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Séquences La revue de cinéma

Vues d’ensemble

Number 254, May–June 2008

URI: https://id.erudit.org/iderudit/47290ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this review (2008). Review of [Vues d’ensemble]. Séquences, (254), 45–49.

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L'ANNÉE OÙ MES PARENTS CARAMEL SONT PARTIS EN VACANCES mille lieues des images de ville bombardée des téléjournaux. Beyrouth se fait belle dans Caramel, première réalisation percevant le manège d'une Volkswagen bleue, un gardien A de Nadine Labaki. La mention •< À mon Beyrouth » clôt d'ailleurs de but laisse malencontreusement passer le ballon, ce qui A le film. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs en mai 2007, provoque la colère de ses jeunes amis. Mauro, le gardien, a Caramel dresse le portrait tendre et attachant de cinq femmes douze ans et la partie se déroule sur un terrain de football dans un quartier multiethnique de Sao Paulo pendant la Coupe du qui gravitent autour d'un salon de beauté. Layale (Nadine Monde en 1970. La Volkswagen ressemble à celle de ses parents Labaki), la propriétaire, fréquente un homme marié qui ne veut qui, partis officiellement en vacances, l'ont laissé là en plan. pas quitter sa femme. Nisrine, qui doit se marier, s'inquiète parce qu'elle a perdu sa virginité. Rima, troublée par une cliente Le scénario du réalisateur Cao Hamburger et de ses trois co- du salon, doute de son orientation sexuelle. Jamale, incapable scénaristes réemploie de nombreuses astuces de films mettant d'accepter son âge, souhaite devenir actrice. Et Rose, qui a en relation un vieil homme et un enfant, depuis le film fameux toujours pris soin de sa sœur un peu bizarre, met une croix et autobiographique de Claude Berri mettant en vedette Michel sur l'amour. Simon jusqu'au gagnant d'un Oscar en 1997, Kolja, du duo père-fils Zdenek et Jan Sverak. Le film montre aussi de manière À la manière de Vénus beauté (institut) de Tonie Marshall, incidente comment des forces policières peuvent mener des mais avec plus de profondeur, le salon est le lieu de toutes opérations ciblées pendant une grande manifestation sportive les confidences où les femmes se dévoilent. La réalisatrice a qui détourne l'attention des spectateurs. Les parents sont insufflé à ce Caramel une sensualité à fleur de peau. Un très impliqués dans des luttes politiques contre la dictature beau montage alterné nous montre une Layale aux yeux brillants militaire, comme dans le film de Bruno Barreto O que e isso, parlant avec son amant pendant qu'un policier l'admire et companheiro? (Four Days in September), qui nous avait lui fait amoureusement la conversation. De même, lorsque Rima offert un regard plus critique. lave les cheveux de cette cliente qui lui plaît, les gestes sont Les préparatifs et le déroulement de cette Coupe du monde pour tendres et empreints d'affection. un pays considéré comme étant le meilleur de cette discipline La musique, tout en douceur, marque les émotions et provoque constitue un temps assez long pour permettre aux relations des moments de grâce. C'est notamment le cas lorsque d'évoluer et de donner ainsi aux divers acteurs la possibilité de Layale regarde à travers un aquarium l'enfant que son amant briller. Mauro, joué sensiblement par le nouvel acteur Michel Joelsas, est un Moïse accidentel que Shlomo, interprété par un ne pourra jamais lui donner ou lorsqu'elle l'attend en vain Germano Haiut circonspect, accueillera avec l'aide de Hannah, dans une chambre d'hôtel miteuse. Nadine Labaki (aussi jouée avec aplomb par l'aussi jeune Daniela Piepsyk. actrice à ses heures dans Bosta) a fait appel à des actrices non professionnelles pour insuffler plus de réalisme à ses L'emploi de la Coupe du monde permet de montrer aussi personnages. Et cela fonctionne admirablement. Elles sont l'impact des retransmissions télévisées comme facteur de toutes criantes de vérité et justes à souhait. Mention toute cohésion sociale dans une ambiance bon enfant. Ainsi, les spéciale à Aziza Semaan, qui incarne une Lili irrésistible. étudiants marxistes, qui prennent idéologiquement pour la Tchécoslovaquie contre leur patrie, sont très heureux que Avec ce premier long métrage, Nadine Labaki dresse de beaux celle-ci gagne et les vieux juifs, habituellement si réservés, portraits de femmes, à la manière d'un Pedro Almodovar dans sautent de joie lors des exploits de Pelé et compagnie. Cette Femmes au bord de la crise de nerfs. Manifestement, une tragi-comédie de mœurs porte donc un regard à la fois réalisatrice est née. Il faudra la surveiller attentivement au nostalgique et critique mais quelque peu prévisible sur une cours des prochaines années. époque révolue. CATHERINE SCHLAGER Luc CHAPUT • 0 ANO EM QUE MEUS PAIS SAfRAM DE FÉRIAS — Brésil 2007, 105 minutes • SUKKAR BANAT — Liban / France 2007, 95 minutes — Réal.: Nadine — Réal.: Cao Hamburger — Scén.: Claudio Galperin, Braulio Mantovani, Labaki — Scén.: Nadine Labaki, Jihad Hojeily, Rodney Al Haddad — Int: Anna Muylaert, Cao Hamburger — Avec: Michel Joelsas, Germano Haiut, Nadine Labaki, Yasmine Al Masri, Joanna Moukarzel, Gisèle Aouad, Siham Daniela Piepsyk, Simone Spoladore, Caio Blat, Eduardo Moreira, Liliana Haddad, Aziza Senaan — Dist: Seville. Castro — Dist: Métropole.

SÉQUENCES 254 > MAI - JUIN 2008 a LES FILMS I VUES D'ENSEMBLE

LA CITE DES HOMMES ans les ruelles étroites des favelas de Rio de Janeiro au daptation du roman de Matt Cohen, Emotional Arithmetic DBrésil, la vie n'est pas toujours facile, loin de là. L'ordre A est le deuxième long métrage du réalisateur canadien Paolo et la justice sont des concepts qui semblent s'être fait remplacer Barzman. Bien qu'on y relate la réunion de gens unis par le par ceux du chaos et de l'arbitraire. Telle est du moins l'atmo­ souvenir, mais séparés depuis une quarantaine d'années, et malgré la présence d'une distribution de tout premier ordre, sphère que Paulo Morelli rend tangible dans City of Men, film le film n'arrive pas à rendre tangible toute l'émotion que la où le « jeu » du roi de la colline prend des proportions dévas­ remémoration de tels événements auraient dû susciter. tatrices et meurtrières. Racontée en un long flash-back, l'action du film se déroule sur Ce récit, basé sur une série télévisée réalisée (entre autres) par une splendide ferme des Cantons-de-1'Est. La beauté champêtre Katia Lund et Fernandos Meirelles (les réalisateurs du stupéfiant des lieux est bien mise en valeur par la direction photo de City of God), relate l'histoire d'Acerola et Laranjinha, meilleurs Luc Montpellier, qui a aussi travaillé sur Away from Her. amis depuis plusieurs années. À première vue, la complicité Toutefois, cette nature automnale proprement québécoise est que l'on perçoit entre ces deux adolescents presque majeurs filmée de manière telle qu'on ne transcende que très rarement semble indestructible, mais lorsque Laranjinha, dans sa quête la beauté du paysage pour en arriver à un véritable discours initiale, aura fini par retrouver Heraldo, le père qui l'a abandonné, sur le souvenir et le temps qui passe. les choses commenceront à se compliquer pour le duo. Toutefois, En outre, le film souffre d'une esthétique qui rappelle par le désordre s'installera plus que jamais lorsque Madrugadao, moments celle du téléfilm, Barzman ayant mis en scène une le chef du gang qui contrôle la colline surplombant la ville, se douzaine de films dédiés au petit écran. L'utilisation d'une fera trahir par son acolyte Nefasto. La guerre ouvertement musique qui appuie trop l'émotion de certaines scènes agace déclarée entre les deux parties, l'attirail de combat déployé, tout et nuit à l'ensemble du film. Doublé d'un symbolisme parfois ce dont Madrugadao aura besoin pour regagner ses anciennes facile, le travail sur la mémoire que le réalisateur effectue s'avère possessions territoriales sera un peu de chair à canon sachant somme toute quelque peu superficiel. Néanmoins, la présence manier l'armement. Pris dans l'engrenage, Acerola se portera à l'écran du vieillissant mais toujours magnifique , volontaire. Les éléments de discorde mis en place, Acerola et un des acteurs fétiches de Bergman, est toujours intéressante Laranjinha seront-ils capables de renouer leur amitié dans ce et évoque un pan important de l'histoire du cinéma. lieu d'anarchie où seule la force de frappe semble prévaloir? Parfois superflues, les séquences en noir et blanc se déroulant dans le camp de détention de Drancy parviennent mal à Ceux qui ont hautement estimé City of God seront assurément exprimer avec justesse le traumatisme des trois survivants enclins à apprécier City of Men, le long-métrage abordant de l'Holocauste. Par ailleurs, la scène extérieure où tous les le même type de problématique et d'esthétique. Sans pourtant protagonistes sont réunis autour d'une table pour finale­ égaler la force de l'œuvre de Meirelles, celle de Morelli captive ment célébrer leur réunion est plutôt réussie, appuyée par par sa qualité narrative, son pouvoir visuel et la sincérité un très beau panoramique elliptique de 360 degrés. des acteurs. City of Men, où les splendides paysages de la Bref, Emotional Arithmetic déçoit, car il ne remplit qu'en ville côtière contrasteront avec l'horreur de la violence, partie ses belles et nobles promesses de départ : rendre raconte ainsi une prestigieuse histoire d'amitié, qui saura hommage aux survivants des camps de détention, adapter perdurer malgré sa présence inadéquate au milieu d'une pour le cinéma un roman d'un écrivain canadien important guérilla des plus brutales. et réunir sur grand écran une distribution internationale MAXIME BELLEY d'acteurs de talent de différentes générations. JEAN-PHILIPPE DESROCHERS

• CIDADE DOS HOMENS/ CITY OF MEN — Brésil 2007, 110 minutes — Réal.: • L'AUTOMNE DE MES SOUVENIRS — Canada 2007, 99 minutes — Réal.: Paulo Morelli — Scén.: Elena Soarez, Paulo Morelli — Int.: Douglas Silva, Paolo Barzman — Scén.: Jefferson Lewis, d'après le roman de Matt Cohen Darlan Cunha, Jonathan Haagensen, Rodrigo dos Santos — Dist: Alliance. — Int.: , , Gabriel Byrne, Max von Sydow, , Dakota Goyo — Dist: Seville.

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LE FILS DE L'ÉPICIER FUGITIVE PIECES ertains se souviendront peut-être des documentaires de e roman éponyme d'Anne Michaels prend dans le nouveau CJean-Henri Meunier (La vie comme elle va et Ici Najac, L film de Jeremy Podeswa une force particulière qu'on peut à vous la terre). Ces derniers nous donnaient à voir le rythme nommer tout simplement émotion. de l'existence des habitants d'une France plus que profonde. Réalisateur, entre autres, de quelques épisodes des célèbres Le dernier long-métrage d'Éric Guiraldo en est tout bonnement téléséries Six Feet Under et Queer as Folk, Jeremy Podeswa une mise en scène. Au moment où le retour à la terre est pour réussit un tour de force en éliminant les incongruités qu'un certains une idée en vogue, ce genre de thème peut passer tel scénario aurait pu occasionner. La mise en scène, fortement pour du racolage, mais il n'en est rien. Truffé d'images bucoliques dépouillée, nous ramène de la Grèce à Montréal. Jacob, le héros et de paysages typiques de la France méridionale, Le Fils de de ce tragique récit, recompose par écrit le puzzle de son l'épicier possède le charme suranné du cinéma français de existence. Durant la Deuxième Guerre mondiale, jeune juif la fin des années 80. Intimiste et souvent tourné en plans polonais de sept ans, il est témoin du massacre de sa famille par rapprochés, le film nous raconte de façon simple l'évolution les nazis. Par un concours de circonstances (vraisemblables), il d'un jeune homme un peu perdu et contestataire en quête est sauvé par un archéologue grec qui va l'élever comme son des «vraies valeurs». propre fils.

Antoine Sforza (Nicolas Cazalé) est un jeune homme qui vivote Évitant le récit linéaire, Podeswa combine avec bonheur passé grâce à de petits boulots depuis qu'il a quitté son village et présent pour raconter une histoire d'amour, de haine, de natal pour la grande ville. Suite à l'hospitalisation de son vengeance, de résignation, d'honneur et d'espoir. La direction d'acteurs, exemplaire, profite également de la présence de père, il décide un peu à contrecœur de retourner sur la terre comédiens remarquables, notamment dans les séquences où qui l'a vu grandir pour aider sa mère à tenir l'épicerie générale, règne l'émotion. Qu'il s'agisse de Stéphane Dillane, sobre et le commerce familial qui fait la fierté de son paternel. efficace, de l'Israélienne Ayelet Zurer, d'une beauté irrésistible Amoureux platonique mais non moins transi, Antoine invite et d'une grande élégance (sans compter son immense talent sa voisine de palier, Claire (Clotilde Hesme), à l'accompagner. d'actrice), ou bien encore de l'impérial Rade Serbedzija, mag­ Le grand air aurait, dit-on, des vertus qui rapprochent... nifique, ou de la grande comédienne grecque Themis Bazaka.

Bien que montrant la vie qui va, encore aujourd'hui dans les La morosité, le climat glauque et la lourdeur de l'atmosphère petits hameaux de régions agricoles, ce film porte aussi sur de l'époque nazie laissent, après le conflit, entrer le monde les problèmes de communication. Intergénérationnelle ou autre, coloré de la Grèce. Ici, l'éclairage nous ramène les couleurs la communication ou plutôt la non-communication y est du soleil, au diapason avec le territoire géographique filmé. constamment représentée. Entre ces deux régions du monde, le Canada, paysage neutre, L'incompréhension qui règne entre les membres de la famille parfois enneigé, mais accueillant et rassembleur. Sforza est au cœur du récit. Le jeu juste et touchant de Le dispositif cinématographique de Jeremy Podeswa, solidement Cazalé est pour beaucoup dans la réussite de cette histoire utilisé, associe les quelques scènes d'action à celles où les sensible où une camionnette transformée en épicerie volante rapports charnels entre les deux protagonistes, Jacob devenu sillonnant les routes de campagne devient le terreau fertile adulte et sa deuxième femme, sont intimement liés au récit. de l'apprentissage des rapports humains. S'il est vrai que le Dans l'esprit du rescapé des camps de la mort, le rapport à bonheur est dans le pré, le film d'Éric Guirado en est le l'autre devient une question de survie, d'espoir en l'avenir. prospectus publicitaire tout désigné et ses personnages en Et puis, soudain, la tragédie... Méditatif, poignant, d'une émotion sont les ambassadeurs parfaits. à la fois palpable et retenue. YASMINA DAHA ÉLIE CASTIEL • LA MÉMOIRE EN FUITE — Canada / Grèce 2007, 104 minutes — Réal.: • France 2008, 96 minutes — Réal. : Éric Guiraldo — Scén. : Éric Guiraldo, Jeremy Podeswa — Scén.: Jeremy Podeswa, Anne Michaels, d'après son Florence Vignon — Int.: Nicolas Cazalé, Clotilde Hesme, Jeanne Goupil, roman éponyme — Int.: Stéphane Dillane, Rade Serbedzija, Robbie Kaye, Daniel Duval — Dist: FunFilm. Ayelet Zurer, Rachel Lefevre, Themis Bazaka — Dist: Incendo.

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JODHAA AKBAR LEATHERHEADS l est tout à fait injuste que le cinéma hollywoodien soit ans son dernier article dans les Cahiers du cinéma, I totalement ignoré à Montréal par la critique institutionnelle. D •• Désirs de grandeur », Stéphane Delorme constatait l'essor Si une grande partie de ces productions demeurent d'intérêt épuisé d'une génération de cinéastes sombrant dans un cinéma strictement local, il n'en demeure pas moins que certaines se du pastiche et de la copie. Parmi cette vague de réalisateurs, dégagent du lot par leur côté spectaculaire, leur caractère on trouvait le nom de George Clooney. extrême assumé, une direction technique époustouflante, sans L'édifiant article composait aussi avec une idée qu'il ne compter, bien entendu, sur la dynamique chants / danses à faire faudrait pas reléguer en arrière-plan : le danger prédominant pâlir de jalousie les metteurs en scène de Broadway. de la nostalgie. Hollywood a toujours préféré se projeter dans Friands d'un cinéma de l'extrême, les cinéastes hollywoodiens les ombres du passé, plutôt que dé se confronter à celles du poussent le plus souvent les limites de la réalité historique en les présent. Avec Good Night and Good Luck, sa réalisation agrémentant de récits moralistes où l'éthique, la responsabilité précédente, Clooney ajustait le tir. Par une claire et évidente sociale, le poids de la culpabilité et les histoires d'amours mise en abyme entre l'ère du maccarthysme et celle de Bush, impossibles servent d'ingrédients à des récits interminables son film était actuel, surtout prometteur. Avec sa dernière pour la sensibilité occidentale, mais bigrement efficaces et mise en scène, Leatherheads, on est plus sceptique. Si sensuels pour la conscience indienne, moyenne-orientale et l'indélébile charme de la star opère tout aussi irrésistiblement, certains endroits d'Afrique, notamment le Maghreb. son film, quant à lui, ressemble malencontreusement à une promesse brisée. Au 16e siècle, afin de consolider ses liens avec les Rajput, l'empereur moghol Akbar épouse la princesse Jodhaa. Ce qui Dans une Amérique en plein essor économique, Dodge n'était qu'un mariage politique se transforme alors en histoire Connely, joueur émérite de l'équipe des Bulldogs, essaie de d'amour. Et c'est justement sur ce dernier aspect que repose le recruter la nouvelle vedette de l'équipe universitaire de foot­ film d'Ashutosh Gowariker, auteur entre autres des élégants et ball établie à Princeton, Carter Rutherford, dans le dessein grandioses Lagaan (2001 ) et Swades (2004). Ce qui n'empêche de reformer son équipe défunte, criblée par des problèmes pas ce film de 213 minutes de proposer également des scènes financiers. Avec l'effervescence grandissante autour de d'action spectaculaires, dignes des grandes épopées épiques. Rutherford, une journaliste ambitieuse tentera d'enquêter sur son séjour passé au front, lors de la Première Guerre. Fidèle au style Bollywood, le jeune réalisateur intègre quelques scènes de chants et de danses, dont la plus spectaculaire Élégant hommage à la screwball comedy, Leatherheads demeure celle où le héros principal se joint à un groupe de offre à son acteur-réalisateur l'occasion de déployer tous ses danseurs derviches tourneurs, provoquant une des séquences talents de comique. Propulsé par la complicité de Clooney et cinématographiques chorégraphiées les plus remarquables du Zellwegger, le film rappelle la fraîcheur de Bringing Up Baby répertoire indien. On soulignera également celle où les deux et de ses deux vedettes, le couple Grant-Hepburn. Avec ses amants, (lui, musulman, elle, hindoue) séparés par un voile airs de comédie romantique d'époque, Leatherheads cherche transparent, découvrent leur attirance réciproque. Comme dans aussi à témoigner d'un temps d'innocence révolu. Le football tout film hollywoodien, le rapport des corps n'est pas néces­ s'officialisant en changeant ses règles, c'est aussi toute une sairement physique. Il suffit d'un geste anodin, d'un mouvement Amérique qui était en mutation, semble-t-on insinuer. des lèvres, d'un déplacement léger de la caméra, d'une goutte de Il n'en demeure pas moins qu'au final, ce sont les revendications sueur émanant de quelque partie du corps, de regards complices esthétiques qui prévalent sur les ambitions artistiques de pour que se réalise l'œuvre de la chair. Jodhaa Akbar est un son réalisateur. Comme si Clooney signait, avec ce film, une pure film grandiose, spectaculaire, en harmonie avec la culture du pays qu'il représente. formalité. Dommage! SAMI GNABA ÉLIE CASTIEL

• Inde 2008, 213 minutes —Réal.: Ashutosh Gowariker — Scén.: Haidar Ali, • DOUBLE JEU — États-Unis 2008, 114 minutes — Réal. : George Clooney — Ashutosh Gowariker — Int : Hrithik Roshan, Aishwarya Rai, Ma Arun, Chetana Scén.: Duncan Brantley, Rick Reilly — Int.: George Clooney, Renée Das, Kulbushan Kharbanda, Suhaisini Mulay — Dist. : La Sana. Zellwegger, John Krasinski, Jonathan Pryce — Dist: Universal.

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LONDON TO BRIGHTON SNOW ANGELS elly, une jeune prostituée, et Joanne, une presque ado­ a sortie retardée de Snow Angels, et celle, confirmée, de K lescente, se cachent dans des toilettes publiques et tentent LPineapple Express, une halte inattendue dans la comédie de reprendre leurs esprits et de se refaire une beauté après juvénile prévue cet été, confirment l'étonnante dégringolade une rencontre qui a mal tourné. Elles prennent assez rapidement de David Gordon Green, un temps émule de Terrence Malick, le train pour la station balnéaire de Brighton au sud de Londres, perçu à ses débuts comme le cinéaste de la désolation rurale qui, facile d'accès, est devenu un endroit de villégiature pour américaine. Où s'est égarée la poésie des espaces industriels de les Londoniens et un lieu de tournage pour de nombreux ses éclatants débuts? films, dont Ohl What a Lovely War de Richard Attenborough La genèse même de Snow Angels, la première commande et Brighton Rock de John Boulting. Le premier illustrait le d'écriture de Green destinée à un copain avant qu'il ne s'acca­ côté ludique de la ville, le deuxième, mettant en vedette pare la réalisation et remanie considérablement l'adaptation Attenborough alors acteur, est un grand film policier britannique du roman de Stewart O'Nan, ne présageait rien de bon. Le récit et Williams semble lui rendre hommage par le personnage en soi, la rédemption punitive d'un alcoolique repentant pour de Stuart (étonnant Sam Spruell), qui manie l'arme blanche reprendre sa vie avec une serveuse de buffet chinois et leur avec autant de dextérité que Pinkie Brown. fillette, patauge dans des marécages maintes fois auscultés par Le scénario du réalisateur Williams alterne les scènes con­ les autorités du cinéma indépendant assoiffées de réalisme temporaines avec de nombreux flashes-back pour expliquer prolétaire. Une bluette adolescente s'impose mal au milieu de pourquoi ces deux femmes se sont retrouvées dans cette ce drame où les hommes, encore et toujours, s'y prennent de la situation fâcheuse. La caméra à l'épaule de Christopher Ross manière la plus tragique pour supporter le poids de leurs nous plonge souvent dans l'action et oblige le spectateur à lâchetés quotidiennes. On attendra en vain le sauvetage d'amitiés réagir rapidement à des actions qui, répréhensibles figures profondes, le regard qui fait battre les cœurs, la souffrance qui obligées du genre, apparaissent placées dans le cours du récit fait grandir, la raison pour réhabiliter Griffin Dunne en pro­ pour lui causer un électrochoc. La description des milieux fesseur adultère et tous ces moments qui faisaient d'Ail the mafieux et du sous-prolétariat urbain est bien incarnée par Real Girls, mais surtout de George Washington, d'authen­ des acteurs peu connus qui réussissent à nous faire croire à tiques portraits d'une Amérique qui, pour une fois, sublimait son des personnages semblables à des types vus dans d'autres inaltérable culpabilité par la fraternité et la solidarité familiale, films similaires. valeurs fondamentales des sujets de l'Oncle Sam.

En choisissant comme personnage, Joanne, une femme à peine Deux pas en avant, et autant en arrière; Green tombe dans le pubère, Williams joue avec le feu dans son scénario aux accents piège du drame sec, aux antagonismes patauds et aux relations sexuels, mais s'en sort habilement au niveau du montage et platement déficientes qui ont déjà valu à Todd Field d'injus­ par sa direction des deux actrices, la jeune Georgia Groome tifiables éloges. Entre la fulgurance du débutant et l'assurance et Lorraine Stanley formant un couple d'amies finalement prévisible de Snow Angels, on ne peut que constater le trans­ plausible. Johnny Harris rend bien, en Derek, le petit criminel fert d'intérêt du cinéaste, un homme de clan, de l'infiniment petit dépassé par les événements. (sa force) vers le panoramique choral, un tic développé par ses récents efforts à cautionner les premiers projets des copains — La construction en flashes-back rend perceptible l'écoulement Jeff Nichols, le réalisateur-alter ego Paul Schneider et Craig du temps, quelques jours à peine, jusqu'à la conclusion éton­ Zobel en tête — avec d'autres responsabilités sous la casquette. nante mais vraisemblable comme exutoire d'une vengeance On suivra ses prétendants, tout aussi doués, en attendant le trop longtemps mûrie. Le produit final apparaît pourtant peu retour aux sources du chef de bande. nouveau et l'on espère que Williams trouvera un scénario plus original pour sa prochaine réalisation. CHARLES-STÉPHANE ROY Luc CHAPUT • États-Unis 2007, 106 minutes — Réal. : David Gordon Green — Scén. : • Grande-Bretagne 2006, 89 minutes — Réal.: Paul Andrew Williams — David Gordon Green, d'après le roman de Stewart O'Nan — Int. : Sam Scén.: Paul Andrew Williams — Int.: Lorraine Stanley, Georgia Groome, Sam Rockwell, Kate Beckinsale, Griffin Dunne, Michael Angarano, Jeannetta Spruell, Johnny Harris, Alexander Morton — Dist: A-Z Films. Arnette, Tom Noonan — Dist. : Seville.

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