Au-Delà Du Film D'art. Sur Deux Films Retrouvés À La Cinémathèque De
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1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze Revue de l'association française de recherche sur l'histoire du cinéma 56 | 2008 Le film d'Art & les films d'art en Europe (1908-1911) Au-delà du film d’art. Sur deux films retrouvés à la Cinémathèque de Toulouse Beyond film d’art. On two films rediscovered at the Cinémathèque de Toulouse Christophe Gauthier Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/1895/4083 DOI : 10.4000/1895.4083 ISBN : 978-2-8218-0990-1 ISSN : 1960-6176 Éditeur Association française de recherche sur l’histoire du cinéma (AFRHC) Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2008 Pagination : 337-334 ISBN : 978-2-913758-57-5 ISSN : 0769-0959 Référence électronique Christophe Gauthier, « Au-delà du film d’art. Sur deux films retrouvés à la Cinémathèque de Toulouse », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 56 | 2008, mis en ligne le 01 décembre 2011, consulté le 23 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/1895/4083 ; DOI : 10.4000/1895.4083 © AFRHC Au-delà du film d’art Sur deux films retrouvés à la Cinémathèque de Toulouse par Christophe Gauthier 1895 / n° 56 décembre 2008 Prologue Dans les années 1970, Raymond Borde fit entrer dans les collections de la Cinémathèque de 327 Toulouse un ensemble de films nitrate des années 1909-1915, issus entre autres des séries d’art produites par Pathé. On y recense notamment la Vengeance du sire de Guildo de Gérard Bourgeois (1909), Fouquet, l’homme au masque de fer de Camille de Morlhon (1910) ou encore le Siège de Calais d’Henri Andréani (1910). À une époque où le plan nitrate n’existait pas encore, Borde avait expédié ces copies à la cinémathèque nationale de Roumanie, afin d’obtenir en retour un tirage safety1. Comme une partie des court-métrages 35 mm de la collection, le catalogage de ces films avait été effectué rapidement, aux fins (essentielles) d’une identification a minima et d’une localisation précise dans les magasins. Grâce à l’ou- verture du Centre de conservation et de recherche de la Cinémathèque de Toulouse en 2004, le catalogue des fonds anciens de la collection, à commencer par les films muets, a été pro- gressivement repris. Dans ce même stock figuraient donc un Macbeth2 et un Pelléas et Mélisande3 que ces récents travaux ont permis d’identifier. Réalisés par un certain Gustave 1 Cette pratique courante à la Cinémathèque de Toulouse – qui ne disposait pas de tireuse ni de déve- loppeuse – concernait les films sur support nitrate et les films sur support safety tirés dans les années 1920 (support diacétate). Elle a été marquée par une intense collaboration avec la Cinémathèque royale de Belgique, alors dirigée par Jacques Ledoux, et en second lieu avec l’Archive nationale du film de Buca- rest. Elle s’est poursuivie jusqu’à l’institution en 1991 du « plan nitrate » ou plan national de sauvegarde des films anciens qui a entraîné le dépôt des films nitrate de la collection aux Archives françaises du film du CNC. 2 Copie 35 mm n° 8560-CM de la Cinémathèque de Toulouse, NB, Muet, INTFR, 906 m. 3 Copie 35 mm n° 8514-CM de la Cinémathèque de Toulouse, NB, Muet, INTFR, 489 m. Le tirage très médiocre, voire défectueux à certains endroits, de ces deux copies n’en permet malheureusement pas la projection. Sur deux films retrouvés à la Cinémathèque de Toulouse Au-delà du film d’art Le Film d’Art Labruyère, opérateur de la firme Éclair en activité dans les années 1900 et 1910, ils ont pour interprètes principaux Georgette Leblanc-Maeterlinck4 et Séverin-Mars5 – dont ce sont pour ainsi dire les premières apparitions à l’écran6 – et sont tournés dans les décors naturels offerts par l’abbaye de Saint-Wandrille. Tout semblait simple jusqu’à ce que quelques recherches nous amènent à reconsidérer l’histoire de ces deux films, a priori disparus en dehors de la Cinémathèque de Toulouse – et donc de celle de Bucarest – une histoire en réalité bien plus complexe qu’il n’y paraît, et qui laisse clairement entrevoir que si Gustave Labruyère était bien derrière la caméra, il ne fut nullement le metteur en scène de ces deux films. 1895 / Acte I : Abbaye de Saint-Wandrille, été 1908 n° 56 décembre Le 30 novembre 1907, Maurice Maeterlinck est devenu locataire pour un bail de dix-huit ans 2008 de l’abbaye de Saint-Wandrille dont les derniers moines ont été expulsés en 1901 en raison de l’interdiction des Congrégations7. Georgette Leblanc et l’auteur de Pelléas y avaient passé 328 leur premier été en 19078. Le couple s’installe dans le corps de logis des XVIIe et XVIIIe siècles (infirmerie et hôtellerie) et transforme le réfectoire en salle à manger. Il y séjourne réguliè- rement jusqu’en 1919. L’aménagement de l’abbaye (une demi-ruine, dont tout confort est banni) est laissé à l’appréciation de Georgette Leblanc qui repeint toutes les pièces et les meuble de tables gigantesques, de chaises trouvées sur place, de grands coffres Renaissance. Ses Souvenirs parus en 1931 laissent entrevoir le bonheur qu’elle eut à occuper ces lieux, à s’y promener sans fin (« Immobile, retenant mon souffle, je sentais mon corps devenir une chose parmi les choses »9) tandis que le poète – pas encore « nobélisé » – se délasse en traversant 4 Georgette Leblanc (1869-1941) est comédienne mais aussi cantatrice. Proche de Mallarmé et du milieu symboliste à la fin du XIXe siècle, elle est au moment du tournage du film l’épouse de Maurice Maeter- linck, l’auteur de l’Oiseau bleu et de Pelléas et Mélisande, et dont elle se séparera définitivement après la guerre, Elle est aussi la sœur de l’écrivain Maurice Leblanc. Sur la vie de Georgette Leblanc, voir Maxime Benoît-Jannin, Georgette Leblanc (1869-1941). Biographie, Bruxelles, Le Cri, 1998. 5 Issu du théâtre, Armand-Jean de Malafayde, dit Séverin-Mars (1873-1921) est l’interprète principal de la Dixième symphonie (1917), J’Accuse (1919) et la Roue (1923) d’Abel Gance. En 1921, Il réalise également pour le cinéma le Cœur magnifique d’après une de ses propres œuvres. 6 Première apparition effectivement pour Georgette Leblanc, et la seule avant l’Inhumaine en 1923, malgré de nombreuses tentatives entre 1915 et 1923 et une contribution remarquée à la réflexion esthétique sur le cinéma dans un article du Mercure de France en 1919. Sur Georgette Leblanc et le cinéma, nous renvoyons à François Albera, notice « Georgette Leblanc », dans F. Albera et J. A. Gili (dir.), Dictionnaire du cinéma français des années vingt, 1895, juin 2001, n° 33, p. 244-246. Séverin-Mars avait en revanche déjà tourné dans quelques films dont le Duel d’un fou réalisé en 1913 par Andreyor (copie 35 mm n° 763-CM de la Cinémathèque de Toulouse, NB, Muet, INTFR, 510 m). 7 Située en Haute-Normandie, non loin de la propriété familiale des Leblanc, l’abbaye est à nouveau occupée par les moines à partir de 1931. 8 Le couple partageait ses hivers entre la villa « les Abeilles » dans les environs de Grasse et leur appartement de Neuilly. 9 G. Leblanc, Souvenirs (1895-1918), Paris, Grasset, 1931, p. 232. salle du chapitre et réfectoire en patins à roulettes (« Il roulait à toute vitesse, la pipe à la bouche, un livre sous le bras et son chien sur les talons »10). L’espace est ainsi habité le temps de quelques étés par une comédienne et un auteur qui sont alors parmi les plus grandes célébrités de leur époque. Ils y reçoivent personnalités du monde littéraire et politique. Georgette Leblanc, séduite par le lieu et par les possibilités drama- tiques qu’il semble offrir, souhaite très vite y monter un spectacle, en décors naturels, mais non à l’imitation du théâtre en plein air qu’elle voit comme un « camouflage »11 de la nature. Le premier projet ne concerne pas une pièce de Maeterlinck mais le Macbeth de Shakespeare, traduit et adapté par le poète12. Georgette Leblanc explique les raisons de ce choix : On ignore quel surcroît d’émotions peuvent donner l’art et la nature mêlés – une phrase de 1895 / n° 56 Shakespeare rendue à la terre, à l’espace, à la forêt […]. Et c’est ainsi que survint en mon ima- décembre gination l’idée d’une représentation spéciale, dont les lois que j’entrevoyais seraient exacte- 2008 ment à l’opposé des lois théâtrales […]. Il ne s’agissait pas de réunir dans une des vastes salles un grand nombre de personnes et de jouer une tragédie devant elles. Non, la tragédie se dérou- lerait dans les décors séculaires que m’offrait l’abbaye. Les spectateurs réduits à un minimum la 329 suivraient en silence et, protégés par la nuit, la surprendraient comme des indiscrets13. Ce n’est rien moins qu’à une nouvelle conception du théâtre – et comme nous le verrons à une expérience de théâtre total – que nous invite Georgette Leblanc – qui en réalisa seule la mise en scène – un théâtre débarrassé des contraintes de la scène, où le spectateur est invité à prendre part à ce qui se joue devant ses yeux, comme en témoignent les costumes distri- bués à ceux qui le souhaitent en début de soirée14. Acte II : Saint-Wandrille, juillet 1909 Macbeth est donc mis en scène pour une représentation unique le 27 août 190915, devant une soixantaine de spectateurs, parmi lesquels la princesse Murat, Adophe Brisson, Yvonne Sarcey, Jacques Hébertot, Francis de Croisset et bien entendu Gaston Calmette, le directeur 10 Ibid. 11 Ibid. 12 La traduction paraît en 1910 chez Charpentier et Fasquelle, sous le titre la Tragédie de Macbeth.