TREIGNAC-SUR- VÉZÈRE

Jean VINATIER

HISTOIRE GÉNÉRALE DE

TREIGNAC SUR- VÉZÈRE

L'évolution des classes sociales et la vie quotidienne des habitants dans une ville du Limousin.

TOME Il

DE L'AVENEMENT DU ROI LOUIS XIII A NOS JOURS

IMPRIMERIE CHASTRUSSE & Cie BRIVE 1974 OUVrAGES DU MEME AUTEUR

Editions de la Vie Corrézienne, Brive : 0 Egletons, cité de Ventadour. 0 Sainte Madeleine et son pèlerinage de Nauzenac. 0 Monédières - Roman. 0 Villevaleix le Soleil - Roman.

Editions de la J.A.C., Lyon : 0 Paysan, connais ton histoire.

Société des Lettres, Sciences et Arts de la Corrèze, : 0 dans les Monédières.

Editions Ouvrières, Paris : 0 La Femme, parole de Dieu et avenir de l'homme.

Imprimerie Chastrusse et Cie, Brive : (Se trouve dans les principales librairies limousines.) 0 Histoire générale de Treignac-sur-Vézère, Tome I. Les deux blasons reproduits sur la couverture sont ¡l'œuvre de M. Merceron A gauche : A droite : Blason de la Corrèze Blason de la ville de Treignac « D'azur aux trois étoiles d'or » Ecartelé Au 1, Devise : « D'or à deux lions léopardés « Trina Ostia. Trina Suburbia. de gueules, l'un sur l'autre » Trina Castella. » (qui est COMBORN). (Trois portes. Trois faubourgs. Au 2, 1. Trois châteaux.) « Echiqueté de gueules et d'or » (qui est VENTADOUR). Au 3, « Coticé d'or et de gueules » (qui est TURENNE). Au 4, « D'or à trois lions d'azur, armés et lampassés de gueules » (qui est LIMOGES). Le blason de la Corrèze a été établi par M. MERCERON D'ARGENTAT, D'après les armes des anciennes vicomtés du Bas-Limousin. Il a été adopté par la préfecture de la Corrèze. Il a paru, pour la première fois, dans le n° 40, d'octobre 1971 de la revue Lemouzi. AUX LECTEURS DU PREMIER VOLUME : QUELQUES PRECISIONS

Des erreurs de détail m'ont été signalées. Je les rectifie ici volontiers :

Page 33 : Les Lémovices n'ont pas fourni à l'armée de secours de Vercin- gétorix le sixième de son effectif. J. César (Guerre des Gaules, livre VII, nô 75) donne le chiffre de 20 000 soldats pour les 7 « cités » de l'ouest, dont faisaient partie les Lemovices. Mais il y avait des troupes venant de 44 « cités » avec un total de plus de 200 000 combattants. (Cf. les études de M.R. MORICHON, parues dans le Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin.)

Page 34 : Les fouilles des Jaillants dirigées depuis plusieurs années par le président R. JOUDOUX, ont fait découvrir de petits temples de hauteur — ou « fanum », et non une villa gallo-romaine. (Cf. les études sui- vantes de R. JOUDOUX : « Les vestiges gallo-romains des Jaillants », Lemouzi n° 9 ; et note sur les recherches effectuées au site gallo- romain des Jaillants ; Lemouzi n° 21 ; « Le fanum gallo-romain des Jaillants », Lemouzi n° 25.)

Planche XV, en bas, à gauche : La statue provient de l'ancien hôpital et se trouve chez M. Bal- lage, et non au Chatenet.

Merci aux lecteurs compétents qui voudraient bien me signaler des rectifications à faire, dans le premier ou le second volume.

Dans la liste des sigles d'ouvrages, il y a eu deux omissions : P. = Poulbrière. Dictionnaire des Paroisses, Nouvelle Edition, 3 volumes. Ch = J. Bte Champeval. Le Bas Limousin, Seigneurial et Religieux. SIGLES PRINCIPAUX

Pour les ouvrages, ou sources de documentations, le plus souvent cités dans cette Histoire de Treignac, on utilisera, en notes, les abréviations suivantes :

1. ARCHIVES

A.D.T. = Archives départementales de la Corrèze, à Tulle. A.L.M. = Archives Lavareille et Mège (Chez Madame Raynaud). A.P. = Archives personnelles de l'auteur. A.S.B. = Archives de la Société Archéologique de Brive. C.U. = Cartulaire d'.

2. BULLETINS B.B. = Bulletin de la Société Scientifique, Historique et Archéolo- gique de la Corrèze à Brive. B.T. = Bulletin de la Société des Lettres, Sciences et Arts de la Corrèze, à Tulle. LEMOUZI = Bulletin de la Société historique du Bas-Limousin, 13, place Municipale, Tulle. Histoire, Archéologie, Lettres et Traditions Limousines.

3. OUVRAGES B.D. = M. BALLOT-M. DAUTREMENT : Histoire de la Corrèze et du Bas- Limousin (Lavauzelle, Limoges). Ch. — CHAMPEVAL : Le Bas-Limousin seigneurial et religieux (Ducourtieux, 1896, Limoges). D.B. = Désiré BRELINGARD : Histoire du Limousin et de la Marche (Que sais-je ? P.U.F.). D.L. D.S. = DECOUX-LAGOUTTE : Quelques droits seigneuriaux du Baron de T reignac. D.L. HJ. = DECOUX-LAGOUTTE : Hommes illustres de Treignac (Crauffon. Tulle). D.L. H.T. = DECOUX-LAGOUTTE : Etude sur l'Histoire de Treignac (Cassard, Périgueux). H.L. R.M. = Histoire du Limousin et de la Marche sous la direction de René Morichon (Dessaigne, Limoges). J.N. = Joseph NOUAILLAC : Histoire du Limousin et de la Marche (Lavauzelle, Limoges). N.H.F. — Nouvelle Histoire de (Tallandier). P. = Chanoine POULBRIÈRE : Dictionnaire des Paroisses du Dio- cèse de Tulle (Nouvelle édition, Imprimerie Chastrusse, Brive, 3 volumes). AU SEUIL DE CE SECOND VOLUME...

... Comment ne pas redire combien je suis reconnaissant à tous ceux, à toutes celles qui m'ont apporté leur concours empressé et presque toujours totalement bénévole ? L'amour du pays de Treignac a produit cette amicale collaboration. Beaucoup de ceux que j'avais mentionnés dans l'introduction du premier volume m'ont encore aidé pour celui-là. Qu'ils en soient de nouveau remerciés.

Merci également : 1° A l'imprimeur M. Chastrusse, pour le soin apporté à 1(/ confection de l'ouvrage, à celles qui m'ont aidé pour établir le manus- crit : Mme Prouvot de Toulon ; Mme Meyzaud, de Treignac, qui a également dépouillé des archives ; Mlle R. Giraud, de la Seyne. 2° A ceux et celles qui m'ont fourni : documentation, archives et renseignements divers : Mme Morisot, bibliothécaire de l'Assemblée nationale ; M. E. Tintou, de Limoges, l'historien infatigable de nos sol- dats limousins ; M. E. Tapissier d'Angers et Anne Tapissier; Les enfants de Marc Sangnier : Madeleine Chatelat, Jean Sangnier ; Le pasteur Medard, de Brive ; M. Cheype, de Saint-Ouen-sur-Loire ; H. Bosc, bibliothécaire de la Société d'Histoire du Protes- tantisme français. Et, à Treignac : M. Neuvialle, principal du collège ; M. E. Ballage ; M. J.-A. Antonietti ; M. Mettas ; Mme Lamontagne ; La Supérieure des sœurs de l'Hospice ; M. C. Gourty ; M. le Chef de l'usine de Monceau-la-Virolle. Les enfants du docteur Fleyssac. 3° A ceux et celles qui m'ont fourni les photographies et les documents qui ont permis d'illustrer l'ouvrage : M. Peyre, géomètre de La Seyne; M■» M. Chatelat ; Mme Reynaud; M. Camille Fleury, peintre de Treignac ; M'" Debray de Tulle; Mne M. Fargeas ; Àf™* Chaumont ; M. G.R. de Lage, de Clermont ; M. F. Bouillon et M™5 Tapissier ; Mme Lamontagne ; M. R. Manoury, cinéaste de « La Vézère » ; Docteur Roulet ; Abbé F. Villatte, spécialement pour les Pénitents ; M. et Mme Fort ; M"* Marcelle Vinatier, pour les graphiques.

4° Je dois des remerciements particuliers aux présidents des trois sociétés savantes de la Corrèze : M. L. Dautrement, de la Société de Brive ; M. R. Joudoux, de Lemouzi ; M. J. Mouzat, de la Société de Tulle, pour m'avoir autorisé avec bienveillance à repro- duire plusieurs textes intéressant l'histoire de Treignac et parus dans leurs Bulletins. Je les indiquerai au cours de l'ouvrage. Enfin je -voudrais dire ici ma gratitude la plus totale à Mme: Dupuy, ancienne directrice de l'école des filles de Treignac, et à M. R. Leyssène, président actif du Syndicat d'initiative de la ville. Leur dévouement inlassable, le soin qu'ils ont apporté à la sous- cription, leur aide pour la correction des manuscrits, leurs conseils et leurs recherches personnelles m'ont permis de mener à bien cette œuvre dans les meilleures conditions. L'Histoire de Treignac restera, grâce à tous ces collaborateurs une œuvre collective à la gloire de notre petite et antique cité.

Jean VINATIER. TROISIÈME PÉRIODE

LA VIE A TREIGNAC SOUS LES ROIS ABSOLUS (1610-1789)

Au moment de la mort du roi Henri IV, si nous avions parcouru les rues de Treignac, et interrogé les habitants, nous aurions pu conclure avec certitude : « Le Moyen Age est terminé ». Quand avait-il fini ? Nul n'aurait pu le préciser. On ne passe pas d'une période à l'autre, par mutations brusques, mais par des trans- formations progressives. Dès le règne de Louis XIII cependant, coutumes, mentalités, pratiques religieuses, rapports entre les clas- ses sociales : tout a pris un nouveau visage. Il ne fera que s'accentuer avec les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. La vie provinciale perdra une part de sa force créatrice au fur et à mesure de la mainmise de l'Etat sur la direction des activités politiques et économiques. La religion semble d'abord à l'écart de cette emprise. Elle est encore au cœur de la vie de la cité et des familles. Mais les guerres de religion ont mis un doute grave dans les consciences : il y a maintenant deux manières d'être chrétien. Après avoir toléré la communauté protestante — elle a eu 50 ans de vitalité à Treignac — Louis XIV va régler ce qui lui semble une atteinte à l'Unité de l'Etat, en la supprimant de la pire des manières : la manière forte. Paradoxalement, c'est pendant les cinquante ans où ils sont stimu- lés par les protestants que les catholiques trouvent un nouveau souffle. La construction de Notre-Dame-de-la-Paix, en 1626, en est un signe certain, comme aussi la création et la réussite spectaculai- res des Pénitents blancs. Les Seigneurs de ces deux siècles n'ont que des rapports loin- tains avec leurs ancêtres. Protecteurs hier des habitants, ils sont aujourd'hui devenus les soldats du roi. Résidant au milieu du peu- ple autrefois, ils sont maintenant à la Cour, à l'armée ou dans leur hôtel parisien. Jean de Pompadour aimera encore habiter à Trei- gnac. Après sa mort, en 1684, le château ne sera plus qu'une maison de vacances, et le lieu qui symbolise des privilèges désuets et des impôts toujours plus lourds. Les Consuls ont gardé, pendant un temps, un véritable pouvoir et font preuve de dynamisme. Les foires de Treignac seront pros- pères et la création du Collège reste leur plus belle œuvre. Mais ils vont cesser d'être les élus du peuple pour devenir des fonction- naires de l'Etat. Un procès retentissant, en 1662, marquera leur der- nière résistance pour la défense des libertés. La Bourgeoisie abandonne progressivement les métiers manuels et se cantonne dans les professions libérales. Elle achète de plus en plus de domaines ruraux, en même temps que de charges officiel- les et prépare son entrée en force dans les futurs Etats généraux de 1789. Marchands et artisans restent laborieux et inventifs. Quant au peuple des campagnes, il va être la principale victime de la centra- lisation et verra augmenter de façon écrasante le poids de ses impôts. Les famines du XVIIe siècle l'acculeront à la révolte à plu- sieurs reprises. Même si le XVIIre siècle donne aux paysans un peu plus de sécurité, ils verront arriver la Révolution comme une grande espérance. Une foule de documents inédits va nous aider à revivre avec précision cette période capitale.

Tableau chronologique des principaux événements 17ème siècle

ISème siècle

CHAPITRE XV

GRANDEURS ET MISERES DE LA COMMUNAUTE PROTESTANTE : LA PERSECUTION LA REVOCATION DE L'EDIT DE NANTES L'EGLISE DU SILENCE (1610-1789)

« Tous les habitants du Haut et du Bas-Limou- sin sont de la religion catholique, à la réserve d'un petit canton du costé de Treignac où il y en aurait quelques-uns de la religion protestante réformée qui ont abjuré, comme partout ailleurs, avec des sentiments peu sincères de conversion, mais le nombre est trop petit pour y faire attention. » L'Intendant de Bernage en 1698.

Une lettre de Louis XIII au marquis de Pompadour Le 12 octobre 1634, le roi de France se trouvait à la Fère, au moment où ses troupes occupaient la Lorraine. Des délégués de la communauté protestante de Rochechouart l'y rejoignirent. Porteurs de témoignages nombreux et irrécusables, ils venaient se plaindre des tracasseries et des violences que leur infligeait le marquis Phi- libert de Pompadour, baron de Treignac et lieutenant général du Limousin. Louis XIII appréciait les qualités militaires de ce sei- gneur qui avait malheureusement hérité de l'hostilité farouche de son père à l'égard des « huguenots ». « Vous les avez empêché, lui écrit le roi, de rentrer dans leur tem- ple, que vous avez fait remplir de paille et leurs avez fait d'autres mauvais traitements en leurs personnes et leurs familles 1. » Avec fermeté il ordonne au baron de les laisser pratiquer en paix leur reli- gion. Philibert de Pompadour ne se contentait pas de sévir contre les protestants de Rochechouart. Aux portes même de son propre château, il voyait prospérer une communauté de ces « maudits huguenots ». Jusqu'à l'heure de sa mort, survenue peu après qu'il eut reçu les remontrances de Louis XIII, il s'appliqua à « tourner » autant qu'il le put, l'esprit et la lettre de l'Edit de Nantes.

1. Voir le texte complet de cette lettre, publiée et commentée par H. BOUDRIE dans Lemouzi, n° 8, p. 15 et 16. Il est vrai que pendant la jeunesse du roi qui succédait à Henri IV, les guérillas religieuses avaient repris de plus belle, sur- tout dans le Midi de la France. En se concentrant dans la région de La Rochelle, les protes- tants bravaient les ordres du roi. Louis XIII, et surtout Richelieu, vont leur faire une guerre impitoyable 2. Mais le roi, après la vic- toire, est décidé à faire respecter scrupuleusement les édits de tolé- rance. Son lieutenant Philibert de Pompadour est décidé, au contraire, à reprendre aux protestants ce qu'on leur a concédé. « Les officiers de Votre Majesté, écrit au roi un gouverneur, obligent indifféremment tous ceux de la dite religion, quelques obéissances qu'ils aient rendu, même les femmes et les enfants jusqu'à l'âge de quinze ans, de faire des serments et protestations qu'on crut, par toutes sortes de rigueurs extorquer d'eux contre leur confiance et la liberté des édits 3. » Bref, c'était la contrainte dans toute son horreur. La Communauté de Treignac L'historien protestant, Léonard, constate qu'après la paix de 1622 qui mit un terme à cette nouvelle série de combats, la Réforme avait marqué le pas. Les protestants n'enregistrent plus de conversions nou- velles. Ils établissent leurs paroisses face aux paroisses catholiques. Ils se replient sur eux-mêmes : c'est la « léthargie ». Ce jugement n'est pas tout à fait juste en ce qui concerne Trei- gnac, car c'est le moment où la communauté réformée est encore en plein essor. Des familles influentes de la cité professent la foi protes- tante au risque parfois de diviser leurs proches. Le syndic de la communauté s'appelle Degains Etienne, avocat à la Cour et au Parle- ment de Bordeaux et juge de Veix4. Le pasteur n'est autre que le célèbre prédicateur Ambert de Barthe, homme consciencieux et droit, au dévouement inlassable. On trouve aux réunions de prières un mem- bre de la famille Granchamp : converti depuis 1604, il est qualifié « d'ancien » en 1633 5. Plus nombreux encore sont les marchands et les commerçants influents, les Desfarges, Denoix, Rivière, Vely, d'au- tres encore. On les voyait traverser gravement les rues de Treignac pour se ren- dre au culte, leur grosse bible reliée en cuir et importée de Hollande, sous le bras. Il nous en reste encore une, qui appartint à un Ruben de l'Ombre : c'était une véritable somme de la religion réformée. Avec la traduction française de l'Ecriture sainte, on y trouvait diverses prières, un calendrier selon Luther, et les psaumes traduits par Clé- ment Marot qu'on chantait à l'assemblée 8. Les temples successifs des protestants de Treignac Les protestants occupèrent un temps, nous l'avons vu, Notre- Dame-de-la-Basse-Cour. En vertu de l'Edit de Nantes ils durent ren-

2. Pour construire la digue de La Rochelle, le cardinal fit appeler un fort contingent de maçons limousins renommés pour leur habileté. 3. Archives nationales, R2 53. 4. A.P. Ceci ressort de son testament (14 avril 1663). 5. D.L. D.S., p. 642. 6. Cette bible imprimée en 1567 porte la signature d'un Ruben de l'Ombre. Elle est la propriété des enfants de Marc Sangnier. dre l'église aux catholiques. C'est alors, qu'après diverses recherches, ils se réunirent dans une maison neuve, à l'angle de la rue Grande et de la place de la Halle 7. Ils allaient y rester pendant une trentaine d'années.

C'est donc en plein cœur de la ville murée que se manifestait la communauté réformée, pendant que les catholiques continuaient, pour assister à leurs offices, à descendre jusqu'à Notre-Dame-de-la-Basse- Cour. Cette situation, ainsi oue l'élan que manifestait la contre-réforme, ne fut pas étrangère à la construction, au centre de la ville, entre la Halle et la rue Grande, d'une nouvelle église : Notre-Dame-de-la-Paix. Nous la retrouverons au chapitre suivant.

Ce curieux édifice était achevé en 1627. A cette date, forts de leur nombre, de leur vitalité religieuse et de l'appui de quelques familles de notables, les protestants n'hésitèrent pas à demander la permis- sion de tenir leurs assemblées dans l'église neuve 8. Eurent-ils gain de cause ? Il semble que oui, au moins pour un temps.

Un mystère plane d'ailleurs sur cet épisode.

Comment oublier en effet, que le baron de Pompadour s'était fait reconnaître comme le « protecteur » de Notre-Dame-de-la-Paix et qu'il s'opposait violemment aux prétentions des réformés ? Comment expliquer que l'avocat Jean Dumas, à qui appartenait l'édifice, permit cette occupation ? Comment les fidèles de la religion protestante n'auraient-ils pas répugné à se réunir dans un lieu qui portait le nom de Notre-Dame ?

Pourtant le fait est affirmé nettement par plusieurs chroniqueurs. On peut sans doute l'expliquer de la façon suivante :

Vers 1626, sous la direction de leur pasteur, Ambert de Barthe, les protestants de Treignac se rassemblent dans la grande maison de la famille d'Esperut de la Chatonie (actuellement maison de la famille Fort). A cause de leur nombre — ou pour d'autres raisons — ils sont tenus de changer de lieu. Or, voici qu'en 1633, Anne de Levis de Ventadour gouverneur du Limousin, et personnellement gagné à la Réforme, autorise le libre exercice du culte protestant. C'est sans doute avec son appui que la communauté de Treignac, profitant de la mort de Philibert de Pompadour qui vient de survenir en 1634, demande de pouvoir utiliser Notre-Dame-de-la-Paix, ce qui leur aurait été accordé. Mais la châtelaine de Treignac, veuve du baron, s'y opposa bientôt formellement (1635) 9. Vers 1638 nouvelle demande qui semble avoir abouti, au moins un temps. Pour ne pas être inquiétés par le nouveau seigneur de Treignac, Jean de Pompadour, les protestants en appellent enfin à la Chambre chargée de faire appliquer l'Edit de Nantes et qui siège à Agen. Ils demandent d'être « maintenus dans l'exercice paisible de leur religion au dict lieu », c'est-à-dire à Notre-

7. Voir chap. xiv et la dernière photographie (p. xvi) du t. Ier. C'est aujour- d'hui la maison de la famille Fort. 8. A. LEROUX, Histoire de la Réforme, Limoges, 1888. « L'église réformée (de Treignac) paraît avoir été nombreuse et solide dans sa foi. » L'église Notre-Dame-de-la-Paix a heureusement survécu jusqu'à nous et depuis la Révo- lution sert de mairie à la ville. 9. Elle « leur enjoint expressément de se départir et de ne tenir aucune assem- blée dans ledit temple ». Il semble donc qu'ils l'avaient occupé quelque temps. Dame-de-la-Paix. La Chambre de l'Edit va trouver un compromis : les protestants n'utiliseront plus Notre-Dame-de-la-Paix. Ils quitte- ront également l'ancienne maison qui leur servait de Temple. En compensation, on leur cède une autre grande maison, pour y tenir leurs assemblées.

« Une tradition constante, écrit E. Decoux-Lagoutte, indique comme ayant été le nouveau Temple acheté par les protestants, la maison appartenant au Docteur Fleyssac, rue du Plaut10. »

C'est aussi au XVe, qu'avait été construite cette belle demeure. Elle s'adossait d'un côté aux remparts et aux contreforts de la porte de la Pradelle. Son entrée principale se trouve toujours en face de la rue de la Garde.

Au-dessus de belles caves voûtées, dont certaines parties ont été taillées directement dans le rocher, s'élevaient trois grandes salles, occupant chacune tout un étage et desservies par un harmonieux esca- lier en colimaçon, aux marches de granit. Une cheminée monumentale, également en granit, s'ouvre dans le mur de l'Est, à chaque étage 11. Deux souvenirs, particulièrement significatifs décorent les cheminées du premier et du second étage. C'est d'abord un écu à trois chevrons que l'on voit, en relief, au milieu de la pierre qui forme le manteau, au premier étage. Il est probable, comme le pense M. Merceron, qu'il représente tout simplement les armes du gouverneur du Limousin, le duc de Levis Ventadour. C'est en effet avec son accord exprès que M. Granchamp, « l'ancien » signa, au nom du seigneur et de la dame de Pompadour, avec Etienne Degains, le syndic de la communauté pro- testante, l'acte de vente de la maison. Les armes sculptées sur la cheminée témoigneraient de leur reconnaissance.

Le second souvenir est sans doute plus tardif et laisse entendre que la communauté est entrée dans le temps des épreuves. Une pla- que de marbre noir a été encastrée au milieu de la cheminée du second étage, où se tenaient les assemblées de prière et où se célébrait la Sainte-Cène.

Sur cette plaque, quatre versets d'un psaume de Clément Marot, redisent la foi des fidèles et leur ferme espérance au-delà des persécu- tions : PRES DES CŒURS DEZOLES LE SEIGNVR VOLONTIERS SE TIENT A CEVX VOLONTIERS IL SUBVIENT QVI SONT LES PLVS FOVLES 12.

10. D.L. H.T., p. 181. 11. Il y a également une cheminée, plus petite, mais du côté opposé, dans le grenier, sous une charpente ancienne remarquablement carénée. Le grenier a dû lui-même être habité, peut-être par les gardes de la porte de la Pradelle. 12. En 1759 la maison fut aménagée de façon plus conforme aux goûts du XVIIT" siècle. Plafonds et cloisons en bois sculptés permirent de faire plusieurs pièces à chaque étage. C'est ainsi qu'on coupa malencontreusement par une cloison chaque cheminée, si bien qu'on ne voyait que la moitié de l'écusson et la moitié de l'inscription. Le mardi 7 août 1973, avec l'aimable autorisation de l'abbé G. Fleyssac et de sa sœur, mon frère Joseph Vinatier put enlever une partie des planches qui cachaient l'inscription. Et je pus ainsi la reconstituer Intégralement. Elle est la preuve évidente de l'occupation de la maison par les protestants. On trouve le texte de ce psaume dans les œuvres de Marot, publiées à Lyon, chez Jean de Tournes, 1563. Grandeurs et misères des protestants de Treignac Pendant 50 ans la communauté protestante va se rassembler rue du Plaut. Mais ce sera, bien souvent, avec des « coeurs désolés », car, comme l'a remarqué l'historien Léonard son essor va se ralentir. Elle va même diminuer lentement, soit de bon gré, au cours des « mis- sions », soit aussi à plusieurs reprises par la contrainte. A vrai dire les « missions » ne toucheront guère les protestants réfléchis et convaincus. Mais elles fortifieront la foi des catholiques. Des efforts courageux et concertés vont se multiplier. Ils vont être de deux sortes. Il y a tout d'abord, les directives des évêques de la province de Bourges et spécialement de celui de Limoges, elles sont dures et dra- conniennes : « Pas de mariages mixtes entre protestants et catho- liques ! Il faut s'abstenir d'aller chez les commerçants réformés. Il faut refuser de prendre des repas chez eux et ne pas les inviter chez soi. Quant aux églises, on doit leur en interdire l'entrée, sauf cepen- dant au moment de la prédication ». Les fidèles de Treignac suivirent ces consignes en ce qui concerne les mariages, mais il y avait trop de commerçants protestants à Trei- gnac : ceux-ci continuèrent à avoir des clients dans les deux commu- nautés. Cependant les meilleurs parmi les catholiques sentaient confu- sément que là n'était pas la vraie solution. Seules la persuasion, la compréhension et la bonté « étaient dignes de l'Evangile pour « ramener » les frères séparés ». Personne, hélas, à cette époque ne pensait à une attitude de réciprocité. « Nous sommes aujourd'hui si habitués à considérer la tolérance comme une vertu sociale fondamen- tale, que nous avons peine à réaliser qu'au milieu du xvir siècle, dans tous les pays de l'Europe occidentale, la Pologne et la Hollande seules excepté, l'intolérance légale était inentamée 13. » Il y eut donc, tout au long du xvir siècle des « missions » ani- mées par des prédicateurs en renom. Leur venue répétée à Treignac montre que l'on avait pris conscience de la solidité du protestan- tisme. Toute la population était invitée, les dimanches et fêtes, mais aussi les soirs de semaine, après l'achèvement du travail, à se rassembler dans une église. La « mission » tenait à la fois de la prédication et du spectacle. Elle rééditait, d'une autre façon, les « mystères » du Moyen-Age. Illumination dans l'église, tableaux vivants très pitto- resques, récits concrets, mimes de prédicateurs, attiraient la foule des braves gens. C'était comme une sorte de fête où le sentiment et la raison avaient tour à tour leur part. A travers tout cela, un ensei- gnement chrétien passait. Le peuple de Treignac a toujours aimé écouter ceux qui parlent bien et avec éloquence. Il a toujours aimé les conteurs. Nous verrons bientôt que les pénitents sont nés du même courant et du même esprit. La compagnie du Saint-Sacrement allait également jouer un rôle important aux alentours de 1656. Car un fait s'impo-

13. A. LATREILLE, Histoire du catholicisme en France, t. II, p. 411. sait : malgré les efforts, beaucoup de protestants restaient fidèles et se fortifiaient même dans leur foi, si opposée à ces pratiques spec- taculaires et extérieures. Quelques-uns cependant furent touchés par le rayonnement de deux personnages, alors célèbres en Limousin : le jésuite Léonard Champeils, un enfant de Treignac et un oratorien, le Père Lejeune, qui vint prêcher très souvent dans nos églises. Léonard Champeils était né à Treignac en 1590. C'est vers 1609 qu'il entre chez les jésuites. Professeur de talent il enseigne la morale et la philosophie à Bordeaux. Après quelques années il consacre sa vie à une grande œuvre, destinée à mettre en lumière la doctrine catho- lique, face, comme le fera Bossuet, aux « variations » de la doctrine protestante. En 1644, au moment ou la communauté réformée est, à Treignac, en plein essor, il publie son principal ouvrage. Avant de l'écrire il avait d'ailleurs prêché dans notre cité et s'était familiarisé, par de nombreux dialogues avec les protestants, à mieux comprendre ce qui les séparait de l'Eglise de Rome. Le titre de son livre, selon la cou- tume de l'époque, essaie de définir son but :

Les Vérités catholiques « Déclarées et prouvées selon la vraye idée qu'en ont eu les S.S. Pères et les Docteurs qui ont écrit durant les cinq premiers siècles de l'Eglise Chrestienne, et qu'ils ont formé du vray sens de la pure parole de Dieu. » Chacune des huit parties de cet ouvrage de 663 pages essaie de proposer, dans un premier temps la foi de l'Eglise catholique. Puis vient un travail d'érudition : Léonard Champeils cite les passages de la Bible qui éclairent la doctrine, les écrits des Pères des premiers siècles, enfin il y ajoute ses propres remarques. Après quoi il ne man- que pas, sur les mêmes points de citer des passages des docteurs protestants qui lui paraissent peu cohérents, sinon contradictoires. « Mine inépuisable de citations, dit Decoux-Lagoutte, cet ouvrage rendit un instant célèbre ce jésuite de Treignac. Œuvre non d'un savant à vues larges et à l'esprit créateur, mais d'un patient érudit qui a su choisir et coordonner de nombreux textes 14. »

Un oratorien aveugle, apôtre du Limousin : le Père Lejeune 15 L'orsqu'il arriva à Treignac, en 1656, appelé par la Compagnie du Saint-Sacrement, le père Lejeune, un oratorien né à Dôle, dans le Jura, était précédé par une réputation d'homme de Dieu. Ce prêtre était aveugle et son infirmité le rendait encore plus attachant, plus persuasif. L'église Notre-Dame-de-la-Basse-Cour n'était pas assez grande pour contenir la foule qu'il attirait. « Sa manière vivante et directe frappait les esprits et touchait les cœurs ». On savait qu'il préparait ses sermons au cours de longues méditations. Certains jours on l'avait

14. D.L., Hommes illustres de Treignac. Voir la notice qui lui est consacrée p. 15 à 21. 15. Sur le Père LEJEuNE : P. III, p. 344 ; id., P. II, p. 40 ; A. LEROUX, op. cit., p. 200 ; P. BROUTIN, « La Réforme pastorale en France au xviT siècle », p. 262. vu rester cinq ou six heures en prières. Beaucoup d'auditeurs lui apportaient des dons en argent ou des cadeaux en nature. Aussitôt il les distribuait aux malheureux de la paroisse. C'est en 1650 qu'il avait été affecté aux missions du Limousin. Pen- dant deux mois, chaque année, il préparait ses prédications, et pen- dant dix mois, à pied ou à cheval, il parcourait l'immense diocèse de Limoges. Son renom était tel que beaucoup de protestants vinrent l'écou- ter. Quelques-uns furent gagnés par sa bonté et sa foi rayonnante, plus encore que par ses arguments, et tous les chroniqueurs soulignent quelques conversions qui ne devaient rien à la contrainte.

Abjurations ou conversions ? Tout au long du siècle il est question, dans les récits du temps des « abjurations » des protestants de Treignac, mais les motifs en furent fort divers. Les missions du début du siècle (1604-1606) ne paraissent pas avoir influé beaucoup sur les réformés. Par contre, après le passage du père Lejeune, on signale des conversions marquantes. La plus reten- tissante fut celle du pasteur Ambert de Barthe. Cet homme de foi, estimé de tous, eut, un moment la charge de trois communautés réfor- mées : celle de Treignac, de et de Châteauneuf-la-Forêt. Il était sans cesse en route d'une ville à l'autre pour aider ses paroisses. On est peu renseigné sur les raisons qui le firent embras- ser, probablement en 1658, la foi catholique H;. Un an après, c'est le pasteur d'Argentat David Bordat, né à Treignac qui se convertit17. Un peu plus tard encore, un médecin treignacois, Jacques Juge de Lar- feuil suit la même voie. Ces conversions on le devine, firent grand bruit.

L'heure des persécutions

Après les grandes missions, la communauté protestante fut légè- rement réduite. Mais elle comptait encore plus de 100 personnes. Elle resserra encore ses liens et manifesta sa cohésion. Le 4 juillet 1663, Anne Auzanet, veuve d'Etienne Dupuy écrivait dans son testament : « après avoir prié Dieu avoir rémission de mes fautes et lorsqu'il lui plaira séparer mon âme du corps, la vouloir mettre et colloquer en son royaume. Pour mes honneurs (funèbres) je m'en remets à la discrétion de mon héritier universel ; je veux être enterrée au cime- tière de Messieurs de la religion prétendue réformée de cette ville. Je donne et légue à la dite église la somme de 20 livres ». Modeste témoignage, précieux à cette époque, car on était à la veille des per- sécutions ouvertes.

En effet, depuis l'avènement de Louis XIV, les décrets restric- tifs se multipliaient. Dès 1672, nous avons une preuve de la crainte dans laquelle vivaient les protestants. A cette date le conseiller du roi

16. La date de 1628, donnée par DECOUX-LAGOUTTE doit être une erreur d'im- pression. 1658 : « C'est aussi l'époque du plus grand rayonnement à Treignac de la Compagnie du Saint-Sacrement. » 17. D.L. H.T., p. 182. au Sénéchal d'Uzerche, Antoine de Trenailles est saisi d'une plainte concernant les huguenots de Treignac : ceux-ci n'ont pas encore déposé aux archives le double de leurs registres de baptêmes, mariages et sépultures, comme le prévoient les ordonnances de 1667 et 1669. Le sieur Besse qui les a réclamés s'est vu opposer un refus très net 18. Comme on les menaçait d'amendes assez lourdes, ils durent, par la suite, s'exécuter. Mais ce trait est révélateur, confirmant l'impor- tance de la communauté et marquant le désir de tenir secret les noms de leurs membres, à cause des tracasseries de l'Etat. Celles-ci avaient commencé depuis longtemps. Dès 1660 on interdit aux protestants de tenir des synodes au plan national. En 1672 sont supprimées les Chambres d'arbitrage prévues par l'Edit de Nantes. En 1679, un décret condamne les protestants qui, après avoir abjuré — par la contrainte — manifestent par des signes visibles leur attachement à la foi réformée. S'ils ne se rétrac- tent pas aussitôt leurs biens sont confisqués et ils sont bannis du royaume. Enfin un autre décret interdit de donner à des protestants les charges de médecins, avocats ou notaires. C'est la discrimination religieuse dans toute son horreur 19. Aussi ne faut-il pas s'étonner que beaucoup de pratiques se fas- sent maintenant en cachette. Et l'on signale dès cette époque à Trei- gnac, des mariages clandestins. Ce n'était pas tout. A partir de 1680 et devant la persistance de « l'hérésie », Louis XIV se laisse convaincre qu'il faut agir avec encore plus de sévérité. Dès 1682, sur l'ordre du seigneur Jean de Pompadour — ou pro- fitant de sa vieillesse et de sa maladie — le juge de Treignac sous divers prétextes veut obliger les « huguenots » en vue d'adjurer leurs erreurs. L'évêque de Limoges pour le Diocèse, et Colbert de Croissy pour le royaume, insistaient pour que l'on saisisse les « Bibles de Genève » ainsi que les « livres hérétiques ». Le juge fait perquisition- ner dans les familles suspectes, pour leur enlever ces ouvrages. C'est en mai 1683 que les fameux dragons de Louvois entrè- rent dans notre cité afin d'y pourchasser les protestants récalcitrants. Ils saccagèrent leur temple, pillèrent leurs maisons, et terrorisèrent toute la population. Jean de Pompadour qui se sentait près de la mort, intervint cependant pour que les malheureux puissent d'abord écou- ter ce que leur proposeraient des missionnaires, ce qui fut fait. Mais que valent des exhortations quand règne la terreur ? Après ces scènes de violence, 70 protestants abjurèrent, on devine dans quel esprit. La communauté se trouvait décapitée, mais, dit un chroniqueur protestant : « Les lèvres avouent mais les cœurs désa- vouent 20. »

18. A.T. B. 189, 11 avril 1672. Il est à noter que les curés de Treignac, pour d'autres raisons sans doute, étaient coupables des mêmes négligences. A cette époque, chacune des deux communautés semble avoir voulu tenir secrets^ les noms de ses membres. Pour les années qui précèdent et suivent 1672, il n y a pas de registres de catholicité aux archives de Tulle. 19. D.L. H.T., p. 184. 20. A. LERoux, op. cit., p. 307 et 339 et P. III, p. 344. Il ne restait plus à Louis XIV qu'à achever son œuvre d'intolé- rance. Les rapports de sa police lui signalaient que les protestants abjuraient en masse ! Le 17 octobre 1685 il signa la révocation de l'Edit de Nantes. « Aucun acte n'a été plus unanimement loué par les contemporains, plus unanimement blamé par la postérité 21. » Les temples doivent être détruits. Les pasteurs en fonction qui ne veulent pas abjurer doivent quitter le royaume, sous peine d'être envoyés aux galères. Les écoles protestantes sont interdites. Le culte ne peut être célébré nulle part, même dans des maisons particulières. Un dernier article, comme par un remords de conscience déclare cependant : « Pourront les fidèles de la religion prétendue réformée, en attendant qu'il plaise à Dieu les éclairer, demeurer dans les vil- les et lieux de notre royaume et y continuer leur commerce et jouir de leurs biens sans pouvoir être ni troublés, ni empêchés, à condition de ne point faire d'exercice ni d'assemblée sous prétexte de prières ou de culte de ladite religion 22. » Les protestants étaient ainsi condamnés, avec le temps à disparaî- tre peu à peu . Mis en demeure de vivre ainsi leur foi de façon individuelle ou de s'expatrier, on sait qu'un nombre considérable préférèrent gagner l'étranger. De Treignac, plusieurs prirent le chemin de l'exil.

Le maquis protestant et la résistance Malgré ces persécutions, et, pour une part à cause d'elles, la foi protestante ne fut pas détruite à Treignac. Il y eut des assemblées de prières réunissant les chrétiens les plus courageux. Avec Aubusson et Rochechouart au Nord, avec Argentat et Beau- lieu au sud, Treignac se trouva au centre d'un vaste îlot de résis- tance. Il y eut alors un véritable maquis protestant. Peu à peu on vit même les Réformés relever publiquement la tête et braver les édits. A tel point que les Jésuites et les Récollets crurent nécessaire de renouveler vers la fin du siècle, des séries de missions pour mettre en garde les catholiques. « Les religionnaires de Treignac et des localités voisines repre- naient leurs assemblées. Ils étaient assez nombreux en 1690, et assez hardis pour tenter de résister ouvertement à une dispersion violente. Les consuls de Limoges s'en inquiétèrent et prescrivirent quelques mesures de précaution qui reçurent l'approbation de Lou- vois. Mais les répressions n'aidaient guère. Plus de quinze ans après la révocation, le juge seigneurial de Treignac citait encore les sus- pects à son tribunal pour apprendre d'eux s'ils se confessaient et communiaient au temps prescrit par la Sainte Eglise et prenait soin de leur rappeler la grosse amende qui les menaçait s'ils continuaient à regimber contre les édits 23. » On sait, par ailleurs, les sentiments que l'Intendant de Limoges, de Bernage, exprime dans son célèbre rapport de 1698, constatant

21. A. LATREILLE, op. cit., p. 419. 22. G. LÉONARD, Histoire du protestantisme, t. II, p. 374. 23. Abbé Legros, cité par D.L. H.T., p. 186. que 13 ans après la révocation de l'Edit de Nantes, il y a encore des protestants dans la région de Treignac 24. » La vie clandestine allait donc se poursuivre et se développer. En 1703, l'évêque de Limoges met de nouveau en garde les catholiques : « Les curés défendront à leurs paroissiens de se trouver aux assem- blées des hérétiques, d'assister à leurs prêches, à leurs baptêmes, à leurs Cènes, à leurs mariages et à leurs enterrements ; de prendre leurs alliances, de lire leurs livres, ny d'avoir aucune communication avec eux en ce qui concerne la religion... Ils tâcheront néanmoins, selon leurs pouvoirs, de les gagner à Dieu par leurs prières, par leurs exhortations, leur douceur et leur charité, sans toutefois se rendre familier avec eux 25. Il nous reste, vers la même date, un précieux témoignage inédit de la vitalité du protestantisme à Treignac. Il s'agit d'un rapport confidentiel sur « les familles des nouveaux convertis de Treignac et des environs 26 ». Voici l'essentiel des appréciations portées sur six familles de la cité, alors connues de tous : « Première famille : Jacques Chapelas. Nonobstant son abjura- tion a toujours été fort opiniâtre et l'est encore ouvertement. Il a deux enfants, le premier paraissant bon catholique, le second a donné quelques marques avant son mariage, mais depuis me paraît être du sentiment de son père. Il s'est retiré, à ce qu'on croit, chez un sien frère huguenot qui demeure à Loubeix, à deux lieues de Sainte-Foy, diocèse d'Agen. « Deuxième famille : Degains, veuve de feu Fauchier, apoticaire, âgée d'environ 60 ans ; me paraît encore huguenote. Elle a un fille avec elle non mariée qui est assez assidue à l'esglise. J'appréhende pourtant (celle-ci) tenir de la mère. « Troisième famille : Le sieur Fauchier, médecin, fils de la sus- dite, âgé d'environ 30 ans. Me paraît un peu suspect, venant rarement à la messe, se présentant pourtant aux Pâques. Il a trois enfants, de 10, 8 et 4 ans. Ils viennent au catéchisme, mais non à l'école. « Quatrième famille : Le sieur Chapelas, l'aîné, marchand, âgé d'environ 50 ans. Donne presque toutes les marques du catholique. Quelquefois je ne puis pas répondre de leur sincérité, ou si c'est par politique (qu'il agit). Il est difficile que toutes leurs impressions (anciennes) soient entièrement ostées. Néanmoins le fils vient au caté- chisme et on le fait étudier aux Doctrinnaires (au Collège). « Cinquième famille : Le sieur Arfeuil, médecin, âgé d'environ 40 ans27. Donne plusieurs marques de catholique et dit qu'il est véritablement. Je ne sais si c'est sincèrement. Il a deux sœurs, une âgée de 50 ans, l'autre de 40, qui demeurent avec lui, lesquelles j'ai lieu de croire huguenotes, encore qu'elles sauvent quelques appa- rences. Elles ont une nièce, fille du médecin âgée d'environ 8 ans, qui

24. Voir le texte en exergue de ce chapitre. 25. Ordonnances synodales du diocèse de Limoges, 1703. 26. Archives de Tulle, 6, f. 176. 27. Il s'agit du médecin dont on a relaté plus haut l'abjuration. vient au catéchisme, va à l'école. J'appréhende qu'elles ne lui don- nent quelque méchante impression. « Sixième famille : Le sieur Bernard Lachapelle, bourgeois, ayant fort peu de bien et des affaires. Agé d'environ 55 ans et sa femme. Donnent de bonnes et de méchantes marques. A les entendre ils sont catholiques. A leur façon d'agir ils ne le paraissent pas tant. (Deux fils catholiques.) Ils ont une sœur mariée d'environ 22 ans qui donne beaucoup de marques catholiques. Il est à craindre qu'ayant toujours demeuré auprès d'eux elle n'ait quelque chose de leur impression et qu'elle ne soit pas si libre pour exercer les fonctions de notre religion. » Et voilà la conclusion du rapport : « Il y a encore dans quelques familles des livres ou bibles huguenotes. Il serait bon d'ordonner aux offisiers de justice d'en faire la recherche exacte et de visiter quelque- fois, les Vendredy et autres jours d'abstinence leur maison pour voir s'ils ne mangent pas de viande. Il serait bon d'ordonner qu'ils assistent aux prosnes pour se faire instruire, ce qu'ils ne veulent point. Il y avait autrefois plusieurs autres familles huguenotes, mais il y a longtemps qu'on avait abjuré... et elles font fort leur devoir. » Il fallait citer ce texte révélateur. Il laisse entrevoir les drames de conscience de ces familles. Il éclaire d'un jour cru — et cruel — la réaction des philosophes du XVIIIe siècle qui vont prêcher la tolérance. Il jette sur la fin du règne de Louis XIV une note attris- tante.

Les assemblées du désert Comme le feu sous la cendre, la foi protestante couvait dans les cœurs de quelques familles. Par moments, elle se réveilla et sem- bla reprendre. En 1744, le pasteur Antoine Gourt espéra un instant faire revivre les communautés dispersées. De onze au XVIIe siècle les centres du protestantisme s'étaient réduits à cinq. Quelques familles du Haut-Limousin qui n'avaient pas émigré — celles du Dorat, de Rochechouart, de Saint-Yrieix — vinrent se réfu- gier dans cet immense maquis naturel qu'ont toujours été les Moné- dières. La communauté réformée de Treignac était leur point d'appui. Et c'est alors qu'ont vit se tenir périodiquement au cœur de la forêt, dans la région située entre Veix et Pradines, de véritables « as- semblées du désert 28 ». Comme leurs frères des Cévennes. Bien que moins nombreux, les protestants limousins se retrouvaient en pleine nature, en appelant de la cruauté des hommes à la miséricorde de Dieu et reprenant ensemble courage pour continuer leur route dou- loureuse. Combien en ces lieux prenait tout son sens le verset du psaume qui restait, comme un témoin, sur le marbre noir de la rue du Plaut : « Près des cœurs désolés, le Seigneur volontiers se tient. A ceux volontiers, il subvient, qui sont les plus foulés. »

28. Voir LIMOUSIN-LAMOTHE, Histoire du diocèse de Limoges, et A. LEROUX, Bulletin de Limoges, t. XXXII, 1885, p. 169. BIBLIOGRAPHIE

Les ouvrages généraux et les ouvrages sur la Réforme en Limousin sont ceux signalés au chapitre xiv, tome premier. Il faut y ajouter : 1° A. LATREILLE : Histoire du catholicisme en France, Spes, t. II, spé- cialement le livre VI. 2° Daniel Rops : L'Eglise des temps classiques, Fayard, spécialement le chapitre iv : « Louis XIV, roi très chrétien ». Les historiens du Limousin ont peu développé ce qui concerne l'his- toire des réformés aux XVIIe et XVIII" siècles. Voir cependant : Robert DAUDET : Le Limousin des intendants dans l'histoire du Limou- sin et de la Marche, t. I, p. 305 et 306.

CE QUE L'ON PEUT VOIR AUJOURD'HUI

1° Le principal témoin de la vie de la communauté protestante au XVIIe siècle reste la maison appartenant à la famille Fleyssac, à l'entrée de la rue du Plaut, quand on vient des Pénitents. Si l'on ne peut visiter l'intérieur, on admirera cependant l'étonnante cheminée monumentale qui domine l'édifice comme une tour de garde. 2° A l'occasion d'une excursion dans les Monédières, prendre, depuis , la route jusqu'au croisement de Vielteil (là où l'on poursuit des fouilles gallo-romaines) et se rendre par ce village à Pradines. On pourra facilement imaginer les « assemblées du désert » qui se sont tenues dans ces forêts et ces landes isolées. CHAPITRE XVI

APRES LES GUERRES DE RELIGION : EGLISES, CLERGE ET PEUPLE CHRETIEN (1610-1780)

« Dès que le royaume connut la paix, le mou- vement de renaissance religieuse éclata avec une soudaineté et une force extraordinaire... La période qui s'étend de l'avènement de Louis XIII à la mort du roi, offre peut-être le spectacle du plus beau jaillissement de sainteté et d'initia- tives apostoliques. » E. DELARUELLE.

I. — UN EVEQUE AU MILIEU DU PEUPLE DE TREIGNAC

Au moment où le jeune roi Louis XIV assistait, attentif, à la Fronde des princes, un événement sans précédent se déroulait dans les églises de Treignac. François de La Fayette, évêque de Limoges depuis 1627 venait d'arriver dans la ville. Il avait séjourné une semaine entière à Eymou- tiers. La population de la région était en émoi. Avertis de la venue de leur pasteur, et connaissant par la renom- mée sa fermeté, son zèle et sa volonté bien arrêtée de réforme chré- tienne, les prêtres de Treignac et ceux des paroisses voisines avaient multiplié les rassemblements de fidèles, afin de les préparer à recevoir la Confirmation. Malgré les missions du début du siècle, l'état religieux de la population était des plus préoccupants. Ce que Vincent de Paul avait observé dans les Dombes il aurait pu le découvrir dans certaines cam- pagnes du Limousin : prêtres commençant la messe au Pater, orne- ments en lambeaux églises mal entretenues, etc. Un des prêtres-fil- leuls de Treignac ne savait pas signer. Paradoxalement ce sont des groupes de laïcs chrétiens qui récla- maient une meileure formation sous l'impulsion des Pénitents en particulier. Mais on était loin de compte : beaucoup de gens n'avaient jamais vu leur évêque, et les hommes et les femmes qui avaient entre 15 et 35 ans n'avaient pas été confirmés. Mgr de La Fayette connaissait l'état de ce diocèse immense qui s'étendait sur tout le Limousin et la Marche et débordait sur le Poitou et la Charente : 200 kilomètres de long sur 160 de large : plus de 1 000 paroisses ! Ce n'est pas que les prêtres fassent défaut, on en comptait à peu près 2 500, mais un très grand nombre, comme les prêtres-filleuls de Treignac, ne jouaient aucun rôle actif dans la formation des fidè- les. L'évêque avait conscience de sa mission. Il entreprit la visite systé- matique de son diocèse restant assez longtemps à chaque endroit pour mettre en route de véritables réformes. Il lui fallut 4 ans pour accomplir sa première visite pastorale. Et c'est ainsi que Treignac l'accueillit à son tour. Il devait y résider une semaine entière. Pendant huit jours on vit donc passer, matin et soir, tout le long des routes, des cortèges qui convergeaient vers Saint-Martin-des- Eglises et vers Notre-Dame-de-la-Basse-Cour. Curés en tête, tous ces gens arrivaient à pied. Léonard Faugieras accompagnait ceux de Veix, François Farges ceux d', Jean Masgieux ceux de , Léonard Bournieras ceux de Soudaine... L'évêque accueillait tout le monde, se rendait compte du degré d'instruction, donnait ses conseils. « On voyait toujours sur son front un air riant et une certaine joie. Une tendresse amicale faisait partie de son caractère. Bon avec les bons, charitable avec les faibles, il avait besoin d'être ferme avec les revèches et les négligents 1. » Mgr de La Fayette confirma ainsi plus de 9 000 personnes ! Ce fut dans la ville une animation exceptionnelle, comme une sorte de grand pélerinage populaire, aux sources de la Foi. Aucun autre événement n'est plus significatif de l'effort entrepris, mais aussi de la nécessité de la réforme à entreprendre.

II. — LE RENOUVEAU DES EGLISES DE TREIGNAC Des signes de cet effort, on peut encore les découvrir aujourd'hui en visitant les églises qui nous restent. Ce siècle qui vit s'élever la chapelle de Versailles et les plus curieux édifices baroques ou clas- siques, a vu nos églises limousines faire « peau neuve », au moins à l'intérieur. C'est la grande vogue des rétables en bois sculptés et peints. Quelques-uns, comme celui du Moutier d'Ahun dans la Mar- che, ou, plus proche de Treignac, celui de Naves, sont d'incomparables chefs-d'œuvre. Ce qui a été fait dans les églises de notre cité ne manque pas de charme ; et quelques-unes de ces œuvres populaires mériteraient d'être mieux connues. L'église Saint-Martin, au milieu du cimetière, continue d'être « l'église-matrice », même si progressivement elle n'est plus fréquen- tée que par les ruraux. Son abandon progressif amènera sa ruine : vers 1750, une partie va s'effondrer. On la réparera à grands frais, dans la seconde partie du siècle, mais sans y ramener les fidèles : la vie les appelle dans la ville. La chapelle Saint-Leobon subit le même sort. En 1740, un violent incendie qui ravagea le vieux bourg, ne lui laissa que les murs. Et c'est en vain qu'un sieur de Lespinat offrit de la rebâtir. Elle entra peu à peu dans l'oubli.

1. P. BROUTIN, La réforme pastorale en France au XVIIe siècle, Desclée. t. I, p. 257 et sq. Voir également R.M. H.L., p. 299. Par contre, Notre-Dame-de-la-Basse-Cour n'avait jamais vu autant d'affluence. Déjà remaniée au XVe et xvic siècle, elle va subir de nou- velles transformations, conformes aux goûts du jour. Le seigneur Jean III de Pompadour, qui aimait résider en son château de Treignac, fit ouvrir une grande porte ouvragée du côté gauche de l'édifice. Cela lui permettait d'entrer directement dans l'église en venant du manoir, et de s'asseoir à son banc réservé. Le style Louis XIII s'y reconnaît, solide, un peu lourd, comme s'y reconnurent longtemps les armoiries des Pompadour 2.

Dans le chœur fut installé un grand autel, en forme de sarco- phage, comme les aimait l'époque, surmonté d'une sorte d'arc de triomphe soutenu de chaque côté, par deux colonnes torsadées et jumelées autour desquelles s'enlacent ceps de vigne et grappes de raisins finement sculptées. Le tabernacle en est la pièce maîtresse, sorte de grande urne aux côtés irréguliers d'où jaillissent curieuse- ment, aux divers angles, sept têtes d'angelots aux ailes déployées, pendant qu'un bon pasteur plus classique orne la porte arrondie 3.

L'église était dédiée à saint Martin et une statue du grand évêque de Tours sculptée à cette époque, nous a été heureusement conser- vée. Son regard expressif nous interroge et nous invite à l'action. De la même facture, et de la même époque, la statue dorée de la Vierge à l'enfant lui fait pendant. Le visage de la mère est encore plus mélancolique que celui de l'évêque. Elle semble écouter la parole du vieillard Siméon : « Un glaive de douleur transpercera ton âme. »

Si nous nous transportons dans l'Eglise des Pénitents, nous retrouverons dans la statuaire cet aspect de tension et de sérieux, comme si les visages reflétaient les exhortations austères des pré- dicateurs de l'époque, avec un premier écho de l'esprit janséniste qui allait colorer la piété limousine. Parfois, cependant, quelques sculptures, les consoles, les statuettes, témoignent d'une aimable fan-

taisie. Ainsi en est-il de ces deux anges en prière, les mains jointes que l'on peut admirer de chaque côté d'un Christ ancien et naïf, sous le grand arceau, dans le bas-côté droit de Notre-Dame-de-la-

Basse-Cour. Ils respirent la joie, la paix, le bonheur de la contem- plation.

C'est vers 1740 que fut achevée la grande tribune qui ceinturait la même église, presque sur trois côtés. On l'édifia au moment où

Saint-Martin s'était écroulée. La population reflua, chaque diman-

che, vers l'église de la ville. Plus de cent personnes pouvaient s'y loger 4. Il faut enfin signaler le dernier et non le moindre aménagement de cette époque : la toiture. Dès 1602 le clocher avait remplacé l'ancien campanile. Mais c'est sous le règne de Louis XIV que fut

2. La pierre armoriée qui se trouvait au centre et au-dessus de la porte a disparu, on ne sait quand. De même a disparu au moment de la Révolution, le banc des Seigneurs. De nos jours, on a mis, dans cet angle de l'église, un bénitier ancien qui sert de baptistère. 3. Autel et tabernacle ont été transportés dans l'Eglise des Pénitents. 4. Les tribunes des bas-côtés ont été supprimées lors de la dernière réfection de l'église. Il ne reste que la grande tribune du centre, où se tenaient les chan- tres, ainsi qu'une partie des tribunes de 1740. édifiée l'audacieuse et légère charpente soutenant un toit à la Man- sart, aux bords légèrement relevés qui « coiffe » l'église entière comme l'immense carapace d'une tortue géante. Quand on la regarde le soir depuis le Vieux Pont ou la Côte, il s'en dégage un charme indéfinissable, un peu comme celui d'une grand-mère qui veille sur l'enfant qui s'endort. Il ne faut pas oublier Notre-Dame-du-Pont, dont l'histoire est de plus en plus liée à celle de l'hôpital. Quant à l'Eglise des Pénitents, elle a tenu une telle place dans la vie de Treignac, que nous allons bientôt retracer son histoire particulière. Il en sera de même, en son temps, de la chapelle du Collège. Il nous reste à parler d'une dernière fondation du XVIIe siècle : celle de la chapelle Notre-Dame-de-la-Paix5. Ce curieux édifice pose plusieurs énigmes à l'historien. Deux personnages influents revendiquent, à son sujet, le titre de « fondateur » : — Le baron de Treignac Philibert de Pompadour tout d'abord. « Le 17 février 1626, dit un chroniqueur, ayant dévotion de bâtir une chapelle ou oratoire en la ville, à la mère de Dieu et saint Jean-Baptiste, les consuls et lui choisissent la place « del Suquet » en l'enclos de la ville. » Le baron y revendiquait un droit de sépulture. — L'avocat Jean Dumas revendique le même titre. Il y avait autre- fois, sur un des murs de la chapelle, une inscription latine portant son nom. Mal retranscrite, il est difficile d'en donner une traduc- tion sûre. On peut cependant affirmer qu'elle disait à peu près ceci : « En l'honneur du Christ, Jean Dumas a construit un temple sur ce Suquet (ce sommet). Il le confie à la ville, sous le patronage de Philibert (de Pompadour) afin qu'on se souvienne, au cours des siècles, de son nom et de sa piété. » Comme on le voit les deux versions se complètent et s'éclairent. Notre-Dame-de-la-Paix fut l'œuvre de tous ces personnages : Jean Dumas, qui a payé de ses deniers la construction, doit être le premier fondateur ; les consuls ont aidé en offrant un lieu encore vide de constructions : le Suquet ; et Philibert de Pompadour, seigneur du lieu a demandé et obtenu le titre honorifique de « fondateur ». Les travaux furent rapides. Commencé en 1626, l'édifice dont les murs reposent directement sur un banc de tuf, ou sur le rocher, fut achevé au cours de l'année suivante. Le lieu qui avait été choisi n'est pas non plus sans poser de questions. En effet la chapelle fut construite sur un ancien cimetière, récemment désaffecté 6. Que faisait, en ce lieu, en plein centre de la

5. Voir à son sujet P. III, p. 336 ; D.L. H.T., p. 104-105, et A. FÉLISSIER : Trei- gnac, p. 31-35, ainsi que les registres de délibérations du Conseil municipal de 1808. J'ai enfin utilisé les notes manuscrites rédigées par M. LoRTEAU, lors de la réfection de la mairie en 1944. 6. Ceci ressort de l'étude détaillée faite par M. LoRTEAU : le mur du fond en particulier est en partie à cheval sur des sépultures. Il ne peut donc être question des inhumations faites dans la chapelle une fois terminée. ville, un cimetière ? Tous les titres connus sont muets sur lui et il n'y avait pas d'église à proximité. Seule est mentionnée, depuis 1580, la maison servant de temple protestant. N'aurions-nous pas là, la clef de l'énigme ? Les réformés, qui pendant dix ans furent maîtres de la ville murée, ont dû enterrer leurs morts sur ce petit monticule, encore couvert d'arbres à l'époque. Après l'Edit de Nantes, on se souvient qu'un autre cimetière leur fut attribué, sur le chemin de Veix. Ils auraient alors abandonné le petit cimetière du Suquet et le terrain serait redevenu libre : d'où le choix des consuls 7. Si cette hypothèse est juste, elle explique également pourquoi les protestants réclamèrent avec tant de force, à deux reprises, de tenir leurs réunions dans la chapelle Notre-Dame-de-la-Paix. Reste une dernière question : pourquoi ce titre inusité de Notre-Dame-de-la-Paix ? C'est en effet une des très rares églises de France qui porte ce nom. On sortait à peine des guerres de religion. L'avocat Jean Dumas était-il un de ces rares chrétiens qui avaient en horreur les luttes déclanchées au nom de l'Evangile ? S'il en est ainsi, ce fut de sa part, une trouvaille d'avoir « bap- tisé » la chapelle de ce nom voulant faire de la mère du Christ — sujet de divisions entre catholiques et protestants — un trait d'union et de paix entre ces mêmes croyants. La forme adoptée pour le monument n'est pas banale. De plan presque carré, afin de mieux utiliser le terrain, la chapelle comportait une abside légèrement en retrait flanquée de deux chapelles : la première dédiée à Notre-Dame-de-la-Paix, la seconde à l'apôtre saint Jean, patron de l'avocat fondateur. Il y faisait célébrer deux messes par semaine. Heureusement conservée jusqu'à nos jours dans une maison toute proche, la statue de Notre-Dame-de-la-Paix, est une œuvre curieuse, non pas en bois, mais en marbre blanc, qui n'a guère d'équi- valent dans la région. Le chanoine Pélissier la décrit comme « une œuvre d'art de l'école italienne ». Assez lourde d'aspect, elle tient sur son bras gauche un enfant robuste et potelé. D'où provient-elle ? et comment fut-elle amenée à Treignac, nous ne le savons pas. Ce que nous savons, c'est que la famille de l'avocat Jean Dumas revendiqua sans cesse la propriété de la chapelle tout au long des xviie et XVIIIe siècles et même après la Révolution. En 1699, un Farges Dumas de la Noaille, rétribuait les prêtres qui la desservaient. En 1736, un descendant, Gabriel Farge-Dumas, y faisait toujours célébrer, chaque semaine, les deux messes demandées par son ancêtre. Enfin, pour ajouter une note finale à tant de traits pittoresques, le clocher dont elle est surmontée, se présente à nous comme une dernière fantaisie de l'architecte. Au-dessus du vaste chapeau d'ar- doises qui abrite l'édifice, il se dresse en effet comme une véritable

Notre-Dame-de-la-Paix, les constructeurs respectèrent les 7. En bâtissantEn faisant les terrassements, ils rassemblèrent les ossements retrou- sépultures. surtout des crânes et des tibias, dans cinq fosses : deux d'entre elles étaient vés, maçonnées. pyramide à cinq étages qui se retrécit soudain à trois reprises, chaque étage coiffant comme d'un auvent la toiture du dessous. Quant à la pointe qui couronne le tout, elle ressemble selon les uns, à une cloche (A. Pélissier), selon les autres à un casque de guerre (Decoux- Lagoutte), selon d'autres enfin à la coiffe pittoresque d'une vieille paysannee! Quoiqu'il en soit, sa silhouette donne au centre de la ville une note inoubliable de fantaisie, comme un appel pacifique à tourner nos regards vers le ciel limousin. A III. — LE RENOUVEAU DES PRETRES-FILLEULS 8

Retrouvons maintenant les prêtres qui desservent ces églises. Grâce aux efforts de la contre-réforme catholique, la commu- nauté des prêtres-filleuls s'organise avec plus de sérieux. Les évêques de Limoges ont d'ailleurs mis de l'ordre dans ces groupes un peu turbulents, parfois égoïstes et paresseux. Sous le règne de Louis XIII, ils participent à la ferveur géné- rale. Sous celui de Louis XIV, cette ferveur se relâche, leur nombre diminue, d'abord lentement, puis plus rapidement. Et, au début du règne de Louis XV, Monseigneur de Lascaris d'Urfé écrira : « Les communautés de prêtres nous exhiberont (montreront) leurs fonda- tions et leurs statuts, afin qu'ayant pris connaissance des offices qu'ils doivent faire, nous puissions les y obliger en cas de négligence de leur part 9. » Les syndics, élus par leurs confrères, jouaient un rôle décisif dans la vie de la communauté : leur choix était entouré de beaucoup de solennité. En 1655, après que les cloches de Notre-Dame-de-la- Basse-Cour les aient convoqués et en présence de Jacques Paschins, curé de la paroisse ainsi que des deux syndics qui terminent leur mandat — Guillaume Balesme et François Lafarge —, neuf autres prêtres se trouvent réunis dans le chœur. Guillaume Balesme invoque le Saint-Esprit et tous chantent le « Veni Creator ». L'assemblée délibère à loisir. Puis on passe au vote. Jean Despierre et Gabriel Lessieur sont élus « d'une commune voix ». On leur rappelle qu'ils auront, entre autre obligation, à tenir un compte sévère des présences : tout prêtre défaillant dans les fonctions qu'il doit assumer sera taxé à 8 sols d'amende. Soixante ans plus tard, la communauté est réduite à six prêtres. On ne nomme qu'un seul syndic : Gabriel Bunysset. Il restera trois ans en fonction. La coutume voulait que deux témoins laïcs assistent aux délibérations. Ce jour-là étaient présents : Jacques Juge, avocat, lieutenant de la Prévôté de Veix et Jean Bourzac, bourgeois de Trei- gnac. C'est devant eux qu'on relit la liste impressionnante des charges du syndic. Il doit : — Veiller aux intérêts de la communauté et lui procurer tous les avantages possibles ;

8. D'après les archives de cette communauté : A.L.M. aux diverses dates indiquées. 9. Ordonnances synodales du diocèse de Limoges, 1703. — Poursuivre les débiteurs récalcitrants ; — Agir en justice, si besoin est et tenir à jour le recueil des actes ; — Prévoir les voyages nécessaires auprès du tribunal d'Uzerche, ou de Bordeaux ; — Préparer les lots de rente pour les prêtres-filleuls « qui seront jetés au sort de chaque jour de Sainte-Anne. Tout prêtre aura droit à ce tirage au sort des parts échues, un an après son entrée dans la communauté » ; — Dresser, chaque semaine, un état des présences qui seront à assurer — particulièrement à l'hôpital... La liste des services de la semaine est « publiée » en chaire, le dimanche à la grand messe. On le voit, les tâches de Gabriel Bunysset étaient nombreuses et son influence dépassait le groupe des prêtres-filleuls. Ceux-ci, en contrepartie, s'engagent solennellement à ratifier ce qu'il aura décidé. Et pour lui montrer le sérieux de leur accord, ils décident que les 20 livres que verse chaque année l'Hôtel-Dieu lui seront attribuées « hors part et sans partage 10 ». Il appartenait, bien entendu, au syndic d'accueillir les nouveaux membres. Pierre Decoux est agrégé en 1648, Philippe Marande, dix ans plus tard ; et Jean Vareilhaud, de la Font, en 1661 : « Il est notoire, déclare l'acte de sa réception, que ce prêtre a été admis au sacerdoce, qu'il a célébré sa première messe, qu'il est filleul de l'église de cette ville, natif d'icelle et d'une famille ancienne. » Jean Vareilhaud déclare qu'il accomplira les tâches qui lui seront demandées et il acquitte la somme de 30 livres comme droits d'entrée. La réception ne s'était pas faite à l'église, ce jour-là, mais en présence de la mère du prê- tre, Marie Raymond, veuve de Pierre Vareilhaud, et dans sa maison. Les ressources de la communauté restèrent modestes, mais suf- fisantes. Aux dons et legs anciens s'en ajoutent de nouveaux. Ils vien- nent d'abord des prêtres eux-mêmes, qui, dans leur testament font presque toujours une part pour la communauté. Ils sont aussi le fait des bourgeois et des marchands de Treignac, et parfois du seigneur lui-même. C'est ainsi qu'en 1700, le marquis de Hautefort paiera 25 livres — somme qu'avait promise Jean de Pompadour, en 1684, l'année de sa mort. Une évolution digne de remarque est à faire : les prêtres- filleuls ne célèbrent plus éternellement des messes les jours anni- versaires d'un décès. Plusieurs sont chantées en l'honneur des saints les plus populaires. C'est ainsi qu'en 1662, Jean Denoix, marchand de Treignac, lègue le revenu de 30 livres aux prêtres communautaires afin qu'ils célèbrent chaque année trois messes : une dans la semaine de la nativité de saint Jean-Baptiste, une dans la semaine de la fête

10. Voici les noms de quelques-uns des syndics : 1636 : Pierre GRANDCHAMP et Jean DESPLATS ; 1642-1648 : Guillaume BALESME ; 1655 : Guillaume BALESME et François LAFARGE ; 1658 : Jacques PASCHINS, curé de Treignac ; 1661 : Antoine GRELLIÈRE et Jacques BRUNERIE; 1683 : Jacques BRU- NERIE demeurant aux Simons ; 1702 : Jean GRANDCHAMP ; 1714-1717 : Gabriel BUNYS- SET ; 1743 : Guillaume BALESME ; 1747 : Etienne RONDET. du martyre du même saint Jean, une troisième dans la semaine de la fête de saint Jean l'évangéliste. Dix ans plus tard, Jean Founet lègue 80 livres produisant 4 livres de rentes annuelles pour qu'on célèbre « quatre messes en haute note (messe chantée) avec diacre et sous-diacre pour sa femme Jeanne Lafont ; la veille de Notre-Dame-de-May ; pour le salut de l'âme de Barthelemy Founet, la veille de la Saint-Barthélemy ». Pour lui ce sera la veille de la Saint-Jean et pour sa mère, la veille de Saint-Michel-Archange. Changement significatif : le chrétien ne fixe plus ses regards sur le jour de sa mort ou de celle des siens. Il pense davantage à ceux qui sont « vivants » dans l'espé- rance de la Résurrection. Léonard Bunysset de Boisse, fera célébrer dans cet esprit, des messes pour la Noël, le lundi de Pâques, le jeudi de Pentecôte et le jour de la Toussaint. Des ressources plus exceptionnelles étaient procurées aux prêtres- filleuls par les familles qui voulaient être ensevelies dans les églises paroissiales. Jean Jeanissou, procureur de la Valette, se fait ériger un tombeau « à fleur de terre, de la longueur de six pieds sur quatre, dans la nef de l'église Saint-Martin ». Jacques Duteil, du Mazet, de Chamberet, fera de même en 1656 et lèguera 80 livres à la communauté dans ce but. Il arrivait parfois, mais plus rarement, que les prêtres-filleuls aient la surprise de recevoir des dons qui ne comportaient aucune charge nouvelle. En 1688, Jean-Baptiste Grandchamp, de Cueille, avocat et juge de Veix, s'engage à payer 41 livres 18 sols, afin que les prêtres de Treignac puissent se rassembler autour d'un bon repas, le jour de Noël de cette année et le jour de la Saint-Michel 1689. On devine que cette libéralité fut appréciée à son prix. Dès le milieu du XVIIe siècle, le nombre des prêtres diminue. Le 21 avril 1650, autour des deux syndics Guillaume Balesme et Phi- lippe Couderc, le groupe comptait seize prêtres. Avec les jeunes « acolythes » et ceux qui se préparent au sacerdoce, on peut penser que la communauté se composait de vingt-deux à vingt-cinq membres, c'était encore un chiffre imposant. Mais elle avait compté jusqu'à quarante-cinq membres autrefois. Cinquante ans plus tard en 1700, il n'y a plus que trois prêtres : Decoux, Grandchamp et Despierre. La communauté des prêtres-filleuls persistera cependant, avec un petit nombre de membres jusqu'à la Révolution de 1789 1X.

11. Voici du reste un tableau qui montre l'évolution de cette famille reli- gieuse. On ne compte ici que le nombre des prêtres. Années : 1620 1642 1650 1655 1660 1688 1698 1700 1728 Nombre : 30 17 16 12 10 6 4 3 4 IV. — AUTOUR DES CURES LE RENOUVEAU DE LA VIE CHRETIENNE DANS LA VILLE

Ce n'est pas autour des prêtres-filleuls que se fit le renouveau le plus important, mais autour du curé de la ville assisté le plus souvent d'un vicaire. Le curé, en effet, était aux yeux des gens, le vrai représentant de l'Eglise. Avec les autres pasteurs, il se retrouvait périodiquement à la Porcherie, qui était alors le centre de l'archiprêtré 12; ; et c'est là que lui parvenaient les instructions de l'évêque de Limoges. Voici, à titre d'exemple, celles que rapporta Etienne Farges-Dumas, qui était curé de Treignac en 1703 13 : « Nous enjoignons dit l'évêque à tous les vicaires et curés d'ins- truire le peuple de leur paroisse le plus familièrement et le plus clairement qu'ils pourront... « Nous ordonnons aux curés de tenir la main à ce que le ser- vice qui est dû à raison des fondations se fasse dans les chapelles et aux autels où il doit se faire... « Les curés ne pourront exiger pour les droits de mariages, au- delà de 40 sols pour les personnes riches (officiers, bourgeois et gros marchands) et au-delà de 30 sols pour les artisans, laboureurs et païsans. « A l'égard des pauvres, nous leur avons ordonné de faire le tout gratuitement 14. » « Nous faisons défense à tous curés et vicaires d'exiger de l'ar- gent pour l'administration des sacrements de Pénitence et d'Eucha- ristie, même s'il leur est volontairement offert... « Nous enjoignons aux pères et aux mères de faire baptiser leurs enfants trois jours après leur naissance, tout au plus tard... » Ces instructions rappelaient une nouvelle fois, les directives du Concile de Trente. Il semble que le clergé de Treignac les appliquait fidèlement.

Comment avaient été formés ces curés ? Ce n'est qu'en 1666 que Monseigneur François de La Fayette, éta- blit à Limoges un grand séminaire où devaient obligatoirement se pré- parer les candidats au sacerdoce. Jusqu'à cette date, selon les cas, et selon les fortunes, la formation fut souvent rudimentaire. Au début du XVIIIe siècle, après avoir commencé ses études au collège de la ville, un enfant de Treignac, Bernard Corrieu, se décide à entrer au Séminaire de Limoges. Celui-ci attire alors beaucoup de jeunes gens, car l'évêque, Monseigneur de Lascaris d'Urfé, donne aux étudiants l'exemple de l'étude et du silence. Il vit près d'eux, dans la maison et partage leur existence.

12. Aujourd'hui petite commune de la Haute-Vienne. 13. P. BROUTIN, op. cit., p. 262, « Instructions synodales de Limoges », 1703. 14. Pour la messe en « basse-note » on donnait 10 sols. Pour la messe en « haute-note » (ou chantée) 15 sols. Le père de Bernard Corrieu est contrarié par la vocation de son fils. Il se refuse à payer ses études, et ne lui fournit ni habits, ni argent de poche. Mais un ami de la famille, Pierre Leynia, juge du Toy, a apprécié le jeune homme. A plusieurs reprises il avance de l'argent et prête au père 487 livres. Bernard peut donc continuer son séminaire. Le 14 octobre 1714, le voici prêtre et « docteur en théologie ». Alors, son père, pris de remords l'accueille de nouveau et il remboursera à Pierre Leynia l'argent que celui-ci avait avancé 15. Une des tâches les plus délicates des prêtres, sous l'ancien régime, consistait à arbitrer les conflits entre parents et jeunes, au moment des mariages. L'Eglise, sur ce point, avait toujours rappelé combien était nécessaire la liberté du choix pour qu'il y ait un vrai mariage. Mais c'était peine perdue, tellement était ancrée la coutume contraire : les parents n'admettaient pas un choix qui ne réponde pas à la situation sociale et financière de la famille. Plus on montait dans l'échelle sociale, et plus on était riche, plus il y avait de « mariages de raison ». Par ailleurs, dans cette société ou tout le monde était socialement chrétien, il était entendu qu'un mariage béni par un prê- tre était irréversible. Et les curés avaient le droit de bénir un mariage indépendamment du consentement des parents. On comprend que bien des conflits pouvaient naître de cette situation. En voici quelques-uns : — Le 24 juillet 1713, Pierre Grandchamp vient interpeller le curé Etienne Farge-Dumas. Ce bourgeois avait reçu promesse de mariage de la part d'une veuve, Léonarde Dupuy, mais au dernier moment la veuve change d'idée, car elle a rencontré un meilleur parti ! Colère de Pierre Grandchamp qui demande au curé de ne pas célébrer le mariage projeté par l'infidèle. Le prêtre l'écoute et essaie de lui faire comprendre que si cette femme l'a abandonné, c'est- sans doute qu'elle ne l'aime guère. Notre bourgeois insiste cependant. Le curé de Treignac, tout en prenant acte de sa protes- tation écrite, refuse prudemment de la signer. — Une autre fois, c'est une fille de 17 ans, Marianne Cheylard, orpheline de père, qui fait une fugue pour rejoindre son amoureux, Jean Larivière, maître bridier. Après cinq jours d'attente, la mère éplorée court avertir le curé et lui interdit de célébrer ce mariage, car il y a eu rapt, dit-elle. Le prêtre l'écoute et lui demande d'écrire sa protestation, mais ne s'engage pas davantage. Il y avait aussi des cas plus graves. Jean Chabrière avait quatre enfants : Antoine, Jean, Jeanne et Catherine. Le père mort, les enfants se disputent l'héritage et les trois premiers accusent tout simplement Catherine, qui a été avantagée, d'avoir « homicidé » Jean Chabrière pour jouir plus rapidement de l'héritage. Le juge consulté, a écouté la plainte, mais n'a rien conclu en l'absence du curé. Les enfants prennent alors un vicaire comme arbitre. Sagement l'abbé Bunysset leur rappelle que, d'après les lois et coutumes du temps, comme il

15. A.P. n'y a pas de preuves très nettes, Catherine a cinq ans pour se justifier. D'ici là, les passions seront sans doute apaisées. Il arrivait enfin, que, paradoxalement, ce soit le prêtre qui s'op- pose à un mariage, quand il s'agissait de quelqu'un de sa propre famille. C'est ainsi qu'Etienne Rondet, curé de Treignac intervint en 1730 pour empêcher le mariage de sa nièce Marianne Boulière avec le chirurgien Pierre Cheylard. Il est vrai que sa nièce est orpheline, qu'elle est en pleine crise de puberté et que « les personnes qui ont soumis le cœur et la volonté de cette pauvre mineure, l'ont détournée de la déférence qu'elle doit à sa tante Suzanne Boulière » — une des filles dévotes au pied de la Croix — enfin qu'elles lui ont fait croire qu'elle était déjà maîtresse de tout ce qu'il y avait dans la maison. Les amoureux ne renoncèrent pas à leur projet ; bon gré, mal gré ils durent retarder leur mariage 16. Toutes ces péripéties alimentaient les conversations des jeunes et des plus anciens.

Les prêtres de Treignac, les actes de ces deux siècles en font foi, n'étaient pas riches. Ils avaient moins de biens au soleil que dans la période précédente. Ils continuent à vivre avec l'argent des fondations et le produit des dîmes. Etienne Farge-Dumas, que nous avons déjà rencontré a pu faire réparer sa maison de Soudaine, incendiée en 1728, et pourra s'y retirer en 1730. Gabriel Bunysset, curé de Vitrac, également en 1728, possède une maison à la Borde et demande au juge d'interdire qu'un marchand, Jean Decoux, ouvre un cabaret tout auprès. Quant aux dîmes, en plus de celles de la paroisse, nous savons que les prêtres de Treignac percevaient le quart de celles de Pradines qui se montaient à 29 setiers de seigle ; ce grain était porté au gre- nier du presbytère le jour de la Saint-Michel. C'est en vendant ce blé, ou en l'échangeant contre du pain, que les prêtres se procuraient les ressources qui leur étaient nécessaires. Mais ils avaient à leur charge, deux dépenses importantes : la distribution gratuite de blé aux pau- vres de la ville et l'entretien des prédicateurs de l'Avent et du Carême. En ce siècle en effet, où les grands prédicateurs avaient une telle influence — que l'on pense à Bossuet, Mascaron, Bourdaloue, Fléchier, Fénelon — les habitants de Treignac attendaient toujours avec curiosité et intérêt, les religieux qui venaient, chaque année, faire les sermons de l'Avent et du Carême. Mais l'entretien de ces prédicateurs coûtait cher, puisqu'il fallait les nourrir durant trois mois de l'année et leur assurer une rétribution convenable. Tout cela incombait au curé. Aussi en 1648, l'un d'eux, François de Saint-Père s'insurge. Il n'arrive pas à vivre décemment et n'a même pas de presbytère pour se loger. Il en prend à témoin les consuls de la ville et la « dame » du château : Marie de Fabry. Une discussion s'engage. Tout le monde convient que, de temps immémorial, les curés de Treignac ont dis- tribué chaque année 100 setiers de grains aux pauvres. Or, ceux-ci

16. A.P. sont toujours aussi nombreux et il appartient au clergé de pourvoir à leurs besoins. Comme on n'arrive pas à s'entendre, on convoque les prud'hommes et finalement l'ensemble des habitants à son de cloche. Après de nouvelles délibérations très animées, on arrive enfin à un compromis : — Le curé s'engage à distribuer aux pauvres 100 setiers de seigle, comme il a toujours fait dans le passé. — Comme il n'a pas de presbytère convenable, il ne peut, par contre accueillir les prédicateurs, ni les nourrir. Il est convenu qu'il donnera 100 livres chaque année à la ville et les consuls s'occuperont de loger et nourrir les religieux. — Afin de lui montrer la bonne volonté de la population et son attachement, les syndics et les consuls s'engagent à faire porter au presbytère dix charretées de bois. Les habitants les plus riches seront tenus, à tour de rôle, de fournir ce bois. Jacques Paschins, alors aumônier de la « dame » de Treignac signe cet accord avec Salvy Triviaux, archiprêtre de . La châtelaine s'engage, avec eux, à ce qu'il soit exécuté fidèlement 17.

Dévotions et pratiques du peuple chrétien

C'est au chapitre suivant que nous allons surtout découvrir ce que fut la vie chrétienne de Treignac. Autour des Pénitents, comme autour des groupes les plus divers de laïcs, elle va s'épanouir et mon- trer sa vitalité.

Les missions en ont été des moments privilégiés, par leur carac- tère de fête et de rassemblement. Elles avaient une telle importance que l'évêque de Limoges y assistait quand il le pouvait. Le 17 mai 1686, Monseigneur de Lascaris d'Urfé vint ainsi clôturer les exercices de celle de Treignac. Et Grandchamp de Cueille le remercie au nom des habitants. On était alors au cœur de la lutte contre le protestantisme et les « conversions » obtenues semblaient bien fragiles. La présence de l'évêque les rendra plus solides pense l'orateur. « Vous ne trou- verez point ailleurs (dans votre diocèse) plus d'admiration, plus d'amour, plus de reconnaissance, plus de respect que dans le cœur des habitants de Treignac... Il est beau de donner des lois quand on est soi-même une règle vivante et il est doux de les recevoir quand elles sont dictées par la sagesse et la bonté. » Il invite enfin le chef du diocèse à entrer dans l'église : « Vous y verrez un peuple nom- breux, rempli de piété, amateur de sa religion et soutenu dans le bien par l'exemple de ses premiers magistrats 1S. »

La religion de ce peuple était certes bien vivante, mais se tra- duisait encore par un mélange de pratiques, de valeurs fort diverses, au regard de l'Evangile.

L'effort de formation, aussi bien des enfants que des adultes, s'était poursuivi sans relâche depuis la semaine fameuse des 9 000 confirmations.

Le culte des morts persistait, marqué de plus en plus par la

17. A.T., F.61 et H. 103. 18. A.L.M. vogue des enterrements dans les églises et les chapelles. Un curé de Condom, parent des deux évêques treignacois qui s'étaient illustrés dans cette ville, était tombé malade à Treignac en 1684. Dans son testament, il donne 40 livres pour être enterré à Saint-Martin-des- Eglises. Il y ajoute 100 livres pour la communauté des prêtres afin qu'ils distribuent des secours aux pauvres qui seront présents à son enterrement. Les testaments de cette période se font l'écho des vérités rap- pelées sans cesse par les prédications 19. « Ayant recommandé mon âme à Dieu le Père tout Puissant et à son fils Jésus-Christ... par les mérites et passion de Jésus-Christ... priant Dieu avoir rémission de mes fautes et lorsqu'il lui plaira séparer mon âme de mon corps, le vouloir mettre et colloquer au royaume éternel de Paradis... » Beaucoup de testaments montrent l'importance donnée à l'au- mône faite aux pauvres, comme un des signes de la vie chrétienne. Mais ce qui est sans doute le plus significatif, ce sont les efforts faits par les évêques et les curés afin de purifier la religion de ses pratiques superstitieuses : « On ne fera point de sépulcres dans les églises, dit une ordon- nance, qui ne soient voûtés par le dedans et par le dehors, unis à l'égal du pavé et bien cimentés... Tous les cimetières seront clos et fermés de murailles et fossés. Nous défendons d'y mener ou laisser paître le bétail, d'y tenir des foires ou des marchés, ou d'y passer les nuits sous prétexte de dévotion. » Curieuses pratiques en effet, qui n'étaient pas rares en Limou- sin. Plus étonnant encore ce choix des cimetières pour y célébrer des mariages : « Nous défendons très expressément, dit l'évêque de Limoges à tous prêtres et à tous curés, de célébrer aucun mariage de nuit, ny dans les chapelles ou les oratoires particuliers des cimetières, à peine de prison par les contrevenants. » Cette défense jette une lumière bien particulière sur ce que drainait encore le culte des ancêtres. Un dernier aspect des superstitions qui paralysaient la foi des plus humbles concerne l'action des « sorciers » et des gens « qui ont le mauvais œil ». Ils continuaient à rendre parfois pesante la vie des habitants de nos villages. Parmi eux, ceux qui « nouaient les éguilettes » des jeunes gens nouveaux mariés et les empêchaient de consommer leur union, étaient les plus redoutés. Et l'évêque de Limoges n'avait pas craint d'en parler dans ses instructions : « Quant à ceux qui craignent les maléfices et les nouements d'éguilettes, les curés les exhorteront de se confier en Dieu et d'espérer de sa bonté, qu'il les défendra puissamment contre la malice du diable, et, à ces fins, ils feront la bénédiction du lit nuptial. » Le XVIIIe siècle devait amener, comme partout en France, des changements notables. Un double courant, contradictoire, se fait sen-

19. A.B. Le carton 2 des archives de Brive, concernant Treignac contient un grand nombre de testaments. tir : la sévérité janséniste qui développe la crainte et durcit les pra- tiques. Et, sous l'influence des philosophes, une aspiration à vivre plus librement, plus joyeusement loin des contraintes de l'ascèse chré- tienne : on voulait « une religion aimable ». En lisant les nombreux testaments conservés dans les actes des notaires, on s'aperçoit que les années 1717-1720 marquent à Treignac comme un tournant de la pensée. Nous n'y trouvons plus ces longues introductions dans lesquelles les chrétiens jugeaient nécessaire de proclamer leur foi. On pense plus rarement à invoquer Dieu, la Trinité, la Vierge, les Saints. Les questions pratiques concernant l'héritage passent au premier plan. Ceci est d'autant plus frappant que cette attitude se retrouve même dans les testaments de prêtres ou de religieuses. C'est le cas du curé de Manzanes ou de cette sœur de Saint-Dominique, Demoiselle Anne Farge, retirée à Vielteil qui dicte son testament à un prêtre 20. Le testament d'un curé de Manzanes. Puisque nous évoquons ici les testaments, il faut dire un mot de l'un des plus révélateurs : celui d'un curé de Manzanes. Cette minuscule paroisse eut une vie propre jusqu'à la Révolution. Et, comme l'église était un prieuré, on y trouve à la fois des prieurs — qui n'y résidaient plus — et des curés qui s'occupaient de la paroisse. Nous trouvons souvent ces derniers mêlés au clergé de Treignac. Manzanes avait dépendu successivement de la célèbre abbaye de Cluny, puis des Jésuites de Limoges, enfin du prieuré de Carennac en Quercy. Malgré la petitesse de la paroisse — et de ses dîmes — le prieuré fut l'objet, entre 1744 et 1746, de rivalités mesquines. Fran- çois de Salignac de Lamothe-Fénelon y fut mêlé ainsi qu'un curé de , originaire de Treignac, Etienne Degains qui fit intervenir Rome dans son procès. Finalement c'est son neveu Pierre Degains qui finit par l'emporter contre deux autres prétendants : Bernard de Boussière, appuyé par l'évêque de Limoges et Dom Clément, candi- dat de Carennac 21. Laissons ces tristes querelles, signe d'une époque de décadence religieuse et venons-en au testament. Joseph Lafont, curé de Manzanes dispose ainsi de ses biens le 18 octobre 1715 : « Tout ce que j'ai de meubles, au Teil, appartient à Paris Cha- pelas, marchand de cette ville, sauf la vaisselle empruntée au sieur de Sal, mon beau-frère, et aussi trois barriques cerclées de fer...

20. Ajoutons cependant que ces personnes continuent à léguer une certaine somme pour célébrer des messes et parfois pour distribuer aux pauvres. Il faudrait une étude plus poussée des testaments du XVIII" siècle pour éclairer cette mentalité. Cf. le remarquable ouvrage de Michel VOVELLE : Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle, Plon, qui étudie précisément les testaments de cette région. En 1744 le marchand de Treignac, Jacques Meilhot, prévoit de célébrer un nombre important de messes et il lègue diverses sommes pour cela : aux Carmes de Tulle et aux Récollets ; aux pénitents de Treignac ; à la Confrérie du Saint-Sacrement et à l'Hôpital. Au début du testament il invoque encore la Sainte Trinité. 21. D.L. H.T., p. 109 et 110. Voir également P., t. III, p. 349 ; A.B., carton 2 et A.P. 1715. « ... cinq draps de lit, les plus propres et les plus fins sont à mon héritier, ainsi que les chèzes de paille, avec une paire de pistollets et une paire de bottes. « Je laisse au sieur Chapelas, pour louage, la dîme de sa grange du Teil, de quoi nous étions contents lui et moi. « Je donne 20 1. aux Pénitents pour ma réception dans leur compagnie. « Antoine Vareilhaud m'a payé en viande de boucherie, plus 60 livres de foin. Le bled doit être porté chez Martial Laval, boulanger de cette ville. « Je donne aux prêtres de Treignac la chasuble que j'ai fait faire et qui est dans ma sacristie de Manzanes. « Je donne à l'église de Manzanes l'aube que j'ai portée. « Je laisse à Me Gabriel Bunisset, prêtre, mes habits linges et méchants surplis. Celui en dentelles est encore dû au sieur Chapelas. « Je donne à François Lafont, sieur du Mazubert, mon frère, pour le dédommager des frais de ma maladie et pour mes services funèbres, mon cheval harnaché et mes chemises. Et je nomme ledit sieur du Mazubert mon héritier universel 22. » En fait, lorsque Gabriel Bunysset, son successeur eut pris pos- session de la cure, le 10 novembre 1715, on découvrit un bien pauvre mobilier. Le cheval blanc était dans l'écurie, mais les harnais se trouvaient presque hors d'usage. On estima le tout à 90 livres, ce qui ne compensait pas le prix des « drogues, médicaments, frais de maladie et dépenses pour les funérailles ». Au village du Teil, où il habitait avec sa vieille gouvernante il n'y avait pas grand-chose non plus. Un lit, « une grande bénisse de paille avec quatre setiers de seigle et quatre d'avoine ». Quelques habits, une soutane, une soutanelle, un manteau, des culottes de peau, des bas et un surtout. On y trouva aussi ses cours du séminaire pré- cieusement conservés et les sermons de Dom Besse, un Limousin. Le sieur du Mazubert put encore récupérer 6 serviettes de toile, 5 draps de lits, des bottes, un coffre vide, des chandelles de cire destinées à l'église et dans la cour, une barrique contenant 20 pintes de vin. Il y avait enfin 12 quintaux de foin, dans le grenier. Quant au boulanger Martial Laval, il remit à l'héritier la moitié d'un « lard » que le curé lui avait confié et 28 livres et 6 sétiers de blé qu'il avait reçu en échange du pain livré au vieux prêtre. Tels étaient les biens, au moment de sa mort, d'un de ces curés de campagne de l'ancienne France, vivant modestement au milieu des paysans de ses villages et partageant leur vie simple et austère.

22. A.B., carton 2, A.P., 10 novembre et 31 décembre 1715. V. — UN TREIGNACOIS, EVEQUE DE CONDOM AU XVIIe SIECLE

PORTRAIT D'ANTOINE DE COUS (1573-1648) Le samedi matin, 15 février 1648, les habitants de Condom appre- naient la mort de leur évêque, décédé, comme son oncle Jean du Chemin, dans sa maison de campagne de Cassaigne 23. Une litière gardée par des officiers à cheval et accompagnée de seize religieux, entra bientôt dans la ville. Le corps d'Antoine de Cous, évêque de Condom depuis trente-trois ans fut déposé dans le grand salon de l'évêché. Les cinq consuls, après avoir réuni la jurade à l'hôtel de ville, décidèrent qu'ils porteraient eux-mêmes le drap mortuaire. A 9 heu- res, le lundi 17 février, ils allèrent à l'évêché chercher le corps. Deux Treignacois, dont l'un était l'archidiacre, tous les deux neveux de l'évêque, Jean et Léonard de Cous les accueillirent. Le cortège s'or- ganisa avec tous les notables en habit de cérémonie. Les prêtres de la ville portèrent le cercueil sur leurs épaules jusqu'à la cathédrale. Beaucoup se souvenaient que, dès son installation, Antoine de Cous avait fait réparer cette église gothique, y consacrant les 36 000 livres qu'il avait reçues de son prédécesseur. On montrait surtout les vitraux qui étincelaient au fond de la nef et qu'il y avait fait placer de son vivant. Le Père Philippe Tolose, un cordelier, prononça l'oraison funèbre et Jean Decous, le neveu, célébra la messe. Il se souvenait que son oncle l'avait fait venir, autrefois, de Treignac à Condom... C'est en effet à Treignac qu'était né en 1573, Antoine de Cous, aîné des sept garçons de Philippe de Cous et de Catherine Chemin. Celle-ci n'était autre que la sœur de Jean, le grand évêque de Condom. Le jeune Antoine ne resta pas longtemps à Treignac. Son oncle, qui chérissait beaucoup sa sœur, le fit venir près de lui, ainsi d'ail- leurs successivement, que quatre autres de ses frères. Il désirait leur procurer une bonne éducation avant de les établir convenablement. Antoine de Cous était doué pour les études. Il resta quelques années au collège de Guyenne, à Bordeaux, et le 14 mai 1592 « il sou- tint brillamment sa thèse de docteur en théologie. Il avait à peine 19 ans 24 ». Son oncle, fier de lui, le nomma chanoine de Condom, puis vicaire général et archidiacre de la cathédrale. A 30 ans, la reine Marguerite de Navarre le proposa pour être évêque d'Aire et coadjuteur de Condom. Henri IV devait aussitôt ratifier cette nomination. Le 25 mars 1604, après un séjour à Rome, le jeune évêque était sacré à Saint-Louis-des-Français par Antoine Per- rot, évêque de Venafre, près de Naples « assisté des évêques de Padoue et de Concorde ». Son oncle, Monseigneur du Chemin vieillissait. Il était devenu sus- ceptible et tâtillon. Sa mort, le 31 juillet 1615, allait permettre au nou-

23. Voir t. I, chap. ix, p. 161 et sq. 24. D.L. H.J., p. 71 et sq. Sans autre indication les citations sont tirées de cette biographie. Voir également P. III, p. 347. vel évêque de s'affirmer. Il prit rapidement une part active au renou- veau amorcé par le Concile de Trente. Comme son oncle, c'était un humaniste. Mais il ne bornait pas son intérêt aux œuvres littéraires. « La diversité de ses talents, l'exactitude et l'aménité avec lesquelles il remplissait les diverses fonctions dont il était revêtu, la souplesse de son caractère et la fer- meté de ses doctrines lui conciliaient tous les cœurs. » Il parlait avec aisance et savait se faire écouter. Lors de la grande » jurade » du 2 novembre 1627, il offrit ses services à la ville pour l'établissement d'un collège. Avec franchise, il rappelle aux consuls qu'il n'est pas d'accord avec eux sur les moyens les meilleurs pour l'obtenir. « Messieurs, leur dit-il, nous nous sommes, je ne sais pas quel malheur, entrebatus quelques temps sur le sujet de votre collège. J'ai bien même but que vous, mais nous n'avons pas été d'accord des moyens. Vous avez pensé que les paires (pères) de la Doctrine chrétienne seraient propres à cela et j'ay estimé que les paires de l'Oratoire le seraient plus. » Il offre alors ses services pour solliciter ces derniers : « Je veulx vous y aider non seulement de mes soings, mais pour faciliter la chose, je veulx soul- lager vos bources... Je suis pret à soubscripre, non seullement d'une ancre (encre) commune, mais aussi de mon sang. » Les notables de Condom ne demandaient pas mieux de voir leurs bourses soulagées ! L'affaire fut conclue et le cardinal de Bérulle, supérieur de l'Oratoire, qui estimait fort Antoine de Cous envoya aussitôt deux de ses meilleurs professeurs. Le collège de Condom ouvrit ses portes le 18 octobre 1625 25.

A plusieurs reprises l'évêque de Condom devait être délégué par ses pairs aux assemblées du clergé.

En 1611, il est élu député de la Province, et, chose à noter, il est alors préféré au jeune évêque de Luçon, celui qui devait devenir le cardinal de Richelieu.

En 1614, il est élu aux Etats généraux du royaume comme député du clergé. Il fut appelé à régler, dans cette assemblée, des problèmes délicats concernant les protestants, et le roi Louis XIII le remercia à deux reprises de ses services dans ce domaine. Il eut aussi à inter- venir dans une affaire ou Treignac était concernée. Un membre du Tiers Etat, Jacques de Chavaille, magistrat d'Uzerche, et protégé par le baron de Pompadour, fut victime d'une violente agression de la part d'Henri de Bonneval, député de la noblesse du Haut-Limousin. Le délégué du Tiers Etat, se considérant parce que député, comme l'égal du noble, avait refusé de lui céder le passage lors d'une ren- contre. Henri de Bonneval le fit alors rouer de coups de bâton. Le Tiers Etat tout entier — préludant à ce qui se passerait en 1789 — regimba sous l'insulte. Un procès s'ouvrit et les nobles comprirent qu'ils allaient se trouver dans leur tort. Ils demandèrent aux députés du clergé de les soutenir. Antoine de Cous, qui avait l'oreille de

25. L'évêque ne devait pas voir l'ouverture du collège de sa ville natale. Celle-ci ne survint que 14 ans après sa mort, en 1662. Mais il n'est pas impossible que son exemple ait stimulé les treignacois. la reine, fut choisi comme arbitre pour apaiser le différend. Mais le roi qui désirait rabattre les prétentions des nobles arrogants, donna entièrement raison au Tiers Etat. Henri de Bonneval dut paver 2 000 livres d'amende et fut condamné à être décapité. L'exécution n'eut pas lieu, mais l'effet de la sentence fit grand bruit. En 1620, l'évêque de Condom participe à l'assemblée provinciale de Bordeaux.

En 1625, il est député à l'Assemblée de Guyenne où il va jouer un grand rôle. C'est lui qui est envoyé avec l'archevêque de Sens chez la reine. Il siège dans la Commission qui décide des crédits à accorder au cardinal de Richelieu pour soutenir le siège de La Rochelle. Il appuie enfin son ami, le cardinal de Bérulle pour que ses pères prennent la direction des Carmels de France. Nous le retrouvons à la fin de sa vie, au milieu de son peuple, pasteur, arbitre et conciliateur, faisant venir à Condom, Capucins et Cordeliers, Ursulines et Clarisses, pour infuser un sang nouveau au christianisme de sa ville épiscopale. Fatigué d'avoir à lutter contre sa municipalité pour des affaires secondaires, à prévenir les manœuvres des protestants toujours actifs dans son diocèse, en 1647, il songea à se préparer à la mort. Monsei- gneur d'Estrades venait d'être nommé évêque de Périgueux, Antoine de Cous lui offrit son évêché, moyennant quelques compensations, comme la jouissance de sa maison de campagne de Cassaigne et une pension annuelle de 10 000 livres. Le prélat accepta. Mais notre évêque ne devait pas jouir longtemps de sa retraite. Un an après il rendait son âme à Dieu... Telles étaient les images qu'évoquait le prévôt Jean Decous, son neveu en conduisant son oncle, ce lundi 17 février, dans le caveau de la chapelle des Saints-Martyrs. C'est là que repose ce Treignacois. C'est là qu'une épitaphe en vers latins rappelle son souvenir. Antoine de Cous ne semble pas avoir autant aimé Treignac que son prédécesseur Jean du Chemin. Il n'oubliait pas pourtant sa ville natale. Le 20 décembre 1623, il écrivait encore à sa sœur pour lui offrir de venir en aide à l'éducation de ses enfants. Son neveu, le prévôt qui venait de l'ensevelir, pensera davantage à sa famille restée au pays. Dans son testament il lègue à son frère Léonard sa métairie du Monteil. A un autre Léonard, il laisse tous les livres de sa bibliothèque et son « lit incarnation en broderie avec la tapisserie de la chambre ou est ledit lit, et si (six) chèzes de mou- quette ». Il n'oublie pas sa sœur qui habite à Ussanges. Il lui lègue 30 livres. Quant à sa nièce, Marion De Cous, il lui laisse libéralement 600 livres « pour l'aider à se marier ou pour être religieuse ». Enfin il lègue à sa petite filleule de Vignane, 50 livres « pour lui avoir un diamant lorsqu'on la mariera ». Après lui, après les De Cous, il n'y eut plus de Treignacois à Condom. La petite ville du Gers, toujours blottie près de^ son ancienne cathédrale, garde cependant le souvenir de ces deux évêques qui étaient venus chez elle du pays limousin. ANNEXE

LISTE DES CURES DE TREIGNAC ET DE MANZANES POUR LES XVIIe ET XVIIIe SIECLES

Cette liste a été dressée par Poulbrière. Je l'ai complétée pour quelques titres et plusieurs dates. Il faudrait peut-être y ajouter un Gabriel Bunysset, qui fut curé de Manzanes et de Vitrac, vicaire de Treignac et sans doute un moment curé en 1714. Quelques curés de Treignac sont restés plus de trente ans à leur poste. BIBLIOGRAPHIE 1° Histoire générale. On lira avec profit : — A. LATREILLE : Histoire du catholicisme en France, t. II, livres V et VI. — P. BROUTIN : La réforme catholique en France au XVIII', Desclée. — Jean DELUMEAU : Le catholicisme entre Luther et Calvin, P.U.F. 2° Histoire du Limousin. Outre les histoires classiques : — J. AULAGNE : La réforme catholique au XVIIe siècle dans le diocèse de Limoges. — LIMOUZIN-LAMOTHE : Histoire du diocèse de Limoges, t. II. — Ludovic MAZERET : Chroniques de l'Eglise de Condom, 1927, chez Bousquet à Condom.

CE QUE L'ON PEUT DECOUVRIR AUJOURD'HUI A TREIGNAC 1° La porte Louis XIII, à gauche de l'église, par où entraient les sei- gneurs. Remarquer la pierre qui a remplacé les armoiries. Le bas de la porte a été muré. Un grand vitrail moderne de Camille Fleury occupe le reste. 2° Voir aux Pénitents, au fond du choeur, à droite, l'ancien autel de l'église Notre-Dame-de-la-Basse-Cour avec ses sculptures. Sur le tabernacle, un Christ en cuivre plus ancien. 3° A l'église paroissiale, les deux statues de saint Martin et de la Vierge — en bois sculpté — sont de chaque côté de l'autel. 4° Au centre de la ville, voir l'Hôtel de ville : c'est l'ancienne chapelle Notre-Dame-de-la-Paix avec son clocher à étages. 5° Voir le site de l'église de Manzanes, derrière l'ancienne école du petit village.