LES JUIFS DES TERRES D’OC

LES JUIFS DES TERRES D'OC 1 COLLECTION Dans la même COLLECTION Les Études du CRIF

Pierre-André Taguieff Gilles Bernheim Pierre-André Taguieff Néo-pacifisme, nouvelle Des mots sur l’innommable... Aux origines du slogan « Sionistes, judéophobie et mythe du complot Réflexions sur la Shoah assassins ! » Le mythe du N°1 > Juillet 2003 • 36 pages N°10 > Mars 2006 • 36 pages « meurtre rituel » et le stéréotype du Juif sanguinaire Marc Knobel André Grjebine et Florence N°20 > Mars 2011 La capjpo : une association Taubmann • 66 pages pro-palestinienne très engagée ? Les fondements religieux et N° 2 > Septembre 2003 symboliques de l’antisémitisme Dr Richard Rossin • 36 pages N°11 > Mars 2007 • 36 pages Soudan, Darfour ; les scandales... N°21 > Novembre 2011 Père Patrick Desbois et Levana Iannis Roder • 32 pages Frenk L’école, témoin de toutes les Opération 1005. Des techniques fractures Gérard Fellous et des hommes au service de N°12 > Novembre 2006 ONU, la diplomatie l’effacement des traces de la Shoah • 44 pages multilatérale : entre gesticulation N° 3 > Décembre 2003 et compromis feutrés... JANVIER 2020 N°57 • 44 pages Laurent Duguet N°22 > Janvier 2012 La haine raciste et antisémite tisse • 52 pages Joël Kotek sa toile en toute quiétude sur le Net Michaël de Saint Cheron La Belgique et ses juifs : de N°13 > Novembre 2007 e l’antijudaïsme comme code culturel • 32 pages Les écrivains français du XX siècle à l’antisionisme comme religion et le destin juif... civique Dov Maimon, Franck Bonneteau N°23 > Juin 2012 N° 4 > Juin 2004 • 44 pages & Dina Lahlou • 56 pages Les détours du rapprochement Jean-Yves Camus Judéo-Arabe et Judéo-Musulman Eric Keslassy et Yonathan Arfi Un regard juif sur la Le Front national : à travers le Monde discrimination positive état des forces en perspective N°14 > Mai 2008 • 52 pages N°24 > mai 2013 N° 5 > Novembre 2004 LES JUIFS • 64 pages • 36 pages Raphaël Draï Les Avenirs du Peuple Juif Michel Goldberg DES TERRES D’OC Georges Bensoussan N°15 > Mars 2009 • 44 pages & Georges-Elia Sarfati Sionismes : Passions d’Europe Une pièce de théâtre antisémite N° 6 > Décembre 2004 Gaston Kelman à la Rochelle • 40 pages Juifs et Noirs dans l’histoire récente N°25 > octobre 2013 Convergences et dissonances • 60 pages Monseigneur Jean-Marie Lustiger N°16 > Mai 2009 • 40 pages Monseigneur Jean-Pierre Ricard Mireille Hadas-Lebel UNE ÉTUDE DE Monseigneur Jean-Philippe Moinet Le Peuple Juif et l’Etat d’Israël L’église et l’antisémitisme Interculturalité et Citoyenneté : ont-ils été inventés ? N° 7 > Décembre 2004 ambiguïtés et devoirs d’initiatives N°26 > novembre 2013 • 24 pages N°17 > Février 2010 • 16 pages MICHAËL IANCU • 28 pages Docteur en histoire, directeur de l’Institut Universitaire Maïmonide-Averroès Thomas d’Aquin Ilan Greilsammer Georges-Elia Sarfati Les négociations de paix Françoise S. Ouzan Lorsque l’Union Européenne nous et délégué régional du Comité Français pour Yad Vashem. israélopalestiniennes : de Camp Manifestations et mutations du éclaire sur sa « face sombre » : David au retrait de Gaza sentiment Anti-juif aux États-Unis : quelques enjeux du projet de Maître de conférences à la Faculté d’Etudes Européennes de l’Université N° 8 > Mai 2005 Entre mythes et représentations Loi-cadre contre la circoncision Babes – Bolyai de Cluj-Napoca, en Roumanie de 2006 à 2012. • 44 pages N°18 > Décembre 2010 assimilée à une mutilation sexuelle. • 60 pages N°27 > décembre 2013 Chercheur associé au C.R.I.S.E.S. de l’Université Paul Valéry Montpellier 3. Didier Lapeyronnie • 40 pages La demande d’antisémitisme : Michaël Ghnassia antisémitisme, racisme et exclusion Le Boycott d’Israël : 70 ans du Crif sociale Que dit le droit ? 1944-2014 : Recueil de textes N° 9 > Septembre 2005 N°19 > Janvier 2011 Hors-série > janvier 2014 • 44 pages • 32 pages • 116 pages

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Les textes publiés dans la collection des Études du Crif

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BIOGRAPHIE

octeur en histoire, Michaël IANCU est directeur de l’Institut Universitaire DMaïmonide - Averroès - Thomas d’Aquin et délégué régional du Comité Français pour Yad Vashem. Maître de conférences à la Faculté d’Etudes Européennes de l’Université Babes – Bolyai de Cluj- Napoca en Roumanie de 2006 à 2012, chercheur associé au C.R.I.S.E.S. de l’Université Paul Valéry Montpellier 3, il est l’auteur de Spoliations, Déportations, Résistance des Juifs à Montpellier et dans l’Hérault (1940-1944), (éd. Barthélémy, 2000), Vichy et les Juifs, l’exemple de l’Hérault (1940-1944), Michaël IANCU (éd. Presses universitaires de la Méditerranée, 2007 ; Mention spéciale « Jeune Ecrivain » du Prix Georges Attali 2008 du livre d’Histoire et de Recherche juives), Les Juifs d’Algérie, de l’enracinement à l’exil (en codirection, éd. Tsafon, 2013), ainsi que de nombreux articles parus dans des ouvrages collectifs, revues scientifiques et actes de colloques.

En 2014, il publie aux éditions du Cerf, Les Juifs de Montpellier et des terres d’Oc. Figures médiévales, modernes et contemporaines. Et en 2016, il publie en codirection, Les relations Israël-Diaspora à travers l’Histoire (Editura Universitatii « Alexandru Ioan Cuza », Iasi, Roumanie, 2016). En décembre 2019, il se voit décerner le Prix Georges Frêche Université Sud de .

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Le Languedoc fut aussi terre de mysticisme 27 SOMMAIRE La poésie liturgique et profane 28 Les vestiges médiévaux 31

Encadré - Le Mikvé de Montpellier 32

BIOGRAPHIE / 03 La nouvelle histoire de Montpellier 2016 33

INTRODUCTION / L’ancienneté d’une présence 06 A L’époque moderne 33 juive en Languedoc CHAPITRE 2 / ème ème CHAPITRE 1 / Au moyen-âge 08 Aux XIX – XX siècles à Montpellier 36 La relation de Benjamin de Tudèle vers 1160 08 Israël Bédarride (1798-1869) 36

Les juifs des villes d’Oc 09 Joseph Salvador (1786-1873) 38

Encadré - Le contexte environnant. 11 Eugène Lisbonne (1818-1897) 39 Les Juifs du nord du royaume Présence au Congrès de Bâle (1897) 40 L’expulsion du royaume de France de 1306 12 de quatre délégués montpelliérains

Rappels et renvois : 1315-1322 ; 1359-1394 14 A Nîmes (XIXème - début XXème siècle) 41

Au sud du royaume de France. 14 Adolphe-Isaac Crémieux 41 Temps de rayonnement : l’école 14 (Nîmes 1796 - 1880), languedocienne ministre de la justice en 1848 et en 1870

Les Lettrés locaux de Lunel. La famille 15 Bernard Lazare (Nîmes 1865 – 1903) 42 Meshoullam, avec le père, mécène averti A Montpellier durant la seconde 43 Un réfugié andalou à Lunel : 17 guerre mondiale Judah ibn Tibbon (1120-1190) Le rabbin Henri Schilli (1906-1975) 44 Le fils de Judah, Samuel ibn Tibbon 19 (1150-1232 ?), traducteur de Maïmonide Marc Bloch (Lyon 1886 – Lyon 1944) 46

Encadré - Les travaux de la 21 Georges Charpak, 47 célèbre lignée des Tibbonides le futur Prix Nobel de physique

La querelle anti-maïmonidienne 22 Camille Ernst, secrétaire général de la 47 (1230-1305) préfecture de l’Hérault Quand En Duran de Lunel pleure en 23 CONCLUSION / 49 novembre 1306 « sa petite Jérusalem de la Ville du Mont » BIBLIOGRAPHIE / 51

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la France. Parti de l’Espagne du Nord, grandeur. INTRODUCTION il a visité le Bas-Languedoc, le Comté L’ANCIENNETÉ D’UNE de Provence, mais aussi bien l’Italie, En tout cas, le XIIe siècle qu’il décrit PRÉSENCE JUIVE EN LANGUEDOC Constantinople, la Terre sainte, Damas, semble prospère, avec des communautés Bagdad et la Perse. Sur le chemin du languedociennes en 1160 tellement retour, il traversa Aden, Assouan, Le paisibles qu’elles abritent nombre de e plus ancien témoignage d’une L’ancienneté de cette trace épigraphique Caire, la Sicile, et Rome. Il aurait été lettrés autour d’écoles talmudiques installation juive sur le sol est attestée aussi par des légendes faisant le premier, un siècle avant Marco Polo, florissantes : son « Carnet de Route » a Lméridional est un document de Charlemagne en personne l’instituteur à mentionner la Chine ! Il donna un laissé à la postérité la relation détaillée de archéologique qui consiste en une de la royauté juive de Narbonne (il tableau coloré de la diaspora juive ses pérégrinations : il raconte Narbonne lampe à huile trouvée sur un oppidum reste acquis que les juifs de Narbonne, médiévale pour la deuxième moitié du « ville ancienne de la Torah » où vivent près d’Orgon (Bouches-du-Rhône) et jouissant de certains privilèges, avaient XIIe siècle. de grands savants ; Béziers « où les datée de la fin du premier siècle avant eu la faveur des Carolingiens). sages abondent » ; Montpellier, « la Jésus-Christ, ou de la seconde moitié Il a écrit en hébreu son « Livre des ville du mont » où exercent « les plus du premier siècle après Jésus-Christ ; Plus tardive, l’inscription synagogale voyages » (Sefer ha Massa’ot), avec grands lettrés de notre temps ». Lunel il établit la preuve de l’antiquité d’une de Béziers (1214) associée à celle des repères utiles et instructifs pour et Posquières aux collectivités juives présence juive dans le Midi de la France. d’Olot en Catalogne (après 1209), près les communautés juives occitanes. Il réputées, hospitalières pour les étudiants de Gérone, raconte l’exil temporaire souligne par exemple l’activité portuaire itinérants ou étrangers. Pour les terres d’Oc, c’est la pierre de en Catalogne des juifs biterrois lors et commerciale de Montpellier. On sait Narbonne « dite la plus ancienne de de l’assaut des troupes de Simon de en effet que, ville marchande et centre On notera que Benjamin de Tudèle a bien France », et conservée au musée d’Art Montfort. Cette inscription qui souligne intellectuel, Montpellier fut au carrefour cité les lettrés locaux de Lunel (la famille et d’Histoire de Narbonne, palais des les liens étroits noués entre populations des influences. de Mechoulam « le grand maître » avec archevêques, qui prouve pour le haut juives languedociennes et catalanes, de ses cinq fils), et l’exilé juif « rabbi Judah Moyen Age une implantation juive part et d’autre des Pyrénées, constitue le Les chiffres qu’il donne sont bien sûr à le médecin, fils de Tibone d’Espagne » languedocienne. Il s’agit d’un texte plus ancien vestige daté d’une synagogue prendre avec les précautions habituelles venu trouver refuge en terre d’Oc après funéraire du VIIe siècle, à épigraphie dans le Midi de la France ; il peut être pour les estimations avancées par les les persécutions des Almohades. Ces latine, qui relate l’inhumation précipitée vu dans le cloître de la cathédrale Saint- chroniqueurs (400 juifs à Posquières ? personnages sont fondamentaux dans de trois défunts (les enfants de Paragorus : Nazaire. Le souvenir de ces événements ou plus vraisemblablement 40 juifs) ; la description que nous ferons infra du Justus, trente ans ; Matrona, vingt ans avait subsisté grâce à la pierre d’Olot en revanche, on peut retenir le rapport savoir ibérique véhiculé par des juifs et Dulciorella, neuf ans). Le symbole du Musée biblique de Gérone dont le entre les évaluations données pour les andalous multi-linguistes dans le midi de la menorah précédant le texte et les contenu raconte précisément l’exil de différentes villes qui suggère un ordre de languedocien. trois mots en hébreu « Paix sur Israël » courte durée des juifs biterrois et leur attestent de leur appartenance juive. démarche célébrant leur retour dans leur ville. Selon les historiens, une épidémie, plutôt qu’une persécution locale, aurait pu être Un autre témoignage précieux est celui, à l’origine de cette inhumation collective littéraire, de Benjamin de Tudèle, ce et de cette gravure de stèle réalisée « dans voyageur natif de Navarre qui visita au les plus grandes hâte et économie ». XIIe siècle les communautés du Midi de

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Hacohen, rabbi Judah le médecin, fils de les communautés juives de France Tibone d’Espagne. bénéficient d’une relative tolérance. Des CHAPITRE AU MOYEN-ÂGE marchands juifs assurent les relations Tous ceux qui viennent des pays éloignés indispensables entre la chrétienté pour étudier la Torah sont pris en charge ; occidentale et l’Islam. on leur dispense l’enseignement de la Torah, La relation de Benjamin chrétiens], d’Ichmael [pays musulmans], la communauté leur fournit tout ce qui est L’habitat des juifs dans les villes se de Tudèle vers 1160 de Algarve [en Portugal], de Lombardie, nécessaire pour la nourriture et le vêtement, concentrait dans une rue ou un quartier : du royaume de Rome la Grande, de tout le tout le temps qu’ils étudient. Ce sont des gens « rue des Juifs », « de la Juiverie » ou « De là [Gérone où existe une petite pays d’Egypte, du pays d’Israël, de Grèce, de sages et saints qui accomplissent les préceptes « Juiverie » tout court. Ces rues ont communauté juive] à Narbonne, il y a France, d’Espagne, d’Angleterre. De toutes de Dieu, qui se présentent à la brèche pour laissé des traces dans des documents trois journées de marche. Cette ville est les contrées, on y vient pour le commerce tous leurs frères, soit proches, soit éloignés. contemporains où leur nom a persisté connue depuis longtemps par sa science, c’est par l’intermédiaire des gens de Gênes et Il y a à Lunel une communauté d’environ bien au-delà de la dernière expulsion d’elle que sortit la Torah pour se répandre de Pise. On trouve à Montpellier des gens trois cents personnes ; que le Rocher d’Israël médiévale des juifs du royaume de dans tous les pays. On y trouve de grands érudits, les plus célèbres de cette génération. les préserve ! Lunel est à deux parasanges France en 1394 – quelquefois jusqu’au savants et des princes, à la tête desquels A leur tête rabbi Ruben, fils de Théodore, de la mer. XIXe siècle ou plus loin. Cependant, est rabbi Kalonymos, fils du grand prince rabbi Natane, fils de rabbi Zacharie de si les juifs s’installaient dans un seul rabbi Théodore, de mémoire bénie, de la mémoire bénie, rabbi Samuel leur maître, De là il y a deux parasanges pour emplacement de la ville, ils le faisaient descendance de la famille de David, qu’on rabbi Chlamia, fils de rabbi Mardochée. Posquières : c’est une grande ville, qui au départ volontairement, selon une mentionne selon sa généalogie. Il a des terres Il y en a parmi eux qui sont extrêmement compte plus de quatre cents juifs, abritant tendance naturelle à se regrouper pour et des possessions qu’il tient des seigneurs riches, se tenant sur la brèche pour faire du une grande école talmudique dirigée par des raisons de pure commodité autour du pays, personne ne peut les lui ravir par bien à ceux qui s’adressent à eux. le grand rabbin Abraham, fils de David, de leurs biens collectifs (synagogue, force. A leur tête, on trouve aussi rabbi d’heureuse mémoire. C’est un grand homme bain rituel, boucherie) et institutions Abraham, chef de l’école talmudique, rabbi De là, quatre parasanges pour atteindre d’action, et un grand savant du Talmud caritatives (maison d’aumônes, hôpital Ma’hir, rabbi Yehouda et plusieurs autres, Lunel où vit une grande communauté et de la Bible ; on vient chez lui des pays des pauvres) ; ils n’étaient pas seuls du avec eux il y a de nombreux disciples. Il y a juive, étudiant la Torah nuit et jour. éloignés pour apprendre la torah, et l’on reste à y habiter, mêlés à des habitants à Narbonne environ trois cents juifs. Y vit aussi le rabbin Mechoulam le grand trouve un grand repos dans sa maison. Et si chrétiens. maître, entouré de ses cinq enfants qui sont certains ne peuvent subvenir à leurs besoins, De là à Béziers, il y a quatre parasanges de grands savants, possédant une grande c’est lui qui offre les dépenses, avec sa propre Cet habitat juif a essaimé très tôt sur tout [équivalent d’une lieue]. On y trouve fortune. Leurs noms sont : rabbi Joseph, fortune, laquelle couvre tous leurs besoins, l’espace méridional, aussi bien dans les une communauté d’érudits, à sa tête rabbi rabbi Isaac, rabbi Jacob, rabbi Aaron et car il est fort riche. S’y trouvent également villes que dans les villages. Salomon Halafta et rabbi Joseph, fils de rabbi Acher le pharisien qui s’est détaché le grand donateur rabbi Joseph, fils de rabbi Nétanaël de mémoire bénie. des affaires de ce monde et s’est attaché à rabbi Menahem, rabbi Benbachatt, rabbi l’étude de la Torah jour et nuit, jeûnant le Benjamin, rabbi Abraham et rabbi Isaac, De là, il y a deux journées pour le mont jour, ne mangeant point de viande. C’est fils de rabbi Moïse, d’heureuse mémoire ». Les juifs des villes d’Oc Gaach ou Montpellier, lieu de prédilection un très grand docteur en Talmud. Outre pour le commerce, à environ deux ceux-ci, on trouve encore à Lunel rabbi Leur installation Les grosses concentrations resteront, parasanges de la mer. On y vient de toutes Moïse le beau-frère du précédent, rabbi conformément aux appréciations de parts pour le commerce, de Edom [pays Samuel le ministre officiant, rabbi Salomon Au cours du premier millénaire, Benjamin de Tudèle, les communautés

8 9 COLLECTION LES JUIFS DES Les Études du CRIF TERRES D’OC juives de Narbonne (en 1305, 825 essentiel ou indispensable à la pratique Le contexte environnant. individus, 575 dans la Grande Juiverie et (lieux de culte, d’approvisionnement Les Juifs du nord du royaume 250 dans celle de Belveze), Montpellier en viande casher ou « licite », lieux (à la même date entre 600 à 1000 d’inhumations). Au Nord du royaume de France. Avant de revenir sur les juifs âmes), Béziers, Lunel. Attractives tout d’Occitanie, on ne peut occulter au long du Moyen Âge grâce à leurs Les juifs des campagnes Les temps de rayonnement culturel toute cette porosité linguistique à quartiers juifs pourvus de plusieurs rues avec l’Ecole de Champagne sont l’œuvre, les riches heures du judaïsme et de composantes cultuelles développées Des juifs vivaient rassemblés à connus. A la veille des Croisades, le français, et les apports considérables (synagogue ou école, boucherie, Aimargues, Clermont l’Hérault, Lodève, centre champenois d’étude juive est de Rashi à la philologie romane : le cimetière toujours sis extra muros, mikvé Pézenas, Lattes, au Caylar, mais leur célèbre et confère au judaïsme français rabbin troyen, fin linguiste, éclairait ou « bain rituel », parfois four), et petit nombre ne justifiait pas toujours le une grande réputation, notamment ses commentaires bibliques et charitables (aumônes, hôpital) vouées à regroupement dans une rue spécifique, ni grâce à la figure paradigmatique talmudiques de vocables de vieux estomper à l’intérieur de la communauté la mise en place d’une armature cultuelle de Salomon ben Itzhac de Troyes parler champenois, fournissant dès les inégalités sociales. développée. (1050-1105) connu sous l’acronyme lors l’un des plus riches et des plus de Rashi, célèbre commentateur anciens corpus de textes français. Mais si la concentration fut d’abord Cet habitat rural pouvait être vulnérable, de la Bible et du Talmud. Formé Ses commentaires, truffés de milliers spontanée, les quartiers spécifiques seront affecté par des moments de crispation dans les académies de Mayence et de termes champenois appartenant progressivement imposés à partir du (épidémies, mesures d’éviction). aux bases de la langue française, de Worms, il fonda sa propre école XIIIe siècle. C’est à Beaucaire, en 1294, L’expulsion de Philippe le Bel en 1306 sont encore aujourd’hui au cœur de à Troyes. Le judaïsme du royaume qu’un ordre royal prescrit formellement portera un coup fatal à ce judaïsme rural. l’école juive traditionnelle. L’usage de France (en hébreu : Tsarfat) s’était la concentration obligatoire. du français était courant et, en 1241, en effet nourri – sur une même aire Des foyers brillants de culture et de le savant Jehoseph, fils du martyr culturelle – aux écoles allemandes Dans les villes de Posquières ou de science juives ont existé, tant au Nord Samson, finira de rédiger ses laazim (d’Ashkenaz), et sa culture juive fut Carcassonne se trouvaient des habitats pour les juifs de langue d’oil, qu’au Sud (listes de mots hébraïques traduits modelée par Rashi, ses lignées, ses juifs moyennement constitués (102 pour ceux de langue d’oc, témoignant en français) devenus indispensables personnes à Carcassonne en 1305), sans conteste en ces lieux et époques de disciples. L’école champenoise devait pour un public qui ne parlait regroupés dans une ou deux rues conditions favorables à l’éclosion des se développer considérablement au que le seul français ! Le célèbre e particulières, avec l’appareil traditionnel savoirs. cours de la seconde moitié du XI commentateur a également stimulé siècle, même si l’on prenait toujours la l’exégèse chrétienne : au XIVe siècle, le route de Mayence pour consulter les franciscain Nicolas de Lyre faisant un écrits du savant Guershom ben Juda usage intensif de Rashi et des recueils de Mayence (960-1030) appelé Meor midrashiques, intégrait en quelque ha-Golah ou « Lumière de l’Exil », et sorte l’exégèse juive à la chrétienne. écouter l’enseignement de ses élèves. La frontière linguistique entre les Les livres hébreux d’alors, vestiges parlers romans de France et les parlers précieux, sont parvenus en petit germaniques de Rhénanie était encore nombre, détruits en 1240 (au terme assez fluide. de la célèbre Dispute de Paris et du

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la confiscation s’organisa par le biais des Suisse, et Italie du nord. brûlement du Talmud de 1242- qui avaient été raisonnablement ventes. Officiers centraux, provinciaux, 44), ou détériorés par les rugosités acceptables durant le haut Moyen notables locaux gérèrent les « affaires - ceux du Sud tentèrent d’atteindre les du temps, devenant au mieux des Age, se dégradèrent et empirèrent des juifs » : recensement, évaluation par espaces perpignanais, catalan et provençal. reliures de registres notariés. Leur au point de déboucher sur des inventaires des biens saisis (meubles et Il y eut ainsi des flux et reflux de juifs comparaison avec les manuscrits de persécutions, une hostilité religieuse immeubles) devenus possession royale. meurtris, vers la Catalogne (chiffres de style français a permis aux spécialistes traduite par un faisceau de légendes De fin juillet à mi-août, les premiers Yom Tov Assis : la communauté juive de d’observer la rencontre de la tradition accusatrices (XIIe siècle), par le IVe ordres de vente furent promulgués, avec Barcelone accueillit 60 familles ; celle de juive et de l’esthétique française. Concile de Latran (1215) au but enchères des biens immeubles de fin août Gérone : dix familles, etc. à Valls, Besalu), affirmé d’isoler le monde juif, et à 1306 au 23 septembre 1311. vers le Comté de Roussillon - Cerdagne ; Mais dès l’aube du XIIe siècle, s’était terme, sur l’expulsion des juifs de la vers le Comté de Provence aussi (mais profilée l’ombre des Croisades,société chrétienne programmée en Pour le recouvrement des dettes et créances, « aucun raz de marée ») : toutes destinations annonciatrice de temps de crispations. plusieurs étapes (1182, 1306, 1322, la population devait déclarer les sommes favorisées par la proximité géographique Les relations entre juifs et chrétiens, 1394). dues aux prêteurs juifs. L’opération fut et culturelle. Les évaluations ont été revues longue, les déclarations souvent fausses, à la baisse (G. Nahon). sous-évaluées, les registres de prêt étant rédigés en hébreu ! D’où… le recours Nous possédons, parvenus jusqu’à L’expulsion du royaume de qu’ils renseignent l’administration royale aux prêteurs juifs autorisés à rentrer nous, des voix de lettrés méridionaux France de 1306 sur leurs biens et transactions de prêt. momentanément sur le territoire !… se lamentant sur la cruauté de leur sous conditions. On avait spolié, expulsé éparpillement et de l’abandon L’expulsion de 1306 a été inattendue, la La saisie des propriétés juives (terres, les juifs, mais leur retour devait aider à d’installations jadis brillantes, à présent prise de décision secrète, son exécution demeures, meubles, vaisselle, vêtements, récupérer leurs créances ! détruites. Ces documents hébreux, instantanée. Evénement difficile à bijoux, monnaies) débuta officiellement contemporains de l’expulsion de 1306, interpréter : seuls sont conservés les le 21 juin 1306. Une ordonnance Le 23 août 1311, Philippe le Bel ordonna constituent un ensemble mémoriel instruments financiers de la confiscation. royale réclamait aux officiers et sujets de la sortie des juifs du royaume, révoqua nostalgique et émouvant sur la gloire et Prélude possible en mars 1292, les juifs Philippe le Bel d’aider trois commissaires « les commissaires aux affaires juives » la quiétude perdues des communautés se virent chassés « des petites villes où ils chargés… « de vive voix » de certaines qui rendirent compte à Paris. La fin de du Midi de la France. Ces exilés célèbres n’avaient point accoustumé d’habiter ». affaires, les ordres devant rester secrets mission, décrétée le 20 septembre après (En Duran de Montpellier, Abba Mari, afin d’éviter les disparitions de biens, de les ultimes ventes, des contestations Estori Parhi, ha Penini de Béziers,) ont Début juin 1306, survint un ordre brutal registres. La délation fut encouragée. seigneuriales entraînèrent des conflits. exprimé chagrin et amertume dans des d’arrestation des juifs dont il ne subsiste Le recouvrement des dettes ira ainsi chroniques hébraïques et élégies. Leurs pas de trace. Difficile d’évaluer les juifs L’annonce de l’expulsion se fit par un édit jusqu’au milieu des années 1320 ! témoignages sont donnés en encadré. dépendant des seigneurs ; les « juifs du général dont rien ne subsiste, la date roi » pouvaient figurer dans des listes des butoir de sortie fixée au 22 juillet 1306. Les chemins pris par les exilés traduisent Rappels moyennant de lourdes rôles de tailles. Dans les grandes villes, Les juifs eurent quelques semaines pour leurs affinités culturelles : obligations financières (1315 ; 1359) et le regroupement dans certains quartiers quitter le territoire, avec abandon au roi renvoi (1322) de juifs en pays d’Oc français a pu faciliter l’opération. On arrêta des biens. - ceux du Nord du royaume ne furent pas ponctueront tout le XIVe siècle, jusqu’au temporairement les captifs (en instance dépaysés en terre rhénane. Leurs refuges bannissement définitif de Charles VI dit d’éviction, mais eux l’ignoraient !) afin La majorité des juifs partis, la gestion de se trouvèrent surtout en Franche-Comté, le Fou en 1394.

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Rappels et renvois : et convoité devra être déplacé : les philosophique, scientifique et même du Midi. 1315-1322 ; 1359-1394 juifs revenus devront se transporter ésotérique, controverses célèbres autour en un espace réduit et excentré ; il du legs maïmonidien et philosophique. Benjamin de Tudèle n’a pas manqué de Après le renvoi brutal de 1306, deux s’agissait de céder la place aux gens des citer nommément les juifs locaux, faisant retours provisoires furent lourdement faubourgs. L’arrêt qui les déplace insiste Comme l’a relaté Benjamin de Tudèle, grand éloge des Meshoullam, et ceux monnayés : ne revinrent que les plus sur le fait qu’il ne convient pas « que les des écoles rabbiniques renommées à venus d’ailleurs, de Grenade. fortunés. A la commune « clameur du enfants fussent hors la maison pour des Narbonne, mais aussi bien à Lunel, peuple », le rappel consenti par Louis étrangers ». Cette décision traduisait un Posquières (l’actuelle Vauvert), Béziers, le Hutin en 1315, limité à douze ans, trait de mentalité : les juifs, dont le retour Montpellier parsemaient la large ne parvint pas à son terme, ruiné en avait été consenti pour un certain temps, Proventsia (équivalent de l’Occitanie) des Les Lettrés locaux de 1322 par les explosions d’antijudaïsme étaient appréhendés désormais comme textes hébraïques. Lunel populaire : croisade des Pastoureaux (ces des « estrangiers ». hordes de pauvres et de bergers), rumeurs Il faut savoir que la culture des juifs La famille Meshoullam, d’empoisonnement des puits ; accusation A terme, Charles VI dit le fou leur languedociens était initialement toute avec le père, mécène averti d’un prétendu meurtre d’enfant au Puy- intima l’ordre de partir définitivement traditionnelle et « tamudico-centrée », en-Velay en 1320 ; massacre des juifs le 17 septembre 1394. La religion juive adonnée à l’étude exclusivement Autorité rabbinique, rabbi Meshoullam de Chinon en 1321 ; et enfin la Peste n’était plus licite dans le royaume de biblique, talmudique, juridique. b. Jacob de Lunel, cet « érudit polyvalent de 1348, génératrice de victimes de France. à stature exceptionnelle », dirigea l’épidémie, mais aussi d’émeutes greffées L’arrivée au XIIe siècle, vers 1140, de juifs une école qui produisit des hommes sur le fléau. arabophones fuyant le Sud de l’Espagne distingués. Sur sa demande Judah ibn et les persécutions almohades, se traduisit Tibbon traduisit l’ouvrage de Bahya ibn Lorsque Charles VI, aux prises avec des Au sud du royaume de par un important apport philosophique, Paqqûda de l’arabe en hébreu. difficultés extérieures, envisagea vers France. provoquant une « véritable révolution 1360 un nouveau retour des juifs, il leur culturelle ». Dans un cadre urbain de Judah loua en termes presque excessifs accorda une durée de séjour de vingt Le Sud de la France a abrité un judaïsme calme relatif et de prospérité économique, son zèle pour les diverses branches de la ans. De prolongation en prolongation profondément original, dont la une ample entreprise de traductions vit le science juive et déclarait qu’il avait rendu (six ans en 1364, dix en 1374, terme contribution à l’histoire intellectuelle et jour. Au cours de transferts culturels sans de grands services à cette science ainsi rallongé de cinq ans par Louis d’Anjou), religieuse fut notoire. précédents, à l’incitation de lettrés juifs qu’à la philosophie par sa propre activité toujours subordonnées à des taux élevés locaux (par exemple les Meshoullam littéraire, son ardeur à acquérir les plus de droits d’entrée, les juifs furent en fait de Lunel1 cités par Benjamin de Tudèle rares manuscrits, les encouragements peu nombreux (quelques centaines au dans son Carnet de route), deux familles qu’il prodiguait aux divers auteurs. plus) à réintégrer les domaines français, Temps de rayonnement : de réfugiés andalous (les ibn Tibbon toujours tenus au port du signe distinctif l’école languedocienne. à Lunel et les Kimhi à Narbonne) se Il eut cinq fils : (la rouelle) et au compartimentage de mirent à traduire de l’arabe en hébreu l’habitat. Le judaïsme languedocien original a les classiques de la pensée judéo-arabe. Les uns tournés vers les sciences profanes : pu être considéré comme un épicycle Les textes scientifiques gréco-arabes, Asher surtout, mais qui mena selon On peut donner l’exemple de des sphères d’influence espagnole : les œuvres d’auteurs musulmans (dont Benjamin de Tudèle tout à la fois une Montpellier : à partir de 1365, leur réfugiés juifs andalous au XIIe siècle ; Avicenne et surtout Averroès) devinrent, vie d’ascète, se désintéressant des affaires lieu de résidence initialement central culture juive rabbinique au départ, puis de la sorte, accessibles en hébreu aux juifs du monde et vaquant aux livres jour et

1. Les noms de ceux qui ont fait la gloire du judaïsme languedocien au Moyen Age sont en caractères gras.

14 15 COLLECTION LES JUIFS DES Les Études du CRIF TERRES D’OC nuit ; talmudiste, directeur d’académie Son mécénat éclairé a joué un grand rôle Egypte. Avec les « Sages » de Montpellier, (cf. infra, Bibliographie). L’original, rabbinique, auteur d’ouvrages de dans la production littéraire des juifs du il lui envoya une lettre empreinte de extrait de la Gueniza4 du Caire, se trouve jurisprudence religieuse, ses penchants Languedoc. révérence, comportant en même temps à la Bodléienne d’Oxford, et témoigne du piétiste et ascétique pouvaient aller de des questions relatives à l’astrologie. rayonnement de la pensée de l’Andalou pair avec un intérêt pour la philosophie A l’étude de la Bible et du droit La réponse de Maïmonide, retardée Maïmonide en pays d’Oc, indissociable néoplatonicienne. canonique juif vont se joindre celles de la de plusieurs années, ne fut envoyée du mouvement de traduction entrepris grammaire, de la poésie, de la philosophie qu’en 1194. Vers 1195, R. Jonathan et et mis en œuvre par d’autres Andalous D’autres vers le mysticisme, comme religieuse ; la littérature juive va être ses compagnons soumirent au Maître venus trouver refuge en terre lunelloise. Jacob, qualifié même de « nazir2 », étroitement associée à la littérature arabe, vingt-quatre questions, sollicitant en appartenant à un groupe de dévots dont elle va s’approprier les progrès même temps un exemplaire de son grâce à ces providentiels coreligionnaires traité de philosophie, Le Guide des égarés se consacrant exclusivement à l’étude Un réfugié andalou à de la Torah, et suivant des règles arabophones. ou des perplexes, « si possible traduit en hébreu » ; Maïmonide leur adressa, Lunel : Judah ibn Tibbon ascétiques. Les pratiques de tels groupes (1120-1190) montrent des affinités avec celles des A la mort du rabbin Meshoullam b. en attendant, l’original arabe des deux ascètes chrétiens, voire des cathares Jacob, un autre talmudiste réputé, premières parties du Guide. Jonathan ben David ha-Cohen (vers Né en 1120, fuyant autour de 1150 contemporains. Jacob, en effet, fit partie 1136 – après 1210), devint l’autorité Dans une quatrième lettre que le maître l’intolérance des Almohades venus du cénacle des kabbalistes du Languedoc, rabbinique suprême de Lunel, haut lieu de Fostat (vieux Caire) avait reçue des d’Afrique du Nord au milieu du XIIe et fut l’un des élèves d’Abraham b. de la culture juive au Moyen Âge. « Sages de Provence », qui fait écho siècle pour défendre l’Islam ibérique David de Posquières (cf. infra). Ses à la réponse de Maïmonide relative à contre l’entreprise de Reconquête, il écrits mystiques relatifs à la prière Il fut l’auteur de commentaires sur la l’astrologie, R. Jonathan annonce qu’un s’installa à Lunel, dans le département contiennent des allusions aux doctrines mishna (« loi orale »), le Talmud, et l’Abrégé traducteur convenable du Guide a été actuel de l’Hérault. Hébraïsant et kabbalistiques. talmudique d’Isaac Alfasi3 (Espagne, trouvé en la personne du jeune Samuel arabisant, Judah ibn Tibbon possédait XIe siècle), et il aurait été même, selon ibn Tibbon, et il demande un exemplaire des manuscrits en arabe et en hébreu, et Le rôle du père, Meshoullam b. Jacob de le chroniqueur du XVIe siècle Salomon de la troisième partie du Guide des il est vraisemblable qu’il en avait apporté Lunel, dans la promotion des traductions Ibn Verga (auteur du Shevet Yehouda perplexes qu’il n’avait pas encore reçu : une bonne partie de Grenade. Pourvu de l’arabe en hébreu fut donc primordial. (« Le fléau de Juda » publié à Andrinople d’un bagage livresque et culturel inconnu vers 1550 sur les persécutions subies par « Et de rassasier de nouveau avec le livre dans ce Midi accueillant et réceptif, il put Erudit local, talmudiste éminent, il le peuple juif depuis la destruction du Le Guide dont nous avons entendu la traduire jusqu’à la fin de sa vie (1190), pressentit tout le parti à tirer de cette Temple jusqu’au XVIe siècle), le savant renommée et dont la célébrité est connue en encouragé par les savants locaux, les culture juive andalouse inconnue, méridional qui fut parmi les trois cents Egypte ». Meshoullam, quelques-uns des ouvrages d’expression arabe, qu’il fallait acquérir, rabbins français et anglais à émigrer en essentiels de la brillante littérature judéo- fût-elle philosophique ou axée sur des 1210 vers la Terre sainte, où il serait Cette lettre autographe de rabbi arabe. sujets non talmudiques. Il lui importait mort. Jonathan de Lunel, rapportant la genèse de la rendre accessible, de la diffuser, de la traduction hébraïque du Guide Comment ne pas admirer la remarquable et pour ce faire, ces réfugiés venus de Il aurait entretenu depuis Lunel, fait des perplexes, est assurément « parmi les insertion de ce juif andalou, de mœurs Grenade, chassés par les Almohades, extraordinaire, une correspondance avec documents les plus vénérables de l’histoire et de culture totalement différentes, dans représentaient à Lunel au XIIe siècle Maïmonide, le célèbre réfugié andalou littéraire juive » comme l’a écrit Paul B. un milieu juif languedocien incitatif vite l’aubaine linguistique à saisir d’urgence ! établi, lui, sur le versant oriental, en Fenton dans l’étude qu’il lui a consacrée séduit par l’apport culturel neuf que

2. Le nazir ou nazaréen est ce personnage dont parle la Bible (Nb VI, I-21) qui a fait vœu de chasteté, d’abs- 4. Le terme araméen gueniza (de GNZ, « cacher ») désigne une salle, attenante à la synagogue, destinée à tinence (vin, alcool, et coupe de cheveux interdits). On a cru l’institution éteinte avec la chute du Temple recevoir les manuscrits de la Loi devenus inutilisables par l’usure du temps ou de la manipulation cultuelle : de Jérusalem dont l’absence rend impossible certains rites de pureté. Le vocable de parus est également tenus pour sacrés, car ils contenaient le nom divin, ils ne devaient être ni détruits ni profanés. Par un extrême employé pour désigner l’ascète. hasard, fut découvert, en 1896, dans la gueniza d’une synagogue karaïte du Vieux Caire (Fostat) un lot unique de manuscrits, dont certains remontent au VIIe siècle (poèmes liturgiques, écrits privés, et surtout fragments 3. Cf. infra, le paragraphe sur les vestiges subsistant à Montpellier. de livres bibliques) ; ces manuscrits ont été déposés dans de grandes bibliothèques, en Russie (Saint-Pé- tersbourg), aux Etats-Unis, et surtout en Angleterre (Cambridge, Oxford et Londres). COLLECTION LES JUIFS DES Les Études du CRIF TERRES D’OC pouvait représenter l’arrivée dans une ce que tu possèdes [...]. Les commandes locales La seule présence à Lunel de l’érudit petite communauté juive d’implantation faites au réfugié andalou arabophone Judah ibn Tibbon a ainsi ancienne d’un tel lettré multilingue Ne refuse pas de prêter tes livres à celui stimulé l’intérêt et la curiosité de R. venu d’ailleurs et appelé à ouvrir leurs qui n’a pas la possibilité d’acheter un livre. Dans cette bourgade de Lunel Meshoullam, et de fait l’historien Gad horizons ? Mais assure-toi qu’il te le rendra |...]. proche de Montpellier, des échanges Freudenthal a pu écrire : Recouvre les armoires d’un tapis qui leur intellectuels entre rabbi Meshoullam Cette « ouverture » s’avèrera proprement fera une couvrure de bon ton. Préserve-les et Judah ibn Tibbon s’instaurèrent, et « Elle fut une condition nécessaire à révolutionnaire, infléchissant lesde l’eau qui pourrait tomber sur elles, des se poursuivirent au sein de groupes l’avènement des traductions ; c’est toutefois aptitudes locales traditionnelles vers des R. Meshoullam, le savant doté d’un esprit souris, et de tout dommage car elles sont de lecture. La traduction s’entamait, tendances rationalistes et philosophiques. exceptionnellement large, qui a transformé ton véritable trésor. Et lorsque tu prêtes étudiée, argumentée, au cours même cette présence accidentelle en amorce du un livre à quelqu’un, inscris-le sur la liste de son élaboration « devant » le grand Judah ibn Tibbon, surnommé « le père R. Meshoullam, mécène averti et « pur transfert culturel que l’on sait ». des traducteurs »5, transmettant ses livres avant qu’il ne quitte la maison. Lorsqu’il te rendra ce livre, tu bifferas la mention. Aux candélabre » selon les termes mêmes de à son fils unique Samuel, s’exprimait Judah dans sa préface aux traductions. Judah traduira encore le Kuzari de Judah ainsi en pays d’Oc vers 1180 : fêtes des Cabanes et de la Pâque, tu feras Halévi affirmant la singularité du peuple rentrer dans ta maison tous les livres prêtés La série de ces traductions « commandées juif, de sa terre et de sa langue, le « Livre « Tous les premiers du mois examine les à l’extérieur. des croyances et des opinions » (Emunot au médecin andalou » a débuté avec les livres hébreux, et tes livres arabes tous les vedeot) de Saadia Gaon (882-942). Devoirs des cœurs de Bahya ibn Paqudah. deux mois, les livres reliés tous les trois mois. Je t’ai fait honneur en multipliant tes livres : En évoquant son pays d’adoption, Judah Arrange tout en bon ordre afin de ne pas te tu n’as pas besoin d’emprunter alors que la La production littéraire de Judah a pu écrire : fatiguer à chercher un livre lorsque tu en plupart des étudiants courent de tous côtés ibn Tibbon, ce médecin de Grenade as besoin. Sache la place [de chaque livre] pour trouver un livre et ne le trouvent pas. réfugié à Lunel, s’est ainsi limitée à des « Dans les pays chrétiens, le reste de notre dans les armoires et les caisses et si tu veux traductions. Trouvant dans le Midi Toi, grâce à Dieu, tu prêtes et n’empruntes peuple avait également trouvé un refuge. bien faire les choses, tu inscriras la liste des le temps et la quiétude propices aux pas ; et la plupart des livres, tu les as en Depuis les temps anciens, il se trouvait là livres de chacun des compartiments d’une deux ou trois exemplaires ». travaux intellectuels, il fut l’initiateur qui armoire sur une feuille et tu la garderas de grands savants versés dans la Torah et ouvrit la voie à l’ample mouvement de le Talmud ; mais ils n’étudiaient aucune dans ce compartiment : à chaque fois que Les recommandations paternelles, traductions qui allait s’étendre en terre tu chercheras un livre, tu verras sur la liste autre science, parce que la Torah était leur occitane. intemporelles, ne concernaient pas dans quel compartiment il se trouve sans seule occupation et qu’ils ne possédaient uniquement la pratique et l’entretien avoir à déranger tous les livres. pas de livres traitant d’autres disciplines, quotidiens des langues savantes (hébreu, jusqu’au moment où se fixa parmi eux le Examine bien les feuillets qui sont dans des arabe), le soin jaloux à apporter aux pur candélabre, le grand, pieux et saint Le fils de Judah, Samuel pochettes et des paquets et prends-en bien manuscrits qu’il convenait de classer, rabbin, notre maître rabbi Meshoullam ibn Tibbon (1150-1232 ?), soin. Ne les dédaigne pas car il y a là des d’ordonner et de répertorier, elles ben Jacob ». traducteur de Maïmonide textes importants et intéressants que j’ai encourageaient aussi une règle de vie, une moi-même recueillis et copiés. Ne perds rien discipline et une hygiène alimentaires : Par la suite, Judah traduira les ouvrages Morigéné par son père Judah, Samuel de ce que je te laisse, ni écrit, ni lettre. ET d’Ibn Gabirol : « L’Amélioration des n’a cependant pas démérité ! Il eut aussi étudie soigneusement et constamment « Ne fais pas bombance dans les banquets, qualités de l’âme », et également « Le l’insigne honneur de traduire le fameux le catalogue de tes livres afin que tu saches et respecte les règles de la diététique arabe ». Choix des perles » (Mivhar ha-peninim). Guide des égarés ou des perplexes du grand

5. A Narbonne qui avait accueilli aussi des juifs andalous, David Kimhi, auteur d’un ouvrage prisé de lexico- graphie (Sefer ha-Shorashim ou « Le livre des racines ») était appelé « le prince des grammairiens ». Il était le fils du réfugié andalou Joseph Kimhi parvenu dans le Midi de la France en même temps que Judah ibn Tibbon.

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Maïmonide ! Dans le prologue de sa mon père et de mon maître, à savoir sa Les travaux de la célèbre lignée des Tibbonides traduction, il a écrit : grande composition rédigée en hébreu, le « Code des Lois » [Mishneh Torah] et le Le fils de Samuel, Moïse ibn Tibbon A Montpellier, Profacius était l’héritier « Les savants et les érudits de ce pays, et à livre qu’il avait composé en arabe intitulé (avant 1240-1283) fut très prolixe, d’une tradition élitiste de culture et leur tête R. Jonathan ha-Cohen le pieux, et « Le Guide des Egarés » étaient parvenus réalisant pas moins d’une trentaine d’ouverture aux autres. Comme ses les autres sages de la ville de Lunel, mon lieu aux Sages éminents et vénérables de Lunel, de traductions d’œuvres arabes aînés réceptifs à la science émanant de de résidence, avaient entendu la renommée qui propagent l’étude de la Torah et sont en médecine (Hippocrate, Razès, la société englobante, à l’instar de son de ce livre qu’ils désirèrent faire venir savants et érudits dans toutes branches des Avicenne, Maïmonide) et en sciences grand-père Samuel, il s’exprima ainsi d’Egypte. Ils demandèrent par lettre au sciences. Il reçut leurs lettres agréables et exactes. Il eut une première période dans sa préface à sa traduction des grand Maître, le philosophe divin et le pur leurs questions merveilleuses. Il reconnut d’activité à Naples, puis à partir de Eléments d’Euclide : diadème à la tête de notre exil, notre maître de leurs paroles qu’ils s’étaient réjouis de 1254, une deuxième à Montpellier. Maïmonide, que Dieu le préserve, fils de la compréhension de ses écrits. Lui aussi se « Il s’était imposé ce travail afin d’éviter son honneur le grand rabbin Maymun, félicita que ses paroles avaient atteint ceux Jusqu’au gendre de Samuel, Jacob le blâme des chrétiens qui prétendent auteur de cet ouvrage, de leur envoyer qui furent capables de les comprendre : Anatoli (1194 ?-1285 ?), qui a que les juifs restent étrangers à toutes les un exemplaire, de préférence traduit, ou ‘C’est une joie pour l’homme de trouver des œuvré à Naples en 1230 au service de sciences ». même non traduit. Ils déployèrent [...]. répliques’. Il répondit à leurs questions et l’Empereur Frédéric II où il traduisit Lorsqu’il arriva non traduit, ayant pris commenta leurs propos afin de les honorer et Parmi ses travaux originaux, il faut en collaboration avec Michel Scot connaissance d’une partie de son contenu, de les complimenter comme il convenait ». compter le Quadrant, destiné comme plusieurs ouvrages arabes en hébreu. leur enthousiasme redoubla et le désir les l’astrolabe à déterminer la hauteur Héritant de la tradition d’ouverture poussa à vouloir le traduire, même au prix Tout cet échange se situe parmi les plus des astres au-dessus de l’horizon ; de son lignage, il expliquait pourquoi d’efforts considérables et ils m’implorèrent de beaux documents dans la littérature de la son almanach, dit l’« Almanach de il avait jugé bon de citer le célèbre le traduire pour eux selon mes possibilités ». correspondance hébraïque. Sachons gré à Jacob » œuvre tabulaire à la longitude savant chrétien Michel Scot avec qui Paul B. Fenton (cf. infra Bibliographie) de Montpellier pour l’année 1301, Plus tard, le fils même de Maïmonide d’avoir proposé pour la première fois une il s’était lié d’amitié : « rédigé pour le profit de ses amis ». A relatera les étapes de la diffusion de traduction française de la lettre partie de noter qu’il collabora avec Armengaud l’œuvre de son père à partir de Lunel : Lunel au Caire ! « Il ne sied pas au sage [...] de mépriser Blaise, médecin de la faculté de une quelconque réflexion parce que son médecine de Montpellier, procédant « Jadis, du vivant de mon père, nous Samuel réalisa d’autres travaux éminents auteur n’est pas de notre peuple. Il faut tous deux, en 1299, à une traduction eûmes vent de ce que les compositions de de traduction (Galien, Aristote). juger sur le fond ». simultanée de son propre travail, « de l’hébreu en latin » par le biais de la Pour en finir avec cette célèbre langue vernaculaire parlée par les deux parenté, il convient de citer le dernier savants : Jacob lisant son « Quart de de la lignée, Jacob ibn Makhir ibn cercle » en hébreu, le transposant Tibbon, dit Profacius, ou don aussitôt en occitan et Armengaud Profiat (1236 ?-1304 ?),qui a réalisé opérant de l’occitan vers le latin. des travaux de traduction (Euclide, Averroès), mais aussi bien des œuvres Jacob s’enorgueillissait de ces échanges originales. savants qui augmentaient selon lui

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dans les dossiers montpelliérains et En Duran s’y lamente sur le triste sort le prestige de toute la communauté bannissement de 1306 [cf. supra nos languedociens, proférant là encore des communautés détruites de Lunel, juive : une certaine diffusion du savoir Encadrés], avoir des contacts fructueux bans et anathèmes. En Languedoc, les de Béziers, de Narbonne, villes d’où hébraïque s’accomplissait ainsi dans avec leurs homologues chrétiens, et communautés, courroucées, ripostèrent les juifs venaient d’être chassés. Il dit la bibliothèque latine de la faculté de se rejoindre dans leur amour de la par des contre bans, mais ce fut l’arrêt qu’il restera pour le moment à Aix, et médecine de Montpellier ! de juillet 1306 qui allait mettre un terme qu’aucune distance, soit par terre, soit science. Une certaine porosité pouvait brutal et implacable aux confrontations, par mer, ne pourra diminuer l’amour exister entre savants des deux sociétés Ainsi dans la ville languedocienne de polémiques et controverses. qu’il porte à ses malheureux frères. Il prie 6 Montpellier , des savants juifs ont majoritaire et minoritaire, et leurs cependant ses parents de lui procurer pu, jusqu’à l’extrême veille de leur élites intellectuelles. Adversaires et partisans de la philosophie le permis nécessaire pour fixer lui aussi furent tous contraints et meurtris de son domicile à Perpignan, sa ville natale devoir abandonner des communautés où son père – détail émouvant – a enfin La querelle anti- qui avait dépêché à Paris Jonas de Gérone brillantes et prospères engagées dans trouvé un pouce de terre pour son lieu maïmonidienne (1230- et dénoncé comme hérétique Le Guide des débats intellectuels, condamnées de repos : 1305) aux Franciscains et aux Dominicains, les sans appel. Parmi d’autres témoignages œuvres (ou une partie des œuvres) de d’affliction, retenons celui du« J’entendis une voix céleste sortir du La traduction, à Lunel, en 1204, du Guide Maïmonide auraient été brûlées en place montpelliérain En Duran de Lunel. mont [entendre Montpellier] Horeb, du des Perplexes de Maïmonide (1135-1204) publique par les Inquisiteurs dominicains mont de Dieu : elle gémissait comme une par Samuel ibn Tibbon, fils du réfugié à Montpellier, lesquels du reste étaient colombe. Elle pleurait l’époux aimé de sa andalou Judah ibn Tibbon, et le vif chargés de réprimer au même moment jeunesse : ses mains puissantes avaient élevé engouement qu’elle connut dans certains l’hérésie albigeoise. Quand En Duran de Lunel un refuge et une forteresse pour la foi. Il milieux, suscitèrent une vaste controverse pleure en novembre 1306 avait construit une maison en Israël : qui éclata en 1230, pour rebondir vers Ceci provoqua un grand traumatisme « sa petite Jérusalem de la maintenant elle est devenue la maison de 1303 autour des dangers pour la foi de la et une profonde culpabilité dans l’âme Ville du Mont » recherche philosophique. juive prompte à y déceler (dix ans plus la brèche, de l’affliction, du deuil et de la tard), un sombre prélude à la crémation désolation [...]. J’écoute la voix céleste. Elle On s’interrogeait sur le rationalisme, de 1240 perpétrée sous le règne de Louis Dans une pièce en prose rimée, le juif répond : quelle est ta plainte ? J’ai vu la la philosophie « des Grecs ». Adeptes IX, dit « saint Louis ». montpelliérain En Duran de Lunel confusion des enfants d’Israël, le terre qui de la lecture littéraliste et tenants de pleure sa « petite Jérusalem de la Ville tremble, Satan qui accuse à droite. l’exégèse allégorique s’affrontèrent dans L’âpre querelle s’assoupit quelque du Mont », ce « Mont Délice de Dieu des débats d’idées passionnés. Une lutte peu, sept décennies durant, pour où il a bâti une demeure pour y résider Grand mont de Montpellier duquel ont fratricide, inter judeos, provoqua en reprendre de plus belle vers 1300 entourée des remparts de la justice et de la été extraits des joyaux, et où repose l’or, mont 1230 l’ingérence de « l’école française autour du problème de la licéité de foi ». Réfugié un temps dans le Comté de que Dieu a aimé, palais où il avait établi juive », plus rigoriste, dans les affaires des l’enseignement de la philosophie avant Provence voisin indépendant du royaume sa demeure [...] Les sciences exultent dans communautés languedociennes. l’âge de 25 ans. En 1303, les autorités de France, il écrit d’Aix, en novembre ses rues. Sur ses demeures, des troupeaux de rabbiniques de Barcelone, sollicitées par 1306, à un de ses parents à Perpignan sages... se nourrissent d’exégèse, de Talmud En 1233, sur la requête de la faction le conservateur Abba Mari de Lunel où un grand nombre de juifs avaient été et de Michnah [...] Le mont Moriah a anti-maïmonidienne dont le talmudiste de Montpellier, répugnant à s’ingérer accueillis sur l’ordre « du miséricordieux été arraché de sa place, il s’est éteint et un montpelliérain Salomon b. Abraham au départ, finirent par s’immiscer roi de Majorque » (Jacques II). nuage le recouvre...

6. Une salle de conférences et de séminaires au rez-de-chaussée de l’immeuble classé monument historique du numéro 1 de la rue de la Barralerie à Montpellier (qui comporte en sous-sol le mikvé du XIIe siècle) est appelée depuis juin 2011 : « salle don Profiat », pérennisant ainsi huit siècles plus tard dans la « Ville du Mont » le souvenir du dernier « valeureux » de la lignée andalouse des Tibbonides.

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Où fuiras-tu pour trouver une aide ? Où Citons à cet égard : colère dévora autour de moi, il me conduisit de son vivant par ses contemporains tant iras-tu ? [...] Vers la ville de Lunel d’où et ce fut l’obscurité et il n’y eut plus de juifs que chrétiens. Il parlait le provençal, sortait l’enseignement pour Israël, la ville Le rationaliste Menahem ha Meiri clarté, il fit de mes fils des réfugiés et de comme l’indiquent ses explications, dans de Dieu, la cité fidèle ? [...] Elle aussi gémit de Perpignan (1249-1316), premier mes filles des captives : la joie et l’allégresse cette langue, de termes hébraïques. Il est à présent [...]. penseur juif à extraire les chrétiens de la se sont retirées de la maison de l’Eternel et souvent considéré comme le plus grand catégorie des idolâtres, Auteur modéré, ma lyre est endeuillée, ma flûte émet des philosophe après Maïmonide, et comme T’avons-nous dit : viens à Béziers ... Elle il ne dédaignait pas les rapports d’amitié sanglots [...] et les fils de mon peuple furent Maïmonide, il fut également médecin, fut fameuse dans le monde entier [...]. avec les savants chrétiens et prônait même chassés... et ils errèrent sans force harassés exégète et homme de science accompli. la tolérance pour les juifs convertis. par mes poursuivants et par mes mécréants, Elle aussi est abandonnée et attristée (...] la errant par des terres inhospitalières [...] la Comme aux temps fastes languedociens ville et mère en Israël, Narbonne [...]. Il avait su se dissocier des initiatives perte du savoir de mes sages, la disparition des années 1300, lorsque s’effectuaient Elle aussi a connu la colère de Dieu. Son antiphilosophiques ; pour lui, de la sagesse de mes érudits, l’assèchement autour de la faculté de médecine de roi et ses princes n’y sont plus, ses hommes de Maïmonide restait « le plus grand de tous des rivières de la connaissance [...] tout a Montpellier des contacts fructueux entre loi ont quitté la ville dans l’opprobre [...]. nos auteurs », mais il affirmait en même disparu et le mal et l’épouvante dominent ». médecins juifs et chrétiens, Gersonide temps que rien ne permettait d’affirmer a collaboré avec les savants chrétiens de J’étais sans force, privé de mes sens [...]. Où dans cette Occitanie une détérioration Plus tard, Lévi ben Gershon, dit son temps. Ce sont ses contributions conduirai-je ma honte ? ». de la situation religieuse : « Dieu existe Gersonide (1288-1344) aux sciences exactes qui ont intéressé le dans cette contrée ! ». Il affirmait haut et monde chrétien. Le chagrin, l’affliction devant la perte des fort que la diffusion de la philosophie Même s’il n’entre pas véritablement communautés du temps jadis affleurent n’avait aucunement miné l’observance dans la catégorie des Languedociens, la Les traductions médiévales de ses travaux à chaque ligne. Leur vie communautaire des préceptes dans le judaïsme de la figure de Gersonide reste l’un des plus scientifiques et astronomiques ont gravité et culturelle d’antan ruinée, leurs France méridionale. beaux exemples en notre possession sur autour de quelques noms connus : préoccupations savantes anéanties par l’expression de la culture juive dans le Clément VI, Pierre d’Alexandrie, Philippe le désastre, les juifs, toutes honte et Il s’était fait aussi le défenseur des midi de la France. Philosophe, astronome de Vitry et Jean des Murs. Les traductions humiliation bues, ont été acculés à coutumes de sa région, le midi de la et mathématicien, il allait établir « sur la latines ont vu le jour en relation avec abandonner biens et demeures, confort France (communautés de Béziers, requête des grands et nobles personnages la cour pontificale d’Avignon. A cet et quiétude. Carcassonne, Lunel, Marseille, chrétiens » des tables astronomiques à égard, il n’est pas indifférent de noter Montpellier, Narbonne, Nîmes, partir d’observations faites à Orange en que l’instrument astronomique inventé L’arrêt de 1306 éteignait brutalement Perpignan, Posquières, Trinquetaille) 1320 et produire une œuvre appelée par Lévi ben Gershom, appelé par les un foyer brillant et célèbre de sciences, dans son ouvrage « Défenseur des à exercer une grande influence dans le chrétiens le Baculus Jacob (le « bâton de et projetait ses acteurs sur les routes et ancêtres » (Magen Avot), véritable recueil monde chrétien, autour de la papauté Jacob ») a été dédié dans sa version latine les chemins d’errance, dans la précarité, de coutumes locales et régionales. d’Avignon. à Clément VI. l’incertitude et le désarroi. Originaire de Narbonne et de Né à Bagnols-sur-Cèze (Languedoc, Il est permis d’affirmer que vers 1340 Les controverses anti-maïmonidiennes Carcassonne, R. Menahem ha-Méiri aujourd’hui département du Gard), a fonctionné en Avignon un véritable de 1230-1305 ne parvinrent pas à ressentit douloureusement le désarroi des il a vécu en Avignon et à Orange, cénacle réunissant des lettrés juifs ruiner la tradition rationaliste des expulsés, ses frères languedociens : et ne semble pas avoir quitté le sud et chrétiens autour des problèmes juifs des pays d’Oc, et l’ouverture aux de la France. Il a laissé une œuvre scientifiques, et Gersonide y a représenté autres cultures. « Quand son courroux me frappa et que sa considérable, écrite en hébreu, appréciée une figure centrale.

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A retenir parmi ses nombreux travaux, Moïse de Narbonne, au XIVe siècle de ceux qui s’occupent de la sagesse à Entre 1150 et 1200, c’est en Languedoc ses « Guerres du Seigneur » (Milhamot (vers 1300-1362) commenta le Guide Perpignan ». qu’a été compilé le « Livre de la clarté » ‘Adonaï), ouvrage de philosophie et de de Maïmonide, ainsi que les travaux des (Sefer ha-Bahir), présentant le système théologie, dont la partie astronomique Arabes Ghazali, Ibn Tofayl, et Averroès. Auteur de nombreux commentaires sur des dix forces cosmiques et premières fut accueillie avec beaucoup de faveur Il appartenait à une famille originaire les principaux philosophes arabes (avec manifestations du divin qui, sous le par les savants chrétiens, traduite en de Narbonne établie à Perpignan. Il lui, le courant averroïste prit toute son nom de sefirot, jouèrent un rôle essentiel latin en 1342, du vivant de son auteur, fut initié dès l’âge de treize ans à la ampleur), sur le Guide de Maïmonide dans les développements ultérieurs de la sur l’ordre du pape Clément VI. C’est philosophie de Maïmonide, en vogue à (commencé à Tolède, et achevé au bout Kabbale. l’exemplaire même qui était conservé cette époque chez les juifs d’Occitanie, de sept ans à Soria), il serait mort en e en 1369 dans la bibliothèque du palais malgré l’excommunication lancée contre 1362. Celle-ci trouve ses représentants aux XII e e pontifical d’Avignon ; la traduction elle au début du XIV siècle ; ses prises de et XIII siècles en Abraham ben Isaac s’achevait ainsi : position reflètent les idées caractéristiques Il composa son Traité sur la Perfection de de Narbonne, Abraham ben David de du milieu intellectuel contemporain. l’âme à l’usage de son fils pour remplacer Posquières ou encore le fils de ce dernier, « Ici finit le traité sur l’instrument les écrits d’Aristote et d’Averroès sur Isaac l’Aveugle, chez qui apparaît pour astronomique de maître Léon, juif de Fervent métaphysicien, médecin (il a le même sujet ; ce fils l’engagera à la première fois le terme de Ein-Sof, étudié la médecine auprès d’Abraham écrire un commentaire sur le Guide des littéralement « Sans-fin », désignant Dieu Bagnols, habitant Orange, au plus illustre Caslari, ce praticien célèbre originaire du Perplexes dans la préface duquel Moïse de en tant qu’il est caché et inconnaissable. seigneur pontife Clément VI, traduit de Caylar et réfugié en 1306 à Besalu, auteur Narbonne écrira : l’hébreu en latin l’année de l’Incarnation du Traité sur les Fièvres épidémiques), Née en pays d’Oc à Posquières du Christ 1342, et l’an Ier du pontificat grand voyageur (il apprit sans doute « Pour éclairer les yeux des sages est venue (Vauvert), la Kabbale allait se transporter dudit Clément ». l’arabe en Espagne), il ne négligeait la Lumière de l’Exil (Maïmonide] dont [le rapidement sur une même aire culturelle, pas pour autant l’Ecriture sainte, et livre] est comme un flambeau qui éclaire en Catalogne. Ernest Renan avait pu écrire : s’occupait tout à la fois de philosophie toute obscurité [...] : il est en vérité comme et de kabbale. Il savait aussi le latin et le la quintessence de la Torah ». « Voilà un ouvrage de science parfaitement catalan. rationnelle quelles qu’en fussent les erreurs La poésie liturgique et profane de détail, qui éclot dans la première moitié Il eut à souffrir des persécutions qui e du XIV siècle, au sein des juiveries du suivirent la peste noire (1348), et fut Le Languedoc fut aussi Elle eut aussi sa place chez ces juifs Midi. La cour d’Avignon, si éclairée pour contraint de s’enfuir avec toute la terre de mysticisme languedociens. le temps, en reconnaît la supériorité. communauté de Cerbère et de laisser Personne, à cette époque, ne paraît avoir ses manuscrits : dans la préface de ses Le terme de kabbale, dérivé de l’hébreu Abraham Bédersi de Béziers (vers porté dans la cosmographie mathématique commentaires sur les dissertations kabala (littéralement « tradition »), 1230 - vers 1300) ; son fils Yedahia autant de science spéciale et de sagacité ». physiques d’Averroès, retiré en désigne les enseignements ésotériques du ha-Penini (1270-1340), versificateur Catalogne, il dit avoir entrepris ce travail judaïsme. La Kabbale s’attache à puiser prolixe et ardent défenseur du judaïsme « Maître Léon l’Hébreu », ainsi qu’il fut à la demande de ses amis, les savants de dans la transcendance et l’immanence méridional et de la philosophie. appelé en latin (magister Leo Hebraeus) Perpignan desquels il a dû se séparer, divines le sens d’une vérité de la vie prit alors place parmi les classiques de et avec lesquels il veut poursuivre ses religieuse dont chaque facette détient une Tout à côté, au XIIIe siècle, le Comté l’astronomie : Pic de la Mirandole y échanges intellectuels : il les appelle : « les révélation, bien que Dieu n’apparaisse de Provence avait eu son troubadour, attacha de l’intérêt ainsi que Kepler. hommes respectables de la compagnie qu’à travers l’introspection humaine. Isaac Gorni, originaire du Luc, poète

26 27 COLLECTION LES JUIFS DES Les Études du CRIF TERRES D’OC ambulant vivant de la générosité plus des vestiges subsistent tant épigraphiques et de bâtiments communautaires dans - Un mahzor ou rituel hébraïque, élaboré ou moins tangible des dirigeants des (pierre tombale de Narbonne, VIIe siècle, l’hôtel de Bernis sont toujours en quête par les juifs de Montpellier réfugiés communautés visitées. Musée d’Art et d’Histoire de Narbonne, de résultats irréfutables. après 1394 dans le Comtat Venaissin, palais des archevêques), que lapidaires fut acheté aux enchères par la Mairie en Ainsi, en dépit des temps de crise, le (mikvé ou bain rituel du XIIe siècle à Plus inattendu dans Clermont- 2008 (Le Midi Libre avait pu titrer le 24 Moyen Âge connut des heures fécondes Montpellier, restauré et ouvert au public l’Hérault, au quartier de Rougas où les décembre 2008 : « Patrimoine. Le Mahzor pour la pensée juive, aussi bien dans le en 1985 lors du Millénaire de la ville). juifs avaient eu leur habitat médiéval, est de retour au bercail ! »). Ce précieux Nord de la France – avec Rashi de Troyes le souvenir local d’une « synagogue » manuscrit de 253 feuillets en parchemin, et ses successeurs, les tossafistes – que Les quartiers juifs, reflets d’une éventuelle dans une maison de belle de dialecte sefarado-provençal, a connu plus tard dans le Sud languedocien où époque, parties intégrantes de la ville au facture avec façade en pierres de taille, bien des tribulations (entré en possession des communautés attachées aux études Moyen Âge, ponctuent encore le paysage percée de grandes portes en ogives. Est de la communauté juive de Modène fin e traditionnelles, stimulées par la venue urbain des cités d’aujourd’hui. évoquée aussi pour cette petite localité, XVII siècle, acquis par différents exégètes de juifs andalous multi-linguistes, au la survivance d’un cimetière juif près de la Bible, contenant plus de 70 poèmes e Béziers, XII siècle, purent s’ouvrir aux sciences Signalons à la « rue de la de Lacoste, au lieu-dit Pioch Jesiaou liturgiques rares (piyyutim) chantés dans 7 profanes et à la philosophie grecque grâce juiverie » qui se profilait non loin de (« Puy des juifs »). Dans ce cimetière peu l’aire culturelle occitano-catalane) ; il aux traductions de l’arabe vers l’hébreu. la cathédrale Saint-Nazaire laquelle raconte la liturgie de la communauté assuré du point de vue documentaire, offre encore aujourd’hui au regard, sur juive de la « ville du Mont » et les derniers un archéologue du XIXe siècle aurait vu Plus tard, lors du dernier séjour sa façade, la représentation allégorique moments de son existence. Sur ce trésor des « cercueils en pierre de taille à demi autorisé en Languedoc français (1359- d’un judaïsme déchu : Synagoga, femme patrimonial aujourd’hui exposé dans enfouis, provenant de l’ancien cimetière 1394), des étudiants juifs venus d’Arles vaincue, pourvue des attributs de la une vitrine des Archives municipales de des juifs ». (Abraham et Salomon Avigdor, père et déchéance (couronne brisée, tables Montpellier, cf. le texte et les illustrations fils) ou de Perpignan (Léon Joseph de de la Loi ou phylactères tombés, yeux dans l’Argumentaire de la Brochure de Lodève conserve également sa « rue Carcassonne) cherchèrent à s’abreuver obturés par une bandeau aveuglant) face l’Institut Universitaire Maïmonide, année aux sciences de la Faculté de médecine à Ecclesia, l’Eglise, montrée comme une des juifs », faisant communiquer la 2011-2012, p. 7. de Montpellier et contribuèrent dans les femme triomphante et souveraine. Grand’Rue et la place de Lodève. années 1390 à l’essor culturel en mettant - Autre achat livresque récent, moins à la portée de leurs coreligionnaires Béziers où subsiste, on l’a vu, le plus Pour Pézenas qui attire de nombreux connu, d’un autre manuscrit précieux, les travaux de la Faculté et les œuvres ancien vestige daté d’une synagogue touristes, il conviendrait de dire que qui concerne la région : alerté par médicales d’Arnaud de Villeneuve ou de dans le Midi de la France (inscription ce qui fut longtemps improprement Paris en tant que directeur de l’Institut Gérard de Solo, traduites cette fois-ci du synagogale de 1214 pouvant être vue appelé ghetto (vocable anachronique Maïmonide, j’avais pu encourager cet latin vers l’hébreu. dans le cloître de la cathédrale Saint- pour le Moyen Âge, puisque le « ghetto » achat du Commentaire d’Alfasi sur le Nazaire). proprement dit date de la Renaissance) Talmud de Jonathan ben David ha- se situe sur l’emplacement médiéval de Cohen de Lunel, celui-là même qui avait Il est à citer aussi, pour Vauvert, la longue l’habitat juif. écrit à Maïmonide pour lui recommander Les vestiges médiévaux « rue de la juiverie » de la Posquières le jeune traducteur Samuel ibn Tibbon, médiévale qui avait abrité aux temps A Montpellier, des acquisitions récentes de la célèbre lignée, qui effectivement De ce judaïsme languedocien, outre une fastes du judaïsme languedocien une de manuscrits anciens ont enrichi acheva en 1204 à Lunel la traduction littérature hébraïque conservée dans les école rabbinique célèbre ; pour Lunel, considérablement le patrimoine juif du Guide, ce « brûlot » destiné à des grands fonds d’archives internationaux, de vraisemblables restes de synagogue, livresque local : happy few qui allait mettre le feu aux

7. Il convient de déplorer la volonté de certains édiles d’effacer la mémoire des rues, en les débaptisant, comme à Béziers justement, où l’ancienne « rue de la juiverie » s’est muée en « rue de la Petite Jérusalem » - ce qui avait conduit le 13 mars 2002 Libération à titrer : « Adieu, la rue de la juiverie » ! – sous prétexte que ces appellations auraient heurté les sensibilités contemporaines !

28 29 COLLECTION LES JUIFS DES Les Études du CRIF TERRES D’OC poudres dans les communautés juives des légendes accusatrices. Le contexte Le Mikvé de Montpellier languedociennes. méridional et une certaine quiétude furent favorables en Languedoc à des Le Languedoc fut vide de juifs dès 1306 ; Qu’il soit permis de renvoyer au bel transferts culturels, à la créativité et à il n’en subsiste pas moins le plus beau article de Paul Fenton sur cette lettre l’allégorie philosophiques. Il en résulta et le plus ancien témoignage dans une inédite de la Gueniza du Caire (cf. infra un rigorisme moindre, une aptitude cité d’importance d’un enracinement e Bibliographie). à l’ouverture et une propension au juif, oscillant, au XIII siècle, entre 600 rationalisme dont allaient hériter les à 1000 individus dont l’éventail des métiers se répartissait, comme ailleurs, La Mairie de Montpellier encore une communautés du Comté de Provence fois, consciente d’enrichir le patrimoine entre artisans, prêteurs, négociants et voisin qui eurent un siècle supplémentaire juif médiéval local, a donc acheté ce médecins. (le XVe siècle) de présence juive autorisée. Manuscrit, toujours engrangé aux Archives, et même consultable en ligne Restauré en 1985 lors du Millénaire Les temps épisodiques de crispations ne sur Internet sur le site des Archives. Il a de la ville et ouvert dès lors au public, été numérisé, tout comme le Mahzor. doivent nullement obérer les longues sis au cœur de la vieille ville, dans la périodes d’essor culturel, de coexistence partie aragonaise, entre les marchés et le L’histoire médiévale des juifs et des harmonieuse, de rapports de bon palais, le mikvé montpelliérain, avec son chrétiens a-t-elle été plus harmonieuse voisinage, de réelle estime entre les élites, escalier de belle facture qui descend en dans le Midi de la France qu’au Nord ? qui ont pu faire du Languedoc (comme sous-sol vers le bain, sa salle déshabilloir Sans doute. Une certaine aménité de plus tôt en Champagne) un brillant foyer pourvue de niches dans ses murs et ornée mœurs a prévalu, et il faut faire le d’une science qui s’est propagée au-delà d’une fenêtre géminée avec colonnette Mikvé médiéval (XIIe siècle) de Montpellier. constat de temps fatidiques plus tardifs, des propres cercles juifs vers les sphères médiane, l’eau limpide, couleur vert de Montade » qui se présente en face, dépourvus des méfaits des Croisades ou chrétiennes. d’eau de son bassin proprement dit, est lorsqu’on vient par la rue du Puits- devenu une référence typologique pour des-Esquilles. On y trouve des voûtes prouver ou démontrer ailleurs l’existence souterraines, qui répondent à un grand de bains similaires. puits, d’où l’on tiroit de l’eau pour servir à la purification des femmes On ne peut faire l’impasse sur le juives : tout-à-l’entour, elles avoient des témoignage du chanoine Charles cabinets pour se déshabiller ; et dans d’Aigrefeuille, tant la description qu’il les murailles de ces cabines, il y a des a faite, en 1737, du mikvé ou « piscine niches, où l’on mettoit de l’eau pour les des juzioles » est saisissante de réalisme, chaufer, & des lampes pour les éclairer ; et s’applique en tous points à l’édifice à côté, on trouve une plus grande voûte, restauré et remis en état deux siècles et où il y a quatre ouvertures au haut, demi plus tard : par où les femmes juives entendoient la prédication du rabin, de la même « Le plus ancien monument qu’ils nous manière qu’elles font encore dans la ayent laissé se voit dans la « Maison juiverie d’Avignon ».8

8. Charles d’Aigrefeuille, Histoire de la ville de Montpellier depuis ses origines jusqu’à notre temps, avec un abrégé historique..., Montpellier, Jean Martel, in fol., rééd. Montpellier, C. Coulet, 1877, réimpr. Marseille, Laffitte reprints, 1976, vol. 2, p. 349.

30 31 COLLECTION LES JUIFS DES Les Études du CRIF TERRES D’OC

La nouvelle histoire de médiéval que pour la période de la guerre. Montpellier, 2016

Aujourd’hui, la ville s’enorgueillit du mikvé CHAPITRE À L'ÉPOQUE MODERNE L’histoire des lieux de mémoire juifs réhabilité et ouvert aux visites par le biais médiévaux a considérablement progressé de l’Office du Tourisme. Lors des Journées 2 depuis trente ans, et motivé bien des du Patrimoine d’automne, il y a foule pour chercheurs, historiens et archéologues. On descendre dans le sous-sol de l’immeuble, et epuis 1394, le judaïsme n’est les racines aragonaises ! Laurent Catalan ne peut que se satisfaire de cette avancée des l’affluence du public est impressionnante plus licite dans le royaume de semble respecter la diététique juive : le recherches et des investigations. à chaque saison, deuxième en importance DFrance. porc en est absent, et toute la cuisine est après la visite de la crypte Notre-Dame des faite à l’huile ! Alors que dans la précédente Histoire de En Languedoc français, des « marranes », Tables (contemporaine du mikvé), sous Montpellier publiée en 1984, la place ces convertis de force professant un « La viande de cochon reste interdite chez l’actuelle place Jean Jaurès, seul vestige accordée à la présence médiévale des juifs christianisme apparent, extérieur, tout le marrane Catalan, logeur-apothicaire de subsistant de ce sanctuaire le plus célèbre de dans la ville a été ténue, l’édition de 2016 en pratiquant secrètement le judaïsme Félix, et kasher jusqu’au bout des ongles » la ville qui abrita au début du XVIIIe siècle impulsée par le nouveau maire Philippe ancestral, sont repérés. (E. Le Roy Ladurie). 9 Saurel, sous la direction de Christian la conversion d’une juive comtadine . Amalvi et Rémy Pech [cf. Bibliographie] Il a été donné de « pénétrer » dans les En 1553, naît un fils Catalan « qui a réservé un large pan sur « Les juifs », Il reste à formuler le vœu pieux que des milieux « marranes » montpelliérains sera circoncis en secret puis baptisé traité du reste sur la longue durée (époques fouilles ultérieures parviennent à localiser du début du XVIe siècle, grâce aux publiquement » ! médiévale, moderne et contemporaine). à sa juste place, rue de la Barralerie, écrits des demi-frères Platter (Félix la synagoga judeorum et la domus et Thomas) venus de Bâle (à trente « Laurent Catalan est du reste un Cette connaissance accrue est le résultat helemosine (« maison d’Aumône »), citées ans d’intervalle !) faire leurs études de personnage complexe : il fait circoncire ses tangible de tous les travaux et investissements dans un document notarié de 1277, et médecine à Montpellier. On doit à bébés de sexe masculin ; il incline volontiers de ces dernières décennies, qui se sont qu’une mention testamentaire de 1292 sur l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie10 vers la culture protestante, biblique et élargis et développés, tant autour du mikvé les balneis judeorum est venue renforcer. de connaître des détails précieux sur anticléricale de Félix. Il fait pourtant dire cette installation de marranes venus de des messes à la Vierge pour venir en aide à Catalogne à la fin du XVe siècle. son fils Gilbert Catalan [...] qu’il voudrait bien voir revenir, à force de pieuses prières, Félix Platter quitte Bâle, ville de 16 000 dans le bon chemin du travail. Triple habitants, pour la cité montpelliéraine œcuménisme, unissant les racines juives, de 12 500 âmes « où la robe, la basoche et les novations réformées, les traditions tout autant l’université (surtout médicale) catholiques. Assurance tous risques » ! tendent à occuper les premières places ». Son regard est celui d’un étudiant bâlois La famille Saporta dans les années 1550 qui doit prendre pension au centreville, chez la famille Hugues-Jean de Dianoux11 s’était penché Catalan qui y possède une pharmacie. sur la provenance aragonaise des Saporta de Montpellier (Saragosse ? Monzon ? Le nom « Catalan » évoque naturellement Lérida ? Huesca ?) qui appartenaient

9. Cf. infra Bibliographie. 10. Cf. infra Bibliographie. 11. Cf. infra Bibliographie.

32 33 COLLECTION LES JUIFS DES Les Études du CRIF TERRES D’OC bien à un réseau marrane. Le « rameau » chaleureuses recommandations émanant de Tant de détails parvenus jusqu’à nous : de Catalogne, d’où sont venus les marrans ; fixé en Languedoc et qui s’installera son logeur-apothicaire Laurent Catalan, le parler de Languedoc ne diffère pas également en Provence conserva cette lui aussi marrane avec des sympathies « On vivait petitement dans la maison de d’ailleurs notablement du catalan, nouvelle orthographe de Saporta.12 luthériennes. Une connexion ou filiation mon « Maître » [Laurent Catalan] ; la preuve du grand nombre de marrans venus marrano-protestante fonctionne sans cuisine se faisait à l’espagnole, sans compter s’établir dans ce pays. Antoine Saporta était étudiant en trop se dissimuler de Bâle à Montpellier : que les marrans s’abstiennent des mêmes médecine à Montpellier lorsque Rabelais n’oublions pas que les fils Catalan sont ou aliments que les Juifs [...]. C’est vers cette Et cependant nul marran ni descendant y fit deux séjours studieux en 1530-1532 seront pensionnaires chez les Platter, et époque que Saporta se maria avec Jeanne de marran ne peut devenir consul, ni puis en 1537-38. En 1539, il devenait que, second chaînon, Antoine Saporta est de Sos, une marrane comme lui. C’était conseiller de ville, bien qu’il y ait beaucoup régent puis doyen en 1556, et la même aussi l’ami de Catalan et, peut-on dire, son une personne d’une beauté angélique et de familles distinguées parmi eux. Ils sont année chancelier en remplacement de coreligionnaire » ! qui avait été d’une amabilité parfaite pour soupçonnés de conserver les cérémonies Guillaume Rondelet (le « Rondibilis » moi, au mariage d’Elisabeth, la fille de juives. Quelques-uns s’abstiennent en effet de Rabelais !). Il fut alors « médecin Antoine Saporta aurait fait par ailleurs Catalan ». de lard et observent le sabbat. Il y a des ordinaire » d’Antoine de Bourbon et de deux unions dans le milieu marrane, marrans dans l’une et l’autre religion ; ils Jeanne d’Albret, reine de Navarre, et se épousant d’abord Isabelle Labia, d’une Le passage des marranes au protestantisme sont toutefois plus nombreux dans le culte serait déclaré protestant dès 1560. Il avait a été bien relevé par Thomas Platter, le famille de Gérone, puis Jeanne de Sos. réformé ». su apaiser les tensions entre apothicaires demi-frère de Félix, venu à Montpellier Sur cette deuxième union, parvient et médecins. plus tard de 1593 à 1600. Il écrivit le témoignage de Félix : il raconte les La « marranité » des Saporta de dans ses Notes de voyage leur influence fiançailles de la fille aînée Catalan avec le Montpellier, sans doute encore bien Félix Platter l’eut comme « patron ». – linguistique – entre autres, dans la fils d’un marchand de Béziers, qui était connue dans cette ville à la fin du Citons Le Roy Ladurie : ville : aussi un « marran ». Le Bâlois raconte, XVIe siècle, dut s’estomper : en 1620, faisant revivre avec talent une époque et Pierre Saporta, « marchand », fils du « Le ‘piston’ marrane, ou plus exactement « Il y a dans ce pays énormément de familles judéo-catholique, voire judéo-protestant, toute une société qui vivait alors vers la descendant des Juifs ; elles sont venues de « marchand » Edouard Saporta, devint a joué un certain rôle en tout cela. place de la Préfecture, au cœur de ville : Mauritanie [sic], en traversant l’Espagne consul de Montpellier. Il était alors Le patron officiel de Félix, en termes et se sont établies dans les villes frontières protestant, comme tous ses proches universitaires, autrement dit son tuteur et « La cérémonie se fit dans la grande salle de la de Montpellier, Béziers, Narbonne, etc. parents. conseiller permanent, son ‘père’ intellectuel, maison où j’habitais. Les danses eurent lieu Quoiqu’elles aient adopté les habitudes de officiellement reconnu par les autorités dans une pièce très longue, où nous étions tous les autres chrétiens, on ne laisse pas de Puis la lignée des Saporta, marrane à locales, sera le docteur et doyen Antoine assis à une table si étroite que les genoux, les appeler encore du nom de maures [sic], l’origine, s’implanta en Provence, où elle Saporta, ami de Rabelais et petit-fils entre vis-à-vis, se touchaient presque. Il s’y ou marrans, au souvenir de leurs origines. connut l’anoblissement ! Signalons la d’un médecin juif émigré de Lérida [...]. trouva plusieurs demoiselles marranes, et en Toutefois, ce nom est regardé comme une rue Gaston de Saporta (Gaston, président Antoine Saporta, marrane par filiation, particulier Jeanne de Sos, fille du médecin injure et l’on s’expose à une forte amende en de l’Académie d’Aix-en-Provence, fut le par alliances familiales ou conjugales et Pierre de Sos, jeune personne d’une rare l’appliquant à quelqu’un. cinquième marquis, 1823-1895) qui se par amitiés diverses, a des sympathies amabilité, qui se montra si charmante avec tient dans le Vieil Aix, tout près de la protestantes. moi, à la danse et en conversation, que j’en [...] cathédrale Saint-Sauveur. perdis presque la tête. Elle épousa plus tard Félix, dès son arrivée à Montpellier, le docteur Saporta le vieux quand il eut Chose remarquable, les principales lois sont On pourrait évoquer aussi la famille bénéficie vis-à-vis des Saporta des perdu sa première épouse ». rédigées à l’Hôtel de Ville dans la langue Falco :

12. En Afrique du Nord, la dispersion des Saporta s’accompagnera d’une graphie différente : par glissement sémantique, pas moins de dix-neuf formes onomastiques : Saporta (Tunisie), Sasportas (Maroc et Tlemcen en 1492), Sasportes, Sportes, Sportis, Sportich, Sportouche, Chicheportiche (Algérie), Partouche (M’zab), etc.

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« Laurent 1er [Catalan] était un marrane. Montpellier où le nombre de juifs s’éleva barreau de Montpellier, et y fera toute sa que juif ». Il était apparenté à Jean Falco, professeur en 1808 à respectivement vingt et cent carrière. à l’Université de médecine, qui lui légua vingt-trois. Après une autre déconvenue en 1837, des livres et une propriété à Vendargues ». Il se lance dans la vie politique en tant il allait se retirer de la vie politique. Des personnalités s’y sont que libéral, en choisissant son lieu de En revanche son fils, Alfred-Gabriel Ce professeur et doyen dont la chaire particulièrement illustrées : Israël naissance, la quatrième circonscription Bédarride (né en 1830), devenu avocat fut déclarée vacante en 1542 était donc Bédarride, Joseph Salvador, Eugène électorale de Pézenas. Battu à l’issue du à son tour, sera élu maire de Villeveyrac un marrane. Un « Ferdinandus Falcon » Lisbonne. 3e tour (39 voix seulement lui ayant fait en 1860 et conseiller d’arrondissement avait été, avec six autres « judaïsants » ou défaut), la Revue hebdomadaire présenta du troisième canton de Montpellier en supposés tels qui avaient fui la localité de ainsi ce candidat : 1861 et le restera jusqu’en 1867. Barbastre en Aragon, l’objet d’un procès Israël Bédarride de la part de l’Inquisition en 1490-1493. « Jeune avocat de Montpellier exerçant avec Israël Bédarride, premier avocat d’origine (1798-1869) succès sa profession [...] quoique de race et juive au barreau de Montpellier, va Mort en 1540, Jean Falco, ce judéo- de religion israélites » ! s’adonner désormais pleinement à ses catholique, fut l’auteur d’un ouvrage Bien qu’homme politique malchanceux, activités professionnelles. Ses qualités demeuré inédit quelque temps post on ne peut passer sous silence la figure D’après cette publication, l’aspect de juriste seront consacrées lorsque, mortem, et traitant de médecine comme de ce brillant avocat, juriste ayant fait religieux ne devrait pas intervenir lors le 26 novembre 1839, il sera élu pour de chirurgie. œuvre d’historien, ardent défenseur de la des élections : la première fois bâtonnier de l’ordre tolérance entre les religions. Personnage des avocats au barreau de Montpellier. attachant qui œuvra pour l’égalité des « C’est un progrès philosophique bien Membre de l’Académie de Montpellier, droits entre tous les citoyens de sa ville : notable, un grand effort de raison que ème ème ce savant fut le chef incontesté de la Aux XIX – XX siècles Pézenas. de ne pas mêler la religion à toutes les communauté juive montpelliéraine. à Montpellier : affaires. Une Chambre des députés n’est Israël Bédarride y est né le 15 novembre pas un concile. Quel est d’ailleurs ce Répondant à un concours de l’Institut, il A Montpellier, bien avant la Révolution 1798, et comme les Bédarride d’Aix-en- chrétien éclairé qui ne serait pas pénétré de française, une diaspora de juifs Provence, suivant l’usage dans le milieu vénération pour cette nation juive, la plus rédigea en 1823 (à l’âge de vingt-cinq ans) avignonnais et comtadins s’installe des juifs comtadins, sa famille a conservé ancienne de toutes celles qui sont en Europe, un mémoire sur la condition des juifs au dans les régions voisines du royaume de le nom de Bédarrides, petite ville du la plus persévérante dans ses doctrines et sa Moyen Âge, paru en 1859 à Paris, suivi France, et leur installation a pu se faire Vaucluse. A Pézenas, ils portent tous le nationalité ? » de deux autres éditions en 1861 et 1867, avec facilité dans le Languedoc. C’est nom de Bédarride. sous le titre : Les Juifs en France, en Italie et grâce à la liberté de commerce proclamée Israël Bédarride a pu écrire : en Espagne. Recherches sur leur état depuis pour les foires où tous les marchands – Inscrit comme stagiaire au barreau de Paris leur dispersion jusqu’à nos jours sous le même les étrangers – étaient admis, que à vingt et un ans, il fréquente les esprits « Quelques-uns, parmi lesquels je me suis rapport de la législation, de la littérature et les juifs, marchands d’animaux de trait, éclairés de son temps, le chansonnier trouvé moi-même, ont rencontré dans le du commerce. Cet ouvrage historique fut négociants d’étoffes, ou fripiers, ont fini Béranger, Benjamin Constant, et surtout préjugé religieux une barrière qu’il ne leur loué par le professeur Grasset, président par obtenir des dérogations et s’installer son ami Adolphe Isaac Crémieux, son a pas été donné de franchir. On a pu voir du tribunal civil de Montpellier, qui dans certaines localités, avant même aîné de deux ans, comme lui méridional, à cette occasion, au scrutin de ballottage, félicita l’auteur « d’instruire devant le leur émancipation. Ce fut notamment de famille comtadine établie à Nîmes. des bulletins nommant un candidat parce tribunal de l’opinion publique, le grand le cas pour les foires de Pézenas ou de Dès 1824, il demande son inscription au qu’il n’était pas juif, excluant l’autre parce procès de réhabilitation du peuple juif ».

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Il rédigea également une étude sur Le œuvres et ses critiques), rapporte que la presse d’une persécution antijuive cimetière protestant dans le caveau de Guide des égarés de Maïmonide (1867), et la sœur de Joseph a épousé un juif, perpétrée dans un village allemand, va son frère situé au Vigan, près de sa ville un ouvrage posthume édité par son fils : tandis que le frère Benjamin, receveur provoquer en lui un puissant réflexe natale montpelliéraine. Du prosélytisme et de la liberté religieuse, des finances au Vigan, s’est marié dans identitaire, le propulsant « comme à ou le judaïsme au milieu des cultes chrétiens une famille protestante des Cévennes. son insu, à trois mille et quatre mille Intellectuel d’élite, défenseur du dans l’état actuel de la civilisation (1875). Autant dire que Joseph a baigné dans ans d’aujourd’hui, à travers le camp des judaïsme, éminent représentant du un milieu multiconfessionnel ouvert, Hébreux, au pied du mont Sinaï et dans la protosionisme, il a témoigné et exprimé Israël Bédarride combattit, certes, pour libéral et tolérant, attaché à l’éducation, Jérusalem des Prophètes ». sa foi dans la pérennité du peuple les droits des juifs, toutefois son combat viscéralement reconnaissant à la France juif. James Darmesteter, son « héritier concerna aussi l’égalité de toutes les émancipatrice, et épris de la philosophie Refusant toute activité qui pourrait posthume », philosophe brillant de la confessions, la liberté de conscience des Lumières. l’éloigner de ce combat, Joseph Salvador fin du siècle et professeur de persan et les droits de chaque individu voua dès lors ses forces vives à redonner au Collège de France, s’est réclamé indépendamment de son appartenance Au début du XIXe siècle, la communauté de « l’honneur au judaïsme » qui fut ouvertement de l’héritage de Joseph religieuse. « Ça se plaide ! » répétait- juive montpelliéraine ne compte guère si longtemps dénigré par la tradition Salvador qu’il n’hésitera pas à qualifier il à ceux qui proclamaient avoir trouvé qu’une centaine de membres, qui chrétienne. Installé à Versailles, il y de « Renan juif » et de « précurseur des la solution définitive. Il fut un avocat entretiennent des rapports harmonieux rédigera l’ensemble de son œuvre. sciences religieuses de France ». redouté et redoutable à la barre, avec catholiques et protestants. Au lycée comme l’a souligné son disciple Eugène de Montpellier que fréquente alors Son premier ouvrage, Loi de Moïse ou Lisbonne. Auguste Comte, Joseph est un brillant Système religieux et politique des Hébreux, élève qui excelle en poésie ; entré à l’école publié en 1822, situe Moïse et la Loi, Eugène Lisbonne Il repose auprès de son épouse, née de médecine de la Faculté de Montpellier, le monothéisme et le rationalisme, au (1818-1897) Avigdor, et de son fils Alfred-Gabriel, il obtient son doctorat à l’âge de vingt centre de l’enseignement légué par dans un petit cimetière, récemment ans, et va à Paris poursuivre des études Moïse à l’ensemble de l’humanité, le Né dans la Drôme le 2 août 1818, lui aussi restauré par les membres de l’association diverses pour se consacrer à terme à christianisme marquant une étape dans le fut avocat au barreau de Montpellier. Les Amis de Pézenas. l’exégèse biblique. développement du concept monothéiste. Professant à la différence d’Israël Auteur de Paris, Rome et Jérusalem Il publiera ensuite (1838) : Jésus-Christ Bédarride des opinions républicaines, (1860), il revendique haut et fort son et sa doctrine, histoire de la naissance de il eut à souffrir du coup d’Etat du 2 Joseph Salvador appartenance juive. Il trouvait dans son l’Eglise, de son organisation et de ses progrès décembre 1851. Arrêté le lendemain (1786-1873) « métissage » une raison d’approfondir pendant le 1er siècle. Plus tard, ses derniers avec d’autres démocrates dans la salle du les questions religieuses : ouvrages (dont Paris, Rome et Jérusalem) Manège, situé dans l’Enclos Boussairolles, Joseph Salvador naît à Montpellier en placeront le christianisme dans l’héritage il fut quelque temps assigné à résidence à 1796, d’un père juif médecin, Ayen « Quelques germes, provenant de religions historique et spirituel direct du judaïsme Luçon, en Vendée. Salvador, de souche ibérique, et d’une différentes, ou plutôt présentant des branches – une manière implicite de démontrer mère catholique pratiquante. différentes du même tronc religieux, se qu’il n’y avait plus lieu de vouloir sa Devenu l’un des chefs du parti républicain trouvaient comme réunis et confondus dans disparition. de l’Hérault, il deviendra tour à tour Le neveu, Gabriel Salvador, dans la mes veines, dans mon sein ». préfet de l’Hérault, (4 septembre 1870 biographie qu’il a établie sur son oncle J. Salvador est mort en 1873 à Versailles - 23 avril 1871), conseiller général en 1881 (Joseph Salvador. Sa vie, ses Un événement extérieur, la relation dans et, à sa requête, il fut enterré dans un du 2e canton de Montpellier (octobre

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1871), député de la 2e circonscription de Présence au Congrès Buchmil en devint vite un responsable, 1902 au 12, rue Bonnard est connu grâce Montpellier (le 20 février 1876), enfin de Bâle (1897) de quatre exposant une propagande soutenue à une lettre de l’Association qui présente sénateur (élu le 5 janvier 1888). délégués montpelliérains parmi les étudiants et professeurs des ses condoléances à Theodor Herzl pour diverses facultés de Montpellier en faveur la disparition de son père ! Il entretint d’excellentes relations avec La photographie officielle du premier de l’idée nationale juive. l’évêque du diocèse, Mgr François Le Congrès sioniste de Bâle (29 août Courtier, et ce dernier y fit allusion 1897) réunit cent soixante-deux Tout en poursuivant ses études à personnalités autour de la figure centrale Montpellier (il obtint son titre de A Nîmes dans sa correspondance par rapport aux ème ème relations parfois tendues avec le maire de Theodor Herzl : sur un total de docteur en droit en 1903), il participa (XIX – début XX siècle) protestant Pagézy : onze délégués français représentés, activement aux autres Congrès sionistes, quatre Montpelliérains s’y trouvent : il se rendit à Jaffa en 1906. Il s’installera en Comment ne pas évoquer deux « Il est plus facile de s’entendre avec des s’agit (de gauche à droite, numéro 5 au Palestine en 1923, et publiera à Jérusalem personnalités bien connues de Nîmes ? ascendants qu’avec des collatéraux ! ». numéro 8) de Joshua Buchmil, Joseph son « livre testament » : Problèmes de la Rappelons à grands traits leurs parcours Mirkin, Boris Katzmann et du docteur renaissance juive. Actualités et perspectives. respectifs. Le lendemain de sa mort, le 7 février Eugène Valensin, tous étudiants ou ayant 1891, le journal Le Petit Républicain lui étudié à Montpellier, les trois premiers Quant aux autres délégués originaires de la Russie tsariste, le dernier montpelliérains, Joseph Mirkin né le rendait un vibrant hommage, résumant de l’Algérie. De tous les quatre, Joshua 13 avril 1874 à Krementchoug (Russie), Adolphe-Isaac Crémieux son activité politique (en voir l’extrait Buchmil allait jouer un rôle éminent venu à Montpellier étudier l’agronomie, (Nîmes 1796 - Paris 1880), p. 115-116 dans mon ouvrage précité, dans le sionisme politique fondé par adhérant aussi au cercle Atidot ; ministre de la justice en note 1). Theodor Herzl (1860-1904). Boris Katzman (1872-1034), russe aussi, 1848 et en 1870 étudiant en agronomie. Etudiant brillant, Ses obsèques furent religieuses, en Joshua Buchmil écrit dans ses mémoires il allait s’établir en Palestine après la Fils de David Crémieux, marchand présence du rabbin de Nîmes, et une que ce sont les années d’études à Première Guerre mondiale et y contribuer de soieries, et de Rachel Carcassonne, foule nombreuse, personnalités, membres Montpellier, au milieu de vives ainsi au développement de l’agriculture. Isaac Moïse dit Adolphe Crémieux fait de la communauté et simples citoyens, polémiques entre les étudiants venus son droit à Aix-en-Provence. En 1817, suivait le convoi funéraire le 8 février de nombreux pays d’Europe, partagés Originaire d’Algérie, Eugène Valensin, il se heurta à la question du serment 1894 à 15 heures, dont l’itinéraire publié entre les courants assimilationnistes et... docteur de la faculté de médecine de more judaico qui devait se maintenir en dans la presse prenait les grandes artères palestinofiles (c’est ainsi que l’on appelait Montpellier, fut actif dans les réunions France, jusqu’aux décrets de l’Assemblée de la ville : boulevard du Peyrou, rue alors les sionistes !) qui renforcèrent des étudiants palestinofiles. Installé nationale (28 janvier 1790 ; 27 septembre Nationale, place de la Préfecture, rue de la en lui la nécessité du combat pour la ensuite à Constantine, il fut désigné 1791) octroyant aux juifs l’égalité civile Loge, place de la Comédie, boulevard de résurrection d’un Etat juif. par le quatrième Congrès sioniste de et politique. l’Esplanade et faubourg de Nîmes. Londres (1900) comme délégué du Dès son arrivée à Montpellier, Buchmil Comité d’Action sioniste pour toute Les tribunaux de l’Est continuant à Trois ans plus tard, dans la séance du devint membre de la société palestinofile l’Afrique du Nord. infliger ce serment infâmant, il faudra 7 mars 1897, le conseil municipal de Atidot Israel (« L’avenir d’Israël »), fondée attendre 1846, après d’autres pétitions Montpellier donna le nom d’Eugène quelques années plus tôt par les étudiants Le cercle « Avenir d’Israël » devint (Consistoire central, alsacien, Grands Lisbonne à une rue de la ville, ancienne juifs de Russie, et dirigée alors par Haïm l’Association des étudiants sionistes de rabbins) pour que la Cour de cassation rue Dauphine, où il résida. Margolis Katvarisly (1868-1947). Montpellier dont le siège social, situé en l’abolisse. Pour Crémieux, cette étape

40 41 COLLECTION LES JUIFS DES Les Études du CRIF TERRES D’OC marqua la complète émancipation des Bernard Lazare (Nîmes radicale s’explique par les méfaits de Bernis, au numéro 2, une plaque gravée juifs en France. 1865 – 1903) l’antisémitisme, la découverte des masses témoigne à Nîmes de l’histoire du gueuses de l’Europe de l’Est, et sa foi premier défenseur du capitaine Dreyfus. Avec l’affaire de Damas (accusation de Né le 14 juin 1865 dans une famille anarchiste. Lazare rompit avec Herzl C’est dans cette maisonnée qu’a grandi du Midi, Lazare Bernard, fils de Jonas (divergences entre fortes personnalités). Bernard Lazare. meurtre rituel, 1840), son action en faveur Bernard, « marchand tailleur », et de Commença alors la deuxième étape d’un des Mortara (baptême et rapt d’enfant Noémie Rouget, prit son nom de plume destin scellé par des voyages à travers En abordant le jardin de la Fontaine juif, Bologne, 1858), le fameux « Décret en 1888 : Bernard Lazare. les communautés juives d’Europe de de Nîmes par la porte Est, juste après Crémieux » à son nom (octobre 1870) l’Est ; par le rejet de l’antisémitisme ; par un bâtiment sanitaire, se trouve sur la conférant la qualité de citoyens français Athée, pétri de culture classique, aspirant l’amitié avec Charles Péguy, dreyfusard droite un rocher et, à demi cachée par aux juifs d’Algérie, le relèvement des à « monter » à Paris pour percer dans de la première heure, et sa collaboration la végétation, une plaque commémorait les Lettres, il participe, grâce à son aux Cahiers de la Quinzaine dont il avait l’emplacement de l’ancienne stèle de communautés juives orientales par le biais cousin Ephraïm Michaël, aux Mardis été l’inspirateur. Bernard lazare. En juillet 1939, une de l’Alliance Israélite Universelle dont il de Mallarmé. Rétif aux problèmes main inconnue cassa à coups de marteau fut le président, l’émancipation des juifs juifs, fustigeant l’immigration des juifs L’été 1990, l’opinion publique fut le nez de Bernard Lazare pour l’offrir à des Balkans (en Serbie-Bulgarie ; pas en d’Europe de l’Est, il fait paraître en 1894 sensible à l’exode des juifs roumains Charles Maurras... comme presse-papier. Roumanie) parmi d’autres engagements, L’Antisémitisme, son histoire et ses causes, (fusgueir ou « émigrants à pied »). Les juifs Depuis lors, la statue profanée est connue Crémieux sera projeté sur le plan conçu ainsi : « ni une apologie, ni une misérables errant dans les gares et ports à Nîmes sous le nom de « desnasa ». diatribe, mais une étude impartiale ». des pays voisins inquiétaient les autorités Ces mutilations se répéteront. Elle international et deviendra le défenseur des turques, serbes, bulgares et hongroises. sera dynamitée ou démontée pendant juifs persécutés de par le monde. L’affaire Dreyfus le transformera ; jadis B. Lazare publia « L’émigration juive de l’occupation allemande. juif assimilé, la conscience aiguë de Roumanie » (L’Aurore, 9 août 1900), et Son action en faveur de l’émancipation son judaïsme l’habitera désormais. Il « L’oppression des juifs dans l’Europe des Noirs est peu connue (on sait le se jeta dans « l’Affaire », prêt à briser orientale. Les juifs en Roumanie » dans rôle de V. Schœlcher) ; il la rappelle en les résistances du côté des partisans de Les Cahiers de la Quinzaine, 1902. Dans A Montpellier durant la seconde guerre mondiale 1866 à Bucarest devant le gouvernement Drumont (avec lequel... il se battit en cette tribune en 1903, il prendra la défense duel !), mais aussi auprès de juifs optant des juifs algériens face à l’antisémitisme. roumain soulignant qu’un juif français, pour la réserve. Sa brochure Une erreur Jusqu’au bout, il défendra les Arméniens. Qu’il soit permis de citer mes deux membre du parlement provisoire, a judiciaire. La Vérité sur l’Affaire Dreyfus ouvrages13 consacrés à ce thème : contribué à abolir l’esclavage des Noirs (1896) devance de trois ans le J’accuse de Rongé par un mal incurable, démuni, il Spoliations, déportations, résistance des dans les colonies françaises. Zola. Participant au Deuxième Congrès allait s’éteindre le 1er novembre 1903 à l’âge Juifs à Montpellier et dans l’Hérault sioniste de Bâle (1898), il rencontre de trente-huit ans, avant d’avoir achevé Le (1940-1944) paru en 2000, et Vichy et les A Nîmes, un Cercle Adolphe-Isaac Theodor Herzl, le journaliste viennois Fumier de Job. Des témoignages dédiés à sa Juifs. L’exemple de l’Hérault (1941-1944) Crémieux a perduré pendant de longues qui, après avoir vu la dégradation de mémoire, le plus admirable reste celui de publié en 2007. Dreyfus, écrivit L’Etat des Juifs (1896), Charles Péguy : un tiers de Notre Jeunesse années, sous la houlette du regretté bible du futur Etat d’Israël. (1910) est consacré à son cher Lazare, « cet Les premiers réfugiés furent accueillis Jacques Lévy (1929-2010), homme athée ruisselant de la parole de Dieu ». à Montpellier à la salle Tinel, devenue de culture et concepteur des très prisés De l’universalisme socialiste au après guerre gare routière et aujourd’hui Automnes musicaux de Nîmes. particularisme nationaliste, sa mutation Rue de Bernis, en face de l’hôtel de banque de la Hénin. Parmi ces réfugiés, il

13. Cf. références complètes infra en Bibliographie.

42 43 COLLECTION LES JUIFS DES Les Études du CRIF TERRES D’OC faut distinguer les Français des étrangers juifs), j’ai choisi de retenir les profils de Bloch, Cohen, Goldschmidt, Wormser collaboration avec l’OSE (Organisation de dont le sort, pour une grande partie, trois hommes valeureux de cette époque et Elie Cohen, d’origine salonicienne, se secours aux enfants). devait être dramatique. sombre : firent connaître par leur générosité. Selon le témoignage du rabbin Schilli, En été 1940, c’est l’arrivée massive de L’homme de foi Henri Schilli, rabbin ; Au départ, pas de différence de traitement 1300 juifs (dont 500 femmes et 300 réfugiés de Belgique, de Hollande, du l’historien Marc Bloch ; l’homme de de la part des autorités dans l’accueil des enfants parmi lesquels 80 de moins Luxembourg et surtout de Pologne, science Georges Charpak ; et l’homme de réfugiés juifs français ou étrangers. Mais de deux ans) étaient dénombrés le 25 mais aussi d’Alsace-Lorraine et de Paris. devoir Camille Ernst, secrétaire général survint la promulgation d’une législation novembre 1940. Les hommes étaient Si l’on en croit divers témoignages, les de la Préfecture de l’Hérault. oppressive autorisant l’internement des « logés » dans quatre baraques, et les réfugiés n’ont pas toujours été accueillis juifs étrangers sur une large échelle. femmes dans cinq baraques. Le rapport « les bras ouverts » ; néanmoins, un élan – sinistre – qu’il en fit rejoint celui, de solidarité et de soutien se produisit Vu l’étroitesse du local synagogal et aussi sombre, du préfet de l’Hérault du spontanément à l’égard de ceux qui le Le rabbin Henri Schilli l’affluence des fidèles, le rabbin Schilli 2 décembre 1940 (« profonde impression plus souvent manquaient de tout. (1906-1975) instaura trois offices successifs le samedi de misère... les internés dorment à même matin ; de même encouragea-t-il le sol... les toitures sont percées... pas de Parmi toutes les personnalités juives sur Pour la première fois depuis le Moyen Âge, l’ouverture d’une boucherie casher tenue couvertures... », etc.). lesquelles je me suis penché, que l’on un rabbin officie à Montpellier. Intégré par la famille Wertheimer. Il rassemblait retrouvera aisément dans ma petite synthèse au Corps de la santé de la deuxième dans son foyer la jeunesse juive réfugiée, L’activité du rabbin Schilli resta liée à la publiée au Cerf en 2014 (dont César Uziel, armée, il est mobilisé à Montpellier où prodiguant tous les samedis après-midi ville de Montpellier. Homme de foi, d’un président de la communauté, 1892-1983, son épouse et ses enfants le rejoignent le des cours de Bible et de Talmud. Une rayonnement spirituel considérable, il a été Diane Popowski enfant cachée sortie 20 juillet 1940. Il allait habiter rue du Haggada fut imprimée et diffusée par ses aussi présent auprès de divers organismes du camp d’Agde ; Nelly et Mina Seiler, Jeu-de-Mail dans le quartier des Aubes, soins dans les camps d’internement. d’entraide, initiant des mouvements de fillettes belges cachées à Montpellier ; le et y restera jusqu’en juin 1943, lorsqu’il jeunesse, insufflant l’espérance à une docteur Paul ou Saul Axelrud originaire partira pour Valence. Apprenant qu’au camp de Rivesaltes communauté « à dominante alsacienne » de Roumanie, 1912-1979 ; le professeur utilisé pour les réfugiés espagnols, étaient (lui-même étant natif d’Offenbourg). André Lévy, engagé dans la Résistance, C’est lui qui organisa la vie religieuse rassemblés aussi des juifs allemands et Mulhouse 1023 – Montpellier 1997 ; d’une collectivité très agrandie et autrichiens, il se fit donner un ordre de Rabbin au départ à Paris en 1931, et Nicole Kahn née Wertheimer ; Eva au sein de laquelle les « Alsaciens » mission pour s’y rendre. Premier rabbin après la charge de la communauté juive Horovitz, étudiante en médecine d’origine constituaient « une communauté dans à visiter un tel camp, il put y constater de Montpellier (1940-43), Henri Schilli roumaine ; Robert Krzepicki, d’origine la communauté ». En effet, l’été 1940 les conditions d’hygiène désastreuses. fut aumônier des camps (1943-44), des polonaise ; les professeurs Lisbonne et vit l’arrivée massive de juifs français Dès lors le grand rabbin de France, Isaïe Eclaireurs israélites de France (1932-50), Elie Guenoun), et les quelques figures originaire surtout d’Alsace-Lorraine et de Schwaez, nomma le grand rabbin René puis directeur du Séminaire israélite de exemplaires non juives (Raymonde la région parisienne, et de juifs étrangers Hirshler aumônier des camps, et le rabbin France (1950-75). Demangel, dite « la châtelaine d’Assas ; de diverses nationalités. La communauté Schilli eut la charge de ceux de la région Lucie et Georges Pascal ; Pierre Jourda de la de Montpellier (mais aussi bien celles de de Montpellier : Rivesaltes, Mende (camp Très récemment la Ville de Montpellier, Faculté des lettres, le doyen Giraud 1888- Béziers et de Sète) se mobilisa aussitôt, au de femmes), Argelès, Barcares, Brens, avec son maire Philippe Saurel, ont honoré 1975 et le professeur Antonin Balmès prix de gros efforts, pour venir en aide à Récébédou, et surtout Agde, camp de sa mémoire en nommant une place sise 1904-1986 de la Faculté de Médecine (ces des coreligionnaires démunis. Les notables transit14 avec regroupement de familles près de la Mairie : « Place du Rabbin Henri trois derniers ayant protégé leurs étudiants juifs montpelliérains, Uziel le président, entières dont il sauvera les enfants en Schilli ».

14. Cf. mon ouvrage précité Spoliations, déportations, résistance..., op.cit., où tout un chapitre : « Accueil et internement des juifs étrangers : le camp d’Agde. Rafles et déportations » développe le triste dossier du camp d’Agde. Un résumé en est donné dans ma synthèse Les Juifs de Montpellier et des terres d’Oc..., op. cit, Ed. du Cerf, 2014, p. 136-137.

44 45 COLLECTION LES JUIFS DES Les Études du CRIF TERRES D’OC

Marc Bloch (Lyon 1886 – « [...] J’affirme donc s’il le faut face à la Georges Charpak, le futur équiper des clandestins en cartes d’identité Lyon 1944) Prix Nobel de physique mort, que je suis né juif ; [...] Dans un et cartes d’alimentation, trouver des monde assailli par la plus atroce barbarie, « planques » pour les groupes armés qui venaient à Montpellier pour assurer une Ce médiéviste probe, rigoureux, subit la généreuse tradition des prophètes hébreux, Parmi les nombreux juifs d’origine les affres de l’antisémitisme, ce « poison étrangère qui ont trouvé refuge dans mission, comme celle de faire sauter une que le christianisme en ce qu’il eut de plus subtil, contagieux, polyfiltrant ». Frappé l’Hérault et qui ont eu une activité voie ferrée ». par les lois de Vichy, lui, si Français pur, reprit pour l’élargir, ne demeure-t-elle résistante soutenue, il convient de citer le (décorations de 1914 et mobilisation pas une de nos meilleures raisons de vivre, nom de Georges Charpak. Sous un nom Le jeune Charpak, qui avait quitté volontaire en 1939), fut exclu de la de croire et de lutter ? ». d’emprunt – Georges Charpentier – il la Pologne avec sa famille dix ans fonction publique en octobre 1940, fut élève au lycée de Montpellier avant auparavant, passa un mois à la maison puis « relevé de déchéance pour services A Montpellier, Bloch participe à la d’être déporté à Dachau ; citons quelques d’arrêt de Montpellier avant de rejoindre exceptionnels rendus à la France ». création du mouvement Combat en zone passages de son témoignage : la centrale d’Eysses, puis Dachau (sa Sud que rejoignent Pierre-Henri Teitgen, mère fut également arrêtée et internée Détaché le 15 juillet 1941 à la faculté des « J’avais quitté Paris à la veille de la au camp de Brens). C’est dans la capitale Jean-Rémy Palanque, et il retrouve son lettres de Montpellier, suite au repli de grande rafle du Vel’ d’Hiv, organisée par de l’Hérault qu’il devait poursuivre ses l’Université de Strasbourg, il s’installe avec collègue de Strasbourg, le germaniste l’honorable M. Bousquet et les siens, averti études après son retour de déportation les siens place de la Canourgue, au 5, rue antinazi Edmond Vermeil de Congénies, la veille par un camarade de classe dont en 1945, études combien brillantes pour Sainte-Croix. L’accueil lui fut épouvantable révoqué en 1942. Ils se réunissent dès le père était agent de police. Je me suis ce futur prix Nobel de Physique (1992) ! (le doyen Fliche, dont une rue à Montpellier 1941 dans le Cercle d’études de Montpellier réfugié avec ma famille à Nîmes, chez un porte le nom... « était maréchaliste et occupé au renouveau de la France. cousin qui nous abrita. Je me souviens qu’il antisémite »). Malgré cette humiliation, s’était doté d’un fort accent méridional qui Camille Ernst, secrétaire Marc Bloch resta à Montpellier, entrant en Son rôle de patron des Mouvements masquait son fort accent étranger. Mais résistance, sous les pseudonymes successifs Nîmes n’avait pas de lycée au niveau de général de la préfecture de Unis de Résistance de Lyon le perdra : le de « Fougères », « Benjamin » – son deuxième mes ambitions et je dus aller à la ville l’Hérault 16 juin 1944, parmi trente prisonniers prénom, « Arpajon », « Chevreuse », proche de Montpellier. Je m’y installai avec « Narbonne » enfin. du fort de Montluc, il sera fusillé dans ma mère, tandis que mon père s’embaucha Henri Schilli a rapporté comment ce une prairie, près de Saint-Didier-de- comme bûcheron dans une lointaine fonctionnaire avertissait régulièrement Une autre épreuve l’attend : la spoliation Formans. campagne et que mon jeune frère fut placé les juifs lorsque des arrestations étaient – ou le vol – de sa bibliothèque. Ses en Lozère. Je ne cherchai pas à m’intégrer prévues à Montpellier et dans sa région. candidatures au Collège de France « La dernière image, assez floue, que je dans la ville. Aucun de mes camarades de Même écho chez Charles Erlich, se heurtant à un mur, il a pu écrire : conserve de mon père – écrit son fils Etienne classe, même parmi les plus proches, ne fut président du Consistoire du Bas-Rhin, « Les coups qui m’auront atteint le plus – est celle d’un monsieur emmitouflé dans mis au courant de ma situation d’étranger qui a envoyé une lettre à Yad Vashem le profondément sont des balles non pas camouflé [...] Ceux qui me contactèrent 11 juin 1971 d’où nous extrayons : son pardessus, sur le quai de la gare de allemandes mais françaises [...] ». étaient liés à des organisations de jeunesse Montpellier un jour de décembre 1942 ». animées par des communistes, ou à « En 1940, je me suis réfugié avec ma famille Dans sa lettre « Testament » (mars 1941), l’organisation militaire qui leur était liée, à Béziers, chef-lieu d’un arrondissement de s’il refusait en non-croyant que « fussent Sur le monument aux morts de l’Université les ETP. Les effectifs étaient squelettiques et l’Hérault, dont monsieur Camille Ernst récitées les prières hébraïques » sur sa Paul Valéry de Montpellier, son nom figure, j’eus à assurer des tâches diverses : recevoir était Secrétaire général de la Préfecture, tombe, en revanche il disait : qui rappelle ce meurtre odieux. et distribuer des journaux clandestins, et, à ce titre, chargé de la direction de la

46 47 COLLECTION LES JUIFS DES Les Études du CRIF TERRES D’OC police [...] Lorsqu’en 1940, les premières Camille Ernst fut déplacé à Marseille mesures d’internement avaient été mises en où il poursuivit ses activités dans la vigueur à l’encontre de nos coreligionnaires Résistance : livré à Vichy aux autorités CONCLUSION étrangers, Monsieur Camille Ernst, en occupantes, il fut déporté à Dachau. présence de Monsieur le rabbin Schilli, Survivant à l’enfer concentrationnaire, nous a déclaré que s’il pouvait, sur notre il rentra en France en 1945, fut nommé déclaration, affirmer vis-à-vis de son préfet et devint plus tard directeur du a civilisation de langue d’Oc fut écoles de Lunel, de Posquières ; le Administration que les personnes visées département politique du ministère de très brillante au Moyen Age et les rayonnement de Montpellier s’étendait n’étaient pas à la charge du département, l’Intérieur. L juifs y jouèrent un rôle actif. sur tout l’espace occitano-catalan, et il serait prêt à ne pas donner suite aux bien au-delà. instructions qui lui étaient prescrites. En Sur la base du témoignage de Charles Le grand historien Jules Michelet 1942, Monsieur Camille Ernst nous a Erlich, ajouté à ceux d’autres personnes n’avait-il pas écrit dans son Tableau de On a voulu insister sur les contacts prévenus par avance chaque fois que des sauvées grâce à ses interventions, Camille la France : réels et féconds qui ont pu s’établir arrestations à l’encontre des juifs étrangers Ernst fut nommé par Yad Vashem, le parfois entre savants juifs et chrétiens, étaient décidées [...]. De ce fait, il s’est avéré 10 novembre 1971, « Juste parmi les « C’est une autre Judée. Il ne tenait qu’aux dans un dialogue recherché autour des que dans le département de l’Hérault, il y Nations ». rabbins des écoles juives de Narbonne de sciences médicales, mathématiques avait le plus petit pourcentage d’arrestations se croire dans leur pays » ? ou astrologiques. Des interférences de juifs par rapport aux autres départements La Ville de Montpellier et la préfecture ont existé par ailleurs entre les deux de la zone non occupée [...] Monsieur de l’Hérault ont récemment honoré sa Dans les sources et chroniques sociétés, majoritaire et minoritaire, et Camille Ernst a été sommé de se justifier mémoire, en dénommant un Square hébraïques, le judaïsme languedocien a on est en droit de s’interroger sur la vis-à-vis du gouvernement de Vichy pour Camille-Ernst pour la première, en toujours été représenté comme un des concomitance chronologique de deux son inefficacité sur le plan de la persécution attribuant son nom à la Cour de la foyers les plus florissants de l’histoire mouvements mystiques surgis en terre antisémite ». Préfecture de l’Hérault pour la seconde. juive. d’Oc, ceux kabbalistiques réagissant au succès de la pensée philosophique, et Les terres d’Oc connaissaient un essor ceux dualistes cathares nés sur le même remarquable des études rabbiniques ; sol. du sud musulman au nord chrétien, l’introduction par les « Andalous » Après la fin tragique du judaïsme du legs gréco-arabe et des sciences médiéval (1306-1394), le Languedoc profanes transforma de fond en moderne se fit de nouveau accueillant comble les curiosités et les « appétits » pour les marranes venus des terres intellectuels des lettrés juifs occitans. voisines, dont certains connaîtront une ascension sociale réelle (les Saporta). Les quartiers juifs n’étaient alors ni circonscrits ni fermés, et des A l’époque contemporaine, des chrétiens vivaient parmi les juifs. On figures juives se sont illustrées dans le aura souligné l’implantation juive si monde politique. Lors de la deuxième ancienne de Narbonne qui fut une guerre mondiale, de grands savants sorte de métropole intellectuelle des se sont trouvés à Montpellier, le

48 49 COLLECTION LES JUIFS DES Les Études du CRIF TERRES D’OC médiéviste Marc Bloch ou le futur d’espérances avec le comportement physicien Georges Charpak ; pour admirable, parfois héroïque, de bien d’autres figures moins connues, protecteurs de juifs, certains restés BIBLIOGRAPHIE des pages sombres se sont tournées, anonymes, d’autres gratifiés du titre de mais également des épisodes porteurs « Justes parmi les Nations ».

Michaël Iancu, Les juifs de Montpellier Peeters, 2012, p. 507-512. et des terres d’Oc. Figures médiévales, modernes et contemporaines, Paris, Les Michael Iancu, « Edmond Vermeil, Marc Editions du Cerf, 2014. Bloch et la Résistance à Montpellier », dans Edmond Vermeil, le germaniste (1878-1944). Du Languedocien à Cf. aussi l’Européen, Jacques Meine dir., préface d’Alfred Grosser, Paris, L’Harmattan, Michaël Iancu, « Le judaïsme à 2012, p. 192-201. Montpellier au Moyen Âge », « La communauté juive à l’époque moderne » Michaël Iancu, Spoliations, déportations, et « Les épreuves de la guerre et la résistance des Juifs à Montpellier et dans renaissance du judaïsme à Montpellier », dans la nouvelle Histoire de Montpellier l’Hérault (1940-1944), préface de dirigée par Christian Amalvi et Rémy Georges Frêche, postface de Charles- Pech, Toulouse, Editions Privat, 2015, Olivier Carbonell, Avignon, Ed. p. 97- 107, 211- 212, et 575-580. Barthélemy, 2000.

Michael Iancu, « Destins contrastés Michaël Iancu, Vichy et les Juifs. de personnalités juives dans le Midi L’exemple de l’Hérault (1940-1944), pendant la seconde guerre mondiale », dans Ombres et lumières du Sud de la préface de Gérard Nahon, Montpellier, France. Les lieux de mémoire du Midi, Presses Universitaires de la Méditerranée, sous la direction de Christian Amalvi, Université Paul Valéry, 2007. Réédité en éd. Les Indes savantes, 2015, tome I, 2018. p. 286-287, et 2016 t. II, p. 377-378. Michaël Iancu, « La pureté rituelle et le Michael Iancu, « Une conversion à mikvé de Montpellier », Dossier Les Juifs Montpellier en 1707 à l’église Notre- Dame des Tables », dans L’écriture de en France au Moyen Age, dans Religions l’Histoire juive. Mélanges en l’honneur de et Histoire, n°12, janvier-février 2007, Gérard Nahon, Paris-Louvain, Editions p. 24-27.

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Voir également les travaux utilisés Elie Nicolas éd., Paris, Les Editions du dans cette contribution : Cerf (Collection Nouvelle Gallia Judaica n°4), 2009, p. 95-108. NOTES DU LECTEUR Bernhard Blumenkranz dir., Art et archéologie des Juifs en France médiévale, Emmanuel Le Roy Ladurie, Le siècle des Toulouse, Ed. Privat, 1980. Platter, 1499-1628, tome 1 : Le mendiant et le professeur, Paris, Fayard, 1995. Hugues Jean De Dianoux, « Les Saporta, marranes aragonais, professeurs Jules Michelet, Tableau de la France, de médecine à Montpellier et leurs Ed. des Equateurs, 1833. descendants marquis en Provence, dans Les Juifs à Montpellier et dans le Gérard Nahon, Inscriptions hébraïques Languedoc. Du Moyen Age à nos jours, dir. et juives en France médiévale, Paris, Belles Carol Iancu, Montpellier, Université P. Lettres, 1986. Valéry, 1988, p. 195-255. Gérard Nahon, « Le figuier du seigneur. Paul Fenton, « De Lunel au Caire : Relations hébraïques méridionales des une lettre préservée dans la guéniza exilés de 1306 », dans Philippe le Bel et égyptienne », dans Des Tibbonides à les juifs du royaume de France (1306), Maïmonide. Rayonnement des juifs andalous en pays d’Oc médiéval, Danièle dir. Danièle Iancu-Agou, avec la Iancu-Agou et Elie Nicolas éd., collaboration d’Elie Nicolas, Paris, éd. Paris, Les Editions du Cerf (Collection du Cerf, (Collection Nouvelle Gallia Nouvelle Gallia Judaica n°4), 2009, Judaica n°7), 2012, p. 211-241. p. 73-81. Simon Schwarzfuchs, Les Juifs au Gad Freudenthal, « Transfert culturel temps des Croisades en Occident et en Terre à Lunel au milieu du XIIe siècle : qu’est- sainte, Paris, Albin Michel, 2005. ce qui a motivé les premières traductions provençales de l’arabe en hébreu », Joël Sebban, « Joseph Salvador (1796- dans Des Tibbonides à Maïmonide. 1873) : penseur libéral et apologiste du Rayonnement des juifs andalous en pays judaïsme », Revue des études juives, 171 d’Oc médiéval, Danièle Iancu-Agou et (3-4), 2012, p. 325-349.

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