Les Mondes Imaginaires Dans L'oeuvre De Jane Campion
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Document généré le 23 sept. 2021 09:08 Séquences La revue de cinéma Les mondes imaginaires dans l’oeuvre de Jane Campion Louis Goyette Numéro 169, février 1994 URI : https://id.erudit.org/iderudit/49968ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) La revue Séquences Inc. ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Goyette, L. (1994). Les mondes imaginaires dans l’oeuvre de Jane Campion. Séquences, (169), 30–33. Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 1994 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Les mondes imaginaires dans l'oeuvre de ans ac amnion par Louis Goyette «Avec A GIRL'S OWN STORY, j'ai voulu montrer uniquement comme un stratagème lui permettant comment l'héroïne principale s'exprime de manière d'arriver à ses fins, c'est-à-dire voir sa copine nue beaucoup plus poétique. Elle parvient à comprendre la confusion Idu mondel en chantant, et je pense et lui faire l'amour par la suite. sincèrement qu'on vient à bout des problèmes en les transformant créalivement.t '" Quand l'extraordinaire naît de la Sane Campion banalité: Peel et Passionless Moments A la lumière des propos de la cinéaste Jane Campion, il est possible de rassembler son oeuvre «There are thousands of moments like these derrière un seul et même thème: les mondes which fade as they form». IJI Jane Campion imaginaires que s'inventent les personnages réalisait, respectivement en 1982 et 1984, ses féminins dans le but de traverser la réalité souvent deux premiers courts métrages, Peel et Passionless morose qui s'offre à eux. Qu'il s'agisse des jeunes Moments. On trouve déjà en germe dans ces films collégiennes dans A Girl's Own Story, d'Ada et sa ce qui apparaîtra de manière plus élaborée dans fille Fiona dans The Piano, en passant par les les longs métrages de la cinéaste: la capacité des deux soeurs Kay et Sweetie dans Sweetie, les protagonistes de se retirer à l'intérieur d'eux- femmes qui peuplent l'univers filmique de Jane mêmes. Campion se mettent fréquemment en retrait de la Dans Peel, un enfant provoque la colère de réalité et, par un phénomène d'intériorisation, se ses parents en jetant par la fenêtre de la voiture créent des mondes imaginaires qu'elles semblent des pelures d'orange. Le père stoppe brusquement être les seules à comprendre. Sans doute est-ce la voiture et ordonne à l'enfant de sortir et de dans An Angel at My Table, film relatant une rebrousser chemin afin de ramasser les pelures partie de la vie de l'écrivain Janet Frame, que ce Jane Campion éparpillées un peu partout sur la route. L'enfant thème est développé avec le plus d'insistance, lui tient tête, refuse de se conformer à l'impératif puisque c'est à travers l'acte d'écriture que Janet s'agissait d'un piano relève purement et et se sauve pour davantage embarrasser ses exprime son monde imaginaire. simplement de la folie.l21 parents. Ceux-ci s'engagent alors dans une longue Dans A Girl's Own Story, l'une des querelle qui ne mène absolument à rien. Ce qui Représentation des univers féminin et collégiennes s'amuse à séduire son petit ami en semble une simple chicane de famille prend alors masculin adoptant l'attitude d'un chat. Après avoir bu un une tournure insolite. À son retour à la voiture, bol de lait, elle s'avance à quatre pattes vers lui, l'enfant constate que ses parents se sont enfermés À part de rares exceptions, les personnages se met à miauler et frotte sa tête contre le genou dans une sorte de mutisme et qu'ils ne réagissent masculins dans les films de Campion semblent du garçon. Ce qui constitue une variation plus à aucun stimulus, comme s'ils s'étaient peu enclins à un tel abandon de l'esprit vers les originale sur le jeu de la séduction pour la jeune entièrement retranchés dans un monde secret où contrées de l'imaginaire. Dans The Piano, Ada et fille est en revanche perçu négativement par le la réalité ne peut plus les atteindre. Le film se sa fille Fiona prennent plaisir à s'inventer toutes garçon. Cette transformation lui apparaît d'abord termine sur une résolution équivoque, avec sa sortes d'histoires qui sont le fruit de leur stupide, et s'il accepte finalement de jouer le rôle dernière scène montrant l'enfant qui saute sur le imagination débordante. Le mari d'Ada, quant à du matou, il le fait fort maladroitement tout en toit de la voiture. Les parents, assis à l'intérieur, lui, est tout à fait étranger à cette complicité et imposant ses propres conditions: sa copine doit se demeurent immobiles et parfaitement indifférents considère que d'utiliser une table comme s'il déshabiller, étant donné que les chats ne portent à l'action de l'enfant, comme s'ils n'étaient plus pas de vêtements. Ainsi, il envisage ce jeu de ce monde. 30 Séquences Cette irruption de l'extraordinaire dans ce une correspondance directe entre elle et la petite enceinte, se retrouve dans une école de réforme qu'il y a de plus anodin est le thème principal du fille de Passionless Moments: «Cette petite fille, dirigée par des religieuses et semble avoir été film Passionless Moments. Scénarisé par Gerard c'était moi! J'étais très souvent malade étant abandonnée par son petit ami. Le dur climat Lee, collaborateur apprécié de Campion (il a jeune, et j'essayais, dans ma chambre, de régler le familial, où les parents n'en finissent plus de se également écrit le scénario de Sweetie en sort de l'univers en m'amusant avec des boîtes de quereller, représente un écueil supplémentaire collaboration avec la cinéaste), le film est une mouchoirs parce que je mouchais continuel constituant un obstacle majeur à succession de courtes vignettes humoristiques où lement mon gros nez.» Ml l'épanouissement de ces jeunes filles. les nombreux protagonistes s'adonnent à des Le film se termine par une chanson interprétée activités banales et routinières: une femme Dérapages dans l'imaginaire et fuite de par l'héroïne principale qui, bien qu'elle se soit s'occupe de ses plantes de maison, une petite fille la réalité: A Girl's Own Story (1983) débattue tant bien que mal dans un monde s'amuse avec une boîte de mouchoirs et de visiblement malsain, parvient tout de même à l'argent de Monopoly, etc . Ces gestes de tous Plus expérimental à cause de sa narration garder toute sa lucidité et à transformer de les jours, la plupart du temps exécutés discontinue, A Girl's Own Story traite de la vie de manière créative les graves problèmes dont elle mécaniquement, semblent tellement ancrés dans jeunes collégiennes durant les années 60. Le ton fut tantôt la victime, tantôt le témoin. Se la banalité du quotidien qu'on en vient à les comique caractérise les premières scènes du film. multiplient alors des surimpressions d'images considérer avec désintérêt, d'où le titre du film On y voit, entre autres, des jeunes filles, munies montrant successivement une jeune fille faisant Passionless Moments. L'action et les gestes, même de raquettes de tennis en guise de guitares, du patinage de fantaisie, des collégiennes isolées s'ils paraissent sans importance, constituent interprétant une chanson à succès des Beatles. La ainsi que des corps qui se caressent. La chanson néammoins le point de départ d'un travail scène suivante nous apprend qu'elles fantasment Feel the cold devient alors un vibrant réquisitoire intellectuel des exécutants qui nous mène à un littéralement sur ce groupe, puisque ces amours sur la perte de l'innocence, ce moment précis où curieux processus de réflexion, qui frôle parfois de groupies, en apparence un peu naïves, la pureté se trouve tout à coup menacée au l'absurdité. contact des jeunes Ainsi, la femme qui garçons et du monde s'occupe de ses plantes adulte. croit entendre un pivert qui frappe son bec < ontre Deux manifestations un arbre. Toutefois, c'est de l'imaginaire: bien connu, il n'existe pas Sweetie (1989) de pivert en Australie. Préoccupée par ce qu'elle L'intérêt de Jane vient de réaliser, la femme Campion pour la repré se lève, va à la fenêtre et sentation des imaginaires aperçoit sa voisine qui que se créent les secoue un tapis à l'aide protagonistes féminines d'un grand bâton. est affirmé encore plus Curieusement, chaque radicalement dans coup sur le tapis est Sweetie. On retrouve en parfaitement synchronisé effet dans ce film deux avec le son émis par ce personnages principaux qu'elle croyait être un (Kay et Sweetie) dont pivert. De l'apparente l'imaginaire règle entière banalité des choses, nous ment l'existence. Au voilà donc transportés départ, la famille dont dans un questionnement Campion brosse le portrait pour le moins inusité. deviennent effectivement le prélude à est tout à fait non fonctionnelle. Le père et la Quant à la petite fille qui s'amuse dans sa l'exploration d'une sexualité à la fois ambiguë et mère, qui sont séparés, semblent étrangers au chambre, elle se reconstruit, en jouant et en surprenante.