Français Dans La Lutte Pour L’Indépendance Grecque (1821-1831)1
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Les Philhellènes français dans la lutte pour l’indépendance grecque (1821-1831)1 Anastasie TSAGKARAKI 1 Le présent article se base sur les résultats de la recherche effectuée dans le cadre de la rédaction de mon mémoire de Diplôme supérieur de spécialisation en Langue et Littérature françaises, intitulé La contribution des Français à l’organisation de l’armée régulière grecque pendant la période 1821-1831, déposé dans le Département de Langue et Littérature françaises, filière d’Histoire de la civilisation française, Université nationale et capodis- trienne d’Athènes, Grèce, novembre 2011 ; (http://hippo.lib.uoa.gr). REVUE HISTORIQUE DES ARMÉES 2e trimestre 2016 93 VARIATIONS Lorsqu’en 1821 la révolution hellénique éclata, elle donna l’impression d’avoir été plani- fiée depuis longtemps et de répondre aux vœux de l’opinion publique européenne2. Déjà, depuis l’époque où les premiers voyageurs européens commencèrent à visiter la Grèce, à la fin du XVIIIe siècle, le pays faisait partie de l’Empire ottoman, à l’Orient exotique. Pourtant, dans leur conscience, ces voyageurs n’identifiaient jamais la Grèce à l’Empire. Les Grecs se distin- guaient de leurs conquérants turcs par leur langue, leur religion, mais principalement par leur héritage classique. Arrivant en Grèce, ils avaient l’impression d’arriver dans un pays fami- lier. Par conséquent, dans leurs journaux personnels, rédigés avant l’éclatement de la révolu- tion, ils se mettent en quête d’une vision de la Grèce antique par l’intermédiaire des ruines et cherchent systématiquement à associer les idéaux classiques et sublimes avec la réalité déchi- rante et décevante de la Grèce sous le joug ottoman. La littérature française reflète de manière éloquente la déception des voyageurs de l’époque, au moment de leur rencontre avec la misère qui démentait l’image idéale qu’ils avaient cultivée, basée sur leurs connaissances classiques ; la passion de ces admirateurs illuminés de l’Antiquité de revoir la Grèce « comme elle devait être » constitua la base du mouvement philhellenique de la fin du XVIIIe siècle3. De l’autre côté, l’œuvre et l’action révolu- mieux organisés. Le 22 novembre 1822, partit tionnaire du Grec Rhigas Ferraios qui avait de Marseille le plus gros convoi composé de imaginé une « fédération balkanique », reflé- 132 volontaires, dont 95 Allemands5. taient le climat révolutionnaire qui régnait en Europe. Favorisée par les circonstances, la L’ensemble des Philhellènes ayant parti- diaspora grecque de Russie entreprit la fonda- cipé à la révolution grecque s’élève à environ tion d’une société secrète, « l’Hétairie », dont la 1 200 personnes. Sur les listes d’embarque- mission serait la préparation d’un soulèvement ment recueillies par la police de Marseille, dans toute la péninsule des Balkans, commen- on compte de nombreux Allemands (environ çant par les principautés danubiennes. Son chef, 280) et Français (environ 220), une soixan- Alexandre Ypsilanti donna le signal du soulè- taine d’Italiens, une cinquantaine de Suisses, vement à Iași, le 25 février 1821. Inscrite dans une vingtaine d’Américains et des groupes la parfaite continuité des révolutions d’Italie et plus restreints de Polonais, de Danois, d’Espa- d’Espagne, - bien que de caractère différent - la gnols ou de Suédois. Une centaine d’Anglais révolution grecque attira initialement, d’une ont rejoint la Grèce par d’autres voies. Près part la condamnation des cabinets et d’autre de 300 sont des militaires ou d’anciens mili- part le soutien des hommes libéraux4. Pour les taires de tous rangs ; on compte aussi nombre partisans des Lumières, elle apparut comme d’étudiants, de commerçants, ainsi que des l’occasion parfaite pour la « régénération » de la artisans. La plupart sont jeunes, voire très Grèce, berceau de la civilisation classique ; dans jeunes : sur les 581, dont on connait l’âge, 418 ce contexte, le philhellénisme, motivé d’abord ont moins de 30 ans, 10 ont entre 14 et 17 ans, par des raisons de philanthropie, se lia princi- 61 entre 18 et 20 ans et les autres 163 comptent palement avec l’insurrection grecque, couvrant entre 30 et 56 ans6. Parmi ces 1 200, environ ainsi la période de 1821 à 1829. 300 trouvèrent la mort en Grèce, dont 60 ou 61 sont Français. Plusieurs d’entre eux mou- Durant son parcours, le mouvement phil- rurent de maladies et de privations, non direc- hellenique connut plusieurs phases. Du prin- tement de leur participation dans la Lutte7. temps de 1821 à la fin de 1822, la presse fut attentive aux événements en Grèce ; les livres Dans le même temps, en Grèce, naît et brochures sur la cause grecque se multi- l’idée, mais aussi la nécessité de la formation plièrent ; on commença à lancer des souscrip- d’une armée régulière hellénique. Jusqu’à ce tions. Surtout, des volontaires partirent pour moment toutes les opérations étaient menées aller combattre aux côtés des Grecs. La majo- exclusivement par les troupes irrégulières. rité d’entre eux venait d’Allemagne, où des Pour l’organisation de la force militaire, les comités étaient formés pour les aider ; ils s’en armées européennes - notamment l’armée formèrent aussi en Suisse ; des Français par- française mais aussi l’armée bavaroise - opé- tirent également pour combattre. Les contin- rant déjà en Europe et possédant une longue gents devinrent de plus en plus nombreux et tradition, devaient servir d’exemple. Des offi- 94 2e trimestre 2016 REVUE HISTORIQUE DES ARMÉES ciers grecs provenant de toutes les parties du sée : certains éléments de cette organisation Escadre franco-anglaise monde connu, ayant servi dans ces armées, proposée par des Français ont été mainte- dans le port de Syra, accoururent pour offrir leurs services à la nus par la suite par le roi Othon de Grèce et protégeant l’île des entreprises patrie insurgée. De façon analogue les officiers quelques indices de cette influence française de la flotte étrangers arrivant, appelés désormais « les demeurent même jusqu’à nos jours. turco-égyptienne, Philhellènes », s’incorporèrent dans l’armée 1830 hellénique nouvellement constituée - parfois sous des bataillons distincts. Parmi ceux-ci Les «anciens» Philhellènes français on trouve un grand nombre d’officiers distin- intégrés dans la première armée gués ou de simples soldats français, qui mis à la retraite ou réformés après la fin des guerres régulière grecque et le « bataillon napoléoniennes, se trouvèrent sans occu- des Philhellènes » (1821-1824) pation, condamnés à l’inactivité, ou même Au cours des premières années de la expulsés pour des raisons politiques. Pour Révolution, la participation des Philhellènes tous ces officiers et soldats, l’armée grecque dans la lutte de l’Indépendance était, comme offrit une nouvelle chance d’emploi et de dis- on l’a déjà indiqué, le fruit de leur initia- tinction sur le champ de bataille. tive personnelle. Les premiers Philhellènes Dans ce contexte parfois complexe, le qui ont été, par la suite, appelés « anciens rôle des principaux officiers français dans la formation de l’armée régulière hellénique 2 DRIAULT Édouard et LHÉRITIER Michel, Histoire pendant les premières années de son exis- diplomatique de la Grèce, de 1821 à nos jours, tome 1er, Paris, Les presses universitaires de France, 1925, p. 155. tence, de 1821 à 1831, date de l’assassinat du 3 De la préface du livre de ΑΥΓΟΥΣΤΙΝΟΥ Όλγα, Gouverneur Capodistria, présente un intérêt Ιδανικά ταξίδια. Η Ελλάδα στη γαλλική ταξιδιωτική historique. Leur contribution à la Lutte, qui λογοτεχνία, 1550-1821, Athènes, ΜΙΕΤ, 2003. 4 DRIAULT Édouard et LHÉRITIER Michel, op. cit., est soit le résultat d’un élan personnel, soit le pp. 118, 124-126, 195-196. fruit d’un plan politique structuré et concret, 5 BARAU Denys (archiviste), « La mobilisation des reste incontestablement précieuse. Leurs philhellènes en faveur de la Grèce, 1821-1829 », p. 43 in CAMBRÉZY L, LASSAILLY-JACOB V., efforts d’organisation, en dépit des réac- Populations réfugiées. De l’exil au retour, Paris, IRD, tions qu’ils ont rencontrées, eurent un grand 2001, (coll. : colloques et séminaires), pp. 37-76. impact sur la tradition militaire hellénique à 6 BARAU Denys, op. cit., p. 52. 7 ΤΡΑÏΜΠΕΡ Ερρίκου, Αναμνήσεις από την Ελλάδα, venir et ont jeté les bases pour la formation 1822-1828, ανέκδοτο χρονικό του Αγώνος, Athènes, de l’armée de terre strictement hiérarchi- 1960 p. 137. REVUE HISTORIQUE DES ARMÉES 2e trimestre 2016 95 La participation d’officiers français dans l’armée grecque s’inscrit dès avant la créa- tion de l’État grec officiel, à une période où l’armée grecque nationale et institution- nelle n’avait pas encore été mise en place. Il est connu que la première armée régulière grecque qui fut créée – en dehors du terri- toire hellénique mais aux fins de l’Insurrec- tion - était le « Bataillon Sacré » d’Alexandre Ypsilanti, celui qui fut anéantit à Dragatchan en juin 1821. On y connaît l’existence d’un officier français qui a sauvé le comte Nicolas Ypsilanti d’une mort certaine au dernier moment8. Par la suite, Démétrius Ypsilanti organisa à Kalamata la première armée régulière desti- née à opérer sur le territoire grec. Son com- mandement fut confié au colonel français Baleste (« Palessa » ou « Palassa » en grec) tandis que le colonel français Olivier Voutier assuma le commandement du premier corps d’artillerie. Parmi tous les Philhellènes fran- çais, celui qui se trouve au début de l’histoire militaire de l’Insurrection, est indubitable- ment le colonel Baleste, homme courageux et noble, considéré comme « le premier ins- Philhellènes » afin de les distinguer des tructeur » des militaires grecs. Le comman- autres, arrivés plus tard et organisés par des dant Baleste venait de Marseille, il était un Comités philhellènes ou sur ordre de leur ancien commandant de l’armée napoléo- gouvernement, se sont engagés de leur propre nienne qui accompagna Ypsilanti dès son volonté ou mus par des sentiments roman- départ de Trieste9.