Les Vivriers, De L'autoconsommation a L'economie De Marche En Pays Gouro (Centre-Ouest De La Côte D'ivoire)
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LES VIVRIERS, DE L’AUTOCONSOMMATION A L’ECONOMIE DE MARCHE EN PAYS GOURO (CENTRE-OUEST DE LA CÔTE D’IVOIRE) ANNE MARCELLE DOUKA LAVRY Institut de Géographie tropicale (IGT), Université de Cocody Abidjan (Côte d’Ivoire) [email protected] RÉSUMÉ ABSTRACT Le statut économique des cultures vivrières a .Economic status of staple crops has changed considérablement évolué dans le pays gouro situé considerably in Gouro region located in Central West au Centre-ouest de la Côte d’Ivoire. Réservée à la Côte d’Ivoire. Reserved for subsistence in traditional subsistance dans le système productif traditionnel, et production system, and after a setback in benefit après un recul au profit du binôme café-cacao dans of coffee and cocoa in colonial system, they have le système colonial, elles se sont progressivement gradually imposed in independent Côte d’Ivoire as imposées dans la Côte d’Ivoire indépendante comme lucrative productions through public coaching (mana- des productions lucratives grâce à un encadrement gement) and increasingly important urban demand. public et une demande urbaine de plus en plus im- If growth of mercantile staple crops is a guarantee portante. Si l’essor du vivrier marchand constitue un of wealth creation, it is an important factor of space gage de création de richesse, il représente un fac- reconstruction. It creates new relationships between teur important de recomposition de l’espace. Il crée city and countryside and it involves many actors with de nouvelles relations entre la ville et la campagne innovative forms of managements. et il implique de nombreux acteurs aux formes de Key words: Gouro region, Staple crops, Self gestions innovantes. consumption, Market economy, Cooperative. Mots clés : Pays gouro, Vivrier, Autoconsomma- tion, Economie de marché, Coopérative. ANNE MARCELLE DOUKA LAVRY : Les vivriers, de l’autoconsommation à l’économie de marche en pays... 38 INTRODUCTION est de savoir comment les vivriers ont-ils évolué tout au long de ce processus ? Cette réflexion amène à se Le continent africain connaît de nombreux boulever- poser les questions secondaires suivantes : Quels sont sements, dont le plus déterminant reste la colonisation les facteurs qui ont contribué à cette mutation? Quels et son corolaire, l’économie de plantation. Un nouveau sont les moyens pour y parvenir et les effets induits système de production fondé sur des plantes arbori- sur l’espace ? coles comme le caféier et le cacaoyer apparaissent. Dès lors quelle est la place du vivrier dans ce nouveau La présente contribution vise à montrer les muta- contexte en pays gouro situé dans le centre -ouest de tions que subissent les vivriers depuis l’époque préco- la Côte d’Ivoire. Comment s’organise alors l’espace loniale jusqu’à nos jours en pays gouro. De manière agricole ? Des transformations s’opèrent également spécifique il s’agit d’identifier les facteurs déterminants, au niveau économique. Les cultures vivrières produites d’analyser les mutations observées au plan spatial, uniquement pour se nourrir deviennent des denrées humain et économique au cours de cette évolution commercialisables. L’économie d’autosubsistance La méthodologie de cette étude se fonde sur notre évolue en économie de marché. On assiste à une connaissance du terrain, nos investigations à Bouaflé nouvelle orientation des activités du vivrier selon le lors de nos premières enquêtes (1979/80) et trente temps et l’espace. L’aspect chronologique met en ans après (2010), l’exploitation de données recueillies exergue différentes périodes : la colonisation, l’époque auprès de divers services (ANADER, OCPV, Ministère des indépendances à nos jours. La question principale de l’Agriculture) et une recherche bibliographique. Figure 1 : Présentation du pays Gouro Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°2, 2012 39 © (EDUCI), 2012 I-LES FACTEURS DETERMINANTS igname, rejet de bananier plantain etc. Les parcelles défrichées produisent pendant trois ans au moins Les fondements des vivriers trouvent leur ex- sans bonification du sol, au terme duquel elles sont plication à la fois dans le contexte historique et abandonnées à la jachère. Il s’ensuit une colonisa- géographique. tion de l’espace par les paysans qui, chaque année, cultivent une nouvelle parcelle octroyée par le tiézan 1- LE POIDS DE L’HISTOIRE : LA PERSISTANCE (chef de terre). DES CARACTÈRES HISTORIQUES ET SOCIOLOGIQUES - Le travail communautaire constitue un élément catalyseur de l’économie d’autosubsistance compte Les principaux caractères de l’agriculture de subsis- tenu de nombreuses contraintes (calendrier agricole, tance trouvent leurs fondements dans les causes histo- outils rudimentaires, faibles effectifs démographiques riques, identifiées aux différentes périodes: précoloniale, etc.). Il s’appuie à la fois sur une organisation socio coloniale, époque des indépendances à nos jours. juridique et économique avec un fonctionnement par- ticulier (Meillassoux op cit.). Au niveau de l’organisation 1.1- La période précoloniale : une et sur le plan socio juridique, le terroir gouro est divisé agriculture traditionnelle basée sur en deux ou trois lignages patrilinéaires, les Goniwuo. l’autoconsommation. Le Giwuoza représente l’ancêtre commun. Le chef de L’apparition de notions fondamentales telles que terre (tiézan), et le chef du village (flazan) jouent des la gestion traditionnelle du sol et les activités agrico- rôles importants dans la gestion du terroir du village. les déterminent cette période précoloniale. Les carac- Au plan économique, l’essentiel des travaux agrico- téristiques suivantes en constituent l’ossature : les est exécuté par des éléments endogènes (aide - le déplacement des champs, d’où l’appellation familiale) auxquels s’ajoutent de façon occasionnelle d’agriculture itinérante employée par des auteurs des apports exogènes (entraide). Dans le cadre des comme Lebeau. R (1979). tâches familiales, la population ne sollicite aucune aide extérieure. Le travail est réparti soit entre les classes - un paysage rural flou selon les africanistes tel d’âge composées d’enfants, d’adolescents et d’adultes Sauter G, Pélissier P (1994) Mais l’œil avisé du pay- (tableau n°1), soit par sexe. Cependant, lorsqu’il ya un san Gouro perçoit une logique dans la brousse où surcroît de corvées (essartage, confection de buttes ou tout semble se confondre (Meillassoux, 1970). semis et récoltes), les villageois demandent l’assistance - des techniques culturales rudimentaires, en des autres villages. Il s’agit d’un système traditionnel pays Gouro les paysans se servent des mêmes d’entraide le klala. En revanche le bô désigne une techniques traditionnelles (la machette, la houe, le forme de prestation sur invitation qui est effectuée au bâton, le couteau, le feu) pour défricher les champs profit de la notabilité. où sont associées des cultures de : maïs, manioc, Tableau n°1 : Répartition du travail par groupe d’âge et par type d’activité (en%) à Maminigui (pays gouro) en 1975 Travaux Champêtres Groupe d’âge Défrichements Labours Semailles Récoltes Enfants 24 25 23 25 Adolescents 33 31 32 23 Adultes 43 44 45 52 Total 100 100 100 100 Source: Hauhouot (A) – Koby (A). Coulibaly (S) 1975 (Ministère de l’agriculture). ANNE MARCELLE DOUKA LAVRY : Les vivriers, de l’autoconsommation à l’économie de marche en pays... 40 Ce tableau montre l’importance relative du travail 1-2-1 Le caféier et le cacaoyer, des cultures des enfants. Les adolescents participent également dominantes aux travaux champêtres. Mais l’essentiel du fonction- nement des (U.P.F.)1 dépend des adultes. En somme, Après le sud-est où sont introduits les premiers chaque groupe contribue à la production familiale. plants de ces cultures (1884 par Verdier), le centre- ouest a constitué le deuxième front pionnier des Au niveau des opérations culturales, la classifica- cultures d’exportation. Le pays Gouro ne manifeste tion par sexe résume assez bien cette distribution. aucun engouement particulier à l’introduction de L’essartage constitue le fondement de l’agriculture nouvelles cultures dans la région de Sinfra (1918). d’autosubsistance. Finalement l’économie de sub- Néanmoins, par le biais du travail forcé et des sistance se traduit par une agriculture produite pour plantations collectives, les administrateurs fran- une consommation domestique dans un système çais réussissent l’expansion de ces produits qu’ils extensif. étendent aux zones de Bouaflé et Zuénoula (1928). En définitive, la main d’œuvre se singularise par Les administrateurs français tentent d’intéresser la sa disponibilité et sa gratuité. L es travaux réalisés population sans succès. C’est seulement l’année dans ce contexte révèlent une forme d’organisation suivante (1929) qu’apparaissent les premières plan- économique et sociale cohérente. En outre, dans la tations autochtones. Mais le travail effectué dans mesure où leur philosophie et leur préoccupation pro- les plantations collectives réduit le temps que les fonde sont identiques à celles du système coopératif populations consacrent à leurs propres plantations. moderne, on peut admettre que ces organisations Par conséquent, les planteurs indigènes produisent communautaires traditionnelles constituent de vé- peu pour eux mêmes durant la période de travaux ritables fondements à l’action coopérative (Banga- forcés (1939-1948). De telles contraintes demeurent soro, 1982). Cependant, leur gratuité et leur forme également préjudiciables aux cultures vivrières car risquent de les fragiliser dans le cadre de l’économie les hommes responsables des gros