LES QUATRE CENTS COUPS D de François Truffaut DOSSIER

Fiche technique

France - 1959 - 1h35

Réalisateur : François Truffaut

Scénario et dialogues : François Truffaut et Marcel Moussy

Images : Henri Decae Jean-Pierre Léaud () Résumé Analyse de l'œuvre Musique : Jean Constantin Antoine Doinel est un écolier parisien de Ce qui frappe en effet dans cette chro- treize ans, rêveur et turbulent. Son père nique d’un garçon de 13 ans, sevré adoptif est un brave homme que son épou- d’affection familiale, que la pente fatale se trompe ouvertement. Le garçon, en des fugues, des petites blagues, puis des Interprètes : manque d'affection, sèche les cours en vols dangereux et si naïfs encore, fera Jean-Pierre Léaud compagnie de son copain René. Un jour, échouer en maison de redressement, c’est (Antoine Doinel) pour justifier son absence, il prétexte que une sincérité profonde, mieux, une fer- Guy Decomble sa mère est morte. La supercherie décou- veur, qui entraînent presque sûrement (le prof) verte, c'est l'engrenage de l'illégalité. l’originalité. Celle-ci se manifeste par un Provocations, fugues, menus larcins se refus très net des conventions et des cli- Albert Rémy succèdent. Avec l'accord des parents, le chés, qui font de l’enfant cinématogra- (M. Doinel) juge des mineurs décide de le placer dans phique une petite bête pourrie de tics Patrick Auffray un centre d'observation pour délinquants. d’acteur et de mots d’auteur (cf. Aurenche (René) La discipline est rude et Antoine ronge son et Bost dans Jeux interdits) qui loge en Claire Maurier frein. Un jour de sortie, il s'évade et court un «monde merveilleux» coupé du réel, jusqu'à la mer. héritier de cette fausse poésie «Grand (Mme Doinel) Meaulnes» par laquelle les adultes substi- Jacques Monod tuent un univers fabriqué à une réalité Jeanne Moreau qu’ils ignorent. Truffaut, lui, s’est penché Jean-Claude Brialy avec beaucoup de tendresse - et avec l’émotion du souvenir - sur ce no man’s land si méconnu, entre la prime jeunesse Dossier n°104 Mai 1996 et l’adolescence, sur cet âge où l’on a encore de charmants réflexes de gosse et L E F R A N C E

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SOMMAIRE

Fiche technique p 1

Résumé p 1

Analyse de l’œuvre p 1

Propos du réalisateur p 3 Les 400 coups du père François Marcel Moussy p 4 Des enfants. Pourquoi ? Comment ? La scène de la psychologue

Une méthode de travail p 5 La mère d’Antoine Le père d’Antoine Antoine p 6 René

L’interrogatoire par la psychologue p 7

Vibration

François Truffaut

Filmographie p 8

L E F R A N C E

SALLE D'ART ET D'ESSAI CLASSÉE RECHERCHE 8, RUE DE LA VALSE 42100 SAINT-ETIENNE 04.77.32.76.96 RÉPONDEUR : 04.77.32.71.71 Fax : 04.77.32.07.09 D O S S I E R un langage d’homme plus sérieux que les d’autant plus éblouissante qu’elle ne se très proches de l’aventure chabrolesque du hommes, sur ce cas pas tellement rare d’un remarque pas, ce qui est la vraie élégance ; Beau Serge, et ont coûté à peu près le même enfant qui n’est pas un martyr, mais qu’une qu’un travelling latéral nous force à fuir avec prix: environ 35 millions. Les salaires des 5 ou incompréhension plus féroce peut-être que des Antoine, qu’un lent panoramique découvre 6 principaux salariés ont été en participation coups réduit à la solitude ; et c’est ce que tra- toute la beauté du monde, qu’un expressif différée. Rien n’a été tourné en studio, tout en duit et ramasse, avec une intensité rarement emploi du téléobjectif dépayse pour nous la décor naturel avec une équipe réduite non pas atteinte, après de nombreuses touches épar- vision de Paris, c’est toujours la maîtrise d’un au véritable minimum - hélas ! - mais au mini- pillées, la scène bouleversante de la confes- style entièrement adéquat à son objet. Cette mum syndical. La grande différence avec Le sion. absence d’artifice est encore accrue par l’inter- beau Serge, qui utilisait le son direct, c’est Mais poser ainsi, à propos d’un cas particulier, prétation de Jean-Pierre Léaud, suprême atout que Les 400 coups sont presque entièrement certains problèmes d’ordre moral ou social d’un film après lequel on a l’impression d’avoir post-synchronisés. J’ai tourné en son direct la (carence des parents, dureté du centre de découvert enfin, sur un écran, l’enfance sans scène de la psychologue et quand je vois le rééducation) n’a pas entraîné Truffaut à la ten- maquillage. relief qu’elle prend, j’en viens à regretter de tation du réquisitoire, avec effets mélodrama- Michel Flacon n’avoir pu tout prendre ainsi. Mais c’était tiques et thèse bavarde, où l’on sacrifie à Cinéma 59 n°37 Juin 1959 impossible. Les lieux de tournage s’y prêtaient grand fracas quelques anges aux figures sales, mal. L’appartement était très petit, on ne pour que leurs petits cousins ne voient plus savait jamais où caser la perche, et surtout jamais cela. Il a préféré (aidé par des dialogues Paris est beaucoup trop bruyant. L’école, par extrêmement directs de Marcel Moussy) lais- Propos du réalisateur exemple, a pratiquement été tournée en son ser vivre devant lui Antoine Doinel, écolier un direct mais c’est la partie la moins audible du peu chapardeur, un peu menteur, «comme tout Les 400 coups du père François film, tellement il y a de bruits parasites. De ce le monde», qui passe insensiblement des point de vue, Chabrol, pour Le beau Serge, a excuses fausses, des farces anodines, des vols vraiment eté servi par le silence profond de pour rire (le réveil), des fugues d’un jour, à un Il s’agissait d’abord d'un projet de court-métra- Sardent. coup, plus sérieux, et à l’internement. Ainsi se ge de 20 minutes intitulé La fugue d’Antoine. trouve tout naturellement créé le rythme du J’avais I’intention de tourner une série de film, d’un «tempo» assez allègre, semé de sketches consacrés à l’enfance, et devais faire Un faux luxe gags et d’embryons de sketches, à une secon- celui-ci avant Les Mistons, lorsque j’ai ren- contré Gérard Blain, qui était alors sans travail, de partie où alternent scènes de violence On s’étonne que dans une petite production sèche et séquences d’une émouvante fluidité et m’a demandé de faire Les Mistons immé- diatement. Il se trouve que, de tous mes pro- comme celle des 400 coups j’ai utilisé le poétique (le voyage en fourgon cellulaire, «scope» (en l’occurrence le procédé dyalisco- parmi le néon des enseignes et des manèges jets, Les Mistons était le seul qui ne soit pas vraiment de moi : c’était l’adaptation d’une pe). Mais le «scope» c’est un faux luxe. On et surtout le merveilleux mouvement final à la croit que c’est cher parce qu’il s’attache aux Murnau qui offre à l’enfant évadé les grandes nouvelle de Maurice Pons, Les virginales, qui comportait un commentaire d’un ton assez lit- films en couleurs, en costumes, à figuration vacances marines dont il a tant rêvé : conclu- grandiose, mais en fait, ça ne coûte que la sion plastique qui élude adroitement une fin téraire. Lorsque Les Mistons ont été termi- nés, d’abord je n’ai pas trouvé d’argent pour location des objectifs, un million environ pour mélodramatique). un film. Par contre, le «scope» permet de réali- La poésie n’est que la plus séduisante des qua- tourner mes autres courts-métrages, et de plus je trouvais qu’ils étaient trop différents de mes ser d’importantes économies en tournant des lités multiples qui, de la sincérité première, plans plus longs mais moins nombreux. Dans rejaillissent en gerbe : la justesse du geste autres projets, tous plus ou moins autobiogra- phiques ou tirés de faits divers, et que je ne le tout petit décor d’appartement dont je dispo- (Antoine buvant son lait) ; l’art de conduire une sais, je pouvais, rien qu’en faisant pivoter scène et de signifier beaucoup à partir de peu voulais pas mélanger avec Les Mistons. L’idée de La fugue d’Antoine qui, au départ, l’appareil, suivre tous les déplacements de (la récitation à l’école, la cuisson des œufs) ; le tous les personnages. sens de l’ambiguïté (plaisir terrifié du guignol était l’histoire d’un gosse qui, ayant menti à l’école pour expliquer son absence un jour Par ailleurs, le «scope» stylise. Avec Les 400 et du rotor), des détails vrais et baroques (le coups, où l’essentiel du décor est triste, gris, débarbouillage dans la fontaine, la cage où l’on qu’il a fait l’école buissonnière, n’ose plus ren- trer chez lui et passe une nuit dehors dans crasseux, j’avais peur de faire un film laid, protège les petites filles des méchants garne- désagréable à regarder. Le «scope» permet de ments) ; le refus d’insister, par des effets exté- Paris, s’est transformée peu à peu en une espèce de chronique de la treizième année (la rendre compte de la réalité avec un élément de rieurs, sur des scènes dont la dureté apparaît stylisation qui m’était indispensable. Par avec plus de relief à la sèche narration (le com- plus intéressante pour moi), en laissant tomber tout un aspect auquel je tenais beaucoup: exemple, quand le gosse va vider les ordures, missariat, l’arrivée au centre) ; le plaisir enfin en «scope» c’est moins sale que dans un de faire du cinéma, de rendre hommage, par I’aspect Paris de l’occupation, combines du marché noir, etc. La reconstitution cinémato- cadrage normal, mais ça n’est pas moins réa- des sortes de rappels visuels, aux cinéastes liste. Enfin, on peut même prétendre que le admirés (le professeur qui perd ses élèves, les graphique de cette époque m’était interdite pour des raisons financières, mais aussi esthé- «scope» aide à résoudre des problèmes de scé- gendarmes qui semblent marquer le pas), nario. Par exemple, la fin de mon film pour être moins par citation expresse qu’en vertu d’une tiques, car on tombe facilement dans le ridicule en évoquant la mode de cette période. vraiment réaliste, c’est-à-dire objective, ne instinctive germination des souvenirs. Tout pouvait être ni optimiste, ni pessimiste. C’est cela est servi par une technique très variée, Sur le plan production, Les 400 coups sont L E F R A N C E

SALLE D'ART ET D'ESSAI CLASSÉE RECHERCHE 8, RUE DE LA VALSE 3 42100 SAINT-ETIENNE 04.77.32.76.96 RÉPONDEUR : 04.77.32.71.71 Fax : 04.77.32.07.09 D O S S I E R le «scope» qui m' a donné l’idée de substituer à il y a toujours quelque chose de sauvé, et en rendu compte du côté artificiel du postulat du une solution dramatique qui s’avérait impos- tout cas, c’est toujours I’enfant qui est ce qu’il film : des enfants qui passent leur temps à sur- sible, une solution plastique que l’écran large y a de meilleur sur l’écran. veiller un couple d’amoureux. Dans la vie, ces 5 m’a aidé à imposer. Je crois aussi que j’ai plus de plaisir à diriger enfants riaient, ne pensaient qu’à jouer. La fille un enfant qu’un adulte parce que je suis un leur plaisait, mais ils n’éprouvaient aucune metteur en scène débutant et que les adultes jalousie à l’égard de Blain et on sentait à quel Marcel Moussy ont déjà joué : j’ai tendance à être intimidé par point ils valaient mieux que l’histoire racontée. leur «ancienneté» et lorsqu'ils ne veulent pas C’est à ce moment que j’ai décidé que s’il J’ai choisi Moussy comme collaborateur pour faire ce que je leur dis, il m’arrive de renoncer m’arrivait d’utiliser à nouveau des enfants, je le scénario et les dialogues sur le vu des émis- à lutter, ou de me laisser entraîner dans leurs ne ferais que des choses qui les touchent vrai- sions de T.V. qu’il a consacrées à la crise du trucs à eux, et je ne suis jamais sûr d’avoir rai- ment. Dans les scènes de classe, je crois que logement. Il a le don du dialogue juste, notam- son. Tandis qu’avec les enfants, je suis sûr j’y suis arrivé, car ils étaient assez impression- ment pour les conflits familiaux. Si j’avais été d’avoir raison. La vérité d’un enfant est une nés de se sentir devinés, surpris. Une complici- seul, j’aurais eu tendance à typer les parents chose que je crois sentir absolument. Par té très féconde s’établissait : de voir qu'ils col- d’une manière très caricaturale, à en faire une exemple, tout au long du film j’ai lutté contre laboraient vraiment au film, que même le bruit satire violente mais non-objective, et Moussy Jean-Pierre Léaud. Il était formidable, mais sa de la plume dans l’encrier, ça comptait, ça les m’a aidé à rendre ces gens plus humains, plus hantise c’était qu'il allait être antipathique, et stimulait terriblement. Jean-Pierre Léaud m’a près de la norme. Il n’avait jamais travaillé il voulait toujours sourire. Pendant trois mois je aussi beaucoup apporté, et j’ai enlevé beau- pour le cinéma et était assez tenté de le faire, l’ai empêché de sourire... et je suis sûr que j’ai coup de scènes qui étaient trop faibles par rap- nous nous sommes très bien entendus. J’avais eu raison. port à sa personnalité. vu tout de suite qu'il était impossible d’écrire Ceci dit, j’ai eu une chance formidable de tom- ber sur ce gosse-là. J’en avais repéré d’autres les dialogues pour les enfants : on leur donnait La scène de la psychologue la situation et c’étaient eux-mêmes qui formu- qui auraient pu aller, qui me ressemblaient laient les phrases. Par contre, tous les dia- d’ailleurs plus quand j’étais enfant, moins logues pour les parents, le prof, etc., ont été agressifs, plus timides et plus renfermés. Mais Primitivement cette scène était conçue d’une écrits par Moussy et ont été conservés intégra- aucun n’aurait été aussi bien que Jean-Pierre manière classique avec les tests normaux, lement : ils sont, je crois, très bons. Moussy a Léaud, qui possède une gamme très variée, et tâches d’encre, etc., que l’on présente dans été professeur dans le temps, et il s’en est visi- que ce soit dans l’audace ou la timidité, dans ces cas-là. Nous avions seulement fait bien blement souvenu pour les scènes de l’école. la révolte ou l’humilité, peut aller très loin en attention à ne pas reprendre les tests utilisés Par ailleurs, Moussy m’a beaucoup aidé à don- restant toujours juste. dans Chiens perdus sans collier. Je sentais ner une construction au scénario. J’avais des J’ai pu trouver tous ces enfants grâce à France qu’il fallait faire autrement, mais je ne trouvais pages et des pages de notes, mais tout cela Roche qui a passé une annonce dans pas. Sur ce, impossible de trouver l’actrice qui était tellement proche de moi que je n’arrivais France-Soir, qui a d’ailleurs rendu au-delà de interprète le rôle de la psychologue. Je voulais pas à lui donner une structure. Moussy est for- toute espérance, puisque nous avons reçu plus un visage inconnu et j’avais des idées précises midable dans ces cas là. Il n’a pas son pareil de 200 lettres. J’ai éliminé systématiquement sur ce personnage. En décrivant aux gens cette pour s’emparer d’un petit élément du scénario, toutes celles qui venaient de province, car je femme à la fois charnelle et intellectuelle que le faire revenir, rebondir. Il a réussi à donner ne voulais pas obliger un gosse à se déplacer je cherchais, je me suis aperçu qu’inconsciem- une ossature dramatique au film sans du tout spécialement à Paris, et nous avons convoqué ment je faisais le portrait d’Annette le calquer sur une pièce de théâtre. la centaine qui restait pour des bouts d’essai Wademant. Malheureusement elle n’était pas en 16 mm. Dès ce moment, Jean-Pierre se à Paris, et nous avons décidé de tourner uni- détachait largement au-dessus du lot. Il avait quement les plans avec l’enfant, en nous réser- d’ailleurs dejà joué un petit rôle dans La tour vant de tourner les contre-champs plus tard. Des enfants. Pourquoi ? Comment ? prends garde, deux ans auparavant, et fait un Nous n’avions aucun texte d’écrit, rien répété peu de synchronisation. C’est un enfant diffici- avant le tournage. J’avais seulement un peu Après Les Mistons, je me suis dit «Je referai le qui poursuit ses études dans une pension où discuté avec Jean-Pierre et lui avait vaguement des films avec des enfants, mais jamais 5, l’on accueille les élèves renvoyés d’un peu par- indiqué quel serait le sens de mes questions. c’est vraiment trop». Or, dans Les 400 coups, tout. Le tournage du film lui a fait le plus grand Je lui ai laissé toute liberté pour répondre, car j’en ai finalement dirigé plus d’une centaine. bien car il est malheureux avec les enfants de je voulais son vocabulaire, ses hésitations, sa En tournant, je me suis dit souvent que je ne son âge et il est très à l’aise avec les adultes. spontanéité totale. Il y avait bien entendu une recommencerai jamais plus avec des enfants, Le tournage lui a fait du bien, mais lui aussi a certaine coïncidence entre ce que je savais de mais de nouveau j’ai des idées de films avec fait du bien au film, ainsi que les autres ses problèmes de la vie quotidienne et mes pas mal d’enfants à la fois. enfants. Les enfants ont une pureté fantas- questions. Je lui avais seulement demandé de Tourner avec des enfants, c’est une grande tique. S’il y a une chose un peu ridicule dans le réfléchir au scénario et de ne jamais rien dire tentation avant, une assez grande panique pen- film, ils le sentent tout de suite, ils le rendent qui contredise l’histoire du film (une fois dant (parce que c’est une matière épouvan- évident, et il faut rectifier le tir en conséquen- cependant, il a introduit dans ses réponses une table qui nous file sans cesse entre les doigts) ce. J’avais souffert un peu de cela dans Les grand-mère dont il n’avait jamais été question et une immense satisfaction après. Même Mistons, parce qu’en tournant avec ces 5 jusque-là). Pour le tournage, j’avais fait sortir quand j’ai le sentiment que tout va à la dérive, enfants qui étaient si spontanés, je m’étais vite absolument tout le monde et il ne restait sur le L E F R A N C E

SALLE D'ART ET D'ESSAI CLASSÉE RECHERCHE 8, RUE DE LA VALSE 4 42100 SAINT-ETIENNE 04.77.32.76.96 RÉPONDEUR : 04.77.32.71.71 Fax : 04.77.32.07.09 D O S S I E R plateau que Jean-Pierre, l’opérateur Decae et c’est dans cet appareil qu’elle lui donne Le père d’Antoine moi. Quand nous avons vu les rushes, c’est l’argent pour les commissions. Decae lui-même qui m’a dit : «Ce serait de la Rappelons que c’est une belle femme, sensuel- S‘il était artiste, ce serait un chansonnier de folie de tourner les contre-champs. Il faut lais- le, qui aime lire des romans noirs et qui ne troisième zone ; il ne voit que ce qui ne le gêne ser cela comme cela». C’est ce que nous avons s’occupe presque pas de son ménage. Elle pas ; il a horreur des «histoires» ; son leitmotiv fait, sauf que nous en avions tourné 20 minutes reproche à son mari d’être un peu fruste, de se est «surtout pas de drames». Tout est prétexte et que nous n’en avons conservé que 3 dans le faire les ongles à table et de rire de tout. Elle à blaguer. Le matin, il lui arrive de maugréer film. lui reproche surtout de ne pas gagner assez parce qu’il n’a pas de chemise propre, que son d’argent. Elle est, de manière générale, très veston n’a pas été détaché mais, comme sa méprisante pour l’univers entier, «Tous des cré- femme s’y entend mieux que lui pour élever la tins». voix, il préfère généralement adopter le mode Une méthode de travail Elle travaille à mi-temps comme secrétaire ironique : «Zut, il y a des bouts de chaussette dans un bureau. dans ma paire de trous !» Après avoir terminé la première version de son Ses rares moments de détente vont au profit Il exerce une profession libérale mais dépend scénario, alors intitulé La fugue d’Antoine, de son mari, Ie soir après dîner quand le lit tout de même d’un patron ; on devine qu’il a François Truffaut demanda à Marcel Moussy approche et que ses nerfs se détendent. On sacrifié sa réussite sociale à son dada : le de l’aider à donner une construction drama- s’aperçoit alors que ce couple est trop jeune sport ; il assiste très souvent à des réunions de tique plus élaborée à l’intrigue, puis d’écrire pour s’encombrer d’un enfant de douze ans. comités, etc... Sous l’apparence d’un bohème, les dialogues. C’est à ce moment qu’il rédigea Elle n’est pas intelligente, seulement un peu il s’est intégré dans un univers sportif extrême- ces quatre fiches sur les quatre personnages plus «instruite» que la moyenne des femmes ; ment hiérarchisé et tout en se moquant des principaux, afin de permettre à Marcel Moussy elle «tranche» sur tous les sujets, péremptoire gens qui s’occupent de la politique, il brigue, de mieux les connaître et les comprendre. jusqu’à l’inconscience. sans bien s’en rendre compte, des postes L’apport personnel des deux jeunes interprètes Elle manque formidablement de simplicité ; honorifiques du genre «vice-président du sec- Jean-Pierre Léaud et Patrick Auffay, et l’impro- c’est une bovary de plus sur la terre ; son mari teur parisien», «rédacteur en chef du bulletin visation de certaines scènes au tournage, l’appelle parfois «la sauvage», ce qui la flatte. trimestriel des amis de l’eau», etc. modifièrent quelque peu les données primitive- Sa nervosité la conduit souvent à interrompre Il sait très bien «raconter» drôlement, en exa- ment étabIies. son interlocuteur : «oui, je vois, je vois.» Alors gérant toujours pour être plus efficace ; il Nous publions ensuite le texte intégral de l’un qu’elle ne voit rien du tout. appelle son patron le «singe», il adore les des moments les plus étonnants du film, Elle est anarchisante, une terroriste en calembours. Il fait souvent rire Antoine à table, I’interrogatoire par la psychologue. chambre, hors de la société (révolte naturelle ce qui exaspère sa femme «Hum, hum, le de la part d’une fille-mère élevée bourgeoise- temps est à l’orage, bobonne n’est pas dans ment et qui a découvert, trop brusquement, son assiette» ; un peu lâchement, il laisse sa I’injustice du monde) ; on sent qu’il aurait fallu femme «engueuler le gosse». La mère d'Antoine peu de choses dans sa vie (rencontre d’un Il fait parfois allusion aux «sorties» de sa maquereau ou d’un escroc) pour qu’elle devien- femme le soir avec une mystérieuse amie. «Je Guère plus de trente-deux ans. Elle a eu son ne une putain ou une aventurière un peu voleu- voudrais bien la voir, moi, cette Yvonne !». On fils trop jeune et sans doute s’est-elle mariée se. comprend qu’il n’est pas jaloux, préférant sa peu après. Voilà l’excuse à son comportement : Elle a horreur des enfants et surtout des nou- tranquillité. elle aurait, peut-être, plus tard, souhaité avoir veaux-nés ; sa cousine attend un troisième Il parle à Antoine de la nécessité d’être honnê- un enfant mais Antoine n’a pas été «voulu» ; il enfant : «Moi, je trouve ça répugnant, c’est du te mais à table, une heure plus tard, il envisage a représenté pratiquement un accident dans sa lapinisme.» de «ratiboiser» un peu de fric à son patron, en vie : on peut penser que sans sa venue au Elle ne dira jamais : Antoine, mais seulement truquant les notes de frais d’hôtel, etc... monde, elle se serait mieux mariée, plus tard... mon petit, le gosse, Ie petit et Ies mauvais Les femmes l’intéressent peu ; il trompe la Extrêmement nerveuse et intolérante, elle terri- jours : mon pauvre ami ! sienne douze fois moins souvent qu’elle ne le fie Antoine auquel elle ne passe rien ; s’il ne Il semble que depuis l’enfance, elle n’ait trompe, lui. Il dira «une belle pépé avec de fait rien, ne dit rien et reste dans son coin à lire jamais retrouvé le naturel ; même seule avec sacrés lolos»... mais il préfère parler des tout va bien, elle affecte seulement de l’ignorer ; son mari ou avec Antoine, il faut qu’elle joue femmes que les pratiquer. ce qu’elle ne lui pardonne pas, c’est de se un personnage en sorte que l’actrice chargée Par rapport à sa femme, qui est snob, il est manifester parfois en tant qu’enfant : rires de ce rôle paraîtra en faire trop dans la coquet- simple, direct, gentil, compréhensif, un peu intempestifs, poser une question, faire du bruit, terie comme dans l’énervement. C’est une lâche. Il s’insurge volontiers contre l’illogisme tousser, etc... conne sophistiquée. féminin et sa femme l’énerve parfois par sa Au cours des repas, elle parle de lui avec le Lorsqu’elle vient voir Antoine au Centre, elle stupidité. père comme s’il n’était pas là : «Nous sommes porte un chapeau. Antoine sidéré ne regarde Il a tendance à être un peu trop facilement invités chez les X... Que ferons-nous du gosse ?" que le chapeau et, du coup, n’entend rien de ce content de lui, de son humour : il ne sait pas Antoine existe si peu pour sa mère qu’elle tra- qu’elle lui dit. qu’une répartie astucieuse perd tout à la répé- versera facilement le petit appartement en tition - il dira volontiers : «Je lui ai répondu petite culotte et soutien-gorge en sa présence ; mon cher, les morues volent bas cette année... «Comme l’imbécile des Vignes du Seigneur, il L E F R A N C E

SALLE D'ART ET D'ESSAI CLASSÉE RECHERCHE 8, RUE DE LA VALSE 5 42100 SAINT-ETIENNE 04.77.32.76.96 RÉPONDEUR : 04.77.32.71.71 Fax : 04.77.32.07.09 D O S S I E R ponctue souvent «Je ne suis pas mécontent de concierges, ... trop méprisant. je perds mille balles.» René : «Comment ça ?» cette formule !» Chez lui, il ne «l’ouvre pas» ou presque, terrori- Antoine : «Mon père m’avait dit : si tu n’es pas Au contraire de sa femme, il est assez bien sé par sa mère qu’il admire confusément et collé pendant...» Le prof.: «Doinel, vous aviez intégré à la société ; il a du bon sens, de la dont il est assez fier. Il se rattrape dehors et déjà une heure de retenue ça ne vous suffit logique, du sens civique et un certain talent devient vite saoulant ; comme il a un avis sur pas ? Allez derrière l’armoire jusqu’à la récréa- simplificateur. tout et un esprit de contradiction insensé, ses tion». Il est l’élément équilibré du foyer, l’élément copains de classe le redoutent un peu et ne modérateur, il ramène constamment à leurs l’aiment guère ; il est humble chez ses parents, justes proportions les conflits opposant insolent et persifleur dehors. René Antoine à sa mère. Précocement pédant, il suscite des compli- Par contre, dans les grandes occasions, le guide ments paradoxaux genre : «Quand il parle, on Il complète bien Antoine dont il est très diffé- Michelin, la première fugue, la machine à écri- croirait un homme de trente ans», etc. rent. re, il peut se montrer très sévère (comme si fai- La peur de sa mère l’a rendu assez lâche avec Il est moins agressif mais plus «libre» sant d’une pierre deux coups, il se vengeait en elle, maladroitement flatteur et servile, ce qui qu’Antoine dont il moque sans cesse l’asservis- même temps des humiliations - lointaines dans ne fait que l’indisposer davantage contre lui. Si sement. Il est plus débrouillard, plus décontrac- le temps et dans le cœur - que lui ont fait subir son père et sa mère se disputent, il se range du té, plus machiavélique. sa femme, son patron, la vie en général). côté de sa mère qui ne lui en est absolument C’est lui qui, par pure cruauté enfantine, a été Alors que sa femme a eu son premier bac - la pas reconnaissante : «Toi, le petit, tais-toi, s’il demander aux parents d’Antoine si leur fils naissance d’Antoine l’ayant empêchée de pas- te plaît». Mais lorsque le père met en boîte la était malade : son premier dialogue avec ser le second - le père d’Antoine n’a eu que son mère, il ne peut s’empêcher de rire, ce qui pro- Antoine : brevet supérieur et certains diplômes profes- voque les drames. René : «Toi, tu voles sûrement de l’argent à tes sionnels. Si l’on ajoute à cela qu’il est né en De son père il a hérité le fou-rire facile, c’est parents». province de parents paysans tandis que sa tout. Antoine : «Moi, je, non...» femme est parisienne, fille de fonctionnaire, on Il est à l’aube de la révolte, déjà cynique, sans René : «Pas besoin de rougir, moi aussi j’en mesure le heurt psychologique du ménage. scrupules et glissant vers la sournoiserie. vole et je m’y prends sûrement mieux que toi !» Il se proclame volontiers «individualiste» du Son comportement lorsqu’il est seul doit être René est plus «adulte», moins complexé et genre «moi, je n’emmerde personne, je ne significatif : un mélange de bonnes actions et beaucoup plus ironique, souvent cynique. René demande aux autres que de me foutre la paix». de mauvaises ; il essuie la vaisselle et fait brû- s’instruit tout seul et connaît énormément de En fait, c’est un égoïste soucieux de sa seule ler un torchon ayant voulu le faire sécher trop choses dans beaucoup de domaines (géogra- tranquillité, un semi-ambitieux, semi-pantou- vite ; ayant remonté du charbon, il essuie ses phie, histoire, science, médecine, politique, le flard. mains noires après le bas du rideau, etc. «poids du cerveau des grands hommes»...). Sa volonté de briller par des calembours dispa- Il cache de l’argent, volé sans doute, derrière René domine Antoine, prend les initiatives ; raît quand il est seul avec quelqu’un ; il devient les meubles, s’organise toujours minutieuse- c’est grâce à lui, par ses moqueries parfois plus naturel, capable de tendresse. Un soir, il ment et s’installe dans la fraude ; il aime, seul, cruelles qu’Antoine prend conscience de dînera seul avec Antoine et apparaîtra vraiment se servir des ustensiles de sa mère : l’appareil l’étrangeté des rapports avec sa mère ; celle de comme un brave type. à friser les cils, les disques épilatoires, etc... Il René est baroque mais brave et aimante. Au contraire de sa femme, il ne lit jamais, son singe devant la glace sa mère se maquillant, Antoine se rend compte que la sévérité de sa refuge étant le sport. etc... mère à lui est excessive, anormale, d’où nais- Il faudrait montrer qu’il est déçu par l’indiffé- Antoine est aussi un romantique ; il sera bien- sance d’une révolte en lui. rence d’Antoine vis-a-vis du sport : «Il préfère tôt violemment amoureux. En classe, il est dis- René manie de plus grosses sommes ; il prend passer des heures au cinéma». Lorsqu’il est en sipé, c’est un instable caractériel. Les profes- plus de risques qu’Antoine, car pour lui tout colère, il retrouve tous les lieux communs : «Si seurs sont divisés à son sujet. s’arrange toujours grâce un peu à l’espèce de j’avais dit cela à ton âge, mon père m’aurait C’est encore un angoissé permanent puisqu’il folie de sa mère et à l’indifférence du père. assommé. Tant que tu seras nourri et logé par ne sort d’une situation compliquée que pour René adore les situations périlleuses, l’émotion moi, tu feras ce qu’on te dira». retomber dans une autre, inextricable. Il envie du vol et tout ce qui, chez Antoine, provoque Indiquer son dépit d’être frustré de l’admiration René qui, pratiquement, n’a pas de comptes à des crispations, des angoisses et même des et de la confiance d’Antoine au profit de tiers : rendre à ses parents, lesquels du reste ne le maux d’estomac dont René plaisante souvent. le meilleur copain, Balzac (portrait icône !). maintiennent pas autant «en enfance». On évitera le rapport de forces habituellement Sa noblesse : avoir presque complètement Il a tout le temps des ennuis d’argent ; telles calqué sur les couples - féminin masculin - oublié qu’Antoine n’est pas son fils. sommes qu’il a «piquées» dans un tiroir et qu’il (dans tous les films d’amitiés enfantines) en doit remettre avant telle date, tandis que René sorte que Antoine et René se dominent tour à «pique» sans avoir besoin de restituer. tour sans qu’il intervienne quoi que ce soit Antoine Toujours en retard, toujours en train de courir, d’équivoque. au contraire de René, Antoine est assez mal- René parle de sa cousine qui a deux ans de plus Treize ans, parisien. Il a hérité de sa mère un chanceux ; son père lui promet mille balles s’il que lui. Pendant les vacances, ils couchaient sens critique trop développé ; il a tendance à se reste deux semaines sans attraper de «rete- dans le grenier. «Elle est venue se coucher dans moquer des copains plus frustes, des nues» le jeudi à l’école. Pour une raison quel- mon lit ; j’ai rouspété et je l’ai vidée ; ah, ce conque, il est collé. Antoine : «A cause de toi, que j’ai pu être con, ce que je regrette L E F R A N C E

SALLE D'ART ET D'ESSAI CLASSÉE RECHERCHE 8, RUE DE LA VALSE 6 42100 SAINT-ETIENNE 04.77.32.76.96 RÉPONDEUR : 04.77.32.71.71 Fax : 04.77.32.07.09 D O S S I E R aujourd’hui, j’y pense tout le temps...» C’est Un jour, je l’ai demandé parce que je voulais le gens... et tout ça...», alors, il m’a emmené à chez René que l’on retrouvera le fameux guide lire et je me suis aperçu qu’elle l’avait revendu. l’hôtel où elle était... et puis justement ce Michelin qui sert à fabriquer les fléchettes de jour-là elle n’y était pas, alors on a attendu... sarbacanes. La psychologue une heure... deux heures... comme elle ne René et Antoine ne sont jamais audacieux ni Tes parents disent que tu mens tout le temps. venait pas... mois je me suis tiré ! dégonflards en même temps d’où les disputes Antoine François Truffaut après le «gros coup» : le vol de la machine. Ben, j’mens, j’mens de temps en temps quoi... Cinéma 60 n°42 Janvier 1960 René vient voir Antoine au Centre, un des fois je leur dirais des choses qui seraient la dimanche, et lui amène un paquet de vérité ils me croiraient pas, alors je préfère dire «Cinémonde». Comme il n’est pas de la famille, des mensonges. on l’empêche de voir Antoine ; ils se voient à travers la vitre. Il laisse le paquet de La psychologue «Cinémonde» que le gardien jette ensuite Pourquoi n’aimes-tu pas ta mère ? puisque ce n’est pas de la nourriture. Antoine Vibration Importance de la dernière poignée de mains Parce que d’abord j’ai été en nourrice... et puis entre les deux lorsque le père Doinel a mis la quand ils ont plus eu d’argent, ils m’ont mis Dans son livre “Les films de ma vie”, Truffaut main sur Antoine : «Et puis, tu peux dire au chez ma grand-mère... ma grand-mère elle a explique qu’il a toujours demandé aux films des revoir à ton petit copain, parce que vous n’êtes vieilli et tout ça... elle pouvait plus me garder... autres d’exprimer soit la joie, soit l’angoisse de pas près de vous revoir.» alors je suis venu chez mes parents. à ce faire du cinéma, et qu’il se désintéresse de tout moment-là, j’avais déjà huit ans... tout... je me ce qui est entre les deux - c’est-à-dire de tout suis aperçu que ma mère, elle m’aimait pas tel- ce qui ne «vibre» pas. Son œuvre elle-même lement ; elle me disputait toujours et puis, pour n’est qu’une longue vibration, modulée avec rien… des petites affaires insignifiantes... autant d’intelligence que de sensibilité, par un L’interrogatoire par la psycho- alors aussi j’en... quand... quand il y avait des homme qui a su - comme dirait Cocteau - se scènes à la maison, je... j’ai entendu que... que diriger en droite ligne vers lui-même . logue ma mère elle m’avait eu quand elle était... Les films-clés du cinéma quand elle était... elle m’avait eu fille-mère La psychologue quoi... et puis avec ma grand-mère aussi elle Pourquoi as-tu rapporté la machine ? s’est disputée une fois... et là, j’ai su que... elle Antoine Doinel avait voulu me faire avorter et puis si je suis né, Ben... parce que... comme je ne pouvais pas la c’était grâce à ma grand-mère. revendre... comme je pouvais rien en faire... François Truffaut moi, j’ai eu peur... je ne sais pas, je l’ai rappor- La psychologue tée... je ne sais pas pourquoi, comme ça... Qu’est-ce que tu penses de ton père ? Antoine La psychologue Ah, mon père, il est bien gentil comme ça... Dis-moi, il paraît que tu as volé 10.000 francs à mais il est un peu lâche parce que... il sait bien ta grand-mère ? que ma mère elle le trompe, seulement pour ne Antoine pas avoir de scènes.. rien... il préfère rien dire... Elle m’avait invité, c’était le jour de son anni- rester comme ça... versaire... et puis, alors, comme elle est vieille, elle mange pas beaucoup... et puis elle garde La psychologue tout son argent... elle en aurait pas eu besoin ; As-tu déjà couché avec une fille ? elle allait bientôt mourir. Alors, comme je Antoine connaissais sa planque, j’ai été lui faucher... Non jamais, mais enfin, je connais des copains des ronds, quoi ! Je savais bien qu’elle ne s’en qui ont... qui sont allés.. alors ils m’avaient dit apercevrait pas. La preuve c’est qu’elle s’en est si tu as vachement envie, t’as qu’à aller rue pas aperçue ; elle m’avait offert un beau bou- Saint-Denis. Alors moi j’y suis allé... et puis j’ai quin ce jour-là. demandé à des filles et je me suis fait vache- Alors ma mère, elle avait l’habitude de fouiller ment engueuler, alors j’ai eu la trouille... et je dans mes poches, et le soir j’avais mis mon suis parti et puis je suis venu encore plusieurs pantalon sur mon lit, elle est sans doute venue fois et puis comme j’attendais dans la rue, il y a et puis elle a fauché les ronds, parce que le len- un type qui m’a remarqué qui a dit : «Qu’est-ce demain je les ai plus trouvés. Et puis elle m’en que tu fous là ?» c’était un Nord-Africain, et a parlé, alors j’ai été bien forcé d’avouer que je ben alors je lui ai expliqué, alors il m’a dit, il les avais pris à ma grand-mère. connaissait sans doute les filles, parce qu’il Comme son co-équipier Jean-Luc Godard, Alors à ce moment-là elle m’a confisqué le m’a dit : «Moi je connais une jeune... quoi, qui Francois Truffaut (1932-1984)est d’abord un beau livre que ma grand-mère m’avait donné ! va... une jeune quoi... avec les... les jeunes écorché vif, imprégné jusqu’à la mœlle de L E F R A N C E

SALLE D'ART ET D'ESSAI CLASSÉE RECHERCHE 8, RUE DE LA VALSE 7 42100 SAINT-ETIENNE 04.77.32.76.96 RÉPONDEUR : 04.77.32.71.71 Fax : 04.77.32.07.09 D O S S I E R cinéma (Renoir, Vigo, Hitchcock...) et qui fut vation de la vie quotidienne et sur l’étude de Les 400 coups révélé, de facon spectaculaire, par un long caractères. Oublié Hitchcock auquel il consacra métrage non conformiste : ces Quatre cents un grand livre. Les quatre cents coups Tirez sur le pianiste 1959 coups au titre sonnant comme un manifeste de ouvrent le cycle Doinel qui va fonder la réputa- jeune Turc résolu à rompre les lances. Comme tion de Truffaut : L’amour à vingt ans, Jules et Jim 1961 Godard, il a commencé par la critique, mais en Baisers volés, Domicile conjugal… On y concevant cet exercice d’une manière plus apprend comment beurrer des biscottes sans L’amour à vingt ans sérieuse, selon les principes inculqués par son les casser ou se faire payer ses leçons de vio- (un épisode) père spirituel André Bazin (auquel est dédié ce lon sans vexer le client. Fraîcheur et gentillesse premier film) ; comme Godard encore, il a trou- que l’on retrouve aussi dans Jules et Jim. La peau douce 1963 vé un interprète rêvé en la personne de L’autobiographie est évidente, même si Jean- Jean-Pierre Léaud, son faire-valoir et son Pierre Léaud admirable de naturel, a fini par Fahrenheit 451 1966 double. Mais les ressemblances s’arrêtent là : absorber Antoine Doinel au détriment de Les quatre cents coups, comme les films qui Truffaut. Celui-ci en revanche n’a pas la tête La mariée était en noir 1967 vont suivre, est nettement plus respectueux des tragique. Tirez sur le pianiste tourne vite à la normes classiques du récit cinématographique ; pochade, malgré le patronage de Goodis : I’un Baisers volés 1968 il conte une histoire simple, celle d’un enfant des gangsters affirme qu’il dit vrai et le jure sur mal dans sa peau, comme Truffaut le fut sans la tête de sa mère sinon “qu’elle succombe à La sirène du Mississipi doute, mais dont sont exorcisés du même coup l’instant!”. Plan suivant : on voit une vieille les aspirations et les blocages affectifs ; l’esprit dame qui s’écroule, morte. Imagine-t on une L’enfant sauvage 1969 de révolte cède le pas au besoin de tendresse, scène pareille chez Hawks ? Malgré le souvenir la volonté d’édifier une œuvre - et de réussir tragique des années d’Occupation, on pense Domicile conjugal 1970 une vie - exclut toute rage suicidaire. Les routes sans arrêt à Sacha Guitry dans Le dernier de Godard et Truffaut, d’ailleurs, divergeront métro. Une tentative aussi originale que La Les deux Anglaises et le continent 1971 très vite. La carrière du second sera celle d’un chambre verte, évocation d’un culte maniaque créateur responsable, qui saura s’intégrer au des morts, surprend tellement de la part de Une belle fille comme moi 1972 «système» sans rien abdiquer de sa sincérité. Truffaut que le film est un échec commercial. Truffaut est bien dans la lignée des grands Oui à «l’homme qui aimait les femmes», thème La nuit américaine cinéastes du cœur. très français donc digne de Truffaut, non à «l’homme qui aimait les morts» un sujet pris à Les films-clés du cinéma L’histoire d’Adèle H. 1975 Henry James, trop macabre pour le cinéaste des Quatre cents coups. Reste que Truffaut L’argent de poche Ses débuts dans la vie sont ceux d’un futur réa- est le seul auteur de la Nouvelle Vague à avoir lisateur maudit : enfance malheureuse, service poursuivi une œuvre personnelle sans avoir L’homme qui aimait les femmes 1976 militaire interrompu par la désertion, etc. Rien perdu, sauf le cas exceptionnel de La chambre alors ne laisse prévoir que Truffaut deviendra le verte, le contact avec le public. S’il n’est pas La chambre verte 1977 représentant officiel de la France dans les devenu Hitchcock, il a été notre nouveau grands festivals. André Bazin lui ouvre Les Renoir. Sa mort prit la dimension d’un deuil L’amour en fuite 1978 cahiers du cinéma : Truffaut s’y fait remarquer national. par la virulence de ses critiques ; il exécute la Jean Tulard Le dernier métro 1980 plupart des grands réalisateurs du moment Dictionnaire des réalisateurs (Delannoy, Cayatte, Autant-Lara...) et exalte les La femme d’à côté 1981 cinéastes américains de série B. Le cinéma qu’il aime n’est pas celui qu’il fera : il appréciait le Vivement dimanche ! 1982 sens de l’action des petits maîtres américains, leur virtuosité technique et la désinvolture de Filmographie leurs scénarios ; les films de Truffaut seront classiques, pour ne pas dire académiques, et son bref passage dans le thriller ou la science- fiction catastrophique. Ni Siegel, ni Heisler, ni 1955 Documents disponibles au France Seller n’auraient manqué les adaptations des (court métrage) deux-chefs d’œuvre d’lrish, La mariée et La Dossier Collège au Cinéma n°32 sirène du Mississipi, ni le superbe Les mistons 1958 Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. D’emblée, Synopsis Les 400 coups, étude et critique par (court métrage) dès son court métrage Les Mistons (I’éveil de Anne Gillain, éd. Nathan la sexualité dans un groupe de garçons durant François Truffaut, par Carole Le Berre, collection Histoire d’eau les vacances d’été), il montre où il va se situer : Auteurs, éd. Cahiers du Cinéma dans une tradition française fondée sur l’obser- (court métrage) … L E F R A N C E

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