Le Parler Franco-Acadien
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PAH Pascal Poirier Mgr Stanislas Doucet : Le Prélat,. Le Patriote, L'Ami, Cet ouvrage est dédié. QUÉBEC IMPRIMERIE FRANCISCAINE MISSIONNAIRE 1928 LE PARLER FRANCO-ACADI EN ET SES ORIGINES LE PARLER FRANCO-ACADIEN ET SES ORIGINES PAR Pascal Poirier A Mgr Stanislas Doucet : Le Prélat, Le Patriote, L'Ami, , Cet ouvrage pst dédié. (1) ,. 1. — Mgr DOUCET en avait accepté la dédicace de son vivant. PRÉFACE Gar si l'usage veut, plusieurs mots reviendront, Après un long exil. VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. Ceci est un essai de réhabillitaton du parler franco-acadien. Certaines expressions dont on se sert, en Acadie, font sourire les Canadiens et les " Français de France. " Nos gens n'aiment pas qu'on se moque d'eux. Plutôt que de s'exposer à la risée des étrangers, ils se tairont, ou parleront anglais ; ou bien, s'ils parlent français, leur français, ce sera avec gêne, presque en rougissant. Et pourtant, cette langue, c'est celle que leurs pères ont apportée de la Touraine et du Berri, dans la première partie du XVIle siècle, lorsqu'ils vinrent coloniser " la Nouvelle-France " d'Amérique. La crainte qu'éprouve le paysan acadien de parler sa langue devant les étrangers et même en présence de toute personne " édu- quée ", est chose dangereuse pour lui, au point de vue national. Elle ouvre une écluse à la marée montante de l'anglicisme, qui déjà déborde. Et puis, il ne faut pas qu'un enfant soit exposé à rougir de sa mère. Pour un Acadien, rougir de sa langue maternelle, c'est un peu rougir de la France. L'idée de réhabiliter, selon la mesure de mes moyens, le parler acadien, avec les mots dont il se compose, m'est venue au Collège Saint-Joseph (Nouveau-Brunswick), pendant que j'y faisais mes classes. Notre professeur, excellent religieux, me demanda, un jour de Composition, où j'en étais de mon discours français, s'il était terminé. — Pas tout à fait, mon Père, mais il avance par les petits. — Par les petits ! Qu'est-ce que c'est que ce baragouin-là f Je demeurai court, rougissant jusqu'aux oreilles. •— Mais nous disons comme çà, par ici, pour : ça avance petit à petit, graduellement. — Dites, " un petit peu ",et tâchez de parler français la pro chaine fois. — 8 — De ce moment-là, je me suis mis, rageusement, à recueillir les locutions et les mots particuliers à notre idiome, dans le dessein d'en justifier la provenance, en les rattachant à l'arbre généalo gique de la langue française. J'en ai dressé une liste assez longue. Mais, avant de la publier, sous forme de GLOSSAIRE, j'ai cru devoir esquisser l'étude de l'idiome lui-même. C'est cette esquisse que je présente aujourd'hui aux linguistes de France et du Canada. Si elle rencontre quelque encouragement, le GLOSSAIRE suivra. Si je dois en rester là, je n'en dirai pas moins avec le clerc Gamier, auteur d'un poème sur Thomas Becket : " Mis language est buens, car en France suis nez. " Shédiac, N. B., 15 août, 1928. LE PARLER FRANCO-ACADIEN ET SES ORIGINES CHAPITRE I Origine du parler acadien Il serait possible de retrouver, par le seul examen de la lan gue que parlent aujourd'hui les Acadieris, la province de France d'où sont sortis leurs ancêtres. Cette langue n'est pas un dialecte qui leur est exclusive ment particulier ; c'est moins encore un patois : c'est le fran çais même qui se parlait dans la Touraine et le nord-ouest du Berry, au milieu du xvne siècle. La langue à laquelle Vaugelas donna des lois ; que Pascal, Racine, Bossuet et les autres principaux écrivains du grand siècle portèrent à sa plus haute perfection ; que consacra l'Aca démie, siégeant, en 1635, pour la première fois; la langue fran çaise, enfin, que l'on entend à Paris, est née des idiomes que par laient alors et que parlent aujourd'hui les Normands, les Pi cards et les Bourguignons, l'idiome de ces derniers comprenant les dialectes de l'Ile-de-France et des provinces avoisinantes, la Champagne, l'Orléanais, le Berry, le Maine, la Touraine, la Franche-Comté, le Nivernais. Le parler acadien plonge ses racines au tréfonds de cette lan gue ; il puise sa syntaxe et ses vocables à ses sources vives. Le français n'est pas, comme on l'a prétendu, une langue mère. C'est un dérivé ; c'est ce qu'en géologie on appellerait une formation sédimentaire. La couche presque entière en est faite de latin décomposé. A la surface affleure la langue officielle qui se parle et s'écrit aujourd'hui, langue assujettie 2 — 10 — aux règles plus ou moins capricieuses des grammairiens, et affinée à l'excès,1 depuis trois siècles, par les poètes, les philo sophes et les grands écrivains. La strate sous-jacente est composée de ce qu'on appelle le vieux français. Plus bas, on trouve la langue des chroniqueurs, des trouvères et des troubadours, et, à la base, le roman, qui est presque du latin. A ces trois périodes correspondent, res pectivement, si l'on peut dire, le pliocène, le miocène et l'éocène de l'âge tertiaire des géologues. En dessous tout à fait, au con tact de la formation archaïque, est le celtique, dérivé, ainsi que le latin, d'ailleurs, des langues primordiales sorties de l'Inde, et se rattachant à la famille aryenne. Plus bas encore et plus loin, ce sont les profondeurs inexplorées, la tour de Babel, l'Eden, le grand mystère de l'origine des choses. * Quoique issus de la même matrice, les divers dialectes qui se parlent aujourd'hui, en France, ne se ressemblent guère, au premier abord. Au sud du royaume, disons plus proprement, de la République, dans les anciens comtés de.la Provence et du Languedoc, plus voisins de Rome, foyer central, le français populaire n'est pour ainsi dire que du latin métamorphique. A mesure que l'on s'éloigne de l'Italie, on remontant vers le nord, la forme latine s'use au frottement des autres langues, perd ses contours, s'affaiblit, s'efface peu à peu et se retire dans les radicaux. Pour la retrouver, pour l'isoler, la dégager, l'en extraire, il faut re courir à l'analyse quantitative du philologue et du linguiste. Par ci, par là, des expressions de provenance étrangère, ap portées, les unes d'Allemagne par les Francs ; les autres de la Scandinavie et du Danemark, par les Normands ; d'autres, en petit nombre, de l'Asie, par les croisés, ou de l'Afrique, par les Sarrazins d'Espagne, avec, en Bretagne, un affleurement distinct de néo celtique,2 et, en Béarn, de basque. 1. — Les Acadiens disent plutôt : aux excès. 2. — Là langue que parlent aujourd'hui les Bretons bretonnants du Finistère, des-Côtes-du-Nord et du Morbihan, est un dialecte celtique importé en France, aux Ve, Vie et Vile siècles de notre ère, par un cer tain nombre d'habitants de la Grande-Bretagne (l'Angleterre) fuyant — 11 — Pour être né du latin, le français n'en est pas moins, aujour d'hui, une langue autonome. L'évolution fut lente, hésitante, incertaine, qui fit du parler sonore du Latium, l'idiome limpide de l'Ile-de-France.1 Les phases successives par lesquelles passa le latin avant de devenir le français ; les obstacles qu'il rencontra sur son chemin ; les ennemis qui l'assaillirent et le pillèrent le long de la route, firent que c'est tout meurtri et presque méconnaissable qu'il est arrivé aux étapes extrêmes de sa course. Ce n'est pas dans le moule académique de la langue de Virgile et de Cicéron que se sont formés les nombreux dialectes qui, dès les premiers siècles de l'ère chrétienne, se sont partagé le royau me de France ; ce n'est pas même sur le parler populaire de Plante ; c'est du langage vulgaire, du patois latin, c'est de la lingua rustica, mêlée avec la lingua militaris de l'inculte et grossier légionnaire, qu'ils sont sortis, soit en même temps, soit les uns après les autres. Le français sanctionné par l'Académie n'est, en définitive, que du patois officiel. Lorsque Jules César, peu de temps avant l'ère chrétienne, mit sous le joug de Rome, les Gaules, qu'il se vante d'avoir di visées en trois parties,2 mais qui l'étaient bien longtemps avant sa conquête, la langue parlée dans le nord, l'ouest et le centre des provinces annexées à la République romaine, puis à l'Empire, était le celtique ; celle du sud, à Marseille et dans les environs,, le grec ; et, dans ce qui constitue aujourd'hui le Béarn et une partie de la Guyenne, le basque ibérique. Les habitants de ces diverses régions, à l'exception des Bas ques, ou Gascons d'Aquitaine, se comprenaient entre eux, malgré la diversité parfois profonde des différents dialectes- devant l'invasion des Saxons. Ce n'est pas tout à fait le celtique parlé dans les Gaules au temps de l'invasion des Romains. Celui-ci avait, à cette dernière date, sombré et disparu sous la marée envahissante du latin uni versel. 1. — L'Ile-de-France, qui constitua longtemps tout l'apanage de nos. rois, se composait du pays compris entre la Marne, la Seine, l'Oise, le- Valois et le Mulcien. 2. — La Belgique, la Celtique et l'Aquitaine. — 12 — •qu'ils parlaient. Ceux de la Belgique communiquaient direc tement avec ceux de la Bretagne, et ceux-ci avec les nations du centre et de l'ouest des Gaules.