Philippe Lavigne Delville

Aide internationale et sociétés civiles au

KARTHALA - APAD - IRD

AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER KARTHALA sur internet: www.karthala.com (paiement sécurisé)

Couverture: Panneaux d'Ong et de projets dans une rue de Niamey. Photo: Philippe Lavigne Delville.

© Éditions Karthala, IRD et APAD, 2015 ISBN (Karthala): 978-2-8111-1503-6 ISBN (lRO): 978-2-7099-2160-2 Philippe LAVIGNE DELVILLE

Aide internationale et sociétés civiles au Niger

APAD Karthala IRD Suprago - BP 5098 22-24, bd Arago 44, bd de Dunkerque 34093 Montpellier Cedex 5 75013 Paris 13572 Marseille

Préambule

Portant sur les rapports entre aide internationale et sociétés civiles, cette recherche a correspondu pour moi à un certain retour aux sources et à une mise à l'épreuve. Retour aux sources, après une quinzaine d'années largement centrées sur les questions foncières, puisque les dynamiques associatives avaient été un de mes premiers sujets de recherche, avec les associations villageoises de développement dans la zone d'émigration internationale de la vallée du Sénégal, étudiées dans ma thèse (Lavigne Delville, 1994), et l'ouvrage sur les associations paysannes en Afrique, issu du premier colloque de l'APAD et co-dirigé avec Jean-Pierre Jacob (Jacob et Lavigne Delville dir, 1994). Mise à l'épreuve de mes nouvelles problématiques puisque, si j'abordais déjà l'intervention de développe­ ment comme forme d'action publique dans mes travaux sur les politiques foncières au Bénin, cette recherche est la première construite autour de cette problématique, qui constitue le cadre théorique de mes travaux actuels. La recherche que restitue cet ouvrage s'est déroulée pour l'essentiel entre 2009 et 2011 dans le cadre d'un séjour de trois ans au LASDEL, Laboratoire d'études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local, permis par un accueil IRD au Niger. Elle a été complétée par deux missions en 2012 et 2014. Elle s'appuie sur une série d'entretiens approfondis, menés auprès d'acteurs divers: responsables d'organisations de la société civile, agents de l'État, chercheurs, membres des structures d'aide, etc. dont la majorité des acteurs nigériens et euro­ péens ayant été impliqués dans la conception du PASOC (dont un certain nombre d'entretiens téléphoniques, pour les acteurs non basés au Niger); des observations (visites dans des ONG; séances d'information du PASOC; un atelier de programmation stratégique d'un collectif; l'atelier de capitalisation du PASOCà Zinder) ; une analyse approfondie de la litté­ rature grise. Outre ces enquêtes, l'analyse que je propose des dispositifs projets doit beaucoup à mon expérience de chercheur/praticien au Gret, et en particulier aux dix ans passés à la Direction scientifique du Gret, entre 1999 et 2008, qui ont en quelque sorte constitué une longue immersion anthropologique dans un segment spécifique du système d'aide (Lavigne Delville, 2011b). Passer trois ans au LASDEL est un bonheur pour un socio-anthropo­ logue du développement. C'est retrouver des collègues et amis connus de longue date dans l'APAD, Jean-Pierre Olivier de Sardan qui avait à l'époque accepté de diriger la thèse du jeune agro-économiste encore 6 AlDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER incomplètement «socio-anthropologisé» que j'étais alors, Mahamane Tidjani Alou et Mohamed Abdoulaye, rencontrés plus de dix ans plus tôt à Marseille et dans les colloques de l'APAD. C'est faire connaissance d'une véritable équipe, entre chercheurs, doctorants, assistants de recherche; c'est participer à une dynamique intellectuelle assez unique, alimentée par les séminaires du mardi, le séminaire doctoral, les colloques, les Univer­ sités d'été, et les nombreuses discussions autour d'un thé ou chez le vendeur de brochettes. Je remercie très sincèrement l'IRD, l'UMR Développement et sociétés (lRD/Paris 1) et l'équipe de la représentation de l'IRD au Niger, en parti­ culier Gilles Bezançon, André Guichaoua et Jean-Yves Moisseron pour avoir rendu possible cet accueil. Je remercie également très vivement le LASDEL, et en particulier Mohamed Abdoulaye, Jean-Pierre Olivier de Sardan, Amadou Oumarou, et Mahamane Tidjani Alou, pour m'avoir accueilli dans leur équipe et pour les nombreux échanges et discussions, auxquels ce travail doit beaucoup. Je remercie également très sincèrement Marou Amadou, Frédéric Ceup­ pens, Yves Chunleau, , Ide Djermakoye, Mahaman Moha, Susana El Kum Molina, Maurizio Floridi, Marion Fresia, Jacques Hervé, Maman Lamine Tata, Johanna Siméant, Moussa Tchida, Mahaman Tidjani Alou, et les relecteurs anonymes pour leur disponibilité et nos nombreux échanges pendant ma recherche et/ou leurs retours sur les versions successives de mon manuscrit. Je dédie enfin cet ouvrage à Hadiza Moussa et Mathieu Hilgers, deux jeunes brillants collègues anthropologues, membres du bureau de l' APAD, tragiquement disparus ces dernières années. Préface

Le livre de Philippe Lavigne Delville porte sur un sujet d'actualité dans les pays africains qui découvrent de plus en plus de nouvelles formes de participation et de mobilisation. La question de la société civile, large­ ment galvaudée par son usage intempestif notamment dans le monde du développement, provoque en sciences sociales de nombreuses contro­ verses, qui contribuent au renouvellement des problématiques et des ques­ tionnements. La notion de société civile provoque même la méfiance et la suspicion dans les débats académiques. Le chercheur qui s'y intéresse court le risque d'être soupçonné de connivence coupable avec le monde du développement. Dès lors, il faut bien prendre la mesure de cette contri­ bution originale et très documentée qui constitue non seulement une synthèse utile, mais apporte aussi, de façon incontestable, de nouveaux éclairages et de nouvelles connaissances. Fondé sur des données empiri­ ques riches dans des contextes où prévaut le plus souvent des discours normatifs et idéologiques, cet ouvrage éclaire en effet les dynamiques complexes des associations et leurs rapports à l'aide internationale, prenant acte de leur extraversion et de leurs contradictions sans les déni­ grer ni les idéaliser. En s'attaquant à cette thématique au Niger, Philippe Lavigne Delville partait d'un énorme capital acquis dans ses fonctions antérieures de direc­ teur scientifique du GRET qui l'ont ouvert à de terrains très variés en Asie et en Afrique, et lui ont apporté une connaissance à la fois intime et critique du monde de l'aide. Mais au-delà de cette riche expérience, large­ ment ouverte sur l'action, c'est surtout un travailleur chevronné, attentif et méticuleux. Tout comme il est un grand lecteur dont l'éclectisme et la curiosité sont impressionnants. Au cours de son séjour au Niger, dans le cadre du LASDEL, Philippe Lavigne Delville a vite acquis et approfondi des connaissances sur l'histoire récente du Niger, sa vie politique et les dynamiques de sa société civile, à partir desquelles il a pu mener des enquêtes efficaces et productives, tant dans les milieux des bailleurs de fonds qu'auprès d'associations et d'ÜNG. La porte d'entrée par l'aide s'est révélée porteuse et bien nourrie par une littérature riche et actualisée par les ouvrages les récents sur les sujets les plus variés en lien direct avec les questions traitées dans son ouvrage. Par cette recherche, Philippe Lavigne Delville consolide ses ancrages en socio-anthropologie et sur les questions liées à l'aide au développement et aux politiques publiques où il s'est révélé un fin analyste. J'ai pu aussi partager avec lui son projet de mettre en place un observatoire de la société civile au Niger. Nous en avons défini les grands axes et même une stratégie d'enquête appropriée. 8 AIDE INTERNATIONALEET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Malheureusement, ce projet de recherche, pour diverses raisons, n'a pas abouti. Sur ces questions liées à la société civile, les problématiques qui émer­ gent désormais ont fortement à voir avec la construction d'un espace public, l'implication des associations et des ONG dans la conception et la mise en œuvre des politiques de développement, l'identification des acteurs de la société civile et leur profil, etc. Sur toutes ces questions, Philippe Lavigne Delville peut se prévaloir du livre qu'il a codirigé avec Jean Pierre Jacob sur les associations paysannes en 1994 à l'issue du colloque de l'APAD qui s'est tenu à Montpellier en 1992. Dans ce contexte du début des années 1990, marqué par l'enclenchement des processus démo­ cratiques, les chercheurs utilisaient peu la notion de société civile. Mais on voyait déjà poindre les premiers éléments d'une thématique dont les vertus heuristiques se révéleraient assez rapidement avec les recherches conduites par Bierschenk, Chauveau et Olivier de Sardan sur les courtiers du développement. Ce livre peut être analysé comme prolongeant et enra­ cinant une tradition de recherche largement établie depuis une vingtaine d'années dans le cadre de l'APAD, que Philippe Lavigne Delville préside depuis quelques années. Au-delà d'une esquisse d'histoire et d'une cartographie analytique de la société civile nigérienne qui est malgré tout extrêmement active, l'un des traits les plus originaux de ce travail réside dans l'ethnographie qu'il réalise de l'aide au développement dans ses interactions avec les organisa­ tions de la société civile au Niger. Certes, l'aide à l'Etat a largement été étudiée, notamment par le truchement des doctrines, des projets et des programmes de développement, et l'aide orientée vers la société civile constitue un élargissement des interventions par rapport aux cadres classi­ ques. En cela, l'exemple du Projet d'Appui à la Société Civile (PASOC), directement issu des Accords de Cotonou, nouvel accord de partenariat UE/ACP signé en 2000, constitue un cas intéressant qui illustre bien l'op­ tion de l'Union européenne d'appuyer des acteurs autres que l'Etat. Philippe Lavigne Delville a le mérite de nous le faire découvrir dans ses démarches, dans le type d'appui qu'il accorde aux organisations de la société civile au Niger, mais aussi dans ses limites. On retiendra aussi de cet ouvrage un apport méthodologique riche dans la production des données, notamment les capacités de l'auteur à produire des entretiens approfondis avec des acteurs stratégiques issus d'arènes différentes, l'amenant ainsi à produire un travail pionnier qui, on peut l'espérer, pourra inciter d'autres chercheurs à explorer d'autres dimen­ sions d'un sujet qui reste malgré tout en friche. Ces apports n'épuisent pas la richesse de ce livre qu'il faut considérer comme une contribution très appréciable à l'étude des dynamiques des sociétés civiles en Afrique de l'Ouest.

Mahaman TIDJANI ALOU Professeur de science politique, Université Abdou Moumouni de Niamey, Chercheur au LASDEL. Introduction

Comment les institutions d'aide définissent-elles leurs politiques et leurs projets d'appui à la société civile?

Depuis une trentaine d'années, le « renforcement de la société civile» est devenu un des leitmotive de l'aide internationale. Des petites Ong militantes aux plus grands bailleurs de fonds, chacun veut promouvoir une société civile « vibrante », considérant que celle-ci contribue à la démo­ cratisation des pays ou à la consolidation de régimes démocratiques, pousse les États à adopter des politiques publiques inclusives, apporte des services aux populations. Partenariat, renforcement de capacités, sont au cœur des discours. Des projets spécifiques sont définis et mis en place dans cet objectif. La question de la société civile dans les pays en développement est pourtant controversée. Là où certains y voient une société qui se prend en charge et s'autonomise par rapport à un État trop longtemps hégémonique, d'autres soulignent la prégnance des rapports clientélistes dans la société et l'extraversion d'organisations largement branchées sur l'aide interna­ tionale. Au sein des institutions d'aide, les discours privés tranchent souvent avec les prises de position officielles. Entre dénigrement et idéali­ sation, que sait-on finalement des dynamiques sociales et politiques vingt cinq ans après l'explosion associative des années 1990? Pour beaucoup, le fait que l'aide internationale prétende promouvoir la société civile est suspect par définition: au-delà des discours, quels sont les objectifs réels des institutions internationales? Au nom de quelle légi­ timité prétendent-elles « structurer» ou « renforcer» la société civile»? Ne cherchent-elles pas à conforter leurs stratégies néolibérales de déman­ tèlement de l'État? A promouvoir des organisations plus flexibles que l'État, moins coûteuses que le secteur privé, pour mettre en œuvre un minimum de filets sociaux destinés aux exclus de la libéralisation écono­ mique? Face à ces interrogations, de multiples recherches ont, depuis plus de deux décennies, analysé les documents de stratégies produits au niveau international, critiqué la pauvreté de leur substrat théorique sur le concept de société civile, mis en avant les ambigüités et contradictions de ces discours. Les critiques des discours idéalisant sur la société civile sont aussi nombreuses que les textes qui l'idéalisent. Mais il ne suffit pas d'analyser les discours des institutions d'aide pour savoir ce qu'elles font, 10 AlDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER comment, et avec quels effets. Ce serait surestimer le rôle des discours et sous-estimer les disjonctions entre discours et pratiques, soulignées à juste titre par l'anthropologie du développement (Mosse, 2(05). Les politiques des institutions d'aide résultent de jeux d'acteurs complexes et traduisent des compromis. Elles sont l'objet de conflits d'interprétation au sein même de ces institutions. Loin d'être la déclinaison mécanique des documents de stratégie, la mise en œuvre des politiques passe par de multiples traduc­ tions, elle se confronte à des cultures institutionnelles, à des contextes variés. Les discours ont certes des effets performatifs, au sens où ils construisent des façons de lire les réalités, autour desquelles les acteurs ajustent leurs pratiques. Mais l'influence de l'aide sur les organisations tient autant, sinon plus, aux pratiques concrètes des institutions d'aide, à la façon dont elles agissent, à leurs dispositifs, à leurs instruments. Pour échapper au risque de surestimer le rôle des discours, il faut s'in­ téresser aux stratégies opérationnelles et à la façon dont elles sont défi­ nies, négociées. Il faut analyser les dispositifs de mise en œuvre, leur logique, leurs instruments, et la façon dont ils ont été conçus, les choix ou les contraintes auxquelles ils répondent. Il faut ouvrir la boîte noire des processus de formulation des politiques et des projets, dans une perspec­ tive constructiviste, et ainsi lire en actes les représentations du problème, les conceptions politiques, les stratégies d'acteurs, il faut mettre à jour le jeu des intérêts, des idées et des institutions qui les ont structurés, élucider le rapport complexe entre politiques et pratiques. Il faut mettre en pers­ pective les représentations que portent ces politiques et ces projets, les objectifs qu'ils affichent, les instruments qu'ils proposent, par rapport à une analyse des réalités sociales et politiques sur lesquelles ils veulent agir. C'est l'objet de cet ouvrage, qui se centre sur les politiques d'appui à la société civile au Niger, et plus précisément sur la façon dont, en appli­ cation des Accords de Cotonou signés en 2000, la Délégation de l'Union européenne au Niger a défini sa stratégie et le « projet d'appui à la société civile », le PASOC, dont la première phase s'est déroulée entre 2008 et 1 2011 •

Des Accords de Cotonou au PASOC L, l'invention de la politique de l'UE au Niger

Tout en affichant une volonté de coordination entre eux et de dialogue avec l'État, les différents bailleurs de fonds et Ong qui mettent en avant le renforcement de la société civile ont chacun leurs propres conceptions et stratégies. Ils ont leurs priorités et leurs spécificités en termes de finance­ ment et de dispositifs. Ils s'appuient sur une conception de la société civile

1. Il a été suivi par un PASOC II, entre 2011 et 2015. A "heure où ces lignes sont écrites (septembre 2014), un PASOC III est en préparation. INTRODUCTION 11 et de ses rôles, réels ou souhaités, conception plus ou moins élaborée, plus ou moins ancrée dans les contextes nationaux. Ils fournissent des res­ sources et des appuis ciblés sur certains enjeux et pas sur d'autres. Ouvrir la boîte noire de l'élaboration des politiques et des projets supposait de se centrer sur un dispositif, pour en faire une analyse empi­ rique approfondie. Plusieurs possibilités s'offraient au Niger, quand j'ai commencé cette recherche en 2009: dans une logique de renforcement des capacités d'influence sur les politiques et sur l'État, le Programme Bonne Gouvernance du PNUD finançait depuis une dizaine d'années des actions proposées par des organisations de la société civile, ateliers de débat sur les politiques, participation à des conférences internationales. L'association des volontaires allemands DED (intégré depuis dans la GIZ) avait des programmes d'appui aux Ong nationales, fondées sur un appui institutionnel dégressif et la mise à disposition d'assistance technique. Dans le cadre d'un financement européen, SongES2 avait développé des capacités d'appui aux associations émergentes, accompagnant sur plusieurs années des organisations dans l'apprentissage de leur organisa­ tion interne et de leur actions. Plusieurs Ambassades disposaient et dispo­ sent encore de financements déconcentrés ciblés principalement ou exclu­ sivement aux organisations de la société civile. J'ai choisi de me concentrer sur la genèse du Projet d'appui à la société civile (PASOC) financé par l'Union européenne. Signés en 2000 pour vingt ans, les Accords de Cotonou redéfinissent la stratégie de coopération de l'Union Européenne avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et marquent un changement important: ils actent la fin des préférences commerciales qui avaient structuré les version successives de la Conven­ tion de Lomé; ils établissent la reconnaissance des «Acteurs Non Étati• ques »3 comme partenaires de la coopération européenne, parties prenantes légitimes du dialogue politique, tant avec leurs États sur ses politi­ ques sectorielles qu'avec l'UE elle-même sur sa politique de coopération (ECDPM, 2004). Pour permettre à ces «acteurs non étatiques» de « se renforcer» et de jouer le rôle qui leur est reconnu, les Accords de Cotonou prévoient que des financements seront dédiés à des actions de soutien et de renforcement. Une dizaine d'années après la Banque mondiale ou l'USAID, l'Union européenne se dote ainsi d'une politique envers les «acteurs non étati­ ques ». Une série de textes adoptés à Bruxelles en précisent les fonde­ ments. Pour prendre acte de la diversité, d'un pays à l'autre, des acteurs non étatiques et de leurs rapports à l'État, l'Union européenne confie à ses différentes Délégations la définition de leur propre stratégie pays et la préparation de ces projets d'appui aux acteurs non étatiques. Une quaran-

2. Soutien aux Ong, Empowerment-renforcement des capacités, Stratégies de dével­ oppement (Ong de renforcement de capacités, Belgique et Niger). 3. Concept spécifique à rUE, sur lequel on reviendra au chapitre IV. Il englobe les organisations de la société civile, mais aussi d'autres types d'organisations. 12 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER taine de projets tels, apparentés mais différents, ont ainsi été préparés dans la première moitié des années 2000 puis mis en œuvre à partir de 2005­ 2006. Le PASOC Niger s'inscrit dans cette dynamique: la Délégation du Niger a été une des premières à s'emparer du sujet. Elle l'a inscrite dans sa programmation dès 2001, elle a lancé entre 2003 et 2005 une série d'études qui ont progressivement défini les contours du PASOC Niger, qui a finalement débuté en 2008. Avec ce projet de 5 millions d'euros, l'Union européenne s'affirme comme le principal bailleur de fonds au Niger sur ce thème, qui est à ce moment-là nouveau pour elle. Au tout début des années 2000, la Déléga­ tion n'avait guère d'expérience en matière d'appui à la société civile. A travers des appuis aux organisations paysannes, des «programmes micro-réalisations », elle travaillait déjà avec des organisations nationales. Mais c'était en quelque sorte à la marge, de façon ponctuelle. La notion «d'acteurs non étatiques» était assez floue, sa signification pour le Niger plus encore. Bruxelles n'avait pas non plus de directives précises sur la façon de concrétiser cette dimension des Accords de Cotonou. Définir le PASOC, c'était pour la Délégation de l'UE au Niger chercher comment traduire en actes les orientations, ambitieuses mais très larges, des Accords de Cotonou, dans le contexte spécifique du Niger. Reconstituer cette his­ toire quelques années après, interroger la genèse du PASOC4,c'est donner à voir l'invention d'une politique, questionner une stratégie en construc­ tion. Le cas du PASOC Niger me semblait d'autant plus intéressant que la Délégation de l'UE au Niger avait mis un accent précoce sur des enjeux de citoyenneté et de droits de l'homme, enjeux clairement politiques qui contrastaient avec une approche beaucoup plus classique, ciblée sur les Ong en tant que prestataires de service, privilégiée par d'autres Déléga­ tions en Afrique de l'Ouest (Planche et Lavigne Delville, 2(05). Tout comme le projet Banque Mondiale de développement local étudié par Tania Li en Indonésie mais sur un autre registre, le PASOC offre un éclai­ rage particulièrement intéressant sur la « volonté d'améliorer» (Li, 2007), sur la difficulté à traduire les intentions en pratiques, les politiques en dispositifs, et sur les limites des tentatives pour «rendre technique le social » (Li, 2011). L'ambition de cette recherche est ainsi d'analyser comment la Déléga­ tion de l'UE au Niger a élaboré ce projet, de comprendre comment elle a interprété les principes généraux des Accords de Cotonou et les a traduits en un dispositif projet, constitué d'objectifs, de moyens financiers et humains, d'outils de gestion, de procédures. Elle se situe en aval d'une socio-anthropologie du «développement comme discours» (Olivier de

4. Ma recherche a en effet porté sur la genèse du PASOC entre ZOOI et ZOO8, et pas sur sa mise en œuvre entre ZOO8 et ZOII.Ce n'est pas une analyse de la mise en œuvre de ce projet. encore moins une évaluation. Je ne discute de la mise en œuvre du PASOC que dans la mesure où elle illustre ou fait écho à des débats, des contradictions. dans le dis­ positif qui a été défini et dans ses objectifs. INTRODUCfION 13

Sardan, 2ool), qui en reste trop souvent aux textes sans d'intéresser aux dispositifs et aux pratiques, au risque de surinterpréter la cohérence des politiques, mais aussi en amont d'une socio-anthropologie du développe­ ment qui étudie l'interface entre projets de développement et acteurs locaux, ou services publics et usagers, sous l'angle des jeux d'acteurs, et de ce fait ne s'intéresse guère aux dispositifs en tant que tels, ni dans leur histoire, ni dans leurs enjeux organisationnels et institutionnels. Elle contribue à construire une socio-anthropologie du développement comme forme d'action publique (Lavigne Delville, 2011b). En ouvrant la boîte noire des processus d'élaboration des politiques, elle s'inscrit dans une perspective constructiviste (Le Meur, 2oo8b), qui s'interroge sur les liens problématiques entre politique, dispositifs de mise en œuvre et pratiques, sur les problèmes de la « mise en instruments» (Lascoumes et Le Galès, 2oo5b), ce qui permet aussi, on le verra, de questionner - en tous cas de nuancer - la thèse sur le développement comme «machine anti-poli­ tique» (Ferguson, 1990; Bending et Rosendo, 2006). S'interroger en termes de processus permet de restituer des histoires contingentes, de rendre compte d'indéterminations, d'hésitations, de controverses, et d'éviter le biais interprétatif qui consisterait à ne regarder que le résultat final et pas le processus qui l'a produit, et à ainsi surestimer la cohérence des choix. Travailler sur une « histoire immédiate» du déve­ loppement a l'inconvénient - d'un point de vue socio-anthropologique­ de ne pas pouvoir suivre et observer en direct, d'être dépendant de traces (les rapports, la mémoire des acteurs). Mais le pas de temps de la dizaine d'années donne accès à un riche matériau, et permet d'échapper en partie à l'amnésie structurelle des institutions d'aide, où l'accent sur l'immédiat voire le prochain projet, le turn-over des personnes, l'absence d'archivage, contribuent à rapidement noyer le passé, même proche, dans l'oubli. Une telle perspective s'inspire des travaux de sociologie de la traduc­ tion qui s'intéressent aux processus projets et à la façon dont un noyau d'acteurs arrive ou non à construire une stabiliser un réseau socio-tech­ nique autour de son projet (Latour, 1992; Mosse, 2(05). Elle suppose une posture compréhensive vis-à-vis des acteurs de ces processus, posture fondée sur un point de vue réaliste sur l'action publique et ses contradic­ tions (Lavigne Delville, 2011a), et une connaissance assez intime des mécanismes de l'aide internationale. Elle repose sur un travail d'enquête approfondie, qui croise analyse de la littérature grise (les rapports, les notes, etc.), entretiens avec les acteurs impliqués dans le processus, à un moment où un autre, et avec des observateurs ou personnes ressources externes, et observation du travail des acteurs de l'aide et des praticiens, des situations d'interactions avec les acteurs locaux. Elle pose, de façon spécifique, les problèmes de l'accès aux acteurs et aux sources écrites, dans un contexte où les personnes (en particulier dans les institutions internationales) changent vite et sont parfois difficiles à retrouver, où l'amnésie institutionnelle est forte, où l'accès à certains documents est difficile voire impossible. Elle relève idéalement d'une ethnographie 14 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉTÉS OVILES AU NIGER multi-site (Marcus, 1995) difficile à mettre en œuvre pratiquement, au minimum (ce qui a été fait ici) d'un couplage entre entretiens directs et entretiens téléphoniques avec les acteurs absents du terrain d'enquête. Loin de l'image d'institutions d'aide monolithiques, imposant une vision politique claire et prédéfinie, on découvrira une histoire contin­ gente, où différentes pistes sont explorées, où la politique se construit de façon tâtonnante, entre experts, équipes de la délégation, acteurs natio­ naux, à travers des compromis et arbitrages, à partir d'options politiques précoces qui mettent de côté une part importante de la lettre des Accords de Cotonou. Où le dispositif projet intègre des contradictions structurelles, résultant d'arbitrages incomplets entre visions, et entre objectifs politi­ ques, logiques bureaucratiques et instruments pratiques. Où 1'opération­ nalisation se fait par étapes et se poursuit pendant la mise en œuvre, abou­ tissant à une simplification et un appauvrissement du projet, induisant des contradictions croissantes avec les ambitions initiales. Où la Délégation construit sa politique en même temps qu'elle affine les options du projet, et où la DG-DEV (Direction générale du développement) à Bruxelles construit elle-même sa politique en accompagnant les Délégations. Où cette invention d'une politique, qui se poursuit encore, s'inscrit elle-même dans une succession de réformes institutionnelles de l'aide européenne. Sous cet angle, cette recherche met à jour certaines dimensions des logiques internes de la DG-DEY. En même temps qu'une socio-anthropo­ logie du développement comme forme d'action publique pluri-acteurs, cet ouvrage est aussi une contribution à une socio-anthropologie des institu­ tions d'aide, sur une institution qui, contrairement au FMI (Harper, 2012), à la Banque Mondiale (McNeill et St Clair, 2011; Mosse, 201 lb), au HCR (Fresia, 2009; 2012), à l'OMC (Abélès, 20II), n'a guère été étudiée par l'anthropologie.

Une contribution à une socio-anthropologie des « sociétés civiles réelles» au Niger

La renaissance du thème de la société civile, à la fin du xx-siècle, découle d'abord des revendications démocratiques en Europe de l'est, qui ont suscité une abondante littérature sur le rôle de la société civile dans les transitions démocratiques (Camau, 2002; Thiriot, 2002), puis de sa mise en avant par les institutions internationales, à partir des années 1980-1990, comme instrument de démocratisation, d'abord, puis comme partie inté­ grante des stratégies néo-libérales de réduction du périmètre de l'État et de délégation aux Ong de la mise en œuvre des services aux pauvres, et enfin dans un rôle théorique de pression sur l'État pour la définition de politiques publiques plus inclusives au sein du paradigme néo-libéral",

5. Cette renaissance a suscité dès le milieu des années 1980 une abondante littérature en anglais. tant idéalisante que fortement critique. portant à la fois sur les conceptions de INTRODUCTION 15

Ma recherche ne portait pas sur la société civile nigérienne en tant que telle. Mais les objectifs et les choix pratiques des dispositifs d'appui aux organisations de la société civile (OSC)6 ne peuvent s'analyser seulement par rapport aux politiques et stratégies des institutions qui les promeuvent. Ils doivent aussi, bien évidemment, être mis en perspective par rapport aux réalités sociales et politiques qu'ils souhaitent influencer: c'est dans les jeux complexes qui se jouent dans les arènes du développement, à l'in­ terface entre acteurs hétérogènes porteurs de représentations et de logi­ ques différentes, dans des malentendus parfois productifs, que se joue l'intervention de développement et ses effets (Long, 1989; Olivier de Sardan, 1995b). Une telle mise en perspective n'est pas seulement nécessaire pour analyser les jeux d'acteurs à l'interface, lors de la mise en œuvre. En amont, toute intervention, toute politique, se fonde sur des représentations simplifiées de la réalité (Muller, 1990), sur une opération de « décodage du réel» qui « diminue l'opacité du monde en définissant de nouveaux points d'appui pour agir» (idem: 44) et une opération de « recodage », à travers «un ensemble de normes prescriptives qui donnent sens à un programme politique» (idem: 43) en permettant d'en définir les modes opératoires. Confronter l'idée que se font les institutions d'aide de «la société civile» au Niger et une lecture socio-anthropologique des dyna­ miques associatives est donc indispensable pour comprendre ce processus de décodage du réel et de recodage, et identifier les représentations des OSC nigériennes que s'est construite la Délégation de l'VE. L'enjeu de ce décodage du réel qui « diminue l'opacité du monde» est d'autant plus fort que, lorsque l'on commence à enquêter sur la société civile au Niger, les termes de « nébuleuse »,« opacité », reviennent régu­ lièrement. Face au caractère normatif de l'idée de société civile, je distingue avec Lewis (2004: 304-305) l'idée de société civile de la somme des organisations et des pratiques qui s'y réfèrent, je m'intéresse aux « sociétés civiles réelles» (Camau, 2002). Je prends acte du fait que ces organisations s'inscrivent dans une histoire sociale et politique marquée par l'aide et l'extraversion (Bayart, 1999) et, comme Balandier le recom­ mandait pour la situation coloniale, je cherche à les analyser à la la société civile par les institutions internationales et sur les dynamiques des organisations de la société civile (Bratton, 1989; Beckman, 1993; Fatton, 1995; Hadenius et Uggla, 1996; Marcussen, 1996; Monga, 1996; Allen, 1997; Van Rooy, 1998b; Biekart, 1999; Comaroff et Comaroff, 1999; Hearn, 1999; Karlstrôm, 1999, etc.). Celle-ci n'a que tardi­ vement été relayée dans les travaux francophones (à l'exception de Bayart qui dès 1986 a fait une analyse, en anglais d'ailleurs): les quelques ouvrages des années 1985-1995 sont centrées sur les organisations locales: Odeye, 1985; d'Almeida-Topor et Goerg, 1989; Jacob et Lavigne Delville, 1994. Les travaux se multiplient ensuite dans les années 2000, sous un angle sociologique, mais surtout politiste: Otayek, 2002; Thiriot, 2002; Pirotte, Poncelet, Sindahiyebura et al., 2006; Otayek, 2009; Pommerolle, 2010; Siméant, 2013, 2014a. 6. J'utilise ici le sigle OSC au sens de « organisations se réclamant de la société civile» et non dans son acception développementiste. 16 AIDE INTERNATIONAlE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER confluence des «dynamiques du dedans» et des «dynamiques du dehors ». Entre les organisations locales plus ou moins informelles, les mouve­ ments sociaux, les associations politiques à forte visibilité médiatique, les organisations religieuses, les syndicats, les Ong prestataires de services pour le compte de bailleurs de fonds, les Ong outils d'un courtage en développement pour les ressortissants d'un village ou d'une région, etc. le panorama des organisations de la société civile nigérienne est extrême­ ment hétérogène. Le Niger a une forte tradition syndicale, en relations complexes avec l'État, qui a joué un rôle déterminant dans la résistance à l'ajustement structurel et dans la transition démocratique de 1991. Celle-ci a suscité une explosion associative largement encouragée par les institu­ tions d'aide et en particulier une multiplication d'Ong. La décennie 1990 a été marquée par une succession de crises politiques et de coups d'État « démocratiques» (au sens de « visant à remettre en place des institutions démocratiquement élue après une crise institutionnelle») entraînant des phases de suspension de l'aide internationales. Les crises alimentaires successives ont favorisé l'arrivée de multiples Ong internationales. Le Niger a connu depuis la transition démocratique plusieurs moments de tensions fortes entre l'État et la société civile: contre l'ajustement structurel, contre les retards de paiement des bourses et des salaires dans les années 1990, contre les augmentations de taxes en 2005 avec l'expérience de la Coalition Equité qualité contre la vie chère, contre le Tazartché, tentative du Président Tandja de se maintenir au pouvoir à l'issue de son second (et dernier selon la constitution) mandat, en 2008-2009. L'espace public est traversé par des processus de réislami­ sation, entre piétisme et fondamentalisme. C'est donc entre action collective, courtage en développement (Biers­ chenk, Chauveau et Olivier de Sardan, 2000: 663), mouvements sociaux (Pommerolle, 2008; Hrabanski, 2010; Maccatory, Oumarou et Poncelet, 2010), politisation et recherche d'un espace public (Gazibo, 2007b), extra­ version (Bayart, 1999) et inscription dans la rente du développement (Heam, 2001), recherche d'emploi, privatisation et redéploiement de l'État (Hibou, 1998b) et redéfinitions identitaires religieuses (Sounaye, 2009) que se jouent les dynamiques associatives, au Niger comme dans les pays de la sous-région. Nous tenterons dans le premier chapitre une mise en perspective des trajectoires des sociétés civiles nigériennes, en lien avec l'histoire politique du pays. Les sciences sociales sont le plus souvent extrêmement critiques sur les dynamiques associatives, mettant en avant leur caractère extraverti, les logiques de courtage, leur dépendance aux bailleurs de fonds. Les acteurs nigériens ne le sont pas moins, on le verra: nombreuses sont les critiques, tant internes qu'externes, portées sur la société civile et ses ambiguïtés, sur les stratégies personnelles des leaders, sur l'absence de projet propre, sur l'opportunisme financier, sur l'absence de transparence et de démo­ cratie interne des organisations, etc. Et certains responsables d'associa­ tions ne sont pas les moins sévères à propos de certains de leurs pairs. INfRODUCTION 17

Cette récurrence des critiques pose question. Qu'est-ce qui explique une telle unanimité? Peut-on réduire la société civile à ces caractéristi­ ques, alors même que le Niger a été marqué par de nombreuses mobilisa­ tions sociales au cours des dernières décennies? Peut-on réduire l' engage­ ment dans les Ong à des intérêts personnels? Ces dynamiques ne sont-elles pas favorisées par l'environnement institutionnel, par les pratiques de l'État, par celle des bailleurs de fonds? Au cours de ma recherche, deux questions m'ont apparu nécessaires à approfondir. La première porte sur la question des conditions de consoli­ dation des organisations associatives (et en particulier des petites Ong). Un petit nombre d'organisations seulement a réussi à se stabiliser institu­ tionnellement. La plupart vivotent, soumis à une double précarité des ressources humaines et des ressources financières. Au-delà des problèmes internes de gouvernance, largement mis en avant par les observateurs, il semble important de prendre la mesure de la difficulté à dépasser cette double précarité, ce qui interroge les stratégies des bailleurs de fonds et des Ong internationales en la matière, et en particulier les conséquences de la généralisation de la mise en concurrence des OSC et du financement par projet. La seconde question est celle des critiques récurrentes sur la politisa­ tion et le caractère lucratif des associations nigériennes. Analysant les tentatives successives pour définir une «charte de la société civile» censée permettre une auto-régulation, et en particulier les vives contro­ verses qui ont scandé le projet débattu par Conseil consultatif national fin 2011 début 2012, on mettra en évidence les grands clivages et points de débat autour de cette question de la régulation.

La promotion ambigüe de la « société civile» dans les politiques d'aide

La recherche en sciences sociales est très critique sur l'usage de la notion de société civile en Afrique et plus encore sur la façon dont le discours sur la société civile est mobilisé par les institutions d'aide. Celui-ci émerge en effet au milieu des années 1980, dans un contexte d'ajustement structurel et de mise en cause des États (Fraser, 2009). Avec le tournant néo-libéral et la remise en cause des États autoritaires, les discours sur le développement mettent en avant la « bonne gouvernance ». Les bailleurs de fonds promeuvent de nouvelles articulations entre État, marchés et secteur associatif, ce dernier étant censé (avec des poids rela­ tifs variables selon les contextes et les acteurs) être vecteur de démocrati­ sation, agir en contre-pouvoir vis-à-vis de l'État mais aussi dialoguer avec lui sur les politiques de développement, et/ou fournir des services aux populations, en substitution ou en complément avec l'État et le marché. 18 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Dès le milieu des années 1980, les bailleurs de fonds ont poussé les États à reconnaître, au moins formellement, l'importance de la contribution des organisations associatives aux processus de développement, mis en place des politiques visant à « renforcer les capacités» de la société civile et à lui permettre de «jouer son rôle». Les organisations locales, en particu­ lier les Ong, sont censées être plus proches des populations que les admi­ nistrations, agir de façon plus efficace, à moindre coût. Maxime Haubert (2000: 19) dénonce ce « discours qui réduit la problé­ matique des pays post-coloniaux aux relations d'opposition ou de partena­ riat entre la « société civile», l'État et le marché; un discours qui envi­ sage ces trois «entités» de façon abstraite et le plus souvent très idéologique, les vertus de la « société civile» étant exaltées, tandis qu'à l'inverse sont dénoncés les « vices de l'État» ou ceux du marché ». Or, «cette rhétorique de la société civile comme vecteur d'une meilleure gouvernance et d'une plus grande redevabilité (accountability) des diri­ geants n'est pas neutre [...J. Elle reflète une "lecture libérale de la réalité" articulée autour d'une opposition normative entre l'État, qui renverrait à l'ordre de la contrainte, et la société civile, qui renverrait à celui de la liberté» (Otayek, 2002: 197). En Afrique, les transitions démocratiques du début des années 1990 ont suscité une forte effervescence associative. Dans une phase de contestation des régimes autoritaires et de transitions démocratiques, celle-ci a été perçue comme une revanche des sociétés, l'expression d'aspirations démo­ cratiques, et parfois comme une légitimation du triptyque État/société/ marché caractéristique du modèle politique et économie libéral promu par les institutions internationales. Au tournant des années 1990, une abon­ dante littérature, tant académique que développementiste, valorise et discute cette effervescence associative, sous l'angle des initiatives locales et de l'enchâssement social des' dynamiques associatives, d'un côté, des processus politiques de transition et de consolidation démocratique de l'autre. Dans le même temps, des travaux critiques (en langue anglaise dès la fin des années 1980, et avec quelques années de décalage et de façon beaucoup moins marquée en langue française) interrogent ces dynami­ ques: le concept de «société civile», issu de trajectoires historiques et politiques différentes, fait débat pour des sociétés marquées par une faible individualisation et la permanence des liens familiaux, ethniques, c1ienté­ listes; le transfert aux situations africaines des cadres analytiques mobi­ lisés pour dans les années 1980 pour analyser les mouvements contesta­ taires et les transitions démocratiques en Europe de l'est pose question. De plus, les groupes sociaux porteurs de changement politique ne promeuvent pas forcément un projet démocratique; la société peut être «incivile»; l'effervescence associative africaine des années 1990 est largement favo­ risée, sinon suscitée, par les politiques des bailleurs de fonds, par des logi­ ques de courtage visant à se brancher sur la rente de l'aide. Pour les sciences sociales, le recours au concept de « société civile» pour décrire et analyser la multiplication contemporaine des organisations INTRODUCfION 19 associatives et leur signification sociale et politique, en Afrique comme ailleurs pose donc problème. Polysémique, il n'a de sens analytique que par rapport à un cadre théorique donné. A la fois analytique et normatif, il est fondamentalement ambigu. Très fortement normative, la conception véhiculée par le discours développementiste n'est pas seulement d'une grande pauvreté théorique, contradictoire dans ces acceptions et les fonc­ tions qu'elle confère à la société civile (Jenkins, 2ool), elle est aussi fon­ damentalement idéologique (Haubert, 2(00). L'idée d'une société civile nécessairement vertueuse, séparée de l'État comme des liens familiaux, politiquement neutre, promouvant un développement économique inclusif, est une fiction: elle véhicule une conception singulièrement neutre et apolitique de la société, loin des luttes politiques, des conflits de projets de société, des enjeux de pouvoir. Loin de la réalité des dynamiques sociales et politiques des sociétés et des États. Pour J.-F. Bayart (2ool), « dans son acception présente, popularisée par la Banque mondiale et les Ong, la société civile [...] est un mot de pidgin, une ingénierie des rela­ tions internationales, qui permet aux acteurs d'un monde hétérogène de globaliser de concert». Pour de nombreux auteurs, la promotion de la société civile en substi­ tution à l'État fait partie intégrante du projet néo-libéral, et l'association des organisations de la société civile aux débats sur les politiques ou à leur mise en œuvre vise à subvertir leur potentiel critique et à en faire des soutiens du projet libéral et du statu quo politique (Heam, 2001 ; 2(07). Certains auteurs considèrent que c'est la faiblesse des Ong nationales qui rend impossible le développement (Michael, 2004), mais pour la plupart, la «NGO-isation» de l'action publique (Heam, 1998; Fichtner, 2012) traduit l'institutionnalisation de ce modèle, où la mise en œuvre des politi­ ques sociales, sorties de la responsabilité de l'État, est confiées à des Ong dépendantes de l'aide internationale. De fait, après la chute du mur de Berlin, les bailleurs de fonds ont approfondi le régime de conditionnalités libérales (Fraser, 2(09) et réor­ ganisé l'aide internationale autour d'une « nouvelle architecture », légi­ timée par la lutte contre la pauvreté. Dans cette promotion d'un ordre politique néo-libéral, la société civile se voit affecter un rôle à part entière. Parallèlement à une immixtion croissante dans les politiques sectorielles des États et dans les réformes de l'administration (Whitfield, 2oo9b), les bailleurs de fonds ont de plus en plus recours à des associations ou des Ong nationales dans la mise en œuvre de leurs interventions, incitent les États à sous-traiter une partie de la mise en œuvre des politiques publiques à ces organisations. Les opportunités de financement suscitent la création d'une multitude d'organisations, privilégiant le statut associatif pour des raisons d'accès au financement ou d'avantages fiscaux et répondant à l'évolution des thématiques de l'aide au développement. Dès le début des années 2000, alors même que le déploiement de ces stratégies est encore en cours, les institutions internationales cherchent à légitimer leur action, mise en cause dans la phase de « fatigue de l'aide» 20 AIDE INTERNATIONALE ET socrsrrs CIVILES AU NIGER qui a suivi la chute du mur de Berlin. Ils mettent ainsi en avant « l'ow­ nership» (« l'appropriation»7) des politiques par les États, les bailleurs de fonds étant censés s'aligner sur les priorités nationales. Démarrés avec les Cadres stratégiques de réduction de la pauvreté au tournant des années 2000, cette stratégie est institutionnalisée par la signature de la Déclaration de Paris en 2005 (Bergamaschi, Diabaté et Paul, 2007; Lavigne Delville, 2013). Censés assurer pertinence et légitimité à ces poli­ tiques, les mécanismes de consultation sur les politiques publiques asso­ ciant « la société civile» se multiplient, fondés sur des débats largement contrôlés, et une sélection clientéliste des organisations invitées (Cissoko et Toure, 2005; Pommerolle, 2008). Le rôle de plaidoyer des Ong est mis en avant (Siméant, 2014b), alors même que l'évolution des modes de financement vers l'aide programme, voire l'aide budgétaire, réduit les canaux directs de financement d'Ong au profit de la sous-traitance par l'État, ce qui augure potentiellement une nouvelle phase de la dynamique des Ong. Pour de nombreux chercheurs, la cause est entendue: la promotion de la « société civile» est un instrument du néo-libéralisme. Pour poursuivre sa stratégie de contournement de l'État, l'aide internationale coopte les Ong et, en leur assurant des ressources, en font des relais de ses stratégies. Elle cherche ainsi à consolider un État minimum, déchargé de ses respon­ sabilités sociales et à transférer au secteur associatif la responsabilité des « filets de sécurité» pour les pauvres. Julie Hearn écrit ainsi

« donors have been successful in influencing the CUITent version of civil society in these countries sa that a vocal, well-funded section of it, which intervenes on key issues of national development strategy, acts not as a force for challenging the status quo, but for building societal consensus for maintaining it » (2001: 43), et «foreign aid ta Southern NGOs has created a social group that is dependent on external resources and patronage and in return is central ta and popularizes Northern develo­ pment policy » (2007: 1107-1108).

De fait, les recherches néo-dépendantistes voient dans les dispositifs d'aide les instruments de la domination des pays occidentaux sur le reste du monde, des tentatives pour « gouverner à distance» les marges du système capitaliste (Duffield, 2001), pour discipliner les sociétés, en rendant techniques les modes de gestion du politique (Li, 2011), dans une logique globale de «bureaucratisation du monde à l'ère néo-libérale» (Hibou, 2012). Ces analyses éclairent incontestablement des dimensions

7. Traduction française très controversée et qualifiée de «contre-sens absolu» par Florence de Lucca et Marc Raffinot (2007: 206, note 2) qui préfèrent le terme de « maî• trise des politiques » (que l'on peut aussi juger ambigu). Elle est jugée par d'autres « plus riche que celle d' ownership car elle recouvre deux sens: la bonne adéquation au contexte ("approprié à") et le meilleur contrôle du bénéficiaire ("approprié par")>> (Jacquemot, 2007: 180, note 21). INTRODUCfION 21 essentielles des processus en cours. Par rapport à une socio-anthropologie du développement restée très centrée sur les interactions locales, elles ont l'avantage de clairement réintégrer la question des enjeux de pouvoir internationaux et de raccorder les politiques d'aide aux processus plus large de la globalisation (Bierschenk, 2(09). Cependant, elles demeurent souvent assez macroscopiques, plus théoriques qu'empiriques: « les néo­ dépendantistes tirent moins leur autorité de l'analyse empirique que de références érudites aux théories sociales. n en résulte une essentialisation du « néo-libéralisme» qui fait l'économie de son analyse et une suresti­ mation de la force du « régime de pouvoir/savoir du développement» (idem). Olivier de Sardan (2001: 735) est encore plus sévère sur ces approches « post-modernes» qui prétendent déconstruire les discours du développement sans base empirique: « L'approche du développement par les "déconstructions du discours" permet de se livrer sans risques à des énoncés catégoriques, assénés sans souci des nuances, et sans tenir le moindre compte de contre-exemples éventuels... On ne prend dans les "discours" que ce qui arrange la thèse de l'auteur». Ces analyses tendent en effet à surestimer le caractère cohérent et intentionnel des stratégies des acteurs internationaux, à sous-estimer les clivages en leur sein, à sous-estimer les flous et incertitudes des politiques et des dispositifs, les capacités locales de négociation ou de subversion, à négliger la diversité des politiques et des dispositifs. Elles s'appuient plus sur une analyse a priori que sur des enquêtes empiriques approfondies. Elles souffrent d'un

« biais fonctionnaIiste qui consiste à confondre effets et causes, d'une mauvaise compréhension de la fonction des discours de politique publique, et d'une familiarité insuffisante avec la sociologie des organisations. Les anthropologues du développement ainsi que les anthropologues et sociolo­ gues des organisations ont montré que les agences de développement, comme n'importe quelle autre organisation, ne sont coordonnées, au mieux, que de manière très lâche et qu'elles sont loin d'être simplement gouvernées d'en haut (Quarles van Ufford, Kruyt et Downing, 1988), et que la fonction du discours politique est moins de réguler les pratiques que de les justifier pour des publics particuliers, et ce souvent ex-post (Mosse,2004)>> (Bierschenk,op.cil.).

Loin de postuler une intentionnalité claire et une cohérence stratégique et opérationnelle, cette recherche part au contraire du postulat de l'exis­ tence de disjonctions entre politiques et pratiques. En amont de l'analyse des projets et de leurs impacts, sujet largement travaillé par la socio­ anthropologie du développement, elle souhaite ouvrir la boîte noire des processus de formulation des politiques, en interrogeant la façon dont les conceptions et les choix sont construits, négociés, arbitrés, dans des pro­ cessus complexes mobilisant selon des modalités variables de nombreux acteurs: agents des agences de coopération, consultants, agents de l'État, organisations de la société civile, etc. Dans une logique de « grounded 22 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER theory» (Glaser et Strauss, 1967), elle veut laisser ouverte a priori la question de l'interprétation et mener une « politique du terrain» (Olivier de Sardan, 1995a) qui permette de faire émerger des réalités variées et fonder la théorisation sur le terrain et non sur des analyses a priori.

Une socio-anthropologie de l'élaboration des politiques publiques

Au-delà du thème des appuis à la société civile et du cas du PASOC, cette recherche s'inscrit, je l'ai dit, dans une réflexion plus large, débutée au milieu des années 2000 (Lavigne Delville, 2006, 2008) sur la façon dont les politiques et projets de développement sont définis, négociés, construits, mis en œuvre, entre acteurs hétérogènes, nationaux et interna­ tionaux, dans les pays que l'on peut qualifier de «pays sous régime d'aide» (de Milly, 2002): ceux où, dans des histoires différentes mais avec des effets semblables, l'aide internationale a pris un rôle prépondé­ rant dans l'action publique en termes de transferts de modèles et de trans­ ferts financiers".

Les politiques publiques de développement, un nouvel objet pour la socio-anthropologie du développement

Les processus d'élaboration des politiques publiques ne sont pas un champ classique de recherche pour la socio-anthropologie du développe­ ment « par l'enchevêtrement des logiques sociales» (Olivier de Sardan, 2001, op. cit.) , celle qui prône des analyses empiriques approfondies et à laquelle je participe. Celle-ci s'est d'abord structurée à la fin des années 1980 autour des projets de développement et des jeux d'acteurs dans les arènes locales, à l'interface entre «paysans, experts et cher­ cheurs» (Boiral, Lanteri et Olivier de Sardan, 1985), entre «dévelop­ peurs» et « développés» (Long, 1989; Olivier de Sardan, 1995b),mettant en évidence l'irréductible hétérogénéité d'intérêts, de logiques et de repré­ sentations inhérente à toute intervention. Elle a approfondi la question de la confrontation des savoirs (Olivier de Sardan, 1991b; Long et Long, 1992), la production d'ignorance dans le développement (Hobart, 1993). Dans sa trajectoire apadienne, cette socio-anthropologie politique de l'in­ tervention de développement a mis en avant la figure des courtiers locaux, acteurs d'interface qui construisent leur position sociale (et parfois écono-

8. Les anciens pays d'Asie centrale soviétique sont ainsi devenus des pays sous régime d'aide, avec les mêmes processus de coupes budgétaires, d'afflux d'aide et d'Ong, etc. (Pétrie, 2006). INTRODUCfION 23 mique) sur leur maîtrise du « langage développement» et sur leur capacité à assurer la traduction entre espace de sens (Bierschenk, Chauveau et Olivier de Sardan, 2000). Deux axes se sont ensuite différenciés: d'un côté, les politiques de décentralisation administrative, au tournant des années 2000, ont déplacé le questionnement vers les arènes politiques locales et les recompositions des pouvoirs locaux suscitées par les politi­ ques de décentralisation, recompositions qui prennent place dans une histoire longue de superposition et de réorganisation de pouvoirs (Biers­ chenk et Olivier de Sardan, 1998; Olivier de Sardan et Tidjani Alou, 2009). De l'autre, la question des rapports entre populations et agents s'est déplacée des projets vers les services publics, en particulier la santé (Jaffré et Olivier de Sardan, 2(03), puis vers celle de la gouvernance quotidienne des services publics/collectifs (Blundo et Le Meur, 2(09), de la bureau­ cratie (Olivier de Sardan, 2004) et de la corruption (Blundo et Olivier de Sardan, 2(07). La question de l'État s'est ainsi imposée par le bas, à partir de la question des rapports aux usagers, qui amenait à s'interroger sur les services publics et donc sur une dimension de l'État sous-estimée par la sociologie politique de l'État en Afrique: l'État producteur de services. Ces recherches sur les services publics ont conduit à la fin des années 2000 à s'interroger sur les réformes successives liées aux modes développe­ mentistes et, entre processus ambivalents de formation de l'État, pénuries de ressources et réformes permanentes, à la dynamique des bureaucraties, au sein d'« États en chantiers» (Bierschenk et Olivier de Sardan, 2014). Reprise de mots d'ordre internationaux, impréparation et incohérences, superpositions de dispositifs, absence de prise sur les pratiques: les diffi­ cultés et contradictions des politiques sectorielles sont bien analysées, par le bas, dans certains secteurs comme la santé (Olivier de Sardan et Ridde, 2012; 2014). Du côté anglo-saxon, l'accent a davantage été mis sur les institutions d'aide, sans doute en partie parce que la recherche en socio-anthropologie est plus impliquée dans l'expertise. Les recherches ont plus tôt mis en avant la question des bureaucraties (Quarles van Ufford, Kruyt et Downing, 1988). La question du courtage et de la traduction entre acteurs et entre systèmes de sens a été traitée au niveau des agents de développe­ ment eux-mêmes (Lewis et Mosse, 2(06), dans des interrogations sur « les effets de l'aide» (Lewis et Mosse, 2(05) moins centrées sur le local. Dans sa remarquable analyse du projet auquel il a participé durant de longues années, Mosse (2005) propose lui aussi une « ethnographie des politiques et pratiques de l'aide» qui constitue un apport majeur à la compréhension des projets de développement. Il met en lumière les disjonctions entre dis­ cours et pratiques, le travail des consultants pour construire des « commu­ nautés d'interprétation », la construction du « succès» ou de « l'échec ». Les travaux récents du réseau EIDOS se centrent sur une socio-anthro­ pologie des professionnels de l'aide (Mosse, 20lla), du quotidien des travailleurs de l'aide (Hindman et Fechter, 2011). Ils cherchent à com­ prendre de l'intérieur comment pensent et agissent les institutions d'aide, 24 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER et les modes de vie spécifiques des expatriés dans leur microcosme. L'eth­ nographie des institutions d'aide devient ainsi un axe important de recherche, qui renouvelle notre compréhension des logiques et des prati­ ques de développement. Bien qu'affiché comme un objectif (Olivier de Sardan, 1991a), l'analyse anthropologique des «développeurs» et des institutions d'aide est longtemps restée assez marginale dans le champ français, à quelques exceptions près comme Fresia pour le HCR (Fresia, 2009). Elle émerge plus récemment à partir d'une autre filiation, celle de l'anthropologie des institutions (Abelès, 1995): des anthropologues se sont ainsi penchés sur les institutions internationales (Abélès et Bellier, 1996; Abélès, 2011; Bellier, 2012; Müller, 2012). La question des politiques publiques n'a pas été totalement négligée (Apthorpe, 1997; Shore et Wright, 1997a). Mais, malgré quelques travaux dans les années 1980 (Grillo et Rew, 1985), elle demeure « un nouveau champ pour l'anthropologie» (Shore et Wright, 1997b), on va encore «vers une anthropologie des politiques publiques» (Wedel, Shore, Feldman et al., 2005). Les travaux menés s'intéressent avant tout aux discours (Apthorpe, 1997), aux enjeux de pouvoirs sous jacents aux caté­ gorisations des politiques, à l'expertise et la consultance (Shore et Wright, 1999). L'ethnographie de l'aide rejoint ces problématiques lorsqu'elle analyse la production du rapport sur le développement de la Banque Mondiale (McNeill et St Clair, 2011) ou l'émergence du concept de gouvernance dans la politique néerlandais de coopération (van Gastel et Nuijten, 2005), dans une perspective davantage centrée sur les acteurs, mettant en avant les incertitudes, les arbitrages,la relative contingence des processus. Mais les politiques publiques demeurent essentiellement un objet de la sociologie politique, de la science politique. Dans ces disciplines, l'ana­ lyse des politiques publiques se développe comme un champ à part entière dans les années 1980 aux États-Unis, puis se diffuse rapidement en Europe et en France, où les années 2000 voient la publication d'une série d'ou­ vrages de synthèse (Massardier, 2003; Lascoumes et Le Galès, 2007a; Hassenteufel, 2009). En opposition à une science administrative fondée sur un postulat de rationalité de l'action publique et orientée vers la recherche de solutions, la sociologie politique des politiques publiques cherche à comprendre «l'État en action » (Jobert, 1985; 2004), «l'État au concret » (Padioleau, 1982), la façon dont les politiques publiques sont conçues et mises en œuvre, dans des jeux d'acteurs complexes, entre idées, intérêts et institutions (Gaxie, 1997; Palier et Surel, 2005), entre pouvoir central et pouvoir local (Grémion, 1976). Elle s'interroge sur les processus de construction et de publicisation des problèmes collectifs (Cefaï, 1996; Hassenteufel, 2010; Zittoun, 2013a), sur les conditions du changement dans les politiques publiques (Palier et Surel, 2010), sur les liens complexes entre politiques sectorielles et jeu politique (Smyrl, 2002). Avec la question des «instruments de l'action publique » (Las­ coumes et Le Galès, 2005a), elle retrouve la vieille question de la mise en INTRODUCfION 25

œuvre et des «implementation gaps» (Pressman et Wildavsky, 1984 (1973); May, 2003). Le tournant néo-libéral oblige l'analyse des politiques publiques à dépasser une approche largement stato-centrée et à prendre acte de la diversité des acteurs, publics, privés et associatifs, parties prenantes de la production et de la mise en œuvre des politiques publiques, et de la multi­ plication des échelles de gouvernance. En science politique, le terme « action publique» sert à qualifier ce tournant, qui est à la fois le reflet d'évolutions des pratiques (la valorisation des processus pluri-acteurs, le développement des procédures participatives et contractuelles, etc.) et d'un glissement de regard (les politiques publiques n'ayant jamais été exclusivement étatiques). On peut le trouver discutable au sens où elle entérine la confusion antérieure entre « politique publique» (qui concerne le public, tout le monde) et« politique étatique» (conçue et pilotée essen­ tiellement par l'État) et où le terme « action» tend à oblitérer la dimen­ sion proprement politique de cette « action publique pluri-acteurs et multi­ niveaux» (Massardier, 2003; Gaudin, 2004; Hassenteufel, 2009). De fait, au-delà de la rhétorique valorisant ces processus pluri-acteurs, censés donner plus de pertinence et légitimité, et donc d'efficacité, aux politi­ ques, la « démographie galopante des acteurs pertinents dans les politi­ ques publiques» (Massardier, 2003: 76) suscite de fortes interrogations. Dilution des pouvoirs, soumission aux groupes de pression, fragilité des accords et renégociabilité permanente, télescopage de processus contra­ dictoires à différentes échelles: « l'accord se fait aujourd'hui sur le constat d'une société fragmentée, aux relations complexes (multi-niveaux) qui serait devenue de plus en plus difficile à gouverner sur un mode autori­ taire et centralisé» (Lascoumes et Le Galès, 2007a: 21), au risque d'une « ingouvernabilité croissante des sociétés» (Maintz, 1993, cité par Mas­ sardier, op.cit.: 140). Partant du constat du caractère problématique des politiques publiques, la sociologie politique des politiques publiques les interroge ainsi comme des problèmes d'action collective, autour de conceptions et de visions du monde, d'idées, d'intérêts, d'institutions (Palier et Surel, 2005), dans une perspective constructiviste, et plusieurs auteurs soulignent les affinités, sinon les liens, de cette valorisation du pluri-acteurs avec une conception néo-libérale des politiques publiques, valorisant la participation du secteur privé à la définition des politiques, la délégation de la mise en œuvre à des entreprises ou des associations, et une « participation dépolitisée» dans une logique de New Public Management (Abram, 2007).

Une socio-anthropologie du développement comme action publique

Une telle perspective rejoint les questionnements de la socio-anthropo­ logie du développement, et éclaire d'un jour nouveau la question de la 26 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER production et de la mise en œuvre des politiques publiques en Afrique. Comme dans les pays industrialisés, mais dans une toute autre histoire politique et institutionnelle, les pays sous régime d'aide, et en particulier l' Afrique subsaharienne, sont en effet, en pratique, dans une configuration « d'action publique multi-acteurs et multi-niveaux » où les biens et ser­ vices aux populations sont produits par des acteurs variés, étatiques, privés et associatifs, à l'échelle nationale mais aussi infra- et supra-nationale. Une telle configuration est même structurelle: le nombre d'acteurs a explosé avec les ajustements structurels, la multiplication des agences de coopération et des Ong internationales, la décentralisation, la multiplica­ tion des Ong nationales; mais les États post-coloniaux n'ont jamais eu le monopole de l'action sur les problèmes publics, ils ont été dès leur nais­ sance confrontés à d'autres producteurs de politiques et de services, les pouvoirs locaux, des mouvements religieux, l'ancienne puissance colo­ niale, les institutions de Bretton Wood, etc. En pratique, en Afrique, l'ac­ tion publique est définie et mise en œuvre à travers des processus com­ plexes de négociations multi-acteurs, où les acteurs externes, bailleurs de fonds, expertise internationale, Ong, agences onusiennes, voire entreprises, etc. jouent un rôle imJ?ortant sinon central. Les rapports entre ces acteurs, et en particulier entre l'Etat et les bailleurs de fonds, varient selon les périodes et les pays (Fraser, 2009; Whitfield et Fraser, 2009b). Dans des rapports variés et évolutifs, marqués par des divergences d'intérêts, des rapports aymétriques et des stratégies d'instrumentalisations réciproques, ces multi­ ples acteurs se confrontent et se neutralisent (Dorier-Apprill et Meynet, 2(05), parfois négocient entre eux des compromis sociaux créateurs de politique publique (Botton, 2008; Clerc, 2009; Diaz Pedregal, 2011), dans des relations complexes et évolutives, avec une efficacité variable et des implications institutionnelles à long terme qui sont controversées. Entre analyse des pratiques dans les projets et analyse critique des discours des institutions d'aide, la socio-anthropologie du développement s'est finalement peu intéressée à la façon dont les politiques d'aide et les politiques publiques sont définies, à la façon dont les projets de dévelop­ pement sont définis. Même si l'anthropologie des professionnels de l'aide et l'anthropologie des administrations africaines apportent des éclairages essentiels, la question des politiques et de leur production demeure large­ ment une boîte noire, qui commence à être ouverte, soit par le bas, à travers une entrée par l'anthropologie des services publics, les réformes, soit par le haut, à travers l'ethnographie des institutions. Tout en abordant des sujets largement traités par l'analyse des politiques publiques (les contradictions des politiques, les difficultés des réformes, les problèmes de la mise en œuvre, les disjonctions entre normes et pratiques, etc.), les travaux de socio-anthropologue du développement ne mobilisent guère ses concepts et ses résultats, au risque d'appauvrir le questionnement ou de redécouvir des évidences. La socio-anthropologie du développement comme action publique, qui est ma perspective actuelle de recherche (Lavigne Delville, 2010; 2011b; INfRODUCTION 27

Lavigne Delville et Thieba, 2015), cherche au contraire à explorer cette boîte noire, en mobilisant les démarches et les acquis de la socio-anthro­ pologie du développement et en empruntant à l'analyse des politiques publiques des problématiques et des concepts, qu'il s'agit de mettre à l'épreuve des configurations sociales, politiques et institutionnelles spéci­ fiques des États post-coloniaux dépendants de l'aide. Mettre en perspec­ tive socio-anthropologie du développement et sociologie politique des politiques publiques a de plus l'avantage de montrer que, pour une part, les ambiguïtés des projets et des politiques, largement mises en avant par l'anthropologie du développement, sont inhérentes à l'action publique, et donc pas spécifiques aux situations « de développement» et aux pays sous régime d'aide, même si elles y prennent des formes exacerbées.

« Les politiques publiques sont des puzzles à résoudre compte tenu de l'incertitude des fins et de celle inhérente à l'importance des jeux d'ac­ teurs dans la mise en œuvre [...] les «projets» et les «programmes» gouver­ nementaux sont porteurs de beaucoup d'ambigüités: leurs objectifs sont souvent flous, les intérêts protégés, contradictoires, les moyens attribués, imprévisibles, la répartition des compétences, peu ou mal effectuée» (Lascoumes et Le Galès, 2007a: 12-34).

Ce constat vaut pour toute politique publique, au Nord comme au Sud. En prendre la mesure est nécessaire pour échapper au risque d'idéalisation de l'idée de politique publique, qui conduirait à biaiser l'analyse des poli­ tiques en actes au Sud en les analysant à l'aune d'un modèle abstrait et non de réalités empiriques du Nord. Cela permet en outre de s'interroger, à partir d'analyses empiriques, sur le poids respectif des contradictions et ambigüités liées à l'action publique, et celles qui sont liées aux « situa­ tions de développement» (comme Balandier parlait de situation coloniale), aux rapports complexes entre pays sous régime d'aide, pays donateurs et industrie de l'aide (étant bien entendu que les secondes exacerbent les premières). C'est se donner les moyens d'analyse empiriquement les rapports complexes entre acteurs (et en particulier acteurs nationaux et internationaux), sans négliger les rapports de force et les asymétries, mais sans postuler une domination des acteurs internationaux, dont la capacité à imposer leurs visions ne doit pas être surestimée (Thomas, 2004). Comme le dit encore Bierschenk (2009):

« Même si nous concédons que les approches des grandes (et petites) agences de développement international procèdent d'une logique visant à faire des enjeux politiques des questions techniques, cela ne signifie pas qu'elles y parviennent. En effet, l'un des arguments les plus convaincants du débat sur le développement en Afrique est que, quelles qu'aient été les approches choisies par les agences de développement, les élites africaines sont toujours parvenues à les politiser à leur propre avantage (van de Walle 2001). Il semble par conséquent tout à fait plausible d'avancer que les politiques et approches sectorielles actuelles du développement sont 28 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

l'objet des mêmes stratégies locales de détournement, de démembrement et d'appropriation sélective que celles mises en lumière, il y a longtemps déjà, par les anthropologues du développement, pour des approches-pro­ jets plus classiques du développement ».

Croisant socio-anthropologie du développement et analyse des politi­ ques publiques, cette perspective en termes d'action publique me semble particulièrement pertinente pour analyser les politiques et interventions de développement sous un angle nouveau. Poser l'intervention de dévelop­ pement comme action publique pluri-acteurs, c'est en effet déplacer le regard des espaces micro-locaux vers les processus de recomposition des politiques publiques et la négociation de nouveaux compromis entre acteurs, des arènes et des conflits vers les conflits de visions et d'intérêts et vers la question des conditions d'émergence d'arrangements institution­ nels originaux, stabilisant, au moins partiellement et provisoirement, les rapports entre acteurs. En amont de l'étude des projets de développement, c'est s'intéresser aux processus et aux jeux d'acteurs à travers lesquels les politiques et les projets sont définis et mis en œuvre, avec un accent sur les divergences d'intérêts, les controverses, mais aussi les tentatives de négociation politique des objectifs et de négociation quotidienne du droit à agir. C'est analyser de façon empirique les rapports complexes d'impo­ sition, de négociations, d'évitements, de rapports de force, de compromis, d'alliances qui président aux rapports entre les multiples acteurs, natio­ naux et internationaux, qui produisent l'action publique extravertie des pays sous régimes d'aide et interroger les modalités concrètes de cette « expanded donors participation» et « increasing entanglement of donor institutions and recipient administrative systems» qui sont, pour Whitfield et Fraser (2009a: 19) caractéristiques de la phase actuelle de l'aide inter­ nationale. C'est interroger dans une perspective constructiviste la façon dont les «problèmes» traités par l'aide sont construits, problématisés, diffusés (Fischer, 2003; Zittoun, 2013b) et en contre-champ les raisons pour lesquelles d'autres problèmes, d'autres cadrages, ne parviennent pas à l'agenda. Sur un sujet politiquement sensible, ou en tous cas objet d'analyses contrastées, comme la société civile, l'analyse de la définition d'un projet permet de rentrer dans le processus de production de cette forme d'action publique que sont les projets de développement, mettant en évidence les conflits de perceptions et de priorités stratégiques, les rapports entre bailleurs de fond, État et consultants, les négociations formelles ou infor­ melles qui l'ont jalonné et expliquent les choix stratégiques et institution­ nels finaux. Les appuis à la société civile sont une entrée particulièrement intéressante pour une telle socio-anthropologie de l'action publique dans les pays sous régime d'aide: même si les politiques de valorisation de la société civile sont un objet des institutions d'aide, beaucoup plus que de l'État, elles ne peuvent se concrétiser sans l'accord, au minimum le consentement de ce dernier. INfRODUCfION 29

Une recherche entre dévoilement et accompagnement

Ma démarche s'inscrit dans la lignée de la socio-anthropologie du déve­ loppement et des espaces publics (Olivier de Sardan, 1995b; 2007; Biers­ chenk, 2(09), avec son exigence d'analyses empiriques, fondée sur la « rigueur du qualitatif» (Olivier de Sardan, 2008b). Dans une perspective de « théorie issue du terrain» (« grounded theory», Glaser et Strauss, 1967), je mets l'accent sur les représentations et les pratiques des acteurs, mais aussi sur leur réflexivité propre. Tant par rapport aux acteurs de l'appui à la société civile que par rapport aux leaders des organisations nigériennes, je me situe dans la perspective de Fassin (2009: 202) pour qui:

« L'exercice critique des sciences sociales consiste en ces allers-et­ retours où, lorsqu'on est proche des sujets avec lesquels on travaille, on est attentifs à leur discours et à leurs pratiques au point de vouloir non seulement entendre leurs justifications mais de tendre soi-même à les justi­ fier, et lorsqu'on s'éloigne d'eux pour saisir une scène sociale plus vaste, on devient sensible aux jeux de pouvoir dans lesquels ils acceptent de se laisser prendre au point de porter sur eux un regard sans concession. C'est cette tension entre implication et détachement qui caractérise la posture critique, et peut-être même largement la politique de la recherche ».

Ce travail cherche ainsi à combiner ce que de Singly (2004: 32) consi­ dère comme les deux fonctions des sciences sociales, la fonction de dévoilement (qui met à jour les rapports de domination, les argumentaires de légitimation, les effets pervers d'une politique, etc.) et la fonction d'accompagnement, qui donne aux acteurs des ressources supplémentaires pour comprendre et penser leur situation. Il souhaite contribuer au débat académique, mais aussi offrir une analyse accessible aux acteurs de la société civile, des Ong internationales et des bailleurs de fonds qui s'inter­ rogent sur cette question, et contribuer ainsi à nourrir leur réflexion. Cette posture va de pair avec une écriture qui cherche à être accessible, évite le jargon des sciences sociales, et limite le recours aux concepts. Avec le fait de conserver une certaine retenue interprétative, préférant donner accès au matériau quitte à laisser (trop) ouvertes les conclusions à en tirer. Avec le choix aussi de mobiliser de nombreux extraits d'entre­ tiens. Au-delà de «l'effet de réel» (Olivier de Sardan) que produisent les citations (en appuyant l'interprétation du chercheur sur la parole des acteurs), ce choix traduit une volonté de rendre compte de la capacité d'analyse et de la réflexivité des acteurs (de tous les acteurs, qu'ils soient membres de base d'une Ong, responsables associatifs, cadres de l'admi­ nistration, consultants, agents d'une agence d'aide, etc.: bon nombre des questions soulevées par ce travail sont formulées, de façon plus ou moins explicites, par eux, parfois de longue date. C'est la même volonté qui sous-tend mon choix de citer, parfois longuement, les rapports d'expertise 30 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER du PASOC. Bien des problèmes ont été identifiés, anticipés, par les consultants mobilisés lors de ces études, et il me semble normal de leur rendre justice, dans leurs propres termes: trop souvent, les chercheurs travaillant sur des projets de développement énoncent leurs analyses en occultant la littérature grise (qu'ils n'aient pas voulu - ou su -la lire ou qu'ils refusent de la citer), s'appropriant ainsi des analyses ou des criti­ ques qui, pour certaines, avaient été formulées antérieurement par des praticiens. Quand ils ne refusent pas carrément de les interroger...9

Structure de l'ouvrage

Le présent ouvrage est organisé en six chapitres. Les trois premiers forment une contribution à une socio-anthropologie des « sociétés civiles réelles» au Niger, en même temps qu'elles posent la toile de fond pour discuter les politiques des institutions d'aide vis-à-vis des OSe. Partant des critiques récurrentes portées sur « la nébuleuse» des organisations associatives nigériennes, le premier propose une mise en perspective historique et discute les liens entre dynamiques associatives, État et aide internationales. Les deux suivants mettent le projecteur sur deux points de controverse: les stratégies des Ong et leurs difficultés d'institutionnalisa­ tion; la question de la régulation. Les trois chapitres suivants sont consacrés à une analyse détaillée de la façon dont l'Union Européenne a défini sa stratégie d'appui aux OSC nigériennes, dans le cadre des Accords de Cotonou. Le chapitre 4 décrit les interrogations initiales sur ce que signifie la notion «d'acteurs non étatiques» au Niger, les hésitations sur les objectifs à donner au projet, les arbitrages sur les acteurs à appuyer, la stabilisation des grands choix stra­ tégiques.lI montre en particulier comment la méfiance vis-à-vis de l'op­ portunisme des organisations de Niamey aboutit à un choix précoce en faveur des «organisations de base» dans les régions. Le chapitre 5 est consacré à « l'instrumentation », à la traduction de ces choix en dispositif organisationnel, en budget, en procédures, traduction qui, bien que contrainte par les règlements financiers de l'Union européenne, résulte aussi de choix, dans les instruments, dans les procédures comme dans les façons de les interpréter.A partir d'éclairages sur les évolutions ultérieures des réflexions et des dispositifs de l'Union européenne vis-à-vis des sociétés civiles, tant à Bruxelles qu'à Niamey, le chapitre 6 s'interroge sur les liens entre projets et politiques, les temporalités de l'action publique et la question des apprentissages.

9. Les entretiens ont été anonymisés, sauf dans le cas d'acteurs institutionnels, autour du projet de Charte. Cf. mon argumentaire pour une anthropologie du développement symétrique, qui accorde la même posture compréhensive et critique aux « développeurs» et aux « développés»: Lavigne Delville, 2Ülla. 1

La mauvaise réputation des sociétés civiles nigériennes

«A notre observation s'imposent [...] des sociétés civiles réelles. Par là, il convient d'entendre des pratiques, des formes d'organisation et des justifications, constitutives d'usages de la notion de société civile. Il en va des sociétés civiles réelles comme, autrefois, du socialisme réel. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de centrer l'analyse sur des manières de faire et de dire, et non sur l'improbable décalque d'un prétendu modèle» (Camau, 2002: 226)

Lorsqu'on commence à s'intéresser à la question de la société civile au Niger, on est frappé par l'ampleur des critiques dont elle est l'objet. Loin du discours - certes largement idéalisé - qui voit en elle un levier de démocratisation et une condition d'un développement économique et social, la « société civile» est l'objet de multiples critiques, très conver­ gentes. Du fait de l'explosion associative en cours depuis le début des années 1990, le secteur associatif serait une « nébuleuse» difficile à com­ prendre. Sa partie politisée et critique serait essentiellement composée de quelques personnes «faisant du bruit dans les médias », à la tête d'organi­ sations inexistantes, ne représentant qu'eux-mêmes. Sa partie Ong serait essentiellement composée d'organisations opportunistes, se branchant sur la rente de l'aide dans un but d'enrichissement personnel. De telles criti­ ques n'émanent pas seulement de développeurs occidentaux, à la recherche d'une hypothétique société civile pure et apolitique ou déçus de leurs rela­ tions avec des organisations nigériennes: elles sont largement partagées par les chercheurs, les journalistes, et bon nombre de responsables asso­ ciatifs eux-mêmes. Cette récurrence des critiques interroge sur les réalités sociales et politiques que recouvre ce terme flou et ambigu de société civile au Niger, et sur les fondements et enjeux de ces discours. « Concept éminemment polysémique dont la difficulté de définition n'a d'égales que la richesse et la complexité de la généalogie scienti­ fique» (Otayek, 2009: 210)1, la « société civile» est une notion polysé-

1. Cf. parmi une littérature très abondante: Bayart, 1986; Van Rooy, 1998c, 2002; Comaroff et Comaroff, 1999; Haubert, 2000; Khilnani, 2001; Lewis, 2001; Frydman, 2004; Lewis, 2004; Otayek, 2004, 2009; Pirotte, 2007,2010. 32 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER mique, ancrée dans différents moments historiques et différents courants théoriques contradictoires:

« Le drame de la notion de société civile est que, lorsque l'on cherche à préciser son contenu empirique, son contenu conceptuel s'échappe, tandis que, lorsque l'on chercher à préciser son contenu conceptuel, c'est son contenu empirique qui devient évanescent» (Haubert, 2000: 33).

Mon propos dans ce chapitre n'est pas de discuter de l'idée de société civile, du concept et sa légitimité, ni ses usages et mésusages (Hearn, 2001). Suivant Bayart (Bayart, 2008 (1983): 67) et Siméant (2014a), je prendrai ici la définition de Fossaert (1981: 146-147), qui voit la « société civile» comme « la société par rapport à l'État [...] en tant qu'elle est immédiatement en prises avec l'État». Ce chapitre ne prétend pas non plus faire une analyse systématique de la dynamique de la société civile au Niger. Une telle tâche, qui reste large­ ment à faire, dépasse l'ambition de cet ouvrage. Suivant Lewis (2004), je m'intéresse aux organisations et aux pratiques, aux «sociétés civiles réelles» (Camau, 2002), à « la société civile réellement existante », et non à l'idée de société civile. Je partirai de ces critiques récurrentes pour les mettre en perspective par rapport à l'histoire des dynamiques associatives, et à leurs rapports à l'État et à l'aide internationale, dans l'optique de pouvoir ensuite, dans les chapitres sur les politiques « d'appui à la société civile », « bring these wider debates into the limited discussion of civil society which takes place, particularly at the level of policy» (Lewis, 2001: 10). Prenant acte de l'extraversion historique des sociétés africaines (Bayart, 1999) et de la dépendance à l'aide internationale, il s'agira de considérer les acteurs qui se réclament de la société civile à l'interface de « "dynamiques du dedans" (réformes économiques et politiques locales, mutations sociales en œuvre dans cette période de transition) et de "dyna­ miques du dehors" (politiques de soutien et de renforcement de certains acteurs de la société civile, agenda du développement...) » (Pirotte, 2010: 2-3). Dans une perspective qui cherche à échapper à la fois « aux facilités de la consécration et aux délices douteux de la stigmatisation» dénoncés par Le Naëlou et Freyss (2004: 730) pour les Ong européennes, elle tente d'identifier quelques caractéristiques des trajectoires de la société civile au Niger.

Nébuleuse, opacité: la mauvaise réputation de la société civile nigérienne

«Moustapha Kadi: Monsieur le Président, tout à l'heure, une des com­ missions a parlé de nébuleuse. Il y a développement exponentiel, mais LA MAUVAISE RÉPlITATION DES SOCIÉfÉS CIVILES 33

nébuleuse, j'avoue que le terme me gène beaucoup. A l'extérieur, la société civile nigérienne est respectée, elle est même qualifiée de crédible. Pourquoi ici, entre nous, allons-nous penser à la salir? Marou Amadou: Moustapha, c'est le rapport d'une Commission qui a donné un point de vue qu'on entend assez souvent. Justement, il ne faut pas que ça soit une nébuleuse où un seul dirigeant associatif a dix associa­ tions, où un dirigeant associatif reste 20 ans. La nébuleuse c'est aussi au niveau du financement. Il y a des gens qui prennent les financements exté­ rieurs et disparaissent: ils ne discréditent pas qu'eux-mêmes, ils discrédi­ tent la démocratie et le pays! » (Extrait du débat sur le projet de Charte de la société civile au Conseil Consultatif National, 12 février 2012).

Des organisations « militantes», simples légitimation de leaders politiques?

Pour certains observateurs, la société civile militante, c'est d'abord un certain nombre de leaders, occupant largement l'espace médiatique, à travers déclarations télévisées, communiqués de presse, etc. Issus des syndicats scolaires et étudiants, ces leaders investissent les champs de la critique sociale et politique et de la mobilisation sociale, au titre de diverses organisations. Les leaders les plus en vue cumulent ainsi les res­ ponsabilités, simultanées ou successives, dans différentes organisations, et fédérations ou regroupements. Les organisations ou réseaux qu'ils diri­ gent, au titre de président ou de secrétaire général, sont souvent davantage connues à travers eux que le contraire, et dans certains cas, n'existent que par eux. Dans les entretiens, comme dans les médias, la très forte person­ nalisation de ces organisations ressort fortement: on parle de Marou Amadou plus que de CROISADE2, de Nouhou Arzika plus que d'OR­ CONI, de Mustapha Kadi plus que CODDAE ou SOS Kandadji, d'autant plus que ces personnalités interviennent, selon les cas, au nom de l'une ou l'autre des différentes organisations qu'ils représentent ou dans lesquelles ils se sont successivement impliqués. Même dans les réseaux, c'est le leader qui est le plus visible. Certains responsables de la société civile professionnalisée sont très critiques sur « tous les gens qui font du bruit dans la société civile» sans même avoir de diplôme, ces «éternels opposants qui font du bruit », qui « passent la longueur de journée à ne rien faire que d'insulter» dans les médias.

« J'ai compris que les autres là ne font rien. Leur travail, c'est de trouver une télé, une radio, de faire des conférences et d'insulter les gens.

2. Depuis l'élection de à la Présidence de la République en 2011, Marou Amadou est Ministre de la justice. 34 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Moi je dis que notre pays est très fragile, on n'a pas besoin de s'insulter pour faire du développement» (responsable d'Ong, secteur santé).

Issus pour la plupart de la Conférence nationale mais n'ayant pas réussi à se faire coopter dans les partis politiques ou l'appareil d'État, ces mili­ tants politiques adopteraient ainsi une posture médiatique critique, dans le but de se faire acheter par le pouvoir, ou d'obtenir un poste dans les instances publiques de représentation de la société civile.

Des Ong opportunistes, mues par une logique mercantile?

Inversement, ceux qui défendent une vision «engagée », «citoyenne» de la société civile contestent l'appartenance à la société civile des Ong, qu'ils considèrent comme de simples prestataires de services pour l'aide au développement. Tous critiquent sévèrement la prolifération d'Ong, le dévoiement de l'idée de militantisme ou d'engagement, la recherche d'en­ richissement personnel.

« Les gens disent "moi j'ai une Ong". Mais une personne ne peut pas avoir une Ong! On dit que l'Ong a été créée par une personne au Niger. "Qu'est-ce que vous faites dans la vie? Moi j'ai une Ong, j'ai une associa­ tion". Ce n'est pas une entreprise! (Rire). Ils en font une affaire person­ nelle, une affaire d'enrichissement alors qu'ils doivent être au service des autres» (juriste, spécialiste appui institutionnel). « La société civile nigérienne, à mon avis, ce sont des amateurs. Ils pensent qu'en arrivant au niveau d'une Ong, c'est pour s'enrichir. Le pro­ blème pour lequel ils ont créé l'Ong, ils le perdent de vue. Ils pensent "dès que je vais créer une Ong, c'est mon Ong d'abord. Et je vais devenir riche". Alors que le problème, c'est que dès qu'ils vont avoir le premier financement, l'Ong est déjà morte. Puisqu'ils ont dans la tête qu'ils vont s'enrichir, ils ne vont pas exécuter l'action et ne seront plus visibles» (présidente d'Ong, secteur santé). « Une certaine immoralité s'est créée à l'intérieur des organisations, parce que dans tous les textes [les statuts], vous allez voir qu'on est apoli­ tique, on n'est pas lucratif, on n'est pas confessionnel, etc. Mais dans les faits, les citoyens découvrent qu'il suffit juste d'animer une structure de la société civile, et on a facilement de grosses 4 x 4, tout de suite on construit une très grosse villa, on a un niveau de vie élevé qui ne correspond pas aux revenus qu'on peut avoir du fait de notre travail citoyen» (respon­ sable de réseau d'OSC).

Loin des motivations altruistes supposées d'un engagement dans la société civile, bon nombre d'organisations seraient fondées dans une logique opportuniste de captation de rente. De nombreuses Ong n'ont guère d'existence réelle: leur promoteur les a créées dans l'espoir de LA MAUVAISE RÉPUTATION DES SOCIÉfÉS CIVILES 35 trouver des financements, ce sont les « Ong cartables )) qui n'existent que dans la sacoche de leur président.

« Il Ya aussi une catégorie de personnes qui ont créé l'Ong juste pour des questions économiques. Pour se servir tout simplement, pour résoudre leurs problèmes personnels. Ces gens-là, nous sommes arrivés à les identi­ fier et nous les appelons les PNG, les personnes non gouvernementales. Parce que, quand il y a une réunion, ils sont là sans être invités, ils ont toujours leur sac, et tout est dans le sac, ils circulent à pied ou à moto, ils n'ont pas de bureau, et ils sont là partout. Cette catégorie malheureuse­ ment, elle est importante» (responsable d'une Ong nigérienne d'appui aux associations).

De nombreuses organisations se créent sans objectif précis, prétendant couvrir tous les champs thématiques.

«Quand on crée une Ong, c'est un individu avec quelques autres parents ou bien d'autres amis [...] on crée, on cherche les moyens. Si les moyens ne tombent pas, on croise les bras, on se contente de participer à telle réunion organisée par tel ministère, tel atelier qu'organise tel parte­ naire )) (consultant, spécialiste en appui institutionnel).

Beaucoup d'Ong sont fondées par des fonctionnaires, qui profitent de leur position dans l'administration et des informations auxquelles cela leur donne accès sur les futurs appels d'offres pour les positionner.

« C'est comme si les gens étaient à la poursuite du financement. Même si je suis une Ong qui intervient dans le secteur de l'environnement, dès qu'il y a un financement dans le secteur de la santé, je fais juste un petit lien entre l'environnement et la santé et je vais me placer dedans » (ancien cadre DONGAI)l). « Il y a des Ong qui se créent à l'image d'un financement. On sait qu'il y a tel bailleur qui met en place des fonds dans le cadre de tel ou tel projet, et automatiquement les autorités ou les personnes mieux placées ou mieux informées créent des Ong pour profiter de ce financement. Et dès qu'il s'arrête, c'est fini, l'Ong aussi s'arrête » (présidente d'Ong, secteur santé). « Malheureusement, la majorité sont des structures ont été suscitées, parce qu'il y a la mise en œuvre d'un programme qui s'annonce. Quand je prends le volet VIH Sida, par exemple, où on a dénombré plus de 450 asso­ ciations, c'est uniquement parce que les gens ont entendu qu'il y a des financements sur ce thème. Donc, on se retrouve avec des structures qui sont suscitées par les partenaires et dont l'objectif est uniquement d'ac­ céder aux fonds. On se retrouve vraiment avec beaucoup de structures qui

3. Direction des Ong et associations de développement, Ministère du développement communautaire. 36 AIDE INTERNATIONALE ET socrsras CIVILES AU NIGER

ne s'intéressent pas à la qualité des actions qu'elles doivent mener» (cadre d'une Ong nigérienne d'appui).

L'opportunisme lié à la recherche de la rente du développement est largement dénoncée, ainsi que l'affaiblissement ou la disparition de tout esprit militant. La quête du financement va en effet de pair avec une passi­ vité: on ne fait rien si on n'a pas de financement externe. La passivité des Ong, qui attendent d'avoir des financements avant de mener des actions, ou le refus de faire quoi que ce soit sans financement, sont régulièrement mis en avant.

«Aujourd'hui la chose est tellement dénaturée que, si je suis une orga­ nisation qui travaille dans le domaine de 1'hygiène et de l'assainissement, et que je voudrais faire une action à 10 mètres de chez moi, il faut que j'élabore un projet. Dans ce projet, je prévoie des frais de déplacements, alors que chaque matin,je passe par là-bas, que chaque jour, chaque matin, je rencontre les leaders, les responsables du quartier. Mais je ne peux pas m'arrêter une minute, une seconde pour discuter avec eux et qu'ensemble on fasse des propositions d'amélioration. Non, ça je ne le ferai pas. Mais j'aurai plutôt tendance à dire "ah, il y a tel projet, telle description du contexte, je vais adopter tel comportement pour mener ça,je vais prévoir des frais de déplacements. des frais de ceci ou de cela". Même le simple contact préalable, je le comptabilise comme étant de la prestation. Tout est budgétisé. Tout est financé. Vraiment, quand on dit que Ong = projet, je pense qu'on fausse toute la philosophie de la chose» (expert renforcement des capacités des OSC). « Moi, je suis aussi de la société civile, je les connais bien. Donc je peux me permettre de leur dire dans les ateliers: "Si tu attends tout de l'État ou des bailleurs, tu fausses les choses". Au Niger, personne ne va sortir de l'argent de sa poche pour faire des choses. Pourtant, les PTF, l'ar­ gent qu'ils donnent, c'est celui des contribuables de leur pays! Il ya effec­ tivement cet état d'esprit qui s'est diffusé» (cadre de l'administration, spécialiste appui aux OSe).

Cette dépendance aux financements atteindrait même les associations fondées au départ sur une base militante, qui se contentent de répondre à des appels d'offres et deviennent de simples prestataires, y compris sur les champs de la démocratie ou des droits de l'homme.

« Beaucoup de ces associations, passent leur temps à exécuter des projets de coopération. Du coup elles se professionnalisent. Et quand elles se professionnalisent, les leaders sont tous les jours en mission de forma­ tion. En fait ils gagnent leur vie dans leurs activités. C'est leur métier. Mais en même temps, ils n'ont plus le temps de s'opposer à quoi que ce soit. Ils n'ont plus le temps d'interpeller. Ils n'interpellent plus. Je pense que c'est un aspect qui dévitalisé la société civile. Qui l'a tuée, même» (chercheur). LA MAUVAISERÉPUTATION DES SOCIÉfÉS CIVILES 37

Entre explosion en nombre des Ong et dérive vers la prestation de services des associations militantes, une conception stricte de la « société civile» n'aurait plus guère de sens.

« Si on considère les Ong qui font la prestation de services comme ne faisant pas partie de la société civile, au Niger qu'est-ce qui va rester? Parce que même les Ong, les associations de défense de droits de 1'homme, d'une façon ou d'une autre, c'est la prestation des services qu'elles font. Donc, moi je pense qu'il ne faut pas aller trop loin» (ancien cadre DONGAD). « Il faut voir aussi que les associations se sont trouvées agressées par l'argent. Il y a eu un moment de profusion des ressources. Vraiment! Même lorsque tu ne veux pas, on te donne de l'argent, on t'aide à t'orga­ niser. On te fait faire un audit organisationnel, on te donne de l'argent pour que tu ailles te former. II y a eu tellement d'argent! » (chercheur).

Les critiques portées sur la société civile nigérienne sont particulière­ ment fortes chez les agents de l'État, les cadres (nationaux ou internatio­ naux) des Ong internationales, les observateurs externes, du fait des luttes pour le contrôle des ressources, que ce soit entre administration et Ong, ou entre Ong internationales et nationales. Mais elles sont aussi reprises, dans quasiment les mêmes termes, par de nombreux responsables associa­ tifs, qui cherchent ainsi à se démarquer des autres au moins dans le dis­ cours et qui, pour certains, reconnaissent qu'ils sont aussi partie prenante des pratiques et des contradictions qu'ils soulèvent et dénoncent. Le caractère systématique de ces critiques pose donc question. Elles portent sur une frange particulière des organisations, celle qui est visible à travers les interventions à la télévision, les discours et prises de paroles dans les mobilisations, les 4 x 4 et les panneaux qui jalonnent les rues pour indiquer les bureaux, les nombreux « publi-reportages » à la télévi­ sion qui rendent compte des inaugurations, des ateliers, des séminaires, et de l'omni-présence de l'aide internationale au Niger. Focalisées sur la partie la plus visible du tissu associatif, elles occultent la diversité de réalités associatives beaucoup plus multiples. Renvoyant - implicitement ou explicitement - à un modèle, idéal mais à la fois mal défini et utopique, d'une société civile neutre, bénévole et engagée, elles témoignent de la difficulté, y compris pour les responsables associatifs, de construire une analyse des faits associatifs qui n'idéalise pas les sociétés civiles réelles, prenne acte de leurs contradictions et pratiques, tout en ouvrant la place à leur diversité. 38 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Vingt cinq ans d'explosion associative: une brève histoire

Le paysage des organisations de la société civile est en effet bien plus large et très hétérogène, fruit de phases successives d'émergence d'orga­ nisations. Comme dans les pays voisins, l'histoire des sociétés civiles nigériennes se joue à travers ces générations successives d'organisations, formelles ou informelles, se référant principalement aux formes (néo-) coutumières d'action collective et de mobilisation, et/ou aux principes coopératifs, associatifs et syndicaux. L'histoire des organisations est mar­ quées par l'environnement social et politique qui leur a donné naissance, ses évolutions dans le temps, mais aussi par la trajectoire de leaders qui cumulent souvent les responsabilités, et par la multiplication de réseaux ou fédérations en concurrence. Elle se construit dans des frontières floues entre société civile et société politique, société civile et secteur entrepre­ neurial, société civile et administration et - des quartiers centraux de la capitale aux villages ou aux quartiers populaires - dans une relation, plus ou moins étroite, avec l'aide internationale.

Rapports sociaux, monétarisation de l'économie et associationnisme local

Classes d'âge, corporations, confréries, réseaux cultuels, etc., les sociétés nigériennes connaissent de multiples formes d'action collective dépassant les réseaux familiaux ou les allégeances politiques, qui ont une longue histoire et continuent à structurer les rapports sociaux. Regroupant les jeunes sur une logique d'âge (souvent liées aux initiations), les classes d'âge constituent des formes spécifiques d'action collective, qui annulent en leur sein les hiérarchies d'âge du fait même de leur structure, et qui dépassent les inégalités de statut tout en les reproduisant dans leur organi­ sation interne: tous les jeunes d'une même génération en font partie quel­ que soit leur statut social, mais la répartition entre fonctions dirigeantes et fonctions de service ou d'exécution reproduit les inégalités statutaires. La monétarisation de l'économie et la fragmentation des unités familiales ont suscité de nouvelles formes d'associations, associations de travail et d'en­ traide pour faire face aux contraintes de travail en milieu rural (Raulin, 1969), tontines traduisant de nouveaux réseaux de sociabilité urbaine en même temps qu'elles répondent à des besoins de crédit. Les migrations urbaines induisent des réseaux de sociabilité et d'entraides entre originaires d'un même village ou d'une même région, et la structuration de groupes de conversation mobilisant l'art oratoire hausa (Youngstedt, 2004). LA MAUVAISERÉPUTATION DES SOCIÉfÉS CIVILES 39

Coopératives, syndicalisme et luttes anti-coloniales

Colonisé pour des raisons politiques et stratégiques plus qu'économi­ ques, le Niger a été le parent pauvre de l'AOF (Idrissa, 2001: 17). Il est demeuré longtemps sous administration militaire, n'a guère bénéficié d'infrastructures", l'administration coloniale s'est largement appuyée sur des cadres venant des pays voisins". Après les résistances armées à la conquête coloniale, les formes de résistance au pouvoir colonial ont prin­ cipalement pris des formes d'insoumission, « d'escapisme» (Olivier de Sardan, 1984: 174). Le Niger a connu une première vague d'association­ nisme pendant la période coloniale, avec les sociétés indigènes de prévoyance et les coopératives, formes fortement encadrées de « partici­ pation », et avec des syndicats plus ou moins autonomes et revendicatifs: régies par un décret de 1910, les Sociétés indigènes de prévoyance ont été créées en 1934, et ont laissé de mauvais souvenirs (Olivier de Sardan, 1984). C'est aux dernières années de l'Indépendance qu'ont été créées les Coopératives (décret-loi N° 55-184 du 2 février 1955 portant statut de la coopération dans les territoires français d'Outre-mer) et les Sociétés mutuelles de développement rural (SMDR) mises en place à partir de 1956 (décret N°56-1135 du 13 novembre 1956), censées être contrôlées par des instances élues. Deux coopératives seulement sont nées avant l'In­ dépendance: la coopérative rizicole de Kollo en 1955 et la coopérative maraîchère de Mirriah en 1957. En AOF, les premières grèves de cheminots et de fonctionnaires datent des années 1920, mais jusqu'en 1944, le droit syndical a été restreint. Le syndicalisme africain émerge véritablement dans les années 1950, dans un contexte pré-Indépendances, dans des rapports étroits entre partis politi­ ques et syndicats: « La naissance du RDA en 1946 [...] ne manquera pas d'influencer le mouvement syndical, la plupart des dirigeants syndicaux ayant été à la base de la création de ce parti » (Maïnassara, 1999: 36). Instituteur nigérien, Djibo Bakary (1992) jouera un rôle crucial tant poli­ tique que syndical au niveau nigérien et ouest-africain. Un complexe jeu d'alliances, conflits, rivalités, scissions, ruptures, recompositions structure dès cette période le jeu politique, tant au niveau des partis politiques que des organisations syndicales engagées dans la lutte anti-coloniale et indé­ pendantiste (Bakary, 1992: 125-142; van Walraven, 2009; van Walraven, van Walraven, Luning et al., 2009). Elu à la tête du gouvernement en 1957, Djibo Bakary (et avec lui le Sawaba et l'UGTAN, le parti et le syndicat qu'il dirige) prennent position pour le non au référendum de 1958 sur l'accord d'association avec la

4. Le premier pont traversant le fleuve Niger, à Niamey, date de 1974! 5. A l'Indépendance, le taux de scolarisation était de 3% (Maïnassara, 1999: 24), le nombre de cadres nigériens était très faible: un seul Ingénieur des techniques agricoles, trois administrateurs formés à l'ENFOM, mais « aucun juriste, financier ou économiste du niveau licence» (Djibo, 2001: 258). Les premiers sociologiques ont eu leur licence en 1960. 40 AIDE INTERNATIONALEET SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

France, au contraire du PPR-RDA. Suite à des manipulations électorales organisées par le pouvoir colonial, le oui l'emporte. Diori Hamani accède au pouvoir. Le Sawaba organise une résistance qui, devant la répression coloniale puis post-coloniale, bascule dans la lutte armée (van Walraven, 2013) avant d'être décapité.

De l'Animation à la Société de développement: l'encadrement de la société par l'État

Le Niger indépendant commence avec un faible niveau de formation, très peu de cadres nigériens, une quasi-absence d'infrastructures. Dans les premières années de l'Indépendance, une politique de «promotion humaine et d'animation rurale » a été soutenue par le Président Diori, qui visait à faire émerger une capacité paysanne de prise en charge des problèmes, en même temps qu'une conscience nationale (Colin, 1990; Gentil, Corrèze et Corrèze, s.d.):

« Puisant son inspiration dans l'expérience sénégalaise de Mamadou Dia, Diori décidait, à partir de 1963, de lancer une politique d'Animation rurale. Il s'agissait de mettre en place, au sein des communautés villa­ geoises, un outil de sensibilisation et de formation permanente donnant aux paysans les moyens d'exercer leurs responsabilités dans les organisa­ tions de développementcréées à partir de la base» (Colin, op.cit.: 33).

Le potentiel critique de l'animation a vite été neutralisé et le dispositif a été repris en main par l'administration: «Les instances dirigeantes du PPN-RDA, pour une grande part, s'agacèrent puis s'inquiétèrent du mou­ vement ainsi créé qui devait avoir des conséquences à plus long-terme sur le contrôle du Parti» (idem: 34); la chefferie se voyait contestée par l'émergence de jeunes animateurs paysans. La création en 1962 de l'UNCC (Union nationale de crédit et de coopération) autour de la commercia­ lisation de l'arachide a marqué le retour à des formes plus encadrées d'or­ ganisations paysannes (Bontianti, 2003). Les projets de développement intégrés sont mis en place dès les années 1970, dans une logique de moder­ nisation technique d'encadrement des producteurs par les agents de l'État:

« Une grande partie des partenaires de coopération technique étrangère s'inquiétait depuis l'origine des orientations de la stratégie paysanne nigé­ rienne, la considérait comme "subversive", "démagogique", antinomique avec les impératifs "rationnels" de modernisation de la production» (Colin, op.cit.: 34).

La sécheresse de 1972 et 1973 induit une crise de légitimité du régime. Le soutien dont il bénéficiait de la part de la France est mis en cause par les prises de position du Président Diori pour une renégociation des rela- LA MAUVAISERÉPUTATIONDES SOCIÉTÉS CIVILES 41 tions avec la France et contre le mouvement indépendantiste biafrais soutenu par la France. Le 15 avril 1974, un coup d'État renverse le prési­ dent Diori et amène au pouvoir le colonel Kountché", qui engage une alliance avec la chefferie. La « participation au développement» prend désormais la forme de mobilisation de travail pour d'opérations d'inves­ tissement humain, « grands chantiers organisés par l'armée, pourvoyeurs de salaires à moindre taux ou d'apport en nourriture, ravivant le souvenir empoisonné du travail forcé du temps de l'indigénat» (idem: 36). L'État met en place un dispositif de contrôle politique. Les relations entre État et syndicats sont tendues, mélanges de coercition et d'alliances, dans un pay­ sage syndical marqué par des rivalités, conflits, coups de force (Maïnas• sara, 1999). Avec la sécheresse de 1973, les premières Ong internationales s'im­ plantent. Regroupant d'abord les Ong internationales, le GAP (Groupe­ ment des aides privées) est créé en 1974. 11 s'ouvrira ensuite aux Ong nigériennes. Les projets de développement se multiplient, souvent foca­ lisés sur la promotion d'organisations locales: organisations de produc­ teurs, d'artisans, de femmes. Mais dans un contexte autoritaire, la liberté associative est fortement encadrée, et en particulier les associations à caractère régional ou ethnique sont interdites (Woods, 1994; Bako-Arifari, 1995). Les premières associations professionnelles se créent cependant pendant cette période avec dès 1976, l'Association des Sages-femmes, suivie, dans les années 1980, des associations de femmes enseignantes, des agents de banque, etc. Le caractère étatiste et autoritaire du régime res­ treint cependant l'éclosion associative que l'on observe dans des pays voisins (Burkina Faso, Sénégal). Fortement contrôlés, les syndicats, en particuliers les syndicats étudiants et d'enseignants, s'avèrent peu des sources de contestation, d'autant qu'ils reflètent les intérêts des fonction­ naires, privilégiés par le régime dans les années 1970 et lors du boom de l'uranium de la fin de la décennie (Charlick, 2007) et que le régime n'hé­ site pas à emprisonner les leaders contestataires". Ce qui n'empêche pas de nombreuses crises internes et coups de force au sein du mouvement syndical (Maïnassara, 1999). Dès 1979, le président Kountché cherche à légitimer son régime et met en place la «société de développement ». Censée être fondée sur les formes associatives coutumières (samaria, associations de jeunes), la Société de développement était en pratique un réseau d'organisations enca­ drant la société du village au sommet de l'État. A cinq niveaux (village, canton, commune, département, nation), « un Conseil de développement élu regroupait les représentants des Samarya (associations traditionnelles de jeunes, rénovées), des instances coopératives ainsi que des autres orga-

6. L'implication de la France dans ce coup d'État, longtemps jugée plus que probable par de nombreux observateurs (cf. par ex. Raynaut et Abba, 1990), a été réfutée par les recherches récentes de Van Walraven (2014). 7. Accusé d'être partie prenante de la tentative de coup d'État du 16 mars 1976,Ahmed Mouddour, secrétaire général de l'UNTN, a été arrêté et exécuté (Maïnassara, op.cit.: 64). 42 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER nisations socio-professionnelles» (idem). Des associations catégorielles (Association des femmes du Niger), professionnelles ou confessionnelles (Association islamique du Niger) sont créées. Les coopératives sont systé­ matisées et hiérarchisées en unions régionales et en une Union nationale des coopératives. Au niveau national, le Conseil national de développe­ ment était la seule institution nationale représentative, l'Assemblée natio­ nale ayant été supprimée. Il s'agissait ainsi de construire une forme de participation politique fortement encadrée, sans opposition partisane, à la fois corporatiste et populiste, mais qui a néanmoins constitué un cadre d'apprentissage de l'action collective pour de nombreux nigériens. Paral­ lèlement, une « charte nationale», définissant le projet de société de la Société de développement» était préparée et a été adoptée par référendum en 1987, peu de temps avant le décès de Kountché. La sécheresse de 1984 provoque un nouvel afflux d'Ong internatio­ nales, dont certaines comme 6S8 créent des branches nigériennes à la faveur de la « décrispation» à partir de 1986 (Barbedette et Ouedraogo, 1993). L'ordonnance de 1984 portant régime des associations vise à enca­ drer ce mouvement. Elle confirme l'interdiction des associations à base ethnique ou régionale, posée dès les années 1%0 du fait de l'ancrage régional du Sawaba et des tendances séparatistes touaregs. Contrairement au Bénin, où les associations de ressortissants ont été encouragées (Bako Arifari, 2010: 369ss), elles ont dû au Niger prendre la forme d'associa­ tions culturelles ou de développement (idem: 371-372), souvent organi­ sées à Niamey, avec un faible ancrage au village. Un associationnisme local tente de prendre le relais des interventions de l'État, couplant recherche de palliatifs aux carences de l'État et tentatives de redéfinir les rapports sociaux", avec un investissement important des « déscolarisés », jeunes lettrés sans emploi revenus au village (idem: 393). Les associations culturelles servent aussi de paravent à des mouvements politiques qui ne peuvent être légalisés: ainsi l'AMACA est présidée par Mahamane Ousmane jusqu'à son élection à la Présidence du Niger et aurait été à la base de la CDS (idem: 372, note 389).

Boom de l'uranium, crise de la dette et Conférence nationale: mobilisations sociales contre l'austérité et transition démocratique

La seconde moitié des années 1970 correspond aussi au boom de l'ura­ nium, découvert à la fin de la période coloniale et dont l'exploitation est préparée dès les premières années de l'Indépendance. La forte croissance économique, l'envolée des recettes fiscales, génèrent un immense espoir.

8. Savoir Se Servir de la Saison Sèche au Sahel. Fédération sahélienne d'organisations paysannes. 9. Sur cette phase, cf. Jacob et Lavigne Delville, 1994, et sur les associations pay­ sannes comme projets d'émancipation de jeunes, cf. Laurent, 1998 sur la genèse des « ententes» en pays mossi au Burkina Faso. LA MAUVAISE RÉPlITATION DES SOCIÉfÉS CIVILES 43

En quelques années, l'État investit massivement dans les infrastructures, recrute de nombreux agents, crée de multiples entreprises publiques, met en place une politique volontariste de bourses aux étudiants. Mais le retour­ nement des prix se fait sentir dès 1981. Pendant les premières années, l'État poursuite ses investissements en s'endettant massivement. La pro­ longation de la chute des cours induit une crise de la dette, d'autant plus violente au Niger qu'elle suivait de peu le boom de l'uranium. Obligé de réduire son endettement, l'État négocie avec les institutions interna­ tionales et commence des mesures d'ajustement'": dès 1982, 5000 à 8000 agents de l'État sont «compressés» (Maïnassara, 1999: 82). Pour équilibrer son budget, l'État ponctionne les sociétés publiques, les mettant elles-mêmes en difficultés financières. Les investissements sont stoppés. Niamey se fige pour deux décennies autour des quelques immeubles ou bâtiments construits lors du boom Il , mais explose spatialement avec l'exode rural et la création de multiples quartiers populaires excentrés. La crise de la dette induit son lot de mesures de redressement: gel des salaires, incitations au départ de la fonction publique (qui avait été multi­ pliée par trois en quelques années), restructurations ou liquidations des entreprises publiques. La crise financière de l'État et la crise des coopéra­ tives aboutissent dès 1984 à la suppression de l'Union nationale de crédit et de coopération (UNCC) et son remplacement par l'UNC (Union natio­ nale des coopératives)", avec le licenciement de 400 agents (idem: 87). Le soutien financier à la paysannerie se réduit, les coopératives de gestion des périmètres irriguées sont restructurées. La législation sur la Coopéra­ tion est revue en 1989. L'ajustement structurel et l'affaiblissement du pouvoir de Kountché aboutissent à la dislocation progressive des organisations para-étatiques. Après le décès de Kountché, en novembre 1987, le général Ali Saïbou, numéro deux du régime, prend la tête de l'État et met en place une poli­ tique de «décrispation» visant à réduire la dimension autoritaire du régime et à lui donner un cadre démocratique. Un parti unique, le Mouve­ ment national pour la société de développement (MNSD) est créé en 1988. La Constitution de la seconde République est adoptée en septembre 1989, Ali Saïbou est élu président en décembre 1989, en même temps qu'une Assemblée nationale est élue. La décrispation aboutit aussi à la fondation des premières associations de défense des droits de l'homme, dont l'ANDDH, mais aussi Timidria, association de lutte contre l'esclavage (Tidjani Alou, 1996; 2000; Botte, 2003), et des premiers journaux indé­ pendants (Haské). Mais la rébellion touareg se durcit après l'attaque de Tchintabaraden et la répression qui a suivi. Ali Saïbou doit poursuivre les efforts économiques, suscitant une contestation forte de la part des syndi-

10. Les PAS au sens propre ne seront signés que tardivement, au milieu des années 1990. 11. La construction d'immeubles ne reprendra qu'à la fin des années 2000. 12. Qui sera elle-même dissoute en 1996. 44 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER cats, en particulier des syndicats étudiants et scolaires refusant la réduc­ tion de leurs bourses. L'annonce de nouvelles mesures d'ajustement en novembre 1989, pour faire face au service de la dette et payer les salaires, suscite de nouvelles manifestations.

« La centrale syndicale organisa des meetings et des conférences publi­ ques pour sensibiliser les citoyens au-delà des travailleurs, sur les enjeux de la situation socio-économique et même politique nationale et mondiale. L'USTN se démarqua du pouvoir et demanda l'accélération du processus de démocratisation du pays » (Sanda, 2010).

Au départ centrée sur des revendications catégorielles et le refus des politiques d'austérité, la mobilisation bascule après la répression de la manifestation du 9 février 1990, et la mort de trois étudiants. Des marches de soutien aux étudiants et scolaires sont organisées dans tout le pays. Le principe du multipartisme est acté par le Général Ali Saïbou le 16 novembre 1990. Lapoursuite des manifestations, les meetings et opéra­ tions villes mortes bloquent le pays. Le Président annonce le 15 avril 1991 la tenue d'une Conférence nationale souveraine, qui débute ses travaux le 29 juillet 1991 «pour faire le bilan de 30 ans de gestion » (idem). Les débats ont été vifs, la mise en cause du régime Kountché sans conces­ sions. Mais la Conférence nationale:

« dont l'ordre du jour a été la chasse gardée des élites urbaines, n'a mis au centre de ses préoccupations ni la nature prédatrice et autoritaire de l'État, ni surtout l'exclusion des débats de la majorité sociologique du pays (le monde agro-pastoral) et des groupes sociaux subordonnés ou assujettis » (Botte, 2003: 129).

Les syndicats, et en particulier les syndicats des scolaires et des I3 étudiants (UENUN, USN ) sont en première ligne de la contestation poli­ tique et sont fortement impliqués dans la Conférence Nationale. Cette phase de mobilisation a constitué un creuset d'émergence d'une généra­ tion de militants, qui structurent encore le paysage politique, syndical et associatif. Les ténors associatifs actuels, mais aussi de nombreux fonda­ teurs d'associations, en sont issus. Nombreux sont en effet les militants des syndicats étudiants qui vont ensuite - par choix pour certains, ou faute d'avenir politique ou de pers­ pective d'embauche dans la fonction publique pour d'autres -, s'investir dans le journalisme, le militantisme politique, les associations (Hubaux, 2006). Les premières associations religieuses investissent aussi l'espace politique avec la Conférence nationale, certaines d'entre elles remettant en cause le statut laïc de l'État. Selon certains observateurs, cet échec les

13. Créée en 1960. dissoute en 1973, ré-autorisée en 1974, l'USN a une longue tradi­ tion de mobilisations lycéennes tout au long des années 1970 et 1980. LA MAUVAISERÉPUTATION DES SOCIÉfÉS CIVILES 45

amènera à se replier sur la sphère privée et à s'investir dans la promo­ tion d'une pratique plus rigoureuse de l'islam. Bref, une série de mobi­ lisations témoigne de l'investissement politique dans l'espace public (Gazibo, 2007b).

L'explosion associative des années 1990

C'est la transition démocratique qui, en libéralisant le droit des asso­ ciations, suscitera l'envol des dynamiques associatives et la diversification de leurs finalités. Les années 90 constitue une seconde vague de création d'associations, portée par un militantisme politique pour les uns, une volonté de travailler au service du développement du pays dans des cadres moins contraignants que la fonction publique, pour d'autres. Née le 15 mai 1991, Timidria est ainsi la première association à poser la question de la survivance de l'esclavage, et organise des tournées foraines d'éduca­ tion civique. L'AREN (Association pour la renaissance de l'élevage au Niger) est créée en 1990 par un groupe d'intellectuels peuls, avec l'appui de l'USAID et devient une organisation de défense des intérêts mi-profes­ sionnels (l'élevage), mi-socio-ethnique (les Peuls). En 1994, un groupe d'une vingtaine de militants étudiants et de quelques « aînés» militants de l'ORDN fondent le journal Alternatives, qui deviendra en 2001 l'asso­ ciation Alternatives Espaces Citoyens (Hubaux, 2006). Liée au mouve­ ment altermondialiste, cette association anime une radio, publie un journal, anime des discussions civiques dans les fadas, organise des confé­ rences débats sur des thèmes d'intérêt public. Sur un registre profes­ sionnel, Karkara a été fondée le 24 décembre 1992 par un groupe de tech­ niciens ayant travaillé dans des projets de développement dans la région de Diffa et qui souhaitaient travailler dans une approche différente avec les paysans, dans un contexte de faible présence de l'État. Les associa­ tions catégorielles de la Société de développement (Association islamique du Niger, Association des femmes du Niger, etc.) explosent en multiples nouvelles associations, liées à des partis politiques différents ou du fait de rivalités de personnes. Les syndicats eux-mêmes se scindent. Le séminaire de Dosso relatif à l'émergence des Ong nationales, en 1991, consacre l'explosion du nombre d'Ong et leur légitimité dans la sphère du développement. Certaines Ong sont créées par des fonction­ naires, qui s'investissent dans la gouvernance de l'association et recrutent du personnel pour mener les actions. Mais la question de l'emploi se pose vite: l'ouverture démocratique a eu lieu dans un contexte d'ajustement structurel, de fin des recrutements dans la fonction publique. S'investir dans les associations, les Ong, les journaux, est une stratégie de reconver­ sion ou de recherche d'emploi pour de nombreux militants syndicalistes. On note d'ailleurs de fréquents allers-et-retour, y compris avec des pas­ sages dans des fonctions plus politiques, au gré des alternances, nom­ breuses dans cette décennie de turbulences politiques. L'investissement 46 AIDE INfERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

associatif devient une forme de légitimation politique: « Les associations et Ong sont devenues des structures-écrans de la lutte pour le pouvoir au niveau national entre cadres ressortissants des différentes régions du Niger après 1991 » (Bako-Arifari, op.cit.: 374). Les Ong apparaissent aussi comme un cadre possible d'emploi, dans un contexte où l'aide internationale valorise les initiatives locales et la société civile. Les Ong internationales appuient l'émergence d'Ong natio­ nales à partir de leurs équipes de salariés, les bailleurs de fonds souhaitent sortir les projets qu'ils financent de l'administration et poussent à la sous­ traitance à des Ong nationales, ils orientent une partie de ses financements vers les organisations nationales: les premiers appuis aux associations sont mis en place, comme le Programme d'appui au mouvement associatif (PAMA) financé par la Coopération suisse, dès avant la transition (il donnera naissance à l'Ong GAMA en 1993). En 1994, l'Agence cana­ dienne de coopération internationale (ACDI) lance le programme Solida­ rité Sahel Canada qui soutient des partenariats entre associations cana­ diennes et africaines (Burkina Faso, Mali, Niger). Pendant près de dix ans, ce programme apporte un appui institutionnel à une série d'associations et de réseaux (Congafen, Rail-Sida, Alternatives Espaces Citoyens, ANBEF, ROSEN, REDD, SNEN, etc.), dont plusieurs ont aujourd'hui encore pignon sur rue. Dès 1993, «l'explosion associative» est soulignée par le Sahel Dimanche, dans un article intitulé « l'explosion associati ve au Niger: élan volontariste ou stratégie adaptative à une situation de crise? »14:

« L'une des conséquences de la démocratisation de la vie au Niger est sans nul doute l'émergence de cette fourmilière d'organisations plus ou moins socio-professionnelles que d'aucun qualifient "d'association-manie" (maladie des associations) ».

De fait, dès cette époque, les observateurs s'interrogent sur les motiva­ tions de la création d'Ong. Loïc Barbedette et Joséphine Ouedraogo (1993: 94) écrivent ainsi:

« Créer une Ong constitue une perspective attrayante pour beaucoup de fonctionnaires dans le contexte actuel. Certains sont inspirés par des mobiles altruistes, d'autres y voient un "créneau porteur" qui offre une possibilité intéressante pour canaliser les moyens financiers que ne draine plus l'appareil d'État. L'image de ces Ong souffre de ce fait des calculs de ceux qui veulent utiliser ce type d'organisation comme filière alternative de captage de fonds au moment où les anciennes sources dans lesquelles ils puisaient se sont taries. La méthode de création d'une Ong de ce type suit souvent le schéma suivant. On commence par mettre en place la struc­ ture: des statuts sont préparés, les responsabilités réparties entre les créa­ teurs; sur la base de réseaux d'amitié, une assemblée constitutive est

14. Sahel Dimanche, 22 octobre 1993, cité par Barbedette et Ouedraogo, p.4. LA MAUVAISERÉPlITATION DES SOCIÉTÉS CIVILES 47

réunie et la procédure de reconnaissance (aujourd'hui très allégée) est engagée. Les premiers moyens réunis (souvent sur base d'apports person­ nels) permettent d'installer un bureau et de commencer la prospection auprès des bailleurs de fonds. Ce n'est qu'alors que la nouvelle Ong part à la recherche de communautés à la base qu'elle pourrait appuyer (les "populations-cibles") et entreprend missions de reconnaissance et de sensibilisation qui lui permettront d'étoffer les dossiers de projets à présenter aux bailleurs de fonds »,

La multiplication des Ong sans guère de projet politique propre n'est donc pas nouvelle: elle suit quasi-immédiatement la transition démocra­ tique. L'expérience associative des acteurs nigériens est marquée par une culture administrative, les formes fortement encadrées de la Samaria ou les références syndicales, plus que par l'associationnisme du type de la loi de 1901; les rapports des « cadres » à la société et aux paysans sont struc­ turés par les logiques « d'encadrement » paternalistes ou autoritaires qui prévalent dans l'intervention de l'État.

« La culture associative telle qu'est promue dans les associations est aussi une innovation institutionnelle dans notre pays. Nos pays, c'étaient des régimes de parti unique, et avant des régimes coloniaux. La plupart de ceux qui ont porté ces associations étaient des militants de gauche dans les années 1970 et 1980, animés par une culture stalinienne. Depuis, ils se sont certes convertis à la démocratie compétitive, mais ils ont une culture associative fondée sur le centralisme démocratique, sur le contrôle poli­ tique et social absolu. En même temps que les gens doivent apprendre la démocratie dans les institutions politiques, ils doivent l'apprendre aussi dans les organisations associatives, et ce n'est pas évident» (chercheur).

Ong du Nord et bailleurs de fonds encouragent cependant l' efferves­ cence associative, pour différentes raisons: le développement d'un tissu associatif est considéré comme un élément essentiel d'un ancrage de la démocratie; les Ong nationales sont censées être plus proches des popula­ tions et offrir des services plus pertinents (et moins coûteux...). Ong « progressistes » et institutions internationales se retrouvent dans une critique de l'État autoritaire et dans la valorisation de la « société civile ». Pour certains bailleurs de fonds, appuyer les Ong fait partie d'une stra­ tégie de contournement de l'État. Les flux d'aide s'orientent davantage vers le secteur associatif (en tous cas une partie du secteur associatif, prin­ cipalement les Ong, et les organisations paysannes et de femmes), offrant de multiples opportunités de ressources. Outre des financements directs, de nombreuses Ong sont destinataires à partir des années 1990 d'appels d'offres pour mettre en œuvre des volets de projets de développement bi­ ou multi-Iatéraux sous tutelle publique. Dans la seconde moitié des années 1990, de nombreuses Ong du Nord (SNV, DED,AFVP, etc.) et des projets bi-latéraux sont dédiés à l'appui et au renforcement des Ong nationales, sous des formes variables. Les appuis 48 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER combinent en général appui institutionnel, en formation et équipement, et financement de programmes d'activités, avec une dégressivité de l'appui. Le programme Canada Solidarité Sahel jouera un rôle crucial, et une bonne partie des Ong aujourd'hui solides en est issue. Mais on peut noter aussi Karkara, qui a bénéficié d'appuis de l'AFVP, de l'Iram, de VSF et de DED, SOS Civisme appuyé par la Fondation Konrad Adenauer, RAIL issu de l' AFVP, etc. Les volumes financiers restent modestes, par rapport aux volumes glo­ baux de l'aide, bien en deçà des objectifs de 15% affichés par certaines coopérations, mais cela suffit à susciter une rente associative et à stimuler la création de nombreuses organisations, fondées sur des motivations variables et non exclusives: militantisme politique ou développementiste pour certains; tentatives de se créer un auto-emploi dans ce secteur; façade permettant de conserver un statut en période d'alternance pour des hommes politiques; opportunité de drainer des ressources vers son village ou sa région pour des hommes politiques ou des cadres; façons de reprendre la main sur des flux d'aide désormais orientés vers les associations, pour des cadres de l'administration voyant d'un mauvais œil une partie des projets sous tutelle publique être mis en œuvre par des Ong, etc. Le secteur associatif explose: de 1990 à 2000 près de 1000 associa­ tions ont été enregistrées (y comprises les Ong nationales et étrangères) au Ministère de l'Intérieur (idem). Les fédérations d'artisans se mettent en place. Le nombre d'Ong enregistrées à la DONGAD croît rapidement, passant de 60, dont 11 nigériennes et 40 étrangères en 1990, à 483 dont 405 nigériennes et 78 étrangères en 2002 (Buter et Sani, 2003a). Une vingtaine d'organisations paysannes fédératives est recensée en 2002, dont les trois-quarts datent d'après 1995. Les syndicats eux-mêmes se scindent et augmentent en nombre. Tout au long des années 1990, une série de conférences et de sémi- naires prend acte de la situation (idem): - Journées de réflexion sur les Ong nigériennes à Niamey en 1989; - Séminaire sur l'émergence des Ong au Niger, à Dosso en 1990; - Forum des Ong nationales à Niamey en 1992; - Séminaire - atelier sur le bilan et les perspectives de l'émergence des Ong nationales à Kollo en 1994; - Première table ronde État - Ong - bailleurs de fonds, à Maradi en 1996; - Deuxième table ronde à Zinder en 1997; - Conférence sur le cadre d'intervention des Ong, à Niamey en juin 2000; - Conférence sur le rôle des Ong et associations de développement dans la stratégie de réduction de la pauvreté au Niger, à Tahoua en juin 2001. Au début des années 2000, face à l'explosion du secteur, les bailleurs de fonds et les Ong internationales encouragent la création de réseaux thématiques, puis appuient la création de la CCOAD (Chambre de concer- LA MAUVAISERÉPUTATION DES SOCIÉfÉS CIVILES 49 tation des Ong et associations de développement), dont les bases sont posées lors de la Conférence de 2001 sur le rôle des Ong et associations de développement dans la stratégie de réduction de la pauvreté. En milieu rural, chaque projet suscite ses comités et ses associations, plus ou moins éphémères, ne vivant le plus souvent que le temps du projet, même si les responsables demeurent formellement en poste (Olivier de Sardan, 1999). Comme le souligne Marthe Doka (comm. pers.), l'action collective en milieu rural repose principalement sur les réseaux sociaux et politiques structurant la société locale. Les mobilisations collectives visent principalement à répondre à des problèmes ponctuels, et sont donc tempo­ raires. Une nouvelle loi portant régime des coopératives rurales, qui consacre la liberté d'adhésion et la constitution d'un capital social, est votée en 1996, suscitant la création de nombreux groupements et coopéra­ tives autonomes par rapport à l'UNC, qui est dissoute en 1997. Sur la ruine de 1'UNC, les coopératives se réorganisent et se constituent en fédé­ rations (comme la FUCOPRIZ pour les périmètres irrigués du fleuve Niger ou la fédération des maraîchers), de nouvelles organisations pay­ sannes à vocation régionale, comme Mooriben ou l'AREN sur l'élevage, se structurent, avec l'appui de la coopération internationale. Leurs respon­ sables sont fréquemment des cadres reconvertis, en tous cas dans une première phase: même là où ces organisations sont issues de mobilisa­ tions paysannes, les paysans considèrent fréquemment qu'un cadre est mieux placé qu'eux pour gérer leurs rapports à l'État et aux bailleurs de fonds, quitte à en être ensuite déçus et à hésiter à démettre un interlocu­ teur qui monopolise les relations avec ces acteurs". Les associations religieuses elles-mêmes se multiplient, en lien avec une présence renforcée de l'Islam et des prêches dans l'espace public, en articulation plus ou moins directe avec des mobilisations religieuses (comme les manifestations à Maradi contre la tenue du Festival interna­ tional de la mode africaine, Cooper, 2(03). Face à l'appauvrissement de la population, à l'enrichissement des élites du fait de la libéralisation de l'économie, la religion devient un outil de contestation des dynamiques de corruption et de l'occidentalisation, témoignant de la «recherche d'un nouvel ordre moral» (Masquelier, 1999; Sounaye, 2009) en même temps que les élites enrichies cherchent à donner d'eux-mêmes une image respectable et religieuse. La présence de mouvements piétiste, comme le mouvement izalistes originaire du Nigéria, suscite de multiples débats sur la place de la religion et la pratique. Contestant l'islam confrérique, ils poussent à une purification de la pratique religieuse, couplée à une étude personnelle du Coran et une visibilité plus grande de la religion dans l'es­ pace public. Fragilisés par cette mise en cause et par la présence média­ tique des mouvements piétistes (prêches publics ou télévisés, cassettes, puis DVD), les confréries renforcent elles-aussi leur présence dans l' es­ pace public, contribuant à accroître la visibilité de la pratique religieuse.

15. Cf. Roy, 2010, pour ce débat au Mali. 50 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Mais l'effervescence associative ne concerne pas que les organisations l 6 formelles. Lesfadas , espaces de discussion des jeunes urbains, émergent au début des années 1990 sur les ruines des samaria :

« The fada as a site of youthful sociality is widely associated with the advent of democracy in Niger. The fadas are said to have first appeared in the streets of Niamey in 1990 when students and unions held strikes to pressure the govemment to institute a multi-party democracy. Against the backdrop of growing popular discontent, they provided a forum where young people - most of whom were students, civil servants and workers on strike - could socialize, exchange news and pass time, as weIl as debate the future of the country [...]. In recent years, the number of fadas has mushroomed, leading to new forms of solidarity and social activism - with sorne fadas actively engaged in political campaigns, others acting as de facto NGOs, and yet others policing neighbourhoods at night. [...] The concept of fada thus covers a diverse set of social configurations ranging from informaI discussion groups to highly structured associations requi­ ring members to adhere to rules and regulations, wear uniforms and engage in ritualized expressions of sociality » (Masquelier, 2013: 476).

Produit de la croissance démographique et de l'ajustement structurel, elles rassemblent des groupes de jeunes, principalement désœuvrés, sur des bases de voisinage, qui tuent le temps en discutant et en buvant du thé.

« Many jeunes diplômés are either jobless, trapped in part-time low­ level jobs, or working in the informal economy and unable to secure stable employment. They bitterly resent what they see as the blatant disregard for their predicament by past and present govemments » (idem: 470).

Ancrés dans l'aujourd'hui d'une société globalisée qui les excluent, suivant l'actualité internationale, recevant aussi bien les images et musi­ ques de l'Occident que les prêches religieux, les jeunes des fadas tentent de supporter leur inactivité forcée et cherchent dans leurs discussions de donner à sens à leur échec social et de se construire une modernité propre (Youngstedt, 2004).

«Dire pronouncements about upcoming elections or a possible currency devaluation may thus follow lighthearted banter about a fada member's new motorbike or cellphone. At the fada young men find refuge from formal social constraints: they talk freely about the torments of love or tense relations with parents, and need not hide their anxieties about the future nor the resentment they feel for "being abandoned" by the govem­ ment » (Masquelier, op.cit.: 472).

16. Le mot hausa «fada» correspond traditionnellement à la cour du souverain, ou au conseil de village, là où les gens échangent, où se réunissent les assemblées. LA MAUVAISERÉPUTATIONDES SOCIÉTÉS CIVILES 51

Fadas comme Ong apparaissent ainsi comme le produit de l'ajuste­ ment structurel, comme des réponses à la marginalisation économique des sociétés périphériques, à la crise du sous-emploi, et à l'absence de pers­ pectives dans le secteur privé comme dans le secteur public.

Crises politiques, coups d'États « démocratiques» de la décennie 1990 et suspensions de l'aide"

Avec la Conférence nationale, le Niger renoue avec le pluripartisme et la concurrence électorale. Les structures de transition sont mises en place, sous la houlette d'un Haut Conseil de la République, présidé par André Salifou, avec Cheffou Amadou comme premier ministre. La transition est marquée par une succession de crises financières, grèves répétées, révoltes de l'armée, recrudescence de la rébellion touareg, etc. Les fonctionnaires connaissent leurs premiers gels et arriérés de salaires. La petite corruption explose. Enjoint par la Conférence nationale de refuser l'ajustement struc­ turel, le gouvernement de transition tente de temporiser, de rechercher des soutiens financiers de la part de Taïwan. Mais cela ne suffit pas. Le gouvernement de transition organise le référendum sur la nouvelle constitution le 25 décembre 1992, les élections législatives et présiden­ tielles ont lieu en mars 1993. A la tête de l'AFC (Alliance des Forces Démocratiques, qui regroupe neuf partis), Mahamane Ousmane (CDS­ Rahana) est élu et nomme Mahamadou Issoufou (PNDS) premier ministre. « Le Niger s'installa légalement et légitimement dans la Ille République avec des institutions démocratiques mais aussi avec des caisses vides» (Maïnassara, 1999: 105). La dévaluation du Franc CFA, en avril 1994, provoqua une forte inflation. Si elle a favorisé les pays agro-exportateurs, dont les produits devenaient plus compétitifs, elle a eu un clair effet récessif au Niger. L'USTN réclame une augmentation de salaire en compensation, et le gouvernement répond en revenant sur la récente dimi­ nution de salaire. Les syndicats étudiants réclament le paiement des arriérés de bourse. Une série de grèves générales est organisée. La rébel­ lion touareg est soldée par les accords d'avril 1995 à Ouagadougou, mais ces crises sociales se doublent vite d'une crise politique. Président et Premier ministre sont en conflit, aboutissant à la démission du Premier Ministre en septembre. Le nouveau gouvernement subit la censure de l'Assemblée nationale. Le Président dissout celle-ci et convoque de nouvelles élections pour janvier 1995. La coalition MNSD/PNDS l'em­ porte et impose (MNSD) comme premier ministre, Maha­ madou Issoufou étant président de l'Assemblée nationale. Le Niger connaît ainsi une situation de cohabitation, qui aboutit rapidement à de nouvelles crises politiques (motion de censure de la mouvance présiden-

17. Sur cette période, voir Grégoire et Olivier de Sardan, 1996 a et b; Decoudras et Gazibo, 1997; Abdourharnane, 1999; Gazibo, 1999; Idrissa, 2008; Chauzal, 2011. 52 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER tielle contre le gouvernement en novembre 1995) et un blocage complet des institutions. Ce blocage institutionnel sera dénoué le 27 janvier 1996 par le coup d'État du colonel Ibrahim Baré Maïnassara, chef d'État-major du Prési­ dent, qui suspend toutes les institutions démocratiques, met en place un Conseil de Salut National (CSN) et affirme vouloir rendre le pouvoir aux civils. Relativement bien accueilli par la population (Grégoire et Olivier de Sardan, 1996a; 1996 b), soutenu par ceux qui se sentaient marginalisés par la transition démocratique (Abdourhamane, 1999: 91), ce «coup d'État démocratique» a été perçu comme un retour en arrière aux régimes militaires par les institutions d'aide, qui suspendent leur coopération et exigent un retour rapide aux institutions démocratiques, imposant un calendrier très serré. Les élections présidentielles sont prévues pour le mois de juillet, les législatives pour novembre. Adji Boukary est nommé Premier Ministre de la Transition. Contrairement à ses engagements, Baré se présente aux élections, il dissout la Commission électorale indépendante aux débuts du scrutin et se fait proclamer vainqueur. Les partis des autres candidats contestent en vain devant la Cour Suprême, puis forment le Front pour la Restauration et la Défense de la Démocratie (FRDD). Ils boycottent les législatives de novembre, donnant le monopole à la mouvance présiden­ tielle. Les manifestations du FRDD et les grèves syndicales sont répri­ mées. Les agences d'aide suspendent leurs financements. Révision de la grille salariale, privatisation d'entreprises publiques, départ volontaire de milliers de fonctionnaires: dirigé par Cissé Amadou, le premier gouvernement de la IVe République est chargé de poursuivre l'ajustement structurel, ce qui suscite de nouvelles mobilisations. Les pri­ vatisations sont menées au profit de l'entourage de Baré. Mais «le régime n'est pas parvenu à se constituer une base sociale, et la coalition au pou­ voir a été constamment fragilisée par les rivalités internes en vue du contrôle des ressources étatiques, ce qui s'est traduit par une criminalisa­ tion croissante de certains attributs» (Abdourhamane, 1999: 86). Baré s'appuie largement sur l'armée: « dès lors que le poids de l'armée se tra­ duit par le contrôle des ressources stratégiques de l'État, la fidélisation de cette institution devient un enjeu entre les officiers supérieurs» (idem). Mais il n'arrive pas à tenir les tensions internes à l'armée. Longtemps reportées, les élections locales se déroulent en février 1999 dans de très mauvaises conditions, avec de nombreuses fraudes. La procla­ mation des résultats suscite une fronde et l'opposition réclame la démis­ sion du Président. Deux jours plus tard, le 9 avril 1999, un nouveau coup d'État aboutit à l'assassinat du Président Baré sur le tarmac de l'aéroport: membre du coup de 1996, chef de la Garde présidentielle, le major Daouda Mallam Wanké prend la tête du Conseil de réconciliation nationale (CNR). Il promet à son tour de rendre le pouvoir aux civils, et tient parole. Une nouvelle constitution est approuvée, celle de la ye République. Les élec­ tions se déroulent normalement et Mamadou Tandja, ancien militaire LA MAUVAISERÉPlITATlON DES SOCIÉfÉS CIVILES 53 proche de Kountché, est élu Président de la République au nom du MNSD fin 1999. Cette première décennie de « démocratisation» a connu ainsi une forte instabilité politique, de nombreuses contestations contre l'ajustement structurel, une rébellion touareg, deux coups d'État, quatre années de régime militaire. Ajoutées aux quinze années de Kountché et Ali Saïbou, le Niger aura vécu près de 20 ans sur les 40 de son indépendance sous régime militaire, ce qui témoigne de la place de l'année dans la vie poli­ tique (ldrissa, 2008) et l'importance de la figure des «militaires politi­ ciens» (Tidjani Alou, 2008). Entre les bras de fer sur l'ajustement struc­ turel, où les coopérations bilatérales se sont alignées sur les Institutions de Bretton Wood et ont réduit leurs financements, et les suspensions de l'aide en réaction aux coups d'État, cette décennie sera aussi une décennie sans beaucoup d'aide internationale, contrastant avec l'accroissement de l'aide lié à la « rente de la démocratisation» que connaissent des pays voisins. L'absence de recrutement et de perspectives dans la fonction publique pousse les cadres à chercher des postes dans les projets ou dans les insti­ tutions internationales. Faute de pouvoir recruter, une part de plus en plus importante de la fonction publique est constituée de «volontaires du service civique », les «civicards », jeunes diplômés affectés contre une faible indemnité dans les administrations.

Une décennie de stabilité et de retour de l'aide internationale

Les deux mandats du Président Mamadou Tandja constituent une décennie de stabilité institutionnelle après une décennie mouvementée. Les institutions sont stables et fonctionnent. Le Premier Ministre (Hama Amadou), le président de l'Assemblée nationale (Mahamane Ousmane) demeurent en place. Les bailleurs de fonds reprennent leur coopération. Longtemps retardée, la décentralisation administrative est mise en place en 2004, suscitant une série de projets d'appui à la décentralisation. Mis en place également en 2004, le Conseil National de Dialogue Politique (CNDP) semble consolider une volonté de dialogue avec l'opposition sur les enjeux sociaux majeurs. Mais la réélection du Président Tandja laisse vite place à un rétrécissement de sa base sociale et, dès 2007, à une personnalisation du pouvoir (Baudais et Chauzal, 2011). La décennie 2000 voit une nouvelle vague d'extension du secteur asso­ ciatif. Celle-ci est encouragée par les politiques de coopération: les Accords de Cotonou, signés en 2000, reconnaissent les « acteurs non étati­ ques », au sein duquel les associations, comme des interlocuteurs officiels. Sous l'incitation des bailleurs de fonds, la « consultation» de la société civile sur les politiques de développement se généralise avec l'élaboration de la Stratégie de réduction de la pauvreté, déclinaison nigérienne des Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté promus par les institutions 54 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER de Bretton Wood au tournant des années 2000, dans le cadre des « nouvelles stratégies internationales de lutte contre la pauvreté» (Cling, Razafindrakoto et Roubaud, 2(02). La reconnaissance du rôle potentiel de la société civile dans le dialogue politique est traversée de nombreuses ambigüités: réticences de l'administration à organiser un débat ouvert et non une participation de façade, désignation ad hoc d'organisations amies et donc peu revendicatives, faibles capacités contributives des représen­ tants associatifs. Parallèlement, des postes de représentants de la société civile sont créés dans de nombreuses institutions publiques, suscitant une forte compétition autour de la désignation à ces postes, qui offrent à la fois avantages financiers et visibilité politique. C'est l'occasion pour l'État de coopter des interlocuteurs alliés, de récompenser certains responsables associatifs. Les départs massifs de fonctionnaires de la fonction publique, en 2005, provoquent un nouvel afflux: de nombreux cadres, se jugeant trop jeunes pour cesser des activités, se reconvertissent dans la consul­ tance et/ou cherchent à s'investir dans des Ong. Face à cette explosion d'organisations, les bailleurs de fonds encoura­ gent au début des années 2000 la création d'une série de réseaux thémati­ ques (RAIL Sida, ROSEN sur l'éducation, ROASSEN sur la santé, etc.) venant s'ajouter aux réseaux plus anciens comme le GAP. Ces réseaux ont pour objectif de fédérer les organisations travaillant sur le même thème et d'organiser leur participation aux débats sur les politiques sectorielles. La plupart ont bénéficié à leur création d'un appui institutionnel et financier dégressif, qui leur ont permis d'exister et d'agir pendant trois à cinq ans. Rares sont ceux qui sont arrivés dans ce laps de temps à se consolider insti­ tutionnellement et à renouveler leurs appuis financiers: la plupart retom­ bent dans une semi-Iéthargie après la fin des appuis institutionnels. D'autres réseaux ont émergé pour se positionner sur le créneau de la représentation de la société civile. Ainsi, le RODADDHD est suscité au départ par l'Union européenne et le gouvernement pour servir d'interlocu­ teur sur les politiques de développement, avant que les prises de parole critiques de ses responsables et des accusations d'absence de transparence ne marginalisent le réseau auprès des bailleurs de fonds. Partenaire de réseaux européens d'Ong, il est pourtant très au fait des politiques euro­ péennes de coopération. Suite à l'atelier sur le rôle des Ong dans le cadre de lutte contre la pauvreté à Tahoua en 200 l, et sur impulsion de différents bailleurs de fonds et Ong internationales, les différents réseaux se fédèrent au sein de la CCOAD (Chambre de concertation des Ong et associations de dévelop­ pement), censée être un interlocuteur collectif pour l'État et les bailleurs de fonds. Fragilisée par le refus de l'État de lui accorder son autorisation d'exercice, marquée par des rivalités internes, la CCOAD survivra elle­ aussi difficilement à la fin des appuis qu'elle a reçus. La question de la régulation est posée dès la Conférence de Tahoua en 2000 où un projet de Code de déontologie est discuté. Un projet de charte LA MAUVAISERÉPUTATION DES SOCIÉfÉS CIVILES 55

de la société civile sera élaboré et discuté en 2006, sans succès18. Echaudés par de mauvaises expériences, les bailleurs de fonds durcissent leurs modalités de financement. Les programmes d'appui institutionnels sont progressivement supprimés, au profit d'une logique d'appel à proposition et de mise en concurrence, constituant autant de barrières d'accès pour les jeunes organisations. Certaines Ong européennes, comme la SNV, qui étaient largement financées sur une base pluri-annuelle et avaient déve­ loppé une politique d'appui aux organisations locales, sont elles-même de plus en plus contraintes de rechercher des ressources sur le marché de l'aide. Se finançant désormais sur appels d'offres, elles doivent répondre à des objectifs précis, et transforment les Ong nationales en simples sous­ traitants. Fondée sur une logique de renforcement d'associations, l'Ong GAMA a au départ bénéficié d'un financement de la coopération suisse sur 6 ans pour mettre en œuvre sa politique d'appui aux organisations. Avec la fin de ce contrat, elle aussi doit se mettre sur le marché de la pres­ tation de services ponctuels. Le durcissement des modalités de finance­ ment, la généralisation de la logique de sous-traitance, rendent plus complexe le financement des projets propres des associations et contri­ buent à l'affaiblissement des logiques militantes.

« Certaines malversations ou indélicatesses ont fait que les bailleurs de fonds ont rendu plus difficiles encore les procédures d'accès aux finance­ ments. Et du coup, même les Ong qui sont vraiment fonctionnelles et opérationnelles se trouvent en difficultés, parce qu'il est difficile d'accéder aux exigences qui sont posées» (responsable d'une Ong nigérienne d'appui aux associations).

La décennie 2000 est aussi marquée par la crise alimentaire de 2005, et par un mouvement social de grande ampleur, qui émerge suite à l'aug­ mentation des taxes sur un certain nombre de produits de base en janvier 2005. La crise alimentaire (Crombé et Jézéquel, 2007; Gazibo, 2007a; Olivier de Sardan, 2oo8a) est au départ occultée par le pouvoir dans un contexte électoral, du fait du lien historique entre sécurité alimen­ taire et légitimité du pouvoir. Elle est aussi sous-estimée du fait qu'elle découle de problèmes de marché, plus que de production, et a ainsi en partie échappé aux mécanismes de prévention des crises alimentaires (Michiels et Egg, 2009). La crise est médiatisée par Médecins sans fron­ tières (Crombé et Crouzel, op.cit.), sur une entrée de malnutrition qui a suscité des controverses au départ, et ne suscite que peu de mobilisations au Niger même à l'exception d'une tentative sans suite de la CDSCN, marginalisée dans le mouvement contre la vie chère (Bonnecase, s.d., 2010). Animé par deux collectifs, la Coalition Equité/Qualité contre la vie chère (Tidjani Alou, 2006, 2013; Maccatory, Oumarou et Poncelet, 2010;

18. Cf. chapitre 3. 56 AIDE INTERNATIONALEET SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

Bonnecase, 2013) sera au contraire portée par de nombreuses organisa­ tions (syndicats, associations de consommateurs, organisations des droits de l'homme, etc.), et particulièrement trois leaders historiques de la société civile, anciens militants étudiants et animateurs de la conférence nationale (Nouhou Arzika d'ORCONI, Marou Amadou de CROISADE et FUSAD, Moustapha Kadi de SOS Kandadji), par la Coordination démo­ cratique de la société civile nigérienne (CDSCN). Ce mouvement fédère les mécontentements en milieu urbain comme en milieu rural, mobilise très largement jusqu'aux associations professionnelles (de bouchers, de taxis, etc.), use de façon stratégique des médias' et des manifestations. Malgré une répression policière et l'emprisonnement de ses leaders, il arrive à faire plier le gouvernement. L'événement que constitue cette mobilisation marquera durablement le paysage associatif et ses rapports avec l'État: elle promeut brutalement certains des leaders sur la scène politique nationale et internationale, accentuant la personnalisation du mouvement; devant le risque politique que constituent ces organisations, l'État tentera - avec plus ou moins de succès selon les cas - de coopter les leaders associatifs. Tout en ayant obtenu partiellement gain de cause, la coalition explosera rapidement, perdant son potentiel de mobilisation. La seconde moitié de la décennie voit l'émergence d'organisations sur les thèmes de la lutte contre la corruption (ANLC, créée en 2001), de la transparence sur les industries extractives (ROTAB), du contrôle citoyen de l'action publique, qui sont des sections nigériennes des Ong internatio­ nales (Transparency International,« Publish what you pay », etc.) mobili­ sées sur ces thématiques. Ces connexions régionales et internationales permettent l'organisation fin 2008 du 5eForum social africain, qui a réuni à Niamey des milliers d'acteurs associatifs africains, à l'initiative d'Alter­ natives Espaces Citoyens. La mobilisation de l'aide internationale sur la thématique du VIH Sida aboutit, comme dans d'autres pays africains (Delaunay et al., 1999; Eboko, Bourdier et Broqua, 2011; Eboko et Mandjem, 2011), à la création de nombreuses organisations sur ce thème, Ong (Gouro, Diallo et Gazere, 2008), associations de malades. Pendant cette même période, de nouvelles générations d'associations islamiques se constituent, qui prennent davantage la forme d'Ong à base religieuse (Sounaye, 2010; 2011).

Fracture du Tazartchë et nouveau « coup d'État démocratique»

Démarré fin 2008, le mouvement lancé pour préparer le maintien au pouvoir du Président Tandja, le tazartchë (prolongement en hausa), a été un second moment fort dans les dynamiques associatives (Azizou, 2010). En partie poussé par ses proches, le président Tandja souhaite en effet briguer un troisième mandat, qui est interdit par la constitution. Devant l'impossibilité constitutionnelle, il réclame de rester au pouvoir trois ans LA MAUVAISE RÉPUfATION DES SOCIÉfÉS CIVILES 57

de plus, sans élections, pour « achever ses grands chantiers ». La perspec­ tive de nouvelles recettes pour l'État, avec le début de l'exploitation du pétrole dans la région de Diffa, et surtout l'ouverture prévue pour dans quelques années de la mine d'uranium d'Imouraren, ne sont pas pour rien dans cette volonté de se maintenir jusque-là à la tête de cet « État à forte teneur en uranium» (Grégoire, 2011). Dès fin 2009, des organisations de la société civile (et en particulier Marou Amadou qui est parmi les premiers à s'être mobilisé) dénoncent le risque d'atteinte à la constitution. La Cour constitutionnelle résiste aux pressions et déclare inconstitution­ nelle toute prolongation au bout des deux mandats. Mamadou Tandja la dissout en mai 2010, organise un référendum manipulé en août pour légi­ timer son maintien au pouvoir, et met en place la VIeRépublique. Une bonne partie de la société civile et les partis politiques d'opposition se regroupent dans un front de défense de la démocratie et des manifesta­ tions régulières sont organisées. Le pouvoir créée et finance de nombreuses organisations ad hoc, qui se répandent sur les ondes pour défendre la prolongation du mandat. Une partie des OSC médiatisée soutient ce projet. La frange la plus politisée et médiatisée de la société civile s'est forte­ ment clivée, pour ou contre le tazartchë, et s'est impliquée aux côtés des partis politiques. Des deux côtés, mais en particulier celles qui soutien­ nent le tazartchë, les associations sont accusées d'être asservies aux partis politiques, d'être achetées. Cette facture au sein de la société civile d'une part, ce fort engagement politique d'autre part, susciteront des clivages durables 19. Le maintien au pouvoir du Président Tandja, effectif à partir du 22 décembre 2009, ne durera pas deux mois. En février 2010, un nouveau coup d'État militaire le dépose, suspend à son tour les institutions et met en place une nouvelle phase de transition préparant le retour à la démo­ cratie. Salou Djibo, président de la junte, nomme un gouvernement provi­ soire et met en place un Conseil consultatif national (CCN) coopté pour servir d'instance législative, en s'appuyant sur les différentes composantes de la société politique (hormis les partis politiques). Les organisation de la société civile y dispose d'une dizaine de sièges. La présidence du CCN est confiée à Marou Amadou, hérault associatif de la lutte anti-tazartchiste. Les instances de la transition préparent une nouvelle constitution, qui cherche à renforcer la solidité des institutions et empêcher de nouvelles tentatives de maintien au pouvoir. Une charte des partis politiques, un Pacte républicain, censés définir un cadre déontologique et pratique au jeu politique, sont préparés et adoptés par le régime de transition, des mesures de dépolitisation de l'administration sont prises, dont les impacts seront limités. En parallèle, un nouveau projet de « charte de la société civile» est discuté au CCN. Adopté après de multiples controverses, il ne sera pas promulgué". Les élections d'avril 2011 voient l'élection de Mahamadou

19. Cf. chapitre 3. 20. Idem. 58 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Issoufou (PNDS) et le retour à un régime démocratique, dans le cadre de la VIle République. De nombreux militants associatifs sont récompensés pour leur investissement dans la lutte pour le retour à la démocratie et sont cooptés dans l'appareil d'État. En un peu plus de vingt ans de «démocratisation », le Niger aura connu six Républiques, trois coups d'État militaires visant à « restaurer la démocratie» et entraînant des phases plus ou moins marchées de suspen­ sion de l'aide internationale, et trois grands moments de mobilisations sociales: contre l'ajustement structurel et pour la démocratisation avant la conférence nationale (poursuivi par des contestations de l'ajustement structurel pendant les premières années de la démocratisation), contre la vie chère en 2005, contre le Tazartché en 2008-2009. Globalement, ces mobilisations ont montré une forte capacité de mobilisation (marches, villes mortes, manifestations), dans des dynamiques relativement pacifi­ ques, tranchant avec les violences et les destructions de biens publics qui marquent fréquemment les mouvements sociaux dans les pays voisins". La transition de 2010 a été l'occasion de la cooptation de nouveaux leaders associatifs dans l'État ou l'appareil politique. Au début des années 2010, le paysage de la « société civile organisée » nigérienne est composé d'une foule d'organisations de toutes sortes, inter­ venant sur toutes les thématiques (mais principalement celles qui sont mises en avant par les bailleurs de fonds et les Ong internationales), orga­ nisations dont beaucoup n'ont guère de base sociale et tiennent essentiel­ lement à leur leader, ou n'ont que peu ou pas d'activités. Au milieu émer­ gent quelques organisations paysannes ayant une réelle base sociale; quelques organisations très médiatisées, portées par d'anciens militants syndicaux, fortement présentes dans l'espace public et les médias; quel­ ques dizaines d'organisations ayant réussi à se consolider institutionnelle­ ment, principalement dans le secteur des organisations paysannes, des Ong prestataires, et de la lutte pour les droits de l'homme; et quelques associations islamiques, occupant une place importante dans l'espace public à travers prêches et actions caritatives. Des milliers d'organisations locales formelles ou informelles, des centaines d'Ong vivotant plus ou moins, des dizaines de regroupements par profession, des dizaines de fédérations sectorielles ou intersectorielles au dynamisme variable et fluc­ tuant co-existent à l'ombre de ces organisations visibles sur la place publique. La forte personnalisation du leadership, la multiplication d'or­ ganisations et de fédérations pour répondre aux opportunités thématiques ou financières, la multiplication des responsabilités des leaders les plus en vue, achèvent de complexifier le paysage.

21. Cf. par exemple la comparaison entre les manifestations contre la vie chère au Niger et au Burkina Faso dans Maccatory, Oumarou et Poncelet, 2010. Pour une analyse des dynamiques de contestation au Mali, cf. Siméant, 2014a. LA MAUVAISE RÉPlJfATION DES SOCIÉfÉS CIVILES 59

Entre dynamiques sociétales, État et aide internationale

Recherche de renégociation des rapports sociaux, revendication d'une identité pastorale, lutte contre l'esclavage, résistances à l'autoritarisme d'État ou à l'ajustement structurel, défense de catégories sociales spécifi­ ques, animation de débats citoyens, lutte contre la corruption, promotion de nouvelles pratiques religieuses: dans leur diversité et leurs contradic­ tions, les mobilisations et les interventions des sociétés civiles nigériennes sont pour une part ancrées dans les dynamiques sociétales et les enjeux socio-politiques du pays. Mais les organisations associatives n'en sont pas moins à la fois enchâssées dans les rapports sociaux dont elles dénoncent certains aspects et fortement liées à l'Etat et à l'aide internationale.

Entre contestation, cooptation et contrôle: ose et rapports à l'État

- Frontières poreuses et circulation des acteurs Loin de l'idéal normatif d'une séparation entre État et société civile, les frontières entre société civile, société politique et État sont largement poreuses, à plusieurs niveaux. Certes, bon nombre de fondateurs d'asso­ ciations, de « membres », de «volontaires »22 sont sortis de l'université après la fin des recrutements dans la fonction publique: par contrainte parfois par choix, ils n'ont pas eu d'expérience dans l'administration, ou seulement comme volontaire du service civique. Mais une part importante des associations a été créée par des fonctionnaires en poste ou d'anciens fonctionnaires à la retraite. Ceux-ci gardent de nombreuses relations avec leurs collègues ou anciens collègues, partagent une culture de l'adminis­ tration qu'ils transposent en partie dans leur gestion des associations. D'autres l'ont été par des hommes politiques, en recherche d'un instru­ ment de mobilisation de ressources pour leur région et leur clientèle poli­ tique, ou d'une position d'attente en cas d'alternance politique. Les responsables associatifs qui ne sont pas fonctionnaires ou anciens fonc­ tionnaires ont de nombreux liens avec des agents de l'État, parents, collè­ gues d'études, militants dans les mêmes partis. De nombreux individus circulent au long de leur trajectoire entre des postes dans la fonction publique et des postes associatifs: des agents de l'État mobilisent les opportunités de détachement et de mise en disponibilité pour rejoindre des associations et y faire une partie de leur carrière; des responsables asso­ ciatifs sont aussi régulièrement cooptés dans l'appareil d'État en récom­ pense de leur soutien politique.

22. On reviendra sur ces catégories au chapitre suivant. 60 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Une trajectoire entre administration et associations

La trajectoire de M., secrétaire général d'une Ong depuis près de dix ans est iIlustrative de ces basculements entre postes dans la fonction publique (ministères techniques et administration territoriale) et dans les associations. « Moi je suis un cadre du Ministère du Plan. J'ai été détaché en 2000 auprès d'une Ong d'appui aux associations, qui est une Ong de la 1ère généra­ tion après l'avènement de la démocratie. J'ai été recruté comme chargé de programme dans cette Ong. En 2005, le secrétaire exécutif de l'Ong a été élu maire de sa commune et a démissionné de son poste, le CA m'a promu à sa place. Avant d'être là-bas, j'étais au Ministère du Plan pour suivre les Ong, au sein d'une division de la direction générale du développement local et régional, de laquelle dépendait la Direction des Ong. Avant d'être au Minis­ tère du Plan j'étais chef de service à l'animation au développement à Ouallam. J'ai d'abord été affecté comme adjoint au chef de service et cinq mois après j'ai remplacé le chef de service. J'ai été là-bas de 1975 à 1980. En 1980,j'ai été admis à une formation à l'Institut pratique de développement rural de Kollo, pour un an, et à la sortie on m'a affecté comme chef de service du Plan à TiIlabéry, où je suis resté de 1980 à 1985. A partir de 1985, on m'a détaché au ministère de l'Intérieur pour être sous-préfet adjoint à Say, de 1985 à 1990. Après Sayon m'a affecté dans cette même fonction à Arlit, mais je n'ai pas duré longtemps. Avec l'avènement de la rébellion j'ai quitté cette fonction pour revenir au ministère du Plan et j'ai été affecté à la direction départemen­ tale du plan de Maradi où je m'occupais particulièrement de la division des projets et des micro-réalisations. J'étais là-bas depuis un an quand j'ai été nommé chef de cabinet du Ministre de l'intérieur. Je suis resté à ce poste jusqu'à la conférence nationale. Après il y a eu une transition pendant laquelle j'ai été affecté comme sous-préfet adjoint à Kollo, Après la transition, je suis parti dans une Ong, Care international. J'y suis resté pendant 3 ans au moins. Après, j'ai été en poste dans un projet de l'Union européenne. C'est de là-bas que je suis parti en formation à l'Université du Bénin, à l'Institut national d'économie, et après cette formation je suis revenu au Ministère du Plan. »

Cette diversité des trajectoires explique des figures a priori étonnantes, comme le fait que de hauts responsables d'associations de lutte contre la corruption aient des postes de responsabilité dans des structures haute­ ment politiques de gestion de l'aide, au service d'un pouvoir d'État large­ ment engagé dans les pratiques néo-patrimoniales. La transition démocratique de 2010 et l'arrivée au pouvoir du PNDS en 2011 ont constitué une phase importante d'accélération des trajectoires de plusieurs personnalités de la société civile et d'intégration dans le système politique et l'appareil d'État: militant issu de la Conférence nationale, leader de plusieurs associations, fortement engagé dans le mouvement contre la vie chère en 2005 un des premiers acteurs associa­ tifs à dénoncer le Tazartché en 2009, ayant fait de la prison dans ces deux cas, Marou Amadou est ainsi nommé président du CCN par le régime de transition, puis Ministre de la justice dans le gouvernement du Président LA MAUVAISERÉPUTATION DES SOCIÉfÉS CIVILES 61

Issoufou. Secrétaire général du SNAD (syndicat des agents de la douane), le Colonel Ibrahim Yacouba sera rapporteur du CCN, puis Ministre des transports et enfin Directeur de cabinet adjoint de la Présidence de la République. De façon moins spectaculaire, le président de SOS Tabagisme sera nommé préfet.

- Contrôle des postes, contrôle sur l'accès aux ressources

Face à l'injonction à la « participation de la société civile»,le pouvoir suscite « sa» société civile ou coopte certaines organisations ou certains leaders, en leur offrant des ressources financières ou des postes, de façon à neutraliser le potentiel critique des organisations en leur offrant des sièges dans les différentes institutions publiques. L'administration conserve ainsi souvent un contrôle sur la participation de la société civile aux débats sur les politiques sectorielles et aux nombreux ateliers, ce qui autorise diverses stratégies d'instrumentalisation, via la sélection de représentants « amis », l'éviction des organisations critiques, la disqualification de la légitimité et/ou de la compétence des représentants critiques, la multiplication de biais dans l'organisation des ateliers (convocation tardive, documents absents ou diffusés très tardivement, contrôle des conclusions et synthèses, absence de compte-rendu des débats, etc.)".

« Les syndicats les réseaux, les coalitions ont un caractère plus militant parce qu'elles ne prestent pas service. Par nature, ces organisations sont beaucoup plus critiques vis-à-vis de l'État. Elles dénoncent, elles déran­ gent. Quand vous regardez, elles ne reçoivent pas de financement ou très peu. Et très peu d'espace est réservé à ce type d'organisation. Dans beau­ coup de réunions, surtout les réunions à haut niveau, quand le gouverne­ ment dit qu'il va inviter la société civile, il regarde 10 ou 15 fois quelles sont les Ong qu'il va inviter. Mais on ne dit jamais "quel est le syndicat, ou quel est le réseau qu'on va inviter". Parce que tout de suite on se dit "les syndicats ça dérange, les réseaux ou coalitions, ça dérange". Et ce comportement est perceptible au niveau des partenaires financiers aussi, ce n'est pas que le gouvernement. Les partenaires financiers ont la même attitude» (responsable d'Ong, secteur éducation).

Pour reprendre le contrôle sur les fonds d'aide devant être délégués aux associations, des fonctionnaires créent leurs Ong, ou informent leurs amis des opportunités, tout en réclamant une part des ressources.

« Souvent, vous trouvez que c'est les cadres du gouvernement qui ont des Ong. Dès qu'on dit financement, par leur position ils ont accès à l'in­ formation, ils ont des facilités de contact, et ils ont tous des possibilités d'accéder aux fonds. C'est clair que souvent ils ne le font pas directement.

23. Biais classiques des processus participatifs contrôlés par une des parties prenantes. Cf. Blatrix, Blondiaux, Fourniau et al., 2007. 62 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Parce que quand on est secrétaire général du ministère, on ne se présente pas comme ça. Ce n'est pas "je suis un secrétaire général du ministère.je demande un financement". On le fait par le biais de quelqu'un» (respon­ sable d'Ong, secteur éducation).

La valorisation, par les institutions d'aide, des complémentarités entre État et OSC dans la formulation et la mise en œuvre des politiques publi­ ques cache en pratique des fortes concurrences, portant sur la définition des rôles et le contrôle des moyens. Ouvertement ou dans les discours officieux, de nombreux cadres rejettent le principe d'une délégation de responsabilité de mise en œuvre au secteur Ong, partie par conception du rôle de l'État, partie par dépit face aux transferts de ressources vers le secteur Ong dans les politiques des bailleurs de fonds et à l'affaiblisse­ ment corrélatif des ressources étatiques et des opportunités de rente.

« L'administration, les fonctionnaires, ne voient pas d'un bon œil les gens qu'on finance [les responsables d'Ong financées par les bailleurs de fonds], ce qu'ils deviennent... C'est évident hein. Eux, ils sont là en train de trimer, ils n'ont même pas un minimum de matériels ou de moyens, et on donne de l'argent à des gens qui viennent avec leur 4 x 4... En plus, c'est souvent nos agents qu'ils utilisent comme commis au niveau régional. Vous venez leur dire que vous n'appuyez que les autres! [les Ong et pas l'administration]. Ça crée des frustrations de toutes parts » (cadre de l'ad­ ministration).

La culture de l'indépendance par rapport à l'État et du contre-pouvoir est d'autant moins développée que l'État dispose en pratique d'une capa­ cité d'orientation des financements du développement à destination des organisations de la société civile, directement via les projets de dévelop­ pement sous tutelle étatique, ou indirectement à travers les comités de sélection. Ce pouvoir permet de contrôler quelles associations sont soute­ nues et donc à la fois, à l'État de garder un certain contrôle sur l'affecta­ tion de fonds qui lui échappent normalement, et à ses agents de tirer un bénéfice politique et économique des procédures d'affectation des fonds ou d'appels d'offre. Réclamer des indemnités pour toute participation aux activités des Ong, créer son Ong pour postuler sur les appels d'offre de mise en œuvre de projets, orienter les flux financiers destinés aux Ong vers des structures amies, manipuler les appels d'offres pour toucher son pourcentage sont autant de stratégies possibles pour récupérer une partie des ressources échappant en théorie aux agents de l'État, voire pour décrédibiliser les Ong. LA MAUVAISERÉPUfATlON DES SOCIÉTÉSCIVILES 63

Système d'aide et organisations de la société civile

Sans qu'on puisse évidemment l'y réduire, l'explosion des organisa­ tions de la société civile au Niger (comme ailleurs en Afrique) est forte­ ment liée à l'aide internationale. Elle découle pour partie de la crise de l'emploi aggravée par l'ajustement structurel, elle est favorisée par l'appui d'Ong internationales à l'émergence d'organisations locales et d'Ong nationales, elle s'envole dans la foulée de la valorisation du thème de la société civile dans les discours sur le développement. Mais l'aide influence aussi indirectement la dynamique des OSC, à travers la façon dont elle s'est ancrée dans l'économie et l'action publique nigériennes, la façon dont elle influe sur les modèles de la réussite, et les modèles d'action publique qu'elle diffuse.

- Logiques d'instrurnentalisation de l'aide et modèles de la réussite sociale via l'aide Malgré les suspensions de l'aide qui ont scandé les années 1990, le Niger fait partie des pays « sous régime d'aide», où l'aide internationale joue un rôle déterminant dans les budgets publics, l'investissement, les cadres de pensée. Depuis la crise de la dette, sa capacité à imposer sa propre politiques dans les négociations avec les institutions d'aide est faible (Whitfield, 2009a). Les logiques rentières, les logiques néopatrirno­ niales, le sentiment de perte d'autonomie se sont conjugués pour renforcer des logiques historiques d'extraversion (Bayart, 1999) et de susciter des stratégies de maximisation des flux d'aide. Les OSC émergent et se déve­ loppent dans le contexte d'un État extraverti, gérant la rente de l'aide, et dans une expérience de l'aide «réellement existante» marquée par le poids des modèles exogènes, une pertinence et une efficacité faibles. Elles s'inscrivent dans un sentiment généralisé de dépossession et de marginalisation par rapport aux acteurs internationaux, qui fait que le Niger est perçu comme « un vaste champ où le propriétaire laisse tout le monde venir travailler [...] Chacun cultive son bout de champ, pourvu que quelque chose se passe» (une consultante, citée dans Lavigne Delville et Abdelkader, 2010: 78), dans des logiques largement développées d'ins­ trumentalisation financière et politique de l'aide (idem). L'aide internationale a suscité des normes salariales et financières largement déconnectées des niveaux de salaires offerts ou possibles dans les institutions nationales, suscitant des effets d'aubaine et des convoi­ tises. En cherchant à impliquer les acteurs nationaux dans ses projets, elle a largement promu les compléments de salaires et les «topping up» (Berche, 1996), favorisé la « perdiemite» comme Ridde (2010) nomme la pathologie de la course au perdiem. Bien qu'elle mette l'accent sur la transparence et la redevabilité, elle n' arrive que partiellement à l'assurer et l'aide permet en pratique de pratiques multiples de détournement (Mathieu, 2000; 2007) et de manipulation (des appels d'offres, des évalua- 64 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER tions) à des fins d'enrichissement personnel ou d'entretien de réseaux politiques ou de clientèle. Des postes «juteux» dans des projets, une activité de consultant, sont des sources d'enrichissement, légal ou parfois illégal. L'insertion dans les réseaux de l'aide fait partie des stratégies de carrière, s'intègre dans « les figures de la réussite» (Banégas et Warnier,2(01) chez les étudiants cher­ chant un emploi, chez les fonctionnaires comparant les conditions de travail dans l'administration et dans les projets, mais aussi chez les parents et connaissance de ceux qui ont une activité dans l'aide. La culture popu­ laire associe l'aide à des signes extérieurs de richesse (le 4 x 4, les ordina­ teurs), à des opportunités d'emploi et d'enrichissement rapide: « un chef de projet qui n'a pas construit sa maison en trois ans est un incapable », La prégnance de ces modèles et de ces pratiques n'induit évidemment pas que tous s'y conforment. Des OSC développent une critique très fine des logiques bureaucratiques de l'aide et tentent d'y échapper, ou de se conserver des marges de manœuvre. Certaines soutiennent l'exigence de transparence financière des bailleurs de fonds, comme un nécessaire garde-fou aux tentations et aux pressions sociales. Certains agents de l'État font le choix de s'engager dans les associations pour échapper aux pratiques de l'administration, pour pouvoir agir plus librement et de façon plus pertinente et/ou pour échapper à une culture de la corruption. Mais cela n'en constitue pas moins une dimension importante du contexte dans lequel se déploient les dynamiques des organisations de la société civile.

- Un modèle bureaucratique de l'action publique, une technicisation de la pratique

24 Malgré les évolutions récentes liées tendant à revaloriser l'État , bail­ leurs de fonds et Ong internationales de développement partagent globale­ ment une vision du développement fondée sur le projet. Celui-ci a l'avan­ tage d'organiser l'action autour d'objectifs précis, d'activités identifiées, de ressources définies. Mais, lorsqu'il devient le mode principal mode d'action, l'intervention sociale par projet induit des effets pervers bien identifiés: difficultés à financer des fonctions pérennes; précarité de l'ac­ tion publique liée au rythme des financements'"; hétérogénéités territo­ riales entre zones aidées et non aidées; place déterminante donnée aux consultants et techniciens au détriment des acteurs locaux; « court-circui­ tage » ou instrumentalisation des institutions locales au service des objec­ tifs du projet; etc. (Lecomte, 1986; Tidjani Alou, 1994; Gueneau et Lecomte, 1998; Naudet, 1999).

24. Cf. les «nouvelles modalités de l'aide» et les débats autour de l'appropriation des politiques de développement et la Déclaration de Paris (Meier et Raffinot, 2005; Bergamaschi, Diabaté et Paul, 2007; Raffinot, 2010; Lavigne Delville, 2013). 25. Sur les effets du financement par projet sur l'action publique en France,lire Dubois, 2009. LA MAUVAISERÉPUTATIONDES SOCIÉTÉS CIVILES 65

De plus, les projets de développement reposent sur un modèle d'action selon lequel une série d'activités, conçues comme découlant logiquement des objectifs à atteindre sont censés produire mécaniquement les impacts attendus. Or une telle conception mécanique de l'action publique relève d'une «épistémologie positiviste largement dépassée» (Giovalucchi et Olivier de Sardan, 2009: 383). En effet, toute démarche projet se heurte à « l'incertitude qui accompagne inévitablement une démarche consistant à structurer une réalité à venir» (Garel, 2003: 5) et qui, dans les années 1990, a provoqué une « révision déchirante du modèle classique» (idem: 2(0) de management des projets industriels, remettant en cause la logique de planification et de séparation de la programmation et de la mise en œuvre. C'est encore plus le cas pour l'action publique qui, voulant modifier des réalités sociales et politiques complexes, « plus que toute autre doit se méfier d'une pensée qui ne serait que celle des programmes, des objectifs, des cibles et de la stratégie. Dans les contextes d'incertitude marquée, il est souvent préférable de se fier plus à la rétroaction qu'à la programmation» (Duran, 2010 (l999): 188). De plus, toute intervention sociale repose sur une lecture orientée des réalités sur lesquelles elle souhaite agir. Les institutions tendent à struc­ turer leur public en fonction de leurs objectifs (de Gaulejac, Bonetti et Fraisse, 1995). Ces problèmes structurels de l'intervention sociale sont exacerbés, dans le cas du développement, par la distance physique, cultu­ relle, cognitive entre « développeurs» et « développés» et par la longueur des chaines d'intermédiation qui relient les lieux de décision et les espaces d'action (Olivier de Sardan, 1995b). Ceci rend le rapport de l'aide aux réalités sur lesquelles elle prétend agir, et la capacité de rétroaction, encore plus problématiques, d'autant que, à l'opposé de cette « déchirante révision du modèle classique », la conception bureaucratique de l'aide au développement a été renforcée au cours des vingt dernières années sous l'influence du New Public Manage­ ment (McCourt et Minogue, 2001; Jampy, 2012): formalisation plus stricte des modes de conception et de suivi de projets, accent accru sur la redevabilité financière au détriment de l'adéquation au réalités et de l'effi­ cacité sur le terrain (Lavigne Delville, 2012), recours généralisé à la mise en concurrence pour sélectionner les bénéficiaires des financements. Les acteurs opérationnels (et donc les OSC nigériennes) sont ainsi soumis à des projets de plus en plus formatés, aux exigences bureaucrati­ ques accrues. C'est ce modèle de l'action de développement et donc de l'action publique" qui est diffusée aux OSC à travers la généralisation des appels d'offres, des appels à propositions, des formations, etc.

26. Pour une lecture des interventions de développement comme forme d'action publique, cf. Lavigne Delville, 2011b: 132-164. 66 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

- L'offre de financement et d'appui aux ose: un formatage?

« Quand j'ai décrit à mes amis, anciens responsables paysans en France, les modalités d'accès aux financements des organisations paysannes au Niger, ils ont ouvert de grands yeux: "si on avait dû gérer nos financements comme ça, on n'aurait jamais pu faire ce qu'on a fait!" » (assistant tech­ nique, en appui aux organisations paysannes).

Organisations militantes comme Ong prestatrices reposent largement sur des financements et des appuis internationaux. L'aide a une influence certaine, tant dans les opportunités qu'elle permet à travers ses finance­ ments que, en corollaire, dans ce qu'elle rend plus complexe faute de financement. Les ressources nationales mobilisables sont très limitées, il n'y a pas comme en Inde de classe aisée finançant des groupes d'acti­ vistes. Les possibilités d'autofinancement sont limitées, en dehors de la microfinance". L'aide transfère des modèles de pensée en même temps que des res­ sources. Les priorités successives de l'aide orientent fortement les actions des OSe. Ainsi, l'explosion des associations travaillant sur le VIH-Sida, bien que ce soit loin d'être le problème majeur de santé publique au Niger, est directement liée à l'afflux de financements sur ce thème. Les associa­ tions militantes liées aux mouvements transnationaux reçoivent elles-aussi des appuis financiers et intellectuels de la part d'organisations du Nord, qui leur permettent d'exister et de développer leur politique, au prix d'une certaine extraversion des problématiques (Pommerolle, 2010), qui sont parfois plus liées aux thèmes internationaux de mobilisation qu'aux enjeux nationaux, ou plus exactement, dont les cadrages et les problémati­ sations ne sont que partiellement ancrés dans l'espace national. La plus grande partie des ressources provenant de la coopération bi ou multilatérale, est orientée vers les organisations de services aux popula­ tions. L'offre de financement sélectionne ainsi une partie de la société civile: celle qui valorise une conception libérale de l'Etat et de la société, une complémentarité théorique (et même rhétorique ...) entre État, société civile et marché, dans la production des biens et services publics; celle qui s'investit dans un débat technique sur les politiques publiques, plus que celle qui mobilise les acteurs sociaux ou porte une analyse qui remet en cause les principes néo-libéraux qui les fondent. L'offre de financement est certes diverse, et les thèmes pris en charge par des Ong internationales sont très variés, élargissant le champ du possible au delà des thèmes mis en avant par l'aide internationale. Mais l'offre ne répond que partielle-

27. Les stratégies de recherche d'autofinancement sont beaucoup plus fortes dans des pays comme la République démocratique du Congo, du fait de la faible présence de l'aide à l'intérieur du pays (Pirotte, Poncelet, Sindahiyebura et al, 2006). Mais elles ont aussi leurs contradictions: vente généralisée des services aux populations (en santé, éducation, etc.) induisant des barrières d'accès pour les plus pauvres, taux d'intérêts élevés des systèmes de crédit, etc. LA MAUVAISE RÉPlITATION DES SOCIÉTÉS CIVILES 67 ment aux demandes qui ne correspondent pas à ces thèmes: quels appuis (tant méthodologiques que financiers) pourrait mobiliser cette jeune Ong voulant travailler sur la sécurité routière, fondée par une femme révoltée par les accidents de la route, sensibilisée à cet enjeu par l'accident d'un proche? Tous les bailleurs de fonds (et plus encore toutes les Ong internatio­ nales) ne partagent pas la vision d'une société civile assurant des services minimums aux pauvres pour limiter ou réduire les dégâts d'une politique économique néolibérale. Pour autant, cela ne veut pas dire qu'ils favori­ sent en pratique l'émergenced'un tissu associatif solide et engagé, entrant en négociation avec l'Etat et eux-mêmes autour de débats approfondis sur les choix de politiques publiques et les stratégies politiques, institution­ nelles et opérationnelles de terrain. Plus que des interlocuteurs critiques, ils recherchent souvent en pratique des prestataires pour les actions qu'ils souhaitent mettre en œuvre, des interlocuteurs pour légitimer leurs posi­ tions, des relais pour défendre leurs positions. Même lorsque l'offre de soutien vise à promouvoir des rapports nou­ veaux entre État et « société civile », à travers dialogue politique et négo­ ciations, c'est le plus souvent dans une vision largement technicisée de ces rapports, qui court-circuite ou minimise le rôle des institutions démo­ cratiques comme le parlement et celui des corps intermédiaires (dont les syndicats), et conçoit la discussion sur les politiques publiques comme un débat technique entre experts du secteur, qu'ils soient publics ou associa­ tifs, plus que comme le fruit de visions politiques divergentes, de luttes et de la mobilisation de mouvements sociaux. De même, la participation de la société civile aux divers ateliers de programmation, revue des projets, évaluation des politiques, etc., semble souvent plus recherchée pour elle­ même, par les effets de légitimation qu'elle produit (on peut dire qu'on a eu une démarche « participative », que la société civile « a été associée») que pour la légitimité des organisations représentées ou leur capacité à proposer des visions ancrées dans le terrain. L'émergence comme réper­ toire d'action du thème du «plaidoyer », conçu comme argumentation rationnelle sur des problèmes publics, est ainsi révélateur de cette concep­ tion (Siméant, 2üI4b). Depuis les années 1990, de nombreux programmes de «renforce­ ment» de la société civile ont été mis en place, en Afrique et ailleurs.

« Cette politique s'incarnait dans la multiplication des séminaires, des formations auxquelles les "partenaires" occidentaux conviaient les leaders d'Ong locales et leur inculquaient les règles élémentaires d'une bonne gouvernance associative internationale, ainsi qu'une grammaire et le voca­ bulaire ad hoc de la coopération internationale. [...] Les Ong participant à ces pratiques de soutien à la société civile ont subi un effet d'uniformisa­ tion qui les ont rendues pratiquement substituables les unes aux autres puisqu'elles adoptaient, en théorie, des structures organisationnelles, des projets et même des modus operandi identiques» (Pirotte, 2010: 17-18). 68 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Nul ne contestera l'utilité de favoriser les apprentissages au sein des organisations et leur capacité à agir efficacement sur les problèmes qu'elles veulent affronter. La question est celle du type de professionnali­ sation promue. Analysant les « ambivalences et ambigüités » de la profes­ sionnalisation dans les Ong françaises, Jean Freyss (2004) montre que le terme n'a pas de sens en soi, et distingue la professionnalisation dans les Ong de la professionnalisation des Ong. Orientée vers la mobilisation des compétences nécessaires à la conduite de projets, la première conduit selon lui à une «triple balkanisation, technique, sociale et territoriale» (idem: 759). Technique, car elle fait fi du réel et organise l'action autour «"d'objectifs" simples, fondés sur des besoins bien identifiés, chacun devant être atteint avec un "résultat attendu" mesurable et évaluable» ; sociale, car elle privilégie «le lien direct et vertical donneur (Ong) ­ "bénéficiaires" sur une relation médiatisée par le "tissu social" dans lequel les populations sont insérées»; territoriale, du fait de «la primauté accordée au local sur toute autre échelle» (idem: 760). Avec le recrute­ ment dans les Ong de professionnels sectoriels, aux compétences spéciali­ sées, avec l'accroissement des tâches bureaucratiques, cela induit une perte de sens et d'identité des Ong, « écartelées entre l'engagement asso­ ciatif et les exigences de bonne gestion de l'organisation» (idem: 763). Pour Freyss, la professionnalisation des Ong consiste au contraire à renforcer« les capacités collectives à agir solidairement» (idem: 764), en replaçant les individus dans leur tissu social, en comprenant la société et les causes des exclusions et des inégalités, en accroissant la capacité à agir efficacement contre elles. Engagement, capacité à comprendre, écoute, construction collective de l'action par la recherche-action sont alors les mots clés:

« L'efficacité, et donc les compétences techniques et disciplinaires, sont placés au rang des moyens, nécessaires pour fonder la pertinence de l'action qui se juge aux résultats, à la conformité avec les objectifs communs qui fondent l'association. [...] Confrontées comme les autres aux pressions à la professionnalisation, ces Ong [qui privilégient cette forme de professionnalisation] sont placées en situation de résistance par rapport à ces injonctions, non pour défendre un quelconque amateurisme mais pour éviter que, sous couvert de professionnalisation, l'engagement politique soit supplanté par les exigences gestionnaires de l'organisation» (idem: 770).

Ce débat sur la signification de la « professionnalisation », sur le type de compétences promues et sur la conception de l'action sous-jacente, se pose en termes particulièrement vifs pour des organisations nigériennes, qui n'ont pas la même histoire militante, le même capital d'expérience, la même solidité institutionnelle que les Ong du Nord et qui sont soumises à des injonctions au moins aussi fortes à la professionnalisation dans les associations, au risque de la triple balkanisation mise en évidence par Freyss et d'une transformation en simples prestataires. LAMAUVAISE RÉPlITATION DESsocrsrss CIVILES 69

Environnement institutionnel et trajectoires des « sociétés civiles réelles »

Loin des modèles normatifs et abstraits, nous avons voulu dans ce cha­ pitre donner quelques éclairages sur la dynamique des « sociétés civiles réelles» au Niger. La double critique, de la politisation et de la médiatisa­ tion personnalisée d'une frange «militante », d'un côté, celle de la dérive opportuniste et mercantile de l'autre, recouvrent des réalités certaines, identifiées dès le début de l'explosion associative des années 1990. Pour autant, elles ne sauraient servir d'analyse sociologique et suffire à décrire la réalité et la diversité du foisonnement associatif. Elles reposent sur une analyse centrée sur les organisations et leurs responsables, leur faisant porter la responsabilité quasi-exclusive des pratiques constatées, sans analyser en quoi l'histoire des dynamiques associatives d'un côté, leur environnement institutionnel à travers les politiques de l'État et des bailleurs de fonds de l'autre, expliquent en partie ces pratiques. En tant que lieu de contestation et de reformulation du contrat social ou du rapport à l'État, la société civile renvoie aux mouvements sociaux, aux formes de résistance et de révoltes qui, tant en milieu rural qu'urbain, scandent la vie sociale et politique. Elle peut être «incivile» (Stewart, 1997; Rahman, 2002). Elle n'est pas seulement progressiste, ni portée par des organisations, peut reposer sur des pouvoirs coutumiers (Karlstrôrn, 1999) et des mouvements religieux.

« Civil society is not merely the expression of dominated social groups. It encompasses not only popuiar modes of political action ... but also the claims of those socially dominant groups (merchants, businessmen, the clergy) which are no less excluded from direct participation in political power» (Bayart, 1986: 112).

Les politiques des bailleurs de fonds, la transinon démocratique, ont suscité une effervescence associative et la création de milliers d'orga­ nisations. Mais, comme au Bangladesh (Lewis, 2004: 312), cette « nou­ velle» société civile ne doit pas cacher «l'ancienne». Bayart (1986: 113) rappelle que, bien avant les processus de démocratisation des années 1990:

« The state has been damaged by the constant pressure of those social groups and their everchanging tactics: revolts, refusai to grow certain crops, declining productivity, strikes, abstentions from elections, migra­ tions, religious revivals and even the creation of theocratie communities outside state control, smuggling, the flourishing of informal exchange, distribution of information outside the official media, satirical, religious messianic or revolutionary attacks on the legitimacy of the state, and sabo­ tage of the instruments of political control». 70 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Les syndicats ont une longue histoire au Niger, ils se sont fortement mobilisés dans les revendications démocratiques du tournant des années 1990, mais leurs manifestations corporatistes alors que les caisses étaient vides ont aussi contribué à la fragilisation des jeunes institutions démocratiques et Elischer (2013) les qualifie de «démocrates contin­ gents ». Les organisations de la société civile nigérienne forment une réalité diverse, complexe, enchâssée dans une histoire économique, politique et institutionnelle du pays, marquée par la crise de l'ajustement structurel, la transition démocratique et les crises politiques successives. Leur trajec­ toire, variée selon les types d'organisation, est très largement conditionnée par un rapport complexe et ambigu à l'État. Enchâssées dans la société nigérienne (avec ses modèles de la réussite, son extraversion, ses tensions sociétales, sa grande pauvreté, l'absence de perspective d'emploi pour la majorité des diplômés, etc.), ces organisations n'échappent pas aux jeux complexes qui traversent le microcosme des élites nigériennes, aux tensions, rivalités, alliances qui structurent de façon récurrente tant le jeu politique que le jeu syndical. Elles s'inscrivent dans l'économie politique du clientélisme, de l'extraversion, de l'instrumentalisation de l'aide. Seules les organisations fondées sur une volonté politique forte d'y échapper arrivent à poursuivre - en tous cas en partie - un projet politique propre, et/ou à mettre en place un fonctionnement interne plus proche des normes associatives, sans néanmoins échapper aux tensions et contradic­ tions que cela induit. Elles sont de plus fréquemment soumises à des modalités d'accès aux financements, qui poussent à marchandiser l'enga­ gement associatif. La plupart de ces nouvelles associations sont largement dépendantes par rapport au système d'aide, qui a joué un rôle déterminant dans l'ex­ plosion associative des vingt dernières années, dans l'évolution des orga­ nisations, dans les clivages entre celles qui sont largement soutenues et les autres. Qu'elles s'inscrivent dans les dynamiques de ONG-isation de l'ac­ tion publique (Heam, 1998; Fichtner, 2012), qu'elles s'investissent dans des projets de mobilisations sociales ou d'éducation à la citoyenneté, elles sont pour partie extraverties, tant dans leurs thématiques que dans leurs ressources. La promotion par les bailleurs de fonds d'une culture mar­ chande de l'intervention de développement suscite des dynamiques de « professionnalisation dans les ose» et de positionnement sur le marché du financement de l'aide, positionnement que les acteurs de l'aide criti­ quent fortement après l'avoir pour partie impulsé. D'autres, comme les associations islamiques, ne relèvent pas des mêmes dynamiques mais sont aussi dépendantes de financements externes, ceux des fondations islami­ ques des pays du Golfe. La réalité des organisations et de leur action ne peut se lire immédiate­ ment, tant parce que certaines, largement opportunistes, sont passées maîtres dans l'art de la mise en scène, que parce que d'autres cachent de véritables visées de changement social derrière des apparences dévelop- LA MAUVAISE RÉPUfATION DES SOCIÉfÉS CIVILES 71 pementistes" (sachant que projet politique et opportunisme personnel ne sont pas incompatibles !). Plus encore que dans les pays voisins, la société civile nigérienne parait clivée, fragmentée, peu consolidée: les associations considérées comme solides, ayant pu stabiliser une équipe permanente, sont finalement rares. Les restrictions à la liberté d'association sous le régime militaire de Kountché, la réduction des volumes d'aide pendant les bras de fer entre État et institutions internationales sur l'ajustement structurel pendant la première moitié des années 1990, les différentes suspensions de l'aide suite aux coups d'État qui ont suivi, la quasi-disparition des programmes d'appui institutionnel au cours des années 2000, l'expliquent sans doute en partie, même si certains bailleurs de fonds ont maintenu une aide envers les acteurs non étatiques pendant ces périodes. Ce bref paysage des sociétés civiles nigériennes ne saurait tenir lieu d'étude socio-anthropologique. Tout au plus tente-t-il de mettre en pers­ pective les analyses les plus fréquentes et ainsi de déplacer les grilles de lecture, en tentant de mieux prendre en compte la trajectoire socio-poli­ tique de la société civile nigérienne et la complexité de ses rapports à l'Etat et au système d'aide. Loin de représenter une analyse aboutie, il ne fait qu'ouvrir des pistes pour un véritable programme de recherches sur les dynamiques de la société civile au Niger. Il introduit aux deux ques­ tions traitées dans les chapitres suivants: la précarité financière et institu­ tionnelle des associations et les difficultés de l'institutionnalisation d'une part (chapitre 2), les contradictions de la régulation d'autre part (chapitre 3).

28. Ainsi, en 1993, Loïc Barbedette découvrait que «les petits groupements Swissaid cachaient en fait Timidria ("fraternite'" en tamachek) un puissant réseau de défense des "bouzou", les captifs noirs des touaregs rouges ("bellah" au Mali ou au Burkina) ».

2

Les Ong nigériennes entre extraversion et modernité insécurisée

«J'ai toujours en mémoire un monsieur qui était venu avec ses dossiers en bonne et due forme, il me dit "voilà, nous sommes venus chercher un financement". En voyant son apparence physique, je lui ai demandé "d'ac­ cord, mais est-ce que ce financement, c'est pour les populations ou pour vous-même?". 11 est resté un moment puis il a dit "moi d'abord, ensuite les populations. Parce que sije ne suis pas dans un état d'équilibre écono­ mique, il est difficile que je puisse appuyer sincèrement le village là-bas qui a besoin d'un puits ou d'un aménagement". Je lui ai dit "Monsieur, au moins vous avez été franc". Avec ce monsieur, on a quand même composé, et je vous assure qu'il est devenu un de nos exemples» (responsable d'une Ong nigérienne d'appui aux organisations).

Au-delà de l'opportunisme et de la recherche de rente...

Pour de nombreux chercheurs en sciences sociales, les Ong' sont avant tout des structures opportunistes, cherchant à capter la rente de l'aide dans une logique d'accumulation. Poursuivant les stratégies d'extraversion, elles se font les instruments des bailleurs de fonds dans leurs stratégies néo-libérales. Questionnant moins les logiques globales de l'aide, les observateurs nigériens mettent en avant les problèmes de gouvernance interne des asso­ ciations: personnalisation de l'association, incarnée par son président fondateur; logique lucrative; absence de respect des textes et règlements; absence de transparence financière; laxisme des responsables; etc. Ils imputent ce qu'ils considèrent comme des dysfonctionnements (par rapport à la norme associative) aux motivations des membres, attirés par les opportunités financières liées à l'aide, et aux conceptions du

1. Je me centre dans ce chapitre sur les Ong, qui cherchent à agir au bénéfice de tiers et/ou à défendre des causes qui ne sont pas seulement liés aux intérêts de leurs propres membres. Mais l'analyse vaut aussi, en partie, pour d'autres types d'associations. 74 AIDE INTERNATIONALE sr socrsrss CIVILES AU NIGER pouvoir que portent les dirigeants, qui gèrent l'association qu'ils dirigent comme leur bien personnel, dans une logique clientéliste et patrimoniale (chapitre 1). n est évidemment hors de question de nier l'existence et l'importance de ces pratiques. L'histoire des dynamiques associatives montre bien le rôle déterminant de l'ajustement structurel et des politiques des bailleurs de fonds en faveur de la « société civile» et des Ong en particulier. L'op­ portunisme, le branchement sur la rente de l'aide, sont sans conteste une des motivations de l'engagement associatif. Pour une part, le secteur asso­ ciatif, et en particulier les Ong branchées sur la rente de l'aide, sont des lieux de recherche d'emploi et d'enrichissement. Loin de l'idéal théo­ rique, la gestion des associations mélange, dans des proportions variables, modes de gouvernance étatique, chefferial, associatif (Olivier de Sardan, 2009b; 2010)2 et syndical. Pour autant, il serait caricatural d'y réduire les dynamiques associa­ tives, y compris au sein des Ong. La diversité des Ong recouvre des réalités plus larges, des individus ou des organisations avec des engage­ ments militants ou professionnels tentent, tant bien que mal de se réaliser. La large «démobilisation collective» et la faiblesse des mouvements sociaux, la difficulté à mobiliser des financements pour ses projets propres, le fait que l'extraversion soit «routinisée» (Pommerolle, 2008), que le militantisme soit« internationalisé» (Pommerolle et Siméant, 2010), n'im­ pliquent pas que l'ensemble des associations s'y soumettent de la même façon. En prenant acte de l'enchâssement social des Ong dans les dynamiques sociales et politiques du Niger, dans les logiques clientélistes et dans les logiques d'instrumentaiisation de l'aide, prenant acte de la « dépendance objective» des organisations (idem: 77), il s'agit ici de ne pas considérer qu'ils déterminent mécaniquement les pratiques de l'ensemble des organi­ sations, et de s'interroger sur les marges de manœuvre dont disposent les responsables associatifs qui portent un projet, sur la façon dont ils gèrent cette dépendance, dont ils arrivent ou non à maintenir une dimension mili­ tante. A travers des entretiens approfondis avec un certain nombre de responsables d'Ong ou d'observateurs, il s'agit d'interroger le poids de l'environnement économique et institutionnel des associations dans leur dynamique. En effet, les associations et leurs membres sont soumis à une double précarité, celle du marché de l'emploi, d'une part, celle de l'accès aux financements, et la combinaison de ces deux sources d'instabilité suscite un cercle vicieux, qui aggrave les problèmes de gouvernance

2. Prenant le concept de « gouvernance» dans un sens purement descriptif et analy­ tique, Olivier de Sardan (2010: 8) définit le « mode de gouvernance» comme « un dis­ positif institutionnel de délivrance de biens et services publics ou collectifs, selon des normes spécifiques, mobilisant des formes d'autorité spécifiques» et l'applique à la délivrance des services publics et collectifs. Chacun des modes qu'il définit renvoie en pratique à un type d'autorité. Je prends ici le terme dans un sens légèrement différent, de conception et de mode d'exercice du pouvoir au sein d'institutions données. ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURISÉE 75 interne, de leadership, de transparence, et rend difficile la consolidation des organisations. Alors que le rôle des OSC, et des Ong en particulier, est valorisé depuis une vingtaine d'années, alors que les financements mobilisés en leur faveur sont importants, que les actions de « renforcement de capacités» sont multiples, les Ong nigériennes demeurent extrêmement fragiles. Une dizaine d'organisations seulement sont régulièrement citées comme étant relativement institutionnalisées, c'est-à-dire ayant constitué une équipe permanente, une certaine professionnalisation de leur fonctionnement interne, un portefeuille d'activités variable mais suffisamment régulier pour maintenir cette équipe, des règles de fonctionnement interne relati­ vement routinisées: Karkara, ABC Ecologie dans le développement rural ; Afrika Obota, Alternatives Espaces Citoyens, ANDDfP dans le secteur des droits de l'homme, de la citoyenneté et de la démocratie; DIMOL dans le secteur de la santé; GAMA dans l'appui aux OSC; CONGAFEN dans les réseaux, etc. Entre ces quelques organisations et les multiples Ong cartables qui n'existent que dans le cartable de leurs fondateurs, plusieurs centaines d'Ong vivotent, au gré des opportunités de finance­ ment qu'elles réussissent à mobiliser, retombent en léthargie une fois le financement fini, ou éclatent à l'occasion de conflits internes. Le paysage des Ong des pays voisins, Bénin (Poncelet, Pirotte, Stan­ gherlin et al., 2(06), Mali, Burkina Faso, comprend aussi de tels cas de figure. Mais si les données manquent pour objectiver le fait, la fréquenta­ tion de ces pays indique que le nombre d'Ong ayant réussi à s'institution­ naliser y est largement plus important. Pour une part, ceci découle de volumes d'aide plus élevés, dans la durée, qui ont permis des flux plus importants et plus réguliers en faveur du secteur des Ong". Plus récentes, s'appuyant sur des ressources humaines souvent moins bien formées, handicapées par l'instabilité politique du Niger des années 1990 et les suspensions successives de l'aide lors des coups d'État, la plupart des Ong nigériennes demeurent dans une grande précarité, font face à une forte instabilité de leurs financements, rencontrent des difficultés à dépasser le cap de la petite organisation vivotante, et à se stabiliser et s'institutionna­ liser. L'objectif de ce chapitre n'est pas de débattre de la pertinence ou non des Ong nationale de développement ou de la qualité de leurs actions, de trancher si ce sont des «nouveaux compradors» (Heam, 2(07) ou au contraire la solution aux problèmes de développement, leur faiblesse fragilisant le développement (« undermining development », selon le titre de Michael, 2004). Prenant acte de la multiplication des Ong, et du fait

3. Qui a cependant connu une grave crise début 2013, lorsque le nouveau bureau a demandé des comptes à l'équipe sortante et qu'un incendie a détruit le siège de l'organi­ sation... et les pièces comptables. 4. En contraste, faute de flux d'aide, les rares Ong de développement du Congo Braz­ zaville restent cantonnées dans de courtes prestations de service et aucune n'avait, au milieu des années 2000, réussi à s'institutionnaliser (Leroux, 2006). 76 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER que, pour des raisons variées, un certain nombre d'acteurs souhaiteraient se stabiliser dans des carrières associatives, il s'agit plus modestement de mettre en avant la façon dont les mécanismes de financement, d'une part, la structure du marché du travail dans le secteur du développement, d'autre part, constituent autant de freins à l'institutionnalisation des Ong nigériennes, dans un contexte que Pierre-Joseph Laurent (2013) qualifie de « modernité insécurisée », où l'effritement des réseaux familiaux cou­ tumiers n'est pas compensée par la prise en charge publique de méca­ nismes de protection sociale, où les aspirations à la modernité se heurtent à la violence de rapports sociaux privatisés et à une mise en concurrence généralisée.

Faire carrière dans une Ong nationale, « dans un pays bien pauvre où tout le monde se cherche»

Par conviction et militantisme, pour trouver un emploi dans un marché de l'emploi sinistré, pour trouver des revenus complémentaires à des postes dans la fonction publique jugés insuffisamment rémunérateurs, pour se brancher sur la rente de l'aide, de nombreux acteurs, jeunes ou moins jeunes, fondent une Ong, adhèrent ou cherchent à se faire recruter dans une organisation existante. Dans un contexte où l'État n'embauche plus guère, où le secteur privé est quasi-inexistant, le monde de l'aide internationale apparaît comme un pourvoyeur d'emplois et d'opportunités économiques. « Dans un pays bien pauvre où tout le monde se cherche» (responsable d'OSe), le secteur de l'aide est considéré comme particuliè­ rement attractif pour se réaliser socialement, à travers postes, emplois, responsabilités et visibilité sociale. C'est d'autant plus compréhensible que l'aide offre le spectacle de réussites sociales, d'emplois bien rému­ nérés, de consultations bien payées, de conditions de vie confortables, quand ce ne sont pas des trajectoires d'enrichissement spectaculaires permises par des postes de chefs de projet. Le secteur de l'aide, et en son sein les Ong nationales, sont des secteurs pourvoyeurs d'emplois ou d'ac­ tivité, et de nombreux cadres cherchent à faire carrière, à y trouver des occasions d'accumulation économique et de valorisation sociale.

« Se chercher» dans les Ong nationales

La théorie des associations distingue clairement les membres, béné­ voles, adhérant aux finalités de l'association, des salariés, payés pour mettre en œuvre la politique de l'association, d'une part; les organes qui définissent et supervisent les activités de l'association (l'AG, le bureau) et les organes exécutifs (les équipes de salariés, le secrétariat exécutif ou la ENTRE EXTRAVERSION ET MODERNITÉ INSÉCURISÉE 77 direction), d'autre parts. Les membres sont les adhérents, qui soutiennent la finalité de l'association et ses actions. Ils sont partie prenante de la gouvernance de l'association à travers l'Assemblée générale, laquelle délègue ses prérogatives à un conseil d'administration, chargé de mettre en œuvre la politique de l'association. Cet organe élit en son sein un bureau composé au minimum d'un président, d'un secrétaire et d'un tréso­ rier. Les membres du bureau sont bénévoles et ne doivent pas avoir d'in­ térêts économiques directs dans l'association. Les activités sont menées par les membres, bénévolement, et/ou par une équipe de salariés. Dans une logique de séparation des pouvoirs, ceux-ci ne peuvent formellement être partie prenante de la gouvernance de l'association, ou en tous cas pas être majoritaires dans le bureau. Ce modèle normatif ne rend pas compte de la réalité sociologique des associations nigériennes et de la diversité des statuts en leur sein.

- Fondateurs, membres, volontaires, permanents: essai de typologie des statuts Une analyse systématique, fondée sur la comparaison d'un échantillon suffisamment divers d'Ong, serait nécessaire. Sans aller jusque là, on peut assez facilement identifier un certain nombre de statuts au sein des asso­ ciations, correspondant à des positions et des aspirations différentes. Une Ong est fondée par un noyau plus ou moins large de personnes, lesfondateurs. Ce sont eux qui sont à l'origine de l'association, eux qui se sont investis pour la lancer. Ils sont le plus souvent liés entre eux par des liens d'amitiés ou de parenté (mêmes écoles, mêmes fadas). Ils constituent le premier bureau, conservent des positions de pouvoir dans le bureau aussi longtemps qu'ils restent membres. Lorsque le groupe fondateur est relativement large (une quinzaine de personnes, parfois plus), il peut y avoir rotation dans les postes de responsabilités, ou bien au contraire prise en charge par un petit noyau de quelques personnes. Qu'il soit constitué du ou des fondateurs ou qu'il ait connu des recompositions, le groupe des dirigeants est en pratique limité à une ou quelques personnes, qui soit sont dans le bureau à des postes de responsabilité (président, vice-président), soit occupent le poste de secrétaire exécutif". Cette personnalisation de l'Ong autour du ou des dirigeants est évidem­ ment encore plus forte lorsqu'il s'agit d'une initiative individuelle ou de deux ou trois amis. Les fondateurs (une partie au moins d'entre eux) s'in­ vestissent fortement, cherchent à développer l'association, participent aux réunions et rencontres, recherchent des fonds, s'investissent dans les acti­ vités. Ils le font en fonction de leur position personnelle et de leur temps

5. En pratique, la réalité des associations dans les pays industrialisés est évidemment bien plus variable. 6. Certains fondateurs prennent en effet le titre de secrétaire exécutif et dirigent l'association au quotidien, laissant à un ami le titre de président au sein d'un bureau fictif ou simple chambre d'enregistrement. 78 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILESAU NIGER disponible, selon qu'ils ont ou non des activités professionnelles stables et suffisamment rémunératrices à côté de l'association, et selon qu'ils peuvent ou non libérer du temps. Dès lors qu'ils investissent un temps significatif, pour la vie de l'association, pour la recherche de financements ou dans les activités, ils peuvent juger légitime d'en tirer quelques com­ pensations. Ils sont souvent en première ligne lorsqu'un financement permet de rémunérer des postes. Autour des dirigeants, on trouve un réseau plus ou moins lâche de simples membres. Qu'ils paient ou non régulièrement leur cotisation, ceux qui ont à un moment donné adhéré à l'association sont considérés comme membres. Ils sont censés participer aux AG, qui ne se tiennent pas régu­ lièrement puisque la redevabilité des dirigeants envers les membres qui sont pour une bonne part leurs clients, est faible. Ils sont souvent liés aux fondateurs par des relations personnelles, d'amitiés, de parenté, qui leur permet d'adhérer. Leur investissement est très variable selon les gens. Certains sont très présents, passant régulièrement au bureau (s'il y en a un), s'investissant bénévolement dans les activités.

«[Dans notre réseau], il y a seulement 4 ou 5 Ong sur 70 qui ont une petite équipe de salariés. On est tous des bénévoles de nos organisations, on n'est pas des salariés, cela veut dire que chacun a une activité profes­ sionnelle grâce à laquelle il vit, et que c'est son temps perdu qu'il utilise pour faire avancer l'organisation. On a aussi un groupe d'experts qui fait dans les 90 membres, dont les niveaux varient entre la licence et le doctorat. Tous, ils sont volontaires, engagés pour faire le travail. Quand vous abordez la structure pendant les heures de travail vous avez l'impres­ sion qu'il n'y a personne, mais si vous venez à la descente des services, c'est très animé! (rires). Chacun est à son lieu de travail, et vit de son travail et donne son temps à l'organisation pour faire avancer les choses» (coordinateur d'un réseau d'OSC).

Pour d'autres, l'adhésion est essentiellement formelle, elle n'est pas réaffirmée par le paiement annuel d'une cotisation, par la participation aux AG. Ils espèrent parfois, comme les fondateurs, pouvoir trouver un emploi ou des indemnités dans leur participation aux actions de l'associa­ tion. Un certain nombre de gens gravitent souvent autour de l'association et cherchent à y trouver leur place. Certains d'entre eux sont considérés comme des volontaires, prenant en charge certaines tâches, de façon béné­ vole ou faiblement indemnisée. Une bonne part d'entre eux est liée aux fondateurs par des relations personnelles, d'autres sont arrivés par rela­ tions, d'autres enfin par intérêt pour les activités menées. Le plus souvent jeunes, diplômés sans emploi, ils cherchent ici l'occasion de faire quelque chose, d'apprendre un peu et de se constituer une petite expérience pour étoffer leur CV et accroître leurs chances de trouver un jour un emploi. En étant présents régulièrement, ils espèrent aussi avoir accès à des informa­ tions et des opportunités. Ils espèrent enfin être reconnus et valorisés au ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURISÉE 79 sein de l'association, et être en première ligne si l'arrivée d'un finance­ ment permet de recruter un salarié ou d'indemniser mieux les activités menées.

« Des gens deviennent membres en pensant que peut-être ils vont avoir un poste ... C'est pourquoi chez nous, maintenant, quand quelqu'un veut être membre, il doit faire d'abord 6 mois de volontariat. On va l'observer, il va connaître le comportement de tout le monde avant que l'AG approuve son adhésion. Lui, il finit ses études, il vient et dit qu'il veut être membre. Peut-être dans son esprit, s'il est membre et s'il y a un poste, il l'aura. Alors que souvent, nous, on recrute ceux qui ont l'expérience. Et il va commencer à faire du bruit, à dire qu'il est membre, qu'il est prioritaire... » (président d'Ong).

En fonction des ressources de l'association, ils reçoivent une petite indemnité régulière, de quelques dizaines de milliers de FCFA, ou bien des gratifications ponctuelles, irrégulières dans le temps et en montant, tirées de la caisse de l'association ou du portefeuille de son président qui se sent redevable auprès d'eux.

« L'Ong à laquelle j'appartiens existe depuis 2005. En fait, je suis à la section de Zinder. J'ai un frère qui était dans l'Ong à Niamey, et qui a été muté à Zinder, ils ont décidé de créer une antenne à Zinder. Et comme ils n'avaient pas beaucoup de temps du fait de leurs activités, ils ont pris des petits frères "bon, vous êtes là, vous n'avez pas de travail, vous n'avez qu'à vous occuper de l'Ong en attendant". Donc, on est bénévoles. Avec le financement PASOC, on a pu ouvrir un centre d'information sur la citoyen­ neté à Zinder, pour les 33 villages et quartiers de la Commune 1. Tous les jours, on est au centre de ressources. On continue même sans le finance­ ment. Pour ces activités, quand il yale financement, 1'Ong nous donne un petit salaire, sur les frais administratifs. Le reste du temps, elle voit si elle peut me donner quelque chose. Parfois, quand il n'y a rien, c'est mon frère qui me donne quelque chose» (jeune diplômé, atelier de capitalisation du PASOC, Maradi, 15 juin 2011).

Nombreux sont les jeunes qui, liés à un fondateur par des liens fami­ liaux, ou arrivés à la recherche d'une opportunité d'emploi, travaillent bénévolement pendant des mois, voire des années, ne recevant que d'aléa­ toires gratifications, dans l'attente d'un hypothétique recrutement. Lorsque c'est dans sa politique et qu'elle le peut, l'Ong mobilise des permanents. Ce sont des personnes qui travaillent à plein temps dans l'as­ sociation, parfois comme salariés (lorsque l'Ong a des financements), parfois comme bénévoles plus ou moins indemnisés. Ils sont là, avec un programme de travail plus ou moins établi. Les permanents sont eux aussi sont souvent liés aux fondateurs par des liens personnels. Ainsi, le responsable à Maradi de l'antenne régionale d'une Ong natio­ nale de protection de l'enfant n'a pas d'emploi fixe. Il est bénévole dans l'association. Mais, parfois son association a des contrats de sous-trai- 80 AIDE INTERNATIONALE Er socrsrss CIVILES AU NIGER tance, souvent avec une Ong internationale travaillant dans l'éducation, pour laquelle elle fait des prestations de service, de l'organisation de manifestations. Il gagne un peu sur les activités financées qu'il mène pour son Ong. Parfois, il est demandé comme consultant. Enfin, il lui arrive de montrer des dossiers de demandes de financement pour d'autres associa­ tions, en particulier dans le secteur de la formation professionnelle. Il demande 30000 FCFA par dossier (Entretien informel, atelier de capitali­ sation PASOC, Maradi, 13 juin 2011). Lorsqu'il y a un financement, les activités menées au sein de l'associa­ tion sont rémunérées ou indemnisées. Salarier un permanent suppose un niveau de ressources suffisant, dans un pas de temps minimal. Les postes ou les activités rémunérées sont confiées en priorité aux fondateurs, puis aux membres les plus actifs ou aux volontaires. C'est une façon de récom­ penser ceux qui s'investissent, qui ont consacré leur temps depuis long­ temps, ou de fournir des revenus à un dépendant.

« Je suis animateur salarié dans mon Ong, depuis 6 mois. Le finance­ ment PASOC a été le 2e financement de l'Ong. Je ne suis pas financé sur projet,je suis à durée indéterminée. On espèrequ'on va réussirà se main­ tenir. Je suis un technicien agricole de Kollo.J'ai été chef secteuragricole à Aguié, en tant que civicard", J'ai été recruté peu après la fin de mon civicat,du fait de monexpérience. J'ai eu beaucoup de chances de trouver un travailsi vite.Je remercie le Seigneurtouslesjours. J'ai répondu à une annonce, ils ont considéré que mes compétences répondaient à leurs attentes. - Et tu connaissais déjà l'Ong et ses membres? - (petit silence) oui, je les connaissais d'avant » (discussion informelle, atelierde capitali­ sationde Maradi, 15juin 2011).

C'est seulement dans les associations les plus professionnalisées, ou lorsque le bailleur de fonds impose des profils de compétences pour les postes à financer sur le projet, qu'un recrutement externe est privilégié, ce qui a l'avantage d'assurer une meilleure adéquation aux besoins, mais peut poser des problèmes pour l'association comme on le verra. Selon la taille de l'association, les salaires des salariés permanents sont très varia­ bles, de quelques dizaines de milliers de FCFA pour les petites associa­ tions, à des niveaux équivalents à ceux des Ong internationales pour les cadres supérieurs des Ong nationales les plus professionnalisées, les mieux insérées dans les circuits de l'aide. Dans une logique de « faire faire», ou pour mettre en œuvre certaines activités, les Ong ont aussi recours à des consultants ou prestataires. Là encore, la gamme des modalités est très variable, entre la gratification donnée à un membre qui s'investit pour une intervention ponctuelle (une formation, une petite étude), le paiement d'honoraires de faible montant, ou la distribution d'honoraires au tarif de la consultation dans les projets internationaux. Ces consultants peuvent être des membres de l'associa-

7. Volontaire du service civil. ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURISÉE 81 tion, des fonctionnaires des services techniques locaux, des consultants professionnels recrutés pour l'occasion. Ainsi, ce réseau d'Ong dispose d'un réseau d'experts qui fournissent une expertise aux Ong membres au tarif préférentiel de 40 ()()() FCFA/j (30 €). Tarif qui reste confortable si l'on se réfère aux salaires mensuels moyens, mais est considéré par le coordinateur du réseau comme du «bénévolat» car il est en deçà des tarifs du marché de l'expertise sur financement international...

- Entre big men et travailleurs précaires La sociologie des associations varie fortement selon leur histoire, plus ou moins collective, leur vocation et leur champ d'activités, les moyens dont elles disposent. Entre le volontaire sans emploi, qui passe de temps en temps, contribue aux activités comme il le peut, bénéficie de quelques gratifications ponctuelles, et le responsable d'Ong roulant en 4 x 4 neuve, la gamme des positions sociales est extrêmement large. Un certain nombre de fondateurs, de dirigeants, ont un poste assez élevé dans l'administra­ tion ou sont des consultants bien insérés dans les réseaux de l'aide. Ils disposent déjà de revenus assurés, relativement confortables. D'autres sont sans emploi. Le plus souvent, les différents statuts de simple membre ou de volontaires se rejoignent dans une forte précarité: ce sont des gens sans emploi ou avec un emploi faiblement rémunéré, qui cherchent à avoir une activité à travers les Ong, à trouver quelques revenus dans les gratifi­ cations distribuées ou dans les per diem reçus lors des formations ou des ateliers. Pour eux, comme pour les « civicards » de la fonction publique (Lavigne Delville et Abdelkader, 2010: 35) les 5000 ou 10000 FCFA (8 à 15€) des per diem d'ateliers sont significatifs",

« La seule chose qui attire les gens pour le PASOC, la plupart du temps, c'est les rencontres à l'extérieur de Niamey parce que ces rencontres-là sont prises en charge. Je crois qu'ils doivent avoir 15000 FCFA par jour s'ils sont en dehors de Niamey, ils mangent sur place et tout et tout. Il n'y a que le diner que vous supportez. Donc ça, ça motive un peu certaines moyennes ou petites organisations qui ont besoin de ressources fraiches pour un peu fonctionner. Mais les grosses structures qui gèrent des cen­ taines de millions, elles ne postulent même pas, ça ne les intéresse pas» (responsable de réseau d'Ong). « Si vous faites une formation, les gens vont suivre. A la télé, on voit toujours les mêmes. C'est ce qu'on appelle les ONG cartables, qui se limi­ tent à l'individu. Les prises en charge, je crois que ça ne dois pas dépasser 5000 FCFA par jour. C'est juste pour le remboursement des frais de dépla­ cement, de carburant. Mais c'est déjà suffisant pour quelqu'un qui est au chômage, qui n'a rien à faire. S'il fait 4 ou 5 jours de formation, c'est déjà

8. Le salaire minimum au Niger (certes dérisoire) est de 30000 FCFCA. Un volontaire du service civique touche entre 50000 et 8ÙOOO FCA/mois. La même chose que des gar­ diens chez des expatriés. 82 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

un demi sac de riz pour supporter la misère avec sa famille» (ancien cadre de la DONGAD).

Parfois, ce sont des petits revenus liés à leur activité dans l'associa­ tion: ainsi, dans une Ong d'appui à l'insertion socioprofessionnelle, les stagiaires versent 500 FCFA pour un entretien avec un des conseillers. En accord tacite avec le responsable de l'association, ces sommes ne sont pas versées dans la caisse de l'association mais servent de gratification pour le conseiller. La plupart des volontaires sont dans des logiques de débrouille pour assurer le quotidien, s'appuyant beaucoup sur leurs réseaux relationnels. Certains arrivent à cumuler différentes ressources et à assurer leur quoti­ dien, malgré une très forte irrégularité des revenus. D'autres, salariés ou membres suffisamment indemnisés, cumulant différents revenus, attei­ gnent la «petite prospérité» (Nallet, 2012) qui permet de « gérer son foyer », de dégager un peu d'épargne pour quelques biens de consomma­ tion, faire face aux dépenses de santé, éventuellement inscrire les enfants à l'école privée. En dehors des Ong consolidées, les salariés sont eux­ mêmes dans une situation relativement précaire, au sens où les fréquentes ruptures de financement peuvent aboutir à un licenciement, ou à une baisse de salaire.

« Il Ya de l'opulence, et une tendance à l'exhibition chez certains diri­ geants d'Ong, du fait des financements qui sont obtenus. Au même moment les autres, même pour aller à une réunion, ils vont avec leurs propres moyens de déplacement, leur propre carburant, leur propre temps social» (responsable de réseau d'OSC).

Les dirigeants associatifs sont eux aussi dans des situations socio­ économiques extrêmement variées. Quoi de commun entre le président d'une petite Ong sans ressources et le président de l'antenne nationale d'une Ong internationale, ancien ministre, ancien fonctionnaire interna­ tional, qui dispose de sa retraite, d'indemnités régulières liées à sa fonction et qui a à sa disposition un des véhicules de l'Ong? Pour eux aussi, à l'ex­ ception de quelques directeurs ou secrétaires exécutifs salariés, le cumul des fonctions et des revenus est fréquent, soit que l'investissement asso­ ciatif (lucratif ou non) vienne compléter une activité principale (souvent dans la fonction publique, rare pourvoyeur de postes à durée indéter­ minée... ou une retraite pour nombre d'anciens cadres de la fonction publique), soit que la personne, pour pouvoir s'occuper de son association, jongle entre consultations, contrats temporaires, postes à durée déterminée dans des projets, etc. Certains responsables n'ont pas d'autre activité fixe et cherchent à tirer des revenus de leur association pour assurer leur subsis­ tance, tout en étant en quête d'autres opportunités. Quelques rares diri­ geants, cumulant les postes de responsabilités, et obtenant des mandats officiels offrant indemnités ou privilèges, vivent de ces ressources. ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURISÉE 83

Une partie des fondateurs d'associations est dans une logique entrepre­ neuriale. Ils mobilisent leurs compétences et leurs réseaux relationnels pour mobiliser des ressources financières. Du fait de la rareté des opportu­ nités dans le secteur privé, et de leur parcours personnel qui les éloigne du commerce, c'est dans le secteur du développement qu'ils voient des opportunités de réussite sociale". En effet, le monde de l'aide est perçu, dans les représentations populaires comme chez les cadres, comme un espace où il est possible de trouver un emploi correctement ou bien rému­ néré, et des conditions de travail confortables. Les niveaux de salaire offerts par la coopération internationale, les tarifs de consultation, encore plus déconnectés du marché du travail, les cas de chefs de projets rapide­ ment enrichis, contribuent à construire le chef de projet, le consultant accédant aux appels d'offres internationaux comme des figures de la réus­ site'". Un certain nombre de responsables d'Ong nationale reprennent le modèle des expatriés, des chefs de projet nationaux des projets de coopé­ ration bi ou multilatérale, puisque ce modèle est déjà devenu, pour partie, celui des responsables nationaux des Ong internationales. Sans toujours rechercher grande maison et 4 x 4, ces cadres associatifs, disposant d'un bagage universitaire, aspirent néanmoins légitimement à stabiliser leur position, à pouvoir se marier et entretenir une famille, à disposer d'un confort minimal, d'une maison en dur, d'un véhicule même vieux. Ils aspirent aussi à pouvoir « remplir le contrat inter-générationnel c'est-à• dire à soutenir à leur tour les membres de la communauté qui ont permis leur parcours scolaire» (Mazzocchetti, 2013: 405), bref à accéder à la classe moyenne". Pour ceux qui, à un moment où un autre de leur trajec­ toire, ont pu bénéficier de postes dans des projets ou des Ong internatio­ nales, les standards augmentent, en particulier en termes d'assurance santé, d'épargne pour l'éducation des enfants ou pour la retraite. Deux autres facteurs poussent à faire des responsables associatifs des « big men », des têtes de réseaux clientélistes, devant redistribuer, et pour cela contrôler des ressources. Qu'il y ait ou non ambition politique, la réussite sociale passe par la réaffirmation des liens avec le terroir d'ori­ gine, et la capacité à drainer des financements vers l'espace local (Bako-

9. Ajoutons enfin qu'une partie des leaders associatifs y trouvent une autonomie qu'ils n'auraient pas ailleurs: «Oui,j'ai eu une position de salarié avec un projet. 1...] J'ai eu beaucoup de propositions de postes, mais je me trouvais plus à l'aise en étant indépendant. Parce que quand on entre dans un sérail salarié, il y a d'abord l'autorité, la hiérarchie, etc. Pour des gens qui aiment trop la liberté comme nous, ce n'est pas le meilleur cadre d'épanouissement (rires) » (responsable de réseau d'OSe). 10. En relative substitution au modèle du fonctionnaire, dévalué par les ajustements structurels, et à côté de « nouvelles figures de la réussite» (Banégas et Warnier, 2(01). 11. Les interlocuteurs de Clélie Nallet (2012), à Niamey, considèrent qu'il faut autour de 70000 FCFA/mois (110 €) de revenus (de sources diverses) pour atteindre « la petite prospérité », et 200000 à 500000 FCFA/mois (300 à 750 €) pour « vivre bien ». Sur les processus d'individualisation et l'émergence d'une classe moyenne, cf. Marie, 1997; sur la pauvreté et l'Importance des liens clientélistes, cf. Marie, 1995; Vuarin, 1994. 84 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Arifari, 1995; Banégas et Warnier, 2(01)12. De plus, qu'ils tirent ou non des revenus significatifs ou non de leurs responsabilités associatives, les dirigeants sont sollicités par leurs parents et connaissances, qui attendent un soutien financier, par les membres ou les volontaires qui attendent de l'association (et donc de ses dirigeants) quelques opportunités. Tant pour répondre à ces sollicitations que pour réduire la pression sur leurs revenus personnels, les dirigeants tendent à placer leurs dépendants dans l'asso­ ciation, pour leur trouver des postes, au minimum leur confier des tâches justifiant des gratifications prises sur le budget de l'Ong ... voire dans leur propre poche lorsqu'il n'y a pas de moyens. Les associations sont ainsi enchâssées dans les rapports sociaux de la société globale, dans une «modernité insécurisé» où «les liens coutu­ miers d'entraide et d'entente s'effritent et où les faiblesses de l'État ne permettent pas d'assurer, dans les faits, la sécurité sociale et économique d'une partie importante de la population» (Laurent, 2013: 20) dans un contexte de crise de défiance et d'expansion non régulée de rapports marchands, qui renforce les dépendances clientélistes et favorisent les big men, en qui P.J. Laurent voit des « acteurs notoires de la modernité insé­ curisée» (idem: 21). Dans une telle configuration, une partie importante des acteurs qui « se cherchent» dans les Ong sont, comme les étudiants étudiés par Jacinthe Mazzocchetti au Burkina Faso, pris dans une « tension entre "modernité insécurisée" et modernité mirage» (2013: 400),« demeu­ rant d'éternels cadets ou pour le moins extrêmement précaires» (idem: 407), quand d'autres construisent des trajectoires d'accumulation et de réussite sociale, et d'autres encore arrivent à construire un entre-deux leur permettant de vivre décemment tout en travaillant selon leurs convictions. Au-delà des stratégies explicites d'accumulation, la recherche de reve­ nus, les logiques de captation de ressources s'expliquent aussi par l'ab­ sence de sécurité sociale, qui oblige les gens qui souhaitent une assurance santé à de coûteuses assurances privées, qui incite à épargner et investir pour la retraite (dans des maisons, des jardins, etc.), et qui accroît aussi les sollicitations de parents démunis qui n'ont pas non plus de recours institu­ tionnalisés pour leurs problèmes d'emploi, de santé, de scolarisation des enfants, etc. Face aux risques de santé, aux incertitudes sur l'avenir, aux sollicitations des parents, les parcours sont hachés, souvent aléatoires, et les réussites toujours fragiles. Qu'un contrat s'arrête, qu'une rente de situation s'effondre, qu'un problème de santé advienne, et c'est la « petite prospérité» difficilement acquise qui s'effondre, comme en témoigne cet homme qui m'a abordé un soir à la boutique près de chez moi, honteux de devoir me solliciter:

« Excusez-moi, je me demandais, comme vous êtes là, si je pouvais vous donner mon Cv. Voilà, je travaillais dans une Ong américaine comme

12. Sur le courtage en développement, cf. Bierschenk, Chauveau et Olivier de Sardan, 2000. ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURISÉE 85

chargé de programme. Mais le projet est fini, et le personnel a été licencié. Je n'ai plus rien. J'ai une fille qui vient d'avoir le bac, elle va entrer à l'université. J'ai 5 filles. Et je n'ai plus aucun revenu. Je suis administra­ teur de formation. Je peux faire beaucoup de tâches. J'ai mon permis de conduire, je peux être chauffeur. Je suis prêt à prendre n'importe quel travail, en espérant que mes compétences seront reconnues et que je pourrai ensuite progresser. Mais je ne peux pas rester comme ça à la maison sans rien faire. Il yale loyer, l'électricité. Les études des enfants. J'ai été obligé de vendre ma voiture: une Toyota Corolla que j'avais payée plus de 2 millions. Je l'ai revendue autour d'un million. Avec ça j'ai rem­ boursé mes retards de loyer.j'avais 8 mois de retard. J'ai payé aussi 3 mois d'avance. On m'avait coupé l'électricité, j'ai payé mes arriérés. Après ça, il me restait tout juste 100000 FCA. J'ai acheté un sac de riz, un sac de maïs. Et j'ai dit à ma femme qu'il faudra qu'elle se débrouille pour les condiments. Vraiment, c'est Dieu qui a fait que j'étais là quand vous êtes passé à la boutique. »

La multiplication des casquettes, le fait de ne pas vouloir lâcher une responsabilité associative, la recherche effrénée d'avantages et de complé­ ments de revenus, l'opportunisme dans l'acceptation de financements, la course aux per diem, renvoie ainsi, dans des proportions certes inégales, aux logiques d'accumulation et aux exigences de redistribution des acteurs les mieux insérés dans la rente de l'aide, et aux stratégies de sécurisation des trajectoires personnelles des nombreux acteurs soumis à la précarité socio-professionnelle: sachant que le projet a une durée limitée, les uns et les autres cherchent à en tirer de quoi épargner, si possible accumuler, et faire face aux sollicitations familiales et aux incertitudes du lendemain.

La voie étroite du militantisme associatif

« La culture associative même fait souvent défaut. Les gens voient parfois la structure comme étant d'abord une entreprise. Au niveau des militants de base, certains ont une vision tout simplement de rente à travers l'activité associative. 11 faut juste les appeler pour une activité où ils vont avoir un per diem. Or, s'il n'y a pas cette culture associative où il y a un don de soi, pour traduire une conviction qu'on a en soi et qu'on veut maté­ rialiser... mais ici ce n'est pas comme ça que c'est perçu... » (responsable de réseau d'OSC). «Par rapport à ce qu'étaient les organisations au lendemain de la conférence nationale, il y a un recul total de la motivation et des principes associatifs, notamment les principes de bénévolat, les principes de désin­ téressement et peut être même l'apolitisme des organisations. On est allés vers une vie associative pour combler les fins de mois. Et ça, moi j'en impute la responsabilité aux partenaires qui appuient les organisations. Lorsque vous donnez de l'argent, vous devrez suivre l'utilisation et éviter que ceux à qui vous accordez cette aide soient en pratique les premiers à en profiter. (00.] J'ai comme l'impression qu'au niveau des partenaires, 86 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

l'essentiel, c'est de trouver un partenaire associatif pour les activités qu'ont veut faire. Mais on ne s'intéresse pas à des impacts et à des évalua­ tions pour se demander si, au fond, ce qu'on est en train de faire là, est-ce que ça vaut vraiment la peine qu'on continue à le faire» (universitaire, membre du CA d'une organisation de défense des droits de l'homme).

Ce trop bref essai de sociologie des membres des associations éclaire un aspect des problèmes régulièrement dénoncés, la recherche de profit et la mal gouvernance. Le respect des principes associatifs ne va pas de soi dans une société où chacun se cherche, où les modèles de réussite mettent en avant la richesse, où les inégalités sont fortes et où les rapports sociaux sont profondément clientélistes, où les big men doivent accumuler et redistribuer, où ceux qui sont aisés ou perçus comme tels sont objets de sollicitations auxquelles il leur est difficile de se soustraire. Dans une société où le marché de l'emploi est à la fois sinistré hors champ de l'aide internationale, et complètement éclaté du point de vue des références dans le secteur de l'aide, où une secrétaire dans une organisation internationale gagnera plus qu'un haut fonctionnaire dans son service, où un consultant gagne en un jour ce que d'autres gagnent en un mois, où les normes de per diem sont sans commune mesure avec les salaires de base et les dépenses réellement engagées et deviennent des compléments significatifs voire dépassent largement ce salaire, ou s'y substituent pour certains. Dans un marché de l'emploi de l'aide, enfin où les postes sont soumis aux aléas des financements de projets, avec une minorité réussissant à sécuriser leurs parcours dans les dispositifs d'aide et une majorité vivant une succes­ sion de quelques « hauts» et de nombreux « bas ». L'instabilité de l'aide, la logique des financements par projets de court terme, accentuent l'insé­ curité des parcours professionnels, ajoutant aux risques de la « modernité insécurisée », Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de militants associatifs, choisissant par conviction de s'investir dans les associations, en tant que dirigeant, que membre ou que salarié". Mais qu'ils sont, comme les autres, soumis à cette modernité insécurisée, à ces contradictions entre «aspirations subjectives et conditions objectives» (Bourdieu) en termes d'emploi, de revenu, de position sociale. Sauf pour ceux qui arrivent à se stabiliser dans les Ong nationales ou internationales, le militantisme a un coût, très variable. Pour ceux qui ont un emploi, et consacrent une partie de leur temps « libre »14 à leur asso-

13. Je prends le terme de « militantisme» au sens large, d'engagement pour une cause. Celui-ci peut reposer sur une critique politique issue d'une trajectoire syndicale, une cri­ tique des modes d'intervention de l'État ou de la coopération internationale, un national­ isme amenant à récuser les organisations internationales de l'aide, une vision de la société à promouvoir, etc. 14. Je mets ce terme entre guillemets, car il n'a guère de sens dès lors que 1) seuls les salariés peuvent faire une séparation claire entre le temps de travail, dû à l'employeur, et le reste; 2) les sollicitations sociales mobilisent une part importante du temps disponible hors travail (quand il n'empiète pas sur le temps salarié lui-même). ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURlSÉE 87 ciation, il a un coût social, dès lors qu'il empiète sur le temps familial, le temps social, l'entretien des réseaux de sociabilité ou de parenté. Certains résolvent le problème en étant bien inséré dans des opportu­ nités rémunératrices, qui leur permettent à la fois de vivre et de dégager du temps pour leur association.

« Moi, je suis consultant. J'ai jusqu'à quatre communications à faire dans ce mois,je vais intervenir ici sur la communication interpersonnelle, là sur les méthodes d'animation, là sur les stratégies de communication politique,là sur la rédaction de projets...ça, ça peutme rapporter 1 million à 1,5 million. [...] Je suis à l'aise par rapport au contexte d'ici, et je peux avoir du temps à investir bénévolement dans l'association [...] » (respon­ sable d'Ong).

Mais dès lors que l'activité principale ne permet pas d'apporter les revenus considérés comme suffisants (avec la question de ce que signifie « considéré comme suffisants»), et que le temps consacré à l'association ne peut être investi dans des activités rémunératrices, l'investissement bénévole a un coût d'opportunité": il coûte le revenu qu'il aurait été possible de gagner en se consacrant à des activités rémunératrices (consul­ tations ou autres pour les mieux insérés dans les réseaux de l'aide; petits boulots, débrouille pour les autres). La question du coût d'opportunité se pose aussi pour les professionnels disposant d'une expérience et d'un CV « vendable» et qui, par critique de l'aide internationale (dans son principe ou dans ses pratiques), choisissent de travailler dans les Ong nationales, ou d'y rester une fois qu'ils se sont constitué des références et des compétences: ils renoncent à des opportu­ nités dans des Ong internationales, qui paient mieux, garantissent une protection sociale, valorisent leur CV, sont plus prometteuses en termes de carrière. Ils acceptent des conditions salariales plus modestes, une plus forte précarité professionnelle. Les uns comme les autres doivent accepter des situations de relatif déclassement, par rapport à ce qu'ils pourraient espérer ailleurs, renoncer à des positions sociales, l'assumer et le faire assumer par leur famille ...

« Vraiment on vit chacun,mêmedans notre vie...Vraiment, on vit très modestement (sourire un peu gêné), de sorte que l'on n'a pas ces ambi­ tions, de s'afficher, de... Non... Tous autant que nous sommes, on vit sobrement, vraiment très très sobrement (sourire) » (militant d'une asso­ ciationde promotion de la citoyenneté).

Au-delà de la volonté explicite d'enrichissement de certains, on a là une des sources de la controverse sur le bénévolat dans les associations.

15. En économie, on appelle «coût d'opportunité» le manque à gagner inhérent à un choix. En faisant ce choix, on gagne certaines choses, mais on renonce aux gains qu'on aurait pu avoir en choisissant une autre option. 88 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

Pour certains, l'insertion dans la rente de l'aide est une source explicite d'accumulation, et fonder une Ong nationale peut être dans certains cas plus lucratif qu'un poste dans une Ong internationale. Mais pour les travailleurs précaires, volontaires ou permanents peu ou pas rémunérés, qui n'ont guère d'alternatives d'activités et de ressources, tirer quelque chose de son investissement associatif est une nécessité. Et pour ceux qui disposent de revenus ou d'alternatives plus rémunératrices, c'est soit un complément jugé nécessaire, dans un contexte d'absence de repères sur ce qui peut être considéré comme légitime ou justifié, soit une contrepartie compensant (partiellement ou largement selon les cas) le coût d'opportu­ nité de l'investissement en temps. Dans ce contexte, il est légitime aux yeux de nombreux acteurs associatifs que le temps consacré à l'associa­ tion soit indemnisé, que les opportunités de consultations soient avant tout orientées en interne, à destination des dirigeants ou des membres, pour les mettre en situation de s'investir à plein temps dans l'association et/ou récompenser un investissement antérieur. Certes, « rien ne remplace la conviction, on peut même ne pas avoir un salaire et être là pour une cause par conviction» (universitaire). Mais la question du bénévolat ne va pas de soi, dans un contexte de précarité socio-économique et d'opportunisme généralisé par rapport à l'aide, qui accroît les envies et les jalousies. Et le rappel au principe de bénévolat comme fondement de l'éthique associative, ou les débats sur le niveau des indemnités, suscitent des réactions, surtout quand ils proviennent d'assis­ tants techniques expatriés, eux-mêmes salariés le plus souvent conforta­ blement payés, de fonctionnaires qui arrondissent leurs fins de mois par des consultations et la participation à des ateliers en délaissant leur poste ou en montant des associations fantoches, ou encore de chercheurs dispo­ sant d'un poste stable.

« Même si tu es payé, tu ne peux pas être payé de tout ce temps-là. Compte tenu du fait que le niveau de vie est trop bas, il y a des problèmes de ressources. Si tu as des indemnités de l'ordre de 200000, 250000, 300000 FCFA/mois, on trouve déjà que c'est trop. D'un côté ça se com­ prend, parce qu'on raisonne par rapport aux salaires dans la fonction publique. C'est comme ça, le raisonnement [des bailleurs de fonds], un fonctionnaire de l'État gagne combien au Niger? Et les indemnités sont de combien? Mais c'est clair qu'on ne peut pas regarder seulement comme ça. Parce que le fonctionnaire, ce qu'il gagne c'est du net. Ici, avec ce que tu gagnes comme indemnités, tu n'as pas de couverture sociale, tu n'as pas de vacances. Il n'y a pas de retraite, il n'y a rien. Et le fonctionnaire, dès que c'est vendredi 13 h, il met la clé, il faut attendre lundi 9 h. Alors qu'ici tu travailles non stop. Le travail continue à la maison» (responsable d'Ong, secteur éducation).

Dans les pays industrialisés, l'investissement dans les associations est un choix personnel, impliquant pour les membres bénévoles un investis­ sement en temps (très variable, entre la simple cotisation et l'engagement ENTRE EXTRAVERSION ET MODERNITÉ INSÉCURISÉE 89 personnel dans les activités ou la gouvernance de l'association), et pour les salariés, un niveau de salaire en général voisin de celui de la fonction publique et légèrement inférieur au marché de l'emploi dans le secteur privé. La conception classique du bénévolat dans le secteur associatif ne suppose-t-elle pas finalement deux conditions, très incomplètement réunies au Niger: d'une part un modèle de famille nucléaire, où les aspi­ rations de revenus sont certes variables et liées à la position socio-écono­ mique, mais limitées par un nombre de personnes à charge lui-même circonscrit et par l'existence d'une protection sociale, et d'autre part une société bourgeoise (où des acteurs de professions libérales, ayant de bons revenus, gèrent leur temps librement) et salariale, avec une distinction entre temps professionnel et temps privé, et des revenus salariaux (éven­ tuellement complétés par des transferts sociaux) permettant de vivre". L'émergence d'un marché du travail associatif supposerait de même un marché de l'emploi cohérent, et des financements suffisamment structu­ rels, par les dons du public ou les transferts publics, pour permettre la professionnalisation d'une série d'associations et l'émergence d'une classe de salariés associatifs, assumant des salaires relativement modestes en échange d'une activité professionnelle cohérente avec les convictions et leurs aspirations.

Faire vivre une Ong: entre précarité des ressources financières et labilité des ressources humaines

La diversité des situations et la précarité sont également très présentes au niveau des organisations. Là où des Ong internationales occupent de belles villas, ont un personnel bien payé et un équipement dernier cri, là où quelques Ong nationales ont des bureaux équipés, des équipes perma­ nentes, des véhicules, la plupart des Ong nationales n'ont pas de bureau, ou louent une villa sommaire et sous-équipée, et passent par des bas, et parfois des hauts, de financement.

Exister: siège, visibilité

Dans les entretiens, un certain nombre de thèmes reviennent de façon récurrente. Un premier ensemble tourne autour du « siège» et de la visibi­ lité. Le siège (entendons le siège social, là où est basé juridiquement l'as­ sociation) est une préoccupation permanente des associations qui n'ont pas la capacité financière de louer des bureaux. Avoir un siège, une

16. Sachant qu'une bonne part des responsables associatifs sont retraités, qui conju­ guent revenus et temps libre. 90 AIDE INTERNATIONAlE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER adresse, un bureau surtout, est en effet une condition de crédibilité, pour monter que l'on a une certaine existence, une« visibilité ». Sans siège, sans bureau, pas d'adresse physique, impossible d'ac­ cueillir des visiteurs et des bailleurs potentiels, de tenir des réunions élar­ gies. Pas possible non plus d'avoir un permanent. Ne pas avoir de siège, c'est être enfermé dans la catégorie des « Ong cartables », qui n'ont pas de véritable existence, et donc ne sont pas sérieuses. La quête de siège et de visibilité peut sembler traduire la quête oppor­ tuniste de financements. Mais en même temps, en avoir un est une condi­ tion pour pouvoir être pris au sérieux, ce que confirme le discours critique des bailleurs potentiels. Or, louer des locaux a un coût important, que seules des organisations ayant des ressources suffisantes, et surtout régu­ lières, peuvent assumer.

« Dans les ateliers, il y a des Ong qui n'ont pas de siège, où tout est dans le cartable. OK. Le problème est identifié. Mais quelle est la solu­ tion? Ils ont eu le courage de démarrer, de fonder une association. Offrez­ leur un siège! Toutes les Ong démarrent comme ça, sans rien. Je dis toujours, chaque fois que vous critiquez les Ong nationales, prenez en compte le contexte dans lequel elles interviennent. Si vous n'avez pas de solutions, alors ce n'est pas la peine de critiquer. Comment comparer une Ong internationale, qui arrive avec 10 milliards et une Ong nationale qui ne gère que 10 millions et dont les membres sont des bénévoles! » (res­ ponsable de réseau d'Ong).

Bon nombre, qui ont pu en louer grâce à un financement de projet, se sont vues ensuite obligées de déménager ou de renoncer à avoir des locaux. Dans certains réseaux, le président mobilise ses propres revenus pour maintenir le siège, condition de crédibilité de son organisation et donc d'accès aux mandats de représentations ... qui lui offrent les res­ sources lui permettant de vivre et de financer le siège.

« Ce réseau, comme les autres réseaux, n'a pas su anticiper la fin des appuis institutionnels. S'il a pu conserver un siège, c'est parce que son président finance tout, parce qu'il a eu la chance d'être conseiller pendant la transition. C'est lui qui autofinance tout le fonctionnement! Cela fait presque 10 mois qu'il finance le bureau et les frais de loyer» (consultant en appui institutionnel).

L'existence sociale des responsables, mais aussi leur possibilité d'accès à d'autres postes, est ainsi fortement liée à leur responsabilité à la tête d'une ou plusieurs organisations. Ce qui contribue à renforcer la lutte pour le leadership et le cumul des responsabilités ... lequel disperse les respon­ sables multi-casquette au détriment de leur investissement dans ces diffé­ rentes organisations. Lorsque les associations, les Ong ou les réseaux ont eu la chance de se faire financer un bâtiment, elles sont davantage sécurisées: maintenir leur ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURISÉE 91

siège est bien moins coûteux; elles peuvent en cas d'activité réduite louer des bureaux à d'autres et ainsi assurer un peu d'autofinancement. C'est le cas du GAP, qui selon plusieurs interlocuteurs aurait disparu sinon. Parfois, c'est une dotation en matériel ou en véhicules qui a été déclen­ cheur, permettant d'économiser sur les frais de déplacement et de consti­ tuer une petite cagnotte. Mais rares sont les lieux où de petites Ong peuvent trouver à louer une pièce qui leur serve de bureau et bénéficier d'un peu de prestations de secrétariat. L'idée d'une Maison des associations, comme il y a une Maison de la Presse, a été évoquée à de nombreuses reprises, mais n'a jamais abouti.

Assurer des ressources financières

Avec les limites du bénévolat discutées ci-dessus, il est tout à fait possible d'agir sans avoir de financement. Mais l'action bénévole ren­ contre ses limites, dès lors que l'action nécessite des déplacements, ou un investissement en temps significatif. Des ressources externes sont alors nécessaires, au moins pour le fonctionnement, mais aussi pour des salaires ou indemnités dès qu'il y a du personnel. Dès lors que l'association a des activités régulières nécessitant des financements, le défi est d'assurer des ressources permanentes, ou en tous cas suffisamment régulières, à travers un financement pluri-annuel ou une combinaison de contrats. Atteindre cette étape est difficile. Et le clivage entre les organisations consolidées et les autres s'accroît, les premières ayant plus de visibilité, de réseaux, de crédibilité, et plus de facilités à décrocher des financements.

« [Il Ya eu beaucoup de financements pour l'observation électorale, la sensibilisation des électeurs, etc.] Deux organisations ont eu des centaines de millions qu'elles ont gérés à elles seules. Par contre, vous avez au moins quatre autres organisations, qui regroupent plusieurs organisations de la société civile, et qui n'ont eu aucun franc. Elles ont travaillé d'arrache­ pied sur l'ensemble du processus électoral mais elles n'ont eu aucun finan­ cement, simplement parce que ils n'ont pas leurs membres qui sont tapis dans ces organisations de financement» (responsable de réseau d'OSC).

- Démarrer... et passer le premier cap Obtenir un premier financement est le plus souvent une course d'obs­ tacles: l'Ong n'existe que sur le papier, « dans le cartable ». Elle n'a pas de références. La plupart des bailleurs de fonds ont des exigences en termes de capacités, d'expérience, qui rendent difficile l'accès au premier financement. Les contrats de sous-traitance pour des projets ou des Ong internationales également, sauf relations personnelles permettant de passer outre (ce qui souligne l'importance des réseaux clientélistes dans l'accès 92 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER aux financements, et constitue une prime aux organisations crées par des fonctionnaires travaillant dans des secteurs soutenus par l'aide). Qu'elles soient opportunistes et touche-à-tout, ou qu'elles aient été fondées sur un enjeu particulier, les Ong débutantes n'ont pas forcément de projet très clair. C'est aussi à la pratique que les choses se précisent. Transformer une idée, une cause, en stratégie d'action, et plus encore en document projet formulé dans le «langage développement» ne va pas toujours de soi'", Plus les procédures de financement sont bureaucratisées, plus elles sont difficiles d'accès. Les dirigeants cherchent donc les contacts personnels, les occasions de rencontre (et sont donc à l'affut des ateliers ou des séminaires), et les « guichets» personnalisés, où il est possible de présenter et discuter son projet avec des individus de chair et d'os (les Ong d'appui, les fonds des Ambassades). Les Ong fondées par des fonctionnaires travaillant avec l'aide interna­ tionale ou par d'anciens cadres de projets, qui ont à la fois contacts et savoir-faire, ont davantage de chances car leurs dirigeants connaissent des bailleurs de fonds et les procédures, ont des informations sur les opportu­ nités. Fonder son Ong en tant qu'ancien cadre d'Ong internationale peut faciliter l'accès aux premiers financements, en négociant des contrats auprès de son ancien employeur. Clientélisme, interconnaissance, réseaux, sont souvent indispensables. Pour les autres, la méconnaissance des acteurs et des procédures, le manque de savoir-faire de montage de dossier, sont autant de barrière d'accès. Malgré l'importance en valeur absolue des financements disponibles, obtenir un appui relève souvent du parcours du combattant et confronte à de multiples difficultés: connaissance des possibilités (l'information, stra­ tégique, circulant évidemment peu entre des Ong en concurrence), capa­ cité d'accès aux dispositifs et aux personnes, compréhension des exigences des bailleurs de fonds, pistes ouvertes qui traînent mais n'aboutissent pas, versions successives des projets pour rentrer dans les cases, refus sans explications et suscitant des incompréhensions, etc. Les seuils de finance­ ment, les exigences d'expérience préalable, rendent difficile une montée en puissance progressive de l'organisation et de sa capacité de gestion. Si la barre est mise trop haut, ou s'il n'y a pas une offre diversifiée, corres­ pondant à différents degrés d'expérience, ces règles qui visent à assurer que l'organisation al'expérience pour gérer le projet qu'elle propose constituent en fait des barrières d'accès importantes pour les jeunes orga­ nisations ne disposant pas de réseaux dans les institutions d'aide. Les appels à propositions sur dossier ont l'avantage, en théorie", d'être égale-

17. Sur le « langage développement », cf. Olivier de Sardan, 1995: 165ss. Sur la ques­ tion des barrières du passage à l'écrit et de la maîtrise de ce « langage développement» pour formuler des dossiers de financement, cf. Laurent, 1998. On reprendra cette question à propos du PASOC (chapitre V). 18. En pratique. l'information sur les offres n'est pas toujours aussi large que prévu, et il existe de multiples moyens de biaiser la sélection des propositions. ENTRE EXTRAVERSIONET MODERNITÉ INSÉCURlSÉE 93 ment accessibles à tous, indépendamment des réseaux personnels et donc hors du jeu clientéliste souvent reproché aux bailleurs de fonds et aux Ong d'appui. Mais la contrepartie est qu'ils demandent une maîtrise de la rédaction de projets et une capacité à formater son projet dans les formats des dossiers.

«Vous postulez par exemple pour 50 millions, on vous demande si vous avez eu l'habitude de gérer 20 millions. C'est un critère d'élimina­ tion. Mais si chacun vous dit que, pour gérer 50 millions, il faut que vous prouviez que vous avez déjà géré 20 millions, et qu'il n'y a pas de finan­ cement de 20 millions, vous ne pourrez jamais avoir de financement de 50 millions. Deuxièmement, dans certains types de financements, on va vous demander un apport. Vous avez demandé un financement de 100 mil­ lions, on vous dit « est-ce que vous avez physiquement 10 millions avec vous. Prouvez-le nous et on va vous donner les 90 millions ». C'est aussi un critère d'élimination. Troisième critère, on peut vouloir aller voir votre siège, vous avez combien de personnel, combien de matériel roulant, etc. Finalement, ceux qui ont vont toujours avoir et ceux qui n'ont pas eu ne vont jamais avoir» (responsable de réseau d'OSe).

Globalement, les règles du jeu du financement sont souvent difficiles à comprendre ou accepter par les ose, ce qui génère une frustration vis-à• vis d'une machinerie de l'aide perçue comme complexe et opaque, une forte jalousie vis-à-vis des structures obtenant des financements impor­ tants, et des rumeurs récurrentes de clientélisme ou de corruption.

« Ma conviction, c'est que ce n'est pas que la qualité des dossiers qui compte. Parce que rien n'explique que vous présentiez un dossier tout à fait confirme aux objectifs de l'institution, pertinent par rapport à l'actua­ lité de la chose, avec un chronogramme assez clair et précis, un budget modeste et tout, et que ça ne passe pas. Et que, dans le même temps, vous voyiez quelqu'un proposer des futilités et le lendemain vous le voyiez à la télé, il est déjà financé. Ça veut dire qu'il y a quelque chose qui n'est pas si clair que cela. [...] Partout où il y a une certaine permanence des employés, si vous n'avez pas d'amis parmi eux, votre dossier ne passe pas. On est même capable de prendre votre dossier, d'enlever l'en-tête et de l'attribuer à quelqu'un d'autre. C'est-à-dire qu'on appelle un ami, on lui dit "bon, voilà, untel a déposé tel dossier dans tel sens, prends le, va faire les modifications nécessaires pour le faire passer comme étant le tien" » ... (responsable d'OSe).

La prégnance des mécanismes corruptifs dans les appels d'offre de l'aide (Mathieu, 2000; 2007; Lavigne Delville et Abdelkader, 2010: 43sq) s'étend évidemment aux dispositifs de financement des Ong, lors des appels d'offres pour la mise en œuvre de volets de projets mis en œuvre par l'État, mais aussi, selon certains, aux guichets de financement Ong des institutions internationales. 94 AIDE INTERNATIONALE Er sooetas CIVILES AU NIGER

« Evidemment, il est difficile d'établir les preuves, mais tout ce qu'on sait c'est que les gens se partagent les ressources. Si vous proposez une activité qui coute 20 millions, vous acceptez d'amener 8 millions, et donc on vous donne les 12 millions et vous vous débrouillez avec. Et vous, en tant que responsable, peut-être vous allez injecter 5 dans l'activité et vous en faites disparaître 7. Donc on dit que l'activité a coûté 20 millions, mais dans la réalité, vous en avez dépensé 5. Voilà un peu comment les choses vont. Et tous ceux qui font ça, ils ont des financements tout le temps. On les appelle même pour leur dire qu'il y a des possibilités et d'amener des dossiers. Par contre, ceux qui n'ont pas découvert cela, ils peuvent taper 6 mois sans aucun financement» (responsable de réseau d'OSC).

L'Ong qui obtient un premier financement doit faire ses apprentissages, de mise en œuvre d'actions et de gestion de projet, à partir de compé­ tences et de savoir-faire initiaux très divers, en fonction de son histoire et du profil de ses fondateurs, membres, volontaires. Lorsque le financement est obtenu par des réseaux de clientèle dans une logique de captation de l'aide, l'exigence de qualité est faible sinon nulle, et conforte dans l'idée que l'on peut obtenir des financements sans redevabilité. Lorsque l'exi­ gence bureaucratique de comptes-rendus est élevée, l'intérêt pour la qualité du travail de terrain est secondaire pour le financeur. Quelque soit l'engagement dans les activités, la maîtrise des formes du rapport d'acti­ vité, de la comptabilité, des exigences spécifiques du bailleur peut poser des difficultés. Beaucoup n'arrivent pas à trouver un second financement, puis un troisième, qui permettent de poursuivre les actions. Ou alors avec un délai important entre les deux. La plupart végètent ainsi, faute d'arriver à enchaîner les financements pour maintenir une activité régulière. Qu'elles reposent sur une équipe salariée ou un réseau de membres militants se mobilisant sur les actions, les Ong aujourd'hui consolidées ont toutes ou presque bénéficié d'un appui institutionnel pendant plusieurs années, et d'un soutien régulier à travers des financements successifs, qui leur ont permis de faire leurs expériences, de se constituer des compé­ tences et des références, de construire progressivement leur crédibilité sur des projets de plus en plus gros, et avec des responsabilités croissantes. Ainsi, Karkara est née en 1992, à l'initiative de cadres du développe­ ment travaillant dans la région de Diffa sur une base professionnelle. L'initiative rencontre la volonté d'Ong européennes comme l'AFVP ou DED, parfois déjà impliqués dans les projets où travaillaient ces cadres, d'appuyer des organisations locales.

«Comme l'AFVP voulait appuyer la création d'organisations comme elle, qui puissent continuer le travail fait dans ses projets, elle nous a appuyés et nous a confiés le volet "animation" dans un de ses projets, le temps de se faire la main, le temps de comprendre. A Karkara, on a appris sur le terrain en faisant, on a appris dans l'action à côté de l'AFVP. Après cette première expérience, l'AFVP s'est retiré petit à petit pour permettre à Karkara d'être opérateur sur le terrain. Parallèlement, on avait acquis des ENTRE EXTRAVERSION ET MODERNITÉ INSÉCURISÉE 95

connaissances en matière de montage de dossiers de projets, de gestion, à travers des outils de l' AFVP, et on a monté un deuxième projet dans la même zone. De fil en aiguille, c'est parti comme ça. Nous avons été beau­ coup sollicités par l'Ambassade de France. On montait des petits dossiers de 12, 18 mois. Au fur et à mesure que la confiance s'établissait, le volume financier des projets a cru. De 1992 à 2000, nous avons collaboré avec l'Ambassade de France, avec l'AFD. Nous avons eu des appuis de DED. Ce qui nous a permis de faire beaucoup de diagnostics dans la zone, de devenir vraiment une Ong de référence pour la zone de Diffa. D'opérateur principal, l'AFVP est progressivement devenue juste une structure d'ac­ compagnement. C'est en 1999-2000 que Karkara a pris le relais et est vrai­ ment devenu l'opérateur principal. Aujourd'hui Karkara, c'est 120 cadres de terrain dont à peu près 80 cadres de conception et de mise en œuvre et à peu près une trentaine d'auxiliaires» (secrétaire général de Karkara)'".

Sur un secteur et dans une trajectoire différente, SOS Civisme a aussi bénéficié d'un soutien institutionnel. En 1996, la fondation Konrad Adenauer a lancé un programme de formation en éducation civique au niveau de l'Afrique de l'ouest. Un groupe de militants nigériens, déjà investi dans diverses associations, postule et suit une série de formations en animation civique, dans la sous­ région. En 1999-2000, ils fondent SOS Civisme Niger, membre du réseau SOS Civisme. L'équipe est bénévole. La Fondation leur apporte un soutien pluriannuel. Chaque année, une proposition de programme d'activités est élaborée par l'association de façon autonome, et est soumise à un comité de sélection de la Fondation. SOS Civisme commence progressivement à intervenir sur d'autres programmes, comme le PREDEC,« Programme de renforcement de la démocratie et de la culture» financé par la coopération suisse et mis en œuvre par le Centre Africa Obota.

«SOS a été beaucoup sollicité pour faire des animations dans les villages, dans les cantons, sur la citoyenneté, sur les questions de sécurité routière, sur les questions de l'État civil, etc. Et vraiment, c'est là qu'on a mis en œuvre nos outils d'animation. On s'est plus ou moins profession­ nalisés dans le domaine de l'animation civique» (un des fondateurs de SOS Civisme).

À partir de là, SOS Civisme élargit ses contacts et des contrats, avec Danida et d'autres bailleurs de fonds et Ong. SOS Civisme continue à réaliser différentes animations et formations, et expérimente, parfois avec difficultés, la participation à des consortiums. C'est la relation de longue durée avec la Fondation Konrad Adenauer, et ces 5 ou 6 ans d'appui à son programme propre, qui lui ont permis de construire ses savoirs-faire et ses compétences, et de pouvoir progressivement négocier d'autres appuis, d'autres financements.

19. Cf. Le Meur, 2008a pour la trajectoire voisine du CEDAC au Cambodge. 96 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

«A partirde 2006, nous n'avons plus rien reçude la Fondation comme appui.Maisce que SOS a pu mobiliserde 2006 à 2011,en termede finan­ cement et d'activités menées,je suis presque sûr que cela dépasse large­ mentl'enveloppe dépenséepar la fondation Adenauerau Niger » (idem).

Sans des appuis de ce type, assurant une certaine continuité et permet­ tant des apprentissages, le temps de se construire une crédibilité et une capacité à monter et négocier des financements, il est extrêmement diffi­ cile pour une Ong de passer le cap des premiers soutiens, puis de dépasser les actions ponctuelles et les hauts et bas de financement. Or, les pro­ grammes qui avaient joué ce rôle dans les années 1990 ont fermé. Rares sont les opportunités d'appui institutionnel dans la moyenne durée, per­ mettant d'assurer un fonctionnement de base et des apprentissages, tant techniques que gestionnaires, à travers des petits programmes d'activités. A côté de multiples formations souvent peu connectées aux besoins concrets des organisations, l'essentiel de l'offre de soutien financier cor­ respond désormais à des financements de courte durée par mise en concur­ rence ou sous-traitance, qui supposent acquises des capacités techniques ou gestionnaires dont ne disposent pas les Ong débutantes, ou les enferme dans des stratégies d'action qui ne sont pas les leurs.

- Gérer les hauts et les bas

Une association essentiellement militante, reposant sur l'investisse­ ment bénévole ou presque de membres, et une association de salariés pro­ fessionnels n'ont ni la même organisation, ni le même fonctionnement. Au Niger, la plupart des Ong sont dans un entre-deux inconfortable, aspi­ rant à se professionnaliser sans y arriver. En effet, maintenir une équipe avec des financements de court terme suppose de pouvoir développer un portefeuille de projets suffisamment large et diversifié, pour encaisser les fluctuations de ressources, dégager des frais administratifs suffisants pour couvrir les charges de structures et le personnel administratif, et idéale­ ment (si elles veulent réaliser leurs activités propres) dégager des marges permettant de financer des petites actions hors projet, ou de maintenir des activités - ou au moins une équipe minimale - entre deux phase de finan­ cement. Mais, il est difficile d'arriver à cumuler suffisamment de contrats pour assurer à la fois continuité de la structure et continuité des actions. La majeure partie des organisations passe par des hauts (lorsqu'un finance­ ment est obtenu) et des bas (entre deux), qui ont des conséquences impor­ tantes sur la dynamique de l'organisation. Tout d'abord, les frais administratifs ne permettent à la structure de financer un fonctionnement de base'", et en particulier le staff adminis-

20. Dans les appels d'offres pour des prestations de service, la marge du prestataire est en général incluse dans les prix unitaires du personnel, et les marges peuvent être plus élevées, ENTRE EXTRAVERSIONET MODERNITÉ INSÉCURISÉE 97 tratif minimum (secrétaire, comptable) indispensable au suivi des projets financés, que pour des organisations ayant suffisamment d'activités pour financer ces coûts de structure à partir des frais administratifs d'un nombre suffisant de projets. Les Ong ayant un petit financement nécessitant cepen­ dant des compétences comptables et administratives se retrouvent coin­ cées entre les exigences du financeur et leur capacité à recruter et main­ tenir de telles capacités. De plus l'Ong a dû engager des frais pour monter et négocier le projet (réunions, déplacements, secrétariat, photocopies, téléphone, etc., voire recours à des consultants pour rédiger le projet) et les frais administratifs servent aussi à faire face à des dépenses considérées comme non éligibles par le financeur (par exemple lorsqu'il n'est pas possible de faire des factures, ou des gratifications qui ne prennent pas la forme de salaires). Bien plus, au nom du bénévolat, certains bailleurs refusent de prendre en charge des frais administratifs ou de gestion, supposant qu'ils doivent être financés de façon autonome (mais comment ?), et sous-estimant le coût de la négociation et du suivi des projets pour les Ong.

« De plus en plus de partenaires disent "on finance le projet, on ne finance pas le fonctionnement". Je trouve que c'est tout à fait absurde. Si le projet vient, il y aura forcément des incidences, le téléphone, l'adminis­ tration etc., ça va coûter. Mais on dit "non, il n'y a rien", aucun frais admi­ nistratif. Actuellement, je suis en train de discuter avec une Ambassade pour réaliser des puits le long du fleuve. Ils disent "OK, c'est une activité ponctuelle qui va durer 3 mois, on ne finance pas le fonctionnement". Mais en même temps, ils me disent "on attend de vous les proforma, il faut envoyer par internet, si vous n'avez pas internet il faut faxer. Le télé­ phone, vous ne communiquez pas assez! On ne comprend pas". C'est absurde. [00.] Si on veut que la société civile n'avance pas, je pense que c'est la meilleure façon. C'est la meilleure stratégie pour la liquider parce que c'est clair que les organisations ne peuvent pas tenir comme ça. C'est clair. On le sait d'avance. On va 1000 fois financer les projets, les organi­ sations vont rester faibles» (responsable d'Ong, secteur éducation).

Enfin, l'énergie nécessaire pour mener les activités, respecter les délais, respecter les procédures, avec des ressources humaines insuffisantes ou insuffisamment compétentes pour l'ampleur du projet oblige à se concen­ trer sur le court terme et rend problématique la préparation de la suite.

«L'organisation de la société civile peut exécuter 1,2,3 projets, quand elle s'arrête, deux ans après, l'organisation se trouve au ras du sol. Parce qu'il n'y avait pas la certitude de financement pour la suite, il n'y avait pas un développement assez important des ressources humaines et des capa­ cités pour qu'elle puisse se dire que, pendant que nous sommes en train de mettre en œuvre, il faut que nous réfléchissions à d'autres opportunités à d'autres structures qui puissent appuyer le type d'activités que nous menons. On s'enferme comme ça, c'est deux ou trois mois avant la fin du projet, qu'on commence à prospecter, et c'est trop tard... » (idem). 98 AIDE INfERNATlONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

Cette précarité renforce la tentation, pour certains leaders n'arrivant pas à se stabiliser, de rentrer dans les mécanismes corruptifs d'accès aux financements, dans des stratégies mercenaires, ou d'accepter une instru­ mentalisation politique.

« Si vous n'avez pas le financement, vous ne pouvez pas avoir un personnel permanent. Si vous n'avez pas de financement, vous n'avez pas de visibilité parce que la presse et la télévision ont des difficultés à vous fréquenter. Donc soit vous avez des financements [provenant de l'aide], soit vous êtes mercenaires d'une force politique. Et c'est ce qui s'est passé avec Tazartché et anti Tazartché. Toutes les apparitions à la radio et à la télévision des autres acteurs n'étaient pas sorties de leur financement, ce n'était pas la caisse leur organisation qui paiyait tous ces voyages-là, en avion en classe affaire et tout» (responsable de réseau d'Ong).

Inversement, lorsque le matériel acquis dans le cadre du financement (véhicules, ordinateurs, etc.) demeure la propriété de l'OSC à la fin du projet, cela lui permet de se constituer un capital et une capacité de fonc­ tionnement.

- Autofinancer partiellement l'association... parfois en cachette du bailleur de fond Face à ces incertitudes, un des problèmes cruciaux des associations (et plus encore de leurs réseaux) est d'assurer un minimum d'auto-finance­ ment, alors même que les cotisations des membres sont limitées et que les financements externes sont aléatoires. Leurs responsables mettent en œuvre diverses stratégies d'autofinancement, plus ou moins efficaces, plus ou moins explicites. La vente de services semble moins fréquente que dans des pays où l'aide est plus rare, comme la République démocratique du Congo (Pirotte, Poncelet, Sindahiyebura et al, 2006). Des activités comme la microfinance permettent de dégager des ressources propres, grâce à des taux d'intérêts élevés. Les dotations en bâtiments ou en véhi­ cules reçues lors d'un appui institutionnel ou à l'occasion de financements de projets sont un levier important.

« L'achat du véhicule a été le vrai moteur déclencheur de notre équi­ libre financier. Cela nous a permis à la fois de réduire les coûts de déplace­ ment et d'avoir des fonds. [...]. Ça a beaucoup contribué à notre fonction­ nement. Quand il y a eu un retard pour l'approbation de la phase une à la phase deux [de notre projet], nous avons financé le personnel entièrement avec les ressources tirées des lignes "location" non dépensées et de la location du véhicule à l'extérieur. Et ça a été la même chose entre les phases trois et quatre. Il y a eu un retard dans le décaissement [des finan­ cements obtenus], là encore c'est le fond qui nous a permis de financer les salaires locaux, l'électricité, etc.» (responsable d'Ong, secteur de la santé). ENTRE EXTRAVERSION ET MODERNITÉ INSÉCURISÉE 99

Dans certaines associations, les membres qui mènent des actions dans le cadre de l'Ong reversent une partie des honoraires, ou des per diem touchés. De telles règles peuvent être institutionnalisées dans le manuel des procédures internes.

« Il Ya différentes structures ont institué un prélèvement sur les hono­ raires des membres pour s'autofinancer, mais où les reversements ne sont jamais effectifs. Mais vraiment au niveau de notre Ong, il y a une disci­ pline, c'est quelque chose que les gens font régulièrement, et cela ne pose aucun problème. Dès qu'un membre fait une prestation pour le compte de l'association, il lui reverse 25 % de ses honoraires. Ça assure le fonction­ nement de base de l'organisation. Et quand 1'0ng met un expert long terme sur un projet avec un bureau d'études, elle reçoit les honoraires du bureau d'études avant de le payer, et prélève sa marge à la source. [00.] On est devenu indépendants par la volonté de nos membres. En tous cas avec une bonne partie de ce qu'ils reçoivent comme honoraires dans la vie de l'organisation. Et ça continue aujourd'hui encore. Les membres de la structure sont connus pour être des consultants, pour animer des confé­ rences et une bonne partie de leurs revenus va dans les caisses de l'organi­ sation» (membre d'une association de promotion de la citoyenneté).

Les surfacturations sur les financements de l'aide est une autre possibi­ lité: une évaluation généreuse des moyens nécessaires et une certaine souplesse dans l'affectation des moyens permettent à certaines organisa­ tions de constituer des réserves, et de maintenir une action après la fin du financement, ou de financer leurs propres priorités, en termes d'actions ou de réunions statutaires.

« Parfois, les organisations que nous appuyons nous présentent des devis délirants, largement surfacturés. Je rouspète souvent contre mon siège qui les accepte. Mais en même temps, il faut reconnaître que ces organisations ont besoin de se financer des trucs non financés de l' exté­ rieur... » (chargé de programme expatrié d'une Ong internationale).

Surfacturation de photocopies, marges sur les repas ou pauses café lors d'atelier, voire marge sur les salaires ou honoraires distribués ne vont pas nécessairement dans la poche des responsables, ils servent aussi à l'autofi­ nancement de la structure, selon des règles parfois ad hoc, parfois très explicites en interne, souvent à l'insu du bailleur, parfois avec son accord explicite.

« Sur le budget d'une formation, il y a la reprographie il y a des repas, il y a la pause-café. Pour la reprographie, on trouvait toujours une Ong qui avait le matériel nécessaire et pouvait nous le faire à très bas prix, mais l'argent, on le reversait dans notre compte. Je ne le cachais pas, c'est quel­ que chose que j'ai fait avec [l 'Ong internationale qui nous finançait]. Et après j'ai expliqué cela au responsable de l'Ong qui nous a financés 100 AIDEINTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

ensuite. J'ai été claire avec lui: le repas qu'on facturait à 2500 ou à 3000, on s'arrangeait pour le faire à 1500 et on reversait l'argent dans notre compte. La pause-café, c'est la même chose. Lors de nos ateliers, on ne donnait pas de per diem. L'argent récupéré comme ça a financé notre local. Quand les gens partent en formation, ils reversent 10 % des per diem touchés à l'organisation. Moi, je vais à un atelier, on me donne des per diem de 5 ooo,je rapporte les 10%, c'est 500 francs. C'est quelque chose, 500 F, on peut faire plusieurs photocopies. On donne un reçu et on reverse» (ancienne présidente de réseau).

Mais tous les bailleurs de fonds n'acceptent pas cela, et une transpa­ rence complète pourrait représenter un risque pour ces organisations, en cas d'audit. En effet, les bailleurs de fonds sont de plus en plus stricts sur ce qu'ils acceptent de financer. Ils refusent en général de financer toute charge de structure, et les organisations ne peuvent assurer une part d'autofinancement qu'enjouant avec les règles.

« Il n'y a pas d'autres solutions! Je te donne l'exemple de mon organi­ sation: dans chaque projet qu'on monte, on a l'équipe du projet où tout le monde a un salaire pendant la durée du projet. Après c'est la précarité. Si on a la chance, avant la fin, on en a un autre c'est bien. Par rapport aux charges de loyer du bureau, on fait tout pour être en avance. Par exemple dans le budget, si vous budgétisez vos loyers à 100000, vous allez faire tout pour avoir un loyer de 50000 ce qui vous permet de payer le loyer pendant deux ans au lieu d'un. Mais une année où on n'avait pas de bureau, on a dû tout transférer chez moi. Et ça, ça arrive à toutes les asso­ ciations » (responsable d'Ong, secteur de la santé).

La résistance à la normalisation des outils, à la transparence comptable, à la clarté des démarches, peut ainsi refléter tant une volonté opportuniste de détournement de moyens à des fins d'enrichissement personnel que la volonté stratégique de poursuivre des objectifs politiques non affichés, et de pouvoir mobiliser une partie des ressources à cet effet. Elle répond aussi à une volonté d'autonomie, à un refus de la technicisation de l'ac­ tion Ong. La logique lucrative appliquée aux contrats avec les bailleurs de fonds, dénoncée comme preuve de la vénalité des responsables associatifs, peut être une condition pour que l'organisation puisse (à la marge au moins) mener sa propre politique ... et ce d'autant plus que les bailleurs refusent de financer le fonctionnement de l'organisation, en arguant d'un hypothé­ tique autofinancement. Et ces stratégies d'auto-financement, réponses contraintes aux problèmes posés par les règles de financement elles­ mêmes, sont, aux yeux d'un auditeur sourcilleux, des détournements du même type que ceux qui aboutissent à de l'enrichissement personnel... ce qui, sauf relation personnelle et de confiance avec son interlocuteur finan­ ceur, incite les organisations à les cacher. ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURISÉE 101

- Financer son projet propre

Pour les associations fondées sur un projet propre, s'ajoute la difficulté à trouver des financements pour les actions qu'elles veulent mener, cohé­ rentes avec ce projet. Les offres de financement sont liées à la politique des financeurs et à leurs priorités du moment. La rencontre entre « l'offre» et la « demande» est problématique sur plusieurs registres. En termes de thématique, tout d'abord. Certains financements sont ouverts dans leurs objets possibles (les fonds d'Ambassade, par exemple), mais la plupart sont ciblés sur des objets précis, comme le sida, l'environ­ nement, etc. Les bailleurs de fonds ont leurs propres priorités thématiques, liées aux attentes de leur opinion publique, aux directives de leurs conseils d'administration, à leurs priorités dans le pays. Mais dès lors que l'ob­ jectif affiché est le soutien à la société civile pour elle-même, un ciblage trop précis sur les priorités du financeur ne peut que favoriser les OSC qui entrent dans ses priorités, au risque de ne pas répondre à des problèmes portés par de façon autonome par certaines d'entre elles. Pour reprendre cet exemple, la jeune femme qui veut s'investir sur la prévention routière suite à une prise de conscience aura plus de difficultés à trouver une oreille attentive qu'une Ong mettant en avant la lutte contre le sida. En termes de stratégie ou de modalités de mise en œuvre, ensuite. Les financements thématiques sont en général liés à des cadrages plus ou moins étroits, qui définissent les objets possibles, les modes opératoires privilégiés, obligeant l'Ong à entrer dedans, quand bien même ceux-ci sont en contradiction avec sa propre politique, ses convictions, son savoir­ faire. C'est évidemment encore plus le cas pour les appels d'offres de prestations de service.

« [Une des organisations paysannes que nous appuyons] a une véri­ table réflexion sur la question de l'articulation entre urgence et développe­ ment. Elle internalise le fait qu'il y a des crises alimentaires tous les trois ou cinq ans et articule ses différentes actions sur les banque des céréales, le warrantage, etc. Lors de la crise alimentaire de 2005, ils ont mis en œuvre des actions d'urgence, sur financement externe. Mais ils refusent de les distinguer de leurs activités habituelles. Sauf pour les indigents, la fourniture d'aide alimentaire se fait toujours sous forme de prêt. Les stocks sont donnés aux banques de céréales, ça augmente le fond de roulement des banques de céréales, de leurs groupements et unions, et donc leur capacité à faire face aux prochaines crises. Mais c'était contraire à la poli­ tique du financeur, qui voulait que ça soit donné. C'est en cachette qu'ils ont vendu les céréales, pour pouvoir être cohérents avec leur politique, pour agir dans une perspective de moyen terme.» (chargé de programme expatrié d'une Ong internationale).

Une bonne part de l'offre de financement porte en effet sur de la sous­ traitance pour des Ong internationales ou des projets, sur des termes de références prédéterminés, ce qui oblige à rentrer dans des schémas prééta- 102 AIDE INTERNATIONALEET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER blis. Une autre part sur des appels à propositions, moins rigides mais qui prédéfinissent des thèmes, des approches. Certes, la sous-traitance ou la réalisation de contrats de prestations de service peuvent être des occasions d'apprentissage, en particulier sur le plan des méthodes, et du suivi admi­ nistratif et financier, mais le caractère prédéfini des actions à mener réduit les capacités d'expérimentation et d'apprentissage des Ong, quand il ne les oblige pas à faire des actions ou à utiliser des démarches auxquelles ils ne croient pas. Faute de pouvoir trouver des financements pour leur projet propre, les Ong sont obligées de répondre à des propositions plus ou moins en déca­ lage avec leurs conceptions. C'est d'autant plus le cas qu'elles ne sont pas sur un thème à la mode, n'ont pas acquis la notoriété qui leur permet d'être en position de négociation, ou que ce sont des Ong régionales, qui sont contraintes par l'offre de financement dans la région et l'évolution des priorités des bailleurs de fonds ou des Ong internationales qui y inter­ viennent. Sauf lorsqu'il y a une masse critique d'interventions sur les mêmes thèmes (comme Karkara sur le développement rural dans la région de Diffa), les Ong régionales ou locales peuvent en effet difficilement se spécialiser sur une seule thématique, et sont quasiment obligées d'être généralistes, ou de passer d'un thème à l'autre en fonction de l'évolution des financements, en tentant de faire valoir leur ancrage local, leur savoir faire d'animation. Quelques rares Ong trouvent à se faire financer leur stratégie propre, sur la base d'une alliance politique avec des Ong ou fondations du Nord. Elles disposent alors d'un financement annuel ou pluri-annuel, sur la base d'un programme relativement souple. Des antennes nationales de réseaux internationaux peuvent s'appuyer sur leur partenaire du Nord pour monter les projets et rechercher leurs financements, sans toujours avoir la main sur le contenu (c'est le cas de SOS Sahel: Montagner, 2(05). En pratique, à part les Ong militantes, en particulier lorsqu'elles n'ont pas de personnel permanent et donc de charges récurrentes trop lourdes, et les Ong profes­ sionnelles qui sont suffisamment consolidées et peuvent compter sur une diversité de projets, rares sont les structures qui peuvent s'offrir le luxe de refuser des propositions ou des opportunités pour des raisons de désac­ cord sur le fond.

Constituer et maintenir des ressources humaines, dans un contexte de faible formation et de compétition inégale

Les responsables associatifs font face à une autre difficulté, sur le versant des ressources humaines. On l'a souligné, le marché du travail au Niger est à la fois décomposé du fait du sous-emploi généralisé, et dans le champ du développement, totalement éclaté et sans références du fait de la gamme des salaires et honoraires offerts par l'aide et de leur décon­ nexion des salaires nationaux. Dès lors, construire et maintenir des res­ sources humaines suffisamment engagées dans l'association et de compé- ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURISÉE 103 tence cohérente avec le niveau et la complexité des activités menées est un challenge.

- Précarité financière, compétition inégale et labilité des ressources humaines La faiblesse des ressources et la précarité financière rend difficile d'at­ tirer et de maintenir des compétences. Eux-mêmes soumis à la précarité de leurs trajectoires, et aux pressions familiales, tant les volontaires ou bénévoles que les salariés techniciens ou le personnel administratif, cher­ chent légitimement des emplois plus sûrs, mieux rémunérés.

« On a eu par exemple à recruter une comptable. On s'est débrouillé pour trouver des fonds pour aller la former. Après sa formation, elle est revenue, elle n'a même pas fait 3 mois, elle a démissionné pour aller dans une autre Ong » (responsable d'Ong), « Notre chargé de programme avait été recruté en 1999, on le payait très bien. Il y a un an, le programme qu'il coordonnait s'est fini. Et la personne devait revenir à la direction de l'association pour travailler, en attendant de trouver un autre projet où il pourra aller. Quand je l'ai rencontré, avant la fin du projet, il m'a dit qu'il n'y a pas de problème, qu'il va revenir. Mais en fait, il négociait dans la même zone avec une autre Ong qui intervient là-bas. Il nous a lâchés. Nous, on a fait plus de dix ans en le formant, en le payant très bien. On l'avait mis dans toutes les conditions qu'il fallait. Avec tout l'investissement que l'on a eu à faire avec ce monsieur, il a été malhonnête avec nous! Jusqu'à présent, ça me travaille! (rires). Et ensuite qu'est-ce qui s'est passé? Le programme où il a été recruté a fermé en juin 2011 et il est revenu, il est là, il traine, ça fait maintenant presque 3 mois. Il n'a pas de boulot, chaque jour il vient chez nous. Actuellement, on a un poste vacant. Je suis en train de voir comment le faire revenir» (coordonnateur d'Ong).

Les projets étatiques financés par la coopération bi ou multilatérale.Ies Ong internationales, sans parler des institutions internationales et des agences locales des bailleurs de fonds eux-mêmes sont ainsi concurrents des Ong nationales sur le marché de l'emploi des cadres du développe­ ment et du personnel administratif. Dans un contexte de pénurie de cadres compétents, de comptables maîtrisant les règles des bailleurs de fonds, ils suscitent un «drainage interne des cerveaux» (Olivier de Sardan) au détriment des Ong nationales, qui peuvent difficilement offrir des condi­ tions équivalentes et subissent des pressions à la hausse sur les salaires qu'ils offrent. Le recours aux Ong nationales pour la fourniture de main­ d'œuvre, sans responsabilité opérationnelle de l'Ong, a les mêmes effets, car leur personnel est incité à rechercher un recrutement direct par le projet. Constituer et fidéliser des équipes expérimentées, qu'elles soient constituées de bénévoles ou de salariés, est une gageure, d'autant plus 104 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER que, en plus des différences de salaires et de conditions de travail, la plupart des Ong nationales peuvent difficilement offrir des perspectives de moyen terme à leur personnel. Un poste dans une Ong nationale est souvent perçu comme temporaire, une façon de se faire une expérience, de muscler son CV, afin de pouvoir partir ailleurs.

- Financement par projet, exigences de compétence et salariés « mercenaires»

« Ce qui se passe actuellement, c'est que aussitôt qu'il y a des res­ sources, on recrute du personnel, tout le monde devient professionnel, on oublie qu'on est militants» (responsable d'Ong, secteur de l'éducation).

Dans les organisations sans salariés permanents, dès lors qu'il y a un financement, les postes ou les prestations de services sont proposés en priorité aux fondateurs puis aux membres et aux volontaires. De telles pratiques sont critiquées comme relevant d'une logique c1ientéliste, où les responsables d'Ong cherchent à placer leurs parents et clients. Le fait que les responsables exercent une fonction salariée dans l'organisation qu'ils dirigent va contre le principe associatif de séparation des rôles. Mais, outre les logiques d'accumulation, c'est pour eux une façon de pouvoir se consacrer entièrement à leur organisation, de rentabiliser leur investisse­ ment associatif par des opportunités temporaires de gain. De même, accorder des postes aux membres ou aux volontaires est une façon de les récompenser pour leur investissement passé, de tenter de les fidéliser, une façon de permettre à certains de développer une expérience et des savoir­ faire, indispensable à une relative professionnalisation des individus et de l'organisation". De tels choix ne sont pas toujours cohérents par rapport aux compé­ tences requises par la mise en œuvre du projet. Bien plus, ils rendent problématique le contrôle, ce qui aboutit fréquemment à des crises, du fait de défaillances dans le suivi ou de détournements, favorisés par l'absence de séparation des responsabilités politiques et opérationnelles, et par les carences des dispositifs comptables, qui sont refusés par certains, non maîtrisés par d'autres. Plusieurs grosses organisations ont connu de graves crises suite à des lacunes dans le suivi des projets, des malversations, et ont dû, sous la contrainte, clarifier leurs règles internes.

« En 2005, Karkara a eu un litige avec la Coopération danoise sur un projet de formation mené avec l'État. Une livraison de matériel, de mau­ vaise qualité, a été réceptionnée conforme par le centre de formation étatique et le membre de Karkara qui suivait le projet. Suite à un audit, la

21. Sans compter que la faible confiance dans la fiabilité des gens pousse à compter sur des personnes proches (Lentz, 2009). ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURISÉE 105

coopération danoise refuse de payer ce matériel. Karkara reconnaît le problème, tout en considérant qu'il ya une responsabilité partagée avec le centre de formation. On a été obligés de rembourser une centaine de millions à la coopération danoise. On a mis 5 ans pour nous en remettre et ça nous a coupé un peu les ailes [...] Bon, voilà notre première crise de croissance. Les activités étant devenues nombreuses, on a laissé certains membres faire ce qu'ils voulaient. On n'avait pas un contrôle sur tout. Vous voyez? Ça nous a couté cher quand même. [...] Présentement ce qui est intéressant, c'est qu'au niveau de Karkara, vous n'allez pas trouver un membre fondateur qui exécute un programme. Ils sont tous dans le conseil d'administration, ils évaluent le travail, ils valident les plans d'action. C'est fini. Et ça, c'est aussi une des leçons tirées du litige avec la coopéra­ tion danoise. Puisque l'erreur à l'époque, c'était qu'il y avait des membres qui étaient à l'opérationnel, qui étaient influents, et leur influence leur a permis de poser des actes qu'on ne pouvait pas toujours contrôler» (secré­ taire exécutif de Karkara, Niamey, 7/03/10).

A l'inverse, les exigences des bailleurs de fonds en termes de compé­ tence du personnel pour gérer le projet peuvent aussi être contre-produc­ tives pour l'association. En effet, elles poussent à recruter du personnel spécifique, sur le marché du travail, en fonction des compétences exigées et pour une durée déterminée. Il n'est pas toujours aisé de recruter du personnel ayant la compétence nécessaire, aux conditions financières rendues possibles par le financement, et correspondant aux valeurs de l'association.

« Le débat que nous avons actuellement [dans notre association], c'est qu'on a un projet sur les budgets participatifs et le contrôle citoyen, on a besoin de recruter du personnel. La difficulté pour nous ce n'est pas l'as­ pect technique de la personne mais vraiment son engagement citoyen et civique: est-ce que la personne que nous recruterons se mettra au diapason de l'organisation? est-ce qu'elle s'adaptera aux objectifs? C'est ça notre préoccupation. On craint d'avoir des gens avec lesquels on rentrerait en conflit car il faut une vision partagée. On a beaucoup cette difficulté là, on cherche mais ce sont des exigences un peu difficiles à remplir» (membre d'une association d'éducation à la citoyenneté)

Mais surtout, ces salariés réalisent le projet pendant la période prévue, sans implication dans l'association elle-même. Comme disait un respon­ sable d'Ong, ce sont des «mercenaires », qui travaillent un an ici, un an là. Cela ne permet pas une capitalisation d'expérience, un apprentissage collectif de la structure, possible à réinvestir les activités habituelles et dans d'autres projets. Pendant ce temps, les membres et les volontaires habituels se sentent marginalisés et se démobilisent. Et à la fin du finance­ ment, ces salariés quittent pour chercher un nouveau poste ailleurs. Non seulement l'Ong n'a pas profité de ce projet pour renforcer son expérience et ses savoir-faire, mais elle peut ressortir fragilisée. 106 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

« Je pense que le fait que les financements viennent de façon aléatoire a un impact négatif. Dès que les ressources viennent, on oublie qu'il y a cet aspect militant. Soit on démultiplie les équipes, parce que le fait d'avoir 20 millions pour une année, 100 millions pour une année, ça crée de l'engoue­ ment. Mais un an ou 2 ans après, s'il n'y a plus rien, ça démotive plus que par le passé. [...] Soit on fait venir des professionnels d'ailleurs parce qu'on se dit "il faut réussir, il faut réussir", et on met de côté tous ceux qui ont été à l'origine de la chose. On a 100 millions une année, on dit aux membres "Ecoutez on a besoin de quelqu'un pour gérer les projets, vous de par votre formation vous ne pouvez pas gérer les projets. Il faut respecter les procé­ dures, on lance un avis d'appel d'offres, il faut un professionnel, pour qu'il travaille bien". Mais quand il travaille bien, c'est pour le projet. Ce n'est pas pour la dynamique de l'organisation. Et dès que le financement est fini, il s'en va. Le jour où il n'y a plus de ressources, on a découragé les premiers qui avaient la fibre militante, qui avaient le sentiment de faire volontaire­ ment. Démotivés, ils retournent dans leurs activités professionnelles d'avant, et lorsqu'il n'y a plus de ressources, on aura beau vouloir faire appel à eux, ils ne vont plus revenir, parce qu'on les a déconnectés. C'est un aspect clé de mon point de vue, et qu'on occulte, mais qui contribue beaucoup à tirer les organisations par le bas. Parce qu'il contribue à décou­ rager les militants» (responsable d'Ong, secteur de l'éducation).

- L'affaiblissement du militantisme Devoir gérer un projet trop gros pour sa structure, avec des exigences élevées en termes de professionnalisme, peut donc être un piège pour des organisations encore peu expérimentées. Avec la logique de réponse aux appels d'offres et la difficulté à trouver à financer son projet propre, cela contribue à affaiblir progressivement la dimension militante, sans oublier qu'il est ensuite difficile de renouer avec un fonctionnement de pénurie. Mise en avant par de nombreux observateurs, le recul de la dimension militante est reconnu par plusieurs membres d'associations d'éducation citoyenne ou de défense des droits de l'homme.

« [A l'époque], quand il n'y avait rien, on cotisait, on finançait de notre poche le fonctionnement de la structure. On ne venait pas pour trouver l'argent puisque de toutes les façons il n'y avait pas d'argent» (membre d'une association de défense des droits de l'homme). « Ceux qui étaient dans le bureau à l'époque, ce n'était pas des petites gens qui voulaient chercher à manger. Non, ce n'était pas ça. Mais petit à petit, on est venu à cette configuration où, quand vous regardez les bureaux, c'est les chômeurs, c'est des gens qui cherchent, enfin des gens qui sont particulièrement intéressés par l'argent. Et toutes les organisations ont connu pratiquement cette dynamique là. Avec l'argent qui circule, tout le monde a compris qu'il y a à boire et à manger» (universitaire, membre d'une association de défense des droits de l'homme).

Ce recul résulte selon eux d'une combinaison de facteurs. L'afflux de financement a fait venir dans les associations des gens moins engagés. Les ENTRE EXTRAVERSION ET MODERNITÉ INSÉCURISÉE 107 opportunités de financement ont fait prendre d'autres habitudes de fonc­ tionnement.

« Beaucoup disent que, quand on n'avait pas ces financements, on était plus motivés. On était très motivés pour aller sur le terrain, pour constater des cas de violations [des droits de l'homme]. Mais aujourd'hui, on a des difficultés à payer avec notre propre temps, à prendre notre véhicule, notre moto, pour faire le déplacement. On exige toujours des indemnités pour les frais de carburants, etc. Alors que dans le temps, lorsqu'il n'y avait pas tout ça, on se débrouillait par nous-mêmes. On était fier du travail qu'on faisait. Mais aujourd'hui tout est là, l'argent est là, donc on va rien faire sans rien» (militant d'association d'éducation à la citoyenneté).

Enfin, les désillusions des militants face à la difficulté à faire financer leur projet propre, le fait de devoir accepter des financements pour des projets dont ils ne partagent pas la stratégie ou les méthodes, le constat du succès matériel d'organisations opportunistes ou mercenaires, contribuent à accentuer la démobilisation. La distinction entre opportunisme et mili­ tantisme devient ainsi floue.

« Comme on dit dans un dicton haoussa "on ne sait pas celui qui mange la pâte tant que la sauce n'est pas terminée". Puisque la pâte n'a pratique­ ment pas de goût, c'est la sauce qui fait l'agrément. Donc, tant que la sauce n'est pas terminée, on ne sait pas celui qui mange réellement la pâte. Tant qu'il y a l'argent qui est là, qui circule, on ne sait pas celui qui est réellement là pour défendre l'objectif primordial et celui qui est là par intérêt» (universitaire, membre d'une association de défense des droits de l'homme).

Gérer l'extraversion et faire face, malgré tout ...

Les responsables d'associations interrogés ont une vision très lucide des contradictions auxquelles sont soumises les organisations dépendantes des ressources externes. Certains développent des stratégies pour tenter d'en réduire les risques, en termes de gestion des ressources humaines ou de recherche de formes d'autofinancement.

« Les structures que l'on est en train de gérer, elles sont trop fragiles. Ce que les membres acceptent, les permanents, les volontaires, les sala­ riés, ne l'acceptent pas. Les membres qui s'engagent dans la création de la structure, qui coordonnent la structure, ils doivent la tenir, qu'il y ait salaire ou pas, et dans la durée. Mais un permanent salarié, aussitôt que les salaires s'arrêtent, il s'en va [...]. Nous, voilà ce que nous avons dit dans notre manuel des procédures, pour des questions de pérennisation: en cas de recrutement, au niveau des projets, on vérifie d'abord les compétences. Si elles sont là au niveau des membres, qu'ils soient membres actifs ou membres fondateurs de l'Ong, s'il y a des compétences pour un poste 108 AIDE INTERNATIONALE ET socrérss CIVILES AU NIGER

déterminé, les membres sont prioritaires pour le recrutement parce que, eux, si on les recrute, ils vont faire le travail, et à la fin, ce sont des gens qui vont rester. Et s'il n'y a pas de ces compétences, on fait appel à l'exté­ rieur» (coordonnateur d'Ong).

Quelques rares Ong professionnelles ont réussi à se construire une légitimité et une crédibilité qui leur permet de postuler avec succès à des appels d'offres pour la mise en œuvre de projets importants, d'être solli­ citées pour des prestations. Combinant mise en œuvre de projets et exper­ tise, elles assurent un renouvellement de leur portefeuille d'activités et arrivent ainsi à stabiliser une équipe permanente compétente, des capacités administratives et comptables, au-delà des variations de volumes d'acti­ vités. Elles rejoignent de ce point de vue les Ong internationales sans ressources propres, qui tentent de concilier un engagement professionnel avec un modèle économique qui les rapproche de bureaux d'études et de gérer la tension entre professionnalisation des Ong et professionnalisation dans les Ong.

« À Karkara, on s'était positionné à la fois comme une structure qui offre des services de proximité aux populations, et comme une structure de gestion de projets vis-à-vis de l'Etat et vis-à-vis des Pl'F. En contre­ partie nos prestations et des responsabilités de maitrise d'œuvre et de maitrise d'ouvrage de projets, nous percevions des frais de gestion comme n'importe quel bureau d'étude ou comme n'importe quelle Ong internatio­ nale. Et ces fonds nous permettaient d'assurer le fonctionnement de la structure, de payer des cadres bien formés. Une partie de ces fonds servait aussi à soutenir des initiatives locales, hors projet. Ce qui permettait égale­ ment d'alimenter la qualité des interventions que nous faisions» (ancien responsable de Karkara).

Les organisations (en particulier dans le secteur altermondialiste, ou des droits de l'homme) qui réussissent à développer des partenariats dans la durée, avec une ou des organisations internationales soutenant leur mis­ sion, disposent d'un volume financier pluri-annuel, pour mettre en œuvre un programme plus ou moins précis, qui leur permet de financer l'équipe de base, de prendre en charge tout ou partie de leurs charges de structure, des activités quotidiennes. Sur cette base sécurisée, ils peuvent négocier des financements pour des projets plus ponctuels, sur lequel ils affectent temporairement certains de leurs membres, ou pour lesquels ils recrutent du personnel temporaire, sans être dépendants de tels contrats pour couvrir leurs charges de structure et maintenir une équipe minimale. Le risque est alors de dépendre d'un ou deux partenaires, et de ne pas réussir à rebondir s'ils font défaut. Un autre est que, les exigences en termes de programme d'actions et de rendus financiers étant en général moindres, l'organisa­ tion s'autorise un certain laxisme, au risque de faire face à une crise brutale lorsque le partenaire le découvre et que la confiance est rompue. L'ANDDH a en 2010 connu une crise de ce type. ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURlSÉE 109

« Un de nos partenaires s'est montré exigeant tout récemment. On a été obligés de vider six membres du bureau. Vous avez dû lire ça sûrement dans la presse. C'est un de nos partenaires qui a exigé cela. Et comme c'est lui qui est le pilier de la structure, on n'a pas eu le choix. [...] Peut être que sinon on aurait pris une décision plus souple. Plutôt que la suspen­ sion, on aurait prise une mesure plus intermédiaire, d'autant plus qu'on connaissait le niveau de gravité de la faute de chacun. [...] Du coup, l'as­ sociation est handicapée avec le départ de six membres. On est en train de chercher à convoquer un congrès extraordinaire pour pourvoir à ces postes­ là. Parce que, en ayant perdu six membres dont le secrétaire général et le secrétaire général adjoint, l'association ne peut plus fonctionner normale­ rnent » (membre du bureau de l'ANDDH, Niamey, 23/11110).

Cette crise s'est amplifiée en avril 2013, au moment de la passation de pouvoir avec le nouveau président et d'un état des comptes révélant de graves problèmes de gestion: nouveaux et anciens responsables se sont affrontés par presse interposée, et un incendie du siège de l'ANDDH a opportunément fait disparaître tous les documents comptables (Niger24, 2013a; 2013b; Le Canard Déchaîné, 2013). D'autres cherchent à limiter la dépendance aux financements externes, à ne pas trop grossir, pour assurer le maintien des missions de base sur base militante. C'est une stratégie exigeante, qui suppose de résister à des opportunités de financements qui risqueraient de déséquilibrer la struc­ ture, et de pouvoir négocier des financements correspondant à la politique de l'organisation.

«La réponse [au cercle vicieux des hauts et des bas] est double. D'abord, il faut garder à l'esprit l'aspect citoyen, l'aspect volontariste de la chose. Il faut faire ses activités de façon militante, de façon volontaire, même si on sait que le volontariat a des limites, qu'il y a des activités qui deviennent pérennes pour lesquelles il faut devenir professionnel, et avoir les revenus qui suivent. Ensuite, c'est garder à l'esprit cette rareté des ressources. C'est une réalité! Et la réponse, c'est de dire «évitons de démultiplier les équipes »: nous faisons telles et telles activités, sans ressources externes. Aujourd'hui que les ressources sont là, ça nous permet de mieux faire, mais gardons à l'esprit que, le jour où il n'y aura plus de ressources, on devra continuer à faire ces activités » (responsable d'Ong, secteur de l' éducati on).

D'autres organisations enfin, où l'investissement des membres est prioritaire, choisissent de refuser d'avoir un personnel permanent.

«Au dernier conseil général, on a décidé qu'on ne peut pas avoir un permanent ou un salarié en permanence, c'est un choix clair pour nous. Tout embauche de personnel, c'est à durée déterminée, et on ne peut donc le faire que sur un projet. On aura des salariés lorsqu'on aura un projet qui exige des compétences externes que nous n'avons pas. On ne va pas s'em­ bourber à prendre un personnel et tomber dans ce piège "il faut trouver à 110 AIDE INfERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

tout prix un financement pour faire face aux charges de structure". On reste vraiment jusque-là dans la ligne associative, on ne veut pas trop s'en écarter» (membre d'une association d'éducation à la citoyenneté).

Ong, « modernité insécurisée » et politiques des bailleurs de fonds

Prenant acte des cntiques portées sur les dérives opportunistes et mercantiles des OSC, ce chapitre souhaitait aller au-delà d'une lecture ne voyant dans les OSC - et ici plus particulièrement les Ong- que des orga­ nisations portées par une logique de captation de rente dans l'intérêt personnel des membres, et/ou asservies aux politiques des bailleurs de fonds. Il n'est évidemment pas question de nier que, grâce à la rente de l'aide, le secteur associatif soit devenu une source d'emploi ou d'accumu­ lation, ni que de nombreuses organisations sont au service des stratégies personnelles de leur fondateur, bien loin de l'idéal militant ou de toute notion d'utilité sociale. Dépassant les analyses trop systématiques, qui réduiraient les dynamiques des Ong à ces facteurs, mon objectif était de montrer qu'il existe une gamme de positions et de pratiques et que, pour une part, celles-ci découlent aussi de l'environnement social, politique et institutionnel dans lequel se déploient les organisations, environnement dont l'aide internationale est partie intégrante. Il était aussi de mettre en évidence les dilemmes qui se posent aux acteurs associatifs qui souhaitent travailler dans ce secteur par engagement politique ou professionnel, et les difficultés auxquels ils font face pour maintenir leur engagement, indi­ viduel et organisationnel. De ce point de vue, ce chapitre offre un éclai­ rage complémentaire sur les logiques de «démobilisation» mises en lumière par M.E. Pommerolle (2008) au Cameroun: ce ne sont pas seule­ ment les mouvements sociaux qui, «entre autoritarisme et militantisme extraverti », connaissent une telle démobilisation, mais aussi les Ong cherchant à intervenir sur le champ social, à construire la citoyenneté, à apporter de façon professionnelle des services aux populations. Les entretiens avec des responsables d'Ong, de différentes tailles et expériences, montrent bien la fragilité de la grande majorité des organisa­ tions, qui ont besoin de financements pour exercer leur mission mais n'ont pas réussi à se construire une place reconnue et à mobiliser une série de financements permettant d'assurer leur reproduction institutionnelle. Ils montrent aussi les difficultés auxquelles elles font face pour s'institution­ naliser, dans un double champ de contraintes. Celles d'un marché du tra­ vail sinistré, d'abord, qui fait du secteur de l'aide une des principales sources d'emploi ou de revenus, attirant de nombreux acteurs en quête d'emploi ou de compléments de revenus. Celles d'un secteur de l'aide, ensuite, qui suscite de nombreux opportunismes et apparaît comme une ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURISÉE 111 source dérégulée d'opportunités et d'accumulation pour peu qu'on sache maîtriser le langage-développement, développer les relations avec les acteurs internationaux, maîtriser les procédures. Dans un contexte d'« offre» importante en volume mais réduite en pratique et fortement normée, d'inégalités entre Ong nationales et internationales, de fortes asymétries d'information, de difficile maîtrise de procédures complexes et souvent inadaptées aux Ong à qui elles sont destinées, la logique de marché contribue à produire de la précarité et certaines procédures visant à la transparence financière handicapent la consolidation institutionnelle. Dès lors que la compétition pour les financements est la règle, que la maîtrise des procédures est complexe, que les dispositifs d'accompagne­ ment dans la durée sont plus rares qu'il y a dix ans, les inégalités d'accès sont importantes, les Ong qui n'ont pas bénéficié de ce type d'appui, qui n'ont pas été dans la première vague, ont de grandes difficultés à se stabi­ liser. Elles sont prises dans les contradictions de la modernité insécurisée, où l'on exige autonomie et responsabilité, dans un univers hautement compétitif. Les casquettes multiples, la recherche de per diem ou de bouts de revenus, l'impossibilité de respecter la distinction théorique entre admi­ nistrateurs et salariés de l'association, l'adhésion à une association dans l'espoir qu'un long « volontariat» permettre d'accéder à un contrat, le positionnement en simples prestataires sur un marché, les tentatives pour dégager des marges d'autofinancement dans des financements qui ne le permettent pas: bon nombre des comportements souvent reprochés aux acteurs des Ong se comprennent mieux dès lors que l'on prend acte de cette double insécurité. Ils en sont, pour une part, le produit. Cela n'an­ nule pas la réalité des logiques sociales de la réussite, les ambitions de big man de fondateurs d'Ong, les manipulations et les malversations. Il y a des tentations fortes, dans des organisations insuffisamment structurées et régulées, et dans un système d'aide où l'opportunisme et la corruption sont fréquents. Des organisations ayant pignon sur rue font face à des mal­ versations et des crises profondes. Mais il y a aussi de nombreux acteurs qui souhaitent mener des activités d'utilité sociale tout en essayant de « gagner un petit quelque chose », dans un contexte où « tout le monde se cherche ». Cette insécurité résulte pour une part du contexte national: l'absence d'alternative d'emploi, les ambiguïtés des rapports État/société civile, les crises institutionnelles successives, les problèmes de gouvernance qui ont renforcé la méfiance des bailleurs de fonds. Mais les bailleurs de fonds et les Ong internationales ont aussi leur part de responsabilité: en cherchant des sous-traitants plus que Ong autonomes ayant leur propre responsabi­ lité dans les choix de mise en œuvre et apprenant de leurs expériences; en mettant l'accent sur le respect de méthodologies et d'activités prédéfinis et sur le rendus de rapports plus que sur la capacité d'innovation, la perti­ nence de terrain et l'efficience; en soumettant de jeunes Ong au principe de la compétition pour des financements courts, et en imposant des normes 112 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER difficilement compatibles avec leurs capacités; en mettant en concurrence Ong internationales et Ong nationales sur les mêmes appels d'offres; en refusant de financer des frais administratifs; en confondant exigence de bonne gestion des ressources et parfaite traçabilité de la moindre dépense; en désorganisant le marché de l'emploi dans le secteur du développement à travers des salaires non régulés et des honoraires de consultation dispro­ portionnés par rapport aux revenus salariaux; en laissant l'administration ou les projets gérer les appels d'offres et manipuler l'accès à l'informa­ tion; en ayant des exigences très variables de qualité pour les bénéficiaires ou d'absence de conflits d'intérêts, ils contribuent à produire cette insécu­ rité, cet opportunisme et ces pratiques, à faire des Ong des prestataires de service lucratifs, et à réduire l'investissement militant. Face aux manques de compétences, aux défaillances internes, les bail­ leurs de fonds poussent à une professionnalisation. Mais, plus encore que pour les Ong du nord, cette professionnalisation est ambigüe (Freyss, 2004). Si elle n'est pas au service d'une « professionnalisation des Ong », qui concerne « la capacité collective à agir solidairement », à partir d'une analyse des sociétés, de démarches de recherche-action et d'apprentissage, d'actions dans la durée, la « professionnalisation dans les Ong », c'est-à• dire la mobilisation «dans 1'ONG des compétences techniques néces­ saires à l'efficacité de l'action» aboutit à une perte de sens, une balkani­ sation technique, sociale et territoriale de l'action et finalement une perte de sens et d'efficacité. La normalisation des techniques va de pair avec un alourdissement des procédures bureaucratiques, un éloignement du terrain, une perte d'engagement. « Par un effet pervers, la professionnalisation qui visait à mieux armer les ONG face aux exigences d'efficacité et donc à garantir leur survie, aboutit à son contraire» (idem: 765). « Ficeler un projet», « faire les rapports», « respecter les procédures» domine dans le langage des Ong nigériennes. Le souci de la pertinence et de la qualité des actions pour les bénéficiaires n'est pas toujours leur préoccupation première, comme dans les Ong du Nord et l'aide en général d'ailleurs. Toute organisation d'intervention sociale, au Nord comme au Sud, est soumise à une tension entre ses propres enjeux de reproduction institutionnelle (dont il serait naïf de penser qu'ils n'ont pas à exister !), et les exigences contradictoires de ses deux « clients», que sont les finan­ ceurs et les destinataires de son action (de Gaulejac, Bonetti et Fraisse, 1995). On peut se demander si le souci de la qualité pour les bénéficiaires peut être la priorité dans un tel contexte d'insécurité institutionnelle (cf. la citation en exergue). Il est en tous cas paradoxal de voir les bailleurs de fonds et les Ong internationales reprocher aux Ong nigériennes d'être des bureaux d'études déguisés, de penser d'abord en termes de contrats et de rendus, quand le système d'aide lui-même ne donne guère l'exemple en termes d'exigence de pertinence et de qualité, et est soumis à de multiples instrumentalisa­ tions; quand le financement même de l'aide est conçu et organisé sur une logique de compétition, d'appels d'offres, et de marché, de rapports tech- ENTRE EXTRAVERSION Er MODERNITÉ INSÉCURISÉE 113 niques et financiers; quand la relation aux financeurs est de plus en plus marquée par la bureaucratisation, les rapports, les rendus et de moins en moins par un dialogue sur les actions, leur sens et leur impact; quand les Ong internationales sont elles-mêmes de plus en plus soumises à cette logique de marché; quand la relative faiblesse de l'offre et l'absence quasi complète de possibilités d'autofinancement, rendent vitale la réussite à des appels d'offres très aléatoires. Ces pratiques sont donc aussi le produit des conditions dans lesquelles sont une bonne partie des organisations. Très rares sont celles qui dispo­ sent de ressources propres significatives. Or, comme le montre bien H. Mintzberg (1990), la structure des organisations est très dépendante de leur environnement, et en particulier de leur mode de financement. Des ressources stables sont nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre une stra­ tégie propre. Dès lors que les organisations ne maîtrisent pas leurs res­ sources, mais dépendent d'autres, la saisie d'opportunités est une stratégie nécessaire, y compris pour mettre en œuvre sa politique propre. C'est le cas de nombreuses Ong européennes ne disposant pas de ressources propres, qui vivent des contrats qu'ils négocient ou obtiennent. Toute organisation qui dépend d'autres pour ses ressources doit sécu­ riser sa relation avec ses fournisseurs de ressources tout en tentant de préserver sa stratégie propre: c'est un dilemme structure de l'intervention sociale (de Gaulejac et al., op.cit.). L'analyse de Loïc Barbedette (2011) sur les relations entre organisations paysannes et structures d'appui a sans aucun doute une validité plus générale: le problème des structures d'appui est de contrôler les organisations locales pour tenter d'assurer un impact (conforme à leurs propres projets), ce qui passe par des stratégies de réduction des marges de manœuvre de ces dernières, à travers la mise en concurrence des organisations demandeuses d'appui, à travers des formes contractualisation, d'imposition d'outils, de renforcement du suivi et du contrôle, quand ce n'est pas la sélection de leaders ou création d'organisa­ tions supposés dociles. Le problème des organisations locales, qui pour­ suivent souvent un double objectif technique et politique, est à l'inverse de sécuriser des ressources tout en conservant une autonomie dans l'usage de ces ressources. Elles cherchent à accroître leurs ressources externes et leur contrôle sur leurs actions, à travers des stratégies de construction de leur image et d'hégémonie sur la thématique ou la zone, de soumission apparente aux normes et aux outils, de détournement (d'objectifs ou de moyens), de blocage de l'accès au terrain, de maintien d'un flou straté­ gique sur les réalités locales, leurs objectifs stratégiques et leurs moyens. Ceci vaut tant pour les organisations opportunistes, branchées sur la rente de l'aide, que pour celles qui cherchent à construire et maintenir un projet politique propre au sein dans un environnement extraverti.

« Nous, on comprend la subtilité des bailleurs de fonds qui évidemment cherchent à émousser tout ce côté militant, etc. Il y a des programmes dans lesquels on travaille à vous bureaucratiser, on vous explique que c'est ça 114 AIDEINTERNATIONAlE ET SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

qu'il faut pour que vous soyez efficaces. On va vous donner des finance­ ments, mais vous allez d'abord faire un diagnostic, vous allez mettre une dimension bureaucratique, vous allez mettre en place un certain nombre d'outils de gestion, que ce soit une gestion financière ou une gestion des ressources humaines, etc., On vous donne même une formation pour vous dire comment il faut faire. Mais on n'est pas des imbéciles. On sait ce qu'on veut. Ce n'est pas un problème, ça! Ils peuvent demander ce qu'ils veulent. Mais nous, on sait ce qu'on fait. [...] Ça fait que personne ne se sent obligé de suivre les prescriptions des bailleurs. C'est un jeu, quoi, chacun a son intérêt, chacun a sa vision des choses ou son approche» (responsable d'une association altermondialiste, dans Hubaux, 2006: 155-156).

La relation entre OSC et financeurs (et cela vaut au-delà des seules Ong) est structurellement marquée par ces contradictions d'intérêts, ces jeux sur les règles dujeu, qui instrumentalisent le flou. Certains responsa­ bles d'OSC sont passés maîtres dans l'art de mettre en avant les contra­ dictions des politiques des bailleurs de fonds ou des Ong du Nord, de culpabiliser les partenaires pour maximiser leur marge de manœuvre, pour obtenir des financements en refusant la transparence sur l'usage qui en est fait et sur la réalité de leurs activités.

« Moi j'en ai vu qui sont allés jusqu'à faire du chantage à certains bailleurs de fonds [...] Ils disent qu'ils vont mettre dans les journaux leurs comportements, qu'ils vont les traduire en justice... Lorsque l'Ong qui vient solliciter le bailleur de fonds sait qu'il y a eu des financements qui ne devraient pas... - parce qu'ils suivent cela aussi! -, le bailleur de fonds se met en position de faiblesse» (responsable d'une Ong nigérienne d'appui aux associations).

Les stratégies pour maintenir le flou sur l'usage des ressources peuvent voiler des stratégies d'accumulation comme la poursuite d'une vision propre (les deux n'étant pas incompatibles, d'ailleurs !). La concurrence pour les ressources et la compétition pour le leadership alimentent les rumeurs de clientélisme, de corruption, de connivences inavouables entre financeurs et Ose. Il n'en demeure pas moins que ces discours mettent en avant des contradictions réelles, entre l'idéal associatif et la réalité de l'enchâssement social des organisations et de la modernité insécurisée de la société nigérienne, entre l'ambition affichée des bailleurs de fonds en termes de « renforcement de la société civile» et la réalité de pratiques accentuant la précarité institutionnelle et la course aux ressources, entre les objectifs de compétence et de redevabilité des procédures d'appel d'of­ fres et leurs effets en termes de bureaucratisation de l'action des Ong et de coupure du terrain. 3

Réguler la société civile? L'échec des projets de charte

« Sincèrement, il y a des gens qui travaillent, il y en a d'autres qui ne travaillent pas du tout, qui travaillent pour eux-mêmes. Et c'est cette caté­ gorie qui ne veut pas du tout de visibilité, qui ne veut pas du tout qu'on mette de l'ordre là-dedans. [...] Si la société civile ou une partie de la société civile ne veut pas tout cela [la charte], c'est parce qu'elle ne veut pas mettre en lumière tout ce qui se passe. C'est tout! [...]» (responsable d'une Ong nigérienne d'appui aux associations).

Opportunisme, faible transparence, problèmes de gouvernance interne et de redevabilité tant externe qu'interne, politisation... les critiques sur la société civile nigérienne sont largement convergentes (chapitre 1). Des expressions comme «c'est un processus mafieux qui s'est développé », « cela gâte le nom de tout le monde », «faire le ménage », « assainir », « filtrer» reviennent régulièrement dans les entretiens. Les interrogations sur la réalité des mouvements associatifs et leur respect de leurs propres principes sont assez générales. En 1996, Pierre­ Patrick Kaltenbach (1996), figure du mouvement associatif protestant, dénonçait pour la France les « associations lucratives sans but» issues de l'explosion associative des années 1975, de la multiplication des associa­ tions parapubliques, de l'afflux de financements publics. Au Niger, comme on l'a vu, l'afflux de financements externes a large­ ment contribué à l'effervescence associative. La gouvernance des associa­ tions emprunte au modèle chefferial et au modèle étatique. Les frontières entre leaders associatifs militants et leaders politiques, entre secteur asso­ ciatif et État entre secteur associatif et secteur privé sont ambiguës. La question des dérives par rapport à l'idéal associatif et celle de la régula­ tion des organisations de la société civile ont été posées au moins depuis 2000, à peine dix ans après l'explosion du nombre d'associations. 116 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

Codes, chartes: la régulation du secteur entre normes étatiques et privées

Tout secteur social est gouverné par un ensemble de nonnes. Celles-ci peuvent être formelles ou informelles, être édictées par l'État ou relever de nonnes privées. Avec le tournant néo-libéral, la régulation étatique tend à être contestée au profit d'une régulation privée, définie par les acteurs même du secteur. On assiste ainsi à une multiplication de codes, labels, etc., qui posent la question de leur contenu et de leurs mécanismes de vérification et de sanctions'. La question de la régulation se pose particu­ lièrement pour les professions ou les secteurs remplissant un rôle de service public ou ayant une fonction d'utilité sociale tant en relevant de logiques privées. Un certain nombre de professions, comme les médecins, les avocats, les notaires, sont ainsi auto-régulées par leurs ordres profes­ sionnels. Les secteurs de la société civile et des médias, qui doivent par nature être indépendants de l'État (ou en tous cas protégés d'interférences politiques) tout en assurant une déontologie, posent la question de la tension entre logique de régulation et logique d'auto-régulation. Dans le secteur des médias, la libéralisation de la presse après les transitions démocratiques a rapidement posé la question de sa régulation, devant le faible professionnalisme et les dérives de certains journaux, instruments partisans au service de leaders politiques, accusant sans enquête solide, jouant le jeu de l'instrumentalisation politique des identités. Des disposi­ tifs couplant régulation par l'État (à travers des instances de type Hautes Autorités de la Communication), pour l'attribution des fréquences, la gestion des aides à la presse, etc.) et auto-régulation pour les questions de déontologie, ont été mis en place au cours des qunize dernières années (Duplat, 2002), avec plus ou moins de succès. C'est le cas au Niger où, après une première tentative infructueuse, une instance d'auto-régulation, l'ONIMED (Observatoire nigérien des médias pour l'éthique et la déonto­ logie) a récemment été fondée, en contrepartie de la dépénalisation des délits de presse obtenue lors du régime de transition de Salou Djibo-. Dans le secteur des organisations de la société civile, on a assisté ces dernières années dans la sous-région à une multiplication de chartes et codes de déontologie: «charte des organisations de la société civile du Bénin» (février 2(09)3, « charte de collaboration» du Forum des OSC au Mali (septembre 2010)4, « charte éthique des organisations de la société civile» en Guinée (décembre 2010)5.

1. Borraz, 2005; Alphandery,Djama, Fortier et al., 2012; Bédécarratset Lapenu, 2012. 2. Les premiers manquements à la déontologie dénoncés ont suscité des réactions vigoureuses et peu déontologiques de la part des journaux concernés. 3. [http://www.mdscbenin.org/IMG/pdf/charte-de-la-societe-civile.pdf]. 4. [http://www.societecivilemali.org/IMG/pdf/Charte_FOSC_02_ec03_septembre_ 201O.pdf]. 5. [http://cnoscg.blogspot.com/p/charte.html] RÉGULER LA SOCIÉfÉ CIVILE? 117

Au Niger, la question a déjà une longue histoire. Au tournant des années 2000, la préparation de la Stratégie de réduction de la pauvreté (SRP) supposait la participation de « la société civile» et posait donc la question des organisations légitimes pour participer à cette réflexion. Lors de la Conférence sur le cadre d'intervention des Ong de développement de juin 2000, un projet de Code de bonne conduite avait été présenté et débattu. La finalisation et l'adoption, la vulgarisation du code faisait partie des recommandations de la conférence de 2001.

« On était dans la dynamique de la Stratégie de réduction de la pau­ vreté. Le ministère du plan a fait une étude sur la contribution des OSC à la SRP. Ils avaient fait une évaluation. Ils ont indiqué les insuffisances de la société civile et la nécessité de clarifier ce qui doit être considéré comme relevant de la société civile et ce qui ne doit pas en être. Je pense que c'est à partir de ce moment que les débats se sont grippés. Les gens avaient plus focalisé les débats sur la question des rapports à la politique: "pour l'ins­ tant il ya une confusion dans les rangs de la société civile. Les gens se réclament de la société civile mais on a l'impression ils font de la poli­ tique, donc il faut clarifier ça". Mais évidemment la grande crainte, c'était la question de la transparence financière dans la gestion des ressources octroyées. Le débat a été très vif, et finalement, même ceux qui se consi­ déraient comme faisant légitimement partie de la société civile se sont dit que les conditions risquaient d'être difficiles. Par conséquent, pour garder la cohésion du groupe, tout le monde a pensé qu'il fallait différer l'adop­ tion de cette charte. Pas la rejeter, la différer. Comme le projet de texte avait été rejeté, on s'est retrouvé à Taboua" pour définir la manière partici­ pative dont la société civile devrait être associée au processus de mise en œuvre de la SRP. Mais on était dans cette situation difficile où on n'avait pas de contours de ce qu'était la société civile pour discuter la façon de l'impliquer dans le processus de mise en œuvre ... A Tahoua, on n'a pas reposé la question de la charte. Ça n'a pas été reposé» (un des principaux animateurs des conférences).

Personne ne peut s'afficher contre un Code qui réaffirme les principes associatifs. Le projet de Code de bonne conduite a donc été jugé insuffi­ samment mûr et reporté à la conférence ultérieure, qui n'en a pas parlé. L'idée d'une Charte est cependant reprise par un noyau de responsables associatifs qui vont, à deux reprises et dans des configurations différentes, tenter de le relancer. Agent de santé, président multi-casquette du réseau des Ong du secteur de la santé, Ide Djermakoye est aussi fondateur d'une Ong de développement, 1'ONDPH. Militant étudiant lors de la transition démocratique, Marou Amadou est un fer de lance de la société civile mili­ tante, fondateur de plusieurs organisations comme FUSAD, CROISADE. Il sera un des piliers de la Coalition Equité-Qualité contre la vie chère en

6. A la Conférence sur le rôle des Ong et associations de développement dans la stra­ tégie de réduction de la pauvreté en 2001. 118 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

2005, des mobilisations anti-tazartchistes de 2009. Secrétaire général du SNEN, syndicat national des enseignants du Niger, Kassoum Issa est également engagé dans les mouvements de défense de la démocratie, à travers la CDSCN, Coordination démocratique de la société civile nigé­ rienne.

« Cette idée de charte, on l'avait depuis 2001. Avec un certain nombre d'organisations de la société civile, surtout la Coordination démocratique de la société civile, avec Kassoum Issa, et Marou Amadou, on avait réfléchi à la professionnalisation et à l'organisation de la société civile. Moi j'avais fait un papier en ce temps pour dire qu'il fallait qu'on s'orga­ nise, qu'on se professionnalise et qu'on se spécialise. Nous avons pensé qu'il fallait faire un conseil consultatif de la société civile. [...] On s'est dit que si on faisait ça, il fallait aussi qu'on pense aux mécanismes de régula­ tion. Donc pensons à une charte de la société civile qui va d'abord compiler tout ce que nous avons comme codes de conduite» (Ide Djer­ makoye, responsable de réseau d'OSC, secteur de la santé).

Frontières de ce qu'on appelle « société civile », critères de désigna­ tion des représentants, déontologie, transparence financière, lien au poli­ tique: les enjeux sont posés dès cette époque. Les propositions aussi, qui combinent une charte déontologique et une instance consultative. On les retrouvera, dans des combinaisons évolutives, tout au long de la décennie suivante, et ils cristalliseront les controverses autour des deux projets successifs de charte. En 2004-2006, ce noyau de responsables associatifs a sollicité un appui du PNUD, dans le cadre de la préparation du Forum Social Africain et des nominations au Conseil économique et social. Un projet de charte a été élaboré et largement débattu. Approuvé sans faire l'objet d'un réel consensus, il s'est enlisé. L'idée a été relancée en 2010, dans le contexte politique du régime de transition qui a suivi le coup d'État et l'échec de la tentative du Président Tandja de se maintenir au pouvoir. Nommé président du Conseil consultatif national, instance nommée jouant un rôle de parlement pendant cette phase de suspension des institutions, Marou Amadou s'investit fortement dans ce projet de charte qui, s'inscrit avec la rédaction de la nouvelle constitution, de l'élaboration du Pacte républicain, de la promulgation d'un charte des partis politiques, et dans un ensemble de mesures visant à dépolitiser l'administration, à démocra­ tiser et à moraliser la vie publique, et à prévenir les crises politiques à répétition qu'a connu le pays depuis la transition démocratique. Vivement attaqué, ce projet de charte sera adopté par le CCN du fait de la forte implication personnelle de Marou Amadou, mais ne sera pas promulgué par le gouvernement transitoire. Après être revenus sur les défaillances des régulations internes aux OSC et sur les carences de la régulation publique, nous analyserons dans ce chapitre ces deux tentatives de mettre en place une régulation de la société civile, et en particulier celle de 2011. En analysant ces deux tenta­ tives, les intentions de leurs promoteurs, les processus, les conflits et RÉGULER LA SOCIÉTÉ CIVILE? 119 controverses qu'elles ont suscités, les argumentaires mobilisés par ceux qui la promeuvent et ceux qui s'y opposent, notre objectif est de lire les enjeux sous-jacents à la question de la régulation et de comprendre les raisons de cet échec répété.

Les normes pratiques de la régulation des ose

Les normes formelles sont plus ou moins explicites, contraignantes, contradictoires entre elles. Elles supposent des autorités, pour les définir et en assurer le respect, que celui-ci soit censé résulter de l'intériorisation des normes, de la routinisation des comportements, du contrôle social, ou qu'il s'appuie sur un système de contrainte et de sanctions. Les pratiques des acteurs s'éloignent toujours, à des degrés variables, des normes formelles, pour des questions d'intérêts, de légitimité, de désa­ justement entre normes et pratiques du fait des dynamiques économiques, sociales ou politiques. Du fait, également, des tensions et contradictions entre les normes censées gérer tel secteur de la vie sociale, et les nomes sociales globales. C'est en particulier le cas dans les sociétés africaines, marquées par un fort pluralisme des normes et des institutions (Chauveau, Le Pape et Olivier de Sardan, 2001; Lund, 2001; Cooper, 2010). Les comportements jugés légitimes, ceux qui ne suscitent pas de réprobation, ne se légitiment pas tant par rapport aux normes formelles que par rapport à des « normes pratiques », plus ou moins éloignées des règles officielles (Olivier de Sardan, 2009a; 2010). Ce sont elles les repères concrets des acteurs, au quotidien. Elles peuvent être identifiées à travers l'observation des régularités des pratiques et l'analyse des justifications et des argumen­ taires mobilisés lors des conflits autour des pratiques. Dans une étude récente sur les «comportements non-observants » dans la fonction publique, le LASDEL identifie ainsi une série de normes pratiques courantes au sein de l'administration, comme « il faut récompenser les meilleurs militants et les notables du parti par des nominations à des postes du haut en bas de l'administration»; «remplir ses obligations sociales passe avant les obligations professionnelles»; « sanctionner un subordonner est source de réprobation et de problèmes qu'il vaut mieux éviter », etc. (Olivier de Sardan, 2014: 33). Si les normes pratiques sont bien l'entrée analytique pour comprendre les pratiques, l'analyse des écarts entre les normes officielles et les prati­ ques n'en demeure pas moins importante. Dans une perspective de change­ ment, la tension entre normes pratiques et normes officielles, et la capacité à faire évoluer les premières en redéfinissant les secondes ou en assurant une plus grande pression pour leur respect, sont des dimensions cruciales. S'intéresser, dans cette section, aux défaillances de la régulation for­ melle n'est donc pas sacrifier à une vision normative et sociologiquement 120 AIDE INfERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILESAU NIGER naïve de la régulation. Dès lors qu'un certain nombre de comportements sont dénoncés, il s'agit de s'intéresser aux facteurs qui expliquent leur prévalence et l'absence ou la faiblesse des sanctions ou de réprobation et, à travers l'analyse des défaillances, de mettre en avant les normes prati­ ques en cours. Loin de toute vision normative selon laquelle la régulation se limiterait à la mise en œuvre des règles officielles et aux mécanismes de contrôle et de sanction.je prends ici le terme au sens socio-politique:

« La notion de régulation désigne la manière de codifier des règles légitimes ou de les recomposer. On pense immédiatement à l'édifice des énoncés juridiques. Mais l'idée de régulation a conduit plus largement à s'intéresser aussi à l'élaboration des règles, c'est-à-dire aux ajustements sociaux et aux compromis qui les rendent acceptables» (Gaudin, 2004): 193).

« Loyalty » et « exit» plus que « voice »: les limites de la régulation interne aux ose

Dans la théorie associative, les statuts d'une association constituent sa constitution. Ils définissent sa vocation et sa gouvernance. Le pouvoir est détenu par l'assemblée générale qui définit la politique de l'association, qui délègue ses pouvoirs à un organe exécutif qui élit son président en son sein. Cet organe est responsable devant l'assemblée générale, lui rend compte de ses activités et de sa gestion, et reçoit quitus. Les élections régulières permettent de réaffirmer la légitimité de l'exécutif, et d'orga­ niser de façon pacifique les changements de personne en son sein. Ce schéma n'est qu'en partie respecté dans de nombreuses associations, en France et ailleurs: nombreuses sont les associations où l'investissement des membres est minime, où le fondateur, charismatique, contrôle en pra­ tique l'association et est quasiment inamovible, où les assemblées géné­ rales sont essentiellement des chambres d'enregistrement. La transparence financière n'est qu'apparente. Le degré d'institutionnalisation de l'asso­ ciation dépend beaucoup de sa taille et de ses fonctions, d'une part (et en particulier des ressources dont elle dispose), d'une part, et de son histoire de l'autre. L'analyse que nous avons faite des dynamiques internes et du leader­ ship au sein des OSC nigériennes montre que peu d'organisations repo­ sent sur l'engagement collectif d'un ensemble de membres et une éthique du fonctionnement associatif. La plupart résultent de l'initiative d'un leader ou d'un petit noyau de personnes, et sont très personnalisées. Nombreuses sont celles qui sont de fait identifiées à leur leader, lequel tendent à les considérer comme un bien privé (« mon association »). Souvent assez loin de l'exigence de démocratie interne et de remise en jeu régulière des mandats, les modes de gouvernance des associations repo­ sent sur une hybridation entre modes chefferial, étatique et syndical de gouvernance, autant sinon plus que sur un mode associatif des associa- RÉGULER LA SOCIÉTÉ CIVILE? 121 tions. Dans les organisations à large réseau de membres, dispersés géogra­ phiquement, les AG, au coût d'organisation élevé, ne sont pas régulières. Les relations internes au sein de l'association sont marquées par des rapports clientélistes au(x) fondateur(s). Nombreuses sont celles qui se réduisent à quelques membres réellement actifs, qui tirent des avantages divers de leur relation aux leaders, ou espèrent en tirer à travers accès aux postes ou aux opportunités de revenus, et sont donc d'autant moins enclins à contester les pratiques des dirigeants qu'ils en attendent des services, l'accès à des rétributions voire des postes, du fait même de la gestion clientéliste de l'association. Les associations sont faiblement institutionnalisées au sens où leur dynamique est peu structurée par les règles associatives. Disposant eux­ mêmes d'une culture associative et démocratique variable, ces membres ne s'intéressent guère aux textes statutaires, sauf parfois de façon oppor­ tuniste et n'en font pas un levier pour régir le fonctionnement interne de l'association. En dehors des associations fondées sur un projet collectif, où les règles collectives ont pu faire l'objet de longs débats (par exemple sur la façon d'assurer une part d'autofinancement à partir des prestations réalisées par les membres; cf. chapitre 2), les statuts et règlements intéri­ eurs ont été le plus souvent élaborés de façon standardisés. Ils sont vite oubliés, ne répondent de toutes façons pas aux problèmes concrets de gouvernance et de régulation des intérêts au sein de l'organisation (ce qui, là encore, n'a rien de spécifique au Niger). Des trois modes d'expression des désaccords identifiés par Hirschman (1970), exit, voice et loyaltyl; la loyalty (le fait de taire ses désaccords et de demeurer fidèle à l'organisation) l'emporte pour ceux qui sont en dépendance clientéliste avec les leaders ou n'ont pas d'alternative; l'exit, le fait de partir, domine pour les autres. La voice, le fait de prendre la parole pour contester et faire changer de l'intérieur, n'apparait pas comme l'option principale, ou alors dans des conflits qui prennent la forme de conflits de personne. En particulier, le principe de remise enjeu régulière des mandats" n'est que partiellement internalisé. Les AG se tiennent irrégulièrement, rares sont les cas d'élection formelle, avec candidatures ouvertes. Le renouvel­ lement des dirigeants tient avant tout à leur propre volonté de passer la main. De ce fait, les contestations, les tensions et conflits sur les modes de gouvernance ne se règlent guère de façon institutionnalisée, lors des AG, par le refus de donner quitus à l'équipe sortante, par le fait que de

7. Auxquels Bajoit (1988) ajoute l'apathie. 8. Précisons ici que, contrairement à une idée répandue en Afrique, le principe associ­ atif n'impose pas le changement régulier des équipes dirigeantes. Ce qu'il prévoit est d'une part le quitus donné à l'équipe sortante (l'assemblée générale approuvant et assumant ainsi les activités et la gestion réalisée), et d'autre part la remise en jeu régulière des mandats, à durée déterminée, afin que l'équipe exécutive de la période suivante soit légitimée par le vote des membres, que cette équipe soit maintenue identique ou connaisse une recomposi­ tion plus ou moins importante. 122 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER nouveaux membres voire de nouvelles équipes proposent leur candidature à l'organe exécutif. Ils prennent fréquemment la forme d'une opposition de personnes, ou sont interprétés comme tels. Faute de pouvoir trouver une forme institutionnalisée et de se régler via la sanction du vote, ils débouchent sur le départ des opposants, qui vont rejoindre une autre orga­ nisation, ou même plutôt en fonder une nouvelle pour ceux qui en ont l'ambition. On peut ainsi retracer la généalogie de certaines organisations par les conflits successifs au sein de l'équipe fondatrice, et les départs successifs des opposants, partant fonder leur propre organisation, sur une logique quasiment segmentaire". Dès lors, les appels au respect des statuts, à l'actualisation des textes fondateurs, régulièrement répétés lors des ateliers ou mis en avant par les consultants en appui institutionnel, sonnent relativement creux. Les statuts n'ont pas d'effectivité par eux-mêmes. Ils ne peuvent servir dans la gou­ vernance des associations que s'ils sont mobilisés par les membres pour organiser la vie de l'association, légitimer des comportements ou en contester d'autres (pour normaliser la façon de recruter, de tenir .les comptes, et réduire ainsi l'arbitraire) dans le fonctionnement statutaire (assemblées, durée des mandats, élections, etc.). Que s'ils sont une réfé­ rence suffisamment partagée pour que la contestation de pratiques ou la revendication de respect de telle ou telle règle puissent être légitimées par rapport aux règles statutaires, et pas (ou pas seulement...) perçus comme une attaque personnelle. Actualiser et adapter les statuts et le règlement intérieur n'a de sens que s'il y a une volonté partagée de se doter de règles d'action collective réduisant les capacités à agir de chacun (et en particu­ lier des dirigeants) au service d'un projet partagé. Se référer aux statuts dans la vie d'une association, au-delà d'un usage instrumental lors de conflits de personne, suppose un degré suffisant d'ins­ titutionnalisation de l'association, une culture associative et démocratique suffisamment ancrée au sein des membres, pour qu'ils soient une réfé­ rence normale et régulière pour réguler les rapports interpersonnels et les enjeux de pouvoir (qui bien évidemment ne s'annulent pas dans la vie quotidienne de l'organisation). Diffuser une culture associative et démo­ cratique est certes important pour que les membres disposent de références et puissent pousser à une évolution des modes de gouvernance, mais cela ne suffit évidemment pas à transformer la gouvernance interne d'organi­ sations fondées sur une logique de big man. En pratique, cependant, comme dans toute organisation, ce sont les crises qui, si elles n'aboutissent pas à une scission ou une disparition de l'association, obligent à poser les problèmes de gouvernance, à modifier les règles, à les matérialiser dans des statuts ou des règlements intérieurs revus. Karkara, on l'a vu, en a fait l'expérience (cf. chapitre 2).

9. Evidemment, de nombreuses associations en France ou ailleurs connaissent des conflits, des crises de gouvernance. La plus forte institutionnalisation des principes associ­ atifs favorise leur règlement par le jeu électoral, mais ne le garantit pas. RÉGULER LA SOCIÉTÉ CIVILE? 123

Une régulation publique fondée sur le laisser-faire et la menace de sanction politique

Du yoint de vue légal, les organisations de la société civile reconnues par l'Etat relèvent de l'ordonnance 84-06 du I" mars 1984, modifiée par l'ordonnance, n084-50 du 5 décembre 1984 et la loi n091-oo6 du 20 mai 1991. Considéré comme obsolète par de nombreux observateurs, au sens où il date d'une période autoritaire, et est antérieur à l'explosion du secteur, ce texte se base sur un principe d'autorisation, où l'enregistre­ ment d'une association dépend de son autorisation d'exercer, délivrée par le Ministère de l'Intérieur, autorisation qui devient vite un outil de contrôle politique des associations.

« On est dans un régimed'autorisation. Une fois que vous avez déposé le dossier,il faut attendre trois ou quatre mois avant d'avoir l'autorisation d'exercice. Souventça traine. Il y a aujourd'hui des milliersd'associations qui n'ont jamais été reconnues. Ce n'est même pas des refus. On vous laisse trainer. Un dossier peutfaire trois ans. Et le drame c'est que pendant les trois ans on ne te dit pas que tu es reconnu,on ne te dit pas aussi que tu n'es pas reconnu. On laisse le flou. Imagine qu'on ne t'ait pas dit que tu n'étais pas reconnu et un jour on te voit à la télé, tu fais une activité, si ta tête ne plait pas, on peut se rappelerqu'on ne t'a pas donné l'autorisation. Mais si ce que tu faisais le jour là plaisait aux gens, tant mieux» (respon­ sable d'Ong, secteur santé).

Du fait des délais d'obtention de l'autorisation, de nombreuses asso­ ciations fonctionnent avec le récépissé provisoire de dépôt du dossier. L'autorisation vient tardivement, en fonction des lourdeurs administra­ tives, de l'ampleur des démarches faites par les promoteurs, et ne vient parfois jamais, du fait de l'arbitraire bureaucratique ou d'une instrumenta­ lisation politique. Ainsi, la légalité des coordinations d'organisations de la société civile mobilisées pendant la Coalition qualité/équité contre la vie chère a pu être contestée au titre que la loi ne prévoit pas explicitement des regroupements de ce niveau. Bien qu'elle ait été créée sous l'impul­ sion de l'Etat et des bailleurs de fonds, la Chambre de concertation des Ong et associations de développement a attendu près de dix ans son auto­ risation, et ne l'a eue en 2010 que grâce au régime de transition. Les Ong sectorielles ont en plus comme interlocuteur leur ministère sectoriel de référence, ce qui complexifie la question des relations institu­ tionnelles avec l'État, d'autant que ces ministères n'ont pas toujours mis en place d'instance et de modalités de suivi.

« Moi, mon association s'occupe de la santé, mon correspondant direct c'est le ministère de la santé. Mais il n'y a pas un servicequi va s'occuper de ça spécifiquement. Pourtantil y a des centaines d'associations qui relè­ ventdu ministère de la santé.Mêmeparmiles grandes Ong,rares sontcelles qui déposentleurs rapports. Parce que l'État ne leur a jamais demandé. Ou 124 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

bien tu fais une fois, deuxfois, troisfois, et puis tu arrêtes. Mais ces mêmes Ong envoient leurs rapports à leurs partenaires parce qu'ils le demandent, vousêtes obligéde les rendre» (responsable d'association de santé).

Enfin, les Ong et associations de développement sont suivies au niveau de la DONGAD (Direction des Ong et associations de développement), rattachée au Ministère du développement communautaire ou du plan selon les périodes. Elles doivent signer avec l'État un Protocole d'accord­ type (PAT) qui définit les conditions de détaxe et fait obligation aux asso­ ciations de rendre un rapport annuel d'activités. Le suivi est largement théorique, les bases de données ne sont pas à jour. La relation est essen­ tiellement bureaucratique, fondée sur cette obligation de rapports qui n'est que très partiellement respectée et ne fait guère l'objet de relances, l'ob­ tention des exonérations fiscales étant la seule incitation à respecter cette règle.

«Il n'y a pas d'évaluation des Ong. Le seul élément, ce sont les rapportsd'activités. Mais les Ong peuvent ne pas dire toute la vérité dans ces rapports... Même celles qui ont le protocole d'accord sont rares à fournir leurs rapports, même si c'est une condition pour avoir les exonéra­ tions. Il faut qu'il soit remis fin avril au plus tard pour l'année N-l. Aujourd'hui nous sommes le 7 avril, il n'y a pas 20% des Ong qui ont remis leur rapport... Il y a des Ong qui ne déposent leur rapport que pour les exonérations,en novembreou en décembre,elles le joignent au dossier parce qu'elles savent que c'est indispensable. C'est notre seul moyen de pression: on vise les demandes d'exonérations. Pourtant le protocole est clair "l'État peut à tout moment contrôler les actions". C'est le devoir des Impôts, des douanes, de la DONGAD. Mais l'État n'a jamais débloqué des moyens» (directeurde la DONGAD).

Dès lors qu'une association ne remplit pas ses engagements, la DONGAD peut demander au ministère de l'Intérieur de retirer son autori­ sation. Malgré de nombreux cas d'organisations frauduleuses, il n'y a semble-t-il guère eu de cas de retrait de l'autorisation d'exercer!". En pratique, « il n'existe pas de contrôle a priori ni même a posteriori des activités des associations au Niger », reconnait le Portail des plates-formes nationales d'ONG pour une diplomatie non-~ouvemementale, sauf dans certains cas de malversations massives. L'Etat a certes le pouvoir de dissoudre une association « qui se livrerait à des activités non prévues par ses statuts, ou dont l'activité se révélerait contraire à l'ordre public» (art. 26) mais ne l'exerce pas en pratique, sauf pour des raisons politiques: en 2007, cinq associations nigériennes ont été menacées de dissolution pour avoir voulu restituer les résultats d'une étude sur la situation alimentaire (Tchemo, 2007).

10. Seuls deux cas m'ont été cités, pendant la transition de 2010-2011, du fait de J'engagement pro-tazartchiste des organisations. RÉGULER LA SOCIÉTÉ CIVILE? 125

Cette absence de régulation découle en partie de problèmes de moyens de l'État. Comme de nombreux services de l'État, les instances chargées du suivi des Ong ont souffert de l'ajustement structurel et fonctionnent largement avec des volontaires du service civique. Le ministère de l'Inté­ rieur n'a selon certains informateurs pas de ligne budgétaire pour cette fonction. La DONGAD a peu de ressources humaines au siège.

« Quand je suis arrivé à la DONGAD, on n'était que quatre. A cette époque, l'administration était complètement dénudée, il n'y avait pas beaucoup de personnes. Si vous venez dans une direction, probablement, le seul cadre, c'est le Directeur. Tous les autres, ce sont des appelés du service civique. Moi, dans ma direction, j'avais un cadre plus la secrétaire, et une dizaine de "civicards" qui venaient quand ils voulaient. Ce n'est pas évident d'avoir un personnel qui puisse piloter une structure comme ça. Si vous demandez du personnel, c'est un civicard qu'on va vous envoyer ou bien une femme avec un bébé qui ne peut pas travailler longtemps» (ancien directeur DONGAD).

La double ou triple tutelle des associations ne facilite pas les choses, du fait de manque de coordination intersectorielle et de rivalités inter-ins­ titutionnelles.

« Nous, nous sommes dans le côté opérationnel des Ong et des asso­ ciations. Eux, au Ministère de l'Intérieur, ils sont dans le côté politique. Donc, eux, c'est eux qui octroient les agréments. C'est eux normalement qui devraient les retirer. Même si nous, on leur écrit pour leur demander de prendre des dispositions, ils n'ont jamais pris quoique ce soit comme décision en terme de... et d'ailleurs, il n'y a même pas un cadre clair de collaboration entre nous en dehors du fait que nous, on doit donner nos avis sur les demandes d'agréments des Ong. Il n'y a pas un cadre de travail qui nous permette de nous asseoir périodiquement pour dire "par rapport au secteur des organisations de la société civile, voilà les problèmes qu'il y a, voilà les dispositions à prendre et qui doit prendre ces dispositions-là". Du coup chacun agit selon ce qu'il pense et chacun est jaloux de ses attri­ butions» (ancien cadre de la DONGAD).

Mais, comme le reconnaît cet ancien Directeur de la DONGAD, il s'agit d'abord d'une politique de laisser-faire.

«Bon, là, on a laissé faire. Et c'était l'un des principaux griefs que les partenaires au développement nous faisaient. Ils disaient que le ministère ne jouait pas son rôle de contrôle ou bien de réglementation. [...] On ne prenait aucune mesure, aucune sanction. On voyait des Ong qui faisaient des manquements graves sur le terrain, on laissait faire. Parce qu'une Ong qui fait 3 ans de suite sans envoyer de rapports, normalement, on doit lui retirer l'agrément. Qu'elle soit une Ong nationale ou étrangère, on doit lui retirer l'agrément. Et aucun agrément n'a été retiré. Et aucune sanction à des individus n'a été prononcée non plus. Donc, je pense que l'État n'a pas joué son rôle non plus» (ancien cadre de la DONGAD). 126 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

L'État préfère fermer les yeux, ou traiter les problèmes autrement que par le droit. La non-délivrance des autorisations d'exercer, les manque­ ments aux règles (comme la fourniture des rapports) entretiennent une situation d'illégalité qui permet à l'administration de sanctionner lors­ qu'elle considère qu'une association pose un problème politique ou éven­ tuellement d'ordre public. La volonté de régulation est d'autant plus faible que de nombreuses organisations, tout autant en marge de la règle que les autres, ont été créées par des hommes politiques, des cadres de l'adminis­ tration ou des commerçants hauts placés qui bénéficient indûment de défiscalisation. Et que les petits arrangements sur l'autorisation des asso­ ciations ou sur la négociation des exonérations fiscales, sont apparemment nombreux.

« L'État a constaté que beaucoup d'exonérations se retrouvent dans notre fameux marché de Katako. Les gens ne les utilisent pas pour faire des activités mais pour leur enrichissement personnel. Et il Ya la fraude qui est fortement développée. Ça pénalise ceux qui sont de bonne foi,je le dis vraiment, ceux qui sont au service des populations. Mais les fraudeurs sont toujours là pour réclamer ça pour leur propre bénéfice. La corruption n'épargne aucun secteur de l'administration» (expert en renforcement institutionnel).

Plus que d'une politique de clarification du cadre et des pratiques du secteur associatif, la gestion des associations par l'État relève d'une somme de flous et d'arrangements, d'une «gestion de la confusion» (Mathieu, 1996) pouvant à l'occasion être instrumentalisée politiquement. Une telle confusion sert évidemment certaines ose qui y trouvent aussi des intérêts.

« A qui sert la désorganisation? À tout le monde. Pour quoi les gens aiment l'informel? Parce que dans l'informel, on ne peut pas contrôler, il n'y a pas de transparence. [00.] Ça arrange tout le monde parce que les gens font ce qu'ils veulent. Les gens ne font que se plaindre, mais il n'y a pas d'actions. Vous ne faites pas des actes pour résoudre les problèmes. Vous ne faites que parler de ça. Ça ne peut pas faire avancer le pays» (expert institutionnel).

Le fait que, avant le PASOe, ni l'État, ni les ose, n'aient véritable­ ment pris des initiatives pour mettre à jour l'ordonnance de 1984, large­ ment considérée comme obsolète, en est un symptômeIl : à l'inverse, le protocole d'accord type entre Ong/associations de développement et l'État, valable pour 5 ans, a lui été revu, avec d'âpres débats sur les condi­ tions d'exonération fiscale...

Il. Il Y a eu sembie-t-il une initiative du ministère de l'Intérieur, au milieu des années 2000, qui n'a pas abouti. RÉGULER LA SOCIÉTÉ CIVILE? 127

Les exigences ambigües des bailleurs de fonds en termes de redevabilité

Dans les discours, bailleurs de fonds comme Ong internationales met­ tent l'accent sur une société civile autonome, transparente, au service des citoyens et de la démocratie. Ils insistent sur la nécessaire redevabilité des Ong, tant vis-à-vis des bénéficiaires des actions que vis-à-vis d'eux­ mêmes. Pourtant, leurs exigences sont à géométrie variable et ils sont loin d'être toujours cohérents avec ces principes dans leurs propres pratiques. On sait que les mécanismes d'attribution de l'aide sont loin d'être toujours transparents, que celle-ci sert des enjeux politiques ou économiques du pays donateur, que les projets de développement - en particulier sur prêts - sont propices à la corruption. Alors qu'ils affirment que les admi­ nistrations du pays receveur sont en première ligne, ils multiplient les formes de contrôle ou d'influence, allant parfois jusqu'à tenter d'imposer tel prestataire national. En ce qui concerne les associations, l'exigence de transparence porte plus sur la redevabilité financière vis-à-vis du bailleur que sur la redevabilité vis-à-vis des bénéficiaires'", Enfin, les bailleurs de fonds financent fréquemment des OSC dirigées par des hauts cadres ou des hommes politiques (au pouvoir ou dans l'opposition selon les cas), ce qui est contradictoire avec leur discours sur une société civile indépen­ dante de l'État, et aggrave le sentiment de double discours et de clienté­ lisme de la part des autres OSC.

Affirmer un principe de désintéressement, organiser la représentation: le projet de charte de 2006 et son enlisement

En 2004, trois leaders de la société civile (Ide Djermakoye, Marou Amadou, Kasoum Issa) contactent la CAPED (Cellule d'appui aux politi­ ques de développement, rattachée à la Primature), puis le programme Bonne Gouvernance du PNUD, pour relancer l'idée d'une charte de la société civile. Pour le président de l'ONDPH à l'initiative de ces contacts, « ce processus concerté et coordonné doit permettre de mettre en place un Conseil Consultatif des Organisations de la Société Civile, en prélude à l'installation du Conseil Economique et Social du Niger, et à l'institution­ nalisation du Forum Social Nigérien »13 dont il a été un des promoteurs. Dans un contexte où les postes de « représentants de la société civile» dans des instances gouvernementales se multiplient, il s'agit pour eux de contribuer à une professionnalisation de la société civile, et en particulier de traiter l'épineux problème de la représentation.

12. On détaillera ce point au chapitre 5. 13. CR de la réunion ONDPHlCDSC/CAPED du 12 janvier 2004. 128 AIDE INTERNATIONALEET SOCIÉfÉS CIVILESAU NIGER

« Chaque fois qu'on doit désigner des gens au sein des institutions, il y a des histoires entre les membres de la société civile. Tout le monde veut aller au Conseil économique, social et culturel, au Conseil consultatif des droits de 1'homme, au Haut conseil des collectivités territoriales, etc. Pour désigner des gens, chaque fois, on a des problèmes et parfois les dimen­ sions ethniques interviennent. Si on doit envoyer quelqu'un au CESOC ou au HCer pour nous représenter, il faut que ce soit des gens qui aient un minimum de compétence. Parce qu'on ne va pas là-bas seulement pour prendre les perdiems. Nous avons dit: il y a quatre conditions: la représen­ tation, la légitimité, la légalité, la représentativitéqui confère un mandat. Il faut qu'on trouve un mécanisme pour désigner des gens qui peuvent vala­ blement nous représenter. Qui ont obligation de résultat et de nous rendre compte. On s'est dit qu'il fallait opter pour un conseil consultatif de la société civile en tenant compte des thématiques pour voir comment on va faire la représentation» (Ide Djermakoye, entretien, 19/01/2011).

Cette dimension prime au départ dans l'intention des promoteurs sur les questions de déontologie. Il s'agit de trouver des mécanismes internes permettant de désigner les représentants de la société civile aux instances de concertation et de dialogue politique qui se multiplient à cette époque. Une « Convention de collaboration partenariale Caped/Ondph/Cdscn » est signée le 29 janvier 2004. Le PNUD confie à deux enseignants cher­ cheurs, Mahaman Tidjani Alou (politologue) et Djibril Abarchi (juriste) une étude préparatoire « en vue de la mise en place d'un conseil consultatif» (Abarchi et Tidjani Alou, 2006). En pleine période de tensions sociales, avec le mouvement Qualité-équité contre la vie chère, l'étude se déroule dans un «contexte de suspicion ambiante, entre OSC d'abord, entre État et OSC ensuite» (p.2) qui justifie de placer l'atelier de lancement « sous le patronage d'une institution jugée neutre au regard des questions à débattre, la Commission Nationale de Dialogue Social (CNDS) » (p.l). La question de la représentation sous-tend celle des frontières. Un des objectifs de l'étude est de clarifier la notion de société civile, en particu­ lier dans ses rapports avec le secteur lucratif et la société politique. L'étude en propose une définition engagée, qui devait pour les auteurs permettre de sortir des confusions et de l'opportunisme:

« La société civile serait l'ensemble des organisations et individus qui se proposent spontanément de consacrer, sans en attendre une contrepartie autre que la satisfaction morale qu'en tire les membres, leur temps, voire leurs ressources, à la prise en charge du bien-être de leurs semblables, soit en complétant l'action de l'État, dans ses actions à caractère économique, social, culturel ou politique, soit en s'engageant dans la lutte contre toutes les formes d'abus dont peuvent être victimes leurs semblables, que ces abus viennent de détenteurs de prérogatives de puissance publique ou non» (9, souligné par eux).

Entérinant les principes sur lesquels réfléchissaient ses promoteurs, les consultants proposent de coupler une charte de la société civile, définis- RÉGULER LA SOCIÉfÉ CIVILE? 129 sant les valeurs qui rassemblent les ose et les principes qu'elles doivent respecter, et un Conseil consultatif, structure légère fédérant la eeOAD, les syndicats, les organisations de droits de l'homme, et chargé de suivre l'application de la charte, selon des modalités à définir ultérieurement. Le projet de charte insiste sur la volonté « spontanée» d'agir pour promou­ voir ou défendre certains intérêts; le principe du bénévolat et du désinté­ ressement; l'absence de caractère étatique ou politique; le respect des principes démocratiques en interne, qui font l'objet de l'essentiel du projet de charte. Loin de dépolitiser la notion de société civile, ils intègrent expli­ citement la notion de lutte, y compris contre les abus provenant de l'État. « En cas d'infraction grave à la présente charte par une ose adhérente, son exclusion peut être prononcée, dans le respect des règles garantissant l'objectivité de la sanction» (projet de charte, article 3). 11 s'agit donc d'une charte d'adhésion libre, mais fortement engageante. Les règles proposées sont strictes. Ainsi, tout en reconnaissant la possibilité de rem­ boursements de frais et même de «gratifications au prorata du travail fourni sans que cela prenne la firme de salaire », l'article 4 stipule que « les organisations de la société civile s'interdisent d'octroyer toute rému­ nération à leurs dirigeants élus ». Par ailleurs (article 9), « les ose s'en­ gagent à assurer une gestion transparente de leurs ressources et à rendre disponibles vis-à-vis de leurs membres toute information relative à la vie de l'OSe. En particulier, elles s'engagent à faciliter l'accès de tout membre à l'information sur la gestion financière et les activités de l'OSe. Les ose reconnaissent à chacun de leurs membres l'égal accès aux biens communs ». Enfin, « afin de garantir la neutralité et la crédibilité de l'ac­ tion des ose, les fonctions de dirigeants de celles-ci sont incompatibles avec toute fonction politique et toute fonction de dirigeant de formation politiques, tant au niveau local qu'au niveau national» (article 10). Pour ce faire, un dirigeant d'OSe souhaitant se présenter aux élections devra se mettre en congés pour la période électorale et sera, en cas de victoire, « définitivement déchu de ses fonctions de direction de l'OSe ». La ques­ tion des frontières de la société civile aboutit donc à affirmer des principes déontologiques stricts, censés répondre au double champ de critiques portées contre elle, et assainir ainsi le secteur. Les 3 et 4 février 2006, 400 organisations de tout le pays sont réunies à l'amphithéâtre de la Faculté des sciences économiques et juridiques de l'Université de Niamey, pour débattre des propositions de l'étude. Les débats sont vifs. En particulier, la question du bénévolat est âprement discutée. En effet, la charte propose que « les dirigeants élus des ose s'in­ terdisent d'accepter une rémunération en raison de leur fonction ou des tâches menées au sein de l'OSe [...]. Les animateurs des ose ne sauraient prendre la qualité de salarié dans la même ose (article 4). Des principes aussi stricts sont vivement contestés: « l'atelier considère que l'octroi d'in­ demnités voire d'une rémunération à des membres consacrant exclusive­ ment et à titre professionnel leur temps à l'OSe ne met pas en cause le caractère bénévole et désintéressé de leurs actions» (rapport atelier, p. 3). 130 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

Le principe du Conseil consultatif est lui-même controversé. Les parti­ cipants soulignent qu'il a y déjà de multiples regroupements, et que toute instance, même consultative, ajoute une couche supplémentaire de com­ plexité institutionnelle. Certains craignent des abus de pouvoir des respon­ sables du Conseil, qui deviendraient des super-représentants de la société civile, ayant capacité à désigner les représentants dans les instances et les ateliers, à sanctionner des pratiques. Le spectre de l'inféodation par le pouvoir est brandi: pour disqualifier le projet, ou par crainte réelle au souvenir du bras de fer avec l'État lors du mouvement contre la vie chère, certains participants « tendent à voir à travers la charte une volonté d'em­ brigader les organisations de la société civile et de les inféoder à la volonté du pouvoir politique, économique et autre» (responsable de réseau d'OSC, animateur du débat sur le projet de charte). Le rapport d'atelier traduit bien cette légitimité contestée du Conseil: «au terme d'un large débat, l'essentiel des participants ont fini par admettre l'utilité d'un Conseil consultatif de la société civile» (idem, pA, souligné par moi). Au terme de l'atelier, le principe de créer le conseil consultatif et le projet de charte sont donc adoptés, ce qui ne signifie pas qu'ils fassent consensus même si, selon certains de ces animateurs, ils étaient largement supportés. Considérant que les 400 organisations représentées à l'atelier ne repré­ sentent pas l'ensemble de la société civile nigérienne, et qu'un travail d'information et de débat élargi demeure nécessaire, l'atelier désigne un « Comité de suivi» chargé d'intégrer les résultats des débats dans un texte final, d'en assurer une large communication, afin d'aboutir à une pro­ mulgation officielle de la charte. Composé des deux consultants et des présidents et rapporteurs des deux commissions, le «comité de suivi» met en fait sur la touche les promoteurs initiaux du projet. Après avoir revu le projet de charte, ils préparent un projet de vulgarisation du texte dans toutes les régions du Niger. Plutôt que de s'appuyer sur les organisa­ tions régionales ayant participé à l'atelier, de réaliser des émissions de radio, bref, de trouver des formes relativement efficientes de communica­ tion, ils proposent au PNUD un lourd programme formés de nombreux ateliers locaux, coûteux en honoraires et per diem. Voyant que la promotion de la charte (et les moyens qui vont avec) leur échappe, ses initiateurs se désintéressent du sujet voire tentent de le discréditer. S'y ajoute une compétition institutionnelle sur le portage de l'initiative, entre CAPED, PNUD et CNDP. Du fait des controverses, et voyant dans cette demande essentiellement une opportunité de finance­ ment pour ces organisations, le PNUD refuse de la financer et le projet s'enlise.

« Ce qui a fait que le projet de charte de 2006 n'a pas abouti? C'est encore toujours le politique, les conflits d'intérêts (rires !). C'est très simple. Vous savez, on ne voit pas l'intérêt général. On ne voit pas, com­ ment je peux dire, le patriotisme. Le but visé, ça échappe à beaucoup de gens. Ils ne font que des calculs politiciens ou des calculs d'intérêt indivi- RÉGULER LA SOCIÉfÉ CIVILE? 131

duel ou de collectif ou partisans, qui n'avancent pas le pays. Il n'y a pas de logique dans nos idées. On veut quelque chose de bien, mais on ne veut pas se sacrifier» (responsable d'OSC, secteur santé).

« Une société civile crédible, pour une démocratie forte» Le débat au Conseil Consultatif National (2010-2011)

« Comment pouvons-nous construire une démocratie forte si la société civile n'est pas crédible? J'insiste là-dessus. Et pour être crédible, il nous faut des règles partagées. Il n'y a pas de liberté sans crédibilité. [...] Mais nous ne voulons pas une liberté qui ne soit pas liée à un sens de responsa­ bilité. On critique l'acteur politique. Mais en vertu de quoi allons-nous critiquer ceux qui nous gouvernent, allons-nous critiquer leur mauvaise gouvernance si nous-mêmes n'avons pas un modèle de gouvernance qui soit digne de leur être opposé? » (Marou Amadou, Ministre de la justice, ancien président du CCN, entretien, 20/10/2011).

Relancé par les mêmes acteurs, l'idée de charte réémerge en 2010 dans un contexte politique très différent. Les premières idées de Code avaient été mises en avant en 2000, au sortir d'une période d'exception, au début de ce qui allait être une décennie de consolidation démocratique. Le projet de 2006 avait été débattu au sortir d'une phase de fortes tensions avec l'État, suite au mouvement contre la vie chère. La relance du projet de charte a lieu sous le régime de transition du Colonel Salou Djibo, suite au coup d'État qui a fait échec au Tazartché, la tentative de Mamadou Tandja de se maintenir au pouvoir à la fin de son second mandat. Le Tazartché a fortement clivé la société civile, accentuant le débat sur sa politisation. Le régime de transition souhaite ancrer la démocratie et s'engage dans un gros travail de réforme des institutions (révision de la constitution, dépoli­ tisation de l'administration, promulgation d'un « pacte républicain », d'un charte des partis politiques, etc.). Le moment semble d'autant plus favo­ rable que Marou Amadou, qui avait porté le projet de 2006 et a été un des plus farouches opposants au Tazartché, a été nommé Président du Conseil consultatif national. Censé représenter les différentes sensibilités de la société nigérienne (en dehors des partis politiques), le CCN jouera le rôle de parlement de la transition, débattant et adoptant les textes refondant les institutions. Une dizaine de « représentants de la société civile» de diffé­ rentes sensibilités y ont été nommés.

Lafracture du Tazartché et la réémergence du projet

« L'année 2009-2010 a offert un spectacle tout au moins indisposant, de par le rôle que certaines organisations de la société civile ont joué, de 132 AIDE INTERNATIONALE Er socrsrss CIVILES AU NIGER

part et d'autre d'ailleurs [dans la période du Tazartché] [...]. Lors de ce conflit politique, les organisations de la société civile sont sorties de leur rôle traditionnel pour complètement s'inféoder aux partis politiques, aux groupes politiques, pour faire de la lutte politicienne. [...] A partir de cette période-là, les populations ont commencé à avoir des difficultés à faire la ligne de démarcation entre ce qu'on appelle parti politique et ce qu'on appelle organisation de la société civile [...] Au cours d'une déclaration en date d'avril 2010, nous avons attiré l'attention des autorités sur la néces­ sité d'inciter à l'adoption d'une charte de la société civile et d'un conseil consultatif de la société civile en vue de recadrer les activités des organi­ sations de la société civile et de leur permettre de mieux s'occuper des activités qui sont les leurs, qui sont a priori non partisanes, non lucratives, bénévoles, volontaristes, citoyennes, et aux côtés des populations» (res­ ponsable de réseau d'Ong, ancien animateur du débat de 2(06).

Le Tazartché a été une période très clivante pour la société nigérienne, avec des lignes de fracture qui pouvaient traverser les familles, les organi­ sations, l'administration. Prises de positions et manifestations se sont succédées pendant plus d'une année. Le Tazartché a clivé les partis politi­ ques, dont un bon nombre se sont opposés et d'autres ont fait alliance avec le MNSD. Il a clivé également les organisations de la société civile: une bonne partie s'est clairement positionnée contre, au nom du respect de la constitution et des principes démocratique, un certain nombre d'OSC se sont explicitement ralliées au Front pour la défense de la démocratie (FDD) et ont manifesté au côté des partis politiques, dépassant aux yeux d'acteurs de la société civile les frontières de l'engagement partisan. D'autres se sont ralliées au pouvoir en place, qui a largement financé ceux qui étaient prêts à le soutenir (ce qu'a sans doute aussi fait le FDD), et suscité de multiples associations pour occuper l'espace médiatique. Le soutien explicite de nombreuses associations au Tazartché a choqué, et particulièrement le ralliement de certains leaders auparavant clairement engagés dans les mouvements sociaux et la Coalition, comme Nouhou Arzika. La forte mobilisation d'organisations de la société civile dans les ten­ sions autour du Tazartché a profondément marqué les esprits. Du côté des opposants, le Tazartché a mis à l'épreuve la distinction théorique entre engagement politique (dans la cité) et engagement partisan, et du côté des supporters, il a relancé la question de la vénalité de la société civile. Dans les deux cas, il a posé la question de la politisation. C'est dans ce contexte que, mobilisant des réseaux divers, les promoteurs du projet de charte relancent l'idée d'une charte et sollicitent les autorités de la transition, qui ajoutent ce chantier au programme de travail du Conseil Consultatif National.

« La Primature nous a approché, en tant que président de la Chambre, pour connaître nos préoccupations. Nous avons dit que dans notre cahier de charge, il y avait l'acquisition d'un siège, l'élaboration et la mise en RÉGULER LA SOCIÉfÉ CIVILE? 133

place d'une charte de la société civile et le troisième point, c'était qu'on ait l'arrêté de la CSRD. [...] "La charte, ce n'est pas de mon ressort. Si vous pouvez approcher le président du CSRD, ça ira peut-être plus vite". Nous avons profité lors d'une rencontre qu'il a fait avec les cadres, en juin 2010, pour lui dire publiquement que nous voulions qu'il y ait cette charte. Il a pris bonne note. Le président du CCN, Marou m'a ensuite appelé pour me dire" il faut préparer quelque chose au nom de la Chambre". Nous avons préparé un avant projet ~~ (Abdou Lokoko, Président de la CCOAD,22/06/2011). « C'est sous la transition, précisément si ma mémoire est bonne le 3 juillet 2010, à l'occasion d'une espèce de conférence des forces vives devant le chef de l'État, le colonel Djibo Salou, que les acteurs ont soulevé le problème officiellement. Mais au lendemain de ma nomination, les acteurs de la société civile ont souhaité me rendre visite pour me féliciter et m'encourager. Ils étaient venus nombreux et un de leurs porte-paroles, en l'occurrence Moustapha Kadi, qui était le coordinateur de CODDH, a dit au nom de ces acteurs-là que la transition ne serait pas bénéfique à notre secteur d'intervention qui est la société civile si je ne travaillais pas en tant que président de cette institution à l'adoption d'une charte de la société civile. [...] Honnêtement moi, je n'avais même pas l'idée, avant que cette délégation ne vienne » (Marou Amadou, Ministre de la Justice, ancien président du CCN, 20/10/2011).

C'est donc une convergence d'initiatives de responsables de la société civile qui a abouti à mettre le projet de charte à l'agenda du CNN. Prési­ dent du Conseil Consultatif National, Marou Amadou s'est fortement engagé sur ce projet. Il reconnaît pourtant qu'au début des années 2000, il était réticent.

« Je dois le dire, lorsque au cours des années 2002 2005 le problème a été posé par des acteurs comme Idé Djerrnakoye, ce n'était pas notre vision. Nous, on craignait qu'autour de cette espèce de charte, nous ne donnions des cordes pour embrigader la société civile. C'était notre objec­ tion, d'autant que l'idée était mijotée aussi au niveau de la Primature. À l'époque, j'étais vraiment de ceux qui étaient contre. Mais plus on avan­ çait... Honnêtement, j'ai découvert que cet espace était traversé par des comportements - j'insiste sur le mot comportements - qui pour moi ne sont pas de nature à nous rendre fiers du statut d'acteurs de la société civile. Franchement, les gens en ont fait un moyen de tromperie, à des fins égoïstes et d'enrichissement personnel, voire, et c'est ça le pire de mon point de vue, de racket politique. [...] Je trouve extrêmement avilissant que des hommes qui sont engagés sur le terrain monnayent leur action. Il n'est pas normal de se retrouver dans le salon d'un homme politique pour négo­ cier de l'argent et le lendemain de faire une déclaration. Il n'est pas normal que, alors que par notre capacité de mobilisation, nous étions en mesure de coordonner les problèmes et de canaliser le mécontentement populaire, au moment de négocier avec le gouvernement, la nuit, on monnaye à vil prix ces mobilisations-là pour signer des accords bidons. C'était très déce­ vant. Ma place dans la société civile nigérienne, plus précisément de 2000 134 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILESAU NIGER

à 2010, m'a permis d'avoir une bonne lecture des comportements des uns et des autres» (Marou Amadou, idem).

La façon dont le pouvoir a réussi à neutraliser la Coalition contre la vie chère, en achetant une partie des responsables selon lui, l'a profondément marqué. Les prises de position bellicistes de certains leaders associatifs pendant la rébellion touarègue, et bien sûr la fracture du Tazartché ont achevé de le convaincre des dérives d'une partie de la société civile nigé­ rienne. La période d'exception que constitue la transition démocratique lui paraît une fenêtre d'opportunité.

« Sous la période de transition, le gouvernement était maître, les insti­ tutions également, tous les partis politiques étaient au même pied d'éga­ lité. Il n'y avait pas de parti au pouvoir. C'était le moment propice pour faire des réformes des secteurs les plus importants. La preuve est que les partis politiques demandent aujourd'hui de revenir sur la charte des partis adoptée sous la transition sous prétexte que ses dispositions sont rigides... Les gens veulent revenir dessus! » (idem).

Pour lui, une charte de la société civile complèterait l'ensemble des textes pris par la Transition pour structurer et institutionnaliser le fonc­ tionnement de l'État et des partis politiques. Il s'engage donc fortement dans ce projet, insistant sur la question des valeurs doit porter la société civile. Ses différentes interventions au Conseil consultatif insistent sur ces dimensions éthiques.

« L'objectif poursuivi est de parvenir à insuffler une dimension éthique à la marche de ces organisations, ce qui devrait contribuer à renforcer leur crédibilité. Il s'agit de jeter les bases, les principes, les valeurs, les critères de neutralité et de démocratie interne, mais aussi du respect de la légalité statutaire de la société civile nigérienne. [...] Je partage également la conviction que nous devons faire en sorte que la Charte puisse régler défi­ nitivement le rapport de la société civile à l'État, le rapport de la société à l'extérieur et son rapport aux questions de démocratie et de développe­ ment. [...] Je dois dire que nous aurions manqué un rendez-vous important de cette transition si nous n'avions pas eu l'opportunité de nous pencher sur cette question. C'est donc une occasion exceptionnelle qui nous est offerte. [...] J'invite les conseillers à une réflexion profonde, en toute fran­ chise, pour élaborer et adopter un texte qui servira de boussole aux organi­ sations de la société civile nigérienne, dans l'intérêt supérieur de la Nation» (allocation de Mr Marou Amadou, Président du CCN, ouverture de la 3e session extraordinaire, 14 décembre 2010). RÉGULER LA SOCIÉTÉ CIVILE? 135

« Qui a peur d'une charte des ose? » La mise en cause de la légitimité du texte

Le sujet est inscrit à l'ordre du jour de la 3e session extraordinaire de décembre 2010 par effraction disent certains, du fait qu'il n'était pas dans le programme de travail initial du CNN. Dès le lendemain de l'ouver­ ture de cette 3e session, le journal La roue de l'histoire (n° 538) annonce que « la session s'annonce houleuse» et que les débats dans les commis­ sions « achoppent déjà sur l'abolition de la peine de mort et la charte de la société civile ». De fait, ces deux dossiers seront les plus controversés du travail du CCN. La question de la légitimité du texte à la CCN commence dès le début de la session. Pour le Président de la Commission des Affaires Politiques et Institutionnelles (déjà chargée du lourd dossier du Pacte républicain), le Dr Mamane Djibo, un tel texte à vocation légale doit être une initiative gouvernementale:

« Vraiment, ça ressemble beaucoup à un code de bonne conduite. C'est pour cela que je dis que ce n'est pas un texte de droit et que la Commis­ sion des affaires politiques et institutionnelles ne peut pas être saisie. [...] Si c'est un texte qui a valeur juridique, c'est le gouvernement qui doit envoyer le texte qu'il a préparé »14.

Certains des opposants au texte reprennent cet argument: le CCN n'est pas légitime pour porter un tel projet. Soit c'est un projet de loi, et il doit être porté par le Ministère de l'intérieur, soit c'est une initiative de la société civile. Or, les quelques associations présentes au CCN ne peuvent prétendre représenter l'ensemble de la société civile et encore moins prendre des engagements en son nom. Il faut un large processus prépara­ toire, et une adoption par la société civile elle-même ... ce qui revient à refaire le processus de 2006 et à ignorer le travail déjà réalisé.

«Les organisations de la société civile sont quand même majeures pour réfléchir, s'entendre et proposer quelque chose de consensuel. [...] Il faut que ce travail-là soit participatif, il faut qu'on donne le temps à tout le monde de s'exprimer et c'est comme ça qu'au niveau de la mise en œuvre, on n'aura pas de problème. Mais si on se précipite parce que certains pensent qu'il faut profiter de la transition... Non! Ce n'est pas parce que c'est une transition qu'il faut mettre du n'importe quoi. Les gens doivent prendre tout leur temps pour faire un travail sérieux» (El Hadj Djibo Goni, idem).

Comme des participants le soulignent clairement dans les débats, l'idée de charte oscille entre logique de promulgation par l'État d'un cadre de régulation et logique d'auto-régulation. La seconde s'accorde mal avec le

14. Session plénière de la 3e session du CCN, 16/12/2010, transcription des débats. 136 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER fait de prendre une ordonnance sur le sujet, mais l'échec de la tentative de 2006 a convaincu le Président du CCN et plusieurs responsables associa­ tifs qu'il fallait des dispositions contraignantes, au risque de susciter des accusations d'instrumentalisation par l'Etat.

« En fait, la charte devait être une charte au sens strict du terme, donc un engagement volontaire où on s'engage à désapprouver des comporte­ ments qui sont contraires à ce qu'on professe. En principe, c'est ça la charte. Mais quand on est arrivé au débat de 2011, les gens ont pensé que, si on la laisse juste à un niveau volontaire, comme les gens trichent même devant les lois de la République, on peut craindre qu'une simple charte, qui est juste un ensemble de mots, ne puisse pas les contraindre à faire ou ne pas faire quelque chose. Donc certains ont proposé à ce que ce soit par ordonnance, et qu'en plus de la charte, on puisse mettre sur pied un observatoire dont les membres seraient nommés par décret présidentiel» (responsable de réseau d'OSC).

A ce moment, c'est le dispositif institutionnel proposé qui suscite les critiques les plus virulentes. L'avant-projet de charte propose en effet un Conseil consultatif, chargé de larges attributions, et pour garantir le res­ pect des engagements des OSC, un comité tri-partite OSC/État/bailleurs de fonds. De nombreuses critiques se cristaIisent autour du risque de capo­ raIisation de la société civile, avec un « super président )) qui désignerait les représentants dans les instances de dialogue et serait, parce que nommé par l'État, nécessairement inféodé au pouvoir.

« Il ne faut pas qu'il y ait une charte avec un super président de la société civile qui est sous la coupe de l'État, ce qui va émousser la société civile qui est par définition un cadre de liberté. [...] Il Ya un observatoire qui sera mis en place, dont il est dit qu'un décret déterminera son fonc­ tionnement et ses attributions. A partir de ce moment, il y aura beaucoup d'intervention de l'État. [...] Je ne veux pas qu'on tombe avec cette charte dans une forme d'instrumentalisation de la société civile où on serait cana­ lisés par l'État )) (responsable d'Ong, opposant à la charte).

Sous le titre « vers le noyautage de la société civile », Alternatives Espaces Citoyens, Ong altermondialiste, reprend ces analyses, tout en les replaçant sur un registre plus large: pour eux, ce dispositif ouvre en plus la voie à une instrumentaIisation de la société civile par les bailleurs de fonds (Diori, 2010).

« Cette funeste dynamique qui tait pour l'instant son parrain vise mani­ festement à noyauter l'un des derniers espaces de résistance contre les effets pervers de la mondialisation avilissante promue par les institutions financières internationales et leurs valets locaux » 15.

15. [http://www.alternativeniger.org/spip.php ?article511], dernier accès le 21/10/2011. RÉGULER LA SOCIÉTÉ CIVILE? 137

Le fait que soit mentionné le principe de la participation des bailleurs de fonds au comité tripartite de suivi des engagements des OSC16 est pour eux le signe de cette soumission de la société civile « à la Banque mon­ diale et ses valets locaux ». La crainte d'une instrumentalisation et d'une neutralisation de la société civile est d'autant plus forte que le texte prévoit que «les OSC s'abstiendront de participer à des activités politiques comme les marches, meetings, propagandes politiques, campagnes électo­ rales », Les organisations religieuses, qui ne se sentaient au départ pas concer­ nées, sont instrumentalisées par certains acteurs qui leur affirment que la charte les empêcherait de prêcher et rejoignent le front de contestation.

« Il Yavait certaines organisations qui ne se sont pas retrouvées [dans ce projet]. Elles ont commencé à protester, en tirant sur une ficelle extrê­ mement sensible dans le pays, le religieux. Quelques associations islami­ ques ont été intoxiquées sur le fait que désormais on allait avoir un regard sur les prêches et sur les associations islamiques. Celui qui a fait ça est malheureusement décédé, il y a deux ou trois semaines. C'était le seul à avoir protesté. Il n'était pas au CCN, mais au nom de son organisation, il a réuni un certain nombre de marabouts pour leur dire que cette charte est pernicieuse, que c'est pour limiter les libertés, c'est pour vous empêcher de prêcher, c'est pour orienter les gens» (journaliste, membre du CCN).

Le projet de charte cristallise ainsi une série d'oppositions, largement médiatisées dans la presse. Les unes portent sur la procédure ou ses initia­ teurs, les autres sur les risques potentiels d'instrumentalisation par l'État ou les bailleurs de fonds, ou sur le principe même d'une régulation. Cer­ tains argumentaires des opposants et l'appel à la liberté et à l'autorégula­ tion ressemblent fort à un refus de toute régulation.

« Nous, en tout cas nous ne sommes pas preneurs de cette initiative. Nous estimons que la société civile ne pourrait pas être campée dans un cadre normatif national alors que la société civile évolue dans un espace universel. Parce que son credo, c'est les valeurs démocratiques, c'est la liberté, c'est les valeurs républicaines, c'est des valeurs humanistes, c'est beaucoup de valeurs qui ne sont pas nationales, mais qui sont universelles. Donc, aujourd'hui, prétendre gérer la société civile à travers un cadre normatif, c'est de la folie, ça ne peut pas marcher» (coordinateur de réseau d'OSC, opposant à la charte).

Sous le titre « Qui peur d'une charte des OSC? », le journal Le Répu­ blicain s'interroge dans son édition du 23 décembre 2010 sur la significa­ tion de cette levée de boucliers :

16. Le responsable Société civile à la Délégation de l'UE à l'époque ne se souvient pas que cette question ait été à l'ordre du jour au sein des institutions d'aide. 138 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILESAU NIGER

« C'est le branle-bas de combat au sein de certaines organisations. Ces organisations ont engagé une véritable cabale contre cette initiative et ses auteurs, allant jusqu'à les vilipender sur les ondes des médias. Quel para­ doxe, vu que cette charte ne vise ni plus ni moins qu'à assainir l'organisa­ tion et le fonctionnement des organisations de la société, à l'image des partis politiques qui disposent de leur charte. [...] Une telle initiative aurait pu être applaudie, saluée, ce que beaucoup d'autres OSC ont fait d'ailleurs, Mais au regard de cette campagne de lynchage médiatique à laquelle s'adonnent certaines de ces OSC, l'on est en devoir de se poser cette ques­ tion: à qui profite l'opacité, le flou, la pagaille, qui caractérisent la gestion de certaines OSC de la place?» (p.6).

Un projet revu, autour de la régulation de l'engagement politique

Face à ces contestations, ce premier projet est jugé insuffisamment préparé. Le travail sur le projet de charte est maintenu, mais le débat est reporté à la 4e session. Le Président du CCN entérine l'idée d'une commis­ sion ad hoc de cinq membres, qui travaillera à élaborer un « avant-projet d'ordonnance de charte de la société civile» qui sera transmise au gou­ vernement, lequel pourra ensuite saisir le Conseil pour avis, respectant ainsi la procédure. La dimension d'initiative gouvernementale est ainsi affirmée, pour un texte qui devra s'appliquer à toutes les OSC.

« Il est clair qu'il ne s'agit pas d'une charte facultative où quelqu'un pourra dire "j'adhère" ou "je n'adhère pas". Il faut qu'on puisse invoquer des valeurs [comme la transparence, la limitation des mandats]. Il n'est pas normal qu'on soit acteur de la société civile le jour et militant poli­ tique la nuit, et c'est pour cela que cela ne peut pas être facultatif» (Marou Amadou, entretien, 20/10/2011).

Elargissant ses références aux chartes adoptées peu avant dans les pays voisins, la commission ad hoc prépare un nouveau projet qui, comme l'ensemble des textes travaillés par le CCN, sera mis en ligne sur le site du CCN pour consultation et critiques. Le CSRD inscrira son examen à l'ordre du jour de la 4esession extraordinaire, en février 2011. Session chargée, puisqu'elle doit adopter en outre l'avant projet de Pacte Républi­ cain, réfléchir sur les mécanismes de réconciliation et de renforcement de l'unité nationale et débattre du rapport sur les mécanismes d'assainisse­ ment des finances publiques! Dans sa version de janvier 2011, le texte proposé au CCN est signi­ ficativement amendé. Il insiste sur la régulation du rapport à la politique. Tout en mettant en avant le rôle positif des OSC « nées il y a quelques années seulement», l'exposé des motifs souligne que « leur prolifération et la tendance à l'instrumentalisation de certaines d'entre elles engendre des conséquences néfastes et menacent souvent la quiétude sociale» et RÉGULER LA SOCIÉrÉ CIVILE? 139 qu'il est donc apparu nécessaire de « doter les organisations de la société civile d'une Charte ayant pour objectifs principaux de définir ce qu'il y a lieu d'entendre par Organisation de la Société Civile, ressortir ses valeurs et principes et éviter ainsi l'amalgame avec certaines organisations pour­ suivant des objectifs bien plus politiques ». L'article I" reprend la définition du projet de 2006, ajoutant « la société civile est composée d'associations a-politiques à but non lucratif et pour­ suivant les objectifs de défendre et de promouvoir des intérêts de leurs membres et, le cas échéant, des populations» ce qui met au second plan les Ong, par rapport aux organisations agissant en faveur de leurs membres. Après une longue liste des valeurs et principes partagés (article 3), à la fin de laquelle figure « le respect et la défense de la constitution, de la démo­ cratie, de l'État de droit et des valeurs républicaines », le Titre III réaf­ firme que « le mode de fonctionnement des OSC est basé sur une prise de décision démocratique. Il repose sur les principes de bonne conscience, de solidarité et de transparence» (article 5), précise que «toute OSC est tenue d'avoir un siège et une adresse géographique suffisamment pré­ cise», puisénonce les grands principes de gouvernance associative (ins­ tances, élections, etc.). Le projet de janvier 2011 ne reprend pas les propo­ sitions de 2006 sur le bénévolat et la transparence interne, mais prévoit un audit externe tous les deux ans (article 11) et le fait que les dirigeants doivent faire chaque année une déclaration à leur ministère de tutelle sur leur absence de liens avec une entité en relation d'affaires avec l'OSC (article 15). La question du bénévolat passe donc au second plan par rap­ port à celle de la transparence de gestion (assurée par les audits) et de la prévention des conflits d'intérêt. En fait, c'est la question de la neutralité politique qui est l'enjeu principal et les propositions de 2006 sont durcies: « la direction d'une organisation est incompatible avec tout mandat poli­ tique électif et tout poste politique» (article 17); les dirigeants doivent également attester annuellement « qu'ils ne sont pas ~ à un parti ou mouvement à caractère politique» (article 15, souligné par moi), ce qui est plus restrictif que ne pas avoir de mandat); s'ils veulent se présenter à une élection, ils doivent démissionner trois mois avant (article 16). Enfin,« les OSC ne doivent participer en aucune manière aux activités suivantes des partis politiques: campagnes électorales, propagandes poli­ tiques, déclarations politiques, marches politiques, meetings politiques », ce qui est très restrictif, voire ambigu si l'on se réfère aux mobilisations autour de tazartché, et alimente de nouveau les craintes d'une neutralisa­ tion du potentiel contestataire, même si souligner que « la défense de l'état de droit et des principes républicains ne peut être assimilée à une activité purement partisane» ouvre la voie à la légitimation d'alliances comme le front anti-tazartché.

« J'ai lu dans la charte un article qui dit qu'il est interdit aux dirigeants de la société civile d'aller aux manifestations des partis politiques. Ça va trop loin! Ils sont interdits de participer aux meetings, aux réunions. Mais 140 AIDE INTERNATIONALEET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

imaginez qu'il y ait eu cette charte au temps de Tandja, aurions-nous pu créer la eFDR? [...] S'il avait eu une charte comme ça, avec des telles dispositions, le pouvoir aurait eu tous les moyens légaux pour freiner les actions des gens» (responsable d'Ong, opposant à la charte).

La discussion du projet en commissions amène quelques amendements de détail. Ainsi, la Commission des affaires politiques et institutionnelles, chargée du dossier, remonte la respect et la défense de la constitution et de la démocratie en tête des valeurs, supprime les articles redondants avec l'ordonnance de 1984, précise que, tout en étant apolitiques, les OSC « peuvent se prononcer sur toute question d'intérêt national », qu'elles doivent «dénoncer tout esprit, toutes attitudes et tous comportements contraires aux principes démocratiques, aux valeurs républicaines et la bonne gouvernance» (article nouveau), remplace la formulation ambigüe sur la défense de l'État de droit par « pour la défense de l'État de droit et des principes républicains, les activités des forces vives de la nation doivent converger », La commission tente ainsi de concilier postulat de séparation entre société civile et société politique et possibilités d'al­ liances pour la défense des valeurs républicaines. La question de l'Obser­ vatoire est controversée, au point d'obliger au vote. Il sera maintenu par 15 voix sur 26 seulement. Le nouveau texte est débattu lors de la 4e session extraordinaire du CCN, du 8 au 12 février 2011. «Cette fois-ci, le texte a suivi le circuit normal. Les organisations de la société civile ont elles mêmes accepté qu'il y ait un projet de charte. Comme tout texte, celui-ci n'est pas parfait. Mais les conseillers ont, de manière très objective, apporté les amende­ ments qu'ils jugent nécessaires» explique le rapporteur de la Commission des affaires politiques et institutionnelles à la sortie du travail en commis­ sion (Sahel Dimanche, n° 1425 du 11 février 2011). AI'ouverture de la 4e session, le Président du CCN s'engage à nouveau fortement. Contre les multiples critiques, il réaffirme l'enjeu de cette charte et l'avancée qu'elle représente. .

« Le projet de charte de la société civile vise à convenir d'une défini­ tion commune de ce qu'est la société civile, le but de son action, les valeurs et principes partagés par toutes les ose, notamment les principes et valeurs de transparence, de responsabilité, d'unité dans la diversité et le pluralisme, de solidarité, de complémentarité, d'indépendance, d'éthique et d'intégrité dans la poursuite des objectifs communs de défense et de promotion des valeurs républicaines, de promotion de la bonne gouver­ nance et de la lutte contre la corruption et l'impunité, de promotion d'un développement durable et de lutte contre la pauvreté, le tout dans des conditions de liberté et de crédibilité qui renforcent l'efficacité et la perfor­ mance de leurs interventions.[ ...] II convient donc de considérer cette charte comme une grande avancée plutôt que comme un recul de la place et du rôle des ose» (Le Sahel, n°8072,9 février 2011). IŒGULER LA SOCIÉTÉ CIVILE? 141

Les rapports des Commissions sont lues le premier jour de la session extraordinaire, le 8 février, et le débat sur le texte a lieu le samedi 12. Le travail en plénière aboutit à intégrer les propositions des commissions. Bien que le débat sur l'opportunité de la charte soit censé être clos, certains participants tentent de le rouvrir. La question des syndicats, qui a traversé l'ensemble des débats depuis décembre, est à nouveau posée, de même que celle de l'Observatoire.

«A mon avis, il n'est pas nécessaire d'avoir un Observatoire parce que, pour moi, une direction du Ministère de l'intérieur suffit. Connaissant la méchanceté nigérienne, si c'est le responsable d'une autre association qui devient le président de l'Observatoire et s'il a une dent contre un autre, on va le monter contre cet autre, ça va être des coups bas» (Amadou Arouna Maiga, session plénière du CCN, 12/03/2011).

Des assouplissements sont apportés en plénière sur la question poli­ tique: pour prendre acte des risques d'échec aux élections, la version finale de la charte précise que le dirigeant souhaitant se présenter à une élection doit annoncer son intention de démissionner, et démissionner dès la proclamation officielle de la liste des candidatures. Tout en réaffirmant que tout financement provenant d'un parti politique est illégal, elle recon­ nait que «une OSC peut contribuer à la formation des capacités des acteurs politiques» (article 23). La principale innovation issue du travail en plénière est l'abandon de l'Observatoire au profit d'un « Conseil des pairs », « organe de régulation mis en place par les OSC elles-mêmes et qui veille au respect des dispositions de la charte », et d'une Maison des OSC, les deux devant être définies et mises en place par une « assemblée générale des OSC» dont les contours ne sont pas précisés. Pour répondre aux réticences des syndicats, l'article 26 précise que les OSC « conservent leur totale autonomie », et sont régies chacune par les textes qui leur sont propres.

Un projet d'ordonnance adopté mais pas promulgué

Le débat se structure finalement autour des mêmes controverses et arguments que lors de la 3e session. Mais la contestation du texte est devenue marginale, le débat est plus apaisé qu'en décembre et aboutit à un texte relativement consensuel. C'est cependant encore le projet de charte qui suscitera en Commission des affaires politiques et institution­ nelles une violente altercation entre Nouhou Arzika, leader historique de la Coalition puis soutien du Tazartché, et le représentant du Syndicat Autonome des Magistrats du Niger (SAMAN), altercation qui vaudra au premier quelques mois de détention. Le projet d'ordonnance est donc adopté par le CCN, peut-être parce que les OSC n'y sont pas majoritaires. Il est ensuite transmis pour promul- 142 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

gation aux autorités de la transition. Mais des leaders associatifs opposés au projet font remonter leurs inquiétudes au niveau du Président du CSRD et du premier Ministre. Pas forcément convaincu de la pertinence d'une charte édictée par ordonnance, constatant que le dossier n'est pas consen­ suel, et considérant qu'il ne revient pas à un régime non élu de passer en force, à la fin de la transition, sur un sujet qui demande maturation, le Premier Ministre décide de surseoir et de laisser le dossier au futur pouvoir démocratiquement élu.

« Il Y avait trop de controverses sur ce texte. Tous les membres du gouvernement n'étaient pas des acteurs politiques et il est apparu difficile de trancher sur ce texte. Nous nous sommes dit qu'il fallait laisser cette responsabilité à des gens démocratiquement élus. Nous avons fait passer les textes sur la haute administration, sur le statut de l'opposition, mais pour des textes moins liés au fonctionnement de l'État et sur lequel il n'y avait pas consensus, comme le texte sur le statut personnel!", on a dit qu'il fallait une forte légitimité populaire. Ça aurait pu être mal perçu que le gouvernement de la transition tranche. On a préféré laisser. Il y avait aussi le fait que Marou Amadou était très fortement engagé pour ce texte. Certains considéraient que ce texte était fait sur mesure pour lui, pour lui permettre de trouver une place au niveau de l'Observatoire après la fin du CCN et de conserver ainsi ses privilèges. Nous avons discuté cela à deux ou trois personnes, il y avait le président Salou Djibo, moi-même ... On voulait laisser un héritage sain. Donc cela demandait qu'un tel texte passe par l'Assemblée, surtout qu'il y avait cette controverse qui se développait par médias interposés» (Mamadou Danda, ancien Premier ministre de la Transition, entretien, 27/06/2011).

Le risque politique a donc semblé trop fort, vu l'ampleur des contro­ verses. Pourtant, c'est souvent pendant les périodes de transition « que les lois et mesures les plus contestées sont susceptibles de passer » (Moussa, 2012: 362): au Niger, des textes majeurs, controversés ou longtemps en souffrance, ont été pris dans un contexte de régime d'exception: l'Ordon­ nance du Code Rural en 1993; la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEF) en 1999, la loi sur le pastoralisme (en gestation depuis une dizaine d'années) en 2011. Selon certaines sources, le projet de charte a fait l'objet d'une passation au nouveau pouvoir. Mais il n'a pas été repris par ce dernier bien que Marou Amadou soit devenu Ministre de la Justice et donc membre du gouvernement. Le projet de charte est donc une nouvelle fois dans les limbes, en attendant peut-être d'être remis une fois de plus à l'agenda.

17. Code de la famille, qui, comme au Mali, a été très controversé et a subi les attaques des associations islamiques. RÉGULER LA SOCIÉfÉ CIVILE? 143

Frontières, représentation, bénévolat, transparence, rapport à l'État: retour sur les controverses

Les enjeux de transparence financière et de politisation expliquent évidemment en grande partie la virulence des débats autour du projet de charte. Les clivages qui traversent les organisations de la société civile, l'ampleur des rivalités, rumeurs, jalousies, dénonciations au sein du micro­ cosme des leaders médiatiques d'OSC, ont contribué à faire monter la tension, alimentée par des prises de positions parfois sans nuances dans les médias, et les intrigues de couloir, d'autant que les plaies dues aux polarisations et tensions liées aux prises de positions des OSC pendant le Tazartché étaient encore très vives. Pour autant, ces débats ne dessinent pas une configuration simple, avec les « pro» d'un côté, partisans de la transparence, de la déontologie, de l'intégrité, et les « anti » de l'autre, qui refusent tout principe de régula­ tion pour poursuivre des pratiques douteuses. Les débats révèlent une gamme de positions plus nuancées. Au-delà de la rhétorique et du jeu tactique, l'analyse des positions et des argumentaires permet de tenter de dénouer l'écheveau des controverses, de nature différente, qui ont traversé les débats et se sont en partie télescopées. Ainsi,la récurrence des inquié­ tudes sur la création du Conseil consultatif et le pouvoir d'un « super-pré­ sident» de la société civile ayant la main sur toutes les désignations aux instances et lieux de représentation fait écho aux pratiques clientélistes de gestion du pouvoir dans les organisations. De même, les discours suspec­ tant Marou Amadou de se préparer un poste de « super président de la société civile» (ou pour des versions plus subtiles, suspectant d'autres de le préparer pour lui...) sont révélateurs des imbrications entre associations et État, entre logiques de recherche de poste de la part de leaders associa­ tifs au statut précaire et logique de cooptation par un pouvoir politique contrôlant l'accès à des sources de rente. Certains partisans de la charte de 2006 et d'une logique d'autorégulation sont, en 2011, convaincus qu'un texte promulgué par l'État, s'imposant à tous, est indispensable et défen­ dent le projet porté par le CCN, sans être complètement à l'aise avec toutes les implications de cette stratégie.

« Je suis tout à fait contre le fait que les membres d'un conseil consul­ tatif de la société civile soient nommés par décret présidentiel. C'est une aberration. Parce que chez nous, on sait ce que vaut un décret. Quand vous êtes nommés par décret, la personne qui vous nomme pense que vous devez la suivre dans tout ce qu'elle fait» (responsable de réseau d'OSC, supporter de la charte).

Mais ces controverses permettent aussi d'identifier d'autres points de débat. 144 AIDE INTERNATIONALE Er socIÉTÉS CIVILESAU NIGER

Les doubles frontières de « la société civile»

Un double débat est en filigrane sur les frontières de la société civile. Le premier, explicite, vise à définir de façon normative ce qu'est ou n'est pas la « société civile» (et donc qui est ou n'est pas dedans) à partir de définitions, de l'affirmation de principes et de valeurs, et de règles de comportement. Il s'agit là de marquer des frontières entre «la société civile» et la société politique, d'une part, et le business et la recherche de profit d'autre part. C'est un des objectifs explicites des deux projets de charte, avec un accent plus marqué sur l'engagement bénévole et « la prise en charge du bien-être de ses semblables» en 2006, et sur la régulation du lien aux partis politiques en 2011. L'enjeu de ce travail de définition et de formalisation de règles est de réduire la forte imbrication des « sociétés civiles réelles» (ou en tous cas des portions les plus visibles) dans les sphères du politique et du lucratif (elles-mêmes largement imbriquées) pour tenter de faire émerger un secteur plus autonome, plus proche du . modèle normatif. Ce qui pose évidemment la question de là où on pose les limites: le fait que l'accent ne soit pas le même dans les deux cas montre bien qu'il ne s'agit pas tant d'importer un modèle théorique d'une société civile idéale, que de négocier la définition de frontières. L'acceptabilité de ces frontières dépend évidemment de l'ampleur des remises en cause de pratiques qu'elles induiraient, et du contexte politique du moment. Sachant que les limites ne peuvent être parfaitement claires, qu'il subsiste néces­ sairement des zones de flou, et que les frontières sont nécessairement poreuses. Ce qui renvoie à la question du contrôle des engagements et de l'existence d'une instance (étatique? issue de la société civile? hybride?) chargée du contrôle et de la sanction, sa nature, sa capacité à agir, qui a constitué un fort point d'achoppement. Cette question des frontières englobe celle des types d'organisations pouvant se revendiquer de la « société civile» et plus particulièrement celles qui seraient soumises à la charte et à ses règles et mécanismes de contrôle. Lors du débat au Conseil consultatif national, la question a été posée pour deux types d'organisations. D'une part, les organisations reli­ gieuses, qui ne se sentaient pas concernées au départ, du fait de discours sur la « société civile» essentiellement normatif mettant en avant les orga­ nisations formelles et les Ong, et qui ne considéraient pas ces organisa­ tions comme partie intégrante de la société civile. Elles se sont mobilisées contre le projet de charte lorsque des opposants au projet les ont sensibili­ sées (et manipulées à en croire certains) aux possibles implications pour elles. D'autre part les syndicats qui, quoique par nature proches de la société politique, revendiquent leur appartenance à la société civile, mais argumentaient qu'ils étaient déjà régulés par des textes internationaux pour refuser d'être soumis aux dispositions de la charte.

« Moi qui vous parle,je suis syndicaliste. Quelque part nous faisons la distinction entre le syndicat et la société civile. On dit: est société civile, RÉGULER LA SOCIÉTÉ CIVILE? 145

tout ce qui n'est pas politique. De ce point de vue, le syndicat fait partie de la société civile. Mais nous sommes déjà soumis à certaines règles. Nous sommes régis par le BIT. Les syndicats n'ont pas besoin d'un agrément ou d'une reconnaissance d'un arrêté du ministère de l'intérieur pour exercer, contrairement aux Ong. Nous étions deux centrales syndicales à siéger au niveau du CCN. Nous avons dit que ça, ça ne nous regarde pas. Nous reconnaissons que c'est une bonne chose d'établir une charte pour la société civile, mais nous, en tant que structures syndicales, nous n'en faisons pas partie» (responsable syndical, membre du CCN).

Tout en reconnaissant ces arguments 18, Marou Amadou a insisté à plu­ sieurs reprises sur le fait que les syndicats sont considérés comme faisant partie de la société civile dans tous les textes, y compris les chartes du Bénin et du Mali, sous-entendant qu'ils étaient donc soumis aux exigences de transparence.

«Les syndicats disent: nous, on ne peut pas nous demander de supporter des audits. Mais j'ai dit "qui plus que vous devrait s'imposer des audits, puisque ce sont les cotisations de vos membres que vous gérez? Vous ne pouvez pas prendre les sous des travailleurs et dire qu'en vertu de quoi on va nous imposer un contrôle?" Les travailleurs donnent cet argent pour des raisons bien précises. Ils ont le droit de savoir ce qui en est fait! Mais les gens disent non, bon, ils ont leurs instances, ils ont leurs trucs juridiques, tant mieux. Bon c'est comme ça. Moi, avant d'être militant de la société civile, j'étais aussi syndicaliste dans le mouvement étudiant. Vraiment, j'ai regardé, j'ai cherché, la seule raison, c'est cela: les gens ne veulent pas d'une transparence dans leur gestion, point l » (Marou Amadou).

La question des frontières, de l'appartenance ou non de certains types d'organisation à « la société civile » dépend donc d'abord de la définition de la société civile (et en particulier au caractère plus ou moins normatif de cette définition) ou plus exactement de l'acception qui circule dans la société (en dehors de toute définition formelle), et, dès lors qu'il y a charte, définition de règles, soumission à des mécanismes de contrôle, à l'acceptation des règles instituées comme définissant la société civile.

Bénévolat, gouvernance interne des organisations, transparence financière

Une seconde controverse porte sur les questions de bénévolat, de gou­ vernance interne et de transparence financière. De nombreuses organisa­ tions, fondées sur le leadership d'un individu ou d'un petit noyau, faisant l'objet d'un mode de gouvernance quasi-chefferial, ne remplissent pas les

18. Intervention de MarouAmadou au CCN, 16 décembre 2010. 146 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER critères théoriques de la gouvernance associative. Même au sein des réseaux dirigés par les défenseurs de la charte, les organisations qui en respectent les principes ne sont pas forcément majoritaires.

«Au sein du réseau que vous dirigez, il y a combien d'organisations qui ont une vie associative réelle, en termes d'AG, de bureau ne se limi­ tant pas à une seule personne? - Oui, on peut avoir environ 38 comme ça, pour 70 membres. Celles où, si vous appelez un responsable, il peut vous dire « la dernière AG c'était à telle date, voilà les décisions qui ont été prises, voilà nos objectifs à moyen et long terme, voilà qui nous avons ciblé comme partenaires, dans quelles localités nous allons intervenir », etc. Mais vous en trouvez aussi qui se réduisent à une seule personne ou qui n'ont jamais fait d'AG depuis leur arrêté de reconnaissance» (responsable de réseau d'Ong, supporter de la charte).

On a discuté au chapitre 2la contradiction entre une conception stricte du bénévolat et les logiques de l'engagement associatif, tant en ce qui concerne les dirigeants que les membres et les volontaires. Affirmer, comme le faisait le projet de 2006, le principe du bénévolat et du désinté­ ressement, mettre dans la définition même de la société civile le fait de « ne pas en attendre une contrepartie autre que la satisfaction morale qu'en tirent les membres» se heurte à la réalité des dynamiques associatives au Niger, très marquées comme on l'a vu par la recherche d'emploi ou de complément de revenus, pour des raisons qui ne relèvent pas seulement de la recherche d'un enrichissement personnel. Le projet de 2011 réduit les ambitions sur ce plan, en limitant les exigences à un audit annuel, sans qu'il y ait eu un réel débat sur l'acceptable et l'inacceptable, et une recherche de critères qui régulent les logiques lucratives tout en étant socialement acceptables. Les principes associatifs de séparation entre fonctions dirigeantes et fonctions exécutives, d'obligation de tenue d'AG, de transparence des comptes, de mise en jeu régulier des mandats, de quitus donné aux diri­ geants ne font sens que par rapport à une organisation fonctionnant sur une base collective, dont les associés sont coresponsables. Ils formalisent la façon dont ces derniers peuvent assumer la gouvernance de l'organisa­ tion tout en confiant la gestion quotidienne à certains de leurs pairs, dans un conseil d'administration et un bureau, et dont ces responsables, agis­ sant au nom de l'assemblée des associés, doivent leur rendre compte. Ils n'ont donc guère de sens pour des organisations qui sont en pratique le fruit d'entreprises individuelles ou de quelques personnes et qui, tout en prenant le statut juridique d'une association, ne relèvent pas d'une dyna­ mique « d'association» entre des individus égaux en droit se réunissant pour un but commun. Autorisant à se constituer en association à partir de trois personnes, la loi 1901 ne donne en pratique guère de contraintes de ce point de vue, mais oblige seulement à la formalisation des règles de gouvernance interne et - en théorie - à leur respect. RÉGULER LA SOCIÉTÉ CIVILE? 147

Fondateur président à vie, AG non tenues ou très formelles, associés entérinant la gestion sans débat... nombre d'associations, partout dans le monde, ne correspondent que très partiellement à la norme. Le fait que les associations s'y conforment, au moins sur le plan formel, est un processus historique, issu d'une double dynamique d'exigences formelles, faisant l'objet de plus ou moins de contrôle et éventuellement de sanctions, et de pressions internes des membres, exigeant un droit de regard sur les diri­ geants élus et davantage de contrôle sur la politique et les activités de l'as­ sociation. Au-delà de la réaffirmation de ces principes dans une charte, la question est celle des moteurs d'un tel processus d'internalisation progres­ sive des notions de gouvernance associative. En insistant sur les audits, la charte de 2011 met en avant la transpa­ rence financière. Dans la logique associative, la redevabilité interne est assurée par la restitution des comptes en AG, l'attestation par le Commis­ saire aux comptes que les comptes sont sincères, l'accès aux documents comptables pour les membres, sur demande. Des audits ne sont demandés qu'en cas de suspicion, ou de volonté d'une analyse approfondie. La rede­ vabilité externe, vis-à-vis des bailleurs de fonds, renvoie aux financements reçus, et son extension à l'ensemble des ressources de l'association peut être discutée. De plus, les exigences en termes de redevabilité externe et redevabilité interne ne se superposent pas. L'accent mis par les bailleurs de fonds sur les règles de « gestion pour le compte de tiers» insiste davan­ tage sur le respect de règles formelles d'engagement de dépenses et de justificatifs que sur la légitimité des dépenses. Elle peut induire une trans­ parence de façade, en particulier lorsque les exigences de justificatifs sont peu réalistes, et peut aller à l'encontre de la transparence interne!". De fait, avec la bureaucratisation croissante des financements, il y a fréquemment confusion entre exigence légitime de redevabilité et de bon usage des fonds, verrouillage des dépenses éligibles bloquant la capacité à adapter l'action, et demande de justificatifs. Formaliser une exigence de transparence et de redevabilité s'oppose­ rait aux logiques d'appropriation privée et de gestion patrimoniale des associations. Mais l'opposition à de telles normes a d'autres causes que la volonté de maintenir une gouvernance et des modes de gestion discuta­ bles. Comme on l'a vu (chapitre 2), la résistance à une transparence finan­ cière externe complète découle aussi des contraintes des hauts et des bas de financement, de la précarité professionnelle d'un certain nombre de responsables et des stratégies pour distribuer des revenus au sein de l'as­ sociation. Elle renvoie également pour une part aux problèmes pratiques qu'elle pose, et à la recherche de capacités d'auto-financement à partir de budgets externes qui ne le permettent pas toujours. Elle découle enfin, dans certains cas, de résistances à la normalisation des pratiques sur une

19. On discutera au chapitre 5 le problème des justificatifs impossibles à fournir, par exemple pour des dépenses en brousse, qui aboutit à « une ingénierie de la tricherie» (Courtin, 2011: 129). 148 AIDE INTERNATIONALEET SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER logique néo-libérale de prestation de services, des contradictions entre refus de financer du fonctionnement et exigence de transparence sur l' en­ semble des ressources de l'organisation. Cette exigence de transparence totale, qui va de pair avec l'arsenal de diagnostics organisationnels, manuels de procédures, etc. est perçue comme une ingérence, ou en tous cas une pression à la bureaucratisation, à laquelle résistent certains respon­ sables d'organisation, soucieux de conserver leur autonomie.

Politisation et rapport à ['État et aux partis

L'idée d'une société civile apolitique, séparée de la sphère politique, est une fiction (chapitre 1). Dès lors que les associations interviennent sur des problèmes collectifs publics, cherchent à redéfinir les rapports sociaux, s'engagent dans l'espace public" ou revendiquent une démocratisation, de l'État, elles sont dans le politique, et c'est aussi le cas des associations religieuses. Dès lors qu'elles cherchent à influer la façon dont sont posés ces problèmes, à défendre les intérêts de certaines catégories de la popu­ lation, à montrer les effets de politiques sectorielles ou de projets de développement sur elles, elles contribuent à la politisation des politiques sectorielles et des interventions, et c'est le cas aussi pour les Ong profes­ sionnelles, qui posent le problème du tabagisme ou de la sécurité routière, ou travaillent au développement agricole dans une logique de prise en compte des intérêts des producteurs et de soutien à leurs organisations. C'est évidemment le cas des associations de défense des droits de l'homme, des associations altermondialistes, des associations de lutte contre l'esclavage comme Timidria. Pour agir, ces associations sont en relations avec l'État, qu'elles s'y opposent, qu'elles cherchent à l'in­ fluencer par l'argumentation et les études, qu'elles développent des réseaux d'alliés en son sein, ou qu'elles se positionnent en prestataires pour mettre en œuvre des politiques ou des projets. Le gouvernement suscite par ailleurs des associations au service de sa politique, cherche à neutraliser les opposants ou à les coopter, récompense ses soutiens. De nombreux hommes politiques et fonctionnaires ont créé « leur» Ong. La frontière entre société civile et État est d'autant plus poreuses qu'une bonne partie des fondateurs d'associations sont fonctionnaires, que ces associations soient pour eux une façon de se brancher sur la rente de l'aide ou une opportunité pour agir avec plus de pertinence en dehors des contraintes de l'administration (les deux n'étant pas incompatibles, bien sûr). Que les autres, qui n'ont pas voulu, ou pas pu être recrutés, ont de nombreux liens de parenté, d'amitiés, de réseaux étudiants ou politiques, avec des agents de l'État. Et que les mêmes individus peuvent combiner, successivement ou simultanément, des postes dans la fonction publique et des responsabilités associatives, un fonctionnaire pouvant prendre une

20. Pris ici au sens large de lieux de débats sur les conceptions du vivre ensemble, le rapport État/citoyens et la prise en charge des problèmes publics. RÉGULER LA SOCIÉfÉ CIVILE? 149 disponibilité pour être salarié d'une Ong le temps d'un projet, et de leaders associatifs pouvant être cooptés dans l'administration à la faveur d'un changement politique ou en récompense de bons offices. Les critiques sur la politisation de la société civile ne portent pas tant sur ces aspects que sur quatre points: - des individus, militants politiques, qui occupent l'espace public au nom d'associations quasiment inexistantes ou sans réelle base sociale, ce qui questionne leur légitimité; -des prises de position partisanes d'un certain nombre d'acteurs poli­ tiques, sous couvert d'une responsabilité au sein de la « société civile»; -l'instrumentalisation des OSC et de leurs leaders par les partis, qui peuvent les financer pour obtenir des prises de position favorables; -le fait que certains leaders associatifs acceptent des responsabilités politiques et les occupent au titre de la société civile. C'est à ces quatre points, et en particulier aux trois derniers que le projet de charte de 2011 entendait s'attaquer. En soi, le fait que des respon­ sables associatifs passent, à un moment de leur trajectoire, dans le système politique, est un processus très général. Ce qui est critiqué, c'est de prendre la parole « au nom de la société civile» sans avoir été mandaté, et de continuer à revendiquer un rôle de représentation de la société civile alors même que l'on a accepté un poste politique. Obliger à la démission de mandats associatifs lorsque l'on se présente aux élections ou lorsqu'on accepte un poste politique, comme le proposait la charte, avait pour objectif de lutter contre ces jeux sur les positions et de contribuer à réduire une partie des zones d'ombre, même si cela supprimait la possibilité de repli sur le monde associatif en cas d'alternance ou d'échec aux élections, qui est un des rôles de l'ancrage associatif pour ces acteurs. La question des prises de position partisane du secteur associatif et des relations avec le pouvoir et les partis a également été un vif point de débat. On a vu que cela avait constitué un point de rupture fort au sein des OSC, à l'occasion du Tazartché. À partir du moment où elles prennent position pour le respect de la démocratie et de l'État de droit, et/ou dans la lutte contre certaines injustices, il est difficile que le combat de certaines asso­ ciations ne recoupe pas à certains moments la lutte politique et partisane. Définir une frontière à ne pas dépasser est nécessairement arbitraire. En interdisant aux associations de s'associer directement à la communication politique des partis, le projet de charte n'interdisait en aucun cas la parti­ cipation de responsables de partis aux débats citoyens, ni de responsables associatifs à des débats partisans sur un thème d'intérêt général. Mais cela paraissait restrictif. Les amendements de février 2011 ont réaffirmé le devoir des associations de lutter pour l'État de droit, sans vraiment arriver à définir de frontières, sachant de plus que les logiques d'alliances poli­ tique, de promesses de postes, de financements occultes, brouillent en pratique le débat sur la cause. Reste que cette dépolitisation partielle de la société civile est vue par certains, en particulier la frange militante des leaders associatifs, comme 150 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER une tentative de neutraliser le potentiel subversif et contestataire de la société civile pour en faire de simples structures prestataires.

Institutionnaliser ou non les mécanismes de désignation des « représentants de la société civile»

« Dans presque toutes les institutions, c'est société civile, société civile. Et avec à la clé des postes de responsabilité auxquels vous n'auriez pas pu autrement accéder; vous vous trouvez soudainement comme une personna­ lité avec un certain nombre de moyens. Vous devenez presque une person­ nalité politique alors que vous êtes parti de rien. Ça, ça a contribué aussi à donner l'idée aux gens que la société civile était un tremplin pour faire sa promotion personnelle au même titre que les partis politiques. [...] Cela suscite des collectifs concurrents parce que souvent pour accéder à certains postes, on procède par voie d'élection et donc les gens se constituent en collectif avec des candidats qu'ils présentent. C'était le cas pour le secré­ tariat de la CENI. C'était le cas pour la Cour constitutionnelle, etc. Il ya eu bien d'autres cas où il faut passer par désignation, par voie d'élection, donc, les collectifs se constituent comme ça à l'occasion de certains événe­ ments politiques ou autres ou à l'occasion de la désignation de tel ou tel machin» (universitaire).

Une dernière controverse est demeurée plus latente, même si elle traverse tous les débats. Elle n'a pas été abordée de front par les projets de charte, ce qu'a souligné la Commission des affaires économiques et sociales du CNN: « la charte a omis un point important relatif aux critères de représentation des organisations de la société civile en tant qu'entité », faisant manifestement allusion aux postes dans les instances publiques. On l'a vu, cette question était à l'origine même des projets de régulation dans l'esprit de ses promoteurs associatifs. La multiplication des institu­ tions publiques où la « société civile» est représentée, le fait que cette même « société civile» soit associée de façon systématique aux processus d'élaboration des politiques sectorielles et aux multiples ateliers d'évalua­ tions de programme ou de revues à mi-parcours suscitent des enjeux évidents, en termes de notoriété et de reconnaissance politique, mais aussi en termes financiers. Ces enjeux attisent la concurrence entre personna­ lités et entre organisations, les tractations avec le pouvoir politique, mais aussi la lutte pour l'accès et le maintien aux postes de responsabilités dans les associations, en particulier dans les réseaux et autres collectifs qui peuvent plus aisément prétendre à ces postes. La représentation de la « société civile» à ces instances pose de façon aigue la question de la désignation de ces «représentants»: sont-ils nommés ou cooptés par l'État ou l'organisateur de l'événement? sont-ils désignés par leurs pair? Par quels mécanismes? Elle pose aussi la ques­ tion du mandat de ces représentants, de leur lien avec ceux qu'ils sont censés représenter, de la façon dont se définissent les options qu'ils défen- RÉGULER LA SOCIÉfÉ CIVILE? 151 dent dans ces instances, de la façon dont ils restituent les débats et les décisions à leurs pairs. Pour ses promoteurs, une instance suprême de représentation de la société civile serait une façon de répondre à ces problèmes, en instituant des mécanismes clairs et démocratiques de désignation, par la société civile elle-même, de ses représentants dans les institutions publiques et dans les cadres de concertation sur les politiques publiques, permettant d'assurer une légitimité des acteurs désignés et une obligation de redeva­ bilité et de restitution d'informations. C'est un des enjeux des Conseil consultatifs, Conseils des pairs, et autres instances censées chapeauter l'ensemble des organisations de la société civile. Mais, outre le risque d'inféodation au pouvoir si le Conseil est nommé par l'État, de nombreux acteurs craignent qu'une telle instance suprême soit une opportunité pour ses responsables de monopoliser la fonction de représentation, et/ou de jouer à leur tour d'un pouvoir discrétionnaire et clientéliste dans la dési­ gnation des représentants. De plus, le principe d'une élection par leurs pairs des représentants de la société civile (tant à la présidence de cette instance que dans les institu­ tions publiques) suppose, comme le soulignait la Commission des affaires économiques et sociales, un corps électoral constitué, donc une délimita­ tion de ce qui est ou non « de la société civile», une liste à jour des asso­ ciations reconnues, des règles d'affiliations et des mécanismes électoraux, ce qui ne manquerait pas de susciter à nouveaux de nombreux débats et controverses, comme l'a montré J.P. Jacob (2009) pour le cas du Burkina Faso. Parce qu'ils considèrent qu'ils ont plus à gagner dans le flou actuel des processus de désignation, nomination et cooptation, ou parce qu'ils crai­ gnent les dérives de mécanismes institutionnalisés et se résignent finale­ ment à cette situation, nombreux sont les responsables d'associations qui ne souhaitent pas une telle institutionnalisation de mécanismes de repré­ sentation.

L'impossible régulation des « sociétés civiles réelles» ?

Les sociétés civiles nigériennes sont enchâssées dans une société clien­ téliste et néopatrimoniale, où l'accès aux positions de pouvoir dans l'ap­ pareil d'État donne accès à des sources de rente, où les ressources de l'aide internationale sont elles-mêmes des sources de rente, où le personnel politique et associatif en vue recouvre un nombre réduit de personnes qui sont en relations étroites de rivalité et de cooptation, avec peu de renou­ vellement en deux décennies. Les critiques sur les dérives de la société civile datent des années 1990, en même temps que son explosion. La question de l'auto-régulation de la société civile au Niger est posée depuis 152 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER au moins le début des années 2000, avec une série d'initiatives, pas tou­ jours coordonnées, et guère couronnées de succès. Sans pour autant en appliquer tous les principes dans leurs propres organisations, ni être eux-mêmes indemnes des travers qu'ils dénoncent, un petit nombre de leaders associatifs appartenant au noyau des responsa­ bles médiatisés se sont fait les porteurs de ce projet, qu'ils ont tenté à plusieurs reprises de faire avancer, dans le double but de lutter contre certains pratiques (en particulier du point de vue de l'investissement poli­ tique), et de se rendre visibles sur ce créneau tout en mobilisant des fonds pour des activités liées à ce thème. L'enlisement de la démarche volontaire, engagée avec l'appui de la CAPED et du PNUD en 2004-2006, puis la polarisation et les clivages liés au Tazartché, ont convaincu les promoteurs de l'auto-régulation que cette voie était une impasse, qu'il fallait un cadre légal. Ils ont saisi l'op­ portunité de la période de transition et de la nomination d'un des leaders de la société civile à la tête du Conseil consultatif national pour tenter de relancer ce projet de charte et lui donner une valeur légale. Ils y ont vu une fenêtre d'opportunité pour faire passer un telle charte, du fait que plusieurs textes importants au Niger ont été adoptés dans des périodes de transition, que le soutien d'une partie des leaders associatifs au Tazartché avait choqué, et que le projet de charte s'intégrait dans un processus plus large de refonte des institutions visant à davantage institutionnaliser les principes démocratiques et à dépolitiser l'administration. Ils sont sans doute sous-estimé la contradiction qu'il y a à vouloir réguler par l'État la société civile, ce qui a offert une opportunité aux opposants pour contester sur le principe un projet de charte dont ils ne voulaient pas dans la pra­ tique. Les promoteurs successifs des projets de charte ont tenté de définir des principes et des règles qui fassent sens pour les sociétés civiles nigériennes réelles et permettent une plus grande différenciation entre la sphère de la société civile et les sphères économique et politique, au sein desquelles elle est largement enchâssée. La virulence des débats, tant lors de l'atelier de 2006 qu'au Conseil consultatif national, témoigne des tensions qui traversent ces organisations, en tous cas la frange la plus médiatisée. L'appel aux valeurs universelles et à la liberté inhérentes à la société civile, les revendications d'un processus endogène malgré l'échec de 2006 recouvrent assez clairement un refus, de la part d'un certain nombre de responsables associatifs, de toute obligation de transparence, de toute forme de contrôle, fussent-ils mis en œuvres par les pairs. Mais il serait trop rapide de n'y lire que cela. L'analyse plus détaillée des controverses autour des projets de charte révèle aussi des débats de fond, liés à la nature même des «sociétés civiles réelles» au Niger, dans le contexte social, politique et économique contemporain du Niger, et auxquelles les prin­ cipes de pureté associative, issus d'autres expériences historiques et seule­ ment partiellement respectés dans ces contextes, peuvent apporter des éléments de réflexion mais pas de réponse directe. RÉGULER LASOCIÉfÉ CIVILE? 153

En effet, n'est-ce pas la trajectoire même de la société civile nigé­ rienne, dans sa double dimension protestataire et prestataire, dans sa pré­ carité, son extraversion et ses difficultés d'institutionnalisation, qui est finalement en relative contradiction avec l'image idéalisée d'OSe non partisanes, non lucratives, bénévoles, volontaristes, citoyennes, et aux côtés des populations, telle que mise en avant dans ces projets de charte? Jusqu'où le concept de bénévolat et de non-lucratif peut-il faire sens dans un contexte de modernité insécurisée, « où tout le monde se cherche» et où la dépendance financière des associations est massive? Peut-on parler d'auto-régulation sans interroger en même temps les pratiques de finance­ ment, tant de la part de l'administration (dans les appels d'offres des projets) que des bailleurs de fonds, dont l'exigence de transparence et le respect de leurs propres principes varie également grandement et qui appellent à une société civile indépendante et vertueuse tout en finançant de fait des entreprises personnelles et en entretenant la précarité? La réflexion sur ce que sont les sociétés civiles réelles, dans un Niger post­ ajustement, à l'emploi formel sinistré et ancré dans les rentes du dévelop­ pement, et sur les conditions d'un investissement de professionnel asso­ ciatif ou militant, est-elle suffisamment mûre pour permettre un débat approfondi sur les conditions de possibilité d'associations d'intérêt général fondées sur l'engagement militant, et sur la frontière (forcément poreuse) entre ce qui en relève et ce qui relève d'organisations privées de service, avec ou sans but lucratif (avec les implications éventuelles en termes de respect des normes associatives pour les premières, et de conditions d'accès à la détaxation pour les unes et/ou les autres)? Sur ce qui témoigne d'une dimension engagée ou militante justifiant un statut associatif et des financements privilégiés, même sans respecter tous les principes idéaux de l'association, sur les modalités de financement permettant l'institution­ nalisation d'associations porteuse d'un projet propre, sur les règles du jeu recevables pour les différentes parties (en termes de modalités de gestion, d'investissement des responsables associatifs dans l'activité opération­ nelle), etc.?

« Fondamentalement, je ne suis pas contre une charte de la société civile, mais je suis contre une charte qui va être sous l'autorité de l'État. J'ai encouragé à ce qu'il y ait une charte si vraiment c'était nécessaire, comme une charte déontologique des pairs. [...] Au Bénin, ils ont pu éla­ borer cette charte. Mais cette charte a été faite à la suite d'un forum national de la société civile [...] Quand j'ai vu le projet au Conseil consul­ tatif,j'ai demandé simplement qu'on modifie et mette à jour J'ordonnance portant régime des associations qu'il faut maintenant modifier et mettre à jour. [...] Chaque organisation a un dossier reconnu au ministère de l'inté­ rieur, où il y a les contacts de toutes les personnes. Il y a un répertoire. Il faut mettre en place un comité pour faire la mise à jour [...]. Aujour­ d'hui le ministère de l'Intérieur peut faire ce travail, répertorier toutes les associations qui n'ont plus de répondants, où les présidents sont morts, où ils ont abandonné les associations, il peut déclarer qu'elles 154 AlDE INTERNATIONALE Er socrsrss OVILES AU NIGER

n'existent pas et les dissoudre conformément à la loi» (responsable d'Ong, secteur santé).

Certains des opposants au projet de charte du eeN renvoient aussi l'État à ses responsabilités, et prônent une articulation entre une charte volontaire, et une refonte de l'ordonnance de 1984 couplée à un nettoyage du secteur par l'État. Mais le projet de charte de 2006, qui relevait de cette logique interne aux ose, a été torpillé. Vu l'ampleur des pratiques dénon­ cées, et dans le contexte particulièrement clivé et conflictuel de la société civile nigérienne (en tous cas au niveau des leaders les plus médiatisés), il semble difficile qu'un projet consensuel de charte puisse aboutir au niveau de l'ensemble de la société civile, et plus encore qu'une charte volontaire, sans mécanismes de contrôle et de sanction, puisse avoir un quelconque effet sur les pratiques. Par ailleurs, il semble peu probable que l'État s'en­ gage dans des dissolutions massives, initiative qui susciteraitévidemment de violents levers de boucliers de la part des ose. On peut donc s'inter­ roger sur le réalisme politique de ces propositions, et sur les forces qui pourraient y pousser. La «Déclaration de Niamey», proclamée à l'issue de la table-ronde ose - État - PIF organisée par l'État et des ose avec l'appui du PASOe en septembre 20Il a à son tour remis sur la table la question de la régula­ tion. Mais les Assises Nationales qui devaient suivre pour approfondir le dialogue tripartite n'ont jamais été organisées, faute d'intérêt au départ, puis - semble-t-il - du fait de détournement du financement par les ose censées les organiser... Un processus de préparation d'une réforme de l'or­ donnance de 1984 a de son côté été lancée par le PASOe II mais, entre une conception très technocratique de la réforme portée par le consultant et la réticence des ose, son aboutissement reste incertain. Reste alors l'hypothèse qu'un groupe d'OSe convaincu de la nécessité éthique et politique d'une plus grande éthique au sein de la société civile, décide de se doter, pour elles-mêmes, d'une telle charte et de mécanismes d'autocontrôle, et démontrent qu'ils la respectent, espérant que l'adhésion à la charte et à ses mécanismes de contrôle finisse par devenir un passage obligé, ou en tous cas un élément de valorisation. Les difficiles débuts de l'ONIMED, dont le président a été violemment pris à parti dans la presse par les premiers organes épinglés pour leurs manquements à la déonto­ logie, montrent en tout cas que la voie de l'auto-régulation est étroite. Le fait que, jusqu'ici, les réseaux ou collectifs ne se soient guère investis sur le sujet pour leurs propres membres, que les leaders qui mettent en avant l'exigence de redevabilité ou de respect des textes n'en sont pas toujours des modèles, ne rend pas très optimiste ... tout comme le fait que bon nombre d'acteurs, tant étatiques qu'associatifs, trouvent des intérêts à la « gestion de la confusion». 4

L'Union européenne, des Accords de Cotonou au « projet d'appui à la société civile»

L'invention d'une politique

« Donors (and others) do not always have a clear idea of what they are doing when they enter the civil society debate » (van Rooy et Robinson, 1998: 68). «Au Niger comme pour les autres pays, la Délégation se trouvait dans l'obligation de faire quelque chose en appui à la société civile. Il fallait finaliser les accords de Cotonou I...] Or, le contexte politique nigé­ rien était complexe, avec une succession de coups d'État. De plus, impli­ quer les ANE dans le cycle de programmation communautaire et surtout dans l'élaboration, le suivi et la mise en œuvre des politiques publiques était quelque chose de complètement nouveau. Au niveau de la Déléga­ tion, on ne savait pas ce qu'il fallait faire. C'était une des premières Délé­ gations à s'être lancée dans cet exercice, et à ce moment, la réflexion à Bruxelles avait juste commencé. En réalité, on ne savait pas comment faire pour formuler ce type de programme» (consultant international, en appui à l'UE).

Depuis les années 1980, les institutions d'aide bi- ou multilatérales, ont mis en œuvre des stratégies d'appui aux organisations locales, dans une logique de contournement d'Etats autoritaires et de relais pour atteindre les populations, de constitution de contre-pouvoirs et d'appui aux processus de démocratisation, puis, après les transitions démocrati­ ques des années 1990, de production de services aux populations dans une logique néo-libérale de libéralisation de l'économie et de désengagement de l'État du secteur social. L'USAID, puis la Banque mondiale, ont réorienté une partie de leur aide vers le secteur associatif et ont mis en œuvre à la fin des années 1980 des programmes spécifiques censés permettre l'émergence et la consoli­ dation d'une société civile. Avec les Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté, à la fin des années 1990, celle-ci est promue comme un interlo­ cuteur obligé de la définition des politiques publiques. Quelques années 156 AIDE INTERNATIONALE Er socIÉTÉS CIVILES AU NIGER

après, la convention de Lomé, qui régissait les rapports entre l'Union européenne et les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) arrive à expira­ tion et l'UE redéfinit sa politique d'aide. Signés en 2000, les Accords de Cotonou démantèlent les mécanismes d'accès préférentiel au marché européen des Accords de Lomé, font des « Acteurs non étatiques» (terme spécifique à l'UE) des interlocuteurs politiques, et prévoient à leur tour de mettre en place des projets d'appui à ces acteurs. Ils sont signés au moment des débuts de la déconcentration d'EuropeAid et, dans une logique d'adaptation aux contextes nationaux, les Délégations de l'Union européenne (DUE) dans les pays sont chargées de définir leurs stratégies et leurs projets, en négociation avec les États. Pendant la première moitié des années 2000, les Délégations de l'Union européenne dans les pays ACP vont chercher comment concré­ tiser les principes des Accords de Cotonou dans leur stratégie pays et défi­ nissent une série de «projets d'appui à la société civile »1, dont une quarantaine ont été mise en place à cette période. Le Niger est un des pays qui s'est engagé le plus rapidement dans la traduction des Accords de Cotonou. Les chapitres qui suivent analysent la façon tâtonnante dont la Délégation de l'UE au Niger a progressivement élaboré sa politique et défini le PASOC (Projet d'appui à la société civile) dont la première phase a été mise en œuvre entre 2009 et 2011. Le principe d'un projet d'appui aux acteurs non étatiques a été intégré dans la préparation du Programme indicatif national (PIN) du 9" FED, négocié à partir de 1998 et signé en 200F. Entre le principe d'un tel projet et le démarrage du projet, début en 2008, avec la mise en place de l'assistance technique, il s'est écoulé plus de 7 ans. Une telle durée, exceptionnellement longue, témoigne des incer­ titudes de cette phase de découverte de la problématique et de recherche d'une stratégie, marquée par une série d'études et de réflexions. Comme on l'a vu, l'émergence du thème de la société civile dans les politiques d'aide a suscité une abondante littérature, soit normative, soit très critique et mettant en évidence le lien entre promotion de la société civile et néo-libéralisme. Sauf exception, ces analyses discutent les discours et les politiques, plus que les dispositifs et les pratiques, ou les liens entre les deux. Ceci induit deux types de problèmes. Tout d'abord, les politiques apparaissent comme données, dans l'apparente cohérence des publications officielles et des documents de stratégie. Au-delà des contextes globaux dans lesquels ils s'inscrivent et qui les expliquent, les

1. Ceux-ci ne constituent qu'une partie des principes des Accords de Cotonou. On n'étudiera pas ici les autres dimensions: modalités de participation des OSC au dialogue avec l'Union européenne, etc. 2. Le Fonds européen de développement (FED) est l'instrument financier de la coopéra­ tion au développement de l'Union européenne. Il est défini pour 7 ans, dans ses volumes comme dans ses objectifs et ses instruments. Pour chaque pays, un volume financier et les grandes lignes d'un programme d'action sont négociés avec l'État, puis mis en œuvre progressivement. On parle ainsi du 9"FED, en référence au programme et à l'enveloppe de financement correspondante. L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 157 processus de définition des politiques ne sont guère objet d'analyse', ce qui laisse dans l'ombre les processus de cadrage, les contradictions entre conceptions, les conflits de définition qui les ont scandés et qui (à quel­ ques contradictions près) sont largement occultés dans les documents publiés du fait des arbitrages et lissages dont ils ont été l'objet. La « fabrique politique des politiques publiques» (Zittoun, 2013b) disparait, et avec elle le caractère contingent, contradictoire, de toute politique publique. Par ailleurs, les politiques en acte, les modalités de mise en œuvre des stratégies, leurs incertitudes, leurs réinterprétations, ne sont guère étudiées, pas plus que les contradictions entre les stratégies et les pratiques effec­ tives. Un tel désintérêt pour les questions de mise en œuvre, considérées comme de la simple « cuisine», pose cependant problème dès lors que l'on prétend imputer des effets concrets aux discours politiques analysés. Cela revient, implicitement, à considérer que les pratiques des institutions correspondent à leurs politiques, et les dispositifs de mise en œuvre sont de simples courroies de transmission des stratégies. Le rapport problématique entre stratégies (policies) et pratiques a certes été mis en évidence par l'anthropologie du développement, mais l'ouvrage de référence de Ferguson (1990) traite les deux séparément, analysant côté discours la façon dont la Banque mondiale reconstruit une image du Lesotho pour légitimer sa politique, et côté pratiques l'échec d'un projet de développement de l'élevage financé par la Coopération canadienne. De son côté, Mosse (2005) discute de façon fine les rapports entre politiques et projets, montrant que les disjonctions sont structurelles, que les acteurs font un travail permanent de construction de schémas interprétatifs pour relier les deux, et faire apparaître une apparente cohé­ rence et réduire au silence les interprétations divergentes et la mise en lumière des contradictions. Mais s'il analyse remarquablement les impli­ cations, pour le projet qu'il étudie, du revirement politique de la coopéra­ tion britannique, il n'analyse que succinctement la façon dont, en amont, ce projet a été défini dans le contexte de la politique antérieure. Voulant mettre à distance tout ce qui peut paraître comme une concession au lan­ gage et au mode de raisonnement des développeurs, l'anthropologie du développement tend globalement à mettre de côté la question de la mise en œuvre, qui est un objet spécifique en analyse des politiques publiques aux États-Unis" et que les travaux francophones découvrent sous l'angle des questions «d'instrumentation» (Lascoumes, 2003; Lascoumes et

3. Parmi les exceptions, voir l'analyse du processus de production du World Devel­ opment Report de 2006 (McNeill et St Clair, 2011). 4. Cf. le sous-titre édifiant du livre de Pressman et Wildavsky (1984 (1973»: «com­ ment les grands espoirs à Washington se brisent à Oakland: ou pourquoi il est stupéfiant que des programmes fédéraux marchent malgré tout, ceci étant une saga de l'Administra­ tion du développement économique, racontée par des observateurs sympatisants cherchant à tirer une morale sur la base d'espoirs ruinés ». Ainsi que Saetren, 2005; Robichau et Lynn Jr, 2009. 158 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

Le Galès, 2007b), c'est-à-dire de la traduction de stratégies en dispositifs et en actions à travers le choix et la mise en œuvre d'un ensemble de textes, de d'institutions, de moyens financiers, de procédures, etc. L'accent sur les discours et la réification des stratégies, d'une part, l'absence de questionnement sur les modalités de mise en œuvre d'autre part, dans les travaux sur les politiques d'aide vis-à-vis de la société civile traduisent une conception finalement bien simpliste de l'action publique, à rebours des résultats de l'analyse des politiques publiques qui insiste au contraire sur leur caractère contingent, incertain. Et de ce fait, ces travaux tendent à surestimer la cohérence de ces politiques, dans leur définition comme dans leur mise en œuvre (cf. aussi Mosse, 2005: 4-5). Nous analyserons dans ce chapitre la façon dont la Délégation de l'UE au Niger a défini sa politique, mettant en lumière les différentes étapes par lesquels elle a tenté de prendre acte des dynamiques des OSC au Niger et, au prix d'une sélection des enjeux, de traduire les grands principes géné­ raux sur les rapports États/société civile définis dans les Accords de Cotonou (principes eux-mêmes objets d'interprétations contradictoires) en une architecture de projet d'appui, censée répondre à ces dynamiques. Loin de l'image de stratégies définies d'en haut et répliquées dans tous les pays, on verra un processus contigent, relativement indéterminé au départ, qui s'est précisé à travers une succession de cadrages, de controverses, de négociations. Une telle lecture processuelle permettra d'identifier les différents arbitrages politiques qui ont façonné la formulation du PASOC, mettant en lumière « la façon dont les acteurs fabriquent" de la cohérence en définissant une politique publique à partir d'un assemblage d'actions publiques éparses et fragmentées» (Zittoun, 2013a: 631). Elle permet aussi de questionner la thèse, parfois énoncée sans nuance, du caractère dépolitisant des politiques de développement: définir des catégories, construire les problèmes, définir des objectifs, sont des tâches éminem­ ment politiques, et la stabilisation d'énoncés, la définition de publics et d'objectifs, passe par des controverses, des négociations, des rapports de force". Le chapitre suivant sera consacré à la traduction des choix de dispositifs d'appui en projet concret, en dispositif institutionnel, en procé­ dures. Prenant au sérieux la question de l'instrumentation, on montrera que cette phase (qui s'étale sur plusieurs étapes et se poursuit au cours de la mise en œuvre, à travers des ajustements successifs) passe par de nouvelles négociations, de nouvelles traductions et se traduit par de nouvelles simplifications et réorientations. Consacrer deux chapitres distincts à la formulation de la politique et à son instrumentation est en partie artificiel. Les conceptions linéaires et séquentielles de l'action publique sont clairement disqualifiées. La conception d'une politique intègre ses modalités de mise en œuvre. Il n'y

5. Ou plutôt: tentent de fabriquer. 6. Sur la dimension politique du design des projets de développement, cf. Brocklesby et Hobley, 2003. L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 159 a pas d'un côté les idées, de l'autre les instruments: la question de la mise en œuvre et des types d'actions possibles, celle des instruments disponi­ bles traversent dès le départ la réflexion, comme Ferguson l'a bien montré; les choix se précisent (ou se redéfinissent) aussi dans la définition des instruments qui sont loin d'être neutres. Bien plus, une politique en acte est la résultante des pratiques des acteurs chargés de sa mise en œuvre; on ne peut pas séparer la conception de la mise en œuvre (Robertson, 1984). Pour autant, les questionnements ne sont pas exactement les mêmes aux différentes étapes, les enjeux de catégorisation et de cadrages sont plus forts dans un premier temps même s'ils ne sont pas achevés lors de la rédaction du document projet. Scinder l'analyse en deux chapitres ne traduit pas une conception séquentielle de l'action publique, mais un parti­ pris de restitution mettant en avant un questionnement spécifique à ces deux moments. Retraçant, sur sept années, la façon dont la Délégation de l'UE au Niger a simultanément construit sa stratégie d'appui à la société civile et défini le PASOC, à travers une série d'études et de controverses, ces deux chapitres cherchent ainsi à comprendre pourquoi le PASOC est ce qu'il est et pas autrement, et à travers cela à mettre en lumière les dilemmes, contraintes et choix inhérents à la traduction d'intentions politiques géné­ rales (les Accords de Cotonou) en un dispositif concret dans un pays donné. Refusant la facilité d'un cadre interprétatif a priori (qui verrait par exemple dans le PASOC le simple produit des stratégies néo-libérales de l'UE, ou l'application mécanique à la société civile de dispositifs stan­ dards produits par une bureaucratie de l'aide) comme celle d'une interpré­ tation a posteriori expliquant que le PASOC ne pouvait être autrement que ce qu'il est, il s'agit dans une approche génétique et processuelle de comprendre l'imbrication d'arènes, l'enchevêtrement de configurations d'acteurs, les articulations d'enjeux qui se sont noués et de décrire, de la façon la plus fine possible, la succession de configurations, d'arbitrages, de choix qui, parmi un ensemble plus large de possibles (même si tous n'étaient pas équivalents ou équi-probables), ont produit une stratégie et un dispositif donné, avec ses choix et ses contradictions. A travers cela, il s'agit d'ouvrir la boîte noire des processus de formulation par une analyse ethnographique rétrospective, qui en retrace les acteurs, les étapes, les controverses, et donne à voir la façon plus ou moins tâtonnante et cohé­ rente dont les principaux choix ont été faits, en « refusant le regard rétros­ pectif qui écrase les moments d'incertitudes et n'envisage la création que comme une série d'étapes obligées allant de l'abstrait au concret, de l'idée à sa mise en œuvre» (Lascoumes et Le Galès, 2005b: 13). 160 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Les Accords de Cotonou et la promotion des « acteurs non étatiques» : entre paradigme néo-libéral et refondation politique

Les Accords de Cotonou et la nouvelle « gouvernance européenne»

Marginale dans le traité de Rome en 1957, la politique européenne de développement s'est progressivement institutionnalisée à partir d'une histoire initiale très liée aux personnes (Dimier, 2003a; b; Dimier, 2004), au fil de changements incrémentaux et de réformes dans des contextes de crise (Bué, 2011). Prenant la suite des Accords de Lomé successifs, les Accords de Cotonou signés en juin 2000 définissent les nouvelles moda­ lités de coopération de l'Union Européenne avec les pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) pour vingt ans. Marquant le passage d'un modèle stato­ centré postcolonial, jugé obsolète du fait du tournant néo-libéral (Brune, 2(02) et des démocratisations du début des années 1990, à un modèle multi-acteurs, les Accords de Cotonou répondent aussi à des évaluations sévères de l'aide européenne antérieure (Mackie, 2008: 145). Ils tradui­ sent une profonde réorientation de la politique européenne, avec d'une part la fin des accords commerciaux préférentiels qui assuraient une entrée à faible taxation de produits de ces régions dans l'Union Européenne", d'autre part l'ouverture de la coopération de l'Union Européenne aux « acteurs non étatiques ». Sous l'entrée « gouvernance », l'UE inscrit dans ses objectifs de coopération des dimensions de réforme politique et insti­ tutionnelle des pays tiers. Sortant d'une relation exclusive avec les États, elle élargit la gamme des « acteurs de la coopération » (de ses interlocu­ teurs, donc)" aux « acteurs non étatiques », comprenant « secteur privé; partenaires économiques et sociaux, y compris les organisations syndi­ cales et la société civile sous toutes ses formes, selon les caractéristiques nationales »9. Ces « acteurs non étatiques» sont légitimés, à la fois comme acteurs du dialogue politique avec leur États dans chaque pays, comme interlo­ cuteurs de l'UE dans le dialogue sur sa coopération, et comme contri­ buant à la mise en œuvre des politiques de développement (Carbone and

7. Sur le plan commercial, l'Accord de Cotonou introduit le principe d'un régime de libre échange devant se substituer, à compter de l'année 2008, au système de préférences non-réciproques qui pré-existent. Ce nouveau régime devait être essentiellement mis en œuvre via des Accords de partenariat économique (APE) régionaux instaurant des zones de libre commerce avec l'UE, accords très controversés car ils ont été accusés d'être extrêmement déséquilibrés en faveur de l'UE (Stevens, Meyn, Kennan et al., 2008; South Center, 2010). 8. [http://ec.europa.euJeuropeaid/where/acp/overview/cotonou-agreement/ index fr, htm], dernier accès le 30/01/2013, cité par Montagner (2005: 7). 9. Idem. L'INVENrIüN D'UNE POLITIQUE 161

Lister, 2013). Cette volonté européenne a suscité l'opposition de nombreux États ACP: « during the negociations, which eventualy led to the adoption of the Cotonou Partnership Agreement (CPA) in June 2000, the degree of involvment of civil society was one of the most controversial issues, but an agreement was eventually reached in December 1999» (Carbone, 2008: 248; cf. aussi Mackie, op.cit.). La Communication de la Commis­ sion au Conseil sur « la participation des acteurs non étatiques à la poli­ tique communautaire de développement» précise en 2002 ces orientations et prévoit que ces acteurs recevront un soutien au « renforcement de leurs capacités» (Commission Européenne, 2002a). Comme les autres institutions internationales, l'UE met ainsi en avant un modèle politique libéral, où les acteurs privés et associatifs sont reconnus comme partie intégrante de la « gouvernance », au confluent de l'hégémonie néo-libérale post-mur de Berlin et d'une volonté de condi­ tionner l'aide à des réformes institutionnelles des États receveurs.

« C'était l'époque - je te parle de la fin des années 1990 - de la remise en cause de la mauvaise gouvernance: comment passer de l'ajustement structurel, avec réduction des budgets de l'État, tel que poussé par les institutions financières internationales, à une sorte d'ajustement de type politique, dans le sens d'œuvrer pour la bonne gouvernance, et faire en sorte que les fonds de la coopération internationale arrivent à l'ensemble du pays, etc. Le parlement européen a poussé énormément en faveur d'un nouveau rôle pour la société civile, qui aurait pu être un contrepoids, pour faire en sorte que les affaires publiques soient mieux gérées, selon l'intérêt collectif» (consultant international).

Des think tanks comme ECDPM, spécialisé sur les politiques euro­ péennes de coopération, ont fortement pesé pour inclure la société civile dans les Accords de Cotonou.

«Au début des années 1990, la seule action de la Commission euro­ péenne envers la société civile était le financement d'Ong européennes. Il n'y avait aucune trace des sociétés civiles nationales. Ce sont les Projets Micro-Réalisations qui ont été la première façon de financer des actions locales, à partir des années 1992. Indirectement, on finançait la société civile locale, c'était un canal pour acheminer une toute petite partie d'aide à travers les micro-projets. Les États appréciaient car cela ne représentait aucun danger. Après les démocratisations, la Commission a quitté cette approche très minimaliste et Cotonou a été le moment de faire un saut qualitatif. Mais vous n'imaginez pas combien ça a été une bataille! La coopération européenne était très centralisée, elle ne travaillait qu'avec les États, et c'est pour ça que la discussion a été aussi difficile pour ouvrir cet espace. Les autorités centrales des pays partenaires n'avaient aucun intérêt à ouvrir cette boîte-là, car la question n'était pas seulement de partager un peu plus le gâteau. Mais à la fin des années 1990, un certain nombre d'États membres disaient que la société civile n'était pas seulement des prestataires de service, que c'étaient avant tout un acteur dans la société 162 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

politique de son pays. Et ce discours était plus fortement porté par des États membres, en particulier d'Europe du Nord, que par la Commission. Il y avait en son sein des gens qui avaient cette vision, mais ce n'était pas porté politiquement. Pendant la négociation, il a fallu faire le forcing parce que les négociateurs n'avaient pas l'œil à cela» (expert ECDPM).

Mais la promotion d'un tel modèle politique libéral et l'accent mis sur le rôle des «acteurs non étatiques» dans les politiques publiques ne concernent pas seulement les pays bénéficiaires de l'aide. Arrivé à la suite de la démission de la Commission Santer, discréditée par des scandales financiers, le nouveau commissaire Romano Prodi cherche à reprendre l'initiative politique et à renforcer la capacité politique de la Commission. Il fait de la réforme de la gouvernance européenne une des quatre priorités de son mandat (Georgakakis, 2(08). Publié un an après, le « Livre Blanc sur la gouvernance européenne» de 2001 (Commission des communautés européennes, 2(01) propose ainsi « d'ouvrir davantage le processus d'éla­ boration des politiques de l'Union européenne, afin d'assurer une partici­ pation plus large des citoyens et des organisations à leur conception et à leur application» (p.3). L'accès aux arènes de débat sur les politiques est élargi aux organisations de défense des citoyens, des droits de 1'homme, de l'environnement, etc. «Accroître la participation» est au premier plan des « changements proposés» (p.14sq) pour « rendre le fonctionnement de l'UE plus transparent », «parvenir jusqu'au citoyen par la démocratie locale », «impliquer la société civile », promouvoir « une consultation plus efficace et plus transparente au cœur de l'élaboration des politiques de l'UE ». Il s'agit à la fois d'entériner la participation des acteurs privés à la définition des politiques européennes, de la structurer, et de la contre­ balancer par l'élargissement de la participation à la société civile: «the concept of civil society entered the debate on EU governance comparati­ vely late » (Finke, 2007: 4)10, mais il irrigue désormais l'ensemble des politiques. Analysant l'échec de ce qui aurait pu être une « opportunité de conver­ sion de la Commission en instance politique», Georgakakis (2008) souligne que «loin d'être un sous-produit de la dépolitisation ou du néo­ libéralisme », le Livre Blanc semblait au départ « un instrument permet­ tant de relancer la méthode communautaire» et considère que cet échec traduit «le triomphe en acte plutôt qu'en idée» du concept «de la "gou­ vernance" dans sa définition libérale». En effet, ambition politique de démocratisation et conception instru­ mentale de la participation visant à légitimer les politiques européennes se sont affrontées au sein de la Commission (idem; Finke, op. cit.; Michel, 2007a)ll. En pratique, l'ambition de refondation politique a vite été réduite

10. Sur la genèse de la catégorie de « société civile europëenne » et l'histoire des rela­ tions de la Commission européenne avec les associations européennes, cf. Weisbein, 2003. II. Sur les différents modèles de participation à l'ére néo-libéraJe, cf. Bacqué, Rey et Sintomer, 2ooSa; Blondiaux, 2008. L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 163

à une rénovation de la méthode de définition des politiques sectorielles, avec une approche sélective de la participation, privilégiant les organisa­ tions capables de proposer des argumentaires « rationnels », et donc celles qui sont déjà les mieux introduites à l'Union Européenne. Bien plus, en faisant des organisations patronales des acteurs de la société civile, « en rebaptisant l'ensemble des groupes d'intérêt "société civile", le Livre Blanc les érige en véritables acteurs de la démocratie et réévalue leurs pratiques en «bonnes pratiques», pour autant qu'elles respectent certains principes de transparence, de pluralisme et se conforment à des standards minimaux de consultation» (Michel, 2007a: 171). Une conception très institutionnalisée de la « société civile européenne» s'est imposée (Weis­ hein, 2003; Michel, 2007b), parallèlement à l'affirmation des groupes d'intérêts privés. Ce sont ainsi deux processus parallèles, l'un interne et l'autre externe, qui, au sein de l'Union européenne, ont cherché à institutionnaliser de nou­ veaux rapports entre État et sociétés civiles au tournant des années 2000. Bien que relevant de dynamiques et d'enjeux différents, ils posent tous deux la question des conceptions politiques de la « gouvernance» et du rapport entre pouvoir politique, technocratie, secteur privé et associations. Ils ne sont pas totalement indépendants: ainsi, les « Principes généraux et normes minimales applicables aux consultations engagées par la Commis­ sion avec les parties intéressées» de 2002 (Commission Européenne, 2002b) sont traduites dans le champ de la coopération deux ans plus tard (Commission Européenne, 2004).

Les « acteurs non étatiques» : une notion molle et controversée, au sein même de l'UE

Les institutions d'aide mobilisent largement le terme de «société civile ». Il est utilisé par la Commission européenne dans le Livre blanc de 2001, avec une acception large, intégrant les organisations patronales et syndicales (Michel, 2007a: 170). Par contre, pour acter la fin des rela­ tions exclusives avec les États partenaires et valoriser la participation des autres acteurs à la définition et à la mise en œuvre des politiques de déve­ loppement, la Commission européenne met en avant une notion qui lui est propre, les «acteurs non étatiques» (ANE; non-state actors). Plus encore que celui de « société civile », le terme est flou et ambigu, son acception varie d'un texte à l'autre. Dans les Accords de Cotonou, le secteur privé fait partie à part entière des ANE, «la société civile sous toutes ces formes» n'en étant qu'une partie". Spécifique à la DG Développement, ce terme, avec ses ambigüités et ses flottements, accroît les confusions sémantiques et les problèmes de catégorisations du concept lui-même très

12. Voir une analyse des flous du terme et des acceptions contradictoires entre docu­ ments officiels dans Planche et Lavigne DelvilIe, 2OOS. 164 AIDE INTERNATIONALEET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER polysémique de société civile. Il a suscité de nombreux débats, tant au sein de la commission qu'en dehors, traduisant la tension entre différentes conceptions politiques, celles qui visent d'abord à sortir de l'étatisme et à promouvoir une conception pluraliste de politiques publiques, celles qui mettent en avant une vision néo-libérale légitimant un rôle central aux entreprises, celles enfin pour qui la reconnaissance de la société civile légitime des conceptions plus politiques de démocratisation et de refonda­ tion de l'État:

« [Au sein de la Commission,] ce n'était pas une conception de la société civile contre l'État, comme dans certaines coopérations bilatérales. C'était plutôt « oui, oui, il faut faire quelque chose avec la société civile. Mais quoi? Parce que les affaires sérieuses c'est avant tout l'État ». Malgré tous les discours qui étaient là à cette époque sur le rôle de la société civile dans les démocratisations, dans la gouvernance, etc., l'enjeu était de trouver un rôle pour la société civile. Ca a été - comment dire? ­ l'irruption de la société civile dans des politiques très centralisées. Il n'y avait pas de véritable vision au début sur ce qu'on fait avec cette société civile» (expert ECDPM). « A sa sortie, cette communication sur les Acteurs non étatiques a été critiquée par tout le monde. Vraiment, tout le monde était contre ce concept qui paraissait trop ambigu. L'idée était de travailler avec des acteurs sans but lucratif. Mais ce n'est pas toujours si simple que ça, il y a toujours des frontières peu marquées entre entreprises et secteur non lucratif, comme les coopératives. Et en plus, ça dépend énormément de chaque pays. La démarche était plutôt d'acter que, désormais, on ne pouvait plus continuer à travailler comme on le faisait auparavant [avec exclusivement les États].l\ fallait partir sur des nouvelles bases et avec un éventail d'acteurs beaucoup plus large. Mais ça a été très mal reçu au début. Il y a eu des réactions très, très fortes. Les Ong ont été les premières à réagir parce qu'elles n'étaient pas tout à fait d'accord avec la manière dont ça s'était passé» (ancien membre de l'équipe E4, à Bruxelles)

Le flou du terme ANE, la place ambigüe du secteur privé, ont suscité de nombreuses réactions. Les Ong européennes ont dénoncé une soumis­ sion au dogme néo-libéral. Pour les membres de l'équipe chargée de la concrétisation des accords de Cotonou au sein de la DG Développement, c'était au contraire un élargissement inédit de la conception de la coopéra­ tion par l'VE. De fait, le secteur privé, initialement considéré comme partie intégrante, a été progressivement exclu (en dehors parfois des orga­ nisations patronales) au profit d'un triptyque « État, secteur privé, autres acteurs non étatiques ». lesquels incluent donc les associations, les syndi­ cats, les médias, la recherche 13, etc. La notion d'acteurs non étatiques a servi pour certains à inclure puis exclure le secteur privé, pour d'autres à

13. Largement mise en œuvre dans des universités publiques, dont le caractère «non étatique» est donc discutable, même si elles sont censées être indépendante du pouvoir politique. L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 165 regarder au-delà des seules Ong pour mettre en avant une vision plus large des organisations de la société civile, intégrant les syndicats. Trop ambigüe, trop spécifique à la DG Développement, elle a été progressive­ ment abandonnée.

« Maintenant dans le "dialogue structuré", on ne parle plus d'acteurs non étatiques, on parleen terme d'organisations de la société civile. Fina­ lement,ça a eu sonépoque qui répondait à un moment spécifique qui était nécessaire pour dépasser le concept d'Ong. Peut être qu'il fallait passer par cette étape-là» (consultante, ancienne membre de l'équipe E4, à Bruxelles).

D'un point de vue sociologique, la notion d'acteurs non étatiques est évidemment problématique. Mais son enjeu n'était pas sa rigueur analy­ tique. Au contraire! Certes, comme le dénonce vigoureusement M.D. Perrot (2002: 206),« le parler des organisations internationales, lorsqu'il s'adresse à tous, est bien plutôt à rapporter à la langue de coton »14 qu'à la langue de bois au sens où elle est molle, consensuelle, exprimant des défis mais n'identifiant jamais de cause ou de responsable. Mais si les institutions internationales mobilisent largement des concepts flous et des mots valise (Cornwall et Brock, 2(05), et manient avec virtuosité la «langue de coton », ce n'est pas seulement parce que ces institutions «tournent à vide », c'est que ces termes doivent être recevables politiquement par des acteurs, des institutions, des États extrêmement hétérogènes. Ici, la notion d'ANE avait pour enjeu de faire entériner l'élargissement des interlocu­ teurs de la politique de coopération de l'UE, dans des termes qui puissent faire consensus au sein d'une Union européenne rassemblant des pays aux traditions très différentes en termes de rapports État/société/marché, puis­ sent être recevables par une DG Développement hétérogène en termes de conception de ces rapports et d'enjeu de la coopération. Qui puissent aussi s'appliquer à des États aux trajectoires encore plus variées et être enté­ rinés par leurs gouvernements. La contrepartie est évidemment qu'un tel flou suscite et entretient de multiples conflits d'interprétation au sein même des instances européennes et avec leurs interlocuteurs. Et que la question des acceptions et des frontières de la notion est en pratique renvoyée à des textes ultérieurs, qui la précisent (ou la redéfinissent, comme la Communication sur les acteurs non étatiques), et surtout à la traduction opérationnelle des principes dans des politiques et des disposi­ tifs en acte. D'autant plus que, les contextes socio-politiques des pays avec lesquels l'UE coopèrent étant extrêmement variés, la Communauté européenne préconisait flexibilité et adaptation au contexte local dans les relations avec les acteurs non étatiques. Dès lors, la signification politique

14. Expression qu'elle emprunte à François-Bernard Huyghe (1991: 12): «Elle a réponse à tout parce qu'elle n'énonce presque rien. Ou trop, ce qui revient au même. C'est surtout la langue sans réplique. [oo.J C'est une langue du pouvoir [oo.J. Consensuelle par excellence [00'], elle sait respecter l'essentiel ». 166 AlDE INTERNATIONALE Er socrsrss CIVILES AU NIGER de la notion d'ANE ne peut être tranchée à partir de la seule analyse des textes: elle se construit, éventuellement de façon hétérogène et contra­ dictoire, dans ses concrétisations pratiques (Planche et Lavigne Delville, 2005: 158).

Une politique à inventer: une équipe dédiée, une large responsabilisation des Délégations

«C'était une phase d'expérimentation. C'était très novateur, il n'y avait pas de référence. On avait seulement une idée de vers où les choses devraient aller. Ça s'est construit petit à petit» (ancien membre de l'équipe FA,à Bruxelles).

Les Accords de Cotonou prévoient trois principes clés en ce qui concerne les acteurs non étatiques: ils seront impliqués dans la définition, la mise en œuvre et le suivi des actions et des politiques de développe­ ment de leur pays et des politiques de coopération de l'UE avec ce pays; ils bénéficieront de financements directs, à travers une enveloppe réservée dans le cadre du Programme indicatif national; et enfin, des mesures spécifiques d'information et d'appuis seront mises en place pour renforcer les capacités de ces acteurs à assumer ces rôles. Des enveloppes budgé­ taires spécifiques ont ainsi été introduites dans le 9"PEDls, pour les projets de renforcement des capacités des ANE. Au cours des années 2000, l'UE expérimente et invente ainsi les façons de traduire les Accords de Cotonou en dispositifs et en pratiques concrètes, et en particulier la façon de conce­ voir et mettre en œuvre des projets d'appui". Cette expérimentation se déroule dans un cadre institutionnel lui-même nouveau (Dearden, 2008: 115ss; Mackie 2008). La politique extérieure de la Commission européenne a été profondément réorganisée en 2000. En 1995, face à la multiplication des lignes budgétaires et aux problèmes de coordination interne entre DG RELEX (relations extérieures) et DG DEV, et aux interrogations sur l'efficacité de l'aide européenne, une large évalua­ tion de l'aide aux pays de la Méditerranée, de l'Asie, de l'Amérique Latrine et des pays ACP a été lancée (Montes et al., 1998), qui a abouti en 1998 à la création du Service commun (SCR) puis, en 2000, à une double réorganisation, avec d'une part la création d'EuropeAid comme organe opérationnel pour la mise en œuvre de la politique d'aide, et d'autre part, une déconcentration aboutissant à accroître les responsabilités des Déléga-

15. Fonds européen du Développement. Instrument financier de la coopération de l'UE avec les pays ACP. 11 est défini pour sept ans dans ses règles et ses valeurs financières, chaque phase étant identifié par un numéro. 16. La question du dialogue politique a été prise en charge en termes institutionnels par une section différente au sein de l'Union européenne. Je n'en fais pas une analyse systéma­ tique. L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 167 tions de l'UE dans les pays ACP en termes de définition des stratégies dans ces pays. Les Délégations, qui voient tout juste leurs rôles redéfinis, leurs res­ ponsabilités élargies, doivent donc en plus intégrer la question des acteurs non étatiques. Elles l'abordent avec plus ou moins d'expérience et de réflexion en la matière, plus ou moins d'enthousiasme, tant sur la question du dialogue sur ses propres politiques que sur celle des projets d'appui. La question des Acteurs non étatiques est en général positionnée au sein de I'équipe « Gouvernance» qui s'occupe aussi de politique économique. Elle est prise en charge par un ou une chargé(e) de mission, dont l'expé­ rience en la matière dépend de sa trajectoire antérieure. Progressivement, des profils de poste intégrant cette compétence seront ouverts, au fur et à mesure des mutations et en fonction de la priorité donnée à ce thème par la Délégation. Au niveau d'EuropeAid, à Bruxelles, le suivi de ces projets est assuré par une petite équipe de quatre personnes, au sein de l'unité « gouver­ 17 nance » E4 , qui s'occupait aussi des appuis institutionnels, de l'intégra­ tion régionale, thèmes fortement liés aux Accords de Cotonou. La respon­ sable de l'équipe « société civile» avait travaillé en Afrique du Sud sur les questions de gouvernance et était particulièrement engagée. Venant plutôt du secteur « droits de l'homme», constituée de fonctionnaires et de cadres contractuels, l'équipe E4 portait une vision assez politique de la société civile, mettant l'accent sur la participation, le dialogue, le plai­ doyer comme formes euphémisées (et donc acceptables par les États) de contrepoids aux logiques étatiques. Elle a pris à bras le corps la question, dans l'ambition de rendre « mainstream » la question de la société civile au sein de la coopération européenne, dans une optique mettant en avant le dialogue entre État et société civile.

« On était une petite équipe de seulement quatre personnes, on essayait de suivre ces programmes-là. Bon il faut dire qu'ils n'allaient pas tous dans la même démarche, mais on a énormément fait jouer les réseaux. C'était une époque très particulière, c'était assez atypique par rapport au fonctionnement normal de la Commission. Nous avons organisé un sémi­ naire auquel tous les représentants "acteurs non étatiques" des Délégations ont participé. A partir de là, de façon informelle, un réseau s'est mis en place où toutes ces personnes ont collaboré entre eux, pour s'entraider dans cette nouvelle démarche, sur laquelle il n'y avait pas d'expériences à partir desquelles apprendre» (idem).

Le mandat de cette unité est au départ axé sur l'opérationnalisation de l'appui aux ANE. Il n'y a pas de doctrine stabilisée, ni de savoir-faire opérationnel. Au début, les appuis aux Délégations sont assez limités, et portent surtout sur des questions de procédures. L'Unité E4 met l'accent

17. A Bruxelles, le dispositif institutionnel a subi plusieurs réorganisations au cours de cette période. Je n'en fais pas une analyse systématique. 168 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER l'échange d'infonnations , la réflexion commune. Elle commandite à ECDPM un « manuel à l'usage des acteurs non étatiques» (ECDPM, 2004) explicitant les Accords de Cotonou. A la faveur d'une réorganisa­ tion d'EuropeAid, la procédure de préparation de projet a été systématisée avec un renforcement des « Quality support group », instance collective à Bruxelles suivant et discutant les projets en cours de préparation, devant qui toutes les fiches de projets passent désormais,

« A partir de 2005, il Ya eu obligation pour tout futur projet de passer par ce processus de Quality Support. [...] On posait des questions de fond pour aider les délégations à réfléchir: comment faire pour que les OSC ne soient pas seulement des prestataires? Comment faire pour élargir leur espace dans des sociétés pas forcément démocratiques? On mettait en garde contre le fait de pousser à des structurations "par le haut": c'est tentant pour le bailleur, on a un interlocuteur, mais c'est artificiel. [...] Il Y a eu une formalisation sur le type de questions à apporter dans chaque dossier, sur les éléments essentiels à vérifier, sur le type de questions soulevées et comment éventuellement y apporter des réponses» (ancien membre de la FAet des Quality Support Groups, à Bruxelles).

Entre 2003 et 2008, une quarantaine de projets d'appui aux acteurs non étatiques, financés par l'Union européenne dans le cadre du 9<' FED ont été définis et lancés dans les pays ACP. Loin de l'image d'une bureau­ cratie européenne reproduisant des projets standardisés, c'est une famille de projets indépendants issus de processus pilotés au sein des Délégations. Ils ont évidemment des ressemblances du fait de leur ancrage dans le dis­ positif et les procédures de l'Union européenne (le principe des appels à propositions est quasiment généralisé), mais ont aussi des orientations et des trajectoires spécifiques, tant dans leur objectif que dans leur montage institutionnel. Ainsi un tiers d'entre eux ne sont pas mis en œuvre par une Unité de gestion de projet.

« Non, on n'a pas du tout eu la même façon de travailler [sur les diffé­ rents projets], ni le même montage. [...] 11 Y a eu des idées qui ont été reproduites, mais ce n'était pas des programmes qui étaient tous pareils. Pas du tout. Par exemple, au Niger, c'est un focus sur les communautés de base. C'était la première fois. Au Cameroun, c'est les organisations, les lobbies, ce qui a beaucoup plus à voir avec le dialogue politique. Lors de l'identification, ils ont vu qu'il était intéressant de travailler avec les réseaux, qui sont bien organisés. Et c'était là-dessus que le choix politique a été fait» (ancien membre de l'Équie FAà Bruxelles).

Tout en suivant les différents projets initiés dans les différentes Délé­ gations, l'Unité accumulait progressivement des références et un capital d'expérience, alimenté également par des rapports étroits avec un petit noyau de consultants privilégiés. Intervenant au gré des appels d'offres sur de nombreux projets à un titre ou un autre (faisabilité, mise en œuvre, L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 169

évaluation à mi-parcours, etc.), ceux-ci accumulaient eux aussi une connaissance approfondie des différentes expériences. Alors que la première génération de projets était en cours, l'Unité E4 a lancé une étude comparative d'une série de projets (Floridi, Sanz Corella et Verdecchia, 2009). Sur cette base, elle a organisé un séminaire de restitution et de débat. Réunissant l'équipe de la section Société civile de la E4, les consul­ tants, les représentants de nombreuses délégations et quelques représen­ tants des équipes de mise en œuvre des projets, ce séminaire a permis de faire un premier bilan, de dresser un panorama critique des stratégies et des façons de faire, en vue de la seconde génération de projets. Parallèle­ ment un site internet, le Civil Society Helpdesk (CiSoh) est lancé pour mettre à disposition des outils et documents 18. Sur une demi-dizaine d'années, c'est donc un processus exploratoire de réflexion et de construction de projets qui a été mené par des Déléga­ tions assez autonomes parallèlement à la construction d'une réflexion stra­ tégique et une expérience pratique transversale au niveau de la petite équipe de Bruxelles, mobilisée en appui aux nouveaux projets. Les inter­ locuteurs interrogés insistent sur cette dimension temporelle et proces­ suelle: au départ, il n'y avait guère de références, ni à Bruxelles ni dans les Délégations; certains projets ont démarré avant la mise en place de l'unité E4, la seconde génération a pu s'appuyer sur des premiers éléments de stratégie, les secondes phases bénéficient des enseignements transver­ saux liés à la capitalisation. Cette équipe, constituée de façon stratégique parmi fonctionnaires et contractuels, a duré environ 5 ans, bénéficiant d'une longévité hors norme, en partie grâce aux effets non intentionnels des réorganisations successives.

« Moi, j'ai eu l'opportunité de suivre ce programme pendant 6 ans, ce qui était très rare, et qui n'est plus possible maintenant. J'ai été recrutée comme "auxiliaire" sur un contrat de 3 ans. Après il y a eu une réorganisa­ tion au niveau du personnel de la commission de l'UE, ces contractuels ont disparu et ils ont créé un nouveau statut d'agents contractuels. Et donc,j'ai eu l'opportunité d'enchainer sur ce nouveau contrat pour trois ans. Mainte­ nant, le turn-over est très grand. Le maximum de temps que les gens peuvent rester quand ils sont recrutés comme contractuels, c'est trois ans. Et trois ans c'est trop court» (ancien membre de l'équipe E4, à Bruxel1es).

Qui sont les « acteurs non étatiques» au Niger? L'émergence du thème à la Délégation de Niamey

A la Délégation de la Commission Européenne (DCE) de Niamey, comme dans les autres, le thème de l'appui aux acteurs non étatiques

18. [http://webgate.ec.europa.eulfpfis/mwikis/aidco/index.php/Accueil]. 170 AIDE INfERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

émerge au moment des négociations des Accords de Cotonou, à la toute fin des années 1990. Elle coïncide pour elle avec la préparation du Pro­ gramme indicatif national (PIN) du 9" FED, qui sera signé en octobre 2001. Outil de programmation de l'aide et de négociation entre l'État et la Commission européenne, le PIN doit couvrir la période 2000-2007. Les financements européens gérés par le Fonds européen de développement (FED) sont en effet organisés par périodes de 7 ans, correspondant au phasage des budgets européens. Au début des années 2000, cette tempora­ lité est bousculée au Niger: à cause de l'instabilité politique récurrente du Niger dans la décennie 1990 et en particulier à cause de la suspension de l'aide suite au coup d'État du général Baré en 1996, le PIN du 8e FED (qui couvre normalement la période 1995-2(00) n'a été signé qu'en 1998 et les projets n'ont commencé qu'en 2000. Les 8eet 9" FED sont donc mis en œuvre quasiment en même temps (République du Niger et Commu­ nauté européenne, 2001: 17) alors qu'ils relèvent de politiques (conven­ tion de Lomé IV révisée pour le premier, Accords de Cotonou pour le second) et de règles budgétaires différentes.

Acter le principe d'un futur projet, dans un contexte politico-institutionnel troublé

La préparation du PIN s'inscrit dans un contexte politique spécifique, celui de la fin de la décennie troublée qui a suivi la Conférence nationale, du coup d'État du Colonel Baré, en janvier 1996, qui s'est maintenu au pouvoir, induisant une suspension de l'aide internationale (cf. chapitre 1). Nouveau coup d'État en avril 1999, élections présidentielles en novembre, élection de Mamadou Tandja à la Présidence de la République et retour à la démocratie, redémarrage de l'aide, rush pour mettre en œuvre les projets prévus au 8e FED, appropriation des Accords de Cotonou, réorga­ nisation de la Délégation du fait de la déconcentration de la DGDEV, négociation du 9" FED... la période est chargée pour la Délégation, qui fait face à des institutions nationales en recomposition. La question de l'appui aux acteurs non étatiques vient s'ajouter à un agenda chargé. Centrée sur ses thèmes d'intervention historiques (les infrastructures, le développement agricole), la Délégation ne connaît guère le tissu associatif. Elle a une expérience de financement de micro-projets demandé par des organisations locales, à travers les PMR (programmes micro-réalisations), où la dimension «renforcement de capacités» est marginale. Elle a financé des projets de renforcement des associations d'irrigants sur les périmètres irrigués. Mais en dehors de cela, son rapport aux OSC nigériennes est avant tout un rapport de sous-traitance dans les projets qu'elle finance, où la question de la mission de la société civile et du renforcement des organisations ne se pose pas. L'expérience du dialogue avec les OSC n'était pas non plus très concluante: la Délégation avait contribué en 1998 à susciter un interlocu- L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 171 teur collectif pour la renégociation des accords de Lomé, le « Comité de coordination des organisations de la société civile nigérienne Accord ACPI UE» d'une trentaine de membres, avant de « le renier et l'abandonner », selon les mots de son président (cité par Montagner, 2005: 57), considé­ rant qu'il s'agissait d'une coquille vide. Le volet «dialogue politique» des Accords de Cotonou n'est donc pas la priorité:

« Avant de parler de participation, il faut voir la situation du pays. La société civile est très jeune au Niger, il y a donc beaucoup de problèmes. Beaucoup d'Ong se sont déployées de façon opportuniste ce qui crée une situation de méfiance, de prudence au sein de la Délégation» (chargé de mission société civile, cité par Montagner: 56).

Le PIN de 2001 n'a guère fait l'objet de consultations:

« En 2001, il n'y a pas eu un processus réellement participatif car l'Ac­ cord de Cotonou venait de sortir. Le processus a été très limité et s'est résumé par la tenue de deux ateliers pendant lesquels l'ON et la DCE ont présenté [aux ANE] ce qu'ils avaient l'intention de faire, les guidelines du Partenariat» (idem).

L'équipe de la Délégation est partagée, entre ceux qui doutent de la pertinence de cette thématique et ceux qui voudraient y croire mais s'in­ terrogent sur la signification des termes de « société civile» ou «d'ac­ teurs non étatiques» au Niger.

« On était au Niger, dans un pays où le concept était quand même tout à fait... euh ... enfin, tout à fait étonnant, tout à fait nouveau. J'ai l'impres­ sion que c'est un peu les bailleurs qui ont créé les acteurs non étatiques, vous voyez? Enfin, je ne sais pas si je peux aller jusque-là, je ne sais pas. [...] Dans les projets, on créait les organisations, on répondait à nos besoins. C'est un jeu de dupes de croire que c'est approprié. Je pense qu'on était particulièrement nuls dans l'identification et l'accompagne­ ment des dynamiques locales. Parce que pas flexibles, parce que rigides, parce que ... Voilà quoi. [...] Pourtant, on était assez enthousiastes à la délé­ gation - en particulier la personne qui était chargée des relations avec les Ong, qui portait très fort ce projet là. [...] La chef de délégation, la chargée de mission Ong, moi sur le secteur rural. Il y avait une réelle sensibilité. Bon, il y avait quand même les cowboys de l'appui budgétaire. Et aussi des agros purs et durs ... » (ancienne chargée de mission Agriculture à la Délégation de Niamey).

Outre les doutes sur les dynamiques associatives, le flou sur la notion «d'acteurs non étatiques» accentue l'incertitude sur les types d'acteurs susceptibles de bénéficier d'un appui.

«A l'époque, on s'est posé beaucoup de questions. Dans l'écriture du geFED, on a réservé une enveloppe pour le programme d'appui aux 172 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

acteurs non étatiques, et c'est là qu'on a dit "qui sont ces acteurs non étati­ ques T'Est-ce que la chefferie traditionnelle en fait partie? Les députés? Je me souviens, ah oui, est-ce que le sénat et l'assemblée sont des acteurs non étatiques?je me souviens très bien ce débat sur "est-ce que les députés sont des ANET' (rires). C'était un peu confus pour nous. On était très en attente des notes de cadrage de Bruxelles. C'est quoi les ANE? C'était un peu compliqué pour nous de savoir qui ils sont, en quoi ils sont légitimes, qu'est-ce qui fait leur légitimité. Est-ce que ce sont les opérateurs? Moi, par exemple, j'étais dans le secteur rural, donc on avait toutes les réflexions sur les Organisations professionnelles agricoles: les OPA, on les met dans le programme d'appui aux ANE ou on les met à part?» [...] (ancienne chargée de mission Agriculture à la Délégation de Niamey).

Au stade de la négociation du PIN, rien n'est défini. L'enjeu pour la Délégation est d'intégrer le principe d'un projet d'appui, ce qui suppose d'en définir quelques lignes provisoires, et de fixer un volume financier indicatif, à intégrer dans le budget global!". Le PIN 2001 prévoit 212 mil­ lions d'euros pour le volet A, consacré aux réformes macro-économiques, aux politiques sectorielles et aux projets et programmes de développement (134 millions d'euros étant réservés sur le volet B, pour les dépenses imprévues, crises, atténuation de la dette, etc.). La coopération entre le Niger et l'UE se concentre sur trois secteurs: transports (30 à 40 % du budget), sécurité alimentaire et développement rural (12-15%) et appui macro-économique à la lutte contre la pauvreté (35-45 %)20. «Bonne gou­ vernance, appuis institutionnels et méthodologiques, renforcement de la société civile et intégration régionale» forment une quatrième compo­ sante, « hors concentration», couvrant 10 à 15% de l'enveloppe budgé­ taire. 25 millions d'euros sont réservés pour un programme d'appui à la bonne gouvernance, l'appui à la décentralisation, l'appui à l'ordonnateur national du FED21, l'appui à la société civile, un programme de bourses, etc. Une enveloppe de 10 millions € pour l'appui au renforcement de la société civile est mentionnée, soit 40% du secteur« gouvernance» et 5 % du volet A du FED (ce sera en fait 5 millions €). Le futur projet dédié aux acteurs non étatiques est légitimé par la mise en avant d'un certain nombre de «faiblesses» des ose, et en particulier le faible niveau d'éducation, « la prépondérance continue de l'État dans la

19. "Favoriser le renforcement des capacités des organisations de la société civile (mise en place d'un fonds de développement spécifique) » est mentionné p.23 dans le paragraphe consacré à la " bonne gouvernance et aux appuis institutionnels. Mais quelques lignes plus bas, dans les innovations du 9" FED, on parle de" renforcement des initiatives de la société civile ». 20. Il s'agit là d'aide budgétaire ciblée sur l'éducation et la santé. 21. La "Cellule d'appui à l'ordonnateur national du FED» a été créée au sein du ministère des Finances pour gérer administrativement et budgétairement les financements du FED (dont le Ministre des finances est ordonnateur, puisque ce sont des dons à l'État du Niger). Elle est financée par l'Union européenne et dispose parfois d'assistants tech­ niques expatriés. L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 173 vie économique et sociale », la dépendance au marché de l'aide, un faible ancrage sur le terrain et les défaillances administratives et financières des Ong. Il est positionné selon deux axes complémentaires:

« Le soutien d'actions visant à renforcer les capacités des organisations, tant en ce qui concerne leur fonctionnement interne que leur rôle de repré­ sentation et de négociation; le financement d'activités de développement et d'aide humanitaire exécutées directement par des OSC, notamment dans les domaineS clés de la stratégie de coopération: développement rural, sécurité alimentaire, éducation, santé et bonne gouvernance» (République du Niger et Communauté européenne, 2001, souligné par moi).

Ces formulations, très larges, reprennent les principes de Cotonou tout en les euphémisant pour les rendre acceptables par l'État nigérien: on parle « d'organisations» et pas d'ANE ou d'OSC pour le « renforcement des capacités»; de « négociation» au sens large, pas de dialogue poli­ tique avec l'État. Le financement d'activités est réservé aux OSe. A ce stade, les thématiques à soutenir sont les secteurs clés de l'intervention de l'VE, ce qui favorise le consensus interne et l'acceptabilité politique. Les études sont prévues pour mi 2002 et la convention de financement pour la fin de l'année, ce qui permet dans l'absolu d'envisager un projet pour courant 2003. En fait, ce sera 2008, après trois études successives.

Explorer « la réalité des acteurs non étatiques au Niger» : état des lieux et premiers cadrages

« Ça a été un processus assez long, justement parce que, au niveau de la délégation on a choisi de faire toutes les étapes. Moi je suis arrivé en 2003 au Niger, tout de suite après Cotonou. Au Niger, il n'y avait pas encore eu un programme d'appui à la société civile. [...] Pour nous, c'était essentiel de commencer par voir qui étaient vraiment les acteurs de la société civile au Niger. Comment ils travaillent, quel type de relations ils ont avec les pouvoirs publics, avec le gouvernement. Comment ils sont organisés. S'il y a des réseaux ou pas. Comment ils sont organisés sur le territoire. Donc, pour nous la première étape était fondamentale. Evidem­ ment il y avait des connaissances au niveau de la délégation. Mais comme il n'y avait pas eu de programme de ce type, c'était fondamental d'avoir une idée générale» (ancien chargé de mission Acteurs non étatiques à la Délégation de Niamey)

Au sein de la DCE, le dossier est suivi dans la section Gouvernance, par une jeune chargée de mission, en contrat local, qui découvre cette problématique et s'y investit fortement, puis par un cadre de l'VE, ayant travaillé auparavant en Afrique du Sud, dans un contexte de fortes mobili­ sations sociales. Dans ce contexte d'ignorance et de méfiance (largement partagé rappelons-le, cf. chapitre 1), la DCE décide de commencer par un 174 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

état des lieux, dont un des objectifs est de donner à voir « la réalité des acteurs non étatiques au Niger», avec un accent sur leur organisation interne (mandat, capacités, domaines de spécialisation, formes d'organi­ sations, représentativité, etc.) et leur « capacité à contribuer au processus du développement tant au niveau du dialogue politique qu'au niveau de prestation des services» (termes de références de l'étude de pré-identifi­ cation). Officiellement pour échapper au biais des organisations les plus visibles à Niamey, l'étude doit porter sur quatre régions: Maradi, Zinder, Taboua et Agadez (ce qui exclue toutes les organisations de la capitale). Elle devra aussi analyser l'expérience de la DCE avec les acteurs non étatiques, la politique de l'État, celle des autres bailleurs: la Délégation souhaite positionner le futur projet par rapport à son expérience et par rapport à ses pairs, mais ne s'interroge pas sur l'expérience acquise par les Ong en termes d'appui aux OSe. Dans les termes de références, la définition des ANE reprend celle, très large, des Accords de Cotonou et inclue le secteur privé. Mais elle insiste sur l'utilité sociale:

« Par acteurs non-étatiques on entend des partenaires sociaux et écono­ miques, le secteur privé et les organisations de la société civile, y compris les media. La reconnaissance par les parties des acteurs non-étatiques dépend de critères tels que la manière dont ils répondent aux besoins de la population, leurs compétences spécifiques et du caractère démocratique et transparent de leur mode d'organisation ».

Sans fixer d'objectifs à un futur projet, les TDR soulignent que les programmes d'appui dans les autres pays s'orientent soit sur le « renfor­ cement de la société civile dans une optique de promotion de la démo­ cratie et de la bonne gouvernance (institutions de défense des droits de l'homme et lutte anti-corruption, pluralité et qualité du débat public...) », soit sur le financement d'actions de lutte contre la pauvreté et d'appuis au développement local entreprises par les acteurs non-étatiques, occultant ainsi la dimension de dialogue politique entre État et ANE, entre DE et ANE, qui est pourtant au cœur des Accords de Cotonou. L'étude est dimensionnée sur un mois, durée dérisoire pour de telles ambitions. L'équipe de consultants sélectionnée regroupe une consultante européenne ayant été en poste au Niger et un consultant nigérien avec qui elle a déjà travaillé, tous eux très impliqués auprès des organisations de base en milieu rural. Réalisée en juin 2003, la mission débute sous tensions, du fait des fluctuations dans les attentes de la DCE et de la charge de travail.

«J'ai travaillé au Niger de 1992 à 2001. J'avais fait une étude sur la façon dont les organisations de base définissent le concept de capacité organisationnelle. J'avais une avance très grande et une connaissance des besoins des organisations de base. C'est à partir de cela que j'ai fait le L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 175

mapping. J'ai essayé de tirer la recherche vers la société civile, et d'inté­ grer d'autres acteurs dans ce champ: les coopératives, les associations. J'ai alerté sur le problème des Ong. [...] Mais cette mission m'a donné un stress énorme. La DCE voulait un mapping des capacités des ANE, mais n'avait pas de compréhension du concept de capacités. La relation avec l'État était compliquée: on voulait même que j'aille loin de Niamey pour éviter les difficultés de relations avec l'État. La DCE nous a aussi demandé d'exclure les syndicats et les organisations religieuses. Ils ont des relations très sensibles à ce type d'acteurs. Il y avait le risque de mettre de l'huile sur le feu. En plus, mon interlocutrice à la DCE était très jeune, elle n'avait pas d'expérience du développement, ni une vision de comment le change­ ment se déroule. Parfois je ne comprenais pas de quoi elle parlait. Au début, j'étais bloquée» (consultante internationale, étude de pré-identifi­ cation). « On a eu des discussions très chaudes avec l'Union Européenne pour la partie méthodologie. Lorsqu'on a dit qu'on allait voir les groupes des jeunes rappeurs, les gens ont écarquillé les yeux. Ils nous disaient: voilà les acteurs à voir, voilà les acteurs à ne pas voir et tout. Ça, ça ne nous a pas plu. On a recadré les choses, on a revu ensemble les TDR, on a revu notre méthodologie: "On ne peut pas voir tous les acteurs, mais vous ne pouvez pas exclure certains parce que vous avez eu des problèmes avec eux, de détournement ou autres". Finalement à la fin ils ont compris, "oui, vous avez raison", on s'est excusés et on a continué» (consultant national, étude de pré-identification).

En un mois, les deux consultants rencontrent 150 personnes et 85 orga­ nisations. Mobilisant pour «cadre théorique» la grille de l'étude de Barbedette et Ouedraogo (1993), ils proposent une typologie descriptive des « acteurs non étatiques» et un point de vue sur chacun de ces types, construit à partir de leur propre expérience, des études sur le secteur et d'entretiens (Buter et Sani, 2003a). Leur expérience et leur positionne­ ment politique les amène à valoriser fortement les «organisations de base», sans pour autant les idéaliser.

« Souvent ces organisations locales, plutôt maîtrisées par les leaders traditionnels, ont comme principal objectif l'obtention d'une aide finan­ cière. Ceci a comme résultat que les objectifs et les activités de ces organi­ sations de base sont plus ou moins les mêmes que ceux des projets! programmes de développement qui lui les appuient. Rares sont les organi­ sations créées d'une façon autonome pour faire face aux problèmes des membres. En conséquence, leur planification est orientée vers celle de la structure d'appui. Souvent, elles disparaissent donc quand l'aide se retire» (Buter et Sani, Z003a: 13).

Les consultants sont par contre très critiques sur les ONG, leur dérive mercantile due aux politiques de sous-traitance des bailleurs de fonds. Ils insistent sur le risque d'une « nouvelle dépendance» si les organisations de base devaient dépendre d'elles. 176 AIDE INTERNATIONAlE ET SOCIÉfÉS CIVILESAU NIGER

« Le terme "Ong d'exécution" est un non-sens absolu. Transformer des citoyens exerçant un de leurs droits en exécutants est nier toute dynamique sociale. C'est aussi, ce faisant, encourager une dérive' et introduire une confusion permanente avec le secteur privé marchand [...] La faute en incombe aussi à certains initiateurs d'Ong eux-mêmes, dont les desseins peuvent être très éloignés du bénévolat, de l'altruisme, de l'auto mobilisa­ tion. Les textes et déclarations à ce sujet ne manquent pas, certains évoquant les "pseudo-Ong" (crées à la suite de l'arrêt d'un projet, liées à une seule personne, crées par de jeunes chômeurs ... ), plus animées par l'esprit lucratif de la gestion des Ong que d'un esprit d'humanisme ou de volontariat» (idem: 20). « Une augmentation du rôle de ces organisations dites structurantes dans les programmes de développement risque de servir les intérêts des personnes qui travaillent au sein de ces organisations, ces intérêts n'étant pas forcément les mêmes que ceux des organisations de base. Par ailleurs, leur donner une responsabilité directe dans le renforcement de la capacité organisationnelle des organisations de base risque de créer une nouvelle relation de dépendance. Ces acteurs sont souvent des fonctionnaires ou des fonctionnaires à la retraite, font recours à des services étatiques pour exécuter certains travaux; ils représentent plutôt l'État que la population rurale» (idem: 54).

Sans l'expliciter, les consultants opèrent dans cette étude un premier recadrage de la notion d'ANE, la restreignant de fait aux organisations locales, de développement et professionnelles, excluant dès le départ, sur injonction politique, les syndicats et les organisations religieuses, et rédui­ sant en pratique à la portion congrue le secteur privé et les médias et centres de recherche: seules quelques lignes sont consacrées. Ils ajoutent à la typologie classique les organisations informelles mais demeurent dans une acception développementiste de la société civile. S'attachant ~ carac­ tériser les différents types d'organisations, l'étude s'interroge peu sur les relations entre ces types d'organisations, sinon pour critiquer les pratiques des organisations d'appui. Elle ne questionne pas non plus leurs rapports à l'État et aux politiques publiques. Bref, porteurs d'une vision assez popu­ liste, les consultants valorisent les organisations de base, expriment une réserve par rapport aux organisations d'appui et à celles qui sont financées par l'aide, ignorent quasiment totalement la question des contributions au débat public et au dialogue politique des ANE.

« Derrière les organisations "qui marchent", il y a des intellectuels qui rédigent les projets et négocient les financements extérieurs. On remarque que les petites organisations, sans financement, ont appris à fonctionner avec leurs propres moyens. Peut être sont-elles dans la meilleure voie? » (idem: 32-33).

Le second tome du rapport est consacré à l'expérience de la DCE du Niger par rapport aux organisations associatives, aux stratégies des autres coopérations, aux pistes pour l'étude d'identification (Buter et Sani, L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 177

2003b). L'analyse des pratiques actuelles des projets financées par la DCE par rapport aux organisations associativesê- met en avant l'absence de réelle stratégie concernant les acteurs locaux, les effets pervers induits par la culture de la sous-traitance, une conception « descendante» et inadaptée du «renforcement de capacités », et l'inadaptation des procédures par rapport au niveau des organisations concernées; faute d'analyse du paysage institutionnel, les projets se focalisent sur les organisations de base, qu'ils appuient directement; lorsqu'ils font appel à des acteurs non étatiques dans la mise en œuvre, c'est avant tout à des ONG dans une logique de sous-traitance, non de renforcement d'un tissu organisationnel local.

« La prestation de services par des acteurs non étatiques est un moyen très courant de les impliquer dans les programmes et projets. L'acteur est considéré comme un prestataire contractuel, recruté en se basant sur son CV, c'est-à-dire sur certaines capacités et expériences qui devraient lui permettre d'exécuter l'activité. [...] Il est engagé pour rendre un service privé et sa capacité pour contribuer à un développement humain durnble est au second plan, ce qui renforce les effets pervers sur les organisations soulignées plus haut. Comme affirmé par un chargé de programme "L'éli­ gibilité administrative et financière sont les facteurs les plus importants dans la sélection des candidats, pour un appel à propositions" » (idem: 19).

Plusieurs projets ont des programmes de formation destinés à des fédérations, « surtout vers les comités de gestion (l'organe exécutif des décisions prises par les membres), pour renforcer la capacité de gestion financière et d'organisation interne », Exécutés par des compétences externes, par le biais de modules de formation standardisés, ils ont des impacts limités sur la dynamique organisationnelle de l'organisation et ses membres.

« Les techniques d'animation et de formation reposent souvent sur des techniques classiques et standardisées, ayant montré leurs limites dans le passé. Elles ne se basent pas véritablement sur les normes et valeurs du milieu, sur les capacités et les compétences existantes pour le change­ ment [...]. Les actions de formation sont encore vues dans une optique "salle de classe et martre connaisseur", pas comme un instrument servant à établir le dialogue et la réflexion; les voyages d'étude, les visites, des démonstrations, des ateliers thématiques "coûtent cher" et donc ne sont pas prévus. [...] Les animateurs constituent l'instrument clé pour susciter le dialogue, l'autocritique et l'auto réflexion, en relation avec les groupes cibles. Mais le temps qu'ils investissent dans l'auto réflexion et l'autocri­ tique collective, pour identifier des actions plus appropriées, est insigni­ fiant» (idem: 23,28).

22. Les mécanismes de dialogue et de participation à la politique de la Délégation ne sont pas analysés. 178 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Bien que la question ne fasse pas partie explicitement des TDR, les consultants consacrent également une page entière aux questions de procé­ dures administratives, pour souligner leur inadaptation à des relations contractuelles avec des organisations de base ou des Ong locales.

« Les procédures administratives sont parfois lourdes et cette lourdeur agit sur l'évolution dans le terrain, freinant la participation aux activités. À titre d'exemple, le Projet micro-réalisations NN a passé un contrat de services à une Ong locale, d'un montant qui ne dépasse pas 80ü()()() FCFA; la mobilisation de l'Ong après sélection et la finition de la procédure a pris deux mois et demi. La lourdeur des procédures se fait ressentir aussi dans les procédures à suivre pour les appels d'offres, les critères de sélection et le type de contrat signé avec l'acteur. Ce dernier est d'abord un opérateur privé qui doit rendre des services (commerciaux), pas une organisation à renforcer. [...] Les procédures demandent un niveau élevé de profession­ nalisation du partenaire et un volume important de ressources humaines disponibles pour pouvoir se spécialiser dans les procédures FED [00.] Une petite Ong ou une union de coopératives, même avec une forte base sociale, ne pourra pas supporter les coûts d'une comptabilité profession­ nelle et se permettre de prendre ce risque. La moindre erreur cause des retards de paiement, un risque que seuls les acteurs ayant des ressources financières suffisantes importantes peuvent supporter. Au Niger, très peu d'acteurs répondent à ce niveau» (idem; 26).

A travers cette critique, nuancée sur la forme mais assez radicale sur le fond, l'objectif des consultants est de mettre en lumière le contraste entre l'approche actuelle, instrumentalisant les organisations, et ce que devrait être une stratégie d'appui à l'émergence et au renforcement d'organisa­ tions autonomes, ce qui suppose une conception très différente de l'action, des temporalités, des moyens. Questionnant les pratiques actuelles de la Délégation, ce second volume du rapport touche à des points plus sensibles pour celle-ci, que traduisent à la fois sa rédaction, très prudente et interrogative, et le fait qu'il n'ait pas été mis en ligne contrairement à l'état des lieux. L'étude est restituée en interne devant un cercle restreint (sept personnes de la DCE et une de la cellule d'appui à l'Ordonnateur du FED). Pour la consultante interna­ tionale, «Ça a été un très bon debriefing [...]. Le rapport a été accepté tel quel. Il n'y a pas eu de demande d'éclaircissement ». Le consultant nigé­ rien a un autre souvenir du processus.

On a même failli arrêter à un certain moment. Il y avait des points qu'ils voulaient qu'on mette et d'autres qu'ils ne voulaient pas.A la fin, on a dit «écoutez, vous avez lancé un appel d'offres, notre cabinet a été retenu pour ça, alors on va faire le travail. Mais faites que nous soyons totalement indépendants dans les idées. On a toujours travaillé avec un esprit indépendant. On peut se tromper, si on se trompe, on corrige. Mais vous ne pouvez pas nous dire "voilà ce qu'il faut écrire". Autrement vous L'INVENTION D'UNE POUTIQUE 179

n'avez pas besoin de nous, écrivez ce que vous voulez». Donc, ça a chauffé pendant au moins une demie journée» (consultant national, étude de pré-identification).

Globalement, cette étude ouvre un large champ de réflexion et laisse en même temps songeurs les chargés de mission de la Délégation. En effet, ils ne connaissent de la société civile nigérienne que les organisa­ tions partenaires dans ses projets de terrain (certaines organisations paysannes, certains types d'organisations de base) et celles qu'ils rencon­ trent dans les réunions institutionnelles à Niamey: l'étude met en lumière une diversité bien plus grande, et souligne les ambigüités de tous les types d'acteurs. De plus, elle questionne fortement les pratiques de la Déléga­ tion dans ses projets standards.

«Je me souviens de l'étude de pré-identification. Ouah! C'était un truc 1. .. Cette étude, c'était un peu «derrière l'arbre, il y a une forêt» (rires). Mais qu'est-ce qu'on fait avec ça? (rires) C'était un peu ouvrir une boîte de pandore, c'était d'une telle complexité que ... ça a encore plus complexifié nos questions sur comment on peut intervenir, qu'est-ce qu'on peut faire. On a eu un peu de mal à savoir ce qu'on allait faire de ça. Pour faire une route, on fait un appel d'offres de 10 millions d'euros et on vous fait la route Niamey-Torodi, voilà, nickel (rire). Mais là, woaouh! Mais comment on fait? » (ancienne chargée de mission Développement rural à la Délégation de Niamey).

Lutte contre la pauvreté ou promotion des droits humains? A la recherche d'un concept

Empowerment et lutte contre la pauvreté, pour irriguer les pratiques de l'Union européenne?

En cohérence avec la priorité politique qu'ils donnent aux organisa­ tions de base, les consultants de la pré-identification proposent d'orienter le futur projet sur le renforcement des organisations des groupes démunis. Il s'agirait de

«Stimuler des initiatives innovatrices au niveau local et régional, conduisant plus directement à l'''empowerment'' (émancipation, responsa­ bilisation) des groupes démunis; au renforcement de la capacité des acteurs non étatiques de développement pour faire le lobbying et défendre des intérêts de la population la plus pauvre; au développement des services plus appropriés, à un prix abordable, permettant aux organisations de base devenir des interlocuteurs autonomes et incontournables» (Buter et Sani, 2003b: 31-32, souligné par eux). 180 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Les Ong et autres acteurs non étatiques seraient appuyés pour du lob­ bying en faveur de ces groupes démunis et leur apporter des services appropriés. La référence à la lutte contre la pauvreté, priorité globale des institutions d'aide depuis les Cadres stratégies de réduction de la pauvreté, permet de légitimer ce choix. Rebondissant sur l'idée mise en avant dans le PIN d'une articulation aux priorités de la Délégation, ils proposent que ce projet puisse appuyer les autres projets financés sur le FED et contribuer ainsi à faire évoluer l'ensemble des interventions de l'UE en termes de positionnement par rapport aux acteurs non étatiques. Ils insistent sur l'engagement politique indispensable pour éviter les dérives fréquentes de ce type de projet et en particulier sur la question des procédures et la récupération du projet par d'autres acteurs. Pour définir un tel programme, les consultants proposent un processus qu'ils qualifient de « participatif» mais qui relève en fait d'une co-construction avec les OSC23: rompant avec le schéma de l'étude confiée à des experts, ils proposent une série d'ateliers régionaux de diagnostic et d'élaboration de pistes d'action, devant mobiliser des OSC de base et structurantes, à parité, avec une animation mobilisant des tech­ niques variées (affiches, théâtre, chants, etc.).

« Organisations de base», démocratie, citoyenneté: les premiers arbitrages de la Délégation

Bien que cohérente avec les quelques lignes du PIN, cette proposition n'est pas entérinée par la Délégation, qui juge l'objectif de peser sur les pratiques de ses projets trop complexe ou trop risqué. Arrivant d'Afrique du Sud, le chargé de mission Acteurs non étatiques a une vision plus poli­ tique de la société civile, mais considère qu'on ne peut se contenter d'ac­ tions de renforcement de capacités. Suite à de nouveaux débats internes, associant les chargés de programme des différents secteurs, la DCE décide d'une part de mettre l'accent sur les organisations de base, en couplant renforcement de capacités et financements d'activités, et d'autre part de dissocier le futur projet de ses thèmes d'intervention, en lui donnant un objectif plus ambitieux.

« L'objectif global du programme est la promotion de la participation des acteurs non étatiques au processus de développement du Niger, à travers leur participation à la lutte contre la pauvreté ainsi qu'au renforce­ ment de la démocratie. L'objectif spécifique du programme est de promou-

23. Extrêmement polysémique, le terme « participatif » recouvre une telle gamme de configurations (de la participation « suscitée » voire « irnposée » à l'auto-gestion) qu'il ne signifie plus rien. Comme l'a montré Cbauveau (1994). le principe de la participation est partie intégrante du « populisme bureaucratique» structurel dans la culture développemen­ tiste (cf. aussi Cbauveau et Lavigne Delville, 2013). La question essentielle est évidem­ ment celle du pouvoir de décision. L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 181

voir la structuration de la société civile nigérienne afin de lui permettre la promotion des valeurs liées à la citoyenneté et la prévention des conflits )) (Délégation de l'UE au Niger, 2004: 3).

La méfiance de la Délégation envers les organisations de Niamey et les ONG a été confirmée par le mapping, ce qui l'amène à renforcer l'accent mis sur les « organisations de base )) que, sur la base d'une lecture biaisée de l'étude, elle considère comme étant « souvent mieux organisées et plus opérationnelles que les ONG)) (fDR de l'identification, p.2). L'idée de « structuration » apparaît mais n'est pas précisée. Les thèmes de la démo­ cratie, de la citoyenneté, font leur apparition, ainsi qu'une première réfé­ rence à la décentralisation administrative, qui se concrétise à ce moment­ là (les premières élections ont lieu en 2004). Ce nouveau cadrage est explicité dans les termes de référence de l'étude d'identification, qui doit dessiner une architecture de projet et pour cela définir des priorités straté­ giques, parmi une série d'entrées proposées. « Exclusion (émancipation des groupes des marginaux tel que: enfants de la rue, esclaves, prison­ niers, etc.); domaines sensibles (esclavage, mariages précoces, travail des enfants); droits de l'homme; corruption; "empowerment" insertion, responsabilisation des groupes vulnérables (jeunes et femmes); promotion des droits fondamentaux dans l'application de la justice )): très larges à ce stade, ces entrées sont très politiques et tranchent avec les conceptions plus instrumentales qui transparaissent dans les démarches de pays voisins (Planche et Lavigne Delville, 2(05). Mais elles demeurent à ce stade des slogans, et induisent une potentielle contradiction avec l'accent mis sur les organisations de base, souvent davantage focalisées sur la vie quoti­ dienne de leurs membres.

Promotion des droits humains et premières pistes de dispositif

L'enjeu principal d'une identification de projet est d'élaborer une proposition définissant les finalités du projet, les acteurs concernés, les types d'activités envisagées, les grandes lignes du dispositif de mise en œuvre, un ordre de grandeur de budget. Il s'agit donc simultanément de stabiliser des choix politiques et stratégiques, de commencer leur traduc­ tion opérationnelle et d'assurer ainsi une cohérence entre ce qu'on veut faire (les objectifs) et ce qu'on sait ou peut faire (une organisation pratique du projet), l'étude de faisabilité venant ensuite discuter, affiner et détailler cette ébauche de projet (plus ou moins modifiée par les commanditaires par rapport aux propositions des consultants). L'étude d'identification du projet d'appui aux acteurs non étatiques a été lancée en 2004 par la Délé­ gation, qui attend qu'elle analyse la pertinence et la faisabilité des thèmes proposés, précise les acteurs éligibles au futur projet, trace les grandes lignes du futur dispositif, en termes techniques, financiers et institution- 182 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER nels. C'est une étude lourde (2 x 60 hommes/jours d'expertise). La Délé­ gation n'entérine pas le principe, trop révolutionnaire, d'une co-construc­ tion telle qu'elle avait été proposée par la première étude, mais insiste sur la dimension « participative» du processus et propose d'organiser deux ateliers de discussion avec les OSC. L'identification a été menée en deux étapes, par un binôme belgo-nigérien (Leloup et Samaïla, 2004), la première étant consacrée à la documentation et aux entretiens à Niamey, Dosso, Tillabéri et Zinder, la seconde étant aux deux ateliers, qui ont réuni chacun une vingtaine de personnes, essentiellement des « organisations de base» à Zinder, et des réseaux, organisations faîtières et représentants de l'État à Niamey. Croisant la liste des thématiques possibles avec leur importance actuelle dans les activités des organisations et le degré de maturité du secteur, les consultants concluent que l'art, la culture et les médias ne sont pas adaptés pour un tel programme. L'appui aux organisations du secteur privé ne leur parajt pas dans le champ. Pour eux, les priorités sont pour eux le renforcement des groupes de femmes, la citoyenneté et la démo­ cratie, les droits fondamentaux. Quasiment absente du mapping, absente des TDR, la question du cadre institutionnel a émergé du questionnaire et des ateliers, justifiant qu'un groupe de travail de l'atelier de Niamey travaille sur « comment sortir de la confusion des rôles».

« Le rôle des différentes tutelles, la dépendance ou les relations entre un acteur non étatique et différents ministères, le manque de coordination ou l'insuffisance de coordination entre acteurs, la confusion des missions des différentes catégories et types d'acteurs étatiques ou non sont impor­ tants [...] Un autre élément régulièrement cité est la nécessité de renforcer le cadre institutionnel et de définir un code de déontologie qui soit perti­ nent pour les acteurs non étatiques (selon les différentes catégories) et appliqué. [...] Les rôles et responsabilités actuelles des différents acteurs est source de confusion et de non transparence non seulement interne mais également source de confusion des rôles pour les interlocuteurs. L'analyse organisationnelle et institutionnelle des ANE ainsi que l'amélioration de leur fonctionnement interne devraient être abordées dans le cadre du nouveau programme» (Leloup et Samaïla, 2004: 22-23).

A l'issue de leur travail, les consultants entérinent l'objectif global du projet, tout en reformulant légèrement l'objectif spécifique pour faire appa­ raître les enjeux d'organisation interne des associations et l'accent mis sur les droits humains: «la structuration et le fonctionnement interne de la société civile nigérienne sont améliorés en vue de promouvoir les droits humains fondamentaux et les valeurs citoyennes » (souligné par moi). Le projet serait organisé en deux volets. Le premier porterait sur « la promotion des droits humains fondamentaux, des valeurs démocratiques et citoyennes et de la communication entre ANE», et permettrait à des organisations de bénéficier de financements, sur base d'appels à proposi- L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 183 tions. Le second, visant « l'amélioration du cadre institutionnel et organi­ sationnel des ANE, le renforcement des capacités internes de gouvernance et de citoyenneté des ANE » comprendrait des activités de formation et de négociation avec l'État. Considérées comme les seules organisations relevant véritablement de la « société civile », les organisations de base et leurs unions seront soute­ nues par le projet dans leurs actions de promotion des droits humains et de la citoyenneté. Poursuivant la quête d'organisations « pures », non gan­ grenées par l'aide, l'étude met même un accent nouveau sur les groupes de femmes, lesjadas, les organisations informelles telles que groupes de rap, clubs vidéos, etc. Mais le problème est que peu d'entre elles remplis­ sent les critères requis pour bénéficier d'un financement européen. Face à la contradiction entre la nature de ces organisations et les exigences admi­ nistratives des appels à propositions du FED, l'étude propose que les actions soient portées par des consortiums, intégrant des organisations de base, mais dont le chef de file soit éligible aux conditions du FED24. Cette proposition, qui permet d'inclure des organisations informelles comme bénéficiaires en tant que simples membres des consortiums, a l'avantage d'éviter l'atomisation et de favoriser les apprentissages conjoints, mais pose la question des rapports entre organisations de base et Ong puisque, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, « leur statut spécifique et leur omniprésence dans le "monde du développement non étatique" fait écran aux autres acteurs non étatiques qui œuvrent dans et pour la société civile» (idem: 36). Pour être cohérent avec l'ambition de promouvoir la transparence et la démocratie interne des organisations de la société civile, l'accès au finan­ cement serait conditionné à des critères de gouvernance interne, en parti­ culier pour les réseaux ou fédérations. Comme beaucoup d'entre eux mon­ trent des « insuffisances» en la matière, elles pourraient bénéficier d'un appui dans le cadre du second volet du projet, sur le renforcement de capacités, pour atteindre ces critères et devenir éligibles. L'idée est que la combinaison d'une offre de financement sur critère de gouvernance interne et d'une offre d'appui à l'amélioration de cette gouvernance per­ mettrait de valoriser les organisations « vertueuses» et d'encourager les autres à le devenir. Le renforcement de capacités est donc défini d'abord comme destiné aux organisations souhaitant proposer des actions de promotion des droits humains (volet 1), sans que les modalités d'articulation entre ces deux volets soient précisées. Les fédérations et réseaux pourraient aussi en bénéficier, à la fois comme bénéficiaires (pour leur propre fonctionnement interne, leurs capacités de lobbying, etc.) et comme diffuseurs des forma­ tions au profit de leurs membres.

24. L'étude consacre 7 pages à cette question de l'éligibilité, reprenant les critères du FED, très exigeants si on les prend à la lettre, et proposant quelques assouplissements ou modalités d'interprétation dans le cas de ce projet. 184 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

En termes de mise en œuvre, les consultants proposent de confier le volet 1, dans chaque région d'intervention, à « une institution (Ong natio­ nale ou internationale ou bien bureau d'études, etc.), compétente et effi­ cace ayant fait ses preuves et ayant déjà une assise et des activités dans la région ». Celle-ci accorderait les subventions aux organisations sélection­ nées lors de l'appel à propositions, et pourrait en cas de besoin mobiliser par prestation de services des appuis aux organisations qui en auraient besoin. Le volet 2 serait pris en charge par une organisation expérimentée en gestion de projets et en appui aux organisations de la société civile.

«Si vous voulez, l'idée, c'était qu'il y ait en appui pour mettre en œuvre le projet une Ong européenne assez solide qui soit là pour encadrer et mettre des gardes fous» (consultante internationale, étude d'identifica­ tion).

Les consultants insistent sur le fait qu'appuyer la société civile est « un processus qui doit s'installer, évoluer, s'inscrire dans le long terme. Ce type de programme, novateur au Niger, demande un investissement impor­ tant en ressources humaines et en temps, et une approche processus avec plusieurs étapes» (p.32). Il faut apprendre, expérimenter, avant de stabi­ liser des démarches et de méthodes, et que les temporalités de l'interven­ tion soient cohérentes avec son ambition de faire évoluer les organisations de la société civile et cette exigence d' apprentissage". Dérogeant au format classique de trois ans, ils proposent un calendrier sur 8 ans, avec une phase de démarrage de deux ans ou deux ans et demi, sur deux ou trois régions, une phase d'évaluation, de capitalisation et d'ajustement d'environ un an, suivi d'une troisième phase avec élargissement dans d'autres régions.

Accompagner les organisations de base dans la construction d'une citoyenneté locale: nouvel objectif politique et stabilisation d'un dispositif projet

« L'étude de faisabilité devrait vraiment définir les grandes lignes du programme avec tout ce qu'il y a comme cadre méthodologique, le budget, les dispositifs institutionnels, les dispositifs de financements, ce qui a été plus complexe à créer. Parce que vous le savez, les procédures de la com­ mission sont quand même complexes, surtout si on veut financer des petites organisations, des organisations de base. Il était clair qu'on devrait adapter des procédures qui sont un peu strictes, qui sont un peu rigides, à un contexte d'organisations, d'associations qui n'ont pas énormément de

25. Sur la différence entre approche «blue-print» et processus d'apprentissage, cf. Korten, 1980; 2006. L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 185

compétences, pas de structures légales. Cette adaptation a été complexe, mais on devait chercher quelque chose d'un peu flexible pour ces organi­ sations. On a créé un système d'appel à propositions. La traduction pra­ tique de la philosophie du programme n'a pas été facile mais on est arrivé à le faire» (ancien chargé de mission Acteurs non étatiques à la Déléga­ tion de Niamey).

Dans le cycle de projet, l'étude de faisabilité a pour rôle de valider ou d'ajuster le cadrage entériné par le commanditaire à partir des proposi­ tions de l'identification et de le décliner en dispositif projet détaillé. Il s'agit d'une nouvelle étape de traduction, précisant l'ensemble des outils, procédures, types de contrats, durée, phasage, etc. La Délégation a enté­ riné les grands traits des propositions de l'identification, en termes d'ac­ cent sur les droits humains et la citoyenneté, et l'organisation en deux volets complémentaires, qui sont repris dans les termes de référence de l'étude de faisabilité. Elle nuance son analyse très populiste sur les OSC: dans les termes de références de l'étude de faisabilité, les « organisations de base» ne sont plus « mieux organisées et plus opérationnelles» que les structures d'appui, elles sont «nombreuses, relativement dynamiques, sources de potentialités mais en même temps manquent d'information, manquent de connaissance et d'éducation, sont analphabètes, ne connais­ sent pas leurs droits, etc. ». D'une durée totale de 106 h par jour, l'étude de faisabilité du projet d'appui aux acteurs non étatiques (Floridi et Lamine Tata, 2(05) a été réalisée par une équipe de deux consultants. Le premier, sociologue italien, a été en poste au Niger sur des projets d'appui aux organisations de base et est un des consultants privilégiés de l'Union européenne sur la société civile, en relation étroite avec l'équipe de Bruxelles. A un stade ou un autre, au nom de son bureau d'études ou en sous-traitant pour le compte d'un autre, il est intervenu sur de nombreux projets UE d'appui à la société civile, au niveau du mapping, de l'identification, de la faisabilité ou du suivi. 11 fait partie de l'équipe qui réalisera un peu plus tard la capi­ talisation des PASOC. Le second, nigérien, est un ancien responsable de Karkara, Ong nigérienne professionnelle de développement rural. Devenu consultant indépendant, il a une longue expérience de travail en milieu rural avec les groupements et les organisations paysannes.

Une étude de faisabilité dans un contexte de tensions politiques

L'étude de faisabilité se déroule en mai-juin 2005, dans un contexte tendu de crise alimentaire (Olivier de Sardan, 2008a) et de mouvements sociaux contre la vie chère (Tidjani Alou, 2006; Maccatory, Oumarou et Poncelet, 2010; Bonnecase, 2013). La question des rapports société civile/ mobilisations sociales et politiques, société civile/État est posée de façon 186 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER frontale par ces contestations. Pour le consultant européen, cela n'a guère joué dans leur travail.

« Dans ce mouvement [de la Coalition contre la vie chère], il y avait aussi des cadres de l'État. Il ne faut pas oublier que les fonctionnaires et les cadres de l'État souffraient du même problème de vie chère. Certains disaient "il ne faut pas accepter ce désordre et ces manifestations", mais c'était une petite minorité au sein de l'État et la majorité disait "non, ce sont des revendications légitimes". Pas mal de cadres, je peux te le dire de façon informelle, appartenaient aussi à la coalition et descendaient eux aussi dans les rues! » (consultant international, étude de faisabilité).

Son collègue nigérien souligne cependant une réticence globale des agents de l'État, pas spécifiquement liée au mouvement social en cours.

«Au niveau du ministère de tutelle, à l'époque les gens qu'on avait rencontrés étaient plutôt focalisés sur leurs besoins à eux: "je veux connaitre le nombre exact des organisations de la société civile. Je veux mieux les contrôler, je veux éviter les dérapages". [...] [avec la loi de 1991], l'État avait concédé beaucoup de choses au plan fiscal, au plan de la création des associations. Et ils voyaient qu'ils n'avaient pas suffisam­ ment de moyens pour pouvoir contrôler si les OSC respectaient leurs textes ou pas, pour superviser, suivre ce qu'elles faisaient. Ils voyaient que les structures de 4< niveau avec la lutte contre la vie chère constituaient des menaces de contre-pouvoir... Il y avait des discussions chaudes entre les OSC et leur ministère de tutelle par rapport aux conventions qui doivent régir les OSC et l'État et en particulier les avantages fiscaux. Le non dit, c'était aussi qu'une part importante de l'aide au développement échappait à leur contrôle. Donc, c'était un peu déstabilisant pour eux, ils étaient dans une période de questionnement. Dans nos discussions, on a senti cette réticence à aller plus loin. La conjugaison de tous ces facteurs créait un climat assez particulier qu'il fallait prendre en compte» (consul­ tant national, étude de faisabilité).

L'accent mis depuis le début sur les organisations locales dans les régions a sans doute contribué à limiter les interférences de ces mobilisa­ tions (pourtant largement étendues sur le territoire national) sur le dérou­ lement de l'étude.

Assumer la dimension politique du projet: nouveau cadrage, nouveaux objectifs

« Les études antérieures n'avaient pas suffisamment pris en compte les expériences liées à certains réseaux thématiques, que j'ai trouvés formida­ bles, avec une connaissance, des compétences techniques, une vision. Mais il y avait aussi un autre problème. Dans les études antérieures, les consultants n'avaient pas été capables, ou probablement n'avaient pas eu L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 187

le courage, de reconnaître des acteurs comme la Coalition contre la vie chère, ou l'AREN comme des acteurs à part entière.Alors que pour moi, c'étaient des acteurs avec un potentiel formidable» (consultant interna­ tional,étude de faisabilité).

Au stade de la faisabilité, l'analyse du contexte et les grands objectifs sont censés être stabilisés. Tout en affirmant s'inscrire dans la continuité des études antérieures, les consultants ne sont pas satisfaits de l'analyse qu'elles font de la société civile. Sans que ce soit dans leur mandat, ils proposent (pour la première fois) une perspective historique et socio-poli­ tique sur la société civile nigérienne. Ils font un diagnostic organisationnel rapide d'une vingtaine d'organisations (restitué dans une annexe au rapport, pas communiqué), ils consacrent 37 pages de leur rapport de 190 pages à un nouveau diagnostic de la société civile, suivi de 20 pages de discussion du rôle des OSC dans le développement. Là où le mapping mettait à plat les différents types d'OSC, là où l'identification mettait l'accent sur un objectif d'apprentissage interne des organisations à appuyer (en termes de capacités d'organisation, de gestion, de communication, etc.), ils insistent sur le cadre institutionnel dans lequel se déploient les OSC et sur les carences du cadre légal. Ils critiquent très clairement la tendance de l'État et des bailleurs de fonds à rechercher un interlocuteur unique « qui conduit à l'exclusion de fait des organisations de base au profit d'une poignée d'associations et Ong promptes à s'engager dans les comités et commis­ sions créées par les pouvoirs publics» (Floridi et Lamine Tata, 2005: 40), «la concurrence interne parfois exaspérée» entre OSC (idem: 54). Pour eux:

«Dans cette logique d'entreprise du secteur marchand, les Ong et associations de développement ne font que mettre en pratique l'approche de la plupartdes Ong internationales présentes au Niger [...]Au lieu d'ac­ compagner et renforcer les capacités de ses « partenaires», on travaille désormais avec ses "clients" [...]. La crise des structures faîtières - comme de la plupart des organisations et associations de développement - est avant tout une crise de visionet de stratégies avant d'être unecrise écono­ mique et financière. Et vu le choix prioritaire portée sur leur survie, ça devientégalementunecrise de légitimité» (idem: 55).

Cette dynamique perverse fait passer la société civile à côté de sa mission, à côté de ce que les consultants considèrent comme « les vrais enjeux du développement », comme autant« d'opportunités ratées ». Pour eux, l'enjeu d'un projet d'appui est de permettre aux OSC de « retrouver leur mission», de «jouer le rôle qui leur appartient» et qui est de contri­ buer à ancrer la démocratie, à faire évoluer les rapports État/citoyens. C'est là que peut se dépasser la crise de vision et de légitimité, qui est le principal problème. L'amélioration de l'organisation interne n'a de sens que par rapport à une mission retrouvée. La dimension « droits humains» proposée par l'identification leur paraît un peu molle, et surtout passer à 188 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER côté de cet enjeu. Reprenant la dimension « citoyenneté », ils lui donnent un contenu plus fort. Dans le contexte de la récente décentralisation, ils considèrent que l'enjeu pour la société civile est de contribuer à construire la citoyenneté locale et de nouveaux rapports entre citoyens et institutions publiques, tant par leurs actions concrètes au niveau local que par les actions de plaidoyer et de lobbying.

« La mission d'identification avait donné une orientation vers les droits de l'homme et en particulier l'appui à des groupes défavorisés, comme les handicapés et autres. Nous, quand on est venu, on a regardé ça de très près, et on s'est dit que cette thématique était pertinente mais qu'on n'al­ lait pas bouleverser les droits de l'Homme au Niger en travaillant unique­ ment avec les handicapés. C'était trop pointu» (consultant national, étude de faisabilité).

Tout en partageant la foi dans le potentiel des organisations locales", tout en entérinant la priorité donnée aux acteurs locaux et l'entrée « citoyenneté », les consultants reformulent largement le cadrage du projet et donc ses objectifs. Pour eux, un projet d'appui aux ose ne peut pas, ne doit pas être politiquement neutre. Il n'a de sens que par rapport à des enjeux politiques du moment pour le pays concerné.

« Une des grandes innovations de l'accord de Cotonou, c'est la dimen­ sion politique. Si on a affaire à la société civile, aux acteurs non étatiques, etc., ce n'est pas possible de ne pas travailler dans ce cadre politique. Il faut renoncer une fois pour toute à la soi-disant neutralité du programme, qui est une bêtise énorme. Un tel programme n'est pas neutre, il doit avoir un positionnement stratégique très clair. Tu ne peux pas renforcer n'im­ porte qui, tu ne peux pas renforcer des organisations qui sont bidon. Il faut que chaque programme ait son positionnement politique et dise «je ne suis pas neutre, je veux appuyer les gens qui travaillent, par exemple dans une optique de construction d'un espace public et de responsabilité sociale, plutôt que d'appuyer des gens qui sont des individus ou des petits bureaux d'études masqués en organisations de la société civile» (consultant inter­ national, étude de faisabilité).

Du fait de l'histoire de la société civile, il est «difficile de faire la distinction entre une organisation ayant une orientation vers la responsa-

26. Les remerciements en début de rapport sont particulièrement explicites: «Enfin nous tenons à adresser un remerciement particulier aux organisations de base consultées lors des visites sur le terrain spécialement dans la Région de Zinder. Leur détermination, leur courage et leur responsabilité sociale - malgré les difficultés dues à un environnement hostile et à la carence de ressources - témoignent des chances (grâce à leur concours actif) que le pays a pour gagner le pari de la démocratisation et du développement durable. A ces organisations de base, souvent négligées et marginalisées par les débats sur les politiques et les stratégies nationales de développement va l'encouragement sincère de l'équipe des experts chargés de l'ëtude » (p.3). L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 189 bilité sociale et opérant pour l'intérêt collectif et une organisation qui opère uniquement pour des motivations économiques et opportunistes» (Floridi et Lamine Tata, idem: 54). Il faut donc à la fois en prendre acte ­ et donc ne pas faire de séparation artificielle entre les «bonnes» ose (celles qui seraient vertueuses, transparentes, etc.) et les autres - et, inciter celles qui ne sont pas qu'opportunistes à clarifier leurs pratiques. Pour cela, ils proposent une vision semi-normative de la société civile, comme « l'ensemble des acteurs collectifs qui agissent au niveau local, régional ou national et qui sont porteurs d'une orientation à la responsabilité sociale, c'est-à-dire qu'ils expriment une intentionnalité et opèrent en faveur du développement social et économique de leur propre territoire dans l'intérêt de la collectivité, souvent à travers la production de biens ou de services d'intérêt public» (idem: 18-19, souligné par moi). Une vision à la fois inclusive (pour prendre en compte la diversité des organisations et de leurs pratiques) et sélective, pour «pouvoir opérer une sélection objective au détriment de tous ceux qui, au sein de la même société civile, agissent exclusivement selon un intérêt particulier» et ainsi «faire la distinction entre les acteurs collectifs de différente nature orientés à la res­ ponsabilité sociale et les entités qui n'ayant pas une véritable assise asso­ ciatize ne sont que l'expression de l'action de quelques individus, parfois agissant pour leur propre intérêt» (idem: 18, souligné par moi)?". C'est donc une lecture plus institutionnelle qu'organisationnelle des ose qui est mise en avant. Une lecture plus politique aussi, au sens où ils promeuvent une vision clairement engagée de la société civile et de son rôle dans les processus de construction et d'enracinement de la démo­ cratie, légitimée par la notoriété du chef de mission, ses liens étroits avec l'équipe de Bruxelles, sa connaissance des multiples projets UE d'appui aux ose en préparation ou en démarrage.

« Cela ne sert à rien d'identifier des besoins de renforcement de capa­ cités si ce n'est pas rapporté à des enjeux concrets. La société civile de chaque pays a des enjeux auxquels elle doit faire face. L'analyse doit faire ressortir quelle est la mission, la vocation historique de chaque catégorie d'acteurs dans la situation concrète du pays. [00.] Au Niger, les Ong natio­ nales étaient en réalité des petits bureaux d'études masqués en Ong. Il était évident que l'enjeu majeur était de s'intéresser à la chose publique, de favoriser les actions à la base formidables, qui n'étaient pas du tout connues, les groupements de femmes, de jeunes, de ce qu'on appelait les fada, les expériences de base qui pouvaient servir d'exemples. [00.] Et donc à mon avis le positionnement logique de ce programme, c'était d'œuvrer en appui à ces réalités à la base, parce que c'était uniquement à partir de cela qu'on aurait pu permettre aux autres niveaux de la société civile de s'imprégner de ces dynamiques à la base et de redécouvrir aussi leur mission» (idem).

27. On notera l'adéquation supposée entre «responsabilité sociale» et «véritable nature associative ». 190 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Dans cette perspective, le « renforcement de capacités» n'a pas pour enjeu majeur le fonctionnement interne des organisations, qui n'est qu'un moyen. Mais bien la capacité à définir de façon pertinente son positionne­ ment et sa stratégie, à négocier et gérer sa place dans un paysage institu­ tionnel complémentaire, contribuant ainsi à construire un cercle vertueux. Alors que le renforcement des capacités des organisations était vu dans l'identification comme un objectif en soi, il devient ici un moyen au service de la construction d'un espace public local, couplant discussion sur les politiques communales et contribution à la production de services à la population, un moyen pour construire par le bas une action publique pluri-acteurs, fondée sur un partage des rôles entre associations et admi­ nistration. Dans cette perspective, tous les acteurs locaux peuvent jouer un rôle, y compris les associations de jeunes qui s'engagent dans la chose publique, les mouvements de femmes dont les actions sont essentielles pour la «sécurité familiale», même la chefferie traditionnelle ou les acteurs religieux dont certains représentants s'engagent sur la santé, la lutte contre le mariage précoce, etc., et qui deviennent aussi des acteurs de l'action publique". L'enjeu de la contribution aux politiques publiques, central dans les Accords de Cotonou, mais occulté dans les études anté­ rieures, est aussi remis en avant, au niveau local et aussi, partiellement, au niveau national. Repartir de la base, appuyer les acteurs porteurs d'une vision de l'in­ térêt général, construire la démocratie locale par l'apprentissage de nouveaux rapports entre acteurs politiques et tissu associatif: c'est incon­ testablement une vision politique forte qui est proposée, même si on peut questionner son réalisme.

Permettre aux osede « retrouver Leur rôle » à travers une action publique LocaLe pluri-acteurs

Dans la perspective tracée dans la première partie du rapport, les consultants proposent de reformuler l'objectif spécifique du projet: « renforcer la société civile nigérienne pour qu'elle puisse participer à la construction et à la gestion de l'espace public national. régional et local, à travers la promotion des valeurs citoyennes et des droits humains fonda­ mentaux» (idem: 131, souligné par moi). Ils précisent ensuite les grandes lignes d'un dispositif, sans aller jusqu'à une conception complète du projet, en termes organisationnels et budgétaires (l'incontournable « cadre logique» manque même à l'appel !). Provisoirement appelé PANEN (Pro-

28. La mise en avant de la chefferie suscitera un débat lors de la restitution: «Le chargé de programme de la Délégation a tenu à indiquer que depuis le début de l'instruction du programme ce type d'organisation n'avait pas été retenu comme groupe cible et a exprimé sa réserve quant à l'éligibilité des acteurs religieux dans la mise en œuvre de ce nouveau programme» (Compte rendu de la réunion de restitution pour les partenaires au Développement, 24 juin 2005, Floridi et Lamine Tata, op.cit., annexe 9: 188). L'INVENflON D'UNE POLITIQUE 191 gramme d'appui aux acteurs non étatiques au Niger), le dispositif reprend l'organisation en deux volets proposée dans l'étude d'identification. Le premier, centré sur la promotion des droits humains fondamentaux, des valeurs démocratiques et citoyennes et de la communication entre acteurs non étatiques, vise à soutenir des initiatives d'organisations locales sur ces thèmes, dans deux ou trois régions du pays. Le second, centré sur l'amé­ lioration du cadre institutionnel et organisationnel des acteurs non étati­ ques, et le renforcement des capacités internes de gouvernance et de citoyenneté des acteurs non étatiques, concernerait la totalité du pays. Un travail spécifique est proposé sur l'environnement institutionnel des ose et les «mécanismes de concertation avec le gouvernement et d'implica­ tion des ose dans l'élaboration et le suivi de la mise en œuvre des politi­ ques nationales» (idem: 131). Dans les deux cas, les associations éligi­ bles sont celles qui sont « porteuses d'une orientation à la responsabilité sociale» (idem: 133) en cohérence avec la volonté de ne pas soutenir les organisations opportunistes", avec un accent sur les « acteurs émergents» à l'échelle locale. Pour la composante régionale, l'idée de demandes collectives d'organisations de base ou d'alliances entre organisations de base et organisations d'appui est reprise.

« Bien sûr, il y avait des risques que le formalisme ou les questions administratives ne soient aussi exportées vers ces organisations infor­ melles et dynamiques. Mais enfin, on s'est dit qu'il fallait tenter ce mon­ tage» (consultant national, étude de faisabilité).

Du fait du niveau de compétence des acteuts et de la nouveauté de la perspective proposée, les consultants insistent aussi sur l'importance de l'accompagnement et de la durée: il faudra mobiliser «de nouvelles approches d'animation (fondées sur la notion de « processus») pour l'ac­ compagnement des acteurs autour de la planification locale et la construc­ tion d'un dialogue dans l'espace communal entre toutes les parties prenantes (les populations villageoiseslles habitants des quartiers, les prestataires de services, les organisations de la société civile - formelles ou informelles -, les acteurs parapublics et/ou privés, les services de l'État et les collectivités décentralisées) »: «en matière de renforcement de capacités et d'appui au processus de dialogue et de construction de l'es­ pace communal, le temps est une ressource inestimable. La nature com­ plexe des actions engagées ainsi que les changements qu'elles sont appe­ lées à déclencher exigent un processus d'accompagnement continu, qui ne s'achève pas une fois l'action approuvée ou même terminée» (idem: 145, souligné par eux). Pour cela, les actions de renforcement de capacités seront centrées sur un nombre restreint d'organisations, sélectionnées par appel à candidature, et sur la base d'un diagnostic institutionnel. Mais peu

29. Mais les critères de sélection des actions cités, p.l68 sont très classiques: perti­ nence, organisation et la méthode, suivi et durabilité; budget et rapport coût-efficacité. 192 AIDE INfERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER de précisions sont apportées sur la façon de faire un tel accompagnement dans le cadre d'appels à propositions. Le futur projet est ainsi précisé ainsi dans son dispositif en même temps qu'il est partiellement redéfini dans ses objectifs: le recentrage sur la décentralisation et la construction d'un espace public local n'induisent pas de changement fondamental dans une conception en deux compo­ santes, l'une de soutien à des initiatives locales, l'autre d'appui institu­ tionnel. Mais les liens sont plus distendus: les deux composantes sont censées être complémentaires dans la construction d'une culture démocra­ tique, les organisations éligibles pour le renforcement des capacités devront agir dans le secteur des droits humains fondamentaux et de la citoyenneté, mais il n'y a plus de lien mécanique entre formation et accès à l'appel à propositions. Le principe d'un organisme d'appui par région est conservé, mais ils n'ont plus de rôle direct dans le financement. Et ils sont chapeautés par une Unité de gestion de projet, qui prend en charge l'animation de la composante institutionnelle, que l'identification proposait de confier à des structures faitières. Par ailleurs, la durée est ramenée à 4 ans, plus compa­ tible que les 8 ans recommandés par l'identification avec les instruments de l'UE à défaut d'être cohérente avec l'ambition du projet. La circulation de l'information, le partage du savoir, la capitalisation des expériences, sont censés constituer des dimensions clés du projet. Les propositions tentent ainsi d'intégrer une approche processuelle dans un dispositif d'appel à propositions. Même si les consultants mettent l'accent sur le besoin de durée et la diversité des actions possibles, tant en matière de renforcement des capacités qu'en matière d'appui à la gouvernance locale, le cadre de mise en œuvre se normalise. Les mécanismes proposés pour les appels à proposition reprennent les dispositions classiques du FED pour les micro-subventions, en suivant les « Instructions relatives à l'utilisation de la procédure « Micro-subventions» » avec quelques ajus­ tements dans la procédure d'appel à propositions (idem: 188 ss). Le tout se traduit par un dispositif relativement complexe, inhérent aux orienta­ tions actuelles de l'aide fondées sur un principe de « faire faire» avec des équipes réduites et un recours abondant à la sous-traitance, d'une part, et des mécanismes de fonds de financement sur appel à propositions avec comités de sélection indépendants d'autre parr". A leur tour, les auteurs insistent sur le besoin de souplesse et récla­ ment « une simplification sur le plan des outils de gestion administrative; une souplesse au niveau des procédures qui s'impose comme nécessaire vu que les bénéficiaires finaux de l'intervention n'auront pas forcement des compétences spécialisées en la matière» (idem: 19). Mais, connais­ sant leur caractère incontournable, ils entérinent en même temps la complexité des procédures du FED, précisant que «pour ce qui est du respect des procédures, et plus particulièrement des procédures 9" FED,

30. Sur la «mécanique des fonds» promue depuis le milieu des années 1990, cf. Lavigne Delville et Gauthier, 2001. L'INVENTION D'UNE POUTIQUE 193 vu leur complexité, la future Unité de Gestion du Programme, en coordi­ nation et avec l'appui des services comptables de la Délégation, devra veiller qu'il y ait une parfaite maîtrise au niveau des opérateurs qui devront assurer la représentation du Programme dans les régions concernées» (p. 111-112). De fait, un certain nombre de contradictions apparaissent dès ce stade entre les principes mis en avant pour que le projet corresponde aux analyses des enjeux et faiblesses des OSC et les modalités de mise en œuvre, contradictions qui seront exacerbées dans les étapes suivantes d'opérationnalisation, comme on le verra dans le prochain chapitre.

« Participation », controverses et arbitrages: la fonnulation du PASOC comme processus socio-politique

«Au départ, on sentait effectivement qu'ils n'étaient pas fixés. Bon, je les comprends aussi. Parce que c'était la première fois qu'ils étaient en train de partir dans le sens de l'appui aux acteurs non étatiques. Donc, il n'y avait rien de clair. [...] Même du point de vue des axes sur lesquels il fallait s'orienter, il n'y avait pas tellement de vision. C'est en faisant les différentes étapes qu'ils sont arrivés à mettre en place le PASOC tel qu'il est» (ancien cadre de la DONGAD).

Lorsque, en 2001, la Délégation doit inscrire le principe d'un appui aux « acteurs non étatiques» dans son Programme indicatif, elle n'a aucune idée de ce que va être ce programme. Cohérent avec les axes des Accords de Cotonou, le double principe de financer des actions proposées par les « acteurs non étatiques» et de « renforcer leurs capacités» est posé dès le début. Mais quels acteurs? Des actions sur quoi? « Renforcer» qui, comment et sur quels axes? Faut-il centrer sur les priorités de l'UE ou au contraire s'en distancier? Faut-il centrer sur la lutte contre la pauvreté, la promotion des droits humains et la lutte contre l'esclavage ou l'accompagnement de la décentralisation? Quelle place accorder à ces organisations de Niamey jugées largement opportunistes? Peut-on et faut-il travailler avec les groupes de rap, la chefferie? Les témoignages confirment l'ampleur des questionnements, voire des doutes. Pour que le PASOC soit défini, il a fallu quatre ans, trois études, et d'innombrables discussions et négociations entre les membres de la Délégation (changeant au fur et à mesure des affectations), l'équipe E4 à Bruxelles, l'administra­ tion nigérienne, les consultants successifs, les organisations rencontrées par ces derniers lors des études ou par les membres de la Délégation, les autres bailleurs de fonds. 194 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

« Ça a été très lié à ceux qui étaient en place, aux consultants» : un processus pluri-acteurs contingent

« Q. Bruxelles avait la capacité à répondre à vos demandes, à vous aider à structurer la réflexion sur le sujet? » « Ce n'était pas moi qui étais en première ligne là-dessus,... mais je pense que ce n'était pas très clair. Enfin, moi j'ai l'impression qu'on atten­ dait des notes de cadrage, et que à la fin, on a fait un peu comme on sentait. Vous voyez ce que je veux dire. On a eu des réponses qui n'étaient pas très claires. Du coup, cela a été très... oui, les produits auxquels on est arrivé sont très liés à qui était en place à ce moment là. Qui étaient les consul­ tants qui sont intervenus et qui était en place à ce moment là» (ancienne chargée de mission Développement rural).

Dans l'invention de cette politique, l'équipe de Bruxelles découvrait comme on l'a vu la thématique en même temps que les Délégations, qui ont été assez autonomes dans la définition de leurs projets. N'ayant pas de doctrine établie, le rôle de l'équipe E4 a essentiellement été un rôle de dialogue, de mise en communication. Elle s'est construit une expérience en même temps qu'elle voyait les différentes Délégations avancer dans leur réflexion et leurs choix. L'équipe de Bruxelles a été particulièrement utile, du fait de son savoir-faire, pour le montage de la convention de financement et la mise en procédure.

« Donc, on a eu du support au début, euh ... mais je pense que c'était beaucoup moins que ce que le siège peut offrir maintenant aux déléga­ tions. C'est clair. Il y a une capitalisation qui n'existait pas à l'époque. On a été très autonomes. Le siège était informé des différentes études, ils rece­ vaient les rapports, ils recevaient les commentaires, ils faisaient aussi des commentaires. Mais jusqu'à la phase de la préparation de la proposition de financements, ça a été un support relatif» (ancien chargé de mission Acteurs non étatiques à la Délégation de Niamey).

Sur la durée du processus, c'est l'équipe de la Délégation qui a eu la main, même si la validation politique finale revenait à Bruxelles. Au sein de la Délégation, l'engagement politique a varié avec les Chefs de Délé­ gation. Celle qui était en poste lors des débuts de la réflexion était semble­ t-il très engagée dans ce dossier. Son remplaçant, plus sceptique, recon­ naissait en 2005:

« Nous avons affaire à la bourgeoisie urbaine qui essaie de survivre en se reconvertissant dans le secteur Ong, ce n'est ni répréhensible, ni criti­ quable, c'est un phénomène naturel! [...] Il me semble que nous avons traité le dialogue avec la société civile de manière plus légère ici qu'ailleurs car nous n'avions pas le temps» (Montagner, op.cit.: 50 et 56). L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 195

Au sein de l'unité Gouvernance, les chargés de mission se sont suc­ cédés (4 au moins entre 2001 et 2009), avec des personnalités et des expé­ riences différentes, et des phases de creux ou d'intérim entre deux personnes. Les chargés de programme expérimentés des autres secteurs, développement rural en particulier, ont participé aux débats. Du fait de liens personnels, la Chef de Délégation, la chargée de mission junior, ont eu beaucoup d'échanges informels avec certains chercheurs du LASDEL autour de la question de ce qu'est la société civile au Niger, sans qu'il y ait eu de sollicitation explicite. Dans une phase de construction d'une réflexion, les consultants des différentes études successives, recrutés sur une expérience spécifique de la société civile au Niger, ont largement contribué à construire et alimenter les cadrages successifs. Mais c'est la Délégation qui a arbitré.

« Laformulation de projets, c'est un apprentissage commun»: l'expertise comme médiation etfacilitateur de decision"

«Tu sais, un exercice de formulation de projet, c'est un apprentissage commun au sens où les différents acteurs, y compris la Délégation, se posent des questions. Ce n'est pas uniquement de la mécanique au sens de « comment nous montons un projet». C'est plus complexe. Moi je vois ce genre d'exercice comme un échange de contenus où même l'expert peut changer son avis et accepter celui des uns ou des autres. Il est là pour apporter son expérience, son bagage conceptuel, oui, c'est obligatoire, mais surtout sa capacité à écouter les uns et les autres et de faire en sorte de déclencher un processus participatif où chacun peut contribuer et où le résultat est quelque chose de partagé. Evidemment parfois avec des com­ promis qu'il faut accepter» (consultant international, étude de faisabilité).

Dans cette phase de découverte, les consultants mobilisés lors des études successives ont joué un rôle important. Deux des consultants inter­ nationaux avaient été en poste au Niger, sur des projets d'appui aux orga­ nisations locales. A chaque fois, les binômes «expert national/expert international» se connaissaient au préalable. Ils apportaient une expé­ rience pratique, une connaissance préalable des organisations (plutôt centrée sur les organisations locales rurales) et de stratégies d'appui. Bien que sur un format contraint en durée (et en partie en méthodologie), ils ont rencontré des dizaines d'acteurs et d'organisations, rassemblé et organisé une masse d'information dans des termes faisant sens pour leurs interlocu­ teurs. Ils ont répondu à des termes de référence plus ou moins contrai­ gnants, en ajoutant parfois de nouvelles dimensions comme le nouveau diagnostic élaboré par les consultants de la faisabilité, indispensable à leurs yeux pour justifier le déplacement de perspectives qu'ils proposaient. Ou à l'inverse, laissant de côté certains points comme les rapports État!

31. Sur le « gouvernement expert de l'APD », cf. Jampy, 2012. 196 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

OSC dans l'étude de pré-identification. Loin de répondre mécaniquement, ils ont aussi engagé leur propre vision, pour pousser en avant certains cadrages (les organisations de base, pour la pré-identification, l'action publique pour la faisabilité par exemple), insisté sur les conditions de processus de renforcement, mis en garde par rapport aux conceptions instrumentales des OSC et à des dérives possibles, essayé de pousser la Délégation hors des routines des projets FED. En particulier, ils ont tenté de reformuler ou d'induire des déplacements dans le cadrage du projet, la façon de poser sa problématique, espérant ainsi influer sur la stratégie ou en tous cas légitimer des options: «Establishing a concept in a discourse can open up space for future action» (Brocklesby et Hobley, 2003: 894) Mosse (2005) a à juste titre insisté sur le travail actif de construction de « communautés d'interprétation» réalisé par les consultants supervi­ sant un projet, et par l'importance, pour la survie et le « succès» d'un projet, d'imposer une interprétation positive, donnant à voir une cohé­ rence en partie reconstruite entre politique et pratiques, et légitimant le projet contre les interprétations divergentes. Dans les phases de formula­ tions, il s'agit aussi de tenter de fédérer un ensemble d'acteurs hétéro­ gènes autour d'une lecture et d'un discours. Loin d'être un exercice méca­ nique, lorsqu'elle est faite par des gens expérimentés et impliqués", l'expertise suppose une capacité à construire une analyse d'une situation, à percevoir les attentes et logiques des différents acteurs, à sentir l'espace des possibles et les lignes rouges. Puis à mobiliser cette ensemble dispa­ rate et plus ou moins contradictoire d'informations pour construire et négocier une façon de voir et des façons de faire qui fassent sens dans une réalité donnée et pour les acteurs concernés, soit recevable politiquement et aussi, lorsqu'on s'approche de la mise en œuvre, soit aussi «faisable », au sens de « possible à mettre en œuvre pratiquement ». C'est un exercice de traduction entre acteurs hétérogènes (les commanditaires, les personnes consultées) et entre diagnostic et stratégies, qui en même temps construit un couple diagnostic/solutions (couple plus ou moins pré-déterminé selon les termes de référence et l'étape de leur intervention). Dans le même temps qu'ils négocient les catégories et les conceptions, ils tentent de fédérer un réseau hétérogène d'acteurs, en essayant d'enrôler ceux qui sont en position de pouvoir ou de blocage (les commanditaires s'il s'agit de déplacer leurs positions, l'administration, certains acteurs influents du jeu) et en essayant d'intéresser ceux dont l'adhésion ou la participation future sera requise (l'administration, les futurs « bénéficiaires », et qui à ce stade ne sont présents qu'à travers des « porte-parole» censés permettre de comprendre leurs intérêts, attentes et craintes. Certes, le diagnostic est en partie reconstruit par rapport à ce qu'on veut ou peut faire, comme l'a montré Ferguson (1990), mais l'inverse est aussi vrai dès lorsque l'expert

32. Il Y a évidemment des pratiques routinières et mercenaires de l'expertise, des experts qui arrivent avec leur schéma tout fait, qui font du coupé-collé d'une mission à l'autre, qui se contentent de répondre aux attentes du commanditaire. L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 197 propose des démarches ou des outils qui sortent des routines du comman­ ditaire. Pour pouvoir jouer ce rôle de construction (toujours fragile et provi­ soire) de réseau d'acteurs, le « récit» construit doit faire sens et être rece­ vable par ces acteurs, en tous cas ceux dont l'accord explicite est indis­ pensable et ceux qui ont une capacité de blocage avérée". Cette dimension du travail de l'expert permet de comprendre le jeu de négociation par rapport aux termes de références (et donc aux cadrages et choix préala­ bles, eux-mêmes plus ou moins clairs, explicites ou contradictoires, qu'ils traduisent), le rôle des restitutions et autres débriefings pour tester des propositions et tenter de convaincre, négocier des compromis. Un consul­ tant doit marquer clairement son inscription dans la perspective des TDR dans son rapport, quitte à contester cette perspective ou la déplacer en pratique, et il doit d'autant plus s'y référer symboliquement qu'il prend des libertés par rapport à eux. Il intègre les « lignes rouges» des acteurs en situation de pouvoir et représente des compromis entre conceptions - y compris les siennes. Les debriefings, restitutions, commentaires sur le draft servent à ajuster le rapport à ces tensions et ces rapports de force. Produit de ces interactions, négociations, stratégies de conviction, rapports de force, c'est nécessairement un texte hybride, souvent en partie contradictoire malgré les efforts de lissage et de mise en cohérence (qui sont d'ailleurs limités à la fois par la faible durée des expertises, qui empê­ chent de pousser les négociations, et le très faible nombre de jours de rédaction). Il garde trace des différentes conceptions et propositions, qui ont scandé l'étude. Il intègre parfois dans le diagnostic ou dans les prin­ cipes généraux du projet des options ou pistes qui ne sont pas forcément prises en charge dans le dispositif proposé, parfois manque de temps ou par incapacité à les opérationnaliser, parfois parce qu'elles n'ont pas été entérinées mais que les auteurs veulent les faire figurer pour montrer qu'ils ont pris en compte telle ou telle suggestion. Un rapport d'expertise ne traduit donc ni le déroulement mécanique des TDR ou la réponse aux attentes des commanditaires, ni le strict point de vue des experts. Bien que déjà négociées, les analyses et conclusions des experts sont ensuite l'objet de filtrages, de réinterprétations, d'appropriations sélec­ tives (et parfois de rejet), qui se lisent dans les reformulations faites par les différents acteurs (et en particulier les commanditaires). Ainsi, la façon dont la Délégation a présenté les résultats d'une étude dans les TDR de la suivante est particulièrement révélatrice. La figure classique de l'expert est celle de l'expert mobilisant des connaissances spécifiques, non maîtrisées par ses commanditaires, pour poser une analyse neutre et distanciée. En Europe, cette figure évolue de

33. Sur ces liens entre discours et tentatives de construire et stabiliser des réseaux d'acteurs supportant le projet, cf. Mosse 2005, et surtout Latour, 1992 et, dans une pers­ pective théorique très différente mais convergente sur les conclusions Zittoun, 2013b. Pour une lecture dans ces termes des évaluations comme « construction d'une analyse recevable», cf. Mosse, 2005; PhiIlips et Edwards, 2000; Lavigne Delvil1e, à paraître. 198 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER plus en plus vers une posture plus composite, avec d'un coté ce qu'Irène Théry (2005: 320) qualifie d'« expertise d'engagement », où « un spécia­ liste est mandaté à la fois pour proposer une analyse scientifique, établir un diagnostic et s'engager sur des propositions pour l'action », et de l'autre une posture de médiation, de « démocratisation des connaissances et des choix» en situation controversée (Lascoumes, 2002b). Ici, les consultants ont été à la fois « brokers and translators » (Lewis et Mosse, 2006), «techniciens et médiateurs» (Jampy, 2012): ils ont pratiqué une expertise d'engagement, couplant capacité d'analyse et de propositions. Mais en même temps, ils ont largement joué un rôle de médiation entre points de vue, d'abord au sein de la Délégation, mais aussi entre la Délé­ gation et les interlocuteurs rencontrés, au cours d'un élargissement pro­ gressif mais partiel des interlocuteurs'", Si leurs propositions ont progres­ sivement façonné le PASOC, c'est bien la Délégation qui a fait les arbitrages, retenu certaines dispositions et pas d'autres.

« A partir de l'identification, le processus a été très participatif» : une participation sélective et contrôlée

«A partir de l'identification, le processus a été très participatif. C'était une caractéristique importante, moi je dirais essentielle, de l'identification et de la faisabilité du PASOC au Niger. On a été vraiment le plus partici­ patif possible. C'est une approche qui n'a pas été forcement suivie dans les autres pays, mais nous, on a été hyper ouverts, on a vraiment cherché à ne pas identifier, nous en tant que délégation, ou le gouvernement, ou l'or­ donnateur national. Le programme a été identifié par la société civile. Les domaines d'entrée ont été proposés par les consultants qui ont fait l'étude mais tout ça a été fait avec la participation réelle de la société civile du pays. Vous avez vu, il y a eu plusieurs ateliers pendant l'identification, à Zinder, etc. » (ancien chargé de mission Acteurs non étatiques à la Déléga­ tion de Niamey).

Plusieurs centaines de personnes ont certes été rencontrées pendant les différentes études, mais la logique d'ensemble relève largement plus de la consultation que de la co-élaboration. L'analyse des interlocuteurs rencon­ trés dans les études successives et de leurs modalités de mobilisation est particulièrement éclairante. Dans un premier temps, l'équipe de la Délé­ gation s'interroge sur le concept d'ANE, sur ce qui serait pertinent de faire. Le mapping a pour but de lui offrir un panorama. Il est avant tout à usage interne. Sur les 42 personnes rencontrées à Niamey, 14 sont de la

34. L'analyse qui suit ne prend en compte que les modes d'élaboration et de restitu­ tion des études, laissant dans l'ombre les multiples discussions informelles et les réunions entre la Délégation et ses interlocuteurs, au niveau de la Cellule d'appui à l'Ordonnateur national du FED, et des autres ministères. Je n'ai eu en particulier que peu d'informations sur le « groupe de réflexion» censé avoir accompagné le processus de formulation. L'INVENfION D'UNE POLITIQUE 199

Délégation ou de la cellule de l'Ordonnateur du FED, 15 travaillent dans des projets ou des Ong internationales, 3 sont de l'administration, 10 d'Ong faitières ou de fédérations. A ce stade, l'administration est rapidement consultée, mais pas vraiment partie prenante, tant parce que le concept d'ANE est encore vague, que parce que la position de l'État par rapport à un tel projet demeure incertaine.

«Pour nos interlocuteurs de la partie nationale, c'était un peu un concept qui tombait du ciel [...] Je ne suis pas sûre que, de leur côté, on voyait cela d'un très bon œil. "Mais non, ils ne vont pas aider nos oppo­ sants politiques", par exemple» (ancienne chargée de mission Développe­ ment Rural). « La relation était compliquée. On voulait même gue j'aille loin de Niamey pour éviter les difficultés de relations avec l'Etat» (consultante internationale, étude de pré-identification).

Les ose nigériennes consultées forment un quart des interlocuteurs, ce sont avant tout des réseaux, des fédérations, des ONG à vocations nationales, interrogées pour leur connaissance du paysage des ose. Dans les régions au contraire, les experts ont rencontré une large gamme d'acteurs, y compris des associations de théâtre, des fadas, etc. Quelque soit leur position institutionnelle, les acteurs rencontrés sont avant tout consultés sur leur situation propre ou sur leur analyse du paysage. L'ana­ lyse,les pistes, relèvent des seuls consultants. L'étude d'identification marque un net élargissement du réseau d'ac­ teurs impliqué, tant du côté des organisations de la société civile que de l'administration. La pré-identification avait fortement recommandé un processus de co-construction du futur dispositif, avec les organisations de la société civile, ce qui n'a été qu'en partie accepté par la Délégation, en partie pour des réticences à un processus peu contrôlable, en partie pour des problèmes pratiques de sélection et de légitimité.

« Le grand casse-tête, c'était "qui on associe à l'identification du pro­ gramme?" Qui est-ce qu'on voit? Qui est-ce qu'on invite aux réunions? Vous voyez? C'était « si on invite les OPA et qu'on leur dit ensuite "bon, ce n'est pas pour vous" ... » (ancienne chargée de mission Acteurs non étatiques à la Délégation de Niamey).

Un questionnaire (qui a eu peu de retours) devait permettre un premier niveau de consultation, avant les entretiens et les ateliers. Le compte­ rendu des ateliers témoignent de groupes de discussion sur des thèmes généraux", mais pas de temps spécifiques pour débattre et négocier

35. « Comment améliorer les relations entre ANE?, Comment amener les différents types d'ANE à se recentrer sur leur mission première? Quelles sont les difficultés liées à la coordination entre ANE et autorités? Comment, pour les différents types d' ANE, 200 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER autour des grandes options du projet tels qu'elles se dessinaient. Le processus est resté plus consultatif que délibératif, l'atelier de Niamey discutant en pratique autour d'options déjà définies.

«C'était à la fin, donc, en fait c'était déjà les conclusions de l'atelier de Zinder qui étaient présentées. Je n'ai pas le souvenir qu'il y ait eu beau­ coup de contestations, réactions ou quoi que ce soit. (silence) Je pense que c'était suffisamment argumenté aussi. Voilà! Donc ... En tous cas,je ne me souviens pasde conflits ou des choses comme ça» (consultante internatio­ nale, étude d'identification).

Sur 24 participants, on compte seulement 7 OSC, dont l'ANDDH et la CCOAD, et 2 personnes de l'Association des journalistes pour les droits de l'homme. Et un seul représentant des Ong nationales ayant une expé­ rience avérée en termes d'appui aux associations. Parmi les participants associatifs ayant participé à ces ateliers, plusieurs de mes interlocuteurs n'en gardent pas un souvenir très précis. On pourrait s'en étonner, alors même que l'enjeu était important: un projet spécifique de 5 millions d'euros en faveur des OSe. En fait, outre une éventuelle amnésie straté­ gique, cet atelier s'ajoutait aux multiples ateliers auxquels ils sont conviés et se mélange aujourd'hui dans leurs souvenirs. De plus, le format des ateliers de restitution ne favorise pas forcément la prise de parole et la contestation des options de fond: sachant que les grands choix sont déjà faits, les participants se contentent souvent d'observations de forme ou de détail, reportant éventuellement les contestations à plus tard, dans d'autres arènes ou sous d'autres formes. De fait, pour les OSC de Niamey, outre les modalités d'appui, le point essentiel portait sur la priorité donnée aux régions et aux organisations de base. Cette controverse, très vive, n'est semble-t-il pas explicitement sortie pendant l'atelier. Certains participants, présidant une Ong ayant des antennes dans les régions, ont entériné cette priorité.

« Nous, on a accepté [les propositions]. On a dit "l'essentiel c'est que ça profite au Niger". Il n'y avait pas de problème à notre niveau. Au niveau de notre Ong, nous privilégeons des antennes dans les régions, donc s'il y a un partenaire qui va directement aux antennes, il n'y a pas de problème» (présidente d'une Ong de santé, responsable de réseau d'Ong, participante à l'atelier de Niamey).

Mais ce ciblage a été fortement contesté par des réseaux de Niamey qui, après l'atelier, ont écrit un courrier à la Délégation pour protester renforcer la dimension « droits humains» en vue de promouvoir la citoyenneté et pour le respect des droits fondamentaux, en particulier des groupes marginalisés et défavorisés? Quelles sont les stratégies actuelles de renforcement des capacités des ANE? Quelles pourraient être d'autres stratégies innovatrices et structurantes adaptées?» (Leloup et Samaila, 2004, annexe: 37-40). L'INVENTION D'UNE POUTIQUE 201 contre leur exclusion, à la fois de la procédure de consultation et du béné­ fice direct des financements du projet"; et se sont répandues en critiques féroces contre lui. La contestation a été particulièrement vive de la part d'un réseau d'Ong de développement et de droits de l'homme, spécialisée dans le plaidoyer sur les politiques de coopération, partenaire de réseaux européens d'Ong, et qui avait été exclu des consultations.

«On n'a jamais été dans une réunion. Moi, j'ai reçu l'information à Bruxelles à l'occasion d'une réunion avec ECDPM. [.00] C'est là qu'on nous a dit qu'il y aura une mission d'identification. Les enquêteurs ont été envoyés au niveau des Ong que l'Union européenne juge favorables à elle, non critiques, très dociles, très pacifiques, vraiment solidaires de ses objec­ tifs. Quand on a appris cela, j'ai réagi, j'ai écrit à l'Union européenne. Nous, cela fait 15 ans qu'on travaille sur les Accords de Lomé, les Accords de Cotonou. On ne peut pas venir travailler sur l'Union européenne sans venir nous voir. [00'] Ce qui a été fait [pendant l'étude] n'est pas un travail où les gens se sont déplacés en toute responsabilité pour venir rencontrer les réseaux et associations afin de vraiment discuter avec eux et mettre en place un programme. Et d'ailleurs, nous avons dit que ce n'est pas à l'Union européenne de développer un programme pour nous, c'est à nous de développer un programme et de le soumettre à l'Union européenne» (responsable de réseau d'Ong).

Au-delà du «casse-tête de qui on associe », la « participation» a en effet été sélective. Des organisations trop contestataires ont été disquali­ fiées sur des arguments de représentativité. La recherche en sciences sociales n'a pas été mobilisée, à l'exception de discussions informelles, de l'invitation d'un chercheur à un des ateliers. Les Ong (tant internatio­ nales: Eau Vive, SNV, DED, etc. que nationales: SongES37, Karkara, GAMA, etc.) les plus expérimentées dans l'appui aux organisations, et celles qui ont une large expérience d'appui aux organisations informelles (fada et citoyenneté, avec Alternatives Espaces Citoyens, groupements de femmes avec Care) ont certes été consultées ponctuellement, mais n'ont pas été associées de façon explicite à la réflexion sur les orientations du futur projet. A partir de l'étude d'identification, l'administration est également davantage impliquée, avec la participation régulière aux réunions de la Primature et de la Direction des Ong et associations de développement (DONGAD) du Ministère du développement communautaire.

36. Je n'ai pas réussi à avoir accès à ce courrier, dont l'existence m'a été confirmée de plusieurs sources. Il n'est pas clair s'il a eu lieu après l'identification ou plus tard, au moment du démarrage du projet. 37. Signalons que SonGES mettait en œuvre un projet de 3 ans de renforcement des capacités des petites associations, sur financement Union européenne, mais sur une ligne d'appel à propositions Ong, directement géré depuis Bruxelles, et dont la Délégation n'avait semble-t-il qu'une faible connaissance. 202 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

« J'étais au ministère du développement communautaire en qualité de directrice des Ong et associations de développement. Donc, c'est à ce titre que j'ai représenté le ministère au sein du comité qui était chargé de réflé­ chir sur l'identification. C'est surtout à cette étape que nous avons été sollicités. J'ai trouvé le processus lancé. C'était mon prédécesseur qui avait commencé. Quand je suis venue, il m'a passé le témoin et j'ai parti­ cipé à un certain nombre de réunions. La première étape la plus importante à laquelle j'ai participé, c'était de déterminer ou de définir les différentes composantes. Le rôle essentiel que j'ai joué, c'était de définir les critères d'éligibilité des Ong. Il y a trois catégories d'organisations qui ont été définies. Et selon ces catégories, j'ai fait des propositions de critères et de procédures pour l'accès à l'appui du programme. On a aussi participé à la définition géographique en tout cas, le contour géographique du pro­ gramme. J'ai aussi participé à l'étape où on devrait définir le contour insti­ tutionnel du programme. Nous avions vraiment un comité représentatif, puisqu'il comprenait aussi bien les acteurs de la société civile que les acteurs gouvernementaux, que les représentants de certains bailleurs importants» (ancien cadre de la DONGAD).

L'implication concrète des Ministères est cependant difficile à établir, entre une motivation variable pour ce projet, les enjeux propres du Minis­ tère du développement communautaire, et les rapports entre État et ose. De façon générale, les cadres de l'administration s'engagent peu dans le fond des projets qui leur sont soumis par les bailleurs de fonds, dans le sentiment - réel ou supposé - que les grands choix sont déjà faits, qu'ils ont une marge de manœuvre faible (Lavigne Delville et Abdelkader, 2010). Sauf lorsqu'il y a des enjeux politiques ou financiers forts, ils jouent donc leur rôle a minima, apportant une petite touche ici ou là, négo­ ciant plutôt les ancrages institutionnels et les avantages financiers, donnant à certains observateurs nationaux l'impression que l'État est passif par rapport aux bailleurs de fonds (Lavigne Delville et Aghali, op. cit.: 78). Ici, en plus, le thème de la société civile n'est clairement pas la priorité de l'État. Evitant l'opposition frontale, les administrations cherchent plutôt à marquer les lignes rouges, puis à influencer le déroulement en fonction de leurs priorités. L'essentiel du dialogue a eu lieu avec la « cellule d'appui à l'ordonna­ teur national du FED », rattachée au Ministère des Finances et chargée du suivi des programmes de l'Union Européenne. Les Ministères sectoriels concernés, Ministère de l'Intérieur et Ministère du développement communautaire étaient régulièrement consultés. La Primature a été asso­ ciée au moment de l'identification, pour avoir un aval politique sur le projet en préparation.

« Il Y avait le ministère du développement communautaire, le minis­ tère de l'intérieur, le ministère de l'économie. C'est les trois principaux acteurs du programme, ils étaient dedans. Maintenant, quel a été le niveau de représentation, c'est ça que je ne sais pas. Souvent on a tendance à envoyer un second couteau qui n'a pas un niveau de responsabilité. En L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 203

plus, généralement, on ne forme pas le gars avant de partir, on ne lui donne pas de consignes. On vous jette un dossier, on vous dit «allez à la réunion» et puis c'est tout. Je pense que c'est ce qui a été fait. J'ai vu la liste des participants à ce genre d'atelier, effectivement, ils n'ont pas un niveau de décision» (ancien cadre de la DONGAD) « Nous, on agissait ponctuellement, on ne pilotait pas les études. On nous appelle ou nous écrit pour nous dire: il y a une réunion tel jour sur tel ordre du jour. Je me rappelle bien que, après l'identification, quand le deuxième document est sorti, on nous a demandé officiellement si on acceptait ce qui allait se faire. Et j'ai dit qu'effectivement on acceptait. Et quand ça avançait, notre travail était terminé c'est-à-dire qu'à partir d'un certain moment, le dossier est lâché aux ministères techniques concernés et il y a des éphémères relations avec l'ordonnateur national» (représen­ tant de la Primature associé à la préparation du PASOC).

Les consultants ne gardent pas un souvenir marquant de la contribution des représentants de l'État pendant les études.

« Je peux me tromper car ce sont plus des impressions que des souve­ nirs précis. Mais mon impression, c'est que ce programme d'appui aux acteurs non-étatiques, c'était au départ un dada de l'Union européenne, pas du gouvernement. Ça c'est sûr. Ils se sont mis d'accord en gros sur les contours, et ce à quoi il ne fallait pas toucher. Donc, pas les syndicats. Je pense qu'il y avait une espèce de fatalisme de la part du gouvernement qui disait « bon, il faut bien passer par là, mais en tout cas on n'y croit pas trop. Mais, il ne faut surtout pas que cela nous fasse de l'ombre et que cela nous embête. Si ça ne nous embête pas, c'est bien ». Je pense que c'était un petit peu l'état d'esprit à ce moment là. [...] De toute façon, dans ces genres de choses, les représentants du ministère, ils écoutent, souvent ils ne disent rien. Et puis après, ça va se faire en bilatéral avec la Délégation et pas devant tout le monde» (consultante internationale, étude d'identifi­ cation).

Entre l'identification et la faisabilité, un groupe de travail a été constitué par la Délégation pour être son interlocuteur dans l'élaboration du projet. Il a, selon le chargé de mission Acteurs non étatique de l'époque, été mobilisé pour discuter et valider les rapports de la mission d'identifi­ cation et contribuer à la préparation des TDR de la faisabilité. Peu d'inter­ locuteurs m'en ont parlé, peut-être là aussi par amnésie stratégique, les réseaux contestant les options de base du projet. L'implication d'Ong faitières ou de fédérations dans le Comité n'a pas eu les effets espérés en termes de légitimation de la priorité mise sur les organisations de base dans les régions. De même, les Ong internationales n'ont semble-t-il pas apprécié l'analyse de la faisabilité, qui les mettait clairement en cause.

«J'avoue qu'un dernier acteur n'était pas du tout d'accord, c'étaient les Ong internationales. Surtout les grosses Ong du Nord, donc ils avaient 204 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

une autre vision, c'était plutôt que les acteurs nationaux ne seront jamais en mesure... non, pardon, ne sont pas actuellement en mesure de pouvoir gérer, donc il faut des acteurs internationaux, des acteurs du Nord qui puissent les accompagner, etc. Mais ça, je le dis, c'était uniquement une question d'enjeux économiques et financiers» (consultant international, étude de faisabilité).

Cadrages, controverses et arbitrages: la politique des choix

- Cadrages et controverses comme entrée heuristique La formulation du projet aété scandée par une série d'interrogations, de débats, de divergences, progressivement clos par des consensus (au moins partiels au sein du réseau d'acteurs impliqué) ou des arbitrages. Les notions de cadrages et de controverses sont utiles pour analyser les débats et les choix, en dépassant les effets de mise en cohérence rétrospective. On peut définir un cadrage (Fischer 2(03) comme une façon de formuler un problème, en sélectionnant et organisant des éléments d'une réalité complexe. Une controverse témoigne de désaccords avec un cadrage donné, lorsque les conceptions portées par les protagonistes relèvent de visions du monde différentes. Les controverses « peuvent être définies comme des séquences de discussions et d'affrontement entre des points de vue différents sur le même sujet. Elles sont aujourd'hui considérées comme des temps d'exploration et de stabilisation des enjeux durant lesquels la diversité des dimensions, la pluralité des acteurs engagés et des voies d'action possibles sont envisagées avant la clôture politique» (Lascoumes, 2004: 124). « La controverse doit permettre d'inventorier la multiplicité des systèmes d'interprétation élaborés par les différents acteurs en fonction de leurs expériences et de leur savoir-faire. Elle doit être l'occasion d'élargir les points de référence par la recherche des multi­ ples solutions envisageables pour résoudre un problème qui a été élargi dans ses dimensions et épaissi par la mobilisation d'acteurs non coor­ donnés» (Lascoumes, 2002a: 73). Explicites ou latentes, traduisant des clivages variés, les principales controverses qui ont scandé l'élaboration du PASOC traduisent les divergences d'analyses ou d'intérêts et mettent en lumière les choix, les arbitrages, derrière la rationalisation des discours.

- Qui sont les « acteurs non étatiques» et qui appuyer?

« La notion de société civile offre à la confrontation politique un opéra­ teur de classements. Chaque locuteur, en rejetant ce qu'il considère comme non civil, a-civil ou anti-civil, exclut ainsi de la société civile tous ceux qu'il ne reconnaît pas comme interlocuteurs» (Planche, 2004: 14). « Elle inclut et exclut en mobilisant les catégories du bien et du mal, du pur et de l'impur, des "civilisés" et "non civilisés"» (Camau, 2002: 224). L'INVENflON D'UNE POUTIQUE 205

Face au flou de la notion, et à la « nébuleuse» de la société civile nigé­ rienne, « Qui sont les acteurs non étatiques a été une question centrale dès le départ. Elle porte des enjeux de définition, de catégorisation, et donc d'exclusion, et oriente le choix des acteurs futurs bénéficiaires du projet. Le débat initial sur la frontière de la notion d'ANE a vite exclu les parle­ mentaires, la chefferie (que l'étude de faisabilité a tenté en vain de réin­ troduire dans une perspective d'action publique locale) et les acteurs proches du système politique. Seule ligne rouge définie par l'État nigé­ rien,les syndicats et les mouvements religieux ont été exclus dès le départ du champ de la réflexion. Les TOR de la pré-identification balayaient très large, incluant les médias, les universités, le secteur privé. Mais l'étude a ignoré ce dernier, et traité pour mémoire médias et université. Les organi­ sations paysannes ont été exclues de la réflexion du fait que certaines bénéficiaient par ailleurs de programmes d'appui. Loin de la vision poli­ tique incluse dans les Accords de Cotonou, la notion d'ANE a donc été en pratique réduite aux organisations développementistes au sens large (y compris celles qui font du plaidoyer) et « citoyennes », puis élargie aux organisations informelles de type fada, groupes de rap, etc., avec une distinction sommaire entre «organisations de base» et «organisations structurantes» ou « d'appui» regroupant indistinctement unions, réseaux, fédérations,Ong.

«II Y a énormément d'organisations, d'ONG etc. à Niamey. Une grande partie d'entre elles, c'est des organisations créées pour capter les fonds. Nous, ce qu'on voulait, c'est de ne pas tomber dans ce piège-là, mais d'arriver à financer les organisations qui travaillaient vraiment, les associations de base» (ancien chargé de mission Société civile à la Délé­ gation).

Du fait de la méfiance de la Délégation envers les organisations de Niamey, renforcée par les critiques du mapping sur les Ong, la réflexion sur les OSC potentiellement bénéficiaires des appuis s'est, comme on l'a vu, rapidement focalisée sur les « organisations de base », avec des incer­ titudes sur ce qu'elles sont réellement, et sur la place à accorder aux « organisations d'appui ». L'exclusion ou la marginalisation des réseaux, associations de lobbying, associations altermondialistes, réseaux critiques de l'aide revient à exclure de l'appui la fonction de dialogue politique sur les politiques nationales et la politique de coopération de l'Union Européenne, en contradiction une dimension essentielle des Accords de Cotonou et aussi avec l'annonce du projet dans le Programme indicatif national de 2001 qui prévoyait de « renforcer les capacités des organisa­ tions, tant en ce qui concerne leur fonctionnement interne que leur rôle de représentation et de négociation» (souligné par moi). Un premier cadrage a donc consisté à centrer la réflexion sur les « organisations de base» et à mettre de côté des pans entiers des Accords de Cotonou. Un certain nombre de réseaux d'OSC à Niamey se sont considérés comme exclus du processus, et ont vigoureusement contesté cette option, 206 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

à la fois au nom de la dimension de dialogue politique des Accords de Cotonou et au nom de l'impact structurant du futur projet. Informés par leurs partenaires européens, ils connaissent parfaitement les Accords. Pour eux, la participation de la société civile au débat sur les politiques en est un des enjeux essentiels. Or, les OSC qui s'investissent dans ce thème manquent de ressources pour pleinement jouer ce rôle. Cibler les petites organisations de base est en contradiction avec les Accords de Cotonou et vise à empêcher toute contribution critique de la société civile.

« Nous pensons que ce fonds-là doit permettre aux réseaux qui tra­ vaillent déjà dans le domaine [du plaidoyer] de se consolider et se renforcer, et de faire un travail performant. Mais à notre grande surprise, on constate que les à peu près 4 milliards de FCFAqui ont été programmés dans le cadre du PASOC sont morcelés et distribués à des groupements informels qui n'ont aucune quaJité ou quaJification pour faire remonter un discours de plaidoyer, ou du moins influer les processus pour prendre en charge les préoccupations véritablement citoyennes et sociaJes. C'est de l'argent qu'on donne à des groupements féminins, à des petits villages, à des groupements de puisatiers, à des groupements de vendeurs de bois, dont on pense que ce sont des structures de base communautaire. Mais véritablement, ce n'est pas la société civile! En agissant sur ces gens-là, on ne peut pas changer la société civile. Ce qui est important, c'est de construire de grands réseaux capables de faire du plaidoyer pour changer les choses, parce que tant qu'on ne change pas les politiques... Nous pensons que c'est de l'argent mal utilisé C'est pourquoi tous les grands réseaux du Niger ont écrit une lettre de protestation à la Commission via la délégation de Niamey, pour récuser la responsable du projet, pour dire que nous ne sommes pas d'accord avec les procédures, les méthodes d'approche, et la forme avec laquelle elle opère» (coordinateur d'un réseau d'organisations de développement et de défense des droits de l'homme).

La présentation caricaturale des organisations locales sert à les disqua­ lifier et à les exclure de la société civile. Les consultants de l'étude de faisabilité ont certes réintroduit la ques­ tion des fédérations et réseaux et la dimension de dialogue politique. Mais ils n'en font pas un axe d'action majeur, ce qui conduit à entériner son caractère secondaire. Qualifier comme le fait l'étude de faisabilité les associations de jeunes et de femmes (et même la chefferie) par le terme étrange « d'acteurs émer­ gents» vise à les légitimer comme bénéficiaires des appuis, tant par rapport à l'État que par rapport aux chargés de mission de la Délégation qui raisonnent plus en termes d'associations villageoises ou de groupe­ ments de producteurs. La valorisation des fada, associations de femmes, groupes de rap ou de théâtre et autres organisations informelles a d'abord surpris la Délégation, habituée aux organisations développementistes. Elle a ensuite suscité une double controverse avec l'administration nigérienne: le Ministère de l'Intérieur était réticent face à la volonté de l'UE de L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 207 soutenir aussi des organisations informelles". Il a clairement marqué son désaccord par une politique de la chaise vide. Le Ministère du développe­ ment communautaire était également plutôt réticent à accepter un appui à des organisations informelles.

« Initialement, dans l'esprit du document, c'était vraiment les organisa­ tions communautaires de base. C'était ça qui était prévu. Moi-même j'ai été confronté à ce problème parce qu'on s'est dit "c'est quoi sur le terrain?" Ce n'est pas très bien structuré. Ce ne sont pas des coopératives, c'est des gens qui... ce n'est pas bien structuré. Donc, ce n'est pas très sécurisant de placer un financement là où il n'y a pas la présence de l'État» (ancien Directeur de la DONGAD).

De plus, l'ouverture affichée en termes d'OSC potentiellement bénéfi­ ciaires et plus encore la volonté de soutenir des organisations informelles était contradictoire avec un ancrage institutionnel à la Direction des Ong et associations de développement. Néanmoins, du fait de l'enjeu de la tutelle du projet, cet accent sur les organisations de base n'a pas été ouver­ tement contesté par le Ministère. On l'a vu, la priorité donnée aux «associations de base» est, pour l'Union européenne et pour les consultants qui l'entérinent en grande partie, justifiée par les critiques récurrentes sur l'opportunisme et les faiblesses organisationnelles des organisations «structurantes ». Elle va de pair avec une mise en avant, une idéalisation, du « dynamisme» de ces organisations de base (quand ce n'est pas leur « bonne organisation») et, finalement, la recherche illusoire d'organisations plus «pures », moins perverties par l'aide, qui seraient la « vraie» société civile, celle de la base, et sur laquelle refonder une société civile vertueuse en espérant qu'émergent de là des organisations faitières solides pour poser la ques­ tion du débat sur les politiques... ou en tous cas (dans l'étude de faisabi­ lité) autour de laquelle permettre aux autres organisations de « retrouver leur rôle ». Dès lors, elles seules peuvent bénéficier de financements pour leurs activités (au risque de les pervertir à leur tour?), les autres ne pouvant que participer à des formations, sans accès aux fonds. Une telle vision duale est bien sûr caricaturale: les logiques de captation de l'aide, de courtage en développement, de clientélisme politique n'épargnent en effet pas ni les organisations locales (Bierschenk, Chauveau et Olivier de Sardan, 2000; Hahonou, 2009), ni les associations de femmes souvent structurées autour d'une commerçante ou fonctionnaire développant un réseau de clientèle".

38. De plus, la composante institutionnelle, qui a travaillé sur le cadre légal, empié­ tait clairement sur ses prérogatives. 39. Cf. les différents Etudes et Travaux du LASDEL sur « les pouvoirs locaux et le rôle des femmes», par exemple (Olivier de Sardan et Issaley, 2005; Issaley, 2009; Moussa et Diouldé, 2011). 208 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILESAU NIGER

La dimension opportuniste et corporatiste de certaines OSC de la capi­ tale est évidente. Mais peut-elle suffire à clore le débat dès lors que la dépendance aux financements de l'aide est généralisée? Etre inscrit dans les logiques de captation de ressources interdit-il d'avoir des analyses solides sur les politiques publiques et les pratiques de l'aide? Le fait de structurer l'analyse autour d'un clivage entre «organisations communau­ taires de base» et «organisations structurantes» et de stigmatiser les organisations fédératives et des Ong sert aussi à neutraliser les organisa­ tions potentiellement critiques. Les positions des consultants variaient cependant par rapport à ces « organisations structurantes ». Face aux diffi­ cultés des petites organisations locales à répondre à des appels à proposi­ tions, l'étude d'identification proposait des alliances avec des Ong. Elle proposait aussi de mettre les réseaux en situation de responsabilité et d'appui à leurs membres, pour leur donner une chance de se construire une base et une crédibilité. Mais cette option (discutable et risquée comme toutes les autres, la consultante le reconnaissait) n'a pas été réellement explorée. De façon ambiguë dans la faisabilité, puis très claire dans la Convention de financement, ce sont directement les «organisations de base» qui bénéficient de financement. Choisir une façon de décrire la société civile, ses différents types d'or­ ganisation, leurs forces et leurs faiblesses; mettre l'accent ou occulter certaines dimensions: c'est en même temps légitimer certains type d'ac­ teurs et en délégitimer d'autres; mettre en avant certaines «fonctions », certains «rôles» des organisations de la société civile et en occulter d'autres. Finalement, une controverse majeure sous-jacente à ce type de projets ne porte-t-elle pas sur les causes des trajectoires et des carences identifiées de la société civile, et en particulier sur les responsabilités de l'aide dans ces trajectoires? Ce débat est latent au sein de la Délégation lorsque certains s'interrogent sur le caractère artificiel de la création de groupements par les projets et sur les effets pervers de la sous-traitance. Il est posé par le tome 2 de la pré-identification, il est repris dans des termes extrêmement clairs dans l'analyse de l'étude de faisabilité. Mais il n'est pas véritablement posé, n'est pas traité en termes de choix.

- Le choix des régions: éviter Niamey, contrer la radicalisation religieuse? Légitimée par le fait que les opportunités de financement sont concen­ trés à Niamey et que les organisations en province ont du mal à y avoir accès, la volonté d'intervenir d'abord dans les régions et de court-circuiter est cohérente avec la volonté d'exclure les Ong et réseaux de l'accès direct au financement d'activités. Les études ont porté sur différentes régions (Tahoua, Agadez, Maradi, Zinder, etc.), avant que le choix des régions d'intervention se stabilise finalement sur Maradi et Zinder. Ces régions sont les régions les plus peuplées, celles où les indicateurs sociaux sont parmi les plus bas; l'UE finance déjà des projets d'appui à la décentralisa- L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 209 tion dans la région d'Agadès. Le dynamisme des organisations locales, en particulier des femmes, et l'ampleur des problèmes relevant des « droits humains» comme la non scolarisation des filles, le mariage précoce, etc. sont mis en avant. Mais derrière l'argumentaire apparaît, le plus souvent de façon latente, parfois de façon explicite au détour d'une phrase, la question du fonda­ mentalisme religieux. Appuyer les associations locales en termes de promotion des droits humains, en particulier en faveur de la scolarisation des filles, de la lutte contre le mariage précoce, serait une façon de contri­ buer à contrebalancer - sinon contrer - l'influence du fondamentalisme religieux, particulièrement marqué dans ces régions haussa, proches des États islamistes du Nord Nigéria, en faisant porter cet objectif par des organisations locales. Les personnes interrogées divergent cependant sur l'importance de cette question du fondamentalisme religieux dans le choix des régions, entre volonté explicite qui ne peut s'afficher explicitement ou simple argument supplémentaire pour justifier et légitimer la cohérence des choix de thématique ou volonté tacite".

« Ce n'était pas facile, ce choix. Nous, on a proposé ça sur la base de critères techniques mais bon, vous savez, au Niger, dans les décisions, très rapidement la géopolitique prend le dessus. Les gens disent: "pourquoi ne pas choisir une région à l'ouest et une région à l'est?", ces choses comme ça. Vous aviez l'ex ministère du plan qui participait et dans les discus­ sions, ils avançaient un peu ce genre d'arguments. Nous on a dit "on a fait notre travail de consultants, voilà les critères". On a donné des éléments techniques. On a dit que c'est à eux de choisir. Donc, finalement ça n'a pas bougé» (consultant national, étude de faisabilité).

- Renforcer les acteurs non étatiques, pour quoi? Qu'il faille «renforcer» les acteurs non étatiques est posé dès le départ. Paradoxalement, la question de « pour quoi? », « dans quelle fina­ lité? » est celle qui a le plus fluctué et est restée le plus longtemps sans réponse. Le constat de Steward (1997: 18), émis pour les bailleurs en général, vaut ici aussi:

« There may be a broad confluence of opinion about the utility of civil society in easing current development problems but there is clearly !ittle agreement on what this role implies. »

40. Sans oublier que les modes opératoires choisis, le saupoudrage d'actions de courte durée, sont assez contradictoires avec l'idée d'une volonté stratégique en la matière ... Mais, pour un assistant technique travaillant sur un projet financé par l'UE (entre­ tien, février 2014): «l'objectif de l'UE, c'est de mettre un maximum d'argent dans les zones où il ya des risques de sécurité, même si c'est détourné ». 210 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Ici, des finalités variées ont été proposées à un moment ou un autre: pour qu'elles soient plus transparentes et professionnelles dans les secteurs classiques du développement, pour produire des innovations pertinentes en termes de lutte contre la pauvreté, pour contribuer à l'amélioration de la situation des droits humaines à travers des actions concrètes, pour déve­ lopper le sens de la citoyenneté, pour qu'elles puissent contribuer à construire une action publique pluri-acteurs tant au niveau local que national, etc. La discussion et les nuances de mots sur la formulation de « l'objectif spécifique» du projet ne sont pas que de l'argutie, elles tradui­ sent aussi des différences ou des nuances dans les options stratégiques". La question étant de savoir si ces différentes options stratégiques se tradui­ sent ensuite véritablement en dispositifs différents, en pratiques diffé­ rentes. Ou si ce ne se sont finalement que des discussions relativement formelles, l'enjeu étant d'abord de financer des OSC pour dire qu'on les soutient, les objectifs affichés étant avant tout « a point of entry for an intervention of a very different character », comme l'était la promesse d'une transformation de l'agriculture pour le projet étudié par Ferguson (op.cit.: 255). Le fait que la Délégation n'ait jamais formulé sa politique propre, que les objectifs politiques du projet soient longtemps restés incer­ tains, que sa conception garde trace de cette sédimentation d'objectifs sans avoir poussé au bout le travail de remise en cohérence entre objectifs affichés et stratégie opérationnelle fait pencher vers la seconde hypothèse.

- Quels instruments? L'appel à propositions: un sentier de dépendance institutionnelle

Comme le soulignent Lascoumes et Le Galès (2004: 28), «l'instru­ mentation est une question politique car le choix de la voie d'action, qui peut d'ailleurs faire l'objet de conflits politiques, va structurer en partie le processus et ses résultats ». Ici, le choix des instruments a fait l'objet d'un cadrage précoce, et n'a guère été objet de controverse. Nous l'avons vu, la Délégation ne s'est pas interrogée sur les pratiques des organisations, nigériennes ou internationales, ayant une expérience en termes d'appui technique et financier aux organisations locales, pour comprendre com­ ment elles sélectionnaient les organisations à soutenir, comment elles essayaient de se protéger des organisations opportunistes, comment elles dosaient l'équilibre entre accompagnement et financement.

41. Les choix ne se limitent pas à ces grandes controverses. Intégrer ou non un travail sur l'environnement institutionnel, le cadre légal, le dialogue État/OSC; choisir une UGP plutôt que confier la mise en œuvre à des réseaux; rejeter l'idée d'un Centre de Référence et d'Information (CRI) « auquel pourront s'adresser les OB et en général les acteurs locaux promoteurs d'actions de promotion de la citoyenneté et des droits humains fondamentaux, ainsi que les Ong qui les accompagnent pour avoir tous les renseignements et un appui conseil pour la rédaction des propositions à soumettre au Comité Régional de Sélection» (Floridi et Lamine Tata, 2005, souligné par eux), au profit d'un simple suivi des associa­ tions demandeuses, sont autant de choix, aux enjeux à la fois politiques et pratiques. L'INVENTION D'UNE POLITIQUE 211

Comme dans 85 % des projets d'appui aux ANE (Floridi et al., 2009), elle a précocement fait le choix de l'appel à propositions, et ce choix a fermé un certain nombre de possibles, comme celui d'appuyer des réseaux dans leurs stratégies propres de renforcement de leurs membres, les méca­ nismes de financement en cascade où une organisation sélectionnée, rece­ vant un financement global, le redistribue à d'autres organisations selon ses propres modalités (idem: 113-114). L'appel à propositions était à cette époque le principal instrument dispo­ nible au sein de l'UE pour financer des associations ou des organisations locales. On peut retracer sa généalogie dans l'histoire des interventions de l'Union européenne". Pour contrebalancer les grands projets et mieux répondre aux demandes locales, celle-ci a lancé dans les années 1980 des Projets Micro-Réalisations (PMR). Sur le principe des fonds de dévelop­ pement, ces PMR, conçus sur une dimension régionale, finançaient de petits projets d'infrastructures sur la base de dossiers proposés par des organisations locales. Il s'agissait à la fois d'éviter que des infrastructures, décidées par l'administration régionale ou une équipe projet, ne soient pas utilisées ou pas entretenues, car pas jugées utiles ou prioritaires par les populations, et de sortir des projets sectoriels, en acceptant de financer ici une école, là un puits, en fonction des « demandes locales »43. Comme dans les projets classiques, l'accent était mis sur l'investissement et la réalisation physique, plus que sur les compétences et capacités des organi­ sations porteuses. Lorsque la question du « renforcement des capacités» des organisations locales a été mise à l'agenda, ces projets ont été redé­ finis en « projets d'appui aux initiatives de base », qui ont eu du mal à se différencier des PMR du fait d'un accent mis sur la réalisation physique au détriment du renforcement de l'organisation demandeuse. Certains projets financés par l'VE sur ce principe ont cherché à inverser les prio­ rités et à faire du projet porté par l'organisation un support de formation et d'apprentissage pour les organisations locales, capitalisant sur les savoir faire d'animation nécessaires". Le choix des instruments a donc privilégié un instrument préexistant, au détriment d'une réflexion ouverte sur les façons les plus ajustées, instrument qui restait marqué par une logique de financement de micro­ réalisations, plus que de renforcement des organisations porteuses des micro-projets.

42. Une autre généalogie, parallèle, est celle du financement d'Ong européennes, directement depuis Bruxelles, par des appels à projets ouverts ou thématiques, en fonction d'orientations définies. Cette ligne a progressivement été ouverte aux OSC du Sud, puis élargies aux « autorités locales» (lignes ANE-AL), avant d'être déconcentrées et gérées depuis les Délégations. 43. Avec les décentralisations administratives, ces outils ont été reconvertis en appui à la décentralisation, toujours sur les mêmes principes, et un centrage principal, sinon exclusif, sur les réalisations physiques. 44. Cf. par ex. sur le Congo Brazzaville, Domer et al., 2004; Barrau, 2008, 2009. 212 AIDE INTERNATIONAlE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Au-delà de la « machine anti-politique »

De la pré-identification à la définition du dispositif opérationnel,l'éla­ boration du PASOC révèle un processus tâtonnant où, partant d'une faible connaissance des enjeux et des dynamiques de la société civile et d'une approche initiale relativement ouverte (mais néanmoins marquée par une méfiance structurante vis-à-vis de l'opportunisme des organisations de Niamey), la Délégation a progressivement précisé ses choix, retenant partiellement et sélectivement les propositions des études successives, lesquelles, tout en s'appuyant sur les études antérieures et entérinant les options stabilisées, ont chacune proposé une orientation et des priorités spécifiques. Lutte contre la pauvreté, promotion des droits humains, cons­ truction d'une action publique locale; inscription dans les priorités de l'UE ou au contraire dissociation; mise en avant ou occultation de la ques­ tion du rapport à l'État et des politiques publiques. Au fil de l'histoire, différentes options ont été proposées, qui auraient pu aboutir à des projets différents. Pour éviter le biais rétrospectif qui consisterait à trouver des explications ad hoc au projet tel qu'il existe, il faut retracer son histoire, et les différents autres PASOC possibles qui ont été dessinés à un moment avant de tomber dans les limbes. Suivant en cela les principes de la socio­ logie de la traduction (Latour, 1992), il faut retracer les hésitations, les options, les controverses. Dans une approche d'ethnographie de l'aide, j'aurais pu mettre l'accent sur les conflits, les querelles de personnes,les rivalités institutionnelles. J'ai préféré mettre en lumière le travail d'un réseau évolutif d'acteurs et la façon dont des cadrages ont été proposés ou imposés, des options refusées ou acceptées, des choix de dispositifs actés. Une telle lecture ouvre la boîte noire de la formulation des projets et donne à voir leur caractère contingent. Elle confirme aussi - ce que l'ana­ lyse des politiques publiques a depuis longtemps mis en avant - qu'une politique n'est pas l'application de consignes d'en haut, mais qu'elle se définit pour partie en marchant. L'histoire de la formulation du PASOC Niger ne correspond guère à l'image de bailleurs de fonds monolithiques, définissant d'en haut des politiques et les imposant dans les États où ils interviennent. Une politique globale comme la reconnaissance des «acteurs non étatiques » comme interlocuteurs (qui n'est elle-même qu'une partie des Accords de Cotonou) est le produit de négociations complexes, elle est susceptible d'interpréta­ tions variées et est objet de controverses et de luttes d'influence au sein même de l'institution qui l'a définie. Elle ne se traduit pas mécaniquement en dispositifs pratiques, en outils, en projets, d'autant moins qu'elle porte sur un objet nouveau pour l'institution, qui n'a pas encore de doctrine et de routines sur le thème, et qu'un principe de déconcentration préside à sa mise en œuvre. Mais surtout, elle ne peut pas se traduire mécaniquement en dispositif et en pratiques, parce que le passage de Bruxelles à Niamey, et le passage des principes aux pratiques, supposent de multiples étapes de traduction (Latour, 1992) et de reformulations. Ces traductions impliquent L'INVENfION D'UNE POUTIQUE 213 de faire des choix, pour partie contestés, dans des jeux complexes entre acteurs multiples. Choix qui, loin d'être seulement techniques, sont aussi et avant tout politiques. Pour Ferguson, et bien d'autres avec lui:

« By uncompromisingly reducing poverty to a technical problem, and by promising technical solutions to the suffering of powerless and oppressed people, the hegemonie problematic of "development" is the principal means through which the question of poverty is de-politicized today. [...] A development project can end up perforrning extremely sensi­ tive political operations involving the entrenchment and expansion of institutional state power almost invisibly, under coyer of a neutral, tech­ nical mission to which no one can object» (idem: 256). « Ifthe "instrument-effects" of a "development" project end up forrning any kind of strategically coherent or intelligible whole, that is it: the anti­ politics machine» (idem: 256).

Clairement, l'analyse de la formulation du PASOC confirme une partie de cette analyse: un équilibre entre État, marché et associations est postulé comme nécessaire et souhaitable, de façon déconnectée de l'histoire sociale et politique du pays; les discours insistent de façon récurrente sur les « faiblesses », les « manques »45 des organisations de la société civile, qu'il apparaît donc logique de tenter de compenser par des formations, sans s'interroger sur la référence qui justifie ces « manques », et sans que le diagnostic porte sur les causes de ces « manques ». L'État et sa trajec­ toire, l'aide internationale, sont largement absents dans l'analyse. Les organisations de la société civile paraissent largement désenchâssées du tissu social et politique dans lequel elles s'inscrivent, au risque d'un haut degré d'abstraction. Ce que le projet propose aux organisations de la société civile, c'est de renforcer leur maîtrise des outils de gestion de projet, leur capacité à concevoir et mettre en œuvre des actions ration­ nelles sur du politique et du social. C'est finalement une culture bureau­ cratique de l'intervention sociale, reflet de la culture des institutions d'aide (et des Ong qui en dépendent pour leur existence), pas de renforcer une capacité d'analyse critique du social, de trouver des façons de construire des rapports de force pour faire changer les choses. Dans ce sens, il s'agit bien de « rendering society technical », parce que «donors can only inter­ vene in an arena they can effectively frame in technical terms and for which they can identify deficits they are equipped to fill » (Li, 2011: 71). Cependant, ce qui est en cause est plus une façon apolitique de présenter une analyse de la société civile et ses enjeux, qu'une dépolitisation au sens strict, si le préfixe «dé» induit l'idée d'un retrait, d'un recul:". Pour

45. On peut avec Jampy (2012: 381ss) souligner la continuité dans le monde du développement de la rhétorique des « besoins» et des « faiblesses» devant être compen­ sées par un apport externe, entre l'accent sur les technologies des années 1960 et l'accent sur les compétences managériales depuis les années 1990. 46. Sur l'idée d'une « politique de l'apolitisme », cf. Le Meur, Bayart et Bertrand, 2005. 214 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER une part, cette a-politisation et cette technicisation (Li, 20Il) découlent de la nature même de l'intervention de développement, de «la volonté d'améliorer» (Li, 2007), à la confluence de trois facteurs: la nécessité d'euphémiser les dimensions politiques de l'ingérence inhérente à l'inter­ vention; les objets d'intervention possibles et les instruments disponibles au sein de l'institution'"; et enfin de la culture professionnelle d'agents souvent formés comme ingénieurs et techniciens à « la science et la tech­ nique comme idéologie» (Habermas, 1973). Un certain nombre d'agents de développement, nationaux comme internationaux, y compris dans les agences d'aide, revendiquent en effet un tel positionnement technique, comme le font leurs collègues des services techniques ou des bureaux d'études des pays occidentaux travaillant dans leur pays, pour se distan­ cier et se protéger de la politisation (au sens de «politics ») de l'action publique. Allons plus loin. Alors que la technicisation des problèmes et des solu­ tions est clairement au cœur de l'aide, comme de nombreuses interven­ tions sociales, la question de la société civile est justement une de celles qui est le plus explicitement politique: elle porte clairement sur les rapports État/société, sur la question des pouvoirs et de la démocratie. Cette dimension politique est claire dans les Accords de Cotonou, en tous cas dans une des lectures possibles de ces Accords; elle l'est aussi lorsque la Délégation affirme (et fait endosser par l'État nigérien dans la stratégie de coopération 2001) que le secteur « Bonne gouvernance» «visera à contribuer à la redéfinition du rôle et des pratiques de l'État» (p.23), lorsque la lutte contre l'esclavage et le mariage précoce sont mis en avant. Elle est explicite pour les consultants de la faisabilité pour qui un projet d'appui aux OSC ne peut pas et ne doit pas être neutre, qu'il doit s'en­ gager dans ce qui est considéré comme l'enjeu politique du moment pour le pays. On ne peut donc pas affirmer que « in never guise does the "deve­ lopment" industry allows its role to he formulated as a political one» (Ferguson, op.cit.: 256). Définir la notion d'acteur non étatique et les critères d'inclusion/exclu­ sion de l'accès au financement, intégrer ou non les organisations fédéra­ tives et les réseaux: ces options sont certes présentées dans les textes successifs comme logiques, naturels, découlant logiquement de l'analyse de la situation. Mais ce sont avant tout des formulations stratégiques, visant à légitimer certaines conceptions et certains acteurs (et par là-même à en délégitimer d'autres), à susciter l'adhésion de certains acteurs et obtenir le consentement d'autres (quitte à s'en aliéner d'autres encore). Ce sont donc des opérations explicitement politiques ou plus exactement - et en particulier lorsque l'on avance vers les instruments de mise en

47. Ferguson montre très bien dans la première partie de son livre que la reconstruction du Lesotho comme pays sortant de l'économie de subsistance tient autant à l'impossibilité pour la Banque d'agir sur les causes politiques de la pauvreté qu'à une idéologie du marché et une incapacité à comprendre les enjeux économiques réels du pays. L'INVENTION D'UNE POUTIQUE 215

œuvre - simultanément techniques et politiques. La non-politisation du discours, le fait de formuler des options politiques sous des formes appa­ remment neutres, logiques, techniques, fait partie des règles du jeu. C'est effectivement une caractéristique structurelle du discours de l'aide, comme d'ailleurs très souvent des politiques publiques. Mais cela ne trompe personne, et chacun en use, dans les luttes d'influence, les rapports de force, les stratégies de conviction. Ce qui explique d'ailleurs l'importance des cadrages, l'enjeu des tentatives pour influer ou renégocier la façon de formuler le contexte et le problème: puisque les solutions doivent appa­ raître comme la conséquence logique des diagnostics, et puisqu'elles seront d'autant plus difficiles à contester qu'elles découlent d'un dia­ gnostic qui a été accepté, la façon de construire et d'imposer ces cadrages est cruciale: elle définit un champ des pensables et des possibles, elle exclut d'autres problématisations concurrentes. C'est bien pour cela que les consultants de la pré-identification insistent lourdement dans le second tome de leur étude sur les biais des pratiques actuelles de l'UE. Que le RODADDHD argumente - en vain - sur le fait que les options de la Délé­ gation vont à l'encontre des Accords de Cotonou et (prenant sciemment comme exemple des associations de puisatiers ou de coupeurs de bois) sur le fait que les organisations de base ne sont pas la société civile, ou en tous cas pas «la bonne». Que les consultants de l'étude de faisabilité refont un diagnostic, avec une analyse plus institutionnelle et relation­ nelle, pour justifier leur proposition de recadrer le projet autour d'une perspective d'action publique pluri-acteurs. Comme le disent Broklesby et Hobley (op.cit.: 907),« designing is an inherent politicized process involving choices about whose voice is listened to, who is invited in to spaces, who is excluded, whose power is respected and whose is challenged within a time-frame and agenda that is governed by a political process exogenous to the context ». Il y a bien « a-politisation» et «technicisation» des discours dans le développe­ ment. Mais cette a-politisation et cette technicisation sont aussi des res­ sources argumentatives dans les luttes de pouvoir et d'influence pour la définition des politiques (« policies »), mobilisées de façon stratégique par les acteurs, y compris ceux qui tentent de mettre en avant une conception plus politique de l'action, d'influer sur la conception du projet pour sortir des routines de procédures. Seule une lecture des textes isolée de leurs conditions de production et de leurs usages stratégiques, et une analyse trop distanciée du quotidien des pratiques des acteurs de l'aide, peuvent conduire à prendre au premier degré cette technicisation du social dans les discours. La technicisation est par contre largement à l'œuvre dans les dispositifs opérationnels, comme on le verra au chapitre suivant. Le cas du PASOC met également en avant une dimension peu travaillée de cette notion trop large de « dépolitisation ». Les consultants de l'étude de faisabilité revendiquent explicitement le fait qu'un projet d'appui à la société civile doit avoir et assumer un positionnement politique. Mettre en avant l'objectif d'un ancrage de la démocratie par la construction d'une 216 AIDE INfERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER action publique locale pluri-acteurs accompagnant la naissance des communes est sans conteste un positionnement politique fort, loin des discours mous valorisant un triptyque État/marché/associations sans rien dire des rapports et des hiérarchies souhaités entre eux. Pour autant, cette vision politique reste abstraite au sens où elle se réfère à des rôles théori­ ques, à une conception normative du rôle de chacun (rôle qui est censé aller de soi, être « découvert» ou pris en charge par les organisations qui ne l'assument pas encore). Faute de référence explicite à la réalité des rapports sociaux et politiques, aux jeux des pouvoirs locaux en milieu rural (Olivier de Sardan et Tidjani Alou, 2(00), aux dynamiques socio­ politiques liées à la décentralisation (Bierschenk et Olivier de Sardan, 1998; Bako Aifoui, 2010), que les consultants connaissent pourtant bien, elle est «a-sociologique» et «a-politisée» par rapport au jeu politique local, ce qui laisse dans l'ombre la question des conditions politiques locales (politics) de réalisation de cette conception politique. De plus, s'ils posent de façon très claire le problème des effets pervers des pratiques des bailleurs de fonds et des Ong internationales, ils ne le prennent pas en charge dans le dispositif proposé. Les consultants de l'étude de faisabilité proposent ainsi une lecture à la fois clairement politique (au sens de la vision normative des rapports État/société à promouvoir, d'une critique politique du rôle des Ong internationales), mais en même temps décontex­ tualisée, et en ce sens a-politique par rapport aux ordres du pouvoir. Pour Ferguson, les effets politiques de l'aide relèvent d'« instruments effects », « that are at one and the same time instruments of what "turns out" to hean exercise of power» (op.cit.: 254). Nous analyserons dans le chapitre suivant un autre type de traduction à l'œuvre dans le passage de principes généraux à un dispositif, l'instrumentation, et la façon dont la « mise en instruments» induit de nouveaux choix, de nouvelles redéfini­ tions du projet et une technicisation accrue. 5

L'instrumentation du PASOC

Simplifications, normalisation et dérives bureaucratiques

«In policy and practical terms, how can one make projects and programmes focused on "civil society strengthening"? How to deliver funds? Measure progress ? It is there that the meeting of political processes sits uncomfortably with the tools that donors have at their disposai: projects, funds and timelines » (Van Rooy, 1998a: 197). « Despite the enormous energy devoted to generating the right policy models, however, there is surprisingly little attention paid to the rela­ tionship between these models and the practices and events that they are expected to generate or legitimize in particular contexts. [...] At best, the relationship between policy and practice is understood in terms of an unin­ tended "gap" between theory and practice, to be reduced by better policy more effectively implemented. But what if development practice is not driven by policy? What if the things that make for good policy are quite different from those that make it implementable? What if the practices of development are in fact concealed rather than produced by policy?» (Mosse, 2004: 640).

Comme toute action publique, un projet de développement est mis en œuvre à travers une série de dispositifs institutionnels', d'outils, de procédures: le PASOC, c'est des bureaux, des salariés, une tutelle admi­ nistrative, un comité de pilotage, des voitures, des ordinateurs, des bud­ gets, un manuel de procédures, des appels à propositions, des programmes d'activités, un site internet, etc. C'est aussi une masse de contrats, de rapports d'activités, de rapports financiers, qui circulent entre les organi­ sations financées ou les prestataires et l'UGP, entre l'UGP, la DONGAD, la Cellule d'appui à l'ordonnateur du FED et la Délégation. C'est cet

1. Je prends ici le tenne « dispositif» au sens restreint et descriptif d'ensemble plus ou moins organisé et cohérent d'acteurs, de formes organisationnelles, d'objets et non pas au sens foucaldien du terme. Sur la polysémie du tenne et ses usages chez Foucault et dans la sociologie de la traduction, cf. Beuscart et Peerbaye, 2006. Pour les significations chez Foucault lui-même, cf. Olivier, 1988; Raffnsee, 2008. 218 AIDE INTERNATIONALE ET soctsrss CIVILES AU NIGER ensemble complexe et hétérogène qui est censé internaliser les objectifs politiques assignés au projet et les concrétiser à travers les actions qu'il met en œuvre. La conception d'un projet ne s'arrête pas à l'étude de faisabilité qui en dessine les contours. Le passage d'un « projet virtuel» dessiné en quel­ ques dizaines de pages dans l'étude de faisabilité à un « projet en acte» suppose de nombreuses autres étapes de traduction, qui vont préciser des choix, définir des outils ou des procédures, et en même temps vont redé­ finir le projet ou le faire évoluer, vont résoudre certaines ambigüités et en introduire d'autres. Le fait d'affecter certaines tâches à certains acteurs crée une « structure d'incitation» qui va partiellement orienter leurs prati­ ques, dans des sens qui ne sont pas forcément ceux qui étaient souhaités. Soulignant «the strong interconnection that exists between project designs (causal theories, e.g., summarized in logical frameworks), policy models (frameworks and approaches, e. g., sustainable rural livelihoods) and the wider policy of a donor agency (e.g., participatory and poverty focused development) », Mosse (2004: 640, note 1) adopte une definition large de «policy as project design, model and approach». Son centre d'intérêt, remarquablement analysé dans Cultivating development (Mosse, 2(05) porte sur les disjonctions entre politique et pratiques de développe­ ment et sur le travail permanent des agents de développement et des consultants pour «maintaining coherent representations regardless of events» (Mosse, 2004: 640). Une politique est « tout autant définie par les actions qui la façonnent que par son contenu », lequel est d'ailleurs tributaire des modalités de mise en œuvre (Massardier, 2003: 85). Le PASOC est pour l'UE le moyen' de concrétiser au Niger sa nouvelle politique vis-à-vis de la société civile, d'autant que la Délégation n'a pas produit de document explicitant sa stratégie en la matière. La formulation du PASOC est en même temps la définition de la politique, laquelle n'est pas définie en tant que telle (et on peut penser que le fait que le projet soit la stratégie permet d'éviter de l'expliciter et d'affronter explicitement les choix politiques sous-jacents). De ce point de vue, le PASOC représente bien une « policy as project design, model and approach ». Pour autant, malgré ces fortes interactions entre « policy models » et « project design», on ne peut pas considérer qu'ils se superposent. Il y a entre ces deux dimensions aussi une série de disjonctions et de traduc­ tions, qui sont d'une autre nature que celles qui scandent la définition des finalités parce qu'elles posent plus directement la question de l'opération­ nalité, de la capacité à mettre en œuvre, en fonction des conceptions de l'action publique à l'œuvre, des normes bureaucratiques en vigueur, des instruments disponibles ou possibles à inventer. Dans le quotidien de la

2. Un des moyens, normalement, puisque cette politique devait se traduire aussi dans de nouvelles pratiques de dialogue de l'UE avec la société civile sur ses politique d'aide au Niger. L'INSTRUMENTATION DU PASOC 219 mise en œuvre d'un projet de développement, le jeu d'incitations et de contraintes au sein duquel agissent les agents du projet n'est pas tant défini par les « policy models» généraux (vis-à-vis duquel, comme Mosse le montre bien, il y a des disjonctions fortes et des marges d'interprétation), que par les règles du jeu de la mise en œuvre, par le « project design». Et si les « bonnes politiques sont impossibles à mettre en œuvre », c'est aussi parce que « l'opérationnalisation » de ces politiques, leur traduction en instruments, en dispositifs, en procédures, etc. pose des contraintes spéci­ fiques. P. Lascoumes et P. Le Galès (2005b: 12) appellent « instrumentation de l'action publique» «l'ensemble des problèmes posés par le choix et l'usage des outils (des techniques, des moyens d'opérer, des dispositifs) qui permettent de matérialiser et d'opérationnaliser l'action gouvernemen­ tale ». En mettant en avant la question des instruments, il s'agit d'acter le fait que « l'action publique est un espace socio-politique construit autant par des techniques et des instruments que par des finalités, des contenus, des projets d'acteur» (idem), que « le choix de la voie d'action, qui peut d'ailleurs faire l'objet de conflits politiques, va structurer en partie le processus et ses résultats» (idem: 28). S'intéresser à l'instrumentation comme problème et comme choix n'est donc en aucun cas sacrifier à une lecture technicisée de l'action publique: c'est au contraire reconnaître la dimension politique - ou plus exactement indissociablement technique et politique - des dispositifs, instruments, procédures. C'est poursuivre « un travail de déconstruction via les instruments» (idem: 13), et approfondir la question des rapports complexes et des disjonctions entre politique et pratiques en ouvrant la boîte noire du processus de « mise en instruments ». Nous poursuivrons dans ce chapitre l'analyse du processus de concep­ tion du PASOC sous cet angle, avant de mettre l'accent sur les problèmes centraux posés par cette mise en instrument et les contradictions et dérives qu'elle a induite par rapport aux objectifs affichés du projet. En poursuivant l'analyse de la genèse du PASOC au-delà de la concep­ tion au sens strict, et en ouvrant sur la mise en œuvre, il s'agit ici de souli­ gner trois points. Tout d'abord, la conception ne s'arrête pas à la signature de la convention de financement, mais elle se poursuit en pratique dans les choix des modalités de mise en œuvre et leur adaptation. Ensuite (et c'est un résultat classique de la socio-anthropologie du développement, et même plus largement de l'analyse des politiques publiques), les résultats d'un projet ne sont jamais le décalque des objectifs initiaux, mais le fruit contingent des jeux d'acteurs qui se nouent autour de l'intervention, et en particulier des réinterprétations et des pratiques des acteurs chargés de sa mise en œuvre. Ils sont très dépendants des configurations d'acteurs en place et de leurs relations. Pour autant, enfin, les difficultés concrètes rencontrées dans la mise en œuvre d'un projet sont, pour une part souvent importante, la conséquence de controverses non réglées, de choix initiaux' discutables, de contraintes de procédures, bref la conséquence de la 220 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER somme de choix, de paris, d'impasses, de compromis qui ont produit le projet tel qu'il a été formulé. Les tensions, conflits, qui émaillent la vie d'un projet sont d'autant plus vifs qu'ils renvoient à ces contradictions.

Des options stratégiques au dispositif projet: des traductions problématiques

« Le Niger était vraiment novateur: comment arriver à travailler avec ces communautés de base avec les instruments qu'a la Commission? C'est très compliqué! C'était un des grands défis. Il n'y avait pas 3000 solu­ tions, il fallait arriver avec des petits projets. Nous voulions essayer que nos appuis ne soient pas dirigés uniquement vers des organisations bien établies et situées au niveau de la capitale, pour faire « business as usual », nous voulions éviter cette étape-là et arriver vraiment dans les provinces écartées. Travailler avec les communautés de base, c'était fort compliqué. C'était vraiment un pari » (ancien membre de l'équipe E4, à Bruxelles). « J'ai eu à échanger à plusieurs reprises avec la Délégation pour leur faire comprendre ce potentiel [des organisations locales] et la nécessité de contourner les procédures pour appuyer directement les fada. Ça oui, ça oui, ça a posé problèmes, surtout au niveau de la Délégation. Mais sur un plan uniquement procédurier, pas en termes d'approche» (consultant international, étude de faisabilité). « Les procédures de la commission sont quand même complexes surtout si on veut financer des petites organisations [...]. Donc, c'est clair qu'on devrait adapter des procédures qui sont un peu strictes, qui sont un peu rigides, à uri contexte d'organisations, d'associations qui n'ont pas énormément de compétences, pas de structures légales. Cette adaptation a été complexe, mais on devait chercher quelque chose d'un peu flexible. [...] La traduction de la philosophie du programme n'a pas été facile mais on est arrivé à le faire» (ancien chargé de mission Acteurs non étatiques à la Délégation de Niamey).

Dans un processus de formulation de projet, il n'y a pas de séquençage clair, ni même de coupure nette entre définition des finalités et choix opérationnels. La question de l'opérationnalisation est en permanence en filigrane de la réflexion des chargés de projets, leur façon de raisonner intègre la culture professionnelle et institutionnelle de leur institution, largement orientée vers la mise en œuvre de projets. Des options d'outils ou d'instruments préexistent souvent au choix des finalités (on le verra pour les appels à proposition). Les études intègrent les deux dimensions, dans des proportions qui s'inversent progressivement. Lors des restitu­ tions des études, la question de «comment est-ce que l'on fait en pratique ?» structure pour partie les débats, d'autant plus que les restitu­ tions mobilisent des praticiens dont le métier est la gestion de projets, que L'INSTRUMENTATION DU PASOC 221 l'institution a des procédures et des routines fortes, et que le thème du projet est décalé par rapport à elles. Pour autant, les problèmes de finalité et les problèmes de mise en œuvre ne sont pas les mêmes, et ces derniers deviennent de plus en plus prégnants au fur et à mesure des étapes. A Bruxelles comme à Niamey, les acteurs impliqués dans la concep­ tion du PASOC mesuraient très bien la difficulté pratique de « renforcer la société civile» avec les instruments de la coopération européenne, et plus encore de travailler avec les organisations de base. Abordée dès l'étude d'identification, la question de l'architecture du futur projet a été reprise et précisée dans l'étude de faisabilité en fonction des nouvelles orienta­ tions proposées: organiser le projet en deux composantes distinctes,l'une orientée vers le financement de petites actions, l'autre sur la formation; recourir aux appels à propositions; confier la maîtrise d'œuvre du projet à la DONGAD et déléguer la mise en œuvre à une UGP; recruter des Ong pour mettre en œuvre les actions dans chaque région sont autant d'options stabilisées lors de l'étude de faisabilité. La tension entre l'appel au strict respect des procédures et la nécessité de les adapter pour être en cohé­ rence avec les objectifs assignés au projet a été elle-aussi posée de façon récurrente, par les consultants comme par certains membres de la Déléga­ tion ou de l'équipe de Bruxelles. Mais elle n'est pas véritablement traitée au stade des études. On est encore loin d'un dispositif totalement opéra­ tionnalisé. Après avoir décrit les principales étapes de reformulation et de traductions, nous focaliserons l'analyse sur trois instruments cruciaux: le dispositif de mise en œuvre, autour de l'Unité de gestion de projet et son organisation interne; les appels à propositions; les règles comptables. Il s'agira « de comprendre non seulement les raisons qui poussent à retenir tel instrument par rapport à tel autre, mais aussi d'envisager également les effets produits par ces choix» (Lascoumes et Le Galès, 2004: 268).

De la faisabilité à la convention de financement ; passer dans les procédures UE, stabiliser le dispositifprojet

«Il Ya la mise en œuvre, comment faire? C'est vrai qu'il y a eu pas mal de travail de notre part, de ma part et au niveau du siège pour vrai­ ment trouver un bon compromis entre les procédures et jusqu'où le faire. On a travaillé énormément là-dessus, beaucoup plus que sur le cadre logique défini dans l'étude de faisabilité [...l-Quand on a préparé la propo­ sition de financement, on l'a envoyée au siège, et il y a eu un feedback continu. On a travaillé beaucoup avec le siège pour la finaliser, surtout les dispositifs institutionnels et financiers» (ancien chargé de mission Acteurs non étatiques à la Délégation de Niamey).

Contrat entre l'État et l'UE sur un projet donné, la Convention de financement est un moment clé de stabilisation de la conception du projet, dans ses objectifs et sa justification, dans son architecture institutionnelle et son dispositif de mise en œuvre, dans ses actions prévues et son budget 222 AIDE INTERNATIONAlE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

(montant et grands volumes). Texte d'une vingtaine de pages, elle ne détaille pas les modalités de mise en œuvre mais fixe les règles essen­ tielles. C'est essentiellement entre la faisabilité et la convention de finan­ cement qu'ont eu lieu les reformulations aboutissant à un projet qui soit à la fois politiquement recevable par l'État et techniquement cohérent avec les procédures de l'VE. En dialogue avec la cellule de Bruxelles, la Délé­ gation précise le projet et en reformule certains aspects. Complexe, cette étape de préparation de la convention de financement suppose de maîtriser à la fois les enjeux politiques du projet, la stratégie souhaitée, et les procédures, pour pouvoir les ajuster mutuellement, et formuler le tout sur un format limité et dans des termes politiquement recevables. Présenter la situation nationale, formuler le problème et justi­ fier le projet, formuler les finalités et les objectifs est un exercice politique fort, qui justifie que de multiples versions circulent en sein de la Déléga­ tion et entre elle et Bruxelles. Que doit-on dire? Comment? Que faut-il occulter? Ainsi, le bras de fer entre la société civile et le pouvoir lors de la Coalition Equité Qualité contre la vie chère est mentionnée, mais de façon fortement euphémisée: «la société civile a également été très active en 2005 quand elle s'est organisée [...] pour négocier avec le gouvernement en vue d'annuler ou de redimensionner certaines mesures fiscales ». La présentation du projet doit préciser les termes essentiels, intégrer les clauses incontournables en termes de gestion, être précis mais pas trop. Rédiger une convention de financement implique de nombreuses subtilités de formulation: être trop précis dans le diagnostic, les objectifs (en parti­ culier ceux à visée politique), c'est risquer de susciter des réserves de la part de l'administration nigérienne. Etre trop précis dans les activités, c'est aussi se donner des contraintes fortes pour la mise en œuvre. Inver­ sement, rester trop général risque d'ouvrir trop la possibilité de réinterpré­ tation du projet, de perte du sens. Tant dans les formulations que dans l'organisation budgétaire, il s'agit de préciser mais pas trop, de mettre des garde-fous sans trop rigidifier. C'est sur ce point que la cellule d'Euro­ peAid a fait des apports importants. La lecture des versions successives, avec les modifications proposées par les uns et les autres, est révélatrice de ce jeu d'ajustements. Face aux réactions de Bruxelles sur la Fiche d'identification de projet (FlP), le chargé de programme de la Délégation précise (mail du 17 mai 2(05) à un interlocuteur de Bruxelles:

«On n'est pas sur "protection des Droits de l'Homme", car ça suppo­ serait d'impliquer l'État, de prendre en compte le système pénal, etc. On est bien dans promotion des droits humains fondamentaux. Le terme ne pose pas de problème dans les ateliers. Mais la faisabilité pourra creuser si un terme comme "citoyenneté" ne convient pas mieux; « Il y a eu débat autour du terme "structuration". Il ne doit pas être pris de façon dirigiste. Mais il semble préférable à « consolidation », car on ne peut consolider que ce qui est structuré. Ce qui n'est pas le cas ». L'INSTRUMENTATION DU PASOC 223

Sur la question des pratiques de mariage précoce et de faiblesse de scolarisation des filles, un interlocuteur de Bruxelles tique sur la formula­ tion «certains comportements sociaux persistants» et suggère «non nouveaux/anciens », Un autre recommande de passer en annexe toute une partie du texte, expliquant que, seul le texte de la convention étant contrac­ tuel, ceci permet de conserver ces analyses et arguments sans se lier les mains. Anticipant les problèmes de mise en œuvre, un autre réagit:

« Vous prenez un risque énorme dans les contraintes de calendrier que vous vous imposez point 4.1. Avez-vous une envie spéciale de faire des avenants à cette future Convention de financement? » (mail AIDCO à la Délégation, 01/06/2006).

Une solution technique est négociée avec l'administration pour pouvoir financer des organisations informelles:

« L'association non autorisée est passible de sanction pénale. Com­ ment on a procédé? Il a fallu faire une gymnastique juridique pour trouver une formule dans la convention de financement, pour que l'État puisse les autoriser à exercer et à bénéficier des financements du Pasoc. La solution trouvée a été que les préfets ou les maires donnent une attestation, selon laquelle ce sont des groupements, des fadas qui existent pacifiquement et qui contribuent au développement de la localité. Voilà comment la diffi­ culté juridique a été contournée» (expert PASOC).

La Convention de financement stabilise ainsi à la fois un argumentaire aux termes mesurés, des objectifs, et le dispositif censé permettre de les atteindre. Synthétique, elle ne reprend pas le détail des analyses et des dispositifs prévus, mais en propose une définition condensée. Elle enté­ rine les objectifs généraux et spécifiques proposés par l'étude de faisabi­ lité, tout en actant la référence à la société civile (et non plus aux acteurs non étatiques): accent sur les droits humains et la citoyenneté à l'échelle locale, par le financement «d'organisations communautaires de base», et sur «la mise en place et la dynamisation d'espaces de concertation et de dialogue, entre catégories d'acteurs concernés par le développement communal et local tout en veillant au respect des rôles et responsabilités de chacun» (p.38). Cette formulation entérine un glissement de cible qui était en cours: l'étude d'identification faisait des organisations de base les bénéficiaires d'appui de la part d'autres acteurs (fédérations, Ong plus expérimentées) et proposait des consortiums comme bénéficiaires des financements; dans l'étude de faisabilité, le soutien aux initiatives locales est destiné aux organisations communautaires de base mais, dans la logique antérieure, le texte prévoit de privilégier les demandes collectives ou les alliances entre organisations de base et organisations d'appui. Là, les organisations de base deviennent acteurs d'actions en faveur de la citoyenneté et bénéfi- 224 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

ciaires directs des subventions. Ce changement de «cible» n'est pas anodin. Il suppose que les organisations de base portent une priorité sur les droits de l'homme et la citoyenneté, ce qui ne va pas de soi", ou qu'elles y investissent à l'occasion des appels à propositions au risque d'opportunisme et d'inexpérience. Il suppose aussi que ces organisations de base seront capables de répondre aux appels à propositions. La composante «renforcement des capacités» s'adresse à l'ensemble des OSC, de tous niveaux. Les grands objectifs énoncés dans l'étude de faisabilité sont repris, parfois légèrement reformulés. Serpent de mer du processus, la révision du cadre légal et institutionnel refait surface. Globa­ lement, la convention de financement entérine les objectifs proposés par la faisabilité, détaille un cadre logique absent de l'étude de faisabilité, identifie 3 ou 4 grands axes d'activités par résultat attendu, et reprend le chronograrnme proposé avec quelques ajustements de détail. En bonne logique de « gouvernement à distance» (Epstein, 2(06), le document définit des objectifs précis en termes de ciblage: au moins 80 % des OSC financées dans la composante 1 doivent être des «acteurs émer­ gents» (femmes et jeunes), au moins 50% des projets doivent viser la promotion de formes de partenariat entre acteurs étatiques et non étatiques (ce qui entérine sans en faire une norme l'accent sur l'action publique locale mise en avant par la faisabilité). Au moins 50% des organisations bénéficiaires des actions de renforcement des capacités sont des organisa­ tions de base et des organisations d'appui, au moins 30% des OSC bénéfi­ ciaires modifient leurs actions 6 mois après la fin des actions de renforce­ ment de capacités, etc. Ces indicateurs, les fameux lOB (indicateurs objectivement vérifiables) des cadres logiques, sont censés servir au suivi­ évaluation et garantir que le projet conservera bien ses «cibles ». Ils ancrent des priorités stratégiques, sans toujours que la possibilité de les vérifier soit avérée (que signifie « modifier leurs actions»? comment le suivre et le vérifier?). Le suivi-évaluation n'intègre aucun indicateur sur ces questions. En termes de dispositif de mise en œuvre, l'option d'une «gestion décentralisée indirecte », avec tutelle publique et mise en œuvre par une Unité de Gestion de Projet indépendante avait été intégrée dès la faisabi­ lité, et entérinée, apparemment quasiment sans discussion. C'est la forme classique de l'intervention européenne, même si sa pertinence pour les appuis à la société civile est discutée. Alors que les consultants de l'iden­ tification proposaient de recourir à une Ong internationale expérimentée, la convention de projet acte le principe de recruter un bureau d'études. En cohérence avec la logique du «faire faire» et de la sous-traitance, l'équipe est réduite et compte quatre personnes seulement (hors compatibilité et secrétariat): un chef de projet expatrié, un expert institutionnel, un expert en renforcement des capacités, un responsable de la composante régio-

3. Elles sont souvent contrôlées par les notables, leurs priorités vont plus aux entrées classiques du développement, la production, les équipements, les petits crédits, etc. L'INSTRUMENTATION DU PASOC 225 nale. L'organisation budgétaire est précisée, avec la distinction entre un contrat de service pour la composante « renforcement de capacités» et l'UGP, et des devis-programme pour la composante régionale (on reviendra plus bas sur ce découpage et ses implications). Les équipes dans les régions, baptisées OCR (organismes correspondants régionaux) seront des équipes de deux personnes mises en place par des Ong nigériennes bien implantées, recrutées par appel d'offre. Elles disposeront d'une moto chacune. Sur 5 millions d'euros de budget total, 1 million est prévu pour le fonctionnement de l'UGP, 1,8 pour la composante régionale, intégrant le coût des OCR. Traduire les propositions de l'étude de faisabilité en document projet demande un gros travail d'instrumentation: il faut traduire ces objectifs en grandes activités, et en « résultats attendus », puis mette en face des « indicateurs objectivement vérifiables », permettant de juger si les acti­ vités ont bien été menées et si les résultats escomptés ont été atteints; il faut dimensionner ces différentes activités pour élaborer un budget indi­ catif. Il faut définir le dispositif de mise en œuvre, le personnel, son profil, son mode de recrutement; il faut définir les grandes activités, la façon dont elles vont être menées et sous quelles règles budgétaires. Bref, il faut à la fois structurer et rationnaliser, pour rendre - sur le papier au moins ­ le projet prévisible et chiffrable et le mettre en musique dans le cadre de règles et de procédures qui sont définies au niveau de l'ensemble de la Commission européenne, n'ont pas été faites pour ce type d'activité (ni l'appui à la société civile, ni la gestion de petites subventions pour des petites OSC), mais s'imposent néanmoins. Là encore, loin d'une décli­ naison mécanique, ces traductions supposent des choix, des reformula­ tions, amènent à redéfinir le périmètre du projet ou d'une composante. N'étant qu'abordé dans l'étude de faisabilité, ce travail a été réalisée par le chargé de mission Société civile de la Délégation, en dialogue avec l'équipe de Bruxelles et la cellule de l'ordonnateur national du FED. A l'issue de ce travail, le futur projet prend une forme synthétique, logique et ordonnée. En une vingtaine de pages, la description de contexte (construite et reconstruite) met en avant des enjeux clés, auxquels répon­ dent les objectifs du projet (et d'autant mieux qu'ils ont été définis pour les justifier). Organisées de façon simple et lisible en composantes, les activités prévues sont censées permettre d'atteindre ces objectifs. Le dispositif opérationnel proposé est censé pouvoir mettre en œuvre ces activités. Equipe opérationnelle, tutelle et bailleurs de fonds disposent d'indicateurs censés être « objectivement vérifiables» pour vérifier si les activités prévues sont bien réalisées et si celles-ci aboutissent bien aux résultats attendus. Dans ce travail d'instrumentation et de mise en procédure, les dimen­ sions de processus (durée, accompagnement, apprentissage, etc.) ne dispa­ raissent pas totalement, mais l'analyse du contexte justifiant le projet est réduite, l'accent est mis sur les objectifs opérationnels et leur déclinaison en activités et en dispositif. La lisibilité opérationnelle du projet est indis- 226 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER pensable à sa validation par l'État nigérien, et plus encore par les instances décisionnelles à Bruxelles. Elle est aussi considérée comme nécessaire pour que les acteurs recrutés pour la mise en œuvre aient des repères prati­ ques pour organiser leur action. Confier la mise en œuvre à un opérateur recruté pour appel d'offres induit une rupture entre ceux qui conçoivent et ceux qui mettent en œuvre. Mais elle suppose de simplifier, structurer, faire entrer dans les cases, rendre « visible» (Scott, 1998), au risque de perdre cette dimension processuelle, de faire des choix au nom d'une cohérence budgétaire ou organisationnelle, qui auront ensuite des consé­ quences pratiques dans la mise en œuvre. Bien sûr, la cohérence et la logique apparente du document projet sont largement reconstruites. Elles sont aussi largement formelles, et laissent de nombreux points dans l'ombre. De toutes les étapes d'échanges, de négo­ ciations, de coups de force qui ont scandé le processus d'élaboration, de la confrontation et de la succession des cadrages, des contradictions entre « policy models » et « project design », le travail de mise en cohérence et d'instrumentation, avec ses coups de lime et de rabot qui ont fait dispa­ raître des aspérités, ses coups de marteau qui ont permis à certains éléments de s'emboîter, a fait disparaître l'essentiel, donnant à voir une apparente cohérence. Il reste en reste cependant des traces, dans des contradictions, des impasses, des formulations un peu étonnantes comme « acteurs émer­ gents », qui attirent l'œil exercé, celui du praticien de l'aide, de l'expert préparant la réponse à l'appel d'offres, ou celui du chercheur qui sait qu'un tel document projet est un texte stratégique, qui vise à stabiliser à la fois un cadre interprétatif, une stratégie opérationnelle et un réseau d'acteurs. La convention de financement marque une étape clé, au sens où elle clôt, en tous cas partiellement, la phase d'exploration, de négociations, d'arbi­ trages, où elle stabilise par le contrat entre l'État et l'DE les options rete­ nues, où elle fixe les bases à partir desquelles l'appel d'offre pour la mise en œuvre sera lancé, le projet sera supervisé, puis évalué. Toucher à ce qui est écrit n'est pas impossible: on peut faire des avenants à la convention de financement, mais ils sont complexes, incertains, et tout le monde préfère les éviter (d'où le jeu stratégique sur ce qu'on met en annexe, qui est inscrit sans être strictement contractuel). Comme le dit Latour (1992: 45):

« La signature d'un marché, d'un avenant, d'une convention, stabilise la taille relative des acteurs en prêtant à la définition provisoire des alliances le secours du droit, droit dont le poids est énorme parce qu'il est tout formel et qu'il s'applique à tous également ce qui rend plus difficile à ceux qui se sont engagés derrière lui de changer d'avis, de garder leurs sous ou de filer à l'anglaise devant les difficultés. Pourtant, "rendre plus difficile" ne veut pas dire "impossible" ».

Par ailleurs, l'accord entre DE et le gouvernement du Niger ne concerne que ces institutions et n'engage pas tous les acteurs dont l'ac­ cord, le soutien, la participation ou l'absence de blocage sera nécessaire à la mise en œuvre du projet. Stabiliser une formulation du projet n'annule L'INSTRUMENTATION DU PASOC 227 pas les différents projets des acteurs parties prenantes (Singleton, 1990), qui saisiront toutes les opportunités pour tenter de remettre en cause, déplacer, reformuler, l'interprétation de ce document. De plus, les liens entre les différentes dimensions du projet, entre le diagnostic et les objectifs, entre les objectifs et les activités, entre les acti­ vités et le dispositif, entre les indicateurs et les activités, sont tous évidem­ ment problématiques dès qu'on gratte un peu. Le caractère très synthé­ tique de cette formulation laisse en creux ou dans l'ombre de nombreuses questions, qui autoriseront des réinterprétations et des reformulations. Supposer que les activités prévues puissent se dérouler comme prévu sous-estime l'incertitude inhérente à tout processus projet (Hirschman, 1967; Lavigne Delville, 2012). La distance entre « policy» et « prac­ tices» ne peut qu'être forte.

De la convention de financement au dispositifprojet: l'offre du consortium d'études

La Convention de Financement n°9602/NIR est signée le 19 mars 2007. Son texte sert de base aux termes de références de l'appel d'offres pour le recrutement de l'assistance technique, lancé au 1er semestre 2007. Huit bureaux d'études (allemands, belges, danois, et français) sont consultés. Le dossier d'appel d'offres fait 76 pages, dont 29 pour les termes de réfé­ rences du projet lui-même, le reste étant constitué de documents légaux, de précisions juridiques et budgétaires, de formulaires pour la réponse. Les centaines de pages des études se transforment donc en 29 pages, dont cinq pages de présentation du contexte du Niger et de la problématique de la société civile dans ce pays, dix pages de description du futur projet (plus trois pages pour le tableau logique et le chronograrnrne), et neuf pages pour les attentes par rapport à la future équipe et des informations pratiques (rendus demandés, matériel, etc.). La description du projet en lui-même, à partir de laquelle les bureaux d'études consultés vont élaborer leur proposition, se réduit donc à 13 pages. Cinq ou six équipes ont répondu à l'appel d'offres. L'offre qui a gagné est celle d'un consortium regroupant un bureau d'études européen qui met déjà en œuvre d'autres projets similaires, une Ong européenne de défense des droits de l'homme, une Ong professionnelle nigérienne, une associa­ tion nigérienne de promotion de la Citoyenneté et un bureau d'études d'Afrique de l'Ouest. Dense et solide, l'offre de ce consortium propose une vision ambitieuse et construite de l'appui à la société civile et à l'émergence de logiques de gouvernance locale pluri-acteurs, fondée sur une analyse sérieuse de la société civile nigérienne. Elle insiste fortement sur la logique d'accompagnement et de facilitateur mise en avant dans les TDR. « Approche processus, démarche itérative », «catalyseur », «expé­ rimentation» sont des mots-clés répétés dans l'offre. Dans le même temps, l'offre précise qu'elle respectera les normes comptables et budgétaires de l'DE et que les guides de procédures existent. « Il importe de compléter et 228 AIDE INfERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER d'expliquer ces outils en vue de leur meilleure adaptation au public-cible visé»: la formule elle-même souligne l'ambigüité entre « adaptation» et « explication». « Une attention particulière devra être consacrée au fait que les destinataires sont pour la plupart des organisations de base qui n'ont pas la familiarité avec des procédures complexes telles que prévues par le FED ». C'est d'une part en travaillant les modalités des appels à propositions, en formant les soumissionnaires, en mettant en place un « centre d'appui» au niveau des régions, d'autre part en favorisant les réponses conjointes entre « organisations de base» et « organisations inter­ médiaires », que le consortium espère résoudre en partie cette contradic­ tion. L'offre technique insiste également sur le suivi des projets financés, sur les formations qui pourront être apportées par les OCR. Toutefois, conscients des limites du dispositif OCR (équipés seulement d'une moto par site, ils ne pourront pas faire des miracles !), une prudence est immé­ diatement affichée: «Dans la mesure du possible, l'expert en charge du suivi, ainsi que l'OCR (et/ou un expert en mission courte) reniera de visiter les projets et de leur apporter ainsi un appui de terrain tout en permettant ainsi un meilleur monitoring des projets» (p.36, souligné par moi). Sur le volet « renforcement des capacités », le consortium reprend les trois grands champs d'activités identifiés dans l'appel d'offres: la promo­ tion du thème des droits humains et de la culture de la citoyenneté; «l'accompagnement d'OSC dans l'institutionnalisation d'un mode de gouvernance interne respectueux de la vie associative », et l'appui au développement de la communication et des échanges au sein de la société civile, pour favoriser la mise en réseau. Pour l'appui aux OSC, il entérine l'idée d'un appui privilégié aux organisations qui l'auront sollicité: « chaque organisation fera l'objet d'une analyse institutionnelle et organi­ sationnelle de la part des experts du programme, et un parcours personna­ lisé en fonction de chaque OSC sera identifié» (pAO). L'offre du consortium combine donc d'une part un cadre analytique assez solide, une forte ambition stratégique et un accent sur les démarches processuelles et d'autre part une claire inscription dans le dispositif proposé, son dimensionnement, et les règles budgétaires de l'UE. Elle s'appuie subtilement sur les termes de références, pousse dans les prin­ cipes la vision proposée avec tout ce qu'elle a de processuel mais entérine en même temps les cadrages de procédures, marquant quelques limites ou des restrictions qui leur permettront éventuellement ultérieurement de légitimer des impasses ou des échecs. Les rédacteurs de l'offre entérinent ainsi les contradictions latentes pour maximiser leurs chances de gagner l'appel d'offres, laissant par là-même à la future équipe opérationnelle le soin de les gérer par la suite. D'autres consortiums ont choisi une stratégie différente", Par exemple, s'appuyant sur l'expérience acquise par les Ong du consortium dans l'ac-

4. L'exemple qui suit est celui auquel j'ai eu accès. Le mobiliser sert ici à montrer la différence des approches possibles autour de mêmes termes de références, et non à sug­ gérer que cette offre aurait été meilleure. L'INSTRUMENTATION DU PASOC 229 compagnement des ose nigériennes, une autre offre technique, dont est membre une des Ong nigériennes spécialisées dans l'appui aux ose, propose dans les commentaires des termes de références une lecture plus empirique et moins conceptuelle de la société civile et de ses enjeux. Moins centrées sur l'action publique pluri-acteurs et la décentralisation, elle privilégie, dans une première phase, les radios communautaires et les troupes de théâtre forum, comme acteurs susceptibles de véhiculer des messages sur les droits humains et la citoyenneté, et de contribuer à une évolution des représentations. Mettant en avant les conditions de change­ ment de représentations et de comportements au sein des ose, elle met en avant l'accompagnement des ose appuyées, en privilégiant le quali­ tatif sur le quantitatif, comptant sur des effets démultiplicateurs (appui à des groupes d'Oï.B, communication sur les expériences, mobilisation d'organisations de formation présentes sur place au lieu de recourir à des expertises ponctuelles, formation de formateurs au sein des organisations faîtières, etc.). Elle souhaite que les deux composantes soient étroitement articulées au niveau des deux régions, proposant dès le départ un plan de formation pour la première série d'OSe se préparant à soumettre un projet. Soulignant les limites des formations classiques", elle propose de mettre en place une cellule pédagogique, de travailler la communication didactique, d'assurer un suivi des formations. Elle propose également une série de formations et d'accompagnements pour les organisations faitières et les réseaux. Mobilisant une expérience concrète d'accompagnement d'organisations de base, cette «offre technique» est beaucoup moins abstraite. Elle prend au sérieux l'enjeu de la promotion des droits humains sans s'enfermer dans le financement d'organisations locales. EUe met l'accent sur le comment plus que sur le pourquoi. Mais la méthodologie d'intervention proposée, autour de trois principes et onze axes prioritaires, paraît plus floue, moins structurée et lisible. Les problèmes de sélection des organisations à appuyer ne sont pas abordés. Le respect des procé­ dures FED est mis en avant, mais de façon moins carrée. L'organisation des activités ne reprend pas le découpage proposé. Bref, il est probable que, pour le financeur, une telle offre ait été jugée moins sécurisante. Les offres devaient être rendues le 28 mai 2007, pour un démarrage effectif au 1er octobre 2007. Les délais de dépouillement des offres, mais surtout de négociation du contrat entre l' UE et le bureau d'études ayant gagné l'appel d'offres, puis de recrutement et mise en route de l'assistant technique expatrié rendaient ce délai de 4 mois peu réaliste.

5. «Trop d'ateliers et de formations se déroulent habituellement selon un modèle « ex-cathedra» basé sur la maîtrise de l'écrit. Trop de formateurs privilégient des exposés théoriques, dépourvus d'exemples et bâtis sur des bases supposées connues ». 230 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

Les recadrages de la phase de démarrage

«Tant la DCE, l'ON que le MATDC ont des attentes spécifiques et particulières face au PASOC. L'UGP est donc à la croisée de plusieurs expectatives, exigences et contraintes que l'UGP et son chef de projet, plus spécifiquement, est chargé d'équilibrer dans la mise en œuvre des activités, dans la programmation de celles-ci et dans la cohérence globale avec les termes de référence, base légale et première de l'exécution du PASOC» (UGPdu PASOC, zoos». 13).

Le PASOC débute avec l'arrivée de la chef de projet expatriée, le 1er février 2008, avec 4 mois de retard sur le calendrier prévu. Ancienne responsable d'une petite Ong d'éducation en Europe, elle a à ce titre parti­ cipé aux groupes de travail de Concord (fédération des Ong européennes) sur les ANE et les Accords de Cotonou et maîtrise ce dossier de ce point de vue. Elle a travaillé à la DGDEV, mais n'a pas d'expérience de gestion de projets de ce type et de cette taille. La phase de démarrage est le moment où elle prend connaissance du contexte nigérien, où l'équipe fait connaissance, s'approprie un projet qui a été conçu par d'autres, écoute les attentes et points de vue des différents acteurs et institutions. C'est aussi le moment du recrutement de l'équipe, ce qui a suscité des tensions au sein du consortium: aucun des candidats que proposait un des parte­ naires nigériens pour l'équipe permanente de l'UGP n'est retenu; se considérant mis de côté malgré son expérience pratique de travail avec les organisations rurales, il se désengage en pratique du projet. Préparer les manuels de procédures, préparer la programmation et les budgets détaillés amène à se confronter aux problèmes pratiques de mise en œuvre, qui n'ont pas nécessairement été abordées aux étapes précé­ dentes.

« Le PASOC est le fruit d'études successives, plus ou moins bonnes. La dernière étude n'est en fait pas une faisabilité: on ne sait pas ce qu'on doit faire vraiment, et en pratique c'est infaisable. Il y a une irresponsabi­ lité du consultant qui fait plaisir à son commanditaire. [...] La machinerie de l'DE, les appels à propositions, tout ça, ça ne marche pas. Mais le PASOC est très cadré par les procédures, tout est verrouillé pendant les études de faisabilité. On essaie de remettre les choses sur pieds. Les marges de manœuvre sont dans la mise en œuvre si on sait jouer avec les procédures» (chef de projet PASOC, 08/10/09).

Prenant connaissance du terrain et du contexte en fonction de sa propre sensibilité, mesurant des problèmes concrets de mise en œuvre qui n'ont été qu'abordés dans la faisabilité (et que la réponse à l'appel d'offres a évidemment euphémisés sinon occultés), voulant aussi se constituer des marges de manœuvre, l'équipe précise sa stratégie. Le rapport de démar­ rage met en avant des contraintes et des difficultés probables et propose de simplifier ou réorienter en partie le projet. L'enjeu est ici à la fois d'an- L'INSTRUMENTATION DU PASOC 231 ticiper des futures critiques en les reportant sur la conception, en amont du travail de l'équipe projet, et d'argumenter des demandes de réorienta­ tion qui, si elles sont acceptées par le Comité de pilotage, seront considé­ rées comme légitimées, entérinant des glissements par rapport à la lettre du contrat qui lie le consortium au Ministère nigérien de finances. Parmi les «contraintes auxquelles doit répondre l'UGP », l'équipe note « l'urgence» de montrer que les activités démarrent, mais aussi

« La forte connotation "politique" du programme compte tenu de la typologie des acteurs ciblés; il ne s'agit pas de soutenir des activités poli­ tiques sous couvert d'actions de développement; il s'agit d'appuyer et de sélectionner des acteurs opérationnels participant à l'intérêt général du pays et de sa population».

La chef de projet a manifestement été fortement sensibilisée au risque politique, aux doutes de la Délégation sur la société civile, aux réticences du Ministère. Elle souligne aussi la complexité du montage institutionnel du programme « qui amène certaines difficultés de mise en œuvre opéra­ tionnelle ». En particulier, l'articulation entre soutien aux initiatives des OSC et formation est compliquée par le fait que « certaines activités sont sur le contrat de service, d'autres sur le Devis Programme avec des procé­ dures différenciées». En ce qui concerne la composante régionale, l'équipe exprime à son tour des interrogations sur le principe des appels à propositions: «les procédures d'appels d'offre (pour les OCR) et d'appels à propositions (pour les OCB) ont comme effets pervers un esprit de concurrence entre les structures, et surtout entrainent parfois la création de structures ad hoc pour bénéficier des fonds disponibles; certains programmes antérieurs ont vu aussi des organisations de base faire appel à des «rédacteurs» de dossiers (Ong «intermédiaires ») d'appels à propositions, ce qui ne privi­ légie ni la responsabilisation, ni ne garantit l'appropriation des projets ». Elle souligne la contradiction entre le travail demandé aux équipes régio­ nales et les moyens à leur disposition (deux personnes, une moto, pour une région entière).

« Elle s'interroge sur les capacités tant techniques que financières des aCB des régions de Maradi et de Zinder à pouvoir répondre convenable­ ment aux appels à propositions qui seront lancés. Cette préoccupation représente pour nous une véritable hypothèse de risque dans la mise en œuvre des contrats de subventions et pose la question de la garantie bancaire pour le BE ».

Face au problème de garantie bancaire (on reviendra sur ce point), elle suggère (ce qui sera refusé) de recourir à des ONG internationales pré­ sentes dans les régions. Etant donné qu'aucune ligne budgétaire n'a été définie pour l'appui de l'UGP aux OCR dans le contrat de services, elle 232 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER suggère de prélever sur le budget prévu pour les OCR les moyens néces­ saires, ce qui réduit d'autant les moyens disponibles pour ces derniers". Du fait des retards pris, elle propose de ne faire qu'un appel à propositions sur le I" Devis-programme. Enfin, le cadre logique est légèrement revu. C'est sur cette base que seront élaborés les programmes semestriels d'ac­ tivités pour la composante régionale et les devis-programmes successifs. Face au flou introduit précédemment sur la finalité des appuis finan­ ciers aux organisations de base, l'équipe abandonne l'idée que ces appuis puissent viser la mise en place et l'animation d'espaces de concertation locaux sur l'action publique et recentre le renforcement de capacités locales sur les seules OCB. Jugée trop complexe à mettre en œuvre, en particulier dans le cadre du dispositif opérationnel tel qu'il existe, l'ambi­ tion d'accompagner des processus pluri-acteurs à l'échelle locale est de fait abandonnée; les deux composantes formation et soutien aux initia­ tives sont dissociées. La définition du cadre d'action n'est donc pas stabilisée totalement à la signature de la convention de financement. La sélection du consortium, le recrutement de l' équipe, introduisent dans le jeu de nouveaux acteurs, qui ont leurs propres analyses et enjeux. Avant même de commencer les actions, ils négocient des ajustements, reformulent des objectifs, cherchent à se protéger de risques possibles, induisant de nouveaux glissements, de nouvelles simplifications. Les enjeux de ces renégociations ne sont plus les objectifs politiques et stratégiques, ce sont des questions de faisabilité pratique, de capacité à mettre en œuvre les actions prévues dans le cadre (financier, organisationnel, de durée) prévus, de risques financiers pour le consortium.

Un dispositif institutionnel bureaucratique

Les différentes étapes de la mise en procédures ont produit une succes­ sion de distorsions par rapport au projet proposé par les consultants, et par rapport à leurs appels répétés en faveur de processus d'accompagnement et d'apprentissages (qui n'avaient eux-mêmes jamais été au centre des études). Ainsi, le principe des appels à propositions a été acté très tôt, avec ce qu'il implique de bureaucratie pour l'information large sur l'appel, la préparation des dossiers, la sélection par un comité ad hoc, la contractua­ lisation, etc. Dès avant la faisabilité, la nécessité d'une perspective de moyenne durée, sur laquelle insistait l'étude d'identification, est aban­ donnée au profit du format classique de quatre ans? La volonté d'articula-

6. Sachant que les volumes financiers prévus pour les OCR semblent avoir été décidés plus pour rester en dessous du seuil permettant un appel d'offres simplifié que sur la base d'un réel dimensionnement des tâches à remplir. 7. En fait 3 ans opérationnels comme on le verra ci-dessous. L'INSTRUMENfATlON DU PASOC 233 tion entre les deux composantes, mise en avant par l'identification, est marginalisée par la faisabilité et abandonnée lors du démarrage, rendant ainsi impossible un accompagnement des organisations financées. Intro­ duit par la Délégation au moment de l'étude de faisabilité, le choix d'une UGP menée par un bureau d'études a induit des logiques spécifiques en termes de dimensionnement du dispositif et d'incitations. Nous reprendrons ici sous cinq entrées les principes reformulations liées à l'instrumentation, leurs justifications et leurs effets pratiques. Se renforçant l'une l'autre, elles aboutissent à un dispositif bureaucratique, organisé pour mettre en œuvre une série d'actions largement déconnectées les unes des autres, et focalisé sur la gestion administrative des finance­ ments",

Une UGP mise en œuvre par un bureau d'études: un choix à la fois managérial et politique

L'UE dispose de quatre ou cinq modalités institutionnelles de mise en œuvre de ses financements, selon que la responsabilité institutionnelle est « centralisée» (par les Délégations elles-mêmes) ou «décentralisée» (déléguée à des tiers, État ou plus rarement à une association par marché de subvention) et que la mise en œuvre est « directe» (par l'instance qui a la responsabilité du projet) ou « indirecte» (si l'instance la sous-traite, à un bureau d'études, une association, etc.). Dans une optique de coopéra­ tion avec les États, la gestion décentralisée à l'État est la règle générale, mais il peut y avoir des exceptions. Le recours à des bureaux d'études pour mettre en place des Unités de gestion de projet (UGP) (gestion décentralisée indirecte avec BE) a été généralisée dans les années 1980­ 1990, lorsque la politique des bailleurs de fonds était de sortir la mise en œuvre des projets de développement de l'administration, considérée comme peu efficace, corrompue et freinant le déroulement des projets. L'UGP est censée sécuriser la mise en œuvre du projet et le respect des objectifs (y compris des objectifs de décaissement), le bureau d'études, recruté sur des objectifs contractuels, étant censé garantir une autonomie du projet par rapport aux risques d'interférences politiques". La contre­ partie étant le coût élevé de l'assistance technique et du recours à des entreprises privées lucratives. Confirmant la thèse de Mosse sur le fait qu'un changement de politique inverse le regard porté sur les pratiques, les UGP ont été fortement critiquées à partir des années 2000, lorsque les politiques d'aide ont été recentrées sur l'État: ce qui les valorisait (auto-

8. Suite à une crise interne, la stratégie sera partiellement revue, certaines contraintes de procédures assouplies, sans véritablement changer les choses. a. chapitre 6. 9. Cf. Naudet (1999) sur le dilemme des bailleurs de fonds entre responsabilisation et contrôle. En pratique, les UGP intemalisent davantage les obligations d'activités et de décaissement, mais ne sont que très partiellement protégées de la corruption et des blocages par rapport aux prévisions. 234 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER nomie par rapport à l'État) devient un handicap. Sans revenir en arrière sur le principe du « faire-faire », les bailleurs de fonds valorisent dans les discours l'aide programme et la responsabilisation des administrations et des institutions nationales. Le recours aux UGP commence donc à être mis en cause au moment de la formulation du PASOC. Mais les alterna­ tives sont peu nombreuses. En termes de tutelle, confier à l'État la tutelle d'un projet d'appui à la société civile pose problème du point de vue de l'indépendance supposée de cette dernière par rapport au pouvoir poli­ tique, et accroît les risques d'instrumentalisation politique du projet. Les Délégations ne souhaitent pas prendre en charge leur gestion en centralisé faute de ressources humaines. Dans de nombreux pays, il n'y a guère d'or­ ganisation nationale de la société civile apte techniquement et légitime pour prendre en charge le projet.

« Presque tous les programmes d'appui aux acteurs non étatiques avaient des unités de gestion. Dans mon souvenir l'idée était d'éviter que l'unité de gestion qui appuie le programme soit positionnée au sein d'une autorité nigérienne, pour éviter la pression du gouvernement tout simple­ ment. En plus dans le cas du Niger, ça avait tout à fait son sens [vu le contexte politique de l'époque]. Et donc, il n'y avait pas beaucoup de choix. Soit c'était une unité de gestion, avec des assistants techniques locaux et internationaux si nécessaire, soit c'était géré au niveau de la délégation. Ce qui suppose un énorme travail supplémentaire pour les délégations qui sont sous-staffées. Il y a quand même quelques-unes qui l'ont fait. Je pense qu'en Ethiopie c'était le cas. Sinon, l'autre option est que ce soit, soit à la cellule de l'Ordonnateur national, soit dans un minis­ tère X décidé par le gouvernement. Et là, il Ya quand même des énormes risques. En Tanzanie c'est comme ça qu'ils ont fait et ça a été très difficile de travailler avec certains acteurs avec lesquels le programme et la déléga­ tion voulaient travailler. Parce que tout passait par le visa du gouverne­ ment qui voulait tout contrôler. Sinon, il faut avoir une unité de gestion, en gestion directe externe... » (ancien membre de l'équipe E4, à Bruxelles).

La gestion « décentralisée indirecte» a de plus l'avantage de ne pas s'aliéner l'État tout en assurant une autonomie pratique. Le recours à une UGP est donc un choix par défaut autant qu'un modèle valorisé. De fait, cette forme a été dominante dans les projets lancés par 1'UE à cette époque (26 sur 40). La mise en œuvre peut être déléguée à un bureau d'études ou une Ong. Les consultants de l'étude d'identification auraient privilégié le recours à des Ong ayant une expérience dans l'appui aux organisations locales. Mais, pour garantir une surface financière suffisante, une organi­ sation de gestion rigoureuse et une capacité à assurer la garantie bancaire requise, la Délégation a fait le choix de privilégier les bureaux d'études comme chef de file des consortiums. Ceci a des incidences sur le coût du dispositif, les bureaux d'études intégrant dans leurs coûts le coût des garanties bancaires exigées par l'UE, les risques financiers et leurs exi­ gences de rentabilité et de rémunération des actionnaires. Pour un bureau L'INSTRUMENTATION DU PASOC 235 d'études!", l'objectif premier est la satisfaction du client (c'est-à-dire du bailleur de fonds) et pas le sens de l'action ou son impact pour les « bénéfi­ ciaires ». Cette satisfaction tient à un projet qui se déroule sans conflits, où les activités sont menées et où l'argent est «décaissé» comme prévu. Dès lors qu'elle n'est pas contrebalancée par une volonté politique et par une capacité à trouver et négocier trouver les compromis de la part du chef de projet, la logique financière l'emporte sur le sens de l'action.

«Ce n'est pas le principe de l'UGPqui pose problème. Ce qui est véri­ tablement le mécanisme pervers, c'est demander pour la gestion de ce projet trois fois le chiffre d'affaires en garanties bancaires, ce qui fait que ce sont seulement les grosses boîtes, seulement les bureaux d'études euro­ péens qui peuvent se lancer dans les appels d'offres pour offrir l'assistance technique. Ce sont toujours les mêmes équipes des plus puissants des bureaux d'études généralistes, qui n'ont pas de compétence sur l'appui à la société civile » (consultant international, étude de faisabilité).

Enfin, dans leur logique de rentabilité, les bureaux d'études gèrent les projets au plus près des budgets prévus et, face au risque de factures reje­ tées et d'impayés, ils donnent des consignes strictes à leurs équipes, tentent de verrouiller les procédures, en particulier sur la sous-traitante et le refinancement. Recourir à un bureau d'études pour mettre en œuvre une UGP induit donc une priorité managériale, qui met l'accent sur le respect du contrat, la rigueur comptable, éventuellement au détriment de la perti­ nence des actions.

Sous-dimensionnement des équipes, bureaucratisation et distance à la pratique

Ce type de choix a aussi des incidences dans la conception budgétaire: ce type de projet centrée sur du «soft »'1, et plus encore lorsqu'il est confié à une UGP conduite par un bureau d'études international, est coûteux en organisation et management, ce qui est mal vu par les finan­ ciers. Le choix de l'assistance technique internationale et du bureau d'étude comme prestataire induit des coûts significatifs (20 % du budget prévisionnel du projet). Pour rester dans des ratios acceptables entre le coût de gestion du projet et l'argent affecté directement aux activités, les équipes nationales sont dimensionnées de manière minimale, largement

10. Il Ya bien sûr des bureaux d'études pour qui le sens de l'action est important et des Ong « mercenaires ». Les Ong qui répondent à des appels d'offres doivent aussi assumer les cautions bancaires et ne pas perdre de l'argent. La question ici est celle de la conver­ gence entre des logiques institutionnelles (la façon de gérer la tension entre rentabilité financière et sens de l'action) et la structure d'incitations liée au rapport contractuel. Il. En opposition aux projets d'investissement (routes, forages, écoles, etc.) où les dépenses de « hard » sont importantes. 236 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

insuffisantes pour les tâches à accomplir en particulier en termes de personnel administratif. Dans une logique de « coordination» et de « faire faire », une équipe de quatre personnes peut semble suffisant. En réalité, face à l'ampleur des tâches administratives et bureaucratiques auxquelles elle doit faire face, l'équipe de l'UGP elle-même n'a guère de temps pour s'investir dans les actions. Son activité principale est d'organiser, contractualiser, solder contractuellement les actions financées, dont la mise en œuvre est pour l'essentiel déléguée à des consultants ou des sous-traitants. Recrutés sur la base de leur compétence en termes d'appui à la société civile, les experts nationaux consacrent en pratique l'essentiel de leur temps à la gestion bureaucratique des activités. Lorsqu'ils participent à des ateliers en région, c'est pour gérer la logistique, tenir àjour les fiches de présence, verser les per diem, peu ou pas pour mobiliser leur expérience dans l'animation de l'atelier. Le principe de sous-traitance généralisé augmente le coût des actions, accroît considérablement la charge bureaucratique, coupe les équipes des dynamiques qu'elles sont censées appuyer, ne permet guère une capitalisation et un apprentissage interne. La contradiction entre les objectifs affichés en termes d'activités, les coûts de transaction inhérents à leur mise en œuvre et le dimensionnement de l'équipe ont aussi amené le chef de projet à réduire les ambitions: alors que plusieurs vagues d'appels à proposition étaient prévues, permettant aux OSC de se préparer, voire de réaliser plusieurs actions et de mieux rôder leurs pratiques, un seul a été réalisé pour chaque devis programme, ajoutant à la simplification du projet au cours de sa mise en œuvre. La même logique de sous-dimensionnement a prévalu pour les équipes régionales, les OCR. Le budget prévu est très faible: 221 000 € en tout, pour deux équipes censées accompagner dans la durée une centaine d'OSC financées (cette somme intégrant les appuis de l'UGPaux OCRI2)... Ceci oblige à privilégier le recrutement d'Ong nationales et non interna­ tionales, même s'il en existe peu qui soient à la fois expérimentées en termes d'appui aux organisations et bien implantées dans les régions. Ces équipes sont réduites à 2 personnes, avec une seule moto, pour informer, suivre, et en théorie former et accompagner une cinquantaine d'organisa­ tions de base sur des régions immenses... Un tel dimensionnement n'a aucun sens si l'on prétend suivre et accompagner des dizaines d'OSC, d'expérience variable, potentiellement réparties sur un territoire régional très étendu... ce qui souligne le rapport final du projet:

« Le nombre très important de petits projets à suivre (102) répartis sur une surface de 154670 km2 n'a pas facilité le contact de proximité et l'appui au quotidien. Il est en effet impossible sur des projets d'une durée aussi courte et dont les groupes porteurs sont répartis sur une surface aussi

12. Mais 110 000 € pour les seuls ateliers de sélection des dossiers à financer (hono­ raires des assesseurs compris) (UGP du PASOC, 2oo8b: 39). L'INSTRUMENTATION DU PASOC 237

immense (sauf dans les chefs-lieux de Maradi et Zinder), de pouvoir assurer un suivi de qualité et mesurer les progrès accomplis, l'impact et la durabilité de ces progrès tant sur les OCB que sur les bénéficiaires finaux» (UGPdu PASOC, 2011: 31).

En pratique, leur rôle s'est vite limité à l'Information initiale, et au suivi contractuel et comptable, bien loin de l'ambition d'accompagne­ ment, et de l'idée énoncée dans la faisabilité et reprise dans l'offre tech­ nique du bureau d'études, d'un centre d'information régional ouvert à l'ensemble des osel 3.

« Le travail principal des OCR dans leur tâche de pré-vérification des rapports a donc été de vérifier l'ensemble des pièces, les fiches de suivi, les rapprochements bancaires, mais aussi et surtout la concordance et la cohérence des activités avec la réalité de terrain. (idem: 14) [Mais en fait], certaines tâches de suivi et d'appui opérationnel et financier incombant aux OCR n'étaient pas réalisées. Fin décembre, 61 OCB sur 79 OCB visi­ tées par l'expert UGP dans le cadre d'une mission de terrain déclaraient ne jamais avoir reçu la visite d'un expert de l'OCR» (idem: 32).

Dès lors, la relation de l'équipe du projet aux ose dans les régions est réduite. Leur connaissance personnelle du terrain et des acteurs est limitée, voire nulle. C'est le contrat, le rapport technique, le rapport financier qui constituent les médiateurs principaux, sinon exclusifs, de la relation. Le contenu de l'action n'est plus le centre de la relation et ne constitue même pas le centre d'intérêt. Par un processus inhérent à la bureaucratisation, le suivi des activités menées passe d'une « surveillance directe et de proxi­ mité à un contrôle médiatisé par des chiffres, des indicateurs, des ratios, des nonnes et procédures» (Hibou, 2012: 112) qui génère une perte de sens. Seul le respect des procédures compte: celui du programme d'acti­ vités pré-établi et de son calendrier (même si l'enjeu pour les ose devrait être de rebondir sur les événements et de s'adapter de façon souple à un contexte évolutif), celui des nonnes comptables même si elles sont partiel­ lement impossibles à respecter.

Régie, devis programmes: les implications des choix d'instruments de gestion

Les règles de décision et d'engagement des dépenses, leur souplesse ou leur lourdeur, dépendent des choix de procédures. Pour simplifier la gestion, la convention programme a prévu que chacune des deux compo­ santes soit gérée financièrement selon des modalités différentes: toutes les

13. D'autant que, peu suivis par les responsables de l'Ong et démotivés par cette situation, ils n'ont guère fait de zèle. 238 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

prestations d'expertise liées à la composante « renforcement de capacités» sont incluses dans le contrat d'assistance technique, pour plus de souplesse dans la mobilisation des experts. Ce « contrat de service» avec le bureau d'études intègre donc, outre le personnel permanent prévu pour l'équipe de l'UGP, un volume indicatif d'hommes-jours d'expertise court terme, avec un coût journalier en fonction des catégories d'experts. Ce volume financier est logé au niveau du bureau d'études. Les dépenses sont enga­ gées après accord de la Cellule de l'Ordonnateur national du FED, qui valide l'action, son organisation et son budget. Ainsi, le dossier de prépa­ ration d'un atelier de formation consiste en de termes de références, un budget, des CV des experts proposés. La Cellule FED valide la proposition sur le plan technique, sans qu'il y ait besoin d'appel d'offres pour sélec­ tionner les experts, puisque les coûts journaliers sont déjà définis. Cette organisation offre plus de souplesse, elle permet d'éviter de devoir pro­ grammer sur un an les différents ateliers et formations, ce qui serait le cas pour une gestion en devis-programme. Mais cela oblige le bureau d'études à assumer une responsabilité budgétaire plus importante en cas de contesta­ tion des dépenses. En cas de retard de versement des fonds, cela l'oblige à des avances de trésorerie. Les dépenses, et en particulier les prestations des experts mobilisés, sont payées directement par le siège du bureau d'études, qui joue sur les délais de paiements pour assurer sa propre trésorerie, lais­ sant les experts attendre longtemps le paiement de leurs prestations. A l'inverse, les financements de la composante régionale (budget des OCR, budget alloués au financement d'actions d'OSC) sont gérés sous forme de « devis programmes». Un « devis-programme» est « un docu­ ment fixant le programme d'actions à exécuter et les moyens matériels et en ressources humaines nécessaires, le ~ correspondant, ainsi que les modalités techniques et administratives de mise en œuvre pour l' exécu­ tion d'un projet pendant une période de temps déterminée en régie et/ou en engagement spécifique par la passation de marchés publics et/ou l'oc­ troi de subventions». Il est « destiné à l'exécution d'une tranche du projet couvert par la convention de financement» (UGP du PASOC, 2008a: 12, souligné par eux). Il s'agit donc d'un programme de travail précis, sur 12 ou 18 mois, adossé à un budget spécifique mobilisant les lignes budgé­ taires prévues dans le document projet. Le budget correspondant est versé directement par l'UE sur le compte du projet, sans passer par le Bureau d'études. Le devis-programme est ainsi l'instrument qui permet de passer d'un projet et d'un budget général, sur l'ensemble de la durée prévue, à des programmes d'activités sur une période donnée. Il nécessite cepen­ dant un lourd travail de définition, négociation, validation, ce qui fait que l'exercice n'est fait que peu de fois dans la durée d'un projet, oblige à pla­ nifier les activités sur une durée relativement longue. Un devis-programme est assez rigide une fois approuvé. Il doit être clos en termes comptables quelques mois après son achèvement. Dans le cas du PASOC, les devis-programmes incluent les appels à propositions pour financer les activités des OSC, mais aussi le finance- L'INSTRUMENTATION DU PASOC 239 ment des Ong devant les appuyer à l'échelle régionale". Ce choix vise à séparer les OCR du contrat de service, ce qui permet de réduire le coût apparent de gestion du projet. Mais elles sont dès lors recrutées pour la durée limitée du devis-programme, ce qui les met dans une certaine préca­ rité institutionnelle", et empêche qu'elles puissent être mises en place en avance, pour des actions préparatoires avec les OSC des régions.

Les procédures budgétaires et comptables: « hyperprocéduralisation », transfert des risques et « présentabilité » des pièces comptables

L'Union Européenne est réputée pour la complexité de ses procédures comptables. La bureaucratisation de la gestion publique, la multiplication des procédures comptables et des audits renvoie au développement du New Public Management, et plus largement à la généralisation d'une « gouvernance néo-libérale» (Hibou, 2012). Dans le cas de l'Union euro­ péenne, le durcissement des règles de financement participe de cette dyna­ mique. Mais elle résulte aussi très clairement, on l'a vu au chapitre IV, des scandales financiers ayant abouti à la démission de la Commission Santer. Cette obsession comptable se traduit par ce que Courtin appelle « hyper­ procéduralité », qui vise à un contrôle rigoureux sur les financements (Courtin, 2011: 126). Tout opérateur se voit soumis à des procédures complexes (devis, appel d'offres), des exigences de pièces comptables et justificatives, puis à des audits multiples, pouvant amener à ce que des dépenses soient reje­ tées des remboursements demandés. Ceci en soit n'est évidemment pas contestable, mais se fait dans un maquis de règles complexes, évolutives, plus ou moins maîtrisées par les agents de l'Union européenne eux­ mêmes.

« Une véritable ingénierie du contrôle ex ante et ex post s'est mise en place, elle est la marque de fabrique des dispositifs de l'Union européenne [...]. Une sorte de culture de la défiance, du soupçon, du contrôle, est peu à peu devenue la règle des relations de travail entre les agents des déléga­ tions de la Commission européenne, les agents de l'ordonnateur national et les agents des programmes [...] Les mémoires de dépenses présentés par les cabinets sont contrôlés a posteriori trois fois. Une première fois par les services de l'ordonnateur national, puis par les services de la DCE, enfin tous les ans un cabinet comptable indépendant recruté par avis de marché lui aussi audite les comptes. [...] Une dépense jugée non éligible ou non conforme n'est pas remboursée au cabinet qui doit en assumer le coût ou, si elIe a déjà été payée mais remise en cause a posteriori par l'audit annuel,

14. Ainsi que honoraires et per diem des assesseurs sélectionnant les projets Ce dernier point est explicitement mentionné dans la Convention de financement! 15. En pratique les contrats ont été reconduits. 240 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

fera l'objet d'un recouvrement auprès du cabinet» (Courtin, op.cit.: 128-129).

De plus, le risque ne se limite pas à un rejet de factures à chaque rapport financier intermédiaire, car un prestataire peut recevoir des audits financiers de la Commission, de l'Office européen de lutte anti-fraude ou de la Cour des comptes de la Communauté européenne, «et ce jusqu'à la fin d'une période de 7 ans à compter du paiement du solde» (termes de références de l'appel d'offres, p.44). Face au coût de la caution bancaire!", et aux risques financiers liés aux dépenses non éligibles, qui peuvent être contestées plusieurs années après la clôture du projet, les bureaux d'études accroissent leurs marges, verrouillent les procédures.

« Cette double contrainte de gestion du risque financier et de rentabi­ lité commerciale entraîne la troisième conséquence: aucun risque ne doit être pris dans la gestion de ces programmes, on privilégiera donc au moindre coût les qualités techniques de gestion des responsables de projet, leur connaissance des procédures complexes de l'UE, leur profil techno­ cratique au détriment de leurs capacités d'innovation et de leurs qualités politiques. Pour les bénéficiaires des programmes destinés à la société civile, les cabinets préfèreront le subventionnement d'Ong ou d'associa­ tions ayant déjà une pratique des financements, en clair celles qui sont capables de gérer des fonds au détriment des nombreuses structures locales plus militantes, plus politisées, plus aptes à porter le changement social» (idem: 127).

Financer des petites organisations aux faibles compétences fait prendre un risque financier au bureau d'études. Pour éviter de voir des dépenses considérées comme non-éligibles, le chef de projet tend à s'en tenir à la lettre des procédures de subventions, quand bien même elles ne sont pas adaptées. Alors que, tout au long de la formulation du projet, les consul­ tants ont fait des appels récurrents à l'adaptation ou la simplification de procédures inadaptées au public visé, l'UGP tend à les reprendre à son compte, voire à les durcir. La logique bureaucratique et gestionnaire l'em­ porte sur la finalité du projet, le respect formel du contrat de subvention sur la réalité des actions et leur signification. Les contraintes comptables de justification des dépenses ont été trans­ férées aux organisations financées: ouverture de compte bancaire, paie­ ment par chèque au dessus de 25 000 FCFA (38 €) voire 5000 FCFA pour les remboursements aux membres, présentation de trois devis pour toute dépense, obligation de facture acquittée sur papier à en-tête du fournisseur mentionnant son NIF (numéro d'identification), etc. Autant de règles qui sont logiques sur le principe mais sont en pratique assez surréalistes en

16. Pour être éligibles, les bureaux d'études qui postulent aux appels d'offre doivent avoir une caution bancaire correspondant à la part du budget qu'ils gèrent, qui a un coat élevé et leur pose des problèmes de trésorerie (Jarnpy, op.cit.: 203). L'INSTRUMENTATION DU PASOC 241 milieu rural nigérien (combien de commerçants ont-ils un NIF?) et ont posé de multiples problèmes aux organisations. Une des clauses qui a posé problème aux petites OSC sans trésorerie est la règle du paiement final de 20 % une fois les rapports techniques et financiers validés.

« Quand on exécute un marché, il y a toujours le paiement final à la réception définitive. Sur un bâtiment, il y a la réception provisoire, puis la réception définitive, pour être sûr qu'il n'y a pas de malfaçons. Il y a toujours une retenue de garantie. Même au niveau des consultants ou pour des formations, le paiement final se fait à la fin, une fois le compte-rendu accepté, et toutes les pièces reçues. C'est un mode de gestion avec lequel il faut compter» (cadre de la cellule d'appui à l'ordonnateur du FED).

La subvention à une association pour lui permettre de réaliser ses propres projets est perçue comme un « marché» de prestation de services. Mais les petites associations n'ont pas forcément les ressources néces­ saires pour attendre 3 à 6 mois que le dossier soit soldé pour recevoir le dernier paiement. Plusieurs d'entre elles ont dû emprunter de l'argent pour pouvoir préfinancer les activités. D'autres ont perdu de l'argent.

« On est obligés de verser sur le compte les 20 % nécessaires pour les activités de la fin. Beaucoup d'OSe ont été obligées d'emprunter pour cela. Si le solde ne leur est pas versé, ça va leur poser problème. Si tu empruntes 1 million à un grand commerçant en lui disant "c'est pour 3 semaines", mais que 3 mois après, le PASOe n'a pas payé, ça va te poser des problèmes. Le commerçant, il va croire que tu as bouffé l'argent! » (membre de l'antenne locale d'une Ong nationale, atelier de Maradi, 13 juin 2011).

L'essentiel des efforts de formation et de suivi des OSC bénéficiant d'une subvention a porté sur la comptabilité. Trois jours de formation ont été organisés avant la signature des contrats, formation « exclusivement destinée à vérifier l'appropriation des bases d'une comptabilité de gestion de projet sur fonds extérieurs, et de permettre une compréhension com­ mune des exigences en termes de procédures et règles, d'éligibilité des pièces et de leurs documents de preuves entre les OCR, l'UGP et les OCB» (rapport final, p.12). En pratique, les trois jours de formation à la comptabilité ne suffisent pas à maîtriser ces procédures complexes.

« En dépit du fait que toutes ces OeB ont reçu une formation comp­ table avant de signer leurs contrats de subvention, elles disposent d'un niveau de compétence initiale très bas qui leur fait multiplier les erreurs arithmétiques et les négligences. Beaucoup d'entre elles n'ont pas encore bien assimilé les principes comptables et le rôle des différentes pièces justificatives: devis, pro forma, bons de commande, contrats, bons de livraison, feuilles de présence, etc. ainsi que des états financiers. Or, la vérification de 102 comptabilités représente des milliers de pièces compta­ bles à contrôler» (UGP du PASOe, 2011: 33). 242 AIDE INTERNATIONALE Er socrsrss CIVILES AU NIGER

Une énergie considérable a été dépensée, tant par les OSC que par l'équipe du projet, à revoir les comptabilités, retrouver des pièces justifi­ catives, et boucler des rapports financiers recevables par l'UE. La néces­ sité de trouver des pièces justifiant les dépenses (qu'elles aient été faites sans justificatif, ou avec des justificatifs incomplets) ont poussé les OSC à trouver les pièces comptables nécessaires, quitte à devoir les récupérer ou les faire faire a posteriori, au risque que ces contraintes génèrent ce que Courtin (op.cit.: 129), à partir de son expérience au Cameroun, a appelé « une industrie de la fausse facture », De fait, l'exigence de redevabilité financière ne porte pas sur la pertinence ou la réalité de la dépense, mais seulement sur le fait qu'elle soit conforme aux prévisions, faite en appa­ rence dans les règles et justifiée par une pièce comptable recevable par l' auditeur. D'ailleurs, ce n'est pas à la gestion rigoureuse et transparente d'une association que OSC ont été formées, mais bien à la « comptabilité de gestion de projet sur fonds extérieurs », ce qui est bien autre chose. Comment la dépense a-t-elle été décidée? Est-ce qu'elle était justifiée par rapport à l'action? Est-ce qu'elle a bien eu lieu? Le prix payé était-il correct? Autant de questions qui seraient au premier rang si l'enjeu était un apprentissage de la gestion associative, au service de la gouvernance interne de l'organisation, et non pas seulement le rendu de pièces compta­ bles répondant aux exigences d'éligibilités de l'UE. Dans une organisa­ tion locale, fondée sur l'interconnaissance, où les gens connaissent les prix, où ils voient les dépenses faites, les modes de justifications ne sont pas l'existence de trois devis ou une facture avec en-tête. C'est le fait que les factures correspondent aux prix, que les achats soient faits à plusieurs. Une comptabilité transparente est une comptabilité dans laquelle les membres se retrouvent, même si elle ne suit pas les canons, et qui est suivie et présentée collectivement'". Les exigences comptables de l'UE se traduisent parfois, dans des projets gérés par des Ong expérimentées, par des dépenses non éligibles et des obligations de remboursements, qui peuvent mettre l'organisation en péril. Il n'est dès lors pas surprenant que les subventions du premier appel à propositions aient abouti à beaucoup de dépenses non éligibles.

« Dans le premier devis programme, on a eu beaucoup de dépenses non éligibles. Faire des états financiers précis, c'était difficile pour les petites OSC de Maradi et Zinder. Donc, pour le second, on a ajouté un comptable dans les OCR pour aider les OSC dans la comptabilité. [pour les dépenses non éligibles], on a revu les dépenses, on les a aidées à récu­ pérer les justificatifs, et finalement, ça a été. De concert avec la DCE, après l'audit final, il n'y a plus eu de dépenses non éligibles. De même pour le second devis programme» (cadre de la cellule d'appui à l'ordon­ nateur du FED).

17. Cf. Lavigne Delville (1991: 51-52) pour la description d'une séance de vérifica­ tion de comptes dans un comité de gestion d'un petit périmètre irrigué au Mali. L'INSTRUMENTATION DU PASOC 243

La mise en place du second devis programme a été bloquée plusieurs mois du fait de ces dépenses non éligibles: exiger leur remboursement de la part des ose les aurait ruinées; le bureau d'études refusait de les endosser; rUE ne voulait pas laisser passer. Ajouté à d'autres conflits!", ce blocage a été une des causes du licenciement de la chef de projet. Preuve que les procédures sont aussi une question d'interprétation et de rapports de force, une souplesse a été introduite a posteriori, permettant de sortir du blocage et de signer le second-devis programme. Dès son arrivée, le nouveau chef de projet, qui avait l'expérience de projets UE et maîtrisait parfaitement le manuel de procédures, a en effet réussi à obtenir un accord avec la cellule FED et la Délégation, entérinant le fait que le bureau d'études ne pouvait être tenu pour responsable des dépenses non éligibles des ose, mettant en place une procédure de recouvrement, trou­ vant une façon de passer par pertes et profits les dépenses non éligibles mais non récupérées auprès des ose, et enfin introduisant de la souplesse pour le second AP, avec « prise en compte "souple" des conditions du contexte "de brousse" de la réalisation des actions subventionnées, notam­ ment dans le cas des dépenses inéligibles (DI) liées aux procédures de passation des marchés des projets subventionnés», et « application éven­ tuelle d'un montant maximum de total des DI par projet subventionné, en-dessous duquel les DI ne seraient pas à recouvrer» (UGP du PASOe, 2011: 34). Pour les agents de l'Union européenne, «la bonne gouvernance, c'est le respect des règles. Les procédures, il faut les respecter. Ce sont les règles de l'UE, c'est non négociable. Et donc, si on travaille avec des petites ose, il faut qu'elles les apprennent. Sinon, on laisse se développer des comportements de mauvaise gouvernance» (cadre de la cellule d'appui à l'ordonnateur du FED). Les principes propres de redevabilité mis en place par un bailleur sont considérés comme traduisant des règles universelles. Le problème est que la confusion entre rigueur comptable interne à une organisation et « comptabilité de gestion de projet sur fonds extérieurs» d'une part, et une relation essentiellement bureaucratique et comptable entre ose et dispositif projet, risque d'aboutir à l'effet inverse, d'autant plus que l'accent mis les pièces comptables satisfaisant l'UE va de pair avec un renforcement du rôle de l'écrit (et donc une marginalisa­ tion des membres insuffisamment alphabétisés) et une absence d'appren­ tissage de la transparence interne, qui ont toutes les chances de renforcer le monopole de quelques responsables de l'association sur les comptes. Faute d'identifier cette tension entre redevabilité interne et externe, faute de prendre en compte le problème de la justification des dépenses dans les régions d'intervention, et de réaliser un travail de formulation de procé-

18. Des tensions croissantes ont opposé la chef de projet et son équipe, d'une part, ses interlocuteurs à la DONGAD et à l'Union Européenne d'autre part. Mis en lumière par l'évaluation à mi-parcours en mai 2010, elles ont abouti à son licenciement en septembre et son remplacement début octobre 2010. 244 AIDE INTERNATIONALE sr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER dures adaptées et faisant sens, le PASOC a pour l'essentiel mis l'accent sur l'internalisation par les organisations financées du respect formel de ses propres règles.

Les contradictions des temporalités

« Renforcer les capacités» des OSC, leur permettre de « retrouver leur rôle », contribuer à faire émerger une action publique pluri-acteurs: le développement de compétences et de savoir faire, les évolutions de conceptions et de pratiques au sein des OSC, demandent du temps. Les études successives ont insisté la question de la cohérence entre les objec­ tifs du projet et sa durée. Or, les emboîtements de contrats successifs, d'une part, et l'accumulation des temps de mise en route et de clôture à chaque étape, d'autre part, qui sont inhérents à la logique de sous-traitance généralisée et de mise en concurrence, se cumulent pour réduire à peau de chagrin le temps réellement disponible pour les actions. Loin des huit ans proposés dans l'identification, le PASOC a été dimen­ sionné sur quatre ans par l'étude de faisabilité. Ces quatre ans correspon­ dent en fait à trois ans de travail, car ils intègrent un an entre la signature de la convention de financement avec l'État et la mise en place de l'UGP, le temps de lancer l'appel d'offres, de sélectionner le prestataire, de négo­ cier et signer le contrat. A vrai dire, la convention avec l'État nigérien porte sur six ans (72 mois), mais cette durée intègre en amont les phases de sélection du prestataire, et en aval le temps nécessaire pour auditer les rapports techniques et financiers, récupérer toutes les facteurs, solder tota­ lement la convention. Deux ans de clôture administrative et comptable sont prévus pour solder totalement la convention entre l'État et l'UE d'un point de vue administratif et financier. Un an pour lancer, deux ans pour clore: une convention sur six ans ne laisse en pratique que trois ans d'ac­ tivité réelle du projet, durée qui intègre elle-même le temps de mise en route de l'équipe, et le temps de clôture de l'UGP, qui doit à la fin de son propre contrat avoir soldé toutes les dépenses, licencié tout le personnel, récupéré tous les rapports et tous les justificatifs. Sur ces 36 mois, trois mois étaient prévus par le consortium pour que l'équipe soit recrutée, s'installe, équipe ses bureaux, s'équipe, définisse des outils et procédures de gestion, définisse sa stratégie de travail. Un mois est également prévu pour clore le projet: l'équipe centrale reste là, mais les activités sont suspendues, le temps de récupérer et finaliser tous les rapports techniques et financiers liés aux actions financées, de faire les rapports techniques et financiers finaux, de licencier le personnel projet, de solder le matériel, etc. Il restait donc 32 mois maximum pour les actions prévues en faveur des OSC. Le fait que l'équipe se soit installée avec quatre mois de retard (le 1cr février 2008 au lieu du 1cr octobre 2(07) n'a pas d'incidence sur les dates de fin du projet, et réduit la durée réelle du projet, accroissant même L'INSTRUMENTATION DU PASOC 245 la pression du fait de la règle N+3 qui veut que « tous les engagements financiers soient effectués au plus tard 3 ans après la date de la décision de financement du projet» (dossier d'appel d'offres pour l'assistance tech­ nique au PASOC). Reste donc 28 mois pour les actions au lieu de 32. Pour la composante régionale, ces 28 mois sont organisés en deux « devis-programmes» de 12 et 16 mois, comprenant chacun un appel à propositions pour le financement des projets des OSC. Comme on l'a vu, découper en deux phases évite de devoir programmer trop à l'avance, permet de faire deux cycles de financement, donne la possibilité d'ajuste­ ments entre deux. Mais aucune dépense liée à un devis-programme ne peut être engagée avant sa date de démarrage ou après sa date de fin. Or, la mise en route d'un appel à proposition demande lui-même des étapes de préparation (lancement, information, réception des propositions, sélec­ tion, contractualisation), qui induisent des coûts. De plus, le budget des OCR ayant été inclus dans la composante 2, les moyens ne sont disponi­ bles pour eux qu'au sein des devis-programme. Si la procédure d'appel d'offres pour les recruter peut être anticipée, leur contrat ne peut être signé qu'une fois le devis programme signé. Il faut ensuite que les équipes se mettent en place, leur temps d'installation retardant encore le lancement de l'appel à proposition. Finalement, du fait de ces délais cumulés, sur un devis-programme d'un an, le temps réellement disponible pour les acti­ vités des OSC est de 4 à 5 mois!". Ainsi, le DPI a démarré en retard du fait des délais d'approbation. L'appel à propositions a été lancé mi-avril, 4 mois après, la signature des contrats de subvention aux OSC a eu lieu mi-août, encore 4 mois après. Ne restait plus aux OSC financées que 16 semaines pour réaliser les acti­ vités qu'elles avaient prévues pour 25 semaines. Les OSC ont dû ensuite attendre encore 4 à 5 mois pour recevoir le paiement du solde de 20 %. On a ainsi une sorte de jeu de poupées russes, allant de la convention entre l'État et l'UE au contrat entre l'UGP et une OSe. A chaque niveau, les temps de définition de procédures, de mise en route de la poupée russe suivante, avec en amont son cortège de préparation d'appel d'offres, de sélection des propositions, de contractualisation, d'installation d'équipes, et en aval son cortège de rapports techniques et financiers, de vérification, de validation, de clôture, réduit d'autant le temps disponible pour la poupée en question. D'autant qu'à la durée incontournable inhérente aux procédures s'ajoutent les erreurs et corrections, les temps de négociation, les délais de réaction des uns et des autres, qui allongent d'autant chaque

19.25 semaines prévues dans le rapport d'activités du PASOC, réduites à 20 semaines dans le dossier d'appel à propositions. Notons que ce choix de 20 semaines répond plus à des contraintes de gestion administrative qu'à une obligation liée aux procédures. L'évaluation à mi-parcours souligne ainsi que « ce choix de 20 semaines dans le cadre de l'AP 1 avait été fixé pour que la durée maximale des projets retenus ne dépasse pas la date de fin de mise en œuvre du DPI, afin d'éviter d'éventuels avenants qui auraient été néces­ saires pour prolonger certains projets sous le DP2. Cf. lettre de l'UGP à la CUE réf. 2009_ DP_54, non datée, mais réceptionnée le 9 avril 2009 ,. (Aguilar et Germain, 2010: 22). 246 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Calendrier du 1er devis-programme (18/12/08 au 17/12/09)

-Appel à manifestation d'intérêt pour les OeR: 21 janvier - Réception des offres: 12février - Evaluation des offres: 20 février - Signature du contrat avec les OeR: 26 mars - Lancement de l'appel à propositions: 21 avril. - Tournées d'information dans les deux régions: missions successives OCR et UGP,du 27 avril au 18 mai. - Date limite de remise des dossiers: repoussée au 8 juin 2009, les tour­ nées d'information ayant pris plus de temps que prévu. - Vérificationde la conformité administrative des dossiers: 10 au 19juin. - Sélection des propositions: 20 et 21 juillet à Zinder, 22 et 23 juillet à Maradi. - Formation en comptabilité et gestion des micro-subventions pour les ose sélectionnées: 10 au 13 août à Maradi, 17 au 20 août à Zinder. - Signaturesdes contrats: 14 et 21 août. - Versement de l'avance (40%), démarrage des activités par les ose, rapports mensuels. - Rapport intermédiaire technique et financier pour le versement de la 2"de tranche. - Fin du DP (et des dépenses éligibles, donc des activités des ose sur cette subvention: 17 décembre. - Paiements des dernières tranches: avril et mai 2010, du fait de retard dans le réapprovisionnementdu compte du PASOe par la Délégation de l'Union Européenne.

étape. In fine, la variable d'ajustement de ces multiples dérives de calen­ drier est naturellement la dernière poupée, en l'occurrence les actions proposées par les OSC. Le financement de ces quatre mois d'actions est lui-même coupé en tranches: pour recevoir la seconde tranche de paiement, les OSC doivent faire un rapport d'activités d'étape et un rapport financier. Ne maîtrisant pas les normes de l'Union européenne, ces tâches leur demandent beau­ coup de temps. La vérification des rapports intermédiaires et leur correc­ tion prend un temps considérable, ce qui retarde le versement de la seconde tranche. Si elles n'ont pas les moyens de préfinancer les actions prévues (ce qui est le plus fréquent pour les petites OSC), elles doivent suspendre les actions prévues faute de financement, pour les mettre en œuvre à toute vitesse quand l'argent est là, de façon à pouvoir montrer qu'elles ont rempli leurs engagements. Le rapport final du PASOC décrit clairement l'absur­ dité de ces vérifications en chaine qui enlisent le processus.

«Le dispositif d'appui mis en place par le PASOe veut que ces rapports intermédiairessoient vérifiés par les OeR de Maradi et de Zinder L'INSTRUMENTATION DU PASOC 247

qui peuvent, en cas de besoin, aider/former les OCB à la rédaction et à la préparation de ce type de rapport. Une fois vérifiés par les OCR, celles-ci doivent envoyer les rapports à l'UGP à Niamey qui à son tour procède à une vérification et à une validation avant paiement de la 2e tranche. En principe, la demande de paiement de la 2e tranche accompagnée du rapport intermédiaire aurait dû intervenir approximativement à mi-parcours par rapport aux chronogrammes des projets c'est-à-dire début janvier 2011. Dans la réalité, et compte tenu des nombreuses erreurs ou imprécisions contenues dans les rapports, les OCR et l'UGP ont dû se mobiliser forte­ ment sur la période fin décembre et janvier pour aider les OCB à finaliser leurs rapports. Vue la longueur de la chaîne de validation OCB - > OCR- > UGP, les paiements n'ont pu être réalisés que dans le courant du mois de février» (UGP du PASOC, 2011 : 29-30).

L'ambition affichée de construire de la citoyenneté, en faisant évoluer les rapports entre administration, collectivités locales, associations et citoyens dans le sens d'une gouvernance pluri-acteurs se réduit donc, fina­ lement à financer une série d'activités sur 4 mois, pendant lesquels l'OSe doit elle-même se mettre en ordre de marche, lancer les activités, faire face à des difficultés diverses, faire des rapports intermédiaires pour toucher la seconde tranche de financement, corriger ces rapports, faire les rapports finaux, etc. On aboutit donc à du saupoudrage d'actions ponctuelles, pour lesquelles les ose sont prises dans une sommes de contraintes budgétaires et comptables, contradictoires avec leurs réalités de terrain et avec les pas de temps accordés pour l'action, et où la tâche principale des agents du projet est de faire fonctionner malgré tout la machine à contrôles, au prix d'une accumulation de pièces justificatives.

« La vérification de 102 comptabilités représente des milliers de pièces comptables à contrôler. [...] Ce n'est que grâce au travail acharné et à l'opi­ niâtreté de l'expert chargé du Résultat 1 et du Comptable FED auxquels il faut ajouter les deux comptables engagés par les OCR à partir de début janvier, que tous les rapports des OCB ont pu être validés à temps. [...] Une fois tous les rapports intermédiaires validés, il fallait en principe inté­ grer tous les justificatifs des OSC dans le mémoire de dépense (MDII) du DP2 (en plus des dépenses propres à l'UGP) en un original et trois copies pour la CUE + 1 copie pour l'UGP. L'UGP s'est cependant rapidement retrouvée dans l'impossibilité de réaliser 4 copies d'un mémoire qui comp­ tait pas moins de 25000 pièces. Le coût aurait été prohibitif (3,5 millions FCFA) sans compter le temps à consacrer à cette tâche. Avec l'accord de la Cellule de l'ON et de la DUE, il fut donc décidé que les justificatifs de ce mémoire ne devraient pas comprendre de copie des justificatifs des dépenses des projets subventionnés et que ceux-ci seraient transférés à la DUE pour archivage après audit par le cabinet 2AC et validation par la CUE, en étant considérés comme accompagnant ce mémoire mais n'en faisant pas partie, conformément aux prescriptions ad-hoc du Guide Pratique UE des procédures contractuelles, section 6.4.10.3, 2e para­ graphe» (idem: 30). 248 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉTÉS CIVILESAU NIGER

Simplification de la mise en œuvre et principe de mise en concurrence: un saupoudrage de financements de court terme

Abandon de la logique d'accompagnement dans le « renforcement des capacités»

« Je me souviens que les questions clés étaient de faire en sorte que les activités de renforcement de capacités ne passent pas par des instruments d'appel à proposition. Au Niger l'accent était surtout sur les communautés de base dans deux ou trois régions. On voulait que les activités de renfor­ cement de capacité accompagnent ces acteurs avec un schéma de planifi­ cation. Il y avait toute une partie de diagnostic d'organisations avec une planification des activités, qui accompagnent ces acteurs pour faire des actions concrètes. Mais il faut dire aussi que, au niveau de l'implémenta­ tion, ça n'a pas été évident» (ancien membre de l'équipe E4, à Bruxelles).

Le statut de la composante « renforcement de capacités» dans le projet a fluctué, on l'a vu. Au moment de l'identification, il s'agissait d'appuyer les consortiums locaux financés par l'autre composante, pour qu'ils puis­ sent mettre en œuvre les actions prévues, voire leur permettre d'atteindre les critères de bonne gouvernance leur permettant d'être éligibles. Les organisations fédératives pouvaient également bénéficier d'actions de formation (ce qui permettait de ne pas les exclure totalement des actions du projet, tout en les excluant de l'accès direct aux financements). Dans la faisabilité, les actions de renforcement de capacités visent à apporter dans la durée un accompagnement à un nombre réduit d'organisations sélection­ nées par appel à candidature. Les modalités d'appui aux ose régionales recevant un financement ne sont pas précisées. La convention de finance­ ment réaffirme que les actions de cette composante concernent l'ensemble des ose, mais sans mettre en avant de lien avec les actions financées. Organiser un lien entre action et formation est compliqué lorsque le dispositif n'est pas conçu dans une logique d'accompagnement des ose, le financement venant leur permettre d'apprendre à agir, d'expérimenter, de mettre en pratique. En contradiction avec les discours, les OeR 20 n'avaient ni les capacités, ni les moyens de réaliser cet appui, on l'a vu , et l'équipe de l'UGP pas la disponibilité. Dans le cadre de la composante régionale, différents ateliers de forma­ tion ont été organisés: information sur les procédures, formation comp­ table obligatoire pour les ose sélectionnés, formation au montage de dossier pour les ose dont les dossiers avaient été refusés pour qualité insuffisante. De plus, face aux difficultés des ose à assurer le suivi comp­ table dans les normes exigées, les OeR ont embauché un comptable qui

20. D'autant que les Ong contractantes ont laissé leurs équipes sans leur donner les moyens de fonctionnement prévus. L'INSTRUMENTATION DU PASOC 249 les a aidées dans cette tâche (ces formations ont donc été exclusivement orientées sur la maîtrise des dossiers et des procédures et non pas sur la pertinence et la qualité des actions sur le terrain). Par ailleurs, certaines OSC des régions ont pu bénéficier des ateliers de formation de la compo­ sante nationale: 24 des OSC sélectionnées au premier appel à propositions sur 59 avaient participé à l'un des ateliers sur les Droits humains et la citoyenneté organisés par le PASOC. En ce qui concerne les actions de renforcement de capacités à l'échelle national, l'objectif affiché dans la faisabilité était d'accompagner des organisations sélectionnées par appel à candidature, sur un programme ad hoc défini à partir d'un diagnostic organisationnel. Les chargés de pro­ gramme de l'UE ont cherché à éviter les appels à propositions, qui ne peuvent financer que des actions ponctuelles. Cette mécanique de sélec­ tion d'organisations, de diagnostic institutionnel et d'élaboration conjointe d'un plan de renforcement de capacités, est apparu trop complexe à gérer, et surtout trop sélectif au sens où il interdisait d'appuyer de nombreuses organisations. Il est discuté aussi par certains qui ont observé des diagnos­ tics institutionnels plaqués, sans liens avec un programme d'action financé, sans demande réelle de 1'osc, et donc sans effet.

« [si vous voulez sélectionner des OSC pour de l'appui institutionnel], vous aurez toujours des structures prêtes à répondre à un appel d'offre. On les sélectionne, on fait un plan de renforcement des capacités, avec tout ce qu'il faut comme formations. Ce sera à Niamey, du coup, il n'y aura pas de retombées directes pour les membres de l'organisation. On va beau­ coup les solliciter, mais au finish, on ne peut même pas leur financer 500000 francs pour mettre en pratique ce qu'ils ont appris. Je suis per­ suadé que si on en sélectionne 10, il serait difficile d'avoir au moins 5 structures - 5 c'est déjà bon, c'est la moyenne - en tout cas, d'avoir 3 ou 4 structures qui vont suivre le processus de bout en bout. On y parviendra peut-être en mettant trop de pression sur les gens, en embêtant trop les gens, sans que cela soit vraiment une volonté affichée, un engagement, ou un intérêt de leur part. La SNV a fait un diagnostic organisationnel avec l'ANDDH. [...] Mais le programme minimum qui a été établi n'a pas abouti. Les gens ne trouvaient plus d'intérêt à être dans ce processus, car il n'y avait rien de concret, entre guillemets, qui tombait. Le plan straté­ gique a été élaboré mais les activités, le plan d'action, qui va le financer? Qui va le mettre en œuvre? Vous voyez ... C'est compliqué... » (expert PASOC).

Ce principe a été abandonné par l'équipe de l'UGP au profit d'une logique d'offre de formations, sous fonnes d'ateliers: des thèmes de formation étaient identifiés à partir des demandes des OSC, un programme était établi, des experts recrutés pour organiser et animer ces ateliers. Bon nombre d'observateurs doutent de l'utilité de ce type de formation: parti­ cipation ad hoc sans forcément de lien suffisamment direct avec l'action, faiblesse de la restitution interne par les membres de l'OSC ayant parti- 250 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER cipé à la formation et du partage des savoirs au sein de l'association après la formation, etc.

« Une formation pour la formation, ce n'est pas porteur. Les gens vien­ nent pour vous écouter, ils attendent de voir s'il y a des trucs à émarger, ils vont signer ça. Il n'y a pas de substance, il n'y a pas une matière sur laquelle ils vont appliquer. Une formation doit déboucher sur quelque chose. Quand on te forme en comptabilité, il faut que tu aies quand même 21 des sous pour gérer. Sinon, à quoi ça sert? Bon, on voit les gens à la télé , ça leur fait de la pub, c'est tout. Et puis on mange bien dans la journée. C'est tout ce qui intéresse les gens. C'est vrai, il faut accompagner les gens, pas faire de la formation pour la formation. Tu es sur un dossier précis, là on te donne les outils pour t'améliorer. Mais si tu n'as aucun dossier, et on vient te dire « formation, formation» ... Vous ne donnez rien, vous formez comme ça dans la nature sur des thématiques que le gars n'aura pas l'occasion de croiser sur le terrain. A quoi ça sert ?» (ancien cadre de la DONGAD). «La seule chose qui attire les gens pour le PASOC , la plupart du temps, c'est les rencontres à l'extérieur de Niamey parce que ces rencon­ tres là sont prises en charge et sont payées. Ils doivent avoir 15000 FCA par jour s'ils sont en dehors de Niamey, ils mangent sur place et tout et tout, il n'y a que le diner que vous supportez. Donc ça, ça motive un peu certaines moyennes ou petites organisations qui ont besoin de ressources fraiches pour un peu fonctionner. Mais des grosses structures qui gèrent des centaines de millions, elles ne postulent même pas, ça ne les intéresse pas » (responsable de réseau d'Ong).

Au Niger, la sur-offre d'ateliers et la systématisation du versement de per diem ont en effet fait de la participation aux ateliers et formations une opportunité de réseautage et de petits revenus, indépendamment de tout intérêt pour le sujet. On participe, on discute, parfois de façon très riche, mais sans guère de connexion à ses pratiques. Du fait de la dynamique interne des organisations, la transmission des acquis au sein de l'organisa­ tion est faible. De plus, du fait des inévitables délais entre l'identification des demandes et l'organisation des ateliers, l'intérêt avait pu tomber, ou la personne identifiée dans la demande n'être plus disponible".

« Souvent, c'est le leader de l'association que nous sélectionnons [pour les ateliers de renforcement de capacités] parce que c'est lui qui a proposé

21. Tous les ateliers ou presque sont couverts médiatiquement, dans le cadre du « plan de communication» du projet. 22. Cette composante a de plus été handicapée par de nombreux retards. La planifica­ tion devait être définie dans un « schéma de renforcement de capacités» annuel. En fait, le programme 2008 a été adopté en octobre, la procédure de validation par la cellule DE des CV des experts proposés a entraîné de longs retards, avant que le principe d'une vali­ dation ex ante des CV soit adopté en juillet 2009. soit près d'un an et demi après le démar­ rage du projet. Bien qu'un second schéma ait été préparé en 2010, le PASOC a en fait fonctionné tout le long sur la base du 1er schéma. L'INSTRUMENTATION DU PASOC 251

sa candidature. Mais au moment où la structure est sélectionnée, après deux trois jours, nous recevons un mail: "non il est indisponible, il ne peut pas y participer et il sera remplacé par" ... On pose toujours la question de savoir si la personne qui le remplace a les compétences nécessaires. On nous dit: "oui c'est bon, c'est la bonne personne" Souvent c'est même à l'ouverture qu'on constate qu'il y a un changement de mandat, que ce n'est pas la per­ sonne sélectionnée qui vient, c'est une autre. Cela montre un peu le manque de sérieux de certaines structures. [...] En même temps, je ne peux pas les accuser fortement parce que, par exemple, pour certaines formations les gens se sont inscrits un an, neuf mois ou huit mois auparavant... Avec toute la procédure, les termes de référence, d'identification des experts, ça prend du temps, et nous, la disponibilité on ne la voit pas en fonction du groupe cible, on la voit en fonction de l'expert !» (expert PASOC).

Une offre d'ateliers de formation permet certes à un large nombre de participants de se former, d'échanger, sur des thèmes variés. Elle a l'avan­ tage d'être relativement simple à organiser, d'éviter de se confronter aux dynamiques internes des organisations: en termes d'indicateurs de résul­ tats, il est relativement facile d'avoir X ateliers réalisés, ayant vu la parti­ cipation de Y personnes. Diluée sur un grand nombre de personnes, et donc quasi-impossible à suivre, la question de l'impact sur les pratiques est de fait évacuée. De plus, la multiplication des organisations rend plus complexe, plus arbitraire sans doute aussi, le choix d'un nombre réduit d'organisation à appuyer. Dès lors, la Délégation a choisi de donner l'op­ portunité à un large nombre de personnes de participer aux ateliers et aux échanges qu'ils permettent, en espérant qu'une fraction des individus vont pouvoir s'en saisir, à court ou moyen terme, au service de leur organisa­ tion, ou bien plus tard dans une autre, et au risque d'entretenir la course aux perdiems. Un certain nombre de membres des OSC financées par la composante régionale ont participé à des ateliers, et les ont appréciés, mais ce lien n'était pas automatique.

Les appels à propositions: mise en concurrence, sélection des ose, dérive de cible et abandon de critère qualitatif

Les règles financières de l'Union européenne imposent un principe de mise en concurrence généralisée. Cela vaut pour les achats de matériel, pour le recrutement d'experts, mais aussi pour la sélection des projets à appuyer, des associations à subventionner. Le principe de mise en concur­ rence, selon des procédures strictes et normées, est censé permettre de garantir des choix neutres et objectifs, évitant ainsi les possibles biais du gré à gré (et même de procédures moins normées de décision) en termes de clientélisme, qui alimentent largement les rumeurs sur d'autres dispositifs.

«Je pense qu'il ne faut pas voir les choses en tant seulement que mise en concurrence des structures. On peut aussi voir la chose en termes d'éga- 252 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

lité des chances, pour les structures, d'accéder à un fonds. Même si les procédures sont difficiles. Moi, je préfère cette manière de sélectionner que la logique de cooptation: j'ai rencontré telle structure, j'ai de la sym­ pathie pour elle, je la finance. Surtout que, dans nos contextes, les rela­ tions personnelles établies avec un bailleur sont souvent interprétées comme une certaine licence à faire du n'importe quoi: il a confiance en moi, je fais tout ce que je veux, il va accepter parce que c'est lui qui décide. Mais lorsqu'on est cadré par des procédures, il n'y a pas de place pour les sentiments, il n'y a pas de place pour certaines souplesses fantai­ sistes» (expert PASOC).

Pour les subventions aux OSC, ce principe de mise en concurrence se traduit par des appels à propositions, ce qui induit comme on l'a vu une mécanique complexe: définition des termes de l'appel, diffusion la plus large possible pour éviter les biais d'accès à l'information, préparation des dossiers selon des normes précises par les associations intéressées, méca­ nismes de sélections faisant appel à des acteurs externes sur la base de critères définis, etc. Outre le problème de l'accès à l'information, jamais aussi large que souhaitée, répondre à un appel à propositions suppose une maîtrise des procédures et de l'élaboration de documents projets, qui ne va pas de soi pour les petites associations peu expérimentées. Il ne suffit pas d'être ancré dans un terrain, d'avoir de bonnes intuitions, un engagement. Il faut savoir monter un dossier: avoir accès aux formulaires, savoir présenter son projet selon des normes et des codes qui sont ceux du monde de l'aide, pas ceux des organisations locales. Il faut savoir définir et présenter un budget, selon des normes strictes. Il faut avoir les pièces administratives nécessaires. Les OSC doivent ouvrir un compte en banque spécifique au projet, mobiliser un auto-financement de 5 à 10% du budget demandé (soit 250 à 1000 €), somme non négligeable; elles doivent pouvoir attendre la clôture du projet pour recevoir le versement final de 20 %, ce qui suppose qu'elles puissent préfinancer cette somme. L'égalité des chances devant l'appel à proposition est toute théorique, dès lors que les procédures excluent les organisations qui ne les maîtrisent pas ou ne peuvent faire face aux exigences. Loin des multiples appels à la simplification, la rédaction, très bureaucratique, des appels à proposition est en elle-même un obstacle-', Certains passages, recopiés des procédures standard, n'ont guère de sens dans le contexte. En effet, le texte de l'appel à propositions précise que:

« Sont exclus de l'appel à propositions les organismes "qui n'ont pas rempli leurs obligations relatives au paiement des cotisations de sécurité sociale ou leurs obligations relatives au paiement de leurs impôts selon les dispositions légales du pays où elles sont établies ou celles du pays de

23. Sans les formulaires qui sont en annexes, le dossier du second appel à proposi­ tions du PASOC fait 19 p. L'INSTRUMENTATION DU PASOC 253

l'administration contractante (lorsqu'il ne s'agit pas de la Commission) ou encore celles du pays où l'action doit être mise en œuvre"» (UGP du PASOC, 2010: 9).

D'autres sont formulés de façon complexe, comme ces explications sur la façon dont une organisation non déclarée peut postuler:

« Conformément au Guide pratique des procédures contractuelles du 9" FED (§ 6.2.3.) concernant les critères d'éligibilité, pour les organisa­ tions ne disposant pas encore de reconnaissance juridique, la participation aux procédures d'attribution de contrats de subvention est ouverte "après accord préalable des services de la Commission à toute entité n'ayant pas la personnalité juridique selon la loi nationale qui lui est applicable dès lors que les personnes représentant cette entité aient la capacité de prendre des décisions en son nom et en assument la responsabilité financière" ; ces organisations "informelles" seront encouragées à déposer un récépissé de demande de reconnaissance à la commune. Ce récépissé, signé par la commune attestant ce dépôt, sera joint à la demande de subvention. En l'absence de récépissé récent (de moins de deux ans), l'organisation devra disposer d'un document délivré et signé par la commune attestant qu'elle réalise des activités opérationnelles. Cette attestation sera jointe au dossier de demande de subvention. Dans ce cas de figure, l'attestation devra renseigner sur au moins les noms de deux représentants de l'association pouvant agir en son nom (ouverture du compte spécifique, signature du contrat etc.). Un exemple d'attestation est fourni en annexe du Modèle Al de formulaire de demande» (UGP du PASOC, 2010).

Le thème des droits humains et de la citoyenneté ne va pas de soi pour les organisations locales. La formulation de l'appel à proposition est un peu complexe, guère évident à traduire en actions pour des organisations de base ou des petites Ong habituées aux thèmes standard de l'aide. De nombreuses propositions ont été inéligibles faute d'avoir su se couler dans le cadre proposé.

«Les droits humains et la citoyenneté dont la promotion est l'objet du présent appel à propositions se déclinent comme suit: -Les droits humains comprennent l'ensemble des droits pouvant permettre l'amélioration de la vie des populations à travers la diffusion et la prise de conscience de ces droits fondamentaux; -Quant à la citoyenneté, elle représente l'ensemble des droits et devoirs civiques (libertés/responsabilités) du "vivre ensemble": promotion de l'in­ térêt général, respect mutuel, actions de promotion de la cohésion sociale, implication et meilleure connaissance de la population dans la vie publique et dans la défense des intérêts de tous et de chacun, connaissance et diffu­ sion des droits et devoirs de citoyens libres et responsables» (idem: 10).

Incertitudes sur la thématique de l'appel, difficultés à en comprendre les termes, inexpérience de la gestion de financements et des mécaniques 254 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER de l'appel à propositions: la logique de mise en concurrence et les procé­ dures d'appel à propositions constituent des barrières d'accès pour les petites organisations «de base» qui doivent tenter de faire valoir leurs idées dans un cadre bureaucratique et qui, pour certaines, étaient de plus incitées par l'appel à projets à sortir de leurs champs d'expérience habi­ tuels (la santé, le maraichage) pour intégrer des enjeux nouveaux et mal cernés. Il y a plus de 20 ans, Pierre-Joseph Laurent (1993) avait déjà montré combien, à la Fédération Wend-Yanau Burkina Faso qui gérait pourtant à cette époque plusieurs dizaines de millions de FCFA de budget, «la pénible phase de rédaction du dossier de projet» était « vécue par les villageois, comme un véritable parcours du combattant », Dépité par l'échec d'un énorme effort pour monter un projet triennal conforme aux exigences des bailleurs de fonds, le responsable de la fédération témoi­ gnait de sa frustration:

«Les bailleurs doivent laisser les associations paysannes avec les problèmes de dossiers. Si nous savions écrire des projets, nous ne serions pas paysans. Ils savent que je suis analphabète. [...] Le système de la coopération ne marche pas. Les bailleurs ne peuvent pas nous suivre. [...] C'est comme s'ils avaient mis une cale sur mon vélo »,

La Fédération en était réduite à payer des cadres pour rédiger leurs dossiers, avec un dilemme entre deux solutions: les agents des services techniques locaux, peu coûteux mais produisant des dossiers de faible qualité aux yeux des bailleurs de fonds, et les consultants nationaux ou les cadres des Ong qui, mieux informés, maîtrisant le « langage-développe­ ment» (Olivier de Sardan, 1995b: 165ss), se montrent plus efficaces mais sont plus coûteux. Rendant impossible le dialogue direct, la bureaucratisation des procé­ dures de financement rend impossible pour une organisation locale de démontrer son engagement ou sa motivation, d'expliquer le sens de son projet. Elle empêche en même temps les décideurs de se fonder sur des critères autres que bureaucratiques dans la sélection des organisations à financer. L'éligibilité des demandeurs repose sur des critères exclusive­ ment administratifs (récépissé, attestation de la mairie, etc.), excluant dès lors automatiquement tout critère qualitatif quant à la réalité de l'associa­ tion, ou son « orientation à la responsabilité sociale» que l'étude de faisa­ bilité mettait pourtant en avant comme un critère essentiel pour trier le bon grain de l'ivraie dans les OSC, ce qui aboutit à privilégier celles qui maîtrisent le mieux le langage développement. De fait, les instruments et leurs modalités de mise en œuvre ont induit un glissement de cible, contre lequel les consultants avaient mis en garde: des organisations ont été créées à l'occasion de l'appel à propositions; les OSC bénéficiaires sont pour une part importante des Ong de fonction­ naires basés dans la région; une partie d'entre elles ont dû recourir, de L'INSTRUMENTATION DU PAsoe 255 façon onéreuse, aux services de fonctionnaires locaux pour rédiger leur projet. Ceci n'a pas empêché un fort taux d'échec aux appels à propositions, Pour le premier appel, 239 dossiers ont été présentés. et 59 sélectionnés, soit un peu moins d'un quart en tous, Un tiers des dossiers n'ont pas passé la vérification de conformité (des pièces manquantes ou non valables), près de la moitié des dossiers ont été éliminés comme émanant d'organi­ sations non éligibles. L'analyse de la qualité technique et financière de la proposition n'a éliminé que 20% des dossiers, en partie parce qu'il fallait que le montant engagé corresponde au volume financier disponible. De tels taux d'échec traduisent à la fois un manque d'information, la com­ plexité des procédures, le décalage entre public visé et public atteint, le manque de savoir-faire des ose pour entrer dans les moules proposés et « ficeler» de beaux projet sur le papier, et enfin les tentatives de certaines de proposer les actions qu'elles considéraient comme pertinentes même si elles étaient en marge de l'appel, etc.".

Entre objectifs stratégiques et pratiques du projet: instrumentation et internalisation des contradictions

Ciblage sur de petites ose inexpérimentées, complexité de la procé­ dure d'appel à propositions, hyperprocéduralité et transfert des risques sur les ose, sous-dimensionnement des équipes, contradictions des tempora­ lités: tous ces éléments convergent pour faire de l'appui à la société civile tel que pratiqué dans la composante régionale du PASOe un dispositif finançant des ose basées dans les régions et capables d'entrer dans ce moule bureaucratique. Sauf à supposer que les petites organisations régio­ nales seraient par nature plus vertueuses que celles de la capitale, un tel dispositif ne garantit pas « l'orientation à la responsabilité sociale» des organisations sélectionnées, mise en avant comme critère essentiel par l'étude de faisabilité, pas plus que la pertinence et la qualité des actions proposées. Il met au contraire l'accent sur le respect de normes formelles, complexes pour de telles organisations, en partie inadaptées voire surréa­ listes, orientées vers la redevabilité envers le financeur et non vers la rede­ vabilité interne à l'organisation. HIes soumet à des contraintes formelles de rédaction de projet, évinçant une part importante des ose initialement ciblées, ou les obligeant à passer par les services rémunérés de fonction­ naires et de consultants au risque de perdre leur vision propre. Il les

24. Les ose dont le dossier était conforme administrativement mais insuffisant ont bénéficié d'une formation pour leur permettre de postuler au second AP avec un dossier amélioré. Le taux de réussite a été de 31 %, pour un nombre beaucoup plus grand de dossiers. 256 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER soumet à de fortes contraintes de temps et de procédures, qui les obligent à raccourcir le calendrier prévu (déjà très limité pour prétendre avoir un impact), à consacrer un temps énorme au suivi comptable et budgétaire et à trouver des pièces présentables.

«Dans un programme comme le PASOC, les procédures sont très compliquées. Le travail qui est prévu dans l'offre technique, c'est assez titanesque et souvent on a l'impression que la motivation, ce ne sont pas les résultats auxquels vous devez aboutir, mais plutôt la réalisation des objectifs financiers. Un programme n'aura pas réussi s'il n'a pas utilisé les Il jours prévus, s'il y a 30% de la consommation du budget. Quelle que soit la qualité des résultats, il aura échoué! Mais lorsqu'un programme est à 90% de décaissement, c'est vraiment la réussite! On se pose très peu la question de savoir ce que cela a apporté concrètement aux structures» (expert PASOC)

Dans son analyse de l'IBRFP, David Mosse met l'accent sur les dis­ jonctions entre «policy» et «practices ». Citant Quarles van Ufford (1988), il considère que « the work of organisations is more immediately shaped by their own "system goals" - those of organisational maintenance and survival - than by the formal policy goals» (Mosse, 2005: 103): « as a program develops a set of workable interventions, the logic of planning inevitably becomes from solutions to problems» (idem: 110); «The project organisation's system and procedures, and its pressure to meet targets and disburse underspent budgets, also influenced the programme choices [...] There was a systematic preference for farniliar and conven­ tional programmes over complex or risky initiatives» (idem: 116), ce qui a induit un « shift from a system that was open and interactive to one that was relatively closed and controllable » (idem: 117). Pour lui, les logiques propres des organisations impliquées dans la mise en œuvre des projets s'imposent et renvoient au second plan leurs objectifs politiques, en particulier lorsque ces derniers supposeraient flexi­ bilité, innovation, prise de risque. La mise en œuvre du PASOC confirme cette analyse. Régulièrement, les consultants et certains membres de la Délégation ont souligné qu'il s'agissait d'innover, d'éviter de susciter de l'opportunisme. Ils ont insisté sur la durée, la nécessité d'agir dans une logique d'accompagnement, de coupler la formation à l'action. Ils ont posé le problème de l'inadaptation des procédures de l'UE par rapport aux organisations ciblées. Mais l'opérationnalisation du projet a amené à le simplifier au risque de vider de son sens l'ambition de peser sur la gouver­ nance des organisations. Les logiques financières du bureau d'études ont induit une internalisation des procédures, voire leur durcissement. Les enjeux de timing ont abouti à réduire la durée des financements octroyés au détriment du sens. Bien sûr, cela ne s'est pas fait de façon mécanique. Les acteurs chargés de la mise en œuvre du projet n'appliquent pas mécaniquement les consi­ gnes. Une analyse centrée sur la mise en œuvre du PASOC aurait détaillé L'INSTRUMENTATION DU PASOC 257 les jeux d'acteurs complexes, les tensions internes, les tentatives de jeu avec les procédures, les négociations, pour tenter de réaliser tant bien que mal les activités prévues, pour tenter de relier logiques locales, logique projet et objectifs du projet. Mais mon objet n'est pas un bilan de l'action du PASOC. En choisissant de porter le regard en amont de la mise en œuvre, mon but n'est pas de négliger ces jeux d'acteurs complexes qui se déroulent lors de cette phase, et la façon dont ils influent, dans un sens ou un autre, sur le cadre opérationnel et institutionnel au sein duquel ils agis­ sent, sur le choix des activités menées et la façon de les mettre en œuvre, et sur les résultats du projet. Cette dimension de réappropriation et réinter­ prétation des politiques par les acteurs chargés de la mise en œuvre est largement mise en évidence, tant par la socio-anthropologie du dévelop­ pement que par l'analyse des politiques publiques. L'objectif de ce chapitre était d'interroger les logiques de la mise en instruments d'un projet, et ainsi d'approfondir la question des disjonctions entre politiques et pratiques, en ouvrant la boîte noire de l'instrumentation. David Mosse, on l'a vu, considère ensemble «modèles de politiques» et «conception de projet », L'analyse de l'élaboration du PASOC montre que ces deux dimensions se recoupent largement et qu'elles se superpo­ sent en partie dans les étapes de la conception du projet. Mais elle montre aussi qu'elles renvoient à des types de processus différents, qui ont une importance qui s'inverse dans le temps et qui ne mobilisent pas tout à fait les mêmes acteurs. Elle montre que les disjonctions se construisent d'abord au sein même du «modèle du politique» qui, malgré les efforts de rationalisation et de mise en cohérence, est à des degrés divers ambigu, flou, contradictoire, parce qu'il résulte de la superposition de visions opposées et de problématisations successives dont les contradictions ne sont que partiellement arbitrées, et aussi, peut-on penser, parce que le flou contribue à construire un consensus apparent sur les finalités du projet:

« S'il fallait que tous les acteurs s'accordent sans ambigüité sur la défi­ nition de ce qu'il faut faire, alors la probabilité de réalisation serait très faible, car le réel demeure longtemps polymorphe [...J. C'est seulement en fin de parcours et localement que l'essence viendra au projet » (Latour, 1992: 47).

Mais c'est surtout avec l'instrumentation, qui fait partie intégrante de la conception du projet (puisque les grands choix sont stabilisés dans la convention de financement) mais qui se poursuit aux débuts de la mise en œuvre du projet et, dans des moindres mesures, tout au long de son histoire, que ces contradictions s'accentuent, puisque la gamme des instruments disponibles, le choix des instruments et de leurs modalités de mise en œuvre, imposent leurs propres contraintes, leurs propres logiques, parfois en cohérence, souvent en contradiction avec les options de politique.

«Les instruments à l'œuvre ne sont pas des dispositifs neutres, ils produisent des effets spécifiques indépendamment des objectifs poursuivis 258 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILESAU NIGER

et qui structurent, selon leur logique propre, l'action publique» (Las­ coumes et Le Galès, 2005: 29).

Mosse souligne à juste titre que les équipes projets ont leurs logiques institutionnelles et que, une fois la mise en œuvre commencée, celle-ci tend à l'emporter sur la politique. Mais ces équipes agissent dans un cadre contractuel et financier défini, qui dépend à la fois du bailleur de fond et de ses propres règles administratives et financières, et du caractère plus ou moins ouvert du projet. Les choix de mise en œuvre, le type de dispositif, l'organisation interne des actions, les règles budgétaires et comptables qui s'appliquent, les instruments disponibles, font partie de la conception du projet, et ont leurs effets propres. Le fait que, à cette époque, l'appel à propositions ait été le seul instrument disponible ou presque pour des subventions, et que ses règles aient été conçues pour d'autres types d'or­ ganisations, induit de façon quasi-mécanique une logique bureaucratique de formulation des projets des OSC et de sélection. Les assouplissements dont la nécessité a été mise en avant peuvent difficilement être mis au point dans le cadre d'un projet, parce qu'ils supposent un investissement conceptuel et méthodologique pour imaginer des modalités alternatives, une capacité à les négocier et les faire accepter par le bailleur de fonds, alors même qu'elles peuvent paraître risquées pour le bureau d'études en cas de contestation par un futur auditeur, qu'il y a une pression à mettre en œuvre les actions prévues et que, de plus, le dispositif organisationnel (les ressources humaines, leur charge de travail) rend de toutes façons peu réaliste une démarche plus qualitative d'accompagnement des OSC dans la préparation de leur projet. Dès lors, l'application mécanique des instru­ ments n'est pas obligée", mais la probabilité de négociation d'espaces de jeu se réduit. Bureaucratisation de la mise en œuvre, sous-dimension­ nement des équipes et logique de sous-traitance généralisée, appels à propositions sans adaptation des procédures se conjuguent et se renforcent mutuellement. De ce point de vue, l'instrumentation du PASOC a « internalisé les contradictions» (Lister et Nyamugasira, 2(03). Les arbitrages politiques avaient réduit les ambitions des Accords de Cotonou en occultant la dimension de « dialogue politique» au profit des seules organisations de base, avec des interrogations sur l'effet structurant de ce choix. Par étapes successives, l'instrumentation a aggravé les contradictions entre le choix du type d'organisation visées et les instruments disponibles, entre volonté de renforcer et saupoudrage, entre méfiance vis-à-vis de l'opportunisme et procédures de sélection bureaucratique éliminant tout critère qualitatif « d'orientation à la responsabilisation sociale ». Dès lors que le cadre d'action des équipes est défini par les dispositifs organisationnels, les budgets, les instruments financiers, il est logique que, face à des ambitions

25. On reviendra au chapitre 6 sur la question de l'interprétation des procédures et les espaces de jeu. L'INSTRUMENTATION DU PASOC 259 démesurées en termes d'objectifs généraux et d'actions prévues, d'une part, et à des modalités de pilotage qui mettent l'accent sur la mise en œuvre des activités prévues et le décaissement, d'autre part, la mécanique de la mise en œuvre s'autonomise par rapport à la finalité affichée. Le « project design» et les logiques de la mise en œuvre l'emportent. Les règles du PAsoe diffusent finalement une conception de l'action de développement où ce qui compte est le formalisme, des documents projets bien « ficelés», des rapports techniques et financiers recevables par le financeur. Où le sens de l'action et son impact pour les populations ne sont pas la priorité et sont finalement la variable d'ajustement. Où l'es­ sentiel est de savoir présenter des rapports propres où rien ne dépasse, quelque soit finalement leur lien avec la réalité des pratiques. Bref, une conception de l'action de développement qui reproduit les travers de l'aide par projet, alors même que toute la réflexion initiale du PAsoe avait mis en avant une critique forte des organisations opportunistes et des bureaux d'études déguisés, et l'inadaptation des pratiques de l'aide aux ose. Cela ne veut évidemment pas dire que les ose financées n'ont rien fait, ou n'ont pas tiré parti de ce financement. Le PAsoe 1 a financé des actions variées, certaines très originales dans leur thème (la sécurité routière, la récupération d'enfants« vendus », l'accès à l'État-civil, com­ portement des enfants en milieu scolaire) ou dans leur méthodes (théâtre, etc.). Mais ce que les participants à l'atelier de capitalisation ont large­ ment mis en avant comme motif de satisfaction, c'est le fait de savoir désormais «ficeler un projet ». Ficeler un projet, c'est monter un dossier « qui passe ». C'est savoir faire des comptes-rendus d'activités et finan­ ciers « qui passent ». De telles compétences sont une ressource importante pour des ose cherchant des financements, qu'elles fassent un travail de terrain remar­ quable ou qu'elles soient dans une logique de rente. Mais du fait de la faiblesse de l'accompagnement sur le fond, et d'insistance sur le respect formel de règles comptables exigeantes, on peut craindre que les appren­ tissages aient plus porté sur le « ficelage de projets» que sur les façons pertinentes de promouvoir la citoyenneté dans les contextes locaux. D'autant que l'absence de suivi de proximité a induit un rapport finale­ ment très bureaucratique entre le projet et les ose, fondé pour l'essentiel sur les rapports, avec la difficulté à évaluer la réalité des actions sur la seule base des rapports.

« Oui, il y a eu une carence de suivi. Il n'y a pas la possibilité, du fait du manque de ressources humaines, et en plus, les OCR n'ont pas été encouragés à le faire, ni par le chef de composante, ni par le chef de projet. Parfois, on peut même se demander si les activités ont réellement eu lieu. Les gens sont tellement forts pour faire des beaux rapports... » (expert PASOC).

La volonté de toucher des ose de base, plus « pures» moins opportu­ nistes, n'a été que partiellement remplie, du fait de la dérive sur la cible 260 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

évoquée ci-dessus. En témoigne le fait que la culture du per diem était bien intégrée": considérant qu'il était injuste que les participants résidant à Maradi n'aient pas de perdiem, et sachant que les règles de rUE interdi­ saient toute négociation sur ce principe, certains participants à l'atelier final de capitalisation ont organisé une collecte volontaire en faveur des participants résidants à Maradi « pour que chacun puisse avoir quelque chose »...

26. Sur les effets pervers de la culture du per diem, largement suscitée par l'aide internationale, cf. Berche, 1996; Ridde, 2010. 6

Temps des projets, temps des politiques Sentiers de dépendance et apprentissages

« Oui, il y a eu des choses qui sont ailées dans le sens souhaité. Mais il y a eu aussi tout une part des programmes qui sont restés dans des démar­ ches traditionnelles et qui n'ont pas fait le pas qu'il aurait fallu. Après avoir travaillé pendant deux ans ou presque dans cette étude de capitalisa­ tion, à la limite, on a été déçus. Tout ce chemin nous a montré que les choses prennent du temps, il n'y a rien à faire» (ancien membre de l'équipe E4, à Bruxelles) «Cotonou, c'était une ouverture. A l'époque, c'était déjà très ambi­ tieux, on ne pouvait pas faire plus. Avec la Communication sur la société civile de 2012, on entre vraiment dans une nouvelle phase, qui est pour moi l'aboutissement de tout ce processus. Pour la première fois, on est globalement contents de la direction en termes de politique et de mise en œuvre» (consultant privilégié de 1'DE sur le dossier société civile, Bruxelles).

Consacrés à la genèse du PASOC Niger, les deux chapitres précédents ont porté sur la période 2001-2008, entre la signature des Accords de Cotonou et les débuts de la mise en œuvre du PASOC. Ils ont ouvert la boîte noire des processus d'élaboration des projets de développement, et montré comment se construit un projet, entre principes généraux, cadrages successifs, controverses, arbitrages, instruments. Loin de l'image de pro­ cessus rationnels, logiques, mécaniques, et malgré les efforts de mise en cohérence, nous avons vu qu'un projet résulte d'intérêts et de visions mul­ tiples, d'arbitrages incomplets, de compromis pas toujours cohérents entre visions stratégiques, entre objectifs et instruments, et intemalise ainsi des ambigüités, des contradictions. Lire les processus à partir de leur indéter­ mination initiale permet d'éviter le biais rétrospectif, et montre que la technicisation des conceptions, la bureaucratisation des dispositifs, ne découlent pas mécaniquement de pratiques d'agents de développement prisonniers d'une culture bureaucratique. Une partie d'entre eux partici­ pent certes d'une culture professionnelle bureaucratique, façonnée par les règles du jeu de l'institution à laquelle ils appartiennent. Mais la technici­ sation des conceptions de l'intervention de développement et la bureau­ cratisation des dispositifs se construisent progressivement dans des ten- 262 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

sions entre visions politiques différentes, entre objectifs stratégiques et contraintes de mise en œuvre, elles-mêmes soumises à interprétations. «Ali projects are problem-ridden. The only valid distinction appears to be between those that are more or less successful in overcoming their troubles and those that are not» (Hirschman, 1967: 3). Pour une part, ces problèmes et ces conflits résultent de ces ambigüités et contradictions, auxquelles les équipes chargées de la mise en œuvre se retrouvent confrontés lorsqu'elles doivent mettre en œuvre le projet pour lequel elles ont été recrutées et qu'elles seront évaluées sur leur capacité à réaliser les . actions prévues. Les équipes devront composer avec ces ambigüités et contradictions, tenter d'en résoudre certaines en redéfinissant explicite­ ment ou en pratique le projet, en jouant sur les procédures. Parfois, elles en seront prisonnières, et passeront une partie importante de leur temps à faire avec, à essayer de dépasser de multiples tensions et conflits qui en sont la conséquence. La mise en œuvre du PASOC 1 n'échappe pas à la règle. Dépassant l'étude de cas de la genèse du PASOC, ce chapitre souhaite poursuivre, dans un perspective de temps plus large, l'analyse des liens croisés entre projets et politiques, entre réflexions stratégiques et politi­ ques sur la société civile au niveau de l'Union européenne, et traduction! réinterprétation dans les stratégies de la Délégation de l'UE au Niger. Le temps des projets n'est en effet pas celui des politiques. Les premiers se structurent sur un rythme de trois ans, scandés par des études de faisabilité et des évaluations,. Ils s'inspirent des projets précédents, ils puisent dans des répertoires d'action et de procédures plus ou moins stabilisés. Ils sont aussi réorientés, de façon plus ou moins drastique, selon l'interprétation' que les acteurs en position de décision font du projet précédent et des leçons qu'il faut en tirer, en fonction de leurs priorités et contraintes du moment. Les politiques évoluent à un rythme différent, parfois plus court, souvent plus long. Le PASOC Niger fait partie de la première génération de projets UE orientés vers les organisations de la société civile. Au Niger même, un PASOC II lui a succédé à partir de fin 2011 et est encore en cours fin 2014. L'Union européenne a engagé depuis 2008 une série de réflexions, d'études, de débats sur ses rapports avec les sociétés civiles dans les pays avec lesquels elle collabore, le « dialogue structuré ». Celui-ci a débouché sur une nouvelle Communication précisant la politique de l'UE vis-à-vis de la société civile, de nouveaux instruments. Au Niger, la réflexion a débuté sur un futur PASOC III. Dans de nouveaux jeux d'échelles, la poli­ tique de l'UE et celle de la Délégation de Niamey évoluent. Ces trois dynamiques (celles de la DUE au Niger, des projets UE d'appui aux OSC, des Accords de Cotonou et des politiques d'aide) ont leur propre temporalité, qui prolonge une histoire engagée avec les politi­ ques de contournement des États des années 1990 et la négociation des

1. Sur l'importance des interprétations sur le devenir des projets, cf. Mosse, ZOO5. TEMPSDES PROJETS,TEMPSDES POLITIQUES 263

Accords de Cotonou. Analyser dans le détail ces développements récents supposerait une recherche spécifique. Je ne ferai que les aborder. Mais il me semble important, à un double titre, de ne pas clore ce travail sur le PASOC 1et de changer de focale au profit de temporalités plus larges. D'abord, l'histoire n'est pas finie, le pas de temps des politiques ne se réduit pas au phasage des projets et des tranches de financement. La poli­ tique européenne vis-à-vis des sociétés civiles des pays tiers continue à être contestée, négociée, reformulée. Le temps du changement dans les politiques est plus souvent de l'ordre d'une ou deux décennies que des trois ans d'un projet. Ensuite, éclairer les suites du PASOC 1 permet de s'interroger sur la question des sentiers de dépendance et des apprentis­ sages dans les politiques d'aide. Les analyses sur le changement dans les politiques publiques mettent en effet l'accent sur la permanence et l'inertie: une politique stabilise à la fois une lecture des réalités et les réseaux d'acteurs qui les portent. Elle suscite des routines, mobilise ou crée des institutions qui ont leurs propres logiques de reproduction institutionnelle et tendent à reproduire l'existant. Elle repose sur des instruments qui ont leur propre dynamique et leur propre inertie. Pour toutes ces raisons, la continuité l'emporte souvent sur le changement, quelles que soient par ailleurs les résultats de la politique. Le changement est le plus souvent incrémentai. Pour autant, la confronta­ tion au réel interroge les présupposés, met en lumière des contradictions ou des effets non intentionnels. Elle questionne des façons de faire ou des façons de voir. Elle donne des ressources à ceux qui les contestaient mais n'avaient pas réussi à faire valoir leur point de vue. Elle peut amener à faire évoluer les façons de poser les problèmes ou les stratégies de mise en œuvre. En contre-point des logiques d'inertie, des sentiers de dépendance, des héritages politiques (« policy legacies »), la notion d'apprentissage met en avant les adaptations, les transformations, les «changements relative­ ment durables qui résultent de l'expérience» (Heclo, 1974: 306, cité par de Maillard, 2004: 60), apprentissages qui trouvent leur source dans l' évo­ lution de la connaissance et se concrétisent dans des changements de prati­ ques. Ce chapitre s'interroge sur les apprentissages permis par le PASOC 1 et leur traduction dans la politique de la Délégation de l'UE à Niamey.

Du PASOC 1 au PASOC II: changements institutionnels, continuité d'instruments

Des choix de conception questionnés

Deux ans après le démarrage du projet, l'évaluation à mi-parcours se déroule dans un climat tendu. Le PASOC se confronte à l'opposition d'une partie des OSC, le Ministère de l'intérieur n'accepte pas d'être 264 AIDE INTERNATIONALEEr socrérss OVILES AU NIGER marginalisé. Les rapports rendus par les OSC financées par le premier appel à propositions posent de nombreux problèmes de justificatifs, qui bloquent la mise en place du second devis programme. Craignant d'être instrumentalisée, la chef de projet a une attitude défensive, les tensions sont nombreuses dans l'équipe, et avec la Délégation. Les consultants ont du mal à avoir accès aux informations. Dans leur rapport, les consultants valorisent le fait que des OSC régio­ nales, ayant rarement accès aux financements, aient pu être financées et qu'elles aient appris en termes technique et comptable. Mais ils mettent en question un certain nombre de choix de conception, en particulier la marginalisation des organisations faîtières et le fait que les OCB soient les demandeurs des projets et non plus les bénéficiaires d'un appui collectif, ce qui «a affaibli la dynamique envisagée initialement par le projet» (Aguilar et Germain, 2010: 22). Ils regrettent:

« Le glissement qui s'effectue entre le rapport d'identification du pro­ gramme, qui envisageait "la mise en œuvre d'actions d'éducation à la vie citoyenne, à la bonne gouvernance, aux droits humains [...] en direction des organisations de base et/ou unions d'organisations de base", par l'in­ tennédiaire de "promoteurs-demandeurs" émanant des ANE et la Conven­ tion de financement, qui considère non plus les OCB comme bénéficiaires principaux d'appuis de la part d'autres ANE en matière de droits humains et de citoyenneté, mais comme acteurs eux-mêmes de sensibilisation des populations en ces matières» (idem: 19).

La durée des financements accordés aux organisations de base est trop courte pour espérer un impact.

« Ces délais de mise en œuvre favorisent essentiellement des actions limitées de sensibilisation et promotion des droits humains et de la citoyen­ neté, mais rarement des activités d'application pratique en ces domaines, ce qui, tenant compte de la situation des populations bénéficiaires, semble assez théorique et, surtout, peut engendrer des frustrations» (idem: 23).

Pour eux, le PASOC dispose d'une «équipe limitée au strict mini­ mum» et «n'a pas prévu les ressources humaines nécessaires pour un accompagnement de "proximité" et "dans la durée" aux bénéficiaires des AP et aux participants aux activités de renforcements des capacités », « Les ressources humaines des OCR (2 personnes par OCR) ne permettent pas non plus de mettre en place un accompagnement plus qualitatif et personnalisé des OCB bénéficiaires des appels à propositions avec les seules ressources des OCR» (idem: 44 et 55), d'autant moins que la gestion du projet est très centralisée, ne laissant guère d'autonomie aux Ong chargées de suivre les OCB. Bref:

«La mise en œuvre du PASOC est essentiellement axée sur une logique "d'exécution d'activités", plus que sur une "approche stratégique". TEMPS DES PROJETS, TEMPS DES POUTIQUES 265

La préoccupation de l'UGP est actuellement nettement plus orientée vers l'exécution et la gestion d'activités ponctuelles, que vers la prise en compte des effets qualitatifs et de la valeur ajoutée que l'ensemble des actions menées par le PASaC pourraient apporter» (idem: 55).

Les consultants posent ainsi un regard sévère sur la bureaucratisation du projet et critiquent les glissements successifs par rapport aux proposi­ tions de l'étude d'identification, avec laquelle ils se sentent manifestement plus en phase. Mais leur rapport n'a pas entraîné de redéfinition de la stra­ tégie: la machine est lancée, réorganiser le dispositif supposerait un temps d'arrêt incompatible avec les calendriers et les objectifs quantitatifs. Le principal effet de ce rapport aura été de pointer les tensions entre les acteurs du projet (UGP, UE, DONGAD, OSe) et le blocage sur les rendus comptables du premier devis programme, et d'indirectement légitimer le licenciement de la chef de projet, ce qui a permis débloquer la situation, de rétablir le dialogue, d'ouvrir les activités aux réseaux d'OSe qui ont dans cette seconde partie du projet bénéficié d'ateliers de planification stratégiques financés par la composante« renforcement de capacités». Un an et demi plus tard, le rapport final du PASOe 1, rédigé par le second chef de projet, insistera lui aussi fortement sur les impasses de l'appel à propositions tel qu'il a été mis en place. Il confirme aussi la critique de la conception du « renforcement de capacités» par succession d'ateliers de formation.

«Le principal problème des aCB est celui de l'extrême dépendance des communautés envers la frange alphabétisée ou lettrée de la population, constituée essentiellement de fonctionnaires. [...] Il faut même reconnaître qu'un grand nombre d'Oï.B n'ont tout simplement pas la capacité de gérer une subvention sans un appui permanent et progressif en matière de renforcement des capacités. L'AAP ne doit pas être considéré comme une fin en soi mais comme un outil de renforcement des capacités. Les aCB qui mettent en œuvre des microprojets doivent être accompagnées de façon soutenue et durable par un programme d'accompagnement et de formation correspondant à leurs besoins. [...] Les aCR n'ont pas forcé­ ment les moyens, la motivation et des compétences suffisantes pour mettre en œuvre de façon efficace un programme d'accompagnement des aCB non seulement dans la gestion de leurs subventions mais également dans le renforcement de leurs capacités. Il faudrait peut-être explorer la possibi­ lité de mettre sur pied un partenariat avec une ou plusieurs aNGI présentes sur le terrain depuis longtemps et dont l'expertise est reconnue» (UGP du PASaC, 2011: 122). « Il n'est pas recommandé d'organiser des formations courtes et ponc­ tuelIes avec des experts court terme qui remettent des rapports qui sont rarement exploités, formations à partir desquelIes il est difficile de mesurer l'impact en termes de progrès. Il est par contre souhaitable de privilégier la programmation dans le temps de séries de modules de formation et le suivi des restitutions et des applications qui en sont faites in situ auprès des aNG/AD et des populations cibles qu'elles sont censés appuyer. Cette 266 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

méthode revient à accompagner "sur le tas" les ONG/AD dans la mise en pratique des formations qu'elles ont suivies et, dans le cadre d'un processus participatif et itératif, d'améliorer progressivement les outils de renforcement des capacités» (idem: 124).

Evaluation à mi-parcours et rapport final réaffirment ainsi, à partir de l'expérience pratique du PAsoe et des problèmes auxquels il a fait face, des principes issus de l'expérience de l'appui aux organisations, principes qui étaient déjà pratiqués par des Ong d'appui nigériennes marginalisées dans le processus d'élaboration du PASOe, qui avaient été mis en avant par les consultants lors des premières études, mais avaient été progressi­ vement écartés lors de la mise en procédures du projet.

Les procédures, leur négociation, leur contestation: des ajustements de procédure en cours de route

Nous avons souligné à plusieurs reprises le poids des procédures bureaucratiques et comptables. Il serait facile d'en rester à une dénoncia­ tion des dérives bureaucratiques et procédurières et de leurs effets pervers. Mais ce serait une erreur d'analyse d'en ignorer la logique interne'. Une autre erreur consisterait à considérer qu'il s'agit d'un ensemble clair et cohérent, devant s'appliquer mécaniquement, et sous-estimer la marge de jeu qu'il y a en leur sein. Dans une machine comme l'Union européenne, comme dans toute bureaucratie (Hibou, op. cit.) ,les règles sont complexes, éventuellement contradictoires, et évoluent en permanence, suscitant de récurrents débats sur leur applicabilité, leur nécessité, leur interprétation. Le PASOe est intéressant de ce point de vue: nous avons vu que l'UGP a au départ non seulement assumé toutes les contraintes de procé­ dures, mais elle les a transmises, parfois aggravées, aux ose qu'elle finançait. Inversement, certaines de ces contraintes, comme celles des dépenses inéligibles qui avait bloqué la fin du premier OP ont pu être levées relativement aisément lorsque, suite au conflit et à l'évaluation à mi-parcours, est arrivé un nouveau chef de projet, routier expérimenté des projets Union européenne et fin connaisseur des procédures. En quelques réunions, les modalités de restitution des pièces comptables ont été modi­ fiées et l'UE a accepté un pourcentage de dépenses non justifiées dans les rendus des ose. A plusieurs reprises, prenant un malin plaisir à citer les règlements, le chef de projet insiste dans le rapport final du projet sur le

2. Il ne faut en effet pas sous-estimer l'enjeu de la redevabilité sur les financements octroyés, ni oublier que l'intérêt des appels à propositions est d'ouvrir l'accès au finance­ ment au-delà du verrouillage de l'accës à l'information et du clientélisme, dont sont fré­ quemment accusés les dispositifs qui choisissent sur des bases moins normées les actions qu'ils financent. Les délais de mise en route des appels à propositions sont pour une part le prix à payer pour une volonté d'information large, dépassant les biais de l'information de proximité. TEMPSDES PROJETS,TEMPS DES POLITIQUES 267 fait que la Délégation et l'équipe de l'UGP s'étaient elles-mêmes lié les mains, allant au-delà des exigences formelles du manuel de procédures:

« Il Y a clairement une incohérence entre d'une part les faibles mon­ tants alloués et la courte durée des projets et d'autre part la lourdeur des procédures administratives et financières définies dans les contrats de subvention signés entre l'UGP et les OCB. Ces procédures vont bien au-delà des exigences du 9" FED [...l. Les procédures qui ont été mises en œuvre sont précisément celles qui s'appliquent aux subventions de montant supérieur à 10000 €. Ce niveau d'exigence placé très haut a contribué à ce que les OCB, les OCR et l'UGP constamment en situation d'urgence. On peut penser qu'il eut été possible de définir des règles d'évaluation des demandes et surtout de reporting plus souples (par ex. pas de rapports intermédiaires vue la courte durée des projets) » (UGP du PASOC, 2011: 35).

De fait, des compromis ont été trouvés sur les dépenses inéligibles (cf. p.252). Il Ya donc des marges de manœuvre, des espaces de négociations, qui permettent de réduire les contradictions entre objectifs et modalités de mise en œuvre, ou entre procédures et mise en œuvre pratique. Mais ils supposent que, dans les différentes positions institutionnelles, des gens suffisamment engagés et compétents pour sentir les enjeux, trouver les biais de procédures, travailler ensemble à les faire accepter... dans des dispositifs dont la logique de construction n'est pas la pertinence sur le terrain, la souplesse, la capacité d'adaptation.

La définition du PASOC II: changement d'ancrage institutionnel et continuité des instruments

En théorie, le cycle de projet intègre une phase d'évaluation, avant la définition d'un nouveau projet, de façon à tirer les enseignements de l'ac­ tion et à les incorporer dans la phase suivante. Ce principe induit en pratique des ruptures d'un à deux ans entre phases, le temps de lancer l'évaluation, d'en tirer les conclusions, de monter et négocier la phase suivante, de signer la nouvelle convention avec l'État, de recruter la nouvelle équipe. Pendant ce temps, l'équipe de la première phase est dis­ loquée, le personnel licencié. Lorsque la nouvelle équipe se monte (souvent issue d'un autre bureau d'études à cause du principe du mise en concurrence qui rebat les cartes d'une phase à l'autre), elle repart de zéro. Un personnel nouveau doit à son tour découvrir le contexte et les acteurs, faire son expérience, mettre à l'épreuve du réel ses a priori et ses intui­ tions, redécouvrir les problèmes pratiques, etc. La dissolution du réseau d'acteurs empêche pour une bonne part la transmission d'expérience, la possibilité d'apprentissage cumulatif d'autant que les chargés de pro­ gramme au niveau du bailleur auront souvent eux-mêmes changé de poste. 268 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

Bien plus, pendant l'interphase, la dynamique qui avait pu commencer à se créer retombe. Les acteurs locaux se retrouvent sans soutien, ici sans possibilité de financement leur permettant de poursuivre leurs actions, de stabiliser leurs apprentissages. Après avoir dû accélérer fortement pour tenir le rythme imposé par le financement, ils se retrouvent sans possibi­ lités d'agir autre que leurs faibles moyens antérieurs. Sensibles au risque de rupture entre phases, les responsables du secteur gouvernance à la Délégation de Niamey ont cherché à anticiper, en commençant à réfléchir au PASOC II sur la base de l'évaluation à mi-par­ cours, pour tenter de favoriser une continuité de l'offre d'appui. Pour permettre d'achever le on, ils ont prolongé le projet de trois mois. Voyant qu'une interphase de quelques mois serait inévitable, ils ont lancé dans l'intervalle un appel à propositions « acteurs non étatiques et auto­ rités locales», financé sur un autre instrument de l'UE, qu'ils ont cherché à orienter au maximum vers les OSC nigériennes'. Intégrant les résultats de la capitalisation des PASOC réalisée en 2009 (Floridi, Sanz Corella et Verdecchia, 2009), ils ont mis en question le modèle de l'UGP, relancé l'idée d'un mapping actualisé, plus dynamique, qui a été lancé début 2011 4 dans le cadre du PASOC 1 . En dialogue avec la DONGAD, la cellule Union européenne, l'UGP du PASOC et Bruxelles, le chargé de mission « société civile» de la Délé­ gation a défini les bases du PASOC II. Il a tenté en vain de mettre en place un fonds multi-bailleurs, de proposer un rapprochement avec la GIZ. Fina­ lement, le PASOC II ressemble beaucoup à son grand frère: l'architecture en deux composantes, nationale pour le renforcement de capacités, régio­ nale pour les subventions aux OSC, est maintenue. Une dimension d'ac­ compagnement de moyenne durée - qui avait disparu lors de la mise en procédures du PASOC 1 - est réintégrée dans la composante « renforce­ ment des capacités ». Au niveau régional, le principe de l'appel à proposi­ tions est maintenu, avec toutefois des durées plus longues, les actions sont étendues à deux nouvelles régions, Agadès et Tahoua, et les thèmes sont élargis, en particulier à la culture. Le budget est accru, et passe à 8 millions d'euros. En termes d'organisation budgétaire, les experts court-terme (ceux qui sont mobilisés pour organiser et animer les ateliers de forma-

3. La complexité des procédures constitue là encore, et à un autre niveau, une barrière d'accès à ces appels à propositions, faisant que rares sont les OSC nationales capables d'y répondre, ce qui favorise les consortiums menés par une Ong européenne. Avec les coupures d'électricité et les pannes d'internet, le simple fait de s'enregistrer au PAOOR, le registre des organisations habilitées à postuler aux appels à propositions de l'UE, peut être un parcours du combattant. 4. Selon les recommandations de l'étude de capitalisation, l'objectif est de faire un « mapping » dynamique, plus qualitatif et analytique. Des discussions ont eu lieu avec le LASDEL, qui ont achoppées sur le maintien d'un objectif quantitatif qui semblait peu pertinent au laboratoire de recherche, et sur des questions de calendrier, la proposition d'un processus de type observatoire se révélant incompatible avec les calendriers de la Delégation, qui a choisi une consultation classique. Celle-ci a largement débordé du calen­ drier prévu et s'est révélée très décevante. TEMPS DES PROJEfS, TEMPS DES POLITIQUES 269 tion) sont inclus dans les devis-programme et non plus dans l'assistance technique, ce qui doit éviter les problèmes de délais de paiement, mais oblige à une programmation plus stricte. Le changement principal tient aux modalités de gestion. Le principe des Unités de gestion de projet est de plus en plus questionné dans les débats sur l'aide: mises en avant fin des années 1980, dans une phase de contournement de l'État par les bailleurs de fonds, pour assurer un meil­ leur contrôle sur les actions et les financements en assurant une autonomie de fonctionnement par rapport à l'État, elles sont maintenant, dans une phase de réhabilitation de l'État et de mise en avant du principe de l'ali­ gnement sur les politiques nationales, accusées de court-circuiter l'État, de contribuer à l'affaiblissement de l'administration et à sa déresponsabi­ lisation. Dans un de ces mouvements de balanciers que connaît l'aide, l'accent est aujourd'hui mis sur l'aide budgétaire, considérée comme plus responsabilisante pour les États, moins coûteuse en dispositif de gestion"... au risque de reposer les problèmes de contrôle sur les ressources qui avaient justifié l'abandon de l'aide budgétaire et l'accent sur les projets vingt ans avant.

« [Par rapport à la première génération de projets], dans les discus­ sions, les Unités de gestion de projet ont disparu. Cela a vraiment été quasiment éliminé du vocabulaire, on ne veut plus entendre le terme unité de gestion. C'est hyper catégorique. S'il y a vraiment besoin d'une UGP, ils peuvent encore l'établir, mais en général ça va disparaitre partout. On va voir ce que cette décision d'éradiquer toutes les unités de gestion va donner dans le programme 10"FED d'appui aux acteurs non étatiques. Je sûre que ça va causer d'énormes problèmes quand le programme sera identifié et que les fiches d'identification et les conventions de finance­ ment passeront dans le community support group au siège» (ancien membre de l'équipe E4, à Bruxelles).

La Délégation propose donc de placer le PASOC II en « gestion décen­ tralisée directe », c'est-à-dire en régie directe de la DONGAD. C'est elle qui devra assurer la mise en œuvre du projet, mettre en œuvre les contrats, engager toutes les dépenses, etc. Pour l'appuyer dans cette tâche, il est prévu de recruter une équipe ad hoc, dont un assistant technique interna­ tional et deux cadres nationaux. Un tel choix est cohérent avec les nou­ velles orientations de l'aide, et le chargé de mission était fier que ce soit le premier PASOC à être géré sous cette forme. Cohérent avec les nouvelles orientations de l'aide, un tel choix a cependant surpris un certain nombre d'observateurs. D'une part, il pose la question de la politique de l'État vis-à-vis des OSC et de la possible instrumentalisation du projet par l'État (qui était un des arguments en

5. Sur la façon dont un basculement de politique induit des lectures opposées d'un même dispositif projet, voir Mosse, 2004. Et sur le dilemme entre autonomie et contrôle, Naudet, 1999. 270 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER faveur de la « gestion décentralisée indirecte»). Comme l'explique l'étude de capitalisation, un tel montage suppose un

« Haut engagement de la part du gouvernement en matière de dialogue politique avec les ANE et renforcement de leurs capacités », « cette moda­ lité n'est possible que s'il n'existe pas un risque d'ingérence et de coopta­ tion de la part du gouvernement. Par ailleurs, pour qu'une telle modalité fonctionne, il doit exister une société civile solide. l'espace des ANE doit être consolidé (même en matière de dialogue politique et non uniquement pour la prestation de services), il doit Yavoir un climat de confiance entre le gouvernement et les ANE et le gouvernement doit disposer par ailleurs des compétences spécifiques en matière de renforcement de capacités » (Floridi, Sanz Corella et Verdecchia, 2009: tableau p.64-65, souligné par eux).

Conditions qui ne semblent guère remplies au Niger. Se pose par ailleurs la question de la capacité (en termes d'appui à la société civile et en termes de gestion et de maîtrise des procédures FED) de la DONGAD, faiblement équipée en ressources humaines, déjà peu capable d'assurer le suivi des associations et Ong dont elle a la tutelle, d'assurer la mise en œuvre et la gestion d'un projet de 8 millions d'euros. Normalement, un tel choix de gestion décentralisée directe suppose au préalable un audit de compétences de l'institution chargée de gérer le projet, pour vérifier sa capacité à le mettre en œuvre et le cas échéant mettre en place des appuis ad hoc. Cette étape a été court-circuitée, La réponse que la Délégation a proposée face à ce risque consiste à mettre en place une petite équipe de cadres nationaux au sein de la DONGAD et un assistant technique inter­ national devant jouer le rôle « d'œil de Moscou » (sic) pour assurer à la fois rigueur financière et neutralité politique, ce qui risque de mettre l'as­ sistant technique en situation de porte-à-faux. Enfin, l'intégration d'un projet disposant de fonds conséquents dans une administration sous-équipée ne va pas de soi en effet. Les pressions pour l'accès aux moyens de fonctionnement sont nombreuses. Garantir que les ressources soient réservées aux activités du projet suppose de mettre en place des garde-fous, de constituer l'équipe projet en enclave au sein du Ministère. Sans pour autant se fâcher avec ses pairs et sa hiérarchie, il faut savoir résister aux sollicitations des collègues des autres directions pour imprimer sur l'imprimante du projet, pour prendre des ramettes de papier, de même qu'aux demandes de la hiérarchie pour du fonctionne­ ment, des bons d'essence, ou pour mobiliser des véhicules du projet pour les besoins de l'administration ou pour des besoins personnels ... Informé que cette option était en discussion, un ancien Directeur de la DONGAD, qui venait de décrire les pressions multiples dont il avait été l'objet de la part des OSC pour obtenir des défiscalisations, reste songeur:

« Moi, dans ma direction, j'avais un cadre plus la secrétaire, et une dizaine de "civicards" qui venaient quand ils voulaient. Dans des condi- TEMPS DES PROJEfS,TEMPS DES POLITIQUES 271

tions comme ça, c'est très risqué de prendre en charge un programme. Ce n'est pas évident d'avoir un personnel qui puisse piloter une structure comme ça. Si vous demandez du personnel, c'est un civicard qu'on va vous envoyer ou bien une femme avec un bébé qui ne peut pas travailler longtemps. De plus, la DONGAD n'a pas que ça à faire. Il faut probable­ ment créer une cellule spécialisée qui sera chargée de piloter ce projet-là. On peut gérer des projets institutionnels, des petits trucs. Mais des projets qui ont une envergure nationale, ça va créer beaucoup d'instabilité, beau­ coup de difficultés. Une UGP, c'est une structure qui peut vous permettre d'être autonome. Mais à partir du moment vous êtes dans l'administration, on a tendance à croire que le projet est pour tout le monde! C'est comme le programme "bonne gouvernance" du PNUD, j'ai passé tout mon temps à dire aux gens que ce n'était pas conçu pour le ministère, que c'était conçu exclusivement pour les organisations de la société civile. Or, tout le monde faisait des requêtes, même les collègues de l'administration. Donc, imagine si c'est un grand projet qui tourne dans un ministère... ça va être difficile à gérer. Vous allez voir tout ce que ça va créer comme misère: eux, les cadres du ministère, n'ont rien et on va distribuer de l'argent à ceux qui sont dehors là-bas. [...] C'est compliqué à gérer, il faut faire très attention. Si vous ne voulez pas avoir des problèmes il faut d'abord que vous ayez une équipe de professionnels et d'experts dans le domaine. Sinon l'administration a tendance à envoyer qui elle veut et ça va être compliqué. Mais s'il ya des ressources humaines, on peut étoffer la direc­ tion et on peut créer une structure un peu autonome au sein de la direction qui gère le projet. De façon à ce que la comptabilité interne soit indépen­ dante, parce qu'il ne faut pas mélanger le budget de l'État et le finance­ ment de l'UE. Il faut aussi avoir un comptable privé qui n'est pas de l'ad­ ministration» (ancien directeur de la DONGAD).

Pour permettre un démarrage rapide, sans attendre le recrutement par appel d'offres d'une nouvelle équipe d'assistance technique, la Délégation met en place une phase de lancement de six mois, confiée de gré à gré à l'équipe sortante. Le passage du PASOC 1 au PASOC II a ainsi été fait ainsi en court­ circuitant l'étape, normalement obligatoire, de l'évaluation, tout comme celle de l'identification de la nouvelle phase. La volonté de limiter la rupture entre les deux projets, le refus de faire un réel bilan du PASOC 1 et de reposer la question du dispositif aboutissent à reproduire les grandes lignes du dispositif antérieur, faisant fi des critiques de fond émises par l'évaluation à mi-parcours. Malgré les critiques convergentes sur l'appel à proposition, l'instrument est maintenu, avec des ajustements (devis pro­ grammes sur une durée plus longue) qui réduisent les contradictions sans les traiter vraiment. Outre l'élargissement géographique et thématique, la principale évolution du PASOC II, controversée comme on l'a vu, tient donc au mode de gestion, sur des critères qui semblent relever autant d'une anticipation des modes européennes que d'une analyse institution­ nelle nationale. Le déroulement du PASOC II a montré que ces craintes n'étaient pas toutes infondées. Les consultants qui ont réalisé l'évaluation à mi-parcours considèrent en effet que: 272 AIDE INTERNATIONALEET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

« L'expérience du programme précédent (PASOC 1) n'a pas été suffi­ samment exploitée et valorisée. Ainsi, les outils utilisés reprennent pour une large partie ceux utilisés par celui-ci, alors que de nouveaux enjeux se présentent. [...] Les AàP répondent à des demandes des OCB, mais cette forme d'appui bute sur des durées trop courtes pour avoir des effets signi­ ficatifs sur le milieu et sur leur renforcement.I...] Les moyens humains en matière de gestion comptable des dossiers des projets issus des A à P sont insuffisants [...] L'ouverture de cette offre à toute OSC donne des espaces aux stratégies opportunistes au détriment de renforcement de spécia­ listes [...] La gestion du PASOC II assurée par un département ministériel est paradoxale, le passage à ce nouveau type de gestion attisait la critique de nombreuses faîtières qui ne comprenaient pas que l'État gère un pro­ gramme destiné à leur soutien. Le climat de méfiance existant ne permet pas que les concertations s'engagent de façon optimale» (Pabanel et Coulibaly, 2014: 6-7).

Les nouvelles orientations politiques de l'Union européenne

Tirer des leçons de la première génération de projets: la capitalisation des projets C/FED (2008-2009)

Dans une logique d'apprentissage collectif, l'équipe de Bruxelles a lancé en 2008 (alors que le PASOC Niger démarrait tout juste) une ambi­ tieuse étude de capitalisation d'expérience sur la base de la première vague de projets d'appui aux acteurs non étatiques (Floridi et al, 2009). Il s'agissait de tirer les leçons de cette première génération avant que se lancent les processus de formulation de la seconde génération, dans le cadre du 10" FED. Confiée à deux de leurs consultants proches, dont l'ex­ pert qui a dirigé l'étude de faisabilité du PASOC I, cette étude fait une analyse comparée des choix institutionnels et des pratiques des différents projets et a servi de base à un atelier réunissant les responsables « société civile» des délégations. Le passage du 9"au 10"FED permet d'argumenter sur une évolution de l'approche:

«Il s'agit, en d'autres termes, d'évoluer d'une vision sectorielle de l'appui aux ANE à une vision intégrale, dans laquelle on s'interroge sur la place des ANE, d'une manière transversale, dans l'ensemble de la coopé­ ration européenne. Le défi donc se pose aujourd'hui en termes du mains­ treaming de la thématique ANE dans l'ensemble de la coopération euro­ péenne, selon une approche de gouvernance» (idem: 12).

Dans une optique constructive, les consultants mettent en avant la diversité des choix, en explicitent les avantages et inconvénients et condi­ tions de pertinence, mettent en avant des pratiques innovantes. Derrière la mise à plat des pratiques, volontairement nuancée et formulée dans des TEMPSDESPROJETS,TEMPSDES POLITIQUES 273 termes choisis, on lit une volonté d'ouvrir les modes de raisonnement, de mettre en question les instruments standard, de pousser à des diagnostics plus dynamiques.

«Un Programme d'appui aux ANE ne peut en aucun cas être "neutre" [...] Les Programmes de renforcement de capacités de la société civile conçus dans le cadre du 10" FED, dans l'ère de Cotonou, devront forcément avoir un lien avec un élément primordial du nouvel accord de coopération: la dimension politique. [...] Les organisationsqui en principe donnent le plus de garantiessur le plan du respect des règles et procédures ne sont pas forcément celles qui assurent des résultats viables à moyen et long terme. [...] De cette complexitédécoule la nécessité de reconnaître la nature spécifique des programmes d'appui aux ANE en tant que pro­ grammes fondés sur une logique de processus et d'accompagnement des acteurs. plutôt que l'approche projet, fondée sur l'action et suivant une logique « guichet », spécifique, par exemple, aux programmes de micro­ réalisations [...] » (idem: 9911, souligné par eux).

Une fois de plus, la logique de l'appel à propositions est critiquée:

« L'expérience menée dans les programmes 9 FED a démontré com­ ment l'adoption d'un tel outil, mais surtout l'approche et la logique sous­ jacentes, implique très souvent la dénaturation du programme, et le risque de résulterfinalement en l'éparpillement des initiativesisolées et peu coor­ données, selon une logique propre aux programmes de microréalisations de « l'avant Cotonou» et/ou des programmes thématiques, privilégiant le projet individuel» (idem: 16).

L'appel à propositions peut être «adapté auX exigences du renforce­ ment de capacités des ANE à condition qu'il soit considéré comme un outil et pas comme une fin en soi » (idem). Ainsi que l'enfermement de l'assistance technique dans la gestion: les différents projets montrent « une tendance assez nette qui consiste à concevoir les tâches de l' Âssis­ tance Technique concentrées quasi exclusivement sur les aspects adminis­ tratif et comptable » alors qu'il devrait avoir « d'abord une fonction de facilitation des processus sociaux qui sont à l'œuvre» (idem: 14). A travers cette analyse transversale et l'atelier de travail qui a mobilisé les responsables « société civile » d'une série de Délégations, les consul­ tants et l'équipe de Bruxelles cherchent à mettre en avant une conception stratégique des dispositifs d'appui aux OSC. Ils poussent à reconnaître et assumer la dimension politique de l'appui à la société civile, à renforcer l'ancrage des projets dans leur contexte national, à éviter les pièges de la culture professionnelle de l'Union européenne. Elle incite les concepteurs des projets à réfléchir leurs choix, à mieux utiliser le champ des possibles, à promouvoir des innovations. Pour Courtin (op.cit.: 125), cette critique ne va pas assez loin, elle demeure enfermée dans le cadre normatif de l'UE: 274 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

« Le dogme de l'infaillibilité de la concurrence et du marché est-il adapté aux réalités du changement social que l'UE entend promouvoir? Non, bien sûr, mais il structure la mise en œuvre des projets et est la consé­ quence de l'idéologie libérale de la Commission appliquée à l'aide publique au développement ».

Mais une telle limite découle de l'exercice lui-même, qui n'est pas une évaluation destinée à ceux qui définissent les stratégies globales: c'est une capitalisation opérationnelle, destinée aux praticiens de l'appui à la société civile au sein de l'UE, et en particulier aux chargés de programme des Délégation. Son objectif est de donner des outils de réflexion pour faire mieux au sein du cadre normatif et des instruments de l'UE, pas d'en faire une critique radicale. D'autant que ces acteurs n'ont pas de prise sur la stratégie globale: les instruments de coopération de l'Union européenne ne sont pas définis pour la seule société civile, loin de là: ses règlements financiers valent pour l'ensemble des actions de l'Union.

Une réflexion stratégique globale sur les rapports entre UE et sociétés civiles (2008-2011)

-« Les choses changent plus vite dès qu'il y a un rapport officiel» L'étude CSO Channel et le rapport de la Cour des comptes européenne C'est en fait à un autre niveau que les remises en cause vont se faire jour. Quasiment dans le même temps, deux études, aux objectifs plus larges, ont alimenté la réflexion européenne sur ses rapports avec les OSC, tant européennes que du voisinage (pays en négociation d'adhésion) ou de pays tiers (dont pays ACP). Poussée par les Ong européenne et par le parlement, la Commission européenne lance en 2006 une évaluation de l'aide européenne passant par les OSC (<< Evaluation of EC Aid Delivery Through Civil Society Organisations », en raccourci « CSO Channel »6), qui est confiée par appel d'offres à un consortium de bureaux d'étude, dont l'équipe mobilise plusieurs experts de ECDPM. Portant sur la période 2000-2006, cette étude doit:

«-évaluer dans quelle mesure l'aide délivrée à travers les OSC est en ligne avec les objectifs de la politique de la Commission Européenne; -évaluer la source de la valeur ajoutée de l'aide délivrée à travers les OSC (dans différents contextes géographiques et politiques); -évaluer l'impact et la durabilité de la coopération externe à travers la société civile;

6. Les évaluateurs soulignent que le tenne « channel» est controversé, car il colporte une vision instrumentale des OSC, moyens pour les politiques de l'UE, en contradiction avec l'ambition de faire de l'UE un acteur politique établissant des partenariats entre UE etOSC. TEMPSDESPROJETS,TEMPSDES POLITIQUES 275

-fournir des leçons apprises et des recommandations pour la poursuite des appuis aux OSC, dans le présent contexte et les engagements pertinents (comme le Consensus européen et la Déclaration de Paris) » (Particip, 2008, II, traduit par moi).

Cette évaluation est lancée alors que le « changement de paradigme» du tournant des années 2000, faisant dans le discours des OSC des parte­ naires et non plus des bénéficiaires, ne semble que partiellement assumé, aux yeux de ceux gui le soutiennent, et où la Déclaration de Paris, signée en 2005, remet l'Etat au centre, valorise l'aide par programme au détri­ ment des projets, et remet potentiellement en cause l'accent mis sur la société civile", Menée par des équipes très favorables à un rôle politique de la société civile, l'étude souligne que l'Union européenne est dans un entre-deux:

« The Evaluation Team also found evidence of major gaps between EC policy commitments towards civil society and actual implementation prac­ üces. Ground-breaking, innovative approaches co-exist with traditional top-down, supply-driven, instrumental and rigid habits to working with CSOs. The participatory development agenda is clearly not yet consis­ tently applied and institutionalized » (idem: IV, soulignés par eux).

L'analyse est assez sévère (Particip et ECDPM, 2(08): le positionne­ ment global de l'UE est cohérent, mais la participation des OSC est souvent limitée à la mise en œuvre des actions, à la délivrance de services. Malgré des programmes novateurs d'appuis aux OSC, le dialogue poli­ tique reste limité. L'évolution dans les pratiques de programmation de l'aide européenne reste faible, les Délégations manquent de repères et de soutien pour l'implication des OSC. Du fait de la faible durée des projets et de leur absence de continuité, du fait de faibles liens avec les pro­ grammes de développement et de procédures inadéquates, l'aide mise en œuvre à travers les OSC voit son impact global réduit et a de faibles pers­ pectives de durabilité. Cette efficacité se heurte à des « contraintes institu­ tionnelles majeures» du côté de l'UE, parmi lesquelles une culture admi­ nistrative centrée sur le décaissement et le management, des procédures inadéquates (comme les appels à propositions pour appuyer la gouver­ nance des OSC), la faiblesse du suivi-évaluation, le peu de temps dispo­ nible pour le dialogue avec les acteurs et les bailleurs de fonds. La conclu­ sion est sans appel «The EC needs to drastically improve overall use of CSOs as channel for aid delivery ». De cette analyse découlent trois recommandations politiques:

«Provide a clearer political and stronger managerial leadership in pushing for an effective implementation of policy commitments towards CSOs;

7. Sur la Déclaration de Paris et ses ambigüités, cf. Bergamaschi, Diabaté et Paul, 2007; Jacquemot, 2007; Whitfield et Fraser, 2009a; Lavigne Delville, 2013. 276 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

Champion space for civil society in the political and policy dialogues with partner governments ; Enhance the quality of the partnership with CSOs (notably by impro­ ving the dialogue and pushing through new modalities for supporting CSOs» (particip, 2008, VI).

L'enjeu n'est pas mince, reconnaissent les auteurs:

«This is, admittedly, a taIl order. Yet these reforms are critically needed in order to reduce the implementation gap between EC policy commitments and actual practices towards civil society. It would allow the EC to move away from the current vague and largely inefficient approach to managing the CSO channel and to replace it by a flexible and perforroing "system" to engage with civil society and deliver high quality aid in a constantly evol­ ving international cooperation setting » (idem, p.VI, souligné par eux).

Dans sa réponse à l'évaluation CSO Channel", la Commission consi­ dère que la majorité des recommandations a été entérinée, que des actions ont déjà été mises en œuvre, à travers la mise en place d'un site dédié à 9 l'appui à la société civile , et que les autres renvoient à la politique des Services extérieurs et des Délégations. Une évaluation de la Cour des comptes européenne, parue l'année suivante, confirme cependant la cri­ tique:

« Cette participation [des ANE] était limitée et ne constituait pas vrai­ ment le dialogue continu et structuré envisagé dans la législation commu­ nautaire et dans les lignes directrices établies par la Commission elle­ même [...]. En règle générale, les systèmes de gestion de la Commission permet­ tent d'assurer que les projets mis en œuvre par les ANE sont pertinents et susceptibles de produire les résultats escomptés. Néanmoins, la procédure d'appel à propositions ne garantit pas toujours que la phase de conception des projets soit terminée dans les délais, les ANE ne reçoivent pas suffi­ samment d'orientations en matière d'application pratique des règles finan­ cières, et il existe des incohérences dans l'interprétation et l'application des procédures. Le suivi est insuffisant et les perspectives de durabilité sont faibles, en partie du fait que les projets sont de courte durée. Les procédures de gestion ont entraîné des retards qui ont assombri les perspectives d'efficacité et de durabilité. Les programmes sont aussi confrontés à la contradiction inhérente au fait de soutenir le développe­ ment des capacités des ANE qui en ont le plus besoin au moyen d'une procédure (appels à propositions) conçue pour sélectionner les ANE les plus performants» (Cour des Comptes Européenne, 2009: 7).

8. « Fiche contradictoire» de suivi des recommandations, sans date. 9. Le CISOCH (civil society helpdesk) [https: Ilwebgate.ec.europa.eulfpfis/mwikisl aidco/index.php/Accueil]. TEMPS DES PROJETS, TEMPS DES POUTIQUES 277

La Cour des Comptes recommande d'« examiner la possibilité d'uti­ liser d'autres moyens pour réaliser les objectifs politiques de développe­ ment des capacités, comme le recours aux accords de partenariat, aux financements multidonateurs et aux subventions en cascade, afin de mieux atteindre les organisations de base» (idem), battant en brèche les fortes réticences de la Commission envers ces outils. Portant sur un espace géographique plus large que les seuls pays ACP, émanant d'instances a priori peu suspectes de populisme ou de basisme comme la Cour des Comptes, ces deux études reprennent et légitiment en pratique, au-delà du petit cercle des experts (internes à la Commission ou externes) politiquement engagés envers les OSC, les critiques sévères sur le décalage entre les orientations politiques et les pratiques. « Ces études reprennent des choses qu'on disait depuis longtemps dans le vide. Mais les choses changent plus vite dès qu'il y a un rapport officiel» (ancien responsable d'un réseau d'Ong européennes).

- Un « Dialogue structuré» pour refonder les rapports avec les sociétés civiles des pays tiers De fait, ces études obligent l'Union européenne à réagir. Pour répondre aux conclusions de ces différents rapports ainsi qu'aux demandes du Parlement européen, la Commission Européenne engage en 2010 et 2011 un vaste programme de rencontres et d'échanges avec les organisations de la société civile européenne et des pays tiers, le « Dialogue structuré ». Ce processus concerne à la fois les pays en développement, les «pays du voisinage» de l'UE, et les « pays de l'élargissement» préparant leur inté­ gration à l'UE. Il s'inscrit dans les réformes de l'aide des années 2000, et dans « l'agenda d'Accra pour l'action» qui, suite à la Conférence à haut niveau d'Accra, cherche à approfondir la mise en œuvre de la Déclaration de Paris et met en avant l'importance de la société civile dans le dialogue sur les politiques de développement. En ce qui concerne l'Union euro­ péenne, cette ouverture du dialogue avec les OSC correspond aussi à la profonde réorganisation de son action extérieure, suite au Traité de Lisbonne de 2007, qui a vu la mise en place d'une politique extérieure et de sécurité commune, la création du poste de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et la création des Services extérieurs de l'action européenne (SEAE), corps diplomatique de l'UE qui intègre les Délégations dans les pays. Les chefs de Délégation ont désormais rang d'Ambassadeurs, des conseillers politiques sont intégrés à la Commission, des Chefs de section politique sont mis en place dans les Délégations. Bref, l'UE cherche à s'affirmer comme un acteur politique et diplomatique. Le Dialogue structuré vise à « la recherche d'un consensus sur les prin­ cipaux enjeux liés aux rôles des organisations de la société civile et des autorités locales dans la coopération au développement de la CE» et « l'identification de moyens pratiques afin d'améliorer l'efficacité de l'im- 278 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER plication des organisations de la société civile et des autorités locales dans la coopération européenne et d'adapter les modes de faire de la CE ». Il est animé par une équipe à Bruxelles, dirigée par une des consultantes de l'étude de capitalisation des projets d'appui aux ANE et à laquelle partici­ pent des anciens de l'équipe E4. Il consiste en une série de conférences régionales. Courtin, qui a participé à certaines réunions du Dialogue Structuré est sceptique (op.cit., 131-132). Pour lui, la Commission n'est pas prête à négocier. «Aucun changement notable n'est à attendre de la nouvelle Commission de l'UE, les projets société civile sur le 10" FED, malgré le processus de dialogue structuré, sont déjà dans les cartons avec les mêmes contradictions décrites dans cet article ». De fait, élaboré au cours de l'année 2010-2011, le PASOC II n'intègre en effet que très partiellement les résultats des études publiées en 2008 et 2009.

- Des OSC pour peser sur les politiques et contrôler l'État? Dix ans après, une nouvelle Communication sur les rapports UE/OSC

D'autres interlocuteurs soulignent au contraire que les débats ont été très ouverts. La Conférence finale, à Budapest en mai 2011, aboutit à une « déclaration finale de Budapest »10 qui met en avant les principes devant guider la collaboration entre l'UE et les OSC. Ceux-ci font l'objet l'année suivante d'une nouvelle Communication de l'UE, dix ans après la précé­ dente. Intitulée «Les racines de la démocratie et du développement durable: l'engagement de l'Europe avec la société civile dans le domaine des relations extérieures» (Commission Européenne, 2012), cette Com­ munication redéfinit la politique de l'UE dans le contexte des nouveaux textes politiques structurant son action et des actuelles orientations de la coopération internationale. L'Union européenne affirme son attachement « à une société civile dynamique, pluraliste et compétente et reconnaît l'importance de relations constructives entre les États et les OSC. Sa poli­ tique se concentrera donc sur l'association des OSC au renforcement des processus démocratiques et des systèmes de justification de l'action menée et à l'obtention de meilleurs résultats en matière de développement» (pA). La notion d'acteurs non étatiques est abandonnée dans la nouvelle Communication, les organisations de promotion de l'égalité des sexes sont explicitement citées. On demeure cependant dans une conception très professionnalisée de la société civile, loin des mouvements sociaux et des confrontations avec l'État ou des intérêts économiques: la Communica­ tion reconnaît certes que «de nouvelles formes d'actions plus fluides engagées par des citoyens et des jeunes prennent de l'essor: le printemps arabe et les mouvements « Occupy » mettent en lumière le potentiel des mouvements sociaux et culturels en tant que vecteurs de changement» (pA). Mais c'est seulement dans la partie «contexte» et pour mieux

1O. [https: //webgate.ec.europa.eulfpfis/mwikis/aidco/imagesl7l7e/FlNAL-_D %C3 % A9c1aration_finale.pdf]. TEMPSDES PROJETS,TEMPS DES POLITIQUES 279 souligner plus bas que « pour être constructif, le dialogue [sur les politi­ ques publiques] doit être opportun, prévisible et transparent. Et, pour garantir la crédibilité du processus politique, les OSC doivent être indé­ pendantes, représentatives et compétentes» (p.7). Trois axes essentiels d'actions sont mis en avant: la contribution à des politiques publiques inclusives et efficaces, la promotion de la bonne gouvernance via le contrôle citoyen, et enfin la contribution à des services sociaux de qualité. C'est dans ce cadre que les OSC pourront disposer de soutiens financiers accrus. Déclaration de Paris oblige, la contribution des OSC à la délivrance de services sociaux, qui n'étaient déjà plus la priorité de 1'UE en termes de financement des OSC, devra se faire essentiellement dans le cadre d'une action publique pluri-acteurs, sous l'égide des États. On sort donc du recours aux OSC comme substitut à l'État même si « un soutien direct aux OSC assurant la prestation de services pourrait être apporté pour garantir l'accès de populations privées de leurs droits aux services de base ou pour compléter l'action de pouvoirs publics défaillants ou absents, en particulier dans les pays les moins avancés. La nécessité d'un tel soutien se fait particulièrement ressentir dans des situations de fragilité, de conflit ou de crise» (p.9). Les Accords de Cotonou mettaient déjà en avant le dialogue sur les politiques de développement, avec un succès limité comme on l'a vu. Pour assurer que ces objectifs ne restent pas lettre morte, la Communica­ tion de 2012 enjoint aux Délégations de définir des « feuilles de route de l'UE pour un engagement avec les OSC », fortement ancrées dans les contextes nationaux, pour des engagements de long terme. Parallèlement, suivant les recommandations de la Cour des comptes, les modes de finan­ cement sont (ré)ouverts: « la Commission fera appel à une combinaison appropriée de modalités de financement, de manière à répondre au mieux au plus large éventail possible d'acteurs, de besoins et de contextes natio­ naux dans un cadre flexible, transparent, efficace sur le plan des coûts et axé sur les résultats» (p. 12). La formulation est prudente, et c'est en note de bas de page, au conditionnel, qu'est précisé que «l'UE pourrait envi­ sager toutes les modalités et approches de financement prévues par le règlement financier, parmi lesquelles les projets, le financement de pro­ grammes, les subventions directes, le financement commun, les subven­ tions de suivi, le financement des activités de base, le cofinancement, la délimitation, les appels de propositions simplifiés et les subventions en cascade » (idem). Deux grands champs d'innovation découlent de cette communication: du point de vue des idées et des outils, le site en ligne capacity4dev.ue ouvre un « public group» sur la société civile" ; plusieurs documents sur la société civile (sur les « mappings » - EuropeAid, 2012 -, sur la partici­ pation de la société civile aux processus politiques et budgétaires - Europe Aid, 2014) sont publiés dans la série de documents méthodologiques

11. [http://capacity4dev.ec.europa.eu/topic/civil-societyJ. 280 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER d'EuropeAid. Du point de vue des instruments, la gamme des outils finan­ ciers est réouverte, avec des instruments auparavant rejetés comme le financement en cascade, les financements de long terme. La question des frais de fonctionnement des organisations financées est revue. Des évolu­ tions significatives sont donc en cours de ce point de vue. Mais les règles comptables et budgétaires ne changent pas. Et surtout, selon certains inter­ locuteurs, pour la phase budgétaire 2014-2020, ces changements ne s'ap­ pliquent qu'aux financements sur budget UE, et pas pour le FED qui est «hors budget »12. Or, c'est là que sont l'essentiel des budgets de coopéra­ tion, et en particulier les projets d'appui à la société civile. Si c'est le cas, l'application au FED de ces nouvelles règles se fera donc au mieux pour le règlement financier suivant, en 2020.

Vingt ans après Cotonou La résistible reconnaissance politique des OSC

Un certain nombre d'évolutions sont donc en cours dans la politique et les instruments de l'UE en direction des organisations de la société civile dans les pays tiers, dans un contexte où l'Union Européenne est elle-même en réforme permanente, où elle tente difficilement de s'affirmer comme acteur politique à l'échelle internationale, où des processus d'origine diverses, parfois complémentaires, parfois contradictoires, se télescopent, se renforcent ou se neutralisent. Où les logiques institutionnelles, budgé­ taires, politiques, se croisent et s'enchevêtrent, dans des jeux complexes de pression et d'inertie. Le pas de temps d'apprentissage des politiques se situe dans un pas de temps qui est de l'ordre d'une ou deux décennies. Ici, l'affirmation de l'enjeu de l'influence de la société civile dans les États aura pris une douzaine d'années, et sa traduction - qui restera partielle - dans des instruments pas loin de vingt. Soit la durée des Accords eux-mêmes, dont la renégociation commence dès 2015. Encore le changement est-il partiel. Une institution supra-étatique comme l'Union européenne peut difficilement sortir d'une conception professionnalisée et finalement technocratisée de la société civile. Ses modes d'action et de financement sont structurellement fondés sur une logique de mise en concurrence et de contrôle bureaucratique des dépenses qui s'oppose à une conception en termes d'alliances stratégiques et de soutien institutionnel. Le constat de l'évaluation de l'aide de la Commu­ nauté européenne de 1998 reste largement d'actualité: «The Commission

12. La budgétisation du FED (son intégration au budget global de l'UE, sous contrôle du parlement) est l'objet de vifs débats aux enjeux budgétaires importants car son finance­ ment dépend de contributions volontaires des États participants et cette normalisation risque de le fragiliser. TEMPS DES PROJEfS,TEMPS DES POLITIQUES 281 has been more focused on administrative procedures and levels of disbur­ sement than on achieving results. While this in part reftects constraints imposed on the Commission, it also reftects limitations within it »13. L'histoire que nous avons décrite se croise avec une succession de réformes de la politique de coopération et de réorganisations organisation­ nelles de l'Union européenne, qui rebattent les pôles de pouvoir. La réforme de 2010 dissout l'unité thématique E4, et la question de la société civile est placée au sein d'une unité de gestion D2.

« L'unité FA a été éradiquée, son équipe a été dispersée. Ce sont de jeunes technocrates qui ont repris le dossier. L'unité FAétait controversée, certains directeurs trouvaient qu'on était un obstacle à la mise en œuvre des financements. On avait dû se battre pour se faire reconnaître par rapport aux collègues gestionnaires. L'unité avait réussi à trouver sa légiti­ mité, mais ils ont réussi à la supprimer» (ancien membre de l'équipe FA).

De plus, le changement ne découle pas - ou en tous cas pas seulement - des contradictions de la première décennie de ces politiques, du premier cycle de projets d'appui: même si les évaluations et études y ont contri­ buées, c'est avant tout dans le lobbying d'Ong européennes et de think tanks, dans les pressions politiques et le rôle nouveau du Parlement euro­ péen, dans l'élargissement du questionnement en dehors des pays ACP, dans les nécessités d'ajustement des stratégies face aux autres grands processus de redéfinition des politiques d'aide (comme la Déclaration de Paris) qu'il faut chercher la source des études qui ont obligé la Commis­ sion à mettre le sujet sur agenda et à enclencher le Dialogue structuré. Enfin, même si la nouvelle communication est très favorablement reçue par ceux qui, au sein de la DG-DEY ou en dehors, promeuvent une vision politique des rapports État/sociétés civiles et cherchent à rendre « mainstream » la question de la société civile, sa formulation ne parait pas si éloignée de celles de 2002. Et cela ne dit rien de la façon dont elle sera interprétée, intégrée ou marginalisée dans les pratiques des Déléga­ tions. C'est donc dans la façon dont les conclusions de ces études, du Dialogue structuré, et de cette nouvelle Communication seront intégrées par les responsables de la DG DEY, et dont les règlements financiers de l'UE évolueront pour la période 2014-2020, puis dans la façon dont les différentes délégations s'en empareront ou les marginaliseront, que des évolutions de la politique européenne et de ses pratiques vis-à-vis des sociétés civiles pourront être possibles ... pour la troisième génération de projets d'appui. Car la conscience croissante des limites d'une approche instrumentale de la société civile (mise en avant par l'étude de la Cour des comptes européennes), l'accent clair mis sur le rôle politique des OSC,

13. Montes et al., 1998, summary [http://ec.europa.euJeuropeaid/how/evaluation/ evaluation_reports/evinfo/1998/951338_ev_en.pd[]. 282 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER l'ouverture partielle des modalités de financement se heurtent à la pour­ suite des logiques d' « hyperprocéduralité » et de mise en concurrence. La volonté affichée au niveau de Bruxelles de renforcer la dimension de dialogue politique sur la coopération européenne se heurte, comme aupa­ ravant, à la diversité des contextes politico-institutionnels des États et des sociétés civiles dans les différents pays, à la difficile question de la repré­ sentation, et à une réticence des Délégations à jouer le jeu de la mise en débat de leurs stratégies (Concord, 2013). En mettant en avant une vision ambitieuse des rapports État/OSC supposant une société civile déjà solide, le risque est ici d'accroître les contradictions entre les stratégies politiques globales idéalisées et des réalités politico-institutionnelles largement moins idéales. Au Niger, le draft de feuille de route établi fin 2014 donne une première indication. Le texte propose une vision assez équilibrée de la société civile. Elle met en avant sa capacité de mobilisation, l'ampleur de ses contributions, tout en soulignant, dans des termes assez forts, les limites bien connues: politisation (auparavant peu mentionnée explicitement), dérive opportuniste. Les expressions sont fortes: « manipulation, infiltra­ tion, instrumentalisation par les partis politiques» ; « abandon des valeurs sur l'autel des opportunités financières, chasse à l'appel d'offre, concur­ rence malsaine entre OSC ». Mais les propositions stratégiques ne font que 7 pages sur 32 et paraissent en deçà des enjeux énoncés. L'analyse s'achève sur le constat qu'assainissement d'une part, et coordination pour influer sur les politiques publiques d'autre part « s'imposent », ce qui pose la question de la volonté politique dans ce sens, tant du côté de l'Etat que d'une masse critique suffisante d'OSCI4. Si le texte reconnaît la dépen­ I5 dance financière des OSC , celle-ci n'est pas traitée dans les pistes straté­ giques, et l'ouverture des modalités de financement permise par la Communication n'est pas évoquée. L'appel à l'émergence de plate-formes fonctionnelles fait écho aux tentatives peu fructueuses de créer des réseaux thématiques dans les années 2000. S'il est rappelé que la Communication prévoit « une participation constructive et structurée des OSC aux politi­ ques extérieures des pays partenaires, au cycle de programmation de l'UE et aux processus internationaux », cela n'apparaît dans les priorités straté­ giques que sous la forme minimaliste de « la promotion et le renforcement des espaces de dialogue inclusif sur les politiques publiques et sur les programmes de développement, incluant ceux des partenaires au dévelop­ pement» (p. 27, en gras par eux, souligné par moi). Le projet de feuille de route a été mis en débat au cours d'un atelier d'une demi-journée, dont une heure de débat avec les OSC présentes.

14. Cf. chapitre 3. 15. « Les OSC nigériennes, en quête de survie, acceptent d'entrer dans une relation asymétrique avec leurs "partenaires" qui les confine dans une position de simples pres­ tataires de services « à la tâche» sans ancrage à une vision stratégique et sans référence à la responsabilité sociale qui fonde et oriente les interventions d'une OSC» (p.9). TEMPSDES PROJETS, TEMPSDES POLITIQUES 283

Le contenu final de ce document, la façon dont sera préparé le futur PASOC III, ses orientations, constitueront une nouvelle étape de la poli­ tique de l'Union européenne envers les sociétés civiles nigériennes. Cette perspective sur les processus en cours confirme en tous cas que, si les apprentissages «instrumentaux», qui visent à mieux atteindre les objectifs opérationnels, sont relativement aisés, les apprentissages « cogni­ tifs », qui portent sur le contenu même de la politique, la définition des catégories d'acteurs, la formulation des diagnostics et des objectifs, sont plus problématiques 16. Ou plus exactement, les apprentissages cognitifs réalisés par certains sont d'abord la diffusion de convictions d'autres groupes d'acteurs; leur légitimation et leur institutionnalisation tient d'abord à des évolutions à un niveau plus global; leur concrétisation dans des orientations politiques pose la question de leur traduction en instru­ ments et dispositifs, traduction qui va d'autant moins de soi que les instru­ ments et l'opérationnel ont leurs logiques propres, qu'il n'y a pas de réponse instrumentale simple à une formulation plus complexe des enjeux et des objectifs et que les institutions tendent, comme l'a montré Ferguson (op. cit.) , à définir les problèmes en fonction de ce qu'elles savent - ou pensent savoir - traiter. Il est donc probable que, indépendamment même du débat sur les conceptions de la société civile véhiculée par la Commu­ nication de 2012, la technicisation du social à travers la mise en procé­ dures de l'appui à la société civile ait de beaux jours devant elle.

16. Sur la distinction entre ces deux types, cf. de Maillard, op.cit., 60.

Conclusion

Sociétés civiles réelles, modernité insécurisée et extraversion: entre projet de société et opportunisme

Les acteurs et les mouvements qui s'ancrent sur des problèmes socié­ taux et qui cherchent, par des moyens variés, à redéfinir les rapports entre citoyens et entre citoyens et État, ne se réduisent pas aux organisations qui se revendiquent de la « société civile ». En font partie ceux qui promeu­ vent l'islam dans l'espace public, sous des versions piétistes ou d'inspira­ tion wahhabite, et qui ont fortement influencé la société nigérienne ces trente dernières années. Une fraction d'entre eux soutient une idéologie radicale. Les émeutes des 17 et 18 janvier 2015 à Zinder et Niamey, sous le prétexte de la nouvelle publication de caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, témoignent de la crise d'une jeunesse qui se perçoit sans avenir, mais aussi de la diffusion de thèses fondamentalistes dans la société nigérienne, d'un rejet croissant de l'occident. Elles ont marqué un tournant au sens où, pour la première fois, la « société incivile» mobilisée dans ces manifestations et émeutes n'a pas porté sa violence seulement sur des symboles de l'État ou de la présence occidentale: les églises chré­ tiennes (fréquentées par des Nigériens, des Béninois, des Togolais) ont été attaquées, les bars et restaurants saccagés'. Face à la profonde crise sociale et économique que connaît le pays, face à la disqualification des élites, à cette montée du fondamentalisme religieux d'inspiration wahhabite, les organisations qui affirment repré­ senter la version progressiste et laïque de la société civile semblent muettes. Elles ont montré des capacités remarquables de mobilisation, contre la vie chère en 2005, contre le Tazatché en 2009, mais ces mobili­ sations durent peu. Elles s'emparent peu des problèmes sociétaux essen­ tiels, laissant trop souvent la critique sociale radicale aux fondamentalistes et l'espace public à la pression des groupes religieux. Une part importante des organisations semble davantage reprendre les thématiques développe­ mentistes ou les thèmes de mobilisations internationales que traduire réel­ lement des malaises sociaux en critique sociale et en projets politiques. Centré sur les rapports entre aide internationale et organisations de la société civile, cet ouvrage ne portait pas sur les contradictions qui traver-

1. Pour une analyse à chaud de ces émeutes, el de ce qu'elles traduisent de la pro­ gression du salafisme au Niger, cf. Olivier de Sardan, 2015. 286 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS OVILES AU NIGER sent la société nigérienne et la question des mouvements sociaux. Son objet n'était pas la question de l'espace public au Niger. Son ambition n'était pas non plus de proposer une analyse systématique du foisonne­ ment associatif que connait le Niger, et qui ne se limite ni aux associations les plus en vue, ni aux ONG (auxquelles tend à se réduire dans les discours et les représentations le terme d'organisation de la société civile): une part importante de ces organisations, parfois informelles, nait et agit loin des projecteurs des médias, n'a guère d'accès aux réseaux de l'aide ou ne cherche pas à en avoir. Tout en cherchant à échapper au piège normatif de l'idée de société civile et en voulant décrire ce que Camau (2002) appelle « les sociétés civiles réelles », ou Lewis (2001) « la somme des organisa­ tions et des pratiques qui s'y réfèrent », tout en les resituant dans ces dynamiques plus larges, ce livre a, par son objet même, mis l'accent sur une partie des associations nigériennes: celle, composée d'une large gamme d'associations et d'organisations, de toutes tailles, dont les promo­ teurs et les membres, souvent de formation supérieure, cherchent, dans des articulations variées, à trouver une place dans la société de l'après­ ajustement et la « modernité insécurisée » (Laurent, 2013) qui la caracté­ rise. Ils s'investissent dans les associations par choix ou faute d'alterna­ tive, en substitution à une fonction publique qui n'embauche plus ou en complément d'un poste dans la fonction publique. Dans un contexte de sociétés où l'emploi est en crise, où le secteur de l'aide internationale est un pourvoyeur important de ressources et d'emplois, où l'action publique tout comme la mobilisation militante sont largement financées de l'exté­ rieur, ils cherchent à consolider leur situation et leurs ressources, et/ou à améliorer les conditions de vie des segments de la population auxquels ils consacrent leur action, sous l'angle de la militance politique, de l'assis­ tance humanitaire ou du professionnalisme engagé, et pour cela cherchent à mobilier des financements et des appuis, à trouver des postes ou à défaut des opportunités d'expérience et de revenus. Ils mobilisent les références professionnelles et pratiques tirées de la culture bureaucratique de l'admi­ nistration et des pratiques standards de l'aide ou veulent s'en détacher. Ils cherchent parfois à peser sur les rapports sociaux ou sur les rapports entre État et citoyens, dans des orientations variées, et par des stratégies qui vont du contournement à l'affrontement avec l'État. L'effervescence associative que connaît le Niger est très liée, comme dans les pays voisins, à la crise de l'ajustement structurel, à la démocrati­ sation, aux opportunités offertes par l'aide internationale et son soutien aux acteurs non étatiques. Dans leur diversité, ces «sociétés civiles réelles» sont éloignées du modèle abstrait et largement idéologique mis en avant dans les discours développementistes de ces trente dernières années (et aussi une partie de la littérature académique de langue anglaise), d'une société civile naturellement vertueuse, agissant de façon désinté­ ressée, engagée dans la cité mais non politicienne. Cela ne saurait sur­ prendre: cette conception apolitique est une fiction. Nulle part, les réalités ne se conforment aux modèles. Partout, les « sociétés civiles réelles» sont CONCLUSION 287 ancrées dans des sociétés et des dynamiques sociales et politiques, traver­ sées de contradictions. Et celles du Niger ne font pas exception. Au sein d'une société largement fondée sur des réseaux familiaux et clientélistes, les associations nigériennes sont traversées par ces logiques, marquées par la référence aux modes de gouvernance chefferial et étatique. Le multi-positionnement des leaders, entre État et associations, les nom­ breux liens familiaux et amicaux entre agents de l'État et acteurs associa­ tifs, la gestion clientéliste et patrimoniales des associations par leur fonda­ teur, l'instrumentalisation politique et financière des associations par le politique et l'État sont ainsi répandus. Les mobilisations sociales sont davantage le fait de leaders que d'organisations structurées impliquées durablement dans le débat public et la construction de rapports de force. Dans un contexte de crise de l'emploi, de dépendance à l'aide et de gestion de l'extraversion, d'opportunités de financement liés à l'évolution des poli­ tiques des bailleurs de fonds, les associations sont le support de formes multiples de courtage en développement qui se déploient de la capitale jus­ qu'aux villages les plus reculés. Ces logiques sont d'autant plus fortes que l'accès à la rente de l'aide est de toutes façons une condition d'existence de ce secteur, qu'elle est un moyen de légitimation comme de promotion personnelle et est socialement considérée comme une forme de réussite sociale, et qu'une culture d'instrumentalisation de l'aide dans des buts personnels et/ou politiques s'est développée au fil de cinq décennies d'aide. Pourtant, nous l'avons vu, le procès fait aux organisations de la société civile nigérienne est largement trop systématique. La forêt cache de nom­ breux arbres, une forte diversité. De nombreuses organisations travaillent dans l'ombre. Au sens même de la «routinisation de l'extraversion» (Pommerolle, 2(08), des personnes cherchent à conjuguer stabilisation de leur situation professionnelle et engagement militant. Le branchement sur les réseaux de l'aide ne peut être lu uniquement sous l'angle de la rente et de l'enrichissement personnel. Dès lors qu'il n'y a ni philanthropie laïque finançant un secteur d'économie sociale, ni subventions publiques, les associations sont encore plus dépendantes des ressources financières exté­ rieures que l'État. L'accès à des financements internationaux est dans bien des cas une condition pour pouvoir agir (en tous cas à une certaine échelle); une condition pour pouvoir consacrer une part significative de son temps à un engagement associatif. Les liens à l'international sont également une opportunité d'ouvertures et d'échanges et l'accès à des res­ sources intellectuelles, parfois à un soutien politique: comme J.-F. Bayart (1999) l'a montré il y a une quinzaine d'années, l'extraversion est aussi une ressource. En même temps, cette extraversion produit des effets dura­ bles dans les façons de penser et d'agir, elle soumet aux problématisations internationales, elle contraint l'autonomie. Comme le disait un cadre de l'État à propos de la négociation de l'aide, parfois, «il faut faire l'âne pour avoir le foin» (Lavigne Delville et Abdelkader, 2010: 35). L'abondance relative des financements (quelques pourcents de l'aide internationale, rappelons-le), et le nombre d'institutions affirmant soutenir 288 AIDE INfERNATIONALE Er socrsrss CIVILES AU NIGER la société civile voile le fait que, en pratique, la plupart des organisations sont soumises à une précarité des ressources qui leur rend difficile de poursuivre un projet propre, de stabiliser une organisation et une équipe. Découlant à la fois de la prolifération d'organisations et des modalités de financements, cette précarité financière rend difficile pour les associations de fidéliser des équipes expérimentées, d'autant que le personnel asso­ ciatif est soumis aux pressions familiales pour de meilleurs revenus, aux sollicitations de la parentèle, aux attraits des offres de postes par les ONG et les institutions internationales, et cherchent légitimement à stabiliser sa trajectoire dans ces organisations ou dans des positions politiques jugées plus sûres. Elle soumet davantage les individus comme les organisations aux sirènes de la récupération politique ou de la recherche de rentes du développement. L'analyse que nous avons faite des difficultés d'institu­ tionnalisation des petites ONG (mais elle vaut plus largement pour d'autres types d'organisations) met en lumière cette tension et montre que, finalement, l'environnement financier et institutionnel dans lequel se déploient les associations est très inégalitaire et finalement guère favo­ rable pour la majorité d'entre elles. Si notre analyse est juste, cette fragilité institutionnelle relève fonda­ mentalement de la modernité insécurisée que vivent les sociétés africaines dans le contexte du post-ajustement, caractérisé par un marché du travail sinistré. Elle est aggravée par le fait que, dans ce marché du travail sinistré, les projets de développement et les organisations liées à l'aide sont devenus un des secteurs d'emploi pour les diplômés - secteur marqué par de très fortes inégalités de salaires et de conditions entre ses différents segments, au détriment des organisations nationales -, et par la systémati­ sation des logiques de marché dans un contexte de concurrence exacerbée pour les financements. Elle a été accentuée, dans le cas du Niger, par les variations brutales de l'aide, puis par la quasi-disparition des politiques d'appui institutionnel, rendant difficile la consolidation d'un ensemble relativement solide d'organisations. Les salariés des quelques organisa­ tions qui ont réussi à stabiliser des ressources externes et des équipes, certains leaders d'organisations par ailleurs précaires qui stabilisent leur propre position par la multiplication des responsabilités et des fonctions, réussissent à stabiliser une situation personnelle et professionnelle, voire à accumuler. Mais ce n'est pas le cas, loin de là, de la majorité des membres et des volontaires des associations. Dans la plupart des cas, vouloir se construire une trajectoire de salarié associatif d'une organisation nigé­ rienne, c'est accepter une certaine précarité de l'emploi, des ressources aléatoires ou limitées. La prégnance d'une conception à la fois chefferiale et entreprenariale du pouvoir dans les associations favorise sans conteste des pratiques de centralisation du pouvoir, de rémunérations du dirigeant (occultes ou en tous cas illégitimes du point de vue de la norme associative et de celle des bailleurs de fonds), de redistribution clientéliste, voire de refus de trans­ parence, en même temps qu'une faible capacité de régulation par les CONCLUSION 289

mécanismes de la gouvernance associative. Mais la précarité du marché du travail, la fragilité institutionnelle et financière du secteur associatif, les rapports ambigus entre États, partis politiques et associations, expli­ quent aussi les logiques opportunistes largement dénoncées. L'ampleur de cet opportunisme résulte également, très clairement, des politiques d'aide, des nombreuses incitations financières données aux associations et aux aNG, d'un accent mis sur la « société civile» pour elle-même sans tou­ jours d'exigence de pertinence ou de qualité des actions, de modes de financement fondés sur le projet ponctuel, des fluctuations de modes et de thématiques, de la difficulté à se faire financer pour sa mission propre par des bailleurs ou des aNG davantage à la recherche de sous-traitants ponc­ tuels pour leurs propres projets que d'acteurs autonomes. Si des aNG peuvent voir leurs financements renouvelés même en l'ab­ sence de transparence, si des aNG tout juste créées peuvent avoir des financements, si une aNG d'éducation peut rapidement postuler pour des programmes de santé, c'est bien parce que certaines aNG internationales, certains bailleurs de fonds, et les projets publics financés par l'aide et qui recrutent les aNG nationales en sous-traitants, l'acceptent et ne sont guère regardants. Si une aNG nigérienne doit tordre les règles budgétaires pour sauvegarder un peu de ressources propres et tenter de lisser, tant bien que mal, les hauts et les bas de financement, c'est bien parce que ces règles, qui sauf exception ne financent que des projets de court terme et refusent ou limitent les frais de structure, sont incohérentes avec la réalité écono­ mique de la plupart des aNG nationales. Et l'analyse vaut, plus largement pour les organisations de la société civile qui, à un titre ou un autre, sont en lien avec le système d'aide et recherchent ou bénéficient de finance­ ments. Il n'en demeure pas moins qu'un certain nombre d'organisation sont passées maîtres dans l'art de négocier des financements tout en résistant aux injonctions à la de transparence; que les refus de toute régulation, qu'elle soit étatique ou corporatiste, sont forts: les échecs des tentatives de «chartes de la société civile» l'ont bien montré. La révélation de malversations au sein de l'ANDDH, début 2013, montre aussi que les financements par projet ne sont pas la seule cause des problèmes de trans­ parence et de fragilité institutionnelle: organisation parmi les plus anciennes et les plus solides sur le thème des droits de l'homme, l'ANDDH avait bénéficié tout au long de son histoire de soutiens institu­ tionnels de long terme de la part d'organisations européennes. 290 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Que faire avec la « société civile» et pourquoi? L'aide internationale entre projections normatives et culture bureaucratique

ONG internationales, fondations, coopérations bilatérales, institutions internationales: toutes affirment vouloir appuyer la société civile, consi­ dérée comme un élément nécessaire d'une société plurielle et démocra­ tique. Au-delà de ce principe très général, les acceptions politiques de ce qu'est la société civile sont variées, de même que les conceptions des rapports société/État. Deux tendances dominent, qui se recouvrent large­ ment mais ne se superposent pas totalement: d'une part, une vision (néo) libérale d'organisations défendant les libertés individuelles et le marché contre l'État, offrant aux pauvres un filet de sécurité évitant de remettre en cause les inégalités structurelles, et d'autre part, une vision fonctionnaliste d'organisations parties intégrantes du système d'aide, mettant en œuvre de façon mécanique, technicisée et dépolitisée, des projets définis par d'autres (les bailleurs de fonds, les ONG internationales). Mais il existe aussi, portées par certaines ONG internationales ou fondations politique­ ment engagées, des visions moins fonctionnalistes, questionnant ces inégalités sociales, souhaitant promouvant un débat public ouvert sur les choix politiques, voulant peser sur les politiques par la mobilisation et les rapports de force. Et des approches cherchant à promouvoir un tiers-sec­ teur professionnalisé, capable à la fois d'être engagé dans la mise en œuvre de services effectifs aux populations et en interface avec l'État dans la définition de politiques plus inclusives.

Les bailleurs de fonds et la promotion de la société civile: les limites de l'explication par le néo-libéralisme

Une partie des sciences sociales, on l'a vu, considère que la valorisa­ tion de la société civile par les institutions internationales fait partie de leurs stratégies néo-libérales de contournement de l'État. A lire l'histoire des politiques de l'Union européenne, l'idée d'un tel complot néo-libéral sort sérieusement écornée. La promotion de la société civile dans les années 1990 se situe à la confluence de courants variés. Loin de l'image d'une doctrine claire et univoque que les Accords de Cotonou permet­ traient d'entériner, c'est un processus contingent que révèle l'analyse empirique, tant au niveau de Bruxelles que de Niamey, avec des visions politiques plurielles qui se confrontent, des incertitudes, des hésitations, des controverses, tant sur le sens politique de la reconnaissance des «acteurs non étatiques» que sur le contenu à donner à cette notion ambigüe, Au niveau de Bruxelles, on a vu des « policy entrepreneurs» lutter pour promouvoir une conception plus politique des rapports entre l'UE et les organisations de la société civile, contre des résistances de CONCLUSION 291 l'institution, liées à la culture institutionnelle de la Commission, à une conception instrumentale de la société civile, à des routines bureaucrati­ ques. Et dix ans après, une évolution de la doctrine de l'UE qui institu­ tionnalise sa reconnaissance de la société civile dans les pays tiers, en tension croissante avec une conception du dialogue politique qui reste principalement interétatique, et une culture bureaucratique renforcée par les réformes institutionnelle des deux dernières décennies. Quand bien même Bruxelles aurait eu une doctrine claire, les différentes étapes de traduction entre les orientations politiques à Bruxelles et les dispositifs définis dans les pays, à travers les intermédiaires partiellement autonomes que constituent les Délégations, auraient de toute façon induit des déca­ lages importants entre les premières et les seconds. Au niveau de la Délégation de l'UE à Niamey, au début des années 2000, plus qu'une volonté affichée de mobiliser les acteurs non étatiques pour contourner un État défaillant, c'est une méfiance vis-à-vis d'une société civile mal connue et, à l'exception de quelques acteurs engagés, une culture de la relation à l'État que l'enquête a révélée. Cette méfiance se doublait d'une profonde méconnaissance des réalités sociales et politiques des organisations de la société civile qu'un « mapping » descriptif n'a qu'en partie compensé, et d'une incertitude sur « pour quoi renforcer la société civile», le tout se combinant pour polariser la réflexion sur la question des instruments et des canaux de financement: l'accent sur le « comment? » a aidé à évacuer la question du « pour quoi? ». Promo­ tion des droits humains, promotion d'une action publique locale pluri­ acteurs: les finalités du futur projet de renforcement de la société civile sont longtemps restées incertaines, on l'a vu. Autant qu'une conception positive des enjeux de la société civile, le choix politique de privilégier les « organisations de base» témoigne d'un refus de travailler avec les organisations de Niamey et de tenter de mettre en œuvre l'ambition de «dialogue politique» entre État et OSC inscrite dans les Accords de Cotonou. Le PASOC internalise des objectifs en partie contradictoires, sans que les arbitrages aient réellement été faits, sans que la cohérence du dispositif opérationnel à ces objectifs ait été assurée. Certes, les tenants du néo-libéralisme valorisent la société civile, mais c'est aussi le cas dans une conception politique tocquevillienne. La « par­ ticipation» a différentes significations politiques et fait aussi partie des stratégies de relégitimation de la bureaucratie (Bacqué, Rey et Sintomer, 2005b). Les visions technicisée, a-politisée, des rapports État/société promues par les institutions d'aide doivent autant à leur culture techni­ cienne et bureaucratique, au « populisme bureaucratique» inhérent à l'aide au développement (Chauveau, 1994) - et même plus largement à l'inter­ vention sociale' -, qu'au dogme néo-libéral, si l'on entend par là le projet d'un État minimal, d'une marchandisation des rapports sociaux, et d'une

2. Sur les proximités entre interventions de développement et interventions sociales, cf. Lavigne Delville, 2011b: p.135sq. 292 AIDE INTERNATIONALE Er SOCINÉS CIVILESAU NIGER logique autoritaire de gestion des pauvres et de la contestation du marché (Wacquant, 2010; Hilgers, 2012). L'explication par le néo-libéralisme tend à jouer sur la polysémie du terme, entre acception large (on est depuis les années 1980 dans un contexte global néo-libéral) et idéologie clairement définie. Elle évite surtout de s'interroger empiriquement sur l'origine et le contenu des poli­ tiques de promotion de la société civile dans les différentes institutions d'aide, les controverses qui les ont scandées, les enjeux concrets des discours sur la société civile dans les stratégies et les luttes institution­ nelles qu'elles connaissent. Le cas de l'Union européenne invite à rouvrir le débat, pour d'autres institutions.

Des conceptions a-sociologiques des rapports État/société, une conception technicisée de l'action sociale

Il n'en reste pas moins que, dans leur diversité, les argumentaires valo­ risant la société civile et les stratégies opérationnelles sont profondément a-sociologiques. Qu'ils mettent en avant une conception fonctionnaliste ou une conception « progressiste» de la société civile et de ses rôles, ils sont exprimés en termes généraux, universalisant, et valorisent la société civile pour elle-même, comme si elle était naturellement vertueuse. Ils proposent un cadre de réflexion à la fois très abstrait et très normatif sur ce qu'est ou devrait être la société civile, bien loin de l'histoire mouve­ mentée des rapports à l'État, du bruit et des fureurs de l'histoire. Une idée abstraite de société civile domine sur l'appréhension des sociétés civiles réelles, multiples et contradictoires, nécessairement ancrées dans leur société et son histoire, dans des rapports complexes au politique. Il est frappant de constater à quel point le clivage entre sciences sociales et monde du développement se reproduit sur ce thème de la société civile, qui renvoie pourtant par définition aux sciences sociales. Lorsque, en 2000, l'Union européenne met en avant la question des « acteurs non étatiques », une abondante littérature en anglais discute déjà la pertinence de la notion de société civile dans des contextes non occi­ dentaux, met en question sa valorisation par les institutions internatio­ nales, questionne la signification sociale et politique des organisations se revendiquant de la société civile. L'équipe qui, à Bruxelles au début des années 2000, réfléchissait aux stratégies d'appui aux ose et portait une forte ambition politique, a mobilisé des consultants professionnels engagés, des thinks tanks spécialisés dans l'aide, des praticiens dotés d'une solide expérience et pour certains d'une formation sociologique, mais pas des chercheurs en sciences sociales. Elle n'a pas jugé utile de commanditer et diffuser une synthèse de la littérature en anglais des années 1990, qui posait déjà l'essentiel des questions et des débats. De même, au Niger, au début des années 2000, des membres de la Délégation ont eu des discussions amicales sur la question de la société CONCLUSION 293 civile avec des universitaires nigériens. Mais ils n'ont pas demandé un état des connaissances, une mise en perspective analytique, sous un angle de socio-anthropologie du développement ou de sociologie politique. Un tel questionnement a-sociologique sur la société civile fait écho aux conceptions techniques et bureaucratiques de l'intervention de développe­ ment, lesquels mobilisent des notions générales, de bonne gouvernance, de participation qui voilent ou euphémisent les enjeux sociaux ou socié­ taux (Cornwall et Brock, 2005) et cherchent à « techniciser la société» (Li, 2011). De nombreux travaux ont dénoncé cette technisation du social par les discours et les instruments de l'aide, au confluent d'une conception fonctionnaliste du social et d'une culture bureaucratique de l'intervention sociale qui, mieux que le terme trop large de « dépolitisation» me sem­ blent caractériser la culture institutionnelle de l'aide. Lorsque des enjeux de société sont posés - comme lors de l'élaboration du PASOC avec la construction d'une citoyenneté locale, l'ancrage de la culture démocra­ tique, la protection des filles contre le mariage précoce - c'est trop souvent de façon elle-même neutralisée et technicisée, loin des rapports sociaux concrets de la société nigérienne, de la dynamique des pouvoirs locaux, du débat sur les pressions du fondamentalisme religieux. Du fait des logi­ ques de l'opérationnel et du gap entre policy and project design, ces enjeux sociétaux disparaissent ensuite, ou deviennent largement évanes­ cents et technicisés dans les problématisations pratiques, dans les disposi­ tifs concrets, Constituées de techniciens, prises dans le jargon du discours du développement, souvent soumises aux demandes de financements auprès de bailleurs de fonds publics, les ONG internationales tendent elles­ mêmes à promouvoir ou en tous cas à reprendre le langage d'une telle action publique technicisée, qui déteint sur les organisations de la société civile elles-mêmes.

Primat des instruments et bureaucratisation de la société civile

L'analyse du processus de formulation du PASOC 1 révèle, à la Délé­ gation de Niamey, des incertitudes sur la finalité de cette volonté « d'ap­ puyer », de « renforcer» les organisations de la société civile, incertitudes qui demeurent jusqu'à aujourd'hui. Mais finalement, on peut se demander si les modalités concrètes de l'appui et les instruments mobilisés ne sont pas plus problématiques que les flous des cadres conceptuels et politiques. Au-delà des doutes de la Délégation de l'Union européenne sur les orga­ nisations de Niamey, au-delà du débat sur la pertinence d'appuyer les petites organisations dans les régions, au-delà des hésitations sur l'objectif de ces financements, c'est bien l'incohérence et les contradictions entre l'objectif affiché (renforcer ces organisations), lui-même bien peu problé­ matisé, et les instruments mis en place qui posent question, tant par rapport à la « rationalité» affichée des démarches projet, que par rapport à l'ambition de « renforcer» la société civile. 294 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Ce que «renforcer» veut dire n'a finalement guère été approfondi. Différents éléments se sont télescopés, aboutissant globalement à un sou­ poudrage d'actions ponctuelles et à un apprentissage du «ficelage de dossiers»: un ciblage sur les «organisations de base» et non sur des collaborations entre OSC d'expériences différentes, un découplage entre formation et action, un sous-dimensionnement des équipes régionales, un principe de mise en concurrence couplé à une sélection exclusivement bureaucratique des projets, des règles de gestion inadaptées imposées sans nuances au début. Ces choix de dispositif et de procédures s'opposaient à l'expérience des ONG nationales ou internationales (parfois financées par l'UE sur d'autres lignes !) qui travaillaient au Niger au renforcement d'or­ ganisations locales: celles-ci ont défini des modalités de sélection qui ne sont pas seulement bureaucratiques, mettent en œuvre des appuis qui combinent accompagnement de la réflexion et des apprentissages et mobi­ lisation prudente de ressources financières permettant d'apprendre à agir, dans des démarches qui supposent une certaine proximité, une certaine durée, un couplage entre expérience de mise en œuvre d'actions et appren­ tissages. Ces projets et ces ONG agissent certes dans un autre cadre institu­ tionnel et avec des instruments largement différents, ou en tous cas mobi­ lisés dans des proportions clairement différentes. Christophe Courtin (op.cit.) a sévèrement critiqué le principe de mise en concurrence, la . culture du soupçon, les règles de redevabilité formelles qui sont selon lui au cœur de la culture bureaucratique de l'Union européenne. Pourtant, même avec une unité de gestion de projet et des appels à projets concur­ rentiels, rien n'interdisait de doser différemment les ingrédients: avec d'une part une réflexion sérieuse sur les nécessaires adaptations des règles de gestion, un accent mis sur l'accompagnement, un dimensionnement cohérent des équipes d'appui de terrain, des modalités de recrutement assurant un minimum de redevabilité de ces équipes; et d'autre part, une sélection qui permette aux OSC de présenter elles-mêmes leur projet à l'échelle régionale, une meilleure gestion des temporalités des devis-pro­ grammes permettant d'accompagner des OSC sur une durée compatible avec les apprentissages, des modes de suivis qui ne soient pas seulement bureaucratiques mais mettent l'accent sur la réalité des pratiques et l'ac­ compagnement de la réflexivité des OSC appuyées sur ce qu'elles ont fait, les difficultés rencontrées, les leçons à en tirer. Dans l'absolu, rien de cela n'est impossible y compris dans le cadre des contraintes bureaucratiques de l'Union européenne, même si le choix de cibler les petites organisations le rend plus difficile. Les règles et les procédures ne s'appliquent pas mécaniquement. Des options, des marges de manœuvre, des espaces de jeu ou de négociation existent, on l'a vu, pour échapper aux routines institutionnelles et aux facilités des dispositifs et des procédures connues mais qui n'ont pas été faites pour ce type d'ac­ tions, et pour mobiliser les outils et procédures au service du projet poli­ tique, au lieu que celui-ci se retrouve appauvri par l'instrumentation. Mais CONCLUSION 295

cela suppose une claire conscience des enjeux, une forte volonté politique, des savoir-faire. Dans le cas du PASOC 1,la question de la dynamique des organisations, de ce qui explique que certaines aient réussi à se consolider et d'autres pas, de leurs attentes, des références disponibles au Niger n'a pas vraiment été posée. Les nombreuses mises en garde des consultants mobilisés pour les différentes études préparatoires n'ont pas permis de contrebalancer cette culture bureaucratique, qui a même été aggravée par le bureau d'études chargé de la mise en œuvre, au démarrage du projet. Pointer les contradictions du PASOC 1 et leur genèse éclaire la façon dont un projet est défini, par une suite de cadrages, de controverses, d'ar­ bitrages qui réduisent progressivement le champ des possibles et construi­ sent des sentiers de dépendance, et montre le poids des institutions dans ces processus, à travers leurs représentations, leurs cultures institution­ nelles, leurs instruments: une autre institution d'aide n'aurait pas forcé­ ment posé les mêmes cadrages, n'aurait pas fait le même projet. Mais il ne faut pas oublier que le PASOC est en même temps une illustration de processus plus larges de bureaucratisation de l'aide, en contradiction avec les objectifs de plus en plus sociaux et politiques qui lui sont assignés (Lavigne De1ville,2012). Les agents des agences d'aide, les consultants, les ONG internationales elles-mêmes sont prises par ces dynamiques de « bureaucratisation du monde à l'ère néo-libérale» (Hibou, 2012), qui ne doivent pas qu'au néo-libéralisme mais résultent aussi d'un souci crois­ sant de réduction des risques et de traçabilité des dépenses. Ces dynami­ ques de bureaucratisation dépassent largement le monde de l'aide au déve­ loppement, mais elles s'y appliquent aussi, et d'autant plus vivement que, comme l'intervention sociale, l'aide est caractérisée par un découplage entre fournisseurs de ressources et bénéficiaires (de Gaulejac, Bonetti et Fraisse, 1995): pour réduire les coûts administratifs, les agences d'aide réduisent leur personnel, l'enfermant dans les tâches administratives et dans une supervision strictement bureaucratique et comptable sans lien direct avec le terrain et les actions financées, ce qui renforce la pression aux comptes rendus factuels et comptables et la déconnexion par rapport aux processus en cours, tout en forçant les ONG et les associations à elles­ mêmes se bureaucratiser pour faire face à ces exigences. Les ONG internationales sont-elles mêmes soumises à ces logiques de marché et en reportent les contraintes sur leurs partenaires. Celles qui, parce qu'elles bénéficiaient de financements pluri-annuels pour leur mission, avaient conçu leur stratégie en termes d'appui aux ONG du Sud voient leurs financements structurels réduits et se retrouvent obligées de rentrer dans la compétition pour les ressources. Elles entrent ainsi en concurrence avec les ONG du Sud qu'elles affirmaient renforcer, et ne les mobilisent plus que dans une logique de sous-traitance. Au-delà des débats sur la façon qu'ont les bailleurs de fonds de concevoir la société civile et son rôle dans la société, les modalités de financement, les procédures administratives et les cultures organisationnelles déterminent largement le champ des possibles. 296 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER

Et dès lors que les logiques de mise en concurrence dominent, que les formations visent à apprendre la comptabilité et à rédiger un projet dans les nonnes de l'aide, comment s'étonner que les organisations de la société civile se bureaucratisent, cherchent avant tout à se placer sur un marché au risque d'une perte de sens? Que la notion de militantisme s'étiole?

Une double influence des discours et des modalités de financement

L'influence de l'aide sur les organisations se joue ainsi à un double niveau. Celui des discours sur la société civile, ses vertus supposées, ses rôles souhaités, celui des catégories de pensée et des visions normatives qui sont véhiculées, d'une part. Celui des financements, de leurs règles et de leurs instruments d'autre part. L'accès aux financements internationaux permet aux OSC nigériennes de faire des choses qu'elles ne pourraient pas faire sans. Mais, à l'excep­ tion des appuis à la mission, liés à un partenariat stratégique, ces finance­ ments sont conditionnés à des objectifs ou des démarches pré-définies. Ils supposent des modes de restitution et de comptabilité, légitimes sur le principe, mais pas toujours adaptés dans leurs modalités à la diversité des organisations. Ils peuvent mettre en péril la dynamique interne des organi­ sations, d'autant que le marché du travail dans le secteur de l'aide est tota­ lement sans référence. Dans un pays où, pour des raisons variées dont les interruptions successives de l'aide, un tissu d'organisations solides et reconnues peine à se consolider, la généralisation des logiques de mise en concurrence, la faible durée des financements, les fluctuations de ressources qui en découlent renforcent la fragilité des organisations et leur difficulté à stabiliser une équipe et des ressources. Comme le soulignent plusieurs observateurs, « la gestation des associations, et des ONG de développement en particulier, fut en Europe très éloignée des prescrip­ tions et exigences appliquées aux ONG africaines contemporaines» (Pirotte et Poncelet, 2002: 77). Reconnaître ceci n'est en aucun contester la légitimité d'une exigence des financeurs quant aux actions menées et à l'usage des ressources four­ nies, ni entériner la revendication d'une absence de transparence et de redevabilité, au nom du partenariat, de la confiance ou de l'autonomie: le soutien financier sans conditions à des organisations, du fait d'un posi­ tionnement « progressiste» ou d'une confiance un peu aveugle dans des responsables aguerris à la maîtrise du discours, n'est pas non plus un modèle et engendre d'autres types de dérives. Mais c'est poser une série de questions sur les effets induits des différentes offres d'appui et de financement dans des contextes extravertis, sur les types d'organisations inclues ou exclues par chacune. Des questions aussi sur les conditions dans lesquelles ces appuis permettent aux organisations d'améliorer la CONCLUSION 297 pertinence et la qualité de leurs actions et en même temps de se consolider institutionnellement, ou encouragent au contraire les logiques opportu­ nistes et d'instrumentalisation de l'aide. C'est finalement, dans ces rela­ tions inévitablement ambigües et asymétriques que constituent l'aide, poser la question dès tensions et contradictions entre ingérence et appui, autonomie et contrôle (Naudet, 2000), entre redevabilité interne (par rapport aux membres), redevabilité vis-à-vis des bénéficiaires des actions, et redevabilité vis-à-vis du financeur", questions qui se posent d'autant plus vivement que le financement ne vise pas seulement à mettre en œuvre des actions préprogrammées dans une logique de sous-traitance.

Poser les contradictions et en débattre, pour tenter de les dépasser en partie

Les rapports entre aide internationale et sociétés civiles sont marqués, de part et d'autres, par de profondes insatisfactions. Les responsables d'OSe qui sont engagés dans leur organisation et cherchent à la faire vivre voient avec amertume les carrières politiques ou l'enrichissement de certains de leurs pairs, les fortes inégalités et le clientélisme - ou ce qu'ils interprètent comme tel - dans l'accès aux financements, les pratiques corruptives liées aux appels d'offres publics. Ils sont soumis aux pressions sociales, ont souvent des difficultés à comprendre les politiques des bailleurs et à faire valoir leurs propres projets, subissent les exigences contradictoires de certains bailleurs de fonds, les normes bureaucratiques ou financières inadaptées, la concurrence des ONG internationales sur leurs ressources humaines. Entre résignation, soumission et révolte, ils tentent de trouver une place, pour eux et pour leur organisation. Les agents des ONG internationales et des bailleurs de fonds, y compris ceux qui souhaitent promouvoir une société civile autonome, déplorent le refus de transparence, les pressions subies, le refus des contraintes de redevablité, les expériences de fonds détournés, l'incompétence, l'opportunisme et sont d'autant plus choqués ou déçus qu'ils partaient d'une vision idéalisée de la société civile. Mais bon nombre d'entre eux sont aussi très critiques sur les logiques de l'aide, sur la bureaucratisation et la perte de sens de la coopération et de leurs propres institutions, sur les incohérences et les normes inadaptées, et sur ce que cela induit sur leurs partenaires. Pour l'essentiel, ces critiques et ces frustrations demeurent des propos privés. Le discours officiel valorise le partenariat. Les problèmes de « gouvernance» des associations sont largement mis en avant dans les discours de l'aide, mais c'est le plus souvent dans des termes choisis. Les

3. Sur les multiples redevabilités des agents des services publics en Afrique, cf. Blundo, 2012. 298 AIDEINTERNATIONALE Er SOCIÉfÉSCIVILES AU NIGER

écrits, les prises de paroles lors des rencontres sont le plus souvent euphé­ misés, d'un côté comme de l'autre, même si elles sont parfois troublées par des critiques violentes et unilatérales de leaders associatifs qui se décrédibilisent elles-mêmes par leur excès ou les pratiques de ceux qui les portent. Là où les critiques des uns tendent à dénoncer les pratiques indi­ viduelles des autres (et réciproquement) ou au contraire des logiques très globales (« la » conception du pouvoir dans la société nigérienne, « le » système d'aide »), l'analyse proposée dans cet ouvrage a cherché à dépasser le constat - finalement banal- que ose et acteurs de l'aide n'ont ni les mêmes logiques ni les mêmes intérêts, que l'aide n'est pas désinté­ ressée et est ambigüe, pour mettre à jour la structure et la dynamique des interactions, à dépasser la mise en cause des individus pour mettre à jour les logiques dont ils participent et qui les dépassent, tant d'un côté que de l'autre. Elle a explicité les contradictions dans lesquelles se déploient les sociétés civiles réelles et les organisations qui s'en réclament, les contra­ dictions des interventions de développement en leur faveur, l'ambigüité structurelle d'une relation inévitablement asymétrique et équivoque. Elle a aussi cherché à mettre à jour la diversité des configurations et des prati­ ques, et les espaces de jeu au sein des déterminations, pour éviter un discours qui, parce qu'il serait trop systématique, ou céderait à la facilité d'une critique durcissant les interprétations, risquerait d'être manichéen ou déterministe. Au-delà du dévoilement, de la mise à jour des logiques sociales, des contradictions, des formes de domination, les sciences sociales ont une utilité sociale si elles permettent aux acteurs sociaux de s'emparer de la critique, pour mieux penser leur situation, mieux comprendre les dynami­ ques dont ils participent, et leur donnent des ressources pour se penser et pour agir. Développant ces deux dimensions du dévoilement et de l'ac­ compagnement, François de Singly (2004: 20) rappelle que:

«Pour François Dubet, une théorie "crédible" doit, non seulement répondre "à des critères internes de scientificité", mais aussi être "proche de l'expérience des acteurs" [l994a, p.92]. Une théorie doit, idéalement, reposer sur deux types de reconnaissance, celle des pairs qui approuvent la mise en œuvre du travail scientifique, celle d'un certain public estimant que la vision savante du monde proposée ne lui est pas totalement étran­ gère, même si les deux ne se confondent pas et ne pèsent pas du même poids dans la formation de l'autorité scientifique».

Au-delà de sa portée académique, cette recherche aura une utilité si elle donne aux acteurs concernés par la question de la société civile, au Niger et plus largement en Afrique de l'ouest, des ressources pour mieux comprendre les jeux dont ils participent, les logiques et les contraintes qu'ils vivent, mais aussi les logiques et les contraintes de l'autre partie. Si elle aide ceux qui ne se satisfont pas des situations qu'ils vivent à poser et débattre de ces contradictions, à partir de points de vue sur les sociétés civiles réelles et sur une aide internationale elle-aussi « réelle ». CONCLUSION 299

Sans reprendre tous les éléments soulevés dans cet ouvrage, trois points de réflexion me semblent cruciaux à l'issue de ce travail.

Que signifie un engagement associatifdans un contexte de modernité insécurisée et d'extraversion?

Reflétant une société de professions libérales et de salariés, le modèle associatif de la loi de 1901 repose sur un engagement collectif de membres bénévoles, et parfois d'équipes de professionnels salariées. Clairement, ce modèle pose problème au regard de la sociologie d'une part importante des associations et des ONG nigériennes, qui reflètent finalement les tensions qui traversent la société nigérienne dans un contexte de moder­ nité insécurisée et d'extraversion. C'est aussi cela que révèlent les contro­ verses sur la transparence, le bénévolat, le respect des textes, la politisa­ tion, au-delà du refus de transparence et de régulation d'une partie des OSC. Dès lors, ne faut-il pas prendre de la distance avec cet utopique modèle, et s'interroger sur ce que signifie une association ou une ONG dans le Niger d'aujourd'hui? Que signifie l'engagement en faveur de tiers ou de causes « dans un pays pauvre où tout le monde se cherche» ? Quelles sont les frontières souhaitables, les superpositions, les zones de flou ou de recouvrement avec la politique partisane? En quoi une association ou une ONG est-elle différente d'une entreprise ou d'un bureau d'études, vu leurs liens avec le marché de l'aide? Comment gérer la tension entre projet personnel, redevabilité envers les bénéficiaires et redevabilité envers le financeur? Qu'est-ce qu'être «volontaire»? A quelles conditions un membre peut-il prendre une responsabilité opérationnelle sans entrer en conflits d'intérêts? Certaines associations justifieraient-elles des modes de financements qui ne soient pas seulement ponctuels ou concurrentiels, ou un traitement fiscal spécifique? Comment en apporter la preuve? Peut-être une telle réflexion aboutirait-elle, non pas à abandonner toute idée d'engagement, de militantisme, mais à en redéfinir les contours dans le contexte du Niger d'aujourd'hui; à faire éclater les catégories d'ONG et d'association pour définir des catégories plus adéquates; à réserver le terme d'association aux quelques projets portés collectivement et à créer un statut d'entreprise sans but 1ucratif, ou d'entreprise du secteur de l' éco­ nomie sociale, pour les organisations relevant de projets plus individuels, que sais-je? Bref, à faire émerger des conceptions et des catégories nigé­ riennes sur ces questions. Les acteurs qui se revendiquent d'un engagement associatif, qui ne se satisfont pas de la « nébuleuse» de la société civile aux frontières floues avec l'entreprise et la politique, peuvent-ils collectivement formaliser et expliciter les critères qui définissent cet engagement associatif, ce qui distingue leurs organisations d'un bureau d'études ou d'une entreprise? Définir plus clairement où se situent, pour eux, les frontières entre le licite et l'illicite en termes de gouvernance interne, d'engagement ou de neutra- 300 AIDE INTERNATIONALE Er socrsrrs CIVILES AU NIGER lité politique, de séparation entre responsabilités dans la gouvernance et responsabilités salariales, d'indemnisation ou de rémunération, de façons de s'autofinancer à partir des financements de l'aide? Et - puisque la question de l'accès aux financements et celle de leur gestion est cruciale­ négocier avec les institutions d'aide des compromis acceptables en même temps que des traitements différenciés? Les projets successifs de charte ont ouvert le débat. Ils ont montré que la question de la régulation est un enjeu politique nigérien et pas seule­ ment un souci de bailleur de fonds. Mais une telle réflexion ne se fait pas seulement avec une étude, aussi pertinente soit-elle, comme en 2006, ni en quelques jours de débat comme en 2010. Toute tentative de définir des frontières et des cadres (qui seront nécessairement objets d'interprétations) se heurtera à des oppositions, à des contestations. Peut-elle prendre une autre forme qu'un long processus de maturation, fondé sur des réflexions, des échanges, des confrontations d'idées mobilisant des gens intéressés, au sein de différents cercles?

Comment favoriser des lieux autonomes d'élaboration d'une pensée critique et de pratiques sociales éprouvées, dans un contexte d'extraversion?

Les OSC mettent en avant de multiples thèmes d'action: la participa­ tion, la lutte contre la pauvreté ou la corruption, l'accès aux services, etc. Certains responsables ou salariés associatifs ont une analyse critique des pratiques de l'administration et des projets de développement, et dévelop­ pent des pratiques originales. Mais beaucoup reprennent les mots-clés du développement, sans guère de contenu, ou les thèmes de mobilisation internationale. La valeur ajoutée supposée du secteur associatif en termes d'ancrage social, de savoir-faire est plus postulée qu'avérée, d'autant plus que la pertinence et la qualité des actions n'est pas rarement le critère des financements, et que l'aide promeut le respect de procédures ou de métho­ dologies pré-définies, la «professionnalisation dans les ONG» pour reprendre l'expression de Freyss (2004), plus que la connaissance des acteurs et des enjeux, l'engagement et la capacité à faire sens. Comme l'explique Korten (2006), le premier enjeu pour qui veut agir dans le déve­ loppement est « d'apprendre à être efficace », ce qui suppose de connaître suffisamment les contextes et les acteurs, d'affiner la façon de poser le problème et les démarches, d'expérimenter et d'ajuster ses pratiques, dans le souci de coller à des contextes toujours en partie spécifiques et d'être réellement efficaces. C'est à ce prix que peuvent se développer des savoir-faire éprouvés, susceptibles d'être capitalisés, diffusés, voire mobilisés dans les politiques publiques, savoir-faire qui ne seront pas des « best practices » ni des méthodologies standardisées, mais un ensemble contextualisé et relativement stabilisé de façons de poser les questions et d'agir. CONCLUSION 301

La même question se pose pour la capacité des OSC à formuler des problèmes publics - ceux vécus par leurs membres, ceux qu'ils voient et qui les choquent -, à les publiciser. Pour leur légitimité à les porter et à faire pression pour leur prise en charge. Quelles OSC ont un ancrage dans la société et les groupes sociaux concernés, des expériences pratiques avérées, qui légitiment leur place dans les arènes de définition des politi­ ques publiques? Quelles convictions, quelles dynamiques organisation­ nelles, quels appuis, quels modes de financement l'ont rendu possible? Comment les OSC peuvent-elles développer leurs capacités à traduire ces vécus et ces expériences en analyses et propositions, de façon autonome? Quelles sont les conditions d'émergence d'un espace public? Au Niger comme ailleurs dans les pays sous régime d'aide, la façon de poser les problèmes publics, ceux qui posent problème et dont ont attend qu'ils soient pris en charge par l'État, les collectivités locales ou le secteur associatif, résultent trop souvent des formulations vagues issues de l'aide internationale, et pas d'un processus autonome de publicisation, faisant passer les problèmes vécus par des acteurs à des problèmes publics, formulés à partir des points de vue des acteurs locaux, et pour lesquels ces derniers se mobilisent et luttent. L'histoire des rapports État/société civile, et l'histoire de la prise en charge des problèmes publics, ne sont jamais simples et consensuelles, ni ne produisent des arrangements institutionnels standards, universels. Ce qui produit un état donné des rapports sociaux et des problèmes publics, ce sont au contraire des luttes politiques, des rapports de force, des conflits sociaux, à travers lesquels se confrontent des projets de société et à partir desquels s'édifient des réponses institutionnelles spécifiques, qui font évoluer à la fois les politiques publiques, l'État, les pouvoirs locaux, le secteur associatif et marchand, les services publics, dans des modalités qui relèvent d'histoires politiques et institutionnelles singulières. Le débat sur les politiques publiques ne peut se réduire à des ateliers initiés en fonction des besoins de légitimation de l'aide ou orientés sur le pilotage de programmes. Il ne doit pas être monopolisé par les institutions d'aide, être prisonnier de leurs cadrages et de leur langage. Le langage­ développement neutralise les analyses et les savoir-faire: capitaliser, for­ muler des orientations en termes de politique publique, suppose de pouvoir en sortir', Des lieux autonomes de réflexion critique, de capitalisation sur les expériences et les savoir-faire, et de construction d'analyses et de propositions sont nécessaires, qui soient ancrés dans des analyses sociales et des savoir-faire tant politiques que professionnels. Des lieux où les problèmes et les propositions de réponse sont formulés en termes politi­ ques, par rapport à des choix de société, à des enjeux d'inclusion et d'ex-

4. Sur la capitalisation d'expérience comme outil pour mobiliser la réflexivité des praticiens et construire des apprentissages collectifs, et l'importance du récit pour échapper au langage-développement, cf. Villeval et Lavigne Delville, 2004 et Lavigne Delville, 2011 : 83-96. 302 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER clusion sociale, à des revendications par rapport à l'État et aux services publics et fassent ainsi le lien entre des problèmes sociaux et politiques et des propositions de politiques publiques (policies) qui ne soient pas que technicisées et neutralisées ou plus exactement dont les modalités d'ins­ trumentation soient cohérentes avec les problèmes sociaux et politiques qu'elles prétendent traiter. Certaines associations tentent de jouer ce rôle dans l'espace public. Mais le souci de réflexion critique sur ses actions est-il internalisé dans les associations? Comment les savoir-faire sont­ ils capitalisés et transmis au sein des équipes? Existe-t-il des espaces d'échanges et de confrontation de pratiques permettant, au-delà des riva­ lités et des concurrences, d'apprendre collectivement, au sein des OSC ou entre professionnels d'un même secteur qu'ils soient fonctionnaires ou salariés associatifs, de façon décloisonnée? Quels espaces, quelles moda­ lités institutionnelles, quelles formes de financement peuvent l'encourager et le rendre possible? Les institutions d'aide qui affirment vouloir promou­ voir une société civile autonome sont-elles prêtes à questionner leurs modèles et leurs pratiques et à soutenir de tels espaces d'élaboration critique?

Réduire la précarité: financer durablement secteur d'économie sociale?

Les bailleurs de fonds ont des positions contradictoires: ils souhaitent une «société civile vibrante» sans s'interroger sur ses conditions de possibilité en particulier en termes de statut des personnes (qu'elles soient bénévoles ou salariées); ils voudraient des associations engagées mais ont peur des organisations revendicatrices; ils cherchent des organisations mettant en œuvre des fonctions de service public, mais qui ne soient pas des prestataires, tout en les enfermant dans une logique bureaucratisée d'action publique; ils souhaitent des acteurs de la société civile compé­ tents et disponibles pour les multiples réunions qu'ils suscitent (dans la journée, naturellement comme tous les professionnels) tout voulant des bénévoles et en critiquant ceux qui cherchent à faire une carrière associa­ tive; ils ont largement utilisé les OSC comme prestataires dans un marché concurrentiel, et s'étonnent de voir s'affaiblir le militantisme. De plus, chacun souhaite financer selon ses priorités et ses thèmes, sous forme de projet, sans voir les effets cumulatifs de ces pratiques. Finalement, on peut se demander si ce que les institutions internatio­ nales cherchent à promouvoir, ce n'est pas tant une société civile au sens fort qu'un «tiers-secteur », un secteur «d'économie sociale» (Baron, 2(07), capable d'assurer un lien entre la société et l'État, de contribuer au lien social, à l'inclusion sociale. En même temps, elles ne semblent pas avoir réellement réfléchi sur ses conditions d'existence, en particulier de financement, ou en tous cas pas vouloir les assumer. Or, ce que cherchent de nombreux fondateurs, membres ou volontaires d'OSC, c'est justement CONCLUSION 303 de se professionnaliser dans le secteur du développement, pour y trouver un statut, un poste, un cadre de travail, et pour certains un lieu où trouver du sens à son action. La consolidation d'un tel secteur suppose avant tout un environnement institutionnel et financier favorable, permettant à un tissu d'organisations d'émerger et de se stabiliser. Sur le plan légal, des réflexions sont en cours, qui ont du mal à avancer. Mais cela ne répondra pas aux enjeux de précarité, en particulier financière, du secteur asso­ ciatif. La question des conditions institutionnelles et financières qui permet­ traient à un secteur de l'économie sociale de se consolider au Niger n'est finalement pas posée. Comment rendre possible la consolidation d'un tissu d'organisations sachant comprendre les problèmes sociaux, agir de façon efficace, porter des références et des visions des politiques de déve­ loppement? Comment penser les modes de financement pour permettre aux organisations cherchant à répondre à des problèmes publics de se développer et de renforcer leurs capacités d'action et d'influence, et d'échapper à la pression du court terme sans pour autant donner des chèques en blanc? Comment réguler la concurrence sur les cadres et l'in­ flation des salaires induites par les institutions internationales? On peut se demander si la tendance actuelle au recentrage de l'aide sur les politiques publiques nationales, avec sous-traitance de la mise en œuvre aux OSC, représente une réponse cohérente, au sens où elle risque de renforcer la dimension clientéliste et prestataire des OSC.

Une sociologie d'intervention pour accompagner la réflexivité?

C'est d'abord aux responsables associatifs, s'ils trouvent ces questions pertinentes, d'en débattre, de les reformuler, de construire des réponses collectives puis de tenter de les négocier avec ceux qui, au sein des insti­ tutions d'aide, les partagent. A travers des études sur des trajectoires d'or­ ganisations, l'approfondissement de questions clés (sur la dynamique interne des organisations, sur les conceptions du bénévolat et de l'engage­ ment, sur l'impact des modes de financements, sur les rapports au poli­ tique, sur les mobilisations, etc.), la recherche en sciences sociales peut y contribuer, en proposant des analyses empiriquement solides, en promou­ vant leur restitution et leur mise en débat collective. Dans les années 1970, Alain Touraine et son équipe avait mis au point une démarche « d'intervention sociologique» (Touraine, 1978) auprès de mouvements sociaux en émergence, dans le double but de comprendre le sens de dynamiques de contestations non encore très articulées, et de contribuer à renforcer ces mouvements en favorisant leur capacité à expli­ citer et formuler la critique et les alternatives dont ils étaient porteurs. « Pratique d'une théorie qui s'appuie sur la capacité d'analyse et d'inter­ prétation des acteurs pour appréhender le sens de leurs engagements et des situations dont ils font l'expérience..., analyse d'une auto-analyse à 304 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉTÉS CIVILES AU NIGER partir d'un travail construit par des acteurs et des chercheurs» (Cousin et Rui, 2010: 8, cité par Bastide, 2011), cette démarche part de l'expérience des acteurs, repose sur des dialogues approfondis et réguliers au sein de groupes d'acteurs, et avec des sociologues qui soumettent leurs interpréta­ tions aux groupes. Peut-être un tel dispositif aurait-il sens auprès d'acteurs d'organisations de la société civile et d'agents d'institutions d'aide inté­ ressés à réfléchir collectivement à leurs expériences, leurs positions, leurs attentes au-delà des contradictions et des tensions inhérentes à leurs posi­ tions institutionnelles? Bibliographie

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Liste des sigles

AAP Appel à propositions. ACDI Agence canadienne de développement international. ACP Afrique Caraïbes Pacifiques. AD Association de développement. AES Alternatives Espaces Citoyens. AFC Alliance des Forces Démocratiques. AFVP Association française de volontaires du progrès. AG Assemblée générale. AIDCO Dispositif européen de coopération. ANBEF Association nigérienne pour le bien-être familial. ANDDH Association nationale de défense des droits de 1'homme. ANE Acteurs non étatiques. ANLC Association nationale de lutte contre la corruption. ANPl Association nigérienne pour la promotion des jeunes. AOF Afrique occidentale française. APAD Association euro-africaine pour l'anthropologie du chan­ gement social et du développement. APE Accords de partenariat économique. APRN Association nationale des puisatiers du Niger. AREN Association pour la redynamisation de l'élevage au Niger. ARIANE Programme d'appui et renforcement des initiatives des Acteurs non étatiques au Mali. AT Assistance technique. BIT Bureau international du travail. CAPED Cellule d'analyse et de prospective en développement. CDS-Rahana Convention démocratique et sociale. CCN Conseil consultatif national. CCAOD Chambre de concertation des Ong et associations de déve­ loppement. CDSCN Coordination démocratique de la société civile nigérienne. CDTN Confédération démocratique des travailleurs du Niger. CEDEF Convention sur l'élimination de toutes formes de discri­ mination à l'égard des femmes. CESOC Conseil économique et social. CFDR Coordination des forces pour la défense de la démocratie. CNCC Centre national de coopération et de crédit. CNDH/LF Commission nationale des droits de 1'homme et des libertés fondamentales. 332 AIDE INTERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

CNDP Conseil national de dialogue politique. CNDS Commission nationale de dialogue social. CNR Conseil de réconciliation nationale. CODDAE Collectif pour la défense du droit à l'énergie. CODDH Coordination des organisations de défense des droits de l'homme et de la démocratie. CONGAFEN Collectif des Ong et associations féminines du Niger. CROISADE Comité de réflexion et d'orientation indépendant pour la sauvegarde des acquis démocratiques. CSN Conseil de Salut National. CSO Civil society organization. CSRD Conseil supérieur de restauration de la démocratie. DCE Délégation de l'Union européenne. DED Service allemand de volontariat. DEVCO Développement et coopération (dispositif européen de coopération). DIMOL Organisation pour la promotion et l'épanouissement de la femme nigérienne. DONGAD Direction des Ong et associations de développement (Ministère du développement communautaire). DP Devis-programme. DSP Documents de stratégie-pays (Union Européenne). DSRP Documents de stratégie de réduction de la pauvreté. DUE Délégation de l'Union Européenne. ECDPM European center for development policy management. EIDOS European Inter-University Development Opportunities Study-Group. FDD Front pour la défense de la démocratie. FED Fonds européen de développement. FRDD Front pour la restauration et la défense de la démocratie. FUCOPRIZ Fédération des unions de coopératives de production de riz. FUSAD Front uni pour la sauvegarde des acquis démocratiques. GAMA Groupement d'appui au mouvement associatif. GAP Groupement des aides privées. GTZJGIZ Coopération technique allemande. HCCT Haut conseil des collectivités territoriales. HCR Haut commissariat aux réfugiés. IDDH Institut danois des droits de 1'homme. IRD Institut de recherche pour le développement. LASDEL Laboratoire d'études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local. MD Mémoire de dépenses. MNSD Mouvement national pour la société de développement. MOSADEM Mouvement de sauvegarde de la démocratie. MPRR Mouvement populaire pour la refondation de la répu­ blique. LISTEDES SIGLES 333

ND! National Democratie Institute. NOVIB Ong hollandaise (fondue depuis dans OXFAM). PADOR Potential Applicant Data On-Line Registration (Union Européenne). ODB Organisation de base. OIT Organisation internationale du travail. ON Ordonnateur national du FED. ONG Organisation non gouvernementale. ONDPH Organisation nigérienne pour le développement à la base du potentiel humain. ONIMED Observatoire nigérien des médias pour l'éthique et la déontologie. ORC Organisation révolutionnaire communiste. ORCONI Organisation des consommateurs nigériens. ORDN Organisation révolutionnaire pour la démocratie nouvelle. OS Organisation structurante. OSC Organisation de la société civile. OSCAR Organisations de la société civile appuyées et renforcées (programme d'appui UE au Bénin). PAMA Programme d'appui au mouvement associatif. PAS Programme d'ajustement structurel. PASOC Projet d'appui à la société civile (financement UE). PAT Protocole d'accord type. PTF Partenaires techniques et financiers. PIN Programme indicatif national (UE). PNDS Parti nigérien pour le développement et le socialisme. PNUD Programme des Nations-unies pour le développement. PPN-RDA Parti progressiste nigérien - Rassemblement démocratique africain. PREDEC Programme de renforcement de la démocratie et de la culture. PTF Partenaire technique et financier. RAIL Réseau d'appui aux initiatives locales. RAIL Sida Réseau des acteurs intervenant dans la lutte contre le Sida et les IST. RED Réseau environnement et développement. RODADDHD Réseau nigérien des Ong de développement et associations de défense des droits de l'homme et de la démocratie. ROADDH Réseau ouest africain des défenseurs des droits de l'homme. ROASSEN Regroupement des Ong et associations du secteur de la santé au Niger. ROSEN Réseau des Ong du secteur de l'éducation. ROTAB Réseau des organisations pour la transparence et l'analyse budgétaire. RNDP Révolution nationale démocratique et populaire. 334 AIDE INTERNATIONALE ET SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

SAMAN Syndicat autonome des magistrats du Niger. Six S Savoir Se Servir de la Saison Sèche au Sahel. SNAD Syndicat national des agents des douanes. SNEN Syndicat national des enseignants du Niger. SNV Netherland Development Organisation (Ong hollandaise). SongES Soutien aux Ong, empowerment, stratégies de développe­ ment (Ong de renforcement de capacités, Belgique et Niger). SRP Stratégie de réduction de la pauvreté. SUSAS Syndicat unique des agents de la santé. TDR Termes de référence. UE Union européenne. UENUN Union des étudiants nigériens à l'université de Niamey. UMR Unité mixte de recherche. UNC Union nationale des coopératives. UNCC Union nationale de crédit et de coopération. UGP Unité de gestion de projet. USAID United States agency for international development. USN Union des scolaires nigériens. USTN Union des syndicats des travailleurs du Niger. VSF Vétérinaires sans frontières (aujourd'hui AVSF: Agro­ nomes et vétérinaires sans frontières). Table des matières

Préambule...... 5 Préface...... 7 Introduction...... 9 Comment les institutions d'aide définissent-elles leurs politiques et leurs projets d'appui à la société civile?...... 9 Des Accords de Cotonou au PASOC J, l'invention de la politique de l' UE au Niger...... 10 Une contribution à une socio-anthropologie des «sociétés civiles réelles» au Niger...... 14 La promotion ambiguë de la « société civile» dans les politi- ques d'aide...... 17 Une socio-anthropologie de l'élaboration des politiques publiques 22 Les politiques publiques de développement, un nouvel objet pour la socio-anthropologie du développement 22 Une socio-anthropologie du développement comme action publique...... 25 Une recherche entre dévoilement et accompagnement...... 29 Structure de l'ouvrage...... 30

1. La mauvaise réputation des sociétés civiles nigériennes...... 31 Nébuleuse, opacité: la mauvaise réputation de la société civile nigérienne 32 Des organisations «militantes », simples légitimation de leaders politiques? 33 Des Ong opportunistes, mues par une logique mercantile? 34 Vingt cinq ans d'explosion associative: une brève histoire...... 38 Rapports sociaux, monétarisation de l'économie et associa- tionnisme local...... 38 Coopératives, syndicalisme et luttes anti-coloniales 39 De l'Animation à la Société de développement: l'encadre- ment de la société par l'État...... 40 Boom de l'uranium, crise de la dette et Conférence nationale: mobilisations sociales contre l'austérité et transition démocratique...... 42 336 AIDE INfERNATIONALE Er SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

L'explosion associative des années 1990...... 45 Crises politiques, coups d'États «démocratiques» de la décennie 1990 et suspensions de l'aide 51 Une décennie de stabilité et de retour de l'aide internationale 53 Fracture du Tazartché et nouveau «coup d'État démocra- tique »...... 58 Entre dynamiques sociétales, État et aide internationale...... 59 Entre contestation, cooptation et contrôle: OSC et rapports à l'État 59 Système d'aide et organisations de la société civile 63 Environnement institutionnel et trajectoires des «sociétés civiles réelles» 69

2. Les Ong nigériennes entre extraversion et modernité insécurisée 73 Au-delà de l'opportunisme et de la recherche de rente... 73 Faire carrière dans une Ong nationale, «dans un pays bien pauvre où tout le monde se cherche» 76 « Se chercher» dans les Ong nationales 76 La voie étroite du militantisme associatif... 85 Faire vivre une Ong: entre précarité des ressources financières et labilité des ressources humaines 89 Exister: siège, visibilité 89 Assurer des ressourcesfinancières 91 Constituer et maintenir des ressources humaines, dans un contexte de faible formation et de compétition inégale ...... 102 Gérer l'extraversion, etfaireface, malgré tout...... 107 Ong, «modernité insécurisée» et politiques des bailleurs de fonds 110

3. Réguler la société civile? L'échec des projets de charte...... 115 Codes, chartes: la régulation du secteur entre normes étatiques et privées 116 Les normes pratiques de la régulation des OSC 119 « Loyalty» et « exit» plus que « voice »: les limites de la régulation interne aux OSC 120 Une régulation publique fondée sur le laisser-faire et la menace de sanction politique 123 Les exigences ambiguës des bailleurs de fonds en termes de redevabilité 127 Affirmer un principe de désintéressement, organiser la repré- sentation: le projet de charte de 2006 et son enlisement 127 «Une société civile crédible, pour une démocratie forte» Le débat au Conseil Consultatif National (2010-2011) 131 La fracture du Tazartché et la réémergence du projet 131 TABLEDES MATIÈRES 337

« Qui a peur d'une charte des OSC? » La mise en cause de la légitimité du texte 135 Un projet revu, autour de la régulation de l'engagement politique 138 Un projet d'ordonnance adopté mais pas promulgué 141 Frontières, représentation, bénévolat, transparence, rapport à l'État: retour sur les controverses 143 Les doubles frontières de « la société civile» 144 Bénévolat, gouvernance interne des organisations, trans- parence financière 145 Politisation et rapport à l'État et aux partis 148 Institutionnaliser ou non les mécanismes de désignation des « représentants de la société civile» 150 L'impossible régulation des « sociétés civiles réelles»? 151

4. L'Union européenne, des Accords de Cotonou au «projet d'appui à la société civile », L'invention d'une politique ...... 155

Les Accords de Cotonou et la promotion des « acteurs non éta- tiques»: entre paradigme néo-libéral et refondation politique 160 Les Accords de Cotonou et la nouvelle «gouvernance européenne» 160 Les «acteurs non étatiques»: une notion molle et contro­ versée, au sein même de l'UE...... 163 Une politique à inventer: une équipe dédiée, une large res- ponsabilisation des Délégations 164 Qui sont les « acteurs non étatiques» au Niger? L'émergence du thème àla Délégation de Niamey...... 169 Acter le principe d'unfutur projet, dans un contexte politico­ institutionnel troublé...... 170 Explorer « la réalité des acteurs non étatiques au Niger»: état des lieux et premiers cadrages 173 Lutte contre la pauvreté ou promotion des droits humains? À la recherche d'un concept...... 179 Empowerment et lutte contre la pauvreté, pour irriguer les pratiques de l'Union européenne? 179 «Organisations de base », démocratie, citoyenneté: les premiers arbitrages de la Délégation...... 180 Promotion des droits humains et premières pistes de dis- positif...... 181 Accompagner les organisations de base dans la construction d'une citoyenneté locale: nouvel objectif politique et stabi- lisation d'un dispositif projet...... 184 Une étude de faisabilité dans un contexte de tensions politiques 185 Assumer la dimension politique du projet: nouveau cadrage, nouveaux objectifs 186 338 AIDE INTERNATIONALEEr SOCIÉfÉS CIVILES AU NIGER

Permettre aux OSC de « retrouver leur rôle» à travers une action publique locale pluri-acteurs 190 « Participation », controverses et arbitrages: la formulation du PASOC comme processus socio-politique 193 « Ça a été très lié à ceux qui étaient en place, aux consul- tants »: un processus pluri-acteurs contingent 194 « La formulation de projets, c'est un apprentissage commun»: l'expertise comme médiation et facilitateur de décision...... 195 « A partir de l'identification, le processus a été très partici- patif» : une participation sélective et contrôlée 198 Cadrages, controverses et arbitrages: la politique des choix 204 Au-delà de la « machine anti-politique »...... 212

5. L'instrumentation du PASOC. Simplifications, normalisa- tion et dérives bureaucratiques 217 Des options stratégiques au dispositif projet: des traductions problématiques...... 220 De la faisabilité à la convention de financement: passer dans les procédures UE, stabiliser le dispositifprojet ...... 221 De la convention de financement au dispositifprojet: l'offre du consortium d'études...... 227 Les recadrages de la phase de démarrage... 230 Un dispositif institutionnel bureaucratique...... 232 Une UGP mise en œuvre par un bureau d'études: un choix à lafois managérial et politique 233 Sous-dimensionnement des équipes, bureaucratisation et distance à la pratique 235 Régie, devis programmes: les implicationsdes choix d'ins- truments de gestion...... 237 Les procédures budgétaires et comptables: « hyperprocé­ duralisation », transfert des risques et « présentabilité » des pièces comptables...... 239 Les contradictions des temporalités...... 244 Simplification de la mise en œuvre et principe de mise en concurrence: un saupoudrage de financements de court terme 248 Abandon de la logique d'accompagnement dans le « renfor- cement des capacités» 248 Les appels à propositions: mise en concurrence, sélection des OSC, dérive de cible et abandon de critère qualitatif...... 251 Entre objectifs stratégiques et pratiques du projet: instrumenta- tion et internalisation des contradictions 255 TABLEDES MATIÈRES 339

6. Temps des projets, temps des politiques. Sentiers de dépen­ dance et apprentissages...... 261 Du PASOC 1 au PASOC II: changements institutionnels, conti- nuité d'instruments 263 Des choix de conception questionnés 263 Les procédures, leur négociation, leur contestation: des ajustements de procédure en cours de route 266 La définition du PASOC Il: changement d'ancrage institu- tionnel et continuité des instruments 267 Les nouvelles orientations politiques de l'Union européenne 272 Tirer des leçons de la première génération de projets: la capitalisation des projets 9"FED (2008-2009) 272 Une réflexion stratégique globale sur les rapports entre UE et sociétés civiles (2008-2011) 274 Vingt ans après Cotonou. La résistible reconnaissance politique des OSC 280

Conclusion 285 Sociétés civiles réelles, modernité insécurisée et extraversion: entre projet de société et opportunisme...... 285 Que faire avec la « société civile» et pourquoi? L'aide interna­ tionale entre projections normatives et culture bureaucratique 290 Les bailleurs de fonds et la promotion de la société civile: les limites de l'explication par le néo-libéralisme 290 Des conceptions a-sociologiques des rapports État/société, une conception technicisée de l'action sociale 292 Primat des instruments et bureaucratisation de la société civile 293 Une double influence des discours et des modalités de finan- cement...... 296 Poser les contradictions et en débattre, pour tenter de les dépasser en partie...... 297 Que signifie un engagement associatif dans un contexte de modernité insécurisée et d'extraversion? 299 Comment favoriser des lieux autonomes d'élaboration d'une pensée critique et de pratiques sociales éprouvées, dans un contexte d'extraversion? 300 Réduire la précarité: financer durablement secteur d'économie sociale? 302 Une sociologie d'intervention pour accompagner la réflexivité? 302

Bibliographie...... 305

Liste des sigles 331 Composition: Michel SOULARD 35250 Chevaigné [email protected] Achevé d'imprimer en novembre 2015 sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery 58500 Clamecy Dépôt légal: novembre 2015 N" d'impression: 511106

Imprimé en France

La Nouvelle Imprimerie Laballery est titulaire de la marque Imprim'Vert"' Fruit d'une longue enquête, cet ouvrage propose une lecture origi­ nale des rapports entre aide internationale et sociétés civiles au Niger. Les premiers chapitres éclairent les dynamiques complexes et ambiva­ lentes des or~anisations associatives au Niger, dans leur histoire, leurs rapports à l'Etat et à l'aide. L'auteur décrit les difficultés d'institution­ nalisation des petites organisations, prises dans une double précarité des ressources financières et des ressources humaines, et soumises à des financements par mise en concurrence. A partir des débats sur un projet de « charte de la société civile », il montre les tensions qui traversent le secteur associatif, met en perspective les critiques récurrentes sur son opportunisme et sa politisation, explicite les enjeux de sa régulation. Consacrés aux interventions en faveur des organisations de la société civile,les chapitres suivants interrogent la façon dont, suite aux Accords de Cotonou signés en 2000, la Délégation de l'Union européenne à Nia­ mey a défini sa politique envers les « acteurs non étatiques» et com­ ment elle l'a traduite sous forme de projet. Reconstituant l'histoire de la formulation de son « Projet d'appui à la société civile », entre 2002 et 2008, l'auteur décrit l'invention tâtonnante d'une politique, entre ambi­ guïtés de conceptions politiques et poids des dispositifs bureaucratiques. Cet ouvrage représente un apport important, tant au débat sur la société civile en Afrique qu'à celui sur la façon dont les institutions d'aide définissent leurs politiques et leurs projets de développement. Il intéressera aussi bien les chercheurs en sciences sociales que les respon­ sables associatifs et les praticiens du développement.

Philippe Lavigne Delville est socio-anthropologue, directeur de recherche à l'IRD (UMR GRED, Montpellier). Centrées sur les poli­ tiques foncières et les interventions de développement, ses recherches actuelles visent à construire une socio-anthropologie de l'action publique dans les pays sous régime d'aide, au carrefour de la socio­ anthropologie du développement et de l'analyse des politiques publiques.

29€

11111111 III 9 782811 115036 ISBN: 978-2-8111-1503-6

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! hommes et sociétés