Avec Mon Père, Augustin Malroux
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AVEC MON PÈRE AUGUSTIN MALROUX ANNY MALROUX AVEC MON PÈRE AUGUSTIN MALROUX Préface de Lionel Jospin Ministre de l'Éducation Nationale Dessins de Casimir Ferrer rdt Collection Rives du Temps 1991 © Reproduction interdite L'essentiel est que nous fassions œuvre d'hommes, en attendant d'être couchés à jamais dans le silence et dans l'oubli. Jean Jaurès A la mort de ma mère, j'ai trouvé chez elle une grande enveloppe marquée "Augustin" qui contenait des lettres, des brouillons de discours et des notes de mon père, ainsi que des documents et des articles le concernant. Ces papiers, dérisoires vestiges, ont fait resurgir en moi un passé déjà lointain que je croyais avoir presque oublié, et j'ai voulu retrouver l'itinéraire qui avait conduit mon père d'un petit village du Tarn, Blaye-les-Mines, jusqu'au camp d'extermination de Bergen-Belsen. Il m'a semblé alors que cet itinéraire méritait, par son exemplarité, d'être retracé. Je souhaite que ce livre fasse revivre pour les jeunes de Blaye-les-Mines le fils d'ouvrier, l'éducateur, le pacifiste et le protestataire dont ils lisent tous les jours le nom sur les murs du Collège Augustin-Malroux. Anny MALROUX Préface de M. Lionel Jospin Ministre de l'Education Nationale En faisant resurgir l'existence d'un père, mort il y a plus de quarante-cinq ans à Bergen-Belsen, Anny Malroux a d'abord voulu ne pas oublier, retrouver les parcelles d'un temps partagé et qui fut trop bref, réparer une injustice qui a voilé toute son enfance. Pourtant, son projet n'est pas guidé par la révolte. C'est, au contraire, un profond message d'humanité qui nous est délivré. Le livre se termine, en effet, sur les dernières paroles d'Augustin Malroux, agonisant après un long calvaire dans le camp allemand : "moi, je crois en l'Homme". Ces "mots d'espoir", pour reprendre la formule d'Anny Malroux, éclairent le projet de ce livre et lui donnent une valeur qui dépasse infiniment celle de la biographie : une valeur d'universalité. Réflexion morale, invitation à retrouver, au travers de l'évocation de périodes très sombres de notre histoire, certaines racines de notre vie politique actuelle, cet ouvrage montre toute l'importance de la préservation de la mémoire. La mémoire est un guide, nécessaire à tous, et en particulier aux jeunes, pour comprendre, pour analyser, pour refuser parfois. Nous devons lui accorder toute sa place dans notre présent. C'est une des missions de l'Ecole. Le ministre de l'Education Nationale que je suis y accorde une importance essentielle. L'Ecole, en luttant contre l'ignorance, contre les fausses évidences ou les idéologies douteuses, en maintenant en vie notre passé, en transmettant des valeurs, joue un rôle social et culturel fondamental. Nul ne saurait le nier en des temps où un effritement de nos repères traditionnels, notamment politiques et moraux, où l'accroissement des tensions sociales nourrissent l'indifférence des uns et le cynisme de quelques autres. En écrivant cette page d'histoire, c'est un miroir que tend Anny Malroux. On y voit la confusion d'une époque où la vie politique atteignait une dureté et une violence que l'on a un peu oubliées, l'atmosphère délétère d'une France tentée par le fascisme, succombant sous les coups des ligues d'extrême droite, ployant l'échine sous le racisme. Il y a aussi l'inhumanité absolue, celle du nazisme avec sa volonté de briser la dignité humaine. Enfin, il y a l'espoir, la conviction de quelques hommes, leur refus total de voir bafouer la démocratie et humilier l'homme. Cette période, déjà lointaine — celle de l'entre-deux-guerres, puis de la deuxième guerre mondiale — modèle encore pourtant notre présent et notre vie politique. Pour l'histoire de la gauche, tout comme d'ailleurs pour celle de la droite française, elle représente un temps fort, à la fois zone d'ombre et repère. Cette foi en une fraternité, cette conviction que l'humanité était inaltérable a guidé toute l'existence d'Augustin Malroux. C'était un homme de cette terre. C'est là qu'il plongeait ses racines : il est né à Blaye-les-Mines, en 1900, et son père était mineur. Si j'évoque cette terre, c'est parce que, plus qu'une autre, elle est riche d'une histoire politique qui a beaucoup apporté à notre pays. C'est la terre de Carmaux, celle de Jaurès. Malroux était instituteur. Etre instituteur, pour des hommes comme lui, c'était plus qu'un métier, c'était exercer une mission, avoir une certaine conception de l'homme, croire en des valeurs d'égalité, de justice, de respect des individus. Victor Hugo disait que l'instituteur de village était un flambeau. Il y eut sans doute de cela dans la vocation d'Augustin Malroux : le sentiment d'une responsabilité, la volonté d'être un guide. C'était aussi un homme engagé. Il deviendra secrétaire de la Fédération socialiste du Tarn en 1934 et, en 1936, au moment où ces mêmes valeurs redeviennent un espoir, il est élu député socialiste d'Albi. Il a donc participé à cette période qui fait aujourd'hui partie de notre mémoire et de notre mythologie collective : le Front populaire. Pourtant, le Front populaire ne dure pas longtemps et sombre dans la peur de la guerre qui s'approche. Cet homme engagé saura alors être aussi un homme d'honneur et de courage. Il fera partie du petit groupe de parlementaires qui refusera de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain et de laisser le gouvernement de Vichy être le gouvernement de la France. C'était en 1940. Le 10 juillet plus exactement. Les hommes de Vichy, non contents d'avoir signé l'armistice, voulaient en finir avec la République. L'Assemblée Nationale réunie, députés et sénateurs mélangés, pour une séance menée tambour battant, accorda les pleins pouvoirs à Philippe Pétain pour élaborer une nouvelle constitution garantissant les droits du travail, de la famille et de la patrie. La III République fut abolie par 569 voix contre 80. Léon Blum était là, spectateur de ce suicide de la démocratie. Il évoquera, quelques années plus tard, "l'hébétude, la résignation, la peur, la peur des bandes de Doriot dans les rues, la peur des... Allemands qui étaient à Moulins. C'était vraiment un marécage humain dans lequel on voyait se dissoudre, se corroder et disparaître tout ce que l'on avait connu à certains hommes de courage et de droiture"... Parmi les 80 opposants, il y avait 29 députés socialistes. Et Augustin Malroux fut de ceux-là. Comment l'instituteur qu'il avait été aurait-il pu détruire la III République ? Comment l'homme de gauche qu'il était aurait-il pu légitimer ce régime de Vichy où se retrouvaient tous ceux qui avaient juré de se venger du Front populaire et qui disaient : "Plutôt Hitler que Blum" ?... Le courage de ces hommes ne fut pas que le courage d'un instant. C'est ce que montre ce livre. Il furent tous persécutés par la suite. Trente- et-un furent incarcérés ou placés en résidence surveillée, dix furent déportés et cinq en moururent. Augustin Malroux fut aussitôt suspendu de ses fonctions, puis définitivement révoqué par Vichy en janvier 1941. Sa vie entière changea dès ce moment-là. Cet homme de courage entra dans la lutte et devint résistant. En 1941, on le retrouve avec Daniel Mayer et François Camel, qui donnera son nom à la Fédération de l'Ariège. Il organise la Résistance dans le Tarn, et au sein du mouvement Libération-Nord, dont il a été un des premiers adhérents, il est chargé de constituer un groupe de combat. Il continue son action politique au sein de la gauche française et tente de reconstituer la Fédération tarnaise dissoute. Il fait partie du comité directeur clandestin des socialistes en zone sud. Il organise des liaisons avec François Verdier, un autre héros de la Résistance dans notre région. Il est arrêté en mars 1943 à Paris en même temps que d'autres camarades enseignants, puis déporté à Sachsenhausen. En février 1945, il est évacué vers Bergen-Belsen. Il y meurt le 10 avril 1945. En mai 1945, sa mort n'étant pas encore officiellement confirmée, ses camarades le mettent en tête de liste et il est élu, proclamé devrait-on dire, maire S.F.I.O. de Carmaux. Un mandat qu'il ne remplira jamais. Plus qu 'un mandat, un hommage et un symbole. La mémoire d'Augustin Malroux est désormais honorée à Blaye- les-Mines : un collège porte son nom. Aujourd'hui, c'est le souvenir de sa vie qui resurgit. Retracé avec beaucoup d'exactitude et de vivacité, replongé dans l'histoire de toute notre région, replacé au milieu d'autres hommes qui furent ses amis et qui ont aussi marqué cette partie de notre pays, on voit apparaître un homme simple et joyeux qui n'eut jamais l'ambition de dominer ses pairs et d'être un guide providentiel. A l'image de ce père, jamais Anny Malroux ne donne de leçon, ne s'éloigne de l'évocation historique, de la recherche de la vérité la plus exacte, la plus vivante. C'est là toute la valeur de ce témoignage qui délivre un message et invite à la réflexion sans jamais forcer la voix, en gardant toujours le ton juste, celui de l'émotion retenue et de l'humanité. à l'école du peuple 1 Quand mon père est né, le 5 avril 1900, tous les mineurs du bassin monhouiller grand-père de Carmaux Julien faisaient Malroux grève aussi.