INTRODUCTION 2 Inventaire des terrasses du canton de Bïesle en Haute-Loire

Etude financée par la Direction du Patromine du Ministère de la Culture

(Mission du Patrimoine Ethnologique / Service Régional de l'Inventaire Général en Auvergne)

réalisation Bruno YTHIER, 1995 Remerciements :

A Claudie Voisenat

A Françoise Uzu, Marceline Brunei et Jean-François Luneau

A Michel Valiere

A toute l'équipe de l'Inventaire Général en Auvergne

Au personnel du service des Archives Départementales de la Haute-Loire

A tous les Bleslois qui ont fait preuve d'une grande générosité INTRODUCTION 4

PREAMBULE

lin 1992, la Direction du Patrimoine du Ministère de la Culture (Mission du Patrimoine

Ethnologique, Conservation Régionale de l'Inventaire Général en Auvergne) a financé une étude d'inventaire de paysages dans un canton rural du département de Haute-Loire : Blesle.

Cette démarche a été initiée par les interrogations des chercheurs de l'Inventaire Général sur le terrain : ceux-ci sont souvent confrontés à un espace rural manifestement construit (nivelé, épierré, cloisonné par des haies ou des alignements d'arbres émondés, ou encore structuré par des terrasses de culture). 11 semblait donc intéressant de chercher à intégrer l'étude de ces structures agraires bâties aux champs d'investigation de l'Inventaire Général, encore fallait-il définir une méthode. Afin de mettre en oeuvre et d'encadrer cette étude, le service régional de l'Inventaire Général en Auvergne s'est rapproché de la Mission du Patrimoine Ethnologique qui menait un programme de recherches à propos des paysages (cf. Lamaison et Kcnaudin, 1989 ; Voisenat, 1992).

Quel Paysage ?

La polysémie de ce terme amène en premier lieu à préciser le sens accorde, dans le cadre de cette

étude, à l'objet "paysage" . La définition de base du mot désigne une ambivalence, le paysage étant à la fois : "une portion d'espace donnée à voir" et en même temps "le regard porté sur une portion d'espace".

Par portion d'espace donnée à voir, nous axons considéré une approche physique et descriptive des

éléments constitutifs de l'espace environnant Blesle, à la fois en ce qui concerne les formes du relief, les éléments agraires bâtis par l'homme ou l'espace pris en compte dans son étendue.

Par regard porté sur cet espace, nous avons cherché à appréhender le regard porté par ceux qui l'ont façonné ou entretenu. INTRODUCTION 5

La Méthodologie retenue

//- La question de l'échelle

Pour tout travail d'étude du paysage, se pose le problème de l'échelle retenue pour l'étude. A priori, l'Inventaire Général travaille systématiquement à l'échelle du Canton. Pour notre étude, cherchant à identifier l'ensemble des structures agraires composant les espaces ruraux de ce secteur, l'échelle cantonale est trop vaste. Pourtant dans le même temps, d'autres organismes, comme le Conseil

Architecture Urbanisme et Environnement de la Haute-Loire a mené une étude d'inventaire des paysages à l'échelle du département de la Haute-Loire.

L'échelle choisie dépend finalement du résultat désiré : pour réaliser une hiérarchisation de vastes zones paysagères et saisir de grandes tendances quant aux évolutions en cours ainsi que les caractéristiques de chaque entité, l'échelle départementale ou régionale peut-être pertinente. Elle ne pennet par contre pas l'étude détaillée de chaque composante de l'espace et de ce fait ne peut comprendre les mécanismes complexes qui sous-tendent les évolutions de la gestion de l'espace.

A une échelle plus restreinte, l'étude ne pennet plus aucune approche comparative entre telle ou telle

entité paysagère (à moins de travailler sur une zone de limite entre deux grandes entités), mais elle

pennet de saisir ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui un "pays". Nous pensons que l'étude détaillée d'une petite portion d'une entité homogène (dans notre cas, quelques milliers d'hectares

d'une région dite de "pays-coupé") permet de saisir par extrapolation l'organisation du terroir dans

son ensemble : ses caractéristiques, les évolutions des pratiques qui l'ont façonné et des

considérations portées sur cet espace par ses habitants.

Ainsi, le cadre précis de l'étude s'est limité à un carré de 4 kilomètres environ de côté autour du

bourg de Blesle et tout à fait représentatif de l'ensemble du canton et plus largement de nombreuses

vallées d'Auvergne, désignées par les géographes comme pays-coupés". Ainsi, la documentation

utilisée pour la recherche ne s'est pas arrêtée aux seuls alentours unmédiats du bourg de Blesle, mais

a également concerné l'ensemble du canton, lorsque les infonnations pennettaient d'apporter un

éclairage intéressant sur tel ou tel élément de l'espace rural du canton de Blesle. INTRODUCTION 6

2/- Privilégier l'approche visuelle

La démarche consistant à appréhender l'espace rural et les strucftires agraires qui le composent sous

un angle formel et visuel a été critiquée par des auteurs comme Philippe Blanchemanche qui

dénonce une approche trop attachée à des caractères physiques des structures agraires laissant trop

de côtés une réflexion sur la raison d'être des aménagements. Pour cette étude, l'approche visuelle n'a

pas constitué une fin en soi, elle a surtout permis d'appréhender un par un les différents éléments

constituant l'espace rural.

La portion d'espace donnée à voir, en l'occurrence les environs du bourg de Blesle, a été

minutieusement étudiée dans le cadre de repérages.

Dès les premières approches, il est d'abord apparu évident que tout l'espace était distribué dans ce

secteur autour de trois principales formes du relief qui étaient :

les fonds de vallées, les coteaux ou zones de pentes et les plateaux, plus élevés. Les limites de ces

grands ensembles ont du être précisées, celles-ci étant parfois nettes et parfois plus floues.

Ensuite à l'intérieur de ces zones, les différents éléments constitutifs ont été listés :

- zones d'habitat - voies de circulation - cours d'eau - parcelles labourées - parcelles toujours en

herbe - murs de soutènements - forêts résineuses - arbres isolés, feuillus et ¿mondés -arbres fruitiers,

taillés - terrasses de culture - cabanes de jardin - murs de clôtures - canal d'irrigation etc.

Cet ensemble d'éléments désordonnés nécessitait une coordination et une hiérarclúsation.

L'étape suivante a donc consisté à retrouver les logiques qui permettent de structurer cet ensemble et

de lui redonner sa cohérence.

C'est finalement une véritable arborescence qui peut être établie : r~, ¡ T C oteaux j les terrasses i le bâti ! INTRODUCTION

murs de soutènement accès et circulation escaliers^ rampes constructions hydrauliques pour le drainage pour l'irrigation édicules pigeonniers cabanes i la banquette de culture | le sol

_j.._ | la friche ; les cultures la vigne les autres cultures Coteaux les prairies ! les herbages ; talus i _ . arbres fruitiers : arbres émondés Coteaux les bois les feuillus . les bois des versants sud : chênes et rochers les forêts des versants nord 1 les résineux . les bois de pin

i les reboisements i i '• récents Coteaux les orgues

Les fonds de vallées ] les rivières ! les aménagements j les barrages barrages de bois í barrages maçonnés : les berges plages les berges construites . : les ponts ponts des grandes voies de circulation ponts de pierres la ripisylve INTRODUCTION 8

les arbres émondés Les fonds de vallées les agglomérations le bourg de Bleslc les extensions récentes les villages le cas des Plagues Les fonds de vallées ' les cultures I i le^système d'irrigation ijesjardins les labours les potagers les chcncvicres les cabanes : les prés-vergers i les arbres fruitiers les pommiers taillés les autres fruitiers j l'herbe j les cabanes ! les haies les arbres les noyers les peupliers les peupliers émondés les plantations récentes les saules et osiers

Les plateaux zones d'habitat les domaines . les villages

Les plateaux zones de cultures les plateaux cristallins herbages labours arbres émondés • les plateaux basaltiques^ les zones épierrées le maillage minéral les cabanes de pierres sèches i les zones non épierrées les lacs

C'est selon cette même arborescence qu'est classée la documentation rassemblée au cours de l'ensemble du travail de terrain réalise entre 1992 et 1994. INTRODUCTION 9

3/-Les sources

Nous avons puisé dans différentes sources d'information pour rassembler une large documentation.

En fin de rapport on trouvera une liste des documents consultés.

la bibliographie :

Nous ne détaillerons pas ici la masse d'ouvrages généraux sur les "paysages" que nous avons consulté avant et pendant ce travail, tant le sujet a été prolifique depuis quelques années.

Mentionnons toutefois les ouvrages de Rougerie et Beroutchachvili ainsi que l'ouvrage "Bâtisseurs de paysages" de Philippe Blanchemanche, qui ont constitué des références importantes.

Les autres ou\ rages consultés concernaient plus spécialement les structures agraires, et nous n'aurions pas imaginé a priori toute la littérature qui depuis le XVIIe siècle a rassemblé des informations qui peuvent être ô combien précieuses à celui qui travaille sur l'espace rural. D'abord on pense aux ouvrages dits "régionalistes", et en effet, de précieuses informations y sont contenues

(citons notamment la "description topographique du ci-devant canton de Blesle" publiée en l'An VIII de la république par le citoyen Barrés de Blesle, mais également la thèse de géographie de Lucien

Gachón, "les Limagnes du Sud et leurs bordures montagneuses" parue en 1938 à Tours, et qui nous semble contenir les clefs de compréhension des terroirs dits de "pays-coupés). Les voyages pittoresques sont également des ouvrages incontournables, même si pour ce secteur d'études ils se

sont parfois avérés décevants.

Mais l'ensemble de la littérature agronomique, telle "la Maison rustique du XIXe siècle" contient une

foule d'information très variées qui donnent de précieux éclairages sur des pratiques agricoles

tellement banales en leur temps, qu'aucun auteur régionaliste ou pas, n'a par ailleurs consigné. La lecture des travaux des sociétés savants du XIXe siècle n'a pas été très fructueuses pour le secteur de INTRODUCTION 10

Blesle, peut-être aurait-il fallu rechercher dans les bulletins des sociétés du Puy-de-Dôme plutôt que dans ceux de Haute-Loire et rechercher des informations concernant des vallées similaires à celles de

Blesle.

Les archives

Riles ont constitué un ensemble de sources fondamental de ce travail. I,a précision de leurs indications permet, notamment dans le cas des archives notariales, d'apporter des informations précieuses pour comprendre la raison d'être, le mode de construction ou d'entretien de telle ou telle structure agraire, de telle ou telle culture pratiquée sur une parcelle. Au sujet des archives notariales,

Philippe Blanchemanche a d'ailleurs écrit (1990 : 13-14) :

Si ia réputation d'exactitude et de précision du notaire n'est plus à faire lorsqu'il rédige un acte en

écoutant les parties contractantes, il faut rappeler l'intérêt qu'il y a pour la technologie à examiner

minutieusement les archives notariales : de la construction d'un barrage à la fabrication d'un tambourin en

écorce de mûrier en passant par la fonte d'une cloche, le Sud de la -pays de droit écrit- fournit

pius facilement et abondamment des matériaux de première main. Ils représentent probablement un

complément à ce que l'on peut apprendre dans les ouvrages imprimés de l'époque, mais parfois la

découverte du détail fait qu'il s'y substituent presque totalement."

Différentes séries de documents conservées aux Archives Départementales de la Haute-Loire ont été consultées, en particulier le riche et passionnant fonds des notaires de Blesle, avec notamment les minutes de l'étude Segret, notaires de Blesle durant près de 300 ans, les différents actes que ces séries contiennent sont de valeurs inégales. Ainsi, concernant les terrasses de cultures, nous attendions-beaucoup des actes notariés, et bien c'est finalement à propos des fonds de vallées qu'ils

furent les plus riches en enseignements et apportèrent des documents très précis relatifs aux stabilisations des berges des couis d'eau aux XVÍIe et XVIIIo siècles, ou sur le maillage. des haies qui couvrit les prés-vergers au XVlIIe en créant ainsi im véritable bocage qui fut éphémère et

disparut presque entièrement au XIXc siècle, etc. Les archives de l'abbaye de Blesle sont

malheureusement parliculièremenl pauvres du fait de leurs vicissitudes dans la période INTRODUCTION 11 révolutionnaire. Les archives municipales de Blesle, ne comportent que peu d'informations au-delà des aspects concernant la voirie ou les calamités naturelles.

Nous avons eu accès à quelques ensembles d'archives privées, dont un ensemble de camels ayant appartenu au propriétaire de Riesle. Dans ses camels, le propriétaire à consigner durant près de vingt ans des informations concernant la météorologie, les faits divers, les travaux d'entretien des vignes,

le travail quotidien dans les jardins potagers, etc. D'autres archives privées ont permis de connaître

les règlements d'irrigation de certains pré-vergers bleslois.

les documents figurés

Les cartes postales du début de ce siècle ont constitué la principale référence iconographique

ancienne disponible et utilisable pour ce travail. Nous n'avons pas eu connaissance de fonds de

photographe aulre. Les documents plus anciens sont pauvres et souvent peu détaillés (cf.

lithographie des "voyages pittoresques"). Blesle étant à l'écart des voies de communication mises en

place au XVIIIe siècle, des documents comme "l'atlas Trudaine" n'ont pas pu être utiles.

l'enquête orale

La constitution de sources orales a pu être réalisée au cours de travail de terrain réalisé à Blesle entre

1992 et 1994. Des entretiens semi directifs ont permis de rassembler plusieurs dizaines d'heures

d'enregistrements, dont de nombreux passages ont été intégralement transcrits. De maïuère

systématique, les entretiens ont été résumés sur des fiches particulières où les différents thèmes

abordés avec l'informateur ont été enumeres. Certaines enquêtes ont été menées selon une méthode

établie avec Michel Valiere, consistant à mener l'enquête en débutant par des informations d'ordre

loponymiques, permettant d'enquêter sur les représentations de l'espace en même temps que sur les

pratiques culturales. Cette méthode a montré la possibilité de recueillir des informations riches et

abondantes auprès d'informateurs habilités à parler des lieux et à rechercher des récits écologiques INTRODUCTION 12 sur le nom des terroirs en raison notamment d'une implantation ancienne de leur famille sur la région de Blesle. L'enquête orale a permis d'être dans le "paysage" même avec ceux qui le pratiquent et cette approche nous semble incontournable tant elle est riche d'enseignements.

L'intérêt du travail mené sur Blesle n'a pas consisté à accumuler différentes sources, mais bien à mettre en relation la masse d'informations bibliographiques, archivisliques ou orales et de retrouver la cohérence des informations les unes par rapport aux autres, ce qui n'est pas toujours très évident a priori, mais qui donne une richesse d'information souvent très importante.

4/- Lu mise en forme de la documentât ion

L'importance de la documentation recueillie ne nous a pas permis d'aller au-delà de la seule rédaction de l'étude des coteaux et des terrasses de culture; la documentation relatives aux autres formes, d'occupations de l'espace (bois, pré-vergers, etc.) est classée par fiche, sans commentaire.

Pour rédiger nos fiches d'inventaire nous avons retenu un certain nombre de champs descripteurs parmi l'ensemble des champs utilisés par les chercheurs de l'inventaire général et par ailleurs créés des champs généraux qui étaient importants pour décrire certains aspects de l'étude des espaces ruraux ou des espaces agraires : ainsi notre choix d'adopter une approche visuelle nous a obligé à débuter chaque fiche par im descriptif de ce que l'observateur peut voir aujourd'hui d'im élément constitutif du paysage, mais également nous avons créé des champs qui permettent de mettre en avant les techniques de constructions d'une structure agraire, les raisons de cette structure agraire, la façon de l'entretenir, le calendrier de cet entretien, l'outillage nécessaire, etc.. Ces champs ne correspondent pas à un vocabulaire normalisé, mais servent à ordonner le texte et les documents relatifs à l'élément ccmtiiutif du "paysage de Blesle" qui est étudie dans la fiche.

Les champs retenus sont les suivants :

Présentation de la situation actuelle INTRODUCTION 13

(descriptif de l'état actuel de la structure agraire étudiée, tel qu'un observateur pourrait la découvrir)

I ,ocalisation

Emplacement

Superficie

Toponymes

Mise en place

Origine

(tentative de description des premières traces connues de cette structure agraire, et éventuellement

des structures agraires plus anciennes auxquelles elles succède)

Raisons

(motivations qui poussent à choisir telle ou telle structure agraire)

Datation

Mise en oeuvre

Technique

Outils

(l'étude des modes de constructions des structures agraires implique forcément de passer par l'étude

des outils utilisés)

Entretien

Calendrier

Technique

Evolutions

(dans quelle dynamique s'est trouvée et se trouve la structure agraire étudiée, et éventuellement les

raisons de celte situation)

Commentaire

5/- L'inventaire du paysage : une "topographie" INTRODUCTION 14

Inventorier le paysage, décrire les différents composants de l'espace, c'est écrire un lieu établir un

document topographique. Cette étude entre donc dans la démarche que Françoise Hamon décrivait

en préambule de la revue de l'art de 1984 consacrée aux 20 ans du service de l'Inventaire Général

(1984:7):

Juxtaposition et superposition ont créé cet enchevêtrement de réseaux qui constitue le paysage moderne,

urbain ou niral. La Méthode de l'inventaire général est de démêler cet enchevêtrement en pratiquant une

lecture systématiquement topographique, et non thématique, du patrimoine, sans privilégier ou rejeter

aucune forme constante.

Notre travail a de même consisté à ne négliger dans l'espace rural ni les éléments visiblement

façonnés qu'ils soient inertes (tels les murs ou les canaux d'irrigation) ou vivants (arbres émondés,

plantes cultivées) ni des objets dont l'action de l'homme même si elle a été importante est nettement

moins visible (sol, ripisylves).

L'étude de l'espace rural ne pennet pas d'être confronté à des ensembles homogènes anciens : tous

les objets de l'étude ont connu des évolutions, beaucoup ont disparu, tous se sont modifiés au fil des

temps, parfois très lentement, parfois très brutalement à la suite d'une rupture socio-économique ou

bien d'une catastrophe naturelle. Les évolutions elles mêmes ne sont pas appréhendantes avec

précisions (sauf dans le cas d'une catastrophe qui est souvent prétexte à une documentation au moins

écrite), ici un phénomène économique induira une rapide modification, ailleurs ce n'est que deux

générations plus lard que les hommes vont modifier leur pratiques et ainsi modifier les structures

agraires ou les modes de cultures de telle ou telle production.

Etude d'un ensemble complexe, l'inventaire du paysage renvoie à des problématiques telles que celles

que les chercheurs de Montpellier ont pu en rencontrer lors de l'étude de l'urbanisme de la cité

languedocienne : les formes construites d'une époque donnée sont issues de l'adaptation de nouveaux

critères de goût ou de technique sur des bases anciennes qui conditionnent le résultat final.

Ainsi, pour le déehiffrage du "palimpseste paysage", on retroiu e la problématique soulevée par

Hernard Touiicr à propos de la demeure urbaine de Montpellier : la topographie ne naît pas de ia

typologie mais de l'élude des dynamiques. INTRODUCTION 15

Les limites de notre travail :

Dès le début de celle étude, le seul thème des terrasses de culture avait semblé être une limitation importante, il apparut très vite que la documentation à rassembler devait concerner l'ensemble de l'espace rural construit des environs de Blesle selon les trois grandes parties que matérialisaient les fonds de vallées, les coteaux mais aussi les plateaux. I>a masse documentaire récoltée a été assez importante, peut-être trop importante pour nos capacités de rédaction, ainsi les documents accumulés sur les fonds de vallées et les plateaux ne seront malheureusement présentés que sous forme de dossier présentant en vrac les informations selon le plan de fiche réalisé précédemment. Seule la, partie concernant les terrasses de culture est présentée de manière définitive.

En conclusion

De l'espace au patrimoine

Si Malraux évoquait l'odée d'un inventaire à construire qui serait une aventure de l'esprit en raison des évolutions de l'idée de patrimoine, il nous semble que cette étude pose le problème de l'arrivée du paysage parmi les formes du patrimoine collectif.

Si les premiers inventaires réalisés dans les années 1960 ne prenaient pas en compte toutes les facettes de l'architecture vernaculaire, la consultation des ouvrages de la collection "Images du

Patrimoine" montre bien que désonnais le moindre édicule (pigeonnier ou cabane) est aujourd'hui objet d'étude et de recueil de documentation. Ainsi la question initiale des chercheurs de l'Inventaire

Général du canton de Blesle fut posée par les terrasses et les jardins Bleslois : à quoi bon inventorier une cabane de jardin en laissant de côté le potager qui l'entoure et qui lui est indissociable ?

Le glissement en train de s'opérer notamment en raison d'une demande sociale de paysage de plus en plus grandissante amène les structures agraires à entrer dans les constructions humaines à inventorier. Le patrimoine rural serait donc désormais à comprendre, non seulement pour les bâtiments'ruraux plus ou moins remarquables qu'il contient mais plus largement à l'ensemble d'un INTRODUCTION 16 linage. Une ferme ne serait donc plus à inventorier sans les espaces qui l'accompagne. En Auvergne, les chercheurs de l'Inventaire général avaient déjà sur le canton d'OHiergues intégré l'étude de la ferme d'estive, la jasserie, avec la praire qui se trouve en aval du bâtiment, puisque le bâtiment est conçu pour apporter quotidiennement la fumure aux herbages que pâture le troupeau.

Reste le problème de la réalisation et si Françoise Hamon évoquait à propos des haies plantées :

"l'analyse historique des haies dépasse la compétence des équipes de l'Inventaire, et il faut inventer un nouveau mode de collaboration avec les naturalistes, auquel ,on commence seulement à songer."

Puisse cette étude, malgré ces nombreux défauts, à l'instar de celle de Christian Peirrein en 1984 sur les haies vives ne pas restait totalement une expérimentation.

CAPRE GEOGRAPHIQUE

La dénomination de "pays-coupé" désigne les secteurs du Massif central marqués par des vallées profondes reliant des hauts plateaux aux plaines des "pays-bas". Dans son étude des "Limagnes du

Sud et leurs bordures montagneuses", le géographe Lucien Gachón avait mis en avant ce terme de

"pays-coupé" : "suivant l'heureuse expression locale" (1939 :pl9). Blesle et la majeur partie de son canton se situent dans un pays-coupé, celui du bassin de l'Alagnon et de ses affluents : Sianne,

Voireuze, Bave, Viólete, pour les principaux. Chacune de ces vallées constitue une véritable saignée avec une dénivelée de 150 à 200 mètres. Ainsi naît l'impression de se trouver dans un couloir sans aute horizon qu'une ligne d'orgues basaltiques surmontant un coteau enfriché, parfois boisé où affleurent des rochers, des mureltes de terrasses, quelquefois un pigeonnier ruiné ou une route visiblement tortueuse. Dans le fond de vallée, de part et d'autre de la rivière, du ruisseau ou de la route, même si l'espace est étroit, la friche est absente, l'homme a partout occupé l'espace, ii y a construit son habitat, cultivé des jardins, des pairies, des vergers. Les fonds contrastent ainsi fortement avec les coteaux qui les cernent, les uns sont pentus, évasés vers le ciel, enfrichés, les autres plats, construits ou cultivés et nettement délimités par la friche ou un mur de soutènement. INTRODUCTION 17

L'espace est cloisonné, chaque vallée profondément encaissée apparaît comme une unité autonome et confinée.

Du haut d'un coteau ou d'un sommet d'orgues basaltiques, une perspective différente s'ouvre : la vallée profonde n'apparaît plus comme un microcosme protégé, isolé, unique; elle est parallèle à d'autres ravins qui se ramifient progressivement vers les hauts plateaux. Ces gorges semblent avoir lacéré les plateaux dont il subsiste des lanières totalement planes, plus ou moins larges et généralement couvertes de pairies. Lorsque deux vallées sont proches, il n'y a plus de plateau mais une échine étroite couramment dénudée. Finalement, les vallées se rejoignent progressivement vers un exuloire commun, l'Alagnon, qui draine amsi quelques centaines de kilomètres carrés.

Si dans l'expression "pays-coupé", l'idée de "coupure" est facilement concevable en raison de la brutalité et de la profondeur des entailles que constituent les vallées, le tenue de "pays" peut quant à lui paraître moins approprié. Mais la vue depuis un point élevé permet de constater la répétition des formes : plateaux, coteaux. Le phénomène physique apparaît sur une vaste étendue; ainsi "pays" prend une partie de son sens dans une réalité géographique. Jusqu'aux travaux de Gachón, le canton de Blesle posait problème aux auteurs qui cherchaient à inscrire ce territoire dans le cadre d'une région naturelle. I a possibilité consistant à mettre en avant une appartenance à la vallée de l'Allagnon, définissait une échelle trop vaste (de la source à la eonfiuence)pour ce canton. De fait, le canton de Blesle apparaissait comme une "non-région" que l'on ne saurait définir seulement par rapport aux autres régions naturelles environnantes, très homogènes et parfaitement identifiées, à savoir : à l'Ouest le Cézallier, plateau basaltique élevé et froid où estivent les troupeaux ; au Sud-Rst, la Margeride, longue croupe granitique; au Nord-Est, les Limagncs du Sud, céréalières et viticoles.

Les géographes ont donc pu repérer une homogénéité de ces terroirs au travers de caractéristiques constantes : "Entre le haut-pays d'une part, les basses vallées et les plaines d'autre part, le pays coupé s'intercale (...°. Il est composé, dans les vallées, d'une succession de gorges et de dilatations et, sur les interßuves, de pitons éruplifs, de lambeaux de coulées.

Au fond des thalwegs, sur les versants, sur les hauteurs encore, les surfaces planes, extraordinairenient réduites, sont occupées par de minuscules prairies au bord des rivières, par de petits champs sur les replats, par des pelouses à moutons sur les reste'! des "chaux" ('...). Sur les pentes ¡es plus chaudes, la vigne apparaît par "paillais" étages de quelques mètres carrés de INTRODUCTION 18 surface. Partout ailleurs ce ne sont que rochers, ravins broussailleux, éperons et bosses abruptes

(•••)"•

L'HISTOIRE

Blesle s'est développé à partir de IXe siècle à la suite de la fondation d'une abbaye de femme par

Ermengarde Plantevelue, épouse du Comte d'Auvergne Bernard II Plantcvcluc. La famille de

Mercoeur s'est implanté à Blesle à la fin du Xle siècle et y fit construire mi château début XHIe siècle dont il reste notemment le donjon : la "tour aux vingt-angles". Les auteurs divergent quant aux raisons de la présence des Mercoeurs à Blesle; certains y voient une installation autoritaire, instaurant une rivalité entre abbesses et seigneurs, se traduisant notemment par une séparation des droits de justice ; pour d'autres, il s'agissait de l'établissement d'une protection de celte abbaye de femmes. Ainsi Barrés écrit-il : "bientôt les ducs de Mercoeur, si connus dans les anciennes annales, avoués, protecteurs et amis de ces Dames isolées, se chargèrent de les défendre contre la violence des seigneurs voisins". (An IX de la République). Venus pour effectuer cette fonction d'avoués de l'abbaye de Blesle, les Mercoeurs ont certainement profiter des demandes des abbesses d'une position de foue pour étendre leurs prérogatives au-delà des demandes des abbesses (citons l'aide apportée par Etienne de Mercoeur aux moines de la Chaise-Dieu au XMe siècle pour un "vol" d'objets cultuels à Saint-Etienne-sur-Blesle, paroisse dépentant de l'abbaye de Blesle). Les Mercoeur

???????????

Si l'on ne sait que peu de chose de l'économie médiévale de ce secteur, l'époque moderne nous est mieux connue. La seule paroisse de Blesle comptait sept moulins en activité (Polluer, 1982), des tanneries (Pothier, 1968) et des ateliers de tissages de chanvre (Pothier. 1969). Les tisserands constituèrent la plus grande confrérie de Blesle : 23 membres en 1618, elle compta jusqu'à 33 membres en 1684 et 1751 (Segret,1923,tIII). L'activité économique de Blesle était également liée aux foires qui se tenaient dans le bourg. Par sa situation de contact entre haut et bas pays, ia place de

Blesle était particulièrement importante pour le commerce des productions alimentaires ou artisanales plus ou moinhs locales (Gachón, 1939, pp 434-436). Mais les foires jouaient également un rôle important pour le commerce des bestiaux et faisait de Blesle un passage obligé dans INTRODUCTION 19 l'organisation du négoce des ovins et des bovins 'Gachón;, 1989,pp 434-435 ; Barres (an IX). Les animaux étaient expédiés vers le I

L'arrivée du chemin de fer en 1861 (tronçon Arvant/Neussargues de la ligne Paris/Béziers) marque une période de mutations économiques plus radicales. Les pommes des vergers se sont mieux exportées ainsi que les animaux, le chemin de fer a permis la modernisation des moulins artisanaux avec l'installation de meules en silex de la Ferté-sous-Jouarre (Pothier ; 1982. 27). Le développement de la concurrence entre les moulins a entraîné la fermeture de certains établissements, enclavés ou ne traitant que des céréales locales (Polluer ; 1982 : pp 43, 102, 169 et 179). La rupture la plus brutale liée au chemin de fer fut provoquée par l'importation de toiles fines et de qualité, ce phénomène entraina en quelques années la disparition de la filière liée au travail du chanvre, des chenevières aux ateliers de tissage. I,e travail du textile ne disparut pas totalement avec l'existence, de 1850 à 1898 dans le moulin du Babory de Blesle, d'une garderie adjointe de métiers à lisser les draps et les couvertures Dès 1898, une fonderie d'anlimoinc s'est installée sur ce site, elle traitait d'abord le minerai extrait des mines proches (Marmeissal, Pressac) et expédiait ses productions par le train. Le chemin de fer favorisa le prolongement du fonctionnement de l'usine jusqu'en 1958, ceci malgré la fermeture des mines locales, en permettant l'apport de minerai étranger. De nos jours Blesle, comme de nombreuses cités rurales, se cherche entre tourisme à développer (dans le cadre par exemple de l'Association des plus villages de France") et des activités artisanales ou industrielles précaires. les discours sur le "développement local" se bousculent, mais peu de choses semblent parvenir à tirer la cité de sn marasme actuel, où la fermeture du collège, le chômage des jeunes, le départ des personnes âgées vers les maisons de retrairte des alentours, ne font que se mêler à un discours nostalgique. COTEAUX 20

COTEAUX

(généralités)

LES TERRASSES

(généralités, un système organisé)

Le bâti

(généralités, la construction et l'entretien des murettes) voies d'accès et de circulation pigeonniers, cabanes clos constructions hydrauliques rOC-hort

Le SOI

(généralités, la mise en place et l'entretien du sol)

Les cuitures

(généralités, l'enfrichement aujourd'hui) la vigne les autres cultures

LES PRAIRIES

Les herbages

(généralités, abandon des prairies de pente, la récolte des foins) les chemins desata lus des arbres fruitiers des arbres émondés

LES BOIS (généralités, allers-et-retours du boisement des coteaux)

Les feuillus

(généralités, évolution des usages, des essences) chênes et rochers : le boisement des pentes sud les bois des versants exposés au nord les chemins

Les résineux

(généralités, présentation des deux types locaux) les reboisements récents les bois de pins COTEAUX 22 LES COTEAUX : GÉNÉRALITÉS COTEAUX 23 LES COTEAUX : GÉNÉRALITÉS

L'OMNIPRESENCE DES COTEAUX

ENQ ; un agriculteur en retraite : (...) mais alors non, moi j'aime pas [la montagne], (je suis] habitué là..., ils [les habitants de "la montagne"] trouvent qu'on voit rien ici tout ça, mais non, y a pas de vue, y a rien ici c'est tellement encaissé...

A l'approche de Blesle, pour un observateur situé en fond de vallée, les coteaux apparaissent prépondérants et incitent à orienter le regard vers l'amont ou l'aval. Observés de face, ils opposent une frontalité écrasante, fermant brutalement l'horizon, restreignant de fait toute sensation d'espace. Dans une combe resserrée, les coteaux engendrent la perception d'un couloir ; les versants d'où surgissent des rochers se rapprochent parfois de la verticale, suscitant ravissement ou appréhension.

(93-43-442-X- horiz.J Cliché 92-43-442-X

Ailleurs le fond de vallée s'élargit sur quelques centaines de mètres, les coteaux bordent alors un espace plus accueillant où se blottit un hameau, un village ou bien un gros bourg.

(92-43-105-X-horiz.J Cliché 92-43-105-X : Blesle et la vallée de la Voireuze vus depuis le chemin du coteau de Fontilles

Des fonds aux sommets, les dénivellations sont importantes, ainsi du centre de Blesle au plateau de Chadecol qui le domine, l'écart altimétrique est de 200 mètres ; entre Bousselargues et le Gris il atteint 260 mètres.

(carie I. G. N. -extrait)

Les différences de niveaux sont en moyenne comprises entre í 50 et 200 mètres selon des pentes de 40% à 50% (47% entre Blesle et le Piatcau de Chadecol, 52% entre Le Gris et Bousselargues). Les terrains en pente constituent une proportion importante de la superficie communale, une analyse même succincte des cartes topographiques permet d'évaluer cette prédominance : sur un secteur de 4000 hectares autour de Blesle, une moitié est occupée par COTEAUX 24 des terrains ayant une déclivité supérieure ou égale à 10%, les terrains "plats" se répartissant en 1/3 de fonds de vallée pour 2/3 de plateaux. En s'éloignant progressivement de la large vallée de l'Allagnon, la proportion des zones de pentes augmente : sur un secteur de 2000 hectares. 1200 sont des coteaux, soit les 2/3 de la superficie considérée.

Geomorphologie

Affleurant sur le flanc des coteaux, le gneiss est la roche principale de ce secteur. Roche métamorphique organisée en lits superposés et dite cristallophylienne, elle présente des plans de clivages parallèles et nets. Son origine se rattache à celle de la chaîne hercynienne (220 à 200 millions d'aimées) dont un des affleurements constitue l'essentiel du Massif central français. Lucien Gachón (1939, pp 53) établit que la formation de l'ensemble du bassin de l'Alagnon ne date pas des époques tertiaire ou quaternaire, comme c'est le cas pour la plupart des formes du relief actuel du Massif central, mais préexistait dès l'ère primaire : à cette date. " Le cours moyen de l'Alagnon est installé dans l'axe d'une ample gouttière de la pénéplaine éogène (...)". Les directions des cours d'eau se sont alors établies selon cette "ample gouttière". La physionomie actuelle des vallées relève pourtant de changements plus récents, en effet l'ère tertiaire, principalement la dernière période dite pliocène (entre 10 et 1 million d'aimées), fut marquée par des bouleversements géologiques (volcanisme) et par une intense activité hydrographique. Les cours d'eau, par des phénomènes érosifs extrêmes ont recreusé les vallées sur d'importantes profondeurs. Les orgues basaltiques dominant les rivières actuelles de plus de cent cinquante mètres étaient jadis situées au niveau des cours d'eau : il y a environ cinq millions d'années, des coulées basaltiques ont bouché le fond de vallée qu'occupait l'Allagnon, le lit de la rivière fut donc déplacé de quelques dizaines de mètres parallèlement à son ancien cours. De part et d'autre des coulées de basalte, les roches plus tendres ont été érodées et creusées de plus en plus profondemment jusqu'à parvenir à la configuration des vallées actuelles (Brouss et Lefèvre. 1991). Cette inversion du reliefest aujourd'hui un processus difficilement imaginable à la vue de l'ordonnance actuelle de l'espace, d'autant que la compréhension d'un tel phénomène se rattache, à l'évolution et la diffusion des connaissances scientifiques en géomorphologie. Ainsi, les affleurements pierreux fréquents sur les versants et issus d'un phénomène dynamique d'érosion, semblent attester pour certains auteurs de l'immuabilité des vallées. Ainsi en l'An VIII de la République Barrés écrivait (p.7) :

Tonte ¡a partie du territoire qui n'a pas été soumise aux volcans n'est qu'un rocher, vif, continu, s'enfonçant sons la surface des vallées jusqu'à des profondeurs inconnues, i-t ¡'élevant obliquement jusqu'au niveau des plaines supérieures (...). COTEAUX 25 Ainsi ce matériau minéral, dont l'origine semble remonter à la genèse, apparaît intemporel1 ; il semble présent de tout temps et influe sur la considération des formes et faciès des vallées comme contemporains du matériau qui les compose.

DELIMITATION DE L'ENTITÉ "COTEAU"

Un boisement généralisé

L'aspect des coteaux est de prime abord confondu en une masse plus ou moins uniformément boisée, les espaces agricoles occupant fonds de vallée et plateaux. Par un simple regard porté sur l'occupation actuelle des sols, il est donc aisé de constater des délimitations entre ce qui appartient au versant et ce qui est du domaine des fonds de vallées ou plateaux. Au pied ou au sommet des versants, des limites apparaissent parfois marquées par des ruptures de pente nettes et franches ; la plus radicale d'entre elles est formée par des orgues basaltiques imposant un plan vertical de dix à vingt mètres d'élévation au sommet de la côte. Ces orgues constituent une barrière infranchissable obstruant de fait l'ascension des coteaux. Le long des plateaux dominant les vallées, les ruptures de pentes sont plus ou moins accusées, soit par la cassure naturelle du sol soit par la présence d'une murette, cette construction en pierre sèche permet de niveler et soutenir les terres en bordure du plateau. Dans les reliefs découpés où les vallées adjacentes se rapprochent, les limites de versants correspondent avec les lignes de séparation des eaux et coïncident souvent avec le tracé d'un chemin de crête. Quand la présence de roche dure sur les versants est à l'origine d'un resserrement de la vallée, la rivière en fond borne directement le coteau et vient frapper des parois abruptes, c'est elle qui marque la rupture entre versant et fond de vallée. En ces points, la direction des cours d'eau change en raison de la résistance que leur opposent les berges rocheuses, des barrages utiles aux activités de meuneries et d'irrigation trouvent là une implantation privilégiée.

(92-43-198-Xhoriz.)

cliché 92-43-198-X : Rouaise (Saint-Etienne-sur-BlesIe), barrage sur la Voireuze (pour l'irrigation d'un pré-verger), implanté au pied du coteau.

' Cette considération intemporelle des matériaux minéraux est importante pour les représentations de l'espace iTiral et se retrouve notamment en ce qui concerne la datation des structures agi aires (terrasses, murets, cabanes, etc ) COTEAUX 26 Des terrasses de cultures entre fond et coteaux

Lorque les ruptures de pentes sont progressives, la démarcation entre les coteaux et les fonds de vallées n'est pas précise car il existe des espaces ambigus qui appartenant aux versants de par leur emplacement dans la pente et de par leur aménagement en terrasses de culture (présence d'un mur de soutènement, nivellement des terres) mais relevant des fonds de vallées de par la richesse et la profondeur de leur sol ainsi que leur sensibilité moindre à la sécheresse. Ces terrasses hors normes sont plus larges (de vingt à cinquante mètres) que celles appartenant spécifiquement aux coteaux (de trois à douze mètres de large en moyenne). Le versant débute alors là où précisemment les terrasses se font plus étroites et ressérées. où la côte devient abrupte, l'accessibilité s'amoindrit et le socle rocheux affleure.

Passage^ de canaux d'irrigation

En raison de l'importante plus-value apportée à une terre arrosée, des canaux d'irrigation ont été construits, ils prennent naissance dans l'amont de la vallée et s'accolent au flanc des coteaux, ils traversent les versants au plus haut qu'il est possible de le faire afin d'irriguer une surface maximum de terres. De ce fait, malgré une appartenance d'origine aux coteaux, des terres irriguées en pentes semblent posséder les mêmes qualités que celles plates des fonds de vallées, du moins les considère-t-on comme telles et l'administration fiscale en tient compte pour l'établissement de l'impôt foncier comme en atteste le cadastre. La démarcation entre coteaux et fonds ne se situe non pas à l'inflexion de la courbure de la pente mais plus haut, au-delà du canal d'irrigation et de ses bordures supérieures.

Insérer coupe du verger de Rouàze réalisée par F. FANGET

Les canaux sont en eux-même des structures appartenant aux fonds de vallées, ils y circulent de l'amont à l'aval et ont bien pour fonction l'irrigation des terres de fonds, perméables et sensibles à la sécheresse.

Des jardins potager ci flanc de coteaux

Au pied des versants, des jardins potagers occupent l'arrière des maisons dii bourg de Blesle. Bien nivelés et entretenus, ils s'étalent sur deux ou trois terrasses dont les murs de soutènement atteignent des hauteurs inusitées (jusqu'à trois mètres cinquante voire quatre mètres pour des murs qui ne dépassent généralement pas un mètre cinquante de haut). Ces jardins sont par l'aspect de leurs cultures, semblables à ceux présents en fonds de vallée, mais COTEAUX 27 ils diffèrent par le bénéfice de chaleur qu'ils tirent de leur exposition privilégiée, du volant d'inertie thermique apporté par les murs et la présence de rochers. Cette particularité permet une production spécifique que l'on pourrait qualifier de "primeurs". Le bâti des terrasses atteint une élaboration particulière : les murs tendent vers une parfaite verticalité, les banquettes de cultures sont très bien aplanies. L'accès des jardins s'effectue généralement par l'intérieur de la maison d'habitation, la cuisine située au premier étage par rapport à la rue, offre une entrée de plein-pied pour le jardin. Cet espace cultivé semble pouvoir être rattaché ou non aux coteaux : il s'y rapporte si l'on prend en compte son emplacement à flanc de pente, ses aménagements en terrasses et ses caractéristiques climatiques propres (chaleur, implantation hors-gel). Mais il demeure rattaché à la maison d'habitation dans une relation d'interdépendance si l'on considère que l'espace du jardin est un lieu clos dont l'accès se fait par l'intérieur de la maison, que le premier mur de soutènement du jardin n'est autre que l'arrière de la maison et d'autre part que les légumes de ce jardin sont destinés à une consommation familiale (à la différence des autres jardins de fonds de vallées dont les produits sont commercialisés au marché ou dans les foires). Ces jardins relèvent donc autant du domaine des fonds de vallées que des versants dont ils sont une portion d'espace mise en valeur de façon particulière ; aussi les représentations inhérentes à l'ensemble des coteaux diffèrent-elles pour ces jardins. L'intérêt qu'ils présentent pour des cultures potagères "primeurs" les excluent des parcelles de côtes réputées pour leur pauvreté et pour le revenu dérisoire apporté par leur mise en culture. Mais surtout, ces jardins, qu'ils soient potagers ou d'agréments, sont les derniers espaces en culture sur les coteaux exposés au midi ; ces zones jouent un rôle de "tampon" avec la friche toute proche sur les terrasses supérieures désormais délaissées par l'agriculture.

Le terroir et l'orientation du coteau

Limites longitudinales

Vers l'amont, les coteaux débutent quelques kilomètres après la source des cours d'eau sur le plateau du Cézallier : un ruisseau circule d'abord dans les prairies puis dans un creux plus prononcé jusqu'à devenir une véritable vallée. Ce passage est parfois progressif, parfois brutal comme pour la Voireuze à propos de laquelle Barrés écrit (An VIII : 6) : hi .source de la rivière, qui arrose, le vallon de. Riesle, quoique, située hors du canton, mérite, d'être, observée. Après avoir serpenté quelques temps sur la pelouse, au haut de la montagne elle se précipite, par une cascade perpendiculaire de vingt-cinq toises de hauteur, dans la gorge qui la reçoit. On a décrit avec emphase d'autres cascades qui lui sont inférieures en beaux accidens. * COTEAUX 28

Vers l'aval, c'est l'élargissement de la vallée de l'Alagnon à l'approche des Limagnes qui marque le terme des vallées profondes des pays coupés. Au sein du linage de Blesle, ces coteaux ne constituent pas pour autant un ensemble homogène. Les versants sont considérés par section, délimités par des changements d'orientation, des limites territoriales (village, commune, département) qui correspondent aux limites parcellaires des dernières propriétés du fïnage. Ces limites, connues des habitants, serpentent à flanc de coteau selon le tracé d'un chemin ou les bordures de parcelles, et sont finalement bien peu visibles dans l'espace quand elles ne coïncident pas avec le cours d'un ruisseau.

Délimitation d'imités homogènes dans un versant

Ce sont souvent des ruisseaux qui génèrent des ravins plus ou moins profonds ; certains forment une légère combe, peu marquée. Pour les expositions ensoleillées, entre ces thalwegs d'importance variable, des affleurements rocheux délimitent des sections plus riches en terre arable, où la chênaie recouvre progressivement les anciennes terrasses de culture. Aux changements d'orientation des versants, correspondent des modifications de terroir ; un toponyme spécifique désigne chaque micro-terroir qui correspond généralement à une partie homogène du coteau.

Hétérogénéité des versants

Les ravines qui dévalent les versants forment parfois de véritables entailles dont la physionomie varie avec la présence d'une humidité plus ou moins importante et parfois d'un petit filet d'eau permanent. Cette proximité de l'eau a permis des cultures impossibles sur les versants arides ou bien la pousse de végétaux hydrophil les comme des saules ou des peupliers, qui furent émondés jusque dans les années 1950 pour constituer des compléments de fourrage ; dans les deux cas ces particularités se retrouvent dans des toponymes spécifiques :

(extrait de ta carte IGN avec surlignage (le certains toponymes particulier s) Légende : - Rif de Lanat, (limite communale entre Blesle el Saint-Ktienr.e-siir-BIesIe), Mistral (1979 ; t.II : 790) cite "rif comme ruisseau, cours d'eau ; à propos de "T-anat", Arsac (199! : 75) cite Dauzat & ail qui donnent pour "nava" une origine "pré-celtique" pouvant recouvrir des significations variées, pairr.is lesquelles : creux, vallon, ou vallée fertile entre deux montagnes. COTEAUX 29 - Ruisseau du Verdier, (présent à deux reprises sur la commune d'), Arsac (1991 : 186 & 336) donne deux formations possibles : soit latine de \iridarium, soit dialecticale à partir du terme latin précédent, verdier, signifiant dans les deux cas verger. - Ruisseau de Saillus (Saint-Etienne-sur-BlesIe) & Ruisseau de Saliant (Blesle), pour lesquels on pourrait se référer à Arsac (1991 : 97-98) qui donne pour sala le sens de "cours d'eau", et plus prècisemment de "torrent encaissé". Faut-il voir la même origine dans le Ravin de Combe Saly (Leyvaux) (et donc une redondance entre la racine sal- et Combe) ainsi que dans le Ravin de Saud (Saint-Etienne-sur-BlesIe). Par ailleurs, ne peut-on pas aussi se référer à la désignation latine du saule : salix ? - Le Jardinou (Blesle), est un toponyme explicite. On peut toutefois citer Mistral (1979, t. II : 155) jardinoun : jardinet, petit jardin.

Ces ravins peuvent occasionner une simple dépression dans le flanc de la côte, on y trouve alors une épaisseur de terre et une humidité importantes. Ailleurs c'est un véritable couloir qui est creusé par un petit affluent dont les maigres eaux dévalent selon une pente rapide. Dans tous les cas, la fréquence de ces petites combes confère un profil irrégulier aux coteaux. Il existe des différences de faciès importantes selon l'exposition des versants : on remarque des terrasses enfrichées et des rochers à nu, aux orientations Sud ou Sud-Est, des feuillus plus denses sur les versants Est ou Ouest, des ilôts de prairies au milieu d'une forêt où se mêlent feuillus et résineux sur les versants Nord, Nord-Est, Nord-Ouest. Mais au-delà d'un apparent déterminisme géographique, on distingue aisément des différences liées à la proximité de l'habitat : à mesure que l'on s'éloigne des agglomérations, les terrasses deviennent plus rares, la forêt de chêne plus vigoureuse, mais parfois au détour d'un virage, celle-ci disparaît totalement pour laisser place à un versant de landes et de rochers. Pour les versants exposés au Nord, les prairies se raréfient au fur et à mesure de l'éloignement des zones habitées. Les bois d'un aspect désordonné, visiblement issus de la friche, évoluent vers une forêt rationnelle, majoritairement résineuse avec des pins sylvestres ou des épicéas ; ces derniers ont été plantés, comme l'attestent les alignements réguliers des arbres le long de la ligne de pente.

LES LIGNES DE CRÊTES

(carte IGN ?) COTEAUX 30

Les lignes de crêtes séparant deux vallées accueillent généralement un chemin dont le tracé est relativement bien conservé de nos jours. Ces chemins sommaires, sans revêtement ni chaussée, profitent de l'affleurement rocheux des sommets. Leur datation est délicate, ancienne, d'après les archéologues qui évitent d'avancer des chiffres précis, mais certainement antérieure à la conquête gallo-romaine.

BIBLIO ; Desbordes J.-M. (1989 : 17) : Les cheminements de long parcours peuvent être regroupés en deux séries principales : les uns sont guidés par les lignes de partage des eaux ou par les plateaux d'interfluve ; les autres "cassent" le relief par monts et par vaux. I¡a première série a toutes chances d'avoir une origine fort ancienne : les tracés sont en effet moulés dans les lanières d'interfluve (...) de manière à suivre à l'économie aussi étroitement que possible, ta ligne de partage des eaux où affleure la roche sèche et dure, socle naturel des cheminements (...). La seconde série d'itinéraire a été créée après la conquête gallo-romaine (...).

Jusqu'à la fin du XIXe siècle n'était pas toujours évidente : par exemple, il n'y avait qu'un chemin de terre de Blesle à Saint-Etienne-sur-Blesle et aucun ouvrage pour franchir les petits ruisseaux descendant des côtes. Les travaux de voirie des XVIIIo et XIXo siècles (et jusqu'à la première guerre mondiale parfois) n'ont concerné que des axes importants et se sont peu préoccupés de la circulation locale. Cette politique a été constante en la matière pour les différents gouvernements qui se sont succédés (cf. Weber, 1983 : 286). Lucien Gachón décrit ainsi la situation pour les régions de pays coupés (1938 : 435) :

Venue l'époque de l'automobile après celle de la bicyclette, la roule tracée par l'agent-voyer cantonnai a été fréquentée plus par l'administrateur, le médecin, le boucher ou le touriste que par le paysan. Passerait-elle à moins de 500 m. de sa ferme, l'agriculteur lui préfère l'ancien raccourci qui, de son seuil, conduit directement au moulin dans la vallée ou à l'ancienne liaison établie sur des échines en direction du marché le plus proche.

Jusqu'à la seconde Guerre Mondiale, ces chemins étaient fréquentés par les agriculteurs de Blesle ou surtout de Bousselargues qui menaient leurs fruits aux habitants de "la montagne" avec un âne ou un mulet.

ENQ. ; M. Vier, agriculteur retraité, Blesle : Ils montaient par le plateau du Gris, avec un âne, avec un bât. Chaque paysan, et presque chaque habitant avait son âne parfois un mulet, ceux qui étaient plus riches un cheval, mais c'étaiiplus rare.

Facilement utilisables par un tel équipage, ces chemins n'étaient que rarement praticables par un attelage, tel était toutefois le cas pour le chemin allant de la Croix du Bucheron aux Montignat qui permettait de descendre les fourrages vers Blesle. (repérage sur carte IGN) COTEAUX 31 Jusqu'à la fin des années 1970, quelques éleveurs ont continué à emprunter ces chemins pour mener leurs bêtes à l'estive. Ainsi un agriculteur en retraite de Saint-Etienne-sur-Blesle a conduit ses moutons dans le Cézallier puis à Leyvaux jusqu'en 1978/1979, en empruntant le chemin qui va de Saint-Etienne-sur-Blesle vers le Cézallier sur un tronçon de Farges à Lussaud. (extrait carte IGN)

Les cols

Les lignes de crêtes ne sont pas régulières et alternent courbes convexes et concaves, marquant ainsi des creux plus ou moins prononcés. Les moins marqués de ces creux ont constitué des postes privilégiés pour la chasse aux lièvres (cf. toponyme "Poupelèbre") et ce, tant que les coteaux ont été nettoyés : ENQ. ; M. Jourde, agriculteur retraité, Saint-Etienne-sur-Blesle : Le col des chèvres, des tsabres on l'appelait, ça faisait un creux, c'était un poste à lièvre là, il s'en était tué du lièwe là. On attendait que les chiens les montent, qu'ils montent le lièvre à fond de. train, et pan !

Certains de ces "cols" étaient de véritables carrefours, les instituant comme des lieux de passage fréquentés. Ainsi à Encol arrive le chemin de crête du Gris (qui n'est guère plus fréquenté que par les randonneurs ou les chasseurs), mais aussi la route rejoignant Bousselargues, celle qui mène à Chadecol. et enfin la route goudronnée permettant la liaison vers le bourg de Blesle. Ces croisées de chemins sur ces cols sont parfois le lieu d'implantation d'une croix de chemin, (carte IGN)

(93-43-436-X, horiz.)

Cliché 93-43-436-X. Carte postale, vers 1950 environ. La croix du Bucheron

A propos.de la croix du Bucheron :

La Croix du Bucheron, implantée au carrefour des chemins venant de Blesle, du Monlignat, de Terret est aujourd'hui un lieu de promenade fréquenté offrant un panorama réputé sur le bourg de Blesle. Une institutrice en retraite m'a raconté comment son père l'emmenait v admirer les pommiers en fleurs au mois de Mai. Sur ce lieu j'ai rencontré un naturaliste, amateur d'ornithologie, venant observer des rapaces aux jumelles. Par une belle journée d'été, des personnes âgées avec leurs petits enfants sont adossés aux troncs de quelques vieux pommiers et regardent vers le bourg en se délassant. Déjà des cartes postales anciennes utilisaient ce site comme point de vue. Enfin la tradition locale veut que les emigrants saisonniers qui partaient de Boussclargues ou parfois de Blesle vers Bordeaux pour y effectuer ÚQS travaux de ramonage durant l'hiver, soient partis par le chemin du Bucheron. COTEAUX 32 Arrivés vers la croix, ils se retournaient alors et "se demandaient s'il ne serait pas trop long d'attendre jusqu'au printemps suivant pour revoir son village" (carnet d'enquête n°l, le 11 Août 1992, Pierre Vergne). Cette anecdote, entendue à plusieurs reprises, fait du col du Bucheron, à cheval entre deux vallées, un point limite au-delà duquel on ne voit plus le village. Pour la jeunesse c'est un endroit où l'on se rend en pleine nuit pour écouter de la musique avec un poste à piles posé sur le socle de la croix. Effectuée de nuit, l'ascension vers la croix devient pleine d'embûches (ornières, nids de poules, pierres roulantes, filets d'eau) et semble être une épreuve à franchir par les adolescents au même titre que l'ascension clandestine du donjon des Mercoeur. Cette notion de passage attachée au lieu se retrouve dans une légende contée (ou créée?) par Madame Elisabeth Segret : la délivrance de l'âme du "prêlre-fantome de Notre- Dame de la Chagne", est matérialisée dans ce récit par la naissance au col du Bucheron d'une énorme étoile filante qui zébra le ciel et disparut.

Site d'observation, carrefour de chemins, seuil d'une étape dans le développement des adolescents, le col, tel celui du Bucheron, est un point-frontière, au-delà duquel on passe "ailleurs" ; faut-il s'étonner alors que le lotissement de la Bessière construit vers 1970, séparé de Blesle par le col du Bucheron, soit défini comme n'étant "pas le même pays", bien qu'étant aménagé sur des terrains appartenant au finage. De même on peut alors comprendre, qu'après avoir été reportés maintes et maintes fois, le projet de liaison piétonne du bourg de Blesle à la Bessière par le Bucheron ait été abandonné au profit d'un itinéraire beaucoup plus long mais circulant en fond, et assurant une certaine "continuité urbaine". Ainsi apparaît la logique qui poussera l'urbanisation à rejoindre le bourg et son extension de la Bessière ; cette urbanisation se fera dans les années à venir par le fond de vallée, au détriment de jardins et vergers irrigués) en évitant cette frontière symbolique que constituent le col du Bucheron et les coteaux qu'il domine.

LES COTEAUX, DES ESPACES SINGULIERS

Le domaine du pauvre

M. Aubijoux, maraîcher en retraite, Blesle : Olí, y a q:/'¿>i bas que. c'était bon !

Ce qualificatif rapporté aux terres des fonds de vallées est une constante dans les discours recueillis sur le terrain. Le travail des coteaux apparaît d'une pénébilité extrême : COTEAUX 33 ENQ. ; M. Rebeyrt, coiffeur retraité, Blesle : L'hiver, y avait pas de travail, alors vous savez ce qu'ils faisaient ? ils arrangeaient des paillas pour faire un peu de seigle ou faire un peu de vigne, vous comprenez, parce que la plaine, en dessous-là que vous voyez, elle appartenait aux riches, alors les pauvres types, ils montaient dans la côte. (...) Barrés, Segret amit des choses, alors à part ces trois ou quatre notables, les autres ils étaient obligés de grimper dans les côtes.

Ainsi les parcelles planes, et plus particulièrement celles des fonds de vallées, sont placées en tête de la hiérarchie des terres du fïnage.

ENQ. ; M. Aubijoux, maraîcher retraité, Blesle : Dans ¡es fonds, ils devaient bien faire unpen de tout, de polyculture, mais seulement c'était réservé à une certaine clause, et alors toutes les côtes, qu'vous voyez où y a des murs partout, alors là c'était les classes plus modestes (...).

Ce mode de représentation de la répartition des terres en fonction de la classe sociale du propriétaire est quelque peu caricatural : d'une part, il s'attache à connaître le possesseur de la terre et non celui qui la travaille, et d'autre part, il omet que les classes dominantes possédèrent elles-aussi des parcelles en pentes. La plus représentative est sans doute, la Vigne des Dames, qui fut la plus grande vigne d'un seul tenant du secteur et possession de l'Abbaye de Blesle jusqu'à la vente des biens nationaux. Cette parcelle de huit hectares environ lut alors achetée et partagée entre les soixante-cinq bleslois qui s'en portèrent acquéreurs. Nombre de vignes des coteaux étaient la propriété de gens relativement aisés, comme en témoignent encore les nombreux vestiges de pigeonniers au milieu des terrasses enfrichées.

Le coteau, entre sauvage et cultivé

L'écrin de verdure

(dépliant Blesle OTSI -f cliché p. 34 de la charte 1% /A75 : "des espaces naturels de qualité")

De l'image touristique au document d'aménagement, les coteaux verdoyants sont • considérés comme un espace naturel de qualité ; espace "naturel" qui devient écrin du village pittoresque de Blesle ou de la route touristique de !a vallée de l'Alagnon. Il convient de rappeler que le même type de considération se retrouve à propos des forêts alluviales et l'on associe parfois les espaces boisés de fonds et de coteaux à l'image même de la Nature. COTEAUX 34 Les vestiges de terrasses de culture émergeant ça et là, rappellent à quel point l'état "sauvage" actuel est récent. L'espace naturel, l'écrin de verdure, est en fait le résultat de l'évolution de la friche qui envahit progressivement toutes les terres en pente du secteur. Là où le touriste et l'aménageur voient la nature, l'agriculteur retraité déplore "les ronces et les buissons partout", que "tout ça se ferme". La friche recouvre des siècles de travaux de mise en valeur des terres par les hommes et bientôt "même les sangliers pourront plus y passer". Le développement des chevreuils, et même des grands cervidés, est vécu comme un indicateur supplémentaire de l'ensauvagement des coteaux. A la perte de la maîtrise agricole s'ajoute même une certaine façon de perdre sa propriété : "on sait même plus où c'est", "j'en ai là-haut, j'saurais même pas le retrouver!".

Si les "amoureux du pays", commentent les cartes postales anciennes en regrettant la beauté des terrasses de culture, nombreux sont les anciens agriculteurs qui nourrissent le désir de voir "ces côtes il y a 100 ans!", quand "tout était travaillé". Il plane ainsi autour de Blesle, dont les maisons se délabrent comme les coteaux s'enfrichent, la nostalgie d'un âge d'or, des prairies de fauche dont on descendait le fourrage dans le char tiré par les deux vaches, des vignes où les travaux collectifs symbolisent l'époque d'une entr'aide disparue.

Le coteau, ultime refuge des nuisibles

Mais l'étude des composantes qui structurent l'espace de ces coteaux amène à relativiser une totale opposition entre le naturel ou sauvage actuel et un age d'or de l'espace tout-cultivé, tout-domestiqué, tout-dominé.

Ainsi, même au plus fort de la pleine occupation agricole de l'espace, le coteau était le lieu où certains animaux parasites, destructeurs ou venimeux, pouvaient échapper à l'homme voire prospérer. Un maraîcher en retraite nous expliquait que si les rongeurs étaient, dans les fonds de vallées, radicalement détruits par l'empoisonnement ou l'irrigation (en recouvrant les terres par l'eau des canaux, les galeries des rats ou taupes étaient immanquablement submergées) il fallai bien reconnaître qu'il était impossible de les atteindre sur le coteau avec les moyens dont disposait un agriculteur. Si un seul survivant s'y réfugiait, il passait l'hiver à l'abri, trouvant la nourriture qui lui permettait de subsister, et de recréer une colonie qui envahirait de nouveau les cultures à la belle saison suivante. Le coteau devient non seulement un refuge peu accessible par l'homme, mais un lieu où se régénèrent les rongeurs, qui en toute impunité reconstituent leur aptitude à agir en fléau sur les cultures et notamment les céréales. Les reptiles, et plus particulièrement les vipères, semblent avoir toujours été les hôtes privilégiés des murettes des terrasses à vigne. C'est une des justifications du choix de la saison hivernale pour le travail d'entretien de ces murs de pierres sèches ; alors qu'en été, la peur des "serpents" est permanente et interdit de "iraiiqucr" dans un mur, car c'est là leur COTEAUX 35 "habitat", en hiver la vipère se trouve derrière une pierre, roulée en boule et endormie donc inoffensive et vulnérable voire destructible. La période où le paysan reprend le contrôle de son mur est finalement le temps où la vigne n'est plus en végétation et où le serpent est endormi. Les animaux parasites, à détruire, comme les reptiles venimeux, désignés comme maléfiques, sont réputés pour être des hôtes du coteau et au-delà rappeler ainsi l'appartenance du coteau au sauvage.

Ainsi l'homme a poussé très loin la sophistication de ses aménagements pour la mise en valeur agricole, il ne parvient jamais à domestiquer tous les aspects farouches de cet espace.

Une mise en culture ambiguë

Cette ambiguïté du coteau est une constante tout au long de son histoire et pas seulement un phénomène né avec la déprise actuelle. Ainsi les procédés de défrichement utilisant des cycles de culture très longs de l'ordre de trente ans et plus (comme en atteste des actes notariés du XVIIIe siècle dans les bois de Chadecol). les terrasses liant des relations profondes avec leur matériau d'origine (cf. le chapitre consacré à la construction des terrasses de culture) sont autant de mises en valeur agraire indiquant plus une accomodation des pratiques agricoles avec les phénomènes naturels qu'un véritable aménagement et finalement une "domestication" de l'espace comme cela a pu être réalisé lors de la mise en valeur des fonds de vallées.

Les cultures pratiquées elles-mêmes, ne participent pas tout à fait de la même domestication que les arbres fruitiers ou les légumes des fonds de vallées. Comme l'a montré Christiane Amiel, le travail de la vigne, laisse transparaître des hiérarchisations subtiles entre sauvage et domestique ; Les fruits de la vignes montrent en effet à quel point nature et culture s'enchevêtrent.

Lapro.xim ité des éléments

La mise en culture des coteaux procède d'une lutte permanente avec les éléments dans tout ce qu'ils ont de plus primaires : le rocher, la terre, la pluie, le gel, le soleil ou la pesanteur.

(93-45-451-X-horiz. ci- 93-43-449-X'-vertic.) Clichés 93-43-451-X & 93-43-449-X : Brutal éboulement au printemps 1934. De tels faits, généralement moins dramatiques, se [irociuise.it fréquemment en diverses saisons : au printemps lors du dégel ou après COTEAUX 36 de longues périodes de pluies, en été après un violent orage, en automne après d'importantes chutes de pluies et souvent en hiver lors de la fonte suivant de grosses chutes de neige.

Micro-climat, le coteau entre chaud_et froid

Les différences radicales d'exposition créent des micro-climats particulièrement tranchés :

ENQ. ; M. Aubijoux, maraîcher en retraite, Blesle : Oh là, c'est 100% [de différence], c'est fou, vous avez des variations formidables (...) Ah là le coteau au nord, c'est froid, là c'est froid, là c'est froid... C'est mieux exposé au nord, ça se compare pas (...) Et quand moi j'avais les fraises, j'ie faisais :j'en mettais des bien mal tournées et de race tardive, pour que ça fasse un décalage avec les précoces là-bas [en désignant le coteua ensoleillé].

Ainsi cette opposition a-t-elle été mise à profit pour étaler dans le temps la production et ce sur une superficie restreinte puisque cet agriculteur ne cultivait les fraises que sur quelques milliers de mètres carrés, entre trois et six hectares tout au plus. Cette exposition très favorable des pentes tournées au sud, leur procurent la faculté de bénéficier très vite de la chaleur et de telle façon que le soleil hivernal parvient à créer une véritable "rupture climatique" localisée à ces seuls espaces :

ENQ. ; M. Aubijoux, maraîcher en retraite, Blesle : Vous auriez une maison apleinßancde côte là-haut, maii... vous seriez à Nice ! (...) J'ai eu vu en hiver moi, quand il faisait des serrées de gel, (...) il faisait des fois jusqu'à quinze jours comme ça de gel, moins quinze, moins dix-huit, moins vingt, et ben vous a\iez du gel là. Et bien, on voulait pas rester tout le temps dedans, allez, on s'habillait bien, on partait là-bas, on allait dans la côte, les sauterelles volaient dans la côte là-haut, c'était pa% croyable, vous étiez en chemise pour couper du bois. Quand vous arriviez par le champ, par la route, ça vous tombait dessus là... c'est pas croyable la différence qu'il y a là.

Cet excès de chaleur ne se caractérise pas seulement en hiver, et ainsi au mois de Juin et Juillet, la même personne nous explique que : La girolle vient surtout au nord y en a bien au sud aussi, mais beaucoup au nord, ça dépend s'il fait humide. Comme cette année [1992, année au printemps "pourri"] vous en trouvez au sud mais là du coup, s'il y a dem jours de soleil, il est grillé.

Ainsi le coteau tourne vers le plein soleil semble recevoir toute l'énergie de ce dernier et se démarquer ainsi du reste du terroir.

La création du sol COTEAUX 37

Cette proximité des éléments influe également sur la représentation que l'on se fait du phénomène de création des sols, dénommé pédogénèse. Barrés en l'an VIII de la République après avoir expliqué son interprétation personnelle du phénomène, relate les explications locales :

BD3L. ; Barrés, an VIII, 7-8 : Ce roc est un granit secondaire de la plus haute antiquité, (...). En général la superficie de ce granit est assez friable. Le soleil, la pluie, la gelée le décomposent en peu de temps, en une terre légère, spongieuse, d'un gris jaunâtre et brillant lorsqu'elle est dépouillée de l'humus végétal : c'est ce qu'on appelé dans le canton, terre de "varène", par corruption sans doute, d'"arène", ou terre, de. sable.

Barrés ajoute en note que de nombreux agriculteurs locaux considère cette faculté du terrain à se régénérer de lui-même comme, un.don divin et donc un phénomène normal ; il précise alors que ce comportement incite les paysans à maintenir leurs défrichements et labours sur les terres en pente malgré des catastrophes répétées en quelques décennies :

BIBL. ; Barrés, an VIII, note relative aux crues de l'Alagnon : J'ai m un orage affreux fondre dans un vallon ; un côté nouvellement défriché, présentait une mer jaune en furie, l'autre côté, boité, offrait quelques füets d'eau claire. Les débordemens [sic] mémorables des quinze Novembre 1766, cinq Mars 1783 et onze Novembre 1790, ont ravagé cette vallée, autrefois très riante et productive.

Trois ans plus tard, l'Abbé de Pradt écrit lors de son Voyage agronomique en Auvergne

An XI de la République, 10-i : Labourer des terrains exposés au retour continuel de pareils accidens [fonte des neiges, orages, etc.], est une véritable insanité.

Ainsi se discerne le fait que le soutènement des terres n'ait pas été une constante dans l'histoire de l'agriculture en zone de pente de cette région.

La terre issue d'un don divin se régénère seule, comme si la Genèse en ce lieu se soit perpétuée sans cesse ; peu d'importance à la perte de la terre puisque sous l'action des éléments, elle se formera de nouveau à partir du rocher, intarrissable réservoir de matière première.

L'infatigable matrice

Les coteaux, apparaissent travaillés mais jamais soustraits à la primauté des éléments de la nature et du sauvage, un espace ou le sol se régénère de lui-même sous l'action des COTEAUX 38 météores. Le sol est prélevé pour ses éléments fertiles : soit directement en fournissant l'humus pour des terrasses ou des parcelles de fonds de vallées, soit indirectement, par le parcours des moutons qui broutent les herbages des coteaux puis déposent leur fumure sur des parcelles labourées des plateaux. En quelque sorte le coteau et ses rochers peuvent être comparés à "l'infatigable matrice" de la Cosmographia de Bernard Sylvestre au XIIo siècle (Duby, 1979 : 110) : le coteau est resté relativement proche de cette sylve, "confusion primordiale, friche à mettre en culture" (ibid.), préalable à la génération. Lieu de fabrication des éléments fertiles (que ce soit la l'humus prélevé, ou la fumure produite par les moutons), cettejnatrice est en amont de l'agriculture. Toute culture reste fortement soumise à cette influence primitive, les météores y sont particulièrement violents. Ils occasionnent la destruction du support de la culture, mais ici plus que partout ailleurs, la glèbe se crée vite et seule. Aujourd'hui, quelques propriétaires exploitent des parcelles selon une sylviculture rationnelle, ce qui revient à l'établissement d'une nouvelle forme d'assolement à longue révolution de ces terres des zones de pente. De manière générale, l'homme délaisse les coteaux, et cette matrice est beaucoup moins sollicitée. Alors qu'il n'a jamais été véritablement domestiqué, l'espace sauvage se recouvre de sa toison de friche et devient alors "espace naturel". Seuls les traqueurs de sauvage les parcourent : chasseurs, mais aussi naturalistes en quête d'observation d'oiseaux ou de petits mammifères, géologues ou amateurs de minéraux remontant les ravins dans le cours des ruisseaux à sec, à la recherche de cristaux intéressants. Chacun trouve sur ces coteaux de quoi nourrir ses représentations de "La Nature". COTEAUX - TERRASSES 39 LES COTEAUX/ LES TERRASSES: GÉNÉRALITÉS

PRESENTATION DE LA SITUATION ACTUELLE

Des terrasses de culture en Auvergne :

Les terrasses de culture sont depuis quelques années l'objet d'un important travail de différentes disciplines qui investissent là un sujet longtemps passé inaperçu. Dès le début des aimées 1980, géographe, archéologues, chercheurs en sciences humaines, agronomes, architectes ou naturalistes recherchent, publient, agissent (cf. bibliographie) ; 1989 est l'année de la publication de l'ouvrage "Paysages de terrasses" (Ambroise, Frapa & Giorgis) qui marque une volonté d'étendre cette sensibilisation à un plus vaste public. L'Auvergne est restée à l'écart de ce mouvement d'intérêt, si bien que l'on pourra être surpris de voir le présent rapport consacré aux terrasses de culture dans ce canton limitrophe du Puy-de-Dôme et du Cantal. Pourtant la présence des terrasses est un phénomène fréquent notamment dans les parties méridionale et orientale de cette région ; les influences des orages cévenoles, la topographie mouvementée et la pratique de certaines cultures (dont la vigne) ont contribué à une mise en valeur des terres selon cette méthode qui lait appel au soutènement du sol et à la maîtrise des eaux de ruissellement.

(carte des zones de terrasses en Auvergne). Légende : Les terrasses de culture sont surtout fiéquentes en Haute-Loire. Ces aménagements se trouvent le plus fréquemment dans les vallées de ce département à la topographie très contrastée. En effet, les vallées entaillent des hauts plateaux et bénéficient de micro-climats favorables. De ce fait ces zones de vallées ont abrité des cultures faisant défaut aux hauts-plateaux plus froids comme des légumes "primeurs", des fruits ou du vin. Les versants de ces vallées à la pente souvent très importante (30 à 50 %) ont nécessité le soutènement de leurs terres. La région est soumise aux orages de type "cévenol" qui occasionnent des crues aussi subites que dévastatrices, telle la crue meurtrière de la Loire du 20 Septembre 1980.

Compte tenu de la diversité géologique de la région, ces terrasses sont tout autant implantées sur les socles cristallins que sur des secteurs volcaniques et emploient donc des matériaux divers.

Photographies en couleurs Arttas, Saint-Arcons d'Allier COTEAUX - TERRASSES 40 Artias (Commune de Rctournac, Haute-Loire) : les terrasses de culture ont été aménagées grâce à l'empilement soigneux de plaquettes de basaltes, les terrains ont été "défoncés" à la bêche sur environ 70 centimètres de profondeur. Saint-Arcons-d'Allier (Haute-Loire)

Les terrasses de Blesle

(dessin : vue des coteaux de FontiUes depuis le Pré-Madame, avec jardins en premier plan). Dessin au crayon, B. Ythier, 1992 : les coteaux de Fontilles vus depuis le Pré-Madame. Cette représentation permet de constater l'ampleur des aménagements en terrasses réalisés sur les versants Bleslois. Mais actuellement l'abandon est général, et à la suite de la friche herbacée, apparaît un boisement de feuillus, de chênes pubescents ou de robiniers faux-acacias, qui masquent de plus en plus les murcttes.

Les terrasses de Blesle ne constituent pas un phénomène isolé mais s'insèrent dans un cadre régional qui appartient au vaste ensemble méditérannéen où la mise en valeur des terrains en pente utilise la construction de terrasses de culture. Les aménagements en terrasses sur les versants bien exposés donnent à l'imagination l'illusion de pouvoir se représenter ce que fut la vie turale "d'autan", et notamment au travers d'une abondante main d'oeuvre nécessaire à l'entretien et la mise en culture de ces terrasses. Mais aujourd'hui, l'enfrichement est général et seuls les aménagements de bas de versant, aux abords des habitations sont encore entretenus.

LOCALISATION i i / Emplacement / / l'exposition : /

/ (petite curie - IGN - spécifique) / La mise en valeur des pentes n'implique pas forcément la Constitution de terrasses, ainsi, à pente égale, les versants exposés au nord sont considérablement moins aménagés que i les versants d'adret. Les terasscs sont majoritairement présenles sur les coteaux les mieux exposés, principalement sur les versants Sud, Sud-ouest, Sud-est, mais aussi Est et Ouest. Toutefois, on rencontre des terrasses en ubacs, notïunnient à proximité dés rebords de COTEAUX - TERRASSES 41 plateaux basaltiques, où les matériaux pierreux sont particulièrement abondants ; on a alors à faire à des murettes remplissant deux fonctions, d'une part le soutènement des terres, d'autre part le stockage des pierres issues de l'épierrement.

La proximité de l'habitat :

La densité de ces aménagements est plus forte à proximité des zones habitées : au- dessus du bourg de Blcslc, la totalité des versants d'adrets est aménagée en terrasses de culture. A deux kilomètres du bourg (direction ouest, vers Saint-Etienne-sur-Blesle), à une altitude, une géologie et une exposition identiques, il n'y a plus qu'environ deux-tiers de l'espace de pente aménagé (évaluation par méthode de carroyage sur carte IGN).

Superficie

Pour l'étude des structures agraires, le cadastre s'est révélé imprécis. Ce sera particulièrement vrai tout au long de l'étude des terrasses de culture. Seul un repérage sommaire sur le terrain avec report sur carte topographique, permet d'évaluer sommairement les superficies aménagées en terrasses.

La zone étudiée comprend 10 000 hectares autour de Blesle ; il s'agit d'un secteur où les coteaux (pente supérieure à 10%) représentent environ les deux/tiers de l'espace (67%). Par un carroyage de 1 centimètre par 1 centimètre de la carte topographique au 1/25 000°, on mesure que les terrasses occupent environ 2400 hectares. Ce qui représente un quart de l'espace total (le bourg de Blesle étant centre du secteur d'étude ; en s'éloignant vers de plus petits villages, cette proportion diminuerait). Cela signifie que sur l'ensemble des coteaux, les aménagements en terrasses de culture constitue une proportion d'environ 40%.

APPELLATION

Comme pour la majeure partie de l'ancienne province d'Auvergne, l'appellation vernaculaire de la terrasse de culture à Blesle est le [puja] (que l'on transcrira dans ce rapport "pailla" par commodité). "Pailla" désigne précisemment la banquette de terre travaillée : M Aiibijoax, maraîcher en retraite, Bicslc : (question : le renne de pailla, c'est pour le mur?) -Non non non c'est la terrassa, c'est la terrasse qu'on appelle le pailla. (El le mur?) - Oh non, y avait la nom patois, mais c'était le mur. (Comment c'était en patois?) - La [pari], un mur c'est une [parijl

Mais le mot "pailla" n'est pas utilisé sur l'ensemble du département de la Haute-Loire, de ce fait la dénomination des terrasses de-cultures varie : COTEAUX - TERRASSES 42

(carie du dpt. de Haute-Loire, repérage cours d'eau, chaînes de montagnes, villes principales, repérage des appellations par zones) La Haute-Loire peut-être divisée en 4 zones en ce qui concerne les appellations vernaculaires des terrasses de culture : - 1 : [paja] dans le Brivadois, c'est-à-dire la partie de l'ancienne province d'Auvergne ratta chée à la Haute-Loire - 2 : [tsàbe] ou [tsâbad'J, les "chambees ou chambades" du Velay, ce terme est également employé en Ardèche - 3 : fjœle] ou [Jale], chalets ou ch'Iets, de la vallée de la Loire en direction du Forez, la limite méridionale de cette appellation correspond aux limites des influences linguistiques franco-provençales, établies par Pierre Nauton (1974, 257-258 & carte n°65, 351). Ce terme de chalets, est celui que l'on retrouve dans le Jarez (vallée du Gier, entre Saint-Etienne et Lyon) ou encore dans le secteur viticole des cótes-du-Rhóne septentrionales (région de Condrieu). - 4 ; [acow'J, cette appellation, est utilisée dans une micro-région précise de la vallée de la Loire, aux alentours de -sur-Arzon et de la plaine de l'Emblavés.

(copie de la carte de Jean Arsac, p.436) Carte extraite de toponymie, du Velay, par Jean Arsac (1991, 436) : Pour la partie vellave de la Haute- Loire, ces différentes terminologies recouvre bien les observations que Jean Arsac avait effectué sur les toponymes "chambade", "faisse", "para/paro" et "acau". Il est à noter que si "faisse" se rencontre dans les toponymes, il est par contre absent du langage courant pour désigner les terrasses de cultures.

Cette variété de dénomination est générale à l'ensemble des régions concernées par les aménagements en terrasses de culture ; ce qui n'est pas le cas de l'appellation donnée au seul mur de pierre sèche qui dans toute les régions de langue occitane conserve la même forme : [para], [pare], [pari].

Topo ii vin es

Toponymes des versants aménagés en terrasses des environs de Blesle :

(carte simplifiée avec repérage des toponymes) toponymes sans interprétation : - Le Massadou (Blesle) : les interprétations données pour des termes proches par les différents auteurs (Dauzat, Arsac, ou cncoie Mistral), semblent inadaptées au lieu ; citons par exemple, Arsac (ibid.) proposant un racine latine "mansas" ayant donne "mas", c'est-à-dire, ferme isolée, hameau, ce qui n'est pas le cas pour le lieu-dit du Massadou qui jouxte le bourg de Blesle. - J.assus (Bicslc) : ? COTEAUX - TERRASSES 43 - Champarnal ou Champarnaux (Blesle) : ? ; faut-il envisager "champ"-"arnauds", "arnauds" s'appliquant à un anthroponyme d'orignie germanique ? toponymes liés au relief ou à l'exposition : - Nombreuses formes en : les Côtes + autre toponyme. Exemple : les Côtes de la Bonnal. - Les Adrets (Saint-Etienne-sur-BlesIe, Leyvaux) : formation dialecticale relative à l'exposition d'un versant (Arsac, 1991,370). - La Bonal (Blesle) : deux propositions d'une origine gauloise par Arsac : 1/ de "bonnas" signifiant fortification (1991, 114), 2/ "bon"-"ale", "aie" pouvant signifier "côté de montagne" (1991, 273) - Bonnechel [bonejelj (Blesle): il conviendrait de scinder en "bon"-"ehcel" ; 1/ montée, escalier ou degré (Arsac, 1991, 277 & Mistral, 1932, T. I, 977) ; "passage difficile où les rocs forment des gradins" (Mistral, ibid.). La première proposition pourrait faire penser aux aménagements en terrasses de ce secteur mais la seconde semble particulièrement adaptée à ce lieu où le chemin de Blesle vers le plateau de Chadecol circule entre des ressauts des orgues basaltiques. - Le Grazal (au pied de la Vigne des Dames, Blesle) divers hypothèses de Dauzat, toutes reprises et commentées par Arsac (1991, 148-149) : 1/ "du gaulois cracos avec le sens de friche, terrain pierreux (...) le rattachement au gaulois cracos n'est pas évident" ; 2/ "du languedocien grasa, dalle ou degré en pierre" ; y "thème oronymique pré-indo-européen gr-at- "terrain pierreux", soit le terme grad-, variante de gred- , "sable, gravats" (...)". Les trois possibilités peuvent s'adapter à la conformation du lieu, puisqu'il recouvre une zone de terrasse (degrés), en terrain rocheux, en bord de rivière (présence de sable). - Tiradou (Blesle) : étiré (?) (Mistral, 1932, t. IL 994) - Poupelèbre (Blesle) : on ne trouve aucune signification pour le terme entier, par contre après l'avoir scinder en "poupe" & "lèbre" on trouve alors, 1/ "poupeu", "poupel", "poupelet" : mammelon (Mistral, 1932, t. II, 622) ce qui correspond particulièrement à la forme arrondie de ce secteur lorsqu'on l'observe depuis Blesle ; 2/ "lèbre" signifiant lièvre (ibid., 197). Faut-il voir ici, la désignation d'un lieu particulièrement fréquenté par ce gibier, ou d'un poste privilégié pour sa capture (piège, chasse) comme on a pu le voir précédemment à propos des "cols". toponymes liés à la présence de l'eau : - La Badal, La Bade (Blesle) : selon F. Mistral, deux possibilités : 1/ du roman "badarel", espace ouvert, belvédère, terrasse élevée (1932, t. I, 205) ; 2/ de "badaire", tuyau par lequel on fait jaillir l'eau d'une source, conduit d'une fontaine (ibid.). - Fontille (Blesle) : pour Mistral (1932, t. I, 1151) dérive de "fount" et signifie petite source. Arsac donne (1991, 174 & 225- 227) une origine latine "fons", puis une formation dialecticale sous forme d'un diminutif type "fontclle" - Faujas : bourbier (Arsac; 1991, 246). - Le Rivet (Blesle) : diminutif de riou (Atsac, 1991, 235) toponymes liés à la culture de la vigne : Relativement nombreux et toujours sous la même forme . la vigne, les vignaux, les vignasses, la vignette. etc. COTEAUX - TERRASSES 44

toponymes liés à des aménagements agraires : -Ruisseau des faisses () : il pourrait ici s'agir du terme de faïsse connu dans le sud comme désignant la terrasse de culture. Ainsi Mistral écrit (1932,1: 1092) : bande de terre soutenue par un mur. Mais Blanchemanche apporte une nuance à cette définition systématique (1990 : 183-184) : ""Selon Wartburg, faïsse \ient du latin fascia, qui n'est autre qu'une bandelette, un lien pour attacher un ensemble d'objets, en particulier des fagots, des gerbes, etc. Par extension il a désigné aussi le fagot lui- même, le faisceau de verges des licteurs romains. Ce n'est qu'à partir du X? siècle que faïsse s'applique à un petit espace de terrain deforme allongée, ainsi qu'à un fardeau (faix), c'est-à-dire une lourde charge à porter, puis, à la fin du XVIe siècle, un fagot de branchages utilisés pour barrer un petit ruisseau ou contenir des terres de. fortification, c'est-à-dire, les fascines. " * La présence du mot faisse pour désigner un niisseau, ne désigne donc pas forcément des terrasses de culture, mais peut s'appliquer également à des parcelles allongées bordant ce niisseau.

Parmi tous ces toponymes, un seul pourrait être lié à la présence des terrasses. Les "Grazal" ou "Bonnechel" peuvent faire douter, mais pour le premier, les possibilités d'interprétation sont multiples, quant au second, l'hypothèse d'un passage vers le plateau semble nettement plus adaptée au lieu. Ces toponymes s'appliquent à décrire les fermes du terrain, la présence de l'eau, ou la présence d'une culture comme la vigne ; curieusement la terrasse qui donne l'aspect du terrain, qui accueille la vigne, n'est pratiquement pas utilisée pour nommer les terroirs qu'elle façonne de manière pourtant très caractéristique. La même observation a été faite dans la vallée du Haut-Ailier, dans l'ancien terroir viticole de la Ribeyre, ou encore dans la vallée de la Loire2, entre Le Puy-en-Velay et Saint- Etienne ; dans chaque cas les toponymes des versants ensoleillés ne concernent pas les terrasses de cultures bien qu'elles soient souvent omniprésentes. Ainsi Jean Arsac écrit (1991, 328): Le. mot chalh, chalet, "champ en terrasse. ", propre à la région de Monistrol 3, n'a pas laissé de trace, en microtoponymie.

DESCRIPTION

1 Cette nuance oblige à lelativiser l'information contenue dans l'acte de donation datant de 99 ? d'une "fascia de vinea" par I'évêque du Puy au Monastère de Saint-Chaffre du Monastier-sur-Gazeiile en Hauie-Loire. Ce texte est en effet cité par plusieurs autcurs(BIanc op. cité, et Rouvière 1979 : 140) comme élément de dataliort des t cirasses de ciiltuie. Faut-il voir dans fascia une lerias.se ou bien une parcelle allongée ? 2 Etude du site d'Aitias (, Haute-Loire), rapport à paraître fin 1994, Conscrvatoiie des Paysages d'Auvergne •' En fait ce mot se rencontre dans une région bien plus vaste, cf. carte ci-dessus COTEAUX - TERRASSES 45

Décrire un "paysage de terrasses" revient à décrire un système construit et organisé. Ce système se compose d'une succession de plans verticaux, les murs de soutènements (le plus souvent en pierres sèches), alternant avec des plans horizontaux, les planches de terre cultivées. Ainsi on évoque souvent l'image d'un "escalier de géant" à propos des coteaux aménagés en terrasses. D'autant que ces aménagements couvrent fréquemment l'intégralité d'un versant comme pour "les Fontilles" au dessus du bourg de Blesle (cf. dessin page précédente). A l'intérieur d'un ensemble de terrasses, on rencontre une série d'aménagements particuliers servant : à la circulation (chemins, rampes ou escaliers), à l'évacuation des eaux de pluie (petites "rases", grands exutoires aménagés), à l'irrigation, à abriter le cultivateur, au stockage de pierres, etc.

La grande variété morphologique des terrasses :

Au-delà de l'organisation constante en une succession de plans horizontaux et verticaux, une autre caractéristique des versants aménagés en terrasses est tout à fait remarquable : il s'agit de la grande variété morphologique des terrasses les unes par rapport aux autres, et ce, à l'intérieur d'un même versant.

(clichés a/-92-43-234-X W-92-43-237-X c/-87-43-S74-X) a/- Blesle, Fontilles, terrasses utilisées comme jardin potagers à proximité du bourg. Les murs de soutènement sont élevés (hauteur du mur le plus élevé : 3, SO mètres), les banquettes de culture sont horizontales et relativement larges (de 2 à 8 mètres). Ces terrasses bénéficient de sols profonds et frais, il s'agit des terrasses réservées aux cultures les plus intensives, comme les potagers, mais parfois aussi, jusqu'en 1880, aux chenevières. b/- Blesle, Côtes de Longchamp (ou Longchamp-haut), murs de soutènement maçonnés, banquettes de cultures horizontales. cl- Léotoing, terrasses très larges (20 à 40 mètres), murets peu élevés (0.8 à 1 Mètre)

Les travaux de Jean-François Blanc montrent pour l'Ardèche, cette grande variété des terrasses (1984 : 29-84), pas seulement liée à des critères de pente, d'exposition ou de matériaux disponibles. La connaissance de facteurs déterminants de la présence et de l'aspect de terrasses sur un versant a poussé certains auteurs à d'importantes recherches mêlant techniques de relevés topographiques et traitement statistique des données. Ainsi Blanc (ibid.) a recherché, après une enquête minutieuse, couvrant l'ensemble du département de l'Ardèche, les "correlations entre le pourcentage de pente et le pourcentage de ter-russes sur la surface totale", sans y trouver de rapport évident. Frapa & Giorgis (1982, t. 1: 97) ont recherché un rapport entre la ponte et les dimensions des terrasses, ils écrivent : COTEAUX - TERRASSES 46 Il semble, à première vite, qu'il y ait une relation directe entre la pente du terrain initial et la largeur des terrasses. Or, après quelques campagnes de mesure, on s'aperçoit que cette relation mathématique n'existe pas (...).

En fait, les typologies de terrasses s'établissent plutôt autour de leurs différents lieux d'implantation (en versant d'adret, d'ubac, à proximité des fonds de vallées, etc.) qui répartissent la disposition des murettes les unes par rapport aux autres et conditionnent l'aspect général du versant aménagé en terrasses. Finalement, J. F. Blanc, suppose que l'aménagement en terrasses est le résultat d'une combinatoire entre la pente, les cultures pratiquées, la géologie, le climat, l'hydrographie et la démographie. Comme dans toutes les régions de terrasses, on va rencontrer à Blesle des aménagements très divers allant d'une murette de quelques décimètres à de véritables murailles de plusieurs mètres, parfois maçonnées. De même l'aspect de la banquette de culture va être très variable : conservant presque la pente initiale, ou au contraire se rapprochant de l'horizontalité. Ainsi les largeurs pourront atteindre 15 ou 20 mètres, voire plus, ou se restreindre à 1 ou 2 mètres dans certains cas extrêmes. Pour différents terroirs, des mesures sommaires ont été effectuées, on peut établir les moyennes suivantes :

Terroir Les Fontilles La Bonal Vigne des Dames Le Rivet Pente moyenne 52 % 45 % 60 % 34 % hauteur moyenne 1,2 à 1,6 mètres 1,3 à 1,6 mètres 1,4 à 1,9 mètres 0,5 à 0.8 mètres des murettes (maxi : 3,8 m.) (maxi : 2,4 m.) largeur moyenne 3,5 à 8 mètres 4 à 6 mètres 1.8 à 5 mètres 9 à 22 mètres des terrasses (maxi : 18m.)

Ces mesures ne sont le résultat que de sondages ponctuels, et l'état d'abandon actuel rend difficile la prospection et surtout la réalisation de documents photographiques ; toutefois certains documents iconographiques anciens, telles que les cartes postales, permettent de se rendre compte aisément de la relative diversité de physionomie des terrasses

(cliché 93-43-434-X) Cliché 93-43-434-X : prise de vue effectuée avant 1898 (présence de la toiture de la Maison de l'Abbesse). Vue depuis le chemin du Bûcheron vers le bourg Au second-plan, les cotes de la Ror.ii! e' du Massadou. Ce cliché spectaculaire par sa précision permet de remarquer, derrière le clocher Saint-Martin, la présence de murettes plus élevés et permettant un nivellement plus important que celles visibles sur la partie .supérieure du même versant.

Ce type de document apporte une autre information : il permet de se rendre compte de l'étendue des aménagements sur les versants exposés au midi... COTEAUX - TERRASSES 47 (93-43-314-XB) Cliché 93-43-314-XB :. prise de vue effectuée entre 1898 et 1929 (la toiture de la Maison del' Abbesse est absente, mais la Maison Barrés est encore en place). Vue du bourg depuis le Montignat, en arrière-plan les côtes de Fontilles, dont on constate l'ampleur de l'aménagement en terrasses de culture (presque exclusivement pour la vigne sur ce terroir).

USAGES

On traitera ici d'usages plus généraux que les seuls usages agricoles.

La terre avant tout

Si plusieurs auteurs ont recherché des causes physiques (facteurs géographiques précis), déterminant l'implantation de terrasses de culture, d'autres se sont intéressés aux terrasses sous l'angle de leur fonction et de leur raison d'être. Si J. F. Blanc ne considère pas le sol comme une construction de l'homme, Philippe Blanchemanche. par contre, le traite comme une fin en soi, objet de soins pour sa mise en place et son entretien. Pour Blanchemanche (op. cit.) l'aménagement en terrasses a pour finalité la conservation, la valorisation, le nivellement et l'augmentation artificielle de l'épaisseur de la terre. Cela nécessite d'une part, une mise en œuvre technique, d'autre part, une maîtrise de certains phénomènes naturels (notamment face aux eaux de ruissellement). Devant cet objectif, les différences de morphologie de terrasses apparaissent plus compréhensibles en même temps que de possibles alternatives à l'édification de murettes : la terrasse étant avant tout liée à la terre, la murette est donc un moyen parmi d'autres permettant le soutènement du sol.

Rapport entre terrasse et délimitation des propriétés

S'il est courant d'entendre "ma vigne était en paillas", il est beaucoup plus rare d'employer "j'avais quelques paillas de vigne". L'adéquation entre terrasse et parcelle est bien délicate à établir. Jean-François Blanc a pu le constater (1984 : 231-238) pour les terrasses . d'Ardèche. Sur le terrain, avec le plan cadastra!, il s'avère très délicat de mettre en correspondance les rebords des terrasses avec les limites parcellaires. Si la murette coïncide avec une extrémité de parcelle, le droit veut que le mur appartienne au propriétaire du terrain soutenu. Au cours des investigations menées dans les archives des notaires bleslois. deux textes du XVIIIe siècle considèrent une ou plusieurs terrasses comme entités de propriétés : COTEAUX - TERRASSES 48

AD43, bail à loyer d'une maison avec étable de La Belan et d'une vigne à La Badal, par Jeanne Segret veuve de Jean Volpel à Charles Durand vigneron de Riesle, le 8 avril 1781, Archives Roux (3 E 30(5)) : En considération du présent bail, se charge ¡e preneur pendant la durée d'iceluy de cultiver et soigner un petit paillas de vigne situé à Blesle terroir de la Badal sur le chemin dudit la Badal vis à vis la vigne jouie par monsieur l'abbé maigrie sise au dessous dudit chemin

AD 43, Bail afferme par Antoine Maigne de Chadecol à Jean Anglade de Bousselargues - 4 Pluviôse de l'an IV - Archives Scgrct : (...) plus le champ du verne en plusieurs paillas de presqu'une cartonnée

Mais ces exemples sont rares, et les archives notariales recèlent plus généralement à propos des relations entre terrasses et propriété, des informations qui permettent de comprendre la situation foncière complexe des coteaux Bleslois :

AD43, succession de Jean Merle, le 15 juin 1786, Archives Delachaud (3 E 28(2)) : "Furent présents Antoine Merle vigniron, Jean Raynaud aussi vigniron et Marie Merle sa femme de lui autorisée, Jacque Maigne aussi vigniron et autre Marie Merle sa femme de lui autorisée, et Joseph Acliar tailleur d'habits et autre Marie Merle sa femme de lui aussi autorisée. Tous à l'effet des présente?, habitants de cette ville de Blesle lesdits Merle héritiers chacun pour un quart de Jean Merle leur père. (...) Les parties (...) désirent qu'il soit passé acte autarcique ne se trouvant ni l'une ni l'autre grevée dans la portion qui lui est échue. En consequence de gré et volonté, ont consenti au susdit partage ainsi, et de la manière qui suit :

* Antoine Merle : - (...) la moitié d'une vigne et champ au terroir de Bellant Haut, contenant le tout environ deux cartonnées, joignant la portion dudit Raynaud de jour, le tuisseau de Bellant de midy, vigne et champ de messire Guillaume Prieur de nuit, et le champ d'Antoine Maigne île Chadecol de bize. - Plus un quart d'une signe et champ, au terroir de Bellant Bas, contenant le tout emiron demy cartonnée, joignant la portion dudit Maigne de jour, le ruisseau de Bellant de midy, la vigne des hoirs Pierre Saigne de nuit, et la vigne de Léon Aubine de bize.

* Lot de Marie Merle, femme à Jean Raynaud :-(...) la moitié d'une vigne, et champ au terroir de Bellant Haut, contenant emiron une oeuvre et en cliamp emiron une cartonnée et demy, joignant la vigne de messire Jean-François Bethard [?]une raze entre d'eux de jour, le ruisseau de Bellant de midy, la portion dudit Antoine Merle ae nuit, et le champ d'Antoine Maigne et celui de Gabriel Mège de bize. - (...) un quart d'une vigne et champ, au terroir de Bellant Bas, contenant le tout emiron demy cartonnée,

joignant la vigne d'Etienne Maigne de jour, le ruisseau de Bellant de midy, la portion dudit Achar de nuit, et la signe de [¿on Aubine de bize * lot de Jacques Maigne. Le troisième lot écluî, à autre Marie Merle femme audit Jacques Maigne, qui est, - (...) une portion d'une vigne et cliamp au terroir de Bellant, contenant le tout environ demy cartonnée, joignant la portion dudit Achard de jour, le ruisseau de Bellant de midy, la portion dudit Antoine Merle de nuit, et la vigne de Léon Aubine de bize.

* Joseph Ail lard. Le quatrième et dettuet lot, à autre Marie Merle, femme audit Joseph Achat d qui consiste - (...) Plus un quart {l'un aube c hamp cl vigne au terroir de Bellant contenant le tout emiron COTEAUX - TERRASSES 49 demy cartonnée, joignant la portion dudit Raynaud de jour, le ruisseau de Bellant, la portion dudit Maigne de nuit, et le vigne de Léon Aubine de hize.

Le partage de ces petites parcelles se faisait donc selon la ligne de pente, perpendiculairement à la direction des terrasses ; une borne était parfois plantée au fait de la murette pour matérialiser la limite. En ce qui concenre les grandes propriétés comme la Vigne des Dames, le même principe de partage fut adopté entre les différents acquéreurs de cette parcelle en 1793 lors de la vente des biens nationaux.

Insérer cliché 93-43-306-XB, horiz. Cliché 93-43-306-XB : carte postale, vers 1950 ; Fontilles (Blesle) IXÎS différences de nature de culture des parcelles, permet de remarquer la forme très allongée des propriétés.

II semble que ce système de partage puisse avoir été choisi en raison d'une facilité plus grande à réaliser des partages équitables (les terrasses ne sont pas forcément toutes de la même surface). Mais d'autres raisons sont invoquées par certains agriculteurs qui justifient ce mode de partage par les différences de valeur agronomique des terrasses en fonction de leur situation sur le coteau. Ainsi les terrasses de bas de versant sont généralement plus fertiles en raison de leur épaisseur de terre plus importante, toutefois étant plus proche des bas fonds, les cultures peuvent subir des gelées : plus haut les terrasses sont plus chaudes et le raisin y mûrit mieux. Un partage en long, permettrait de réaliser une répartition de ces différents handicaps ou avantages entre les différents propriétaires.

ORIGINE & DATATION

La terrasse un procédé de culture des zones_de pentes "récent"

L'origine des terrasses de culture est controversée, ce qui semble habituel en ce qui concerne les aménagements de pierres sèches. L'aménagement en terrasses apparaît fréquemment dans la littérature et dans les discours comme contemporain de l'implantation de la vigne (cette dernière étant considérée comme un apport de l'invasion romaine aux alentours de !'an 0). Ainsi un agriculteur de Blesle nous dit : La vigne doit dater d'il y a deux mille ans au moins. Et alors avant de planter, ils commençaient par faire les murs. Les modes de conduite de la vigne ont évoiué au cours du temps, ainsi la terrasse n'a pas forcément été indispensable à la culture de cette plante sur des terres en pente. COTEAUX - TERRASSES 50 Si des fouilles réalisées à Nîmes, sous la direction de Pierre Poupet4, ont permis de mettre à jour un système organisé de terrasses de culture remontant à la période gallo- romaine, il est finalement rare de pouvoir dater précisemment de tels aménagements. La présence de mobilier ancien permet souvent de se lancer dans une datation qui s'avère plutôt aléatoire car la mise en place des terrasses a nécessité de profonds remaniements du sol et du sous-sol. Ainsi la présence d'un tesson gallo-romain dans un mur de soutènement ne signifie pas forcément que le mur soit gallo-romain, mais bien souvent que des terrasses ont été aménagées à l'emplacement d'un site gallo-romain, plus ancien.

Ambroise, Blanchemanche et Frapa 5, ont évoqué le récit de voyage de deux étudiants venant de l'Est de la France et se rendant vers Montpellier dans la période de la Renaissance ; traversant la vallée du Rhône, ils décrivent le vignoble de Côte-rotie, non comme le terroir aménagé en terrasses que l'on connaît, mais comme un vignoble cultivé en "cuvettes" successives. C'est-à-dire que chaque cep de vigne était implanté dans un trou du rocher, ou bénéficiait d'un petit muret en arc de cercle autour de ses racines (cf. également Blanchemanche, 1991 : 104-106 et planche 15.2). Michel Rouvicre (1979 : 134) désigne ce type d'aménagements par le terme de "cratère de culture".

Philippe Blanchemanche (op. cité : 176-177) a remarquablement montré à quel point l'extension massive des terrasses de culture est récente, du XVIIe au XIXe siècle. Le plus souvent la terrasse semble succéder à un mode de mise en valeur d&s terres basé sur un cycle long de défrichement puis de culture jusqu'à épuisement du sol laissé alors en "henné" (c'est- à-dire retourner à l'état de friche) pendant au moins trente ans avant un nouveau défrichement.

AD13, location d'une vigne de La Donnai par Joseph de Mons écuyer, seigneur de Chamberty résidant au chateau du Breuil paroisse de Leyvaux (Cantal), à Jacques Dolly vigneron de Riesle, le 5 février 1699, archives SEGRET, baux de 1665 à 1759 (3 E 31 (15), f 48) : "lequel fie bailleur] délaisse audit preneur la jouissance de toute la coste es ladite vigne qui est en freche [friche?] pour y semer ce que bon luv semblera pendant ledit temps sans que ledit sieur de chamberty y puisse prétendre quoy que se soit. "

Ce principe utilisant un repos prolongé de la terre s'applique également pour la culture de la vigne :

AD43. location d'une coste hermeture, terroir de Longcharnp, par Joseph Scgret, chirurgien, à Pierre David ßrassier, le 12 Octobre 1781, Archives Roux (3 E 30(5)) : (...) une coste hermeture, jadis vigne,

4 Communication au colloque les racines des paysages, écomusée du Creusot, 20-22 Novembre 1991. ? Emission radiophonique "paysages de terrasses", par Régis Ambroise, France Culture, Mai 1990. COTEAUX - TERRASSES 51 d'environ quatre cartonnées de terre ou rochers, (...) Joignant la vigne ou pépinière dudit sieur bailleur, un gros rocher entre d'eux de jour, la coste hermeture de sieur Jean Pignol de midy, le chemin de la Rade de nuit, la vigne et bois de Pierre Chomvt de bize, (...)

L'action de soutènement des terres résulte d'une démarche volontaire (retenir le sol, niveler la parcelle, etc.) ou imposée, comme le fit le Parlement de Provence le 20 Novembre 1767 à propos des défrichements en zones de pente (Frapa & Giorgis, 1982 : 47). La vague de défrichements massifs qui débuta au XVIIIe siècle mit à nu plusieurs dizaines d'hectares de terres en pente, ce qui occasionna des catastrophes écologiques parfois graves (glissements de terrains, phénomènes d'érosion, ensablements de zones de fonds de vallées, etc.). la région de Blesle fut plusieurs fois soumise à ces calamités dans les derniers temps de l'ancien régime jusqu'aux premières années du XIXe siècle. Maîtriser le devenir de sa terre devint donc une nécessité, le procédé de mise en valeur par essartage était précaire et allait cesser. Il faut rappeler que la population augmentait globalement de manière irrégulière depuis 1660 (Segret, 1923) jusque vers 1800. Cette pression démographique qui allait en s'accentuant obligea à une mise en valeur moins séquentielle du terroir et se traduisit par une intensification des pratiques de culture. La présence de terrasses apparaît aujourd'hui comme intimement attachée à une abondante population dans les villages ; ainsi un agriculteur retraité et dernier habitant d'un écart de la commune de Saint-Rtienne-sur-BlesIe, explique que les terrasses dominant le hameau servaient à la culture de seigle jusque dans les années 1930, ce qu'il semble justifier en précisant "moi j'ai ru encore cinq ou six maisons ici... et avant il y en avait eu jusqu'à douze !".

Les terrasses de Blesle semblent s'inscrire dans ce mouvement de modifications des pratiques agricoles que des auteurs ont pu constater en d'autres régions pour les XVIIe et XVIIIe siècles. Mais la première mention "officielle" de terrasses à Blesle ne remonte qu'à 1788, à la suite de plusieurs orages violents :

AD43, registre des calamités pour 1788 (1 C 2707) :

Lei- orages de grêle du 7 et 27 Juin 1788 ontfrapé généralement dans tous les tènemens qui composent la ville ele Blesle, la récolte en grain de toute esf>èce a été très endommagée, les chanvres ont été aussi ft'èi abîmé, la signe a également été très mal traitée, enfin les fruits de terre en verger qui font une des toute principales récoltes ont été fortement frapés (...) L'eau abondante qui est tombée les 18 Juin et 9 Août sur les coteaux qui sont en pente rapide ont fait des sillons et ravines considérables ; elle a ahimé le tei nun des ceps de vigne, de petits murs pour contenir les terrains héritages: tout ce terrain a été précipité dans la plaine cta ensablé différents domaines et récolte en chanvre ou grain, l'accident a été general {...).

Nous avons souligné l'extrait, où apparaît la fonction du mur face à l'orage violent : soutenir la terre. COTEAUX - TERRASSES 52 Les informations contenues dans les sources écrites sont assez peu détaillées, et notamment dans les archives notariales qui se révèlent assez pauvres, certains manques sont même regrettables: des baux concernant la location de vignes de la seigneurie de Chavagnac ou de l'abbaye de Blesle ont disparu ; et il n'y a malheureusement aucun acte de location de la Vigne des Dames, grande parcelle de huit hectares en terrasses qui fut vendue lors de la vente des biens nationaux. On aurait pu s'attendre à trouver des baux à prix-fait ou des procès-verbaux à la suite des orages de 1755 et 1783, orages qui selon Dulac, curé de Blesle de l'cpoquc, avaient emporté les "murs des vignes" ; mais là non plus, il n'y a pas d'écrits notariés. Si l'on rencontre des informations relativement précises à propos des aménagements agraires de fonds de vallées dès le XVIIe siècle (irrigation, haies, etc.), les mentions de murettes de soutènement ou de terrasses ne débutent pas avant le XVTÏÏe siècle, pour les archives des notaires de Blesle consultées :

AD 43, location d'une vigne située au Bucheron, par Jean Morel, boulanger de Blesle, à Pierre Gebelin, vigneron de Blesle, le 28 décembre 1775, Archives Delachaud (3 E 28(1)) : Sera en outre tenu ledit preneur de refaire thms le courant tie la présente année et à ses fruits, la muraille qui traverse ladite vigne.

AD43, Bail à ferme de ° ans, de champs et bois, terroir du Rif de Lanat, moyennant trente livres et 60 fagots, par Etienne iMorel. boulanger de Blesle. à François Dechaud, brassier du Cheylat paroisse de Saint-Etienne-sur-Biesle, le 10 Septembre 1780, Archives Roux (3 E 30(4), PI25) : Le preneur sera tenu défaire le long desdits trois héritages, un mur à pierres sèches, de quatre pieds d'hauteur aux côté le plus profond, c'est à dire du côté desdits héritages limitant le chemin de Blesle au Chailard à l'aspect de bize

AD 13, location d'une vigne située à Blesle au terroir de La Bade, par Jean Durand vigneron de Blesle, à Antoine Mousang tisserand de Blesle, le 30 décembre 1782, Archive Roux (3 E 30(5))' Relever et entretenir les rnurs au travers.

AD 43, Location d'une vigne au terroir de La Bellant, par Marie Vigouroux épouse de Jean Frélup marchand-cirier de Saint-Flour, à Pierre et Joseph Jebelin vignerons de Blesle, le 30 décembre 1782, Arcldves Roux (3 E 30(6)) ; Le id; ts preneurs en jouiront en bons pères de famille et entretiendront les murs au travers qui existent.

Nombre de bleslois disent à propos des terrasses : "D'abord on pouvait pas faire autrement pour travailler les côtes". Cette phrase péremploire impose la pente comme une cause déterminante eî incontournable. L'aménagement des coteaux en terrasses apparaît pourtant comme un procédé de mise en valeur récent (XVIIe et surtout XVIIIe siècles), pouvant avoir fait place à des aménagements nettement moins rationnels ties versants tels que des systèmes de cuvettes plus ou moins espacées, aménagées et portant des ceps de COTEAUX - TERRASSES 53 vignes particulièrement vigoureux ou bien l'essartage, nécessitant des cycles longs de défrichement, culture et enfrichement.

MISE EN OEUVRE

La terrasse est un système organisé : elle résulte d'une démarche volontaire. En effet, si le "rideau" nait après plusieurs années de labour d'une terre en pente, la terrasse est le fruit d'un travail d'aménagement organisé entraînant une modification profonde de la parcelle, de sa valeur agronomique, de son mode d'utilisation. Ce qui apparaît clairement dans ce texte remarquable découvert par l'historien Gérard Sabatier, à propos de l'expertise d'une "terre hernie" à Rosières (Haute-Loire) par deux maîtres vignerons, le premier Février 1721 :

B1BL, Sabatier G. 1988. Le \icomte assailli. Saint-Vidal, Centre d'Etudes de la Vallée de la Borne. "être nécessaire de nettoyer la pierre qui est par tout le tenement de ladite terre, et pour la tirer hors d'icelle [les experts] estiment qu'une paire de boeufs y vaquera pendant trente jours (...). "être nécessaire défaire deux murailles en deux divers endroits, à travers ladite terre, d'un bout à l'autre d'icelle, pour la soutenir et empêcher qu'elle ne descende pas (...) un maçon y vaquera durant quatorze jours (...)

"être nécessaire défaire une raze tout autour de la dite terre, d'un pied et de my da hauteur et un de large, pour y planter une haie de buissons, de ronces, aubépines, et autres, pour clore la vigne (...) un ouvrier y vaquera pendant soixante jours (...)

"être nécessaire défaire dans ladite terre, vingt toises de razes pour les aqueducs, aux fins de tirer l'eau qui y rejaillit et la rendre saine (...). "

Ce texte nous informe également sur le temps nécessaire à un tel aménagement ; il apparaît qu'en quelques mois, cette parcelle "hernie" se trouve profondément modifiée. Philippe Blanchemanche a pu tenter des estimations de durée de travaux à partir de la documentation recueillie pour les Cévennes et évaluer le temps moyen d'aménagement en terrasses d'un terroir :

Blanchemanche (1990 : 169) : A litre d'hypothèse, nous proposerons une fourchette de 200 à 300 jours par hectare. (...) Pour une étendue de 10 kilometres carrés, dont 60pour cent'de la surface ¡>erc:il cultivé, on obtient f20 000 à 180 000 journées de travail, seil une durée da huit à trente ans selon que' notre communauté dispose d'une, population de 20 à 50 "actifs". Autrement dit, ces aménagements de versants peuvent être achevés au cours d'une période de l'ordre d'un demi-siècle, d'un siècle au maximum (...) ces aménagements sont lein d'être le résultat de travaux multiséculaires, comme on a trop souvent tendance à se l'imaginer. COTEAUX - TERRASSES 54

Technique

La mise en valeur des pentes pierreuses a été expliquée en détails par Philippe Blanchemanche (op. cité : 81-109). On ne détaillera pas ici la construction des murs, ni la préparation du sol lui même, mais on donnera plutôt des informations relatives à l'aménagement d'ensemble. Le travail préparatoire est d'une grande importance, puisqu'il consiste en un effondrement du terrain jusque dans son substrat, selon une profondeur pouvant atteindre voire dépasser un mètre, mais se situant plus généralement entre soixante ei quatre-vingt centimètres. A propos de ce travail d'effondrement, Blanchemanche (1990 : 87) cite Angran de Rucncuvc qui écrivit en 1712 :

Ce mot d'efondra signifie beaucoup pour l'occasion où on l'emploie, parce qu'il marque assez que c'est remuer une terre jusque dans les entrailles. Il se dit en latin ext enterare terram qui vent dire beaucoup plus que fodere. fouiller la terre.

C'est pourtant le terme de fouiller qui est employé par les bleslois aujourd'hui pour désigner le travail de piéparation des terres.

M. Rcbcrt, artisan cr. retraite, B!cs!e : L'hiver, y axait pas de travail, alors von.', .»<;iv: ¿c ,¡u';h faisaient ? Ils arrangeaient des paillas pourfaire un peu de seigle ou faire un peu de vigne. Voir: comprenez parce que In plaine en dedans là, que vous voyez, elle, appartenait aux riches, alors les pauvres tvpes, là, ils montaient dam la côte. Alors l'hiver ils avaient rien à faire, ils préparaient pour ainsi dire les vignes ou un peu de seigle. (...) Ils étaient obligés forcément de fouiller qu'ils appelaient, c'est-à-dire de fouiller sur au moins quarante centimètres, tout le coin à la pioche. El forcément les murs ils étaient obligés de les faire (...)

Le terme de fouiller, employé à Blesle, dépasse la seule action de déplacer la terre, il s'agit bien d'un effondrement du terrain :

M. Bayssac, retraité des postes, Blesle : — Question : Et pendant l'hiver qu'est-ce qui se prisait ? — Oh... casser ¡'bois, euh... et l'fouillage, planter de la vigne, quand on savait pas quoi faire, on allait fouiller. — Qu'est-ce que vous faisiez alors/ — On faisait des tranchées... l'roJondesY-

— Oil. soixante! Quaire-vingt, jusqu'à un mètre, ça dépand, suivant le. sol... —Mais vow tombiez sur le tacher? —Ah y a tics etultoits qu'c'est... attacher ¡'rucher [tires] quand on pouvait ' — Et comment? — A la barre avec une marre... Pour ¡'effondrer complètement? Oui, l'effoiuber quoi, le plu > possible... y a des endroits i's aimaient pas beaucoup [rires] COTEAUX - TERRASSES 55 Le travail de construction de nouvelles terrasses s'effectuait généralement au cours de l'hiver, où l'on mettait à profit le temps libre apporté par la moindre charge de travaux agricoles ou domestiques. Thomas Schippers (1986 : 71) a noté qu'en Provence "L'état hivernal est aussi le moment où on plante de nouvelles vignes".

EVOLUTIONS

Si la généralisation des terrassses de culture a pu se produire tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, leur abandon s'est fait par étapes à partir de 1900. Le dépeuplement s'est accentué après 1870 et déjà certains terroirs marginaux ont été délaissés. Les maladies de la vigne, au premier rang desquelles le philloxéra, ont envahi le secteur dans les premières années du XXe siècle ; la ruine du vignoble s'est opérée en quelques années et ne s'en est jamais relevé malgré des tentatives isolées. La Première Guerre Mondiale, a provoqué une baisse très importante de la main d'œuvre masculine disponible, l'entretien du vignoble et des terrasses qui l'accueillaient en pâtirent. Finalement, c'est le manque d'intérêt économique de cette production viticole a entraîné son déclin jusqu'à sa quasi-disparition des terrasses des coteaux Bleslois.

COMMENTAIRE

L'aménagement en terrasses est perçu aujourd'hui comme un phénomène digne d'intérêt sur un plan ethnographique, agronomique ou "paysager", voire pittoresque. Mais cette considération est en fait récente, car si les "voyages pittoresques" ont silloné la France au cours du XIXe siècle, ils n'ont pas forcément associé le pittoresque aux terrasses.

(insérer cliché liorizuntul 90-65-501-XB) Cliché 90-63-501 -XB : lithographie XIXe siècle représentant le village de Blesle, les coteaux Je Fontilles et les orgues b.iSii¡;i>iiies

Sur cette lithographie, le dessinateur a relativement bien rendu certains des bâtiments anciens bien connus du centre de Blesle (clocher de l'église Saint-Martin, donjon des Mercœur, etc.) ; la silhouette du coteau en arrière-plan est également fidèle, de même que le tracé des orgues basaltiques, par contre aucune terrasse de culture n'apparaît, pas le moindre COTEAUX - TERRASSES 56 muret n'est repris pour servir de repère au dessinateur. Or, les textes attestent l'entretien de murettes dans les vignes sur les coteaux de Fontilles dès le XVIIIe siècle. Le texte des voyages pittoresques par Taylor & Nodier en 1829 compare certains escarpements de la vallée de l'Allier toute proche, à des "rochers dignes de l'Italie" et invite peintres et amateurs à découvrir les vallées d'Auvergne. Les auteurs vantent de la même façon les châteaux et églises du moyen-âge. De manière générale, ils couvrent de louanges les "merveilleux accidents de la nature" (orgues basaltiques, cascades) ou les vestiges médiévaux (tours, églises).

Le labeur des contemporains ne semble guère convenir à la recherche du pittoresque : pendant la période révolutionnaire, plusieurs auteurs de "voyages agronomiques" (Legrand d'Aussy, De Pradt) mentionnent l'extrême pénibilité de l'entretien des vignes en terrasses. Barrés dans sa "description topographique du ci-devant canton de Blesle " (an VIII), considère les structures agraires sous l'aspect agronomique et interpelle le "curieux" à propos des "merveilleux accidents de la nature". En fait, la terrasse est alors considérée comme une marque du labeur des hommes : elle ne correspond pas à l'idée du beau et du grandiose, c'est sans doute pourquoi, il ne faut pas chercher de représentations de ces structures agraires construites et entretenues à cette époque des "voyages pittoresques".

Le développement de l'activité touristique, surtout après l'arrivée du chemin de fer en 1861, amène son lot de textes ou documents iconographiques promotionnels, qui continuent de développer la réputation "pittoresque" des orgues basaltiques ou des vestiges médiévaux du bourg ; l'espace rural est alors considéré comme le cadre entourant ce village ancien. Il faut en fait attendre les années 1980 pour assister à une sensibilisation autour de l'intérêt esthétique et culturel des paysages ruraux ; le concept de "tourisme en espace rural" se développe, les structures agraires commencent à devenir partie intégrante du "paysage", jusqu'à acquérir depuis quelques années le statut d'éléments... "pittoresques".

L'aménagement en terrasses consiste donc en la mise en place puis l'entretien d'un système organisé ; au cours des pages suivantes nous décomposerons les différents éléments de ce système, à savoir : - le mur de soutènement - les voies d'accès et de circulation, qu'elles servent à circuler vers, ou dans la parcelle - les aménagements hydrauliques liés au drainage ou à l'irrigation des terrasses - les constructions, cabanes, pigeonniers ou clos - les rochers, même s'ils ne sont pas issus d'une construction humaine, ont eux-aussi été mis à profit lors des aménagements de terrasses - enfin le sol, qui lui aussi fait l'objet d'une mise en place et d'un entretien particuliers. COTEAUX / LES TERRASSES 57 LES COTEAUX / LES TERRASSES : LE BATI - LES MURETS

PRESENTATION DE LA SITUATION ACTUELLE

La construction de terrasses de culture nécessite une série d'aménagements bâtis, dont le plus important est le mur de soutènement, partie la plus visible de l'aménagement en terrasses. La friche qui recouvre presque toutes les terrasses ne masque pas l'ensemble des structures linéaires que constituent ces murcttes. Mais les murs ne sont pas "fossilisées" sous la masse des feuillages, soumises à des conditions climatiques dures (en hiver gel nocturne, puis ensoleillement pendant la journée, ce qui occasionne des variations de température pouvant atteindre 30 degrés Celsius en 24 heures), ces murailles voient les roches schisteuses qui les composent s'effriter progressivement. Ailleurs c'est la poussée de la terre accumulée derrière le mur qui le fait effondrer. Seuls les murs bâtis avec des blocs de basalte semblent en mesure de résister plus longtemps â l'érosion.

(92-43-245-X, horiz.) Cliche y2-43-245-X : Le Tiradou (Biesle), la friche recouvre toute la terrasse jusqu'à la faire disparaître. Le fait de la murette s'effondre pierre a pierre, ainsi la niptuie de pente s'émousse peu à peu.

DESCRIPTION

Les murets sont rarement construits à l'aplomb, ils possèdent généralement un léger fruit, c'est-à-dire qu'ils sont légèrement penchés vers l'amont afin de mieux diriger la poussée de la terre verticalement. Ces murs sont le plus souvent bâtis à pierres sèches, c'est-à-dire sans utilisation de liant, on verra à propos de leur mise en œuvre que ce n'est pas tout à fait le cas et que la terre est toujours utilisée lors de la construction. Ces murs sont de hauteurs très variables (de cinquante centimètres à un mètre quatre- vingt dix, avec des élévations maximales de trois mètres quatre-vingt). C'est dans cette fourchette que se situe le mur commandé le 10 Septembre 1780 par Etienne Morel, boulanger de Blcsle, à François Dechaud, brassier du Cheylat paroisse de Saint-Etienne-sur- Biesle, lors d'un bail à ferme de 9 ans. de champs et bois, terroir du Rif de Lanat (Archives COTEAUX/LES TERRASSES 58 Roux (3 E 30(4)), F125) : Le preneur sera tenu défaire le long desdits trois héritages, un mur à pierres sèches, de quatre pieds d'hauteur aux côté le plus profond. (Ce qui correspond à environ un mètre vingt)

La terrasse possède différentes appellations vcrnaculaircs selon la région (pailla à Blesle, chalet dans la vallée du Rhône, chambee au Puy-en-Velay, etc.), par contre le mur de soutènement est toujours désigné par des mots paré ou pari, ayant la même racine (latin parère : apprêter, disposer). Mais ce mot ne désigne pas seulement le muret des terrasses de culture, comme nous l'explique un agriculteur retraité : la pari, ça veut dire le mur en patois. Mais on le dit aussi bien d'un mur de maison! Pari, est employée au féminin, ce qui se retrouve dans le toponyme bleslois lapari- lunge (qui ne concerne pas un mur de soutènement, mais un long cordon d'épierrement sur le plateau du Montignat).

USAGES

hiérarchisation des murs

AD A3, Bail à ferme par Louise-Marguerite Lapone à Jean Durand vigneron, le 23 ventôse de l'An 5, Archives Touchebeuf (3 E 33(1)) : fine vigne et champ y attenant d'environ une cartonnée chaque, situé aux appartenances de Blesle terroir de Chainpamau (...) En considération de la grande élévation du maître mur, qui soutient le bas de la susdit te vigne et dont l'entretien est à la cliarge du preneur, la bâilleuse pour l'indemniser des/rais coûteux que peut faire présumer cet entretien payera • chaque année au preneur la somme de deux francs (...).

Ce "maître-mur", indique bien que les murs n'ont pas lous la même fonction dans une parcelle aménagée en terrasses : certains brisent la p-ínte cí retiennent la banquette au-dessus d'eux, d'autres, généralement situés juste au-dessus d'une importante rupture de pente naturelle du terrain ou bien au-dessus d'un chemin, soutiennent en l'ait deux ou trois terrasses au-dessus d'eux. COTEAUX / LES TERRASSES 59 Ainsi apparaît l'existence de plusieurs types : un "maître-mur" comme il est appelé dans l'acte notarié du 23 Ventôse de l'an V, et des murs intermédiaires, qui cloisonnent l'espace et dont la fonction est plus de niveler le terrain et briser la course de l'eau que de soutenir les terres. Les "maître-murs" généralement les plus élevés sont d'une grande importance, mais leur situation fréquente au-dessus des chemins imposent une contrainte d'entretien :

M. Courteuges, retraité des postes, Blesle : Quand les murs se démolissaient, il/allait les refaire quand ça tombait, surtout s'il y avait le chemin communal dessous que tout le monde devait passer : fallait enlever las pierres.

(92-43-232-X, horiz.) Cliché 92-43-232-X : Fontilles (Blesle), mur et escalier au bas d'une parcelle, juste au-dessus du chemin des Fontilles. On remarquera que ce mur haut de deux mètres quarante environ, a été maçonné avec un mortier de chaux : sa réalisation a probablement été confiée à un maçon et non à l'exploitant de la parcelle, comme dans l'acte notarié cite précédemment.

I/existence de murs de soutènement plus importants que d'autres, a été remarquée par les acteurs d'opérations de réhabilitation de sites de terrasses (cf. Ambroisc, Frapa, Giorgis, 1989) : afin de préserver l'ensemble d'un site, on privilégie l'action d'entretien sur ces "maitres-murs" tout en se permettant une intervention moindre sur les petites murettes inteunediaires (dégagement des pierres effondrées, colmatage des brèches par plantation de végétaux, etc.).

la_çhul_eur_

Il faut ici rappeler l'existence de micro-climats tranchés dans les vallées des pays- coupés, ceux-ci se caractérisent par des conditions particulièrement favorables pour les versants d'adrets, indiquées notamment par la présence de chênes pubescents par exemple ou bien comme à (Haute-Loire) par une station de cactus sur des rochers basaltiques exposés en plein sud. Ce micro-climat a permis des cultures particulières, comme celle de la vigne.

M. Lhiandier, commerçant en retraite, Chadecol, Blesle : son vn /celui de son fi ère] il fait toujours un ae¡>ré de plus que le mien. Quand le mien fuit neuf le sien fait dix. C'est un peu plus tourné au sud ce i otean ¡à. Et je vous dis, la terre se rapporte davantage, à la vigne, c'est un peu supérieur.

VI VVrgne, agriculteur en retraite, Blesle ' [question : comment w fait-il qu'il y ait eu autant de vignes à BLesle ?] Je vais vous dire les causes, c'est pas l'encaissement de la vallée. D'abord, ils plantaient COTEAUX / LES TERRAS SES 60 toujours les vignes en plein sud. Jusqu'à la tour du Massadou là-haut, plus haut, c'était tout, tout des vignes partout, même sur la route qui va au Cheylat, alors c'est des machins en plein sud Faut pas croire, hein, même là il y a une différence : par exemple, ma \igne. [située en fonds de vallée à Longchamp], c'est un peu plus juste à mûrir que si elle était dans la côte. Ces coteaux ils sont très chauds; le climat est sec.

La culture eu terrasses, par la présence des murets, semble favoriser les cultures nécessitant de la chaleur. La simple présence de la murctte de pierres sèches permet une augmentation de température, mais surtout provoque-une certaine inertie thermique en diffusant lentement la chaleur au cours de la nuit. Ce phénomène était particulièrement important pour la maturation du raisin, qui nécessitait dans les dernières semaines avant la vendange une température moyenne journalière d'environ 19° C (communication personnelle de Monsieur Jean Pestrc, auteur de "le vignoble du Puy-en-Vclay"). Dans certains coteaux bleslois, les rochers basatiques issus des orgues contribuaient à renforcer le rôle "d'accumulateurs thermiques" des minettes. Dans le bassin du Puy-en-Velay (Haute-Loire) les viticulteurs renforçaient encore la masse pierreuse permettant de récupérer la chaleur : ainsi à Espaly, la fouille archéologique du site des Rivaux par Jean-Pierre Daugas a permis de découvrir des vestiges de murets mais aussi des "chaufferettes à vignes", il s'agit de petits tas de pierres de forme conique, fréquemment utilisés dans ce secteur pour stocker la chaleur le jour et la diffuser au cours de la nuit. D'après le responsable de cette fouille, il s'agit vraisemblablement d'aménagements datant du XVIIIe siècle.

TECHNIQUE

M. Aubijoux, agriculteur maraîcher en retraite, le Moulin Buschet, Blesle : [question relative à la construction des murs] —Ah oui, oui, oui, mais ils f soient bien vous savez, faut y aller, plus que l'vrai maçon.. Les vrais maçons ils vont avec du mortier, mais à pierres sèches il est pas bon l'inaçon, tandis qu'li'i vous pouvez y aller là. — Y'avait des gens qui faisaient que ça? — Oh mais tout le munde savait le faire. Y eu a qui étaient meilleurs, mais tout le monde savait le faire, ah oui oui Y'en a qui étaient meilleurs? On las reconnaissait?—Ah oui! mais mon père, mon père tous les murs qu'il a fait, y'en a pas un qui est tombé, pas besoin d'avoir pet/r, oh non non il savait faire un muri Seulement un maçon il tegd'dem si y a un beau parement, il tournera sa pierre dam-sa belle face, voilà il \erajoli son mur mais fuut... quelques années après, il gonfle et il part (...).

Les enquêtes réalisées à Blesle ou les publications sur le ^ujet coiicoidcni : ¡a solidité du muret dépend moins de son aspect que de son ancrage et de sa profondeur. Jean-François Blanc (1981 : 29-97) détaille le rôle de chaque type de pierres : les plus grosser, pour les COTEAUX / LES TERRASSES 61 bases et les extrémités, les longues en cours de construction, la pierraille pour réaliser un drain derrière le parement. Michel Rouvière précise la nécessité d'une fondation sur le rocher (1979. 124-126). Une telle fondation est parfois particulièrement visible, notamment sur les chemins des coteaux :

(92-43-230-X, huriz.) cliché 92-43-230-X : Foiitüles (Blesle), chemin dit "des Fontilies" creusement du iccher et mur de terrasse construit directement sur le roc.

Poser les plus grosses pierres à la base peut sembler évident, mais les mots employés pour décrire le processus sont précis :

M. Aubijoux, maraîcher en retraite, Moulin de Buschet (Blesle) : Seulement un maçon il regardera si y a un beau parement, il tournera sa pierre dans sa belle/ace, voilà il sera joli son mur mais Juin... quelques années après, il gonfle et il part tandis qu'eux c'était question île le lier là-bat en ptufundeur. ¡h essayaient île la mettre dans la profondeur c'était ça, temps en temps surtout, y en a une très profonde qui tenait les autres, ainsi de suite, et surtout sur le bas du mur. S'il en a uni' un peu plus petite: à la haute ' Tandis qu'un maçon mettra une bien belle en couverture, et des fois il wet /-les petites en bas, et alors si il part en bas, tout le mur part.

C'était surtout en bas qu 'ilfallait lâcher qu 'il soit solide. Si vou s le bourrez de terre derrière, il tiendra pas

"Profond" désigne tout à la fois un lieu dont "le fond est très bas par rapport aux bords", mais aussi, en parlant des racines, "qui descend bas dans le sol"1. Ainsi ce terme de "profond" est utilisé à propos de la longueur des racines de la vigne qui descendent profondément pour permettre à la plante de résister au déracinement par les pluies d'orages et de puiser sa vitalité au-delà de l'aridité et de la maigreur du sol. Le même mot "profond" est utilisé à propos de l'ancrage du mur qui doit trouver dans le sous-sol la force de résister aux dures conditions de son implantation en coteaux.

M Lhiandiet, attisait en retraite, Chadecol (Blesle) : dans le pailla du haut, ilauivait à plus i avoir de terre, peut à petit, parce que la vigne, clic euh... elle enracine très profond, très /¡VJ profond. Même qu'il y ait que des cailloux ça l'empêche, pas, une fois qu'elle a pris la \-igna...

L'explication de l'appareillage des pierres dans la suite de la construction du muret, n'est pas sans équivoque ; Michel Kouvicre écrit à propos de ia construction (1979 : 124) : Les constructeurs connaissaient également l'utilité des bomisscs, qui sont des pierres pins ¡ungues s'uiicrunl dans lu musse de terre ¿i /'tariere du "purel" et renforçuiit lu solidité.

1 délimitions du dictionnaire de !a Largue Française, éditions Le Robert. COTEAUX / LES TERRASSES 62 A Blcslc, M. Aubijoux, maraîcher en retraite, précise à propos du parement :

En plus dedans, y avait des plus petites qui engageaient celles-là pour bien les tenir, et pour que ça pousse, il fallait une profondeur comme ça si vous vouliez que ça tienne, si vous aviez quejaste, un parement... — Combien il fallait, 40 ou 50 centimètres d'épaisseur? — Oh oui il fallait 50, oh oui, et vous mettiez un peu de terre mais c'était que pour garnir, tout le reste était tenu avec des pierres...

La pierraille est soigneusement mise en place derrière le parement et autour des "boutisses", afin de constituer un drain pierreux qui laissera passer l'eau tout en retenant la terre. Blanc (1984 : 24-97) indique l'usage de fagots de buis ou de genêts tenant ce rôle de drain.

Les pierres sont donc "engagées" les unes dans les autres, tout autour de blocs plus allongés disposés de telle sorte qu'ils "s'ancrent" dans la terre. Cette terre est elle-même liée à la construction au fui et à mesure de *on avancement. Celte pratique a pu être observée en 1993 en Haute-Loire dans la vallée de l'Ancc du Nord, lors d'une reconstruction de terrasse. Ainsi le mur apparaît comme une imbrication pesante, constituée d'un réseau de pierres liées à la terre comme les racines d'un cep de vigne dont le chevelu détermine la solidité Hice aux contraintes des éléments.

(cliché 92-43-234-X, vcrlic.) Cliche y2-43-234-X : Les 1-ontilles (Blcslc), vue de teirasses accueUlaril des jardins potareis dciiicre le bourg. Les murs son; nâtis sur des hauteurs parfois imposantes et avec soin ; au premier pian, on lemaïqiie un appdi ciliée différent. en cil et, deux langées de piciies sont posées sin chaut, ¡i s'agit d'un arc de décharge permettant de bâtir au-dessus d'un creux ou d'une zone peu stable, en raison parfois de la présence d'une sci'.rce.

ENTRETIEN

Les textes du XVIIIe siècle contiennent de:* indications modestes ; le plu.-> .souvent c'est à l'occasion de location; de vigne et dans la plupart des cas parce que le preneur (le locataire) doit s'acquitter de ira va UN d'entretiens :

ATM \ location f'e fo»rl-i à Chadecoi, p'*f Te:':! Baniivt«.- Priem de Bleuie, à Toan CVirribryie et 'e?ri Lhiaridierde Chadecoi. le M février 177.1. Archive-; Seiner Í.1 L 3 IM"?)} : (...) .want en nutre tenus lesdit.s preneurs des menues et légères réparations seulement, comme nettoyer les razes, les theimns, te le ver les breches appelle travers qui art ¡vêtant duns les heritages ou il y a des murs. COTEAUX / LES TERRASSES 63

AD -13, location d'une vigne située au Bucheron, par Jean More!, boulanger de Blesle, à Pierre Gebeün, vigneron de Blesle, le 2S décembre 1775, Archives Delachaud (3 F, 28(1)) : Sera en nuire tenu ledit preneur de refaire dans h; courant de. la présente année et à sesfraits, la muraille qui traverse, la/lite vigne.

AD 43, Location d'une vigne au terroir de La Bellant, par Marie Vigouroux épouse de Jean Frélup niaichanJ-ciiier de Saiiiî-Fioui, à Pienc et Joseph Jebclin vignerons de Blesle, le 30 décembie 1782, Archives Roux (3 E 3C(6)) : Lesdits preneurs en jouiront en bons pères tie famille et entretiendront les tnufs au travers qui existant.

AD43. Bail à ferme de 6 ans d'un bien de I'Hôtel-Dieu de Blesle (une vigne et chenevière jointe, au terroir de La Bade), par Messieurs les officiers municipaux, à Jean et autre Jean Aiiglade père et fils, vignerons de Blesle, le 0 Janvier 17y2, Archives Segrct (3 E 31 (4V)) :(...) avec obligation de la part desdits preneurs d'entretenir loms les murs en bon état, de relever ceux qui sont écroulés ou qui pourront ¿et unlet dam lu suite, el les laisser à la fin du ptésetil bail luus en bun étal.

AJÍ 13, location de vigne e: chump, terroir de la Chapelle, par h citoyenne (iabrieüe Jíouráeiüe de Riimide, ¿ Rnlifri Bertrand, vigneron cultivateur de Blesle, le Ie' Floréal de l'an 1IÍ, Archive*- nel''o'>aud (3 E 2SCJ). PM7) : Relever ¡es brèches des murailles .surtout les /dus essentielles.

Ainsi dès le XVIIIe siècle, l'enireiien des murs des terrasses est compris dans les charge^ locatives du bail au même titre que le "piovignage". ou la taille de la vigne. "Entretenir une vigne en bon porc de famille", comme on le rencontre systématiquement dans les baux, consiste donc à apporter tous les soins culturaux à la vigne (tailler, échalasser. etc.) et à relever les brèches d^s murs.

M Lhiandier, boulanger en retraite. Chadecol (Blesle) : Ces paillas, ils étaient bienfaits, ils l'entretenaient ; si un mur s'écroulait, ils le refaisait : ils nettoyaient, sortaient toute la terre, ils rebâtissaient le mur, ils remettaient la terre, derrière et ainsi de suite.

Reconstruire un mur de soutènement demande d'abord de bien dégager l'éboulis. les grosses, pierres sont triées, ainsi que la pierraille qui constitue le drain en arrière du parement et enfin la ierre. Avant de commencer à "rebâtir", il faut bien souvent continuer d'effondrer les bordures de la brèche jusqu'à retrouver une section stable du mur. Ou "ancre" la base du mur. on place de.-: "boutisses" qui vont "chercher loin en ajriérc". un "engage des pierres plus petites' afin de stabiliser l'ensemble, on met un peu de terre entre les pierres au fur et à mesure de l'édification, jusqu'à avoir terminé.

l'articulâmes de l'entretien des murs des versants nord COTEAUX/ LES TERRASSES 64

Des murs de soutènement ont été parfois bâtis sur les coteaux tournés au nord. Quelquefois pour accueillir de la vigne (des parcelles étaient en vigne sur ces coteaux mal exposes jusqu'au passage du phylloxéra), le plus souvent pour soutenir des terres iabourées.

AD 43 : Location d'un champ-verger, terroir des Bas du Montignac, par le citoyen Guillaume Lrelupt à Antoine Mosnier vigneron et cultivateur, le 12 ventóse de l'An III, Archives Delachaud : (.../promet et ¿'oblige le preneur tie pit inter ti .tea fruit ¡tue htiye vive en buisson ¿tir Itx muraille de soutènement tlutlil héritage du côte du chemin du bolichero», et (Lins toute ¡a longueur de ladite muraille, de fermer et en buissons vifs, les brèche*: ou ouvertures entre ledit héritage, et celui dudit Pignol.

Renforcer un mur par une haie et reboucher les brèches par des "buissons vils" peuvent sembler surprenant, alors que les actes notariés vus jusqu'à présent commandaient de "relever" les murs, c'est à-dire de les reconstruire. Or, dans ce dernier texte, il ne s'agit pas de vignoble mais d'un clianip-vcigci, situé au Muntignat, donc sur une zone pentue mais orientée au nord, dans ces conditions, une haie pouvait ici être plantée : clic ne porterait pas d'ombre sur la vigne, ne souffrirait pas de la sécheresse et éviterait la reconstruction d'un mur. Ceci va également dans le sens â'iwx observation de terrain qui montre une totale dissymétric dans les aménagements des versants d'adrets et d'ubacs à lîleslc, il n'est pn-s rare en effet de voir sur les coteaux tournes au nord, des différences de niveau matérialisés, non pas par une murette mais par un talus enherbé, une haie vive voire un système mixte: mur. talus, haie2.

Calendrier

L'entretien des murets apparaît comme une tâche essentiellement hivernale :

M. lîoiidet, épicier, B!es!e : On remontait les murs, l'hiver aux périodes creuses. Il fallait pas faire ça en plein été parce I]HP c'était /les- nids à vipères Alors on faisait ça en hi"er, aux belles journées rie Février.

Mais c'est souvent le temps qu'il fait qui avertit du travail à venir :

- Ce même .systènie d'eniiViieii des m¡¡!->, luni p.ii reconstruction mais par stabilisation des bu-ciio* apie.=- plantation d'une haie vive es: :e..v.;r¡n¡a::de ;:;):::' !.i sauvegarde et la réhabilitation de terrasses de r.:!:::;e par ¡es auteurs de l'ouvrage "l'aysages de Terrasses". COTEAUX / LES TERRASSES 65 M. Bayssac, retraite des postes, BIcsIe : [Question :] Et ça vous prenait beaucoup de temps l'entretien das murs? — Eh, ça dépendait des années, y avait des aimées, des années comme c't'année, il va y en aura de... des murs de tombés sur1 Quand c'est mouillé comme ça là ..

M. Aubijoux, maraîcher en retraite, le Moulin de Buschet (Bleslc) : Ouh c'était un travail ces murs l'hiver. Té, le matin en période humide, on disait "lé, encore un mur de tombé ! Ah oui alors quand il avait plu ou neigé ou dégelé ; gel et dégel, ça faisait beaucoup ça aussi.

Les carnets de jardinier de M. Chassignard permettent de suivre au jour le jour les conditions qui aboutissent à l'effondrement d'un mur : 24 Avril 1909, temps lourd — 25 Avril, pluie — 26 Avril, pluie — 27 Avril, pluie torrentielle — 28 Avril, temps incertain, le mur de Longchamp s'est écroulé.

Un agriculteur Ble&lois en retí aile, encore vigne« on par plaisir, «épète fiéqueniment, "lu vigne, elle n'aime pas l'eau", et "ce a ni fail la vigne à Blesle, c'est que nos coteaux sont secs" ; ainsi une période humide signifie pour le vigneron, le risque d'une mauvaise récolte, voire de maladies de la vigne (mildiou), mais aussi le risque de dégradation de la terrasse.

Lorsque les murs sont bien faits, ils sont faits pour durer de nombreuses années, si bien que le temps passe á l'entretien est relativement réduit. Blanchcmanche (1990 : 146-148) a relevé des travaux d'entretien de deux à quinze jours par an, mais cela dépend aussi des matériaux utilised : Sur les pentes du site féodal d'Artias (Retournac. Haute-Loire) les murets sont construits avec des plaquettes régulières de basalte, de telle façon que les brèches y sont aujourd'hui rares et les anciens agriculteurs ne se rappellent pas avoir réalisé un entretien régulier mais seulement très occasionnel. Ainsi à Blesle, Les personnes qui possèdent des vignes dans les zones d'éboulements issus des orgues basaltiques ont la chance d'avoir leurs terres soutenues par des murets très solides :

M. Chassignard, «etraité, Blesie : Oh c'était pas tous les jours, j'ai jamais vu te/aire les murs ! Si on nettoyait bien le bord des murs, c'était tout... et le pied du mur et c'est tout ; (juand on piochait /t'j vignes.

Vigne et muret se retrouvent liés dans leur mise en place; dans leur entretien et dans la durée. La vigne vit une soixantaine d'années, au moins deux générations s'y succéderont, pour la soigner, la renouveler mais aussi entretenir son indispensable support, la murette. COTEAUX / LES TERRASSES 66 EVOLUTIONS

L'arrêt de l'entretien des murets ne correspond pas forcément avec la cessation complète de toute valorisation agricole. Si certaines cultures nécessitent construction et entretien de terrasses, d'autres pratiques agraires se passent tout à fait de tels aménagements contraignants à créer et à entretenir.

Monsieur & madame Couitcugcs, B!cs!c : [Ma/Lune Courtcuges]j'allais garder les bêtes là-haut [à La Caire, au-dessus des Fontales], on avait des pacages, c'étaient des vieilles vignes abandonnées — [question] les murs étaient entretenus ? — [Monsieur Courieuges] Ah... quand on gardait les vaches ça avait pas bien d'importance, y avait que juste ¡a vigne.

Ceci montre bien que ce type d'activité pastorale ne nécessite pas l'entretien et encore moins la construction de telles structures en pieiie.s ¿.¿clios : ce n'est pas parce que des cabanes et des murs d'épierrements cernent une prairie qu'il faut y voir un épierrement, mais bien qu'avant la prairie il y avait des terres labourées.

Mais ce sont parfois des causes inattendues qui amènent à la destruction de murettes :

M. Lhiandier, boulanger en retraite, Chadccol (Blesle) : Les murs [des paillas] étaient très bien faits. Y a même des vieux murs en montant en allant vers le pylône la-bas, en allant sur les orgues la, j'y passe à la chasse, c'est dans les buissons. Vous avez des murs, y en a qui se sont démons parce qu'y avait beaucoup du lapins th'. gaieimes, alur.->y en n qui ilécaxitietit. t/ui demulisst tient les mura, pour attraper les lapins de garennes}

Les chasseurs sont aujourd'hui les seuls à fréquenter régulièrement ces coteaux en terrasses noyés sous la friche ; ainsi les coteaux de Fontilles se situent-ils sur les parcours réguliers pour la chasse aux lapins de garennes, mais aussi aux chevreuils et aux sangliers.

3 Dans le même ^enre, on rapportera ici l'anecdote communiquée par Jean l'est le, architecte et vigneron au I'uy-en-VcIay, à propos de la destruction d'une "chibotte" (cabane de pieires sèches á voûte en encorbellement, nortibietises dans le bassin du Puy-eii-Velay) . un joui de battue aim nuisibles, une rnaitie ou un ñuet se réfugia entre les pienes d'une Je ces cabanes en forme de pain de sucre, la vouie fut attaquée à mi- hauteur à l'aide de banes á mine et ¡a chibotte s'etfondra COTEAUX 67 LES COTEAUX / TERRASSES : LE BÂTI - VOIES D'ACCÈS ET DE CIRCULATION

PRESENTATION DE LA SITUATION ACTUELLE

Comme l'ensemble des aménagements des coteaux, les accès aux zones de terrasses sont aujourd'hui bien dégradés : les murs se sont effondrés dans les chemins, les ronces et autres buissons barrent progressivement le passage et il semble que les actions menées pour l'entretien (balisage de circuits de randonnée) sont bien faibles en regard du processus d'abandon général. Les chemins qui partent dans les coteaux semblent se ramifier pour pénétrer directement sur les terrasses, mais là aussi, on ne sait où avancer, quant aux escaliers ou rampes d'accès qui devraient desservir directement telle ou telle terrasse, ils sont le plus souvent barrés à mi-hauteur ou effondrés. Toutefois, malgré ce tableau peu encourageant, la variété des aménagements est encore visible avec deux catégories : d'une part, les accès vers la parcelle et d'autre part, les accès de terrasse en terrasse.

LES ACCES VEKS LA JPA^ËLLE :

LOCALISATION

(93-43-296-XB, huriz. -¡- calque repérant lee différente types d'accès) Cliché 93-43-296-XB : carte postale première moitié XX' siècle montrant une vue générale du bourg et des coteaux de Fontillcs depuis le Montignat. Sur le calque ¡es accès vers les parcelles sont repères : le réseau apparaît alors clairement et permet de remarquer co:r.mcr.t ces chemins prennent "en echarpe" le versant et desservent l'ensemhle du terroir

DESCRIPTION

L'accès aux parcelles est organisé en réseau à p;inir du village, un chemin principal se divise on quelques branches pout sc rendí c vers chaque ensemble de parcelles : "Quandon vendangeait [à Fontilles], y avait le chemin, et ver* chaqiic vigne pour ainsi dire, ) avait COTEAUX 68 d'autres sentiers qui se ramifiaient sur celui-là" précise un agriculteur en retraite de Chassignolles (Blesle). Certains de ces chemins, creux et en forte pente, servaient également d'exutoires pour l'évacuation des eaux de ruissellement (rappelons ici cet extrait du traité de la succession de Jean Merle de Blesle, entre ses enfants, le 15 Juin 1786 : Les parties ont amiablement convenu, qu'attendu que le second article du lot dudit Jacques Maigne qui est une vigne, chenevier et gravier à Longchamp, se trouve dans une situation suceplible à subir de grands dégâts par les torrants d'eau qui découlent lors des ravines sur le chemin ou razat qui descent de la Gargantc (...)).

(93-43-438-X, horiz.) Cliché 93-43-438-X : Carte postale probablement à partir d'une vue prise aux environs de 1945 ou 1950. Sur la partie gauche de l'image on remarque très clairement le chemin des Fontilies qui se dirige vers le plateau de Chadecol, tout en étant en léger creux dans ie coteau.

(92-43-230-X, horiz.) cliché 92-43-230-X : Fontilies (Blesle), chemin dit "des Fcr.tiües". Sous l'appareillage du mur de soutènement, le socle rocheux a été entaillé. Ces chemins étaient essentiellement pratiqués par des hommes à pied, parfois par des ânes ou des mulets.

Les animaux de bât étaient principalement utilisés pour soulager le transport au moins sur une partie du trajet :

M. Bayssac, retraité des postes, Blesle : On montait même le fumier à dos d'âne... avec des sacs. Puis, ils restaient au bord, et après on montait à pied.

Dès les années 1950, alors qu'il devenait difficile de trouver de la main d'oeuvre pour vendanger, certains propriétaires viticoles des hauts de fontilies, profitèrent de la réalisation d'une portion de chemin sur le plateau de Chadecol, pour ne plus emprunter à pied le chemin de Fontilies, ils chargeaient alors la vendange sur un camion ou sur une remorque tirée par des bœufs et regagnaient Blesle par Chadecol et la route d'Anzat-lc-Luguct.

Il arrive que certaines parcelles ne soient pas desservies par un chemin, il a alors fallu créer un droit de passage matérialisé par un sentier situé en bordure des parcelles à traverser pour rejoindre les terres enclavées. Ce droit de passage s'inscrit en lant que servitude alors mentionnée dans toutes les transactions foncières :

AD 13, prise de possession d'une vigne et d'un champ à Longchamp, par M. Joseph Segrct Lompré, chiiuigicn de Blesic, 2 octùbie 1781, Archives Delachaud (3 E 28(2), P25) : (...) latine vixtw.juixiiani le COTEAUX 69 chemin public de longchainp à Blesle de jour, la vigne de messire Jean Pignol de midy, le sentier pour la servitude du terroir de lobada de nuit, et la vigne de Pierre Chouvet una raze entre d'eux de biza (...).

ENTRETIEN

On ne reviendra pas ici sur le nécessaire entretien des chemins faisant également office d'évacuateurs des eaux de ruissellement. Notons que l'entretien des chemins apparaît toujours comme un indicateur de la déshérence de la société locale : "tout se fermé", "bientôt, y aura plus que les sangliers pour y passer", sont des phrases qui reviennent souvent ; avoir des accès propres, pouvoir circuler, c'est posséder encore un peu de contrôle sur l'espace, même si la parcelle n'est plus valorisée au plan agricole.

Lorsqu'un chemin était bouché au temps de la gestion agricole de l'espace, il semble que l'on trouvait alors des solutions pratiques :

AD 43, location d'une vigne située à Blesle au terroir de La Bade, par Jean Durand vigneion de Blesle, à i\nîoinc Mousang tisserand de Blesle, le 30 décembre 1782, Archive Roux (3 E 30(5)) : [le preneur sera tenu de] neloyer le chemin supérieur pour que la public ne soit pas réduit à passer dans ladite \igtie.

ACCES DANS LA PARCELLE :

LOCALISATION

Emplacement

Four accéder à la parcelle i'entréc est généralement unique et se situe au point le plus commode, c'est à dire généralement au point où le mur de soutènement est le moins élevé. A l'intérieur de la parcelle, pour passer de terrasse en terrasse, les circulations peuvent être plus nombreuses :

VI Auhijoux, maraîcher en retraite, le Moulin de huschet (Blesle) ' Et apré<à chaque pmllns à chaque machin, des fot? y en avait un à chaque extrémité, quand vous étiez chargés, ¡fallait prendre l'escalier COTEAUX 70 là-bas loin, quand vous aviez une hotte de vendange ou n'importe, si le pailla était long, y avait un de chaque extrémité... ou alors y en avait qu'un au milieu. — Chez vous c'était fait comment ? — Oh des fois... là en has y en avait deux, mais en haut y en avait qu'un, au milieu [du pailla], mais en bas y en avait un à chaque extrémité.

APPELLATION

Si le vocabulaire technique retient plusieurs variantes pour les différents types d'accès (rampes, escaliers en encorbellement, escalier en retrait, adossé, etc.). l'appellation vernaculaire désigne les différents escaliers sous un seul mot le [save] : les degrés sont dits [marts].

DESCRIPTION

Différents types sont décelables :

les escaliers :

escalier aménagé dans le snbslrul

(cliché 92-43-229-X, verlic.) Cliché 92-43-229-X : Fontiücs (BIcsle), escalier dont cinq degrés sont directement taillés dans le rocher, les marches suivantes sont constituées de dalles de gneiss scellées avec un peu de mortier de chaux (ou de ciment pour des réfections récentes)

L'escalier est directement taillé dans le matériau affleurant à proximité du mur de soutènement : soit dans la terre en zone non pierreuse, il s'agit alors d'un aménagement sommaire le plus souvent exécuté à la pioche et régulièrement retaillé ; soit dans le rocher, et c'est un phénomène fréquent à Blcslc où nombre de murcttes sont fondées directement sur un affleurement rocheux.

escalier en reirait parallèle an mnr

(cliché 92-43-232-X, hortz.) Cliché 92--13-232-X : Fontilles (Bleslc). escalier leliant une paicclle an chemin des Fonfilles COTEAUX 71

(cliché 92-43-217-X, horiz. & 92-43-216-X, vertic.) Clichés 92-43-217-X (a) & 92-43-216-X (b) : La Badal (Riesle), escalier d'accès vers un jardin potager en terrasse

Il s'agit là du type le plus répandu dans les environs de Blesle. L'escalier est dans ce cas prévu lors de la construction du mur : cet escalier est le plus économique en espace nécessaire à son implantation.

M. Aubijoux, maraîcher en retraite, Moulin de Buschet (Blesle) : la mur était comme ça et puis ¡"faisaient un décalage, et là vous a\ie: votre escalier, et là vous le preniez comme ça. — ¡.'escalier était bâti avec le mur? — Ouais ouais y avait des grandes pierres, et puis d'autres reculées un peu.... — Dans l'épaisseur? — Ouais voilà, y avait l'épaisseur du mur, ils faisaient l'escalier. escalier en retrait perpendiculaire au mur

(cliché 92-43-233-X, horiz.) Cliché 92-43-233-X : La Badal (Blesle), escalier d'accès à un potager en terrasse. On note à l'arrière-plan que lacees vers la terrasse supérieure se fait par un autre escalier dans le même axe que celui du premier pian. Si les marches sont faites comme ailleurs de dalles de gneiss, on notera la présence d'une pile en niaçonneiie de Inique, où sont scellées les fixations du petit portillon d'entrée. Ce type de pile est plutôt rare cî témoigne du soin apporté à l'accès de cette parcelle.

Ce type d'aménagement est peu fréquent dans les environs de Blesle. Il complique l'aménagement des terrasses en obligeant à prolonger les murs de soutènement de chaque côté de la montée d'escalier ; de plus ce type d'escalier empiète fortement sur la terrasse. escalier en encorbellement

Escalier en encorbellement ou "escalier volant", cette dernière appellation indique bien le caractère acrobatique de l'emploi de ce type d'accès :

M. Aubijoux, maraîcher en retraite, Moulin de Buschet, Blesle : [Question : — Et les escaliers qui ont dev piètres ijui dépassent ils avaient un nom particulier 7J — Oh non je crois pas... j'en ai vu encore, y KI: a encore... mais là vous sn\ez faut pas quelqu'un d'âgé là... y avait juste la pierre qui dépasse, puis pierre qui dépassa, pierre qui dépassa...

Ce type d'escalier était peu fréquent, et notre informateur précise : — Ça avait pas de nom particulier ça? — Pff... pas queje sache, parce que là chez nous, y en avait pas le compte, ils résistaient pas beaucoup, y en avait pas beaucoup...mais encore j'en ai vus, la premiere COTEAUX 72 maison de la Bonal derrière chez lui y en a un comme ça là, juste au dessus du pont du moulin de Billiard

En fait chaque marche est constituée par une pierre très longue que le bâtisseur du mur laissait dépasser en-deça du parement, ainsi l'emprise sur la banquette cultivée était-elle nulle ; par contre, si avec le temps, la pierre venait à rompre, l'escalier devenait inopérant et sa réfection nécessitait une démolition partielle du mur. La gélivité des gneiss du bassin de l'Alagnon, qui se débitent facilement en plaques après plusieurs gelées successives, pose donc le problème de la résistance de cet aménagement qui fut employé le moins possible.

escaliers adossés parallèles & perpendiculaires ait mur

Il s'agit souvent d'aménagements apportés après la construction d'une série de terrasses ; la rupture des marches d'un escalier en encorbellement, ou la création d'une circulation supplémentaire pouvaient conduire au choix de ce type d'escalier quoique nous n'en ayons pas obtenu de confirmation écrite ou orale.

les rampes

terrasse formant rampe

I.a terrasse est alors conçue à la fois pour soutenir les terres, diriger les eaux de ruissellement et permettre les circulations des hommes, d'animaux, voire d'attelages. Une telle organisation, autorise parfois une mécanisation des travaux culturaux, permettant une pérennisation de l'entretien de quelques terrasses.

(87-43-874-X, hohz.) Cliche 87-43-S74-X : Vigne aux environs de Lcotoing, la partie basse de la vigne occupe le sommet d'une terrase dont l'accès se fait par deux rampes, la première à droite sur l'image, est constituée par rabaissement progressif de la murette jusqu'à similitude de niveau entre les terrasses supérieure et inférieure. Au centre de celte terrasse, une rampe parallèle au mur de soutènement, permet la circulation piétonne ou d'un animai.

rampe perpendiculaire au mur

Il s'agit d'un type d'accès relativement rare car il nécessite une emprise importante sur la zone cultivable, de plus la solidité de ce genre de rampe est soumise à une excellente qualité de réalisation sous peine de voir le premier orage créer de gros dégâts. En règle COTEAUX 73 général, il ne faut pas non plus que la dénivelée à franchir soit trop importante car la rampe possède alors une forte pente difficile à franchir. Nous n'avons pas rencontré ce type d'aménagement à Blesle.

rampe parallèle au mur

(92-43-206-X, horiz) Cliché 92-43-206-X : I e Tiradou (Riesle), rampe d'accès vers des terrasses enfrichées, la protection du fait du mur de soutènement de la rampe est constituée de blocs de gneiss posés en enfilade.

(93-43-685-X, horiz) Cliché 93-43-685-X : Les Vignaux (Chadecol, Blesle), cette rampe a été implantée pour desservir les points d'eau, dont on connaît l'importance dans les vignes notamment pour les traitements (c/.ficlie, terrasses/systèmes hydrauliques, p. XXX).

EVOLUTIONS

(92-43-219-X, vertic.) Cliché 92-43-219-X : La Bada] (Blesle). certaines parcelles aménagées en terrasses ont conservé un intérêt pour les derniers agriculteurs du secteur ; ici c'est en raison de la proximité du bourg et d'une route goudronnée dont l'entretien est assure par la commune. Mais l'accès à la parcelle par le petit escalier de pierres sèches, ne convenait pins à l'exploitant qui utilise cette parcelle comme prairie naturelle et la fauche tous les ans. Pour faciliter l'accès aux tracteurs, il n'y a pas eu création d'une rampe mais démolition partielle du mur et déblaiement de la terre.

COMMENTAIRE

Celte diversité d'aménagement d'accès est bien réelle et hormis les rampes perpendiculaires au mur de soutènement, il nous a été permis de repérer au moins un exemplaire de chaque type. Les raisons qui poussent tel ou tel propriétaire à opter vers une solution plutôt qu'une autre, ne semblent pas a priori très évidentes à déterminer ; pour certains il s'agit surtout d'une décision relevant de la seule volonté de l'aménageur : "oh ça dépendu i í du goût du propriétaire", nous explique même un agriculteur en retraite de Blesle. Mais aussi : M. Aubijoux, maïaîchcr en retraite, Moulin de Buschct (Blesle) : Oh benyen a, s'ils voulaient pas perdre da terrain, ils laissaient una pierre bien apparenta, comme ça (...) [suit la description de l'escalier en encorbellementJ COTEAUX 74 Le problème de la place perdue par l'escalier semble importante, cette question a d'ailleurs été posée par Jean-François Blanc (1984 : 24-99) qui propose d'organiser la typologie des accès selon le statut social des propriétaires : réaliser un escalier en encorbellement c'est prendre le risque de chuter, mais aussi de refaire son mur et son escalier au bout de quelques années, mais cela permet de ne pas empiéter d'un centimètre carré sur la surface cultivable. Construire une rampe parallèle à un mur c'est pouvoir se permettre de perdre au moins deux mètres carrés de surface cultivable à une époque où la pression démographique et foncières sont fortes, etc.

Les enquêtes orales réalisées à Blcslc ont permis de remarquer que les escaliers de pierres sèches semblaient condenser en eux tout le "pittoresque" des aménagements en terrasses, ainsi une collectionneuse de canes postales anciennes évoque avec nostalgie en regardant des vues anciennes de Blesle : "Oh, puis tous ces escaliers, c'était beau...". L'escalier évoque l'étagement des terrasses, la virtuosité d'une construction à pierres sèches "qui tient" et qui défie le temps ; un artisan en retraite, chasseur raconte qu'en marchant au sommet des Fontilles : "juste sous le rebord du plateau, y a des petits escaliers là, et ils sont bien faits, une dalle pur dessus l'autre ; et c'est solide ! j'suispas quel âge ça pourrait avoir". COTEAUX - TERRASSES 75 LES COTEAUX / TERRASSES : LE BATI - LES CONSTRUCTIONS HYDRAULIQUES

PRESENTATION DE LA SITUATION ACTUELLE

fa maîtrise de l'eau est avec le soutènement des terres une raison d'être de l'aménagement en terrasse. Deux types d'aménagements peuvent être rencontrés : d'une part, ceux liés au drainage des versants et à l'évacuation des eaux de ruissellement et d'autre part, les aménagements liés à l'irrigation ou plus fréquemment à la mise en valeur des sources. Ces deux types de structures liées à l'eau n'ont généralement rien en commun, car si le premier système lié au drainage a pour objectif l'évacuation de grandes quantités d'eau en un minimum de temps, le second lié à l'irrigation, cherche à conserver et valoriser une faible ressource en eau. Ces systèmes sont discrets et la présence de la friche les rend presque invisibles aujourd'hui. Pourtant certaines indications permettent de les déceler dans l'espace, et les manuscrits, l'iconographie ancienne et bien sûr l'enquête orale vont être précieuses.

LES SYSTEMES DE DRAINAGE

Ces systèmes sont indispensables au fonctionnement d'un aménagement en terrasses, ils permettent d'évacuer en peu de temps les eaux de ruissellement d'un orage de type cévenol, qui sans cela, détruirait le processus de mise en valeur agricole en emportant la terre arable.

DESCRIPTION

Aujourd'hui, il est difficile de se rendre compte de l'ampleur de ce type d'aménagement, mais l'observation des cartes postales du début du siècle aide et permet d'illustrer certaines mentions d'actes notariés anciens. COTEAUX - TERRASSES 76

(cliché 92-63-437-X, horiz. + calque) Cliché 92-63-437-X : carte postale entre 1898 et 1929 (la toiture de la maison de l'Abbesse a disparu, mais la maison Barrés, détruite lors des travaux de rectification et d'alignement de la Bonal est intacte), Blesle et le coteau de Fontilles vus depuis le Montignat : Sur la partie gauche de l'image, on aperçoit le réseau de chemins desservant les parcelles et convergeant vers un élément linéaire dans le sens de la pente, celui-ci se présente d'abord sous la forme d'un chemin puis d'un élément indéterminé bordé de végétation dans sa partie basse. Légèrement plus à droite sur le calque un élément linéaire parfaitement lectiligne est situé dans le thalweg d'une tres légère dépression, pouvant correspondre à un exutoirc. Le même type d'aménagements se distingue moins clairement sur la partie droite de l'image.

En fait, il apparaît que les aménagements destinés au drainage des eaux de ruissellement ne constituent pas un système autonome mais se superposent fréquemment avec les voies d'accès. Les chemins se voient donc transformés en exutoire après un important orage, cette double fonction existe, nous le verrons, principalement pour des raisons de facilité d'entretien.

cliché 92-43-213-X, horiz. Cliché 92-43-213-X : Le Tiradon (Blesle), arrivée en pied de coteau d'un chemin (racé dans le «ens de la pente et ayant servi d'exutoire. Cet aménagement se situe entre deux parcelles.

Des sources manuscrites sont particulièrement explicites au sujet de cette double fonction :

AD43, traité de partage de la succession de Jean Merle de B'.cs'c, entre ses enfants, Antoine Merle vigneron, Marie Merle épouse de Jean Raynaud vigneron, Marie Merle épouse de Jacques Maigne vigneron, et Marie Merle épouse de Joseph Achard tailleur d'habits, habitants de Blesle, le 15 Juin 1786, archives Delachaud (3 E 28(2)) : Les parties ont atniabletnent convenu, qu'attendu que le second article du lot dudil Jacques Maigne qui est une vigne, chenevier et gravier à Longchamp, se trouve dans une situation suceplible à subir de grands dégâts par les torrants d'eau qui découlent lors des raxines sur le chemin ou razat qui descent de la Gargante (...) Sera cependant tenu ledit Maigne d'entretenir ci ses frais la petite rigole qui suit le long de la muraille au dessous du chemin de ¡a Gargante, afin d'éviter que les eaux qui en descendent n'en dommagent le chanaw'er dudit Achard (...) "

L'expression "chemin ou razat" est claire quant aux fonctions de cet clément linéaire : il sert à so rendre à "la Gargante", mais il sert, ponctuellement, d'évacuateur des eaux, lors de . précipitations torrentielles. Ce texte montre également à quel point le système est complexe : si le propriétaire du terrain en bordure n'entretient na> un fossé le ¡ung du chemin, les eaux de ruissellement envahissent la parcelle et y déposent les alluvions dont elle sont chargées. COTEAUX - TERRASSES 77 Pour que l'exutoire joue son rôle, il faut que l'eau qui tombe sur la terrasse soit dirigée depuis la banquette de culture vers ce canal d'évacuation. Pour cela, deux aménagements sont utilisés : Io La terrasse construite avec une très légère pente longitudinale conduit l'eau vers une petite dépression du versant, un ruisseau, un ravin ou un exutoire construit. 2° Parfois, pour renforcer ce système, une petite tranchée de 20 à 30 centimètres de largeur et de profondeur (refaite tous les ans après chaque piochage de la vigne) prend en biais la banquette de culture et dirige les eaux excédentaires vers l'exutoire principal en bordure de parcelle. Cette pratique est courante dans les zones où les terres sont particulièrement légères.

AD43, location d'une vigne à Blesle, terroir du Bucheron. par Antoinette Arfeuille, à Pierre Gibelin, dit "le pintre" [sic], vigneron de Blesle, le 12 Janvier 1777, Archives Delachaud (3 E 28(1), PI) : (...) en \igne emiron une oeuvre, et en champ environ une cartonnée (...!, [le preneur sera tenu] de planter, à ses frais et dépends; en vigne, la partie de champ qui est au dessus de ladite vigne séparée d'icelle par une. taze. (...)

La raze mentionnée dans cet extrait est implantée au cœur d'une même parcelle entre deux natures de cultures différentes elle ne joue pas un rôle de limite. Il est fort probable, qu'en ce terroir du Bucheron. forte pente orientée en plein midi elle ait eu pour fonction de briser la course de l'eau et aurait alors été implantée entre la vigne et la terre labourée qui ne sont pas travaillées au même rythme et selon des procédés différents. Toutefois, il ne semble pas que cette teclmique ait été générale à Blesle, à la différence du terroir viticolc de la Ribeyrc, à quelques kilomètres de là dans la vallée de l'Allier. Des cartes postales anciennes, notamment de l'abbaye de Lavoûte-Chilhac et de ses alentours, permettent de repérer une série de tranchées parallèles sillonant les terrasses plantées en vigne. Le phénomène est d'ailleurs signalé par Albert Massebeuf, dans son article sur l'histoire du vignoble Brivadois (1980 : 197) :

Dans les terrains en pente, et c'était presque toujours le cas, et surtout dans les terres légères, de Varenne, "li varena", donc très friables, pour empêcher les orages de raviner le terrain, on creusait en travers de la vigne, légèrement en oblique, un petit fossé, "la traverséïra", qui avait pour but de ralentir l'écoulement des eaux, donc de freiner le ravinement.

USAGES

Evacuer les eaux de ruissellement COTEAUX - TERRASSES 78

Il peut paraître surprenant que des aménagements aussi complexes aient été mis en place sur des versants arides, mais il faut se rcsituer dans le contexte climatique particulier de ces zones d'influences continentales qui peuvent subir de violents orages aux précipitations brèves mais importantes en volume. Dans son étude du "climat de la Haute- Loire", Aimé Fillod précise (1985 : 52) dans son chapitre intitulé "une tendance à Vexagération" :

Le caractère continental joint à l'influence médilérannéenne a pour conséquence (¡es valeurs extrêmes absolues dont les conséquences peuvent être catastrophiques. (...) Lors des averses automnales, on peut enregistrer sur ce secteur des quantités en 24 heures qui représentent le 5e, voire le quart du total annuel normal.

Lors d"un orage de fin d'été, les précipitations peuvent être fréquemment de 50 à 60 mm. Si l'on se rappelle qu'l millimètre de précipitations signifie 1 litre d'eau par mètre carré, cela nous donne donc 50 à 60 litres d'eau par mètre carré. Ce qui représente au niveau d'un hectare : 500 à 600 000 litres d'eau. Si l'on considère un versant d'une cinquantaine d'hectares, comme le coteau des Fontilles au-dessus de Riesle, lors d'une averse orageuse de 50 millimètres, plus de 250 millions de litres d'eau s'y abattent en quelques minutes, on comprend alors le rôle des aménagements hydrauliques et la nécessité d'entretenir parfaitement le système dans son ensemble.

Les rases de drainage et la délimitation des parcelles

Il est peu fréquent qu'un même propriétaire possède les terres de part et d'autre d'une dépression d'un versant, car généralement la limite parcellaire coïncide avec le thalweg. Ainsi les exutoircs jouent naturellement le rôle d'indicateur de limites :

AD 13, location d'une vigne au Grazal par les abbesses de B!es!e à Claude Donnafoux, boulanger de Blesle, le 17 Mars 1718, Archives séculières des chanoinesses nobles de Riesle (42 H 81, F 81) ' ladite vigne de la contenue de huit oeuvre? ou environ et joignant la vigne de Bertrand guarssin [?] une raze entremy de jour, la rivière de voirèze et chemin enlremy de midy (...).

Cette position particulière entre parcelles de l'exutoire constitue un aspect intéressant : en effet, si la construction des murcttes se fait à l'échelle de la parcelle, selon les moyens techniques, humains ou financiers du locataire ou du propriétaire, la construction du système d'évacuation des eaux de ruissellement implique un travail collectif: il n'est pas question en effet qu'un propriétaire établisse un canal d'un mètre de large, et que son voisin en aval se contente de 80 centimètres, sans quoi l'ouvrage serait détruit en peu de temps. On verra COTEAUX-TERRASSES 79 comment, à propos de l'entretien du système, ce problème de travail collectif a pu se résoudre pour assurer un fonctionnement efficace et durable.

ENTRETIEN

AD 43, location d'une vigne située au Bucheron, par Jean Morel, boulanger de Riesle, à Pierre Gebelin, vigneron de Blesle, le 28 décembre 1775, Archives Delachaud (3 E 28(1)) : Sera aussi tenu ledit preneur (...), et de netoyer la raze qui entoure de deux aspects ladite vigne.

AD43, Bail à ferme de 6 ans d'un bien de l'Hótel-Dieu de Blesle (»ne vigne et chenevïère jointe, au terroir de La Bade), par Messieurs les officiers municipaux, à Jean et autre Jean Anglade père et fils, vignerons de Bics'.c, ¡e ó Janvier 1792, Archives Scgrct (3 E 31(49)) : (...) avec obligation de la part desdits preneurs (.../ d'entretenir la raie d'entre ladite vigne et celle de Darne veuve Touchebeuf, si elle se trouve dans le caí d'être entretenue.

L'entretien des rases est absolument nécessaire, il va sans dire qu'un mauvais nettoyage des exuloires peut entraîner de graves dommages pour plusieurs propriétaires riverains. Les dégais peuvent être plus graves encore si après un colmatage localisé par des branches ou des pierres, un barrage "naturel" se forme et cède brutalement en libérant des tonnes de boue et d'eau pouvant envahir en quelques secondes les cultures ou les habitations situées en dessous.

Le système de drainage n'étant pas sollicité chaque année, un certain relâchement de l'entretien peut s'opérer et par la suite ce défaut peut être à l'origine d'incidents. Il semblerait que les chemins et les systèmes d'évacuation d'eau aient été réunis pour éviter ce type de problèmes. En effet, l'accès à la vigne est forcément entretenu puisqu'à la différence du réseau de drainage, son usage est permanent : ainsi faire coïncider rases et chemins permettait d'entretenir collectivement et dans le même travail l'un et l'autre des deux systèmes. Le nettoyage par le feu des abords des vignes, et notamment des chemins creux desservant les parcelles se fait encore en de rares endroits ; mais de manière plus générale, les terrasses étant délaissées, ces aménagements le sont également et restent aujourd'hui sans entretien. Au début du XXe siècle, lors de travaux d'entretien se produisit un fait divers qui a marqué la mémoire de nombreux bleslois. Un agriculteur en retraite raconte que "le père s'occupait ¿> ¡a vigne, et lui [le fils], il coupait, des buissons des bricoles. Dans le temps ils avaient mis un tas de pierres, puis dessous ça faisait le chemin là où ils passaient. (...) Il COTEAUX - TERRASSES 80 faisaient brûler les buissons dans le chemin, il a glissé, il est tombé dans cette rase que ça faisait, sur le tas en feu. Le temps qu'il sorte de là-dessous, il a été brûlé sur tout le corps, ça a été affreux (...) puis il s'est guéri, mais ça a été long".

L'AMENAGEMENT DES SOURCES

Sur les terrasses en coteaux à Blcsle l'irrigation organisée n'a pas existé. Par contre, la ressource en eau n'a pas été négligée pour autant et les moindres points d'eau ont été mis à profit.

LOCALISATION

Emplacement

Malgré l'apparence aride des coteaux exposés au midi, les sources y sont très nombreuses. De nombreux toponymes liés à la présence de l'eau : Fontilles (Blesle), le Rivet (Blesle), les Saignes (Grenier-Montgon), etc. En fait ces coteaux se trouvent le plus souvent en dessous de vastes étendues de plateaux qui constituent des impluvium de grandes dimensions ; il n'est pas étonnant de trouver de nombreux petits points d'eau à flanc des versants :

M. Chassignard, artisan en retraite, Blesle : Presque la moitié des vignes avail sa source, de %• plus ou moins source (...) Là où y avait pas d'eau, les vignes étaient prêts d'un ruisseau

DESCRIPTION

Le plus souvent les sources se présentent sous la forme d'un simple trou d'eau visible au pied d'une murette de soutènement. C'est en effet là que l'épaisseur de terre est la plus mince, COTEAUX - TERRASSES 81 il est donc plus facile d'y capter l'eau. De plus les murettes sont fréquemment bâties sur des ressauts du substrat rocheux, points où des filets d'eau s'échappent souvent du rocher.

(cliché 93-43-682 (a) horiz. & 684 (b), vertic.) Clichés 93-43-682-X (a) & 93-43-684-X (b): les Vignaux, Chadecol (Blesle). L'implantation au pied d'une murette est ici exemplaire. Le noyer bénéficie de la fraîcheur du sol comme en témoigne la vitalité de cet arbre. Deux types d'aménagements sont ici présents : à droite de l'arbre un simple trou ménagé dans la murette (on remarquera la plaque métallique faisant office de linteau, alors que le plus souvent on trouve pour cet usage un arc de décharge en arc de cercle ; l'emploi de ce type de matériau dans les murets de pierres sèches est très fréquent dans les terrasses de la région de Saint-Etienne, où les ouvriers des forges utilisaient des cornières ou des poutres de métal dans la construction des murs soutenant leurs jardins potagers). Le second aménagement (à gauche de l'arbre) est un puits couvert, détaché de la murette. Son accès vers l'eau est clos d'une sommaire porte de planches.

Le petit-fils d'un vigneron Bleslois précise l'aménagement de ces points d'eau sommaires :

En montant vers la poteau de Blesle [à proximité des orgues basaltiques], il y avait des sources, ailes sont peut-être abandonnées maintenant. C'était pas vraiment bâti, mais plutôt... creusé, puis il y avait un petit tuyau pour qu 'elle s'en aille pas ailleurs ; elle était au bord ou en plein milieu de la vigne.

La présence de l'eau pour la vigne est aujourd'hui justifiée par la nécessité de traiter le vignoble en raison des maladies qu'il subit :

M. Chassignard, artisan en retraite, Blesle : On sulfatait deux fois par an le gamay, automatiquement il fallait de l'eau, c'est pour ça qu 'y avait des sources. Des plus ou moins sources, je vous dis, mais enfin ils en avaient assez pour sulfater.

Un autre ancien vigneron nous précise en riant "que si des fois y avait des sources, des fois y en avail pas, alors on montait l'eau dans les côtes !".

L'apparition des maladies cryptogamiques tel le mildiou, ne date en France que de la lin du siècle dernier (1878 pour le mildiou) ; leurs traitements par les bouillies cupriques sont donc postérieurs à l'aménagement des terrasses. Il est fort probable que ces trous d'eau aménagés aient été en place bien avant l'arrivée des maladies de la vigne et donc avant les COTEAUX - TERRASSES 82 besoins en eau pour les seuls traitements. Les actes notariés étudiés pour cette recherche ne contiennent pas de mentions relatives aux points d'eau et à leurs usages. Mais un agriculteur retraité explique que les trous d'eau situés dans une vigne qu'il possède en bordure d'un chemin reliant des pâturages, servaient aussi "aux bêtes, pour boire".

Ces sources ont parfois été captées, ainsi la fontaine du Vallat, dans le bourg de Blesle, est alimentée par une source captée dans les Fontilles. On rappellera d'ailleurs les hypothèses proposées pour l'origine des toponymes La Badal ou La Bade (Blesle) par F. Mistral (1932,1.1, 205) : du roman "badarel", espace ouvert, belvédère, terrasse élevée ; ou bien de "badaire", tuyau par lequel on fait jaillir l'eau d'une source, conduit d'une fontaine. Aujourd'hui, entre Blesle et Chadecol, à liane de coteau on peut voir une petite construction en béton qui correspond à un captage d'eau potable. COTEAUX 83

LES COTEAUX / TERRASSES : LE BATI-CABANES, PIGEONNIERS & CLOS

PRESENTATION DE LA SITUATION ACTUELLE

(92-43-73-X, horiz.) Cliché 92-43-72-X : Blesle, pré-verger et labour dans le Pré-Madame au premier-plan, pigeonnier en mine dans les côtes du Tiradou au second plan. L'observation des coteaux Bleslois est marquée par la présence de petites constructions, presque toutes ruinées, qui de toute évidence ont eu un usage de pigeonniers. Ces édifices modestes par leurs dimensions se remarquent toutefois car leur murs sont enduits en blanc, ce qui crée un véritable signal visuel arrêtant le regard. Mais ces pigeonniers en ruines accompagnent également des cabanes elles aussi effondrées pour la plupart. Quelques constructions plus "sophistiquées" demeurent en meilleur état, il s'agit de maisonnettes datant du début du XXe siècle, aménagées dans de petits clos dont les terrasses de culture sont particulièrement soignées.

LES CABANES :

LOCALISATION

Plus discrètes que les pigeonniers, les cabanes étaient pourtant en grand nombre sur les coteaux bleslois. Elles étaient généralement implantées là où le sol était de faible épaisseur et parfois directement établies sur un affleurement rocheux. Ce phénomène a été noté par les auteurs de "Paysages de terrasses" et il est confirmé pour Blesle par un ancien maraîcher : "Ah ben là où elles gênaient pas trop, dans un coin, généralement, ah oui... — Sur un rocher? — Ouais, ou là où la terre était moins bonne, où elle faisait le moins de tort possible... "

Il semble que chaque parcelle des coteaux ait eu sa cabane :

M. Vier, agriculteur en retraite, Chassijnoles (Blesle) : Vous n'aviez pas une \igne qui n'ait pas ion abri. Puisqu'ils y passaient une partit' leur \ie

Ainsi des épiciers bleslois font l'inventaire de leurs possessions sur les coteaux :

On en avait une autre [vigne] à La Badal là, y avait une cabane qui existe toujours et maintenant il s'y est construit des maisons (...) le pigeonnier démoli est à moi aussi, mais il est un peu plus bas [au Tiradou] Et celle de Chauffarges avait bien une cabane aussi (...) et à la Bessière on en avait une couverte comme ça [en fagots de sarments].

Au fil des enquêtes effectuées, tous les informateurs interrogés au sujet des parcelles aménagées en terrasses qu'ils possédaient ont pu nous confirmer la présence d'une cabane dans chaque propriété.

APPELLATION

Ces abris sont dénommés cabanes tant qu'il ne s'agit pas d'une construction élaborée tel un pigeonnier ou d'une cabane très petite :

M. Boudet, épicier, Blesle : Dans las Fonullas, y an avait da tontas patitas, alors là, c'était des "tiabonei", là où on pouvait rentrer à deux quoi.

Ce terme de "tsabones" désigne les cabanes de berger sur roues.

DESCRIPTION

Ces cabanes sont discrètes dans les coteaux car elles sont toujours de dimensions modestes : celles que nous avons pu retrouver et visiter avaient une surface comprise entre 4 et 15 mètres carrés, pour des hauteurs sous "plafond" allant de 1,5 à 2,2 mètres environ. Les plans sont carrés ou rectangulaires. Le plus souvent il n'y a que trois murs, et la partie donnant vers l'aval étant complètement ouverte. Certaines sont appuyées contre le mur de soutènement d'une terrasse :

M. Aubijoux, maraîcher en retraite, Moulin de buschet (Blesle) : [Question :] Elles étaient appuyées contre les murs'/ — oui oui Ils cherchaient qu'i'ait le mur derrière, déjà c'était un mur défait, vous comprenez si y a le rocher, si y a le rocher derrière, alors ils avaient qu'à faire les deux murs et le toit, 'víais y en a qui étaient graneles, parce queja vu us dit, quand ils ramassaient les haricots, tout ça c'était pas complètement sec, ils emmagasinaient là dedans, ça attendait, alors elles étaient assez grandes. COTEAUX 85

(insérer tirage d'après diapo perso., cabane dans les coteaux de Font Mes, horiz.) Fontilles (Blesle) cabane partiellement appuyée contre un rocher basaltique ; toiture en tuiles.

D'autres cabanes, généralement de dimensions modestes, sont conçues dès la construction du mur de soutènement :

M. & Me. Boudet, épiciers, Blesle : [question :] certaines cabanes étaient construites dans un renfoncement du mur — [M.] Oui, c'est ça — [Me.] Attends, mais à La Bessière, on avait une cabane comme ça? — [M.] Oui, mais aile était pas couverte en sarments celle là, elle était couverte en tuiles, on en avait une qui était justement dans un pailla. — [Me] D'ailleurs, elle doit y être encore à l/i Bessière. — [M.] j'sais pas, elle était carrément dans un paillas, dans le mur du paillas quoi, elle faisait masse avec le mur, en allant plus derrière quoi... et le sol était même creusé un petit peu dans le rocher.

Les toitures étaient en tuiles creuses, mais aussi très souvent en fagots faits avec les sarments de vigne ou des genêts :

M. Aubijoux, maraîcher en retraite, Moulin de Buschet, Blesle : Bien souvent elles étaient qu'à pierres sèches aussi, et couvertes avec du genêt, ici c'était couvert avec du genêt. — Avec du sarment de \igne aussi?—Des fois, sarments de ligne ou genêts, maintenant, d'autres étaient pierres plates comme un peu des lauzes...

Finalement ces cabanes se "noyaient" dans l'ensemble des aménagement liés aux terrasses, si bien que l'observation des documens iconographiques anciens ne permet pas vraiment de se faire une idée précise de l'allure de ces cabanes, ni d'établir des comptages, ou des proportions des divers types construits. Ce mimétisme des cabanes est d'ailleurs souvent évoqué :

M. Bayssac, retraité des postes, Blesle : — Ah des cabanes... rare quand une vigne avait pas de cabane... couverte avec du bois de vigne bien souvent. —Avec le bois des \ignes ? —Ah oui oui, ils creusaient dans ¡a terre et puis... le bois de vigne dessus. C'est tout juste si on voyait les... les cabanes.

USAGES

la fonction qui semble la plus évidente est celle d'abri pour l'agriculteur et pour ses outils ; l'éloignement de la vigne par rapport au bourg rendait ces petites constructions nécessaires : COTEAUX 86 M. Bayssac, retraite des postes, Blesle : [question :]—Alors chaque vigne avait sa cabane ? — En principe oui — Ca servait pour mettre les outils ? — Ouais puis... en cas d'orage... ça servait, c'est souvent que ça servait, parce que bien rare quand... on était par les signes si y avait pas d'orage. Surtout quand on binait là... au mois d'août... heu au mois de... d'juillet là. Alors y avait les orages là.... Et puis en général c'était frais, y mettaient les bouteilles dedans... comme c'était enterré [rires].

Cet aspect plus festif est développé par la fille d'un ancien agriculteur qui ajoute "chacun faisait sa petite cabane autrefois, pour s'abriter, puis il redescendait, puis... pour ranger la bouteille, la bouteille était bien au frais, et puis la bouteille ici, c'est la seule distraction des hommes autrement... alors leur vin, avec leur fromage, ou du saucisson en plus dans les grandes circonstances... ".

Mais un usage autre nous est apporté par un informateur, agriculteur retraité, qui explique une particularité liée au fait que les terrasses n'accueillaient pas que la vigne :

Alors comme les haricots secs et tout ça, vous aviez partout les cabanes, parce quand ¡'s'étaient là... fallait un peu d'abri et tout ça, bien souvent i'fsaient ¡ajournée. Etd'vant la cabanne vousa\iez un truc, euh ch'aispas le nom qu'on lui donne, c'était un truc plat là, une deux mètres carrés avec des grandes pierres plates, hein, et i' battaient les haricots ça fait qn'i descendaient l'grarn, et ça ça sen'ail d'engrais, pour le reste ils le laissaient pourrir pour l'année d'après. — Ca avait un nom patois ? — Oui ça s'appelait un "sol", un sol on appelaient ça, comme quand on battait au fléau dans la cour on appelait ça le sol le..l'endroit, qui était plat comme ça, on le balayait bien propre, et là on battait là... — Et vous vous ave: vu battre les haricots ? —Ah non, pas dans les cotes, j'ai pas vu dans les côtes moi, maisj'les ai eu battus aussi au ßeau aussi quand y en avait pas ma!, ç'dépend (...).

L'aire à battre encore visible sur certaines terrasses permet d'attester la présence de cultures autres que la vigne sur des terrasses et permet d'attribuer une fonction de remise à grains saine et ventilée à certaines cabanes dont on comprend alors les dimensions plus importantes.

Enfin certains textes anciens évoquent des cabanes plus complexes ayant un usage viticolc bien spécifique :

AD13, location d'un domaine au Babory, par dame Marie Anne de Chantilly, marquise de Chavagnac, à Pierre Thomns et jean Pinet son neveu laboureurs habitants du Baboiy, le 7 novemhre 1781, Archives Delachaud (3 E 28(2), P27) : A la charge par les dits preneurs de jouir et uzer du tout en bon père de famille, d'entretenir les bâtiments des menues et légères réparations, (...) quant au bâtiment de la cave et cuvage situé sur le coteau à l'orient, au cas que ladite dame de chavagnac le fasse remettre, les dits ' preneurs seront tenus de même de l'entretenir, et laisser le tout en bon état afin

ORIGINE & DATATION

Dater de tels aménagements est particulièrement délicat, on serait tenté de dire qu'ils sont contemporains des terrasses où ils sont bâtis, ce qui peut être vrai pour certains édicules datant visiblement du XIXe siècle. Mais les terrasses sont apparemment un phénomène récent du moins dans leur systématisation (XVIIe ou XVIIIe siècle), peut-on affirmer pour autant qu'avant cette date la pratique de construction-de petites cabanes dans les parcelles de coteaux cultivées n'existait pas ?

ENTRETIEN

Appuyée sur un muret de soutènement, la cabane doit sa solidité à celui-ci ; c'est principalement la toiture, souvent frustre qui doit être entretenue :

M. Bayssac, retraité des postes, Blesle : [Question : ] — Et c'était les fagots de sarments qu'ils posaient dessus ? — Oui oui... quand heu... tout les trois quatre ans ils le faisaient brûler et puis... ils le refaisaient. Oh quand ça durait (¡uatre cinq ans maximum... fallait les remplacer parce que c'était... l'eau passait.

LES PIGEONNIERS :

LOCALISATION

Les pigeonniers sont pour la plupart tous installés de la même manière, ils occupent généralement les premières terrasses, mais jamais la toute première qui bénéficie de conditions agronomiques paniculièrement favorables (épaisseur des terres) et dont on profite au maximum de ia surface cultivable.

(93-43-1040-X, horiz.J Cuché 93-43-I040-X : à droite de ¡'image les moulins du Bos et de Rodier, à gauche les côtes de La Bonal. Josannc Pothicr (1982 : 16) date ce cliché d'avant 1914. Au-dessus de la route, les terrasses larges COTEAUX 88 sont labourée ; aucun des trois pigeonniers visibles ici, n'y a été construit. Ces édifices sont tous à même hauteur dans le coteau et construits selon la même orientation, la façade exposée au midi.

L'analyse du cadastre montre que la parcelle où est installé le pigeonnier inclue également cette riche terrasse large et au sol profond. Ces parcelles sont le plus souvent possédées par les plus riches propriétaires Bleslois (abbesses, prêtres, nobles, sous l'ancien régime ; bourgeois, notables après la Révolution).

DESCRIPTION

Les pigeonniers sont de deux types : bâtis selon un plan carré ou bâtis selon un plan circulaire (sans compter les pigeonniers insérés sous les toitures des maisons que nous n'évoquerons pas ici puisque seuls les édilîces isolés dans les coteaux nous intéressent). Certains bleslois supposent que les bâtiments circulaires auraient accueilli des colombes, et les carrés des pigeons. En fait, il pourrait s'agir là d'un problème d'imposition1 : les pigeonniers de plan carré relevant d'une juridiction de basse ou moyenne justice, ceux de pian circulaire relevant d'une juridiction détenant le droit de haute-justice. Dans la "coutume d'Auvergne", Chabrol (1784, 1.1: 53-54) confirme que la construction de "colombier" est soumise à autorisation et implique une imposition particulière, mais il n'indique rien à propos de la morphologie des bâtiments. Le dictionnaire Larousse précise que le colombier était un privilège de noblesse, alors que le pigeonnier était plutôt lié à un droit issu de la surface de terre d'un propriétaire foncier, mais là aussi, cette définition ne tranche pas le problème des variations de plans. Il faut tout de même signaler que la justice de Blesle sous l'ancien régime était partagée entre l'Abbaye de Blesle, détenant les basses et moyennes justices sur la ville et ses alentours, les seigneurs de Blesle possédant la haute justice ; mais rien n'atteste pour l'instant un rapport entre des systèmes d'impôts particuliers et ce partage de la gestion de la paroisse par les deux puissances laïque et religieuse.

Quoi qu'il en soit, tous ces bâtiments comportent un rez-de chaussée semi-enterré, servant d'abri ou de remise et un étage accueillant les pigeons ; entre ces deux niveaux un autre étage s'insère parfois, il ouvre alors directement sur la terrasse supérieure et servait là aussi d'abri ou de remise.

87-43-101.3-X, horiz. Cliché 87-43-I0I3-X : Environs de Bnigeilles (Torsiac), ce pigeonnier de plan circulaire s'est retrouvé paitiellement enterré par le remblais de la voie de chemin de fer Arvant-Ncussargues (ligne Paris-Béziers)

information communiquée avec réserves par Claudie Voisenat. COTEAUX 89 ; à l'origine cet édifice était plus élevé et possédait une porte en rez-de-chaussée aujourd'hui enterrée sur plus d'un mètre de hauteur. Son diamètre extérieur est d'environ 5 mètres (communication de M. Jean- Paul Leclercq).

USAGES

Outre un rôle de remise et d'abri, évoqué à propos des cabanes, le pigeonnier possède deux fonctions qui lui sont spécifiques : la production d'un animal destiné à l'alimentation et l'utilisation des fientes de pigeons comme engrais.

L'élevage de pigeons

Le pigeonnier comprend dans la pièce réservée aux pigeons un aménagement spécifique constitué de cases en planches à l'intérieur desquelles les oiseaux nichent.

Sous l'Ancien Régime, l'établissement d'un pigeonnier était soumis à autorisation ; mais Phélut, dans les "usages de la Haute-Loire" (1931 : 103-106) rappelle que le décret du 4 Août 1789 mit fin aux privilèges et qu'ainsi les règlements concernant l'élevage des pigeons se firent à la guise des communes. Le code rural ajoute une clause relative à l'ouverture et à la fermeture du pigeonnier et précise les droits des propriétaires pour protéger leurs fonds. Phélut ajoute qu'en Haute-Loire aucune mesure n'a été prise à ce sujet par le Conseil Général, normalement responsable. La protection des terres ensemencées contre les pigeons est un soucis des agriculteurs, et d'après Chabrol le problème doit être prévu lors de la création du pigeonnier (1784,1.1 : 53-54) en effet, tout propriétaire qui veut construire un tel édifice doit être sûr que l'étendue de ses terres permet de nourrir ses volatiles ; faut-il déduire de cet article que la dimension du pigeonnier serait proportionnelle à l'étendue des terres du propriétaire ? Le pigeon se nourrit donc dans les terres alentours et, de nos jours encore, un arrêté est pris au niveau préfectoral pour ordonner la fermeture des pigeonniers (observation d'un arrêté préfectoral affiché en Mairie de Villeneuve d'Allier — Haute-Loire — en 1992).

M. & Me. Botidet, épiciers, Riesle : —[Me.]Mais quand c'était... c'était au ivoisd". Mai <]i/e le ïamhaur de ville passait, il fallait fermer les pigeonniers. —[M.]Ah oui, mais c'était pour les semis ça. —[Me.] • Oui, mais,ily avait une période où il fallait fermer les pigeonniers pour pas que... —[M.J C'était quand les semis levaient, parce qu'évidemment les pigeons allaient casser la croûte doits les petits pois. C'est bien à l'époque où les choses venaient, j'saispas moi, A vrd, Mai, quoi, ça dépend des années. COTEAUX 90 La mise en place d'un élevage dans le bâtiment est décrite par Alexandre Bixio dans la "maison rustique du XIXe siècle" (1844, t. II : 560) :

Lorsque l'on veut peupler un colombier, on va acheter loin de chez soi une certaine quantité déjeunes pigeons d'un an, on les met dans le colombier dont on ferme toutes les fenêtres ; deux fois par jour on leur apporte à manger dans le colombier même, et l'on tient toujours de l'eau fraîche. Quand ¡es pigeons se sont accouplés et qu 'ils commencent à couver, on peut commencer à ouvrir les fenêtres et à les appeler au dehors en sifflant pour leur donner leur nourriture ; peu à peu l'on diminue la distribution, que l'on supprime complètement quelques jours après ¡'eclosión des premiers petits ; dès ce moment l'on peut être sûr que les pigeons n'abandonneront plus leur demeure, pourvu qu'on ne la leur rende pas insupportable, en les troublant pas des iisites trop fréquentes, ou en négligeant de l'approprier.

A Blesle les variétés de pigeons sont apparemment classiques : les colombes et les pigeons domestiques. A propos de ces espèces La Maison rustique précise (1844, t. II : 560)

Le pigeon colornbin est moins fécond 11 ne fait que trois pontes par an, mais il abwände betiucunp moins de soins, parce qu'il sait aller au loin chercher sa nourriture ; aussi l'élève-t-on en plus grande quantité que le pigeon de volière. (...) 1-e pigeon de volière a donné naissance à une forde de sous-variétés .Sa fécondité est très grande quand il est bien nourri ; il n'est pas rare de lui voir donner une couvée chaque mois, et s'il n'est pas prouvé que son éducation soit avantageuse, au moins est-il certain qu'elle ne met pas en perte et qu'elle procure l'agrément de pouvoir varier de temps à autre les repas du fermier (...).

Le prélèvement des pigeons se faisait progressivement, la Maison Rustique recommande de prélever aussi des spécimens âgés afin d'assurer le renouvellement des reproducteurs ; à Blesle on se souvient surtout de celte opération dans ce qui fut le plus gros pigeonnier de la commune : le donjon des Mercreur (donjon médiéval du Xlle siècle) dont la salle haute, sous comble, avait été ainsi aménagée et utilisée jusqu'à ces dernières années par les sœurs :

M. & Me. Boudet, épiciers, Blesle : — [Me.] y avait un système exprès, avant de rentrer dans la pièce, elles [les soeurs] baissaient la... elles liraient une corde qui fermait toutes les fenêtres, et puis elles rentraient pour attraper les pigeons. — [Xi.] Les petits dans les nids. (...) - [Xie.] Parce qu 'avant y en avait là-haut, et les sœurs y allaient au moins une fois par mois cherchar des pigeons.

(insérer cliché du donjon publié à la page 55 de l'image du patrimoine) Cliché XXXXXX : la "tour aux vingt anales", ou donjon des Mercoeur, vestige médiéval de l'ancien château de Blesle, fut égaJemcnt le plus gros de tous les pigeonniers de Blesle).

M. Boudet se souvient que son père allait chercher des pigeons jusque vers 1950-60 : Le pigeonnier servait encore pour de petits pigeons. COTEAUX 91 Roland Vigouroux a publié un article à propos des traditions alimentaires en Ribeyre (vallée de l'Allier, à quelques kilomètres de Blesle), il explique comment le pigeon était accomodé avec une sauce blanche faite de lait, de crème et de farine ou bien alors rôti comme les lapins ou les volailles.

Finalement cet élevage a la particularité d'être pratiquement autonome :

M. Bayssac, retraité des postes, Blesle : [question : ¡es pigeons ne détruisaient-ils pas les vendanges ?] — Oh... pas trop. Non non... ils en mangeaient bien quelque peu mais pas... puisj'sais même pas... oui mais les récoltes elles étaient pas touchées comme heu... y avait bien des pigeonniers pourtant y 'en avait. Y reste quelques murs maintenant... — Et vous, vous vous en occupiez de l'entretien ? — Oh non non. Non non... Oh là... on leur portait même pas à manger ni rien. Les gars i 'Is allaient que pour ramasser desp'tits quand l'hiver arrivait, pis c'est tout. Y ouvraient qu'le pigeonnier à ce moment là... [rires].

La fiente de pigeon comme engrais

M. Vcrgnc, agriculteur en retraite, Blesle : Alors, ils avaient les pigeons, y en a qui devaient rapporter là, d'autres qui les mangeaient mais... j'erois pas qua ce soit là l'essentiel (...) A mon a\is les pigeonniers, j'me demande SÍ c'était pas pour Ici fientes ; vous savez, ce que leí pigeons faisaient, ça leur servait pour fumer la vigne, comme ils avaient pas d'engrais à l'époque (...) c'était des engrais, parce que l'engrais existait pas ; y avait pas de fumier. Le monde avait très peu de bêtes à Blesle, c'est pas un pays d'élevage, alors ça servait... on en mettait à chaque cep, c'est très riche. Alors ils les avaient dans les vignes, ils devaient ramasser ça. (...) Enfin moi je crois que c'est comme ça, parce que j'ai remarqué, dans beaucoup de vignes, y avait des... des pigeonniers. Ou alors ils le portaient dans îles sacs, parce que ça se transporte quand c'était sec.

Cette supposition se fonde sur une pratique observée il y a encore quelques décennies, mais un texte du XVIIIe siècle est explicite à ce sujet :

AÜ43, Bail à ferme de 6 ans d'un bien de l'Hôtel-Oieu de Blesle (une vigne et chenevière jointe, au teiroir de La Bade), par Messieurs les officiers municipaux, à Jean et autre Jean Anglade père et fils, vignerons de Blesle, le 6 Janvier 1792, Archives Segret (3 E 31 (49)) : (...) se réservant lesdits sieurs bailleurs, les deux collombiers qui sont dans ladite vigne, à la charge néantmoins par lesdits preneurs de les arranger, nettoyer tout la premier jour du mois de Mars, sans néantmoins qu'ils puissent emporter lesdits fumiers alhieurs que dans ladite vigne.

La vertue du fumier de pigeon est repérée par tous les ouvrages d'agronomie : COTEAUX 92 La Maison rustique du XIXe siècle, 1844, tome V, p. 11 : Les déjections de pigeons et celles des autres oiseaux de basse-cour sont l'engrais le plus actif dont puisse disposer la culture jardinière. Mêlée à d'autres fumiers à très petites doses, la colombine produit des effets très remarquables principalement sur les plantes cucurbitacées.

Le texte du XVIIIe siècle vu précédemment commandait le nettoyage du pigeonnier une fois par an, "le premier jour du mois de Mars", cette pratique est reprochée dans la maison rustique (ibid.) :

Malheureusement la majeure partie de cet engrais, si précieux et si rare par lui-même, se perd par négligence ; dans la plupart des fermes, le colombier et le poulailler, qui devraient être, nettoyés une ou deux fois par semaine, le sont à peine deux fois par an, sans parler de ceux qu'on ne nettoie jamais.

Cet engrais semble être un peu à pan des autres fumiers en raison notamment de sa puissance fertilisatrice : Maison mstique (ibid.) : La colombine se conserve à l'étal pulvérulent ; on l'emploie souvent délayée dans l'eau dont on arrose les plantes lorsqu'on désire hâter leur croissance ; il ne faut en faire usage qu 'avec précaution ; beaucoup de plantes ne peuvent la supporter satis mélange ; pour la leur appliquer on l'affaiblit en la mêlant avec de bonne terre de jardin passée à la claie.

Plus précisemment le dictionnaire Larousse indique :

La colombine, ou fiente des pigeons et des oiseaux de basse-cour (la fiente des poules est quelquefois nommée pouline ou poulaittej, constitue un engrais actif mais moins riche en azote que le guano. La colombine des pigeonniers (mélangée à plus ou moins de matières terreuses ou sableuses) renferme en moyenne, outre 20 à 25 p. 100 de matière organique, I à 2 p. 100 d'azote et de 0,50 à 1,50 p. 100 d'acide, phosphorique.

Si La maison rustique regrette que la colombine ne soit pas assez souvent "récoltée" dans les pigeonniers, elle explique par ailleurs que "l'on peut être sûr que les pigeons n'abandonneront plus leur demeure, pourvu qu'on ne lu leur rende pas insupportable en les troublant pas des visites trop fréquentes". Un informateur nous met en garde contre la fragilité des nichées :

Mais attention ! Faut pas y bricoler, ah non, sinon ils s'en vont ailleurs. Il faut surtout pas y modifier dedans. Il faudrait pas enlever même le fumier. Ah non, il faut pas y toucher, si vous y bricolez, ça vous les déniche, ils viennent plus. Et pas enlever le fumier, je me rappelle Dubois, du Chausse [commune de Blesle], il a perdu son pigeonnier, il a voulu aller ramasser les merdouilles de pigeon et bien son pigeonnier s'est... il faut pas y loucher ! COTEAUX 93 Cette fragilité est plus spécifiquement rapportée aux pigeonniers implantés dans les vignes puisque le même informateur ajoute :

Pour le fumier... je sais pas, c'est vrai qu'on mettait la fumade qu'on appelait, avec la merdouille, la fiente du pigeon, mais... c'est-à-dire qu'il y avait les pigeonniers domestiques aussi, dans les maisons, et là c'était plus facile d'aller chercher le fumier.

insérer clichés d'ensemble et de détail du décor peint du pigeonnier où sont figurés des pigeons picorant dans un panier —publié dans l'image à la page 45, référence "e" Clichés XX-43-XXX-X & XX-43-XXX-X : La Bona! (Blesle), vue d'ensemble d'un pigeonnier implanté an milieu d'anciennes terrasses à vigne ; détail du décor peint : pigeons stylisés picorant dans un panier.

Ce décor peint peut être rapproché de l'acte notarié suivant : AD43, location d'une vigne et d'un champ, terroir de la Chapelle, par la citoyenne Gabrielle Bourdeille de , à Robert Bertrand, vigneron et cultivateur de Blesle, le 19 Floréal de l'an III, Archives Delachaud (3 E 28(4), PI47) : [le preneur réservera] un relier île graines tie vendanges appelées vulgairement greniox pour les pigeons de la bâilleuse. A propos de ces "greniox", F. Mistral donne (TDF, t. II : S5) granoun, granou, petit grain, mauvais grain (...) granilha, granillo, menuet graines

Nous avons déjà évoqué le travail de Christiane Amiel (1985 : 55-83) qui a pu observer les inter-relations entre la vigne et les plantes à moitié sauvages, à moitié domestiques, hôtes de la parcelle de vigne. Les pigeons des coteaux de Blesle participeraient au même schéma de représentations : animal autonome, il se nourrit seul en prélevant sa nourriture dans les cultures. L'oiseau hôte des pigeonniers des terrasses à vigne est considéré comme plus farouche que son congénère du bourg : notons que la fumure du pigeon est seulement utilisée pour la vigne à Blesle, les jardins et terres labourables recevaient une fumure d'origine végétale ou des fumiers des animaux d'élevage ou de trait.

Insérer cliché couleur du pigeonnier de Léuluing uu cœur de sa vigne en terrasses Cliché 87-43-XXX-XA : environs de Léotoing, un pigeonnier dans une vigne cultivée en terrasses et complantcc de pêchers.

Placé au cœur de la vigne, appuyé contre le murs de la terrasse, le pigeonnier se retrouve au coeur de relations entre l'homme, la vigne et les oiseaux, au centre d'équilibres fragiles entre le sauvage et le domestique : le pigeon reçoit de la vigne les menus grains, il prélève dans les cultures sans dégâts excessifs à condition de l'enfermer dans la période la plus délicate (depuis le semis jusqu'à leur levée). L'homme prélève des petits et la fumure avec délicatesse pour ne pas effrayer la nichée, enfin il distribue cette fumure à la vigne avec COTEAUX 94 précaution, car l'engrais serait tellement "fort" qu'il détruirait les ceps s'il ne leur était distribué avec parcimonie.

DATATION

Les pigeonniers étudiés sur le canton par les chercheurs de l'Tnventaire Général datent généralement des XVIIIe et XIXe siècles. Les textes du XVIIe siècle que nous avons étudiés n'en mentionne pas, mais notre dépouillement des archives de celte époque est loin d'être exhaustif.

EVOLUTIONS

La ruine est aujourd'hui le sort commun de tous ces bâtiments :

Un commerçant b!es!ois, propriétaire d'un pigeonnier ruiné : les pigeonniers ils sont passés par le irou là- bas à Longchainp, ils se sont démolis complètement. Mats là ce sont les pans ría murs qui sont tombés carrément, c'est même les pans de mur qui ont empnrté le tait. Tandis que chez nous, c'est le. toit qui est pané dedans carrément et que maintenant ça va manger les murs. C'est dommage puisque c'était des murs qui étaient épais et qui étaient recouverts en lauses hein.

Ce propriétaire a tenté de rénover son pigeonnier mais nombre de contraintes se sont alors posées :

Ah mais j'ai failli le récupérer, il y a 14 - 15 ans, quand on a refait les toits [d'une maison] de La Bonal. Il y a 9 ans, j'avais fait venir un entrepreneur ici qui est un cousin à moi et il aurait accepté de me le. faire, y a 25 m2 environ de couverture ; seulement quand il a vu l'emplacement, il pouvait pas y aller avec un outil, fallait lout trainer à dos. Ben il a pas voulu le faire et c'est dommage, parce qu 'à cette époque il était bien récupérable.

Il l'est encore, mais moyennant des frais terribles, vous savez s'il faut monter les poutres à dos d'hommes là-haut, les tuiles, le ciment... Alors on pourrait peut-être pouvoir accéder par chez Chassignard sur le côté, mais dis donc, il faut couper tous les buissons et tout, et quelle journée de travail !

Si certains propriétaires ont pensé à transformer leur pigeonnier en petit gîte ou en "chambre" d'amis, ils ont très vite été confrontés à divers problèmes d'adduction d'eau et d'assainissement (la mise en place d'une fosse sceptique et d'un épandage est délicate). Enfin COTEAUX 95 pour entretenir un pigeonnier il faut également remettre en état l'ensemble des terrasses et de leurs accès.

LES CLOS :

LOCALISATION

Les quelques exemples de petits domaines implantés en terrasses et abrités derrière des murailles sont installés selon le même type de disposition que les pigeonniers des vignes : ils occupent en effet les premières terrasses du bas de versant, et comme pour les pigeonniers, la maisonnette épargne la première terrasse où le sol a le plus d'épaisseur, de fraîcheur et donc de fertilité.

93-43-1083-X, horiz. Cliché y3-43-lUS3-X : Le Tiradou (Blesle), maisonnette et jardin en terrasses au cœur d'un clos. Le mur de cloture utilise des galets (la Voireuze coule à quelques mètres de là), le rez-de chaussée sert de remise, le premier (qui est de plein pied pour la terrasse supérieure) est à usage d'habitat, et les combles ont été aménages en pigeonniers.

DESCRIPTION

Par clos nous désignons un ensemble particulier de terrasses entouré d'un mur de clôture et au milieu duquel est implantée une petite maisonnette dont la sophistication est en rupture complète avec les autres abris ou pigeonniers des coteaux. Les exemples de ce type de clos sont rares, trois ou quatre sur les coteaux de Blesle. Ils sont par contre très nombreux dans les environs de Brioude, mais surtout du Puy-en- Velay (Haute-Loire) :

Jules Guyot, IS64, la viticulture Centre Sud, pp. 100-101 : Toutes les vignes du Puy sont groupées au nord et à l'ouest île la ville et échelonnées sur des coteaux peu élevés, à gradins et à terrasses. Elles sont très-dnisées, et constituent de très-jolies petites propriétés de campagne nommées "les vignettes"; chaque propriété vignoble ne compte que quelques ares; elle .est entourée de murs et gardée par une petite villa qui domine le plus souvent l'enclos. Chaque bourgeois (ht Puy lient à avoir sa vigne et sa COTEAUX 96 petite maison de campagne, c'est son amusement et son luxe. Des arbres fruitiers, des fleurs, desplantes potagères, complètent et ornent le petit domaine.

A Blesle les édifices remontent aux premières années de ce siècle, leurs décors sont peu important et se limitent à la transposition d'éléments décoratifs domestiques (manteau de cheminée en faux-marbre, etc). Il n'en est pas de même dans les bâtiments brivadois et ponots qui reçoivent parfois des ornementations spectaculaires comme des ensembles de boiseries ouvragées ou des peintures murales d'inspirations diverses (cf. Bcsqueut 1981, De Framont & Galland 1992).

c/ichés92-43-237-X(a), 92-43-243-X(h) Clichés 92-43-237-X (a) & 92-43-243-X (b) (côtes des clichés couleur correspondant, 92-43-178 & 179- XA) : Longchamp (Blesle) petit domaines aménagé en terrasses surmonté d'une maisonnette fin XIXe, debut XXe siècle.

M. Sebastien Lounis, étudiant en architecture a effectué en 1994 une série de relevés d'un clos situé à Longchamp (Blesle). Ces relevés montrent l'organisation très particulière de cette propriété : les murettes de soutènement sont maçonnées et relativement élevées par rapport à la moyenne blesloise, les banquettes de culture qu'elles soutiennent sont parfaitement horizontales. On retrouve tous les petits aménagements inhérents à un système de culture organisé en terrasses (points d'eau, escaliers) mais ici tout est porté à un niveau de raffinement dépassant l'aménagement classique de la région de Blesle.

insérer relevés de Nicolas

cliché 92-43-239-X, verde. Cliché 92-43-239-X : Txingchamp, (Blesle), détail dans le clos précédent d'un contrefort maçonné et couvert de tuiles creuses.

USAGES

Deribicr de Chcyssac, dans son dictionnaire statistique du département de la Haute- Loire, (1824 : 461-162) écrivait à propos des "vignettes" du Puy-en-Velay :

Dans In belle saison, on va les dimanches, se promener à sa vigne, comme, ailleurs on va dans la campagne ou dam lès guinguettes faire des parties de plaisir COTEAUX 97 Mademoiselle jeanne-Marie Pothier conserve les carnets où son grand-père, propriétaire du clos de Longchamp, notait les observations relatives à ses activités quotidiennes, notamment par rapport à ses jardins, vignes, etc. La lecture de ces carnets tenas au jour le jour de 1908 à 1917, permet de suivre les déplacements du propriétaire avec sa femme Flora vers leur propriété de longchamp 14 Avril [1908]Pierre [ouvrier agricole] éclialasse Longchamp 15 Avril Temps lourd, 15°, Marie [bonne de la maison] a ramassé les asperges 20 Avril Flora souffre la treille 26 Avril semé du basilic en pois, nettoyé les escaliers du haut 28 Avril cueilli les premières fraises 29 Avril Flora cueille des pois 30 Avril Obsèques de mon beau-frère. Visite d'Hermine et d'Olivine à Longchamp le soir

Au fil des jours et des événements la vie suit son cours dans le petit clos. Si les cabanes étudiées en début de cette fiche semblent avoir surtout été fréquentées par les hommes, les maisonnettes des clos accueillent les activités familiales. Christainc Amicl écrit à ce sujet (1985 : 120) : Ouverte sur la natura mais toujours investie de valeurs domestiques, la petite maison au cœur des vignes est (...) une véritable seconde demeure.

Cliché 93-43-10S0-X, horiz. Cliché 93-43-10S0-X : Le Tiradou (Blesle), vue sur le jardin potager d'un clos depuis l'angle Nord-Est de ia propriété. A droite de l'image, on aperçoit la terrasse en avant de la maisonnette. COTEAUX 98 LES COTEAUX / TERRASSES: LE BATI- LES ROCHERS

PRESENTATION DE LA SITUATION ACTUELLE

De nombreux coteaux des environs de Blesle sont dominés par des orgues basaltiques, à flanc de coteau des masses de basalte importantes sont disséminées ici et là dans la friche :

Cliché 87-43-372-X, horiz. Cliché 87-43-372-X : Les Saignes (Grenier-Montgon), les orgues vues depuis le château de Montgon ; on aperçoit à gauche de l'image des rochers de basalte visiblement détachés des orgues. Les orgues sont en léger surplomb car le terrain a été décaissé par l'érosion d'où un creux visible au pied des orgues (voir en fin de fiche, l'h>pothcsc du processus de détachement des rochers depuis les orgues).

DESCRIPTION

Ces rochers de couleur noir ont généralement une forme oblongue ; Ils sont installés dans la pente du coteau sans ordre précis mais presque toujours leur longueur dans le sens de la pente. Ils atteignent des dimensions parfois imposantes, cinq, dix voire douze mètres de longueur pour deux à cinq mètres de hauteur et de largeur. Les blocs sont formés de prisme de basalte juxtaposés, l'ensemble est relativement solide et peu de morceaux de ces prismes se détachent. Les prismes sont de section irrégulière, pas franchement octogonale comme on peut en voir aux orgues d'Espaly (Haute- Loire).

USAGES

' Si les rochers eux-mêmes n'ont pas été directement exploités, leur présence a parfois été valorisée : COTEAUX 99

Dans les coteaux de Fontilles (Blesle), un agriculteur possédait une vigne dont la cabane était un peu particulière :

[Question : ] Et à Fontilles,, la vigne n'avait pas de cabanes ? —Ah non, non... enfin... y avait un rocher ! On s'abritait dessous. Le rocher était creux dessous, et quand il pleuvait on se mettait dessous. Il penchait, alors on pouvait se glisser dessous, c'est qu'il était gros ce rocher.

A Fontilles des tas d'épierrement installés au sommet d'un de ces rochers de basalte servaient à stocker des pierres en excès dans une parcelle. L'empilement des pierres se fait alors sous forme approximative d'une pyramide ; mais la fonction est loin d'être décorative et doit plutôt être recherchée dans la volonté permanente des bâtisseurs de terrasses de profiter au maximum de l'espace d'une parcelle ; un pierrier est bien souvent synonyme de place perdue, tout comme un rocher de basalte, superposer les deux permet de valoriser au mieux la surface disponible en terre cultivable.

Ces rochers ont certainement eu un rôle bénéfique pour la culture de la vigne en jouant le rôle d'accumulateurs de chaleurs, mais aucun témoignage dans ce sens n'a été recueilli.

Sur le chemin des Fontilles à Blesle. un de ces blocs de basalte frappe par son emplacement qui met particulièrement sa forme en valeur :

cliché 93-43-445-X, horiz. Cliché 93-43-443-X , caite postale des aimées 1940 ou 50, on remarque la conduite des ceps de vigne sur échallas, jusque sous le rocher. Ce rocher est couramment appelé "l'œuf, sa disposition en bordure du chemin a toujours suscité des interrogations quant aux risques de glissement vers l'aval (il faut dire que sa situation au-dessus des maisons du quartier du Vallar, permet à chacun de se donner volontairement des frissons en évoquant les conséquences d'un effondrement sur les bâtiments en-dessous). Pour les vendangeurs qui descendaient le raisin des vignes vers le village, cet endroit précis marquait un lieu de halte, où ils pouvaient souffler quelques instants (sans toutefois déposer leur hotte à vendange, puisqu'une pierre servait de reposoir dans le mur qui se trouve sur la partie gauche de cette ¡mage.

Les rochers par leur proportions imposantes dans les côtes, participaient souvent à l'organisation de l'espace : en effet nombre de murettes de soutènement des terrasses ont pu trouver en ces boules de basaltes la possibilité d'un ancrage solide. Parfois des terrasses incurvées vers l'amont semblent être arc-boutées entre deux rochers.

insérer cliché perso, d'une terrasse sur les coteau de Fontilles entre deux rochers Cliché de l'auteur : Fontilles (Blesle) le constructeur a trouvé avec ces deux rochers l'occasion de consumiré un muiet de soutènement particulièrement solide qui pourra résister sans problème à la poussée des terres qu'il retient. COTEAUX 100

Enfin, il n'est pas étonnant que nombre de ces rochers aient servi de marqueurs de propriété lorsqu'ils se trouvaient à proximité d'une limite de parcelle ; le repérage du coteau de Fontilles avec le cadastre a permis de le constater à plusieurs reprises.

insérer le relevé defrédéric Fanget Relevé de terrasses sur les coteaux de Fontilles (Blesle), sur la partie droite du relevé la limite parcellaire passe par une série de gros rochers de basalte où certains murets viennent s'appuyer.

Si aucun renseignement oral n'a pu être recueilli sur ce type de bornage quelque peu particulier (à qui appartient effectivement le rocher, compte tenu de sa grande largeur ?) des textes anciens ont pu montrer que cette pratique d'utiliser le rocher comme repère dans la représentation de l'espace était ancienne :

AD43, Bail à ferme à moitié fruits d'une vigne et hermeture, terroir de Fontilles, par Gabriel Segret Lompré, à Joseph Roche, vigneron de Blesle, le 22 Ventôse de l'an V, Archives Touchebeuf (3 E 33(1), P58) : Dans l'espace de six années à compter de ce jour, le preneur aura dessouché, arraché (...), tout ce qui est actuellement planté en plan vieux du pays; Et le bois provenant de ce dassouchement sera partagé entre les parties. Dans le même espace de temps, il aura également planté en \-igiie tant le terrain culte et inculte qui ne sert pas actuellement jusqu'au rocher confín de bize.

AD43, location d'une coste hermeture, terroir de Longchamp, par Joseph Segret, chirurgien, à Pierre David Brassier, le 12 Octobre 1781, Archives Roux (3 E 50(5)) : [à savoir] une coste hermeture, jadis vigne, d'environ quälte cartonnées de terre ou ruchers, (...) joignant In vigne ou pépinière dutlit sieur bailleur, un gros rocher entre d'eux de jour, la coste hermeture de sieur Jean Pignol de midy, le chemin de la Bada de nuit, la \igne et bois da Pierre Chouvet de bize.

ORIGINE & DATATION

Beaucoup de personnes interrogées sur l'origine de ces blocs de basaltes, pensent au regard de leur forme allongée, presque fuselée, qu'il doit s'agir de bombes volcaniques, projetées d'un volcan du Cézallier tout proche. Il apparaît pourtant que ces blocs proviennent plutôt de blocs détachés des orgues basaltiques à la suite du déchaussement des coulées par les processus d'érosion de la fin de l'ère tertiaire. A ce sujet Lucien Gachón (1938 : 34-35) précise : COTEAUX 101 Dégagés et mis en relief depuis le Pliocène, les basaltes anciens sont soumis à un mode d'érosion dont on peut, en quelques points, saisir le mécanisme. La pression exercée par le poids de la lave, s'ajoutani à l'action dissolvante et émolliente des eaux d'infiltration sur les marno-calcaires [il s'agit des anciens alluvions des fonds de vallées recouvert par les laves], détermine une poussée au vide. La coulée portant à faux sur son support se fend longitudinalement en lisière. Un pan de basalte s'isole, bascule plus ou moins lentement et finit par s'abattre. insérer en marge du texte de Gachón, le cliché VERTICAL des orgues : 92-43-I06-X Cliché 92-43-106-X (côte cliché couleur : 92-43-6-XA) : Les orgues de Blcsle, ancienne coulée basaltique ayant recouvert l'ancien cours de l'Alagnon, il y a environ 5 millions d'années, puis déchaussée par l'érosion COTEAUX 102 LES COTEAUX / LES TERRASSES : LE SOL - GÉNÉRALITÉS

PRESENTATION DE LA SITUATION ACTUELLE

Le sol est l'autre composante importante d'un aménagement en terrasses de culture avec la murette de soutènement. Mais aujourd'hui, alors que les terrasses ne sont plus travaillées ni entretenues, émettre un discours sur le sol de la banquette de culture peut sembler bien anodin. Pourtant, comme les autres éléments de la terrasse, le sol résulte bien d'une construction par l'homme et les témoignages des agriculteurs ou des archives anciennes permettent de comprendre l'importance de l'élaboration et surtout de l'entretien de cette terre qui, ne le perdons pas de vue, constitue la raison d'être d'un aménagement en terrasses de culture.

APPELLATION

Le sol des terrasses reçoit l'appellation générique des terres issues de la dégradation des roches telles que les gneiss ou granits : Barrés, Description topographique du ci-devant canton de Blesle, An VIII, p. 8 : c'est ce qu'on appelé dan<¡ le canton, terre de "varène", par corruption sans doute, d'"arène", ou terre de sable.

ORIGINE

Nature & formation du sol des coteaux

Ce sol a pour caractéristique sa grande légèreté, il est en effet issu de la dégradation du substrat gneissique et contient peu d'éléments organiques. Barrés le décrit ainsi (An VIII : 8) :

Ce granit est tantôt en masses, et dans ce cas, extrêmement dur; tantôt en couches parallèles, dirigées obliquement vers le centre des montagnes, et alors il se lève facilement en dalles plus ou moins épaisses. En général la superficie de ce granit est assez friable. Le soleil, la pluie, la gelée le décomposent en peu COTEAUX 103 de temps, en une terre légère, spongieuse, d'un gris jaunâtre et brillant lorsqu'elle est dépouillée de l'humus végétal.

Les agriculteurs définissent ce sol de la même façon :

M. Vier, agriculteur en retraite, Chassignoles, Blesle : La varenne, c'est la terre assez pauvre, sablonneuse, qui souvent provient des débris, mais qu'on trouve surtout sur les coteaux où il n'y a pas eu de volcanisme pour la recouvrir.

Barrés (ibid.) insiste sur la pauvreté de ce type de sol et décrit un véritable cycle naturel de formation, d'usure et de renouvellement de cette terre :

Cette terre granitique, peu substartcielle, perd bientôt, sur les côtes, surtout, sa vertu productrice, et alors épuisée, sans sucs, devenue encore plus légères, elle est entraînée par les moindres ravines, dans les fonds qu'elle alimente, en diminuant la densité, ou, emportée par les ruisseaux elle fournit le sable nécessaire aux constructions, et alors le soleil, la pluie et les gelées travaillent à nouveau frais sur les couches superficielles des rochers, et les transforment en une terre qui après des travaux et ¿les peines infinies, donne quelques récoltes médiocres.

MISE EN OEUVRE

Barrés parle donc de "travaux et peines infinis" qui permettent d'obtenir de mettre cette terre en production ; essayons de comprendre en quoi consistent ces travaux. A propos de la mise en place des terrasses de cultures, nous avons évoqué les opérations d'effondrement puis de fouillage. Celles-ci ont pour but d'ébranler le sous-sol, jusqu'à des profondeurs importantes (de l'ordre de 80 centimètres). Une étude de sol de terrasses de culture menée sur le site d'Artias (commune de Retournac, Haute-Loire) par Josselin Bougerol (Bougerol & ail. 1994) a montré que sous une couche d'une dizaine de centimètres d'épaisseur très riche en pierrailles de faibles dimensions, laissant présager un sol de piètre qualité, on trouvait en fait une épaisseur importante de terre labourable de très bonne qualité, normalement riche en principes fertiles, sur environ 80 centimètres. Ensuite se trouvait des gros blocs pierreux détaché du substrat rocheux. Cette observation coïncide avec le résullat d'enquêtes orales effectuées autour du même site ; plusieurs informateurs ont expliqué qu'avant la plantation d'une vigne, le sol était "miné", c'est à dire remué et débarrassé des pierres importantes sur deux à trois hauteurs d'une lame de bêche. Le même procédé était utilisé à Blesle et désigné par le verbe "fouiller". COTEAUX 104 Cette préparation du sol nécessitait un travail imposant, mais toutes les cultures n'entraînaient pas les mêmes contraintes : ainsi les parcelles destinées aux céréales n'étaient pas préparées de la même façon que les futures vignes ; un agriculteur bleslois explique que la conversion d'une terre à céréales en vigne dans le secteur des orgues basaltiques (à La Caire) au début de ce siècle obligea à fouiller le terrain très profondémment et à en extirper les pierres qui furent ensuite stockées sous forme de pierriers.

ENTRETIEN

Conserver la quanlilé de terre

les protections passives La première protection est bien sûr le soutènement des terres. La murette retient la poussée, derrière le parement un drain de pierraille laisse passer l'eau tout en retenant le sol. Ensuite les systèmes de drainage ont pour objectif de prévenir le ravinement par les eaux de ruissellement.

l'entretien courant Lors des travaux de préparation ou d'entretien des cultures implantées sur les terrasses, l'agriculteur s'arrange pour remonter la terre que ce soit pour préparer son sol à recevoir un semis ou bien lors du piochage des vignes :

M Valette, agriculteur en retraite, Blesle : On faisait tout à la pioche, il fallait monter le. fumier avec des hôtes, et on piochait en remontant la terre ; avant il fallait fouiller au départ et après tout le temps, remonter la terre.

Un autre agriculteur précise :

Quand vous étiez vers le mur, au-dessus du mur [de soutènement], vous vous tourniez vers le haut et vous piochiez sur un mètre ou deux vers le haut. Mais vous pouviez pas être tout le temps les fesses en l'air, alors, il fallait bien suivre la pent? du terrain

Malgré cette précaution apportée au piochage des vignes, il fallait tout de même intervenir chaque année plus radicalement : COTEAUX 105 Mais l'hiver, à à peu près cinquante centimètres ou soixante du liaut du mur, avec un machin à main, on appelait ça... ça avait deuxc brancards, il fallait enlever la terre qui était trop sur le mur et la porter en haut pour compenser celle que vous descendiez en piocltant.

faire face_aux_calamités Les calamités ont été nombreuses au cours des derniers siècles ; un orage violent peut entraîner l'effondrement des murs, si les systèmes d'évacuation des eaux de pluie ne sont pas entretenus, le ravinement peut prendre rapidement des proportions importantes et occasionner des déplacement de terre importants :

RIBL, Pothier J. 1970. "Riesle, un siecledevielaborieu.se, 1620-1720, les vignerons", Almannrh de Brioude : Voilà ce que la ténacité et l'habitude firent pratiquer tous les jours de leur \ie à la plupart de nos ancêtres, travail que l'A bbé de Pradt s'est plu à glorifier : "Songez au vigneron de Blesle qui peine à la houe sur ces collines pierreuses et qui, après l'orage doit remonter sur le dos, hotte par hotte, la terre entraînée par la pluie, soutenir avec des terrasses de pierres sèches ses terres pendantes en précipices. Nul peuple au inonde ne surpasse celui-là en constance à braver la fatigue du travail et les intempéries des saisons". En effet il fallait résister au découragement quand ¡a gelée tardive ou la grêle détruisaient en un instant l'effort patient de longs mois et qu'il ne restait plus qu'à recommencer un nouveau cycle de même Inheur.

Nous trouvons mentionné dans le registre de Jean-Bastiste Dulac (1715-1804) curé de Saint-Pierre de Blesle de 1743 à 1791, des indications précises concernant justement les déboires de s Bleslois, dus au mauvais temps:

"Le 10 juin 1755, un orage affreux ravagea tout le lerriroire de Blesle, la pente rivière de Voirèze mutila ¿i un point de débordement inouï, l'eau couvrait tout le bourg neuf, passait le deuxième étage de la maison blanche du menuisier et montait à un pied au-dessus de la fenêtre grillée du cuvage de l'Hôtel Dieu, en plus, près du pont qui regarde la rivière, toutes les maisons, de la Banale furent inondées, les "MURS DE VIGNES EMPORTES", enfin l'eau était à trois pieds au-dessus de la rue à l'entrée du Bourg Neuf entre la maison des soeurs et celle de François Gaydier couvreur".

"En mars 1783, le même accident eut lieu et dégrada tout ce qui avait été racommodé ".

Jean-Baptiste Belmont, dans son poème topographique sur Sainl-llpize (Haute-Loire), relate ces problèmes liés aux précipitations avec plus de lyrisme :

Parfois, mais rarement, une grêle, un orage Portent *nir nos coteaux., et désastre et ravage; Vigiies, terres et prés, par les eaux entraînés, Laissent à découvert les vieux rocs décharnés; Mais de nos \ignerons l'invincible courage A bientôt réparé ce funeste dommage, (...)

Certaines terrasses furent endommagées à des périodes plus récentes : COTEAUX 106

M. Rebeyrt, artisan en retraite, Blesle : J'ai abandonné [la vigne], y a eu un orage viloent, on venait de la piocher cette vigne, il a fait un orage, ça avait pour ainsi dire tout rasé, les racines étaient presqu 'à nu et forcément moi, j'ai laissé tomber, ça valait pas le coup.

Un agriculteur ajoute :

Parce qu'un jour d'orage quand le terrain est travaillé, maintenant y a du gazon, ça risque rien, ça ne ravine pas, mais quand la terre était travaillée et qu'il y avait un orage, et bien vous savez, ¡a terre arable, elle était déjà rare, mais ça la descendait, et pour la remplacer c'était dur !

Conserver la qualité de la terre

Pour entretenir la fertilité du terrain, les apports de fumure étaient nécessaires ; les apports d'engrais quelqu'ils soient (feuillages des haricots, fientes dc^ pigeons, cendres, etc.) donnaient l'occasion d'un piochage pour leur enfouissement et donc d'une remontée des terres.

La présence de pierraille en surface des terrasses à vigne est ui\o constante dans de nombreux terroirs viticoles ; la couverture de la terre par une légère couche caillouteuse permettrait de limiter l'évaporation et ainsi de conserver une fraîcheur au sol, de plus comme les "chaufferettes à vignes" constituées de tas de pierres stockant la chaleur le jour et la restituant la nuit, il semble que cette pierraille puisse jouer le même rôle.

La régénération de la terre des banquettes de culture elle-même apparaît comme le résultat de la dégradation directe du rocher sous l'action des météores (cf. texte de Barrés ci- dessus). A ce sujet, on peut citer l'anecdote rapportée par Jean Pestre dans son ouvrage le vignoble du Puy-en-Velay (1981 : 281-283) :

On a caricaturé le vtgnard dans le texte suivant, en 1902, sous les seules initiales : A.E. (...) "Avant de quitter ce brave ponot, je risquais encore cette réflexion : les ceps SP trouveraient peut-être bien mieux, Monsieur Bontemps. dans un terrain moins pierreux. - Ah ! malheureux, me dit-il, en me serrant la main à me rompre les phalanges, ne dites jamais cela, car les pierres sont les os de la terre".

• insérev cliché 93-43-I040-X mis ou curré pour conserver seulement lu partie de gauche Cliché 93-43-1040-X : Les côtes de la Bona! (Jîlcslc) avant 1914. Terrasses cultivées entre des rochers dénudés. " car les pierres sont les os de la terre" COTEAUX 107 Un système d'entretien original : "la décharge des murs"

Si la pratique de remontée des terres apparaît fort contraignante, il semble bien qu'elle n'ait été pas si fréquente que le laissent à penser les discours actuels : s'il est certain que la terre descendait vers l'aval du fait de son propre poids, elle ne devait pas pour autant être remontée après chaque orage. La terre s'accumulait donc derrière le fait du mur, et sans intervention de l'homme, elle serait passée vers la terrasse inférieure, emportant parfois avec elle le couronnement de la murette de soutènement. Pour pallier à ce problème deux solutions : soit la terre était remontée d'où elle venait, soit elle était basculée vers la terrasse inférieure selon une technique dénommée "décharger les murs".

M. Lhiandier, Chadecol (Blesle) : Nous on... on déchargeait les murs, c'est-à-dire, sur le mur là, on enlèvent une largeur de terre, comme ça qu'on foutait en dessous, tous les ans. Mais dans le vieux temps, la let te <¡u'uti enlevait là, eux ils la remontaient. (...) ils remontaient celte terre avec ties... j'sais pas, ils devaient avoir des hottes comme il faut.

Si on laisse entendre que cette pratique ne s'est pas toujours faite, c'est qu'au bout d'un certain temps...

Uuais ouais, on la mettait dessous, tous les ans, alors donc dans le pailla du haul... d arrivait a plus y avoir de terre petit à petit.

La décharge des murs apparaît donc comme un système de "décadence" puisqu'il amène à la disparition de la raison qui, au départ, a amené à la construction des terrasses : conserver la terre. Cette idée est d'ailleurs clairement exprimée par un autre agriculteur :

Avant il fallait fouiller au départ et après tout le temps, remonter la terre. Et à la fin tout le monde la descendait.

Mais les choses ne sont pas si claires, et cette pratique, destructrice pour certains, • apparaît pour d'autres comme un fait normal d'entretien du sol dans sa quantité mais aussi dans sa qualité :

M. Aubijoux. maraîcher en retraite, Moulin de Duschet (Blesle) :

Nous par la vignes on f sait ça, sur une largeur comme ça là on la f sait descendre au dessous tout V'IJII V avait si vuusfsiez ça, celui d'en lutin fallait en prendre un peu dans la côte duns le bois, voilà et alors chaque fois, on appelait ça décharger les murs. Vous preniez un peu au dessus de la vigne, vous COTEAUX 108 racliez un peu de terre ? — Oui parce que le dernier il s'épuisait, en piochant toujours on ¡'tournait en bas alors l'hiver le dernier ben on en piochait un peu et on garnissait ¡'dernier paillas, après les autres on les déchargeait tous... à mesure, à mesure.

Le dernier pailla "rechargé", il n'y a plus qu'à "décharger" les murs. Mais notre informateur continue et explique que l'apport vers la terrasse du haut n'est pas seulement quantitatif:

[question] Et alors vous piochiez, c'était quoi, c'était quoi de ¡'/minus, des feuilles? Oh oui si y a {les feuillesy a toujours un peu de terre! y a toujours un peu d'terre. Alors on en prenait là, on avast des pioches et on garnissait, si c'était pas trap pénible on maniait la brouette et on garnissait le dessous de machin, c'était fait pour quelques années ça mettait une bonne couche, on la tirait pas trop quoi, et puis tout le reste on déchargeait quand c'était la vigne. — Ca faisait un engrais en plus non ? — Et bé oui si vous preniez là haut dans les feuilles, le grand engrais c'est les feuilles pourries, les bois.

Les zones choisies pour subir ce décapage étaient en fait constituées par les panics non aménagées en terrasses, maigre taillis de pins rabougris ou plus souvent de chênes pubescents ; l'étude du cadastre ancien a révélé que de nombreuses vignes, dans le secteur des orgues basaltiques de Blesle notamment, étaient dominées d'un petit "bois de chênes", on est alors en droit de se demander si ces bois servaient uniquement au pacage des bêtes et à la fourniture de bois de chauffage, ou s'ils ne conservaient pas également de réserves d'humus pour alimenter en terre les terrasses en aval1. Ce peu de valeur des terrains ainsi décapés est précisé par notre informateur :

[Question : ] Alors comment ça faisait, c'était sur la crête au sommet... Oui oui oui, oui oit c'est pas cultivable où y avait bien, où y avait pas beaucoup d'terre, pas d'terre, où le rocher était trop près. — Alors vous racliez ? — Ah oui on prenait fou! ça, oui, oui. — Et c'était descendu donc ,«//• celui du haut? — El voilà, voilà, pouw que celui du haut était garni, et tous les autres on les descendait à mesure, voilà.

Il semble bien qu'au travers de cette pratique, on retrouve une représentation du coteau et du rocher qui le constitue, comme d'un immense réservoir de fabrication de terre arable, cet "os de la terre" ; Barrés (an VIII) note même en marge de son texte que cette capacité du rocher à se transformer en terre sous l'effet du gel et du soleil est considéré comme une grâce

1 Philippe Blanchermr.chc (1900 : 74) a retrouvé un texte de 1824, faisant état de pratiques sim¡!aiie^ dans l'Yonne : les coteaux environnants montrent partout des terrains abandonnés, soit à la partie supérieure des pentes jusqu'au quart ou au tiers de leur hauteur, soit sur les plateaux les plus élevés. Cette dernière circonstance tient ¿i l'usage où l'on est de miner ¡es champs dans les parties hautes pour terrer les vignes. Je ferais observer ici que iiiiner est le mot propre car on enlève toute la terre jusqu'à la roche, que l'on nettois et que l'on gratte même afin qu'il n'y reste, plus rien. COTEAUX 109 divine. Nous avons déjà évoqié la Cosmographia de Bernard Sylvestre, au XIIo siècle (Duby, 1979 : 110) : par ce coteau que l'on décape, à qui l'on prélève la terre qu'il fabrique, pour y faire pousser des céréales ou de la vigne, on retrouve l'idée de la "confusion primordiale", de "l'infatigable matrice". COTEAUX 110

LES COTEAUX / LES TERRASSES : LES CULTURES

Jean-Baptiste Belmont, 1822. Poème topographique sur Saint-Ilpise ; seconde commune en population, de l'arrondissement de Drioude, département de la Haute-Loire. Saint-Flour, Charles Barreyre : Je chante les vallons et les coteaux stériles Que l'homme infatigable a seul rendus fertiles: Les arides rochers qu 'il a partout couverts, Là de jaunes moissons, ici de pampres verts, El qui de tous côtés, nous offrent les ombrages De mille arbres divers, cultivés ou sauvages, Produisant tous les ans et des fruits et des fleurs, De toutes les saisons et de toutes couleurs.

De ces deux cultures principales des coteaux blcslois aménagés en terrasses, il ne demeure aujourd'hui que des survivances ; mais il reste assez de traces dans l'espace rural pour susciter la curiosité qui permet, à travers la mémoire, les textes et les images, de retrouver l'importance de productions qui ont amené les hommes a façonner leur terroir.