Le sanctuaire de Corent (Puy-de-Dôme) : festins, sacrifices et libations Matthieu Poux

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Matthieu Poux. Le sanctuaire de Corent (Puy-de-Dôme) : festins, sacrifices et libations. Bulletin de l’Association française pour l’étude de l’âge du fer, AFEAF, 2002, 20, pp.31-34. ￿hal-02524485￿

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Distributed under a Creative Commons Attribution - NonCommercial - NoDerivatives| 4.0 International License Bulletin de l'Association Française pour l'Étude de l'Âge du Fer, 20, 2002 LE SANCTUAIRE DE CORENT (PUY-DE- mise en œuvre d'une nouvelle fouille pro- DOME) : FESTINS, SACRIFICES ET grammée, menée entre août et septembre LIBATIONS 2001 en collaboration avec Yann Deberge (ARAPA). Elle a permis, entre autres résul­ tats, de valider définitivement l'existence du Matthieu POUX sanctuaire indigène, d'en préciser la chrono­ logie, les aménagements, la nature et la chaî• ne opératoire des rituels pratiqués dans son Le Puy de Corent (Commune de enceinte. Veyre-Monton, Puy-de-Dôme) est tradition­ Enclos cultuel nellement identifié à la capitale de la Cité Son principal apport réside dans la décou­ arverne au Ier s. av. J.-C. Une première cam­ verte d'un enclos fossoyé matérialisant le pagne de sondages menée entre 1991 et 1993 centre géographique et fonctionnel des amé­ par John Collis et Vincent Guichard y avait nagements cultuels d'époque gauloise. Sa mis au jour un sanctuaire indigène édifié au découverte remplace celle d'un premier centre géographique du plateau. Ce dernier enclos restitué en 1993 au centre de la parcel­ se signalait, à l'époque romaine, par un péri­ le à partir de tronçons de fossés discontinus. bole monumental de forme quadrangulaire, D'orientation similaire, il en diverge par sa dont le tracé reconnu sur plus de 70 m morphologie, sa taille et sa position. Son plan recouvre partiellement les limites de la par­ dessine un rectangle régulier d'une dizaine celle agricole actuelle. Sa stratigraphie témoi­ de mètres de long pour huit mètre de large. Il gnait d'une fréquentation continue, de la fin est délimité, au sud, à l'est et au nord, par des du IIe siècle av. J.-C. à la fin du IIIe s. apr. J.­ fossés peu profonds à profil en cuvette, C., recouvrant une première séquence d'oc­ larges à leur sommet d'l m à 1,50 m en cupation datée de la fin du Néolithique moyenne. Leur creusement mené jusqu'au moyen à l' Âge du Bronze final. Les fouilles socle naturel présente un pendage volontaire avaient révélé l'existence d'un premier destiné à canaliser l'écoulement de l'eau ou noyau cultuel d'époque gauloise, matérialisé d'autres liquides dans un sens défini. Des ali­ par des fossés d'enclos et des épandages de gnements de gros blocs de basalte densément mobilier céramique, osseux et métallique, entassés contre leur face externe, associés à dont plusieurs éléments de boucliers soumis des dizaines de clous de charpente en fer, ser­ à des mutilations volontaires (Guichard et vaient de calage à des superstructures en bois Collis 1992, Guichard et Dunkley 1993). effondrées et décomposées en place. Il est Sa principale caractéristique résidait dans la difficile d'établir s'ils délimitaient un simple masse considérable d'amphores vinaires système de clôture palissadé ou un bâtiment recueillies dans son enceinte : soit plusieurs couvert, d'une portée de plus de huit mètres. centaines d'unités comptabilisées à ce jour, La position interne des fossés évoque, dans consommées non pas dans un cadre domes­ un cas comme dans l'autre, un aménagement tique, mais lors de grands festins mis en évi­ de type cultuel plutôt que de défense ou de dence par l'étude de la faune. Les centaines drainage. Leur tracé septentrional s'inter­ d'os issus des fossés d'enclos recoupés au rompt au centre, pour faire place à deux centre de la parcelle se distinguaient par une grands trous de poteaux supportant à l'origi­ forte prédominance des ovicaprinés et une ne un système de porche d'entrée monumen­ sélection des éléments de crânes, de mandi­ tal. bules et de pieds, témoignant du rejet simul­ L'espace intérieur de l'enclos, vide de tout tané de dizaines de têtes de bétail, abattues et vestige ou cloison interne, exclut une occu­ consommées dans un cadre collectif (Méniel pation prolongée de nature domestique. 2001). L'étude taphonomique des amphores, Réservé à des activités ponctuelles et bien soumises au même titre que les armes à un spécifiques, son état de conservation contras­ bris intentionnel à coups de lame, exposées te très fortement avec celui des sols périphé­ sous forme de pavés ou d'épandages, abou­ riques à l'enclos, criblés de fosses, de trous de tissait aux mêmes conclusions (Poux, à poteaux et de perturbations d'époque gauloi­ paraître). se, romaine ou moderne, qui n'ont pas épar­ Ces nouvelles interprétations ont motivé la gné un pouce de terrain. Sauf, précisément, 31 Bulletin de l'Association Française pour l'Étude de l'Âge du Fer, 20, 2002 dans l'espace délimité par l'enclos, laissé consommés lors de repas collectifs, triés, puis volontairement intact. Ce choix a eu pour regroupés dans certaines portions du fossé : conséquence de fossiliser le substrat préhis­ crânes d' ovicaprinés et m.étapodes de bœufs torique sous-jacent, entièrement détruit hors au sud, dizaines de mandibules de moutons de ses limites (voir ci-dessous). Seule excep­ au nord, associées à des centaines de tessons tion à ce principe, une grande fosse circulaire d'amphores Dressel lA et lB. Plusieurs a été aménagée devant l'entrée, recelait à sa panses complètes étaient soigneusement ali­ base un petit dépôt volontaire, constitué d'un gnées au fond du fossé. Certaines amphores fragment de côte animale isolé associé à une ont subi un décolletage par lame et/ ou un fibule en bronze intacte, qui établit le lien bris volontaire à l'aide de grosses pierres, chronologique et fonctionnel unissant la laissant à penser que leur contenu a été fosse au bâtiment. Sa forme et sa position iso­ déversé en guise de libation. Les vaisselles lée au cœur du bâtiment l'apparentent aux utilisées à cette occasion se distinguent égale­ cavités rituelles ou " autels creux " ménagés ment par leur qualité : formes complètes, dans la cella des sanctuaires belges, destinés déposées sur le pendage du fossé (jattes, imi­ à accueillir le sang et la chair des sacrifices et tations de cam.paniennes et formes hautes), les libations. Son pendant réside peut-être anses et garnitures en fer de chaudron, seau dans le grand monolithe de basalte disposé et situle, coupe en verre taillé originaire face à l'entrée, en bordure du fossé sud. Il est d'Orient, Cam.panienne B, dont une coupe au tentant, par analogie, de l'identifier à la pier­ fond percé réaménagée en récipient libatoire. re d'autel sur laquelle était mises à mort les L'enclos découvert cette année marque, selon victimes. toute vraisemblance, le centre géographique Ces pratiques se signalent, à l'intérieur de et fonctionnel du sanctuaire laténien. Son l'enclos, par des traces infimes : monnaies, plan et ses aménagements présentent de très quelques esquilles de faune ou d'amphores, fortes similitudes avec un petit édifice fouillé associés à d'infimes éléments de fourreaux en 2000 sur un autre site cultuel de la région, d'épée. Le comblement des fossés périphé­ celui de Clermont-Ferrand " Le Brézet " riques a livré, en revanche, un abondant (Poux et Vernet 2001) : une m.êm.e forme de mobilier directement issu de l'activité cul­ bâti rectangulaire interrompu sur sa façade tuelle. Les offrandes métalliques et l'arme­ longitudinale par un porche sur deux ment y sont relativement rares : deux fers et poteaux, " autel creux " et pierre d'autel en talons de lance de petit module, plaque de basalte, définissent un nouveau type de sanc­ fourreau d'épée (?), une vingtaine de fibules tuaire spécialisé dans la pratique du festin en bronze ou en fer, et plusieurs dizaines cultuel, précédé de sacrifices et de libations. d'anneaux en bronze ou en os, de module Les festins proprement-dits ne pouvaient se variable. Le dépôt, dans les fossés d'enclos, dérouler à l'intérieur de l'enclos, trop exigu d'une m.êm.e série de fibules pratiquement pour cet usage. Face à l'entrée ont été repérés identiques et de très petit module (quinzaine deux petits bâtiments rectangulaires longs d'exemplaires type Nauheim ou dérivé) et de d'environ 4 m. sur 2 m. de large pavés de tes­ déchets de tabletterie issus de la production sons d'amphores posés à plat et bornés par d'anneaux, suggère qu'ils ont été fabriqués des alignements de blocs et/ ou de tessons sur place dans un but cultuel. D'autres caté­ d'amphores empilés et disposés de chant, gories d'objets (pendant de mors, outils en formant la base de cloisons en construction fer, vestiges de tabletterie), enfin, occupent légère. Ces deux pièces ont abrité des activi­ une place plus marginale. Le sol de l'enclos tés culinaires signalées, dans les deux cas, et ses abords ont également livré plus d'une par un foyer et de nombreux restes alimen­ centaine de monnaies gauloises en argent et taires en position primaire. en bronze, et un nombre équivalent de jetons La chronologie des mobiliers recouvre une de différents modules, retaillés dans des tes­ séquence plus large que celle proposée jus­ sons céramiques (substituts d'offrandes qu'à présent - brève période de fréquentation monétaires ?). limitée à une génération seulement (premier Festins et libations quart du Ier siècle av. J.-C.) et solution de Les dépôts se corn.posent, dans leur grande continuité avec la sanctuaire d'époque majorité, d'amphores et de restes animaux rom.aine. L'analyse stratigraphique des fossés 32 Bulletin de l'Association Française pour l'Étude de l'Âge du Fer, 20, 2002 et la définition de plusieurs ensembles clos Clermont-Ferrand , 1993, p. 43-73. de datation légèrement décalée montrent que Poux 2001 : M. Poux, Corent - Festins et pra­ plusieurs repas se sont succédés à proximité tiques religieuses. Fouille programmée sur le de l'enclos. Le comblement des fossés corn.­ Puy-de-Corent (Veyre-Monton, Puy-de­ porte au moins trois phases de rem.plissage. Dôm.e). Rapport de la campagne 2001, S.R.A. Le mobilier recueilli à leur base (jatte , Clermont-Ferrand, 2001 (76 p., 55 d' , fibule de Nauheim), allié à d'autres fig.). indices périphériques (fibule de schéma LT Poux et Vernet 2001 : M. Poux, G. Vernet, C2, bracelet en verre côtelé bleu à filaments Sanctuaire protohistorique (Clerm.ont­ jaunes), situent leur creusement au plus tard Ferrand " Le Brézet "). L' Archéologue / dans le dernier tiers du IIe s. av. J.-C. Après Archéologie nouvelle, n°54, juin-juillet 2001, une activité maximale à La Tène Dlb et D2a, 42-45. l'enclos est démantelé et ses fossés remblayés peu avant le milieu du Ier s. av. J.-C. Son plan sera néanmoins repris au mètre près, à l'époque rom.aine, par un bâtiment maçonné de fonction probablement identique, fré­ quenté au moins jusqu'à la fin du IIIe s. apr. J.-C. Corn.me noté plus haut, le sol en terre battue placé sous la protection symbolique de l'en­ clos (tém.énos) a néanmoins été épargné à chaque réaménagement du sanctuaire, per­ mettant la fossilisation des niveaux préhisto­ riques sous-jacents : à savoir un épandage très dense, formé de milliers de tessons de jarres de stockage datables de la fin de l' Âge du Bronze ou du début de l' Âge du fer (VIIIe s. av. J.-C.). Certaines ont été fracassées sur place, fond vers le haut. Il est difficile, en l'état actuel des données, d'établir si ces ves­ tiges sont ceux d'un habitat, ou d'une tradi­ tion rituelle et festive antérieure, alimentée par d'autres boissons locales corn.me la bière ...

Bibliographie

Guichard et Collis 1992 : V. Guichard, J. Collis, Puy de Corent. Rapport de la cam­ pagne de fouille de 1992. Projets de recherches " Auvergne Archaeological Survey " (Université de Sheffield) et " Le peuplement des Limagnes à l' Âge du fer " (Association pour la Recherche sur l'âge du Fer en Auvergne), S.R.A. Auvergne, Clermont- Ferrand, 1992. Guichard et Dunkley 1993 : V. Guichard, J. Dunkley, Fouille programmée de l'oppidum. de Corent. Rapport d'activité 1993 du projet de recherches " Le peuplement des Limagnes à l' Âge du fer " (Association pour la Recherche sur l'âge du Fer en Auvergne), Veyre-Monton 1993, S.R.A. Auvergne, 34