PRÉFACE

Dans les vieilles familles, comme dans les vieilles demeures, il y a des énigmes : comment dans la nôtre, des archives remontant à quatre siècles ont-elles traversé le temps ? Comment ont-elles pu être préservées malgré le destin, souvent tragique, des générations qui se sont succédées ou celui d’une maison occupée, pillée, abandonnée ?

La famille de Pange a la chance d’avoir conservé jusqu’à ce jour ses deux poumons, sa terre et ses archives. La terre avec son château, son jardin et ses bois, sur laquelle nous sommes revenus vivre, avec mon épouse, il y a trente ans et où sont nés nos cinq enfants.

Les archives familiales, fils conducteurs de l’esprit, du souffle, des sentiments, des choix, des bonheurs et des chagrins d’hommes et de femmes se succédant dans la même filiation sur dix générations.

Pourtant, enfant, je fus témoin de la fragilité de leur survie. Le château pillé, lors de la guerre de 39-45, avait été transformé en « maison d’enfants » aux objectifs utiles, mais au fonctionnement très aléatoire car très lourd financièrement ; quant aux archives, à partir de 1965, lorsque mon père devint marquis de Pange, elles suivaient, dans des caisses en bois les nombreux déménagements de mes parents. Ces caisses et moi, enfant unique, avions cela en commun, suivre sans fin leurs pérégrinations.

Est-ce là, dans l’inconscient de cet enfant, qu’est né le désir de faire respirer à nouveau ensemble ces deux poumons ?

Par notre retour, en 1976, les bois puis le château retrouvent petit à petit du souffle et enfin, en 1984, les archives de famille regagnent leur berceau. Je décide ensuite, pour les sauver définitivement, de les confier au tout nouveau bâtiment des Archives départementales de à Saint-Julien-lès-.

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Mais avant il faut « ouvrir les caisses » pour classer et inventorier. La providence nous envoie l’ « homme-clé » : Hervé Birklé, jeune professeur d’histoire de notre fils aîné, se propose de faire un travail méthodologique de classement des archives, dans le cadre de sa thèse. Commence alors une aventure d’un an, dans la solitude d’une pièce glacée, où il faut à notre héros, entouré d’une montagne de caisses, beaucoup de courage, de compétence et de persévérance.

Le 5 août 1992 les archives de Pange sont enfin déposées à Saint-Julien où elles vont, à l’abri de tout risque, commencer une nouvelle vie.

Désormais les deux poumons de Pange fonctionnent à l’unisson : le château se nourrissant des archives pour retrouver son histoire, les archives s’enrichissant de son actualité, des évènements familiaux et des passions de ses dépositaires.

Aujourd’hui ces poumons font battre le cœur d’un domaine ouvert aux visiteurs qui viennent y respirer le souffle du passé mais aussi celui de l’avenir avec la création, grâce au soutien du Conseil Général de Moselle, d’un nouveau jardin.

Toute ma reconnaissance va aujourd’hui à Madame Line Skórka, conservatrice de ce temple de notre mémoire, qui depuis douze ans nous accueille et nous éclaire par son sourire. La publication de ce chartrier accompagne une exposition présentée au Service départemental d’Archives de la Moselle puis au château de Pange. Cet événement démontre que le passé nourrit le présent, que l’histoire s’imprègne de l’actualité et que des documents d’archives, animés par la passion d’une famille et d’une équipe soudée peuvent apporter un supplément d’âme à un lieu, à un département parce qu’ils respirent la vie..

Roland THOMAS, marquis de PANGE

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INTRODUCTION

La décision de déposer les archives qui venaient d’être ramenées au château de Pange, aux Archives départementales de la Moselle a été prise par la famille, après le travail de classement effectué par M. Hervé Birklé dans le cadre d’une recherche universitaire. Ce travail avait abouti au premier inventaire détaillé de cet ensemble d’archives, rassemblées au fil des générations.

Le chartrier de Pange est le premier dépôt notable d’archives privées reçues (le 5 août 1992) par les Archives départementales de la Moselle, installées dans leurs nouveaux locaux fonctionnels et sécurisés à Saint-Julien-lès-Metz (ouverture au public en avril 1992).

Il a donc fallu attendre encore une bonne dizaine d’années avant que la publication de l’inventaire ne voie le jour, car le travail de l’archiviste demande du temps, mais aussi beaucoup de méthode et d’organisation, de façon à veiller au mieux à la préservation des documents avant même de permettre leur communication au public.

Grâce aux relations privilégiées entre la famille de Pange et les Archives, ce fonds s’est d’ailleurs enrichi par des trouvailles (par exemple, la gravure figurant en couverture, achetée par le marquis de Pange) et par des dépôts complémentaires de documents contemporains, marquant ainsi qu’il ne s’agit pas d’un fonds clos.

Historique et structure du fonds

La famille Thomas, dont les membres étaient de fidèles serviteurs du duc de Lorraine, puis du roi de , s’était d’abord établie à Clermont-en-Argonne. Pierre Thomas, lieutenant en la prévôté de Clermont et au bailliage de cette ville, est anobli par Charles IV de Lorraine en 1626 en considération des services rendus par sa famille aux ducs de Lorraine. Ce n’est qu’en 1720, à la demande de Léopold, duc de Lorraine, juste avant sa mort, que Jean-Baptiste-Louis-Benoît Thomas acquiert la seigneurie de Pange et le fief de Lucy. Il constitue un grand domaine en y ajoutant d’autres seigneuries : Domangeville, Mont, Colligny et Villers-. La terre de Pange est érigée en

3 marquisat par Stanislas, roi de Pologne et duc de Lorraine, par lettres patentes du 6 janvier 1766.

Les petits enfants du premier marquis (respectivement troisième, quatrième et cinquième marquis) s’illustrent pendant la période révolutionnaire et le début du XIXe siècle. L’aîné, Marie-Louis, participe à la guerre d’Indépendance de l’Amérique (Yorktown) ce qui vaut à la famille l’honneur de figurer à la Société des Cincinnati ; il sert ensuite dans l’armée de Vendée et meurt en 1796. Le deuxième, Marie-François, entretient des relations étroites avec les frères Chénier ; il meurt, lui aussi, jeune et sans postérité. Le troisième, Jacques, survit à la période révolutionnaire, obtient sa radiation de la liste des émigrés et reconstitue le domaine de Pange (saisi en 1793) : le château et ses dépendances, les fermes de Domangeville et Pont-à-Domangeville, Colligny…

En 1822, une partie du domaine de Pange est érigée en majorat, attaché à la pairie avec titre de baron. Il est transmis intact à son fils en 1853. De 1720 à 1940, le château de Pange a été occupé par la même famille, mais le 18 août 1940, celle-ci est expulsée par les Allemands, comme d’autres familles mosellanes. Après les dégâts de la guerre, le huitième marquis décide de concéder à bail le château à une association : de nombreux enfants de Moselle profitent donc du château et de ses extérieurs. Il faut attendre la fin des années 1970 pour que l’actuel marquis et sa femme reviennent vivre sur les terres de leurs ancêtres.

L’histoire des archives a connu elle aussi des bouleversements dus aux circonstances : évacuation des archives en 1914 (cachées dans une grange), transfert à Paris en 1940, pérégrinations à l’époque contemporaine (dans des caisses en bois) et retour définitif en 1984 à Pange.

La structure de l’ensemble du fonds est traditionnelle :

le fonds Thomas de Pange :

la famille : en particulier les preuves de noblesse pour l’admission des frères Marie-Louis et Marie-François Thomas de Pange dans l’Ordre de Malte, mais aussi tous les actes à caractère privé concernant les membres de la famille Thomas (branche aînée, branche de Domangeville) et les familles alliées ;

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les seigneuries et les biens : en particulier les plans du château de Pange avec les transformations réalisées par J. Louis en 1756, la reconstitution du domaine et les estimations de celui-ci au fil du temps, mais aussi une documentation sur les propriétés franciliennes et bourguignonnes ;

le fonds Mégret d’Étigny de Sérilly acquis à la mort d’Aline de Sérilly en 1864 par le marquis de Pange : la famille alliée à la famille Thomas au XVIIIe siècle a beaucoup compté pour celle-ci, notamment lors des troubles révolutionnaires ;

le fonds Grasset : le mariage de Charles-Adolphe-Jean Thomas avec Amélie Grasset a apporté une aisance financière à la famille de Pange (notamment les propriétés parisiennes) ;

le fonds Gautier-Poiré : Amélie Grasset était la fille d’Henriette-Eugénie Poiré ;

les fonds Mouton de Lobau et d’Arberg : Adolphine, dernière fille de Georges Mouton, comte de Lobau, et de Félicité d’Arberg, a épousé Maurice Thomas de Pange ;

ont été ensuite regroupés les papiers concernant Herbéviller, sans doute arrivés en possession de la famille d’Arberg par le mariage de la comtesse d’Arberg avec le général Klein, pair de France, qui avait acquis ces terres comme dot de sa première femme ;

les papiers Léger ont été remis après 1980 au marquis de Pange : Léon Léger et sa fille Édith ont été les régisseurs du château de Pange au XXe siècle ;

enfin, la documentation iconographique a été placée à la fin du chartrier.

Cet ensemble occupe plus de 13 mètres linéaires aux Archives départementales (métrage difficile à chiffrer, en raison du conditionnement particulier des documents mis à plat).

5 Intérêt du fonds

Ce fonds présente, par son homogénéité et sa préservation durant quatre siècles, un intérêt évident pour l’étude de la famille Thomas de Pange, famille de la noblesse de robe qui s’est installée à Pange en 1720 et qui continue d’animer ce lieu, en ouvrant largement au public son château et ses jardins. Les preuves de noblesse font partie des pièces les plus remarquables de ce chartrier (fin XVIIIe siècle). De très beaux arbres généalogiques, comme celui de la famille d’Arberg, complètent ces données familiales.

Les alliances des Pange avec des familles célèbres ont fait entrer dans ce fonds des documents tout à la fois très personnels et révélateurs sur la politique nationale française, comme la correspondance du comte de Lobau à sa femme lors de la campagne de Russie en 1812. Un autographe d’André Chénier rappelle les liens entre les frères de Pange et le poète. Les carnets de vol de Jean de Pange restituent l’épopée de Normandie-Niemen. Les papiers de deux diplomates en poste en Autriche et à Saint-Pétersbourg au XIXe siècle apportent notamment des informations secrètes sur le réarmement de l’Autriche et les travaux de fortifications en Serbie et en Roumanie.

Enfin, la documentation sur le château de Pange – construction, plans, gravures – a été très précieuse pour l’opération transfrontalière « Jardins d’Eden » qui visait à réaménager avec harmonie le parc du château, alliant le jardin médiéval, le jardin à la française et la garenne. Le lien entre la famille Thomas de Pange et la nature de son lieu de résidence retrouve ainsi toute sa plénitude.

Le contrat de dépôt mentionne des réserves pour la consultation des documents les plus précieux (lettres d’anoblissement, lettres d’érection en marquisat, preuves de noblesses, autographes, arbres généalogiques…). La solution est de ne donner à consulter que des reproductions de ces documents. En revanche, les documents historiques antérieurs à 1950 sont librement communicables.

La publication de cet inventaire vise donc à mettre à la disposition des historiens et des chercheurs des documents privés d’une famille qui a su, tout en restant fidèle à ses attaches lorraines, se mettre au service de l’État et participer à la construction de l’Europe.

Line SKÓRKA Conservateur général du Patrimoine

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