RÉSUMÉ

LA CAUSALITÉ DE LA PRÉCARITÉ ET LA DÉVALORISATION DE LA FEMME

ZOLIENNE DANS « AU BONHEUR DES DAMES »,

« L’ASSOMMOIR » ET « »

Theodore Sikubwabo, M.A. Littératures & Langues Étrangères Northern Illinois University, 2015 Dr. Matthew Smith, Directeur

Ce mémoire de recherche met l’accent sur la situation précaire et la dévalorisation de la femme zolienne typiquement sous l’angle réaliste d’une classe ouvrière longtemps ignorée ou mal représentée dans la littérature française du XIXe siècle. Est-elle victime de cette société patriarcale misogyne ou responsable de sa décadence et seule de la société dans laquelle elle vit? La méthode d’observation, d’enquête et de sa vie personnelle est à l’origine du succès de Zola qui peint un portrait exact de cette classe dans les trois œuvres : Au Bonheur des

Dames, L’Assommoir et Germinal afin de trouver une solution à sa décadence et influence le choix d’analyser le sort de la femme dans ces romans de la série Rougon-Macquart.

DESCRIPTEURS

Précarité et dévalorisation féminine, impulsivité, sensualité, indulgence, environnement, dégradation physique et psychique, femme objet, beauté, misogyne. ABSTRACT

LA CAUSALITÉ DE LA PRÉCARITÉ ET LA DÉVALORISATION DE LA FEMME

ZOLIENNE DANS « AU BONHEUR DES DAMES »,

« L’ASSOMMOIR » ET « GERMINAL »

Theodore Sikubwabo, M.A. Foreign Languages & Literatures Northern Illinois University, 2015 Dr. Matthew Smith, Directeur

This research paper focuses on the precarious and devalued status of women in Zola’s works whose realistic perspective is modeled on that of a working class long ignored or misrepresented in French literature of the nineteenth century. Are women victim of a misogynistic patriarchal society or responsible for their marginalization and solitude society in which they live? Zola’s method of observation and investigation as well as experiences from his personal life account for his success and paints an accurate picture of the working class in Au Bonheur des Dames,

L’Assommoir and Germinal to find a solution to its decadence and influences the choice to analyze the fate of women in these novels of the Rougon- Macquart series.

KEYWORDS

Women precariousness and devaluation, impulsivity, sensuality, indulgence, environment, physical and mental degradation, object woman, beauty, misogynistic NORTHERN ILLINOIS UNIVERSITY

DE KALB, ILLINOIS

MAY 2016

LA CAUSALITÉ DE LA PRÉCARITÉ ET LA DÉVALORISATION DE LA FEMME

ZOLIENNE DANS « AU BONHEUR DES DAMES »,

« L’ASSOMMOIR » ET « GERMINAL »

BY

THEODORE SIKUBWABO

2015 © Theodore Sikubwabo

A THESIS SUBMITTED TO THE GRADUATE SCHOOL

IN PARTIAL FULFILLMENT OF THE REQUIREMENTS

FOR THE DEGREE

MASTER OF ARTS

DEPARTMENT OF FOREIGN LANGUAGES AND LITERATURES

Thesis Director:

Dr. Matthew Smith

REMERCIEMENTS

Je remercie d’abord mon directeur de recherche, Dr. Matthew Smith, pour son aide à la réalisation de ce mémoire. Je témoigne également ma gratitude au directeur adjoint, Dr.

Christopher Nissen, qui m’a toujours fourni des informations nécessaires pour accomplir ce projet de recherche à temps sans oublier Dr. Shannon Becker pour ses conseils et son aide à l’élaboration de ce projet. Je remercie enfin Carolyn L. Law pour son assistance au format final du projet.

DEDICATION

À ma famille bien- aimée,

Delphine, Benilde et Antoinette TABLE DES MATIÈRES

LIST OF FIGURES vii

INTRODUCTION 1

1. Présentation du sujet 1

2. Description du spicilège 3

Chap. I. AU BONHEUR DES DAMES 11

1.1 Définition 11

1.2. La Précarité de la femme zolienne 11

1.2.1. Les Causalités de la précarité de la femme zolienne 12

1.2.1.1. Précocité de la responsabilité maternelle 12

1.2.1.2. Qualification 13

1.2.1.3. Environnement du travail 16

1.2.1.4. Hostilités intercomis 17

1.2.1.5. Fluctuation des affaires 18

1.2.1.6. Invincibilité du progrès : concurrence des Bazars 19

1.2.2. Conséquence de la précarité de la femme zolienne 20

1.2.2.1. Impulsivité contre conduite raisonnable 20

1.2.2.2. Hostilités des commis 23

1.2.2.3. La déchéance sociale 23

1.2.2.4. Dégradation physique et financière 25 v 1.3. La dévalorisation de la femme zolienne 28

1.3.1. Exploitation des sentiments féminins 28

1.3.2. Une femme, objet de satisfaction sexuelle ou bien de consommation 29

Chapitre Page

Chap. II. L’ASSOMMOIR 31

2.1. Bref aperçu 31

2.2. La causalité de la précarité de la femme zolienne 32

2.2.1. Indulgence et lâcheté 33

2.2.2. Dis-mois qui tu hantes ! 35

2.3. La dévalorisation de la femme zolienne 36

Chap. III. GERMINAL 40

3.1. Bref aperçu 40

3.2. La causalité de la précarité féminine 41

3.2.1. L’industrialisation 41

3.2.2. Fécondité abondante et pauvreté 44

3.2.3. Étroitesse spatiale et sexualité libre 54

3.3. La dévalorisation féminine 56

3.3.1. Amour étrange 57

3.3.2. Exemplarité parentale 58

3.3.3. Auto dévaluation 59

3.3.4. Femme, objet d’échange 60 vi

CONCLUSION 62

REFERENCES 63 TABLE DES ILLUSTRATIONS

Illustration

1. Les Rougeon-Macquart : L’illustration de Zola ...... 5

2. Illustration de Sophie Jacopin présentée par Martine Lochouarn ...... 47 1

INTRODUCTION 1. Présentation du sujet

« Liberté, égalité, fraternité » telle était la devise de la Révolution française au XVIIIe siècle et adoptée par la Deuxième République en 1848, comprise majoritairement de la classe opprimée, promettant une amélioration socio-économique et politique sur toute l’étendue de la France. Le choix lexical incitatif rassemble une masse populaire convaincue de l’action noble pourtant utopique des représentants ; car comme signalent les doutes de Souvarine, cette rhétorique n’est qu’une pure description de la réalité sociale au lendemain de cette même révolution :

«… n’était-il pas à craindre que le monde nouveau ne repoussât gâté lentement des mêmes injustices, les uns malades et les autres gaillards, les uns plus adroits, plus intelligents, s’engraissant de tout, et les autres imbéciles et paresseux, redevenant des esclaves ? »(Zola 428)

Il ne serait pas complétement vrai d’affirmer que la Révolution française n’a amené aucune amélioration aux conditions sociales du bas peuple que les classes supérieures (le clergé et l’aristocratie) lui ont longtemps refusé, mais le fruit de cette devise est dénoué de son sens

étymologique. Selon le dictionnaire français le Petit Larousse, la liberté consiste à un « état de quelqu’un qui n’est pas soumis à un maître ». Quant à l’égalité, c’est une « absence de toute discrimination entre les êtres humains sur le plan de leur droits (politique, civile, sociale) » alors que la fraternité participent au même consiste au « lien qui existe entre les personnes appartenant

à la même organisation, qui au même idéal ». Malheureusement, la dépendance individuelle et sociale change pour créer une autre dépendance d’une nouvelle classe sociale : la bourgeoisie. 2

Suite à la Révolution française et l’essor du capitalisme industriel en France au XIXe siècle, l’affaiblissement de l’influence politico-économique et sociale de l’aristocratie et du clergé s’avère l’origine de la prolétarisation et de la bourgeoisie libérale et réformatrice, classe sociale désormais dominante et promoteur du développement industriel. Cette classe dominante qu’est la bourgeoisie est maître incontesté des usines, des banques et occupe des postes importants au sein du gouvernement et leurs moyens financiers les élèvent au même niveau social que le clergé ou l’aristocratie. Ne dépendant généralement qu’à la noblesse à la veille de la Révolution française, propriétaire agraire et vivant du travail champêtre ou domestique, les paysans se retrouvent encore ouvriers de la bourgeoisie et dans des conditions dures pour un salaire maigre.

En plus du danger que ces ouvriers encourent au travail, ils sont cibles des maladies dues au manque d’hygiène soit au lieu de travail ou soit au logement insoluble.

De tous les membres de la société française de la veille ou du lendemain de la Révolution, les femmes n’ont remarqué qu’une évolution spatiale relative et non- négligeable suite aux demandes accrues de la main d’œuvre dû au développement industriel malgré l’unanimité masculine qui insiste que sa place est à la maison où elle s’occupe du mari et de l’éducation des enfants, spécialement des filles et gère les affaires du foyer . Nonobstant le travail traditionnel de la femme agricultrice qui est de «semer, sarcler, arroser le potager; nourrir les poules et ramasser les œufs; cueillir les petits fruits; traire les vaches, fabriquer le beurre et le fromage; battre le lin; filer le lin et la laine; tisser; piquer les courtepointes; préparer les marinades et les confitures; saler la viande; coudre, repriser, tricoter; cuire le pain; préparer les repas, laver la vaisselle; entretenir le feu; fabriquer le savon et les chandelles; nettoyer les lampes et faire la lessive »,

Catherine Omnès trouve que «l’activité féminine progresse alors sans bouleverser les rapports 3 entre les hommes et les femmes dans la société et dans la famille… »1. Cependant, la révolution industrielle a eu pour conséquence de déplacer les lieux du travail : manufactures, fabriques, usines, magasins, bureaux où les hommes et les femmes exercent ces métiers loin de leur domicile et y retourner, louer ou vivre dans des appartements que les employeurs leur prévoient, conséquemment interférer avec l’activité familiale et créer un manque de respectabilité de la ménagère traditionnelle. La décadence de l’industrie agraire traditionnelle et le développement industriel partagent la responsabilité de la prolétarisation en général et de la vie précaire de la femme en particulier d’où l’intérêt particulier à analyser sa situation dans les œuvres d’Emile

Zola. À part ces occupations agraires, la femme devient aussi blanchisseuse, couturière, cuisinière, lessiveuse, marchande de quatre saisons, ménagère, ouvrière, porteuse d’eau, repasseuse, tailleuse de verres, et elle envahit les mines et devient même fonctionnaire.

2. Description du spicilège

Le corpus littéraire met spécialement l’accent sur les romans d’Emile Zola comme écrivain incontestable et renommé du naturalisme français au XIXe siècle. Se basant personnellement sur des « observations scrupuleuses »(Larousse) pour créer une littérature d’ « une objectivité parfaite », les œuvres zoliennes constituent une illumination de la représentation de la réalité socio-économique et politique féminine au XIXe siècle en France. Nicklas Bender trouve que le naturalisme zolien dans les Rougon Macquart contribue à produire l’évolution physiologique et sociale de l’homme suite à ses dispositions innées ou héréditaires, son environnement et son période historique (Becker14). Zola décrit les groupes sociaux issus de la généalogie de la famille souche des Rougon, reliant à une condition physiologique, à une profession et à un

1 Catherine Omnès : Professeur en histoire à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines, France. 4 environnement pendant une période historique précise. Bien qu’il se soit inspiré d’eux, le style littéraire zolien marque la différenciation entre le réalisme de Balzac, de Flaubert et de Goncourt qui, selon Becker qui cite l’argument de Zola lui-même, « a peu de sympathie […] pour les histoires de convention, pour ces contes romanesques […] aime les récits âpres et vrais qui fouillent hardiment en pleine nature humaine »(14). L’admiration de Zola à la curiosité physiologique balzacienne le pousse à ajouter aussi l’étude des « questions de sang et de milieu » d’une famille qui se ramifie dans toutes les classes sociales du second Empire dans la série des Rougon-Macquart. Ainsi schématise-t-il la série pour exposer minutieusement la transmission des défectuosités héréditaires de « l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire ».

Tableau 1. Les Rougeon-Macquart : L’illustration de Zola

L’aspiration de Zola de créer un autre style littéraire coïncide avec l’opposition des

Impressionnistes contre la pratique des artistes classiques du XIXe siècle qui composent la nature en atelier, mais comme l’indique Véronique Burnod, la Conservatrice en Chef du Musée 5 de Cambrai, aux « peintres de l’école de Barbizon qui s’attachent à représenter le plus fidèlement la nature, ils conservent une vision sentimentale et mystique de celle-ci ». Comme chez Zola, leurs peintures sont « un témoignage sociologique sur les conditions des hommes ou tout simplement un regard impassible et vrai sur le visible »et « resserrent leur enquête sur le réel, accordant une attention toute particulière à la lumière et au mouvement » (4)1. Comme leur présence dans la nature est indispensable pour capter les effets fugitifs de la lumière, ainsi Zola se rend-il sur terrain pour observer, enquêter et s’instruire afin de faire un rapport à la fois naturel et romanesque. Cette méthodologie zolienne influence le choix de l’analyse de ses

œuvres.

Le spicilège zolien sur lequel cette analyse se concentrera est une partie de la série des

Rougon- Macquart à savoir Au Bonheur des Dames, L’Assommoir et Germinal. Le premier met en conflit le traditionalisme et le modernisme commercial face au progrès industriel tout en dénonçant l’esprit égocentrique de la bourgeoisie traitant inhumainement les ouvriers sous la complicité du pouvoir politique du Second Empire. D’un côté, Monsieur Baudu, oncle de Denise

Baudu et propriétaire du Vieil Elbeuf, Bourras, vendeur des parapluies et Goujean, fabriquant de soie à Paris sont contre la concurrence sans scrupule et l’extension frénétique du grand magasin qui engloutit tout ce qui est sur son chemin. De l’autre, Octave Mouret, propriétaire du magasin, et son adjoint, Bourdoncle, ambitieux n’arrêtent devant rien pour agrandir sa superficie et la diversification des marchandises et pour rester maître de ce commerce moderne. Denise Baudou et Mme Henriette Desforges se montrent alliées au modernisme commercial. La première

1 Véronique Burnod en collaboration avec d’autres membres de la direction du Musée de Cambrai (France) ont présenté un dossier pédagogique sur le regard de l’artiste du XIX e siècle sur le monde rural. 6 explique ses techniques et ses avantages aux vieux commerçants, son oncle et Bourras, et est accusée de s’allier au propriétaire de la « machine » qui engloutirait leurs magasins. Ces vieux commerçants ignorent l’humiliation qu’elle y subit, en persévérant pour l’amour de ses frères. La seconde, malgré son antagonisme dû à la jalousie à la fin du roman, organise la rencontre de

Mouret et de Hartmann afin de trouver des finances pour agrandir le grand magasin. Les ouvriers, bien qu’il n’y ait aucune considération de leur contribution quant à la gestion du magasin, ils acceptent de placer une partie de leur salaire misérable. Le tableau descriptif de la représentation de la diversité des classes de la société française à la suite de la Révolution dans

Au Bonheur des Dames constitue un corpus considérablement important pour la réalisation d’une riche analyse.

Le choix du second roman est dû au partage du milieu parisien avec le premier et qui peint un tableau de la déchéance d’un ménage d’ouvriers sous l’influence d’un milieu des cabarets. Vu que Zola a côtoyé les ouvriers du quartier latin ou du Mouffetard à Paris où il vivait avec sa mère après la mort de son père, Becker considère que la réalisation de L’Assommoir reflète l’expérience personnelle du naturaliste. L’écrivain a lui-même connu le froid, la faim et le Mont- de-piété. D’origine d’Aix-en-Provence (Plassans) comme Zola, Auguste Lantier, Gervaise

Macquart et leurs fils Claude et Etienne s’installent à Paris où Etienne abandonne Gervaise et les enfants à leur sort tout en emportant la maigre économie du Mont-de-piété1 qui leur reste.

Courageuse et remplie de tendresse pour abandonner des enfants, Gervaise s’embauche comme blanchisseuse. Sa beauté et son attitude positive à la vie gagne le zingueur Coupeau qui l’épouse.

1 Organisation de charité fondée au XVIIe siècle et qui consiste au prêt sur gage en échange d’une somme d’argent. On donne en garantie un objet de valeur et si on ne peut pas rembourser, on perd l’objet qui est vendu en jachère. 7

Leur travail assidu leur permet d’acquérir une boutique de blanchisserie. Cependant, toutes les

économies du ménage s’envolent suite à la chute du toit qui laisse la jambe de Coupeau cassée.

La peur de monter sur le toit hante ce dernier qui sombre dans l’ivrognerie et la brutalité.

Gervaise ne parvenant pas à payer le loyer, Goujet, un forgeron voisin qui l’aime chastement, continue de lui prêter de l’argent malgré la mise en garde de la mère de celui-ci et la prédiction qu’il est impossible de le rembourser. L’apparition de Lantier soutenu par Coupeau s’installe chez eux sans payer sa pension et perturbe la vie paisible, déjà gourmande et paresseuse de

Gervaise. Les deux hommes engouffrent la boutique. « Copeau meurt à l’hôpital psychiatrique de Saint-Anne des crises de delirium tremens auxquelles assiste » (Becker, 36). Expulsée à maintes reprises de sa chambre suite au manque de moyens, Gervaise vit dans une niche sous un escalier, ne pense qu’à l’alcool et se livre à la mendicité et à la prostitution. Leur fille Anna ou

Nana qui portera le titre d’un autre livre de Zola fuit la vie abominable de ses parents pour devenir la « mangeuse d’hommes ». De cette famille, Zola donne la voix au peuple en général et aux ouvriers en particulier pour dénoncer leur faim de justice et du pain. Il écrit « un roman sur le peuple […] (36) qui ait l’odeur du peuple » qu’il respire quotidiennement.

La spécialité du troisième roman réside dans la continuation du personnage d’Etienne Lantier du second roman et surtout dans la particularité du travail des femmes dans les mines, une carrière féminine jadis inexistante, mais nouvelle suite au progrès industriel. Difficile aux hommes, on s’imagine les conditions de la femme dans de tel endroit et spécialement dans les corons où les familles des mineurs s’entassent dans des maisons juxtaposées aux minces mures qui exposent l’intimité des parents et des voisins surtout aux enfants (qui est d’ailleurs une des causes de la promiscuité de la jeunesse). Le centre de gravité de Germinal est la misère et le

8 travail dans les mines où le lecteur apprend ce métier avec le héros Etienne Lantier. Le roman met en opposition les miniers et les directeurs et les actionnaires ; la bourgeoisie soutenue par le pouvoir politique et le prolétariat. Les conditions de travail et le salaire sont extrêmement misérables qu’ils déclenchent une grève qui coûte la vie aux grévistes, la destruction et la faillite

à certains propriétaires. Le contraste physiologique et financier des membres des familles est tellement frappant qu’il inspire une analyse considérable. Les enfants des Maheu manquent de subsistance alimentaire alors que l’attractivité physique de la fille des Grégoire est notoire. Les tableaux descriptifs respectifs présentés dans ces différents romans constituent un outil

énormément important pour l’analyse de multiples causes de la précarité et la dévalorisation de la femme zolienne.

Au Bonheur des Dames est le onzième volume de la série Rougon-Macquart d'Émile Zola racontant l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire et publié en 1883 et dont l'histoire est basée sur l’extension incessante et l’engloutissement des vieux magasins de nouveautés environnants, les marchandises saisonnières en prévenance des quatre coins du monde, les employés et les clientes de ce nouveau grand magasin. Le naturalisme de ce roman réside dans l’investigation que Zola effectue en interrogeant des anciennes vendeuses, des clientes du magasin Le Bon Marché, des ingénieurs, et les propriétaires eux-mêmes. Son héroïne,

Denise, est une jeune normande qui est absorbée par l'étalage des marchandises de “Au Bonheur des Dames” sur son chemin chez son oncle Baudu avec l’espoir de trouver du travail. Après la mort de ses parents, elle arrive à Paris avec ses deux frères Pépé âgé de 5 ans et Jean de 15 ans.

Cependant, la petite boutique de tissus de Baudu est sévèrement concurrencée par Octave

Mouret, le directeur du Bonheur des dames et ne peut plus l’engager ou subvenir à ses besoins et 9 ceux de ses frères. Denise n’a autre choix que de chercher du travail dans ce magasin qui ruine son oncle. Les clientes de presque toutes les couches sociales de la société française se bousculent pour acheter des marchandises flattant, de mode et au bon marché alors que la bataille entre les commis s’enrage pour vendre plus ou déloger les collègues qui sont au-dessus de l'échelle pour prendre leur place. Une fois engagée, Denise fait face aux conditions de travail inhumaines et aux commérages des collègues qui la maltraitent. Malgré cet environnement hostile, sa compassion d'élever ses frères, sa vertu et sa détermination lui procurent le respect de ses collègues et l’amour d’Octave Mouret à qui elle approuve ses méthodes du nouveau commerce et qui désire éperdument de l’épouser à la fin du roman au détriment des autres maîtresses.

Chapitre I Au Bonheur des Dames

1. La précarité de la femme zolienne

1.1. Définition

La précarité est une situation dans laquelle une personne ne bénéficie d’aucune stabilité financière lui permettant de se suffire. Elle vit une situation incertaine, provisoire, fragile. Parmi les employés d’Au Bonheur des Dames, il s'avère que la rémunération hebdomadaire est insuffisante pour quelques-uns à cause de leurs dépenses irrationnelles (frénésies d’achats) alors que les autres n’ont pas de revenus suffisants puisqu’ils s’occupent aussi des autres. Cette dernière situation est propre à Denise Baudu. La mort des parents qui ne lui ont laissé aucune ressource l’oblige à travailler pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses frères. Alors que les autres font recours aux autres ressources supplémentaires illicites ou immorales, Denise se contente de recoudre sa robe, de réparer ses chaussures, de trouver un autre travail de côté et d’économiser quand elle trouve du travail.

1.2.1. Les causalités de la précarité de la femme zolienne

La progression du roman Au Bonheur des Dames et la description des personnages de Zola révèlent les causes généralement partagées par les ouvrières alors que d’autres sont particulières pour certains personnages. La cause commune saisonnière est la baisse des ventes qui oblige que les employés soient renvoyés instantanément et d’une façon imprévisible alors que celles qui sont personnelles consistent au manque de retenu face aux responsabilités dépensières. Pour diminuer les frais, la direction rend « au pavé un bon tiers des commis, les faibles qui se laissaient manger par les forts » (Zola 213). Pendant l’été, les clients deviennent si rares que les ouvriers sont renvoyés massivement s’ils ne reçoivent pas les congés non payés. 11

1.2.1.1. Précocité de la responsabilité maternelle

Bien que Denise Baudu ait vingt ans, Zola ne mentionne nulle part qu’elle a appris les différentes pratiques d'élever des enfants. Cependant, elle a vaillamment remplacé instinctivement sa mère en s’occupant de ses frères après la mort de son père et ce qu’elle gagnait ne suffisait pas pour les trois. Elle est donc obligée de travailler car selon Jean Claude Farcy «être jeune, à la campagne, c’est d’abord travailler : là est la différence essentielle avec la jeunesse bourgeoise. »

Il n’y a pas de doute qu’elle n’a cessé de s’occuper d’eux même au vivant du père quand celui-ci voulait valoriser sa teinturerie qui lui a coûté toute son économie. Cet investissement lui a complètement ruiné malgré que l’oncle Baudu le lui ait déconseillé et ne lui est resté absolument rien à léguer à Denise et ses frères. La tendresse, la protection et le bien-être que sa mère leur témoignait lui sont transmis et Denise les exerce sur ses frères. Son éducation vertueuse lui a aussi procuré les bonnes qualités: le calme, la douceur, la miséricorde, qui lui ont permis de persévérer et enfin d’avoir la capacité de s’occuper de ses frères malgré le manque de moyens financiers. Que ce soit à Valognes ou à Paris, Denise Baudu travaille et s’occupe du reste de la famille avec le peu qu’elle gagne. La mort de sa mère lui impose des responsabilités auxquelles elle ne s’y attendait pas. Son adaptation ne va sans doute pas sans difficultés. Le fait de quitter son lieu natal représente un duel intérêt : l’exode rural et la protection de son frère contre son scandale amoureux. L’industrialisation du XIXème siècle en France a incité les gens à quitter les campagnes pour Paris à la recherche du travail ou à recouvrir la liberté totale. De même, l’insuffisance du salaire que Denise Baudu reçoit l’oblige à quitter son travail rural à la recherche d’un bon pâturage en ville tout en comptant d’abord sur son oncle Baudu suite à la promesse

émotionnelle d’il y a un an de ce dernier qu’elle est bienvenue chez lui. Cependant, Denise 12 ignorait que les affaires de son oncle s’aggravait à cause de la concurrence d’Au Bonheur des

Dames. Cette décision de trouver un meilleur travail constitue un bon jugement et l’acceptation d’être responsable de ses frères lui présente l’opportunité de prouver son innocence et sa vertu aux yeux de Mouret et de certains de ses camarades de travail.

1.2.1.2. Qualifications (physique, l’habillement, beauté et expérience)

Selon le Dictionnaire le Robert, la beauté est un « caractère de ce qui fait éprouver une émotion esthétique, qui plaît à l'œil, qui fait naître un sentiment d'admiration ou de satisfaction ». Pour

Denise Baudu, cet aspect esthétique, toujours considéré par les employés pour l’attraction de la clientèle, devient une première barrière pour obtenir du travail Au Bonheur des Dames. Bien qu’on soit mis en garde qu’il ne faut pas « juger le livre par son couverture », les gens se font une bonne ou mauvaise opinion souvent subjective sur leurs interlocuteurs en quelques minutes. La communication non-verbale entre autre le style vestimentaire, la manière de se tenir, la démarche et les expressions faciales impressionnent. La beauté ou son manque dirigerait la première impression des client(e)s se présentant dans un lieu de business et leur déciderait d’acheter ou non. C’est pourquoi engager les employés qui plaisent à l’œil ou susceptibles à l’admiration est cruciale surtout dans les lieux où les femmes sont la clientèle primordiale comme Au Bonheur des Dames. L’antagonisme de la beauté féminine au XIXème siècle en France consiste aux portraits de La Castiglione1, lourde et massive et à la belle malade, vertueuse. Virginia Oldoini,

Comtesse de Castiglione s’est rendue en France pour plaider l’unité de l’Italie auprès de Napoléon III et devient sa maîtresse à cause de sa beauté exceptionnelle. Après leur rupture, elle continue d’exercer son influence à Paris « dans le monde de la haute finance, de l'aristocratie et de la politique ». Selon la

1 Musée d’Orsay: La comtesse de Castiglione par elle-même. (Archive, 1999) 13 description caractéristique de Denise Baudu, elle se place à une partie de la dernière catégorie.

Elle est mince avec une chevelure pale et n’apparaît que vingt ans contrairement à la beauté

éclatante de son frère Jean (49) et aux employées féminines les unes plus fortes que les autres et d’une beauté à désirer pour quelques-unes. Lorsqu’elle se présente à la recherche de Mme

Aurélie pour l’emploi de vendeuse, la première informatrice est décrite comme « petite, d’une mauvaise chair blanche » et l’autre est «une veuve à la mâchoire saillante et aux cheveux durs, maigre et laide » (100). Pourquoi n’est-elle pas bien accueillie alors qu’elle n’est pas la seule moins belle dans cet endroit ? L’un des commis la prend pour « la grue de la place Gaillon » et le second de Mouret, Bourdoncle, la trouve trop laide (103). Sa tenue vestimentaire peint une pauvreté frappante. Non seulement son apparence physique constitue un désavantage, mais aussi son expérience de vendeuse à la campagne et la référence de son oncle, alors concurrent, l’exacerbe puisque Au Bonheur des Dames n’engage que ceux qui ont au moins un stage d’une année dans un petit magasin parisien (104). Il est vrai qu’aucune de ses caractéristiques physiques féminines n’est attirante. Pauvrement habillée et chétive pour ses vingt ans avec des cheveux pales, Denise Baudu ne pouvait espérer aucun accueil chaleureux des autres vendeurs et vendeuses qui la traitent de concurrente, et plus un, Mme Aurélie, la première des rayons Au

Bonheur des Dames et recrutant, est connue pour sa dureté contre les débutants. N’eut été pour le bien- être de ses frères, elle se serait sauvée et couper court au calvaire que lui causait l’interview de travail. Cependant, son charme désarme Mouret qui se mêle au recrutement qui était alors la responsabilité de Mme Aurélie et il saisit aussi l’occasion de prouver qu’il n’y a rien de personnelle quant à la ruine de l’oncle de Denise, mais seul le modernisme commercial est responsable. Contrairement aux autres qui jugent Denise de son apparence extérieure, Mouret la 14 trouve charmante et tendre et impose son recrutement. La réaction de Denise à la question d’être envoyée par son oncle leur prouve qu’un bon caractère est une arme importante. « Et elle ne put s’empêcher de rire, tant l’idée lui parut singulière. Ce fut une transformation. Elle restait rose, et le sourire, sur sa bouche un peu grande, était comme un épanouissement du visage entier. Ses yeux gris prirent une flamme tendre, ses joues se creusèrent d’adorables fossettes, ses pâles cheveux eux-mêmes semblèrent voler, dans la gaieté bonne et courageuse de tout son être »

(105). La dichotomie du symbolisme des couleurs qu’emploie Zola démontre le mauvais jugement fondé sur l’apparence physique quelquefois circonstancielle contre la personnalité individuelle. La couleur rose représente la féminité, la séduction, l’innocence, la douceur et la confiance. Mouret la trouve qu’elle a ce qu’il faut pour une femme même si elle « mince ».

« Mais elle est jolie ! dit tout bas Mouret à Bourdoncle ». Cette transfiguration couvre les autres couleurs de laideur pour ouvrir sa vraie personne féminine. Malgré ses yeux ternes, son sourire les rend clairs et délicats. Ses cheveux pâles, symbole du manque de vie, ressuscitent sous ce sourire magique.

1.2.1.3 Environnement du travail

Toute compagnie ou individu ayant la volonté et les moyens d’engager un (e) employé(e) doit créer un environnement d’un accueil chaleureux. Il est pour l’intérêt de l’employeur et de l’employé(e) en même temps car le recrutant ne perd pas son temps ni ne dépense inutilement.

L’aliénation d’un (e) employé(e) potentiel (elle) pourrait endommager la réputation et entraîner le désintéressement public sans oublier la perte du marché. La rencontre préliminaire de Denis

Baudu avec l’équipe administrative et hiérarchique révèle peu de professionnalisme. Toute l’équipe d’Au Bonheur des Dames manque le respect du prochain. Dans son article, Serge

15

Kikoso Kikunda voit le respect comme « le sentiment de considération, d’égard, voire de vénération que l’on peut avoir envers un individu ou quelque chose. Il se manifeste par une attitude de déférence et le souci de ne pas porter atteinte à l’objet du respect, ni le heurter inutilement. Le respect est une valeur plus profonde que la simple politesse, car il est débarrassé de toute hypocrisie. Le respect mutuel constitue l’un des fondements de la paix sociale et des relations interpersonnelles »(13). Nonobstant ce manque de courtoisie ou politesse de base, la situation précaire dans laquelle elle se trouve ne dicte pas Denise de rejeter leur offre d’emploi : elle mourrait de faim avec ses frères. Il est sans doute impossible de ne pas remarquer que la culture du manque de respect à l’égard de qui que ce soit dans ce gigantesque magasin de nouveautés est pratiquée verticalement et horizontalement. Lorsque la crainte de ne rien vendre envahit Mouret et que Bourdoncle le lui signale, ce dernier reçoit une menace de renvoi :

« Fichez-moi donc la paix ! Tout va bien… Je finirai par flanquer les trembleurs à la porte »

(149). Ce comportement dictatorial est décentralisé. Le management ne donne aucun respect or un simple signe politesse à Denise après son interview. «Elle remercia Mme Aurélie… Ceux-ci

(Mouret et Bourdoncle) qui ne s’occupaient déjà plus d’elle ne lui rendirent pas même son salut… » et « Clara eut un geste vexé, en regardant Marguerite, comme pour prédire que la nouvelle vendeuse n’aurait pas beaucoup d’agrément au rayon » (106). L’angoisse qu’elle

éprouve de cet accueil froid n’altère pas sa décision, sa détermination et son courage de travailler Au Bonheur des Dames pour le bien du reste de sa famille.

1.2.1.4. Hostilités intercommis

La politique du management de maximiser les chiffres d’affaire a un caractère antagonique n’office qu’entrer dans magasin et au cours de la journée. S’inscrire sur un tableau selon l’ordre 16 d’arrivée suscite des confrontations et constitue un comportement nuisible à la relation entre les vendeurs et les vendeuses. «Madame, je suis arrivée avant elle » déclara Clara. « Elle m’a bousculé à la porte, mais j’avais déjà mis le pied dans le salon », démentit Marguerite. Chacune d’elles veut servir un(e) client (e) la première car la liste réglait « les tours de vente » (143). Bien que les commis se disputent des clients dans les rayons, ce sont les nouveaux engagés qui subissent des hostilités inouïes. Clara trouve du plaisir à arracher une cliente à Denise malgré que la première ne montre aucun enthousiasme au travail. « Attendez de savoir, pour servir les clientes connues » (146). Comment apprendre si elle n’est pas entraîné et que toutes les ventes sérieuses lui sont empêchées? Denise a besoin de vendre pour obtenir les commissions et un salaire hebdomadaire. Mais il semble difficile car en tant que débutante, elle commence d’abord

à plier et classer les manteaux dans les armoires. D’abord la première rencontre ne s’est pas bien passée bien qu’elle ait obtenu le travail, ensuite le début s’avère difficile, comment espérer rester dans cet endroit hostile ? Son avenir Au Bonheur des Dames est décidément douteux. « La peur de l’avenir la prenait, elle se sentait écrasée entre tant d’intérêts lâchés » (146). Tenant compte de la concurrence entre les commis et commises, il est évident qu’il sera difficile pour tout(e) débutant(e) de mettre la main sur les bénéfices des ventes directement.

1.2.1.5. Fluctuation des affaires

Les chiffres d’affaire Au Bonheur des Dames ne sont pas toujours stables. La rotation rapide des stocks, les rendus, les soldes, la publicité et l’organisation du magasin permettent de briguer la concurrence et de rester opérationnel au cours de l’année. Cependant, tout business connait les hauts et les bas et une fois ce dernier prolonge, les propriétaires réduisent l’effectif des employés pour amorcer les dépenses afin d’éviter les pertes. Ce magasin comme d’ailleurs beaucoup 17 d’autres à Paris lui arrive souvent de renvoyer quelques-uns de ses ouvriers pour rappeler ceux qui n’ont pas la chance de trouver un autre travail quand les affaires s’améliorent.

« Quand la morte-saison d’été fut venue, un vent de panique souffla au Bonheur des Dames.

C’était le coup de terreur des congés, les renvois en masse dont la direction balayait le magasin, vide de clientes pendant les chaleurs de juillet et d’aout » (212-3). Avec les informations collectées et ses observations au Bon Marché ou au Grand Magasin du Louvre, Zola les applique à son magasin fictif pour la présentation de la réalité sociale et selon le journaliste de

Figaro Francis Puyalte, « son génie est de faire un livre inoubliable avec ses observations ». (6)

1.2.1.6. Invincibilité du progrès : Concurrence des Bazars

La description de l’ancien et du nouveau commerce dans Au Bonheur des Dames montre la concurrence cruelle à laquelle font face le vieux commerce et les avantages des grands magasins.

L’emploi des métaphores démontre une lutte désespérée et une force inégale. Le nouveau magasin est comparé au «monstre » et est « colosse » alors que les vieux sont « balayés depuis longtemps par la faillite ». La déshumanisation du nouveau magasin comme « machine » montre son manque de sentiment à l’égard de tout que ce soit, mais il est fait pour remplir une tâche particulière : maximiser les profits par tous les moyens possibles. La disparition du vieux commerce est inévitable et aggrave aussi la situation des ouvriers renvoyés. Cette lutte continuelle poursuit Denise Baudu et Robineau. Ce dernier, à l’aide de la maitresse de Mouret,

Mme Desforges, et suite à leur mésentente, ouvre son propre magasin une fois renvoyé, mais ne tient qu’un bout de temps à cause du faible capital et de la concurrence des grands magasins.

Quant à Denise renvoyée sous fausses accusations, Bourras, un propriétaire d’un vieux magasin de parapluie lui offre du travail non pas parce qu’il en a besoin, mais parce qu’il ne voulait pas sa 18 mort et celle son frère sous son toit pour manque de nourriture. L’ouverture d’un rayon de parapluie Au Bonheur des Dames le met en faillite et Denise est obligée de chercher du travail chez Robineau qui n’en a pas pour longtemps.

1.2.2. Conséquences de la précarité de la femme zolienne

La vie de la femme zolienne dans ces œuvres est une démonstration de la continuation ou du changement de sa vie sociale en France à la deuxième moitié du XIXème siècle. Or tout changement n’est pas toujours positif comme celui-ci et des conséquences qui en découlent peuvent être destructives ou constructives selon la personnalité individuelle. Denise Baudu, l’héroïne de Au Bonheur des Dames ne suit pas les pratiques de nombreuses femmes parisiennes pour subvenir à leurs besoins en général et celles de ses collègues en particulier. Comment se conduisent-elles face aux difficultés financières ?

1.2.2.1. Impulsivité contre conduite raisonnable

La situation précaire de la femme zolienne commence au seuil du grand magasin où on se bouscule pour s’inscrire selon l’ordre d’arrivée ; ce qui règle aussi les tours de vente une fois à l’intérieur. L’atmosphère qui y règne est celle de la jungle ; seul le plus malin et/ou soumis survit. D’abord les débutant(e)s sont bizuté(e)s et mis(e)s à l’écart sous prétexte de leur inexpérience. L’exemple frappant est celui de Denise qui est souvent accordée des ventes incertaines qu’elle ne parvient d’ailleurs pas de conclure. Comme son salaire et son tant pour cent ne suffisent pas, elle est obligée de chercher un second travail. Son éducation et sa conscience ne lui permet pas de prendre le chemin le plus simple de chercher un amant qui satisferait ses besoins financiers. Margandant mentionne la remarque de Durand que « la prostitution parmi les actrices résulte d'une situation de violence concernant les costumes : le

19 metteur en scène a refusé de prendre la responsabilité pour les costumes nécessaires des actrices dans des pièces contemporaines, de sorte qu'ils ont souvent eu à dépenser jusqu'à 1500 francs par an pour alimenter leur propre garde-robe. Parce que ces sommes représentaient souvent le salaire de toute une année, les actrices ont été obligés de chercher d'autres sources de revenus moins respectables » (9).

D’autres écrivain(e)s du même siècle que Zola comme George Sand dans Pauline, Maupassant dans Bel Ami et Balzac avec La Rabouilleuse peignent des femmes qui choisissent la vertu à la promiscuité (la vie mondaine) face à la détresse. La ressemblance de la précarité de Denise

Baudou et celle d’Agathe Bridau est frappante et la façon dont elles se sont toutes conduites ne manque pas d’éloges. La perte de leur membre de famille dirige leurs décisions. Pour subvenir à leur famille respective, Denise se rend à Paris pour chercher du travail alors qu’Agathe déménage pour s’installer dans un appartement qui lui est abordable et est obligée finalement de travailler. Aussi la mère de Laurence et celle-ci elle-même endurent-elles les commérages provençales bien que la mère reste amie et conseillère de sa fille qui lui obéit. La tendresse et l’amour qu’elle témoigne à ses filles reflètent l’attitude de Denise vis-à-vis de ses frères car « la mère est un élément référentiel », « une puissance inspiratrice et adoratrice » comme Yvonne

Knibiehler le signale. Le comportement et le langage des parents jouent un rôle non négligeable

à la bonne ou mauvaise conduite dans la vie future d’un enfant. La conduite vertueuse de Denise triomphe sur le mauvais conseil (selon Denise) de son amie Pauline pourtant attirant.

L’incertitude du lendemain l’inquiète et la hante tout le temps ; pourtant un simple acte de chercher un amant pour subsister est une solution facile. La moralité sociale au XIXe siècle condamne ce comportement et l’adopter serait d’affirmer l’image que les traditionnalistes

20 sociales donnent aux vendeuses des magasins en particulier et à certains métiers de femmes en général. Leur la place étant au foyer et ne sortant qu’accompagnée, une jeune fille était sous le contrôle de son père et celui du mari au cours de sa vie conjugale. Selon Michelle Perrot, l’indépendance d’une femme était un sujet controverse car considérée comme « mauvaise ménagère, dépensière, sotte, perverse ». Cependant, la mère était l’éducatrice et le modèle de la jeune fille. L'historienne Gabrielle Houbre1 compile les thématiques relatives au lien complexe qui a caractérisé les relations mère-fille à savoir « l'intensité de ce lien, entre amour passionné et rébellion, entre rivalité et identification ». La façon dont Denise traite ses frères est un reflet de la réciprocité de la compassion maternelle idéaliste, « calme, discrète, patiente, sobre et modeste » qu’elle démontre malgré les hostilités autoritaires et ouvrières.

« Au martyre physique s’ajoutait la sourde persécution de ses camarades. Après deux mois de patience et de douceur, elle ne les avait pas encore désarmées. C’étaient des mots blessants, des inventions cruelles, une mise à l’écart qui la frappait au cœur, dans son besoin de tendresse. On l’avait longtemps plaisantée sur son début fâcheux ; les mots de « sabot », de « tête de pioche » circulaient… Elle passait enfin pour la bête du comptoir » (179)

La littérature n’est pas le seul moyen auquel on fait recours pour exprimer cette relation fille- mère, mais aussi comme la peinture montre, comme l’affirme l’historien Philippe Ariès dans le mensuel L’Histoire qu’« Au XIXe siècle, l’enfant est, plus que jamais, au centre de la famille. Il est l’objet d’un investissement de tous ordres: affectif, culturel, éducatif, économique ». L’amour qu’une mère témoigne à sa progéniture débute à l’enfance et se fortifie. Beaucoup de tableaux des mères avec leurs enfants témoignent cette affection.

21

1.2.2.2. Hostilité des commis

La description des relations entre ouvrières et/ou l’administration dans Au Bonheur des Dames ne diffère pas à celle de la jungle où seul le plus fort survit. L’environnement inspire de la peur et une constante anxiété aux nouveaux recrus qui se demandent toujours s’ils parviendront y rester pour longtemps. L’hostilité des anciens ouvriers/ouvrières sert d’abord à l’intimidation pour

éviter la concurrence et ensuite à la vengeance. À part le salaire ou l’appointement qui n’arrive qu’à la quinzaine, les ouvrières/ouvriers profitent aussi du pourcentage des ventes qu’ils reçoivent. Cette invention de concurrence entre eux pour les inciter à maximiser les ventes est l’ingéniosité de Mouret. Les clientes deviennent comme des gibiers à se partager et la part du lion appartient aux anciens. Ainsi le Darwinisme, qui avance les lois de la lutte pour la vie sélection naturelle, prend-t-il le devant. Les vendeurs/vendeuses connaissent bien de sérieuses clientes qui achètent beaucoup et s’en pressent pour les servir sans qu’il soit leur tour de vendre.

Ils/elles ne laissent aux nouveaux/elles vendeurs/vendeuses qu’à celles qui ont l’habitude d’acheter peu ou de contempler les marchandises sans toutefois vouloir en acheter. Cette pratique sert à montrer aux nouveaux/elles qu’aucun pain ne leur sera offert gratuitement, mais qu’elles le gagneront à la sueur de leur visage. Cette lutte à l’intérieur du magasin est le résultant du changement social et économique.

1.2.2.3. La déchéance sociale

Suite au processus du système capitalisme du XIXe siècle qui a élargi la sphère d’influence de la bourgeoisie, la prolétarisation de la société française et l’affaiblissement de l’aristocratie, ce bouleversement échafaude l’ordre suite à l’existence de la bourgeoisie, titulaire du capital et du travail, laissant quelques membres de l’aristocratie au merci du dur environnement économique,

22 formant la classe ouvrière sans toutefois améliorer la vie paysanne et créant une opportunité aux femmes d’avoir accès à la place public jusque-là réservée exclusivement aux hommes. Un exemple typique de ce changement est l’octroi de l’emploi Au Bonheur des Dames de « deux comtesses et une baronne au service de la publicité » (350) et de Mlle de Fontenailles, la protégée de la maitresse de Mouret, Mme Desforges, qui gagnait trois francs par jour. La

Révolution française a opéré un changement radical et a fustigé l’affaiblissement de la noblesse et du clergé sur les affaires du pays, mais a servi de levier à la bourgeoisie et a créé la prolétarisation. Ce changement est dû aussi au développement industriel du XIXe siècle qui a créé de meilleurs emplois comparativement au travail terrier, seule ressource de l’aristocratie qui s’est vue ruiner et forcer de faire recours à d’autres moyens de revenus. La déchéance de la famille de Mlle de Fontenailles l’oblige à accepter la position de vendeuse, qu’elle ne pouvait d’ailleurs obtenir sans la recommandation de Mme Desforges, pour survivre honnêtement. Ce manque de moyens financiers de certains membres de la classe élite, qui normalement se marient entre eux pour rapprocher fortunes et titres, a eu des percussions sur leur mariage. Pour la bourgeoisie, le mariage est un moyen de consolider ses intérêts financiers et patrimoniaux. Ainsi

Balzac dénonce-t-il les tractations financières qui sous-tendent les relations sociales et amoureuses dans son roman intitulé Un contrat de mariage alors que George Sand qui, déçue de son propre mariage, se fait champion de l’égalité des sexes et revendique le droit des femmes d’aimer. On remarque que l’environnement dans lequel évoluent les gens influence leur relation.

La vie misérable dans laquelle vit Mlle de Fontenailles malgré sa classe touche la tendresse de

Jean, aussi vendeur au rayon voisin, qui l’épouse finalement. N’eut été ce changement social, ces 23 deux âmes n’aurait aucune opportunité de se côtoyer suffisamment et de développer de telle relation. Cette dernière ne serait que de serviteur-patronne.

1.2.2.4. Dégradation psychique et financière

L’énormité du péage de la précarité de la femme zolienne se manifeste dans la progression de ses romans. L’anxiété constante du lendemain incertain constitue une déstabilisation psychologique qui l’oblique de prendre des décisions souvent déraisonnables. La dictature administrative, l’hostilité des camarades de travail, les conditions sociale et difficile au travail et une rémunération inadéquate sont des précurseurs de la dégradation psychologique et financière.

La condition physique de Denise Baudu et l’hostilité des vendeuses l’inquiète constamment car elle peut perdre son travail momentanément. Les douze heures de station debout et le poids des marchandises des clientes qu’elle tire souvent derrière elle l’éreinte énormément qu’elle pleure la nuit sous son corps douloureux et sans oublier l’idée de son renvoi instantané alors qu’elle est responsable de ses frères. Comment survivre à Paris où elle ne connait que son oncle qui est à la portée de la gueule de la faillite.

1.3. La dévalorisation de la femme zolienne

1.3.1. Exploitation des sentiments féminins

La position ferme de la misogynie traditionnelle masculine en France surtout du XIXe siècle place la femme au foyer. Elle est convaincue de son incapacité d’accomplir un travail intellectuel

à cause de la sentimentalité féminine. Depuis l’antiquité, plusieurs écrivains littéraires de différentes ères se sont montrés favorables à la perpétuation de cette assertion. Selon sa recherche, Laura L. Frader trouve que « les femmes expérimentaient une exploitation particulière liée à leurs faibles salaires, à leur vulnérabilité face au harcèlement sexuel, à leur 24 double journée de travail […] »1. L’exploitation de cette faiblesse féminine donne l’opportunité

à Zola pour la réalisation de son roman Au Bonheur des Dames dans lequel Octave Mouret ne voit chez une femme qu’une mine d’or qu’il exploite grâce à ses techniques de marketing et d’étalage. La dualité du manque de respectabilité de Mouret à l’égard des femmes se manifeste dans ses besoins sexuels permanents en jouant particulièrement sur la vulnérabilité de ses vendeuses ou des autres femmes en général et les sentiments des clientes tout en jouant sur sa voix qui se caractérise comme « […] une voix de flûte, une voix d'acteur qu'il prenait, quand il parlait aux femmes » (154).

Opportuniste arriviste comme Georges Duroy dans Bel ami (Maupassant) et Julien dans Le

Rouge et le noir (Stendhal), Octave Mouret, ambitieux et audacieux, sans scrupule, utilise ses maîtresses pour assouvir ses intérêts professionnels. Chez Maupassant, Bel homme (Georges

Duroy), le protagoniste et héros éponyme du livre, devient baron Du Roy de Cantel et seul héritier par le mariage. Quant à Julien chez Stendhal, il reçoit un grade de lieutenant et le nom de

Julien Sorel de La Vernaye après son mariage avec Mlle Matilde de La Mole, la fille de M. de la

Mole. De même, Mouret profite de sa bonne relation avec Mme Desforges (avant que Denise ne conquière le cœur de Mouret) pour accéder au crédit et étendre les constructions du magasin. Le caractère cynique de Mouret à l’égard des femmes décrit au long du roman Au Bonheur des

Dames est une épreuve tangible du manque de respectabilité. Pour convaincre le baron

Hartmann, il lui avoue son secret : « Ayez donc les femmes, dit-il tout bas au baron, en riant d'un rire hardi, vous vendrez le monde ! » Pour assurer le baron de sa certitude, Mouret pose la

1 Laura FRADER enseigne l'histoire à l'université de Northeastern. Elle est Senior Associate à l'université de Harvard, Center for European Studies. Elle vient de publier en collaboration avec Sonia Rose Gender and Class in Modern Europe, Ithaca, Cornell University Press, 1996. 25 question au baron à laquelle connaît la réponse à cause du sentiment qu’ils ont tous pour les femmes : « Est-ce que Paris n'est pas aux femmes, et les femmes ne sont-elles pas à nous ? »

(387) Comment Mouret s’y prend-il ?

Le renouvellement incessant et l’entassement des marchandises, l’étalage de marchandises qui se complètent sur des rayons distants, la baisse des prix, les rendus, l’aménagement intérieur, et la publicité sont des méthodes utilisées pour attirer et exploiter les faiblesses des femmes. Le changement incessant des nouveautés incite les femmes à être à la mode ; ce qui ruine leurs ménages. Celles qui n’ont pas les moyens ne résistent pas d’assouvir leur curiosité ou de profiter de la liberté malgré le bousculade à l’entrée et dans quelques rayons.

« . D'abord, on devait s'écraser pour entrer, il fallait que, de la rue, on crût à une émeute ; et il obtenait cet écrasement, en mettant sous la porte les soldes, des casiers et des corbeilles débordant d'articles à vil prix ; si bien que le menu peuple s'amassait, barrait le seuil, faisait penser que les magasins craquaient de monde, lorsque souvent ils n'étaient qu'à demi pleins.

Ensuite, le long des galeries, il avait l'art de dissimuler les rayons qui chômaient, par exemple les châles en été et les indiennes en hiver ; il les entourait de rayons vivants, les noyait dans du vacarme. Lui seul avait encore imaginé de placer au deuxième étage les comptoirs des tapis et des meubles, des comptoirs où les clientes étaient plus rares, et dont la présence au rez-de- chaussée aurait creusé des trous vides et froids. S'il en avait découvert le moyen, il aurait fait passer la rue au travers de sa maison. » (110)

En plus, les enfants qui accompagnent leurs mères les pressent à leur acheter quelques articles

étalés délibérément à leur honneur. Et pour ne pas passer cette occasion, Mouret crée des rayons spéciaux pour eux. « Mais son idée la plus profonde était, chez la femme sans coquetterie, de 26 conquérir la mère par l'enfant ; il ne perdait aucune force, spéculait sur tous les sentiments, créait des rayons pour petits garçons et fillettes, arrêtait les mamans au passage, en offrant aux bébés des images et des ballons » (300). Voulant que toute femme se sente comme reine dans son magasin « pour l’y tenir sans merci,… la griser d’attentions galantes et trafiquer de ses désirs, exploiter sa fièvre », Mouret invente « un chef d’œuvre de séduction jésuitique » : les rendus. Au cas où l’article ne plaît plus, il est permis de le rendre (301). Aucune femme ne pouvait échapper

à ses tactiques d’exploitation. Malgré que quelques-unes contrôlent ou luttent contre la crise dépensière, l’incarnation de la faiblesse de Madame Martin et de sa fille représente une proie féminine facile et la création constante des besoins constitue une manipulation féminine, source de sa soumission. Cependant, la dichotomie d’irrésistibilité de Denise et des acheteuses se distingue.

1.3.2. Une femme, objet de satisfaction sexuelle ou bien de consommation

Bien que la société française du 19e siècle voit le mariage d’abord comme moyen d’extension familiale ou quelquefois d’acquérir les moyens financiers, c’est aussi une limitation de promiscuité. Cependant, cela n’empêche pas que les hommes profitent de la précarité des femmes pour les traiter comme objet de satisfaction sexuelle. Ses fonctions ne lui permettant pas de travailler en dehors du foyer, la femme ne dispose aucun moyen financier et est toujours à la merci de l’homme. Même quand elle commence à travailler, la société patriarcale l’abuse sexuellement et moralement. La menace de l’employé de la renvoyer au moindre refus de ses avances se résume en trois mots : « couche ou crève ». Ainsi voit-on Clara qui se donne facilement et finalement rejetée comme les clientes qui n’ont plus de moyens d’achat. Mais, toutes les femmes ne succombent pas à la séduction ou à la pression masculine. Denise Baudu se 27 moque, méprise les autres vendeuses qui acceptent ces avances et réfute catégoriquement cette idée malgré le conseil de son amie Pauline, qui trouve cette relation normale et supplément du salaire maigre. Le refus de cette avance reflète la position favorable de Zola face au mariage traditionnel et la condamnation de la promiscuité. Octave Mouret a une forte emprise sur ses ouvriers et peut renvoyer momentanément qui il veut et le refus de Denis Baudu est un défi, mais une défense contre l’immoralité sexuelle. La mise en garde la laisse inébranlable et montre sa détermination même s’il faut perdre son travail :

« Nous aurions été seuls, je n'aurais eu qu'à pousser un verrou. Si je voulais pourtant ! dit-il d'une voix ardente, en lui saisissant les mains. C'était la première qui ne cédait pas. Il n'avait eu qu'à se baisser pour prendre les autres, toutes attendaient son caprice en servantes soumises. Je veux, je veux, répétait-il affolé. Je vous attends ce soir, ou je prendrai des mesures... (370)

Denise n’imagine pas son bonheur avec un séducteur et collecteur de femmes pour ses intérêts professionnels et sexuels. Les commérages indiquent que Mouret invite au dîner quelques-unes de ses ouvrières dont Clara pour s’en servir de dessert et en plus de cela, elle est témoin et victime de la jalousie de Mme Henriette Desforges. Le charme, la tendresse et la persévérance de

Denise Baudu affaiblissent Mouret qui ne se décide pas de la renvoyer de peur de la perdre pour de beau. Son entêtement face au conseil de son adjoint est une indication de son attachement et inspire aussi la réticence des autres collègues de la dénoncer pour éviter les réprimandes. Il s’avère que Mouret n’est pas le seul à se servir de la subalternité des femmes au travail. Jouve, capitaine retraité de la police et redoutable surveillant du magasin ne cesse de tourner au tour de sa proie prise en flagrant délit. Son comportement paternaliste à l’intérieur du magasin quand il s’adresse au coupable change en besoin sexuel inassouvi après du thé et les tartines de beurre. 28

Au lieu de s’abaisser en acceptant les avances de Jouve après être prise en conversation avec son frère Jean aux heures de travail, Denise Baudu accepte vaillamment son renvoi. Le comportement de Denise n’a jamais changé du début à la fin malgré la double hostilité des collègues et de l’administration. Chapitre II L’Assommoir

L’Assommoir de Zola est une œuvre qui lui a suscité beaucoup de critiques à cause de la

« crudité » de son langage et de l’immoralité des personnages. Sa réplique est qu’il réfute les idéalistes décorateurs « d’une société comme un tapissier décore un salon » et adopte la méthode naturaliste comme un outil lui permettant d’étudier « la déchéance d’une famille ouvrière, le père et la mère tournant mal, la fille se gâtant par le mauvais exemple, par l’influence fatale de l’éducation et du milieu » (Becker 68) afin de trouver des solutions. Selon lui, L’Assommoir est le portrait de différentes variétés d’ouvriers parisiens. L’accomplissement de cet ouvrage constitue une voix de la classe que les artistes partisans de l’administration ont abandonné pour plaire cette dernière tout en laissant les ouvriers se barbouiller dans la misère. La famille de

Coupeau et Gervaise représente la vie générale des ouvriers dans un nouveau Paris à la suite de la hausmannisation de la ville.

2.1 Bref aperçu

L’exode rural dû au développement industriel du XIXe siècle prend Auguste Lantier et sa maîtresse Gervaise Macquart dans son courant alors qu’ils quittent Aix-en- Province pour s’installer

à Paris avec leur deux fils Claude et Etienne en quête du travail. Le peu d’économie qu’ils amènent de la campagne tarit et Lantier s’enfuit avec le reste qu’ils ont acquis du gage à Mont- de-Piété. Fondé au XVIIe siècle sous Louis XIII, il devient le crédit municipal de Paris au XXe siècle et s’occupe en même temps du « gage et des activités bancaires.» Courageuse et travailleuse, Gervaise s’embauche comme blanchisseuse et élève ses fils. Dédiée au travail et raisonnable, Gervaise se remarie avec un zingueur Coupeau avec qui elle a une fille . Le rêve de Gervaise étant de «travailler, manger du pain, avoir un trou à soi, élever ses enfants, mourir dans son lit », leurs efforts leur permet d’ouvrir une blanchisserie et devient « une petite- 30 bourgeoise ». Cependant, sa complaisance, son mari Coupeau et son ancien amant Lantier lui conduit en ruine et meurt sans abri alors que Coupeau expire dans un hôpital psychiatrique suite

à l’alcoolisme chronique. La perte du goût de travail et les dépenses irraisonnables des deux hommes dévient Gervaise de la vie qu’elle a toujours voulu mener.

2.2. La causalité de la précarité féminine

Le style de Zola se distingue de celui de ses contemporains par l’étude minutieuse du milieu avec l’interaction de différents membres de la société, spécialement les femmes. Ayant vécu dans le quartier typiquement ouvrier environnant de la Goutte-d’Or, l’auteur observe, entretient avec eux et expérience leur misère. Qui peut mieux être son honnête et impartial porte- parole pour s’écarter des « mensonges romanesques nocifs et immoraux » et s’armer du rôle de l’observateur afin d’étudier les ruines de la société et faire « naître un état social meilleur » que

Zola? (Becker 15). Comme l’explique Zola :

« Le roman doit être ceci : montrer le milieu du peuple, et expliquer par ce milieu les mœurs du peuple ; comme quoi, à Paris, la soûlerie, la débandade de la famille, les coups, l’acceptation de toutes les hontes et de toutes les misères viennent des conditions mêmes de l’existence ouvrière, des travaux durs, des promiscuités, des laisser-aller, etc. » (Zola, Ébauche, 158)1

Bien que l’hérédité joue un rôle non négligeable dans L’Assommoir, la primauté est accordée à l’influence du milieu sur un membre de la famille des Rougon Macquart que Zola s’est juré de mener une étude générationnelle.

1Autour de L’Assommoir d’Émile Zola, Atelier pédagogique de la Bibliothèque nationale de France.

31

2.2.1 Indulgence et lâcheté

La dégradation du monde ouvrier sous la représentation de Gervaise Macquart est un signe d’un comportement irraisonnable et autodestructif qui ne conduit qu’au fond de la grève. Le portrait de Gervaise dans L’Assommoir expose une femme délaissée avec ses fils, mais sa compassion et son courage s’arme avec patience et elle travaille diligemment, seule d’abord et après avec son nouveau mari Coupeau pour élever ses enfants et devenir « une petite- bourgeoise » quand elle devient propriétaire d’une boutique de blanchisserie. Au long du roman,

Gervaise se montre tout le temps du bien-être des autres : « Elle était douce comme un mouton, bonne comme du pain » (236). Mais à la fin, ses convictions changent en pensées ; bien qu’elle lui soit difficile de mettre ces dernières en action.

Depuis sa rencontre avec Coupeau, le seul but de Gervaise, qui s’exprime comme leitmotiv, est de « travailler, manger du pain, avoir un trou à soi, élever des enfants, ne pas être battue et mourir dans lit. » (70) Une fois au-delà de son objectivité, les souvenirs du mauvais temps disparaissent et la vie change en festivités permanentes. Sa cohabitation avec deux hommes, son

époux Coupeau et son ex-amant Lantier (257) et la flatterie de la société exacerbent sa complaisance. L’acceptation de sa belle-mère sous son toit, l’invitation des passants de s’attabler avec sa famille et la distribution incessante des cadeaux constituent l’accroissement des dépenses supérieures aux revenus. « Gervaise, trop donnante de sa nature, lâchait à chaque instant des litres de vin, des tasses de bouillon, des oranges, des parts de gâteaux » (176) et il est « vrai qu’elle était restée obligeante et secourable, au point de faire entrer les pauvres, quand elle les voyait grelotter dehors. » 32

Ce comportement de passer son temps à jouir de fruits du travail a un effet néfaste au corps et nuit la productivité et conduit conséquemment à la faillite. La gourmandise de Gervaise l’attire à sa dégradation. Elle se refuse de manger « des pelures de pommes de terre » au moment où elle est capable de s’approvisionner « de fins de morceaux ». La mise en pratique de cette conviction se concrétise dans ses fêtes commémoratives de sa noce, sa fête et la communion de

Nana. « Dès qu’on avait quatre sous, dans le ménage, on les bouffait. On inventait des saints sur l’almanach, histoire de se donner des prétextes de gueuletons. » (213) La paresse entre par la porte grande ouverte et s’accompagne de la saleté laissant la boutique grasse et la patronne

« porter des jupes fendues » dans « un nid chaud où elle jouissait de s’accroupir » (296). Cette misère devient le décalage de son point de vue sur l’alcool. La haine que Gervaise a contre l’ivrognerie devient son confort. Sa décadence progressive et irréversible atteint son apogée à la mort de maman Coupeau, symbole de la fin de l’accomplissement du rêve de Gervaise.

L’étroitesse de la bière précède celle de leur cabinet du sixième étage. L’accompagnement des ouvriers à la consommation de « l’alcool, l’eau-de vie devient un énorme assommoir » (Becker,

48) qui n’incite qu’un comportement brutal. L’alcool remplace le sang dans le corps et le rend inefficace comparativement au pur-sang. Goujet l’emporte sur l’ivrogne Bec-Sale alors que

Coupeau dort dans ses vomissures et finit dans un hôpital psychiatrique. Serait-ce Gervaise la cause de sa décadence ou la société en général et ses plus proches en particulier qui lui ont prêté une main forte ?

2.2.2 Dis-moi qui tu hantes !

L’Assommoir semble à une exposition de tableaux du milieu parisien où évolue Gervaise, du comportement de ses protagonistes et de la société. Contrairement à Plassans où Gervaise a 33 connu son amant Lantier à quatorze et avec qui elle a deux filles, Paris l’accueille effroyablement. La décadence des mœurs emporte Lantier au premier coup, qui disparaît pour revenir après huit ans pour « boire » la boutique de Gervaise. Coupeau, toujours sobre avant son accident, commence à consommer de l’alcool excessivement avec ses amis ouvriers. La vente aux produits alcoolisés florissait à Paris où on comptait 180 cafés et 235 bals publics en 1887

(Becker 25). Gervaise ne s’échappera pas de cet environnement qui semble la tenir fermement dans une main de fer.

Le début de son bonheur avec Coupeau et sa fin commence à L’Assommoir, le cabaret de père

Colombe. Ils n’y mangent qu’une prune à leur première rencontre (62), mais à la fin du roman boivent du « vitriol » quand Gervaise s’y rend à la recherche de Coupeau (357). La consommation du vin au sein de la famille que Gervaise considère comme nourriture de l’ouvrier serait un entraînement pour le futur affrontement d’une boisson plus forte qu’est l’eau-de-vie qu’elle considère pourtant comme « des saletés, des poisons qui ôtaient à l’ouvrier le gout du pain. » (213) Aussi l’ivrognerie constante de Coupeau joint après par Lantier constitue-t-elle une mauvaise compagnie susceptible d’influencer négativement le comportement de Gervaise. Une fois partie de l’équipe des ivrognes, Gervaise atteint son dernier stade pour arriver dans son dernier nid froid qu’est le sous l’escalier comparativement à la boutique de la Goutte-d’Or. Son dernier souhait de mourir tranquillement dans un lit chaud ne se concrétise pas car elle meurt successeuse du père Bru de la faim et du froid et y passe comme tout le monde selon la prédiction du croque-mort Bazouge.

2.3. La dévalorisation féminine 34

La présentation de la femme zolienne dans L’Assommoir en général et celle de l’héroïne en particulier exprime une soumission totale, mais l’égoïsme et la brutalité masculins sont le contraire du résultat escorté. Malgré la complaisance excessive de Gervaise, ses protagonistes,

Coupeau et Lantier se sont montrés complices de sa fin désastreuse. L’accident de Coupeau et la prospérité de la blanchisserie donnent un prétexte à ce dernier de servir de la fainéantise et à se consacrer à l’ivrognerie avec vingt sous qu’il reçoit régulièrement de Gervaise. En plus, l’intérêt qu’il a de Gervaise diminue parallèlement et progressivement selon qu’il devient addictif. Sa réaction violente à la seule mention du retour ou de la présence de Lantier, l’ex-amant de sa femme, change devant la surprise de toute la société réunie chez les Coupeau pour la fête de

Gervaise.

Le manque de respect de Coupeau à Gervaise se manifeste d’abord avant la progression de la consommation alcoolique. Sa parole d’honneur qu’il élèverait les fils de Gervaise comme les siens change. Sous l’influence des Lorilleux, Coupeau bat régulièrement Etienne qui prend refuge chez les voisins, les Goujet, en attendant son calme. Une fois expert consommateur de l’alcool, il ne cache pas son intérêt aux ouvrières de sa femme sous prétexte d’être ivre et

Gervaise ne fait que le résonner avant de le faire coucher comme un petit garçon et pour ne pas le contrarier. « On pince une dame, n’est-ce pas ? mais on ne va pas plus loin ; on honore simplement le sexe… » (169), dit Coupeau lorsque Madame Patois, la plus âgée des blanchisseuses le gronde pour oser toucher les seins de son collègue. Cette dépendance à l’alcool se développe au point qu’il ignore sciemment la fête de sa femme qui ne peut commencer sans sa présence. Son attachement irréversible à ce liquide d’or l’empêche de rentrer pour deux jours

(281). Une fois l’addiction atteint son apogée, Coupeau bouscule sa femme seulement pour avoir 35 mentionné ses embarras d’argent. N’en est-il pas, lui et Lantier, responsables ?

Ces deux constituent une honte et une moquerie à l’égard de Gervaise qui se ruine pour les entretenir malgré leur ingratitude surtout face au parasitisme de Lantier que le style zolien ne tolère pas. Borie trouve que Lantier « vit des femmes dans un confort douillet » et « aime le voisinage des jupons, la douceur des compagnies féminines, la richesse sensuelle et alimentaire que savent dispenser les créatures dévouées qui soignent leur petit homme » (144)

Il est indéniable qu’il vit sous le toit des Coupeau sans payer aucun sous et se comporte en

égalité avec Coupeau. Le fait qu’ils se partagent la femme lui garantirait le droit de réclamer

« des œufs, des côtelettes, des choses nourrissantes et légères » et lui permettrait de ramasser

« les pièces de vingt sous qui traînaient » comme Coupeau (299). Ironiquement, Lantier se fâche contre son ventre qui a englouti et causé la faillite de la blanchisserie tout en condamnant

Gervaise de sa mauvaise gestion. Ayant semé son amitié à tout vent et chez les Poisson en particulier, Lantier conseille Gervaise et Virginie, « leur prodiguant des tendresses de coq » pour qu’elles concluent l’affaire de la boutique afin qu’il y reste et s’approvisionne gratuitement.

À part l’exhibition du manque de respect à ceux qui le nourrissent comme Coupeau et son escroquerie, Lantier ne s’est jamais montré violent ; ce qui n’est pas le cas avec Bijard. Jennings attribue la responsabilité du comportement de Coupeau et de Lantier à Gervaise :

« Le relâchement veule et progressif de Gervaise, son abandon simultané aux deux hommes qui se la partagent, son empâtement, l’accentuation de son claudiquement, son enfoncement dans tous les refuges matériels, le gain, la nourriture, l’alcool, la malpropreté même, sont symptomatiques de sa déchéance […] » (211) 36

La brutalité masculine dans L’Assommoir est une conséquence de la consommation de l’alcool. Coupeau était un agneau qui est devenu progressivement un loup brutal. Mais le comportement de Bijard qui « ne se dessoûlait jamais » est un exemple typique de son méfait.

« Les rares jours où il travaillait, il posait un litre d’eau-de-vie près de son étau de serrurier, buvant au goulot toutes les demi-heures. Il ne se soutenait plus autrement, il aurait pris feu comme une torche, si l’on avait approché une allumette de sa bouche. » (211)

La raison de cette brutalité en est que Gervaise a refusé à Coupeau vingt sous le matin. Aucun homme raisonnable ne peut donner des coups de talon dans les côtes de sa femme. Le pis est qu’après la mort de sa femme sous ces coups, Bijart tourne son extrême animosité à sa fille Lalie qui s’occupe de son petit frère et petite sœur. Il est inimaginable qu’un père puisse acheter un grand fouet pour la battre sans toutefois la poursuivre et de rougir un sou dans un poêle et l’obliger de le prendre pour aller acheter du pain. Dramatique !

Il y a d’autres moyens irrespectueux que les hommes emploient à savoir pincer des femmes.

Chacun trouve du plaisir à pincer madame Vigouroux « partout sans jamais rencontrer un os » comme on joue avec un jouet et c’est le tour de Boche ! Cette attitude des hommes est monnaie courante dans ces trois romans de Zola dans lesquels la femme est un objet à exploiter à sa guise.

Cette pratique apparaît aussi dans Germinal, un roman des miniers. Chapitre III. Germinal

L’objectif d’Emile Zola dans le treizième roman de la série Rougon Macquart est de peindre, comme presque dans tous les autres, les conditions effroyables du travail des mineurs en général et celles de Montsou en particulier. Selon une de ses notes de L’ébauche que Psichari recueille,

Zola « montre d’une part le travail, les houilleurs dans la mine, de l’autre le capital, la direction, le patron, enfin ce qui est à la tête. » (17) L’antagonisme du capitalisme et du travail d’une part et la bourgeoisie et le prolétariat d’une autre part, démontre la cimentation du bras de fer entre le système économique et sociale. L’image descriptive des familles bourgeoises est l’antithèse de celle des mineurs, surtout quand il s’agit de l’un des membres de la famille : la femme. Grâce au voyage effectué à Anzin au Nord de la France pour observer, enquêter et se documenter minutieusement sur les conditions de travail des mineurs, Zola parvient à brosser un tableau de deux différentes familles : les Grégoire et les Maheu. La faim et la misère caractérisent cette dernière alors que l’opulence et le bien matériel est pour la première. Ainsi la précarité ou pérennité influencent-elles respectivement l’apparence physique et le comportement moral des femmes de ces deux familles en particulier et celles des autres bourgeois et mineurs en général.

3.1. Bref aperçu de Germinal

Suite au soufflet qu’il donne à son chef, Etienne Lantier, fils de Gervaise Macquart et de son amant Lantier (L’Assommoir), est renvoyé et se rend à Montsou dans le Nord de la France en quête du travail. Malgré qu’il soit opérateur de machine, il se fait embaucher comme mineur à

Montsou où il connaît des conditions de travail effroyables. Il noue des amitiés avec une famille des mineurs, les Maheu et tombe amoureux de leur fille Catherine qui est la maitresse de Cheval, un autre mineur brutal. 38

Se rendant compte des conditions misérables des mineurs et de l’injustice qui y règnent,

Etienne Lantier sème des idées révolutionnaires. La grève éclate suite à la baisse des salaires due

à la crise économique ; prétexte de la Compagnie des Mines. Les négociations n’aboutissent à rien. Les grévistes cassent les machines et les installations et les soldats appelés pour rétablir l’ordre tuent quelques grévistes défiants dont Maheu. La faim oblige les mineurs à reprendre le travail, mais Souvarine, un ouvrier anarchiste, sabote la mine et plusieurs mineurs meurent.

Bloqués dans la mine, Catherine meurt dans les bras d’Etienne Lantier qui a tué Cheval à cause de leur rivalité. Lantier se rend à Paris avec l’espoir qu’un jour les ouvriers triompheront l’injustice.

3.2. La causalité de la précarité féminine

3.2.1. L’industrialisation

Le développement industriel français du XIXe siècle libère la femme de son foyer et lui trouve une place à l’extérieur dans les usines, les magasins et même dans les mines à cause de l’insuffisance de la main d’œuvre masculine. En plus, les femmes se montrent plus aptes que les hommes dans certains métiers en tant que fileuses, couturières, dentellières pour ne nommer que ceux-là. Contrairement aux métiers auxquels elles sont habituées, les femmes se retrouvent obligées de se faire engager dans les travaux extrêmement pénibles avec un salaire médiocre.

Dans Germinal, Zola peint un tableau de la famille minière des Maheu dont leur fille Catherine en est un exemple typique. L’exploitation du capitalisme oblige les familles à forcer leurs enfants d’apporter leurs contributions en s’embauchant en bas âge. N’eut été cette rémunération improportionnelle à la tâche effectuée et insuffisante, les Maheu, comme d’autres familles n’enverraient pas leurs enfants dans la profondeur de cinq cents mètres où la vie se détériore 39 quotidiennement. Se rendant dans les mines du Nord de la France pour observer, se renseigner et acquérir personnellement la vie journalière des miniers, Zola décrit la situation précaire de la femme due surtout à la pauvreté et au milieu.

La représentation typique d’une famille observée dans Germinal est celle des Maheu composée du père, de la mère et de sept enfants dont Catherine qui montre une anomalie physiologique. Malgré sa croissance retardée, elle est hercheuse à quinze ans, astreinte à un travail dur et quotidien dans une mine de Montsou. Ce travail dur et fatigant ne distingue pas nettement la frontière de la pénibilité entre les femmes et les hommes. Suite à l’énergie et l’expérience acquise, Zola prouve que « les femmes sont bonnes seulement en tant que ménagères ; responsables de la gestion de la famille, du foyer, des soins des enfants et des travaux domestiques » (282), mais qu’elles peuvent également accomplir quelques tâches apparemment difficiles des hommes. Après le déraillement de la berline qu’Etienne Lantier ne parvient pas à remettre sur les rails, Catherine « adroitement, elle s’était glissée, avait enfoncé à reculons le derrière sous la berline ; et d’une pesée des reins, elle la soulevait et la replaçait. Le poids était de sept cents kilogrammes. » (44) L’entraide au travail ne mettrait pas en question la capacité individuelle surtout masculine en prévenance du sexe faible. Les hommes se considèrent et sont physiquement plus forts que les femmes ; raison pour laquelle Etienne s’excuse et

éprouve de la honte. Zola dépasse la misogynie masculine en créant une héroïne d’apparence mâle pour son rôle important dans le récit économique et sentimental de Montsou.

Malgré son physique « d’un petit homme », ce travail qui laisse des cachets sur des corps des mineurs adultes n’épargne pas le sien car Catherine « avait des pieds bleuis, comme tatoués de charbon, et des bras délicats, dont la blancheur de lait tranchait sur le teint blême du visage, déjà 40

gâté par les continuels lavages au savon noir. » (18) La pénibilité de cette tâche a sans doute un

impact négatif sur son développement physiologique même si, selon sa déclaration à Etienne, les

filles de chez elle « ne poussent guère vite » (48). Il est vrai qu’au fur et à mesure qu’on fait des

exercices régulièrement, le corps développe une énergie spectaculaire, mais ceci peut être néfaste

pour un corps encore tendre. Or le physique de Catherine, qui a d’ailleurs commencé à travailler

à l’âge de neuf ans, n’a rien de femelle sauf de « dandinement léger de haches » pareil d’ « un

petit homme » (20) au point qu’Etienne Lantier la prend pour un garçon. Cependant, il n’est pas

question que les filles des Maheu n’aient pas de croissance normale, Zola diagnose Catherine de

« teint de chlorose » (43); une anémie due à la carence en fer chez une jeune fille.

Catherine n’est pas la seule adolescente ou enfant victime de l’exploitation du capitalisme.

Lydie, une chétive fillette de dix ans « aux bras de poupée » travaille aussi au fond pendant

douze heures en poussant péniblement la berline. La description de sa fatigue et de sa constitution physique est tellement pitoyable et dramatique qu’il est difficile d’imaginer comment

elle y parvient quotidiennement : « […] l’enfant poussa de nouveau sa berline, éreintée, boueuse,

raidissant ses bras et ses jambes d’insecte, pareille a une maigre fourmi noire en lutte contre un

fardeau trop lourd. » (56) La protestation des parents contre l’embauchage des hommes au

détriment des jeunes/fillettes suggère un rendement maigre de la part de ces dernières alors que

l’un des principes du capitalisme est de peu dépenser tout en maximisant les profits. Pourquoi

ces enfants ne vont pas l’école au lieu de prendre le travail des adultes ?

Les enfants des Maheu sont les martyrs de la mine car ils ne connaissent pas l’école alors que les

bruits matinaux des galoches des autres se font entendre à Montsou.

« Le coron tout entier était réveillé, des bandes d’enfants s’allaient à l’école, avec le bruit 41 trainard de leurs galoches » et puisque l’école n’était pas loin, on « entendait la voix ânonnante des enfants »(245)

3.2.2. Fécondité abondante et Pauvreté

Le noyau d’une famille au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle en France est une famille nucléaire composée d’un père, d’une mère et des enfants vivant sous un même toit. Suite au progrès médical, les naissances sont limitées surtout chez l’aristocratie et la bourgeoisie et la mortalité infantile recule. La natalité dans la famille ouvrière semble ne pas appliquer la limitation des naissances alors qu’elle vit de revenus médiocres. Cette dernière voit ses enfants comme un moyen d’investissement. Le support financier du père étant insuffisant, les enfants doivent travailler pour amener leur contribution. La décadence de l’industrie agraire rurale à cause de la mécanisation entraîne l’exode rural et une carence d’une main d’œuvre donne un avantage aux industriels d’engager et d’exploiter les enfants. Bien que les industriels aient une obligation morale vis-à-vis de la main d’œuvre infantile, les parents n’en sont pas moins. La famille des Maheu sert d’exemple de fécondité dramatique mais souvent ordinairement réelle. Le

« dessert » de Maheu (la Maheude) qu’il prend chaque fois après le dîner résulte aux grossesses successives qui usent sa femme apparemment « déformée » alors qu’elle n’a que trente-neuf ans avec sept enfants (22). La découverte précoce de la vie sexuelle et le mariage des filles des corons à peine adolescentes en est la cause primordiale. Avec cette constante incertitude de ne pas avoir les subsistances jusqu’à la quinzaine, la mère, responsable d’apprêter la nourriture au retour des mineurs-membres de sa famille, fait tout son possible pour s’approvisionner. Cette situation précaire oblige la mère de s’endetter, d’envoyer les enfants d’aller cueillir des légumes dans les brousses ou d’aller mendier chez les propriétaires des mines. Suite au mariage précoce à 42 quinze ans (222) comme sa fille Catherine, la Maheude s’est trouvée avec beaucoup d’enfants.

Conséquemment, une fois cette natalité familiale abondante s’établit, l’autosuffisance alimentaire devient un problème généralisé. Avec un salaire aussi maigre de 50 francs la quinzaine pour une famille de neuf personnes, il leur est impossible de lier les deux bouts même si les enfants (Zacharie, Catherine et Jeanlin) travaillent avec leur père dans la mine. Zola expose la conséquence de cette médiocrité salariale chez les mineurs en général et spécialement chez les

Maheu avant et surtout pendant la grève. La description physique de certains personnages de

Germinal donne un portrait dramatique de l’insuffisance d’aliments nutritifs qui cause une anémie chronique. Zacharie, l’aîné, « était maigre, dégingandé, […] avec les cheveux jaunes et la pâleur anémique de toute la famille » (19). La description d’une famille anémique et d’autres maladies que les mineurs font face prouve que Zola s’est documenté et a personnellement visité les mines pour se rendre compte du sort de ces mineurs. Ces derniers sont privés de lumière, sont couverts et ne respirent que du charbon. La conséquence en est que Catherine est, « fluette pour ses quinze ans, […] ouvrit sa bouche un peu grande, aux dents superbes dans la pâleur chlorotiques des gencives… » (18) La chlorose est une maladie anémique due au carence en fer chez une jeune fille(Le Petit Larousse), mais n’est pas nécessairement son exclusivité car, comme l’indique Zola, toute la famille Maheu est anémique et semble qu’elle est chronique dans le coron. Philomène Levaque, la maîtresse de Zacharie, « se trouvait là, mince et pale, d’une figure moutonnière de fille crachant le sang. » (65) 43

Tableau 2. Illustration de Sophie Jacopin présentée par Martine Lochouarn

Bien que les principales causes selon le Pr. Patrice Cacoub cité par Lochouarn, « se répartissent en quatre grands groupes: carences en fer et saignements, maladies inflammatoires et infections

(rhumatismes inflammatoires, maladies infectieuses, maladies systémiques…), maladies hématologiques et insuffisance rénale chronique»1, certaines causes ne pourraient s’appliquer au cas de ces mineurs à savoir les deux dernières vue le travail fatigant qu’ils font face quotidiennement. Suivant le tableau explicatif du système hématologique ci-haut, ces ouvriers ne tiendraient pas longtemps si la cause de leur anémie était liée au manque d’oxygène qui diminuerait le taux d’hémoglobine du sang et entraînerait la destruction des globules rouges. La preuve, selon Zola, en est que la maturité tardive du sexe de Catherine est causée entre autre par

« le milieu de mauvais air et de la fatigue où elle vivait » (p.48). Malgré leur santé, les ouvriers

1 Martine LOCHOUARN est journaliste pigiste qui a écrit un article dans Le Figaro du 25 janvier 2012 se basant sur l’illustration de la perturbation de la distribution d’oxygène dans le corps humain de Sophie Jacobin. 44 travaillent pour survivre et le capitalisme minier ne s’en inquiète pas aussi longtemps qu’ils sont

à mesure de faire des profits.

L’exploitation des enfants complicité avec les industriels et les parents est due à la médiocrité des salaires, au manque de retraites légales, à l’allocation ou aux indemnités pour accidents au travail (Bender 120). Les enfants de 5 à 6 ans travaillent 14 heures dans les manufactures des cotons pour 89 centimes. La pénibilité du travail minier qu’endurent Jeanlin, Bébert, Lydie et

Catherine est inhumaine. “Il y avait le souvenir de sa dure jeunesse (la Maheude), la misère héréditaire faisant de chaque petit de la portée une gagne-pain pour plus tard(178) Aucune loi française au XIXe siècle n’autorise le travail des enfants dans les mines sauf dans “les manufactures, usines et ateliers à moteur mécanique” (Psichari,118) Seule la loi du 19 mai 1841 autorise les enfants de plus de 13 ans détenteurs de certificat d’étude et d’aptitude physique livrée par un docteur. (121) Contrairement à l’objectivité du mariage traditionnel français au

XIXe siècle, la nuptialité des enfants dans les corons constitue une perte de revenus pour les deux familles et provoque la discorde. La Maheude ouvre son cœur à sa voisine la Pierronne pour ce qui est du départ de son fils:

“Je les [Zacharie et Philomène] maudis, s’ils se collent… Est- ce que Zacharie ne nous doit pas d’une femme…qu’est-ce que nous deviendrions, dis? Si nos enfants travaillaient tout de suite pour les autres du respect? Il nous a coûté, n’est-ce pas? eh bien! Il faut qu’il nous rende, avant de s’embarrasser Autant crever? alors!”

Zacharie à deux enfants avec sa maîtresse Philomène, la fille des Lavaque et voisins des Maheu et la mère veut qu’ils se marient sous la résignation de la Maheude. Elle est désolée que cette fille aille lui prendre le gain de son ainé, mais oublie que ses grand-enfants ont besoin de leur 45 père sans oublier qu’ils consomment les Lavaque. La Maheude “tâchait donc de faire bon visage, le cœur anxieux, en ménagère qui se demandait comment elle joindrait les deux bouts, maintenant que commençait à partir le plus clair de sa bourse. » (151)1 La position de la

Maheude est une contradiction et constitue en soit l’injustice comme elle le remarque elle-même lorsqu’elle bénit finalement cette union. Cependant, la cohabitation inopinée de sa fille Catherine avec Cheval lui a surpris et ne lui en pardonnera jamais considérant sa réaction et l’accueil qui lui a été réservé pendant sa visite. Elle se plaint d’abord à Etienne qu’elle-même s’est mariée quand elle était grosse mais qu’elle n’a pas filé de ses parents: “jamais je n’aurais fait la saleté de porter avant l’âge l’argent de mes journées à un homme qui n’en avait pas besoin…” (220)

La Maheude ne peut pas se vanter d’être expert du vrai âge de mariage selon Henri et Houdaille:

“L’âge au mariage dépend de nombreux facteurs, individuels, collectifs, coutumes, contraintes

économiques, lois civiles.”(416) L’Ancien Régime accordait la permission nuptiale aux fillettes de 12 ans et aux garçonnets de 14 ans, l’âge auquel les deux sexes n’ont pas encore atteint la puberté. Le tableau ci-dessous révèle qu’entre 1830 et 1870 les jeunes gens se mariaient après

27 ans alors que le mariage des filles s’est passé après 24 ans. L’argument de la Maheude est compromis selon ces données. Zola donne 21 ans à son aîné Zacharie alors qu’elle a 39 ans (21), donc elle s’est mariée à l’âge de 18 ans. Tenant compte de l’enquête d’Henri et de Houdaille, la Maheude se serait mariée jeune, mais un peu plus âgée que sa fille Catherine. Le seul argument fondé est d’emporter des revenus que bénéficiait la famille. À moins que ses enfants ne se marient pas volontairement pour contenter leur mère, il serait injuste de le leur imposer alors qu’eux (père et mère) ont pris le chemin de la conjugalité. L’idée que Cheval n’a pas besoin de

1 Zola, Émile. Germinal. (Paris, 1956) 46 l’argent de Catherine est une preuve d’un extrême désespoir de la famille Maheu qui ne compte que sur la participation de leurs enfants aux subventions. Nulle part est enregistré qu’un gendre ou une bru (belle-fille) amenait sa contribution financière aux parents au lieu de s’occuper de leur propre et nouvelle famille.

Pour démontrer la théorie de Zola sur l’influence du milieu, la bande de Jeanlin et même tous les enfants des Maheu ne sont pas instruits malgré la proximité de l’école. C’est un manque de suivi et d’implémentation de la loi sur l’éducation insistant que les enfants de 6 ans doivent fréquenter l’école jusqu’à l’âge de 13 ans, contrecarrant ainsi la résolution des parents ouvriers de transformer leurs enfants en source de profit (Bender, 122). Il est vrai que ces enfants, surtout ceux des Maheu à l’exception de la scolarisation d’Alzire que Zola a mentionné une fois

(85), n’ont jamais eu la chance d’aller à l’école. Ces enfants aident leurs parents à subventionner la famille. Le père seule, traditionnellement fournisseur du pain, ne peut jamais satisfaire les besoins familiaux. Malgré cette participation, les mères sont perpétuellement anxieuses car les ouvriers (maris et enfants) ne trouveront rien à manger quand ils rentrent du travail. Peut-on accuser seulement la médiocrité salariale de cette précarité de ces ménagères ?

La cause de l’anxiété de la Maheude consiste spécialement de la grande famille à laquelle le père et ses trois enfants ne parviennent pas à nourrir convenablement de façon que la faim s’y soit nichée. Si on considère que l’objectivité traditionnelle de la conjugalité est de se multiplier, avoir beaucoup d’enfants comme les Maheu n’est pas un sacrilège bien que la Maheude se soit sentie coupable pour avoir sept enfants devant la désapprobation de madame Grégoire : 47

« -Vous n’avez que ces deux-là ? demanda madame Grégoire, pour rompre le silence.

- Oh ! madame, j’en ai sept.

M. Grégoire, qui s’était remis à lire son journal, eut un sursaut indigné.

- Sept enfants, mais pourquoi ? bon Dieu !

- C’est imprudent, murmura la vieille dame. » (90)

Serait-ce imprudent ou naturel d’avoir des enfants lors qu’on est marié ? L’une des caractéristiques d’une famille traditionnelle ouvrière ou paysanne est le nombre d’enfants. Le mariage précoce, la fécondité individuelle et la religion qui est contre le plan de la parentalité par l’usage des contraceptifs jouent un rôle important de la natalité. Contrairement à la famille nucléique ouvrière, celle de la bourgeoisie n’a plus de trois enfants. Les Grégoire n’ont que

Cécile, née tardivement et qui a « bouleversé le budget de quarante mille francs » (78)

Il est ironique d’avoir les moyens et de se refuser d’avoir des enfants. Ariès indique qu’un enfant est devenu précieux et unique pour la bourgeoisie du XIX e siècle. Les Maheu qui n’auraient que le budget de trois mille cinq cents francs au moment où Zola écrivit L’Assommoir (Pschari

80) étaient composés de huit membres. La raison de ce nombre de personnes d’une famille ouvrière en général est due, selon Shorter que cite Ariès « une très forte recrudescence des naissances illégitimes et des grossesses préconjugales », une source de revenus pour les parents et une main-d’œuvre pour les industriels. « La diminution du nombre des enfants appartient au modèle nouveau d’une famille bourgeoise ou petite-bourgeoise, qui se propose d’atteindre son but en favorisant l’ascension du fils plutôt que de la fille là où le père lui-même espérait accéder. » Citant le manque des donnés impliquant les contraceptifs en tant que cause de la

48 diminution de natalité bourgeoise, Ariès avance la théorie de chasteté de P. Chaunu et celle d’érotisme, « solitaire, bestiale, homosexuelle, hétérosexuelle » de J.-L. Flandrin.

Zola peint aussi d’autres familles qui n’ont pas beaucoup d’enfants à élever mais qui font face à la même intensité de pauvreté. Les Levaque, parents de la maitresse de Zacharie

(Philomène) tous travaillent (Levaque, sa femme, Lydie, Bébert, sans compter le logeur

Bouteloup qui paie sans doute le loyer). Cette famille comme tant d’autres sont dans de telle situation parce qu’elles ne sont pas raisonnables. Au lieu d’économiser pour les jours où ils ne travaillent pas, la consommation irraisonnable de l’alcool prime souvent et la famille ne compte que sur les voisins ou s’endette pour payer à la quinzaine. Madame Grégoire donne cette remarque à la Maheude lorsque cette dernière s’est rendue chez elle pour quémander de l’argent afin de mettre la nourriture sur la table. Cependant son mari est différent des autres car il boit rarement. Le maigre salaire des ouvriers du coron n’est pas dépensé seulement sur l’alcool.

Certains hommes comme Leqaque se rendent au bar Volcan où

« sur une estrade de planches dressée au fond, cinq chanteuses, le rebut des filles publiques de

Lille, défilaient, avec des gestes et un décolletage de monstres ; et les consommateurs donnaient dix sous, lorsqu’ils en voulaient une, derrière les planches de l’estrade. Il y avait surtout des herscheurs, des moulineurs, jusqu’à des galibots de quatorze ans, toute la jeunesse des fosses, buvant plus de genièvre que de bière. Quelques vieux mineurs se risquaient aussi, les maris paillards des corons, ceux dont les ménages tombaient à l’ordure. » (146)

Selon cette description du comportement de presque tous les habitants de Montsou que Zola détaille, Madame Grégoire a raison. Mais, cela ne prouve pas que sans consommation autre que l’achat des besoins élémentaires (loyer, nourriture, habits, toilettes, etc…), le salaire de ces 49 ouvriers leur permettrait de lier les deux bouts. Cette bourgeoise ne connaît pas la misère dans laquelle ils vivent et que Zola décrit, car lui s’est rendu dans les mines du Nord de la France pour

être témoin de leur exploitation excessive. Les miniers dans Germinal comme les ouvriers de

L’Assommoir finissent par s’enivrer puisqu’ils n’ont pas d’autres moyens de divertissement après le travail. La socialisation des adultes se fait au cabaret au moment où les adolescents mettent en pratique ce qu’ils ont vu de l’intimité de leurs parents.

3.2.3 Étroitesse spatiale et sexualité libre

L’espace des miniers se place généralement sous terre où ils passent plus de dix heures de travail, dans leurs petites maisons et dans les cabarets. Tous ces milieux désavantagent soit les enfants ou les adultes d’une façon ou d’une autre. Le lieu de travail au fond de la mine

« était un véritable boyau, de toit très inégal renfle de continuelles bosses : à certaines places, la berline chargée passait tout juste, le herscheur devait s’aplatir pousser sur les genoux […] on se coulait à plat ventre, avec la sourde inquiétude d’entendre brusquement craquer son dos. » (43)

Suite aux différentes positions quelquefois comme celles des animaux près à s’accoupler que prennent les femelles pour pouvoir creuser du charbon et se déplacer avec les berlines dans ce type de boyau bas, sombre et chaud, elles éveillent des sentiments sexuels des mâles et ces derniers n’attendent que la fin du travail pour les prendre par force ou consentement.

« Le roulage reprit aux neuf étapes, […] et que l’ébrouement des hercheuses arrivant au plan, fumantes comme des juments trop chargées. C’était le coup de bestialité qui soufflait dans la fosse, le désir subit du male lorsqu’un mineur rencontrait une de ces filles à quatre pattes, les reins en l’air, crevant de ses hanches sa culotte de garçon. » (45) 50

Bien que cela soit à la jalousie, Cheval ne s’est même pas donné la peine d’attendre Catherine à la sortie pour témoigner sa bestialité sexuelle car il « l’empoigna par les épaules, lui renversa la tête, lui écrasa la bouche sous un baiser brutal […] » (49). Catherine se montre résistante contrairement aux promiscuités du coron où les filles de son âge se jettent « à cul (avec les garçons) sur la toiture basse et en pente du carin dès la nuit tombée. » (98)

D’une part, l’attitude de ces enfants est le résultat des pratiques sexuelles indiscrètes des parents qui ne peuvent pas attendre que leurs enfants soient complètement endormis (impossible d’être sûr) ou partis; de l’autre part, la responsabilité tombe sur la compagnie minière qui n’a pas respecté le modèle des maisons mandaté par le gouvernement. « On vivait coude à coude, d’un bout à l’autre » dans des constructions en briques, mais aux minces murs ; « et rien de la vie intime n’y restait caché, même aux gamins » (20). Les enfants observent ou entendent soit les parents ou les voisins en acte sexuel. Entassés dans une maison comme les Maheu qui logent dans une maison de deux chambres, rien ne passe inaperçu malgré qu’ils soient toujours rappelés de rester en haut quand leur père se douche et jouit de son « dessert gratuit ». Mais rien ne les empêchent de s’émerveiller gratuitement de l’intimité de leur voisin les Levaque. La Levaque se contente de son mari et du locateur qu’ils hébergent, une pratique dans le coron qui entraîne le locataire à devenir souvent l’amant de la maîtresse de la maison.

« Jeanlin ricana, les yeux d’Alzire eux-mêmes brillèrent. Chaque matin, ils s’égayaient ainsi du ménage à trois des voisins, un haveur qui logeait un ouvrier de la coupe à terre, ce qui donnait à la femme deux hommes, l’un de nuit, l’autre de jour. »(20)

Ces enfants qui observent les adultes ne feront que les imiter pour explorer. Jeanlin et Lydie ne perdent pas le temps même en présence de leur ami Bébert. « C’était sa petite femme, ils 51 essayaient ensemble, dans les coins noirs, l’amour qu’ils entendaient et qu’ils voyaient chez eux

[…] elle se laissait prendre […] dans l’attente de quelque chose qui ne venait point. » (120) Zola expose cette sexualité bestiale dans le coron pour exprimer son mécontentement et inciter une solution à ce problème qui endommage les mœurs de la société. Cependant, la Compagnie ne s’intéresse pas aux investissements qui n’amènent pas les profits. Ils pénalisent les mineurs pour le boisement faible qui coûterait la vie des mineurs et par conséquent ils obligent d’indemniser les membres des victimes. La Compagnie a raison, mais la réduction du salaire ne fait qu’exacerber la situation des mineurs ; ce qui a d’ailleurs provoqué la grève. La maximisation du profit sans compter le bien-être des employés est un risque pour toute activité lucrative.

3.3. La dévalorisation féminine

La description situationnelle féminine dans Germinal est déplorable soit parce qu’elle fait d’abord partie du monde des mineurs misérablement traités par la Compagnie et dont elle est membre soit qu’elle a été toujours victime de la société patriarcale. Jean-Jacques Rousseau indique qu’elle a une sensualité insatiable, mais selon Kant, ce n’en est pas question que les hommes s’en approprient sexuellement en dehors de la conjugalité (Crequie 2007). Il est remarquable que le manque de respect de la femme soit dû d’abord à l’étroitesse du milieu dans lequel les deux évoluent et l’impulsivité sexuelle des hommes, ensuite de la pauvreté ménagère et bien sûr de cette sensualité dont parle Rousseau et du matérialisme féminin.

3.3.1. Amour étrange

La façon dont on se présente peut provoquer une réaction néfaste ou favorable. Les positions que prennent obligatoirement les herscheuses sous terre poussant les berlines remplies de charbons dans un conduit étroit sous un coup d’œil scrutateur masculin fait naître dans celui-ci 52 un désir sexuel qui lui est difficile à maîtriser. Elles naviguent « le boyau » « à quatre pattes » avec « les reins à l’air ». Catherine était sur son séant lorsqu’elle subit le baiser brutal et

« possessif » de Cheval. Le symbolisme du baiser doux et consenti est un témoignage d’amour et l’on ne doute pas que celui-là est une mise en garde contre Etienne qui semble s’intéresser à elle et un acte de réclamer sa propriété malgré la révolte de Catherine. Le fait de prendre sa tête dans ses mains et la dévisager longtemps sans rien dire est un avertissement qu’elle ne songe même pas à appartenir à quelqu’un d’autre. Cette même attitude s’est produite une fois dehors quand

Cheval la force à avoir sexe avec lui. Elle la pousse dans un coin obscur sous sa protestation et la vigilance d’Etienne qui prend cette réaction des filles en général comme un moyen de consentement et son intervention pour la sauver serait une interférence. Catherine subit « le mâle avant l’âge, avec cette soumission héréditaire, qui, dès l’enfance, culbutait en plein vent les filles de sa race. » (126) Dès lors, il la force de vivre avec lui car à la moindre résistance, désobéissance ou tentative de s’échapper la menace de la battre, ce qu’il a mis en action même devant sa mère et Etienne. Il est évident qu’Etienne se garde de l’escalade de la violence et de se mêler dans les affaires des autres, mais l’attitude inactive de la Maheude vis-à-vis de la violence que subit Catherine est inimaginable. Peut-être que Cheval serait le bourreau de la Maheude qui voit son souhait réalisé quand elle déclare : « je t’aurais déjà fichu mon pied quelque part » et que momentanément apparaît Cheval qui assène un coup de pied dans le derrière de Catherine pour être venue se faire « tamponner » et leur approvisionner du café avec son argent. (221)

3.3.2. Exemplarité parentale

Le manque de respect que les hommes pratiquent sur les femmes ne passe pas inaperçu aux enfants qui pensent que c’est commode. Jeanlin bat Lydie, sa « petite femme », puisqu’il le faut.

53

C’est la manière dont on traite les femmes. Elles ne peuvent pas d’ailleurs garder un secret, confit Jeanlin à Etienne (262). Pourquoi ne le ferait-il pas ? N’est-ce pas que son père approuve qu’on batte la Levaque pour ne pas avoir apprêté la nourriture ? Maheu dit : « Si la soupe n’est pas prête, ça se comprend »(108). C’est sûr que Jeanlin était à toute oreille lors de cette déclaration et puisqu’ils (Jeanlin et Lydie) font maman et papa, il fallait imiter tout ce que leurs parents font. Il est connu que les enfants apprennent de leur environnement (parents, frères et sœurs, servantes, compagnons de jeu). «C’était trop tôt à leur âge ; mais quoi ? Ils en voyaient tant, ils en entendaient de si raides […] » (120). Zola présente ironiquement le comportement de

Jeanlin à l’égard de Lydie comme une attitude sociale légalement acceptable. « Depuis quelque temps, Jeanlin abusait. Il battait Lydie comme on bat une femme légitime […] »(256) La position de Zola est toujours de mettre à nu le problème que fait face la société afin d’y porter une solution. Mais la participation active de ces femmes est indispensable pour l’amélioration de leurs conditions en commençant par se comporter raisonnablement.

3.3.3. Auto-dévaluation

« Aide-toi le ciel t’aidera », déclare ceux qui croit à la Providence. Le fruit du travail se manifeste après avoir fourni tous les efforts possibles. Mais l’adoption de l’oisiveté ne produira sûrement aucun résultat positif à une situation négative. Les hommes en général considèrent les femmes d’être extrêmement sensuelles pour pouvoir se contrôler devant leurs avances ou se passer des hommes. Zola exploite beaucoup cette soi-disant « faiblesse féminine » dans

Germinal où il présente des scènes de la bestialité sexuelle des jeunes filles et des jeunes garçons et la promiscuité des femmes du coron. Etienne « tomba encore sur des couples. […] autour de la 54 vieille fosse en ruine, toutes les filles de Montsou rodaient avec leurs amoureux. […] On se logeait quand même, coudes à coudes, sans s’occuper des voisins. » (120-1)

Cette promiscuité généralisée des jeunes qu’ils ont d’ailleurs appris des parents ne change sans doute pas pendant la conjugalité. Le silence des parents sur cette dégradation des mœurs semble trouver leur approbation puis que Zola ne voit aucun parent qui dénonce ce comportement qui est

à l’ordre du jour. L’auteur fait remarquer la conduite irraisonnable de quelques femmes individuellement. La Mouquette « se rendait toute seule à la fosse ; et, au milieu des blés en été, contre un mur en hiver, elle se donnait du plaisir, en compagnie de son amoureux de la semaine.

Toute la mine y passait, une vraie tournée de camarades, sans autre conséquence. »(30)

Ce comportement bestial que Zola compare avec celui des juments conduit à la perte précoce de l’innocence des plus jeunes « dans des conditions éhontées et désinhibées » (Bender 312).

Bien que cette sexualité libre soit rampante chez les ouvriers, Zola ne laisse pas les bourgeois sans tâche. Il les oppose quant à la procréation par une a sept, mais expose une part de leur

« sensualité de blonde gourmande »(191). La Hennebeau se passe de son mari pour se trouver des amants peu importe la décision que prend son mari pour lui rendre ses aventures difficiles.

Ne pas avoir autant d’argent que ses parents donne-t-il un feu vert à l’infidélité ? L’acceptation de la direction des mines de Montsou est une façon de l’entrainer où il sera difficile de rencontrer des amants. Malheureusement, l’arrivée de Paul Negrel, le neveu de M. Hennebeau, satisfait les besoins sexuels inassouvis de Madame Hennebeau et exaspère la consternation de l’oncle qui considère cette nouvelle aventure incestueuse (193).

3.3.4. Femme, objet d’échange

55

Le thème de respect féminin est sérieusement exploité dans les trois œuvres de Zola : Au

Bonheur des Dames, L’Assommoir et Germinal. Mouret voit les femmes comme source de

satisfaction financière et sexuelle. Lantier et Coupeau abuse de la bonté de Gervaise et la conduit

à la ruine alors que Maigrat profite de la misère des familles de Montsou pour donner des dettes

en échange de sexe des femmes ou de leurs filles malgré qu’il soit marié à

« une créature chétive qui passait les journées sur un registre, sans même oser lever la tête. […] On

racontait qu’elle cédait le lit conjugal aux herscheuses de la clientèle. C’était un fait connu : quand un

mineur voulait une prolongation de crédit, il n’avait qu’à envoyer sa fille ou sa femme, laide ou belle,

pourvu qu’elles fussent complaisantes. »(88)

Seule la Maheude désapprouve cette pratique dégoutante et prédit sa fin tragique quand Maigrat

lui refuse l’avance de nourriture qu’elle payerait à la quinzaine pour lier les deux bouts. « Ça ne

vous portera pas chance, monsieur Maigrat, rappelez-vous », dit la Maheude. (88) « Le tyran

capricieux » a une rancune contre la Maheude puisqu’elle n’envoie pas sa fille Catherine. La

prédiction de la Maheude ne tardera pas à se réaliser durant la grève. Quand les mineurs crèvent

de faim, toutes les femmes du coron se rendent chez Maigrat pour lui supplier de leur donner un

crédit et leur répond sarcastiquement qu’il donnerait « sa boutique à la Brûlé, si elle le prenait

pour un galant » avant de les chasser dehors et de bousculer l’une d’elle. Peu de jour, sa chute

mortelle du toit occasionne sa castration et les femmes font une parade avec son sexe au bout d’un

bâton. Le manque de respectabilité féminine provoque ici la mort de l’offenseur alors que dans Au

Bonheur des Dames change l’exploiteur Mouret en amoureux et conduit la victime aux une ruines

mortelles dans Germinal L'Assommoir. Conclusion

La représentation de la femme zolienne dans les œuvres analysées est un miroir de soi-même en tant que membre du noyau social et la société misogyne en général destinée à réveiller leur conscience pour mettre en place un processus de solutions durables à ces comportements qui ruinent la société. La nervosité féminine qu’exploite le mercantile de divers hommes d’affaires est un combat perpétuel que les femmes doivent mener afin de mettre fin d’être traitées comme objet de toute sorte d’exploitation, mais d’être appréciées du double rôle qu’elles jouent : ménagères, ouvrières ou fonctionnaires selon les périodes de l’histoire. Bien que le pessimisme domine dans L’Assommoir et Germinal, L’optimisme de Zola exprimé à travers Denise Baudou et d’Octave Mouret, ayant au début des idées opposées sur la finalité de la sexualité et la gestion des ressources humaines, a changé à un compromis. Ils envisagent de se marier malgré l’inégalité sociale et créent une caisse de secours pour ouvriers. Cet accomplissement révèle que celle la conjugaison des efforts de deux sexes et de la société en général peut changer le système socio-politique défavorisant le sexe féminin. Zola ne fait qu’étaler les problèmes que font face la société afin de réveiller ceux qui sont en charge tout en refusant de peintre autrement les situations pour plaire au système.

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