Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem

17 | 2006 Varia

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/bcrfj/30 ISSN: 2075-5287

Publisher Centre de recherche français à Jérusalem

Printed version Date of publication: 30 November 2006

Electronic reference Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 [Online], Online since 11 September 2008, connection on 22 March 2020. URL : http://journals.openedition.org/bcrfj/30

This text was automatically generated on 22 March 2020.

© Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem 1

TABLE OF CONTENTS

La vie du CRFJ

Activités de l'année 2006

Articles

La céramique aux lignes peintes Étude d’un fossile directeur de l’âge du Bronze ancien au Levant sud Guillaume Charloux

Pour une approche anthropologique de la transition Épipaléolithique-Néolithique au Proche- Orient Fanny Bocquentin

Depuis quand existe-t-il un messianisme juif ? Mireille Hadas-Lebel

Les notions de « texte » et de « musique » au miroir des traditions liturgiques Frank Alvarez-Pereyre

Le service militaire et la condition des femmes en Israël Quelques éléments de réflexion Ilaria Simonetti

L’image des États-Unis dans les relations israélo-palestiniennes entre 1988 et 1992 Une grande puissance interventionniste autant adulée que décriée Emmanuelle Meson

L’introuvable déségrégation ethnique des villages communautaires juifs de Galilée Pierre Renno

Les Israéliens d’aujourd’hui et la Shoah ou le rôle de la « troisième génération » dans l’élaboration de nouvelles pratiques mémorielles Guila Sylvie Nakache

Le traumatisme des enfants cachés. Conséquences psychologiques du vécu de persécution antisémite chez les enfants juifs cachés en France pendant la Seconde Guerre mondiale Nathalie Zajde

English Translations

Liturgy and the Concepts of « Text » and « Music » Frank Alvarez-Pereyre

The Image of the United States in the Israeli-Palestinian relationships from 1988 to 1992 An Interventionist Super Power Loved and Decried Emmanuelle Meson

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 2

Today’s Israelis and the Shoah or the Role of the “Third Generation” in the Development of New Memory Practices Guila Sylvie Nakache

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 3

La vie du CRFJ

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 4

Activités de l'année 2006

I. Rencontres scientifiquesCentenaire d’Emmanuel Levinas Le Centre de recherche français de Jérusalem s’est associé aux manifestations internationales qui ont célébré, tout au long de l’année 2006, le centenaire de naissance du philosophe français Emmanuel Levinas. Le colloque international « A Century with Emmanuel Levinas: Resonances of a Philosophy » organisé par l’Université hébraïque de Jérusalem, s’est tenu du 16 au 20 janvier 2006 à Jérusalem, sous la responsabilité scientifique de J. Hansel et de M.-A. Lescourret. Les débats se sont attachés à étudier particulièrement ses écrits philosophiques et ses écrits juifs. Le judaïsme en Arabie à l’aube de l’islam Les 5, 6 et 7 février 2006 s’est tenu à Miskhenot Sha’ananim, centre des rencontres prestigieuses de Jérusalem, le colloque international du CRFJ en coopération avec l’Université hébraïque de Jérusalem, l’Institut Ben-Zvi et le CNRS, organisé par Christian Robin, coordinateur scientifique (DR CNRS, membre de l’Institut) et al. S’appuyant sur les progrès de la connaissance de l'Arabie antique des dernières décennies, les participants ont montré qu’il était possible d'écrire une histoire de l'Arabie préislamique et de l'articuler avec l'histoire du Proche-Orient et de la Méditerranée orientale. Ils se sont attachés d’une part à montrer que l'islam est l'héritier d'une longue histoire arabique, qui explique assez bien ses caractères les plus anciens, d’autre part à mieux cerner les interrogations qui doivent guider les recherches à venir. Les travaux de cette rencontre, de haut niveau, donneront lieu à publication. La notion de commandement divin dans le judaïsme et en islam Les 27 et 28 mars 2006, Katell Berthelot (CR CNRS, MMSH Aix-en-Provence, et chercheuse associée au CRFJ) et Sarah Stroumsa (PU et Vice-recteur UHJ) ont organisé une table ronde « La notion de commandement divin dans le judaïsme et en islam ». Les participants, israéliens, français ou canadiens, ont constitué un groupe de travail pour analyser la représentation de la Loi dans le judaïsme et l’islam. Ce groupe doit se réunir, à Aix-en-Provence ou à Jérusalem, pour mener à bien une recherche programmée pour trois ans. Actualité et enjeux des mobilisations sociales et politiques dans l’espace israélo- palestinien

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 5

Première du genre, la Rencontre doctorale du Centre de recherche français de Jérusalem s’est tenue les 24 et 25 avril 2006. Ces « rencontres doctorales », annuelles, sont organisées par les doctorants du Centre, pour réunir étudiants français, israéliens et palestiniens engagés dans des recherches similaires et qu’une approche pluridisciplinaire peut enrichir. Le thème de la rencontre, organisée par Elisabeth Marteu, boursière au CRFJ en 2005, était : « Actualité et enjeux des mobilisations sociales et politiques dans l’espace israélo-palestinien ». Il concerne la problématique des mouvements sociaux et de la construction des causes dans l’espace israélo-palestinien. Les sociétés israélienne et palestinienne assistent au développement d’une société civile qui se présente comme une alternative aux carences ou discriminations des politiques étatiques et comme une arène diverse et variée de prise de parole. Les intervenants se sont attachés à analyser la nature et les enjeux des différentes structures de mobilisation collective en interrogeant le processus même de construction des identités et des causes. L’émergence de ces groupes d’intérêts entraîne des question-nements sur la nature et l’avenir des fondements du consensus national. La mise en ligne de l’ensemble des communications est prévue. Une publication est envisagée pour dix communications, qui sont de très haut niveau. Linguistique des langues juives Les 2 et 3 juillet 2006, Frank Alvarez-Pereyre (CNRS, chercheur associé au CRFJ) a réuni ses collègues français et israéliens dans un atelier intitulé « Linguistique des langues juives » pour faire le point des avancées de ces dernières années dans ce domaine de recherche et élaborer un programme de travail. Moshe Bar-Asher (Université hébraïque de Jérusalem et Président de l’Académie de la langue hébraïque), Ofra Tiroch-Beker (Université hébraïque de Jérusalem), Michaël Rizik (Académie de la langue hébraïque), Ora Schwarzwald (Université Bar Ilan), David Bunis (Université hébraïque de Jérusalem), Joseph Chétrit, (Université de Haïfa), Marie-Christine Bornes- Varol (INALCO), Georges Drettas (CR au CNRS) et Simone Mrejen-O’Hana (HDR) ont participé aux travaux. L’intégration des « rapatriés de l’intérieur » : le cas des rapatriés d’Algérie en métropole vs les colons rapatriés à l’intérieur de la ligne verte L’atelier bilatéral franco-israélien organisé par le Centre de recherche français de Jérusalem en coopération avec le Leonard Davis Institute for International Relations de l’Université hébraïque de Jérusalem, s’est tenu à Jérusalem, les 16 et17 octobre 2006 sous la direction scientifique de Laura Wharton et de Denis Charbit. Les intervenants, français et israéliens, ont dégagé des problématiques nouvelles en mettant l’accent sur les spécificités des différentes communautés de Pieds Noirs et de leur engagement politique par rapport à la France, et sur la limite du parallèle entre la situation des Pieds Noirs rapatriés d’Algérie et des « colons » israéliens rapatriés à l’intérieur de la « Ligne verte ». Techniques and People: Antropological Perspectives on Technology in the Archaeology of the Protohistoric and Early Historic Periods in the Southern Levant Du 14 au 16 novembre 2006, le Centre de recherche français a organisé en coopération avec l’Université Ben-Gourion du Néguev un atelier franco-israélien sur « Techniques and People: Anthropological Perspectives on Technology in the Archaeology of the Proto-Historic and Early Historic Periods in the Southern Levant » sous la direction scientifique de Valentine Roux (DR CNRS, UMR 7055, MAE, Université Paris X et

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 6

chercheuse associée au CRFJ) et de Steve Rosen (professeur à l’UBG). Les vingt-deux communications présentées visaient à appliquer l’approche technologique à l’étude des trajectoires évolutives des techniques au Sud-Levant du IVe au Ier millénaire avant notre ère. Les questions touchant à l’organisation socio-économique de la production artisanale et aux changements techniques ont été au centre des débats. On les a abordées à partir de matériaux aussi divers que le lithique, la céramique, le métal, les parures, les technologies hydrauliques, etc. Cet atelier servira de point de départ à plusieurs projets coopératifs dans le domaine de l’industrie lithique, de la technologie céramique et de la paléométallurgie, ainsi qu’à l’organisation de séminaires animés par des chercheurs français aux universités de Jérusalem et de Tel-Aviv. La publication des Actes de cette rencontre est prévue en 2007. II. Séminaires Les séminaires de recherche du Centre de recherche français de Jérusalem se tiennent dorénavant une ou deux fois par mois. Ils sont destinés à présenter et discuter les travaux des chercheurs du Centre, en particulier des boursiers. - 27 janvier : Yona Zianga (doctorant à l’Université Marc Bloch), Les Lemba, peuple juif : discours sur les origines ? - 24 février : Bernadette Bensaude-Vincent (professeur, Université Paris X-Nanterre), Chimique ou naturel ? - 24 mars : Karine Lamarche (doctorante, boursière du CRFJ), Les dynamiques identitaires chez les militants israéliens opposés à l’occupation. - 28 avril : Ilaria Simonetti (doctorante, mois-chercheur du CRFJ), Les mouvements de femmes en Israël. - 19 mai : François R. Valla (DR CNRS), Mallaha et la sédentarité. - 29 septembre : Guila Nakache (doctorante), Les représentations de la Shoah dans la société israélienne de 1973 à nos jours : étude du discours politique et des débats culturels. - 27 octobre : Deborah Sebag (doctorante, boursière du CRFJ), L’habitat du Bronze ancien au Levant. - 13 novembre : Sylvain Bauvais et Philippe Fluzain, La métallurgie du fer. Les différentes approches archéologiques et archéométriques : un lien entre passé, présent et avenir. - 27 novembre : Pierre Renno, (doctorant, boursier du CRFJ), La judaïsation de la Galilée. - 8 décembre : Eva Telkes-Klein (CRFJ), Parcours dans des archives. III. Conférences Le Centre de recherche français de Jérusalem a poursuivi cette année son cycle de conférences mensuelles, chaque premier mercredi du mois, à l’intention d’un public élargi. - 4 janvier : Florence Heymann (IR CNRS, CRFJ), Czernowitz comme paradigme des identités juives de la Mitteleuropa. - 15 février : Mireille Hadas-Lebel (professeur à l’Université de Paris IV), Y a-t-il un messianisme juif avant le Ier siècle de notre ère ? - 1er mars : Bernadette Bensaude-Vincent (professeur, Université Paris X-Nanterre), Les nanotechnologies vont-elles reconfigurer les rapports entre science et grand public ? - 21 mars : Michaël Jasmin (chercheur associé), La route de l’encens.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 7

- 15 mai : Tilla Rudel, Walter Benjamin, l’ange assassiné. - 7 juin : David Khalfa (boursier doctorant du CRFJ), Le plan de désengagement unilatéral : l’échec historique du mouvement des colons. - 12 septembre : Samuel Ghiles Meilhac, Le Monde Diplomatique et Israël, 1954-2004. Histoire moderne de l’État juif à travers un journal français de référence. - 4 octobre : Lisa Anteby-Yemini (CR CNRS, Institut d’ethnologie méditerranéenne et comparative d’Aix-en-Provence), Les Juifs éthiopiens. - 8 novembre : Nelly Zilber (CR CNRS, CRFJ), Israël, un laboratoire pour les recherches en épidémiologie. - 6 décembre : Deborah Sebag, Urbanisation et architecture au Levant-Sud à l’aube de l’histoire. IV. Fouilles La Mission archéologique de Tel Yarmouth a réalisé du 17 juillet au 11 août 2006 sa seizième campagne de fouilles sous les auspices du Centre de recherche français de Jérusalem et de l’Institut d’archéologie de l’Université hébraïque de Jérusalem. Les travaux étaient dirigés par Pierre de Miroschedji, assisté d’une équipe franco- israélienne d’archéologues et de techniciens, ainsi que d’une vingtaine de volontaires, principalement français et israéliens, et d’une dizaine d’ouvriers. Les travaux ont porté sur trois chantiers de la ville basse. Trois résultats majeurs ont été atteints au cours de cette campagne : - Au chantier Bb, dans la cour nord-est du Palais B1 (fin du Bronze ancien III, vers 2 500-2 400 avant notre ère), la structure circulaire identifiée en 2003 s’est révélée être un puits maçonné de plus de 4 m de profondeur. Il donne accès à une structure creusée dans le rocher, dans laquelle on pénètre par une ouverture circulaire d’un mètre de diamètre ; cette structure reste à fouiller, mais il s’agit très probablement d’une citerne, la plus ancienne attestée au Levant. Que cette citerne se trouve à l’intérieur du palais B1, où elle était alimentée par un réseau de canalisations, ouvre des perspectives nouvelles pour interpréter cette vaste construction et apprécier sa signification socio- politique à l’aube de l’émergence des premières structures étatiques au Proche-Orient. - Au chantier Ja, les fouilles ont précisé la stratigraphie du secteur pour les périodes du Bronze ancien III et de la fin du Bronze ancien II. On a mis au jour au niveau J-2 une quantité impressionnante de poteries in situ. - Enfin, au chantier Jc (qui jouxte le précédent) et au chantier K voisin, les travaux ont porté sur les fortifications du Bronze ancien II (Muraille A). Elles ont révélé que le « Bâtiment K », identifié en 1997, date en réalité du Bronze ancien II, et qu’il s’agit d’un bastion monumental, de plan rectangulaire, mesurant 22 m de long pour 9 m de large, qui renfermait trois pièces. Des indices suggèrent que d’autres bastions similaires existaient dans cette partie du site, le long du front sud-ouest de la ville, où la topographie nécessitait des défenses plus puissantes. Calendrier 2007I. Rencontres scientifiquesLa Shoah, paradigme des traumatismes psychiatriques du XXe siècle 23-25 janvier 2007 : le colloque international La shoah, paradigme des traumatismes psychiques du XXe siècle organisé à l’occasion de la journée internationale de commémoration en mémoire des victimes de l’Holocauste (27 janvier) se tiendra à l’Université de Tel-Aviv. Dynamiques identitaires des survivants de la Shoah

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 8

29-30 janvier 2007 : L’atelier international Holocaust Survivors in the Main Countries of Resettlement: Space, Memory and Identity aura lieu les 29 et 30 janvier 2007. Organisé conjointement par Françoise Ouzan, chercheuse associée au CRFJ, et Dalia Ofer, directrice de l'Institute of Contemporary Jewry de l'Université hébraïque de Jérusalem, il se tiendra sous les auspices du Centre de recherche français de Jérusalem et de l’Université hébraïque de Jérusalem. Séminaire de Jérusalem sur les Lieux saints 25-27 février 2007 : Organisé par Régis Debray avec la collaboration du Consulat Général de France, de l’Ambassade de France en Israël et du Centre de recherche français de Jérusalem. Les 2e Rencontres doctorales du Centre de recherche français de Jérusalem Les 2e Rencontres doctorales du Centre de recherche français de Jérusalem se tiendront les 25 et 26 avril 2007, sur le thème Territoires, identités et frontières dans l’espace israélo- palestinien. Organisées par les boursiers doctorants du laboratoire, Hélène Sallon, Pierre Renno et David Khalfa, elles réuniront des participants, venus de France, d’Israël et des Territoires de l’Autorité palestinienne et des chercheurs confirmés qui discuteront leurs approches Transnistrie : paysages évanouis de l’histoire et de la mémoire 20-21 mai 2007 : Organisé par Florence Heymann (CRFJ), Leon Volovici, (Université hébraïque de Jérusalem) et Raphael Vago, (Université de Tel-Aviv), l’atelier international Transnistrie : paysages évanouis de l’histoire et de la mémoire se tiendra au Centre de recherche français de Jérusalem les 20 et 21 mai 2007. Atelier franco-israélien sur la « Linguistique des langues juives » 4-6 septembre 2007 : Organisé par Frank Alvarez-Pereyre (DR CNRS, chercheur associé au CRFJ) et Moshe Bar-Asher (professeur, Univ. hébraïque de Jérusalem, Président de l’Académie de la langue hébraïque). Atelier international ARCANE 14-19 octobre 2007 : Organisé par Pierre de Miroschedji, co-président du Comité de direction du projet international ARCANE (Associated Regional Chronologies of the Ancient Near East), l’Atelier international sur la chronologie du Levant Sud au IIIe millénaire aura lieu du 14 au 18 octobre 2007 à Blaubeuren (Allemagne) sous les auspices de la Fondation européenne de la Science et du CRFJ. II. Séminaires 9 février : Catherine Gransard, Les enfants issus de mariages entre juifs et chrétiens : des métis ? 23 février : Gaëlle Le Dosseur, Exploitation des matières osseuses au Levant et Néolithisation. De l’évolution technique, économique, sociale et symbolique des productions osseuses aux diffusions régionales. 23 mars : Ilaria Simonetti (doctorante, boursière CRFJ), Femmes militaires en Israël : trois études de cas. 13 avril : Eléonore Merza (doctorante, boursière CRFJ), Sentiments d’appartenance, fantasmes et discours de valorisation dans la construction de l’identité en situation diasporique à travers l’exemple des populations tcherkesses musulmanes non arabes d’Israël. 11 mai : Cédric Parizot, (CRFJ), Le rôle des affects dans la recherche anthropologique.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 9

25 mai : Deborah Sebag (doctorante, boursière CRFJ), La maison au Bronze ancien : construction, utilisation, destruction. 8 juin : Hamudi Khalaily (archéologue, Office national des antiquités, chercheur associé CRFJ), The Ghazalian culture as a mark of the beginning of the Pottery Neolithic of the Southern Levant. III. Conférences 3 janvier : Pierre de Miroschedji (Directeur, CRFJ), Expansion et effondrement des civilisations du Levant méridional du IVe au Ier millénaire. 17 janvier :William Berthomière (CR CNRS, chercheur associé au CRFJ), Les migrations internationales aujourd’hui : flux et dynamiques sociales. 7 février : Laurence Coulon, L’opinion française face au conflit israélo-arabe, 1947-1987. 4 avril : Cédric Parizot (CR CNRS, chercheur associé au CRFJ), Entrepreneurs sans frontières. Contrebande et économie frontalière dans l’espace israélo-palestinien, 2000-2006. 2 mai : Hélène Sallon (doctorante, boursière du CRFJ), La judiciarisation du politique en Israël. 16 mai : Pierre Renno (doctorant, boursier du CRFJ), Les nouveaux "pionniers" israéliens - une approche sociologique de la politique de judaïsation de la Galilée (1978 - 2006). 6 juin : Jean Baumgarten (DR, CNRS), L’histoire du livre juif : impression, diffusion et lecture des ouvrages. IV. Fouilles La Mission archéologique de Tel Yarmouth organisera du 8 juillet au 31 août 2007 sa dix-septième campagne de fouilles sous la direction de Pierre de Miroschedji et au nom du Centre de recherche français de Jérusalem et de l’Institut d’archéologie de l’Université hébraïque de Jérusalem. Les travaux viseront à compléter le dégagement de l’installation hydraulique identifiée en 2006 dans la cour nord-est du Palais B1 ; à poursuivre la fouille des habitations du IIIe millénaire au chantier Ja ; et à préciser l’organisation des fortifications le long du front ouest de la ville.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 10

Articles

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 11

La céramique aux lignes peintes Étude d’un fossile directeur de l’âge du Bronze ancien au Levant sud

Guillaume Charloux

1 En raison de sa valeur chrono-culturelle et d’une dispersion géographique limitée, la poterie peinte (Line-Group Painted Pottery) a longtemps été au centre des problématiques archéologiques concernant l’âge du Bronze ancien (BA) au Levant sud. En 1937, G. E. Wright reconnaissait déjà cet ensemble en tant que « southern counterpart » de la céramique grise lustrée1, à une période alors mal connue. Ce faisant, il introduisit ce qui fut l’un des thèmes les plus discutés de la céramologie « archéologique » de la seconde moitié du IVe et du IIIe millénaire avant notre ère au Levant méridional.

2 La présente étude a pour objectif de dresser un état des connaissances sur le sujet, dans l’optique de présenter une classification morpho-stylistique originale des céramiques aux lignes peintes et d’exposer ses implications en termes de compréhension de la structure sociale et de périodisation chronologique. Elle se limite à la période allant du BA I (environ 3 700-3 050 av. J.-C.) au BA II-III (environ 3 050-2 250 av. J.-C.). Le BA IV (2 250-2 000 av. J.-C.) est intentionnellement écarté de l’examen, bien que le décor peint y soit attesté2. Historique de la recherche sur la céramique peinte 3 À partir du résultat des fouilles de Jéricho, K. M. Kenyon proposa une vision décisive du matériel du Bronze ancien I. Sur la base des découvertes faites dans les tombes, elle divisa le répertoire céramique en trois catégories bien connues qu’elle nomma Proto- Urban (PU) A (« Red Burnished Ware »), B (« Line-Group Painted Ware ») et C (« Grey Burnished Ware »). Chaque catégorie représentait la marque ethnique de groupes étrangers ayant envahi la Palestine, selon le modèle diffusionniste alors en usage. K. M. Kenyon abordait donc la question de l’origine de la poterie, question posée à de nombreuses reprises par la suite, en fonction des assemblages des sites archéologiques de ‘Ai, Bâb edh-Dhra’ et Tell el-Fâr‘ah. La connexion chronologique entre les peuples de la poterie peinte et ceux de la poterie rouge lustrée, qu’elle estimait contemporains3, était au centre du problème4, tandis que le Père R. de Vaux envisageait plutôt que la culture PU B était le dernier groupe arrivé au Levant sud5.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 12

4 Cette position déterministe a été sujette à de nombreux commentaires par la suite, en raison de l’absence de parallèle stylistique découvert hors du Levant sud. Les chercheurs ont envisagé un large éventail de solutions, allant de l’absorption des traditions chalcolithiques locales par des peuples migrateurs6, à la confrontation de plusieurs groupes exogènes PU A et PU C et d’un groupe indigène PU B 7, ou encore au refus total de ces théories et à l’émergence locale des traditions de productions « proto- urbaines 8». Cet éventail reflète, semble-t-il, des interprétations subjectives nées de la découverte d’assemblages différents, mais qui varient aussi en fonction du degré de corrélation typologique des poteries PU A et PU B selon les ensembles. 5 En 1982, le terme « B Tradition » proposé par R. T. Schaub avait pour souci d’éviter l’amalgame trop réducteur des groupes funéraires intitulés « Proto Urban ». L’auteur ne considérait d’ailleurs pas seulement la poterie peinte, mais aussi certaines formes de poteries non peintes9, dans ce qu’il estimait être une « culture urbaine ». Celle-ci était à l’origine de l’essor de l’urbanisme de Bâb edh-Dhra’10, reprenant l’idée du Père R. de Vaux sur la Samarie orientale. La démonstration de R. T. Schaub souffrait toutefois de l’utilisation trop vague d’un terme mal défini.

11 6 Plus tard, en nommant la poterie peinte Line Group Painted Ware (LGPW), L. E. Stager focalisait son attention sur l’aspect décoratif des poteries. L’interprétation était avant tout « fonctionnelle » : la poterie peinte était une imitation des motifs en vannerie. 7 Si E. Braun renouait en 1996 avec l’approche de L. E. Stager, il évitait toutefois une analogie dommageable consistant à rassembler les groupes de poterie peinte du Bronze ancien sous une même appellation (LGPW)12. Cet amalgame, qui avait été introduit en 1970 par R. Amiran dans ce qu’elle nommait le Line-Group Painted Style 13, avait d’ailleurs été écarté par P. de Miroschedji dès l’année suivante14.

15 8 Le Basket Style Group (BSG) d’E. Braun constituait une sous-catégorie du LGPW. Il était subdivisé en quatre ensembles caractérisés par des décorations distinctes, allant des lignes verticales simples au décor dense et très élaboré, rappelant les motifs de vannerie. Toutefois, le manque de clarté des définitions et la difficulté à identifier chacun des quatre groupes, en raison du nombre assez limité de poteries peintes découvertes, rendaient l’étude des distributions des plus incertaines. 9 Dans cet article, nous parlerons de la « céramique aux lignes peintes », en considérant qu’il s’agit d’une sous-catégorie du LGPW de L. E. Stager 16. Elle se compose uniquement des poteries aux décors de lignes peintes sur une surface engobée ou non (ou recouverte d’un self-slip ; et sont écartées de l’étude la décoration « pyjama », ainsi que la grain wash 17 et la poterie aux décors peints irréguliers ou coulés. Au sein de cette catégorie (341 poteries enregistrées, tableau 1), sont différenciés deux grands ensembles au Bronze ancien I : les céramiques aux lignes peintes B et A18. Durant la période suivante, BA II-III , disparaît la céramique aux lignes peintes B19. I. La céramique aux lignes peintes B (BA IB) 10 Le premier ensemble, bien connu, est constitué de la céramique aux lignes peintes B, correspondant à la PU B telle qu’elle avait été identifiée par K. M. Kenyon ou au « Basket Style Group » d’E. Braun. Il s’agit de la poterie peinte aux décors complexes proches de la vannerie (dont la tradition décorative pourrait découler de la « Fine Ware » de l’époque chalcolithique, identifiée à Kataret es-Samra, comme le propose A. Leonard20). Ces

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 13

décors, souvent des lignes parallèles obliques, des lignes ondulées, des chevrons, des quadrillages, etc., sont invariablement insérés dans un ou plusieurs cadre(s) horizontal(aux), créant par cet effet une rupture nette, récurrente et fondatrice de la composition. Il s’agit presque toujours d’un jeu de lignes horizontales rompant l’effet dynamique produit par des lignes parallèles obliques et espacées, parfois complétées par des lignes ondulées. 138 vases appartenant à ce groupe ont été enregistrés (tableau 1). 11 Ce type de décoration ne se rencontre que sur quelques formes seulement (Fig. 1) : bols convexes évasés à paroi fine ; bols profonds à parois convexes et bords rentrants, avec ou sans goulot ; un exemple de bol-panier et un de vase-jumeau ; bouteilles et amphoriskoi avec ou sans petites anses doubles sur l’épaule ; pots à large ouverture avec ou sans anse, à base arrondie ou plate (et avec un goulot). La qualité des récipients, qui se voit d’emblée dans la précision du décor peint, se reflète dans des formes façonnées et finies avec grande maîtrise. Il s’agit certainement de vases de prestige, exécutés par des spécialistes. 12 La tradition de lignes peintes B a longtemps été perçue comme un décor de poteries essentiellement funéraires. Pourtant, c’est loin d’être le cas, puisqu’on la retrouve aussi dans les sites d’habitat et lors des prospections archéologiques. À Jéricho, de nombreux tessons ont ainsi été découverts dans les niveaux d’occupation. Ce site est d’ailleurs certainement au cœur de la production. 13 L’étude donne l’image d’un groupe très homogène et cohérent, aux points de vue technique, typologique et stylistique, qui est localisé essentiellement autour de la mer Morte (Fig. 2). 14 La forte présence de la tradition peinte à Bâb edh-Dhra’ indique probablement des interactions entre les populations mobiles se sédentarisant progressivement dans cette région. Un ensemble d’amphoriskoi, récipients à haut col possédant deux anses annulaires reliant le bord à l’épaule, y est spécifique. Cette forme de récipient et le décor élaboré, complexe et très fin, montrent néanmoins la présence d’un atelier spécialisé sur place. Deux zones de production, au minimum, sont donc supposées, Bâb edh-Dhra’ et le sud-est de la mer Morte d’une part, Jéricho (et ‘Ai ?) d’autre part. 15 Tous les contextes de découverte étudiés indiquent une datation BA IB pour la catégorie des céramiques aux lignes peintes B, qui semble, par conséquent, d’autant plus homogène.

21 16 La découverte de deux pots dans la tombe 6 de Palmahim Quarry et dans les tombes d’Umm el-Qa’ab n’est pas non plus anodine. On retrouve ici un phénomène proche de celui de la distribution des vases de Tell el-Fâr‘ah, de la céramique grise lustrée du type I et de ceux de la tradition « Hartouv » : une transmission de vases de belle qualité vers l’Égypte, indiquant une route d’échanges privilégiée le long de la plaine côtière. II. La céramique aux lignes peintes AL’âge du Bronze ancien I

17 Constitué d’au minimum 203 vases (tableau 1), le second groupe, que nous appelons « céramique aux lignes peintes A », se reconnaît à des décors très simples : lignes verticales, horizontales, courbes ou obliques, croisées ou non, épaisses ou étroites. Le décor est placé sur la panse des récipients et parfois seulement sur le bord intérieur des vases fermés ou à l’intérieur des récipients ouverts.

18 Ce regroupement est cohérent par la facilité d’exécution du décor, et le court laps de temps nécessaire à sa réalisation. Il s’agit dans tous les cas de poteries qui ont pu être

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 14

produites par des individus n’ayant pas forcément des compétences élevées. Il s’oppose donc totalement au groupe de lignes peintes B, qui demande un savoir-faire plus long à acquérir, et une grande attention. 19 L’ensemble des céramiques se limite surtout au BA IB. Les rares exemples de Taur Ikhbeineh22 et de Tel Halif 23 montrent que la peinture de lignes rouges ou brunes existait dès la phase précédente ; pourtant il s’agit dans sa grande majorité d’un « phénomène » plus récent. 20 Les formes choisies sont nombreuses et variées, de qualités diverses, mais souvent moins bien abouties que les productions aux lignes peintes B (Fig. 3). La décoration apparaît sur des types de récipients souvent spécifiques d’une région24, appartenant à des groupes de poteries non peintes ou en céramique rouge lustrée. C’est le cas à Tell el-Fâr‘ah, où l’on note la présence de bols tronconiques peints de lignes obliques, verticales ou croisées25. À Azor, un récipient à protubérances, de forme assez proche de la « céramique grise lustrée » du type IV, a également été peint de lignes rouges26. À Hartouv, un bol à paroi sinueuse et lèvre amincie, et d’autres bols identiques découverts à Tel Yarmouth, ont également été peints de lignes verticales à l’extérieur27. À Bâb edh-Dhra’, on retrouve des décors de lignes peintes A à l’intérieur de bols bas ou de cuillères. On a donc le sentiment d’une interprétation souvent locale d’une technique de décoration simple, bien connue depuis le Chalcolithique. Il est également intéressant de remarquer que, autour de la mer Morte, les formes caractéristiques de la tradition aux lignes peintes A sont souvent présentes dans le groupe précédent (lignes peintes B), mais avec des divergences majeures, de qualité, de forme, de façonnage ou de finition. 21 La localisation de tous les récipients en lignes peintes A sur une carte indique une répartition très contrastée avec la tradition B (Fig. 4). Il s’agit désormais d’une distribution homogène que l’on trouve dans le nord et le sud. Ils ont été découverts dans la vaste majorité des sites archéologiques du BA I. Les sites du groupe B, dont Jéricho et Bâb edh-Dhra’, sont particulièrement bien représentés. La présence dans la même « zone nucléaire » de ces deux groupes prouve peut-être une sélection des types de récipients et un choix de la décoration, en fonction du degré de spécialisation des ouvriers. 22 Pour les zones dites secondaires, il y a le cas des tombes d’Arqub el-Dhahr qui montre une importante production aux lignes peintes A, certainement réalisée par un petit groupe de population distinct. De même, la production en deux parties à Tell el-Fâr‘ah est, à notre avis, un chaînon permettant de mieux comprendre la céramique aux lignes peintes A. Les bols y sont de deux types soit en une partie, soit en deux parties. Cette dernière catégorie est représentée par les bols profonds à goulot évasé, typologiquement très semblables à ceux décorés dans la tradition peinte B. Or, nous avons ailleurs déterminé que la technique de façonnage en deux parties n’est utilisée que par une seule entité sociale28. Les potiers produisant les poteries aux lignes peintes B n’appartiennent donc pas à celle de Tell el-Fâr‘ah. Très vraisemblablement, les céramiques aux lignes peintes A à Tell el-Fâr’ah et à Jéricho ne sont donc pas fabriquées par les mêmes artisans. Les céramiques ne sont pas non plus importées en Samarie Orientale, mais résultent de contacts et d’imitations. C’est un phénomène qui apparaît récurrent dans la deuxième moitié du Bronze ancien I. L’imitation touche de nombreuses fabrications : la céramique grise lustrée ou certains vases de céramique

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 15

rouge lustrée, par exemple. Or, les producteurs imitent les récipients de leurs voisins sans en détenir le savoir-faire complet. En résultent des vases parfois imparfaits, parfois très proches et souvent difficiles à distinguer. L’objet fonctionne comme une œuvre exotique, qu’il s’agit de copier. Un vaste élan de curiosité rapproche alors ces entités sociales, qui recherchent des produits différents. L’objectif consiste à intégrer certains aspects intéressants de la production des groupes voisins, obtenus au départ par des échanges de récipients (ou de femmes). C’est, à notre avis, par ce mécanisme non unidirectionnel de transmission entre groupes mobiles que furent communiqués des concepts et que s’est développée progressivement la civilisation urbaine du IIIe millénaire avant notre ère. L’âge du Bronze ancien II-III : persistance du décor de lignes peintes A 23 Le décor de lignes peintes est encore attesté au Bronze ancien II, principalement dans le centre et le sud. Mais la nouvelle tradition décorative n’égale pas la qualité de celle du Bronze ancien IB. La préférence est désormais pour des décors de fines lignes obliques et croisées peintes sur les panses des flacons, et de quelques cruchettes, pots et jarres. Les décors élaborés (céramique aux lignes peintes B) sont donc totalement évacués. On rencontre également, à l’occasion, des décorations en bandes plus ou moins larges sur une plus large variété de récipients. 24 Les deux principales difficultés dans l’identification de cette technique décorative dans les publications sont d’une part de la différencier de la grain wash et du style « pyjama », particulièrement pour les jarres et les pithoi (à partir des descriptions) 29, et d’autre part de prendre en compte les possibilités d’intrusions des niveaux plus anciens. Décor de lignes peintes entrecroisées 25 L’étude des petits flacons fournit l’indication la plus évidente de la persistance de la tradition décorative de lignes peintes du Bronze ancien I au Bronze ancien II. Il s’agit de petits récipients fermés ovoïdes possédant un haut col cylindrique ou évasé. À la jonction du col et de la panse ont été placées deux petites anses-oreillettes. Ce petit vase est inconnu au Bronze ancien I, semble-t-il. 26 Deux types de décor de lignes peintes quasi identiques se rencontrent : le premier est décoré de lignes peintes entrecroisées (net-pattern) rouges ou brun-rouge sur la panse uniquement ; décor auquel s’ajoute l’applique de l’engobe sur le col, pour le second type (Fig. 5). 27 Quatre informations sont d’une importance majeure :

30 28 1. l’antériorité du premier type par rapport au second est probable .

29 2. le même décor de lignes peintes entrecroisées recouvre parfois aussi la panse de cruchettes (et de quelques pots) à ‘Ai31, à Jéricho32, et à Bâb edh-Dhra’33 en particulier. 30 3. les flacons peints se rencontrent surtout en contexte funéraire, mais aussi dans des quartiers d’habitat comme c’est le cas à ‘Ai, Tell el-Fâr‘ah et Jéricho par exemple34. 31 4. le décor de lignes peintes entrecroisées s’apparente à la tradition de lignes peintes A du BA I. Cependant la distribution des flacons peints est semblable à celles de la tradition des poteries aux lignes peintes B. Elle est restreinte au centre du Levant sud et aux alentours de la mer Morte (Fig. 6). Les sites où la quantité de flacons est la plus grande sont ‘Ai35 surtout, Jéricho36 et Bâb edh-Dhra’37. De nombreux flacons ont aussi été découverts à Tell el-Fâr‘ah38. Ce site semble avoir une place plus importante qu’à la période précédente dans le cas de la tradition de lignes peintes B. Ce constat pourrait

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 16

indiquer une pénétration de la tradition de la poterie peinte dans la moyenne vallée du Jourdain, jusqu’à Beth Yerah39, comme l’indique également la distribution des jarres à col court évasé et à décor de lignes peintes entrecroisées, rencontrées dans une aire circonscrite à la moyenne vallée du Jourdain40 élargie (‘Ai ( ?)41, Tell Abu al-Kharaz42, Beth Shean43, ‘En Jezréel ( ?)44, Tell el-Fâr‘ah45, Gézer46 et Kinneret 47). Dans le sud, quelques flacons peints ont été découverts à Aphek (Ras el ‘Ain48, à Arad49, à Beit Sahur50, à Gézer51 et à Tell en-Nasbeh52. 32 L’explication logique à cette répartition est d’envisager un recul de la production peinte dans sa zone d’origine, où la tradition est profondément ancrée. Cette explication est d’autant plus valable que de nombreux flacons identiques, mais non décorés, sont présents dans tout le Levant méridional, sur la plupart des sites du BA II sans exception, de Lachish53 au sud à Tel Kabri au nord 54. En outre, la diminution du nombre de récipients décorés de lignes peintes est très forte dans le centre du Levant sud, face aux centaines d’exemplaires du BA IB. 33 Le décor de lignes peintes entrecroisées n’est plus employé sur les flacons au Bronze ancien III. Un flacon et un vase-jumeau peints ont toutefois été découverts dans les niveaux de cette époque à Jéricho55. Attestations de décoration peinte additionnelles 34 Les autres attestations de décors de lignes peintes au Bronze ancien II sont rares et ne semblent pas constituer de groupe homogène. Il s’agit essentiellement de poteries éparses, aux décors simples de lignes peintes verticales ou obliques, peu nombreuses et sans homogénéité typologique. Ce sont des bols hémisphériques, des pots à bord éversé, des bassins et des jarres sans col (Fig. 5). La répartition des poteries n’est pas très cohérente, mais assez nettement limitée au sud du Levant méridional (‘Ai56, Tell Abu al- Kharaz57, Bâb edh-Dhra’58, Jéricho59, Tell el-Handaquq60, Pella61, Tell es-Sa’idiyeh62), bien qu’un tesson ait été trouvé à Beth Ha-‘Emeq63 en Galilée occidentale, d’autres dans la nécropole d’Arqub el-Dhahr probablement64, à Qadesh Naphtali65 et à Kinneret (Tell el-‘Oreme)66. 35 Au Bronze ancien III, les décors de lignes peintes, souvent obliques et croisées, sont encore attestés dans le sud, principalement sur des bols (parfois sur des jarres67 et sur des bouteilles comme à Tell el-‘Umeiri et à Khirbet ez-Zeraqon). L’aire de répartition semble être circonscrite au sud-est du Levant méridional (Fig. 6). Des récipients ainsi décorés ont été trouvés68 à ‘Ai69, à Bâb edh-Dhra’70, à Tell Beit Mirsim71, à Tell el-Hesi72, à Jéricho73, à Tell el-‘Umeiri74 et à Tel Yarmouth 75. La proportion semble supérieure dans les régions aux traditions de décorations peintes, situées autour de la mer Morte. P. de Miroschedji envisage la disparition de la décoration peinte dans la transition entre le BA IIIa et le BA IIIb76. Cependant, il semble que les attestations soient tout aussi rares au BA IIIa qu’au BA IIIb, où elles perdurent par exemple à Bâb edh-Dhra’ et à ‘Ai. Il s’agit alors de vestiges culturels hérités du passé (BA I et BA II), plutôt que d’un style à part entière. Le cas de Khirbet ez-Zeraqon 36 Khirbet ez-Zeraqon fait exception et constitue véritablement un site à part, voire une zone à part (Fig. 6), un peu comme Arqub el-Dhahr au BA I. Les décors peints y sont encore très nombreux en contexte BA III77. Les décorations semblent assez distinctes de

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 17

celles du sud du Levant méridional. Les bandes peintes sont étroites, ou très larges. Les motifs sont en général irréguliers et discontinus : des bandes parallèles et obliques, des bandes verticales et croisées, mais avec de nombreux espaces vides. En outre, les récipients choisis sont surtout des jarres et des pithoi, ce qui distingue cette tradition de celle du sud (Fig. 5). Par certains aspects, les poteries peintes de Khirbet ez-Zeraqon se rapprocheraient plutôt de la céramique dribble-painted en ce qui concerne le décor et certaines formes, dont les jarres à deux anses annulaires, finement peignées. En revanche, les pâtes sont multiples, ce qui n’en fait pas un groupe homogène. Mais cela nous amène toutefois à nous interroger sur l’éventualité de la présence dans le nord d’une tradition décorative de lignes peintes « du nord » à l’âge du Bronze ancien III78 (réunissant à la fois Tel Dan, Hazor et Mégiddo [pour la céramique dribble-painted] et Khirbet ez-Zeraqon) ? Conclusions 37 La principale contribution de notre étude réside dans la distinction logique et indispensable de deux groupes céramiques aux lignes peintes A et B. Les implications sont essentielles aussi bien pour une datation correcte des séquences archéologiques, que pour notre tentative d’interprétation de la structuration sociale et de son évolution du IVe au IIIe millénaire avant notre ère. 38 Plusieurs questions entourent ces deux groupes, en particulier les raisons de l’abandon de la céramique aux lignes peintes B au Bronze ancien II, et la nette diminution de la catégorie A au Bronze ancien II et au Bronze ancien III. 39 La céramique aux lignes peintes B, tellement circonscrite, témoigne-t-elle de la présence d’une entité sociale spécifique autour de la mer Morte ? La production répond en effet à une demande des populations indigènes. Cette demande est-elle donc liée à une seule entité, à un regroupement d’entités sociales, ou à une mode sans signification précise ? Cette dernière hypothèse est, à notre avis, peu plausible, notamment si l’on prend conscience de la fragmentation des productions au Bronze ancien I au Levant sud. En revanche, l’existence de plusieurs ateliers est quasiment assurée, l’un autour de Jéricho, l’autre près de Bab edh-Dhra’. De même, les formes ne sont pas les mêmes, ce qui répond d’une certaine manière à notre interrogation précédente sur la nature de l’entité sociale en question : nous n’avons probablement pas affaire à une seule entité mais plusieurs, ce qui n’interdit pas néanmoins une relation plus large, clanique par exemple. 40 L’abandon de la catégorie B et le net repli de la production des céramiques aux lignes peintes A au Bronze ancien II et III découlent probablement du même phénomène que l’on perçoit pour les autres productions céramiques de l’époque, à savoir un recul des traditions régionales pour l’adoption d’une culture plus homogénéisante, issue de la sédentarisation et du développement de l’urbanisme, et de l’identité « urbaine » qui éclôt. La population se regroupe alors au sein des centres urbains, dans un dynamisme propre à l’ensemble du Proche-Orient et perd ainsi progressivement ses marqueurs sociaux. En outre, la ville nécessite une adaptation particulière et une organisation pouvant faire face aux difficultés rencontrées (épidémie, crise économique, famine, etc.). Ces populations, restant tournées vers des modes de vie ancestraux (comme l’indiquent la persistance de quelques rares productions locales, dont celle de Khirbet ez-Zeraqon), et dont l’intégration dans un modèle socio-économique venu de l’étranger sera par conséquent imparfaite, ne supporteront pas un échec de ce modèle. Ce qui lui portera un coup fatal, aboutissant à l’effondrement de la société urbaine de l’âge du

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 18

Bronze ancien II-III et à un retour au mode de vie mobile ou villageois au Bronze ancien IV79.

Tableau. Décompte des céramiques aux lignes peintes au Levant sud, à l'âge du Bronze ancien I.

Fig. 1, Principaux types de récipients décorés de lignes peintes B

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 19

Fig. 2, Carte de répartition des céramiques de lignes peintes B, à l'âge du Bronze ancien I

Fig. 3, Quelques types de récipients décorés de lignes peintes A

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 20

Fig. 4, Carte de répartition des céramiques de lignes peintes A, à l'âge du Bronze ancien I

Fig. 5, Quelques céramiques aux lignes peintes A, au BA II-III

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 21

Fig. 6, Carte de répartition des céramiques aux lignes peintes, à l'âge du Bronze ancien II-III

BIBLIOGRAPHIE

Aharoni, Y.

1953 Kadesh Naphtali: Notes and News. Exploration Journal 3: 263.

Alon, D., et Yekutieli, Y.

1995 The Tel Halif Terrace « Silo Site » and its Implications for the Early Bronze Age I. 'Atiqot 27: 149-89.

Amiran, R.

1970 Ancient Pottery of the Holy Land. Jérusalem : Rutgers University Press.

Amiran, R., et al.

1978 Early Arad, The Chalcolithic Settlement and the Early Bronze Age City. First-Fifth Seasons of Excavations, 1962-1966. Jérusalem : Israel Exploration Journal.

Ben-Tor, A.

1975 Two Burial Caves of the Proto-Urban Period at Azor. Qedem 1. Monographs of the Institute of Archaeology. Jérusalem : The Hebrew University of Jerusalem: 1-53.

Bourke, S. J.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 22

2000 Pella in the Early Bronze Age. Pp. 233-53 in Ceramics and Change in the Early Bronze Age of the Southern Levant, eds. G. Philip et D. Baird. Sheffield: Sheffield Academic Press.

Braun, E.

1996 Cultural Diversity and Change in the Early Bronze I of Israel and Jordan: Towards an Understanding of the Chronological Progression and Patterns of the Regionalism in Early Bronze I society. Thèse de doctorat inédite, Tel Aviv University.

Callaway, J. A.

1964 Pottery from the Tombs at 'Ai (et-Tell). Londres : Quaritch.

1972 The Early Bronze Age Sanctuary at 'Ai (et-Tell). Londres : Quaritch.

1980 The Early Bronze Age Citadel and Lower City at 'Ai (et-Tell). Cambridge : American Schools Of Oriental Research.

Charloux, G.

2006 Artisanat et urbanisation de la Palestine à l’âge du Bronze ancien. Apport de l’étude des céramiques à la structure sociale. Thèse de doctorat inédite, Université Paris I-Panthéon-Sorbonne.

Dessel, J. P.

1991 Ceramic Production and Social Complexity in Fourth Millennium Canaan: A Case Study from the Tel Halif Terrace. Thèse de doctorat inédite, University of Arizona.

Dever, W. G., et Richard, S.

1977 A Reevaluation of Tell Beit Mirsim Stratum J. American Schools Of Oriental Research 226: 1-14.

Dothan, M.

1970 A burial cave near Tell Esor. Esor Menashe 2 : 1-16 (en hébreu).

Douglas, K., et Kafafi, Z.

2000 The Main Aspects of the Early Bronze I Pottery from Jebel Abu Thawwab, North Jordan. Pp. 101-11 in Ceramics and Change in the Early Bronze Age of the Southern Levant, eds. G. Philip et D. Baird. Sheffield : Sheffield Academic Press.

Fargo, V. M.

1980 Early Bronze Age Pottery at Tell el-Hesi. Bulletin Of The American Schools Of Oriental Research 236: 23-40.

Fernández-Tresguerres Velasco, J. A.

1998 Jebel Mutawwaq y los inicios de la edad del Bronce en el norte de Jordania. In Actas del Congreso El Mediterráneo en la Antigüedad: Oriente y Occidente, Sapanu. Publicaciones en Internet II, eds J.-L. Cunchillos, J. M. Galán, J.-A. Zamora et S. Villanueva de Azcona. [http:// www.labherm.filol.csic.es].

Fischer, P. M.

2000 The Early Bronze Age at Tell Abu al-Kharaz, Jordan Valley: A Study of Pottery Typology and Provenance, Radiocarbon Dates, and the Synchronisation of Palestine and Egypt During Dynasty 0-2. Pp. 201-32 in Ceramics and Change in the Early Bronze Age of the Southern Levant, eds. G. Philip et D. Baird. Sheffield: Sheffield Academic Press.

Fitzgerald, G. M.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 23

1935 The Earliest Pottery of Beth Shan.The Museum Journal 24 : 5 -22.

Fritz, V.

1990 Kinneret : Ergebnisse der Ausgrabungen auf dem Tell el-`Oreme am See Gennesaret 1982-1985. Abhandlungen des Deutschen Palästinavereins 15. Wiesbaden : Harrassowitz.

Garstang, J.

1932 Jericho: City and Necropolis. Annals of Archaeology and Anthropology. University of Liverpool 19: 3-54.

1935 Jericho: City and Necropolis. Fifth Report. Annals of Archaeology and Anthropology. University of Liverpool 22: 143-84.

1936 Jericho: City and Necropolis. Report for Sixth and Concluding Season, 1936. Annals of Archaeology and Anthropology. University of Liverpool 23: 67-100.

Genz, H.

Die frühbronzezeitliche Keramik von Hirbet ez-Zeraqon. Mit Studien zur Chronologie und funktionalen Deutung frühbronzezeitlicher Keramik in der südlichen Levante Deutschjordanische Ausgrabungen in Hirbet ezZeraqon 1984–1994. Abhandlungen des Deutschen Palästina Vereins 27 (2).

Wiesbaden: Harrassowitz.

Gibson, S.

1994 The Tell el-Judeideh (Tel Goded) Excavations: A Reappraisal Based on Archival Records in the Palestine Exploration Fund. Tel Aviv 21: 194-234.

Givon, S.

1993 The Excavation at Beth Ha-Emeq. Tel Aviv: Nadler Institute of Archaeology.

Golani, A. (éd.)

2003 Salvage Excavations at the Early Bronze Age Site of Qiryat Ata. Israel Antiquities Authority.

Gophna, R., et Shlomi, V.

1997 Some Notes on Early Chalcolithic and Early Bronze Age Material From the Sites of 'En Jezreel and Tel Jezreel. Tel Aviv 24: 73-82.

Gophna, R., et Van den Brink, E. C. M.

2002 Core-Periphery Interaction between the Pristine Egyptian Nagada IIIb State, Late Early Bronze Age I Canaan, and Terminal A-Group Lower Nubia: More Data. Pp. 281-85 in Egypt and the Levant, Interrelations from the Fourth Though the Early Third Millennium, eds. E. C. M. Van den Brink et T. E. Lévy. Londres et New York : Leicester University Press.

Gustavson-Gaube, C.

1986 Tell esh-Shuna North 1985: A Preliminary Report. Annual of The Department of Antiquities of Jordan 29: 69-113.

Harrison, T. P.

2000 The Early Bronze III Ceramic Horizon for Highland Central Jordan. Pp. 347-64 in Ceramics and Change in the Early Bronze Age of the Southern Levant, eds. G. Philip et D. Baird. Sheffield: Sheffield Academic Press.

Hennessy, J. B.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 24

1966 An Early Bronze Age Tomb from Beit Sahur. Annual of the Department of Antiquities of Jordan 11: 19-40.

1967 The Foreign Relations of Palestine during the Early Bronze Age. Londres : Quaritch.

Hestrin, R.

1993 Beth Yerah. Pp. 255-59 in The New Encyclopedia of Archaeological Excavations in the Holy Land, volume 2. E. Stern (éd.). Jérusalem : Israel Exploration Journal et Carta.

Ibach, R.

1987 Hesban 5: Archaeological Survey of the Hesban Region. Berrien Spring, Mi: Andrews Press.

Iliffe, J. H.

1936 Pottery from Ras el-'Ain. Quaterly of The Department of Antiquities Of Palestine 5: 113-25.

Joffe, A. H.

2000 The Early Bronze Age Pottery from Area J. Pp. 161-85 in Megiddo III, the 1992-1996 Seasons, eds I. Finkelstein, D. Ussishkin et B. Halpern. Emery and Claire Yass Publications in Archaeology.

Kempinski, A., et Gilead, I.

1991 New Excavations at Tel Erani: A Preliminary Report. Tel Aviv 18 : 164-91.

Kempinski, A.

2002 Tel Kabri. The 1986-1993 Excavation Seasons. Tel Aviv : Tel Aviv University.

Kenyon, K. M.

1960 Excavations at Jericho. Volume I. The Tombs excavated in 1952. Londres : The British School of Archaeology in Jerusalem.

1965 Excavations at Jericho. Volume II. The Tombs excavated in 1955-8. Londres : The British School of Archaeology in Jerusalem.

Kenyon, K. M., et Holland, T. A.

1983 Excavations at Jericho. Volume V. The Pottery Phases of the Tell and Other Finds. Londres : The British School of Archaeology in Jerusalem.

Lass, E. H. E.

2003 An Early Bronze Age IB Burial Cave and a Byzantine Farm at Horbat Hani (Khirbet Burj el- Haniya) (West). 'Atiqot 44: 1-51.

Leonard, A.

1983 The Proto-Urban / Early Bronze I Utilization of the Kataret es-Samra Plateau. Bulletin Of The American Schools Of Oriental Research 251: 37-60.

1989 Chalcolithic ‘Fine Ware’ from Kataret Es-Samra I the Jordan Valley. Bulletin Of The American Schools Of Oriental Research 276: 3-14.

1992 The Jordan Valley Survey, 1953: Some Unpublished Soundings Conducted by James Mellaart. Annals of The American Schools Of Oriental Research 50. Winona Lake Indiana: Eisenbrauns.

Loud, G.

1948 Megiddo II: Seasons of 1935-1939. Oriental Institute Publication 62 (2 vol.). Chicago : The University of Chicago Press.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 25

Mabry, J.

1989 Investigations at Tell el-Handaquq, Jordan (1987-88). Annual of the Department of Antiquities of Jordan 33 : 59-95.

Macalister, R. A. S.

1912a The Excavation of Gezer II. Londres : John Murray.

1912b The Excavation of Gezer III. Londres : John Murray.

Marchetti, N., et Nigro L., eds

2000 Excavations at Jericho, 1998. Preliminary Report on the Second Season of Archaeological Excavations and Surveys at Tell es-Sultan, Palestine. Quaderniri di Gerico 2. Université di Roma « La Sapienza » et PAlestinian Department of Antiquities.

Marquet-Krause, J.

1949 Les fouilles de 'Ay (et-Tell) 1933-1935. Paris : Geuthner.

Mazar, B., Amiran, R., et Haas N.

1973 An Early Bronze II Tomb at Beth Yerah (Kinneret). Eretz-Israel 11 : 176-193 (en hébreu).

Mazar, A., et de Miroschedji, P.

1996 Hartuv, an Aspect of the Early Bronze I Culture of Southern Israel. Bulletin Of The American Schools Of Oriental Research 302: 1-40.

McCown, C. C.

1947 Tell En-Nasbeh 1. Berkeley: The Palestine Institute of Pacific School of Religion.

Meyerhof, E. L.

1989 The Bronze Age Necropolis at Kibbutz Hazorea, Israel. Oxford: BAR International Series 534. Oxford: British Archaeological Reports.

Miller, J. M. (éd.)

1991 Archaeological Survey of the Kerak Plateau, Conducted during 1978-1982. Atlanta: American Schools Of Oriental Research, Archaeological Reports 1.

Miroschedji, P. de

1971 L'époque pré-urbaine en Palestine. Cahiers de la Revue Biblique 13. Paris.

1976 Contribution à l'étude de l'urbanisation à l'âge du bronze ancien. Thèse de Doctorat inédite. Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne.

2000 An Early Bronze Age III Pottery Sequence for Southern Israel. Pp. 315-345 in Ceramics and Change in the Early Bronze Age of the Southern Levant, eds. G. Philip et D. Baird. Sheffield: Sheffield Academic Press.

à paraître : Chapter five: The Pottery of the Early Bronze III (2,700–2,200 BCE). À paraître dans : S. Gitin et E. Yannai, éds, The Pottery of Ancient Israel and its Neighbors. Jerusalem: Israel Exploration Society, W. F. Albright Institute of Archaeological Research et Israel Antiquities Authority.

Miroschedji, P. de, et Sadek M., et al.

2001 Les fouilles de Tell es-Sakan (Gaza) : Nouvelles données sur les contacts égypto-cananéens aux IVe-IIIe millénaires. Paléorient 27 (2) : 75-104.

Oren, E. D., et Yekutieli, Y.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 26

1992 Taur Ikhbeineh: Earliest Evidence for Egyptian Interconnections. Pp. 361-84 in The Nile Delta in Transition: 4th-3rd Millennium B.C. E. C. M. Van den Brink (éd.). Tel Aviv : Israel Exploration Journal.

Parr, P.

1956 A Cave at Arqub el-Dhahr. Annual of the Department of Antiquities of Jordan 3: 61-73.

Prag, K.

2000 Tell Iktanu, South Jordan Valley: Early Bronze Age I Ceramics. Pp. 91-99 in Ceramics and Change in the Early Bronze Age of the Southern Levant, eds. G. Philip et D. Baird. Sheffield : Sheffield Academic Press.

Rast, W. E., et Schaub, R. T.

1974 Survey of the South-eastern Plain of the Dead Sea, 1973. Annual of the Department of Antiquities of Jordan 19: 5-53.

1981 The South-eastern Dead Sea Plain Expedition: an Interim Report of the 1977 Season. Annals of The American Schools Of Oriental Research 46.

2003 Bâb edh-drâ', Excavations at the Town Site (1975-1981). American Schools Of Oriental Research (2 volumes).

Saller, S.

1965 Bab edh-Dhra'. Studii Biblici Franciscani Liber Annuus 15: 137-219.

Schaub, R. T.

1982 The Origins of Early Bronze Age Walled Town Culture of Jordan. Studies in the History of Jordan 1: 67-75.

Schaub, R. T., et Rast, W. E.

1989 Bâb edh-drâ', Excavations in the Cemetery Directed by Paul W. Lapp (1965-1967). ASOR.

2000 The Early Bronze Age I Stratified Sequences from Bâb ed-Dhra’. Pp. 73-90 in Ceramics and Change in the Early Bronze Age of the Southern Levant, eds. G. Philip et D. Baird. Sheffield : Sheffield Academic Press.

Stager, L. E.

1990 Painted Pottery and its Relationship to the Weaving Crafts in Canaan During the Early Bronze Age I. Eretz-Israel 21 : 83-88.

1992 The Periodization of Palestine from Neolithic through Early Bronze Times. Pp. 22-41 in Chronologies in Old World Archaeology, ed. R. W. Ehrich. 3rd ed. 2 volumes. Chicago: Chicago University Press.

Sukenik, E. L.

1948 Archaeological Investigations at ‘Affula. Journal of the Palestine Oriental Society 21: 1-79.

Sussman, V., et Ben-Arieh, S.

1966 Ancient Burials in Giv'atayim. 'Atiqot (HS) 3: 27-39 (en hébreu, résumé en anglais : 4)

Tubb, J. N.

1989 Sa’idiyeh (Tell el). Pp. 521-531 in Archaeology of Jordan II: Field Reports, eds. D. Homès- Fredericq et J. B. Hennessy. 2 volumes. Akkadica Supplementum n°8. Leuven : Peters.

1958 Lachish IV. The Bronze Age. Londres, New York et Toronto : The Oxford University Press.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 27

de Vaux, R.

1961 Les fouilles de Tell el-Fâr'ah. Rapport préliminaire sur les 7e, 8e, 9e campagnes, 1958-1960. Revue Biblique 68 : 557-592.

1971 Palestine in the Early Bronze Age. Pp. 208-237 in Cambridge Ancient History, vol. 1. Cambridge: Cambridge University Press

Vincent, H.

1911 Jérusalem sous terre. Paris : Gabalda.

Wampler, J. C.

1947 Tell En-Nasbeh II. Berkeley: The Palestine Institute of Pacific School of Religion.

Wright, G. E.

1937 The Pottery of Palestine from the Earliest Times to the End of the Early Bronze Age. New Haven: American Schools of Oriental Research.

Yannai, E., et al.

2006 'E Esur ('Ein Asawir) I, Excavations at a Protohistoric Site in the Coastal Plain of Israel. Jerusalem: Israel Antiquities Authority reports 31.

NOTES

1. Wright 1937 : 45. 2. Dever 1973, 1980. Le décor de la famille NC (North Central : Basse Galilée et vallée de la Jezréel) s’apparente alors au décor des céramiques du nord au BA III (infra). 3. Kenyon 1960 : 4. 4. Kenyon 1960 : 8 5. de Vaux 1971. 6. Callaway 1972 : 70. 7. Hennessy 1967 : 46. 8. Cf. de Miroschedji 1971 ; Schaub 1982 : 67-75. 9. Schaub 1982 : 67. 10. Schaub 1982 : 74. 11. Stager 1990 ; et Stager 1992 : 29. 12. Cf. Braun 1996. 13. Amiran 1970 : 49. 14. de Miroschedji 1971 : 24. 15. Braun 1996 : 216-21. 16. Stager 1990 : 83-88. 17. Le terme Band-Painted Pottery porte particulièrement à confusion. 18. Ces deux traditions décoratives sont présentées dans un ordre décroissant, du fait que la céramique aux lignes peintes A se reconnaît surtout par opposition à la céramique aux lignes peintes B. 19. Nous écartons de cette étude la « céramique peinte d’Abydos » du Bronze ancien II, qui est un groupe à part et dont l’origine demeure inconnue. Bien qu’une certaine ressemblance soit tangible avec les décors réalisés sur les épaules des céramiques aux lignes peintes du Bronze ancien IB, il paraît peu probable que le lien puisse être fait

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 28

entre les deux traditions décoratives, les zones de production étant notamment bien distinctes. 20. Leonard 1989. 21. Gophna et Van den Brink 2002 : 282 ; fig. 18.2:12. 22. Oren et Yekutieli 1992 : 361-84. 23. Dessel 1991. 24. Lorsqu’il est possible de déterminer un régionalisme, puisque les bols, par exemple, sont des vases communs. 25. Dothan 1970 : fig. 7:9,19,20. 26. Dothan 1970 : fig. 7:14. 27. Mazar et de Miroschedji 1996 : fig. 17 :11. 28. Charloux 2006. 29. Voir notamment les descriptions de W. E. Rast et R. T. Schaub (2003 : pl. 44, p. ex. : « similar to grain wash »). 30. Cf. de Miroschedji 1976 : note 38. 31. Callaway 1964 : pl. XIX:50.91 (tombe B) et pl. XI:918 (tombe G). 32. Garstang 1935 : pl. XXXI:13 ; Garstang, 1936 : pl. XXXVI:4 ; Kenyon 1960 : fig. 23:14,12 (tombe A 108) et fig. 25:17 (tombe A 127). 33. Schaub et Rast 1989 : fig. 194:2 ; fig. 195:4 ; fig. 218:12-14,16 ; fig. 226:23 ; fig. 231:3 ; fig. 232:6-7 ; fig. 245:2 ; Saller 1965 : fig. 18:6,11,12 ; fig. 28:10,16. 34. Pour les références, voir les notes suivantes. 35. Marquet-Krause 1949 : pl. LXXVIII:2542 ; Callaway 1964 : pl. XVI (tombe C : 7 flacons peints, et 9 non peints) et pl. XI (tombe G : 20 flacons peints et 14 non peints) ; Callaway 1972 : fig. 42:37 ; fig. 43:3 (phase IV) ; fig. 45:9 ; fig. 53:8 ; pl. XIV:2 (phase V) ; Callaway 1980 : fig. 61:6 (phase III). 36. Garstang 1932 : pl. I:23-24 ; Garstang 1935 : pl. XXXI:12, 14 ; Garstang 1936 : pl. XXXV:11 et pl. XXXIX:6,9 ; Kenyon 1960 : fig. 25:28-30 (tombe A 127) ; fig. 35:11-13 (tombe D 12) ; fig. 37:22-26 ; Kenyon et Holland 1983 : fig. 136:12 (sq. EIII-IV, phase L). 37. Saller 1965 : fig. 18:6,11,12 ; Rast et Schaub 1981 : fig. 19:9-12 ; Schaub et Rast 1989 : fig. 194:6 ; fig. 194:7 ; fig. 196:2 ; fig. 219:2,4-5,8,12-13,19,25-26,28 ; fig. 226:4-14 ; fig. 230:42 ; fig. 245:7 ; fig. 30:1-5 ; Rast et Schaub 2003 : pl. 33:61 ; pl. 38:1. 38. de Miroschedji 1976 : pl. 4:5 et pl. 7:10, et un tesson du loc. 619b (numéro de tesson effacé. Le fragment a été enregistré suite à l’étude du matériel du site à l’École biblique) ; et 7 flacons découverts dans la nécropole (tombe 2 seulement). 39. Hestrin 1993 : 256, fig. 2. 40. Une bouteille recouverte d’un décor semblable a également été découverte à ‘Ain Assawir (Yannai et al. 1998 : fig. 13.9:21). Elle y aurait été importée de la région de Tell el-Fâr’ah, selon l’étude pétrographique. 41. Callaway 1964 : n°379b. En outre, le décor de la petite bouteille (Callaway 1964 : pl. XVI:29.559) s’apparente à celui des flacons et des jarres. 42. Fischer 2000 : fig. 12.8:6. 43. Fitzgerald 1935 : pl. V:7-8 (niveau XIII). 44. Gophna et Shlomi 1997 : fig. 5:9 (BA II?). 45. de Vaux 1961 : fig. 3:8. 46. Macalister 1912a : fig. 303. 47. Mazar, Amiran et Haas 1973 : fig. 4:1. 48. Iliffe 1936 : 121:70. 49. Amiran et al. 1978 : pl. 42:11.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 29

50. Hennessy 1966 : fig. 5. 51. Macalister 1912b : pl. XXVIII:4 (Cave 27 I) et pl. LXXIX:21 (Cave 42). 52. Wampler 1947 : pl. 12:206. 53. Tufnell 1958 : pl. 58:117,127. 54. Kempinski 2002 : fig. 46:3-5. 55. Kenyon et Holland 1983 : fig. 142:7 et fig. 144:12 (carrés EIII-IV, phases E et C). 56. Callaway 1972 : fig. 57:6. 57. Fischer 2000 : fig. 12.9:9. 58. Rast et Schaub 2003 : pl. 35:36. 59. Kenyon et Holland 1983 : fig. 138:14,24 ; fig. 139:8,15 ; fig. 140:7 (carrés EIII-IV, phases K-G). 60. Mabry 1989 : 78, tableau 2 (st. 2). 61. Bourke 2000 : 237. 62. Tubb 1989 : 521-531, fig. 4:4, 7. 63. Givon 1993 : fig. 11:13. 64. Parr 1956. 65. Aharoni 1953 : 263. 66. Fritz 1990 : pl. 50:9. 67. Joffe 2000 : 180, fig. 8.11:15. 68. Également à Tell Judeideh (?) (Gibson 1994 : fig. 16:1 [BA III ?]). 69. Callaway 1972 : fig. 66:7,8,14 ; Callaway 1980, fig. 114:21 ; fig. 125:33,36. 70. Rast et Schaub 2003 : pl. 62, 85, 95 (quelques tessons). 71. Dever et Richard 1977 : 26 ; pl. 1:9. 72. Fargo 1980 : 26 ; fig. 1:13,15,20. 73. Kenyon et Holland 1983 : fig. 60:9 ; fig. 152:4-5 ; fig. 159:10, 14 ; Marchetti et Nigro, 2000 : 31, fig. 1:40:1,3-6,8-11,16,25,27. 74. Harrison 2000 : 349 et fig. 19.2:4 ; fig. 19.3:8-9. 75. de Miroschedji 2000 : fig. 18.3:4. 76. de Miroschedji à paraître : note 7. 77. Genz 2002 : 32-33. 78. Et au BA II ? 79. Pour un détail de cette théorie, nous renvoyons à notre thèse, Charloux 2006.

RÉSUMÉS

The Ceramics with Painted Lines: Study on a « Fossile Directeur » of the Early Bronze Age in the Southern Levant Since the work of G. E. Wright in the 30’s, the “Line-Group Painted Pottery” has always played a major chronological and interpretative role for the Early Bronze Age (EB) in the Southern Levant, particularly for the EB I. It was even recognized as the “southern counterpart” of the Grey Burnished Ware (Wright 1937, p. 45.). The present paper intends firstly to provide a new simplified way of defining the Line-Group Painted Pottery, in order to clarify its distribution and the consistency of this group as a

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 30

chronological clue, and secondly to give a recent overview of our data. It seems that many scholars identified the “Line-Group Painted Pottery” with inapropriate indices, as it was the case for the “Line-group painted style” (Amiran 1970, p. 49.)for instance. Others did not focus on a reliable definition and a proper internal subdivision. By differentiating it with the painted pottery on chalk (the “Pajama” style and related wares), and with the “Trickle painting” group, the “Grain wash” decoration, the “Abydos painted ware” and the “Dribbled- Painted Ware”, we wish to distinguish the “ceramics with painted lines” A and B. The former was previously called the Basket Style Group (BSG) by E. Braun ( Braun 1996, pp. 216-21.), who made an interesting study of it in his PhD thesis. However his internal subdivision seems to us to be too complex, dividing without reason a uniform group. Our definition separates the ceramics with complex painted motives (B), usually in frames, from the simple ones (A). This distinction also relies on the length of time and the specialization of the workers needed to produce these vessels. Furthermore this B group (138 EB I vessels), which disappears in the EB II, presents a very homogenous distribution in the central regions of the Southern Levant. The A group (203 EB I recipients), which still goes on in the EB II-III, has a more global dispersion. The study of the ceramics with painted lines A on a wide time range gives us a good picture of the gradual disappearance of the ceramics with painted lines during the Early Bronze Age. However, despite the ceramic production normalization touching the EB II-III, we must not disregard that the painted lines pottery still persists in the south, and in some localized places in the north of the Southern Levant till the EB III, like Khirbet ez-Zeraqon for instance. According to us, and to the study of other ceramic traditions with the same reflection (Cf. Charloux 2006), it shows, in some ways, the profound attachment for local population to their non-urban ancestral ways of life. The globalizing urban “identity” of the EB II-III populations is apparently insufficient to let them overlook their traditions, which could be related to an incomplete integration into the urban society. It could further explain the collapse of the urban society at the end of the EB III, by their incapacity to resolve any sort of crisis (epidemic, socio- economic, climate, etc.).

AUTEUR

GUILLAUME CHARLOUX

Guillaume Charloux a bénéficié en mai 2007 d’une bourse « mois chercheur » au CRFJ. Docteur en archéologie de l’université Paris I, Panthéon-Sorbonne, il est actuellement rattaché à l’UMR 7041, équipe Du village à l’état au Proche et au Moyen-Orient ancien. Il est également responsable de chantiers archéologiques à Tel Yarmouth (Israël) et à Karnak (Égypte). Guillaume Charloux, PhD in archaeology (Paris-I University) is associate researcher at UMR 7041, From Village to State in the Near- and Middle-East. He is in charge for archaeological sites: Tel Yarmouth (Israel) and Karnak (Egypt). He was granted for a « mois-chercheur » at the Centre de recherche français de Jérusalem. [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 31

Pour une approche anthropologique de la transition Épipaléolithique- Néolithique au Proche-Orient

Fanny Bocquentin

1 Au Proche-Orient, la fin de l'Épipaléolithique est marquée par l’abandon d’un mode de vie ancestral. Les populations délaissent peu à peu le nomadisme et l'économie de chasse et de cueillette pour une vie sédentaire et une économie agricole et bientôt pastorale. À l'échelle de l'histoire de l'Humanité, cette transition nous apparaît remarquablement rapide bien que le terme de « révolution néolithique » ne soit pas accepté unanimement par les chercheurs travaillant sur cette période. Certains auteurs estiment que le processus est progressif et prend ses racines au tout début de l'Epipaléolithique levantin il y a quelques vingt millénaires (p. ex. : Runnels & Van Andel, 1988) ; d'autres sont favorables à une succession de changements brusques (p. ex. : Belfer-Cohen & Bar-Yosef, 2000). Tous s'accordent toutefois pour considérer que la culture natoufienne (13 200 et 9 800 av. J.-C., datations calibrées) est un des rouages déterminants de la métamorphose des sociétés proche-orientales à la fin de la dernière période glaciaire. À cette période, la sédentarité des populations, relativement mobiles jusqu'alors, est bien attestée dans la région méditerranéenne (mont Carmel-Galilée- vallée du Jourdain) ; elle n'est sans doute que saisonnière ailleurs dans les régions semi- désertiques du nord et du sud (Goring-Morris & Belfer-Cohen, 1998). Les premières habitations pérennes, circulaires ou semi-circulaires, lourdement appareillées, émergent. Le groupement de ces structures laisse suspecter la présence de véritables hameaux bien qu'aucune fouille n'ait encore été extensivement menée. C’est également au cours du Natoufien que l'exploitation des graminées et des légumineuses s'intensifie et la possibilité que la domestication des plantes débute dès cette période est de plus en plus défendue (Tanno & Wilcox, 2006 ; Bar-Yosef & Belfer-Cohen, 2002 ; Moore et al., 2000). À partir de 9 800 av. J.-C. (calibré), la culture natoufienne fait place au Néolithique. Alors que les conditions climatiques actuelles se mettent en place, les populations se regroupent en communautés villageoises et vivent essentiellement

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 32

d'une économie agricole. Celle-ci implique un certain nombre de bouleversements dans le rythme de vie, l'organisation sociale ou les rapports entre groupes (Cauvin, 1997). I. Le squelette comme témoin 2 L'origine, les modalités et les conséquences du bouleversement social et économique intervenu il y quelque douze millénaires et dont la plupart des sociétés actuelles sont les héritières fait l’objet d’une attention qui ne cesse de croître depuis la découverte des premiers sites natoufiens au début du siècle dernier par D. A. E. Garrod (1932). Au fil des recherches, en fonction des aspects traités ou des zones géographiques retenues, on prend conscience de la complexité du phénomène et de la pluralité des cas de figures. Bien que ce débat fasse l’objet d’une attention pluridisciplinaire soutenue, on peut regretter que l'anthropologie n’y occupe encore qu’une place secondaire. Pourtant, les restes humains eux-mêmes sont susceptibles d’apporter des éléments de compréhension fondamentaux concernant l'organisation des sociétés du passé et leur évolution. Ils sont en effet les témoins les plus directs de la transition et en portent encore certains stigmates dont l'importance est pleinement révélée par l'étude concomitante des contextes funéraire et archéologique dont ils sont issus. 3 Le cadavre est un vestige de l'identité sociale et de l'appartenance culturelle que l'individu exprimait, entre autres manières, avec son corps (Mauss, 1936). Le squelette est porteur de certains de ces stigmates culturels qui ont marqué la vie du défunt et des paramètres biologiques qui ont pu déterminer son statut social (p. ex. : Buikstra & Beck, 2006). L'étude ostéologique permet tout d'abord de rechercher l'identité biologique de l'individu. Ses caractères morphologiques vont témoigner d'une appartenance à une lignée biologique. Ainsi, on pourra parfois discuter de mouvements de populations, d'échanges biologiques entre groupes voisins et aussi, à l'échelle des ensembles sépulcraux, de l'éventuel caractère familial des regroupements (Crubézy & Sellier, 1990). La morphologie du squelette est également un moyen d'identifier le sexe du défunt. D'autre part, le remodelage que subit le tissu osseux ainsi que l'usure du tissu dentaire au cours de la vie font du squelette un objet dynamique d'étude. Parmi les différents stigmates que l'on pourra observer, certains témoigneront de l'âge au décès, d'autres signaleront des stress vécus durant la croissance ou bien permettront de discuter le régime alimentaire, les activités physiques quotidiennes, ou encore les modifications physiques volontaires (par exemple l'ablation de certaines dents). En collaborations avec des paléobiologistes, d’autres informations peuvent être extraites de la structure même de l’os et nous informer sur l’alimentation et son évolution au cours de la vie, la santé, l’environnement des groupes ainsi que sur leur degré de parenté génétique, les mouvements d’individus ou de populations, les règles de résidences, etc. 4 Le contexte dans lequel les restes humains sont découverts est également riche d'informations. La tombe relate la gestion d'une crise au sein de la communauté qui perd un de ses membres. Cette crise est l'occasion pour le groupe de réaffirmer « sa cohésion et sa pérennité face à la finitude individuelle » (Thomas, 1985 : p. 236). Si les funérailles elles-mêmes ne sont plus accessibles à l'anthropologue, la sépulture et ce qu'elle contient permettent de reconstituer les modalités de l'inhumation et, plus largement, celles du traitement physique et social du corps défunt en rapport avec une idéologie funéraire (p. ex. : Leclerc, 1990 ; Pearson, 1999 ; Boulestin & Duday, 2005). D'autre part, l'organisation spatiale de la tombe elle-même ou bien celle des sépultures les unes par rapport aux autres et leur relation avec l'habitat n'est jamais aléatoire et

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 33

renvoie au domaine symbolique et à l'organisation des sociétés du passé (p. ex. : Eliade, 1976 ; Goldstein, 1981). II. Une grille de lecture archéo-anthropologique 5 L'approche archéo-anthropologique encourage l'étude concomitante des restes humains et du contexte archéologique, culturel et environnemental dont ils sont issus afin de rechercher l'interaction qui existe entre les facteurs biologiques et culturels et d'évaluer la distorsion que cette interaction peut entraîner dans notre perception des populations du passé. Ce terme d'archéo-anthropologie recouvre aussi bien une méthode de travail qu'une problématique en soi qui permet d'extraire de nouvelles informations d'ordre biologique, social ou culturel inaccessibles par ailleurs. En France, cette approche spécifique est en partie directement héritière des travaux d'A. Leroi- Gourhan qui a proposé une lecture ethnologique des vestiges archéologiques en place, des systèmes techniques restitués à partir du matériel conservé (faune, pierre taillée, structures pérennes) et des systèmes symboliques encore perceptibles (représentations symboliques, rituels, organisation de l'espace). L'adaptation de cette palethnologie a été particulièrement bénéfique au domaine funéraire grâce, notamment, aux travaux de H. Duday, J. Leclerc et C. Masset (p. ex. : Duday et al., 1990). La fouille et l'interprétation ostéo-archéologique des sépultures visant à discerner les gestes funéraires des processus taphonomiques permettent de centrer le discours de l'archéologie funéraire sur le traitement social du cadavre, immédiat ou différé, sur le fonctionnement des ensembles funéraires et sur l'organisation de l'espace sépulcral. Le dialogue archéo- anthropologique concerne aussi la paléobiologie (ou bioarchaeology des anglophones) considérablement enrichie depuis que la recherche s'applique à replacer l’anthropologie biologique dans un contexte social et culturel défini et à fournir des éléments de discussion à une problématique archéologique (p. ex. : Buikstra, 1977 ; Crubézy, 1989 ; Larsen, 1997 ; Buikstra & Beck, 2006). Enfin, un troisième aspect de la recherche anthropologique qui s'articule autour du dialogue culture/biologie est celui qui consiste à s'interroger sur la représentativité d'un corpus anthropologique donné par rapport à une population d'origine (p. ex. : Wood et al., 1992) et tenter ainsi de reconnaître les filtres culturels qui ont abouti à sa constitution (p. ex. : Masset, 1987 ; Sellier, 1995). 6 Il s’agit donc d’un dialogue permanent entre l’archéologie et l’anthropologie tant dans les problématiques que dans les méthodes. Cette approche se révèle d’autant plus fructueuse que l’on dispose, dans ce contexte proche-oriental du début de l’Holocène, d’un nombre de sites conséquent, d’une culture matérielle riche et de nombreuses sépultures. Cet ensemble de données concourt à mieux cerner le fonctionnement des groupes, leur interaction avec les communautés voisines et avec leur environnement. III. Pratiques funéraires et modes de vie : échanges, héritages et adaptations 7 Les restes humains de la fin de l’Épipaléolithique et du début du Néolithique levantin sont nombreux (plus d’un millier d’individus au Levant sud) et se prêtent à une étude de type « populationnelle ». En effet, la sédentarisation des populations s’accompagne d’une nouvelle gestion des cadavres qui vont être désormais inhumés à proximité immédiate des maisons, dans le remplissage de structures abandonnées ou, plus exceptionnellement, sous le sol de maisons en cours d’occupation. La tombe fait partie du paysage quotidien dès le Natoufien ancien et ce partage de l’espace domestique des vivants avec les morts continue pendant toute la période néolithique (p. ex. : Belfer- Cohen, 1989 ; Belfer-Cohen et al., 1990 ; Valla, 1999). Ce corpus offre l’opportunité de

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 34

contribuer à une véritable analyse sociologique de cette transition dès lors que les données individuelles (celles d’un individu, d’un site, d’un thème particulier) ne sont plus interprétées isolément mais comme parties intégrantes d’un système, celui par exemple, des échanges entre groupes et de l’expression d’une identité locale, celui d’une codification des coutumes funéraires, celui d’une adaptation à l’environnement et de l’intégration d’un nouveau mode de vie au fil des générations qui se succèdent. 8 Si un continuum anthropomorphique est décrit entre les populations de l'Épipaléolithique et celles du Néolithique et un lien étroit est suggéré entre les pratiques funéraires de ces populations (p. ex. : Byrd & Monahan, 1995 ; Hershkovitz et al., 1995 ; Le Mort, 1992 ; Le Mort et al., 1994 ; Kuijt, 2000), la révision des données natoufiennes incite toutefois à s'interroger sur cette continuité. La pluralité des contextes natoufiens contraste nettement avec cette notion d'homogénéité diachronique. Chaque site natoufien a ses propres spécificités culturelles et biologiques (Bar-Yosef & Belfer-Cohen, 1998 ; Belfer-Cohen, 1995 ; Belfer-Cohen et al., 1991 ; Smith, 1995). On peut donc se demander, par exemple, si chaque région transmet ses spécificités ou si, au contraire, on assiste à une homogénéisation géographique aux dépens des coutumes locales. L'abandon de la plupart des sites à la fin de la période natoufienne n'est pas non plus en faveur d'une transition sans rupture ; celui des sites de Galilée, en particulier, alors que les conditions de vie y étaient apparemment favorables, mérite réflexion (Bocquentin, in press). De plus on constate des changements majeurs au cours des trois phases culturelles du Natoufien. Certains de ces changements sont progressifs (gracilisation des populations, diminution du dimorphisme sexuel, des stress biologiques) (Smith et al., 1984). D’autres au contraire apparaissent, à travers les données disponibles aujourd’hui, brusques, en rupture avec les phases précédentes (par exemple : fréquence des caries, organisation de l’espace sépulcral, traitement des défunts) (Smith, 1991 ; Bocquentin, 2003). Tenter de mieux cerner l’origine, la rapidité et la perduration à long terme de ces changements doit permettre d’évaluer dans quelle mesure ils interviennent dans le processus de néolithisation. 9 L'amélioration du climat et sa relative stabilité, le développement de l'agriculture, puis de l'élevage, la progression démographique sont autant de nouveautés qui vont avoir un impact majeur sur les conditions de vie des populations et sur l'évolution morphologique de l'homme dont les activités physiques pratiquées depuis des centaines de millénaires ont été, en partie, modifiées (p. ex. : Peterson, 1997 ; Eshed et al., 2004). Par ailleurs, il a été proposé que l'émergence du Néolithique soit avant tout le résultat de bouleversements idéologiques, une révolution des symboles et des mythes (Cauvin, 1997). Dans ce contexte, on peut présumer de l'importance que revêt l'étude du rituel funéraire. Au-delà de la simple gestion sociale du cadavre, le rituel est l'expression d'une identité culturelle et spirituelle. Il est fondamental de rechercher l'éventuel héritage natoufien dans les pratiques funéraires néolithiques et d'en définir précisément les innovations. On peut se demander, d'autre part, s'il y a un lien entre le domaine symbolique et le traitement des individus. Qu'en est-il, par exemple, des différences de statut entre hommes et femmes quand les figurines féminines s'imposent dans l'art à la place des symboles masculins qui dominent le contexte natoufien (Valla, 1999) ? L'écart phénotypique entre les hommes et les femmes diminue au cours du Natoufien, celui qui concerne le niveau de stress biologique ou le traitement funéraire est de moins en moins perceptible (Bocquentin, 2003). Il est à présent nécessaire d'initier une discussion comparable entre les hommes et les femmes

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 35

du Néolithique. Les pratiques funéraires relativement simples et homogènes au Néolithique Précéramique A se complexifient à partir du Néolithique Précéramique B récent avec, notamment, l'émergence de la pratique des crânes surmodelés (p. ex. : Bienert, 1991 ; Kuijt, 2000). Des comparaisons entre groupes et entre régions, encore rarement explorées, permettront sans doute de discuter les liens biologiques et les échanges culturels entre les communautés dont les stratégies d'implantation sur le territoire se modifient nettement au cours de la période Néolithique précéramique (Kuijt & Goring-Morris, 2002). En revanche, aussi tentante qu’elle soit, l’approche démographique de la transition à partir des restes humains est vouée à l’échec étant donné les biais inhérents à tout échantillon de population archéologique (sélection des inhumés, conservation partielle des sépultures, non exhaustivité de la fouille, problèmes dans l’estimation de l’âge au décès particulièrement celui des adultes, etc.). C’est davantage à travers le développement des hameaux et l’évolution de l’organisation sociale que cette problématique doit être abordée. 10 La progression manifeste des méthodes en anthropologie cette dernière décennie (en termes de fiabilité et de diversification des approches) offre un nouveau cadre de recherche. Les thèmes, déjà explorés dans le passé ou non, susceptibles de concourir à une meilleure compréhension de la transition Épipaléolithique-Néolithique au Proche- Orient sont nombreux. Parmi eux on peut citer : 1) La nature de l’héritage natoufien en contexte néolithique et les modalités de sa transmission ; 2) Les relations entre communautés agricoles et la trame géo-chronologique d’homogénéité ou d’hétérogénéité bio-culturelle qui en résulte ; 3) L’impact de la sédentarité, de l’amélioration climatique, des changements d’activités et d’alimentation, sur l’homme, sa morphologie et ses conditions de vie ; 4) L’organisation sociale du groupe (marques identitaires, travail spécialisé, statuts en fonction de l’âge ou du sexe), et 5) Les rapports qu’il entretient avec la mort en général (rite, idéologie funéraire) et ses défunts en particulier (traitement du cadavre, statuts funéraires différenciés, organisation spatiale des tombes). Pour tenter d’enrichir ces différents domaines d’étude la fiabilité et l’homogénéité des méthodes utilisées à toutes les étapes d’analyse sont impératifs.

BIBLIOGRAPHIE

Bar-Yosef O. & Belfer-Cohen A.

1998 Natufian Imagery in perspective. Rivista di Scienze Preistoriche, 49, p. 247-263.

Bar-Yosef O. & Belfer-Cohen A.

2002 Facing environmental crisis. In : R. T. J. Cappers & S. Bottema (eds.): The Dawn of Farming in the Near East. Studies in Early Near Eastern Production, Subsistence, and Environment, p. 55-66. Societal and cultural Changes at the Transition from the Younger Dryas to the Holocene in the Levant, 6. Ex oriente: Berlin.

Belfer-Cohen A.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 36

1989 The Natufian Issue: A suggestion. In: O. Bar-Yosef & B. Vandermeersch (eds.): Investigations in South Levantine Prehistory. Préhistoire du Sud Levant, p. 297-307. BAR International Series, 497: Oxford.

Belfer-Cohen A.

1995 Rethinking Social Stratification in the Natufian Culture; The Evidence from Burials. In: S. Campbell & A. Green (eds.): The Archaeology of Death in the Ancient Near East, p. 9-16. The Short Run Press: Exeter.

Belfer-Cohen A., B. Arensburg, O. Bar-Yosef & A. Gopher

1990 Human Remains From Netiv Hagdud - A PPNA Site in the Jordan Valley. Journal of the Israel Prehistoric Society 23, p. 79-85.

Belfer-Cohen A., Schepartz L. & Arensburg B.

1991 New Biological Data for the Natufian Populations in Israel. In: O. Bar-Yosef & F. R. Valla (eds.): The Natufian Culture in the Levant, p. 411-424. International Monographs in Prehistory, Archaeological Series 1: Ann Arbor, Michigan.

Belfer-Cohen A. & Bar-Yosef O.

2000 Early Sedentism in the Near East. A Bumpty Ride to Village Life. In: I. Kuijt (ed.): Life in Neolithic Farming Communities, p. 19-36. Kluwer Academic, Plenum Publishers: New York.

Bienert H. D., 1991. Skull Cult in the Prehistoric Near-East. Journal of Prehistoric Religion, 5, p. 9-23.

Bocquentin F.

2003 Pratiques funéraires, paramètres biologiques et identités culturelles au Natoufien : une analyse archéo-anthropologique. Thèse de Doctorat en Anthropologie Biologique. Université Bordeaux 1 : Talence (non publiée). Texte complet disponible par le lien http://147.210.235.3/proprietes.html? numero_ordre=2769

Bocquentin F.

Sous presse : A Final Natufian Population: Health and Burial Status at Eynan-Mallaha. In: M. Faerman, L. K. Horvitz, T. Kahana & U. Zilberman (eds.). Diachronic Patterns in the Biology and Health Status of Human Populations in the Eastern Mediterranean. Oxford: BAR International Series. In honours of Professor Patricia Smith.

Boulestin B., & Duday H.

2005 Ethnologie et archéologie de la mort : de l'illusion des références à l'emploi d'un vocabulaire In: C. Mordant et G. Depierre (dir.) : Les Pratiques funéraires à l'Age du Bronze en France : 17-30. CTHS : Paris, et Société archéologique de Sens : Sens.

Buikstra J. E.

1977 Biocultural Dimensions of Archaeological Study: a Regional Perspective. In: R. L. Blakely, Biocultural adaptation in prehistoric America: 67-84. Southern Anthropological Society Proceedings 11. University of Georgia Press: Athens.

Buikstra J. E. and Beck L. A.

2006 Bioarchaeology: Contextual Analysis of Human Remains. Academic Press.

Byrd B. F. & Monahan C. M.

1995 Death, Mortuary Ritual and Natufian Social Structure. Journal of Anthropological Archaeology, 14, p. 251-287.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 37

Cauvin J.

1997 Naissance des divinités. Naissance de l'agriculture. CNRS Éditions, collection Empreintes de l’Homme : Paris.

Crubézy E.

1989 Parenté, structures de parenté et sociétés du passé. Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, 1 (1-2) : 72-92.

Crubézy E. & Sellier P.

1990 Caractères discrets et organisation des ensembles sépulcraux. Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, 2 (3-4) : 171-178.

Duday H., Courtaud P., Crubezy E., Sellier P. & Tillier A.-M.

1990 L'anthropologie de « terrain » : reconnaissance et interprétation des gestes funéraires. Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, n. s., 2 : 29-50.

Eliade M.

1976 Histoire des croyances et des idées religieuses. Éditions Payot : Paris.

Eshed V., Gopher A., Galili E. and Hershkovitz I.

2004 Musculoskeletal Stress Markers in Natufian Hunter-Gatherers and Neolithic Farmers in the Levant: The Upper Limb. American Journal of Physical Anthropology, 123 (4): 303-315.

Garrod D. A. E.

1932 A New Mesolithic Industry: The Natufian of Palestine. Journal of the Royal Anthropology Institute, 32, p. 257-269.

Golstein L.

1981 One-dimensional Archaeology and Multi-dimensional People: Spatial Organisation and Mortuary Analysis. In: R. Chapman, I. Kinnes & K. Randsborg (eds.): The Archaeology of Death, p. 53-69. Cambridge University Press: Cambridge.

Goring-Morris N. & Belfer-Cohen A.

1998 The Articulation of Cultural Processes and Late Quaternary Environmental Changes in Cisjordan. Paléorient, 23 (2): 71-93.

Hershkovitz I., Spiers M., Frazer D., Nadel D., Wish-Baratz S. & Arensburg B.

1995 Ohalo H-2, a 19 000 Years Old Skeleton from a Water Logged Site at the Sea of , Israel. American Journal of Physical Anthropology, 96, p. 215-234.

Kuijt I.

2000 Keeping the Peace: Ritual, Skull Caching and Community Integration in the Levantine Neolithic. In: I. Kuijt (ed.): Life in Neolithic Farming Communities: Social Organization, Identity, and Differentiation, p. 137-163. Kluwer Academic/Plenum: New York.

Kuijt I. & Goring-Morris N.

2002 Foraging, Farming, and Social Complexity in the Pre-Pottery Neolithic of the Southern Levant: A Review and Synthesis. Journal of World Prehistory, 16 (4), p. 361-440.

Larsen C. S.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 38

1997 Bioarchaeology. Interpreting Behavior from the Human Skeleton. Cambridge University Press: New York.

Leclerc J.

1990 La notion de sépulture, Bulletin et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, n.s., t. 2, 3/4, p. 13-18.

Le Mort F.

1992 Les pratiques funéraires des populations du Levant au début du Néolithique. Archéo-nil, 2, p. 37-42.

Le Mort F.

1994 Les sépultures. In: M. Lechevalier & A. Ronen : Le gisement de Hatoula en Judée occidentale, Israël, p. 39-57. Association Paléorient, Mémoires et Travaux du Centre de recherche français de Jérusalem, 8 : Paris.

Masset C.

1987 Le « recrutement » d'un ensemble funéraire. In: H. Duday & C. Masset (eds.) : Anthropologie physique et archéologie. Méthodes d'étude des sépultures, p. 111-134. CNRS : Paris.

Mauss M.

1936 Les techniques du corps, Journal de Psychologie, 32 : 271-293.

Moore A. M. T., Hillman G. C. & Legge A. J.

2000 Village on the Euphrate. From Foraging to Farming at Abu Hureyra. Oxford University Press: New- York.

Pearson M. P.

1999 The Archaelogy of Death and Burial. Texas A & M University Press, Anthropology Series, Phoenix Mill: Sutton.

Peterson J. D.

1997 Tracking Activity Paterns Through Skeletal Remains: A Case Study from Jordan and Palestine. In: H. G. K. Gebel, Z. Kafafi & G. O. Rollefson (eds.): The Prehistory of Jordan, II. Perspectives from 1997, p. 475-492. Studies in Early Near-Eastern Production, Subsistence and Environment. Ex oriente: Berlin.

Smith P.

1991 The Dental Evidence for Nutritional Status in the Natufians. In: O. Bar-Yosef & F. R. Valla (eds.): The Natufian Culture in the Levant, p. 425-432. International Monographs in Prehistory, Archaeological Series 1: Ann Arbor, Michigan.

Smith P.

1995 People of the Holy Land from Prehistory to the Recent Past. In: T. E. Levy (ed.): The Archaeology of Society in the Holy Land, p. 58-74. Leicester University Press: London.

Smith P., Bar-Yosef O. & Sillen A.

1984 Archaeological and Skeletal Evidence for Dietary Change during the Late Pleistocene/ Holocene in the Levant. In: M. N. Cohen & G. J. Armelagos (eds.): Paleopathology at the Origins of Agriculture, p. 101-136. Academic Press: New-York.

Runnels C. & van Andel T. H.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 39

1988 Trade and the Origins of Agriculture in the Eastern Mediterranean. Journal of Mediterranean Archaeology, 1 (1): 83-109.

Sellier P.

1995 Paléodémographie et archéologie funéraire : les cimetières de Mehrgarh, Pakistan. Paléorient , 21 (2), p. 123-143.

Tanno K-I., & Willcox G.

2006 How Fast Was Wild Wheat Domesticated? Science, 311:1886.

Thomas L.-V.

1985 Rites de mort. Éditions Fayard : Paris.

Valla F. R.

1999 The Natufian: A Coherent Thought? In: W. Davies & R. Charles (eds.): Dorothy Garrod and the Progress of the Palaeolithic: Studies in the Prehistoric Archaeology of the Near East and Europe, p. 224-241. Oxbow: Oxford.

Wood J. W., Milner G., Harpending H. & Weiss K.

1992 The Osteological Paradox: Problems in Inferring Prehistoric Health from Skeletal Samples. Current Anthropology, 33 : 343-370.

RÉSUMÉS

For an anthropological approach of the Epipaleolithic-Neolithic transition of the Near-East At the end of the last glacial period, Hunter-Gatherers occupying the Near-East had adopted a new way of life including permanent settlements and farming. Beyond an obvious change in subsistence pattern, this Neolithisation process entails an upheaval of ideologies, social organisation, territories and techniques. Failing in understanding the « mechanism » of this profound change of the prehistoric societies, archaeology is trying, however, to reconstruct its major steps of development. As a specific case of study ones expounds here the potential of anthropology for enriching some of these issues thanks to data brought by the skeletons them- selves or facts revealed by the spatial organisation of the graves.

AUTEUR

FANNY BOCQUENTIN

Fanny Bocquentin est chargée de recherche dans l’équipe d’ethnologie préhistorique (ArScaN, UMR 7041). Ses recherches portent sur les pratiques funéraires et les conditions de vie des populations du début du néolithique au Proche-Orient. Fanny Bocquentin is a chargée de recherche (ArScaN, UMR 7041, CNRS). Her major topic is focused on burial customs and health status of the populations at the beginning of the Neolithic in the Near East. [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 40

Depuis quand existe-t-il un messianisme juif ?

Mireille Hadas-Lebel

1 La question ainsi posée a de quoi surprendre. Dans l’esprit de beaucoup, qu’ils soient juifs ou pas, le messianisme est partie intégrante du judaïsme, il lui est co-existentiel. Nombre de formules liturgiques – que ce soit dans le qadish, la havdala, les grâces après le repas – mentionnent l’attente messianique. Il est devenu banal de dire que les juifs attendent celui qui pour les chrétiens est déjà venu et doit revenir lors de la parousie. Et si l’on demande depuis quand le Messie est attendu, la réponse risque d’être « depuis toujours » ou « depuis les prophètes ». Le point de vue de l’historien des religions qui s’appuie sur les textes n’est pas, comme nous le verrons, au diapason de l’opinion courante, dès qu’il s’efforce de préciser une notion généralement vague. Ainsi que l’exprime Emmanuel Lévinas : « Cette notion est complexe et difficile. Seule l’opinion populaire la conçoit avec simplicité 1.»

2 Si l’on définit le Messie comme le Sauveur d’Israël en particulier, et de l’humanité en général, on lui attribue un rôle qui est ni plus ni moins celui de Dieu. « À l’origine le judaïsme n’est pas messianique : seul Dieu sauve » constate Zvi Werblowsky2. Toute la Bible hébraïque le démontre : c’est Dieu qui guérit, qui délivre, qui pardonne, qui ramène les exilés et, pour cela, il n’est guère besoin d’intermédiaire entre lui et les hommes. Le salut de l’âme post mortem n’est pas explicitement mentionné dans les textes et, quand bien même il le serait, il dépendrait encore de Dieu et de Lui seul. Comment donc a-t-on pu faire reposer l’idée messianique sur la Bible ? I. Mashiah « oint » dans la Bible hébraïque 3 Lors d’une conférence interconfessionnelle, qui a donné lieu à un important ouvrage visant à clarifier la notion de messianisme3, la première conclusion atteinte fut : The Messiah is not in the Old Testament. 4 Pour s’en assurer, il suffit de se référer à une concordance biblique. On y trouve trente- neuf attestations du mot mashiah. Les plus nombreuses désignent le roi. On ne s’étonnera pas qu’elles se rencontrent essentiellement dans le livre de Samuel (quinze occurrences), où l’onction dispensée par le prophète successivement à Saül, puis à

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 41

David, a toute son importance puisqu’il s’agit de la consécration des premiers rois. Pour le second Isaïe (45.12), l’ « oint » est un souverain étranger, le conquérant perse Cyrus, qui permet aux exilés de Juda de rentrer à Jérusalem. 5 Dans le Lévitique (4.3, 5, 16 et 6.15), il n’y a qu’un mashiah, c’est le grand prêtre (hacohen hamashiah). L’onction est une marque d’élection. C’est ainsi que mashiah peut être appliqué au peuple d’Israël (Habacuc 3.13 ; Psaumes 28.8). 6 C’est sans doute dans les Psaumes que l’espérance en l’ « oint » de la descendance de David est la plus pressante (Ps. 2.2 ; 18.51 ; 20.7 ; 105.15). Il s’agit dans tous les cas d’un roi très humain, sans aucune dimension eschatologique. 7 Le constat est indubitable : In the original context not one of the 39 occurrences of mashiah in the Hebrew canon refers to an expected figure of the future whose coming will coincide with the inauguration of an era of salvation4. II. Le « messianisme » biblique 8 N’y a-t-il donc pas de messianisme dans la Bible ? N’est-ce pas l’ère messianique qu’annonce Isaïe en prophétisant que « des peuples nombreux » monteront à la montagne du Seigneur (Is. 2.3), « qu’une nation ne lèvera plus l’épée contre une autre » (Is. 2.4), et que « le loup séjournera avec l’agneau » (Is. 11.6) ? Tel est effectivement le tableau que nous nous faisons, grâce à lui, de ce que nous appelons l’ « ère messianique ». Mais où est le Messie dans ce texte ? Il est clair que dans ce cas « messianique » est confondu avec eschatologique, car Isaïe aurait eu une vision heureuse de la fin des temps. Or, beaucoup de traducteurs rendent beaharit hayamim simplement par « dans la suite des temps ». Isaïe a une conception dynamique de l’histoire : après un temps d’épreuves, le pardon divin ramènera le bonheur sur une terre purifiée. Nous avons tendance à appeler « messianique » toute espérance en un futur idéal, toute vision de paix universelle, et c’est ainsi qu’on en vient à parler de « messianisme sans Messie ». 9 Il est vrai, cependant, que nombre de textes bibliques évoquent un personnage, parfois présenté métaphoriquement, en qui se concentre l’espérance des hommes. C’est ce qui vaut à ces passages la réputation de textes « messianiques ». Or, aucun d’eux ne comporte le mot « messie », ni la bénédiction de Jacob (Genèse 49.10 : « Le sceptre ne sera pas ôté de Jacob jusqu’à ce que vienne Shilo, à qui est due l’obéissance des peuples ») ni l’oracle de Balaam (Nombres 24.17 : « Un astre est issu de Jacob et un sceptre a surgi d’Israël »), ni les prophéties de Jérémie (23.5) et de Zacharie (6.12) qui promettent la venue d’un « germe juste » ou d’ « un homme qui a pour nom Germe » (semah). Tels sont pourtant les versets messianiques les plus fréquemment cités par l’exégèse juive. Le surnom de Bar Kokhba « fils de l’étoile » donné au chef charismatique de la seconde révolte contre Rome (132-135) prouve de lui-même que ce héros était identifié par certains à « l’astre issu de Jacob » compris comme une métaphore désignant un sauveur. Quant au mystérieux Shilo et au « germe », ils étaient interprétés comme des noms du messie à venir. 10 L’exégèse chrétienne a, bien entendu, hérité de ces interprétations. Pour des raisons évidentes, elle a souvent préféré s’appuyer sur les versets bibliques où revenait le mot « fils », tels Isaïe 7.14 où la traduction de l’hébreu ‘alma par parthenos dans la Septante fonde la naissance virginale de Jésus : « La jeune femme (ou parthenos, la vierge) enfantera un fils, tu l’appelleras Emmanuel ». « Emmanuel » apparaît ainsi dans la tradition chrétienne comme un nom du Messie. Cette « prophétie de l’Emmanuel » était déjà au cœur du débat entre chrétiens et juifs au début du IIe siècle, comme l’atteste le

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 42

Dialogue avec Tryphon de Justin Martyr ; l’on y voit que la lecture juive de ce passage était purement historique : le fils annoncé n’est autre qu’Ezéchias, fils du roi Achaz, selon Tryphon. 11 Il en va de même pour l’autre passage d’Isaïe évoquant l’enfant destiné à sauver le trône de David qui est au centre de l’exégèse messianique chrétienne : « Un fils nous a été donné, le principat repose sur ses épaules ; on proclame son nom : conseiller merveilleux ! héros divin père à jamais ! prince de paix » (Isaïe 9.5). La tradition chrétienne considère en outre comme messianique le Psaume 2 où on a vu que le mot Messie intervient (les rois se dressent contre Dieu et son Messie) au v. 2, aussitôt suivi de : « Il m’a dit : Tu es mon fils, c’est moi qui t’ai engendré aujourd’hui » (v. 7). Ce fils est aussi un roi (« C’est moi qui ai sacré mon roi sur Sion, ma montagne sainte », v. 6). C’est ce personnage que l’exégèse chrétienne reconnaît dans le Psaume 110, assis à la droite du Seigneur, et à qui il est dit : « Tu es prêtre à jamais à la manière de Melchisedeq » (v. 4). Il est aussi le roi de Zacharie 9.9 « juste et victorieux, humble et monté sur un âne » que l’entrée de Jésus à Jérusalem au jour des Rameaux a confirmé dans sa dimension messianique selon Matthieu 21.5. 12 Il est donc clair que juifs et chrétiens lisent les textes sacrés avec tout le poids de leurs exégèses respectives, accumulées au cours des siècles. 13 À la liste précédente la christologie a ajouté le chapitre 53 d’Isaïe car c’était le Christ mort sur la croix qu’elle reconnaissait dans « le serviteur souffrant ». Enfin, le livre de Daniel devait lui fournir un autre titre important associé au Christ, celui de « Fils d’homme ». Dans la vision du chapitre VII, quatre grands empires qui ont dominé le monde sont représentés sous forme de bêtes, la dernière étant la plus effrayante de toutes. Ces bêtes passent en jugement devant l’Ancien des Jours (vision anthropomorphique de Dieu) assisté d’un personnage à visage humain « comme un fils d’homme » (v.13) auquel sont promises « la puissance et la gloire ». Le contexte historique de la vision de Daniel, tel qu’il a été reconstitué par les historiens, est celui de la révolte des Juifs contre la Syrie séleucide d’Antiochus IV Epiphane : la quatrième bête représente la Syrie, et le personnage d’apparence humaine a une identité collective : il s’agit de la nation des « Saints du Très Haut » (v.18, 22, 27) ; autrement dit, Israël alors en lutte qui attend son salut de Dieu. Le temps passant, le mystérieux « Fils d’homme » devint une figure individuelle salvatrice. Le livre de Daniel, né en pleine crise politico-religieuse à l’époque des Maccabées, et plus tard inclus dans le canon biblique, exerça bientôt en Judée un impact profond et durable. Renan l’évalue à sa juste mesure quand il écrit : « L’auteur inconnu du livre de Daniel eut une influence décisive sur l’événement religieux qui allait transformer le monde. Il créa la mise en scène et les termes techniques du nouveau messianisme5.» III. Les débuts de l’attente messianiqueElie 14 Un texte aussi peu « messianique » que le livre I des Maccabées, vraisemblablement rédigé (en hébreu à l’origine) un peu avant l’an -100 nous montre que, vers cette époque, les Juifs de Judée vivaient dans l’attente. Lors de la purification du Temple reconquis sur les Séleucides (-164), Juda Maccabée aurait déposé les anciennes pierres de l’autel « en attendant que vînt un prophète qui donnerait une réponse à leur sujet » (I Mac. 4.46). Une vingtaine d’années plus tard, les Judéens donnèrent le pouvoir à son frère Simon et à ses descendants « jusqu’au moment où se lèverait un prophète digne de foi » (I Mac. 14.41). Qui était donc le prophète attendu ? Sans doute un nouvel Elie, un Elie redivivus. On devait espérer la réalisation de la prophétie de Malachie :

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 43

Voici que moi je vous envoie le prophète Elie avant que ne vienne le Jour du Seigneur, jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers les fils et le cœur des fils vers les pères. 15 Cette attente est bien perceptible au Ier siècle et dans le Nouveau Testament. Lorsqu’apparaissait une figure charismatique, on lui demandait : « Es-tu Elie ? » L’Élu de justice (I Hénoch) 16 Entre temps, l’idée avait surgi que le prophète Elie serait l’annonciateur d’un autre personnage qui présiderait au « Jour du Seigneur », compris comme Jugement dernier. La figure daniélique du Fils de l’homme, investi par l’Ancien des Jours lors du jugement des empires, avait été recueillie par une apocalypse, le livre d’Hénoch. Cet ouvrage, écrit en araméen, est sans doute composite : on peut penser que sa rédaction s’est étalée sur les deux siècles précédant l’ère chrétienne et a subi aussi quelques influences ultérieures. Sous sa forme la plus complète, il nous est parvenu en ghez, car il est devenu un livre sacré dans l’Église éthiopienne. Dans la section la plus récente, connue sous le nom de « Parabole d’Hénoch »6, le héros voit apparaître un personnage aux côtés d’un vieillard qui est une représentation anthropomorphique de Dieu. Hénoch interroge alors un ange : « Qu’est-il ? D’où vient-il ? Pourquoi accompagne-t-il le Principe des Jours ? », et il lui est répondu : C’est le Fils d’homme auquel appartient la justice […] Car c’est lui que le Seigneur des Esprits a élu. (I Hénoch 46, 2-6) 17 Ce Fils d’homme n’est désormais plus une figure collective mais une figure individuelle préexistante au monde et gardée en réserve pour la fin des temps : Avant que soient créés le soleil et les signes, Avant que les astres du ciel soient faits. Son nom a été prononcé devant le Seigneur des Esprits. Il sera un bâton pour les justes […] Il sera la lumière des nations […] C’est pour cela qu’il est devenu l’Élu et celui qui a été caché par devant Lui, dès avant la création du monde et jusqu’à l’avènement du siècle. (I Hénoch 48, 3-6) 18 Le Fils d’homme appelé aussi « L’Élu » ou « Le Juste » joue un rôle essentiel auprès de Dieu dans le Jugement dernier. C’est une figure quasi divine, un être angélique d’aspect humain, qui occupe un siège au ciel devant « le Principe des jours ». À deux reprises, il est également appelé « Messie » et c’est à lui qu’est promis l’empire universel. Le roi Messie, fils de David 19 Le titre le plus fréquemment donné au Messie dans la tradition juive jusqu’à nos jours est sans nul doute celui de « fils de David ». Par là s’exprime clairement l’attente d’un roi issu de la dynastie davidique, destiné à recevoir l’onction qui le consacre et fait de lui un « oint » (mashiah) comme son ancêtre David. 20 Mais où était donc la dynastie davidique dont le prophète Nathan avait jadis promis la pérennité ? (« Ta maison et la royauté dureront à jamais devant moi, ton trône sera stable à jamais », II Samuel 7.16). Certes, des rois s’étaient installés sur le trône de Judée avec la dynastie hasmonéenne mais ils n’appartenaient même pas à la seule tribu royale, celle de Juda, c’étaient donc des usurpateurs ; en outre, ils cumulaient, à l’encontre de toutes les règles bibliques, les fonctions royale et sacerdotale. Une opposition ouverte s’était manifestée déjà sous Jean Hyrcan et accentuée sous le règne d’Alexandre Jannée qui avait impitoyablement châtié ses ennemis politiques, les

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 44

Pharisiens. L’intervention romaine avait mis fin à la dynastie hasmonéenne, mais avait amené pire encore : le roi des Juifs était désormais Hérode, fils de l’Iduméen Antipater, plus soucieux de servir les intérêts de Rome par la grâce de laquelle il régnait, que ceux de son peuple ; à mesure que le temps passait il se révélait de plus en plus cruel et tyrannique. C’est dans un tel contexte politique, probablement sous le règne d’Hérode (-40-4), que dut être rédigé le Psaume XVII des Psaumes dits « de Salomon » auquel on accole souvent le qualificatif de « messianique ». Les références à l’histoire récente sont fort claires. 21 Aux usurpateurs hasmonéens a succédé un roi étranger qui a éliminé tous les représentants de la lignée rivale. Ce que tu ne leur avais pas promis, ils s’en sont emparés de force. Il n’ont pas rendu gloire à ton nom vénérable. Leur orgueil les a poussés à fonder une royauté : Ils ont dépouillé le trône de David, impudents imposteurs ! Mais toi, ô Dieu, tu les as renversés, tu as ôté de la terre leur descendance, en suscitant contre eux un étranger à notre race. Selon leurs péchés tu les as rétribués, ô Dieu, et leur sort fut celui qu’ils avaient mérité. Dieu ne leur a pas fait grâce. Il a recherché leurs descendants, et n’en a pas laissé échapper un seul. Alors le Psalmiste s’écrie : « Suscite-leur leur roi fils de David » (Ps. Sal. XVII, 21). 22 C’est à partir de ce moment que l’on se met à rêver d’un authentique descendant de David, juste et bon comme le conseiller merveilleux d’Isaïe XI, humble comme le roi monté sur un âne de Zacharie IX. Et puisque aucun descendant de David n’est en vue, on se dit qu’il est sans doute caché. À la mort d’Hérode le brusque surgissement de prétendants au trône d’extraction populaire – l’ancien esclave Simon, le berger Ahtronges – peut être interprété comme l’effet d’une telle attente.

23 Le roi espéré est tout naturellement appelé « Messie » dans les Psaumes XVII et XVIII de Salomon, car il est destiné à recevoir l’onction sur le modèle de celle de David, une onction que n’avaient reçue ni les Hasmonéens ni Hérode. Il lui incombera de réaliser les prophéties d’Isaïe : Sa force réside dans son espoir en Dieu. Il fera grâce à toutes nations qui se tiennent devant Lui dans la crainte, car il frappera la terre de la parole de sa bouche à jamais. Il bénira le peuple du Seigneur de sagesse et de joie. (Ps. Sal. XVII, 34-35) 24 L’« oint » sauveur est avant tout un roi juste et sage, mais il est protégé par l’ « Esprit saint » (Ps. Sal. XVII, 37). Il commence ainsi à prendre une dimension quelque peu surnaturelle suivant l’interprétation d’Isaïe XI, 4 (« il frappera la terre de la parole ») qui dans l’Apocalypse de Jean deviendra une épée aiguë sortant de la bouche « du Fils d’homme ».

25 On voit donc que l’idée messianique s’est fait jour, comme l’exprime G. Scholem, « non pas comme la révélation abstraite de l’histoire de la rédemption, mais sous l’influence de circonstances historiques très déterminées ». Ainsi se créé « la brûlante atmosphère » si bien ressentie par Renan « mélange confus de claires vues et de songes », « alternatives de déceptions et d’espérances », « aspirations sans cesse refoulées par une odieuse réalité ». IV. L’attente du Royaume

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 45

26 L’« incubation », l’attente de quelque chose d’inconnu fut sans doute différente suivant les divers courants entre lesquels étaient divisés les Juifs de Judée en ce temps-là. Contrairement à l’idée reçue, les Esséniens ne me semblent pas avoir été les plus « messianiques » au sens qu’a pris ce terme. Selon les documents découverts à Qumran et qui leur sont attribués, ils attendent deux « oints », l’un royal, l’autre sacerdotal, autrement dit ils espèrent le rétablissement de l’ordre ancien bouleversé depuis l’exil de Babylone et dont l’époque davidique semblait donner le tableau le plus flatteur. On peut donc les voir comme des ultra-conservateurs, nostalgiques d’un passé lointain. Ce qu’ils attendent, désormais, c’est le retour de cet ordre idéal, mais tous ne méritent pas de le voir. Seule une élite, celle des « fils de lumière » vainqueur des « fils des ténèbres » au terme d’un ultime combat, accèdera à ce royaume régi par les lois divines, au royaume de Dieu. 27 Parallèlement, au début du Ier siècle, en l’an 6, se constitue un groupe d’exaltés que l’historien Flavius Josèphe évite de nommer du nom qu’ils se donnent et qu’il préfère appeler, par référence aux trois autres courants préexistants en Judée (Sadducéens, Pharisiens, Esséniens), « la quatrième philosophie ». 28 Il nous renseigne fort peu sur la doctrine de ses sectateurs car il s’attache surtout à souligner leurs sentiments anti-romains et leur responsabilité dans la grande révolte de 66. Il nous livre néanmoins une indication précieuse : « Ils jugent que Dieu est le seul chef et le seul maître » (Antiquités XVIII, 23). Pour que Dieu soit seul maître, il faut que Dieu règne seul à l’exclusion de tout pouvoir temporel. Les fondateurs de cette « philosophie » ne veulent donc vraisemblablement pas plus d’un roi juif (fût-il de la lignée davidique) que de l’emprise étrangère. Leur idéal n’est pas celui d’une simple indépendance nationale. 29 La caste sacerdotale décadente ne constitue certainement pas un pouvoir spirituel à leurs yeux. Né dans le milieu pharisien, ce mouvement, qui a influencé les sicaires et les zélotes, comporte une dimension mystique : il attend l’instauration du règne de Dieu. Pour cela ils semblent ne compter que sur leurs troupes, celles des soldats de Dieu, prêts à livrer le combat final contre Rome qui hâtera la venue du Royaume. Certains historiens ont tenté de donner une dimension messianique à tel ou tel chef de ce courant, Menahem par exemple, mais nous n’en avons aucune preuve. Il était fort possible d’espérer instaurer l’avènement du Royaume par une action collective sans attribuer de rôle particulier à un « oint ». 30 L’attente eschatologique n’est pas nécessairement messianique. La confusion qui règne souvent dans les esprits à ce sujet tient à ce qu’on établit trop souvent une équivalence entre les deux termes. Or, il a existé une eschatologie sans Messie. En revanche, il est vrai, on ne saurait concevoir un Messie sans espérance eschatologique. V. L’attente du Messie au Ier siècle

31 Certains dans le peuple préféraient pourtant donner un visage au personnage providentiel qui, en ces temps de crise, apporterait le Salut. S’il faut encore citer Renan : « le Juif de cette époque était aussi peu théologien que possible. Les croyances […] étaient des croyances libres, des méditations auxquelles chacun se livrait selon la tournure de son esprit, mais dont une foule de gens n’avait pas entendu parler ».

32 Ceux qui approchèrent Jésus et furent sensibles à son message ne savaient sans doute quel titre lui donner car ils ne savaient pas eux-mêmes ce qu’ils attendaient : était-il un prophète, était-il Elie ? était-il le fils de David ? Ils ne savaient pas si sa mission était

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 46

céleste ou terrestre : « Est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d’Israël ? » demandent les apôtres (Actes I, 6). Dans un premier temps, c’est la résurrection qui est l’événement fondateur du christianisme sans que titre ou mission soient vraiment précisés. À la fin du Ier siècle, on attend son retour imminent comme le montrent les dernières paroles de l’Apocalypse de Jean : « Oui je viens bientôt » (Apoc. 22.20). Christos, « oint », interprété comme un titre eschatologique et non simplement comme une marque de royauté devient le nouveau titre de Jésus mort et ressuscité. 33 Entre temps une immense catastrophe s’était abattue sur les Juifs. Ceux de Judée s’étaient imprudemment soulevés contre une puissance romaine alors à son zénith. Leur révolte avait été écrasée, le Temple incendié, Jérusalem détruite. Deux apocalypses juives de la fin du Ier siècle, connues sous le nom de II Baruch et IV Esdras, reflètent l’état d’esprit des survivants : Heureux celui qui n’est point né ou naquit pour mourir aussitôt Mais malheur à nous les vivants qui avons vu les douleurs de Sion Et le sort de Jérusalem. (II Bar. 10, 6-5) Pourquoi suis-je né ? Pourquoi le ventre de ma mère n’a-t-il pas été mon tombeau ? Ainsi je n’aurais pas vu la peine de Jacob et l’épuisement d’Israël. (IV Esd. II, V, 35) 34 Où était l’Alliance ? L’élection ? La justice divine ? La vie valait-elle la peine d’être vécue ? À ces questions angoissantes, toutes deux s’efforcent de trouver des réponses qui donnent encore quelque raison de vivre.

35 Baruch et Esdras reçoivent en retour de leurs interrogations des révélations d’en haut. Le monde approche de sa fin, l’avènement de la rédemption est pour bientôt. Au désespoir répond la promesse, à l’impatience l’assurance que l’attente sera de brève durée, à l’insistance l’idée que le monde doit atteindre son point de maturation. L’histoire est divisée en grandes périodes, la catastrophe récente est elle-même le signe de la fin des temps. La jeunesse du temps est passée, la vigueur de la création est consumée. Peu de choses manquent encore à l’avènement du temps pour qu’ils soient passés. La cruche est proche du puits, le navire du port. Le tracé de la route s’achève à la ville, et la vie approche de sa fin. (II Bar. 85, 10) 36 Il faut avoir atteint le fond du malheur pour mériter la rédemption. C’est alors que surgira le Rédempteur, le Messie. Il apparaît dans les deux textes sous forme de vision symbolique.

37 En II Baruch 36-37, une immense forêt est submergée par une source, seul subsiste un cèdre altier qui passe en jugement devant une vigne. Le cèdre « survivant de la forêt du mal » représente le dernier chef de Rome qui réunit en elle toutes les formes d’immoralité, il est exécuté par le Messie « semblable à la source et à la vigne ». Ainsi Dieu, à travers son Messie, assurera le salut de la vigne, symbole biblique d’Israël, dont il est resté, malgré les apparences, le fidèle gardien. 38 Pour représenter Rome, IV Esdras recourt à un tout autre symbole, celui de l’aigle, un aigle monstrueux à trois têtes et six couples d’ailes. Un lion le défie et annonce que la terre sera bientôt libérée de sa domination inique. Ce lion (le lion de Juda) n’est autre que « le Messie que le Très Haut a réservé pour la fin des temps » (IV Esd. V, XII, 32),

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 47

celui que Dieu appelle « mon fils » (IV Esd. VII, 28). Le Messie joue ici aussi un rôle de juge : le corps de l’aigle condamné brûle de même que le grand cèdre est livré aux flammes. Dans cette fonction il est l’héritier du Fils d’homme de Daniel et de l’Élu de justice d’Hénoch. 39 Qu’attendait-on du Messie à la fin du Ier siècle ? Avant tout qu’il mette un terme au quatrième et dernier empire de l’histoire, Rome, et fasse disparaître ainsi le mal de la terre. Par cet ultime affrontement, il rendrait possible la restauration de Jérusalem. 40 La ville est l’objet de tous les rêves entretenus par l’éblouissante description de la nouvelle Jérusalem chez Isaïe. II Baruch (VI, 9) promet que Jérusalem « livrée pour un temps » sera rénovée dans la gloire « rendue parfaite pour l’éternité » (XXXII, 4). Mais la Jérusalem nouvelle n’est pas construite de main d’homme, elle vient du monde d’en haut, elle est gardée en réserve auprès de Dieu depuis la Création et n’a été montrée qu’à quelques élus : Adam, Abraham, Moïse (II Bar. IV, 1-7). C’est elle aussi qu’attend IV Esdras : Sion lui apparaît sous l’aspect d’une mère éplorée bientôt remplacée par une cité imposante d’une magnificence surnaturelle, la Cité du Très Haut (X, 50-55). 41 Ces visions se doublent d’une conception millénariste de la fin de l’Histoire que l’on rencontre également dans l’Apocalypse de Jean, strictement contemporaine des deux autres. Dans cette apocalypse, après le jugement de la grande prostituée (Rome) et l’anéantissement de la Bête, Satan est enfermé pour mille ans, ce qui est la durée du règne du Christ et des saints martyrs (Apoc. 20, 4). De même on lit en IV Esdras (VII, 28) : « Mon fils, le Messie, sera révélé en même temps que ceux qui sont avec lui et ceux qui auront survécu se réjouiront durant quatre cents ans [versions latine, géorgienne et première version arabe] ou mille ans [deuxième version arabe] ». Mais pour IV Esdras le Messie est un être mortel (« Après cela mon fils le Messie mourra avec tous les humains » IV, 29). Son règne n’aura servi qu’à préparer le jour du Jugement et le règne de Dieu dans une éternité incorruptible (VII, 113). 42 Les idées messianiques de la fin du Ier siècle ne sont pas tout à fait celles qui prévalent dans le judaïsme par la suite. En fait, elles n’ont jamais été répertoriées de manière cohérente. La Mishna les a sciemment évitées car l’aventurisme messianique de Bar Kokhba avait été responsable de nouveaux malheurs. Le Talmud et le Midrash n’offrent que des conceptions éparses et fragmentaires. Nulle part on ne trouve de programme (de « checklist » comme dit Charlesworth) de ce que doit accomplir le Messie. Comme le note E. Urbach, la diversité des opinions dépasse les normes habituelles de la controverse, elle ne se limite pas à des conceptions de détail, mais affecte des notions fondamentales, impliquant chez l’un la complète négation de la doctrine de l’autre. Cela n’a pas empêché l’espérance messianique de croître et d’occuper une place de plus en plus importante dans la liturgie ou les spéculations du Moyen Âge jusqu’aux temps modernes. 43 L’attente messianique a eu un rôle important dans l’histoire des Juifs et l’a encore pour certains. Elle a apporté consolation en des temps de détresse et a pu aussi mobiliser des forces dans des aventures destinées à changer le cours des choses. Le point commun à toutes les formes qu’a pu prendre le messianisme est l’espérance. Or, ainsi que l’observe Gershom Scholem « il y a dans l’espérance quelque chose de grand et en même temps de profondément irréel. Vivre dans l’espérance, c’est pour l’individu se trouver sans pouvoir, ne pouvoir jamais s’accomplir parce que l’échec réduit à néant précisément ce qui constitue sa plus haute dignité ». Mis à part une petite frange mystique, le judaïsme est-il encore messianique ? Sans doute l’espérance est-elle toujours une de ses vertus

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 48

profondes, mais elle n’attend pas nécessairement le salut d’un autre, fût-il l’instrument de Dieu.

NOTES

1. Difficile Liberté, Paris, Albin Michel, 1960, p. 83. 2. Éléments de messianisme. 3. J.H. Charlesworth (ed.), The Messiah, Princeton, 1992. 4. Ibid. article de J.J.M. Roberts. 5. Vie de Jésus, 13e édition, Paris, 1860, p. 15. 6. C’est la seule partie dont il n’y ait pas de trace dans les fragments araméens d’Hénoch découverts à Qumran. Est-ce à dire, comme on l’a parfois soutenu, qu’il s’agit d’une section d’inspiration chrétienne ? Quelques indices historiques invitent plutôt à la situer peu après -40. D’ailleurs, à la fin du passage, c’est Hénoch lui-même qui est investi au ciel en tant que Fils d’homme (I Henoch 71, 14-17).

RÉSUMÉS

From when is there a Jewish Messianism? Contrary to a common belief, the Messiah is not found in the Hebrew Bible. What has been called “messianism” is eschatology, hope for a better future or later interpretations given to obscure verses. The messianic idea is clearly linked to historic circumstances due to the disappointment caused by the instauration of illegitimate kinship in the time of the Hasmoneans and of Herod. It developped against Roman rule in the beginning of the first century in certain Jewish circles. It really became part of the Jewish creed after the destruction of the Temple in the year 70, as testified by Jewish apocalypses (II Baruch, IV Esdras) probably written like John 's Book of Revelation around 100, and made its way in Judaism till our days bringing both misfortunes and consolation.

AUTEUR

MIREILLE HADAS-LEBEL

Mireille Hadas-Lebel est professeur d'histoire des religions à l’Université Paris VI- Sorbonne, spécialiste du judaïsme antique auquel elle a consacré plusieurs ouvrages : Flavius Josèphe , le Juif de Rome, Fayard, 1989, traduit en 7 langues, plusieurs rééditions, Philon d'Alexandrie, un philosophe en Diaspora, Fayard 2003, trad. hébraïque sous presse Yediot Aharonot.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 49

Mireille Hadas-Lebel is professor for History of religions at Paris VI-Sorbonne University, specialized in ancient Judaism. She has published some books on this topic: Flavius Josèphe, le Juif de Rome, (Fayard, 1989), translated in seven languages, several re- editions; Philon d'Alexandrie, un philosophe en Diaspora, Fayard, 2003, Hebrew translation on print, Yediot Aharonot. [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 50

Les notions de « texte » et de « musique » au miroir des traditions liturgiques

Frank Alvarez-Pereyre

1 Les faits liturgiques sont complexes. Il faut y distinguer le texte, la langue et la musique, mais aussi la gestuelle et tout un ensemble de données ethnographiques qui sont liées aux protagonistes de la liturgie, aux conditions de lieu et de temps, ou plus généralement à la construction même de l’acte liturgique, à son déroulement. De fait, la liturgie se caractérise par une imbrication sophistiquée des éléments que l’on vient de nommer, qu’accompagnent une forte conscience historique et un sens poussé de la déférence. Dans un tel contexte, l’analyse de la liturgie impose que l’on s’attache à ses différents constituants, tout en veillant à les inscrire dans une perspective globale.

2 Constatons maintenant que les spécialistes du domaine se sont tout particulièrement attachés aux relations qui lient texte et musique : qu’ils aient voulu éclairer le cœur même du fait liturgique ou qu’ils se soient intéressés aux grandes catégories sous lesquelles il conviendrait de classer les phénomènes qu’ils inventorient. Les pages qui suivent s’attachent à refléter les voies que les traditions liturgiques ont prises pour ce qui touche aux relations entre texte et musique. Il sera question des traditions de la chrétienté, de la cantilation biblique et de l’étude du Talmud dans les communautés juives, de la cantilation du Coran enfin. Au-delà de la variété des situations et des attitudes dont témoignent ces traditions, on constatera à quel point texte et musique s’interpénètrent. 3 Les thèmes généraux qui viennent d’être indiqués ont été abordés de façon frontale il y a bientôt un demi-siècle. S’intéressant spécifiquement aux rituels chrétiens, S. Corbin (1961) posait deux questions. La première portait sur les catégories liturgiques et sur les critères qu’il conviendrait de retenir pour en établir une typologie pertinente. La seconde question concernait précisément les éléments constitutifs de toute situation liturgique. Vue sous l’angle du texte et de la musique, l’essence de la liturgie repose, pour S. Corbin, sur la combinaison d’ensembles textuels bien établis et des moyens qui sont requis pour les proférer. C’est dans le lien entre les textes et leur transmission

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 51

orale que l’on trouverait, pour le même auteur, la clé des catégories liturgiques. Et c’est dans ce contexte-là que pourrait s’expliquer tout particulièrement la différence entre psalmodie et cantilation. La psalmodie concernerait des textes figés de style poétique, énoncés collectivement sur la base de règles contraignantes. La cantilation serait pour sa part relative à des textes en prose, qu’une seule personne dit ou chante en fonction d’un ensemble établi de règles. C’est dans l’ajustement des règles de la transmission orale et du texte que résiderait l’espace de liberté dont jouirait celui qui se situe dans le cadre de la cantilation. Une telle liberté structurelle serait absente de la psalmodie. 4 Datant du tout début des années 1960, les propos de S. Corbin renouvelaient profondément la thématique de la liturgie. D’autres travaux allaient pourtant voir le jour, qui ont permis de préciser ce qu’il faut entendre par « texte » mais aussi ce que sont les lois qui, par delà le terme « musique », président à la transmission orale des textes. I. Les textes liturgiques 5 Tout individu averti et formé peut lire, à la synagogue, le texte biblique qui est un texte écrit dont les caractéristiques sont les suivantes. Dénués d’une ponctuation visible, les mots du texte se succèdent en continu, l’indication des voyelles manquant de façon systématique. Ce n’est pas dans le texte écrit qui est lu à la synagogue que l’on trouve les règles propres à expliciter ce que doit être l’énoncé même des mots ou encore la segmentation du même texte écrit en phrases, propositions ou autres subdivisions. Seule la profération orale du texte restitue la vocalisation, la segmentation des versets et des phrases, autant que leur organisation syntaxique. 6 Avec le temps, les sages et les grammairiens ont établi un équivalent graphique de la vocalisation et un autre équivalent graphique propre à manifester les fonctions linguistiques que la performance orale prend en charge. Toutefois, aucun de ces outils graphiques ne se trouve sur le texte biblique - de fait, les portions hebdomadaires du Pentateuque - quand celui-ci est chanté, à la synagogue, en contexte liturgique. Celui qui lit en chantant aura à sa gauche un fidèle averti qui vérifie qu’aucune erreur n’intervient dans le bon énoncé du texte et de la mélodie musicale. Un fidèle qui, parallèlement, est susceptible d’effectuer des gestes spécifiques de la main, qui s’avèrent être l’équivalent des signes graphiques absents en contexte liturgique, dont la fonction est de représenter la segmentation linguistique du texte telle que le chant la matérialise. 7 Le texte écrit du Coran et le texte écrit de la Bible juive présentent des similarités et des différences. Le texte écrit du Coran a été longtemps purement consonantique. Puis des signes graphiques y ont été ajoutés. Ces derniers ont pour but d’indiquer la vocalisation requise — une partie du moins de celle-ci — et de matérialiser de façon visible la séparation des versets entre eux. De tels signes sont inclus dans le texte utilisé en contexte liturgique. Par contre, on n’y trouve pas un équivalent graphique de la musique, du chant ou de l’intonation, tels qu’ils sont proférés en contexte. Aucun substitut graphique de ceux-ci ne paraît sur le texte écrit, que ce soit en contexte liturgique ou en dehors. 8 Pour ce qui est des communautés juives, il convient encore d’évoquer le texte du Talmud, qui contient une proportion notable des interprétations du texte biblique. Le Talmud se caractérise en particulier par le fait qu’il est étudié par toute personne qui se soumet au commandement de l’étude sur une base quotidienne ou du moins régulière, sans restriction d’âge. Dans sa manifestation écrite, le texte talmudique est lui aussi

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 52

purement consonantique et sa ponctuation y est extrêmes lacunaire. C’est cette situation qui a prévalu au cours des siècles, depuis les tout premiers siècles de l’ère chrétienne, soit l’époque où ce texte, du moins sa partie appelée Michna, a été mise par écrit. Dans les faits, pour le Talmud qui est appelé aussi Loi orale alors que le texte biblique est appelé Loi écrite, seule la lecture orale restitue la pleine identité des mots et permet de rendre véritablement manifeste la segmentation des phrases. 9 Tournons-nous maintenant vers les textes de l’Eglise grecque orthodoxe. Ils sont dotés de signes graphiques qui guident celui qui lit de manière que ce dernier rende perceptible ce que le texte doit exprimer. De fait, la tradition en question a élaboré plusieurs séries distinctes de signes graphiques : l’un pour l’accentuation des termes constitutifs du texte ; l’autre dit d’interponctuation, c’est-à-dire de segmentation des phrases entre elles et des éléments constitutifs d’une phrase ; enfin, des signes qui vont guider le chantre qui doit rendre palpable ou souligner le caractère propre à chacun des contextes liturgiques différents dans lesquels un même texte va être chanté. « Im Grieschichen… war die Interpunktuation schon lange entwickelt, als die ekphonetische Notation hinzugefügt wurde. Die ekphonetische Notation baut auf die Struktuierung des Textes auf, die schon durch die Interpunktuation gegeben war. Die Zeichen stellen somit eine Spezialisierung auf die Gestalt des musikalischen Vortrages dar. Diese Gestalt wurde speziell für den liturgischen Vortrag geschaffen. Ihre Funktion ist die der festlichen musikalischen Darstellung des Textes ». (Flender 1988 :117). Pour des raisons historiques, à partir du XVIe siècle, les différentes séries de signes ne furent plus portés sur le texte écrit. Depuis lors donc, c’est la tradition orale qui a, seule, véhiculé des fonctions linguistiques et des indications liturgiques qui permettent d’exprimer rituellement le texte écrit et de le comprendre. 10 Dans les traditions liturgiques que l’on a abordées jusqu’ici, les textes écrits sont littéralement dénués d’éléments essentiels. Seule la profération orale de ces textes restitue les informations qui manquent. Sous certaines conditions, des signes graphiques peuvent être ajoutés. Organisés en systèmes, de tels signes n’apparaissent que de façon sélective en fonction des conditions d’usage du texte. Toutefois, ils sont tous une représentation partielle et variable, un équivalent relatif de la face orale du texte, de même qu’ils constituent un guide, un aide-mémoire pour la bonne production orale du texte écrit. 11 Le lecteur n’aura pas manqué de relever notre usage des expressions « production » ou « profération », ou encore celles de « face » ou « matière » orale au moment de traiter de la cantilation du texte biblique ou de la profération des textes néo-testamentaires, de la lecture du Coran ou de l’étude du Talmud. Dans la mesure où la manifestation vivante des textes exige qu’à la face écrite des textes s’ajoute une face orale, il convient de voir de plus près ce qu’est cette face orale. On comprendra mieux alors le sens des termes musique, lecture ou chant. II. La matérialisation orale des textes 12 Pour ce qui touche au Coran, on se tournera vers l’étude que M. Ben Otmane (1995) a consacré à une école religieuse de Meknès au Maroc. Deux ensembles d’outillages oraux sont mis en œuvre, auxquels s’attachent des fonctions linguistiques quelque peu différentes. Le premier d’entre eux souligne l’importance toute particulière des règles phonétiques, qui expliquent à leur tour le caractère phonique qui s’attache au Coran de façon si unique. De telles règles phonétiques reposent a) sur un rythme arithmétique manifeste, b) sur une prise en compte de la durée syllabique, c) sur un traitement

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 53

particulier du timbre vocalique, sachant qu’il existe une constante relation dynamique entre ces trois éléments. 13 Le deuxième ensemble d’outils réunit quatre paramètres, dont le rôle est de charpenter un texte écrit dont seules les limites de versets sont perceptibles visuellement, à l’exclusion de leur organisation ou segmentation linguistiques internes. Ces paramètres sont les pauses (une longue et une brève) ; le schème phonique qui s’applique à la fin du verset ; la métrique ; l’allongement des syllabes. De tels paramètres doivent être considérés dans le contexte des différentes sourates, ces dernières regroupant un nombre variable de versets autour d’un thème donné. Formellement, les quatre paramètres cités ne sont pas équivalents. On trouve les pauses aussi bien à l’intérieur d’un seul verset qu’à la fin de groupes variables de versets. Mais des pauses non prévisibles — produites pour des raisons purement physiologiques — obligent celui qui lit à haute voix à évaluer l’incidence de telles pauses involontaires au regard du sens du verset ou du groupe de versets concerné. Il peut être conduit à réélaborer sa subdivision du texte quand celle-ci passe par les pauses. Les schèmes phonétiques qui marquent la fin des versets sont partiellement liés à la quantité vocalique ou syllabique. Mais à condition que cela ne contrevienne pas fondamentalement aux règles qui régissent la quantité vocalique ou syllabique, le schème vocalique tient un rôle particulier au delà du fait de marquer le texte phonétiquement ou auditivement. Il en va de même pour la métrique, à ceci près que schème phonétique et métrique diffèrent dans de grandes proportions formellement, structurellement et pour ce qui est de leur dynamique respective. Enfin, l’allongement syllabique porte sur des syllabes que le lecteur souhaite accentuer tout particulièrement ou qu’il a appris à souligner au sein de sa tradition. 14 Les deux séries d’outils linguistiques oraux sont liées à deux fonctions distinctes. Les formules phonétiques fondées sur un rythme arithmétique, l’allongement syllabique et le timbre vocalique servent à souligner le caractère unique du Coran et la place qu’il occupe dans la hiérarchie des genres textuels attestés au sein de la culture islamique. L’autre série de paramètres linguistiques intervient pour mettre en lumière les significations qui s’attachent au texte. Globalement ces paramètres ont une fonction disjonctive. Ils définissent les unités linguistiques de longueur variable à l’intérieur de chaque sourate. Une telle fonction disjonctive se ramifie en plusieurs fonctions syntaxiques et sémantiques. D’un côté, c’est l’organisation syntaxique des versets et des groupes de versets qui est rendue palpable, sans qu’une distinction nette n’apparaisse toutefois entre les plans syntaxique et sémantique. Parallèlement, c’est l’importance de certaines des parties du texte qui est matérialisée. Dans certains cas, ce qui sera souligné c’est le thème de la sourate (ou bien encore le point essentiel dont traite une des sections de la sourate). Dans d’autres cas, les parties du texte qui seront mises en avant le seront pour leur importance relative dans le contexte général de la sourate. Dans le vocabulaire de la linguistique, on parlera ici de topicalisation et d’emphase. 15 Quand il s’est attaché aux traditions grecques orthodoxes qui prévalent pour la lecture des textes néo-testamentaires, R. Flender a privilégié deux types de données à des fins d’analyse : les systèmes graphiques et leur relation au texte d’une part, l’analyse concomitante de la face orale de la transmission. L’objectif final d’une telle étude était de déterminer la façon dont le caractère liturgique propre à la lecture des textes est assuré, en sachant que ce qui permet de rendre palpable un tel caractère liturgique est

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 54

lui-même lié à deux autres systèmes, qui sont historiquement antérieurs : un système propre à l’accentuation des mots du texte et un système dit d’interponctuation. 16 Le système auquel s’intéresse Flender a été qualifié de rhétorique par ce dernier. Un tel système met en œuvre un ensemble donné de motifs musicaux dont on considère qu’ils correspondent à autant de signes graphiques matérialisés sur le texte écrit. Mais si l’on se tourne vers la lecture des textes en situation liturgique, une telle relation biunivoque ne semble pas rigoureusement respectée. De plus, il apparaît qu’un motif musical donné ne serait pas parfaitement stable. Les variations mélodiques attestées ne sont pas l’effet de l’humeur du chantre. En fait, de telles variations sont généralement dépendantes du contexte linguistique auquel les motifs musicaux sont liés. Et la fonction de tels motifs a à voir avec le statut syntaxique des propositions. 17 En termes fonctionnels, les motifs musicaux jouent essentiellement un rôle linguistique. Ils indiquent la place de l’accent de mot. Ils contribuent également à la ponctuation du texte : qu’il s’agisse de la segmentation interne des phrases du texte ou de la séparation des phrases entre elles. Bien plus, les mêmes motifs musicaux rendent manifeste la hiérarchie syntaxique qui s’établit entre les propositions constitutives d’une phrase. Ce qui ne peut manquer d’avoir une incidence au plan sémantique ou sur la signification du texte de façon plus générale. Ajoutons une fonction linguistique supplémentaire. Les motifs musicaux viennent en effet souligner certaines parties du texte - des formes verbales, des termes ou des expressions — dont il apparaît que la tradition les considère comme plus importants ou comme tout particulièrement pertinents eu égard au message que le texte est chargé de faire entendre. Enfin, les motifs musicaux sont appelés à rendre manifeste le caractère propre de la liturgie. En eux-mêmes, les motifs retenus traduisent l’importance tout à fait particulière des fonctions liturgiques et du contexte auquel les textes liturgiques concernés sont directement liés. On se souviendra que c’est cette dernière fonction qui était dite liée par excellence à l’existence des motifs musicaux concernés. Dans la mesure où l’on constate que les mêmes motifs musicaux remplissent plusieurs types de fonctions, force est d’admettre que par delà la seule fonction dite rhétorique — et son incidence pour ce qui est de la considération accordée à la liturgie — l’organisation des motifs en système ne peut aller sans la prise en compte des contenus du texte et de la réception du même texte par les fidèles. Autrement dit, les raisons d’être rhétoriques aussi bien que sociales qui ont déterminé l’existence des motifs musicaux retenus ne pouvaient structurellement ignorer les caractères linguistiques du texte, pas plus que les intentions sémantiques que la culture liturgique concernée accordait ou accorde à ce même texte au-delà de sa littéralité. 18 On a déjà dit que le terme de cantilation est utilisé pour nommer la matérialisation orale et rituelle du texte biblique dans les communautés juives. Avouons que le mot cantilation est plutôt général. Il en va de même avec l’expression texte biblique. Au sens le plus large, cette dernière expression renvoie aux trois ensembles de textes que sont le Pentateuque, les Prophètes et les Hagiographes. Il existe pour les trois ensembles de textes des systèmes graphiques de vocalisation et d’accentuation qui correspondent à la visualisation partielle d’une pratique orale qui remonte aux débuts de l’usage de ces textes. Mais aux trois ensembles de textes correspondent des usages différents dans le contexte liturgique proprement dit. 19 Le Pentateuque est chanté par une personne, de même que certaines parties des textes prophétiques ou hagiographiques. C’est à cette réalité qu’est appliqué le terme de

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 55

cantilation. En contexte liturgique, le texte du Pentateuque ne porte pas trace des signes de vocalisation et d’accentuation alors que celui qui lit en chantant les portions des Prophètes ou des Hagiographes le fait dans un texte pourvu des graphèmes de vocalisation et d’accentuation. Quant à eux, les Psaumes — qui font partie des Hagiographes — peuvent être chantés aussi bien par une personne que par un groupe. Dans les livres de prières, qui contiennent de très nombreux psaumes intégrés aux offices, la vocalisation du texte est indiquée. Un dernier point doit être noté. Le texte biblique dans son ensemble — Pentateuque, Prophètes, Hagiographes — a été doté, on l’a dit, d’un seul et même ensemble de conventions graphiques pour la vocalisation et d’une seul et même ensemble de conventions graphiques à des fins d’accentuation. Pourtant, des motifs musicaux bien distincts matérialisent à l’oral les mêmes signes d’accentuation selon qu’il s’agit des parties dites poétiques du texte biblique ou des parties non poétiques (Flender 1988, 1992). 20 Les indications que l’on vient de donner ont trait aux aspects rituels qui gouvernent la répartition culturelle des textes. Pourtant, par delà les différences ou les variations qui sont repérables dans les usages rituels et au delà des arguments culturels qui les expliqueraient, c’est une forte uniformité qui caractérise le chant même des passages du Pentateuque, des Prophètes et des Hagiographes, tels qu’ils sont lus chaque semaine ou durant le cycle annuel des fêtes. Une telle uniformité repose sur deux principes importants : les motifs musicaux en usage pour la cantilation ont une fonction mnémotechnique ; les mêmes motifs et leur organisation sont liés à plusieurs fonctions linguistiques vitales. 21 Les motifs musicaux sont en nombre fini et leur ensemble se subdivise lui-même en deux sous-groupes. Ces derniers correspondent à deux fonctions linguistiques distinctes et tout à la fois fortement complémentaires, à savoir une fonction conjonctive et une fonction disjonctive. De telles fonctions sont essentielles pour la bonne segmentation du texte — celle des versets entre eux et celle de chaque verset — au double plan des constituants syntaxiques et sémantiques. Bien plus, les séries de motifs conjonctifs et disjonctifs se subdivisent eux-mêmes, manifestant du même coup la valeur hiérarchique respective des parties constitutives d’un verset. Depuis des siècles, toutes les communautés juives, où qu’elles soient, ont suivi de telles lois linguistiques de base, alors même que les motifs musicaux concrets qui sont attachés aux graphèmes et aux règles de l’accentuation manifestent une grande variété sonore d’une communauté à une autre (Wickes 1881, 1887, Rosowsky 1957). 22 Ajoutons que les motifs musicaux et leurs fonctions linguistiques sont eux-mêmes rédupliqués dans les signes gestuels que l’on peut voir effectués lors de la lecture du seul Pentateuque. De tels gestes sont très anciens dans leur principe. Effectués par la personne qui est placée à gauche du chantre pour contrôler la bonne vocalisation et accentuation du texte, de tels signes gestuels transposent littéralement, pour certains du moins, le contour mélodique des motifs musicaux attachés aux termes successifs du verset. Mais tous les gestes correspondent au sens linguistique de base — conjonction ou disjonction — qui est lié aux règles de l’accentuation et à leur matérialité musicale. 23 Tournons-nous dorénavant vers le texte talmudique, dont il faut rappeler que c’est par lui que passe l’étude et la compréhension du texte biblique. Et rappelons que, pour le texte du Talmud, il n’existe pas l’équivalent graphique qui rendrait visible la vocalisation du texte et son accentuation. Dans ces conditions, la lecture orale est

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 56

impérative si l’on veut restituer la pleine identité linguistique du texte et guider sa compréhension (Alvarez-Pereyre 1990, 1994). 24 Quand on s’intéresse aux ressorts sémiotiques qui sont à la base de l’étude rituelle du texte talmudique, on se rend compte qu’intervient un nombre restreint de paramètres oraux. De tels paramètres sont eux-mêmes articulés entre eux au sein d’un système sophistiqué autant qu’économique. La fonction d’un tel système est de rendre palpable l’architecture linguistique du texte et d’orienter le travail d’interprétation. Un tel appareil à vocation linguistique regroupe les quelques constituants suivants : des motifs musicaux variables en nombre et en nature ; des motifs intonatifs également variés en quantité et en qualité ; des pauses ; une accentuation syllabique aux effets sémantiques ; une lecture cadencée que s’oppose à une lecture libre ; l’allongement syllabique ; la variation des registres vocaux (musicaux ou intonatifs). 25 Jusqu’à un certain point, nous avons ici quelque chose qui n’épouse pas étroitement ce par quoi se manifeste la cantilation du texte biblique. Un tel constat s’explique si l’on se rappelle que le texte biblique se doit d’être transmis tel quel, en tant qu’il est le texte révélé. La cantilation impose le chant et, dans ce contexte, les motifs musicaux et les pauses jouent un rôle de tout premier plan. Le chantre est dans l’obligation de respecter scrupuleusement la vocalisation des termes et la matérialisation des motifs musicaux. Dans la mesure où le texte lu en contexte liturgique est dépourvu des signes graphiques de vocalisation et d’accentuation, l’aide que représentent les gestes est réelle. Ajoutons encore que toute erreur de vocalisation dans la bouche du chantre est corrigée sur le champ par toute personne de l’assistance qui l’aurait notée. Il en va de même pour celui qui ne respecterait pas les motifs musicaux attachés aux différents termes d’un verset donné. A nouveau, le chantre serait repris et, à nouveau, il serait dans l’obligation de lire une nouvelle fois le même passage, en se corrigeant. 26 Avec le Talmud, on est dans une autre sphère. Ce texte rassemble les discussions qui ont été tenues, des siècles durant, par les autorités religieuses qui s’attachaient au texte biblique. De telles discussions constituent - on l’a déjà dit - une interprétation du texte biblique. Les mêmes discussions ont également pour effet de dégager les implications pratiques - c’est-à-dire légales - et les règles qu’un tel texte appelle. S’il en est ainsi, le mot clé est celui d’argumentation. Dans cette mesure, la prise en charge orale du Talmud correspond au fait que ceux qui l’étudient doivent restituer à haute voix les discussions minutieuses des Sages, pour les incorporer. Les paramètres oraux évoqués ci-dessus sont autant d’outils linguistiques qui épousent eux-mêmes les complexités de l’argumentation. C’est dans l’usage même qui est fait des paramètres oraux que le processus de l’argumentation prend corps. Confronté à un texte écrit purement consonantique, qui plus est très largement dénué de ponctuation, l’étudiant devra apprendre à restituer oralement la part vocalique manquante. Il en va de même avec la ponctuation du texte, avec sa segmentation, qui sont si fortement liées au caractère interprétatif et légal du texte talmudique. À ce sujet, il s’avère que l’ensemble restreint et fixe des paramètres d’oralité est lié à quelques fonctions linguistiques bien précises. Celles-ci vont de la segmentation des constituants syntaxiques et sémantiques des phrases à la hiérarchisation de tels constituants au sein d’une seule phrase ou d’une phrase à l’autre. Parallèlement, les mêmes paramètres d’oralité présentent un intérêt du côté pédagogique puisque, par leur intermédiaire, celui qui s’attache à l’étude du Talmud va peu à peu maîtriser les cheminements complexes de l’argumentation. Non que cette dernière constitue une fin en soi. Au contraire, le but visé ici est bien

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 57

d’appréhender explicitement et d’intégrer les enjeux du texte, d’un double point de vue juridique et philosophique. III. Vers une révision des notions 27 Du point de vue sémiotique ou sémiologique, les cultures liturgiques que l’on vient d’examiner présentent de nombreux parallélismes. Elles mobilisent des moyens identiques, qu’elles intègrent au sein de systèmes complexes. Sur le principe, l’architecture de tels systèmes est largement identique. Il en va de même pour les fonctions que remplissent les systèmes. L’importance de telles similarités entre cultures est à la hauteur de besoins essentiels et convergents, en matière de transmission et de perpétuation. Il existe pourtant des différences, qu’il faudrait éclairer en s’intéressant aux sphères symboliques et philosophiques des cultures en présence. 28 Si l’on se tourne maintenant vers les notions de texte et de musique, il s’avère difficile de les employer sans précaution au moment de rendre compte des données linguistiques et musicales dont les traditions liturgiques sont faites. Tout autant, il ne serait pas satisfaisant d’établir un simple inventaire des éléments constitutifs des liturgies, étant donné les fortes cohérences qui semblent caractériser les données qui entrent en jeu. Tentons ici d’ajuster les notions clés de l’analyse - celles de texte et de musique - en ayant en tête l’ensemble des paramètres évoqués et leur interaction. 29 La notion de texte semble parfaitement centrale. Elle connaît une grande ampleur. À son propos il faut veiller 1) à ne pas la restreindre à ses composantes linguistiques ni à sa face écrite, 2) à y faire entrer des éléments hétérogènes, sur la base des fonctions qu’ils prennent en charge. 30 Les traditions liturgiques que nous avons examinées sont très profondément liées aux textes, dont la matérialité est nécessairement et concurremment écrite et orale. Mais ces deux derniers termes ne peuvent être entendus selon leur acception la plus habituelle. La face écrite des textes est largement lacunaire si l’on constate que, pour certaines des liturgies citées, les données linguistiques écrites sont insuffisantes pour permettre une lecture correcte du même texte autant que sa compréhension, aussi bien à la surface du texte qu’au delà. Même dans les cas où les textes écrits sont d’une lecture aisée, leur face écrite s’est vu ajouter des signes graphiques. Ces derniers sont eux-mêmes des rappels ou des guides pour une matière qui n’est véritablement manifeste que lors de l’expression orale des textes concernés. De tels signes graphiques et les données que la face orale de la lecture rend palpables sont liés à deux types de fonctions, l’une linguistique, l’autre sociale. Pour certaines des liturgies évoquées dans notre article, les signes graphiques sont absents de la face écrite du texte, ou bien ils n’y apparaissent pas dans toute circonstance. Quelles que soient les justifications que chaque culture donne pour un tel état de fait, l’absence – totale ou relative – des signes graphiques signifie que le texte écrit n’intègre pas, ou intègre partiellement, l’équivalent écrit, et toujours partiel, d’un versant oral dont l’importance est cardinale pour ce qui est du « texte » liturgique proprement dit. 31 Si l’on s’attache maintenant à la face orale des textes, la situation s’avère encore plus complexe. Soulignons en tout premier lieu que sous le terme « oral » il convient de distinguer des moyens verbaux – ou plus généralement sonores – et des moyens non verbaux. Dans le non verbal, nous faisons entrer les gestes qui accompagnent la lecture de certains des textes. Quant aux ressources sonores, elles sont de plusieurs types : mentionnons en particulier la musique, l’intonation, les pauses… Il s’agit de plusieurs

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 58

paramètres qui relèvent dans tous les cas de la même sphère, mais de différentes manières. Ils mettent en jeu l’appareil vocal. Ils passent par une segmentation du continuum vocal qui est très poussée et qui correspond à la mise en œuvre d’un medium physiologique complexe. 32 Le rôle que de telles ressources prennent en charge correspond à un usage parallèle des ressources verbales et non verbales, au nom d’une dimension sociale et d’une dimension linguistique dont la complexité est impressionnante dans tous les cas. D’un point de vue linguistique, les données orales complètent très largement les constituants de base du texte écrit. Elles sont vitales pour la lecture et la compréhension de ce dernier. Quant à la musique, on aura compris que le matériel mélodique ainsi que les relations des motifs musicaux entre eux ne font sens qu’à travers leur rendement linguistique ou social. Sur le principe, l’intonation – quand elle se substitue à la musique – et les gestes jouent un rôle identique, au point d’apparaître comme des constituants élémentaires du « texte » liturgique. 33 Au moment de mettre un terme à notre présentation, il semble utile de suggérer que les éléments qui ont été évoqués pourraient trouver leur place dans une perspective plus vaste. Nous avons des raisons de penser en effet que ce que l’on vient de voir à propos des cultures liturgiques de type monothéiste pourrait éclairer notre compréhension de répertoires au pur caractère oral ou de traditions textuelles mixtes, qui n’auraient pas nécessairement de signification liturgique (Alvarez-Pereyre 2000).

BIBLIOGRAPHIE

Alvarez-Pereyre, Frank

1990 La transmission orale de la Michna (Une méthode d’analyse et son application à la tradition d’Alep), Jérusalem/Paris, Magnes Press/Peeters, 310 pages.

1994 The Mishnah and its oral transmission among the Jews of Aleppo, in Adler I., Alvarez- Pereyre F., Serussi E. and Shalem L. editors, Jewish Oral Traditions. An Interdisciplinary Approach. Jerusalem, The Magnes Press, pp. 225-233.

2000 Élaborations du sens et textes traditionnels, Studia Africana, 11, Barcelone, pp. 147-160.

Ben Otmane, Mohamed A.

1995 Analyse phonologique et rythmique de la récitation coranique marocaine (Ecole de Meknès), 2 volumes, Université Paris V, 448 + 200 pages.

Corbin, Solange

1961 « La cantilation des rituels chrétiens », Revue de Musicologie, 47, Paris, pp. 3-36.

Flender, Reinhart

1988 Der biblische Sprechgesang und seine mündliche Überlieferung in Synagoge und grieschischer Kirche. Florian Noetzel Verlag, Wilhelmshaven.

1992 Hebrew Psalmody. A structural Investigation. Jerusalem, The Magnes Press.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 59

Rosowsky, Salomon

1957 The Cantilation of the Bible: The Five Books of Moses. New York, The Reconstructionist Press.

Wickes, William

1881 A Treatise on the Accentuation of … Psalms , Proverbs and Job. Oxford, Clarendon Press.

1887 A Treatise on the Accentuation of the Twenty-One So-called Prose Books of the Old Testament. Oxford, Clarendon Press.

AUTEUR

FRANK ALVAREZ-PEREYRE Directeur de recherche au CNRS, Frank Alvarez-Pereyre poursuit en particulier des recherches linguistiques, anthropologiques et ethnomusicologiques qui concernent les traditions et les communautés juives. Il dirige l'UMR 8099 Langues-Musiques-Sociétés, du CNRS et de l'Université Paris V. [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 60

Le service militaire et la condition des femmes en Israël Quelques éléments de réflexion

Ilaria Simonetti

1 La condition féminine en Israël relève de plusieurs facteurs culturels, socio- économiques et religieux qui reflètent la complexité de la population de ce pays. La situation géopolitique, liée à l’état de guerre, affecte aussi en grande partie la vie des femmes en Israël. En effet, Israël est l’un des rares pays où les femmes effectuent le service militaire obligatoire1. En particulier la présence de celles-ci à l’armée crée souvent des paradoxes entre leur contribution à la défense du pays, la place qui leur est traditionnellement attribuée et leur parcours d’émancipation au sein de la société. La réalité de femmes soldates en Israël, bien que très particulière, a permis l’introduction dans la société israélienne de nombreux mythes liés au supposé statut égalitaire entre les sexes2. Plusieurs études ont montré que malgré la présence féminine, l’armée reste en Israël le lieu de la masculinité, de la promotion des hommes, de l’exclusion des femmes, de la reproduction et du renforcement de la division entre les genres3. Au cœur de ce scénario, on trouve un discours national qui valorise les hommes comme héros et les femmes comme des reproductrices de la Nation qu’il faut protéger. Un tel jugement est considéré comme l’une des constructions collectives culturelles et l’une des expressions du patriarcat les plus tenaces dans des pays ou la présence de l’armée est très forte et où se déroulent des conflits armés4.

2 En Israël, un véritable clivage entre hommes et femmes intervient à l’armée, dans l’organisation même du service militaire, et cela se traduit ultérieurement dans la vie sociale. Les femmes servent à l’armée une période plus courte, leur contribution, pour la grande majorité, se réduit à un cadre de travail féminisé et, finalement, elles ne jouissent pas des mêmes opportunités socio-économiques que les hommes à la fin de leur service. Par conséquent, si d’un côté on vante la figure des femmes soldates fortes et émancipées, le service militaire des femmes est jugé par l’opinion publique israélienne d’une importance mineure et sans impact particulier sur leur vie. 3 L’accomplissement du devoir national, dont le service militaire est l’une des expressions majeures, est un des éléments constitutifs du bon citoyen israélien. La

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 61

force de défense nationale en Israël est une institution centrale de la société qui modèle les hiérarchies d’appartenance à l’État, détermine les allocations de ressources et représente un débouché dans la vie politique active. 4 Aussi, les femmes israéliennes ont-elles du mal à trouver leur place dans la société et à être reconnues comme de bonnes citoyennes uniquement sur une base institutionnelle au regard de leur contribution à l’armée. En revanche, leur rôle social est avéré à travers une autre forme de devoir national : la maternité. Le rôle de femme-mère, lorsqu’il ne légitime pas la prise de parole pour des revendications diverses, et en particulier contre la guerre (voire le cas des nombreuses associations de femmes en Israël comme Bat Shalom, Women in Black etc.), constitue souvent un obstacle à la visibilité des femmes au sein de la société et à l’accès à une participation complète à la vie publique et politique au sens décisionnel. Nonobstant, la quatrième conférence mondiale sur les femmes (Beijing 1995) a montré la nécessité d’intégrer la voix féminine et la perspective de genre dans le discours officiel sur l’origine, la prévention et la résolution des conflits. 5 Or, ces dernières années, des changements au sein de l’armée israélienne ont apparemment commencé à modifier la structure des genres de la force de défense israélienne, notamment en ce qui concerne les rapports de genre et les rôles attribués aux femmes dans le conflit armé. Des signes de transformation avaient vu le jour pendant la bataille judiciaire d’Alice Miller5 pour son incorporation au sein de l’aviation, dans le cours d’officiers et qui, par la suite, a permis l’ouverture de postes de combats aux femmes. La seconde guerre du Liban a donné, pour la première fois depuis la création de l’État d’Israël, aux femmes l’opportunité de participer de manière opérationnelle au conflit armée. Cela marque sans doute un grand changement qui laisse espérer un rééquilibre des opportunités entre les genres, une transformation des rôles classiques attribués aux femmes et une plus grande participation publique de celles-ci au sein de la société israélienne. 6 Pour comprendre les enjeux sociaux et les rapports de genre dans la participation des femmes à l’armée, il sera nécessaire de procéder par étapes et de considérer initialement la signification et les valeurs du service militaire dans la société israélienne d’aujourd’hui. 7 Comment la société israélienne perçoit-elle l’expérience militaire ? Quel impact réel a- t-elle dans la vie des Israéliens ? Comment se structure le service militaire pour les femmes ? Quels en sont les enjeux ? Quelle relation peut-on établir entre la participation active des femmes à l’armée et leur émancipation ? 8 Dans cet article, nous examinerons l’expérience militaire en Israël dans une perspective anthropologique, en analysant les différences sociales entre les genres. 9 Notre recherche repose sur des sources écrites et sur un travail de terrain effectué au cours de l’année 2006 dans la région de Tel-Aviv.

I. La centralité de l’armée dans la société israélienne : structure générale

10 Tsahal, forme abrégée de Tsva hagana leisrael ou Force de défense israélienne), fut fondée le 26 mai 1948, au lendemain de la création de l’État. Elle résulte de l’union entre

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 62

l’ancienne Haganah (incluant le Palmah), la Brigade Juive et des branches paramilitaires (Lehi et Etzel) qui furent également actives pendant la guerre d’Indépendance.

11 Tsahal comprend l’infanterie, l’aviation et la marine. Elle encadre les ressources humaines du pays autour de trois types de services : le service militaire obligatoire, auquel sont appelés les hommes et les femmes âgés de dix-huit ans ; la réserve militaire, également obligatoire pour les hommes qui, en cas de besoin, peuvent être appelés jusqu’à quarante-cinq ans et, pour les femmes, ce recours est uniquement théorique ; enfin, l’armée de carrière recrute sur volontariat des hommes et des femmes après une sélection stricte. 12 Lors de sa création, l’État israélien décida que le service militaire serait obligatoire pour tous ses citoyens, hommes et femmes. C’est là l’une des particularités notoires de cet État, par rapport aux autres pays occidentaux, où le service militaire féminin s’effectue sur la base du volontariat. Actuellement la conscription à l’armée est d’une durée de trois ans pour les hommes et de vingt et un mois pour les femmes.

II. Fonction de socialisation de l’armée en Israël et ses implications

13 Dès la création de l’État d’Israël, Tsahal eut pour principale fonction de défendre l’existence, l’intégrité territoriale et la souveraineté du pays. L’armée israélienne fut également investie d’une mission non moins importante : assurer un rôle éducatif et de socialisation auprès des jeunes recrues. L’armée israélienne tient jusqu'à ce jour un rôle central dans l’homogénéisation culturelle, la mise à niveau de l’instruction, l’intégration ethnique, l’apprentissage de l’hébreu et des valeurs de la nation.

14 L’apprentissage d’une profession et la possibilité d’acquérir des titres d’instruction supérieure, que l’armée favorise, constituent pour les soldats une occasion unique d’améliorer leur condition de vie et de bien entamer une carrière professionnelle. Aller à l’armée signifie également avoir accès à des avantages sociaux et économiques, par exemple des aides au logement, des aides à la recherche d’emploi, en particulier les emplois gouvernementaux et ceux du secteur sécuritaire et industriel, qui représentent en Israël des services de pointe. 15 L’armée représente aussi, en Israël, une voie d’accès privilégiée à des fonctions politiques et parlementaires, autrement dit à l’insertion des citoyens dans la vie publique et politique active du pays. Ces prérogatives sont directement proportionnelles à la durée du service militaire et au grade acquis. Pour des raisons évidentes, cela favorise les hommes. 16 L’infiltration de l’armée dans de nombreux secteurs de la société israélienne accentue la hiérarchisation entre les genres. La sociologue Dafna N. Izraeli constate que la militarisation de la société israélienne fait partie des mythes qui ont façonné la conscience collective et qui ont légitimé la primauté de la question sécuritaire sur toute autre question. Ce « militarisme civil » se traduit également pour Izraeli en radicalisation de l’inégalité dans le rapport au pouvoir entre hommes et femmes6. 17 En Israël, l’armée, qui se veut un instrument de nivellement social, culturel et formatif, génère pourtant de grandes disparités, qu’elles soient ethniques, socio-économiques, religieuses ou de genre. De nombreux auteurs ont constaté que cette diversité sociale présentait un caractère sectoriel7. Ainsi, Stuart A. Cohen, dans son essai dédié au

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 63

portrait du nouveau soldat israélien, constate que les sefardim, bien qu’ils aient accru petit à petit leur représentation parmi les hauts gradés, n’ont toujours pas accès dans leur majorité aux grades généralement plus élevés des ashkenazim. Un nombre considérable de sefardim, qui n’atteignent pas le niveau suffisant de formation scolaire, sont écartés de l’armée de métier8. 18 À l’exception des haredim9, exemptés, les religieux occupent à l’armée un secteur spécifique : les kippah sruga 10 représentent 30 % de l’unité de combat et 60 % de la première classe de NCO11 de l’infanterie. Cette situation va vraisemblablement changer étant donné les contrecoups du récent plan de désengagement sur la population sioniste religieuse12. 19 Pour ce qui concerne en particulier les différences de genre à l’armée, il convient de rappeler que les femmes, d’une part, servent pour une durée inférieure, et, d’autre part, que 15 % d’entre elles terminent leur service avant le délai normal. Ce dernier élément a inévitablement des conséquences sur l’avancement des femmes à l’armée notamment dans les postes de commandement13. 20 Aujourd’hui Israël, contrairement à d’autres pays, est toujours engagé dans l’effort de construction nationale à partir des différents groupes migrants arrivés en Israël. Plus encore, au-delà de son effort en vue d’harmoniser une société composée par des citoyens originaires de différentes cultures, l’État d’Israël doit assurer également la sécurité et la pérennité du pays dans un contexte géopolitique hostile. Le conflit israélo-arabe détermine ainsi, dans une large mesure, la vie politique nationale et absorbe une grande partie des ressources économiques du pays destinées aux forces armées.

III. Les femmes et l’armée en Israël

21 Au lendemain de la guerre d’Indépendance, l’État d’Israël a intégré les femmes dans son armée en dépit de franges orthodoxes ouvertement hostiles à leur incorporation. Une décision, pour le gouvernement, en apparence presque naturelle, si l’on considère le manque d’hommes disponibles pour défendre ses frontières, et étant donné la participation active, depuis le début du XXe siècle, de femmes aux groupes militaires sionistes comme Bar-Giora, Hashomer, Gedud Ha’avoda, Hagana, Etzel, Nili et le Palmah 14 tenant, dans certains cas particuliers, un rôle de combattante15.

22 Cette décision concordait avec l’éthique libérale et socialiste du sionisme qui accorde aux femmes, du moins sur le papier, le même statut que celui des hommes, et par conséquent les mêmes opportunités en tant que citoyennes. 23 Le service militaire obligatoire pour les femmes et les hommes n’est pas « égalitaire » entre les sexes. L’armée israélienne décida que le service militaire des femmes serait substantiellement différent. De ce fait les femmes ne jouissent pas des mêmes avantages : avant tout, elles seront à l’armée pour une durée inférieure ; leur service sera optionnel, voire secondaire, par rapport à d’autre « priorités », notamment la maternité, le mariage et la pratique religieuse (les ultra-orthodoxes considèrent ce dernier point comme incompatible avec la vie à l’armée dont l’environnement masculin est très marqué). En outre, aux femmes seront attribuées des fonctions de support technique et culturel dans l’armée. Mais par rapport à la période précédant

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 64

l’Indépendance, elles seront, dans le cadre national, exclues des postes de combat et seront encadrées par un corps spécial doté d’une administration autonome. 24 Le Hen (abréviation de Heil Nashim, en hébreu « corps féminin »), créé le 8 septembre 1949, est le signe d’une véritable discrimination entre les genres. Le Hen avait la responsabilité de l’entraînement et de l’apprentissage des recrues féminines, tout en portant une attention particulière aux besoins spécifiques des femmes. À la suite à la restructuration de ce corps militaire, les soldates ont été dispersées parmi les autres unités. En 2001, le Hen, qui n’a jamais été réellement consulté pour des questions pertinentes concernant les femmes ni pour leur promotion dans l’armée16, a cessé d’être une unité séparée, et ses femmes furent intégrées dans le cadre général de la Force de Défense israélienne. 25 Dans l’ouvrage de Ruth Halperin-Kaddari dédié aux femmes en Israël, on peut distinguer plusieurs phases du parcours politique de celles-ci pour l’égalité à partir de la formation de l’État. Ce parcours commence en 1951 avec la création de la loi pour l’égalité des femmes. Il s’agit d’une loi spécifique qui revendique l’égalité pour les hommes et les femmes dans tous les cas judiciaires. C’est justement dans le cadre de cette loi que récemment l’État a reconnu l’ouverture de toutes les unités de l’armée aux femmes. À fin des années 1990, Israël, à la suite d’un amendement de la Cour Suprême, annonce que les femmes pourront accéder au prestigieux corps de l’aviation, ouvrant ainsi la voie à leur participation à des postes de combat. À l’origine de la modification de la loi sur le service militaire, explique Halperin-Kaddari, une confrontation parlementaire très intéressante a divisé la mouvance travailliste. Cette confrontation a opposé ceux qui argumentaient sur la nécessité de maintenir une spécificité féminine pour les soldates (vue comme le climax du féminisme) et les partisans, comme la parlementaire Yael Dayan, de l’égalité des hommes et des femmes face aux devoirs militaires. C’est finalement, cette dernière position qui s’est imposée et les femmes ont obtenu la possibilité d’être intégrées dans le corps de l’aviation, si elles le souhaitent17. 26 Noya Rimalt nous montre les limites de ce combat féministe pour l’acceptation des femmes dans le cours de pilote de l’aviation et qui est fondé sur le principe qu’hommes et femmes sont identiques (sameness approch)18. Selon Rimalt, ce combat a réduit la question de l’égalité des femmes dans la société israélienne à leur simple intégration à des postes de combat à l’armée. Ce qui a non seulement minimisé les autres approches féministes, et notamment celles qui sont basées sur la « différence », mais également favorisé des groupes spécifiques de femmes, les femmes ashkénazes. Rimalt insiste sur la complexité négligée19 de la réalité féminine en Israël, qui ne correspond pas forcément à l’approche féministe libérale. 27 Actuellement un tiers des femmes susceptibles d’être enrôlées est exempté, principalement pour des raisons religieuses. À l’armée, les femmes ont des fonctions de techniciennes de renseignement, cadres opérationnels, instructrices, et aussi informaticiennes, programmatrices, opératrices du système d’armement, premiers secours etc., mais la plupart des travaux sont féminisés. En 2002, on constate que 33 % des femmes militaires occupent les grades les plus bas de l’armée, 21 % sont capitaines ou majors et seulement 3 % se trouvent parmi les grades supérieurs20. Au début de 2004, dans les unités de combats, on trouve 450 femmes actives21. Aujourd’hui il existe aussi l’unité Karkal, dans laquelle les femmes, majoritaires, effectuent leur service comme combattantes dans le sud du pays à la frontière avec la Jordanie22.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 65

28 Il faut rappeler qu’un nombre considérable de femmes postulent pour le kadaz akdam tzvair. Il s’agit d’un cours préparatoire à l’armée, auxquels les femmes âgées de dix-sept ans participent en tant que civiles, avant leur incorporation effective dans Tsahal. Ce cours préliminaire maximise les potentialités des futures candidates à l’armée en les formant à une occupation militaire spécifique. Il leur offre avant tout l’opportunité d’obtenir des postes en rapport avec leurs aspirations et capacités. 29 Bien qu’en Israël l’incorporation des femmes à l’armée ne soit pas le produit d’une bataille d’émancipation pour l’égalité des droits entre les genres, comme c’est le cas dans d’autres pays occidentaux (aux États-Unis par exemple), Israël a construit autour de cette participation une bannière d’émancipation et d’égalité entre les sexes. Un symbole vu comme exemplaire face aux autres pays occidentaux et plus encore dans son environnement géographique, mais qui tient plus du mythe que de la réalité quotidienne des femmes de ce pays23. La supposée égalité entre les sexes, et en particulier l’égalité des opportunités est discutée depuis longtemps par les mouvements de femmes israéliennes, les intellectuels et les féministes. Ces derniers nous ont permis d’éclairer les mécanismes de construction mythique et d’expliquer leur nécessité stratégique dans le cadre de la nation. Pour que cela puisse produire une adéquation culturelle et pénétrer dans la mentalité de l’opinion publique, il faut encore beaucoup de travail et notamment auprès des femmes.

IV. L’armée israélienne : entre mythe et réalité

30 Pour mieux comprendre les implications du service militaire en Israël et en particulier pour les femmes, il sera intéressant de voir comment celui-ci est conceptualisé et présenté dans la société israélienne. Une interprétation initiale des concepts associés à l’armée peut nous servir pour sa compréhension anthropologique et sociale.

31 Si les Israéliens considèrent le service militaire comme l’expérience qui apporte la maturité aux jeunes, Tsahal présente le service militaire comme un « rite de passage24 ». Par ailleurs, nombre de recherches sur l’armée en Israël (y compris dans la littérature féministe) l’ont traité comme « rite de passage » et, également, rite de citoyenneté réservé aux hommes. 32 L’anthropologue allemande Uta Klein, à l’instar d’autres auteurs, a montré l’efficacité du discours militariste dans la construction de l’image sociale de la masculinité en Israël : 33 Pour les Juifs israéliens, le service militaire fait partie intégrante de la maturation et constitue un rite de passage à l’âge adulte. Indispensable à ce titre, il est considéré comme ouvrant aux garçons le droit d’intégrer le cercle des hommes adultes25. 34 Stuart A. Cohen à son tour remarque que, bien que dans les années précédentes des transformations structurales et sociologiques ont intéressé l’armée en Israël, le service militaire demeure, dans l’esprit d’un certain nombre d’auteurs, un « rite de citoyenneté » et un droit civil autre qu’une obligation publique : 35 Malgré la critique des carences mises en exergues pendant la campagne du Liban, la plupart des observateurs de la force de défense israélienne sont demeurés néanmoins confiants dans le fait que le traditionnel « esprit combatif » de l’armée restait largement intact. De même pour son caractère d’ « armée du peuple », dans lequel l’intérêt de la minorité des troupes de métier, strictement lié à leur carrière, était

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 66

intégré dans un contexte montrant le rite essentiel de citoyenneté du service militaire 26

36 Nous nous trouvons là face à des définitions assez strictes de ce que le service militaire en Israël signifie : rite de passage, rite de citoyenneté, expériences qu’impliquent l’acquisition d’une maturité personnelle, l’investiture du titre de héros et d’une appellation d’« homme ». En bref, il s’agit d’interprétations d’un phénomène social qui souligne une modification de la subjectivité de la personne impliquée et qui serait directement lié à l’expérience militaire. 37 On peut se demander si l’image du service militaire que l’armée véhicule correspond à l’expérience vécue par les soldats. La notion de passage et de changement que sous- entend l’enrôlement dans l’armée nous oblige à examiner en profondeur les implications de la notion de rite de passage. Le service militaire est-il une expérience qui change la condition sociale des jeunes et leur statut face à la société d’appartenance ? Auquel cas, en quoi consisterait ce changement ? 38 Tous les jeunes incorporés sont-ils touchés par cette transmutation de la même manière ? 39 Par conséquent, peut-on considérer le service militaire comme un rite de passage ou faut-il l’entendre principalement comme un rituel collectif propre à la culture israélienne ?

V. Le service militaire israélien est-il un rite de passage ?

40 La notion de « rite de passage » dans le sens donné par A. Van Gennep d’abord et V. Turner par la suite est centrée sur l’idée d’une mutation. Dans le cas de la vie d’un individu, les rites de passage, comme, par exemple, le passage de l’adolescence à la vie adulte, impliquent, dans le sens de ces théoriciens, une transformation du statut de l’individu, un devenir « autre » par rapport à son statut précédent au travers d’une pratique ritualisée. Selon Van Gennep, le rituel a un caractère euristique, et garde une structure ternaire de séparation, marge et agrégation27.

41 La mutation du statut social d’un individu est généralement conditionnée par une réévaluation de son prestige par le groupe d’appartenance, une évolution de sa position hiérarchique dans la société, le changement de sa condition socio-économique et une métamorphose identitaire : les garçons deviennent des « hommes », les filles des « femmes ». Mais le « rite de citoyenneté » suppose la prise en compte d’autres éléments. En devenant « citoyen », l’individu acquiert des droits et des devoirs au sein de l’État. 42 Le service militaire est aujourd’hui perçu et vécu différemment selon les individus. Concernant le changement du statut social à travers l’obtention d’un titre ou d’une fonction prestigieuse à l’armée, la majorité des soldats ne l’atteignent pas, à l’exception de ceux qui ont suivi une formation qui leur donne un espace de visibilité dans la société (la carrière militaire de l’individu est étroitement liée à sa réussite sociale, particulièrement s’il envisage une carrière politique). Les postes de responsabilité sont trop peu nombreux pour permettre un changement de statut.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 67

43 Pour ce qui est des changements relatifs au statut socio-économique de l’individu, notons que la hiérarchie militaire se traduit, entre autres, par une distribution différentielle des allocations. Les rétributions varient selon le type de travail et sa dangerosité. Le service militaire reste une expérience circonstancielle dans la vie des Israéliens et limitée dans le temps, ce qui ne permet pas d’acquérir une indépendance financière. 44 Toutefois, alors que le service militaire est devenu pour de nombreux jeunes hommes un véritable tremplin social, il reste pour la majorité des femmes une contrainte et non l’opportunité d’une ascension sociale et économique. Cet état de fait produit assurément un important clivage entre les genres. 45 Si l’on considère le service militaire comme rite de passage à l’âge adulte, c’est-à-dire vu comme élément qui amène en soi à la maturité des jeunes, ne serait-il pas préférable d’examiner la biographie de chaque individu ? Au-delà de la valeur sociale accordée à l’expérience militaire, on sait bien que l’attribution du titre d’adulte à un jeune est plus arbitraire que réelle. Tel est le cas en ce qui concerne l’âge légal du vote ou du mariage. Une biographie se compose en effet de différents événements qui peuvent toucher l’individu de manière distincte selon l’influence du groupe d’appartenance et les inclinations personnelles. En revanche, si on se concentre sur la valeur sociale du service militaire, on peut remarquer qu’en Israël l’expérience militaire est strictement liée à l’idée de la précarité de la vie face à la guerre. Les jeunes deviendraient des adultes parce qu’ils sont confrontés au danger et à la mort. D’où l’identification du soldat israélien comme héros de la Nation. L’activiste féministe israélienne Rela Mazali constate qu’en Israël tous les garçons qui passent par l’armée (mais pas les filles) sont automatiquement assimilés à des héros : 46 Au niveau affectif, les garçons sont traités comme des combattants et le danger qu’implique ce terme – normalement perçu et représenté comme un service à rendre à la société – fait émerger un sentiment de profond respect voire même de sujétion28. 47 Il ne fait aucun doute que l’armée en Israël représente un moment de la vie des jeunes au cours duquel chacun investit dans le bien commun, se trouve responsable face à la collectivité et qu’il se soumet à la hiérarchie légitimée par l’État. Mais si on veut établir un lien entre maturité et péril de mort, il convient de se demander si tous les jeunes qui font le service militaire sont réellement confrontés à une telle situation de danger. Sans rien enlever à la valorisation de chaque poste à l’armée, bien différente est la situation des soldats dans des unités de combat (en 1996, environ 20 % des soldats de l’armée 29 )par rapport à ceux qui exécutent un travail administratif ou bureaucratique. 48 Donc dans la supposée maturité des jeunes engendrée par le service militaire ne faudrait-il pas voir aussi l’influence du discours national qui exalte l’homme soldat ? Et l’incertitude de la vie face au conflit armé, ne faudrait-il pas la voir aussi en relation au parcours de socialisation institutionnelle et familiale, issue d’une situation de danger réelle, qui touche tous les jeunes citoyens d’Israël au-delà de leur enrôlement dans Tsahal ? 49 Dans cette perspective, il convient de constater d’une part que les femmes qui font partie des unités de combats sont très peu nombreuses, d’autre part que leur rôle d’héroïnes n’a pas encore d’échos dans l’opinion publique. 50 Il nous semble nécessaire d’opérer, encore une fois, une différenciation entre société laïque et société religieuse en Israël. Les religieux, minoritaires à l’armée, ne voient pas

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 68

dans le service militaire un rite de passage à l’âge adulte. Ce « passage » à l’âge adulte est marqué, dans la tradition juive, par la bar-mitzva pour les hommes et pour les femmes par différentes étapes telles que la bat-mitzva, le mariage et la maternité. 51 Une dernière ambiguïté apparaît avec le terme de « rite de citoyenneté » lorsqu’il est associé à Tsahal. Nous savons que la citoyenneté porte en elle des droits et des devoirs et le service militaire, de par sa nature coercitive, en fait partie. Si l’on considère la citoyenneté d’un point de vue formel, on est citoyen avant d’être soldat et ceci s’acquiert selon le droit du sang, appliqué en Israël. On ne peut pas considérer le service militaire en Israël « rite de citoyenneté » sans souligner quelques contradictions. Certains citoyens ne sont pas soumis au service militaire. Écartés du devoir civique, ils se retrouvent marginalisés. C’est le cas des minorités des Israéliens arabes, musulmans et chrétiens. Les femmes, lorsqu’elles sont en surnombre, peuvent plus facilement se faire exempter. Il serait intéressant d’approfondir les dynamiques d’inclusion et d’exclusion liées à l’appartenance civique et nationale en Israël. 52 Certes, souscrire aux obligations nationales procure à l’individu respect et approbation sociale. La participation au service militaire permet d’être considéré comme un bon citoyen, mais qui ce devoir citoyen favorise-t-il effectivement dans la réalité ? On veut attirer ici l’attention sur le fait qu’accomplir le service militaire ne confère pas nécessairement un statut de citoyen et, à l’inverse, ne pas l’accomplir ne comporte pas forcément une perte de citoyenneté. En outre, dans les sociétés contemporaines occidentales, la citoyenneté est attribuée et vécue selon de multiples modalités. 53 Enfin, il faudrait voir le service militaire comme une expérience aux aspects multiples perçue différemment selon les composantes. Pour beaucoup d’hommes et de femmes, le service militaire ne constitue qu’une obligation en plus de son potentiel formatif effectif et qu’il n’apporte rien de plus à leur statut social ou à leur participation publique comme citoyens. On veut souligner ici que si l’on entend le service militaire en Israël comme un rite de passage, autrement dit un rite qui sépare des individus ou des groupes d’un statut pour les agréger à un autre, on peut aussi bien vérifier que cela n’est pas le cas pour tout le monde. 54 Or, hormis l’accent mis sur l’aspect de transmutation du statut de l’individu, il convient de considérer le service militaire en Israël comme un « rite », à cause de sa nature répétitive à chaque génération et du fait qu’il impose son influence et définit ainsi, à travers son accomplissement, un des traits distinctifs de la société israélienne. 55 Le service militaire peut alors être compris plutôt comme « rite d’institution » selon les termes de Bourdieu. Pour Bourdieu, le rite a comme but celui de « séparer ceux qui l’ont subi non de ceux qui ne l’ont pas encore subi, mais de ceux qui ne le subiront en aucune façon et d’instituer une différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas 30». 56 Si l’on s’appuie sur une perspective de genre dans l’analyse du service militaire en Israël, considérant qu’il s’agit d’un service conçu différemment pour les deux sexes, on pourrait en effet dire que, dans le rapport hommes/femmes, cela constitue une consécration ou bien la sanction d’un ordre établi qui distancie l’expérience féminine de l’expérience masculine et qui donc renforce les différences entre les genres. De fait, dans le rite d’institution, d’une certaine façon, les hommes ritualisent non pas un passage mais un état de fait : leur condition d’hommes dans une société déjà masculinisée et patriarcale telle que l’est la société israélienne.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 69

57 Il faut préciser toutefois que l’armée n’est pas la seule institution qui force à la socialisation des rôles de genre. Dans le parcours de vie des Israéliens, il existe déjà des étapes intermédiaires qui poussent à l’intériorisation des différences de genre : l’école et l’environnement familial et religieux par exemple. Mais peut-être est-ce justement l’armée, par son caractère coercitif et ouvertement différenciateur entre les genres, qui atteint le mieux cet objectif. Ce qui explique que le mouvement féministe et le mouvement des femmes pour l’égalité sont particulièrement critiques envers l’armée et favorables à une restructuration du système de la force de défense nationale. 58 Nous avons vu au cours de cette étude comment Tsahal, et en particulier le service militaire, occupent une place centrale dans la société israélienne depuis la création de l’État jusqu’à nos jours. Nous avons analysé les enjeux et les paradoxes de la participation féminine au service militaire. Ensuite, sur la base des conceptions et représentations du service militaire en Israël, nous avons tenté de déconstruire sa signification comme rite de passage et rite de citoyenneté en suggérant qu’il s’agit d’une expérience aux aspects multiples et subjectifs, bien que commune à la plupart des Israéliens. Enfin, nous avons soutenu, dans une perspective de genre et sur la base de l’observation de la diversité du service militaire pour les femmes et pour les hommes, que pour ces derniers, l’armée se présente plutôt comme un rite d’institution, qui sanctionne et consacre les différences de genre. 59 Il nous reste maintenant à comprendre comment cette expérience militaire a un impact dans le parcours d’émancipation des femmes en Israël. 60 Il nous semble que ce parcours peut s’effectuer par une réorganisation de la structure de l’armée, et la reconnaissance de la valeur de chaque travail en son sein. Mais il nous semble également que le chemin commence bien avant d’arriver à l’armée à travers la modernisation des méthodes d’enseignement de l’école. Uta Klein a observé comment, dès l’école, les jeunes Juifs israéliens reçoivent une préparation à leur entrée future dans l’armée. Cette préparation, sous forme de séminaires, conférences et cours, se base sur un apprentissage différencié pour les garçons et les filles31. 61 Rela Mazali, pour sa part, exprime des préoccupations sur l’effet du sexisme à l’armée. L’image dominante du soldat combattant masque toute considération sur les risques vécus par les femmes à l’armée. Mazali nous montre comment le risque de harcèlement sexuel et de viol à l’armée est passé sous silence et ne reçoit pas de juste écho des médias, de l’opinion publique, ni même du mouvement féministe. Les violences faites aux femmes et l’indifférence qui les entoure sont, d’après Mazali, le résultat d’un discours sexiste issu d’une culture militariste centrée sur l’image dominante du soldat combattant32. 62 À propos de la domination masculine dans le contexte militaire en Israël, O. Levy- Sasson nous a bien montré comment dans l’armée, lieu de la masculinité par excellence, l’ordre patriarcal dominant peut influencer la construction identitaire et de genre des femmes soldates. Les femmes à l’armée, par le biais des pratiques de résistance et de complicité à la dichotomie de genre, socialisent et intègrent en elles- mêmes l’idéologie masculine. En fin de compte, elles en viennent à valider l’ordre patriarcal dominant de l’armée et de l’État et à s’y identifier. La structure de genre de la citoyenneté parviendrait de cette manière à être renforcée autant que la marginalisation même des femmes33.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 70

63 Il faut toutefois ne pas oublier, quand on parle des femmes juives à l’armée en Israël, l’élément judaïque, et considérer le double régime laïco-religieux sur lequel Israël a décidé de modeler sa société et ses institutions. 64 La condition sociale des femmes en Israël et leur statut public relèvent largement jusqu’à nos jours de l’influence des positions religieuses et des différentes appartenances communautaires à l’intérieur de la société israélienne. Cela s’exprime aussi bien dans les prescriptions religieuses particulières auxquelles sont soumises les femmes israéliennes que dans la loi civile, par exemple en ce qui concerne les règles de mariage, de divorce, etc. En ce sens, la condition de la femme en Israël est donc le résultat d’un curieux mélange de traditionalisme et de modernité. 65 On ne peut donc pas éviter de mettre en évidence que l’institution considérée comme une des plus laïques subit une influence du religieux et que les rapports de genre qui se mettent en place dans l’armée relèvent aussi de la culture juive traditionnelle et patriarcale qui contribue à générer la prépondérance masculine. Nous avons déjà montré, citant S. A. Cohen, comment il y a une composante religieuse dans l’armée qui souhaite avoir un impact sur son organisation. 66 Le nombre des femmes à l’armée est inférieur à celui des hommes et leurs activités restent limitées pour la grande majorité à des fonctions de support, bien que le service militaire demeure une des expressions significatives de la citoyenneté en Israël. Il se trouve que l’armée influence le parcours subjectif et la construction identitaire des jeunes femmes en Israël. Considérer les femmes israéliennes uniquement comme des mères, bien que cela soit le rôle prédominant et le mieux reconnu dans la société israélienne, serait pourtant extrêmement réducteur et conduirait à nier une partie significative de leur biographie personnelle à partir de l’intériorisation des rôles de genre. 67 Or, la réorganisation du service militaire pourrait permettre de résoudre nombre de problématiques afférentes à la condition féminine des Israéliennes : marginalisation, violence, poids du politique et manque de visibilité des femmes dans l’espace public israélien. Une réelle réévaluation, sur une base plus égalitaire, du service militaire pour les femmes passe par un rééquilibrage du rapport entre les genres. À travers un réaménagement du milieu militaire, les femmes pourront mieux faire valoir leurs droits et entamer un parcours d’émancipation concrète.

NOTES

1. D’autres pays comme l’Erythrée, le Pérou, la Malaisie, la Corée du Nord et la Libye prévoient le service militaire obligatoire pour les femmes. http://en.wikipedia.org/wiki/Conscription #Gender issue. 15 janvier 2007. 2. L. Hazleton, Israeli Women: The Reality Behind the Myths. New York, Simon and Schuster, 1977. 3. D. N. Izraeli, « Paradoxes of Women’s Service in the Israeli Defense Forces » in D. Man, E. Ben- Ary, Zeev Rosenhek (eds) Military, State and Society in Israel, New Brunswick (USA), Transaction Publishers, 2001. Sharoni Simona. Gender and the Israeli-Palestinian Conflict: The politics of women’s

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 71

resistance, Syracuse N. Y., Syracuse University Press, 1995. O. Levy-Sasson, « Feminism and Military Gender Practices: Israeli Women Soldiers in « Masculine » Roles », Sociological Inquiry, vol.73, n˚ 3, février 2003. 4. Cf. Nira Yuval-Davis « Gender and Nation » in R. Wildford and R. L. Miller (eds) Women Ethnicity and Nationalism. The Politic of Transition, London, Routledge, 1998. D. N. Izraeli, voir supra. 5. Alice Miller est une pilote licenciée en Afrique du Sud. Une fois émigrée en Israël et après avoir été recrutée par l’armée, elle postule pour entrer au cours de pilote de l’aviation. Après avoir essuyé un refus de la part de l’armée, elle fit appel à la Cour Suprême d’Israël pour défendre ses droits. En 1995, elle obtient l’autorisation de Tsahal pour être intégrée dans le cours, mais elle échoue à l’examen d’entrée. Néanmoins, la bataille judiciaire menée par Alice Miller a incité de nombreuses Israéliennes à suivre le même chemin. 6. Pour Izraeli, les implications de genre sont évidentes si l’on prend en considération la présence féminine au Parlement. En raison de la situation sécuritaire du pays, l’élite militaire, exclusivement masculine, a majoritairement pris part à la vie parlementaire israélienne. De ce fait, la visibilité des femmes et leur participation institutionnelle active est très réduite. D. N. Izraeli, op. cit. supra (note 3), pp. 205-206. 7. Cf. B. Kimmerling, « Determination of the Boundaries and Frameworks of Conscriptions: Two Dimensions of Civil-Military Relations in Israel », Studies in Comparative International Developpement, 14, 1979, pp. 22-44. 8. S. A. Cohen, « Towards a New Portrait of the (New)Israeli Soldier », Mideast Security and Policy Studies, vol. 3, n˚ 35, 1997, pp. 91-92. The Begin/Sadat Center for Strategic Studies, Bar Ilan University. 9. Ultra-orthodoxes. 10. Kippah sruga en hébreu, « kipa tricotée » est un terme qui fait référence aux religieux sionistes, qui souhaitent unir l’étude de la Thora à l’action, en ce sens le service militaire. 11. NCO, None-Commissioned-Officer, nom couramment utilisé pour désigner les sergents. 12. A. Harel, « Number of Yeshiva students seeking draft deferrals rises sharply », Haaretz.com, 11/1/2007, www.haaretz.com/hasen/ hasen/spages/811076.html 13. S. A. Cohen, op. cit. supra (note 8), p. 93. 14. D. Ripman Eylon, Cheil Nashim -Corps féminin in l’Encyclopédie du judaïsme, www.utoronto.ca/wjudaism, 15 janvier 2007. 15. Selon l’analyse de L. Hazleton, les postes de combat des femmes étaient effectivement couverts par un numéro très faible de femmes et en tout cas elles étaient traitées avec beaucoup de condescendance. En outre, Hazleton souligne que : There were women who actually fought, and died, in battle, but it was solely on these exceptions that the rule of the myth was to be based, L. Hazleton, op. cit. supra (note 2), p. 20. 16. D. N. Izraeli, op.cit. supra ( note 3), p. 214. 17. R. Halperin-Kaddari, Women in Israel. A State of Their Own, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2004, pp. 152-156. 18. Selon le féminisme libéral, les racines de l’inégalité de genre dérivent des différents accès aux institutions gouvernementales des hommes et des femmes. D’après cette approche, l’égalité s’obtiendrait à travers le démantèlement du patriarcat et la considération qu’hommes et femmes sont identiques. En revanche le féminisme culturel présuppose que l’égalité s’obtienne à travers la prise en compte de la différence innée du genre féminin. 19. N. Rimalt, « When a feminist struggle becomes a symbol of the agenda as a whole: the example of women in the military », Nashim: A Journal of Jewish Women’s Studies and Gender Issues, n˚ 6, 2003, pp. 153-156. 20. http://en.wikipedia.org/wiki/Israel_Defence_Forces, 15 janvier 2007. 21. http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/Society_&_Culture/femcom.html, 15 janvier 2007.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 72

22. http://www.1.idf.il/DOVER/site/mainpage.asp? sl=EN&id=7&docid=48340&Pos=5&last=1&bScope=true, 15 janvier 2007. 23. À cet égard voir : L. Hazleton, op. cit. supra (note 2). 24. Traduction personnelle du texte publié en anglais le 16 janvier 2007 http:// www.mahal2000.com/information/background/content.htm. 25. U. Klein, « La contribution de l’armée et du discours militaire à la formation de l’image sociale de la masculinité », Actes de la Table Ronde du séminaire du COE, tenue les 7-8 octobre 1999 : Les hommes et la violence à l’égard des femmes. http://www.eurowrc.prg/13institutions/3.coe/fr-violence-coe/11.actes-oct99.htm. 16 janvier 2007. 26. S. A. Cohen, op. cit. supra (note 8), p. 98. Traduction personnelle du texte anglais. 27. A. Van Gennep désigne plusieurs phases : la phase de séparation, où l’individu laisse son état antérieur, souvent à travers l’éloignement du groupe d’appartenance ; la phase de marge, dans laquelle l’individu se trouve entre deux états ; enfin la phase d’agrégation, où l’individu acquiert un nouveau statut et vient, avec celui-ci, réintégrer la société ou le groupe d’appartenance. Pour un approfondissement de la structure des phases du rite de passage et classifications de rites, voir A. Van Gennep. Les Rites de passage, Paris, Nourry, 1909. Pour Turner, les rites de passage sont aussi structurés en trois phases dites de séparation, liminale et d’agrégation. Dans une société structurée et hiérarchique, les rites de passage ne parviennent pas à éliminer complètement les différences entre les individus, mais favorisent le rapprochement des distances entre les diverses positions sociales. Plus que la structure du rite et sa spécificité symbolique, Turner voit dans les rites de passage une forme de négociation du nouvel état de l’individu. V. Turner, Le Phénomène rituel, Paris, Puf, 1990. 28. Traduction personnelle de l’anglais. R. Mazali « "And What About the Girls?" What a Culture of War Gender Out of View » in Nashim: A Journal of Jewish Women’s Studies and Gender Issues, Fall 2003, n˚ 6, p. 41. 29. S. A. Cohen, op. cit. supra (note 8), p. 86. 30. P. Bourdieu, « Les rites comme actes d’institutions », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n˚ 43, juin 1982, Rites et Fétiches, p. 58. 31. Voir par exemple Yom Hakhleilot et l’enseignement aux enfants en collaboration entre école et armée. Cf. supra (note 15), U. Klein. 32. R. Mazali, op. cit. supra (note 28). 33. O. Levy-Sasson, op. cit., pp. 444-53.

RÉSUMÉS

Military Service and Women’s Conditions in Israel: Some Elements of Reflection Women’s condition in Israel finds his roots in several factors: cultural, socio-economical, religious as a reflection of the complexity of people in this country. The geopolitical situation, linked to the state of war of Israel, also affect women’s life in Israel. Israel is one of the few countries, and the only western country in the world, that drafts women in the army compulsory service. In particular this element creates interesting paradoxes between women’s contribution to the defence of the country, the status traditionally attributed to them and their own path to emancipation in the Israeli society.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 73

The Israeli Defence Force (IDF) is a central institution for the Israeli society. IDF draws the societal hierarchy in the State, determines the attribution of resources and it represents a way of access to the political arena in Israel. Responding to the national duties, among which the compulsory service is the highest expression, is what makes one a good citizen. But in Israel a wide cleavage between women and men is perpetrated in the army and into the military organisation itself. By consequence the gender division in the army is reproduced in civil life as well. Women serve in the army for a shorter period of time, their contribution, for most of them, is reduced to female work and, once freed by the army duty, they do not enjoy socio-economical opportunities as men do. Many feminists and that part of the women movements which had more influence in the Parliament, started to focus their attention on the achievement of a wider range of jobs and positions for women in the army. These last decades have seen important changes in the Israeli army that have modified its structure in particular concerning the gender relations and the women’s role in the military. The opening of flight courses for officers to women was an important starting point as well as the opening of combat units. The second Lebanon war has seen for the first time, since the birth of the Israeli Nation, women’s operational participation during a conflict. This marks a big change for the Israeli army, which may lead to a new balance of opportunities between women and men and a transformation of the classical roles attributed to women and their public participation in social and political life in Israel. In order to understand the social and gender implications of the presence of women in the army, the article will start considering the meaning of the compulsory service in Israel at the light of the centrality of the IDF in the Israeli society. How does the Israeli society understand the army experience? What impact has the army and in particular the compulsory service in the lives of Israelis? We will then focus in particular on the compulsory service for women. What is its structure? Which have been the different steps for the achievement of the position women now have in the army in Israel? We will analyse then one of the main concept currently used to define the army service in Israel: rite of passage and rite of citizenship. We will claim that the army service is now understood and lived by individuals in very different ways. The compulsory service is an experience that people coming from different parts of the society live in many different ways. This is especially true for women. The army service as a rite of passage for the majority of its conscripts seems to lose its characteristic of transmutation (the passage from one status to another), but it still remains a rite of institution. In a gender perspective, the army service, as a rite of institution, can be seen as a ritual that distinguishes, once and for all, the female army experience from the male one and finally reinforcing the gender differences. At last we will try to enlighten the impact of the army experience on women in Israel in their path to emancipation and we will claim that the IDF plays a big role in the socialisation and internalisation of gender roles in the Israeli society. We will also claim that other agencies exist, like the national school education and the religious institution, that influence the building of women’s identity and contribute to determine the status of women in Israel. Some of these agencies influence directly the army institution.

AUTEUR

ILARIA SIMONETTI

Ilaria Simonettiest doctorante en anthropologie sociale (Laboratoire d’anthropologie sociale de l’EHESS). Elle prépare une thèse sur l’identité des femmes dans la société israélienne contemporaine à travers l’analyse de leur expérience militaire. Elle a bénéficié d’une bourse du

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 74

Centre de recherche français de Jérusalem. Ilaria Simonetti is PhD student in Social Anthropology (Laboratoire d’anthropologie sociale EHESS). She is conducting a thesis on women’s identity in today’s Israeli society by analysing their army experience. She holds a scholarship at the French Research Center in Jerusalem, Israel. [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 75

L’image des États-Unis dans les relations israélo-palestiniennes entre 1988 et 1992 Une grande puissance interventionniste autant adulée que décriée

Emmanuelle Meson

1 L’image des États-Unis à travers le monde symbolise généralement la force, la sécurité, la puissance d’un immense pays, mais surtout celle des dollars. Les États-Unis apparaissent comme la première puissance économique du globe, loin devant les autres. Ils exercent un véritable impérialisme économique et leur puissance militaire se manifeste à l’échelle planétaire. Toutefois, ils évoquent aussi, pour certains, la perdition, l’argent sale et la décadence. Tantôt adulés, tantôt décriés, les États-Unis continuent de fasciner.

2 Au cours de recherches à Jérusalem1, dans le cadre d’une thèse de doctorat d’histoire portant sur les relations israélo-palestiniennes abordées par le biais des caricatures politiques, nous avons découvert les visions française, israélienne et palestinienne à la fois proches et décalées sur la politique américaine au Moyen-Orient. L’intérêt de cette analyse provient de cette similitude des points de vue qui prévaut encore aujourd’hui. 3 L’attrait de la presse écrite, à travers les caricatures, même si elle touche moins le grand public, réside dans son lectorat : la classe dirigeante, les hommes d’affaires et les intellectuels gravitant autour des secteurs politique, économique ou financier et aptes à intervenir au niveau de ces événements. Pour cette étude, nous nous sommes appuyés sur les caricatures politiques publiées dans la presse : Le Monde, quotidien français ; The Jerusalem Post, quotidien israélien édité en anglais ; Al-Fajr, quotidien palestinien édité en anglais ; Palestine Times, magazine palestinien édité en anglais. 4 Le Monde, malgré ses colonnes alors dépourvues de photographies, apparaît, tel que son nom l’indique, comme « le plus grand journal français de dimension internationale 2. » Sa ligne éditoriale accorde une large place aux informations internationales grâce à des envoyés spéciaux disséminés de par le monde. Perçu comme un quotidien sérieux, dont les informations approfondies sont des plus fiables, il sert de référence en matière de

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 76

presse, même au-delà de nos frontières, et reste l’un des organes de communication les plus influents. Indépendant du pouvoir et des partis politiques, il touche plus d’un million et demi de lecteurs. En France, Le Monde s’impose comme le journal le plus lu par les hauts responsables politiques, économiques et culturels, ainsi que par les catégories socioprofessionnelles supérieures. Depuis sa création, le journal s’intéresse au Moyen-Orient. 5 The Jerusalem Post, édité en anglais, est l’un des principaux quotidiens israéliens. Sa forme s’apparente à celle du journal Le Monde, malgré la présence de photographies et de caricatures en noir et blanc. 6 Le quotidien traite de sujets économiques, sociaux, culturels et une large place est accordée à la politique étrangère. Les relations israélo-arabes et, surtout, israélo- américaines y occupent une place non négligeable. De réputation internationale, il est souvent cité à l’étranger. Privilégiant la liberté d’expression, ce journal reflète une diversité d’opinions où chacun peut s’exprimer. Ses lecteurs se situent dans les catégories socioprofessionnelles supérieures : hommes d’affaires et politiques. 7 Al-Fajr Palestinian Weekly, supplément du « Al-Fajr Arabic Daily », est édité en anglais, dans les territoires occupés, à Jérusalem-Est. Cette édition locale de seize pages, parue pour la première fois en 1980, publie en moyenne dix caricatures par mois. Le plus grand nombre de dessins proviennent de « Al-Quds3 ». Les sujets concernent la politique israélienne dans les territoires occupés, la politique américaine et sa perception, et l’ONU. 8 Palestine Times paraît, en anglais, à Londres. D’un petit bulletin de quatre pages en 1991, il passe à huit en 1994, puis à quatorze en 1996, avec un à deux dessins en moyenne par mois. Ce mensuel aborde des sujets comme la culture, l’histoire, l’opinion et les affaires palestiniennes. Sa ligne éditoriale véhicule les mêmes idées que le Hamas. Seule l’année 1992 est complète ; pour les autres années, il manque environ la moitié des numéros. 9 Nous avons choisi de nous intéresser, pour chaque journal, aux principales caricatures4 (environ cinq), qui donnent un aperçu de leur position et de leur représentation de la place des États-Unis dans les relations israélo-palestiniennes. Toutefois, les commentaires tiennent compte de l’ensemble des dessins et de l’image générale que les journaux transmettent. 10 La Terre sainte à l’histoire millénaire a fait l’objet de nombreuses guerres et conquêtes. Elle reste, à la fin du XIXe siècle, au centre des conflits politiques, religieux et humains. Bien des tensions actuelles prennent leurs origines dans des événements qui remontent à plus de soixante-dix ans. L’Europe, Grande-Bretagne et France en tête, a compris l’intérêt de cette région dès le XIXe siècle. La fin de la première guerre mondiale et l’établissement des protectorats lui permettent de pénétrer encore plus dans cette terre, au Liban, en Syrie et en Palestine. Les États-Unis, alors sous l’influence de la doctrine Monroe5, ne s’intéressent qu’au continent américain dans son ensemble6, même s’ils allouent des prêts à l’Europe depuis la première guerre mondiale. Ce n’est qu’avec l’attaque de Pearl Harbor par les Japonais en 1941 et leur entrée dans la seconde guerre mondiale qu’ils s’impliquent réellement dans les affaires européennes, et par conséquent dans celles du Moyen-Orient. 11 Après 1945, le monde se trouve divisé en deux blocs : les États-Unis et l’URSS. Tous deux font preuve d’une volonté d’hégémonie mondiale. Chacun désire imposer son système au monde entier grâce à sa puissance militaire, ses moyens économiques, financiers et

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 77

médiatiques. Dans les années soixante, les Américains paraissent les seuls à pouvoir s'opposer aux Soviétiques. Le Moyen-Orient représente alors un enjeu économique et financier pour ces deux grandes puissances. La position stratégique de cette zone et la question du pétrole demeurent au cœur des préoccupations car l'URSS s'est installée dans la région. Pour ce pays, le Moyen-Orient est une région frontalière, située seulement à 3 000 kilomètres. À l’inverse les 11 000 kilomètres séparant les États-Unis de cette contrée, incitent ces derniers à trouver des bases sur place. 12 Les Américains refusent toute idée de partage de terre entre Juifs et Arabes, afin de ne pas indisposer les pays arabes producteurs de pétrole. Ils sont pourtant les premiers à reconnaître la création de l’État d’Israël en 1948. Se sentant menacée au Moyen-Orient, l’URSS change alors de politique en retirant son appui aux sionistes, et accorde son soutien militaire et financier aux pays arabes. 13 Dans les années 1970 Israël devient un atout stratégique car le pays est une base avancée dans la région face aux Soviétiques. Mais si le conflit israélo-arabe gêne les États-Unis dans leurs relations avec les pays arabes, ils n’ont pas la volonté politique de pousser Israël à accepter des concessions. 14 Les accords de Camp David, en septembre 1978, marquent une étape historique en ouvrant la voie aux futures négociations. L'Égypte est le premier pays arabe à reconnaître Israël. Si le problème palestinien est enfin reconnu, les questions de Jérusalem, du Golan, des colonies et des droits palestiniens ne sont pas abordées. 15 En 1982, l'initiative du président Reagan prend enfin en compte le fait palestinien en proposant une confédération jordano-palestinienne. Cependant aucune avancée concrète n’est visible jusqu’en 1988. 16 Entre 1988 et 1992, et principalement au cours du mandat de George Bush senior à la Maison Blanche, comment la presse, française, israélienne ou palestinienne aborde-t- elle la question de la politique américaine dans les relations israélo-palestiniennes ? Comment représente-t-elle les États-Unis ? 17 Après avoir analysé l’image des États-Unis et du nouvel ordre mondial, nous aborderons la question du processus de paix.

I. Les États-Unis et le nouvel ordre mondial

18 La situation politique internationale change à la fin des années quatre-vingt. Le monde bipolaire qui prédominait jusque-là s’achève avec la chute du Mur de Berlin en 1989, puis celle du communisme. De nouvelles alliances se créent et les attributions des États- Unis changent. La personnalité du nouveau Président américain G. Bush préfigure les événements futurs.

La personnalité de George W. Bush dans la presse :

19 G. Bush succède à R. Reagan en janvier 1989, dans un climat de détente soviéto- américaine et de cessez-le-feu entre l’Iran et l’Irak depuis juillet 1988. Le Monde présente le nouveau Président George Bush sous les traits d’un homme quelque peu naïf et manquant d’autorité. Son allure, grande et svelte avec une tête allongée, ne correspond pas à l’image d’un Président américain énergique et efficace. On note des gestes de faiblesse dans ses attitudes.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 78

20 Cependant, son image évolue avec la crise et la guerre du Golfe, en 1990-1991. Durant cette période, il se dégage des caricatures du Monde une impression de force, de puissance, les États-Unis sont sûrs d’eux-mêmes. Le quotidien français résume alors ces événements à un duel Saddam Hussein-George Bush en présentant les États-Unis comme les gendarmes du monde. La majorité des illustrations mettent les deux hommes face à face. Fin août 1990, George Bush en tenue de cow-boy et Saddam Hussein, en véritable ogre, s’affrontent en duel7. L’étoile de shérif sur la poitrine, le Président américain incarne le bien, le « gentil cow-boy », l’image de l’Amérique profonde faisant régner l’ordre face au « méchant dictateur ». L’otage du Président irakien lui sert alors de « bouclier humain ». Privilégiant un règlement par la force, George Bush se pose en rempart contre Saddam Hussein. 21 Pour sa part, The Jerusalem Post, décrit le Président américain G. Bush comme un homme svelte et grand, portant des lunettes qui lui donnent un air sérieux, un homme politique normal vêtu d’un costume-cravate. Sa tête allongée, comme son menton, attire l’attention. Contrairement à d’autres hommes politiques, George Bush ne rentre pas la tête dans ses épaules. Une impression de pouvoir, de contrôle se dégage de lui. Perçu comme un homme faible aux États-Unis, manquant de poigne, il fait parfaitement face à Saddam Hussein lors de la crise et la guerre du Golfe en 1990-91. Cette sensation de puissance est également visible dans ses rapports avec Israël. Le quotidien israélien le présente systématiquement deux à trois fois plus grand que M. Shamir. Les États- Unis, en raison de leur puissance, sont perçus depuis plusieurs décennies en Israël comme garants de la survie du pays8 et les Présidents américains, quelle que soit leur appartenance politique, maintiennent leur soutien à cet État. 22 À l’inverse de ce que présentent les journaux français et israélien, Al-Fajr ne reflète pas une bonne image de M. Bush. Les mises en scène mettent en avant un homme plutôt incompétent et nonchalant. Accusé d’être totalement ignorant du problème palestinien, le Président américain est très largement tourné en ridicule.

La guerre du Golfe et ses conséquences :

23 Les événements du Golfe en 1990-1991 font suite à un contexte régional de tension diffuse dû au gel du processus de paix israélo-arabe, au réarmement de l’Irak et à son rapprochement avec l’OLP. Les États-Unis veulent dissocier leur allié israélien de la coalition anti-irakienne pour y réunir les pays arabes afin de déjouer la position irakienne qui lie la menace américaine à celle d’Israël. Alors, pour ne pas contrarier ses alliés arabes, l’Arabie Saoudite, l’Égypte et la Syrie, Washington demande à Israël de ne pas intervenir dans cette guerre même si le pays est touché par des missiles irakiens. Contredisant quarante années de doctrine militaire, et pour la première fois de son histoire, Israël ne réplique pas aux scuds irakiens. Dans un dessin du Monde de janvier 19919, le Président américain, assis à son bureau, s’adresse à un homme devant lui : « Pas de panique ! essayez de voir les choses autrement ! ». L’homme porte une kippa et l’étoile de David sur son tee-shirt. Trois petits missiles sont plantés dans son dos. George Bush, assez détendu malgré les événements, demande à un Israélien criblé de missiles de voir les choses calmement. Il est inhabituel de voir le Président des États-Unis si décontracté et manquant quelque peu de sérieux alors qu’un nouveau conflit ravage le Moyen-Orient. Pourtant sur le terrain, dès la chute des premières fusées irakiennes sur

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 79

le sol israélien, les États-Unis prennent directement la défense d’Israël et envoient des batteries de missiles « Patriot » avec des soldats américains.

24 Le Monde tente par ses caricatures de contrebalancer l’influence, mais surtout la vision américaine. La France participe à la coalition anti-irakienne pour ne pas abandonner le Moyen-Orient à la seule influence des États-Unis déjà présents sur tous les écrans de télévision du monde grâce à la chaîne CNN qui diffuse des images en continu. La démonstration militaire des États-Unis durant la guerre du Golfe leur façonne une nouvelle image à travers le monde. Outre des rivalités commerciales dans cette zone géographique, l’Europe, mais surtout la France, a une conception différente des États- Unis sur la paix au Proche-Orient et sur les moyens d’y parvenir. 25 À l’aube de la guerre du Golfe, un dessin10 du Jerusalem Post, daté du 19 janvier 1991, résume parfaitement la vision des Israéliens sur les États-Unis. Un homme est assis dans un fauteuil sur lequel on peut lire « Moyen-Orient ». Son allure vestimentaire rappelle le drapeau américain : chapeau de cow-boy, chemise parsemée d’étoiles, bandes blanches sur son pantalon, bottes. Dans une main, il tient trois missiles, dans l’autre il serre contre lui un enfant portant à bout de bras un drapeau israélien. Un bidon d’essence se trouve à ses pieds. Cet homme semble fort, puissant et sûr de lui comme les États-Unis en 1991. Pour les Israéliens, les États-Unis sont une grande puissance qui s’impose à la région et dispose de la force militaire (missiles) pour surveiller le pétrole, veiller sur Israël, jeune État (encore un enfant, il n’a que quarante ans) et faire face à l’Irak au début de la guerre du Golfe. 26 L’année 1991 représente un tournant dans les relations israélo-américaines. Les pays arabes jusque-là unis face à Israël évoluent, la Syrie, perçue comme belliqueuse, s’allie pourtant avec les États-Unis. Les Américains réussissent une percée sur le marché des armes et installent durablement leur influence dans la région. Les Israéliens doivent non seulement ne pas riposter aux scuds irakiens, mais aussi accepter une alliance entre Américains et Syriens. Avec la fin de la guerre du Golfe les Israéliens doivent s’engager dans le processus de paix pour parvenir à une stabilité régionale si chère aux États- Unis. Car, après leur victoire écrasante et leur nouvelle suprématie, les États-Unis s’engagent enfin à régler les problèmes du Proche-Orient : la question palestinienne, les litiges israélo-libanais et israélo-syrien. Pour parvenir à cela ils doivent concrétiser un accord israélo-arabe. L’URSS, en proie à de grandes difficultés intérieures, ne joue plus de rôle, pas plus que l’Europe. Forts de leur pouvoir inégalé dans le monde, les États- Unis et G. Bush décident de stabiliser le Proche-Orient pour éviter d’autres conflits et asseoir leur influence.

Le nouvel ordre mondial : les États-Unis se substituent à l’ONU

27 Les États-Unis disposent des moyens nécessaires pour imposer leurs idées au Conseil de sécurité de l’ONU. Soutiens inconditionnels d’Israël, sur les plans diplomatique, militaire et financier, les États-Unis usent aussi de leur pouvoir de veto11 à l’ONU. Ceci, afin d’éviter des condamnations et protéger ainsi Israël de certains projets de résolutions du Conseil de sécurité qui « condamne…, déplore…, dénonce…, exige…, affirme… et recommande » à Israël d’obéir à l’institution mondiale.

28 Toutefois les Américains adaptent leur politique aux circonstances et votent parfois en faveur de certaines résolutions. Entre 1988 et 1992, les États-Unis émettent neuf vetos12 sur des condamnations d’incursions israéliennes au Liban, des violations des droits de

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 80

l’homme dans les territoires occupés, des confiscations de biens palestiniens, et sur des appels aux autorités israéliennes à se conformer à la Quatrième Convention de Genève relative à la protection des populations civiles en temps de guerre. 29 En plus des nombreuses résolutions, l’ONU publie depuis près de quarante ans de nombreux rapports des différentes commissions, en particulier de celle des droits de l’homme. 30 Une des plus grandes conséquences de la fin du monde bipolaire et du nouvel ordre mondial est que les États-Unis jouent désormais le rôle d’arbitre jusque-là dévolu à l’ONU. Avec la mise en place de la Conférence de Madrid en octobre 1991, les États-Unis et Israël excluent de fait l’organisation onusienne dans le règlement du conflit israélo- arabe. Les décisions prises à cette occasion laissent de côté les résolutions de l’ONU et par conséquent les règles de droits internationaux. À présent avec la victoire du capitalisme sur le communisme, l’unilatéralisme apparaît, la conciliation de l’ONU n’est plus obligatoire. 31 Le Monde, The Jerusalem Post et Al-Fajr s’accordent à travers leurs caricatures pour mettre en lumière le nouveau rôle secondaire de l’ONU. Le Monde, défend la position française en dénonçant vigoureusement la politique israélienne dans les territoires occupés et en se référant aux nombreuses résolutions onusiennes. Le quotidien met ainsi en scène, le 15 octobre 199013 : M. Bush en tenue de juge. Ce dernier s’adresse à M. Shamir, « Cette fois moi aussi, je vous condamne ! ». M. Shamir, un peu dépité, lui répond « mon propre avocat ! » Fait rarissime à l’ONU, les États-Unis se sont joints à une condamnation internationale d’Israël à la suite de la mort d’une vingtaine de Palestiniens sur l’esplanade des Mosquées après des affrontements avec les forces israéliennes. Ce qui justifie, pour les États-Unis, ce vote favorable, c’est qu’ils ne désirent pas indisposer leurs alliés arabes (Syrie, Égypte, Arabie Saoudite) en pleine crise du Golfe, au moment où Saddam Hussein vient d’envahir le Koweït. L’ONU demande alors à Israël, par les résolutions 672 et 673, de recevoir les enquêteurs étrangers sur son territoire et condamne les actes de violence commis par les forces israéliennes. Pour Le Monde, la décision finale lors du vote de résolutions concernant Israël ne dépend donc pas de l’ONU, mais uniquement de l’un de ses membres permanents : les États-Unis. 32 The Jerusalem Post se rit de façon plus générale de l’influence des États-Unis sur l’ONU. Le journal israélien dénonce les pressions financières, diplomatiques ou autres que les États-Unis exercent sur les membres de l’ONU, notamment sur les pays en voie de développement. Les Israéliens sont habitués, sauf cas exceptionnel, à ce que les États- Unis usent de leur droit de veto à l’ONU afin de leur éviter des sanctions. Pourtant, même ce journal dénonce l’emprise des États-Unis sur cette organisation : George Bush14 joue ainsi avec un yo-yo, sur lequel apparaît le sigle de l’ONU : la terre entourée de deux rameaux d’olivier. Joyeux, le Président américain arbore une tenue de fête. Cette caricature sort au moment des événements du Golfe en 1991. L’Amérique a fortement influencé les décisions de l’ONU en privilégiant un règlement par la force. Une dizaine de résolutions ont été votées par les Nations Unies qui se sont rangées à la politique américaine. Après la guerre du Golfe et à la demande des États-Unis, l’Assemblée générale des Nations Unies annule la résolution 3379 du 10 novembre 1975 qui assimilait le sionisme à une « certaine forme de racisme et de discrimination sociale », ceci juste avant l’ouverture de la Conférence de paix de Madrid du 30 octobre, parrainée et organisée par les États-Unis.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 81

33 Les Palestiniens, à travers Al-Fajr, associent l’ONU à un jouet grandeur nature des États- Unis. Le thème de l’ONU et de son impuissance à régler le conflit israélo-palestinien, à cause de la pression américaine, revient très souvent. L’ONU est toujours représentée par un homme avec un immense globe terrestre à la place de la tête. Le journal caricature15 un Américain (chapeau aux couleurs des États-Unis) et un Israélien (casque de soldat) qui tirent avec vigueur une corde attachée à un homme pour l’empêcher d’avancer. Ce dernier tend les bras à un Palestinien (keffieh autour du cou) comme pour essayer de l’aider. Nous sommes en novembre 1988, près d’un an après le début de l’Intifada et de violences contre les soldats israéliens afin de dénoncer l’occupation. Les Palestiniens ne perçoivent aucune solution concrète. Américains et Israéliens ne souhaitent pas que l’ONU prenne part aux affaires israéliennes. 34 L’ONU reproche aux Israéliens l’emploi de la violence militaire à l’encontre des populations civiles. Mais, indépendamment de la possibilité de s’opposer, critiquer ou condamner, l’ONU ne possède aucun moyen concret de faire appliquer ses décisions, notamment les résolutions 18116 de 1947 ou 242 17 de 1967. Les décisions concernant Israël et les Palestiniens votées par l’ONU n’ont jamais été appliquées par les Israéliens. Les Américains protégent les Israéliens. Israël, un pays jeune de quarante ans, est caricaturé sous les traits d’un jeune enfant espiègle, protégé par son grand papa américain.

La controverse des Palestiniens sur le nouvel ordre mondial des États-Unis

35 Palestine Times conteste énergiquement la politique de G. Bush après la guerre du Golfe en 1991 et le nouvel ordre mondial qu’il souhaite imposer, alors même que des Musulmans meurent en Bosnie et que les États-Unis doivent faire face à de sanglantes émeutes. Le magazine utilise le sang et les situations de violence pour transmettre ses réprobations et se focalise sur les événements en Bosnie-Herzégovine qui ravivent la colère des Palestiniens.

36 La Conférence de paix de Madrid, en octobre 1991, inaugure les discussions israélo- arabes. Les pourparlers bilatéraux entre Israéliens et Palestiniens qui en découlent se poursuivent à Washington dès le mois de janvier 1992 sans réelle avancée. Un mois plus tard, en février 1992, paraît un dessin18 où la statue de la Liberté brandit dans une main un chandelier à sept branches, une menorah19, en référence à l’appui des États-Unis à Israël, tandis qu’elle écrase de son autre main, de toute sa force, un homme qui pourrait être un Palestinien. La statue semble fière et forte comme les Américains après leur victoire sur l’Irak et leur assise au Proche-Orient. 37 Cependant, ce nouvel ordre mondial20 américain, sous l’apparence d’une mappemonde, fond en juin 1992 devant l’air médusé du Président américain qui songe à « Los Angeles » et à la « Bosnia ». Un mois plus tôt de sanglantes révoltes ont en effet secoué Los Angeles. Cinquante-cinq personnes sont mortes. La Garde nationale a dû intervenir. En Europe, les Serbes refusent l’indépendance de la Bosnie. Ils déclenchent la guerre en avril 1992, et tuent des milliers de musulmans. Pour le Palestine Times, les États-Unis ne sont pas un bon modèle pour les autres ; ils doivent aussi faire face à des troubles dans leur pays, et leur nouvel ordre mondial, mis en place en 1991, vacille. Le journal condamne la mort de milliers de musulmans en Bosnie.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 82

38 Une des critiques les plus virulentes provient d’une caricature du 4 août 199221 dans laquelle un homme de grande taille a revêtu un costume aux couleurs américaines (queue de pie, pantalon rayé et chapeau avec des rayures et une étoile). Le ventre gonflé d’orgueil, il regarde à la lunette d’un fusil mitrailleur en direction de l’Irak. Ses pieds se trouvent dans une grande flaque de sang. Le fusil est posé sur trois écrans de télévision où sont inscrits de haut en bas « Palestine », « Bosnia », « Herzegovia ». Le sang coule des trois écrans. En 1992, bien que la guerre du Golfe soit terminée, les États- Unis s’intéressent toujours autant à l’Irak, alors même que des tensions se font jour en Bosnie-Herzégovine où les Serbes tuent des musulmans. Le sang coule aussi en Palestine, toujours sous occupation israélienne. La Serbie et Israël, malgré les résolutions de l’ONU à leur encontre, poursuivent leur politique. À l’inverse, en quelques mois, une coalition contre l’Irak menée par les Américains voit le jour. Les avions sont lancés et l’Irak est contraint de se retirer du Koweït. Les Palestiniens ne comprennent pas cela. 39 Les Américains paraissent les seuls à jouir d’une influence aussi grande sur les événements dans le monde car ils peuvent exercer des pressions sur des pays lorsqu’ils le désirent. Ces deux dernières caricatures paraissent au moment des pourparlers israélo-palestiniens à Washington. Les discussions n’avancent guère : elles achoppent notamment sur le droit au retour des réfugiés palestiniens. Le rapprochement, au cours des années 1990-91, entre les États-Unis et la Syrie, mais aussi avec l’Égypte ne plaît guère aux Palestiniens qui se sentent oubliés. La colonisation israélienne se poursuit dans les territoires occupés et les concessions historiques faites fin 1988 n’ont abouti à aucune avancée concrète.

II. Les États-Unis et le processus de paix

L’intervention des États-Unis selon Le Monde

40 Vitrine de la vision française, ce journal prend le contre-pied de la politique des États- Unis. Ces derniers sont un médiateur dans les relations israélo-arabes grâce aux secrétaires d’État, G. Shultz et J. Baker entre 1988 et 1992, mais aussi aux pressions diplomatiques et financières.

41 Le plan Shultz de 1988 s’inspire du plan Reagan de 1982, en privilégiant l’option jordanienne dans le règlement du conflit israélo-palestinien. Il est cependant vite oublié, rejeté par les deux parties. L’image dans le journal français de M. Shultz, pourtant secrétaire d’État, n’est guère à son avantage. Pancho le représente comme un homme petit et trapu, avec de larges épaules, un visage assez grand mais surtout un nez épaté. D’après cette image quelque peu négative, on se demande si cet homme est réellement capable de faire avancer le processus de paix israélo-palestinien. Pourtant au cours de l’année 1988, M. Shultz, très actif, effectue des navettes régulières entre Jérusalem, Damas, Amman et Le Caire afin de convaincre toutes les parties d’accepter son plan de paix : la paix contre les territoires. À l’inverse, James Baker, nouveau secrétaire d’État aux Affaires Étrangères à partir de 1989, apparaît plus sérieux dans ses représentations. De taille normale, les traits de son visage ne sont pas disproportionnés. On le sent plus assuré que M. Shultz avec un caractère fort. Son image laisse deviner un homme sérieux, faisant parfois preuve de froideur. Avec ses cheveux gris, il donne l’impression de n’être plus très jeune.Il sourit très rarement dans

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 83

ses apparitions, laissant deviner un travailleur acharné. J. Baker n’est pas considéré, pas plus que George Bush, comme tenant d’un soutien inconditionnel d’Israël, d’où une certaine froideur parfois dans ses rencontres avec M. Shamir notamment. 42 M. Baker n’est un homme ni facile ni chaleureux. Décidé à tout mettre en œuvre pour favoriser la paix au Moyen-orient, il entame dès le mois d’avril 1991, après la fin de la guerre du Golfe une tournée au Proche-Orient. Le Monde lui accorde plus de crédibilité qu’à M. Shultz. Sa tournée au Moyen-Orient, dans les pays arabes, en Israël et dans les territoires occupés en 1991, est représentée avec plus d’énergie que celle de l’ancien secrétaire d’État. Il effectue notamment des navettes entre Palestiniens et Israéliens, pour régler les derniers détails de la conférence régionale de paix. James Baker joue deux rôles à la fois22 : celui du gentil qui permet d’ouvrir un dialogue entre plusieurs parties jusque-là ennemies, et celui du méchant lorsqu’un participant sort du rang. Il fait semblant de ne pas s’immiscer dans le conflit. Sans dévoiler de plan, il instaure un minimum de confiance entre les gens. Pour en arriver là, il a fait beaucoup de promesses à droite et à gauche. Durant l’année 1991, il est l’un des personnages que l’on voit le plus dans Le Monde. 43 Grâce à ses talents de diplomate, à ses promesses et à son sens du contact, M. Baker réussit l’impossible, réunir autour d’une même table, Syriens, Jordaniens, Palestiniens, Libanais, Égyptiens et Israéliens. On lui reproche de n’intervenir que dans les préparatifs sans participer aux négociations elles-mêmes. S’il parvient à réunir plusieurs parties, son rôle s’arrête là. 44 Par leurs pressions diplomatiques, les États-Unis ont obtenu que l’OLP reconnaisse enfin en décembre 1988, les résolutions 181, 242 et 338 du Conseil de sécurité de l’ONU. L’organisation palestinienne évolue grâce au soutien de sa base, des États arabes et de la communauté internationale, et reconnaît implicitement l’État d’Israël. Ce geste historique est un signe lancé aux États-Unis afin qu’ils acceptent un dialogue avec elle et l’admettent comme le seul représentant des Palestiniens. Au cours d’une conférence de presse, Yasser Arafat déclare aussi renoncer au terrorisme. Les Américains réclamaient ces mesures depuis longtemps avant d’étudier les revendications palestiniennes. 45 Toutefois, pour le quotidien français, le dialogue entre l’OLP et l’Amérique semble difficile, les deux partenaires ne se trouvant pas sur un pied d’égalité. Dans une caricature, Yasser Arafat23 est assis à la même table qu’un homme portant un chapeau aux couleurs américaines. Cependant, la forme de la table est telle que les deux hommes se tournent le dos. Pour les États-Unis, ce dialogue ne signifie nullement qu’ils soutiennent l’OLP, mais ils ont compris la nécessité de passer par cette organisation pour faire avancer le processus de paix et calmer les territoires occupés en pleine rébellion contre les Israéliens depuis le mois de décembre 1987 et l’Intifada. 46 L’arrivée de milliers de Juifs russes depuis 1989 et l’effondrement du bloc soviétique ont relancé la création des colonies dans les territoires occupés. En 1992, Israël a besoin du cautionnement des États-Unis pour un prêt de dix milliards de dollars, destiné à financer la création d’emplois et de logements pour les nouveaux arrivants. De leur côté, les États-Unis utilisent leur pouvoir financier en fonction des intérêts de leur politique. Ils exercent des pressions financières d’un côté et mènent une politique généreuse de dons de l’autre. En fonction des intérêts de leur politique intérieure, les États-Unis peuvent imposer des contraintes au gouvernement israélien en conditionnant par exemple la garantie d’un prêt à l’arrêt de la colonisation dans les

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 84

territoires occupés. Ce prêt est pourtant accordé plusieurs mois plus tard à M. Rabin afin de gagner l’électorat juif au moment où les sondages ne sont pas favorables à George Bush dans la course à la Maison Blanche. En mars 1992, une caricature illustre cet événement par une scène de la vie quotidienne24 en mars 1992 : un homme demande un prêt au guichet d’une banque. Le demandeur, M. Shamir, semble un peu replié sur lui-même, visiblement abattu, il a les épaules voûtées et. Il s’adresse à deux clients derrière lui : « Et vous, vous ne connaîtriez pas une banque qui pourrait me filer 10 milliards de dollars sans hypothèque ? ». Derrière le comptoir, M. Bush en guichetier, tête baissée ne dit rien. Au-dessus de lui, deux drapeaux américains entourent la pancarte « Prêts bancaires ». 47 Le Monde critique aussi la politique américaine de dons. Dès 1990, le caricaturiste Pancho ironise à propos de cette politique25 : les États-Unis ne savent même plus où investir leurs dollars. Un homme à l’allure élancée réfléchit devant quatre machines à sous. Son chapeau rappelle les couleurs du drapeau américain. Il se demande dans quelle machine mettre la pièce qu’il tient dans sa main. Chaque machine porte un nom différent : Amérique Centrale, Europe de l’Est, Israël, Égypte. Quatre régions où les Américains désirent maintenir leur influence et où leur aide reste précieuse. La politique américaine de refoulement du communisme consistait à passer des accords militaires ou financiers avec certains pays arabes comme l’Arabie Saoudite, l’Irak, la Turquie et l’Iran, mais aussi la Jordanie et l’Égypte. Même avec la chute du communisme, les Américains maintiennent ces accords. L’Égypte est le seul pays arabe ayant, en 1990, déjà signé un traité de paix séparé avec Israël. Le pays intervient régulièrement dans les négociations israélo-palestiniennes. Les accords de Camp David de 1978 ont isolé l’Égypte au sein du monde arabe. L’aide américaine reste donc nécessaire. La Jordanie bénéficie aussi des dollars américains. Mais, en mars 1991, les États-Unis suppriment leur aide économique à cause de sa neutralité dans le conflit avec l’Irak 26.

Les Israéliens gênés par certaines positions adoptées par les États- Unis

48 The Jerusalem Post émet des critiques envers les États-Unis dans leurs relations avec Israël. Si ceux-ci apportent un soutien inconditionnel au pays, ils dérogent parfois à ce principe, notamment au niveau de leurs contacts avec l’OLP, de leur position sur la colonisation des territoires occupés et des concessions qu’ils attendent du gouvernement israélien.

49 Avec l’ouverture du dialogue entre l’OLP et les États-Unis, en décembre 1988, une nouvelle ère débute. Pour la première fois les Américains reconnaissent la centrale palestinienne alors même que les Israéliens refusent tout contact avec elle. L’OLP évoque la peur, le terrorisme, le sang pour les Israéliens. The Jerusalem Post relaye 27 cette vision en caricaturant Yasser Arafat, au sommet d’un immense tank. Le chef de l’OLP jette son fusil (inscription « Terror » dessus). Les lettres US sont inscrites en grande taille sur le tank. L’OLP vient de rejeter le terrorisme et reconnaître implicitement Israël en acceptant les résolutions 181, 242 et 338 de l’ONU. Le journal israélien s’inquiète de ce rapprochement et de ses conséquences pour Israël. Sur le terrain, le dialogue engagé par les États-Unis avec l’OLP reste assez froid. Si l’administration Bush doit honorer la politique inaugurée par son prédécesseur M.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 85

Reagan, elle reste toutefois assez pragmatique sur les relations avec l’OLP et continue la coopération stratégique avec Israël. 50 Par ailleurs, G. Bush, hostile à la colonisation dans les territoires occupés, se heurte à la politique d’I. Shamir au cours des années 1990. La fin de la guerre froide induit de nouvelles alliances dans la région avec les pays arabes, et les États-Unis n’apportent plus leur soutien systématique aux Israéliens. Juste avant l’ouverture de la Conférence de paix de Madrid en octobre 1991, G. Bush apparaît28 ainsi donnant une petite claque amicale à I. Shamir tout en lui serrant la main. Deux inscriptions figurent sur ses manches : « Settlements no » et « Zionism yes ». Le Président américain, impressionnant par sa taille, doit se baisser pour être à la hauteur du Premier ministre israélien. Le journal dénonce la double politique des Américains : leur soutien à Israël et donc par conséquent au sionisme29, et leur refus de la colonisation, pourtant ligne directrice de l’idéologie sioniste. Cela dénote un peu. M. Shamir, de petite taille, semble, sur le dessin, prêt à vaciller devant M. Bush. 51 Quelques mois plus tard, en 1992, M. Bush exige l’arrêt de cette colonisation dans les territoires occupés. Les États-Unis ne reconnaissent pas la partie est de Jérusalem comme territoire israélien et, conformément aux résolutions de l’ONU, s’opposent aux implantations. M. Shamir, de son côté, refuse les conditions de M. Bush. C’est ainsi qu’Israël se voit refuser la garantie escomptée pour le prêt de plusieurs millions de dollars pourtant nécessaires pour la construction de milliers de logements pour les Juifs russes récemment arrivés. 52 L’aide américaine conduit à des concessions israéliennes dans le processus de paix. Les États-Unis apportent depuis 1948 leur soutien financier aux Israéliens. Dans les années 1990 le montant s’élève à un peu plus de trois millions de dollars par an30. Pourtant les États-Unis conditionnent certaines fois leur appui financier. Ainsi, en 1991, les relations entre les États-Unis et Israël se refroidissent. Dans une caricature du mois de septembre, George Bush tient un sac, sur lequel on peut lire « Aid », il sème des pièces31 entre une colombe, symbole de la paix, et une cage. On distingue le sigle dollar sur les pièces. Sur le dos de la colombe, une étoile de David est dessinée. Fatigué, l’animal baisse la tête et les ailes, une goutte de sueur tombe de son front. La cage aux oiseaux est vide. La mention « Mideast Peace » est inscrite sur la porte. Le géant aux dollars écrase le pauvre petit oiseau (Israël). M. Bush tente d’attirer la colombe (Israël) vers lui et la Conférence régionale de paix prévue fin octobre à Madrid (symbolisée par la cage aux oiseaux) avec de l’argent. Cette conférence est perçue comme une prison (une cage), car les Israéliens vont devoir faire des concessions aux Palestiniens et aux pays arabes. 53 The Jerusalem Post, dans ses caricatures, révèle la politique du principal allié israélien qui use parfois de son pouvoir financier pour obliger Israël à accepter des concessions politiques. Le gouvernement israélien ne suit pas toujours les recommandations ou exigences américaines qui sont trop contraignantes et le journal relaye cette position.

Les Palestiniens fustigent les États-Unis dans le processus de paix

54 Selon Al-Fajr, la politique très active que mènent les États-Unis au Moyen-Orient s’avère totalement inefficace, plus particulièrement dans les relations israélo-arabes. Les deux caricaturistes du journal32 stigmatisent aussi leur politique de dons et leur soumission à Israël.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 86

55 La tournée de George Shultz en 1988 doit relancer le processus de paix. Cependant cet envoyé spécial est tourné en ridicule par Suleiman Mansour, qui lui accorde peu de crédit dans son intention de parvenir à une paix réelle. Courant33 aux côtés de M. Shamir, avec une batte dans une main, M. Shultz semble prêt à frapper la gentille colombe de la paix qui paraît terrifiée à la vue des deux hommes. Dans une autre caricature, un enfant palestinien lui tend une paire de lunettes pour voir de près34. M. Shutz, les yeux fermés, a, semble-t-il, quelques problèmes pour déchiffrer le papier qu’il tient entre les mains sur lequel figure l’inscription : « Peace in the Middle East ». 56 Cette vision quelque peu négative s’explique par le fait que si les États-Unis s’impliquent dans la région, ils utilisent leur droit de veto dans la majorité des résolutions condamnant Israël à l’ONU. La situation économique et politique est désastreuse dans les territoires occupés depuis 1967 par les troupes israéliennes. Les territoires sont bouclés, soumis à un régime militaire et au couvre-feu, l’économie est paralysée. Au niveau politique, les maires de villes n’ont aucun pouvoir, et ne peuvent rien entreprendre sans l’aval des autorités. Les Américains sont au courant de cela, mais n’exercent aucune pression sur Israël. Avec le début de l’Intifada en décembre 1987, le monde ouvre les yeux sur la vie et l’histoire des Palestiniens. Le plan Shultz en 1988, puis le plan Baker en 1989-1990 se suivent sans succès. Les États-Unis ne s’investissent réellement dans le processus de paix qu’à partir de la guerre du Golfe en 1991. La Conférence de paix de Madrid d’octobre 1991 permet l’ouverture d’un dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Les pourparlers bilatéraux qui en découlent se déroulent à Washington sous les auspices américains durant l’année 1992 et 1993. Mais Israéliens et Palestiniens buttent sur certaines questions concernant Jérusalem, le retour des réfugiés palestiniens et l’autonomie des Palestiniens. Les États-Unis, jusque- là très impliqués, restent de simples observateurs. 57 Al-Fajr dénonce aussi l’emprise des dollars américains sur les pays arabes et notamment sur la Jordanie. Le pays souffre de la présence de près de deux millions de Palestiniens sur son territoire, conséquence des guerres de 1948 et 1967. Cela a posé des problèmes d’intégration et d’équilibre avec le reste de la population. En septembre 1970, les forces jordaniennes s’opposent même aux organisations palestiniennes, qui constituent un État dans l’État. Aujourd’hui la moitié de la population est palestinienne. Leurs rapports ont toujours été problématiques aussi Al-Fajr n’hésite-t-il pas à vilipender la monarchie jordanienne sur l’aide américaine qu’il reçoit. Dans une caricature de 1988, un homme marche35 sur une route parsemée de dollars. Son visage respire l’avidité. Le panneau indique la direction d’Amman. 58 Le roi Hussein, avec sa double culture arabe et anglo-saxonne, a orienté très tôt la Jordanie vers l’Occident. Le pays a d’abord bénéficié de la protection britannique, puis de celle des Américains à partir des années cinquante afin d’empêcher l’installation d’un pays hostile à Israël sur la rive est du Jourdain. Néanmoins, malgré son indépendance, le pays dépend encore trop des États-Unis du point de vue financier et militaire, à hauteur de plusieurs millions de dollars par an. 59 Pour Al-Fajr, les pays arabes, notamment la Jordanie, ne s’orientent pas dans la bonne direction. Dans un dessin36 de Naji Al Ali, paru en 198837, trois hommes symbolisant les pays arabes se dirigent à gauche de la caricature, vers des flèches qui indiquent la direction des États-Unis. Un enfant essaye tant bien que mal de les retenir et de les diriger dans l’autre sens, vers la Palestine indiquée sur le panneau et par le drapeau palestinien.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 87

60 Les pays arabes, Égypte, Syrie, Jordanie principalement, bien trop occupés par leurs intérêts, ont toujours privilégié une solution qui ne prévoyait pas d’indépendance réelle pour les Palestiniens, mais plutôt une tutelle afin de s’approprier, selon le dessinateur, leurs territoires. Officiellement ils suivent sans cesse la politique américaine au nom de la paix, officieusement c’est plutôt pour l’apport des dollars. Les pays arabes ne parviennent pas à déterminer les intérêts réels de la nation arabe. 61 Les Palestiniens fustigent le pouvoir des États-Unis et les accusent aussi d’être soumis à Israël. Dans Al-Fajr, les Présidents américains, MM. Reagan et Bush, sont dessinés comme des hommes un peu stupides, ne comprenant rien aux Palestiniens. M. Reagan joue ainsi de la grosse basse dans un orchestre sous les ordres de M. Shamir38 ; un mois plus tard, le Président américain fait des bulles avec un jouet39. M. Bush, lui, réfléchit puis s’interroge un peu naïvement sur la question palestinienne. Plutôt joyeux, les deux hommes semblent en dehors de la réalité. Tous deux paraissent aux ordres des Israéliens, se conformant totalement à leurs désirs. 62 Les mises en scène concernant les relations israélo-américaines sont très orientées vers un leadership israélien imposant ses idées et sa politique aux États-Unis. M. Shamir 40 caresse un chien de grande taille en souriant. L’animal, avec un chapeau aux couleurs du drapeau américain, donne l’impression d’être féroce. La bête soumise aux ordres du Premier ministre israélien est prête à mordre quiconque s’approche. Sa chaussure arbore l’inscription « International Opinion », comme si les Israéliens marchaient et se moquaient de ce que pense la communauté internationale. Ce dessin du 21 février 1988 a d’abord été publié le 18 février dans Al-Quds dans le contexte des violences qui ont commencé en décembre 1987 et marqué le début de l’Intifada. 63 Quelques mois plus tard, en septembre 1988 dans une caricature de Suleiman Mansour, MM. Dukakis et Bush se trouvent au pied d’une immense tour où il est écrit « Israël ». Tous deux implorent l’homme assis en haut de la tour, comme s’ils étaient à ses pieds41. 64 De simples manifestations, la colère se transforme en rébellion contre l’occupation israélienne. Près de 30 000 soldats israéliens assurent le maintien de l’ordre dans les territoires occupés. La répression des soldats est visible sur toutes les télévisions du monde. Pourtant les États-Unis ne réagissent pas et ne prennent pas part aux condamnations internationales ni au vote des résolutions les plus importantes à l’ONU. C’est ce que réprouve le journal palestinien, l’inaction et l’inefficacité de la grande puissance américaine. 65 Les résultats de la politique américaines dans le processus de paix :

66 La persistance de James Baker et la volonté de G. Bush à régler le conflit israélo-arabe rapidement après la fin de la guerre du Golfe aboutissent à la Conférence de paix de Madrid fin octobre 1991. Pour y parvenir et afin que M. Shamir, Premier ministre israélien et farouche opposant à toute négociation à laquelle prendrait part l’ONU, coopère, l’administration Bush lui donne des garanties. Ainsi, la Conférence prend comme base de négociation le plan Shamir de mai 1989 sur une autonomie des Palestiniens ; les États-Unis poursuivent leur coopération stratégique avec Israël ; ils réduisent le dialogue avec l’OLP au strict nécessaire et ferment l’immigration aux Juifs russes pour les orienter vers Israël. À Madrid, s’amorce un dialogue entre Israéliens et pays arabes. Les Palestiniens de l’OLP, de l’extérieur et de Jérusalem, ne sont pas admis à la table des négociations. Ceux qui répondent aux critères doivent s’intégrer dans une

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 88

délégation commune avec la Jordanie. L’administration Bush a réussi à imposer les exigences israéliennes comme point de départ des discussions. 67 Après la conférence, les négociations bilatérales entre Israéliens et Palestiniens se déroulent à Washington. Les États-Unis comptent sur la création d’une dynamique qui amènerait les Israéliens à accepter des concessions. Pourtant les séances de pourparlers n’avancent guère. Al-Fajr dénonce l’immobilisme des États-Unis qui, après Madrid, adoptent une politique moins ferme envers les Israéliens. Depuis les concessions de décembre 1988, lorsque l’OLP appelle à la coexistence des deux États, la situation a bien changé. Affaiblis par leur rapprochement avec l’Irak durant la guerre du Golfe et leur isolement sur le plan international, les Palestiniens ne sont pas en position d’exiger un État.

Conclusion

68 L’intérêt de ces différents journaux résident dans leurs caricatures qui secondent leur ligne éditoriale. Des États-Unis fiers, forts de leurs atouts, militairement puissants, financièrement dominants, et en suprématie à l’ONU, sont autant de thèmes communs abordés par la presse française, israélienne et palestinienne. Cependant ils le sont de façon radicalement différente. L’image des États-Unis ressort bien entachée, à l’opposé de celle qui se présente comme juste et droite, sauvant les plus faibles.

69 Le Monde, regard étranger de la région, expose la vision française. La particularité du journal est de s’attacher à la défense des « grands idéaux humanitaires », et de « pencher toujours du côté de la liberté et de la justice42». Quinze pour cent du tirage est diffusé à l’étranger, principalement en Europe, Afrique du Nord, Afrique Noire, Amérique du Nord et Moyen-Orient. 70 Ce quotidien reste assez courtois dans sa vision, contrairement à ses illustrations des Israéliens et leur politique dans les territoires occupés. L’Europe, mais surtout la France, n’est présente qu’épisodiquement dans les caricatures touchant le conflit israélo-palestinien. L’image des Etats-Unis, certes attaquée, demeure pour le moins positive, elle transmet plutôt le rire. Plantu et Pancho, les deux caricaturistes du journal, restent dans le comique de situation, leurs dessins n’amènent pas la peur, les références au sang n’existent pas ou très peu. 71 Le Monde critique l’omniprésence et le pouvoir quasi dictatorial des États-Unis à travers deux caricaturistes, qui bénéficient d’une importante liberté dans leurs dessins. 72 Les critiques du Jerusalem Post envers les États-Unis dépassent de loin celles des journaux étrangers. Meir Ronnen, le principal dessinateur du journal, bénéficie d’une liberté totale qu’il exerce essentiellement pour traiter de la politique, laissant de côté les victimes du terrorisme. 73 The Jerusalem Post n’hésite pas à dénigrer avec virulence le gouvernement, les hommes politiques israéliens, ainsi que la politique intérieure et extérieure. Le journal se permet des critiques plus dures envers les Américains, certainement à cause des relations privilégiées israélo-américaines. The Jerusalem Post défend la politique américaine et reste un allié de taille pour les États-Unis, non sans lui adresser quelques remarques acerbes. Édité en anglais, le journal trouve sa place aux États-Unis où vivent des millions de Juifs. Soixante-dix pour cent des tirages du journal sont achetés là-bas. La place des relations avec eux est donc prépondérante. Financièrement et

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 89

militairement, les Américains ont une bonne assise dans la région depuis des années. Ils s’intéressent au Moyen-Orient pour des raisons stratégiques et politiques (Israël, au cœur du monde arabe, sert de base), et économiques avec le pétrole (symbolisé par un bidon d’essence dans une des caricatures). Le pétrole représente une arme politique aux mains des pays producteurs qui possèdent cinquante pour cent des ressources mondiales. Sans l’aide financière, militaire et politique (soutien pratiquement inconditionnel notamment à l’ONU), Israël connaîtrait de graves problèmes. 74 The Jerusalem Post met en lumière la double politique américaine envers les Israéliens. Le journal traite peu des relations entre les pays arabes et les États-Unis. 75 Les journaux palestiniens évoquent une image peu flatteuse des États-Unis. À l’inverse des quotidiens français et israéliens, Al-Fajr et Palestine Times nous dépeignent des Américains empreints de fierté qui arborent leur puissance au service d’Israël et de leurs intérêts. Inondant les pays arabes de dollars, les États-Unis poursuivent leur politique hégémonique. Ils interviennent dans les relations israélo-palestiniennes en raison d’intérêts stratégiques et économiques. Les pays arabes représentent des marchés potentiels. Les caricatures avec des situations comiques disparaissent, laissant place à la tristesse et au sang. 76 Al-Fajr est publié dans les territoires occupés par Israël, à Jérusalem-est. L’intérêt journalistique de ce quotidien réside dans l’écho qu’il donne, aux étrangers et aux Israéliens, de l’opinion palestinienne. Le journal doit faire face au contrôle militaire qui censure régulièrement des articles. Il est publié essentiellement en Israël, en Europe et aux États-Unis. 77 La majorité des articles et des illustrations aborde l’occupation israélienne et ses conséquences : la présence de soldats, les blessés, le bouclage des territoires, la démolition de maisons, l’expulsion de Palestiniens. Il publie principalement les caricatures de Suleiman Mansour43, résident des territoires occupés et de Naji Al Ali44, exilé en Angleterre, jusqu’à sa mort en 1987. 78 Pour Al-Fajr, les Israéliens manipulent les États-Unis. Grâce à leurs dollars, les Américains achètent les pays arabes et leur silence dans la question israélo- palestinienne. Ce quotidien nous montre une Amérique imbue d’elle-même. 79 Le second journal palestinien, Palestine Times met en lumière les conséquences de la politique américaine : du sang et des larmes. 80 La position du Palestine Times45 est intéressante pour compléter la vision des Palestiniens, car c’est un magazine publié en dehors des territoires occupés. Proche du Hamas, hostile au processus de paix avec Israël, il donne aussi une image très négative des États-Unis. Le sang, la puissance au détriment des petits (Palestiniens notamment), la fierté des Américains, sont autant d’éléments qui ressortent des caricatures en général, et notamment de celles que nous avons choisies de traiter. Palestine Times n’émet aucune critique envers les pays arabes. 81 Les États-Unis, avec une bonne campagne d’opinion, ont réussi à mobiliser une coalition contre l’Irak en 1991. Ce pays est diabolisé, alors même que ce sont les États- Unis qui l’ont armé. Le problème du Koweït devient une question de droit, alors que les Palestiniens attendent depuis plus de quarante ans un règlement dans le conflit avec Israël. À la fin du mandat de G. Bush en 1992, et malgré les pourparlers de paix, leur situation politique et leurs conditions de vie n’ont que peu ou pas progressé.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 90

NOTES

1. Dans le cadre d’une « bourse mois-chercheur » accordée par le Centre de recherche français de Jérusalem en août 2005. 2. Voir A. Finkeldei, Histoire et idéologie du journal Le Monde, Ed. Verlag Shaker, p. 1. 3. Quotidien palestinien publié en arabe à Jérusalem. 4. Toutefois, pour des raisons de droit de reproduction, nous ne pouvons éditer les caricatures. 5. La doctrine du Président Monroe date de 1823. Elle demeure longtemps le fil conducteur de la politique extérieure américaine : pas d’intervention armée d’une puissance européenne en Amérique ; et donc pas d’intervention américaine dans les affaires européennes. 6. Hormis l’intervention dans la première guerre mondiale en 1917. Le président Wilson rompt alors avec la politique traditionnelle. Mais les républicains revenus au pouvoir en 1921 ramènent le pays dans l’isolationnisme. 7. Le Monde, 29 août 1990, p. 4, Plantu. 8. « Pour la plupart des observateurs, l’intensité des échanges entre Israël et les États-Unis, l’étendue et l’intimité de leur coopération, l’appui de Washington à Tel-Aviv sous de multiples formes (économique, militaire, politico-diplomatique) manifestent l’existence de liens spécifiques, solides et peut-être inébranlables ». C. Mansour, Israël et les États-Unis ou les fondements d’une doctrine stratégique, Paris, Armand Colin, 1995. 9. Le Monde, 20-21 janvier 1991, p. 1, Plantu. 10. The Jerusalem Post, 19 janvier 1991, p. 9. 11. Le « conseil de sécurité » de l’ONU prend des « résolutions ». Mais les membres permanents de ce conseil, France, URSS puis Russie en 1991, Chine, États-Unis et Royaume-Uni, disposent d’un droit de veto, qui bloque souvent le fonctionnement. 12. 1988 : 18 janvier, 1er février, 15 avril, 10 mai, 14 décembre. 1989 : 17 février, 9 juin, 7 novembre. 1990 : 31 mai. 13. Le Monde, 14-15 octobre 1990, p. 5, Pancho. 14. The Jerusalem Post, 30 mars 1991, p. 5, M. Ronnen. 15. Al-Fajr, 28 novembre 1988, p. 1, S. Mansour. 16. Sur le partage de la Palestine en deux États. 17. Sur le retrait des territoires occupés par Israël : Bande de Gaza, Cisjordanie et Golan. 18. Palestine Times, 6 février 1992, p. 4. 19. L’un des principaux objets de culte dans le Temple du roi Salomon à Jérusalem, elle est devenue le symbole de l’héritage culturel juif. 20. Palestine Times, juin 1992, p. 4. 21. Palestine Times, août 1992, p. 4. 22. Y. Mens, « Les États-Unis et le Moyen-Orient », La documentation française, n°spécial 1992, n°680. 23. Le Monde, 15 décembre 1988, p. 1, Plantu. 24. Le Monde, 18 mars 1992, p. 1, Plantu. 25. Le Monde, 1-2 avril 1990, p. 5, Pancho. 26. Les États-Unis ont rétabli leur aide économique de 35 millions de dollars le 2 août 1991, puis leur aide militaire de 22 millions de dollars. Voir P. Fenaux, « Moyen-Orient : les dossiers de la paix », Les Dossiers du GRIP, n°175-176, novembre-décembre 1992, p. 57. 27. The Jerusalem Post, 24 décembre 1988, p. 5, M. Ronnen. 28. The Jerusalem Post, 25 septembre 1991, p. 24, M. Ronnen. 29. Cette doctrine vise à la restauration d’un État juif indépendant en Palestine. 30. Voir C. Mansour, op. cit. supra (note 8), p. 163.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 91

31. The Jerusalem Post, 21 septembre 1991, p. 3. 32. S. Mansour et N. Al-Ali. 33. Al-Fajr, 10 avril 1988, p. 3, S. Mansour. 34. Al-Fajr, 13 mars 1988, p. 12, caricature extraite de Al-Quds. 35. Al-Fajr, 10 octobre 1988, p. 5. 36. Al-Fajr, 4 septembre 1988, p. 11, N. Al-Ali. 37. N. Al-Ali, a été assassiné à Londres en juillet 1987. Al-Fajr comme d’autres journaux se sert pourtant régulièrement de ses caricatures pour illustrer des articles. 38. Al-Fajr, 14 février 1988, p. 12, caricature publiée dans Al-Quds. 39. Al-Fajr, 13 mars 1988, p. 9. 40. Al-Fajr, 21 février 1988, p. 12. 41. Al-Fajr, 11 septembre 1988, p. 6, S. Mansour. 42. Voir A. Finkeldei, op. cit. supra (note 2), p. 233. 43. Son travail évoque la lutte et la souffrance des Palestiniens face à l’oppression. Ses dessins décrivent le quotidien des Palestiniens. 44. Ses dessins évoquent la voix du peuple palestinien, contre les sionistes, les impérialistes et les pays arabes qui profitent de son malheur et se rangent du côté américain. Ils sont à la fois simples et touchants. 45. Première publication en 1991.

AUTEUR

EMMANUELLE MESON

EmmanuelleMeson a commencé par travailler sur les relations israélo-palestiniennes à travers les articles de journaux français et israélien, avant de s’orienter vers l’étude des caricatures politiques pour sa thèse de doctorat, qu’elle prépare sous la direction du professeur Carol Iancu (Université Paul Valéry, Montpellier). Elle étudie les relations israélo-palestiniennes à travers les caricatures politiques de la presse française, israélienne et palestinienne. [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 92

L’introuvable déségrégation ethnique des villages communautaires juifs de Galilée

Pierre Renno

1 En 1978, alors que les politiques d’implantation israéliennes se focalisaient sur les territoires occupés, l’Agence Juive réussissait à faire admettre la nécessité d’une relance de l’implantation juive en Galilée (un territoire sous souveraineté israélienne depuis la création de l’État). Cette politique d’implantation, élaborée sous le premier gouvernement Likoud, sera présentée au public sous le label de « judaïsation de la Galilée ». Sur le terrain, elle prendra la forme d’une cinquantaine de petites communautés (mitzpim), disséminées sur les collines galiléennes. Contrairement à leurs cousines des territoires occupés, ces communautés allaient attirer une classe moyenne urbaine, laïque et ashkénaze, peu sensible aux rhétoriques ethniques alors développées par le gouvernement et l’Agence Juive. Les mitzpim, créés pour judaïser la Galilée, furent donc utilisés par cette classe moyenne à la recherche d’un nouveau type de banlieues vertes. Pour répondre à leur désir de séparatisme social, ces populations mirent en place des procédures de sélection des nouveaux arrivants, inspirées par celles en vigueur dans les implantations rurales et collectivistes (mochavim et kibboutzim). Cependant, alors que, dans ces implantations historiques, ces procédures étaient destinées à vérifier la compatibilité idéologique du candidat, les mitzpim l’utilisèrent pour se mettre à l’écart d’éléments socialement inférieurs.

2 Les mitzpim furent principalement implantés en Galilée centrale, dans des zones qui étaient jusqu’alors peuplées quasi exclusivement d’Arabes israéliens (un des objectifs du programme était de briser toute continuité territoriale arabe dans la région). Cette proximité spatiale n’empêcha cependant pas le maintien d’une stricte séparation : sur les collines surplombant les villes arabes israéliennes, les mitzpim juifs demeuraient strictement ségrégués. À la fin des années 1990, les procédures de sélection des nouveaux entrants en vigueur dans les villages communautaires furent contestées en justice par un Arabe israélien, que le village communautaire de Katzir avait refusé d’intégrer. Dans l’arrêt qui s’en suivit (Qaadan vs Katzir) la Cour Suprême a estimé que

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 93

l’État ne pouvait, même par l’intermédiaire d’organisations nationales semi-étatiques comme l’Agence Juive ou le Fonds National Juif, discriminer entre citoyens juifs et arabes dans l’attribution de terrains. Le principe de sélection des nouveaux résidents ne fut cependant pas, quant à lui, fondamentalement remis en cause. À la suite de cet arrêt, le droit de refuser des candidats ne fut que transféré des villages au Conseil régional (Moatsa Eizorit). Dans la nouvelle procédure, les villages communautaires conservent le droit de mettre en place une Vaadat Klita (comité d’intégration) chargé de rencontrer et d’interviewer les candidats, mais c’est le Conseil régional qui envoie ces candidats réaliser des tests psychologiques dans un centre agréé et qui prend, en dernière instance, la décision d’accepter ou non une famille. 3 De fait, aucun Arabe n’a, jusqu’à aujourd’hui, réussi à être accepté dans un yichouv kehilati au terme de cette procédure. Les Arabes israéliens qui se rendent dans les yichouvim pour exprimer leur souhait d’y construire une maison font systématiquement face à une Vaadat klita hostile. En règle générale, les comités d’intégration des villages tentent de les convaincre, leur expliquant qu’ils font un mauvais choix, qu’il leur sera impossible de s’intégrer à la vie du village. Cette argumentation peut mettre en avant soit une différence culturelle indépassable (vous nous ressemblez socialement, mais vous restez différent, vous n’arriverez pas à vous intégrer), soit l’intolérance du village (notre village n’est pas suffisamment tolérant pour vous accepter, vous rencontrerez des difficultés avec certains voisins). Cependant, parfois, les villages ne prennent pas la peine d’essayer de les convaincre et se contentent d’affirmer qu’ils n’acceptent pas les Arabes. La prise de contact avec le yichouv n’étant qu’une étape informelle (la sélection des nouveaux entrants se faisant, depuis l’arrêt Qaadan au niveau du Conseil régional), elle ne peut donner lieu à poursuites, permettant du coup ce type de réponse pour le moins abrupt. En règle générale, les candidats arabes à l’intégration ne vont pas au-delà de ce premier affront. Comprenant qu’ils ne sont pas les bienvenus, ils jettent l’éponge. Seule une minorité de familles (en général, celles dont la candidature a également une signification politique) passent outre cette réception peu encourageante et poursuivent devant la Moatsa. Là, ils sont (comme tous les autres candidats) envoyés dans un centre spécialisé pour passer un test psychosocial destiné à évaluer leur capacité d’adaptation à la vie communautaire et la solidité de leur couple (la jurisprudence de la Cour Suprême autorise en effet encore les yichouvim kehilatim à se prémunir contre les couples instables ou qui présentent une incompatibilité avec la vie communautaire). Durant une journée, ils sont soumis à un test graphologique, un entretien avec un psychologue, et à différents exercices de groupe. Le centre envoie alors les résultats au Conseil régional, qui, au vu des résultats du test, prend souverainement sa décision. Les rares familles arabes qui, ayant passé outre l’hostilité des villages, atteignent cette étape, sont alors systématiquement écartées. 4 Pour comprendre cette absence de déségrégation des villages communautaires galiléens, cet article étudiera tout d’abord les acteurs sociaux susceptibles d’enclencher cette déségrégation, à savoir ces familles arabes qui, malgré les oppositions qui se font jour au sein de leur propre groupe ethnique, cherchent à intégrer un village communautaire juif. À l’analyse, il semble que ces « pionniers arabes », qui, en termes de capital économique et culturel, se révèlent très proches des habitants juifs des villages communautaires, surestiment l’ouverture d’esprit des populations qu’ils se proposent de rejoindre. Sur-interprétant un certain nombre de signaux, ils anticipent une déségrégation ethnique, une fusion des classes moyennes supérieures, à laquelle la

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 94

majorité des habitants des villages communautaires juifs continuent pourtant de s’opposer. 5 C’est à ce refus, à ce dernier obstacle à la déségrégation ethnique des villages communautaires galiléens, que sera consacrée la seconde partie. Au lieu de présenter les habitants des villages communautaires galiléens comme de zélés gardiens du système ethnocratique que théorise Yiftachel, cet article cherchera à mettre en évidence les considérations locales et économiques qui amènent ces populations à s’opposer à l’intégration de familles arabes.

La Galilée centrale

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 95

Les Mitzpim du Conseil régional de Misgav et les villages arabes limitrophes (2007)

I. Les « pionniers arabes » : ces Arabes israéliens qui veulent s’installer dans les villages communautaires galiléens 6 Comme le note Schelling dans « la tyrannie des petites décisions », les systèmes dans lesquels prévalent une ségrégation complète ont une très forte inertie : « Les gens qui doivent choisir entre des situations extrêmes de polarisation renforcent bien souvent cette polarisation. Cette attitude ne prouve pas qu'ils préfèrent la ségrégation, mais que, si la ségrégation existe et qu'il leur faut choisir entre deux associations exclusives, ils préfèrent un environnement où ils se retrouveront avec les membres de leur propre groupe. » Les systèmes ségrégués en équilibre stable sont souvent imputés à (et parfois aussi légitimées par) une volonté d’entre soi. Ainsi, dernièrement, aux États-Unis, certains chercheurs ont imputé la persistance de la ségrégation entre Noirs et Blancs aux préférences résidentielles des Afro-Américains1. Pourtant, comme le montre Maria Krysan dans The Residential Preference of Blacks : Do They Explain Persistent Segregation ?, ce n’est pas tant la « volonté d’entre soi » qui explique la réticence des Noirs à aller vivre dans des quartiers exclusivement blancs, que la crainte d’avoir à faire face à l’antipathie de quartiers entièrement peuplés par des Blancs. Dans un système où une ségrégation complète prévaut au départ, fort peu d’individus2 se révèlent prêts à jouer les éclaireurs – les pioneers, selon le terme employé outre-atlantique – et à être les premiers à franchir la barrière ethnique. 7 La Galilée n’est pas une région entièrement ségréguée, plusieurs espaces urbains sont mixtes ou en passe de le devenir : Haïfa, où une minorité arabe, restée sur place en 1948, perdure aujourd’hui, Nazareth Illit, qui a connu, depuis les années 1970, une immigration arabe-israélienne continue3 et dans une moindre mesure Karmiel où un certain nombre de familles arabes se sont installées depuis une dizaine d’années. Cependant, à ces phénomènes non généralisés de déségrégations urbaines s’oppose une très forte ségrégation au niveau des petites villes et villages. Ainsi, les anciennes

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 96

implantations collectivistes (kibboutz, mochav) ou les plus récents villages communautaires (pour la plupart d’anciens mitzpim) ne comptent aucun Arabe israélien. De même les « villages arabes » (dont une bonne partie pourrait dès aujourd’hui ou devront à l’avenir être qualifiés de villes, au vue de leur croissance démographique) ne comptent aucun Juif (si on excepte quelques couples mixtes et autres individus anecdotiques4). 8 Étant données ces conditions initiales, l’idée qu’un Arabe puisse chercher à s’installer dans un village juif est accueillie avec circonspection, tant du côté juif, que du côté arabe. Perceptions des « pionniers arabes » dans les villages arabes 9 Dans la société arabe israélienne, quitter son village d’origine est tout sauf anodin. Traditionnellement, les descendants mâles d’une famille sont censés s’installer à proximité de leurs parents (souvent, dans un étage qu’on construit au-dessus de la maison). Cette pratique a été en partie remise en cause dans les dernières décennies : avec le déclin du secteur agricole et l’intégration progressive des Palestiniens d’Israël au marché du travail israélien, les migrations internes ont gagné en intensité et bon nombre de Palestiniens originaires des villages de Galilée ont été amenés à s’installer dans des villes mixtes (Haïfa, Nazareth-Illit) ou en passe de le devenir (Karmiel, Tybériade). Cependant, la population arabe-israélienne demeure fort peu mobile et la norme sociale continue d’exiger l’installation du fils à proximité de son père. 10 Dans le cas de l’exode vers les villages communautaires israéliens, la pression sociale est encore plus forte. En effet, les réticences familiales se doublent alors d’arguments politiques et sociaux. 11 Tout d’abord, la construction des mitzpim galiléens s’est faite au détriment des possessions territoriales arabes. Certains mitzpim ont ainsi été construits sur des terres en conflit, par exemple des terres que l’autorité foncière israélienne considère comme propriété de l’État, mais que revendiquent également des propriétaires arabes israéliens – terres réquisitionnées, propriétés des réfugiés de 1948 (les « absents »), ou des réfugiés de l’intérieur (les « absents présents »). 12 Par ailleurs, les limites administratives du Conseil régional créé en 1982 pour les mitzpim incluent un grand nombre de terrains privés appartenant aux Arabes israéliens et dont le Conseil régional de Misgav fixe le statut. Cette collectivité locale juive travaille ainsi à limiter l’extension des villages arabes israéliens qu’elle borde en décrétant ces terrains non constructibles. 13 Dès lors, les groupes politiques arabes israéliens les plus radicaux (au premier rang desquels le Mouvement islamique) n’hésitent pas à remettre en cause la légitimité de ces villages. Ils s’opposent alors à ce que des Palestiniens d’Israël légitiment ces implantations en allant s’y installer5. 14 D’autres voix, dans le secteur arabe, s’opposent à la déségrégation des villages communautaires par peur de voir les villages arabes perdre leurs meilleurs éléments. Ils critiquent une stratégie fondée, selon la catégorisation d’Hirschman, sur l’exit. Selon eux, ces départs nuisent à la lutte des Arabes israéliens pour l’amélioration de leur condition de vie. Ils écarteraient en effet de la lutte un certain nombre de familles qui, au lieu d’œuvrer à l’amélioration de l’infrastructure des villages arabes, iraient profiter de la qualité de vie dont bénéficient les villages juifs de la région.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 97

15 Malgré cette pression sociale, le « pionniérisme » arabe tend à se répandre (nos recherches nous ont permis de recenser, depuis 2003 et dans la seule région de Misgav, onze candidatures arabes). Pour expliquer cette évolution, il convient de se pencher sur l’ambivalence des habitants juifs des villages communautaires à l’égard de leurs voisins arabes. Une mauvaise interprétation de l’attitude des habitants juifs des villages communautaires 16 La majorité des candidats arabes que nous avons pu recenser, une fois leur demande rejetée par les villages, n’ont pas fait parvenir leur candidature au Conseil régional ; ils n’ont pas cherché à créer un contentieux judiciaire et se sont tournés vers d’autres options (en général, celles offertes par les villes mixtes de la région). On peut par conséquent estimer que leur démarche n’était pas de l’activisme politique ou judiciaire, mais qu’ils entretenaient l’espoir de voir leur candidature aboutir. Dès lors, il est possible d’appréhender ces candidatures comme des erreurs d’appréciation, fruits de calcul et d’anticipation erronés. Pour comprendre ce qui a pu amener ces Arabes israéliens à tenter leur chance, il convient de revenir sur la posture politique des populations juives des villages communautaires galiléens. Ces bastions de la classe moyenne israélienne se révèlent en effet, à l’analyse, des bastions de la gauche sioniste. Il est courant d’y voir le Meretz, le parti sioniste le plus à gauche, y arriver en tête, ou en deuxième position derrière le parti travailliste. Partisans de la paix, ces populations juives des villages communautaires mettent volontiers en avant les relations de bon voisinage qu’elles entretiennent avec les villages arabes environnants. Même après les émeutes d’octobre 2000, la majorité des habitants juifs de ces villages se revendiquent partisans de la coexistence. 17 Certaines de leurs initiatives contribuent également à envoyer des signaux positifs aux populations arabes de la région. Ainsi, en 1998, a été créée à Misgav une école bilingue (hébreu-arabe)6 qui accueille, tous les ans, autant d’enfants juifs que d’enfants arabes. Financée en partie par le Conseil régional de Misgav et les conseils municipaux de Sakhnin et Shaab (deux villages arabes des environs), cette école constitue un autre signal d’ouverture du Conseil régional pour les Arabes israéliens de la région. Les candidats arabes à l’intégration dans les yichouvim kehilatim mettent d’ailleurs volontiers en avant que l’éducation ne posera pas de problème, puisque Misgav propose une école qui répond à leurs attentes. 18 L’action d’un groupe d’activistes politiques originaires de la région, Kol Aher baGalil, a également pu contribuer à améliorer l’image des villages communautaires juifs dans la population arabe. Cette organisation binationale, créée au lendemain des émeutes d’octobre 2000 par des habitants juifs des villages communautaires de Misgav, appelle en effet explicitement à la déségrégation des villages juifs galiléens. En juin 2005, cette association, avec l’aide du Keren haHadasha leIsrael, a même ouvert à Sakhnin un centre, The Housing Rights Equality Assistance Center, se proposant de conseiller et de soutenir les familles arabes désirant s’installer dans les villages communautaires de la région de Misgav. Si son objectif avoué est de voir émerger des villages mixtes où Juifs et Arabes apprendraient à vivre ensemble, cette association a également un agenda plus juridique : à plus long terme, le succès de son action passe en effet par une jurisprudence susceptible de dissuader les pratiques ségrégatives des yichouvim. Le centre tente de gérer au mieux cette ambivalence. Il se refuse à « monter » des dossiers artificiels, à la manière des pratiques de testing. Cependant, il tente également de se

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 98

tenir à l’écart des candidats qui, trop dénués de conscience politique, baisseront les bras au premier refus. Le salarié de l’association m’expliquait ainsi : Même si nous avons essayé d’être aussi clairs que possible dans les annonces que nous avons passées dans les journaux arabes, certaines personnes qui appelaient pensaient que c’était moi qui vendait les maisons. D’autres étaient intéressés, mais avaient besoin d’une maison à court terme. Il a fallu leur expliquer que tout ce que nous avions à proposer, c’était de rejoindre un combat… 19 Cette prise de position sur la déségrégation a fait des militants de Kol Aher les « moutons noirs » des villages communautaires. Ils ont eu à faire face à l’hostilité ouverte de leurs voisinages : courriels d’insulte, lettres anonymes, pétitions réclamant leur expulsion… Bien qu’archi-minoritaire, la position de cette association a cependant également contribué à envoyer des signaux positifs aux Arabes israéliens quant à la réception qu’ils pouvaient escompter dans les villages communautaires.

20 L’argument ici défendu est donc que les habitants des villages communautaires galiléens ont, consciemment ou non, envoyé à la population arabe israélienne des environs un certain nombre de signaux qui ont pu inciter cette dernière à penser que ces implantations juives ne seraient pas, a priori, opposées à accueillir des familles arabes. Les habitants juifs des villages communautaires galiléens ont ainsi levé ce que Krysan et Farley présentent comme le principal obstacle au « pionniérisme » noir, à savoir la crainte de l’hostilité des Blancs7. Confrontés à cette population juive qui ne cesse de faire étalage de son libéralisme et de son ouverture d’esprit, certains habitants des villages arabes israéliens en viennent à penser qu’ils ont une chance d’être acceptés. 21 Cette ambivalence des habitants juifs des villages communautaires galiléens est certainement un des éléments clé pour expliquer l’existence de candidats arabes à l’intégration dans les villages communautaires. Profil social des « pionniers » arabes 22 L’analyse du profil des candidats arabes à l’installation dans les villages communautaires permet de voir qu’ils se recrutent dans la frange la mieux dotée culturellement. À partir des fichiers du Housing Rights Equality Assistance Center, mais également de différentes candidatures non encadrées dont nous avons pu être informés, il est possible d’élaborer le profil des familles arabes désireuses d’intégrer les yichouvim kehilatim. En terme de capital économique et de capital culturel, elles se révèlent très proches des familles juives des yichouvim kehilatim : le père, voire les deux parents, sont passés par l’université, et exercent des emplois bien rémunérés dans le secteur tertiaire. Leur nombre d’enfants (quand ils en ont) est limité. Enfin, ils ont été, par le passé, intégrés au secteur juif-israélien (en général de par leurs études, mais parfois aussi, de par leur profession). 23 On peut ainsi évoquer la famille Akefet8, un jeune couple d’architectes, diplômés de Betsalel (Université hébraïque de Jérusalem), récemment mariés. Ils ont passé cinq ans dans cette ville, où ils habitaient à l’ouest un quartier juif laïc. Une fois diplômés, ils ont éprouvé des difficultés à se ré-acclimater à la vie du village. Ils pensaient faire construire sur des terres que leur famille possède en périphérie de Sakhnin, mais ces terrains sont administrés par le Conseil régional de Misgav qui refuse de les déclarer constructibles. Leur famille leur a alors proposé une maison – qu’ils ont choisi de refuser. Ils louaient, au moment de notre enquête, un logement à Karmiel, en attendant

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 99

une décision du tribunal dans le contentieux qui les oppose au Conseil régional de Misgav concernant leur demande d’intégration au village communautaire de . 24 Autre famille : les Sakefet. Il est docteur, a étudié et vécu en Italie. Elle est enseignante. Plus âgés (près de 40 ans), ils ont trois enfants scolarisés en école primaire. Ils avaient essayé de leur faire intégrer l’école bilingue de Misgav, mais pour des raisons d’effectifs ont été refusés9. Ils possèdent une belle maison à Sakhnin, mais voudraient pouvoir construire plus grand et dans un meilleur quartier. Eux aussi ont porté leur dévolu sur Rakefet, le village juif le plus aisément accessible par la route depuis Sakhnin. Le village a tenté de les dissuader, mais ils sont néanmoins en passe de déposer un dossier devant le Conseil régional. 25 Une autre famille, les Lorabe s’était portée candidate pour le village de Lotem10. Les deux parents travaillaient dans le domaine de la protection de l’environnement : lui comme président d’une association de protection de la nature et elle comme directrice d’une réserve naturelle. Dès le jardin d’enfants, ils avaient placé leurs enfants à , un village juif proche de l’agglomération arabe où ils résidaient, puis les avaient inscrits dans le réseau éducatif juif, à l’école primaire de Maale Tsvya (école où sont scolarisés les enfants de Lotem). Ces preuves d’intégration se sont cependant révélées insuffisantes aux yeux des habitants du village : lorsqu’ils se sont portés acquéreurs d’un terrain, leur demande a été refusée par la Vaadat Klita, à une courte majorité (trois contre deux). Ils n’ont pas poursuivi devant le Conseil régional. II. Aux fondements de la réponse négative des villages 26 Dans son analyse des mécanismes de sélection en vigueur dans les villages communautaires juifs, Oren Yiftachel recourt à un concept qu’il a forgé pour analyser les politiques territoriales israéliennes : l’ethnocratie. Selon lui, la politique territoriale menée depuis 1948 par l’État d’Israël dans les régions frontalières (Galilée et Néguev) était destinée à contrôler économiquement, politiquement et territorialement les populations arabes israéliennes. Par la suite, il a étendu le concept d’ethnocratie au secteur juif, expliquant que les politiques territoriales israéliennes dans les zones frontières (frontier areas, en l’occurrence le Néguev et la Galilée) avaient également eu pour « fonction » de reproduire la distinction identitaire et l’inégalité économique entre ashkénazes et séfarades. Pour justifier cette extension de la grille d’analyse ethnocratique, il met en avant deux éléments : le confinement des séfarades dans des villes de développement où leur mobilité socio-économique se trouvait extrêmement réduite et – plus récemment – les procédures de sélection mise en place dans les mitzpim à majorité ashkénaze pour se tenir à l’écart des populations séfarades environnantes11. Si on peut lui accorder le premier élément – qui, il faut le rappeler, renvoie aux deux premières décennies de l’État d’Israël, plaquer la grille ethnocratique sur les procédures de sélection en vigueur aujourd’hui dans les villages communautaires juifs est plus problématique. Avant d’être des bastions ashkénazes, ces villages sont en effet des bastions de la classe moyenne. Il n’est pas rare d’y croiser l’élite économique et sociale des villes de développement voisines. D’ailleurs, selon Sandy Kedar, un des fondateurs du keshet, la crainte des élus des villes de développement n’était pas tant de voir les ashkénazes contrôler, par l’intermédiaire des Conseils régionaux, la majeure partie des terres de la région, que de voir se multiplier des « communautés » susceptibles de favoriser la fuite (ou, pour reprendre la classification d’Hirshman, l’exit) des populations les plus aisées des villes de développement12 (c’est ce même processus que craignent aujourd’hui les villes et

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 100

villages arabes de Galilée). Le recours à une grille d’analyse ethnique semble ainsi, dans ce cas, moins pertinent qu’une analyse classiste qui mettrait en avant le capital économique et le capital social des populations intégrées aux villages communautaires galiléens. L’introuvable déségrégation ethnique 27 Dès lors, pour la question qui nous intéresse (la ségrégation dont sont victimes les Arabes israéliens), on pourrait envisager de remonter le courant de la pensée d’Yiftachel. Là où il rabat une grille ethnique élaborée pour le clivage judéo-arabe sur l’ensemble des pratiques de sélection en vigueur dans les villages communautaires, on pourrait tenter de rabattre une analyse en termes de classe sociale – observée au sein du secteur juif sur l’accueil réservé aux candidats arabes. 28 Dans cette perspective, ce ne serait pas tant des Arabes et des séfarades que les ashkénazes de Misgav tenteraient de se protéger que des gens qui parlent fort, ont beaucoup d’enfants et n’ont jamais lu Tolstoï ou Agnon. 29 Le problème est qu’il n’est pas possible d’observer, sur le terrain, ce qui viendrait justifier ce renversement de perspective, à savoir une déségrégation ethnique sur critères sociaux. Au cours des entretiens que j’ai réalisés, j’ai pourtant pu parfois observer cette tendance. Une habitante de Katzir m’avait ainsi abruptement déclaré : « je veux bien que mon voisin soit arabe dès lors que c’est un médecin et qu’il ne chie pas dans son jardin ». De même, à Yaad, un vétéran m’avait confié que l’implantation pourrait intégrer quelques familles arabes « si ce sont des gens comme nous, qu’ils ne sont pas religieux ». À Lotem, l’implantation s’était divisée quant à la réponse à apporter à la famille Lorabe. Une habitante qui s’était opposée à la décision négative du comité d’intégration m’expliquait : C’étaient des gens très gentils, avec des bons métiers, leurs enfants avaient été au jardin d’enfants ici, puis à l’école à Maale Tsvia [un autre village juif des environs]. Beaucoup de gens les connaissaient et les appréciaient. A côté de ça, le comité a accepté des familles qui ne se sont absolument impliquées dans la vie du village. 30 Même lorsqu’ils présentent un ethos de classe proche de celui des habitants juifs du village auprès duquel ils font acte de candidature, les candidats arabes se voient donc, au final, rejetés par les comités d’intégration.

31 On pourrait poser l’hypothèse que ces candidats arabes n’arrivent pas à annihiler le stigmate social qui est associé à leur appartenance ethnique, que les Juifs continuent à voir en eux, au-delà de leur ethos de classe moyenne, les membres d’un groupe incurablement différent et inférieur. 32 Un habitant de Lotem, que j’avais interrogé suite au rejet d’un couple arabe par la Vaadat Lkita de son village m’avait expliqué : Même s’ils sont très israéliens, ils restent différents… C’est comme si tu prends une personne A et que tu lui mets le sang d’une personne B, tu n’obtiendras pas une personne B. Tu peux essayer de faire rentrer chez les Arabes un sang israélien, ils resteront Arabes. Le jour où ton « Arabe très israélien » [c’est l’expression que j’avais utilisée dans ma question] voudra acheter un cheval, il l’achètera et l’attachera devant sa maison, c’est pas comme ça qu’on fait ici, mais c’est comme ça qu’on fait là-bas – dans le village d’où il vient et où il a grandi. C’est en lui, tu ne pourras pas le changer. 33 Ce type d’argument n’est pourtant que rarement employé. En règle générale, les habitants juifs qui ont été au contact d’un candidat arabe reconnaissent en lui leur égal social et fondent moins leur refus sur la qualité du candidat que sur le problème de son

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 101

appartenance ethnique. On peut alors distinguer les refus selon qu’ils mettent en avant une solidarité ethno-nationale, une solidarité communale ou un intérêt personnel. La solidarité ethno-nationale 34 En 1958, Herbert Blumer fut l’un des premiers à promouvoir une approche sociologique du racisme, contre les nombreuses théories psychologisantes qui avaient alors cours. Il théorisa ainsi le Group Position Model. Selon ce modèle, les discriminations raciales sont fondées sur une perception normative de la position sociale de groupes prédéfinis. Il décrit les quatre caractéristiques du groupe dominant : 1) un sentiment de supériorité à l’encontre des membres du groupe dominé, 2) la croyance que le groupe dominé est fondamentalement différent et étranger, 3) la revendication exclusive sur certains droits, statuts et ressources et 4) la perception d’une menace lorsque les membres d’un groupe inférieur expriment le désir de se voir attribuer une part des prérogatives jusqu’alors réservées au groupe dominant. L’idée du Group Position est ainsi une posture largement partagée au sein des membres du groupe dominant sur la place que devrait occuper leur propre groupe par rapport au groupe dominé13. 35 On pourrait alors poser comme hypothèse que la question de l’acceptation de la présence des Arabes dans les villages communautaires n’est pas appréhendée localement, mais nationalement. Le débat porterait alors moins sur les caractéristiques de la famille candidate que sur des enjeux nationaux, politiques et identitaires, relatifs au statut des Arabes au sein de l’État juif. Derrière le refus des habitants des villages de voir les Arabes intégrer leur village, on pourrait alors voir poindre la crainte d’une remise en cause de la hiérarchie actuelle entre groupes ethniques. 36 Les habitants des villages communautaires galiléens sont ainsi très sensibles aux revendications émanant des populations arabes israéliennes de Galilée. Ils abhorrent les récurrents discours autonomistes, et ne sont pas toujours très à l’aise avec les discours réclamant l’égalité citoyenne, susceptibles de remettre en cause les politiques préférentielles dont ils bénéficient (notamment sur le plan foncier). Leur refus de la déségrégation exprimerait ainsi leur crainte – plus globale – de voir être remis en cause le caractère juif de l’État d’Israël et le statut de citoyens de seconde zone que ce dernier induit, de facto, pour les citoyens arabes israéliens. 37 Cependant, dans les entretiens approfondis que j’ai pu mener, rien ne me permet d’affirmer que les habitants des villages juifs galiléens sont aussi explicitement impliqués dans la protection des avantages acquis de leur groupe ethnique. La majorité d’entre eux accueillent même plutôt favorablement, à l’inverse, l’activité déployée par l’association Sikkuï baMisgav pour l’amélioration de l’infrastructure des villages arabes israéliens (une posture qui n’est pas sans rappeler le separate but equal des partisans de la ségrégation aux États-Unis). 38 Les limites du système ethnocratique que théorise Yiftachel apparaissent ici assez clairement. Dans ce système, l’ensemble des acteurs semble plus ou moins consciemment travailler à reproduire la domination ethnique. 39 Dans le cas qui nous intéresse, il apparaît délicat d’attribuer aux populations juives des villages communautaires galiléens une pratique fondée sur l’idée de Group Position, d’en faire des acteurs consciemment impliqués dans la reproduction de l’ordre ethnique. Intérêt du village et intérêts personnels

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 102

40 Si on renonce à expliquer la non-déségrégation des villages communautaires galiléens par une attitude consciente de conservation de l’ordre ethnique, on peut tenter de resserrer le cadre de l’analyse au niveau du village. 41 De fait, un des grands arguments évoqués par les habitants des anciens mitzpim lorsqu’ils refusent une candidature arabe est que l’intégration d’un Arabe israélien nuirait à la politique de recrutement de nouvelles familles menée par le village. 42 Il faut ici préciser, que, depuis la fin des années 1990, les villages communautaires de la région, qui, jusqu’alors n’avaient pas éprouvé de difficultés à trouver des familles désireuses de s’intégrer au village, manquent depuis lors de candidats. Cette baisse de la demande est parfois associée aux émeutes d’octobre 2000, émeutes qui auraient inquiété les candidats potentiels quant à la sécurité de la région. Cependant, on peut également y trouver des causes économiques : le déclenchement de la seconde Intifada coïncide, chronologiquement, avec l’éclatement de la bulle internet. Nombre de sociétés high tech qui s’étaient développées dans la région dans les années 90 ont été durement touchées par ce renversement de tendance et l’attractivité de la région en a certainement été affectée. Enfin, les anciens mitzpim, qui ont longtemps bénéficié d’une quasi-exclusivité sur cette nouvelle forme de banlieue verte, ont du, à la fin des années 1990, faire face à l’arrivée sur le marché, des kibboutzim et des mochavim, c’est-à-dire d’anciennes implantations collectivistes qui ont construit, depuis près de dix ans, un grand nombre de quartiers résidentiels similaires à ceux que développaient les villages communautaires. 43 Depuis 2000, les villages communautaires sont donc engagés dans une compétition acharnée pour attirer les nouvelles familles qui leur permettront de remplir les objectifs démographiques qu’ils se sont fixés. Dans ces conditions, intégrer une famille arabe risquerait de nuire à la compétitivité du village. C’est ce que la Vaadat Klita a expliqué à la famille Sakefet : « Si nous vous acceptons, nous aurons des difficultés à recruter de nouvelles familles. L’offre dans la région est large, les gens qui arrivent de la ville privilégieront les villages sans Arabes 14.» À Lotem, cet argument avait également été pris en considération. Ce village, un peu isolé, éprouve en effet des difficultés à vendre les parcelles du large quartier qu’il a planifié. Vendre une des premières parcelles à un Arabe n’aurait certainement pas facilité la suite de l’opération immobilière. Comme me l’a confié une habitante de Lotem : « Qui aurait acheté dans ce nouveau quartier en sachant qu’il aurait alors un voisin arabe ?». 44 Il est à noter que les membres des comités d’intégration sont particulièrement sensibles à ce type d’argument. Concrètement, ces comités sont en effet constitués de cinq à dix membres, qui gèrent l’ensemble des questions relatives à l’élargissement du village : les négociations avec le Minhal (l’administration qui gère les terres étatiques), les négociations avec les entrepreneurs, la mise sur le marché des parcelles ou des maisons, et enfin les entretiens avec les candidats à l’intégration. Ses membres, des volontaires, se recrutent parmi les habitants les plus sensibles à l’avenir de leur village, des acteurs qui se révèlent souvent réticents à compromettre l’opération immobilière qu’ils ont porté en acceptant un candidat arabe. 45 Les habitants des villages juifs communautaires évoquent également la crainte de créer un précédent, pas tant au niveau national, que pour le village communautaire lui- même. Yeoshua Rats, un habitant de Kamon engagé dans Sikkuï ba Misgav, une organisation juive qui lutte contre les discriminations dont les villages arabes sont victimes, m’expliquait ainsi :

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 103

Il a été question un moment d’attribuer aux Shrabe15 un statut de membres de l’implantation. Cela leur aurait permis d’être raccordés au réseau électrique et hydraulique de l’implantation, d’obtenir un éclairage public et une route asphaltée, mais le conseiller juridique de l’implantation, un avocat payé par le Conseil régional est venu et a expliqué aux gens que, s’ils acceptaient les Shrabe comme des membres à part entière de la communauté, il n’y aurait aucun moyen de s’opposer à l’arrivée de nouvelles familles arabes et que l’implantation deviendrait un village mixte. 46 Derrière le refus d’accepter une famille arabe, on sent ainsi naître la peur du tipping. Dans la droite ligne de cette crainte, une habitante d’Hararit m’expliquait : « On a eu des demandes arabes, mais si on en accepte un, les autres suivront. En quelques années, avec de l’argent qui viendrait d’on ne sait où, ils pourraient racheter tout le village. »

47 Si des Arabes s’installent dans un village communautaire, ils rendront le village plus attractif pour d’autres Arabes et moins attractif pour les Juifs. Le phénomène de tipping décrit par Thomas Schelling pourrait alors s’enclencher16. 48 On peut s’interroger sur les ressorts de cette solidarité avec le yichouv. Indéniablement, la majorité des habitants juifs des villages communautaires apprécient leur cadre de vie socialement ségrégué. Mais pourquoi alors refuser des familles arabes qui, étant donné leur profil social, appartiennent à leur classe sociale. Pourquoi les habitants juifs des villages communautaires désirent-ils protéger leurs villages contre les difficultés de recrutement, ou la perspective du tipping ? 49 Si on peut supposer que ces habitants sont attachés à l’avenir de leur implantation ou à sa croissance démographique, il conviendrait également de voir en quoi ils ne cherchent pas également, plus banalement, à protéger un investissement immobilier. 50 À Kamon, les deux maisons situées en face du terrain occupé par la famille bédouine des Shrade ont été récemment vendues – et mal vendues. La présence d’Arabes dans le voisinage a, selon Yeoshua Rats (l’un des acheteurs), grandement influencé le prix – alors même que le départ des Shrade était, depuis longtemps, annoncé. On imagine bien dès lors que l’ensemble des villas appartenant à une implantation ayant intégré une famille arabe perdrait une partie de leur valeur. 51 Pour comprendre l’absence de déségrégation ethnique des villages communautaires galiléens, il convient donc de ne pas s’arrêter à des explications fondées sur des solidarités – revendiquées (la solidarité villageoise) ou suspectées (la solidarité nationale) – et prendre en considération également l’intérêt individuel, économique, des acteurs sociaux. Si elle ne remet pas foncièrement en cause le système ethnocratique que décrit Oren Yiftachel, cette recherche tend donc à mettre en avant le fait que ce système peut perdurer localement sans que les membres du groupe dominant ne travaillent consciemment à sa reproduction.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 104

NOTES

1. Cf. O. Patterson, The ordeal of integration, progress and resentment in America’s « racial » crisis , Civitas/Couterpoint, 1997. Voir également Thernstroms, Stephen and Abigail, America in Black and White, one nation indivisible, Simon and Schuster, 1997. 2. Selon les mesures effectuées par Krysan et Farley, seuls 35 % des Noirs interrogés ne refusent pas catégoriquement la possibilité d’intégrer un quartier entièrement blanc et un maigre 5 % le présente comme leur objectif. Le quartier dans lequel la majorité des Noirs américains souhaiteraient idéalement s’installer comporterait autant de Noirs que de Blancs. M. Krysan and R. Farnley, « The residential preferences of Blacks: Do They Explain Persistent Segregation? », Social Forces 80 (3), mars 2002, p. 959. 3. D. Rabinowitz, « Overlooking Nazareth », CUP, 1997, p. 7. 4. On peut notamment ici penser au professeur Uri Davis, un Juif israélien qui réside depuis plusieurs années dans la ville de Sakhnin. 5. En 2005, un débat sur cette question avait opposé, sur la radio locale, le président (arabe) de Kol Aher baGalil (proche du Hadash) à un membre du parti islamique. Sa teneur m’en a été rapportée par un autre membre de Kol Aher baGalil. 6. En Israël, le secteur arabe possède son propre réseau d’écoles, intégré à l’intérieur du système éducatif laïc et public. Les cours s’y font en arabe, même si l’hébreu y est enseigné. 7. Krysan et Farley, op. cit. supra (note 2), pp. 260-62. 8. Pour des raisons de confidentialité, les noms de ces familles arabes ont été modifiés. 9. L’école bilingue de Misgav tient à conserver une stricte parité dans ses classes. Les familles arabes demandant l’intégration de leurs enfants étant plus nombreuses que les familles juives, c’est le nombre d’enfants juifs qui détermine le nombre d’enfants arabes pouvant être acceptés. Chaque année, de nombreuses familles arabes désirant placer leurs enfants dans l’école ne peuvent le faire. 10. Ils n’ont pas utilisé les services du centre, mais j’ai eu vent de leur démarche par l’intermédiaire des habitants de Lotem et j’ai pu leur parler au téléphone. 11. « The second spatial practice entailed the use of segregation mechanisms by residents of the ex-urban settlements which transformed these localities to what is often known as 'gated communities'. […]The segregation process continues with the employment of 'resident screening procedures' to select only 'appropriate' candidates to the ex-urban settlements ». O. Yiftachel, « Nation-Building or Ethnic Fragmentation? Ashkenazim, Mizrahim and Arabs in the Israeli Frontier », Space and Polity, vol. 1, 2, 1997, pp. 149-169. 12. Interview avec Sandy Kedar, été 2005. 13. Les théories de Blumer ont été récemment reprises aux États-Unis, notamment par L. Bobo, un des grands spécialistes de la ségrégation résidentielle. Cf. « Prejudice as Group Position: Microfoundations of a Sociological Approach to Racism and Race Relations », Journal of Social Issues 55 (3), pp. 445–72 14. Propos rapportés par le responsable du Housing Rights Equality Assistance Center. 15. Les Shrabe sont une petite famille bédouine dont le terrain – de quelque 1 000 mètres carrés – est enclavé au sein du village communautaire de Kamon. L’Agence Juive n’ayant pas réussi à leur échanger ce terrain contre un autre situé dans le village voisin

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 105

de Kamane, cette famille vit au milieu d’un village communautaire juif qui ne lui reconnaît aucun statut. 16. T. Schelling, « Dynamic Models of Segregation », Journal of Mathematical Sociology 1, pp. 148-86.

RÉSUMÉS

The Constant Segregation of the Galilean Community Villages. In August 1978, while the Israeli settlement policies tended to focus mostly on the occupied territories, the settlement department of the Jewish Agency succeeded in obtaining a governmental green light to implement in Galilee a Mitzpim Program also known as Yihud haGalil. In that frame, 52 mitzpim, small rurban communities, were settled on the Galilean hilltops. Most of them transformed into community villages (yichouv kehilati), residential settlements where lives, on average, a few hundred families. While the political leadership was prompt in describing those communities in very nationalistic terms, they mostly attracted an urban, secular and Ashkenazi middle-class, uncomfortable with this rhetoric, but sensitive to the quality of life which could offer those settlements. Driven by a will of social separatism, those new settlers organized resident screening procedures to judge the social compatibility of applying families. Mitzpim were mostly settled in central Galilee, i.e. in a region which had then mostly been populated by Palestinians citizens of Israel. This spatial proximity did not prevent a continued separation: both Arab and Jewish villages remained strictly segregated. At the end of the 1990s, the screening procedures set by the Jewish villages were contested in front of the Supreme Court by an Israeli Arab whose request to join the community village of Katzir had been rejected. Following the 2 000 ruling (Qaadan vs Katzir), new procedures – with a greater involvement of the regional councils were set, but, until now, to no effect as far as the integration of Arab families is concerned. Their applications are still inevitably turned down by integration committees. To understand the mechanism of this segregation of the Galilean community villages, this article first deals with the members of the Israeli Arab minority able to set in motion a desegregation process, i.e. the Arab families willing to join a Jewish community village. Though they have to cope with the hostility of their own ethnic group, Arab families ready to pioneer into segregated Jewish communities do emerge from the integrated Israeli Arab elite. Our researches show that most of them are not politically motivated (the number of those turning to the judicial system – in order to appeal against the refusal they faced – is very low,) but rather underestimated the hostility of the inhabitants of the Jewish community villages. This miscalculation partly stems from their interactions with the leftist militant fringe of the Jewish population. Those Israeli Arabs indeed have the opportunity to work and meet with Israeli Jews trying to initiate cultural and educational cooperation (for example the bilingual Galil elementary school,) fighting for the development of the Arab sector (the association Sikkuï baMisgav,) or even promoting the desegregation of the Jewish community villages (another local association: Kol Aher baGalil,) and consequently tend to overestimate the ethnic-blind state of mind of their liberal neighbors. In a second part, this article tries to uncover the basis of the Jewish villages’ refusal to integrate Arab families. While, in the tradition of Herbert Blumer’s Group Position Model, the Galilean Jewish settlers could be apprehended as actors consciously involved in the reproduction of the

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 106

Israeli ethnocratic system which theorized Oren Yiftachel, this article puts forward the fact that the incentives of the settlers may not be primarily politically motivated. By protecting their villages against Arab applicants, they also defend their own real estate investment, whose value could drop if the presence of an Arab were to limit the attractiveness and curb the development of their village.

AUTEUR

PIERRE RENNO Pierre Renno est doctorant en Sciences politiques à l’Université Paris I Panthéon- Sorbonne. Il prépare, sous la direction du Professeur Michel Dobry, une thèse traitant de la politique de judaïsation de la Galilée. Il est actuellement titulaire d’une bourse d’un an au Centre de recherche français de Jérusalem. Pierre Renno is a political science PhD student from Sorbonne University. His thesis, under the supervision of Professor Michel Dobry, deals with the Israeli settlement policy in the Galilee. He’s currently grant holder of the CRFJ (Centre de recherche français de Jérusalem). [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 107

Les Israéliens d’aujourd’hui et la Shoah ou le rôle de la « troisième génération » dans l’élaboration de nouvelles pratiques mémorielles

Guila Sylvie Nakache

1 En élaborant une problématique générale de la mémoire historique contemporaine, Pierre Nora a fait surgir un nouvel objet d'histoire : le « lieu de mémoire » auquel il accorde l’aptitude d’engendrer « une autre histoire 1. » Dans l’article de 1992 « L’ère de la commémoration », Pierre Nora convient de l’étrange destinée de ces Lieux de mémoire : « Ils se sont voulus, par leur démarche, leur méthode et leur titre même, une histoire de type contre-commémoratif, mais la commémoration les a rattrapés 2.»

2 Les « lieux de mémoire », qui se voulaient une histoire contre-commémorative, sont devenus des instruments de la commémoration. 3 L’œuvre monumentale des Lieux de mémoire constitue un support essentiel pour saisir les transformations internes aux notions d’histoire, de mémoire et de commémoration. L’appréhension des problématiques de la mémoire dans le cadre national fut longtemps envisagée par « les lieux de mémoire », au détriment de la prise en compte de la pluralité des voix qui habitent les mémoires collectives et individuelles. Il existe pourtant d’autres « objets d’histoire », des destins individuels dont les histoires ont été englouties, temporairement ou pour toujours, par les représentants de la mémoire officielle. Les « lieux de mémoire » ont figé le temps. Ils existent parce qu’il n’y a plus de mémoire spontanée. 4 Face au récit institutionnalisé des « lieux de mémoire », l’élaboration d’un récit alternatif s’est organisée dans des « communautés de mémoire ». Une « communauté de mémoire » suppose une mémoire portée par des groupes vivants. La mémoire dans une « communauté de mémoire », distinctement d’un « lieu de mémoire », peut se mettre à jour, vivre à l’intérieur de l’histoire. L’émergence de sous- groupes dits « mémoriels » survient lorsqu’une redéfinition de l’identité du groupe

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 108

s’impose. L’existence de ces « communautés de mémoire » nous oblige à « re-penser » le lien entre le projet historiographique, qui vise à l'orchestration du passé et la mémoire collective fragmentée, amputée, interrompue. 5 L’État d’Israël, espace aux « mémoires » narratives multiples longtemps occultées, ignorées ou marginalisées au nom de la construction nationale, semble un terrain privilégié pour exercer un ré-examen des questionnements autour du rapport entre l’histoire et la mémoire. I. Les origines d’une recomposition mémorielle 6 Le sionisme, à l’origine un nationalisme de l’Est de l’Europe lié à une revendication et une renaissance linguistique, diverge du nationalisme français qui s’exprime à travers les institutions, l’État et l’histoire de l’État comme telle. C’est un nationalisme qui peut exister indépendamment de l’État3. La singularité du « ben-gourionisme » fut d’éduquer le peuple à travers une histoire unique, pour ainsi dire jacobine de l’État. Après le succès du Kibboutz Galouiot (le rassemblement des exilés), l’État dut relever le défi de la fusion des exilés. Tâche très difficile pour Israël qui accueille des Juifs de toutes provenances. L’État hébreu dut très rapidement « gérer » les retrouvailles historiques entre les deux grandes branches du judaïsme (ashkénaze et séfarade), confisquant les nombreuses mémoires de l’Exil pour les remettre en place dans le cadre d’une mémoire nationale. 7 Un des exemples les plus frappants de ce modèle normatif israélien est la subordination de la mémoire des Juifs d’Irak au récit supra sioniste. Le Farhoud4 devint le repère historiographique qui engloutit l’histoire riche et longue du judaïsme irakien en Irak5. Les chercheurs s’accordent pour dire que cet événement fut exceptionnel dans les rapports entre Juifs et musulmans en Irak6. Malgré les témoignages historiques, le Farhoud fut intégré au récit national sioniste meShoah le Tkoumah (De la Shoah à l’Indépendance). Les Juifs en terre d’Islam avaient un rôle démographique central. Dès 1942, David Ben Gourion présenta aux dirigeants du Yishouv le célèbre « programme du million » visant à faire venir des Juifs des États arabes. Ce programme débuta après la création de l’État7. 8 Le rapport aux Juifs en terre d’islam fut compris dans un processus croisé, d’homogénéisation et de différenciation 8. L’État d’Israël tenta de fondre les communautés dans le cadre unique d’une société nationale moderne tout en luttant contre « l’esprit du Levant » que Ben Gourion jugeait « destructeur des individus et des sociétés9 ». Le passé arabe des Juifs orientaux menaçait d’ébranler la cohérence d’une nation israélienne « homogénéisée » et de brouiller la limite frontalière entre Juifs orientaux et Arabes. 9 Dans cette réalité conflictuelle, les Orientaux en Israël se sont constitué des pratiques d’intégration : le dénigrement de leur arabité, l’acceptation des valeurs fondamentales de l’hégémonie ashkénaze et la tentative constante de s’intégrer à « la culture israélienne » qui réfléchissait l’image de cette hégémonie. La mémoire collective des Juifs des pays arabes se trouva assujettie à une approche sioniste qui s’inscrivait dans un mouvement de rejet de la diaspora (Shlilat ha Gola). Les revendications des communautés orientales, dénonçant la politique d’absorption de l’alyah des années 1950, le mépris de leurs traditions et la tentative de les « fondre » au modèle normatif israélien ne sont pas éloignées des revendications des rescapés de la Shoah. 10 Les premières années d’existence de l’État d’Israël se caractérisent par deux processus simultanés et contradictoires : élaborer une mémoire collective de la Shoah, célébrer

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 109

l’héroïsme tout en occultant la réalité des victimes. En 1949, le jeune État qui fait face à une immense alyah se préoccupe avant tout de la construction du pays. Certes, l’extermination des Juifs d’Europe est considérée comme un terrible désastre, mais inexplicable, incompréhensible. La rhétorique collective utilise la Shoah à des fins idéologiques et occulte la mémoire individuelle. 11 La guerre des Six Jours ouvre une nouvelle phase dans la perception de la Shoah. La peur qu’engendrent « les multiples menaces verbales arabes et palestiniennes10 » est atténuée par le sentiment de sécurité transmis par un État souverain et une armée puissante capable de protéger son peuple. L’armée israélienne vient de déjouer une tentative d’extermination. Telle est la nature des « leçons de la Shoah » et du concept pédagogique sur lequel la jeune génération est éduquée. Les politiciens débattent sur l’avenir des Territoires et sur les questions sécuritaires. Nombreux sont ceux, religieux et laïcs, à considérer cette nouvelle situation comme le signe d’un retour sur les terres ancestrales, en particulier à Jérusalem. La volonté politique d’accomplir le programme de « conquête de la terre », fondé sur des droits historiques bibliques, enthousiasme l’opinion israélienne : la possibilité d’accéder à certains territoires lui permet, entre autres, de visiter la Jérusalem réunifiée11. 12 À partir de mars 1969, Nasser commence la guerre d’usure sur le canal de Suez. Cette date marque la première étape d’un processus appelé à déboucher sur une guerre totale12. La guerre d’usure, véritable conflit, a provoqué des pertes humaines comparables à celles de la guerre des Six Jours13. L’acceptation du cessez-le-feu met fin au gouvernement d’union nationale dirigé par les travaillistes. Begin et la droite, qui plaident pour une annexion totale des Territoires occupés, mettent fin à leur participation au gouvernement de coalition. Nationalistes et religieux du Likoud, soutenus par le mouvement néo-sioniste, gagnent en puissance. Le 15 mars 1972, un vote massif à la Knesset réaffirme « les droits historiques du peuple juif sur la Terre d’Israël », Cisjordanie et Gaza inclus14. 13 La guerre du Kippour constitue un événement que de nombreux historiens et sociologues considèrent comme un point de rupture dans la conscience collective israélienne. Anita Shapira15 voit dans la projection à la télévision d’images d’Israéliens captifs durant la guerre du Kippour une légitimation de la victime. Brusquement le Juif traqué, persécuté, devenait une partie de l’expérience israélienne. Cette fois, les Israéliens ressentaient pour les Juifs d’Europe compréhension et compassion. La guerre du Kippour cause un profond changement dans la perception de la Shoah, en tant que thème public, et particulièrement comme sujet pédagogique. Le fait que cette attaque ait eu lieu le jour du Kippour, considéré comme l'un des plus sacrés par le peuple juif, amplifie l’aspect dramatique et l'impact de l'attaque sur les Israéliens. La gravité de la situation, puis l'incertitude des premières semaines de bataille, et le sentiment d’isolement ressenti par la population, imprima une marque indélébile dans la conscience israélienne. La peur de l'extermination était plus présente que jamais. Certaines thèses s'effondrèrent : il n’était plus aussi évident que l’existence de l’État d’Israël représente une garantie contre les menaces ennemies. En mai 1974, des mouvements de protestation de la population réclament la démission du gouvernement ainsi que la création d’une commission d'enquête. Le leadership militaire et civil est en situation d'échec. 14 Sous le gouvernement d’Itzhak Rabin, de 1974 à 1977, la politique israélienne évolue. Les travaillistes acceptent la création de colonies en Cisjordanie et dans la bande de

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 110

Gaza. La montée en puissance d’une nouvelle forme de sionisme, dans laquelle l’élément religieux prend une importance capitale, affaiblit la doctrine d’un sionisme purement laïc. Avec la résurgence de mouvements religieux extrémistes depuis 1967, des partis religieux se regroupent dans le Goush Emounim (le Bloc de la foi) et prônent un retour au « messianisme territorial ». Le Bloc de la foi en 1976 et la Ligue de défense juive du Rabbin Meir Kahana en 1977, animent des marches et procèdent à des implantations sauvages, illégales jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Menahem Begin16. 15 Le revirement politique de 1977 voit l’arrivée au pouvoir de nouvelles élites qui donnent une légitimité à leur propre culture, représentant une autre forme d’israélisme. Aux messages anti-socialistes, anti-élitistes et empreints de signification religieuse s’ajoute la dénonciation quasi systématique d’un monde qui « laissa le pire arriver ». Sous le gouvernement Begin, la Shoah est au centre de l’identité nationale, et en particulier d’un nouveau discours qui réinterprète jusqu’au sens du bien et du mal17. Durant la première guerre du Liban, l’offensive conduite par l’armée israélienne jusqu’au fleuve Litani le 6 juin 1982 va bien au-delà de la volonté gouvernementale originelle lors du déclenchement de l’opération « paix en Galilée ». Begin autorise Tsahal à envahir le Liban pour déloger l’OLP qui pilonnait la Galilée à partir de la frontière nord d’Israël. Il annonce à cette occasion, dans une lettre au président Ronald Reagan, l’envoi des troupes israéliennes à Beyrouth pour appréhender « Adolf Hitler dans son Bunker 18». Pour justifier cette action auprès de la Knesset, Begin revient sur sa vision stratégique qui consiste à considérer toute alternative à la guerre comme le risque tangible d’une nouvelle extermination : Depuis la Seconde Guerre mondiale, le monde a perdu le droit de demander des comptes à Israël sur ses faits et gestes 19. 16 Begin séduit les franges les plus conservatrices et religieuses de la société israélienne20 en développant les implantations juives et en octroyant des subventions aux partis religieux, notamment à Agoudat Israël qui obtient, entre autres, l’interdiction pour la compagnie aérienne israélienne El Al de voler durant le shabbat. Le « grignotage » du statu quo21 en faveur des partis religieux marque une première brèche dans le récit « supra sioniste ».

17 L’impulsion et l’intérêt portés au « différent », dans le cadre d’une culture de l’audimat, place sur le devant de la scène des sentiments longtemps refoulés. Les « mémoires » narratives sortent de l’oubli pour entrer en concurrence avec les élites au pouvoir, créant des mythes de substitution plus conformes à leur identité personnelle. L’éthique collective n’existe plus. Chaque groupe se fait une idée différente de l’israélisme, c’est- à-dire des frontières, du rôle de l’État, du système éducatif et du rapport entre l’État et la religion. 18 Tout comme les communautés juives orientales, les descendants des rescapés mettent alors en avant leurs racines et origines. La mémoire de la Shoah prend une place de plus en plus centrale dans la définition de l’identité et de la personnalité des descendants. L’expression « enfants de rescapés de la Shoah » devient une épithète liée à une généalogie, une ascendance. Mais à mesure que cette génération grandit, les rescapés, eux, vieillissent. Un sentiment d’urgence apparaît : exprimer à haute voix, interroger, témoigner, mettre au clair toutes les questions restées sans réponse ainsi que celles qui n’ont jamais été posées ou qui ont été refoulées, avant qu’il ne soit trop tard... Ces descendants ont senti que leur identité était également ancrée dans la mémoire « biographique » de leurs parents et grands-parents.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 111

19 Le rapport à la religion, au judaïsme évolue. L’israélisme, rattrapé par la diaspora, voit naître de nouvelles pratiques mémorielles… II. Une identité construite à travers la mémoire traditionnelle. 20 Le mouvement Arachim 22 est fondé en 1979 par une poignée d’enseignants pratiquants issus du monde universitaire et des Yeshivot, soucieux de stopper le processus aliénant qu’avait traversé la société israélienne et qui, à leurs yeux, avait produit une génération déconnectée de ses traditions ancestrales et de la richesse de son patrimoine. C’est en cherchant un moyen de transmettre les fondements du judaïsme dans un langage clair et moderne à un public séculier désireux de reconquérir son identité juive que naît l’idée des séminaires académiques. Les conférences abordent des thèmes divers mêlant religion et science23. Des conférences dans lesquelles la question de la transmission de l’histoire juive24 est omniprésente. 21 Le 12 octobre 2006, l’un des communicants du mouvement Arachim, Yaacov Estreicher, présente à Jérusalem, dans le cadre d’un séminaire académique « intensif » de quatre jours, une conférence sur le thème du « passage du flambeau25. » Il propose ce jour-là un questionnement autour du processus de transmission du témoignage dans le judaïsme. Il existe une différence fondamentale entre une légende et une histoire basée sur la transmission d’un témoignage. La légende est une histoire non vérifiée, sans – ou peu de – témoins. La fiabilité d'un récit historique s’estime au nombre de témoins qui ont assisté à l’événement . 22 Toutes les religions qui s'appuient sur une certaine forme de révélation sont basées sur le même modèle : une personne se recueille dans la solitude, revient vers son peuple et annonce qu'elle a expérimenté une révélation personnelle. Par nature impossible à vérifier, ce genre d’assertion repose sur la foi. Le judaïsme ne se baserait pas sur ce modèle mais sur celui du témoignage : Quand je raconte la Sortie d’Egypte à mon fils, ce n’est pas parce que j’ai lu ce récit dans l’ancien testament mais parce que mon père m’a transmis cette histoire. Le récit de la Sortie d’Egypte est raconté de la même manière chez les Juifs du monde entier. C’est une chaîne de transmission de père en fils jusqu’au premier témoin. Israël n'a pas cru en Moïse suite aux miracles qu'il a accomplis. Ce n’est qu’à la Révélation au Sinaï, après avoir vu de ses propres yeux et entendu que le peuple a reconnu la spécificité de l’événement. 23 Le judaïsme est la seule religion dans les annales de l'histoire à prétendre avoir fait l'expérience d'une révélation nationale. Aucun peuple n’a jamais prétendu à une révélation nationale du même ordre. Yaacov Estreicher constate que des événements aussi significatifs que la Sortie d’Egypte ou la Révélation du Sinaï ont impliqué un grand nombre de témoins. Le nombre, ainsi que la concordance des témoignages, garantiraient l’authenticité de l’événement.

24 Après avoir démontré « la singularité du modèle de transmission du judaïsme » et « son caractère infalsifiable », il évoque le problème du négationnisme, non sans préalablement révéler à son auditoire les raisons de son désarroi : J’ai tout d’un rescapé de la Shoah si ce n’est un numéro bleu tatoué sur le bras. Des cauchemars la nuit, la peur de manquer de nourriture. Il m’arrive même de me surprendre la nuit longeant les murs … Grand-père est rescapé de la Shoah, mon père est issu d’une grande famille anéantie durant la seconde guerre mondiale. Grand-père n’a jamais rien raconté. Il est arrivé en Eretz Israël à 30 ans. Durant dix ans, il ne s’est pas marié, incapable de faire quoi que ce soit, si ce n’est manger et respirer. Et puis, lentement, il s’est rétabli. À 40

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 112

ans, il décida de se marier pour poursuivre le combat au nom des siens. Il s’est marié, mon père est né et il ne lui a rien raconté… Mon père ne savait quasiment rien de ce qui était arrivé à mon grand-père durant la guerre. C’est à moi que grand-père a tout raconté. Il avait compris que, sans ce récit, personne ne saurait et qu’il ne pourrait pas, par la suite, déplorer que personne ne sache. À 12 ans, j’avais pour habitude de passer presque tous les shabbat chez mes grands-parents à Nataniya afin de leur tenir compagnie. Un jour, grand-père a ouvert l’album : « C’est ma mère, c’est mon père, c’est ma petite sœur qui a pris le train pour Auschwitz. C’est mon frère qui est retourné à la Yeshiva parce qu’il y avait la guerre. S’il n’y était pas retourné, il serait resté en vie. 25 Et en 1944, ils prennent le train pour Auschwitz qui entre à l’intérieur de Birkenau II 26 et arrive jusqu’au Crematorium. C’est là qu’ils descendent pour passer la « sélection » à laquelle Mengele participe. « Droite », « gauche », « droite », « gauche ». Et tous se retrouvent à gauche hormis moi et ma sœur qui nous sommes retrouvés à droite, je ne sais pas pourquoi. Les derniers mots dont je me souvienne furent ceux de mon père : « Samuel, nous allons mourir. Samuel, reste en vie ! Marie-toi, aie des enfants, raconte leur que tu es Juif et dis leur ce que c’est d’être Juif… ». Ce furent ces dernières paroles. Et grand-père traversa les sept cercles de l’enfer… Et pour ceux qui savent de quoi je parle, grand-père traversa les sept cercles de l’enfer bien après la Shoah… Les sept cercles… puis il s’est marié… puis il décida de raconter… Il parla autant qu’il s’était tu toutes ces années. J’ai vécu cet instant intensément. Depuis ce jour, je fais des cauchemars pensant que je suis là-bas et que tout cela m’arrive à moi. Il n’existe pas un livre sur la Shoah que je n’ai lu, pas un film que je n’ai vu. Il y a des livres et des films que j’ai vus des dizaines de fois. Et me voici encore et toujours en Pologne, à Auschwitz, à Majdanek, à Treblinka…. Et me voici, encore et toujours, à me demander : mais que fais-je ici ? Je ne supporte pas ces lieux alors pourquoi y suis-je ? Et me voilà de nouveau pleurant comme un enfant… » 26 Comme nombre d’enfants et de petits-enfants de survivants de la Shoah, Yaacov Estreicher reste hanté par l’histoire de sa famille. Il vit depuis son enfance une double vie : la sienne et les souvenirs des camps. Inquiet de l’avenir, il s’interroge sur ces relectures erronées de l’histoire du nazisme et de la collaboration par l’extrême droite et sur la « confusion de sens », de plus en plus marquée dans les rapports référentiels à la Shoah de la part de la gauche et de l’extrême-gauche dans la lecture qu’elles font du conflit israélo-arabe. Yaacov Estreicher, préoccupé de voir le néo-nazisme et le négationnisme réactivés par des professeurs d’université, revient sur l’affaire Henri Roques. Henri Roques soutint en 1985 devant l’université de Nantes une thèse de doctorat27 dans laquelle non seulement il remettait en cause le génocide juif, mais tentait de réhabiliter le nazisme avec la complicité d'un jury d'enseignants favorables à ses thèses.

27 Le principal souci de Yaacov Estreicher n’est pourtant ni la France ni le reste de l’Europe mais ce qui se passe ou risquerait de se passer dans les années à venir en Israël : Je crains que dans 200 ou 300 ans, ici, en Israël, vous puissiez vous procurer des travaux de recherche niant la vérité de la Shoah au nom du pluralisme, au nom de la science et au nom d’une histoire qui manque d’exactitude. 28 Pour contrecarrer les projets des falsificateurs de l’histoire, Yaacov Estreicher propose une « méthode juive » afin « d’immortaliser l’événement historique ». L’originalité de la démarche de Yaacov Estreicher tient au fait qu’il conforte chacun de ses arguments en s’appuyant sur des références bibliques. C’est ce rapport référentiel constant à « la

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 113

tradition du Sinaï », dont le contenu est unique en son genre et sans précédent dans l’histoire des religions, que nous nous proposons d’éclaircir:

29 Yaacov Estreicher revient sur les circonstances de la Révélation de la Thora avant d’exposer la première partie de son projet : le regroupement des rescapés. Nous rassemblerons tous les rescapés de la Shoah encore lucides et en bonne santé (environ 20 000) dans un immense amphithéâtre accompagnés de leurs enfants et petits-enfants. Le Premier ministre, le président de l’État et le Grand-Rabbin viendront sur scène. Le président de l’État se tournera vers les rescapés et leur dira : vous êtes les témoins car vous avez vu de vos yeux l’horreur à Auschwitz, Treblinka, Majdanek. Vous étiez là-bas. Il faut que les générations à venir sachent ce qui s’y est passé et c’est la raison pour laquelle vous devez transmettre votre témoignage aux générations futures. 30 Ce projet s’inspire du récit de la Révélation et plus particulièrement des circonstances dans lesquelles Celle-ci a eu lieu. Les descendants d’Abraham, groupés en un peuple, répondent à l’appel adressé par Dieu et déclarent accepter les termes de l’Alliance28 (Exode. 19, 8). L’Alliance conclue, Dieu annonce qu’Il va se révéler aux yeux de tout le peuple. Du sommet du Sinaï, le peuple juif tout entier entend Dieu, expérimentant ainsi une révélation nationale (Deutéronome 5 : 1-4).

31 Le Décalogue (assérét hadibrot) est l’unique texte de la Thora qui décrive une révélation faite directement et sans intermédiaire par Dieu à des hommes. L’idée d’un rassemblement des rescapés renvoie au cadre de la proclamation du Décalogue souligné tel un événement unique dans l’histoire de l’humanité par la Thora elle-même (Deut. 4, 32-33-35)29. Le Décalogue serait donc la preuve de la prophétie. Yaacov Estreicher propose de s’inspirer de ce « plan de jonction » entre Dieu et l’histoire humaine afin d’immortaliser le souvenir de la Shoah. 32 Pour cela, il propose de constituer un document semblable au Pentateuque :30 Les paroles du Président seront retranscrites. Une fois le discours écrit celui-ci deviendra un document que le Président vérifiera une dernière fois avant qu’il ne soit signé par le Grand Rabbin, le Premier ministre et par lui-même. On ajoutera sur le document qu’il ne pourra être modifié et qu’il sera copié en 20 000 exemplaires. Une copie sera distribuée à chacun des rescapés. Les 20 000 exemplaires seront produits sur place, plastifiés et enfermés dans des boîtes sur lesquelles sera inscrit « tu n’oublieras pas et tu ne pardonneras pas ». 33 Tout comme la Thora fut transcrite par Moïse dans ses aspects les plus fondamentaux 31, les paroles du Président sont elles aussi relevées. L’idée de copier en 20 000 exemplaires ce document fait référence aux copies du livre de la Thora qui ont été réalisées au cours de l’histoire biblique32, l’original restant déposé auprès du sanctuaire gardé par les Lévites (Deut. 3I, 25-26).

34 Le texte que propose Yaacov Esteicher comprend : le récit de l’événement historique, le rassemblement des rescapés, le témoignage direct (ceux qui ont vu et entendu), la transmission aux générations futures, le paraphe et la diffusion du document. Un tel document serait impossible à falsifier et indiscutable puisqu’il est remis au groupe originel, lequel doit transmettre l’événement ainsi que le texte aux générations futures, texte qui valide la remise d’un exemplaire du document à chacun des rescapés. Afin d’étayer son propos, Yaacov Estreicher prend pour exemple le cas de l’Angleterre. La Magna Carta, charte de 63 articles arrachée, le 15 juin 1215, par le baronnage anglais excédé des exigences militaires et financières du roi, a limité l'arbitraire royal et établit en droit l’habeas corpus33 empêchant, entre autres, l'emprisonnement arbitraire. Jusqu’à

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 114

ce jour, dit-il, il n’existe aucune contestation de cette période de l’histoire d’Angleterre à laquelle fut rattaché un document. 35 Il mène plus loin son raisonnement en proposant la création d’une association dont l’unique objectif serait de perpétuer le souvenir de la Shoah. Cette association magnifierait le modèle « unique » de transmission dans le judaïsme. 36 Afin d’éviter tout risque d’équivoque, précisons que les propos qui vont suivre sont intentionnellement outranciers. Le rapport référentiel aux textes bibliques, qui se double ici d’un rapport analogique, n’en est pas moins discutable… Quand Yaacov Estreicher entreprend une connexion entre le rituel de la circoncision et la Shoah, l’assistance semble déconcertée : Un groupe de témoins (20 000 rescapés, enfants et petits-enfants) ne se marieront qu’entre eux afin de perpétuer cette mémoire. Chacun des membres de l’association devra, lorsque son fils sera âgé d’un mois, lui inscrire le numéro bleu de ses ancêtres sur le bras . 37 Tout comme la circoncision, chez les Abrahamides, fut le signe de l’entrée dans l’Alliance, chacun des membres de l’association gravera dans sa chair le numéro bleu de ses aïeux. Ne seront membres de la communauté de l’Alliance que les hommes qui porteront ce signe impérissable sur leur chair, de la même manière qu’est impérissable le maintien de l’Alliance scellée avec Abraham et sa descendance: « À l’âge de huit jours, vous circoncirez tout mâle dans vos générations… Tout mâle qui ne sera point circoncis, sa vie sera retranchée de son peuple » (Gen. 17, 12-14).

38 La législation minutieuse qui régit le code religieux de la Torah regroupe un nombre important de prescriptions qui n’ont ni une motivation rituelle ni une éthique apparente, mais dont le rôle est de rappeler la présence Divine dans la vie quotidienne. Yaacov Estreicher s’inspire de ces statuts (houquim), véritables vecteurs de mémoire, capables de ramener le geste et la pensée à Dieu afin de maintenir le souvenir de la Shoah. Ces supports mémoriels qui rythment le quotidien des Juifs pratiquants sont ici mobilisés au service de la mémoire de la Shoah. Ainsi la mezouza que les Juifs fixent au fronteau droit de chaque pièce de la maison et qui contient deux passages de la Bible rappelant la parole de Dieu (Deutéronome : 6 : 4-9 ; 11 : 13-21) devient un petit boîtier dans lequel est renfermé l’histoire de la Shoah : Chaque membre de l’association placera à l’entrée de sa maison, sur le montant de la porte, un petit boîtier qui renfermera un rouleau dans lequel sera résumé l’histoire de la Shoah et qu’il devra toucher en prononçant trois fois : nous n’oublierons pas et nous ne pardonnerons pas. 39 De même, les tefillins que les Juifs mettent au bras et à la tête pour rappeler leur serment d’allégeance à Dieu deviennent deux petites boîtes cubiques dans lesquelles est inscrit un résumé de l’histoire de la Shoah : Les membres de l’association viendront chaque matin au centre de jeunesse de leur quartier avec deux petites boîtes cubiques contenant un parchemin dans lequel sera inscrit un résumé des événements de la Shoah et les raisons de la création de cette association. Ils mettront le premier boîtier sur le front et le deuxième sur le bras près du cœur et diront trois fois : nous n’oublierons pas et nous ne pardonnerons pas. 40 La Pâque juive est une mémoire fondatrice pour le peuple juif. Elle est évoquée quotidiennement dans les prières juives et le peuple juif lui consacre chaque année huit jours afin de se souvenir et transmettre aux plus jeunes le récit de la Sortie d’Egypte.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 115

41 La juxtaposition qui va suivre de deux événements aussi importants dans l’histoire d’Israël que l’Exode et la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie34 n’est pas anodine. Le rapprochement entre la politique égyptienne à l’égard des Hébreux (qui a revêtu une forme comparable en bien des points aux persécutions modernes anti-juives) et la politique du régime nazi envers les Juifs d’Europe est l’occasion pour Yaacov Estreicher d’analyser la valeur symbolique et pédagogique du récit de l’Exode et d’appliquer cette même méthode au récit de la victoire des Alliés et de la capitulation du IIIème Reich : Le 9 mai, ils fêteront le jour de la libération. Ils prépareront cette journée deux semaines à l’avance et nettoieront la maison de tout produit allemand. Le jour de la fête de la libération, tout le monde s’assiéra autour d’une table avec du pain sec. Le fils demandera au père : en quoi cette soirée se distingue-t-elle des autres soirées ? Pourquoi mangeons-nous du pain sec ? Et le père répondra : car ton père en a mangé tout comme le premier de nos ancêtres qui a mangé ce pain dans les camps. Il rappellera également à son fils pourquoi il porte un numéro bleu sur le bras. 42 Le nettoyage de la maison de tout produit allemand fait référence au nettoyage auquel s’astreint chaque foyer juif avant la Pâque juive afin d’éliminer toute trace de levain. Le pain sec renvoie aux pains azymes (matsot) que les Juifs consomment durant la Pâque à la place du pain quotidien. La soirée se déroule autour d’un repas aux mets étranges, mais dont la valeur symbolique et pédagogique ne laisse aucun doute. La question posée par le fils au père est le résultat de toute une mise en scène autour du repas de fête destinée à éveiller la curiosité de l’enfant et à l’inciter à poser des questions. C’est cette méthode de transmission par la parole et l’enseignement que Yaacov Estreicher souhaite voir appliquer à l’histoire de la Shoah.

43 Il propose enfin de célébrer une nouvelle fête, la « fête des nomades » qui semble en tout point analogue à la fête juive des Cabanes (Souccot) et se caractérise par une suite de rites dont la principale visée est la commémoration de la traversée du désert après la Sortie d’Egypte et la protection permanente de Dieu sur les Hébreux. La « fête des nomades » a pour fonction de rappeler les périples des Juifs en Europe jusqu'à leur arrivée en Palestine : La fête des nomades rappellera les bouleversements vécus par les Juifs en Europe jusqu’à l’arrivée en Palestine. Durant cette fête, il sera prescrit aux rescapés de résider, prendre leurs repas, voire dormir, dans une cabane en forme de bateau, en souvenir des immigrants clandestins qui voyagèrent en bateau jusqu’en Palestine. Toute la famille commencera dans un esprit de réjouissance la construction du bateau, dans un lieu à ciel ouvert. Quand l’enfant demandera pourquoi nous passons la soirée dans un bateau le père expliquera que ses ancêtres ont voyagé dans ces bateaux clandestins pour rejoindre la Palestine. 44 Yaacov Estreicher fait raisonner son auditoire par contiguïtés, glissements et proximités avec les « temps anciens ». Le judaïsme biblique sert ici de source pour réactiver des schémas intellectuels ancestraux. Selon la pensée juive, l’homme ancien35, spirituellement plus avancé, a su, à travers des injonctions et des préceptes, mettre en place une méthode juive de transmission. Le processus de transmission qui a accompagné le peuple juif tout au long des siècles est un des aspects les plus singuliers de son histoire. C’est cette « méthode » grâce à laquelle la Torah orale est transmise pendant des milliers d'années de génération en génération et a été appliquée sous les civilisations les plus diverses, sans que ses structures de base s'en soient trouvé modifiées, que Yaacov Estreicher propose d’appliquer à la mémoire de la Shoah afin de la préserver.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 116

45 Qui sont ces nouveaux acteurs désireux de transmettre ou de témoigner, ces héritiers soucieux de leurs racines, ces spectateurs intrigués qui assistent à ces séminaires académiques ? Instrumentalisation de la mémoire de la Shoah au service d’un discours religieux qui s’emploie à démontrer la véridicité des textes anciens ou bien singulier exemple des diverses formes et contenus de la mémoire de la Shoah dans une société en pleine mutation ? 46 Le public36 de plus en plus nombreux à assister à ces séminaires est à la fois fragile et exigeant. La troisième génération ne cherche en aucun cas un maître à penser mais des valeurs dont elle sait qu’elles existent et dont elle souhaite recevoir la transmission. La Torah, que les Juifs religieux considèrent comme historique, actuelle et perpétuelle est le fondement d’une génération soucieuse de construire son identité à travers la mémoire traditionnelle. III. Entre mémoire transmise et mémoire acquise 37 47 Au début des années 1990, les Israéliens commencent à se mesurer de façon intensive au problème du traumatisme de la Shoah et à son influence sur la société israélienne38. Aux descendants de rescapés se sont joints de jeunes Israéliens qui ne sont pas des descendants « biographiques » des rescapés et qui cependant, observe l’historienne israélienne Gulie Ne’eman Arad, ont grandi « sous l’ombre d’Auschwitz 39». À la fois confrontée au « rituel institutionnalisé » des visites des camps et au « marché culturel » de la Shoah qui a infiltré différents espaces de la culture populaire israélienne, la jeune génération se trouve face à une crise mémorielle sans précédent40.

48 Dans un article publié par le quotidien israélien Ha’aretz le 13 octobre 1996, Mooli Brog, sociologue de l’Université hébraïque, a condamné la domination étatique sur l’interprétation idéologique de la Shoah et exhorté les dirigeants politiques israéliens à « privatiser » la mémoire en cassant les pratiques de commémorations monolithiques de l’État et à prendre en compte les récents changements idéologiques et politiques survenus dans la société israélienne41. Parmi ces récents changements, on constate l’irruption très récente en Israël de cérémonies alternatives de la Shoah. 49 Pour la huitième année consécutive, artistes, intellectuels, hommes de terrain et hommes de lettres se sont réunis pour parler de la manière dont chacun d’entre eux, en tant qu’individu et non plus collectivement, se mesurait à la Shoah. Cette année, la cérémonie a eu lieu dans une salle attenante au théâtre Tmouna 42. Les murs noirs et le plafond en fer ont contribué à l’atmosphère pesante qui règne dans ce lieu. De jeunes acteurs vêtus de haillons, maquillés en morts vivants se déplacent lentement parmi le public assis à même le sol. Cette cérémonie est devenue une véritable plateforme mémorielle pour des centaines de Tel-Aviviens. Tous ont choisi ce lieu pour communier avec un passé qui les obsède et qu’ils viennent « mettre à jour ». Cette cérémonie propose de connecter la Shoah au contexte actuel, plus que jamais critique. 50 Shaharah Blau, fondatrice de la cérémonie, est née et a grandi à Bnei-Brak, ville de la banlieue nord-est de Tel-Aviv qui regroupe la plus grande concentration de Juifs orthodoxes au monde après Jérusalem… À 29 ans, Shaharah, juive pratiquante, vit toujours à Bnei-Brak dans un quartier ultra-orthodoxe de la ville. Un de ses grands pères est mort à Buchenwald. L’autre a perdu sa femme et ses deux enfants dans les camps. Elle n’a cependant pas grandi avec ces récits. Comme dans beaucoup de ces familles, la Shoah n’était pas un sujet de discussion. Ce sont ses amis non religieux de

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 117

Tel-Aviv qui, en lui avouant un jour préférer voir un film vidéo plutôt que d’assister aux cérémonies officielles, l’ont incitée à concevoir un autre genre de cérémonie. 51 La cérémonie alternative élaborée par Shaharah Blau n’est pas une cérémonie sur « le peuple juif qui se rappelle les six millions » mais sur l’individu qui se rappelle les six millions43 : Il faut traiter de la Shoah dans le temps présent, des problèmes qui connectent la Shoah à notre vie actuelle. Parler de ce qui a trait au privé, au personnel. Non pas le peuple juif qui se souvient des six millions mais moi Shaï, moi Gili, moi Shaul orientant le projecteur sur un point précis. 52 Chacun des intervenants s’exprime librement. Plus besoin de glorifier les intérêts collectifs. Il est possible de se souvenir autrement. Les preuves, les données, les chiffres, rien de tout cela n’a changé. Ce qui a changé, c’est nous, notre conception de la mémoire, sur quoi choisissons nous de nous concentrer, sur quels personnages, quels événements, sur quoi choisissons nous d’orienter le projecteur . 53 La cérémonie alternative, initialement considérée comme un événement marginal, est devenue, au fil des années, une sorte de tradition44. Chaque année, d’un pas plus pressant, le public vient se rapprocher d’un événement qui, s’éloignant dans le temps, a pris valeur de symbole, au-delà même de l’événement.

54 En 2006, dix intervenants ont participé à cette cérémonie, chacun portant un regard personnel et différent sur la Shoah. La danseuse et chorégraphe israélienne Renana Raz a évoqué son voyage en Allemagne pour le spectacle « On nous a dit de partir 45». Enfant de « la troisième génération », Renana se croyait libérée du sentiment victimaire et d’un monde qui, pensait-elle, appartenaient à ses grands-parents. Elle raconte comment pendant qu’elle enseignait à des Allemands volontaires pour prendre part à la scène finale de son spectacle – une danse folklorique israélienne sur la chanson Véshuv Itchem « et de nouveau avec vous » – comment, « l’inconscient juif » surgit et la submergea : Je me suis demandée : où étaient-ils durant la guerre ? Et pendant que je leur enseignais l’exclamation si israélienne « Hopa Hey » je ne pouvais m’empêcher de les imaginer criant : « Heil Hitler ». À Berlin, j’ai observé la manière dont les Allemands triaient les ordures. Papiers, plastiques, verre… Dans n’importe quel autre pays au monde, ce geste me serait apparu comme un acte écologique. Mais là, en Allemagne, j’ai pensé « sélection ». J’ai réalisé combien mes associations d’idées n’étaient pas anodines. Les choses du quotidien prenaient un autre sens. Elles appartenaient soudain à un autre temps, à une époque tragique. 55 Les résurgences de cette mémoire s’entrechoquent avec les mots de la chanson populaire sioniste qui prend soudain un tout autre sens… Et de nouveau avec vous nous sortirons voir la lumière Et de nouveau avec vous nous danserons toute la nuit À cause de vous nous avons voulu revenir Et de nouveau avec vous avec le soir nous nous réveillerons Et de nouveau avec vous nous nous réjouirons nous tous ensemble et avec vos chansons nous répèterons le refrain Et de nouveau avec vous

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 118

et que la paix soit sur vous et sur nous tous Et de nouveau avec vous nous sommes à vous, et toutes les chansons sont nôtres. 56 Dans un texte pamphlétaire, l’homme de théâtre Amir Ourien conteste à Israël son statut de vecteur légitime de la mémoire de la Shoah : Un État dont 48 % de la superficie sont des zones militaires fermées, un État dans lequel des centaines de personnes sont maintenues en détention sans acte d’accusation et sans limitation aucune dans le temps, un État dans lequel un Palestinien dont la compagne est citoyenne israélienne ne peut entrer en Israël, un tel État, l’État d’Israël, a perdu toute légitimité pour parler de la Shoah. 57 Amir Ourien entame alors un dialogue avec la Charte d’indépendance de l’État juif : L’État d’Israël dont la Charte d’indépendance promettait : un État fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d'Israël. D’assurer une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe. De garantir la pleine liberté de conscience, de culte, d'éducation et de culture. D’assurer la sauvegarde et l'inviolabilité des Lieux saints et des sanctuaires de toutes les religions et de respecter les principes de la Charte des Nations-Unies. Cet État, l’État d’Israël, n’a tenu aucune de ses promesses. 58 Le journaliste Shaï Golden a raconté, sur un ton satirique, la séparation définitive entre Dieu et le peuple juif dans une métaphore entre les rapports tumultueux d’un couple et ceux du peuple juif avec Dieu : Lorsque Dieu vit de qui il était tombé amoureux il voulut se rétracter et choisit comme à l’accoutumée de le notifier par des actes. Il commença par nous maltraiter avec des expulsions et des inquisitions, mais nous avons refusé de comprendre. Il s’est alors trouvé une autre femme dans le christianisme et lui a donné le pays et le royaume. Mais, là encore, nous n’avons pas compris… Il trouva une concubine dans l’islam à qui il donna force et fortune. Il continua par l’Expulsion d’Espagne et par des pogroms. Mais nous avons continué comme si de rien n’était… En 1939, n’en pouvant plus, il demanda aux Allemands de mettre un point final à tout cela. Lorsque tu fais appel à un meurtrier, il fait généralement son travail… Mais un instant avant que la besogne ne soit terminée, Dieu décida que le message était suffisamment clair. Mais, là encore, nous n’avons pas compris et nous nous sommes appliqués à mettre les tefillins, à construire des synagogues et nous avons créé l’État d’Israël… Et quoi de plus clair que la guerre de 1973 ? Quand les pays arabes décident de nous exterminer le jour du Kippour ? Mais nous refusons de comprendre. Aujourd'hui, j’entends que le projet iranien avance à un rythme satisfaisant... 59 Le journaliste Shaul Bibi a choisi, à quant à lui, de parler de son rapport à la Shoah, lui qui n’est pas un descendant « biographique » mais dont l’enfance en Israël fut inévitablement marquée par le récit de la tragédie. Bibi se place dans la position « d’enfant sociologique » ou de ce qu’Iris Milner nomme la « seconde génération d’adoption 46». La participation intense de cette « génération d’adoption » au thème de la Shoah exprime une identification cognitive et émotionnelle avec les descendants des rescapés et permet de voir le concept « les enfants de la seconde et troisième génération » comme un concept culturel vaste, qui s’écarte des définitions catégorielles d’un groupe de population spécifique.

60 Depuis le début des années 1980, la mémoire de la Shoah a été institutionnalisée et ritualisée dans le discours officiel israélien, que ce soit avec l’organisation massive de voyages en Pologne sur les sites des camps de la mort ou par l’appropriation des

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 119

symboles de la Shoah par les mouvements post et néo-sionistes47. Ces comportements sont devenus une part de la religion civile israélienne. La mémoire de la Shoah a acquis le statut de dogme, protégé par la loi de 1981 interdisant sa négation. Or, dans cette société, façonnée par la mémoire de la Shoah, en 2004, Shai Nahon, étudiant israélien en science comportementale, montait sur la scène du théâtre Tmouna dans le cadre de la cérémonie alternative afin de montrer le numéro bleu que portait sa grand-mère et qu’il avait tatoué sur son bras… Acte marginal ou individualités ignorées gagnées par ce « culte de la mort » latent qui semble submerger la culture officielle israélienne ? Nous laisserons volontairement la question en suspens. 61 La cérémonie alternative du théâtre Tmouna organisée par Avi Gibson Barel et Shaharah Blau, vient s’additionner au « travail de mémoire » qui a débuté dans les années 1980 dans le système éducatif, dans les écoles élémentaires et les lycées et non le contester. « Tu raconteras à tes enfants… » est un précepte fondamentale de la Torah. Dans la tradition juive, chaque parent a le devoir de transmettre à ses enfants l'histoire de sa famille et de son peuple. Yaacov Estreicher et Shaharah Blau ne tentent pas uniquement de répondre à l’injonction de mémoire : « Tu raconteras à tes enfants. » Chacun à sa manière essaye d’engager la discussion autour d’une véritable problématique : comment raconteras-tu à tes enfants ? 62 Cette nouvelle génération, dont les projets et les interrogations se manifestent dans un rapport de contiguïté avec les événements que traverse le pays depuis la guerre des Six Jours48 cherche de nouvelles voies pour façonner son identité. Confrontée à un combat de plus en plus violent avec ses voisins, elle concède une importance fondamentale à la narration de son origine. La question de l’identité juive israélienne se définit aujourd’hui dans une articulation extraordinairement complexe et évolutive avec une identité collective basée sur la Shoah. 63 Ces recompositions mémorielles au sein de la société israélienne soulèvent des interrogations majeures sur la transmission intergénérationnelle et sur le poids du politique : ne risquent-t-elles pas, à plus ou moins long terme, d’engendrer une concurrence entre l’identité nationale et l’identité religieuse fondamentaliste ?

NOTES

1. Les « lieux de mémoire » tirent cette capacité de leur appartenance à la fois à la mémoire et à l’histoire. 2. P. Nora, « L’ère de la commémoration », dans P. Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, vol III, Les France, 3. De l’Archive à l’Emblème, Paris, Gallimard, 1992, p. 977. 3. Cette forme de nationalisme, dite « ethnique », renvoie aux différentes déterminations culturelles, linguistiques, qui définissent un peuple historiquement : la mémoire, la religion, le langage. Sur le nationalisme et le nationalisme ethnique, voir A. D. Smith, The Ethnic Origins of Nations, Oxford, Blackwell, 1986, p. 141. 4. Le pogrom contre les Juifs de Bagdad en 1941 se produisit quelques heures avant l’entrée des Britanniques. Le Premier ministre « pro nazi » Rachid Ali Kilani s’enfuit

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 120

hors d’Irak. Cette anarchie politique s’est accompagnée de l’assassinat de 160 Juifs et d’un nombre indéterminé de musulmans. 5. Y. Shenhav, « Juifs originaires de la terre d’Islam en Israël : L’identité fragmentée des Juifs orientaux dans les lieux de mémoires de la nation », Juifs orientaux en Israël : Une observation critique de l’ethnicité israélienne, eds H. Hever, Y. Shenhav and P. Motzafi- Haller, Hakiboutz Hameouchad, Jerusalem, Institut Van Leer, 2002, p. 110 (en hébreu). 6. H. Cohen, « The anti-Jewish Farhud in Baghdad 1941 », Middle Eastern Studies, n° 3, 1996, pp. 2-17. 7. 1948-1952 : immigration en masse de Juifs vers Israël en provenance des pays arabes et d’Europe. Opération « Tapis volant » au Yémen et opération « Ezra et Néhémie » en Irak. 8. Y. Shenhav, op. cit., p. 109. 9. E. Shohat, « Sephardim in Israel: Zionism from the Standpoint of its Jewish Victims », in Dangerous Liaisons: Gender, Nation, and Postcolonial Perspectives, eds A. McClintock, A. Mufti and E. Shohat, Minneapolis/ London, University of Minnesota Press, 1998, p. 42. 10. O. Carré, L’Orient arabe aujourd’hui, Paris, édition Complexe, 1991, p. 78. 11.H. Laurens, Paix et Guerre au Moyen-Orient (L’Orient arabe et le monde de 1945 à nos jours), Paris, Armand Colin, 1999, p. 251. Voir également : E. Sprinzak, The Ascendance of Israel’s Radical Right, Oxford, Oxford University press, 1991, pp. 35 -38. 12. Ibid., p. 268. 13. Ibid., p. 272. 14. Seule l’extrême-gauche se prononce en faveur d’un retrait total des Territoires et s’oppose à toute implantation, qu’elle soit militaire ou agricole. 15. A. Shapira, « »La Shoah : mémoire individuelle, mémoire collective”, Zmanim, n°57, hiver 96-97, pp. 4-13 (en hébreu). 16. O. Carré, op. cit. supra (note 10), p. 104. 17. B ; Evron, « La Shoah en boomerang », Politika, juin-juillet 1986, pp. 8-9 (en hébreu). 18. Les manipulations de la mémoire de la Shoah ne sont pas l'exclusivité de Begin ou de la droite. En 1998, Tsahal proposa que les unités d’élite prêtent serment aux camps de Majdanek et Birkenau. Cf. Ha’aretz, 21 avril 1998, 6A (en hébreu). 19. Discours de Menahem Begin le 29 juin 1982. Cf. Comptes-rendus des débats parlementaires de la dixième Knesset, volume II, p. 2973 (en hébreu). 20. Le Likoud fait alliance avec le PNR (Parti national religieux) et Agoudat Israël (Parti ultra-orthodoxe ashkénaze). 21. Fait référence à la lettre que David Ben Gourion adresse, en juin 1947, au parti politique orthodoxe Agoudat Israël, dite « lettre du statu quo » dans laquelle sont posées les bases d’une collaboration sereine entre laïques et religieux dans le jeune État juif. 22. En français : « Valeurs » 23. Liste des thèmes sur le site internet en hébreu : www.arachim.co.il 24. De -3760 à nos jours. 25. Conférence enregistrée le 12 octobre 2006 à Jérusalem. La transcription proposée ci- dessous est une traduction personnelle des propos tenus par Yaacov Estreicher. Certaines conférences sont accessibles sur le site internet en mode audio ou vidéo classés par thème ou par conférencier (en hébreu). 26. Pendant la plus grande partie du fonctionnement du camp, les déportés arrivaient au niveau de l'ancienne gare de marchandises d'Auschwitz (la Judenrampe) et marchaient jusqu'à Birkenau. La voie fut prolongée au printemps 1944 pour terminer son trajet à l'intérieur de Birkenau, au plus près des dispositifs de gazage. À peine sortis

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 121

du train, les prisonniers subissaient la « sélection ». D'un côté, les faibles, les personnes âgées, les malades, les femmes enceintes, les enfants destinés, à être gazés immédiatement. De l'autre, les adultes (en théorie à partir de 16 ans) les plus valides que les SS destinaient à la mort par le travail forcé. Souvent, le docteur Josef Mengele se servait parmi les nouveaux venus pour conduire ses expériences. 27. Annulée en 1986 par le ministre Alain Devaquet. 28. Moïse construit au pied du Sinaï un autel, encadré par douze stèles, symbolisant la présence des douze tribus. Après avoir offert des sacrifices, le peuple accepte dans sa totalité le pacte entre Dieu et Israël. 29. « Demandez donc aux jours qui étaient avant vous, depuis le jour où Dieu a créé l’homme sur la terre, et d’une limite du ciel jusqu’à l’autre, un si grand événement s’est-il produit, a-t-on parlé d’un semblable ? Un peuple a-t-il entendu la voix de Dieu parler du sein du feu comme tu l’entendis toi-même et le vécu ?... Cette vision te fut consentie afin que tu saches que l’Éternel est Dieu, qu’il n’y en a point d’autres. » 30. C’est Moïse qui a la charge de transmettre aux Hébreux les premiers éléments de la Thora (prolongement du Décalogue), comprenant un code civil, pénal, religieux et moral, mais également les prescriptions relatives à la construction du sanctuaire. La Thora, qui s’est constituée au cours des quarante années dans le désert, forme le Pentateuque. 31. Certaines parties de la révélation sont destinées à rester orales et à être transmises de génération en génération par la parole et l’enseignement. Il s’agit de la loi orale (Thora shébéalpé). 32. Moïse aurait transcrit la Thora et en aurait remis un exemplaire à chacune des 12 Tribus d'Israël. 33. Procédure renforcée et précisée de la procédure légale en vigueur en Angleterre dont les origines remontent au Moyen Âge. Elle amène un juge à se prononcer sur le caractère légal ou non de la détention d’une personne et, le cas échéant, à ordonner sa libération, de façon à apporter des garanties réelles et efficaces contre la détention arbitraire. 34. En signant le protocole de capitulation à Reims le 7 mai, puis en répétant symboliquement cette signature dans la capitale du Reich, à Berlin, dans la nuit du 8 au 9 mai, les chefs militaires allemands avouaient, à la face du monde, la défaite complète et sans rémission de leur pays. Le 9 mai 1945, après 2 077 jours de combats, de souffrances et de deuils, la Seconde Guerre mondiale prenait fin. 35. C'est-à-dire les anciens docteurs de la Loi (talmidé chachamim ou sofrim) qui ont interprété les prescriptions bibliques tels que Hillel, rabbi Ishmaël et rabbi Yossi le Galiléen. 36. Un public essentiellement composé de personnes non religieuses, anciennement religieuses ou tout simplement en quête d’identité. 37. Le philosophe allemand Walter Benjamin a distingué la mémoire transmise (c’est-à- dire tout ce qui passe d’une génération à l’autre, y compris l’histoire et son enseignement) de la mémoire acquise ( à savoir tout ce qui n’est arrivé qu’à vous, ou que vous ressentez comme tel). 38. R. Melkinson et E. Witztum, « Aspects psychologiques du deuil dans les analyses historiques et littéraires », Alpayim n° 12, 1996, pp. 211-239 (en hébreu). 39. Y. Loshitzky, Identity Politics on the Israeli Screen, Austin, University of Texas press, 2001, p. 19 40. Idem., p. 70.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 122

41. Cité par Y. Loshitzky, Ibid. p. 19. 42. La cérémonie alternative du 24 avril 2006. 43. La transcription proposée ci-dessous est une traduction personnelle des propos tenus par les participants à la cérémonie alternative. 44. En 2006, 1 000 personnes se sont rassemblées au théâtre Tmouna. 45. Son spectacle aborde la question des cérémonies et des mythes israéliens. 46. I. Milner, Passé Présent, (Bibliographie, identité et mémoire dans la littérature de la Seconde Génération), Tel-Aviv, Am Oved, 2003 (en hébreu). 47. A. Dieckhoff, Zionist Thought and the Making of Modern Israel, Londres/New York, Hurst/Columbia University Press, 2002. 48. Une génération marquée par la première et la deuxième guerre du Liban… Par la première et la seconde Intifada… Des guerres considérées comme « sales » en raison du conflit avec une population civile.

AUTEUR

GUILA SYLVIE NAKACHE Guila Sylvie Nakache est doctorante en histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Madame Anne Grynberg. Rattachée à l’équipe de recherche IRICE, boursière au Centre de recherche français de Jérusalem en 2006, elle est actuellement boursière à la FMS et prépare une thèse sur « Les représentations de la Shoah dans la société israélienne : étude du discours politique et des débats culturels de 1973 à nos jours. » [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 123

Le traumatisme des enfants cachés. Conséquences psychologiques du vécu de persécution antisémite chez les enfants juifs cachés en France pendant la Seconde Guerre mondiale

Nathalie Zajde

1 Les données présentées dans cet article sont issues du travail clinique et de recherche auprès des survivants et descendants de victimes de la Shoah, mené depuis une quinzaine d’années par l’équipe d’ethnopsychiatrie du Centre Georges Devereux de l’Université de Paris 8 Saint-Denis. I. Qu’est-ce qu’un traumatisme ? 2 Le traumatisme psychique renvoie à deux réalités : il s’agit à la fois d’un événement objectif et d’un état psychopathologique. 3 En psychologie, on désigne généralement par « traumatisme » un événement de vie laissant trace, à l'exemple d'une atteinte corporelle ne parvenant pas à cicatriser. C'est pourquoi, il arrive que l'on décrive le traumatisme comme un processus détruisant l'équilibre, la configuration psychique préexistante, sans parvenir à donner lieu à un nouvel agencement. Les événements traumatiques le plus souvent répertoriés sont : le traumatisme sexuel vécu dans l'enfance, les névroses de guerre, les névroses traumatiques consécutives à un accident de la route, du travail ou même domestique, le viol, les catastrophes naturelles et les attentats. Entendu en ce sens, le traumatisme peut être considéré comme un agent de destruction de la psyché, par conséquent le seul agent dont on peut dire qu'il la modifie infailliblement 1. 4 Un événement traumatique est un événement de nature insensé qui plonge le sujet dans un doute permanent, qui le fige à un moment donné de sa vie et qui souvent réduit considérablement le champ de ses intérêts ainsi que ses capacités créatrices et intellectuelles. 5 Le traumatisme advient car il se passe quelque chose de terrifiant et d’inconcevable (un attentat, un viol, un kidnapping, une catastrophe naturelle, un accident mortel…), qui menace la vie de la personne et la plonge simultanément dans l’incapacité de comprendre pourquoi ou comment cet événement est advenu. Le sujet traumatisé peut avoir l’impression que sa vie va s’arrêter, qu’il ne survivra pas à l'événement.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 124

6 En outre, le sujet se trouve totalement démuni, incapable de rendre compte de ce qui lui arrive ; comme s’il était dépossédé de ses capacités intellectuelles, comme si le monde humain, fait de paroles et d’échanges, avait d'un seul coup été englouti. 7 Longtemps après le traumatisme, parfois toute sa vie durant, l’individu traumatisé conserve cette conviction intime qu’une partie de lui, ou même la totalité de son être, a été capturée dans un univers hors d’atteinte du monde normal, de ses semblables. Comme si le monde s’était vidé, comme s’il n’existait plus personne capable de l’aider, de le comprendre ou encore de lui expliquer ce qui lui était arrivé. 8 Le traumatisé souffre d’obsessions, de pensées figées, toujours aussi douloureuses et inconsolables. 9 Tous ces processus sont à l’origine du profond sentiment d’isolement dont souffrent tous les traumatisés. 10 Pour saisir la nature d’un traumatisme, et pour soigner les personnes traumatisées, l’événement qui fait trauma doit toujours être compris dans son contexte historique, sociologique, politique et culturel. 11 La spécificité du traumatisme des enfants cachés

12 Qui étaient ces enfants cachés en France pendant la Seconde Guerre mondiale ? À quels collectifs d’adultes juifs appartenaient-ils ? II. Portrait historique et culturel 13 Cela peut sembler arbitraire, mais pour plus de clarté et pour rappeler qui étaient ces Juifs, issus de communautés différentes – à présent toutes disparues – , je propose de distinguer trois grandes catégories : les israélites, les Juifs émigrés d’Europe centrale, du Nord et de l’Est et les Juifs émigrés du bassin méditerranéen. 14 Bien sûr, ce qu’ils vécurent pendant la guerre fut identique : ils subirent les mêmes angoisses, les mêmes frayeurs, les mêmes terreurs, les mêmes souffrances inhumaines et les mêmes morts atroces. Mais leur émigration et leur vie en France jusqu’à la guerre ont, de fait, été différentes. 15 De manière générale, on peut dire que les « israélites » vivaient sur le sol français depuis fort longtemps. La plupart se sentaient faire pleinement partie de la République. Ils s’identifiaient profondément à ses institutions et certains se revendiquaient même comme leurs garants. Ils étaient, comme on disait alors, des « citoyens français de confession israélite ». 16 La plupart des Juifs du bassin méditerranéen avaient émigré récemment, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Les Turcs et les Grecs par exemple, par leur fréquentation assidue de l’Alliance israélite universelle, revendiquaient le français comme une langue familière. À cause de l’action et de la présence de cette institution, nombreux sont ceux qui considéraient la France comme une deuxième patrie – non pas tant pour y vivre, certains n’en ont jamais foulé le sol – mais pour les valeurs qu’elle représentait. Les Juifs du Maghreb avaient, quant à eux, émigré de manière plus sporadique, plus individuelle. Dans de nombreux pays, ils entretenaient depuis fort longtemps un lien privilégié tant avec la langue française qu’avec les institutions républicaines.

2 17 La plupart de ceux qui participent aux groupes de parole du Centre Georges Devereux proviennent de familles émigrées d’Europe centrale. Souvent, ils avaient fui, avant- guerre, des situations politiques et économiques difficiles dans leur pays d’origine et étaient venus en France, soit dans le but de poursuivre leur émigration vers la

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 125

Palestine, vers l’Angleterre, ou vers l’Amérique du Nord ou du Sud, soit dans le but de s’y installer. Dans tous les cas, ils ont rencontré en France des conditions de vie qu’ils n’avaient jamais connues dans leur propre pays et qui leur ont procuré le sentiment d’être libre, de pouvoir enfin vivre « comme tout le monde ». Il est vrai que les parents de ceux que nous appelons aujourd’hui les « enfants cachés » se sentaient juifs ; mais nombre d’entre eux avaient rompu, en émigrant, avec une vie traditionnelle et communautaire, dont ils ne pouvaient soupçonner à l’époque qu’elle manquerait tant à la génération suivante. Ils pensaient presque tous qu’avoir quitté le shtetl 3 (village, en yiddish) constituait un progrès de l’humanité. Bien qu’attachés à leur mamelouché (la langue maternelle, le yiddish4), ils étaient souvent persuadés que leurs enfants devaient avant tout bien parler le français. Sans rejeter leur judaïsme, ils pensaient que l’école française et républicaine était infiniment plus enviable que le heïder (école juive). Bien que Juifs, un nombre non négligeable préférait le Manifeste du Parti Communiste de Marx à la lecture de la Tora. Certes, la yiddishkeit (le monde juif) était leur monde 5, ils en étaient fiers, mais ils rêvaient d’un monde meilleur pour leur progéniture. Leur émigration fut un moment déterminant non seulement dans leur existence, mais tout aussi capitale pour les générations suivantes. Souvent, ils sont partis en laissant derrière eux une bonne partie de leur famille. Ils sont partis en laissant leurs villages, leurs quartiers, leurs sages, leurs vieux et leurs rebbe (rabbin). Ils ont quitté les institutions juives traditionnelles et ils ont aussi laissé derrière eux leurs rav, leurs thérapeutes, c’est-à-dire ces sages qui utilisaient des méthodes juives, qui utilisaient des formules et des prières pour rétablir l’ordre du monde et combattre les maladies. 18 Ils ne pouvaient se douter alors qu’ils ne les reverraient plus jamais.

19 Arrivés en France, nombreux sont ceux qui se sont regroupés en associations, en sociétés d’entraide, et qui ont tenté de recréer un semblant de communauté6. Ils garantissaient ainsi essentiellement les enterrements dans la terre d’accueil, et essayaient en outre d’organiser des mariages de leurs enfants, espérant transmettre leur identité « à l’étranger ». Les shadhen (marieur) aussi avaient émigré ! La majeure partie des Juifs immigrés se sont vite adaptés à la vie en France, ils l’ont appréciée. Ils ont changé de calendrier, ont adopté le calendrier chrétien républicain. Ils ont changé d’habitudes alimentaires : bien qu’ayant emporté avec eux les recettes du guefilte fish (carpe farçie), guéachte leibe (foie haché) ou du tarama, ils se sont mis à manger la baguette, le camembert, parfois aussi le jambon et le saucisson et certains – rares il est vrai ! – se sont même mis à boire du vin. 20 Leurs enfants, nés en France ou venus avec eux en bas âge, étaient à leurs yeux des Juifs qui allaient connaître une vie meilleure. Certes, il leur importait qu’ils n’oublient pas d’où ils venaient, mais ils espéraient qu’ils deviennent des Juifs français, heureux et en bonne santé – des Juifs qui entreprendraient de meilleures études, qui iraient plus loin que leurs parents. La France, pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, pays où la discrimination religieuse et raciale n’existait plus depuis Napoléon7, nation où il n’y avait pas de numerus clausus, pays de l’émancipation des Juifs, devait permettre à leurs descendants de réussir tout en restant fidèles à leur origine. 21 Les lois de Vichy et la victoire allemande sur la France furent un réel traumatisme pour cette population. Que s’est-il passé ? 22 La mise en place de lois anti-juives en France8 plongea la communauté juive et particulièrement la communauté émigrée dans un profond désarroi. Je fais ici une distinction dans la mesure où la communauté israélite a cru, un temps, qu’elle serait

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 126

épargnée et pensait au début que la discrimination ne concernait que ces Juifs venus du fin fond de l’Europe « primitive ». Bien sûr, elle souffrit tout autant, mais au début elle n’eut pas les mêmes craintes que les immigrés. Frayeurs 23 Alors que les Juifs se croyaient en sécurité, le pays où ils étaient venus se réfugier se métamorphosait sous leurs yeux ; la France devenait en quelques mois un pays hostile et dangereux. 24 Les parents, sous la menace, étaient inquiets. Les psychologues disent que les petits enfants ressentent le danger, l’éprouvent non de leur propre chef, car ils n’en ont pas vraiment conscience, mais à travers les angoisses de leurs parents. C’est quand il perçoit que le regard de sa mère est ailleurs, préoccupé, qu’elle n’est plus disponible pour lui, accaparée par la recherche de solutions immédiates aux menaces d’arrestation et de déportation que l’enfant est envahi d’une angoisse qui très vite se transformera en un sentiment d’insécurité indélébile. 25 Presque tous les enfants cachés, rencontrés dans un cadre thérapeutique ou dans celui d’entretien de recherche9, disent se souvenir encore aujourd’hui de l’état de frayeur dans lequel ils furent plongés eux et leur parents quand, un jour, au petit matin, ils ont entendu les coups frappés à la porte par la police française qui venait arrêter, qui leur père, qui toute la famille. Ces coups frappés à la porte, ces coups de sonnette résonnent encore dans leurs oreilles. Certains en font des cauchemars récurrents. Ils disent souvent que leur vie s’est brisée à ce moment précis, que jamais plus ils n’ont retrouvé la sérénité de la vie d’avant – en d’autres termes, ils disent que leur vie de famille s’est arrêtée là. 26 Il y eut, pour beaucoup d’enfants juifs, des menaces de mort, menaces permanentes durant toute la durée de la guerre. Certains ont été internés dans des camps en France, puis relâchés, toujours miraculeusement. J’ai rencontré des enfants cachés qui ne comprennent toujours pas pourquoi ils sont en vie : ayant échappé maintes fois à l’arrestation et à la mort – soit en compagnie de leurs parents, soit séparés d’eux. Cette incompréhension reste intimement liée à ces frayeurs qui n’ont jamais disparu. Séparations 27 Certains parents ont décidé de se séparer de leurs enfants afin de leur donner plus de chance de survivre et de se donner plus de liberté pour se cacher. Ces séparations ont systématiquement été dramatiques pour plusieurs raisons. 28 La première est évidente : il s’agissait d’un déchirement affectif. L’enfant, protégé et aimé par ses parents, par sa fratrie, se trouvait du jour au lendemain séparé de ceux qu’il aimait. 29 La deuxième raison est moins connue, mais elle est tout aussi fondamentale et a laissé des traces psychologiques profondes. Les enfants des émigrés juifs se sont retrouvés brutalement, non seulement séparés de leurs parents, mais plongés dans un monde inconnu, totalement étranger. Bon nombre d’enfants juifs séparés de leurs parents et cachés pendant la Shoah ont subi un traumatisme d’acculturation10. 30 Pour les petits enfants d’étrangers dont l’unique langue était la langue maternelle, par exemple pour ceux qui ne parlaient que le yiddish, ceux qui n’avaient pas trois ans, qui n’étaient pas encore inscrits à l’école, dont la douceur du monde était liée au bercement des chants de leur mère, le choc fut immense et reste aujourd’hui encore incompréhensible. Placés dans une famille française, chrétienne, passant de la ville à la

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 127

campagne, ils durent en très peu de temps changer d’identité, changer de langue, changer de mode de vie, changer d'objets d'amour et d'intérêt. L’enfant n’était plus le « kindelé », mais un enfant qu’on cachait, qui devait oublier ses parents et s’adapter à un univers complètement étranger. Les premiers moments de cette nouvelle vie furent de réels traumatismes : l’enfant était plongé dans l’inconnu absolu et dans l’incompréhension totale ; il n’avait plus aucun moyen de décoder le monde et les événements dont il était victime. Ceux qui étaient plus âgés, bien que comprenant les raisons pour lesquelles on leur intimait l’ordre de cacher leur véritable identité, les raisons pour lesquelles ils étaient loin de leurs parents, ces enfants ont eux aussi dû s’adapter et oublier. La tristesse et le désespoir les ont tous envahis. Certains les ont surmontés en apparence en se refermant et en montrant une insensibilité factice, d’autres sont restés à jamais profondément tristes ou déprimés. 31 Tous ces enfants ont oublié leur langue maternelle ; beaucoup ont oublié qui ils étaient ; certains ont changé de nom, ont effacé leur réelle identité. Beaucoup sont allés à la messe et certains ont commencé à y croire. Ceux-là ont oublié qu’ils étaient juifs, certains souhaitaient même devenir de fervents chrétiens. Peut-être était-ce une manière de ne pas souffrir de la disparition de leurs parents. Certains se sont convertis à l’adolescence ou un peu plus tard – j’en ai rencontré quelques-uns qui, depuis ce moment, ont honte d’être juifs, ont honte d’être ce qu’ils sont : des adultes dont on pourrait dire qu’ils sont encore cachés aujourd’hui, qu’ils continuent à avoir peur. Mais la plupart de ceux que je connais ressentent au fond d’eux-mêmes un mélange de tristesse et de rage qui provient, semble-t-il, directement de ce vécu de séparation et de l’état de victime passive qu’ils ont dû subir, sans pouvoir réagir parce que, justement, ils étaient des enfants. 32 Des personnes et des familles françaises qui ont recueilli les enfants juifs pendant la guerre, il y en eut de toutes sortes. Certaines l’ont fait par conviction, par résistance, et celles-là sont dites « Justes parmi les nations 11», d’autres l’ont fait pour de l’argent, et quelques-unes pour « sauver des âmes juives 12». Certaines furent affectueuses et bienveillantes, d’autres mal traitantes, et cela rajouta au traumatisme de la guerre. Mais, dans tous les cas, ces familles appartenaient à un autre univers, à un autre monde. III. Après la guerre 33 Après la guerre, les retrouvailles avec les parents survivants, soit cachés, soit déportés, ne furent pas, comme on aurait pu le penser, la fin de tous les malheurs. En réalité, elles furent pour un grand nombre d’enfants cachés, un nouveau traumatisme. Ces enfants qui avaient dû, plusieurs années auparavant, apprendre à changer d’identité, à s’adapter à un nouvel univers affectif et culturel, durent, une deuxième fois, modifier en profondeur leur existence. Ce deuxième changement – dont on a en réalité trop peu estimé l’importance psychologique – fut associé à l’intériorisation d’un sentiment de doute et d’instabilité, qui ne devait plus jamais quitter les « enfants cachés ». En outre, les parents retrouvés n’étaient pas les sauveurs que les enfants avaient imaginés pendant tout ce temps de séparation et de souffrance, dans leurs rêveries, quand ils se sentaient malheureux et abandonnés. Les parents, après la guerre, n’étaient plus ceux que les enfants avaient connus 13. Ils avaient changé. Ils étaient en quelque sorte devenus des étrangers. Tous avaient souffert, étaient eux-mêmes traumatisés 14. Tous avaient perdu des parents, parfois le conjoint, parfois des enfants ; beaucoup avaient subi des frayeurs qui se réveillaient à l’improviste. Peu étaient disponibles pour leurs

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 128

enfants, et certains les considéraient même comme un fardeau supplémentaire. Ils devaient refaire leur vie, sans argent, sans famille et se trouvaient accablés par la responsabilité de s’occuper seuls de l’éducation de leurs enfants. Pour la plupart, ils ne se sont pas doutés que des enfants aussi pouvaient souffrir de traumatisme. Les survivants des camps étaient par moments envahis par les terreurs et les fantômes de la déportation. Dans les moments où ils replongeaient dans leurs cauchemars, la présence de leurs enfants leur devenait alors insupportable. J’ai rencontré beaucoup d’enfants survivants, qui se souviennent que leurs parents se laissaient parfois aller à des états de crise injustifiés, incompréhensibles. Certains devenaient même violents. Parfois, ils « disparaissaient », s’enfermant dans leur chambre pendant des heures, ne répondant plus à leurs enfants comme s’ils ne se sentaient plus concernés pas eux, comme s’ils étaient définitivement partis ailleurs. Aujourd’hui, en discutant ensemble, nous comprenons qu’ils étaient sans doute rattrapés de manière diabolique par leur vécu concentrationnaire – autrement dit : que les tortionnaires, ou encore que les morts, « venaient les chercher ». Mais qu’est-ce qu’un enfant peut comprendre lorsque son père ou sa mère qu’il aime se détourne de lui ou bien se montre envahi par une violence soudaine ? À ces moments-là, l’enfant se sent abandonné une nouvelle fois ; il a le sentiment que le monde entier se retourne contre lui. 34 La vie de famille, souvent, était une vie difficile. D’après ce que me disent les enfants survivants, l’ambiance à la maison était rarement sereine. Les familles étaient brisées ; les parents, les oncles, les tantes, les frères et sœurs se brouillaient facilement, l’entraide n’était pas ce que l’on aurait pu imaginer. En réalité, les Juifs étaient trop accablés par ce qu’ils avaient vécu, leurs parents morts les hantaient – quelquefois, ils les attendaient, espéraient leur retour, sursautant au moindre pas dans l'escalier. Beaucoup d’enfants survivants gardent cette impression d’avoir vécu avec la sensation que les morts risquaient de revenir à chaque instant. Bon nombre d’enfants cachés ont voulu très tôt se débrouiller seuls. Certains n’ont pas fait les études qu’ils auraient dû faire. Ceux-là sont partis tôt de la maison, se sont mariés, ont travaillé, souhaitant à la fois alléger le fardeau de leurs parents et s’échapper vers une vie plus gaie, moins angoissée, moins marquée par la guerre. D’autres ont réussi leurs études, soutenus par leurs parents, tout en souhaitant que leur future vie d’adulte et de parents soient totalement différente de celle qu’ils avaient connue jusque-là. 35 Les enfants cachés que j’ai rencontrés disent qu’on leur a « volé leur enfance »15, qu’on a volé une partie de leur vie. Ils pensent tous qu’ils auraient dû avoir une autre existence, plus heureuse, plus réussie. Et cette pensée est toujours liée à l’identification d’un responsable, d’un agresseur : la guerre, les nazis, l’antisémitisme. Leur vie a été bafouée, parfois détruite, non pas par leur faute, non pas à cause de leur caractère, de leur personnalité ou de leur psychologie, non pas à cause de parents qui auraient été de mauvais parents, mais bien à cause de la persécution antisémite de la période nazie, qui leur a valu d’être séparés de leur famille, qui leur a valu d’être des orphelins, qui leur a valu d’être effrayés à jamais, qui leur a valu d’être des « sans-famille » et des « sans- groupe ». Depuis ces événements qui ont fait basculer leur famille dans l’horreur, leur vie est devenue en quelque sorte aléatoire : ils pensent tous que leur existence n’est pas celle qu’ils auraient dû connaître et que leur vie n’est pas une évidence. Depuis lors, rien, pas même la naissance de leurs enfants ni celle de leurs petits-enfants, n’est réellement venu les apaiser. Il leur reste, au fond d’eux-mêmes, cette plaie non cicatrisée, qui, avec le temps, semble devenir de plus en plus douloureuse16.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 129

De quoi souffrent-ils ? 36 Certains souffrent de dépression chronique, d’autres d’angoisses injustifiées, beaucoup font des cauchemars, certains se plaignent de sentiment d’insécurité, d’autres souffrent de phobies, d’autres encore sont facilement irascibles. Les recherches ont montré qu’en réalité, les enfants cachés pendant la guerre, tout comme leurs parents, ne relèvent pas d’une catégorie psychologique ou psychiatrique définie17. En d’autres termes, ils ne rentrent dans aucune classification préexistante. Ils souffrent d’être des survivants. C’est en parlant avec eux que j’ai compris que la catégorie de survivant concernait tous les Juifs vivant dans l’Europe nazie et ayant survécu.

37 Qu’ils aient été âgés de six mois ou de quarante ans, ils ont tous été menacés de mort et cette menace est restée inscrite en eux. Ils sont traumatisés car ils se posent les questions que tout traumatisé se pose et le resteront tant qu’une véritable réponse ne leur sera pas apportée. Ce dont souffrent les survivants, ce sont ces questions qui hantent leur existence : • Que s’est-il passé exactement ? • Pourquoi cela m’est-il arrivé ? • Pourquoi a-t-on voulu me tuer ? • Pourquoi a-t-on détruit ma famille ? • Qui a voulu cela ? • Pourquoi suis-je resté en vie ? • Pourquoi moi ? • Je sais que je suis un miraculé, mais qu’est-ce qui m’a vraiment sauvé ?

38 Les enfants cachés ont essayé de prendre leur destin en main. Certains sont allé consulter des psychiatres, des psychanalystes ; la plupart ont gardé leurs secrets d’enfance et leurs souffrances de manière solitaire, pensant qu’ils étaient chacun seul à s’interroger et à souffrir ainsi. Quelque 50 ans après la guerre, des associations d’enfants survivants de la Shoah se sont créées. La première rencontre a eu lieu en mai 1991 à New York. Ils étaient venus du monde entier, ils étaient 1 600. Ils avaient gardé intactes leur tristesse et leurs frayeurs d’enfance ; même entre eux, ils ont mis quelque temps à oser parler. Et puis, ils se sont mis à pleurer. Ces enfants cachés, aujourd’hui en âge d’être grands-parents, ont laissé couler leurs larmes, ont exprimé leur craintes et leurs angoisses. Ce fut un moment saisissant, un moment historique. Certains ont dit qu’ils « sortaient enfin de leur cachette » ; cela parce qu’ils étaient ensemble, tous victimes de la même catastrophe. La plupart avoue que se retrouver dans un tel contexte, participer aux réunions et militer dans des associations d’enfant cachés réveille aussi les cauchemars et les angoisses du passé. C’est bien là le signe que les événements subis il y a plus de 50 ans sont aujourd’hui toujours aussi actifs, toujours aussi « persécutifs 18». IV. Le crime contre l’humanité 39 C’est en tant que Juifs que les victimes de la Shoah ont été persécutées. C’est parce qu’ils étaient juifs que les enfants cachés ont été séparés de leur parents, que certains d’entre eux sont devenus orphelins, sans famille, que d’autres ont retrouvé après la guerre des parents anéantis.

40 Les conséquences traumatiques du vécu de la Shoah sont directement liées à l’intention des persécuteurs : détruire des familles et des individus, parce qu’ils appartiennent à un groupe précis. En réalité, l’intention première était bien d’éradiquer un groupe ethnique : le peuple juif. Pour cela, on a éliminé le plus de personnes possible, pour

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 130

cela, on a séparé les enfants de leurs parents, pour cela, on a torturé. Quand les survivants sont revenus à la vie, ils n’étaient plus ce qu’ils étaient auparavant, ils ne disposaient plus, ni des moyens psychologiques, ni des moyens sociaux pour continuer à être ce qu’ils étaient antérieurement et depuis de nombreuses générations : des Juifs assurant la pérennité de leur lignée et de leur groupe culturel. Ce qui a été détruit au cours de la Shoah, c’est bien ce monde riche en rituels, en langues, et en cultures qu’était le monde juif d’Europe. 41 Bien qu’il y ait eu des survivants, ces derniers étaient meurtris et isolés, sans monde, sans famille, des personnes nues, les orphelins d’une société anéantie ; car ce monde a totalement disparu, et, en disparaissant, il a laissé les survivants et leurs descendants fondamentalement seuls. 42 Les recherches et la prise en charge des victimes de guerre, de massacres, de torture que mène l’équipe d’ethnopsychiatrie du Centre Georges Devereux de l’Université de Paris 8 depuis une vingtaine d’années, a révélé que lorsque des bourreaux veulent détruire un individu, la technique la plus efficace consiste à déstructurer son groupe19. En effet, le meilleur moyen de déshumaniser une personne est d’éradiquer son monde et de la détacher des siens ; de la séparer profondément de ceux qui lui ont donné la vie, de ceux qui lui ont permis de se construire, du groupe qui lui a octroyé son identité. Ainsi, désaffilier une personne revient le plus souvent à l’anéantir. Le crime contre l’humanité le plus grave est bien celui-ci : la destruction totale d’un groupe culturel qui impose aux descendants de se convertir, de changer de monde20. Ce faisant, quand bien même le persécuté reste en vie, il est totalement démuni pour panser ses plaies. C’est à partir de cette logique que l’on peut comprendre les propos de certains jeunes de la « seconde et troisième génération »21 quand ils se revendiquent, eux aussi, comme survivants de la Shoah, alors qu’ils n’ont jamais connu aucun traumatisme, aucune souffrance ni aucune menace réelle. En réalité, ils parlent de la disparition de ce qui faisait de ces femmes et de ces hommes juifs d’Europe des humains : ils parlent de la disparition d’une société. 43 La persécution antisémite pendant la Seconde Guerre mondiale n’a pas tué tous les Juifs ; elle a laissé des survivants, mais elle a anéanti leur monde22 et, ce faisant, elle les a laissés profondément traumatisés. Propositions thérapeutiques 44 Soigner un individu n’est jamais une intervention neutre23. Soigner signifie modifier ou aider à modifier l’état d’une personne et ce changement, pour être efficace et durable, doit s’opérer en profondeur; en d’autres termes, soigner revient à redonner la vie à celui qui souffre. L’étude du fonctionnement des psychothérapies, quelles qu’elles soient, a montré qu’une thérapie réussie induisait systématiquement l’adhésion du patient aux théories du thérapeute24. Les théories du thérapeutes ne sont, en réalité, jamais des options individuelles, mais toujours celles de son groupe professionnel, celles de ceux qui l’ont formé en tant que psychothérapeute. De ce fait, soigner implique que le thérapeute prenne nécessairement des responsabilités – qu’il en soit conscient ou non – et qu’il s’engage in fine dans un processus d’influence qui modifiera son patient selon des modalités qui relèvent du choix de son groupe professionnel. C’est en cela que les thérapeutes sont des personnages particulièrement influents et importants dans toutes les sociétés humaines – quels que soient le lieu et les époques. 45 L’expérience de plus d’une quinzaine d’années de soins spécifiques et la recherche dans les groupes de parole avec les survivants, les enfants cachés et les enfants de victimes

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 131

de la Shoah au Centre Georges Devereux de l’Université de Paris 8, a permis de formuler des nouvelles propositions thérapeutiques25. 46 Dans le respect des personnes et pour viser la plus grande efficacité, il apparaît que la prise en charge psychologique des enfants cachés et des descendants de survivants de la Shoah doit respecter un certain nombre de règles fondamentales parmi lesquelles : 1. Le thérapeute doit connaître parfaitement les événements objectifs qui se sont produits et qui ont entraîné le traumatisme. 2. Il doit, au cours de la thérapie, reconstituer en détail avec les traumatisés le déroulement exact des faits. 3. Il doit identifier avec eux la nature des agressions et reconstituer les intentions des différents agresseurs. Rappelons que ces agressions et ces intentions ne relèvent pratiquement jamais d’un dysfonctionnement psychologique individuel de l’agresseur (par exemple d’un pervers - les dossiers psychiatriques des dignitaires nazis élaborés dans le cadre des procès de Nurenberg nous l’ont prouvé26), mais qu’elles découlent systématiquement de la volonté délibérée d’un groupe (en l’occurrence un groupe politique et armé : les nazis et les collaborateurs27) ou encore dans une force supérieure à identifier. 4. Etant donné que l’agression portait atteinte à un groupe ethnique, en l’occurrence les Juifs, la prise en charge des survivants de la Shoah devra toujours être faite en groupe, soit groupe de survivants, soit groupe familial, cela afin 1) d’ éviter de renforcer l’isolement et la subjectivation de la souffrance – qui sont en soi des conséquences du trauma, 2) de se donner les moyens de recourir aux théories du groupe et à ses concepts capables de réactiver les mécanismes de guérison et de revitalisation. 5. Procéder ainsi revient à renforcer le groupe qui justement a été atteint dans l’agression. 6. Soigner des enfants cachés et des descendants de victimes de la Shoah nécessite des connaissances approfondies sur l’histoire des mondes juifs dont ils proviennent, sur leurs logiques thérapeutiques, sur leurs valeurs humaines spécifiques. Tous ces éléments sont source de vie et de réparation pour ceux qui ont souffert des persécutions antisémites. Ainsi, dans les cas de traumatisme de masse, dans les cas de génocide, on ne peut soigner les individus traumatisés sans prendre en compte de manière essentielle leur groupe d’origine, celui-là même qui a été visé dans l’agression – Soigner des survivants de la Shoah, c’est redonner vie au monde juif.

NOTES

1. N. Zajde, « Le traumatisme », in Nathan, Blanchet, Ionescu et Zajde, Psychothérapies, Paris, Odile Jacob, 1998, pp. 223-224. 2. Il s’agit des groupes de parole de survivants, d’enfants cachés et de descendants de victimes de la Shoah, créés dès 1990 à l’Université de Paris 8 Saint-Denis par l’équipe d’ethnopsychiatrie, cf. N. Zajde, Guérir de la Shoah, Paris, Odile Jacob, 2005. 3. R. Ertel, Le Shtetl. La bourgade juive de Pologne. Paris, éd. Payot, 1982. 4. J. Baumgarten, Le yiddish, histoire d'une langue errante, Paris, Albin Michel, 2002. 5. J. Baumgarten, R. Ertel, I. Noborski, A. Wieviorka (sous la direction de), Mille ans de cultures ashkénazes, Paris, éd. Liana Levi, 1998.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 132

6. C. Roland, Du ghetto à l'occident. Deux générations yiddiches en France. Paris, Éditions de Minuit, 1962. 7. M. Winock, La France et les Juifs. De 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, L'Univers historique, 2004. 8. M. Marrus et R. Paxton, Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, 1981, rééd. Le livre de poche, 1990 ; André Kaspi, Les Juifs pendant l’occupation, Paris, Le Seuil, 1991, rééd. Points- Histoire, 1997 ; R. Poznanski, Etre Juif en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Editions Hachette, 1994. 9. N. Zajde, Guérir de la Shoah, Paris, Odile Jacob, 2005. 10. Sur les traumatismes psychiques induits par l’émigration, le changement d’univers culturels et la rupture dans la transmission de l’identité, voir T. Nathan 1995 et, Nous ne sommes pas seuls au monde, Paris, Seuil, Les empêcheurs de penser en rond, 2001. 11. L. Lazare, Le livre des Justes, histoire du sauvetage des Juifs par des non-juifs en France, 1940-1944, Paris, Editions J-C. Lattès, 1993. 12. C. Poujol, Les enfants cachés. L'affaire Finaly, Paris, Berg international, 2006. 13. P. Levi, Les Naufragés et les rescapés, Paris, Gallimard, 1986, réédité 1989. 14. G. Niederland, « Psychiatric disorders among persecution victims. A contribution to the understanding of concentration camp pathology and its after effects » Journal of Nervous and Mental Disease 139, 1964, pp. 458-474. 15. C’est aussi l’expression qu’utilise S. Tomkiewicz, l’Adolescence volée, Paris, Editions Calmann Lévy, 1999, pour parler de son expérience de survie en Pologne. 16. C. Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir, Paris, Gallimard, 1979 ; V. Teitelbaum-Hirsh, Les larmes sous le masque, Paris, Edition Labor, 1994 ; R. Delpard, Les enfants cachés, Paris, Editions J-C Lattès, 1995 et K. Hazan, Les Orphelins de la Shoah, Paris, Les Belles Lettres, 2000. 17. N. Zajde, Enfant de survivants, 1993, réédité 1995, Paris, O. Jacob ; N. Zajde, 1999 « An Ethnopsychiatric Approach to the Treatment of Holocaust Survivors and their Children », Selected papers from A time to Heal, Baycrest Centre for Geriatric Care, P. David & J. Goldhar Editors, Toronto, Canada, pp. 317-330. N. Zajde, Guérir de la Shoah, Paris, Odile Jacob, 2005. 18. En France, ce fut le 9 janvier 2000, à Paris, lors d’une soirée conférence-débat organisée par l’association française « Les enfants oubliés » réunissant plusieurs centaines « d’enfants cachés » et différentes associations, à la salle polyvalente de la mairie du 11e arrondissement de Paris, en présence du maire Georges Sarre, que l’on pu s’apercevoir de l’impact toujours aussi prégnant, 50 ans après, de ce vécu singulier d’enfant juif caché pendant la guerre. 19. E. Uwanyiligira, « La souffrance psychologique des survivants des massacres au Rwanda. Approches thérapeutiques », Nouvelle Revue d’Ethnopsychiatrie, 1997, 34, pp. 87-104, Grenoble, La Pensée sauvage ; I. Talaban, Terreur communiste et résistance culturelle, Paris, PUF, 1999 ; F. Sironi, Bourreaux et victimes, psychologie de la torture, Paris, Odile Jacob, 1999. 20. Sur cette définition psychologique du crime contre l’humanité, cf. T. Nathan, L’Influence qui guérit, Paris, Odile Jacob, 1995. 21. N. Zajde, Enfant de survivants, Paris, O. Jacob, 1993. Y. Danieli, éd., International Handbook of Multigenerational Legacies of Trauma (Plenum Series on Stress and Coping), Baywood Pub, 1996. 22. B. Wasserstein, Les Juifs d’Europe depuis 1945, une diaspora en voie de disparition, Paris, Calman-Levy, 1996, réédité 2000.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 133

23. T. Nathan, L’influence qui guérit, Paris, Odile Jacob, 1995 ; « Éléments de psychothérapie », Nathan, Blanchet, Ionescu et Zajde, Psychothérapies , Paris, Odile Jacob, 1998 ; « Pour une psychothérapie enfin démocratique », La Guerre des Psy. Manifeste pour une psychothérapie démocratique, Paris, Le Seuil, Les empêcheurs de penser en rond, 2006. 24. T. Nathan, Nous ne sommes pas seuls au monde, Paris, Le Seuil, Les empêcheurs de penser en rond, 2001. 25. Pour une présentation approfondie, cf. N. Zajde Guérir de la Shoah, Paris, Odile Jacob, 2005. 26. L. Goldensohn, Les Entretiens de Nuremberg, Paris, Flammarion, 2004, réédité 2005. 27. N. Zajde, « La psychologie des profondeurs à l’épreuve des camps nazis », T. Nathan et coll. La Guerre des psys, Paris, Le Seuil, Les empêcheurs de penser en rond, 2006, pp. 197-212.

RÉSUMÉS

Psycho-Trauma of the Hidden Children. Psychological Aftermaths of the Anti-Semitic Persecutions Among the Jewish Hidden Children in France during WW II. Psycho-trauma refers to two realities: on the one hand an objective event and on the other hand a psychological state. In order to understand what is a trauma and to be able to cure traumatized patients, it is necessary to understand the traumatizing event in its historical, sociological, political and cultural aspects. When treating hidden children, it is important to know who were these hidden children during WWII, what was their social and cultural background, who were their parents and how exactly did they overcome the different life ruptures during that period. The evaluation of more than 15 years of work treating Shoah survivors and their families shows that taking into account the Jewish identity of the victims as an essential fact for the therapy offers a better chance for treatment to be effective. The author in this article gives six major technical propositions for a better understanding and treatment of that population.

AUTEUR

NATHALIE ZAJDE Nathalie Zajde, chercheuse associée au Centre de recherche français de Jérusalem, est maître de conférences en psychologie à l’Université de Paris 8, clinicienne et responsable de recherche au sein de l’équipe d’ethnopsychiatrie du Centre Georges- Devereux. Spécialiste du traumatisme psychique, elle a créé en France les premiers dispositifs cliniques de prise en charge psychologique des survivants et descendants de survivants de la Shoah en 1991. Elle est l’auteur de « Enfants de survivants » (1993), « Guérir de la Shoah » (2005) publiés aux éditions Odile Jacob. Nathalie Zajde PhD is Maître de conférences in Clinical Psychology at the Paris VIII University, researcher at the Centre Georges Devereux, associated researcher at the CRFJ. Her main research topics are: ethnopsychiatry, psycho-trauma, Shoah survivors and children of Shoah survivors,

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 134

psychopathology of and psychotherapy with Ethiopian patients in Israel. [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 135

English Translations

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 136

Liturgy and the Concepts of « Text » and « Music »

Frank Alvarez-Pereyre

1 Liturgy is a complex phenomenon. It encompasses text and language, music, gesture and sets of ethnographic aspects related to the performers, to time and place, and to the very progression of the performance. Liturgy proceeds through highly ritualised forms of linking between the above-mentioned aspects. It is generally set inside or accompanied by a strong historical consciousness as well as by outspoken authority and obedience. A truly comprehensive understanding of liturgy imposes an analysis of its several components but also an integrative perspective. Yet, be it when looking for what constitutes the core of the performance or when trying to deal with the categories of the liturgy, specialists have come to focuse on the relationships between text and music, between words and music. The present study reflects upon the ways different liturgical cultures have coped with these relationships. We shall deal with Christian liturgies, with the reading of the Bible and the study of the Talmud in the Jewish communities, and finally with the reading of the Koran. Beyond the different cases at hand, we shall discover the varying manners under which texts and music practically exist and interact.

2 The above-mentioned issues were clearly expressed not a long time ago. In an article devoted to Christian rituals, S. Corbin (1961) raised two questions. The first one was dealing with a discussion of the liturgical categories and of the criteria that are to be looked for in order to assess a relevant sorting out and definition of these categories. The second question focused precisely upon the elementary components of any liturgical situation. Through Corbin's eyes, the essence of liturgy, in musical and literary terms, lies in the combination between sets of fixed texts and the devices that are required in order to hand them down. It is in the very link between the texts (be written or oral) and their oral transmission that an answer about the liturgical categories should be looked for. In such a context only, psalmody and cantillation could be differentiated properly. Psalmody would be bound to texts of a fixed and poetical style, performed collectively according to a compulsory setting. Cantillation would be bound to prose texts, read or chanted by one person according to fixed rules. The

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 137

adjustment between the rules and the text would leave some space of liberty to the person who cantillates, a fact that would not be accounted for in the case of psalmody. 3 Dating back to the early sixties, S. Corbin's propositions were raising the entire issue of liturgy in totally novel ways. Yet, more work had to come so as to get a more precise understanding of what should be meant under the term « text », and of the sets of rules that are required to have the texts handed down. I. The liturgical texts 4 The reading of the biblical text in the synagogue has any knowledgeable man read out of a hand written text, which is characterised in the following way. Lacking any visible punctuation the text is written in continuation without any indications for the vowels. It is not in the written text that the cues are to be found in order to have the full and proper wording, or the proper segmentation of the written text into sentences, clauses and further subparts. It is only through the oral singing that vocalisation is given, that the detailed and systematic segmentation is made clear, and that the syntactic organisation of the written text is made available. 5 Over the time, a graphic equivalent for the vocalisation – namely dots – and another graphic equivalent for the linguistic functions played by the oral rendering of the text have been established by the sages and the grammarians. Nevertheless, none of these graphic devices is to be found on the biblical text – namely the weekly portions of the Pentateuch – which is read, or sung, in the synagogue. Yet, the one who reads will have on his left hand side a man who checks that no error occurs in the very wording of the text and who, at the same time, might make specific hand gestures that are totally and functionally parallel to the graphic signs which are the equivalent of the syntactic segmentation through music. 6 The written text of the Koran bears similarities and differences when compared to the written text for the Jewish Bible. It has been also a solely consonantal text, at least for a certain period of time. Later on, graphic signs have been added which, on the one hand, would indicate the required vocalisation (at least part of it) and which, on the other hand, would have the successive verses of the text made explicit through punctuation. These signs are integrated to the written text, which is used in the liturgical contexts. But no equivalent for the music, chant or intonation used during the performance is to be found, no graphic substitute is available on the written text what so ever, be it within or outside the liturgical situations. 7 Considering the Jewish communities, one still finds the text of the Talmud, where a good part of the interpretations of the Bible is to be found. The specificity of the Talmud lies in the fact that it is studied by whoever follows the explicit commandment to study the Biblical text daily, or at least regularly and without any age restrictions. The written text for the Talmud is, again, a consonantal one and it is written without punctuation. This situation has remained constant through the centuries since the time when this text, called also the Oral Law – when the Biblical text is called the Written Law –, was set to writing in the very first centuries of the Christian era. Practically, only the oral reading makes it possible to reach to the full identification of the words and to the proper segmentation of the sentences. 8 In the case of the texts in the Greek Orthodox Church, there are graphic signs that help the one who reads make the proper expression of the text audible to the audience. Actually, in this tradition, the written texts of the New Testament have been complemented with several and distinct sets of signs, namely accentuation signs,

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 138

interpunctuation signs and signs that are specifically related to the character of the liturgical contexts. Im Grieschichen... war die Interpunktuation schon lange entwickelt, als die ekphonetische Notation hinzugefügt wurde. Die ekphonetische Notation baut auf die Strukturierung des Textes auf, die schon durch die Interpunktuation gegeben war. Die Zeichen stellen somit eine Spezialisierung auf die Gestalt des musikalischen Vortrages dar. Diese Gestalt wurde speziell für den liturgischen Vortrag geschaffen. Ihre Funktion ist die der festlichen musikalischen Darstellung des Textes (Flender 1988 : 117). 9 Starting from the 16th century and for historical reasons, the different sets of signs ceased to be added to the written text. This means that from that period onward only the oral tradition has been forwarding the linguistic and liturgical functions that help understand and perform the written text. Before the 17th century, the graphic signs were the partial equivalent of the oral side, a reminder of it or a guide for the text to be handed down.

10 In the liturgical cultures we have been referring to so far, the written texts are practically lacking essential elements. Only the oral performance of the texts conveys the missing informations. Under specific conditions, the written text might be complemented with graphic signs. Such signs and systems are not systematically available in the different contexts where the texts are used. But they all are partial representations of the oral material as well as a guide for the oral rendition of the written text. 11 We are now using the expressions « oral rendition » and « oral material » when dealing with the cantillation of the biblical text or the performance of the new testamental texts, with the reading of the Koran or the study of the Talmud. Since the living performance of the texts is required to have the written side of the text be complemented by the oral one, one should now take a closer look at the oral side. We shall then come to a more accurate understanding for such terms as music, reading or chanting. II. The oral rendering of the texts 12 As far as the Koran is concerned, one can turn to M. Ben Otman’s study (1995) of a tradition that has been documented in a religious school for youngsters in Meknes (Marocco). Two sets of oral tools appear to function with somewhat differing linguistic aims. The first one shows the centrality of phonetic patterns that explain the unique auditive character of the Koran. These patterns lay upon an explicit distribution of an arithmetic rhythm, upon an explicit repartition of syllabic duration, and upon an explicit appreciation of the vocalic timbre. There is a constant interplay between these three elements. 13 Four parameters make the second set of tools. They are used to shape a written text where only the verses as such are made visible but not their internal linguistic segmentation and organisation. These parameters are the pauses (a longer and a shorter one); the final phonetic schemes of the verses; metrics; and the lengthening of the syllables. These parameters are to be considered inside of the boundaries of the different suras, which materialise the grouping of a varying number of verses according to a given theme. 14 The four parameters are not equivalent, formally speaking. Pauses are to be found after varying groups of verses or inside of one verse. But unexpected pauses – that are

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 139

produced for psychological reasons – oblige the reader to consider the semantic consistency of his interruptions towards the overall semantic identity of the text. He is then obliged to reshape the way he subdivides the text on the basis of the pauses. 15 The final phonetic scheme at the end of the verses is partially bound to vocalic and/or syllabic quantity. But, to the extent that it does not hamper fundamentally the rules of the vocalic and/or syllabic quantity, this scheme does play a specific role beyond the phonic or auditive caracterisation of the text. The same holds true for the metrics, only taking into account that phonetic scheme and metrics differ very much formally, as well as when considering the systematics and the dynamics that are attached to them. Finally, the lengthening of one syllabe does affect specific syllables that the reader willingly chooses to stress particularly, or that he has learned to stress according to the tradition he got. 16 Distinct functions are attached to the two sets of linguistic tools. The phonetic patterns that are based upon an arithmetic rhythm, syllabic duration and the vocalic timbre serve as a way of manifesting the unicity and hierarchical rank of the Koran among the different textual genres inside of the Islamic culture. The second set of linguistic parameters does speak for the shaping of the text in terms of significations. These parameters have got a general disjunctive function that operates with linguistic units of varying length inside of a given sura. This disjunctive function actually bears several syntactic and semantic functions. On the one hand the syntactic organisation of the verses and of groups of verses is made clear, with no sharp separation between the syntactic and the semantic levels. Parallely, the status of certain portions of text is manifested. In certain cases, it is the topic or theme of the sura (or the leading point of a part of the sura), which is more specifically underlined. In other cases, parts of the text are underlined for other reasons that are bound to their relative importance in the overall context of the sura. We can here talk of topicalisation and of emphasis. 17 The Greek Orthodox reading traditions of the new testamental texts have been recently approached (Flender 1988) with reference to two sets of evidences: the analysis of the graphic system with its relationship to text and the parallel analysis of oral performances. It is actually the system for manifesting the character of the liturgical performance that has been studied, taking into account that such a system draws upon the rules that are valid for the two other and earlier systems for accentuation and interpunctuation. 18 The third system has been labelled a rhetorical one by R. Flender. It is based upon a series of individual musical motives that are supposed to be specifically linked to an equivalent number of graphic signs. Nevertheless, such a bi-univoqual relationship might not be a systematic one if considering the actual performance of the texts. Beyond this fact, it appears that one and the same musical motive is rarely a stable one. Variations in the melodic material occur but these are not primarily linked to the mood of the performer. They are usually determined by the linguistic context to which the motives are attached and more precisely by the syntactic status of the clauses. 19 As far as the functions played by the musical motives are concerned, they are essentially linguistic ones. The motives are used to indicate the place of the word accent. They also play a role with regard to punctuation, be it the inner punctuation of the sentences or the separation of the sentences between themselves. They not only make explicit the segmentation of the sentences, but they indicate the syntactic hierarchy that governs the relationship between the clauses inside of a given sentence.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 140

Such a syntactic function has got a quite systematic bearing in terms of meaning or semantics. 20 The musical motives still play another linguistic role. They might underline certain portions of texts, be it verbal forms, common names or expressions that are thought to be more important or particularly vital when considering the message the text is supposed to convey. 21 Finally, the musical motives are meant to enhance the character of the liturgy. By themselves they are an indication of the unique importance that is attached to the liturgical functions and context to which the liturgical texts are linked. It is actually this last function that has been said to be the very reason for this set of musical motives. It appears now that beyond this rhetorical function – that has a bearing for the social consideration of the liturgy – the same motives could not be organised without a sharp understanding of the text itself or without considering its reception by the listeners. In other words, the rhetorical and social reasons had to match the linguistic properties of the text as well as the cultural intentions of the same text beyond its mere wording. 22 It has been previously said that the oral performance of the biblical text inside of the Jewish communities goes through cantillation. This last term is actually a quite general one, as well as the notion of Biblical text itself. This latter notion refers on the one hand to the three sets of texts that make the Jewish Bible namely, the Pentateuch, the Prophets and the Hagiographa. On the other hand: 1) the three sets of texts have been supplemented with the two graphic systems for vocalization and accentuation that are a partial visualization of an oral practice which dates back to the moment these texts began to be used; 2) these three sets of texts know varying usages in the liturgical context. 23 The Pentateuch is chanted by one person, as well as portions of the prophetic or hagiographic texts. To this performance is equally attached the term cantillation: even if, in the liturgical context, the text of the Pentateuch does not bear the graphic signs for vocalization and accentuation, when the portions of the Prophets and Hagiographa do bear these signs. The Psalms, which are part of the Hagiographa, might be sung by one person or by a group of persons. Vocalisation is found in the prayer books where series of Psalms are integrated. A further subdivision is to be known. Even if the totality of the Biblical text has been complemented with one and the same group of graphic signs for vocalisation and one other group of identical graphic signs for accentuation throughout, the musical motives that are attached to the accentuation signs are of two kinds, so as to differentiate what is called the poetical and the non poetical portions inside of the Biblical text (Flender 1988, 1992). 24 The above indications speak for the ritual aspects, which govern the cultural distribution of the texts. Beyond the practical variety at the level of the ritual and beyond the cultural reasons for it, we shall speak of a strong uniformity when dealing with the very chanting of the weekly portions of the Pentateuch, of the Prophets or of the Hagiographa, as well as of the portions that are chanted during the Holy Days of the annual calendar. This uniformity is linked to two strong principles: the musical motives for the cantillation have got a mnemonic importance; these same motives are organised according to linguistic functions. 25 The musical motives enter into a limited list, which is further divided into two subgroups. These correspond to two different but also totally complementary linguistic

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 141

functions, namely a conjunctive and a disjunctive one. Such functions are central for the segmentation of the text – i. e. the successive verses – into its syntactical and semantical constituents. Furthermore, the different sets of conjunctive and disjunctive motives are further subdivided according to the hierarchical value they help introduce between the constituent subparts of each verse in the text. Such linguistic rules have been strongly followed in each of the Jewish communities for centuries, well beyond the real variety of the musical motives that each community has attached to the different accentuation signs (Wickes 1881, 1887; Rosowsky 1957). 26 Let us add that the musical motives and their linguistic bearing are paralleled by the hand signs that might be performed also in the liturgical context but specifically for the chanting of the Pentateuch. Such hand signs date back to ancient times. For part of them, they actually parallel – for the reader – the shape, or the contour, of the successive musical motives that are linked to the successive words of the verse. But all hand signs parallel the essence of the basic linguistic functions – conjunction or disjunction – which are attached to the accentuation signs and to their musical expression. 27 Switching now to the Talmudic text, one should remember that this text is the very tool for the study and the understanding of the Biblical text. No graphic equivalent for vocalization or accentuation being found on the Talmudic text, the oral performance is totally required to have the Talmudic text properly red and properly understood (Alvarez-Pereyre 1990, 1994). 28 Basically, and if speaking of semiotic resources, the study of the Talmudic text is based upon a quite restricted number of oral parameters. These parameters are linked inside of a highly organised and economical system which is supposed to function in order to have the detailed linguistic architecture and the meaning of the text duly manifested. This linguistically-minded system is made out of a closed list of oral parameters: musical motives of varying nature, intonative motives of varying nature, pauses, stress as applied to a syllabe inside of a word but for semantic reasons, cadenced reading, lengthening of a syllabe, changing the vocal register. To some extent, such a situation is different from the one we found for the chanting of the biblical text. 29 This fact is coherent when considering that the Bible has to be transmitted as such, being the text of the Revelation. Cantillation systematically means here chanting. Thus, two parameters are strongly predominant in such a context, i. e. the musical motives and the pauses. The one who sings has to be very respectful towards the proper vocalisation of the words and towards the clear singing of the musical motives. Since the vocalisation and accentuation signs are not available on the text, which is red in the liturgical context, the help provided by the hand gestures as performed by the one who stands next to the one who sings is real. Let us add that any person of the congregation who would notice an error occurring in the proper vocalisation might intervene and correct the one who sings. If the one who sings makes an error and switches the nature of the musical motives as they are attached to the successive words of one verse, the singer would be equally made aware of his mistake. In both cases, the one who sings would have to read again the respective passage, with the proper correction. 30 As already stated, the Talmudic text is totally different in its purpose. It is the collection of the discussions held over centuries by the religious authorities with reference to the Biblical text. These discussions are meant to be an interpretation of the Biblical text but also to draw the practical – i. e. legal – issues and rules that such a

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 142

text calls for. In such a context, the main concept of the Talmudic text is argumentation. Thus, the oral reading of the Talmud is meant to have the students re- act and incorporate the detailed discussions of the Sages. The oral parameters shall then be bound to the practical linguistic resources that are attached to the complexities of argumentation. Thanks to the oral parameters, the process of argumentation shall be implemented. Being faced with a purely consonantal text with no punctuation, the students will learn which vocalic material has to be added. And they shall essentially learn the punctuation of the text as it is strongly linked to the interpretative and legal character of the Talmudic text. In such a context, it appears that the small and fixed set of oral parameters is linked to a fixed and strict set of linguistic functions that range from eliciting the successive syntactic and semantic constituents of the sentences to the hierarchy of the constituents inside of the sentence or between the sentences themselves. Parallely, the same set of oral parameters is linked to varying pedagogical ways, the purpose of which being to have the student be able to incorporate and master the methodology of argumentation. Not for the pure sake of argumentation, but with the concern of explicitly apprehending and personally integrating what is at stake when building both the legal and the philosophical value systems that are attached to the Talmudic text. III. Conceptual reassessments 31 From a semiotic or semiological point of view, the liturgical cultures we examined largely behave in parallel ways. They make use of identical resources, which are integrated into complex systems. On the principle the architecture of such systems is greatly similar. The same holds true for the functions that are attached to these systems. The importance of the similarities between cultures speaks for essential and converging needs in the domains of transmission and perpetuation. The obvious differences hint at issues in the symbolic and philosophic spheres. 32 When trying to account for the linguistic and musical material the liturgical cultures are based upon, we are quickly facing difficulties if using such notions as text and music in a too general way. On the other hand, a mere inventory of the items at hand would be unsatisfactory if considering the high degree of coherence that characterizes the data. In the concluding section of our paper we shall try to match the needs for a proper conceptual framework together with an exhaustive consideration for the material. 33 The notion of text seems to be a central and an all embracing one, providing that 1) we do not restrict it to its linguistics components nor to its written aspect, and that 2) we extend it so as to include many heterogeneous elements on the basis of their converging functions. 34 The liturgical cultures we examined are deeply bound to texts the materiality of which is necessarily and at the same time written and oral. But again, a classical understanding of these two last words would be misleading. The written side of the texts is largely lacunary if considering that in some of the liturgies the linguistic constituents that are available are not sufficient to either simply read the text, or have it understood, be it a surface understanding or a deeper one. Even in the cases where the written texts can be easily read, the written side of the liturgical texts might have been supplemented with graphic signs that are a reminder and/or a guide for resources that are made available through the oral rendition of the texts only. These graphic signs and the resources on the oral side are linked to two sets of functions, a linguistic

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 143

and a social one. For some of the liturgies under consideration, the graphic signs are not to be found on the written text, or not under all circumstances. Whatever the reason for it inside of each culture, the total or relative absence of the graphic signs means that the written text does not include the written – and always partial – equivalent of an oral side that remains vital for the existence of the liturgical « texts » as such. 35 Turning now to the oral side of the texts, we are facing an even more complex situation. Saying oral means firstly that we should differentiate between verbal and non-verbal resources. By non-verbal, we mean the gestures that might accompany the reading of some of the texts. The verbal resources are of several kinds: music, intonation, pauses and so forth. We have got several parameters, all linked to sound but of a varying nature. They are performed through the mouth, on the basis of a highly detailed and distinctive segmentation of the vocal continuum that is itself conceived and used as a complex physical medium. 36 When considering the role that is devoted to these resources, we have seen that the verbal and non-verbal resources function parallely in a strong relationship to linguistic and social dimensions, which are extremely complex ones. From the linguistic point of view, the oral resources add greatly to the basic constituents of the « written » text and they are vital for its reading and understanding. In its turn music – i.e. melody and the relationships between the musical motives – is to be understood as a strong and sophisticated linguistic device. On the principle the same holds true for the hand gestures, and for intonation, which is a substitute for music. As such, they might be considered to count among the constituents of the liturgical « text ». 37 Having reached the end of our survey, we suggest that it should perhaps be set inside of a broader perspective. For we are inclined to think that our exploration of the referred to liturgical cultures might shed some light on textual repertoires of a purely oral character or on mixed textual traditions that would not bear a liturgical signification, at least as it is meant inside of the three monotheistic faiths. (Alvarez-Pereyre 2000).

BIBLIOGRAPHY

Alvarez-Pereyre, Frank

1990 La Transmission orale de la Michna (Une méthode d’analyse et son application à la tradition d’Alep), Jérusalem/Paris, Magnes Press/Peeters, 310 pages.

1994 « The Mishnah and its oral transmission among the Jews of Aleppo », in Adler I., Alvarez- Pereyre F., Serussi E. and Shalem L. eds, Jewish Oral Traditions. An Interdisciplinary Approach. Jerusalem, The Magnes Press, pp. 225-233.

2000 « Elaborations du sens et textes traditionnels », Studia Africana, 11, Barcelone, pp. 147-160.

Ben Otmane, Mohamed A.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 144

1995 Analyse phonologique et rythmique de la récitation coranique marocaine (École de Meknès), 2 volumes, Université Paris V, 448 + 200 pages.

Corbin, Solange

1961 « La cantilation des rituels chrétiens », Revue de Musicologie, 47, Paris, pp. 3-36.

Flender, Reinhart

1988 Der biblische Sprechgesang und seine mündliche Überlieferung in Synagoge und grieschischer Kirche. Florian Noetzel Verlag, Wilhelmshaven.

1992 Hebrew Psalmody. A structural Investigation. Jerusalem, The Magnes Press.

Rosowsky, Salomon

1957 The Cantillation of the Bible: The Five Books of Moses. New York, The Reconstructionist Press.

Wickes, William

1881 A Treatise on the Accentuation of … Psalms, Proverbs and Job. Oxford, Clarendon Press.

1887 A Treatise on the Accentuation of the Twenty-One So-called Prose Books of the Old Testament. Oxford, Clarendon Press.

AUTHOR

FRANK ALVAREZ-PEREYRE Frank Alvarez-Pereyre is currently conducting parallel research works of a linguistic, anthropological and ethnomusicological character with respect to the Jewish traditions and communities. Research director at the CNRS, he is the head of a joint research unit of the CNRS and of the Paris-V University. [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 145

The Image of the United States in the Israeli-Palestinian relationships from 1988 to 1992 An Interventionist Super Power Loved and Decried

Emmanuelle Meson

1 USA’s image throughout the world usually symbolizes force, security, power of a great country but most of all the power of the dollar. America appears as the world’s leading economy far ahead of all others. She exerts an imperial economy and her military power is apparent on a world level. However, the United States also evoke, for some, vice, dirty money and decadence. Sometimes loved, sometimes decried, the United States still fascinated.

2 During our research in Jerusalem1 for our doctorate in history thesis concerning the Israeli-Palestinian relations throughout political caricatures, we discovered a French, Israeli and Palestinian vision close and far out on the American politics on the Middle East. What is interesting is that this vision still exists today. 3 The public’s interest in caricatures throughout the media is lesser than that of the leading classes and business men, as well as all the intellectuals involved in the areas of politics, economy and finances, who can and do act up upon them. For this study, we worked on political caricatures found in the biggest newspapers: Le Monde, French newspaper, The Jerusalem Post, Israeli newspaper edited in English, Al-Fajr, Palestinian newspaper edited in English and Palestine Times, Palestinian magazine edited in English. 4 Le Monde, despite their columns lacking pictures then, appears, as its name indicates, as « the biggest French paper on an international level2. » Its editorial line gives a great place to international news. Its speciality remains foreign politics thanks to journalists scattered around the world. 5 Seen as a serious paper, with reliable and investigated news reports, it serves as a reference throughout the medias across the world and it remains one of the most influential communication organs. Independent of French political parties, it affects more than a million and a half readers.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 146

6 In France, Le Monde remains the most read paper by the major political, economic and cultural parties as well as by the superior socio-professional categories. Since its creation the paper has always taken great interest in the Middle East. 7 The Jerusalem Post, edited in English, second most spoken language in Israel, is one of the major Israeli papers. Its aspect equals that of Le Monde despite that it also edits pictures and caricatures in black and white. 8 The newspaper handles economic, social and cultural issues and a big part is given to foreign politics. The Israeli-Arab relationships, but especially Israeli-American relationships take up a considerable amount of space. With a world-wide reputation, it is often quoted in the world. 9 This paper favours free expression; it reflects a variety of opinions where everyone is invited to express himself. The readers of this paper are mostly superior socio- professional categories: business and political classes. 10 Al-Fajr Palestinian Weekly is published in English in the occupied territories, at Jerusalem East. It is a supplement of the « Al-Fajr Arabic Daily. » This local edition of 16 pages was published for the first time in 1980. In average, 10 caricatures are published every month. Most of the drawings come from Al-Quds.3 Its subjects concern Israeli politics in the occupied territories; the American vision and politics; and the UNO. 11 Palestine Times is published in English in London. Starting as a 4 pages bulletin in 1991, it grew as an 8 pages one in 1994 and 14 pages in 1996, with one to two drawing per month. This paper prints articles concerning culture, history, opinion and Palestinian affairs. He is relatively close to the Hamas. Only 1992 is complete, the other years are almost sparse for half of the issues. 12 We have chosen to present, for each newspaper, the principal caricatures,4 about five, that give a view of their position and of their representation of the United States in the Israeli-Palestinian relations. However, their comments take in consideration all of the drawings and the general image given by these newspapers. 13 The Holy Land in the millennium history has been the object of many conquests and wars. It stayed until the end of the 20th century, the center of political, religious and human conflicts. Many actual conflicts originated through these events that took place seventy years ago. Europe, especially England and France, rapidly understood the interest of this region as early as the 19th century. The end of World War I and the protectorates enabled them to penetrate in these areas, through Lebanon, Syria and Palestine. The United States, then under the influence of the Monroe doctrine,5 were only interested in the American continent as a whole6 even if they lent money to Europe since World War I. The Pearl Harbor attack in 1941 by the Japanese brought them into the Second World War and therefore brought them into European affairs and therefore into the Middle East. 14 After 1945 the world is divided between the United States and the URSS. Each with their hegemonic desires, they want to impose their system throughout the world using their powerful military as well as their economic, financial and media abilities. In the 60’s, the United States seem to be the only power capable of going against the Soviets. The Middle East represents then an economic and financial stake for both these countries. Their strategic position in the world and the oil issue stayed in the middle of the conflict because the Soviets were already implanted in that region. For the URSS, the Middle East is near their country, just at 3000 kilometres. On the contrary, the

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 147

11000 kilometres that separate the Unites States from this area incite the latter to find strategic bases on location. 15 The Americans refused any idea concerning the partition of Palestine between Jews and Arabs because they didn’t want to indispose the Arab countries producer of oil. However they are the first country who recognized the Israel State in 1948. Feeling threatened by the Middle East, URSS changed her politics and withdrew her support to the Zionist. She decided to support the Arab countries on a military and logistic level. 16 In the 70’s, Israel became a strategic asset for it is an advanced base in the region against the Soviets. However, the Israeli-Arab conflict is a problem for the United States in their relations with the Arab countries. But the Americans do not have a political will to oblige Israel to make concessions. 17 The Camp David agreements in September 1978 represented an historical event. They opened the road to further negotiations. One Arab country, Egypt, recognizes the State of Israel. These agreements acknowledge the Palestinian problem. However, they omit to consider the questions of Jerusalem, the Golan, the Settlements and Palestinian rights. 18 In 1982, Reagan’s initiative finally took the Palestinian question into account. He proposed a confederation between Jordanians and Palestinians. However there is no visible change as far as 1988. 19 From 1988 to 1992, and principally in the George Bush senior mandate, how did the French, Israeli and Palestinian media approach the question of the American politics in the Middle East, especially in the Israeli-Palestinian relationships? How do they represent the United States? 20 After having discovered the image of the United States and the new world order, we will lean on the USA and the peace process. I. The United States and the new world order 21 The international political situation change at the end of the eighty’s. It’s the end of the bipolar world with the fall of the Berlin Wall in 1989, the end of Communism. New political alliances are created and the USA’s role changes. The personality of the new American President G. Bush foreshadows the future events. G. Bush’s personality in the newspapers 22 R. Reagan was succeeded by G. Bush when there is an easing of tension between United States and URSS and a ceasefire between Iran and Iraq since July 1988. Le Monde shows the new President G. Bush as a kind simple-minded and as a person lacking authority. Tall and slim, with an elongated head, George Bush seems to lack power at times. And this is not a good image for an American President who as to be efficient. We can see a gesture of feebleness. 23 However, its image evolves with the crisis and the Gulf War in 1990-1991. During this period the paper shows a strong America, sure of herself and powerful. The French paper summarized the Gulf War as a dual between Saddam Hussein and George Bush, the USA are the policeman of the World. Most of the drawings show these two men face to face. August 29th 19907, George Bush dressed as a cowboy and Saddam Hussein as a true ogre with his military uniform confront themselves in a one-on-one. The sheriff’s star on his chest, the American President represents the good, the nice cowboy, the image of deep Mid-West America that will keep the country clean against the evil dictator. The Iraqi’s President hostage is used as a human shield. G. Bush prefers using

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 148

force against the Iraqi President. He poses himself as a rampart against Saddam Hussein. 24 The Jerusalem Post describes G. Bush as a tall and thin man, wearing glasses that give him a serious look, a normal looking political figure in a costume. His elongated face, as his chin, is striking. Contrary to other politics, George Bush in his caricatures does not lower his head into his shoulders. An impression of power and control rises from him. Seen as a weak man in the United States, he perfectly faces Saddam Hussein during the crisis and the Gulf War in 1990-1991. The sensation of power is also visible in his relations with Israel. The Israeli paper systematically represents him as two to three times taller than Mr. Shamir. The United States, thanks to their power, are seen in Israel as the guarantor of the survival of the country.8 And all the American Presidents, from every political party, support this country. 25 On the contrary of the French and Israeli papers, Mr. Bush doesn’t have a good image in Al-Fajr. The caricatures show an inefficient and nonchalant man. This paper accused him of being ignorant of the Palestinian problem. Al-Fajr holds G. Bush up to ridicule. The Gulf War and its consequences 26 The Gulf’s events in 1990-91 arrived after a regional context of tension owing to a freeze in the peace process, Iraq’s rearmament and its rapprochement with PLO. The United States want to dissociate their Israeli ally from the coalition against Irak in an effort to bring arab countries together. The USA’s desire to counter Iraki’s position, who bind the American threats with Israeli threats. Then in an effort to not offend its Arab allies, Saudi Arabia, Egypt and Syria, Washington asked Israel to not intervene in this war, even if their country was touched by Iraq’s missiles. Contradicting 40 years of military doctrine, and for the first time in its history, Israel did not counterattack to Iraqi scuds. In a caricature of Le Monde in January 1991,9 the American President sitting at his desk is explaining to a man in front of him that they should « not panic! Try to see things differently! » The man is wearing a kippa and a David’s star on his shirt. He had three little missiles planted in his back. George Bush relaxed despite the events asking an Israeli full of missiles to see things differently. It’s unusual to see an American President so calm and relaxed when a new war exploded in the Middle-East. However, since the fall of the first Iraqi rocket in Israel, the United States take directly Israel’s defence and send Patriot missiles and soldiers. 27 Thanks to its caricatures, Le Monde tries to counterpoise the influence and especially the view of the USA. France participates in the coalition against Iraq in order to not give up the Middle East to the American influence. Because the USA are present around the world thanks to CNN which broadcast images in live. 28 The American military’s demonstration during the Gulf War creates their new image around the world. In addition to commercial competition in this area, Europe but especially France get a different conception of the peace in the Middle-East and of ways to achieve it. 29 At the beginning of the Gulf War, a drawing10 of The Jerusalem Post published on the 19th of January 1991, resumes perfectly the vision of the Israelis on the United States. A man is sitting in a chair on which we can read « Middle-East. » His clothing reminds the American flag: cowboy hat, a star covered shirt, white lines on his pants and on his boots. In one hand he is holding three missiles; in the other he has a child waving an Israeli flag. A barrel of gas is at his feet. This man represents the strong and sure of herself America in 1991. For the Israelis, America is a super power that has imposed

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 149

herself in the region and disposes of a military force (missiles) to supervise the oil, supervise the young State of Israel (still a child - it’s only forty years) and face Iraq since the beginning of the Gulf War. 30 1991 represents a turn in the Israeli-American relationships. The Arab countries, who have until then been united against Israel, are evolving. Syria, seen as quarrelsome becomes an American ally. The USA manage to enter the weapon market and lay their influence throughout these countries. The Israelis must not counterattack Iraqi scuds but they must also accept an alliance with the Americans and the Syrians. With the end of this war, Israelis must engage their country in the peace process to manage a regional stability important for the USA. 31 Because after their overwhelming victory, the United States are at last decided to solve the Middle-East problems: the Palestinian issue, the Israeli-Lebanese conflict and the Israeli-Syrian conflict. To do that, they have to obtain an Israeli-Arab agreement. The URSS, having to face enormous internal difficulties, do not play a role, neither Europe does. 32 Strong with their unequalled power in the world, the USA decided to stabilize the Middle-East in order to avoid another conflict and preserve their influence. 33 The new world order : the United States take the place of the UN

34 American can impose their ideas on UNO. With their unconditional diplomatic, military and financial support to Israel, the United States also use their power of veto in the UNO to save the Israelis from a condemnation and protect the country of the UNO resolutions who « condemn… deplore… denounce… require… affirm… and advise » Israel to obey the worldwide institution. However the Americans adapt their politics in circumstance and vote sometimes for some resolutions. 35 Between 1988 and 1992, the USA put nine vetoes11 on condemnations of Israeli incursions on Lebanon, of Israeli’s violation of civil rights on occupied territories, on seizure of Palestinian property and on call to the Israelis authority to conform to the fourth Convention of Geneva on the protection of the civil population during a war. The UN has been publishing since forty years, in addition of numerous resolutions, reports of different commissions, in particular the Commission of Human Rights. 36 One of the most important consequences of the end of the bipolar world and the new world order is that the USA now play the role of referee. Until then, the UNO played this role. During the Madrid Conference in October 1991, the United States and Israel exclude the UNO from the Israeli-Arab agreement. The decision taken during this conference omits the UNO resolutions and the international laws. Now with the imperialist victory on communism, unilateralism appears, and the UNO’s conciliation is not obligatory. 37 Le Monde, The Jerusalem Post and Al-Fajr all agree throughout their caricatures to show the UN’s new position of second. Le Monde defends the French position and denounces vigorously the Israeli politics in the occupied territories and refers to the UNO resolutions. The paper shows on October 199012, Mr. Bush dressed as a judge condemning Mr. Shamir. Georges Bush addresses Mr. Shamir: « This time, I too, condemn you! » Mr. Shamir, a bit vexed, answers « my own lawyer. » Unique fact for the UNO, the United States joined the international condemnation of Israel which, for once, took place after the murders in Jerusalem of twenty Palestinians afters riots with Israeli army. What justifies, for the USA, this approval vote is that they don’t desire to

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 150

indispose their Arab allies (Syria, Egypt, and Saudi Arabia) in the Gulf crisis, at a moment where Saddam Hussein has just invaded Kuwait. UNO asks Israel, by resolutions 672 and 673 to receive the investigators on his territory and condemns the acts of violence made by the Israeli forces. For the paper, the sentence from the UNO on Israel depends not of the UNO but just of one of his permanent members: the USA. 38 The Jerusalem Post laughs at the influence of the United States on the UNO. America can exert financial and diplomatic pressure on other members of the UNO, especially on the Third World countries. Usually, except in a special case, the USA use their right of veto in the UNO to save Israel from a sanction. However this paper also denounces USA’s influence on this organisation: George Bush playing with a yoyo on which appears the UNO name:13 we can see the earth surrounded by two olive branch. Happy, the American President is wearing festive clothing. This caricature is published during the Gulf crisis. America has an influence on the UNO decisions. She privileges the use of force. Ten resolutions have been voted by the UNO, who support the American politic. After the Golf War, the UNO General Assembly abandoned, at the USA request notably, resolution 3379 dated from November 10th 1975 that compared Zionism to a « certain form of racism and social discrimination », and this before the opening of the Peace Conference in Madrid on October 30th 1991 sponsored and organized by the USA. 39 Palestinians through Al-Fajr associate the UNO to a life size toy for the Americans. The UNO theme as well as their incapability of finding a solution to the Israeli-Palestinian conflict because of the Americans reoccurs often. The UNO is always represented as a man whose head is a globe. The paper shows14 an American (a US coloured hat) and an Israeli (soldier’s cap) that are pulling vigorously at a rope attached to a man to prevent him to go on. He is stretching his arms out to a Palestinian, who is wearing a keffieh15, as if to help him. We are in November 1988, nearly one year after the beginning of the Intifada and violence against Israeli occupation. Palestinians see no solution in the future. Americans and Israelis don’t want the UNO to step into the Israelis business. 40 UNO reproaches to the Israelis the use of violence by the army against civil population. But independently of the possibility to oppose, condemn or criticize, UNO can’t put the resolutions16 into operation. The resolutions concerning Israel and the Palestinians voted by the UNO were never put into application by the Israelis. We can note the most important of them: 242 and 338. The Americans are protecting the Israelis and they regularly prevent the vote of resolutions condemning Israel’s policies in the Occupied Territories. Israel, a young country as it is only forty years old, is seen as a young mischievous child protected by his American grandfather. Palestinian polemic on the America’s new world order 41 Palestines Times denounces vigorously G. Bush policy after the Gulf War in 1991 and the new world command that Bush’s government wants to put in place at the moment when thousands of Bosnia’s Muslims died and when America have to face deadly insults. The paper summons blood and situations of violence to transmit its reproaches. The paper looks with attention at the events in Bosnia-Herzegovia that revives the Palestinian’s anger. 42 The Israeli-Arab discussions are born from the Madrid Peace Conference in October 1991. Few month later the Peace Conference, the Israeli-Palestinian negotiation talks are taking place in Washington at the beginning of January 1992 without results. One month later, in February 1992, is published a drawing17 where the Statue of Liberty is holding a seven lamps chandelier18 in one hand, in reference to the USA support of

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 151

Israel, while crushing a man in its other hand who seems to be a Palestinian. The Statue seems proud and strong, as the Americans after their victory on Iraq. 43 However, this new world command,19 under the appearance of a world map, in June 1992, melts in front of the dumbfounded face of the American President who is thinking of « Los Angeles » and « Bosnia ». One month earlier, Los Angeles knew deadly insults. 55 persons died. The national Guards has to interfere. In Europe, Serbian refused Bosnia’s independence. They launch the Bosnian War in April 1992 and kill thousands of Muslims. For Palestine Times, the USA are not a good model for others countries, they have to face deadly insults and their new world order sways. The paper condemns the death of thousands of Muslims in Bosnia. 44 Moreover one of the most virulent arguments comes from a caricature20 dated from August 4th 1992. A tall man wearing a red, white and blue costume, like the American flag: a tail coat, a striped pair of pants and a striped hat with stars. His stomach is swollen by pride, he is watching through the loop hole of a machine gun pointed towards « Iraq. » His feet are in a big pool of blood. The gun is put on three television sets where we can read from top to bottom « Palestine », « Bosnia » and « Herzegovina. » Blood is leaking from all three TVs. In 1992, although the Gulf War seems over, the United States are still as interested as before in Iraq, while tensions can be heard of throughout Bosnia-Herzegovina where the Serbs are killing Muslims. Blood is also flowing in Palestine that is still under Israeli control. Serbia and Israel, in spite of UNO resolutions concerning them, continue their policy. On the other hand, in a short period of a couple months, a coalition against Iraq led by the United States is seeing the day. Planes are thrown and Iraq is forced to leave Kuwait. And the Palestinians don’t understand this event. 45 The USA seem to be the only country with a large influence on the world event because they can put pressure on different countries. The two last caricatures are published when Israeli-Palestinian negotiation talks are taking place in Washington. The discussions seem to be leading nowhere, avoiding the right for the Palestinian refugees to come home. The Palestinians don’t like the alliance between the USA and Syrians in 1990-91, but also between the United States and Egypt. They felt that the world forget them. The Israeli colonisation continues on the Occupied Territories and the historic concessions of 1988 bring nothing. 46 After having approached the image of the United States and the new world order in a first part; we will now discover the question of the peace process. II. The USA and the peace process:The intervention of America for Le Monde 47 Le Monde shows the French vision and counterpoises the USA’s policy. America is a mediator in the Israeli-Arab relation, thanks to the Secretaries of the State, G. Shultz and J. Baker from 1988 to 1992, and the diplomatic and financial pressure. 48 The Shultz plan in 1988 inspired itself from the Reagan plan in 1982. It favoured the Jordanian option in the Israeli-Palestinian conflict. Rejected by the two parts, this plan is however rapidly forgotten for the PLO and the Israeli Government reject it. Mister Shultz’s image however Secretary of State, is not at his advantage. Pancho represents him like a little man, thick-set with broad shoulders, a big face but especially an imposing nose. With this negative image, maybe they ask if this man can really bring the peace between Israelis and Palestinians. However, in 1988, M. Schultz, very active, travels between Jerusalem, Damas, Amman and Cairo trying to convince all parts to accept the peace plan. On the contrary, James Baker new Secretary of State in 1989

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 152

seems more serious in these representations. Of normal size, the features of his face are not exaggerated. He seems surer of himself than Mr. Shultz, he has character. We can see a serious man, with a certain coldness. His grey hair tell think he is an old man. He rarely smiles in his appearances. We can guess a hard worker. Like G. Bush, he’s not considered as person who supports unconditionally Israel. So appears a certain coldness in his encounter with Mr. Shamir. 49 Mr. Baker is not an easy and warm man. J. Baker decides to do everything to support peace in the Middle East. In April 1991 after the end of the Gulf War he starts a round in the Middle East. Le Monde gives him more credibility. His tour in 1991 in the Middle East in the Arab countries, in Israel and in the Occupied Territories is represented with more energy. He carries out shuttles between Palestinian and Israelis to regulate the last details of the regional peace conference. He plays two roles at the same time:21 that of the nice one which makes it possible to open a dialogue between several parts who were enemies up to then, and that of a malicious one when a participant leaves the row. J. Baker makes pretence not be involved in the conflict. Without revealing his plan it founds a minimum of confidence between people. To arrive from there, he made many promises on both sides. During 1991, J. Baker is one of the characters who appears the most in Le Monde. 50 Thanks to his diplomatic talents, to his promises and his sense of the contact, Mr. Baker achieves the impossible, to join together around the same table Syrians, Jordanians, Palestinians, Lebanese, Egyptians and Israelis. One reproaches him for intervening only in the preparations without taking part in the negotiations themselves. If he manages to join together several parts, his role stops there. 51 By their diplomatic pressure, United States obtained that PLO finally recognized in December 1988 the resolutions 181, 242 and 338 adopted by the Security Council of the UNO. PLO evolves with the support of its base, of Arab countries and the support of the international community and recognizes implicitly the Israel State. 52 This historic gesture from the Palestinian structure was a sign thrown to the United States in order for them to accept a dialog with her and recognize the PLO as the only official Palestinian representative. Yasser Arafat also declared his abandon of terrorist activities, in a press conference. Americans were waiting for that before opening any dialog with the PLO. 53 However, for the French paper, this dialog between the PLO and the United States seems difficult and heading nowhere. The two partners are not equal. Yasser Arafat is then represented22 sitting at the same table as a man wearing an American hat. Yet, being that the form of the table, the latter is back to him. For the United States, this dialog does not mean that they support the PLO but they have understood the necessity to pass by this organization in order to bring peace and to calm the Occupied Territories who are actually in total rebellion against Israel since December 1987 and the beginning of the Intifada. 54 The arrival of thousands of Jewish Soviets since 1989 and the fall of the Soviet regime boosted the creation of new colonies in the Occupied Territories. Israel needs the USA’s guaranty for a loan of ten billion dollars to finance jobs and lodging for Soviet Jews. As for the USA use their financial pressure according to the interests of their policy. They exert financial pressures on one side and follow a generous policy of donation on the other. According to their interior policy, the USA can use pressure to impose something to the Israeli government by conditioning, for example, the guarantee of a loan to stop

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 153

the colonization in the Occupied Territories. However this loan will grant to Mr. Rabin a few months later when G. Bush is trying to gain Jewish electorate for his re-election when the polls are not in his favour for the White House. In march 1992, one caricature illustrates this event by an every day scene:23 a man asks a loan to a bank. The man, Mr. Shamir, seems a bit shy, his shoulders bent and apparently in low spirits. He turns around to ask the two following clients « And you, do you know of a bank that would be willing to lend me 10 billion dollars with no mortgage »? Behind the counter, Mr. Bush, as a cashier, head low, does not reply. Above him are two American flags surrounding a sign « Bank loans ». 55 Le Monde criticized also the American politic of donations. As early as 1990, the caricaturist Pancho is ironical:24 the United States generous as donators do not even know where to invest their dollars. A fine looking man is thinking in front of four slot machines. His hat reminds us of the American flag. He is wondering in which one he will insert the coin he is holding. Each machine bears a different name: Central America, East Europe, Israel and Egypt. Four regions where America desired to maintain their influence and where their help remains precious. 56 The American politics of holding back communism was to make military or financial agreements with some Arabs countries like Saudi Arabia, Iraq, Turkey and Iran, as well as with Jordan and Egypt. Despite the fall of the Soviet regime, Americans don’t annul these agreements. Egypt is the single Arab country who has in 1990 signed a peace treaty with Israel. The country intervenes in the Israeli-Palestinian negotiations. Camp David agreements of 1978 insulate Egypt within the Arab world. The American aid remains necessary for the country. Jordan also profits of the American dollars. But in March 1991, the USA stop their economic and military aid because of their neutralily in the conflict with Iraq.25 The Israelis are disturbed by certain American position ins the peace process 57 The Jerusalem Post emits criticisms towards the USA in their relations with Israel.

58 If the USA give their unconditional support to Israel, the Americans sometime fail them, concerning their relations with the PLO, the colonization of the Occupied Territories and of the concessions they wait from the Israeli government. 59 With the beginning of a dialog between the PLO and the USA in December 1988, a new era begins. For the first time, the Americans are recognizing the Palestinian organization while the Israelis refuse any contact with them. For the Israelis, PLO evokes fear, terrorism and blood. The newspaper relays this vision by caricaturing26 Yasser Arafat on top of a tank. The chief of the PLO throws his gun ( « Terror » is written on the gun). The letters US are written largely on the tank. The PLO has just rejected terrorism and therefore has recognized, implicitly, Israel by adopting the UNO resolutions 181, 242 and 338. The newspaper worries about this bringing together and its consequence for Israel. In reality this dialog remains distant and cold. If the Bush administration must honour the policy of its predecessor, Mr. Regan, it remains however rather pragmatic on the relations with the PLO and continues the strategic co- operation with Israel. 60 In addition, Mr. Bush is hostile to the colonization in the Occupied Territories and therefore goes against Mr. Shamir’s politics in the ninety’s. With the end of the Cold War and the new alliances in the region with the Arab countries, the United States no longer bring their systematic support to Israel. Just before the opening of the Madrid Peace Conference in October 1991, Mr. Bush appears27 then as giving a little friendly tap

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 154

on the shoulder of Mr. Shamir while shaking his hand. Two inscriptions figure on his sleeves: « Settlements no » and « Zionism yes. » The American President, impressive by his height, must bend down to be at same level as the Israeli Prime Minister. The paper denounces a double American policy: their support to Israel and therefore to the Zionists, but their rejection of colonization, which is the fundamental line of conduct of the Zionists.28 Mr. Shamir seems, on the drawing, ready to fall in front of Mr. Bush. 61 A few months later, Mr. Bush requires the stop of this colonization. The USA don’t recognize the East of Jerusalem as an Israeli territory and condemn colonization in the Occupied Territories in accordance with the UNO resolutions. However Mr. Shamir, on his side, refuses the Bush’s conditions. Israel is thus seen refusing a guarantee discounted for a loan of several million dollars. This important loan is necessary to finance jobs and lodging for Soviet Jews who arrived recently. 62 American aid leads to Israelis concessions in the peace process. The United States brought since 1948 a financial aid to the Israelis. In the 90’s their aid added up to a little more than 3 million dollars per year.29.Despite the United States impose their conditions for their financial aid. In 1991, the relationships between America and Israel freeze over. In September, in a caricature,30 George Bush is holding a bag on which we can read « Aid » and wasting coins between an ill dove, symbol of peace, and a cage. We can see the dollar acronym on the coins. The dove has a David’s star on her back. Tired, she bends down her wings, a drop of water falls of her forehead. The birdcage is empty. The mention « Peace in the Middle-East » is inscribed on the door. The dollar giant crush the ill looking bird (Israel). Mr. Bush is trying to bring the bird to him and at the regional conference of Peace, planned at the end of October in Madrid (symbolised by the birdcage) with dollars. This conference is seen as a prison (a cage) because the Israelis must make concessions to the Palestinians and Arabs countries. 63 The Jerusalem Post in its caricatures shows the politic of the principal Israeli ally who use its financial power to force Israel to accept politic concession. The Israeli government doesn’t accept all the American’s requirement looking too hard. That’s this position the paper spray. The Palestinians critic the USA in the peace process 64 For Al-Fajr, the USA are leading a very active policy but an inefficient one especially concerning the Israeli-Arab relations. The two caricaturists of the paper critic also their policy of donation and their submission to Israel. 65 Georges Schultz’s tour in 1988 must therefore boost the peace process. However, this correspondent is ridiculed during his tour by Suleiman Mansour who gives him little credit in his intention to obtain true peace. We see him31 running by Mr. Shamir’s side, with a bat in one hand ready to hit on the peace dove who seems terrified at the sight of both men. In another drawing, a young Palestinian child offers him a pair of glasses to see better.32 Mr. Schultz, eyes closed, seems to be having some problems for reading the paper that he is holding in his hands on which we can read « Middle East Peace ». 66 This negative vision can be explained by the fact that the United States are leading a very active policy in that region but, on the other hand, they constantly oppose their veto against any condemnation the UNO considers against Israel. The economic and political situation is a disaster in these territories, occupied by Israel since 1967. Subject to a military regime under curfew, the economy is paralyzed, the territories are off limits. On a political level, the mayors of all cities no longer have any power; they cannot undertake anything without the authority’s agreement. The Americans know of

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 155

this but do nothing about it. With the beginning of the Intifada in December 1987, the world opens its eyes and discovers the lives and history of the Palestinians. The Shultz’s plan in 1988 followed by the Baker plan in 1989-1990 encountered no success. The USA truthfully implicate themselves in the peace process with the end of the Gulf War in 1991. The Peace Conference in Madrid in October 1991 has opened the dialogue between Israelis and Palestinians. The bilateral talks which result from Madrid unroll in Washington under the American auspices during the year 1992 and 1993. But Israeli and Palestinian ridge on certain questions about Jerusalem, the return of the refugees and Palestinian autonomy. The USA, up to that point very involved, remained simple observers. 67 Al-Fajr also denounces the influence of the American dollars on the Arab countries and notably on Jordan. 68 The country suffers from the presence of meadows of two million Palestinians over his territory, consequence of the wars of 1948 and 1967. That posed problems of integration and balance with the remainder of the population. In September 1970, the Jordanian forces are opposed even to the Palestinian organizations, which form a State in the State. Today the half of the population is Palestinian. Theirs relations were always problematic also the paper criticizes the Jordanian monarchy on the American assistance which it receives. A man walked on a road filled33 with dollars’ bills. His face smells of greed. The sign indicates the direction to Amman. 69 King Hussein with his double culture, Arab and Anglo-Saxon, has turned his country towards Occident. The country who benefited of British protection then of American protection since the 50’s, to prevent the creation of a country hostile to Israel on the Jordan river’s east side. Despite its independence, this country still largely depends on the United States on a financial and military level at the cost of millions of dollars per year. 70 For Al-Fajr, the Arabs countries don’t go to the good direction. In a drawing34 from Naji Al Ali35 in 1988, three men (who represent the Arab countries) are walking towards the left where arrow signs are indicating the United States’ direction. A child is trying to stop them and trying to pull them the other way around, towards Palestine which is indicated on another sign and by the Palestinian flag. The legend indicates « Liberation of Palestine. » 71 The Arab countries, notably Egypt, Syria and Jordan, too busy with their own preoccupations, always privileged a solution that did not offer a true independence for the Palestinians but that offered a kind of trusteeship, according to this author, in order to gain their territories. They have always followed the American policy in the name of peace, but unofficially it’s for the dollars support. They are incapable of determining the real Arab interests. 72 Palestinians condemn American’s power and accuse the USA to be submitted to Israel. In Al-Fajr, both American presidents, Mr. Reagan and M. Bush, are shown as stupid men who do not understand the Palestinians. M. Reagan is playing double bass in an orchestra under Mr. Shamir’s orders;36 one month later the American’s President is making bubbles with a toy.37 Mr. Bush is thinking and wondering naively of the Palestinian condition. Both merry, they are completely off track. The two seem subject to the Israelis’ orders and totally submitted to them.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 156

73 The caricatures concerning the relations between Israelis and Americans tend to an Israel leadership imposing its conceptions and its policy to the USA. Mr. Shamir,38 all smiles, is petting a big and strong dog. The animal is holding a United States’ flag on his hat. He seems very dangerous and subject to the Prime Minister’s orders, ready to bite anyone that comes too close. On the Prime Minister’s shoe we can see the inscription « international opinion », as if the Israelis were walking and mocking the international community. This caricature of the 21th of February 1988 was already published the 18th of February in Al-Quds, in a context of violence since December 1987 and the beginning of the Intifada.39 74 A few months later, in September 1988, in a drawing40 by Suleiman Mansour, Mr. Dukakis and Mr. Bush are at the foot of an enormous tower where is written « Israel. » Both men are imploring the man who is sitting at the foot of the tower. They are at his feet. From simple demonstrations, the anger becomes a rebellion against the Israeli occupation. 30.000 Israeli soldiers maintain order in the Occupied Territories. The soldiers’ repression is visible on world television. However the Americans don’t move. They don’t participate either on the international condemnation of Israel, nor on the vote of the most important resolutions in the UNO, and this is what Palestinians paper condemn: American power’s inaction and inefficiency. The result of the American policy in the peace process 75 The persistence of J. Baker and the will of G. Bush to quickly regulate the Israeli-Arab conflict after the end of the Gulf War leads to the peace conference of Madrid at the end of October 1991. To reach that point and so that Mr. Shamir Israeli Prime Minister, a serious opponent to any negotiation in which the UNO would participate, would cooperates, the Bush administration gave him guarantees: the conference relies on Shamir’s May 1989 plan concerning Palestinian autonomy, the USA continue their strategic cooperation with Israel, they reduce the dialogue with the PLO to a strict minimum, and close immigration to the Russian Jews to direct them towards Israel. In Madrid a dialogue between Arab countries and Israelis starts. Palestinians of the PLO, of outside and of Jerusalem are not allowed around the table of negotiations. Those which answer to the criteria must be integrated in a common delegation with Jordan. The Bush administration succeeded in imposing the Israeli requirements as a starting point of the discussions. 76 After the conference, the bilateral negotiations between Israelis and Palestinian continued in Washington. 77 The USA count on a dynamics which would bring the Israelis and Palestinian to accept concessions. However the negotiations hardly advance. Al-Fajr denounces USA’s opposition to progress as they, after Madrid, adopt a less firm policy towards the Israelis. Since the concessions of December 1988, when the PLO called to the coexistence of the two States, the situation has well changed. Weakened by their bringing together with Iraq during the Gulf War and their insulation on the international level, Palestinian are not in a position to require a State. Conclusion 78 The interest of these various newspapers lies in their caricatures which assist their editorial line. The common themes found in French, Israeli and Palestinian papers are: a strong America, proud with her military and financial power thanks to the dollar, an America controller of the UNO. However, they are presented very differently. America,

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 157

who represents herself as good and fair and as the saviour of the weak, comes out with a tarnished image. 79 Le Monde, a foreign view of the region shows the French vision in the world. The paper always takes the defence of « great humanitarian ideals. » He « leans always on justice and liberty’s side ».41 15% of its circulation is foreign, mainly in Europe, Africa, North America and the Middle East. 80 However, the paper stays courteous in its vision, on the contrary of its illustrations on the Israelis and their policy in the Occupied Territories. Europe, but especially France, is little present in the caricatures concerning the Israeli-Palestinian conflict. 81 The United States’ image, indeed attacked, stays positive, it even makes us smile. Plantu and Pancho, the two caricaturists of the paper, remain in the comic of the situation, their drawings do not inspire fear, and there are no bloody references. 82 Le Monde criticized this omnipresence and the quasi dictatorship used by the USA throughout these two caricaturists who benefited from a large liberty in their drawings. 83 The critics of The Jerusalem Post towards the United States exceed those of foreign newspapers. Meir Ronnen, the main caricaturist has a total freedom for his drawings which, mostly, interested in politics. His drawings though very engaged don’t show terror. 84 The Jerusalem Post does not shy away from criticizing its own government, Israeli politics and their foreign and interior politics. This independent paper allows a more severe critique towards the Americans. Certainly because of the Israeli-American relations which are close. As we will see in the caricatures presented, The Jerusalem Post defends this politic as well as mildly attacking it. He is an important, yet controversial, ally for the United States. Published in English, the newspaper finds his place in America where million Jews lives. 70% of the circulation of the paper is bought in America, so the place of the relations with them is thus dominating. 85 Financially and militarily, the United States had a good setting in the region for years. They were interested in the Middle East for strategic and political reasons (Israel is located in the heart of the Arab world, it can therefore be used as a central base,) as well as economic reasons through oil (represented by a barrel of gas in their caricatures,) Oil represents a political weapon in the hands of the producers who own 50% of the world resources. Without financial, military and political aids (in the UNO too,) Israel would have serious problems. 86 The Jerusalem Post brings to light this double American policy considering the Israelis. The paper evokes a little bit the Arab-American relationships at that time. 87 The Palestinian papers evoke a not very flattering image of the United States. On the opposite, French and Israeli papers, Al-Fajr and the Palestine Times, show us an America too sure of herself, full of pride, and who displays her power for Israel and for their interests. Drowning the Arab countries with their dollars, the United States continued their hegemonic policy. They intervene in Israeli-Palestinian relations because there are strategic and economic interests at stake. The Arab countries are potential markets. This is the end of the nice caricatures with comical situations, here the authors use sadness and blood. 88 Al-Fajr, is published in the territories occupied by Israel, in East Jerusalem. The journalistic interest of this paper lies in the echo which it gives at foreigners and

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 158

Israelis of the Palestinian opinion. The paper must face military control that regularly censure articles. It is published essentially in Israel, Europe and the Unites States. Most of the articles and its illustrations evoke the Israeli occupation and its consequences: the presence of soldiers, the wounded, the guarding of the territories, the demolitions of houses, the expulsion of Palestinians. It publishes mainly caricatures drawn by Suleiman Mansour’s,42,who resides in the Occupied Territories, as well as those of Naji Al Ali,43 exiled in England until his death in 1987. After 1987, Palestinian papers continued to publish his work. 89 For Al-Fajr, Israelis manipulate Americans. Thanks to their dollars, the Americans are buying the Arab countries and their silence in the Israeli-Palestinian conflict. The Palestinian paper shows us an America completely self involved. 90 The second Palestinian paper, Palestine Times, shows the consequences of the American policy: blood and tears. In order to complete our vision concerning the Palestinian image, we cared to take in consideration the point of view of this paper which is a magazine published on the outside of the Occupied Territories since 1991. Close to the Hamas, and therefore hostile to a peace process with Israel, this magazine gives out a very bad image of the United States. Blood and power to the detriment of the little (Palestinians notably,) pride of the Americans are as many elements that come out of the different caricatures in this magazine, especially in those that we have chosen to examine. Palestine Times emits no bad opinions concerning the Arab countries. 91 For the Americans, with a good opinion campaign, have managed to mobilize a coalition against Iraq in 1991. Iraq is now seen as friendish while it is the United States that gave them their weapons. The problem with Kuwait is becoming a civil rights question, as Palestinians have been waiting for more than forty years for an arrangement in the conflict with Israel. With the end of Bush’s mandate in 1992, and despite the peace process, their political situation and living conditions have hardly changed.

NOTES

1. Within the framework of a "purse enquiring month" granted by the French Research Center of Jerusalem in August 2005. 2. A. Finkeldei, Histoire et idéologie du journal Le Monde, Ed. Verlag Shaker, p. 1. 3. Palestinian newspaper published in Arabic in Jerusalem. 4. However, in order to respect reproduction law, we cannot publish the caricatures. 5. President Monroe’s doctrine dates from 1823. It remained the conducting thread of the American international policy : no European military interventions in America, therefore no US military interventions in Europe. 6. Except their intervention in World War I in 1917. President Wilson therefore breaks apart from the traditional policy. But the return of the Republicans to government in 1921 replace America into isolation. 7. Le Monde, August 29th 1990, p. 4, Plantu

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 159

8. “For the majority of the observers intensity of the exchanges between Israel and the United States of America, the extent and intimacy of their cooperation and Washington’s diverse support to Tel-Aviv (economic, military, politic, diplomatic) show the existence of a specific bond, solid and maybe untouchable.” C. Mansour, Israël et les États-Unis ou les fondements d’une doctrine stratégique, Paris, Armand Colin. 9. Le Monde, January 20-21st 1991, p. 1, Plantu. 10. The Jerusalem Post, January19th 1991, p. 9 11. 1988: January 18th, February 1st, April 15th, May 10th, December 14th- 1989 : February 17th, June 9th, November 7th- 1990 : May 31st. 12. Le Monde, October 14-15th 1991, p. 5, Pancho. 13. The Jerusalem Post, March 30th 1991, p. 5, M. Ronnen. 14. Al-Fajr, November 28th 1988, p. 1, S. Mansour. 15. A Palestinian scarf, around his neck. 16. 181: on the partition of Palestine in two states- 242 and 338: on the Israeli withdrawal of the Occupied Territories. 17. Palestine Times, February 6th 1992, p. 4. 18. One of the main object of worship in King Salomon’s Temple in Jerusalem, the Menorah, becomes the symbol of the jew’s cultural heritage. 19. Palestine Times, June 1992, p. 4. 20. Palestine Times, August 1992, p. 4. 21. Y. Mens, « Les États-Unis et le Moyen-Orient », La documentation française, n°spécial, n°680. 22. Le Monde, December 16th 1988, p. 1, Plantu. 23. Le Monde, March 18th 1992, p. 1, Plantu. 24. Le Monde, April 1-2 nd 1990, p. 5, Pancho. 25.The United States restored their economic aid of 35 millions of dollars on August 2nd 1991, then their military aid of 22 millions of dollars. P. Fenaux, Moyen-Orient : les dossiers de la paix, Les dossiers du GRIP, n°175-176, novembre-décembre 1992, p. 57. 26. The Jerusalem Post, December 24th 1988, p. 5, M. Ronnen. 27. The Jerusalem Post, September 25th 1991, p. 24, M. Ronnen. 28. This doctrine leads to the restoration of an independent Jewish state in Palestine. 29. C. Mansour, Israël et les États-Unis ou les fondements d’une doctrine stratégique, Paris, Armand Colin, p. 163. 30. The Jerusalem Post, September 21st 1991, p. 3. 31. Al-Fajr, April 10th 1988, p. 3, S. Mansour. 32. Al-Fajr, March 13 th 1988, p.12, Al-Quds. 33. Al-Fajr, October 11th 1988, p. 5. 34. Al-Fajr, September 4th 1988, p. 11, Naji Al-Ali. 35. N. Al Ali was assassinated in London in July 1987. Al-Fajr like others newspapers used his caricatures to illustrate artciles. 36. From Al-Fajr, February 14th 1988, p.12, from Al-Quds. 37. Al-Fajr, March 13 th 1988, p. 9. 38. Al-Fajr, February 21st 1988, p. 12. 39. Palestinian’s rebellion against the Israeli occupation in Gaza Strip and West Bank. 40. Al-Fajr, September 11th 1988, p. 6, S. Mansour. 41. A. Finkeldei, Histoire et idéologie du journal Le Monde, Ed. Verlag Shaker, p. 233. 42. His work evokes the struggles and the suffering of the Palestinian people faced with oppression. His drawings depict the every day lives of the Palestinians.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 160

43. His drawings evoked the voice of the Palestinian people, against the Zionist, the imperialist and the Arab countries who make profit off the Palestinian suffering and align themselves with the United States. He is touching and simple in his work.

AUTHOR

EMMANUELLE MESON After having worked on the Israeli-Palestinian relations through the articles of French and Israeli newspapers, Emmanuelle Meson chose to study the political caricatures for her thesis of doctorate, under the direction of Professor Carol Iancu (University Paul Valéry, Montpellier). Her subject studies the Israeli-Palestinian relations through the political caricatures of the French, Israeli and Palestinian press. [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 161

Today’s Israelis and the Shoah or the Role of the “Third Generation” in the Development of New Memory Practices

Guila Sylvie Nakache

1 While looking into general issues of contemporary historical memory, Pierre Nora brought to light a new object of history: the “place of memory,” to which he grants the faculty of generating “another history”.1 In his 1992 article, “The age of commemoration,” Pierre Nora reflects on “the strange fate of these places of memory: by their approach, their method, their very name, they sought to be a kind of counter- commemorative history, but commemoration has caught up with them”.2 These “places of memory,” which yearned to be a counter-commemorative history, instead became instruments of commemoration.

2 That monumental work which is the Lieux de mémoire constitutes an essential aid to grasp the internal transformations in the concepts of history, memory and commemoration. The perception of memory issues within a national setting has long been considered through the “places of memory”, to the detriment of any consideration of the plurality of those voices, which live in the collective and individual memories. Yet there are other “objects of history,” individual fates whose histories have faded away, temporarily or forever, by the representatives of official memory. The “places of memory” have frozen time. They exist because there is no spontaneous memory anymore. 3 Faced with the institutionalised narration of the “places of memory,” the development of an alternative relating has coalesced in “communities of memory.” A “community of memory” assumes a memory, which is carried by living groups. Memory in a “community of memory”, as opposed to a “place of memory,” can update and live within history. The emergence of so-called “memory” subgroups occurs when a redefinition of the group’s identity becomes necessary. The existence of these “communities of memory” forces us to rethink the relation between the

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 162

historiographical project, which aims to orchestrate the past and the fragmented, amputee, interrupted collective memory. 4 The State of Israel, a space with multiple narrative “memories,” long overlooked, ignored or marginalised in the name of national construction, seems to be a privileged land in which to re-examine the questions which arise regarding the relation between history and memory. I. The origins of a memory reconstruction 5 Zionism, originally an East European nationalism tied to a linguistic demand and rebirth, differs from French nationalism, which finds its expression in institutions, the State, and the history of the State as such. It is a nationalism, which can exist regardless of the State.3 The distinctiveness of “ben-gurionism” lay in educating the people through a unique history, an almost Jacobin history of the State. After the success of the Kibbutz Galuiot (the gathering of the exiles), the State had to meet the challenge of merging the exiles. A rather difficult task for this State, which welcomes Jews from all sources. The State of Israel soon had to “manage” the historic reunion between the two major branches of Judaism (Ashkenazi and Sephardic), confiscating the many memories of the exile, so as to place them back within the setting of a national memory. 6 One of the most striking examples of this Israeli normative model is the subordination of the memory of the Jews of Iraq to the supra-Zionist narration. The Farhud4 became the historiographical reference point which overwhelmed the long, rich history of Iraqi Judaism in Iraq.5 Researchers agree that this event was exceptional in the relationship between Jews and Muslims in Iraq.6 Despite historical testimony, the Farhud was integrated to the national Zionist narration me-Shoah le-Tekumah (“From the Shoah to Independence”.) Jews in the land of Islam had a pivotal demographic role. From 1942 onwards, David Ben-Gurion presented Yishuv leaders the famous “million program m”, which sought to have Jews come in from the Arab States, and started after the creation of the State.7 7 The relation to Jews in the Land of Islam was included in a mixed process of homogenization and differentiation.8 The State of Israel tried to amalgamate the communities in the unique setting of a modern national society, while fighting against “the Eastern mind” which Ben-Gurion thought “destructive of individuals and societies”.9 The Arabian past of Oriental Jews threatened to shake the coherence of a “homogenised” Israeli nation and to garble the division between Jews and Arabs. In this contradictory reality, Israeli Orientals devised their own integration practices: scorning their Arab heritage, accepting the fundamental values of Ashkenazi hegemony, and constantly attempting to integrate into the “Israeli culture” which reflected the image of this hegemony. The collective memory of Jews from Arab countries submitted to a Zionist approach, which was part of a movement rejecting the Diaspora (Shlilat ha- Gola). The argument of Oriental communities, which spoke against the Alyah’s policy of absorption during the 50’s, the contempt for their traditions and the attempt to “blend” them into the Israeli normative model is not unlike the demands of Shoah survivors. The State of Israel’s first years of existence are characterised by two simultaneous and contradictory processes: develop a collective memory of the Shoah, and celebrate the heroism while disguising the reality of the victims. In 1949, the young State, faced with an immense Alyah, is mostly concerned with building the country. Of course, the extermination of the Europe’s Jews is seen as a terrible disaster, but one

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 163

which is also inexplicable, incomprehensible. The collective rhetoric puts the Shoah to ideological ends, and buries individual memory. 8 With the Six-Day War comes a new phase in the perception of the Shoah. The fear that the “multiple Arabian and Palestinian verbal threats10” generate is lessened by the sense of security provided by a sovereign State and a powerful army capable of protect its people. The Israeli army has just foiled an attempt at extermination. Such is the nature of the “lessons of the Shoah” and of the pedagogic concept on which the young generation is weaned. The politicians debate the future of the Territories and security issues. Many, both religious and secular, see this new situation as the sign of a return to ancestral lands, particularly Jerusalem. The political will to carry out the “conquest of the land” program based on historical biblical rights stimulates an Israeli public whom the now-possible access to certain territories allows, among other things, to visit the reunified Jerusalem.11 9 Starting in March 1969, Nasser begins a war of attrition over the Suez Canal. This date marks the first stage of a process, which will eventually lead to total war.12 This war of attrition is a real conflict, causing nearly as many casualties as the Six-Day War.13 Acceptance of the ceasefire signifies the end of the Labour-led national union government. Begin and the right, arguing in favour of outright annexation of the Occupied Territories, quit the coalition government. Likud, Religious and Nationalists, with the support of the neo-Zionist movement, gain strength. On 15 March 1972, a massive vote in the Knesset reaffirms “the historic rights of the Jewish people over the Land of Israel,” including Transjordan and Gaza.14 10 Many historians and sociologists consider the Yom Kippur War to be a breaking point in Israel’s collective conscience. For Anita Shapira,15 the television broadcast of images of Israeli captives during the Yom Kippur War fosters the recognition of the victim. Suddenly, the tracked and persecuted Jew became a part of the Israeli experience. This time, Israelis feel understanding and compassion for Europe’s Jews. The Yom Kippur War results in a profound change in the perception of the Shoah, as a public theme, and especially as a pedagogic one. The fact that this attack took place on the day of Yom Kippur, seen by the Jewish people as one of the holiest days, amplifies the attack’s dramatic aspect and impact on Israelis. The gravity of the situation, followed by the uncertainty of the first weeks of battle, and the population’s sense of isolation, left an indelible mark on Israeli conscience. Fear of extermination was stronger than ever. Certain theses crumpled: that the existence of the State of Israel should guarantee against hostile threats was no longer obvious. In May 1974, popular protest movements demanded the government’s resignation and the creation of a commission of inquiry. The military and civil leadership has failed. 11 Under Ytzhak Rabin’s 1974-1977 government, Israeli politics evolve. Labour accepts the creation of colonies in Transjordan and the Gaza Strip. The rise of a new form of Zionism, in which the religious element takes on a crucial role, weakens the doctrine of a purely secular Zionism. With the resurgence of extremist religious movements since 1967, some religious parties merge into the Gush Emunim (the Block of the Faithful) and call for a return to “territorial messianism.” The Block of the Faithful (1976) and Rabbi Meir Kahane’s Jewish Defence League (1977) organise marches and create wild settlements, which remain illegal until Menachem Begin’s rise to power.16 12 The 1977 political upheaval sees new elites come to power, elites which lend legitimacy to their own culture, representing another form of Israelism. Anti-socialist, anti-elitist

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 164

messages, laden with religious significance, are now complemented by the almost systematic denunciation of a world, which “allowed the worse to happen.” Under the Begin government, the Shoah lies at the core of national identity, and especially of a new language, which reinterprets even the meaning of good and evil. During the first War of Lebanon, the Israeli army’s offensive, which reaches the Litani river on 6 June 1982, far exceeds the government’s original intention when operation “Peace in Galilee” was launched. Begin allows Tsahal to invade Lebanon to dislodge the plo which has been shelling Galilee from the Israel’s northern border. At the time, he writes, in a letter to President Ronald Reagan, that Israeli troops are being sent to Beirut to arrest “Adolf Hitler in his Bunker”.17 To justify this action in the Knesset, Begin returns to his strategic vision, which consists in viewing any alternative to war as the tangible risk of a new extermination: 13 Since World War II, the world has lost the right to call Israel to account for its actions.18

14 Begin courts the most conservative and religious fringes of Israeli society,19 by fostering Jewish settlements and granting subsidies to religious parties, notably to Agudat Israel, which obtains, among other things, the interdiction for the El Al Israeli airline to fly on Shabbat. The erosion of the “status quo”20 in favour of religious parties marks a first break in the “supra-Zionist” discourse. 15 In the context of a media-response-meter culture, the impulse and interest focused on what is “different” have brought pent-up feelings to centre-stage. Narrative “memories” emerge from oblivion to compete with the elites in power, creating substitution myths, which are more in accordance with their personal identity. Collective ethics no longer exist. Each group has its own idea of what Israelism is, i.e. borders, the role of the State, the educational system and the relation between State and religion. 16 As did the Oriental Jewish communities, the descendants of survivors have brought their roots and origins to centre-stage. The memory of the Shoah is an essential part of the definition of their identity and personality. The expression “children of Shoah survivors” became an epithet tied to a genealogy, an ancestry. 17 But as these children grew, so did the survivors. A feeling of urgency took hold, then: to speak out, question, bear witness, clarify all the questions which had remained without answers, and those which had never been made or had been repressed, before it is too late… These descendants felt that their identity was also anchored in the “biographical” memory of their parents and grandparents. 18 The relationship with religion and Judaism evolves. Judaism caught up by the Diaspora sees the birth of new memory practices. II. An identity built on traditional memory 19 The Arachim21 movement is founded in 1979 by a handful of devout teachers who came from Academe and the Yeshivot and wished to put a stop to the alienating process Israeli society had gone through, a process which they believed had produced a generation which was divorced from its ancestral traditions and the richness of its heritage. The idea of academic seminaries was born from the search for a way to transmit the foundations of Judaism in a clear and modern language to a secular public anxious to reconquer its Jewish identity. The Lectures cover various subjects, where religion and science coexist.22 Lectures in which the question of transmitting Jewish history23 is omnipresent.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 165

20 On October 12 2006, during a four-day “intensive” academic seminary in Jerusalem, Yaakov Estreicher, spokesperson for the Arachim movement, gives a lecture on “passing the torch.” On that day, he questions the testimony-transmission in Judaism. There is a fundamental difference between a legend and a history based on the transmission of testimony. The legend is an unverified story, without – or with few – witnesses. The reliability of a historical narration depends on the number of witnesses who were at the event.24 21 All religions which rely on a certain kind of revelation are based on the same model: a person meditates in solitude, comes back to his/her people and announces that he/she has experienced a personal revelation. This kind of assertion, which by its very nature cannot be verified, relies on the model of faith. Judaism is not based on this model, but on one of testimony: When I tell my son the story of the Exodus from Egypt, it is not because I read it in the Old Testament, but because my father transmitted this story to me. Jews all over the world tell the story of the Exodus in the same way. It is a chain of transmission, from father to son, going back to the first witness. Israel didn’t believe in Moses because of the miracles he accomplished, but because of the Revelation on Mount Sinai, when the people saw with their own eyes and heard. 22 Judaism is the only religion in the annals of history, which claims to have experienced a National Revelation. No people has ever laid claim to such a National Revelation. According to Yaacov Estreicher, an event as significant as the Exodus and the Revelation on Mount Sinai, involving a large number of witnesses, can therefore not be transformed into a swindle.

23 After having demonstrated “the uniqueness of Judaism’s transmission model” and “its tamper-proof character,” Yaakov Estreicher discusses the problem of negationism, but not without first revealing to the public the reasons for his dismay: I am just like any Shoah survivor, but for the blue number tattooed on my arm. Nightmares, fear of going without food. I even catch myself at night hugging the walls… Grandfather survived the Shoah, my father comes from a large family which was annihilated during the Second World War. Grandfather never spoke of it. He was 30 when he came to Eretz Israel. For ten years, he didn’t get married, he couldn’t do anything but eat and breathe. And then, slowly, he recovered. At 40, he decided to get married, to carry on the fight on behalf of his loved ones. He got married, my father was born, and he told him nothing… My father knew nearly nothing of what had happened to my grandfather during the war. I am the one to whom grandfather told everything. He had come to understand that if he didn’t tell this story, no one would ever know it, and he would be unable later on to regret the fact that no one knew. At the age of 12, I used to spend all my Shabbat at my grandparents’ place in Nataniya, to keep them company. One day, grandfather opened the album: “This is my mother, this is my father, this is my little sister, who took the train for Auschwitz. This is my brother, who went back to the Yeshiva because there was a war on. If he had not gone back there, he would have survived. 24 And in 1944, they take the Auschwitz train going into Birkenau II25 and stopping at the Crematorium. This is where they get off and undergo the “selection,” to which Mengele takes part. “Right”, “left”, “right”, “left.”

25 And all of them end up on the left except for me and my sister, who were sent to the right, I don’t know why. The last words I remember were my father’s: “Samuel, we are

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 166

going to die. Samuel, live! Marry, have children, tell them you are a Jew and tell them what it is to be a Jew.” Those were his last words. And grandfather crossed the seven circles of hell… and for those who know what I am talking about, grandfather crossed the seven circles of hell long after the Shoah. The seven circles…. Then he married…. Then he decided to tell… He told all he had kept quiet all those years. I lived that moment intensely. Since then, I have nightmares where I am over there, and everything happens to me. There is no book on the Shoah I haven’t read, no movie I haven’t seen. There are books and movies I’ve seen dozens of times. And again and always, I find myself back in Poland, in Auschwitz, in Majdanek, in Treblinka… And there I am, again and always, asking myself: but why am I here? I can’t stand these places, so why am I here? And there I am, crying like a child again. 26 As most Shoah survivors’ children and grandchildren, Yaacov Estreicher is still haunted by his family history. He has lived for his childhood a double life: his own and the remembrances of the camps. Worried by the future, he is wondering at these extreme right new erroneous interpretations of Nazism history and Collaboration, at the “confusion of meaning,” more and more pronounced in the left and extreme left referential links about the Shoah, and their way of reading the Israeli-Arab conflict. Yaacov Estreicher, preoccupied by seeing the neo-Nazism and the revisionism revived by professors at the University, discusses the question of the falsification of history. The question of Henri Roques who, in 1985, at the university of Nantes, defended a doctoral thesis26 in which not only did he question the Jewish genocide, he also tried to rehabilitate Nazism, with the abeyance of a jury of teachers who were favourable to his theses. But the main concern of Yaakov Estreicher is not France, nor the rest of Europe, but rather what is happening, what might happen in the future, in Israel itself:

27 I fear that, in 200 or 300 years, here, in Israel, you will be able to get research papers denying the truth of the Shoah in the name of pluralism, in the name of science and in the name of a history that lacks accurateness. 28 In order to thwart the projects of the history falsifiers, Yaakov Estreicher proposes a “Jewish method” to “immortalise the historical event.” Considering the Exodus and other traditions in the Old Testament, Yaacov Estreicher analyses the commemoration of the past. Indeed, the text of Exodus is punctuated with explicit references to memory and commemoration. Yaacov Estreicher supports his reasoning by calling on biblical references. He comes back to the circumstances of the Mount Sinai’ Revelation before exposing the first part of his project: the gathering of the survivors. We will gather all Shoah survivors who are still lucid and in good health, (some 20,000) in an immense amphitheatre, along with their children and grandchildren. The Prime Minister, the President of the State and the Chief Rabbi will take the stage. The President of the State will turn to the survivors and tell them: you are the witnesses because you saw, with your own eyes, the horrors of Auschwitz, Treblinka, Majdanek. You were there. Future generations must know what happened there, and that is why you must transmit your testimony to these future generations. 29 This project is largely drawn from the Sinai Covenant story. The idea of a “gathering of survivors” calls to mind the narration of the Revelation of Mount Sinai. The Covenant concept is the dominant metaphor in the Hebrew Bible for the relationship between God and the Israelites. According to the Torah, the entire Jewish People heard God speak on Mount Sinai, thus experiencing a National Revelation (Deuteronomy 5: 1-4.)

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 167

30 This unique feature of the Sinai Covenant emerges as an important aspect of the relationship between Israel and God. The Ten Statements (asseret hadibrot) came to play a central role in Israelite and Jewish society: they are formulated to provide a set of values. The Decalogue contains foundational precepts, which provide the community’s statutory basis and common (case) regulations. This set of precepts has also a mnemonic value. It can be easily remembered. The Ten Commandments are the Covenant document’s essence. They would have been recited or repeated whenever Israelites gathered to express their allegiance to God and their acceptance of a Covenant relationship with their deity. They have a role in Israel’s community existence. Yaacov Estreicher proposes to draw one’s inspiration from the Old Testament to the contemporary history in order to immortalize the memory of the Shoah. As the Thora has been transcribed in her foundational aspects, the President’s words are also. The idea of a “document” refers to the story of Moses, who gave a copy of the Sefer Torah to each of the 12 Tribes of Israel (another Sefer Torah was kept in the Ark of the Covenant.) Yaacov Estreicher proposes to give each Survivor (some 20.000) a copy of the “document.” 31 The proposed manuscript includes the gathering of the survivors, the direct testimony (those who saw and heard,) the transmission to future generations, the signature and distribution of the document: 32 The President’s words will be transcribed. Once the speech is written, it will become a document which the President himself will verify one last time before it is signed by the Chief Rabbi, the Prime Minister and him.” An addition to the document will state that it can’t be modified, and that 20,000 copies will be made. A copy will be distributed to each survivor. The 20,000 copies will be produced on site, plastic-coated, and locked in boxes bearing the words “you will not forget, and you will not forgive.” 33 According to Yaakov Estreicher, such a document could not be falsified, nor could it be disputed, as it is handed to the original group, who must transmit to future generations the event and the text, a text which validates the surrender of a copy of the document to each survivor. 34 As a case in point, Yaakov Estreicher takes a page out of English history. The Magna Carta, a 63-article charter wrung by an English baronage on June 15 1215, weary of the king’s military and financial demands, limited royal high-handedness and established in law the concept of habeas corpus,27 which, among other things, forbids arbitrary arrests. To this day, says he, there is no challenge to this period of England’s history, to which a document was appended. 35 Yaakov Estreicher takes his demonstration to the limit by imagining “a club to perpetuate the memory,” magnifying the Judaism’s “unique” testimony-transmission model. In order to avoid any possibility of misunderstanding, we have to make clear that the following words are deliberately excessive. Nonetheless, the referential link to the biblical traditions, coupled with an analogical link, is questionable... When Yaacov Estreicher makes a connexion between the Jewish circumcision ritual (Genesis 17, 1-14) and the blue number written on the survivor’s arms, does he not override some limits? 36 A group of witnesses (20,000 survivors, their children and grandchildren) will marry only among themselves, in order to perpetuate this memory. Each member of the club must, when his son is one month old, write his ancestors’ blue number on the arm.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 168

37 He also refers to the mezuzah which is found in every Jewish home, and which recalls that a home must be a sanctuary. This small scroll which Jews fix to the right lintel of each room of the house contains two passages from the Bible which mention this command (Deut: 6: 4-9; 11: 13-21): Every member of the club will place, at the entrance of his house, on the door lintel, a small case containing a scroll summarising the history of the Shoah, which he must touch while thrice repeating: we will not forget, and we will not forgive. 38 The reference to the tefillin recalls the oath of allegiance to God. By strapping the tefillin on the arm first and around the head afterwards, Jews repeat their oath of allegiance to God each day. Each morning, members of the club will have but a single objective, perpetuating the memory: The members of the club will gather each morning at their district youth center with two small cubic boxes containing a small parchment on which has been written a summary of the events of the Shoah and the reasons for creating the club. They will strap the first case on the forehead and the second on the arm, near the heart, and will thrice repeat: we will not forget, and we will not forgive. 39 The Jewish Passover is a “founder memory” for the Jewish people. Passover is daily reminded in the Jewish prayers and Jewish People dedicates every year eight days in order to remember and pass on to the youngest the story of the Exodus from Egypt. No festival of the Hebrew Bible better optimizes the ritualization of the past in order to shape and preserve group identity than does the Passover in relation to the memory of Exodus. The narrative of Exodus represents the characteristic way in which the traditional Jewish society remembers her past. Yaacov Estreicher appropriates the Seder meal ritual practices to the celebration of the final German capitulation in May 1945:

40 On 9 May, they will celebrate the day of liberation. They will prepare this day two weeks in advance, and will purge the house of any German product. On the day of the feast of liberation, everybody will sit down at a table with dry bread. The son will ask his father “how is this evening different from all other evenings? Why do we eat dry bread” ? And the father will answer: “Because your father ate it, as did the first of our forebears who ate this bread in the camps”. He will also remind his son why he bears carries a blue number on the arm. 41 The feast of Succoth is the most flamboyant of the seven fests mentioned in Leviticus 23. It is also called the “Feast of Tabernacles”, or the “Feast of Booths”. “Booth” and “Tabernacle” are attempts to translate the Hebrew word sukkah, which means a makeshift shelter, or a hut. The Hebrews were commanded by God through Moses to commemorate this festival by “living in booths” (Leviticus 23:43) because God protected them as they wandered in the wilderness on their way to the Promised Land. As Passover commemorates the coming out of Egypt, Succoth commemorates the journey itself and God’s watchful protection over his wandering people. The “feast of the nomads”, as the feast of Succoth, is characterised by rituals recalling the life of the Jews during their wandering, until came to Palestine: 42 The feast of the nomads will recall the upheaval the Jews of Europe lived through until their arrival in Palestine. During this feast, survivors will be required to live, eat, even sleep in a boat-shaped cabin, to remember the clandestine immigrants who came by boat to Palestine. The whole family will begin start construction of the boat, in an open area, with a joyous frame of mind. When the child asks “why do we spend the evening

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 169

in a boat?,” the father will explain that his ancestors traveled in these clandestine boats to reach Palestine. 43 Yaacov Estreicher tries to reason with his listeners by propinquity, shift and proximities with the “ancient times.” The biblical Judaism, in that case, is a great data source in order to revive very old intellectuals’ patterns. In accordance with the Jewish thought, the ancient man (i.e. the old doctors of the Law [talmide chachamim or sofrim] who have interpreted the biblical dictates – as Hillel, Rabbi Ishmael and Rabbi Yossi the Galilean,) spiritually highly developed, knew how to set a Jewish method, through orders and precepts. The handling on process that accompanied the Jewish people through ages is one of the most singular aspect of his history. Under this “method,” the oral Torah has been passed on during thousand years from generation to generation and has been applied to the most varied civilizations without any modification of its basic structure. This is the method that Yaacov Estreicher proposed to apply in order to protect the Shoah memory. 44 Who are these new actors, anxious to transmit or bear witness, these heirs concerned with their roots, the wondering spectators to these academic seminaries? Instrumentalisation of the memory of the Shoah serving a religious discourse used to demonstrate the truthfulness of ancient texts, or peculiar example of the various forms and contents of the memory of the Shoah in a transmuting society? The public28 attending these seminaries in ever-growing numbers is both deeply vulnerable and extremely demanding. In no way is the third generation seeking a guru; it is looking for values, which it knows, exists, and which it wants transmitted to it. The Torah, which religious Jews consider historical, current and perennial, is the founding support of a generation which is concerned with building its identity through traditional memory. III. Between transmitted memory and acquired memory29 45 It is in the early 1990’s that begins an intensive analysis of the issue of the Shoah’s traumatism and its influence on Israeli society.30 The ranks of Israelis descendants of survivors are joined by young Israelis who, while not “biographical” descendants of survivors, grew “under the shadow of Auschwitz,” as Israeli historian Gulie Ne’eman Arad31 puts it. Faced by the “institutionalised ritual” of visits to the camps and by the “cultural market” of the Shoah, which has filtered into a number of spaces of Israeli popular culture, the younger generation is facing an unprecedented memory crisis.32

46 In an article published by the Israeli daily Ha’aretz on October 13 1996, Mooli Brog, a sociologist at the Hebrew university, condemned the state-controlled domination over the ideological interpretation of the Shoah, and called on Israeli political leaders to “privatise” the memory by breaking the State’s monolithic commemorations practices and consider the recent ideological and political changes occurring in Israeli society.33 Among these recent changes is the very recent appearance in Israel of alternative Shoah ceremonies. 47 For the eighth straight year, artists, intellectuals and men of letters, meet to discuss the manner in which each of them, as individuals and not as a group, faced the question of the Shoah. 48 This year, the ceremony took place in a room next to the Tmuna theatre.34 The black walls and iron ceiling contributed to the heavy atmosphere that weighed over the place. Young actors dressed in rags, made up as the living dead, move slowly among the public sitting on the floor. This ceremony has become a true memory platform for

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 170

hundreds of Tel-Avivians. All have chosen this place to commune with a past which obsesses them, and which they have come to “update.” This ceremony seeks to connect the Shoah to the current context, more critical than ever. 49 Shaharah Blau, the founder of the ceremony, was born and grew in Bnei Brak, a town in the northeast suburb of Tel-Aviv housing the world’s largest concentration of orthodox Jews after Jerusalem. Aged 29, Shaharah, a devout Jew, still lives in Bnei Brak in an ultra-orthodox district of the city. Her first grandfather died in Buchenwald. The second one lost his wife and both children in the camps. Yet she did not grow up listening to these stories. As with many such families, the Shoah was not a topic for discussion. It was her hilon35 friends from Tel-Aviv who, having confessed they would rather see a movie than go to the official ceremonies, encouraged her to design a different kind of ceremony. 50 The alternative ceremony Shaharah Blau has designed is not a ceremony aimed at “the Jewish people who remembers the six millions,” but at the individual who remembers the six millions:36 We have to deal with the Shoah today, with issues that connect the Shoah to our present life. Talk of private, personal things. Not the Jewish people who remembers the 6 millions, but me, Shai; me, Gili; me Shaul; focus the spotlight on a specific point. 51 Each participant expresses himself in whatever manner he desires. There is no longer any need to glorify collective interests. You can remember otherwise.

52 The proofs, the data, the numbers, none of these have changed. What changed is us, our conception of the memory, what we choose to focus, which characters, which events, what we choose to train the spotlight on. 53 When it began, the alternative ceremony was seen as an event bordering clandestinely; over the years, it has become a kind of tradition attracting ever increasing audiences.37 Each year, the public hastens its steps to bring back an event, which, as it recedes in time, has taken on the value of a symbol, going beyond the event itself. In 2006, ten participants joined in the ceremony, each one bringing a different, personal outlook on the Shoah. 54 The Israeli dancer and choreographer, Renana Raz, recalled how she journeyed to Germany for the show, “They told us to leave.”38 As a “third generation” child, Renana thought herself free of the victim’s syndrome and of a world, which, she thought, belonged to her grandparents. She tells how, while she was teaching Germans volunteered to join in the final scene of her show - an Israeli folk dance to the song Veshuv Itchem (“And again with you”) – how, “the Jewish unconscious” rose and engulfed her: I wondered: where were they during the war? And while I taught them that oh-so- Israeli exclamation, “Hopa Hey”, I couldn’t help imagining them crying: “Heil Hitler.” 55 In Berlin, I saw how Germans sorted the garbage. Paper, plastic, glass. In any other country in the world, I would have seen this as an ecological action. But there, in Germany, I thought “selection.” I understood to what degree the manner in which I associated ideas was far from inoffensive. Everyday acts took on a new meaning. Suddenly, they belonged to another time, a tragic time.

56 The resurgence of this memory collides with the words of the popular Zionist song that quite suddenly take on another meaning…

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 171

And again with you we’ll go out to see the light And again with you we’ll dance all night long Because of you we wanted to come back And again with you with the evening we will wake up And again with you we’ll rejoice, all of us together and to your song we will repeat the chorus And again with you and may peace be on you and on us all And again with you we are yours, and all songs are ours. 57 In a pamphlet, theatre writer Amir Urien rejects Israel’s status as legitimate vector of the memory of the Shoah: A State with closed military zones making up 48% of its surface area, a State where hundreds of people are detained without being charged and without any time limit, a State in which a Palestinian whose companion is an Israeli citizen cannot enter Israel, such a State, the State of Israel, has lost all right to speak of the Shoah. 58 Amir Urien then discusses the Jewish State’s Charter of Independence:

59 The State of Israel, whose Charter of Independence promised; a state founded on the principles of liberty, justice and peace taught by the prophets of Israel; to ensure complete social and political to all its citizens, regardless of creed, race or sex; to guarantee full liberty of conscience, religion, education and culture; to preserve and guarantee the inviolability of the Holy Places and sanctuaries of all religions and to respect the principles of the United Nations’ Charter; this State, the State of Israel, has kept none of its promises. 60 The journalist Shai Golden told of the final break between God and the Jewish people in a metaphor concerning the tumultuous relations of a couple and those of the Jewish people with God: When God saw whom he had fallen in love with, he sought to retract himself and chose, as is usual, to give notice by deeds. He started by mistreating us with expulsions and inquisitions, but we wouldn’t understand. In Christianity, he then found another woman, and gave her the land and the kingdom. But there again, we didn’t understand. He found in Islam a concubine, to whom he gave strength and fortune. Then he went on with the expulsion from Spain and the pogroms. But we carried on, as if nothing was amiss… In 1939, when he could stand it no longer, he asked the Germans to put an end to it all. When you resort to a murderer, he generally does his work. But just before the task was finished, God decided that the message had gone through clearly enough. But, here again, we didn’t understand, and we set to putting the tefillin, building synagogues, and creating the State of Israel… And what could be clearer than the War of 1973? When the Arab countries decided to wipe us out on Yom Kippur? But we refused to understand. 61 Today, I hear that the Iranian project is moving along at a satisfactory pace…

62 As for journalist Shaul Bibi, himself no “biographical” descendant, but one whose childhood in Israel was inevitably marked by the telling of the tragic tale, he chose to

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 172

speak of his own relation with the Shoah. Bibi sees himself as a “sociological child”, or what Iris Milner calls the “second adopted generation”.39 The intense involvement of this “adopted generation” in the Shoah issue expresses a cognitive and emotional identification with the descendants of survivors, and permits seeing the concept of “children of the second and third generations” as a vast cultural concept, one which departs from the category-based definitions of a specific population group. 63 Since the early 80’s, the memory of the Shoah has been institutionalised and ritualised in official Israeli speech, whether through the organisation of mass journeys to Poland, to the sites of the death camps, or by post- and neo-Zionist movements’ appropriation of the symbols of the Shoah.40 These events have become a part of Israel’s civil religion. The memory of the Shoah acquired the status of a dogma, protected by the 1981 law forbidding its denial. However, in this society, which was shaped by the memory of the Shoah, Shai Nahon, an Israeli behavioural sciences student, went up on stage at the Tmuna theatre as part of the 2004 alternative ceremony to show the blue number his grandmother bore, and which he had tattooed on his arm… Marginal action or unknown individualities won over to this latent “cult of death” which seems to flood official Israeli culture. We voluntarily beg the question. 64 The alternative ceremony at the Tmuna theatre, organised by Avi Gibson Barel and Shaharah Blau, seeks to become one more of those “memory tasks” which started in the 80’s within the education system, in the elementary and high schools, and not to challenge them. « You will tell your children… » is a crucial Torah precept. In the Jewish tradition, each parent must pass on to their children their family’s and people’s story. 65 Yaakov Estreicher and Shaharah Blau are not trying merely to comply with the injunction of memory: “you will tell to your children.” Each, in his or her way, tries to initiate discussion around a real issue: how will you tell to your children? 66 This new generation, whose projects and questionings appear at the same time as the events, which the country has gone through since the Six-Day War,41 is looking for new ways to shape its identity. Faced with an increasingly violent struggle with its neighbours, it grants a fundamental importance to the story of its origins. Today, the question of Israeli Jewish identity is defined in an extraordinarily complex and evolving manner, which interlocks with a collective identity based on the Shoah. 67 These memory reconstructions within Israeli society raise major questions regarding the intergenerational transmission and the weight of politics: over the mid- to long- term, do they not risk generating competition between national identity and fundamentalist religious identity?

NOTES

1. The “places of memory” draw this capacity from simultaneously belonging to memory and to history.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 173

2. P. Nora, “L’ère de la commemoration” (The age of commemoration), in P. Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, vol III, Les France, 3. De l’Archive à l’Emblème, Paris, Gallimard, 1992, p. 977. 3. This form of “ethnic” nationalism brings to mind the many different cultural and linguistic determinations which define a people historically: memory, religion, language. On nationalism and ethnic nationalism. A.D. Smith, The Ethnic Origins of Nations, Oxford, Blackwell, 1986, p. 141. 4. The 1941 pogrom against Baghdad Jews occurred a few hours before the British marched in. The “pro-Nazi” Prime Minister, Rachid Ali Kilani, fled Iraq. As a result of this political anarchy, 160 Jews and an indeterminate number of Muslims were murdered. 5. Y. Shenhav, “Jews from land of Islam in Israel: The fragmented identity of Mizrahim in national places of memory”, in Mizrahim in Israel: A critical observation into Israel’s Ethnicity, H. Hever, Y. Shenhav and P. Motzafi-Haller, ed., Jerusalem, Hakibutz Hameuchad, Institute Van Leer, 2002, p. 110 (in Hebrew). 6. H. Cohen, “The anti-Jewish Farhud in Baghdad 1941,” Middle Eastern Studies, n° 3, 1996, pp. 2-17. 7. 1948-1952: mass immigration of Jews to Israel from the Arabian and European countries: operation “Flying Carpet” in Yemen and operation “Ezra and Nehemiah” in Iraq. 8. Y. Shenhav , op. cit. supra ( note 1), p. 109. 9. Ella Shohat, “Sephardim in Israel: Zionism from the Standpoint of its Jewish Victims,” in Dangerous Liaisons: Gender, Nation, and Postcolonial Perspectives, Anne. McClintock, Aamir. Mufti and Ella Shohat ed., Minneapolis/ London, University of Minnesota Press, 1998, p. 42. 10. O. Carré, L’Orient Arabe aujourd’hui (Arabian Orient today), Paris, Édition Complexe, 1991, p. 78. 11. H. Laurens, Paix et Guerre au Moyen-Orient (L’Orient arabe et le monde de 1945 à nos jours) (Peace and War in the Middle East, The Arabian Orient and the world from 1945 to our days), Paris, Armand Colin, 1999, p. 251. See also: E. Sprinzak, The Ascendance of Israel’s Radical Right, Oxford, Oxford University press, 1991, pp. 35-38. 12. Ibid., p. 268. 13. Ibid., p. 272. 14. Only the extreme left has taken a stand in favour of a total withdrawal from the Territories and against any implantation, whether military or agricultural. 15. A. Shapira, “The Shoah: individual memory, collective memory,” Zmanim n°57, winter 96-97 pp. 4-13 (in Hebrew). 16. O. Carré, op. cit. note 10, p. 104. 17. Manipulating the memory of the Shoah is not exclusive of Begin or the right. In 1998, Tsahal proposed that elite units swear their oath in the camps of Majdanek and Birkenau. Quoted in Ha’aretz, April 21, 1998, 6A (in Hebrew). 18. Speech by Menachem Begin on 29 June 1982. Cf. Reports of parliamentary proceedings of the tenth Knesset, Volume II, p. 2973 (in Hebrew.) 19. Likud allied itself with the NRP (National Religious Party) and Agudat Israel (an ultra- orthodox Ashkenazi party.) 20. Refers to a letter sent by David Ben-Gurion, in June 1947, to the orthodox Agudat Israel political party, the so-called “status quo” letter, which spells out the basis for peaceful collaboration between secular and religious forces in the young Jewish State.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 174

21. “Values” in English. 22. “The meaning of life,” “The enigma of the existence,” “The accomplished prophecies,” “The transmigration of souls,” “Israel and other peoples”, etc. See the list of topics on the Internet site, in Hebrew: www.Arachim.co.il. 23. From -3760 B.C.E. to our days. 24. Conference recorded in Jerusalem on October 12 2006. The transcript proposed below is a personal translation of Yaacov Estreicher worlds’. A number of conferences of the Arachim movement can be accessed on their Internet site, in audio or video, listed by theme or by lecturer. 25. During most of the camp’s operations, deportees would arrive at the former Auschwitz merchandise station (the Judenrampe) and walk to Birkenau. The track was extended in the spring of 1944 to end inside Birkenau itself, as near as possible to the gassing devices. Hardly had they left the train when prisoners were “selected.” To one side, the weak, the elderly, the sick, pregnant women, children, whose fate was immediate gassing. To the other side, the strongest adults (in theory, 16 years and above,) whom the SS meant to work to death. Often, Dr. Josef Mengele would choose the subjects of his experiments from among the newcomers. 26. Cancelled in 1986 by Minister Alain Devaquet. 27. A procedure which has been honed and strengthened is part of England’s legal procedures, and whose origins go back to the Middle Ages. It requires that a judge declare whether a person’s arrest is legal or not and, in the later case, that he/she order the prisoner’s release, thus offering real and effective guarantees against arbitrary arrest. 28. A public consisting mostly of non-religious people, people who have ceased to practise, or simply people in search of identity. 29. Walter Benjamin makes the distinction between transmitted memory and acquired memory — which he calls “lived” memory. Transmitted memory is everything which one generation passes on to the other, including history and its teaching. Acquired memory is everything which happened to you alone, or which you perceive as such. It is obvious that, in the modern world, there is less transmitted memory and more and more acquired memory. 30. R. Melkinson and E. Witztum, “Psychological aspects of mourning in the historic and literary analyses”, Alpayim n° 12, 1996, pp. 211-239 (in Hebrew). 31. Quoted in Y. Loshitzky, Identity politics on the Israeli Screen, Austin, University of Texas press, 2001, p. 19. 32. Ibid., p. 70. 33. Ibid., p. 19. 34. The alternative ceremony on April 24 2006. 35. Non-religious. 36. The transcript proposed below is a personal translation of the participants’ worlds. 37. In 2006, some 1,000 people met at the Tmuna theatre. 38. Her show broaches the question of Israeli ceremonies and myths. 39. I. Milner, Present Past (Bibliography, identity and memory in the Second Generation literature) Tel-Aviv, Am Oved, 2003 (in Hebrew). 40. A. Dieckhoff, Zionist Thought and the Making of Modern Israel, London / New York, Hurst / Columbia University Press, 2002.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006 175

41. A generation which was marked by the first “War of Lebanon” (1982) and the first Intifada, wars which were seen as “dirty” at the same time, because of conflicts with a civilian population.

AUTHOR

GUILA SYLVIE NAKACHE Grant holder, Centre de recherche français de Jérusalem Guila Sylvie NAKACHE is a PhD student at the Paris-I Sorbonne under the supervision of Pr. Anne Grynberg. She has a grant from the Foundation for the Memory of the Shoah (FMS). Her research deals with the representations of the Shoah in Israel society: a strudy of political discourse and cultural debates from 1973 to the present days. [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 17 | 2006