Des Forges De Syam (Jura)
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
«HISTOIRE de MEMOIRE TECHNIQUE» Le savoir-faire des lamineurs des Forges de Syam (Jura) Richard LIOGER Laboratoire de Sociologie Anthropologie Faculté des Lettres - Besançon U.R.A. 1161 du C.N.R.S. Directeurs scientifíques : Bertrand HELL Claude ROYER Mission du Patrimoine Ethnologique 1988 SOMMAIRE Avant-propos 1 . Aspects généraux de l'étude 7 } Notes 13 2 . Les forges de Syam. Présentation 15 Notes 31 3 . Le chauffeur. Aspects d'un savoir-faire disparu de la petite métallurgie 32 Notes 45 4 . La technique du petit laminage des Forges de Syam 47 Notes 58 * Aspects sociaux du travail au laminoir des Forges de Syam 59 Notes 64 * Etre lamineur : de l'apprenti au chef lamineur 65 Notes 69 * L'équipe de laminage : historique 70 Notes 77 * La succession des chefs lamineurs 79 Notes 89 5 . La question du «savoir-faire» aux Forges de Syam 90 Notes 99 Glossaire 100 Bibliographie 105 Avant-propos Pourquoi les Forges de Syam et pourquoi cette question des «savoir-faire» ? Cet appel d'offre de la Mission du Patrimoine Ethnologique sur les savoir-faire en voie de disparition, conduisit rapidement les ethnologues franc-comtois à choisir le site des Forges de Syam (1). Ces forges, toujours en activité, comprennent un train de laminoir et plusieurs bancs d'étirage. Elles avaient déjà fait l'objet d'une étude d'histoire sociale (2) et elles sont dans un état technologique qui, au moins en apparence, rappelle plus une usine du 19e siècle qu'une merveille de la technologie modeme. On pouvait légitimement donc se poser le problème du maintien d'une technique de laminage, courante dans l'ensemble de la France métallurgique de la fin du 19e, et ainsi ranger les Forges de Syam au rang d'un des demiers dinosaures de la petite métallurgie (3). Cette vision extérieure, qui justifia le choix des Forges de Syam, ne s'est pas avérée stérile, bien au contraire. L'étude réalisée à partir des Forges de Syam est certainement une de celles qui pose le mieux un certain nombre de problèmes de l'ethnologie technologique actuelle, et en premier lieu justement celui de l'obsolescience d'une technique. Il ne faut néanmoins pas se laisser abuser par les apparences extérieures de ce lieu de travail, et je voudrais dire en préambule, afin d'écarter tout malentendu, que les Forges de Syam ne sont certainement pas une usine vouée à la disparition, qui présenterait les vestiges d'un «savoir-faire» en train de disparaître (4). Bien au contraire, après cette étude, j'en arrive à partager le point de vue de toute son équipe : les Forges de Syam, dans un site de travail du 19e et à partir d'un outil de travail aménagé au début de ce siècle - nous pensons particulièrement au laminoir - sont certainement parmi les entreprises les plus performantes du plateau jurassien, et en tout cas, celles qui ont un grand avenir devant elles. Ce sont les hommes qui, hier comme aujourd'hui, ont permis que se maintienne cette activité et je dois ici remercier une partie de ceux-ci qui, à des degrés divers, m'aidèrent dans cette entreprise. En tout premier lieu, il faut citer Monsieur Boulet, actuel directeur, nommé par la Société Experton en 1981 et qui s'est pris d'un véritable amour pour cette entreprise, mais aussi deux considérables informateurs que furent Messieurs Binétruy et Vuitton, respectivement chef-lamineur et contremaître d'étirage à la retraite, qui passèrent leur vie de travail aux Forges. L'équipe actuelle mérite aussi une mention sf)éciale pour sa gentillesse et la qualité de son accueil, ainsi que pour la qualité de ses informations ; nous pensons particulièrement à Messieurs Prost et Jhilal, qui forment l'actuel couple chef-lamineur/cylindreur, qui permet de continuer le laminage à Syam, selon les règles de l'art ! Photo n° 1 - Vue générale de l'usine a gauche les logements ouvriers ; en face l'entrée (Clichés R. Lioger, 1988) Photo n° 2 - Vue de l'ancienne clouterie, arrière de l'usine sur la gauche, le bâtiment de l'étirage (Clichés R. Lioger, 1988) L'étude elle-même Cette étude n'est pas purement - ou classiquement - une étude d'ethno-technologie. Tout d'abord parce que je ne suis pas spécialiste de ces questions, et qu'il me manque le recul et la réflexion nécessaires pour parler efficacement d'un point de vue ethno-technologique. De plus, la question des «savoir-faire» dépasse largement les aspects simplement technologiques posés par la technique du laminage. En abordant la technique par le problème du «savoir-faire», l'ethnologue déborde largement le problème de la technique elle-même, pour essayer de comprendre pourquoi cette technique s'est maintenue à Syam, alors qu'elle a complètement disparu dans tous les autres sites métallurgiques, notamment franc-comtois ? ti íl n IS 13 11 r K . ci V á > 4 3 t À _i i_ i9^$ «^ »j?í ^y H fo fl ^ Si r^ fs í6 n sí Courbe des bilans depuis l'année de rachat par Experton. I. Aspects généraux de l'étude * L'outil de travail et l'homme Nous insisterons, au cours de cette étude, sur le rôle, essentiel à nos yeux, que joue l'outil de travail, qu'est le laminoir de Syam. Installé au début de ce siècle, il a subi peu de transformations depuis cette date (5). Ce type de petit laminoir fut fréquent dans la France métallurgique. France métallurgique qui ne se limite pas aux régions traditionnellement connues de ce point de vue (6). Le laminoir de Syam est un des demiers petits laminoirs de cette conception, encore en activité. Cette place de l'outil de travail détermine-t-elle, de manière certaine, que la production actuelle ne pourtait être faite à partir d'un laminoir plus récent, de conception plus modeme, et situé dans un cadre de travail plus contemporain ? Certes non, l'intérêt de cet outil de travail réside dans le fait que son maintien en activité, tout au cours de ce siècle, a permis que se garde et se développe, ce que nous observons actuellement comme un «savoir-faire» très particulier du laminage de barres profilées. Cet outil de travail «témoin» d'une époque technologique nous force à poser le problème des petites unités de production, dont on a cru, à une certaine époque du développement industriel - les années 50-60 - qu'elles étaient devenues complètement obsolètes, dépassées, voire archaïques. Il introduit, par son existence, une interrogation plus générale, qui est celle liant outil de travail et savoir-faire. L'outil a donc permis que se conserve la technique, si celui-ci avait disparu ; la technique humaine qui s'y était associée, au cours de ces dizaines d'années, aurait, elle aussi, disparu. Le fait que la technique put se maintenir, réhausse curieusement cette vieille machine, surtout quand on la compare aux merveilleuses technologies de la métallurgie modeme, réactualisant l'histoire de David et Goliath (Photocopie dans le texte de la page du livre d'or où un visiteur assimile justement les forges à David combattant Goliath : la grande sidémrgie). Se poser le problème du remplacement de cet outil de travail est aujourd'hui à l'ordre du jour. Du point de vue de la production elle-même, nul doute que sa modemisation, ou plutôt la modemisation des pièces qui le composent, ne serait pas un luxe. Mais se poser la question en tant qu'hypothèse d'école est déplacé, parce que pendant tout ce siècle, c'est justement la robustesse, la simplicité technique et d'utilisation, qui ont permis le maintien de la technique et produit l'adaptation de l'homme à la machine, ce qui constitue pour nous le «savoir-faire» particulier des lamineurs de Syam (7). Si, à l'heure actuelle, on peut se poser la question de sa modemisation, pendant plus de 70 ans cette question ne s'est jamais posée, pour des raisons essentiellement économiques qui relèvent de la fragilité même du maintien de l'activité aux Forges. C'est à partir de cet outil de travail que le «savoir-faire» s'est constitué, s'est développé : nous le vertons en détail plus loin. C'est cet outil que le chef-lamineur connaît, dont il connaît les «tics», les défauts, les points faibles, les réglages. Ce qu'il a constitué comme connaissance de cet ordre, et qui lui permet de constituer son «savoir-faire», n'est valable que sur cet outil, un changement d'outil voudrait sans doute dire un long processus de réadaptation de l'homme au nouvel outil. La marge de manuuvre reste donc étroite, et on voit que le laminoir ne peut pas être envisagé comme une simple pièce de métal, ceci dans une perspective fonctionnaliste. * L'histoire d'une technique c'est aussi l'histoire d'une communauté Force nous est de constater que cet outil, par ailleurs si banal, n'aurait jamais pu se maintenir en activité si la communauté syamoise dans son ensemble - nous y incluons aussi la commune qui a fourni une part importante de la main-d'euvre avant les années 60 - n'avait, par le mode de vie de ses ouvriers, accepté d'en assurer la pérennité. Certains ouvriers, en restant surplace pendant les périodes de chômage technique et en trouvant des ressources de complément (pêche, chasse, jardinage, affouage, etc..) assurèrent la continuité technique, la transmission du «savoir-faire» dont il sera beaucoup question ici. Ce qu'il nous est donné aujourd'hui d'observer sous l'angle d'une technique complètement adaptée à la production moderne de profilé, n'a pu se maintenir que grâce à ce qui apparait comme un concours de circonstances.