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«HISTOIRE de MEMOIRE TECHNIQUE»

Le savoir-faire des lamineurs

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Richard LIOGER

Laboratoire de Sociologie Anthropologie

Faculté des Lettres - Besançon

U.R.A. 1161 du C.N.R.S.

Directeurs scientifíques : Bertrand HELL

Claude ROYER

Mission du Patrimoine Ethnologique

1988 SOMMAIRE

Avant-propos

1 . Aspects généraux de l'étude 7 } Notes 13

2 . Les forges de Syam. Présentation 15 Notes 31

3 . Le chauffeur. Aspects d'un savoir-faire disparu de la petite métallurgie 32 Notes 45

4 . La technique du petit laminage des Forges de Syam 47 Notes 58

* Aspects sociaux du travail au laminoir des Forges de Syam 59 Notes 64

* Etre lamineur : de l'apprenti au chef lamineur 65 Notes 69

* L'équipe de laminage : historique 70 Notes 77

* La succession des chefs lamineurs 79 Notes 89

5 . La question du «savoir-faire» aux Forges de Syam 90 Notes 99

Glossaire 100

Bibliographie 105 Avant-propos

Pourquoi les Forges de Syam et pourquoi cette question des «savoir-faire» ?

Cet appel d'offre de la Mission du Patrimoine Ethnologique sur les savoir-faire en voie de disparition, conduisit rapidement les ethnologues franc-comtois à choisir le site des Forges de Syam (1).

Ces forges, toujours en activité, comprennent un train de laminoir et plusieurs bancs d'étirage. Elles avaient déjà fait l'objet d'une étude d'histoire sociale (2) et elles sont dans un état technologique qui, au moins en apparence, rappelle plus une usine du 19e siècle qu'une merveille de la technologie modeme. On pouvait légitimement donc se poser le problème du maintien d'une technique de laminage, courante dans l'ensemble de la métallurgique de la fin du 19e, et ainsi ranger les Forges de Syam au rang d'un des demiers dinosaures de la petite métallurgie (3).

Cette vision extérieure, qui justifia le choix des Forges de Syam, ne s'est pas avérée stérile, bien au contraire. L'étude réalisée à partir des Forges de Syam est certainement une de celles qui pose le mieux un certain nombre de problèmes de l'ethnologie technologique actuelle, et en premier lieu justement celui de l'obsolescience d'une technique.

Il ne faut néanmoins pas se laisser abuser par les apparences extérieures de ce lieu de travail, et je voudrais dire en préambule, afin d'écarter tout malentendu, que les Forges de Syam ne sont certainement pas une usine vouée à la disparition, qui présenterait les vestiges d'un «savoir-faire» en train de disparaître (4).

Bien au contraire, après cette étude, j'en arrive à partager le point de vue de toute son équipe : les Forges de Syam, dans un site de travail du 19e et à partir d'un outil de travail aménagé au début de ce siècle - nous pensons particulièrement au laminoir - sont certainement parmi les entreprises les plus performantes du plateau jurassien, et en tout cas, celles qui ont un grand avenir devant elles.

Ce sont les hommes qui, hier comme aujourd'hui, ont permis que se maintienne cette activité et je dois ici remercier une partie de ceux-ci qui, à des degrés divers, m'aidèrent dans cette entreprise. En tout premier lieu, il faut citer Monsieur Boulet, actuel directeur, nommé par la Société Experton en 1981 et qui s'est pris d'un véritable amour pour cette entreprise, mais aussi deux considérables informateurs que furent Messieurs Binétruy et Vuitton, respectivement chef-lamineur et contremaître d'étirage à la retraite, qui passèrent leur vie de travail aux Forges. L'équipe actuelle mérite aussi une mention sf)éciale pour sa gentillesse et la qualité de son accueil, ainsi que pour la qualité de ses informations ; nous pensons particulièrement à Messieurs Prost et Jhilal, qui forment l'actuel couple chef-lamineur/cylindreur, qui permet de continuer le laminage à Syam, selon les règles de l'art ! Photo n° 1 - Vue générale de l'usine a gauche les logements ouvriers ; en face l'entrée (Clichés R. Lioger, 1988)

Photo n° 2 - Vue de l'ancienne clouterie, arrière de l'usine sur la gauche, le bâtiment de l'étirage (Clichés R. Lioger, 1988) L'étude elle-même

Cette étude n'est pas purement - ou classiquement - une étude d'ethno-technologie. Tout d'abord parce que je ne suis pas spécialiste de ces questions, et qu'il me manque le recul et la réflexion nécessaires pour parler efficacement d'un point de vue ethno-technologique.

De plus, la question des «savoir-faire» dépasse largement les aspects simplement technologiques posés par la technique du laminage.

En abordant la technique par le problème du «savoir-faire», l'ethnologue déborde largement le problème de la technique elle-même, pour essayer de comprendre pourquoi cette technique s'est maintenue à Syam, alors qu'elle a complètement disparu dans tous les autres sites métallurgiques, notamment franc-comtois ? ti

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Courbe des bilans depuis l'année de rachat par Experton. I. Aspects généraux de l'étude

* L'outil de travail et l'homme

Nous insisterons, au cours de cette étude, sur le rôle, essentiel à nos yeux, que joue l'outil de travail, qu'est le laminoir de Syam. Installé au début de ce siècle, il a subi peu de transformations depuis cette date (5).

Ce type de petit laminoir fut fréquent dans la France métallurgique. France métallurgique qui ne se limite pas aux régions traditionnellement connues de ce point de vue (6). Le laminoir de Syam est un des demiers petits laminoirs de cette conception, encore en activité.

Cette place de l'outil de travail détermine-t-elle, de manière certaine, que la production actuelle ne pourtait être faite à partir d'un laminoir plus récent, de conception plus modeme, et situé dans un cadre de travail plus contemporain ? Certes non, l'intérêt de cet outil de travail réside dans le fait que son maintien en activité, tout au cours de ce siècle, a permis que se garde et se développe, ce que nous observons actuellement comme un «savoir-faire» très particulier du laminage de barres profilées.

Cet outil de travail «témoin» d'une époque technologique nous force à poser le problème des petites unités de production, dont on a cru, à une certaine époque du développement industriel - les années 50-60 - qu'elles étaient devenues complètement obsolètes, dépassées, voire archaïques. Il introduit, par son existence, une interrogation plus générale, qui est celle liant outil de travail et savoir-faire.

L'outil a donc permis que se conserve la technique, si celui-ci avait disparu ; la technique humaine qui s'y était associée, au cours de ces dizaines d'années, aurait, elle aussi, disparu. Le fait que la technique put se maintenir, réhausse curieusement cette vieille machine, surtout quand on la compare aux merveilleuses technologies de la métallurgie modeme, réactualisant l'histoire de David et Goliath (Photocopie dans le texte de la page du livre d'or où un visiteur assimile justement les forges à David combattant Goliath : la grande sidémrgie).

Se poser le problème du remplacement de cet outil de travail est aujourd'hui à l'ordre du jour. Du point de vue de la production elle-même, nul doute que sa modemisation, ou plutôt la modemisation des pièces qui le composent, ne serait pas un luxe. Mais se poser la question en tant qu'hypothèse d'école est déplacé, parce que pendant tout ce siècle, c'est justement la robustesse, la simplicité technique et d'utilisation, qui ont permis le maintien de la technique et produit l'adaptation de l'homme à la machine, ce qui constitue pour nous le «savoir-faire» particulier des lamineurs de Syam (7). Si, à l'heure actuelle, on peut se poser la question de sa modemisation, pendant plus de 70 ans cette question ne s'est jamais posée, pour des raisons essentiellement économiques qui relèvent de la fragilité même du maintien de l'activité aux Forges.

C'est à partir de cet outil de travail que le «savoir-faire» s'est constitué, s'est développé : nous le vertons en détail plus loin.

C'est cet outil que le chef-lamineur connaît, dont il connaît les «tics», les défauts, les points faibles, les réglages. . . Ce qu'il a constitué comme connaissance de cet ordre, et qui lui permet de constituer son «savoir-faire», n'est valable que sur cet outil, un changement d'outil voudrait sans doute dire un long processus de réadaptation de l'homme au nouvel outil. La marge de manuuvre reste donc étroite, et on voit que le laminoir ne peut pas être envisagé comme une simple pièce de métal, ceci dans une perspective fonctionnaliste.

* L'histoire d'une technique c'est aussi l'histoire d'une communauté

Force nous est de constater que cet outil, par ailleurs si banal, n'aurait jamais pu se maintenir en activité si la communauté syamoise dans son ensemble - nous y incluons aussi la commune qui a fourni une part importante de la main-d'euvre avant les années 60 - n'avait, par le mode de vie de ses ouvriers, accepté d'en assurer la pérennité.

Certains ouvriers, en restant surplace pendant les périodes de chômage technique et en trouvant des ressources de complément (pêche, chasse, jardinage, affouage, etc..) assurèrent la continuité technique, la transmission du «savoir-faire» dont il sera beaucoup question ici.

Ce qu'il nous est donné aujourd'hui d'observer sous l'angle d'une technique complètement adaptée à la production moderne de profilé, n'a pu se maintenir que grâce à ce qui apparait comme un concours de circonstances.

Il n'est pas dans notre sujet d'évoquer plus à fond ces aspects qui, par ailleurs, interviendront comme éléments explicatifs tout au cours de cette étude. Qu'il suffise de les signaler en introduction, de manière à s'étonner de la fragilité du maintien d'un tel témoignage technologique.

Mais la question n'est-elle pas souvent la même, partout où des techniques anciennes se maintiennent malgré les progrès de la technologie ?

C'est l'alliance de cet outil de production - ce laminoir - et de ces hommes - les Syamois puis plus tard la communauté marocaine - qui a permis que se maintienne un «savoir technique» et plus généralement une activité qui, aujourd'hui, est de nouveau florissante.

* La technique de laminage

La technique de laminage est une technique connue en France depuis le 18e siècle (8), mais qui s'applique à plusieurs produits. Elle consiste à passer une pièce de métal entre deux cylindres de métal qui opèrent un écrasement du métal (cortoyage) et par conséquent un alongement de cette pièce par réduction de sa section.

Cette technique a pour conséquence de modifier considérablement l'assemblage des molécules de métal. Le laminage du fer afflné (9) est produit après chauffe de celui-ci, selon des normes de tolérance propres aux caractéristiques de l'alliage ferteux employé (10). Un temps de chauffe précède donc obligatoirement la technique du laminage des barres de fer - c'est un laminage à chaud - et même dans certains cas une phase de rechauffage suit la technique (11).

Le volume de base qui va subir la transformation est, dans le cas présent, une masse de fer obtenue par un laminage précédent et se présente sous la forme de ce que l'on appelle une «billette» (12).

Il existe une autre technique de laminage, qui est celle du laminage visant à produire des tôles et non comme le laminoir de Syam, des bartes. Ces tôles sont ensuite fendues suivant le système de la fenderie. Cette technique était vraisemblablement employée aux Forges de Syam avant 1890. On trouve en effet trace de machines à fenderie dans des documents datant de cette époque (13). C'est à cette époque que l'entreprise est rachetée par M. Chavanne de l'entreprise Chavanne-Brun, fabricant de cylindres à laminer.

Ce rachat présida-t-il à la réorientation de la production, et à la modemisation de l'entreprise ? On peut en effet le penser, c'est aussi à cette époque qu'il y eut installation de la turbine en remplacement de la roue à aube, comme énergie motrice du laminoir. Ce qui nous intéresse particulièrement, c'est que cette période cortespond à l'arrivée d'Eugène Brossy, lamineur et de J.-M. Vuillemagne, originaires de la vallée du Gier, personnages dont nous reparlerons.

D'un point de vue technique, le laminage des bartes nécessite l'usinage de canelures sur les cylindres du laminoir, ainsi qu'un nombre plus important de cages spécialisées chacune dans une opération.

Nous sommes ainsi passés d'un laminoir à 2 cages pour les tôles, à un laminoir à 5 cages pour les bartes, avec modification du processus technique et apparition d'un «savoir-faire» totalement nouveau.

* Qu'est-ce qu'une technique de laminage de barres ?

«La technologie doit d'abord être vécue, pensée, ensuite si le besoin s'en fait encore ressentir» (A. Leroi-Gourhan, 1945, p. 10.).

Dans son sens académique, la technique c'est :

«Un ensemble de procédés méthodiques fondés sur des connaissances scientifiques, employés à la production ; dans son sens familier, la technique est une «manière de faire» {Petit Robert, 1984).

Cette opposition relève en fait de deux conceptions, l'une empirique, donc liée à l'expérience, l'autre expérimentale, donc liée à la démarche scientifique, elle vise à décrire un geste adapté à un outil ou à une machine, et pourtait à elle seule résumer le problème qui naît de l'étude de la technique du laminage des bartes profilées à l'usine de Syam.

En effet, le laminage de bartes d'alliages ferteux est, à Syam, tout à la fois un ensemble de procédés méthodiques, ceux imposés par la contrainte de la «bonne marche» de la machine qui est sensiblement le même partour où un laminoir existe et une «manière de faire», celle, nous le vertons, du chef-lamineur et de l'usineur. 10

Mais revenons pour l'instant à nos définitions. Le laminage est une technique de forgeage du métal, qui vise à obtenir un produit qu'on nomme souvent «le laminé», le désignant ainsi par la technique de transformation par laquelle il fut obtenu. Le laminé n'est qu'un moyen d'obtenir un produit qui se présente sous la forme de bartes d'acier, mais qui peuvent être utilisées sous des formes très diverses, débitées en longueurs différentes selon le produit fini désiré.

Il constitue une technique utilisée pour produire plusieurs types de bartes, qui seront débitées différemment selon la destination du produit fini :

1 . Les plats (bartes qui n'ont pas de formes particulièrement compliquées : on devrait les appeler les plats simples (dessin)

2. Les ronds ou demi-ronds (dessin).

3. Les profilés spéciaux, ainsi désignés parce qu'à la différence des plats et des ronds, ils possèdent un «profil» particulier ou, si l'on préfère, une forme particulière qui nécessite la mise en place d'une conception complexe à sa réalisation (dessin). Cette conception est justement à l'origine de ce que l'on pourtait nommer la technique particulière du laminage aux Forges de Syam, technique qui «vertait» se développer ce que pour l'instant nous nommerons, faute de mieux, le «savoir-faire» lamineur.

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Différentes formes

C'est à l'étude de la production de cette troisième catégorie : les profilés que nous nous attacherons donc particulièrement.

La technique que nous tenterons d'examiner à partir de la description du laminoir des Forges de Syam, n'est pas la technique de laminage telle que peuvent la connaître les grands laminoirs de l'Est de la France, là où «l'automatisation» règne en maîtresse, principalement pour la production de profilés simples (plats et ronds ou demi-ronds).

Ce type de technique est facilement «rationalisable», «mécanisable», de sorte qu'elle est actuellement entièrement automatisée et conduite à partir d'un poste de contrôle.

L'ouvrier n'a plus besoin de contact direct «corporel» ni avec l'outil, ni avec l'objet du travail, sa «technique» pourait se résumer à savoir sur quel bouton il lui faut appuyer.

Ces «merveilles technologiques» sont bien loin de la technique qui est mise en aux Forges de Syam, pour la production de «profilés laminés» de petites quantités, et qui, à l'instar de l'outil de production (le laminoir) est restée «en état» depuis le début de ce siècle. 11

* La description des aspects techniques du laminage

Dire que les Forges de Syam produisent des «profilés laminés» en petites quantités, c'est résumer en quelques mots la spécificité de l'usine. C'est aussi expliquer sa technique, qui lui permet, à l'heure actuelle, d'être une entreprise concurtentielle, malgré l'apparente vétusté de son outil de travail. On peut en effet appliquer le terme même de technique à plusieurs niveaux qui vont du plan technique le plus «micro-logique» au plan technique le plus «macro-logique». Il y aurait ainsi plusieurs techniques à étudier à Syam ou plusieurs niveaux d'approche technologique :

- le geste le plus simple, qui est une technique. Exemple : saisir une billette, ce qui constitue la technique la plus «micro-logique», nous l'appellerons un geste technique.

- un ensemble de gestes, constituant une série de gestes techniques propres à un seul individu. Exemple : prendre la billette, la laisser tomber sur le tréteau, la pousser dans la canelure, écarter les pinces pour la laisser filer, ce qui constitue ce que nous appellerons une séquence technique.

- la chaîne opératoire décrite est, quant à elle, constituée d'un ensemble de séquences techniques indissociables. Par exemple, les séquences techniques de laminage plus celles de chauffage. Dans cet exemple, la continuité effective de la chaîne opératoire obéit à une logique technique, puisqu'il s'agit de laminage à chaud.

Si l'on suit la définition générale donnée par R. Cresswell, in Technique et Culture , n° 2, p. 147 :

«Chaîne opératoire : chemin parcouru par un matériau depuis son état de matière première jusqu'à son état de produit fabriqué, fini».

Les Forges de Syam ne seraient, de ce point de vue, qu'une partie de la chaîne opératoire qui amène le minerai de fer à son utilisation comme objet (14). Mais on pourtait aussi bien dire que l'usine de Syam est dotée de deux procès de production distincts. Celui décrit sous l'aspect de la chaîne opératoire du laminage, celui décrit sous l'aspect de la chaîne opératoire de l'étirage. Pour ce qui conceme cette recherche sur les «savoir-faire», nous ne nous sommes intéressés qu'à la chaîne opératoire du laminage, qui constitue en effet un ensemble de séquences techniques indissociables.

Même si nous avons choisi de privilégier, dans cette étude, le niveau de la chaîne opératoire du laminage, qui nous sembla le plus pertinent pour parler de «savoir-faire» mis en uvre, il est une autre caractéristique qu'il ne faut en effet pas oublier, dans la présentation de cette technique qui se développe à Syam, c'est la présence en un même site de l'étirage et du laminage. Alliance qui permet «d'optimiser» la production de laminé par la diminution de la séquence «d'essai» (voir définition de cette séquence in glossaire) entre la production de la barre et son étirage. Cette diminution permet, grâce à un gain de temps, d'éviter des erteurs de fabrication sur une grande quantité, erteurs qui seraient dues par exemple à un non respect des tolérances de cote (en plus ou en moins) dans les opérations de laminage, non respect qui rendrait la bartc impropre à l'étirage. 12

Il fallait signaler cette alliance, en un même lieu : les Forges de Syam, d'un ban d'étirage et d'un laminoir, ceci pour les raisons précitées, mais il faut aussi signaler que ce sont les raisons énoncées par les forgerons eux-mêmes, dont il nous est difficile d'évaluer objectivement en quoi elles infèrent réellement sur ce que nous avons nommé : la spécificité des Forges de Syam (15).

Cette étude sur les «savoir-faire» était particulièrement intéressante pour ce qui conceme la technique de laminage, étant donné que la technique de l'étirage est mieux maîtrisée d'un point de vue purement technologique. Ce qui ne signifie pas que les techniques d'étirage, telles qu'elles sont pratiquées aux Forges, ne présentent pas de développement d'un «savoir-faire» particulier, mais qu'en tout cas, celui-ci est moins problématique ou plus commun à tous les savoir-faire de l'ensemble des étireurs.

Cette rapide présentation souffre d'un complément que nous proposons dans le chapitre concemant chaque technique. Nous examinerons tout d'abord une technique disparue aux Forges depuis une trentaine d'années, mais qui fut essentielle et dont la séquence technique l'est toujours, il s'agit de la technique du chauffage. Puis nous décrirons, suivant les mêmes principes, celle du laminage avant d'aborder, de manière plus précise, le problème du «savoir-faire».

Photo n° 3 - Vue générale du train de laminoir 13

NOTES

(1; Ce choix s'est effectué par un certain nombre de chercheurs de l'ACATP et du CCRE et notamment les directeurs scientifiques de cette étude, Claude ROYER et Bertrand HELL. Une mention spéciale pour son concours et ses critiques est à donner à François LASSUS de l'IECJ.

(2) Anne LESCALIER, Mémoire de maîtrise en Histoire, Université de Besançon.

(3; Nous proposerions d'appeler les sites, tels que ceux de Syam, comme faisant partie de la petite métallurgie.

(4/ A l'heure où nous écrivons ces lignes, l'usine a embauche 6 personnes et toume suivant le système des trois huits, ce qu'elle n'avait jamais fait de toute sa carrière, ceci pour honorer des commandes très importantes.

(5) Sinon celle des énergies utilisées puisque, jusqu'en 1979, il était entraîné par une turbine Francis, type de turbine inventée en 1849 par l'ingénieur du même nom.

(6.) Lamy, 1987.

(7) Ce qui, dans ce domaine, nous le vertons au cours de la discussion sur le savoir-faire, est essentiel.

(8) Le laminage en trace est une technique anglaise qui fit son apparition en France en 1777, selon Bertrand GILLE, in Les origines de la grande industrie métallurgique en France, p. 91. Selon Charles BALLOT, in L'introduction du machinisme dans l'industrie française, le principe est d'origine française et date du XVIe siècle, c'est le suédois Polheim qui eut l'idée en 1723 de s'en servir pour profiler le fer. C'est en 1811 qu'est signalée, par un brevet du 6 juin 1806, l'installation du premier laminoir en série de 8 cages de plus en plus rapprochées (donc tout à fait semblable à celui qui sera installé un siècle plus tard à Syam) : «Avec ses cylindres de nouvelle invention où l'on fait des fers cartes, losanges, ronds, ovales, où l'on fait toutes sortes de canelures de telles formes qu'on désire et sans bavures ni coupures», BALLOT, p. 499. Cette demière phase répond aux défauts qui étaient ceux de la technique de laminage précédemment employée. Technique qui consistait à laminer des tôles sur des cylindres sans canelure ou à canelure longitudinale; et ensuite de les découper par cisaillage selon le système de la fenderie. Cette technique fut celle employée à Syam jusqu'en 1889 pour produire les clous.

(9) Un fer affiné est un fer décarburé par chauffage.

(10 Voir tableau en annexe et présentation technique des opérations de cuisson.

( 1 1 Voir p. ?, cette phase n'était plus effectuée à Syam.

(12 Une billette est le lingot d'acier déjà laminé sous la forme duquel il arrive à Syam. 14

(13) Voir Maîtrise d'Anne Lescalier, p.

(14) En effet, le produit qui sort de l'usine de Syam, n'est pas en tant que tel toujours directement utilisable, en tout cas, prend-il souvent place au sein d'une machine.

(15) Le problème d'ailleurs ne se situant nullement là pour ce qui conceme notre étude, qu'il nous suffise de relever ce fait qui est un des produits essentiels de l'histoire même de ce lieu de travail, puisque l'étirage et le laminage associés existent au moins depuis le début de ce siècle en cette usine. 15

2 . Les forges de Syam. Présentation

L'architecture «témoin et cadre de l'histoire sociale»

L'architecture de l'usine est un modèle de l'architecture industrielle du 19e siècle.

«A Syam, on sent s'approcher la période de transition, et les contingences de l'activité industrielle si elles commencent à banaliser la condition ouvrière, ne la privent pas encore de l'accès aux valeurs traditionnelles de l'existence» (Daumas, p. 165) (Photos 1 et 2).

Il est difficile de définir exactement à quelles valeurs Daumas pense lorsqu'il écrit ces lignes. Est-ce à celles tirées de la proximité d'avec la nature ou la vie rurale ? Parle-t-il des activités de pêche et de jardinage auxquelles s'adonnèrent, jusque dans les années 70, la plupart des ouvriers ?

L'architecture du site industriel, il est vrai, amène à une réflexion générale, qui dépasse le simple but de cette étude, et justifierait une ethno-histoire de la vie quotidienne des familles de forgerons qui nous livreraient des éléments de compréhension de la vie professionnelle, voire technique.

Le site des Forges présente la particularité de concentrer dans une vallée et au bord d'un cours d'eau, qui servait de force hydraulique selon le modèle des établissements industriels de la France de cette époque : une usine, les logements ouvriers bâtis dès l'origine, une ancienne maison de maître appelée le vieux château, et une villa paladienne dont il n'existe que quatre modèles en France (Photo n° 4).

Les conditions de vie des ouvriers sur place ne diffèrent guère de celles que l'on a coutume de décrire dans la France industrielle du XIXe et du début du XXe siècles. La vie aux Forges constitua un réel pôle d'activité métallurgique et de vie sociale jusqu'aux années 1960 (1).

On peut donner un repère des commodités qui furent installées aux Forges (2), mais ce qu'il faut surtout retenir, c'est que la commune de Syam était en fait divisée en deux mondes, voire en trois :

Le monde ouvrier des Forges, le monde agricole du village et le monde des propriétaires.

Si très vite ce demier pôle ne joua plus le rôle économique (dès la mise en location de l'usine à la fin du 19e siècle), l'opposition entre le monde des Forges et le monde agricole reste la caractéristique des rapports entre les habitants de la commune et rythme même la désagrégation des structrures de la société rurale syamoise.

La construction de logements ouvriers s'impose dès la création de l'usine en 1820 comme le seul moyen de loger sur place une main-d' extérieure qualifiée ou de «prolétariser» une main-d'luvre paysanne. La hiérarchie s'y inscrit dès cet aspect puisque le logement des personnels qualifiés, comme leur rémunération, sont plus confortables que ceux des personnels non qualifiés. Le chef-lamineur se trouve par exemple logé dans l'aile gauche du bâtiment, dans un logement spacieux qui a pour particularité de donner sur la cour de l'usine, ce qui lui permettait de surveiller la bonne mise en marche du four le matin. 16

Photo n° 4 - La villa paladienne des propriétaires fondateurs des Forges

Photo n° 5 - Vue de la cour intérieure. Les fenêtres les plus à droite en haut du bâtiment central sont celles du logement du chef-lamineur. De l'autre côté du bâtiment, son logement donne sur la place externe de l'usine. 17

«Quand à trois heures j'entendais pas le four marcher, ça me réveillait et j'allais moi-même réveiller le chauffeur qui s'était loupé, pour que le four soit à température à 6 heures...» (Jean BINETRUY).

C'est le chef-lamineur qui, si l'on suit le plan, nous introduit en quelque sorte dans l'usine. Son logement, encore actuellement, est le seul à donner à la fois dans la cour, lieu de sociabilité avec la fontaine, la poste et le café, et dans l'usine elle-même (Photo n° 5).

En principe, et dès l'origine, ces deux lieux sont séparés, mais de nombreuses anecdotes de la vie quotidienne aux Forges nous indiquent qu'en fait, la séparation n'était souvent que fictive. Cette «perméabilité» de deux univers distincts aujourd'hui, est d'ailleurs importante pour expliquer non seulement la vie quotidienne mais aussi le travail aux Forges : vie quotidienne et travail s'entremêlent tellement qu'il est presque difficile de dire quand commence le temps de travail et lorsqu'il finit. L'espace clos de l'usine tel que nous l'imaginons et tel qu'il est réellement vécu actuellement, ne s'envisageait pas de la même façon.

Les ouvriers dont les familles habitaient sur place étaient en contact quasi permanent avec leur femme, ou leur enfant. Les unes venaient demander qu'on leur chauffe leur eau de lessive avec une billette incandescente, les autres venaient jouer ou furtivement observer leur père au travail. Il n'était même pas rare qu'un ouvrier les apercevant leur fit essayer de toumer une billette en leur donnant une paire de pince.

«Les anciens y nous appelaient et ils nous disaient : tiens petite, toume voir cette billette, tout ça en cachette» (Jean BINETRUY).

Sans oublier qu'un débit de boissons permettait aux hommes de venir boire, pendant leurs poses fréquentes (4).

Le cadre de travail, de vie (pour les familles vivant toujours sur place) reste le même que celui de cette époque. L'organisation de l'espace ne s'est pas modifiée et pourtant la vie aux Forges a profondément changé.

* Présentation du travail et des ateliers

Le travail aux Forges de Syam commence à partir de l'arrivée des pièces de métal appelées billettes qui vont être successivement laminées, puis étirées afin de les amener à la forme désirée. L'usine comprend en fait quatre ateliers où se décomposent quatre opérations :

1 . les opérations de cisaillage, de chauffage et de laminage ; 2 . les opérations de décapage ; 3 . les opérations d'étirage à froid ; 4. les opérations de redressage et d'aspect de surfaces (polissage, grenaillage).

Au cours de son histoire, ces différents ateliers et les postes de travail ont subi des transformations qui modifièrent et souvent améliorèrent les conditions de travail des ouvriers. Du point de vue de la production, ces différentes opérations sont complémentaires et permettent d'arriver à un produit fini directement utilisable dans l'industrie (voir panneau sur la production en fin de ce chapitre). 18

* Les opérations de laminage chauffage

C'est sans doute dans ces opérations que se situe le «savoir-faire» des Forges de Syam.

A partir d'un laminoir installé au début de ce siècle et ayant subi quelques modifications (voir panneau : évolution et modemisation), les ouvriers produisent des profils spéciaux à un moindre coût. Ces opérations sont décomposables en trois : celle de cisaillage, celle de chauffage, celle de laminage proprement dite.

* Les opérations de cisaillage

Ce sont celles qui préparent l'enfournement des billettes afin de les mettre aux dimensions pour qu'elles rentrent dans le four et surtout qu'elles soient compatibles avec les besoins en matière du produit fini (les limites du laminoir et du four sont de ne pas laminer des billettes de plus de 48 kg). Ces opérations ne sont pas spécifiques et s'effectuent généralement sur une vieille cisaille, voire au chalumeau en fonction de la qualité de la matière première.

(Nous signalons celles-ci sans plus y revenir au cours de cette publication).

* Les opérations de chauffe

La technique de laminage employée à Syam est la technique de laminage à chaud, les opérations de chauffage de la barte de métal sont donc essentielles et demandèrent même, jusqu'en 1960, l'emploi d'une main-d'auvre très spécialisée. Cette tâche de chauffe est dévolue au chauffeur qui devait maîtriser la combustion de l'unique combustible qui fut successivement : le charbon de bois jusqu'en 1880, la houille jusqu'en 1960, le fuel jusqu'en 1987, le gaz depuis cette date.

(Un chapitre complet est consacré au chauffeur qui fait partie intégrante de la description du laminage).

La billette introduite dans le four est poussée progressivement jusqu'à la dernière porte, où elle sera extraite à la bonne température. Pendant ce parcours, elle chauffera progressivement jusqu'à son extraction. Le chauffeur introduit les billettes, surveille leur progression, leur empilement, leur température, puis les extrait, pour les mettre sur un chariot mécanique qui les amène au dégrossisseur (qui est le lamineur qui reçoit la billette en premier).

Ces opérations doivent être synchronisées avec celles du laminage, afin que la barte qui arrive au dégrossisseur ne lui arrive ni trop tôt (risque d'avoir deux bartes à laminer en même temps), ni trop tard (perte de temps de travail). cage refouleuse cage avant cage de carte 19

1 cage de

dégrossis cage finisseuse

Photo n° 6 - Vue générale explicative du train de laminoir

Photo n° 7 - Réglage de l'assiette de réglage. 20

* Le laminage

** Définition du principe du laminage

«Le laminoir se compose essentiellement de deux cylindres horizontaux d'acier ou de fer placés parallèlement l'un au dessus de l'autre, et entre lesquels on fait passer des pièces de métal à laminer, c'est-à-dire que l'on veut transformer en barres ou en lames.

Ces cylindres sont portés par un bâti de fer forgé et toument à la même vitesse mais en sens contraire...» (Dictionnaire encyclopédique Quillot).

La surface des cylindres est unie ou canelée suivant la forme des profils à laminer.

** Présentation du laminoir

La cage de laminoir est un ensemble bâti contenant à Syam trois cylindres canelées, dont celui du milieu est fixe. Le laminoir de Syam comprend cinq cages qui sont dans l'ordre de la droite vers la gauche :

la cage de dégrossit ) la cage de carte ) - la cage d'avant ) (Photo n° 6) - la cage refouleuse ) - la cage finisseuse. )

Les opérations de réglage des cylindres, pour obtenir le bon écartement, sont des opérations qui se font après le montage des cylindres. Ces opérations se font à l'aide de l'assiette de réglage (Photo n° 7) ou d'un système d'écrou actionnant un levier. On nomme passe de laminage les opérations qui consistent à introduire à l'aide de pinces spéciales la billette chaude entre les canelures des cylindres (photos de pinces et d'une passe n° 8, 9, 10). Pour obtenir le produit laminé, plusieurs de ces passes sont nécessaires et ce à chacune des cages, du dégrossit jusqu'à la demière phase de finition.

En fait, on peut dire que chacune de ces passes amène progressivement la billette à sa forme de produit fini. L'opération de dégrossissage est chargée d'amener la billette à une forme losangique déterminée nécessaire au démartage de la mise en forme des produits. Les opérations de la cage des cylindres cartes amène une forme cartee prête à recevoir la première ébauche du profil. La cage avant est celle où se produit le premier profilage de la forme. La cage du refouloir est l'unique cage où la barte de métal passe «sur champs» afin de calibrer la barte en largeur et de refouler le métal vers le cur de la barte en évitant les pincements d'angles, notamment lors de la passe finale (pincement sur les angles trop vifs par exemple). Enfin la cage de finissage est celle où la barte adopte son aspect final.

(Ces différents opérations sont détaillées dans la description de la chaîne opértoire du laminage). 21

Photo n° 8 - Divers types de pinces rangées

Photo n° 9 - Passe de dégrossit avec pince coquille 22

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Photo n° 10 - Passe finale avec pinces fines

Photo n° 11 - Diverses phases de transformation du produit (de droite à gauche : dégrossit, carte, avant, refoulé (sur champs), produit fini). 23

(Photo des différents produits obtenus par ces opérations pour un type de profil :n° 11).

* Le décapage

Entre le laminage et le décapage, les bartes subissent une phase de refroidissement, qui fut auparavant -jusqu'en 1979 - effectuée sous le contrôle du redresseur à la plaque. Actuellement, cette opération est effectuée sur une machine. Après cette opération sont préparées les soies : les soies désignent la partie finale des bartes, qui est aplatie afin de les introduire dans la filière de l'étirage. La fabrication des soies se fait par pilonnage à chaud (Photo n° 12).

Le décapage s'effectue sur la barte laminée froide et consiste à préparer un aspect de surface propre pour l'étirage. Cette opération s'effectue grâce au traitement chimique par trempe (Photo n° 13).

* L'étirage

L'opération d'étirage est effectuée à froid après refroidissement complet de la barte et séchage de celle-ci, elle consiste à faire passer la barte de métal laminée «à force» à l'intérieur d'un gabari exactement à la forme. Ce gabari s'appelle une filière (Photo n° 14).

La tête de la barte ou soie, est ainsi présentée au mord du banc d'étirage qui la saisit au-delà de la filière. La barte est ainsi tirée à partir de ce point sur le banc d'étirage (Photo n° 16). Lorsque l'ensemble de la barte est passé dans la filière, elle est exactement aux dimensions requises pour son utilisation industrielle. Tout au cours de cet étirage, la barte est constamment lubrifiée pour lui permettre de mieux s'écouler dans la filière (Photo n° 15).

Le travail essentiel de l'étireur est de surveiller et de préparer à l'étirage, c'est l'outilleur qui fabrique la filière, à partir des dimensions du profil. Ce travail d'usinage de la filière s'est fait à Syam même, mais depuis l'emploi de filières au carbure de tungstène, plus résistantes, celles-ci sont commandées et fabriquées ailleurs. Certains outils sont malgré tout fabriqués à partir d'une filière réglable. Le travail d'étirage est un travail de précision (au centième de millimètre), étroitement complémentaire de celui du laminage, mais réclamant certainement plus de connaissances techniques de base et donc mieux maîtrisé de ce point de vue.

* Le redressage

Après avoir été étirées, les bartes peuvent être débitées à des longueurs différentes suivant la demande du client. Mais elles sont toutes redressées afin de présenter une longueur complètement droite. 24

Photo n° 12 - Pilonnage des scies en arrière plan. Devant les embouts de barres martelées : les scies.

Photo n° 13 - Trempage des barres dans des bains d'acide. 25

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Photo n° 14 - Retouche «à la main» d'une filière d'étirage

Photo n° 15 - La barre passe dans la filière constamment lubrifiée. 26

Photo n° 16 - ? et train du banc d'étirage. L'étireur saisit la barre au-delà de la filière par la soie et la bloque dans le mord par le bras.

Photo n° 17 - Vue générale du banc d'étirage 27

Ce travail du redressage fut un travail spécialisé, il garde encore une certaine spécificité, malgré l'emploi de principes de redressage plus sophistiqués. Jusqu'en 1965, il s'effectuait à la main et pour les grandes longueurs nécessitait deux personnes, une qui tenait et toumait la barte (le redresseur) et une autre qui la martelait (tâche dévolue à l'apprenti).

* Les structures humaines

Si du point de vue du cadre de travail on peut juger que les évolutions furent minimes, la vie professionnelle a beaucoup plus évolué au cours de ce siècle et particulièrement depuis une trentaine d'années. Une génération d'ouvriers, celle de l'après-seconde-guerte, a vécu le passage d'un mode d'organisation du travail proche de celui du 19e siècle à un mode d'organisation du travail tel que nous le connaissons dans la plupart des entreprises actuelles.

Spécialisation et division des tâches étaient plus importantes dans l'ancien système que dans le nouveau. Le système d'un apprentissage tel que nous le connaissons n'existait pas : on se formait sur le tas.

La population d'ouvriers était composée de deux grands types :

1 . ceux qui n'exerçaient que cette activité, ouvriers de métier qui résidaient sur place et qui, lorsqu'ils étaient très qualifiés, venaient même d'autres régions ;

2. les ouvriers «occasionnels», peu nombreux : 5 à 8 % de l'effectif, qui venaient des villages avoisinants et avaient une activité agricole principale. Cette catégorie venait s'embaucher l'hiver et occupait des emplois de man Ces paysans pouvaient devenir des ouvriers de métier et abandonner l'agriculture par la suite (4).

On entrait aux Forges pour travailler et accessoirement pour y apprendre un métier.

L'embauche se faisait soit vers 14 ans après le Certificat d'Études Primaires, soit plus tard, en fonction des alléas d'autres activités, celles-ci étant pour la plupart agricoles. Le jeune qui s'embauchait comme le plus ancien, commençait toujours par être man à tous les ateliers. Il transportait les billettes, les déchargeait, les chargeait, il amenait le charbon, nettoyait les machines et les ateliers ; bref, il se familiarisait avec le monde des Forges et apprenait en observant les plus anciens dans le métier. Puis, après souvent un ou deux ans, on lui confiait un poste simple de commis au chauffage ou d'avioteur au laminoir, voire quelques bartes à redresser. Ainsi, en fonction des postes vacants et de ses aptitudes, il commençait vraiment à apprendre une tâche plus spécialisée.

Ce parcours professionnel, que tous les anciens ouvriers des Forges ont suivi, les menait progressivement à des postes de plus en plus spécialisés, tout au cours de leur vie professionnelle. Ainsi, suivant l'atelier, ils acquiéraient un tour de main propre, qui les rendait timlaires de leur poste et souvent jaloux de ce travail. 28

* Répartition des postes de travail

** Atelier de laminage

Apprenti Aide cisailleur CisaiUeur

Apprenti Deuxième chauffeur Premier chauffeur

Apprenti Avioteur Lamineur à l'avant Refouleur Dégrossisseur Finisseur qui est le premier lamineur Chef lamineur

(certaines places étaient réservées aux anciens : redresseiu" à la plaque)

Décapeur Marteleur de soies

** Atelier d'étirage

Man Aide redresseur Redresseur

La question de la vie professionnelle rebondit sur plusieurs problèmes. Tout d'abord celui de la mobilité professionnelle, liée lui-même aux difficultés de l'usine. Ensuite, le problème du parcours professionnel proprement dit. Il existe des parcours professionnels types. Ces parcours, tels que ceux suivi par les chefs lamineurs (Jhilal, Binétrui) ne sont par ailleurs types que pour ceux qui les ont réussit et qui les représentent. Les autres ouvriers peuvent tout autant figurer des parcours types, qui s'artêtent au poste de lamineur simple, voire à celui de man Pour ce qui est de la mobilité des postes au sein de l'usine, il semble qu'elle fut de plus en plus grande avec la «dé-spécialisation» des tâches après les années 1950-1960. Auparavant, après l'apprentissage dans l'usine, il existait pour le mansuvre deux mondes séparés, spacialisés, dans lesquels il avait pu travailler.

Celui de l'étirage/redressage, le monde du travail à froid, dans la graisse et dans une relative solitude. 29

Photo n° 18 - Au centre l'avioteur, poste auparavant spécialisé

i

Photo n° 19 - Entre les deux mondes, le trempage à l'acide la «neutralisation» 30

Celui du laminage/chauffage, le monde du travail à chaud, en équipe, dans ce qui par opposition était vécu comme plus «propre». Ces catégories étaient vécues comme telles par les ouvriers et apparaissent lorsqu'on leur demande ce qui les a déterminé à être lamineur ou étireur, à travailler dans l'un ou l'autre monde. Chacun de ces mondes de travail, qui se côtoient à Syam, requièrent des qualités différentes : pour être étireur ou redresseur, il ne fallait pas craindre le iroid, ne pas avoir peur de se salir, et aimer travailler dans la précision et une relative solitude. Pour être lamineur ou chauffeur, il fallait être costaud, ne pas craindre la chaleur, aimer le travail d'équipe.

Ces catégories expliquent souvent, aux dires des anciens ouvriers, des prédispositions et des choix professionnels, de sorte que l'on peut trouver les anciens lamineurs ou chauffeurs plus sociables, et les anciens redresseurs plus taciturnes.

Ce partage de l'usine en deux mondes a certainement joué un rôle dans la vie professionnelle des ouvriers, nous y reviendrons lorsque nous évoquerons le problème de cet ancien premier lamineur qui, s'étant retrouvé écarté de la succession du poste de premier lamineur, trouva refuge dans l'atelier de redressage.

* La production des Forges de Syam

Il est difficile de se rendre compte à quoi vont servir les bartes laminées qui sortent de l'usine. Les ouvriers eux-mêmes l'ignorent souvent. Le produit fini est une abstraction ! Il faut savoir que la production de l'usine s'est échelonnée depuis sa création sur quantité de produits différents, à partir du début de ce siècle et l'installation du laminoir à canelure qui date du rachat par Chavanne Brun, fabricant de cylindres (5).

La production s'est vue rythmée en fonction de la demande extérieure et surtout de grands événements technologiques ou politiques. Malgré ceci, de tout temps, une des principales productions de Syam a été celle en direction de la serrurerie : le profil appelés EVES. Les Forges ont produit plus de 100 profils différents pour cette industrie.

1914-1930 : l'ère des ronds de transmission pour les moteurs mécaniques ; 1939-1940 : la coutellerie, le biseau ; 1943-1960 : aciers à lime pour la société UMAS qui avait racheté les Forges.

Après la guerte, la mécanisation dans l'agriculture conduisit aussi à produire des bartes de faucheuses, ainsi que des potences de guidons de vélo. On travaille aussi beaucoup dans les années 60 pour l'industrie automobile (appuis-têtes et segments de boîtes de vitesses, crochet de portières).

L'incident sur le procès de production est important, on produisait différemment avant 1960 et maintenant. A ces époques, les montages étaient plus longs et la production importante en quantité pour l'usine (6). C'est après une période difficile, dans les années 60, que l'usine commença à développer, ce qui fait aujourd'hui sa spécificité et son adaptation au marché des petites quantités et des profils complexes.

La production actuelle se décompose comme telle approximativement : serrurerie : 20 %, sous-traitant automobile : 18 %, armement, aérospatiale : 8 %, machine-outils : 20 %, mécanique générale : 20 %. Depuis les années 85, on 31

assiste à une diversification très importante, alors que dans les années 80, la production était à 60 % orientée dans la serrurerie. Les Forges sont aussi passées de 50 clients en 1980 à 400 en 1988.

NOTES

(1) Au moins pour les ouvriers jurassiens, il semblerait que la petite communauté marocaine qui occupe actuellement les logements, avec quelques retraités et deux familles françaises ne constitue pas à proprement parler une vie autonome par rapport au village, telle que celle qui a pu s'organiser auparavant. A signaler que le maire de la commune fut jusqu'en 1942 le directeur de l'usine, que la poste fut créée et reste encore attenante à l'usine.

(2) Installation de l'eau en 1957, des WC en 1974, de l'électricité par contre très tôt, au début du siècle.

(3) Le rythme de travail des lamineurs leur accordait une pose de trente minutes toutes les heures.

(4) Si l'on suit les hypothèses de Mme Lescalier, la prolétarisation de ce type d'ouvrier se faisait sur trois générations.

(5) Nous ne tenons pas en compte par exemple les fabrications anciennes de clous obtenues par laminage/fenderie, bien qu'il semble, suivant les dates d'installation du laminoir à canelure qu'entre 1900 et 1914, celui-ci a pu produire ces types de clous.

(6) On considère comme montage long un montage qui pouvait durer sans démontage des cylindres plusieurs semaines, voire deux mois. A l'heure actuelle, les montages les plus longs sont ceux qui durent quelques jours. Il faut néanmoins considérer que dans l'histoire de Syam, il y eut aussi des périodes où on produisait de très petites quanités jusqu'à quelques dizaines de kilogrammes. 32

3 . Le chauffeur : aspects d'un savoir-faire disparu de la petite métallurgie

* Description de la chaîne opératoire

Le chauffeur avait pour tâche non seulement cette maîtrise du feu qui réclamait la plus grande part de sa spécialisation mais aussi le bon parcours des billettes dans le four. Avant que celui-ci fut muni d'un poussoir mécanique, le chauffeur devait, à l'aide de son long crochet, mansuvrer une à une (à bout de bras et de crochet) des billettes qui pouvaient peser jusqu'à 48 kilogrammes. Il devait les toumer et les empiler cortectement dans le four et suivre leur parcours. Ces gestes demandaient beaucoup de résistance à la chaleur, de forces physiques et d'habileté.

* Présentation et description de l'atelier

Il existe à l'heure actuelle un four principal servant à la chauffe des billettes, pour l'opération de laminage proprement dite, plus deux fours à soies qui servent à la chauffe des embouts de bartes laminées afin d'y marteler les soies. Le four actuel fonctionne au gaz avec tapis mécanique, il est d'une longueur de six mètres, d'une largeur d'un mètre soixante et comporte huit portes. Il est placé face au laminoir, ce four était en fait l'ancien four à recuire, qui fut transformé en 1972 après l'artêt des opérations de rechauffe, sa grande longueur facilitait les opérations de chauffe des bartes laminées, et sa grande capacité s'est bien adaptée à la production modeme (ce four est alimenté au gaz depuis l'été 1987). Avant cette époque, les Forges utilisaient un four plus petit qui était placé derrière la roue d'entraînement du laminoir. Ce four ne comprenait que quatre entrées, il fonctionnait au charbon de terte, après avoir été transformé au fuel au cours d'un essai infmctueux en 1948.

Hormis le four à recuire, d'autres petits fours se trouvaient ou se trouvent encore à Syam. Il s'agit de fours simples, à une porte, qui servent à chauffer les bouts de la barte laminée, afin de faire les soies (1).

* Histoire du chauffeur

Le chauffeur est un personnage mythique du travail du fer, certains n'hésitent pas à parler de lui comme d'un demiurge, faisant ainsi directement référence à la place particulière qu'il occupe en tant que «maître du feu» (2).

S'il reste dans le travail métallurgique encore une part de cette fascination suscitée par la maîtrise du feu auprès de la population profane, cette part est encore bien dévolue au chauffeur pour qui la tâche consiste à «faire passer» la matière d'un état solide à un état semi-solide, afin qu'elle puisse être travaillée.

En outre, les chauffeurs offrent souvent la particularité d'être remarquables tant par leur qualité physique, que morale, de force et de résistance. Quand ils ne cortespondent pas, par la stature, à celle-ci, ils sont symboliquement investis de cette valeur de force et de tempérament qui caractérise le feu lui-même, ils apparaissent ou se forcent à être des «grandes gueules» ou des «fortes têtes». 33

Pour ce qui conceme l'histoire même de leur poste de travail à Syam, le chauffeur se trouvait être souvent en «décallage» par rapport au rythme de travail général du laminoir. Il commençait souvent avant tous les autres, en pleine nuit, vers 3 heures du matin, pour amener progressivement le four à température à l'arrivée de l'équipe des lamineurs à 6 heures.

Commençant avant tout le monde, il finissait souvent aussi plus tôt, ce qui lui donnait un rythme de vie décalé par rapport à ses compagnons de travail, et renforçait sans doute son originalité et son sens de l'indépendance.

Ce poste a, comme les autres, été fortement hiérarchisé, ce qui conférait au premier chauffeur une autorité sur trois à cinq personnes (premier, deuxième et troisième chauffeur (désenfoumeur), plus un ou deux apprentis pour la manutention des outils et des billettes) et faisait de lui im contremaître en même temps qu'un formateur (nous reviendrons plus loin sur cette question de la transmission du «savoir-faire», dont le chauffeur était aussi détenteur au moins pendant cette période de chauffe au charbon de terre, qui dura pour Syam jusqu'en 1964).

Le chauffeur est le maître du feu à proprement parler, puisque c'est à lui qu'est confiée la lourde tâche de le surveiller. Il contrôle l'action directe de la chaleur (conséquence du feu) sur la matière. Cette tâche spécifique de chauffeur est certainement apparue à partir de l'industrialisation du travail du fer comme une tâche et une spécialisation particulière, distincte du travail du métal lui-même, de sorte que le chauffeiu- s'est distingué du simple forgeron : le chauffeur prépare au travail de la matière, mais ne travaille pas celle-ci.

A la différence des forgerons artisanaux, maréchaux-fertants par exemple, qui ont gardé leur propre maîtrise du feu, le chauffeur apparaît plus comme un ouvrier spécialisé dans la chauffe et dans le contrôle du feu.

Plusieurs facteurs ont contribué à la spécialisation du rôle du chauffeur dès le début du XIXe siècle et dans le cadre du développement de la production industrielle. Le premier facteur fut sans doute l'introduction de la houille et du coke comme combustibles (Gille, 1947).

Malgré tout, cette spécialisation du métier ne fut pas ressentie également comme une nécessité dans toute l'industrie métallurgique. Les travaux des historiens nous montrent par exemple que, dans les fonderies de Franche-Comté, cette tâche était souvent dévolue aux apprentis, ce qui était aussi le cas encore plus récemment dans les taillanderies (L^ier, in Terrain, n" 6, p. 60). Cette pratique signe la moindre importance dans le processus technique dont sont investies les opérations de chauffe (3). Dans ces cas, la précision du degré de température ne joue pas un grand rôle dans le processus technique, les écarts moyens tolérés sont plus grands, ils n'ont pas un rôle déterminant. A partir de cette observation, on peut d'ailleurs relativiser ce que nous disions précédemment de la tâche du chauffeur, et faire apparaître que la chauffe est déjà un certain travail sur la matière !

Les différents facteurs qui présidèrent à la spécialisation de la tâche du chauffeur, puis au développement du métier de chauffeur, sont difficiles à examiner indépendamment les uns des autres. 34

n est aisé de penser qu'un technicien du feu, capable de maîtriser le plus précisément possible le degré de chauffe du métal est un élément déterminant du procès de production de la barte liminée à chaud, étant donné la complexité de plus en plus grande des alliages, et la prescription de leur température de chauffe.

La technique de chauffage fut en effet aussi source d'innovation technologique et appela le développement d'un réel «savoir-faire» qui devint inutile après l'apparition du chauffage au fuel, et l'adoption d'un système hydraulique de poussage des billettes à l'intérieur du four.

Il faudrait bien entendu resituer le travail du chauffeur, en tant que spécialisation vis-à-vis de l'industrie métallurgique toute entière, afin de nous permettre d'avoir un point de vue plus général sur l'existence d'une réelle technique commune à tous les chauffeurs, comme semble l'indiquer un ouvrage très ancien Guide du chauffeur, ouvrage techmque de 1830 sans auteur.

Une réflexion générale sur ce problème nous aiderait d'ailleurs à avancer dans une problématique sur les «arts du feu» (4).

Les grands centres métallurgiques du Centre et de l'Est de la France sont ceux qui, à l'instar de leur développement technique dans ce domaine, développèrent des techniques de chauffe les plus perfectionnées à partir du combustible qui, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, va supplanter le charbon de terre et le bois. On a dit beaucoup sur le développement de ces centres, à partir des réserves de charbon de terte contenues dans leur sol, mais on s'est moins intéressé à la technique elle-même de chauffe qui a pu se développer à partir de ces centres. En fait, l'introduction de la chauffe au charbon de terte, houille et coke (5) qu'il est difficile de dater précisément aux Forges de Syam (6), nécessita l'apprentissage puis le développement d'une technique différente de celle de la chauffe au bois/charbon de bois. C'est elle qui détermina certainement l'entreprise dans un soucis de rentabilité accrue, qui souligne l'importance du poste de chauffeur, à faire appel à une main-d' extérieure spécialisée et formée à cette technique (7).

Il faut en effet souligner l'importance de ce poste et du «savoir-faire» qui s'y attache, certains allant même jusqu'à dire actuellement que les qualités alors produites étaient supérieures à ce qu'elles sont actuellement à partir de la chauffe au fuel ou au gaz (8).

* Le chauffage des principes écrits

Le chauffeur avait à sa disposition un ensemble de règles écrites, qui définissaient sa technique, contrairement à beaucoup d'autres techniques comme celle du laminage par exemple. On peut légitimement s'intertoger sur l'usage de tels écrits, étant donné le système d'apprentissage qui avait cours à l'époque et qui, dans le domaine de l'apprentissage du métier de chauffeur, ne faisait pas intervenir de phases d'apprentissage scolaire, phase où le livre aurait constitué l'élément de base de la transmission du savoir. Cet enseignement, de type prépositionnel suivant le concept de Jorion et Delbos, La transmission du savoir, p. 15, s'apparenterait d'ailleurs à un enseignement d'école qui n'a jamais été développé dans le domaine du chauffage. Il est donc difficile de dire à quoi servait vraiment ce manuel, mais très intéressant de noter que les éléments qui y sont répertoriés sont d'origine autant technique qu'esthétique, dans la mesure où l'on peut séparer l'un de l'autre. 35

«Un feu soigné est un feu où, si l'on regarde à travers les grilles, il n'y a aucun endroit bouché. . .».

«Le principal talent d'un bon chauffeur est d'entretenir un feu vif et égal, parce qu'il fait produire au combustible le plus grand effet possible, et en même temps, il soutient régulièrement la marche du feu» (Guide du chauffeur, Paris, sans date, p. 257 et 306 : voir bibliographie).

Ce véritable manuel du bon chauffeur définissait aussi bien les qualités des différentes houilles que les qualités esthétiques d'un «bon feu».

On voit qu'il existe à l'époque un véritable «savoir-faire» du chauffeur, dont on peut se demander ce qu'il puise dans ce manuel. C'est bien plus dans l'apprentissage sur le tas du métier, dans l'expérience que se consumait un «bon chauffeur». Dans un savoir que les auteurs pré-cités définissent comme procédural.

'* Arrivée d'un nouveau chauffeur

Ce qui se produit dans le domaine du chauffage aux Forges de Syam est indissociable de l'évolution du laminoir dans cette fin du XIXe : Le rachat par l'entreprise CHAVANNE BRUN (fabricant de cylindres) des Forges et l'installation d'un laminoir à canelure.

Le changement de combustible avait amené une plus grande spécialisation de la chauffe, en même temps que les alliages laminés avec cette nouvelle technique demandaient un contrôle plus précis de leur température de chauffe. Une qualification importante devenait nécessaire pour ceux qui occupaient ce poste. C'est ainsi qu'on note, vers 1900, l'arrivée aux Forges de Syam, d'un chauffeur expérimenté.

Venant de Givors, Antoine-Marie Vuillemagne vint sur recommandation d'un jeune lamineur arrivé peu avant de la même région, Eugène Brossy. Ils constituèrent l'équipe qui débuta l'exploitation du laminoir à canelure sous la férule des établissements Chavanne-Brun, qui avaient racheté l'usine quelques années plus tôt.

Avant l'arrivée d'A.-M. Vuillemagne, c'est Charles Binétruy, le grand-père de Jean Binétruy, qui occupait le poste de premier chauffeur, il partit avec sa famille à cette date sans que l'on sache pourquoi (sa famille revint quelques années plus tard).

Est-ce qu'il ne se trouva alors personne parmi les ouvriers locaux pour reprendra la place ? Est-ce alors un désir d'accroître la production en qualité de la part de M. Chavanne qui le détermina à faire appel à un chauffeur expérimenté, plutôt que de reprendre un jeune chauffeur du cru ? Il est bien difficile à l'heure actuelle et sans témoignages oraux de cette époque, ni soiu-ces écrites, de dire ce qui présida à ce choix.

Ce recours à quelqu'un d'extérieur à la contrée se fit dans des conditions qui signent la valorisation de cette technique puisque A.-M. Vuillemagne, venant de St Chamond, fut embauché en tant que premier chauffeur avec le deuxième salaire ouvrier horaire après le chef lamineur, et des avantages en nature, tels que logement et électricité gratuits. 36

** La matière première combustible : du bois au gaz

Dans le domaine de l'ethno-technologie comme souvent dans le domaine de l'histoire, les innovations ou les changements techniques sont l'occasion d'observer des réactions significatives des acteurs sociaux. L'introduction de nouveaux combustibles fait partie d'une de ces mutations qui posa aux ouvriers un certain nombre de problèmes.

Aux Forges de Syam comme ailleurs, les changements techniques sont regardés avec méfiance, car ils constituent toujours une modification des habitudes, des tours de mains, des spécialisations, voire des rapports sociaux intemes, tref de tout ce qui constitue l'histoire du travailleur lui-même, son identité professionnelle. Ces réticences sont souvent identifiées par la maîtrise à un conservatisme de la part de la main-d'tuvre ouvrière, elles sont en fait largement d'ordre culturel plutôt qu'économiques ou techniques (9). Malgré tout, ce sont des justifications d'ordre technique qui apparaissent en premier lieu, sans que celles-ci soient d'ailleurs toujours sans fondement

Cette défiance vis-à-vis de l'innovation se retrouve à Syam au cours de son histoire sur d'autres aspects de la modemisation (remplacement de la turbine, tour à usiner les cylindres) et semble être le signe d'un désir de ne pas laisser rompre le processus même qui unit l'homme à la machine.

Pour ce qui est de la chauffe, l'histoire récente de l'usine garde encore en mémoire, par l'intermédiaire d'ouvriers actuellement à la retraite, le passage difficile qui s'est effectué entre la chauffe au charbon et la chauffe au fuel.

Ce passage s'est fait en deux temps, un premier essai effectué en 1948 s'est avéré infructueux : «Ça n'allait pas alors, on est revenu au charbon, de plus certains aciers nécessitent une chauffe au charbon, les aciers à lime ça n'allait pas avec le mazout, parce qu'il fallait une chauffe progressive...» (Jean Binétruy, ex-chef lamineur, 1987).

Ce discours relevant d'une pratique et d'une habitude existe chez les anciens chauffeurs au charbon pour légitimer la supériorité du charbon sur le fuel, source d'énergie qui, quand elle réussit à s'imposer à Syam, eut comme conséquence de faire perdre au chauffeur la spécificité de la partie la plus importante du «savoir-faire», celle valable pour le charbon (10).

La nécessité de l'appel à leur connaissance de la chauffe à la houille, s'était néanmoins estompée au cours de ce siècle, entre autres parce que la technique du chauffage avec cette matière ne relevait pas d'une haute technicité et était exécutable, et donc transmissible, facilement ; tout au moins en comparaison de la technicité ou du «savoir-faire» du chef lamineur.

De plus, la plus grande précision des instruments de mesure de la température rendit apparamment moins nécessaire le «jugement à l'eil» à partir de la couleur du métal (11).

A partir de l'arrivée de A.-M. Vuillemagne et progressivement jusqu'en 1945, le premier chauffeur perdit de son prestige, les années d'après-guerte fiirent pour tout le laminoir des années de rupture quant à la forme des «parcours professionnels» au sein de l'équipe. La hiérarchisation et le système d'apprentissage long au sein de l'entreprise se vit mettre en échec sous l'effet d'un renouvellement rapide de la main-d' de base (12), mais aussi sous les effets 37

de l'instruction publique et des lois sociales d'après-guerte.

Le processus n'en est pas moins complexe en effet si d'un côté on peut constater une perte de spécificité ou de détention d'un «savoir-faire» pour la chauffe, il n'en existe pas moins une certaine réticence à l'introduction d'un nouveau combustible de la part des chauffeurs eux-mêmes, et ceci malgré la facilité d'emploi et le confort dans le travail qu'apporta le fuel (ce qu'ils reconnaissaient eux-mêmes, les réticences étant exprimées imiquement sur un plan technique).

n a donc existé à Syam des freins à l'introduction de l'énergie fuel et la solidarité des lamineurs a pu jouer pour reculer le moment inévitable où le fuel allait supplanter le charbon (cette explication étant reprise par les lamineurs eux-mêmes) (13).

Cette solidarité est d'ailleurs essentielle et peut même apparaître comme «organique» car le lamineur est, par son travail, directement intéressé aux problèmes de la chauffe.

«Quand on laminait pour faire les limes à 900°, si c'était trop chaud, ça cassait au laminage, si les billettes avaient ti-op traîné dans le four, il se formait une calamine dessus qui tachait les barres, elles étaient bonnes pour la fertaille, et si tout ça arrivait, qu'est-ce qu'on se faisait sonner, le chauÎFfeur était considéré comme responsable. Sur des aciers spéciaux à 20° près, c'était foutu, à l'époque on faisait du dur, c'était la qualité la plus difficile, c'est un acier rapide qui casse facilement, maintenant y a moins de problème, ils font que du doux ou du demi-doux.

Le premier four à mazout, c'était pas au point, ça chauffait pas régulièrement

Remarquez le mazout, c'est quand même plus propre et puis on avait qu'à surveiller, pas besoin de décrasser ni de charger» (M. Guillot, demier chauffeur au charbon).

Faisant face aux affirmations du chef lamineur quant à la chauffe dont il ne s'occupait pas, le chauffeur dit : «quand on laminait», alors que lui-même ne laminait pas ; cette interdépendance des actes techniques, pour nous différenciables, justifie bien le parti-pris de les décrire ensemble et constitue le résultat de cette solidarité technique dont nous parlions précédemment. Si cette solidarité est un des éléments qui explique que le fuel mit dix ans à devenir le combustible à Syam, malgré une plus grande simplicité d'utilisation, il en est un autre dont il faut historiquement tenir compte, c'est les divergences qui, à l'époque, opposaient le locataire de l'usine et les propriétaires de celle-ci.

Ces divergences faisaient que M. Grobet refusait, suivant sa propre expression, de «mettre im sou dans cette usine», il avait d'ailleurs la ferme intention de la rapatrier sur Arc-et-Senans, où il dirigeait une fabrique de limes. Cette intention déclarée explique qu'il s'opposa systématiquement à la modemisation, et entre autres à la construction d'un auti-e four à fuel plus grand, qui aurait permis de résoudre les problèmes de répartition de tempéramre posés par les injecteurs qui soufflaient sur les billettes, ce qui était à l'origine des problèmes de maîtrise de la chauffe au fuel. 38

Mais cette réalité historique, dont il nous faut bien tenir compte, n'amenuise pas pour autant les réflexions faites sur les réticences au fuel constimées par la «culture de métier» des lamineurs. En effet, en dépit de cette réalité économique, le «système inteme» de justification de la supériorité du charbon sur le fuel est toujours valable. On voit donc qu'il faut en fait, pour expliquer la difficulté de la mise au fuel, tenir compte de deux logiques différentes : une logique patronale et une qui vient de la base.

* Nature du savoir-faire : la maîtrise de la bonne répartition de la chaleur

A l'heure actuelle, le remplacement récent du fuel par le gaz pose des problèmes. Les brûleurs crachent sur les billettes et ne portent pas l'ensemble du four à une température homogène.

C'est cette «homogénéité» qui est la plus recherchée, et qui était aussi principalement en cause dans les essais infmctueux de passage du charbon au fuel.

La bonne répartition de la chaleur étant un des aspects essentiels du travail du chauffeur, tout comme la bonne température, cette répartition dépend pour une grande partie de la configuration du four. On ne peut pas ne pas penser de ce point de vue à la disparition progressive d'un autre «savoir-faire», celui des fumistes dans ce cas précis ; et au fait que, de plus en plus, cette spécialité disparaît au profit d'une construction banalisée des fours, effectuée par n'importe quel maçon.

La difficulté à maîtriser ces problèmes, même avec une technologie plus sophistiquée (armoire électrique pour la conduite du chauffage au gaz), telle qu'elle se développe, est une des problématiques essentielles de l'art du feu dans la petite métallurgie, et aussi sans doute dans d'autres métiers.

Cette banalisation/automatisation du travail du chauffeur n'est pas sans poser des problèmes qui sont par ailleurs souvent imputés à d'autres aspects de la production, et nous montre que réfléchir sur l'idée même de progrès, n'est pas aussi simple qu'il pourtait y par^tre.

Dans ce cas précis, les machines, si elles veulent remplacer l'homme dans toute la finesse de son expérience et de son jugement sur la chaleur, devraient faire appel à une technologie beaucoup plus sophistiquée, qu'elle ne l'est à l'heure actuelle, et dont on peut se demander si elle servirait à quelque chose, ou si elle amènerait un «plus».

* Évolution des postes de chauffeurs

Il existe une forte hiérarchisation des postes de chauffeur depuis l'arrivée de Vuillemagne jusqu'aux années 1950.

«A partir de 1950, le premier et le deuxième chauffeur ont été payés pareil» (M. Guyot, demier chauffeur «au charbon»).

Au cours de cette période, les postes de chauffeiu-s vont subir une évolution, qui va conduire à la disparition presque complète de la spécificité du rôle et du poste, qui vont l'amener à sa forme actuelle.

Aujourd'hui ce poste exige deux personnes, ce sont des lamineurs qui sont plutôt désignés à ce poste et qui l'occupent de manière plus efficace que d'autres, 39

mais leur absence ne modifie par pour autant le bon fonctionnement du four. L'appareillage et l'automatisation du four au gaz ont complètement supprimé une partir de leur maîtrise du processus de chauffe, en transférant cette compétence à des électro-techniciens extérieurs à l'usine.

De même, l'adoption du système de poussoir des billettes a supprimé un geste spécifique et difficile du chauffeur dont il tirait la plus grande gloirc :

«Fallait voir, avant c'était tout à la main qu'on conduisait les billettes, il fallait un sacré coup de patte pour les crocheter une par une, les faire avancer, les empiler les unes sur les autres, tout ça avec un malheureux crochet et la figure brûlée. Mais y en avait pas une qui dépassait, elles étaient toutes alignées et elles chauffaient comme il fallait, tout ça à la main» (M. Guillot, demier chauffeur au charbon).

Jusqu'à la seconde guerte, on apprenait le métier de chauffeur et le jeune apprenti qui entrait aux Forges de Syam, se voyait aussi bien confier la tâche d'aider au chauffeur que celle d'aider au laminoir ou d'aider à l'étirage, voire encore celle de charger ou décharger les chartettes de billettes.

L'apprentissage «sur le tas» joue un grand rôle dans le parcours professionnel jusqu'avant les années 60, on n'entrait pas à Syam pour être lamineur ou étireur, on entrait pour y travailler et, accessoirement, si on était doué, on apprenait un métier. L'apprenti se trouvait à la «libre disposition» de toute l'usine, suivant les tâches à exécuter, mais le travail de la chauffe requiérait deux apprentis, et il arrivait donc qu'un ou deux jeunes se «spécialisent» dans cette tâche.

L'apprentissage se faisait d'abord par la transmission de gestes simples qui constituaient, s'ils étaient bien exécutés, «l'examen de passage» de l'apprenti au poste, et ce sous la surveillance du premier chauffeur.

Si l'apprenti, par exemple, se trouvait capable de bien désenfoumer, il était ainsi admis à seconder le deuxième chauffeur, voire à la suppléer dans des tâches plus complexes.

Les parcours professionnels ne sont pas pour autant aussi simples, la sanction ou le passage dépendant de nombreux paramètres très difficiles à examiner dans leurs imbrications. Notre but n'était pas ici de décrire de manière complète le parcours professionnel du chauffeur, contentons-nous de le situer historiquement dans sa tâche, et de souligner que l'accession à ce poste relève du même parcours qui sera imposé au lamineur et que nous détaillerons.

Le chauffeur n'est donc pas, au plan de l'apprentissage, dissocié du reste du laminoir, ni même de l'usine dans son ensemble, étirage compris (14).

Non seulement, il ne fait intégralement partie, mais en plus nous le voyons, il tient une place spécifique et essentielle qui reposait sur une technicité certaine et difficile à acquérir. 40

* Définition et hiérarchisation des tâches

Le premier chauffeur a la responsabilité de l'équipe, surveille la bonne température, est appelé en cas de problèmes, prend les décisions importantes. Il intervient moins dans les opérations de manutention des billettes, sauf si un problème surgit, c'est lui qui surveille la bonne température à l' en regardant les billettes, c'est lui qui est en contact avec le chef lamineur.

Le deuxième chauffeur supplée en son absence le premier chauffeur dans toutes ses tâches. Autrement, il est est surtout chargé du bon ordonnancement des billettes dans le four et commande les apprentis, surveille ou effectue toutes les opérations de nettoyage du four, de remise du charbon.

C'était soit le premier ou le deuxième chauffeur qui commençait la chauffe seul (une semaine sur deux) à trois heures du matin. Le but de cette opération était d'amener les billettes à température à 6 heures, heure de l'arrivée des lamineurs. Il décrassait d'abord le four, opération qui consistait à retirer les escarbilles (cendres), qui étaient ensuite mises au remblai par les man Il chargeait le four par les gueulards à partir du tas amené la veille par les manruvres (le charbon était entreposé à l'extérieur, il fallait qu'il fut un peu humide, cela procurait une meilleure combustion). Il chauffait ensuite le four à blanc, pendant une heure, et vers quatre heures trente, il enfournait les billettes par la première porte, puis par la deuxième, etc. . . (ceci avant que n'existe le poussoir mécanique du four).

Le troisième chauffeur ou apprenti effecmait lui toutes les opérations de manutention billettes chaudes, billettes à charger, charbon à amener près du four, etc., il peut à l'occasion être amené à effectuer des opérations du deuxième chauffeur.

"* La perte de spécificité du «métier» de chauffeur, le emplacement par la tâche de chauffeur

Dans la répartition des tâches de chauffage, il s'est donc produit, après la deuxième guerre, la même dé-hiérarchisation que dans les tâches de laminoirs et nous sommes passés progressivement à Syam d'un laminoir fortement hiérarchisé, déterminant un véritable parcours professionnel, à un laminoir où chacun, hormis le chef lamineur et l'usineur, pouvait, à tout moment, occuper ou exécuter toute tâche (15).

A partir de 1950, période où l'on chauffe encore au charbon, le premier et le deuxième chauffeur sont payés au même salaire. L'enjeu qui existait alors autour de la place de premier chauffeur, et l'importance de son «savoir-faire» dans le processus technique, semble ne plus être reconnu.

On peut penser que cela est dû à l'apparition de systèmes de mesure de plus en plus fiables, qui faisaient qu'on ne s'en remettait plus guère à l' du chauffeur pour juger de la température atteinte, à partir de la couleur du métal. Connaissance qui ne se remplace guère et qui s'apprend après de nombreuses années de pratique.

C'est aussi la période de la reconstruction industrielle de la France et celle où la métallurgie toume à plein. A Syam, comme ailleurs, on oriente la production vers la demande de l'industrie mécanique (automobile, machines agricoles) qui nécessite de grandes quantités de produits relativement simples. Syam produit des plats ou des profils simples : 41

«On pouvait travailler sur un montage pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois» (Jean Binétruy).

Ces qualités d'acier étaient aussi moins délicates à chauffer et donc d'autres ouvriers, parmi lesquels le deuxième chauffeur, et certains lamineurs, avaient acquis sinon une véritable techitique, au moins la possibilité de remplacer le chauffeur, sans que cela se sanctionne par une perte significative d'une part de la production, ou une baisse de qualité des produits finis. Ce qui semble à cette époque expliquer encore la plus forte rémunération des chauffeurs au regard des autres lamineurs, ce n'est plus une connaissance technique, mais plutôt un temps et des horaires de travail qui restent très pénibles.

«On commençait à 3 heures, il fallait qu'à 6 heures toutes les billettes soient prêtes, on se relayait, mais il n'était pas rare que le chauffeur ait à revenir vers 19 heures pour relancer le feu, pour qu'il ne s'éteigne pas dans la nuit» (M. Guillot, Syam, demier chauffeur au charbon de l'usine).

Les opérations de chauffe ont donc connu plusieurs changements dans le type de combustibles utilisés, si l'on excepte le passage du charbon de bois au charbon de terre, don til ne nous reste aucun témoignage, le passage du charbon au fuel en deux étapes (1953, 1962), puis le passage du fuel au gaz 1987, nous permettent d'observer que le changement de combustible (fait en vertu d'un progrès technique décidé par les directions de l'usine) est perçu par les ouvriers des Forges comme une perte de qualité du travail.

Les réticences expriment plus qu'une difficulté à maîtriser les nouvelles techniques mises en place par le changement de combustible, et suggèrent des enjeux particuliers.

Dans la technique de chauffage, la mmtrise du feu est en fait la maîtrise du combustible pour produire le feu, puis le contrôle de celui-ci pour produire la chaleur.

La seule explication technique n'est pas suffisante, les chauffeurs reconnaissent eux-mêmes, lorsqu'ils ne la demandent pas, la facilité d'emploi d'un combustible comme le fuel par rapport au charbon. Mais cette facilité d'emploi signe par là-même l'abandon de leur technicité acquise sur le charbon. Le passage du fuel au gaz ne pose pas le même problème, le contrôle du feu est déjà passé sous la coupe des électro-techniciens.

Les enjeux dans la maitrise du combustible peuvent apparaître comme dérisoires ou relever uniquement d'une logique culturelle : attachement à la matière, constitution d'une relation étroite qui est le ferment du «savoir-faire» qui déborde largement sur des aspects affectifs, constitution à partir de cette matière, de ce que la sociologie du travail appelle une «culture de métier».

En fait, dans cette question qui présuppose déjà celle des «savoir-faire», la disparition complète d'une technique de chauffe nous aide à percevoir, en comparaison à celle du laminage, que cette culture de métier dont nous parlons abondamment, repose clairement sur un geste technique d'abord ou sur un ensemble de gestes techniques (une séquence technique). Dans le cas du chauffage au charbon, ces gestes sont ceux attachés au feu lui-même et ceux attachés au parcours de la billette dans le four. Dans un cas comme dans l'autre, le «progrès technique» amène une simplification dans l'utilisation ou la manutention, mais il 42

est contestable qu'il apporte un progrès dans la technique elle-même. Les effets de facilité d'emploi et de maniement de la technique, ont finalement, pour les ouvriers eux-mêmes, compensé la perte d'identité professionnelle qu'ils avaient à subir.

On peut simplement dire pour conclure sur l'évolution du poste de chauffeur, que le passage du charbon au fuel a permis de réduire le personnel qui s'occupait de la chauffe, de sorte que là où une chauffe au charbon nécessitait 3 ou 4 personnes à plein temps (certains pouvant aider à d'autres tâches), la chauffe au fuel ne nécessite plus qu'une seule personne à plein temps ; le chauffeur actuel, dont nous allons parler et qui maîtrise une partie de la chaîne opératoire, en liaison avec la technique du laminage.

* La matière première chauffée : importance de la température, rôle du chauffeur

On peut citer une opposition fondamentale dans la vie générale des ouvriers de Syam entre le feu de la Forge et l'eau de la force motrice qui envahissait, aux périodes de crues ou qui manquait aux périodes de sécheresse, ce qui, en définitive, avait la même conséquence, c'est-à-dire l'arrêt de la production. On peut évoquer une autre opposition, toute aussi vécue par les ouvriers et leurs familles, c'est celle qui oppose le froid au chaud.

Pendant les hivers rudes, il est courant d'avoisiner les - 10° pendant plusieurs semaines et en tous cas les 0° pendant la plupart des trois mois d'hiver. Cette température règne aux Forges dans tous les ateliers, et celle-ci n'est pas sans poser aussi des problèmes techniques, car la barre, à cette température extérieure, se refroidit très vite.

La bonne température pour l'acier relevait justement de la tâche du chauffeur, quels que soient les moyens qu'il employa pour y arriver, les qualités d'acier reqiuèrent une température de chauffe précise.

La chauffe du métal prend de plus en plus une part importante suivant la diversification des alliages employés, et avant que des instruments de mesure puis de mesure/régulation ne fassent leur apparition. . .

La tâche du chauffeur au sein de la chaîne opératoire du laminage est essentielle, il existe en fait une étroite complémentarité et continuité entre sa part du travail et celle des lamineurs.

D'un point de vue géographique tout d'abord, le chauffeur occupe une place stratégique : il est au début de la chaîne opératoire du laminage, et il surveille le déroulement du laminage, ceci pour deux raisons :

- parce que son opération de sortie de la billette doit être absolument synchronisée avec l'emplacement de la barte qui se lamine, elle ne doit parvenir au dégrossisseur ni trop tôt ni trop tard (risque de «bourter» la machine ou risque de perte de temps de travail) ;

- parce qu'il a besoin de savoir si la billette qu'il a présentée au laminage est à la bonne température, ni trop chaude, ni trop froide (ce qui la rendrait, en fonction de la qualité de celle-ci, soit trop dure et donc augmenterait les risques de casse du cylindre ou tout au moins du manchon qui le protège soit pas assez chaude et impossible à laminer). 43

Le chauffeur, au début de la chaîne opératoire, se voit donc confier deux opérations essentielles qui se découpent en une série de séquences techniques : la surveillance constante du four, pour la bonne température, pour le bon parcours des billettes. La «bonne gestion» de ces deux éléments mêlés : parcours plus température pour artiver à un bon «désenfoumage» qui est un désenfournage à la température requise pour le métal.

Si la tâche du chauffeur n'est plus aussi complexe qu'elle le fut grâce à la facilité du contrôle du feu par les instmments de mesure, il n'en reste pas moins un élément essentiel du processus opératoire, pour le laminage.

Des exemples observés récemment laissent d'ailleurs à penser que la «bonne température» n'est pas toujours facile à obtenir, il arrive qu'une billette arrive trop chaude ou trop froide, c'est alors au laminage que les ouvriers s'en rendent compte, ceci malgré la précision hypothétique des instruments qui ont remplacé l' du chauffeur.

Photo n° 20 - Opération de désenfournage de la billette 44

Photo n° 21 - Celle-ci est mise sur le tapis

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Photo n° 22 - Celle-ci est envoyée par tapis mécanique au dégrossisseur (au fond) 45

NOTES

(1) Cette opération correspondait autrefois à une spécialisation qui requiérait un «tour de main». Le martelage des soies se faisant à l'aide d'un petit martinet, qui fut remplacé par une vibreuse, ce petit martinet nécessitait une tenue de la barre particulière qui constituait un tour de main, donc une certaine spécialisation.

(2) Mircea ELIADE, Forgerons et alchimistes.

(3) Ce vaste problème traversant l'ensemble des études sur les arts du feu en Franche-Comté, voir Distillation, C. Voisenat où, pour le même processus technique de distillerie, le problème de la maîtrise du feu est résolu de marùère opposée.

(4) Ce problème est moins évident dans la métallurgie où les opérations d'affinage et d'alliage sont indépendantes de celles du travail du fer, dans la poterie, par exemple N. Barbe, ce problème se pose plus étroitement

(5) Différence houille-coke, la houille servait à la chauffe proprement dite, le coke à la chauffe pour les soies.

(6) Pour cette période et celle antécédente, les archives privées sont inaccessibles.

(7) J.-M. Vuillemagne arrive de la vallée du Gier.

(8) 11 est difficile d'apprécier ces dires qui viennent évidemment d'anciens ouvriers, et font partie d'une stratégie classique : «ce qui était avant était de meilleure qualité». Outre la difficulté inhérente à une telle affirmation, étant donnée la part humaine qu'elle révèle et la difficulté à l'heure actuelle de trouver des chauffeurs au bois capables d'en apporter la contradiction.

(9) Ces réticences furent d'ailleurs une constante dans l'industrie sidérurgique du 19e siècle si on se réfère encore aux études historiques (Lemonier, 1983) à propos des procédés de chauffe à l'anglaise dans les hauts-fourneaux.

(10) On peut en effet diviser le savoir-faire et la technique du chauffeur en deux : celle nécessaire à la chauffre proprement dite du combustible, et celle nécessaire à la surveillance de l'action sur la matière (la température) ; cet aspect sera repris plus loin.

(11) Le jugement à l' fait partie du savoir-faire du chauffeur, il consiste en une appréciation sensitive de l'aspect extérieur du métal chauffé (couleur mais aussi odeur et d'autres éléments), qui permet de dire en fonction de la composition du métal à quelle température il se trouve.

(12) Nous appelons «main-d' de base» les postes de travail du laminoir excepté celui du chef lamineur, de l'usineur et du chauffeur, les conséquences de cette mobilité professionnenle surtout attirée par les Aciéries de seront développées plus loin. 46

(13) A ce sujet, il n'est pas inintéressant que les étireurs n'aient pas perçu ou ne se souviennent pas du problème.

(14) Mis à part le problème de l'étirage et de l'usinage des cylindres qui, apparemment nécessite un apprentissage de base en mécanique indispensable et échappe à ce type de parcours professionnel.

(15) Seul le poste de dégrossisseiu* échappe relativement à cette banalisation des tâches. 47

4 . La technique du petit laminage aux Forges de Syam

* Aspects techniques

La description précédente de la chitine opératoire du laminage appelle une explication et un développement de la technicité du laminage.

C'est en effet de cette techmcité que part le «savoir-faire» des lamineurs de Syam, il nous faut donc l'expliquer en détail afin de bien comprendre notamment le rôle joué par les profils déjà produits, et donc la nécessité d'une longue communauté de vie professionnelle entie le chef lamineur et son outil de travail, le laminoir.

Les opérations décrites de réglage et d'usinage sont en fait des opérations complémentaires, non simultanées dans le temps, mais inclues dans la chaîne opératoire dans son «indissociabilité». Elles constiment les séquences techniques stratégiques qui précèdent l'action de laminage (1).

Dans sa continuité, l'action de laminage part de l'introduction de la billette dans lé four et finit à la demière passe du finissoir. En fait, cette action continue peut se décomposer selon différentes séquences techiüques enchaînées à savoir :

1 . introduction de la billette dans le four 2. parcours dans le four (chauffe) 3. sortie du four 4 . parcours du four au dégrossis (1ère passe) 5. passes de dégrossis 6. passes de carré 7 . passes d'avant 8. passe(s) de refoulage 9 . passe de finissage lO.refroidissoir.

Ces opérations successives cortespondent à un ensemble de séquences techniques telles qu'elles sont visibles dans une continuité gestuelle. C'est l'action de laminage à ne pas confrondre avec la chaîne opératoire cohérente de laminage qui comprend donc, en plus, les opérations de réglage et d'usinage des cylindres (2).

Pour ce qui conceme l'action de laminage, à chaque opération détaillée cortespondait auparavant un poste de travail, si l'on ajoute celui d'aide : avioteur (3).

Ces opérations ne sont en fait que l'application méthodique d'un travail, mais elles ne contiennent en elles mêmes aucune spécificité. Quel que soit le profil produit, qu'il soit simple ou complexe, elles restent les mêmes. Introduire une barre au laminage, c'est faire toujours le même geste technique, qui ne nécessite pas un «savoir-faire», mais plutôt ce que nous appellerons un «tour de main» (4). Mais ces opérations sont incompréhensibles si l'on n'y inclut pas celles qui préparent à cet ensemble de gestes, et qui sont les opérations d'usinage ou de toumage des cylindres faites par le toumeur de cylindre (photos du tour de cylindre et de traçage de canelure n° 22, 23) et celles de réglages des cylindres après leur montage, opérations sous le contrôle du chef lamineur. 48

Photo n° 22bis - Prise de cote et usinage d'un cylindre

Photo n° 23 - Usinage d'un cylindre 49

Photo n° 24 - Démontage des cylindres

Photo n° 25 - Montage des «entre cylindres» 50

Photo n° 26 - Réglage des hauteurs des cylindres par le chef lamineur 51

Ces opérations sont essentielles puisque ce sont elles qui déterminent la forme du profil, ce sont en fait les opérations de conception.

* Comment se fait la détermination du laminage ?

A l'étude de la commande, le chef lamineur et le toumeur de cylindres cherchent à déterminer comment il est possible de produire ce type de profil en un minimum de passes, et avec quels types de canelures.

Le commercial ou le directeur leur donne une description avec des cotes précises. Le toumeur fait un croquis aux cotes (photocopie d'un de ceux-ci), à partir de ce projet, le chef lamineur et lui cherchent un produit déjà laminé s'y rapprochant (photo n° 28). Ils se réfèrent à l'ensemble constituant cet ancien modèle (c'est-à-dire modèle -i- dessins -t- passes) pour concevoir à partir de cet ensemble, à la fois un dessin de canelures et un plan de passes (appelé la descente du laminage (photo n° 27).

Cette perspective se fait donc essentiellement à partir de séquences techniques déjà réalisées et qui sont modifiées. Sans cette accumulation de profils déjà effectués, la plupart des profils actuels serait impossible à faire.

Une fois les canelures dessinées par le toumeur, elles sont usinées par celui-ci sur un cylindre vierge (photo n° 31. Planche 1 d'un cylindre vierge et d'un toumage de canelure). Ce n'est qu'une fois que le cylindre est usiné qu'il est ensitite monté sur le laminoir et que la machine est réglée par le chef lamineur grâce aux différents points de réglage (assiettes : photos et écrous photo dessin en coupe Figure 1).

* Les gestes techniques

Selon les définitions proposées, un ensemble de gestes techniques constitue une séquence technique. On peut décomposer les gestes techniques du laminage en gestes techniques simples et complexes.

Les gestes techniques simples sont ceux qui sont acquis généralement après quelques semaines de travail, et ne requièrent pas une technicité importante, ils constituent en fait ce que nous avons appelé l'action de laminage. Ces gestes, pour spectaculaires qu'ils soient sont généralement répétitifs et demandent simplement d'être synchronisés, mais ne requièrent pas de conceptions générales de la part des ouvriers. Ils sont en fait souvent opérés par des machines dans les grands laminoirs.

La plupart des lamineurs ont en fait le même geste à opérer, qui est celui simple de présenter la barte aux canelures pour leur laminage (photo n° 29), ce geste technique demande que soit maîtrisée une technique corporelle.

Pour enfiler il faut se servir du corps comme levier, pousser la barre, et en même temps relâcher celle-ci (photo n° 30).

La difficulté du geste technique d'introduire une barte au laminage est justement celle de trouver ce mouvement de levier du corps, qui permet d'introduire la billette, et surtout, en même temps que l'on pousse celle-ci, de la lâcher en ouvrant les pinces. 52

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Photo n° 27 - Chef lamineur et cylindreur au travail

Photo n" 28 - Recherche d'un profil déjà produit «approchant» 53

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Plan de coupe du finisseur vu de la table du chef lamineur 54

Photo n° 29 - Un geste technique de laminage

Photo n° 30 - Enfiler et relâcher 55

Photo n° 31 - Divers types de pinces

Photo n° 32 - Montage d'un cylindre 56

Ce mouvement de poussée et d'ouverture est contradictoire. Pour qui a essayé au moins une fois, le réflexe est plutôt de serter les pinces, ce qui a pour conséquence de laminer les pinces avec la barte. L'outil principal du lamineur est la pince. Il en existe plusieurs formes (photo n° 31), coquilles pour le dégrossis, fines pour les autres opérations, qui permettent de s'adapter aux formes successives prises par la barre, c'est-à-dire de plus en plus fines et alongées.

Nous voyons que la technique du lamineur n'est pas caractérisée par un grand savoir-faire, mais plutôt par un tour de main qu'il lui faut acquérir (5). Cette simation ne manque pas de venir en contradiction, certaines remarques qui seront faites au cours du chapitre suivant ; puisque c'est malgré tout au cours de sa vie professionnelle de lamineur, que le ftitur chef lamineur va apprendre son métier.

Au plan technique, on peut dire qu'il y a non continuité apparentre entre l'exécution de gestes techniques simples et celle de gestes techniques complexes.

Les gestes techniques complexes, quant à eux, sont exécutés par trois personnes : le chef lamineur, le toumeur, le chauffeiu". Nous avons déjà évoqué le cas de ce demier. Pour ce qui conceme l'usineur, sa technicité et ses gestes se consistent à la conception et à la réalisation de la canelure. Son «savoir-faire» n'est pas dans l'exécution de celle-ci, qui poiurait être confiée à n'importe quel toumeur (photo n° 22), niais dans la conception qu'il réalise avec le chef lamineur. le savoir-faire du toumeur est lui aussi acquis à l'expérience des canelures déjà réalisées, mais il consiste en une «tournure d'esprit» qui lui fait envisager les évolutions en trois dimensions du profilé, et fait appel à des techniques de dessin industriel apprises à l'école.

Le cas du chef lamineur eát lui plus complexe. C'est en fait lui qui est à tous les échelons de réalisation du profilé. Et tout d'abord, comme nous l'avons précisé à la conception ; or, il faut bien dire que cette conception, qui est en fait la détermination des canelures et des passes qui vont s'y réaliser, est loin d'être totalement maîtrisée, et de présenter toutes les garanties de l'obtention du «bon profilé».

n apparaît en fait, aux dires des lamineurs eux-mêmes et de la direction, que des profilés, dont les canelures ont été conçues et réalisées dans les règles de l'art sont quelquefois obtenues finalement par tâtonnement.

Après réalisation des canelures, les cylindres sont en effet montés sur les bâtis et commencent les séances d'essais/réglages (photo n° 32).

Au cours de ces séances, plusieurs billettes sont laminées successivement et soigneusement mesurées après chaque passe. En fonction des résultats de ces mesures, le chef lamineur retouche ses réglages primitifs, jusqu'à ce qu'il obtienne des mesures «tolerables».

C'est au cours de ces séances qu'intervient tout le «savoir-faire» du chef lamineur. D'abord dans le réglage où la connaissance de la machine est essentielle, car dans les tolérances travaillées, il faut savoir précisément d'où vient le problème. Faut-il jouer sur l'assiette de réglage ou sur l'écrou ? Monter ou descendre le cylindre et de combien de centimètres ou de millimètres ?

Le chef lamineur a affaire à une vieille machine pleine de tics, de défauts, d'imprécisions. Ces interventions, il les a acquises au contact de celle-ci, et nul 57

doute qu'elles ne seraient plus valables sur une autre machine. De la même manière, ces réglages semblent souvent inexplicables, ou veulent-ils le rester ? En tous cas, le chef lamineur, à la mesure de la barte, sait qu'il faut intervenir sur tel élément de la machine, sans qu'il soit capable de l'expliquer. Sa connaissance, très souvent non écrite (6), est complètement liée à l'expériences de plusieurs années avec la machine et à ce qu'il a fait sur des profils précédents et semblables, de sorte qu'il ne peut souvent pas expliquer pourquoi il intervient de telle façon.

Mais, malgré son expérience et sa connaissance, malgré le stock de profils de référence déjà produits, les réglages et le bon usinage des cylindres, parfois la barre n'arrive pas à sortir comme il le faudrait. Plusieurs fois le cas s'est produit qu'une erreur de passe, ou bien qu'une tentative de passe non prévue au départ produise le bon profil.

La technique du petit laminage serait-elle à ce point empirique, que par quelque effet de caractère, elle échappe certaines fois à la maîtrise des techniciens des Forges de Syam ? Le domaine de celle-ci n'ayant pas appelé de tentative de rationalisation, le cadre empirique de sauvegarde de la technique est-il resté, et contribue-t-il à donner à la technique ce caractère aléatoire ?

Bref, est-ce un problème inhérent à la technique, comme le pensent les lamineurs eux-mêmes ? Ou est-ce simplement un problème d'insuffisance de recherche dans le domaine de la rationalisation de cette techitique ?

Nous nous trouvons devant un exemple de technique empirique, qui offre un résultat tout en semblant n'être pas tout à fait maîtrisée. Et n'est-ce pas justement les conditions mêmes de son empirisme qui ont permis qu'elle reste concurrentielle au plan économique, plutôt que sa rationalisation qui aurait nécessité des sommes importantes dépensées en engineering ? 58

NOTES

(1) Nous entendons par stratégiques, les opérations (séquences techniques) ayant un rôle-clef dans l'ensemble de la chaîne opératoire, il convient donc dans cette émde de s'interroger de manière préférentielle sur ces opérations. Voir à ce sujet, LEMONIER, p. 1 10, in Technique et Culture (1970). Selon sa définition, le chauffage serait qualifié de tâche stratégique complexe. Voir aussi C. BROMBERGER, «Enquête technologique et technologie des techniques», in Ethnologie et Technique (à paraître sur ce même sujet).

(2) Seules les opérations de cisaillage, qui consistent à débiter les billettes à leur arrivée en section de 80 cm ne figurent pas dans cette description de la chaîne opératoire. Elles ne sont pas spécifiques, pourraient s'effectuer à n'importe quel moment et en n'importe quel endroit. Elles n'infèrent pas dans le processus de production des Forges de Syam.

(3) Voir chapitre suivant et glossaire.

(4) Qui peut se résumer à la maîtrise par un individu du geste technique adéquat à la place qu'il occupe dans le procès de production, voir définition, p. ?

(5) Il exécute ce que Maget (1962, p. 42) nomme opération élémentaire qui se caractérise par «des séquences homogènes et rythmées composées d'une série de mêmes gestes».

(6) Voir à ce sujet l'anecdote sur le remplacement de Jean Binéoiiy et le système de notation des lamineurs. 59

Aspects sociaux du travail au laminoir des Forges de Syam

* Les postes de travail

On peut dire que dans la chaîne opératoire décrite, l'ensemble des séquences techniques correspondent chacune à un poste de travail, la succession de ces postes de travail définissant un parcours professionnel au sein de l'entreprise, selon une certaine hiérarchie.

n faut entendre par le terme hiérarchie non pas à proprement parler un pouvoir des individus occupant les postes supérieurs, mais plutôt que les différents postes de travail occupés le sont suivant un ordre hiérarchiquement défini, qui se concrétise par l'exécution d'un geste technique différent, généralement plus complexe et plus stratégique selon l'expression que nous avons déjà employée.

Le poste supérieur correspondant généralement à un sniveau de rémunération horaire supérieur.

L'autorité dans le laminoir est détenue par le chef lamineur ou en son absence par le premier lamineur. Les postes de travail se répartissent comme suit :

1. apprenti ou man 2. avioteur 3 . lamineur à l'avant 4. refouleur (qui est son vis-à-vis) 5. dégrossisseur 6. finisseur ou premier lamineur 7. chef lamineur

Dans la succession de ces postes s'établit le parcours optimal type, tel que nous avons pu le reconstituer aux Forges de Syam, et tel qu'il s'exerçait jusqu'après la seconde guerre mondiale.

Suivant ce que nous avons dit précédemment sur le chauffeur, il faut ajouter son poste qui obéissait à une logique propre que nous avons détaillée, cette tâche étant maintenant remplie par un lamineur.

De même, la séquence terminale de refroidissement de la barre, qui est automatisée, cortespondait auparavant à un poste de travail : le redresseur à la plaque. Ce poste consistait à toumer les bartes laminées afin qu'elles refroidissent droites, il était réservé à un vieux lamineur.

Les postes de travail tels qu'ils sont définis restent les mêmes à l'heure actuelle, sinon que le finisseur n'est plus nécessairement le premier lamineur, c'est-à-dire celui qui succédait au chef lamineur, son suppléant.

La tâche d'enfiler la barre dans le finisseur est confiée à n'importe quel lamineur. Ce poste était auparavant une tâche privilégiée dans le parcours professionnel à Syam, le premier lamineur ne participait pas par exemple aux tâches communes de manutention qui, parfois, interrompaient le travail (1).

Cette véritable prérogative, au regard des autres lamineurs, était due au fait qu'il était presque considéré comme le chef lamineur. C'est à lui que revenait «l'honneur», tout symbolique, de faire la demière passe, alors que cette passe ne 60

requiert pas, en elle-même, une grande technicité. Les postes de dégrossisseurs ont eux gardé leur originalité, car ils réclament toujours une grande force physique.

* L'embauche

L'embauche se faisait en fonction des variations de l'emploi (départs ou commandes importantes), l'usine n'ayant d'ailleurs jamais compté un effectif de plus de 45 personnes. Ainsi, un fils de lamineur pouvait attendre des années avant d'être embauché, si la période n'était pas favorable, alors qu'un étranger, arrivé en pleine période de travail, pouvait être embauché sur le champ.

* Les types d'ouvriers

n existait aux Forges de Syam plusieurs statuts d'ouvriers, ce qui favorisa une souplesse dans l'embauche et la débauche du personnel, en fonction des commandes et des périodes.

Le corps le plus important était constitué par ce que nous nommerons les ouvriers de métier. Ils logeaient généralement aux Forges avec leur famille, et leur activité était essentiellement métallurgique, même s'ils pouvaient avoir des activités de complément, lors des périodes difficiles de chômage technique, et de façon permanente pour améliorer l'ordinaire.

Ces activités se résumaient au jardinage, pêche pour la revente à des restaurateurs, coupe de bois pour le château par exemple, voire à de menus travaux agricoles saisonniers (foins) (2).

La deuxième catégorie d'ouvriers était celle des ouvriers que l'on pourtait qualifier de saisonniers. C'était pour la plupart des agriculteurs/éleveurs de petite exploitation, ils venaient chercher l'hiver, un complément d'activité, qui leur permettait d'améliorer le quotidien (3).

Ces ouvriers habitaient soit au village, soit dans des fermes des communes avoisinantes. Ce type d'ouvriers disparut progressivement à partir de 1945, en fonction de la baisse de la production ; vers 1957, il n'en existait plus du tout. Il n'ont jamais représenté plus de 5 à 8 % des effectifs totaux, mais fournirent toujours une main-d' d'appoint, qui pouvait le cas échéant se transformer en main-d'iuvre définitive, au gré des difficultés agricoles.

De cette deuxième catégorie sont souvent issus des ouvriers de la première catégorie qui se «prolétarisèrent» et s'installèrent dans le métier de lamineur, en fonction de la possibilité d'embauché de plusieurs membres de la famille. Les Forges de Syam jouèrent un rôle de passage de l'état d'agriculteurs à celui d'ouvriers, notamment pour bon nombre de parents ou d'ouvriers anciens qui sont aujourd'hui des ouvriers des Aciéries de Champagnole (4).

On peut évaluer à une vingtaine de ménages ruraux ceux qui passèrent par les Forges de Syam, pour entrer ensuite dans le monde ouvrier.

On peut aussi constituer une dernière catégorie d'ouvriers qui constituait l'ossature historique du travail puis du développement du savoir-faire, ce sont les ouvriers spécialisés, qui vinrent de régions de fort développement métallurgique.

On garde principalement en mémoire le nom de deux d'entre eux qui ont déjà été évoqués J.-M. Vuillemagne et E. Brossy (5). 61

Parcours professionnel du lamineur au sein de l'entreprise

'* L'apprenti

On commençait à travailler à Syam comme manuuvre. On pouvait être un jeune mannuvre (14 ans), c'est-à-dire en fait ce que nous nommons un apprenti, ou un manduvre ancien, c'est-à-dire, soit un vieux près de la retraite (il faudrait plutôt dire cessation d'activité), soit un paysan embauché périodiquement

Ces mêmes statuts ne représentaient pas les mêmes tâches. Les anciens qui devenaient manpuvres, comme le père de M. Binétruy, avaient eu un parcours professionnel inteme, mais du fait de leur âge, ils ne pouvaient plus occuper leur place habituelle au laminoir. Ils avaient alors un certain nombre d'emplois «réservés», tels que celui de redresseur à la plaque, mais ils pouvaient aussi être employés à des tâches de manutention générale, qui ne requiéraient pas l'emploi d'une grande force physique.

Les tiravailleurs saisonniers venant de l'agriculture, n'avaient eux pas le même intérêt, ils n'étaient là que quelque temps, pour gagner quelques sous. Ds ne faisaient pas vraiment partie du monde des Forges.

Le jeune manduvre, quant à lui, venait apprendre, et de ce fait, il était à la fois «integrable» au monde des Forges (ni dehors, ni sortant), et dangereux car, à terme, il risquait de prendre votre place.

Cette ambiguïté de la place du jeune manvuvre/apprenti faisait qu'il avait à subir une sorte de bizutage, notamment avec l'alcool, et en lui faisant effectuer les tâches les plus rebutantes. Ce bizutage s'apparente bien sûr à des rites de passage, qui durent toute la période de manruvre (5).

L'absorption d'alcool aux Forges de Syam joue de ce point de vue un rôle important, comme il semble que ce fut le cas dans beaucoup de travaux de force, dans l'industrie métallurgique en général, mais aussi minière (6).

Le système de bizutage, même s'il ne porte pas ce nom à Syam, est un élément essentiel de l'apprentissage, notamment vis-à-vis de l'alcool : prendre «sa cuite» ? ou bien résister à l'alcool ? Là ne se situe pas la question essentielle de cette période test, il s'agissait plutôt de faire «bonne figure», d'être «acceptant» de ce rite, car on ne vous jugeait pas sur votre capacité face à l'alcool, mais plutôt sur votre possibilité à accepter les commandements rituels de la situation d'apprenti (7).

«Un bon apprenti c'était celui qui savait fermer sa gueule, faire ce qu'on lui demandait et en même temps apprendre».

Si l'on parle de cette période, souvent avec un relent de nostalgie, c'est, entre autre, parce que traverser ces épreuves (et le système d'apprentissage tout entier en constituait une bien réelle et pénible, ce qui était la condition même de son opérativité), c'était l'assurance d'accéder au statut d'homme, avec toutes les valeurs y afférant

Ce rite de passage que constitue la période de man s'applique à des jeunes hommes, à l'exclusion de toute autre population travaillant à l'usine (population féminine ou d'origine agricole) (8). 62

Le fait «d'en faire baver» est la marque d'un intérêt. Les gens qui vous en font baver n'ont pas subi le même sort ? Et n'est-ce pas le sort réservé aux jeunes ?

Les autres populations ne seront jamais pareillement intégrées, le passage sous les fourches caudines de l'apprentissage, garantit votre acceptation pleine et entière dans le monde ouvrier.

En même temps que déjuger vos capacités à être commandé, cette période a pour fonction de faire adopter au jeune récipiendaire les manières, le langage, les valeurs et les signes de ce qui fait un ouvrier lamineur, bref ce que l'on nomme une culture de métier.

L'ouvrier occasionnel du monde rural pouvait tout aussi bien le rester tout au cours de son travail intermittant aux Forges, ou, en tous cas, ne pas accéder au-delà du poste de lamineur à la cage avant ou refouleur. Il n'était jamais intégré aux ouvriers, et n'accéderait jamais à un statut élevé dans le monde des Forges.

On se méfiait donc plus des apprentis que des paysans saisonniers, qui ne seront eux jamais intégrés. Il faudra la génération du fils s'ils veulent faire partie de la «communauté» des lamineurs (9).

Parmi les apprentis, les jeunes fils de lamineurs avaient l'avantage sur les jeunes d'origine rurale d'avoir côtoyé le laminoir.

«Quand on était gamin on jouait souvent dans l'usine et les anciens nous appelaient en cachette, ils nous donnaient des pinces et nous faisaient toumer les billettes» (Jean Binétmy).

Malgré ce jeu, les enfants de lamineurs étaient consiérés comme des individus qui pouvaient un jour vous prendre votre place, aussi se gardait-on de leur apprendre quoi que ce soit

«On apprenait quand les anciens avaient le dos toumé, on essayait d'enfiler la barre dans le cylindre» (Jean Binétmy).

L'apprentissage se présente sous la forme d'un vol, le rôle de l'apprenti consistait à observer et donc à savoir comment le lamineur faisait. Lors d'une absence, le jeune pouvait être appelé à enfiler les bartes, sans apparemment que l'on se soit soucié de lui apprendre.

Les «anciens» étaient-ils vraiment dupes de ce système d'essai, lorsqu'ils avaient le dos toumé ? Ce système ne s'apparente-t-il pas à ce que d'autres métiers connaissaient aussi en matière d'enseignement sur le tas ?

Si lejeune apprenti, qui était déjà passé aide, c'est-à-dire avioteur, ou porteur de barres, réussissait à enfiler cortectement, il avait en quelque sorte réussi son examen de passage et il poiurait être désigné comme lamineur (à la cage avant ou refouleur), lorsqu'un poste se libérait. 63

"' Qui était choisi, sur quels critères ?

Le discours tenu sur la possibilité des uns ou des autres à effecmer ce travail est très intéressant à examiner. Il développe ce que nous nommerons une «idéologie du don» (11), qui est chargée d'expliquer pourquoi certains réussissent et pourquoi d'autres échouent et ceci à tous les niveaux de la pyramide.

En effet, au stade de l'apprentissage ou du maneuvre, l'accession à un poste de travail est commandée par une observation de l'endroit où l'ouvrier est le plus à l'aise, où «il colle le mieux» au travail demandé.

L'exemple d'Antoine Vuillemagne, dont le père A.M. était chauffeur, est significatif de ce point de vue là. Il est entré comme apprenti et aurait logiquement dû apprendre avec son père et devenir chauffeur, mais il essaya et ni le chauffage ni le laminage ne lui convinrent

«Je n'aimais pas le travail à la chaleur» nous dit-il.

M. Vuillemagne, peu prolixe en parole, cortespond plutôt au type de travail solitaire du redresseur, ce qu'il fit pendant plus de 30 ans. Pour aimer le travail du laminoir, il faut aimer travailler en équipe et les contacts et surtout ne pas être dérangé par la chaleur. Ainsi donc l'apprenti comme le mannuvre choisissaient leur spécialisation en fonction de leurs prédispositions, et alors ils étaient dits "plus ou moins doués".

«Ça n'a l'air de rien, mais pour enfiler la barre, il faut avoir le coup de main, c'est pas tout le monde et faut être résistant» (J. Binétmy).

Le travail de laminoir apparaît au départ comme un travail de résistance et de force, ce qu'il est certainement, mais ce qui n'a que peu de chose à voir avec les qualités requises ensuite pour être chef lamineur.

Pourtant, le parcours type à Syam a été celui là pour l'ensemble des chefs lamineurs et ceux qui n'avaient pas subi ce système inteme furent écartés. 64

NOTES

(1) Par exemple, avant l'arrivée du Fenwick aux Forges, il fallait une main-d'nuvre important, plusieurs personnes pour amener le chariot de billettes de plusieurs tonnes au four. Le deuxième chauffeur criait alors «au wagon» et les lamineurs allaient tous pousser le lourd chargement interrompant leurs activités. Le premier lamineur était dispensé de cette tâche.

(2) La part que prit cette activité de complément dans l'économie du ménage est difficile à évaluer précisément Si l'on en croit les ménages ouvriers qui vécurent cette période, elle pouvait représenter dans les périodes de chômage technique, des ressources permettant l'auto-subsistance complète du ménage à partir des produits cultivés ou vendus. S'il est possible pendant quelques mois qu'il en fut ainsi, il paraît en tous cas plus probable que ce fut une activité de complément très appréciable mais qu'il est difficile, faute d'une étude spécifique d'évaluer justement.

(3) Nous disons bien un complément d'activité car leur travail aux Forges ne les pas dispensaient de continuer à soigner leur troupeau le matin avant l'usine et le soir au retour de la Forge.

(4) On peut citer les familles Prost, Courvoisier, Pyanet, Vasselet, Chauvin qui venaient du village de Crans mais aussi Moutenet, Bessard, Les Moynes Mathieu qui venaient elles de Bourg-de-.

(5) Il existait une catégorie d'employés des Forges spécialisés dans des activités périphériques, dont nous ne nous occuperons pas dans cette étude, il s'agit des menuisiers et des charroyeurs.

(6) Une ethnologie systématique des rites de passage, dans le monde industriel serait nécessaire.

(7) On raconte facilement à ce propos des «histoires» sur les anciens ouvriers, dont un «buvait jusqu'à douze litres de vin par jour». Ces histoires sont à la fois mêlées de désaprobation et d'un peu d'admiration «malgré cela il tenait, et il est mort à quatre-vingt ans».

(8) On pourtait continuer plus à fond cette analyse de la place de l'alcool et ainsi produire certainement une anthropologie intéressante de son rôle dans le milieu industriel, mais là n'est pas le propos de cette étude.

(9) Rappelons au sujet des femmes qu'elles furent la principale main-d' de la clouterie, qui dispamt à la veille de la première guerre (Lescalier).

(10) Op. cit (5).

(11) Cet aspect sera repris et développé p. ? sur les «savoir-faire». 65

«Etre lamineur» : de l'apprenti au chef lamineur

Le parcours professionnel tel que nous le reconstituons aux Forges de Syam ne lasse pas de nous étonner. De notre point de vue d'observateur extérieur, rien ne semble plus incompréhensible que ce qui appanût comme de véritables raptures entre les tâches des uns et des autres. Rien ne nous apparaît moins comme une continuité, que le passage de l'état d'apprenti avec les tâches y afférant à l'état de lamineur, puis de l'état de lamineur à celui de chef lamineur.

Certes, comme nous l'avons dit, tous les lamineurs ne réalisent pas ce parcours professionnel de manière optimale, mais en tous cas, tous les chefs lamineurs qui ont gardé ce poste, i'ont effectué comme tel, qu'il s'agisse de Jean Binétmy, de Deniset ou de Jhilal.

Ainsi, avant de s'intertoger sur le rôle du chef lamineur et leur succession à Syam, doit-on s'intertoger globalement sur ce qui forme le système d'apprentissage aux Forges de Syam.

L'état d'apprenti est un état apparemment sans initiative et sans apprentissage réel, nous l'avons vu. Tous les lamineurs relatent la même expérience : «on nous disait rien, fallait regarder et faire».

On peut en effet mettre l'accent, comme l'on fait avant nous Jorion et Delbos (1), sur le côté expérimental de ce qui apparaît comme l'apprentissage tel qu'il se pratique hors école. Ce système d'apprentissage est bien décrit par ces auteurs lorsqu'ils parlent «d'apprentissage par frayage».

«Le frayage, c'est la répétition, c'est à force. A force de forger qu'on devient forgeron. Le frayage c'est aussi le raccourci, la découverte des chemins les plus courts. L'expérience est ainsi expérimentale : il faut retravailler les intuitions premières, les plier aux vérités qui s'imposent, éliminer les solutions provisoires» (Jorion-Delbos, 1984, p. 33).

On ne peut que s'étonner à l'heure actuelle de ce système qui contredit tout ce que nous mettons en place au point de vue pédagogique, justement pour transmettre du «savoir» (3). Mais le «savoir-faire», le «know how» anglais ne s'apprend pas théoriquement, il s'apprend en simation, concrètement.

Si les anciens ouvriers ne prennent pas la peine de montrer aux nouveaux, bref de transmettre au moins les principes de base, c'est pour deux raisons. Celle que nous avons évoquée précédemment, qui voulait qu'à une certaine époque, il fallait mieux garder son travail et quelle meilleure manière de garder son travail que d'être le seul à pouvoir l'effectuer ?

Pour cela il fallait limiter au maximum l'accession des autres à sa qualification, à son «savoir-faire». Ne pas leur montrer «comment faire». Cette réticence des vieux à montrer n'était pas particulière aux Forges de Syam, I. Lauzier, dans un article pam dans Terrain, n° 6, nous nane que chez les taillandiers de la Fure, les vieux allaient même jusqu'à montrer le contraire (p. 60).

Autre raison, moins réaliste mais tout aussi «explicative» : le «système» lui-même, sa ritualisation que nous avons déjà évoquée au sujet de l'alcool. Les anciens ouvriers ont eux-mêmes connu ce système de mise au travail (nous préférons presque ce terme à celui d'apprentissage, dans ce cas), et ils perpétuent donc celui-ci, en l'appliquant aux jeunes comme il leur avait été appliqué. 66

Ce système nous paraît aujourd'hui exigeant et peut-être injuste, surtout au regard d'une pédagogie qui se veut de plus en plus «aidante» et attentive (au moins en discours) à ne pas provoquer l'échec. Mais tout porte à croire qu'il ne fut pas aussi difficile à vivre que les anciens lamineurs le disent Dans toute mémoire orale, qui plus est, lorsqu'il s'agit de sa propre vie, s'immisce une certaine exagération, qui peut se résumer par la phrase :

«De mon temps, c'était pas comme maintenant, c'était plus difficile, on travaillait plus dur».

Phrase qui n'appartient en propre à personne tellement nous l'avons entendue au cours de l'enquête. Il est vrai que les conditions de travail et de vie étaient plus difficiles aux Forges pendant tout ce siècle que maintenant Mais il est vrai aussi qu'une réelle solidarité professionnelle, qu'une vie sociale riche en moments de fêtes, atténuaient largement les aspects qui nous semblent aujourd'hui difficile de la vie aux Forges.

Au plan de la vie professionnelle par exemple, les mêmes ouvriers qui soulignent ce système d'apprentissage «sans qu'on vous montre rien», sont capables, au cours du même entretien, de se remémorer des «bons moments» du travail et d'insister sur la solidarité ouvrière dans le travail, voire sur le fait que : «pendant les poses, on prenait du bon temps, on allait pêcher ou on allait au café», regrettant par là même la perte de cette vie ouvrière particulière et pleine.

Ce qu'on peut dire simplement, c'est que le système d'apprentissage mettait l'accent sur des points essentiels de la pratique déjà observés ailleurs :

«... tout ce qu'il y a à savoir ne se transmet pas : ce qu'implique la notion même d"'expérience" comme source du savoir personnel et privé» (op. cit., p. 32).

On laissait l'apprenti faire son expérience, parce que rien ne remplace celle-ci. Les lamineurs le jugeaient sur les résultats techniques de cette expérience, qu'il devait faire seul, mais à la différence d'autres métiers, c'est aussi sur ses capacités à travailler en équipe, à s'insérer dans le groupe que le jeune apprenti était évalué.

Cette expérience personnelle se déroule donc en s'adaptant au rythme de l'équipe, elle n'est donc pas si personnelle que cela. Elle est plutôt une expérience propre à chacun (le terme personnel sous-entendant par trop qu'elle se fait en dehors du groupe). Hors, c'est bien par rapport au groupe et dans une adaptation à celui-ci, que se constitue l'expérience de chaque apprenti.

Le geste technique s'insérant dans une continuité de gestes techniques qui forment une séquence technique.

Ainsi, la première tâche de l'apprenti, c'est d'être avioteur, et d'apprendre à synchroniser son geste avec celui du lamineur au carré, avant que d'avoir lui-même à enfiler la barre, c'est-à-dire devenir lamineur.

Ce geste d'enfiler demandant une synchronisation avec le geste technique du lamineur qui se trouve de l'autre côté du laminoir et qui «renvoie» la barre. 67

Le jeune apprenti n'a, au moment où il va laminer sa première barre, acquis de synchronisation que dans d'autres domaines du laminoir, il n'a jamais lanüné ou alors en cachette. Son rythme de travail et son adaptation au geste technique, il l'a donc acquis au cours de son travail de maneuvre et il se trouve ainsi «plongé dans le bain» sans plus d'autres préparations.

«Quand fallait y aller, fallait y aller, je vous jure que le jour où il fallait laminer pour la première fois, que vous étiez dans l'équipe, vous en meniez pas large... et puis en fait ça se passait bien, vous aviez vu faire tellement de fois que ça venait tout seul, comme si vous aviez toujours su. Le laminage c'est pas compliqué» (J. Binétruy).

Le rythme de travail est alors essentiel pour se fondre dans le groupe. Ce rythme s'acquiert en situation, mais il est déjà mémorisé par le jeune apprenti (4). C'est le sens du frayage, même si celui-ci ne comporte pas de phases d'apprentissage du geste. Le geste technique paraît alors inné de toute évidence.

'* Le problème de la transmission familiale

Au-delà des problèmes cités de non transmission ou, si l'on préfère, de transmission déguisée, on ne peut pas ne pas se poser le problème de la transmission intra-familiale aux Forges de Syam.

En effet, une certaine logique familiale veut que s'exerce généralement au sein de la lignée ou des associés à celle-ci, un transfert des connaissances, qui est en fait une garantie sociale. Car le fils ou le beau-fils garde toujours un devoir de solidarité envers le père vieillissant, et que le meilleur moyen de voir cette solidarité s'exprimer au mieux économiquement, c'est de permettre à celui qui devra l'exercer, d'acquérir un maximum de qualification, ce qui est synonyme d'un emploi mieux rémunéré.

Dans ce cadre, on peut s'étonner, aux Forges de Syam, que le fils ne reprenne pas quasi systématiquement la place du père. Le grand-père de Monsieur Binétmy était chauffeur, son père lamineur, le père de Monsieur Vuillemagne était chauffeur, son fils fut redresseur.

La place de chauffeur étant une place mieux rémunérée, il est surprenant que la stratégie familiale ne presse pas le fils à reprendre les qualifications du père et le père à expliquer son «savoir-faire» au fils, et ce au-delà des pâles contingences de choix professionnels personnels, dont nous avons parlé au chapitre de l'apprenti.

En fait, ces cas masquent une réalité de succession difficile : seul le poste de chef lamineur s'offre à une tentative de succession de ce type.

Dans la réalité, le rêve des parents ouvriers des Forges de Syam n'était pas de voir leurs enfants travailler aux Forges, étant donnée la précarité du travail de lamineur. Si les enfants y travaillaient, c'était pour, pendant un temps, s'assurer un revenu, mais jamais un travail.

Cet état de fait explique aussi pour partie la véritable fuite des lamineurs vers d'autres usines dès qu'ils avaient acquis une qualification de lamineur. Nombre de ceux-ci partirent-ils entre 1945 et 1970 aux Forges de Champagnole, plus grosse entreprise qui offrait de meilleurs salaires et une plus grande sécurité d'emploi. Cette société accueillait d'ailleurs avec le plus grand intérêt ces ouvriers qui, de 68

l'avis de tous, étaient sérieux et bien formés.

Le coefficient de renouvellement de l'équipe de laminage est de plus de cinquante pour cent entre ces deux dates, après il fallut même requérir une main-d'iuvre étrangère pour remplir les effectifs.

Ce cadre de travail ne favorisait donc pas et ce depuis le début du siècle, la transmission familiale du travail, dans la mesure où l'idéal était que le fils travailla ailleurs. Ceci est vrai à deux exceptions près, qui sont les postes de toumeur et bien sûr de chef lamineur (5). Nous avons vu dans cet exposé que ce sont en fait les deux postes qui requièrent de réelles qualifications, la mise en place d'un réel «savoir-faire». Nous allons voir au chapitre suivant comment il se constitue et la bataille qui se livre à son endroit

Du lamineur au chef lamineur : la constitution du «savoir-faire»

Au début de ce chapitre, nous nous étonnions des différences dans le parcours professionnel, entre les tâches exécutées successivement dans sa vie professionnelle par le lamineur, tâches qui ne semblaient pas préparer les unes aux autres.

De la même façon qu'il existe une rapture apparente bratale entre les tâches de l'apprenti et celles du lamineur (dont la différence se caractérise par l'apparition et l'obtention du «tour de main»), il existe la même apparente rapture entre les tâches du lamineur et celles du chef lamineur (dont la différence se caractérise cette fois par l'apparition et l'emploi d'un «savoir-faire»).

Tout se passe comme si l'ensemble du système d'acquisition de la technique était en fait non apparent inteme et qu'il éclatait soudain au grand jour, par la prise de possession d'un nouveau poste de travail.

Les effets de déhiérarchisation de l'équipe de laminage n'ont fait qu'accentuer cette impression. Auparavant, le successeur du chef lamineur était clairement le premier lamineur qui en avait le titre et certaines prérogatives, nous l'avons vu. A l'heure acmelle, rien ne désigne particulièrement à l'extérieur celui qui remplacera le chef lamineur. Un examen attentif du laminoir et de la manière dont se sont succédés les chefs lamineurs va nous aider à comprendre les règles de succession, qui se sont établies «de fait» depuis le début du siècle aux Forges de Syam.

Nous avons déjà dit que les anciens ne montraient rien aux jeunes ; dans le cas du chef lamineur, la préservation du «savoir-faire» toume au véritable «secret de fabrication». Cette préservation est d'autant plus aisée que la technique ne s'enseigne nulle part et qu'elle s'acquiert, comme nous l'avons vu, à l'expérience.

Or, apparemment rien de plus différentes que les tâches méthodiques et répétitives du lamineur et les tâches précises et inventives du chef lamineur. Là encore se pose le problème du passage de l'un à l'autre, si l'on considère que tous les chefs lamineurs qui restèrent en place sont passés par l'état de simple lamineur et ont appris aux Forges (6). 69

NOTES

(1) JORION DELBOS (1984), p. 14 et suivantes. Avec la différence qu'à Syam, il continue de fait à s'apprendre ainsi, étant donné qu'il n'existe pas d'école de laminage.

(2) Nous ne referons pas l'analyse des auteurs précédemment cités et la différence qu'ils font entre savoir procédural et savoir propositionncl (p. 14 et suivantes, op. cit). Cette analyse s'applique à notre exemple et constitue certainement le fondement de la différence entre ce qui se passe à l'école, dans la transmission d'un savoir et son contenu, et ce qui se passe à l'usine, dans ce même objectif mais avec un contenu différent

(3) Op. cit, p. 33.

(4) «Inmssusseptionné», dirait Marcel JOUSSE.

(5) L'actuel usineur de cylindres est le fils de l'ancien M. Prost Même s'il n'y réussit pas, il est dit que Eugène Brossy fit tout pour montrer ses secrets de fabrication à son beau-fils, qui travaillait au laminoir, ce qui signe une tentative de transmission effective d'un «savoir-faire».

(6) Cet état de fait sera encore renforcé lorsque nous parlerons d'une tentative qui fut faite de faire venir un chef lamineur formé à l'extérieur de l'usine, tentative qui se solda par un échec. 70

L'équipe de laminage : historique

Ce chapitre veut examiner la composition des équipes successives de lamineurs ou d'ouvriers désignés comme tels, depuis le début de ce siècle jusqu'à la période actuelle. Nous essaierons de repérer les particularités de composition de ces équipes afin de mieux comprendre ce qui fera le sujet du chapitre suivant, c'est-à-dire la succession des chefs lamineurs et ce qu'on peut en dire d'un point de vue de la transmission du «savoir-faire». Pour ce chapitre, nous avons examiné les registres de main-d'tuvre depuis 1898, et intertoge les survivants de ces différentes époques, ce qui nous aide à reconstimer, d'une manière exhaustive, la stracture sociale de la vie professionnelle aux Forges.

* Période de 1889 à 1914

En 1899, la production de laminés est principalement destinée à la fabrication d'ébauches de clous qui seront finies dans l'atelier même de clouterie, qui emploie une main-d'ruvre féminine importante. Les clous sont obtenus par laminage de tôles puis fenderie. De cette technique, il ne reste aucune trace acmellement, si nous sommes attentif aux plans de l'époque, on voit un laminoir à deux cages et on nous signale une fenderie. Nous avons pu déduire que la production de cette époque était donc obtenue par ce système, cette hypothèse est d'ailleurs corroborée par l'examen du registre de main-d' dans les archivéis puisque dans l'équipe de lamineurs, on note l'appellation de découpeurs et que seulement deux lamineurs propres y figurent

La fabrication de clous va durer globalement jusqu'en 1914 et la clouterie emploie alors une main-d' féminine. La moyenne horaire de travail est de 12 heures et la stracture familiale domine largement la main-d' on ne compte pas moins de cinq familles qui foumissent 26 employés sur les 48 au total. Si on enlève quelques employés aux bureaux, on a une idée de l'importance de la main-d' familiale, au sein de la production (70 %).

JACQUOT Joseph : lamineur JACQUOT Alfred : apprenti (on peut penser qu'il s'agit du fils) JACQUOT Emma : frappeuse JACQUOT Aline : trieuse

GABRY Augustin : lamineur GABRY Marie : frappeuse GABRY Camille : frappeuse GABRY Florien : découpeur GABRY Mélanie : concierge GABRY Elise : ftappeuse

BINETRUY Alexandre : lamineur BINETRUY Charles : chauffeur BINETRUY Louise : frappeuse

BUGUET Louise : fi^ppeuse BUGUET Alain : outilleur BUGUET Marie : trieuse BUGUET Henry : outilleur BUGUET Maria : frappeuse BUGUET Emue : outilleur 71

LUBRETPère : mansuvre LUBRET Gustave : lamineur LUBRET Emile : découpeur LUBRET Lucie : étireuse LUBRET Charles : maneuvre.

Pour le laminoir, il est noté : trois lamineurs : BINETRUY Alexandre, JACQUOT Joseph, JACQUOT Alfred, trois découpeurs et un chauffeur.

Cette faible importance du nombre de lamineurs appelés comme tels signale l'emploi de la technique de la fenderie. Si l'on suit toujours cet indice, c'est au cours de l'année 1899 que l'appellation change et que l'ensemble des ouvriers de l'atelier de laminage sont appelés : des lamineurs.

Ce registre de main-d'euvre nous donne des indications très intéressantes tant du point de vue technique (par les postes nommés) que du point de vue des stractures sociales de la main-d'9uvre.

C'est une main-d'euvre familiale qui domine, on travaille en famille même si les ateliers sont séparés.

Les enfants s'embauchent aux Forges et ils y resteront souvent jusqu'aux années 1914 où nous trouvons une génération plus tard comme lamineurs, JACQUOT Eugène et Alfred (qui n'était qu'apprenti en 98), GABRY Florien et aussi BINETRUY Alexandre. Aux postes d'outilleurs, on trouve BUGUET Emile, qui restera jusqu'en 1946, soit plus de cinquante ans de présence.

Des cinq familles on peut en suivre trois jusqu'aux années 46 puis deux jusqu'aux années 60 et enfin seule la famille BINETRUY garde à Syam un représentant jusqu'aux années 80.

Les années de l'immédiate avant-guerte sont celles où s'asseoit définitivement ce qui sera la stracture de production, telle que nous la connaissons actuellement. D'abord par la technique (laminoir à canelure) et le développement, à partir de cette date, d'un «savoir-faire», qui est signé par l'arrivée, dès 1898, d'un maître cylindreur, appelé ensuite chef lamineur : Eugène VINCENT.

Cette personne est mensualisée à 200 francs. Un lamineur gagne alors 0,40 F de l'heure, ce qui lui donne, pour une joumée de douze heures, à peu près 1 10 F de salaire mensuel.

Est adjoint à VINCENT Eugène un toumeur de cylindres, LINSARD Théophile, l'équipe complète du couple lamineur/cylindreur est alors constituée, telle que nous l'observons acmellement

Certains indices ne manquent pas de dénoter la valorisation de la technique. Il s'agit de la grille de salaires de l'époque :

- un lamineur gagne environ 100 F du mois - un comptable 120 F - un chauffeur 1 27 F ( 1 ) - un contremmtre 150 F - un chef lamineur 200 F - un toumeur 250 F. 72

A l'aube du développement technologique du lamineur à canelures à Syam, nous avons donc une indication de l'échelle des valeurs qui va se rétrécir progressivement Par exemple, en mars 1946, un lamineur gagne plus que le premier chauffeur, et guère moins en proportion qu'un toumeur (l'écart de salaire qui était du simple au double en 98 se retrouve à 20 % environ).

On peut dire qu'en 1898, les apports du chef lamineur et du toumeur sont indispensables au développement de la technologie du laminage à canelures aux Forges de Syam (2).

* Le cas de trois grandes familles aux Forges : de 1920 à 1950

Pour ce qui conceme l'équipe du laminoir, son renouvellement intervient surtout dans les années 1910-1920 (3), avec l'arrivée à Syam de familles qui foumiront des lamineurs jusqu'en 1950. On peut citer pour exemple les familles DUBRET et BAVEREL.

DUBRET Louis : lamineur DUBRET Gustave : lamineur en 19 12 DUBRET Emile : recuiseur DUBRET Charles : étireur DUBRET Charlotte : frappeuse

DUBRET Louis : man au laminage DUBRET Charles : étireur en 19 19 DUBRET Emile : man

DUBRET Charles : étireur DUBRET Marcel : manutentionnaire en 1928 DUBRET Emile : deuxième casseur.

Louis, qui passe de la place de lamineur à manmuvre au laminoir est le père, il disparaît des listes en 1928. Marcel, qui apparaît comme manutentionnaire, c'est-à-dire manjuvre, est certainement le plus jeune élément de la famille puisqu'on retrouve sa trace jusqu'en 1963, où il finit comme chef de fabrication, après avoir été outilleur en 1943. Si l'on suit toujours les dates, Charles termine lui sa carrière professionnelle dans les années 46/50, comme tireur de billettes, après avoir été étireur pendant plus de quarante ans.

Avec la famille DUBRET, nous avons certainement la succession la plus significative des générations au travail à Syam.

Louis DUBRET, le grand-père, qui termine sa vie professionnelle de lamineiu- à Syam (1919) et amène avec lui sa famille (1912). Son fils Charles, qui accède à une qualification autre que celle de son père et qui finit lui aussi sa vie professionnelle aux Forges (1948), comme le suggère le poste de man qu'il occupe lors de ses demiers recensements sur le registre de main-d' Et le petit-fils qui, lui, accède au poste de chef de fabrication (1950), gravissant un degré de plus dans la hiérachie ouvrière aux Forges, avant que de partir (1963).

Marcel réalise, comme Jean BINETRUY, un «parcours type» à partir de deux générations de lamineurs. Il est en effet, par rapport à la technique introduite en 1899, difficile de faire mieux. De grandes familles ouvrières vécurent aux 73

Forges de Syam jusqu'aux années 1960, mais la mobilité professionnelle fut surtout importante après la deuxième guerre.

Les ouvriers qui restent sont ceux qui obtiennent une qualification au-delà du premier lamineur. Les dégrossisseurs et lamineurs simples vont-ils chercher des emplois mieux rémunérés ailleurs ?

C'est à cette condition et suivant la spécificité du travail du laminoir que le savoir-faire put se maintenir aux Forges.

La famille BAVEREL représente un autre exemple de parcours professionnel, puisque aucun de ses membres ne dépassera la qualification de dégrossisseur.

BAVEREL Paul : maneuvre 1924

BAVEREL Paul : lamineur 1926

BAVEREL Paul : lamineur 1930 BAVEREL Gaston : lamineur BAVEREL Maurice : aide-lamineur

BAVEREL Paul : dégrossisseur BAVEREL Gaston : lamineur 1939 BAVEREL Maurice : lamineur

BAVEREL Paul : dégrossisseur BAVEREL Gaston : lamineur 1958.

On peut tout aussi bien suivre le parcours professionnel d'une autre grande famule ouvrière des Forges, celle de la famille BINETRUY.

Jean BINETRUY clot la participation de cette famille en 1984 au poste de chef lamineur, il est la troisième génération d'une lignée qui apparaît en 1898 avex son grand-père Charles.

1898 BINETRUY Charles chauffeur BINETRUY Alexandre lamineur BINETRUY Louise frappeuse

1899 BINETRUY Joseph apprenti-lamineur -f- les mêmes

1906 BINETRUY Charles : chauffeur BINETRUY Alexandre : dégrossisseur BINETRUY Louise : frappeuse BINETRUY Joseph : man BINETRUY Charles : apprenti

1912 aucune trace de la famille qui est partie dans les laminoirs du centre de la France, le père Charles ne reviendra pas.

1915 BINETRUY Alexandre lamineur 74

1923 : BINETRUY Alexandre : lamineur BESIhlRUY Charles : lamineur de retour

1928 : BINETRUY Alexandre : expéditionnaire BINETRUY Charles : dégrossisseur

1930: BINETRUY Alexandre : (meur en 1933)

1939: BINETRUY Charles : redresseur à la plaque jusqu'en 1942

1942 : BINETRUY Jean : man BINETRUY Charles

1946: BINETRUY Jean : lamineur BINETRUY Charles : lamineur

1948 : BINETRUY Jean : lamineur BINETRUY Charles : lamineur

1958 : BINETRUY Jean : premier lamineur BINETRUY Charles : départ à la retraite.

L'existence de deux membres de la famille prénommés Charles peut amener à une confusion, car le père et le grand-père de Jean portaient le même prénom. En 1906, on voit apparaître comme apprenti le père de Jean, en même temps que son grand-père, qui était déjà chauffeur. Le grand-père de Jean ne reviendra pas en 1915, âgé, il meurt pendant la guerre. Nous n'avons d'aUleurs, pour cette époque, aucune trace de la famille.

Alexandre, fils aine de la famille, reprend son activité, trop âgé pour partir à la guerre. Il cessera son activité en 1930, à soixante huit ans, son décès intervenant quelques années plus tard.

Cet autre exemple de famille ouvrière caractérise une manière d'accéder progressivement sur trois générations, au poste de chef lamineur.

* Le renouvellement de l'équipe du laminoir

JACQUOT Eugène JACQUOT Alfred BINETRUY Charles 1901 BINETRUY Alexandre GABRY Florien

JACQUOT Eugène JACQUOT Alfred DUBRET Gustave 1914 DUBRET Louis GABRY Rorien 75

JACQUOT Eugène JACQUOT Alfred BINETRUY Alexandre 1917 DUBRET Gustave DUBRET Louis GABRY Florien

BINETRUY Charles DENISET Henri GE^f9 Désiré 1928 SELLIER Roger Maniuvres : DUBRET Marcel BAVEREL Paul SELLIER Narcisse

BAVEREL Gaston BAVEREL Paul BAVEREL Maurice 1939 DENISET Henri SELLIER Roger SELLIER Eugène.

Les équipes sont constimées par des groupes familiaux importants : père et fils ou frères, et surtout font apparaître des noms qui vont rester après guerte pour constimer «l'ossature de base» du laminoir, dont au moins trois ouvriers vont se constituer un «savoir-faire» de chef lamineur : DENISET Henri, SELLIER Roger et plus tard BINETRUY Jean. Nous remarquons en effet que le taux de nouveaux arrivants n'est jamais supérieur à 50 %, et que ceux-ci restent généralement plus de dix ans (temps minimum nécessaire pour constituer, à cette époque, un bon lamineur).

Après 1945, la stracture familiale devient un modèle moins évident et le taux de rotation plus important :

BAVEREL Paul BESUCHET Louis BINETRUY Charles BINETRUY Jean 1948 BRETON Albert DENISET Henri (3) SELLIER Roger

BINETRUY Jean CHAUVIN Louis COURVOISIER Maurice COURVOISIER Aimé 1963 DENISET Henri (4) LONGCHAMP Roger MIEL Georges MAURE Jean SELLIER Roger PYANET René 76

Les fluctuations en importance de la main-d'suvre du laminoir sont dues à la production et aux conditions de travail, les années 1963 constituant l'apogée d'un redémartage de l'usine, avant la récession des années 70.

A partir de ces années commence la profonde refonte de la main-d' qui a pour cause son vieillissement, les départs volontaires (6) et à la non-attractivité du travail pour la main-d'euvre locale.

Les forges de Syam firent donc appel à une main-d'euvre étrangère, après plusieurs essais, ce furent des paysans marocains, originaires de la région de Taounate qui alimentèrent progressivement en main-d'luvre le laminoir de Syam de 1970 aux années acmelles.

Cet apport massif en 10 ans de main-d'euvre totalement non formée au laminage, ne provoqua pas pour autant de difficultés de production, preuve, s'il en fallait encore, que le laminoir reste une industrie de main-d' Les tâches y étant simples, ce qui n'empêche pas, nous le vertons au chapitre prochain, qu'à travers ce travail, se constitue une élite ouvrière maîtrisant un procès de production très particulier. 77

NOTES

(1) C'est à cette époque quelqu'un du cm, BINETRUY et le salaire va augmenter lorsqu'il s'agira de l'embauche de Vuillemagne.

(2) Certainement introduite par Chavanne-Bran, fabricant de cylindres à St Chamond et qui rachète l'usine à ce moment, il y trouve un débouché pour ses produits.

(3) On note aussi apparaître sur les registres, au cours de ces années, les spécialisations dans les tâches (lamineurs simple, dégrossisseurs, premier lamineur), telles que nous les avons détaillées et qui amènent une rémunération horaire différente.

(4) A la suite d'une grève et d'une revendication sur les salaires et les pauses en 1948.

(5) Demière année où il fut chef lamineur.

(6) Plus haut salaire, sûrement déjà premier lamineur, il est au laminoir depuis 20 ans. Photo n° 32bis - Le laminoir : geste technique et travail d'équipe

Photo n° 33 - Le laminoir : geste technique et travail d'équipe d'un côté et de l'autre du laminoir 79

* La succession des chefs lamineurs

18??- 1907 Eugène VINCENT

1907-1954 Eugène BROSSY

1954-1963 Henri DENISET

1963-1983 Jean BINETRUY

1983-1984 J.GODARD

1984-1985 P. VUILLEMAGNE

1985-1988 JHILAL

Cette succesion des chefs lamineurs est dominée par la personnalité et la présence d'Eugène BROSSY qui fut chef lamineur pendant une cinquantaine d'années. Une vie professionnelle exceptionnelle qui s'explique par un départ à la retraite très tardif, autour de 80 ans.

Ce départ tardif est surtout dû à l'absence de protection sociale de l'époque, qui amenait les salariés à prolonger le plus tard possible leur activité professionnelle, mais il signe aussi une des originalités de la transmission du «savoir-faire» à Syam : chaque chef lamineur ne part pas à la retraite du jour au lendemain. Il revient régulièrement pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, pour effecmer une transition après la date effective de son départ à la retraite. Au long de ces mois, le chef lamineur à la retraite revient «aider de ses conseils», ce fut le cas d'Eugène BROSSY, mais aussi de J. BINETRUY, plus près de nous.

Eugène BROSSY part en effet à la retraite en 1954, mais il continue à émarger sur le registre des paies jusqu'en 1957, soit plus de trois ans après, et ce pour une somme de 5.000 F, qui cortespond à un septième du salaire de chef lamineur de l'époque. Pendant toute cette époque, à partir de novembre 1954, le chef lamineur désigné est Henri DENISET.

Ces départs «par étapes» des anciens chefs lamineurs révèlent qu'ils restent détenteurs d'un «savoir-faire» difficilement remplaçable et en tous cas non communiqué.

Nous avons vu précédemment comment s'organisait le parcours professionnel aux Forges et la dé-hiérarchisation après les années 50. Le système originel de parcours «professionnel type» a pu être dégagé par l'exemple de la famille BINETRUY et particulièrement celui de Jean BINETRUY : après avoir successivement occupé tous les postes au laminoir : apprenti, avioteur, cage avant, dégrossisseur, refouleur, le lamineur devenait premier lamineur chargé entre autres de la passe de finissage. Cette piace stratégique, auparavant honorée d'un salaire plus élevé, en faisait l'assistant du chef lamineur.

Cette position n'empêchait pas que le chef lamineur ne se préoccupe pas et même refuse de communiquer son savoir au premier lamineur. En effet, à ce 80

niveau de la hiérarchie du laminoir, la bataille est encore plus rade que lorsqu'il s'agit de transmettre, ou de montrer, un simple geste technique. Le souvenir qu'en garde Jean BINETRUY est significatif de l'ambiance qui régnait alors entre les différents lamineurs.

La succession d'Eugène BROSSY se fit selon l'ancien système (1), c'est-à-dire que le premier lamineur de l'époque, Henri DENISET, prit sa place, quelques temps après le jour officiel de son départ à la retraite. Ce départ ne se fit pas d'un seul coup, le savoir d'Eugène BROSSY reste encore nécessaire de nombreuses années, celui-ci s'étant bien gardé d'en communiquer toutes les ficelles.

Il serait malgré tout faux de penser qu'au cours de ces longues années de travail commun, seul Henri DENISET travaillait à acquérir ce que nous nommerons un «savoir-faire complet» de chef lamineur (2).

Jean BINETRUY nous dit lui-même qu'au cours de la période où E. BROSSY était chef lamineur, il se constituait déjà un camet de notations personnelles, de repères, à partir des profils qu'ils usinaient. Chaque «aspirant chef lamineur» : Henri DENISET et Jean BINETRUY s'intéressaient à acquérir une connaissance empirique qui ne pouvait se constimer que par l'observation de ce que faisait le précédent chef lamineur, ce qui n'excluait pas, bien au contraire, que cette connaissance ainsi consumée puisse ensuite conduire à une innovation.

Au cours de la période où Henri DENISET était chef lamineur, Jean BINERUY n'était pas le seul à constimer ou à développer un savoir sur la techmque du laminage.

Il faut s'imprégner de la mentalité de cette époque, pour comprendre cet état de fait qui laisse la possibilité aux ouvriers «de base» de maîtriser une technologie et un savoir-faire à la fois complexe et en même temps complètement empirique (parce qu'en constante évolution à partir de nouveaux profils qui, auparavant n'avaient jamais été produits).

Ce type de technologie laisse une large place à la faculté d'innover à partir d'une technique de base et aussi une complète maîtrise de l'ouvrage à l'ouvrier de base, ne transférant aucune compétence à un technologue !

Cette originalité de la technique du petit laminage a pour effet d'intéresser l'ouvrier à celle-ci, puisqu'il peut être un jour capable «à force de travail» de la maîtriser et de la diriger, c'est-à-dire de devenir chef lamineur, ceci grâce à un processus qui ne transite pas par une connaissance technologique.

Cet état de fait est sensiblement plus opérant, il est vrai, dans une société où les ouvriers arrivent sans formation technique, contrairement à ce qui se passe généralement à notre époque pour les jeunes ouvriers spécialisés.

A cette époque, l'issue principale consistait soit à changer de type de travail, à effectuer le même mieux payé ailleurs, ou encore tenter à progresser sur place. C'est cette demière solution qui fut adoptée par la plupart des chefs lamineurs. 81

Ainsi, comme nous l'avons déjà signalé, la réussite sociale, ce que Ton appelle aussi le progrès social, consistait à permettre à sa progéniture d'aller le plus loin possible dans les études, ou à trouver une place de fonctionnaire. Pour des familles qui connurent la précarité de l'emploi et des périodes difficiles de vie, c'était vouloir plus de sécurité pour leurs enfants, mais la particularité du système d'apprentissage du petit laminage écarte toute cette partie de la jeunesse.

Le désir familial que le fils reprenne le savoir-faire du père n'est pas systématique, les lamineurs de Syam rêvent d'autres choses pour leurs enfants.

* Du père au fils

«Je voudrais pour rien au monde qu'il fasse le même travail pénible et mal payé» (M. Vuitton).

Le désir de voir son fils reprendre son métier existe, il y a à Syam des illustrations de ce fait : Eugène BROSSY aurait bien voulu que son beau-fils SELLIER reprennent sa succession, et il lui communiquait ses tracs. Le fils d'Eugène BROSSY, qui travailla quelques temps aux Forges, ne souhaitait pas reprendre le travail du père, c'est donc vers son beau-fils que BROSSY s'orienta pour transmettre sa connaissance de la technique, ce qui n'échappait pas aux autres lamineurs. Si l'on suit les récits de l'époque, faits par d'anciens lamineurs qui les ont vécus, un véritable climat d'espionnage régnait en fait entre les lamineurs quant à la technique elle-même. Il est bien difficile de reconstituer la réalité de ce qui se passa au moment des successions des postes.

En fait, dans leur mémoire, il reste que le beau-fils de BROSSY était «moins capable» que DENISET, plus jeune, il ne le supplanta pas. On peut s'intertoger sur le sens de cette vision des choses et se demander si finalement le fait d!assimiler une technique par ce système d'espionnage ne fait pas travailler les fonctions cognitives et adaptatives propres à l'intelligence au sens général de tout être humain. En d'autres termes, il ne suffit pas de montrer pour comprendre et pour faire ensuite ouvre de...

Ce ne serait donc pas forcément la motivation du beau-fils de BROSSY ou son intelligence propre qui serait en cause, mais bien plutôt la manière qu'eut son beau-père de lui montrer, selon sa façon.

En effet, ce que l'on constate dans un système où chacun se constitue ses propres références, notations techniques, langages, etc., c'est que ce système est propre à chacun de celui qui le crée.

A la différence de ce qui se passe dans l'éducation technique où le langage, les références, la culture technique est commune dans sa base ; dans ce système, elle est propre, ou plutôt elle est organisée proprement à chaque technicien selon sa compréhension, ce qui la rend intransmissible à partir de ce même système de compréhension, car elle est trop personnelle ou fait une trop large place au vécu technique de chaque technicien.

Le gendre de BROSSY n'a pas eu la chance de constituer lui-même son propre système technique, il fut obligé de se soumettre au système technique de son beau-père, qui lui était incompréhensible pour les raisons que nous venons d'évoquer. 82

Dans un premier temps, nous sommes attentif à la forme que prend cette succession, il nous semble plus pradent et plus clair pour l'exposé de renvoyer la discussion de fond sur le savoir-faire à la fin de ce chapitre, une fois que nous aurons examiné le rôle joué justement par l'équipe. Car ne l'oublions pas, ces chefs lamineurs en sont tous extraits.

La reprise de l'usine par la société Experton : un effet révélateur et salutaire

«Je lui ai dit : Monsieur BINETRUY, je ne vous laisse pas partir à la retraite tant que vous n'avez pas tout consigné par écrit Je ne voulais pas me retrouver sans rien» (M. Boulet, actuel directeur des Forges).

La reprise de Tentreprise en 1980 par le groupe industriel Experton va révéler un certain nombre de points essentiels du fonctionnement et de la transmission du «savoir-faire» au sein du laminoir.

Englobée au sein d'une importante stracture industrielle (3), les Forges de Syam vont avoir à faire avec la modemisation technique et une autre conception de l'organisation du travail et des hommes. Heureusement, cette reprise s'est effectuée intelligemment en sachant sauvegarder l'originalité du lieu, mais ce contact ne s'est pas fait sans heurt, voire sans une certaine incompréhension de part et d'autre.

C'est en parlant de ce témoignage récent que Ton peut en effet saisir le fonctionnement particulier des Forges et tout d'abord Timportance des hommes détenteurs de la technique et du «savoir-faire», témoin la phrase précédente de l'actuel directeur nommé par le groupe Experton, Monsieur BOULLET.

Les Forges de Syam présentaient en 1980 une telle différence avec le mode d'organisation d'une entreprise modeme de la métallurgie, qu'on peut même s'étonner de ce qui présida au rachat des Forges (4).

La première action fut une action de modemisation de l'outil de travail. Des investissements importants qui avaient été négligés jusqu'alors furent réalisés, et selon Texpression contraire de M. GROBET : «On mit plus d'un sous dans cette entreprise» :

- Réfection complète des canaux d'arrivée d'eau ;

- Création d'une nouvelle centrale électrique (remplacements des turbines) ;

- Modification des systèmes d'entraînement des moteurs de l'étirage, et du laminoir;

- Nouveau tours pour usiner les cylindres ;

- Plus récemment (1987), mise au gaz du four pour chauffer les billettes.

Pour ce qui conceme le laminoir, à partir du même outil de travail, on modemisa la périphérie de celui-ci. En 1980, le laminoir fonctionnait dans les conditions d'exploitation du début du siècle, ces modernisations périphériques eurent pour conséquences de supprimer quelques petites tâches de manutention qui n'avaient d'ailleurs plus leur utilité première, en tant que postes réservés aux anciens, la suppression du redresseur à la plaque en est un exemple. 83

La modemisation ne posa pas de gros problèmes, bien plus elle améliora les conditions de travail, par contre il y eut, de la part des cadres qui étaient des ingénieurs formés aux techniques modemes, une certaine incompréhension de la technique de laminage, telle qu'elle se déroulait à Syam (5). Il fallut quelques années de fonctionnement en commun pour qu'ils apprennent à faire avec la particularité et Thistoire des Forges de Syam.

Nous illustrerons ce propos par un exemple significatif de l'incompréhension qui naquit du contact entre deux logiques, celle locale et celle technocratique.

Cette anecdote prend naissance au moment du remplacement de Jean BINETRUY, à la tête «pensante» du laminoir de Syam. Ce remplacement fut préparé pendant plusieurs mois par la direction ; auparavant, comme le montre la liste des chefs lamineurs qui se sont succédés, le parcours professionnel inteme au laminoir voulait qu'on fit appel au premier lamineur qui avait travaillé sous les ordres de l'ancien chef lantineur et constime comme nous le vertons son propre «savoir-faire».

La décision de la direction prit à ce moment (1984) complètement à contre-pied ce système établi depuis le début du siècle et qui, il est vrai, ne concernait finalement que trois chefs lamineurs.

On décida d'embaucher à l'extérieur, de faire venir de Test un lamineur expérimenté sur des grands laminoirs, et qui plus est, formé à la seule école de laminage qui existe en France.

«On croyait avoir trouvé l'oiseau rare» (M. Boulet).

Cette embauche se fit sur fond de drame personnel, puisque le premier lamineur écarté refusa de travailler sous les ordres du nouveau chef lamineur. Dégoûté par ce choix, il demanda à êû-e muté au redressage, travail solitaire, refuge de Thomme blessé.

La personne embauchée, outre ses compétences certaines dans le domaine de la technologie du laminoir, ne s'adapta pas du tout aux méthodes de travail requises sur le petit laminoir de Syam. Il est extrêmement difficile d'évaluer objectivement les causes de cette non-adaptation, la part qu'y joua l'équipe elle-même, mécontente du non-respect du système de désignation local du chef lamineur, et les compétences même de ce lamineur.

Voilà ce qui est dit à ce sujet :

«Il n'y connaissait rien, il cassait souvent, et il n'écoutait pas les conseils, il voulait en faire qu'à sa tête, il avait toujours raison».

«Au débit Jhilal lui donnait son sentiment sur les réglages mais il n'écoutait pas, alors après Tautre ne disait plus rien, c'était encore pire, ça cassait tout le temps, la direction n'était pas contente, alors elle demandait des explications».

Un lamineur :

«Moi au début, je lui disais comment il fallait faire, et puis comme il m'écoutait pas, je me suis dégage et je l'ai dit à la direction» (A. JHILAL). 84

n apparaît dès cette date, que la personne la plus compétente pour assurer les fonctions de chef lamineur, après la retraite de Jean BINETRUY, se trouve être A. JHILAL, un ouvrier marocain arrivé en 1971 de Taounate, avec son certificat d'études.

JHILAL a suivi le système inteme de parcours professionnel : il a été successivement man puis lamineur plusieurs années, et comme le dit Jean BINETRUY, il était le seul des marocains dont :

«on voyait qu'il s'intéressait».

Seulement Jhilal est marocain, ce qui rendait à l'époque inenvisageable le fait qu'il puisse être un bon chef lamineur, bien que soixante pour cent de l'effectif du laminoir soit composé de marocains, et même si Ton ne constate pas de prise de position raciale chez les ouvriers et la direction, il s'agit simplement d'une chose à laquelle on ne pense pas :

«On pouvait pas penser qu'un marocain pourtait être chef lamineur, ça faisant pas assez longtemps qu'ils étaient là, je sais pas, on ne pensait pas qu'ils puissent y arriver, et puis en fin de compte, c'est ce qui s'est imposé. . .».

Cette phrase recueillie et dont nous tairons les origines aurait pu être prononcée par n'importe qui, tant ce racime latent semble fondamental mais représenté bien plus une méconnaissance de Tautre, de l'étranger. Cet état d'esprit ne s'est finalement pas révélé dangereux puisqu'il ne mena pas à une position de refus dogmatique et définitive.

Il faut simplement en conclure que le fait que le laminoir fut dirigé par un marocain était, pour tous, inconcevable à cette époque.

Aussi avant que Jhilal ne prit la direction du laminoir et à la suite de l'échec du lamineur de Test de la France, on pensa à promouvoir un «jeune qui avait fait des études» et qui était lui même fils et petit-fils d'ouvriers des Forges.

Après Tappel à la «technologie de Test», c'est un appel à quelqu'un qui avait des connaissances techniques sanctionnées par des études et qui, connaissant le laminoir, que Ton fit en face de la logique «formation inteme». Cet appel ne fut pas plus fructueux puisqu'il ne dura guère plus d'un an.

Là on évoque la jeunesse, la dispersion, pour justifier que ça n'allait pas et qu'en fait c'est Jhilal qui assurait le fonctionnement, le réglage du laminoir. Cette succession de péripéties nous amène tout naturellement à parler du rôle joué par l'équipe de lamineurs.

Ce n'est finalement qu'après l'échec de ce nouveau chef lamineur que la personnalité de Jhilal s'imposa à la direction, qui le nomma alors chef lamineur. Jhilal occupe cette fonction depuis lors, n est difficile de faire un procès à l'attitude de la direction des usines de Syam pour ce qui se passa au moment du départ de Jean BINETRUY : cette histoire de la succession de Jean BINETRUY est significative et révélatrice de la forcé de ce qui apparaît comme un système inteme d'apprentissage de la technique et d'exercice de celle-ci. Ce système s'oppose complètement à celui ayant habituellement cours dans la métallurgie modeme, il était donc difficile de le percevoir d'emblée de l'extérieur. 85

A travers cette histoire, on voit en fait s'opposer bmtalement deux types de conception du travail métallurgique : un type modeme où la technologie est un savoir commun appris dans une école, un tj^se traditionnel où la technologie est un savoir empirique appris sur le tas. Des deux systèmes ressort une logique de hiérarchisation et aussi des conflits dûs à une incommunicabilité à partir d'un langage commun qui n'existe pas.

'* Le rôle de l'équipe

Au sortir de ces problèmes de succession de chef lamineur, l'opinion même du directeur est des plus pradentes. Il sait que l'équipe a joué un grand rôle dans les échecs des lamineurs au point même de nous faire part de son incertimde sur les incompétences des chefs lamineurs à l'essai. De cette équipe, nous avons vu qu'eUe se renouvelle différemment suivant les périodes mais jamais plus qu'à 50 %, et que la durée du travail des lamineurs est généralement, sauf cas exceptionnels, de plus de dix ans. Son autre particularité est d'accueillir des gens non formés, et venant de milieux paysans. Ces quinze demières années ont vu la main-d' d'origine marocaine occuper progressivement plus de 50 % des postes de lamineurs, et le chef lamineur acmel en est d'aUleurs issu.

Etant donné le caractère «brûlant» de Thistoire récente du laminoir, qui met en cause des personnes vivantes et en pleine activité professionnelle, je voudrais insister sur la difficulté à prendre au pied de la lettre les explications foumies par les témoins acmels, qui sont généralement ceux qui sont restés et qui plus est, ont des responsabilités, voire une certaine solidarité avec les gens en poste.

Chacun peut se référer au système d'explication qui «Tartange» le mieux, le chercheur se doit lui d'éclairer une réalité, une logique, ce qui, dans ce domaine, n'est pas simple.

n nous semble que l'équipe joue dans le domaine de Taccession au poste de chef lamineur un rôle important Sans nier le rôle éminemment explicatif du rapport de force entre les différents détenteurs potentiels d'un «savoir-faire» (n'oublions pas les enjeux économiques et du pouvoir qui s'y attache), nous voudrions mettre Taccent sur le rôle significatif joué malgré tout par le collectif équipe, surtout dans un type de travail où le procès de production n'est pas maîtrisé par les instances technologiques décisionnelles. Les questions que Ton peut être amené à se poser sont : l'équipe joue-t-elle un rôle de régulateur inteme ? Contrôle-t-elle Taccession au poste de chef lamineur d'une façon quelconque ? Malgré les stratégies de pouvoir interpersonnel, favorise-t-elle et de quelle façon Témergence d'une forte personnalité techniquement compétente pour diriger le laminoir et faire progresser le «savoir-faire» collectif ?

Ces idées, relativement fonctionnalistes (6), reposent sur un certain nombre d'observations et d'entretiens. Elles tiennent aussi au rôle prépondérant de l'équipe dans la séquence technique : un travail peut en effet reposer plus ou moins sur un bon fonctionnement de l'équipe, être plus ou moins collectif. Ce que la description technologique a fait ressortir pour le laminage, c'est que la nature même du travail du petit laminage, tel qu'il est pratique à Syam, met en avant un processus collectif comme moteur de la bonne exécution de Tensemble de la chaîne opératoire de laminage. Ce qui n'est pas le cas par exemple dans la technique de l'étirage, travail plus individuel. 86

Auti"e point essentiel, c'est cette apparente discontinuité dans la succession des tâches et particulièrement dans la transition :

mansuvre ==> lamineur (absence de geste technique / bratale exécution de celui-ci)

lamineur => chef lamineur (absence de rôle concepteur / rôle totalement concepteiff).

Ces raptures sont encore plus accentuées depuis la dé-hiérarchisation puisque personne, parmi l'équipe de lamineurs, n'est clairement investi d'une fonction, comme celle qui cortespondait autrefois à la tâche de premier lamineur. Ce qui est sans doute à l'origine des problèmes de succession connus pour la place de Jean BINETRUY !

En fait, l'équipe de lamineurs joue un rôle plus complexe qu'il n'y paraît en premier lieu, on peut se demander si ce n'est pas elle qui est porteuse d'une certaine logique inteme traditionnelle qui ferait émerger en son sein un élément capable de diriger Tensemble machine-équipe.

Lorsque nous parlons de l'équipe, nous parlons d'un groupe socialement et professionnellement homogène constrait autour de l'activité de laminage et qui se partage des tâches, mais aussi des morceaux d'un «savoir-faire complet» nécessaire pour l'exécution du laminage et de sa conception.

Le rôle du chef lamineur est d'être le détenteur de ce «savoir-faire complet» en même temps que le dirigeant de cette entreprise de laminage. Il est sûrement le seul à détenir Tensemble du «savoir-faire» nécessaire à la bonne conception du laminage (réglage et usinage et déteranination des passes, ceci avec le cylindreur), mais il n'est pas le seul à détenir une partie de ces éléments : chaque lamineur «qui s'intéresse», ou plus simplement qui a une dizaine d'années de métier sait, pour partie, comment a été produit précédemment tel type de profilé, qui approche celui qu'il faut produire maintenant

Notre idée est que ce fossé qui existe entre lamineur et chef lamineur, pour artificiel et problématique qu'il soit, explique que l'ancien chef lamineur revienne régulièrement pour «ajuster» les essais de profils. Il explique aussi qu'avant de prendre la place de chef lamineur, un certain nombre d'anciens lamineurs se valent à peu de choses près : plus que le passage de mantuvre à lamineur, le passage de lamineur à chef lamineur pose le problème de l'expérimentation.

Il ne suffit pas d'avoir vu faire, de constituer son système de référence pour «faire juste». Dans le domaine de la conception/réglage du produit, la marge d'erteur doit être plus réduite (à cause des coûts de production) que dans le domaine d'un simple geste technique comme celui qui consiste à introduire une billette, si on ne Ta jamais fait avant

Ainsi, peut-on dire à l'expérience, et en observant la succession de ces chefs lamineurs qui sont censés représenter la quintescence du «savoir-faire» du laminage syamois, qu'il ne suffit pas d'occuper la place de chef lamineur pour être chef lamineur. 87

Peut-être plus que le fait de ne pas être du era, formé au sein de l'équipe, «passé au moule», le tort des chefs lamineurs qui n'ont pas tenu leur place, fut de ne pas écouter les conseils (qu'ils viennent de l'équipe, d'une personne déjà compétente, ou de l'ancien chef lamineur). Ce qui est affirmé maintenant en mettant en avant la personnalité de Jhilal, ne doit pas nous empêcher de remarquer qu'il eut aussi besoin des conseils de Jean BINETRUY, et que ce n'est pas à partir du moment où il fut désigné comme tel qu'il assuma totalement et seul la tâche.

Ce qui est affirmé est dit parce que c'est lui qui, aujourd'hui, occupe ce poste, on a donc tendance à faire ressortir et à se souvenir des actions et de ce qu'il donna comme conseils à l'époque à ceux qui n'en voulaient écouter. Mais la mémoire sélective ne se souvient pas d'autres conseils prodigués par d'autres lamineurs. Elle ne se souvient même plus de cet ouvrier qui fut écarté de la succession : n'avait-il pas aussi des conseils à donner ? (7).

Ce qu'il y a de fascinant dans cette technique du petit laminage, c'est justement qu'elle est pleinement expérimentale (c'est-à-dire qu'elle relève de l'expérience au sens plein). Et cette expérience, le chef lamineur ne peut l'acquérir qu'en situation. L'équipe, dans ce système, joue un rôle essentiel, elle n'est pas simple exécutante comme les apparences peuvent le faire croire, elle détient à travers chacun de ses membres une part du savoir de cette expérience commune, et ceci même si les membres qui la composent ne l'expérimentent pas toujours pour des raisons qui tiennent au fait que : ce n'est pas leur rôle, qu'on ne leur demande pas, ou simplement «qu'ils ne s'intéressent pas».

On pourrait dire, peut-être de manière caricaturale, que la connaissance du petit laminoir est la chose la mieux partagée du monde ou le plus démocratiquement. Par contre, nous le vertons, le réel savoir-faire qui naît de l'expérience et de l'action est lui la chose la moins partagée du monde des Forges et c'est sur cette apparente ambiguïté que repose tout le problème de la technologie syamoise.

Pour en revenir à l'équipe, Thistoire de la succession montre que l'inadaptation (ou l'incompétence ?) est repérée par elle. Dans ce travail d'équipe qu'est le laminage, son rôle s'avère essentiel, d'autant que les sources d'échec peuvent s'avérer «diluées» dans cette succession de séquences techniques de la chaîne opératoire du laminage. Ce que nous évoquions au début de ce chapitre en faisant part des incertitudes du directeur repose bien sur ce fait : la maîtrise totale de l'action de laminage est collective en plus d'être en dehors de la maîtrise technocratique, ce qui complique singulièrement les choses.

C'est cette succession de gestes techniques opérés par des lamineurs, tous détenteurs d'un tour de main, qui fait que la décomposition des responsabilités réciproques, en cas d'échec final ou de casse d'un cylindre, est impossible à obtenir, sauf pour quelqu'un qui maîtrise très bien tous ces gestes pour les avoir effecmés lui même : le chef lamineur.

Il ne faudrait pas croire que la conception du travail résume tout et il est relativement facile à une équipe solidaire de faire échouer le laminage, par une mauvaise synchronisation, des passes mal faites, ou tous autres moyens. Au niveau de la direction, il est bien difficile de trouver les raisons de ces difficultés.

Cette solidarité «organique» de l'équipe de laminage issue d'éléments historiques ou traditionnels, voire mêlés à une opposition à un style de 88

commandement, peut s'avérer un moyen de contrôle de compétence, voire de mise en échec, d'un chef lamineur qui n'est pas capable de repérer les «gestes maladroits».

Chacun «à son niveau» s'est constitué un «savoir-faire», parcellaire certes mais qui «a à voir» avec celui du chef lamineur, et dans le rapport de force qui existe entre le chef d'atelier et l'équipe, le poids spécifique de connaissances et de travail de l'équipe peut s'avérer déterminant, surtout si cet agent de maîtrise méprise, ou ne respecte pas, un certain nombre de règles implicites du fonctionnement techmque du laminoir. 89

NOTES

(1) L'ancien système est celui qui est hiérarchisé précisément suivant la succession des postes que nous avons décrit précédemment

(2) Cette expression est prise au langage vemaculaire des horlogers, qui appellent «horloger complet» le technicien capable d'intervenir sur tous les éléments d'une montre. Le chef lamineur tient cette même place par rapport aux autres lamineurs qui ne maîtrisent qu'une partie de la technique du laminage.

(3) Présentation du groupe Experton.

(4) Les Forges furent rachetées dans un premier temps pour être liquidées après une période transitoire de quelques années de fonctionnement. Il y a deux ans, il ne tint qu'à une voie de majorité au conseil d'administration que l'usine ne fut fermée.

(5) Ces ingénieurs sont des représentants du groupe Experton et ne travaillent pas sur place sauf pour l'acmel directeur M. Boulet.

(6) Nous entendons employer ce concept de fonctionnalisme dans le sens même des théories générales du même nom qui mettent Taccent sur le fait que la fonction sociale suffit à expliquer l'existence d'un fait ou d'une institution. De même donc, ce serait avoir une explication purement fonctionnaliste que de penser que l'équipe de laminage remplit ce rôle et uniquement celui-ci si tant est qu'il fut prouvé.

(7) En menant cette enquête sur les chefs lamineurs et leur succession, à aucun moment le nom de cette personne n'apparat. Ce n'est qu'incidemment que nous eûmes connaissance de ce lamineur, au cours d'une séance de projet de diapositives chez M. Vuitton. Cette anecdote courante dans une recherche ethnologique sur un sujet brûlant, nous aide à mesurer les efforts de refoulement collectif de ce passé très récent, et peut-être le malaise général qu'elle produit chez les ouvriers encore à Theure actuelle. Cet ancien lamineur est mort peu de temps après son départ à la retraite. 90

5 . La question du «savoir-faire» aux Forges de Syam

* Parcours professionnel à Syam de chaque chef lamineur

Eugène VINCENT 1 8??- 1 898 cyUndreur-maître lamineur 1899 (iuin)-1907 chef lamineur

Eugène BROSSY 1905 (mars)- 1907 (juillet) lamineur 1907 (août)- 1954 chef lamineur

Henri DENISET 1923- 1925 mancuvre 1925-1946 lamineur 1946-1953 premier lamineur 1954 (août)-1963 O'uin) chef lamineur

Jean BINETRUY 1945-1946 maniuvre 1946-1953 lamineur 1953-1963 premier lamineur 1963-1983 chef lamineur

J.GODARD 1984-1985 chef lamineur

Patrick VUILLEMAGNE 1975-1984 1985-1986 chef lamineur

Abdellah JHILAL 1971-1972 man 1972-1986 lamineur 1986- chef lamineur

Depuis le début de ce siècle et l'installation du laminoir à canelures aux Forges de Syam, nous voyons que quatre chefs lamineurs ont compté, ils ont tous la particularité d'avoir subi le même cheminement de formation au sein de Tentreprise. Ces parcours professionnels font apparmtre cette idée essentielle de durée, dix à vingt années sont nécessaires pour former un chef lamineur ou pour devenir chef lamineur ; car le fait de pouvoir exercer la fonction est indissociable du fait de la vacance du poste par le prédécesseur. Le système même de transmission, ou de son absence, fait que le chef lamineur Eugène Brossy qui resta près de cinquante ans chef lamineur. Arrivé au début de l'installation du laminoir à canelures avec une expérience professionnelle faite sur les laminoirs de la région de Givors, on peut estimer qu'Eugène Brossy arrive à vingt cinq-trente ans avec déjà une expérience de quinze ans de laminoir à canelures, par rapport à la main-d'auvre locale qui découvre alors cette technique.

On est en droit de penser que l'habileté d'Eugène Brossy consista autant à ne pas transmettre sa technicité, que dans l'exécution de celle-ci.

* Le savoir-faire du chef lamineur

Il s'agit maintenant de nous intéresser à la nature du savoir-faire du chef lamineur et donc à la particularité de la technique du petit laminage telle qu'elle s'est développée aux Forges de Syam.

De ce type de laminoir relativement courant dans la France métallurgique du XIXe siècle, seul le laminoir des Forges de Syam a pu se maintenir en activité. On 91

peut donc dire que la technique du petit laminage s'est développée aux Forges de Syam, même si ce maintien en activité ne s'est pas fait sans difficulté à une époque où la standardisation de la production dans des plats ou des ronds imposait et facilitait l'automatisation.

Dans ces conditions, continuer à produire des petites quantités à partir d'une main-d'Ruvre locale s'avérait un contresens éconontique.

On ne reviendra jamais assez sur ce fait et sur l'étonnement que cette usine provoque pour tous et pour son directeur acmel en particulier, dont il n'est pas abusif de dire qu'il est fasciné par ce monde qu'il a découvert et avec lequel il a progressé pour en faire l'usine actuelle. Usine qui vit à Theure d'un choix difficile, victime qu'elle est, de la trop grande part de marché conquis par son «savoir-faire».

Lors d'un dernier entretien, M. Boulet nous disait :

«Les Forges de Syam sont immortelles. Elles appartiennent au patrimoine technique et humain de notre pays !».

A vrai dire, nous ne sommes pas loin d'être un certain nombre à le penser, surtout lorsque l'on a pris la peine de faire le chemin initiatique qu'impose l'apparence vétusté et rébarbative du cadre de travail. Sous cet oripeau avons-nous affaire à un joyau ?

C'est peut-être ce que pensent certains ingénieurs de l'Aérospatiale qui débarquèrent tard par une soirée froide et pluvieuse d'automne, et qui faillirent repartir derechef devant le spectacle hallucinant pour eux que donnait cette usine de sous-traitants. Aujourd'hui, ils sont parmi les clients les plus importants des Forges et de par leur exigence mythique, représentent la fierté de l'usine : travailler pour l'Aérospatiale avec tout ce que cela comporte de précision !

* Tour de main et/ou savoir-faire

Attachons-nous à comprendre justement ce qui s'est développé aux Forges pendant tout ce siècle à partir de Tinsmllation du laminoir à canelures. De quel type est-ce que Ton nomme couramment le «savoir-faire» ou plus simplement la technique du petit laminage. Artêtons-nous tout d'abord sur des définitions de termes et de ce qui est mis en jeu dans cette production particulière.

Les termes employés bien souvent pour caractériser une technique difficile à cemer ou simplement un geste compliqué à exécuter sont justement les termes de savoir-faire ou/et de tour de main. Ils sont employés par les observateurs, des commerciaux chargés de vendre, rarement par les gens qui en sont détenteurs. Pour ces demiers, «ce qu'ils ont» est simple. Savoir-faire ou tour de main deviennent «naturels», ils font partie intégrante de leur personnalité, de leur corps en mouvement, ils deviennent évidents à tel point qu'ils sont incapables de les caractériser. Par contre, lorsque les termes sont employés par les observateurs, ils servent à ne rien dire de précis, tout en semblant vouloir dire l'essentiel !

Combien de fois avons-nous entendu dire ou expliquer que si untel réussissait bien son produit, c'est qu'il avait un «sacré tour de main» ou un «sacré savoir-faire» ; à la question de savoir à quoi l'un et/ou Tautre cortespondaient, les regards se levaient au ciel comme pour exprimer l'immanence de cet état de fait dont il était impossible pour l'observateur de dire d'où il peut bien provenir, et ce 92

qui le caractérisait : le tour de main et le savoir-faire semblent donc mystérieux et fascinants pour celui qui ne le détient pas, banal et naturel à celui qui le possède.

Voilà bien une constatation propre à agacer l'esprit ethnologique !

La première question qui se pose à l'ethnologue est de savoir comment utiliser ces termes qui appartiennent au langage courant, qui possèdent ce que d'aucun nommerait «un sens commun». S'il me semble que nous pouvons légitimement les utiliser, c'est en faisant attention d'en faire apparaître le sens profond.

Tour de main et savoir-faire peuvent être employés pour décrire ce qui se passe dans le processus technique à Syam, mais ils recouvrent des réalités différentes. On ne peut pas dire qu'un ouvrier possède un «savoir-faire» à partir du moment où il est possesseur d'une technique, et qu'il l'exécute. Le concept de savoir-faire doit être réservé à des opérations techniques complexes, dont le premier critère de définition est qu'elles requièrent une habitude longue de plusieurs années de travau, tel que le travañ du chef lamineur.

Le tour de main est un geste technique exécuté correctement en situation. Il se différencie du geste technique simple qui est son modèle abstrait. Le tour de main est ce qui caractériserait un geste technique idéal dans son exécution, c'est-à-dire fait dans des conditions optimales de rentabilité et d'efficacité.

Dans le cas du laminage, les opérations de maneuvre de la barte appellent toutes un tour de main particulier. Le tour de main qui doit être intégré en premier est celui de l'avioteur qui porte la barre, puis celui du lamineur simple qui utilise de petites pinces, puis celui du dégrossisseur avec les pinces coquilles. La succession de l'apprentissage de ces «tours de main» fait progresser l'ouvrier vers des postes de plus en plus stratégiques pour le laminage.

Le parcours professionnel est le résultat de cet apprentissage de gestes techniques, dans lesquels est inclue la part du tour de main que devra acquérir l'ouvrier. Chaque tour de main étant particulier, notamment vis-à-vis du corps propre de l'individu (photo n° 33 du grand lamineur qui se baisse pour enfiler la baire). Certaines morphologies pouvant aller jusqu'à rendre difficile l'exécution de gestes techniques, comme le cas du lamineur en photo qui aura toutes les peines à exécuter le geste du dégrossisseur.

Comme le savoir-faire, le tour de main est le résultat de Tadaptation d'un corps, celui de l'ouvrier, à un geste technique idéal. Le rapport entre tour de main et l'individu qui l'acquiert est le même que celui qui se produit entre savoir-faire et individu : c'est un rapport physique et mental d'incorporation (au sens étymologique «in corpo), la différence essentielle est que le tour de main nécessite un apprentissage moins long, il est le résultat d'une adaptation plus simple du corps au geste idéal qui ne nécessite pas l'intégration d'un processus mental important (comme Test la mémoire des profils précédents dans le laminage).

Dans ces deux processus, la répétition, la mémoire rythmique est essentielle, mais elle Test d'autant plus dans le tour de main qui n'est souvent que la simple exécution répétitive du même geste, alors que le savoir-faire appelle une conception mentale qui se traduit dans la mémoire du réglage, qui vient constamment modifier ce qui, au départ, est aussi un geste technique répétitif. Le réglage de l'assiette du 93

Photo n° 33bis - Corps et geste technique : un grand lamineur 94

laminoir de la part du chef lamineur fait bien apparaître ce fait, il s'agit toujours du même geste, mais il est adapté différemment aux différents profils qui nécessitent tous un certain réglage. Le savoir-faire du chef lamineur réside à ce moment à ajouter un cran ou deux en fonction du profil d'essai produit. Ce réglage de précision se fait à partir de ce qu'il sait de sa machine et de la correspondance entre un cran supplémentaire et ce qu'il désire produire, si on lui demande pourquoi il retouche le réglage, il lui est difficile d'expliquer :

«Des fois, il faut plutôt toucher à l'assiette, d'autres fois, c'est en bas, ça dépend, c'est au jugé, à Teil. . .» (Jhilal).

Aucun manuel d'utilisation ne vient étayer cette connaissance, ce «savoir-faire» acquis sur cette machine, il est simplement le résultat de ce qu'il a vu ou pu faire dans des circonstances analogues.

* Du tour de main au savoir-faire

n existe malgré tout un rapport concret entre le tour de main et le savoir-faire qui se sime dans le processus d'apprentissage de ceux-ci par un individu. Mais la différence de degré de complexité de l'un et de Tautre est essentielle, on ne peut faire semblant de croire que l'un et Tautre intègrent les mêmes difficultés : maîtriser un savoir-faire ne peut se faire que dans une longue durée.

C'est sans doute pour cette raison que certains ethnologiques ayant réfléchi précédemment sur ce sujet, pensent que le savoir-faire s'applique plus à un processus technique de type artisanal, qu'à un processus technique industriel (encore faudrait-il se mettre d'accord sur la définition de l'un et Tautre terme).

Cette constatation, qui part d'un certain nombre d'émdes de tertain, comme celle de Kolham et Valiere (1986), intègre des éléments de Tordre de la «tradition» que nous préférerions définir comme faisant place à la «longue durée» (3).

Ce qui différencie tour de main et savoir-faire, c'est donc la complexité d'apprentissage de l'un par rapport à Tautre, et la longue durée nécessaire à l'intégration de ce demier.

Ce qui les rapproche, c'est qu'il s'agit d'une incorporation sous la forme de gestes techniques exécutables par l'ouvrier d'une manière qui, à la longue, peut paraître naturelle ou inconsciente.

Le geste technique «s'essentialise» en faisant partie intégrante de Thomme, de sorte qu'il lui devient souvent difficile de l'expliquer et donc a fortiori de le transmettre, sachant que, de toutes façons, l'un et Tautre ne se transmettent que par un double processus bien mis en évidence ici : l'imprégnation (le regard) et l'exécution (le geste) (4).

Aucun de ces éléments ne doit faire défaut à un processus d'intégration du tour de main comme du savoir-faire. On peut aussi envisager l'apprentissage du tour de main et des tours de main successifs, dans un certain ordre logique, comme une préparation au savoir-faire.

Mais le savoir-faire n'est pas pour autant réductible à l'intégration de tous les tours de main du laminage par exemple. Si le tour de main ne nécessite pas obligatoirement une intégration d'éléments empiriques de connaissance mécanique, qui peuvent être appelés théoriques au sens où nous l'entendons habimellement, le 95

savoir-faire lui en est bourré.

* Le processus humain de la technique

Cette technique du petit laminage s'est constimée petit à petit, au cours de ces longues années de travail sur des profils de plus en plus compliqués à réaliser. La production de masse automatisée des années d'après-guerte ne leur laissant guère le choix, car beaucoup plus concurrentielle en terme économique et de coût de production, la spécificité du laminage s'est développée dans des profils compliqués ou de petites quantités, réinventant même parfois des produits (et donc la manière de les produire) faits piusieurs dizaines d'années auparavant.

C'est donc dans l'usine, avec ces hommes et leurs prédécesseurs que s'est progressivement accumulée la connaissance de la manière de faire tel angle vif : faut-il le passer au refouloir ? combien de passes ? comment usiner ce cylindre ?

C'est à partir des profils déjà produits : du plus simple vers le plus compliqué que s'est bâtie cette connaissance qui permet de produire le nouveau profil. Le chef lamineur partant toujours d'un ancien profil qui lui ressemble (photo n° 34 - Stockage des anciens profils et examen de ceux-ci avant une nouvelle production).

Le processus de travail à Syam peut être décrit comme un processus cumulatif ou accumulatif qui permet de produire un profil à partir d'un stock de laminés dont le procès de production a été maîtrisé.

Le processus de production prend donc en compte les anciens modèles et leur manière de les produire, la chaîne des produits successifs allant des laminés les plus simples au départ : les plats ou les ronds aux laminés les plus complexes : les profilés.

Malgré tout, le savoir-faire n'est pas simplement cumulatif, il est cumulatif/adaptatif, il laisse une place à l'imagination (si on peut l'appeler ainsi) du chef lamineur pour produire un nouveau profil qui est toujours différent

* Une technique non écrite

Une des autres particularités de la technique du petit laminage à Syam est qu'elle n'est pas écrite, nous entendons dire plutôt qu'elle n'est pas transmise par l'écriture, car elle fait Tobjet d'une écriture mais cette écriture se constitue plus comme un mémorandum pour le chef lamineur que comme une manière de le communiquer. Pour l'expliquer, il nous faut poser un certain nombre de questions :

Cette non-transmission par l'écrit résulte-t-elle de la nature même de la technique qui ne se prêterait pas à une formalisation technique ?

Est-elle due au système traditionnel du travail que nous avons mis en évidence et qui permet qu'elle se maintienne en activité malgré les faibles investissements matériaux consentis ?

Qu'en est de cette question du «savoir-faire» que nous avons posée dès le départ et qui expliquerait la particularité historique de la technique détenue par le chef lamineur ? 96

Il est à notre avis impossible d'opposer ces trois questions fondamentales pour notre étude, qui doivent, si nous en croyons les études menées sur d'autres tertains, soulever les mêmes genres d'interrogations (5) : d'un point de vue tant social qu'historique, ce qui nous a semblé constimer un système d'apprentissage, dont nous avons vu Tévolution au cours de ces demières décennies et principalement depuis quarante ans, tend à promouvoir la constitution et la préservation individuelle de la technique (à cause des raisons pré-citées) par le biais de ce qu'il nous faut bien appeler un savoir-faire.

Pourquoi donc ce terme même de savoir-faire s'applique-t-il bien à la technique du petit laminage ? Parce qu'il se constime à l'expérience et que, jusqu'à maintenant, il n'a pu se constimer et se perpétuer autrement. Il est évident qu'historiquement, Tabsence d'investissement en mécanisation et en engeneering a favorisé ce système de préservation et de développement

Sur quel type de mémoire repose alors la technique ? La technique est écrite par celui qui veut se constituer un savoir de chef lamineur par Tobservation du précédent chef lamineur. Elle se constitue et est nécessaire pour le repère d'un seul : chaque chef lamineur constituant son propre camet à partir de ses observations.

Laissons parler ces chefs lamineurs sur la façon dont ils ont appris :

«J'ai appris dès le moment de BROSSY. . . Comment je faisais ? J'observais. . . je voyais les profils qu'il faisait. . . je notais les réglages avec ma notation à moi» (J. BINETRUY).

Cette «observation», qui dura plus de vingt ans, est tout ce qui fait la différence entre un futur chef lamineur et quelqu'un qui restera lamineur, c'est comme il le dit «à force de s'intéressen> que J. Binétray devint chef lamineur.

«S'intéresser», c'est se constimer des repères personnels en regardant faire, ne veut pas dire que les autres ne savent pas faire, mais simplement qu'ils ne se constituent pas une mémoire écrite personnelle : ils ne s'intéressent pas !

Jean Binétruy commence à constituer son «savoir» sur le laminage très tôt, avant même d'être lui même premier lamineur. Et déjà sous la férale du chef lamineur Eugène Brossy, alors qu'il ne lui succédera pas directement. C'est d'abord Deniset qui succède à Brossy.

Avant de devenir premier lamineur, celui qui «s'intéressait» constituait donc déjà son propre système de références, qu'il consignait sur un calepin de notes : cotations, passes et réglages (sa mémoire écrite). Le chef lamineur, qui commandait les opérations, avait lui même son système de références, de notations, mais il le gardait jalousement secret et n'en faisait profiter personne (surtout pas quelqu'un qui pouvait lui prendre sa place).

Chacun en observant la manière de faire du précédent arrivait à se constituer un calepin de notes empiriques et très personnelles, en dehors des conventions généralement utilisées dans le domaine technique. Cette absence de langage commun venant autant de Tabsence de formation scolaire (qui généralement le dispense) que de la nécessité de se préserver la «connaissance» acquise comme le dit Jean : «à force de s'intéresser». 97

Ainsi commença-t-il très tôt à acquérir ce qui constituera plus tard la base de son «savoir-faire» : sa mémoire des profils. Cette mémoire est essentielle dans la technique du laminage à Syam (puisque le profil ne peut être produit qu'à partir d'un autre profil), elle est en fait un élément constitutif du «savoir-faire» que l'on ne peut posséder que si l'on possède la mémoire de l'entreprise.

L'exemple cité dans l'industrie de la pile, par Kolmann et Valiere rejoint le nôtre :

«Le «Know How» du piliste prend sa place lorsque, après avoir épusié toutes les solutions capables de répondre au problème, il ne reste que celui-ci. C'est un appel à la mémoire d'entreprise qui ne se constrait que sur le souvenir et qui, en ce sens, ne peut toucher que les anciens» (KolmannA^alière, 1986).

Cet appel à la mémoire des anciens est constant, il est constimtif de la techmque du petit laminage de profils complexes.

* Savoir-faire et/ou connaissance

C'est plutôt à la constitution d'une connaissance que travaille le futur chef lamineur, que d'un réel savoir-faire. Si Ton respecte le cheminement décrit plus haut, le premier lamineur n'a pas à faire ! Or, le «savoir-faire» n'intervient et donc ne se constitue qu'en situation de chef lamineur. Une longue durée, entre 10 et 15 ans, est essentielle à la constimtion de cette mémoire du travail du laminage à Syam et ceci de manière indissociable de la technique elle-même qui ne peut se penser autrement que dans cette «mémoire évolutive», la nature de la technique du petit laminage étant constituée par cette mémoire qui représente le point de départ de la fabrication de tous nouveaux profils.

'* La faculté d'innover

Regarder travailler, noter personnellement grâce à son système, permet peut-être plus de ne pas être enfermé dans le système du maître. Ce système présente à la fois des inconvénients et des avantages : il ne met pas le futur chef lamineur en condition de travail, ce qui oblige à avoir recours à l'ancien chef lamineur pendant une certaine période, mais il rompt aussi délibérément avec une relation généralement difficile entre le maîtijc et l'élève (6) et permet au futur chef lamineur d'amener sa part personnelle au processus de production, ce qui est source d'innovation potentielle, ceci sans avoir le sentiment de trahir le maître puisque en principe il ne lui doit rien : il s'est constitué sa connaissance sur son dos et pas grâce à lui.

* Savoir-faire et outil de travail

Cette mémoire constituée Test dans les contingences fortes d'un outil de travail qui est le laminoir de Syam. Ce système de notations des réglages des passes a toutes les chances de se trouver inopérant sur un autre laminoir, d'autant que l'âge de celui-ci, les bricolages successifs, lui donne un «style» très particulier ! 98

n est donc difficile d'envisager que le chef lamineur puisse exercer ailleurs son «savoir-faire», celui-ci n'étant valable que sur cet outil de travail. On peut ainsi penser que ce «savoir-faire», que nous tentons d'éclaircir, est largement commun à des types de métiers qui laissent non seulement une large place à la mémoire technique détenue par l'homme, mais aussi à l'outil de travail sur lequel elle s'est constituée (ici le laminoir de Syam).

«Les fondeurs sont d'ordinaire gens forts mystérieux sur leurs ouvrages, par là ils obvient aux questions qu'ils ne peuvent résoudre ; ils ne savent que mécaniquement telle ou telle dimension ; il est rare de voir un fondeur réussir dans une autre province avec des mines différentes» (Gille, p. 152, tiré de L'Encyclopédie d'Alembert et Diderot).

Tout l'effort de l'industrie de ces demières années consista justement à réduire cette part humaine dans le procès de production, pour qu'elle devienne une part exécutée par la machine, ou en tous cas, tellement morcellée qu'elle soit complètement maîtrisée «d'en haut».

Ainsi le savoir-faire résulte d'un processus qui consiste à continuer pour Thomme à maîtriser sa technique. 11 existe là où Tengeneering n'a pas, pour des raisons diverses, encore réussi son muvre.

La question que Ton peut se poser dans le cas notamment des «systèmes experts» qui visent justement à remplacer Thomme dans cette tâche d'élaboration, c'est bien sûr jusqu'où ils poiuront aller : jusqu'où la nature même de la technique permettra de remplacer Thomme par la machine (7) ?

Cette question de néophytes permet de dire qu'en fait on assiste à un transfert de compétences sous ce transfert de technologies, peut-être inéluctable. Tingeneering de la technique du petit laminage permettrait à un groupe technocratique de dominer (enfin !) le procès de production du petit laminage, on assisterait à un transfert de technologie du bas vers le haut, devenu nécessaire par l'accroissement de la production, qui attire (enfin !) des investissements sur cette usine. L'évolution de la production de ces demiers mois laisse à penser que ce processus devient inéluctable, en tous cas, s'impose-t-il à l'esprit des décideurs.

Plus donc que la vétusté des locaux, c'est ce processus de production qui mérite qu'on le prenne en compte, le cadre devient alors anecdotique, charmant. Sans sous-estimer Timportance de l'outil de travail : sa modemisation signerait peut-être une perte du savoir-faire acquis sur d'autres bases, surtout si une CFAO (8) venait à remplacer complètement le rôle du détenteur de la mémoire technique de Tentreprise assurée aujourd'hui par le chef lamineur et le cylindreur, tout en posant des problèmes de traduction des données acmelles pour un ordinateur et sur un nouveau laminoir. 99

NOTES

(1) Nous disons bien à Theure acmelle, étant donné que cet état de fait peut être constitutif du désintérêt économique dans lequel fut laissée la technique et qui éloigna de celle-ci toute recherche.

(2) Voir glossaire.

(3) Sinon à définir la tradition comme quelque chose pouvant se constituer sur deux générations, ce" qui n'est pas l'acception généralement admise du terme.

(4) Nous entrons dans le domaine d'étude défini par Marcel MAUSS : savoir de quelle manière une société impose à ses individus «un usage rigoureusement déterminé de leurs corps», à la différence près que Mauss ne pensait pas aux techniques mais aux gestes de la vie quotidienne, le processus d'intégration de l'un et Tautre pouvait être le même à notre avis.

(5) Nous pensons bien sûr aux travaux de nos collègues franc-comtois, mais aussi à ceux menés sur la verterie en Lortaine, qui mettent encore plus explicitement en valeur la préservation des «savoir-faire» par une stratégie spatiale évidente.

(6) Qui est peut-être celle qui caractérise l'apprentissage au sein de Tartisanat.

(7) Certaines techniques qui font intervenir le sens esthétique de l'ouvrier semblent de ce point de vue pouvoir échapper à l'automatisation. Un exemple peut être pris dans la taille des piertes fines. Dans la lapidairerie industrielle d'une région voisine, un des premiers gestes de l'ouvrier est la pose de la couleur qui consiste à prendre la pierte sous son meilleur angle quant à sa couleur. Cette technique appelle un sens esthétique, et/ou un savoir-faire qui semble intransférable sur un système expert

(8) Conception Fabrication Assistée par Ordinateur. Cette technique fait une large place à l'ordinateur comme mémoire de Tentreprise et celui-ci facilite la jonction entre bureau d'étude (conception) et atelier (fabrication) en appliquant directement les directives de l'un sur Tautre. Jusqu'à maintenant, cette technologie se présente comme facilitant le travail des uns et des autres, notamment des dessinateurs. Mais on peut se demander si à Syam elle ne signerait pas la disparition d'une part de la fonction du chef lamineur, étant donnée la concurtence qui s'opérerait dans le rôle de mémoire de Tentreprise. 100

GLOSSAIRE

Assiette de réglage : Partie supérieure mobile du bâti soutenant les cylindres, qui sert au réglage de l'écartement des cylindres en jouant sur Taxe vertical supérieur qui élève ou abaisse le cylindre supérieur. Cette partie plate et sphérique est percée de trous (un par cm) qui reçoivent un axe. Le réglage est une tâche du chef lamineur (voir photo).

Au wagon : Expression vemaculaire employée autrefois avant l'introduction de fenwick pour le transport des billettes de la cisaille au four. C'est le deuxième chauffeur qui criant «au wagon» invitait tous les lamineurs, sauf le chef et le premier à aller pousser ce lourd wagonnet de billettes. Cette expression est signalée au cours de cette étude car elle est significative d'un nooment de forte convivialité dans le travail.

Aviot : Terme vemaculaire technique désignant la longue perche de métal employée encore aujourd'hui pour aider au laminage des billettes de plus de trente kilogrammes (voir photo).

4 . Avioteur : Terme vemaculaire désignant le poste qui consiste à se servir de cette longue perche. Ce poste était le second dans le parcours professionnel après celui d'apprenti.

5 . Ban d'étirage : Ensemble de la machine d'étirage, comprenant la filière, le mors et la chaîne de tirage sur son rail.

Ban de laminoir ou train de laminoir : Ensemble de la machine de laminoir comprenant les cages (bâtis), les cylindres, les axes verticaux et horizontaux.

7 . Billette : Terme vemaculaire et technique désignant la matière première travaillée aux Forges de Syam. C'est sous la forme de billettes longues (plusieurs mètres) qu'elles arrivent à Syam, déjà grossièrement laminées.

8 . Boîtes : Partie d'ensemble qui soutient le guide, et qui a pour fonction de permettre l'introduction de la billette dans chaque canelure.

9 . Cage : Terme générique servant à désigner la partie où se logent les cylindres. Le laminoir de Syam comporte cinq cages qui sont :

1 0 . Cage avant : Terme vemaculaire désignant la troisième cage en partant de la droite, qui supporte les cylindres du profil définitif avant son passage au refouloir. 101

1 1 . Cage de dégrossis : Terme vemaculaire désignant la première cage où s'effectuent les opérations de mise en forme grossière de la billette arrivée du four.

12. Cage de carré : Terme vemaculaire désignant la deuxième cage où s'effectuent les opérations qui amènent la billette à une forme prête à être travaillée, qui est généralement de forme losangique.

13. Cage de finissage : Terme vemaculaire désignant la demière cage du laminoir, la cinquième donc, qui donne sa forme définitive à la barre.

1 4 . Canelure : Terme technique désignant le résultat de l'usinage de la forme du profil dans le cylindre.

1 5 . Chauffer : Terme vemaculaire désignant le passage des billettes dans le four.

1 6 . Chauffeur : Poste de travail désignant la personne qui s'occupe d'alimenter le four en billettes, de surveiller leur parcours dans le four, leur tempéramre, et qui réalise le défoumement

1 7 . Chef chauffeur : Poste de travail désignant autrefois le détenteur du «savoir-faire» de la chauffe au charbon.

18. Chef lamineur : Poste de travail hiérarchiquement le plus élevé dans l'atelier de laminoir.

1 9 . Cisaille : Machine servant à débiter les billettes laminables en longueur.

2 0 . Cisailleur : Poste de travail sur la cisaille.

2 1 . Cylindre : Partie mobile du laminoir qui effecmé le laminage de la barte suivant les canelures qui y sont usinées.

2 2 . Cylindreur : Terme vemaculaire servant à désigner autrefois la personne qui était chargée de prévoir et d'effecmer les canelures sur le cylindre grâce à un tour.

2 3 . Décapage : Ensemble des opérations de trempage des bartes dans des bains d'acide et d'eau, qui se situent après le refroidissement de la barre laminée et avant le martelage des soies et l'étirage. 102

2 4 . Décapeur : Poste de travail consistant aux opérations de décapage, c'est surtout un poste de manutention.

2 5 . Défournage : Opération effecmée par le chauffeur qui consiste à sortir une des billettes du four, pour Tamener au laminage.

2 6 . Dégrossisseur : Terme vemaculaire désignant l'ouvrier lamineur chargé des premières opérations de laminage : le dégrossis. Ces ouvriers sont au nombre de deux de chaque côté de la cage de dégrossis.

2 7 . Demi-rond : Terme technique vemaculaire servant à désigner une forme de barre laminée simple.

2 8 . Ébauche : Dessin sommaire avec les cotations fait par le cylindreur au moment où il reçoit la commande.

2 9 . Enfournage : Terme vemaculaire désignant les opérations de manutention des billettes pour les introduire dans le four.

3 0 . Escarbille : Terme désignant les poussières résultant de la combustion du charbon.

3 1 . Étirage : Terme désignant l'action effecmée sur le ban d'étirage.

3 2 . Étireur : Terme désignant le poste de travail sur le ban d'étirage.

3 3 . Chef Étireur : Terme désignant auparavant le chef de l'atelier d'étirage, fonction hiérarchique la plus élevée de cet atelier.

3 4. Filière : Terme technique issu de la technique du tréfilage, qui désigne Télément mobile du ban d'étirage par lequel passe en force la barte laminée. L'usinage de cette filière est une des fonctions du cylindreur.

3 5 . Filière réglable : Filière qui a pour caractéristique d'être formée d'éléments mobiles qui permettent ainsi d'adopter une forme non complexe.

3 6 . Grenaillage : Terme technique décrivant un eaction de traitement de surface d'une barre laminée par projection de particules sur celle-ci. Le grenaillage est une opération finale qui permet d'acquérir un aspect de surface lisse pour des profilés très bien finis. 103

37. Gueulard : Terme technique qui désigne les ouvertures du four par lesquelles est introduit le charbon.

3 8 . Guides : Terme vemaculaire désignant les éléments de formes qui servent à diriger les bartes dans la canelure au moment du laminage. Chaque guide prend place dans une boîte et est usiné à la forme de la canelure pour s'y adapter parfaitement et introduire donc la barre au laminage.

3 9. Laminé (le) : Terme vemaculaire désignant de manière générique les produits finis du laminage.

4 0 . Mécanicien : Nom qui peut être donné au cylindreur.

4 1 . Montage : Terme vemaculaire désignant l'action de positionner de nouveaux cylindres dans leur cage. Un montage ou le montage.

4 2 . Mords : Terme technique désignant le crochet qui saisit la barre au-delà de la filière.

4 3 . Passe : Terme vemaculaire désignant le geste technique de laminage qui consiste à enfiler une barre dans une canelure.

4 4 . Pilonnage : Terme technique désignant l'action qui permet de faire les soies.

4 5 . Pinces : Outil qui sert à saisir la barte incandescente au cours du laminage pour l'introduire dans la canelure.

4 6 . Pinces coquilles : Grosses pinces spéciales qui servent au dégrossisseur.

4 7 . Polissage : Action finale qui consiste à préparer un bel aspect de surface de la barre laminée.

4 8. Plat (un) : Terme vemaculaire désignant une barre laminée d'une forme plate.

4 9 . Premier lamineur : Poste de travail désignant le responsable de l'atelier de laminage, qui a aussi sous ses ordres le chauffeur et le cisailleur.

5 0 . Premier chauffeur : Poste de travail désignant le responsable de la chauffe au charbon avant les années 1960. 104

5 1 . Profil : Terme vemaculaire qui désigne le dessin de la barre laminée lorsque celui-ci est complexe, c'est-à-dire non plat, ou rond et demi-rond.

5 2. Profilé (le) : Terme vemaculaire désignant une barre laminée ayant une forme complexe (profil de forme).

5 3 . Recuis (du) : Terme vemaculaire désignant une barre laminée ayant subi une rechauffe après son lanünage.

5 4 . Redresseur : Poste de travail qui consiste à mettre les bartes étirées droites.

5 5 . Redresseuse : Machine qui permet le redressage qui s'effectuait auparavant manuellement avec un maillet

5 6 . Redresseur à la plaque : Terme vemaculaire désignant un poste de ti-avail spécifique qui surveillait les opérations de refroidissement de la barte laminée de sorte qu'elle soit droite à la fîn de cette opération.

5 7 . Refroidissoir : Terme vemaculaire désignant la machine qui a remplacé le poste de redresseur à la plaque.

5 8 . Rond (un) : Terme vemaculaire désignant une forme simple de produit laminé.

5 9. Séquence d'essai : Terme vemaculaire désignant la période qui suit le montage de nouveaux cylindres et qui consiste dans le réglage fin de ceux-ci en laminant des petites sections de barres qui sont contrôlées dans leur cote.

6 0 . Soies : Terme vemaculaire désignant les embouts de bartes laminées qui sont aplatis pour être présentés à l'étirage.

61. Tour à usiner : Tour mécanique grâce auquel l'usineur effectue les canelures sur le cylindre.

6 2 . Toumeur : Terme modeme désignant aussi le cylindreur.

6 3 . Tremper les barres : Terme vemaculaire désignant l'action de décapage. 105

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