EFFET LOOP

LES

(Photo : X. D.R.) « Desdemona chantant le saule, Zerline bernant Mazetto, Ou Malcolm le plaid sur l’épaule; C’est toi que j’aime, ô ! »

(Théophile Gautier, extrait du poème Contralto, in Émaux et Camées, 1852) e

Aubrey Beardsley : Julie d'Aubigny dite La Maupin, 1898. Une des 6 illustrations du roman de T. Gauthier : Mademoiselle de Maupin (D.R.)

LE BLABLA

Contralto: contraction de contratenor altus : Tout contre le teneur. De contra : contre (au sens de près) et de alto : haut. Terme utilisé dans le vocabulaire musical italien. Durant la période du baroque en France : Basse-dessus (ou Bas-dessus). Dans le chant lyrique, désigne un registre précis et une voix de soliste. Alto est le terme privilégié pour un chœur.

Les différentes tessitures des voix en comparaison d’un clavier de piano (http://tpe-sur-la-voix.mozello.fr/) D.R. « AND SEE MY QUEEN » 1 Le terme contralto est employé dans l’art lyrique pour désigner la voix d’une chanteuse dont la hauteur vocale est la plus grave. Cette voix « sépulcrale » 22 qui trouble les frontières du genre a souvent fasciné l’auditoire au-delà du champ purement lyrique à l’instar des castrats d’autrefois. La tessiture 3 des contraltos est semblable à celle des contre-ténors dans le répertoire masculin. La différence notable est que chez les contraltos, il s'agit d'une voix de poitrine alors que chez les contre-ténors ou faussets4 mais également chez les sopranos, il s'agit d'une voix de tête. Les véritables contraltos sont rares. Par conséquent, ce sont souvent des mezzo-sopranos, plus nombreuses qui ont endossé des rôles de contraltos. Quoiqu’il en soit, pour toutes ces voix, on distingue plusieurs critères liés au timbre, à la puissance, à la couleur, à la profondeur... Pour les contraltos, on peut évoquer l’alto bouffe et le contralto dramatique. Alors que l’alto bouffe se consacre à des rôles plutôt comiques et possède généralement une étendue moins importante et une tessiture plus légère, le contralto dramatique au timbre plus chaleureux et à la voix plus profonde, se retrouve dans des personnages féminins plus sombres comme ceux créés par Wagner. On a aussi utilisé le terme de contraltino pour désigner un contralto aigu. La colorature quant à elle, possède un ambitus large. Ceci lui permet de vocaliser du grave à l’aigu avec beaucoup d'agilité et de virtuosité. Les chanteurs

1 Solomon , Acte I – scène 2 , Salomon, récitatif (Oratorio en 3 actes de G. F. Haendel, 1749) 2 Alain Perroux définit le contralto comme une « voix féminine sépulcrale » (In L'opéra, mode d'emploi – Avant-scène Opéra 2015) 3 La tessiture correspond à l'ensemble des notes chantées aisément par un chanteur. Ne pas confondre avec l'ambitus qui regroupe toutes les notes que ce même chanteur peut chanter y compris les notes les plus extrêmes (où il/elle peut être peu à l'aise). 4 Fréquents dans le baroque italien. Cette expression pouvait aussi être usitée pour désigner des voix de contraltos. La haute-contre, en revanche est un ténor aigu à voix mixte (poitrine/tête) très fréquente dans le répertoire baroque français.

lyriques ayant une influence sur leur voix peuvent accentuer tantôt légèreté, tantôt maturité, selon les rôles qu'ils vont devoir interpréter. Quant aux personnages joués par des contraltos, ce sont souvent des seconds rôles. Il s’agit principalement de femmes mûres, de mères aux conseils avisés. Erda dans Das Rheingold (L'Or du Rhin) de Wagner en est un exemple. Elles peuvent également revêtir des rôles de sorcière comme Ulrica dans Un Ballo in Maschera (Un Bal Masqué) de Verdi et la Comtesse dans La Dame de Pique de Tchaïkovski. Elles sont tour à tour inquiétantes, empruntes de sagesse, sombres ou maternelles. leur registre intimiste est caractérisé par des aspects psychologiques parfois plus complexes que ceux dévolus aux premiers rôles. Enfin, la contralto peut se travestir et jouer des rôles masculins et ce, depuis l'âge baroque. Particularité qu’elle partage avec la mezzo-soprano.

Deux périodes mettent particulièrement ces voix à l’honneur : le baroque et l’époque romantique.

Elena Zaremba (Pauline) et Ewa Podleś (La Comtesse) dans La Dame de Pique de Tchaïkovski. (Photo © A Bofill)

A partir du 17e siècle le schéma des voix se met en place. Cependant, en France durant la période baroque notamment, on ne trouve pas de répertoire dédié aux contraltos à proprement dit. Les rôles de basses-dessus correspondent à des tessitures de sopranos graves. Il n’en va pas de même outre-Manche et de l’autre côté des Alpes. Haendel ou bien Vivaldi offrent plusieurs rôles aux contraltos. Deux grands oratorios en témoignent : celui de Vivaldi, (Judith Triomphante, 1716) est uniquement composé d’un effectif féminin. Il offre une scène de premier plan aux voix graves puisque cette œuvre comporte principalement des voix de contraltos et de mezzo-sopranos. Celui de Haendel, Solomon (Salomon, 1749), qu’il créa spécialement pour une contralto incarnant, travestie dans des vêtements masculins, le roi Salomon.

La Merighi, Francesca Bertolli, Diana Vico, Jane Barbier entre autres font partie des chanteuses contraltos ayant travaillé avec Haendel à l'instar d'un Senesino et d'un Nicolini, célèbres castrats de cette époque. Dans l'opéra baroque, certains de ces rôles pouvaient être également joués par des castrats. Il n'y a pourtant pas à proprement parler d'interchangeabilité entre ces deux types de voix puisque les compositeurs pouvaient préférer une contralto pour tel rôle masculin et à l'inverse, un castrat pour tel rôle féminin. Le travestissement scénique masculin/féminin était relativement courant durant la période baroque même si la présence de femmes sur une scène de théâtre ou de ballet n'était pas anodine. Notons que ces rôles travestis pouvaient être alternés sur scène dans une même œuvre selon les desiderata de certains compositeurs.

La deuxième période faste pour ces chanteuses émerge au 19ème siècle, à l'époque romantique. Le compositeur Gioacchino Rossini (1792-1868) en était un fervent admirateur. Il créera en tout 21 opéras où des contraltos occupent une place de premier ordre. Par exemple, celui du rôle-titre de Tancredi, tenu par une femme contralto travestie, dans ce que l'on considère comme son premier opéra (1813). « Nature charmante et bizarre Que Dieu d'un double attrait para » 5

Rossini, à la mode durant le premier tiers du 19e siècle, donne le ton en matière opératique : les contraltos sont à l'honneur et en retour, le public les plébiscite. Autre facteur expliquant le retour des voix graves féminines, la disparition progressive des castrats depuis la fin 18e siècle. Il faut remplacer ces voix, les contraltos s’y prêtent volontiers, leur ambitus correspondant à une partie des rôles de castrats. Remarquons que pour bien des raisons, castrats (puis de nos jours contre-ténors) et contraltos ont des trajectoires intimement liées. Outre le fait qu’ils ont tous deux chanté ensemble puis se sont mutuellement remplacés sur scène (entraînant parfois quelques rivalités), les contraltos ont, de plus pu être initiées à la musique par des castrats, comme la chanteuse rossinienne R. Pisaroni6. Enfin, la rareté de leurs voix respectives et surtout l’étrangeté, le trouble qu’elles génèrent font forte impression chez de nombreux auditeurs. Entre fascination et répulsion, les sentiments provoqués par leurs exploits vocaux ont tout autant à voir avec l’esthétique qu’avec des considérations parfois bien éloignées de leur art. Si la fascination n’est pas au rendez-vous, c’est l’inquiétude et même la raillerie qui pointent chez certains commentateurs.

5Cf. : Théophile Gautier Contralto in Émaux et camées (1852) 6 Cf. : L’article de C. Giron-Panel : Baroque-stars : le castrat et la diva. Approches de la célébrité musicale au XVIIIe siècle (Voir Rubrique Surfer)

Incarnant le hors norme absolu, ces deux types de voix ne sont pas néanmoins les seules à susciter des commentaires. Les sopranos et mezzos n’échappent pas non plus à des remarques plus ou moins amènes. Divas absolues, elles sont dépeintes comme les parangons d’une féminité caricaturale : capricieuses, survoltées, hystériques, vénales, égocentriques… A la fin du 19e siècle, même si la préférence va vers les voix aiguës, les musiques française et allemande ne se détournent pourtant pas des contraltos. Aussi bien dans des mélodies, chansons, lieder écrites par Mahler, Brahms, Chausson, Saint-Saëns, Elgar…que dans des opéras. Citons-en deux qui offrent de beaux rôles aux contraltos : Geneviève dans Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, et Mrs Quickly dans Falstaff de Giuseppe Verdi. Mais progressivement, le rayonnement de ces voix s’éclipse à l’exception toutefois au 20e siècle de . Il écrit un 1er rôle de contralto, l’héroïne Lucrèce dans son opéra Le viol de Lucrèce créé en 1946 par Kathleen Ferrier7.

Au cours de ce siècle, des contre-ténors vont progressivement occuper des rôles de personnages masculins jadis dévolus aux contraltos ou aux mezzos : Orphée, Didon, …Il s’agit principalement d’un répertoire baroque qui sied aux deux voix mais la plupart des metteurs en scène privilégient les contre- ténors pour une question de vraisemblance physique. Ironie du sort puisqu’une fois de plus, ces deux registres lyriques se disputent la place... Malgré tout, on assiste depuis quelques temps à un regain d’intérêt pour ces voix féminines hors du commun. En atteste l'engouement récent généré par des chanteuses comme Marie-Nicole Lemieux ou Nathalie Stutzmann. Dans des opéras ou bien des oratorios, ces deux artistes contemporaines endossent même derechef des rôles de travestis masculins. Citons par exemple les rôles-titres d’ de Vivaldi pour Lemieux et Ottone de Haendel pour Stutzmann.

Félix Nadar : Gioacchino Rossini, 1856 (Domaine public)

« QUE TU ME PLAIS, Ô TIMBRE ÉTRANGE!” 8

L’ambiguïté du genre qui traverse l’histoire des contraltos ne cesse de nourrir l’imaginaire des écrivains du 19e siècle, attirés par tout ce qui relève du bizarre, de l’étrange, de ce qui échappe à la norme et à la « normalité ». A cette époque, ce sont la Malibran (plutôt mezzo) puis Pauline Viardot, Marietta Alboni qui fascinent le public. « Est-ce un jeune homme, est-ce une femme, est-ce une déesse, ou bien un dieu ? » clame Théophile Gautier dans son poème Contralto. C’est dans son recueil de poésies Émaux et

7Cf. : Chapitre. Les merles blancs 8 Extrait du poème de Théophile Gautier Contralto (op.cit.)

Camées que l’auteur déclare en vers sa passion pour les contraltos. Il est un éminent critique d’art et de spectacles ayant écrit des articles pour différents journaux. Mélomane averti, il consacre des textes à de nombreux compositeurs. Il participe également à la confection du livret du ballet Gisèle ou Les Wilis d’Adolphe Adam (1841) avec la complicité du librettiste Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges. Il écrit aussi six poésies mises en musique par Hector Berlioz dans Les Nuits d’Été. Par la suite, il écrira quatre autres livrets de ballets. La première édition de son recueil de poésies paraît en 1852. Théophile Gautier, grand amateur de ces voix s'est également inspiré d’une artiste lyrique ayant réellement existé, La Maupin. Elle est l‘héroïne de son premier roman intitulé Mademoiselle de Maupin, paru en 1835. La véritable Mademoiselle Maupin alias Julie d'Aubigny est née en 1670, sous le règne de Louis XIV. Devenue comédienne et cantatrice, elle se distingue tout autant par son talent que par sa vie digne d’une héroïne de roman. Élevée en partie comme un garçon par son père, Gaston d'Aubigny secrétaire du Comte d'Armagnac, elle reçoit des leçons d'escrime. Son autre passion est le chant. Elle débute à l’Opéra de Paris en 1690. Adulte, ses nombreux duels vont lui attirer des ennuis qui l’amèneront à fuir la France pour s’installer en Belgique. Son retour au pays natal sera également marqué par des retrouvailles avec la scène. Elle reprend alors des rôles d'opéra jusque là interprétés par la chanteuse Marthe Le Rochois (1650-1728). Contemporaine du baroque français, elle interprète des œuvres de Lully, de Destouches, de Campra... Du reste, ce dernier lui destine le rôle de Clorinde, dans sa tragédie lyrique Tancrède (1702). Malgré cette tumultueuse existence, elle finit dans l'oubli et meurt en 1707.

Théophile Gautier fit l’admiration d’un Baudelaire, ce dernier lui dédicace Les Fleurs du mal mais aussi celles d’un Zola ou encore d’un Banville, ce qui entérine cet auteur comme l’un des plus dignes représentants du style parnassien, dont la préface de Mademoiselle de Maupin en est un parfait manifeste9.

Gautier n'est pas le seul écrivain du 19ème siècle à considérer la voix de contralto comme la voix « assoluta », la voix d'un être jugé complet. George Sand et Stendhal se passionnent également pour ces voix graves et profondes. Dans ses correspondances mais aussi dans son ouvrage Vie de Rossini, ce dernier, par ailleurs également critique d’art et fan du compositeur, se passionne pour les contraltos rossiniennes et compare la voix de l’une d’elle à des peintures en sfumato (« Contralto sfumato »).

François Théodore Rochard : George Sand vers 1835 (Photo : X. D.R.)

9Le mouvement parnassien est un mouvement littéraire et poétique qui s’oppose au lyrisme de la période romantique et souhaite retirer toute forme d’utilité à l’art : cf. « L’art pour l’art » de T .Gautier : « On ne se fait pas un bonnet de coton d’une métonymie, on ne chausse pas une comparaison en guise de pantoufle ; on ne se peut servir d’une antithèse pour parapluie ; malheureusement, on ne saurait se plaquer sur le ventre quelques rimes bariolées en manière de gilet. « Préface de Mademoiselle de Maupin, p. 20 ou encore : « À quoi bon la musique ? à quoi bon la peinture ? Qui aurait la folie de préférer Mozart à M. Carrel, et Michel-Ange à l’inventeur de la moutarde blanche ? », id. p. 23 ; voir Rubrique surfer)

De La Maupin à La Dupin, il n’y a qu’un pas... Dans l’œuvre de George Sand, plusieurs de ses personnages féminins sont des cantatrices et en bonne part, des contraltos. La récurrence de ce type de personnage dans ses romans fait écho à l'androgynie et à la dualité masculin féminin qui traversent son œuvre et sa vie : Leila, Quintinia, Fiamma et surtout Consuelo. Roman éponyme paru en 1843, il est dédié à la célèbre mezzo / contralto Pauline Viardot10. Ce récit décrit l'ascension sociale d'une chanteuse du 18e siècle originaire de Bohême qui devient compositrice. Pour certains critiques, cette histoire est construite comme un opéra. Mais ce livre évoque tout aussi bien La Tesi, déjà citée dans des écrits de Casanova ou bien encore Maria Malibran (1808-1836), la sœur de Pauline Viardot, cantatrice également. Considérée comme l’une des plus grandes chanteuses lyriques de l’histoire de l’opéra, La Malibran est l’une des premières à se voir affubler du terme de diva. Sa vaste amplitude vocale qui couvrait un répertoire de mezzo pouvant s’échapper vers le contralto et le soprano, son extrême expressivité, son talent théâtral mais aussi son décès précoce à l’âge de 28 ans des suites d’un accident de cheval en font une héroïne romantique et romanesque par excellence. Elle est adulée par de nombreux artistes. Atterré par son décès précoce, Alfred de Musset lui consacrera ces vers dans lesquels il fait référence, tout comme Gautier, à l'air du saule d'Otello chanté par Desdémone :

« N'était-ce pas hier, fille joyeuse et folle, Que ta verve railleuse animait Corilla, Et que tu nous lançais avec la Rosina La roulade amoureuse et l’œillade espagnole? Ces pleurs sur tes bras nus, quand tu chantais le Saule, N’était-ce pas hier, pâle Desdemona »11

Lamartine rédige son épitaphe. Camille Saint-Saëns, amateur des voix de contralto, consacre quant à lui, un poème à la sœur de la défunte cantatrice dans son recueil Rimes Familières (1890) intitulé A Madame Pauline Viardot.

LES MERLES BLANCS12 Bien qu’assez rares, et sans chercher l’exhaustivité, voici de grands noms de contraltos qui ont marqué l’histoire du chant lyrique depuis le 19e siècle.

Trois italiennes, contemporaines de Rossini ont brillé durant la deuxième moitié du 19e siècle : Maria Marcolini (1780-1855), Benedetta Rosmunda Pisaroni (1793-1872) et Marietta Alboni (1826-1894), élève du compositeur. En France, Pauline Garcia-Viardot (1821-1910) demeure un mythe. Mezzo-soprano / contralto, elle est la fille d’un ténor qui chanta dans des opéras de Rossini. Pianiste prometteuse, élève de Liszt, elle se voit contrainte par sa mère de prendre la suite du parcours lyrique de sa sœur décédée, la non moins célèbre Maria Malibran. Elle a créé entre autres, la rhapsodie pour contralto de Johannes Brahms. Le rôle de Fidès dans l’opéra Le Prophète de Meyerbeer a été écrit pour elle. Ce rôle passe pour être l’un des plus adapté à ce registre vocal. Elle a aussi interprété avec talent des rôles dramatiques de Gluck. P. Viardot est à la croisée de nombreux artistes qui ont marqué ce siècle. De grands compositeurs de son époque ont aussi composé pour elle. Dans le désordre : Chopin; Sand; James; Dickens; Delacroix; Flaubert; Gounod; Saint-Saëns; Tchaïkovski... Sans oublier Ivan Tourgueniev dont

10 Cf. : Chapitre. Les merles blancs 11 Cf. : Alfred de Musset : A la Malibran, Stances ; IX (Voir rubrique Surfer) 12 D ‘après Mayriane Héglon, Cantatrice belge, professeur de déclamation lyrique au Conservatoire, en parlant de la rareté des contraltos et des ténors (Revue Musica, 1908).

elle fut l’amie intime. Parallèlement au chant, elle continuera à jouer du piano, notamment en compagnie de son amie Clara Schumann et composera des œuvres musicales dont les enregistrements effectués par divers interprètes, sont disponibles dans l’édition musicale. La contralto franco-allemande Sigrid Onégin (1889-91?-1943). Née Elisabeth Hoffmann, ses nom et prénom font écho à Siegfried de Wagner et Eugène Onegin de Tchaikovsky, d'après Pouchkine13. Une des plus grandes contraltos du 20e siècle à la voix très étendue et expressive. De la même génération, évoquons Emmi Leisner (1895-1958) : Allemande d’origine danoise, Emmi Leisner se révèle précoce dans l’art du chant. Elle interprète de grands rôles auprès d’illustres chefs d’orchestre : Amneris, Dalila, Brangane, Fricka et Erda. A partir de 1922, elle reprend des rôles dans d’autres répertoires, notamment Schubert et Brahms. Parallèlement, elle favorise la reconnaissance de compositeurs contemporains tel Hans Pfitzner dans ses Lieder. Participant à des oratorios, elle est remarquée dans ses interprétations de Bach et de Haendel. En ce début du 20e siècle en Europe, il ne faut pas oublier de citer la britannique Clara Butt (1872-1936) admirée par Saint-Saëns et Elgar, la suédoise Karin Branzell (1891-1974). Outre-Atlantique, il y a Ernestine Schumann-Heink (1861-1936). D'une grande richesse vocale, elle demeure l'une des grandes contraltos du début du 20e siècle ; Marian Anderson (1897-1993) qui exerça son talent aussi bien dans le negro spiritual que dans le lied et l'oratorio. Première chanteuse lyrique afro-américaine à chanter au Metropolitan Opera House de New York en 1955 dans Un bal Masqué de Verdi. Nées au début du siècle dernier, citons Aafje Heynis (1924-2015) , néerlandaise qui excelle dans les oratorios, les lieder et le répertoire religieux de compositeurs tels que Bach, Brahms, Mahler; la galloise Helen Watts (1927-2009), brillante interprète de Bach. Britannique également, Kathleen Ferrier (1912-1953), à l'étendue vocale phénoménale, est un monument à elle seule. Elle demeure l’une des plus grandes contraltos du 20e siècle. Pourtant elle débuta tardivement le chant lyrique, sa première leçon datant de 1939 lorsqu’elle avait 27 ans ! Rapidement remarquée pour sa voix exceptionnelle, (cf. Das Lied der Erde et les Kindertotenlieder de Mahler) sa carrière s’interrompt brutalement en 1953, année où elle succombe à un cancer. Elle a séduit les plus grands chefs de l’époque, Barbirolli, Malcolm Sergent, Karajan, Klemperer, Bruck, Boult et surtout Bruno Walter, qui lui fit découvrir Mahler. En Amérique, la canadienne Maureen Forrester (1930-2010), appréciée dans les répertoires de Mahler mais aussi ceux de Haendel et Brahms a souvent été comparée à Kathleen Ferrier.

13 Et de son mariage fictif avec la pianiste Agnes Elisabeth Overbeck sous le pseudonyme de Baron Onegin.

Kathleen Ferrier dans le rôle d'Orphée de l'opéra Orphée et Eurydice de Gluck (Photo : X D.R.) Emmi Leisner dans un rôle wagnérien (Fricka?) (Photo : X. D.R.) Toujours en activité, mentionnons Ewa Podles (1952), contralto colorature polonaise à la présence scénique hors du commun et à la grande profondeur vocale, qui excelle dans le répertoire de Rossini; l’italienne Sara Mingardo (1961) à l'aise sur différentes périodes, du baroque au bel canto. Elle se caractérise surtout par ses interprétations de rôles dans des opéras de Vivaldi et par son répertoire rossinien; la galloise Hilary Summers (1965) qui, outre les répertoires baroque et classique, s'illustre également dans la musique contemporaine notamment dans des œuvres de Peter Eötvös et de Elliott Carter. Elle a également participé à la B.O. Du Seigneur des Anneaux et travaillé avec Michael Nyman. L'italienne Sonia Prina (1975) et la française Delphine Galou (1977) sont aussi de grandes contraltos de leur génération.

Terminons ce tour d’horizon des talentueux contraltos par deux francophones, la française Nathalie Stutzmann et la québécoise Marie-Nicole Lemieux.

Dotée d’une voix grave dès l’âge de cinq ans, Nathalie Stutzmann (1965) également chef d’orchestre et originairement pianiste et bassoniste, affirme que l’ « on naît contralto ». D’une mère soprano lyrique et d’un père baryton-basse, elle est baignée dans l’univers du chant lyrique dès son plus jeune âge. « Malheureusement, peu de rôles dans le répertoire romantique correspondent à ma voix, mise à part Erda que j’ai chanté en concert. Ulrica pose le même problème que Dalila. La partition au début est celle d’un alto puis elle évolue ensuite vers le mezzo-soprano. [...] « Printemps qui commence » ou « Mon cœur s’ouvre à ta voix », c’est tellement beau ! Et puis il y a Orphée de Gluck, version Berlioz, que j’ai chanté plusieurs fois en concert ».14 Dans une autre interview15, elle explique qu'une voix de contralto arrive à maturité plus tardivement qu'une voix d'un registre plus aigu, « un peu à la manière d'un vin de garde ».

14 Cf. Interview de Christophe Rizoud in Forum Opéra. 15 Cf. : Interview du 27/11/2012 dans Tutti Magazine (Voir Rubrique Surfer)

Nathalie Stutzmann (Photo : © Simon Fowler) Marie-Nicole Lemieux (Photo : © Denis Rouvre)

La canadienne Marie-Nicole Lemieux (1975)16, quant à elle, s’illustre par sa présence scénique généreuse et sa grande virtuosité dans des œuvres aussi variées que celles de Vivaldi, Haendel, Mahler, Berlioz, Rossini, Wagner ou encore Puccini. L'artiste québécoise ne manque pas non plus d'humour et de truculence. Son dernier album, Mer(s) où l'élément marin prédomine, réunit trois œuvres du 19e de Chausson, Elgar et Joncières.

Ary Scheffer : Pauline Viardot, 1840 (Musée de la Vie Romantique, Paris – Photo : X ; D.R.) Inconnu : Portrait de Maria Malibran, vers 1834 (Photo : X. D.R.)

Si au cours du temps, les contraltos ont été peu à peu supplantées par les mezzo-sopranos et les sopranos dans des rôles phares, on constate en ce début du 21e siècle, le retour de ces voix exceptionnelles sur la scène, dans le cœur des amateurs d’art lyrique et dans les nombreux enregistrements qui sont édités chaque année17. Par la (re)découverte de répertoires baroques, romantiques ou bien plus contemporains, par l’étonnement et le trouble que suscite encore la magie de leur voix, les contraltos n’ont décidément pas fini de faire parler d’elles.

16Écouter à son sujet, la passionnante interview d’Augustin Trapenard sur France Inter dans l'émission Boomerang du 12 décembre 2019, disponible en podcast (Voir rubrique Surfer) 17 Les contre-ténors récupérant quant à eux, une aura suscitée autrefois par les castrats.

A LA MEDIATHEQUE

ECOUTER

ALBINONI Tomaso : 12 cantates pour soprano et contralto op. 4/ E. Biscuola, c. 342 ALB BACH Jean-Sebastien : Une cantate imaginaire / N. Stutzmann, c. 342 BAC BARTOLI Cecilia : Opera prohibita 3.99 BAR BARTOLI Ceccilia : Maria 3.99 BAR BARTOLI Cecilia : Sacrificium 3.99 BAR BARTOLI Cecilia : 3.99 BAR BENJAMIN George : Into the little hill / H. Summers, c. 420 BEN CAVALLI Francesco : Ombra mai fu / M.N. Lemieux, c. 336 CAV CHOPIN Frédéric : Les 19 mélodies, op. 74 / E. Podles, c. 331 CHO DEBUSSY Claude : Pelléas et Mélisande 335 DEB DI DONATO Joyce: Diva Divo 3.99 DID ELGAR Edward: The music makers – The Spirit of Enland / S. Connolly, m-sop. 330 ELG FOUR FAMOUS CONTRALTOS ON THE PAST: E. Leisner, S. Onegin, K. Branzell, R. Anday 3.99 ANT HAENDEL Georg Friedrich: Ariodante / E. Podles, c. 335 HAE HAENDEL Georg Friedrich: Ottone 335 HAE HAENDEL Georg Friedrich: Solomon / 335 HAE HAENDEL Georg Friedrich: Arcadian duets / S. Mingardo ; M. Mijanovic, c. 334 HAE

HAENDEL Georg Friedrich: Heroes from the shadows / N. Stutzmann, C. IBERT Jacques: L’Aiglon / M.C. Lemieux, c. 335 IBE LEMIEUX Marie-Nicole : Mer(s) 3.99 LEM LEMIEUX Marie-Nicole : Ne me refuse pas 3.99 LEM MAHLER Gustav / BRAHMS Johannes : Kindertotenlieder - Liebeslieder-Walzer / K. Ferrier, c. 331 MAH MEYERBEER Giacomo : Le Prophète / M. Horne, m-c. 335 MEY MOZART Wolfgang Amadeus: Opera arias 330 MOZ NYMAN Michael: Mozart 252 / H. Summers, c. 335 NYM ROSSINI Gioacchino : Rossini, si si si si ! / M.N. Lemieux, c. 336 ROS ROSSINI Gioacchino : Tancredi / E. Podles, c. 335 ROS SCHUMANN Robert : Frauenliebe und Leben / M.N. Lemieux, c. 331 SCH STRAUSS / WEBERN / BRAHMS : Vienne 1900 300.06 ANT STUTZMANN Nathalie : Quella fiamma 318.99 STU UNE FETE BAROQUE ! : S. Mingardo ; M. Mijanovic, c. 304 ANT VIARDOT Pauline : Intégrale des mélodies russes 331VIA VIVALDI Antonio : Griselda / M.N. Lemieux, c. 335 VIV VIVALDI Antonio : Orlando / D. Galou 335 VIV VIVALDI Antonio : Arie e cantate per contralto / D. Galou, c. 342 VIV VIVALDI Antonio : Vivaldi, il furioso ! / M.N. Lemieux ; S. Mingardo, c. 330 VIV VIVALDI Antonio / SCARLATTI : Gloria / Dixit Dominus 340 VIV VIVALDI Antonio : Juditha Triumphans 335 VIV

WAGNER Richard : Der Ring des Nibelungen 335 WAG WEBBER Andrew Lloyd: Phantom of the opera 520 WEB LIRE

BRUNEL Pierre / WOLFF Stéphane (Dir.) : L’Opéra 782.1 OPE GAUTIER Théophile : Mademoiselle de Maupin R GAU GAUTIER Théophile : Emaux et Camées 841 GAU LEROUX Gaston : Le fantôme de l’opéra J R LER MAETERLINCK Maurice : Pelléas et Mélisande 842MAE OLIVIER Philippe (Dir.) : Opéra 782.1 OPE OPÉRA DE PARIS (L’ ) 779 OPE PERROT Michèle : George Sand à Nohant 840.9 SAN PERROUX Alain : L’Opéra mode d’emploi 783.04 PER SAND George : Consuelo. La Comtesse de Rudolstadt R SAN SAND George: Pauline R SAN SAND George: Histoire de ma vie B SAN STENDHAL : Correspondances 3 1835-1842 846 STE STENDHAL : Oeuvres intimes T. 1 & T. 2 840 STE STENDHAL : Rome, Naples, Florence 840 STE STENDHAL : Chroniques italiennes R STE STENDHAL : Vie de Henry Brulard R STE VIDAL Laurence : L’Opéra de Pékin 789.48 VID XU Chengbei : L’Opéra de Pékin 792.5 XU

INTERPRETER

BONNARDOT Jacqueline : Les classiques du chant pour voix de ténor 783 BON CARÊME Maurice : Je chante M. Carême : pour voix & piano ; 17 poèmes mis en musique 783 CAR LAIGLE Fabrice : Bien débuter le chant 780 LAI NORTHCOTE Sydney: Mezzo-soprano songs 783 NOR PHILLIPS Pamela S. : Je débute le chant pour les nul 780 PHI SCHUBERT Franz : Der Hirt auf dem Felsen : pour chant, clarinette et piano 783 SCH VERDI Giuseppe: Opera : Arias for soprano 783 VER

VOIR

ADAM Adolphe: Giselle / The Royal Ballet ; B. Gruzin, dir. ADA ADAM Adolphe: Giselle / Théâtre du Bolchoï ADA GLUCK Christoph Willibald: Orphée et Eurydice / V. Kasarova, m.-sop. GLU GOUNOD Charles : Faust GOU MAHLER Gustav : Das Lied von der Erde / C. Ludwig, c. MAH MASSENET Jules : Cendrillon : Conte de fées en 4 actes / E. Podles, c. MAS VERDI Giuseppe : Otello / K. Stoyoyanova, sop. VER VERDI Giuseppe : Falstaff / M.N. Lemieux, c. VER VIVALDI Antonio : Orlando Furioso / M. Horne, m.-sop. VIV VIVALDI Antonio : Il / S. Prina, D. Galou, c. VIV

SURFER https://fr.wikisource.org/wiki/Mademoiselle_de_Maupin/%C3%89dition_1880/Pr%C3%A9face#22 (Mademoiselle de Maupin, préface et texte intégral en ligne) http://www.associationamisstendhal.org/ (Association des amis de Stendhal) http://www.bouquineux.com/index.php?telecharger=985&Sand-Consuelo_-_Tome_I (Consuelo de G. Sand en PDF – 3 tomes) https://www.resmusica.com/2008/12/24/nathalie-stutzmann/ (Interview de Nathalie Stutzmann) http://www.tutti-magazine.fr/news/page/Interview-Nathalie-Stutzmann-Orfeo-55-Cantate-Imaginaire-fr/ (Autre interview de N Stutzmann) https://www.francemusique.fr/emissions/les-grands-entretiens/nathalie-stutzmann-chef-d-orchestre-1-5-37393 (Les grands entretiens : N. Stuzmann sur France Musique) https://www.francemusique.fr/emissions/les-grands-entretiens/marie-nicole-lemieux-1-1-57645 (Les grands entretiens : Marie-Nicole Lemieux sur France Musique) https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-12-decembre-2019 (Boomerang sur France Inter : ML Lemieux) https://www.francemusique.fr/emissions/horizons-chimeriques/kathleen-ferrier-il-y-60-ans-27327 (Horizons chimériques sur France Musique : K. Ferrier) https://www.franceinter.fr/emissions/autant-en-emporte-l-histoire/autant-en-emporte-l-histoire-21-avril-2019 (Emission sur Pauline Viardot) https://www.revuedesdeuxmondes.fr/article-revue/a-la-malibran-stances/ (Revue des deux mondes : A la Malibran, Stances ; A. de Musset) https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01522270/document (Caroline Giron-Panel : Baroque-stars : le castrat et la diva. Approches de la célébrité musicale au XVIIIe siècle baroque stars, 2017, HAL) https://journals.openedition.org/episteme/3465 (Pierre Degott, « La construction du genre : contraltos et castrats dans la production lyrique haendélienne », Études Épistémè [En ligne], 34 | 2018, mis en ligne le 01 février 2019)

Partition : Romance du saule : de l'opéra Otello / [livret de Francesco Berio] ; traduction de Sylvain Saint-Étienne ; musique de Rossini ; [réduction pour soprano et piano] Ed. Gérard, 1865 (Source: Gallica BNF, D.R.)

PLAYLIST

1 Carolyn Watkinson: .And see my Queen (Solomon; Acte 1 scène 2 - recitatif) / G. F. Haendel https://youtu.be/3Jfavn9THkA

2 Nathalie Stutzmann : Che faro senza Euridice (Orfeo e Euridice ; Acte 3, air) / C. W. Gluck https://youtu.be/IvlsZ21NJuA

3 Marie-Nicole Lemieux : Cruda sorte (L’Italiana in Algeri ; Acte 1 aria) / G. Rossini https://youtu.be/jVC9SQLgNBg

4 Sonia Prina : Nel profondo, cieco mondo (Orlando Furioso; Acte 1 scène 5) / A. Vivaldi https://youtu.be/3TiAJJhr53Y

5 Kathleen Ferrier : Das Lied von der Erde / G. Malher https://youtu.be/sRPxKRli_7E

6 Sigrid Onegin : Printemps qui commence (Samson et Dalila; Acte 1 scène 6) / C. Saint-Saëns https://youtu.be/DSE3VYCBot4

7 Emmi Leisner : Ombra mai fu ( Xerxès; Acte 1 scène 1) / G. F. Haendel https://youtu.be/SilBJY1yWjY

8 Delphine Galou : Erbarme dich, mein Gott (Matthäuspassion; Aria n°39) / J.S. Bach https://youtu.be/BBeXF_lnj_M

9 Sara Mingardo : Rhapsodie pour Alto Op. 53 / J. Brahms https://youtu.be/GheHLR05Nww

10 Ewa Podles : Pour une femme de mon nom (La fille du Régiment; Acte 1 aria) / G. Donizetti https://youtu.be/8f_NJSdM05Q

11 Marian Anderson : Ave Maria (Ellens Gesang III, Hymne an die Jungfrau, op. 52 no 6) / F. Schubert https://youtu.be/GksRp42s3S8

12 Julia Korneva : Mein Schlaf ist Träumen (Siegfried; Acte 3 scène 1) / R. Wagner https://youtu.be/tkgLWs3YqN4

13 Virginia Zeani (sop.) : La chanson du saule (Otello ; Acte 4) / G. Rossini https://youtu.be/rADvZmxXfMY