Les Contraltos
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EFFET LOOP LES CONTRALTOS (Photo : X. D.R.) « Desdemona chantant le saule, Zerline bernant Mazetto, Ou Malcolm le plaid sur l’épaule; C’est toi que j’aime, ô contralto ! » (Théophile Gautier, extrait du poème Contralto, in Émaux et Camées, 1852) e Aubrey Beardsley : Julie d'Aubigny dite La Maupin, 1898. Une des 6 illustrations du roman de T. Gauthier : Mademoiselle de Maupin (D.R.) LE BLABLA Contralto: contraction de contratenor altus : Tout contre le teneur. De contra : contre (au sens de près) et de alto : haut. Terme utilisé dans le vocabulaire musical italien. Durant la période du baroque en France : Basse-dessus (ou Bas-dessus). Dans le chant lyrique, désigne un registre précis et une voix de soliste. Alto est le terme privilégié pour un chœur. Les différentes tessitures des voix en comparaison d’un clavier de piano (http://tpe-sur-la-voix.mozello.fr/) D.R. « AND SEE MY QUEEN » 1 Le terme contralto est employé dans l’art lyrique pour désigner la voix d’une chanteuse dont la hauteur vocale est la plus grave. Cette voix « sépulcrale » 22 qui trouble les frontières du genre a souvent fasciné l’auditoire au-delà du champ purement lyrique à l’instar des castrats d’autrefois. La tessiture 3 des contraltos est semblable à celle des contre-ténors dans le répertoire masculin. La différence notable est que chez les contraltos, il s'agit d'une voix de poitrine alors que chez les contre-ténors ou faussets4 mais également chez les sopranos, il s'agit d'une voix de tête. Les véritables contraltos sont rares. Par conséquent, ce sont souvent des mezzo-sopranos, plus nombreuses qui ont endossé des rôles de contraltos. Quoiqu’il en soit, pour toutes ces voix, on distingue plusieurs critères liés au timbre, à la puissance, à la couleur, à la profondeur... Pour les contraltos, on peut évoquer l’alto bouffe et le contralto dramatique. Alors que l’alto bouffe se consacre à des rôles plutôt comiques et possède généralement une étendue moins importante et une tessiture plus légère, le contralto dramatique au timbre plus chaleureux et à la voix plus profonde, se retrouve dans des personnages féminins plus sombres comme ceux créés par Wagner. On a aussi utilisé le terme de contraltino pour désigner un contralto aigu. La colorature quant à elle, possède un ambitus large. Ceci lui permet de vocaliser du grave à l’aigu avec beaucoup d'agilité et de virtuosité. Les chanteurs 1 Solomon , Acte I – scène 2 , Salomon, récitatif (Oratorio en 3 actes de G. F. Haendel, 1749) 2 Alain Perroux définit le contralto comme une « voix féminine sépulcrale » (In L'opéra, mode d'emploi – Avant-scène Opéra 2015) 3 La tessiture correspond à l'ensemble des notes chantées aisément par un chanteur. Ne pas confondre avec l'ambitus qui regroupe toutes les notes que ce même chanteur peut chanter y compris les notes les plus extrêmes (où il/elle peut être peu à l'aise). 4 Fréquents dans le baroque italien. Cette expression pouvait aussi être usitée pour désigner des voix de contraltos. La haute-contre, en revanche est un ténor aigu à voix mixte (poitrine/tête) très fréquente dans le répertoire baroque français. lyriques ayant une influence sur leur voix peuvent accentuer tantôt légèreté, tantôt maturité, selon les rôles qu'ils vont devoir interpréter. Quant aux personnages joués par des contraltos, ce sont souvent des seconds rôles. Il s’agit principalement de femmes mûres, de mères aux conseils avisés. Erda dans Das Rheingold (L'Or du Rhin) de Wagner en est un exemple. Elles peuvent également revêtir des rôles de sorcière comme Ulrica dans Un Ballo in Maschera (Un Bal Masqué) de Verdi et la Comtesse dans La Dame de Pique de Tchaïkovski. Elles sont tour à tour inquiétantes, empruntes de sagesse, sombres ou maternelles. leur registre intimiste est caractérisé par des aspects psychologiques parfois plus complexes que ceux dévolus aux premiers rôles. Enfin, la contralto peut se travestir et jouer des rôles masculins et ce, depuis l'âge baroque. Particularité qu’elle partage avec la mezzo-soprano. Deux périodes mettent particulièrement ces voix à l’honneur : le baroque et l’époque romantique. Elena Zaremba (Pauline) et Ewa Podleś (La Comtesse) dans La Dame de Pique de Tchaïkovski. (Photo © A Bofill) A partir du 17e siècle le schéma des voix se met en place. Cependant, en France durant la période baroque notamment, on ne trouve pas de répertoire dédié aux contraltos à proprement dit. Les rôles de basses-dessus correspondent à des tessitures de sopranos graves. Il n’en va pas de même outre-Manche et de l’autre côté des Alpes. Haendel ou bien Vivaldi offrent plusieurs rôles aux contraltos. Deux grands oratorios en témoignent : celui de Vivaldi, Juditha Triumphans (Judith Triomphante, 1716) est uniquement composé d’un effectif féminin. Il offre une scène de premier plan aux voix graves puisque cette œuvre comporte principalement des voix de contraltos et de mezzo-sopranos. Celui de Haendel, Solomon (Salomon, 1749), qu’il créa spécialement pour une contralto incarnant, travestie dans des vêtements masculins, le roi Salomon. La Merighi, Francesca Bertolli, Diana Vico, Jane Barbier entre autres font partie des chanteuses contraltos ayant travaillé avec Haendel à l'instar d'un Senesino et d'un Nicolini, célèbres castrats de cette époque. Dans l'opéra baroque, certains de ces rôles pouvaient être également joués par des castrats. Il n'y a pourtant pas à proprement parler d'interchangeabilité entre ces deux types de voix puisque les compositeurs pouvaient préférer une contralto pour tel rôle masculin et à l'inverse, un castrat pour tel rôle féminin. Le travestissement scénique masculin/féminin était relativement courant durant la période baroque même si la présence de femmes sur une scène de théâtre ou de ballet n'était pas anodine. Notons que ces rôles travestis pouvaient être alternés sur scène dans une même œuvre selon les desiderata de certains compositeurs. La deuxième période faste pour ces chanteuses émerge au 19ème siècle, à l'époque romantique. Le compositeur Gioacchino Rossini (1792-1868) en était un fervent admirateur. Il créera en tout 21 opéras où des contraltos occupent une place de premier ordre. Par exemple, celui du rôle-titre de Tancredi, tenu par une femme contralto travestie, dans ce que l'on considère comme son premier opéra (1813). « Nature charmante et bizarre Que Dieu d'un double attrait para » 5 Rossini, à la mode durant le premier tiers du 19e siècle, donne le ton en matière opératique : les contraltos sont à l'honneur et en retour, le public les plébiscite. Autre facteur expliquant le retour des voix graves féminines, la disparition progressive des castrats depuis la fin 18e siècle. Il faut remplacer ces voix, les contraltos s’y prêtent volontiers, leur ambitus correspondant à une partie des rôles de castrats. Remarquons que pour bien des raisons, castrats (puis de nos jours contre-ténors) et contraltos ont des trajectoires intimement liées. Outre le fait qu’ils ont tous deux chanté ensemble puis se sont mutuellement remplacés sur scène (entraînant parfois quelques rivalités), les contraltos ont, de plus pu être initiées à la musique par des castrats, comme la chanteuse rossinienne R. Pisaroni6. Enfin, la rareté de leurs voix respectives et surtout l’étrangeté, le trouble qu’elles génèrent font forte impression chez de nombreux auditeurs. Entre fascination et répulsion, les sentiments provoqués par leurs exploits vocaux ont tout autant à voir avec l’esthétique qu’avec des considérations parfois bien éloignées de leur art. Si la fascination n’est pas au rendez-vous, c’est l’inquiétude et même la raillerie qui pointent chez certains commentateurs. 5Cf. : Théophile Gautier Contralto in Émaux et camées (1852) 6 Cf. : L’article de C. Giron-Panel : Baroque-stars : le castrat et la diva. Approches de la célébrité musicale au XVIIIe siècle (Voir Rubrique Surfer) Incarnant le hors norme absolu, ces deux types de voix ne sont pas néanmoins les seules à susciter des commentaires. Les sopranos et mezzos n’échappent pas non plus à des remarques plus ou moins amènes. Divas absolues, elles sont dépeintes comme les parangons d’une féminité caricaturale : capricieuses, survoltées, hystériques, vénales, égocentriques… A la fin du 19e siècle, même si la préférence va vers les voix aiguës, les musiques française et allemande ne se détournent pourtant pas des contraltos. Aussi bien dans des mélodies, chansons, lieder écrites par Mahler, Brahms, Chausson, Saint-Saëns, Elgar…que dans des opéras. Citons-en deux qui offrent de beaux rôles aux contraltos : Geneviève dans Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, et Mrs Quickly dans Falstaff de Giuseppe Verdi. Mais progressivement, le rayonnement de ces voix s’éclipse à l’exception toutefois au 20e siècle de Benjamin Britten. Il écrit un 1er rôle de contralto, l’héroïne Lucrèce dans son opéra Le viol de Lucrèce créé en 1946 par Kathleen Ferrier7. Au cours de ce siècle, des contre-ténors vont progressivement occuper des rôles de personnages masculins jadis dévolus aux contraltos ou aux mezzos : Orphée, Didon, Rinaldo…Il s’agit principalement d’un répertoire baroque qui sied aux deux voix mais la plupart des metteurs en scène privilégient les contre- ténors pour une question de vraisemblance physique. Ironie du sort puisqu’une fois de plus, ces deux registres lyriques se disputent la place... Malgré tout, on assiste depuis quelques temps à un regain d’intérêt pour ces voix féminines hors du commun. En atteste l'engouement récent généré par des chanteuses comme Marie-Nicole Lemieux ou Nathalie Stutzmann. Dans des opéras ou bien des oratorios, ces deux artistes contemporaines endossent même derechef des rôles de travestis masculins. Citons par exemple les rôles-titres d’Orlando furioso de Vivaldi pour Lemieux et Ottone de Haendel pour Stutzmann.