Led Zeppelin, Une Illustration Du Heavy Metal. Suivi D'une Étude
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led zeppelin rock folk Collection dirigée par Jacques Vassal ALAIN DISTER LED Une illustration du Heavy Metal suivie d'une étude discographique par BENOÎT FELLER albin michel/rock folk DL - 1 6 -04- 1980 - 1 0 2 7 9 DU MÊME AUTEUR Dans la même collection : Les Beatles (5 édition) Le Rock anglais Frank Zappa et les Mothers of Invention Le Livre du Pink Floyd (en collaboration) Traduction : Les Who de George Tremlett Jimi Hendrix. Nouvelles Éditions Polaires (épuisé). Pop & Rock & Colegram (co-produit avec Solé et Gotlib). Fluide Glacial. Traduction : Les Barons de Brooklyn de Harlan Ellison. Speed 17/Humanoïdes Associés. Collaborations régulières : Rock & Folk. Le Nouvel Observateur. Fluide Glacial. Stéréoplay. © Éditions Albin Michel, 1980 22, rue Huyghens, 75014 Paris I.S.B.N. 2-226-00793-8 — So, how did you go ? — 'Cor, we went down like a Lead Zeppelin. (conversation entre deux groupes, après une tournée). Quand Zeppelin se pointe, numérotez vos abattis ! GEORGE HARRISON Au punter inconnu Prologue Évidemment, le champagne était dégueulasse. Mais comme c'était Noël, on n'avait rien à dire. Ça faisait partie des tra- ditions. Et le patron de la boîte s'y prêtait de bon cœur. Sûr qu'après il allait se rincer le gosier au Veuve Clicquot millésimé. Chacun dégustait donc son rôteux, un petit doigt en l'air, façon bien élevée, un peu snob, show-biz'. Et les potins allaient bon train. Cette fiesta avait tous les avantages : le petit personnel côtoyait les huiles, et les attachés de presse faisaient leur bou- lot auprès des invités. Alors, l'homme un peu chauve, barbiche pointue et regard pétillant derrière des paupières bridées, s'avança vers nous, dans un mouvement coulé que seuls pratiquent à l'aise les habi- tués des cocktails d'affaires. Arrivé à notre hauteur, après un échange de politesses mielleuses dans le ton de l'époque — love, peace, far out, beautiful et tout ça — il glissa, content de lui et matant l'effet produit par sa remarque sur nos visages, dans nos yeux vaguement ailleurs : « Je lance un nouveau groupe, un truc extraordinaire. Une super-formation avec Jimmy Page, vous savez, le guitariste des Yardbirds. Les Cream ont trouvé des remplaçants ; pour nous c'est une affaire fantastique... » Ahmet n'était pas le genre bavard. Mais quand il avait quelque chose à dire, il fallait que ça parte. Que ça ait des répercus- sions. Dans la presse, autant que possible. Nous, on avait gobé l'information : bof, encore un super- groupe, une grosse machine commerciale. On était dans le trip californien, bonnes vibrations, concerts gratuits, on fait notre truc ensemble... Alors les stars, le show-biz' et tout le cirque, très peu pour nous. Pourtant, l'endroit était chouette; le vieil immeuble d'Atlantic, avec ses grandes baies vitrées, surplom- bait Central Park. Tout le gratin du rhythm-and-blues défilait dans ses bureaux moelleux : Wilson Pickett, Don Covay, Sam and Dave ; et des créatures d'un jour, beautés noires propulsées par une armée de musicos et de managers, puis tombant dans l'oubli dès qu'elles se fanaient. Pour cette veille de Noël 68, on avait racolé tout ce qui se faisait de plus freaky, funky, flashy, dans les communautés du Village et les appartements chics d'Uptown. Pour décorer. Pour faire joli au milieu des businessmen encravatés et des secrétaires en tenue soignée. Pour avoir l'air d'être dans le coup aussi. Ça ne pouvait pas nuire à l'image de marque de la boîte. L'alcool aidant, tout ce petit monde se sentait à l'aise et se laissait aller à plus d'humanité. Quelques joints circulaient, généreusement suçotés de ci, de là, sans distinction de vête- ment ni de rôle social. Chouette moyen de se bloquer une grippe si jamais quelqu'un en portait les germes. En guise d'au revoir, Ahmet nous fit promettre d'assister au premier concert de son super-groupe, à un peu moins de deux semaines de là. Nous promîmes. Les occasions étaient rares d'aller au concert à l'œil, avec ce vieux radin de Bill Graham qui tenait la caisse du Fillmore. Les groupes du quartier avaient bien manqué de lui faucher l'endroit, au moins une fois par semaine, pour « faire leur truc ». Le Living Theatre leur avait même donné un sérieux coup de main. Toute la presse en avait parlé. Graham n'avait pas lâché pied, mais passait désormais pour un vieux réac. On se sentait un peu honteux d'aller se montrer dans son music-hall. Sans payer. En privilégiés. Heureusement, l'un des groupes annoncés faisait partie de « notre communauté » (sens élargi) — Iron Butterfly, des gars de Los Angeles, babas cali- forniens habillés et coiffés comme on devait l'être. Tout à la fois sympa, laisser-aller et vaguement délirant — pour la touche psychédélique. Pour achever de nous convaincre, Ahmet nous colla sous le bras une épreuve de chacun des albums des groupes program- més ce jour-là. Ils commençaient leur tournée de promotion au Fillmore East. Les galettes étaient donc toutes chaudes. Je ne me souviens plus du titre de l'Iron Butterfly. Mais l'autre m'a marqué pour la vie. Il s'appelait Led Zeppelin. Sans plus. Jimmy Page n'avait pas joué à New York depuis un moment. Les kids de cette génération ne le connaissaient pas. Ils étaient venus pour les babas de l'Ouest. Quand la silhouette mince du guitariste apparut au coin de la 7e Rue, personne ne lui prêta attention. Il longea la foule un moment, démarche souple, légèrement penché en avant. Ses longs cheveux bruns faisaient comme un écran, dissimulant un visage trop jeune, un sourire secret. La pluie collait quelques mèches sur ses joues pâles. Il frissonnait dans un costume léger, velours antique moiré de noir. Luxe incongru, élégance dandy, aux antipodes de la foule en uniforme tristement para-militaire — jeans ava- chis et treillis de surplus. La silhouette disparut dans une poterne au flanc de la grosse bâtisse. Vision des choses à venir. Le Fillmore fut vite rempli. Les kids se jetèrent sur les fau- teuils vermoulus, défiant les gros bras du service d'ordre en T-shirts vert et blanc. Des gosses de 16-17 ans, qui allaient quelques mois plus tard envahir une certaine prairie, à Wood- stock. Mais les « vieux » hippies, ceux qui avaient connu le Fill- more West, ou même le Palm Gardens de New York, n'ai- maient pas cette salle. Son agencement en sièges bien ordonnés, allées étroites, bal- cons, empêchait les mouvements du corps, la danse, toute cette extravagance qui avait fait les beaux jours des groupes califor- niens dans leur domaine. On flairait la réintégration, le retour à l'ordre, la reprise en main par le show-business, investi d'un nouveau pouvoir par un système désireux de voir rentrer ses enfants dans les normes. Et puis, le refus de Bill Graham de laisser la salle à la disposition des groupes et des communau- tés de l'East Village — qui, après tout, lui fournissaient la plus grande partie de son public — avait créé un climat un peu lourd, une gêne que connaissent bien, aujourd'hui, ceux qui fréquentent les Abattoirs de Pantin. Led Zeppelin, groupe annoncé à grands sons de trompe par les gens du métier, n'en apparaissait que plus suspect. La partie s'annonçait rude pour eux. Led Zep ouvrit le feu. Ils jouaient en première partie. Comme des débutants. La vedette, c'était Iron Butterfly, une époque finissante, un genre sur le déclin. Les quatre Anglais foncèrent bille en tête, attaquant avec les meilleurs morceaux de leur premier album. Entrée en scène sur les breaks fracas- sants de « Good Times — Bad Times », longues stridences de « Dazed And Confused », blues langoureux piqués dans le répertoire traditionnel... Autant que la musique, la tenue en scène des musiciens était impressionnante. Robert Plant, cam- bré dans un très beau costume de velours vert bouteille, arra- chant du fond de sa gorge d'improbables vocalises, crinière blonde rejetée en arrière, évoquait un Daltrey plus beau, plus généreux, archangélique. Jimmy Page, penché sur sa Gibson (une vintage Les Paul), le visage noyé dans une cascade de cheveux bruns ondulés, concentré, impénétrable, frappait son manche à coups secs, précis. John Bonham, tapait furieuse- ment sur ses peaux, sans frime ni finesse, juste à la recherche du maximum d'efficacité. Et John Paul Jones, bassiste effacé, n'était pas moins lourd dans sa manière d'appuyer les tempos. Led Zeppelin semblait décidé à voler le show, tout en s'affir- mant les inventeurs d'un nouveau genre, le hard rock, heavy metal chargé de l'émotion du blues et de la grosse pulsation du rock and roll. Un cocktail d'une efficacité redoutable. Il ne manqua pas son but ce soir-là... Le public restait cloué de stu- peur sur ses fauteuils, hurlant son approbation entre chaque morceau — enfilés l'un après l'autre, sans trêve ni repos. Le délire explosa quand Jimmy Page, au milieu de « Dazed And Confused », offrit à chacun sa ration d'outrage, de défonce, de haute voltige « psychédélique ». Il s'empara d'un archet et se mit à frotter les cordes de sa Gibson. Le son prit de l'ampleur, balancement lancinant dans les cerveaux, déjà soumis aux effets des diverses substances ingurgitées par bon nombre de participants à la fête. Dépassés les feed-backs du Grateful Dead, les échos de l'Airplane, le vibrato de John Cippolina. Les kids de l'Amérique des sixties, gorgés de vibrations hippies, défoncés jusqu'aux sourcils, friands de sensations nou- velles, venaient de buter dans leur nouvelle planète.