Jean-Pierre KEMPF

L'MBM [

DE (HERl/ElJ

XIIe-XIIie siècles

ECONOMIE

ET SOCIÉTÉ

SALSA Ruines de l'Abbaye de Cherlieu au début du XIXe Siècle. L'ECONOMIE

I. - LE CADRE NATUREL ET LES ORIGINES

1 — LA RÉGION : ASPECTS GÉOGRAPHIQUES

Le vallon de Cherlieu, situé aux confins nord de Franche-Comté, fait par- tie de l'ensemble géographique que l'on a coutume d'appeler aujourd'hui : les pays de la supérieure. Un paysage de collines basses aux profils adoucis cache toutefois, sous une végétation dense et uniforme, des différen- ces géologiques et morphologiques assez variées.

NATURE DU SOL ET DU SOUS-SOL : APERÇU GÉOLOGIQUE.

De Passavant-la-Rochère à Luxeuil-les-Bains, la retombée méridionale des Vosges, marquée par de fortes pentes, est bordée par une zone déprimée, orientée approximativement selon un axe allant des environs de Conflans-sur- Lanterne à la région de Vitrey (1). Cette dépression marginale vosgienne datant du Trias et du Lias est constituée de roches aux faciès variés : grès du Rhétien, calcaires du Sinémurien, marnes du Domérien et du Toarcien.

Le massif du Lias, quadrillé par de nombreuses failles, laisse resurgir çà et là, quelques bandes du Trias. Ces éléments triasiques, constitués en grande partie de marnes du Keuper et de dolomie-moellon, sont visibles dans la vallée de l'Ougeotte en amont et en aval de Montigny, dans le vallon de Cherlieu, la haute vallée de la Sorlière entre et , ainsi que dans le val de Marlay jusqu'au moulin de la Perrière au delà de .

Le vallon de Cherlieu, long de quatre kilomètres à peine, étroitement ouvert à Agneaucourt sur la vallée de l'Ougeotte, et par là sur celle de la

Saône, est orienté selon une des failles qui perturbent l'ensemble liasique. Cerné sur toute sa longueur par les sommets gréseux très boisés du Lias, il apparaît comme une longue saignée mettant à jour les couches inférieures du Trias.

Entre et , la Mance perce le massif du Lias pour rejoindre la Saône qui le coupe à son tour depuis Bétaucourt jusqu'à Conflan- dey. Ces cours d'eau étalent de larges bandes d'alluvions anciennes et récen- tes, notamment à leur confluence près de et jusqu'à Gévigney et Mon- turéux. Ces alluvions s'étalent plus largement encore dans la plaine entre , et , à la jonction de la Saône et de la Lanterne.

Annoncés par les buttes-témoins du Mont-de-Noroy, du Pouligny et du Chazel, au-dessus de Jussey, ou par celle du bois du Grand Lien au-dessus de , les plateaux calcaires du Jurassique moyen et supérieur s'éten- dent plus au sud depuis , Purgerot, et jusqu'à la région de et de Gray. Ces plateaux calcaires, parfois recouverts de marnes oxfordiennes, sont bordés par les vallées du Salon et de la Vin- geanne à l'ouest et font suite aux plateaux de Langres et de Bourgogne, leurs prolongements naturels.

INVENTAIRE DES RICHESSES NATURELLES EXPLOITABLES

Certaines couches géologiques ne manquent pas d'intérêt et sont liées directement à la vie économique du passé. En effet, dans les couches marneu- ses du Keuper, des bancs de gypse et de sel gemme, bien connus à , existent aussi dans la vallée de la Saône, en particulier à Scey-sur-Saône (2), où l'on verra que l'abbaye de Cherlieu extrait le sel. Les marnes bariolées du même Trias ainsi que les placages d'argiles superficielles, appelées communé- ment glaise, donnent une terre à brique d'excellente qualité, employée par les tuileries de la région, notamment celle de Marlay (3), exploitée très tôt par les moines de Cherlieu.

Les calcaires sinémuriens à la couleur brunâtre, appelés castine par les habitants de la région, comme les grès quartzeux du Rhétien donnent d'excel- lentes pierres de taille. Mais les premiers moines leur ont préféré la dolomie- moellon, pierre plus facile à travailler et à sculpter que le calcaire sinému- rien. Solide et susceptible d'un beau poli, la dolomie affleure dans le vallon même de Cherlieu comme sur le revers sud de la vallée de l'Ougeotte à Mon- tigny, ou encore dans les carrières entre Marlay et Melin. C'est cette pierre qui servit à la construction de l'église abbatiale, du cloître et des premiers bâtiments du monastère. Elle servit aussi comme pierre à chaux et un four construit à cet effet fonctionna longtemps à Marlay près de la tuilerie (4). Quant au grès, il était très recherché pour la confection des meules de moulin.

Les marnes du Lias moyen et surtout les calcaires du Lias supérieur de la couche aalénienne renferment des poches de minerai de fer et des particu- les oolithiques ferrugineuses (5) en quantité suffisante pour permettre une exploitation artisanale. Cette minette extraite par les moines, en particulier aux Crayes près de Noroy-les-Jussey et au Pouligny, rapporta, nous le verrons plus loin, de substantiels bénéfices à l'abbaye.

LES RESSOURCES EN EAU ET LE RÉSEAU HYDROGRAPHIQUE

Les précipitations atmosphériques, d'une moyenne de 80 à 100 centimè- tres par an, alimentent régulièrement la région en eau. Dans les terrains triasiques et liasiques, les sources sont fréquentes mais de qualités inégales. Celles issues de la couche de grès sont régulières et de bonne qualité. L'abbaye de Cherlieu s'alimente à ce niveau à partir de la « fontaine Saint- Bernard » par une canalisation en pierre (6). Sur les plateaux calcaires, la circulation des eaux souterraines se manifeste par la présence de nombréux fonts, puits ou baumes. Les résurgences et exurgences sont assez fréquentes. La source du Vannon à Fouvent, celle de la Gourgeonne près du village qui lui donne son nom, en sont de beaux exemples. Le Vannon, en effet, prend sa source aux environs de Pressigny, disparaît plus au sud près de Tornay et réapparaît six kilomètres plus loin à Fouvent. Le nom même de Fouvent est la contraction moderne de Fons Varniae : source du Vannon. Quant à la Gourgeonne, il semble qu'elle soit la résurgence du ruisseau de Melin qui disparaît à trois kilomètres de .

Mais la Saône demeure la rivière qui fait l'unité géographique de la région et le point de convergence de tout le réseau hydrographique. Née dans la Vôge à moins de 400 mètres d'altitude, elle n'est qu'un gros ruisseau au cours très sinueux au niveau de Châtillon lorsqu'elle est rejointe par l'Apance. A où elle forme un vaste coude, elle sert de douves aux remparts. C'est à , en recevant le Coney, qu'elle devient véritablement une rivière. Dans la prairie de Jussey, la Mance (ou l'Amance) arrivant de Chaudenay à 25 kilomètres plus à l'ouest, la rejoint après avoir successive- ment arrosé l'abbaye de Beaulieu (dernière fondation de Cherlieu), Maiziè- res, La Ferté et Jussey. L'Ougeotte, après s'être difficilement frayé un pas- sage depuis par Chauvirey, Montigny et Agneaucourt, débouche dans la plaine de Gévigney et se jette elle aussi dans la Saône. Sur sa gauche, après le coude de Jussey, la Saône reçoit successivement plusieurs affluents : les ruisseaux de Magny et du Révillon arrivant des bois de la Manche, près de , ou du Mouhy ; la Superbe ensuite, qui semble avoir porté au xiie siècle le nom même de la ville d'Amance qu'elle traverse (7) ; la « Lente » au nom gallo-romain Lentana déformé en Lanterne ; le Durgeon enfin qui la rejoint à Chemilly venant de Vesoul. La Lanterne, seul affluent important, double son débit à Conflandey, après avoir baigné Conflans et Faverney, et lui apporte les eaux vosgiennes de la Semouse, de la Combeauté et du Breuchin. A Conflandey, la Saône s'engage dans les plateaux jurassi- ques et sa pente moyenne de 12 centimètres par kilomètre lui impose un cours sinueux, mais en fait un splendide bief navigable. La Gourgeonne et le Vannon sont ses seuls affluents de droite. S'ils ont un débit quantitative- ment insignifiant, ils ne sont pas sans intérêt pour l'étude économique de l'abbaye de Cherlieu. Les crues de la Saône, rivière de régime atlantique, se manifestent surtout en hiver et ne noient que les riches prairies conquises sur d'anciens, marais ou bras-morts que l'on appelle « les noues » dans le pays (8).

LE CLIMAT ET LA VÉGÉTATION.

D'altitude médiocre (250 à 350 mètres), les pays de la Saône supérieure ont un climat froid en hiver, moins rigoureux toutefois que dans la montagne vosgienne voisine. En été, par contre, la chaleur est suffisante pour permettre l'épanouissement des arbres fruitiers et surtout de la vigne. Celle-ci prospère aux xiie et xnr siècles sur les côteaux exposés de Purgerot, Chargey, Jussey, Craies, Montigny, Morey et Saint-Julien...

Les grands espaces des plateaux, les terres légères et les terrains sablon- neux des lits des cours d'eau sont occupés par la forêt. D'après les cadastres récents que nous avons pu consulter, elle couvre en moyenne 35 à 50% des territoires communaux. Ces chiffrés sont supérieurs aujourd'hui à la moyenne française. Il semble qu'autrefois les espaces couverts par la forêt étaient pra- tiquement semblables. Sur les plateaux, les grands bois de Chargey et de Scey, les bois de et de Bauffremont, dans la plaine alluviale de Faverney, le bois) des Balières, sur les terrains liasiques1, les bois Lejux, de la Communaille et du Mouhy, comme l'immense forêt de Cherlieu entourant l'abbaye sont constitués d'arbres à feuilles caduques, le plus souvent de chê- nes et de hêtres (9). Les charmes, les aulnes, les ormes et les peupliers préfè- rent les vallées plus humides des cours d'eau. La toponymie en garde d'ail- leurs le souvenir, notamment en Vernois sur la Mance, Ormoy sur la Saône, Fresne sur l'Apance ou Charmes-Saint-Valbert près de Molay. Mais la couverture végétale peut varier selon les composantes géologiques du sous-sol. La belle forêt de chênes ou de hêtres avoisine alors avec des tail- lis sans valeur. Sur les plateaux, la végétation dominée par le taillis ou la fri- che, dernier stade de dégradation de la forêt en terrain karstique, est le plus souvent due à l'action désordonnée de l'homme dans le passé, plutôt qu'à une faible couverture limoneuse du sol, altérée depuis par l'érosion.

2 — L'IMPLANTATION HUMAINE

ORIGINE DU PEUPLEMENT.

L'étude de la toponymie nous renseigne assez bien sur les origines et les caractères de la population. Les terminaisons des noms de villages en ans, preuves d'une origine burgonde, sont pratiquement inexistantes dans la région. Quelques îlots sont seulement attestés par l'existence de Bourguignon- lès-Morey et Bourguignon-lès-Conflans. Le fait que ces villages ont été nom- més du nom même de leurs premiers occupants prouve bien que les Burgon- des étaient une toute petite minorité au sein d'une population indigène gallo- romaine qui leur imposa sa langue.

En effet, on constate au premier coup d'œil sur la carte la superposition de deux groupes toponymiques distincts (10). Les noms de villages en - ey et -ay comme Bougey, Oignéy, Jussey ou Marlay remontent à l'époque gallo- romaine et peut-être celtique (11). Les noms terminés en - court, dérivés du bas latin cortis (enclos, domaine) comme , , Aboncourt sont, eux aussi, très répandus. Ils désignent le domaine rural d'un envahis- seur germanique romanisé, et remontent à l'époque mérovingienne ou carolin- gienne, comme les noms en -velle (Jonvelle, Bourbevelle) et en - villers (Mal- villers). Les vocables à résonance hagiographique comme Saint-Martin, Dam- martin et Dampierre leur sont contemporains et témoignent de la christiani- sation des campagnes. Saint-Julien, Saint-Andoche, Saint-Léger, Saint- Valbert (12) sont plus difficiles à dater, mais semblent, eux aussi, remonter à la même époque. Saint-Marcel s'est substitué à l'ancien Albiniacum (13) au IX. siècle, lorsque les moines de Saint-Bénigne de Dijon y fondent un prieuré. Quant à Semmadon, il cache mal l'altération récente d'un Saint-Mardon (14).

Plus près du XIIe siècle, des localités comme La Rochelle, La Ferté, Neu- velle, Fontenois, Châtillon ont une résonance toute médiévale. Mais en géné- ral, ces formations toponymiques sont beaucoup moins nombreuses, les appel- lations d'origine gallo-romaine et mérovingienne étant de loin les plus cou- rantes.

LES LIEUX DISPARUS ET LES CHANGEMENTS DE GRAPHIE.

La répartition géographique de la population n'a donc pas subi de grands bouleversements depuis l'époque carolingienne, et la presque totalité des vil- lages que nous connaissons aujourd'hui existent bien à l'aube du XIIe siècle. Bien plus, il semblerait, d'après l'abondance des noms de lieux cités dans les textes et aujourd'hui inconnus, que le nombre des endroits habités était alors plus grand. Le Cartulaire cite Assoncourt où l'abbaye possède un manse dès 1192 (15), Gondelencourt où elle installe une grange et une bouverie (16). D'autres comme Olencourt ou Noncourt évoquent, par la résonance même de leur nom, qu'il ne s'agit pas là d'appellation servant à désigner des ter- roirs (17).

Mais il convient d'être prudent, car les changements de noms sont possi- bles. C'est le cas pour Chaumont (18) dans la vallée de Mance, dont les sei- gneurs, vassaux des La Ferté, firent de nombreux dons à l'abbaye pour la grange de Bichecourt, leur voisine. La Carte de Cassini apporte là un éclair- cissement. Il s'agit du village actuellement appelé Pisseloup, sobriquet qui prévalut sur le nom plus ancien de Chaumondel (19).

Grâce à une charte de 1187, le hameau d'Andricourt est localisable. Son identification à la ferme « Jean Luquet », située sur le ruisseau au sud de Gourgeon, est justifiée (20).

Gondelencourt, bien que très souvent cité, ne peut être localisé que très approximativement. Les chartes de 1187 et 1200 prouvent qu'il se trouve cer- tainement sur la Saône près de Baulay et Fouchécourt (21). Peut-être s'agit-il tout simplèment du village de Port-d'Atelier (22).

Il arrive quelquefois que les noms de certains hameaux disparus soient encore utilisés pour désigner leurs anciens emplacements. Ainsi en est-il pour Courcelles (23), grange de Cherlieu, comme pour la plupart des anciens moulins (24).

Quant à Malvillers, toujours appelé Villers dans les textes, nous ignorons la raison de cette transformation.

Il demeure toutefois que quelques localités et granges ne sont pas locali- sables (25). Pas même un liéudit n'a conservé leur nom. Notons qu'au siècle dernier, Edmond Clerc estimait que 14 villages avaient totalement disparu dans la région de Jussey, conséquence des durs sévices de la guerre de Dix- Ans (26). Les cartes de Cassini, par ailleurs, relèvent encore un nombre impor- tant d'écarts, moulins, granges dispersés sur les finages des villages et qui, aujourd'hui, n'existent plus ou sont complètement ruinés (27).

L'EVALUATION DE LA POPULATION.

Donner une idée de l'importance de la population aux XIIe et XIIIe siècles ne peut être qu'approximatif. Les premiers chiffres intéressants, mais trop tardifs, datent de 1614 (28). Par ailleurs, si l'on se fie aux chiffres donnés par les chroniqueurs, le nombre des moines porté à 600 au temps du Bienheureux Guy laisse supposer un chiffre de population assez élevé pour permettre un tel recrutement. D'autant plus que Cherlieu n'est pas la seule abbaye cister- cienne de la région (29) et que la concurrence avec les nombreux prieurés et monastères, bénédictins ou clunisiens, devait aussi jouer (30).

Les « laudationes », ou consentements des familles aux dons faits à l'abbaye, donnent une idée de l'importance numérique de la cellule familiale. Le nombre d'enfants varie beaucoup, et les cas de familles nombreuses com- me celle de Léobaud de Bourbévelle (31) ou celle de Simon d'Annegray (32) sont tout de même rares. La moyenne semble se situer entre deux ou quatre enfants par famille. Mais il convient de remarquer que les bienfaiteurs font partie d'une classe de privilégiés. Les documents passent sous silence la com- position des familles paysannes et se contentent seulement de signaler les « heredes » lorsqu'ils existent.

La composition et l'évaluation de la communauté villageoise est plus déli- cate à saisir. La documentation se limitant aux seuls villages de Betaucourt et Purgerot, cette étude ne peut être qu'un sondage, au sens actuel du terme. Pour Purgerot, nous possédons la liste de 22 mézines engagées par Guy de Purgerot en 1279 (33). De plus, de 1202 à 1258, l'abbaye a acquis par dons ou par achats, 10 autres manses (34) dans le même village. Si l'on considère que chaque manse fait vivre une famille et que 5 personnes au moins composent chacune d'elles (35), nous arrivons donc à un total de 105 personnes (36). Mais Purgerot n'appartient pas entièrement à Cherlieu, et l'abbaye de Faver- ney y possède aussi des manses et des biens (37). Le cas de Betaucourt est plus intéressant, car les listes d'habitants s'éche- lonnent sur une période très réduite, entre 1265 et 1271, et nomment 29 familles et manses, donnés ou repris en fief par les Bourbévelle (38). A la dif- férence de Purgerot, ces 29 familles sont donc contemporaines, et le chiffre de la population porté à 145 environ est moins aléatoire (39). Mais là encore, les listes ne recouvrent certainement pas l'ensemble de la population, car Per- rin de Bourbonne reconnaît tenir en fief, en 1322, 10 autres familles non encore nommées (40). Elles donnent cependant un bon aperçu de la commu- nauté villageoise avec ses répartitions en foyers et ses métiers (41).

3 — L'ORGANISATION ET L'INFRASTRUCTURE ECONOMIQUES

FINAGE ET TERROIR.

L'économie médiévale basée essentiellement sur l'agriculture et l'élevage, est conditionnée par l'exploitation la plus rationnelle possible de la terre et l'organisation des cultures. Le finage, domaine sur lequel s'exerce l'activité agricole et pastorale d'un village, se compose d'une aire cultivée ou terroir aux alentours immédiats de groupes d'habitations, et d'un espace inculte voué aux friches et à la forêt en pourtour des cultures. Cet espace non cultivé répond à des besoins importants en fournissant le bois et de vastes espaces pour le pacage des animaux. On ne dira jamais assez le rôle de la forêt dans l'économie médiévale (42) et la variété des produits nécessaires qu'elle four- nit : fagots de chauffage, résine, écorces pour les cordes et le tannage, cen- dres pour l'amendement, charbon de bois pour les forges, cire et miel des essaims sauvages (43), merrains, échalas des vignes, bois de construction en tous genres. Les procès de droits de pâturages et de glandée, d'ailleurs, sont souvent mêlés aux droits d'usages dans les bois (44). Les essarts des hôtes, comme les granges cisterciennes, viendront s'implanter dans cette périphérie boisée des finages (45). Dès le XII" siècle, les défrichements et l'extension des cultures porteront atteinte à cette auréole boisée qui disparaîtra parfois.

Il est impossible de donner des indications précises sur la répartition des cultures, l'importance des récoltes ou les modes d'exploitation. Cependant, on constate, à partir du xnr siècle, une nette augmentation de la culture de l'avoine, preuve de l'importance croissante du cheval dans les travaux agrico- les en remplacement des bœufs. Ainsi, les redevances en nature sont-elles spé- cifiées : mi-froment, mi-avoine (46). La présence du blé de printemps dans le système agricole laisse supposer un progrès dans l'exploitation de la terre et les rotations des cultures.

L'UNITÉ D'EXPLOITATION : LE MANSE.

Au XIIe comme au XIIIe siècle, l'unité d'exploitation agricole est encore appelée le manse (47). Mais l'on sent cette institution en plein déclin. Si le terme est consacré par l'habitude, il ne correspond plus à ce qu'il désignait à l'époque carolingienne. Le manse occupé par plusieurs personnes n'est pas rare (48) ; un manse possédé par plusieurs seigneurs à la fois est chose cou- rante. Ainsi voit-on à , entre 1238 et 1249, plusieurs personnes s'entendre entre elles pour céder à Cherlieu leurs parts respectives de deux manses partagés en 1/2, 1/4 et même 1/8 (49). Une charte de 1267 (50) nous renseigne sur la composition et l'étendue d'un manse moyen, toujours défini comme l'exploitation susceptible de faire vivre une famille. Girard de Bourbévelle, damoiseau, engage à Cherlieu pour 40 livres viennoises, plusieurs biens à Betaucourt, en particulier deux manses avec 60 journaux de terre et 6 fauchées de pré. Le premier, le manse Roland, est composé de la maison, de ses dépendances, de 20 journaux de terre et 2 fauchées de pré. Le deuxièmè, le manse Varneret, est engagé avec 40 jour- naux et 4 fauchées. Tous deux jouissent de droits d'usage dans les bois, de pâturages sur les communaux, de pêche dans la Saône, et ont libre passage sur les terres d'autrui. On constate donc que la composition de ces deux man- ses, situés dans le même villagè, varie du simple au double. Les prés représen- tent le 1/10 des « surfaces » (51). Mais les possibilités de comparaisons sont minces. En 1262, Renaud de Lambrey engage deux meix à Aboncourt (52) : le meix Simon avec 16 journaux ; le meix Droot avec 13 journaux. En 1290, Thomassin de Bougey donne à Cherlieu le meix Jeannel à (53) avec 20 journaux de terre et 3 fauchées de pré. Le manse Varneret à Betau- court avec ses 40 journaux dépasse donc nettement la moyenne du manse-type du XIIIe siècle, qui semble cultiver entre 15 et 20 journaux (54). La liste des terres composant les manses Roland et Varneret de Betau- court est significative de la désagrégation et du morcellement. Les pièces de terres, du moins celles qui sont localisables, sont dispersées aux quatre coins du terroir actuel. Les parcelles n'excèdent pas 4 journaux pour le manse Roland, et 7 pour le manse Varneret.

LES ROUTES ET LA VOIE PLUVIALE.

Les simples relations de village à village comme le commerce inter- régional posent le problème des communications. Au XIIe siècle, elles semblent encore; dans notre région, bénéficier de l'infrastructure romaine. Le territoire de la grange de Marlay est ainsi limité en 1127 : « ab antiqua via que itur ad Jussiacum, usque ad quercus que vocantur Duo Fratres... ». Il s'agit là de la voie de Molay à Jonvelle qui passait par les bois de la Manche et du Charle- magne à l'est de Marlay (55).

La voie de Langres à Port-sur-Saône est indiquée en 1157 comme limite au territoire d'Agneaucourt : « ... In latitudine vero extenditur ab antiqua via lapidibus constructa... » (56). Cette voie semble encore en bon état puisqu'elle est encore pavée à cette époque. Elle rejoint Port par La Perrière, Lambrey et Purgèrot. C'est sans doute par cette route que la première communauté issue de Clairvaux arriva pour fonder l'abbaye, venant de Langres.

Mais la voie à grande circulation, encore fréquemment employée au XIIe siècle, reste l'ancienne voie de Besançon à Metz. En effet, la célèbre route de Besançon à Langres jette à Oiselay un rameau vers Traves et Scey-sur-Saône. Au lieu-dit « en Creuseuil » près de Purgerot (57), elle coupe la voie de Lan- gres à Port, puis traverse la Saône à Baulay. Coupant entre Buffignécourt et Contréglise, elle suit l'actuel chemin forestier dit « de Charlemagne » jusqu'à Corre (58). Par Passavant-la-Rochère, elle rejoint la vallée de la Moselle à Charmes. Elle fut certainement très utile aux convers de Cherlieu pour aller commercer à Besançon, et dans l'autre sens pour aller en Lorraine chercher le sel à Marsal et à Vie (59). Grâce au comte de Vaudémont, ils se sont même ménagé une étape à Châtel-sur-Moselle et fait exempter du péage du pont (60). Cette voie, d'autre part, nommée à plusieurs reprises dans le Cartulaire, sert de limite entre Corre et Amance pour la grange de Gommoncourt près de Saponcourt, et la grange de Dammoncourt, dite Grange Rouge, appartenant à l'abbaye de Clairefontaine (61). Il convient encore de citer la route allant de Jussey à Corre par Magny et Ormoy, d'un intérêt particulier pour Cherlieu puisqu'elle permet de IMPRIMERIÈ VESULIENNE 6, rue Parmantier - VESOUL Dépôt Légal 2* trim. 1976 N° Imp 311

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