Histoires Croisées Folklore Et Philologie De 1870 À 1920
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Histoires croisées Folklore et philologie de 1870 à 1920 Claudine Gauthier 1 Les Carnets de Bérose Copyright 2013 Lahic / Ministère de la Culture, direction générale des Patrimoines, département pilotage de la recherche et de la politique scientifique. ISSN 2266-1964 Illustration de couverture : Mélusine. Page de titre de Histoire de Mélusine, par Jean d’Arras, Imprimé à Lyon par Gaspar Ortuin et Pierre Schenck, 1485-1486. Histoires croisées Philologie et folklore de 1870 à 1920 Claudine Gauthier Les Carnets de Bérose Lahic / DPRPS-Direction des patrimoines – 2013 Lahic / DPRPS-Direction 1 À Claude Gaignebet L’amico mio, e non de la ventura (Dante, Inf., II, 61) SOMMAIRE INTRODUCTION 8 PRÉMICES 14 Philologie et folklore 14 Il était une fois… les frères Grimm 18 LES FONDATIONS 32 Philologies : entre France et Allemagne 32 La Société de linguistique de Paris et l’étude du folklore (1865 - …) 40 LES FONDATEURS 52 Henri Gaidoz (1842-1932) 53 Gaston Paris (1839-1903) 60 OBJETS ET MÉTHODES 74 La théorie orientaliste 74 L’ « hérésie » müllerienne 77 Les folkloristes français et l’étude de la littérature orale 81 La philologie populaire 91 LES REVUES 98 La Revue celtique 99 Le folklore dans la Revue celtique 104 Romania 109 Le folklore dans Romania 112 L’obscénité dans Romania 121 Kryptadia. Recueils de documents pour servir à l’étude des traditions populaires 125 UNE SOCIABILITÉ. Les Dîners celtiques (8 juin 1879 - 24 mai 1902) 132 ÉPILOGUE 142 BIBLIOGRAPHIE 148 REMERCIEMENTS Je voudrais remercier ici Daniel Fabre et Claudie Voisenat qui ont eu l’idée de ce volume réunissant, sous une forme largement remaniée et réactualisée, l’ensemble des travaux d’historiographie que j’ai accomplis dans le cadre de mon post-doctorat du CNRS au Lahic. Ils étaient jusqu’à présent dispersés au sein de Bérose, encyclopédie en ligne sur l’histoire des savoirs ethnographiques, et étaient complétés par un travail de synthèse – Philologie et folklore. De la définition d’une frontière disciplinaire (1870- 1920), Carnets du Lahic, n° 2, 2008 –, également repris ici mais, en revanche, seulement de manière partielle. Mes plus vifs remerciements vont également à Annick Arnaud et Claude Gaignebet, ainsi qu’à mon père, Jean Gauthier, qui ont chacun pris le temps de relire les textes composant cet ouvrage, m’aidant ainsi à le rendre moins imparfait. Henri Gaidoz et Eugène Rolland avaient choisi de conférer à Mélusine le rôle de fée tutélaire du folklore français, en donnant son nom à la première revue spécialement dédiée à ces études. C’est en leur hommage que j’ai souhaité voir Mélusine figurer en couverture de cet ouvrage. Dans un pays – la France – qui, nous le verrons, n’était que peu prédisposé par son héritage historique et culturel au développement de ces études, leur engagement scientifique témoigne d’une grande liberté d’esprit, sachant faire fi des cadres de la pensée institutionnelle dominante à leur époque au profit d’un combat intellectuel mené en vertu de ce que nous pourrions appeler une croyance, même si celle-ci relève entièrement de l’intellect et non du religieux : celle en l’importance du développement d’un certain domaine d’études – le folklore - au moyen d’une méthodologie précise, basée sur l’érudition. Qu’il me soit donc permis ici de rendre en même temps hommage à Claude Gaignebet, mon maître en folklore, qui partage encore cette croyance. Ivry, novembre 2011 Les revues Mélusine allaitant. Enluminure, Guillebert de Mets, circa 1410 et 1420. 7 INTRODUCTION a fin du xviiie siècle marque un tournant essentiel dans l’histoire des sciences par l’affranchissement Lde présupposés d’ordre théologique. On cherche désormais à établir la Science sur des bases rigoureuses, correspondant à des lois universelles et vérifiables 1. En outre si, depuis Aristote, l’on se plaisait à penser les sciences une à une en s’efforçant de les différencier exactement, l’on parvient, avec les Lumières, à envisager un système qui tend vers leur unification en une science totale 2. Il faut toutefois attendre le xixe siècle, et les travaux d’Auguste Comte, pour que les sciences soient assimilées à un véritable organisme 3. Ce qu’Auguste Comte appelle « science totale », ou « philosophie », les autres savants du xixe siècle le nommeront plus volontiers « érudition », définie par Renan comme « la science des produits de l’esprit humain 4 », conception bien étrangère au monde contemporain qui a marqué l’avènement du règne de l’hyperspécialisation. Un tel renouvellement n’épargne pas la philologie. Son importance est d’autant plus grande qu’elle figure au rang de ces sciences nouvelles issues de l’application de l’esprit méthodique. Le mot philologie a, en effet, accompli un long parcours avant de qualifier la science que l’on connaît aujourd’hui. Désignant, à l’origine, des recherches visant à authentifier et à expliquer des œuvres de la tradition, elle devient, à partir du iiie siècle avant notre ère, la recherche de la forme authentique des textes littéraires, dans la masse des variantes et des gloses. Les Pères de l’Église l’ayant volontiers englobée dans la théologie, le vocable finit par disparaître de l’usage dans les langues occidentales jusqu’à la fin du Moyen Âge. À la Renaissance, la philologie est l’art de bien parler et elle caractérise l’esprit de cette époque 5. C’est avec l’œuvre de Vico annonçant, au cours de la première moitié du xviiie siècle, l’avènement d’une scienza nuova, totale, dont l’objet est le monde historique, opposé au monde naturel, et qu’il appelle, précisément, « philologie 6 » qu’apparaît le premier germe de la philologie moderne, scientifique, grâce aux travaux des frères Grimm qui ont assimilé la pensée du Napolitain et en prolongent les apports, dès le siècle suivant. Ainsi, ils redéfinissent et réinventent la tradition culturelle européenne au moyen d’une science qui pose comme point de départ le patrimoine germanique, au détriment de la Grèce jusque-là considérée comme un véritable omphalos. Ils estiment que la langue, si elle est l’œuvre d’un peuple, constitue également un moyen d’auto-représentation nationale. Ils promeuvent donc des conceptions linguistico-culturelles de la nation. Basée sur la mise en œuvre de la méthode historico-comparative, la philologie affiche alors des perspectives totalisantes 8 qui englobent jusqu’à l’étude des traditions populaires. À l’origine cantonné à n’être qu’une branche de cette science, le folklore devient rapidement un domaine d’études en soi. L’essentiel de ce livre vise à analyser le mouvement d’institutionnalisation du folklore en France, entre 1870 et 1920, science dont l’implantation sur ce territoire est à l’origine tributaire d’une certaine conception de la philologie, héritée du modèle allemand. Il est composé d’une collection d’articles, organisés de manière à leur donner une cohérence de lecture linéaire. Il ne s’est agi nullement d’établir ici une histoire des institutions françaises et allemandes entre la fin du xixe siècle et le début du siècle suivant. Ces recherches ont été menées de façon plus transversale et se présentent davantage comme relevant d’une histoire des mentalités qui, certes, vient croiser parfois l’histoire des institutions. Le folklore, toutefois, ne naît pas au xixe siècle. Et, à mieux y réfléchir, folklore et philologie... voilà une bien vieille histoire ! Dans un premier chapitre, j’évoquerai donc les prémices de ce lien, rompu aujourd’hui par la formation de deux sciences distinctes, en montrant d’abord, rapidement, comment des analyses que nous pourrions qualifier de pré-scientifiques – au sens moderne – les associent dès l’Antiquité. Puis, nous poursuivrons notre chemin en envisageant la première tentative d’institutionnalisation des études de folklore en France, au travers du cas de l’Académie celtique, en nous focalisant non sur le fonctionnement de l’institution elle-même, qui dépasse notre sujet, mais sur son usage de la philologie et aussi sur l’influence exercée par cette association sur la pensée de Jacob Histoires croisées. Philologie et folklore de 1870 à 1920 et folklore Philologie croisées. Histoires Grimm, qui en a même été membre correspondant. Nous achèverons ce chapitre en nous attardant sur les travaux des frères Grimm, qui sont à l’origine d’une certaine conception de la philologie, et dont l’impact a été déterminant sur le développement des études de folklore, car c’est justement l’analyse des modes d’institutionnalisation en France de cette science, héritée des Grimm, qui forme le cœur de cet ouvrage, dès son second chapitre. La France, bien qu’ayant été le berceau de l’Académie celtique, sera la dernière nation européenne à accueillir cette discipline. Son exemple représente un cas typique, inédit, fortement influencé par un contexte historique singulier, tant du point de vue de l’histoire des sciences que de l’Histoire tout court. Il faut attendre la deuxième moitié du xixe siècle, et les efforts scientifiques de jeunes savants formés aux méthodes allemandes, pour que cette science qu’on leur a inculquée outre- Rhin parvienne jusqu’au sol français. Or cette conception de la philologie qu’ils promeuvent, reflète des cadres de pensée typiquement allemands qui permettent d’expliquer, en partie, l’implantation difficile de cette discipline en France. La guerre de 1870, qui provoque la chute de l’Empire, génère également un profond sentiment germanophobe dans la population française. Le lecteur pourra ainsi 9 constater, au long de cet ouvrage, tout le poids des circonstances historiques sur la volonté de la Troisième République de s’opposer, à ses débuts, au développement de l’étude du folklore en France, cette science étant en effet fortement associée à l’Allemagne en raison de ses liens à la philologie, mais Introduction aussi aux travaux des frères Grimm et à l’effort nationaliste qui les sous-tend.