Antonio VIVALDI Stabat Mater , Nisi Dominus
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Antonio VIVALDI Stabat Mater , Nisi Dominus Extrait du « Réciproque » de Pietro Torri Harmonia Sacra Bertrand DAZIN, contre-ténor Yannick LEMAIRE, direction Antonio Vivaldi (1678 -1741) Stabat Mater (RV 621) – Nisi Dominus (RV 608) Depuis sa redécouverte dans les années 1930, puis sa diffusion au disque à partir des années 1950, la musique religieuse d’Antonio Vivaldi (1678-1741) jouit d’une étonnante popularité. Pourtant, rien ne destinait cette musique d’usage à une telle destinée. De son vivant, Vivaldi n’a jamais été réputé pour sa musique religieuse, mais pour la virtuosité de son jeu, sa production instrumentale féconde et ses opéras. De fait, si l’on survole l’ensemble de son œuvre, on constate qu’Antonio Vivaldi a peu composé pour l’Eglise : sur les 701 numéros que compte son catalogue, 50 seulement concernent la musique religieuse, soit 7 % de son œuvre totale (79 % d’œuvres instrumentales ; 14 % d’œuvres vocales profanes). La particularité de ce corpus restreint tient aussi à son destinataire. En effet, exception faite du Stabat Mater (RV 621), l’essentiel a été composé pour le Pio Ospedale della Pietà , l’un des quatre orphelinats vénitiens fondés aux 14e et 15e siècles par le Sénat pour accueillir les jeunes filles orphelines, abandonnées, illégitimes ou pauvres. Depuis le 16e siècle, ces pensionnats subventionnés par la République se sont forgés une solide réputation internationale dans le domaine musical. Au 18e siècle, les célébrations liturgiques, notamment les vêpres et les messes sont particulièrement courues. En 1739, de passage à Venise, Charles de Brosse (1709-1777) peut ainsi écrire : La musique transcendante ici est celle des hôpitaux. Il y en a quatre, tous composés de filles bâtardes ou orphelines, et de celles que leurs parents ne sont pas en état d’élever. Elles sont élevées aux dépens de l’Etat, et on les exerce uniquement à exceller dans la musique. Aussi chantent-elles comme des anges, et jouent du violon, de la flûte, de l’orgue, du hautbois, du violoncelle, du basson ; bref, il n’y a si gros instrument qui puisse leur faire peur. Elles sont cloîtrées en façon de religieuses. Ce sont elles seules qui exécutent, et chaque concert est composé d’une quarantaine de filles. Je vous jure qu’il n’y a rien de si plaisant que de voir une jeune et jolie religieuse, en habit blanc, avec un bouquet de grenades sur l’oreille, conduire l’orchestre et battre la mesure avec toute la grâce et la précision imaginables. Leurs voix sont adorables pour la tournure et la légèreté […]. Celui des quatre hôpitaux où je vais le plus souvent, et où je m’amuse le mieux, c’est l’hôpital de la Piété ; c’est aussi le premier pour la perfection des symphonies. […]. 1 C’est précisément au service de cette prestigieuse institution que Vivaldi passe l’essentiel de sa carrière, entrecoupée par de nombreux voyages. Il y entre en septembre 1703 comme maestro di violino en succession de Bonaventura Spada (actif de 1673 à 1703), puis est nommé maestro di viole all’inglese l’année suivante. Sa charge consiste alors à superviser l’achat et l’entretient des instruments ainsi qu’à fournir l’ensemble de la musique instrumentale pour les besoins des élèves. La composition de la musique vocale religieuse ou profane était alors exclusivement réservée au maestro di coro : Francesco Gasparini (1661-1727). En mai 1716, Vivaldi est appointé maestro de’ concerti. Il y restera attaché jusqu’à la fin de sa vie en 1741, fournissant inlassablement les œuvres demandées malgré ses fréquents voyages à travers l’Italie, l’Autriche et la Hongrie pour faire représenter ses opéras. 1 BROSSES , Charles de, Lettres familières d’Italie , Hubert Juin (édit.), Paris, Editions complexe, 1995, p. 96-98. Dès lors, on comprend qu’Antonio Vivaldi ait peu composé d’œuvres religieuses. Leur présence dans le corpus vivaldien s’explique d’ailleurs par des circonstances tout à fait fortuites dues à la défection du maestro di coro . Cette situation se présente à deux reprises : une première fois de 1713 à 1719 au cours de la maladie prolongée de Francesco Gasparini ; une seconde fois entre 1737 et 1739 pour assurer la transition entre la fin du mandat de Giovanni Porta (en poste de 1726 à 1737) et la nomination de son successeur Gennaro D’Alessandro en 1739. Le Stabat Mater (RV 621) Composé en 1712, le Stabat Mater (RV 621) occupe une place singulière dans la production vivaldienne : c’est l’une des rares pièces qu’il n’ait pas écrite pour la Pietà, mais c’est surtout la première œuvre religieuse connue du compositeur. 2 En 1712, Vivaldi a 34 ans et déjà 16 ans de carrière musicale publique derrière lui (sa première mention dans un concert public date de 1696). Entre 1709 et 1711, Vivaldi prend congé de la Pietà : il travaille en effet à l’édition de L’Estro armonico , op. 3 (1711) mais entreprend surtout une tournée de concerts en compagnie de son père Giovanni Battista Vivaldi (1655–1736), lui aussi violoniste virtuose. Les deux hommes se rendent dans la ville paternelle de Brescia où ils rejoignent Carlo Francesco Pollarolo, maestro di capella de l’église San Marco de Venise qui y fait représenter deux de ses opéras : La costanza in trionfo et Engelberta o La Forza dell’innocenza . Parallèlement aux représentations les trois hommes participent à diverses célébrations religieuses à l’église Santa Maria della Pace des Oratoriens où le maestro di capella en poste n’est autre que Paolo Pollarolo, frère du précédent. En effet, bien que bénéficiant d’un petit effectif de cinq chanteurs et d’un orchestre à cordes d’une huitaine d’instruments, il n’est pas rare que la chapelle appointent des musiciens extérieurs pour des occasions particulières. C’est ainsi que les Vivaldi jouent à l’occasion de la Purification de la Vierge (2 février) et des Quarante heures (8 février) de l’année 1711. Et c’est dans la foulée que les oratoriens passent commande à Antonio Vivaldi d’un Stabat mater pour la fête des Sept Douleurs de la Vierge (18 mars) pour lequel le compositeur est payé au printemps 1712. 3 Le texte du Stabat Mater connaît une fortune particulière au 18 e siècle. Cette séquence que l’on attribue tantôt à Jacopone da Todi († 1306) tantôt à Innocent III († 1216) est traditionnellement chantée le Vendredi Saint ; avec le Dies irae , le Lauda Sion , le Veni Sancte Spiritus et le Victimae paschali laudes , c’est l’une des rares séquences médiévales à ne pas avoir été supprimée par le Concile de Trente. Mais son association avec le Vendredi Saint interdit de facto toute mise en musique. En réalité, la multiplication des Stabat Mater à partir de la fin du 17 e siècle s’explique par sa transformation en hymne pour la fête des Sept Douleurs de la Vierge : les versets 1-10 de la Séquence sont utilisées pour l’hymne des Premières Vêpres, les versets 11-14 pour l’hymne des Matines, les versets 15-20 pour l’hymne des Laudes. Cette tradition bien implantée en Italie est entérinée par un décret de la Congrégation des rites en 1727. Aussi est-ce bien l’hymne des Premières vêpres et non la séquence que met ici en musique Antonio Vivaldi. La forme poétique et liturgique de ce Stabat Mater en forme d’hymne impose de recourir à la structure musicale traditionnelle de l’hymne : la même musique sert pour chaque 2 TALBOT , Michael, The Sacred Vocal Music of Antonio Vivaldi , Firenze, Leo S. Olschki (« Studi di Musica veneta. Quaderni vivaldiani », 8), 1995, p. 146-150. 3 TALBOT , Michael, « New Light on Vivaldi’s Stabat Mater », Informazioni e studi vivaldiani , 13 (1992), p. 23-38, 243-253. strophe, alternativement chantée en plain-chant et en musique comme il appert dans les trois autres hymnes connues du compositeur ( Deus tuorum militum , Gaude mater Ecclesia , Sanctorum meritis ). Ici toutefois, tout en maintenant l’esprit de l’hymne, il en fait évoluer le schéma ordinaire A 1 A2 A3 A4… vers une forme plus complexe A 1 B1 C1 A2 B2 C2 D E F. Autrement dit, le réemploi d’une même musique n’est pas liée à une « facilité » d’écriture dont on taxe parfois Vivaldi, ni à une quelconque illustration sonore du texte (ici la même musique sert à deux textes différents), mais bien à une profonde conscience liturgique du texte mis en musique. Outre cette unité liturgique et musicale, deux autres éléments unissent les neuf mouvements du Stabat mater : le maintient de tempi lents (largo, lento, adagissimo, andante) contraire à la varietas baroque et l’unité forte autour des pôles tonals de Fa mineur et Ut mineur qui se résolvent uniquement sur l’ Amen ( Fa majeur) final. Ils sont les signes que quelque chose se transforme dans la musique italienne et que Vivaldi nous fait lentement passer de l’expressivité baroque du 17 e siècle au classicisme musical du 18 e siècle. La première et quatrième strophes campent un climat de tensions sensibles par des jeux de dissonances entre les deux violons, une ligne vocale utilisant de nombreux intervalles diminués et soutenue par un motif chromatique descendant à la basse. La structure est typique de l’ air d’Eglise ( kirchenarie ) : Ritournelle – Section A – Rit. – Section B – Rit.. Le second et cinquième mouvements se composent d’un récitatif accompagné, suivi d’un petit arioso, englobant deux strophes de l’hymne. Le troisième et le sixième mouvement, sur le modèle des mouvements I et IV constituent encore une Kirchenarie . Pris isolément, ces deux paires de trois mouvements forment une Aria à part entière : Air – Récitatif – Aria (Amen).