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INSTITUT D’ÉTUDE POLITIQUE DE LYON

LA MORT DU PRINCE IMPÉRIAL : HISTOIRE D’UN DESTIN BRISÉ RACONTÉ PAR LA PRESSE NATIONALE FRANÇAISE

Une du Petit Parisien du 21 juin 1879 ZENONI Antoine

Relations Internationales Contemporaines – Master 1 Séminaire d’« Histoire politique du XIXe et du XXe siècle » 2016-2017

Sous la direction de Michel Boyer et Gilles Vergnon

Soutenance le 5 septembre 2017

Portrait du Prince Impérial peint par Charles Porion en 1878

« J'admire ton destin, j'adore, tout en larmes Pour les pleurs de ta mère, Dieu qui te fit mourir, beau prince, sous les armes, Comme un héros d'Homère. »

Paul Verlaine

LA MORT DU PRINCE IMPÉRIAL : HISTOIRE D’UN DESTIN BRISÉ RACONTÉ PAR LA PRESSE NATIONALE FRANÇAISE

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Remerciements Ce mémoire est le résultat d’un travail de recherche qui a duré près d’un an. En préambule, je veux adresser tous mes remerciements aux personnes avec lesquelles j’ai pu échanger et qui m’ont aidé pour la rédaction de ce mémoire.

Je tiens tout d’abord à remercier le personnel de la Bibliothèque Nationale de , des Archives Nationales, de la Bibliothèque Napoléon et des Archives de Police de Paris pour leur sympathie et leur aide indispensable dans la recherche des documents qui m’ont permis d’avancer dans la rédaction de ce mémoire.

Merci également à Jean Claude Lachnitt, Secrétaire Général des Grands Prix et Bourses de la Fondation Napoléon, Président d'honneur de l'Académie du Second Empire, et auteur de nombreux articles et ouvrages se rapportant au règne de Napoléon III, (et plus particulièrement sur le Prince Impérial) qui m’a permis d’orienter mes recherches et m’a transmis la passion de son sujet d’étude.

J'adresse également mes plus sincères remerciements à mes parents, pour leurs regards critiques et bienveillants sur mon travail, à mon père pour les heures passées à se renseigner sur mon sujet pour pouvoir en discuter avec moi et à ma mère pour le travail fastidieux de relecture de mes travaux. Merci à mes amis qui m'ont accompagné, aidé, soutenu et encouragé tout au long de la réalisation de ce mémoire : Rachel, Deborah, Pierre, Alexandre, Sophie, Arnaud, Florian, Timo, Mehdi et Charlotte. Merci à Théo pour le gîte et le couvert lors de mes recherches à Paris

Un hommage tout particulier à Louis Bachaud pour le nombre incalculable d’heures passées à parler de nos mémoires et à avancer ensemble dans nos recherches. Merci pour son soutien sans faille, et pour les souvenirs indélébiles que me laisseront cette année de recherche grâce à lui.

Enfin je souhaite remercier Gilles Vergnon et Michel Boyer, directeurs de recherche de ce mémoire, pour leur aide précieuse, leurs conseils et le temps qu’ils m’ont consacré.

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Sommaire PARTIE I: LE BONAPARTISME EN 1879: ÉTAT DES LIEUX DANS LE MONDE POLITIQUE ET LA PRESSE, ENTRE SURSAUTS ET DÉCHIREMENTS ...... 26

CHAPITRE 1 : LA MORT DE NAPOLÉON III N’EST PAS LA MORT DU BONAPARTISME ...... 27 A. LE PRINCE IMPÉRIAL L’HÉRITIER LÉGITIME ...... 27 a) L’HÉRITIER D’UNE LÉGENDE NOIRE : ...... 27 b) L’HÉRITIER D’UN RÉGIME, D’UN NOM ET D’UN PARTI POLITIQUE...... 29 B. LE PARTI DE L’APPEL AU PEUPLE ET LA PRESSE BONAPARTISTE AU SERVICE DE LA CAUSE DU PRINCE ...... 33 a) RECONSTRUIRE LE BONAPARTISME APRÈS SEDAN : ...... 33 b) L’APPEL AU PEUPLE APRÈS LA MORT DE L’EMPEREUR : ...... 34 c) L’APPARITION D’UNE PRESSE BONAPARTISTE APRÈS SEDAN : ...... 36 d) UNE PRESSE BONAPARTISTE DIVISÉE : ...... 37 e) QUELLE EST L’INFLUENCE DES JOURNAUX BONAPARTISTES EN FRANCE ? ...... 38 f) L’IMPORTANCE DE LA PRESSE PROVINCIALE BONAPARTISTE : ...... 39 C. LES SUCCÈS ÉLECTORAUX D’UNE DES PRINCIPALES FORCES DE L’AILE CONSERVATRICE DE L’ASSEMBLÉE (1874-1877) ...... 41 a) LA MAJORITÉ DU PRINCE IMPÉRIAL : UN NOUVEL ÉLAN (1874) ...... 42 b) UN SURSAUT DU BONAPARTISME APRÈS SEDAN : LES VICTOIRES AUX ÉLECIONS PARTIELLES DE 1874-1875 ...... 43 c) MONTÉE EN PUISSANCE DU BONAPARTISME AU SEIN DE L’ALLIANCE CONSERVATRICE : LES LÉGISLATIVES DE 1876 ...... 45 CHAPITRE 2 : FAIBLESSE ET AMBIGÜITÉ DE LA DOCTRINE BONAPARTISTE ...... 47 A. LES DIFFÉRENTES TENDANCES AU SEIN DU PARTI ...... 47 a) LE BONAPARTISME « LÉGITIMISTE » : ...... 48 b) LE BONAPARTISME « BRUMÉRIEN » : ...... 49 c) LE BONAPARTISME« MONTAGNARD » : ...... 49 B. L’ALLIANCE CONSERVATRICE PROVOQUE L’ISOLEMENT DU PRINCE IMPÉRIAL ...... 50 a) LA RESTAURATION MONARCHIQUE MANQUÉE DE 1873 :...... 50 b) LA CRISE DU 16 MAI 1877 : LE DÉSENCHANTEMENT BONAPARTISTE ...... 51 c) L’ISOLEMENT DU PRINCE IMPÉRIAL : ...... 52 C. MANIFESTE POUR UN TROISIÈME EMPIRE : DÉFINIR POLITIQUEMENT LE PRINCE IMPÉRIAL 53 a) LES INFLUENCES DU PRINCE IMPÉRIAL : ...... 54 b) LE « MANIFESTE » DU TROISIÈME EMPIRE : ...... 55 CHAPITRE 3 : LES ADVERSAIRES ET DÉTRACTEURS DU PRINCE IMPÉRIAL DANS LA PRESSE NATIONALE FRANÇAISE EN 1879 ...... 59 A. LA PRESSE LÉGITIMISTE EN 1879 ...... 59 a) LA PRESSE DU COMTE DE CHAMBORD : ...... 60 b) L’UNIVERS DE LOUIS VEUILLOT ET LE MONDE D’EUGÈNE TRACONNET : ...... 61 c) UN JOURNAL DE COMBAT : LA DÉFENSE ...... 62 B. LA PRESSE ORLÉANISTE ET DU CENTRE DROIT EN 1879 : ...... 64 a) LE JOURNAL DE PARIS ET LE SOLEIL : ...... 64 b) LES GROUPES DE PRESSE ORLÉANISTES : SOUBEYRAN ET DALLOZ ...... 65 c) LE FIGARO, PRINCIPAL JOURNAL CONSERVATEUR ET MONARCHISTE : ...... 66 C. LA PRESSE RÉPUBLICAINE EN 1879 ...... 68 a) LA PRESSE RÉPUBLICAINE MODÉRÉE ET LA GAUCHE RÉPUBLICAINE : ...... 69 b) LA PRESSE RÉPUBLICAINE RADICALE : ...... 70 c) LA PRESSE RÉPUBLIQUE SATIRIQUE : ...... 70

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PARTIE II : LA MORT DU PRINCE IMPÉRIAL RACONTÉ PAR LA PRESSE NATIONALE FRANAISE ...... 74

CHAPITRE 1 : LA MORT DU PRINCE IMPÉRIAL EN AFRIQUE DU SUD LE 1ER JUIN 1879 ...... 75 A. LE PRINCE IMPÉRIAL, SOLDAT ENGAGÉ SOUS L’UNIFORME ANGLAIS EN AFRIQUE DU SUD 75 a) LES RAISONS DE SON DÉPART POUR L’AFRIQUE DU SUD : ...... 75 b) DE L’ARRIVÉE EN AFRIQUE DU SUD AUX MISSIONS DE RECONNAISSANCES : ...... 78 B. LE DRAME DU 1er JUIN 1879 : QUE S’EST-IL RÉELLEMENT PASSÉ ? ...... 81 C. « IL S’EST BATTU COMME UN LION » : LE TÉMOIGNAGE DES ASSAILLANTS ...... 85 a) UN COURAGE LOUÉ PAR SES ADVERSAIRES : ...... 85 b) NÉGLIGENCE OU COMPLOT ? ...... 86 CHAPITRE 2 : LA NARRATION DES ÉVÈNEMENTS DANS LA PRESSE CONSERVATRICE ...... 88 A. LA MORT COURAGEUSE D’UN HÉROS ROMANTIQUE DANS LA PRESSE BONAPARTISTE ... 88 a) LE CHOC, L’ÉMOTION PUIS LE DEUIL : ...... 88 b) LE PRINCE IMPÉRIAL, UN HÉROS TRAGIQUE : ...... 90 c) AFFICHER L’UNITÉ DU PARTI ET LA SURVIE DU BONAPARTISME : ...... 92 B. LA MORT TRAGIQUE D’UN JEUNE SOLDAT EMPORTÉ PAR LE DESTIN DANS LA PRESSE MONARCHISTE ...... 95 a) UNE PENSÉE POUR L’IMPÉRATRICE : ...... 96 b) LA MORT TRAGIQUE D’UN SOLDAT :...... 97 c) LES MONARCHISTES RESTENT EN OPPOSITION POLITIQUE AVEC LES BONAPRTISME MALGRÉ UNE « TRÊVE » POUR LE DEUIL : ...... 98 C. L’APPARITION D’UN CLIVAGE ENTRE CLÉRICAUX ET ANTICLÉRICAUX DANS LE TRAITEMENT DE LA MORT DU PRINCE ...... 100 CHAPITRE 3 : LA NARRATION DE LA MORT DU PRINCE DANS LA PRESSE RÉPUBLICAINE ...... 101 A. LA MORT D’UN ENFANT, ENNEMI DE LA RÉPUBLIQUE MAIS EXEMPT DE FAUTES PRESONNELLES ...... 102 a) DES TÉMOIGNAGE DE RESPECT, MALGRÉ L’OPPOSITION POLITIQUE : ...... 102 b) UN EXPOSÉ FACTUEL ET DÉPOURVU D’AFFECT : ...... 105 B. L’ATTAQUE EN RÈGLE DE L’EMPIRE ET DE SO HÉRITIER DANS LA PRESSE RÉPUBLICAINE PLUS RADICALE ET SATIRIQUE ...... 106 a) L’ATTITUDE DU PRINCE, COURAGE OU SUICIDE ? ...... 107 b) POUR L’AMOUR D’UNE PRINCESSE ? ...... 108 c) LA PROVIDENCE SERAIT-ELLE DU CÖTÉ DE LA RÉPUBLIQUE ?...... 108 d) DES ATTAQUES VIRULENTES À L’ENCONTRE DU PRINCE ET DE SON HÉRITAGE : ...... 110 C. L’ANALYSE RÉPUBLICAINE DES CONSÉQUENCES POLITIQUES DU PRINCE IMPÉRIAL ...... 112 a) LA RÉPUBLIQUE֤ D’ORES ET DÉJÀ MAJORITAIRE : ...... 113 b) LA FIN DU BONAPARTISME ! ...... 113 c) LE TRIOMPHE DE LA RÉPUBLIQUE : ...... 115 PARTIE III : LA POSTÉRITÉ DU PRINCE IMPÉRIAL...... 118

CHAPITRE 1 : LA DISPARITION TRAGIQUE DU PRINCE IMPÉRIAL : COUP DE GRÂCE POUR UN PARTI DIVISÉ ...... 119 A. LA PRÉSENTATION DES HÉRITIERS POTENTIELS DANS LA PRESSE ...... 119 a) PRÉSENTATION DU PRINCE VICTOR NAPOLÉON : ...... 119 b) LE PRINCE « PLON-PLON » DANS LA PRESSE : ...... 122 B. QUERELLE DE SUCCESSION ET ÉCLATEMENT DU PARTI ENTRE JÉROMISTES ET VICTORIENS 124 a) LE TESTAMENT DU PRINCE IMPÉRIAL EN FAVEUR DU PRINCE VICTOR : ...... 125 b) LE PRINCE JÉRÔME NAPOLÉON, L’HÉRITIER CONTESTÉ DE LA MAISON IMPÉRIALE : ...... 127

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c) LA FIN DE LA TRÊVE ENTRE JÉROMISTES ET VICTORIENS : L’ÉCLATEMENT D’UN PARTI EN RUINE 128 C. LA MORT DU PRINCE IMPÉRIAL EST SUIVIE DE DÉFAITES ÉLECTORALES ...... 130 a) LE BONAPARTISME ABBATU DÈS 1877 : ...... 130 b) LA MORT DU PRINCE IMPÉRIAL, UN DÉTONATEUR :...... 131 c) LA MAUVAISE GESTION DU PARTI APRÈS SA MORT : ...... 132 CHAPITRE 2 : MUTATION DU BONAPARTISME ET RECONVERSION DES BONAPARTISTES ...... 133 A. DÉCLIN DE LA PRESSE BONAPARTISTE ET CHANGEMENTS DE LIGNES EDITORIALES DÈS 1879 133 a) LA PRESSE BONAPARTISTE EN DÉCLIN : ...... 134 b) LE CHANGEMENT DE LIGNE ÉDITORIALE DU GAULOIS EN JUILLET 1879 :...... 135 B. LA DISLOCATION DU PARTI ET DE LA PRESSE BONAPARTISTE (1879-1884) ...... 137 a) REPRÉSENTATION DES JÉRÔMISTES ET DES VICTORIENS DANS LES JOURNAUX : ...... 138 b) DISPARITION DES PRINCIPAUX QUOTIDIENS BONAPARTITES QUELQUES ANNÉES APRÈS LA MORT DU PRINCE IMPÉRIAL : ...... 140 C. MUTATION DU BONAPARTISME VERS L’IMPÉRIALISME : LES DERNIERS SUCCÈS ET LA POSTÉRITÉ DU MOUVEMENT ...... 142 a) LA LENTE AGONIE DU BONAPARTISME RÉACTIONNAIRE ET CONSERVATEUR ...... 142 b) LA FIN DU BONAPARTISME ...... 144 CHAPITRE 3 : LA FIDÉLITÉ DE L’IMPÉRATRICE À LA MÉMOIRE DE SON FILS ...... 145 A. LE DEUIL DIIFICILE DE L’IMPÉRATRICE ...... 145 a) LA SANTÉ DE L’IMPÉRATRICE : ...... 145 b) LES HOMMAGES OUBLIÉS AU PRINCE IMPÉRIAL : ...... 146 B. L’ÉVENTAIL DE PRESE RÉUNI PAR L’IMPÉRATRICE EUGÉNIE À LA MORT DE SON FILS ..... 148 a) LES ARTICLES LOUANT LA BRAVOURE DE SON FILS : ...... 148 b) LES ARTICLES EN FAVEUR DU RÉCIT D’UN DEUIL GÉNÉRALISÉ : ...... 149 c) LES ARTICLES CONCERNANT LE SERVICE FUNÈBRE À SAINT AUGUSTIN EN L’HONNEUR DU PRINCE : ...... 151 d) L’IMPÉRATRICE, SENSIBLE À L’HOMMAGE DES MONARCHISTES : ...... 152 C. LE VOYAGE EN AFRIQUE DU SUD, SUR LES TRACES DE SON FILS ...... 155 a) UN PARFUM DE VERVEINE : ...... 155 b) LE PRINCE IMPERIAL, LE 1er 1880 À PARIS : ...... 156 c) AUJOURD’HUI, UNE « ROUTE NAPOLÉON » EN AFRIQUE DU SUD :...... 158

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Préambule :

Le 1er Juin 1879, le Prince Impérial, fils unique de Napoléon III et héritier du second Empire, meurt en Afrique du Sud. Il était le chef du parti bonapartiste et prétendant au Trône de France, à la tête d’un mouvement qui représentait la principale force d’opposition conservatrice à l’Assemblée Nationale. La mort prématurée et tragique de ce jeune Prince de vingt-trois ans bouleverse le paysage politique français et rend très incertain l’avenir du Bonapartisme. C’est un coup de tonnerre qui s’abat sur le Bonapartisme. C’est au contraire une chance inespérée pour la République qui voit disparaître un de ses principaux adversaires.

Ce mémoire a pour ambition d’analyser la perception de la mort du Prince Impérial dans la presse politique nationale en 1879. Il a également vocation à comprendre quel a été l’impact, réel ou supposé, de sa mort dans la vie politique française et au sein du Bonapartisme. La presse politique permet d’appréhender la diversité des jugements politiques et personnels qui entourent la mort du Prince Impérial et d’analyser la manière dont l’opinion publique a perçu cette mort.

Tout d’abord, l’analyse de la presse de cette période est intéressante à plus d’un titre. En 1867, la presse se libéralise grâce à la fin de des autorisations préalables de l’administration pour imprimer. En 1881, intervient la loi sur la liberté de la presse. C’est donc dans cette période charnière d’essor de la presse au début de la IIIème République que prend place notre étude. Analyser la presse en 1879 à la mort du Prince c’est comprendre le rapport de force entre la République et ses adversaires. Cette étude permet de brosser le portrait de la presse politique des années 1870-1881, de comprendre son fonctionnement, son évolution et ses dynamiques. L’objectif est aussi d’étudier la représentation des différents courants politiques dans la presse nationale en 1879.

C’est également une période de mutation du parti bonapartiste. Pendant les neuf années d’instabilité politique qui ont suivi la proclamation de la République (1870-1879), le parti bonapartiste a su se reconstruire après la défaite de Sedan et incarner une

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opposition tangible à la République sous l’égide du Prince Impérial. Nous étudierons donc l’évolution du parti bonapartiste entre 1873 et 1879 puis l’impact de la mort du Prince sur le mouvement. L’analyse de la presse, de différentes sensibilités politiques, permet de saisir la portée politique de cet évènement et de comprendre les bouleversements qu’elle entraine. L’étude du Bonapartisme et de la droite conservatrice dans la presse politique permet de percevoir les rapports de force dans le paysage politique français. Elle permet également de faire un bilan sur le Bonapartisme après Sedan et du rapport de force, dans la presse et à l’Assemblée entre les conservateurs (Bonapartistes et Monarchiste) et les Républicains.

Ce mémoire est enfin l’occasion de revenir sur l’année 1879 qui est à plus d’un titre une année charnière de l’histoire de la troisième République. C’est en effet l’année du triomphe des Républicains. Après neuf ans d’instabilité politique, d’hésitation entre Monarchie, Empire et République, les Français tranchent en faveur de la République. Pour la première fois depuis 1870, les Républicains contrôlent l’ensemble des institutions (Assemblée Nationale, Sénat et Présidence de la République). L’analyse des réactions liées à la mort du Prince démontre que pour une part importante de l’opinion publique, notamment conservatrice, ce triomphe ne va pas de soi et beaucoup espèrent encore un changement de régime à l’image des Bonapartistes, des Légitimistes et des Orléanistes. La République malgré les victoires électorales n’est pas pleinement stabilisée en 1879. Nous démontrerons cependant que La mort du Prince Impérial fait partie des éléments qui vont précipiter l’avènement d’une République incontestée.

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Introduction :

Qui était le Prince Impérial ?

Un résumé biographique s’impose pour comprendre pleinement qui était le fils de Napoléon III et pourquoi la mort de ce jeune soldat de vingt-trois ans a eu un tel retentissement. Cette biographie a pour objectif, de mettre en lumière l’importance politique du Prince Impérial et de comprendre pourquoi sa mort fut considérée par la presse comme un évènement politique majeur. Cette biographie n’a pas pour vocation d’être exhaustive mais d’apporter une vue d’ensemble sur sa vie. Au fil du mémoire, nous approfondirons les éléments biographiques évoqués en introduction.

Napoléon Eugène Louis Jean , Prince Impérial, naît au palais des Tuileries à Paris le 16 mars 1856. Il est le fils unique de Napoléon III, Empereur des français et d’Eugénie de Montijo. L’Empire est restauré depuis trois ans et la naissance de cet héritier tant attendu permet de consolider les bases du régime et assurer l’avenir de la dynastie. La France rayonne du prestige de ses succès militaires : son armée vient de remporter une victoire décisive dans la guerre de Crimée, et le congrès de Paris est, pour Napoléon III, une éclatante revanche sur le congrès de Vienne de 1815, qui avait écarté les Bonaparte du pouvoir. En 1856, la France apparaît comme l’arbitre incontesté de l’Europe. La naissance de l’enfant est célébrée dans tout l’Empire, au départ des Invalides et jusqu'à Sébastopol par 101 coups de canon, annonçant la naissance d’un héritier du trône1.

Soucieux d'assurer la pérennité de son trône et âgé de 45 ans, Napoléon III cherchait une épouse, mais les cours d'Europe ne se montraient guère ouvertes à une alliance avec celui qu'elles considéraient comme un " usurpateur ". C'est pourquoi, à défaut d'une princesse, l'Empereur jeta son dévolu sur une jolie femme de " bonne naissance ", Eugénie de Montijo, dite " comtesse de Téba ", trois fois grande d’Espagne, dix fois comtesse et descendante de Saint Louis. C’était une jeune Andalouse d’une grande beauté, qu'il avait remarqué lors d’un bal organisé chez sa cousine la Princesse

1 Archives nationales : 400AP/56

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Mathilde Bonaparte. Leur mariage fut célébré au palais des Tuileries le 29 janvier 1853. Les premières années de leur mariage semblent sans nuages, mais malgré ce désir affiché d’engendrer une descendance, l’héritier tarde à venir en raison de plusieurs fausses couches faisant douter des aptitudes de l’Impératrice à enfanter. Le couple mettra trois ans à donner naissance au Prince Impérial. A l’annonce des premières contractions de l’Impératrice, le 15 mars 1856, la foule s’amasse devant le palais des Tuileries et au carrousel. Les journaux distribuaient toutes les heures un bulletin de santé de l’Impératrice pour informer le peuple.2 Le corps de l’État et les hauts fonctionnaires se réunirent aux Tuileries pour assister à la délivrance. Le protocole imaginé pour l’évènement était calqué sur les naissances des héritiers de France sous l’ancien régime, incluant un accouchement public3. L’accouchement en lui-même est une véritable épreuve pour l’Impératrice. Comme Napoléon I lors de la naissance du roi de Rome, on demanda à Napoléon III s’il fallait privilégier la vie de la mère ou de l’enfant. Comme son illustre oncle, L’Empereur choisit de sauver la mère4. La délivrance est si douloureuse qu’elle rendra l’Impératrice Eugénie stérile. L’enfant quant à lui est laissé sur le côté pendant plusieurs minutes, considéré comme mort-né, avant que le docteur Corvisart chargé de la délivrance de l’Impératrice ne constate qu’il était bien vivant et en bonne santé.

La naissance de cet enfant est fêtée dans tout Paris. Dix mille francs furent distribués aux nourrices des enfants pauvres et le couple Impérial fit savoir que l’Empereur et l’Impératrice seraient les parrains et marraines de tous les enfants nés le même jour que leur fils. Le berceau du Prince Impérial fut offert par la ville de Paris. Le préfet de la Seine Haussmann avait obtenu du conseil municipal un crédit illimité pour la réalisation du berceau par les plus grands artistes de son temps. Le prix total de l'œuvre fut de 156 839 francs5. L'ensemble avait été dessiné par l'architecte Victor Baltard, à l’origine du pavillon Baltard. D’autres artistes tels que Pierre-Charles Simart,

2 BLACHIER Charles, Le Prince Impérial, Paris, Henri Guérard Editeur, 1877 p.9 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5467802c (consulté le 19/06/2017) 3 Archives nationales 400AP/70 4 LACHNITT Jean Claude Le Prince Impérial, Napoléon IV, PUF, 1997, 341 pages, p.20 5 Archives nationales : 400AP/79

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Henri Jacquemart, ou Hippolyte Flandrin ont travaillé sur ce berceau pour en faire une véritable pièce d’orfèvrerie. Le luxe de ce berceau est un des éléments permettant de saisir le faste des fêtes organisés lors de la naissance du petit Prince. Le baptême est célébré le 14 juin 1856 en grande pompe à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Le parrain de l’enfant n’est autre que le Pape Pie IX lui-même. En raison de son grand âge et plus certainement en souvenir de l’enfermement de son prédécesseur à Fontainebleau, Le Pape décide de ne pas se rendre en France. Il est représenté par le Cardinal-légat Patrizi, qui baptise l’enfant. La marraine aurait dû être la Reine Victoria d’Angleterre, grande amie du couple Impérial depuis sa visite à Versailles en 1855. Certains historiens énoncent même l’hypothèse qu’elle aurait conseillé le couple pour permettre la naissance du petit Prince6. Toujours est-il qu’étant chef de la religion anglicane elle ne pouvait pas être la marraine de l’enfant. C’est donc la Reine Joséphine de Suède, fille d’Eugène de Beauharnais et cousine de l’Empereur, qui devint la marraine de l’enfant. Lors de son baptême, Napoléon III dira à propos de cette fastueuse cérémonie : « un tel baptême vaut bien un sacre »7. Le petit Prince, héritier d’un Empire prospère et victorieux est un enfant très populaire. C’est l’enfant de la France. A tel point que nous connaissons encore aujourd’hui une chanson, apprise par tous les écoliers de France, qui parle du « petit Prince » un surnom populaire affectueux qui lui restera attaché jusqu'à sa mort. Cette célèbre chanson « lundi matin, l’Empereur, sa femme et le petit Prince sont venu chez moi, pour me serrer la pince. . . », parle, en effet de Louis. La naissance du jeune Prince inspire également les poètes, à l’image de Théophile Gauthier qui signe un magnifique poème, la nativité, à la gloire du fils de Napoléon III8. De nombreuses photos et images d’Épinal circulent ainsi que des médailles9 ou des reproductions de la célèbre sculpture de Carpeau sobrement

6 D’ARJUZON Antoine, Victoria et Napoléon III, Histoire d’une amitié, Paris, Atlantica eds, 2007, 312 pages 7LACHNITT Jean Claude Op. cit p. 23 8 Voir annexe 6 9 En ligne https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/objets/medaille-du-bapteme-du-prince- imperial/ [consulté le 21/06/2017]

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renommée sous la IIIe République « l’enfant au chien » qui restera populaire longtemps après sa mort. Elle est actuellement exposée au musée d’Orsay10.

Dès sa naissance, on constitua pour le Prince sa propre maison. Elle était composée de trois dames, toutes trois veuves d’officiers tués en Crimée : la gouvernante, l’amirale Bruat, et les sous-gouvernantes, Mesdames Bizot et de Brancion. Une solide nourrice bourguignonne, Anne Boussard, épouse Boisseau et une nurse anglaise, miss Jane Shaw, envoyée par la Reine Victoria, complétaient cet état- major. Un pédiatre, le docteur Barthez, surveillait la santé de l’enfant. Un valet de pied, Xavier Uhlmann11, lui était attaché ; il ne devait pas le quitter jusqu’à sa mort et lui marquera toujours un total dévouement. Plus tard, on y ajoutera un professeur d’équitation en la personne de Banchon, et un précepteur du nom de Francis Monier. L’abbé Duguerry est quant à lui chargé de l’éducation religieuse du jeune Prince. Louis, contrairement aux enfants de Louis Philippe n’est pas envoyé à l’école publique et commence donc l’école à l’âge de 7 ans avec son précepteur. Il changera de précepteur en 1867 et Monier sera remplacer par Augustin Filon qui va faire venir aux Tuileries les professeurs des meilleurs lycées de Paris tel que le lycée Henri IV ou le lycée Bonaparte. Ernest Lavisse sera chargé de son apprentissage de l’histoire12.

Le petit Prince est l’unique espoir de sa dynastie et sa popularité est corrélée à celle de l’Empire. Il naît au moment du congrès de Paris après la victoire de Crimée et grandit bercé par les récits des victoires de son père à Solferino et Magenta en 1859. Le 26 avril 1856, quelques mois à peine après sa naissance donc, le Prince intègre les enfants de troupe, au 1er régiment des grenadiers de la Garde Impériale. Son premier uniforme est confectionné alors qu’il a tout juste 2 ans. A partir de ses 4 ans, l'Empereur l'amène régulièrement, en août au camp de Chalons pour le faire connaître de l'armée. Il suit les manœuvres dans une petite voiture puis sur un poney. L’enseignement qui lui est fait de l’histoire est essentiellement tourné vers l’histoire de la Révolution et de

10 En ligne http://www.musee-orsay.fr/fr/collections/oeuvres- commentees/sculpture/commentaire_id/le-prince-imperial-et-son-chien-nero [consulté le 21/06/2017] 11 FILEAUX Christian, Revue du Souvenir napoléonien, numéro 479, avril-mai-juin 2009, pages 51 à 59 12 LACHNITT Jean Claude, Op. cit p. 104

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l’Empire, apprenant par cœur les grandes batailles de Wagram ou Austerlitz. Il grandit dès lors avec une véritable fascination pour l’armée et le désir profond de faire carrière dans celle-ci comme son père et son oncle. Pour ses 11 ans, en 1867 on constitue sa première maison militaire13 avec un gouverneur militaire, le général Froissard. Ce gouverneur, chargé de la discipline du jeune Prince est un polytechnicien ayant combattu pendant les guerres d’Italie et de Crimée. On lui adjoint également quatre aides de camps. Le Prince entrera d’ailleurs officiellement dans l’armée comme officier, Sous-lieutenant du 1er régiment des grenadiers de Garde Impériale le jour de ses 13 ans, le 16 mars 1869.

Le soin particulier donné à son éducation est bien évidement lié à son statut d’héritier de l’Empire. Il est d’ailleurs le premier membre de la maison Bonaparte élevé pour régner14. Dès son plus jeune âge, il parle couramment anglais grâce à Miss Shaw. Il est également très bon cavalier comme ses parents. Il apprend très jeune à tenir son rang et son rôle de représentation. Il est également très pieux sans être bigot de par son éducation religieuse15. Enfin, son éducation est tournée vers le métier des armes et l’honneur du soldat, une passion qui le définira jusque dans la mort. Il était un élève moyen mais appliqué, son premier précepteur étant laxiste, il avait accumulé du retard avant l’arrivée de Filon16. C’était également un élève dissipé qui supportait mal la solitude. C’est pour cette raison que l’idée fût trouvée de lui donner un camarade de classe en la personne de son meilleur ami : Louis Conneau. On sait qu’il avait un talent hérité de sa grand-mère Hortense de Beauharnais pour la musique et le dessin mais que rien ne fut fait pour l’encourager dans ce sens afin d’éviter que l’héritier de l’Empire ne se découvre une âme de poète. Le Prince était d’une générosité instinctive et d’un naturel très aimable selon son second précepteur Augustin Filon17. Le Prince est

13 LACHNITT Jean Claude, Op. cit. P.96 14 Napoléon I est élevé comme un notable Corse, Napoléon II est élevé en Autriche comme un prince allemand, et Napoléon III grandi après la chute de son oncle et n’est pas élevé dans l’idée de régner. 15 FILON Augustin, Le Prince Impérial, Paris, Hachette, 1912 p.45-46 16 FILON Augustin, Le Prince Impérial, Paris, Hachette, 1912 p.30-50 17 FILON Augustin, Op. cit. p.30-50

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également hyperactif et orgueilleux. Faire appel à son orgueil de soldat, ou de Bonaparte était un gage quasi systématique d’obéissance et de respect des règles.

L’enfance du petit Prince est une enfance heureuse passée entre les châteaux de Saint Cloud, de Compiègne, des Tuileries et de Fontainebleau. Il assiste aux « séries » organisées aux châteaux de Compiègne accueillant tout ce que la France compte d’esprits brillant (Flaubert, Offenbach, la Princesse de Metternich. . .) chaque année à l’automne. Il assiste à la première du grand Danube bleu de Strauss et entretient de nombreuses conversations avec Prosper Mérimée, un ami intime de sa mère. Le 3 juin 1867, dans le cadre de l’exposition universelle qui se tient à Paris, le Prince Impérial reçut dans la même journée la visite du Tsar de Russie Alexandre II et du Tsarévitch, du roi Léopold de Belgique et du Kronprinz de Prusse. Le lendemain il recevra le Chancelier Bismarck et ils joueront aux échecs18. A partir de 1867, alors qu’il est âgé de 11 ans il commence à assumer les responsabilités liées à sa fonction. Il est présent à l’inauguration de l’exposition universelle de Paris le 1er avril 1867 au côté de ses parents. Sa première communion est calquée sur le cérémonial des communions des enfants de Louis XVI19. Il possède ses propres appartements aux Tuileries avec antichambres et salles d’apparat avec un registre ouvert le 16 mars 1868. Il possède dès lors sa propre maison et sa propre suite. Il commence également à faire des visites officielles avec l’Impératrice en Lorraine en 1867, puis à Cherbourg et Brest les 14 et 15 avril 1868. Lors de ce voyage il mesure pleinement sa popularité et celle de l’Empire car son arrivée est vécue comme un jour de fête nationale20. Il est également choisi pour remettre les prix du concours général de 186821. Le 24 août 1869, il effectue une visite officielle en Corse, berceau de la famille Bonaparte. C’est un véritable triomphe où on observe une popularité palpable22.

En 1870, lors du déclenchement de la guerre qui sonnera le glas de l’Empire, Louis n’a que 14 ans. Cette guerre éclate dans un contexte très tendu entre la France et

18 LACHNITT Jean Claude, Op. cit P. 100 19 Archives Nationales, 400AP/71 : « Cérémonial et Etiquette » 20LACHNITT Jean Claude, Op. cit P.110 21LACHNITT Jean Claude, Op. cit P.116 22LACHNITT Jean Claude, Op. cit P. 119

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la Prusse. L’élément déclencheur est la candidature d’un prince prussien, Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen au trône d’Espagne vacant depuis la révolution de 1868. La France s’y oppose farouchement et demande au roi de Prusse Guillaume I, par l’intermédiaire de son ambassadeur Vincent Benedetti, la confirmation écrite du retrait de Léopold. Bismarck, le Chancelier de Prusse rédige alors un télégramme, qui passera la postérité sous le nom de dépêche d’Ems, en résumant les propos de son roi leur donnant volontairement une tournure provocatrice, suggérant que l’Empereur aurait congédié de manière humiliante l’ambassadeur. Aussitôt, la presse parisienne crie au scandale, excitant les velléités belliqueuses du peuple et des parlementaires. La guerre sera déclarée le 19 juillet 1870 par un Napoléon III hésitant poussé par l’opinion publique et son entourage. Cette dépêche d’Ems, loin d’être une faute diplomatique lourde du Chancelier prussien est au contraire une offense préméditée pour forcer la France à déclarer la guerre. L’armée française est vieillissante, mal préparée à une guerre européenne et démoralisée après le désastre de l’expédition mexicaine de 1867. En face, les armées allemandes sont plus fortes que jamais après la victoire de Sadowa en 1866 qui avait montré à l’Europe entière que la Prusse faisait partie du concert des nations en battant l’Empire Austro-hongrois. La France mobilise 265 000 hommes, sur un front de 250 kilomètres. De leur côté, la Prusse et ses alliés bavarois en alignent immédiatement 600 00023. Le 2 août 1870, le Prince reçoit son baptême du feu à la bataille de Sarrebruck. Louis fait preuve d’un courage exemplaire face à l’horreur des combats. Le soir même Napoléon III envoya un télégramme à l'Impératrice : « Deux août. Louis vient de recevoir le baptême du feu : il a été admirable de sang-froid, il n'a été nullement impressionné. Il semblait se promener au Bois de Boulogne. Il a conservé une balle tombée auprès de lui. Il y a des hommes qui pleuraient en le voyant si calme 24. » Ce petit mot sera rendu public par le gouvernement d’Emile Ollivier. Malheureusement, de nombreuses caricatures de l’« Enfant à la balle » vont alors apparaître et le tout-Paris va se moquer de cet enfant perdu sur le champ de bataille qui

23 En ligne https://www.herodote.net/1870_1871-synthese-543.php [consulté le 21/06/2017] 24 Cité par LACHNITT Jean Claude Op. cit p.137

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ramasse des balles pour passer le temps. C’est une caricature tenace présente chez les Républicains jusque dans les récits de sa mort en 1879.

Face à la violence des combats et à la tournure prise par les évènements, les ordres sont donnés pour que Louis soit éloigné de son père en cas de défaite. Le Prince Impérial part donc en exil en Belgique puis en Angleterre où il est rejoint par sa mère le 8 septembre 1870. L’armée française, mal préparée et en sous-effectif enchaine les défaites. Le 6 août, l’armée française perd l’Alsace et la Lorraine après les défaites de Forbach et de Froeschwiller-Woerth malgré une charge héroïque des cuirassiers à Reichshoffen. Le maréchal Bazaine se laisse quant à lui enfermer dans Metz. L'Empereur, affaibli par la maladie, rejoint le maréchal de Mac-Mahon au camp retranché de Châlons et tente de secourir Bazaine. Cependant, la bataille de Sedan le 2 septembre 1870 sonne le glas de l’Empire et la chute de Napoléon III qui est fait prisonnier avec ses 83000 soldats. Deux jours plus tard, la République est proclamée sur la place de l’Hôtel de ville à Paris. Les Républicains menés par Léon Gambetta qui réunit les armées à Tours ne parviendront pas à empêcher la prise de Paris et la proclamation de l’unité allemande dans la galerie des glaces de Versailles le 18 janvier 1871. Dix jours plus tard, l’armistice est signé à Bordeaux pour permettre l’élection d’une nouvelle Assemblée. Cet armistice prévoit un défilé des troupes allemandes dans Paris le 1er mars 1871. La capitale, épuisée par un long siège se sent trahie et humiliée par la nouvelle Assemblée à majorité royaliste qui s’est installée à Versailles et enchaine les mesures impopulaires (fin des indemnités due à la garde nationale, Retrait des 277 canons de la bute Montmartre. . .) La Commune insurrectionnelle est proclamée le 28 mars 1871 en réaction au désarmement de Paris. Elle durera deux mois jusqu’en mai 1871 et sera réprimée dans le sang, faisant entre 6 000 et 30 000 morts lors de la « semaine sanglante ». L'abbé Deguerry, avec qui le Prince avait fait sa première communion, fut fusillé après avoir été pris en otage. Le 23 mai 1871, le palais des Tuileries, symbole de la monarchie, de l’Empire mais aussi de l’enfance de Louis est détruit dans un incendie volontaire orchestré par des communards. Le château de Saint Cloud où il avait passé les moments les plus heureux de sa vie, devenu quartier

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général de l’armée allemande fût également détruit par les canons français durant la guerre, le 28 juillet 1870.

Louis ne le sait pas encore mais lorsqu’il passe la frontière belge pour rejoindre l’Angleterre en cette année 1870, il foule le sol français pour la dernière fois. Le départ est d’autant plus difficile qu’il est accompagné de la défaite militaire, de l’occupation allemande, de l’emprisonnement de son père, de la destruction des châteaux où il a grandi et de la fin de l’Empire dont il est l’héritier. Le changement de vie est total et la défaite amère. À 14 ans, à cause de la défaite de Sedan, il perd son statut d’héritier et devient un prétendant au trône de France. C’est le début d’un exil qui durera jusqu'à sa mort en 1879. Le 8 septembre 1871 il est rejoint dans cet exil par sa mère l’Impératrice qui a fui Paris. Ils s’installent le 20 septembre dans la charmante propriété de Camden Place à Chislehurst près de Londres. Ils seront rejoints en mars 1871 par l’Empereur, libéré de sa captivité allemande. Louis va alors passer des moments privilégiés avec son père dans les jardins de Camden Place à parfaire son éducation politique. Le 17 novembre 1872, avec l’accord du duc de Cambridge et de la Reine Victoria, Louis passe le concours pour entrer à l’école militaire de Woolwich est reçu, 27e sur 30 avec son ami Louis Conneau. Contrairement à d’autres princes en exil qui firent leurs études à Woolwich, tel que le futur roi Alfonse XII d’Espagne, Louis passa tous les concours et tous les examens. En 1873 lorsque son père meurt, Louis n’a que 17 ans et décide de poursuivre sa formation militaire. Il sort diplômé de Woolwich, dans l’artillerie (comme son grand-oncle), en 1875 et sort 7e sur 34 avec les meilleures notes en équitation et en escrime25. Pendant ces années à l’école, Louis a su gagner l’affection et le respect de ses camarades soldats. Lors de la proclamation des résultats il fut porté en triomphe par ses amis. Dès sa sortie de l’école, il se consacre à son rôle de prétendant au trône et chef du parti bonapartiste avec l’aide de Rouher, le Vice-Empereur et homme de confiance de son père ainsi que sa mère l’Impératrice. Le jeune Prince participe également à la vie mondaine londonienne et est régulièrement invité par la Reine Victoria. Louis est cependant un soldat dans l’âme. Supportant mal cette vie

25 La pourpre et l'exil, L'aiglon et le Prince Impérial, éditions de la Réunion des musées nationaux, 2004, page 218

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étriquée de prétendant mondain, de dandy anglais, il décide de trouver la gloire sur le champ de bataille et s’engage, non sans difficulté, dans l’armée anglaise pour aller combattre les Zoulous en Afrique du Sud. Le 1er Juin 1879, le Prince est pris dans une embuscade, dans le Kwazulu natal. Après une lutte acharnée et courageuse le Prince affronte la mort en face et est transpercé par 17 coups de sagaies. C’est un coup de tonnerre qui s’abat sur l’Angleterre et sur la France. Le dernier Napoléon est mort en Afrique du Sud sous l’uniforme anglais. Ironie de l’histoire, soixante-quatre ans après la bataille de Waterloo, en juin 1879, le descendant de Napoléon Ier est mort en combattant pour l’Angleterre. Le Prince Impérial fait partie de ces très nombreux « fantôme des Tuileries », ces princes nés au Tuileries, destinés à succéder à leur père sur le trône de France, mais qui seront victime de l’instabilité politique du XIXe siècle. Dans cette funeste liste on peut citer Louis XVII, Henri V, Louis Philippe II ou encore Napoléon II le fils unique de Napoléon Ier mort à 21 ans en Autriche. Le jeune Prince Impérial, héritier du Second Empire est né dans le luxe et le faste Impérial. Il était destiné à régner sous le titre de Napoléon IV. Malheureusement, le destin en décida autrement. Il disparaît à la fleur de l’âge, à 23 ans dans une guerre qu’il n’aurait jamais dû rejoindre, à des milliers de kilomètres de la France. Il est cependant le premier de cette grande dynastie de guerrier que sont les Bonaparte à mourir les armes à la main.

Ces éléments biographiques permettent de saisir l’importance politique du Prince Impérial et ont pour vocation d’éclairer les réactions et les commentaires que sa mort a suscités. La nouvelle de sa mort fait la une de la presse des deux côtés de la . La nouvelle arrive au Cap le 3 juin puis passant par Madère, elle arrive à Londres le 20 juin et à Paris le 21 juin. En France, plusieurs chroniqueurs relatent l’émotion et l’effervescence autour de cette mort. Ernest Renan, par exemple, décrit une vive émotion « dans toutes les classes de la société et surtout dans les classes populaires26 ». L’abbé Arthur Mugnier, chroniqueur de son temps affirme que le portrait du Prince Impérial était affiché dans tout Paris27. De nombreux poètes ont été

26 Cité par BLUCHE Frédéric, Le Bonapartisme, collection Que sais-je ?, éd. Presses Universitaires de France, 1981, p. 113. 27 MUGNIET Arthur , Marcel BILLOT (éd.) et D’HENDECOURT Jean (notes) Journal de l'abbé Mugnier : 1879-1939, Paris, Mercure de France, coll. « Le Temps retrouvé », 1985, 640 pages

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inspirés par cette tragédie. Les plus touchants sont sans doute les hommages de Rosemonde Gérard28, Giosué Carducci29, et Paul Verlaine30 qui déplorent le destin tragique de ce jeune héros romantique.

Pourquoi s’intéresser particulièrement aux réactions dans la presse nationale ?

La presse politique nationale des années 1870-1880 est en plein essor. Elle se libéralise grâce à la fin des autorisations préalables de publications en 1867. Elle regroupe une large diversité d’opinions, chaque journal représente une sensibilité politique différente. Etudier la presse c’est donc étudier le plus large panel de réactions et d’analyses possibles. La presse écrite est par ailleurs leader d’opinion. Des hommes de lettres à l’image d’Emile Zola ou Victor Hugo utilisent la presse pour vivre de leur plume et comme tremplin vers une carrière professionnelle d’écrivain. Cette période voit également l’émergence d’un véritable journalisme qui se professionnalise. C’est à partir de cette époque un métier reconnu qui attire les plus grandes plumes. Les journaux servent de tribune à des mouvements politiques à l’image de Paul de Cassagnac qui défend avec fougue le Prince Impérial dans son journal le Pays ou encore à des intérêts privés comme le groupe de Presse du Baron de Soubeyran.

La presse politique dans les années 1870-1880 est divisée en quatre grands courants. Il y a la presse Légitimiste, Orléaniste, Bonapartiste et Républicaine. Les journaux sont très souvent affiliés directement aux partis politiques et ces nombreux articles sont publiés sous l’influence d’hommes politiques. L’Union est l’organe officieux du Comte de Chambord (prétendant Légitimiste), Le Journal de Paris défend directement les intérêts du Comte de Paris (prétendant Orléaniste), L’Ordre est le journal officiel du parti bonapartiste, dirigé par Rouher. Des grands noms de la politiques sont également très actifs dans la presse tels que Léon Gambetta dans La République Française, Victor Hugo dans le Rappel, Emile Zola dans La Lanterne, ou encore Jules Simon dans Le Siècle. Cela n’empêche pas certains journaux de conserver

28 Rosemonde Gérard (1866- 1953) Poétesse et comédienne française, elle fut l’épouse d’Edmond Rostand 29 Giosué Carducci (1835-1907) Poète qui fut le premier italien à recevoir le Prix Nobel de Littérature en 1906 30 Voir Annexe 6 pour les poèmes cités.

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une grande indépendance à l’instar du journal Le Temps avec une ligne éditoriale Républicaine modérée.

Les journaux sont une tribune alternative à l’Assemblée et participent pleinement de la vie politique. Ils ont également pour ambition de rallier les lecteurs à une cause clairement revendiquée. La presse politique n’est donc pas objective mais subjective. Elle défend un point de vue et a un rôle de formation politique des citoyens. C’est le moyen privilégié d’expression de cette période. Il sera donc intéressant d’étudier la réaction de chacun de ses grands courants et de ses sensibilités à la mort du Prince Impérial pour comprendre au mieux l’impact réel de sa mort dans la vie politique française. L’enjeu de ce mémoire est de comprendre grâce à la presse quels sont les perceptions de la mort du Prince Impérial dans la presse politique nationale en 1879. Il a également vocation à comprendre quel a été l’impact, réel ou supposé, de sa mort dans la vie politique française et au sein du Bonapartisme.

Pour les besoins de cette étude nous nous concentrerons sur la presse nationale française. L’objectif est avant tout de définir un terrain d’étude. La presse politique nationale regroupe tous les journaux publiés à Paris le 21-22 Juin 187931. Cela permet d’avoir une vue d’ensemble de toutes les sensibilités politiques françaises et de travailler sur des journaux d’audience nationale. En effet, la presse Bonapartiste, par exemple n’est pas implantée de manière égale en province et à Paris. Cette presse est sous-représentée dans certaines régions notamment dans l’Est de la France. De plus, de nombreux articles de la presse régionale étaient en réalité achetés aux journaux nationaux32 et republiés dans les journaux régionaux. L’étude se concentre sur la presse nationale pour saisir au mieux les enjeux politiques liés à la mort du Prince. Cette échelle est également pertinente car la presse nationale a largement réagi à la mort du Prince et que son analyse seule justifie ce mémoire. Il ne sera pas non plus question de la réaction néanmoins très intéressante de la presse britannique à cette affaire. La raison principale étant que ce travail a déjà été produit par des Britanniques qui cherchaient à

31 Date ou la mort du Prince est connu à Paris 32 Exemple de la Correspondance Mansard pour la presse Bonapartiste

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comprendre la réaction de la presse anglaise à la mort du Prince Impérial33. En effet, cette affaire provoqua un vif émoi au Royaume Uni car l’armée n’avait pas su protéger le jeune Prince. Sa mort fut donc perçue comme un aveu de faiblesse de l’armée et comme une défaite britannique en Afrique du Sud. En France, la réaction est très différente. Pour certains elle est perçue comme un drame, pour d’autre comme un pas de plus vers la République. Le Prince Impérial était un personnage très clivant en France puisqu’il incarnait, par son héritage, une possible restauration impériale à une époque où la République était encore jeune, instable et ardemment contestée par les conservateurs. Loin de provoquer l’adhésion populaire comme en Grande-Bretagne, le Prince était un exilé de la politique française, adversaire de la République et leader d’opposition. L’étude de sa mort permet de comprendre la postérité du Bonapartisme après la mort de Napoléon III, cela permet également de comprendre un point de basculement de la vie politique française vers une République de moins en moins contestée. Cette étude prétend apporter des réponses sur l’importance réelle ainsi que l’importance perçue ou supposée de la mort du fils de Napoléon III dans la presse nationale. Il ne s’agit pas ici d’affirmer qu’il a eu un rôle majeur et absolument décisif mais de comprendre malgré tout son importance en replaçant sa mort dans le contexte politique de l’époque et en analysant les différents journaux qui se sont exprimés à ce sujet.

Ce mémoire est divisé en trois parties. La première partie sera consacrée à un état des lieux du Bonapartisme en 1879 dans le monde politique et dans la presse. Nous étudierons le Bonapartisme après Sedan et après la mort de Napoléon III, mais aussi la composition et le dynamisme de la presse Bonapartiste, principal soutien du Prince Impérial. Dans une seconde partie nous étudierons la mort du Prince Impérial, dans les faits mais aussi dans les récits, quelles analyses, quelles interprétations, quelles réactions ont animé la presse politique nationale à partir du 21 janvier 1879. Enfin, dans une troisième partie nous étudierons les conséquences politiques de la mort du

33 DRIVER Luke B.A, Perceptions versus reality? Newspaper coverage on the Anglo-Zulu War of 1879, National University of Ireland Maynooth, Mémoire d’Histoire, 2010, Maynooth, Dr David Murphy, 81 Pages, P.11-32 En ligne : http://eprints.maynoothuniversity.ie/3098/1/MA_THESIS.pdf [Consulté le 1er Juin 2017]

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Prince, dans le monde politique et dans la presse. Plus précisément, nous observerons la dislocation du parti bonapartiste, les changements de lignes éditoriales de nombreux quotidiens Bonapartistes ainsi que la réaction de l’Impératrice à la mort de son fils qui a rassemblé méthodiquement de très nombreuses coupures de presse parlant de la mort de son fils qu’il s’agira d’analyser et de comprendre.

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PARTIE I: LE BONAPARTISME EN 1879: ÉTAT DES LIEUX DANS LE MONDE POLITIQUE ET LA PRESSE, ENTRE SURSAUTS ET DÉCHIREMENTS

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CHAPITRE 1 : LA MORT DE NAPOLÉON III N’EST PAS LA MORT DU BONAPARTISME

La mort de Napoléon III n’est pas la mort du Bonapartisme. En effet, le Bonapartisme n’est pas mort à Sedan en 1870. L’Empire est largement tenu pour responsable de la perte de l’Alsace Lorraine et de l’humiliation de la guerre de 1870. Cependant, après un effacement de quelques années, et la mort de Napoléon III, le Bonapartisme renait notamment grâce à son héritier le Prince Impérial. Prétendant au trône de France, le jeune Louis Eugène Napoléon Bonaparte porte les espoirs d’un mouvement politique. Il est soutenu par un parti présent à l’Assemblée dès 1872 et par un certain nombre de journaux qui forment ensemble l’hétérogène « presse Bonapartiste ». Ce parti politique, l’Appel au peuple, enregistre un certain nombre de succès électoraux entre 1874 et 1876 jusqu'à devenir la principale force politique de la droite conservatrice. Nous verrons tout d’abord que le Prince Impérial est un héritier et un prétendant au trône. Nous étudierons ensuite le parti de l’Appel au peuple qui se réclame de lui ainsi que la presse Bonapartiste entre 1870 et 1879. Enfin nous nous intéresserons aux relatifs succès électoraux du Bonapartisme au sein de la droite conservatrice.

A. LE PRINCE IMPÉRIAL L’HÉRITIER LÉGITIME a) L’HÉRITIER D’UNE LÉGENDE NOIRE :

L’image de Napoléon III et de l’Empire est profondément marquée par la terrible défaite de 1870. L’Empire est associé à la guerre, la débâcle et la capitulation. La France, alors perçue comme une des principales puissances militaires du monde avait été battue en moins d’un mois par la Prusse. Napoléon III avait été fait prisonnier. Les deux principales armées françaises enfermées à Sedan et Metz avaient capitulé sans même livrer de bataille. L’Alsace et la Lorraine ont été annexées par l’envahisseur qui proclama même l’unité allemande dans la galerie des glaces de Versailles. Après un règne sans partage, l’Empereur a été tenu pour unique responsable de la défaite de Sedan. Une véritable légende noire se développe autour de l’Empereur. Le leader charismatique, autrefois plébiscité et adulé par le peuple de France, est rejeté avec une

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égale passion. Le 4 septembre, lors de la proclamation de la République, les cadres politiques et administratifs de l’Empire se retirent et désertent massivement la cause. Certains se rallient à la République naissante pour assurer l’union sacrée, d’autres choisissent la réserve dans ce contexte de guerre. Le 1er mars 1871, l'Assemblée, qui se réunit à Bordeaux, vote la déchéance officielle de Napoléon III et de sa dynastie, le déclarant « responsable de la ruine, de l'invasion et du démembrement de la France ». Seuls six parlementaires votent contre34. La République a besoin de faire table rase du passé, de discréditer l’Empire et ses forces pour assurer sa propre pérennité. L’émergence de la République implique la destruction des mythes sur lesquelles reposait l’autorité Impériale. La défaite n’est plus associée à la France mais à une faute personnelle de l’Empereur. Des auteurs comme le journaliste Rochefort, ou encore Victor Hugo, devenu poète de la République, ont fortement participé à la légende noire de Napoléon III et au discrédit du « tyran ». Victor Hugo utilisait une formule passée à la postérité : « Napoléon le Petit ». Comme l’a démontré Alexandre Barry dans son mémoire sur la mort de Napoléon III traitée par la presse française, la presse Républicaine est sans compassion pour le vaincu de Sedan. L’Opinion nationale fustige son « défaut absolu de sens moral », son « mépris le plus complet des hommes, son « indifférence machiavélique », le Siècle parle de « véritable soulagement » et la République française évoque un sentiment « d’universelle allégresse »35.

Après la défaite de Sedan puis après sa mort en 187336, Napoléon III est présenté comme responsable de la débâcle. Le jeune Prince Impérial hérite donc par son nom de la légende noire entourant son père notamment aux yeux des Républicains. Il est l’héritier de l’Empire, de son père et donc de ses échecs. Décrédibiliser l’Empire c’est détruire sa légitimité, permettre la prospérité de la République et l’effacement progressif de cet héritier gênant pour l’avenir de la République. Il représente une menace. De très nombreuses archives de police témoignent de la surveillance constante

34ANCEAU Éric, Napoléon III, un Saint-Simon à cheval, Librairie Jules Tallandier, 2008 (ISBN 2847343431 35 BARRY Alexandre, La mort de Napoléon III dans la presse Française, Sciences po Lyon, Mémoire d’Histoire, 2014, Lyon, Giles Vergnon, 110 pages p 26-49 36 BARRY Alexandre, Op. cit. p 26-49

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à laquelle est soumise le Prince Impérial à partir de 187137. Il est considéré comme un ennemi de la République et un danger puisqu’il représente dès la mort de son père l’héritier du régime Impérial.

b) L’HÉRITIER D’UN RÉGIME, D’UN NOM ET D’UN PARTI POLITIQUE

Malgré la légende noire entourant Napoléon III, les Bonapartistes font bloc derrière le nouveau prétendant. L’espoir de restauration Impériale ne meurt pas avec l’Empereur puisque son fils assure la continuité dynastique. Le 9 janvier 1873 à 10h45 du matin Napoléon III, Empereur déchu s’éteint. Selon les règles dynastiques en vigueur c’est son fils le Prince Impérial, Louis Napoléon Bonaparte, qui devient l’ « Empereur Napoléon IV ». Il est donc avant tout l’héritier d’un régime : l’Empire.

Etant donné la situation politique défavorable il devient prétendant au trône de France. Le testament de Napoléon III ouvert quelques jours après sa mort désigne l’Impératrice comme régente durant la minorité du Prince Impérial. Il lègue également à l’Impératrice tout son domaine privé. L’héritage que reçoit Louis est donc purement moral : « qu’il n’oublie jamais la devise « tout pour le peuple français » qu’il se pénètre des écrits du prisonnier de Sainte-Hélène ». Il lui demandait également de conserver « comme talisman », le cachet qu’il portait à sa montre et qui venait de sa mère. Ce document très court, avait été rédigé, le 24 avril 1865 avant la chute de l’Empire. Il désigne l’Impératrice comme régente durant la minorité du Prince écartant ainsi du pouvoir le Prince Jérôme Napoléon, second dans l’ordre de succession après le Prince Impérial. Ce testament consacre l’héritage moral de Louis, héritier de l’Empire, de son père et du « prisonnier de Sainte-Hélène ». Cependant ce testament ne contenait que des dispositions brèves et générales contrairement à celui très précis et détaillé de Napoléon Bonaparte. Lors de la mort de son père Louis est encore mineur puisqu’il n’est âgé que de 17 ans. Il n’est pas encore diplômé de l’école militaire de Woolwich. Le Prince est alors trop jeune pour prendre des responsabilités politiques et confie la

37 Archives de police, Paris, 1490 : Exemple du rapport du policier lombard de quatorze pages recensant méthodiquement les domestiques, les fournisseurs, les rendez-vous du Prince avec monsieur Conneau et Monsieur Bourgoing à Arenenberg

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« régence » à sa mère et à Rouher, le « vice-Empereur » et leader du groupe Bonapartiste à l’Assemblée. Le Prince n’entend donc pas endosser des responsabilités politiques étant donné son jeune âge, et son inexpérience.

A 17 ans, ce jeune Prince est également héritier d’un nom. Né au palais des Tuileries, baptisé de façon fastueuse à Notre-Dame de Paris, l’enfant a très rapidement bénéficié, dès son enfance, d’une grande popularité, renforcée par les victoires militaires de son père en Crimée ou en Italie. Sa légitimité en tant qu’héritier de l’Empire est incontestable. Il est bien le fils de Napoléon III Empereur des Français mais également petit neveu de Napoléon Bonaparte dont il tire son nom. Ce nom, associé à la gloire militaire et à la grandeur du pays est un nom prestigieux et difficile à porter. Après la mort de son père, il est donc naturellement devenu aux yeux des Bonapartistes et de tous les partisans de l’Empire « Napoléon IV ».

Lors du décès de l’Empereur, de très nombreux messages de condoléances adressés à l’Impératrice et au Prince Impérial affluent à Camden Place. Les lettres de Victor Emanuel, du Tsar Alexandre II, de l’Empereur d’Autriche François Joseph, de l’Empereur Guillaume Ier assurent à l’Impératrice et au Prince leur amitié et leur « chagrin »38. Le 14 janvier, plus de 20 000 personnes venues des cours et des chancelleries européennes défilent devant le cercueil. Il y a également d’anciens dignitaires de l’Empire ou encore une délégation d’ouvriers français conduite par Jules Amigues. Le Times du 14 janvier 1873 compte, outre la présence des membres des familles Bonaparte et Murat, un grand nombre de hauts dignitaires de l’Empire tels que le baron Haussmann, le duc de Gramont ou encore des généraux comme Fleury ou Palikao . . . Le Times note la présence de maréchaux, d’amiraux, de généraux, d’ambassadeurs, d’anciens ministres et préfets, etc. Le duc d’Edimbourg et le Prince de Galles se rendent également à Chislehurst au nom de la Reine Victoria, tenue à la réserve étant donné la situation politique.

38 Archives nationales 400AP/71, Documents relatifs à la mort de l’Empereur

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Lors des obsèques de son père le 15 janvier 1873 à Chislehurst, le Prince Impérial est chargé de diriger la cérémonie39. En effet, Eugénie, désemparée et très affaiblie après la mort de son époux avait passé la nuit à prier dans la chapelle pour veiller le défunt. L’épuisement nerveux l’empêche d’assister à l’office. L’église Sainte Mary était trop petite pour accueillir tant de dignitaires, 200 personnes furent accueillies à l’intérieur, quelques trois milles personnes ont dû rester sur la place devant l’église. Enfin, une vingtaine de milliers de personnes attendaient sous un froid glacial, dans le parc le retour du cortège. A la sortie de l’église, la foule accueillit le Prince Impérial aux cris de « Vive l’Empereur, Vive Napoléon IV ! ». Cet hommage, le jeune Louis n’était pas prêt à l’assumer. Il ne souhaitait pas que la cérémonie se transforme en meeting Bonapartiste et déclara « l’Empereur est mort, mais la France vit, il faut crier : Vive la France ». Cette phrase résume bien l’état d’esprit de Louis à la mort de son père et démontre que le jeune homme de 17 ans, bien que conscient de son rang n’est pas prêt à assumer les attentes et les espoirs que suscite sa personne chez les Bonapartistes.

Le Prince Impérial est également l’héritier d’un parti politique et d’une vision politique portée par son père et ses soutiens. Après 1870 et l’absence quasi-totale des Bonapartistes à l’Assemblée, Louis Napoléon Bonaparte s’était attaché à reconstruire un parti politique, celui de l’Appel au peuple, dirigé en France par Rouher et soutenu par un réseau de presse et d’influence pour plaider la cause de l’Empereur. Trop malade pour tenter un « retour de l’Ile d’Elbe », l’ex-Empereur avait cependant réussi à constituer une force d’opposition au sein de la droite conservatrice. Parmi les très nombreuses lettres de partisans Bonapartistes demandant à Louis de reprendre le combat et l’héritage de son père, celle d’Emile Olivier est particulièrement touchante. Cet homme politique, académicien, proche du Bonapartisme libéral, ministre de l’Empire, exhorte le jeune Prince à sublimer sa douleur afin qu’elle « se manifeste non pas en larme, mais par une constante et violente préoccupation d’être digne de lui et de continuer son œuvre40 ». L’héritage de Louis est donc moral et politique. La mort de

39 Archives nationales 400AP/71, Procès-verbal de la mise en bière 40 OLLIVIER Emile, Lettres de l’Exil, P.153-154

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l’Empereur laisse également un siège vide à la tête du parti bonapartiste. Napoléon IV étant trop jeune pour prendre la tête du parti. La « régence » fait donc l’objet de conflits internes. En effet, le Prince Jérôme Napoléon s’estime floué par le testament de Napoléon III et conteste la tutelle et l’influence de l’Impératrice sur son fils. Il réclame que lui soit accordée la direction du parti bonapartiste ainsi que l’éducation du Prince Impérial jusqu’à sa majorité au mépris du testament de l’Empereur. Si la première condition pouvait effectivement être débattue au sein du parti bonapartiste, la seconde est intolérable pour l’Impératrice. Dès le lendemain des obsèques, une réunion des membres les plus importants du parti trancha en faveur de Rouher et de l’Impératrice au détriment du Prince Napoléon. Ce dernier était en effet relativement impopulaire au sein du parti en raison de son autoritarisme et de certaines prises de positions. Le Prince Impérial reste donc sous la tutelle de sa mère et sous l’influence politique de Rouher, un Bonapartiste conservateur. L’unanimité se dégage pour continuer la lutte en faveur du Prince Impérial. Il incarne la continuité dynastique. Cest la figure de proue du Bonapartisme à la mort de l’Empereur, son héritier légitime, chargé de continuer son œuvre politique. Il doit reprendre les rênes de son parti au nom du principe héréditaire. Il n’est cependant qu’un des nombreux prétendants au trône de France au même titre que Henri V de Bourbon, héritier Légitimiste ou que le Comte de Paris, héritier Orléaniste. Il est également mineur ce qui le place en net désavantage par rapport aux autres prétendants. Le Prince Impérial est l’héritier d’un régime, d’un nom, d’un parti politique et d’une cause allant bien au-delà de sa personne. La mort de Napoléon III ne sonne donc pas le glas du Bonapartisme mais son renouveau grâce à son fils incarnant la continuité dynastique.

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B. LE PARTI DE L’APPEL AU PEUPLE ET LA PRESSE BONAPARTISTE AU SERVICE DE LA CAUSE DU PRINCE

Le parti de l’Appel au peuple est un parti politique bonapartiste crée en 1872. Il fut dirigé depuis Chislehurst par Napoléon III en exil puis par Rouher depuis la rue de l’Elysée. Ce parti est en 1879 le représentant des intérêts du Prince à l’Assemblée Nationale et organise la propagande par voie de presse. Ce parti est né d’une volonté de réhabiliter le second Empire, d’organiser une force d’opposition à la République et de porter à terme une restauration Impériale.

a) RECONSTRUIRE LE BONAPARTISME APRÈS SEDAN :

Dans une lettre du 6 mars 1871 adressée au président de l’Assemblée Nationale, Napoléon III s’insurge contre le vote de déchéance dont il a fait l’objet. Il dénonce ce vote comme une usurpation de pouvoir. En effet, selon lui une telle décision constitutionnelle aurait dû être soumise au choix du peuple. Cette lettre affirme le principe Bonapartiste de l’Appel au peuple : « le droit Français, pour la fondation de tout gouvernement légitime, c’est le plébiscite ». C’est sur ce principe fondamental qu’est créé le parti de l’Appel au peuple. Officiellement, Louis Napoléon Bonaparte est exilé et n’a pas le droit de retourner en France. Il cherche néanmoins à défendre son bilan par voie de presse sous divers pseudonymes. Il comprend cependant rapidement que la réhabilitation de son règne et son retour sur la scène politique française doivent être orchestrés par une propagande structurée liée à un parti politique et une tribune à l’Assemblée Nationale. Officiellement, Rouher rentre en France en mai 1871 comme « liquidateur de la liste civile de Napoléon III », officieusement, il devient le chef du parti bonapartiste à Paris. Rouher s’installe donc dans une maison appartenant à l’Impératrice au 4 rue de l’Elysée à Paris et s’entoure d’un petit groupe de fidèles. Napoléon demande au député Bonapartiste Séverin Abbatucci41 de quitter son siège en Corse afin d’y faire élire Rouher, dans un fief Bonapartiste indéfectible. Il cherche

41 ROBERT et COUGNY,« Séverin Paul Abbatucci », dans, Dictionnaire des parlementaires français, 1889

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également à rassembler les Bonapartistes, discrets et désorganisés depuis Sedan. Le café de la paix, en face de l’opéra de Paris devient un point de rendez-vous des Bonapartistes. On y retrouve de nombreuses personnalités influentes du Bonapartisme telles que des anciens préfets, le général Fleury ou encore l’ancien ministre Clément Duvernois. En Novembre 1871, ces personnalités se rassemblent autour du Comité central chargé de coordonner la propagande, essentiellement par voie de presse. Deux succès électoraux annoncent le retour du Bonapartisme comme force politique organisée : il s’agit de l’élection de deux députés Bonapartistes, Levert dans le Nord Pas-de-Calais et de Rouher en Corse le 16 février 1872. L’entrée de Rouher à l’Assemblée après une campagne ouvertement pro-impérialiste constitue un tournant important. Selon Frédéric Bluche, « l’entrée de Rouher, symbole de l’Empire autoritaire, à l’Assemblé Nationale met fin au complexe impérialiste. Elle accélère la naissance du parti bonapartiste42. » Le groupe de l’Appel au peuple est fondé le 23 mai 1872 par Alphonse-Alfred Haentjens. Le même jour, une importante réunion rue de l’Elysée présidée par Rouher décide le lancement d’une ambitieuse politique d’implication locale et d’intensification de la propagande. L’idée est de s’inspirer des comités Républicains et Monarchistes pour couvrir un maximum de circonscriptions et assurer la propagande Bonapartiste dans toute la France. Cet objectif n’est cependant que partiellement atteint au vu des cartes électorales qui démontrent dans le Midi et l’Est de la France, que le parti bonapartiste est quasi inexistant. Il est en revanche très présent dans l’ouest, le nord et en Corse, son bastion43.

b) L’APPEL AU PEUPLE APRÈS LA MORT DE L’EMPEREUR :

La mort de l’Empereur ne met pas fin à l’élan Bonapartiste en construction. Les forces vives du parti font bloc derrière le Prince Impérial. La législature de l’Assemblée Nationale correspond environ à la majorité du Prince Impérial qui prendra des responsabilités au sein du parti à partir de 1876. En attendant, le Prince confie le parti à Rouher. La rue de l’Elysée passe d’un statut consultatif sous la domination de

42 BLUCHE Frédéric, le Bonapartisme, Paris, que-sais-je, PUF, 1981 p.105 43 Voir cartes annexes 12

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l’Empereur à un rôle de direction autonome au service de la cause et du Prince Impérial. Lors du conseil politique tenu après la mort de l’Empereur, les Bonapartistes réaffirment leur attachement au Prince Impérial en préconisant toujours l’appel au peuple comme principe. Ils restent attachés au plébiscite comme moyens de légitimer le pouvoir. Ce postulat leur permet d’éviter d’apparaître comme des hommes du passé. Ils se démarquent ainsi des Royalistes en conciliant la démocratie et le principe dynastique. La propagande de Rouher est basée sur la personnalité du Prince, jeune et porteur d’espoir, détaché des erreurs de son père et de l’Empire dont il n’est au fond pas responsable. Son objectif est de rassembler et de reporter sur le jeune Prince l’affection du peuple pour la dynastie Bonaparte. En septembre 1873, par exemple les espions de la police française dénoncent un important trafic de pièces de cinq francs à l’« effigie de Napoléon IV » à Bruxelles. Quelques jours plus tard, toujours en Belgique un autre trafic de photographies représentant le Prince « en costume d’officier d’artillerie de l’école de Woolwich44 » est découvert. Ces trafics montrent quels genres d’objets de propagande étaient utilisés. Ils démontrent également la popularité dont jouit le jeune Prince.

Le système de propagande mis en place par Rouher et François Perron (ancien secrétaire de Napoléon III et fondateur du journal le Petit Caporal en 1876) se met donc au service du Prince. L’entreprise de fondation d’une propagande efficace au service de la cause Impériale prend quelques années, elle est liée au succès des différents journaux, à Paris mais aussi en province. L’organisation est alors embryonnaire, les comités d’action et ceux de rédactions se mélangeant parfois. Le Prince peut cependant compter sur le soutien d’un parti politique présent à l’Assemblée Nationale et défendant avec verve la cause Impérialiste. Le parti parvient progressivement entre 1872 et 1876 à s’implanter au niveau local. Le parti de l’Appel au peuple, ainsi que les nombreux journaux se redéveloppent progressivement après la défaite de Sedan.

44 Archives de police, Paris, 1468 et 1473.

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c) L’APPARITION D’UNE PRESSE BONAPARTISTE APRÈS SEDAN :

La vitalité de la presse Bonapartiste au début de la troisième République est assez surprenante. L’ex-Empereur ainsi que Rouher ont rapidement compris le rôle de la presse dans la formation de l’opinion publique. L’essor d’une presse Républicaine très virulente contre l’Empereur a d’ailleurs contribué à sa légende noire et à son impopularité. Louis Napoléon Bonaparte et Rouher sont intimement convaincus du rôle crucial de la presse. Il est nécessaire pour la survie du Bonapartisme militant d’être présent dans la presse. Le succès du parti doit passer par un journal dévoué à la cause. Deux journaux issus du même groupe de presse Bonapartistes subsistent après la chute de l’Empire. Il s’agit de la Compagnie des journaux réunis possédant : le Pays de Cassagnac, crée en 1852 ayant une ligne éditoriale Impérialiste et populaire auprès de l’armée, et Le Constitutionnel fondé en 1819. Sa ligne conservatrice et ses prises de positions en faveur du second Empire tendent à baisser progressivement son tirage et son importance. En Août 1871, le Gaulois d’Edmond Tarbé des Sablons fût le premier grand titre parisien à afficher sa conversion au Bonapartisme. Le journal est cependant indépendant avec une ligne éditoriale Bonapartiste. Il n’a pas de lien permanent avec Chislehurst ou la rue de l’Elysée. L’argent récolté par la liquidation de la liste civile de l’Empereur permet de financer la création d’un journal de propagande directement contrôlé par Rouher et fondé par Clément Duvernois : l’Ordre. Lancé le 1er octobre 1871, le journal se place sous le signe du libre-échange et de l’Appel au peuple. D’autres feuilles Bonapartistes voient le jour telles que le Petit Caporal, journal à 5ct dirigé par Perron (puis remplacé par Amigues), les Droits du peuple de Amigues ou encore l’Estafette proche d’un Bonapartisme d’affaire, libre échangiste. Le succès et la vitalité de cette presse repose sur les incertitudes du nouveau régime qui laisse envisager une possible restauration Impériale dans les années 1870.

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d) UNE PRESSE BONAPARTISTE DIVISÉE :

La presse Bonapartiste est cependant divisée et Rouher peine à coordonner efficacement sa propagande. Le 15 mai 1877, L’Ordre présentait ainsi, en donnant un sentiment d’unité la presse Bonapartiste pourtant divisée :

L’Ordre, organe officiel du comité central Bonapartiste, le Gaulois, journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français, Le Pays qui réunit les sympathies des jeunes et des ardents, l’Estafette, journal des nouvelles du soir, le Petit Caporal et les droits du peuple qui parlent au suffrage universel la langue familière et respectueuse à la fois, qui lui convient.45

Cette citation a le mérite de décrire de façon succincte chaque journal à travers un point de vu partisan. Cette apparence d’unité est cependant discutable. En août 1877 par exemple une polémique éclate entre Albert Duruy, nouveau directeur de l’Ordre et Paul de Cassagnac du Pays. Le 3 aout 1877, l’Ordre publia un article disant que : « tout le monde sait que le Gaulois comme le Pays n’a jamais eu la prétention d’engagement de la politique du groupe de l’Appel au peuple : ces journaux n’ont jamais été soumis à l’action du comité qui a seul pouvoir et qualité pour contracter et traiter au nom de ce groupe dont l’Ordre est le seul organe autorisé 46». Les divisions internes au sein de la presse Bonapartiste sont ici mises en évidence : Les initiatives Bonapartistes sont nombreuses et donnent un véritable élan à cette presse soutenue par des conservateurs, des notables mais aussi par une population ouvrière avec les journaux à 5ct. Le parti de l’Appel au peuple ne parvient cependant pas à conserver le contrôle de cette presse dont les lignes éditoriales peuvent être Bonapartistes sans être soumises à Rouher à l’image du Pays ou encore du Gaulois. Eugène Tarbé donnait une définition de la ligne du journal le Gaulois dans un article paru le 2 mars 1878 : « Le Gaulois n’a jamais été un journal de parti, se contentant d’être un journal de convictions de souvenirs et d’espérances 47». Cette citation démontre la dimension non partisane du journal peu attaché à la figure de Rouher ou au parti de l’Appel au peuple.

45 L’Ordre, Article du 15 mai 1877 cité par BELLANGER Claude et al (dir.), Histoire générale de la presse française, Paris, PUF, 5 volumes, 1969-1976. 46 L’Ordre, article du 3 aout 1877 cité par BELLANGER Claude 47 Le Gaulois, 2 mars 1878 cité par BELLANGER Claude

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e) QUELLE EST L’INFLUENCE DES JOURNAUX BONAPARTISTES EN FRANCE ?

L’influence d’un titre se mesure à son audience, il est donc nécessaire de faire un retour sur les tirages des principaux journaux bonapartistes afin de mesurer leur popularité et leur vitalité. Tout d’abord, le nombre de titres différents, de courants et de lignes éditoriales montrent un mouvement dynamique et profitent pleinement de l’essor de la presse des années 1870-1879 puisque c’est la période qui nous intéresse. L’Ordre, organe officieux du parti de l’Appel au peuple est un journal d’abonnement dont les tirages restent faibles entre deux et trois milles48 tirages et souffrait d’importants problèmes de rentabilité. Selon D. Kalifa49 (2011) ce manque de popularité du journal le plus centralisé et proche du parti de l’Appel au peuple s’explique par plusieurs phénomènes. Par exemple la dimension officielle du journal rappelle la censure et le contrôle de la presse sous le Second Empire. Les chroniqueurs et journalistes n’étaient pas tous brillants et le journal manquait de style et d’originalité comparé à certains titres ayant plus de succès grâce à un ton impertinent. Enfin, l’abonnement à ce journal marquait clairement une appartenance Bonapartiste qui n’était pas toujours de bon ton surtout dans les milieux d’affaires.

En juillet 1872 Jules Amigues lança à Paris une Feuille à 10ct : L’espérance Nationale. Ce titre meurt très rapidement après la mort de l’Empereur et est supplanté par deux feuilles à 5 ct le droit du peuple et le Petit Caporal. Ces feuilles populaires et peu onéreuses étaient destinées aux classes populaires parisiennes. En 1877, le Petit Caporal dirigé par Jules Amigues tirait régulièrement à plus de 20000 tirages50. C’était le journal avec l’audience la plus importante étant donné son faible coût. Le Gaulois d’Edmond Tarbé était inspiré de la formule très rentable du Figaro, dont il débauchait régulièrement les collaborateurs. Le journal tirait régulièrement à plus de 10000 exemplaires51 faisant de lui l’un des principaux journaux conservateurs. Le Pays, assure

48 BELLANGER Claude et al (dir.), Histoire générale de la presse française, Paris, PUF, 5 volumes, 1969-1976. p.199 49 KALIFA Dominique, La civilisation du journal, Nouveau monde "Opus Magnus", 2011, 1762 pages 50 Ibid p.200 51 Ibid p.200

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son succès par la verve et le ton provocateur de Paul de Cassagnac. De nombreux scandales, duels et polémiques autour du journaliste ont assuré la vitalité de ce titre. Très clair dans sa ligne politique, Cassagnac se veut anti-Rouheriste, anti-Jérômiste et en faveur du Prince Impérial et de sa mère. Populaire dans les milieux militaires, ce journal connait un essor après le mort de Napoléon III passant de 4000 tirages environ en 1873 à 6000 tirages environ en 187952.

Le Constitutionnel, était à l’époque un journal en perte de vitesse dont le rédacteur en chef Gibiat avait des tendances Bonapartistes. Il faisait partie des soutiens du Second Empire et se distinguait par une réelle qualité d’analyse, après la crise du 16 mai 1877, le journal passe sur une ligne éditoriale Républicaine modérée. Enfin L’Estafette représente le Bonapartisme d’affaire, en faveur du libre-échange, et se réclamant de l’appel au peuple. Le journal se rapproche cependant rapidement de la République en 1877 pour des raisons pragmatiques liées au marché et la volonté de stabilité politique.

f) L’IMPORTANCE DE LA PRESSE PROVINCIALE BONAPARTISTE :

Il ne s’agit ici que des journaux parisiens. En effet, la presse provinciale Bonapartiste est également très active. C’est par voie de presse régionale que l’idée de l’appel au peuple a des chances d’aboutir. Une géographie électorale du Bonapartisme permet également de souligner l’importance des milieux ruraux de l’Ouest de la France et les milieux ouvriers du Nord. La base électorale du Bonapartisme, au-delà des notables et de la bourgeoisie d’affaire est donc bien également dans les zones rurales. Le parti accorde une attention particulière à la presse provinciale qui représente une grande partie de l’électorat Bonapartiste. La rue de l’Elysée organisait des subventions de la presse régionale et éditait la correspondance de la presse conservatrice, rédigée par Mansard. Lors d’une enquête de la commission parlementaire en 1874 après l’élection dans la Nièvre du Baron de Bourgoing, il fut révélé que cette correspondance Mansard était utilisée par 27 quotidiens (68 000 tirages), 21 trihebdomadaires (22000

52 Ibid p.201

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tirages), 7 bihebdomadaires (5400 tirages) et 16 hebdomadaires (14700 exemplaires)53. Cette correspondance regroupait un grand nombre d’articles de bonne qualité publiés à Paris par les journaux bonapartistes ainsi que des articles inédits destinés à des régions en particulier. Bien que notre étude se fonde essentiellement sur les journaux parisiens il est essentiel de rappeler l’importance en province de cette correspondance Mansard. De plus, ces chiffres permettent de relativiser la faible importance des titres Bonapartistes parisiens par rapport aux journaux républicains notamment. Grâce à ce système de distribution des articles, l’audience de la presse Bonapartiste augmentait en province.

La presse Bonapartiste est donc une presse dynamique, composée de différents courants et de différentes lignes éditoriales. Ce manque de coordination de la presse Bonapartiste préfigure les crises et les dissensions internes au sein du parti. Cependant, la figure du Prince Impérial fait consensus et à Paris une presse enthousiaste et dynamique soutient les deux principes fondamentaux du parti bonapartiste, le principe de l’Appel au peuple et le libre-échange. La correspondance Mansard révélée en 1874 démontre également les importants réseaux Bonapartistes en province et assure un relais aux articles parisiens. Voici donc un tableau récapitulatif des principaux journaux bonapartistes en 1879 qui seront amenés à commenter la mort du Prince Impérial.

La presse nationale Bonapartiste en 1879 :

Tirage et Titre Orientation politique Rédacteurs clefs Dates popularité 3 000 tirages en Bonapartiste Eugène Rouher 1874 Crée en L'ordre Organe officieux Albert Duruy 4 000 tirages en 1871 du parti de l'Appel au Dugué de la 1880 peuple Fauconnerie

Journal à 5 Le Petit J. Perron crée en Bonapartiste Centimes Caporal Jules Amigues 1876 20 000 tirages

Bonapartiste Edmond Tarbé Plus de 10 000 Crée en Le Gaulois Indépendant de Henri Pène tirages 1871

Rouher

53 Ibid p.203

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Bonapartiste Forte audience Opposé à Rouher Granier de dans l'armée Opposé au Prince Cassagnac 4000 tirages en Crée en Le Pays Jérome Paul de 1873 1852

Parti du Prince Cassagnac 6000 tirages en Impérial 1879

Audience faible Soutien du Second Le et décroissante Empire Gibiat 1819- Constitutionnel Analyses de Conservateur 1914 qualité

Baron de Garde une Presse d'affaire, Soubayran audience conservatrice Fremi La Patrie importante grâce teinté de sympathies Gaston de N.D à une bonne bonapartistes Saint-Valry distribution (Jusqu'en 1872)

Presse bonapartiste d'affaire Léonce Toujours très réclamant l'appel au Détroyat bien informé Crée en L'estafette peuple Emile de soutien des 1876

Septenaliste Girardin intérêts de son Centre droit propriétaire

C. LES SUCCÈS ÉLECTORAUX D’UNE DES PRINCIPALES FORCES DE L’AILE CONSERVATRICE DE L’ASSEMBLÉE (1874-1877)

Le parti bonapartiste enregistre un certain nombre de succès électoraux à partir de 1874-1876. Cette période peut être considérée comme l’apogée du Bonapartisme après Sedan. L’instabilité politique de la République est favorable aux Bonapartistes qui montent en puissance. Les Monarchistes, malgré une majorité à l’Assemblée sont dans l’incapacité de mener à bien une restauration monarchique à cause des divisions entre Légitimistes et Orléanistes. C’est également l’obstination du Comte de Chambord à renier le drapeau blanc et les valeurs Légitimistes qui y sont associées qui empêche cette restauration. Face à cette période d’indécision constitutionnelle et de doute, la loi du 20 novembre 1873 instaure le « Septennat », mandat de sept ans confié au maréchal

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Mac-Mahon, ancien fidèle de Napoléon III et proche du parti orléaniste. Cette instabilité politique ainsi que le caractère résolument transitoire du septennat permettent aux Bonapartistes d’envisager une restauration Impériale.

a) LA MAJORITÉ DU PRINCE IMPÉRIAL : UN NOUVEL ÉLAN (1874)

Le Bonapartisme se retrouve également renforcé par la célébration de la majorité du Prince Impérial le 16 mars 1874. Pour l’occasion le parti de l’Appel au peuple organisa à Camden Place une grande fête où furent conviés les sympathisants de l’Empire. Des souscriptions furent lancées un peu partout en France pour financer le voyage des moins fortunés. Aux Batignoles ou à Belleville, les ouvriers se cotisent à hauteur de 5 francs par personne et tirent au sort celui dont le voyage sera payé54. Au total, c’est près de 8 000 personnes qui se rendent à Chislehurst pour acclamer le prétendant au trône Impérial. Entre la Gare de Chislehurst et Camden Place ce matin du 16 mars, de très nombreux stands de fortune vendent des objets souvenirs tels que des photos du Prince, des médailles, gravures, violettes en papier à porter en boutonnière (la fleur préférée du Prince), ou encore la biographie du Prince signée Léonce Dupont intitulée « le 4e Napoléon »55 . . . On chante également une chanson dont les vers ont été écrits par Mme Lefebvre :

Nos ennemis disaient dans leur démence : « L’Empire est mort nous régnons maintenant » Mais le ciel trompe une lâche espérance, Car il avait compté sans un enfant. Peuple français, cet enfant est un homme qui te rendra tes destins triomphants. Paris sera plus illustre que Rome Napoléon Viens d’avoir 18 ans.

Ces vers aux allures de chant partisan démontrent l’optimisme et la ferveur des partisans du Prince Impérial et de l’Empire. Le Prince fit également un discours très

54 LACHNITT Jean Claude, Le Prince Impérial, Napoléon IV, PUF, 1997 p.202 55 Ibid p.203

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attendu lors de cette journée en son honneur. Il y rappela les grands principes de l’Empire en ces termes :

Le plébiscite, c’est le salut, le droit, la force rendue au pouvoir et l’ère des longues sécurités rouverte au pays. C’est un grand parti national, sans vainqueur et sans vaincu, s’élevant au- dessus de tous pour les réconcilier ». « La France librement consultée, jettera-t-elle les yeux sur le fils de Napoléon III ? Cette pensée éveille en moi moins d’orgueil que de défiance de mes forces. [. . .] Quand l’heure sera venue, si un autre gouvernement réunit les suffrages de la majorité, je m’inclinerai respectueusement devant la résolution du pays. Si le nom de Napoléon sort une huitième fois des urnes populaires je suis prêt à accepter la responsabilité que m’imposerait le vote de la nation.

Ce discours sera abondement relayé dans les journaux bonapartistes dès le lendemain et provoquera un véritable élan en faveur du jeune Prince. Cette reconquête de l’opinion publique va rapidement se traduire dans les urnes avec des succès aux élections partielles de 1874. La réunion organisée à Camden Place pour le Prince est un franc succès tant au niveau du nombre de participants qu’au niveau de la qualité du discours du Prince qui parvient à fédérer les Bonapartistes derrière lui. De plus, les comités et les réseaux mis en place par le Duc de Padoue pour amener les fidèles en Angleterre vont s’avérer être des relais efficaces de la propagande en faveur du Prince.

b) UN SURSAUT DU BONAPARTISME APRÈS SEDAN : LES VICTOIRES AUX ÉLECIONS PARTIELLES DE 1874-1875

Entre 1874 et 1875, treize sièges de députés sont laissés vacants et soumis à des élections partielles. Les Bonapartistes parviennent à s’emparer de 5 sièges. Le courant Bonapartiste a le vent en poupe. Les mineurs de la compagnie des mines d'Anzin dans le Nord en 1874-1875 font grève aux cris de « vive Napoléon IV ». Les victoires électorales se font toutefois dans les bastions traditionnels : ils enregistrent des succès dans le Nord-Pas-de-Calais en février 1874 (Edouard Sens et Charles Delisse- Engrand)56, Dans le Calvados, en mai 1874, (Auguste le Provost de Launay)57, dans

56 Petit Journal du 8 février 1874 puis du 1er novembre 1874 57 QUELLIEN Jean, Bleus, Blancs, Rouges : politique et élections dans le Calvados 1870-1939, Cahier des Annales de Normandie, 1986 P. 29-32

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l’Oise en novembre 1874 (Duc de Mouchy)58. Parmi les élections partielles, l’une d’entre elle va avoir un retentissement national : c’est l’élection du baron Philipe de Bourgoing dans la Nièvre, un fief jusqu'alors Républicain. Cette élection de l’écuyer de Napoléon III provoque un vent de panique chez les Républicains et les Orléanistes qui craignent le retour de l’Empire qui était parvenu à réunir près de 7 millions de voix lors du plébiscite de 1870. L’élection est contestée par les Républicains et les Orléanistes qui produisent des faux documents pour faire invalider l’élection. Une enquête de la commission parlementaire révéla l’importance des réseaux Bonapartistes dans la Nièvre et la vitalité du parti59. Malgré les protestations des Bonapartistes l’élection du Baron de Bourgoing fût invalidée. La nouveauté de ses élections est la présence de candidats ouvertement Bonapartistes qui ne cachent pas leur conviction à l’image de l’ancien Préfet Auguste Leprovost de Launay élu dans le Calvados proclamant fièrement dans la profession de foi « J’ai eu l’honneur d’administrer le Calvados dans une période de grande prospérité », « vous savez que par conviction comme par devoir je suis resté fidèle à l’Empire et au principe de la souveraineté nationale60 ». Les Bonapartistes profitent de l’instabilité de la République pour faire progresser leur idée d’appel au peuple. Les incertitudes qui pèsent sur le régime jusqu’aux lois constitutionnelles de 1875 sont favorables aux Bonapartistes. Une peur de la renaissance du Bonapartisme s’installe à l’Assemblé chez les Républicains et les Orléanistes. Une nouvelle coalition permet le vote des trois lois constitutionnelles fondant la République : l’amendement Wallon le 30 janvier 1875 et les lois constitutionnelles de février et août 1875. Le gouvernement ajourne également les consultations électorales afin d’éviter une progression Bonapartiste.

58 Petit Journal du 8 novembre 1874 59 Cf rapport de la commission d’enquête parlementaire sur l’élection de la Nièvre, présenté par Savary, Journal officiel du 26 février et du 12 juin 1875 ; Dossier Menées Bonapartistes A.N.F 14428/29/30. Les poursuites aboutirent à un non-lieu. 60 QUELLIEN Jean, Bleus, Blancs, Rouges : politique et élections dans le Calvados 1870-1939, Cahier des Annales de Normandie, 1986 P. 29-32

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c) MONTÉE EN PUISSANCE DU BONAPARTISME AU SEIN DE L’ALLIANCE CONSERVATRICE : LES LÉGISLATIVES DE 1876

L’instauration du Septennat repousse durablement la possibilité de l’appel au peuple et installe la République. Rouher s’allie aux Conservateurs et aux Monarchistes et met le cap à droite pour les élections sénatoriales et législatives de 1876. Aux élections sénatoriales cette alliance permet aux Bonapartistes d’obtenir seulement une quarantaine de sièges pour plus de cent dix autres sièges conservateurs. Ce résultat n’infléchit pas le cap de Rouher. Des luttes fratricides éclatent au sein du parti, entre le Prince Jérôme Napoléon qui souhaite une alliance à gauche, Émile Olivier tenant d’un Bonapartisme progressiste, et Rouher, conservateur et allié aux Monarchistes. Rouher est de plus en plus contesté pour son alliance avec les Monarchistes. Lors des élections législatives de 1876 le Prince Jérôme Napoléon se présente en Corse contre Rouher. Les Bonapartistes sont présents dans seulement 225 circonscriptions sur 530 et passent des accords avec leurs alliés Monarchistes. Les dissensions internes affaiblissent Rouher qui ne contrôle dès lors plus toutes les candidatures Bonapartistes. Ces candidats sont des notables locaux, Bonapartistes de conviction, mais pas nécessairement membres du parti ni soumis à Rouher. Les Bonapartistes, dépendant de leurs alliés Monarchistes et apparaissent alors comme la 3e composante de la droite Monarchiste avec les Légitimistes et les Orléanistes. Ces élections sont un fiasco pour la droite.

Les Républicains composés de la gauche Républicaine (36.21%), l’Union Républicaine (18.39%), et les Républicains modérés du centre droit (10.13%) et du centre gauche (9%) totalisent 393 sièges pour 73,73 % des voix. Les Bonapartistes deviennent cependant la première force de l’Union conservatrice avec 14.26% des voix et 76 sièges. Les Orléanistes obtiennent seulement 7.5% soit 40 sièges et les Légitimistes sont à 4.5% et 24 sièges61. Sur 140 sièges obtenus par l’ensemble de l’Union conservatrice le Bonapartisme est donc majoritaire. Le groupe de l’Appel au peuple quadruple ses effectifs. Cependant ce retour sur le plan parlementaire est illusoire. En

61 Voir Annexe 2 pour le détail des suffrages exprimés et des élus lors de l’élection législative de 1876

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effet, la majorité des élus le sont dans les fiefs historiques du Bonapartisme en Corse, dans le Sud-Ouest, en , en Normandie (avec le Calvados) ou encore dans le Centre. Cette France est essentiellement une France rurale, de notables, ou encore populaire et ouvrière au Nord. Ces fiefs représentent l’expansion maximale du parti de l’Appel au peuple qui cherchera à les conserver pendant 15 ans. Cependant, les dissensions internes, la frilosité des Bonapartistes qui préfèrent garder leurs bastions ou encore l’absence de candidats Bonapartistes dans de très nombreuses circonscriptions, empêchent le mouvement de prospérer au-delà de ce seuil.

Lors des élections législatives de 1876, Le Bonapartisme devient avec 76 sièges la principale force de l’aile conservatrice de l’Assemblée Nationale. La cause du Prince Impérial progresse depuis sa majorité le 16 mars 1874. La montée en puissance du Bonapartisme au sein de la droite conservatrice est déjà visible dès 1874 lorsque d’anciens dignitaires de l’Empire comme le préfet du Calvados Le Provost de Launay ou encore le Baron de Bourgoing, ancien écuyer de l’Empereur, ont remporté les élections sans cacher leur attachement à l’Empire. Le Bonapartisme a bien eu un second souffle après la bataille de Sedan grâce à l’action du parti de l’Appel au peuple et d’une propagande importante relayée par la presse. Le Bonapartisme est donc loin d’être moribond entre 1870 et 1876 comme le prouve la célébration en grande pompe à Camden place de la majorité du Prince accueillant 8 000 personnes ou encore les succès électoraux accompagnés d’une montée en puissance à l’Assemblé, notamment au sein de l’aile conservatrice. Cependant, ce succès n’est que très relatif. Le parti est divisé en interne, à cause des ambiguïtés intrinsèques du Bonapartisme. Le parti se cantonne à des fiefs bien définis visant essentiellement une population de notables ruraux. Enfin, malgré le succès relatif des élections de 1876 la République sort grandement renforcée de ce scrutin. Les Républicains obtiennent une large victoire sur les conservateurs et le Bonapartisme apparait dès lors comme la troisième composante de la droite conservatrice française avec le Légitimisme et l’Orléanisme en perte de vitesse. Malgré une vitalité réelle et des succès électoraux la restauration de l’Empire n’allait absolument pas de soi en 1879.

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CHAPITRE 2 : FAIBLESSE ET AMBIGÜITÉ DE LA DOCTRINE BONAPARTISTE

A. LES DIFFÉRENTES TENDANCES AU SEIN DU PARTI

La figure du Prince Impérial donne à partir de 1873 un nouvel élan au Bonapartisme. La propagande organisée par la presse et le parti de l’Appel au peuple entre 1873 et 1876 porte ses fruits. L’attachement dynastique se reporte sur le jeune Prince que les Bonapartistes appellent déjà Napoléon IV. Cependant, le Prince est en exil en Angleterre. Il ne participe pas activement à la vie politique et risque de sombrer dans l’oubli. La mobilisation du parti et de la presse est donc essentielle pour faire progresser sa cause. Cette unité ne va cependant pas de soi. Le mouvement souffre de nombreuses dissensions internes sur le plan idéologique auxquelles viennent s’ajouter des rivalités personnelles. Le Bonapartisme est ambivalent. A la fois autoritaire et démocratique, il défend l’ordre et l’Appel au peuple. Selon Alain Plessis, le Bonapartisme c’est « l’alliance de la démocratie et de l’autorité personnelle dans la combinaison du suffrage universel et d’un gouvernement fort 62». Le 18 aout 1879, Le journal l’Ordre défini ainsi le Bonapartisme : « L’Empire c’est la grande magistrature populaire et héréditaire fondée et consacrée par une série de plébiscites ». Ces positions en apparence contradictoires entrainent une oscillation du Bonapartisme entre droite autoritaire et gauche démocratique. Le fondement doctrinaire de « l’appel au peuple » permet d’envisager une alliance avec la République tandis que celui de l’hérédité du pouvoir place clairement le mouvement du côté des droites conservatrices. Sous le Second Empire, plusieurs visions du Bonapartisme s’affrontaient déjà. Entre 1852 et 1860 dans un premier temps l’Empire suivait une ligne autoritaire fondée sur le parti de l’Ordre. Ensuite entre 1860 et 1869, il y eu une tentative de libéralisation jusqu’au gouvernement d’Emile Olivier, Bonapartiste de gauche, plus progressiste. Après cette

62 PLESSIS Alain, De la fête Impériale au mur des fédérés, 1852-1870, Paris, le Seuil, Nouvelle histoire de France contemporaine n°9, 1973, 250 pages, p.21

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tentative du premier semestre 1870 l’Empire était revenu à des fondements plus autoritaires.

L’historien Américain John Rothney 63dans son livre intitulé « le Bonapartisme après Sedan » distingue trois tendances au sein du mouvement Bonapartistes. Comme sur le drapeau Français il y aurait un Bonapartisme « blanc », réactionnaire, catholique et clérical, un Bonapartisme « Bleu » tenant du césarisme démocratique et un Bonapartisme « Rouge » proche des jacobins, centralisateur et démocrate.

a) LE BONAPARTISME « LÉGITIMISTE » :

La droite du parti bonapartiste, « les Blancs » sont menés par Paul de Cassagnac dans son journal le Pays. Cette tendance est conservatrice, attachée au principe héréditaire, volontiers réactionnaire, catholique et cléricale. Ils soutiennent la légitimité du Prince Impérial et de sa mère l’Impératrice au trône de France. Cette frange du Bonapartisme issue de l’extrême droite sous l’Empire64 souhaite un rapprochement avec les Monarchistes Légitimistes. Paul de Cassagnac réclame cette alliance dès le 11 janvier 187365. En effet, ils ont en commun leur attachement profond à la religion et la volonté de faire respecter le principe dynastique. En 1875, la Reine déchue Isabelle d’Espagne avait même demandé à son cousin le Comte de Chambord, le prétendant Légitimiste, d’adopter le Prince Impérial pour permettre la réunification des dynasties Bourbon et Bonaparte66. Cette tentative infructueuse et un peu fantaisiste démontre cependant l’existence d’un courant Bonapartiste très proche des Légitimistes.

63 ROTHNEY John, after Sedan, Ithaca N.Y, Cornell University Press, 1969, 360 pages p.21-33 64 Leurs positions rappellent celle des « Arcadiens » sous le second Empire, un groupe parlementaire en faveur de l’Empire autoritaire et clérical qui se réunissait régulièrement rue de l’arcade à Paris. Ce groupe était notamment composé des Cassagnac, Clément Duvernoy ou encore Jérome David. 65 Le Pays, 11 janvier 1873, Article de Paul de Cassagnac 66 DE MONTI DE REZÉ Comte, Souvenirs sur le comte de Chambord, p.87,88 : Ce proche du Comte de Chambord raconte son entrevue avec Isabelle d’Espagne à l’été 1875 à Baden près de Vienne ou elle proposa l’adoption du Prince par le Comte de Chambord.

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b) LE BONAPARTISME « BRUMÉRIEN » :

Il y a ensuite le Bonapartisme « de la Plaine », « bleu » ou encore « Brumairien » incarné par Rouher qui s’exprime à travers le parti de l’Appel au peuple et le journal l’Ordre. C’est la ligne officielle du parti partagé entre la doctrine de l’appel au peuple et la volonté d’un état fort, autoritaire et centralisé. Rouher est le tenant d’une droite autoritaire. Les Brumairiens se réclament du Césarisme démocratique mais aussi des principes de 1789. En cela Ils se rapprochent des Orléanistes, s’associent à l’alliance conservatrice contre les Républicains. Cette ligne est soutenue par Haentjens, Raoul Duval, ou encore Emile Olivier.

c) LE BONAPARTISME« MONTAGNARD » :

Enfin il y a le Bonapartisme de « La montagne » selon l’expression de John Rothney qui empreinte sa typologie de la révolution française. Ces Bonapartistes « rouge » constituent l’aile gauche du mouvement. Leur chef de file n’est autre que le Prince Jérôme Napoléon proche des Républicains. Attaché à la centralisation du pouvoir, le Prince Jérôme se réclame des Jacobins. Il est également démocrate et anti clérical. Cette tendance place l’appel au peuple au cœur de toute revendication allant jusqu'à réclamer l’élection du chef de l’État au suffrage universel. Outre le Prince Jérôme, on retrouve dans cette tendance Jules Amigues, proche des ouvriers parisiens ou encore Léonce Dupont.

Le Bonapartisme entre 1873 et 1879 reste soudé derrière le Prince Impérial. Chaque tendance du parti le reconnait comme le successeur légitime de Napoléon III. Cependant, l’exposé de ces différentes tendances permet d’appréhender schématiquement les ambiguïtés du Bonapartisme et les tensions internes. Elles seront à l’origine de l’éclatement du parti après la mort du Prince Impérial. Cette typologie n’est pas exhaustive et les querelles personnelles, d’égo ou de poste viennent s’ajouter

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à ces dissensions idéologiques67. Le Bonapartisme souffre de ses contradictions dans son expansion, sa lisibilité ou encore son unité bien avant la mort du Prince Impérial.

B. L’ALLIANCE CONSERVATRICE PROVOQUE L’ISOLEMENT DU PRINCE IMPÉRIAL

Les faiblesses et les ambiguïtés du Bonapartisme vont au-delà des divisions au sein du parti. La politique d’alliance conservatrice menée par Rouher dans les années 1870 va considérablement fragiliser le mouvement. Selon René Rémond, le drame Bonapartiste c’est la victoire du courant réactionnaire et conservateur68. Nous allons donc étudier deux dates clés de cette alliance afin de comprendre la politique menée par le parti bonapartiste pendant la période 1870-1879. Cette politique très à droite a contribué à affaiblir le mouvement et la cause du Prince Impérial en France. L’alliance des droites n’a en effet pas permise de stopper la progression de la République. Tiraillé entre gauche et droite, entre Appel au peuple et autoritarisme, le Bonapartisme de Rouher à fait le choix de l’autoritarisme. Même si la mort du Prince Impérial constitue un drame et un coup de grâce pour le parti, le déclin était inexorable à cause de cette alliance avec la droite en déclin.

a) LA RESTAURATION MONARCHIQUE MANQUÉE DE 1873 :

Le 13 novembre 1872 rompt le pacte de Bordeaux69 et pose frontalement la question constitutionnelle en déclarant : « la République existe, c’est le gouvernement légal du pays. Vouloir autre chose serait une

67 La personnalité autoritaire du Prince Jérôme Napoléon déplaisait tant à Rouher qu’à Amigues par exemple. 68 RÉMOND René, Les droites en France, Paris, Aubier Montaigne, 1982, 554 pages, p.130 « Le singulier – c’est le secret du drame du Bonapartisme après Sedan – est que ce soit cette tendance (réactionnaire), toute responsable qu’elle soit de la catastrophe et de la chute du régime, qui survit après 1870 et s’annexe alors tout le Bonapartisme »

69 Le 10 mars 1871, Adolphe Thiers s’était engagé à Bordeaux à ne pas se prononcer sur la nature du nouveau régime afin de conserver le statu quo entre les Républicains et les Monarchistes

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nouvelle révolution et la plus redoutable de toutes70 ». Afin de conserver la possibilité d’une restauration Rouher choisit de faire alliance avec les Monarchistes. Cette union permet de renverser Thiers et nommer le Maréchal Mac Mahon, Orléaniste et ancien maréchal d’Empire. Une alliance durable se crée donc entre les Monarchistes et les Bonapartistes contre la République. Il devient dès lors une composante de la droite conservatrice et une force d’appoint appelée à jouer un rôle d’arbitre entre République et monarchie. Les Bonapartistes n’entrent cependant pas au gouvernement malgré leur participation à la majorité conservatrice à l’Assemblée. Le gouvernement de Broglie nommé par Mac Mahon mène une politique d’union des droites. Cette union Monarchiste laisse craindre une nouvelle restauration en faveur du Comte de Chambord, Henri V de Bourbon. C’est l’intransigeance doctrinale de ce dernier qui évitera de peu cette restauration. En effet, le 30 octobre 1873, le Journal L’Union, organe officieux du Comte de Chambord publie le « manifeste du drapeau blanc »71 qui met fin tout d’espoir d’alliance entre les Monarchistes.

Cet épisode montre deux choses. Tout d’abord le Bonapartisme n’est pas en position de force et cherche à être une force d’arbitrage pour éviter l’installation durable de la République mais aussi une restauration monarchique. Ensuite, dans ce jeu d’alliances le parti de l’Appel au peuple cède à ses tendances autoritaires en entrant dans l’alliance Monarchiste au détriment de ses tendances plus libérales et progressistes défendues par les Bonapartistes Montagnards. Les dissensions idéologiques ne peuvent donc que s’accentuer.

b) LA CRISE DU 16 MAI 1877 : LE DÉSENCHANTEMENT BONAPARTISTE

Après les élections législatives de 1876, les Républicains sont majoritaires et les Bonapartistes constituent le plus important parti d’opposition en France. Le 16 mai 1877, le Président Mac Mahon, mis en minorité, s’engage dans une épreuve de force en révoquant Jules Simon (le président du conseil) et en provocant la

70 Message présidentiel de Thiers à l’Assemblé Nationale le 13 novembre 1872 71 Dans ce manifeste il refuse le drapeau tricolore et donc l’héritage et les valeurs de la révolution de 1789.

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dissolution de l’Assemblée Nationale. Les Bonapartistes choisissent alors de conserver leur alliance avec les Monarchistes. Les résultats du scrutin d’octobre 187772 donnent de nouveau l’Union Républicaine en tête avec 313 sièges. Les Bonapartistes obtiennent une légère progression avec 104 sièges tandis que les Monarchistes sont en pleine perte d’influence (les Orléanistes (11 sièges) et les Légitimistes (44 sièges)). C’est un nouvel échec décisif pour l’alliance conservatrice. Une seconde dissolution étant impossible, Mac Mahon sera poussé à la démission le 30 janvier 1879 et remplacé par le Républicain Jules Grévy. Pour la première fois de la troisième République tous les organes du pouvoir sont aux mains des Républicains, de l’Elysée au palais Bourbon en passant par le palais du Luxembourg. Cette défaite électorale du Bonapartisme fait reculer la cause du Prince Impérial en France et annonce son impuissance et son isolement.

c) L’ISOLEMENT DU PRINCE IMPÉRIAL :

Cet échec électoral annonce de nombreuses défections au sein du parti bonapartiste frappé d’un profond désenchantement. Le 25 octobre 1877, dans le Petit Caporal, Jules Amigues critique la « mésalliance » avec les Légitimistes à l’origine de la perte de l’électorat ouvrier. En 1878 Léonce Dupont rédige également un ouvrage intitulé Les deux démocraties : République et Empire73. Dans ce texte, l’auteur de Napoléon le Quatrième biographie du Prince Impérial, critique violemment l’alliance conservatrice et plaide en faveur d’un ralliement à la République. L’auteur étudie en détail les liens entre la République et l’Empire74, démontrant que le principe de l’appel au peuple et le respect du scrutin populaire fait de l’Empire une démocratie. Il écrit : « Si le pays, pardonnant les usurpations, oubliant même les crimes de la commune, entend se confier à la République, Il nous paraît obligatoire de se résigner à

72 MAYEUR Jean-Marie, La vie politique sous la IIIe République, 1870-1940, Seuil, Points, Paris, 1984, p. 65 73 DUPONT Léonce, Les deux démocraties : République et Empire, 1878, BNF, 68 pages En ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5469395x/f4.item.r=.zoom [consulté le 21/06/2017] 74 Ibid p.52 « Bonaparte, à sa sortie des écoles, enrôlé dans les armées, était aussi bon républicain que peuvent l’être aujourd’hui le général Billot, [. . . ] et le Colonel Denfert-Rochereau », Il rappelle également que Napoléon III s’est également soumis au vote populaire et a été élu en 1848. »

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cette volonté75 » Ces défections, ce ralliement d’une partie des sympathisants Bonapartistes à la République ou encore au légitimisme isolent le Prince Impérial. Il perçoit la déshérence de sa cause. De plus en plus isolé le prince choisi d’attendre patiemment une faute de la République. Dans une lettre à Ernest Pinard, il dit :

Les embarras du parti républicain commencent aujourd’hui qu’ils sont partout victorieux. Maitres dans les deux chambres de l’action législative ; n’ayant en face d’eux qu’un pouvoir exécutif asservi ; ils vont avoir à résoudre des problèmes bien difficiles. Dans l’état actuel des choses nous ne devons pas essayer de remonter le courant d’opinion qui porte la République. Nous devons rester groupés, confiants et attendre notre revanche. Les fautes que les Républicains commettront et que notre intervention leur éviterait nous en fourniront, bientôt peut être l’occasion76.

La Crise du 16 mai 1877 et ses conséquences sont très importantes pour le parti bonapartiste. Résigné dans l’attente d’une faute de la République, le parti se divise, le Prince Impérial est isolé et les différentes tendances au sein du parti s’affirment de plus en plus annonçant des ralliements à la République et aux Monarchistes. Le Jeune prince est désormais majeur, officier diplômé de Woolwich. Il est en quête de gloire et de légitimité. Le contexte en France depuis la crise du 16 mai et les élections législatives ne lui sont pas favorables et il préfère rester en exil plutôt que d’entrer dans la bataille parlementaire. Il a soif d’aventure, de poudre et de gloire. Il souhaite s’illustrer sur le champ de bataille pour gagner sa légitimité. Ce choix lui sera funeste.

C. MANIFESTE POUR UN TROISIÈME EMPIRE : DÉFINIR POLITIQUEMENT LE PRINCE IMPÉRIAL

Après avoir observé les différentes tendances au sein du Bonapartisme, et la politique d’alliance conservatrice, il est nécessaire de s’intéresser à la pensée politique du Prince Impérial. Comprendre le Prince Impérial c’est comprendre ce qu’aurait pu être le Troisième Empire, quel projet ce jeune Prince portait

75 DUPONT Léonce, Les deux démocraties : République et Empire, 1878, BNF, p.62 76 PINARD Ernest, Mon journal, Tome II, p.202

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et quelle aurait pu être sa politique. Le but ici n’est pas de faire de l’histoire fiction, mais de définir politiquement le Bonapartisme selon « Napoléon IV ». Dans le cadre d’un régime Impérial qui repose que le culte de l’homme providentiel, la personnification du pouvoir, et le césarisme plébiscitaire, cette question est centrale. Toutes les tendances du Bonapartisme se réclament de lui, de Cassagnac à Amigues en passant par Rouher. Ces hommes défendent cependant des idées contradictoires entre autoritarisme et démocratie. De plus, Il n’est pas véritablement chef de parti puisque ce rôle est assuré par Rouher. La ligne officielle du parti n’est donc pas nécessairement la sienne. Loin des dynamiques partisanes et du jeu parlementaire, le jeune Prince est épris d’idéal. Isolé et en exil, Il forge ses propres opinions en marge du parti. Le jeune prince est un homme réservé. Il n’étale pas sa pensée politique dans les journaux comme le Comte de Chambord ou lors de réunions du parti comme le Comte de Paris. Pourtant grâce à sa correspondance avec Louis Conneau, ses prises de positions au sein du Parti Bonapartiste ou encore son « Mémoire pour servir d’indication à la rédaction d’une constitution Impériale » il est possible à présent de se faire une idée assez précise de la pensée politique du Prince Impérial.

a) LES INFLUENCES DU PRINCE IMPÉRIAL :

Le Prince est relativement isolé. Il est exilé en Angleterre et loin du jeu parlementaire français. Il subit cependant de nombreuses influences. Il y a avant tout l’influence tutélaire des deux Napoléon. Leurs écrits sont ses livres de chevet77. Ensuite Rouher exerce une forte influence puisqu’il détermine la ligne politique d’un parti se réclamant du prince. Il subit également l’influence catholique et conservatrice de sa mère qui n’a jamais caché sa sympathie pour le duc de Chambord, le prétendant

77 Il écrit dans une Lettre à Louis Conneau que la correspondance de Napoléon Ier devrait être « le bréviaire des hommes de guerre ». Archives nationales, 400AP/75

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Légitimiste78. Enfin le Prince Impérial est très influencé par sa formation militaire et ses camarades. Parmi ses meilleurs amis, avec qui il entretient une correspondance régulière ou peux citer Louis Conneau,79 Scipion Corvisart80, Jules Espinasse81, ou encore Adrien Bizot82. Ces 4 hommes, auront tous une longue carrière dans l’armée jusqu'à être généraux durant la première guerre mondiale. Le lien du Prince Impérial avec l’armée est donc très fort, tant par son éducation que ses convictions. On peut citer enfin l’importance de son parrain83 ainsi que du cardinal de Bonnechose, Archevêque de Rouen. Le Prince est en effet très pieux sans nécessairement être bigot. La religion et la foi ont une place importante dans sa vie comme le démontre admirablement la « Prière du Prince Impérial84 » qu’il rédige avant son départ pour l’Afrique du Sud.

b) LE « MANIFESTE » DU TROISIÈME EMPIRE :

Lors des élections législatives de mars 1876, certains Impérialistes demandent au Prince Impérial un manifeste pour définir les grands principes d’un Troisième Empire. Le Prince s’y refuse et s’en explique dans une lettre à son meilleur ami Louis Conneau. Il écrit :

Dire quelle sera ma politique à l’égard de l’Allemagne, ce que je pense sur la loi militaire ? La loi de l’enseignement ? Sur les questions religieuses ? Sur la question ouvrière ? Mais se serait m’empêcher d’avance de résoudre ces questions. Il n’y a de bonnes innovations que les innovations hardies. Elles ne réussissent que lorsqu’on les introduit peu à peu 85.

Le prince refuse de dévoiler un programme et de s’exprimer publiquement sur ce que serait le Troisième Empire en cas de victoire Bonapartiste. Il se laisse la possibilité

78 DE MONTI DE REZÉ Comte, Souvenir sur le Comte de Chambord, P.87,88. Selon le Comte, l’Impératrice aurait une « sympathie admirative » à l’égard du Comte de Chambord 79 Polytechnicien de la « Grande Promotion » de 1874-1876, Général de division pour la 10e division de cavalerie durant la Première guerre mondiale 80 Polytechnicien, également général de division dans la cavalerie durant la première guerre mondiale 81 Saint Cyrien, Promotion de l’Archiduc Albert, Général d’armée dans le 15e corps d’armée (infanterie) durant la première guerre mondiale 82 Saint Cyrien, Promotion de Mentena, Général de division durant la première guerre Mondiale, Attaché à l’État-major 83 Qui n’est autre que le Pape Pie IX 84 Archives nationales, 400 AP/76 85 Archives nationales, 400AP/75

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d’agir de la façon la plus adaptée au contexte et à la situation. Le positionnement du prince est donc ambigu et pragmatique. Il y a également de nombreuses les tensions entre le Prince Impérial et l’aile « Rouge » du parti. En Corse, le Prince Impérial soutient systématiquement les candidats officiels du parti contre le Prince Jérôme. Ces tensions sont majoritairement dues aux rivalités personnelles entre le Prince Impérial et le Prince Jérôme. Il est donc impossible d’en tirer des conclusions.

Un éclairage beaucoup plus significatif de sa pensée politique nous est cependant donné en 1878 lorsqu’il rédige un « mémoire pour servir à la rédaction d’une constitution impériale. » Ce projet n’est pas publié, ni même communiqué à Rouher et au parti de l’Appel au peuple. Louis ne s’ouvre de ce projet qu’à deux hommes de confiance : le Journaliste Eugène Loudin et le Cardinal de Bonnechose, l’archevêque de Rouen. Il ne reste aucune trace écrite de ce document à ce jour mais son contenu est détaillé par Eugène Loudin dans son Journal de dix ans86. Le Prince Impérial semble s’inscrire dans la tendance « Blanche » du Parti. Ce texte est d’inspiration nettement réactionnaire. Son projet de constitution est aristocratique, réactionnaire et corporatiste. Le Prince est tout d’abord un militaire, qui souhaite voir s’imposer les valeurs d’ordre, de discipline et de respect de la hiérarchie. Il s’inscrit donc dans un Bonapartisme autoritaire. Il souhaite maintenir le suffrage universel mais en réduire l’exercice. Il reconnait l’égalité de droit entre les citoyens mais souhaite la constitution d’une noblesse d’état, une nouvelle aristocratie fondée non pas sur la naissance mais sur le mérite. Il déclare

L’inégalité prodigieuse, intellectuelle et morale, exige que le gouvernement soit aux mains des meilleurs et que les fonctions publiques soient des carrières. [. . .] Il est nécessaire pour assurer le respect de l’autorité, la stabilité et le progrès des institutions, le fonctionnement des services publiques, de recréer une classe gouvernementale, qui sera l’aristocratie de fait. ».

Il souhaite également la fin des clivages partisans pour que « l’élite de tous les partis puisse servir l’Etat ». Il porte également un jugement très sévère de la démocratie parlementaire. Il dit à propos des parlementaires qu’ils sont « une classe de faiseur

86 FIDUS, (Eugène Loudun dit Fidus), Journal de dix ans, Souvenirs d’un Impérialiste, Tome 2, Paris, 1886, 367 pages, p.133-154

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d’affaires pour qui la spéculation est une carrière ». Il souhaite donc limiter le rôle des parlementaires pour éviter les alliances partisanes qui l’ont écœuré depuis la crise du 16 mai 1877. En ce qui concerne l’armée, il pense qu’elle est sous dépendance « d’avocats, de journalistes et de bureaucrates » dont il faut l’affranchir. Dans une lettre à Louis Conneau il ajoute : « l’armée doit être en France la clef de voute de la société comme en Allemagne, Elle doit être respectée comme chez nos voisins et elle le sera si je m’assois sur le trône de France87 ». Dans cette même lettre il n’exclut pas d’ailleurs la possibilité d’un coup d’état : « Le fils de celui qui a sauvé la nation de l’anarchie le 2 décembre, le petit neveu de celui qui l’a sauvé le 18 brumaire, ne peut, sans faillir à son nom, voir le pays se perdre et rester inactif. ». Dans son for intérieur, le Prince Impérial semble se diriger vers un positionnement politique plus à droite que celui de Rouher, proche des Bonapartistes les plus catholique et conservateurs. Ses positions ne sont cependant pas publiques ce qui renforce encore un peu plus l’ambiguïté de la doctrine Bonapartiste.

Le parti bonapartiste est donc divisé en trois grandes tendances. Le parti oscille entre la droite autoritaire et la démocratie avec la doctrine de l’appel au peuple. Ces tendances contradictoires tendent à affaiblir le mouvement et à empêcher son expansion au-delà de certains fiefs. La cause du Prince Impérial n’est pas défendue de manière homogène. La doctrine Bonapartiste souffre de ses ambiguïtés. L’alliance conservatrice conclue par Rouher avec les Monarchistes contre Thiers fait basculer le Bonapartisme à droite. Elle n’empêchera cependant pas une large victoire des Républicains aux législatives de 1876 et 1877. Cet échec de la droite conservatrice crée un désintérêt pour la cause du Prince Impériale. Les ralliements à la République se multiplient. Lors de son départ pour l’Afrique du sud, le Prince Impérial est isolé, la République progresse inexorablement et le parti bonapartiste est profondément divisé. Le Prince Impérial, très secret maintient également une ambigüité sur ses tendances politiques. Cependant un examen approfondi de sa correspondance ainsi que de ses

87 Archives nationales, 400 AP/75

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tentatives d’élaboration d’une constitution pour le troisième Empire laisse entrevoir un jeune homme absolu, en quête de vertus morales, épris d’idéal, plaçant les valeurs militaires au-dessus de tout. Il s’inscrit dès lors, avec des réserves, dans la ligne la plus autoritaire et réactionnaire du parti. Son projet autoritaire est cependant utopiste et déconnecté des réalités sociales qui ont porté la République au pouvoir dans toutes les institutions à partir de 1879. Lorsque le prince s’éteint, sa cause est en déshérence après une brève flambée. Son parti est divisé par des querelles personnelles et des divisions idéologiques profondes. Sa mort sonne la fin d’un semblant d’unité déjà très difficile à maintenir.

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CHAPITRE 3 : LES ADVERSAIRES ET DÉTRACTEURS DU PRINCE IMPÉRIAL DANS LA PRESSE NATIONALE FRANÇAISE EN 1879

La mort du Prince Impérial le 1e Juin 1879 est un évènement largement commenté. Cependant pour comprendre les commentaires il est utile d’appréhender le fonctionnement de la presse française au début de la République. Il est nécessaire d’étudier les rapports de force dans la presse nationale en 1879. Comprendre qui s’exprime, à travers quel journal et selon quelle conviction politique est primordial. Le Prince Impérial est clivant au sein de la société française car il est l’héritier de l’Empire. La mort de ce Jeune Prince ne peut pas être accueillie de la même façon par ceux qui le considèrent comme un espoir et ceux qui le considèrent comme une menace. Après un tour d’horizon des journaux bonapartistes qui lui sont favorables, nous étudierons ses détracteurs, ses adversaires politiques et idéologiques qui se sont exprimés à sa mort en 1879. En dehors de la presse Bonapartiste, on distingue trois courants dans la presse française au début de la IIIème République. La presse qui domine cette époque, tant sur le plan du style, de la popularité que du tirage est incontestablement la presse Républicaine. Il y a également plusieurs types de presses Monarchistes divisées entre les Légitimistes et les Orléanistes. La mort du Prince Impérial n’est pas un évènement qui passe inaperçu dans la presse française et la grande majorité des grands journaux nationaux y font allusion. Cependant, la manière de présenter les faits est très différente. Il s’agit donc de comprendre précisément qui sont les adversaires et les détracteurs du Prince Impérial dans la presse française en 1879.

A. LA PRESSE LÉGITIMISTE EN 1879

La presse Légitimiste représente la frange la plus conservatrice de la presse française. Elle se distingue par son catholicisme, son cléricalisme et son conservatisme. Les Légitimistes sont les défenseurs des valeurs chrétiennes et d’une restauration légitimiste, pouvant aller à l’encontre des principes issus de la révolution. Ils souhaitent la montée sur le trône d’Henri d’Artois, Comte de Chambord, qu’ils appellent « Henri V de Bourbon ». C’est le petit fils de Charles X, né aux Tuileries en 1820. Ce roi en exil vit au Château de Frohsdorf en Autriche. La presse Légitimiste se veut le relais de

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ce prince fortuné et influent à la tête du parti légitimiste. Le Prince Impérial est considéré comme un ennemi politique. Sur le plan financier un grand nombre de ces journaux sont en difficultés et leur tirage en 1879 semble moins important que ceux de la presse Bonapartiste.

a) LA PRESSE DU COMTE DE CHAMBORD :

L’Union est l’organe officieux du Comte de Chambord. Ce journal sera par exemple à l’origine de la publication du Manifeste du Drapeau Blanc en 1873. Il entretient des liens réguliers avec Frohsdof. En 1879 son directeur est Sébastien Laurencie. Ce journal se veut l’écho de la voix du Roi exilé. Ultramontain, réactionnaire, et clérical, ce journal est réputé pour son intransigeance doctrinale. Parmi ses principaux rédacteurs on retrouve Henri Mayol de Lupé ou encore Poujoulat88. C’est un journal d’abonnement dont la popularité décroît. En 1873, il y avait 7000 tirages tandis qu’en 1880 il n’y en a plus que 450089. Régulièrement ciblé par les attaques des journaux républicains, ce journal représente à leurs yeux les excès du cléricalisme et le refus des valeurs héritées de la révolution.

La Gazette de France est également un journal Légitimiste à faible tirage qui fonctionne par abonnement. Ce journal était indépendant vis-à-vis du parti et ne recevait pas d’instruction de Frohsdof. Le journal adopte une ligne plus modérée que l’Union. Ce journal critique le manifeste du drapeau blanc et ne manifeste aucun enthousiasme après le 16 mai. Claude Bellanger affirme que « Son monarchisme était sans défaillance mais sans illusions90 ».

La Nouvelle France est une tentative originale de journal conservateur et catholique destinée aux classes populaires. Ce journal à 5ct avait un message Monarchiste et avant tout religieux. Ultramontain, il défend les positions du pape Léon XIII. Avec à peine 15000 tirages environ, le journal peine à rencontrer son public

88 ALBERT Pierre, Histoire de la presse politique nationale au début de la troisième République (1871- 1879), Université de paris, thèse de doctorat, 1977, Paris, M.Champion, Lille 3, 2 tomes, 1599 pages 89 BELLANGER Claude, Histoire générale de la presse, Paris, PUF, tome 3, 688 pages , P. 182 90 Ibid p.183

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comparé à ses concurrents tels que le Petit Caporal le Soleil, la Lanterne, la Petite République Française ou encore le Petit Parisien. Le rédacteur en Chef Adrien Maggiolo est un ancien rédacteur de l’Union. Sa clientèle sera reprise plus tard par La Croix.

b) L’UNIVERS DE LOUIS VEUILLOT ET LE MONDE D’EUGÈNE TRACONNET :

L’Univers, dirigé par Louis Veuillot est probablement le titre conservateur le plus influent. Catholique-Ultramontain et Légitimiste, ce journal reste une référence dans les milieux catholiques. En 1860, sous le second Empire, le journal avait été supprimé par décret Impérial après avoir publié l’Encyclique Nullis Certes du pape Pie IX qui condamnait la politique italienne et romaine de l’Empire91. Selon Emile Poulat, Louis Veuillot « devient très vite l'âme et la tête, exerçant pendant quarante ans sur le clergé français une direction de conscience religieuse et politique, et lui inculquant une soumission absolue, non seulement aux enseignements qui venaient de Rome, mais même aux simples conseils du pape 92». Cette ligne éditoriale très conservatrice fait de l’Univers une des cibles privilégiées des Républicains là encore. Après la crise du 16 mai 1877, de fortes réactions anticléricales se font sentir dans la presse Républicaine, dirigées, notamment, contre l’Univers.

Le Monde dirigé par Eugène Traconnet subit de plein fouet la concurrence de l’Univers. Crée en 1860 après l’interdiction de publication de l’Univers, le Monde se veut également Monarchiste, catholique ultramontain et conservateur. Traconnet était en effet l’ancien propriétaire de l’Univers dont il partage la ligne éditoriale. Le Monde connaît d’importantes difficultés financières. En effet selon Claude Bellanger, Entre 1874 et 1877, le journal aurait connu un déficit de 212 861 Francs93. Le journal était réputé pour sa critique acerbe de la révolution française et de son héritage, responsable

91 L’Univers, Article du 29 janvier 1860, publie l’Encyclique du pape. Cet acte démontre la ligne éditoriale ultramontaine du journal En ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32885433z/date [consulté le 21/06/2017] 92 POULAT, « VEUILLOT LOUIS - (1813-1883) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1 juin 2017.En ligne : http://www.universalis.fr/encyclopedie/louis-veuillot/ [consulté le 21 juin 2017] 93 BELLANGER Claude, Histoire générale de la presse, Paris, PUF, tome 3, 688 pages, P. 186-187

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selon eux de tous les mots de la France. Une des particularités étonnantes de ce journal est la publication à la une des actes pontificaux (en Latin).

c) UN JOURNAL DE COMBAT : LA DÉFENSE

Enfin La Défense sociale et religieuse, est un journal créé en 1876 dont la ligne éditoriale est résolument plus agressive. C’est un journal de combat créé par Monseigneur Dupanloup. Ce journal connaît également des difficultés financières. Si ce titre atteint près de 5000 tirages en 1876, très rapidement en 1879 il tombe à seulement 2500 tirages.

La presse Légitimiste en 1879 est en perte de vitesse. Si certains journaux restent importants dans l’opinion publique à l’image de l’Univers ou encore peut être la Nouvelle France, les tirages restent relativement faibles et l’influence de cette presse ultra conservatrice et ultramontaine décroît. De nombreux journaux sont en déclin, en déficits dans une période d’essor de la presse écrite. Pour l’ensemble de ces journaux, le Prince Impérial est un ennemi politique même si on peut remarquer des lignes éditoriales proches de celle du Pays, de Cassagnac, pourtant Bonapartiste. Cependant, cette presse Légitimiste n’est pas la plus virulente envers le Prince Impérial. S’intéressant davantage à la dynastie Bourbon également en exil, elle s’exprime peu avant sa mort sur le Prince Impérial. Cependant le caractère religieux de ces journaux entraine un certain respect pour le Prince malgré les divergences politique. Il ne faut pas oublier que l’Impératrice était très proche du pape Pie IX qui est le Parrain du Prince Impérial. Le partage de la foi chrétienne oblige donc les Légitimistes à une certaine retenue concernant le prince tant qu’il ne constitue pas une menace réelle à leurs yeux.

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Tableau récapitulatif de la presse Légitimiste en 1879 :

Titre Orientation politique Rédacteurs clefs Tirage et popularité Dates

Sur Abonnement Sébastien Légitimiste 7 000 tirages en Laurentie Créé en Organe officieux du 1873 L'Union Henri de Mayol de 1847 Comte de Chambord 4 500 tirages en Lupé Ultra-conservateur 1880 Poujoulat

Légitimiste Crée en La gazette Indépendant du Parti Gustave Janicot Sur Abonnement 1849 de France Condamne l'Affaire du 5 000 – 6 000 tirages Reprise en

Drapeau Blanc 1861

La Catholique-Ultramontain Amédée Lutton Journal à 5 Centimes nouvelle Conservateur Adrien Maggiolo 1871-1883 15 000 tirages France Légitimiste

Journal a l'influence Catholique-Ultramontain considérable L'Univers Conservateur Louis Veuillot 1833-1919 dans les milieux Légitimiste Catholiques

Condamnation de la révolution Eugène Traconet 10 000 tirages Crée en Le Monde Française 1860 proche de l'Univers

La Sur Abonnement Défense Conservateur Crée en 2 500 tirages en Sociale et Légitimiste Mgr Dupanloup 1876 1879 Religieuse Combat l'anticléricalisme

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B. LA PRESSE ORLÉANISTE ET DU CENTRE DROIT EN 1879 :

La presse Orléaniste et du centre droit est une presse modérée proche des notables et du centre-droit. Ils soutiennent le compromis du Septennat et le maréchal Mac Mahon. Elle se caractérise par la présence de nombreux groupes de presse, nettement moins centrés autour d’une seule personnalité que les journaux de la droite Légitimiste (Ex : Louis Veuillot à l’Univers). La presse Orléaniste, modérée de ton, s’intéresse essentiellement aux mondes des affaires et est volontiers porte-parole d’intérêts économiques et financiers. Ils sont néanmoins opposés à la République. Les Orléanistes souhaitent une restauration monarchique en faveur de la dynastie des Orléans. Le prétendant Légitimiste, le Comte de Paris est né aux Tuileries en 1838 sous le règne de son grand père Louis Philippe Ier. Cet influent homme d’affaires, vétéran de la guerre de Sécession et héritier Orléaniste est rentré en France en 1871 après l’abolition de la loi d’exil touchant les Orléans94.

a) LE JOURNAL DE PARIS ET LE SOLEIL :

Le Journal de Paris, organe officieux du comte de Paris se caractérise par sa grande prudence. Ce journal à faible tirage (moins de 3000) prêchait une union au centre. Il proclamait en 1873 son attachement au drapeau tricolore et aux valeurs issues de la révolution. Ce journal à faible audience disparut le 30 avril 187695 au profit de son pendant à 5ct le Soleil. Edouard Hervé, directeur du Journal de Paris avait fondé le Soleil en 1873. Orléaniste modéré proche des milieux d’affaires, ce journal défend les intérêts des grandes compagnies de chemin de fer ou d’armateur. Il est également proche du journal financier le Messager de Paris96 ou encore du groupe Soubeyran97. Il a un ton plus libre que le Journal de Paris, défendant clairement les positions du centre droit opposé à Thiers et aux Légitimistes, favorable au septennat de Mac Mahon.

94 Loi du 26 mai 1848 prohibe à perpétuité au roi Louis-Philippe et à sa famille l'entrée sur le territoire français. Abolit par l’Assemblé Nationale à majorité Orléaniste le 8 juin 1871 95 BELLANGER Claude, Histoire générale de la presse, Paris, PUF, tome 3, 688 pages, P. 188-189 96 Eugène Rolland , propriétaire du messager de paris , journal financier, finance en partie le Soleil 97 Le baron de Soubeyran est directeur du Crédit foncier de France jusqu’en 1878 et homme politique.

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A partir de 1877 et après la lourde défaite Orléaniste aux législatives, Edouard Hervé se montrera plutôt favorable à un ralliement avec la République98. Le Soleil prône cependant un ralliement à la République pour des raisons économiques. Le compromis et la paix sociale étant davantage en faveur des affaires. Sur le plan commercial, Le Soleil est un véritable succès passant d’environ 16000 tirages en 1873 à près de 45000 en 188099 grâce à son faible prix et à son positionnement conservateur modéré.

b) LES GROUPES DE PRESSE ORLÉANISTES : SOUBEYRAN ET DALLOZ

La presse Orléaniste se compose de nombreux groupes de presse davantage tournés vers les affaires que les questions politiques à l’image du groupe de presse de Paul Dalloz ou du groupe Soubeyran. Le groupe de presse Paul Dalloz est composé du Moniteur (12000 tirages), du Petit Moniteur (100000 tirages) et de La Petite Presse (entre 30000 et 35000 tirages)100. Le groupe Soubeyran se compose de Paris-Journal, La Patrie ou encore Le Soir. Ces journaux ont une attitude politique modérée, proche des milieux d’affaires. Leurs lignes éditoriales sont proches de celle du Soleil, favorable au septennat et aux lois constitutionnelles de 1875. Ils prônent également un ralliement à la République après la crise du 16 mai. Ces journaux sont abondamment distribués cependant leur dimension politique était limitée, destinée à servir quelques intérêts financiers dans les milieux d’affaires. La différence entre ses différents journaux se situent également dans leurs affinités avec des personnalités influentes du centre droit : Le Soir était l’organe officieux de Thiers101, Paris-Journal soutenait la candidature du Duc d’Aumale à la présidence de la République102, le groupe Dalloz défendait la politique du duc Decazes103. Enfin, le Français (5000 tirages) était indépendant de ces deux groupes de presse et représentait l’organe officieux du Duc de Broglie.

98 Ibid P.189 99 Idid P.189 100 Ibid P.190 101 Ibid P.194 102 Ibid P.193 103 Ibid P. 191

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c) LE FIGARO, PRINCIPAL JOURNAL CONSERVATEUR ET MONARCHISTE :

Le journal Monarchiste le plus lu est indubitablement le Figaro. Hippolyte de Villemessant transforme ce journal en quotidien le 16 novembre 1866104. Ce journal est un des plus grands succès de la période et inspirera dans son format de nombreux quotidien de l’époque. Très tôt, le journal envoie des journalistes en reportage et généralise le recours à des correspondants. Il crée de nouvelles rubriques très populaires telles que les « Petites annonces » ou encore une rubrique mondaine. En 1879, le journal réalise près de 79000 tirages avec 27000 abonnés105. Sur le plan politique, le journal est catholique, conservateur et Monarchiste. Opposé à Thiers, Il rejette avec force le manifeste du drapeau blanc106.

La presse Orléaniste est donc une presse très liée aux milieux d’affaires, proche du centre droit, des notables et de la bourgeoisie. Cette presse est largement diffusée puisqu’elle correspond au parti le plus proche du gouvernement sur le Septennat de Mac Mahon. Elle est également détenue par des grands groupes capables d’organiser la distribution des journaux très efficacement. Les différents groupes de Presse Orléanistes soutenus financièrement pas la famille d’Orléans et des groupes industriels est une presse modérée, catholique et en opposition relative avec la République puisqu’elle admet la liberté d’expression et propose souvent des ralliements avec la République après la crise du 16 mai et l’effondrement de l’Orléanisme à l’Assemblée.

104 En ligne : http://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2016/11/15/26010-20161115ARTFIG00272-il-y- a-150-ans-le-figaro-devenait-quotidien.php [consulté le 1er juin 2017] 105 Ibid P. 195 106 Figaro, Article du 31 mars 1873, “Monarchie ou pétrole” rédigé par EYMA Xavier En ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2750416/f1.item.zoom [consulté le 1er juin 2017]

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Tableau Récapitulatif de la presse Orléaniste :

Rédacteurs Tirage et Titre Orientation politique Dates clefs popularité Orléaniste Crée Organe officieux du Comte Edourad Le Journal 3 000 tirages en de Paris Hervé de Paris 1870 Opposition libérale sous le

second empire

Journal à 5 centimes Crée Edourad Le Soleil Orléaniste 16000 tirages en en Hervé 1873 1873

45000 tirages en 1880

Le moniteur : Le Moniteur 12000 tirages Crée Orléaniste proche de Decazes et le Paul Dalloz Le petit moniteur: en Centre Droit Groupe 100000 tirages 1845 Modéré Dalloz La petite Presse : 35000 tirages

Thureau- Organe Officieux du Dangin Le Français Duc De Broglie François 5000 tirages Notable du Centre droit Beslay Septenaliste

Une des plus grandes réussites Conservateur Hypolyte de du journalisme de Crée Le Figaro monarchiste Villemessant la période en Rallié à la république après Francis 76000 tirages en 1867 1879 Magnard 1879 27000 abonnés en 1879 Groupe baron de Feuilles d'inégales Soubeyran Crée Septenaliste Soubeyran Importances Paris- en Centre Droit Henri de à l'attitude Journal 1869 Conservatisme/Bonapartisme Pène politique plus La Patrie Louis Teste imprécise Le Soir

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C. LA PRESSE RÉPUBLICAINE EN 1879

Le Prince Impérial est un ennemi de la République et sera combattu comme tel. La liberté d’expression caractérise la prise de parole républicaine. C’est donc en toute liberté que les Républicains vont s’imposer comme les principaux opposants politiques du Prince. La presse Républicaine est volontiers satirique et anti cléricale, prompte à fustiger le principe héréditaire et à refuser les « prétendants au trône de France ». La doctrine Républicaine refuse qu’un homme né au Tuileries gouverne à nouveau la France.

La liberté d’expression est un principe cher aux Républicains. Les journaux sont donc naturellement devenus un outil privilégié de la propagande Républicaine. L’histoire de la presse française est marquée par l’apparition après Sedan de très importants journaux Républicains qui ont fait la gloire de la presse écrite. L’écrasante majorité des journaux publiés à Paris était Républicaine. Des grandes plumes et des géants de la littérature ont écrit dans les colonnes de ses journaux tels que Victor Hugo au Rappel ou Emile Zola à la Lanterne. La presse Républicaine entre 1873 et 1879 se caractérise par une très grande unité contrairement à la presse conservatrice et Bonapartiste très hétéroclite. Dès la chute de Thiers, les Républicains choisissent, sous l’influence de Léon Gambetta, d’éviter les polémiques entre eux, et de se concentrer dans un combat contre la presse conservatrice et Bonapartiste. On peut dégager deux grands principes qui marquent la presse Républicaine. Tout d’abord on peut noter un grand désintérêt pour la cause ouvrière107. Naturellement les ouvriers étaient amenés à voter républicain et à acheter les journaux populaires à 5ct de la presse Républicaine, cependant l’objectif fondamental des Républicains est de conquérir l’électorat de notables mais aussi de la France rurale et conservatrice. Le second élément frappant est l’importance de l’Anticléricalisme. « Le Cléricalisme, Voilà l’ennemi ». Cette célèbre formule prononcée par Gambetta à l’Assemblée Nationale le 4 Mai 1877 résume parfaitement la position de la presse Républicaine. Virulente et volontiers

107 Par exemple : En 1878 après une importante grève des Mineurs d’Azin dans le nord , la presse républicaine traite la question avec une grande désinvolture

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satirique elle s’oppose au cléricalisme. En effet, le clergé, soutenu par l’ensemble des conservateurs a été très longtemps108 dans une attitude antirépublicaine. Cette unité de la presse républicaine va s’atténuer après la victoire aux élections sénatoriale de 1879 et la présidence de Jules Grévy qui consacre la victoire totale des Républicains et permet de relâcher la pression et de laisser éclater les rivalités internes.

a) LA PRESSE RÉPUBLICAINE MODÉRÉE ET LA GAUCHE RÉPUBLICAINE :

On peut distinguer trois tendances au sein de la presse Républicaine. Il y a Les Républicains modérés, Les radicaux et les journaux satiriques. Tout d’abord les Républicains modérés tels que le Journal des Débats (7000 tirages), Le Temps (plus de 22000 tirages), le XIXe siècle (15000 tirages), la Presse (2000 tirages), Le Siècle (15000 tirages), Le Petit Parisien (23000 tirages), Le National et le Petit National (14000 tirages) et surtout Le Petit Journal (562000 tirages)109. Ces journaux se placent sous les patronages d’hommes politiques de gauche relativement modérés tels que Jules Simon ou Jules Grévy. Ils refusent notamment la tutelle de Léon Gambetta. Ces titres sont généralement nés dans l’opposition au second Empire. Le Temps possède une audience considérable dès 1870 et double ses tirages entre 1870 et 1880. Le Temps est l’organe libéral français réputé pour son objectivité et son détachement des partis, malgré une posture républicaine modérée. Le Siècle était quant à lui le « moniteur de l’Opposition », particulièrement hostile à l’Empire après Sedan. De toutes les feuilles de la période la plus originale et surement la plus importante est Le Petit Journal110. Tous les journaux à 5ct ont tenté de l’imiter sans parvenir à l’égaler111. Son traitement de l’actualité est cependant décousu et parfois lacunaire mais la qualité de rédaction, les romans feuilletons et le grand nombre de rubriques assurent le succès du Petit Journal. Politiquement, le Petit journal est un vulgarisateur, qui permet aux milieux

108 Léon XIII élu Pape en 1878 est le premier pape à appeler au ralliement à la République du clergé de France 109 BELLANGER Claude, Histoire générale de la presse, Paris, PUF, tome 3, 688 pages, P. 204-236 110 KALIFA Dominique, La civilisation du journal, Nouveau monde "Opus Magnus", 2011, 1762 pages 111 Ibid P.508

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populaires de s’intéresser à la politique. Politiquement il défend une République modérée et réconciliatrice.

b) LA PRESSE RÉPUBLICAINE RADICALE :

Il y a ensuite la presse radicale dont les grandes figures sont Léon Gambetta, Victor Hugo ou encore Emile Zola. Ces journaux se caractérisent par un anticléricalisme plus virulent et un ton plus provocateur à l’égard des conservateurs. Cette presse est volontiers agressive et mène des combats politiques dans la presse. Elle a soif d’absolu et porte haut les valeurs de la liberté d’expression au risque de provoquer parfois le scandale et la polémique. Les journalistes républicains sont combatifs et agressifs, notamment envers les conservateurs. Le Prince Impérial ne fait pas exception à la règle. Il représente pour eux à la fois le cléricalisme, le conservatisme et bien sur le retour d’un régime autoritaire et héréditaire. Parmi les journaux les plus importants on peut citer la Lanterne (150000 tirages), Le Rappel (40000 tirages), La République Française et la Petite République Française (15000 et 150000 tirages)112.

c) LA PRESSE RÉPUBLIQUE SATIRIQUE :

Enfin il y a la presse satirique, particulièrement hostile au cléricalisme et aux conservateurs. Cette presse Républicaine se caractérise par son impertinence, son non- respect des convenances, son humour acerbe, ses figures de styles et ses calembours. On y retrouve des caricatures, et des opinions peu nuancées. Cette presse se caractérise donc non pas par son sérieux mais par son humour, propre à déstabiliser et à irriter de nombreux conservateurs et même certains Républicains. On peut citer notamment l’Avant-garde Républicaine de Léon Gambetta ou encore La Marseillaise (29000 tirages)

112 BELLANGER Claude, Histoire générale de la presse, Paris, PUF, tome 3, 688 pages, P. 204-236

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Tableau récapitulatif des principaux journaux républicain en 1879 :

Rédacteurs Titre Orientation politique Tirage et popularité Dates clefs 8 500 tirages en 1873 1814- Le journal des Jules Bapt Républicain modéré 7 000 tirages en 1944 Débats 1880

Important réseau de correspondant Républicain modéré Adrien Qualité et sérieux 1861- Le Temps Anticléricalisme Hébrard unanimement 1942 doctrinal reconnu

Plus de 22 000 tirages 10 000 tirages en Républicain modéré Edmond Crée 1873 Le XIX siècle anticlérical (franc- About en 15 000 tirages en maçon) Jules Simon 1871 1875 Antimonarchiste

3 500 tirages en Républicain Hubert 1873 1836- La Presse Défends les intérêts Debrousse 2 000 tirages en 1930 du groupe 1880 Debrousse

Vieux journal Républicain d'abonné "moniteur de 35 000 tirages en 1836- Le Siècle Jules Simon l'opposition" 1870 1927

sous le second 15 000 tirages en Empire 1880

Hector 28 000 tirages en Le National Crée Gauche républicaine Pessard 1870 et le Petit en Anticléricalisme Théodore de 14 000 tirages en National 1869 intransigeant Banville 1880

Etiquette Journal à 5 Centimes Groupe 1876- Le petit Parisien républicaine 23 000 tirages en Dalloz Nos septenaliste 1879 jours

Gibiat Journal Clef de la Crée Républicain Le Petit Journal Jenty période en Modéré Girardin 562 000 tirages en 1866

1879

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Rôle très important dans la victoire de la république sur La république Léon les conservateurs Organe officieux du Crée Française Gambetta 15 000 tirages en parti de l'Union en et la petite Challemel- 1878 Républicaine 1871 république Lacourt

Française Petite (5ct) : 150 000 tirages en 1879 en moyenne

Presse parisienne Victor Hugo Très lu dans le Presse Républicaine Louis Blanc monde ouvrier 1869 radicale le Rappel Edouard Journal à 10 - intransigeante Lockroy centimes : 1933 anticléricale Paul Meurice 40000 tirage en

1879

Eugène Journal à 5 ct Républicain 1877- La Lanterne Mayer 150000 tirages en Radical 1928 Rochefort 1879 Anticlérical Emile Zola Rochefort Journal à 10 ct Crée Républicain La Marseillaise Valentin 29000 tirages en en Satirique Simond 1879 1877

Républicain L'avant-garde Léon satirique N.D N.D républicaine Gambetta

L’opposition au Prince Impérial s’articule autour de trois pôles principaux : La presse Républicaine, la presse Orléaniste et la presse Légitimiste. La presse Républicaine domine la période. Profitant de la liberté d’expression permise par l’installation de la République, cette presse en pleine essor domine les ventes, les tirages et la distribution. Des journaux comme le Petit journal, la Lanterne ou la petite République française réalisent plus de 150000 tirages par jours tandis que la concurrence Bonapartiste peine à dépasser les 20000. La presse Républicaine se divise

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dont en 3 lignes éditoriales principales : les modérés, les radicaux et les journaux satiriques. Il y a ensuite la presse conservatrice et Monarchiste, alliée des Bonapartistes à l’Assemblée mais rivaux malgré tout. Les Orléanistes au centre droit sont modérés, intéressés par les affaires et par le respect des valeurs fondamentales de la révolution. Cette presse est abondement distribuée même si cela reste dans des proportions nettement inférieures aux journaux Républicains. Les légitimistes sont quant à eux profondément catholiques et attachés à l’autorité de l’Etat. Cette presse est cependant en déclin et faiblement distribuée. En effet, les conservateurs n’ont pas su s’adapter à l’exercice de presse. Tous les Monarchistes considèrent cependant le Prince Impérial comme un adversaire politique et rejettent violement l’Empire qu’il incarne. L’union conservatrice de l’Assemblée Nationale n’existe absolument pas dans les journaux.

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PARTIE II : LA MORT DU PRINCE IMPÉRIAL RACONTÉ PAR LA PRESSE NATIONALE FRANAISE

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CHAPITRE 1 : LA MORT DU PRINCE IMPÉRIAL EN AFRIQUE DU SUD LE 1er JUIN 1879

A. LE PRINCE IMPÉRIAL, SOLDAT ENGAGÉ SOUS L’UNIFORME ANGLAIS EN AFRIQUE DU SUD

Comment un Bonaparte est-il mort sous l’uniforme anglais à des milliers de kilomètres de chez lui dans le Kwazulu Natal, en Afrique de Sud ? Il s’agit d’étudier ici les faits avant de nous intéresser à la manière dont ils ont été racontés dans la presse en nous appuyant sur les lettres du Prince Impérial, les pièces du dossier d’enquête consacrées à sa mort conservées aux archives nationales et le rapport médico-légal. L’analyse détaillée des faits permettra ensuite de repérer les erreurs, les approximations mais aussi les mensonges et calomnies dans la presse française à l’annonce de cette mort.

a) LES RAISONS DE SON DÉPART POUR L’AFRIQUE DU SUD :

Après les échecs du parti bonapartiste aux législatives de 1876 et 1877 puis l’élection de Jules Grévy à la présidence de la République le 30 janvier 1879, la possibilité d’une restauration Impériale s’éloigne temporairement. Le Jeune Prince, en quête de gloire et de prestige, soldat de métier, souhaite se confronter au danger. Dans une Lettre à Louis Conneau le prince écrit :

La scène a changé ; le parti Impérial est affaibli et ne peut rien par ses propres forces. Toutes les espérances de la cause se résument en ma personne : qu'elle grandisse et la force du parti de l'Empire décuplera. J'ai eu la preuve qu'on ne suivrait qu'un homme connu pour son énergie, et tout mon soin a été de trouver le moyen de me montrer tel que je suis […]. Lorsqu'on appartient à une race de soldats, ce n'est que le fer à la main qu'on se fait connaître113.

Le Prince Impérial est un jeune homme ardent, en quête de légitimité. Il espère en partant à la guerre rééditer les exploits de Napoléon Bonaparte lorsqu’il était Général des armés d’Italie ou lors de la campagne d’Egypte. Il cherche à gagner en popularité

113 Augustin Filon, Le Prince Impérial, Paris, Hachette, pp. 204-206

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en se montrant le digne descendant des Bonaparte. C’est aussi le leader d’un parti politique affaibli qui cherche à conquérir un prestige personnel pour faire progresser sa cause. Il cherche tout d’abord à entrer au service de l’armée Autrichienne pour partir en Bosnie114, sans succès. Une seconde opportunité se présente à lui lorsqu’éclate une grave crise dans la colonie anglaise du Natal, en Afrique du Sud. Le 22 Janvier 1879, La bataille d'Isandhlwana marque l’une des plus grandes défaites coloniales de l’Empire Britannique. En effet, les tuniques rouges mènent aux confins du Kwazulu Natal une guerre contre le roi des Zoulous Ceteswayo pour le contrôle de la région. Lors de cette bataille, 20000 Zoulous nus, armés de Sagaies et d’armes obsolètes achetées aux allemands, ont attaqué un camp anglais et sont parvenus à massacrer en moins d’une heure entre 800 et 1300 soldats britanniques115, dont de nombreux officiers et près de 500 guerriers Basutos116 servant sous l’uniforme Anglais. La violence de cette défaite est telle que les troupes britanniques renoncent à ramasser les corps, les vivres, les munitions et les drapeaux abandonnés sur le champ de bataille. Le 11 février 1879, la nouvelle atteint Londres et fait l’effet d’un coup de tonnerre117. L’armée la plus puissance du monde humiliée par des « sauvages ». L’envoi massif de troupes est décrété pour mater le Zoulouland et s’emparer de la Capitale du royaume : Ulundi. Le Prince souhaite s’engager dans cette guerre où nombre de ses camarades de Woolwich sont envoyés118. Le 17 février 1879, il se rend à Londres pour porter personnellement au Duc de Cambridge119, sa demande d’engagement. Il écrit dans une lettre à Louis Conneau :

114 Dans une Lettre à Conneau il ne cache pas son désarroi : « Combien j’ai broyé du noir ces temps dernier, J’espérais lorsque vous m’avez vu à Arenenberg, aller en Bosnie. Tout était prêt, uniformes, équipement etc, lorsque je reçu de Vienne une réponse à ma demande, fort polie, il est vrai mais qui n’était autre qu’une fin de non-recevoir. » 115 DAVID Saul, Zulu, the Heroism and Tragedy of the Zulu War of 1879, Penguin Books, 2005, 528 pages 116 Guerriers indigènes rallié aux britanniques. 117 DIVER Luke B.A, Perceptions versus reality? Newspaper coverage on the Anglo-Zulu War of 1879, National University of Ireland Maynooth, Mémoire d’Histoire, 2010, Maynooth, Dr David Murphy, 81 Pages, P.11-32 En ligne : http://eprints.maynoothuniversity.ie/3098/1/MA_THESIS.pdf [Consulté le 1er Juin 2017] 118 Notamment les lieutenants Slade, Bigge et Woodhouse. 119 Le Duc de Cambridge est le ministre de la guerre et cousin de la Reine Victoria

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« Je vous adresse ces quelques lignes pour vous annoncer une grande décision que j'ai prise et que de puissants mobiles m'ont dicté Je pars dans neuf jours pour le Cap de Bonne- Espérance où la guerre a pris une grande extension et j'y resterai quelques mois […]. Je m'embarque le 27 février […]120 ». Le Prince est décidé à partir et rien ne semble capable de l’en empêcher, ni sa mère, ni les membres du parti bonapartiste. Sentant la déshérence de sa cause, le Prince souhaite prouver sa valeur d’homme et de soldat. Il écrit encore à Louis Conneau :

Je n'ai reçu l'avis de personne et je me suis décidé en quarante-huit heures. Si ma résolution a été si prompte, c'est que j'avais longuement réfléchi à de pareilles éventualités et arrêté mon plan. Ni les appréhensions de ma mère, ni les exhortations de monsieur Rouher et de mes partisans ne m'ont fait hésiter une minute ni perdre une seconde. Cela n'a rien que de tout naturel pour ceux qui me connaissent. Les raisons qui ont influencé mon départ sont donc toutes politiques et, en dehors, rien n'a influé sur ma détermination […] 121.

Cependant la réponse du duc de Cambridge est négative. Face à la violence de cette guerre et à la confusion qui règne dans le Kwazulu Natal, il refuse de prendre la responsabilité d’envoyer le Prince en Afrique du Sud sans pouvoir assurer pleinement sa sécurité. Econduit pour les mêmes motifs que ceux qui avait poussé l’armée Autrichienne à refuser sa demande d’affectation, le Prince ne se résigne pas. Il écrit de nouveau au Duc de Cambridge :

J’eusse été heureux de partager les fatigues et les dangers de mes camarades qui tous, ont le bonheur de faire campagne. Quoique je ne sois pas assez vaniteux au point de croire que mes services pourraient être utiles à la cause que je voulais servir, je trouvais toutefois dans cette guerre l’occasion de témoigner ma reconnaissance envers la Reine et la nation, d’une façon qui plaisait à mon caractère. Lorsqu’à Woolwich, et plus tard à Aldershot, j’eus l’honneur de porter l’uniforme anglais, j’espérais que ce serait dans les rangs de nos alliés que je ferais mes premières armes. En perdant cet espoir je perds une des seules consolations de mon exil 122

120 Lettre du 18 Février 1879, adressé à Louis Conneau, Cité par LACHNITT Jean Claude op.cit p.280 121 FILON Augustin, Le Prince Impérial, Paris, Hachette, pp. 204-206 En ligne : https://ia802606.us.archive.org/2/items/memoirsofprincei00filorich/memoirsofprincei00filorich.pdf [Consulté le 1er juin 2017] 122 Archives Nationales 400AP/76 : Lettres relatives à l’enquête sur sa mort

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Cette lettre éclaire davantage les motifs ayant poussé le Prince à se rendre en Afrique du Sud. Il est attaché à l’uniforme anglais qu’il a déjà porté, attaché à ses camarades partis en campagne mais également résolu à s’engager dans l’armée de la Reine qui l’a accueilli dans son exil. C’est d’ailleurs grâce à l’intervention de la Reine Victoria123 qu’il obtiendra le droit de se rendre en Afrique du Sud. Cependant, il n’est pas directement intégré à l’armée anglaise. L’autorisation qu’il reçoit du Duc de Cambridge le 24 février 1879124 stipule qu’il se rend en Afrique du sud comme observateur. Il n’est pas autorisé à porter l’uniforme anglais sans le consentement du général d’état-major Chelmsford, commandant en chef des troupes britanniques sur place. C’est donc en simple particulier que le Prince Impérial part le 27 février 1879 à bord du Danube, affrété par la « Union Streamship Company »125. Parmi les affaires que Louis emporte avec lui en Afrique du sud, il choisit d’emmener une selle. Elle avait d’ores et déjà une histoire puisque c’était celle que Napoléon III avait utilisé à Sedan. C’est pour laver l’honneur de son père et lui rendre hommage qu’il part avec cette selle en Afrique du sud. Malheureusement, cette selle vétuste et abimée sera une des causes de la chute, au sens propre, du Prince Impérial.

b) DE L’ARRIVÉE EN AFRIQUE DU SUD AUX MISSIONS DE RECONNAISSANCES :

Après un mois de trajet en mer, le Prince Impérial déparque le 26 mars à Captown126. Après un accueil fastueux digne d’un chef d’état, le Prince se rend à Durban auprès de l’Etat-major Britannique. Il achète un cheval gris du nom de « Percy »127. Le 20 avril, après une fièvre qui le contraint à rester alité une dizaine de jours, le Prince se rend donc au quartier général de Lord Chelmsford à

123 Archives Nationales 400AP/76 : Le premier ministre Benjamin Disraëli se justifie d’avoir autorisé le départ du Prince en invoquant une demande de la Reine Victoria 124 Archives Nationales 400AP/76 125 Archives Nationales 400AP/76 126 Archive Nationales 400AP/77 « Départ du Prince Impérial pour le Zululand, par le baron Tristan Lambert » 127 LACHNITT Jean Claude, Op cit, p.288

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Pietermaritzburg. Il remet au Général une lettre qui lui a été confiée par le ministre de la guerre :

Mon cher lord. Cette lettre vous sera présentée par le Prince Impérial qui va en Afrique pour son propre compte, pour voir autant que cela se peut la campagne prochaine contre les Zoulous. Le prince est très désireux d'aller en Afrique. Il a manifesté le désir d'être enrôlé dans notre armée, mais le gouvernement a considéré comme impossible de satisfaire à ce désir. Toutefois le gouvernement m'autorise à vous écrire, [. . .] pour vous prier de lui témoigner de la bienveillance, et de lui prêter assistance pour qu'il puisse suivre, autant que cela sera possible, les opérations avec les colonnes d'expédition. J'espère que vous le ferez. C'est un excellent jeune homme, plein d'esprit et de courage et comptant beaucoup de vieux amis parmi les cadets de l'artillerie […]. Ma seule crainte est qu'il soit trop courageux128.

Cette dernière phrase se révèlera cruellement exacte. Cet ordre du Duc de Cambridge en personne montre l’importance du prince pour la couronne britannique. Une surveillance particulière doit être mise en place pour qu’il ne lui arrive rien et qu’il n’aille pas au-devant du danger. Lord Chelmsford à ordre exprès de veiller sur lui pour que rien ne lui arrive. Louis qui souhaitait être traité comme un soldat britannique est déçu de ces directives gouvernementales. Il parvient à convaincre Chelmsford de l’intégrer à son état-major et de l’autoriser à revêtir l’uniforme anglais. Il est affecté à l’État-major, auprès du colonel Harrison des Royal Engineers129. En l’affectant à son état-major, Chelmsford souhaitait garder un œil sur lui et le soumettre également à la discipline militaire pour éviter d’éventuels écarts. Harrison, comme Chelmsford cède face à l’insistance du prince et l’affecte à des tâches de reconnaissances et de relevés topographiques sous les ordres du Major Bettington. Rapidement, Louis se distingue par son courage notamment le 19 mai 1879, où la patrouille se retrouve sous les feux Zoulous. En hommage au sang-froid du jeune prince, le Major Bettington décida de rebaptiser le Kraal130 qu’ils viennent de conquérir « Kraal Napoléon131 ». Il effectuera par la suite plusieurs missions de reconnaissances. Le 31 mai 1879, Lors Chelmsford

128 Lettre cite par : MORRIS Donald R., The washing of the spears: the rise and fall of the great Zulu nation ,Londres, 1966, 518 pages, p. 516-517 129 FILON Augustin, op. cit., p. 245 130 En Afrique du Sud, un village indigène. 131 Archives Nationales 400AP/76, les relevés topographiques du Prince Impérial indique le “Kraal Napoléon”

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décide l’offensive finale contre Ulundi, la capitale Zoulou. Il charge donc Harrison, responsable des missions de reconnaissance, de traverser la Blood River pour trouver l’emplacement idéal pour installer le campement de la 2e division en prévision de l’attaque d’Ulundi. Le Colonel Harrison accepte que le prince participe à cette mission de reconnaissance qui ne semble pas présenter de risque. Le Major Bettington, qui devait commander l’expédition est finalement remplacé par un jeune capitaine récemment promu : Jahleel Brenton Carey. Carey est un jeune capitaine de 31 ans132 arrivé très récemment des Indes qui n’est pas familier avec la zone de combat de l’Afrique du Sud.

Malgré les directives énoncées par le Duc de Cambrigde, ministre de la guerre de la Reine Victoria sous le Gouvernement de Benjamin Disraeli, le Général, Chelmsford, le colonel Harrison puis le Major Bettington ont fait confiance au Prince Impérial et l’ont laissé effectuer des missions de reconnaissances sous l’uniforme anglais au plus proche de l’ennemi Zoulou. Malgré les consignes données à chaque maillon de la chaîne de commandement hiérarchique de veiller sur le Prince, il part en mission le dimanche 1er juin à l’aube pour ne jamais revenir.

132 Jahleel Brenton Carey (1847–1883)

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B. LE DRAME DU 1er JUIN 1879 : QUE S’EST-IL RÉELLEMENT PASSÉ ?

Le recul du temps et l’apport de la recherche historique permettent aujourd’hui de reconstituer de manière fiable et précise les évènements du 1er juin 1879 qui ont causé la mort du Prince Impérial. Nous nous appuierons ici sur les travaux de la commission d’enquête de la cour martiale britannique chargée de condamner les responsables anglais du drame. Nous étudierons également le rapport d’autopsie du chirurgien le Major Scott ainsi que sa traduction annotée en français conservée aux archives nationales. Nous nous appuierons enfin sur le rapport du capitaine Molyneux du 2 juin 1879.

La mission de reconnaissance, sur la rive gauche du Blood River, du 1er Juin 1879 est menée par le Capitaine Carey. Carey et le prince chevauchent en compagnie du sergent Willis, du caporal Grubb, des soldats Abel, Cochrane, Rogers et Le Tocq et d’un guide autochtone133. C’est le prince qui sera chargé de faire les relevés topographiques. Carey est spécialement mandaté par Harrison pour veiller sur le Prince. Ce matin-là le prince envoie un courrier à sa mère :

Chère maman, je vous écris à la hâte sur une feuille de mon calepin ; je pars dans quelques minutes pour choisir le lieu où la 2e division doit camper sur la rive gauche du Blood River. L'ennemi se concentre en force et un engagement est imminent d'ici huit jours. Je ne sais quand je pourrai vous donner de mes nouvelles, car les arrangements postaux laissent à désirer. Je n'ai pas voulu perdre cette occasion pour vous embrasser de tout mon cœur. Votre dévoué et respectueux fils134.

C’est la dernière lettre écrite de la main du Prince. Après avoir transmis sa lettre à Archibald Forbes, correspondant du Daily News135, la patrouille prend la route. Vers 14h la troupe s’arrête près d’un Kraal âprement désert136. On donne à boire aux chevaux, et on desselle les chevaux sauf celui du Prince Impérial qui se contente de

133 Archives Nationales 400AP/76 « Enquête relative à la mort du Prince Impérial » 134 Archives Nationales 400AP/75, Lettre daté du 1er juin 1879 135 LACHNITT Jean Claude, Op. cit. p.292 136 Aujourd’hui le Kraal Sobuza, sur le lieudit d’Itiotiozy

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désangler Percy137. Le prince s’installe et fait quelques croquis à l’ombre des épis de maïs. Carey ne poste pas de sentinelle tant l’endroit semble calme. Cependant, la présence de chiens errants et de fumée émanant du Kraal138, montre qu’il était bel et bien habité. Un officier plus expérimenté n'aurait surement pas choisi cet endroit pour s’arrêter. La proximité directe du Kraal139 non explorée, et l’absence de visibilité à cause des hautes herbes rendait ce lieu particulièrement risqué140.

Vers 15h30 l’éclaireur autochtone parti chercher de l’eau revient précipitamment et signale à Carey la présence de Zoulous. Les chevaux sont sellés dans le calme, le prince tarde et souhaite finir son croquis141. Soudain, un coup de feu retentit dans les herbes hautes. Le Soldat Rogers s’effondre. Dans la panique, Carey donne l’ordre de se replier et part au galop. Percy, le cheval du prince effrayé part également au galop, suivant les autres chevaux. Le prince est un excellent cavalier. Courant à côté de son cheval, il tente de monter en voltige, mais la sangle de la vielle selle de son père cède142. Il s’effondre au sol le poignet droit cassé. Percy est déjà loin. Levant les yeux il voit le soldat Abel tomber de cheval et se faire massacrer par les Zoulous. Il saisit alors un révolver et tire avec sa main gauche 3 fois sans succès. Empoignant son épée il parvient à éviter une première sagaie. La seconde lui transperce l’épaule gauche. Sept guerriers143 Zoulous sont face à lui. Il reçoit un coup à la poitrine et au même moment une sagaie atteint son œil droit et viens se loger au fond de son crâne. Lorsqu’il s’effondre au sol il est vraisemblablement déjà mort. Il est 16h, le combat n’aura duré que quelques secondes. Les Zoulous s’acharneront cependant sur son corps en le

137 Archives Nationales 400AP/76 : Témoignage de Carey auprès de la commission d’enquête 138 Archives Nationales 400AP/76 : Témoignage de Carey auprès de la commission d’enquête 139 Village Zoulou de très petite taille 140Archives Nationales 400AP/76Le rapport de la commission d’enquête conclu à la responsabilité de Carey dans la mort du Prince Impérial 141 Archives Nationales 400AP/76 : Témoignage de Carey auprès de la commission d’enquête 142 ESPINASSE Louis Napoléon (Général), Mémoires, Étampes, Imprimerie Terrier : Le général Louis- Napoléon Espinasse (1853-1934), alors lieutenant et compagnon du Prince, avait inspecté avec lui son équipement, peu de temps avant son départ pour Le Cap. Il lui fit remarquer que les coutures du surfaix en cuir qui maintenaient sur le devant de la selle les sacoches en cuir formant les fontes étaient vieilles et prêtes à craquer. Mais cet équipement avait une grande valeur sentimentale pour le Prince : c'était celui dont s'était servi l'Empereur durant la campagne de 1870 143 Archives Nationales 400AP/76 : Selon le rapport de la commission d’enquête

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transperçant au total de 17 coups de sagaies essentiellement au visage, aux bras et à la poitrine144.

Il a accueilli la mort en face, se battant avec courage sans se retourner comme le prouve l’absence de plaies dans le dos. En effet, le rapport d’autopsie conclut :

Il n’existait sur toute la surface du corps aucune blessure reçue autrement que par devant. ». « Il est facile à la lecture de ce douloureux procès-verbal145, de se retracer les phases de cette lutte suprême. Le Prince Impérial, seul, attaqué par de nombreux assaillants, leur a fait face, s’est défendu de son sabre, s’est servi de son bras gauche comme bouclier et n’est tombé qu’après avoir été criblé de blessures [. . .]. Mort héroïque qui est un honneur pour sa race que l’histoire enregistrera et qui inspire une noble fierté à ceux qui l’ont tant aimé.146

Dès le lendemain, une délégation conduite par Carey part à la recherche des corps. Il est accompagné du Capitaine Molyneux, aide de camp de Chelmsford. Dès son retour au camp, le Capitaine rédige un rapport qui concorde avec les témoignages précédemment cités :

Au camp entre Inunzi et Itelezi, 2 juin 1879. My lord, conformément à vos instructions, j'ai accompagné ce matin la cavalerie commandée par le major général Marshall pour retrouver le corps de S.A.I.147 [. . .] Nous fîmes bientôt la découverte des corps des deux soldats de la cavalerie du Natal. À neuf heures, le capitaine [en réalité soldat] Cochrane attira mon attention et celle du chirurgien-major Scott sur un autre corps au fond d'une donga148, qui, après examen fut reconnu comme celui de Son Altesse. Il se trouvait à deux cents yards environ au nord-est du kraal, à peu près à un demi-mille de la jonction des deux rivières. [. . . ] Le cadavre portait dix-sept blessures, toutes par-devant, et les marques au sol, comme sur les éperons, indiquaient une résistance désespérée149.

Ce document croisé au rapport d’autopsie laisse penser que le prince s’est battu avec courage. Il démontre aussi le grand nombre d’assaillants et la violence de l’attaque. Ce récit détaillé des faits met en lumière les circonstances du drame du 1er Juin 1879. C’est

144 Archives Nationales 400AP/76 : Rapport d’autopsie du chirurgien major Scott dont une copie en Français est conservée 145 Il parle de la liste des plaies réalisée par le Major Scott 146 Archives Nationales 400AP/76 : Compte rendu du rapport d’Autopsie : « Description des blessures » 147 Son altesse Impériale 148 Lit asséché d'une rivière, aux parois souvent abruptes 149 Rapport du Capitaine Molyneux, Cité par AUGUSTIN-THIERRY, Le Prince Impérial, Paris, Bernard Grasset. 1935, p. 214-216.

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donc 17 coups de sagaies, dont une mortelle à l’œil droit qui ont eu raison du Prince Impérial. Tous ces coups ont été portés de face, aucun dans le dos, démontrant donc qu’il s’est battu et n’a pas cherché à fuir. Pourtant, ces circonstances vont être soumises à controverse, il y a peu de témoins des évènements et tout s’est passé dans la confusion et la panique dans un laps de temps très court. La médecine légale et le travail de l’historien permettent cependant de démêler le vrai du faux. Le témoignage de ses assaillants Zoulou, retrouvé peu après peut permettre également de comprendre les faits.

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C. « IL S’EST BATTU COMME UN LION » : LE TÉMOIGNAGE DES ASSAILLANTS

Les soldats Rogers et Abel avaient été éviscérés et démembrés par les Zoulous, cependant ils respectèrent la dépouille du Prince Impérial, se contentant de le déshabiller et de lui prendre ses armes.

Le corps était entièrement dépouillé, à l'exception d'une chaîne d'or, avec des médailles, qui était encore à son cou. Son sabre, son révolver, son casque et ses autres vêtements avaient disparu, mais nous avons retrouvé dans l'herbe ses éperons avec leurs courroies, et une chaussette bleue marquée N. J'ai tous ces objets avec la chaîne en ma possession.150

Le prince portait en effet autour du cou deux médailles et un cachet de cornaline, souvenir de sa grand-mère la Reine Hortense, qu'il avait lui-même hérité de son père151. Plusieurs hypothèses permettent d’expliquer ce respect pour le corps du prince. Tout d’abord, on peut penser que par superstition ils aient refusé de s’en prendre à un corps qui portait des amulettes dont ils ignoraient les pouvoir.

a) UN COURAGE LOUÉ PAR SES ADVERSAIRES :

La seconde hypothèse est qu’ils aient choisi de respecter le guerrier qui les avait combattus alors que les deux autres soldats étaient morts sans combattre. Lorsque le roi Ceteswayo prit connaissance de qui était la victime de l’attaque du 1er juin il fit lui- même chercher les guerriers qui avaient participé à l’attaque pour les interroger. Après la prise d’Ulundi par les Anglais le 4 juillet 1879, le roi fit restituer tous les objets ayant appartenu au prince152. Tous ses objets tels que son épée ou son uniforme criblé de coups de sagaie furent restitués à l’Impératrice Eugénie. Les Zoulous réaffirmèrent leur admiration pour le courage du Prince et sa mort héroïque en soldat. Ils ajoutent que le

150 Rapport du Capitaine Molyneux, Cité par AUGUSTIN-THIERRY, Le Prince Impérial, Paris, Bernard Grasset. 1935, p . 214-216. 151 Mentionné dans le testament de son père. Il lui demandait également de conserver « comme talisman, le cachet que je portais à ma montre et qui vient de ma mère », Il avait donc respecté la dernière volonté de son père. 152 Archives Nationales 400AP/79 « Inventaire des objets contenus dans les vitrines et dans la chambre des Souvenirs »

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prince s’est battu comme un lion. « - pourquoi dites-vous comme un lion ? - Parce que c'est l'animal le plus brave que nous connaissions.153 »

Les circonstances de la mort du prince sont cependant étranges et des rumeurs de complots ont rapidement émergées154. Le témoignage des Zoulous vient couper court à ces rumeurs de complot qui ont circulé en France ou encore en Grande Bretagne. Les Guerriers Zoulous confirmèrent qu’ils n’avaient aucune idée de l’identité de leur victime. Même dans cette contrée reculée du Natal, le nom de Bonaparte n’était pas inconnu et la présence de ce prince en Afrique du sud, n’était pas un secret. S’il avait fait connaître son identité, ils l’auraient épargné, non pas par respect pour son nom mais parce qu’il était le protégé de la Reine Victoria et qu’ils auraient pu en tirer une très grosse rançon155. Ils confirment également que si les soldats qui l’accompagnait n’avaient pas pris la fuite et étaient revenus à son secours ils auraient pris la fuite. Ce témoignage coupe court aux accusations de complot et privilégie la piste de la négligence du Capitaine Carey. C’est également cette piste qui sera retenue par les autorités anglaises.

b) NÉGLIGENCE OU COMPLOT ?

La Mort du prince arrange cependant beaucoup de monde notamment en France parmi les Républicains. Comment un tel drame avait-t-il pu se produire malgré un ensemble d’ordres, à tous les niveaux de commandements de l’armée anglaise, visant à protéger le Prince Impérial ? Après la mort du prince, les députés de la chambre des communes exigent un éclaircissement des faits. Le 5 Juillet 1879, The Illustrated News publie le témoignage du Capitaine Carey :

I saw the black faces of Zulus about twenty yards off, rushing towards us...I thought that all were mounted [...] I judged better to clear the long grass before making a stand. Knowing from experience the bad shooting of the Zulus, I did not expect anyone was injured [...] a man said to me ‘I fear the

153LACHNITT Jean Claude, Op. Cit p. 308. 154 Notamment des accusations de complot franc maçon impliquant Gambetta et le Capitaine Carey, tous deux maçons. Voir En ligne : https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/la-mort-du- prince-imperial-2/#notes [consulté le 1er juin 2017] 155 LACHNITT Jean Claude, Op. cit p ; 309-310

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Prince is killed, Sir.’ I paused looked back, and, seeing the Prince’s horse galloping on the other side of the donga, asked if it was any use returning”156

Jugeant qu’un homme à terre est un homme mort, le capitaine Carey effrayé a préféré fuir et sauver sa vie plutôt que de retourner en arrière voir si le Prince était encore en vie. Il savait que les Zoulous n’étaient pas de très bons tireurs de loin et s’est éloigné au maximum de leur portée. Malheureusement pour lui, le Prince a été incapable de le suivre à cheval dans sa fuite et s’est retrouvé à portée de tir de sagaie. Dans la panique, Carey voyant arriver Percy sans son cavalier conclut à la mort du Prince et ne jugea pas nécessaire de faire demi-tour. La lâcheté de Carey fait écho au courage du Prince. Le Prince a affronté la mort en face, sans essayer de fuir, en soldat. Tandis que le Capitaine Carey dans la panique s’est enfui à bride abattue. La Cour martiale reconnaitra la responsabilité du capitaine157. Chelmsford sera également blâmé pour avoir laissé le Prince partir avec une escorte aussi réduite158. Cependant, si la lâcheté des officiers anglais et la négligence de Chelmsford et Harrison peuvent être mentionnées, il n’y a pas de complot, simplement des fautes individuelles analysables après coup. Il faut ajouter à ces fautes individuelles celles du Prince. En effet, évaluant mal l’imminence du danger il a retardé le départ de la troupe pour terminer un croquis. De plus, la fragilité de sa selle avait déjà été constatée avant son départ par son ami Espinasse. Il a donc fait une erreur de jugement en pensant que cette selle, pouvait faire une campagne militaire supplémentaire. Il ne s’agit donc pas d’un complot mais d’un enchainement de négligences qui ont conduit à l’irréparable.

156 Cité dans Driver Luke B.A, Perceptions versus reality? Newspaper coverage on the Anglo-Zulu War of 1879, National University of Ireland Maynooth, Mémoire d’Histoire, 2010, Maynooth, Dr David Murphy, 81 Pages, p.45 157 DAVID Saul, Zulu: the heroism and tragedy of the Zulu War of 1879, p. 325. 158 ‘Chelmsford is awfully cut up about it as he will be blamed for letting him go with so small an escort’ cite par MORRIS Donald R, The washing of the spears: the rise and fall of the great Zulu nation, Londres , 1966, 518 pages, p.531

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CHAPITRE 2 : LA NARRATION DES ÉVÈNEMENTS DANS LA PRESSE CONSERVATRICE

A. LA MORT COURAGEUSE D’UN HÉROS ROMANTIQUE DANS LA PRESSE BONAPARTISTE

La nouvelle de la mort du Prince atteint le Cap le 3 juin 1879. Passant par Madère, l’information arrive à Londres le 20 juin et à Paris le 21 juin dans l’après-midi. La nouvelle paraît donc dans les journaux du soir le 21 juin puis dans les journaux du matin le 22 juin. C’est la stupeur dans la presse Bonapartiste. Sans surprise la mort du Prince Impérial fait la une de toute la presse Bonapartiste. Sur un encadré noir les journaux en deuil annoncent « la mort du Prince Impérial » en gros titre. C’est la stupeur, l’abattement, la tristesse. La nouvelle fait sensation dans tout Paris et le Pays s’arrache à près de 75ct159 faisant la fortune des marchands de journaux.

a) LE CHOC, L’ÉMOTION PUIS LE DEUIL :

Le sentiment dominant est une grande émotion, que l’on peut ressentir à la mort d’un fils. Les principaux ténors du parti et les plus belles plumes s’expriment dans des éditoriaux empreints d’une grande émotion. Edmond Tarbé, Léonce Detroyat, Paul de Cassagnac ou encore Jules Amigues, tous choisissent d’exprimer une conviction personnelle et leur profonde émotion avant de laisser parler les dépêches de Londres, et du Cap sur les circonstances du drame. Il y a visiblement un choc. Ce choc est bien évidement celui du Bonapartiste frappé de plein fouet par une crise majeure, celle de la mort de leur prétendant au trône de France, l’héritier logique du second Empire. L’Ordre écrit « La fatale nouvelle, parvenue à Paris dans la matinée s’y est propagée avec la rapidité de la foudre », le Petit Caporal évoque une idée semblable en écrivant « Une immense douleur vient de fondre sur nous ». Il y a une notion de vitesse, et de violence dans cette nouvelle comparée à la foudre, ou à une vague. Ces éléments naturels ont en commun leur force, leur rapidité et leur caractère inévitable et

159 Au lieu de 15 ct

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dévastateur. Cette nouvelle est à l’image de la foudre et s’abat sur le Bonapartiste. Ce choc est suivi d’une profonde douleur. Le Pays, encadré de noir sous la plume de Paul de Cassagnac souligne l’abattement, et la détresse face à une mort qui arrive au pire moment pour le Bonapartisme. On sent la détresse, la tristesse et une certaine forme de colère face à ce qu’il considère comme une injustice. Il écrit :

Nous ne nous sentons ni la force morale de nous plaindre, ni la possibilité matérielle de pleurer. C’est l’anéantissement qui annule tout et qui anéantit. Jeunesse, courage, intelligence, avenir . . . tout cela serait couché là-bas dans les jungles, au milieu des ricanements de quelques sauvages ! Non, cela ne peut pas être ! Et cela est. Pauvre jeune Prince que j’aimais, que je servais de tout le dévouement de mon âme, en qui j’avais mis le salut de ma patrie et l’orgueil de mes convictions, il n’est plus ! 160

Dans le Petit Caporal, on ressent également cette détresse et cette tristesse immense. Jules Amigues écrit :

Une immense douleur vient de fondre sur nous : le Prince Impérial est mort. Toute cette intelligence, tout ce charme, toute cette noblesse toute cette grandeur qui s’est éteint : l’âme, le cœur et le visage de ce jeune homme, de ce soldat, de ce prince, de ce héros, tout cela n’est plus, tout cela est tombé. Tombé d’un seul coup, dans une épouvantable aventure de guerre, à l’autre bout du monde, sous la main noire et sanglante de barbares inconnus. Nous ne le reverrons plus, nous qui l’avons tant aimé, et la France qui l’attendait ne le reverra pas. 161

Ces textes montrent de véritables déclarations d’admiration et d’amour pour le défunt. Les Bonapartistes louent sa fougue, sa noblesse son héroïsme. Il évoque le regret de la perte d’un être cher, d’un être aimé. Amigues loue ici son courage et traduit le sentiment général de la presse Bonapartiste sous le choc, presque encore dans le déni face à une mort tragique, violente et soudaine. Les Zoulous sont traités en des termes racistes, très virulents, propres à l’époque et au contexte de guerre de colonisation. L’ennemi est déshumanisé, au point que l’on utilise des métonymies pour les désigner. Le guerrier Zoulou devient « la main noire et sanglante » sous la plume d’Amigues ou encore « des ricanements » pour Cassagnac. Ces assassins n’ont pas de visages ni de noms, ils sont décrits comme des êtres abjects « barbares », presque des bêtes

160 Le Pays, Article de Paul de Cassagnac, le 21 juin 1879 161 Le Petit Caporal, Article de Jules Amigues, le 22 juin 1879

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« sauvages » vivant dans la « jungle ». Au-delà des exemples cités on observe un ton grave, un sentiment de tragédie, d’« irréparable malheur162 » qui s’est abattu sur le parti bonapartiste. Le champ lexical dominant est celui de la douleur et des larmes, présent dans chaque éditorial. Pendant plusieurs semaines, les journaux bonapartistes porteront le deuil, avec des encadrés noirs annonçant des indications sur les messes données en l’honneur du Prince dans Paris, la durée du deuil ou encore les réunions publiques en son honneur. Le journal le Gaulois organisera également une souscription par voie de presse pour donner au Prince Impérial un tombeau Français, appelant les Bonapartistes, et tous les français à l’aide pour la mémoire du Prince163. De plus, les journaux bonapartistes vont pendant plusieurs semaines s’intéresser à l’enquête qui se déroule à Londres et qui vise à déterminer les responsables de ce drame. Certains journaux bonapartistes, aveuglés par la douleur et le deuil pensent à un complot, orchestré par les Républicains ou encore par les francs-maçons164. Ces accusations fantaisistes seront rapidement démenties par l’enquête, calmant ainsi les tenants de ces théories du complot. Cette réaction est une réaction de déni, de recherches désespérées de coupables politiques.

b) LE PRINCE IMPÉRIAL, UN HÉROS TRAGIQUE :

Les journaux bonapartistes sont unanimes, le Prince est mort en héros, en soldat, en Bonaparte. Il est en effet le premier de cette « race de guerrier » à mourir sous l’uniforme165, au combat. Il est le 4e à mourir en exil loin de sa patrie. Les journaux font appel aux symboles, aux coïncidences pour glorifier le quatrième Napoléon. Ils insistent longuement sur ses qualités, sa noblesse, son intelligence et son avenir prometteur à l’image de Jules Amigues dans le Petit Caporal. Dans le Pays et dans l’Estafette, Léonce Détroyat et Paul de Cassagnac comparent le destin tragique

162 Le Gaulois, Article de Edmond Tarbé, Le 22 juin 1879 163 Le Gaulois, Article de Edmond Tarbé, du 28 juin 1879 164 Le Pays, Article de Paul de Cassagnac du 30 juin 1879, Il accuse Gambetta et Carey tous les deux Francs-Maçons. 165 Napoléon Ier est mort en exil à Sainte Hélène, Napoléon II, le duc de Reichstadt, est mort en Exil à Schönbrunn, Napoléon III est mort en exil en Angleterre, Le prince Impérial est donc le premier à mourir les armes à la main.

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du Prince Impérial à celui du Duc de Reichstadt, le fils de Napoléon Ier mort en exil à 21 ans. Les destins de Napoléon II et Napoléon IV se rejoignent pour le plus grand malheur de la cause Bonapartiste. Léonce Détroyat écrit :

L’Europe apprendra ce matin une nouvelle qui la remplira de stupeur. Le Prince Impérial est mort chez les Zoulous à quelques centaines de lieues de Sainte-Hélène ! Comme Lui, le fils de Napoléon, le Duc de Reichstadt, était mort en terre étrangère, à Schoenbrunn, le 22 juillet 1832, à l’âge de 21 ans. Le Prince Impérial, qui le suit dans la tombe était âgé de 23 ans. Tous deux étaient nés aux Tuileries, au milieu de l’éclat du trône ! Tous deux ont souffert des douleurs de l’exil ! Quelle étrange destinée que celle des Napoléons166.

Ces deux « Fantômes des Tuileries » ont en effet eu des destins bien tragiques et similaires. Evoquant Sainte- Hélène et Napoléon II, Léonce Détroyat place la mort du Prince Impérial au rang des moments les plus tragiques du Bonapartisme. Il place également le Prince dans sa filiation en rappelant qu’il est plus que jamais y compris dans la mort, l’héritier des Bonaparte. Plus encore que la dimension tragique, les journaux bonapartistes soulignent le courage héroïque du Prince. Dans l’Ordre, le journal officiel du parti, cette dimension quasi mystique du héros romantique et tragique est particulièrement visible :

Le Prince Impérial est mort, mort victime de son courage qui le poussait à courir au-devant des dangers, comme s’il n’en eu jamais trouvé d’assez nombreux et d’assez redoutables pour montrer à ses compagnons d’armes et surtout à sa patrie attentive aux récits de sa lointaine entreprise, qu’il était capable de les affronter tous. La fatale nouvelle, parvenue à Paris dans la matinée s’y est propagée avec la rapidité de la foudre. On comprendra qu’aujourd’hui, tout entier à notre douleur, nous n’ayons qu’un devoir et qu’un besoin : celui de nous agenouiller pieusement devant cette tombe, et mêler nos larmes à celles que répandent, sur le jeune héros que nous pleurons, ses deux mères si cruellement frappées : L’Impératrice et la France167.

Tout ici est fait pour évoquer les héros de l’antiquité. La foudre évoque le dieu romain Jupiter. L’allégorie de la France, présentée comme sa mère, pleurant sa disparition renforce la dimension mythologique et la comparaison possible avec un Héro grec, mi- homme-mi dieu. Les descriptions physiques (« Beau », « ce charme ») et morale («

166 Le Petit Caporal, Article du 22 juin 1879 167 L’Ordre, Article du 21 juin 1879.

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Cette intelligence », « cette noblesse », un héros « victime de son courage ») le rapprochent également d’un héros antique et tragique à l’image d’Achille, par exemple. Certains articles vont jusqu'à affirmer que l’expédition était sous les ordres du Prince Impérial et non du Capitaine Carey168. L’objectif ici est d’affirmer que le Prince est mort en combattant, en soldat mais aussi en commandant. Aucune mention de son statut d’observateur détaché sous la supervision du capitaine Carey responsable de sa garde rapprochée, bien au contraire. Le Prince Impérial est donc glorifié et idéalisé. La mort du Prince est donc instrumentalisée par les Bonapartistes. Les descriptions particulièrement élogieuses du Prince permettent aux Bonapartistes de louer l’Empire. La grandeur du soldat défunt évoque la grandeur de l’Empire défunt. On insiste sur la dimension tragique du héros pour montrer que la famille Bonaparte est digne de régner sur la France et pour rappeler que chaque membre de cette famille est un être hors du commun, capable de transmettre sa grandeur personnelle à la France entière. Le Prince était la personnification, l’incarnation du parti. En le glorifiant, en rappelant sa noblesse, son courage et la force de ses engagements, les Bonapartistes cherchent à garder leur légitimité au sein de la droite française malgré la mort de leur héritier. Ils cherchent également à montrer leur unité par leur unanimité à défendre le Prince Impérial.

c) AFFICHER L’UNITÉ DU PARTI ET LA SURVIE DU BONAPARTISME :

Au-delà de la tragédie la réaction Bonapartiste est également une réaction de survie. Ils affirment leur unité, leur solidarité en utilisant le pronom « nous ». La douleur est partagée, elle est commune à tous les membres de la « famille » Bonapartiste qui viennent de perdre l’enfant prodige, l’héritier idéal, un être bien aimé. Toutes les rédactions s’associent donc à la douleur de l’Impératrice en arborant des cadres noirs sur la page principale en signe de deuil. Plusieurs journaux bonapartistes (L’Ordre, Le

168 Le Gaulois, Article du 30 juin 1879 on peut lire « Cette reconnaissances, qui était sous le commandement du Prince louis Napoléon, se composait du Lieutenant Carey, de six hommes et un kaffir »

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Gaulois, l’Estafette) publient l’« Adresse à l’Impératrice » votée le 21 juin 1879 par le parti de l’Appel au peuple ainsi que la résolution qui suit indiquant que le parti reste soudé et uni dans cette épreuve, solidaire de la douleur de l’Impératrice. Toutes les rédactions envoient également un correspondant auprès de l’Impératrice et vont tous publier pendant plusieurs semaines sous la rubrique « A Chislehurst » des nouvelles de son état de santé. Les journaux s’intéressent très tôt à l’avenir du parti. L’héritage du Prince Impérial est bien sur la question centrale. Le 22 juin, alors que le testament du Prince169 n’avait pas encore été ouvert certains journaux évoquent déjà les héritiers potentiels. L’héritier légitime du point de vue dynastique, autrement dit le premier prince de sang n’est autre que le Prince Jérôme Napoléon. Détesté d’une immense majorité de Bonapartiste en raison de son caractère autoritaire, et de ses prises de positions contraires à la ligne du parti, la presse n’imagine pas une seconde cette succession. Le Prince Impérial, n’appréciait pas son cousin et l’avait fait savoir publiquement en soutenant Rouher lors des élections de Corse. Dans ces conditions aucune rédaction n’envisage un testament en faveur de « Plonplon170 ». Ainsi dès le 22 juin, le Gaulois publie la liste de la famille Impériale et des héritiers possibles du Prince. Cette liste comprend le Prince Victor Napoléon, fils de du Prince Jérôme ou encore Napoléon Charles Bonaparte171 que le Prince Impérial appréciait beaucoup. Sans attendre les déclarations officielles du parti de l’Appel au peuple et avant même l’ouverture du testament du Prince, Paul de Cassagnac désigne le Prince Victor Napoléon comme héritier et déclare que l’Impérialisme n’est pas mort. Dès le 22 juin il écrit :

L’Empire est-il mort avec le Prince Impérial ? Non. », « Il y a un héritier : le Prince a désigné le Prince Victor, le fils ainé du Prince Napoléon, jeune homme au cœur ardent, à l’esprit vif [. . .]. Et il n’y aurait pas le Prince Victor, qu’il y aurait encore l’idée qui domine, le système qui prévaut et qui s’impose. Et si le Bonapartisme est en péril, l’Impérialisme est plus fort que jamais. 172»

169 Testament rédigé le 27 février 1879 avant son départ en Afrique du sud, Voir Annexe 3 170 Surnom très répandu pour désigner le prince Jérôme Napoléon Bonaparte 171 Il s’agit du petit fils de Lucien Bonaparte prince de Canino et frère de Napoléon Ier 172 Le Pays, Article de Paul de Cassagnac, le 22 juin 1879

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On trouve ici une distinction très intéressante qui mérite d’être explicitée. Le Bonapartisme est lié à la famille Bonaparte tandis que l’Impérialisme regroupe les principes et le mode de gouvernement propre à l’Empire. Pour Cassagnac, l’Impérialisme pourrait survivre sans la famille Bonaparte car les principes qui en découlent dépassent les hommes et les dynasties. L’idée de l’Empire dépasse donc la notion d’héritier. Garnier de Cassagnac, dans un article du Pays daté du 22 juin 1879 pousse le raisonnement au-delà et affirme :

Il reste trois choses auxquelles les esprits fermes et résolus doivent se rattacher :

- Le souvenir des bienfaits des institutions napoléoniennes, qui ne s’effaceront jamais des esprits et des cœurs. - Le suffrage universel, qui a consacré à plusieurs reprises la dynastie Impériale et qui reste comme toujours maitre de ses déterminations. - Enfin il reste les membres de la famille Impériale parmi lesquels le malheureux Prince avait déjà choisi son successeur. 173

Les Bonapartistes affirment la continuité. Cependant, d’ores et déjà la question de l’héritier fait débat. La légitimité du très jeune Prince Victor n’est pas la même que celle du Prince Impérial, il est le fils d’un cousin du Prince et non son descendant direct. Le lien avec le Second Empire commence à être ténu. A tel point que Paul et Garnier de Cassagnac imaginent dès l’annonce de la mort du Prince Impérial un « Impérialisme » libéré du « Bonapartisme ». En effet, la doctrine Bonapartiste est fragile si elle repose sur la survie des héritiers alors qu’elle devient immortelle si on dégage les principes fondamentaux d’une doctrine Impérialiste.

La mort du Prince Impérial est une nouvelle très grave accueillie avec énormément d’émotion qui casse l’avenir prometteur d’un jeune héros. Toutes les rédactions Bonapartistes portent le deuil, utilisent un vocabulaire laudatif pour parler du Prince et parlent d’une tragédie qui frappe la cause Bonapartiste. Le jeune Prince est présenté comme un héros tragique et romantique promis à un grand avenir dont le destin a été brisé. Il rejoint le panthéon Bonapartiste en soldat courageux. Il était pour

173 Le Pays, Article de Garnier de Cassagnac, le 22 juin 1879

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eux une promesse et un espoir. Le sentiment dominant est donc la tristesse, la stupeur et le désarroi, mais également la fierté de le voir mourir en combattant. Cependant, pour la presse Bonapartiste la mort du Prince ne sonne pas le glas du Bonapartisme. Il reste des héritiers, il reste une cause, il reste un parti politique et un ensemble de principes propres à cette famille politique. Ils affichent leur unité en soutien à l’Impératrice dans son deuil, mais aussi en relayant la communication officielle du parti de l’Appel au peuple. Une douleur commune pour une cause commune. Cependant rapidement la question de l’héritier va faire débat. Il n’y a plus d’héritier direct. Les héritiers possibles sont mineurs ou inconnus du grand public et sont des cousins du Prince Impérial au 2e ou au 3e degré. Face au choc de l’annonce de sa mort, un certain déni s’installe au sein du parti bonapartiste. Un déni de l’absence d’héritier consensuel, et un déni également de l’absence d’unité et de discipline au sein du parti.

B. LA MORT TRAGIQUE D’UN JEUNE SOLDAT EMPORTÉ PAR LE DESTIN DANS LA PRESSE MONARCHISTE

La presse conservatrice et Monarchiste se caractérise par une très grande homogénéité à la mort du Prince. Il y a un profond respect pour le Prince et une très grande nuance dans la manière de présenter sa mort. S’il était bien un adversaire de la cause Monarchiste il n’en reste pas moins un soldat mort au champ d’honneur à qui l’on doit le respect. L’Univers résume parfaitement la réaction générale de la presse Monarchiste les 21 et 22 juin 1879.

Bien que nous ne soyons pas de ceux qui rattachaient l’avenir de la France à l’héritier des Napoléon, nous sommes trop profondément émus du coup que vient de frapper la providence pour tenter d’apprécier dès aujourd’hui la portée politique de cet évènement. Nous ne pouvons que glorifier la mort héroïque du jeune Prince et plaindre sa mère. 174

Dans cet extrait on perçoit les trois dimensions fondamentales de la réaction Monarchiste à la mort du Prince Impérial. Tout d’abord, le Prince Impérial est un opposant politique. Il représentait bel et bien une menace, un adversaire, dont la mort à des conséquences favorables pour la cause Monarchiste. Cependant, maintenant qu’il

174 L’Univers, Article du 21 juin 1879

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est mort, l’esprit conservateur et religieux commande de respecter le défunt. Il y a clairement une « Alliance conservatrice » dans le deuil entre la presse Monarchiste et la presse Bonapartiste. Les Monarchistes reconnaissent la valeur du Prince, sa destinée tragique et sa mort glorieuse de soldat. Enfin, Il est fait mention de l’Impératrice qui mérite à leurs yeux tous les égards du monde en tant que veuve et mère éplorée et touchée par le deuil. La réaction Monarchiste est assez homogène, le message est le même malgré des différences de styles assez marquées entre les rédactions. La presse Monarchiste est donc endeuillée et respectueuse du défunt et de sa mère.

a) UNE PENSÉE POUR L’IMPÉRATRICE :

« Sa mère », c’est bien le mot qui revient dans toutes les rédactions Monarchistes. Les Monarchistes expriment de façon unanime leur tristesse et s’associent au deuil de l’Ex-Impératrice. On peut citer par exemple l’Union qui utilise cette jolie formule à propos de l’Impératrice. « Le diadème Impérial ne brille plus sur son front ; mais ceux dont il blessait le regard peuvent mieux voir la couronne que garde toujours une mère, surtout une mère en deuil.175 ». Malgré la perte de son statut d’Impératrice, Eugénie de Montijo mérite le respect dû à une mère éplorée. Le Moniteur universel dit en substance la même chose : « Nous n’hésitons pas [. . .] à nous incliner devant le deuil de la femme, trois fois sacrée par le malheur, qui a porté le titre d’Impératrice. Il n’est pas une mère en France, et nous ajouterons : il n’est pas un homme de cœur que son malheur ne frappe et que sa douleur ne touche.176 » Dans La Liberté on peut lire : « A cette auguste femme, à cette mère éplorée, nous envoyons humblement, du fond de notre cœur, l’expression des sentiments d’émotion et de respect que son irréparable malheur nous inspire.177 » Tous ces exemples montrent donc une pensée particulière pour l’Impératrice teintée d’un très grand respect pour l’ancienne dynastie régnante. A la différence des Bonapartistes cependant, les Monarchistes ne reconnaissent pas l’Impératrice dans sa dimension politique et soulignent que ce n’est pas à l’« Impératrice » qu’ils rendent hommage mais bien à la

175 L’Union, Article de Mayol de Lupé, le 22 juin 1879 176 Le moniteur universel, Article du 22 juin 1879 177 La Liberté, Article du 22 juin 1879

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mère. L’opposition politique est donc nuancée. Face au deuil et à la douleur les clivages politiques s’estompent pour laisser place à un sentiment commun d’appartenance à la religion chrétienne qui exige le respect et la déférence en pareilles circonstances.

b) LA MORT TRAGIQUE D’UN SOLDAT :

La presse Monarchiste est également unanime à louer le courage du Prince et sa mort digne. Dans l’Union Mayol de Lupé écrit à ce sujet :

Il a voulu du moins tomber en soldat, et sa mort sur le sol africain conserve comme un dernier reflet de cette légende Impériale, qui a mêlé, dans l’histoire des Bonaparte, le prestige militaire aux calculs de l’aventure. Nous saluons la tombe de ce Prince avec les hommages qui sont dus à la mort sur le champ de bataille. 178» La Gazette de France rejoint l’analyse faite par Mayol de Lupé dans l’Union en affirmant : « Le Prince a péri en faisant vaillamment son devoir d’officier d’état-major. A quelques opinions politiques que on appartienne, on ne peut que rendre hommage à sa conduite courageuse179.

Dans le journal le Français on peut également lire :

Les circonstances dans lesquelles le Prince Impérial a péri assurent à sa mémoire le respect ému de tous les gens de cœur, quel que soit leur parti. Nous ne devons voir dans le malheureux Prince qu’un français qui meurt en combattant pour le drapeau sous lequel l’avait conduit les destinées politiques de sa famille, et qui a le droit à l’hommage de tous.180

Certains journaux apportent des remarques constructives dans ce deuil qu’ils partagent avec les Bonapartistes. Le Monde évoque par exemple les funestes paroles prémonitoires de Napoléon III dans un discours daté du 19 mars 1856 pour fêter la naissance de son fils. Il disait : « Les acclamations unanimes qui entourent son berceau, ne m’empêchent pas de réfléchir sur la destinée de ceux qui sont nés dans le même lieu et dans des circonstances analogues181 ». C’est bien sûr en pensant aux destins de Louis XVII, Henri V, Louis Philippe II ou encore de Napoléon II, tous ces enfants nés aux Tuileries et destinés à régner, aux destins tragiques. Le rédacteur du Monde ajoute : «

178 L’Union, Article de Mayol de Lupé, le 22 juin 1879 179 La gazette de France, Article du 21 juin 1879 180 Le Français, Article du 22 juin 1879 181 Cité dans Le Monde, Article du 21 juin 1879

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Il y avait dans ces paroles de Napoléon III un accent mélancolique et comme une prévision funeste qui fait ressortir la mort tragique du Prince Impérial 182». Le Prince Impérial rejoint donc la liste de ces « fantômes des Tuileries » Le rédacteur du Monde rapproche donc les destins des petits princes de la Monarchie et ceux de l’Empire, victimes tragiques de l’instabilité politique du XIXe siècle. Le champ lexical de la providence est très marqué dans la presse Monarchiste qui souligne le destin funeste de ce jeune Prince.

Ces articles ne sont que des exemples parmi d’autres de propos similaires tenus dans l’ensemble de la presse Monarchiste peu importe la tendance. Le jeune Prince mort en soldat est un français mort en héros qui mérite à ce titre d’être honoré avec le respect dû aux morts. Les oppositions et les clivages politiques s’effacent pour laisser place au deuil. La presse Monarchiste témoigne d’un très grand respect envers la personne du Prince et son attitude exemplaire. En cela, les Monarchistes s’opposent nettement aux Républicains qui n’afficheront pas tous une attitude sobre et modérée. Par leur attitude, les Monarchistes affirment leurs convictions religieuses et une ligne politique conservatrice basée sur le respect, l’ordre, Le dépassement des clivages dans ce contexte grave et une grande sobriété malgré l’opposition politique très importante avec les Bonapartistes.

c) LES MONARCHISTES RESTENT EN OPPOSITION POLITIQUE AVEC LES BONAPRTISME MALGRÉ UNE « TRÊVE » POUR LE DEUIL :

La presse conservatrice, Bonapartiste et Monarchiste peut sembler unanime. Il y a des deux côtés un souci sincère de la santé de l’Impératrice et une reconnaissance du courage et de la noblesse du Prince. Cependant, les oppositions avec les Bonapartistes restent importantes, dissimulées sous un voile de respect dû au défunt. Les Monarchistes se refusent à parler des conséquences politiques de cette mort mais savent qu’elle entrainera d’importants bouleversements. On peut lire par exemple dans le

182 Le Monde, Article du 21 juin 1879

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journal La Liberté : « Il est impossible de méconnaître l’immense portée de cet évènement sinistre. Tout le monde sent d’instinct les conséquences politiques qu’il doit inhabilement produire.183 ». Tout en retenue, en gardant un maximum de respect, le journaliste de la Liberté cherche à évoquer à demi-mots les conséquences politiques de la mort et la possible fin du parti bonapartiste. L’« immense portée » est à n’en pas douter aux yeux du Monarchiste, la fin du Bonapartisme dans un avenir politique proche. Dans le Moniteur Universel, 184cette mort est comparée à la bataille de Waterloo, elle aussi survenue en juin et qui sonnait le glas du premier Empire ainsi que la restauration monarchique. Mayol de Lupé dans l’Union est probablement celui qui malgré sa retenue fait le plus clairement sentir sa défiance envers les Bonapartistes et l’Empire. Il écrit :

Le Prince Louis Napoléon Bonaparte portait un nom qui a répandu l’éclat d’un resplendissant météore et qui a subi toutes les humiliations des grands revers, tout le poids des écrasantes responsabilités. Il devait plier sous le double fardeau de cette gloire et de ces désastres, dont les terribles alternatives ont marqué sa race d’un seau particulier et fatal. Entre Iéna et Sedan, la coupe de César a été épuisée. Un Bonaparte n’avait plus à y tremper les lèvres185.

L’opposition entre les Bonapartistes est palpable ici. Mayol de Lupé renvoie l’hériter de Napoléon III à la bataille de Sedan et affirme que le temps des Bonaparte est révolu. Ce journal, connu pour son attachement radical aux Légitimistes est probablement le seul qui sort quelque peu du respect pieux du défunt pour proposer une analyse politique qui permet de démarquer la presse Monarchiste et la presse Bonapartiste. Chaque rédaction prend cependant soin de placer de façon subtile et respectueuse son rejet de la dynastie Impérial et du Bonapartisme pour se concentrer ensuite sur le deuil, la douleur et le recueillement pieux.

183 La Liberté, Article du 22 juin 1879 184 Le Moniteur Universel, Article du 21 juin 1879 185 L’Union, Article du 21 juin 1879

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C. L’APPARITION D’UN CLIVAGE ENTRE CLÉRICAUX ET ANTICLÉRICAUX DANS LE TRAITEMENT DE LA MORT DU PRINCE

La Mort du Prince Impérial est une nouvelle qui laisse apparaitre un nouveau clivage entre les cléricaux et les anticléricaux. D’un côté les cléricaux, composés des Bonapartistes et des Monarchistes toutes divisions confondues ainsi qu’une partie des Républicains modérés. De l’autre les anticléricaux composés essentiellement de Républicains plus radicaux. En effet, les cléricaux montrent une attitude respectueuse à l’égard du Prince. Malgré les divergences politiques, les cléricaux, Républicains modérés ou Monarchistes, voient dans la mort du Prince la mort d’un enfant de France, la mort courageuse d’un jeune soldat ou celle d’un Prince innocent. Le respect est de rigueur. Les dissensions politiques s’effacent temporairement pour laisser place à un deuil commun que tout être humain peut partager. Les cléricaux sont donc attachés au respect des morts et choisissent également de ne pas imputer directement à Louis les fautes de son père ou de son grand Oncle. N’étant responsable de rien il devient digne de respect et les polémiques autour de sa mort apparaissent comme un manque de respect envers sa mère endeuillée. Les Légitimistes, les orléanistes et certains Républicains considèrent qu’en mourant, cet ennemi politique a perdu toute dangerosité et qu’il est donc préférable d’honorer sa mort pour affirmer son respect de la foi chrétienne. Chez les cléricaux on respecte la providence et on évoque les tragiques symboles. Cette spiritualité efface temporairement les clivages politiques traditionnels entre les Bonapartistes et les Monarchistes. On peut parler d’une « alliance conservatrice et cléricale » dans la presse à la mort du Prince. Cet évènement met également en lumière que dans les moments de crise, les alliés naturels du Bonapartisme sont bien à droite chez les Monarchistes mais aussi dans une partie de la gauche modérée. C’est toute l’ambiguïté du Bonapartisme, clivante mais parfois rassembleuse. Pour le Rappel, il existe clairement un « parti catholique186 ». Ce cléricalisme structure l’opposition entre Droite et Gauche en 1879 autant que les questions de régimes politique (Monarchie, Empire ou République ?). L’« alliance

186 Le Rappel, Article du 22 juin 1879

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conservatrice » à l’Assemblée Nationale s’explique essentiellement par l’appartenance ou non au catholicisme. Ce clivage est particulièrement visible dans les réactions à la mort du Prince Impérial.

CHAPITRE 3 : LA NARRATION DE LA MORT DU PRINCE DANS LA PRESSE RÉPUBLICAINE

La réaction de la presse Républicaine n’est pas homogène et les différents courants Républicains sont particulièrement visibles. Déjà dans les titres, il y a une plus grande diversité et une plus grande liberté de ton. Les journaux bonapartistes portant le deuil, les titres sont très sobres et tous semblables, encadrés noir et titrant : « Mort du Prince Impérial ». Chez les Monarchistes on observe cette même rigueur et cette même sobriété. Côté Républicain, les titres sont parfois plus recherchés ou plus provocateurs. L’Avant-garde Républicaine de Léon Gambetta et Léo Taxil titre « Il a claqué le pauvre chéri », La Presse titre « L’Empire est Mort », Le Temps titre « mort du fils de Napoléon III », Le Petit Parisien et La Lanterne optent pour « Mort de l’Ex-Prince Impérial ». La Marseillaise opte quant à elle pour « C’est bien fait ». L’ensemble de la presse s’accorde sur l’idée que la mort du Prince est une bonne nouvelle pour la République. Les journaux républicains, anticléricaux et anti-bonapartistes, ont une vision relativement opposée à celle des conservateurs. La mort du prétendant Bonapartiste est une bonne occasion d’exprimer une opposition à l’Empire et à toute forme de conservatisme en général. Si les conservateurs voient dans cette mort un drame, une tragédie ou l’œuvre de la providence, les Républicains s’attachent davantage à analyser les conséquences politiques de cette mort et l’impact positif qu’elle peut avoir sur le renforcement de la République. Le Prince Impérial représentait une menace pour la République, sa mort n’est donc pas une mauvaise chose. Cependant le traitement de l’information est très contrasté entre la presse Républicaine modérée (Le Temps, le Siècle), Une presse plus radicale mais relativement modérée dans sa réaction à la mort du Prince Impérial, (Le Petit Journal, Le Petit Parisien, La République Française) la presse Radicale (La Lanterne, le Rappel) et la presse satirique (La Marseillaise, l’Avant-garde Républicaine) comme le laisse entrevoir leurs titres.

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A. LA MORT D’UN ENFANT, ENNEMI DE LA RÉPUBLIQUE MAIS EXEMPT DE FAUTES PRESONNELLES

A l’annonce de la mort du Prince, les Républicains de toutes tendances ont poussé un soupir de soulagement. Cependant, les plus modérés vont choisir de contenir cette joie, par respect pour la famille du défunt mais aussi pour sa famille politique endeuillée. Ils ne cherchent pas à être clivants et exposent les faits de façon objective, sans insister ni sur le courage du Prince, ni sur sa noblesse ni sur sa bravoure comme ont pu le faire les auteurs de la presse Bonapartiste et Monarchiste. Elle est factuelle. La nouvelle est annoncée sans émotion, sans affect, sans lyrisme et sans insulte à l’image des premiers mots du Petit Parisien le 22 juin 1879 :

Le jeune Louis Bonaparte, celui que les partisans de la dynastie napoléonienne appelaient « Prince Impérial » vient de succomber, massacré par des sauvages, là-bas dans le sud de l’Afrique. Triste fin ! Sans gloire et sans honte ! Nous ne nous sentons capable, ni de nous réjouir ni de nous affliger187

Plusieurs éléments attirent ici l’attention. Tout d’abord, dans l’ensemble de la presse Républicaine, la notion de « Prince Impérial » est mise entre guillemets pour rejeter cette appellation issue des titres de noblesses Impériaux. Il est régulièrement fait mention de « l’ex-Prince impérial » ou encore de « l’ex-Impératrice ». Les Républicains refusent les titres Impériaux d’Eugénie et de son fils qui n’ont plus de raison d’être au sein de la République. Le Prince Impérial est appelé simplement « Louis Bonaparte ». Cette citation du Petit Parisien n’est qu’une illustration de cette attitude de la presse Républicaine à l’égard de « L’ex-Prince Impérial » observable dans la majorité des grands quotidiens.

a) DES TÉMOIGNAGE DE RESPECT, MALGRÉ L’OPPOSITION POLITIQUE :

Tout d’abord on peut lire un grand nombre de témoignage de respect, malgré les divergences politiques très marquées. Le journal le Gaulois, journal ouvertement

187 Le Petit Parisien, Article du 22 juin 1879

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Bonapartiste, pratique la revue de presse et cite régulièrement les autres journaux en deuxième page. Dans l’édition du 22 juin Jules Bréval, qui sélectionne les textes, commente l’attitude de la presse Républicaine face à la mort du Prince de la manière suivante : « Nous pouvons dire que - à une exception près- les journaux républicains du soir ont tous été dignes et respectueux, en présence de la mort du Prince. Ils se bornent en général à tirer de l’évènement des conclusions politiques favorables à la cause qu’ils soutiennent 188». Le 23 juin il ajoute :

Nous avons la satisfaction de constater, à l’honneur de la presse parisienne, que les journaux radicaux eux-mêmes ont eu une tenue bienséante devant la tombe du Prince mort en soldat. Nous faisons abstraction des récriminations de partis qui ne pouvaient manquer de reproduire en pareille circonstances ; mais, il y a au moins un mot de respect dans chacun des articles que nous avons lus.

Jules Bréval se borne donc à citer les témoignages de sympathies relevés dans la presse Républicaine comme par exemple le Nouveau Journal Républicain qui affirme : « Il y a des deuils que nous tenons à respecter », Le Globe qui dit également « impossible de ne pas s’incliner devant la mort d’un prince français » ou encore le Télégraphe qui écrit « Nous sommes de ceux qui s’inclinent toujours devant un cadavre, fut-ce celui d’un adversaire politique 189». On peut donc remarquer une certaine sobriété dans la majorité de la presse Républicaine. Jules Bréval choisit cependant les articles les plus respectueux et les moins polémiques évitant soigneusement dans sa revue de presse de lire la presse Républicaine radicale beaucoup moins complaisante et plus virulente au sujet du Prince Impérial. Comment peut-on expliquer cette modération pour une majorité des Républicains face à l’annonce de la mort du Prince ? Surement parce que dans la majorité de ces journaux républicains modérés, on parle de la mort d’un enfant (qui se trouve malgré tout être un adulte de 23 ans). Le Petit Journal par exemple affirme : « Ce n’est pas nous qui poursuivrons au-delà du tombeau un prince, un jeune homme, un enfant190». Cet enfant est l’héritier d’un nom et à ce titre il était inquiétant. Mais il n’est inquiétant que parce qu’il est le Fils de Napoléon III, le fils de l’Impératrice et le fils de l’Empire. Il n’en reste pas

188 Le Gaulois, Article de Jules Bréval, le 22 juin 1879 189 Cité dans Le Gaulois, Article du 22 et 23 Juin 1879 190 Le Petit Journal, Article de Thomas Grimm du 22 janvier 1879

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moins un enfant, qui n’avait pas encore causé de torts à la République par lui-même. Plusieurs journaux républicains vont considérer la mort du Prince comme un soulagement. En effet le Prince Impérial vivant représentait une menace potentielle pour la République. Mort, cette menace prend fin. Cette idée est notamment présente dans le Petit journal ou le Petit Parisien qui rappellent que cet enfant aurait pu commettre bien des crimes contre la République si la vie lui en avait laissé le temps. Il n’était pourtant l’hériter que d’un nom, honni par les Républicains. Le Soir, classé comme Républicain (bien que très modéré et proche du Bonapartisme d’affaire) dans la revue de presse de Jules Bréval écrit :

Exempt de toute responsabilité qui pesait sur la dynastie dont il était l’héritier, le Prince Impérial se sentait pourtant fléchir sous le poids de son malheur. Qu’avait-il fait ? Rien. Le nom qu’il portait était le seul reproche qu’on lui adressa.191

Cette absence de faute individuelle explique l’attitude globalement respectueuse de la presse Républicaine modérée. Il est cependant associé au nom Bonaparte et de très nombreux journaux à l’image du Petit Journal ou du Petit Parisien choisissent d’épargner le Prince Impérial de tout reproche tout en rappelant les fautes de ses parents. La Lanterne, journal par ailleurs plutôt radical écrit par exemple « Mais si nous accordons au Prince mort le silence, Nous devons à l’Empire mort la vérité192 ». Les attaques républicaines sont donc davantage contre l’Empire et contre le Bonapartisme que contre le Prince directement. On peut lire dans Le Petit Parisien une critique acerbe de l’Impératrice la désignant sous la périphrase « cette Espagnole dont l’influence fit tant de mal à la France193 ». Napoléon III est quant à lui constamment renvoyé à la défaite de Sedan comme par exemple dans le Petit Journal évoque les : « deux crimes commis envers la France : le 2 décembre et Sedan 194».

191 Le Soir, Article du 21 juin 1879 192 La Lanterne, Article du 22 juin 1879 193 Le Petit Parisien, Article du 22 juin 1879 194 Le Petit Journal, Article de Thomas Grimm, du 21 juin 1879

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b) UN EXPOSÉ FACTUEL ET DÉPOURVU D’AFFECT :

L’exposé factuel des évènements du 1er juin, sans affect et sans jugement est particulièrement visible dans le journal Le Temps, ou le XIXe siècle. La nouvelle n’apparait qu’à la 2e page du journal dans le Temps, le Siècle et le XIXe siècle. Ce choix est résolument politique, ces journaux n’estiment pas, contrairement aux quotidiens Bonapartistes et Légitimistes que cette nouvelle mérite d’être à la une, et encore moins en gros titre. Cette décision permet de relativiser l’importance du Prince Impérial sur la scène politique française. Cependant, malgré ce choix de mise en page, la nouvelle est analysée et abondement commentée comme dans les autres journaux. Le Temps, le Siècle ou le XIXe siècle, préfèrent avancer des réflexions sur les conséquences politiques sans chercher à tourner en dérision la mort du Prince ou commenter les circonstances de sa mort. Tous les quotidiens Républicains ne font pas ce choix. Le Petit Parisien par exemple y consacre un gros titre et une illustration du Prince assassiné par les Zoulous. La presse Républicaine se caractérise par son absence d’empathie pour la situation, surtout si on la compare à la presse Bonapartiste larmoyante ou la presse Monarchiste grave et austère (En deuil). La presse Républicaine n’est quant à elle, absolument pas en deuil.

A cet exposé factuel, on peut cependant adresser quelques critiques. En effet, certaines informations relayées abondement pas les Républicains vont s’avérer fausses. Par exemple, les Républicains répandent l’idée que le Prince Impérial s’est rendu en Afrique du sud pour impressionner une femme195, et pour que la Reine Victoria consente à leur union. C’est une manière de décrédibiliser l’engagement du Prince et de lui prêter des motifs frivoles196. Cependant, il n’a échangé aucune lettre avec la Princesse Béatrice ni avant son départ le 27 février (alors qu’il converse avec Conneau, Espinasse, ou Bourgoin) ni même durant son séjour en Afrique du Sud. D’autre part, le manque de détails sur les circonstances de sa mort montre une omission volontaire du courage du jeune Prince, mort au combat. La presse Républicaine ne commente que

195 La Princesse Béatrice, fille de la Reine Victoria 196 Par exemple dans la Marseillaise, Article du 22 juin 1879

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rarement les circonstances pourtant romanesques de sa mort. Dans le Siècle, la mission de reconnaissance du Prince devient une « Promenade 197». Le Temps se contente pour énoncer les faits de citer les dépêches de l’agence Havas qu’on peut lire dans tous les autres journaux puis s’attarde sur les conséquences politiques de cette mort sans commenter les circonstances.

B. L’ATTAQUE EN RÈGLE DE L’EMPIRE ET DE SO HÉRITIER DANS LA PRESSE RÉPUBLICAINE PLUS RADICALE ET SATIRIQUE

La presse radicale est beaucoup plus libre de ton, libérée des contraintes du deuil et du respect imposé en pareille circonstances par la religion. Le ton de la presse Radicale est enjoué et accusateur envers le « dernier » Bonaparte. Malgré tout, il est à noter que même dans la presse Radicale les attaques se concentrent essentiellement sur son héritage et non sur sa personne. Parmi la presse radicale traditionnelle, on peut inclure des journaux comme La République Française ou encore le Petit Parisien. Pourtant, l’attitude de ces deux journaux « Radicaux » face à la mort du Prince est très modérée, dans l’analyse et le respect plutôt que dans l’attaque. Ainsi, Jules Bréval dans sa revue de presse dans le Gaulois le 23 juin 1879 affirme : « La Marseillaise, La Lanterne, Le Rappel, le Petit Parisien, feuilles Ultra-radicales, comme l’on dit, parlent de la mort du Prince Impérial sur un ton qu’on devine, mais avec une modération relative que nous nous plaisons à reconnaitre. » Cette analyse de Jules Bréval est toutefois à relativiser puisqu’il décide malgré tout de ne pas inclure d’extraits de ces articles de La Marseillaise, La Lanterne ou le Rappel dans sa revue de presse se contentant de la formule « avec le ton que on devine » pour les décrire. Ce ton qu’on devine est précisément l’objet de cette partie de notre étude. Une frange de la presse Républicaine pose ouvertement des questions sur les raisons du départ pour l’Afrique du Sud. Est-ce parce qu’il savait que la cause Bonapartiste était perdue, pour la main d’une princesse198 ? Loin de louer le courage du Prince mort en soldat comme la presse conservatrice, il est ici question de comprendre quel besoin y avait-il pour un Prince

197 Le Siècle, article du 22 juin 1879 198 La Marseillaise, Article du 22 juin 1879

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français à se joindre à l’armée anglaise contre les Zoulous ? En somme les Républicains remettent en cause le sacrifice du Prince qui serait mort pour rien, si ce n’est pour assurer la gloire de la République.

a) L’ATTITUDE DU PRINCE, COURAGE OU SUICIDE ?

La presse Républicaine radicale évoque l’idée d’un suicide. Le Prince est présenté comme « un enfant », ou encore un jeune homme « maladif » parti dans un pays lointain en quête de gloire sans réel espoir de réussite ni de retour. Lors de son départ en février 1879, un journal Républicain titrait « Bébé s’en va-t-en guerre199 ». La République Française, comme le Petit Parisien malgré un respect de façade contrastent avec l’attitude conservatrice. Dans la presse Monarchiste par exemple on loue volontiers le courage d’un jeune homme mort en soldat. On parlait de l’intelligence, de la noblesse du Prince. Ici rien de tout ça. La République Française écrit :

Nous ignorons quelle conduite il a tenu comme soldat, il ne nous coute rien d’admettre sans discussion qu’il s’est battu bravement. Nous ne sommes même pas certains que l’ex-Prince Impérial, faible et maladif comme il l’a toujours été, ait quitté l’Angleterre [. . .] avec l’illusion ou le désir de retour200.

Le ton tranche donc résolument avec la presse conservatrice. Malgré la reconnaissance timide de sa bravoure, l’auteur de l’article enchaine les attaques personnelles. Il remet en doute la santé et les qualités physiques du Prince affirmant qu’il a toujours été « faible et maladif ». Il évoque également clairement la dimension suicidaire de son acte et de son départ pour l’Afrique du Sud. Selon une partie de la presse Républicaine, le Prince n’a dont pas agi par courage mais avec témérité. Il a ignoré le danger. Agissant aveuglément en quête de gloire, il a négligé les réalités du champ de bataille et c’est porté bêtement au-devant du danger malgré sa condition physique fragile et son inexpérience. Sa mort est donc inutile et vaine. Son départ pour l’Afrique n’était qu’un suicide, après sa mort politique et le triomphe de la République.

199 Cité par LACHNITT Jean Claude, Op. cit p.308 200 La République Française, Article du 22 juin 1879

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Ce départ n’était selon le Rappel qu’une tentative désespérée de raviver la « légende napoléonienne » et de rééditer le « Retour d’Egypte de Napoléon201 ».

b) POUR L’AMOUR D’UNE PRINCESSE ?

D’autres journaux évoquent plutôt que le suicide la possibilité d’une histoire d’amour expliquant ce départ soudain. Pour certains, c’est son inclination pour la Princesse Béatrice, la fille de la Reine Victoria, qui l’aurait poussé à vouloir accomplir des exploits guerriers pour gagner sa main. La Marseillaise par exemple se fait le relai de cette rumeur présente dans de très nombreux journaux républicains en écrivant :

Le projet de mariage avait été plus qu’ébauché entre le fils de napoléon III et la Princesse Béatrix, fille de la Reine Victoria [. . .] Les amis du jeune Bonaparte lui conseillèrent d’aller au Cap gagner la main de la Princesse, que la campagne finie, le parlement eût été à peu près obligé de lui accorder202.

Ces rumeurs permettent de décrédibiliser l’engagement du Prince. Les notions d’honneur, de courage ou de noblesse très présentes dans la presse conservatrice sont remplacées par des motivations frivoles ou des pulsions suicidaires. Le Prince est donc décrédibilisé. Il n’est pas traité comme un soldat mais comme un homme du monde qui aurait flirté de trop près avec le danger et s’y serait brulé les ailes.

c) LA PROVIDENCE SERAIT-ELLE DU CÖTÉ DE LA RÉPUBLIQUE ?

Plusieurs journaux radicaux à l’image du Rappel ou de La Lanterne affirment non sans ironie que la providence est du côté de la République. Anticléricaux convaincus, ces journaux s’amusent malgré tout des coïncidences, et parlent de « Providence » affirmant ainsi que si dieu existe il est surement du côté de la République. Ces deux journaux rappellent les destins tragiques de tous ces princes appelés à régner qui ont été victimes de l’instabilité politique du XIXe siècle. De Louis XVII mort en prison alors qu’il était encore enfant, au Roi de Rome mort en exil en Autriche très jeune en passant par le Duc de Chambord née d’un père assassiné avant

201 Le Rappel, Article du 22 juin 1879 202 La Marseillaise, Article du 22 juin 1879

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sa naissance et exilé depuis 49 ans. Le Rappel ajoute après cet inventaire des infortunés ennemis de la République : « Qui ne sent là une loi mystérieuse et une défense à quiconque de penser désormais à régner sur la France ? Tous ceux qui tendent la main vers la couronne sont immédiatement condamnés, pour le moins à l’exil, plus souvent à la mort 203». Dans son article du 22 juin 1879, la Lanterne qui partage cette analyse avec le Rappel et ajoute que parmi ces destins tragiques, la fatalité a été plus sévère encore avec les Bonaparte, tous morts en exil :

« De toutes ces fatalités, la plus redoutable est celle qui semble s’attacher à la race des Napoléons. [. . . ] L’histoire des Bonaparte recommence et se déroule, non pas avec les mêmes grandeurs et les mêmes gloires, mais avec les mêmes péripéties, les mêmes catastrophes, avec les mêmes crimes et les mêmes châtiments. ».

Cette notion de « Châtiment » rappel bien évidement Victor Hugo204, ardent défenseur de la République et fougueux opposant au second Empire et à Napoléon III. La République Française fait quant à elle directement référence au livre de Victor Hugo en écrivant à propos de la mort du Prince : « Est-ce la dernière page des Châtiments que vient d’écrire la main d’un barbare inconnu [Le Zoulou qui a tué le Prince] 205». La presse Républicaine plus radicale utilise donc la « providence » pour tourner en dérision les croyances catholiques et affirmer la mort de tous les opposants à la République à l’image de celle du Prince Impérial. Louis Eugène Napoléon vient simplement grossir les rangs de ses princes infortunés que la République et le destin ont balayés.

203 Le Rappel, Article du 22 juin 1879 204 Les Châtiments est un recueil de poèmes satiriques de Victor Hugo, publié en septembre 1852. À la suite du coup d'État du 2 décembre 1851 qui voit l’arrivée au pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte, Victor Hugo s’est exilé. 205 La République Française, Article du 22 juin 1879

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d) DES ATTAQUES VIRULENTES À L’ENCONTRE DU PRINCE ET DE SON HÉRITAGE :

Les attaques la plus virulentes se situent bien entendu dans la presse Républicaine radicale et satirique. On peut citer la une du journal l’Avant-garde Républicaine qui titre : « Il a claqué le pauvre chéri206 » et sous-titre « La mort lamentable du jeune oreillard ». Ce journal est tellement virulent à l’égard du Prince qu’aucun de ses concurrents pratiquant la revue de presse ne citera autre chose que le titre de l’article207. Il est par ailleurs aujourd’hui introuvable. L’objectif de la presse satirique est de démonter chaque argument des conservateurs permettant d’affirmer que Le Prince Impérial est mort en héros et mérite le respect. Pour une certaine partie de la presse radicale et satirique, le Prince Impérial ne mérite tout simplement aucun respect. Il est l’héritier de Waterloo, et de Sedan. Il est le fils d’un criminel responsable de la guerre et de la mort de plusieurs milliers de français. Il est également le fils d’une femme qu’ils tiennent pour responsable de la guerre de 1870. La Marseillaise résume ainsi sa pensée :

Nous demander du respect pour le fils du massacreur de décembre et du lâche de Sedan ! Vouloir que nous ayons le respect banal de la fosse entrouverte devant le cadavre de quelqu’un qui rêvait de mettre un jour le pays à feu et à sang, et qui se proposait de nous mitrailler et de nous déporter ? Voilà, en vérité, c’est bien là le comble de l’audace208.

D’autres journaux républicains remarquent qu’aucun respect n’avait été observé par les Bonapartistes ou même les conservateurs en général lors de la mort de Mr Thiers209 ou de Mr Raspail. Ils ne se sentent donc pas obligés de respecter le deuil des Bonapartistes et choisissent de profiter de cette actualité pour attaquer violemment le Bonapartisme et l’Empire.

206 Cité par Le Gaulois et L’ordre du 24 juin 1879 207 Le Gaulois commente ce titre en disant le 24 juin 1879 : « Nous n’avons pas le courage de reproduire une seule ligne de ce Factum dont la vente n’a en rien été entravé » et juge que cet article est « un placard ignoble » 208 La Marseillaise, Article du 23 juin 1879 209 Paul de Cassagnac avait déclaré « piétiner avec joie le cadavre de Mr Thiers » selon La Lanterne, article du 22 juin 1879

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Tout d’abord, la presse satirique remet en doute la nationalité du Prince Impérial. Après tout il est le fils d’une Espagnol et d’un ancien roi de Hollande. Il est mort sous l’uniforme anglais, très loin de la France. On peut lire dans La Marseillaise le 26 juin 1879 : « Le fils d’un Hollandais et d’une Espagnole est tué au service de l’Angleterre dans les hautes herbes du cap, nous cherchons en quoi cet évènement lointain peut intéresser la France. 210» On considère ici que cette mort ne regarde pas la France, simplement l’Angleterre à la rigueur. La Marseillaise questionne donc jusqu'à la nationalité du Prince Impérial. Cette attitude permet de justifier les prises de positions les plus polémiques loin du respect qui semblent dominer dans l’ensemble de la presse nationale française. Pour la Marseillaise, Louis Eugène Bonaparte n’est l’héritier légitime d’aucun trône, il n’est pas soldat mais observateur, il n’est pas courageux mais lâche, il n’est pas mort en héros mais massacré dans le dos par de simples sauvages. Les journaux Républicains rappellent également l’anecdote du « garçon à la balle 211». Cette légende Républicaine veut que lors de la guerre de 1870, pendant son baptême du feu, à seulement 14 ans, Louis ramassait les balles tombées à ses pieds plutôt que de se battre. Cette histoire permet aux Républicains radicaux de véhiculer l’idée que le Prince n’était qu’un touriste sur le champ de bataille et qu’il n’était ni courageux ni brave. Très virulente, cette presse satirique refuse le deuil et refuse surtout la glorification qui est faite du jeune Prince notamment dans la presse conservatrice. La Marseillaise propose dans un article du 25 juin de pleurer plutôt pour les 2 pauvres soldats anglais morts 212en même temps que le Prince et de penser à leurs mères aussi plutôt que de plaindre « L’Espagnole213 ». L’annonce de la mort du Prince ne laisse aucun doute sur l’animosité de cette partie des Républicains à l’égard du Prince. Dans la Marseillaise du 23 juin 1879 on peut lire ceci : « Les sauvages du cap viennent de nous venger du sauvage du boulevard Montmartre, le Prince Impérial a été tué par derrière, dans une embuscade comme la République en 1851.214» Cette phrase résume parfaitement le ton de la presse Républicaine satirique dans son ensemble. Le Prince

210 La Marseillaise, Article du 26 juin 1879 211 La Marseillaise, Article du 22 juin 1879 212 Les soldats Abel et Rogers 213 Le surnom favori de la Marseillaise pour désigner Eugénie de Montijo 214 La Marseillaise, article du 23 juin 1879

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Impérial aurait été tué « par derrière », dans une « embuscade ». Cette manière de présenter les faits démontre une volonté de dénoncer la lâcheté du Prince. Il n’a pas combattu, il est mort poignardé dans le dos sans combattre. Cette affirmation permet de rejeter toute glorification du Prince et conteste son statut de soldat. De plus, cette volonté de faire passer le Prince pour un lâche permet de décrédibiliser l’ensemble de la presse Bonapartiste et Monarchiste qui le présente comme un soldat mort héroïquement. Pas d’héroïsme ici mais simplement une vengeance du destin contre un ennemi de la République. La Marseillaise considère également que le Prince Impérial était allé en Afrique du sud pour « conquérir un Trône » et pour « se faire un piédestal de quelques cadavres africains pour pouvoir un jour ensanglanter l’Europe215 ». La presse satirique rejoint les analyses de la presse Républicaine en général sur la menace que le Prince Impérial représentait. Ils partagent également ce sentiment collectif de fin du Bonapartisme216. Seul le ton, la violence de certain propos et le refus de respecter le Prince après sa mort les différencient de la réaction Républicaine majoritairement plus modérée.

C. L’ANALYSE RÉPUBLICAINE DES CONSÉQUENCES POLITIQUES DU PRINCE IMPÉRIAL

La mort du Prince Impérial a un grand retentissement politique puisqu’elle fragilise le principal parti d’opposition à la République en 1879 217. Les journaux républicains cherchent donc à comprendre l’impact de cette mort pour la santé de la République. Si beaucoup de journaux restent silencieux sur les circonstances du drame, préférant observer un minimum de respect, tous les journaux Républicains analysent les conséquences politiques et annoncent le triomphe de la République.

215 La Marseillaise, article du 25 juin 1879 216 Dans la Marseillaise du 25 juin 1879 on trouve un article intitulé « les deux autres ». Ce sont les deux autres menaces restantes, le comte de Paris et le comte de Chambord qui sont désignés. Le Bonapartisme ne fait plus parti de la liste des ennemis. 217 Pour rappel, en 1879 les Bonapartistes constituent la principale force de l’alliance conservatrice avec 105 sièges sur 159 sièges conservateurs

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: a) LA R֤ÉPUBLIQUE D’ORES ET DÉJÀ MAJORITAIRE

Pour certains journaux Républicains la mort du Prince Impérial est un non évènement. La République Française de Gambetta par exemple explique cette prise de position en affirmant que depuis la crise du 16 mai 1877, la République avait su gagner l’ensemble des organes de l’Etat, gagnant les élections législatives et sénatoriales. La démission du Maréchal Mac Mahon et la nomination de Jules Grévy à la tête de l’État marque le triomphe de la République. Dans ces circonstances le parti bonapartiste avait déjà perdu son influence et l’hypothèse d’une restauration de l’Empire était désormais écartée définitivement. La mort du Prince n’est donc que le point final d’une lente agonie du parti bonapartiste qui avait commencé en 1877. Le journaliste de La République Française, qui fait une analyse de la situation politique du Bonapartisme en 1879, formule cette idée de la manière suivante :

En d’autres temps, alors que nos institutions n’étaient pas encore affermies, avant les épreuves triomphantes et décisives du 21 mai et du 16 mai, on eut sans doute été porté à attacher à cet évènement, qui met fin en réalité à l’existence du parti bonapartiste, une importance beaucoup plus grande. Aujourd’hui la République ne laisse plus le moindre doute sur sa force et sa vitalité218.

b) LA FIN DU BONAPARTISME !

Pour d’autres, cet évènement marque la fin définitive du Bonapartisme, la presse écrit dans l’entête avant même le début de l’article : « C’est la fin d’une dynastie, c’est la fin d’un parti ». Le Rappel quant à lui annonce « La guerre de 1870 avait supprimé l’héritage, celle de 1879 a supprimé l’héritier219 ». Cette idée est largement répandue dans la presse Républicaine. Il n’y a plus d’obstacle majeur à la République. Le nouveau prétendant Bonapartiste n’est pas consensuel et certains analystes présentent une scission au sein du parti bonapartiste entre les cléricaux qui vont se rallier aux Légitimistes et ceux qui défendent l’appel au peuple qui se rallieront à la République220. La presse décrit ainsi sa vision de la scission à venir du parti bonapartiste :

218 La République Française, Article du 22 Juin 1879 219 Le Rappel, Article du 22 juin 1879 220 Analyse faite dans La Presse, Article du 21 juin 1879

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Les Bonapartistes, depuis longtemps sont divisés en deux groupes que le nom du fils de Napoléon III rapprochait. D’un côté, les Bonapartistes catholiques qui ne tarderont pas à grossir les rangs des Légitimistes. [. . .] Les Bonapartistes catholiques entreront dans la légitimité comme on entre au couvant : pour faire une fin. 221

Pour l’auteur l’aile droite du Bonapartisme, catholique et conservatrice va s’allier aux Légitimistes dont ils partagent les valeurs fondamentales et petit à petit disparaître dans cette mouvance. Cependant, pour l’auteur, le dépeçage de la carcasse du parti bonapartiste ne s’arrête pas là. Il remarque des similarités entre la République et le programme de l’Appel au peuple. Cette partie « plus importante et dynamique » du mouvement et amené à se rallier à la République en l’absence d’héritier. Il dit à propos de l’aile gauche du Bonapartisme :

L’un et l’autre [Césarisme et République] se réclament du suffrage universel, l’un et l’autre croient que la voix du peuple est une voix souveraine. L’un avait pour maître unique le peuple et l’autre acceptait la tutelle d’une dynastie. Maintenant que le dernier rejeton de la dynastie a disparu, un mariage de raison avec la République, telle est la dernière ressource de la démocratie césarienne si elle ne veut pas rester isolée et impuissance dans le pays. 222

En l’absence d’héritier légitime et consensuel le parti bonapartiste est voué à mourir et à se fondre dans d’autres mouvances politiques. La mort du Prince Impérial est donc un soulagement puisqu’elle annonce la dissolution d’un des principaux partis d’opposition à la République. Cette analyse est notamment faite par le journal Le Temps qui écrit dans un article du 21 juin 1879 :

Les prétendants sérieux ne se font pas dans les cénacles, c’est l’histoire qui les fait. C’est une longue succession d’évènements qui leur crée leur rôle et les met en vue. Ces évènements avaient donné au fils de Napoléon III la place de prétendant. Ils ne l’ont donné à aucuns autres membres de la famille Impériale, et ce n’est pas une délibération de quelques hommes s’acharnant après une impossible résurrection qui pourrait faire violence aux lois les plus inéluctables de l’histoire. 223

221 La Presse, Article du 21 juin 1879 222 La Presse, Article du 21 juin 1879 223 Le Temps, Article du 21 juin 1879

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Ce constat implacable est une réponse indirecte à la presse Bonapartiste qui s’interroge sur le nom de l’héritier. Le Temps affirme ici que les héritiers ne sont pas désignés dans les réunions de partis et que seul l’histoire peut les désigner. L’histoire n’a pas désigné de successeur à « Napoléon IV » marquant ainsi à leurs yeux la fin de la dynastie napoléonienne. Les conséquences politiques de sa mort sont très importantes puisqu’elles signent l’arrêt de mort du Bonapartisme, privé de son héritier légitime et voué au déchirement interne.

c) LE TRIOMPHE DE LA RÉPUBLIQUE :

La mort du Prince délivre la République d’une menace. L’héritier de la couronne Impériale en vie pouvait représenter un risque. Il constituait tout d’abord un étendard derrière lequel aurait pu se rallier les déçus de la République. Il incarnait une alternative au régime démocratique et Républicain. Il était également susceptible de reproduire un destin proche de celui de son père en se faisant élire à la présidence de la République ou en provoquant un coup d’Etat avec le soutien d’une partie de l’armée. Le Prince Impérial était d’ailleurs l’objet d’une surveillance très étroite de la police française présente à Chislehurst ou encore à Arenberg en Suisse224 (la résidence d’été du Prince) afin de prévenir la préparation possible d’un coup d’Etat contre la République. En vie, Le Prince Impérial représentait une menace. Mort, il consacre la République, débarrassée de tous ces ennemis. En effet, le Manifeste du Drapeau blanc en 1873 avait éloigné la possibilité d’une restauration Légitimiste. La crise du 16 mai signait l’effondrement électoral des orléanistes réduit à 26 sièges à l’Assemblée en 1877, et la mort du Prince Impérial le 1er juin 1879 marque la mort de l’opposition des Bonapartistes à la République. Les journaux Républicains annoncent le triomphe de la République, invulnérable et universelle. Pour le journal le Temps, la République est désormais invulnérable et peut se montrer d’autant plus modérée qu’elle ne souffre plus d’aucune opposition.La République, libérée de ses ennemis est plus libre de ses mouvements et n’est plus sous la menace permanente de l’instabilité politique :

224 Archives de police, Paris, 1490 : rapport de 14 pages du policier Lombard énumérant les domestiques, les fournisseurs, les habitants du village d’Ermatingen (proche d’Arenenberg.) etc. . .

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Pour la grande majorité de la nation, l’Empire avait disparu à tout jamais, mais l’Impérialisme gardait encore une minorité de partisans. Cette minorité, la mort du dernier représentant du régime césarien vient de la rendre à la République. La République, libre de ses allures, n’a plus à compter qu’avec elle-même. Elle peut se montrer d’autant plus modérée qu’elle se trouve maintenant invulnérable. La disparition du parti bonapartiste dans le pays a pour conséquences nécessaires l’apaisement de l’esprit. La nation n’ayant plus à craindre d’être arrêtée dans sa marche par des tentatives aventureuses, peut se défendre de toute impatience, et de toute colère, et c’est en cela que la mort de l’héritier de Napoléon III a la portée d’un évènement national.225

La République est triomphante. Parfois même un peu trop comme le Rappel ou la Marseillaise qui très rapidement rappelle dans ses articles que la bataille pour la République n’est pas encore terminée. La Marseillaise, à l’image de nombreux journaux républicains dans les jours qui suivent l’annonce de la mort du Prince écrit : « Tant que le dernier Bonaparte n’aura pas été Zoulouté, embaumé et enterré, je ne me risquerais pas à céder, pour vingt-cinq centimes, au marchant de peau de lapin qui passe parfois sous mes fenêtres, la peau du Bonapartisme ! 226». Le journaliste rappelle également les titres des journaux Républicains à la mort de l’ex-Empereur Napoléon III qui annonçait de façon équivalente la mort du Bonapartisme.

L’Impérialisme est mort criait-on sur tous les tons, il y a 6 ans, quand l’homme de Sedan fût emporté par une maladie de la vessie. Et une feuille de la faction n’a pas manqué de nous rappeler malicieusement hier soir de nombreux extraits des journaux Républicains d’alors.

C’est un appel à la vigilance collective et une mise en garde contre le triomphalisme de certains journaux Républicains qui oublient que le cadavre du Bonapartisme bouge encore et se cherche un héritier de la même manière que les héritiers orléanistes et Légitimistes sont toujours en vie. « Cette mort supprime un prétendant, il n’en reste plus que deux227 » La Marseillaise, dans un trait d’humour satirique propose d’ailleurs au Duc D’Aumale, le 5e fils de Louis Philippe de prouver lui aussi sa gratitude envers la Reine Victoria qui l’a accueilli dans son exil, en allant lui aussi se faire « zoulouter » à son tour en Afrique du Sud. Pour les Républicains, le Prince Impérial constituait la menace la plus sérieuse contre la République en 1879. Il existe cependant encore

225 Le Temps, Article du 22 juin 1879 226 La Marseillaise, article du 27 juin 1879 227 La Marseillaise, Article du 27 juin 1879

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quelques menaces supplémentaires telles que le nouveau prétendant Bonapartiste (Le Prince Victor), le prétendant Légitimiste (le Duc de Chambord) et les prétendants Orléanistes (Le duc d’Aumale et le Comte de Paris). Ces menaces sont cependant plus diffuses et laissent présager un avenir radieux à la République à condition qu’après la mort du Prince Impérial, aucun de ces prétendants ne bénéficie d’une montée en puissance et en popularité.

Pour la presse Républicaine, la mort du Prince Impérial est incontestablement un soulagement. L’analyse des conséquences politiques de cette mort faite par la presse Républicaine est celle du triomphe de la République. Pour certains ce triomphe était déjà consacré après le manifeste du drapeau blanc et la crise du 16 mai. Pour d’autres, la mort du prince déstabilise la principale force d’opposition de l’alliance conservatrice et consacre le triomphe de la République libérée de ses ennemis. Pour d’autres le triomphe est en demi-teinte et rappel l’euphorie après la mort de Napoléon III qui avait pourtant été suivie d’un renouveau du Bonapartisme avec le Prince Impérial.

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PARTIE III : LA POSTÉRITÉ DU PRINCE IMPÉRIAL

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CHAPITRE 1 : LA DISPARITION TRAGIQUE DU PRINCE IMPÉRIAL : COUP DE GRÂCE POUR UN PARTI DIVISÉ

A. LA PRÉSENTATION DES HÉRITIERS POTENTIELS DANS LA PRESSE

La mort du Prince Impérial laisse vacante la succession Impériale. Qui peut désormais incarner le mouvement et porter les revendications Bonapartistes ? La mort soudaine du Prince Impérial n’a pas laissé le temps à l’histoire de désigner son successeur ou d’en engendrer un lui-même. Dès le 22 Juin 1879, la question de l’héritage du Prince est abondement traité dans la presse nationale française. Chez les Bonapartistes tout d’abord, certains journaux comme le Gaulois228 décident de publier une liste des héritiers possibles parmi les enfants des frères de Napoléon Ier (Lucien, Jérôme . . .). D’autres journaux moins prudents, comme le Pays, annoncent la désignation du Prince Victor comme héritier désigné du Prince Impérial229. D’autres encore, se référant aux règles de succession dynastiques constatent que légalement, au regard de la constitution de l’Empire, c’est « Plonplon », le Prince Jérôme Napoléon Bonaparte qui devient le chef de la famille Impériale230. D’autres noms comme ceux de Charles ou Pierre Bonaparte sont parfois évoqués de façon anecdotique. Une grande confusion règne sur la question de la succession du Prince. Le seul moyen trouvé rapidement par les Bonapartistes pour se mettre d’accord est d’ajourner systématiquement les séances de débats sur ce sujet pour temporiser et gagner du temps avant l’éclatement du parti.

a) PRÉSENTATION DU PRINCE VICTOR NAPOLÉON :

Dès les premiers jours, dans la presse Bonapartiste, le jeune Prince Victor, le fils ainé du Prince Napoléon devient l’héritier présomptif. La question n’est pas véritablement tranchée de savoir qui de lui ou de son père sera l’héritier direct du

228 Le Gaulois, Article du 22 juin 1879 229 Le Pays, Article de Paul de Cassagnac du 21 juin 1879 230 Le Petit Caporal, Article de Jules Amigues, le 22 juin 1879

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Prince. Toujours est-il que les journaux bonapartistes le présentent comme l’avenir du Bonapartisme. Ce prince est inconnu du grand public puisqu’il est encore mineur, né en 1862, il est âgé de 17 ans. Il fait ses études au Lycée Charlemagne de Vanves. Son père a choisi ce lycée à cause de son enseignement ouvert aux nouvelles idées. Le Moniteur et le Gaulois publient donc un court portrait du Prince Victor le 23 juin 1879.

Il y a donc eu de la part du Prince Napoléon, l’intention formelle, d’élever ses fils dans des idées libérales. Le Lycée Charlemagne est d’ailleurs très propre à cette éducation. Il se recrute exclusivement dans la bourgeoisie parisienne. [. . .] C’est un jeune homme assez grand qui a le type des Bonaparte. Le Visage est d’une extrême pâleur, l’œil très noir ; la chevelure, noir aussi, très soignée, coquettement partagée par une raie au milieu de la tête. Signe particulier : ses lèvres proéminentes sont d’un rouge carmin si vif qu’il en est invraisemblable. Toujours vêtu à la dernière mode, Le Prince Victor est d’un caractère doux et gai qui l’a rendu très sympathique à ses camarades. Note caractéristique : pendant une des dernières classes de dessin à laquelle il assistait [. . .] il s’est fait punir pour avoir siffloté l’air de la Marseillaise. Le Prince est dans la classe de Mathématique préparatoire et se présentera au baccalauréat ès Sciences en Juillet ou en Novembre. Il se destine à l’école militaire de Saint Cyr.231

Cette description est caractéristique du type de description du Prince Victor présente dans la presse lorsqu’on prend le temps de le décrire. Finalement très peu d’informations sont disponibles et le jeune homme de 17 ans est encore trop jeune pour avoir une longue biographie. C’est un lycéen de 17 ans décrit comme plutôt séduisant, gentil et qui sait se faire apprécier de ses camarades. Il a reçu une éducation libérale héritée de son père. Cependant le journal le Gaulois cherche à plusieurs reprises à donner des détails pour rappeler que ce jeune homme est l’héritier de Napoléon Ier. Il est tout d’abord fait mention de sa ressemblance physique avec la famille Napoléon, aucun doute possible sur sa filiation prestigieuse. Ensuite on note que le Prince Victor est sensible aux idées libérales issues de la révolution comme le suggère l’anecdote sur la Marseillaise. De plus, il souhaite devenir soldat comme de très nombreux Bonaparte avant lui. Sa légitimité et son poids politique est cependant très faible. En effet, il est le fils du cousin germain de l’Empereur Napoléon III, fils du Prince Napoléon détesté

231 Le Gaulois, Article du 24 juin 1879

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par de très nombreux Bonapartistes et ce n’est qu’un enfant de 17 ans qui n’a pas encore le Baccalauréat.

Pour les Républicains, ce jeune prétendant n’est qu’un lycéen, un enfant inconnu qui n’a aucune chance de rassembler les partis Bonapartistes. Le journal la Marseillaise du 23 juin 1879, dans un article nommé « Plon-Plon père ou fils » renvoie dos à dos les deux prétendants sans donner de détails en dehors de son âge. En réalité très peu de journaux, encore moins Républicains, s’attardent sur le Prince Victor. Les journaux non Bonapartistes se contentent de constater la cacophonie qui règne entre les journaux Bonapartistes et au sein du parti de l’Appel au peuple. Les journaux républicains n’étudient pas en détail les nombreux prétendants. Ils rappellent cependant que selon les lois en vigueur sous l’empire, le nouveau prétendant devrait être le Prince Napoléon et non son fils232. Les journaux s’amusent de ce désordre à l’image du Petit parisien qui décide de proposer son propre candidat, dans un but évidement satirique. Puisque le seul critère désormais semble être le nom de famille Bonaparte, Le Petit Parisien propose la candidature de Pierre Bonaparte233 :

Les uns parmi les honnêtes gens que nous savons, sont d’avis de se ranger du côté de la légitimité [Monarchie légitimiste]. D’autres, se mettent en quête d’un prétendant. Il y en a qui songent à l’un des fils du célèbre Napoléon Jérôme, plus connu sous le nom de Plonplon. Avouons-le, cette branche-là manquerait un peu de prestige. Nous prenons la liberté de recommander à ses pauvres gens, à la recherche d’un maître, la candidature Impériale de Pierre Bonaparte. En voilà un au moins qui personnifie bien la famille et la doctrine ! Et puis on ne peut pas reprocher au héros d’Auteuil d’avoir des états de services insuffisants. 234

Il y a un sentiment de « foire au prétendant » car en réalité aucun n’a une légitimité suffisante pour faire consensus. La proposition du Petit Parisien est en réalité un critique acerbe de cette foire à la succession puisqu’elle propose la candidature de Pierre Bonaparte, un autre cousin germain de l’Empereur Napoléon III qui s’était fait

232 Les règles de succession Impériales sont rappelées dans le Siècle, le XIXe siècle ou encore le Temps dès le 22 juin 1879 233 Pierre Bonaparte (1815-1881) est un cousin germain de l’Empereur Napoléon III, 7efils de Lucien Bonaparte condamné pour le meurtre du journaliste Victor Noir le 10 janvier 1870, dans son appartement du 59 de la rue d’Auteuil à Paris. 234 Le Petit Parisien, Article du 22 juin 1879

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connaître pour avoir assassiné le journaliste Républicain Victor Noir en 1870. C’est donc un meurtrier qui « personnifie bien la famille et la doctrine » aux yeux du Petit Parisien. On retrouve ici la critique récurrente des Républicains du principe d’hérédité qui postule que les Bonaparte doivent être au pouvoir. Pierre Bonaparte est un bon contre-exemple, d’un Bonaparte qui ne mérite pas de régner.

b) LE PRINCE « PLON-PLON » DANS LA PRESSE :

Le Prince Jérôme Napoléon est d’ores et déjà bien connu des Bonapartistes, pour ses frasques et ses engagements républicains. Afin d’éviter de trop en dire du mal, les journaux bonapartistes restent très silencieux et sobres dans leurs descriptions du nouveau prétendant légal235. Le surnom officiel (bien que fâcheux) du Prince Jérôme Napoléon dans la presse Républicaine est Plon-Plon. Ce surnom passablement ridicule empêche le nouveau prétendant au trône Impérial d’être véritablement crédible. Dès l’évocation du surnom, le ton et donné, la presse est hostile au nouveau prétendant. Le personnage est bien connu du grand public puisque c’était une personnalité publique de la seconde République et de l’Empire. En vertu de la constitution Impériale c’est lui, le premier prince de sang qui devient l’héritier du trône en cas de mort du Prince Impérial. Le principe dynastique impose aux Bonapartistes un candidat dont ils ne veulent pas. Face à cette situation difficile, les Bonapartistes restent silencieux, ne critiquent pas ouvertement le nouveau chef de la maison Impériale de peur de décrédibiliser la cause.

Il en va tout autrement pour la presse républicaine. Les journaux républicains savent que ce prince est détesté dans son propre camp et s’amusent donc de cette situation ou le principe d’hérédité, si ardemment défendu par les Bonapartistes, se retourne contre eux et désigne comme héritier du trône, un prétendant gênant. Ils savent que si Plon- Plon prend la tête du Parti, s’en est fini du Bonapartisme qui risque d’imploser tant les positions de ce nouveau leader sont opposées à la ligne officielle du parti de l’Appel au Peuple. Les journaux républicains modérés rappellent donc que les règles de

235 En vertu de la constitution Impériale ratifiée par sénatus consult

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succession Impériales sont en faveur du « Prince Plonplon » et non des autres prétendants236. Dans le même temps, de nombreux journaux républicains publient les professions de foi du Prince Napoléon, lorsqu’il était candidat aux législatives en 1876 et 1877237. Le Prince se prononçait clairement en faveur de la République. Le journal La Presse publie également une lettre du défunt Prince Impérial adressé à Piétri daté du 31 janvier 1876 lors des élections législatives en Corse ou le Prince soutenait Rouher contre son cousin. Le journal rappel ainsi aux Bonapartistes que même le Prince Impérial était opposé à son cousin le nouveau prétendant238. Le Rappel ironise sur la situation dès le 22 juin 1879 rappelant que les Bonapartistes huaient le Prince Napoléon à l’Assemblée en 1876 et ont refusé de l’élire en Corse en 1877.

Chose curieuse ! C’est l’ancien député d’, le Prince anti clérical, la bête noire des catholiques et même des Impérialistes qui devient Empereur in partibus sous le titre de Napoléon V. [. . .] Aujourd’hui il règne au bain de mer, et son manteau Impérial a l’ampleur modeste d’un caleçon.[ . . .] il demeurera isolé, mécontent, abandonné malgré son titre, ses droits, son héritage et sa couronne de poche. Son sceptre à bec de corbin restera une canne de dandy. Pas une seule des sept millions de voix qui ont acclamé son cousin ne l’acclamera, et son avènement au trône n’aura que l’importance d’un fait divers239

Les journaux républicains traitent l’affaire de la succession du Prince comme une affaire mondaine. Pour eux, peu importe l’héritier désigné, il ne parviendra pas à maintenir l’unité du parti bonapartiste et la couronne que tous revendiquent n’est qu’une illusion perdue de restauration. Le Rappel compare le sceptre Impérial à une canne de dandy comme pour montrer que quoiqu’il arrive le sceptre Impérial a d’ores et déjà perdu toute sa symbolique. La notion de « dandy » renforce encore la dimension mondaine et non politique de cette affaire aux yeux des Républicains. Pour résumer la situation, le Rappel dresse ainsi le portrait de l’ensemble des princes qui prétendent au trône de France : « Hélas ! Hélas ! Ils sont tout bien modestes, bien effacés, bien nuls.

236 Le XIXe siècle, Article du 22 juin 1879 ou encore Le Siècle, Article du 23 juin 1879 237 La Presse, Article du 22 juin 1879 238 Le Prince Impérial écrit : « Mon cher Mr Piétri, Le Prince Napoléon se présente aux suffrages des Ajacciens ; il se porte contre ma volonté, il s’appuie sur nos ennemis, je suis donc forcé de la traiter comme tel » 239 Le Rappel, Article de Edouard Lockroy, du 22 juin 1879

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Lequel ? Ces princes luttent à qui sera le plus inconnu. 240». Les princes Bonapartistes sont isolés, moqués ou peu défendus dans la presse. Chaque prétendant à ses faiblesses, très peu ont des forces. Le silence relatif de la presse Bonapartiste contraste avec l’attitude Républicaine que cette situation de foire au prétendant amuse beaucoup. La presse Républicaine cherche à accentuer et à mettre en lumière les divisions que le parti de l’Appel au peuple tente tant bien que mal de dissimuler.

B. QUERELLE DE SUCCESSION ET ÉCLATEMENT DU PARTI ENTRE JÉROMISTES ET VICTORIENS

Dès le 21 juin, à l’annonce de la mort du Prince, les Bonapartistes se réunissent chez Rouher241 pour tenter de désigner le successeur du Prince Impérial. Son testament, conservé à Camden Place n’a pas encore été ouvert qu’une scission s’installe. Paul de Cassagnac affirme que le document désigne comme héritier politique le Prince Victor, fils ainé du Prince Jérôme. Or, selon les règles de succession dynastique de l’Empire c’est le Prince Jérôme qui doit devenir le chef de la maison Bonaparte en tant que premier Prince du sang. Les Bonapartistes « Blancs » menés par Cassagnac s’opposent d’emblée à la nomination du Prince Jérôme comme chef du parti et héritier légitime. Le Prince Jérome est quant à lui soutenu par les Bonapartistes « montagnards » réunis autour du député de Robert Mitchell242. On vote un Statu quo, la décision est repoussée à l’ouverture du testament du Prince. Les parlementaires du parti de l’Appel au peuple s’entendent finalement pour refuser d’engager immédiatement la querelle des héritiers et signent ensemble un Appel à l’Impératrice et une résolution publiée dès le lendemain dans de nombreux journaux. La résolution signée par l’ensemble des parlementaires dit :

Les sénateurs et les députés de l’Appel au peuple se sont réunis aujourd’hui quelque profonde que soit leur douleur, ils ont le devoir d’affirmer, devant le Pays, que si le Prince Impérial est mort sa

240 Le Rappel, Article de Edouard Lockroy, du 22 juin 1879, il fait ici référence à l’ensemble des prétendants au trône de France, pas seulement Bonapartistes, mais ces derniers sont inclus 241 Le Gaulois, Article d’Auguste Vitu, le 22 juin 1879 242 Ancien rédacteur en chef du Constitutionnel, député de Gironde entre 1876 et 1881 dans le parti de l’Appel au Peuple puis de 1889 à 1893 sous l’étiquette Boulangiste

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cause lui survit. La succession des Napoléons ne tombe pas en déshérence. Représentant qu’un principe impérissable, le parti impérialiste reste debout, compact fidèle et dévoué. L’empire vivra !243

Il n’est ici fait aucune mention de l’héritier du Prince Impérial qui ne sera pas nommé. Le parti affirme son unité de façade alors qu’en coulisse, les divisions sont grandes. Le 27 juin, un service funèbre en l’honneur du Prince Impérial est célébré à Saint Augustin à Paris. Plus de 10000 personnes sont présentes244 pour rendre un dernier hommage au Prince. Le parti affiche son unité au cours de cette grande réunion publique.

a) LE TESTAMENT DU PRINCE IMPÉRIAL EN FAVEUR DU PRINCE VICTOR :

Le testament du Prince Impérial est finalement ouvert par Rouher et Piétri245, le 1er juillet 1879246. Au mépris des règles de successions dynastiques, le Prince Impérial désigne le Prince Victor pour lui succéder. Dans ce testament rédigé le 26 février 1879, le Prince Impérial décide de ne pas confier à son cousin le Prince Jérôme la tâche de lui succéder le cas échéant. Il craignait que la personnalité très clivante du « Prince Rouge » ne crée des dissensions trop fortes au sein du parti. Il écrit donc dans son testament : « Moi mort, la tâche de continuer l’œuvre de Napoléon Ier et de Napoléon III incombe au fils ainé du Prince Napoléon247 » et confirme ainsi les positions de Paul de Cassagnac qui appelait au ralliement au Prince Victor depuis le 21 juin 1879248. La réunion qui suit est très mouvementée, le parti est tiraillé entre le respect des règles dynastiques en faveur du « Prince rouge » et le testament du Prince Impérial en faveur de son fils Victor. Face au risque évident de désagrégation du parti, Rouher décide de s’incliner au respect des règles de succession. Il existe des règles constitutionnelles ratifiées par plébiscite et le groupe de l’Appel au peuple décide de

243 Cité dans le Gaulois et l’Ordre du 22 juin 1879 244 Le Gaulois, Article d’Auguste Vitu, le 28 juin 1879 245 Désigné par le Prince comme ses exécuteurs testamentaires 246 Le Testament est publié dans de nombreux journaux dès le 2 juillet 1879 247 Archives Nationales 400AP/76 : « Testament du Prince Impérial » 248 Le Pays, Article de Paul de Cassagnac, Le 21 juin 1879

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les respecter. En effet, un vote pour modifier l’hérédité risquerait de provoquer la fin immédiate du Bonapartisme. Les Cassagnac vont se résoudre à cette décision et proposent qu’un hommage soit rendu au Prince Napoléon en tant que chef de la famille Bonaparte et non en tant que prétendant au trône. Mitchell approuve cette initiative en rappelant qu’il n’est pas du ressort du groupe parlementaire de l’Appel au peuple de modifier les règles constitutionnelles qui régissent les successions Impériales249. La majorité des parlementaires Bonapartistes refusent d’engager un débat de fond. Rouher cherche à temporiser au maximum, et décide d’ajourner à nouveau ces discussions après les funérailles officielles du Prince Impérial250. Le Prince Jérôme est donc désigné comme le nouveau chef de la maison Impériale251. Les obsèques du Prince Impérial à Chislehurst ont lieu le 12 juillet 1879 en l’église sainte Mary où repose son père. Le Prince Napoléon assiste à ces funérailles avec près de 10000 personnes dont un grand nombre de parlementaires de l’Appel au peuple. Selon l’étiquette de la cérémonie il est désigné comme l’héritier du trône Impérial et chef de la maison Impériale252. Toujours en deuil, la famille Bonapartiste préfère éviter les déchirements et s’en tenir aux lois de successions traditionnelles de l’Empire. Lors de réunions le 19 juillet puis le 26 juillet, le parti de l’Appel au Peuple confirme le Prince Napoléon dans son rôle de chef de la famille Impériale. Dès lors, le processus de dislocation du parti se met progressivement en marche.

249 Le déroulé précis de la réunion du 1 juillet 1879 est rapporté en détail dans des articles du Temps et du Gaulois le 2 juillet 1879 250 Selon Le Temps dans son article du 2 juillet 1879, cette proposition d’ajournement est fortement soutenue par les Bonapartistes de la Plaine tel que Haentjens, Cazeaux et Breteuil. 251 Le Gaulois, article du 2 juillet 1879 252 Archives Nationales 400AP/79 « Documents relatifs à la mort et aux funérailles du Prince Impérial. Juillet 1879-janvier 1888 »

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b) LE PRINCE JÉRÔME NAPOLÉON, L’HÉRITIER CONTESTÉ DE LA MAISON IMPÉRIALE :

Le Prince Jérôme Napoléon est le cousin germain de l’Empereur Napoléon III, fils de Jérôme Bonaparte, le dernier frère de Napoléon Ier. Cet homme âgé de 57 ans, ressemble à s’y méprendre à son oncle Napoléon Ier et est doué d’une réelle intelligence253. Il incarne l’aile anticléricale et démocrate du Bonapartisme. Ami de Flaubert, Renan, Taine, George Sand ou encore Alexandre Dumas, il a souvent été en délicatesse avec le pouvoir, en conflit permanent avec Napoléon III puis avec le Prince Impérial. Il était surnommé « Plonplon ». Sous la seconde République il a siégé à l’extrême gauche ce qui lui a valu son autre surnom « le Prince Rouge ». Il condamna le coup d’état de 1851 avant de finalement accepter son rôle d’altesse royale. Il fut ministre de l’Algérie et des colonies (1858-1859) avant de tomber en disgrâce en 1865 alors qu’il défendait publiquement un Empire plus libéral. C’est une forte personnalité, doté d’un caractère autoritaire et impulsif. Ses relations sulfureuses avec des comédiennes, jugées contraires à la morale ainsi que son ambition outrancière contribuent à le desservir et à le décrédibiliser. Il est détesté d’une grande majorité des Bonapartistes y compris dans son propre camp. Le Prince Jérôme, malgré les règles de succession dynastique ne parviendra jamais à se faire pleinement reconnaître comme chef de la maison Impériale. Rouher cherche l’apaisement dans l’intérêt du parti mais se méfie du Prince. Le Prince Napoléon cherche à lancer en son nom une feuille populaire à 5ct appelé Le peuple Français, qui ne parviendra pas vraiment à atteindre son public. Amigues et Cassagnac malgré leurs rivalités personnelles forment une alliance hostile au Prince dans leurs journaux le Petit Caporal et le Pays. En effet, dans le Petit Caporal du 22 aout 1879, Jules Amigues estime qu’un Prince qui a fait allégeance à la République254 ne peut pas se prétendre héritier de l’Empire. C’est pour cette raison que le Prince Impérial, enregistrant ces déclarations aurait fait le choix de le déshériter255. Malgré cette opposition, le Prince Napoléon va tenter de contrôler le

253 BATTESTI Michèle, Plon-Plon, le Bonaparte rouge, Perrin, 2010, 624 pages 254 Lors de sa candidature aux législatives de 1876 et 1877 en Corse, les proclamations de foi du Prince Napoléon étaient ouvertement pro-Républicaine 255 Le Petit Caporal, Article de Jules Amigues 22 aout 1879

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parti et de faire profil bas pour se faire accepter comme chef de la maison Impériale. Toutefois les tensions sont palpables. Le 14 janvier 1880 lors de la messe anniversaire de la mort de Napoléon III, des Bonapartistes blancs, amis de Cassagnac vont s’en prendre verbalement au Prince Napoléon256. Un scénario équivalent se produit rue du Faubourg Saint Honoré à l’église Saint Philippe du Roule ou des partisans de Jules Amigues, manifestent leur opposition au Prince Napoléon. La trêve entre le Prince Napoléon et le parti de l’Appel au peuple se maintient cependant jusqu’en Avril 1880.

c) LA FIN DE LA TRÊVE ENTRE JÉROMISTES ET VICTORIENS : L’ÉCLATEMENT D’UN PARTI EN RUINE

Néanmoins, le 29 mars 1880, le ministre de l’instruction publique, Jules Ferry prend deux décrets pour rendre l’école laïque et expulse les congrégations religieuses notamment jésuites chargées de l’éducation depuis les lois Falloux257. Le Prince Napoléon, anticlérical apporte son soutien à la République. Le 5 avril 1880, il publie un article dans l’Ordre pour soutenir cette mesure258. C’en est trop pour les Bonapartistes à majorité cléricale qui s’insurgent contre le « Prince rouge ». Le parti entame sa désintégration. Certains rejoignent les Légitimistes d’autres se rattachent à la République. Cassagnac se déchaine contre le Prince Napoléon dans son journal le Pays et appelle comme Jules Amigues dans le Petit Caporal à l’abdication du Prince Napoléon en faveur du Prince Victor259. Rouher rompt également le silence n’hésite plus à critiquer le « Prince rouge » ouvertement anticlérical. Sentant le contrôle du parti et de la presse lui échapper le Prince Napoléon décide de lancer le 10 décembre 1880 son propre journal : Le Napoléon260. Dans ce journal il affiche ses convictions et publie dès la première édition un manifeste programme où il rejette les alliances avec les conservateurs qui ont selon lui affaibli le parti261. Il affirme également sa volonté de

256 L’Ordre, Article du 14 janvier 1880 257 Loi du 15 mars 1850 sur le rôle des congrégations religieuses dans l’instruction publique 258 L’Ordre, Article du Prince Napoléon, le 5 avril 1880 259 L’Ordre, Article de Paul de Cassagnac le 6 avril 1880 260 Le Temps, Article du 11 décembre 1880 261 Cité par l’article du 11 décembre 1880 du Temps « Le seul point d’intérêt qui offre quelque intérêt dans l’écrit paru ce matin est celui relative à l’ancienne alliance conservatrice. [. . .] Il déclare qu’il n’acceptera plus « d’alliances compromettante » »

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réformer les lois constitutionnelles de la troisième République pour permettre l’élection du Président au suffrage universel direct. Il se place clairement sur le terrain de la République et décide de se lancer dans la course à la présidentielle. Il renonce donc à ses droits dynastiques pour se soumettre au choix des urnes. Ce programme ne se prononce même plus sur le rétablissement immédiat de l’Empire262. Ses Partisans, appelés dédaigneusement par les Bonapartistes les « Jérômistes263 » sont réduits à une poignée de fidèles et une quinzaine de députés. Le reste des Bonapartistes, rangé derrière Cassagnac se rallient finalement au jeune Prince Victor, qui ne partage pas les idées anticléricales de son père. La scission est consommée à partir de cette date. Le Temps du 11 décembre 1880 commente ainsi cette dislocation du parti entre Jérômistes et Victoriens :

Le « Napoléon » doit être, dit-on, l’organe officiel de cette fraction du parti Impérialiste que la fraction adverse appel dédaigneusement : le Jérômisme. Nous ne savons pas à quel point cette affirmation de l’idée napoléonienne est véritablement un besoin du moment. Il ne semble pas que la France ait en rien témoigné qu’elle était tourmentée par un besoin de cette nature. Tout au contraire, si l’on s’en rapporte aux manifestations électorales de ces dernières années, on ne saurait douter de l’indifférence croissante du pays pour tout ce qui se rattache aux affaires de l’Impérialisme, devenues les affaires exclusives de quelques petites coteries en guerre les unes contre les autres.264

Cet article analyse en détail le programme du Prince Napoléon et constate la parution dans les journaux bonapartistes traditionnels de programmes contradictoires avec celui du chef de la maison Impériale. Les querelles internes au sein du Bonapartisme finissent de miner un parti déjà largement affaibli. Le Prince Napoléon ne parviendra jamais à incarner autre chose qu’une tendance minoritaire du Bonapartisme et son éloignement du parti de l’Appel au peuple marque la scission définitive du parti entre les Jérômistes et les Victoriens.

262 Le Temps, Article du 11 décembre 1880 263 Cité par l’article du Temps du 11 décembre 1880 264 Le Temps, Article du 11 décembre 1880

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C. LA MORT DU PRINCE IMPÉRIAL EST SUIVIE DE DÉFAITES ÉLECTORALES

En 1881, Lors des élections législatives, on peut constater l’impact de la mort du Prince Impérial et de l’éclatement du parti en observant le déclin des votes en faveur du parti de l’Appel au Peuple. Lors des législatives précédentes, en 1877, la droite conservatrice avait perdu. Les conservateurs, avec 30.2% des sièges étaient minoritaires. Ils représentaient 159 sièges dont 105 pour les Bonapartistes. Mais le Bonapartisme, malgré la défaite de son alliance était devenu la principale force conservatrice à l’Assemblée. Après la mort du Prince, lors des élections suivantes en 1881, les Bonapartistes perdent 58 sièges. Ils n’en conservent plus que 46 soit environ 8.44% des sièges. Les Monarchistes perdent également 12 sièges et l’alliance des deux tendances Monarchistes parvient seulement à réunir 42 députés. C’est un Triomphe républicain qui obtient 411 sièges soit près de 75.41% des sièges. Le parti bonapartiste, divisé entre Jérômistes, Victoriens et Impérialistes manque de lisibilité et ne parvient pas à conserver ses bastions historiques. Suivant ce constat, plusieurs éléments peuvent expliquer le déclin du Bonapartisme entre ces deux élections.

a) LE BONAPARTISME ABBATU DÈS 1877 :

On peut tout d’abord considérer comme de nombreux républicains que en 1877, la République avait porté un coup fatal au conservatisme et que son déclin progressif n’est que la conséquence logique d’une victoire totale. En effet, entre 1876 et 1879 les Républicains ont enchainées les victoires électorales, remportant l’Assemblée nationale (1876-1877), le Sénat (1876) puis la présidence de la République avec l’élection de Jules Grévy (1879). Cette vague républicaine a réduit à peau de chagrin les opposants Monarchistes et Bonapartistes265. Le Bonapartisme était divisé avant la mort du Prince, ces trois tendances n’étaient pas faites pour coexister au sein d’un même parti. Face à ces contradictions internes le parti de l’Appel au peuple était déjà

265 C’est notamment une analyse de ce type que fait le journal, La République Française lors de la mort du Prince, dans un article du 22 juin 1879

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affaibli par la crise du 16 mai et la défaite aux législatives de 1877. La cohésion n’était qu’une façade qui dissimulait en réalité des rivalités personnelles et des tendances idéologiques différentes. La mort du Prince Impérial ne serait que le point final d’un processus de désintégration du parti bonapartiste. Neuf ans après la chute de l’Empire à Sedan, six ans après la mort du dernier Empereur, la restauration Impériale n’avait que peu de chance d’aboutir et ce mouvement était voué à disparaitre grâce à l’adhésion progressive de la population française aux valeurs de la République. Le Bonapartisme en 1879 était déjà abattu, divisé. Le Prince sentant la déshérence de sa cause avait tenté d’accumuler un certain prestige pour gagner en légitimité et avait choisi pour cela de s’illustrer militairement en Afrique du Sud. Ce dernier échec n’est que la fin d’une longue liste de déconvenues pour le parti bonapartistes qui avant même la mort du prince ne pouvait déjà plus prétendre à une restauration Impériale au vu de la situation politique en France en 1879.

b) LA MORT DU PRINCE IMPÉRIAL, UN DÉTONATEUR :

Le Prince Impérial était le porte étendard de la cause Bonapartiste en France. C’était un héritier consensuel pour les Bonapartistes et parvenait à maintenir l’unanimité au sein du parti bonapartiste. Ce n’est absolument pas le cas de ses successeurs, Jérôme et Victor qui n’ont pas réussi à maintenir cette unité et ont fait éclater des rivalités qui existaient depuis longtemps au sein du parti. La mort du Prince garde une importance considérable dans le destin du parti de l’Appel au Peuple. Dans un parti comme le Bonapartisme basé sur le culte du chef et la croyance profonde en l’homme providentiel266le Prince Impérial était un enfant de France, apprécié à Paris et en Province. Il était connu du grand public comme le prouve l’importance du traitement médiatique de sa mort. Le Prince Victor est pour sa part totalement inconnu et son père est impopulaire. La mort du Prince révèle donc la fragilité du Bonapartisme qui ne peut survivre sans héritier légitime et dont le principe politique était lié à la vie d’un homme. Les élections législatives prouvent l’attachement des électeurs à la figure du

266 GARRIGUES Jean, Les Hommes providentiels : Histoire d'une fascination française, Paris, Le Seuil, 480 pages, voir chapitres sur Napoléon et Boulanger

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Prince Impérial. Dirigé par le Prince en 1877, Le parti bonapartiste recueil près de 20% des sièges à l’Assemblée avec 105 députés. Après la mort du Prince, aux élections suivantes, les électeurs ne croient plus en la restauration Impériale et rejoignent la République qui gagne de nombreux sièges. L’abbé Mugnier267 dans son journal rapporte que le 22 juin 1879 la photo du Prince Impérial était partout dans Paris à l’annonce de sa mort, démontrant ainsi le retentissement important de sa mort. Les journaux républicains accordent également en moyenne une très grande importance politique à la mort du Prince Impérial puisqu’elle consacre la victoire de la République et la fin d’une menace tangible de renversement de la République à plus ou moins long terme.

c) LA MAUVAISE GESTION DU PARTI APRÈS SA MORT :

La dernière explication du déclin des Bonapartistes à l’Assemblée Nationale entre 1877 et 1881 est la mauvaise gestion du parti après la mort du Prince. Le Prince Napoléon est détesté et le Prince Victor est trop jeune pour mener un parti politique. De plus le parti, depuis longtemps divisé, éclate sous la direction du Prince Napoléon qui s’éloigne progressivement du parti. Pour les élections législatives de 1881 le Prince Napoléon crée le « comité révisionniste napoléonien268 ». Ce micro parti représenté dans le journal du Prince (le Napoléon) réclame des révisions constitutionnelles pour permettre l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Mais les révisionnistes sont complètement isolés et opposés aux Impérialistes. En effet, lors de ces élections législatives les Impérialistes se présentent avec des professions de foi conservatrices et antirépublicaines tandis que le Prince Napoléon appel à voter « Républicain » dans les circonscriptions où l’Appel au peuple n’est pas présent269. Cette ambiguïté perd les électeurs. Finalement parmi les 46 députés Bonapartistes, seul 4 sont Jéromistes selon le Temps270. La mauvaise gestion du parti renforce les divisions

267 MUGNIERArthur (1853-1944), Journal de l'abbé Mugnier : 1879-1939, Paris, Mercure de France, coll. « Le Temps retrouvé », 1985, 640 p. 268 Le Temps, Article du 31 juillet 1881 269 Le Temps, Article du 3 septembre 1881, commentaire des résultats des élections législatives 270 Il s’agit de Cueno d’Ornano en Charante, Dreolle en gironde, Dufour dans le et Prax-Paris dans le et Garonne, aucun ténor comme Mitchell ou Lengle ne sont élu.

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d’une famille politique qui représentait déjà un faible pourcentage à l’Assemblée Nationale. Les Bonapartistes se rallient à la République ou aux Monarchistes. La plupart des députés ne sont pas réélus dans leur fief et les derniers présents ne forment pas un groupe homogène. Le Prince Impérial n’a pas eu d’héritier capable de susciter l’adhésion. Ce manque de cohésion entraine des défaites électorales qui portent un coup très important au Bonapartisme en 1881 qui ne retrouvera jamais son nombre de sièges et ses électeurs de 1877. La Scission entre Victoriens et Jérômistes, entre Impérialistes et Révisionnistes va entrainer une situation de blocage et amorcer un lent déclin de la cause Bonapartiste en France.

CHAPITRE 2 : MUTATION DU BONAPARTISME ET RECONVERSION DES BONAPARTISTES

A. DÉCLIN DE LA PRESSE BONAPARTISTE ET CHANGEMENTS DE LIGNES EDITORIALES DÈS 1879

La mort du Prince Impérial conjuguée à la faiblesse du parti bonapartiste après sa disparition a de grands effets sur le paysage médiatique en France après 1879. Après une très grande vitalité entre 1874 et 1877 la presse Bonapartiste s’essouffle et périclite271. En perdant les élections législatives de 1876 et 1877 le parti bonapartiste perd ses soutiens financiers dans les milieux conservateurs. Ce manque de moyens du parti va rapidement handicaper la presse Bonapartiste qui dépendait de ces subventions pour la propagande. La Mort du Prince Impérial fait perdre encore un peu plus de crédibilité à la cause et éloigne durablement les investisseurs des journaux Bonapartistes. Les journaux du Groupe de Soubeyran par exemple qui possédaient le journal La Patrie choisissent d’abandonner les références à ses sympathies Bonapartistes et changent sensiblement la ligne éditoriale vers l’Orléanisme. Ce choix répond à des exigences de rentabilité. En effet l’audience des journaux bonapartistes à Paris décroît.

271 ALBERT Pierre, op cit p.234

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a) LA PRESSE BONAPARTISTE EN DÉCLIN :

Au début des années 1880, le parti bonapartiste garde quatre grands titres parisiens et de très nombreux journaux en province272. La correspondance Mansard est un grand succès puisque la presse Bonapartiste domine la presse conservatrice en province. Il est cependant nécessaire de nuancer ce constat. En effet, la presse Bonapartiste est une presse conservatrice qui souffre de plusieurs défauts, surtout lorsqu’elle est comparée à la presse Républicaine. Tout d’abord, le prix est trop élevé, aucun journal Bonapartiste de province ne propose de feuille à 5ct comme à Paris. D’autre part, le langage utilisé dans cette presse est très élitiste et n’est pas destiné à un public rural populaire mais à des notables. La cible est donc plus restreinte. Enfin, comme pour la géographie électorale, la presse Bonapartiste souffre de sa timidité. Elle n’est pas représentée dans toute la France se cantonnant essentiellement à ses terres d’élection dans l’Ouest comme en Charente ou encore en Corse. La presse Bonapartiste est cependant sous-représentée dans l’Est de la France ou le Bonapartisme enregistre traditionnellement des scores électoraux faibles. Au contraire, la presse Républicaine cible son public, adapte son langage à sa clientèle et sait s’adresser aux classes populaires comme aux classes d’affaires. En plus, la presse Républicaine est implantée dans toute la France, bénéficie de meilleurs moyens de distribution et de financements nationaux plus importants étant donné ses victoires électorales et l’installation progressive d’une République stable et de moins en moins contestée. Si l’instabilité politique du septennat de Mac Mahon avait favorisé la montée en puissance du Bonapartisme entre 1874 et 1877, la stabilité progressivement acquise de la République profite maintenant davantage à la République. A Paris, l’audience des journaux Bonapartistes est en baisse. Les quatre principaux journaux bonapartistes273, voient leur audience chuter après la mort du Prince Impérial. L’Ordre qui échappe progressivement au contrôle du Prince Napoléon entre avril et Juillet 1880 va basculer

272 Selon ALBERT Pierre, Op cit. p 234 Il y aurait 93 journaux bonapartistes en province en 1880 273 L’Ordre, Le Pays, Le Petit Caporal et Le Gaulois

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dans le camp victorien274. Il tire à entre 2 000275 et 4 000 exemplaires276. Le Pays de Cassagnac devance l’Ordre en défendant des positions Impérialistes tire à environ 6000277 ou 7 0000 exemplaires278. Le Petit Caporal de Jules Amigues tire quant à lui à environ 2 0000279 ou 2 5000 exemplaires. Au regard des chiffre présentés la baisse d’audience n’est pas palpable. En effet, le Pays semble même augmenter ses tirages entre 1879 et 1880. Pourtant, la tendance est à la baisse sur le plus long terme. En effet, le Petit Caporal, le journal Bonapartiste le plus populaire est passé à moins de 16 000 tirages lors de son rachat par Henry Dichard en 1882280 soit une diminution de près 36% de son audience en 2 ans. Si les tirages des journaux bonapartistes stagnent voire baissent légèrement, dans le même temps entre 1879 et 1884 on constate une très nette progression des tirages et de l’audience de l’ensemble des journaux républicains. La part d’audience des Bonapartistes diminue donc à mesure que les tirages de la presse républicaine augmentent. Pour tenter de redynamiser cette presse en perte de vitesse, le Prince Napoléon lance en son nom de nouveaux journaux comme Le Napoléon ou encore L’Appel au peuple et Le Peuple Français qui adoptent sa vision du Bonapartisme proche de la République. En revanche, ces journaux sont quasi confidentiels et ne parviennent pas à rencontrer le public visé. Devenue illisible, et divisée, la presse Bonapartiste amorce progressivement son déclin.

b) LE CHANGEMENT DE LIGNE ÉDITORIALE DU GAULOIS EN JUILLET 1879 :

La tendance de la presse Bonapartiste est au changement de ligne éditoriale. L’exemple le plus retentissant est celui du Gaulois. Effectivement, ce journal avait été

274 Notamment à cause des prises de position pro-Républicaine, et anticléricales du Prince Napoléon après la loi de Jules Ferry sur l’école laïque et le renvoi des congrégations religieuses 275 Selon Pierre Albert, Op. cit p235 276 Henri Avenel, Histoire de la Presse Français depuis 1789 jusqu'à nos jours, Paris, Flammarion,1900, Volume 1, 865 Pages, p.735 [En ligne sur Gallica.fr] : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k200089j/f1.image [consulté en ligne le 14 juin 2017] Ces chiffres sont probablement surestimés, les chiffres de diffusions avancés semblent en réalité sensiblement inférieurss 277 Selon ALBERT Pierre, Op..cit p. 234 278 AVENEL Henri, Op. cit p. 735 279ALBERT Pierre, Op..cit p. 234 280 ALBERT Pierre, Op..cit p. 235

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le premier en 1873, à la mort de l’Empereur à défendre son bilan. La plume d’Edmond Tarbé et de ses collaborateurs avait conquis une large audience et s’était taillé une part de choix dans la presse conservatrice. Avec plus de 10000 tirages en 1879, le Gaulois est le deuxième journal Bonapartiste en termes d’audience. Son influence au sein de la presse conservatrice est considérable. Pourtant, le 8 juin 1879281, après la mort du Prince mais avant que la nouvelle soit connue à Paris, Edmond Tarbé, en difficulté financière vend son journal à Arthur Meyer. La convention signée fixait l’entrée en fonction d’Artur Meyer le 1er septembre 1879. Toutefois,, après l’annonce de la mort du Prince Impérial le 21 juin 1879 à Paris, le nouveau propriétaire choisit d’avancer sa date d’entrée en fonction le 1er juillet 1879 pour changer la ligne éditoriale du journal. Edmond Tarbé est donc contraint de faire ses adieux aux lecteurs le 2 juillet 1879 dans une lettre vibrante publiée en Une du Gaulois qui annonce la fin de la ligne Bonapartiste du journal282. Artur Meyer va orienter le Gaulois vers une ligne éditoriale conservatrice et Monarchiste puis soutiendra le Boulangisme en 1888. Il confie la rédaction du Gaulois à Cornely, un ancien rédacteur du Figaro. Ce changement de ligne éditoriale est avant tout dicté par des logiques de rentabilité, la cible visée par la ligne éditoriale d’Edmond Tarbé ne permettant plus au journal de survivre. La Mort du Prince Impérial accélère cette transition vers le Monarchisme283. Avec ce changement de ligne éditoriale, la presse Bonapartiste est amputée d’un de ses quatre principaux journaux parisiens dont l’influence dépassait le tirage à proprement parler. Le Gaulois n’est cependant pas le seul journal qui change sensiblement de ligne politique après la mort du Prince Impérial. Dans un souci de rentabilité, le groupe de Soubeyran supprime dans la Patrie toute allusion à des sympathies Bonapartistes. L’audience décroît, le journal change donc d’orientation politique en l’absence de clientèle fixe et se tourne, comme les autres journaux du groupe Soubeyran, vers l’Orléanisme. Enfin, on peut également mentionner l’Estafette, journal d’affaire attaché au Bonapartisme qui sous la plume de

281 Le Gaulois, Article d’Edmond Tarbé intitulé « adieu aux lecteurs », du 2 Juillet 1879 282 Le Gaulois, Article d’Edmond Tarbé intitulé « adieu aux lecteurs » du 2 Juillet 1879 283 Selon BELLANGER Claude, Op. cit p. 200 : « En Juillet 1879, Tarbé vendit son journal à une société que dirigeait Artur Meyer, qui y appela Cornely du Figaro et puisque la mort du Prince Impérial venait de porter un coup très grave au Bonapartistes, il rallia le Gaulois à la cause légitimiste »

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Léonce Detroyat va progressivement basculer vers un soutien au « Prince Rouge » puis vers un soutien à la République puisque la frontière est mince entre les deux.

B. LA DISLOCATION DU PARTI ET DE LA PRESSE BONAPARTISTE (1879-1884)

A la Mort du Prince Impérial, le parti et la presse Bonapartiste se divisent durablement entre Jérômistes et Victorien. Sa mort entraine la prise de fonction du Prince Jérôme Napoléon en tant que chef du parti à la place de Rouher. Ce grand tribun, qui avait su garder une unité de façade au sein de la famille politique Bonapartiste, annonce en 1881 son retrait de la vie politique. Ce départ prive le parti d’un de ses principaux éléments unificateurs et d’un des meilleurs défenseurs de la cause Bonapartiste. Rouher avait également une visibilité médiatique. Après La mort du Prince, le retrait de Rouher et la piteuse gestion du parti par le Prince Napoléon, la presse nationale se désintéresse progressivement des intrigues Bonapartistes. Le parti est devenu minoritaire à l’Assemblée et au sein de la droite. D’autre part, les clivages apparaissent au sein de la presse républicaine entre les soutiens de Grévy, Ferry, Simon ou encore de Clémenceau. La presse Républicaine délaisse progressivement l’actualité Bonapartiste à l’exception notable d’un coup d’éclat du Prince Napoléon le 16 janvier 1883284. Il placarde dans Paris un manifeste ou il fustige la République avec des accents autoritaires et Bonapartistes. Cet acte lui vaut d’être enfermé quelques jours à la Conciergerie et d’occuper une place importante dans la presse puisqu’il critique un gouvernement qui fait face à la première dépression économique depuis la fin de l’Empire285. Suite à ce coup d’éclat, une loi autorisant l’expulsion des prétendants en cas de trouble à l’ordre public est débattue. Au cours des débats, le gouvernement de Charles Duclerc est renversé et remplacé par le cabinet Ferry, qui portera cette loi sans faiblesse286. Indirectement, le Prince Napoléon est donc à l’origine de la chute d’un

284 Le Temps, Article du 17 janvier 1883 285 C’est la « Longue dépression » (1873-1886) qui sévit en France et en Europe 286 Le 28 janvier 1883, Charles Duclerc remet la démission du Gouvernement au président de la République, Jules Grévy à la suite d'un désaccord avec son ministre de l'intérieur, Fallières sur l'exclusion des emplois civils ou militaires des membres des anciennes familles régnantes. Le 29 janvier

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ministère et il devient pendant plusieurs semaines le centre de l’attention de la presse Républicaine. En dehors de cet évènement les Bonapartistes sont dans l’entre soi, divisés entre les partisans de Jérôme et ceux du Prince Victor.

a) REPRÉSENTATION DES JÉRÔMISTES ET DES VICTORIENS DANS LES JOURNAUX :

Tout d’abord, il y a les Bonapartistes « rouge » qui sont des progressistes soutiennent le ralliement à la République, le suffrage universel, l’appel au peuple et sont également anticléricaux. Cette frange du Bonapartisme, comme nous l’avons déjà vu est minoritaire, cependant elle a dans son camp le chef désigné de la maison Bonaparte après la mort du Prince Impérial : Le Prince Napoléon. Le Prince peut compter sur le soutien du journal l’Ordre jusqu’en juillet 1880 avant que ce dernier entre en opposition ouverte au Prince. Pour contrer sa faible influence sur la presse Bonapartiste le Prince Napoléon vas créer un certain nombre de journaux qui ne rencontreront jamais un grand succès. Le Prince Napoléon sentant le contrôle du parti de l’Appel au Peuple lui échapper après les élections législatives ratées de 1881, tente de réagir en créant de nombreux comités, des micro-partis287 et des micro-journaux288. Le 1er avril 1885, le journal Le Peuple, successeur des journaux le Napoléon et de L’Appel au Peuple, attaché au Prince Napoléon cesse définitivement de paraître, faute de rentabilité. Ces partis et ces journaux sans audience réelle, ne font en réalité qu’affaiblir le Parti, et rendre de plus en plus illisible l’offre Bonapartiste pour les électeurs.

Dans l’autre camp, il y a les Bonapartistes conservateurs, cléricaux et rassemblés derrière le Prince Victor. Ils se définissent comme Impérialistes. Selon Garnier de Cassagnac289, l’Impérialisme peut être défini par l’attachement aux institutions napoléoniennes, la reconnaissance d’un bilan positif de l’action de l’Empire

1883, Jules Grévy nomme Armand Fallières à la présidence du Conseil des ministres, remplacé le 21 février par Jules Ferry. 287 Par exemple le comité révisionniste napoléonien crée en 1881 288 Par exemple l’éphémère journal Le Peuple, ou encore Le Napoléon 289 Le Pays, Article de Garnier de Cassagnac, du 22 juin 1879

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en France, et l’attachement au suffrage universel direct. L’Impérialisme reprend la doctrine du césarisme démocratique, c'est-à-dire : un régime autoritaire et absolu dans lequel un seul homme, soutenu par le peuple (consulté par plébiscite), est dépositaire de tous les pouvoirs. De plus, la différence entre le Bonapartisme et l’Impérialisme est que ce dernier admet l’idée d’un Empire sans la dynastie Bonaparte, si celle-ci venait à s’éteindre. Cette fraction du parti est majoritaire au sein du Bonapartisme. Elle peut compter sur le soutien indéfectible du journal Le Pays qui après la mort du Prince Impérial a choisi Victor comme nouveau champion de la cause Bonapartiste, conformément aux souhaits du Prince Impérial. Il est également soutenu par l’Ordre à partir de juillet 1880 ainsi que par le Petit Caporal de Jules Amigues. Cassagnac et Amigues sont de grands défenseurs de la cause du jeune Prince et publient de nombreux portraits et éloges. Ils créent également à Paris à l’été 1882 des comités de soutien au Prince Victor290. En 1880 Victor est enfin majeur. Les Bonapartistes lui ont assuré une rente confortable qui lui permet de s’émanciper de son père. La rupture définitive entre père et fils intervient lorsque le Prince Victor quitte le domicile familial et se déclare prétendant291. Il est reconnu comme tel par le comité Impérialiste de Paris le 19 juin 1882292. En revanche, en dépit des efforts des principaux leaders Bonapartistes, le jeune Prince Victor ne prend aucune initiative. La personnalité passive et indolente du Prince Victor crée rapidement un désamour de ses partisans qui évoquent la possibilité de se reporter sur Louis Bonaparte, son jeune frère. On compte désormais de très nombreux comités Bonapartistes divisés entre les « Impérialistes293 », les « Victorien294 », les « Ludovistes295 », les « Dynastistes296 », les « Jéromistes297 » ou

290 DE WITT Laetitia, Le Prince Victor Napoléon, Paris, Fayard, 2007, 554 pages 291 DE WITT Laetitia , Op cit. 292 Le Petit Caporal, Article du 19 juin 1882 293 Soutenant les principes Impérialistes, définis par Paul et Granier de Cassagnac 294 Impérialistes soutenant le Prince Victor Napoléon 295 Impérialistes soutenant le Prince Louis 296 Les « dynastistes » soutiennent le Prince Napoléon par respect dynastique mais ne sont pas favorable à ses idées 297 Bonapartistes qui soutiennent le Prince Rouge, Jérome Napoléon

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encore les Révisionistes298. Les « Ludovistes » ajoutent encore une dose de complexité dans un mouvement illisible et en perte de vitesse…

b) DISPARITION DES PRINCIPAUX QUOTIDIENS BONAPARTITES QUELQUES ANNÉES APRÈS LA MORT DU PRINCE IMPÉRIAL :

Quelques années après la mort du Prince Impérial, les principaux journaux bonapartistes l’ayant défendu en juin 1879 disparaissent successivement. Le Petit Caporal fait faillite en 1882 et est racheté par Henry Dichard cette faillite est due à un chute assez importante de ses tirages entre 1879 et 1882 de plus de 36% passant d’environ 25000 à moins de 16000 tirages après la mort du Prince299. Henry Dichard garde une ligne éditoriale Impérialiste mais cette faillite démontre la baisse d’audience et de rentabilité du principal journal bonapartiste des années 1876-1882. En Avril 1885, Henry Dichard se détache de l’Impérialisme victorien en publiant une brochure300 dans laquelle il fustige le Prince pour son inaction. La ligne éditoriale du Petit caporal n’est donc plus vraiment favorable à l’Empire en 1885. Il soutiendra les Boulangisme peu de temps après.

D’autre part, Le journal le Pays après un certain succès, tirant parfois à plus de 9000 exemplaires entre 1880 et 1885301, se retrouve lui aussi en difficulté financière. En 1885, à la mort de Charles-Eugène Gibiat, le propriétaire du Constitutionnel et du Pays, le journal est racheté par les Jérômistes. Toutefois, ce rachat va faire fuir les lecteurs fidèles de Paul de Cassagnac qui boycotteront le journal qui s’effondrera peu de temps après son rachat. Pour remplacer le Pays, Paul de Cassagnac fonde l’Autorité le 25 février 1886302. La devise de l’Autorité est "Pour Dieu, pour la France !"303. Face à l’inaction du prince Victor, il abandonne l’Impérialisme et invente la doctrine du

298 Bonapartistes qui souhaitent réviser la constitution pour l’élection du président au suffrage universel direct 299 BELLANGER Claude, Op cit. p.200 300 DICHARD Henry, Lettre au Prince Victor-Napoléon. Le Victorisme et le parti bonapartiste, Paris, Felix, 1885, 14 pages 301 ALBERT Pierre, Op.cit p.234 302 OFFEN Karen, The political career of Paul de Cassagnac, Stanford University, Thèse de Doctorat soutenu en 1971, 872 pages 303 L’Autorité, Article de Paul de Cassagnac, le 25 février 1886

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« Solutionnisme »304. Il cherche à démontrer qu’à défaut d’un Bonaparte, une autre dynastie peut monter sur le Trône. Il choisit donc de se rapprocher du Comte de Paris305. Cette doctrine inspire la ligne éditoriale de L'Autorité, conservatrice et alliée aux Monarchistes. Le Pays finit donc par être absorbé par les Jérômistes et boycotté de ses lecteurs tandis que Paul de Cassagnac abandonne l’Impérialisme au profit de l’Orléanisme contre la République.

La mort du Prince Impérial est donc un des éléments déclencheur qui a conduit à l’effondrement du parti bonapartiste et de la presse Bonapartistes. En moins de sept ans après la mort du Prince, trois des principaux journaux bonapartistes parisiens ont disparu ou ne soutiennent plus le Bonapartisme. Le dernier l’Ordre, ne représente plus que 2000 à 4000 tirages. L’unité maintenue autour de la figure du Prince Impérial a volé en éclat, tant au niveau politique qu’au niveau de la presse.

304 Le Temps, Article du 26 février 1886 ; appel par dérision cette nouvelle doctrine le « nimportequisme », parce que n'importe qui ou n'importe quoi est jugé préférable à la République pour Cassagnac 305 L’Autorité, Article de Paul de Cassagnac, Le 3 mars 1886

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C. MUTATION DU BONAPARTISME VERS L’IMPÉRIALISME : LES DERNIERS SUCCÈS ET LA POSTÉRITÉ DU MOUVEMENT

Lors des élections de 1881306, puis de 1885307, Les Bonapartistes choisissent de s’allier aux conservateurs et enregistrent d’importantes défaites. Ce n’est plus alors qu’une composante de la droite conservatrice et antirépublicaine. Le coup de grâce est asséné par la loi d’exil du 22 juin 1886308. Cette loi interdit à tous les membres des familles ayant régné en France de séjourner sur le territoire sous peine d’être reconduits à la frontière. Exilés, les Princes Victor et Jérôme décident de faire profil bas pour convaincre la République que contrairement aux Orléans, ils ne méritent pas cet exil.

a) LA LENTE AGONIE DU BONAPARTISME RÉACTIONNAIRE ET CONSERVATEUR

Cette loi d’exil accélère le déclin d’une famille politique réduite à des prises de positions antiparlementaires, antirépublicaines et « solutionistes » défendues par Paul de Cassagnac dans l’Autorité. Le « Solutionisme » et l’Impérialisme évoqués après la mort du Prince Impérial sont des solutions pour continuer à s’opposer à la République sans la famille Bonaparte devenue trop faible et divisée. Privée de leader, le mouvement ne parviendra pas à renaître. Les anciens Bonapartistes s’enferment dans une logique étroitement révisionniste et plébiscitaire. Cela les conduira à soutenir, pour certain, le prétendant Royaliste309, et pour d’autre le général Boulanger, favorable à l’établissement d’une République musclée. Les derniers bastions Bonapartistes en Corse, dans le Gers310 ou en Charente vont progressivement disparaître face à la montée en puissance de la République qui s’impose incontestablement. A la fin du XIXe siècle, le Bonapartisme ne représente plus qu’un secteur très marginal du paysage politique

306 En 1881, les Bonapartistes représentent 8.44% des sièges à l’Assemblée Nationale 307 En 1885, les Bonapartistes représentent 11.13% des sièges à l’Assemblée Nationale 308 Cette loi est promulguée après une cérémonie célébrant à l’hôtel de Matignon les fiançailles très ostentatoires de la fille du comte de Paris et du Prince royal Charles du Portugal, vécu comme une provocation par la République. 309 A la mort du Duc de Chambord en 1883, les deux mouvements Monarchistes ont fusionnés pour soutenir le Comte de Paris 310 C’est dans le que sont élu Paul de Cassagnac et Granier de Cassagnac

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Français. En 1889, les Bonapartistes ne représentent plus que 44 élus à l’Assemblée. Lors des élections législatives de 1893 le Bonapartisme cesse de former un groupe parlementaire indépendant. Aucun élu à proprement parler Bonapartiste ne siègera dans cette Assemblée. Les quelques élus sympathisants du Bonapartisme sont ralliés à la République ou aux Monarchistes (19 en 1893, 5 élus en 1902). Entre 1889 et 1891 de très nombreux Bonapartistes se rallient au général Boulanger. Cet homme qui parvient à réunir autour de lui de très nombreux déçu de la IIIe République s’appuiera comme les Bonapartistes sur l’ambigüité entre appel au Peuple et autorité, plaçant au cœur de son programme le peuple et la patrie, dans l’espoir d’une reconquête de l’Alsace- Loraine. Il parvient à réunir des Républicains modérés souhaitant réviser la constitution ainsi que de nombreux conservateurs opposés à la République. L’échec de l’aventure Boulangiste ruine les derniers espoirs des Bonapartistes qui voyaient en lui le nouvel homme providentiel, l’Impérialiste capable de restaurer un Empire sans les Bonaparte. Le groupe parlementaire de l’Appel du peuple disparaîtra même au terme de cet échec militaire. Pendant la première guerre mondiale les Bonapartistes sont ralliés à l’ « Union Sacrée ». En 1919, on dénombre encore douze Bonapartistes dans la chambre « Bleu Horizon » élu sous le nom « comité plébiscitaire311 ». Le 15 décembre 1940, les cendres de l’Aiglon312 sont ramenées à Paris sur ordre d’Adolphe Hitler. Craignant une récupération de la figure de son ancêtre par les nazi, le prince Louis Napoléon (1914 – 1997) ordonne la dissolution de toutes les organisations Bonapartistes d’audience nationale et s’engage dans la Résistance313. Il restait alors deux députés et environ 500 adhérents. Mais à cette date, les principes plébiscitaires et césaristes sont depuis longtemps passés dans d’autres mains. On retrouve des principes de cette nature dans le Gaullisme par exemple314.

311 Selon le Centre d'Etudes et de Recherche sur le Bonapartisme : http://lecerb.canalblog.com/ consulté le 14 juin 2017 312 Le Fils de Napoléon Ier 313 Grâce à sa participation à la résistance, le Prince sera autorisé à séjourner en France et s’installera à Paris. La loi d’exil ne sera abrogée qu’en 1951 314 René Rémond, Op cit. Chapitre VII à IX sur l’Union des droites et XIII à XV sur le Gaullisme

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b) LA FIN DU BONAPARTISME

La Mort du Prince Impérial constitue une rupture clef dans l’histoire du Bonapartisme. De nombreux journaux républicains à sa mort annoncent la fin du Bonapartisme et la fin de l’Impérialisme. L’histoire leur a donné raison. L’étude du mouvement Bonapartiste après la mort du Prince permet de comprendre les raisons de l’éclatement du parti en l’absence de chef incontesté. En moins de dix ans, la Bonapartisme a disparu du paysage politique Français. En moins de sept ans, l’écrasante majorité des journaux qui avaient pleuré la mort du Prince à partir du 21 Juin 1879, a disparu ou radicalement changé de ligne éditoriale à l’image du Gaulois ou du Pays. Pour survivre le Bonapartisme s’est divisé, et a muté. D’abord vers l’Impérialisme, puis vers le « Solutionisme » avant de disparaître dans une dernière tentative avec le Boulangisme. Enfermé dans l’opposition systématique à la République, le Bonapartisme cherchait à lutter contre le sens de l’histoire et étrangement contre la volonté du peuple que le Prince Impérial entendait représenter. Le Bonapartisme s’éteint faute de Bonaparte influents et capables de rassembler le parti après la mort du Prince Impérial. Les résidus Bonapartistes en France, notamment en Corse, sont aujourd’hui anecdotiques315. Pourtant, rien ne permet d’affirmer que si le Prince Impérial avait vécu les évènements se seraient véritablement déroulés différemment. En effet, les divisions au sein du parti et les ambiguïtés étaient déjà présentes. De plus, la tentative de définition politique du Prince Impérial laisse penser qu’il s’inscrivait dans la tendance la plus conservatrice du Bonapartisme. Rien ne permet d’affirmer que la scission du parti n’aurait pas eu lieu. Rien ne permet d’affirmer non plus que le Bonapartisme, mené par ce jeune Prince aurait réussi à se relever de la défaite électorale de 1877. On ne peut que constater que sa mort a précipité la chute du mouvement et la disparition progressive de sa famille politique, à l’Assemblée Nationale et dans la presse.

315 Le maire d’Ajaccio (2015- ) et député de la Première circonscription de Corse du Sud (2012-2017), Laurent Marcangelli est depuis 2013 membre d’honneur du Comité Central Bonapartiste, actif quasi exclusivement en Corse

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CHAPITRE 3 : LA FIDÉLITÉ DE L’IMPÉRATRICE À LA MÉMOIRE DE SON FILS

A. LE DEUIL DIIFICILE DE L’IMPÉRATRICE A l’annonce de la nouvelle de la mort de son fils, l’Impératrice Eugénie s’effondre. Elle ne se nourrit plus et garde la chambre. Elle écrit dans une lettre à sa mère Manuela de Montijo : « Rien ne peut remplacer mon fils. Tout était pour lui, il était tout pour moi 316». Le seul apaisement à sa douleur, semble être lorsqu’elle saura que son fils s’est battu courageusement et qu’il a fait honneur au nom Bonaparte.

a) LA SANTÉ DE L’IMPÉRATRICE :

Les journaux bonapartistes mais aussi monarchistes tels que le Figaro ou Paris- Journal dépêchent à Chislehurst des correspondants chargés de surveiller la santé de l’Impératrice Eugénie après l’annonce du drame. Cette rubrique, parfois nommée « A Chislehurst » dans le Gaulois ou encore « La Santé de l’Impératrice » dans Paris- Journal va occuper les gazettes chaque jour jusqu'à la mi-juillet pendant environ un mois après l’annonce de la mort du Prince. L’Impératrice souffre physiquement de la mort de son fils. Elle ne dort plus, prie des heures durant et paraît dans un état de fatigue extrême. Dans le Gaulois du 24 juin 1879 par exemple on peut lire :

L’Impératrice est toujours très souffrante. Malgré tous ses efforts, le docteur Corvisart ne peut faire disparaître les contractions nerveuses et de l’estomac, qui l’empêchent de prendre aucune nourriture on est parvenu à lui faire boire quelques cuillérées. Sa fatigue a fini par l’emporter cette nuit sur l’excès de sa douleur, et elle a pris trois heures de repos environ. Elle répète constamment ces trois mots « tout est fini ». 317

Le 1er juillet on peut lire encore un télégramme envoyé par le docteur Corvisart : « Il n’y a pas de changement défavorable dans les forces physiques. Cette nuit l’Impératrice a dormi318 ». Le degré de détails de ces articles est impressionnant puisque l’on peut retracer les nuits et les prières de l’Impératrice sur l’ensemble de la

316 Lettre familière de l’Impératrice Eugénie, Tome II, Lettre à sa mère Manuela du 22 juin 1879 317 Le Gaulois, Article de Monjoyeux, du 24 juin 1879. 318 Le Gaulois, Article du Docteur Corvisart (Médecin de l’Impératrice), du 1er juillet 1879

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période avec une grande précision. La Santé de l’Impératrice est donc un véritable sujet de préoccupation qui apparaît dès la première colonne du Gaulois pendant 2 semaines, jusqu'à ce que son état se stabilise.

b) LES HOMMAGES OUBLIÉS AU PRINCE IMPÉRIAL :

L’Impératrice est extrêmement croyante et s’enferme dans la prière et le deuil. Elle portera l’habit noir jusqu'à sa mort en 1920. Meurtrie, ayant tout donné à la cause Bonapartiste, elle se retire du monde pour un deuil long de près de quarante ans. Elle refusera de recevoir les nouveaux prétendants Bonapartistes et d’alimenter les querelles de successions. A partir de la mort de son fils elle va méticuleusement récupérer tous les objets ayant un lien avec la vie et la mort de son fils. A la fin de la guerre du Zoulouland, le Roi Ceteswayo fit restituer à l’Impératrice tous les objets qui avaient été volés sur le corps de son fils. Elle récupéra ainsi tous les objets qu’il avait emporté avec lui en Afrique du Sud, de son nécessaire de voyage au cachet de cornaline, légué par son père qu’il portait autour du coup ce funeste 1er juin. Elle récupéra également la tunique ensanglantée et lacérée par les Sagaies, la selle dont la sangle a lâché ou encore l’épée qu’il empoignait en rendant son dernier soupir. Tous ces objets furent entreposés dans la chambre du Prince Impérial à Camden Place puis dans la « chambre des souvenirs » de Farnborough319. L’uniforme lacéré fut recousu à l’endroit des coups de sagaie et placé dans une armoire de fer que l’Impératrice n’ouvrait jamais. Tous ces objets ont rejoint, après la mort de l’Impératrice le Musée de Compiègne. Ils furent répertoriés avant d’être exposés320. Le Berceau du Prince Impérial, pieusement conservé rejoindra quant à lui le Musée Carnavalet de Paris321. Cette liste de funestes objets rappelle l’attachement profond de cette mère à son fils et marque une quête quasi fétichiste des objets ayant appartenu au Prince Impérial. La quête de ces objets est un

319 La dernière demeure de l’Impératrice 320 Archives Nationales 400AP/79 : « Inventaire des objets contenus dans les vitrines et dans la chambre des Souvenirs » 321 Archives Nationales 400AP/79 : « Lettres relatives au don par l’Impératrice Eugénie du berceau du Prince Impérial à la ville de Paris. »

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moyen pour l’Impératrice de faire son deuil en gardant près d’elle les reliques de son fils. L’église Sainte-Mary de Chiselhurst s’avèrera trop étroite pour accueillir dignement les dépouilles de son mari et de son fils. Elle fit donc ériger une Abbaye, Saint Michel de Farnborough, dans le Hampshire. En 1888, le Prince Impérial rejoint donc sa dernière demeure, dans un cercueil de marbre écossais offert par la Reine Victoria322. Chaque statue, ou monument érigé en l’honneur de son fils est l’occasion pour Eugénie de se rendre en pèlerinage, pour la mémoire de son fils. Le Morning Post britannique proposa qu’un monument soit élevé en l’honneur du Prince Impérial mort sous l’uniforme Anglais à l’abbaye de Westminster, le panthéon britannique. Le gouvernement britannique s’y refuse323. Cette statue, de marbre blanc représentant le Prince Impérial les mains jointes sur son épée à la façon d’un soldat du Moyen Age, fut finalement abritée dans la Chapelle Saint George de Windsor, à la demande de la Reine Victoria. Une grande statue en bronze, ornée d’aigles impériaux est également installée dans la cours de l’Ecole Militaire de Woolwich en l’honneur du Prince324. L’Impératrice se rend en prière devant ces deux monuments en l’honneur de son fils. Dans la presse française, il y a très peu de mentions de tous ces évènements et hommages, qui interviennent trop longtemps après la mort du Prince. Si la presse française passe à autre chose, ce n’est pas le cas d’Eugénie. L’Impératrice s’étant retirée de la vie politique, ces évènements ne sont commentés que dans la presse anglaise passeront totalement inaperçus en France. Malgré les nombreuses souscriptions organisées par les journaux bonapartistes325 pour ériger en France des monuments et des statues à la gloire du Prince Impérial, la République les interdira. Seul un élégant monument verra le jour en bordure du parc de Malmaison à Rueil, près de l’ancienne demeure de Napoléon Ier. On y a reproduit en bronze la célèbre statue de

322 L'abbaye Saint-Michel abrite toujours la vie monacale des Bénédictins qui conservent et entretiennent avec une grande dévotion les tombeaux Impériaux dans la crypte 323 En Angleterre, la mort du jeune Prince est perçue comme un cruel échec de l’armée anglaise qui n’a pas su le protéger. Sa mort a donc déclenché des contestations contre la guerre au Zoulouland, contre le gouvernement de Benjamin Disraeli et contre l’armée britannique. 324 Cette statue est aujourd’hui devant l’Ecole militaire de Sandhurst 325 Notamment le Gaulois dont on peut suivre l’évolution pendant plusieurs semaines avant le changement de ligne éditoriale.

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Carpeau représentant le petit Prince enfant, avec son chien Néro. Les Français redécouvriront l’Impératrice Eugénie dans les journaux Français à sa mort en 1920.

B. L’ÉVENTAIL DE PRESE RÉUNI PAR L’IMPÉRATRICE EUGÉNIE À LA MORT DE SON FILS

Très affectée par la mort de son fils et rassemblant tout ce qui a un lien avec lui, l’Impératrice va collecter dans un grand livre noir, des articles publiés en hommage au Prince disparu. Cet éventail de presse constitué par l’Impératrice compte plus d’une cinquantaine d’article découpés directement dans la presse et collés à laquelle l’Impératrice ajoute simplement la date et le titre du journal de façon manuscrite. Cette sélection permet tout d’abord de comprendre quelle presse Eugénie lisait au moment de la mort de son fils. Ces articles, sélectionnés par une mère en deuil sont aussi une bonne indication de sa vision des évènements puisqu’à travers cette sélection il y a des choix et des orientations politiques. Ce panel peut être un aperçu des articles marquants pour L’Impératrice.

a) LES ARTICLES LOUANT LA BRAVOURE DE SON FILS :

Tout d’abord le livre noir s’ouvre sur les articles de l’Ordre. Ces articles dont les passages sont sélectionnés et découpés sont regroupés autour d’un même thème : le courage du Prince. Le Prince est mort en Soldat, en Héros, « Victime de son courage ». Voilà le premier élément que l’Impératrice souhaitait retenir de la mort de son fils. Dans les premières pages du recueil, l’Impératrice rassemble tout d’abord de nombreux articles qui parlent du courage du Prince. Ce sont essentiellement les journaux Bonapartistes mais aussi quelques journaux républicains modérés comme quelques phrases publiées dans L’Evènement ou dans L’Assemblée Nationale. Ces articles de journaux républicains extraits de la revue de presse faite dans L’Ordre le 21 juin 1879. 326 Elle découpe également les traductions présentées dans l’Ordre de journaux britanniques tels que le Times et le Daily Telegraph qui parlent également de la grande

326 Archives Nationales 400AP/78 : L’Ordre, Article du 21 juin 1879

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bravoure du Prince. Le premier apaisement à la douleur de l’Impératrice est donc de collecter dans les journaux la preuve que son fils est mort vaillamment et a fait honneur à son nom.

b) LES ARTICLES EN FAVEUR DU RÉCIT D’UN DEUIL GÉNÉRALISÉ :

L’Impératrice sélectionne ensuite de nombreux articles encadrés de noir. Cet encadré noir, qui signifie que le journal porte le même deuil que l’Impératrice, la rassure. En effet, au sein de ces encadrés, seul des gens qui partagent sa douleur, son désarroi et sa tristesse s’expriment. Elle sélectionne les articles les plus touchants, ceux qui expriment leur douleur avec le plus beau verbe, ceux dont les émotions résument le mieux sa pensée. Elle découpe par exemple Le vibrant hommage de l’Ordre au Prince Impérial publié le 22 juin 1879. Cet article affirme que la journée du 21 juin a été une véritable journée de deuil public et recense les hommages spontanés et les témoignages de respect dans Paris.

Oui Paris a pleuré, comme on pleure sur un enfant que on a vu naître », « Le peuple enfin a senti qu’il venait de perdre l’un des siens », « Ah nous honorons le peuple de Paris, et nous le bénissons, pour sa douleur si vraie, si spontanée et si profonde, ce peuple qui malgré le temps, et l’infortune et l’exil, a gardé dans son cœur, quoiqu’on ait pu dire, la reconnaissance et la fidélité envers les Napoléons. 327

L’Impératrice recherche donc les articles qui partagent ses émotions et décrivent le deuil dans la capitale. Lorsque l’arrangement de l’article le permet, elle choisit de découper les articles avant les hommages qui lui sont rendus personnellement, se consolant davantage dans la lecture des scènes de manifestations spontanées et de deuil collectif dans Paris. Sa seconde consolation est de savoir que son fils était aimé, autant par elle que par une partie de la France et qu’elle n’est pas seule dans ce deuil. Les journaux bonapartistes sont ceux qui décrivent le plus ce respect et ce deuil partagé dans Paris. Aucune mention ici des quartiers populaires de la capitale comme Belleville, Montmartre ou encore rue Mouffetard où était scandé « Vive les Zoulous »

327 Archives Nationales 400AP/78 : L’Ordre, Article du 22 juin 1879 découpé par l’Impératrice

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selon la presse Républicaine328. Pour l’Impératrice, ces scènes de deuil sont autant de prières pour son fils qui peuvent lui permettre de rejoindre le paradis, consolation suprême des catholiques. Elle découpe de très nombreux journaux encadrés de noir, essentiellement dans la presse Bonapartiste et note le nom des auteurs, comme autant de lettres de condoléances qui lui seraient adressées. Elle conserve par exemple les articles de Jules Amigues dans le Petit Caporal, ceux de Gaston de Saint Valry dans La Patrie, ceux de Paul de Cassagnac dans le Pays ou encore ceux d’Edmond Tarbé dans le Gaulois. Elle conserve également tous les témoignages internationaux comme pour élargir encore la provenance des condoléances. Elle conserve par exemple les lettres qui lui sont adressées, publiées en anglais dans le Times ou le Daily Telegraph ou encore des « lettres d’Allemagne » publiées par L’Ordre. Ces articles, ces lettres tendent à prouver que le deuil n’est pas seulement national mais véritablement européen. Eugénie lit également la presse espagnole au sujet de la mort de son fils. Le message derrière chacune de ces lettres est que ce deuil traverse les frontières et émeut des européens bien au-delà des frontières françaises. Ces témoignages d’affections viennent s’ajouter aux milliers de télégrammes de condoléances adressés à l’Impératrice329. On peut citer par exemple celle-ci, d’un belge, publié dans la Patrie le 28 juin 1879 :

Madame, Il est des douleurs qui ne veulent point être consolées. La vôtre et celle de la France sont de ce nombre. Toutes deux ont perdu un fils prématurément, enlevé à leur maternelle affection. Frappé nous-même dans nos plus chères espérances, nous venons prier ces deux mères inconsolables de nous permettre de mêler nos larmes aux leurs et déposer aux pieds de Votre Majesté, l’expression de notre inaltérable et douloureuse sympathie330

328 La Marseillaise, Article du 22 Juin 1879 329 Archives Nationales 400AP/78 : « Télégrammes de condoléances adressés à l’Impératrice lors du décès de son fils » et « Coupures de presse relatives au décès du Prince Impérial » 330 Archives Nationales 400AP/78 : Article de La Patrie, le 27 juin 1879, courrier d’un lecteur découpé par l’Impératrice.

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c) LES ARTICLES CONCERNANT LE SERVICE FUNÈBRE À SAINT AUGUSTIN EN L’HONNEUR DU PRINCE :

L’Impératrice récupère également un certain nombre d’articles de presse concernant le service funèbre organisé en l’honneur du Prince Impérial à l’Eglise Saint Augustin qui s’est tenu à Paris le 26 juin 1879. Elle découpe notamment les articles de La Patrie et du Pays et du Gaulois. Ces journaux bonapartistes décrivent l’Assemblée de fidèles rassemblée dans cette grande église emblématique du second Empire que l’Empereur avait un temps envisagé comme crypte Impériale avant son exil. La Patrie écrit :

La foule en habit de deuil arrivait, longtemps avant l’heure, de tous les quartiers de Paris et venait se masser autour de la vaste église qui n’a pas tardé à être remplie. Bientôt, toute l’esplanade qui s’étend devant Saint Augustin, jusqu’au boulevard Haussmann a été recouverte d’une multitude compacte et recueilli. A droite et à gauche, les trottoirs étaient envahis, et du haut des marches de Saint Augustin, aussi loin que la vue pouvait s’étendre, on ne voyait que ce flot humain sur lequel régnait le calme d’une pieuse et immense douleur331

Cette description de la vaste église saint Augustin et de la place des Augustins noire de monde laisse imaginer l’ampleur de la manifestation et l’importance dans Paris de la mort du Prince. Il est néanmoins nécessaire de prendre ce témoignage pour ce qu’il est c'est-à-dire un témoignage partisan, d’un Bonapartiste très touché par la foule réunie en l’honneur du Prince Impérial. Ce témoignage est conservé parmi d’autre, exprimant tous le sentiment d’une foule immense réunie pour le service funèbre du Prince Impérial à Paris. Par exemple Le Pays évoque le chiffre de 20000 personnes présentes devant Saint Augustin332. Parmi les journaux découpés et conservés sur cette cérémonie, il n’y a que des journaux cléricaux et bonapartistes qui vont dans le sens du deuil collectif et abondamment partagé dans Paris. L’Impératrice a choisi d’écarter la presse républicaine même modérée. En effet, si la presse républicaine ne nie pas la foule imposante présente devant l’église et à l’intérieur, elle l’explique par la présence de très nombreux curieux qui souhaitaient apercevoir les anciens dignitaires de

331 La Patrie, Article du 27 juin 1879, découpé par l’Impératrice 332 Le Pays, Article de Paul de Cassagnac, le 28 juin 1879 découpé par l’Impératrice.

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l’Empire ainsi que les Princes et Princesse Bonaparte. C’est notamment l’opinion défendue dans le Siècle, le 27 juin 1879 :

Avant dix heures, des degrés de l’entrée principale de l’église Saint-Augustin était occupé par un public très mélangé, mais où l’élément domestique dominait. Il semblait que les gens de maison avaient pris congé et s’étaient donnés rendez-vous Boulevard Malesherbes ; Aux abords de l’église, on voyait un grand nombre de curieux venus uniquement pour assister à l’entrée des personnages du parti bonapartiste333.

En rejetant ce type d’article de sa « revue de presse », l’Impératrice exclut en quelque sorte d’idée que ces gens, amassés devant l’église, étaient là par curiosité et non pour partager le deuil du Prince Impérial. Le recueil de l’Impératrice recèle en réalité très peu d’extraits de journaux Républicains et elle ne sélectionne que ceux qui vont dans le sens du Bonapartisme, du respect du prince et du respect de son deuil334. Ces articles sélectionnés sont un choix qui exclut volontairement des journaux comme le Siècle, le Temps ou encore des journaux plus radicaux. Elle préfère penser que Paris partage son deuil et que les gens venus se recueillir à Saint augustin n’étaient pas des curieux mais simplement des gens émus par la mort de ce jeune Prince qu’ils avaient vu naître et grandir.

d) L’IMPÉRATRICE, SENSIBLE À L’HOMMAGE DES MONARCHISTES :

Eugénie conserve également dans ce recueil un grand nombre d’articles issus de la presse Monarchiste qui rend un hommage appuyé au jeune Prince Impérial. On retrouve parmi les articles découpés par Eugénie des articles d’Adrien Maggiolo, journaliste à La France Nouvelle, ou encore des articles du Figaro, de L’Union ou de Paris-Journal. La presse que lit l’Impératrice n’est pas exclusivement Bonapartiste, elle est cependant toujours cléricale et conservatrice. Ces articles permettent à l’Impératrice de penser que son deuil est partagé au-delà de sa famille politique et que même ses adversaires Légitimistes et Orléanistes n’en profitent pas pour salir la

333 Le Siècle, Article du 27 juin 1879 qui n’est pas présent dans le recueil de l’Impératrice. 334 L’Impératrice ne semble pas lire la presse républicaine puisque ces extraits de journaux Républicains sont en réalité découpés dans l’Ordre ou le Gaulois qui citent la presse républicaine.

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mémoire de son enfant. Dans le Figaro du 21 juin, découpé par l’Impératrice on peut lire :

Sachant tout l’intérêt qui s’attache à ce deuil, que nous ne craignons pas de qualifier de national, nous donnerons dans nos numéros successifs les moindres détails que nous pourrons trouver chez nos confrères ». On lit quelques lignes plus loin : « A quelque parti qu’on appartienne il est impossible de parler sans émotion de la mort tragique du fils de Napoléon III. Les lecteurs du Figaro s’associeront tous à l’hommage que d’un cœur respectueusement navré, nous adressons à sa mère. 335

Ces témoignages de sympathie et de respect sont conservés par l’Impératrice, soulagée de constater un comportement amical, une trêve dans le camp conservateur à l’occasion de la mort de son fils. Elle conserve également les articles qui défendent son fils contre les attaques républicaines qu’elle n’ignore pas. Le Figaro défend par exemple le Prince dans ses articles du 21 juin et du 22 juin. Le 22 juin un article publié sous le titre « la Lâcheté humaine336 », dénonçant l’attitude inacceptable de certains républicains qui font preuve d’une grande désinvolture et d’un manque de respect élémentaire dû aux morts mais aussi aux anciennes familles régnantes. Malgré des désaccords politiques avec le Bonapartisme, le journaliste, ancien soldat de l’Empire rallié à au Monarchisme fustige la « lâcheté humaine » des Républicains qui s’en prennent à la mémoire du Prince Impérial. C’est donc naturellement, parce que cet homme défend son fils avec beaucoup de verve contre ses détracteurs Républicains que l’Impératrice découpe cet article pour l’ajouter au recueil. D’autres exemples de conservateurs, pas nécessairement Bonapartistes mais antirépublicains, qui fustigent l’attitude de certains journaux sont également ajoutés au recueil comme les articles du Paris-Journal ou la Défense sociale et religieuse. On constate parmi les articles conservés par l’Impératrice une surreprésentation des journaux l’Ordre, ce qui n’est guère étonnant mais aussi du Figaro, chose plus surprenante puisque ce journal est monarchiste et non bonapartiste. Cependant, son attitude et sa ligne éditoriale au moment de la mort du Prince Impérial est très proche des journaux bonapartistes.

335 Le Figaro, Article de F. Magnard, du 21 juin 1879 336 Archives Nationales 400AP/78 : Article du Figaro, le 22 juin 1879, découpé par l’Impératrice.

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Le recueil d’articles de presse collectés par l’Impératrice Eugénie est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord il permet d’accéder à des articles aujourd’hui introuvables. D’autres parts, il permet d’entrevoir la vision que l’Impératrice avait de la presse. Ce recueil ne contient aucun article directement issu de la presse Républicaine. C’est donc un recueil partial, qui ne prend en compte que la vision conservatrice et cléricale des évènements. Ce recueil nous éclaire une fois de plus sur l’alliance conservatrice autour de la mort du Prince Impérial puisque même Eugénie était une lectrice assidue du Figaro et du Paris-Journal. Les propos de ces journaux sont toujours semblables. Ils tournent autour du deuil, du respect du mort, des cérémonies en son honneur, des hommages mais aussi du récit de sa mort en héros, en soldat, en Bonaparte. Dans chacun de ces articles on ressent l’ampleur des manifestations qui entourent la mort du Prince Impérial. Le souci d’Eugénie à travers la réunion de tous ces articles semble être de prouver la popularité de son fils et l’attachement de milliers de personnes à l’être le plus important de sa vie. C’est sa fierté de mère de savoir que son fils est mort aimé. Elle a donc voulu en garder une preuve, à travers ce recueil et ces centaines de témoignages d’affections, qui ne sont qu’une infime partie des hommages ayant été publiés. Elle ignore toutefois volontairement les critiques et se refuse à faire un catalogue des articles orduriers, blasphémateurs ou même simplement détachés et distants à l’égard de la mort de son fils unique. Ce recueil est donc à la gloire de son fils. Elle choisit de conserver les articles qui l’ont touchée, par ceux qui l’ont blessée. Selon Jean Claude Lachnitt, l’Impératrice a tenu à lire tout ce qui paraissait dans les journaux, même les plus maladroits ou les plus injurieux. Cependant, elle ressentit comme une grande injustice lorsque ces derniers cessèrent d’en parler. Le silence des journaux accrut encore un peu son deuil337.

337 LACHNITT Jean Claude, Op. Cit, p310

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C. LE VOYAGE EN AFRIQUE DU SUD, SUR LES TRACES DE SON FILS

Pour le premier anniversaire de la mort de son fils, l’Impératrice n’eut qu’une idée en tête, se rendre en Afrique du sud en pèlerinage, sur les traces du Prince Impérial, pour voir de ses yeux les lieux du drame, comme pour mieux l’accepter. Pour ce voyage, elle est accompagnée de 5 serviteurs. Elle s’entoure également d’amis pour cette épreuve difficile et choisit le Marquis de Bassano ainsi que deux amis anglais du Prince, le capitaine Biggle et le lieutenant Slade. Enfin, la Reine Victoria qui souhaite que ce voyage se déroule dans les meilleures conditions lui avait également constitué une suite composée de Sir Evelyn Wood, lady Wood ainsi que le docteur Scott qui avait autopsié le Prince Impérial et la veuve du capitaine Molyneux, mort lors de la prise d’Ulundi338.

a) UN PARFUM DE VERVEINE :

L’Impératrice part d’Angleterre le 28 mars 1880. A son départ de Londres, la Reine fait tirer 23 coups de canon en l’honneur des 23 années du Prince Impérial au moment de sa mort. Lors d’une première escale à Saint Hélène, elle se recueille à Longwood dans la chambre où Napoléon Ier a rendu son dernier souffle. L’Impératrice reprend ensuite le bateau en direction du Cap. Lors de son arrivée à Durban, comme son fils avant elle, elle contracte une fièvre qui l’oblige à s’aliter quelques jours. Vers la mi-mai elle arrive à Pietermaritzburg, capitale du Kwazulu-Natal. Elle se rend alors dans la chapelle Saint Mary, première église catholique fondée au Natal, où fut exposé la dépouille du Prince Impérial, les 8 et 9 juin 1879, avant d’être transportée en Grande- Bretagne. Pour le premier juin, elle part en expédition sur les traces de la dernière mission de son fils. Sur les lieux du drame, une grande croix en marbre entourée d’un muret de pierre, érigée sur ordre de la Reine Victoria a remplacé le petit tumulus provisoire construit par les soldats anglais. Pendant cinq jours, avant le 1er juin 1880, l’Impératrice éplorée refit à pied le chemin entre l’emplacement du Kraal et le lieu de

338 Archives Nationales 400AP/78 : Liste des Passagers de la « Union Stream Ship Company » du 28 mars 1880

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la mort de son fils. Elle eut également le terrible courage de demander à rencontrer et à interroger, avec un interprète, les hommes qui avaient participé à l’attaque. Ils confirmèrent à l’Impératrice que son fils était mort en soldat, qu’il s’était battu « comme un lion » et que s’il avait rendu les armes et décliné son identité ils ne l’auraient probablement pas tué. C’est à cette occasion, en signe de respect, que les effets personnels du Prince ont été rendus à l’Impératrice339. Le soir du premier juin l’Impératrice décide de passer la nuit en prière sur les lieux où son fils s’est éteint. Seule, agenouillée devant le monument elle alluma des bougies pour se recueillir. Elle racontera dans une lettre qu’à l’aube « Il se passa une chose étrange. Bien qu’il n’y eut pas un souffle de vent, la flamme des bougies se coucha. Comme si quelqu’un voulait les éteindre.340 » A ce moment, il lui sembla sentir une fragrance de verveine, le parfum préféré de son fils. Cette histoire plutôt poétique laisse à penser qu’elle est entrée en communication avec l’esprit de son fils. C’est en tout cas avec ce sentiment, l’âme apaisée malgré la douleur qu’elle rentre en Angleterre.

b) LE PRINCE IMPERIAL, LE 1er 1880 À PARIS :

Que reste-il du souvenir du Prince Impérial, un an après sa disparition dans les journaux nationaux ? Alors que sa mère est en prière en Afrique du Sud, à Paris, le 1er juin 1880, le jour de l’anniversaire du Prince Impérial, l’effervescence est retombée. Les journaux Bonapartistes n’oublient pas cette date et rendent hommage à Louis. Le Gaulois, l’Ordre ou encore le Petit Caporal reviennent sur l’émotion qu’avait suscité ce drame l’année précédente et récapitulent le fin mot des enquêtes menées en Angleterre pour savoir qui étaient les responsables de la mort du Prince. L’hypothèse d’un complot avait été écartée et c’était davantage la lâcheté du Capitaine Carey et la négligence de Chelmsford et Harrison qui avaient été pointées du doigt. Le journaliste du Gaulois écrit :

J’ai raconté en son temps cette mort et les circonstances dramatiques qui l’entourèrent, je n’y reviendrais pas. Pareilles notes ne se transmettent à l’histoire que sous l’influence d’une

339 A l’exception de sa montre, retrouvée bien plus tard et qui fait aujourd’hui la fierté du musée de Durban 340 Lettre citée par DES CARS Jean, Eugénie la dernière Impératrice, Paris, Perrin, 2000, 624 pages

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impression première. Les souvenirs lointains, même vivaces, ne sauraient qu’en affaiblir la portée. Aussi bien me serait-il pénible de reparler encore de trahison ou de lâcheté, d’imprévoyance et de responsabilités personnelles, toutes choses devenues de conceptions purement historiques, après les témoignages reçus des acteurs et des témoins de cette lugubre catastrophe. 341

L’auteur résume ici le propos de la presse Bonapartiste au matin du 1er juin 1880. Un an après la mort du Prince, il reste dans le cœur des Bonapartistes un amer sentiment d’injustice et d’inachevé. Les journaux profitent également de cet anniversaire funeste pour reparler du Prince Impérial avec émotion. Le journaliste du Gaulois, dans le même article compare par exemple le Prince Impérial à Rolland, le neveu de Charlemagne mort à la bataille de Roncevaux342. A ses yeux le Prince Impérial est devenu le héros d’une chanson de geste, d’une épopée. Le Prince est également comparé à un « tigre », symbole de férocité et de courage. L’image du Prince, un an après sa mort est clairement idéalisée. Comme après sa mort, il est comparé à un héros tragique. Dans les journaux bonapartistes, le 1er juin est également un jour de recueillement. Des rassemblements ainsi que plusieurs messes en l’honneur du Prince ont eu lieu à Paris, à Saint Augustin, dans l’église de Passy mais aussi à Saint Philippe-du-Roule343. Dans le reste de la presse en revanche le silence presque total. La mort du Prince n’est plus un évènement d’actualité. Les journaux républicains n’y font aucune référence tandis que les Monarchistes adressent simplement un message d’amitié à l’Impératrice pour ce jour de deuil344. Le voyage de l’Impératrice en Afrique du Sud n’est pas commenté non plus dans la presse.

341 Le Gaulois, Article du 1er juin 1880 342 Le Gaulois, Article du 1er juin 1880 343 Le Gaulois, Article du 1er juin 1880 344 L’Univers, Article du 1er Juin 1880

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c) AUJOURD’HUI, UNE « ROUTE NAPOLÉON » EN AFRIQUE DU SUD :

La route du Prince Impérial est un hommage rendu à ce destin tragique. Elle passe par des lieux et des édifices fréquentés par le Prince Impérial en 1879 ou par l’Impératrice Eugénie en 1880. Il y a par exemple plusieurs bâtiments à Pietermaritzburg345 comme L’hôtel Impérial346, ou le Prince séjourna ou encore la résidence des gouverneurs du Natal où le Prince se rendit pour prendre son affectation. Il y a également La chapelle Sainte-Marie. C’est à cet endroit que le Prince avait assisté à sa dernière messe. C’est aussi dans cette chapelle que son corps avait été exposé le 8 et 9 juin. C’est dans cette chapelle enfin qu’en 1880, Eugénie est venue en pèlerinage. Parmi les monuments qui commémorent le Prince Impérial à Pietermaritzburg il y a le Natal Museum de Pietermaritzburg ainsi que Voortrekker Museum qui reviennent sur la guerre du Zoulouland, et conservent quelques documents comme les interrogatoires des Zoulous responsables de l’attaque du 1er juin. Il existe ensuite une route qui mène les voyageurs jusqu'au lieu du drame. Le mausolée de marbre blanc se trouve à environ 70 kilomètres à l'est de Dundee, près du village d’Ukwekwe. Dans ce paysage africain, un monument commémoratif sous la forme d'un tumulus de pierres est surmonté d'une croix de marbre blanc sur laquelle une inscription rappelle les circonstances de la mort du Prince Impérial347. « Quelques arbres indiquent l'emplacement du mémorial, qui semble sorti d'un tableau romantique du XIXe siècle.348 ». Chaque année, à la date du premier juin, la tombe est abondement fleurie de violettes, la fleur préférée du Prince Impérial. Cette route touristique est avant tout un moyen de découvrir les magnifiques paysages du Kwazulu Natal avec ses lacs, des montagnes et ses éléphants avec le prétexte d’un hommage au fils de Napoléon III. Cet hommage montre cependant que si en France ce jeune Prince est sorti des livres d’histoire dès la Troisième République, son souvenir est entretenu dans le monde anglophone et notamment sur les lieux de sa

345 En ligne : http://www.comptoir-afrique-du-sud.com/route-du-prince-imperial/ [Consulté le 16 juin 2017] 346 Aujourd’hui l’hôtel accueille les visiteurs avec de très nombreux portraits du Prince Impérial. 347 En ligne : https://www.napoleon.org/magazine/lieux/route-du-prince-imperial/ [ Consulté le 16 juin 2017 ] 348En ligne : http://www.routard.com/mag_reportage/47/afrique_du_sud_dix_ans_apres.htm?page=7 [ Consulté le 16 juin 2017 ]

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mort en Afrique du Sud. Cette route du Prince Impérial peut sembler anecdotique mais elle illustre néanmoins sa postérité aujourd’hui.

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Conclusion

L’étude des perceptions de la mort du Prince Impérial dans la presse politique nationale permet de dégager trois axes principaux de réflexions. La première réflexion est de se demander si l’on doit imputer au jeune Prince Impérial les fautes politiques des Bonaparte ? La seconde est de savoir si sa mort marque un coup d’arrêt définitif du Bonapartisme ou si ce dernier aurait été capable de se renouveler comme après la mort de Napoléon III. Le dernier axe de réflexion est de comprendre l’impact réel de sa mort, dans un contexte où la République était d’ores et déjà triomphante.

Pour les Bonapartistes, le jeune Prince représentait un espoir. Son nom, son ascendance prestigieuse et son jeune âge lui permettait d’incarner le renouveau de la cause Bonapartiste. Sa mort est donc décrite comme une épouvantable tragédie. Il est glorifié, magnifié, tant dans le récit de sa mort que dans les récits de sa vie. C’est un héros au sens antique du terme, un héros tragique et romantique. C’est le deuil, l’émotion et le choc qui dominent la presse Bonapartiste le 21 juin quand la nouvelle de sa mort parvient à Paris. Pour les Bonapartistes, le bilan de l’Empire est positif et une restauration en faveur du Prince Impérial aurait été souhaitable. Le Prince était l’héritier de l’Empire, de ses fautes et de ses succès. C’est parce qu’il est le fils de Napoléon III qu’il était l’héritier légitime de sa cause. Cependant, face à cette tragédie, les Bonapartistes sont dans le déni, ils proclament l’unité d’un parti au bord de l’implosion et seul l’ajournement des débats permet de garantir quelques mois après la mort du Prince Impérial un semblant d’unité. Ils affirment le principe dynastique, et cherchent un nouveau prétendant. Certains, à l’image de Paul de Cassagnac, défendent également l’« Impérialisme » c'est-à-dire un empire, gardant les principes d’autorité et d’appel au peuple, libéré de la famille Bonaparte. La presse Bonapartiste, sous le choc, nie la réalité en affirmant envers et contre tous le principe dynastique et l’Impérialisme.

Les Monarchistes ont une attitude très respectueuse et nuancée à la mort du Prince Impérial. On observe à l’occasion de ce drame qui touche la famille Bonapartiste que les Monarchistes malgré leurs désaccords politiques choisissent une alliance

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conservatrice. C'est-à-dire qu’ils s’associent au deuil de l’Impératrice et des Bonapartistes. Ils parlent de la mort du Prince avec beaucoup de déférence et de respect, ont une pensée pour sa pauvre mère éplorée et choisissent de trancher sur la question de savoir si le jeune Prince était responsable des erreurs de son père. Manifestement, aux yeux des Monarchistes, on pleure ce 21 juin la mort tragique d’un jeune soldat, courageux qui n’est pas responsable des erreurs de sa famille. L’attitude respectueuse vient également du respect du deuil propre aux cléricaux. Ils font également le parallèle entre ce jeune prince victime de l’instabilité politique de son temps et leurs propres héritiers, victimes eux aussi d’un destin tragique à l’image de Louis XVII, Louis Philippe II, Henri V ou le Comte de Paris.

Chez une grande partie des Républicains modérés, dans Le Temps, le Siècle, ou encore le XIXe Siècle, on observe le même respect pour un jeune homme qui s’est battu bravement. On parle de la mort d’un enfant, un ennemi de la République en devenir mais exempt de toute faute personnelle. A ce titre, il peut être honoré pour ce qu’il a été c'est-à-dire un jeune et vaillant soldat arraché trop tôt à l’affection de sa mère. On observe un grand nombre de témoignages de respect, malgré l’opposition politique palpable. En effet, contrairement à la presse Conservatrice, la presse Républicaine ne partage visiblement pas le deuil des Bonapartistes. Cet enfant représentait une menace et sa mort, si elle est tragique et regrettable sur le plan strictement humain, elle est une bonne chose pour la prospérité de la République. En vie, le Prince représentait un risque à long terme. L’exposé des faits est donc factuel et dépourvu d’émotion, par respect pour le défunt mais, le ton n’est pas triste, laudatif ou même grave. L’exposé des faits est dépourvu d’affect.

Dans la presse républicaine plus radicale, menée par Victor Hugo ou Léon Gambetta, les langues se délient. Le jeune Prince subit une attaque en règle et sa mort est l’occasion de contester à nouveau l’Empire, l’Empereur, l’Impératrice et le Bonapartisme. Il est jugé responsable des erreurs de sa famille. Il est l’héritier de leurs fautes. Pour eux, le Prince était le fils d’un lâche et d’un criminel responsable de la perte de l’Alsace-Lorraine. Sa mort est celle d’un ennemi revendiqué de la République. Dans ses conditions, les Républicains refusent de respecter le deuil et la mémoire du

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Prince Impérial. Sa mort est soumise à un examen poussé pour tenter de comprendre ce qu’un Napoléon faisait en Afrique du Sud. Etait-ce un suicide ? Une tentative désespérée pour séduire la fille de la Reine Victoria ? Une vaine tentative d’imiter la campagne d’Egypte de Napoléon Ier ? Les Républicains radicaux refusent de reconnaître le courage du jeune Prince et rejettent toute glorification du fils de Napoléon III. Ils évoquent avec un certain amusement le sort de tous ces prétendants qui tombent les uns après les autres, se brûlant les ailes en prétendant régner sur une France. La mort du Prince Impérial est une occasion de fustiger l’Empire, les Bonapartistes et tous les conservateurs cléricaux qui portent son deuil.

Peut-on dès lors parler de fin du Bonapartisme ? Pour l’immense majorité des Républicains c’est une évidence. Le parti est divisé et privé de leaders charismatiques et consensuels. On analyse dans la presse républicaine les nombreux prétendants : le Prince Jérôme, le Prince Victor . . . Aucun ne semble en mesure de succéder au Prince Impérial et la scission du parti semble inéluctable. De nombreux journaux républicains annoncent le triomphe de la République et la fin du Bonapartisme qui est voué à disparaître avec son dernier représentant légitime. On observe les divisions internes au sein du parti bonapartiste, on analyse l’attitude du Prince Jérôme ouvertement pro- républicain. La fin du Bonapartisme est cependant contestée par les Bonapartistes qui assurent qu’il y a une continuité dynastique et que le Bonapartisme vivra tant qu’il y aura un Bonaparte. Cassagnac va même plus loin, imaginant un parti impérialiste libéré de la tutelle de la famille Bonaparte. L’analyse des faits historiques et de la postérité du Prince penchent en faveur de l’analyse Républicaine. La mort du Prince Impérial marque le début d’une lente agonie du parti bonapartiste et de la cause Impérialiste. Les Bonapartistes, après la mort du Prince Impérial, vont se diviser. D’un côté les Bonapartistes progressistes, en faveur de l’appel au peuple vont se rallier à la République, l’autre partie, plus nombreuse va choisir de s’allier avec la droite et de s’enfermer dans une logique réactionnaire et cléricale. Le Bonapartisme devient alors véritablement une branche de la droite réactionnaire et conservatrice, à l’origine plus tard du Boulangisme ou de l’Action Française. La mort du Prince Impérial signe l’éclatement du parti. La presse Bonapartiste ne résiste que quelques années au choc de

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sa mort. Le Gaulois est le premier journal bonapartiste à changer sa ligne éditoriale, quelques jours après la mort du Prince Impérial. D’autres journaux comme Le Pays, L’Ordre ou le Petit Caporal vont rencontrer une crise de rentabilité et faire faillite faute de lectorat. La cause bonapartiste n’intéresse plus qu’une fraction infime de la population française après la mort du Prince Impérial. Cette hypothèse est corroborée également par une succession de défaites électorales qui aboutissent à la disparition des Bonapartistes (à proprement parler) à l’Assemblée Nationale à partir des législatives de 1893, soit moins de 15 ans après la disparition du Prince Impérial.

La dernière question posée par la presse politique nationale est celle de l’impact réel de la mort du Prince. Certains journaux républicains défendent en effet l’idée que la République avait d’ores et déjà gagné en 1879. En effet, les élections législatives de 1876 et 1877 donnaient une large majorité aux Républicains qui ont pu assoir leur autorité sur la chambre des députés. Lors de la mort du Prince Impérial, Léon Gambetta est président de la chambre. Les élections municipales de 1874 puis les élections sénatoriales en 1876 avaient également permis aux Républicains d’assoir leur domination. Enfin en 1879, après la démission de Mac Mahon, c’est le Républicain Jules Grévy qui entrait à l’Elysée. La domination républicaine était totale et la défaite des conservateurs était absolue. La mort du Prince Impérial n’est que le coup de grâce d’un processus qui avait progressivement marginalisé le parti bonapartiste depuis la crise du 16 mai 1877. L’espoir d’une restauration Impériale était déjà perdu bien avant la mort du Prince et la République était en état de grâce. De plus, les divisions internes au sein du parti bonapartiste entre les « Rouges », les « Bleus » et les « Blancs » existaient déjà avant la disparition du Prince et auraient fini par éclater tôt ou tard. La mort du Prince ne serait donc qu’un épiphénomène, important dans l’histoire du Bonapartisme mais pas nécessairement dans l’histoire de France.

On peut se demander quel aurait été l’avenir du Bonapartisme si le Prince Impérial avait vécu. Pour certains, la République avait d’ores et déjà gagné et, même s’il avait vécu, le Prince n’aurait pas réussi à reconquérir l’électorat Français, désormais attaché à la République. Il n’aurait pas pu éviter les défaites électorales de 1881 et 1885 comme il avait été incapable de les éviter en 1876 et 1877. Il n’est pas certain en effet

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que le Prince aurait réussi à rassembler les Bonapartistes derrière lui tant la doctrine était ambiguë et les divisions déjà présentes. Pour de nombreux Républicains, il n’aurait pas réussi à éviter la scission du parti, devenu inéluctable. Sa mort n’aurait fait que la précipiter. Les Républicains reconnaissent cependant que vivant, il représentait un risque réel de coup d’état, dans la droite lignée de son grand-oncle le 18 brumaire et de son père le 2 décembre. Sa mort est donc malgré tout un soulagement. On sait d’ailleurs que le Prince Impérial était très populaire dans l’armée et y avait de nombreux amis tels que Conneaux, Corvisart ou Espinasse sur lesquels il pouvait s’appuyer pour élaborer un coup d’état. Ce risque était d’ailleurs pris très au sérieux par la République qui avait fait le choix d’une surveillance intensive du Prince.

L’étude du positionnement personnel du Prince Impérial, au regard de ses lettres, de ses déclarations et de son projet de constitution pour un troisième empire laissent à penser qu’il s’inscrivait avec quelques réserves dans la tendance « Blanche » conservatrice et cléricale du Bonapartisme. S’il avait vécu il aurait très certainement maintenu l’alliance conservatrice et la logique d’opposition à la République à l’inverse du Prince Jérôme. Nous avons démontré au cours de cette étude que cette alliance conservatrice a été néfaste pour le Bonapartisme qui s’est enfermé dans une logique réactionnaire et cléricale. On sait par ailleurs que le Prince était un catholique pratiquant et un soldat dans l’âme, renforçant ainsi l’idée qu’il aurait poursuivi l’alliance conservatrice. Tout porte à croire que si le Prince Impérial avait vécu il n’aurait pas pu empêcher le triomphe de la République et la lente agonie de sa famille politique. Sa mort précipite cependant la chute du Bonapartisme et apparait nettement comme un élément déclencheur de la dissolution du parti et de la presse Bonapartiste.

Cette étude n’a pas votation à être exhaustive. Il est en effet impossible de citer dans le mémoire l’ensemble des articles de presse lus et étudiés pour son élaboration. Néanmoins, la sélection des articles présentés et analysés a vocation à représenter au mieux les réactions de la presse politique nationale à la mort du Prince Impérial. En se concentrant essentiellement sur les premiers jours qui suivent l’annonce du drame, l’objectif était de capter et d’analyser les réactions à chaud, dans la première semaine suivant l’évènement. La mise en perspective historique permet de réfléchir au-delà des

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journaux et de tenter d’analyser les écarts entre le discours de la presse et une analyse historique. La recherche et l’exposition des faits, au-delà de la presse, témoigne de la volonté de replacer la mort du Prince Impérial dans son contexte historique pour comprendre au mieux l’impact réel, et l’impact perçu de cet évènement dans la presse de l’époque.

L’étude de la presse nationale a fourni suffisamment de matière pour l’élaboration de ce mémoire, il est néanmoins possible d’envisager de l’enrichir en y ajoutant d’autres échelles comme la presse provinciale qui permettrait surement d’apporter de nouveaux éclairages. Il serait également possible de s’intéresser à la perception de cet évènement dans la presse internationale. De nombreux articles, notamment du Times et du Daily Telegraph anglais ont été dépouillés en vue de l’élaboration de ce mémoire sans être véritablement exploités. La perception de la mort du Prince Impérial dans la presse Britannique pourrait mériter à elle seule un autre mémoire. Enfin, il est intéressant de noter que la nouvelle de la mort du Prince a largement dépassé le cadre français. Il existe par exemple des articles en Allemand mais aussi en Roumain sur cet évènement.

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Documents ANNEXES complémentaires

Table des Annexes

ANNEXE 1 : LISTE DES PRINCIPAUX JOURNAUX EN 1879 ...... 165 ANNEXE 2 : RESULTAT DES ELECTIONS LEGISLATIVES ...... 168 ANNEXE 3 : TESTAMENT DU PRINCE IMPERIAL ...... 177 ANNEXE 4 : PRIERE DU PRINCE IMPERIAL ...... 180 ANNEXE 5 : ARBRE GENEALOGIQUE DU PRINCE IMPERIAL ...... 181 ANNEXES 6 : POEMES ECRITS POUR LE PRINCE IMPERIAL ...... 182 ANNEXE 7 : REVUE DE PRESSE BONAPRTISTE ...... 187 ANNEXE 8 : REVUE DE PRESSE MONARCHISTE : ...... 195 ANNEXE 9 : REVUE DE PRESSE DES JOURNAUX REPUBLICAINS...... 202 ANNEXE 10 : TRADUCTION DU RAPPORT D’AUTOPSIE ...... 210 ANNEXE 11 : NOTES PRISES PAR LE PRINCE DANS LA JOURNEE DU 1ER JUIN ... 211 ANNEXE 12 : CARTES ELECTORALES 1876 ET 1877 ...... 213 ANNEXE 13 : HOMMGES AU PRINCE IMPERIAL ...... 215 ANNEXE 14 : CARTE DE LA DERNIERE EXPEDITION DU PRINCE IMPERIAL : .... 220 ANNEXE 15 : CARTES DU KWAZULU NATAL : ...... 221 ANNEXE 16 : PHOTOGRAPHIES DU PRINCE IMPERIAL ...... 222 BIBLIOGRAPHIE : ...... 223 SOURCES : ...... 224

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Annexe 1 : Liste des principaux journaux en 1879

Presse Légitimiste :

Titre Orientation politique Rédacteurs clefs Tirage et popularité Dates

Légitimiste Sébastien Laurentie Sur Abonnement Créé en Organe officieux du Comte Henri de Mayol de 7 000 tirages en 1873 L'Union 1847 de Chambord Lupé 4 500 tirages en 1880

Ultra-conservateur Poujoulat La Légitimiste Crée en gazette Indépendant du Parti Gustave Janicot Sur Abonnement 1849 de France Condamne l'Affaire du 5 000 – 6 000 tirages Reprise en Drapeau Blanc 1861 La Catholique-Ultramontain Amédée Lutton Journal à 5 Centimes nouvelle Conservateur Adrien Maggiolo 1871-1883 15 000 tirages France Légitimiste Journal a l'influence Catholique-Ultramontain considérable L'Univers Conservateur Louis Veuillot 1833-1919 dans les milieux Légitimiste Catholiques Condamnation de la révolution Eugène Traconet 10 000 tirages Crée en Le Monde Française 1860 proche de l'Univers La Défense Conservateur Sur Abonnement Crée en Sociale et Légitimiste Mgr Dupanloup 2 500 tirages en 1879 1876 Religieuse Combat l'anticléricalisme

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Presse Orléaniste :

Rédacteurs Titre Orientation politique Tirage et popularité Dates clefs Orléaniste Crée Organe officieux du Comte Edourad Le Journal de 3 000 tirages en de Paris Hervé Paris 1870 Opposition libérale sous le

second empire

Crée Edourad Journal à 5 centimes Le Soleil Orléaniste en Hervé 16000 tirages en 1873 1873 45000 tirages en 1880

Le moniteur : 12000 tirages Crée Le Moniteur Orléaniste proche de Decazes Paul Dalloz Le petit moniteur: en et le Groupe Centre Droit 100000 tirages 1845 Dalloz Modéré La petite Presse : 35000 tirages

Thureau- Organe Officieux du Dangin Le Français Duc De Broglie François 5000 tirages Notable du Centre droit Beslay Septenaliste

Une des plus grandes réussites du Conservateur Hypolyte de journalisme de la Crée Le Figaro monarchiste Villemessant période en Rallié à la république après Francis 76000 tirages en 1879 1867 1879 Magnard 27000 abonnés en 1879 Groupe baron de Feuilles d'inégales Crée Soubeyran Septenaliste Soubeyran Importances en Paris-Journal Centre Droit Henri de à l'attitude politique 1869 La Patrie Conservatisme/Bonapartisme Pène plus imprécise Le Soir Louis Teste

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Presse Bonapartiste :

Tirage et Titre Orientation politique Rédacteurs clefs Dates popularité 3 000 tirages en Bonapartiste Eugène Rouher 1874 Crée en L'ordre Organe officieux Albert Duruy 4 000 tirages en 1871 du parti de l'Appel au Dugué de la 1880 peuple Fauconnerie

Journal à 5 Le Petit J. Perron crée en Bonapartiste Centimes Caporal Jules Amigues 1876 20 000 tirages

Bonapartiste Edmond Tarbé Plus de 10 000 Crée en Le Gaulois Indépendant de Henri Pène tirages 1871

Rouher Bonapartiste Forte audience Opposé à Rouher Granier de dans l'armée Opposé au Prince Cassagnac 4000 tirages en Crée en Le Pays Jérome Paul de 1873 1852

Parti du Prince Cassagnac 6000 tirages en Impérial 1879

Audience faible Soutien du Second Le et décroissante Empire Gibiat 1819- Constitutionnel Analyses de Conservateur 1914 qualité

Baron de Garde une Presse d'affaire, Soubayran audience conservatrice Fremi La Patrie importante grâce teinté de sympathies Gaston de N.D à une bonne bonapartistes Saint-Valry distribution (Jusqu'en 1872)

Presse bonapartiste d'affaire Léonce Toujours très réclamant l'appel au Détroyat bien informé Crée en L'estafette peuple Emile de soutien des 1876

Septenaliste Girardin intérets de son Centre droit propriétaire

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Presse Républicaine :

Rédacteurs Titre Orientation politique Tirage et populatité Dates clefs 8 500 tirages en 1873 1814- Le journal des Jules Bapt Républicain modéré 7 000 tirages en 1944 Débats 1880

Important réseau de correspondant Républicain modéré Adrien Qualité et sérieux 1861- Le Temps Anticléricalisme Hébrard unanimement 1942 doctrinal reconnu

Plus de 22 000 tirages 10 000 tirages en Républicain modéré Edmond Crée 1873 Le XIX siècle anticlérical (franc- About en 15 000 tirages en maçon) Jules Simon 1871 1875 Antimonarchiste

3 500 tirages en Républicain Hubert 1873 1836- La Presse Défends les intérêts Debrousse 2 000 tirages en 1930 du groupe 1880 Debrousse

Vieux journal Républicain d'abonné "moniteur de 35 000 tirages en 1836- Le Siècle Jules Simon l'opposition" 1870 1927

sous le second 15 000 tirages en Empire 1880

Hector 28 000 tirages en Le National Crée Gauche républicaine Pessard 1870 et le Petit en Anticléricalisme Théodore de 14 000 tirages en National 1869 intransigeant Banville 1880

Etiquette Journal à 5 Centimes Groupe 1876- Le petit Parisien républicaine 23 000 tirages en Dalloz Nos septenaliste 1879 jours

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Journal Clef de la Gibiat Crée Républicain période Le Petit Journal Jenty en Modéré 562 000 tirages en Girardin 1866 1879

Rôle très important dans la victoire de la république sur La république Léon les conservateurs Organe officieux du Crée Francaise Gambetta 15 000 tirages en parti de l'Union en et la petite Challemel- 1878 Républicaine 1871 république Lacourt

Francaise Petite (5ct) : 150 000 tirages en 1879 en moyenne

Presse parisienne Victor Hugo Très lu dans le Presse Républicaine Louis Blanc monde ouvrier 1869 radicale le Rappel Edouard Journal à 10 - intransigente Lockroy centimes : 1933 anticléricale Paul Meurice 40000 tirage en

1879

Eugène Journal à 5 ct Républicain 1877- La Lanterne Mayer 150000 tirages en Radical 1928 Rochefort 1879 Anticlérical Emile Zola Rochefort Journal à 10 ct Crée Républicain La Marseillaise Valentin 29000 tirages en en Satirique Simond 1879 1877

Républicain L'avant-garde Léon satirique N.D N.D républicaine Gambetta

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Annexe 2 : Résultat des élections législatives Composition de l’Assemblée Nationale élue en 1871 :

Républicains radicaux 38 5,63 %

Républicains modérés 112 16,59 %

Libéraux 72 10,67 %

Orléanistes 214 31,70 %

Légitimistes 182 26,96 %

Bonapartistes 20 2,96 %

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Composition de la Chambre des Députés élue en 1876 :

Gauche Républicaine 193 36,21 % Union Républicaine 98 18,39 % Centre-droit (Républicains 54 10,13 % modérés, indéterminés, constitutionnels)

Centre-gauche 48 9,00 % Républicains (majorité) 393 73,73 % Bonapartistes 76 14,26 % Orléanistes 40 7,50 % Légitimistes 24 4,50 % Conservateurs 140 26,27%

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Composition de la Chambre des Députés élue en 1877 :

Révolutionnaires 35 06,72 % Union Républicaine 130 24,95 % Gauche Républicaine 130 24,95 % Centre-Gauche et 60 11,33 % Constitutionnels

Républicains (majorité) 320 61,42 % Bonapartistes (Appel au 105 19,96 % peuple)

Légitimistes 44 8,45 % Orléanistes 26 4,99 % Conservateurs 159 30,52 % Divers / Autres 7 01,34%

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Composition de la Chambre des Députés élue en 1881 :

Extrême-Gauche 46 08,44% (Radicaux)

Union Républicaine 204 37,43 %

Gauche Républicaine 168 30,83%

Centre-Gauche 39 7,16 %

Républicains (majorité) 411 75,41 %

Bonapartistes (Appel au 46 8,44 % peuple)

Monarchistes (Droite 42 7,71 % Royaliste)

Conservateurs 88 16,15 %

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Composition de la Chambre des députes élue en 1885 :

Radicaux-Socialistes 60 10,27% Gauche Radicale 40 6,85 % Union de Gauche 200 34,25 % (Opportunistes) Centre-Gauche 83 14,21 % Républicains (majorité) 383 65,58 % Bonapartistes (Appel au 65 11,13 % peuple) Monarchistes (Droite 73 12,50 % Royaliste) Union conservatrice 63 10,79 % Conservateurs 201 34,41 %

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Composition de la chambre des députes élue en 1889 :

Socialistes 12 2,08 %

Radicaux Indépendants 100 17,36 %

Républicains opportunistes 216 37,5 %

Républicains modérés 38 6,60 %

Républicains (Majorité ) 366 63,54 %

Monarchistes 86 14,93 %

Boulangistes 72 12,50 %

Bonapartistes 52 9,02 %

Alliance des droites 210 36,46 %

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Composition de la chambre des députes élue en 1893 :

Socialistes 33 8,5%

Radicaux socialistes 16 2,4%

Groupe Socialiste 10,9 %

Radicaux Indépendants 122 20,5 %

Républicains modérés 317 45,3 % (Union républicaine)

Républicains (Majorité) 69,3 %

Monarchistes 58 14,2 %

Ralliés 35 6,5 %

Droite conservatrice 93 20,7 %

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Annexe 3 : Testament du Prince Impérial

Fait à Camden Place, Chislehurst, Le 26 février 1879. Ceci est mon testament. 1° Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine dans laquelle je suis né. 2° Je désire que mon corps soit déposé auprès de celui de mon père, en attendant qu’on les transporte tous deux là où repose le fondateur de notre maison, au milieu de ce peuple français que nous avons comme lui bien aimé. 3° Ma dernière pensée sera pour ma patrie. C’est pour elle que je voudrais mourir. 4° J’espère que ma mère me gardera, lorsque je ne serai plus, l’affectueux souvenir que je lui conserverai jusqu’à mon dernier moment. 5° Que mes amis particuliers, que mes serviteurs, que les partisans de la Cause que je représente soient convaincus que ma reconnaissance envers eux ne cessera qu’avec ma vie. 6° Je mourrai avec un sentiment de profonde gratitude pour Sa Majesté la Reine d’Angleterre, pour toute la famille Royale et pour le pays où j’ai reçu pendant huit ans une si cordiale hospitalité. Je constitue ma mère bien aimée, l’Impératrice Eugénie, ma légataire universelle, à charge pour elle de supporter les legs suivants : Je lègue 200.000 francs à mon cousin le Prince J. N. Murat. Je lègue 100.000 francs à M. F. Pietri, en reconnaissance de ses bons services. Je lègue 100.000 francs à M. le baron Corvisart, en reconnaissance de son dévouement. Je lègue 100.000 francs à Mlle de Larminat qui s’est toujours montrée si attachée à ma mère. Je lègue 100.000 francs à M. A. Filon, mon ancien Précepteur. Je lègue 100.000 francs à M. L. N. Conneau. Je lègue 100.000 francs à M. N. Espinasse. Je lègue 100.000 francs au Capitaine Bizot, tous trois mes plus anciens amis.

177

Je désire que ma chère mère constitue une pension viagère de 10.000 francs au Prince L. L. Bonaparte ; une pension viagère de 5.000 francs à M. Bachon, mon ancien Ecuyer ; une pension viagère de 2.500 francs chacune à Madame Thierry et à Uhlmann. Je désire que tous mes autres serviteurs ne soient jamais privés de leurs appointements. Je désire laisser au Prince N. Charles Bonaparte, au Duc de Bassano et à M. Rouher, trois des plus beaux souvenirs que mes exécuteurs testamentaires pourront désigner.

Je désire laisser aussi au Général Simmons, à M. Strode et à Monsignor Goddard trois souvenirs que mes exécuteurs testamentaires désigneront parmi les objets de valeur qui m’appartiennent. Je lègue à M. F. Pietri mon épingle surmontée d’une pierre (œil de chat) ; à M. Corvisart, mon épingle (perle rose) ; à Mlle de Larminat, un médaillon contenant les portraits de mon père et de ma mère ; à Mme Lebreton, ma montre en émail ornée de mon chiffre en diamant ; à MM. Conneau, Espinasse, Bizot, J. N. Murat, A. Fleury, P. de Bourgoing, S. Corvisart, mes armes et uniformes, si ce n’est, toutefois, le dernier que j’aurai porté, et que je laisse à ma mère. Je laisse à M. d’Entraigues une épingle surmontée d’une perle fine, ronde de forme, qui m’a été donnée par l’Impératrice. Je prie ma mère de vouloir bien distribuer aux personnes qui m’ont témoigné, de mon vivant, quelque attachement les bijoux ou objets de moindre valeur qui pourraient me rappeler à leur souvenir (1). Je lègue à Mme la comtesse Clary mon épingle surmontée d’une belle perle fine ; au Duc de Huescar, mon cousin, mes épées espagnoles. Napoléon Le tout écrit de ma propre main. CODICILLE Je n’ai pas besoin de recommander à ma mère de ne rien négliger pour défendre la mémoire de mon grand Oncle et de mon père. Je la prie de se souvenir que tant qu’il y aura des Bonaparte, la Cause Impériale aura des Représentants. Les devoirs de notre maison envers le pays ne s’éteignent pas avec ma vie ; moi mort, la tâche de continuer l’œuvre de Napoléon 1er et de Napoléon III incombe au fils aîné

178 du Prince Napoléon et j’espère que ma mère bien aimée en le secondant de tout son pouvoir nous donnera à nous autres qui ne serons plus cette dernière et suprême preuve d’affection. Napoléon Le 26 février 1879, à Chislehurst.

Je nomme MM. Rouher et F. Pietri mes exécuteurs testamentaires.

179

Annexe 4 : Prière du Prince Impérial

180

Annexe 5 : Arbre généalogique du Prince Impérial

181

Annexes 6 : Poèmes écrits pour le Prince Impérial

Théophile Gauthier, La Nativité, le 16 mars 1856 :

Au vieux palais des Tuileries, Sa crèche est faite en bois de De dômes, de tours, de pylônes, Chargé déjà d’un grand destin, rose, Entassement prodigieux, Parmi le luxe et les féeries Ses rideaux sont couleur d’azur ; Un Enfant est né ce matin. Paisible en sa conque il repose, Au centre d’une roue immense Car : Fluctuat nec mergitur. De chemins de fer rayonnants, Aux premiers rayons de l’aurore, Où tout finit et tout commence, Dans les rougeurs de l’Orient, Sur lui la France étend son aile ; Mecque des peuples Quand la ville dormait encore, À son nouveau-né, pour berceau, bourdonnants ! Il est venu, frais et riant, Délicatesse maternelle, Paris a prêté son vaisseau. Civilisation géante, Faisant oublier à sa mère Oh ! Quels miracles tu feras Les croix de la maternité, Qu’un bonheur fidèle Dans la cité toujours béante Et réalisant la chimère accompagne Avec l’acier de tes cent bras ! Du pouvoir et de la beauté. L’Enfant impérial qui dort, Blanc comme les jasmins Isis, laissant lever ses voiles, Les cloches à pleines volées d’Espagne, N’aura plus de secrets pour Chantent aux quatre points du Blond comme les abeilles d’or ! nous ; ciel ; La Paix, au front cerclé Joyeusement leurs voix ailées Oh ! Quel avenir magnifique d’étoiles, Disent aux vents : Noël, Noël ! Pour son enfant a préparé Bercera l’Art sur ses genoux ; Le Napoléon pacifique, Et le canon des Invalides, Par le voeu du peuple sacré ! L’Ignorance, aux longues Tonnerre mêlé de rayons, oreilles, Fait partout aux foules avides Jamais les discordes civiles Bouchant ses yeux pour ne pas Compter ses détonations. N’y feront, pour des plans voir, confus, Devant ces splendeurs non Au bruit du fracas insolite Sur l’inégal pavé des villes, pareilles Qui fait trembler son piédestal, Des canons sonner les affûts. Se verra réduite à savoir ; S’émeut le glorieux stylite Sur son bronze monumental. Car la France, Reine avouée Et Toi, dans l’immensité Parmi les peuples, a repris sombre, Les aigles du socle s’agitent, Le nom de France la louée, Avec un respect filial, Essayant de prendre leur vol, Que lui donnaient les vieux Au milieu des soleils sans Et leurs ailes d’airain palpitent écrits. nombre Comme au jour de Sébastopol. Cherche au ciel l’astre impérial ; Futur César, quelles merveilles Mais ce n’est pas une victoire Surprendront tes yeux éblouis, Suis bien le sillon qu’il te Que chantent cloches et canons ; Que cherchaient en vain dans marque, Sur l’Arc de Triomphe l’Histoire leurs veilles Et vogue, fort du souvenir, Ne sait plus où graver des noms François, Henri Quatre et Louis ! Dans ton berceau devenu barque ! Sur l’océan de l’avenir ! C’est un Jésus à tête blonde À ton premier regard, le Louvre, Qui porte en sa petite main, Profil toujours inachevé, 16 mars 1856, midi. Pour globe bleu, la paix du En perspective se découvre ; monde Tu verras ce qu’on a rêvé ! Et le bonheur du genre humain. Paris, l’égal des Babylones, Dentelant le manteau des cieux

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Paul Verlaine, Prince mort en soldat à cause de la France, Sagesse XIII (1881).

Prince mort en soldat à cause de la France, Âme certes élue, Fier jeune homme si pur tombé plein d'espérance, Je t'aime et te salue !

Ce monde est si mauvais, notre pauvre patrie Va sous tant de ténèbres, Vaisseau désemparé dont l'équipage crie Avec des voix funèbres,

Ce siècle est un tel ciel tragique où les naufrages Semblent écrits d'avance... Ma jeunesse, élevée aux doctrines sauvages, Détesta ton enfance,

Et plus tard, cœur pirate épris des seuls côtes Où la révolte naisse, Mon âge d'homme, noir d'orages et de fautes, Abhorrait ta jeunesse.

Maintenant j'aime Dieu dont l'amour et la foudre M'ont fait une âme neuve, Et maintenant que mon orgueil réduit en poudre, Humble, accepte l'épreuve,

J'admire ton destin, j'adore, tout en larmes Pour les pleurs de ta mère, Dieu qui te fit mourir, beau prince, sous les armes, Comme un héros d'Homère.

Et je dis, réservant d'ailleurs mon vœu suprême Au lys de Louis Seize : Napoléon qui fus digne du diadème, Gloire à ta mort française !

Et priez bien pour nous, pour cette France ancienne, Aujourd'hui vraiment « Sire », Dieu qui vous couronna, sur la terre païenne, Bon chrétien, du martyre !

Paul Verlaine

183

Rosemonde Gérard, Napoléon IV, les Féeries :

Ô beau petit prince de France, Que la France connut si peu ! Toi qui souffris cette souffrance De mourir sous un ciel trop bleu;

Mais, aujourd'hui, dans un théâtre, Chaque soir des milliers de cœurs, En disant "Napoléon Quatre", Font de toi presque un empereur

186

Annexe 7 : Revue de Presse Bonaprtiste Il est impossible de faire figurer en annexe l’ensemble des articles commentés, voici cependant certains des plus importants : L’Ordre, Article du 21 Juin 1879 :

187

L’Ordre le 21 Juin 1879: Message de la rédaction à ses lecteurs

188

L’ordre du 22 juin 1879 : Publication de l’appel à l’Impératrice :

189

Le Petit Caporal du 22 juin 1879, Article de Jules Amigues

190

La Patrie, Article du 22 juin 1879 de Gaston de Saint Valry

191

Une de L’estafette le 21 juin 1879:

192

Le Gaulois du 22 Juin 1879 :

193

Revue de Presse du Gaulois du 22 juin 1879, Cite le Pays du 21 Juin 1879

194

Annexe 8 : Revue de Presse Monarchiste :

Reuvue de Presse du Gaulois, cite L’Union du 21 juin 1879, Article de Mayol de Lupé :

195

Revue de Presse du Gaulois, Articles de Presse Légitimistes du 21 juin 1879 : Le Moniteur Universel , La Gazette de France, Le Monde, L’Univers, La Liberté

196

Le Figaro du 21 1879 , Article de Francis Magnard :

197

Le Figaro du 22 juin 1879 :

198

Le Figaro du 22 Juin 1879 (suite) :

199

L’Univers du 22 Juin 1879

200

Le Monde du 22 Juin 1879 commente l’attitude des journaux républicains :

201

Annexe 9 : Revue de Presse des journaux Républicains

Revue de Presse du Gaulois, Articles de presse Républicaine du 21 juin 1879 (Le Temps et La Presse) :

202

Le Petit Parisien du 22 Juin 1879 :

203

La Lanterne du 22 juin 1879 :

204

Le Petit Journal du 22 Juin 1879 :

205

Le Rappel du 22 Juin 1879 :

206

Revue de Presse du Gaulois, Articles de presse Républicaine du 22 juin 1879 (La République Française, Le Petit Journal, Le XIXe Siècle) :

207

La République Française du 22 Juin 1879 :

208

La Marseillaise, Article du 23 Juin 1879 :

209

Annexe 10 : Traduction du Rapport d’Autopsie : Archives Nationales 400AP /76

Description des Blessures : Six blessures principales et toutes également mortelles sont signalées. La première est une plaie pénétrante à l’oeuil droit d’une étendue d’environ deux centimètres produite par un instrument tranchant et piquant, et qui a put pénétrer profondément dans l’orbite avec destruction du globe oculaire. Deux plaies, de deux à trois centimètre chacune, béantes et placées entre les quatrième et les cinquième cötes, près du sternum, tant à droit qu’a gauche, plaies pouvant avoir suffi à déterminer la mort. A droite, une autre plaie de même nature et de même aspect que les précédentes, au niveau du rebord des fausses côtes. A l’abdomen, à la partie supérieur et à gauche, une blessure constituée par une plaie de sortie très étroite située en avant de la région lombaire correspondante, telle qu’en aurait put faire un instrument tranchant et piquant traversant de part en part. Les Médecins signalent aussi à l’avant bras gauche une double plaie profonde étendue et oblique ayant traversé cette région de part en part ainsi que des fracture du poignet et de l’avant bras. Enfin ils ajoutent qu’aucune qu’il n’y avait sur toute la surface du corps, aucune blessure reçue autrement que de face. Il est facile à la lecture de ce douloureux procès verbal de se retracer les phases de cette lutte suprème : Le Prince Impérial, seul, attaqué par de nombreux assayants, leur a fait face, s’est défendu avec son sabre, s’est servit du bras gauche comme bouclier et n’est tombé qu’après avoir été criblé de blessures, toutes reçu dans la poitrine. MORT HEROIQUE qui est un honneur pour sa race que l’histoire enregistrera, et qui inspirera une noble fièreté à ceux qui l’ont tant aimé ! Ces constations terminées, le corp de son Altesse Impériale à été placé dans un nouveau cerceuil. Celui-ci est en chêne, recouvert de plomb et entouré d’un cerceuil extérieur en acajou recouvert de velours violet foncé. L’intérieur de ce cerceuil est en satin Blanc brodé d’une bande de satin violet. Le corp repose sur des draps fins marqués à l’initial d’un N couroné.

210

Annexe 11 : Fac-Similé Photographique du dernier feuiller du calepin de campagne du Prince Impérial, Notes prises dans la journée du 1er Juin

211

Relevés topographiques fait par le Prince Impérial le 1er Juin 1879 : Archives Nationales 400AP/76 :

212

Annexe 12 : Cartes Electorales, les élus Bonapartistes dans l’ouest et le Nord de la France

Elections législatives de 1876 :

213

Elections législatives de 1877 : Le Bonapartisme en Corse, dans L’ouest et le Nord de la France

214

Annexe 13 : Hommges au Prince Impérial

Tombe du Prince Impérial en Afrique du Sud :

215

Hommage des Anglais au Prince impérial en Juillet 1879 après la chute d’Ulundi :

Croix celtique érigé en l’honneur du Prince dans le Jardin de Chislehurst :

216

Mausolée du Prince Impérial dans le Parc de Reuil- Malmaison, France :

Statue du Prince Impérial à Woolwich, Angleterre :

217

Le Prince Impérial et son chien Néro par Carpeau, Exposé au Musée d’Orsay :

Tableau représentant la Mort du Prince Impérial : Paul Joseph JAMIN (1853 - 1903)

218

Gravure représentant la Mort du Prince Impérial :

Gravure représentant la découverte du cadavre du Prince le 2 Juin 1879 :

219

Annexe 14 : Carte représentant la dernière expédition du Prince Impérial :

220

Annexe 15 : Carte du Kwazulu Natal et Trajet de la Route du Prince Impérial en Afrique du Sud :

221

Annexe 16 : Photographies du Prince Impérial

222

Bibliographie :

Ouvrages Généraux : ANCEAU Éric, Napoléon III, un Saint-Simon à cheval, Paris, Librairie Jules Tallandier, 2008, 752 pages ARJUZON Antoine d’, Victoria et Napoléon III, Histoire d’une amitié, Paris, Atlantica eds, 2007, 312 pages BATTESTI Michèle, Plon-Plon, le Bonaparte rouge, Paris, Perrin, 2010, 624 pages BLUCHE Frédéric, Le bonapartisme, collection Que sais-je ?, PUF, 1981, 128 pages DAVID Saul, Zulu, the Heroism and Tragedy of the Zulu War of 1879, Penguin Books, 2005, 528 pages DES CARS Jean, Eugénie, la dernière impératrice, Paris, Perrin, 1997, 615 pages LACHNITT Jean Claude, Le prince impérial : Napoléon IV, Paris, PUF, 1997, 341 pages MAYEUR Jean-Marie, La vie politique sous la IIIe République, 1870-1940, Paris, Seuil, Points Histoire, 1984, 448 pages MAYEUR Jean-Marie, Les Débuts de la IIIe République 1871-1898, Paris, Seuil, Points Histoire, 1973, 264 pages MILZA Pierre, Napoléon III, Paris, Éditions Perrin, 2004, 706 pages MORRIS Donald R., The washing of the spears: the rise and fall of the great Zulu nation, Londres, 1966, 518 pages RÉMOND René, Les droites en France, Paris, Aubier Montaigne, 1982, 554 pages ROTHNEY John, Bonapartism after Sedan, Ithaca N.Y, Cornell University Press, 1969, 360 pages WITT Laetitia de, Le Prince Victor Napoléon, Paris, Fayard, 2007, 554 pages Ouvrages sur l’Histoire de la Presse : BELLANGER Claude et al (dir.), Histoire générale de la presse française, Paris, PUF, 5 volumes, 1969-1976. HAVENEL HENRI, Histoire de la presse française depuis 1789 jusqu’à nos jours (Ed 1900, Paris, Hachette BNF, 2012, 890 pages [En Ligne]. https://archive.org/details/histoiredelapres00aven [consulté le 21/06/2017] KALIFA Dominique, La civilisation du journal, Nouveau monde "Opus Magnus", 2011, 1762

223

Mémoires et Thèses : ALBERT Pierre, Histoire de la presse politique nationale au début de la troisième République (1871-1879), Université de paris, thèse de doctorat, 1977, Paris, M.Champion, Lille 3, 2 tomes, 1599 pages BARRY Alexandre, La mort de Napoléon III dans la presse Française, Sciences po Lyon, Mémoire d’Histoire, 2014, Lyon, Dr Giles Vergnon, 110 pages DIVER Luke, Perceptions versus reality? Newspaper coverage on the Anglo-Zulu War of 1879, National University of Ireland Maynooth, Mémoire d’Histoire, 2010, Maynooth, Dr David Murphy, 81 Pages [En Ligne] http://eprints.maynoothuniversity.ie/3098/1/MA_THESIS.pdf [Consulté le 21/06/2017] OFFEN Karen, The political carreer of Paul de Cassagnac, Stanford University, Thèse de Doctorat soutenu en 1971, 872 pages QUELLIEN Jean, Bleus, Blancs, Rouges : politique et élections dans le Calvados 1870-1939, Cahier des Annales de Normandie, 1986, 422 pages [En Ligne] http://www.persee.fr/doc/annor_0570-1600_1986_hos_18_1_3955 [consulté le 21/06/2017]

Sources :

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224

LOUDUN Eugène (dit FIDUS ), Journal de dix ans, Souvenirs d’un impérialiste, Tome 2, Paris, 1886, 367 pages THIERRY A. Augustin-, Le prince impérial, Paris, Bernard Grasset, 1935, 255 pages Sources Archives : MUSEE NATIONAL DU CHATEAU DE COMPIEGNE, La pourpre et l'exil, L'aiglon et le Prince impérial, éditions de la Réunion des musées nationaux, 2004, 292p. ARCHIVES NATIONALES : 400AP/71, Cérémonial et étiquette. - Document relatif au cérémonial du Baptême et de la Première communion du Prince impérial. - Dessin représentant l’Empereur le jour de sa mort le 9 janvier 1873 - « Procès-verbal. Mise en bière de l’empereur Napoléon III. 14 janvier 1873 ». - « Documents relatifs à la mort et aux funérailles de l’empereur Napoléon III. Janvier 1873-août 1887 ». - « Mort du (sic) l’empereur Napoléon. Journaux illustrés. 1873 ». - Journaux et revues relatifs à la mort de l’Empereur. ARCHIVES NATIONALES : 400AP/75 : Correspondance du prince impérial. (1860-1879) - Lettres adressées par le prince à l’Empereur et à l’Impératrice, 1860-1879, - Lettres adressées par le Prince Impérial à Filon et Lavisse. Les lettres de Lavisse, ancien professeur du prince, sont spécialement intéressantes ; elles ont trait, entre autres, à la situation politique française après la chute de l’Empire. ARCHIVES NATIONALES : 400AP/76 : Notes du prince et son décès. (1879-1916) - Rapports du prince impérial adressés au colonel Harrison, originaux avec croquis, mai 1879 ; - Inventaire des effets et objets divers ayant servi au prince impérial durant la traversée et à Durban Natal du 27 février au 17 avril 1879 ; - Rapports, enquêtes et lettres sur sa mort, 1879-1880 - Testament et pièces relatives aux funérailles du prince impérial et à la délivrance des legs, 1879 - Dossier relatif à la Malmaison, au monument du prince impérial, et aux dons de l’Impératrice au musée, 1887-1916. ARCHIVES NATIONALES 400AP/77 : « Départ du prince impérial pour le Zululand, par le baron Tristan Lambert ». - Récit adressé à l’Impératrice. « Prince impérial. Départ d’Angleterre. Campagne du Zululand. 27 février-1er juin 1879 ». - Photographies, dessins, coupures de presse et télégrammes. ARCHIVES NATIONALES : 400AP/77 (suite) et 400AP/78 Documents relatifs à la mort du prince impérial. (1879-1888)

225

- Documents relatifs à la mort du prince impérial. Juin-juillet 1879 et juillet 1880, - Documents relatifs à la mort et aux funérailles du prince impérial. Juillet 1879-janvier 1888. - Télégrammes de condoléances adressés à l’Impératrice lors du décès de son fils. (1879) - Coupures de presse relatives au décès du prince impérial réunis par l’Impératrice (1879), - « Mort du prince impérial. Journaux illustrés. 1879 » ARCHIVES NATIONALES : 400AP/79 Documents relatifs aux actions de l’impératrice après la mort de son fils - Lettres relatives au don par l’impératrice Eugénie du berceau du prince impérial à la ville de Paris. - « Inventaire des objets contenus dans les vitrines et dans la chambre des Souvenirs ». - Liste des dons de l’impératrice au musée de Compiègne ARCHIVES DE POLICE, PARIS : 14-68 - Rapport de septembre 1873 dénonçant un important trafic de pièce de cinq franc à l’ « effigie de Napoléon IV » à Bruxelles ARCHIVES DE POLICE, PARIS : 14-73 - Rapport de Septembre 1873 dénonçant un trafic de photographie représentant le prince « en costume d’officier d’artillerie de l’école de Woolwich en Belgique ARCHIVES DE POLICE, PARIS : 14-90 - rapport de 14 pages du policier Lombard énumérant les domestiques, les fournisseurs, les habitants du village d’Ermatingen (proche d’Arenenberg.)

ARCHIVES DE LA BNF, BIBLIOTHEQUE DE RECHERCHE, Section Presse - La République Française - 1871 (MICR D-117) - Paris-Journal - 1868 (MICR D-31) - La Marseillaise - 1877 (MICR D-372) - L’Estafette – 1876 (MICR D-10077) - L’Ordre de Paris – 1871 (MICR D-179) - Le Soleil ( Gallica Intra-muros) - L’Union (Gallica Intra-murros - Le Monde Illustré (Gallica Intra-murros) - Le Petit Caporal (Gallica Intra-murros)

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ARCHIVES DE LA BNF, GALLICA: - Le Constitutionnel - Le Figaro - Le Gaulois - La Lanterne - Le Journal de Paris - Le Monde - Le National - Le Petit Journal - Le Petit Parisien - La Presse - Le Rappel - Le Siècle - Le XIXe Siècle - Le Temps - L’Univers

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