ABSTRACT

LE CINEMA DE BANLIEUE : UN REGARD NOVATEUR ET AVENTUREUX SUR UN TERRITOIRE DIFFICILEMENT IDENTIFIABLE

By L. Ami Ali

This thesis, written in French, tackles the emergence of banlieue cinema in and the groundbreaking eye that it brings to bear on the complex social fabric in the liminal territory of the banlieue. The media coverage in France on the banlieues, due to very problematic filming techniques, perpetuates certain clichés. Banlieue cinema, including documentary films and fictional films, while denouncing it, tries to remedy it. Through their films, the filmmakers condemn the media’s approach to these underprivileged territories in France and respond to it by estimating the sufficient distance, as phenomenologists would do it, to properly represent the banlieues. They also answer it by using colors very well, portraying classical binaries or by completely immersing their camera and offering us a wide-scope view of the banlieue. Analyzing the cinematography of these films will help us recognize the insightful perception that banlieue cinema has brought to the topic. However, it also shows us that there is still a long way to go because the stereotypes that these films try to erase die hard in the collective unconscious.

LE CINEMA DE BANLIEUE : UN REGARD NOVATEUR ET AVENTUREUX SUR UN TERRITOIRE DIFFICILEMENT IDENTIFIABLE

Submitted to the

Faculty of Miami University

in partial fulfillment of

the requirements for the degree of

Master of Arts

by

L. Ami Ali

Miami University

Oxford, Ohio

2019

Advisor: Dr. Mark McKinney

Reader: Dr. Elisabeth Hodges

Reader: Dr. Jeremie Korta

Reader: Dr. Mark McKinney

©2019 L. Ami Ali

This Thesis titled

LE CINEMA DE BANLIEUE : UN REGARD NOVATEUR ET AVENTUREUX SUR UN TERRITOIRE DIFFICILEMENT IDENTIFIABLE

by

L. Ami Ali

has been approved for publication by

The College of Arts and Science

and

Department of French and Italian

______Mark McKinney

______Elisabeth Hodges

______Jeremie Korta

Table of Contents

Acknowledgements……………………………………………………………………………….iv Introduction……………………………………………………………………………………….1 I. Du film-documentaire au film fictionnel de banlieue : l’enjeu de la bonne distance quand il s’agit de filmer la banlieue……………………………………………………………...3 1. Le cinéma et son approche phénoménologique…………………………………………...3 2. Quel est l’enjeu de la “bonne distance” ? Réapprendre à regarder les banlieues : de la caméra stigmatisante des médias à la caméra du réalisateur…………………………….12 3. “L’effet de réel” des films fictionnels de banlieue comme baromètre de la bonne distance…………………………………………………………………………………..20 II. Justesse de la cinématographie pour représenter de manière fidèle l’espace de la banlieue…………………………………………………………………………………..28 1. Le jeu astucieux des couleurs : moyen d’identification des acteurs en banlieue………...28 2. Une caméra en pleine immersion nous donnant une vision panoptique de la banlieue….34 3. Une banlieue construite en opposition avec la ville de suivant le schéma : centre/périphérie…………………………………………………………………………39 III. Quel résultat : des clichés bannis ou simplement revisités ?...... 46 1. Des clichés dépeints par les trois films notamment ceux liés à la monotonie de la vie en banlieue sans solution concrète………………………………………………………….46 2. Des clichés dépassés notamment grâce à la promotion d’un multiculturalisme décomplexé par les trois films………………………………………………………...…51 3. Une représentation pourtant toujours difficile due à l’hétérogénéité de la banlieue……...... 55 Conclusion……………………………………………………………………………………….61 Bibliographie……………………………………………………………………………………..63

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Acknowledgements

First and foremost, this master thesis is dedicated to my parents. Everything I am and I seek to be in this world is modeled after you. The love, the admiration and the gratitude that I have for you is immeasurable. My warmest regards to my mother, you are the cornerstone of the family. I also want to thank my research director Dr McKinney who has always been very supportive of me and of my choices. Thank you for meeting with me every other week and responding to my emails when I was overseas. To the incredible three years I have spent in Ohio, at Denison and Miami University and especially to Michel Pactat, Elisabeth Hodges and Christine Armstrong, I lack the proper words to define the scope of change you brought into my life and to fully comprehend the emotional roller coaster it has been. To all the people and places I connected and discussed extensively with, Fred Porcheddu, Elise Mignot and Pierre Cotte and all my students who have continuously been an incredible source of inspiration for me throughout the year. Thank you to my friends in the United States who have always been there for me and who have always encouraged me to follow my dreams. It is to all of you that I owe my deepest gratitude.

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Introduction

Les médias ont souvent fait défaut à la banlieue parisienne, ou cette ceinture urbaine à la périphérie de la capitale française. Dotée d’une géographie peu avantageuse et d’une concentration de malheurs sociaux, la banlieue n’a jamais pu vraiment émerger positivement sur nos écrans. Toutefois, le constat superficiel de cette tragédie que les médias produisent n’aide en aucun cas la compréhension de ce phénomène social de très grande ampleur. Alors que les médias s’y intéressent peu, le documentaire, ou encore “l’interprétation créative de la réalité” selon John Grierson (Lépine, Mediapart) va prendre la relève et aller au-delà des clichés transmis par les médias. Le documentaire incarne un genre cinématographique qui naît avec Robert Flaherty et Nanook of the North (1922). Il s’agit du premier film sans scénario imaginaire qui ne va pas travailler avec des acteurs mais avec des individus réels en les montrant tels qu’ils sont dans leur vie de tous les jours (Douhaire). Le documentaire va donc manipuler quelque peu la réalité car il va la réinterpréter mais va également se référer à certaines zones du réel. Le documentaire est un moyen de lecture du monde réel, notamment grâce aux procédés cinématographiques qu’il emploie comme le traveling, le plan-séquence, ou encore le gros plan. Ces techniques souvent considérées comme honnêtes et authentiques car au plus proche de la réalité nous offrent une vision panoptique de la banlieue. Le documentaire, genre cinématographique à part entière, accompagné d’une voix off et dont le but est d’informer va donc être avant-gardiste. Puis il va laisser place au cinéma direct, qui est à proprement parler, un cinéma-documentaire, un genre hybride entre la fiction et le documentaire. Le cinéma, lui-même à la fois fiction et documentaire, quand il est direct va avoir une toute autre visée. Le cinéma direct va nous proposer une vérité historique, qui a pour but de retranscrire la réalité. Il va opter pour une technique légère avec peu de personnes sur le lieu du tournage pour éviter au maximum le parasitage et la manipulation de la scène qui se veut directe et instantanée (Boily, 5)1. La visée de la fiction va nous donner accès à une vérité plus romancée, plus dramatique qui ne va pas nécessairement avoir de lien direct avec la réalité. Le cinéma direct va agir sur le monde en évitant de lisser ses travers ou ses imperfections et ses motivations vont pouvoir se lire à travers sa cinématographie. Ce cinéma plus brut va être la marque de fabrique du “cinéma de banlieue” qui va à travers la fiction de son scénario, relater les histoires des “petites

1 Caroline Boily, La représentation du réel dans le cinéma direct : à la jonction de la pratique et de la théorie documentaire. Université du Québec à Montréal, 2010, p. 5. 1

gens”, souvent issues de ces quartiers grâce à un casting sauvage. La dure réalité de ces banlieues est alors contenue et évoquée à travers plusieurs aspects de ces films de banlieue. Ainsi, le cinéma français en créant le nouveau genre du cinéma de banlieue, et en adoptant les codes du documentaire va s’engager politiquement et va proposer un nouveau regard sur ces “zones impénétrables”. Le regard porté sur ces banlieues va être plus pédagogique et moins accusateur car il tente de comprendre les raisons pour lesquelles la vie est plus triste en banlieue. L’art cinématographique, de par ses codes et ses différents témoignages devient alors révélateur d’un phénomène social mais va aussi parfois tomber dans les clichés qu’il tente de dénoncer. Afin de prouver cela, nous nous servirons de deux films documentaires : De l’autre côté du périph : Au cœur de la cité (1997) par Bertrand Tavernier et son fils Nils Tavernier et Banlieues sous le feu des médias (2006) de Christophe-Emmanuel Del Debbio. Nous illustrerons également notre argument à l’aide de trois films de banlieue : La Haine (1995) de Mathieu Kassovitz, Ma 6-T va cracker (1997) de Jean-François Richet et enfin L’Esquive (2004) d’. Nous verrons dans une première partie que le documentaire de par la bonne distance qu’il cherche constamment et son réalisme foncier va renouveler et dénoncer le regard caricatural des médias. Ces deux techniques vont être reprises par le cinéma de banlieue. Puis, nous observerons que les films de banlieue vont aussi être novateurs dans la représentation de l’espace de la banlieue, grâce à une utilisation précise des couleurs, à l’alternance entre point de vue subjectif et objectif, ou encore à l’usage de gros plans et plans séquence mais également grâce à la séparation entre la banlieue et la capitale. Cette représentation de la banlieue va être très fidèle à la réalité. Enfin, nous analyserons l’impact de ces films en matière de production de clichés, c’est-à-dire de stéréotypes sur la banlieue qui ont trait au langage très cru qu’on y utilise, au machisme ou encore au communautarisme. Nous partirons du double sens du mot “cliché” qui est un élément inhérent au processus filmique du cinéma et qui peut aussi apparaître comme un résultat de celui-ci. Les clichés sont inévitables et sont automatiquement produits par ces films même quand ils tentent de les éviter car la banlieue est un objet difficilement identifiable et très hétérogène.

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I. Du film-documentaire au film fictionnel de banlieue : l’enjeu de la bonne distance quand il s’agit de filmer la banlieue

La nouvelle “nouvelle vague” du cinéma français des années 90, terme utilisé par Julien Gaertner, va proposer un regard différent sur les banlieues françaises (Gaertner). Ces dernières ont en effet souvent été scrutées par l’œil des caméras de surveillance ou par celui des caméras voyeuristes des journalistes. Les points de vue – soit en plongée ou dans un angle mort – qu’elles adoptaient étaient problématiques car elles offraient une approche froide et insensible devant le problème de société se déroulant devant leurs yeux. La perspective de ces caméras voyeuristes nous distancie physiquement du problème car elles ne l’affrontent pas. Elles n’y font pas face puisqu’elles ne pénètrent pas dans la banlieue et ne s’y invitent pas. En restant toujours en retrait, notamment dans La Haine (1995) où la caméra des journalistes – tenue en plongée par l’un des journalistes sorti à peine de la voiture – ne franchit pas, par crainte, la barrière du square dans lequel les protagonistes errent. La caméra apparaît comme un corps étranger ou un élément hostile tout particulièrement aux habitants de ces espaces marginalisés qui ont tendance à se présenter constamment sur la défensive, hostiles à toute sorte de caméra et toute question des journalistes. Cette prise de distance va être remise en question à travers un premier genre qui est le documentaire et sera ensuite définitivement rejetée par les réalisateurs du cinéma de banlieue.

1. Le cinéma et son approche phénoménologique

Notre première question concerne la bonne distance à adopter en cinéma quand on traite de la banlieue. L’équilibre entre distance et proximité est propre au cinéma, car ce dernier est un art de la distance et elle représente aussi l’objet de recherche des cinéastes qui sont toujours en quête du bon point de vue à adopter. Toutefois, comment trouver cette bonne distance ou prise de vue, cet espacement éthique refusant les extrêmes et qui permettra de mieux appréhender les complexités d’une société ? Il ne faut pas trop s’éloigner car on risquerait de ne pas pouvoir entendre les cris d’alerte émanant du lieu en question, mais également les revendications d’un certain groupe social. Toutefois il ne faudrait pas trop se rapprocher et regarder quelque chose de trop près en l’excluant de son environnement, ou de son contexte, de peur de ne pas comprendre le message délivré et de ne fabriquer qu’un ramassis de clichés. Ici, la distance a un double sens car il s’agit de la distance de recul du spectateur avec le film, dans un sens figuratif et la distance

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physique prise par le réalisateur entre la caméra et l’objet filmé. Serge Daney, dans les Cahiers du cinéma, observe que la distance est importante : “l’écriture implique l’espacement, un vide entre deux mots, deux lettres, un vide qui permet le frayage du sens. […] Alors, comment tout cela se passe-t-il dans le cinéma ? Là aussi il y a de l’espacement”. (20) Cet espacement va correspondre à une certaine forme d’interstice dont parlait Deleuze dans L’image-temps et qui est inhérent au cinéma: “Ce qui compte, c’est au contraire l’interstice entre images, entre deux images : un espacement qui fait que chaque image s’arrache au vide et y retombe” (234). Le cinéma est l’incarnation de la distance car il s’agit d’une succession littérale d’images immobiles dont l’enchaînement provoque un mouvement. Cet intervalle, entre deux images ou deux scènes, va apparaître comme une forme de distanciation, qui va faire naître une prise de conscience et va être nécessaire pour former un regard neuf sur les thèmes portés à l’écran. Cette distance ou ce mince écart entre les images n’est pas celle de la caméra avec l’objet qu’elle filme mais elle nous amène à penser à son essence même qui permet de mieux appréhender celle de la caméra vis-à-vis de l’entité filmée. Comme forme de distance Daney suggère le hors-champ, où toutes les scènes qui ne sont pas capturées par le champ de l’optique de la caméra vont faire preuve de distanciation, puisque le hors champ correspond à tout ce que le réalisateur nous empêche de voir mais aussi à tous les éléments non-existants que notre imagination va pouvoir combler. Ce type de distance va être continuellement recherchée par les cinéastes et notamment par Jean-Luc Godard. Dans le film Week-end (1967), grâce à la variété de genres qu’il dépeint au sein du film et l’auto-réfléxion qu’il propose sur le cinéma, ainsi que sa façon de filmer à travers ce magnifique travelling de voitures prises dans la circulation dû à un accident sur cette route de campagne, la distance va être porteuse de sens. C’est au sein de cette distance que le sens va se créer comme le reporte Thomas Carrier-Lafleur dans son article “Film Socialisme ou l’hybridité de l’écriture : Vers une nouvelle ‘caméra-stylo’ ?” :

Il y a une distance, comme on dit qu’un boxeur ou un peintre cherchent la distance j’ai mis du temps à la trouver. Dans le cinéma, les gens, les opérateurs en particulier, ne se rendent plus compte qu’il y a ce mouvement à trouver. Que l’on fasse un gros plan ou un plan général, ils sont toujours à la même distance, celle de l’œil au viseur, mais ce n’est pas la distance du regard. On a l’impression que la distance que Brecht appelait la distanciation et qui était comme une sorte de recul, je l’ai mise derrière : il

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y a le paysage, mais il y a des moments où le paysage vient d’abord et les gens ensuite. (19-20)

Godard évoque la distance du hors-champ, qui n’est pas la distance du regard du cinéaste, qui, elle, reste la même, car elle se situe entre l’œil et la caméra mais plutôt la distance entre les éléments composants le paysage qu’il décide de filmer. Il peut faire des choix et décider de filmer d’abord un arbre, un bâtiment et ensuite les êtres vivants de ce paysage. Il évoque aussi « l’effet de distanciation » de Bertolt Brecht, qui est celle du spectateur avec le film regardé ou encore l’acteur avec le personnage qu’il joue (Larousse.fr). En général, le réalisateur modifie la perception de notre environnement et le spectateur ne peut se résoudre à être passif et à prendre la vision du cinéaste comme acquise. Le spectateur doit se munir d’une certaine présence d’esprit pour parvenir à dénicher le message enfoui du film. Afin de sortir de cet excès d’identification, le réalisateur peut avoir recours à plusieurs techniques comme celle où le quatrième mur se brise ou encore l’intervention d’un narrateur extérieur. La distanciation a lieu quand l’un des personnages s’adresse directement à la caméra, et par conséquent au spectateur. Ce procédé est notamment utilisé dans La Haine par Kassovitz dans la scène où Vinz s’adresse directement à la caméra et la matraque de ses deux doigts formant un revolver menaçant avec la même phrase successive “c’est à moi que tu parles?”. Ce moment où Vinz tente de rassurer son égo et de répéter la scène qu’il jouera peut-être en réalité devant un policier semble aussi être un message direct au public. Ici, Vinz nous donne accès à sa soif de vengeance à la suite de la mise en coma de son ami Abdel-Aziz Shokair par un policier lors d’une garde à vue. Sa vengeance est fondée sur la loi du Talion “œil pour œil, dent pour dent”, car pour un jeune de cité agressé, un policier doit l’être aussi. Cette scène est un clin d’œil au film américain Taxi Driver (1976), réalisé par Martin Scorsese et qui relate les déboires d’un chauffeur de taxi à New York incarné par Robert De Niro, tentant de donner un sens à sa vie en faisant justice lui-même grâce à une arme achetée au marché noir. Elle vise aussi à nous faire comprendre que la banlieue et ce qui s’y passe, les rivalités entre la police et les banlieusards, “ce n’est pas vraiment du cinéma”2, et le public doit en être conscient. A la fin du film, la même voix extérieure que celle du début du film revient comme une rengaine pour boucler la boucle mais aussi pour ancrer le spectateur dans ce cercle de violence qui anime les banlieues : “C'est l'histoire d'une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa

2 Voir cette référence au discours de Raoult à la page 18. 5

chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien… . Le problème ce n'est pas la chute, c'est l'atterrissage.” (Kassovitz, La Haine (1995)). Ce procédé permet d’alerter les spectateurs et de mieux les sensibiliser au message transmis par une fiction car il nous en met en face du quotidien difficile des banlieues en brisant le quatrième mur et en nous rappelant plusieurs fois le même message comme l’annonce incessante en gare ferroviaire pour nous prévenir des vols, ce qui nous incite à surveiller nos effets personnels. Le cinéma, de par ses techniques multiples et variées est l’art de la distance par excellence. Il est donc le plus approprié pour éclairer les consciences sur certains problèmes sociaux. La bonne distance, ou encore ce baromètre éthique entre proximité et trop grand éloignement à trouver va d’abord être dénichée dans le degré d’immersion de la caméra dans l’espace urbain des banlieues. Les journalistes et les médias en général ont souvent été incriminés car ils ne regardaient pas assez les banlieues et par conséquent ne pouvaient saisir les problèmes sociaux comme nous allons le voir dans le film documentaire de Christophe Del Debbio : Banlieues sous le feu des médias (2006). En effet, les deux sont liés, et au sein d’un certain espace, se crée une certaine identité sociale. Dans les films de banlieue et le cinéma social en général, l’espace va souvent devenir un personnage et ne va plus servir de simple décor à l’évolution des personnages. Nous allons d’abord analyser La Haine (1995), film de Mathieu Kassovitz qui suit les péripéties d’un trio haut en couleurs composé de Saïd, Vinz et Hubert dans leur cité à la suite d’émeutes où les policiers se confrontent aux jeunes de banlieue, ces derniers protestant contre la mise en coma d’un de leurs amis par la police. L’environnement urbain va être fragmenté en deux parties : avec d’abord la banlieue et ensuite Paris. Les transports en commun vont également jouer un rôle central car ils vont empêcher les protagonistes de regagner leurs banlieues ou du moins être une embûche sur leur chemin, ce qui nous donne une idée de l’éloignement spatial mais également social de Paris et de ses banlieues. Nous avons accès à cet espace grâce à plusieurs plans en contre plongée notamment au début du film alors que Saïd appelle Vinz en bas de chez lui. Nous pouvons apercevoir des graffitis, des arbres et surtout des petits immeubles de cinq étages alors que la caméra se situe derrière Saïd qui scande le nom de Vinz. La caméra nous offre un réel panorama car elle suit les mouvements physiques de Saïd qui se retourne pour agresser un voisin qui lui demande de faire moins de bruit. La caméra zoome ensuite sur la fenêtre du voisin mécontent ainsi que sur celle de l’appartement de Vinz où sa sœur se tient et essaie de faire

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patienter Saïd. Toujours au sein de l’appartement de Vinz, la caméra est d’abord en contre-plongée, nous permettant de distinguer tous les éléments du décor de la chambre de Vinz. Alors que Saïd cherche la drogue cachée par Vinz, la caméra pivote et effectue un court traveling. Ainsi, en l’espace de deux minutes, la caméra de Kassovitz vient déjà mettre au premier plan l’architecture urbaine des cités. L’espace urbain ne va plus être en hors champ mais va aussi être au premier plan dans Ma 6-T va cracker notamment où plusieurs parties de l’ensemble de la cité vont être montrées à l’écran : escaliers, halls d’entrée, ascenseurs, graffitis, voitures volées et brûlées et évidemment les tours. Cette immersion de la caméra va lui permettre d’être beaucoup plus crédible et légitime pour traiter du sujet épineux des banlieues. Filmer l’urbanisme des banlieues, non plus comme un décor immobile et homogène mais comme un espace hétéroclite va permettre de comprendre la logique architecturale derrière qui consistait à bannir certaines personnes de la ville comme Françoise Gaspard l’avance dans Une petite ville en France (1990). Tous les parias de la société que ce soient les prisonniers de droits communs, ou encore les harkis ont été parqués dans ces cités (65-72 et 93). La division verbale centre/périphérie ou encore “le creux” et “l’ailleurs” (93) selon Gaspard se lit aussi dans l’espace. En effet, “le creux” constitue le centre-ville opulent et bourgeois et “l’ailleurs”, cet invisible, en marge de la ville, dont l’architecture criarde et bétonnée contraste avec celle du centre. Ces grands ensembles, construits en urgence sur des terrains vagues, pour accueillir à la hâte les populations immigrées, concentrent une misère sociale. Cette séparation physique est ainsi devenue lexicale et toponymique puisque ces “cités”, ou “agrégats de quartiers à l’abandon” (Gaspard, 103) ont aussi ironiquement des “noms charmants par leurs connotations champêtres et dont le pittoresque fleure bon les origines rurales françaises” (94). Les noms tels que “La cité des Bergeronettes” (95) ou “Prud’homme” (96) ne correspondent pas à la réalité triste associée à ces bâtiments où l’on entasse tous les “marginaux” de la société. Il “ne fait pas bon vivre” dans ces territoires délaissés par la République puisqu’il y a des trafics en tout genre (drogue, prostitution…) mais également des conditions de vie précaires. Ces “cités-dortoirs”, dont il est difficile de sortir, gangrènent les populations qui y vivent, en matière de réussite scolaire, d’insertion professionnelle… . L’ascension sociale semble bloquée pour ces “citoyens de seconde zone”, où toutes les générations sont prises dans le même cercle vicieux du chômage, de la marginalisation et du repli communautaire. Ainsi, quand la caméra s’immerge complètement dans l’espace urbain et qu’elle y filme tous les recoins, alternant entre zoom et plan d’ensemble, elle parvient à trouver la bonne distance et à donner un point de vue fidèle au réel.

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Cette bonne distance a un lien avec une certaine phénoménologie du cinéma, ou une certaine posture et perception cinématographiques s’inspirant de la perception humaine et qui donnerait à voir des choses qu’on n’aurait pas l’habitude de voir. Selon Renaud Barbaras dans son article “Phénoménologie et ontologie de la vie” (2002) : le terme de phénoménologie est adopté par Hegel ainsi que d’autres philosophes mais surtout par Maurice Merleau-Ponty qui va nous intéresser tout particulièrement ici3. Il s’agit d’un mouvement de pensée qui se donne pour but de décrire ce qui apparaît, grâce à une méthode : la phénoménologie qui est une science des phénomènes et qui se contente de décrire l’être. L’être va intéresser les phénoménologues car il se trouve dans les phénomènes et ces derniers constituent ce qu’on appelle “La réalité”. Il s’agit donc de faire apparaître ce qui ne va pas de soi dans les phénomènes, par exemple à travers la mise en scène d’une pièce de théâtre ou le montage d’un film. Le spectateur, souvent passif, ne fait pas attention à ce genre de détails scéniques, à tous les artifices de ce genre de spectacles. Le but du phénoménologue est de faire disparaître tous ces écrans de fumée, et de décaper tout ce qui recouvre la chose pour accéder à ce qu’elle est. Dans La phénoménologie de la perception (1945), Merleau-Ponty en appelle à une position originale pour atteindre la chose en soi, qui exprime notre corps à corps avec le monde (369) et qui se base sur un schème sensori-moteur sur lequel repose le cinéma lui-même. La perception humaine va suivre ce schème sensori-moteur. Ce dernier dont parle Deleuze dans L’image-temps va correspondre à notre capacité de recevoir des informations de notre environnement grâce à nos cinq sens. Ces informations vont ensuite être envoyées au cerveau puis aux muscles et vont faire naître des réactions et des pensées (206). Le cinéma s’appuie sur ce rapport d’action-réaction. Il y aura une certaine forme de sensibilité mimétique de la caméra. Ainsi, notre rapport avec le monde passe par le corps. Nous vivons le monde à travers notre corps avant de le connaître et de le réfléchir intellectuellement. Le monde n’est jamais une représentation figée mais un interlocuteur avec lequel on entretient un dialogue. Le monde nous parle à travers l’échange physique, corporel que nous établissons avec lui. Les choses ne nous concernent donc qu’à partir des projections que nous faisons sur elles, des significations, des intentions, des prises que nous y déployons. Ceci peut se voir à travers la peinture, et l’œil du peintre sur lequel Pascale Ferran s’attarde dans son film Bird People (2014). Ce film, qui n’évoque pas les mêmes problématiques sur la banlieue que les autres films que nous allons étudier, aborde toutefois le

3 Nous nous intéresserons à la phénoménologie de Merleau-Ponty plus qu’à celle d’Hegel car le rapport au corps que Merleau-Ponty établit est essentiel à la compréhension de la bonne distance au cinéma. 8

manque de connexion entre Paris et les villes à la périphérie, notamment dans la première scène alors que la protagoniste compte ses heures perdues de trajet pour se rendre à son travail. Au milieu de cette hypermodernité, Ferran nous donne une leçon de regard pour mieux apprivoiser le monde à travers la scène de l’aquarelliste japonais. Ici, l’ineffable est au rendez-vous puisqu’il n’y a pas un échange de mots entre Audrey, transformée en moineau, et le dessinateur, mais plutôt un échange de regards. La réalisatrice fait l’économie des mots pour mieux porter la virtuosité de ce moment artistique. Le dessinateur regarde l’oiseau avec bienveillance et brise le quatrième mur. Nous, spectateurs, nous nous sentons aussi regardés. La caméra est d’ailleurs subjective, notamment lorsqu’il décide de dessiner les mouvements de l’oiseau sur sa feuille. Ce long moment de clichés en rafales qui décomposent chaque battement d’aile, chaque mouvement de l’oiseau est filmé du point de vue de l’artiste. Ce point de vue n’est pas anodin, et nous rappelle la phrase de Merleau Ponty “Le peintre est seul à avoir droit de regard sur toutes choses sans aucun devoir d’appréciation” (1964, 11). L’artiste, qu’il soit peintre ou dessinateur, est donc celui qui parvient à dessiller son regard pour bien voir. Ainsi, à travers cette chronophotographie de l’oiseau, il y a une connexion qui se fait entre l’artiste et l’objet de son étude. L’œil est donc le miroir de l’autre, et le dessin est la reproduction de la sensation que nous avons quand nous regardons l’autre. Ce lien corporel avec le monde va aussi passer par la perception et Merleau-Ponty ajoute que notre vision est spontanée et qu’elle implique la simultanéité des objets se disputant notre regard car le monde n’est pas une peinture immobile (295-305). Notre perception est donc à l’image du monde, lui-même en mouvement. Ainsi, Merleau-Ponty va condamner la perspective géométrique et la mise au carreau d’un monde immobile car elle en évacue la dimension d’imprévisibilité. La perspective donne la perception d’un oeil immobile, ce qui est problématique. De par notre corps orienté en permanence dans l’espace, notre vision est aussi toujours spatialisée et donc toujours subjective. Ainsi, la perception humaine possède des limites et Merleau-Ponty reconnaît l’impossibilité pour la vision de nous offrir une perspective qui domine et épuise un espace en soi. Ainsi, toute perception pour Merleau-Ponty est une perception ouverte, non totalisable, inachevable. Il reprend l’exemple du cube de Husserl dans La phénoménologie de la perception (1945). Lorsque je vois un cube, je ne perçois jamais ses six faces simultanément. Je vois d’abord une ou deux faces pleines, et une ou deux autres qui se profilent (304-305). Si je tourne autour du cube, ou si je le fais bouger dans ma main, j’en aperçois de nouveaux aspects. La perception, c’est la synthèse d’une multiplicité d’apparitions successives que je rassemble en une unité mais cette

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multiplicité reste ouverte. Je n’ai jamais fini de faire de la chose son exploration. C’est précisément ici que le cinéma va être salvateur, lui qui reproduit la perception humaine et qui l’affranchit de ses limites. La phénoménologie va être progressivement liée au cinéma, notamment par Merleau- Ponty lui-même dans “Le cinéma et la nouvelle psychologie” (1946), article faisant partie de Sens et Non-sens, où il dit : “C’est par la perception que nous pouvons comprendre la signification du cinéma : le film ne se pense pas, il se perçoit” (104). En effet, l’œil de la caméra va s’inspirer de l’œil humain car comme le dit Stefan Kristensen dans “Maurice Merleau-Ponty, une esthétique du mouvement” : “Le plan, le montage, l’union de l’image et du son, etc, concourent à produire une perception totale qui est de même nature que notre perception naturelle.” (2006, 12).Toutefois, c’est ici que l’œil de la caméra va être salutaire et va parfaire la perception humaine, lui qui peut jouer de plusieurs points et angles de vue pour reconstituer tous les aspects du réel. L’œil de la caméra va certes nous donner une certaine perception du monde car comme le dit Merleau Ponty dans L’œil et l’esprit (1964) : “Instrument qui se meut lui-même, moyen qui s’invente ses fins, l’œil est ce qui a été ému par un certain impact du monde.” (16). En revanche, il va essayer de l’explorer au maximum en mettant en parallèle, en effectuant des arrêts sur image, en filmant le même objet de manière subjective et ensuite objective car après tout selon Kristensen (2006) : “Le cinéma donne à percevoir des réalités humaines complexes” (12). La caméra amène à la lumière un certain objet et elle nous dit “regardez, cette vision d’un quartier défavorisé, d’un visage d’un jeune désœuvré, d’un hall d’entrée etc, elle est à la fois absolument singulière, et elle nous parle de celle de plusieurs autres personnes.” Elle met aussi en lumière des éléments qui pourraient échapper à notre perception naturelle quand elle zoome et agit comme un microscope pour que nous nous attardions un peu plus longtemps sur la chose filmée. Ainsi, on pourrait se demander quelle serait la bonne distance à adopter par la caméra afin qu’elle nous offre à voir l’invisible et les nuances de l’existence humaine. Le gros plan ne permet pas de prendre assez de recul sur l’image que l’on voit mais la trop grande distance entraîne l’indifférence et la désensibilisation à certaines images violentes comme nous le voyons dans le film Caché (2005) de Michael Haneke. La violence que Georges – le protagoniste poursuivi par les démons de son passé – ne parvient pas à affronter est parfois sous ses yeux notamment lors de la diffusion d’images choquantes à la télévision auxquelles il reste indifférent. Même quand la violence s’avère explicite, il semble toujours rester insensible à cette réalité qui l’entoure. Dans cette scène qui se situe à 01h11 du film, le simulacre de l’écran visible à travers cet écran de

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télévision va venir fissurer la scène en deux et dans cet intervalle créé par cette faille, la violence va exploser. En effet, cette scène est encore une fois un plan séquence où la télévision va occuper le centre de l’écran et sera cette fenêtre laissant voir la réalité du monde extérieur. Les deux personnages sont ainsi séparés par un fossé de violence, Georges étant à gauche de la télévision et Anne arrivant pour occuper l’espace à droite du téléviseur. La chaîne en cours diffuse des actualités internationales et notamment des scènes brutes et crues de la guerre meurtrière en Irak et du conflit Israélo-Palestinien. La violence posée ainsi au centre sépare complètement nos deux protagonistes qui visiblement ne s’entendent plus, se livrent à des joutes verbales et à des dialogues de sourds. Toutefois, cette violence brute est en quelque sorte indirecte car médiatisée et donc distancée par cette mise en abîme de l’écran dans l’écran. Cette mise à distance, jouée par la position des personnages eux-mêmes est aussi mise en scène avec la caméra qui commence par un gros plan sur la télévision (l’image de la télévision et celle de notre écran sont confondues), et qui se distancie progressivement, se plaçant derrière les personnages. Ces différents niveaux d’image sont aussi révélateurs de la trop grande distance prise par Georges et sa femme vis-à-vis de l’actualité. Le gros plan ne permet pas de prendre assez de recul sur l’image que l’on voit, mais la trop grande distance entraîne l’indifférence et la désensibilisation à ces images de terreur. Il faut donc trouver la distance suffisante, qui nous permettra de réfléchir sur une situation donnée. C’est ce que Jennifer Barker révèle dans son article : “The act of reflection requires distance from immediate experience” (2009) (58). Trouver la bonne distance physique est important pour la distance émotionnelle. Jennifer Barker le décrit brillamment : “Unlike haptic images, these optical images put literal time and space between us and those events, temporal and physical distance that translates into emotional distance” (59). Les images haptiques sont relatives au toucher alors que les images optiques ne nous parlent qu’à travers leur support visuel. Ici, il s’agit d’images dont le but est d’être visualisées. Autrement dit, il y aurait une corrélation entre distance physique et distance émotionnelle. Une trop grande distance physique jetterait un voile sur une situation particulière et nous aveuglerait comme nous le verrons à travers le documentaire de Del Debbio. C’est aussi ce que prône Merleau-Ponty dans l’Œil et l’esprit (1964) : “voir c’est avoir à distance” (16). Autrement dit, dans une approche phénoménologique, l’éloignement dans lequel la chose se donne ne peut être distingué de sa manière d’être une chose. La distance constitue la chose car elle se donne dans la distance. Il faudrait entendre ici le mot distance selon l’ambiguïté de son sens psychologique et de son sens spatial. La chose n’est dans l’espace à une certaine distance que parce

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qu’elle est « distante », c’est-à-dire opposant à mon approche une résistance. La distance c’est ce qui demeure caché et invisible dans la chose, ce qui se confond avec elle, qui lui permet de reculer devant le regard, de ne pas céder à l’appropriation pour se montrer : elle ne peut se donner à voir qu’en tant qu’elle se nourrit de cet écart insurmontable qui n’est jamais l’envers d’une proximité. Il y a toujours une profondeur, une impénétrabilité dans la distance. Pour franchir cette distance, cela suppose le mouvement, un mouvement qui pourrait être comparable à un objectif de caméra qui se meut dans l’espace. Ainsi, ce que veut penser Merleau-Ponty, et ce que nous explique Renaud Barbaras dans Introduction à une phénoménologie de la vie (2008) (335-336), est que la distance véritable n’est jamais conçue de manière géométrique. On ne peut ainsi mesurer la bonne distance mais on sait que c’est à partir de cette distance suffisante que l’objet spatial, c’est-à-dire localisé et le sujet adviennent. Sans distance, il n’y a pas de phénomène et pas de réalité concevable. Ce n’est que dans l’éloignement de la chose à la conscience que la chose peut être pensée. C’est toujours dans le rapport entre la conscience, la distance et l’écart à la chose que la chose est. La profondeur est ce qu’il y a entre les choses, qui fait qu’elles s’échelonnent, se distinguent. C’est ce qui donne lieu aux choses, ce par quoi elles apparaissent, émergent comme événement et comme place. De ce fait, la distance rend possible la compréhension de la chose car elle empêche la fusion et la confusion. La bonne distance, pas vraiment mesurable est ce qui permet l’existence du monde et nous permet d’envisager un fait dans toute sa complexité.

2. Quel est l’enjeu de la “bonne distance” ? Réapprendre à regarder les banlieues : de la caméra stigmatisante des médias à la caméra du réalisateur

Le documentaire va jouer avec la distance entre la caméra et les objets filmés, qu’ils soient animés ou non. La distance suffisante, dont nous parlait Merleau-Ponty va pouvoir être trouvée grâce une alternance de points de vue et de témoignages oraux dans les deux films documentaires que nous allons étudier. La prise de vue au plus près du réel va être la marque de fabrique de ces documentaires à portée sociale, qui ne vont pas hésiter à s’approcher des banlieusards, à leur adresser la parole ou encore à filmer leurs conditions de vie très précaires. Cette première tentative va permettre de réconcilier les banlieues avec les caméras. L’un des films à emprunter cette démarche est le documentaire scénarisé de Bertrand Tavernier et de son fils Nils Tavernier, De l’autre côté du périph (1997). Bertrand Tavernier est un grand réalisateur de cinéma qui s’est ici tourné vers le documentaire pour filmer la Cité des Grands Pêchers à Montreuil. A la suite de la

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loi Debré (loi sur l’immigration qui considérait comme illégal l’hébergement de clandestins chez soi et qui poussait à la délation (Plein droit)), plusieurs cinéastes dont lui ont décidé de protester contre celle-ci. Tavernier poussant à la désobéissance physique, reçoit une lettre d’Eric Raoult, Ministre de l’intégration et de la lutte contre l’exclusion de 1995 à 1997, lui demandant d’aller passer un mois dans cette cité pour mieux comprendre ses propos sur l’intégration. Il décide alors de partir en immersion et de filmer les habitants de ce quartier de Montreuil qui se montrent profondément blessés par les dires de Raoult. Nous n’analyserons ici que la première partie du documentaire qui se nomme : Le cœur de la cité. Ce documentaire profondément engagé met en parallèle le discours de certains politiques et celui des jeunes de banlieue à l’aide d’intertitres sur fond noir citant directement les propos d’un certain Eric Raoult. Ainsi, Eric Raoult monopolise ici la parole politique. Faisant suite à la prise de position de plusieurs cinéastes comme Bertrand Tavernier ou encore Mathieu Kassovitz (Plein droit) par rapport à la loi Debré, Eric Raoult demande à Tavernier d’aller s’immerger dans La Cité des Grands Pêchers à Montreuil pour lui montrer que “l’intégration, ce n’est pas du cinéma”. Cela se révèle ironique car c’est à travers le cinéma et un genre spécifique, celui du documentaire, que Tavernier va montrer la réalité de la vie en cité. Il va montrer l’envers du décor des cités, les points négatifs comme les points positifs et va contrer un par un, caméra à l’épaule, les arguments très démagogues de Raoult. Il va alterner entre preuves authentiques du discours politique de Raoult comme quand il montre la lettre à l’écran, ou inclut sur fond noir des citations directement tirées de celle-ci. Il va également utiliser un élément propre au documentaire qui est la voix-off, lui permettant de narrer son échange épistolaire avec Raoult et de juxtaposer une multiplicité de points de vue sur la vie en cité en présentant chaque intervenant. Les arguments de Raoult, qui ne sont pas dénués de sens, ne poseraient pas de problèmes s’ils étaient accompagnés d’une politique de terrain adéquate pour réussir l’intégration des immigrés. En effet, Raoult avait pris position sur le sort des banlieues notamment quand il a dit : “Réussir l’intégration d’un étranger en France consiste à lui trouver une crèche, une école…” (00:15:50) phrase avec laquelle les habitants de la cité sont d’accord, encore faudrait-il que l’éducation nationale fasse son travail correctement pour permettre l’intégration de ces personnes. Le contre-argument de Tavernier se construit progressivement grâce aux différents témoignages des intervenants comme celui de Cédric Ngo-Van qui sera régulier dans le reportage, et qui va condamner l’instruction obligatoire jusqu’à seulement 16 ans, déplorant le fait qu’un jeune qui sort du système scolaire à cet âge-là est toujours démuni et n’a pas d’avenir. Les gros

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plans sur ce jeune de banlieue nous permettent de mieux ressentir le message politique transmis car le il a le mérite de nous rapprocher de l’intervenant, de nous permettre de le comprendre et de saisir avec plus de précision l’ampleur de son discours. Il y a aussi une certaine éthique respectée quand le visage de l’autre est filmé de si près. Le discours de Cédric est également très authentique car spontané même si ses interventions sont parfois coupées par le montage notamment au début du reportage. Les questions de Tavernier varient et les réponses de Cédric aussi, elles n’ont pas été toutes sélectionnées car même dans un documentaire, tout n’est pas filmé sur le vif. Toutefois ses réponses ne sont pas manipulées car elles restent cohérentes et sont filmées en plan long, au rythme des questions de Tavernier. Cela nous donne une impression de continuité en matière de temporalité et d’espace. Tavernier va aussi donner la parole à un professeur au collège, qui va exprimer son désarroi le plus total face à l’effectif excessif des classes et l’impossibilité d’enseigner en demi-groupes, ce qui lui permettrait d’assister les élèves de manière individuelle. Cette alternance des témoignages va contribuer à contredire la vision très théorique de Raoult sur les banlieues. Raoult avance aussi que “Réussir l’intégration d’un étranger consiste à lui trouver un logement” (00:20:10), alors que l’Etat s’est complètement désengagé de la construction du logement social comme le dit Raphaël Grégoire, Pdt de l’OPHLM de Montreuil dans le film. Eric Raoult finit par parler de l’emploi, qui est lui aussi essentiel au processus d’intégration des immigrés mais qui reste une étape difficile pour ces derniers, qui sont discriminés sur le marché du travail à cause de la ville où ils habitent comme le dit Alexandre Lenadovitch, habitant de la cité, quand il répond à la question de la difficulté de l’emploi par Bertrand Tavernier :

Dès qu’on dit Montreuil, les gens croient que c’est la racaille, c’est fini. Faut pas dire Montreuil. C’est pour ça qu’on dit jamais Grands Pêchers Bel Air, on dit plus Montreuil vers Fontenay-Sous-bois, vous savez des trucs qui n’ont pas de réputation parce que Montreuil, ça a une réputation (Tavernier, De l’autre côté du Périph).

Ainsi, ce qui est reproché à Raoult, ce n’est pas le bon sens de ses propos mais plutôt le manque de solutions concrètes offertes par le gouvernement de l’époque. Tavernier résume “dans le match cité contre ministre ça fait du 3 à 0” (00:24:40). Tavernier a donc réussi à combattre les mots écrits

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de Raoult, grâce à l’oralité des déclarations des intervenants mais également grâce à la localité des entretiens et aux techniques filmiques employées. Ainsi, Tavernier va s’approcher au plus près des témoins en zoomant la caméra sur leur visage, en étant à la même échelle qu’eux ou en filmant en contre-plongée mais va également nous offrir des plans d’ensemble où la caméra est plus en recul, ce qui nous laisse apercevoir les façades des immeubles de la cité quand il filme à l’extérieur ou bien les appartements des habitants quand il filme à l’intérieur. En effet, nous assistons à plusieurs conversations en face à face entre Tavernier et les habitants, notamment celle avec Farid Amine (11:05) près d’un immeuble. De plus, nous pouvons voir clairement l’architecture de la cité des Grands Pêchers au début du documentaire, quand la caméra se faufile dans une voiture et arpente le périphérique, et laisse voir les indications des panneaux routiers et ensuite l’arrivée dans la cité de Montreuil. Ce parcours itinérant de la caméra demeure essentiel pour bien marquer la division Paris/banlieue. Cela montre également que la distance géographique entre Paris et Montreuil qui est pourtant infime car Montreuil est une proche banlieue semble aussi d’une certaine manière importante car le paysage apparaît, lui, complètement différent de Paris. L’immersion de la caméra est donc immédiate et le traveling qu’elle offre, guidé par la voix off de Tavernier, à la fois informative mais aussi teintée d’ironie nous permet de mieux appréhender les lieux et de connaître les conditions de vie dans les cités. Cette immersion est à son comble quand les portes des appartements de la cité lui sont ouvertes, comme quand Alexandre Lenadovitch laisse pénétrer la caméra de Tavernier dans l’immeuble, dans l’ascenseur et enfin l’appartement de sa famille. Les espaces clos sont également à l’image des espaces extérieurs car ils enferment les habitants de cette cité. Nous avons accès à un premier plan dans la chambre du jeune homme, espace exigüe, avec une machine de musculation, quelques posters et un miroir que la caméra va filmer avec insistance. Le salon qui fait aussi figure de salle à manger, paraît assez étroit et se trouve marqué par le fond sonore perpétuel de la télévision qui n’est éteinte que trois heures par jour. La télévision va apparaître comme un des seuls moyens d’évasion pour les habitants des cités – mais aussi une source de stigmatisation – au même titre que la musique urbaine, aux décibels augmentés résonnant dans un faux décor de boîte de nuit rempli de fumée. Triste réalité, décrite par la voix off et les mots justes de Tavernier : “Voilà comment au huitième étage d’une tour des Grands Pêchers, on éclaire sa vie à coup de lumière stroboscopique, d’étoiles collées au plafond qui peuvent briller trois heures et qu’obscurcissent des nuages parfumés à la noix de coco.” (00:31:40). Ainsi, la caméra de Tavernier

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est empreinte de sincérité et donc de subjectivité mais aussi d’objectivité car elle n’hésite pas à se promener dans ces “zones de non-droit”, à filmer la solidarité et le côté associatif de la banlieue tout en suggérant avec le même point de vue les délits en tous genres (vols à l’arraché, cassage de voitures, cambriolage, trafics de drogue et petite délinquance…). Ces petits délits ne sont pas filmés, mais sont dénoncés par les habitants de la cité et les policiers. Cette perspective va se montrer particulièrement engagée car elle s’adresse directement aux politiques, incarne une vitrine pour les jeunes de banlieue qui peuvent enfin réagir aux propos et tente d’interpeller les élus en place. Dans cet affrontement entre le pouvoir politique et les banlieues françaises créé par le documentaire, il y a surtout une dénonciation des manières de représenter et d’exposer la banlieue dans le discours politique. Cette caricature de la banlieue peut se faire par les mots, comme l’a fait Eric Raoult sous couvert de discours sur l’intégration mais également par les images et notamment celles diffusées par les médias. Le combat reste le même, les mots très théoriques de Raoult sont déconnectés de la réalité car ils se distancient volontairement de la situation en banlieue et les chaînes de télévision vont produire le même genre d’images prises à une distance excessive, fabriquant des clichés. Dans le documentaire coup-de-poing de Christophe-Emmanuel Del Debbio Banlieues sous le feu des médias, la caméra du réalisateur affronte celle de certaines chaînes de télévision (TF1, France 2…) et va essayer de réconcilier les banlieues avec l’œil de la caméra. Le documentaire est réalisé après les émeutes de 2005 à Clichy Sous-Bois et confronte les images et propos des médias à la réalité des faits. Puis cette partie s’ensuit par un entretien avec les jeunes de Clichy qui visionnent à leur tour ces images et les commentent en temps réel. La caméra stigmatisante du journaliste va faire face à la caméra empathique, plus sensible aux détails du réalisateur. La caméra de Del Debbio va critiquer la couverture médiatique des émeutes de 2005 en banlieue, après la mort de deux jeunes Bouna Traoré et Zyed Benna, électrocutés, pendant que des policiers, passifs se réjouissaient de la situation (Le Monde). La structure du documentaire se veut didactique car la première partie se compose d’un montage de plusieurs clips des différents journaux télévisés du 20h en France à la suite des échauffourées entre jeunes de cités et policiers. Le montage de ces courts extraits permet de mettre l’emphase sur les paroles des journalistes, souvent déplacées ou complètement détachées de la réalité comme celles de Laurence Ferrari, présentatrice du Journal Télévisé de TF1 en 2005 qui sous-entendent que les deux jeunes en question fuyaient la police car ils avaient commis un cambriolage. Cette version est immédiatement contredite par celle de M6

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qui assure que les deux jeunes ont été électrocutés lors d’un contrôle de police. Le réalisateur intervient lui aussi, en ponctuant son reportage d’intertitres sur fond noir et en donnant la vraie version des faits. Il commente ainsi les remarques des journalistes et ajoute que les deux jeunes rentraient tout simplement d’un match de football. Les intertitres sur fond noir permettent de marquer un temps dans le documentaire mais également de rappeler les témoignages qui manquent à la scène comme ceux des deux victimes de la brutalité policière. Les pauses sur fond noir permettent ainsi au réalisateur de nuancer son reportage mais représentent également son espace d’expression et son droit de réponse pour contrer les mots des présentateurs par d’autres mots. La prochaine section du documentaire est réservée aux images télévisuelles et elle va nous intéresser car “it challenges the way that many television news reports sought to use images to reinforce points being made in the voiceovers in a contradictory or inconclusive manner”4 (Ervine, 106). Les images vont être manipulées par les journalistes, notamment par l’inadéquation de la voix off du journaliste et des images qu’ils montrent. En effet, c’est ce que va dénoncer Del Debbio en avançant que les images qui viennent illustrer les reportages des journalistes vont être fallacieuses et vont servir leurs propos, tout aussi aberrants. Plusieurs séquences du documentaire l’illustrent parfaitement, lorsque la caméra du journaliste va filmer les jeunes de cité depuis une fenêtre et va filmer un jeune, complètement isolé, pour suggérer que la société le rejette et qu’il est livré à lui-même ou bien pour montrer que la promesse d’un avenir meilleur lui est inaccessible. La trop grande distance devient alors problématique et ne fait que renforcer la séparation violente et l’isolation sociale de ces individus. La caméra des journalistes n’ose s’approcher de cette réalité et n’ose se confronter à ces jeunes incompris par la société dans laquelle ils vivent. Elle ne cherche pas à s’entretenir avec eux, pour qu’ils s’expriment. Cette prise de vue de la caméra journalistique souvent en plongée comme pour montrer la supériorité hiérarchique des journalistes sur les jeunes de banlieue va incarner l’abandon de ces jeunes et de ces territoires par la République française, qui ne tente même plus de les comprendre mais au contraire préfère les frôler superficiellement, de loin. La couverture médiatique française va être vivement critiquée par le journaliste suisse Serge Michel dont l’entretien avec Del Debbio va apparaître plusieurs fois et va alterner avec celui des jeunes. Selon lui, les journalistes français ne s’immergent pas assez et la caméra ne va pas au

4 “An additional layer of criticism is added by the way that the next section is entitled ‘les images’ (the images) and primarily challenges the way that many television news reports sought to use images to reinforce points being made in the voiceovers in a contradictory or inconclusive manner.” Jonathan Ervine, Cinema and the Republic : Filming on the Margins in Contemporary France (University of Wales Press, 2013) 106. 17

contact de l’objet qu’elle filme. La superficialité de la caméra journalistique dans toutes ces images tirées des journaux télévisés des grandes chaînes françaises, typiquement française va dépeindre, à tort, des territoires impénétrables. Il déplore ainsi le manque de suivi dans le traitement médiatique français et dit :

Alors on peut le critiquer, on peut dire que le journaliste doit rester très froid, très distant, très critique. Mais ici, il y avait une certaine souffrance. Les journalistes savent faire preuve d’empathie quand ils vont à Kaboul, quand ils vont en Afrique pour témoigner de désastres divers et variés, pourquoi pas ici ? Pourquoi l’empathie est réservée aux Afghans qui souffrent sous les Talibans, de la guerre, de la drogue, etc. et pas à un territoire qui est à quinze kilomètres de Paris ? (00:41:31).

En effet, sa démarche journalistique à lui, s’oppose à celle-ci puisqu’avec le Bondy Blog, il va volontairement s’immerger en banlieue et faire preuve d’empathie envers ces Français, complètement ostracisés dans leur propre pays. Le Bondy Blog est un média en ligne créé en 2005 par Serge Michel pendant les émeutes dans les banlieues françaises. Son objectif est d’être un espace d’expression pour les quartiers sensibles et est un réel pied-de-nez aux médias français qui ne sont pas en phase avec la réalité des banlieues (Oulkhouir). Serge Michel va aussi refuser de servir de “fixer”, qui est un terme anglais qui signifie “intermédiaire des journalistes dans un pays en guerre”, en banlieue car selon lui, le montage des reportages français est fait de telle sorte qu’il alarme plus qu’il ne dépeint la réalité. La succession de certaines images dégradantes crée une forme de matraquage qui va abrutir le spectateur au lieu de l’informer. Serge Michel reconnaît toutefois qu’il y a “un mur de Berlin” dressé entre Paris et ses banlieues. Il compare même le bassin parisien à la division entre Allemagne de l’ouest, qui serait Paris-centre ou encore Paris intra-muros avec “une vie assez occidentale, festive, avec du travail” et de l’autre côté l’Allemagne de l’Est avec une qualité de vie inférieure, plus de chômage et une ambiance plus morose. Il finit par dire : “Je pense qu’il y a un mur de Berlin qui sépare deux territoires et que l’avenir consiste à le faire sauter.” Cette approche va être aussi celle de Del Debbio qui va aller à la rencontre des jeunes de banlieue en les confrontant avec les images des médias dans la deuxième partie de son documentaire. Les jeunes rient souvent de la peur qui a été créée à travers ce martèlement d’images violentes et s’insurgent contre le ton alarmiste des journalistes et la déformation de la réalité. La

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caméra de Del Debbio est maladroite, car elle bouge subitement de haut en bas ou de droite à gauche par moments mais elle a au moins le mérite d’aller au plus près de la réalité. La caméra ne présente cette technique filmique que lors de l’entretien entre Del Debbio et les jeunes en bas de leur quartier. Certains plans sont pris en contre-jour, rendant les visages de certains intervenants difficiles à discerner. Les plans varient entre plan américain et gros plan. Le cadrage n’est pas souvent fixe car la caméra circule entre le groupe de jeunes et essaie de distribuer la parole équitablement. Cette représentation volontaire nous apparaît maladroite mais elle a le mérite d’agrandir l’espace d’expression souvent restreint de ces jeunes qui ont pourtant tant de choses à dire. Ce point de vue de la caméra-documentaire, c’est-à-dire à proximité du réel et tenue à hauteur d’épaule va être aussi adopté par les fictions du cinéma de banlieue. En effet, le documentaire à portée politique va être aussi la marque de fabrique du septième art fictionnel de banlieue qui va adopter les mêmes techniques cinématographiques que le documentaire. On pourrait supposer que ce genre cinématographique finirait par se répéter, rencontrer une impasse en épuisant le message politique qu’il tente de délivrer et tomber dans la facilité d’un certain cliché mais bien au contraire comme le dit Carrie Tarr dans son livre Reframing Difference : Beur and Banlieue Filmmaking in France : “Crucially, though, these films avoid the construction of mono- ethnic ghettos, emphasizing instead the multi-ethnic nature of the French banlieue (and the inner city).” (18). Ainsi, par exemple, le cinéma de banlieue évite souvent le cliché du communautarisme qu’on associe à ces ghettos. La banlieue représentée dans ce jeune cinéma français n’apparaît pas comme un ensemble homogène mais plutôt comme une entité en relief, c’est-à-dire diversifiée en matière d’ethnicités, de religions, de rapport à la violence et à l’espace. L’aspect politique de ces films est impulsé par la pétition signée en février 1997 par plusieurs réalisateurs français contre la loi Debré. Ainsi comme le dit Tarr, il n’est pas surprenant que l’activisme politique et la solidarité de ces réalisateurs aient été transmis à travers leurs films (18). Le “retour du politique” au cinéma va donc fournir “a ‘striking political portrait of a morally, humanly and economically disintegrating France’ (Prédal 2002 : 125)” (19). Et ceci va être rendu visible grâce aux techniques cinématographiques qui sont très proches de celles du documentaire comme l’explique Tarr : “A major feature of this set of films is the combination of poetic realism and documentary approaches to filmmaking with which they address issues of marginality and otherness.” (Tarr, 18). Cette signature du cinéma de banlieue est expliquée par Jean-Pierre Jean Colas, historien du cinéma que

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Tarr cite et que, lui, appelle “le réel de proximité” caractéristique de cette nouvelle vague du cinéma de banlieue. Cette démarche est également un signe de l’engagement politique de ces cinéastes car “[it] [...] draws attention to the conflicts, actors and social structures which inform contemporary history.” (Tarr, 19). Ces films, pour s’approcher au plus près du réel, sont des films qui utilisent souvent des acteurs locaux et non professionnels. Tarr qualifie également leur style de cette manière : “quite a physical, unpolished cinematic style.” (19) Ce sont également des films qui mettent en avant l’espace de la banlieue, les cités qui empêchent de voir l’horizon, et l’emprisonnement continuel qu’on soit à l’intérieur de la cité ou à l’extérieur5. C’est ce que Tarr avance dans son livre :“The focus on alternative settings and spaces provides a particularly meaningful way of apprehending the ‘realities’ of life on the margins [...]. It also chimes with recent academic interest in cultural geography and the theorising of space in the construction of identity.” (19). Cette analyse de la géographie de la banlieue nous intéresse tout particulièrement, car elle s’inscrit également dans l’enjeu de la distance à adopter par la caméra du réalisateur. Ces espaces déjà isolés géographiquement vont l’être encore plus par la caméra du journaliste qui va refuser de s’y attarder. Se rapprocher physiquement de ces espaces marginaux tout en les mettant dans un contexte socio-économique plus large, c’est déjà les réintégrer socialement et essayer de les comprendre.

3. “L’effet de réel” des films fictionnels de banlieue comme baromètre de la bonne distance

La recherche de la bonne distance, caractéristique du documentaire va correspondre à une recherche de réalisme pour le cinéma de banlieue. Ce dernier va ainsi emprunter certaines techniques du documentaire, notamment celui du réalisme, autrement dit de la crédibilité et de la cohérence de l’univers créé à l’écran, à travers de longs plans séquence ou encore des travellings qui lui permettent de filmer avec authenticité une scène sans la tronquer et la manipuler. Le plan- séquence pourrait constituer l’essence même du cinéma, car il montre le procédé du cinéma en lui- même qui est de décomposer le mouvement en plusieurs instants immobiles et de donner une impression de continuité. Il est empreint de réalisme et d’authenticité car il n’est pas elliptique et fait coïncider le temps de la diégèse et le temps filmé. Ainsi, dans l’ouvrage 200 Mots Clés de la

5 Voir le chapitre 2 pour une étude plus approfondie des espaces clos et des espaces extérieurs en banlieue. 20

Théorie du cinéma cité par Simon Bonanni dans son mémoire de master, le plan-séquence donne une impression de réalité :

L'absence de fragmentation, au niveau du signifiant filmique, tend à faire apparaître le plan-séquence comme isomorphe du réel lui-même, dont il respecte en effet la double caractéristique essentielle : la continuité spatiale et la continuité temporelle. Il peut se donner ainsi comme un simple enregistrement fidèle des choses, l'image la moins manipulée que le cinéma puisse nous offrir du monde visible. (37)

Il y a donc une certaine fidélité au réel, c’est-à-dire ce qui existe en dehors de nous, et une honnêteté dans le plan-séquence. L’aspect du témoignage, très présent au sein du documentaire va aussi marquer ce genre qui se veut être cinéma-vérité, terme utilisé pour la première fois par Edgar Morin pour désigner des films ethnologiques et sociologiques selon Séverine Graff dans son article “‘Cinéma-vérité’ ou ‘cinéma-direct’ : hasard terminologique ou paradigme théorique”6. L’immersion en banlieue constitue également un aspect crucial dans la bonne réalisation d’un film de banlieue. Le réalisme va être caractéristique des films engagés à portée politique. En effet, selon Emmanuel Barot dans “Remarques sur l’essence réaliste-politique du cinéma” :

Le propre du film politique au sens strict comme au sens large, c'est son parti-pris pour le réel, le monde partagé des hommes dans ce qu'il a d'aliénant et de possiblement libérateur. Tout l'enjeu de ce type de film, c'est alors de saisir ce qui est la réalité pertinente, et donc ce qui fait sens dans les faits et au-delà d'eux de ce point de vue là.

Selon Barot, le cinéma politique ne constitue pas un genre à part entière car il représente une catégorie très large mais contient plusieurs sous-genres qui relèvent du politique tels que le cinéma

6 Elle poursuit en citant Morin lui-même pour expliquer sa théorie : « Le cinéma ne peut-il pas être un des moyens de briser cette membrane qui nous isole les uns des autres, dans le métro ou dans la rue, dans l’escalier de l’immeuble ? La recherche du nouveau cinéma-vérité est du même coup celle d’un cinéma de la fraternité. » et « Qu’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit pas seulement de donner à cette caméra cette légèreté du stylo qui permet au cinéaste de se mêler à la vie des hommes. […] Notre personnalité sociale est faite de rôles qui se sont incorporés à nous. Il est donc possible, à la manière du sociodrame, de permettre à chacun de jouer sa vie devant la caméra. Et comme dans un sociodrame, ce jeu a valeur de vérité psychanalytique. » Edgar Morin, « Pour un nouveau ‹ cinéma- vérité › », France-Observateur, no 506, 14 janvier 1960. 21

à critique sociale comme La Haine ou encore le cinéma militant comme Ma 6-T va cracker. Toutefois, le politique est une composante inhérente au cinéma lui-même car :

Toute image intégrée (documentaire ou fiction) de surcroît capte et transmet quelque chose de réalités sociales, mais aussi constitue une part de cette réalité, selon le rapport plus ou moins libre, ouvert, contrôlé qu’elle institue entre le film et le spectateur par exemple. (Barot)

Ainsi, les films que nous allons étudier ici vont s’inspirer des réalités quotidiennes en matière de discriminations, de difficultés sociales ou de conflits sociaux et vont donc toujours contenir une partie du réel dont ils s’inspirent. La notion de réalisme au cinéma est rarement lisse et peut donc soulever plusieurs questions. Même si le film tente de s’inspirer d’un événement social, quel qu’il soit, il ne pourra pas le représenter dans toutes ses nuances et ses complexités. Il y aura toujours distorsion de la réalité, c’est ce que Jacques Rancière – à qui Barot fait référence – avance. Dans La fable cinématographique de Rancière, le film n’est qu’une fable, peu importe son degré d’attachement au réel. Le film ne reste qu’un point de vue sur le réel, de par son cadre limité et borné, qui en exclut forcément certaines parties. La réalité qu’il propose reste malgré tout fragmentaire. Ainsi, toujours selon Barot, certaines choses ne sont simplement pas représentables. Toutefois, le septième art va pouvoir toucher du doigt le réel par sa capacité à totaliser l’environnement qu’il perçoit. Ainsi, Barot va prendre l’exemple de Madame Bovary de Flaubert, œuvre devenue universelle à partir d’une fiction singulière et ordinaire. Le regard de Madame Bovary sur sa vie est complètement subjectif mais la société provinciale et bourgeoise du 19ème siècle en France donnait un côté objectif au roman de Flaubert. Ainsi, en faisant coexister le microcosme et le macrocosme, la singularité est devenue universelle. Le film permet de réaliser cela à travers le scénario qu’il propose et la banalité de certaines expériences qu’il peut élever au rang d’universel. Le film est également totalisant car il allie forme et contenu. La technique cinématographique incarne la forme et le squelette du film alors que le scénario représente le contenu. A travers ces deux éléments, le cinéma peut prétendre à une certaine forme de réalité. Cette réalité sera toujours incomplète, car :

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Tout le propos, on le comprend, repose sur une chose fondamentale à la fois cause et finalité du film : s'il faut aller au-delà des faits, c'est que les faits ne parlent jamais d'eux-mêmes, ne livrent jamais immédiatement leur sens objectif ou leur vérité objective. Tel est le présupposé du cinéma et ce qu'il tend à montrer. (Barot)

En allant au-delà des faits, et en montrant ce qu’ils signifient, c’est bien de cette manière que le cinéma va pouvoir atteindre le réel. La fiction quand elle est interprétée va produire du sens, et un sens réaliste. C’est ainsi que Barot conclut sa démonstration en disant que : Le cinéma comme « art du faux » est cinéma-vérité par son réalisme foncier : non pas réalisme des faits, mais réalisme de leur sens, qui est tension entre le factuel et le possible d'une situation donnée (Barot). Le cinéma est ainsi capable de réalisme, pas de réalité comme nous allons le démontrer dans le paragraphe suivant. Le cinéma-vérité est l’art de la crédibilité grâce à la cohérence des histoires fictives qu’il propose.

Après avoir établi ces distinctions, nous pouvons mieux comprendre le réalisme des films militants comme Ma 6-T va cracker (1997) de Jean-François Richet. Richet est un réalisateur qui a grandi dans une cité de Meaux, la même que dans le film. Le film nous offre à voir des jeunes de cité, appartenant à des bandes distinctes, et leur quotidien en banlieue. La guerre des gangs est aussi en arrière-plan et éclate lors d’une soirée hip-hop dans la cité. Un des jeunes de la bande d’Arco, Malik, se fait tuer lors de l’intervention de la police et sa mort déclenche les émeutes entre la police et les jeunes. Ce film est plus militant qu’une simple critique sociale car il pourrait appeler à l’insurrection et à la subversion, c’est la différenciation que fait Barot en parlant des catégories du cinéma politique. Dans ce film très controversé, Richet adopte les codes du cinéma russe des années 30 et notamment de celui d’Eisenstein (Richet). Nous le voyons dès le générique du film avec transformée en mère de famille mais aussi symbole d’une révolution prolétaire en banlieue. Elle a le poing levé et arbore un drapeau rouge, étendard d’une révolution communiste. Elle charge ensuite une kalachnikov, fusil d’assaut originellement fabriquée en Union Soviétique. Ce qui nous importe ici, c’est qu’elle incarne un combat bien plus que local car elle est mise devant plusieurs images d’émeutes à l’international qui sont, elles, réelles. Dès le début, l’attachement au réel est marqué : le singulier servira à illustrer l’universel de la lutte des peuples comme nous l’avons dit précédemment. De plus, comme Richet le dit dans cette interview, il a

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refusé de prendre l’exemple des films hollywoodiens et de suivre un personnage principal pour l’élever au rang de héros (Richet). Par souci de vraisemblance avec le quotidien en banlieue, il préfère montrer plusieurs bandes de jeunes séparées les unes des autres et agissant de manière différente. Il y a donc huit ou neuf personnages principaux dans ce film, dont deux qui se distinguent des autres : Arco et Djeff. Richet justifiera ce choix de cette manière :

[Le film] est construit comme une toile d'araignée : on quitte un personnage, on retrouve un autre groupe, qui éclate, on retrouve le personnage qu'on avait quitté un peu plus tôt, etc. C'est ça, la vie dans la cité : on traîne en bas de chez soi, on peut tomber toujours sur les mêmes types, ou au contraire ne pas voir quelqu'un pendant plusieurs semaines… . (Richet)

Le film suit ainsi une dynamique plutôt réaliste, qui correspond à la vie en cité, et cela est dû aussi à la matière brute avec laquelle Richet a travaillé. Les acteurs étaient amateurs et vivaient dans cette cité de Meaux Beauval-Collinet à l’est de Paris, là où Richet et son cousin Arco ont grandi. Richet parle de ces acteurs, non plus comme des personnages mais comme des jeunes de cité vivant leur vie à l’écran :

Arco avait 16 ans au moment du film. Il était encore scolarisé. Il fait partie de ces jeunes qui auraient pu aller jusqu'au bac, mais que le social a rattrapé. Ce n'est pas réellement un personnage. Disons qu'il est lui-même dans des situations données. Pareil pour JM. On a vécu ensemble des situations proches de celles du film. (Richet)

Ce lien réel avec la précarité et la vie dans ces tours, donne un caractère authentique au film. En effet, l’argot employé, les disputes, la drague très peu subtile, les excès de colère exprimés dans des monologues empreints de sincérité, tout cela ne sonne pas faux. La scène de la drague jouée par Richet lui-même est symptomatique de ce réalisme brut qui perce l’écran. La caméra les filme d’abord de dos puis les suit jusque dans le hall d’entrée. On assiste à leur conversation et elle est filmée à hauteur d’épaule, derrière Djeff et avec un gros plan permanent sur la jeune fille. Le gros plan constant et l’absence de montage nous permettent d’assister à une scène représentative de la drague très lourde en banlieue et aussi de la pression exercée par l’homme pour obtenir ce qu’il

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veut. Djeff souhaite embrasser la jeune femme, et alors que celle-ci apparaît de prime abord réticente elle finit par se laisser faire pour lui faire plaisir. Ce genre de pression machiste est très courante en banlieue. Ainsi, le vécu de Richet en tant que banlieusard lui-même est essentiel à la véracité et à la justesse du film. Richet fait ainsi preuve d’une certaine légitimité de par ses origines sociales et son immersion dans cette cité. Le réalisme est également très présent au sein des films d’Abdellatif Kechiche que Maud Hagelstein et Antoine Janvier citent dans leur article “Le problème de la vie dans le cinéma d’Abdellatif Kechiche” (2019) et qui a l’intention de : “rendre la vie, la faire jaillir malgré l’artifice. ». Nous allons faire référence à l’Esquive (2004) qui raconte l’histoire de Krimo, adolescent très timide épris de Lydia. Krimo, bourreau des cœurs, après la rupture avec sa première copine Magalie tente de se rapprocher de Lydia en jouant dans la pièce que cette dernière prépare pour le spectacle scolaire de fin d’année. Ne parvenant pas à dépasser sa timidité et sa réputation de caïd à laquelle il tient, il nous offre une piètre performance du rôle d’Arlequin lors des répétitions en classe. Tout le film se passe en banlieue et dépeint plusieurs difficultés de la vie de ces adolescents tiraillés entre leur passion pour le théâtre et leur statut de banlieusard. Ainsi, Kechiche a parfaitement conscience que son cinéma ne va pas rompre un lien avec le monde, il va au contraire s’en inspirer et tout faire pour que le réel perce l’écran. Toutefois, comme le disent Hagelstein et Janvier, Kechiche va aussi se rendre compte que même si on essaie à tout prix d’être fidèle à la réalité, l’objectif de la caméra va toujours venir la distordre. On demande toujours aux acteurs de “jouer naturellement” et de ne pas se débarrasser de leur phrasé d’origine notamment dans ce genre de films à portée sociale. Quand on demande à des jeunes de quartier, novices en matière de jeu d’acteur d’être naturels pour que cela paraisse vrai, il y a déjà une contradiction : jouer le jeune de banlieue “alors qu’on joue pour échapper à ce qu’on est : double contrainte paradoxale qui dénote, dans l’écart même de l’artifice cinématographique d’avec le réel, moins un redoublement de la réalité que son travestissement en une ‘nature’. ” (Hagelstein et Janvier). Le cinéma restera toujours une pâle copie de la réalité, c’est pourquoi Kechiche va sortir de ce “naturel” en s’éloignant des clichés pour atteindre une autre réalité. Ainsi, comme le dit Cécile Sorin dans son article “L’Esquive de Kechiche : de Shakespeare à Marivaux, analyse d’une adaptation cinématographique protéiforme” (2014) chaque dialogue qui nous semble improvisé comme celui des jeunes entre eux est en réalité minutieusement préparé et écrit par Kechiche (19). Toutefois, même si la grammaire, le vocabulaire et la syntaxe sont travaillés, chaque dialogue

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bénéficie d’une originalité propre à l’acteur qui le prononce. Chaque acteur a un accent et un débit différent, d’autant plus qu’ils sont tous amateurs et issus de banlieue comme leurs personnages. Cela offre, tout comme dans Ma 6-T va cracker, “un ancrage considérable dans le réel [car] ces comédiens amateurs apportent un phrasé, un accent particulier, sonnant juste, auxquels les acteurs professionnels vont pouvoir s’accorder, ce qui donnera un effet de corps considérable aux dialogues.” (Sorin, 19). Tous ces éléments vont ainsi contribuer au réalisme de ces films, et vont produire un effet de réalité. En plus de ces textes, le réalisme vient aussi de la caméra elle-même. Les décors utilisés sont ceux de la banlieue. Ainsi, la banlieue de L’Esquive n’est pas fardée, et certains de ses traits négatifs ne sont pas grossis, ce qui permet à Kechiche d’éviter la caricature. Toutefois, Kechiche allie “réalisme” et éléments purement réflexifs lorsqu’il filme la scolarité en banlieue (Sorin, 16-17). La scène dans la salle de classe où l’enseignante explique aux élèves qu’on est toujours prisonniers de sa condition sociale est représentative de ceci. Le réalisme de cette scène est porté par la cinématographie, et les gros plans sur le professeur, ainsi que le champ/contrechamp sur les élèves qui prennent des notes. Nous avons un plan tout particulièrement resserré sur Krimo, qui griffonne un semblant de notes sur son cahier et ne semble pas prêter attention à ce que le professeur dit. Il relève la tête quand il comprend que Lydia va devoir répéter la pièce devant toute la classe. Il devient alors captivé et cela se traduit par le champ/contre-champ entre Lydia et Krimo. La deuxième partie de la scène, quand le professeur explique la morale de la pièce de Marivaux, est très réaliste car la caméra se focalise sur le professeur et filme son monologue. Les élèves paraissent peu stimulés par le discours pourtant captivant du professeur, ce qui est cohérent et crédible notamment dans un cours de français en banlieue. La classe est tout simplement un lieu hors de la cité, où le professeur redistribue la parole et les rapports de force car tout est mis au service de la pièce de théâtre de Marivaux. Les décalages linguistiques entre l’enseignante et les élèves au sein de cette salle de classe devenu espace théâtral mêlent aussi réalisme et aspects de réflexion. En effet, quand l’enseignante emploie le mot “craquer” pour faire référence aux relations amoureuses dans la pièce, elle s’adapte au “parler des jeunes” et se réapproprie les termes soutenus de la pièce de Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard (1730) pour les transmettre aux jeunes de banlieue. Ceci est un élément réaliste car il fait partie intégrante de la pédagogie qu’un professeur doit adopter quand il est en banlieue. Un élément réflexif serait le parallèle fait entre la pièce de théâtre où Silvia prend le rôle et les habits de sa femme de chambre Lisette pour mieux connaître Dorante, son prétendant auquel elle est promise

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et celle des jeunes de banlieue, changeant de costumes pour jouer le rôle de ces personnages fictifs. Tout comme Lisette et Arlequin dans la pièce, respectivement Lydia et Rachid dans le film, adoptent les codes d’une autre condition sociale tout en réalisant qu’ils ne font que l’imiter et que leur phrasé naturel les trahit à plusieurs reprises. C’est ce que l’enseignante finit par conclure : “On peut toujours se mettre en haillons quand on est riche, et en robe de haute couture quand on est pauvre, on ne se débarrasse pas d’un langage, d’un certain type de sujet de conversation, d’une manière de s’exprimer, de se tenir qui indique d’où on vient”. Ceci montre aux élèves que leur jeu d’acteur est une mise-en-abîme du jeu des personnages au sein de la pièce. Cet élément de la scène fait partie du scénario et de la fiction propres au film. Les éléments réflexifs constituent tous ces retours sur l’œuvre elle-même où le film dévoile tous ses artifices et assume sa dimension factice. La mise-en-abîme est un procédé réflexif au cinéma et permet de prendre du recul sur le premier contexte visuel présenté et d’y insérer une autre approche au film (Sorin, 17). Ainsi, ces films vont conjuguer réalisme propre et fiction, en tournant dans de vrais décors, en recrutant de jeunes acteurs amateurs issus de banlieue et en poétisant la trame du récit pour mieux faire passer leurs messages. En dénonçant directement les caméras des médias, beaucoup trop caricaturales, n’offrant qu’un point de vue partiel sur la banlieue, le documentaire en banlieue va se présenter comme un genre contestataire dont les deux armes sont l’immersion et la bonne distance. Le cinéma de banlieue va, lui-même, s’inspirer de ces techniques et rendre une impression de documentaire en allant au plus près du réel. Le cinéma de banlieue ajoutera une certaine part de poésie et de fable, car il travaille avant tout avec de la fiction.

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II. Justesse de la cinématographie pour représenter de manière fidèle l’espace de la banlieue

En alliant bonne distance – cette immersion éthique au sein de la banlieue qui trouve le bon équilibre entre proximité et éloignement – réalisme de forme et de contenu, et éléments réflexifs, le cinéma de banlieue va contrer tous les clichés qu’a pu faire transparaître à l’écran la caméra du journaliste. Toutefois, ce genre cinématographique va aussi mettre en lumière un espace qui est souvent relégué au second plan au sein des couvertures médiatiques : il s’agit de l’espace de la banlieue dans son ensemble (parking, tours, espaces verts, local poubelles, halls d’entrée, cages d’escalier, ascenseurs et intérieur des appartements…). En effet, la représentation de cet espace urbain va être cruciale pour la meilleure compréhension des revendications des banlieusards. Quand on ne s’attarde que sur la violence que les jeunes de banlieue sont capables de perpétrer en détériorant en bas de chez eux, nous avons tendance à oublier que leur quotidien est tout aussi violent. La violence matérielle est présente et la violence symbolique est endémique. Quand nous parlons de violence matérielle, nous faisons référence au chômage, à la discrimination sur le marché du travail, aux contrôles de police incessants, à l’exclusion sociale mais aussi à la misère et la pauvreté qui habitent ces ghettos. Le travail des cinéastes va donc être de montrer cette violence matérielle, en manipulant les techniques et les paramètres cinématographiques tels que les couleurs, le point de vue de la caméra, le type de plans utilisés ou encore la binarité entre plusieurs espaces pour montrer l’exclusion et la marginalité de l’espace de la banlieue, en comparaison avec d’autres territoires plus intégrés dans le tissu social.

1. Le jeu astucieux des couleurs : moyen d’identification des acteurs en banlieue

Les couleurs utilisées dans les trois films que nous avons choisis vont être soit épurées, chaudes et bariolées ou bien criardes. Chaque nuance va être un choix artistique de la part du réalisateur pour insister sur une réalité sociale qui pourrait nous échapper sans un usage excessif de ces couleurs. Ces dernières vont soit apparaître en tant que filtres, comme dans Ma 6-T va cracker ou bien être montrées à travers les tenues des personnages comme dans L’Esquive. Nous allons commencer par analyser la nuance entre le noir et le blanc de La Haine. Ce filtre binaire va être un choix artistique de la part de Mathieu Kassovitz qui avait tourné tout le film en couleur. Cette décision artistique va accentuer volontairement une fracture sociale

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pour mieux en souligner son ampleur. Le noir et blanc implique une logique manichéenne : le bien/ le mal mais également un point de non-retour, car l’entre-deux n’est pas envisageable. La première fracture sociale qui se dessine progressivement dans le film repose sur la logique “nous contre eux”. Le “nous” englobe les jeunes de cette cité de Chanteloup-les-Vignes dans les Yvelines, mais plus globalement tous les jeunes de banlieue et le “eux” désigne tout le reste de la société, et en particulier les forces de l’ordre, contre lesquelles les jeunes sont en guerre dans le film après une bavure policière contre Abdel-Aziz Shokair. Les affrontements entre la police et les jeunes de cité sont nombreux et sont primordiaux puisque le film commence avec une scène d’émeutes violentes entre ces deux factions littérales du peuple. En effet, le générique est sur fond d’images d’archive de différentes manifestations à Paris, qui viennent sûrement de mouvements estudiantins puis ensuite de scènes d’émeutes entre les CRS et les jeunes de cité. Ces images d’archive sont rythmées par la musique de Bob Marley Burnin’ and Lootin’ dont l’une des paroles “uniforms of brutality” est illustrée par les gros plans sur l’insigne de la police nationale française et les armes qu’ils utilisent. La tension entre les deux groupes est d’autant plus palpable à travers la toute première scène du générique lorsqu’un homme filmé de dos fait face tout seul aux CRS en criant “Vous n’êtes que des assassins, vous tirez hein, c’est facile hein, nous on n’a pas d’arme on a que des cailloux.” Il semble y avoir un parti pris de la part de Kassovitz du côté des victimes même si le rapport tendu police/jeunes de banlieue tissé tout au long du film se révèle plus complexe que cela. Après cette scène, on entend directement le leitmotiv du film avec la voix d’Hubert : « C’est l’histoire d’une société qui tombe et qui pour se rassurer se dit, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. ». Cette rengaine est sur fond de cocktail molotov venant menacer la Terre. Le cocktail molotov est aussi symbolique car il s’agit d’une arme fréquemment utilisée lors des échauffourées entre les CRS et les jeunes de banlieue. Le noir et blanc va ainsi venir marquer et incarner cette opposition banlieue/forces de l’ordre mais va aussi nous faire penser à un certain type de support visuel que sont les images de guerre comme le dit Kassovitz : “Le cinéma en noir et blanc rappelle les images d'actualité de l'époque de la guerre. On ne peut pas faire plus réel que les images de guerre, on ne peut pas être plus proche de la réalité que lorsque l'on filme un vrai mort, la libération des camps ou la guerre du Vietnam.” (Levieux, 1995) En effet, les images d’archive des manifestations et émeutes vont être de vraies images, elles ne vont pas relever de la fiction et interviennent dans le générique comme pour brouiller la limite entre la fiction et la réalité. Ainsi, elles vont être suivies par des images télévisées qui vont

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être tournées spécialement pour le film et qui, elles, font partie de la fiction. Toutefois, les deux types d’image vont être continuellement en noir et blanc. Par conséquent, la limite entre fiction et réalité va donc correspondre à un interstice très mince. Le pacte de la fiction entre le spectateur et le cinéaste va être flou. En mettant en parallèle la réalité et la fiction d’entrée de jeu, Kassovitz va montrer que toute ressemblance entre la réalité et la fiction n’est en aucun cas fortuite. Au contraire, elle serait totalement justifiée car le film s’inspire d’une bavure policière réelle commise sur Makomé M’Bowolé en 1993. Ce jeune avait été tué par un policier alors qu’il était en garde à vue. Ainsi, le noir et blanc va “drainer plus de réalisme” pour reprendre les termes de Kassovitz (Levieux, 1995) et va permettre d’attirer notre attention sur les éléments fondamentaux du film même à travers une fiction. La couleur peut parfois être distrayante car elle permet de dissocier tous les composants d’un décor. Le noir et blanc se débarrasse de tout parasitage, et va à l’essentiel. C’est ce qu’affirme Kassovitz :

Le noir et blanc a toujours un côté assez exceptionnel parce qu'il fait voir les choses comme on ne les voit pas et c'est pourquoi il draine plus de réalisme. Dans la mesure où je parle de ce qu'on voit tout le temps à la télévision, il faut vraiment le rendre exceptionnel, ce que permet le noir et blanc. (Levieux, 1995)

Le noir et blanc incarne donc une opposition manichéenne entre la banlieue et la police, ce qui est l’objet du film et nous offre une image de la banlieue à brûle-pourpoint dont le réalisme perce l’écran. Le film de Richet, Ma 6-T va cracker, bien qu’il soit en couleur, va aussi jouer sur les oppositions entre les forces de l’ordre et les jeunes de banlieue. Toutefois, les couleurs vont ici être le symbole d’une révolution aux accents communistes. En effet, le rouge va apparaître dès le générique sur le drapeau qu’agite Virginie Ledoyen. Comme nous l’avons dit au chapitre 1, Ledoyen va incarner une révolution marxiste et le générique n’est que le signe annonciateur de la révolution qui va être menée par les jeunes de quartier. De ce fait, les dialogues de certains personnages vont être empreints d’une volonté de dénoncer le capitalisme et la marchandisation qu’il implique : “On est des objets aux yeux de cette société à deux francs” (Mustapha à 35:00). Cette phrase est intéressante car elle accuse la société capitaliste de réifier les peuples et de les exploiter comme des biens tout en la qualifiant de “société à 2 francs” comme pour montrer que

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même le capitalisme influence notre vocabulaire et nous pousse à dévaloriser une chose en fonction de la valeur monétaire qu’elle représente. L’union est aussi encouragée notamment à travers les paroles sages d’un des habitants de la cité qui parle à Jamal et un autre jeune : “Tu penses pas qu’il vaut mieux se rassembler, avoir des combats communs?” (00:50:25). Au lieu de se livrer à une guerre de territoires, ils devraient tous s’unir pour mieux combattre leurs oppresseurs qui sont à la fois le gouvernement, la police. De ce fait, pour sortir de l’engrenage de la violence, on idéalise la lutte ouvrière qui va être la réponse à tous leurs problèmes : “Tu sais de quoi l’Etat, les keufs ont peur en vrai : les grèves générales, celle des ouvriers, là, ils perdent de la thune, là, ils sont niqués, donc ils sont obligés de négocier… Le jour où la révolution se fera, ce sera avec les ouvriers.” (Richet à 00:36:00). Ainsi, le film est teinté d’un rouge communiste de par son thème. Les couleurs vont également concrètement dessiner une opposition claire entre les jeunes de banlieue et les CRS lors de l’une des dernières scènes du film. Tout au long du film, les jeunes, de par leur goût pour la culture Hip Hop vont s’habiller de manière très colorée. En effet, nous le voyons lors de la scène au lycée où éclate une bagarre générale. Beaucoup de jeunes portent des vestes de survêtements Adidas de couleur verte comme Malik ou encore Arco avec un jean bleu, très à la mode dans les années 90. Certains vêtements témoignent aussi de l’attachement de certains de ces jeunes à leurs origines comme l’un d’entre eux qui porte une veste en cuir avec le drapeau de l’Algérie cousu au dos. Ce même genre de veste peut aussi être aperçu lors d’un contrôle de police à la 17ième minute du film avec le drapeau de la Tunisie cette fois-ci. Ainsi ces couleurs vives, parfois criardes notamment dans l’appartement d’Arco et de sa famille qu’on peut apercevoir à la treizième minute sont aussi représentatives d’une certaine classe sociale. Des autocollants de toutes les couleurs sont collés sur le réfrigérateur derrière Arco, témoignant d’une décoration de mauvais goût et peu travaillée. L’autoportrait célèbre de Van Gogh est également visible mais est ici parodié car on lui a mis un bonnet rouge sur la tête. Ces couleurs vont surtout se distinguer et être symptomatiques du combat en banlieue lors de l’émeute avant la fin du film. En effet, cette émeute aux allures d’intifada et de lutte des classes va opposer deux groupes bien distincts : celui des émeutiers, issus de la banlieue et celui des CRS. Ces deux clans s’affrontent à travers le montage et les couleurs. Les CRS sont retranchés d’un côté, formant des lignes droites et préparés au combat qui les attend. La caméra les déshumanise complètement notamment à cause du travelling qu’elle opère et qui ne nous laisse pas le temps de discerner les visages des policiers. Au contraire, ils vont être désignés

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par leurs uniformes, leurs insignes, leurs armes, leur voiture et leur gyrophare. Les images montrant les forces de l’ordre en préparation vont être aussi teintées de bleu par un filtre. Ce filtre de couleur va les rendre encore plus froids qu’ils ne le sont déjà, surtout quand le montage va alterner très rapidement entre images bleutées et images chaudes pour les casseurs. Les jeunes de banlieue, filmés à hauteur d’épaule, vont pouvoir être discernables et vont être immédiatement associés à des couleurs chaudes. Leurs visages sont constamment éclairés par la couleur rouge des flammes, leurs vêtements sont également bariolés (chemises à carreaux, keffieh palestinien…), et peu uniformes, tout comme les mouvements de leurs actions dans toutes les directions qui représentent un certain “bouillonnement” et cette “révolution en marche”. Le tout va être rythmé par une musique révoltée annonçant l’imminence de la révolution : “La sédition est la solution. Révolution ! Multiplions les manifestations” (01:27:10). Ainsi, les couleurs impliquées dans le film de Richet sont un rouge métaphorique qui porte la révolution communiste et l’opposition entre couleurs chaudes et couleurs froides qui installe une dichotomie entre deux ennemis irréconciliables : les forces de l’ordre et les jeunes de banlieue. Dans le film Kechiche, les couleurs vont aussi jouer sur des thèmes contraires. En effet, tout le film va présenter des couleurs assez neutres, en comparaison avec Ma 6-T va cracker où les visages des protagonistes sont souvent éclairés par le soleil. Le temps est souvent gris et maussade dans l’Esquive, la lumière du soleil est complètement absente et cela obscurcit les décors. La couleur bleue est également omniprésente, non seulement sur les vêtements des jeunes de cités comme Frida, Krimo ou encore Lydia quand elle ne porte pas son costume mais également sur les immeubles de la cité du Franc-Moisin à Saint-Denis, où le film a été tourné (L’humanité). Comme dans La Haine et Ma 6-T va cracker, le bleu va aussi être associé aux policiers lors d’un contrôle de police qui tourne mal à la fin du film et va s’opposer aux couleurs de la pièce de Marivaux. Après que Krimo a demandé à Lydia de sortir avec lui, cette dernière ne lui donne pas de réponse. C’est ici que le titre du film va prendre tout son sens puisque Lydia esquive les avances de Krimo, mais cela ne peut continuer. Nanou et Frida, amies proches de Lydia, et Fathi meilleur ami de Krimo, décident de leur organiser un tête-à-tête pour qu’ils puissent enfin se parler et s’avouer leurs sentiments. Toutefois, ils ne parviennent pas à confesser leur amour car leurs amis refusent de partir et de leur laisser un peu d’intimité. Tout cela dégénère, dans un langage très fleuri et propre à la banlieue. Les policiers arrivent et s’en prennent violemment aux jeunes en les fouillant très agressivement. La voiture dans laquelle ils discutaient avait été volée mais la réaction

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de la police semble disproportionnée. Les jeunes tentent de se justifier en évoquant l’histoire d’amour naissante entre Krimo et Lydia et le rendez-vous qu’ils ont improvisé mais c’est un dialogue de sourds, les policiers ne veulent rien entendre et continuent à s’acharner sur eux en leur demandant de mettre les mains dans le dos. Frida doit vider ses poches et omet de sortir la pièce de Marivaux. La policière le sort de force et assène des coups à Frida en lui demandant ce qu’elle tentait de cacher. Le livre finit déchiré sur le capot de la voiture. La couverture du livre représente Arlequin, dans son costume haut en couleurs et incarne les rêves innocents envolés de ces adolescents. Le manque de compassion des policiers en bleu traduit cette réalité dure à laquelle sont confrontés ces jeunes, qui les arrache complètement des rêves auxquels ils s’accrochent. Cette pièce, c’est la lumière du savoir, car elle provient du siècle des Lumières où les droits de l’homme et la démocratie ont trouvé leur fondation théorique et pratique, mais est aussi une forme d’éducation sentimentale pour ces jeunes qui ne connaissent que la dureté du cœur et la froideur de la société. Ainsi, il y a une opposition chromatique nette présente également au sein de l’amour en cité et de l’amour au 18ème siècle mais aussi indirecte entre le siècle des Lumières accompagné des droits de l’homme et l’obscure réalité de ces zones de non-droit. La pièce aborde le thème de l’amour et devient la mise en abîme de la relation affective entre Lydia et Krimo. L’amour est un sujet tabou en cité. Tous les personnages font preuve de pudeur dès qu’ils doivent exprimer leurs sentiments ou montrer leur affection. La cité est faite de codes et de valeurs notamment au niveau des relations sentimentales. Elle conditionne les jeunes à évoluer dans un milieu fermé où les premiers émois innocents ne sont pas autorisés car tout le monde doit garder la tête dure et se montrer fort. L’amour va porter certaines couleurs dans le film. L’amour de la pièce est très frivole et coloré, notamment à travers le personnage de Lydia, qui porte une robe d’époque de couleur saumon et Arlequin, personnage burlesque au costume bariolé. Dans la pièce de Marivaux, les relations amoureuses reposent sur un jeu de séduction assumé, qui va contraster avec l’amour timide et fade que porte Krimo pour Lydia. L’enseignante en devient d’ailleurs frustrée, notamment quand elle demande à Krimo, qui joue Arlequin de ne pas réciter simplement ses répliques mais de les vivre, de les jouer sincèrement. Coincé dans sa timidité et dans le paraître de “caïd de cité” qu’il s’est imposé, il ne parvient pas à adopter l’attitude d’Arlequin envers sa belle, interprétée de surcroît par Lydia, dont le charme ne lui est pas indifférent. Ainsi deux images de l’amour sont enchâssées dans ce film, l’une très libre, et très colorée de Marivaux et l’autre, sur la réserve, prisonnière de son milieu social et géographique.

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2. Une caméra en pleine immersion nous donnant une vision panoptique de la banlieue

Les leçons de regard des documentaires vont impacter les réalisateurs de films fictionnels de banlieue. Ces derniers vont, en effet, jouer avec la distance des objets qu’ils filment mais également avec le point de vue de la caméra, alternant entre le subjectif et l’objectif et en offrant des plans-séquence assez longs, nous permettant d’observer avec authenticité l’espace de la banlieue dans lequel les personnages évoluent. Ainsi, dans La Haine de Kassovitz, le message est clair dès le début : le film va se distancier de l’image négative véhiculée par les médias. Lors du générique, après l’enchaînement des images d’émeutes ainsi que de manifestations à Paris et en banlieue, une présentatrice de télévision intervient. Elle annonce les émeutes en banlieue, de manière très orientée et en employant un vocabulaire très connoté. Par exemple, elle prononce la phrase suivante : “une centaine de jeunes a littéralement assiégé le commissariat”. Elle insiste sur l’assaut du commissariat par les émeutiers. Le ton qu’elle emploie n’est pas vraiment neutre dans son récit des événements. Elle fait ensuite le bilan des blessés seulement du côté des forces de l’ordre : “quatorze blessés du côté des forces de l’ordre, trente-trois émeutiers ont été arrêtés.”. Le compte-rendu de la journaliste est ainsi partial, mais est vite interrompu puisque la télé s’éteint soudainement. En éteignant la télé et en insérant cette séquence au début du film, Kassovitz annonce qu’il démontera le point de vue des journalistes en filmant la banlieue telle qu’elle est car il en a le pouvoir. Les plans-séquence vont permettre de filmer la vie en banlieue, sans artifices en liant les protagonistes à leur environnement. Selon Ginette Vincendeau, dans son livre La Haine, le film est remarquablement lent en comparaison avec certains films américains (50). Cette marque de fabrique française nous permet de mieux apercevoir certains détails. Toutefois, Kassovitz a filmé la cité et Paris de deux façons différentes. Vincendeau le cite : ‘The idea – though it’s hard to bring off – was on the estate we should use short lenses, to fix people against the background, and then much longer lenses in Paris, to detach them and really have them stand out.’ (50). Selon Vincendeau, la première partie en banlieue contient dix-huit prises de plus de 45 secondes chacune. Ce qui nous donne une certaine lenteur qui permet de bien installer les repères spaciaux-temporels du film et de nous ancrer dans l’environnement à priori hostile de la banlieue. Certaines sont des plans-séquence et notamment celui que nous allons analyser maintenant. La scène commence à la

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quatorzième minute et suit d’abord trois policiers de dos dont on ne verra jamais le visage. Ensuite, Vinz, Saïd et Hubert apparaissent et prennent un autre chemin que les policiers. Vincendeau voit ici une forme de contraste entre la police anonyme et froide et la familiarité et l’énergie de nos trois personnages principaux (51). La caméra décide de suivre ces jeunes et de les montrer dans leur environnement. On peut alors observer qu’ils sont très à l’aise et y connaissent tous les recoins, notamment quand ils s’arrêtent pour identifier le modèle d’une moto qui passe en se basant sur le son que le moteur émet. Un groupe de jeunes, composé de beurs et de blacks salue Vinz et nous montre encore une fois qu’ils sont connus des gens de la cité et qu’ils sont “dans leur élément”. Ensuite, Hubert se détache du groupe pour parler à un jeune beur et négocier avec lui pour ce qui semble être un trafic de drogue. Cette scène d’échange fait écho de manière ironique à l’image en arrière-plan représentant La création d’Adam de Michel-Ange où l’index de Dieu rejoint celui d’Adam sans complètement l’atteindre. Le trafic de drogue est ainsi mis en parallèle avec la création du premier homme. Le péché est le point commun qui relie ces deux images. Dieu créa Adam d’une nature pécheresse et la rencontre entre les deux jeunes de banlieue ne produit que de la malhonnêteté, ce qui perpétue cette nature du péché même dans les descendants d’Adam. La scène est immédiatement suivie par celle sur le toit de la cité. Nous assistons encore une fois à une partie de la vie en cité, plutôt festive, composée de barbecues de merguez (saucisse épicée venant du Maghreb) et de musique. Ainsi, à travers ce long plan-séquence, nous avons un aperçu de la vie en banlieue qui démontre plusieurs problèmes d’espaces comme le dit Tarr dans Reframing Difference :

Images of the estate emphasize the concrete slabs and looming walls which block their horizons, interior shots show how cramped and limited their private spaces are, and long takes point to the fact that the characters have nowhere to go and are going nowhere. (69)

En effet, cette première scène nous montre certes la familiarité de l’espace pour les protagonistes qui s’y faufilent comme dans un terrain-de-jeu, cependant elle insiste aussi sur le manque d’espaces verts mais aussi la hauteur des tours qui les empêche de voir l’horizon et de se projeter dans un sens plus métaphorique. Ils sont bien obligés de monter sur le toit de leur cité pour pouvoir sortir et respirer, mais même dans cette tentative, ils sont vite rattrapés par la police. Ainsi, les

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seuls espaces qui leur appartiennent réellement comme le gymnase où s’entraîne Hubert sont toujours détruits. Les scènes dans l’appartement de Vinz et d’Hubert mettent en exergue les espaces également confinés des HLM. Par conséquent, il y a un réel sentiment d’emprisonnement qui ressort de tout cela, même quand les jeunes sont à l’extérieur, d’où la remarque subtile de Saïd : “Nique sa mère, on est enfermés dehors”. Vincendeau fait aussi remarquer qu’ils sont également emprisonnés socialement puisque :

They do not belong to a school, gang, or workplace; just about the only representation of ‘employment’ is small-scale dealing in drugs by Hubert and stolen goods. The heroes of La Haine thus exist in a social vacuum where there are no possibilities of exchange or encounters. (68)

Ainsi, tous ces plans suivent de près les trois jeunes, et nous offrent une immersion dans tous les recoins de la banlieue, qui s’oppose encore une fois à celle des médias. Ces derniers n’osent pas pénétrer dans ces territoires et ne peuvent donc rendre compte d’une image fidèle à la banlieue. En effet, la scène qui suit le barbecue est celle des journalistes, essayant de filmer les jeunes. Dans cette scène, les journalistes sortent à peine de leur voiture, et posent immédiatement une question orientée : “Est-ce que vous avez participé aux émeutes, est-ce que vous avez cassé quelque chose, brûlé des voitures ?”. La réaction des trois protagonistes devient alors violente, car ils se sentent pointés du doigt et non respectés. Ils sont parfaitement conscients des enjeux d’une telle interview pour les journalistes car ils accusent directement ces derniers de vouloir dénicher “un scoop”. De plus, le point de vue de leur caméra est en plongée, symptomatique du regard hautain porté par ces journalistes sur la banlieue mais est également distant des jeunes, séparé par une barrière, comme dans le zoo de Thoiry auquel Hubert fait référence. Les scènes dans le film de Richet vont être très crues notamment grâce à une caméra à hauteur d’homme et à des gros plans. La caméra frontale et “rentre-dedans” de Richet va nous offrir un panorama assez complet de l’espace de la banlieue. Comme dans La Haine, nous avons des plans d’intérieur, dans l’appartement de Arco et Djeff par exemple, mais également dans les halls d’entrée, qui évoquent les espaces confinés des HLM et le manque de perspective de ces jeunes. En plan d’intérieur, il y aussi le premier dans l’école qui nous montre la scolarité chaotique des trois premiers jeunes : Arco, Malik et Mustapha. Le plan dans la classe d’anglais, et ensuite

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dans le bureau de la CPE (conseillère pédagogique d’éducation) mais également l’absence de figures parentales, révèlent dès le départ que ces jeunes sont livrés à eux-mêmes et qu’ils n’écoutent visiblement personne. L’un des plans d’intérieur qui marque la première vision à 360 degrés d’une scène est celui dans le gymnase. En effet, on y assiste à une partie de basket qui dégénère car Arco et un autre jeune se bousculent alors que le professeur de sport leur avait spécifiquement demandé de ne pas entrer en contact, de garder une certaine distance. Le professeur prend Arco à part en lui demandant de se calmer, le jeu reprend mais les deux jeunes se battent et s’insultent une nouvelle fois. Le sport qui pourrait être un moyen de canaliser l’énergie des jeunes et de les rassembler, devient au contraire un moment de violence dans ce film. Le mouvement de la caméra tournant autour du professeur qui soulève Arco pour essayer de le calmer est aussi rythmé par une musique urbaine instrumentale sans paroles. Cette musique est nerveuse et représente bien l’agitation des jeunes qui sont toujours sur le qui-vive. Elle se déclenche souvent dans des moments d’extrême violence, et incarne le bouillonnement qui habite cette cité littéralement prête à exploser, à “cracker” (jeu de mot avec crack, qui est un stupéfiant circulant dans les cités). Cette cité n’est qu’une bombe à retardement. Les paroles du professeur répétant “on se calme!” sont ainsi amplifiées et incarnées par ce mouvement de caméra nous donnant le tournis. Cette action spécifique de la caméra qui est récurrente dans le film illustre aussi l’engrenage de la violence dans lequel sont pris nos personnages et les jeunes de banlieue en général. La circularité du traveling est reprise par la structure musicale du film puisque comme le dit Richet : “Le hip-hop tourne en boucle et les jeunes aussi tournent en rond.” (Richet). La caméra et la structure musicale du film reproduisent ainsi le manque d’issues sociales de ces jeunes et leur avenir incertain. Nous avons également des plans d’extérieur, souvent longs et filmés de très près qui nous donnent accès à cette banlieue de Meaux, que le réalisateur connaît très bien car il en vient. En effet, la scène d’émeute que nous avons analysée en matière de couleur est également intéressante au niveau de la représentation de la violence en banlieue. Cette scène est si réaliste qu’on pourrait se demander si elle n’a pas été filmée lors d’une réelle émeute notamment à cause de la violence de celle-ci, des flammes encerclant la banlieue et des affrontements entre jeunes et policiers. A la suite de la mort de Malik tué par un policier, les émeutes éclatent dans cette cité. Tout est filmé à hauteur d’homme – sauf la mort de Malik où la caméra est en plongée et tourne autour de lui pour incarner le point de vue de Dieu selon Richet (Richet) – et nous voyons les casseurs détruire et

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détériorer les propres voitures de leur propre cité, ce qui pourrait paraître absurde. Toutefois, cela témoigne de la détresse de ces jeunes qui dégradent chez eux pour être enfin entendus et aidés. Ceci aussi démontre que la violence n’est pas un acte réfléchi et qu’elle est souvent impulsive comme le dit Richet (Richet). On assiste ensuite à l’affrontement entre CRS/émeutiers et la scène est vraiment impressionnante. En effet, selon Richet :

Oui, les cinéastes n'ont pas tellement tourné ce genre de scènes. Et si un journaliste approchait sa caméra d'aussi près, il ne resterait sans doute pas en vie très longtemps... J'ai tenu à ce que tout soit filmé à hauteur d'homme, avec des focales moyennes. Sur un sujet pareil, il ne faut pas faire du spectacle, faire l'artiste avec des longues ou des courtes focales : le spectacle est devant la caméra. (Richet)

Ainsi, il s’agissait d’une volonté du réalisateur de filmer de but en blanc cette banlieue, dont les problèmes sont beaucoup trop sérieux pour être pris avec légèreté. Kechiche va également aller au plus près de cet espace de la banlieue. Il a un style très particulier qu’on retrouve dans presque tous ses films. Kechiche s’inspire des codes du documentaire, notamment grâce à une caméra à l’épaule, aux travelings et aux moments de silence qu’il s’autorise pour faire ses films. Ces derniers peuvent être rangés dans le genre du cinéma direct ou du cinéma-vérité. Ainsi, il rend la frontière entre documentaire et fiction très floue, puisqu’il utilise les deux. La cinématographie va être très proche de celle du documentaire (caméra à l’épaule et plans séquence) et la fiction va intervenir dans le scénario du film qui n’est pas tiré d’une histoire vraie. Beaucoup d’instants qui vont nous sembler être pris sur le vif comme dans un documentaire ont en réalité été scénarisés comme tous les dialogues des personnages7. Cependant, l’esthétique visuelle est complètement dépouillée pour laisser place à un réalisme très puissant. Dans ce film, il y a une omniprésence de gros plans qui vont nous permettre de mieux nous plonger dans la vie de ces jeunes en manque de repères. La première scène du film, filmée en gros plan, nous situe directement dans un des groupes de jeunes de la cité. Le gros plan est tellement extrême qu’on ne peut pas vraiment distinguer l’environnement de la cité. En tant que spectateurs, nous sommes ainsi déroutés puisqu’il s’agit de l’ouverture du film, mais compte tenu du langage des jeunes, nous pouvons en déduire que nous sommes en banlieue. Le langage des jeunes ne nous

7 Voir le chapitre 1 pour plus d’informations sur les textes des acteurs préparés avec minutie par Kechiche. 38

invite également pas à regarder avec concentration la scène, il y a donc une certaine distance établie par ce langage que la proximité de la caméra semble contredire. Un autre gros plan est la rupture amoureuse entre Krimo et Magalie. Krimo appelle Magalie en bas de son immeuble car il veut lui parler. La dernière scène du film va aussi faire écho à cette scène puisque Lydia, en bas du bâtiment où vit Krimo, va appeler ce dernier pour lui avouer ses sentiments. Celui-ci ne répond pas et “l’esquive” à son tour. Krimo retrouve Magalie dans une cage d’escalier. Le décor est essentiel ici pour nous faire comprendre encore une fois que l’espace résidentiel de la banlieue est très exigüe et que l’intimité ne peut être trouvée que dans un lieu de passage tel que les escaliers. Les visages des deux acteurs nous sont présentés de si près qu’il est parfois impossible de les voir en entier. En revanche, cette proximité nous permet d’observer les réactions des visages des personnages et d’entendre leur respiration. Elle humanise ainsi les personnages et nous les présente dans leur singularité. La séquence est aussi longue, presque interminable, sans interruption et montage, ce qui va montrer une certaine authenticité ou un aspect de vérité-documentaire. Ces séquences vont être, en réalité, répétées de nombreuses fois et ne vont pas naître d’une certaine instantanéité à la volée comme dans les documentaires. Un événement quelconque dans un film ne se livre jamais vraiment dans l’évidence, il naît toujours d’une décision du réalisateur. Et pourtant, l’absence de montage et cette continuité naturelle vont conférer à ces images un regard vrai. Ces images fictives nous donnent toujours à voir certains détails sur des situations factuelles similaires, en l’occurrence ici, sur la vie en banlieue.

3. Une banlieue construite en opposition avec la ville de Paris suivant le schéma : centre/périphérie

La représentation de la banlieue va également se construire à travers son opposition avec la capitale Paris. Dans les trois films, nous sommes dans trois banlieues parisiennes différentes qui vont toujours être mises en contraste avec Paris. Une étymologie du mot “banlieue” est ici nécessaire. Comme le dit Vincendeau: “The word banlieue initially designated a band of territory (of one lieue – about four kilometres – wide) that came under the legal jurisdiction (ban) of a city” (17). Paris est une capitale originale en matière de développement et d’évolution urbanistique. En effet, comme elle nous le rappelle : depuis le 12ème siècle, Paris était entourée de remparts et de faubourgs. Ces anciennes fortifications correspondent maintenant aux différentes portes (Porte Maillot, Porte de la Muette…) et ont créé une sorte de “no man’s land” entre Paris et la banlieue.

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Cet espace a vu fleurir des bidonvilles, des logements sociaux ainsi que le périphérique routier. Elle conclut son paragraphe en disant : “More than in other capital cities, there is thus a sharp disjunction between the city of Paris and its surrounding banlieue outside.” (17) Ainsi, ces banlieues, sans espaces verts, sans véritable liaison avec la capitale sont des enclaves à la périphérie de la capitale. Les banlieues et Paris sont deux décors différents et cette binarité est retransmise à l’écran dans La Haine. En effet, la première partie du film se situe dans la cité “La Noë” et la deuxième partie se situe à Paris. Comme le dit Vincendeau, la cité La Noë a été construite en 1972 près du village de Chanteloup-Les-Vignes, à 30 kilomètres de Paris (18). Son architecture a été conçue par Emile Aillaud (l’architecte officiel du président Georges Pompidou) et avait pour but de proposer un autre style d’urbanisme (18). Celui-ci est très poétique, ce qui est suggéré par les deux grandes images des deux poètes français connus Arthur Rimbaud et Charles Baudelaire, ainsi que la reproduction de l’œuvre de Michel-Ange qui figurent sur les façades des immeubles. Cette poésie reste très ironique car ce qui se passe dans ces cités n’a rien de poétique. Les immeubles que nous pouvons voir dans le film, notamment dans la première scène quand Saïd appelle Vinz en bas de chez lui, ne sont également pas gigantesques comme les autres grands ensembles, les 4000 et les 3000, respectivement de La Courneuve et d’Aubervilliers. Les conditions de vie y étaient ainsi plutôt agréables et l’architecture ne semblait pas être le problème. L’explosion démographique de la cité, originellement destinée à accueillir les immigrés d’Afrique du Nord travaillant dans l’usine Chrysler à Poissy (18), semble en être un. La crise du secteur automobile dans les années 80 à cause de la robotisation a engendré beaucoup de chômage parmi ces familles d’immigrés. Le fossé s’est accentué entre le village de Chanteloup-Les-Vignes et la cité. La ligne de chemin de fer a mis du temps à se mettre en place pour lier ces dernières. Cette situation se reproduit également entre Paris et sa banlieue. Dans le film, cette division centre/périphérie va prendre tout son sens à travers le montage, la connexion à la ville mais également les différences langagières et les rapports avec la police. Paris va apparaître comme un pays de cocagne très lointain. La première image du trio à Paris montre le dépaysement des jeunes qui font “tâche” dans le décor parisien, grâce à une grande puis faible profondeur de champ et à un traveling avant. Les immeubles haussmanniens derrière Vinz, Saïd et Hubert, d’abord nets, deviennent flous comme pour montrer la confusion de ces jeunes dans cette ville qu’ils ne connaissent pas. La vie est plus chère à Paris, Saïd en fait l’expérience avec son chocolat au lait qu’il a payé trois francs et certaines personnes qui font la manche. Saïd rejette violemment la

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mendiante du métro en lui rétorquant qu’elle n’a qu’à “travailler comme tout le monde” (56:00). Cette forme de pauvreté est différente de celle qu’on peut trouver en banlieue. En banlieue, il y a beaucoup de “travailleurs pauvres” et de chômeurs car la plupart d’entre eux ne sont pas intégrés économiquement comme le disait Gaspard (143). Une économie parallèle émerge aussi souvent dans ces zones liminales pour pallier les difficultés financières. Les personnages vont aussi être dépaysés par ce qu’ils entendent, notamment quand un policier s’adresse à Saïd de manière respectueuse en l’aidant à s’orienter dans la ville et que celui-ci dit : “Putain, comment ils sont polis les keufs ici, carrément il m’a dit ‘vous’ et tout”. Cette différence linguistique reflète le fait que la police en banlieue est dépassée et se trouve toujours dans un rapport de force avec les jeunes. Il y a aussi une différence entre le langage châtié de Paris et l’argot de banlieue. Cet argot est surtout composé de verlan, langage familier qui consiste à inverser les syllabes d’un mot comme “relou” pour lourd, “je golri pas” pour “je rigole pas”, “téma” pour “mater”. Le langage des jeunes est aussi ponctué par cet incessant juron “sur la tête de ma mère”. Les jeunes essaient d’adapter leur registre de langue, mais plus en parodiant l’accent bourgeois des Parisiens comme Saïd le fait devant une œuvre d’art : “c’est affreux” ou “merci Charles”. Un vrai choc culturel va avoir lieu dans ce vernissage, entre l’abstrait des œuvres d’art et ces jeunes qui viennent de “la rue” à qui on a interdit de rêver. Ce décor parisien va également apparaître comme une prison dorée puisqu’ils se font rejeter dans tous les lieux où ils tentent d’entrer (appartement d’Astérix, le vernissage, la boîte de nuit, le train…). Le dernier train était à minuit, et ils l’ont manqué à cause d’un contrôle de police qui se transforme en humiliation. Ainsi, certaines banlieues sont très mal desservies. Les jeunes sont également rejetés dans leur banlieue, ce qui donne l’impression qu’ils seront éternellement incompris et qu’ils ne sont les bienvenus nulle part. Dans Ma 6-t va cracker, la dichotomie entre le “creux” et “l’ailleurs” pour reprendre la terminologie de Gaspard, est également présente, mais de manière plus subtile. Aucun plan de Paris nous est offert, et pourtant la distance entre Meaux et la capitale est souvent sous-entendue. Cette binarité est aussi présente, à travers l’emprisonnement des jeunes au sein de leur cité et également à cause de la police qui les “guette” constamment. En effet, la bande d’Arco va être constamment surveillée même quand elle est simplement à un arrêt de bus en train de parler et de réfléchir sur sa situation. La police va venir s’arrêter à la hauteur des jeunes comme pour les provoquer. Le bus n’arrivera jamais, ce qui peut suggérer l’immobilisme social de ces jeunes mais également le blocage physique et la difficulté pour eux de sortir de la cité. Cet espionnage se trouve

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renforcé par la caméra quand celle-ci, dans un angle mort, incarne le point de vue d’une caméra surveillance. Cette dernière adopte un point de vue en plongée, et se situe juste devant l’ascenseur de l’immeuble. Cette vidéo-protection et le champ très restreint qui la caractérise peuvent s’apparenter au point de vue que la société a décidé d’adopter envers les banlieues. Ces jeunes sont constamment surveillés, observés avec méfiance mais jamais vraiment regardés. Cet abandon de la part de la société est également évoqué lors d’un tour en voiture avec deux jeunes qui discutent du territoire de la banlieue. La légitimité de la présence de la police est souvent remise en question tout au long du film, notamment par l’un de ces jeunes qui dit : “S’ils viennent enquêter un peu, tu vois, il ne faut pas que ça devienne des territoires occupés, quand même, ici”. Ces mots sont très connotés et démontrent l’antagonisme de ces jeunes envers la police comme le dit Ervine8 (94). Ils font aussi écho à des périodes noires de l’histoire de France comme l’occupation pendant la deuxième guerre mondiale ou encore la colonisation en Algérie. Ils peuvent aussi faire référence au conflit israélo-palestinien. Comme dit Ervine, la police justifie sa présence dans les banlieues pour éviter qu’elles s’embrasent et qu’elles deviennent hors du contrôle de la République. Et pourtant, Ervine déclare que “The notion that the state needs to take control of unruly areas evokes colonial logic such as that used by the French state to justify its military intervention in the Algerian war of 1954-62” (94). La surveillance de la police est ainsi pernicieuse et fait référence à cette dualité centre/périphérie. Nous pouvons apercevoir des panneaux et un train qui nous indiquent que Paris n’est pas si loin de cette cité de Meaux. Et pourtant, un certain panneau disant que la police n’ose plus entrer dans certaines cités, fait de ces dernières des zones de non-droit avec une insécurité élevée, bien éloignées du confort de la vie parisienne : “Les cités où la police ne va plus.” La police est vue comme un envahisseur de mauvaise augure par les jeunes car une omniprésence de la police les déposséderait de leur liberté d’aller et venir, de leur vie privée puisqu’ils seraient constamment surveillés. Les jeunes appréhendent ainsi la présence de la police. De même, la police voit ces cités comme des jungles avec des lois hors-normes. Cette forteresse, où la police ne peut plus pénétrer se replie donc sur elle-même et demeure hors de la portée du gouvernement. Il y a donc une logique exclusionnaire de la part des forces de l’ordre et de l’Etat

8 Jonathan Ervine, Cinema and the Republic : Filming on the Margins in Contemporary France (University of Wales Press, 2013) 106.

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français mais aussi une auto-exclusion de la part de ces banlieusards qui se sentent toujours incompris. Dans l’Esquive, les parois des bâtiments de la cité vont constituer quatre murs emprisonnant les personnages principaux. Le microcosme construit par Kechiche ne va pas être nécessairement mis en contraste avec la liberté que peut proposer Paris. Paris n’est peut-être pas directement évoqué mais cette logique centre/périphérie est implicite à travers le rayonnement de la culture française qui ne va pas au-delà du périphérique. En effet, la cité de L’esquive, comme la plupart des cités est isolée de Paris, mais elle est surtout exclue de la culture française. Les théâtres et les cinémas ne sont pas florissants en banlieue. Le seul accès à la culture pour ces jeunes leur est offert par l’école. Il y a un manque de proximité entre ces lieux de la culture et la banlieue mais aussi un manque crucial d’exposition à cette culture dû au faible niveau d’instruction des parents. Les parents souvent issus de l’immigration, ou bien immigrés eux-mêmes, n’ont pas eu la chance d’être initiés aux sorties au théâtre ou au cinéma et ont une vie plutôt morose, avec une routine implacable “métro-boulot-dodo”. La plupart de ces familles résidant en banlieue ne part que très rarement en vacances. L’accès à la culture est ainsi très restreint par une multitude de facteurs sociaux. Ainsi, la binarité centre/périphérie est vue à travers le prisme du choc de deux cultures : la culture urbaine et la culture classique. Ce choc culturel se fait aussi ressentir par le biais d’une première dichotomie qui est le langage de la pièce de Marivaux et le langage des jeunes. En effet, échapper à sa condition sociale, qui est le dilemme des personnages de Marivaux devient celui des jeunes de banlieue qui doivent aussi dépasser leurs codes sociaux pour pouvoir jouer dans la pièce. Sociologiquement, sortir de cette culture urbaine est plus ardue qu’on ne le croit. Ce décalage entre ces deux formes de langage peut être vu dans la première scène du film où une bande de garçons parlent de manière très violente. Leur conversation porte visiblement sur une question de territoire et un règlement de compte entre cités. Certaines de leurs phrases sont les suivantes : « J’vais niquer leur mère », « C’est pas leur quartier », « Y en a un que j’vais serrer, j’vais l’séquestrer », « Il m’casse les genoux. », « Il est pas d’ici, j’sais pas », « Il va vous prendre pour des baltringues », « On va leur mettre des coups de massue » ou « T’es chaud, tout le monde est chaud ». Ces phrases, très courtes, vont nous donner une première approche du vocabulaire très limité de ces jeunes. Les phrases sont souvent simples, il n’y a pas de subordination et elles sont très grossières. Il n’y a également pas de réel dialogue entre les jeunes puisque tous sont pris dans cette même impulsivité de vengeance envers l’autre bande de jeunes. Ce registre de langue va être mis en parallèle avec

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celui du professeur de français et celui de la pièce de théâtre. Quand le professeur leur donne les devoirs par écrit, le registre qu’elle emploie est clair : “Vous allez répondre par écrit à la question suivante : dans quelle mesure pensez-vous que Marivaux a voulu dans la scène 5 de l’acte 1 privilégier l’analyse des sentiments aux dépens de l’action ?”. La phrase est complexe et a également du sens. La syntaxe est composée de plusieurs verbes conjugués et l’inversion est utilisée. Après l’annonce des devoirs, les élèves et le professeur reprennent la répétition de la pièce de théâtre. Alors que Frida intervient, Lydia pose une question au professeur en changeant son registre de langue et en adoptant son parler naturel : “Eh madame, je voulais vous demander, scuse- moi, moi j’suis la pauvre dans l’histoire, j’suis la bonne de elle, et moi j’dois faire la riche, c’est ça ? [...] à peine elle arrive, elle fait des gestes de riches”. Le langage des jeunes est ici clairement appauvri, et les registres de langue sont également mélangés. Lydia interpelle le professeur en disant “Eh madame” et la vouvoie ensuite, ce qui n’est pas très cohérent. La complexité du langage du professeur lui permet de mieux articuler ses idées notamment quand elle reformule la remarque maladroite de Lydia :

Ce que Marivaux nous dit : là les riches jouent les pauvres, les pauvres jouent les riches. Et personne n’y arrive. Ce qui nous montre qu’on est complètement prisonniers de notre condition sociale, et que quand on est riches pendant vingt ans ou pauvres pendant vingt ans, on peut toujours se mettre en haillons quand on est riches et puis en robe de haute couture quand on est pauvres, on se débarrasse pas d’un langage, d’un certain type de conversation, d’une manière de s’exprimer, de se tenir, qui indiquent d’où on vient.

La structure grammaticale des phrases du professeur est relativement plus complexe que celle des élèves. Son vocabulaire est varié et elle emploie certaines tournures figurées comme “être prisonnier de sa condition sociale”. Ce choc linguistique va nous montrer que la culture a du mal à s’implanter en banlieue car les codes de la cité emmurent les jeunes et les tiennent prisonniers.

Ainsi, nous avons démontré que la binarité classique de plusieurs concepts permet aux films de banlieue de toucher du doigt les problèmes sociaux qui perdurent dans ces zones en marge des grandes villes. Cette représentation de la banlieue pourrait être jugée simpliste mais elle

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soulève, en réalité, beaucoup de questions et met en perspective toutes les idées préconçues qu’on peut avoir sur les banlieues. La justesse des images est également visible à travers toutes les techniques cinématographiques que nous avons exposées et qui en juxtaposant plusieurs entités contraires, créent un choc nécessaire sur le spectateur.

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III. Quel résultat : des clichés bannis ou simplement revisités ?

Les techniques cinématographiques utilisées dans le cinéma de banlieue rendent-elles vraiment justice à la banlieue telle qu’on la connaît ? Le cinéma, de par son procédé, produit des clichés en permanence. Ces clichés sont les images qu’il prend à la suite des autres et qu’il fait s’enchaîner en créant une impression de mouvement. Le cliché est alors photographique et instantané mais il peut aussi être un cliché verbal dans la définition qu’il a aujourd’hui. Les clichés artistiques peuvent parfois se transformer en réels stéréotypes. Le cinéma va donc devoir lutter contre ces clichés psychologiques en produisant des clichés photographiques. Le cinéma, en tant qu’art du temps et de la distance physique et critique, va pouvoir ne pas commettre l’irréparable en dégageant un autre message qui peut se dresser contre ces clichés mais encore faut-il que ce soit l’intention du réalisateur.

1. Des clichés dépeints par les trois films notamment ceux liés à la monotonie de la vie en banlieue sans solution concrète

La Haine malgré ses efforts dans l’élaboration de la fiction pour dépeindre une banlieue multiethnique, vient perpétuer certains clichés sur la banlieue. En effet, le film de Kassovitz évoque à de nombreuses reprises l’impasse dans laquelle se trouve les personnages principaux. La structure cyclique de La Haine peut faire référence à un cycle de violence interminable, mais aussi aux jeunes qui tournent constamment en rond, et qui n’ont vraisemblablement pas d’objectifs. Le film peine à offrir des solutions concrètes. Tout d’abord, le cycle de violence peut être visible à travers la structure narrative du film qui commence avec des images d’archive de la violence réelle en banlieue mais aussi à Paris et qui se finit par de la violence fictive avec la mort de Vinz, tué par un policier. Le film commence par une bavure policière commise sur Abdel Ichaha et se termine également par de la brutalité policière fatale pour le personnage de Vinz. La boucle est bouclée et le cercle vicieux de la violence est toujours irrésolu. Cette structure cyclique n’est pas que narrative, elle est également présente à travers les histoires que les personnages se racontent. Saïd raconte une histoire à Vinz sur un homme qui tuerait “père et mère” pour de l’argent, mais qui dit à son ami qu’il pourrait le tuer gratuitement. Alors que Saïd s’extasie sur la chute de l’histoire qui est selon lui “mortelle”, c’est-à-dire géniale, Vinz ne semble pas s’y intéresser plus que cela. Ces histoires, sans ni queue ni tête, vont être disséminées dans le film et montrer le manque de

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perspective d’avenir des protagonistes. Cette sensation de tourner en rond est surtout présente quand un petit de la cité raconte une histoire à Vinz sur une caméra cachée et que les écriteaux de la devanture de deux anciens magasins nous disent : “L’avenir c’est nous” ou encore “La ville c’est nous tous”. Cette scène est teintée d’ironie et marque le contraste entre le manque d’activités de ces jeunes et ce que les politiques aimeraient leur faire croire. La caméra se rapproche progressivement de Vinz et du narrateur de l’histoire comme pour ménager le suspens avant la chute de l’histoire, sauf que l’histoire n’a pas de chute. Vinz demande d’ailleurs “et alors?”, car l’histoire n’est pas d’un grand intérêt. Une autre histoire, en apparence anodine et qui est en réalité beaucoup plus profonde que cela est celle de Grunwalski. L’homme des toilettes a été déporté en Sibérie, dans le goulag avec Grunwalski. Grunwalski, qui était allé se soulager dans la nature avant que le train ne reparte, prend trop de temps et essaie de rattraper le train. Sauf que dès qu’il essaie de prendre la main de son ami, son pantalon retombe sur ses chevilles. Il décide alors de tenir son pantalon et de laisser s’en aller le train. A la fin, Grunwalski est mort de froid. Cette histoire fait irruption dans le film alors que Vinz et Hubert se disputent encore une fois sur l’usage de la violence pour venger leur ami Abdel, mis dans le coma par un policier. La caméra montre ce moment impromptu, en se positionnant d’abord à la hauteur de Vinz et d’Hubert puis en se tournant vers le mur des toilettes et la porte qui s’ouvre pour se mettre à la hauteur de l’homme très petit. Ce changement d’échelle nous montre le point de vue subjectif de la caméra qui adopte celui de Vinz et de Hubert, choqués par la petite taille de l’homme et son sens de l’humour. L’homme vient se mettre au milieu des deux hommes pour se laver les mains, et prend en fait la position de médiateur entre les deux amis. D’ailleurs, une fois qu’il va s’essuyer les mains, les deux amis se rapprochent et se demandent bien ce que veut dire l’histoire. Leur gestuelle est à nouveau agressive. Alors qu’il raconte la chute de l’histoire, le monsieur semble assez impassible, car la chute est annoncée sur un ton léger mais la caméra se positionne derrière lui et montre encore une fois l’homme au premier plan au milieu des deux hommes au second plan. L’homme pourrait alors leur transmettre enfin un message, mais les protagonistes ne parviennent pas à le déchiffrer. Saïd se demande pourquoi le monsieur leur a raconté cette histoire. Les trois protagonistes restent bouche bée. Le fait qu’ils ne saisissent pas le message de cette histoire montre aussi à quel point ils tournent en rond. Grunwalski ressemble à Vinz dans le sens où il préfère tenir son pantalon et ne pas le baisser. Cette métaphore du pantalon baissé souvent utilisée en France pour sous-entendre que quelqu’un n’a pas de fierté ou de dignité,

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s’applique très bien à Vinz qui disait “ne plus vouloir tendre l’autre joue” juste avant que le monsieur ne sorte des toilettes. Cette histoire est aussi un moyen de transmettre la mémoire de l’Holocauste et le sentiment d’oppression qu’ont connu les Juifs, tout comme le connaissent les jeunes de banlieue. Ainsi, le fait que les protagonistes racontent des histoires “à dormir debout” toute la journée et qu’ils ne parviennent pas à déchiffrer la morale d’autres histoires ne leur donnent peu de moyens de s’en sortir. Ceci est peut-être un aspect de La Haine qui montre que certains clichés restent encore bien ancrés dans le cinéma de banlieue même si sa première volonté est de les dépasser. Dans Ma 6-T va cracker, il y a également cet effet de circularité qui est créé non seulement par la caméra de Richet comme nous l’avons vu dans le chapitre 2 mais aussi par l’aspect musical, et le Hip Hop qui tourne en boucle. Toutefois, dans ce film, ce qui semble marquer le plus négativement la banlieue est la sensation d’explosion que l’on ressent tout au long du film et qui est annoncée par le titre lui-même. Ma 6-T va cracker fait référence à une charge trop lourde 6 T qui peut vouloir dire six tonnes de problèmes, de discriminations, de contrôles au faciès… . Le 6- T qui peut s’apparenter à un rébus englobe alors tous les maux de la cité. Cracker fait référence à la saturation de la cité, qui va finir par exploser mais également à un stupéfiant qui circule en banlieue. Ainsi l’émeute presque apocalyptique à la fin du film montre l’escalade de la violence qui n’a pas vraiment d’issues positives. En effet, la révolution semble légitime mais les moyens pour la réaliser ne vont pas résoudre tout ce qui se passe en banlieue. Plusieurs figures sages dans le film tentent d’intervenir à de nombreuses reprises pour calmer les jeunes et les raisonner mais rien n’y fait, les jeunes semblent persuadés que la violence est le moyen de rétablir l’ordre en banlieue. Quand le médiateur parle à Jamal et qu’il lui demande ce qu’il se passe, il répond de manière évasive que certaines personnes viennent terroriser les habitants de la cité en poursuivant que sa bande et lui vont régler le problème assez rapidement. Le médiateur leur demande ce que veut dire “régler”. Jamal, peu convaincu de ce qu’il va dire, répond qu’ils vont essayer de dialoguer. Le médiateur comprend très vite les moyens que vont utiliser les jeunes et réplique : “à coup de batte, à coup de gun”. Le jeune assis à côté de Jamal veut la paix mais prétend que la paix ne vient pas sans verser de sang. Cette solution brutale ne fait qu’attirer les représailles et ne fait qu’engendrer un engrenage. Le médiateur répond que la seule arme se trouve dans la tête et déplore que les jeunes “frappent avant de réfléchir”. Cette réflexion pourrait être faite en amont notamment

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par certains personnages comme Arco, dont les notes scolaires sont excellentes, mais qui restent bloqués dans ce cycle sans fin de la violence. Ces moments de réflexion en présence de médiateurs – souvent appelés “les anciens” ou “les tontons de la cité” et pour qui les jeunes ont beaucoup de respect – où la musique ne vient plus parasiter les pensées des personnages, sont nombreux dans ce film mais ne servent en aucun cas l’épilogue si violent, d’autant plus que les jeunes ne savent plus pourquoi ils se battent. En effet, le combat semble justifié mais les jeunes ne parviennent pas à l’articuler de manière assez claire. Les jeunes mettent souvent le doigt sur leur détresse mais sans pouvoir formuler des solutions explicites pour leur avenir. Arco est souvent celui qui influence les autres personnages à avoir une discussion un peu plus profonde sur le chaos qui les entoure. A la 34ème minute, lors de la scène à l’arrêt de bus, Arco demande de manière assez désespérée et met des mots sur leurs problèmes :

Franchement les gars, qu’est-ce qu’on fait là? Dans un arrêt de bus comme des galériens, comme des saloperies. On n’a rien à faire ici. Regarde l’heure qu’il est. On est des enfants, regarde comme ça, on se balade, on traîne, rien à faire, rien à dire, c’est pas malheureux ? Trop de galères. Trop, on ne sait même pas ce qu’on fait en fin de compte.

Ainsi, Arco exprime ici le fait qu’il n’est pas normal d’être dehors à une heure tardive pour des jeunes de leur âge sans la surveillance de leurs parents et surtout le fait qu’à force de se complaire dans cette routine, ils finissent par ne plus trouver de sens à leur quête. Il poursuit en parlant d’objectifs, et en parlant d’étapes floues comme un rite de passage pour y arriver dans la vie mais tout le champ lexical est incertain : “savoir où aller”, “passer par là”, “faire ceci, faire cela”. Enfin, Arco finit par parler de leur vie quotidienne sans portes de sortie et en blâmant des ennemis très flous :

T’es qu’un objet, t’es qu’un pion, ils font ce qu’ils veulent avec toi. Ils disent, ouais y’a cinq millions de chômeurs. Regardez y’en a trois millions qui travaillent au noir. Tu vois ce que je veux dire ? Ca fait, 8… 9… 10 millions. Ils disent ce qu’ils veulent. Toi t’es à l’école, t’es un gentil étudiant. Demain tu vas sortir, tu vas te retrouver chômeur, à la rue, sans rien, tu vois ce que je veux dire ? Et tu seras comme nous, on est là dans

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un arrêt de bus (rires), c’est pas grave, on y est déjà sans même y être. Imagine. Trop des faux délires. (35:00)

La lutte n’est pas très claire, se battre peut se présenter comme une solution, encore faut-il savoir contre qui. Arco emploie le pronom personnel “Ils” à maintes reprises mais ce pronom très générique ne semble désigner personne en particulier. Le flou qui règne sur leur avenir, vient aussi du fait qu’ils ne parviennent pas à identifier les causes de leur malheur et qu’ils ne trouveront probablement jamais de réponses puisque Arco continue en disant : “Pourtant on pense à ça, on y réfléchit, on sait déjà, mais on y va quand même. Pourquoi ? Si seulement, on savait pourquoi. Je sais pas.” Ce sont les premiers spectateurs de leur infortune mais cela les handicape plus que cela ne les aide. Ils n’y voient pas clair et ce manque de repères précis fait partie d’un des clichés majeurs recyclés par le film de Richet. L’Esquive est le film qui évite le plus les clichés dû à un scénario très original mais en perpétue tout de même certains, notamment celui de l’amour romantique en cité, très pudique surtout quand il s’agit d’exprimer ses sentiments ou encore celui d’un univers plutôt utopique. Il en perpétue également à cause de sa cinématographie intrusive qui vient amplifier la violence qui existe déjà en banlieue. L’amour ici dépeint ne semble faire référence qu’aux premiers émois adolescents, souvent naïfs et puérils des lycéens entre eux et ne semble pas représentatif de l’amour en cité en général. L’amour en cité peut être une épreuve, surtout à cause du regard des autres mais aussi à la fierté mal placée de certaines personnes, mais ici il n’y a rien de tout cela. Ces lycéens très jeunes installent un jeu de séduction timide et espiègle qui est complètement naturel à leur âge. Cette représentation de l’amour aurait aussi très bien fonctionné dans le 16ème arrondissement à Paris entre des jeunes d’un milieu social plus élevé et n’est donc pas spécifique à la banlieue. Ainsi, l’univers très lisse de l’Esquive va correspondre au monde idéalisé de l’adolescence et nous offre une perspective biaisée sur la vie en banlieue telle qu’elle est vécue lorsque les jeunes sortent du système scolaire et se retrouvent confrontés à la dure réalité de l’emploi. De plus, le contrôle de police arrivant de manière impromptue, vient interrompre les jeunes alors qu’ils n’étaient qu’en train de parler. Ce contrôle de police arrive de manière incongrue et peine à se justifier car il est immédiatement suivi par la pièce de théâtre. Le style elliptique de Kechiche ne permet pas vraiment de comprendre les tenants et les aboutissants de cette arrivée inopinée de la police. La scène finale semble aussi trop idéaliser la vie en banlieue, notamment dû

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aux réactions des parents dans la salle. Les parents, de toute origine, applaudissent la scène très passionnée entre Rachid et Lydia, qui interprètent respectivement Arlequin et Lisette dans la pièce. Cet accueil beaucoup trop chaleureux de cette pièce qui aborde ouvertement le jeu de séduction et l’amour passionnel n’est pas très naturel. Ainsi, même si L’Esquive parvient en général à balayer les clichés, il ne les efface pas tous, certains perdurent malgré tout.

2. Des clichés dépassés notamment grâce à la promotion d’un multiculturalisme décomplexé par les trois films

Certains clichés sont en quelque sorte dépassés, notamment grâce à la promotion du multiculturalisme. Dans les trois films, les origines sociales servent de socle commun à tous les jeunes de banlieue. Ils sont tous sur un pied d’égalité, car ils sont tous issus de banlieue et partagent donc le même milieu géographique et le même milieu social. Tous ont les mêmes combats, les mêmes ressentis vis-à-vis de la police et les mêmes discriminations au quotidien. Alors qu’il y a une tendance au communautarisme en France, celui-ci n’est dépeint dans aucun des films. Dans La Haine de Kassovitz, le trio que forme Vinz, Saïd et Hubert est représentatif de qu’on aimait appeler le “black-blanc-beur” qui sera aussi repris lors de la coupe du monde 1998. En effet, Vinz est de confession juive mais est considéré blanc, Saïd est d’origine maghrébine, sûrement de confession musulmane, et Hubert d’origine africaine. Il s’agit d’un trio multiethnique représentant la France des années 90, car à cette époque le multiculturalisme était en plein essor (Vincendeau, 27). Et pourtant, le racisme avançait lui aussi à grands pas. Ce paradoxe est typiquement français comme le rappelle Vincendeau. La notion d’égalité en France, née de la Révolution française gomme, toutes les différences de genre, de race, et de religion au profit d’une identité commune à tous, basée sur la citoyenneté. Ainsi, la loi de 1905 sur la laïcité va venir séparer l’Etat et l’Eglise et faire de la religion une entité de l’ordre de la sphère privée. Le droit du sol va assurer la nationalité française à quiconque né sur le territoire français. Ceci a fait de la France une terre accueillant plusieurs vagues d’immigration mais comme le rappelle Vincendeau : “also produced a lack of recognition of multi-culturalism, perceived as divisive and conducive to a ghetto mentality.” (28). Dans les années 50, beaucoup d’immigrés, surtout des hommes d’Afrique du Nord et sub-saharienne sont venus en France et représentaient une main d’œuvre non qualifiée. Le documentaire de Yamina Benguigui, Mémoire d’immigrés : L’héritage maghrébin (1997) retrace bien l’histoire de ces immigrés : elle commence avec l’histoire des premiers

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arrivants, des pères, célibataires dont l’immigration devait être temporaire puis celle des mères, venues rejoindre leurs conjoints dans le cadre du regroupement familial en 1976 et enfin celle des enfants, conçus sur le sol français et donc devenus français. Cette dernière génération va poser problème, notamment dans une France où le Front National commence à gagner des voix et où la présidence de Mitterrand a échoué à combattre le racisme. Les lois Pasqua de 1993 n’ont pas arrangé les choses car “[they] restricted access to French citizenship, which was now no longer automatically based on place of birth, creating a climate of racial fear” (Vincendeau, 30). Et pourtant, face à tout ce paysage politique hostile au multiculturalisme, la cité va représenter une forme d’intégration “par le bas” selon l’expression de Michel Cadé citée par Vincendeau à la page 30. Beaucoup de personnalités maghrébines comme Jamel Debbouze, Zinedine Zidane ou encore Gad Elmaleh (juif marocain), issus de cette génération 90 ont pu faire carrière dans leur domaine respectif. Les trois protagonistes n’ont également pas de religion attitrée, ce qui illustre encore une fois cette cohésion de groupe selon les origines sociales. On voit bien que Vinz est d’origine juive mais qu’il pratique peu ou qu’il ne pratique plus du tout puisque sa grand-mère lui reproche de ne pas aller à la synagogue au début du film. Hubert, incarnant la force tranquille du groupe n’a également pas de religion en particulier, on pourrait pourtant présumer qu’il est chrétien compte tenu de son prénom. Enfin, Saïd, qu’on voit interagir avec sa petite sœur une fois, semble suivre certains codes machistes culturels mais ne fait référence en aucun cas à une religion. Le racisme dont sont victimes Saïd et Hubert est souligné mais aussi brouillé par l’ethnicité des policiers eux- mêmes. En effet, quand le trio erre à Paris et sort de l’appartement d’Astérix, ils se font interpeller par la police. Vinz échappe au contrôle en distançant le policier qui lui court après. Saïd et Hubert sont mis en garde à vue, et sont humiliés par la police qui les maltraite et les couvre d’injures racistes. L’un des policiers dit à Hubert “dans ton pays, tu ramasses avec tes pieds, hein ?” (01:06:40) et fait référence aux Africains qui ont souvent tendance à marcher pied nu. De même, quand les policiers contrôlent les papiers d’identité des deux personnages, le policier se moque de Saïd en disant qu’il “n’a pas une tête à s’appeler Hubert” (01:08:41), et fait référence à son faciès qui n’avait rien de français. Ce racisme est également présent avec l’intervention des skinheads à Paris. Toutefois, ce racisme est brouillé lors de la scène en garde à vue puisque l’un des policiers est d’origine nord-africaine, nous le savons car il est joué par l’acteur connu Zinedine Soualem. Ainsi comme le dit Vincendeau : “La Haine does not ignore racism, but it adopts a non-Manichean,

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non-essentialist approach to ethnic difference” (64). Ceci est donc un pari gagné par le film de Kassovitz qui montre que le racisme est plus complexe que ce qu’on imagine. Dans Ma 6-T va cracker, une des représentations positives de la cité est l’absence de frontières en matière de religion, ou d’origines ethniques. En effet, nous voyons une diversité de visages et de noms mais ces distinctions sont toujours implicites et ne sont jamais évoquées de manière claire. Nous voyons souvent des vestes en cuir avec le drapeau de l’Algérie ou le drapeau de la Tunisie mais les personnages portant ce genre de vêtements ne sont que des figurants et participent de loin à la trame de l’histoire. Ainsi, il n’y a pas d’appartenance précise à un certain groupe ethnique de la part des protagonistes de l’histoire. Tous les personnages sont “logés à la même enseigne” et tous traités de manière injuste par la police. Nous le voyons quand la bande de Djeff (joué par Richet lui-même et donc considéré comme blanc) se fait arrêter et fouiller par la police. Sa bande est composée de Jamal, Pete et Hamouda, noms aux accents africains ou arabes pour la plupart. La police ne fait pourtant pas de différence, et demande à Djeff ainsi qu’aux autres leurs papiers d’identité. Jamal est fouillé plus longuement et plaqué contre la voiture de la police car il a une arme sur lui. La cohabitation se passe donc plutôt bien entre les jeunes de la cité, pourtant d’origine différente. Tous ont les mêmes centres d’intérêts : les filles dont ils parlent de manière très grossière, les rivalités entre cités, les armes à feu et leur vengeance ou révolution contre la société. Ce signe plutôt progressiste émane de la volonté de Richet qui vient de cette cité cosmopolite de Meaux cosmopolite :

Dans ma cité, il n'y a aucun problème d'intégration. Pas de problème entre les Blancs, les Noirs et les Maghrébins, les Chrétiens et les Musulmans. Comment des types qui se connaissent depuis 25 ans pourraient avoir des difficultés à vivre ensemble ? Non, on essaye de nous diviser pour mieux régner, alors que le clivage est uniquement social. Moi, ça ne me gêne pas que mon voisin n'écoute pas la même musique que moi, ou qu'il fasse la fête de l'Aïd... Le seul problème que j'ai, c'est avec les forces de l'ordre. Il y a quelques jours, ils ont encore bloqué les quartiers, empêché les femmes et les enfants de passer... Je me suis fait arrêter : on était quinze, ils m'ont demandé mes papiers, que j'avais, ils m'ont fait monter dans un camion, ils m'ont savaté et dépouillé de mon argent. (Richet).

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Le vrai problème, comme nous le montre aussi La Haine est avant tout social et n’est pas un problème d’intégration au sein même de la cité, car cette dernière est un modèle d’intégration “par le bas” comme nous l’avancions dans le paragraphe précédent. Le seul racisme provient des policiers, visible lors d’un contrôle de police très violent et humiliant à la 56ème minute. Après une course poursuite de la gare routière, les policiers parviennent à rattraper un des membres de la bande à Djeff. La police décide de l’embarquer et de l’humilier. Un des policiers emploie le mot “bougnoule”, connoté très négativement, qui désigne une personne d’origine maghrébine, puis il lui dit “moi, je te mets dans un bateau et je te ramène chez toi”. Cette phrase illustre le racisme élémentaire qui consiste à rejeter tous les immigrés ou enfants d’immigrés, qu’ils soient nés en France ou non. L’humiliation continue quand le policier touche les parties intimes du jeune et lui dit que c’est une pratique courante dans son pays. Ces policiers alimentent donc une certaine forme de racisme qui n’est en aucun cas présente parmi les jeunes eux-mêmes. Dans l’Esquive, les origines ethniques des personnages vont également être célébrées sans être explicitement mentionnées, toutefois l’arabe vient ponctuer certaines phrases des jeunes quand ils parlent entre eux et fait partie de cette langue verlanisée. Cette dernière va être mise en avant par Kechiche non pas comme l’aspect d’une inculture mais plutôt comme une invention de la langue. En effet, les registres de langue sont mélangés dans le film, ce qui donne lieu à une richesse linguistique particulière. Le registre soutenu est employé à travers la langue de Marivaux, le registre familier est choisi en classe ou quand les jeunes parlent à la police et enfin le registre argotique est utilisé quand les jeunes discutent entre eux. Ce dernier se compose de verlan et de plusieurs emprunts à l’arabe mais aussi au portugais. La première richesse langagière réside dans la capacité de ces jeunes à passer d’un registre à l’autre. En effet, dans la scène que nous avons analysée précédemment dans la salle de classe, Lydia parvient à énoncer avec élocution la langue de Marivaux et à basculer dans la langue de banlieue juste après. Cette aisance montre le côté versatile de ces jeunes qui comme des caméléons s’adaptent à tout type d’environnement. La deuxième richesse langagière se trouve dans la permutation constante des syllabes d’un mot et de l’importation de certains termes arabes par exemple. Cette gymnastique intellectuelle est révélatrice de l’intelligence de ces jeunes et de leur créativité. Ainsi, nous pouvons entendre les mots suivants : “cimer=merci”, “chelou=louche”, “eins=sein”, “guedin=dingue”, ouf=fou” ou “vénère=énervé”. Le verlan n’est pas anodin, c’est un moyen subversif qui permet aux jeunes de défier l’autorité linguistique de l’Académie Française et proposer une autre version de la langue

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de Molière. L’argot parisien est également employé à travers les mots comme “daron” qui veut dire “père”. L’arabe est lui aussi omniprésent et vient connoter religieusement la langue à travers certaines expressions comme “Wallah” , “bsahtek” ou encore “In sha Allah”. La première veut dire “au nom de Dieu” et est souvent utilisée en gage de sincérité, la deuxième veut dire “félicitations, bravo” et la dernière signifie “si Dieu le veut” et est souvent employée quand une personne parle du futur. Certains mots arabes adaptés au français sont également présents comme le mot “kiffer” qui veut dire “aimer”. La grossièreté a aussi sa place puisque les filles n’hésitent pas à s’insulter de “pute” ou à dire “je m’en bats les couilles” comme les garçons du film. Ce langage très masculin adopté par les filles souvent dégradant à l’égard de la gente féminine et qui n’est pas présent dans Ma 6-T va cracker par exemple, montre une certaine volonté des femmes qui veulent être les égales des hommes en s’endurcissant et en utilisant le même langage qu’eux. Le film de Kechiche va ainsi faire de la parole le centre de son film, mais elle va résonner dans une sorte de polyphonie puisque chaque personnage jongle avec ses multiples facettes. En la présentant ainsi, et en explorant sa mélodie, et son ingéniosité, Kechiche va mettre sur le même pied d’égalité une haute culture, celle de Marivaux et la culture urbaine.

3. Une représentation pourtant toujours difficile dû à l’hétérogénéité de la banlieue

Les films de banlieue sont ainsi tiraillés entre clichés qu’ils reproduisent malgré eux et nouveautés qui vont permettre de donner un souffle neuf à ces banlieues, capables de faire parler d’elles en bien. Il y a une difficulté dans la représentation même de la banlieue, à échelle locale mais aussi de manière nationale. La première difficulté réside dans la banlieue en elle-même qui est un espace hétérogène. La banlieue parisienne en elle-même n’est pas uniforme, car chaque quartier, chaque cité a des codes spécifiques qui varient géographiquement. Un film de banlieue ne peut pas se faire le chantre de toutes les banlieues, il est donc important de les situer géographiquement. Dans le documentaire Banlieues sous le feu des médias (2006) : l’un des intervenants, Samir Mihi, parle des émeutes de 2005 qui étaient différentes selon les quartiers : “Dans chaque quartier, il y a un esprit différent, vous allez à Bondy, à Aulnay, ou à Bobigny, les jeunes ne voient pas les choses de la même manière, n’ont pas le même état d’esprit” (39:00). C’est ce que nous pouvons observer dans les trois cités des trois films que nous avons analysés. Dans La Haine, le trio que compose Saïd, Hubert et Vinz est hétéroclite. Saïd, surtout connu pour ses

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blagues, va représenter le médiateur. Il est d’ailleurs souvent positionné entre les deux autres protagonistes quand ils se disputent. Vinz et Hubert ont des personnalités qui sont aux antipodes, l’une de l’autre. Vinz est belliqueux et a un esprit de vengeance. Il a récupéré l’arme égarée par le policier et compte bien s’en servir pour tuer un membre des forces de l’ordre. Comme le dit Vincendeau, le premier plan qu’on nous présente est quand il dort et que la caméra effectue un gros plan sur son poing et sa bague. Le poing fermé peut signifier qu’il est toujours prêt à se battre et le gros plan sur cette image en devient presque menaçant (59). Hubert est la force tranquille qu’il tire du sport et en particulier du noble art : la boxe. Nous pouvons voir des posters de Mohammed Ali dans sa chambre, ce qui indique qu’il est passionné mais qu’il incarne aussi les valeurs de ce sport, fait de règles et surtout d’un respect de l’adversaire. Il est aussi l’archétype du boxeur notamment grâce aux vêtements qu’il porte. Le t-shirt Everlast est révélateur de cette tenue de boxeur. Il raisonne souvent Vinz notamment dans les toilettes du café à Paris quand il dit que “la Haine attire la Haine” et que la violence ne résout rien. Il semble toutefois contraint d’user de violence dans la scène finale quand Vinz est accidentellement tué par un policier. Vincendeau l’observe très bien : “There is no mistaking the impact of the final scene: in this finality we are made to accept violence as rational and inevitable” (62). Alors que Vinz avait donné son arme à Hubert pour lui montrer qu’il allait arrêter de s’obstiner à tuer un policier, l’impensable arrive et la réaction très impulsive et instinctive d’Hubert est de répliquer avec force et de tuer un policier. Cela démontre l’état d’esprit de la Haine, avec des jeunes toujours sur le qui-vive et en proie à la violence. Cet état d’esprit peut être retrouvé dans une certaine mesure dans Ma 6-T va cracker. Toutefois, les événements sont différents car personne n’est blessé ou mort au départ dans cette cité de Meaux. Les jeunes semblent donc plus réfléchir sur leur situation économique et sociale plutôt que sur leur rapport avec la police. Ils parlent de révolution, mais semblent incertains sur les armes qu’ils vont utiliser pour la réaliser. Le déclic chez ces jeunes est la mort de Malik tué par un policier à la fin du film. La violence devient alors cette arme de désespoir utilisée contre la police. L’Esquive n’a de violent que les paroles de certains jeunes. Ces jeunes, touchés par le théâtre de Marivaux, ne pensent qu’à répéter leurs scènes, et à incarner avec le plus de justesse possible les personnages de la pièce. Tous sont très attentifs quand le professeur parle et donne des explications sur la pièce. La violence du parler des jeunes est symptomatique de la guerre d’égos qui sévit en banlieue. Frida parle plus fort que les autres car elle veut se faire entendre et se faire respecter. La timidité ou le manque de répartie sont vus comme des aveux de faiblesse qui n’ont

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pas leur place en cité. Le rapport à la violence varie donc d’une cité à une autre et rend la représentation de la banlieue plus complexe qu’il n’y paraît. La banlieue est également un objet difficilement identifiable à cause de son évolution extrêmement rapide. En effet, les cités des années 90 n’ont pas grand chose à voir avec les cités des années 2000 ou de celles d’aujourd’hui. Cette différence est visible à travers les trois films que nous avons sélectionnés. La Haine et Ma 6-T va cracker, sortis respectivement en 1995 et 1997 sont relativement contemporains alors que l’Esquive est sorti en 2005. Une dizaine d’années séparent ces deux générations de films et cela peut se ressentir par conséquent dans les thèmes qu’ils abordent. La relation avec la police reste toujours tendue car les trois films s’accrochent à cet éternel conflit, les parents ou les figures d’autorité sont également absents des trois films mais la place des femmes en cité a considérablement changé. Dans La Haine, les femmes sont reléguées au second plan et n’ont souvent pas de prénom. Les premières femmes qu’on voit sont la grand- mère et la sœur de Vinz. Toutefois, ce dernier ne les écoute pas du tout et s’adresse à sa sœur de manière très irrespectueuse. Hubert semble être le seul à respecter sa mère, même s’il change d’attitude avec sa sœur quand il décide de ne pas l’aider à faire ses devoirs. Saïd, quant à lui, incarne cette attitude machiste lorsqu’il réprimande sa sœur. Il gronde cette dernière car elle n’a rien à faire en bas des tours avec ses amies. Ces espaces sont réservés aux hommes. Il devient furieux quand il observe comment elle s’adresse à Vinz, car selon lui, sa sœur ne devrait pas parler à ses copains. Saïd revient vers Vinz en lui disant “les traditions se perdent” (46:10). Cette domination masculine est également présente dans Ma 6-T va cracker où Arco parle méchamment à la sœur d’un de ses amis qui demande son aide pour faire ses devoirs. Les insultes misogynes sont aussi très fleuries entre “Nique ta mère” ou “ta mère, je la baise”, démontrant un mépris ahurissant à l’égard des femmes. Ces femmes n’ont également pas de subjectivité comme le fait remarquer Vincendeau (67), et nous le voyons ici car les mères sont les objets grammaticaux de ces injures. Cette tendance change complètement dans l’Esquive car Frida ou encore Lydia font face aux garçons et leur tiennent tête. Elles adoptent le même franc-parler qu’eux, comme nous l’avons dit précédemment, jusqu’à dire “je m’en bats les couilles”, pour montrer qu’elles peuvent très bien s’approprier ces expressions très masculines. Les jeunes filles de ce film tiennent aussi les rênes de la pièce car elles se jouent des garçons, notamment d’Arlequin joué par Rachid. Elles ne sont également pas dénuées de subjectivité car elles pensent par elles-mêmes. La place du genre en cité n’est pas le seul aspect à évoluer, la multiethnicité est aussi une composante variable au

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cours du temps. Ainsi, dans La Haine, l’accent mis sur le judaïsme provient d’une volonté du réalisateur. Kassovitz lui-même a reconnu que les familles juives ashkénazes en cité, ce n’était pas très commun. Une forte communauté juive existe dans les grands ensembles de Sarcelles dans le Val d’Oise, mais la plupart sont d’origine séfarade (Vincendeau, 31). Kassovitz a donc voulu faire un clin d’œil à ses origines juives (Vincendeau, 31). Toutefois, ceci n’est pas le seul “bémol”. L’immigration est maintenant très diversifiée et cela n’est pas représenté dans les trois films. Vincendeau déclare que de nouvelles vagues d’immigration ont fait leur apparition en provenance de Chine, de Turquie ou encore des Balkans (31). Ce n’est pas l’unique évolution, puisque la religion est devenue une composante majeure de l’identité de certains jeunes dans les cités. Depuis le 11 septembre 2001, le fondamentalisme islamique s’est implanté en cité et a trouvé plusieurs adhérents. Les relations entre juifs et musulmans se sont également détériorées dû en partie aux tensions au Proche-Orient entre Israël et la Palestine (31). L’antisémitisme et l’islamophobie se sont exacerbés et ont mis à mal le modèle intégrationniste français dont se targuait Jacques Chirac après la victoire de la coupe du monde en 1998. Les réalités de genre et d’ethnicité sont en perpétuelle évolution, ce qui fait du cinéma en banlieue, un genre devant se renouveler et s’actualiser. La justesse de la perspective sur ces cités si différentes les unes des autres et au paysage variant devient alors périlleuse. Le cinéma de banlieue ne peut nous offrir qu’une perspective biaisée sur le sujet. Cet argument est d’autant plus vrai quand on décide de prêter attention aux réalisateurs eux-mêmes de ces films et à leur légitimité pour traiter d’un sujet aussi sérieux que la banlieue. Kassovitz a souvent été vu comme un “bobo parisien” qui ne maîtrise pas vraiment ces sujets sociétaux car il les a seulement vécus de loin. Kassovitz est certes d’origine juive mais son ethnicité est considérée comme “blanche”. Cela aurait pu influencer sa décision de mettre en avant Vinz, personnage blanc, un petit plus que les autres dans le film. Tarr déplore une centralisation en matière d’oppression sur le personnage de Vinz qui est le plus privilégié si on regarde sa couleur de peau. La scène dans les toilettes du café à Paris avec le vieux monsieur racontant l’histoire sur Grunwalski “can be read as an attempt to equate Vinz’s cultural inheritance of injustice and oppression as the equivalent of the injustice and oppression experienced by blacks and beurs in contemporary France.” (70) Cette histoire insolite sert de rappel historique aux jeunes pour leur montrer que tout peut être relativisé et qu’il y a toujours plus mal loti que soi. Il n’y a pas de concurrence victimaire dans la tragédie, chaque mort a la même valeur. Cet épisode plutôt justifié

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donc, ne poserait pas de problèmes s’il n’était pas accompagné d’une série d’événements venant discréditer le pouvoir d’action des personnages maghrébins dans le film. Comme le dit Tarr : “as the victim of the initial police bavure, Abdel has no further part to play. Compared to Vinz and Hubert, Saïd is an outsider, a witness to events rather than a participant.” (71). Saïd est en effet assez passif au début du film. Même s’il décide de taguer “Saïd baise la police” et de laisser ainsi une marque, cette emprise qu’il a sur la réalité semble vite déviée par la scène qui suit. En effet, alors que la caméra adopte d’abord son point de vue pour nous faire voir les policiers en réalisant un plan séquence, elle filme ensuite Saïd en train de terminer son graffiti. La caméra n’a donc jamais adopté le point de vue de Saïd, il ne s’agissait que d’un effet d’optique. La passivité de Saïd perce l’écran une nouvelle fois à la fin du film quand il ferme les yeux, alors que Hubert s’apprête à tuer un policier après la mort de Vinz. Saïd ne voit donc pas la scène, et n’y participe pas, au même moment que retentit le coup de feu sans savoir de quelle arme il provient (Tarr, 71). Ces détails jouent donc en la défaveur de Kassovitz et desservent le message de son film. Concernant Ma 6-t va cracker, les mêmes questions peuvent se poser sur Jean-François Richet mais ne sont pas du même ordre car Richet a grandi dans la cité de Meaux qu’il a filmée. Il a donc une certaine forme de “street credibility”, terme utilisé par Carrie Tarr (70). Toutefois, Richet est également blanc et joue le personnage de Djeff dans le film. Les bandes de jeunes sont tellement nombreuses et on passe constamment d’un groupe à un autre qu’il est difficile de dire que certains personnages sont mis en avant plus que d’autres. En revanche, Arco et Djeff qui vivent dans le même appartement, et qui ont visiblement des liens de parenté sont les chefs respectifs de leurs bandes. Tous les deux sont de type blanc, ce qui pourrait aussi traduire une forme d’ascendant sur les autres. Les personnages maghrébins ou d’origine africaine sont également ceux qui se font attraper par la police, notamment lors de cette course poursuite où Djeff parvient à distancer les policiers alors que son ami, lui, se fait humilier. Quant à L’Esquive, Abdellatif Kechiche, d’origine tunisienne, n’a pas grandi en banlieue parisienne mais en tant qu’immigré, il a subi du racisme et le “poids de ses origines et de sa condition sociale” (Thierry Jobin, 2004). Kechiche semble alors bien placé pour traiter de ce sujet. Toutefois, le choix des acteurs soulève une question. Sara Forestier tient le rôle principal et incarne Lydia. Ses origines ethniques sont ambigües dans le film puisqu’elle est physiquement blanche mais emploie des mots arabes à connotation religieuse comme “in sha allah”. Elle pourrait employer ces mots sans être musulmane, puisque l’arabe fait partie intégrante de la langue

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vernaculaire de cité. Il est donc ardu de déterminer son ethnicité. En attendant, l’emphase mis sur le rôle de Lydia a permis à Sara Forestier de recevoir le César de la meilleure actrice en 2005 alors que Osman Elkharraz, ayant le rôle de Krimo, l’autre protagoniste du film, n’a pas pu poursuivre sa carrière d’acteur, car très vite rattrapé par la réalité de la vie. Touché par le décès de ses deux parents, Elkharraz est un laissé-pour-compte, condamné à survivre dans la rue en vendant de la drogue. Kechiche ne lui a jamais tendu la main une nouvelle fois et l’a même évincé de la “promo et de la soirée des Césars”. Il n’y a eu aucun suivi de la part de Kechiche, qui a recruté ces jeunes adolescents sans repères, avec un passif déjà très lourd. (Stéphanie Marteau, 2016). Il les a sortis de leur misère sociale temporairement pour ensuite les relâcher dans la nature. Dépeindre la banlieue et vendre un message d’espoir, c’est une chose, et encadrer ces jeunes dans la réalité en faisant preuve d’humanité en est une autre. La réalité vient donc rattraper la fiction et montre bien qu’esthétiser la banlieue en la valorisant à l’écran ne change pas le destin de tout le monde. Ainsi, les clichés émis par ces films vont avoir trait à la monotonie de l’existence de ces jeunes de banlieue, et au manque de solutions concrètes. Ces clichés vont être rehaussés grâce à la promotion du multiculturalisme, et à cette “intégration par le bas”. Toutefois, représenter la banlieue devient une tâche ardue puisque c’est un espace trop hétérogène, qui varie énormément selon le lieu géographique où elle se trouve. Au sein de l’Ile-De-France, tous les quartiers ont une empreinte unique et un vécu toujours différent. A une échelle nationale, ces nuances sont encore plus accentuées car chaque grande ville a une relation particulière avec ses banlieues. De plus, le tissu social en banlieue se complexifie avec le temps, avec l’arrivée de nouvelles vagues d’immigration mais aussi la paupérisation de ces quartiers populaires. Nous pouvons le voir dans un film de 2016, Divines, où la protagoniste Dounia vit dans un bidonville à Montreuil composé de Roms, de Maghrébins ou encore de Français. Sur une échelle sociale, le bidonville va se situer en-dessous de la cité et le fait de voir encore cela en 2019 est alarmant. Les Roms, ancienne diaspora qui s’est accrue récemment, vont également faire leur apparition et faire partie de cette nouvelle catégorie de pauvres en marge des grandes villes. Enfin, l’ethnicité et l’expérience en banlieue des réalisateurs pour dépeindre la banlieue vont toujours orienter leur approche cinématographique, qu’ils soient blancs ou issus d’une minorité ethnique, qu’ils aient vécu dans une cité ou non.

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Conclusion

En définitive, les documentaires en banlieue, en adoptant un regard critique sur le regard porté par la caméra des médias télévisés vont se positionner en faveur des banlieues. Alors que les médias vont avoir tendance à diaboliser les banlieues, les documentaires vont les représenter telles qu’elles sont, dans leur souffrance comme dans leur désir d’évoluer. Les documentaires vont ajuster le regard, ils ne vont pas simplement effleurer les banlieues comme beaucoup de médias le font mais s’immerger complètement. Ils ne vont faire preuve ni d’une proximité envahissante qui ne nous permettrait pas de saisir le problème et ni d’un éloignement extrême qui nous le ferait oublier complètement mais plutôt d’une bonne distance, celle promue par les phénoménologues comme Merleau-Ponty. Ces techniques cinématographiques vont être peu à peu reprises par les réalisateurs des films fictionnels de banlieue et vont produire un “effet de réel”. Cette impression de réel propre au cinéma-vérité ou au cinéma-documentaire va être portée par le plan-séquence, qui ne va rien couper au montage et va nous offrir une vision directe de la banlieue. L’attachement au réel va aussi se faire à travers le scénario – bien que fictif – et l’inspiration de réelles bavures policières ou émeutes s’étant déroulées dans les banlieues. C’est précisément dans cet ancrage au réel que le film fictionnel de banlieue va avoir un impact tout autre sur la société qu’il critique. L’immersion et la bonne distance vont, elles, se révéler à travers la représentation du territoire de la banlieue, et les binarités sur lesquelles il est fondé. L’opposition des couleurs entre couleurs froides et couleurs chaudes va incarner le combat incessant entre les jeunes de banlieue et la police. La caméra va complètement s’immerger pour nous offrir cette rivalité de couleurs métaphorique si poignante. La bonne distance va être visible à travers la variété des plans offerts dans ces films, et va être trouvée dans ces alternances entre plan subjectif/objectif, plan d’intérieur/plan d’extérieur et gros plan/plan d’ensemble. Ce regard panoptique va être l’avantage de ces films car il va nous laisser apprécier tout le territoire de la banlieue, les conditions de vie, l’enfermement constant… . Puis, cette approche va se poursuivre avec l’opposition entre la banlieue et Paris, tant au niveau du manque de transports reliant ces deux parties d’un même ensemble ou de l’impénétrabilité de cette “forteresse liminale” par la police qu’au niveau de l’opposition entre culture urbaine et culture classique. Malgré ces tentatives anthropologiques de remettre la banlieue dans son contexte socio-économique, ces films continuent à émettre des clichés. Les clichés photographiques sur lesquels le cinéma se fonde se retournent contre lui faisant de lui “l’arroseur

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arrosé”. En effet, ces clichés vont prendre racine dans cette représentation de la violence sans fin qui ne mène à rien, hormis à l’auto-destruction. Ces films ne semblent suggérer aucune échappatoire à la vie misérable en banlieue ou nous donnent une fausse idée sur ce qu’elle est véritablement. Ces clichés vont être rattrapés grâce au multiculturalisme dont ces films parlent et de cette “intégration par le bas” qui incarne le “vivre-ensemble” républicain. En revanche, ce qui forme des clichés est dans une certaine mesure l’évolution beaucoup trop rapide de la banlieue et de sa diversité en fonction de sa localité. Représenter toutes les banlieues et tous les quartiers populaires est une tâche impossible tant chaque banlieue/quartier se distingue par son contexte socio-économique, son approche à la violence, son rapport avec la police et son appropriation de l’espace. La banlieue évolue aussi considérablement en fonction de certains événements charnières comme le 11 septembre 2001 ou le conflit entre Israël et la Palestine. Sa représentation est également toujours biaisée par l’ethnicité, le vécu du réalisateur et sa connaissance de la banlieue.

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