Perspective Actualité en histoire de l’art

2 | 2008 Période moderne/XIXe siècle

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/perspective/3380 DOI : 10.4000/perspective.3380 ISSN : 2269-7721

Éditeur Institut national d'histoire de l'art

Édition imprimée Date de publication : 30 juin 2008 ISSN : 1777-7852

Référence électronique Perspective, 2 | 2008, « Période moderne/XIXe siècle » [En ligne], mis en ligne le 13 septembre 2013, consulté le 01 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/perspective/3380 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/perspective.3380

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Période moderne Un grand débat sur les éditions actuelles de textes anciens : nouvelles possibilités techniques, autres lectures ? États de la recherche sur Titien, sur la tapisserie. Publications sur Philippe de Champaigne, l’enseignement du dessin… xixe siècle Nouvelles histoires de la peinture du xixe siècle, en Italie, Allemagne et Espagne. Actualités sur le mythe de Pygmalion, Gottfried Semper, histoire de l’art et nationalisme autour de 1900…

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SOMMAIRE

Mélancolie et histoire de l’art Michael Ann Holly

Période moderne

Débat

La littérature artistique : textes et éditions Barbara Agosti, Jan Blanc, Elizabeth Cropper et Ulrich Pfisterer

Les livres d’architecture : leurs éditions de la Renaissance à nos jours Antonio Becchi, Mario Carpo, Pierre Caye, Claude Mignot, Werner Oechslin et Pascal Dubourg Glatigny

Travaux

Titien. Actualité des études Guillaume Cassegrain

L’histoire de la tapisserie, 1500-1700. Trente-cinq ans de recherche Pascal-François Bertrand et Guy Delmarcel

Actualité

Histoires de famille Giovanni Careri

Pour le dessin du Seicento en France Simonetta Prosperi Valenti Rodinò

Philippe de Champaigne, entre monographie et catalogues d’expositions Stéphane Loire

Le Siècle des lumières en Pologne Andrzej Rottermund

L’enseignement du dessin en France au XVIIIe siècle Christophe Henry

Choix de publications Perspective

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Ouvrages reçus

XIXe siècle

Débat

Pour un autre XIXe siècle : l’Ottocento Giovanna Capitelli, Stefano Grandesso, Fernando Mazzocca et Sandra Pinto

Travaux

La peinture en Allemagne au XIXe siècle. Religion et politique : les Nazaréens et l’école de Düsseldorf France Nerlich

Actualité

Pygmalion ou le pouvoir du mythe Cédric Lesec

Muséologie, catalogues et classification : l’art du XIXe siècle en Espagne Matteo Lafranconi

Traduire Semper : philologie et idéologie architecturales Michael Gnehm

Nation, identité, histoire de l’art : nouvelles recherches sur l’Allemagne et l’Europe de l’Est Michela Passini

Choix de publications Perspective

Ouvrages reçus

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Mélancolie et histoire de l’art

Michael Ann Holly

NOTE DE L’ÉDITEUR

Les textes de langue française ont été cités par l’auteur dans leur traduction anglaise. Pour tous, leur édition d’origine a pu être identifiée, mais le texte français original n’a pu toujours être retrouvé.

1 Quelle est la force qui pousse les historiens de l’art à écrire ? Quels types de liens se tissent entre les chercheurs et les œuvres ? Quel besoin irrépressible l’histoire de l’art, en tant que discipline, assouvit-elle, pour les individus comme pour les institutions ? Il est plus difficile que jamais pour les historiens de l’art d’appréhender le passé comme révolu face aux objets dont la matérialité est exacerbée par la perte de leur univers propre, mais qui réapparaissent sans cesse dans de nouveaux contextes. Tous ceux qui étudient l’art sont confrontés à ces innombrables vestiges du passé, véritables fragments de temps. Que faire de ces objets orphelins ?

2 Je propose de considérer la mélancolie comme le trope fondamental présidant à l’écriture de l’histoire de l’art, le concept qui sous-tend les textes ainsi produits. Si l’on entend par mélancolie non pas une humeur, comme au Moyen Âge ou à la Renaissance, mais une métaphore et un concept servant à éclairer le XXe siècle, sans doute peut-elle nous aider à appréhender le caractère élégiaque des échanges que nous avons avec le passé dans le cadre de notre discipline. Mon idée de départ est que l’histoire que nous écrivons n’est autre que le récit d’un désir, plein de besoins latents ou plus pressants qui vont bien au-delà de la mission scientifique consistant à connaître des événements et à les dater. Étant donné que l’histoire de l’art vise à recouvrer ce qui a été perdu, il semble logique de qualifier ce désir primordial de mélancolique. Les œuvres d’art coexistent dans l’espace avec ceux qui les étudient, mais leur temporalité ne correspond que très peu à la nôtre – c’est un fait dont nous sommes profondément

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conscients. Ainsi n’avons-nous de cesse de nous familiariser avec ce qui demeure inconnu. Cette modalité élégiaque d’écriture laisse apparaître ce que Giorgio Agamben appelait une « perte dont l’objet n’est pas perdu »1 – le mal mélancolique par excellence, une situation où l’objet est « à la fois possédé et perdu ». En tant que chercheurs, nous chassons sur les terres du paradoxe, et ce paradoxe nous aiguillonne tout autant qu’il nous paralyse.

3 Il est nécessaire, pour comprendre les pulsions qui animent notre discipline, de nous tourner vers la psychanalyse. Existe-t-il un « inconscient » de l’histoire de l’art ? Dans quelle dimension de l’espace, ou du temps, se niche-t-il ? Se cache-t-il dans les profondeurs obscures de notre profession, ou bien tout à fait ailleurs ? L’inconscient hante-t-il pour toujours l’histoire de l’art, et la conscience que nous avons de notre mélancolie jette-t-elle une ombre sur notre travail ? Avons-nous affaire à l’autre face du cube de Necker, qui nous montrerait soudain une facette différente de notre volonté d’étudier ces objets évanescents, objets qui, tels des orphelins, nous viennent de l’inconnu, mais réclament à présent tous nos soins et toute notre attention ?

4 Certes, il existe d’autres disciplines qui traitent d’objets appartenant au passé, mais l’histoire de l’art invite à la mélancolie de façon particulièrement concrète. Les œuvres d’art avec lesquelles les historiens de l’art ont commercé proviennent de mondes disparus depuis bien longtemps, et notre devoir est de prendre soin de ces épaves et de leur instiller une vie nouvelle. Comme l’écrit Martin Heidegger : « On ne peut pas lutter contre le progrès, ni contre la décadence du monde. Les œuvres d’art ne sont plus celles qu’elles ont été. Certes, ce sont elles que nous voyons, mais elles ne sont plus »2. « Les sciences humaines, affirmait Panofsky pour les distinguer des sciences dures, n’ont pas pour tâche de conserver ce qui est voué à disparaître, mais de donner vie à ce qui serait autrement voué à la mort »3. La matérialité des objets en témoigne. L’œuvre d’art nous fait face dans sa « choséité », comme dirait Heidegger, puisqu’elle est « accrochée au mur comme un fusil ou un chapeau »4. Cependant, la substance même des liens qu’elle a noués avec le monde qui l’entourait s’est corrompue.

5 Il est vrai que certains objets, comme le manuscrit original d’Othello de Shakespeare, ou un des rouleaux de la mer Morte venant d’être découvert, peuvent, si l’on a la chance de les tenir entre nos mains, nous jeter dans le même état de mélancolie. Il en est de même pour une partition originale de Bach. Le plus souvent, d’ailleurs, notre contact avec ces œuvres orphelines se limite à des reproductions, des rééditions, des réimpressions et des représentations posthumes. Pour être originale, une œuvre d’art doit exister dans le même espace-temps que nous, même s’il s’agit du contexte artificiel d’un musée. Sa présence physique nous invite à réagir à elle par l’intermédiaire de notre corps. Le passé est métonymiquement lié au présent, de par la matérialité de ce qui en subsiste. Ainsi, les musées, qui écrivent eux aussi, à leur façon, l’histoire de l’art, sont des lieux « où les objets défunts, avec l’aide des vivants, accèdent à une vie après la mort »5. Les ouvrages et les articles que nous écrivons témoignent du soin que nous prenons, en tant que professionnels de l’histoire de l’art, à étudier ces objets ; mais d’où nous vient, en premier lieu, le désir d’écrire ? Il est fort probable que la conscience toute mélancolique que nous avons du temps qui passe, de même que l’absence de tout repère pour ces objets en exil, piquent notre orgueil d’historiens et nous font, dans le même temps, refouler cette perte de repères6.

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6 On peut sans doute définir de bien des façons ce qu’est l’« inconscient » de l’histoire de l’art, mais j’aimerais m’intéresser à une seule de ces acceptions. Nous nous efforçons de conserver, étudier, exposer le passé, et nous lui consacrons des textes, parce que nous ne pouvons nous résoudre à ce qu’il disparaisse. Nous sommes confrontés à l’art du passé, mais la société et l’univers dont il est issu ont disparu il y a bien longtemps. Que faire de ces œuvres orphelines ? La recherche n’est rien d’autre qu’un mécanisme de défense érigé contre le fait que dans ces objets, tout nous échappe, hormis leur présence immédiate. Maurice Blanchot dit que l’écriture a pour but de jeter des passerelles au-dessus du vide, mais que, ce faisant, elle met en évidence l’absence générée par le temps : « Tout ce qu’il [l’auteur] peut vouloir dire ne sert à rien. Le monde, les objets, le savoir, ne sont pour lui que des repères dans le vide »7. En d’autres termes, l’écriture reflète la distance entre passé et présent en interposant la membrane opaque du langage. Si ce genre de mélancolie constitue le fondement même de l’histoire de l’art, quelles sont les dynamiques sociales et politiques qui viennent la réprimer ? Bref, quelle est cette chose qui pousse les historiens et les conservateurs à refouler cette esthétique de la perte, et les pulsions qui motivent la recherche ?

7 La recherche en sciences humaines, ces dernières années, a connu de grands débats visant à distinguer la notion de présence de celle de signification, les domaines de l’affectivité et de l’objectivité, la phénoménologie et l’herméneutique8. Il me semble – et cette idée me vient de la psychanalyse – que l’on peut mieux comprendre l’histoire de l’art à l’aide de ce trope de la mélancolie. Bien entendu, la mélancolie ne se limite pas à la perte et à la tristesse qui s’ensuit ; comme nombre de penseurs et artistes l’ont compris, elle enrichit la création, mais elle appauvrit la pensée. Les chercheurs dont les textes sont les plus poétiques sont ceux qui s’efforcent de redonner vie à l’œuvre d’art.

8 Les œuvres contemporaines sont presque aussi éloignées de ceux qui les étudient que ne le sont celles du passé, puisque bien évidemment, toute tentative de traduction de l’image en langage est vouée à l’échec. Ainsi l’art contemporain n’est-il jamais pleinement avec nous – une trop grande part appartient au passé, et le reste est absorbé par l’avenir.

9 En se penchant sur sa vie passée – ou en faisant des recherches historiques –, on finit par comprendre qu’un point de vue rétrospectif peut avoir des effets positifs autant que négatifs. Tout un ensemble de faits et d’événements – des drames imprévus, des non-dits, des aventures sans épilogue – se tiennent à l’affût, tout près de nous, et nous pressent de leur accorder toujours plus d’attention, davantage parfois que ce que nous en pouvons supporter. Toutefois, on trouve dans ce travail de mémoire, même imparfait, un réconfort qui va au-delà des mots qui d’ordinaire nous apaisent. Chacun des regards que nous jetons vers le passé est hanté par le spectre du souvenir, mélange de douces pensées et de cauchemars. Pourquoi sommes-nous, dans la vie comme dans notre travail de recherche, toujours poussés à aller de l’avant ? Peut-être parce que nous savons qu’une parcelle d’authenticité, des vestiges de richesses passées survivent, à travers leurs restes matériels, dans notre main ou accrochés aux cimaises des musées. Le temps, ainsi condensé, comprimé, concentré et consommé, est soluble dans l’espace.

10 Les objets, qu’ils soient manufacturés ou naturels, ne se limitent pas à leur matérialité ou à leur origine naturelle. Concentrant en eux autant de vies qu’il y a eu de personnes pour les chérir ou les abandonner, et littéralement animés par ces vies, les objets ont une existence dans l’au-delà tout aussi riche que la nôtre. On peut donc sans hésiter attribuer une âme à une pierre, une feuille morte, une broderie en lambeaux ou une

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peinture religieuse du Trecento. La pensée animiste qui a germé au sein de tant de religions, à des endroits et à des époques si variés, est souvent oubliée, voire reniée, au nom d’une recherche historique plus académique.

11 Où cette âme invisible se dissimule-t-elle ? Quels recoins hante-t-elle ? Et comment faire pour l’y trouver ? Nos oreilles ne peuvent entendre son murmure, ni nos yeux avides surprendre ses apparitions. Mais nous savons qu’elle est là, grâce au trouble dans lequel nous jette sa présence muette. Nous n’en avons pas assez dit, peut-être, ou nous n’avons pas su prononcer les mots magiques pour la faire apparaître. Aussi résistantes et riches de connaissances que puissent être les toiles tissées par les historiens de l’art avec leur langage, il demeure toujours en cette âme quelque chose d’insaisissable. C’est son autonomie qui permet au pictural d’échapper à toute définition verbale, voire de défier le langage. Ce défi, nous le percevons intuitivement, et tous les historiens de l’art le connaissent, mais nous préférons souvent l’ignorer, obnubilés que nous sommes par les autres formes de connaissance dont nous disposons. L’ironie du sort veut que les effets de ce pouvoir esthétique se fassent uniquement sentir chez les spectateurs, c’est-à-dire nous-mêmes. Et l’impuissance qui en résulte est perceptible dans le style compassé des textes de vulgarisation sur l’art.

12 Il n’y a, cependant, rien que l’on puisse reprocher à cette quête de sens. L’interprétation, sous toutes ses formes, constitue le fondement même de notre manière de vivre et de travailler. Comprendre, percevoir, maîtriser – telles sont les opérations cognitives sans lesquelles les chercheurs ne pourraient ni enseigner, ni écrire, ni même exposer des œuvres. Certains brillent particulièrement dans ce genre d’exercice, d’autres se contentent d’abattre la besogne, tandis que d’autres enfin demeurent perpétuellement insatisfaits.

13 Mais là n’est pas mon propos. Ce que j’aimerais montrer, c’est que nous autres historiens de l’art, tels des trouvères ou des bardes, devons nous efforcer de saisir quand et où l’interprétation n’a plus cours, là où rien ne peut être dit, cet instant soudain où nous ressentons combien l’intelligence humaine est limitée, face à des objets qui dépassent l’entendement.

14 Quel nom donner à cet état de fait – présence, révélation esthétique ? Les lignes qui précèdent représentent une tentative, sous forme d’éditorial, de démontrer que l’art ne saurait être réduit à ce que nous appelons, faute de mieux, « histoire ». Lorsque nous nous trouvons face à une œuvre d’art, nous la voyons se dresser devant nous, tout droit venue d’une autre époque. Nous savons ce qui nous échappe mais, en tant qu’historiens, nous ne pouvons nous contenter de le savoir. Nous préférons réinvestir cette conscience mélancolique dans les joies de la recherche, avec l’espoir de pouvoir « recréer ce qui fut créé », pour reprendre l’injonction de Panosky. On peut en effet considérer la mélancolie comme une source d’inspiration pour l’interprétation des œuvres, voire comme la force primordiale qui pousse l’âme et le corps vers l’histoire de l’art. Cependant, lorsque cette mélancolie suit son cours souterrain, à notre insu, elle ravive nos frustrations. Elle est donc capable de paralyser la recherche dans notre discipline, et ce de bien des manières.

15 L’expression poétique du désir, la certitude que nous ne comprendrons jamais tout, viennent grossir les flots de la noire bile de la mélancolie et, par une mystérieuse alchimie, en font la plus sombre des encres, selon la formule si évocatrice de Baudelaire9. Ces belles orphelines que sont les œuvres d’art font prendre vie aux écrits

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des historiens, d’une part parce qu’elles sont « vivantes » et, d’autre part, parce qu’elles ne sont plus. La mélancolie est ce qui donne son âme à notre discipline.

NOTES

1. Giorgio Agamben, Stanzas : Word and Phantasm in Western Culture, (Theory and History of Literature, 69), Minneapolis, 1993, p. 20-21 [Stanze: la parola e il fantasma nella cultura occidentale, Turin, 1977] ; trad. fr. : Stanze : parole et fantasme dans la culture occidentale, , 1981. 2. Martin Heidegger, « The Origin of a Work of Art », dans Poetry, Language, Thought, , 1971, p. 41 [« Der Ursprung des Kunstwerks », conférence, Fribourg, 1935] ; édition bilingue all./ fr. : De l’origine de l’œuvre d’art, Emmanuel Martineau éd., s. l., 1987. 3. Erwin Panofsky, « The History of Art as a Humanistic Discipline », dans Meaning in the Visual Arts: Papers in and on Art History, Garden City [N.Y.], 1955, p. 24 ; trad. fr. : « L’histoire de l’art est une discipline humaniste », dans L’œuvre d’art et ses significations. Essais sur les « arts visuels », Paris, 1969, p. 27-52. 4. Heidegger, 1971, cité n. 2, p. 19. 5. Robert Harrison, The Dominion of the Dead, , 2003, p. 39 ; trad. fr. : Les morts, Paris, 2003. 6. Les thèmes de la perte et du deuil sont très présents dans tout un pan de la théorie post- structuraliste française ; voir pour exemple les œuvres de Barthes, Lacan, Kristeva, Derrida. 7. Maurice Blanchot, The Station Hill Blanchot Reader: Fiction and Literary Essays, Barrytown [N.Y.], 1998, p. 345 [De l’angoisse au langage, Paris, 1943]. 8. Hans Ulrich Gumbrecht, Production of Presence: What Meaning Cannot Convey, Stanford, 2004. 9. Jean Starobinski, La mélancolie au miroir : trois lectures de Baudelaire, Paris, 1989. Cela revient à évoquer le souhait émis par Derrida, dans le texte « Circumfession », qu’un jour il puisse écrire avec une seringue plutôt qu’un stylo, de sorte qu’il suffise qu’il trouve la veine et qu’il laisse l’écriture couler toute seule (The work of mourning, Pascale-Anne Brault, Michael Naas éd., Chicago, 2001, p. 7).

INDEX

Keywords : melancholy, writing, art history, concept, psychoanalysis, objects Mots-clés : mélancolie, écriture, histoire de l'art, concept, psychanalyse, objets

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Période moderne

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Période moderne

Débat

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La littérature artistique : textes et éditions

Barbara Agosti, Jan Blanc, Elizabeth Cropper et Ulrich Pfisterer

NOTE DE L’ÉDITEUR

Ce texte résulte de l’envoi des six questions aux participants et d’un échange de courriels.

1 Vies d’artistes, traités théoriques, ekphrasis, mais aussi guides de voyages, éloges (académiques ou non) ou discours rhétoriques sur les arts, tout ce qu’il est convenu d’appeler, depuis Julius von Schlosser, la littérature artistique, connaît un succès croissant, tant auprès des historiens de l’art que des littéraires. Ces textes, dont la fortune réside parfois aussi dans la qualité de la langue, peuvent devenir des ouvrages grand public, des écrits soumis à une critique philologique pointilleuse, ou encore s’ouvrir aux méthodes récentes d’analyse textuelle. Leur édition change : aux publications érudites du XIXe siècle, parfois encore diffusées sous la forme de reprints, qui soulignaient leur statut de document, ont fait suite des éditions critiques, qui s’attachent à mettre au jour les présupposés idéologiques qu’incidemment ils diluent. Plus récemment, des monographies ont été consacrées à ces ouvrages, souvent fondateurs de l’histoire de l’art dans tel ou tel pays, et sur leurs discours. Les publications électroniques viennent amplifier, diversifier, démultiplier ce paysage de l’édition, depuis la simple numérisation en mode image à l’élaboration de systèmes perfectionnés pour susciter d’autres lectures.

2 Cette abondance de matériau relevant de l’ordre du langage et non de l’apparence visuelle, beaucoup plus facilement disponible qu’auparavant, est-elle en train de faire évoluer la discipline de l’histoire de l’art, ou tout au moins ses pratiques ? Cet intérêt pour l’écrit est contemporain d’un rapprochement de l’histoire de l’art avec les sciences humaines et l’a sans doute nourri. Mais les traductions et les multiples utilisations de ces textes transforment peut-être leur statut : de textes sources ils

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risquent de devenir un schéma de références que les historiens, consciemment ou inconsciemment, reproduisent et appliquent dans leurs analyses [O. B.].

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Perspective. Depuis une génération, les éditions de textes de la littérature artistique se multiplient et deviennent plus complexes et plus fournies. Les éditions anastatiques sont ainsi remplacées par des éditions commentées, voire des traductions. Comment expliquez-vous cet intérêt ? Elizabeth Cropper. Cet intérêt s’est développé depuis plus d’un siècle. Avant même le manuel de Julius von Schlosser (augmenté ensuite par Otto Kurz)1 qui avait établi l’importance fondamentale d’une vaste gamme de sources pour l’histoire de l’art – et non uniquement les textes les plus célèbres provenant des académies2 et des cours, mais aussi les sources régionales comme les histoires de ville3 ou les guides4, voire les sources dérivées, tels que des éloges funèbres5 ou les recueils d’écrits sur une œuvre6. Je pense que l’intérêt de la dernière génération pour ces textes a beaucoup à voir avec la reconnaissance de l’importance de la critique artistique et en particulier avec l’impact du travail imaginatif et méthodique de Michael Baxandall7. Bien avant lui, beaucoup d’auteurs du XXe siècle explorèrent les interrelations des textes et des images, mais Baxandall utilisait des types de textes complètement différents, dont certains auraient sans aucun doute surpris Schlosser. La réimpression anastatique était un phénomène intéressant dans les années 1960 et au début des années 1970. Il était en partie inspiré par le désir démocratique d’une meilleure accessibilité aux sources, mais Giovanni Previtali y a aussi vu à l’œuvre une combinaison négative de facteurs économiques et idéologiques. De tels livres étaient bon marché à produire et requéraient peu de travail intellectuel. Eugenio Battisti, par exemple, considérant que l’absence d’une édition des Vite de Giovanni Pietro Bellori avait « pratiquement paralysé les études sur le XVIIe siècle », en publia une édition en 1968, mais pour Previtali, cette production d’une transcription non critique était un hybride sans avenir8. Et ce n’est pas par hasard que l’édition scientifique de Bellori, avec une longue introduction critique par Giovanni Previtali et un riche appareil de notes et d’index par Evelina Borea, a pris des années à être réalisée9. Ulrich Pfisterer. Le « déclic » pour ce développement semble d’abord être la prise de conscience du « pouvoir de la langue », comme le postulait le linguistic turn depuis les années 1960. Aussi, dans le cadre d’un intérêt nouveau porté à une histoire de la perception et des catégories esthétiques (dont témoignent les travaux de Baxandall et notamment la notion d’œil ou d’expérience visuelle liée à une période ou un contexte), les études sur les sources écrites et les genres tels que la biographie ou l’ ekphrasis, en partie récemment redécouverts et réinterprétés, étaient indispensables. Dans le prolongement des révolutions épistémologiques liées au mouvement de 1968, l’exigence d’une histoire de la discipline et de ses catégories constitutives s’est également intensifiée. À partir des années 1990, un facteur important, bien que plus récent, pourrait alors paradoxalement être le remplacement du linguistic par le pictorial/iconic turn10. En effet, ce nouvel intérêt de beaucoup de disciplines pour « l’image » stimule le besoin d’une littérature artistique traduite et commentée et rend également attirantes pour les sciences humaines les éditions de sources de l’histoire de l’art. Enfin, la structure actuelle de la recherche en histoire de l’art joue

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certainement aussi un rôle : dans des champs thématiques toujours plus âprement disputés, l’étude des sources ouvre une « niche » de spécialisation, négligée pendant longtemps, qui bénéficie de plus, par l’exigence de compétences philologiques définies, d’une protection quelque peu restrictive. Jan Blanc. Cette spécialisation, tant technique qu’académique, est évidemment nécessaire. Les textes et les discours qui composent ce que nous appelons, faute d’un appareil conceptuel mieux pensé, la « littérature artistique », sont des structures complexes. Leurs règles et leurs contraintes de fonctionnement sont littéraires, rhétoriques et sociales. Elles obligent donc à les considérer de façon historique et à ne pas se contenter d’une édition a minima. Les quinze Discours de Joshua Reynolds ont été prononcés en l’espace de vingt et un ans : une édition non critique, comme celle de Louis Dimier (1909), reprise par l’ENSBA dans la réédition de 1991, ne permet pas une bonne compréhension (pour une part circonstancielle) des textes, présentés sous la forme artificielle d’un traité unifié11. À l’inverse, les commentaires de Robert R. Wark (1959) ont conduit à une meilleure contextualisation de ces textes, ce qui explique d’ailleurs le succès et les rééditions de cet ouvrage12. J’aimerais ajouter que, si ces textes ne doivent pas être réduits, naïvement, à des guides de lecture, ils ne sont pas davantage destinés à devenir les outils – j’allais dire : les pré-textes – d’une esthétique sans objet. Ces précautions devraient justifier la présence systématique d’un appareil critique approfondi, qui inclut une introduction, des commentaires, des notes, ainsi qu’un index onomastique et conceptuel. Cet appareil, parfois lourd, me semble permettre, paradoxalement, d’arracher le texte à la vaine érudition, car il facilite l’accès du lecteur à son contenu – à son « décodage » – et à son éventuelle réutilisation. Barbara Agosti. Les éditions anastatiques sont un instrument utile, en tous les cas moins risqué que les mauvaises éditions commentées, mais impliquent un degré de responsabilité et d’engagement historiographique et critique relativement mineur, et de mon point de vue, demeurent un dernier recours, ou dans de rares cas un raffinement liée à des circonstances particulières. Je viens d’une formation d’études classiques, de base humaniste et de plus, de l’école de Paola Barocchi, donc d’une tradition dans laquelle l’idée que la réédition, la re-proposition d’un texte comporte et implique tout un champ complexe de travaux, sur et autour du texte lui-même. Je ne pourrais cependant pas dire que les nouvelles éditions de sources soient plus riches en règle générale, plus subtiles ou plus rigoureuses que tant d’éditions « historiques », au contraire, je distinguerais plutôt au cas par cas, parce qu’il n’est pas rare que les choses aient été inversées.

Perspective. Les éditions de textes anciens se multiplient, mais pensez-vous que la méthode, le questionnaire, la réflexion sur comment utiliser ces documents aient fait beaucoup de progrès depuis l’édition, par exemple, des Vite de Bellori par Giovanni Previtali et Evelina Borea ou l’édition de Vasari par Paola Barocchi13 ? Barbara Agosti. Non. Les éditions critiques des textes de la littérature artistique qui pour moi et pour ma génération ont été un modèle l’ont été grâce à l’intelligence et à la profondeur des questions qu’ils posaient à ces textes aussi bien qu’aux sources les plus variées, pour la compréhension historique des faits figuratifs ; de plus,

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aujourd’hui prévaut, sauf exception, une attitude purement néopositiviste et quantitative à l’égard des documents. C’est la qualité de l’interpellation qui a effroyablement chuté. Si je réfléchis aux exemples qui, dans les dernières années, me sont apparus particulièrement importants pour leur cohérence de méthode et la force de la critique, il ne m’en vient à l’esprit que deux, très différents entre eux : le corpus de sources raphaélesques dirigé par John Shearman (2003)14 et la traduction italienne de la correspondance entre Vincent Van Gogh et Émile Bernard dans une édition commentée dirigée par Maria Mimita Lamberti (2006)15, tandis qu’il faut bien dire que dans le domaine des éditions de sources historico-artistiques récentes on a pu voir, en Italie, des ouvrages vraiment mauvais. La philologie, alors même qu’elle est soi-disant vénérée, est souvent malmenée et les différentes compétences, plutôt que d’être mises profitablement en dialogue entre elles sous le profil de la méthode, tendent à être éludées ou surévaluées : les résultats témoignent de ces singulières négligences intellectuelles. Jan Blanc. Elizabeth Cropper a raison, je crois, de rappeler le scepticisme de Previtali : le succès éditorial de la « littérature artistique » n’est peut-être pas une très bonne nouvelle. Depuis l’édition de Cecil Grayson, en 1972, une traduction ou une édition du De pictura de Leon Battista Alberti a été publiée, en moyenne, tous les cinq ans (voir encadré). Si ces études permettent – c’est un point essentiel – de faciliter la diffusion de textes majeurs, apportent-elles toutes quelque chose de nouveau ? Pour des raisons commerciales et scientifiques, les savants et les éditeurs se concentrent sur les textes canoniques et les langues les plus courantes. Les théories de l’art espagnoles, néerlandaises et néo-latines sont les parents pauvres de notre discipline. Et si les éditions les plus récentes peuvent être discutées et critiquées, je serais déjà heureux qu’elles constituent des références pour les auteurs actuels. Car, et je serai là en accord avec les réserves exprimées par Barbara Agosti, pour un travail de fond tel que l’édition et la traduction du De Pictura d’Alberti proposées par Thomas Golsenne et Bertrand Prévost (2004), combien de notes paresseuses et d’introductions indigentes ? Le succès de la « littérature artistique » (comparable, sous bien des aspects, à un phénomène de mode ou au symptôme d’une histoire de l’art incapable de renouveler ses méthodes) devrait nous inciter à faire preuve de plus d’exigence scientifique en la matière.

Encadré : Bibliographie des rééditions du De Pictura d’Alberti depuis 1972.

1972, éd. latine et trad. anglaise : On painting and On sculpture The Latin texts of De pictura and De statua, Cecil Grayson éd., Londres, 1972. 1973, éd. latine et trad. italienne : De pictura, dans Opere volgari, vol. III, Cecil Grayson éd., Bari, 1973, p. 7-107. 1975, éd. latine et trad. italienne : De pictura, Cecil Grayson éd., Rome, 1975 [reprint légèrement modifié de l’édition de 1973]. 1976, trad. espagnole : Sobre la pintura, Joaquim Dols Rusinol éd., Valence, 1976. 1983, trad. française : De la peinture de Leon Battista Aberti, Rémy Zaugg, Alexandre Lukinovitch, Michèle Zaugg éd., Genève, 1983 [à partir de la traduction italienne de Lodovico Domenichi, Venise, 1547]. 1988, trad. italienne : La pittura, Sala Bolognese, 1988 [reprint de la traduction de Lodovico Domenichi, Venise, 1547]. 1991, trad. anglaise : On painting, Cecil Grayson éd., Londres, 1991 [réed. 2007].

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1992, trad. française : De la peinture, Jean-Louis Schefer éd., Paris, 1992 [réed. 1995]. 1996, trad. néerlandaise : Over de schilderkunst, Lex Hermans, Caroline van Eck, Robert Zwijnenberg éd., , 1996. 1996, trad. suédoise : Om mâlarkonsten [De pictura/Della pittura], Sölve Olsson éd., Stockholm, 1996. 1997, éd. italienne et trad. hongroise : A festészetröl, Della pittura, 1436, Gàbor Hajnoczi éd., Budapest, 1997. 1998, trad. finnoise : Maalaustaiteesta, Helsinki, 1998. 1999, trad. espagnole : De la pintura y otros escritos sobre arte, Roció de la Villa éd., Madrid, 1999. 1999, trad. anglaise : De Pictura, Susan Allix éd., Londres, 1999 [traduit à partir de la traduction italienne de Cecil Grayson]. 2000, trad. allemande et éd. latine : Das Standbild, die Malkunst, Grundlagen der Malerei, Oskar Bätschmann éd., Darmstadt, 2000. 2000, trad. danoise : Om Billedkunst [De pictura], Lise Bek éd., Copenhague, 2000. 2002, trad. allemande : Über die Malkunst [Della pittura], Oskar Bätschmann, Sandra Gianfreda éd., Darmstadt, 2002. 2004, éd. latine, éd. italienne, trad. française : La peinture, Thomas Golsenne, Bertrand Prévost, Yves Hersant éd., Paris, 2004. 2004, éd. latine : De pictura, dans Antonio Somaini éd., Rappresentazione prospettica e punto di vista : da Leon Battista Alberti ad Abraham Bosse, Milan, 2004, p. 124-185. 2006, éd. latine, éd. italienne, trad. anglaise : Il nuovo « De pictura » di Leon Battista Alberti = The new « De pictura » of Leon Battista Alberti, Rocco Sinisgalli éd., Rome, 2006. 2007, trad française : De pictura, Danielle Sonnier éd., Paris, 2007.

Elizabeth Cropper. Paola Barocchi et Giovanni Previtali ont tous les deux vu que les textes critiques étaient plus souvent consultés que lus (les index ont souvent été les seules additions). Previtali s’inquiétait qu’ils aient été faits pour servir un besoin d’« information objective », au prix d’incompréhensions historiques : le lecteur « anglo-saxon », en particulier, était disposé à passer par-dessus les aspects interprétatifs ou polémiques du texte, considérant cela « subjectif », « contingent », et tellement « non scientifique ». Ses craintes sont toujours d’actualité et celles exprimées par Barbara Agosti sont donc justifiées. Barocchi a ouvert de nouvelles voies d’accès pour l’édition des textes en les mettant en ligne et en les rendant consultables à partir de recherches par mots-clés. Son site internet www.memofonte.it est une ressource riche et un modèle pour les autres, tout comme le travail qui a été fait à la Scuola Normale à Pise et au Max-Planck-Instituts en Italie, par exemple. Nous commençons juste à comprendre le potentiel de toutes ces nouvelles ressources pour le travail d’interprétation. Ulrich Pfisterer. Les changements par rapport aux années 1970 sont évidents. À mon avis, on peut constater ces progrès interprétatifs avant tout dans trois domaines. Tout d’abord, les analyses des topoi, des structures rhétoriques et des lois des genres littéraires (en particulier dans les biographies) bénéficient d’un outillage intellectuel beaucoup plus étendu et sont devenues beaucoup plus nuancées. Par ailleurs, en rapport avec cette complexification de l’analyse, les explorations de l’autostylisation des artistes et de l’introspection de l’art (c’est-à-dire la théorie des arts et des artistes

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transmise visuellement, par les œuvres) sont devenues des thématiques fondamentales au cours de ces deux dernières décennies16. Enfin, l’élargissement notable du concept de « littérature artistique » permet d’aller au-delà du canon que Schlosser avait défini, de poser des nouvelles questions et de contextualiser de manière novatrice les textes, même déjà connus, par exemple en vue d’une histoire du regard ou d’une histoire des catégories esthétiques. Nous sommes désormais dans une bien meilleure situation pour évaluer la diversité des fonctions, la pluralité des niveaux artistiques et esthétiques, des théories de l’art ayant cours à la Renaissance et à la période baroque ; ainsi incluons-nous désormais la poésie et la littérature, les écrits théoriques de l’époque, les textes religieux, les encyclopédies, les inscriptions imprimées, pour essayer de comprendre l’œil de la période.

Perspective. En effet, par rapport à Schlosser, la catégorie « littérature artistique » s’est considérablement élargie, et souvent la réflexion actuelle porte sur des textes plus littéraires (voir par exemple les travaux d’Ezio Raimondi ou de Marc Fumaroli17) ou qui décrivent des œuvres imaginaires. Cette évolution est-elle spécifiquement liée à la littérature italienne et française ? Comment peut-on l’intégrer à l’approche des textes plus spécifiquement écrits dans un contexte d’histoire de l’art, tel qu’il s’est peu à peu mis en place depuis Giorgio Vasari, ou de critique d’art ? Ulrich Pfisterer. Pour toute une série de questions sur l’art et les artistes – par exemple à propos des catégories de la perception, de l’esthétique, sur une fonction ou le contexte d’une œuvre ou d’un discours, sur le prestige ou le statut social de l’artiste, etc. –, le fait de savoir s’il s’agit d’expressions écrites de « faits » de la « littérature artistique » au sens le plus strict du terme ou de fictions dans des textes plus littéraires n’est pas vraiment déterminant. Justement, des catégories de texte à l’extérieur du périmètre de la Littérature artistique de Schlosser peuvent fournir des données ou des explications sur la géographie et les stades de la diffusion du savoir biographique, comme de la théorie artistique. Pourtant le danger de la catégorie « littérature artistique », telle que Schlosser l’entendait, ne réside pas seulement dans l’absence de prise en compte des textes littéraires, mais aussi dans le fait d’établir une fausse frontière entre la « littérature artistique » et le discours théorique et scientifique « propre » à l’histoire de l’art, qui se constitue à partir de 1800 environ, alors qu’à bien des points de vue les catégories de perceptions et d’évaluations de la Renaissance et du Baroque perdurent partiellement encore à l’époque contemporaine. Jan Blanc. Il faut certainement faire feu de tout bois, mais éviter aussi que la « littérature artistique » ne devienne elle-même un genre littéraire, où il s’agit de se faire plaisir en exhumant telle source inconnue ou tel poème admirablement écrit. La qualité littéraire ou intellectuelle d’un texte importe peu, dès lors qu’il exprime, d’une façon ou d’une autre, un discours réfléchissant sur les œuvres d’art. Certaines conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture sont difficiles à suivre, tant sur le plan de la langue que de la pensée ; celles de Michel Anguier, par exemple, souvent techniques, sont confuses et nécessitent un temps de lecture bien supérieur à celui d’un livre d’André Félibien ou de Roger de Piles18. Mais ces difficultés de lecture nous renseignent sur la culture et la pensée des artistes qui s’expriment. Les historiens de l’art sont presque tous des universitaires, des doctes. Or ils oublient souvent que ce n’est pas le cas de la plupart des artistes qu’ils étudient – y compris

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des moins ignorants, comme Rubens ou Poussin. Reprocher à ces praticiens une pensée non systématique, erratique ou nourrie au fonds commun des topoi, c’est plaquer sur elle un mode de pensée qui leur est étranger. Une pensée topique n’est pas une non-pensée, comme l’a démontré Ann Moss19 et l’a rappelé à l’instant Ulrich Pfisterer. En étudiant les discours des artistes sur les œuvres – ce que l’on devrait proprement appeler la « théorie de l’art » –, il s’agit aussi de reconstituer des outillages mentaux dont la logique n’est pas celle de la science (il faudrait, sur ce point, relire Hans-Georg Gadamer20…). Barbara Agosti. L’acquisition de nouvelles sources effectivement utiles à l’histoire de l’art est à mes yeux également un indiscutable enrichissement, quelle que soit leur nature (littéraire, documentaire, historiographique…), cependant j’observe avec appréhension les dérives vers l’esthétique, vers les interprétations d’ordre philosophique ou majoritairement historico-social arrachées ainsi à la spécificité de l’histoire de l’art comme discipline, qui demeure ancrée à la lecture du langage stylistique des œuvres et sur l’effort de leur classement chronologique correct. Je crois que dans cette direction, la contribution fournie par le travail sur les textes peut être d’une extrême importance, mais le problème de la qualité des demandes qui leur sont posées est ici remis en jeu. De ce point de vue, l’édition critique des Rabisch de Giovan Paolo Lomazzo (1589), source cruciale pour le domaine du maniérisme de l’Italie septentrionale, qui a été dirigée en 1993 par un grand historien de la littérature, Dante Isella, se distingue comme une véritable leçon21. Je pense également à l’article de Mina Gregori de 1950, « Ricordi figurativi di Alessandro Manzoni » [Souvenirs figuratifs d’Alessandro Manzoni], qui demeure toujours aussi riche d’ouvertures et de suggestions, justement parce qu’il naissait d’un rapport viscéral avec le Seicento lombard et sa tradition critique22. Ce n’est pas un hasard si les noms qui ressortent, même dans les questions posées, sont ceux des chercheurs majeurs, car la reconnaissance de la complexité des processus historiques et culturels dans les études d’histoire de l’art est en train de céder la place à une improvisation croissante. Elizabeth Cropper. Je ne vois pas de division significative entre la « littérature artistique » et le type des « textes plus littéraires ». Chaque texte doit être relu avec le regard convenable pour son genre et ses objectifs. Schlosser était plutôt humble à ce propos, et il s’attendait à ce que son travail soit augmenté. Il pensait que l’histoire de l’art, alors dans sa genèse, avait besoin d’être élevée au rang de science historique, et cela demandait de lire Vasari avec la même attention que Francesco Guicciardini. Il définissait son matériel comme « les témoignages littéraires au sens que leur donne l’ensemble de la discipline historique, ceux qui discutent de l’art d’une façon consciemment théorique sous son aspect historique, esthétique ou technique »23. Cependant, selon Schlosser, après l’identification des textes, leur interprétation heuristique, critique et herméneutique devait suivre24. De telles analyses ont été très peu mises en œuvre ces dernières années, excepté pour les études sur Vasari. Dans l’ouvrage de Schlosser, nous ne pouvons pas trouver le Tasse, mais nous y voyons cité Alessandro Tassoni, et certainement le poète Giambattista Marino, qui écrivait à propos d’œuvres authentiques et imaginaires. Schlosser n’excluait pas les autres textes parce qu’ils étaient trop littéraires, mais à cause de restrictions de temps et d’espace. Je pense que le faux problème auquel vous faites allusion est dû à une lointaine réminiscence de l’idée de Kunstwissenschaft, en opposition avec la Kunstgeschichte. Ernst Gombrich, par exemple, écrivait que « par la littérature

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artistique nous entendons, d’une part les anciens corpus sur l’art […] et la philosophie avant l’évolution du Kunstwissenschaft comme discipline indépendante ; et d’autre part, la littérature artistique plus récente pour autant qu’elle ne revendique pas un statut savant ou scientifique »25. Cela revient à ne pas comprendre la valeur des sources dans leurs réelles complexité et épaisseur. Le discours sur la littérature artistique n’est absolument pas exclusivement italien ou italo-français, pas plus qu’il ne peut être défini nationalement. Fernando Marias et Agustín Bustamante, par exemple, ont changé la direction des études sur le Greco avec leur publication des apostilles à l’édition de Vitruve de 1556 par Daniele Barbaro, mises au jour par leur recherche sur la réception de Vitruve aux XVIe et XVIIe siècles en Castille26. De nouveau, le globalisme de Schlosser aurait incorporé un large éventail de textes, par exemple des écrits sur l’art chinois ou japonais, qui pour la plupart sont aujourd’hui exploités pour la première fois par de jeunes chercheurs avec une très grande sophistication linguistique et habileté littéraire. L’ancien formalisme n’aurait pas requis cela. Dans les discussions sur l’art du XXe siècle aux États-Unis, pour donner un nouvel exemple, il est impossible de méconnaître les écrits, entre autres, de Clement Greenberg et Harold Rosenberg − pour ne pas mentionner les textes produits par les artistes eux-mêmes − faisant ainsi de Rauschenberg, Johns ou Warhol les nouveaux Rubens, Poussin ou Cellini27.

Perspective. À votre avis, est-il légitime, possible, de traduire des textes anciens concernant l’art ? Quel est l’apport des traductions pour l’étude et la compréhension de ces textes ? Elizabeth Cropper. Les traductions font partie de la vie culturelle artistique. Poussin lisait Ovide en traduction ; la plupart des théories artistiques générées à Florence au XVIe siècle furent stimulées par la traduction d’anciens textes philosophiques en langue vernaculaire, tels que l’Éthique… d’Aristote. La publication de la traduction par Lodovico Castelvetro de la Poétique d’Aristote en 1570 a complètement changé la nature de la représentation par la peinture elle-même et notamment de ce que l’on appelait alors les affects. Parfois, la traduction procure la seule voie pour comprendre un texte, parce que les mots peuvent être faussement familiers à quelqu’un dans sa langue maternelle, alors qu’en fait ils ont perdu leur sens : le problème ici ne se limite pas à la littérature artistique mais concerne tous les textes. Et les traductions doivent être bonnes. Il demeure surprenant, voire choquant à mes yeux qu’il n’y ait pas de bonne traduction anglaise de Vasari. Jan Blanc. Si la traduction est évidemment une trahison, c’est une saine trahison. Un ouvrage comme le Vocabulaire européen des philosophies, dirigé par Barbara Cassin, l’a montré28 : en réfléchissant sur les équivalents linguistiques de concepts-clés, nous mettons au jour des traditions théoriques, des pesanteurs historiques, des contraintes sociales et littéraires ; mais nous nous forçons aussi, si j’ose dire, à « creuser la réalité » à partir des mots. Si un peintre comme Samuel Van Hoogstraten utilise le terme (intraduisible) de houding – et non d’ harmonie, également à sa disposition – pour décrire la Ronde de nuit, c’est parce qu’il lui semble plus adapté : tenter de le comprendre, de le traduire, malgré tout, permet à rebours de mieux comprendre l’art de Rembrandt. À côté du Dictionnaire des intraduisibles, il serait à

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souhaiter que, dans un avenir proche, nous puissions, par exemple, travailler à l’édition d’une étude ambitieuse sur le jargon de métier des peintres… Ulrich Pfisterer. Vu que chaque lecture d’un texte représente en principe une forme de traduction subjective et interprétative, il me semble que l’on ne peut rien dire contre la traduction de textes littéraires. Au contraire, la traduction peut clarifier non seulement les problèmes de l’histoire des notions, mais aussi certaines structures de la formulation et de la pensée d’une langue étrangère qui peuvent influencer la perception. À cet égard, une étude systématique des traductions historiques serait intéressante (de nombreux textes anciens et contemporains au sujet de l’art sont par exemple traduits en allemand au XVIIIe siècle comme Willem Goeree, Franciscus Junius, Jean-Baptiste Dubos, William Hogarth29). Barbara Agosti. Le thème des traductions est comme toujours très délicat à manier. Il est clair que, pour autant que le traducteur puisse être sensible et expérimenté, les limites demeurent. C’est une banalité absolue mais il est cependant vrai que les Vies de Vasari ou les passages sur l’art et les artistes dans le Courtisan de Baldassare Castiglione, pour donner un exemple parmi les multiples possibles, sont aussi des pages illustres de l’histoire de la langue italienne, et donc, inévitablement, il y a une densité des valeurs critiques du lexique qui est perdue dans la traduction. Il peut bien entendu y avoir une certaine utilité instrumentale des traductions de sources, mais je pense que les potentialités historico-critiques des textes traduits ne peuvent qu’être appréciées de manière réductrice.

Perspective. Vous avez évoqué à plusieurs reprises des publications en ligne. Plusieurs sites en effet en présentent, sous différentes formes (ouvrages anciens reproduits en mode image, textes en document pdf ou en édition électronique). Quels sont à votre avis les apports de l’informatique et des publications électroniques pour l’édition de textes anciens et pour leur étude ? Peuvent-ils modifier notre lecture des textes, les enjeux de la recherche ? Ulrich Pfisterer. L’avenir des éditions de sources ne se trouve à mon avis plus que dans les publications internet. Je dirais même qu’il ne doit plus y avoir de subventions à la promotion de la recherche pour les frais d’impression des éditions de sources. Les avantages d’internet sont évidents : les textes sont en tout lieu disponibles pour la lecture ; ils peuvent être examinés, interrogés selon de multiples critères, du mot-clé encodé (un nom propre par exemple) à la recherche par chaîne de caractères qui permet de faire des recherches sur le vocabulaire descriptif, critique et esthétique ; par un document pdf, on peut combiner le texte en édition électronique et les reproductions en mode image ; les liens hypertextes avec d’autres sources et illustrations peuvent être fournis et offrir ainsi une « mise en situation » critique et visuelle du texte, etc. Et celui qui ne veut pas lire un long texte sur un écran peut facilement l’imprimer ou se faire livrer en version imprimée30. Un danger inhérent à cette procédure pourrait être que les textes seraient probablement encore plus rarement lus en entier, et seulement cités par les passages qui contiennent le critère de recherche. Ce déficit pourrait cependant être plus que compensé par le fait qu’à l’avenir, grâce à la publication internet des sources à une grande ampleur, les interactions complexes des catégories de texte liés à l’art les plus diverses seront amenées à être réellement prises en compte.

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Barbara Agosti. Je crois que les diverses typologies d’éditions électroniques de textes sont une ressource extraordinaire, mais utile et efficiente uniquement pour qui possède déjà le bagage culturel nécessaire pour les utiliser correctement. Dans le cas contraire – et ici je pense surtout aux étudiants et aux chercheurs les plus jeunes – l’extrême rapidité avec laquelle peuvent se faire les recherches de termes et de noms dans le corps même des textes peut avoir un effet boomerang. Malheureusement, la tendance à ne pas lire en entier les sources s’est déjà répandue, et encore plus celle de raisonner sur des aspects cruciaux tels que leur histoire éditoriale ancienne et moderne, ce qui induit souvent une dangereuse superficialité et une certaine approximation dans le travail analytique et interprétatif. C’est un peu un problème analogue à celui de l’appareil critique : ce n’est certes pas une règle absolue, mais je dirais cependant que les index et les tables de concordances faites « à la main » demeurent des instruments bien plus intelligents et fiables que les prétendus univers extensifs et infaillibles des dépouillements informatiques. Je mentionnerai un cas exemplaire : l’enregistrement du terme « maniera » dans les index des Vite de Vasari d’après l’édition Bettarini-Barocchi, dirigée par Paola Barocchi elle-même31, et plus généralement toute la conception des volumes de ces index de Vasari qui, bien plus que de simples index, constituent une très précieuse clé d’accès à la compréhension de l’œuvre. Un usage non convenablement conscient ni critique de la technologie informatique dans ce champ d’étude risque en fait de favoriser un processus visant simplement à l’accumulation de données. Les éditions de sources en ligne sont utiles davantage comme point de départ que comme objectif du travail et de la recherche sur les textes. Elizabeth Cropper. Le récent accroissement de l’intérêt pour les publications de textes électroniques est certainement un signe très positif, qui, par certains aspects, reflète le développement de l’acceptation des publications électroniques en général32. Comme pour la traduction, tout dépend de la qualité du travail. Malheureusement, en histoire de l’art, les critères pour de telles publications demeurent très variés, et même quand l’édition est réalisée à un très haut niveau scientifique, il y a souvent une certaine résistance dans le milieu académique pour reconnaître les publications électroniques à part égale avec les publications imprimées. Rechercher électroniquement peut être aussi réducteur que de consulter un texte uniquement à travers l’index. Les publications en ligne ne doivent pas se transformer en versions anastatiques du XXIe siècle, car ce médium offre beaucoup plus de possibilités, en particulier à travers les annotations, les mots-clés (indiqués avec le Text Encoding Initiative [TEI], par exemple), les intégrations de liens vers d’autres textes ou images, et bien plus encore. Tout ce travail demande la même recherche philologique et historique que pour les meilleures éditions imprimées, et a un coût important. La publication électronique permettra d’économiser les ressources naturelles dans un souci de développement durable, mais elle créera une demande plus complexe envers les éditeurs et suscitera une exigence scientifique plus élevée en fonction des ressources intellectuelles offertes. Les historiens de l’art devront enfin apprendre à travailler en équipe, de façon nouvelle.

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Aussi, je continue de croire en l’importance du livre dans l’économie de la lecture, dans la constante accessibilité et la lisibilité pure. Pour le Malvasia Project à la of Art, nous prévoyons par exemple de publier une série de volumes imprimés par une équipe de chercheurs, avec des textes mis en ligne a posteriori. Jan Blanc. Plutôt que d’insister, comme il est de coutume, sur les avantages incontestables de ces publications électroniques, je pointerai davantage les difficultés qu’elles posent, notamment en termes de méthodes. Un site comme la Digitale Bibliotheek voor de Nederlandse letteren (www.dbnl.org) constitue assurément, pour un historien de l’art néerlandais ou un spécialiste de la théorie de l’art, une ressource tout à fait exceptionnelle, en facilitant l’accès aux textes anciens, souvent rares, mais aussi en offrant des possibilités presque infinies de recherches intertextuelles. Mais l’étude statistique des textes théoriques pose des problèmes analogues à celle des textes littéraires, laquelle commence à être remise en cause, aujourd’hui, après avoir été très en vogue, il y a encore une dizaine d’années, avec les progrès de l’informatisation et de l’automatisation des procédures de numérisation. Elle refabrique en effet, de façon quelque peu pernicieuse, l’illusion positiviste d’une forme d’accès objective au texte, alors que nous savons bien que des chiffres et des occurrences ne prennent sens qu’à travers l’exercice périlleux de l’interprétation. Si, pour reprendre un exemple déjà évoqué, le mot bellezza apparaît 491 fois dans les Vite de’più eccellenti pittori, scultori e architettori de Vasari, cela signifie-t-il pour autant que cette notion joue un rôle majeur et prédominant dans la théorie artistique de Vasari ? Je n’en suis pas absolument certain. La question de la banalité du terme, de sa facilité d’usage et de compréhension, pour le locuteur comme pour le lecteur, et de ses frontières terminologiques volontiers incertaines, qui lui permettent de fonctionner souvent comme un mot-valise, un analogon pour d’autres concepts, plus rares ou plus complexes – grazia, vaghezza, leggiadria – doit aussi être prise en compte dans une étude statistique. À l’inverse, si le nom de Rubens n’apparaît jamais dans le corps du texte du De Pictura Veterum de Franciscus Junius, il n’est pas impossible, comme l’a suggéré à plusieurs reprises Colette Nativel, que le peintre flamand ait été la principale référence contemporaine implicite de l’ouvrage de l’érudit hollandais. Il faut enfin rappeler que ce qui est de l’ordre de l’évidence n’a pas nécessairement besoin d’être formulé ; le découpage strictement quantitatif d’un texte ne saura jamais rendre compte de ce qui constitue souvent l’essentiel du travail des historiens de l’art : débusquer les allusions, rendre compte du sous-texte, des analyses, révéler les connotations de tel ou tel terme, etc. J’ajouterai, au risque de paraître vieux jeu, que le mode de consultation des textes électroniques peut apparaître problématique en ce qu’il encourage encore la lecture transversale pointée par Barocchi et Previtali, et qui vient d’être rappelée par Elizabeth Cropper. Je ne condamne pas, par principe, la lecture en diagonale, que nous pratiquons tous afin de gagner du temps et de trouver les informations qui nous intéressent. L’usage des index, des tables des matières et des notes marginales, dans les textes de l’époque moderne, semble d’ailleurs souligner que les lecteurs anciens appréciaient également cette lecture discontinue. Mais je crois qu’elle peut également poser problème, dès lors qu’elle devient systématique, transformant de véritables discours articulés et construits sur des argumentaires parfois très subtils, où les contradictions ou les amphibologies sont souvent recherchées pour être dépassées de façon dialectique, en de simples textes où ces nuances rhétoriques

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disparaissent au profit d’une comptabilité des concepts et des notions. Cette remarque vaut surtout pour les topoi, omniprésents dans la théorie de l’art jusque chez Delacroix, mais dont la signification ne peut être que tirée du contexte d’énonciation dans lequel ils sont inscrits. Pouvoir ouvrir un livre devant soi en soulevant la poussière accumulée au fil des années – l’indice, souvent indubitable, d’une voie qui n’a pas encore été frayée –, saisir une pensée dans sa continuité et son déroulement, se perdre parfois dans ses méandres et trouver finalement ce que l’on n’a pas cherché : voilà des plaisirs dont j’ai peur que les précieuses éditions électroniques des textes théoriques nous privent à terme, si nous renonçons à leur publication en bonne et due forme, si j’ose m’exprimer ainsi… S’il est vrai que les pressions économiques encouragent aussi les auteurs à privilégier les voies de la publication électronique, sous la forme du DVD ou du site internet, l’idéal serait, je le crois, de pouvoir continuer à concilier le papier et le numérique, dont les usages, on le voit, se complètent plus qu’ils ne s’opposent.

Perspective. Dans cette relative abondance d’éditions avec commentaires, dans le phénomène de la traduction, ne pensez-vous pas que le statut de ces textes anciens change, que de documents ils deviennent un élément structurant de notre discours, de notre analyse, préconditionnant notre regard sur les œuvres, notre examen de la période considérée ? Barbara Agosti. Je crois bien entendu que l’analyse des deux types de sources − les documents figuratifs et les textes – devrait procéder en parallèle, se respectant et se complétant réciproquement, tenant cependant à l’esprit que l’évidence première, celle à partir de laquelle doit être soumise la somme des travaux de reconstitution et d’interprétation, reste les œuvres. On voudrait pouvoir donner comme allant de soi que l’on arrive aux sources, ainsi qu’aux documents, à travers le bon filtre critique et l’instrument historiographique pertinent. Jan Blanc. Ce problème est le syndrome du « guide de lecture » que j’évoquais au début de cette discussion. Les textes dont nous parlons ne fournissent qu’une vérité relative sur les œuvres. Ils sont produits par des auteurs – des artistes, des amateurs ou des connaisseurs – qui cherchent souvent à faire valoir une position dans un champ – théorique, social, commercial, institutionnel, etc. Les étudier sans prendre en compte ces stratégies constitutives revient à confondre des démonstrations avec des constats, des points de vue avec des leçons. Par ailleurs, ces discours n’ont de sens que si nous les confrontons de façon dialectique aux pratiques artistiques. L’exemple est connu : en critiquant le manque de fidélité à l’histoire des Aveugles de Jéricho de Poussin (Paris, Musée du Louvre) dans la conférence qui leur a été consacrée, le 3 décembre 1667, par Sébastien Bourdon, Philippe de Champaigne renvoie à sa propre version du thème (San Diego, Timken Museum of Art). En laissant a priori le discours de Champaigne structurer notre propre vision de la réception de Poussin dans la France de la seconde moitié du XVIIe siècle, nous prenons le risque de prendre pour une attaque violente ce qui est aussi (et peut-être d’abord) un plaidoyer pro domo. Ulrich Pfisterer. Normalement, les textes doivent absolument devenir un « élément structurant de notre discours, de notre analyse ». Ce qui ne peut bien réussir que lorsque les textes contemporains de la période étudiée sont élaborés scientifiquement avec l’appareil critique le plus développé, de sorte que l’importance

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et le contexte de chaque élément particulier deviennent clairs. En outre, il convient de ne pas ignorer la différence fondamentale entre les supports textuels et les supports visuels (ou Bildmedien, qui comprennent donc également l’architecture) : les deux supports ne peuvent s’approcher que séparément et l’un par rapport à l’autre, les deux livrant toujours des intentions et des aspects autonomes. Ainsi, les textes anciens ne représentent pas une menace pour notre regard sur l’art, mais étendent le spectre de perception et donnent en même temps l’option de la démarche historico- critique qui en sera proposée. Les travaux de Baxandall et de Louis Marin33 peuvent par exemple marquer l’amplitude du spectre des méthodologies que l’on peut mettre en place pour utiliser la littérature artistique afin de comprendre une période. Le danger n’est donc pas « l’abondance d’éditions », mais au contraire l’absolutisme d’un choix limité de textes prétendus « principaux ». Un des meilleurs exemples est constitué par l’inflation actuelle des citations et éditions du De pictura/Della pittura d’Alberti (ou bien ses traductions), qui bloquent fréquemment toute vue alternative sur le Quattrocento. Elizabeth Cropper. Les textes n’ont jamais constitué des documents au sens de témoignages « impersonnels », dont d’ailleurs Schlosser les distinguait. Aujourd’hui, même ces inventaires et inscriptions qu’il a placés du côté « objectif » seraient susceptibles d’interprétation, à travers l’exploitation des données et l’analyse linguistique. La séparation entre les soi-disant « documents » (ou le « fait ») et le texte est exactement ce que Previtali cherchait à empêcher quand il critiquait la nouvelle publication de textes anciens sans y ajouter des commentaires. Oui, ces sources structurent notre discours, mais elles ont aussi souvent structuré le discours des artistes eux-mêmes. Baxandall montrait une nouvelle manière de travailler avec le langage des mots et des images pris ensemble comme traces des relations sociales et de l’expérience. Et par-dessus tout, il les lisait pour leur relation à l’expérience, pour leur capacité à nous aider à lire les peintures comme des souvenirs de l’activité visuelle. De même que les peintures peuvent aider à donner un sens aux mots épuisés, la traduction est déjà un autre moyen de faire revivre ces mots perdus.

NOTES

1. Julius von Schlosser, Die Kunstliteratur. Ein Handbuch zur Quellenkunde der neueren Kunst- geschichte, Vienne, 1924 ; trad. ital. : La letteratura artistica. Manuale delle fonti della storia dell’arte moderna, Florence, 1932 [rééd., Otto Kurz éd., Florence, 1956] ; trad. esp. : La literatura artística. Manual de fuentes de la historia moderna de arte, Madrid, Antonio Bonet Correa éd., 1976 ; trad. fr. : La littérature artistique. Manuel des sources de l’histoire de l’art moderne, André Chastel éd., Paris, 1984 ; il n’existe aucune traduction anglaise à ce jour. 2. Giovanni Pietro Cavazzoni-Zanotti, Storia dell’Accademia Clementina di Bologna, Bologne, 1739, 2 vol.

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3. Antonio Masini, Bologna perlustrata, ove si parla delle chiese, dei santi, degli uomini illustri, degli artisti tanto cittadini quanto forestieri che operarono in Bologna, Bologne, 1650 [1666, 1690]. 4. Carlo Cesare Malvasia, Le Pitture di Bologna che rendono il passagiero disingannato ed istrutto, Bologne, 1686 [1706, 1732, 1755, 1766, 1776]. 5. Ercole Corazzi, Oratio habita in funere equitis Caroli Cignani, Forli, 1720. 6. Carlo Cesare Malvasia, Lettere a Monsignor Albergati in ragguaglio d’una pittura fatta ultimamente da G. A. Sirani, Bologne, 1652. 7. Michael Baxandall, Giotto and the orators : humanist observers of painting in Italy and the discovery of pictorial composition, 1350-1450, Oxford, 1971 ; trad. fr. : Les humanistes à la découverte de la composition en peinture, 1340-1450, Paris, 1989. Michael Baxandall, Painting and experience in fifteenth century Italy : a primer in the social history of pictorial style, Oxford, 1972 [1988] ; trad. fr. : L’œil du quattrocento, l’usage de la peinture dans l’Italie de la Renaissance, Paris, 1985. 8. Giovanni Pietro Bellori, Le vite de’pittori, scultori et architetti moderni, (Quaderni dell’Istituto di storia dell’arte della Università di Genova, 4), 1968 [reprint de 1672]. 9. Giovanni Pietro Bellori, Le vite de’pittori, scultori e architetti moderni, Evelina Borea éd., Turin, 1976. 10. Sur le Pictorial Turn, voir William J. Thomas Mitchell, Picture Theory : Essays on Verbal and Visual Representation, Chicago, 1994, et l’article de James D. Herbert, « Masterdisciplinarity and the ‘pictorial turn.’ - art history », dans The Art Bulletin, 1995, LXXVII, p. 537-540. 11. Joshua Reynolds, Discours sur la peinture, lettres au flâneur, Louis Dimier éd., Paris, 1909 ; Joshua Reynolds, Discours sur la peinture, Jean-François Baillon éd., Paris, 1991 [d’après l’édition de Louis Dimier]. 12. Joshua Reynolds, Discourses on art, Robert R. Wark éd., San Marino, 1959 [New-Haven/Londres, 1975]. 13. Giorgio Vasari, Le vite de’più eccellenti pittori, scultori e architettori, Rosanna Bettarini, Paola Barocchi éd., Florence, 1966-1987, 6 vol. [d’après les éditions de 1550 et 1568]. 14. John Shearman, Raphael in early modern sources (1483-1602), (Römische Forschungen der Bibliotheca Hertziana, 30-31), New Haven/Londres, 2003. 15. Vincent van Gogh, Lettere a un amico pittore, Maria Mimita Lamberti, Sergio Caredda éd., Milan, 2006. 16. Voir par exemple Matthias Winner éd., Der Künstler über sich in seinem Werk, Weinheim, 1992 et les travaux de Paul Barolsky : « Vasari and the historical imagination », dans Word & image, 1999, 15, p. 286-291 ; « The theology of Vasari », dans Source, 2000, 19/3, p. 1-6 ; « What are we reading when we read Vasari ? », dans Source, 2002, 22/1, p. 33-35 ; « Fear of fiction : the fun of reading Vasari », dans Anne B. Barriault éd., Reading Vasari, Londres, 2005, p. 31-35. 17. Ezio Raimondi, Il colore eloquente : letteratura e arte barocca, Florence, 1995 ; Marc Fumaroli, L’école du silence le sentiment des images au XVIIe siècle, Paris, 1998. 18. Sur cette question de la lisibilité des conférences, « corrigée » par de multiples réécritures, à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, voir Jacqueline Lichtenstein, Christian Michel éd., Conférences de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, Paris, 2007, vol. 1, p. 41-50. 19. Ann Moss, Printed commonplace-books and the structuring of Renaissance thought, Londres, 1996, [trad. fr, Les recueils des lieux communs, méthode pour apprendre à penser à la Renaissance, Genève, 2002]. 20. Hans Georg Gadamer, Vérité et méthode, les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, Paris, 1996 [éd. orig., Wahrheit und Methode : Grundzüge einer philosophischen Hermeneutik, Tübingen, 1965]. 21. Giovan Paolo Lomazzo e i Facchini della Val di Blenio, Rabisch, Dante Isella éd., Turin, 1993 [éd. orig., Milan, 1589]. 22. Mina Gregori, « I ricordi figurativi di Alessandro Manzoni », dans Paragone/Arte, 1950, 1-9, p. 7-20.

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23. Julius von Schlosser, 1984, op. cit. n.1, p. 33. 24. Julius von Schlosser, 1984, op. cit. n.1, p. 34. 25. Ernst Gombrich, « Kunstliteratur », dans Atlantisbuch der Kunst : eine Enzyklopädie der bildenden Künste, Zurich, 1952, p. 665-679 ; trad. angl. : par Max Marmor sur le site http:// www.gombrich.co.uk : « By the literature of art we mean, on the one hand, the older body of writings on art, that is, technical textbooks for artists, handbooks and guidebooks for connoisseurs, biographies of artists and the philosophy of art prior to the evolution of the scholarly and scientific study of art [Kunstwissenschaft] as an independent discipline ; and, on the other hand, more recent art literature insofar as it makes no claim to scholarly or scientific status ». 26. Fernando Marias, Agustin Bustamante, « Le Greco et sa théorie de l’architecture », dans Revue de l’Art, 1979, 46, p. 31-39 ; Fernando Marías, Agustín Bustamante, Las ideas artísticas de El Greco Titelzusatz : comentarios a un texto inédito, Madrid, 1981 ; Fernando Marías, Agustín Bustamante, « La herencia de El Greco, Jorge Manuel Theotocópuli y el debate arquitectónico en torno a 1620 », dans Studies in the history of art, 1984, 13, p. 101-112 ; Agustín Bustamante, Fernando Marías, « La révolution classique : de Vitruve à l’Escorial », dans Revue de l’art, 1985, 70, p. 29-40 ; Fernando Marías, Agustín Bustamante, « Trattatistica teorica a Vitruvianesimo nella architettura spagnola del Cinquecento », dans Jean Guillaume éd., Les Traités d’architecture de la Renaissance, (De architectura, 3), Paris, 1988, p. 307-315. 27. Harold Rosenberg, The anxious object : art today and its audience, Londres, 1965 ; Clement Greenberg, The collected essays and criticism, John O’Brian éd., Chicago, 1986 ; Leo Steinberg, Other criteria : confrontations with twentieth-century art, New York, 1972 ; Michael Fried, Art and Objecthood : essays and reviews, Chicago, 1998 ; Jasper Johns, Writings, sketch book notes, interviews, Kirk Varnedoe éd., New York, 1996. Pour un exemple d’entretien avec des artistes contemporains, voir David Sylvester, Interviews with American artists, New Haven/Londres, 2001 et pour les écrits des artistes sur eux-mêmes, voir le cas exemplaire d’Andy Warhol : Andy Warhol, The Andy Warhol Diaries, Pat Hackett éd., New York, 1989 ; Andy Warhol, The Philosophy of Andy Warhol : from A to B and back again, Londres, 1975. 28. Barbara Cassin éd., Vocabulaire européen des philosophies : dictionnaire des intraduisibles, Paris, 2004. 29. Willem Goeree, Anweisung zu der Mahler-kunst, Leipzig, 1677 [réed. 1678, 1723, 1724, 1744, 1745, 1750, 1756 ; éd. orig., Inleyding tot de praktijk der algemeene schilderkonst, Amsterdam, Daniel van der Dalen, 1697] ; Franciscus Junius, Von der Mahlerey der Alten, Breslau, 1770 [éd. orig., De Pictura Veterum, Amsterdam, 1637] ; Jean-Baptiste Dubos, Kritische Betrachtungen über Poesie und Mahlerey, Copenhague 1760 [éd. orig., Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1719] ; William Hogarth, Zergliederung der Schönheit…, Londres, 1754 [éd. orig., The Analysis of Beauty, 1753]. 30. Voir par exemple les possibilités de FONTES. E-Quellen und Dokumente zur Kunst/Sources and documents for the history of art, 1350-1750 (archiv.ub.uni-heidelberg.de/artdok/portal/fontes/). 31. Le vite de’più eccellenti pittori, scultori e architettori nelle redazioni del 1550 e 1568, vol. III, Testo, texte de Giorgio Vasari, Paola Barocchi éd., Florence, S.P.E.S., 1997, p. 568-573. 32. Aux États-Unis, l’exemple le plus remarquable de l’exploitation de l’édition des textes électroniques que je connaisse dans le domaine de la littérature ancienne est la Perseus Digital Library, qui est d’une grande valeur pour les chercheurs dans de nombreuses disciplines (http:// www.perseus.tufts.edu). La PDL a été soutenue par la section Digital Libraries Initiative de la National Science Foundation, et par de nombreuses autres institutions, notamment le National Endowment for the Humanities et la fondation Andrew Mellon. Pour plus d’informations sur le large soutien de la NSF aux humanités électroniques, voir la lettre de la DLI (http:// www.dli2.nsf.gov). Dans le domaine de l’histoire de l’art, la Perseus Digital Library reste sans équivalent.

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33. Michael Baxandall, The Limewood sculptors of Renaissance Germany, New Haven/Londres, 1980. En plus des ouvrages précédemment cités de Baxandall, voir Louis Marin : Études sémiologiques, écritures, peintures, Paris, 1972 ; Détruire la Peinture, Paris, 1977 ; Le Portrait du Roi, Paris, 1981.

INDEX

Keywords : artistic litterature, writing, art history, historiography, sources, archives, biography, edition Mots-clés : littérature artistique, écriture, histoire de l'art, historiographie, sources, archives, biographie, édition

AUTEURS

BARBARA AGOSTI Elle enseigne à l’Università di Roma « Tor Vergata ». Elle a édité différents textes de littérature artistique, de La pittura trionfante de Giulio Cesare Gigli avec Silvia Ginzburg (1996) aux vies des peintres présentes dans Calabria sacra e profana de Domenico Martire (2004). Elle vient de publier un ouvrage sur Paolo Giovio.

JAN BLANC

Maître-assistant à l’Université de Lausanne. Spécialiste de la peinture hollandaise du XVIIe siècle (Peindre et penser la peinture au XVIIe siècle : la théorie de l’art de Samuel van Hoogstraten, 2008) et de la théorie de l’art moderne, il prépare actuellement une étude sur les théories et les pratiques de la peinture d’histoire chez Reynolds avec l’édition de ses écrits.

ELIZABETH CROPPER Directrice du CASVA depuis 2000, elle a étudié la théorie et la pratique de la peinture de Pontormo à Poussin. Elle a ainsi publié The Ideal of Paintings : Pietro Testa’s Düsseldorf Notebook (1984) et dirige une équipe pour une publication scientifique et une traduction anglaise de Felsina Pittrice de Malvasia.

ULRICH PFISTERER Professeur d’histoire de l’art à l’Université Ludwig-Maximilian de Munich, ses intérêts portent sur les rapports entre l’image et le texte (Die Kunstliteratur der italienischen Renaissance : Eine Geschichte in Quellen, 2002 ; Visuelle Topoi : Erfindung und tradiertes Wissen in den Künsten der italienischen Renaissance, 2003). Il est coéditeur du site internet FONTES.

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Les livres d’architecture : leurs éditions de la Renaissance à nos jours

Antonio Becchi, Mario Carpo, Pierre Caye, Claude Mignot, Werner Oechslin et Pascal Dubourg Glatigny

NOTE DE L’ÉDITEUR

Ce texte résulte de l’envoi des cinq questions aux participants (qui avaient pu lire le débat sur la littérature artistique) et d’un échange de courriels. La rédaction tient à préciser le rôle actif que joue l’INHA dans le domaine dont il est question ici en réalisant de nombreuses recherches sur ce sujet : à la Bibliothèque de l’INHA, avec le programme des Classiques de l’histoire de l’art, qui publie en version numérique de nombreux livres sur l’architecture ; au Département des études et de la recherche, avec notamment le colloque Le Livre et l’architecte (2008), dont les actes devraient être publiés en 2009 ; et en association avec d’autres institutions, comme pour le programme Architectura, dirigé par le Centre d’Études Supérieures de la Renaissance de Tours (en collaboration avec le CNRS), qui met notamment en ligne des ouvrages relatifs à l’architecture issus des réserves de la Bibliothèque de l’INHA.

1 Depuis plusieurs années, les études d’histoire de l’architecture ont connu un renouveau en France à travers de nombreuses initiatives collectives, souvent consacrées à la question du livre d’architecture : bibliothèques d’architectes, étude des classiques, édification et culture savante, documentation du bâti… Cette activité a été ponctuée par la publication en 2004 de la première traduction en français du traité d’Alberti depuis la version qu’en avait donnée Jean Martin en 1553. La dernière manifestation en date, le premier congrès francophone d’histoire de la construction, dont une partie importante était consacrée aux traités, a réuni à Paris en juin dernier plus de cent cinquante intervenants. L’intérêt que soulèvent les écrits d’architecture est très varié : il regarde la connaissance des techniques, l’identification des vecteurs de diffusion des pratiques

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architecturales, la constitution des corpus construits, l’établissement des normes disciplinaires et le rapport avec les autres domaines humanistes. Ces études ont désormais pris leur place dans l’histoire de l’architecture et l’on commence à parler ici et là d’un genre spécifique, le « livre d’architecture » ou peut-être plutôt le « livre d’architecte ». Le caractère central et essentiel de l’image et de l’illustration dans les traités d’architecture a sans doute permis à ce genre d’acquérir quelques lettres de noblesse auprès des historiens de l’art. Mais le goût prononcé des architectes d’aujourd’hui pour ce mode de promotion et de reconnaissance a contribué à réorienter les historiens du passé vers ces ouvrages qui ne faisaient jusqu’alors qu’accompagner leurs études.

2 La diffusion et l’édition des textes liés à l’architecture partagent cependant de nombreuses questions avec celles des traités consacrés aux arts figuratifs. Le rapport que les historiens de l’art et de l’architecture entretiennent avec la philologie, en leur qualité d’usagers, n’est pas résolu. Si la plupart de ces travaux actuels traitent de textes déjà publiés dont l’établissement n’est pas mis en question, la finalité de ces travaux est loin de faire aujourd’hui consensus. Fournit-on un texte neutre (le reprint devrait alors suffire à la tâche) ou propose-t-on une nouvelle lecture du texte et des thèmes dont il traite ? Et surtout, la critique externe doit-elle nourrir la connaissance du texte lui- même ou celui-ci éclairer les autres témoignages de l’histoire, en particulier matériels ? La publication d’écrits inédits étant assez minoritaire dans ce panorama, la question des diverses pratiques ecdotiques1 est souvent absente du débat, mais les différents choix de traduction de textes anciens dans une langue nécessairement contemporaine sont au cœur de cette tourmente. Pour certains, la traduction, simple adjuvant, n’est pas nécessaire, alors que pour d’autres elle reste un instrument d’appropriation intellectuelle indépassable car global. L’édition numérique, lorsqu’elle est pourvue de combinatoires permettant d’entrer dans la critique interne du texte, voudrait résoudre ces choix difficiles en proposant une multitude de niveaux d’entrée. Mais la définition des champs et des liaisons opératoires du logiciel ne constitue-elle pas déjà une proposition herméneutique ? Les limites, thématiques et quantitatives, des documents externes alors convoqués ne forment-elles pas les contours d’une lecture guidée ? [Pascal Dubourg Galtigny]

***

Pascal Dubourg Glatigny. Comme le montre le débat précédent, l’intérêt des historiens de l’art figuratif pour les textes est relativement récent et s’est considérablement accru ces vingt dernières années, avec les multiples rééditions du manuel de Julius von Schlosser sur la littérature artistique (Vienne, 1924), mais l’histoire de l’architecture a toujours publié et commenté les éditions anciennes. Cela est en partie dû au rôle central qu’a joué la théorie des ordres dans la structuration de la discipline qu’est l’histoire de l’architecture. Comment évaluez- vous l’extension thématique du champ de publication des traités liés à l’architecture ces vingt dernières années ? En d’autres mots, de quelle manière avons-nous progressé depuis le tableau très large dépeint par Angelo Comolli dans les quatre volumes de sa Bibliografia storico-critica dell’architettura civile ed arti subalterne2 ? Claude Mignot. La théorie des ordres est effectivement l’un des champs privilégiés pour la tratattistica architecturale, mais le livre touche tous les secteurs de l’art de bâtir, de la stéréotomie et de l’art du charpentier aux ornements sculptés en passant par les modèles distributifs, et cela dès le XVIe siècle, où Sebastiano Serlio, Jacques Androuet Du Cerceau et Philibert Delorme déclinent tous les types de livres

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d’architecture possibles3. L’importance des livres dans le processus de création architecturale est en effet co-essentielle à la formation de la culture architecturale moderne. La lecture, la traduction, le commentaire et l’illustration du De architectura de Vitruve d’une part, le relevé graphique des monuments antiques et leur analyse d’autre part, installent un nouvel habitus, et toute la littérature architecturale part de ce noyau initial, en un arbre spectaculaire où Vitruve remplace Jessé. Un siècle et demi après l’impression des deux premiers livres d’architecture (De re ædificatoria par Leon Battista Alberti, Florence, 1485 ; De architectura libri decem par Vitruve, Rome [?], 1486 [?]), le nombre des livres est tel qu’aucun architecte ne peut plus les rassembler dans son cabinet. La bibliographie historique et critique d’Angelo Comolli est très intéressante : en offrant un tableau très large, trop large sans doute, non seulement de l’architecture, mais aussi des « arts qui en dépendent » [arti subalterne], elle s’affronte à la difficulté de définir les limites du champ architectural, mais conduit à une bibliothèque idéale assez confuse. Aussi, à mon sens, la première bibliographie moderne d’architecture est-elle celle que Louis Savot a publiée à la fin de son Architecture française des bâtiments particuliers (Paris, 1624 ; rééd., 1673 et 1685 avec des notes par François Blondel) : « Déclaration des principaux auteurs, qui ont écrit non seulement de toutes les parties de l’architecture, mais encore de quelques unes d’icelles », où Savot recense environ quatre-vingts ouvrages. Si les architectes et les historiens de l’architecture ont toujours réédité et commenté les traités anciens (voir la Bibliothèque portative d’architecture publiée par Jombert en 2 volumes, 1764-1766), l’intérêt n’a longtemps porté que sur les traités-phares, de Vitruve et Alberti à Palladio, de Delorme à Ledoux, même si les reprints de Gregg Press (à partir de 1964) et surtout les microfiches publiées par Hachette offraient déjà un panel très conséquent, tandis que les éditions Il Polifilo, à Milan, constituaient à partir de 1966 une superbe collection d’éditions critiques, dont le modèle n’a pas été suivi par les rééditions françaises, qui se contentent souvent d’une plus ou moins brève introduction. L’établissement d’une bibliographie plus exhaustive n’a commencé qu’il y a une trentaine d’années, avec un double biais : bibliographies établies à partir de collections particulières4 ; bibliographie d’un auteur (Vignole, Palladio). Les tentatives de bibliographies critiques plus complètes sont encore plus récentes : la simple, mais utile, liste alphabétique publiée par John Patrick Tuer Bury en annexe dans Les traités d’architecture de la Renaissance a été développée en collaboration avec Paul Breman dans Writings on architecture, civil and military, c. 1460 to 16405 : la liste initiale, de 170 titres en 1988, est passée à 280 titres en 2000. Dans l’ouvrage grand public Théorie de l’architecture de la Renaissance à nos jours…, 117 traités sont présentés dans 89 études (Cologne/Paris, 2003). Mais les deux ouvrages standards, sur lesquels les tentatives postérieures devront sans doute se caler, restent sans doute à ce jour, d’une part le British architectural books and writers, 1556-1785, par Eileen Harris et John Savage (Cambridge/New York/Port Chester, 1990 [Mansfield Centre, 2000]), où sont inventoriées 950 éditions différentes, et d’autre part la Bibliografia Serliana : catalogue des éditions imprimées des livres du Traité d’architecture de Sebastiano Serlio (1537-1681), par Magali Vène (Paris, 2007), classée par ordre chronologique.

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Antonio Becchi. En Italie, la réédition des traités d’architecture « classiques » est liée, en particulier, au projet lancé par les éditions Il Polifilo dans les années 1960 comme il a été indiqué. Le climat culturel était celui déjà évoqué dans le débat précédent. Il me semble que l’on sent aujourd’hui le besoin de reprendre en main ces éditions, si précieuses soient-elles, et d’en développer les connexions culturelles. Dans ces vieux volumes – devenus à leur tour improprement des « classiques » –, les traductions, les appareils critiques, les glossaires devraient être profondément revus et mis à jour. Les travaux les plus récents, telle l’étude de Marco Biffi (2002) consacrée à la traduction par Francesco di Giorgio Martini du De architectura de Vitruve (à partir du manuscrit II.I.141 conservé à la Bibliothèque nationale de Florence)6, laissent voir les potentialités d’une nouvelle approche envers les traités d’architecture, plus consciente des différents savoirs que l’étude de ces œuvres réclame. Dans cette démarche, le champ des enquêtes s’étend et s’approfondit naturellement et demeure ainsi moins lié aux domaines de prédilection de chaque chercheur. Si l’on rapproche la réimpression (1997) de l’Idea della architettura universale (1615) de Vincenzo Scamozzi – éditée par le Centro internazionale di studi di architettura Andrea Palladio et accompagnée d’un très bon essai introductif – des recherches philologiques et d’histoire de l’art développées dans le milieu de la Scuola normale de Pise et de l’Accademia della Crusca, dont l’étude de Biffi est un exemple remarquable, nous avons un cadre précis de ce que serait une collaboration optimale entre les philologues et les historiens de l’art et de l’architecture. De cette collaboration, on sent aujourd’hui un besoin urgent, lié au désir de relire les classiques « dans le texte », dans leur intégralité et sans le biais de médiations. Il s’agit d’un travail de recherche qui traverse les arts et les sciences et qui a récemment trouvé un lieu fait pour le dialogue et la méditation au sein de la Stiftung Bibliothek Werner Oechslin (www.bibliothek-oechslin.ch), associée, non par hasard, à cet entrecroisement de savoirs qui, avant de devenir une fondation, fut la meilleure bibliothèque privée du monde dédiée à la scientia ædificandi. Dans ces dernières années, à côté de ces projets de recherche se sont multipliées des initiatives éditoriales inattendues visant à proposer au grand public les réimpressions de traités célèbres à des prix concurrentiels, exploitant les bas coûts des techniques modernes de reproduction. Dans ces cas, le défaut réside parfois dans les introductions improvisées, que le lecteur perspicace (souvent l’étudiant désargenté ou le jeune chercheur) oublie aussitôt, se contentant d’avoir sur le bureau une copie, même de mauvaise qualité, d’un volume désiré depuis longtemps. Il s’agit d’exemples significatifs parmi lesquels l’exemplaire imprimé fait concurrence à la copie numérique, du moins parmi ceux qui préfèrent le livre dans un format traditionnel ou qui considèrent que les deux types sont complémentaires et aussi nécessaires l’un que l’autre. Werner Oechslin. Nous avons longtemps eu du retard par rapport à Comolli… et nous en avons toujours ! Les raisons sont simples : les compétences, savoirs et pratiques architecturales mis en œuvre par Comolli sont beaucoup plus complets ; l’histoire de l’art, en revanche, s’est limitée à considérer l’architecture d’un point de vue esthétique et s’est concentrée en outre sur l’apparence (Erscheinungsform) des bâtiments. Privilégier dans ce sens l’a posteriori tourne au désavantage de tout ce qui

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est lié au processus même de faire de l’architecture, de construire, etc. Nous avions donc exclu les mathématiques, la géométrie, la mécanique… Et il est nécessaire de récupérer et de combler cette grande lacune, aussi et surtout par rapport au contexte historique, qui permet de conserver la totalité des intérêts et des compétences architecturales convoqués pour la construction. L’histoire de la théorie de l’architecture a suivi des modes réductifs analogues. Elle a longtemps privilégié d’une façon excessive les ordres, et a failli à se demander ce qu’était – et ce qu’est – une théorie : selon Vitruve, rien d’autre que l’« explicare et demonstrare », la praxis, ce qui fait de l’architecture – tout court ! – un « habitus faciendi cum ratione » (Aristote). « Raisonner » (d’une façon intelligente) de l’architecture est donc théorie… et ce sont ces textes qui intéressent. Pierre Caye. Il faut insister ici sur la spécificité de l’architecture par rapport aux autres arts. L’architecture entretient un rapport très étroit au texte qui est non pas une simple annexe de sa pratique, mais plus fondamentalement une partie constitutive et intégrante de sa discipline : sa ratiocinatio, pour reprendre le terme vitruvien. La première carte d’identité du Corbusier – c’est une anecdote significative – indiquait pour profession non pas « architecte », mais « écrivain » : il est vrai qu’il a publié plus de soixante-dix ouvrages. Que ce soit Claude Perrault avec ses Dix livres d’architecture de Vitruve (1673 et 1684) ou Rem Koolhaas avec New York Délire (1978)7, il apparaît que la maîtrise du texte permet à l’architecte d’accéder à la commande. Il n’y a évidemment rien de comparable dans les autres arts. Il faut donc traiter le texte d’architecture, non pas comme le simple témoignage a posteriori d’une pratique, mais comme opérateur fondamental du projet architectural. La littérature architecturale forme un immense continent textuel aux régions et aux fonctions les plus diverses : traités, essais, encyclopédies et dictionnaires, portfolios, autobiographies d’architectes, etc. Je parle ici, et j’insiste sur cette mise au point, d’une littérature de professionnels, d’acteurs pléniers du dispositif constructif où s’insère l’architecture, plus encore que de critiques. Il s’agit alors de comprendre la place de chaque texte dans le dispositif practico-discursif complexe que met en place l’architecture à chaque moment de son histoire, sa logique dans la conception du projet et dans sa constitution théorique. Telle est à mon sens l’une des tâches principales de l’éditeur contemporain de ce type de littérature. Or, il faut bien avouer que nous n’avons plus, à cette fin, la maîtrise des instruments théoriques qu’un Quatremère de Quincy, par exemple, pouvait mobiliser en son temps dans son Encyclopédie méthodique : dictionnaire d’architecture (3 vol. : 1788, 1801, 1820). Mario Carpo. Comme la question l’indique, l’une des raisons de la longévité des traités architecturaux dans la tradition classique a été, pendant des siècles, leur fonction opérationnelle et instrumentale. Cela ne s’applique pas à tous les traités, bien évidemment (et la question du « public visé » reste ouverte pour beaucoup d’entre eux) ; mais nombre de traités d’architecture ont été publiés dès le début comme de véritables outils de travail pour les architectes. À partir de la fin des années 1970, la réédition (de la réimpression à la traduction) de traités architecturaux fut singulièrement liée au contexte du post- : beaucoup d’architectes en exercice avaient besoin de recourir aux traités d’architecture classiques pour en apprendre de nouveau les règles et la théorie. Si Vitruve a été un succès dans les années 1980-1990, c’est parce que beaucoup d’architectes l’ont utilisé

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comme carnet de modèles – tout comme c’était déjà le cas à la Renaissance –, bien que cette fonction soit en contradiction avec sa destination première. Aujourd’hui, le post-modernisme appartenant désormais au passé, cette vogue inattendue des traités architecturaux classiques, répondant à la demande populaire – d’intérêt général –, régresse. Les historiens de l’architecture vont devoir s’adapter à une situation plus difficile : publications moins nombreuses, meilleur marché, mais, on l’espère, plus savantes dans ce domaine.

Pascal Dubourg Glatigny. À travers les éditions numériques, les textes – ou plutôt certains textes – sont de plus en plus accessibles, et cités, conséquemment. Par une sélection aléatoire, Gallica a cependant rendu accessibles de nombreux ouvrages importants pour l’histoire de l’architecture. On pense aussi aux cédéroms, de types très différents, qui évoluent entre le très coûteux et discutable ATIR (Chadwyck-Healey) et les éditions économiques ayant dévoilé de nombreux textes pratiquement inconnus comme la « biblioteca digital de clásicos Tavera ». Malgré la dispersion, le champ documentaire commence à se structurer, notamment à travers les méta-sites, dont le plus spécialisé est la Bibliotheca mechanico-architectonica. À travers l’usage parfois immodéré des recherches automatisées dans les textes numériques édités en mode OCR (reconnaissance optique de caractères), ces nouveaux procédés de publication risquent-ils de multiplier l’effet de citation ? Ou pensez-vous en revanche qu’ils vont augmenter la réflexion sur les textes et ouvrir de nouveaux questionnaires critiques ? Pierre Caye. L’édition numérique est, en matière de littérature architecturale, un instrument éditorial formidable avec lequel la publication traditionnelle sur papier ne saurait rivaliser, en tout cas pour certains des textes les plus fondamentaux du corpus, en raison de la complexité de leur organisation, une complexité qu’atteint rarement la littérature touchant les autres arts. Encore faut-il mettre au point des systèmes de navigation suffisamment précis et structurés ! Je prendrai quatre exemples qui concernent des opérations d’édition numérique en cours. Nous mettons actuellement en place avec l’équipe ARTFL (American and French Research on the Treasury of French Language, Chicago University/CNRS), l’éditeur électronique de L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, une édition numérique de l’ Encyclopédie méthodique : dictionnaire d’architecture de Quatremère de Quincy qui nous permettra, entre autres fonctionnalités, de comparer en simultané les notices de Quatremère avec les notices d’architecture rédigées pour l’Encyclopédie par Jacques François Blondel et ses continuateurs, notices dont la nomenclature a servi de point de départ à Quatremère, comme c’est la règle expresse pour tous les volumes de l’Encyclopédie méthodique. Cette édition s’inscrit dans un projet à plus long terme d’édition intégrale de l’Encyclopédie méthodique, dite « Panckoucke » (1782-1832), dont l’instrument numérique servira à établir ce que Panckoucke lui-même appelait de ses vœux sans avoir jamais pu le réaliser, c’est-à-dire la « clé méthodique », ou indexation générale des principales notions communes à l’ensemble des ouvrages, de sorte que l’on pourra alors mieux comprendre la place de l’architecture dans l’ensemble des savoirs de la première moitié du XIXe siècle.

L’édition numérique se révèle aussi très utile pour diffuser les textes à éditions multiples du vivant même de leur auteur, et je pense en particulier à deux des principaux commentaires du Vitruve que nous éditons en collaboration avec l’École nationale des chartes, ainsi qu’avec les universités de Paris I et de Bologne : le Daniele Barbaro et le Claude Perrault. Le De architectura de Barbaro connaît trois éditions du

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vivant de son auteur : une première édition italienne en 1556, une seconde édition italienne en 1567, immédiatement suivie par l’édition latine qui date aussi de 1567. L’instrument numérique nous permettra non seulement de confronter les trois éditions successives, mais, mieux encore, de forger un lexique détaillé latin-italien des termes d’architecture à partir du corpus traité. Nous pourrons de même comparer les deux éditions du Perrault (1673 et 1684) en intégrant de surcroît le texte latin du De architectura sur lequel Perrault a travaillé. Par ailleurs, l’instrument numérique offre de grandes possibilités pour l’édition des manuscrits selon le critère le plus rigoureux de l’ecdotique, manuscrits qui, sous diverses formes, constituent une part non négligeable du corpus architectural. Je pense notamment au projet – soutenu par l’ANR (Agence nationale de la recherche) – de Robert Carvais et de son équipe qui vise à établir le texte-maître du cours inédit d’Antoine Desgodets à l’Académie d’architecture à partir de plus d’une trentaine de textes-témoins manuscrits. Notons enfin que l’instrument numérique favorise, par son ouverture et sa plasticité, le travail en équipe qui, pour des corpus aussi lourds et aussi complexes, me semble incontournable. Antonio Becchi. L’effet de « citation automatique » existe et augmentera encore dans le futur, puisque cela est inévitable, mais il s’agit d’un effet secondaire très modeste par rapport aux potentialités des bibliothèques numériques. Pour qui souscrit aux principes affirmés dans la déclaration de Berlin8, le choix de son camp est évident et n’admet pas la commode ambiguïté du « oui, mais… ». Mettre à disposition de tous, via internet, les œuvres imprimées ou manuscrites faisant partie d’un patrimoine culturel commun qui ne sont pas protégées par des copyrights n’est pas une option, mais un devoir, dans de nombreux cas un devoir contraignant et « institutionnel ». À ce propos, il serait en revanche utile d’ouvrir une parenthèse sur la vieille notion de copyright, opposée au copyleft9, mais cette question nous emmènerait trop loin. Je citerai seulement deux exemples. En 2006, le Max-Planck-Institut für Wissenschaftgeschichte (MPIWG) de a acquis sur le marché des antiquaires américains une copie du Diversarum Speculationum Mathematicarum et Physicarum Liber (1585) de Giovanni Battista Benedetti, qui renferme des notes manuscrites de Guidobaldo del Monte. Il s’est agi d’un investissement économique important, à travers lequel on a évité que ce précieux témoignage ne disparaisse dans la bibliothèque de quelque riche collectionneur privé et qu’il ne soit traité comme un trophée à montrer à un cercle d’amis. Quelques semaines plus tard, le volume a été numérisé et mis à la disposition de tous dans la bibliothèque numérique du MPIWG (libcoll.mpiwg-berlin.mpg.de). Dans le même temps, un exemplaire (inconnu des experts du domaine) de l’édition latine du commentaire de Daniele Barbaro (1567) au De architectura de Vitruve, avec un ex-libris de Vincenzo Scamozzi et des notes manuscrites, a été, lui aussi, scanné et mis en ligne dans la même bibliothèque numérique. Dans les deux cas, les œuvres font aujourd’hui l’objet d’études approfondies et le débat n’est pas réservé à un petit groupe d’élus. Il s’agit de deux exemples pour lesquels la coquetterie antiquaire, les réticences académiques, la myopie des institutions auraient pu entraver ce processus de « libre circulation des idées » que la déclaration de Berlin cherche à valoriser et à soutenir. Par chance, il en est advenu tout autrement et cela nous pousse à nous demander qui peut regretter le temps où cela se produisait.

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Claude Mignot. La citation obtenue par moteur de recherche ne peut fonctionner que lorsque l’ensemble du texte source est retranscrit, ce qui fait perdre au projet initial la moitié de sa substance. Je suis convaincu que les limites de ce type d’interrogation et d’utilisation apparaîtront très vite, et pour partie sont déjà évidentes pour les objets sur lesquels on l’a essayé, comme le traité d’Alberti. Le traité d’architecture s’inscrit presque toujours dans un genre, une famille et une forme de livre : le format, la mise en page, la nature des images sont décisifs ; les mêmes mots peuvent prendre des sens sensiblement différents selon le contexte. Il n’y a pas de lecture automatique intelligente, la numérisation est seulement une commodité. Restent indispensables les synthèses pensées : citons comme exemple celles de Vaughan Hart et Peter Hicks, Paper palaces : the rise of the Renaissance architectural treatise (New Haven/Londres, 1998), ou d’Alina Payne, The architectural treatise in the Italian Renaissance : architectural invention, ornament and literary culture (Cambridge/New York, 1999). Werner Oechslin. Une chose à améliorer est l’accès aux textes ; l’autre, beaucoup plus importante, de les accompagner avec choix, jugement et compétence. Le traitement « aléatoire » des textes, aujourd’hui encore plus courant, et presque normalisé, tout au moins banalisé par internet, correspond à ce que nous préférons faire souvent des petites citations, copiées et réitérées à partir d’autres citations. Travailler avec des textes demande de l’exigence, prend du temps et requiert une importante préparation ; on risque de dissimuler le manque d’études approfondies par la production d’informations en tout genre. Certes, mettre à disposition des textes souvent difficilement accessibles est souhaitable. Mais il est essentiel de développer une discipline approfondie de lecture et aucune avancée technique ne pourra nous en dispenser sans engendrer d’importantes pertes. La lecture d’un texte reste une tâche analytique et exige un exercice de compréhension complexe mettant en jeu des outils sophistiqués. C’est par persévérance et passion, et non par empressement et souci d’économie, que l’on maîtrise ce type de recherche.

Pascal Dubourg Glatigny. À propos de l’image dans les traités. Contrairement aux textes modernes consacrés aux arts figuratifs qui ne contiennent que peu ou pas d’images, les traités d’architecture présentent pratiquement toujours des illustrations : représentations, plans ou schémas, etc. De nombreuses éditions récentes de traités d’architecture déstructurent les ouvrages pour recomposer un itinéraire de lecture, souvent agrémenté d’une documentation visuelle complémentaire. L’édition en ligne, lorsqu’elle dépasse le mode image, bouleverse également la cohérence éditoriale originelle des traités et les principes intellectuels et bibliographiques qui ont présidé à leur composition. L’image joue cependant un rôle décisif dans le traité d’architecture et assure le lien entre l’expression linguistique et la traduction matérielle de l’idée. Pensez-vous que ces évolutions permettent de créer de nouveaux rapports entre les textes et les images ? Lesquels auriez-vous tendance à privilégier ? Ou doit-on craindre au contraire qu’elles déstructurent la cohésion historique des ouvrages réédités ? Mario Carpo. Pour répondre ensemble aux deux dernières questions, une des caractéristiques-clés des publications modernes de traités architecturaux a été la constance invariable de leur disposition graphique : textes et images ont été conçus pour être reproduits à l’identique, telles les empreintes immuables de leurs matrices d’imprimerie. Et ceci venait à l’encontre de la diffusion, souvent aléatoire, des textes

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et des images qui caractérisèrent la transmission manuelle. C’était l’un de ces temps historiques où, comme Marshall Mac Luhan le disait, le médium, c’est le message – et un message révolutionnaire : l’imprimerie en tant que médium définit le mode d’utilisation des nouveaux traités architecturaux, conçus en fonction de l’imprimé. Les médias numériques suivent une logique différente. Tout ce qui est numérisé est par définition variable. Donc, si nous voulons exploiter les possibilités qu’offre la numérisation pour l’étude de documents imprimés, il est obligatoire, lors de la migration de ceux-ci vers le numérique, de conserver comme point de départ un fac- similé de la disposition typographique et graphique originale. C’est technologiquement rélisable et facile à faire. Toutes les possibilités d’exploitations numériques (et les nombreux avantages qu’elles offrent) sont vides de sens et inutiles si elles ne peuvent se référer à une reproduction numérisée, mais inaltérable, de l’original. Nous devons garder à l’esprit que les logiques techniques du numérique et de l’imprimé sont réciproquement antagonistes. Si nous voulons exploiter le nouveau pour étudier l’ancien, quelques précautions doivent être prises. Claude Mignot. Rudolph Wittkover a joué un rôle historique en considérant le « traité » comme un objet intellectuel10, mais depuis peu, notamment grâce aux travaux de John Savage, Peter Führing, Annie Charron et d’autres, nous mesurons mieux que le livre d’architecture est un objet matériel, particulier, et même singulier, au sens étymologique du mot, et cela encore au début du XIXe siècle11. La déstructuration opérée sur les livres d’architecture anciens et la manipulation des images auxquelles les mises en ligne conduisent souvent peuvent peut-être avoir des effets sur l’art et l’architecture contemporains, mais l’historien doit au contraire considérer chaque livre d’architecture comme un objet potentiellement unique. Werner Oechslin. Tant que nous tiendrons à étudier un texte dans son contexte pour en comprendre les conditions historiques et théoriques précises, la « loi herméneutique » de respecter cette historicité restera impérative. On peut ajouter, exclusivement dans le cas d’un commentaire ou d’une interprétation, une illustration, restituée, pour aider. Mais je crains que la question posée ici ne soit autre, et qu’elle vise cette mode de vouloir satisfaire le lecteur qui ne lit plus et préfère les images. On connaît des « éditions » du De architectura de Vitruve où la glose du XIXe siècle est « illustrée » par les xylographies de Fra Giovanni Giocondo et Cesare di Lorenzo Cesariano. Ce sont des « tromperies » désastreuses. Bref, c’est à la discipline de traiter correctement un texte qui compte. Tout doit suivre cette priorité absolue. Antonio Becchi. Le « jeu avec les images » a toujours fait partie de la diffusion des œuvres imprimées. Les démembrements, les vols, les plagiats, les regroupements artificiels ont concerné, sur un mode tout particulier, les traités d’architecture, où l’implantation iconographique demandait souvent un important investissement économique. Sur ce point, le danger majeur me semble être celui, très concret, de la numérisation systématique, où l’on privilégie le nombre sans se préoccuper beaucoup de la substance. Dans Gallica, mais surtout dans la bibliothèque digitale mise en place par Google, on retrouve de plus en plus souvent des textes illustrés avec des images de qualité si médiocre qu’il faut conseiller une nouvelle reproduction. Dans la « bibliothèque Google », les tables hors-texte sont parfois simplement omises, dans d’autres cas « coupées » parce que l’opérateur n’a pas eu la patience de déplier les tables de grand format (ou bien n’avait pas à disposition le matériel ad hoc).

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Ce préambule général fait, je tiens à souligner que, s’il est vrai que la faculté de manipuler les images peut favoriser les initiatives d’une valeur douteuse, les potentialités du procédé demeurent cependant plus importantes et dignes d’intérêt que ses risques, présumés ou réels. On doit penser, par exemple, à la possibilité d’aborder les études historico-critiques dans un spectre large, qui convoque les textes imprimés et les manuscrits, avec l’intention de suivre les histoires de certaines images-clés déterminées de la littérature sur l’architecture et leurs « commentaires » (d’ordre philologique, technico-contructif, etc.). La banque de données numérique n’est qu’un instrument, mais utilisé avec soin, il peut produire des résultats importants dans un domaine de recherche encore aujourd’hui étrangement peu exploré (malgré l’usage de plus en plus fréquent des images « architectoniques » extraites des grands traités). Pierre Caye. L’architecture est un savoir galénique, c’est-à-dire qui relève de la filière logos-skia-ergon par laquelle Galien définissait la logique médicale. La skia, c’est- à-dire le dessin, le croquis, le relevé, a donc ainsi un rôle médiateur fondamental entre le projet et sa réalisation, et plus généralement entre la théorie et la pratique. Mieux encore, et en cela l’architecture se rapproche des autres arts du disegno, elle contribue à faire progresser le projet lui-même comme si le lien entre le logos et la skia, entre le discours et la figure, avait un véritable pouvoir de création. Le récent ouvrage de Karim Basbous, Avant l’œuvre : essai sur l’invention architecturale (2005), montre dans ce cadre toute la complexité des rapports entre le dessin et la conception mentale dans la genèse du projet. Ces liens sont une réalité fondamentale du dispositif complexe de production architecturale où les ouvrages prennent place. Il appartient à l’éditeur scientifique non de les réinventer, mais simplement de les comprendre puis de les expliquer.

Pascal Dubourg Glatigny. L’édition de textes anciens d’histoire de l’architecture présente une très grande diversité de modèles : de la pratique philologique la plus traditionnelle et rigoureuse à l’édition expérimentale en passant par de nombreux modèles mixtes. Sans oublier la catégorie du «coffee table book », dans laquelle le livre d’architecture est également présent. Le public de ces éditions est très varié et parfois le public acheteur se distingue clairement du public utilisateur. Les traductions actuellement sur le marché posent également la question des destinataires. Elles sont assez rares en français, mais fréquentes dans d’autres langues comme l’espagnol ou l’anglais. Pensez-vous que la préparation et l’attente du public académique de ces aires culturelles soient différentes ? Dans quelle mesure les récentes traductions de textes d’architecture et des arts qui lui sont liés contribuent à la médiation de la culture ancienne ? Werner Oechslin. Tout le monde est libre de s’exprimer comme il veut. Mais quand on touche des catégories comme celle de l’« édition », on entre dans un domaine paramétré et riche d’un passé plein d’expériences. Tant que les conventions établies sont suivies, la forme peut varier… Il y a des formes d’édition qui privilégient le lecteur et d’autres qui rendent le texte difficile, voire impossible à lire. Le contraste entre le coffee table book et l’édition scientifique est faux : il est souhaitable que des éditions de texte soient faites avec le plus grand soin éditorial (ce qui est donc aussi un luxe…). Claude Mignot. La question de la traduction des traités d’architecture se pose de manière particulière pour les Français, puisque la plupart des traités anciens ont été

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publiés en français et en italien. Même pour les traités édités initialement en latin, comme Vitruve ou Alberti, la question est ambiguë car il existe des traductions anciennes, parfois très libres, en italien et en français, comme celles de Jean Martin (1547 et 1553), et la connaissance du latin est précisément nécessaire pour mesurer la dérive opérée par les traducteurs successifs. Dans ce champ, la pesée du sens des mots est particulièrement délicate : les traductions anciennes constituent à mon sens aussi des œuvres originales, et elles doivent elles aussi être analysées à ce titre. Les traductions modernes, elles, ne peuvent être pour nous, comme pour les lecteurs des philosophes ou de Sigmund Freud, qu’un secours commode, mais aussi trompeur qu’utile. Antonio Becchi. Le cas anglais devrait être considéré à part. Il est évident que quelque éditeur que ce soit a plus intérêt à publier un volume où les textes et les appareils critiques peuvent être lus par des millions de personnes que par des centaines. Les éditions en langue anglaise ont cette caractéristique. Il y a en outre différents projets de recherche, comme ceux portés en avant avec de bons résultats par Vaughan Hart et Peter Hicks (1996-2001) sur les œuvres de Sebastiano Serlio12, qui comblent un vide dans la littérature de l’architecture en langue anglaise et constituent un bénéfice incontestable pour les autres aires culturelles, en intégrant, par exemple, les importantes études développées en France dans le cadre du programme de recherche déjà évoqué, Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie (avec les publications relatives). À l’inverse, le cas espagnol peut servir de leçon à l’Europe entière. L’Espagne a mieux su tirer profit que les autres pays du fait amplificateur de la dialectique fédérale. Les universités (ou tout du moins les centres de recherche) soutiennent de très bons projets éditoriaux – souvent tournés vers des œuvres ou des auteurs profondément liés au territoire – et dans le même temps la langue espagnole (dans ses diverses déclinaisons) est promue au niveau national avec de vastes programmes de traduction et de rééditions. Les activités de la Sociedad Española de Historia de la Construcción et les publications de l’Instituto Juan de Herrera témoignent d’une clairvoyance culturelle qui porte l’Espagne à l’avant-garde aussi dans ce domaine de la recherche. Il s’agit du résultat d’une alliance virtuose entre la fierté linguistique et le sens de la responsabilité culturelle, deux facteurs qui en France, en Allemagne ou en Italie ont des implications très diverses, même par rapport aux différentes réactions liées à la menace de l’homogénéisation anglo-américaine. Par ailleurs, il est important de souligner combien les études critiques les plus sérieuses et approfondies partent souvent d’un travail de traduction, parce que l’enquête sur chaque terme et sur l’ensemble de l’œuvre contraint les éditeurs et traducteurs à affronter directement, dans le détail, toutes les difficultés interprétatives et à exposer, noir sur blanc, les limites de leurs propres compétences. Le travail encyclopédique développé ces dernières années en France autour du traité de Vitruve et rassemblés dans les volumes publiés par Les Belles Lettres a valeur d’exemple. Le rôle de médiation avec la culture antique développée par ce biais et par d’autres projets éditoriaux me semble bien souligné par l’intérêt croissant pour les thèmes et les auteurs qui sont au centre de ces recherches. L’attention renouvelée à l’égard du monde romain et de la langue latine, même parmi les jeunes et en particulier dans les pays anglo-saxons, passe naturellement pars des canaux culturels

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analogues, où la traduction a le devoir de faciliter et de solliciter les approfondissements individuels. Pierre Caye. La littérature architecturale peut faire l’objet de diverses approches : histoire du livre ; médiologie (en particulier à travers le rapport texte/image) ; histoire de l’art et du patrimoine (par les informations que certains textes peuvent fournir sur des bâtiments existants ou détruits ou bien sur les modes de construction) ; histoire culturelle, ou encore ce que j’appelle l’histoire architecturale de l’architecture, où la littérature architecturale est au service d’une meilleure compréhension des instruments de la discipline architecturale proprement dite. Ce sont à chaque fois des publics différents qui sont concernés, même si on assiste évidemment à des recoupements. Mes recherches sur les traités étant fortement axées sur le projet et sur l’histoire de sa conception, je m’adresse d’abord au public des écoles d’architecture, mais aussi aux historiens des sciences intéressés par le rapport que l’architecture entretient à la question de la technique, et par le rôle constituant de l’architecture de la Renaissance dans ce que j’appelle « l’humanisme mathématique », l’humanisme du quadrivium (musique, arithmétique, géométrie, astronomie) pour le distinguer de la culture littéraire et rhétorique à laquelle on restreint trop souvent la question de l’humanisme. Comme vous, je pense que l’histoire de l’architecture et de sa littérature constitue une médiation privilégiée de la culture ancienne, permettant même d’en découvrir des aspects inédits ou mal connus. Cependant, il semble, particulièrement en France, que la peinture et son histoire occupent une place symbolique bien plus importante que l’architecture, au point de remplir l’essentiel de cette fonction médiatrice, du moins aux yeux du public et de la critique. Mario Carpo. Comme je le disais dans ma première réponse, maintenant que les motivations pratiques du post-modernisme sont dépassées, l’érudition peut reprendre l’avantage. L’histoire architecturale et l’histoire des théories architecturales ont énormément profité de la boulimie des post-modernistes. Nous avons désormais, par exemple, d’excellentes traductions en français et en anglais du De re ædificatoria d’Alberti, et les fondements idéologiques de telles entreprises n’en amoindrissent nullement la valeur scientifique. Mais pour parler franchement, la théorie architecturale d’Alberti (comme ses édifices) n’a rien à apprendre en soi aux étudiants en architecture d’aujourd’hui. Ce que disait Alberti est précisément pertinent et capital parce qu’il l’a dit au moment où il l’a dit, et non parce que certains le répètent encore aujourd’hui.

Pascal Dubourg Glatigny. Lorsque l’on parle de textes, on parle naturellement de questions en rapport avec la langue et le langage. La description des œuvres est fondamentalement liée à la capacité d’employer un vocabulaire adéquat. Au XVIIe siècle, Filippo Baldinucci écrivait l’histoire des artistes et compilait dans le même temps son vocabulaire de l’art du dessin ; il pensait conjointement la description et les descripteurs. Cette préoccupation a cependant progressivement abandonné les historiens. Le Vocabulaire de l’architecture de l’Inventaire général13 est désormais assez ancien (1972; nouvelle édition en 1989) et rares sont les entreprises récentes : le Glossario dell’Edilizia Romana tra Rinascimento e Barocco de l’Université de Rome Tor’Vergata, consultable en ligne, constitue une exception. À travers les nouvelles éditions, les textes anciens sont de mieux en mieux diffusés, mais le souci de

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connaître le vocabulaire historique semble secondaire. Selon vous, à quoi cette désaffection est- elle liée ? La question du sens de la langue est-elle simplement encore d’actualité ? Antonio Becchi. Le problème des vocabulaires et des glossaires représente à mon avis l’un des grands défis des années à venir en ce qui concerne la littérature sur l’architecture. Dans ce domaine, il reste encore beaucoup à faire et il faudra trouver le moyen et les instruments pour lancer des projets européens de longue haleine. La collaboration internationale entre philologues, historiens et architectes pourrait donner des résultats d’une valeur inestimable, tirant au maximum profit des potentialités des nouvelles banques de données numériques. Les études sur les traités d’architecture et sur les liens entre art, science et littérature pourraient finalement cristalliser dans le domaine de l’histoire des langues certains des points de vue « pluridisciplinaires » les plus intéressants. Dans ce domaine, les études demandent un engagement long, constant, nécessairement polyphonique : ne nous étonnons pas que rares soient ceux qui se sentent capables de relever le défi. Le retard de ce secteur de la recherche est évident et rappelle la première question de ce débat. On en trouve une preuve parmi d’autres dans l’attention restreinte qui a été jusqu’à ce jour réservée à un dictionnaire vitruvien qui a eu une grande fortune entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, le De verborum Vitruvianorum significatione (1612) de Bernardino Baldi14. Une réédition (avec traduction ?) de cette importante œuvre de la Renaissance tardive italienne pourrait ouvrir de nouveaux horizons de recherche, pour l’instant seulement pressentis. Quoi qu’il en soit, la conclusion est claire : dans ce champ, la ressource des banques numériques et leur exploitation, d’une manière non plus naïve ni précipitée, représente une grande opportunité qui, dans le domaine de l’architecture, a été jusqu’à aujourd’hui à peine comprise. Mario Carpo. Je pense que la question est posée de manière trop pessimiste. L’indexation lexicographique informatique est un outil fantastique qui devient de plus en plus accessible à tout chercheur individuel. Des interrogations lexicographiques peuvent être affinées, personnalisées et adaptées à des projets spécifiques et ciblés. Ce qui, il y a vingt ans, était encore le monopole d’équipes de scientifiques et d’instituts de recherche (ou exigeait un investissement de toute une vie chez un chercheur individuel) peut désormais être accompli – ou presque – depuis des ordinateurs portables. Si les études de sémasiologie et d’onomasiologie ne pouvaient encore récemment être réalisées que par échantillonnage aléatoire, elles peuvent dorénavant être mises à profit sur des corpus bien plus vastes. En conséquence, je vois et je prévois le développement des compétences linguistiques et lexicographiques dans notre domaine, et non l’opposé. Pierre Caye. La langue est évidemment quelque chose d’essentiel pour l’architecture, comme pour tous les arts étroitement liés à la fois à une commande et à un chantier, c’est-à-dire pour les arts où le rapport de l’artiste à son œuvre est médiatisé par un rapport préalable aux hommes. Jean Martin, le premier traducteur français du Vitruve, traduisait ratiocinatio par le terme de « communication » : c’est un faux sens significatif. L’art, et en particulier l’architecture à l’âge humaniste et classique, est une sémantique ; le mouvement moderne a lui-même fait un immense effort de redéfinition des notions et des instruments de l’architecture. En architecture, on peut craindre la confusion des langues, mais non pas leur perte (à moins que cette confusion ne signe leur perte). La langue fait encore et nécessairement sens, ne serait-ce que par l’organisation « académique » (au bon sens du terme) de

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l’enseignement de l’architecture. Simplement, il me semble que ce qui fait l’intérêt de la sémantique d’un art, c’est son opérativité dans la morphogénèse même de l’œuvre d’art. Et c’est peut-être ce lien-là qui n’apparaît plus aussi clairement, ce qui peut avoir pour résultat de discréditer l’approche sémantique de l’art, son approche historique aussi bien que contemporaine. Claude Mignot. La question du vocabulaire et des vocabulaires est liée aux réflexions précédentes. La nécessité de publier des vocabulaires spécialisés apparaît assez tôt en France avec André Félibien (1676)15 et Charles Daviler (1691-1693)16. Le vocabulaire architectural constitue un réseau à la fois cohérent dans chaque livre et mouvant d’un traité à l’autre. Les tentatives de vocabulaires européens, sur des champs particuliers, montrent la difficulté, voire l’impossibilité, de trouver des équivalents qui ne passent pas par de longues périphrases ou au contraire des raccourcis trompeurs. Par exemple, la vis de Saint-Gilles (une vis portée par un berceau hélicoïdal en pierres clavées) n’a d’équivalent qu’en espagnol (caracol de San Gil), parce que ce type n’existe pas (ou très rarement) en Italie et en Angleterre ; la volée, partie d’escalier entre deux paliers ou repos (flight, rampa, tramo), est de traduction difficile lorsqu’il y a plusieurs montées17. Werner Oechslin. Que l’on ait négligé la question du vocabulaire est conforme à la décadence de la discipline de la lecture et de la pratique des langues. Dès les premières études du texte de Vitruve, les humanistes étaient d’accord sur le fait qu’une lecture devrait être accompagnée d’une analyse du vocabulaire. Bien avant Filippo Baldinucci, Guillaume Philandrier avait – avant de republier le texte vitruvien complet – « isolé » le vocabulaire de l’architecte antique pour mieux entrer dans une analyse18. D’autres comme Bernardino Baldi l’ont suivi ; Francesco Mario Grapaldi a analysé la maison à travers l’instrument du vocabulaire19 : ce ne sont pas les exceptions, mais la règle. Il faut nous en souvenir : dans la totalité des analyses, c’est établir un texte, établir un vocabulaire, comprendre un texte (si nécessaire à travers des traductions), ajouter des commentaires qui compte. Ceux qui aimeraient connaître un programme idéal d’une analyse de texte liront – toujours avec profit – la lettre que Claudio Tolomei adressait le 14 novembre 1542 au comte Agostin de’Landi20 ; c’est un « programme » toujours valable qui dessille les yeux !

NOTES

1. Ecdotique : art d’éditer ou de reconstituer des textes anciens par le biais de techniques sophistiquées. 2. Angelo Comolli, Bibliografia storico-critica dell’architettura civile ed arti subalterne, Rome, 4 vol., 1788-1792. 3. Voir Sylvie Deswarte-Rosa éd., Sebastiano Serlio à Lyon, architecture et imprimerie. I,9 Le traité d’architecture de Sebastiano Serlio, une grande entreprise éditoriale au XVIe siècle, Lyon, 2004 ; Jean Guillaume éd., Jacques Androuet du Cerceau, Paris, 2009 (à paraître) ; Jean-Marie Pérouse de Montclos éd., Philibert de l’Orme, Traités d’architecture, Paris, 1988.

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4. Laurence Hall Fowler, Elisabeth Baer, The Fowler Architectural Collection of the John Hopkins University, [Baltimore, 1961] San Francisco, 1991 (448 entrées) ; Robin Middleton, Dora Wiebenson, Claire Baines, The Mark J. Millard architectural collection. I. French books (Sixteenth Through Nineteenth Centuries), Washington/NewYork, 1993 ; Adolf K. Placzek, Angela Giral éd., The Avery library : Five centuries of great architectural books, Avery choice. One hundred years of Avery library (1890-1990), New York, 1997 ; et plus récemment, avec des exigences bien supérieures, Paul W. Nash et al., Early printed books, 1478-1840 : catalog of the British Architectural Library Early Imprints Collection, 5 vol., Munich, 2001-2003 et le catalogue des collections architecturales de la bibliothèque de l’INHA en cours. 5. John Patrick Tuer Bury, « Annexe », dans Jean Guillaume éd., Les traités d’architecture de la Renaissance, (colloque, Tours, 1981), Paris, 1988, p. 485-502 ; John Patrick Tuer Bury, Paul Breman, Writings on architecture, civil and military, c.1460 to 1640 a checklist of printed editions, Goy-Houten, 2000. 6. Marco Biffi éd., Francesco di Giorgio Martini. La traduzione del De Architectura di Vitruvio : dal ms. II.I. 141 della Biblioteca nazionale centrale di Firenze, Pise, 2002. Voir aussi Massimo Mussini, Francesco di Giorgio e Vitruvio : le traduzioni del `De architectura´ nei codici Zichy, Spencer 129e Magliabechiano 2.1.141, Florence, 2003. 7. Rem Koolhaas. , A retroactive Manifesto for Manhattan, Londres, 1978 [Paris, 1978]. 8. Berlin Declaration on Open Access to Knowledge in the Sciences and Humanities, 2003 (oa.mpg.de/ openacces-berlin/berlindeclaration.html). 9. Voir www.techno-science.net : « Le copyleft […] est la possibilité donnée par l’auteur d’un travail soumis au droit d’auteur (œuvre d’art, texte, programme informatique, etc.) à l’utilisateur de copier, utiliser, étudier, modifier et distribuer son œuvre, avec la restriction/obligation que celui-ci devra laisser l’œuvre sous les mêmes conditions d’utilisation, y compris dans les versions modifiées ou étendues. Autrement dit, l’utilisation du copyleft est contagieuse ». 10. Rudolph Wittkower, Architectural principles in the age of humanism, Londres, 1949 [1977] ; trad. fr. : Les principes de l’architecture à la Renaissance, Paris, 1996. 11. Ce point a été abordé lors des journées d’étude sur les bibliothèques d’architecture organisée par l’INHA les vendredi 14 et samedi 15 janvier 2005 (http://www.inha.fr/IMG/pdf/programme- journees-14-15-janvier.pdf) dont les actes doivent paraître en 2008 : Olga Medvedkov éd., Bibliothèques d’architecture/Architectural Libraries. 12. Vaugan Hart, Peter Hicks éd., Sebastiano Serlio on Architecture, New Haven/Londres : vol. 1, Books I-V of « Tutte l’opere d’architettura et prospetiva », 1996 ; vol. 2, Books VI and VII of « Tutte l’opere d’architettura e prospetiva » with « Castrametation of the Romans » and « The Extraordinary book of doors », 2001. 13. Jean-Marie Pérouse de Montclos, Architecture. Vocabulaire, (Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Principes d’analyse scientifique), Paris, 1972 [1988] ; rééd. Paris, 2001 : Architecture : méthode et vocabulaire. 14. Bernardino Baldi, De verborum Vitruvianorum significatione : sive Perpetuus in M. Vitruvium Pollionem commentarius, Augsburg, 1612. 15. André Félibien, Des principes de l’architecture, de la sculpture, de la peinture, et des autres arts qui en dépendent. Avec un dictionnaire des termes propres à chacun de ces arts, Paris 1676. 16. Augustin-Charles Charles d’Aviler, Cours d’architecture qui comprend les ordres de Vignole, avec des commentaires, les figures et descriptions de ses plus beaux bâtimens, & de ceux de Michel-Ange, plusieurs nouveaux desseins...l’art de bâtir avec une ample explication par ordre alphabétique de tous les termes par le sieur A. C. Daviler..., Paris, 1691-1693 [1710, 1738]. 17. Voir par exemple « Le système de l’escalier, grille d’analyse et vocabulaire international » par Jean Guillaume, publié à la fin du chapitre sur l’escalier, dans L’Architecture de la Renaissance, Paris, 1982, p. 207-216.

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18. Guillaume Philandrier, In decem libros M. Vitruuii Pollionis de architectura annotationes…, Rome, 1544 ; Gulielmi Philandri Castilionij Galli ciuis Ro. In decem libros M. Vitruuij Pollionis De architectura annotationes, ad Franciscum Valesium regem christianissimum, cum indicibus Græco & Latino locupletissimis, Paris, 1545. Voir : Frédérique Lemerle éd., Les Annotations de Guillaume Philandrier sur le « De architectura » de Vitruve Livres I à IV, Paris, 2000. 19. Francesco Mario Grapaldi, De partibus ædium : addita modo verborum explicatione quæ in eodem libro continentur ; opus sane élégant…, Parme, 1506 [1516, et al.]. 20. Claudio Tolomei, De Le Lettere… Lib. Sette, Venise, 1547, fol. 81 recto et suivants.

INDEX

Keywords : book, architectural litterature, architecture history, architecture treatise, edition, historiography, translation, numerical edition Index géographique : Europe Mots-clés : livre d'architecture, littérature architecturale, histoire de l'architecture, traités d'architecture, édition, historiographie, traduction, édition numérique Index chronologique : 1900, 2000

AUTEURS

ANTONIO BECCHI Chercheur invité au Max-Planck-Institut (Berlin), il travaille depuis 1992 sur le projet Between Mechanics and Architecture ; il a fondé la Bibliotheca mechanico-architectonica.

MARIO CARPO Enseignant à l’École d’architecture de Paris-La Villette, il a été responsable du centre d’études du CCA entre 2002 et 2005. Ses recherches se concentrent sur les relations entre la théorie de l’architecture et l’histoire des médias.

PIERRE CAYE Directeur de recherche au CNRS, il a étudié Vitruve et le vitruvianisme. Il dirige au CNRS le GDR sur « les savoirs artistiques et les traités d’art de la Renaissance aux Lumières ».

CLAUDE MIGNOT Professeur à l’université de Paris IV-Sorbonne, il a publié une réédition commentée de Manière de bâtir pour toutes sortes de personnes par Pierre Le Muet, Paris, 1623 (1981).

WERNER OECHSLIN Théoricien et historien de l’architecture, il a enseigné au MIT, puis à l’école polytechnique de Zurich, où, de 1986 à 2006, il a dirigé le GTA. Il étudie plus particulièrement les liens entre les théories historiques et leur écho dans la production contemporaine.

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PASCAL DUBOURG GLATIGNY Chargé de recherche CNRS au Centre Marc-Bloch (Berlin). Il a publié une traduction des Deux règles de la perspective pratique de Vignole d’Egnatio Danti (2003) et a dirigé Réduire en art, la techno- logie de la Renaissance aux Lumières (2008).

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Période moderne

Travaux

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Titien. Actualité des études . Actuality of studies Tizian. Die aktuelle Forschung slage Tiziano. Attualità degli studi Tiziano. Actualidad de los estudios

Guillaume Cassegrain

1 « Où est Titien ? », demande l’Arétin dans l’une de ses lettres les plus connues, envoyée au peintre en mai 1544. Il y répond, au cours de la description du paysage vénitien qu’il voit depuis sa fenêtre, par cette évidence : « partout ». Titien, « qui va de pair avec la nature » (DOLCE, [1557] 1968), est dans le ciel « embelli d’une aussi délicieuse peinture d’ombres et de lumières », dans la profondeur du paysage suggérée par les nuages au- dessus des toits (« Considérez aussi mon émerveillement devant les nuages lourds d’humidité condensée, moitié au premier plan, près des toits des maisons, moitié à l’avant-dernier plan »), et dans le coloris du ciel (« Oh ! Avec quelle délicatesse de touche. Les pinceaux de la nature repoussaient au loin l’atmosphère, la détachant des palais comme le fait Titien dans ses paysages » ; ARÉTIN, [1538-1557] 2003, p. 49)1.

2 « Où est Titien ? », demande à son tour Augusto Gentili des années plus tard (GENTILI, 2008, p. 45). Il répond plus modérément que son illustre prédécesseur : « jamais bien loin ». Même lorsque Titien doit s’absenter de Venise pour aller à Rome ou à la cour de Charles V à Augsbourg, il ne perd pas de vue Venise et sa scène artistique. L’Arétin peut faire des louanges au jeune Tintoret, dans une lettre qu’il lui adresse en 1545 en remerciement pour les toiles destinées à son palais, il devra, au retour de Titien, faire amende honorable au « chef de la horde » (Lacan) de la peinture vénitienne et, comme les autres rejetons, ne pas tenter de s’affranchir du nom du père. Les remarques qu’il fait à propos du Miracle de l’esclave (1548) sont alors beaucoup plus nuancées et s’accordent aux valeurs esthétiques défendues par Titien. À la « prestezza del fatto », Tintoret devrait préférer la « pazienza del fare » afin de suivre plus docilement les préceptes de Titien (NICHOLS, 1999).

3 Les historiens de l’art – qu’ils soient universitaires ou conservateurs de musée, défenseurs de l’iconographie ou attributionnistes – donnent encore cette même

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réponse et célèbrent, par leurs travaux, l’omniprésence du peintre originaire de Pieve di Cadore.

4 Il y a bien sûr quantité de raisons qui peuvent expliquer un tel attachement pour le peintre officiel de la cité des doges, qui a travaillé pendant près de soixante-dix ans pour les plus importants mécènes européens. L’historien trouvera dans cette œuvre de quoi alimenter sa réflexion sur l’image du pouvoir – qu’il soit impérial, royal ou civique (CHECA, 1994). Le spécialiste de l’histoire religieuse pourra, à son tour, prendre appui sur les peintures de Titien pour mener ses réflexions sur la Réforme catholique, sur les hérésies, et pour montrer le lien, si fort à Venise, entre sphère religieuse et sphère politique (GENTILI, 1993). L’histoire sociale de l’art verra encore en Titien l’un des meilleurs exemples pour illustrer les rapports complexes qui unissent à la Renaissance un peintre et ses mécènes (BODART, 1998). L’historien de l’art, enfin, pourra se retourner vers lui pour expliquer les caractéristiques du colorito (ROSAND, 1981), spécificité de la peinture vénitienne, et pour établir une généalogie prestigieuse des peintres coloristes. Il trouvera encore dans sa production diversifiée de quoi résumer l’évolution historique de genres particuliers comme le tableau d’autel (MEILMAN, 2000), le portrait (Titien…, 2006 ; Tiziano…, 2006), la gravure (Titian and the Venetian Woodcut, 1976), la peinture tragique (PUTTFARKEN, 2005) ou les peintures érotiques (GOFFEN, 1997b).

5 Alors que certains grands artistes comme Giovanni Bellini (BÄTSCHMANN, 2008) ou , auprès desquels le jeune Titien s’est formé, connaissent des « éclipses » qui les éloignent un temps du devant de la scène, Titien reste toujours d’actualité. Une fondation, initiée par Francesco Valcanover et présidée par Bernard Aikema, est venue en 2003 consacrer cette position privilégiée de Titien dans le paysage des études vénitiennes. Le Centro studi Tiziano e Cadore entend soutenir et valoriser les recherches sur cet artiste. La revue Studi Tizianeschi, publiée par le centre dès sa création, se veut une vitrine de l’activité scientifique internationale sur ce sujet. Peu de peintres (classiques comme modernes) ont la chance d’avoir une publication périodique qui leur est entièrement dédiée. Si dans le domaine des études littéraires cette pratique est répandue, elle reste encore marginale pour l’histoire de l’art. Raphaël ou Michel- Ange, les autres grands noms de la Renaissance italienne, n’ont pas encore eu ce privilège. En revenant sans cesse sur l’œuvre de Titien, les historiens ne travaillent pas simplement sur les qualités picturales, les originalités iconographiques ; ils construisent aussi, volontairement ou non, une « norme » esthétique (dont le colorito constitue la base épistémologique) et historique à partir de laquelle l’histoire de la peinture vénitienne s’entreprend.

Sérénissime Titien

6 En 1993, la grande exposition parisienne sur le XVIe siècle vénitien, organisée par Michel Laclotte, affichait un titre emblématique : Le siècle de Titien. The Age of Titian plaçait également toute la production de ce XVIe siècle vénitien sous la coupe de l’unique Titien (The Age of Titian…, 2004). On pourrait encore citer beaucoup d’autres livres ou catalogues d’exposition qui ont ainsi choisi d’aborder la peinture à Venise par cette voie exclusive. Bruce Cole, dans un livre récent, n’a pas eu peur de placer Titien en exergue de son étude sur la peinture vénitienne alors qu’il choisissait de faire débuter son histoire avant la naissance du peintre (1450) et de la terminer après sa mort (1590) (COLE, 1999). Les études par genre (portrait, tableaux d’autel…) ont eu également la

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mauvaise habitude de résumer et d’ordonner la création artistique vénitienne à partir de la seule production de Titien. En choisissant la « norme » incarnée par Titien, l’auteure d’un ouvrage récent sur les tableaux d’autel de l’artiste, schématise l’histoire de ce genre pictural particulier en cherchant, par tous les moyens, à faire des œuvres du maître la source principale (MEILMAN, 2000). En prenant un parti plus général (le tableau d’autel à Venise aux XVe et XVIe siècles) et en considérant sur un même pied d’égalité les peintres (et les sculpteurs) vénitiens, Peter Humfrey dressait un panorama plus nuancé, plus complexe et certainement plus conforme à la réalité historique (HUMFREY, 1993).

7 Cette (vieille) rhétorique affecte autant les recherches sur l’œuvre de l’artiste que celles sur les autres grands peintres de la Sérénissime. Dans les études sur les premières décennies du XVIe siècle, la lecture « titianesque » de la production locale laisse dans une ombre plus ou moins grande des peintres dont l’importance historique et esthétique n’est plus à démontrer. Face aux innombrables monographies écrites sur Titien, les quelques études sur Cima da Conigliano (HUMFREY, GENTILI, 1994) ou Giovanni Cariani ne peuvent rendre justice au rôle historique tenu par ces peintres. Pour la génération suivante, la même occultation de figures contradictoires ou complémentaires à l’esthétique dominante de Titien se répète. Malgré l’immense travail de Caterina Furlan ou de Charles Cohen (FURLAN, 1988 ; COHEN, 1996 et plus récemment VENTURELLI, 2002), Pordenone n’a toujours pas, dans les histoires générales de l’art vénitien, la place qu’il mérite et qu’il a effectivement occupée jusqu’à sa mort (1539) dans le milieu artistique local. La réception des peintres de la génération suivante a subi des effets similaires de cette lecture orientée. Tintoret, par exemple, souffre encore dans les rares publications monographiques (NICHOLS, 1999) ou les catalogues d’exposition (Tintoretto…, 2007) de cette comparaison obligée. Hans Tietze ouvrait déjà, en 1948, son étude sur Tintoret par cette déclaration éloquente : « Les générations précédentes se sont également senties tenues de comparer la grandeur de Tintoret à l’aune de Titien»2.

8 L’originalité (ou le conservatisme) de certains peintres vénitiens est souvent jugée par rapport à l’étalon-Titien. Peter Humfrey, dans sa monographie sur Lorenzo Lotto, par exemple, ne déroge pas à la règle. Analysant, en introduction, l’Annonciation de Recanati (1534-1535), il estime que Lotto cherche une « indépendance par rapport à une norme, représentée surtout par l’art de Titien » (HUMFREY, 1997, p. 1). Cette lecture relève d’un discours historique largement partagé qui entend faire de la « norme-Titien » une clé de lecture systématique. Toute la production artistique locale – qu’elle se revendique clairement de la manierà de Titien, qu’elle cherche au contraire à s’en détacher ou qu’elle l’ignore – serait condamnée à se positionner par rapport aux choix esthétiques du maître, astre solaire autour duquel les autres artistes seraient obligés de tourner (DAL POZZOLO, 2007). En prenant comme référence Titien, Tintoret devient « original » et « peintre du peuple », Lotto « marginal » et « torturé », Pordenone « toscan » et « maniériste ».

Titien vu par Giorgione

9 La perception historique de Titien n’est pas uniquement tributaire des recherches menées sur le peintre. Les documents d’archives, les lettres, les témoignages d’époque ont permis de dresser un portrait relativement précis de la vie de l’artiste et de son

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entourage familial (PUPPI, 2004 ; HOPE, 2008). Mais ces informations factuelles concernant directement Titien, comme les interprétations iconographiques de ses œuvres, n’ont pas été l’unique voie pour tracer son portrait. La « norme » représentée par Titien s’est également constituée par la marge. Les travaux sur Giorgione qui se sont développés dans les années 1980-1990 n’ont pas été sans conséquence sur le regard porté sur l’œuvre de Titien. À travers Giorgione et le rôle qu’il a pu tenir dans la « révolution » de la peinture vénitienne du début du Cinquecento, les historiens de l’art ont forgé un « mythe », encore vivace de nos jours. Si l’on suit cette lecture historique, Titien a toujours été au « centre » de la peinture vénitienne puisque dès sa jeunesse, en devenant l’élève de Giorgione, il a peint auprès de l’artiste le plus influent de l’époque. De nombreuses peintures témoignent de ce travail d’assistant (le paysage de la Vénus de Dresde, par exemple) mais révèlent également la part prépondérante du jeune peintre dans l’élaboration des œuvres de son maître. Le débat, sans cesse relancé, autour de l’attribution du Concert champêtre est caractéristique de la confusion possible entre les deux peintres (BARDON, 1995-1996). Le tableau du Louvre montre la capacité du jeune Titien à imiter non seulement un style mais aussi une iconographie savante, par bien des points obscures, si caractéristique de l’art de Giorgione (GENTILI, [1980] 1988). Titien est l’héritier de cette manierà exceptionnelle, influente sur toute une génération (les historiens parlent volontiers de « giorgionisme »), mêlant aussi bien l’art de la peinture à l’huile flamande (par Antonello de Messine), le colorito vénitien (par Giovanni Bellini) que le sfumato de Léonard. Par l’entremise de Giorgione, le jeune Titien se trouve au cœur des avancées esthétiques les plus marquantes à l’aube du XVIe siècle. Mais cette « centralité » de Giorgione n’est, pour une bonne part, qu’une invention rétrospective. Une relecture a posteriori de l’histoire que Titien a sans doute lui-même initiée de son vivant et que les historiens de l’art contemporains ont reprise et amplifiée.

10 Augusto Gentili est l’un des premiers à avoir entrepris ce travail de déconstruction – ce qu’il a appelé la « démythologisation de Giorgione » (GENTILI, 1981). Il a notamment montré la part active que Titien avait tenue dans cette orientation historique. Certains tableaux des années 1510-1515 peuvent ainsi être vus comme des « pastiches » de Giorgione que le jeune Titien réalise afin de donner une image de son maître qui lui corresponde pour servir sa propre manierà. Le Concert Pitti reprend effectivement l’iconographie du concert si présente dans l’œuvre de Giorgione, mais en la transformant radicalement. Du Concert de Giorgione (Florence, Palais Pitti), ouvertement poétique, Titien passe, presque imperceptiblement (l’iconographie ne change pratiquement pas), à une représentation morale qui n’a plus grand-chose à voir avec l’original et avec les références culturelles mobilisées. Le Concert champêtre de Titien est, encore une fois, le cas le plus parlant. On y retrouve tous les ingrédients « giorgionesques » (activité musicale, érotisme, élégie bucolique), mais profondément retravaillés. Titien change ainsi complètement l’esprit de Giorgione en abandonnant des petites figures dans un paysage (comme dans les Trois philosophes dans un paysage [Vienne, Kunsthistorisches Museum]) pour les remplacer par de grandes figures dominant la représentation de la nature. La métamorphose qu’il fait subir à la Vénus de Dresde avec la Vénus d’Urbino pousse à l’extrême cette relecture de l’œuvre de Giorgione. La Vénus de Titien est allongée dans un intérieur et regarde directement le spectateur, là où celle de Giorgione dort au cœur d’un paysage. Ces remaniements ponctuels, parfois marginaux, du modèle giorgionesque ont permis à Titien de léguer une image particulière de l’œuvre de son maître qui n’est sans doute pas conforme à la réalité. Les

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historiens de l’art contemporains ont accepté, consciemment ou non, ces « relectures » de Titien et fait de la peinture de Giorgione une construction mythique. La compréhension de la formation de Titien a longtemps été tributaire de cette interprétation tendancieuse de l’œuvre de Giorgione. Le jeu de reprise des modèles inventés par Giorgione, entrepris par Titien dès la première décennie du XVIe siècle, a ainsi posé quelques problèmes d’attributions. Plusieurs tableaux, et non des moindres (la Vénus de Dresde, le Concert champêtre), ont été successivement donnés soit à Giorgione soit à Titien, bouleversant profondément la compréhension de l’évolution de la carrière du jeune artiste. La volonté de certains historiens d’attribuer à Giorgione un nombre considérable de peintures a eu pour effet pratique de lui inventer un corpus digne d’un peintre influent. Ce « pangiorgionisme », qu’Alessandro Ballarin a poussé jusqu’à la démesure (Le siècle de Titien…, 1993), a servi en retour à asseoir le rôle historique de Titien. En avançant la date de sa naissance, Titien a eu à cœur de diffuser dans la littérature artistique de l’époque l’image d’un peintre de génie qui avait réalisé des chefs-d’œuvre dès son plus jeune âge (SOHM, 2007). Peintre précoce, dépassant un maître incontesté, digne héritier de cette culture élitiste qui faisait la gloire de Giorgione, Titien devenait ainsi le « centre » de la nouvelle peinture vénitienne qui poussait dans l’oubli les illustres prédécesseurs, les Bellini, Carpaccio ou Palma Vecchio.

11 Ce point de vue, qui a encore la vie dure, a heureusement été contredit par Augusto Gentili qui a démontré, avec la force de conviction qui le caractérise, que Giorgione n’avait pas été, de son vivant, ce peintre capital mais, au contraire, un artiste provincial (certes, de talent) dont le travail n’avait eu en fait que peu d’influence sur la peinture vénitienne contemporaine. La démonstration est implacable : Giorgione ne peut avoir tenu un rôle majeur dans l’art vénitien du début du Cinquecento parce que son œuvre était « invisible » (GENTILI, 1981). Giorgione travaillait pour quelques collectionneurs qui conservaient leurs tableaux dans leur palais, ne les donnant à voir qu’à des intimes. Il n’a également pratiquement jamais eu de commandes publiques, moyen le plus efficace pour assurer une publicité. La seule qu’il a honorée durant sa brève carrière (la décoration à fresque du Fondaco dei Tedeschi, 1508), et à laquelle le jeune Titien participe, montre qu’il n’avait pas le statut que l’histoire de l’art lui reconnaît parfois. Au moment du paiement, une commission où siègent Giovanni Bellini et Carpaccio, entre autres, décide de réduire la somme due de 150 ducats à 130. Cette anecdote précise bien la position relativement marginale que Giorgione occupait alors à Venise. Il n’a peint aussi, chose assez rare pour l’époque, qu’un seul tableau d’autel, et encore, destiné à la modeste église de son village natal, Castelfranco. La valorisation tardive du rôle de Giorgione, diffusée déjà par les Vies de Vasari (H OPE, 2007), a longtemps influencé la vision que l’on pouvait se faire de l’œuvre de Titien. La démystification de Giorgione a été une première étape salutaire sur le chemin qui mène de Titien à Titien.

12 L’autre borne chronologique joue désormais un rôle critique similaire. Aux études sur Giorgione et la jeunesse de Titien (JOANNIDES, 2001), les historiens préfèrent, depuis une vingtaine d’années, la vieillesse du maître et sa dernière manierà. Ils y voient le moyen de mieux cerner Titien (l’individu) derrière Titien (le nom) et de faire la part entre l’invention originale du vieux peintre, mélancolique, confronté à ses tourments intimes (PANOFSKY, [1969] 1989 ; SOHM, 2007), et le fonctionnement de l’atelier, perpétuant un style unique à partir de pinceaux multiples tenus par son fils Orazio, le cousin Marco Vecellio ou le jeune artiste allemand Emanuel Amberger (TAGLIAFERRO : 2006, 2007).

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13 Si Titien est bien évidemment d’une grande importance pour l’histoire de la peinture vénitienne, son rôle auprès des autres artistes du Cinquecento, son influence esthétique sont bien plus complexes que ces postulats critiques ne le laissent entendre. Les études sur Titien orientent la perception de la peinture vénitienne et rendent homogène son histoire en gommant certaines de ses particularités. Parmi la production critique de ces dernières années, on peut ainsi relever deux cas symptomatiques (le maniérisme et la sculpture) qui continuent à être marginalisés par l’histoire officielle.

La « crise » maniériste

14 Par l’omniprésence de Titien, les recherches sur le maniérisme vénitien restent tributaires d’une lecture normative. Les spécialistes du maître ne veulent pas reconnaître dans les peintures des années 1545-1550 la marque d’une mode esthétique qui touche l’ensemble de l’Italie et s’inscrit ainsi dans une histoire collective. Ces œuvres, réalisées pendant le séjour romain (1545-1546) et après son retour à Venise, témoignent d’une influence évidente du maniérisme d’Italie centrale et sont, notamment, le résultat d’un dialogue critique avec Michel-Ange. Elles représentent, pour certains spécialistes, une parenthèse dans l’œuvre de Titien et ne peuvent, malgré les qualités plastiques de ces chefs-d’œuvre, incarner véritablement sa manierà. Le Couronnement d’épines peint pour Santa Maria delle Grazie à Milan (1541, Musée du Louvre), par exemple, fait la part belle au disegno et au vocabulaire maniériste (musculatures accentuées, poses artificielles, citations…), tournant le dos à la tradition locale. En suivant cette esthétique « au goût du jour », Titien ne ferait plus de la peinture « vénitienne » et répondrait, pour un temps, à des exigences commerciales. Cette période se referme assez rapidement lorsqu’il met au point une nouvelle façon de peindre où le colorito reprend tous ses droits à partir des années 1555.

15 Cette vision d’une « crise maniériste », comme les historiens de l’art se sont plus à la nommer, de Titien est tributaire d’une image rétrograde de ce courant. « Art de crise », le maniérisme a longtemps été perçu comme un accident qui a interrompu, sous la pression des drames politiques (le Sac de Rome en 1527 principalement ; CHASTEL, [1977] 1984) qui affectaient alors l’Italie, le cours prestigieux de la Renaissance (PINELLI, 1996). Pourtant, si cette conception n’est plus de mise dans les recherches récentes sur le maniérisme toscan ou romain (ARASSE, TÖNNESMANN, 1997), elle demeure efficiente dans le domaine des études vénitiennes car elle s’adapte parfaitement à l’histoire suggérée par Titien. Pour respecter la « norme » Titien, les spécialistes minimisent la portée du maniérisme à Venise et maintiennent à la marge des peintres éminents.

16 En effet, le maniérisme, malgré ce regain d’intérêt qu’il a connu depuis les années 1960 ( FRIEDLAENDER, [1957] 1991 ; SMYTH, [1962] 1992 ; SHEARMAN, 1967), reste le parent pauvre des recherches sur l’art vénitien. Le maniérisme qui s’est épanoui à Gênes, Parme, Mantoue ou Florence, proposant des solutions originales à partir d’un vocabulaire commun, a été bien analysé. Pour Venise, étrangement, il a continué à être vu comme secondaire. On parle volontiers de « maniérisme à Venise » mais pas de « maniérisme vénitien », comme pour mieux signifier sa nature exogène. Cette façon de voir marginalise une part non négligeable de la production de la seconde moitié du Cinquecento (notamment les décorations de palais) et le rôle joué par certains artistes d’Italie centrale à Venise. Des peintres comme Andrea Schiavone ou Paris Bordone ne

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trouvent pas leur place dans l’histoire qui est ainsi faite et voient leurs œuvres isolées de façon caricaturale du reste de la production.

17 Le colloque international de 1978, intitulé Tiziano e il manierismo europeo ( PALLUCCHINI, 1978), ou encore l’exposition Da Tiziano a El Greco… (1981), ont essayé, avec plus ou moins de succès, de comprendre l’adaptation locale de ce courant originaire d’Italie centrale et de maintenir, dans le même temps, Titien au cœur de cette histoire. Et c’est bien souvent parce qu’ils placent Titien au centre de leurs réflexions que les historiens de l’art maintiennent Venise en dehors du maniérisme. Faire ainsi l’histoire du maniérisme vénitien sous la conduite exclusive de Titien revient à simplifier l’extrême diversité des styles appréciés à Venise. Pourtant, l’idée d’une « crise » maniériste contredit les liens que certains proches de Titien (l’Arétin, notamment) entretenaient avec des artistes et intellectuels romains (HOCHMANN, 2004). De plus, de nombreux polygraphes, diplomates, collectionneurs (les Corner ou les Grimani) ont favorisé la venue à Venise de peintres comme Francesco Salviati ou Giovanni da Udine (HIRST, 1963).

18 La commande de la Libreria Marciana est significative de cette appréhension critique du maniérisme vénitien. Décidée par le gouvernement en 1556, la décoration du plafond de la salle de lecture de la Libreria est l’exemple préféré des historiens pour illustrer ce rejet « naturel » du maniérisme à Venise (HOPE, 1990). Les peintres choisis pour les différents tondi (Giovanni Battista Zelotti, Andrea Schiavone, Battista Franco, Giovanni De Mio, Giulio Licinio, Giuseppe Porta Salviati et Véronèse) étaient, à une large majorité, non vénitiens et « maniéristes ». Titien qui avait eu la charge, avec Jacopo Sansovino, de sélectionner les artistes, remit le collier d’or, destiné à célébrer la meilleure œuvre, à Véronèse, le plus Vénitien de tous.

19 L’histoire du maniérisme vénitien se résume donc bien souvent à un « échec » où Titien joue toujours un rôle essentiel (HUMFREY, 1995).

Titien et la sculpture

20 La sculpture semble subir le même a priori et est maintenue à l’écart des études sur la peinture vénitienne. Des monographies importantes sur des sculpteurs vénitiens ont été publiées ces dernières années (BOUCHER, 1991), mais ces artistes semblent pourtant toujours considérés à la marge de la « venezianità ». La « picturalité » exemplaire de la manierà de Titien – notamment à partir des années 1550-1560 – et la mise en place de la fameuse « pittura di macchia » (peinture de taches) ont longtemps permis de ne parler de l’art vénitien que sous l’angle du colorito. Contrairement au disegno, qui sert de guide à la pratique artistique dans le reste de l’Italie, le colorito vénitien met l’accent sur les effets (sensuels, érotiques) que la peinture, posée directement sans dessin préparatoire, provoque chez le spectateur. Titien est vu comme l’initiateur de cette « révolution », entamée avec son maître Giorgione au début du XVIe siècle, et apparaît, pour cette raison, comme le contrepoint idéal aux représentants du disegno toscan que sont Raphaël et surtout Michel-Ange (PUTTFARKEN, 1991 ; HOCHMANN, 2004). Dolce, dans un passage de son Dialogo (1557), posait déjà les bases de cette opposition. Si Michel-Ange était considéré comme supérieur à Raphaël et à sa science du coloris, il l’était principalement par des sculpteurs (DOLCE, [1557] 1968). Les véritables connaisseurs de la peinture n’étaient pas aussi aveugles, faisant de Raphaël et Titien des maîtres incontestés.

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21 La sculpture pâtit de cette tradition critique en ce qu’elle est l’exact opposé de cette esthétique que Titien défend, notamment contre le plus grand sculpteur de l’époque : Michel-Ange. La Danaé que Titien peint lors de son séjour à Rome en 1545 pour Alessandro Farnese a été perçue, par Vasari lui-même, comme une « peinture-paragone » où le colorito affrontait le dessin toscano-romain (ZAPPERI, 1990 ; WALD, 2008). Titien y reprend les modèles prestigieux de Michel-Ange (La Nuit du tombeau des Médicis à San Lorenzo et la Léda dessinée vers 1530) pour mieux les pervertir. Les corps sculptés (pour le tombeau) ou clairement délimités par la ligne du dessin (pour la Léda) de Michel- Ange, symboles de la manierà « virile » du maître, deviennent sous le pinceau de Titien féminins et vénusiens. Lorsque Titien effectue ce type de renversement esthétique, il l’entend comme un manifeste de sa propre manierà, comme une véritable « déclaration de guerre » (GOFFEN, 2002, p. 335). La reprise tardive (Munich, Alte Pinakothek, 1570) qu’il fait de sa première version « maniériste » du Couronnement d’épines est un exemple frappant de la relecture critique entreprise par Titien et de sa volonté de gommer les aspects ouvertement « toscans ».

22 La dimension sculpturale de la première version (le buste de l’empereur Tibère, notamment) disparaît dans la réinterprétation de 1570. Cette éviction de la sculpture a été reprise par certains historiens de l’art qui appliquent, avec peut-être trop de rigueur, la clé de lecture proposée par le colorito de Titien à l’ensemble de la production vénitienne. Peu d’articles (et encore moins de livres) ont été consacrés, lors de ces dernières années, au rapport que Titien pouvait entretenir à la sculpture. Les historiens parlent souvent de la connaissance qu’il avait de la sculpture antique (FREEDMAN, 2004) et contemporaine, mais sans chercher à préciser, comme ils le font systématiquement avec Tintoret, le rapport d’influences réciproques (KRISCHEL, 1996).

23 Les poesie destinées au Camerino d’Alabastro d’Alfonso d’Este sont régulièrement convoquées lorsqu’il s’agit d’établir des liens entre la peinture de Titien et la sculpture d’Antonio Lombardo, en l’occurrence. Cette commande significative du commerce que Titien a pu avoir avec la sculpture (STEDMAN SHEARD, 1993) est, comme un hasard, « étrangère » à Venise puisqu’elle provient de la cour de Ferrare. Dans le Bacchus et Ariane (Londres, National Gallery), on trouve une citation du groupe du Laocoon, visible dans d’autres peintures de Titien (Le couronnement d’épines, Paris, musée du Louvre, vers 1540-1541, ou le saint Sébastien du Polyptyque Averoldi, Brescia, Santi Nazaro e Celso, 1519-1522). Ces variations servent au peintre à établir un paragone (BARKAN, 1999 ; D’ELIA, 2005) avec la sculpture et à magnifier les qualités indépassables non seulement de la peinture en général (sujet de la comparaison académique) mais de son propre colorito. Dans la belle analyse que Rona Goffen propose de sa Vénus sortant des ondes (Édimbourg, National Gallery of Scotland, vers 1525), cette équation est clairement relevée : « En peignant la mer et le ciel, Titien révèle la supériorité de la peinture (la peinture vénitienne, plus précisément) sur la sculpture ; ces substances immatérielles (l’eau, l’air) n’existant que sous forme de couleur et de lumière, par la grâce du colorito »3 (GOFFEN, 1997b, p. 131). Le portrait de femme La Schiavona (Londres, National Gallery, vers 1510) expose, par la comparaison établie entre un même visage féminin représenté de face et en couleurs, et de profil sous la forme d’un bas-relief, la force divine de la peinture par rapport à la faible capacité imitative de la sculpture (GOFFEN, 1997b, p. 45-52 ; FREEDMAN, 1987). Les statues « vivantes » animées par le colorito du peintre sont légion dans l’œuvre de Titien et sont souvent interprétées comme la preuve d’une supériorité de la peinture sur la sculpture. La Vénus pudique, tenue dans les mains de

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Jacopo Strada (Vienne, Kunsthistorisches Museum, 1566), semble répondre aux doigts de cet homme qui viennent, en écho à son propre geste, couvrir son sein droit. Les deux statues (Moïse et la Sibylle) qui encadrent la Pietà (Venise, Accademia, vers 1576) sont elles aussi traitées comme des figures animées par l’« alchimie chromatique » du peintre, comme l’écrit Giovanna Nepi Scirè à propos de la Pietà de l’Académie (L’Ultimo Tiziano…, 2008, p. 311).

24 C’est donc tout naturellement à partir de la production d’artistes qui ont contesté l’hégémonie de Titien que les historiens de l’art ont entrepris une relecture critique des liens d’influences réciproques entre la sculpture et la peinture vénitienne (KRISCHEL : 1996, 2007). La grande majorité des historiens se concentrent sur Tintoret et son usage fréquent de modèles de statuaire dans sa peinture. L’importance de la sculpture pour cet artiste est alors considérée par la critique comme ce qui l’éloigne le plus de l’esthétique de Titien et elle constitue un véritable casus belli entre les deux artistes.

25 Le désintérêt pour la question de la sculpture vénitienne en général et pour le rôle précis qu’elle aura pu jouer pour Titien semble provenir directement de l’omniprésence du colorito dans les réflexions récentes sur Titien et d’une marginalisation progressive des lectures iconographiques. Erwin Panofsky, dans son Problems in Titian. Mostly Iconographic, est pourtant sans cesse revenu sur les sculptures (antiques comme contemporaines) qui avaient pu influencer le peintre dans ses inventions iconographiques (notamment à propos du Martyr de saint Laurent ; PANOFSKY, [1969] 1989).

26 En replaçant le ductus du peintre au cœur des interprétations, les historiens de l’art ont privilégié la dimension picturale de son travail et délaissé la comparaison avec la sculpture. La « dernière » manière de Titien, qui a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années, semble pourtant propice à ce genre de comparaison et n’est pas si éloignée des préoccupations de la sculpture. Elle offre un degré d’inachèvement remarquable que les historiens rechignent souvent à rapprocher du non finito de Michel-Ange. On pourrait ainsi voir dans le dialogue entre ces deux grands artistes un échange de valeurs qui relèverait autant d’une admiration réciproque que d’une volonté de dépasser, sur le terrain de l’adversaire, ses propres qualités (PUTTFARKEN, 2005). L’inachèvement de certaines des dernières peintures de Titien – la cuirasse du Saint Sébastien (Saint-Pétersbourg, Ermitage), par exemple – pourrait être comparé avec les traces d’outils que Michel-Ange laissait visibles sur plusieurs de ses œuvres. Mais la comparaison est généralement établie avec la peinture de Michel-Ange, largement finie, et non avec sa sculpture. La marque du pinceau et des doigts, de plus en plus visible à partir des années 1560, est ainsi comprise comme la volonté de Titien de se démarquer de la peinture « sublime » et idéale d’un Michel-Ange (FERINO-PADGEN, 2008). Pourtant, le non finito, qu’il soit celui des sculptures de Michel-Ange ou celui des peintures de Titien, pourrait devenir un outil heuristique dévoilant la « pensée à l’œuvre » (GENTILI, [1980] 1988 ; ROSAND, 1988 ; BOHDE, 2002).

Titien et la méthodologie

27 Cette orientation critique imposée par Titien au reste de la production artistique locale est discutable. Elle a tendance à uniformiser l’histoire de l’art vénitien et à étouffer les recherches nouvelles sur les autres peintres ou sculpteurs contemporains. Mais elle témoigne aussi d’une activité prolifique où quantité de théories, quelquefois opposées,

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ont pu trouver un terrain d’expression. On pourra ainsi remarquer que c’est en prenant comme sujet Titien que des historiens comme Augusto Gentili ou Rona Goffen ont élaboré de nouvelles méthodes critiques et essayé de renouveler les genres rhétoriques propres à l’histoire de l’art (monographie, essai…) (GENTILI, [1980] 1988 ; GOFFEN, 1997b). Le Da Tiziano a Tiziano de Gentili était, à l’origine, plus pensé comme une introduction méthodologique visant à démontrer l’intérêt d’un mariage entre analyses iconographiques et matérialisme historique que comme une monographie (GENTILI, [1980] 1988, p. 9). Dans le même esprit, le texte de Rona Goffen propose, par le biais d’une analyse de la féminité de Titien – peinture de femmes (Vénus, saintes, épouses, courtisanes…) et peinture féminine (le colorito) –, une nouvelle approche méthodologique et un renouvellement, par les gender studies, de l’histoire de l’art académique. Daniel Arasse, dans un texte plus court mais tout aussi important, avait fait de Titien une figure théorique susceptible de faire avancer les bases de l’iconographie de Panofsky. Il proposait, à partir de la construction perspective de la Vénus d’Urbino, de délaisser un temps le signifié (le sujet iconographique) pour prêter attention à la façon dont étaient mis en forme les signifiants et de donner toute sa place à la « signification figurative » (ARASSE, 1980). Dans la très abondante littérature critique consacrée à Titien, on peut remarquer trois tendances qui, malgré des points de convergence inévitables, ont gardé jusqu’à aujourd’hui leur spécificité. La première orientation critique, la plus ancienne sans doute, donne à l’iconographie panofskienne une place prépondérante et voit dans les peintures de Titien des manifestes d’érudition à partir desquels l’historien entame une reconstitution de la culture savante de l’époque. La deuxième se nourrit de ces lectures iconologiques tout en ayant le souci de les ancrer dans un contexte historique beaucoup plus précis. La dernière, celle que l’on rencontre désormais le plus souvent dans les recherches sur l’artiste, donne toute son importance à la matérialité des peintures.

Titien iconographe

28 Les études iconographiques initiées par Panofsky, avec l’ampleur des références convoquées, ont, elles aussi, contribué à isoler Titien du reste de la production artistique vénitienne. L’importance sociale des commanditaires qui ont fait travailler l’artiste a influencé les historiens, qui ont eu tendance à chercher dans son œuvre exclusivement les traces d’une culture savante. Destinées à un public lettré, les peintures de Titien (comme celles de son maître Giorgione) ne peuvent fonctionner que par des références érudites et codifiées. L’iconographe dévoilant derrière le signe peint le sens caché a vu dans le travail de Titien un terrain de jeu parfait pour ce type d’analyse. Certaines de ses peintures sont ainsi devenues des cas d’école pour les iconographes. Le Concert champêtre (vers 1511 ; BARDON, 1995-1996) ou L’Amour sacré et l’Amour profane (vers 1515), qui garde jusque dans son nom la marque de cette tradition d’interprétations iconographiques (GENTILI, [1980] 1988 ; BERNARDINI, 1995), symbolisent cette orientation méthodologique qui s’est si souvent retournée vers Titien pour éprouver sa valeur. Si L’Amour sacré et l’Amour profane s’intitule ainsi, on le doit en grande partie à Panofsky qui a, par son analyse, reconnu dans ces deux figures féminines la personnification de l’Amour céleste et de l’Amour vulgaire. Cette dialectique érotique incarnée par ces geminæ Veneres ou cette double Vénus (Venus duplex) et destinée à célébrer l’union d’un couple et éduquer la jeune épouse provient de la tradition néoplatonicienne (Platon, Marsile Ficin, Pic de la Mirandole ou encore

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Pietro Bembo) sur laquelle Panofsky construit toute sa lecture (PANOFSKY, [1969] 1989 ; GENTILI, [1980] 1988).

29 L’intérêt manifesté par les iconographes pour l’œuvre de Titien a eu pour conséquence de célébrer l’extraordinaire inventivité de l’artiste et la stupéfiante complexité de ses inventions. Mais il a aussi contribué à brouiller la réalité historique du peintre comme celle de son époque. Les démonstrations d’Edgar Wind (WIND, [1958] 1992) ou d’Erwin Panofsky (PANOFSKY, [1969] 1989) à propos du contenu de L’Amour sacré et l’Amour profane, aussi brillantes soient-elles, faisaient l’économie d’une contextualisation poussée. Les iconographes interprétaient la peinture à l’aide d’un arsenal très riche de textes littéraires ou philo-sophiques, antiques ou contemporains, que le peintre était censé connaître et maîtriser. La veine mythologique si présente dans l’œuvre de Titien explique, en partie, la prégnance du discours iconographique sur la littérature critique consacrée à l’artiste. Titien, qui travaillait régulièrement pour des mécènes cultivés désirant détenir dans leur camerino ou studiolo des peintures savantes, éprouvant leur propre intelligence, fait figure d’artiste idéal pour ce genre d’interprétation. La reconstitution du programme iconographique du camerino d’Alfonso d’Este, par exemple, a permis de célébrer la profusion des références érudites exposées par les tableaux de Titien (GOFFEN, 1997b, p. 107-145 ; ROSEN, 2008).

30 L’humanisme vénitien se prête fort bien à ces analyses car il profite de la situation privilégiée de Venise et du nombre considérable de livres publiés par les imprimeries locales. L’historien de l’art peut ainsi faire référence à quantité d’ouvrages en supposant, même s’il n’identifie pas précisément la culture du commanditaire, que la source à laquelle il fait allusion a bien été connue. Les analyses iconographiques, même si elles font souvent abstraction du contexte historique, contribuent à inscrire l’artiste dans une certaine histoire de l’art. Giovanni Bellini (WIND, 1948) mais encore plus Giorgione (SETTIS, [1978] 1987) ont vu ainsi leur rôle valorisé par l’iconographie. La « plus-value » apportée par les études des iconographes à Giorgione n’est pas négligeable. Titien ne pouvait avoir été formé par un petit maître inculte et il a bien fallu voir en Giorgione un peintre d’exception qui aurait initié Titien à la culture humaniste. Giorgione a travaillé principalement pour un petit milieu de lettrés issus de la noblesse patricienne de Venise, réuni autour de Caterina Cornaro, reine de Chypre, rappelée pour des raisons politiques en Vénétie et recluse à Asolo. Au sein de cette modeste cour, des hommes de lettres se réunissaient pour parler des « cose d’amore » et disserter autour des notions philosophiques apprises auprès des plus célèbres auteurs de l’Antiquité. Gli Asolani de Pietro Bembo, publié à Venise en 1505, qui se déroule dans ce « beau et plaisant château »4 de la reine de Chypre, donne une idée des échanges cultivés qui pouvaient se dérouler dans ce lieu. Fort de ce contexte, Giorgione est devenu le peintre lettré qui, par sa « brièveté poétique » (ANDERSON, 1996), offrait à ses commanditaires des œuvres complexes que la sagacité de leur esprit et leurs références culturelles communes permettaient d’apprécier. L’ouvrage de Salvatore Settis sur la Tempête est l’exemple parfait, presque caricatural, de la recherche de messages « cachés » et ésotériques que les iconographes ont entreprise à partir de ce matériau (SETTIS, [1978] 1987).

31 Plusieurs spécialistes de l’art vénitien ont cherché, à partir des années 1980, à développer ces premiers travaux iconographiques afin de leur donner toute leur valeur et leur faire perdre leur dimension idéale. Augusto Gentili a ainsi commencé une relecture critique du rôle effectivement tenu par Giorgione afin de jeter les bases de ce

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qu’il appela alors une « iconographie contextualisée » (GENTILI, 1981). Le mythe d’un Titien « peintre-philosophe » provient de cette lecture orientée de l’art de Giorgione et les spécialistes ont souvent emprunté ce chemin de traverse afin de mieux saisir la personnalité de Titien. Car, lorsque les iconographes avançaient des interprétations plus savantes les unes que les autres, il a bien fallu se pencher concrètement sur l’éducation intellectuelle de Titien. Pouvait-il, à l’image de Michel-Ange, maîtriser cette culture immense, et possédait-il tout simplement une culture qui le placerait à part de ses collègues ? On le sait, même au Cinquecento, les peintres sont rarement cultivés et ne savent pas toujours écrire. Les grands artistes de la Renaissance (Michel-Ange, Léonard) ont brouillé la réalité triviale du métier d’artiste. Titien n’a pas produit d’œuvre littéraire qui pourrait attester un réel savoir humaniste. Il a pu rédiger certaines lettres destinées à ses prestigieux commanditaires (comme celles envoyées à Philippe II), où l’on discerne une culture lui permettant d’élaborer une réflexion sur sa peinture et les sources mythologiques, mais il n’a pas composé de poèmes comme Michel-Ange ni de traités comme Léonard. Il est presque certain que l’artiste savait lire et écrire mais l’image d’un peintre-lettré a été forgée, avec son accord, par des proches comme l’Arétin.

32 Quelques historiens de l’art se sont emparés de cette lacune documentaire pour dénoncer les constructions idéales de l’iconographie et ont fait de Titien un peintre illettré ou peu cultivé (GINZBURG, [1986] 1989), occupé uniquement aux choses de la peinture et à ses effets visuels. La controverse provoquée par Daniel Arasse à propos des jugements de Charles Hope sur la Vénus d’Urbino (1538) annonce une redistribution des cartes à partir de cette question épineuse de la culture de Titien. Là où Hope pense qu’il ne faut pas voir autre chose qu’une « pin-up » dans le tableau des Offices, Arasse rétorque qu’une pensée élaborée est exposée par le peintre à travers ce qui pourrait passer pour un simple argument érotique. Conscient que les archives ne permettent pas de confirmer que Titien possédait effectivement une culture humaniste, Arasse s’en remet à la peinture et sa « signification figurative » (ARASSE, 1980). Que Titien soit cultivé ou non, là n’est pas la question. Sa peinture l’est visiblement et c’est bien l’essentiel. Daniel Arasse, à travers la composition inventée par le peintre et par lui seul (aucun commanditaire n’irait, pour de telles œuvres, imposer une organisation plastique à l’artiste), dévoile une réflexion très complexe qui prouve (s’il en était besoin) que la peinture pense. Titien, en plaçant la main de sa Vénus sur son sexe et le point de fuite à l’aplomb, élabore une réflexion sur l’érotique de la peinture. En aménageant une perspective (chose très rare dans son œuvre) à l’arrière-plan, Titien permet de mieux comprendre le concetto du tableau. Le point de vue, déduit à partir du point de fuite, est extrêmement rapproché et suppose un spectateur le nez collé à l’image. Arasse parvient, en analysant la construction perspective de la Vénus d’Urbino, à déceler un dispositif théorique (une dialectique du regard et du toucher) qui fait méthode pour la peinture de Titien. Le spectateur, excité par la contemplation de cette Vénus (et par les effets érotiques de la peinture de Titien), aura le désir de se rapprocher pour toucher ce qu’il voit. En le faisant, il ne verra plus l’objet de son désir et devra revenir en arrière afin de jouir à nouveau des délices de l’illusion mimétique et du colorito ( ARASSE, 1986). La Vénus d’Urbino est donc bien le résultat d’une culture savante, mais une culture qui est avant tout figurative.

33 Cette approche originale s’appuie sur l’iconographie « contextualisée » d’Augusto Gentili, qui a su redonner une visibilité aux peintures disparaissant bien souvent

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derrière les constructions savantes des iconographes. Gentili, dont le travail sur Titien est inestimable, est revenu, grâce à sa connaissance remarquable de la culture vénitienne (littéraire comme artistique) du Cinquecento, sur les œuvres les plus connues de l’artiste afin de reprendre leur interprétation. Sa lecture s’appuie toujours sur des évidences figuratives que l’iconographie aveugle avait masquées et propose une voie médiane et intelligente entre l’iconographie et les documents. Son Da Tiziano a Tiziano offre, avec les écrits de David Rosand, une « vulgate » incontestée qui a permis de repenser les « instruments culturels » dont Titien disposait (GENTILI, [1980] 1988, p. 255).

34 La discussion sur la culture de Titien est sans doute sans fin et ne résout surtout pas les problèmes figuratifs posés par les peintures. Titien ne vient pas d’une famille rustique de montagnards mais bien de notaires et de magistrats. On peut donc en déduire que le jeune artiste a reçu une éducation. Et même s’il ne lit pas le latin (GINZBURG, [1986] 1989), sa connaissance des sources antiques (Ovide, notamment) a pu se faire par le biais des traductions en langue vulgaire ou par ses amis polygraphes. Quoi qu’il en soit, Gentili remarque que les inventions de Titien pour ses toiles mythologiques témoignent d’une culture originale qui laisse supposer une bonne compréhension des sources. Titien en vient souvent, principalement par le choix du moment représenté (le découpage des vers ovidiens), à une « interprétation allégorique des mythes » qui déplace la simple question de la maîtrise du latin (GENTILI, [1980] 1988, p. 239). Pour la représentation de Vénus et Adonis, il choisit, de façon très originale au regard de la tradition littéraire et iconographique, de peindre le moment du départ d’Adonis. Cette interprétation peut se voir comme une véritable « lecture » d’Ovide avec les moyens propres au peintre (littéraires, sans doute, mais surtout plastiques).

Titien peintre

35 Avec sa monographie (ROSAND, 1978) et ses nombreux articles, David Rosand a été l’un des premiers à porter son attention sur la touche du peintre, sans volonté d’attribution, et à révéler l’importance signifiante de ce travail pictural. En revenant sur ce que les contemporains avaient déjà vu, Rosand parle des différentes modalités d’application de la couleur sur la surface et des effets complexes que le pinceau, plus ou moins gros, ou les doigts peuvent créer. La célébration de l’« éloquence du pinceau » (ROSAND, 1981, p. 85-96) de Titien a également permis de complexifier les commentaires sur la « dernière manière ». Pour Rosand, qui rejoint là Gentili, la « pittura di macchia » n’est pas le signe de la vieillesse du peintre (selon la vieille litanie de la « main qui tremble »), mais bien l’expression de sa pensée plastique. Valeska von Rosen a prolongé cet héritage critique en montrant que la technique de Titien avait été mal comprise, idéalisée, et qu’il fallait au contraire la voir pour elle-même comme une démonstration de théorie (ROSEN, 2001, p. 390). Augusto Gentili, dans une analyse brillante de la Mort d’Actéon (Londres, National Gallery, 1570-1576), avait déjà montré que l’on pouvait voir, dans une même peinture, cohabiter deux styles différents. Diane s’apprêtant à tuer Actéon (encore que son arc ne comporte pas de corde) est peinte avec précision alors que le malheureux Actéon, déjà dévoré par ses chiens, est traité avec des taches et des aplats de couleur. L’inachèvement de la forme qui définit Actéon traduit plastiquement la métamorphose du chasseur en cerf et sa mort annoncée (GENTILI, [1980] 1988, p. 244-246). Cette œuvre montre bien que Titien était capable d’alterner les styles et qu’il les concevait comme des moyens pratiques au service d’une réflexion théorique.

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36 Le traitement des fleurs enflammées de l’Annonciation de l’église San Salvador à Venise (1562-1564) révèle une métaphore (le buisson ardent) que la métamorphose picturale (la couleur en lumière) rend également possible (GENTILI, 1993). L’iconographie originale proposée par Titien naît d’une invention proprement picturale. La matière n’est ainsi pas secondaire dans la réalisation d’un programme iconographique ; dans le cas de Titien, elle l’informe même.

37 Les recherches actuelles se focalisent encore sur la picturalité si étonnante des dernières œuvres de Titien, ouvrant la voie à des confrontations idéologiques qui ne font que relancer les anciennes oppositions révélées par les études iconographiques. Aux interprétations proches de la pensée de Gentili ou de Rosand, certains historiens rétorquent que le soi-disant inachèvement des peintures de Titien n’est en rien volontaire. Ils n’y voient, de façon pragmatique (ou positiviste), que la simple conséquence d’une peinture non terminée (HOPE, 1980 ; PEDROCCO, 2001 ; Der späte Tizian… , 2007). L’attention au toucher, à la matérialité de Titien, est une façon de continuer à développer cette iconographie « contextualisée » de Gentili (GENTILI, [1980] 1988 ; GENTILI, 2008) ou la « signification figurative » mise en avant par Arasse (ARASSE, 1980) ou Rosand (ROSAND, 1981). Daniela Bohde (BOHDE, 2003 ; WOODS-MARSDEN, 2007) ou Valeska von Rosen (ROSEN, 2001) ont brillamment montré comment la visibilité du pinceau et de la touche jouait un rôle essentiel dans l’élaboration d’une réflexion thématique (érotique, mystique) chez Titien, qu’elle soit attachée à l’iconographie voulue par le commanditaire ou plus intime et propre à l’artiste. Dans l’analyse du Supplice de Marsyas, Daniela Bohde porte autant d’attention à ce que Titien représente (les symboles iconographiques) qu’à la manière dont il les représente. À ses yeux, le combat sans merci que se livrent Apollon et Marsyas est bien visible dans l’opposition de la flûte et de la lyre mais aussi dans un traitement pathétique de la matière picturale. Ce que Titien dévoile dans le corps écorché de Marsyas, c’est autant le corps du satyre que la peinture « faisant corps » (BOHDE, 2003). L’autre manière de comprendre la matérialité de la peinture de Titien a été, plus prosaïquement, d’en analyser les composants chimiques et de chercher à percer, par les radiographies, les secrets d’atelier.

L’atelier de Titien

38 Les catalogues d’exposition sur Titien s’accompagnent désormais presque tous de notices sur les observations technico-scientifiques qui viennent encadrer les réflexions historiques plus générales. Les études menées à l’occasion de l’exposition de Venise et Washington (Tiziano, 1990) ont marqué un tournant, entraînant à leur suite quantité de nouvelles restaurations. Les expositions de Londres et de Madrid (Titian, 2003 ; Tiziano, 2003) comme celles de Vienne et de Venise (Der späte Tizian…, 2007 ; L’ultimo Tiziano…, 2008) n’ont pas dérogé à cette règle. Des expositions restreintes autour d’une œuvre majeure nouvellement restaurée se sont multipliées au cours de ces dernières années. L’Amour sacré et l’Amour profane, en 1995 (Tiziano Vecellio. Amor…, 1995) ; La Cène à Emmaüs en 2006 (La Cena di Tiziano…, 2006), La Madone à la rose et le Portrait de Sixte IV en 2002 (NATALI, 2002) ou bien encore la Danaé (La Danae di Tiziano…, 2005) ont, par exemple, été analysés scientifiquement et les résultats publiés dans des catalogues. L’analyse systématique des peintures de Titien conservées au Kunsthistorisches Museum de Vienne est un des projets les plus ambitieux de ce type d’approche. Des colloques ont

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pris le relais (CHECA, MANCINI, VILLAVERDE, 1999 ; PAVANELLO, 2005), permettant aux historiens de l’art d’ouvrir de nouvelles perspectives critiques à partir de ces informations.

39 Avec ces données scientifiques (radiographies, études chimiques des pigments…), les historiens et conservateurs de musée reviennent à la source de la création et cherchent à éprouver ce que les commentateurs anciens ont pu dire de la manierà de Titien. Ces études se systématisent (L’ultimo Tiziano…, 2008) et permettent de mieux comprendre le processus créatif, quelquefois très éloigné du mythe (TAGLIAFERRO, 2007). Le ductus si original de Titien mis au point dans les dernières années de sa vie n’était vu qu’à travers la lecture qui en avait été faite au Cinquecento ou au Seicento. De nombreux lieux communs (la main qui tremble, la mauvaise vision du vieux peintre, son jugement altéré…) se sont développés à partir des témoignages historiques de Vasari, Palma le Jeune ou Boschini afin de décrire le changement stylistique tardif. Ces études techniques ont permis d’entreprendre ce que David Rosand nomme joliment une « archéologie de la peinture » (ROSAND, 1999, p. 127).

40 Les radiographies ont également montré le rôle important que les cartons préparatoires pouvaient tenir dans l’exécution des œuvres, même celles peintes avec ce style si original, et éclairé la place que l’atelier occupait dans la production du maître (WALD, 2008). Elles ont ainsi servi à révéler l’usage qui était fait par Titien, comme par d’autres peintres contemporains, de dessins préparatoires et de poncifs qui pouvaient être réutilisés par le maître ou ses assistants. Des similitudes ont été observées à de nombreuses reprises dans certains détails des peintures de Titien, laissant supposer un archivage de dessins à l’intérieur de l’atelier afin de les réemployer le cas échéant. Cette pratique, relativement courante à Venise et dans le reste de l’Italie, a semble-t-il été adoptée assez tôt par Titien. La fabrique à l’arrière-plan de la Vénus de Dresde par Giorgione, de la main de Titien, se retrouve, pratiquement inchangée, dans le , L’Amour sacré et l’Amour profane (HOCHMANN, 2008). Cette connaissance nouvelle a encouragé les historiens de l’art à se pencher avec un peu plus d’attention sur la « cuisine » du peintre et à développer les recherches sur son atelier. L’image d’un Titien dirigeant un atelier avec des élèves qui exécutaient sous ses ordres quantité d’œuvres qui imitaient son style a longtemps été atténuée par la glorification du génie unique du maître. Les recherches documentaires menées par Charles Hope, notamment, ont permis d’y voir plus clair dans la famille du peintre et dans le rôle joué par ses proches (son fils Orazio, principalement) dans l’organisation quotidienne de l’atelier (HOPE, 2008). Giorgio Tagliaferro mène une étude plus poussée sur l’atelier (ou les ateliers) de Titien qui permettra, peut-être, de mieux comprendre ses rouages, ses règles, et de mieux cerner ce qui relève de l’invention ou de l’exécution (TAGLIAFERRO : 2006, 2007, 2008).

La théorie-Titien

41 Ces études permettront sûrement de revoir la question de l’autographie, qui est demeurée si essentielle dans les analyses iconographiques. Les reprises, les copies d’atelier ou la diffusion de modèles inventés par le maître, en déplaçant l’intérêt de l’individu aux œuvres, parviendront peut-être à déboucher sur un mariage habile entre les approches contextuelles (historiques et sociales) et les analyses plastiques. Le travail

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déjà entamé sur l’atelier des Bassano et leurs innombrables variantes autour d’une même œuvre pourrait servir de guide (AIKEMA, 1996).

42 Le choix de Titien comme clé de lecture unique d’un genre ou d’une période ne peut mener qu’à des remarques subjectives et n’encourage pas à l’écriture, pourtant nécessaire, d’histoires parallèles, contradictoires, de l’art vénitien, vu notamment par les « petits » maîtres ou les artistes plus conservateurs. Titien implique presque naturellement, par la tradition critique qui lui est associée, une histoire glorieuse. La plupart (si ce n’est la totalité) des écrits sur Titien suivent un récit chronologique qui débouche invariablement sur une évolution toujours plus prestigieuse de son art. Génie précoce qui dépasse rapidement les peintres les plus réputés (Giovanni Bellini, Giorgione), Titien ne fait, dans la suite de sa carrière, que confirmer cette nature supérieure qui ne peut produire que des chefs-d’œuvre. Ce type de lecture chronologique reste tributaire de traditions rhétoriques dont l’histoire de l’art a du mal à se défaire. La production d’un peintre suivrait une croissance naturelle menant de la jeunesse à la maturité, des premiers tâtonnements aux œuvres géniales. La « dernière manière » de Titien serait alors la trace d’une déchéance. Cette « vieillesse » de l’art, que l’on retrouve associée de la même façon à d’autres artistes (Michel-Ange, Poussin), ne tient pas aux caractéristiques propres de la peinture de Titien mais relève d’un topos (SOHM, 2007) auquel l’histoire de l’art semble tenir. Il manque bien souvent à ces approches monographiques une réflexion plus théorique sur le discours de l’histoire de l’art et sur ses propres outils d’analyse. Le concept d’anachronisme, pourtant largement médiatisé par plusieurs recherches d’historiens (LORAUX, 1993) ou d’historiens de l’art (DIDI-HUBERMAN, 2000) ne semble pas avoir prise sur les études académiques. Gentili, pourtant, avait proposé une lecture proche de ces problématiques en montrant comment Titien revenait « en arrière », à la fin de sa carrière, reprenant des motifs giorgionesques qu’il n’avait plus utilisés depuis plus de cinquante ans (GENTILI, [1980] 1988). Le Dionysos et Ariane (Vienne, Kunsthistorisches Museum, vers 1570-1575) est une peinture « anachronique » qui prend comme source d’inspiration des œuvres de sa jeunesse : la Vénus endormie (vers 1510-1515) de Giulio Campagnola et le Polyphème de Sebastiano del Piombo (Rome, Villa Farnésine, 1512).

43 Quels que soient les qualités et les défauts de la littérature consacrée à Titien, les découvertes archivistiques à venir, les recherches gagneraient à prendre un peu de distance avec les codes littéraires imposés par l’histoire de l’art académique. Une monographie, par exemple, sera presque obligatoirement condamnée – et cela malgré les qualités de l’auteur – à donner une image stéréotypée de l’artiste, alternant descriptions des œuvres et commentaires historiques généraux (HUMFREY, 2007). Comme l’ont montré Augusto Gentili (GENTILI, [1980] 1988) ou Françoise Bardon (BARDON, 1995-1996), Titien est peut-être, par l’extraordinaire profusion des publications qui lui sont consacrées, une figure idéale pour marier théorie et histoire et pour sonder les présupposés méthodologiques de cette discipline appelée histoire de l’art.

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– ZAPPERI, 1991 : Roberto Zapperi, « Alessandro Farnese, Giovanni Della Casa and Titian’s Danae in Naples », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 1991, LVI, p. 159-171.

NOTES

1. « Considerate anco la maraviglia ch’io ebbi de i nuvoli composti d’umidità condensa. I quali in la principal veduta, mezzi si stavano vicini a i tetti de gli edificii, e mezzi ne la penultima […] O con che belle tratteggiature i pennelli naturali spingevano l’aria in là, discostandola da i palazzi con il modo, che la discosta il Vecellio nel fare de i paesi », ARÉTIN, [1538-1557], 2003, p. 49. 2. « Previous generations, too, have always felt themselves constrained to measure the greatness of Tintoretto by the standard of Titian », TIETZE, 1948, p. 11. 3. « Representing sea and sky, Titian underscored the superiority of painting over sculpture, and in particular the advantages of Venetian painting, for these insubstantial substances of water and air exist only as color and ligth, that is, as colorito », GOFFEN, 1997b, p. 131. 4. « Vago e piacevole castello », BEMBO [1505], 2006, p. 3.

RÉSUMÉS

Titien est une figure incontournable de l’histoire de la peinture vénitienne et rejette dans l’ombre la plupart des autres artistes contemporains. Véronèse, Tintoret, Lotto sont ainsi régulièrement jugés à l’aune de sa manierà et leurs caractéristiques stylistiques sont comprises comme des déviances par rapport à cette norme incarnée par Titien. Cette perception, largement diffusée par l’histoire de l’art contemporaine, ne traduit cependant pas avec justesse la diversité de la création artistique locale. Le maniérisme est ainsi trop souvent considéré comme étranger à l’esthétique vénitienne et les historiens de l’art plaquent sur l’ensemble de la production ce qui vaut (en partie) pour le seul Titien. La question de la sculpture est de la même façon marginalisée et perçue comme antinomique de l’art prôné par Titien. Les études récentes sur la « dernière manière » de Titien, la fameuse pittura di macchia, ont permis de reposer la question du rôle tenu par Titien dans l’évolution de l’art et de mieux cerner sa véritable influence. Les recherches menées sur son atelier comme les analyses scientifiques (radiographies, observations des pigments, de la touche…) apportent un éclairage nouveau sur son style et sont l’occasion d’entreprendre une « démythologisation » du maître de Cadore.

Titian is an inescapable figure in the history of Venetian painting, casting his shadow over the majority of contemporary artists. Veronese, Tintoretto, and Lotto are often judged in relation to his manierà, and their stylistic characteristics are understood as deviations from the norm as embodied by Titian. This perception, largely disseminated by contemporary art history, does not, however, do justice to the diversity of local artistic creation. Mannerism is too often considered unrelated to the Venetian aesthetic, and art historians ascribe to all Venetian artistic production characteristics that are valid (at least in part) for Titian alone. The question of sculpture is similarly marginalized and perceived as fundamentally opposed to the art advocated by Titian. Recent studies of the artist’s « last manner », the famous pittura di macchia, have made it possible to reevaluate Titian’s role in the evolution of art and to better define his actual influence.

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Research on his workshop, as well as scientific analyses (X-rays, pigment), cast a new light on his style and allow for a « demythologization »of the master of Cadore.

Tizian ist eine Schlüsselfigur in der Geschichte der venezianischen Malerei und stellt die meisten seiner zeitgenössischen Malerkollegen in den Schatten. Veronese, Tintoretto, Lotto werden dementsprechend regelmäßig an seiner Manierà gemessen, und ihre stilistischen Eigenschaften werden als Abweichungen von der tizianischen Norm aufgefasst. Diese hauptsächlich von der heutigen Kunstwissenschaft geprägte Wahrnehmung geht jedoch nicht präzise genug auf die Vielseitigkeit des künstlerischen Schaffens Venedigs ein. Zu häufig wird der Manierismus als eine der venezianischen Ästhetik fremde Erscheinung dargestellt, und die Kunsthistoriker verallgemeinern auf die gesamte Bildproduktion, was (zum Teil) nur für Tizian gilt. Die Skulpturenfrage wird auf dieselbe Weise an den Rand des Interesses gedrängt und als vollkommen gegensätzlich zur Kunst Tizians aufgefasst. Die jüngsten Studien zur « letzten Manier » Tizians, der berühmten pittura di macchia, haben es ermöglicht, die Rolle des Malergenies genauer in die künstlerische Entwicklung einzuordnen und seinen wirklichen Einfluss auszumachen. Die Forschungen, die sich seinem Atelier widmen, sowie die verschiedenen wissenschaftlichen Untersuchungsmethoden (Röntgenverfahren, Pigmentanalyse, Duktusanalyse…) tragen zu einer Neubewertung seines Stils im Sinne einer « Entmythologisierung » des Meisters von Cadore bei.

Tiziano è una figura imprescindibile della storia della pittura veneziana e fa restare nell’ombra la maggior parte degli artisti a lui contemporanei. La sua maniera è solitamente considerata un metro di giudizio per l’arte di Veronese, di Tintoretto o di Lotto le cui caratteristiche stilistiche sono spesso considerate come delle « devianze rispetto » alla norma incarnata da Tiziano. Questa percezione, largamente diffusa nella storia dell’arte attuale, non rende giustizia della varietà della produzione artistica locale. Il manierismo è così, troppo spesso, considerato come estraneo all’estetica veneta e gli storici dell’arte attribuiscono spesso all’insieme della produzione ciò che vale (in parte) solo per Tiziano. La questione della scultura viene ugualmente marginalizzata e percepita in contraddizione con l’arte di Tiziano. Gli studi recenti sull’ « ultima maniera » di Tiziano, la famosa pittura di macchia, hanno permesso di riconsiderarne il ruolo nel contesto dell’evoluzione artistica e di valutarne più adeguatamente l’influenza. Le ricerche sulla sua bottega, così come le analisi scientifiche (radiografie, osservazioni dei pigmenti, della pennellata…), mettono in nuova luce il suo stile e forniscono un’occasione per intraprendere una « smitizzazione » del maestro di Cadore.

Tiziano es una figura ineludible de la historia de la pintura veneciana y rechaza en la sombra a la mayoría de los otros artistas contemporáneos. Veronese, Tintoretto, Lotto se miden así por el mismo rasero de su manierà y sus características estilísticas se entienden como unas desviaciones con respecto a esta norma personificada por Tiziano. No obstante, esta percepción, de sobra difundida por la historia del arte contemporánea, no traduce con exactitud la diversidad de la creación artística local. El manierismo se considera así a menudo como ajeno a la estética veneciana y los historiadores del arte chapan sobre el conjunto de la producción lo que vale (en parte) para el único Tiziano. Asimismo, la cuestión de la escultura es marginalizada y percibida como antinómica del arte predicado por Tiziano. Los recientes estudios sobre la « última manera » de Tiziano, la famosa pittura di macchia, permitieron replantear el papel desempeñado por Tiziano en la evolución del arte y delimitar mejor su verdadera influencia. Tanto las investigaciones llevadas a cabo sobre su taller como los análisis científicos (radiografías, observaciones de los pigmentos, de la pincelada…) proporcionan un enfoque nuevo sobre su estilo y permiten emprender una « desmitologización » del maestro de Cadore.

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INDEX

Keywords : historiography, methodology, Venetian art history, Venetian painting, Venetian mannerism, sculpture, colorito, iconography, studio Mots-clés : historiographie, méthodologie, histoire de l'art vénitien, peinture vénitienne, maniérisme vénitien, sculpture, colorito, iconographie, atelier Index géographique : Venise, Florence Index chronologique : 1500

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L’histoire de la tapisserie, 1500-1700. Trente-cinq ans de recherche History of the Tapestry in Europe, 1500-1700. Thirty-five years of Research Die Tapisserie in Europa, 1500-1700. Fünfunddreissig Jahre L’arrazo in Europa, 1500-1700. Trenta cinque anni di ricerca La tapicería en Europa, 1500-1700. Treinta y cinco años de investigación.

Pascal-François Bertrand et Guy Delmarcel

1 Les travaux sur l’histoire de la tapisserie ont privilégié le plus souvent trois périodes : la fin du Moyen Âge, considérée comme l’âge d’or de la tapisserie ; le règne de Louis XIV, dont la vision se limite bien souvent à ses premières années, à la personne de Colbert, à la Manufacture royale des Gobelins et au peintre Charles Le Brun ; et le XXe siècle, avec la figure emblématique de Jean Lurçat et ce qu’il est convenu d’appeler la « Renaissance de la tapisserie ». Ces recherches ont été effectuées selon trois problématiques majeures : les lieux de production ; les grands ensembles amassés par les princes et les auteurs des modèles peints. Elles ont abouti à l’établissement de listes de tapisseries, conservées ou perdues, rendues à leur commanditaire ou propriétaire, et à leur centre de fabrication, proposant ainsi une histoire qui repose sur l’appartenance nationale des tissus (flamande, française, italienne). En dressant ces listes, les historiens de l’art ont en même temps proposé des noms d’auteurs pour les modèles, ce qui a eu pour effet de compliquer la donne, car une tapisserie peut avoir été exécutée dans un centre de production éloigné du lieu où le modèle a été peint.

2 La réflexion a changé d’orientation dans les années 1970, à l’initiative d’historiens médiévistes qui sont partis du principe qu’une évocation de la tapisserie comme création artistique implique de parler de peintres et de peintures (voir principalement : Chefs-d’œuvre…, 1973 ; REYNAUD, 1974 ; SOUCHAL, 1974 ; JOUBERT, 1988, 1999a, 1999b). Leurs travaux obligent donc à « repenser» la tapisserie dans les rapports qu’elle entretient avec la peinture, en tenant compte des divers intervenants, du commanditaire au tapissier qui fabrique le tissu proprement dit, en passant par le maquettiste, qui donne

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le modèle, et le cartonnier, qui le transpose aux dimensions réelles de la tapisserie. Ils incitent à reconsidérer le dessin dans les pratiques de création du Moyen Âge finissant, à le resituer au sein de la pratique des peintres, qui étaient amenés à réaliser des tableaux de chevalet, des fresques et aussi à travailler pour l’enluminure, le vitrail, la tapisserie et la broderie. On est ainsi passé d’une histoire de la tapisserie fondée sur l’appartenance nationale – une notion des plus relatives – à une histoire de la culture visuelle, qui repose sur l’usage, la fonction, la réception et l’élaboration des œuvres.

3 Dans un article paru dans la Revue de l’Art en 1973, Edith Standen († 1998) dressait un bilan des recherches menées à la fin des années 1960 et au début des années 1970 sur la tapisserie des temps modernes (STANDEN, 1973) où elle faisait remarquer la richesse des études parues au cours de cette période particulièrement féconde en publications. Elle espérait que les prochains travaux porteraient plus particulièrement sur les grandes collections de tapisseries, en prenant pour modèle le catalogue du Museum of Fine Arts de Boston (CAVALLO, 1967). Elle souhaitait également voir effectuer des monographies consacrées à des ensembles importants, comme les Arts de la Guerre (WACE, 1968), à des manufactures moins prolifiques que celle des Gobelins, et aux principaux créateurs de tapisseries, cette dernière direction étant selon elle la plus prometteuse en découvertes. Son appel a été entendu ; il est vrai qu’elle l’avait lancé avec tout l’enthousiasme qu’elle suscitait pour les recherches sur la tapisserie et elle a elle-même largement contribué au renouveau des études sur la tapisserie française des XVIIe et XVIIIe siècles (STANDEN, 1985). Ces trente-cinq dernières années ont été très fructueuses : des catalogues de musées et de prestigieuses collections ont été publiés, d’importantes études monographiques ont vu le jour, de superbes expositions se sont tenues, sans parler du grand nombre d’articles parus dans des revues scientifiques et des actes de colloques. Cette production est principalement l’œuvre d’un groupe restreint de chercheurs (une trentaine aujourd’hui dans le monde), des conservateurs de musée surtout, et des universitaires, reliés de manière informelle par un site internet en lien avec une activité d’édition1. Un fait est révélateur du renouvellement de ces études : la présence de tapisseries dans des expositions monographiques sur des peintres. Dans les célébrations de Le Brun en 1963 et de Rubens en 1977, il semblait encore inconcevable de présenter une tapisserie : il n’y avait que des esquisses et des modèles. En 1989, une section de la rétrospective Giulio Romano à Mantoue était consacrée à la tapisserie (FORTI GRAZZINI, 1989). Il en a été de même à propos de Simon Vouet en 1990 à Paris (LAVALLE, 1990), de Charles Poerson en 1997 à Metz (REYNIÈS, 1997) et de Perino del Vaga en 2001 à Mantoue (Perino del Vaga…, 2001). En 2004, une galerie de tapisseries avait été aménagée dans la dernière partie de l’exposition Rubens présentée à Lille (DEVISSCHER, MERLE DU BOURG, VITTET, 2004). Cela résulte d’une reconsidération de la tapisserie, le plus prestigieux des médias figuratifs au XVIe et au XVIIe siècle, trop souvent tenue pour une simple copie de la peinture par les historiens de la génération précédente.

Les études sur les corpus : la valorisation d’un domaine d’études

4 Deux grandes rétrospectives de l’art de la tapisserie en Europe aux XVIe et XVIIe siècles ont été conçues et réalisées par Thomas Campbell, présentées en 2002 (Tapestry in the Renaissance…, 2002) et 2007-2008 (Tapestry in the Baroque…, 2007) au Metropolitan Museum of Art (New York), et également à Madrid pour la seconde. Il n’y avait pas eu

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de manifestation d’une aussi grande ampleur depuis l’exposition des chefs-d’œuvre de la tapisserie médiévale présentée à Paris et à New York en 1973 (Chefs-d’œuvre…, 1973). Elles ont permis de prendre toute la mesure de l’effet ostentatoire et très luxueux de la tapisserie. Le visiteur pouvait apprécier l’aspect monumental des tentures, les vastes dimensions des tissus et leur richesse matérielle. La présence de fils d’or et d’argent en plus ou moins grande quantité dans les tissages est le reflet de la richesse et du rang de leur propriétaire. Les tapisseries contenant le plus d’or appartenaient aux puissantes familles et cours princières d’Europe : les papes à toutes les époques ; au Moyen Âge, les ducs de Bourgogne et les rois de France ; dès la Renaissance les Habsbourg, la couronne d’Angleterre ; aux XVIIe et XVIIIe siècles, les grandes familles italiennes, les princes germaniques, les seigneurs anglais. La confrontation des Actes des apôtres tissés pour le pape Léon X (1516-1521, Rome, Pinacoteca Vaticana) avec ceux répliqués pour les Gonzague (1545-1557, Mantoue, Palais ducal) a été faite à l’exposition particulièrement significative de New York. La tenture des seconds, sans or, présente un aspect mat, comme la fresque, tandis que la première comporte des effets de brillance en raison des fils d’or qui font scintiller les couleurs et rendent ainsi la surface chatoyante. Certaines tentures contiennent de l’or à profusion, telles la Vie du Christ (dite aussi la Scuola nuova, 1524-1531, Rome, Musées du Vatican) ou encore la transposition tissée de la galerie de François Ier à Fontainebleau, dont le fond jaune est entièrement tissé d’or (1540-1547, Vienne, Kunsthistorisches Museum). Les productions des Gobelins du XVIIe siècle sont d’une qualité et d’une somptuosité rarement égalées. Le choix des tapisseries exposées a donné la possibilité de montrer la diversité des productions, des grandes pièces destinées à orner des murs entiers aux tapisseries de petit format, à usage profane ou religieux (portière, lit, dais, tableau de dévotion, devant d’autel). Ces tissus sont généralement d’une très haute qualité d’exécution, d’un tis-sage très fin et d’une grande richesse de matériaux, avec beaucoup de fils d’or et d’argent. Il faut insister sur l’heureuse présentation à New York des baldaquins de Charles III de Lorraine (vers 1561, Vienne, Kunsthistorisches Museum) et de Frédéric II de Danemark (1585-1586, Stockholm, Nationalmuseum), qui illustraient un usage autrefois répandu de la tapisserie dans les cours, mais dont on parle peu, car la plupart de ces baldaquins ont disparu ou l’on n’en connaît que le fond, qui est la seule pièce du dais généralement reproduite. Cette richesse matérielle va de pair avec la noblesse des sujets représentés, la qualité des modèles et de leur transposition textile. Les deux volumineux catalogues de ces expositions majeures constituent une somme à partir de laquelle il est possible de tirer les principaux enseignements de la recherche de ces dernières années en histoire de la tapisserie.

5 Si les études ont été stimulées par les expositions, les résultats obtenus n’auraient pu être aussi fructueux sans parallèlement un long travail sur le corpus. Les catalogues de musées rassemblent en effet une grande partie des œuvres sur lesquelles s’appuie la réflexion. Celle-ci peut être menée à condition de garder en mémoire, d’abord que la part des tapisseries conservées par rapport à celles produites est extrêmement faible, ensuite que la tapisserie, comme toute œuvre d’art, change de statut en entrant au musée : d’objet de luxe, d’ostentation et élément fondamental des anciennes collections princières, garnissant ordinairement des chambres ou tendu occasionnellement lors des fêtes et des cérémonies, la tapisserie devient un objet d’art, un témoin, sorti de son contexte, présenté de manière isolée, parfois comme un grand tableau, alors qu’elle diffère de ce dernier par bien des aspects. Rappelons également que les pièces de musée ne constituent qu’une partie, quoiqu’importante, des tapisseries anciennes encore

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conservées : des centaines sont dans des collections privées ou semi-privées, dans les châteaux du Royaume-Uni et dans les églises d’Espagne.

Le rôle des États-Unis

6 L’impulsion des études est venue des États-Unis. En l’espace d’un siècle environ, les musées américains ont constitué de belles collections offrant un vaste panorama de l’art de la tapisserie, sans pour autant parvenir à rivaliser avec les fameuses séries de Madrid et de Vienne, issues de l’Europe d’Ancien Régime. Ces ensembles proviennent des collections rassemblées, puis données ou léguées aux musées par les grands industriels américains et leurs héritiers, les Hearst, Kress, Rockefeller, Vanderbilt, Gardner, Harriman, Widener, Prentiss, qui les avaient achetés auprès d’antiquaires renommés comme les Duveen ou French & Company. Ces derniers, qui s’étaient principalement fournis sur le marché européen, ont joué un rôle fondamental dans la constitution des collections américaines, comme le montre l’étude de leur activité (BREMER-DAVID, 2003-2004)2.

7 Depuis la fin des années 1960, une vaste entreprise de publication des collections majeures de tissus et autres tentures (tapis, broderie, canevas) de ces musées a été menée. Des catalogues raisonnés (même s’ils n’en portent pas le nom) ont paru : Museum of Fine Arts et Isabella Stewart Gardner Museum de Boston (CAVALLO, 1967, 1986), Fine Arts Museums of San Francisco (BENNETT, 1976 [1992]), The Metropolitan Museum of Art (STANDEN, 1985 ; CAVALLO, 1993), The Minneapolis Institute of Art (ADELSON, 1994) et The J. Paul Getty Museum à Los Angeles (BREMER-DAVID, 1997) ; celui de l’Art Institute of Chicago est annoncé pour l’automne prochain (BROSENS, MAYER THURMAN, 2008)3. À ces études, il convient d’ajouter une exposition présentant les chefs- d’œuvre tissés de l’Institute of Arts de Detroit, dont le catalogue a l’avantage de fournir une liste des 75 tapisseries de ce musée (Woven splendor…, 1996). Ces ouvrages, remarquablement illustrés, constituent des mises au point savantes. Adolpho Cavallo a livré un travail de pionnier dans son catalogue de Boston, paru en 1967, en établissant une « grille d’analyse » normative, inhérente à l’exercice : fiche technique de l’œuvre, description et signification, auteur des modèles et des cartons, lieu de tissage et pièces de comparaison (CAVALLO, 1967). L’application de ce principe a eu pour effet de clarifier un propos relativement ardu pour le néophyte : le processus complexe de fabrication des tapisseries qui fait intervenir plusieurs mains. La tapisserie est une œuvre collective dont l’analyse relève à la fois de l’histoire de la culture matérielle et visuelle, de l’histoire des métiers et des usages, de l’histoire du goût, de l’ameublement et de la décoration d’intérieur, et de l’histoire de la peinture. La teneur des notices varie en fonction de la documentation disponible. Certaines peuvent être très nourries : celle de la suite Barberini de l’Histoire d’Artémise de Minneapolis (ADELSON, 1994, cat. 16) fait l’objet d’un véritable essai de plus d’une centaine de pages (le quart du catalogue) où sont démêlées la question de la genèse de la tenture et celle de la reconnaissance des mains des différents artistes qui ont dessiné les modèles et peint les cartons (Antoine Caron, Henri Lerambert, Laurent Guyot, Guillaume Dumée) et où sont évoquées les questions relatives au tissage dans la manufacture du faubourg Saint-Marcel à Paris, dirigée par les Flamands Comans et La Planche. D’autres notices sont plus restreintes, comme celles concernant les portraits tissés ou encore les tapisseries pour sièges.

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8 À l’intérieur de ces catalogues, les tapisseries sont classées en général de trois manières : par ordre chronologique ; par lieu d’exécution (par pays et par ville) ; selon une répartition mixte, combinant périodes chronologiques et centres de tissage. Dans tous les cas, le classement fait apparaître la spécificité de telle ou telle collection : prépondérance des tapisseries du XVIIe siècle au Museum of Fine Arts de Boston (environ la moitié de la collection), des productions françaises au Getty (la totalité des pièces cataloguées) et au Metropolitan Museum of Art (la moitié de la collection). Le deuxième type de classement, qui met l’accent sur l’appartenance nationale des tissus, atteint ses limites avec les tapisseries dites des « territoires franco-flamands », une catégorie créée afin d’y ranger toutes les pièces de la fin du XVe et du début du XVIe siècle pour lesquelles il n’y a pas encore de réponse satisfaisante à la question du lieu d’exécution. Ce sont principalement les médiévistes qui privilégient le premier type.

Les catalogues et études en Europe

9 Si de telles entreprises éditoriales sont moins fréquentes en Europe, le vieux continent produisit néanmoins un grand nombre de catalogues et d’études monographiques très importants durant la période considérée.

10 À Paris, seul le Musée national du Moyen Âge (Cluny) a fait paraître son catalogue (JOUBERT, 1987). Le Mobilier national, qui conserve les vestiges d’une des plus prestigieuses collections d’Ancien Régime, annonce pour la fin de l’année la mise en ligne progressive du catalogue des tapisseries et a programmé une série d’expositions monographiques sur des tentures anciennes : L’histoire d’Artémise de Caron (La tenture d’Artémise…, 2007), L’histoire d’Alexandre de Le Brun (Alexandre et Louis XIV…, 2008). Des monographies sur les chefs-d’œuvre de la collection du Louvre ont paru, l’Histoire de Scipion (Jules Romain…, 1978) et les Chasses de Maximilien ( BALIS et al., 1993), mais il n’existe toujours pas de catalogue, même sommaire, des tapisseries. Dans le panorama des musées de province, le Musée des tissus et des arts décoratifs de Lyon est pratiquement le seul à avoir publié un catalogue (BLAZY, DENIS, GAULTIER, 1996). Parmi les travaux monographiques, on relève une nouvelle étude sur l’Histoire de David du Musée national de la Renaissance à Écouen (DELMARCEL, 2008). Sur les tentures de Versailles, on ne dispose que du livre de Daniel Meyer sur l’Histoire du Roy ( MEYER, 1980). Les tapisseries de Fontainebleau ont fait l’objet d’une exposition (Tapisseries des Gobelins…, 1993). Les Monuments historiques ont exposé au château de Chambord une sélection de tapisseries rendant partiellement compte de la politique d’acquisition menée depuis la Seconde Guerre mondiale par ce service (Lisses et délices…, 1996). La tapisserie eut une place bien méritée lors de la grande exposition sur les arts décoratifs sous Louis XIII et Anne d’Autriche (COQUERY, 2004). Les tapisseries des Hospices de Beaune bénéficient d’une plaquette publiée par l’Inventaire (DE REYNIÈS, FROMAGET, 1994). Une sélection des tentures de la région Rhône-Alpes a été présentée accompagnée d’un répertoire des pièces existantes dans cette région administrative contemporaine (Tapisseries anciennes…, 1990). Des études sur les tapisseries conservées dans les musées et les châteaux de France seraient riches en découvertes d’œuvres inédites ou peu connues.

11 La Belgique actuelle, berceau de tant de centres de tissages, attend encore une mise à jour du catalogue des tapisseries des Musées royaux du Cinquantenaire à Bruxelles, édité en 1956 (CRICK-KUNTZIGER, 1956). En revanche, plusieurs expositions importantes ont livré des contributions essentielles à la recherche tant pour la tapisserie bruxelloise

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aux XVIe et XVIIe siècles (Tapisseries bruxelloises…, 1976 ; Tapisseries bruxelloises…, 1977) que pour les productions à Enghien (DELMARCEL, 1980), à Bruges (Bruges et la tapisserie, 1987) et à Audenarde (Tapisseries d’Audenarde…, 1999).

12 Le cinquième volume du catalogue des arts décoratifs du Rijksmuseum d’Amsterdam est consacré aux tapisseries, tapis et autres textiles de ce musée, qui composent un bel ensemble d’environ 200 pièces provenant pour la plupart de collections hollandaises constituées au XXe siècle (HARTKAMP-JONXIS, SMIT, 2004). Les Pays-Bas ont également projeté d’établir un corpus des tapisseries des collections publiques et privées du pays, dont fut publié le premier volume consacré aux provinces de Zélande, Brabant du Nord et Limbourg (KALF, 1988). Ce projet est repris actuellement par Hillie Smit.

13 Le Victoria and Albert Museum, à Londres, a publié le catalogue des tapisseries du Moyen Âge et de la Renaissance (WINGFIELD DIGBY, HEFFORD, 1980), qui renouvelait celui de Kendrick, dont la deuxième édition remontait à 1924. La collection avait entre-temps plus que doublé et s’était enrichie des fameuses Chasses de Chatsworth 4. On a vu paraître aussi des catalogues des tapisseries des collections royales britanniques conservées au palais de Holyroodhouse à Édimbourg (SWAIN, 1988) et de Blenheim (BAPASOLA, 2005), ainsi que des études sur les tapisseries – en majorité du XVIIe siècle – de Cotehele en Cornouailles (HEFFORD, 1991) et sur l’importante collection du duc de Buccleugh à Boughton House, dans le Northamptonshire (HEFFORD, 1992).

14 En Italie, la riche collection de la présidence de la République italienne (236 pièces sous 180 numéros) constitue l’un des plus fameux ensembles d’Europe, en raison non seulement de la qualité des ouvrages, exécutés par de célèbres liciers d’après des cartons de peintres de renom, mais aussi par la provenance de ces superbes tissus (FORTI GRAZZINI, 1994). Autour de la douzaine de tapisseries abandonnées en 1870 par le Saint- Siège dans le palais, alors apostolique, du Quirinal, ont été rassemblées, afin d’orner la résidence du roi Victor-Emmanuel II, puis de Umberto Ier, des tentures qui, pour la plupart, appartenaient auparavant aux familles souveraines des anciens États italiens, les Médicis, les Este, les Bourbons de Naples et de Parme, les Farnèse. Lucia Meoni a entrepris un travail titanesque sur les tapisseries conservées dans les musées florentins, plus de 900 pièces provenant surtout des collections des Médicis. Elle en a publié les premiers résultats, qui portent sur les tissages exécutés dans la manufacture des Médicis, la plus grande fabrique italienne du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle (MEONI, 1998, 2007). Sur les collections de tapisseries en Italie, signalons aussi des travaux sur les ateliers romains (DE STROBEL, 1991, 1996) et sur les collections de Turin (MALLÈ, 1972 ; RAGUSA, 1983), ainsi que les nombreuses publications de Nello Forti Grazzini sur la manufacture de Ferrare (FORTI GRAZZINI, 1982) et sur les ensembles existants de Milan (FORTI GRAZZINI, 1984, 1997), de Côme (FORTI GRAZZINI, 1986) et de la Fondation Cini (FORTI GRAZZINI, 2003).

15 L’Espagne a opté pour la publication de catalogues sommaires des prestigieuses collections royales de tapisseries en faisant paraître deux volumes sur les pièces essentiellement bruxelloises des XVIe et XVIIe siècles (JUNQUERA DE VEGA, HERRERO CARRETERO, 1986 ; JUNQUERA DE VEGA, DIAZ GALLEGOS, 1986 ; HERRERO CARRETERO, 1999), et dévoilant peu à peu l’inventaire de la production des ateliers madrilènes au XVIIIe siècle (HERRERO CARRETERO, 2000). Les fameuses tentures à or firent également l’objet d’études monographiques, publiées à l’occasion d’expositions valorisant le patrimoine national espagnol (Tissus d’or…, 1993 ; DELMARCEL, 2000 ; Âge d’or bruxellois…, 2000). Sur les

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collections en Espagne et au Portugal, l’étude sur les tapisseries conservées en Aragon (RÁBANOS FACI, 1978) est complétée par le volumineux ouvrage sur les tentures flamandes de la Seo de Saragosse (TORRA DE ARANA et al., 1985 ; un livre introuvable dans les bibliothèques publiques françaises), par l’article sur les tapisseries du Museo Arqueologico Nacional de Madrid (SANCHEZ BELTRÀN, 1983) et l’édition posthume en espagnol de la thèse de Jean-Paul Asselberghs sur les pièces de la cathédrale de Zamora (Los tapices flamencos…, 1999). L’inventaire des tapisseries existantes dans les musées et palais nationaux du Portugal a permis de révéler de beaux ensembles bruxellois et anversois des XVIe et XVIIe siècles (MENDONÇA, 1983). Maria Antonia Gentil Quina a étudié la tenture de Portugal et d’Indie, d’inspiration portugaise (GENTIL QUINA, 1998) et a livré une version portugaise du catalogue de la suite bruxelloise des Conquêtes de don João de Castro (Tapeçarias de D. João de Castro, 1995).

16 L’ancienne conservatrice du Kunsthistorisches Museum de Vienne, Rotraud Bauer († 2006), avait entrepris l’étude des riches collections autrichiennes et organisé plusieurs grandes expositions renouvelant les connaissances sur les tentures des anciennes collections des Habsbourg (Barocke Tapisserien…, 1975 ; Historische Schlachten…, 1976 ; Tapisserien der Renaissance…, 1981 ; Tapisserien im Zeichen… , 1983 ; Wohnen im Schloss…, 1991 ; Die Portugiesen in Indien…, 1992-1993). Elle avait pour projet d’en rédiger le catalogue, qui devait remplacer les volumes de planches de Ludwig Baldass (1920), mais n’a guère eu le temps de livrer qu’une introduction (BAUER, 2006-2007 ; voir aussi BAUER, 1980, 1999). Son travail est poursuivi par Katja Schmitz von Ledebur, Szenen aus dem Buch…, 2004.

17 En Allemagne, un catalogue exemplaire des pièces appartenant aux châteaux du Bade- Wurttemberg fut rédigé par une équipe de spécialistes (FANDREY et al., 2002). Espérons que leur exemple stimulera leurs collègues de Bavière, province tout aussi riche en trésors textiles.

18 Pour la Suisse, on retiendra surtout les deux ouvrages monumentaux des médiévistes Anna Rapp et Monica Stucky : la monographie sur le type bien spécifique des « hommes sauvages » (RAPP, STUCKY, 1990) et le catalogue des tapissseries médiévales de Berne, qui se révèle un excellent manuel de la tapisserie médiévale en soi (RAPP, STUCKY, 2001). Pour le même XVe siècle « bourguignon », notons aussi la belle étude de Birgit Franke sur la tenture de la Vie d’Esther (FRANKE, 1998). Le catalogue complet de la collection Toms, léguée au canton de Vaud, est prévu pour 2009 ; une sélection en fut présentée à Payerne (Collection Toms…, 1997).

19 Pour compléter ce bilan des principales publications sur les collections contemporaines de tapisseries en Europe occidentale, il faut mentionner un nombre important d’ouvrages scientifiques (dont certains sont parfois difficiles à trouver) sur les collections de l’Europe centrale et du Nord : le catalogue du musée des arts décoratifs à Prague (BLAZKOVA, 1975), celui de Copenhague (WOLDBYE, 2006), ainsi que les ouvrages sur les tentures du château du Wawel et de la cathédrale de Cracovie (HENNEL- BERNASIKOWA, 1994, 1998, 2000). Citons aussi une synthèse sur les tapisseries flamandes et françaises en Hongrie (LÁSZLÓ, 1981) et sur les anciennes collections du grand-duché de Lithuanie (JEDZINSKAITE, 2000).

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Nouvelles approches

Un art de glorification

20 L’étude de la tapisserie doit prendre en compte la spécificité de cet art, sa fonction, son usage et ses procédés d’exécution. André Félibien, historiographe de Louis XIV, qui parle peu de textiles dans ses écrits, cite toutefois les tapisseries tendues dans les palais des Tuileries, de Versailles et des autres résidences royales. Il les considère comme des objets de luxe, peu fragiles, aisément transportables, et surtout comme un excellent support pour la propagande monarchique (BRASSAT, 1992). Ce commentaire fixe souvent les champs d’études actuels : l’usage, la fonction et la réception de la tapisserie. Une des approches les plus génératrices de travaux dans ce domaine touche à l’histoire des collections anciennes. Quelques études montrent un intérêt particulier pour la fonction décorative, d’autres s’attachent à la signification des images tissées.

21 Les ensembles de tapisseries qu’avaient emmagasinés les papes Jules II et Léon X, les grands monarques de la Renaissance – Charles Quint, Philippe II et les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche (BUCHANAN, 1992, 1999, 2006 ; DELMARCEL, 1999a), François Ier et les Valois, Henry VIII d’Angleterre et les Tudors (CAMPBELL, 2007) –, les grandes familles italiennes – les Médicis, les Gonzague (BROWN, DELMARCEL, LORENZONI, 1996), les Este, les Doria (BOCCARDO, 1989) et les Farnèse (Gli Arazzi dei Farnese…, 1998) –, les cardinaux Wolsey (CAMPBELL 1996a), Érard de La Marck, Bernardo Cles (BELLABARBA, CASTELNUOVO, LUPO, 1990) et Granvelle (DELMARCEL, 2000a) sont désormais connus, de même que les séries ayant appartenu au XVIIe siècle aux Bourbons, aux maisons de Savoie et de Bourbon-Parme, aux Barberini (BERTRAND, 2005), aux grands commis de la couronne de France – Colbert (DELMARCEL, 1999c), Richelieu et Mazarin (MICHEL, 1999) ou encore le surintendant des finances Particelly d’Hémery (VITTET, 2004). L’étude qui en a été faite dépend de la problématique générale dans laquelle elle se situe. Tantôt elle vise à l’identification des tapisseries à partir de l’analyse des sources manuscrites (correspondance, comptabilité, testaments et inventaires), tantôt elle tente de replacer les tapisseries dans une connaissance plus globale des usages et des modes de vie, à partir de représentations ou de récits contemporains des œuvres. Ces approches renseignent à la fois sur les processus de fabrication des tentures et de leur acquisition (communautés de métiers, réseaux de relations, marché des œuvres d’art et du mobilier), sur l’usage que leurs propriétaires en faisaient (aménagement des salles, prêts de tapisseries pour des cérémonies), et sur la constitution des ensembles et leur dispersion. Ainsi, la collection des Farnèse a été constituée à partir d’un « noyau » provenant de Marguerite de Parme, fille naturelle de Charles Quint, épouse en secondes noces d’Ottavio Farnese, comprenant des Pergola à sujets mythologiques (Rome, palais du Quirinal), une Histoire de Noé (Amsterdam, Rijksmuseum, et Cracovie, château du Wawel) et une Histoire de César (Gli Arazzi dei Farnese…, 1998). Les sources ont toutefois leurs limites. L’Histoire d’Artémise, achetée par le collectionneur américain Foulke aux Barberini en 1889, ne figure que dans l’inventaire du cardinal Antonio Barberini, dressé en 1636-1640. Il convient d’analyser ces documents en précisant dans la mesure du possible la cause de la rédaction de l’inventaire et son moment dans la vie du propriétaire, de manière à déterminer s’il s’agit d’une collection, d’un mobilier en cours d’acquisition ou d’un accrochage et d’un ameublement achevés. Les récits des chroniqueurs livrent à ce propos des descriptions vivantes et précises, ainsi celui de

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Calvete de Estrella aux fêtes du château de Binche en 1549, ou les diverses descriptions des tapisseries de Philippe II d’Espagne et de Sébastien de Portugal lors de leur rencontre historique à Guadalupe en 1576.

22 Ces travaux sur les collections de tapisseries ont mis en valeur la dualité de ce médium, sa fin décorative : les tissus sont généralement vivement colorés et leurs motifs chargés de sens, puisque les tapis représentent le plus souvent des histoires (ce sont des considérations qui s’appliquent aussi à la peinture). La fonction décorative de la tapisserie est indissociable de son rôle social et politique. Les tentures sont prises en compte dans le cérémonial de la cour. Leur nombre était d’importance et devait être proportionnel au rang du prince qui les possédait. Thomas Campbell a ainsi analysé les conditions dans lesquelles les quatre plus grands amateurs de tapisseries de la Renaissance, le pape Léon X, Charles Quint, Henry VIII et François Ier, enchérissaient les uns sur les autres pour se procurer les pièces les plus somptueuses (CAMPBELL, 2007). La tapisserie, un signe extérieur de richesse, soutenait la dignité et la grandeur de son propriétaire. Par ailleurs, ce sont toujours les mêmes tentures qui reviennent dans les descriptions d’intérieurs et dans les relations de cérémonies, car elles caractérisaient les princes qui les possédaient : les Actes des Apôtres de Léon X, l’Histoire d’Abraham et l’ Histoire de Jules César d’Henry VIII, l’Histoire de Scipion de François I er. Ces séries représentent les hauts faits d’hommes célèbres de l’Antiquité, de patriarches de la Bible, de héros de la mythologie gréco-romaine. Le caractère universel des sujets prime : c’était dans les figures représentées que pouvaient se reconnaître tant l’occupant du lieu où les tapisseries étaient tendues que ses invités.

23 Les travaux sur la signification des tapisseries ont produit d’heureux résultats. Le propos général de la thèse de Wolfgang Brassat (BRASSAT, 1992) est centré sur la fonction politique de la tapisserie du XIVe au XVIIIe siècle en Europe. Dans une démarche novatrice, l’auteur analyse l’usage des tapisseries lors des cérémonies ou comme cadeaux diplomatiques et princiers. Il classe les tentures sous différentes rubriques : tapisseries d’histoire (comme la peinture), portraits (genre qui n’a encore fait l’objet que de rares études : BAUER, 2002 ; HUBACH, 2002 ; WOLDBYE, 2002 ; HUBACH, 2005)5, armoiries et emblèmes. Il montre les fonctions demandées à ce médium et s’arrête sur la question de sa reproductibilité nécessaire en matière de diffusion d’« images tissées » et de support à la représentation et à la gloire du prince.

24 Si la grande majorité des tentures présentaient des sujets universels, convenant au plus grand nombre, certaines pouvaient avoir une signification singulière lorsqu’elles appartenaient à un prince en particulier. Une tenture comme Los Honores est un véritable traité d’éducation pour un jeune prince, en l’occurrence Charles de Habsbourg, sacré et couronné roi des Romains en 1520 à Aix-la-Chapelle, le futur Charles Quint. Lorsqu’un jeune souverain pratique les vertus principales, il peut vaincre les vicissitudes de la Fortune, échapper à l’Infamie et ainsi espérer recevoir trois grands principes moraux : la Gloire, la Noblesse et l’Honneur. Rémy du Puys, successeur de Jean Lemaire de Belges comme historiographe de la cour, peut être considéré comme le concepteur (« l’inventeur idéal ») du programme de la tenture. Celle-ci est rigoureusement organisée : chaque tapisserie, agencée selon un principe de symétrie, présente en son centre une figure allégorique, vertu ou principe moral, placée dans une architecture définissant une sorte de scène de théâtre et entourée de personnages tirés de l’Antiquité classique ou de la Fable, dont l’histoire réelle ou légendaire présente un lien avec la vertu principale (DELMARCEL, 2000b).

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25 Si tous ces travaux replacent la tapisserie et ses usages au sein des cours, des tentures étaient toutefois utilisées en dehors de celles-ci. Dans les pays catholiques, l’Église a été une grande consommatrice de tapisseries. Mais hormis pour les tentures de chœur, dont l’usage était très développé au Moyen Âge et au début de la Renaissance (Saints de chœur…, 2004), peu de travaux ont porté sur ce genre. Parmi ces derniers, citons l’exposition sur la Vie de la Vierge aujourd’hui conservée dans la cathédrale de Strasbourg, une tenture qui fut destinée à Notre-Dame de Paris et liée au vœu de Louis XIII de placer la France sous l’invocation de la Vierge. Philippe de Champaigne avait exécuté, à la demande du roi, un tableau sur ce sujet (Caen, Musée des beaux-arts, 1638) pour le maître-autel de Notre-Dame. Peu après, le cardinal de Richelieu avait fait entreprendre la tenture par l’intermédiaire de deux de ses secrétaires, Michel Le Masle et René Charpentier, pour la décoration du chœur de Notre-Dame. Les cartons ont été peints par Philippe de Champaigne, Jacques Stella et Charles Poerson (La Vierge, le roi et le ministre…, 1996). D’autres questions plus générales subsistent : comment, au cours du XVIIIe siècle, s’est maintenue la fonction politique des tapisseries ? Le développement d’une clientèle bourgeoise a-t-il contribué au déclin de celle-ci ? C’est donc une véritable histoire de l’usage des tentures, pour les trois siècles des temps modernes, qui reste à écrire.

Peinture et tapisserie

26 Selon André Félibien, la première condition pour obtenir une belle tapisserie est d’avoir un bon modèle. Cette affirmation renvoie à l’histoire de la peinture. Les problématiques sont essentiellement de trois ordres. Elles touchent à des questions de style et d’attribution, puisque les esquisses et les cartons sont fournis par des peintres, et qu’un même artiste ne produit pas obligatoirement le bozzetto et le carton à grandeur d’exécution. Elles ont trait à la circulation des modèles, car les foyers artistiques dans lesquels les modèles ont été élaborés peuvent être différents des lieux où ont été peints les cartons. Elles permettent d’aborder la réception des artistes et de leurs œuvres : en règle générale les tapisseries n’ont pas de caractère d’unicité, elles sont ordinairement tissées en plusieurs exemplaires, ce qui permet d’apprécier leur succès en fonction du nombre d’exemplaires répertoriés.

27 Selon un schéma historiographique qui, depuis Vasari, donne la primauté à l’art italien, il est clair que l’esthétique du dessin à la Renaissance est italienne, que les tapisseries aient été tissées à Bruxelles, en Italie ou en France. Un des apports de l’exposition de New York de 2002 est d’avoir analysé les productions de Raphaël et de son atelier comme un tout cohérent (ce qui n’avait jamais été fait auparavant). Les cartons des Actes des apôtres constituent la première application à grande échelle de l’esthétique de la haute Renaissance dans le médium de la tapisserie (SHEARMAN, 1972 ; FERMOR, 1996). La part de Giovanni da Udine dans l’élaboration de trois grands ensembles destinés à la cour pontificale – les Grotesques de Léon X, les Giochi di putti et la Vie du Christ –, est mieux cernée, de même que le rôle de Tommaso Vincidor, qui, à Bruxelles, était chargé de superviser la transposition des modèles italiens (DACOS, 1980, 1997 ; CAMPBELL, 1996b). L’émule de Raphaël, Giulio Romano, peut être considéré comme un des champions des dessinateurs de tapisseries pour avoir fourni pas moins de neuf modèles de tentures (Histoire de Scipion, Fructus Belli et Histoire de Moïse, etc. ; DELMARCEL, 1997), de même que Perin del Vaga (BOCCARDO, 1989).

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28 Ce sont les peintres romanistes flamands Bernard Van Orley et Pieter Coecke Van Aelst qui paraissent être les plus productifs après Raphaël. Les quatre pièces de La Passion d’Albe (Paris, New York et Washington), réunies en 2002 à New York pour la première fois depuis la dispersion en 1877 des collections du duc de Berwick et d’Albe, apparaissent comme une œuvre charnière dans la carrière de Van Orley, placée entre d’une part la Légende de Notre-Dame du Sablon et Los Honores et d’autre part la Bataille de Pavie et les Chasses de Maximilien. La confrontation du dessin préparatoire de Stuttgart à la tapisserie de la montre d’une manière des plus efficaces que le souci majeur du peintre était d’intégrer les figures monumentales dans l’espace du tableau, à l’instar de Raphaël, tout en l’accordant avec la vive expression du sentiment tragique de la scène que le peintre avait retenue de la leçon de Dürer. L’héritier direct de Van Orley fut Pieter Coecke Van Aelst, qui a joué un rôle de tout premier plan dans l’élaboration des cartons de tapisserie durant les années 1530. Thomas Campbell propose de remonter à la fin des années 1520 la datation généralement admise jusqu’à ce jour de l’Histoire de saint Paul et des Sept Péchés capitaux (Tapestry in the Renaissance…, 2002, cat. 46, 47). Il pense aussi que Coecke a été l’un des acteurs principaux des années 1540 en collaborant à la réalisation des cartons de la Conquête de Tunis exécutés sous la direction de Jan Vermeyen, incitant à réviser les attributions de tentures souvent données à ce dernier. Il reconnaît les limites de son hypothèse et n’hésite pas à proposer de nouveaux axes de réflexion sur les enjeux de telles tentures : dans quelles circonstances les grandes tentures de l’Histoire de saint Paul et de l’Histoire de Josué ont- elles été conçues ? Quelles significations avaient ces tentures aux yeux de leurs propriétaires ?

29 Lucia Meoni a rappelé la place primordiale de Jan Van der Straet (Johannes Stradanus ou Giovanni Stradano), qui a fourni de nombreux cartons à la manufacture des Médicis (La nascita dell’arazzeria…, 2008), et qui avait déjà été remarqué par Vasari parmi les peintres maniéristes florentins, tels que Bronzino, Salviati, Bachiacca. Si l’on se tourne vers la France, un peintre comme Jean Cousin a su intégrer les nouveautés du langage pictural italien au système encore médiéval de représentation de l’espace, visible dans les tapisseries de Reims (ZERNER, 1996). L’italianisme est également présent dans l’Histoire de Diane tissée pour Diane de Poitiers, dont deux pièces viennent d’être acquises par le Musée national de la Renaissance à Écouen (FORTI GRAZZINI, 2007).

30 L’exposition de New York et de Madrid (Tapestry in the Baroque…, 2007) a bien montré comment l’art italien, au XVIIe siècle, cède sa primauté à l’art flamand et français, aux grands créateurs de tapisseries que furent Rubens, Jordaens et Le Brun. Pierre-Paul Rubens a fourni des esquisses pour de grandes séries tissées à Bruxelles (Histoire de Decius Mus, Triomphe de l’Eucharistie, Histoire d’Achille ; HAVERKAMP-BEGEMANN, 1975 ; DE POORTER, 1978 ; Peter Paul Rubens…, 2003) et à Paris (Histoire de Constantin). Sa peinture a aussi fourni des modèles à d’autres tapisseries ainsi qu’à des tapis de table, des ornements liturgiques, des broderies et des dentelles, le plus souvent d’une manière indirecte, par l’intermédiaire de gravures, un processus qui touche à la question de la réception de l’œuvre d’un artiste (Rubenstextiel…, 1997). Jacob Jordaens fut un dessinateur encore plus prolifique pour la tapisserie et ses créations ont été analysées en détail (NELSON, 1998 ; BROSENS, 2007). Le Brun a surtout bénéficié d’études anglaises et germaniques (Historische Schlachten…, 1976 ; STEIN, 1985 ; BRASSAT, 1993, 1997 ; MONTAGU, 1994 ; KIRCHNER, 2001 ; BIRKENHOLZ, 2002). D’autres travaux ont porté sur les peintres de son atelier, comme Van der Meulen, son principal collaborateur dans l’élaboration des

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modèles des tentures destinées au roi, les tapisseries des Maisons royales et de l’Histoire du Roi, et les soies peintes du Passage du Rhin (À la gloire du Roi…, 1998). Les deux expositions de 2002 et 2007-2008 dessinent ainsi les contours d’une histoire de la tapisserie rythmée par de grands noms de peintres créateurs de tapisseries – Raphaël et Giulio Romano, Van Orley et Pieter Coecke, Rubens, Jordaens, Vouet, Le Brun –, mais quantité d’autres peintres ont travaillé pour les grandes cours et ont aussi fourni des modèles à divers ateliers, tels que Juste d’Egmont, qui, après avoir travaillé dans l’atelier de Vouet, a peint pour la manufacture de la Savonnerie et les ateliers bruxellois (César Auguste, Marc-Antoine et Cléopâtre, Zénobie), ou le prolixe peintre bruxellois Antoine Sallaert qui, selon ses propres dires, dessina plus de vingt-sept ensembles de tapisseries (Thésée, Vie de l’Homme, Sept Vertus, Salomon, Planètes, Prométhée ; voir DELMARCEL, 1999a, pour la bibliographie sur ces séries), sans oublier Isaac Moillon ou Michel Corneille, révélés récemment lors d’expositions à Aubusson et à Orléans (Isaac Moillon…, 2005 ; Michel Corneille…, 2006).

31 Ces recherches ont montré les processus d’adaptation des modèles au goût d’une période et d’une clientèle. Comment l’art d’un peintre conçu dans un lieu donné a-t-il été approprié et réinterprété dans un autre lieu ? Comment l’art de Raphaël a-t-il été traduit dans les ateliers anglais (Mortlake) et français (Paris) au XVIIe siècle ? Quelle conception de Raphaël voulait-on diffuser lorsqu’il a été décidé de retisser les fameux Actes des apôtres ? Quels sont les enjeux de ces tissages ? Il en va de même de l’Histoire de Méléagre et de l’Histoire d’Alexandre d’après Le Brun, remises sur les métiers à Bruxelles. Comment Rubens a-t-il dû adapter sa manière au goût de la couronne de France pour obtenir les commandes de la galerie du Luxembourg et de l’Histoire de Constantin ? Comment, malgré toutes les modifications apportées par les divers intervenants, peut- on reconnaître la main qui a effectué le dessin, l’esquisse préparatoire ? Pourquoi les ateliers bruxellois ont-ils tissé des tapisseries d’après des modèles français ? Qu’est-ce qui explique le fait qu’un peintre suiveur de Vouet comme Charles Poerson ait été essentiellement exécuté à Bruxelles (Histoire de Cléopâtre, Histoire de Titus et Vespasien) ? De même, pourquoi Romanelli, qui a fourni des cartons aux ateliers romains à la suite de Pierre de Cortone, a-t-il été transposé en tapisserie à Anvers ? Telles sont les questions que pose l’étude des peintres et des modèles livrés aux tapissiers. Mais si des éléments de réponse ont été apportés, ces questions ne peuvent être totalement résolues sans prendre en compte le dernier volet de la recherche en histoire de la tapisserie, les travaux sur le métier lui-même.

Une contribution à l’histoire de la culture matérielle

32 Si l’esthétique de la tapisserie est italienne, le savoir-faire est flamand. Selon André Félibien, l’habileté des tapissiers est le deuxième critère d’appréciation de la qualité d’une tapisserie. L’histoire de la production est complexe, elle doit prendre en compte les mécanismes du marché, le rôle des grands marchands, des entrepreneurs, le type d’ateliers, les manufactures de cour et les fabriques privées, et les processus de fabrication, le passage du peint au tissé.

33 L’analyse du contexte socio-économique fait apparaître deux types de manufactures : des entreprises privées contraintes d’écouler leur production par les voies traditionnelles du commerce, et des ateliers de cour, soutenus par un patronage princier. La production privée était soumise à des impératifs économiques. Elle exigeait

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un capital important en matériaux (laine, soie, fils d’or et d’argent) et en main-d’œuvre, et reposait sur la puissance financière des grands entrepreneurs. Ces derniers avançaient l’argent nécessaire à l’achat des fournitures et faisaient tisser dans leurs propres ateliers ou sous-traitaient une partie du travail. On connaît de mieux en mieux le rôle déterminant des fabricants de Bruxelles et des riches marchands d’Anvers (Georges ou Joris Vezeleer, Pieter Van de Walle, Erasmus Schets), qui, en répondant dans des délais très rapides à la demande, ont fait, dès les années 1510, le succès de l’industrie de la tapisserie (BUCHANAN 1992, 1999). Grâce à leur fortune (Vezeleer et Van de Walle étaient aussi orfèvres), ces entrepreneurs commandaient des cartons à des artistes de renom, les faisaient tisser dans les meilleurs ateliers (dont certains étaient les leurs) et les proposaient ensuite à leur clientèle princière, soucieux de répondre à ses goûts et à ses besoins. Pour réaliser les Gestes et Triomphe de Scipion, dont la première édition en vingt pièces avait été acquise dans les années 1532-1535 par François Ier, une entreprise de ce type avait été montée par Marc Crétif, négociant à Bruxelles. L’Histoire d’Abraham d’Henry VIII semble résulter d’un tel montage (CAMPBELL, 2007, p. 281-297) : il est vraisemblable que les dessins ont été commandés à Pieter Coecke par Kempeneer dans l’espoir de toucher une clientèle riche à la cour d’Angleterre ou parmi les rivaux d’Henry VIII sur le continent, et que les grands patrons ont été exécutés après que le roi d’Angleterre a vu des dessins et des modelli. Vezeleer détenait les cartons et le « copyright » des dessins de Vertumne et Pomone. Guillaume de Kempeneer, l’un des tapissiers bruxellois les plus entreprenants dans les années 1530 et 1540, a acquis des cartons de plusieurs grandes tentures non liées à un quelconque patron.

34 Les tapisseries étaient tissées sur commande et fabriquées en plusieurs exemplaires, puis entreposées dans des lieux de vente, à Tournai au Moyen Âge (aujourd’hui davantage considérée comme un lieu de négoce que comme un lieu de production), à Anvers ensuite (où elles étaient stockées dès 1554 dans une vaste halle, le Tapisseriespand, centre du commerce international très actif jusque vers 1650), et à Bruxelles. Les entrepreneurs avaient des agents dans les principales villes d’Europe pour faire connaître et écouler leur production. Ainsi les Wauters, une des plus importantes familles de tapissiers d’Anvers, traitaient avec les Forchondt à Vienne, Verpennen à Rome, De Moor et Van Praet à Lisbonne, et aussi avec Sintclaer à Stockholm et la veuve de Simon de Ruble à Paris (DENUCÉ, 1931).

35 La thèse de Koenraad Brosens sur la firme bruxelloise d’Urbain Leyniers (1674-1747) apporte un éclairage inédit sur les mécanismes de la production, qui ne sont ni nouveaux ni réservés au petit monde de la tapisserie (capitalisme industriel, réseau de relations garantissant la production), et permet de mieux comprendre le succès de l’entreprise Leyniers (BROSENS, 2004). La force du tapissier réside principalement dans le choix limité et exclusif de ses partenaires, des investisseurs et des tapissiers privilégiés : les Platteborse, sa belle-famille, et les Reydams, dont Henri a été le principal associé pour la fabrication des tapisseries. L’achat de nouveaux dessins et des cartons de tapisserie nécessitant l’immobilisation de capitaux, les tapissiers en achetaient à crédit ou en louaient d’autres auprès d’entrepreneurs ou d’intermédiaires, dont certains semblent avoir été spécialisés dans des cartons d’une esthétique française. Ainsi le tapissier bruxellois Charles de La Fontaine, impliqué vers 1650 dans le tissage d’une des pièces de la célèbre Vie de la Vierge commandée par Richelieu pour Notre-Dame de Paris, a contribué à l’importation à Bruxelles des cartons de Charles Poerson, de même que l’entrepreneur lillois Adrien Parent, actif à Bruxelles dans les

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années 1670, qui était le propriétaire des cartons de l’Histoire de Cléopâtre de ce même peintre. Le diplomate liégeois résidant à Paris Jean Valdor, impliqué dans les années 1660 dans la fabrication et le commerce de tapisseries à Paris et à Maincy, louait les cartons de l’Histoire de Méléagre de Le Brun à des tapissiers bruxellois (BROSENS, 2003b). Une grande partie de ces tapis-series était destinée à une clientèle française (Tapestry in the Baroque…, 2007, p. 441-453).

36 Les travaux sur les ateliers de cour ont montré la diversité des privilèges accordés aux tapissiers, ceux-ci pouvant aller d’aides ponctuelles (ils conservaient dans ce cas leur statut d’entrepreneur privé) à leur intégration dans la maison du prince (le patronage les liant alors très étroitement à leur protecteur). Par exemple, les tapissiers travaillant pour le cardinal Francesco Barberini étaient en règle générale des artisans privés, mais occasionnellement mentionnés parmi les gens de maison « extra-ordinaires » (« straordinari » ; BERTRAND, 2005). Les productions de ces ateliers princiers étaient de nature différente de celles provenant des fabriques privées, et moins soumises à des impératifs économiques qu’aux besoins des princes : de ce fait les tentures, généralement tissées en un seul exemplaire, perdaient leur caractère de reproductibilité. On connaît bien désormais ces manufactures établies par les grands princes italiens (les familles d’Este, Gonzague, Médicis et Barberini), français (François Ier, Henri IV et Louis XIV), germaniques (Maximilien Ier de Bavière ; VOLK- KNÜTTEL, 1976) et anglais (Jacques Ier d’Angleterre).

37 Les Gobelins apparaissent comme l’exemple le plus abouti des ateliers de cour. Depuis la thèse de Brassat (BRASSAT, 1992), qui appuyait une partie de sa démonstration sur l’exemple des Gobelins sous Louis XIV, des travaux ont montré comment, sous la direction de Colbert, la production de tapisseries de la manufacture royale s’inscrit dans un puissant système des arts qui avait pour but d’organiser l’ensemble de la représentation de la grandeur royale (BURKE, 1992 [1995], p. 60-63 ; SABATIER, 2000 ; MILOVANOVIC, 2005, p. 56-69). L’originalité de ce système ne résidait pas dans sa nouveauté, mais dans son extension et dans l’harmonisation des modes de fonctionnement grâce à la centralisation des décisions et des contrôles des idées directrices. Jusqu’en 1695, les ateliers des Gobelins œuvrèrent exclusivement pour le roi, d’une part pour meubler ses résidences et réaliser les décors de fêtes, d’autre part pour diffuser l’image de la grandeur du règne dans les cours étrangères par le biais de cadeaux diplomatiques. Dans une société caractérisée par la compétition entre les grandes nations, entre la France et l’Espagne surtout, les symboles jouaient un rôle prépondérant. Les œuvres exécutées aux Gobelins sous la direction de Colbert et de Le Brun par les meilleurs artisans venus de tous les pays d’Europe sont l’expression de la puissance civilisatrice de Louis XIV et donc des signes de sa magnificence. Ce qui distingue les tapisseries des Gobelins des autres productions, de Bruxelles ou de tout autre centre, c’est le fait d’appartenir à ce système, capable de fournir des tentures de très haute qualité avec une iconographie recherchée et un style renouvelé (Tapestry in the Baroque…, 2007, p. 341-405).

38 Le fait de posséder un atelier de cour n’empêche pas le prince de se tourner vers des manufactures de renom, en particulier pour des commandes de prestigieuses tentures à or. Le grand-duc de Toscane Cosme Ier de Médicis a ainsi en même temps fait exécuter la tenture de la Genèse (1551, Florence, Palazzo Pitti) à Bruxelles et celle de Joseph (1550-1553, Florence, Palazzo Vecchio) à Florence même. Le roi Henri II installait un atelier dans l’hôpital de La Trinité, tandis que peu après sa veuve Catherine de Médicis

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(ou quelqu’un de son entourage) s’adressait à Bruxelles pour faire tisser les célèbres Fêtes des Valois (1582-1585, Florence, Galleria degli Uffizi ; BERTRAND, 2006-2007).

39 La création des ateliers de cour est en partie liée à l’émigration massive des tapissiers flamands dans tous les pays d’Europe aux XVIe et XVIIe siècles, aussi bien dans les provinces du Nord (Delft, Middelburg, Amsterdam, Gouda) qu’en Espagne (Pastrana), en France (Fontainebleau, Paris, Beauvais, Aubusson), en Bavière (Munich), en Angleterre (Mortlake) et en Italie (Ferrare, Mantoue, Florence, Rome), ce qui eut pour effet d’anémier quelque peu la production dans les Pays-Bas méridionaux. L’exemple de Philippe Behagle est particulièrement révélateur du phénomène. Originaire d’Audenarde, où il a commencé son activité, il a gagné Paris dans les années 1660 pour travailler tout d’abord dans la manufacture des Comans, puis aux Gobelins. Retournant ensuite (1672) dans sa ville natale (devenue française en 1667), il y a ouvert un atelier avec un compatriote, puis, répondant à l’appel de Colbert, installé ses métiers à Tournai (1677-1678), ville également sous occupation française. En 1684, il a été appelé à la tête de la manufacture royale de Beauvais, créée pour répondre à la demande croissante du marché de l’Europe du Nord. En même temps, Behagle conduisait son propre atelier à Paris, dont la production était à la fois complémentaire et concurrentielle de celle de Beauvais (Tapestry in the Baroque…, 2007, p. 407-419).

40 Cette vague d’émigration des tapissiers flamands a été comprise comme un « essaimage », mais ce fait doit être relativisé (DELMARCEL, 2002) : des artisans français et italiens, en moins grand nombre certes, travaillaient avec eux dans les mêmes centres de tissage ; de nombreux Français ont émigré dans les pays germaniques après la révocation de l’édit de Nantes ; des Flamands envoyaient leurs enfants en apprentissage à Paris ou à Rome et inversement. La prise en compte de ces facteurs tend alors à orienter la réflexion sur l’organisation du métier, non plus centrée sur la diaspora d’une communauté, mais en termes de transfert de savoir-faire et de circulation de modèles, qui viennent enrichir à la fois l’histoire de la culture matérielle et celle de la culture visuelle.

41 Un autre point discuté de l’histoire matérielle du métier concerne les lieux d’exécution des tapisseries et relève de la géographie artistique. La notion d’art flamand découle de la définition de l’aire géopolitique dans laquelle il est produit. Les anciennes cités de l’actuelle Belgique et du nord de la France, qui ont souvent changé d’appartenance politique (Bourgogne, Angleterre, Empire, Espagne, France), formaient une entité économique et culturelle qui répond d’une manière plus satisfaisante à l’appellation de « flamande » que la stricte appartenance politique à un État donné dont les frontières ont sans cesse bougé au cours des siècles passés. Il en est de même pour la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle, période durant laquelle Lille et une dizaine d’autres villes ont passé des Flandres à la France. Au moment où l’industrie bruxelloise déclinait, on a vu des tapissiers bruxellois (les Pannemaker, De Melter) s’installer à Lille pour des raisons économiques et fiscales, une partie de leur clientèle étant française. Les productions de ces cités n’ont pas pour autant cessé d’être considérées comme flamandes par une partie des historiens, alors que d’autres, s’appuyant sur le fait que la marque de la ville est composée de l’initiale de cette dernière et d’une fleur de lys, les pensent françaises, ce qui a le désavantage de réduire la spécificité de la tapisserie à une question d’appartenance nationale de tel ou tel lieu d’exécution.

42 La concurrence était rude entre les divers centres de fabrication ; Bruxelles supplanta les autres centres en qualité et en renommée à partir de l’arrivée des Habsbourg, si bien

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que les fraudes se multiplièrent. Pour cela, des édits imposèrent de marquer les tapisseries de Bruxelles dès 1528 et celles des autres villes à partir de 1544. Ces marques de villes et de fabriques, tissées dans la lisière des tapis, étaient une sorte de certificat de garantie matérielle. Elles sont aujourd’hui très précieuses pour l’historien, car elles permettent d’identifier le lieu et l’atelier dans lesquels les tapisseries ont été fabriquées. Un travail en cours de recensement de marques des villes et manufactures des anciens Pays-Bas méridionaux (Bruxelles, Enghien, Audenarde, Bruges, Anvers) permettra de placer plusieurs centaines de marques et signatures dans leur contexte historique, même si nombre d’entre elles ne peuvent pas ou plus, de nos jours, être identifiées6. Une étude semblable pourrait être envisagée sur les marques des tapisseries autres que flamandes, mais quelques précautions sont nécessaires. On sait qu’en France, les marques ne figurent que sur les productions des XVIIe et XVIIIe siècles, elles sont apparues à partir de 1600 sur les tapisseries des Flamands installés à Paris (et non sur les tentures réalisées par des Parisiens). La pratique a ensuite gagné les autres centres de production au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle.

43 La question du lieu d’exécution reste toujours épineuse pour ce qui est des tapisseries de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, puisqu’il n’y pas de marque. Deux avancées notables ont été faites ces dernières années, permettant de distinguer quelques tissages brugeois et parisiens parmi la production dite franco-flamande. Des productions brugeoises attestées (Vie de saint Anatoille de Salins, 1502-1505, Paris, Musée du Louvre) autorisent des attributions à Bruges, reposant d’une part sur des éléments formels que l’on ne retrouve pas ailleurs (aplats dans les vêtements, type d’oranger-pommier) et d’autre part sur le fait qu’une large part de la production ultérieure de Bruges a été écoulée vers la France. Ainsi, les cartons de la tenture de Gombault et Macé furent loués à des entrepreneurs brugeois par leurs collègues parisiens, et les suites brugeoises furent vendues surtout en France (Bruges et la tapisserie, 1987). À partir de ses découvertes sur la tenture de la Vie de saint Jean Baptiste de 1516-1521 (Angers, cathédrale ; Glasgow, Burrell Collection et collection particulière), et partant du principe qu’une tapisserie, conçue à partir d’un carton exécuté dans une ville donnée, peut avoir été réalisée dans ce même lieu, Audrey Nassieu-Maupas a rassemblé dans sa thèse inédite un corpus de près d’une vingtaine de tentures parisiennes de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, des tentures de chœur essentiellement comme l’Histoire de saint Étienne, offerte dans les premières années du XVIe siècle par l’évêque Jean de Baillet à sa cathédrale d’Auxerre (Paris, Musée national du Moyen Âge ; NASSIEU-MAUPAS, 2004, 2005, 2006).

44 L’étude du métier de tapissier durant la seconde moitié du XVIe siècle en France, en dépit de la publication de documents d’archives (GRODECKI, [1976-1977], 1978, 1986), a pâti du fait que très peu de tapisseries attestées de cette époque subsistent. Il en va de même pour la première moitié du XVIIe siècle. On connaît des noms de tapissiers, à Paris, à Tours et à Amiens, à Aubusson. La politique de soutien des ateliers de la Couronne a été analysée, de même que les principales tentures (BERTRAND, 2002), mais le métier en lui-même, le fonctionnement des ateliers et la réalité du marché de la tapisserie n’ont pas été étudiés dans tous leurs détails. Des tapisseries flamandes étaient toujours importées en grand nombre à Paris, en toute légalité. Des marchands d’Aubusson y tenaient aussi boutique. Henri IV avait accordé des privilèges similaires à des Français installés au Louvre (Dubout et Laurent) et à des Flamands établis au faubourg Saint-Marcel (Comans et La Planche). Mais on a très peu de renseignements sur le mode de fonctionnement des ateliers du Louvre. On sait simplement que les

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tapissiers flamands ont apporté avec eux leurs usages, leurs techniques, leurs pratiques commerciales. Il est donc permis d’envisager que la genèse, encore très débattue, de l’ Histoire de Constantin de Rubens, tissée à Paris dans les années 1620 par des tapissiers flamands, résulte d’un processus analogue à celui en vigueur dans les ateliers bruxellois, semblable à celui de l’Histoire d’Abraham d’Henry VIII évoquée plus haut : les modèles et les premières éditions (ou tissages) de la tenture ont effectivement été payés par Louis XIII, qui a demandé à ce que des corrections soient apportées aux cartons de Rubens ; les entrepreneurs Comans et La Planche ont bien joué un rôle d’intermédiaire entre le peintre (Rubens) et le client (Louis XIII) ; il reste à démontrer que le marché a été conclu sur leur initiative.

45 Les études sur l’histoire de la tapisserie ne cessent de rappeler le caractère collectif de cet art. Si, pour les besoins de l’analyse, les travaux relèvent d’une des trois approches définies dans la deuxième partie de cet article, il n’en reste pas moins que ces approches sont intiment liées et qu’elles s’entremêlent dans la réflexion. Toutes les publications mentionnées ci-dessus offrent ensemble un corpus de plusieurs centaines de tapisseries, révélées aux spécialistes et au public depuis la dernière génération. La lente et ingrate recherche en archives demeure nécessaire pour parvenir à des résultats. On ne peut qu’encourager des études monographiques, tant sur les grandes tentures que sur des tapissiers et leur production ou encore sur des manufactures et des peintres. C’est de la juxtaposition de tous ces travaux qu’une histoire de la tapisserie peut émerger, avec de nouveaux contours, si l’on sait la replacer non seulement dans une histoire des arts textiles, mais aussi et surtout dans une histoire générale de l’art.

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NOTES

1. Le site web hébergé par le département d’histoire de l’art de l’Université catholique néerlandophone de Louvain (K.U. Leuven ; http://www.studiesinwesterntapestry.net) rassemble l’actualité de la recherche en histoire de la tapisserie et a en même temps lancé une activité d’édition dans ce domaine (Turnhout, Brepols) ; deux volumes ont été publiés : BROSENS, 2003a ; BERTRAND, 2005. Pour la période 2008-2010, la publication de deux études est prévue : celle de Katja Schmitz von Ledebur sur la tenture des Planètes à Munich (Die Planeten und Ihre Kinder : eine flämische Tapisserienserie des 16. Jahrhunderts aus der Sammlung Herzog Albrechts V), et celle de Iain Buchanan sur les Habsbourg et leurs collections de tapisseries. 2. Les archives photographiques de ces firmes conservées au Getty Research Institute sont aussi consultables sur Internet (http://www.getty.edu/research/conducting_research/ photo_study_collection). Une copie des archives Duveen, conservées par la Research Library du Getty, est également disponible à la bibliothèque de l’INHA (Les Nouvelles de l’INHA, 2004, 19, p. 26-27). 3. À l’occasion de la publication du catalogue de San Francisco ont été organisés une exposition des principales pièces et un colloque international. Le catalogue a fait l’objet d’une réédition revue et augmentée en 1992. Les actes du colloque ont été publiés sous le simple titre de Acts of the Tapestry Symposium, novembre 1976. The Fine Arts Museums of San Francisco, (colloque, San Francisco, 1976), San Francisco, 1979.

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4. On attend la parution prochaine du catalogue des tapisseries anglaises par Wendy Hefford, ouvrage annoncé comme une nouvelle étude fondamentale sur les ateliers anglais. 5. Un colloque « Portrait et Tapisserie » se tiendra à Lyon en juin 2010, organisé par l’équipe « Art, imaginaire, société » du Laboratoire de Recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA – CNRS UMR 5190) et le Centre François-Georges Pariset de l’Université de 3 (EA 538). 6. Ce corpus sera l’aboutissement de trente-cinq ans de collection par G. Delmarcel, aidé de nombreux collègues.

RÉSUMÉS

La recherche dans le domaine de la tapisserie ancienne a connu une expansion explosive durant les trente-cinq dernières années. Une impulsion majeure fut donnée par les publications de catalogues de collections aux États-Unis (New York, San Francisco, Minneapolis, bientôt Chicago) et en Europe (Madrid, Rome, Berne, Amsterdam) et de grandes expositions temporaires (Vienne, Bruges, New York). De nombreuses monographies furent vouées à l’histoire de grandes collections, soulignant ainsi l’importance de la tapisserie en tant que véhicule de pouvoir et de glorification. D’autres études importantes portent sur le travail créateur de grands peintres, surtout italiens et flamands, pour les cartons de tapisserie. Enfin, le fonctionnement des manufactures, liées à un capitalisme tant industriel que commercial, est à présent mieux étudié. Toutes ces publications ont contribué largement à faire reconnaître la tapisserie comme un « art majeur » sous l’Ancien Régime, la libérant ainsi en grande partie de sa connexion avec les arts décoratifs.

Research in the field of ancient tapestry has expanded exponentially over the past 35 years, spurred on in particular by the publication of catalogues of collections in the United States (New York, San Francisco, Minneapolis, and – soon – Chicago) and Europe (Madrid, Rome, Bern, Amsterdam), and of large temporary exhibitions (Vienna, Bruges, New York). Numerous monographs dedicated to the history of major collections have emphasized the importance of tapestries as a vehicle for glorification and the expression of power. Other important studies address the role of great painters, particularly Italian and Flemish artists, in the creation of tapestry cartoons. In addition, the practices of tapestry workshops, linked to both industrial and commercial capitalism, have now been more thoroughly studied. Such publications have largely contributed to the present recognition of tapestry as a « major art » under the Ancien Régime, thus freeing it in large part from its connection to the decorative arts.

Die Forschung auf dem Gebiet der antiken Tapisserie hat sich innerhalb der letzten 35 Jahre extrem gesteigert. Ein Hauptimpuls ging von der Veröffentlichung mehrerer Kataloge aus, die zum einen bestimmten Sammlungen in den USA (New York, San Francisco, Minneapolis, bald Chicago) und in Europa (Madrid, Rom, Bern, Amsterdam) gewidmet waren, und zum anderen aus thematischen Ausstellungen (Wien, Brügge, New York) hervorgegangen waren. Zahlreiche Monographien haben sich mit der Geschichte der großen Sammlungen beschäftigt und so auf die Bedeutung der Tapisserie als Ausdruck von Macht und Verherrlichung hingewiesen. Neuere wichtige Studien behandeln das kreative Schaffen großer – vor allem italienischer und flämischer – Maler, die auch als Kartoneure tätig waren. Inzwischen ist ebenfalls die Rolle der Manufakturen unter dem industriellen und kommerziellen Aspekt des Kapitalismus genauer

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untersucht worden. All diese Publikationen haben zu einer Anerkennung der Tapisserie als wesentliche Kunstform unter dem Ancien Régime geführt und sie so größtenteils von ihrer direkten Verbindung zum Kunsthandwerk befreit.

La ricerca nel campo dell’arazzo antico si è, negli ultimi trentacinque anni, considerevolmente ampliata. L’impulso più grande è stato dato dalla pubblicazione dei cataloghi delle collezioni statunitensi (New York, San Francisco, Minneapolis, e prossimamente anche Chicago) e europee (Madrid, Roma, Berna, Amsterdam), e dalle grandi mostre temporanee (Vienna, Bruges, New York). Alla storia delle grandi collezioni sono state dedicate numerose biografie che hanno messo in risalto l’importanza dell’arte dell’arazzo come veicolo di potere e strumento celebrativo. Altri studi importanti riguardano la realizzazione di cartoni per arazzi da parte dei grandi pittori, soprattutto italiani e fiamminghi. Infine il funzionamento delle manifatture, legate sia al capitalismo industriale che a quello commerciale, è oggi studiato più approfonditamente. Tutte queste pubblicazioni hanno contribuito ampiamente a riconoscere negli arazzi dell’Ancien Regime un’ « Arte alta », liberandoli in gran parte anche dalla loro relazione con le arti decorative.

La investigación en el ámbito de la tapicería antigua conoció un crecimiento explosivo durante estos 35 últimos años. Un impulso mayor fue dado por la publicación de catálogos de colecciones en los Estados Unidos (Nueva York, San Francisco, Minneapolis, pronto Chicago) y en Europa (Madrid, Roma, Berna, Amsterdam) y grandes exposiciones temporales (Viena, Brujas, Nueva York). Se dedicaron numerosas monografías a la historia de grandes colecciones, destacando así la importancia de la tapicería como vehículo de poder y de glorification. Otros estudios importantes se refieren al trabajo creativo de grandes pintores, sobre todo italianos y flamencos, para los cartones de tapicería. Por fin, ahora se estudia mejor el funcionamiento de los manufacturas, vinculadas a un capitalismo tanto industrial como comercial. Todas estas publicaciones contribuyeron de sobra a hacer reconocer la tapicería como un « arte majeur » bajo el Antiguo Régimen, liberándola asimismo en gran parte de su conexión con las artes decorativas.

INDEX

Index géographique : France, Belgique, Italie, Espagne Keywords : tapestry history, tapestry, historiography, exhibitions, fabric, textile, visual culture, collection, painting, drawing, studio Mots-clés : histoire de la tapisserie, tapisserie, historiographie, expositions, tissu, textile, culture visuelle, collection, peinture, dessin, atelier Index chronologique : 1500, 1600, 1700

AUTEURS

PASCAL-FRANÇOIS BERTRAND Professeur en histoire de l’art moderne à l’Université de Bordeaux 3 (EA 538), il développe des programmes de recherche sur la décoration d’intérieur et les arts décoratifs. Il rédige un essai sur les rapports entre l’Académie royale de peinture et de sculpture et la Manufacture royale de tapisserie des Gobelins (La peinture tissée).

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GUY DELMARCEL Professeur émérite en histoire de l’art à la K. U. Leuven (université néerlandophone de Louvain), il est membre titulaire de l’Académie royale flamande des sciences et arts de Belgique. Il s’est spécialisé dans l’histoire de la tapisserie flamande, sur laquelle il a publié de nombreux livres et articles.

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Période moderne

Actualité

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Histoires de famille

Giovanni Careri

RÉFÉRENCE

- MELLINKOFF, 1993 : Ruth Mellinkoff, Outcasts : Signs of otherness in Northern European Art of the late Middle Ages, Berkeley/Los Angeles/Oxford, University of California Press, 1993. 2 vol., vol. I : 408 p., vol. II : planches (non paginé), 700 fig. coul. ISBN : 978-0-520-07815-2 ; 348 €. - BASCHET, 2000 : Jérôme Baschet, Le sein du père. Abraham et la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, Gallimard, 2000. 422 p., 110 fig. n. et b. et 10 fig. coul. ISBN : 978-2-07-075705-6 ; 38 €. - PAYAN, 2006 : Paul Payan, Joseph. Une image de la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 2006. 476 p., 32 fig n. et b. ISBN : 9782700723434 ; 24,50 €. - KOSCHORKE, 2003 : Albrecht Koschorke, The Holy Family and its legacy. Religious imagination from the Gospels to Star Wars, Thomas Dunlop éd., New York, Press, 2003. 208 p., 13 fig. n. et b. ISBN : 978-0231-12756-1 ; 27 €. [Die Heilige Familie und ihre Folgen : ein Versuch, Francfort, Fischer, 2000].

1 Dans une Adoration des Mages de la fin du XVe siècle conservée à Colmar, Joseph reste en dehors de l’espace de la mangeoire, il se penche vers Marie et Jésus dans une attitude pour le moins perplexe. Dans un autre tableau de Conrad Witz sur le même sujet au Musée d’art et d’histoire de Genève, daté d’une cinquantaine d’années plus tôt, le vieux mari semble absent ; on finit pourtant par en retrouver la petite figurine très loin, hors du seuil de la maison. Au lieu de vénérer l’enfant auquel les Mages apportent la confirmation de sa nature divine, Joseph est allé chercher de l’eau. Dans la peinture nordique du XVe siècle, il est représenté tout petit en train de préparer le repas ou de réparer des chaussures, parfois ostensiblement distrait par rapport à l’épiphanie du divin et occupé à des tâches matérielles, traditionnellement réservées aux femmes.

2 Ruth Mellinkoff commente ces tableaux ainsi qu’une quinzaine d’autres Adorations des Mages ou Nativités situées entre le XIIe et le XVIe siècle et réalisées en Europe du Nord dans son ouvrage sur les signes de l’altérité dans l’art européen du Moyen Âge tardif.

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Elle y montre comment, dans ces représentations, l’altérité ambiguë de Joseph est liée à sa position entre l’ère ancienne – celle de l’Ancien Testament – et l’ère de la révélation dont l’Adoration des Mages figure l’une des annonces (MELLINKOFF, chap. XI : « Location, position and stance », p. 209-227). Comme The mark of Caïn1, du même auteur, Outcasts : Signs of otherness in Northern European Art of the Middle Ages est un livre essentiellement consacré à la construction de la figure négative et stéréotypée du juif dans l’art chrétien. On y trouvera un extraordinaire recueil de marques infamantes associant le juif aux animaux, aux fous et à d’autres figures de l’impureté. L’intérêt de cet ouvrage pour l’historien de l’art va cependant bien au-delà de ce terrible répertoire. En effet, en reconnaissant en Joseph une figure de seuil entre le judaïsme et le christianisme, Ruth Mellinkoff nous permet d’enrichir considérablement nos interrogations sur l’iconographie de la sainte Famille et sur ses transformations. Elle nous invite aussi à aborder une importante question de méthode. Comme l’auteur le souligne, la dimension négative de Joseph n’est pas affaire d’attributs iconographiques mais de position ; c’est l’exclusion de l’enclos sacré de la Nativité et non pas les traits ridicules, parfois bien présents, qui font de l’époux de Marie une figure négative du juif.

3 On peut tirer de cette analyse exemplaire quelques avertissements à propos d’un usage simplifié de la méthode iconologique : la signification d’une figure dépend du dispositif dans lequel elle prend place ; pour saint Joseph, la simple attribution du nom réduirait en effet dans ce cas la polysémie de la figure jusqu’à occulter son altérité juive. Dans le cas des Nativités nordiques étudiées par Mellinkoff, le dispositif spatial et narratif correspond à une mise en tension entre exclusion et inclusion, on pourrait dire que le père est ici inclus dans la famille en tant qu’exclu, de la même manière que la tradition juive est à la fois intégrée et refusée par le christianisme. Cette situation paradoxale est d’abord affaire de généalogie. D’une part, l’intervention divine dans l’engendrement du Christ interrompt le lien de sang qui unit le fils au père et fonde la structure patriarcale et la clôture ethnique de la société juive. D’autre part, Jésus doit naître dans la lignée de David pour qu’il soit reconnu comme le messie annoncé par les anciennes prophéties. Les Évangiles de Matthieu et de Luc incluent donc Joseph dans la lignée de David pour pouvoir y situer son « fils » tout en marquant avec l’Annonciation et l’Incarnation un moment de rupture qui disqualifie le principe même de la descendance généalogique charnelle et ouvre le prosélytisme chrétien « à toutes les nations ». Cette rupture se manifeste d’abord dans la violente polémique antifamiliale de Jésus dans les Évangiles, où le « Père qui est au ciel » est appelé à substituer le lien de descendance charnelle ouvrant la voie à la primauté de la relation fraternelle entre chrétiens. Saint Paul donne ensuite à la révolte de Jésus contre le lien familial sa valeur antijuive puisqu’il en fait une révolte contre l’observance de la Loi. Joseph est le premier à être confronté au choix entre la Loi qui lui impose de répudier Marie − supposée adultère − et la foi dans les paroles de l’ange qui lui explique l’origine divine de l’Enfant. De la situation liminale de Joseph dépend la disponibilité structurelle de sa figure à assumer le rôle négatif de représentant d’un ordre révolu ou le rôle positif du converti. Dans l’iconographie nordique du XVe siècle, le père s’occupe de la subsistance matérielle de l’Enfant sans vraiment parvenir à le reconnaître comme le fils de Dieu. Dans ses gestes se manifeste ce qu’Augustin appelait la « carnalité » de juifs : leur refus de saisir la valeur spirituelle des épisodes de la vie de Jésus. Mais ce choix iconographique est seulement l’une des nombreuses possibilités empruntées par les représentations picturales de la sainte Famille à cette époque. Dans le Tondo Doni de Michel-Ange, par exemple, Joseph domine Marie et l’Enfant, jouant un rôle extraordinairement actif

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proche de celui réservé à Dieu le Père. Andrée Hayum a fait remarquer qu’une société patriarcale comme celle constituée autour des marchands florentins au XVIe siècle ne pouvait pas tolérer une image ridicule et faible de la paternité2. Cet argument se fonde sur le rôle du commanditaire, le marchand de tissus Angelo Doni, et sur son identification à Joseph, figure du mari, dans le cadre de ce tableau « domestique ». Le fait qu’à peine quelques années plus tard Michel Ange ait peint sur la voûte de la Sixtine un Joseph inactif et effacé parmi les personnages du cycle des Ancêtres du Christ permet de mesurer la plasticité de la figure de l’époux de Marie. Lorsqu’il doit occuper la position de seuil entre la lignée de la procréation et son interruption par intervention divine, Joseph retrouve les traits de son appartenance à l’ancienne Loi et la position liminaire qui le caractérise dans l’iconographie nordique de l’Adoration des Mages.

4 Ce qui est en jeu dans la longue histoire figurative de la sainte Famille est la définition d’une structure familiale matricielle située entre le domaine des « parentés spirituelles » et celui des liens sociaux organisés autour du noyau familial réel et allant jusqu’à l’ensemble de la structure du pouvoir. Se donner comme modèle à imiter une famille étrangère aux relations charnelles constitue l’originalité choquante du christianisme pour le monde romain. Peter Brown en a mesuré les conséquences dans son magnifique livre sur la virginité, le célibat et la continence dans le christianisme primitif. Pour les Romains, rappelle l’auteur, la « résurrection des morts » était garantie par l’abondante procréation nécessaire à la continuité de la famille et de l’État, le fils étant conçu comme un double de son père. La fécondité des femmes était leur vertu civique principale et certainement pas l’abstinence selon « la doctrine que saint Paul avait introduite et qui était propre à glacer le sang »3.

5 Le renoncement à la chair des premiers chrétiens était strictement lié à l’attente de la fin des temps, mais dès le Ve siècle l’Église s’installe dans une temporalité moins contractée sur l’imminence de la fin. Elle s’institutionnalise et amorce la séparation entre les clercs et les laïcs. Au Moyen Âge, la chasteté des clercs en fait un corps plus pur et plus directement connecté avec le principe paternel transcendant propre au christianisme. Dans La civilisation féodale, Jérôme Baschet a traité des effets politiques de cette séparation fondée sur le principe de la parenté spirituelle en analysant comment, en occupant à la fois la position de la fraternité entre égaux et celle de la paternité dominante, le clergé parvient à transformer les rapports de pouvoir en relations fondées sur l’amour4. Mais c’est dans Le sein du père qu’en étudiant l’étonnante image paradisiaque des élus reçus dans le sein du patriarche il montre que « dans la chrétienté médiévale, les relations de parenté (charnelle, spirituelle, divine) jouent un rôle structurant, tant dans la définition des rapports sociaux que dans la représentation des rapports entre les hommes et les forces régissant l’univers […] cette image doit son succès, dans une société qui se pense comme un réseau de parenté, au fait de donner à voir l’idéal paradisiaque comme une réalisation parfaite de la parenté spirituelle » (p. 24). Cette conception donne la primauté à la parenté en Dieu sur « la parenté charnelle » et « les liens de sang » comme le montre l’épisode fondateur du sacrifice d’Isaac, qui met en scène « la double soumission du fils au père et du père à Dieu » (p. 96).

6 Dans l’ouvrage de Paul Payan, la dimension politique de la figure de Joseph au XVe siècle apparaît dans son lien avec les rivalités qui déchirent la France entre Armagnacs et Bourguignons et l’Europe entière autour du Grand Schisme. Joseph devient alors une

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figure de l’unité de l’Église en raison de la valorisation de son union avec la Vierge. L’artisan de cette promotion de l’époux de Marie, qui aboutira à sa canonisation à la fin du XVe siècle, est le théologien Jean de Gerson, auteur entre autres de Josephina, une œuvre poétique et philosophique de près de trois mille vers écrite entre 1414 et 1418. Payan met en relation la théologie joséphiste de Gerson avec la miniature française des livres d’heures, notamment celles commanditées par le duc Jean de Berry. La plasticité ambivalente du personnage demeure pourtant dans les miniatures françaises de cette époque puisque Joseph « est un vieux paysan qui prend soin de sa famille dans les Heures de Bruxelles et les Heures du maréchal Boucicaut, un saint et pieux vieillard dans les Très Belles Heures, un patriarche imposant dans les Très Riches Heures, un vieil homme exclu de la généalogie du Christ dans la vision du Maître de Bedford » (PAYAN, 2006, p. 203).

7 Les permanences et les transformations du modèle parental de la sainte Famille sont étudiées par Albrecht Koschorke sur la très longue durée qui va des Évangiles à la Guerre des étoiles de Georges Lucas. Il est important de mettre en évidence la pertinence de ces approches historiques et anthropologiques pour l’histoire de l’art, non seulement en signalant les remarquables contributions à l’histoire de l’art médiéval (BASCHET, 2000) et moderne (MELLINKOFF, 1993 et KOSCHORKE, 2003) mais aussi en essayant de voir si elles peuvent se révéler fécondes sur un plan méthodologique plus général.

8 Le livre d’Albrecht Koschorke nous semble particulièrement pertinent de ce point de vue, puisqu’il s’attache d’abord à défaire la familiarité que tout lecteur européen a acquise avec la représentation de la sainte Famille. On lit ainsi dans les premières pages de l’ouvrage : « Le fait que le christianisme, comme religion patriarcale, n’ait pas pu définir le rôle du père de façon non ambiguë n’a pas suscité assez d’étonnement. Il a offert à la place deux modèles différents qu’on ne peut pas connecter sans produire des conflits » (KOSCHORKE, 2003, p. 10). D’une part, en effet, il y a la famille formée par Marie, Joseph et Jésus, et de l’autre celle qui exclut Joseph et met à sa place le Saint-Esprit et Dieu le Père. Ce double modèle croise celui de la consubstantialité des trois personnes dans La Trinité et produit la situation qui fait de Marie la mère de Jésus mais aussi son épouse et sa fille5. Koschorke se garde bien de définir comme incestueuse la relation nuptiale entre le fils et la mère, en soulignant la nature spirituelle et non sexuée de cette parenté. La désexualisation de la parenté n’exclut pourtant pas la combinatoire virtuelle des relations familiales dont la mise en figure a été assurée en priorité par les arts visuels, comme dans le cas de la Pietà de Michel-Ange où le rajeunissement de Marie obéit au principe de condensation entre la figure de la mère et celle de l’épouse, deux « positions » prévues par le modèle. Koschorke nous aide à concevoir la relation entre la combinatoire « théorique » paradoxale et très complexe du modèle spirituel des relations familiales dans la sainte Famille et une combinatoire « visuelle » qui explore toutes les potentialités du modèle : du « Christ Mère » à la « Mère Fille » en passant par Joseph, le père exclu. Cela revient à attribuer au travail de la peinture une dimension expérimentale et théorique qui échappe aux analyses stylistiques et iconographiques. Autrement dit, la peinture assume dans ces cas la tâche de produire les figurations des solutions virtuelles impliquées par le modèle au lieu de se limiter à illustrer des histoires6. Dans le livre d’Albrecht Koschorke, cette fonction modélisante rencontre les constructions idéologiques et les formes sociales dans lesquelles le modèle de parenté de la sainte Famille a été investi, notamment les rapports de domination. Sur le plan politique, en effet, la position transcendante du père – principe

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du pouvoir – fait toujours du souverain un représentant et lui impose toutes les contraintes dérivées de cette position substitutive. Le pouvoir absolu de droit divin est l’accomplissement le plus abouti de ce modèle. Sur le plan des représentations, cela a donné lieu à la célèbre doctrine du double corps du roi selon laquelle le corps physique et mortel du roi réel n’est que le support provisoire d’un deuxième corps tout-puissant, idéal et immortel. Une partie importante de la production artistique du XVIIe siècle est engagée dans la représentation de la « présence réelle » du « corps glorieux » du roi, comme Louis Marin a su le montrer, en tirant pleinement parti de la dimension eucharistique du lien représentatif propre à la théologie chrétienne7.

9 Le chapitre consacré par Koschorke à la Pietà montre jusqu’à quel point les transformations cultuelles et les arts visuels qui y sont associés ont contribué à réhabiliter le rôle maternel de Marie, si faiblement valorisé dans les Évangiles. « Alors que les Évangiles racontent le développement du jeune homme Jésus comme une forme de détachement, la grande transformation mariale de la chrétienté qui commence au XIe siècle renverse le processus. Il se sépare ainsi des fondements du Nouveau Testament en ajoutant tout un réseau d’éléments légendaires et d’embellissements picturaux » (p. 29). La scène de la lamentation – exemplifiée dans le livre par un tableau de Willem Key de l’Alte Pinakothek de Munich (seconde moitié du XVIe siècle) – montre que le détachement du jeune homme a échoué, son corps est symboliquement rendu au giron maternel. La figuration du deuil de Marie pathétise le christianisme, allant puiser dans les réserves de pathos incorporées dans les figures tragiques des pleureuses antiques. L’intimité entre la mère et le fils peut dès lors être déclinée sous toutes ses formes et notamment à travers l’annonce de la scène de la Pietà dans les représentations du Christ enfant, notamment chez Giovanni Bellini (p. 32). Les distorsions subies par le corps de Jésus en font un enfant endormi qui est déjà un adulte mort, mais aussi un mort différent de tout autre, puisqu’il porte les signes de sa Résurrection. On comprend alors, une fois de plus, que la peinture médiévale et moderne se soit mesurée avec les paradoxaux mystères de la théologie chrétienne sans se limiter à illustrer des récits. Koschorke discute dans la seconde moitié de son livre les théories et conséquences du rôle fondateur de la sainte Famille dans la longue durée de l’histoire de l’Occident. On lira avec délectation les passages sur le « retour de Joseph » entre le XVe et le XIXe siècle quand il devient une icône du travail prémoderne.

10 Les ouvrages de Mellinkoff, Baschet, Payan et Koschorke partagent un point de vue anthropologique sur les images et l’imaginaire européen. Mellinkoff cherche à définir les figures de la construction de l’altérité, Baschet explore le lien entre image et parenté spirituelle, Payan s’attache au culte de Joseph et à ses conséquences dans la liturgie, Koschorke propose une analyse structurelle du modèle de la sainte Famille et de son héritage. Dans ces quatre réflexions, la visualité joue un rôle fondamental, apportant à l’histoire de l’art médiéval et moderne des contributions précieuses autour de l’un des thèmes iconographiques le plus abondamment représenté en Occident.

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NOTES

1. Ruth Mellinkoff, The Mark of Caïn, Berkeley, 1981. 2. Andrée Hayum, « Michelangelo’s Doni Tondo : Holy Family and Family Myth », dans Studies in Iconography, 1981-1982, 7-8, p. 209-251, interprétation discutée par Peter F. Lynch, « Narratives of marginalization : de-centering women in tuscan domestic painting ca. 1500 », dans Studies in Iconography, 1994, 16, p. 139-163. L’ensemble de cet article remarquable est pertinent pour la question de la représentation du noyau familial. Sur la structure de la parenté et ses enjeux rituels et idéologiques dans l’Italie de la Renaissance, voir les travaux désormais classiques de Christiane Klapisch-Zuber, notamment : La maison et le nom : stratégies et rituels dans l’Italie de la Renaissance, Paris, 1990. 3. Peter Brown, Le renoncement à la chair. Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, Paris, 1995, p. 27 [The body and the society : men, women, and sexual renunciation in early Christianity, Londres, 1988 ; Boston/Londres, 1989]. 4. Jérôme Baschet, La civilisation féodale : de l’an mil à la colonisation de l’Amérique, Paris, 2004, chap. V de la deuxième partie, intitulé : « La parenté : reproduction physique et symbolique de la chrétienté », p. 426-456. Voir aussi du même auteur : L’iconographie médiévale, Paris, 2008. 5. Marina Warner dédie à chacun des rôles de Marie un chapitre de son livre Alone of all her sex. The myth and the cult of the Virgin Mary, Londres, 2000 [Londres, 1976]. 6. Cette approche s’est révélée particulièrement féconde dans l’étude de l’Annonciation ; voir notamment Louis Marin, Opacité de la peinture : essais sur la représentation au Quattrocento, Paris, 2006 [1989] et Daniel Arasse, L’Annonciation italienne : une histoire de perspective, Paris, 2003. 7. Louis Marin, Le portrait du roi, Paris, 1981 et Politiques de la représentation, Paris, 2005.

INDEX

Index géographique : Europe du nord Mots-clés : iconographie chrétienne, iconographie nordique, christianisme, iconologie, Sainte Famille, figuration, peinture médiévale, peinture moderne Keywords : Christian iconography, Nordic iconography, Christianity, iconology, Holy family, figuration, medieval painting, modern painting Index chronologique : 1100, 1200, 1300, 1400, 1500

AUTEURS

GIOVANNI CARERI EHESS

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Pour le dessin du Seicento en France

Simonetta Prosperi Valenti Rodinò

RÉFÉRENCE

- LOISEL, 2006 : Rome à l’apogée de sa gloire : dessins des XVIIe et XVIIIe siècles, Catherine Loisel éd., (cat. expo., Toulouse, Musée Paul-Dupuy, 2006-2007), Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2006. 262 p., 28 fig. n. et b. et 132 fig. coul. ISBN : 978-2353400065 ; 35 €. - LOISEL, 2006 : Le génie de Bologne des Carracci aux Gandolfi : dessins des XVIIe et XVIIIe siècles, Catherine Loisel éd., (cat. expo., Rouen, Musée des beaux-arts, 2006-2007), Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2006. 234 p., fig. n. et b. et coul. ISBN : 978-2353400027 ; 35 €. - LOISEL, 2006 : Le rayonnement de Florence sous les derniers Médicis : dessins des XVIIe et XVIIIe siècles, Catherine Loisel éd., (cat. expo, Bayonne, Musée Bonnat, 2006-2007), Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2006. 264 p., fig. n. et b. et coul. ISBN : 978-2353400041 ; 35 €. - LOISEL, 2006 : Splendeurs baroques de Naples : dessins des XVIIe et XVIIIe siècles, Catherine Loisel éd., (cat. expo, Poitiers, Musée Sainte-Croix, 2006-2007), Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2006. 248 p., fig. n. et b. et coul. ISBN : 9782353400034 ; 35 €. - LOISEL, 2006 : Gênes triomphante et la Lombardie des Borromée : dessins des XVIIe et XVIIIe siècles, Catherine Loisel éd., (cat. expo, Ajaccio, Musée Fesch, 2006-2007), Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2006. 262 p., fig. n. et b. et coul. ISBN : 978-2353400058 ; 35 €. - LOISEL, 2006 : Venise, l’art de la Serenissima : dessins des XVIIe et XVIIIe siècles, Catherine Loisel éd., (cat. expo, Montpellier, Musée Fabre, 2006-2007), Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2006. 264 p., fig. n. et b. et coul. ISBN : 978-2353400010 ; 35 €. - LOISEL, 2006 : L’appel de l’Italie : artistes français et nordiques dans la péninsule ; dessins des XVIIe et XVIIIe siècles, Catherine Loisel éd., (cat. expo, Grenoble, Musée de Grenoble, 2006-2007), Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2006. 276 p., fig. n. et b. et coul. ISBN : 978-2353400072 ; 35 €. - MONBEIG GOGUEL, 2005 : Catherine Monbeig Goguel, Dessins toscans XVIe-XVIIIe siècles, t. 2, 1620-1800, Paris, Musée du Louvre/Milan, 5 Continents, 2005. 592 p., fig. n. et b. et coul. ISBN : 2-35031-018-3 (Musée du Louvre) ; ISBN : 88-7439-235-4 (5 continents), 70 €.

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1 Il y a un an et demi prenaient fin, dans un silence général, les sept expositions dédiées au dessin italien présentées dans plusieurs musées français – improprement dits « musées de province » –, montrant ainsi une claire exclusion du musée du Louvre ou des autres collections parisiennes. La critique a trop peu souligné le caractère exceptionnel d’une telle initiative, promue par Catherine Loisel, conservateur en chef au département des arts graphiques du Louvre, continuant par là la grande tradition de ce musée. Or ces expositions et leurs catalogues, auxquels s’ajoutent plusieurs publications consacrées au dessin italien en France, marquent l’apogée de la fortune du dessin italien en France.

2 Les mérites d’une telle entreprise, très ambitieuse, sont multiples : Catherine Loisel, épaulée par Federica Mancini et Françoise Joulie, a dû affronter une lourde charge administrative et scientifique pour mener à bien toutes ces expositions qui se sont déroulées en même temps. Elle a été aidée en cela par une équipe nombreuse, composée de spécialistes des arts graphiques, jeunes ou plus chevronnés, parmi lesquels un bon nombre assumèrent la charge de faire une synthèse des questions actuelles concernant le dessin dans les différentes régions d’Italie.

3 En effet, le critère retenu pour structurer les différentes expositions a été celui de la vision traditionnelle par écoles : et il ne pouvait en être autrement puisqu’un tel critère, remontant à Luigi Lanzi, demeure encore le seul pertinent pour une approche historiquement correcte de l’art italien, si différencié dans ses aspects historiques, son héritage patrimonial et ses valeurs culturelles, en opposition à l’unité de langage artistique en France. Pour chaque école, les expositions ont offert un panorama du dessin disposé selon le traditionnel – et toujours valide – ordre chronologique, depuis la fin du XVIe siècle jusqu’aux dernières années du XVIIIe siècle. L’objectif était de reconstituer le parcours historico-artistique et l’évolution stylistique des centres majeurs de la péninsule, et il fut parfaitement atteint.

4 Les titres de ces expositions sont assez révélateurs de la difficile tentative de définition des caractères généraux des diverses écoles italiennes, et c’est la seule concession de la commissaire d’exposition à une optique plus grand publique. À ceux qui critiqueraient un tel choix, rappelons qu’il s’agit de catalogues, et que le but premier des expositions est d’attirer le visiteur.

5 L’un des grands mérites d’un tel projet est d’avoir réussi à associer les fonds graphiques conservés dans les musées de province, trop ignorés du public, et même des spécialistes du dessin italien, bien que la France ait à son actif la publication de catalogues- inventaires des collections dispersées sur son territoire1. Ainsi, des villes, des musées, des collectionneurs, des donateurs peu connus, pour ne pas dire totalement inconnus, émergent. Par la qualité de leurs fonds, les collections de Bayonne, Besançon (dont on attend encore un catalogue complet), Dijon, Lille, Lyon avec ses deux ensembles (Musée des beaux-arts et Musée des arts décoratifs), Orléans, Marseille, Montpellier, Rouen, pour citer les plus significatives, confirment leur importance. Mais la présence de certains dessins provenant de musées souvent « ignorés » est encore plus révélatrice de la richesse des collections françaises (Avignon, Musée Calvet ; Aix-en-Provence, Musée Granet ; Caen, Musée des beaux-arts ; Épinal, Musée départemental des Vosges ; Nancy, Musée des beaux-arts ; Nîmes, Musée des beaux-arts ; Le Havre, Musée Malraux ; Pithiviers, Musée d’art et d’histoire ; Poitiers, Musée Sainte-Croix ; Saint-Germain-en- Laye, Musée municipal, et même Paris, avec des feuilles provenant des fonds moins fréquentés de la Bibliothèque nationale et du Musée des arts décoratifs)2.

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6 De tels regroupements mettent en lumière la multiplicité des intérêts que les collectionneurs (particulièrement au XIXe siècle) ont porté au dessin italien et dont témoignent les collections qu’ils ont léguées à leur ville d’origine. Au-delà des érudits et des représentants de la bourgeoisie cultivée, soulignons la présence d’artistes s’intéressant au dessin italien, tels Jean-Baptiste Wicar à Lille, François-Xavier Fabre à Montpellier et Jean-François Gigoux à Besançon.

7 Il en ressort une cartographie des fonds graphiques italiens dans tout le territoire de la France, reconstruite non seulement pour le bonheur des chercheurs mais aussi pour celui du grand public. À l’inverse de projets précédents visant à déplacer à Paris les feuilles des grands musées de province, Loisel a organisé ses expositions en accord avec l’histoire de l’art italien, respectant la dispersion de la production artistique dans les collections françaises.

8 Les temps étaient mûrs pour la réalisation d’un projet aussi vaste, puisque toute l’opération s’inscrit dans le renouveau d’intérêt pour l’étude des collections graphiques, intérêt porté par les conservateurs de musées et de cabinets de dessins, mais trop rarement soutenu par les professeurs d’université pour susciter l’orientation d’étudiants vers le difficile connoisseurship du dessin. Dans cette optique s’inscrivent également les récentes interventions de Catherine Monbeig Goguel, qui pour la commodité des études, a reconstitué récemment une cartographie des dessins italiens publiés en France3.

9 Les expositions éclatées, selon le choix de la commissaire d’exposition, dans les musées de Rouen, Tours, Montpellier, Toulouse, Bayonne, Grenoble et Ajaccio (nous regrettons l’exclusion de certaines villes comme Besançon, où est conservée une splendide collection) ont été presque toutes inaugurées en même temps, le 25 octobre 2006, et se sont closes en février 2007. Si un tel choix a offert l’opportunité – et la motivation – de venir à la découverte de ces cités dont le patrimoine est trop peu connu, la simultanéité des dates a empêché beaucoup de chercheurs de les visiter toutes. Peut-être un calendrier différencié aurait-il facilité le déplacement dans des villes aussi distantes les unes des autres pour ceux qui en avaient l’intention.

10 Ces manifestations ont révélé dans de nombreux cas les riches fonds des musées de province. Loisel a bien sûr sélectionné des feuilles remarquables pour leur qualité et par leur auteur, mais ne s’est pas limitée à celles-ci. Avec courage, elle a risqué des attributions inédites, problématiques, intéressantes – surtout lorsqu’elles ne sont pas partagées – et qui auraient mérité une plus grande attention de la part des connaisseurs du dessin italien et dans les comptes rendus des revues spécialisées, notamment Master Drawings, car un tel événement est absolument remarquable pour l’histoire des études sur le dessin italien. L’exception confirmant la règle est le compte rendu précis que livre Mario Epifani sur les dessins napolitains4, école italienne la plus négligée par la critique, même si cette situation est en train de changer5. Soulignons aussi l’initiative qu’est la publication, pour chaque école, d’une liste des dessins inédits conservés dans les collections publiques françaises, mentionnant le titre de l’œuvre, le nom de l’artiste auquel il est attribué et l’auteur de l’attribution, lui en rendant ainsi implicitement le mérite. Cette liste, placée à la fin de chaque catalogue – parmi les

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annexes – est nécessairement non exhaustive, comme l’a souligné la commissaire d’exposition, mais constitue néanmoins une base essentielle pour les études à venir.

11 Ce compte rendu n’est guère le lieu pour entrer dans un débat sur le bien-fondé de toutes les attributions – anciennes et nouvelles – proposées ; cependant, pour satisfaire le vice caractéristique des connoisseurs, habitués à gloser les passe-partout avec leurs attributions souvent « cryptées » par d’ambitieux monogrammes, signalons certaines attributions – plus ou moins partagées – et la présence de feuilles inédites, œuvres ici ajoutées au catalogue d’artistes assez importants, qui pourraient risquer de demeurer ensevelies dans le mare magnum de tant de matériel offert à la curiosité des chercheurs.

12 Grâce à sa connaissance approfondie de l’école romaine, Loisel présente dans le catalogue de Toulouse, Rome à l’apogée…, plusieurs dessins inédits d’artistes : Pier Francesco Mola (cat. 37 et 38) ; Pietro Testa (cat. 33) ; pas moins de sept Carlo Maratti (cat. 56 à 62) ; une étonnante étude à la sanguine de Girolamo Troppa (cat. 65) ; deux splendides ajouts pour Francesco Fernandi, dit l’Imperiali (cat. 82 et 83), artiste merveilleux avec un catalogue de peintures et de dessins encore trop pauvre ; deux esquisses de Piranèse (cat. 102 et 103) ; un ensemble de Raphaël Mengs (cat. 104 à 112) à Besançon, qui avait échappé aux récentes études monographiques sur l’artiste. La rectification d’attributions à de grands noms est d’un poids scientifique tout aussi conséquent : ainsi l’Allégorie de la vertu (Besançon, Musée des beaux-arts et d’archéologie ; cat. 79), longtemps considérée comme un autographe d’Annibale Carraci – notamment par John Rupert Martin et Donald Posner –, que Loisel donne à juste titre à l’artiste marattesque Giovanni Paolo Melchiori, dont les talents de dessinateur sont ainsi confirmés.

13 Il en est de même pour l’école toscane (exposée à Bayonne), bien qu’elle soit la plus étudiée en Italie et très bien traitée par la littérature artistique. De nombreux inédits ont été découverts : des feuilles de Jacopo Ligozzi (cat. 4), Benedetto Brandimarte (cat. 5), Raffaello Schiaminossi (cat. 10), Alessandro Casolani (cat. 15), Astolfo Petrazzi (cat. 21), Giovanni Bilivert (cat. 53), du prolifique Volterrano (cat. 87, 89) et enfin de Simone Pignoni (cat. 90). Il y a peu à ajouter pour un matériel si riche et abondant : la partie supérieure ajoutée à un feuillet d’Andrea Commodi (Besançon, Musée des beaux- arts et d’archéologie ; cat. 35), à mettre plutôt en rapport avec Passignano à mon avis ; l’Étude de vieillard à la sanguine du Palais des beaux-arts de Lille, si plastique et atmosphérique qu’on pourrait la situer plutôt dans l’Émilie du XVIIe siècle (cat. 46).

14 Les mêmes observations peuvent être émises pour les dessins des autres écoles. Bien que je n’aie pu voir les expositions, je souhaiterais souligner les nombreux ajouts inédits au catalogue, me limitant aux plus significatifs. Pour l’école vénitienne, exposée à Montpellier, Palma le Jeune (cat. 1), Alessandro Maganza (cat. 7, 10), Gaspare Diziani (cat. 76 et 77) et Gian Domenico Tiepolo (cat. 108 à 111) ; pour l’école génoise, exposée à Ajaccio avec l’école lombarde, Lazzaro Tavarone (cat. 12, 14), Guilio Benso (cat. 17 à 21), Domenico Piola (cat. 57, 59, 61, 62, 64, 66 à 68), les divers De Ferrari (Gregorio cat. 75, 77 ; Lorenzo cat. 83). Pour l’école émilienne, Denys Calvaert (cat. 1), Bartolomeo Cesi (cat. 2), Annibale et Ludovico Carraci (cat. 5, 8), Pietro Faccini (cat. 11), Francesco Brizio (cat. 18), Guido Reni (cat. 26 et 27), Guerchin (cat. 41 et 42) ; ainsi que la révision d’un dessin lui étant autrefois attribué, passé à l’imitateur Giuseppe Caletti dit il Cremonese (Besançon, Musée des beaux-arts et d’archéologie ; cat. 43), Simone Cantarini (cat. 45, 48 à 50), Domenico Maria Canuti (cat. 57, 61), Elisabetta Sirani (cat. 66 et 68), Marcantonio Franceschini (cat. 80, 81, 83), et enfin quelques caricatures de Giovanni

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Antonio Burrini (cat. 73 et 74). Il convient également de souligner ici l’importante réattribution proposée par Loisel pour La prédication de saint Étienne passée de l’indéfinissable Pietro Catelani à Antonio Maria Viani sur la base d’une confrontation précise avec des peintures, qui pousse à contredire le célèbre collectionneur Pierre- Jean Mariette, ancien propriétaire de cette étude pour la fresque de la chapelle Petrozzani de l’église Sant’Andrea à Mantoue (1555-1560, Paris, Musée du Louvre ; cat. 88). Pour l’école lombarde, Malosso (cat. 87), Enea Talpino (cat. 90 et 91), plusieurs Flamands (cat. 93 à 95), les rares Giovanni Battista Barca et Stefano Danedi (cat. 109, 113).

15 La présentation des dessins napo-litains à Poitiers présentait aussi des œuvres inédites, mais le mérite de cette initiative est bien plus grand : en effet, à la différence des autres écoles italiennes, qui ont à leur actif une fortune critique très abondante, cette manifestation constitue une étape essentielle pour le renouveau de l’intérêt pour l’art graphique parthénopéen, malheureusement resté dans l’ensemble assez négligé et figé depuis les études pionnières de Walter Vitzthum. Dans cette exposition figuraient justement des artistes opérant dans la ville, mais provenant d’autres cultures, et qui marquèrent d’un apport fondamental l’évolution artistique locale : Jusepe de Ribera bien entendu, devenu napolitain à tous les points de vue, Domenico Zampieri, Giovanni Lanfranco (avec quatre feuilles inédites, cat. 11 à 14) et Giovanni Battista Beinaschi ; le Florentin Giovanni Balducci, si important pour la peinture de la Contre-Réforme napolitaine aurait alors pu y figurer. Peut-être le groupe des études des protagonistes majeurs du dessin napolitain du Seicento est-il un peu hétérogène : Salvatore Rosa – à mon avis les cat. 34 et 41 sont des copies, malgré l’avis positif de Michael Mahoney, tandis que la Bacchanale (Lyon, Musée des beaux-arts ; cat. 43) semble être d’une autre aire culturelle, clairement proche de Giulio Carpioni l’Ancien – et Luca Giordano (mais il faut souligner encore une fois la nécessité de distinguer les mains dans le catalogue graphique de l’artiste, trop nourri et trop discontinu).

16 L’exposition de Grenoble était consacrée à un thème vaste et fascinant, celui de « L’appel de l’Italie ». Les premiers protagonistes sont bien sûr les artistes nordiques, en particulier les Flamands et les Hollandais italianisants6. De Rubens à Van Dyck, Asselijn, Swanevelt, Poelenburg et une infinité d’autres, tous fascinés, ont souhaité garder trace des visions sublimes de l’union de monuments antiques avec la campagne romaine, de la recréer dans leur imagination. Les artistes français dominent le Seicento, avec Poussin et ses suiveurs, et davantage encore le Settecento. La dernière section de l’exposition était dédiée à l’Académie de France à Rome, mettant ainsi en évidence l’impact fondamental de la culture italienne sur les jeunes générations d’artistes français, non seulement avec l’art classique et le XVIe siècle, mais aussi par la référence constante à des personnalités contemporaines comme Carlo Maratti ou Benedetto Luti, étudiés et copiés d’après les originaux.

17 Parmi les œuvres de Poussin, l’exposition propose les deux superbes dessins du Louvre Ruines et paysage vus à travers un arc (cat. 21) et la Vue de la Villa Madama (cat. 22) provenant du fonds Crozat-Mariette, deux études de grande intensité lumineuse qui, même si elles sont refusées par Pierre Rosenberg et Louis-Antoine Prat, à mon avis àjuste titre, restaient avec raison proposées au public pour leur qualité d’exécution et aussi afin de parvenir à en identifier l’auteur parmi les nombreux Français actifs à Rome autour de la moitié du XVIIe siècle !

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18 Outre les catalogues d’exposition de dessins cités ci-dessus, une mention spéciale revient à la France dans le monde des études sur le dessin pour la publication de la série des inventaires du département des Arts graphiques du Louvre. À la différence des ouvrages mentionnés plus haut, ces derniers offrent un tableau complet et exhaustif des fonds qui constitue un instrument indispensable à l’étude de personnalités, d’écoles et de périodes de l’art italien. Tous les volumes de cette série – inaugurée par Catherine Monbeig Goguel en 1972 avec Vasari et son temps… – sont caractérisés par un très haut niveau scientifique ; ils sont dotés d’un riche et complet appareil critique, pour les techniques et le support, puis historique et bibliographique pour chaque dessin, d’après les plus traditionnels – et sérieux – critères d’étude mis en place dans les catalogues- inventaires inaugurés par les chercheurs anglais pour les fonds du château de Windsor et du British Museum. Le dernier volume, Dessins toscans, XVIe-XVIIIe siècles… (2005), est de nouveau dû à Monbeig Goguel et vient conclure de nombreuses années de travail de cette grande spécialiste sur le fonds toscan du milieu du Seicento au Louvre7.

19 Conçu comme un grand répertoire avec un classement par artiste, cet ouvrage offre une série d’annexes – index des artistes, des noms et des dessins cités, étude des papiers et des filigranes, en plus de la sacro-sainte bibliographie et des concordances des numéros d’inventaires – qui se révèlent des instruments fondamentaux pour l’étude des dessins toscans non seulement du Louvre mais aussi des fonds de dessins analogues dispersés entre les divers musées du monde, que l’auteur a minutieusement examinés. Monbeig Goguel avait déjà proposé dans d’autres publications un avant-goût de ses découvertes, en particulier sur les « petits-maîtres » qu’elle a su si magistralement individualiser sous le profil graphique, comme Alessio Gimignani, Sigismondo Coccapani, Giuseppe Pinacci, Santi Pacini, Tomaso Redi, Giovan Battista Tempesti. Les attributions irrecevables sont rares, et même pour celles qui ne sont pas partagées, il est difficile d’avancer d’autres propositions puisque, comme l’observe Anna Forlani Tempesti dans son compte rendu, l’auteur les a toutes discutées et écartées dans ses notices critiques. La plus discutable est celle de la Mise au tombeau rattachée à Francesco Montelatici, dit Cecco Bravo (Paris, Musée du Louvre ; cat. 156), que Monbeig Goguel propose peut-être plus pour ne pas contredire Mariette, ancien propriétaire du dessin, que par conviction propre. Il est difficile d’avancer un autre nom, mais la feuille semble cependant indiquer un artiste du Nord. Pareillement, l’étude pleine d’esprit du jeune homme dormant ne semble pas être d’Agostino Ciampelli, mais bien plus de Bernardino Poccetti ou Empoli (cat. 183) ; le « Géant » référé sous Francesco Vanni révèle une puissance du trait qui incite à le situer plutôt dans l’école émilienne ou romaine du XVIIe siècle (cat. 617) ; une petite esquisse à la plume donnée au Volterrano semble plus typique du Romain Giuseppe Passeri (cat. 669). Enfin, le cas le plus intéressant concerne trois pastels très « cigolesques » que l’auteur donne à Francesco Curradi, sur la base d’une comparaison frappante avec le tableau de l’artiste à la Casa Buonarroti : il s’agit de trois feuillets particulièrement pittoresques anciennement attribués, non par hasard, à Barocci. Ils se distinguent par leur qualité et leur chromatisme, bien éloignés de la manière connue, ennuyeuse et répétitive du très florentin Curradi, qui est tristement passé à la postérité pour son « O come siam piccini ! », autocritique avouée à la vue des fresques lumineuses et pleines de vie réalisées par Pierre de Cortone dans la salle de la Stufa (1640, Florence, palais Pitti), selon Filippo Baldinucci.

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20 Ces petites notes discordantes restent toutefois très mineures par rapport à la masse des informations minutieuses et précises dispensées dans tout le catalogue. À signaler également, pour conclure cette brève présentation, les provenances des fonds du Louvre – Jabach, Mariette, Saint-Morys, Gabburri, Este, Vivant-Denon, Vallardi et enfin Baldinucci – reconstituées en introduction ; beaucoup de ces historiques étaient déjà connus, mais, recomposés, ils donnent un intéressant excursus en parfaite symbiose avec l’intérêt toujours plus grand des chercheurs pour l’histoire des collections des dessins en Europe.

NOTES

1. Citons parmi ceux publiés après 2000 : Marguerite Guillaume, Catalogue des dessins italiens : collections du Musée des beaux-arts de Dijon, Dijon, 2004 ; De Venise à Palerme. Dessins italiens du musée des beaux-arts d’Orléans, XVe-XVIIIe siècle, Éric Pagliano éd., (cat. expo., Orléans, Musée des beaux- arts, 2003), Paris/Orléans, 2003. Voir aussi le récent catalogue : Eric Pagliano, Dessins italiens du musée des beaux-arts de Lyon, (cat. expo. Lyon, Musée des beaux-arts, 2008), Paris, 2008. 2. Les dessins du département des Arts graphiques du Louvre sont d’une qualité tellement supérieure à la moyenne des dessins des autres collections que leur présence en est presque parfois dérangeante. 3. Catherine Monbeig Goguel, « Le collezioni di disegni italiani nei musei francesi », dans Anna Forlani Tempesti, Simonetta Prosperi Valenti Rodinò éd., Disegno e disegni: per un rilevamento delle collezioni dei disegni italiani, Florence, 2003, p. 13-37 [texte rédigé en 1999], ainsi que sa mise à jour bibliographique rédigée en collaboration avec Camilla Mosconi : « Bibliographie des dessins italiens : catalogues de fonds, 1999-2003 », dans Revue de l’art, 2004-1, 143, p. 85-87. 4. Mario Epifani, « Compte rendu de Splendeurs baroques de Naples. Dessins des XVIIe et XVIIIe siècles », dans Bulletin de l’association des historiens de l’art italien, 2007, 13, p. 160-167. Signalons également le compte rendu de Didier Rykner et publié sur le site internet La tribune de l’art : http:// www.latribunedelart.com/Publications/Publications_2007/Dessins_italiens_558.htm 5. Le dessin napolitain, colloque tenu du 6 au 8 mars 2008 à l’École normale supérieure, Paris, sous la direction de Francesco Solinas et Sebastian Schütze. Voir le programme sur le site http:// www.iisf.it/dessin_napolitain.htm 6. Ce sont les mêmes noms qui figurent dans Fiamminghi e Olandesi a Firenze. Disegni dalle collezioni degli Uffizi, Kloek Wouter, Bert W. Meijer éd., (cat. expo., Florence, Galleria degli Uffizi, 2008), Florence, 2008 [l’exposition se tiendra également à Paris, Fondation custodia, à partir du 1er octobre 2008]. 7. Recensions de l’ouvrage par Julian Brooks dans The Burlington magazine, 2007, CXXXIX, 1250, p. 334-335 ; Marco Chiarini dans Commentari, 2007, 7, p. 80-83 ; Anna Forlani Tempesti, « Due cataloghi, due metodi », dans Paragone, 2007, 58, série 3-75/76, p. 3-26 ; Miles Chapelle dans Master Drawings, 2008, 46/1, p. 116-120.

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INDEX

Index géographique : France Keywords : Italian drawing, Italian school, exhibitions, historiography, Italian art history Mots-clés : dessin italien, école italienne, expositions, historiographie, histoire de l'art italien Index chronologique : 1500, 1600, 1700

AUTEURS

SIMONETTA PROSPERI VALENTI RODINÒ Università di Roma 2

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Philippe de Champaigne, entre monographie et catalogues d’expositions

Stéphane Loire

RÉFÉRENCE

- PERICOLO, 2002 : Lorenzo Pericolo, Philippe de Champaigne. « Philippe, homme sage et vertueux ». Essai sur l’art et l’œuvre de Philippe de Champaigne (1602-1674), Tournai, La Renaissance du Livre, 2002. 320 p., 277 fig. n. et b. et coul. ISBN : 2-8046-0626-0 ; 74,50 €. - CHAMPAIGNE, 2007 : Philippe de Champaigne (1602-1674). Entre politique et dévotion, Alain Tapié, Nicolas Sainte-Fare Garnot éd., (cat. expo., Lille, Palais des beaux-arts/Genève, Musée Rath, 2007-2008), Paris, Réunion des musées nationaux, 2007. 328 p., 213 fig. n. et b. et coul. ISBN : 978-6-7118-5242-0 ; 45 €. - BRÊME, 2007 : À l’école de Philippe de Champaigne, Dominique Brême éd., (cat. expo., Évreux, musée d’Évreux, 2007-2008), Paris, Somogy, 2007. 208 p., 155 fig. n. et b. et coul. ISBN : 978-2-7572-0136-7 ; 35 €.

1 Dans l’avant-propos de sa récente monographie sur Philippe de Champaigne (Bruxelles, 1602– Paris, 1674) publiée en 2002, Lorenzo Pericolo déplorait qu’aucune exposition n’ait été prévue pour marquer le quatrième centenaire de la naissance de l’artiste. Cet « oubli » a été réparé cinq ans plus tard avec la rétrospective ambitieuse présentée à Lille et à Genève, opportunément accompagnée, à Évreux, d’une autre exposition plus modeste mais non moins passionnante où était abordée la question de l’atelier du peintre, essentiellement à travers deux de ses disciples, Jean-Baptiste de Champaigne (1631-1681) et Nicolas de Plattemontagne (1631-1706). Réunissant des ensembles importants de peintures de Champaigne, ces deux manifestations ont donné lieu à des catalogues dont les contenus méritent d’être confrontés à celui du livre de Pericolo, tout en invitant à comparer les atouts et les défauts du genre monographique qu’ils représentent chacun dans des registres distincts.

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2 L’un des plus grands peintres français du XVIIe siècle, Philippe de Champaigne a longtemps possédé le privilège d’être l’un des mieux étudiés grâce aux nombreux travaux qui lui ont été consacrés par Bernard Dorival (1914-2003). Venant près d’un quart de siècle après une première exposition monographique d’ampleur (1952) dont Champaigne bénéficia bien avant Nicolas Poussin ou Charles Le Brun et accompagnée d’un catalogue érudit1, précédée par de nombreuses études du même spécialiste sur le peintre des jansénistes, le portraitiste ou l’auteur de compositions allégoriques, la monographie parue en 1976 constituait la synthèse de ses travaux qui parut longtemps indépassable2. Comme le rappelle Pierre Rosenberg dans la préface du catalogue de l’exposition d’Évreux, « il y eut longtemps le silence, un silence admiratif, le monument paraissait inébranlable. Tout était dit et il fallait se résigner [...]. Philippe de Champaigne bénéficiait de la monographie qu’il méritait, exemplaire, équilibrée, incontournable. On ne pouvait, devant ce monument, que s’incliner ». De fait, on disposait là d’un livre solide et abondamment illustré, composé d’une étude générale et d’un catalogue raisonné, qui était, il y a trente ans, l’un des seuls à jour pour un artiste français de cette époque. Devenu très vite une rareté bibliographique en raison de son faible tirage, de son prix élevé et des difficultés à y accéder, le « monument Dorival » révéla bien vite ses défauts. Livraison précipitée à la publication, reprises complaisantes des publications antérieures de son auteur, affirmations trop péremptoires dans l’établissement du catalogue, absence de vision claire de la chronologie ou déficience des appareils critiques indispensables n’étaient que les défauts les plus visibles d’un ouvrage trop longtemps préparé et attendu3 ; malgré deux volumes de compléments publiés par Dorival en 19924, l’impression d’une occasion manquée laissée par la monographie de 1976 persiste. Les regards nouveaux comme les apports de nombreuses publications, le catalogue de l’exposition du musée de Port- Royal en 19955, les publications de Louis Marin, dont l’ouvrage posthume paru la même année6, et enfin la monographie de Pericolo ou les deux expositions de 2007 ont bien montré depuis qu’il restait beaucoup à connaître et à comprendre de Philippe de Champaigne.

3 S’appuyant largement sur l’ouvrage de Dorival mais conscient des lacunes documentaires sur la carrière de l’artiste, en particulier pour sa jeunesse et sa formation, Pericolo s’est donné pour ambition d’en dresser un panorama complet tout en élargissant la compréhension de ses mérites. S’efforçant de donner de l’art de Champaigne « un aperçu à la fois plus organique et plus conflictuel », il en a offert une synthèse très cohérente7. Mais malgré sa forme traditionnelle, il parvient à en donner une image moins attendue que par le passé : l’artiste n’est plus seulement le peintre des jansénistes, ni simplement un très grand portraitiste, ni même l’auteur de paysages qui « n’ont rien à craindre d’une comparaison avec ceux de Poussin ». Il est d’abord un immense créateur, « flamand de nation, français d’adoption », dont la grandeur réside moins « dans son habileté technique, incontestable », que « dans sa réflexion sur l’image sacrée, sur son statut et sa fonction ‘contemplative’ et discursive ». Parmi les réflexions et les hypothèses nouvelles que l’on trouve ici, certaines méritent d’être discutées ou simplement signalées comme particulièrement stimulantes.

4 S’il paraît avéré que Champaigne refusa de poursuivre son apprentissage à Anvers, chez Rubens, avec l’œuvre duquel des tangences apparaissent ici ou là dans sa création, il est certain qu’il se donna assez vite un langage propre en puisant notamment dans « les thèmes et techniques qu’avaient pratiqués bien avant lui les maîtres flamands du XVe

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siècle depuis Van Eyck » ; mais c’est avant tout « un maître capable de dialoguer avec diverses traditions picturales, pour en faire jaillir un style classiquement moderne, et surtout très personnel », et après Dorival, mais souvent de manière moins systématique, on trouve précisées les sources de sa création et les « larcins » dont il l’a nourrie. Ses années de formation restent largement mystérieuses et la tentative de voir dans le Paysage avec la vocation de saint Pierre des Offices un témoignage de son « dialogue artistique » avec Nicolas Poussin n’est pas convaincante, cette œuvre revenant sans doute à un peintre romano-bolonais du premier tiers du XVIIe siècle ; quant aux traces de sa collaboration avec Georges Lallemant, chez lequel il aurait travaillé vers 1622-1623, elles sont certaines dans la Sainte Geneviève de Montigny- Lencoup mais plus difficiles à admettre dans L’Adoration des Mages de Lille. Une discussion approfondie de ce qu’il subsiste des décors réalisés pour Marie de Médicis au palais du Luxembourg sous la direction de Nicolas Duchesne, dont Champaigne épousa la fille en 1628, conduit Pericolo à donner au Bruxellois une part importante de leur exécution ; mais si son intervention paraît possible dans la Marie de Médicis assurant l’unité de l’État, traditionnellement donnée à Jean Mosnier, et certaine dans Le triomphe de Neptune, elle semble plus difficile à distinguer dans les Sibylles de la salle du Livre d’or.

5 Après l’activité au service de la Régente et avant celle se rapportant à Richelieu, dont les effigies peintes par Champaigne ont largement contribué à fixer la postérité, un long chapitre est consacré à la peinture de dévotion de sa première maturité, pour laquelle les documents abondent désormais, non sans laisser la place à des spéculations chronologiques. Mais tant pour leurs ombres marquées, pour la rusticité des types, que pour leurs parentés avec L’Annonciation de Caen, il est difficile d’admettre que les quatre grandes toiles exécutées pour la nef de l’église des carmélites du faubourg Saint- Jacques (Louvre, Dijon, Grenoble, Lyon) aient été peintes dix ans après la date de 1628 donnée par Félibien pour le début de son intervention en ce lieu ; à la fin des années 1630, en effet, tant Le vœu de Louis XIII que les cartons de tapisseries pour Notre-Dame de Paris révèlent des constructions plus élaborées et une facture plus maîtrisée. La mort de Richelieu, en 1642, libéra l’artiste du poids de commandes officielles pesantes et lui permit d’élargir sa clientèle. Au service d’Anne d’Autriche sans en être accaparé, tant au Palais-Royal qu’au Val-de-Grâce, des commandes de tableaux d’autel destinés à être des supports de méditation lui permirent de revenir sur des grands thèmes sacrés comme l’Annonciation ou la Nativité. Dans des compositions sobres, il explore des dispositifs de composition inédits où l’expérience du sacré est mise en rapport avec la pensée de l’Oratoire. Parallèlement, il multiplie les représentations isolées de prophètes ou de saints en éliminant les éléments narratifs pour mieux souligner l’effet de transcendance de l’image de dévotion : l’analyse détaillée de cette évolution, notamment à travers ses différentes figurations de Moïse, constitue l’un des apports les plus remarquables de ce livre. Les années de la régence voient aussi Champaigne explorer le genre du portrait, tant individuel que collectif, dans des variations d’une richesse qui n’a pas d’équivalent en France à son époque. Quant aux rares paysages conservés, notamment les quatre grandes scènes inspirées des Vies des pères du désert de Robert Arnauld d’Andilly, destinées au Val-de-Grâce (1656), ils adaptent avec succès la tradition flamande aux exigences de la peinture d’histoire.

6 En reprenant des données déjà bien connues, l’activité de Champaigne au service de Port-Royal est analysée dans un exposé équilibré qui permet de nuancer l’influence qu’exercèrent sur son art les disciples de Jansénius : « ils nourrirent son art. En aucun

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cas, ils ne le dirigèrent ». Un dernier chapitre prend en compte le « retour à l’histoire » du peintre puis ses dernières années, avec notamment les cartons de tapisseries pour l’église Saint-Gervais-Saint-Protais (1658-1661) ou ses tableaux pour des églises de chartreux. En replaçant dans la dernière décennie de Champaigne des peintures que Dorival avait parfois datées de beaucoup plus tôt, Pericolo restitue de manière convaincante son activité ultime, alors qu’il faisait figure de patriarche parmi les fondateurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture, et que Charles Le Brun s’imposait sur la scène parisienne comme « premier peintre du Roi », un titre qu’il n’obtint jamais.

7 Un grand nombre des peintures de Philippe de Champaigne reproduites dans ce livre ont figuré dans l’exposition monographique de Lille et de Genève qui donnait, dans deux versions sensiblement différentes, une rétrospective complète de sa carrière8. Dans les hautes salles du Musée des beaux-arts de Lille offrant un éclairage zénithal très favorable pour la peinture ancienne, on voyait un ensemble bien représentatif de son activité. Une telle exposition est toujours un compromis entre une liste idéale de prêts et ce qu’il a été possible de réunir, en fonction notamment des impératifs des états de conservation, de la nécessité de ne pas priver trop longtemps des musées, églises ou lieux publics d’œuvres célèbres, ou encore de l’inutilité d’y montrer de nouveau celles qui ont été souvent vues dans des rassemblements comparables. Mais elle devrait toujours permettre d’y confronter des chefs-d’œuvre bien connus à des peintures moins fameuses, voire inconnues jusque-là, d’y vérifier des attributions ou des datations en comparant ces dernières à d’autres bien documentées, tout en proposant une présentation complète de la carrière de l’artiste à travers les genres qu’il a abordés. De ces points de vue, l’exposition a plutôt bien rempli son rôle en donnant à voir dans les deux lieux des ensembles impressionnants d’une dizaine de grands tableaux d’église, dont certains n’avaient jamais été déplacés pour un tel propos. À cette réunion exceptionnelle étaient juxtaposés des portraits d’apparat, paysages, œuvres de dévotion plus modestes, effigies en bustes ou même une nature morte en forme de Vanité. On doit se réjouir d’autre part qu’aient été reconsidérées des peintures absentes ou jugées défavorablement dans le catalogue de Dorival (1976, 1992) – en particulier les cat. 24, 28, 29, 31, 40, 45 et 53 – et que des datations nouvelles et convaincantes aient été émises9. Mais s’il était opportun de confronter des tableaux de Philippe de Champaigne à d’autres donnés ici à son atelier, ou plus précisément à son neveu Jean-Baptiste, les œuvres retenues pour celui-ci n’ont pas vraiment permis de se faire une idée précise de ce qui le différencie de son oncle10.

8 Initiateurs et concepteurs de cette exposition nettement plus étoffée que celle de 1952, Alain Tapié et Nicolas Sainte Fare Garnot ont rédigé chacun une importante introduction à son catalogue et une partie des notices des œuvres exposées ; on peut regretter que les autres aient été confiées à des auteurs trop nombreux (treize au total). Cette dispersion a pour conséquence de nuire à la vision d’ensemble et à l’unité de pensée que l’on devrait trouver dans une telle publication. On doit déplorer d’ailleurs le caractère décevant d’un grand nombre de notices, tout en relevant les disparités de leurs niveaux d’information : certains auteurs ne jugent pas utiles de fournir des données que d’autres rappellent avec soin11, d’autres encore ignorent les opinions contradictoires figurant dans le même ouvrage12. D’une manière générale, si l’on pouvait attendre de ce catalogue d’exposition qu’il donne un état à jour de la recherche

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sur Philippe de Champaigne, cet objectif a été imparfaitement atteint, notamment parce que les publications récentes n’y ont pas été suffisamment prises en compte13.

9 Ouverte quelques mois après la rétrospective de Lille et de Genève qu’elle entendait clairement compléter, celle d’Évreux en a évité les écueils alors qu’elle avait au départ un sujet plus difficile à cerner. Autour de soixante œuvres, dont trente et une peintures, trois auteurs travaillant de concert et prenant en compte avec soin la littérature antérieure ont largement contribué à faire le point sur le fonctionnement de l’atelier de Champaigne. Le propos était avant tout de définir ce qui caractérise ses deux principaux disciples, en particulier « le caractère économique et charpenté » du dessin, « les charges de matière, la puissance de l’expression, le canon trapu, l’épaisseur des attaches » chez Jean-Baptiste de Champaigne, qui a su imposer « une inflexion virile » à la manière de son oncle, « sous l’influence croissante de Charles Le Brun ». Quant à Nicolas de Plattemontagne, ce sont des dessins – environ quatre-vingts ont été repérés – qui ont souvent permis de lui restituer un ensemble cohérent de peintures, une quinzaine à présent ; certaines ont été données auparavant à Le Brun, mais elles sont suffisamment diverses pour permettre de reconnaître une personnalité moins dépendante du maître qu’on ne le supposait.

10 Une section de l’exposition d’Évreux était réservée à la série de la Vie de saint Benoît peinte par Champaigne et son entourage pour l’appartement d’Anne d’Autriche à l’abbaye du Val-de-Grâce. En dépit de confusions avec un autre ensemble de même thème destiné au réfectoire du couvent de Saint-Martin-des-Champs, à Paris, et peint vers 1710 par Louis Galloche et Louis de Silvestre, provoquées par les dispersions révolutionnaires, onze des douze compositions destinées à ce décor sont désormais identifiées. Des arguments solides ont été avancés ici pour placer l’exécution de la série vers 1655-1656, ce qui rend possible les participations de Jean-Baptiste de Champaigne et de Nicolas de Plattemontagne. Leurs mains se reconnaissent dans des dessins préparatoires à certains des tableaux, sans que l’on puisse affirmer avec certitude qu’ils les ont peints, tant leur facture est proche de celle d’œuvres certaines de leur maître. Il reste beaucoup à faire pour rendre à Philippe de Champaigne sa place parmi les peintres de son temps.

NOTES

1. Philippe de Champaigne. Exposition en l’honneur du trois cent cinquantième anniversaire de sa naissance, Bernard Dorival éd., (cat. expo., Paris, Orangerie des Tuileries, 1952), Paris, 1952. Cette exposition rassemblait 70 œuvres dont 52 peintures données alors à l’artiste. 2. Bernard Dorival, Philippe de Champaigne. 1602-1674. La vie, l’œuvre et le catalogue raisonné de l’œuvre, Paris, 1976, 2 vol. 3. Voir les comptes rendus sévères publiés par Anthony Blunt, dans The Burlington Magazine, 1977, CXIX, p. 574-579 et Ann Sutherland Harris, dans The Art Bulletin, 1979, LXI, p. 319-322. 4. Bernard Dorival, Supplément au catalogue raisonné de l’œuvre de Philippe de Champaigne, Paris, 1992 ; Jean-Baptiste de Champaigne (1631-1681). La vie, l’homme et l’art, Paris, 1992.

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5. Philippe de Champaigne et Port-Royal, Claude Lesné éd., (cat. expo., Magny-les-Hameaux, Musée national des granges de Port-Royal, 1995), Paris, 1995. 6. Louis Marin, Philippe de Champaigne ou la présence cachée, Paris, 1995. Pour la réception de cet ouvrage, voir notamment les comptes rendus de Dominique Brême dans Le Journal des Arts, mai 1995, 14, p. 31 et de Frédéric Cousinié dans la Revue de l’Art, 1996, 113, p. 90. 7. On peut toutefois déplorer des opinions hâtivement énoncées : ainsi, la Vanité du musée du Mans est rejetée sans discussion comme étant « indubitablement » une œuvre d’atelier. Outre l’absence inexcusable d’un index général, il faut aussi déplorer celle, dans le texte, de renvois aux illustrations, et le fait que celles-ci soient trop souvent coupées sur les côtés. 8. Le catalogue comporte des notices pour 89 tableaux et 3 tapisseries. 77 peintures étaient montrées à Lille et 60 à Genève, dont 51 dans les deux lieux, et 2 tapisseries n’étaient montrées qu’à Lille ; 6 autres peintures et 1 tapisserie incluses dans le catalogue ne figuraient à aucune des deux étapes. 9. Notamment pour Le songe de saint Joseph de Londres (cat. 20). En revanche, La Charité de Nancy (cat. 27) placée en 1645, dont Dorival (1976) refusait l’attribution à Champaigne et que Pericolo n’a pas prise en compte, a pu être peinte vers le milieu des années 1630. Dorival (1952) l’avait d’ailleurs acceptée en la plaçant vers 1636-1638. 10. Quatre peintures sont données ici à Jean-Baptiste (cat. 52, 56, 80, 93) et deux le sont explicitement à l’« atelier » de Philippe de Champaigne (cat. 19, 73) mais d’autres reviennent sans doute à ses collaborateurs (cat. 73), comme les quatre grands tableaux provenant du couvent des carmélites du faubourg Saint-Jacques et aujourd’hui au Val-de-Grâce, dont deux figuraient dans l’exposition (cat. 7, 8), qui doivent correspondre à ceux qu’« il fit executer par les peintres qui étoient sous lui », selon Félibien. 11. L’histoire de la série des cartons de Saint-Gervais-Saint-Protais est donnée avec précision dans la notice de l’une des tapisseries (cat. 87), quand celle de l’esquisse correspondante (cat. 85) estimait auparavant qu’elle était « bien connue » et qu’il n’était « pas nécessaire d’y revenir ». 12. Ainsi, la notice de la Cène de Lyon (cat. 45) la donne comme provenant de manière certaine de Port-Royal-des-Champs, sans mentionner l’avis contradictoire donné dans l’un des essais (p. 60) où cette provenance est retenue au contraire pour la grande Cène du Musée du Louvre, qui ne figurait pas dans l’exposition. S’il est probable que la Cène de Lyon revient effectivement à Philippe de Champaigne, il semble actuellement impossible de trancher cette discussion ; mais en raison de ses petites dimensions, il paraît exclu que la petite Cène du Louvre (cat. 43) soit celle qui ornait l’autel de Port-Royal de Paris, comme cela est admis ici à la suite de Dorival (1976). 13. Trop nombreuses sont les notices qui ignorent le catalogue de l’exposition de 1952, la monographie de Pericolo, voire le volume complémentaire du catalogue de Dorival (1992, cité n. 4), où étaient publiées des répliques ou des études peintes dont il est regrettable de ne pas avoir fait état ici (cat. 17, 33, 39, 79, 81).

INDEX

Index géographique : France Mots-clés : monographie, exposition, historiographie, peinture de dévotion, commande Keywords : monograph, exhibition, historiography, devotion painting, order Index chronologique : 1600

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AUTEURS

STÉPHANE LOIRE Musée du Louvre

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Le Siècle des lumières en Pologne

Andrzej Rottermund

RÉFÉRENCE

- MANIKOWSKA, 2007 : Ewa Manikowska, Sztuka-Ceremoniał-Informacja. Studium wokół królewskich kolekcji Stanisława Augusta [Art-Cérémoniel-Information. Étude autour des collections royales de Stanislas Auguste], Varsovie, Château royal de Varsovie, 2007. 312 p., 60 fig. n. et b. et coul., (résumé en anglais). ISBN : 978-83-7022-167-6 ; prix 49 PLN (≈ 14,5 €). - MIZIOŁEK, BALISZEWSKI, TARKOWSKI, 2007 : Villa Laurentina. Arcydzieło epoki stanisławowskiej [La Villa Laurentina. Un chef-d’œuvre de l’époque de Stanislas Auguste], Jerzy Miziołek, Mikołaj Baliszewski, Maciej Tarkowski éd., (cat. expo., Varsovie, Bibliothèque nationale, 2007), Varsovie, Bibliothèque nationale, 2007. 340 p., 166 fig. n. et b. et coul. ISBN : 978-83-7009-575-8 ; prix 40 PLN (≈ 12 €). - BERNATOWICZ, 2006 : Aleksandra Bernatowicz, Niepodobne do rzeczywistości. Malowana groteska w rezydencjach Warszawy i Mazowsza [Loin de la réalité. La peinture de grotesques des résidences de Varsovie et de Mazovie, 1777-1820], Varsovie, Institut d’art de l’Académie polonaise des sciences, 2006, 406 p., 173 fig. n. et b. et coul., (résumé en anglais), ISBN : 978-83-89101-48-8 ; prix 45 PLN (≈ 13,4 €). - MIKOCKA-RACHUBOWA, 2001 : Katarzyna Mikocka-Rachubowa, Canova. Jego krąg i Polacy (około 1780-1850) [Canova. Son cercle et les Polonais (vers 1780-1850)], 2 vol. + 1 vol. d’index, Varsovie, Institut d’art de l’Académie polonaise des sciences, 2001, vol. 1 : 200 p., 42 fig. n. et b. ; vol. 2 : 350 p., 127 fig. n. et b., (résumé en anglais). ISBN : 978-83-85938-39-2 ; prix 45 PLN (≈ 13,4 €).

1 Exactement trente ans se sont écoulés depuis le dernier grand état des recherches sur le Siècle des lumières polonais dans le contexte de l’art européen de cette époque. En Pologne, les années 1970 ont été, en effet, une période de recherches particulièrement fastes sur l’art de la seconde moitié du XVIIIe siècle, notamment sous la direction du directeur du Musée national de Varsovie, Stanisław Lorentz1. Au cours de ces dernières années, on a pu observer une nouvelle vague intense d’études sur l’art du Siècle des

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lumières. Leur caractère diffère visiblement de celles conduites il y a trente ans : celles- ci étaient principalement des monographies, tant sur les artistes que sur les bâtiments, tandis que les recherches récentes s’attachent plutôt à souligner les relations, au sens large du terme, de l’art polonais avec l’art et la culture européenne. Les raisons pour lesquelles les analyses de cette problématique ont évolué sont évidentes : la pleine souveraineté de la Pologne depuis 1989 et son entrée dans l’Union européenne en 2004 ont naturellement attiré l’attention des historiens polonais, non seulement sur le contexte européen de l’art du Siècle des lumières, mais aussi vers les racines méditerranéennes de la culture et de l’art polonais. Cependant, il existe des raisons autres que politiques à cette reprise des recherches sur l’art néoclassique. Les inflexions générales dans le panorama des études, où la recherche sur la tradition antique dans la culture européenne occupe une place de plus en plus importante, ont également joué un rôle essentiel dans ces changements. De même, les travaux récents prennent en compte d’une part l’importance de la civilisation de cour et de ses rituels pour analyser le façonnement de l’espace, pour les réalisations architecturales et, d’autre part, les développements récents de l’histoire sociale de l’art pour l’étude des programmes artistiques des résidences aristocratiques et du phénomène du collectionnisme.

2 On pourrait diviser les analyses publiées en Pologne dans les années 2000-2008 et présentant les résultats de la recherche sur l’art du Siècle des lumières en deux groupes principaux. Le premier concerne l’activité artistique de la cour du dernier roi polonais, Stanislas Auguste Poniatowski (1732-1798). Le second se concentre sur les relations directes de l’art polonais avec l’art européen des Lumières.

3 Le livre d’Ewa Manikowska, au titre significatif [ Art-Cérémoniel-Information ], s’inscrit dans le premier de ces courants de recherche. Les exigences sociales et politiques de la vie de la cour de Stanislas Auguste ont eu une importance déterminante sur l’art de la cour, en particulier en ce qui concerne l’architecture, l’aménagement des espaces, la décoration et l’ameublement de la résidence du monarque. L’art, y compris sous la forme de collections d’œuvres d’art, a été utilisé pour la propagande politique, qui a en fait servi comme l’un des moyens importants du renforcement de la position de l’État et du pouvoir royal. Manikowska, en analysant les collections de Stanislas Auguste en tant qu’élément non négligeable du fonctionnement de la cour royale, expose les mécanismes régissant les processus de la formation des collections et les relations de la cour de Varsovie avec l’Europe culturelle et artistique. Elle remarque avec justesse que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, au-delà des limitations imposées par le cérémoniel, les principes instaurés en dehors des régulations législatives de la cour ont joué un rôle important dans le fonctionnement de la cour, surtout dans la vie culturelle. Les nouvelles tendances et modes artistiques ont conduit à la création de salons rassemblant les élites intellectuelles et artistiques européennes. Le réseau d’information fonctionnant de façon de plus en plus efficace, l’opinion publique a commencé à faire entendre sa voix.

4 Dans le titre du livre de Manikowska, les mots cérémoniel et information indiquent les éléments-clés qui ont agi sur la formation de la collection royale au XVIIIe siècle. Dans le cadre du politique, la diplomatie, et surtout la diplomatie pontificale, a joué un rôle

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essentiel en influant sur le goût artistique du monarque. Le présent diplomatique a constitué une source importante d’acquisition d’œuvres d’art d’une valeur exceptionnelle pour cette collection ; citons ici, entre autres, la console au plateau de mosaïque – présent du nonce apostolique Ferdinando Maria Saluzzo – destinée à la salle du Trône du château de Varsovie. En adoptant comme point de référence la cour de Stanislas Auguste à Varsovie, Manikowska a proposé un modèle universel pour l’étude des collections royales. L’auteur, mettant à profit de nombreuses sources inédites, dont en Italie, y étudie principalement les modes de transmission de l’information quant aux possibilités d’acquisition des objets d’art ; les stratégies des artistes et des agents attachés la cour afin de faire adopter leurs propositions ; enfin, l’organisation des achats et le transport des œuvres en Pologne. Je crois que c’est cette proposition méthodologique qui fait la valeur de ce livre.

5 Parmi les études consacrées aux collections de Stanislas Auguste et de son premier cercle2, mentionnons également les travaux sur ses livres, sa collection de dessins et d’estampes3, ainsi que ses intérêts scientifiques4. La richesse des solutions iconographiques utilisées dans la représentation du prince a également attiré l’attention des chercheurs5. Les spécialistes de l’iconographie royale ont ainsi pu distinguer une trentaine de types de portraits, par exemple de couronnement, en armure (avec des sous-groupes), antiquisants (avec également des sous-groupes), allégoriques, ou les portraits insérés dans des scènes historiques.

6 Dans le second groupe de publications, centré sur les relations directes de l’art polonais avec l’art européen des Lumières, la personne qui a, avec bien sûr la figure du roi, attiré le plus l’attention des chercheurs polonais est Stanisław Kostka Potocki. Parmi ses multiples centres d’intérêts, qui touchaient à la fois au collectionnisme et à la muséographie, il faut évoquer la reconstitution de la villa antique de Pline le Jeune, édifiée dans les années 1777-1778 sous sa direction et selon ses idées. Cette villa se trouvait, comme nous le savons grâce à une lettre de Pline le Jeune à Gallus, au bord de la mer à Laurentum (ou Laurentinum) près de Rome, à quelques kilomètres au sud d’Ostie.

7 Jerzy Miziołek a consacré son livre Villa Laurentiana… (publié à l’occasion d’une exposition) aux trente-six planches illustrant les projets de reconstruction de la villa, autrefois conservées dans l’ancienne bibliothèque de Wilanów, alors propriété des Potocki (aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de Varsovie). Il y présente les connaissances remarquables de Potocki dans le domaine de l’archéologie et sa position unique dans la culture artistique de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Une reconstitution électronique en trois dimensions de la villa, montrée lors de l’exposition, est également présentée dans le livre. L’auteur compare la reconstitution proposée par le prince polonais avec des hypothèses plus anciennes ou contemporaines (Vincenzo Scamozzi, Jean-François Félibien des Avaux, Robert Castell, Friedrich August Krubsacius et Pedro José Marquez) et évoque les sources d’inspiration de Potocki et les artistes avec lesquels il a coopéré (Vincenzo Brenna, Giuseppe Manocchi, Franciszek Smuglewicz). Un chapitre est également consacré au programme des décorations peintes et sculptées à l’intérieur de la villa6.

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8 En 2005 a été célébré le bicentenaire de l’ouverture au grand public, par Potocki, d’une galerie d’art et d’un sanctuaire à la mémoire du roi Jean III Sobieski (1629-1696)7 dans son palais de Wilanów. Cette manifestation n’est sans doute pas étrangère à l’attention portée par les chercheurs à l’activité de Potocki en tant que collectionneur d’œuvres d’art. À ce titre, le lecteur francophone pourra lire avec intérêt la Lettre d’un étranger sur le Salon de 1787, écrite par Potocki et révélant ses idées esthétiques8.

9 La figure de Potocki est étroitement liée à la thématique de la participation des Polonais au Grand Tour. Les Polonais furent nombreux parmi les aristocrates qui ont visité l’Italie, surtout au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Sur la base de la recherche que j’ai menée, ils formaient, avec les Anglais, les Français, les Allemands et les Russes, le groupe national le plus nombreux.

10 Cependant, l’attitude de la plupart des Polonais effectuant le Grand Tour était particulière vis-à-vis de l’art italien des XVIe et XVIIe siècles, surtout en ce qui concerne l’architecture. Alors que les aristocrates anglais étaient le plus souvent fascinés par les fouilles archéologiques et les collections d’art antique, les Polonais visitant l’Italie admiraient, eux, comme l’attestent les nombreux journaux de voyage qui nous sont parvenus, aussi bien les vestiges de l’Antiquité que le monde du baroque romain, riche et plein de splendeur. « J’ai visité le Colisée » – a écrit dans son journal Stanisław Staszic, l’un des plus grands homme de lettres polonais de l’époque »9 – « Cette œuvre qui n’existe qu’en un tiers aujourd’hui, pourtant encore aujourd’hui énorme, est témoin du fait que celui qui l’a construite a dû être le maître du monde, comme l’église de Saint Pierre sera témoin du fait que ses créateurs ont dû être les maîtres du monde ». Pour la plupart des Polonais, Rome était restée avant tout la capitale du monde chrétien et ils y venaient pour « visiter le corps sacré, c’est-à-dire la petite maison de Saint Pierre10. C’est en cela qu’ils différaient considérablement des aristocrates et gentlemen anglais ou des archéologues amateurs, tels que Stanisław Kostka Potocki.

11 Dans ce contexte, il faut préciser qu’un des drames personnels du roi Stanislas Auguste a été de n’avoir jamais visité l’Italie, et qu’il a essayé de compenser ce manque pendant toute sa vie. L’Italie, et surtout Rome, furent parmi les points de références les plus importants pour ses goûts artistiques et ses collections. Les artistes italiens ont dominé à sa cour, il a envoyé des boursiers à Rome11 et ses agents y résidant de façon permanente ont joué un rôle essentiel dans ce transfert culturel. J’ai déjà abordé ce phénomène dans des articles12, mais l’ouvrage de synthèse des études polonaises sur le Grand Tour est le livre publié à l’occasion de l’exposition « Le Grand Tour ». La naissance de la collection de Stanisław Kostka Potocki, ainsi que le catalogue de l’exposition organisée au Musée national de Varsovie, intitulée La maison dorée de Néron13.

12 Ce dernier ouvrage permet de présenter les recherches sur la réception de la décoration peinte antique en Pologne14. Parmi les publications les plus récentes sur ce sujet, je m’arrêterai plus longuement sur le livre d’Aleksandra Bernatowicz, Loin de la réalité, parce que les résultats de ses travaux enrichissent notre connaissance du fonctionnement des motifs décoratifs standards de la peinture au sein de l’espace artistique européen. L’auteur a retrouvé non seulement les modèles de beaucoup de

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peintures présentées dans son ouvrage, comme les Loges de Raphaël pour les décors de la Chambre jaune du palais des Radziwiłł à Nieborów, mais également, dans quelques cas, leurs sources littéraires, dont par exemple Les Métamorphoses d’Ovide. La connaissance des styles individuels des peintres-décorateurs travaillant à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle en Pologne, de la façon dont ils choisissaient les motifs et les sources où ils les ont puisés, a permis à l’auteur de formuler de bonnes suggestions sur l’attribution des décors. En marge de cette thématique, Bernatowicz a également abordé les fonctions des intérieurs de certains bâtiments importants pour l’architecture néoclassique polonaise, tels que le pavillon de jardin appelé la Maison blanche (p. 90-93), situé dans le parc Łazienki que le roi Stanislas Auguste acheta pour y installer sa résidence estivale à Varsovie, ou le palais de la famille Walicki à Mała Wieś (p. 152-153).

13 L’une des preuves de l’intensification des recherches sur les relations artistiques de la Pologne avec l’Europe de l’Ouest à cette époque est le nombre de publications traitant de l’activité des artistes étrangers sur le territoire de l’ancienne République des Deux Nations, ou encore des commandes d’œuvres par des amateurs polonais auprès des meilleurs artistes européens. En 1994, au château royal de Varsovie, s’était tenue une exposition présentant les nombreuses commandes polonaises auprès de Bertel Thorvaldsen, le plus fameux sculpteur du début du XIXe siècle15. Katarzyna Mikocka- Rachubowa a, elle, consacré un livre aux œuvres réalisées pour des clients polonais par Antonio Canova et les sculpteurs de son cercle. Elle y met en évidence le nombre important des achats réalisés par ces aristocrates qui ont collectionné les sculptures avec une culture impressionnante et qui ont créé dans leurs résidences de riches galeries d’une qualité qui rivalise avec celle des collections des pays de l’Europe occidentale. À côté de la galerie de Stanislas Auguste, la collection de sculptures d’Izabela Lubomirska née Czartoryska (1736-1816) dans son palais de Łancut, celle de Jan Feliks Tarnowski (1779-1842) à Dzików ou encore celle de Michał Ludwik Pac (1780-1835) à Dowspuda méritent une attention toute particulière.

14 Ces récentes études des historiens d’art polonais sur l’art du Siècle des lumières prouvent que beaucoup, parmi les représentants de l’aristocratie, de la noblesse et même de la bourgeoisie polonaises, appartenaient à l’élite supranationale des amateurs d’art européens, et que l’importation aussi bien des œuvres que des modèles et surtout des artistes a été pour eux une pratique naturelle. Leur objectif était non seulement d’enrichir leurs résidences et leurs collections, mais également d’offrir aux Polonais un accès à l’art européen dans ses formes les plus variées et ses productions les meilleures.

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NOTES

1. Andrzej Rottermund, « ‘Eksplozja’badań nad neoklasycyzmem w sztukach plastycznych », dans Wiek Oświecenia, 1978, 1, p. 309-322. 2. Angela Sołtys, « Podróż prymasa Poniatowskiego do Włoch w latach 1789-1790 », dans Kronika Zamkowa, 2000, 2, p. 48-84. 3. Teresa Kossecka, Gabinet Rycin króla Stanisława Augusta, Varsovie, 1999. 4. Małgorzata Czerniakowska, Związki Stanisława Augusta i uczonych z jego kręgu z Royal Society w Londynie, Gdańsk, 2000. 5. Hanna Widacka, Splendor i Niesława. Stanisław August Poniatowski w grafice XVIII wieku w zbiorach polskich, Varsovie, 2008. 6. Les dessins de la collection des Potocki à Wilanów ont également été commentés par Krystyna Gutowska-Dudek dans : Rysunki z wilanowskiej kolekcji Potockich w zbiorach Biblioteki Narodowej, vol. 1-4, Varsovie, 1997-2005 ; idem, « Rysunki Vincenza Brenny w zbiorach Biblioteki Narodowej », dans Pinakotheka, 2005, 20-21, p. 51-61. 7. Krzysztof Pomian, « Winckelmann Polski », dans 200 lat Muzealnictwa warszawskiego. Dzieje i perspektywy, Varsovie, 2006, p. 15-24 ; Witold Dobrowolski, Stanisław Kostka Potocki’s Greek Vases, A Study Attempt at the Reconstruction of the Collection, Varsovie, 2007. 8. Jolanta Polanowska, « ‘Lettre d’un étranger sur le Salon de 1787’ Stanisława Kostki Potockiego – tekst z pogranicza sztuki i polityki », dans Ikonotheka, 2000, 14, p. 237-246 ; idem, « Polémique de Dominique Vivant Denon avec Stanisław Kostka Potocki ‘List Pana De Non w odpowiedzi na list cudzoziemca o Salonie 1787’ », dans Ikonotheka, 2002, 15, p. 191-203. 9. « Oglądałem Kolisé. Dzieło to dzisiaj ledwo w trzeciej części istniejące, przecież dzisiaj jeszcze ogromne, jest świadkiem, że kto je stawiał, musiał być panem świata, jak kościół św. Piotra będzie świadkiem, że ci, którzy go wystawili, musieli także być panami świata », dans Dziennik podróży de Stanisław Staszic (1777-1791), vol. 1, Varsovie, 1903, p. 135. 10. « by odwiedzić ciało święte, to jest domek św. Piotra », ibid., p. 131. 11. Marzena Królikowska-Dziubecka, Podróże artystyczne Jana Chrystiana Kamsetzera (1776-1777, 1780-1782), Varsovie, 2003. 12. Andrzej Rottermund, « Portret dwóch braci », dans Folia Historiae Artium, 1998, 4 (nouvelle série), p. 61-66 ; idem, « Polski Grand Tour, czyli problem Królewskiej podróży do Italii », dans Wiek Oświecenia, 1999, 15, p. 135-148. 13. Złoty Dom Nerona. Wystawa w 200-lecie śmierci Franciszka Smuglewicza, (cat. expo., Varsovie, Musée national, 2008), Varsovie, 2008. 14. Róża Kąsinowska, Dobrzyca. Fortalicja, Pałac, Muzeum, Dobrzyca, 2007. 15. Thorvaldsen w Polsce, (cat. expo., Varsovie, château royal, 1994), Varsovie, 1994.

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INDEX

Index géographique : Pologne Mots-clés : collection royale, art de cour, art européen, collections, amateur Keywords : royal collection, court art, european art, collections, amateur Index chronologique : 1700

AUTEURS

ANDRZEJ ROTTERMUND Château royal de Varsovie

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L’enseignement du dessin en France au XVIIIe siècle

Christophe Henry

RÉFÉRENCE

- ENFERT, 2003 : Renaud d’Enfert, L’enseignement du dessin en France. Figure humaine et dessin géométrique (1750-1850), Paris, Belin, 2003. 256 p., 20 fig. n. et b. ISBN : 978-2701135229 ; 27,90 €. - ULRICH LEBEN, 2004 : Ernst Ulrich Leben, L’école royale gratuite de dessin de Paris (1767-1815), Saint-Rémy-en-l’Eau, Monelle Hayot, 2004. 176 p., 149 fig. n. et b et coul. ISBN : 978-2903824464 ; 60 €. - LAHALLE, 2006 : Agnès Lahalle, Les écoles de dessin au XVIIIe siècle. Entre arts libéraux et arts mécaniques, Rennes, Presses universitaires de Rennes (collection Histoire), 2006. 358 p., 13 fig. n. et b. ISBN : 978-2753503168 ; 22 €.

1 L’enseignement du dessin en France au XVIIIe siècle fait l’objet d’une bibliographie soutenue dont une des caractéristiques était jusqu’ici d’être majoritairement le fait de l’érudition germanique et anglo-saxonne. Dans la lignée des Academies of art de Nikolaus Pevsner1, les publications d’Arthur Birembaut et de Reed Benhamou se sont en effet attachées à rendre plus perceptible et compréhensible l’une des infrastructures institutionnelles dont on peut penser qu’elle sous-tend la production artistique de la seconde moitié du siècle2. Depuis cinq ans, l’intérêt des historiens pour les soixante écoles de dessin créées en France entre 1727 (Toulouse) et 1792 (Annecy) s’affirme encore, mais dans une optique différente. Désormais, ce sont moins des Anglo-Saxons que des Français, et moins des historiens de l’art que des historiens des sciences de l’éducation, qui s’intéressent à la question, à l’exception notable d’Ulrich Leben, qui étudie depuis quinze ans la question de l’incidence artistique des écoles de dessin au travers de l’histoire de l’École royale gratuite de dessin de Jean-Jacques Bachelier.

2 Jusqu’à la fin des années 1990, l’enseignement du dessin était envisagé en fonction de ses conséquences sur la production artistique et eu égard à son rôle éventuel dans la

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réhabilitation du modèle antique et de l’exemplum virtutis entre 1740 et 1815. Cette lecture demeure sous-jacente, mais la problématique majeure porte sur l’enseignement du dessin comme champ d’étude des structures sociales et des institutions pédagogiques, dans une lignée initiée il y a trente ans par Daniel Roche3. Jouant d’une synthèse stimulante entre histoire institutionnelle et nouvelle histoire, les auteurs s’attachent à la description statistique du phénomène de l’enseignement du dessin et à la définition des différents types d’acteurs qu’il implique : élèves et professeurs étudiés du point de vue de leur identité et de leur progression sociales, cours et leçons analysés en regard de leurs sources et de leur finalité, initiateurs et protecteurs envisagés à l’appui des statuts et des financements qu’ils mirent en place.

3 Sur le plan documentaire, l’enquête est généralement irréprochable et il ne fait pas de doute que chacun de ces ouvrages apporte son lot de précisions et d’éclaircissements sur un sujet d’autant plus complexe qu’il se situe à la croisée de l’histoire de l’art, l’histoire économique et sociale et l’histoire de l’éducation. Dans un tel contexte interdisciplinaire, comme c’est le cas dans l’adoption du dessin par les sciences historiques de l’éducation, la fusion des problématiques due au transfert d’un sujet d’étude d’une discipline à l’autre entraîne parfois une certaine réduction du corpus d’idées actif dans le champ d’étude originel, en l’occurrence l’histoire de l’art.

Figure humaine et dessin géométrique

4 L’ouvrage de Renaud d’Enfert illustre bien ce double phénomène de réduction et de rénovation des points de vue, et ce jusque dans son titre : L’enseignement du dessin en France. Figure humaine et dessin géométrique 1750-18504. D’Enfert part d’un constat d’ordre culturel et pédagogique : l’enseignement du dessin a aujourd’hui muté en un enseignement des arts plastiques dont l’objectif conçu comme désintéressé d’initiation aux arts et aux pratiques culturelles est finalement très éloigné de l’enseignement du dessin tel qu’il s’était instauré entre le milieu du XVIIIe siècle et la fin du Second Empire.

5 S’intéressant à ce qui précède l’époque de cette « grande synthèse républicaine des années 1870-1880, qui tente de réunir en un même corps de doctrine deux grands modèles didactiques, l’un basé sur l’étude du corps humain (la figure humaine), l’autre fondé sur le dessin géométrique » (D’ENFERT, p. 9), l’auteur revient sur la formation d’une discipline en considérant aussi bien ses enjeux sociaux que ses origines culturelles, ses sphères d’émergence comme ses attendus politiques. Des années 1780 aux années 1850, l’enseignement du dessin évolue en effet de la sphère corporative à la sphère publique ; or, loin d’impliquer une simplification consécutive de ses formes et procédés, ce passage entraîne un véritable foisonnement de l’offre de formation graphique.

6 Après les résistances à l’intégration du dessin dans les écoles secondaires et à son enseignement purement technicien dans les écoles centrales autour de 1800, on est assez surpris de voir se réinstaller dans les années 1820 un enseignement par écoles ou sections spécialisées tel qu’il existait avant la Révolution. Mais cet accroc dans l’évolution vers un enseignement généralisé n’est expliqué ni dans ses raisons ni dans ses conséquences. L’idée d’une expansion de l’enseignement du dessin, au-delà du décompte statistique des créations de cours, repose avant tout sur l’inventaire des modélisations pédagogiques : ainsi, l’une des catégories de l’enseignement du dessin sous l’Ancien Régime – l’étude sur le motif d’objets inanimés – génère au cours de la

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première moitié du XIXe siècle une pédagogie du dessin sinon innovante du moins nouvelle : celle du dessin linéaire.

7 Fondé sur la maîtrise de la géométrie, et donc sur une base rationnelle, le dessin linéaire a une finalité à la fois pratique et sociale puisqu’il autorise une transmission optimale des projets visuels à destination concrète (arts décoratifs, ménagers, industriels et architecture). À ce titre, le dessin linéaire est identifié par d’Enfert comme le médium d’une transmission d’un « bon goût » dont on aurait aimé qu’il soit analysé d’un point de vue idéologique. En effet, la réduction du dessin à la ligne et de la figure à la géométrie permit au XIXe siècle de réaliser l’une des idées fondatrices des écoles du siècle précédent : faire du dessin un outil de participation sociale et d’obéissance civique et rendre ainsi cette pratique utile à la société. Mais là où les enseignants du XIXe siècle disposaient d’une distance suffisante pour comprendre qu’à cette fin il fallait renoncer à la diversité des inspirations et des styles et rendre obligatoire une pratique de conformation à un modèle logique et rationnel (la réduction du visible utile à la géométrie), les professeurs des Lumières demeuraient tributaires d’une culture de la complexité et de la diversité des modèles : l’antique, la nature dans toutes ses manifestations et l’exemple des maîtres permettant de se guider.

8 D’Enfert peut ainsi restituer à cette forme raisonnée de dessin sa valeur maïeutique dans la progression des savoirs populaires. Démontrant preuves à l’appui le biais par lequel fut rendue possible la popularisation de la capacité graphique, il documente un réel point d’arrêt dans la pratique « de génie » qui s’était progressivement mise en place depuis la Renaissance. Mais pourquoi ne pas avoir assorti le passionnant propos relatif au dessin géométrique d’une présentation de la théorie du disegno qu’il contribua à démanteler ? En effet, l’enseignement géométrique du dessin s’inscrit dans un contexte politique, socio-économique et intellectuel beaucoup plus favorable à une « performation » sociale et fonctionnelle du dessin qu’à la génération politique et transcendantale qui en assura l’essor aux XVIe et XVIIe siècles. Et si l’on prend en compte cette substitution des fonctions aux fins, des formations aux apprentissages et des usages socialisés aux pratiques sacralisées comme des problématiques propres à l’histoire de l’art – un peu négligées5 –, un nouveau profil d’interprétation de l’histoire du dessin devient alors possible.

Retour sur l’École royale gratuite de dessin

9 Dans sa monographie sur l’École royale gratuite de dessin fondée à Paris par Jean- Jacques Bachelier en 1767, un des grands mérites d’Ulrich Leben est d’avoir pris acte du fait que les académies d’art de l’Ancien Régime ne partageaient guère plus qu’un préfixe avec l’académisme qui se met en place au cours du XIXe siècle. Procédant en historien des arts du dessin, plastiques ou décoratifs, Leben pose le document, qu’il s’agisse d’une œuvre d’art instituée ou d’une archive visuelle, qu’il émane de l’École gratuite ou de l’époque considérée, comme le point de départ de sa réflexion. L’étude des témoins artistiques et visuels susceptibles de documenter l’un des pivots du renouveau de la production artistique de la fin de l’Ancien Régime et du premier XIXe siècle devient ainsi prospective.

10 Grâce à des documents inédits découverts aux Archives nationales et publiés en annexe (LEBEN, 2004, p. 111-152), l’auteur présente la fusion des attentes esthétiques (idéal de

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simplicité et d’utilité développé dans les arts depuis les années 1750) et économiques (volonté de définir une formation commune aux ouvriers qui soit fondée sur l’émulation et le sentiment du bon goût) comme le principe d’une entreprise dont Bachelier ne fut pas le seul pionnier mais dont il fut l’un des plus exemplaires. Connaisseur avisé des antécédents extra-territoriaux (cours de dessin en Angleterre et en Irlande) et nationaux (les petites écoles formées au sein des manufactures royales), Bachelier tint compte des idées des encyclopédistes en matière d’initiation au dessin des enfants et de la belle tenue des écoles privées d’art qui avaient germé à Paris et en province au cours de la première moitié du XVIIIe siècle. L’École des arts de Jacques- François Blondel approuvée par l’Académie royale en 1743 ou encore celle de Jean- Baptiste Descamps à Rouen reconnue par le Roi en 1746 inspirèrent largement un projet qui, selon Leben, a ceci de supérieur qu’il « préfigure l’éducation qui se généralise après la Révolution » (LEBEN, 2004, p. 13).

11 L’école instituée par Bachelier participait d’un regain d’intérêt général pour l’enseignement du dessin qui toucha toutes les sphères de la société. Ainsi, malgré l’opposition du journaliste Sébastien Mercier, le projet puis l’entreprise bénéficièrent du soutien actif de Madame de Pompadour, dont Leben identifie clairement les motivations : des productions décoratives d’excellence comme la porcelaine de Saxe lui avaient ouvert les yeux sur la nécessité de former des artisans spécialisés qui soient à même de concevoir les modèles en fonction des possibilités offertes par les techniques de réalisation. Cependant cet avantage ne suffit pas à convaincre l’Académie royale de parrainer l’entreprise, qui ne relevait pas de l’enseignement qu’elle dispensait, soit un enseignement de l’imagination fondé sur l’histoire et l’allégorie et non un enseignement des techniques structuré par l’intelligence de la reproductibilité. Si Bachelier n’obtint pas l’association statutaire à l’Académie, il réalisa le tour de force de contourner le privilège dont celle-ci disposait pour tout enseignement artistique à Paris en obtenant directement du Roi, le 20 octobre 1767, des lettres patentes l’instituant en tant qu’école royale. Comme le décrit bien Leben, ce statut de nouvelle institution approuvée, protégée et financée par le Roi permettait de se passer du contrôle de l’Académie royale. Dans les faits, les membres de celle-ci, à laquelle Bachelier appartenait à titre personnel, furent de constants conseils et de puissants soutiens pour l’École gratuite de dessin, agissant comme administrateurs de l’institution et membres du jury. C’est tout l’entourage du Roi et le réseau des académies parisiennes qui se mobilisèrent pour permettre l’accomplissement des visées de Bachelier.

12 La curiosité de Leben ne s’arrête pas aux circonstances mouvementées de la fondation et de la reconnaissance de l’École royale gratuite de dessin. L’enseignement et ses principes sont également étudiés ; celui de la géométrie – qui devint le cadre réglementaire de l’enseignement du dessin au XIXe siècle – fut conçu par Bachelier selon une fin pédagogique susceptible d’expliquer l’évolution de cet enseignement sur les deux siècles : « elle seule veut arrêter les écarts de l’imagination, la contenir dans les bornes de la raison et faire circuler [...] les idées dans des canaux réguliers » (LEBEN, 2004, p. 73). Leben étudie également avec soin l’usage que les élèves de l’école firent des modèles gravés des grands maîtres (Raphaël, Michel-Ange, Poussin, Le Brun, Pieter Boel, Desportes, etc.) dans l’optique d’une application aux fins spécifiques de la décoration et de l’ornementation. Réinterprétée comme une obligation dans les années 1800, la pratique de la copie d’après les modèles gravés ne circonscrivait évidemment pas l’horizon de l’apprentissage du dessin proposé par l’école de Bachelier. En effet, si

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l’Académie royale disposait statutairement du privilège de poser le modèle vivant en vertu de l’ordonnance royale de 1676, les élèves de Bachelier l’étudièrent aussi, mais hors de l’enceinte de l’école. Cependant, par l’analyse des récompenses de concours (livres de géométrie, de mathématique ou recueils d’estampes de maîtres), Leben montre bien quelle importance conserva le modèle gravé au sein de l’enseignement : à tous les moments de l’apprentissage il demeura le sésame d’une trajectoire professionnelle gouvernée par le bon goût.

13 La convocation de l’histoire sociale, économique et politique dans cet ouvrage ne réussit pas à résoudre l’ambiguïté d’une double relation : celle de l’institution avec les œuvres produites et celle que ces réalisations entretiennent avec leur propre milieu. Depuis 1992, Leben a souvent insisté sur les problèmes d’une pareille démarche : aux yeux de l’histoire, les élèves de Bachelier demeurent le plus souvent d’intéressants anonymes ou bien des noms que l’histoire de l’art est loin d’identifier – à l’exception de Charles Percier – avec des fleurons de l’art de leur temps : les charpentiers Étienne Trompette et Magloire Fessard, les architectes Louis-Michel Thibault et Jean-François Delannoy, le peintre en décoration Jacques Louis François Touzé, les sculpteurs Sébastien Cavé et Pierre Cartellier, pour ne citer que ceux qui connurent de belles situations sous l’Empire. On ne saura jamais – et c’est le cas pour la grande majorité des élèves des écoles de dessin de l’Ancien Régime – si leur modeste fortune est due aux circonstances troublées dans lesquelles ils œuvrèrent ou bien à un déficit de formation théorique. À cet égard l’ouvrage de Leben pose une question qu’il ne peut résoudre : comment s’articulent les données factuelles relatives aux acteurs, aux statuts et aux enseignements avec l’histoire de l’art, sinon par le truchement de la personnalité charismatique de Bachelier ?

Les écoles de dessin au XVIIIe siècle

14 Quoiqu’il soit un peu téméraire d’affirmer qu’il n’existait pas de synthèse sur la question antérieurement à 2004 (on songe à l’article « Public and private art education in France 1648-1793 » de Reed Benhamou6), l’ouvrage d’Agnès Lahalle, Les écoles de dessin au XVIIIe siècle, inventorie effectivement une grande partie des sources publiées et des matériaux mis à la disposition de la recherche par la bibliographie ancienne et récente pour la question, en tentant de les organiser sous une forme quasi tripartite : le contexte du surgissement des écoles de dessin et les circonstances de leur création ; les statuts et les financements ; les professeurs, les leçons et les élèves. S’appuyant sur l’analyse croisée des recensements statistiques et des sources institutionnelles reproduites en annexe (règlements, statuts, correspondances), Lahalle s’attache à établir le profil et le rôle de chacune des parties prenantes de ce qu’il faut bien nommer un phénomène, en revenant fréquemment sur les légitimes questions qu’il pose : les soixante écoles de dessin recensées constituent-elles effectivement un ensemble statutairement et institutionnellement homogène ou bien faut-il les envisager comme un ensemble d’initiatives liées aux intérêts spécifiques des villes et des provinces ?

15 Afin d’y répondre, Lahalle propose plusieurs explications et notamment le besoin d’un renouveau pédagogique inspiré par les philosophes, en particulier par Rousseau, avec la pédagogie de l’expérience mise en scène dans l’Émile ou De l’éducation (1762). Pareillement, l’idéal d’utilité, lieu commun des discours de fondateurs d’école avant même celui de Jean-Baptiste Descamps, primé par l’Académie française en 1767, fait

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l’objet d’une analyse culturelle qui identifie clairement ses sources historiques : la théorie de l’art d’un Léonard de Vinci et la philosophie de John Locke, le mouvement des écoles charitables créées à Paris à partir de 1680 ou la pastorale moralisante d’un Louis Bertrand Castel ou d’un Monsieur de Rozoy.

16 Dans cette perspective, Lahalle inscrit la réhabilitation des arts mécaniques qui s’opère à l’appui de la remise en question par l’Encyclopédie (1751-1772) du rapport traditionnel à la pratique, d’Alembert soulignant dans son Discours préliminaire des éditeurs (1751) que « c’est peut-être chez les artisans qu’il faut chercher les preuves les plus admirables de la sagacité de l’esprit, de sa patience et de ses ressources » (LAHALLE, 2006, p. 31). En tant que mouvement, le phénomène de fondation des écoles de dessin ressortirait donc à un renouveau pédagogique et social s’appuyant sur la réhabilitation d’une part méprisée de l’intelligence et ayant pour fin l’entraide sociale. On comprend mieux que dès 1767 l’idée d’une « utilité de l’établissement des écoles publiques de dessin » ait fait florès, relançant les espoirs de compétitivité économique face à la concurrence européenne, dans le secteur textile notamment (LAHALLE, 2006, p. 37-40).

17 Difficilement vérifiables, ces causalités demeurent envisageables si l’on reste attentif à la chronologie des fondations et aux particularités des cas. C’est la raison pour laquelle Lahalle s’efforce de restituer le contexte urbain de l’émergence des écoles de dessin, partagée entre renouveau des arts et débat corporatif lié au développement urbain. L’ambition de travailler hors des cadres corporatifs a sans doute suscité le désir, chez nombre de fondateurs d’écoles de dessin, de mettre en place des protocoles de « formation supérieure de qualité » pour les ouvriers et les artisans locaux, sur le modèle des premières écoles provinciales de dessin, comme celle de Rouen, ou sur celui de l’école du génie de Mézières, créée par le comte d’Argenson en 1749.

18 Selon Lahalle, la sclérose des structures corporatives de la fin de l’Ancien Régime et la nécessité dans laquelle le royaume était d’y remédier suppose une connexion culturelle forte entre une pédagogie fondée sur l’expérience, une politique fondée sur l’utilité et une culture professionnelle fondée sur le dessin. Mais pour s’imposer face aux protocoles de l’apprentissage au sein des métiers, les nouvelles structures avaient incontestablement besoin d’une légitimité paradoxale : celle qu’étaient à même de leur procurer les arts libéraux, en particulier l’enseignement académique du dessin. L’auteur revient à plusieurs reprises sur la complexe instauration d’un enseignement tourné vers des activités souvent prosaïques – le projet d’école de dessin de Besançon doit permettre de développer l’exploitation des carrières de marbre locales (LAHALLE, 2006, p. 77) – mais qui nécessite, pour se mettre en place, l’aval, sinon la protection, de la seule institution habilitée en matière d’enseignement du dessin : l’Académie royale de peinture et de sculpture. Mais comment organiser l’enseignement dont les apprentis avaient besoin hors du cadre des métiers et sans bénéficier du soutien de l’Académie royale ? Ce furent souvent des sociétés académiques, comme à Dijon, Rouen et Auch, qui constituèrent un premier cadre de légitimité à l’enseignement provincial du dessin ; puis, sur un modèle rendu exemplaire par le peintre Descamps à Rouen, une cooptation du fondateur de l’école par l’Académie royale de peinture et sculpture lui accordait le droit d’enseigner en conformité avec ses statuts. Dans un second temps, et à force de menées renouvelées et de démarches incessantes, le fondateur-académicien obtenait les lettres patentes qui faisaient de son école une institution royale ou académique.

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19 Ce modèle de création, qui n’entraînait pas toujours l’octroi du droit de dessiner d’après toutes les sortes de modèles – comme on le voit avec le cas de l’École royale gratuite de Bachelier –, ne fut pourtant pas des plus partagé. En effet, les soixante établissements conçus dans le but d’enseigner le dessin dans la France des Lumières présentaient tous des profils particuliers. Il vaut mieux replacer ces fondations dans le contexte d’un aménagement de la hiérarchie et de la géographie artistique du territoire programmé par Paris ; tel un effectif réseau civique et politique, l’avènement des écoles de dessin semble donc ressortir à une motivation d’ordre économique et préindustriel. Au vu de la notoriété généralement limitée des professeurs, du contenu simplifié des enseignements et de l’absence de révélation artistique des élèves, l’enseignement du dessin contribua à la réforme de l’apprentissage et des métiers, laquelle s’appuya sur le système des arts libéraux pour convaincre de sa noblesse sans pour autant renoncer aux finalités spécifiquement utiles des arts mécaniques.

20 Peut-être parce que plus des deux tiers des écoles de dessin furent créées après 1764, Lahalle entrevoit dans l’école de Bachelier un modèle pédagogique, sans doute un peu trop providentiel (LAHALLE, 2006, p. 214). En fait, l’auteur aurait pu accorder autant d’importance à l’exemple de Rouen qu’à celui de Paris, pour des raisons chronologiques évidentes, mais aussi pour des raisons de méthode : l’école de Jean-Baptiste Descamps, vingt ans avant l’École royale gratuite de Bachelier, s’adapta à un contexte territorial, économique et sociologique qui était beaucoup plus assimilable à celui des cinquante autres fondations couvrant l’ensemble du territoire entre 1746 et 1792 qu’au contexte parisien.

L’enseignement du dessin vu du Grand Siècle

21 Au terme de cette recension, il paraît utile d’interroger le fondement supposément philosophique du mouvement des écoles de dessin et de revenir sur la relation qu’il entretint avec le legs du Grand Siècle, en partant des réflexions de Bruno Belhoste sur l’enseignement technique, la médiatisation critique du corpus d’idées hérité du Grand Siècle par le second XVIIIe siècle et l’intervention tardive et contradictoire des philosophes dans ce domaine de l’éducation7. Le modèle de formation que ces derniers préconisaient restait effectivement celui de l’apprentissage, « où le savoir passe directement par imitation du maître à l’élève, sans médiation d’un corpus théorique »8.

22 S’opposant à cet égard aux promoteurs d’un enseignement technique formalisé dans un cadre scolaire, une part de l’élite intellectuelle du XVIIIe siècle entra en conflit avec ces tardifs théoriciens et promoteurs de l’enseignement technique que furent les encyclopédistes. Dans l’Encyclopédie, la question n’est pourtant « pas abordée directement, même si une place très importante est accordée aux arts mécaniques et à leur perfectionnement en liaison avec les sciences » (Belhoste). En revanche, ce sont les frères des Écoles chrétiennes et les ordres religieux – Jésuites compris – qui furent les pionniers remarqués de l’étude des arts utiles. Mais, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Rolland d’Erceville, La Chalotais, Diderot lui-même dans son Plan d’une université pour le gouvernement de Russie (1775), ou encore Condorcet (Mémoires sur l’instruction publique, 1791) furent les défenseurs de cette idée – la théorie éclairée par la pratique –, sans l’avoir pour autant initiée. Il y a donc un certain anachronisme à faire de Bachelier l’initiateur d’un système pédagogique qu’il n’a fait qu’adapter aux normes nouvelles, non sans s’inspirer copieusement du modèle constitué bien avant 1750. Arthur

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Birembaut avait vu juste quand il indexa les fondations d’école de dessin dans la seconde moitié du siècle sur un projet et une sensibilité typique de la fin du siècle précédent 9. À cet endroit, on rappellera que le corpus des idées d’un Bachelier était déjà défendu vers 1700 par un Dupuy Du Grez10. Celui-ci réclamait une instruction plus raisonnée pour les artistes, ne s’appuyant pas seulement sur la théorie académique donnée par des auteurs, mais également sur la maîtrise d’un savoir plus pratique pour qu’ils puissent eux-mêmes appréhender les mesures et les proportions, et voulait faire profiter de cet enseignement les artisans pour lesquels la pratique du dessin était utile dans leur métier, ajoutant que si les bons ouvriers pouvaient se faire valoir et se faire connaître dans une école publique de dessin, personne ne penserait plus à employer un personnel inapte et non qualifié.

23 Ne pas tenir compte sérieusement de ces antécédents empêche sans doute de comprendre que, vers 1770, le modèle pédagogique proposé par Bachelier empruntait aussi bien au legs du Grand Siècle qu’à la culture expérimentale des Lumières. D’où les nombreuses contradictions qui ont été relevées pour cet enseignement du dessin : officiellement royal mais déconnecté de toute émulation avec les grandes instances académiques monarchiques, gratuit mais subventionné à la personne, académique mais non savant, supposément scolaire mais adressé à des élèves dépourvus de tout prérequis intellectuels, tourné vers l’œuvre artistique et graphique mais pauvre en productions d’excellence. Bien perçue par de nombreux spécialistes de la question, cette rareté des œuvres et des chefs-d’œuvre est probablement à l’origine de l’interprétation essentiellement sociale et politique qui a été donnée du mouvement des écoles gratuites de dessin, envisagé comme une « performation » territoriale de l’École royale gratuite de dessin créée à Paris en 1767 par Bachelier. Affichant une vocation pédagogique exclusivement tournée vers de futurs artisans, cette institution a fourni à certains de ses historiens les moyens d’un relatif anachronisme.

24 Car si la structure pédagogique de Bachelier pouvait se dévouer aux seuls artisans, c’est bien parce que dans la même ville les futurs artistes allaient se former à l’Académie royale ou à l’Académie de Saint-Luc, les architectes à l’Académie d’architecture et à l’École des arts de Jacques-François Blondel et les ingénieurs à l’École des ponts et chaussée et à celle du Génie. Or, en province, les écoles de dessin supposément fondées sur le modèle de l’École royale gratuite devaient répondre à de multiples attentes : donner un enseignement du dessin aux ouvriers, former ou initier les futurs artistes à l’échelle locale, préparer aux différentes écoles parisiennes, etc. La raison sociale des écoles de dessin de province était loin d’être identique à celle de l’école de Bachelier ; il ne faudrait pas, à cet égard, supposer l’identité des structures sur la base de la ressemblance des appellations11.

25 En l’occurrence, la confusion n’est pas seulement due à la globalisation historiographique, mais aussi à l’interférence des modèles entre eux au cours du siècle. La quête d’une définition globale de l’école de dessin au XVIIIe siècle ne peut qu’achopper sur le fait que l’étiquette regroupe au moins trois types d’institutions contradictoires : l’école académique de dessin, à vocation artistique et libérale, proposée par le Règlement de 1676 ; l’école professionnelle de dessin, à vocation artisanale et industrielle, dont la fondation de Bachelier est le modèle incontestable, mais dont les sources mercantilistes sont très certainement européennes ; l’école municipale de dessin, à vocation mixte, et dont les multiples formulations provinciales,

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entre 1676 et 1792, témoignent de l’impressionnante diversité de la pédagogie du dessin en France au XVIIIe siècle.

NOTES

1. Nikolaus Pevsner, Academies of art, past and present, New York, 1973 [Cambridge, 1940] ; trad. fr. : Les académies d’art, Paris, 1999. 2. Reed Benhamou, « L’Éducation artistique en province : modèles parisiens », dans Daniel Rabreau, Bruno Tollon éd., Le progrès des arts réunis, 1763-1815 : mythe culturel, des origines de la Révolution à la fin de l’Empire ?, (colloque Bordeaux/Toulouse, 1989), Bordeaux, 1992, p. 91-97 ; « Art et utilité. Les écoles de dessin de Grenoble et Poitiers », dans Dix-huitième siècle, 1991, 23, p. 421-434 ; « Public and private art education in France, 1648-1793 », dans Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 1993, Oxford, 308, p. 1-183. Benhamou s’inscrit souvent dans la lignée inaugurée par Arthur Birembaut, qui proposait dès 1964 d’étudier les écoles gratuites de dessin : Arthur Birembaut, « Les écoles gratuites de dessin », dans René Taton éd., Enseignement et diffusion des sciences en France au XVIIIe siècle, Paris, 1986 [1964], p. 440-476. On consultera aussi l’intéressante mise au point de Vincent Bouvier d’Yvoire, « Les écoles gratuites de dessin au XVIIIe siècle », dans Sources-Travaux historiques, 1991, 26, p. 3-12. 3. Daniel Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris/La Haye, 1978. Voir également Roger Chartier, Marie-Madeleine Compère, Dominique Julia, L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, 1976. 4. Pour l’enseignement du dessin au XIXe siècle, on consultera : Stéphane Laurent, L’art utile. Les écoles d’arts appliqués sous le Second Empire et la Troisième République, Paris/Montréal, 1998. 5. En consultant les ouvrages ici présentés, on est surpris par l’absence de considération des points de vue et analyses d’un Christian Michel, dont l’étude approfondie de l’action prescriptive et théorique de Charles-Nicolas Cochin, conseiller constant des fondateurs d’écoles de dessin, éclaire le phénomène de façon déterminante : Christian Michel, Charles-Nicolas Cochin et l’art des Lumières, Paris/Rome, 1993. 6. Benhamou, 1993, cité n. 2. 7. Bruno Belhoste, « Enseignement technique », dans Michel Delon éd., Dictionnaire européen des Lumières, Paris, 1997, p. 400 [2007]. 8. Voir sur ce point l’article trop souvent oublié de Harvey Chisick, « Institutional Innovation in Popular Education in Eighteenth Century France: Two Examples », dans French historical studies, 1977, 10/1, p. 41-73 et, du même auteur, The Limits of reform in the Enlightenment: attitudes toward the education of the lower classes in eighteenth-century France, Princeton, 1981. 9. Birembaut, 1986, cité n. 2, p. 440. 10. Bernard Dupuy Du Grez, Traité sur la peinture pour en apprendre la téorie et se perfectionner dans la pratique, Toulouse, 1699, p. 119. 11. Notons d’ailleurs que dans ce débat, les sources mercantilistes et européennes de l’École royale gratuite de dessin sont presque totalement passées sous silence, privilégiant une fois de plus l’interprétation sociopolitique de l’institution alors que son modèle, s’il existe, est à rechercher dans le mouvement de création d’écoles professionnelles par les académies allemandes, italiennes et suisses durant la première moitié du siècle. Voir Pevsner, 1973, cité n. 7, chap. 5 et Bruno Belhoste, cité n. 25, p. 400.

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INDEX

Index géographique : France Keywords : teaching, drawing, schools, academy, formation, line drawing, geometry Mots-clés : enseignement, dessin, écoles, académie, formation, dessin linéaire, géométrie Index chronologique : 1700

AUTEURS

CHRISTOPHE HENRY Centre Ledoux, INHA

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Choix de publications

Perspective

1 – Renata AGO, Il gusto delle cose : una storia degli oggetti nella Roma del Seicento, Rome, Donzelli, 2006.

S’appuyant principalement sur des inventaires de personnages n’appartenant pas aux hautes sphères aristocratiques, l’historienne offre un aperçu très stimulant et neuf sur le décor intérieur et sur la hiérarchie des biens dans la Rome du XVIIe siècle [Ph. Sénéchal].

2 – Frédéric COUSINIÉ, Images et méditation au XVIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.

Un des grands problèmes de l’Église catholique après le Concile de Trente fut d’établir des discours et des codes, visuels, littéraires et pratiques, pour l’atteinte des prototypes célestes via la médiation et la traversée des images. Après avoir montré comment la place de l’image est progressivement reconnue dans l’oraison et la méditation, l’auteur développe son analyse sur deux types de pratiques de l’image, au cœur du livre et dans les rituels, avant d’aboutir à un très beau chapitre sur l’image intérieure [O. Bonfait].

3 – Matthew CRASKE, The Silent Rhetoric of the Body. A History of Monumental Sculpture and Commemorating Art in England, 1720-1770, New Haven/Londres, Yale University Press, 2007.

Monumentale publication de l’importante thèse de Matthew Craske, Senior Lecturer à la Brookes University d’Oxford et l’un des meilleurs spécialistes de l’art anglais du XVIIIe siècle [G. Scherf].

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4 – Giuseppe DARDANELLO, Susan KLAIBER, Henry A. MILLON, Guarino Guarini, Turin, Umberto Allemandi & Co., 2006.

Luxueuse monographie avec de très belles et utiles illustrations couleurs sur ce prêtre théatin, aux multiples savoirs, qui fut également un important architecte turinois, créateur d’édifices aussi complexes que la chapelle du Saint-Suaire (1670-1679) et le palazzo Carignano (1679-1682) à Turin, ainsi qu’auteur de traités d’architecture comme l’Architettura civile (Turin, 1737). Les nombreux essais (38), dus à une équipe internationale (G. Dardanello, E. Kieven, S. Klaiber, H. A. Millon…) abordent tous les différents aspects de sa carrière et de son œuvre, de sa formation aux projets pour Racconigi. Une dernière partie analyse les marques de son architecture dans différentes régions de l’Italie, dans la péninsule Ibérique et dans l’Amérique du Sud [O. Bonfait].

5 – Firenze e gli antichi Paesi Bassi, 1430-1530. Dialogo tra artisti : da Jan van Eyck a Ghirlandaio, da Memling a Raffaello…, Bert W. Meijer éd., (cat. expo., Florence, Palazzo Pitti, 2008), Livourne, Sillabe, 2008.

À l’occasion du cinquantenaire de l’Istituto Universitario Olandese di Storia dell’Arte à Florence, Bert W. Meijer a organisé une exposition éblouissante, accompagnée d’un catalogue qui fera date, comprenant des essais des meilleurs spécialistes, Paula Nuttall, Michael Rohlmann et Bernhard Ridderbos. L’interaction entre Flandres et Florence apparaît plus que jamais fondamentale – et pas seulement en peinture si l’on en juge par la reconstitution du retable de Careggi, qui voyait superposées la Lamentation sur le Christ mort de Van der Weyden et la Résurrection de Verrocchio [Ph. Sénéchal].

6 – Alexandra GERSTEIN, Paul HOLBERTON éd., Display and Displacement. Sculpture and the Pedestal from Renaissance to Post-Modern, Londres, Courtauld Institute, 2007.

Passionnant volume d’études – huit communications – sur un thème aujourd’hui très à la mode. Une illustration supplémentaire du dynamisme et de l’ouverture d’esprit des publications universitaires d’Outre-Manche [G. Scherf].

7 – Cristiano GIOMETTI, Uno studio e i suoi scultori. Gli inventari di Domenico Guidi e Vicenzo Felici, (Studi e fonti per la storia della scultura, 2), Pise, Edizioni Plus, 2008.

Comme le souligne Andrea Bacchi dans son introduction, l’intérêt pour les inventaires d’ateliers de sculpteurs est récent, malgré l’utilité de cette source pour comprendre à la fois le style d’un artiste et son impact. Cette publication, très soignée, le montre amplement. Car Cristiano Giometti ne se contente pas de publier les inventaires après

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décès de Domenico Guidi de 1701 et 1702, ou celui de l’atelier de 1715, mais également le testament de 1701 et d’identifier les sculptures citées ; surtout, par une remarquable connaissance des différentes sources, il restitue le mode de fonctionnement de cet atelier et son histoire, une histoire qu’Anne-Lise Desmas prolonge loin en avant dans le XVIIIe siècle, jusqu’à Michel-Ange Slodtz [O. Bonfait].

8 – Sandrine HERMAN, Estampes françaises du XVIIe siècle. Une donation au Musée des beaux-arts de Nancy, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS), 2008.

Comportant quelque 2 200 reproductions de gravures, dont un grand nombre n’avaient jamais été reproduites auparavant, cet ouvrage donne le catalogue complet d’une partie d’un fonds provenant d’une exceptionnelle donation reçue par le Musée des beaux-arts de Nancy en 2000. Sans doute l’ensemble d’estampes le plus complet qui existe désormais pour cette période après celui de la Bibliothèque nationale de France, offrant une présentation équilibrée des divers genres pratiqués par des artistes souvent très peu étudiés, il constitue le répertoire illustré actuellement le plus exhaustif sur l’estampe en France au XVIIe siècle [S. Loire].

9 – James « Athenian » Stuart 1713-1788. The Rediscovery of Antiquity, Susan Weber Soros éd., (cat. expo., New York, Bard Center for Studies in The Decorative Arts, Design and Culture, 2006-2007/Londres, Victoria and Albert Museum, 2007), New Haven/Londres, Yale University Press, 2006.

Ce gros volume est moins le catalogue de l’exposition qui s’est tenue en 2006 et 2007 à New York au Bard Center for Studies in The Decorative Arts et à Londres au Victoria and Albert Museum qu’un rassemblement de quatorze essais somptueusement illustrés et édités, à l’instar des impeccables publications du Center for Advanced Study in the Visual Arts de Washington. Ce livre propose une vision magistrale du premier néoclassicisme en Angleterre [G. Scherf].

10 – Michel LEFFTZ, Jean Del Cour 1631-1707. Un émule du Bernin à Liège, Bruxelles, Éditions Racine, 2007.

Indispensable monographie sur ce magnifique sculpteur, bien illustrée, avec un catalogue de son œuvre, qui a accompagné une exposition présentée dans l’église Saint- Barthélemy de Liège et dans d’autres lieux de la ville [G. Scherf].

11 – Walter LIEDTKE, Dutch paintings in the Metropolitan Museum of Art, New Haven, Yale University Press, 2007.

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Publié par l’auteur d’un précédent catalogue raisonné des peintures flamandes du XVIIe siècle du Metropolitan Museum of Art (1984), qui détient aux États-Unis le plus vaste ensemble de tableaux provenant des Pays-Bas pour cette période, cet ouvrage est l’une des plus remarquables études d’un tel fonds. Prenant en compte 229 œuvres, parmi lesquelles des ensembles conséquents revenant aux peintres les plus célèbres, Rembrandt (20), Frans Hals (11) ou Vermeer (5), il offre aussi une contribution passionnante pour l’histoire de la « fortune » des peintres des anciens Pays-Bas dans le Nouveau Monde [S. Loire].

12 – Matteo Civitali e il suo tempo. Pittori, scultori e orafi a Lucca nel tardo Quattrocento, Dario Cimorelli éd., (cat. expo., Lucques, Museo Nazionale di Villa Guinigi, 2004), Cinisello Balsamo, Silvana, 2004.

Cet excellent catalogue répare définitivement la relative défaveur dont Matteo Civitali pâtissait dans les études sur la sculpture et la peinture toscanes de la Renaissance. Il aborde la situation artistique de Lucques jusqu’à la rupture introduite par l’arrivée des pale de Francia et de Fra Bartolomeo [Ph. Sénéchal].

13 – Olga MEDVEDKOVA, Jean-Baptiste Alexandre Le Blond. Architecte 1679-1719. De Paris à Saint- Pétersbourg, Paris, Alain Baudry & Cie, 2007.

Non seulement cette monographie montre magistralement la carrière et l’apport de Le Blond à l’architecture et à l’art des jardins au XVIIIe siècle, mais elle ouvre des perspectives passionnantes sur la difficulté à faire naître un nouveau monde à Saint- Pétersbourg, tant les aspirations de Pierre le Grand et celles de son « architecte général » se mettaient à diverger [Ph. Sénéchal].

14 – Christian MICHEL, Le « célèbre Watteau », Genève, Droz, 2008.

Pourquoi Watteau a créé des chefs-d’œuvre ? Pour comprendre la particularité de Watteau, Christian Michel, dans une étude très fine sur la vie et l’œuvre de l’artiste (ces deux aspects étant très bien documentés dans la génération qui suivit la mort du peintre), s’appuie moins sur le mythe de l’artiste et les illusions d’une histoire de l’art peu critique que sur les témoignages des documents (il a ainsi retrouvé le brevet de réception de Watteau à l’Académie comme peintre d’histoire) et des œuvres et la notion d’horizon d’attente. L’artiste répond aux attentes d’un public cultivé mais sa peinture réussit également à modifier les attentes de l’expérience esthétique. Pour analyser les transformations de cette culture visuelle, l’auteur étudie la culture artistique et le métier de Watteau, son public et sa clientèle, les problèmes des genres littéraires et picturaux, les codes de représentation de la galanterie amoureuse. Sous une apparence

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classique, une nouvelle écriture de la monographie, qui dépasse la dialectique entre vie et œuvre… [O. Bonfait].

15 – Patrick MICHEL éd., Art français et art allemand au XVIIIe siècle. Regards croisés, (colloque, Paris, 2005), (Rencontres de l’École du Louvre), Paris, École du Louvre/La Documentation française, 2008.

Quinze communications abordant des thèmes très variés, offrant notamment une utile synthèse bibliographique sur un sujet qui se renouvelle [G. Scherf].

16 – Patrick MICHEL, Le commerce du tableau à Paris dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Acteurs et pratique, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2008.

L’étude du collectionnisme et du marché de l’art, en France au XVIIIe siècle, a suscité moins d’intérêt récemment que pour le siècle précédent, et cet ouvrage éclaire avec beaucoup de finesse les mécanismes du commerce des peintures, en prenant en compte la scène parisienne, qui en devient alors le lieu le plus actif en Europe. Très complet, il précise les cadres institutionnels de ce commerce avant d’en étudier les acteurs et les modalités : l’apparition de quelques grands marchands experts et l’essor considérables des ventes aux enchères accompagnées de catalogues détaillées sont deux des indices de son exceptionnel dynamisme [S. Loire]. Synthèse très attendue sur le sujet, qui suit les études de Guillaume Glorieux sur Gersaint (2002) et de JoLynn Edwards sur Paillet (1996), en attendant la publication (espérée) des travaux de Fabienne Camus sur Le Brun et du même Patrick Michel sur Rémy. Le panorama du réseau parisien liant au XVIIIe siècle artistes, marchands, experts et collectionneurs se dessine à présent de manière précise, comblant enfin un vide dans l’historiographie. Si l’ouvrage de Patrick Michel traite principalement du commerce du tableau et des amateurs de peintures, la richesse des informations qu’il propose va au- delà et doit intéresser bien d’autres spécialistes. C’était d’ailleurs aussi le cas du Patriotic Taste. Collecting Modern Art in Pre-Revolutionary Paris de Colin B. Bailey (New Haven/Londres, 2002) [G. Scherf].

17 – Lorenza MOCHI ONORI, Sebastian SCHÜTZE, Francesco SOLINAS éd., I Barberini e la cultura europea del Seicento (Atti del convegno internazionale. Palazzo Barberini alle Quatro Fontane, 7-11 dicembre 2004), (colloque, Rome, 2004), Rome, De Luca, 2007.

Rassemblant soixante contributions, les actes de cet important colloque offrent une synthèse de l’état des connaissances actuelle sur l’« ambiance » culturelle et artistique du pontificat du pape Urbain VIII (1623-1644), né Maffeo Barberini, et son rayonnement à Rome et dans l’Europe entière. Ces études prennent notamment en compte la figure du pape avant son élection, mais aussi celles de ses neveux et de certaines personnalités

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contemporaines, que ce soit pour leurs relations avec la papauté ou leurs propres activités liées au mécénat ou aux collections [S. Loire].

18 – Carmello OCCHIPINTI, Il disegno in Francia nella letteratura artistica del Cinquecento, Paris, INHA/Florence, S.P.E.S., 2003.

Le titre ne traduit pas exactement le contenu et l’ambition de ce livre remarquable. Partant d’un relevé et d’une analyse systématiques des termes liés aux arts du dessin dans les documents et les textes littéraires du XVIe siècle français (aussi bien les premiers dictionnaires que les poèmes de du Bellay), l’auteur dresse une remarquable étude de la formation d’un vocabulaire artistique et dessine un panorama sensible de la réception de l’art et de la théorie italienne à la cour de Fontainebleau. Différents chapitres (« Contorni, linéamenti, ichnographia », « sanguigna »…) ésquissent ainsi le langage de l’expérience, technique et pratique, de l’art à la cour de France et dans le milieu humaniste, mais la réflexion s’appuie aussi sur la pratique du dessin dans le chantier bellifontain. Un appendice constitué de nombreux textes peu connus ou difficilement consultables et un dictionnaire lexical de 150 pages complètent très utilement ce volume, qui est le premier de la collection Italia-Francia créée par l’INHA de Paris et SPES de Florence [O. Bonfait].

19 – Yves PAUWELS, Aux marges de la règle. Essai sur les ordres d’architecture à la Renaissance, Wavre, Mardaga, 2008.

L’ouvrage analyse la façon dont s’expriment la création et l’invention, dans le domaine fortement déterminé par une règle normative qu’est le vocabulaire architectural classique. Il montre comment, dans le système des ordres qui est au cœur de l’imitation de l’Antiquité en architecture, le composite ouvre un espace de liberté aux auteurs désirant s’émanciper d’un carcan trop rigide ou l’infléchir, dans une perspective nationale ou religieuse [J.-Ph. Garric].

20 – Nicholas PENNY, Eike D. SCHMIDT éd., Collecting Sculpture in Early Modern Europe, (Studies in the History of Art, 70), Washington, National Gallery of Art, Center for Advanced Study in the Visual Arts, 2008.

Gros volume comprenant vingt communications dont les sujets vont de l’Antiquité au XVIIIe siècle [G. Scherf].

21 – Bertrand PRÉVOST, La peinture en actes : gestes et manières dans l’Italie de la Renaissance, Arles, Actes Sud, 2007.

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On sait que selon la tradition classique, la peinture est une poésie muette, éloquente par une théorie du geste capable de faire parler les corps. Mais Bertrand Prévost n’analyse pas seulement cette théorie de l’art et science des gestes, incarnée par Alberti et Léonard de Vinci, il s’attache à retrouver une telle praxis et ses jeux visuels de la geste amoureuse ou du code de la danse à la sprezzatura dans Le Courtisan de Castiglione et va encore au-delà, à l’écoute du bruissement des gestes dans la peinture de Botticelli ou de Pollaiuolo, pour saisir la puissance du style et la peinture en actes [O. Bonfait].

22 – Joachim REES, Die Kultur des Amateurs. Studien zu Leben und Werk von Anne Claude Philippe de Thubières, Comte de Caylus (1692-1765), Weimar, Verlag und Datenbank für Geisteswissenschaften, 2006.

Très riche volume consacré au comte de Caylus, qui complète brillamment l’ouvrage publié en 2004 par Nicholas Cronk et Kris Peeters (Amsterdam/New York, 2004) [G. Scherf].

23 – Mickaël SZANTO, Le dessin ou la couleur ? Une exposition de peinture sous le règne de Louis XIV, Genève, Droz, 2008.

À partir d’une découverte importante (trois impressions différentes d’un livret d’une exposition de peintures et de sculptures qui s’était tenue à Paris en septembre 1683 et qui, bien que comportant plus de 150 numéros, était restée jusque-là totalement inédite), Michael Szanto retrace le milieu des collectionneurs et marchands qui ont pu soutenir une telle initiative, ses liens avec les premiers salons organisés par l’Académie royale, et les enjeux de cette présentation dans la discussion contemporaine sur les mérites respectifs du dessin et de la couleur. Les annexes comprennent les trois versions du catalogue et des entrées sur les tableaux cités. Une étude stimulante, qui montre comment un document n’est pas seulement un lot d’informations, mais aussi le support de la réflexion [O. Bonfait].

24 – Andrés ÚBEDA DE LOS COBOS, Luca Giordano y el Casón del Buen Retiro, Madrid, TF Editores, 2008.

De nouveau accessible après une longue restauration, le vaste décor à la gloire de la monarchie espagnole réalisé par Luca Giordano (1634-1705) sur la voûte du Casón del Buen Retiro (1697), l’un des plus ambitieux de ce genre qui ait été peint en Europe à la fin du XVIIe siècle, fait l’objet ici d’une étude très complète [S. Loire].

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25 – Richard WITTMAN, Architecture, Print Culture, and the Public Sphere in Eighteenth-Century France, New York/Londres, Routledge, 2007.

À partir d’un corpus renouvelé qui s’ouvre notamment à la presse périodique, l’auteur montre l’importance prise par l’imprimé dans le domaine de l’architecture pendant le XVIIIe siècle français. Il décrit l’émergence d’un public qui n’est plus désormais une communauté physiquement rassemblée autour d’un édifice, mais une société réunie par ses lectures. Les débats qui émergent alors, au-delà des arguments mobilisés, s’engagent sur le terrain du politique, en prenant l’aménagement de Paris comme une métaphore de la gouvernance du royaume. Les grands projets sont désormais discutés et critiqués à toutes les étapes de leur processus de création. L’imprimé d’architecture comme espace du débat s’affirme comme une finalité en soi [J.-Ph. Garric].

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Ouvrages reçus

1 – Barocco. Storia-Letteratura-Arte, numéro special, Varsovie, Neriton, 2005. – Barock. Geschichte-Literatur-Kunst. Deutsch-polnische Kulturkontakte im 16.-18. Jahrhundert, Sondernummer, Varsovie, Neriton, 2006. – Barok. Historia-Literatura-Sztuka. Rola rycin w kulturze staropolskiej, 27, Varsovie, Neriton, 2007.

Cette revue, fondée en 1994 par Janusz Pelc, traite des liens entre histoire, littérature et art à l’époque baroque. Le numéro de 2006, entièrement en allemand, comporte un dossier sur le protestantisme en Pologne et en Allemagne aux XVIe-XVIIIe siècles, et contient également un article sur l’urbanisme baroque et une vue du jardin de Charlottenburg de 1717 ; celui de 2007, en polonais, est consacré au rôle des arts graphiques dans la culture baroque. En 2005 fut édité un numéro spécial, entièrement en italien, qui inclut aussi bien des articles de chercheurs italiens sur l’art ou la littérature baroque que des contributions sur les échanges artistiques entre la Pologne et l’Italie à l’époque baroque (les palais à l’italienne en Pologne au XVIIe siècle, l’iconographie de la Transfiguration et l’influence de Raphaël, l’architecte Carlo Antonini) [O. Bonfait].

2 – Joana BARRETO et al. éd., Visible et lisible : confrontations et articulations du texte et de l’image, (colloque, Paris, 2006), Paris, Nouveau Monde éditions, 2007.

Actes d’un colloque qui fut une sympathique initiative pour réunir de jeunes docteurs ou doctorants autour du thème assez large des articulations entre le visible et le lisible. Préfaces, introduction et bibliographie ne peuvent cacher l’extrême diversité des sections et des communications : le rapport de l’artiste aux textes, du journal de Rosalba Carriera aux bibliothèques d’artistes ; l’échange entre le visible et l’invisible de la typographie à la Renaissance au collage de fragments de texte dans l’art du XXe siècle ; la nécessité du texte dans l’image, pour expliciter son sens ; le discours sur l’image [O. Bonfait].

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3 – Isabelle BODINO, Frédéric OGÉE éd., Jonathan Richardson, père et fils. Traité de la peinture et de la sculpture, Paris, ENSBA, 2008.

Sous le titre Traité de la peinture et de la sculpture furent en fait publiés à Amsterdam en 1728 quatre textes de Jonathan Richardson : l’Essai sur la théorie de la peinture, l’Essai sur l’art de critiquer le Discours sur la science d’un connaisseur ainsi que la Description de divers fameux tableaux, dessins et statues […] qui se trouvent en Italie, qui avaient été publiés en anglais en 1725 et dont la traduction avait été revue par Richardson père et fils et subi de substantiels allégements pour un public européen. Alors que les études sur l’art anglais se multiplient et que l’importance de Richardson et de son traité sont mieux comprises, la republication de cette traduction, précédée d’une utile introduction présentant l’auteur et ses écrits théoriques est plus que bienvenue. De plus, les éditeurs signalent les passages supprimés par Richardson entre la version anglaise et sa traduction française. Mais une telle entreprise mériterait un peu plus de soin : les pages de l’édition originale pourraient être reportées, et l’index moins fautif (de nombreux noms oubliés : Démosthène p. 126, Protogène, p. 146 ; nombreux décalage dans les renvois de page, absence d’index des œuvres…) [O. Bonfait].

4 – Joanna DARANOWSKA-LUKASZEWSKA, Andrzej Witko, Sztuka w sluzbie Zakonu Trójcy Šwietej. W siedemnastym i osiemnastym stuleciu, Varsovie, Instytut Sztuki Polskiej Akademii Nauk, 2002.

L’ouvrage traite de l’art dans l’ordre des Trinitaires (fondé en 1198 par saint Jean de Matha et spécialisé dans le rachat des esclaves) aux XVIIe et XVIIIe siècles. Si l’ordre n’eut pas une activité de mécénat très importante, ni une architecture particulière, il développa plus spécialement les thèmes iconographiques liés à la Trinité (du triangle à la représentation des trois personnages de la Trinité) et au rachat des esclaves. L’iconographie du saint fondateur (et plus modestement des autres saints de l’ordre, dont Felix de Valois et Simon de Rojas) fut également créée et diffusée par les Trinitaires. Les types de représentation sont essentiellement des visions, prises d’habit, reconnaissance de règles et miracle de l’hostie. Résumés en espagnol, italien et anglais [O. Bonfait].

5 – Dürer, Baldung Grien, Cranach l’Ancien. Collection du cabinet des estampes et des dessins, (cat. expo., Strasbourg, Palais Rohan, 2007-2008), Annie-Claire Haus éd., Strasbourg, Musées de Strasbourg, 2007.

Catalogue de l’exposition présentant 121 gravures de Dürer, Baldung Grien et Cranach l’Ancien, ainsi que deux dessins de Baldung Grien. Si le fonds est assez riche avec les gravures les plus célèbres, la présentation et les notices sont plutôt sommaires [O. Bonfait].

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6 – Grand Scale : Monumental Prints in the Age of Dürer and Titian, Larry Silver, Elizabeth Wyckoff éd., (cat. expo., Wellesley, Davis Museum and Cultural Center/New Haven, Yale University Art Gallery, 2008/Philadelphia, Philadelphia Museum of Art, 2009), Wellesley/New Haven/Londres, Davis Museum and Cultural Center/Yale University Press, 2008.

Exposition consacrée aux estampes de format monumental – la première depuis Riesenholzschnitte und Papiertapeten der Renaissance organisée en 1976 – incluant aussi bien des bois gravés que des burins et des eaux-fortes, de la fin du XVe siècle aux années 1630. Résultant d’une matrice de grand format ou de l’assemblage de plusieurs planches, ce type de production méconnu tentait de conquérir les dimensions et l’échelle alors atteintes par la peinture murale et la tapisserie (le cas le plus spectaculaire est celui de l’Arc triomphal de Maximilien Ier, 192 blocs, 357 x 295 cm). Divisé en cinq sections, le catalogue appréhende le phénomène sous ses différents aspects : les processions triomphales au XVIe siècle (Larry Silver) ; le phénomène de l’estampe monumentale en Italie – cartes et plans, batailles, triomphes – (Suzanne Boorsch) ; la fortune du Triomphe de César de 1504 à travers ses différentes éditions (Lilian Armstrong) ; le bois gravé en tant que décoration murale ‘wallpaper’, autour de Sebald Beham à Nuremberg (Alison Stewart) ; et les ensembles modulables de bois gravés – ensembles décoratifs et arches triomphales – (Stephen Goddard). Une cinquantaine d’estampes des écoles allemande, italienne, flamande et française sont présentées dans la suite de l’ouvrage avec un effort d’édition particulièrement remarquable [N. Harabasz].

7 – Joachim JACOBY, Bildform und Rechtsnorm. Raphael in der Stanza dell’Incendio im vatikanischen Palast, Munich, Deutscher Kunstverlag, 2007.

Après une analyse détaillée des différentes fresques de la Chambre de l’incendie, l’auteur traite de l’iconographie et de la fonction des pièces, du programme et du public, de la composition et du colo-ris, avant, dans un dernier chapitre, de conclure sur le style de Raphaël et ses sources [O. Bonfait].

8 – Jean-Pierre JACQUEMART, Architectures comtoises de la Renaissance, 1525-1636, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007.

Alternant chapitres sur l’évolution stylistique, les motifs architecturaux, les acteurs et les techniques de la construction, cette monographie classique donne une première vue d’ensemble de l’architecture dans l’ancien comté de Bourgogne, entre 1525 et 1636, entre le palais Granvelle de Besançon et l’hôtel-Dieu de Dole. Cette lente évolution d’une architecture liée à l’art des Flandres vers des formes plus classiques fut un instant mise en cause par deux œuvres maniéristes à l’ornementation fastueuse, dues

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au dijonnais Hugues Sambin, dont le couronnement du clocher de Dole, qui chuta lors du siège de la ville par les Français en 1636 [O. Bonfait].

9 – Andrzej KOZIEL, Angelus Silesius, Bernhard Rosa i Michael Willmann, czyli sztukai mistyka na Slasku w czasach baroku, Varsovie, Wydawn Uniwersytetu Wrocławskiego, 2006.

L’ouvrage traite de la mystique en Silésie à l’époque baroque et du rôle de l’image, à travers les figures d’Angelus Silesius ou de l’abbé cistercien Bernard Rosa, qui développa le culte de saint Joseph, et certaines thématiques comme le cycle de la Passion ou l’iconographie de la vision [O. Bonfait].

10 – Estelle LEUTRAT, Les débuts de la gravure sur cuivre en France. Lyon 1520-1565, Genève, Droz, 2007.

Si la gravure sur cuivre, apparue en France dans les premières décennies du XVIe siècle, se développe principalement au sein d’ateliers parisiens et bellifontains, le centre lyonnais se distingue dès les années 1520 par l’importance de sa production pour l’imprimerie. Le Maître JG (actif dès 1620), Georges Reverdy (actif de 1529 à 1564) et le Maître CC (actif de 1545 à 1555 environ) font chacun l’objet d’une étude monographique et d’un catalogue exhaustif, mettant ainsi à jour le corpus de trois des premiers burinistes français. Mais cet ouvrage, qui débute par un chapitre sur le milieu de l’orfèvrerie et de la gravure sur bois à Lyon, s’attache surtout à comprendre comment se construit un style pour la gravure, s’élabore un répertoire de compositions ornementales ou se crée une imagerie, par l’appropriation de modèles iconographiques. Il comble ainsi une importante lacune dans l’histoire de la gravure en France [N. Harabasz].

11 – Michèle PIRAZZOLI-T’SERSTEVENS, Anne KERLAN-STEPHENS éd., Autour des collections d’art en Chine au XVIIIe siècle, (colloque, Paris, 2006), Paris, Droz, 2008.

Publication intelligente de journées d’études qui s’étaient tenues à l’INHA en juin 2006. Celles-ci avaient permis à la fois de faire le point sur les collections chinoises au XVIIIe siècle, alors que sous la dynastie des Qing des familles de riches marchands réussissaient à s’imposer parmi les élites à côté des classes lettrées traditionnelles et que les collections impériales connaissaient un âge d’or, et, lors des débats qui sont retranscrits, de tenter des comparaisons avec les pratiques du collectionnisme en Occident. Les contributions sont regroupées autour de quatre thèmes principaux : l’impact de la collection impériale et l’accès aux collections ; les catalogues de collectionneurs et la publicité des collections ; le commerce des objets, entre le marchand, l’artiste et le collectionneur ; les représentations des collections [O. Bonfait].

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12 – Politico 5. Studi della Scuola di Specializzazione e del Dottorato di Ricerca in Storia delle Arti dell’Università di Pisa, Pise, Edizioni Plus, 2008.

Le numéro 5 de cette revue éditée par le département d’histoire de l’art de l’Université de Pise est aussi riche que les précédents, avec notamment une étude sur L’allégorie de Pan de Dosso Dossi et ses liens avec Le songe de Poliphile (R. Pastore), une autre sur les objets en verre dans les natures mortes romaines du XVIIe siècle (M. G. Tagliavini) ou encore sur l’iconographie du guerrier chez Duilio Ciambellotti (N. Marchioni). Le patrimoine de la région n’est pas oublié, avec un article sur Le Christ bénissant de Fra Angelico conservé à Pise (G. de Simone) et un autre sur les fresques de Soldani (1844) à la villa Maffei près de Volterra (S. Pagnin). Signalons enfin, pour les lecteurs français, un essai sur le décor de Réattu pour transformer l’église des prêcheurs de Marseille en temple de la Raison (K. Quinci) [O. Bonfait].

13 – Pierre VAISSE, Reître ou chevalier ? Dürer et l’idéologie allemande, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2006.

Ce texte court, stimulant et très critique envers une histoire de l’art trop interprétative, s’articule en deux parties. Dans la première, Pierre Vaisse retrace la réception de la gravure Le Chevalier, la mort et le diable (1513) dans l’historiographie et l’idéologie allemande des Lumières à nos jours, de Nietzsche à Gombrich en passant par Panofsky. Dans la seconde, il détruit les interprétations proposées du brigand ou du miles christianus (mais aussi les lectures trop formelles de l’œuvre) et, revenant à la désignation du personnage par Dürer comme un Reutter, identifie le personnage à un reître, soit un simple mercenaire. Heureusement, une œuvre vit de sa propre poïétique, et non simplement de l’érudition historique [O. Bonfait].

14 – Lucien VINCIGUERRA, Archéologie de la Perspective : sur Piero della Francesca, Vinci et Dürer, Paris, Presses universitaires de France, 2007.

En marge d’une lecture traditionnelle de l’histoire de la perspective, même comme forme symbolique, qui se limite au degré de perfection de la construction ou du système unifié du dispositif perspectif mettant en place un certain lien entre la représentation et l’espace, cet ouvrage, dû à un philosophe, s’attache, à travers les exemples de Piero della Francesca, Léonard et Dürer, à moins considérer la perspective comme « une machine, qui conjugue et attache ensemble le visible et la vision, les surfaces des choses et celles du tableau, le langage et ses pouvoirs, […] le spectateur et la main du peintre » [O. Bonfait].

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XIXe siècle

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XIXe siècle

Débat

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Pour un autre XIXe siècle : l’Ottocento

Giovanna Capitelli, Stefano Grandesso, Fernando Mazzocca et Sandra Pinto

NOTE DE L’ÉDITEUR

Ce débat a eu lieu lors d’une rencontre à Rome le 26 juin 2008, à l’occasion du colloque La pittura di storia negli stati preunitari italiani. L’édition de ce débat doit beaucoup à Matteo Lafranconi.

ERRATA

Dans l’intervention de Sandra Pinto, Perspective, ayant souhaité préciser le prénom et les dates de l’historien de l’architecture Pevsner, l’a identifié par mégarde avec Anton Pevsner (1886-1962) ; il s’agit naturellement de Nikolaus Pevsner (1902-1983). Nous prions Sandra Pinto et les lecteurs de bien vouloir nous en excuser. L’erreur est présente dans le fac-similé, mais la version ci-dessous a été corrigée.

1 Après la redécouverte du maniérisme, qui est venu mettre en cause le modèle téléologique de Vasari d’une généalogie artistique tendant à une fin précise, sont venues celles du XVIIe siècle, puis du XIXe « académique » et dans certains cas du XVIIIe siècle… On peut, certes, critiquer ces multiples récupérations qui se sont succédées, à un rythme toujours plus rapide, depuis une cinquantaine d’années car elles risquent de conduire à une certaine anomie comparable à celle de la production artistique telle qu’elle fut analysée par Pierre Bourdieu, ou à une attitude post-moderne de relativisme plus ou moins absolu.

2 Récupération : le mot n’est pas trop fort. Il faut souligner combien ces renouveaux d’intérêt pour des périodes ou des courants artistiques totalement négligés furent d’abord des opérations d’exhumation, de sauvetage, de conservation et de présentation d’un matériel artistique qui était laissé dans un état de total abandon et risquait de

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disparaître à jamais. L’historien de l’art – André Chastel l’avait justement souligné – est d’abord un conservateur : il a pour rôle de sauver (et de faire vivre) un patrimoine.

3 Mais il est aussi un formidable révolutionnaire qui, par ses interrogations, bouleverse les idées reçues, les vulgates faciles, l’histoire autorisée. Ces enquêtes éprouvaient d’autres parcours, au moment même où l’histoire sociale de l’art ouvrait d’autres chantiers, et où le discours dominant d’une histoire fondée sur le mythe de l’artiste (et le discours monographique qu’il suscite) fut éclaté par les sciences humaines. D’autres histoires de l’art devenaient alors possibles.

4 Parmi toutes ces redécouvertes, celle du XIXe siècle, dit en italien l’Ottocento, qualifié d’académique, de « pompier », fut certainement plus difficile à opérer que celle du classicisme, dont une partie du siècle partage pourtant les valeurs. Bien plus critiquée aussi, parce qu’elle critiquait le mythe moderniste d’une autonomisation croissante de l’art qui devrait aboutir à l’art abstrait et l’utopie de l’art pour l’art, un discours colporté par les médias. Aussi sans doute parce que ce siècle, par les institutions, les régimes politiques et les États qu’il a mis en place, nous est actuel. Elle pouvait être vécue comme une réaction (et le fut parfois), notamment en France ; elle suscita bien des équivoques, pour reprendre le titre d’une exposition1, des débats passionnants et passionnés.

5 Une récupération plus complexe aussi, car elle contredit une géographie traditionnelle de l’art du XIXe siècle, pendant longtemps fondée sur la primauté absolue des mouvements qui se succédèrent en France, du romantisme à l’impressionnisme et l’art abstrait. Dans certains pays, comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne, elle coïncidait avec des interrogations sur les développements des arts et les problèmes d’identité nationale, autour de grandes figures, de médiums privilégiés (l’estampe et la caricature pour l’Angleterre …)2, de courants philosophiques ou spirituels3.

6 Dans l’Italie riche d’une longue tradition artistique, l’Ottocento pouvait sembler juste l’ultime rejeton d’une histoire grandiose qui remonte à Raphaël en passant par les Carrache, et sa rédécouverte par le grand public peu probable. Le succès de l’exposition Da Canova al Quarto Stato aux Scuderie del Quirinale4, préparé par une longue série de recherches, de publications et d’expositions, prouve qu’il n’en est rien. Il a semblé intéressant de revenir sur les modalités de cette récupération (plus, on va le voir, qu’une simple redécouverte), avec quelques-uns de ses acteurs et promoteurs [O. B.].

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Perspective. Pour un œil étranger, le renouveau d’intérêt pour l’Ottocento italien, qui se manifeste à la fois par des expositions grand public et des publications scientifiques, s’insère dans un contexte chronologique européen, mais d’une manière originale. En effet, ce « revival » est évident, surtout à partir des années 1980, avec, par exemple, les expositions Pelagio Palagi artista e collezionista5, ou Cultura figurativa e architettonica negli Stati del Re di Sardegna 1773-18616, ou les Nazareni a Roma7, soit à peu près au même moment que les redécouvertes du XIXe siècle académique français (l’exposition sur les frères Flandrin a eu lieu à Paris en 19858), anglais ou allemand. Pourtant, l’histoire de cette redécouverte semble différente. Elle est moins la réévaluation d’un certain courant artistique contre une modernité toujours révolutionnaire, comme en France9, ou l’intérêt porté à la naissance et au développement d’une école nationale, comme dans d’autres pays européens que, semble-t-il, la prolongation d’autres découvertes,

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comme celle du Seicento dans les années 1960, et du Settecento, durant la décennie 1970. Êtes-vous d’accord avec cette interprétation, peut-être un peu trop panoramique ? Sandra Pinto. La progression chronologique du regain d’intérêt pour les XVIIe et XVIIIe siècles correspond certainement à celle qui vient d’être définie. Il s’agit, « simplement », de nouvelles interprétations visant à leur revalorisation. Pour l’ Ottocento, en revanche, les choses sont plus complexes. Faire débuter l’histoire des études modernes en 1980 ou même en 1976 – date importante seulement parce qu’intermédiaire – est une erreur historique. L’Ottocento a dû – dans un premier temps – être exhumé, reconstruit jusque dans ses fondements, et ceci a été fait et est encore fait de diverses façons, comme, du reste, ailleurs en Europe, et constitue une revanche nationale, un remède à l’épuration moderniste, un réajustement du système historiciste. De plus, je veux rappeler le soutien fondamental, aussi au niveau politique, que furent pour nous, pionniers dans ces recherches, les expositions parisiennes que nous avons visitées en groupe : Le Musée du Luxembourg en 1874 et De David à Delacroix10, après lesquelles les polémiques dans les universités italiennes commencèrent à s’apaiser. Les autres pays européens et américains s’y sont intéressés à ce moment, mais n’oublions pas que, à l’étranger, des historiens comme Hugh Honour11 ou Francis Haskell (1928-2000) et, sur un autre plan, le marché anglo- saxon (surtout Colnaghi, mais aussi Sotheby’s et Christie’s) étaient « concernés » déjà au début des années 1970. C’est toutefois encore plus tôt, vers la fin des années 1950, que l’on s’est aperçu que l’histoire de l’Ottocento restait encore à écrire si nous ne voulions pas errer au sein d’une tradition de critique d’art pseudo-moderne, méthodologiquement superficielle et fondée sur des positions historiques modernistes et idéalistes a priori négatives (Roberto Longhi [1890-1970], Lionello Venturi [1885-1961]). La première étude réellement historique, d’empreinte sociologique, marxiste, de Corrado Maltese (1921-2001) remonte à 1960 et demeure aujourd’hui la première et unique tentative d’inscrire dans l’histoire – pour la période allant de la Révolution française à la chute du fascisme et du nazisme – le cours de l’art italien, du Serment des Horaces de David, exécuté à Rome en 1784, à la Crucifixion de Renato Guttuso, peint en 1941, suivant justement l’optique marxiste12. Tout au long des années 1960, cependant, des historiens plus jeunes des meilleures universités italiennes s’ouvraient à de nouvelles approches, comme la phénoménologie husserlienne, l’anthropologie structurale à la Lévi-Strauss, le nouveau type d’enquêtes sur le terrain ou une histoire archéologique des objets (Ranuccio Bianchi Bandinelli [1900-1975]13). À la Galleria nazionale d’arte moderna de Rome, un catalogage complet du patrimoine peint et sculpté des XIXe et XXe siècles fut lancé. Le point de départ indispensable de ce travail a alors été la mise en place d’une philologie reposant sur l’histoire des objets et la collecte systématique des sources et documents d’époque, en particulier la presse périodique. Pour les chercheurs, l’œuvre d’art perdait temporairement son intérêt du point de vue de ses qualités intrinsèques, l’artiste n’importait plus pour sa comparaison avec ses contemporains, ses maîtres et ses élèves. Pour chaque objet, pour chaque figure, il convenait de mener une enquête méthodologiquement unitaire et reconstructive sans le souci de certifier une valeur spécifique : honneur à la démocratie, anathème au marché et aux faux connaisseurs.

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Perspective. Une connaissance du terrain, des œuvres, avant une reconnaissance ? Sandra Pinto. Pas exactement. Je crois – mais peut-être à tort – qu’en France, « revival » signifie principalement un renouveau des études sur une personnalité artistique, comme Palagi, ou les Flandrin. En Italie, ce qui a été essentiel et fondamental c’est la récupération d’une période avec tous ses aspects oubliés ou disparus ; et cette récupération consiste en la réémergence de matériaux, le renouveau des enquêtes et la reconnaissance de l’intérêt de cet ensemble. Au début des années 1970, les premiers résultats systématiques de l’exposition de 1972 à Florence14, exactement comme l’exposition de Londres The Age of Neo-classicism15 qui avait lieu au même moment, étendaient la rétrospective sur toute la longueur d’onde du néoclassicisme, et allaient jusqu’à la crise de l’Académie à la fin des années 1850, crise rendue plus nette en Italie par la guerre de 1859-1860 et la création du royaume d’Italie. L’exposition de Florence avait trois éléments porteurs : l’étude des fonds des imprimés et périodiques, comme le faisaient parallèlement Paola Barocchi (au niveau national, avec les premières anthologies de Testimonianze e polemiche figurative16) et Carlo Del Bravo (qui, dans le milieu toscan, faisait répertorier par des étudiants la presse florentine et, parallèlement, la sculpture funéraire dans le cimetière non- catholique et, surtout, dans le cloître de Santa Croce, où elle risquait d’être détruite par les réaménagements) ; les dépouillements des archives de la maison de Lorraine, à la tête du Grand-Duché depuis 1737, avec les inventaires des résidences, et les archives de la direction des musées ; l’ouverture des douze premières salles (période Lorraine) de la section Ottocento du palais Pitti. L’ostracisme s’achevait, la « Sfortuna dell’Accademia » prenait fin. Tout au long de la décennie, parallèlement à la situation florentine où, sans aucune pause, on se lançait dans la restauration du Museo Sabaudo du palais Pitti dans son aspect de 1911 et le sauvetage d’autres catégories de biens comme la gypsothèque de Lorenzo Bartolini (1777-1850) et celle de Giovanni Dupré (1817-1882) à Fiesole, un même état d’esprit – pour autant que cela soit possible dans notre pays avec ses fractionnements administratifs, financiers, de politique culturelle – permettait de développer une série de chantiers de recherches universitaires et de restaurations de collections du XIXe siècle à Pise (avec la Scuola normale), Gênes, Turin, Milan, Parme, Venise. Sur le plan international, Hugh Honour et John Fleming (1919-2001) ne furent plus les seuls à manifester un intérêt pour la sculpture, qui retint aussi l’attention, toujours dans les années 1970, de Horst Woldemar Janson (1913-1982)17 et John Kenworthy-Browne 18 (ce sont les premiers noms qui me viennent en tête). Le phénomène culturel de l’Ottocento exerca également une attraction sur les invités de Paola Barocchi à Pise, de Francis Haskell à Enrico Castelnuovo. Stefano Grandesso. Parmi les moments-phares évoqués par Sandra Pinto, il me semble que l’on doit prendre en considération un événement fondamental pour la redécouverte de l’Ottocento dit académique : il s’agit du travail de restauration et de présentation muséographique. Ceci grâce au travail pionnier de réorganisation des collections effectué par Sandra Pinto dans le cadre de l’exposition Cultura neoclassica e romantica nella Toscana granducale (plus connue sous le titre de couverture : La Sfortuna dell’Accademia), suivie en 1973 par Romanticismo storico19. Ces expositions confirmaient, à travers le dépouillement systématique des sources, la fortune académique du romantisme dans la peinture d’histoire (dans la majeure partie des États de l’Italie pré-unitaire), et furent suivies par d’autres expositions (Mostra dei maestri di Brera, à

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Milan en 1975 ; Venezia nell’età di Canova, à Venise en 1978, et Cultura figurativa, à Turin en 198020). Parallèlement à cette récupération qui fut aussi une mise au jour des objets (des centaines d’œuvres, issues des réserves et des dépôts), on en retrouvait la signification, dépassant les a priori intellectuels, à travers l’examen des sources archivistiques, littéraires et historiques. La méthode employée par Paola Barocchi pour l’étude de la littérature artistique du Cinquecento, appliquée à l’Ottocento à partir de Testimonianze e polemiche figurative de 1972 déjà cité, jusqu’aux volumes plus récents de la Storia moderna dell’arte21, permettaient de confronter les œuvres en tant que document, avec leur fortune critique, et de les placer dans le contexte du débat artistique de l’époque, à l’intérieur de thématiques fondamentales comme « le beau idéal », le primat d’Antonio Canova et de la sculpture, le « beau naturel », la question de la peinture d’histoire romantique, le rôle des académies, le purisme et la révision de sources visuelles du passé telles que les œuvres des « primitifs ». Sandra Pinto. Il me semble que l’on doit mettre ici en évidence un autre signe précoce de la redécouverte de l’Académie, assez important bien qu’encore dans une lecture « moderniste » : Giulio Carlo Argan (1909-1992) et ses cours sur les Lumières et le néoclassicisme à l’université de Rome – à cheval entre les années 1960 et 1970 il me semble. Si je ne me trompe pas, il partait de Nikolaus Pevsner (1902-1983) avec la naissance des Académies, ensuite Joshua Reynolds (1723-1792) et la Royal Academy de Londres, et arrivait enfin à Canova22… Fernando Mazzocca. À mon avis, cette redécouverte du néoclassicisme, selon Argan, avait une forte connotation idéologique et littéraire et s’inscrivait un peu dans la lignée d’Ugo Foscolo (1778-1827) et Vincenzo Monti (1754-1828). Il s’agit d’un caractère spécifique de notre culture académique. Dans l’exposition de 1978 sur Canova, il y eut aussi un retour vers les sources, et toujours dans le cadre d’une harmonie intellectuelle entre homme de lettres et historiens de l’art. Parmi eux se trouvait un Anglais présent en Italie, Hugh Honour, qui alors, avec son compagnon, John Fleming, montrait l’intérêt des études sur la commande, le collectionnisme et le marché de l’art de l’Italie du Risorgimento23, et l’homme de lettres Giovanni Venturi, qui s’occupait de la redécouverte de la personnalité de Leopoldo Cicognara (1767-1834), fondamentale pour Canova24. Donc, grâce au dialogue entre les historiens de l’art et les hommes de lettres, Argan et Venturi, Cicognara, auteur de la Storia della scultura25, fut remis à l’honneur ; il fut étudié aussi pour son importance pour Canova par Michela di Macco26 et pour ses liens avec Antoine Quatremère de Quincy (1755-1849) par Maria Grazia Messina27. Il y eut enfin, grâce à Francis Haskell et à son amitié avec Paola Barocchi et Hugh Honour, en Italie, à la Scuola normale de Pise, le développement d’une histoire sociale de l’art qui fut à la base de la réhabilitation de l’ Ottocento. Pour résumer, les deux redécouvertes, celle du néoclassicisme et de l’ Ottocento, ont eu lieu sous deux impulsions différentes. En ce qui concerne l’Ottocento, je crois que l’histoire sociale y a contribué pour beaucoup, en bien et en mal. Giovanna Capitelli. Bien d’accord. Par ailleurs, il me semble que le tournant culturel d’une nouvelle prise en compte du territoire qui, dans notre péninsule, marqua profondément les années 1970 et qui se déclina également en une vision moins canonique de l’histoire de l’art, a influé sur la redécouverte de la culture artistique de l’Ottocento italien (il paraît peut-être banal de le rappeler mais ces années 1970 semblent déjà à des années lumières !). Même si ce n’était sans doute pas leur but premier, les enquêtes sur le patrimoine et les contextes territoriaux par la

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géographie artistique ont été profitables aux recherches sur l’Ottocento, comme à celles sur le second Settecento. Nous ne devons pas oublier que l’histoire de l’art des années 1970 considérait les problèmes de « centre » et de « périphérie » comme fondamentaux, ce qui a permis de reconsidérer l’art de l’Ottocento. Il ne faut pas non plus sous-évaluer le fait que la reconstitution de nombreuses personnalités de l’ Ottocento italien s’est vraisemblablement faite sous l’impulsion des communes de naissance des artistes, selon le mécanisme classique, et bien souvent efficace de la gloire de l’artiste local célébré dans sa patrie d’origine. Je pense en particulier au cas exemplaire des magnifiques volumes traitant de l’art à Bergame, qui contribuèrent à retracer les profils d’artistes tels que Giuseppe Diotti (1779-1816), Francesco Coghetti (1802-1875) ou Enrico Scuri (1806-1884), protagonistes de l’Académie bergamasque et de la culture lombarde28. Sandra Pinto. Giovanna Capitelli, avec les outils de centre et périphérie nous renvoie au climat intellectuel de la Storia dell’Arte Einaudi et à l’essai d’Enrico Castelnuovo paru dans le premier volume méthodologique de 197929. En ce qui me concerne, cette phase s’est achevée avec l’essai de 1982 (mes compagnons dans cette aventure de la Storia dell’arte italiana chez Einaudi furent Maria Mimita Lamberti et Ettore Spalletti) visant à retracer, sous le profil institutionnel, l’encouragement aux Beaux-Arts tout au long d’un grand siècle qui va de la mise en place des États italiens après 1748 à l’Unité de l’Italie30. Pour le XIXe siècle, la recherche sur l’art de cour dans les résidences de Savoie et sur la promotion par l’État de l’art contemporain à partir de la création de la Galleria d’Arte moderna en 1883, s’est ensuite développée de Turin à Rome avec des chercheurs particulièrement expérimentés (Michela di Macco, Maria Grazia Messina, Rosanna Maggio Serra, Paola Astrua, Cristina Mossetti, Carlo Sisi, Caterina Bon Valsassina, Gianna Piantoni, Stefano Susinno, Elena di Majo, Barbara Cinelli, Flavio Fergonzi, Matteo Lafranconi), avec une orientation plus spécifique sur la recherche des causes, de la modalité et des effets dans les domaines opposés de la modernité et du post-modernisme, de l’institutionnalisme et du libéralisme.

Perspective. Comment expliquer ce refus de prendre en compte l’Ottocento ? Y a-t-il des différences avec la situation française dans les modalités de sa redécouverte ? Fernando Mazzocca. Ce refus global ne venait pas seulement des disciples d’Argan mais aussi d’une partie de la Scuola normale de Pise et d’autres milieux, comme ceux qui réunissaient alors les derniers partisans de Longhi. Le seul qui se soit, en un certain sens, libéré de ces préjugés fut Enrico Castelnuovo, bien qu’il fasse partie des héritiers de Longhi. On ne doit pas oublier qu’il fut l’un des instigateurs, avec Marco Rosci, de la grande exposition sur la Cultura figurativa architettonica negli Stati del Re di Sardegna (1773-1861)31 qui fut, jusque dans son parcours, une exposition de rupture et qui peut d’une certaine manière représenter une anticipation de Maestà di Roma (Rome, 2003) ; (voir tableau)32.

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Tableau comparatif des sommaires de Cultura figurativa…, Turin, 1980 et de Maestà di Roma, I, Universale ed Eterna, Rome, 2003.

Maestà di Roma, da Napoleone all’unità d’Italia. Cultura figurativa e architettonica negli Stati del Universale ed Eterna, Capitale delle Arti, Rome, Re di Sardegna : 1773-1861, Turin, 1980 2003

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SAGGI DI APERTURA

Ancien régime (Palazzo Reale) Arte a Roma in epoca moderna. Il modello storiografico di Stefano Susinno

La maestà di Roma alla fine del potere temporale Periodo francese Tra antico e moderno. La cultura romana nel

primo Ottocento. Restaurazione Trame e percorsi della vita musicale Simboli della restaurazione

Effigi dinastiche CATALOGO Una residenza estiva di Carlo Felice : il Castello Universale ed Eterna (Scuderie del Quirinale) di Govone I. L’immage classica e cristiana della città eterna La Reale Accademia delle Belle Arti II. Il primato della scultura : Canova e Il Regio Museo Egizio Thorvaldsen Il gusto neogotico III. Un Parnaso capitolino : la mostra del Hautecombe, sacrario della dinastia sabauda Campidoglio del 1809 Ricostruzione del soffito del Salone della Guardia IV. Le arti e la storia davanti a Roma Svizzera in Palazzo Reale V. Il programma cesareo del Quirinale Immagini di Hautecombe VI. La Restaurazione cattolica e il rinnovato L’iconografia di Carlo Alberto sentimento religioso Gusto private di Carlo Alberto VII. Omaggi inglesi La Reale Accademia Albertina VIII. La ‘naturale’nobiltà e bellezza del popolo La Pnacoteca dell’Accademia Albertina romano La Giunta di Antichità e Belle Arti IX. Temi anacreontici L’Armeria Reale X. Roma 1849 La committenza reale XI. Icône del culto in difesa dell’identità anti- La committenza della regina vedova Maria moderna Cristina XII « Riapparizione poetica di Roma » La committenza di Carlo Alberto e la pittura del romanticismo storico Capitale delle arti – (Galleria Nazionale d’Arte) Rittrati illustri e dinastici nella Galleria del I. L’educazione accademica Daniele, ritratti storici nella Sala del Caffè II. Il ritratto dell’artista Pittura storica sabauda nella sala del Caffè III. I topoi della pittura di genere Il contributo nazionale alla politica artistica IV. Pinxit Romae : la pittura di storia sabauda : Hayez, Arienti e Podesti V. Di fronte al paesaggio classico : persistenze e Sala delle Guardie del Corpo alternative Pelagio Palagi in Palazzo Reale VI. Da Oriente a Occidente : nuovi protagonisti Il « gentil sesso » sulla scena romana Educazione artistica dei principi VII. More Romano : sovrani e principi, La collezione Ferrero committenti e collezionisti Litografia ed editoria illustrata nel Piemonte VIII. Roma cosmopolita : galleria di ritratti della restaurazione IX. La scuola e lo studio Incunaboli litografici X. Edificare sul passato Riproduzione figurativa XI. L’emporio artistico Viaggi pittoreschi

Illustrazione storico-romanzesca SAGGI DI CHIUSURA Illustrazione di genere Roma “emporio dell’arte” Perspective, 2 | 2008 Illustrazione devozionale ed educative Roma fuori di Roma Uomini illustri e propaganda sabauda Oriente e filellenismo APPARATI Il romanzo illustrato a dispense Diario di Roma 162

Sandra Pinto. Je souhaiterais ajouter deux remarques : durant l’année 1980, à côté de l’exposition Cultura figurativa, l’exposition Civiltà del Settecento a Napoli33 fut également méthodologiquement exemplaire, y compris pour les études sur l’ Ottocento. Ensuite, Castelnuovo, à cette période notamment, était beaucoup plus tourné vers l’histoire sociale anglo-saxone, vers la « nouvelle histoire » et vers les « nouvelles » histoires en générale, que vers Longhi. Fernando Mazzocca. À ce propos, une autre figure doit être mentionnée parmi les référents de ces études : Robert Rosenblum (1927-2006). Certes, il ne fut pas aussi présent en Italie que Haskell et Honour, si ce n’est par la diffusion éditoriale de ses écrits. Mais en Italie, un livre tel que Transformations in Late Eighteenth Century Art34, c’est-à-dire un ouvrage qui affronterait et éclairerait les problèmes de la transition de la culture néoclassique à celle du romantisme a manqué. N’oublions pas que le livre de Rosenblum reposait sur la connaissance de tableaux délaissés dans les musées de province français. Cette opération a pu se faire en France, menée par une personne qui a été épaulée par de nombreuses autres ; en Italie, tout s’est passé par secteur : chacun a mis au jour du matériel, qui à Brera, qui dans telle ou telle province, sans grande coordination. Sandra Pinto. Je ne suis pas certaine d’être complètement d’accord. La France est la France : elle n’est pas unitaire grâce à Rosenblum, mais Rosenblum a trouvé, bien qu’éparpillé sur le territoire, un matériel homogène à l’échelle de la nation ; en Italie, au-delà de la division des institutions et du cloisonnement des chercheurs propres à notre époque, les matériaux sont à l’image du pays, différents selon les États qui se constituaient alors. Comme je le disais plus tôt, je trouve que ce fut une belle coïncidence, signe de la maturité de la réflexion, qu’en une décennie – celle des années 1970 – beaucoup d’études aient vu le jour sur les académies, les expositions et la critique, même si chacune avait sa propre logique et même si, par la suite, leur nombre grandira de même que s’approfondira la recherche de sens ou de signification.

Perspective. De l’exposition de Brera de 1975 à la présentation actuelle des peintres du XIXe siècle dans les galeries de l’Accademia à Florence, juste à coté des Michel-Ange ou des primitifs, en passant par l’actuelle exposition Antonio Basoli à l’Accademia di Belle Arti de Bologne35, les Académies semblent avoir joué un rôle important dans ce renouveau d’intérêt pour le XIXe siècle, tout à la fois comme institution pour en écrire une histoire institutionnelle et sociale, comme pôle où s’est construite cette histoire visuelle et comme lieu où est conservé ce patrimoine artistique. Fernando Mazzocca. Seulement en partie ! Par exemple, l’Académie de Brera, de manière un peu confuse, a joué un rôle, à travers l’exposition de 1975, quelles qu’en soient les limites36, puis celle sur Francesco Hayez (1791-1882)37, qui n’a pas seulement constitué une redécouverte des tableaux de Brera, mais aussi de documents, de la bibliothèque de l’artiste et de celle de l’Académie, c’est-à-dire des outils fondamentaux pour le peintre d’histoire. La contribution des étudiants qui étaient alors à l’Académie fut un peu passive, bien qu’elle ait eu tout de même une certaine importance. Ce fut le préliminaire à la redécouverte du matériel graphique dans laquelle l’Académie a joué un rôle à l’époque et qui est aujourd’hui bien avancée, même si, dans l’attente de la réalisation du projet Grande Brera, il n’y a pas eu de

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traduction muséographique de cette opération, à la différence de la Galleria dell’Accademia de Florence ou de l’Accademia di Belle Arti de Naples ou de l’Accadémia Ligustica di Belle Arti de Gênes ou de l’Albertina de Turin, paradoxalement. Giovanna Capitelli. Il y a au moins le catalogue que tu as dirigé 38. L’Accademia di Belle Arti de Pérouse a également préservé et étudié sa collection de peintures et de dessins39, et celle de Naples est en train de suivre cette direction (la galerie de peinture fait désormais partie du circuit des musées). À l’Accademia di San Luca à Rome, il reste encore beaucoup à faire, mais les signaux sont positifs. Sandra Pinto. Il convient de rappeler aussi l’intérêt d’Andrea Emiliani, et d’autres chercheurs, pour l’histoire institutionnelle des Académies, notamment pour le Settecento. Fernando Mazzocca. En réalité, avant même la redécouverte de Canova dont nous avons parlé, la première personne qui a travaillé sur les problèmes liés à l’Académie et a publié son matériel de recherche a été la directrice de l’Académie de Venise, Elena Bassi, dans les années 1940. Donc les académies n’étaient pas si passives que cela. Sandra Pinto. Certes Elena Bassi n’était sûrement pas passive, elle a même été, au contraire, une travailleuse infatigable. Cependant, s’il existe un exemple d’approche critique à repousser sans hésitation, c’est celle d’Elena Bassi (pour qui le seul Canova valable est le Canova « poétique » des bozzetti et de la peinture, surtout de celle qu’il n’a pas réalisée !) ou de Cesare Brandi.

Perspective. Dans cette redécouverte de l’Ottocento, un Français est frappé par l’importance fondamentale de la sculpture, grâce à la célébrité européenne des deux grands artistes œuvrant à Rome au début du XIXe siècle, Canova et Thorvaldsen, à cause de la production importante d’œuvres principalement destinés à l’exportation, notamment en Amérique et peut-être aussi parce que la sculpture a joué un rôle d’art-guide dans cet art issu des académies… Stefano Grandesso. Pour le rôle de la sculpture, les études fondamentales de Honour ont permis de comprendre la position absolument centrale de Canova, peut-être plus encore que de David, dans la culture européenne. Après les contributions de Hartmann40, l’exposition sur Bertel Thorvaldsen (1770-1884), à Rome, en 198941, a non seulement fait connaître au public l’émule et le rival de Canova, mais aussi permis de concevoir sur des bases nouvelles l’étude des communautés d’artistes étrangers à Rome et, à travers l’enseignement de Thorvaldsen, de la grande époque de la sculpture classique à la Restauration. Pour l’étude de cette période, il me semble que certains problèmes dérivent encore aujourd’hui du long désintérêt dont a souffert la sculpture académique du XIXe siècle et du fait que les sculpteurs opérant à Rome travaillaient souvent pour des commanditaires étrangers, avec pour conséquence la dispersion immédiate, dès l’origine, de nombreuses œuvres. Ces deux facteurs ont contribué, à l’époque, à l’absence de collectionnisme, qu’il soit d’État ou privé. À l’exception des gypsothèques d’Adamo Tadolini (1788-1868) et de Pietro Tenerani (1789-1869), actuellement conservées à Rome – la seconde étant démontée et en restauration – il n’existe donc aucun musée qui témoigne correctement de la sculpture romaine du XIXe siècle, à l’inverse bien présente dans les collections

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étrangères, publiques comme celle de l’Ermitage, ou privée, comme la Devonshire Collection à Chatsworth. Giovanna Capitelli. Ce constat ne se limite pas uniquement à la sculpture romaine. Disons la vérité, en Italie, les institutions muséales capables de restituer au public la richesse de la pratique artistique de l’Ottocento se comptaient vraiment sur les doigts d’une main ! À cela s’ajoute le mauvais état de conservation des œuvres publiques encore in situ, ce qui ne facilite pas leur compréhension. C’est notamment le cas des sculptures exposées sur les places, dans les cimetières et les parcs, et jusqu’à celles situées dans les églises. Sur le plan des collections muséales et de la valorisation de la sculpture de l’Ottocento, l’Italie accuse un réel retard et part de loin, notamment en comparaison des autres pays européens. Je pense par exemple à la magnifique collection de sculptures prussiennes exposée à Berlin dans la Friedrichwerdersche Kirche, majoritairement composée d’œuvres réalisées à Rome. Stefano Grandesso. Cependant, la Galeria d’arte Moderna de Milan possède par exemple une section de sculpture extraordinaire, aujourd’hui redéployée, et d’autres musées ont, dans leurs réaménagements récents, rendu sa position centrale à la sculpture du XIXe siècle, depuis Florence jusqu’à Palerme. Bien évidemment, la Galleria nazionale d’arte moderna de Rome est le modèle de ces opérations muséographiques. Cependant, à cause des circonstances de sa création, à la fin de l’ Ottocento, et d’un collectionnisme insuffisant de la sculpture, les nécessaires enrichissements des collections à travers des dons ou des achats n’ont pas eu lieu, et cette galerie ne rend pas compte de l’extraordinaire fortune internationale de la sculpture romaine dans la première moitié du XIXe siècle, et ce malgré l’importante acquisition des sculptures de la collection Torlonia, qui ont retrouvé leur rôle de faire-valoir plastique auprès de l’Hercule et Lycas de Canova. Quant à la recherche, outre les études développées autour de Canova et Thorvaldsen, avec par exemple les colloques annuels sur des thématiques canoviennes à Bassano42, les expositions pionnières sur Lorenzo Bartolini (1777-1850) en 1978 et Santo Varni (1807-1885) en 198543 furent suivies de monographies sur Carlo Finelli (1782-1853), Giovanni Duprè (1817-1882), Pietro Tenerani (1789-1869), Benedetto Cacciatori (1794-1871), Pompeo Marchesi (1789-1858), Giovanni Battista Lombardi (1822-1880)44, d’études sur les écoles locales, comme les volumes dédiés à Carrare45 ou à Milan46, ou sur les genres de la sculpture, de la sculpture funéraire47 aux monuments publics post-unitaires48, ou enfin sur le collectionnisme, tel celui du tsar49. En ce qui concerne l’école romaine, je pense que l’objectif serait, suivant l’exemple de Stefano Susinno et le modèle de Maestà di Roma50, de réexaminer de manière globale, dans le contexte de la ville cosmopolite, les vies des divers artistes étrangers y ayant travaillé. Ces artistes sont étudiés hors d’Italie, souvent dans le cadre de leur pays d’origine : les Américains, à partir des années 1970, les Anglais dans Victorian Sculpture, ouvrage fondamental de Benedict Read51, les Allemands au cours de ces deux dernières décennies, même s’il n’a pas manqué de vision d’ensemble concentrée autour de la figure de Thorvaldsen, avec l’exposition de Nuremberg52 ou dans les études de Harald Tesan sur Rome53.

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Perspective. Dans l’histoire de cette redécouverte, après un premier réexamen de l’ensemble du XIXe siècle, les années 1780-1830 semblent bénéficier d’un regain d’intérêt relativement facile, mais le sort du second XIXe siècle est plus ambigu et son renouveau semble connaître d’autres modalités… Fernando Mazzocca. Une chose est la redécouverte du primo Ottocento ; une autre est la fortune du secondo Ottocento, qui a bénéficié d’une certaine faveur au XXe siècle grâce au collectionnisme et au marché. Cette hypothèque du marché et du collectionnisme sur le secondo Ottocento a eu des effets qui sont encore sensibles aujourd’hui. De ce fait, les redécouvertes sont intervenues d’une manière très différente et ont été principalement mises en œuvre par les musées, et surtout à travers des expositions, dans le nord de l’Italie : les rétrospectives déjà citées sur Palagi, Hayez, ou Venezia nell’età di Canova, l’exposition de Turin sur le royaume de Sardaigne, puis les expositions monographiques consacrées même à des figures moins célèbres, tels Giuseppe Molteni (1800-1867), Angelo Inganni (1807-1880), Eliseo Sala (1813-1879), Adeodato Malatesta (1806-1891 ; personnage très important pour comprendre le milieu émilien)54. Réaliser de telles manifestations n’était pas impossible, du moins à une certaine époque ; aujourd’hui cet état des lieux a changé et tout est beaucoup plus conditionné par les mécènes et la commande. Sandra Pinto. Bien sûr, quand les socialistes sont arrivés au gouvernement dans les premières années de la décennie 1980, tout a changé pour le patrimoine artistique italien au nom de la rentabilité monétaire de ce dernier (même les expositions rentraient pour une majeure partie dans ce jeu politique) ; dans les cas les plus heureux, comme ceux cités par Fernando Mazzocca, l’Ottocento italien a justement été l’unique exception au désastre. Les expositions sur de tels thèmes ont longtemps été une niche pour favoriser des approfondissements monographiques, revaloriser des œuvres appartenant à des privés et invisibles depuis longtemps, familiariser progressivement le public à des styles et des personnages inconnus, ouvrir des opportunités professionnelles, toujours plus précieuses et compétitives, pour les jeunes générations universitaires. La perte causée par les exportations d’œuvres d’art est cependant très dommageable (je pense aux œuvres qui se trouvent en ce moment dans les musées de Cleveland, de Detroit, etc.). Fernando Mazzocca. Cependant, sans les expositions et les catalogues produits en de telles occasions, on n’éditerait pas de monographie sur les artistes de l’Ottocento, pas même pour Giuseppe Bezzuoli (1784-1855) ou Pietro Benvenuti (1769-1844) - excepté pour ce dernier, tout récemment55 - et cette situation n’est pas acceptable. Le fait est que les catalogues de ces expositions ont souvent constitué des monographies complètes, avec un corpus des œuvres et une partie documentaire, mais, en Toscane, ce mouvement n’a pas eu lieu, probablement parce les institutions bancaires concentraient leurs investissement sur les Macchiaioli. Ces expositions étaient bien différentes des manifestations actuelles. Elles étaient l’occasion de récupérer une grande quantité de matériel relatif aux sources éditées et manuscrites et permettaient en plus de mettre au jour des peintures et des sculptures inédites issues de collections privées intactes dans lesquelles l’œuvre était encore la possession des descendants du commanditaire, de voir les tableaux de l’Académie de Brera, jusqu’alors invisibles car ils n’avaient pas été restaurés, et d’étudier les sources. À l’université rien de tout cela ne se faisait. En effet, dans l’histoire de l’art,

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si les artistes sont méconnus et leurs œuvres invisibles, on ne peut progresser. La dimension du connoisseurship est fondamentale. Pour le secondo Ottocento elle fut confiée au marché ; pour le primo Ottocento, cela prit une tournure différente ; dans les années 1960-1990, les expositions sur un artiste ou un mouvement ont joué grand rôle, et malgré tout, ont été convenables, pour le meilleur et pour le pire, leur l’objectif n’étant pas le nombre d’entrées mais l’approfondissement de la connaissance. Sandra Pinto. Les ruptures entre le primo et le secondo Ottocento (qui commencent, selon les situations autour de 1860) n’existent pas toujours (et cela serait un sujet de recherche …) ; certaines, soulignées par les expositions, sont en fait plus dues à des différences méthodologiques, comme l’a dit Ferdinando Mazzocca. C’est pourquoi je pense qu’il serait indispensable que l’université joue son rôle, notamment pour tout le travail sur les sources, et que les musées italiens, en particulier ceux qui ont bénéficié d’une réorganisation au cours de ces dix dernières années et dont les réserves sont désormais étudiées, tiennent le leur, non seulement en prêtant des œuvres pour des expositions, mais surtout à travers des animations pédagogiques de qualité, pour tous les degrés de l’enseignement scolaire. C’est seulement quand il sera possible de traverser les territoires du secondo Ottocento avec la facilité avec laquelle nous parcourons le primo Ottocento, que l’art italien du XIXe siècle pourra se lier harmonieusement avec celui des siècles qui le précèdent et le suivent.

Perspective. Il y a peut-être eu un changement fort, un bouleversement dans toutes ces études, avec cette mise en exergue de l’académisme, de la tradition, du rôle de Rome proposée par Stefano Susinno, qui permettrait de réunir les deux pans de la recherche sur l’Ottocento56. La prise en compte de l’importance de Rome peut être un facteur fondamental pour cet art de l’ Ottocento et le retour à la culture classique. Stefano Grandesso. Sans aucun doute, Stefano Susinno a su cristaliser l’essence de l’identité figurative de la ville éternelle au XIXe siècle. Une identité liée à sa tradition classique, élevée et universellement reconnue à l’époque autant que méconnue et méprisée après l’Unité italienne. Ce fut donc la redécouverte d’une spécificité liée à un lieu, mais cependant attachée à la reconnaissance d’une valeur universelle et supranationale, qui depuis toujours scellait le rôle et la centralité de Rome. Grâce à cette vision et à ce sens de l’histoire et d’une tradition séculaire ininterrompue, Susinno a aussi, dans l’essai fondamental sur la Rome arcadienne qu’il a écrit en collaboration avec Liliana Barroero, su porter un nouveau regard sur le siècle précédent57. Giovanna Capitelli. De plus, l’académisme romain n’a pas laissé de traces qu’à l’intérieur même du périmètre de la cité, bien au contraire – et cela fut l’un des grands apports de la leçon de Stefano Susinno –, mais connut aussi des développements à l’extérieur58. Car la place fondamentale que Rome tenait dans l’enseignement sur le plan international se vérifiait non seulement sous l’Ancien régime mais aussi pour le XIXe siècle et, ce que tous les chercheurs sont, il me semble, désormais disposés à accepter. La dimension cosmopolite de la ville fait donc que parmi les figures-clés de l’Académie de Saint-Luc il n’y avait pas uniquement des artistes romains, ni même seulement des Italiens. Ainsi, a coté de Tommaso Minardi

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(1787-1871) et Pietro Tenerani (1789-1869), figuraient des Allemands indéniablement romanisants tels que Johann Friedrich Overbeck (1789-1869), très influent, ou Peter von Cornelius (1783-1867), artistes qui continuent à juste titre de compter comme des protagonistes de l’histoire de l’art nationale allemande, mais qui sont tout aussi romains qu’un Vincenzo Camuccini (1771-1844) ; mais laissons de côté la provocation ! D’autre part, les grands ateliers de sculptures sont fondamentaux pour l’enseignement et pour le développement du métier du sculpteur moderne – comme nous l’ont bien montré les articles de Hugh Honour sur l’atelier de Canova, textes dont la puissance critique reste inégalée59. Comprendre comment fonctionne l’atelier de Canova, puis celui de Thorvaldsen, pour voir comment se constitue cette communauté très nombreuse d’artistes et de personnalités fortes qui viennent à Rome, c’est la nouvelle approche, susceptible de multiples développements, que reprit Susinno dans ses études pour réévaluer le rôle de Rome au XIXe siècle, en particulier dans l’apprentissage de l’art. L’enseignement académique ne se développait pas uniquement dans l’atelier des artistes et dans les salles qui sentaient un peu le moisi de l’Académie de Saint-Luc, mais était prégnant dans toute l’Urbs. C’est pourquoi il est essentiel de redécouvrir un artiste tel que Minardi, bien que ses œuvres, ou mieux encore sa production, n’existent quasiment pas : je veux dire par là que les œuvres de Minardi sont rares et ne permettraient pas à elles seules de comprendre l’importance de cet artiste pour le développement culturel de Rome sous le gouvernement de Grégoire XVI et de Pie IX. Minardi est un homme d’institution, un enseignant, et en comprendre son apport est une manière de faire de l’histoire de l’art capable d’interprétation, et donc à même de surpasser une véritable impasse. En d’autres termes : Delaroche est connu car c’est un grand peintre ; Minardi n’est pas aussi connu, et son rôle est moins apparent car il est avant tout un dessinateur et un enseignant60. Fernando Mazzocca. Rome est certes importante mais il ne faut pas minimiser Milan, ni Turin. Bien avant ce retour sur le primo Ottocento, Milan était la ville des Scapigliati ; l’Ottocento lombard avait une toute autre connotation et correspondait au secondo Ottocento, celui du Risorgimento. Il n’y avait ni Hayez, ni Palagi, ni le romantisme historique ; rien de tout cela n’existait à Milan. À partir de l’exposition de l’Académie de Brera en 197561, on retrouva le Milan de la Restauration, comme ensuite le Turin de la Restauration. Ce changement s’est opéré par les expositions, mais a aussi impliqué des institutions comme Brera. En Lombardie, la perception de l’ Ottocento a beaucoup changé ; de même à Venise, grâce aux travaux de Giuseppe Pavanello62.

Perspective. Justement, à propos de cette redécouverte de l’identité universelle de Rome et de son rôle en tant que grand atelier, comme lieu de formation académique idéal, cette position critique a-t-elle changé la lecture de l’Ottocento à Venise, à Milan ? Fernando Mazzocca. L’Ottocento romain et celui du Nord suivent deux chemins et ont deux dynamiques très différentes. La figure de l’artiste n’est pas la même et à Milan le système des beaux-arts est différent : il y a un marché interne et externe alors qu’à Rome il existe seulement la commande interne ; de plus, à côté du marché, le phénomène des expositions est fondamental alors qu’il n’occupe qu’une place réduite à Rome. Comme les présences étrangères ne sont pas aussi déterminantes

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qu’à Rome, Milan investit la culture nationale. Même la symbiose entre les arts figuratifs et le milieu littéraire et éditorial n’est pas comparable à celle qui a lieu dans la capitale pontificale. Milan est donc une ville fondamentalement différente ; la méthode et les critères pour l’étudier sont autres. Le rôle de premier ordre joué par Minardi à Rome fut tenu à Milan par Giuseppe Bossi (1777-1815), qui n’a malheureusement pas bénéficié d’une rétrospective comme son alter ego romain. Même Andrea Appiani (1754-1817) n’a pas fait l’objet d’une exposition ou d’une monographie. La culture romantique de la Restauration a bénéficié d’une réhabilitation à Milan que la culture néoclassique attend toujours. Il y a encore beaucoup à faire. Sandra Pinto. À mon avis, il existe bien à Rome un marché interne, mais aussi un marché extérieur, même s’il est moins puissant que la demande exercée par le groupe social des commanditaires, et différent en ce qu’il est lié à une demande externe très touristique, encore sous l’influence de ce qui était en usage pour les voyageurs du Grand Tour du XVIIIe siècle, et parfois, mais seulement parfois, comparable au niveau de sa qualité. Il concerne la sculpture, la peinture de genre, les vedute de la Rome classique et chrétienne, les copies et les pastiches des primitifs (ou « old masters », comme on appelait à l’époque la peinture antérieure au premier Raphaël), la photographie, les mosaïques, etc. À Rome, il y aura beaucoup à exploiter à partir du dépouillement des expositions, presque achevé. Et il reste encore beaucoup à travailler pour Venise et pour d’autres centres italiens, mais à première vue, je ne pense pas que cela fasse beaucoup changer notre schéma d’ensemble pour le domaine des arts, avec un Nord moderne et urbain, un Centre monumental, symbolique et national, et un Sud qui adopte une position de suiveur. Fernando Mazzocca. En ce qui concerne Rome, il est certes important d’avoir établi une continuité avec le siècle précédent. Cependant, il faut aussi comprendre que Grégoire XVI n’est pas Pie VII ou Pie VI : les temps ont changé. Et peut-être que dans l’exaltation de la redécouverte il a manqué ici une approche critique par rapport à cette discontinuité. Là, il y a peut être quelque chose à revoir. Giovanna Capitelli. Il est vrai qu’avec les pontifes zelanti (et en particulier à partir de Grégoire XVI)63, la situation de Rome a sûrement totalement changé, pas tant en terme de quantité, mais en terme de centralité, de grandeur, de modèle. Cependant, nous ne devons pas oublier que l’Europe a connu, justement au milieu de l’époque de la Restauration, un alignement sur les modèles de l’historicisme. Rome a été analysée pour sa permanence, sa tradition, mais jamais en comparaison avec les autres grandes capitales, allemandes par exemple (je pense à Munich). Nous n’avons pas encore passé ce cap, pas encore réfléchi sur Rome comme l’un des centres fondamentaux pour la construction de l’historicisme, d’un grand phénomène international. Pour Rome, l’historicisme peut avoir signifié la reconstruction de la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs sous sa forme originelle, la réalisation des vastes cycles monumentaux des fresques raphaélesques (il suffit de songer à Pietro Gagliardi dans l’église Sant’Agostino), la construction d’édifices, tels le palais Torlonia, dans un dialogue étroit avec la tradition de la Renaissance et avec l’éclectisme de l’Europe du Nord. De nombreuses traces en demeurent très évidentes, que personne encore ne connaît ni n’observe, et la réception joue ici de nouveau un rôle.

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Perspective. Par vos réponses, vous avez souligné combien cet intérêt nouveau pour l’ Ottocento est un phénomène complexe s’articulant sur différentes positions qui ne sont pas identiques à Milan et à Rome et convoque, à travers l’historicisme, une certaine culture. Avez- vous remarqué un nouvel intérêt pour ce XIXe siècle chez les nouvelles générations d’étudiants, de futurs enseignants, chercheurs ou conservateurs ? Stefano Grandesso. Par rapport à l’époque où j’ai passé ma licence (tesi di laurea) en 1996, il y a un changement complet. Je dirais que les préjugés sur l’Ottocento survivent davantage chez les professeurs âgés que chez les étudiants. Et des expositions, comme celles, récentes, de Milan sur Canova64 ou de Rome sur l’Ottocento65, pour autant que je puisse en juger, ont eu un franc succès auprès d’un public jeune, grâce, je crois, à une évolution du goût que désormais trente années d’expositions et de publications ont logiquement favorisée. Fernando Mazzocca. On constate que le public qui fréquente les expositions dédiées à l’art du XIXe siècle est plus jeune que celui de manifestations sur les Macchiaioli. Les sujets plus modernes, plus inattendus, attirent un public âgé qui a une solide formation. C’est là la preuve d’un intérêt pour l’Ottocento désormais plus grand que par le passé, mais cela dépend aussi de quel Ottocento il s’agit. Sandra Pinto. Je pense aussi que les jeunes – je veux dire les futurs historiens – ne font plus de différence entre l’Ottocento et les époques antérieures, et les perçoivent toutes comme également distantes d’eux-mêmes. Ce XIXe siècle est moins étudié, mais certains jeunes chercheurs semblent particulièrement prompts à endosser la charge de la recherche à venir ; le problème est parfois qu’ils n’entrevoient la recherche que comme des fouilles massives et la restitution des informations. S’ils veulent aller de l’avant, il faut avant tout leur indiquer la signification plus ample du « faire de l’histoire », qui est au moins celle, fondamentale, d’en individualiser les finalités éthiques et esthétiques, civiles et sociales, les seules, selon moi, à valider dans un sens non transitoire le devoir être permanent de l’histoire de l’art. Giovanna Capitelli. Je ne pourrais parler du public des expositions, mais j’ai noté, effectivement, que nos étudiants sont beaucoup plus exempts de préjugés anti- académiques que nous ne le fûmes nous-mêmes avec nos lectures portant toutes la marque de l’importance des avant-gardes du Novecento. Je ne sais pas s’il faut en attribuer la responsabilité au mouvement post-moderne ou à une vision moins idéologique du rôle que l’art doit tenir dans la société. D’un autre côté, apprécier la culture figurative académique de l’Ottocento italien requiert souvent une série de filtres intellectuels qui ne peuvent êtres donnés pour évidents auprès des jeunes générations. Pensons au néoclassicisme ou au purisme : sans une grande connaissance de l’histoire de l’art depuis ses origines, sans une bonne pratique de la littérature contemporaine, de la culture classique, et sans une certaine capacité de percer les enjeux de l’historiographie, il est très difficile de saisir les valeurs inhérentes à cette production artistique. Il s’agit d’un bagage qu’il est ardu d’acquérir avec des cycles d’études courts. Que l’on ne se méprenne pas, je ne prétends pas que cela vaille moins pour l’art des autres périodes et d’autres contextes géographiques, mais il est bien plus facile d’expliquer le Radeau de la méduse à nos étudiants que la Musique sacrée de Luigi Mussini (1841) ou la fresque de L’Immaculée Conception de Francesco Podesti (1800-1895). La culture académique italienne est particulièrement

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érudite, elle réagit et raisonne le plus souvent en s’appuyant sur le passé, même lorsqu’elle s’éloigne de ce passé pour ouvrir des voies nouvelles. Aussi, aux jeunes chercheurs, aux étudiants, qui s’approchent de ce domaine de recherche, il est demandé, pour éviter erreurs et méprises, une grande implication et un grand enthousiasme.

NOTES

1. « Equivoques » Peintures françaises du XIXe siècle, (cat. expo., Paris, Musée des Arts Décoratifs, 1973), Paris, 1973. 2. Pour le renouveau en Grande-Bretagne des recherches sur la peinture du début du XIXe siècle, voir David Bindman et Frédéric Ogée, « Histoire de l’art britannique 1750-1850 : un état des lieux », dans Perspective, 2007-3, p. 431-442. 3. Voir par exemple dans ce même numéro l’article de France Nerlich sur la peinture en Allemagne dans la première moitié du XIXe siècle, p. 307-338. 4. Ottocento da Canova al Quarto Stato, Maria Vittoria Marini Clarelli, Fernando Mazzocca, Carlo Sisi éd., (cat. expo., Rome, Scuderie del Quirinale, 2008), Milan, 2008. 5. Pelagio Palagi : artista e collezionista, Renzo Grandi éd., (cat. expo., Bologne, Museo Civico, 1976), Bologne, 1976. 6. Cultura figurativa e architettonica negli Stati del Re di Sardegna : 1773 – 1861, Enrico Castelnuovo, Marco Rosci éd., (cat. expo., Turin, Palazzo Reale/Museo Civico d’Arte Antica e Palazzo Madama/ Società Promotrice delle Belle Arti, 1980), Turin, 1980. 7. I Nazareni a Roma, Gianna Piantoni, Stefano Susinno éd., (cat. expo., Rome, Galleria Nazionale d’Arte Moderna, 1981), Rome, 1981. 8. Hippolyte, Auguste et Paul Flandrin : une fraternité picturale au XIXe siècle, (cat. expo., Paris, Musée du Luxembourg/Lyon, Musée des beaux-arts), Paris, 1984. 9. Voir sur ce point les différentes positions de Jacques Thuillier, Peut-on parler d’une peinture pompier ?, Paris, 1984 ; Charles Rosen, Henri Zerner, Romanticism and realism the mythology of Nineteenth Century, Londres, 1984 [éd. fr., Romantisme et réalisme mythes de l’art du XIXe siècle, Paris, 1986] ; et Jean-Claude Lebensztejn, De l’imitation dans les beaux-arts, Paris, 1996. 10. Le Musée du Luxembourg en 1874, (cat. expo., Paris, Grand Palais, 1974), Paris, 1974 ; De David à Delacroix : la peinture française de 1774 à 1830, (cat. expo., Paris, Grand Palais, 1974-1975), Paris, 1974. 11. Hugh Honour, Neo-classicism, Harmondsworth, 1968 [éd. ital, Neoclassicismo, Turin, 1987]. 12. Corrado Maltese, Storia dell’arte in Italia, 1785-1943, Turin, 1960. 13. Ranuccio Bianchi Bandinelli, Archeologia e cultura, Naples, 1966. 14. Cultura neoclassica e romantica nella Toscana granducale. Sfortuna dell’Accademia. Collezioni lorenesi, acquisizioni posteriori, depositi. Catalogo della collezione, Sandra Pinto éd., (cat. expo., Florence, Palais Pitti, 1972), Florence, 1972. 15. The Age of Neo-classicism, John Pope-Hennessy, John Wyndham éd., (cat. expo., Londres, Royal Academy/the Victoria & Albert Museum, 1972), Londres, 1972 ; voir les comptes rendus de cette exposition : Steffi Röttgen, « The age of Neoclassicism: I: dipinti e disegni », dans Arte illustrata, 1973, 6, p. 56-68 et Sandra Pinto, « The age of Neoclassicism: II: sculture », dans Arte illustrata, 1973, 6, p. 68-76.

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16. Paola Barocchi éd., Testimonianze e polemiche figurative in Italia: L’Ottocento ; dal bello ideale al preraffaellismo, Messine/Florence, 1972. 17. Horst Woldemar Janson éd., « Rediscovering nineteenth-century sculpture », dans The Art quarterly, 1973, 36, p. 411-414 ; Horst Woldemar Janson éd., La scultura nel XIX secolo ; Sculpture du XIXe siècle ; Nineteenth century sculpture, (actes de colloque, Bologne, 1979), Bologne, 1984. 18. John Kenworthy-Browne, « British patrons of sculpture in Italy, 1814-1830 », dans La scultura nel XIX secolo, Horst Woldemar Janson éd., Bologne, 1984, p. 45-48. 19. Romanticismo storico, Sandra Pinto éd., (cat. expo., Florence, La Meridiana del Palazzo Pitti, 1973-1974), Florence, 1974. 20. Mostra dei maestri di Brera (1776-1859), (cat. expo., Palazzo della Permanente, Milan, 1975), Milan, 1975 ; Venezia nell’età di Canova, Giuseppe Pavanello éd., (cat. expo., Venise, Museo Correr, 1978), Venise, 1978 ; Cultura figurativa..., 1980, cité n. 6. 21. Paola Barocchi éd., Storia moderna dell’arte in Italia : manifesti, polemiche, documenti, Turin, 3 vol., 1990, 1991, 1998. 22. Giulio Carlo Argan, Lezioni di storia dell’arte moderna: anno accademico 1973-74, Pietro Carreras, Alba Costamagna, Michela di Macco éd., Rome, 1974. Voir également son manuel d’histoire de l’art : Giulio Carlo Argan, Storia dell’arte italiana, Florence, 3 vol, 1968. 23. John Fleming, « Art dealing and the Risorgimento », dans The Burlington magazine, partie I : 1973, CXV, p. 4-16 ; partie II : 1979, CXXI, p. 492-508 ; partie III : 1979, CXXI, p. 568-580. 24. Leopoldo Cicognara (1767-1834), Lettere ad Antonio Canova, Gianni Venturi éd., Urbin, 1973. 25. Leopoldo Cicognara, Storia della scultura dal suo risorgimento in Italia sino al secolo di Napoleone: per servire di continuazione alle opere di Winckelmann e di D’Agincourt, Venise, 4 vol., 1813-1818 ; Leopoldo Cicognara, Storia della scultura dal suo risorgimento in Italia fino al secolo di Canova : per servire di continuazione alle opere di Winckelmann e di D’Agincourt, 2e edition revue et augmentée, Prato, 8 vol., 1823-1824. 26. Michela di Macco, « Leopoldo Cicognara : Cicognara e Canova », dans Studi canoviani, 1, Le fonti, Rome, 1973, p. 89-107. 27. Maria Grazia Messina, « L’arte di Canova nella critica di Quatremère de Quincy », dans Studi canoviani, 1, Le fonti, Rome, 1973, p. 119-151. 28. I pittori bergamaschi dell’Ottocento, Gian Alberto Dell’Acqua, Mina Gregori éd., Bergame, 4 vol., 1992. 29. Enrico Castelnuovo, Carlo Ginzburg, « Centro e periferia », dans Storia dell’Arte, I, 1, Questioni e metodi, Turin, 1979, p. 83-352 [trad. fr., « Domination symbolique et géographie artistique dans l’histoire de l’art italien », dans Actes de la recherche en sciences sociales, 1981, 40, p. 51-72]. 30. Sandra Pinto, La promozione delle arti negli Stati italiani dall’eta delle riforme all’Unita, dans Storia dell’arte italiana, II, Dal Medioevo al ‘900, vol. 2, Dal ‘500 all’800, t. 2, Settecento e Ottocento, Turin, 1982, p. 791-1079. 31. Cultura figurativa..., 1980, cité n. 6. 32. Maestà di Roma: da Napoleone all’Unità d’Italia, I, Universale ed eterna : capitale delle arti, Sandra Pinto, Liliana Barroero, Fernando Mazzocca éd., (cat. expo., Rome, Scuderie del Quirinale/Galleria Nazionale d’Arte Moderna, 2003), Milan, 2003 ; Maestà di Roma: da Napoleone all’Unità d’Italia, II, Da Ingres a Degas: artisti francesi a Roma, Olivier Bonfait éd., (cat. expo., Rome, Villa Médicis, 2003), Milan, 2003. 33. Civiltà del ‘700 a Napoli: 1734-1799, (cat. expo., Naples, Museo e Gallerie Nazionale di Capodimonte/Palazzo Reale/Museo Principe Diego Aragona Pignatelli Cortes/Museo Nazionale di San Martino, 1980), 2 vol., Florence, 1980. 34. Robert Rosenblum, Transformations in Late Eighteenth Century Art, Princeton, 1967 [trad. fr., L’art au XVIIIe siècle transformations et mutations, Brionne, 1989]. 35. Antonio Basoli, 1774-1848 : ornatista, scenografo, pittore di paesaggio ; il viaggiatore che resta a casa, (cat. expo., Bologne, Accademia di Belle Arti, 2008), Argelato, 2008.

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36. Mostra dei maestri di Brera, 1975, cité n. 20. 37. Hayez: dal mito al bacio, Fernando Mazzocca éd., (cat. expo., Padoue, Fondazione Palazzo Zabarella, 1998), Venise, 1998. 38. Fernando Mazzocca éd., Pinacoteca di Brera: dipinti dell’Ottocento e del Novecento: collezioni dell’Accademia e della Pinacoteca, Milan, 1993. 39. Caterina Zappia, Museo dell’Accademia di Belle Arti di Pergugia, I., I Dipinti, Pérouse, 1995 ; Maria Teresa Caracciolo, Museo dell’Accademia di Belle Arti di Perugia: disegni di Jean-Baptiste Wicar, Pérouse, 2003. 40. Jørgen Birkedal Hartmann, La vicenda di una dimora principesca romana: Thorvaldsen, Pietro Galli e il demolito Palazzo Torlonia a Roma, Rome, 1967 ; Id., Bertel Thorvaldsen: scultore danese, romano d’adozione, Rome, 1971 ; Id., Antike Motive bei Thorvaldsen: Studien zur Antikenrezeption des Klassizismus, Tuebingen, 1979. 41. Bertel Thorvaldsen: 1770 - 1844: scultore danese a Roma, Elena di Majo éd., (cat. expo., Rome, Galleria Nazionale d’Arte Moderna, 1989), Rome, 1989. 42. L’Istituto di ricerca per gli studi su Canova e il Neoclassicismo, créé en 1995, organise chaque année une settimana di studi canoviani dont les actes sont publiés dans sa collection Studi. Manlio Pastore Stocchi éd., Canova direttore di musei, (colloque, 1999), Bassano del Grappa, 2004 ; Manlio Pastore Stocchi éd., Il primato della scultura: fortuna dell’antico, fortuna di Canova, (colloque, 2000), Bassano del Grappa, 2004 ; Fernando Mazzocca, Gianni Venturi éd., Antonio Canova: la cultura figurativa e letteraria dei grandi centri italiani, 1, Venezia e Roma, (colloque, 2001), Bassano del Grappa, 2005 ; Fernando Mazzocca, Gianni Venturi éd., Antonio Canova: la cultura figurativa e letteraria dei grandi centri italiani, 2., Milano, Firenze, Napoli, (colloque, 2002), Bassano del Grappa, 2006 ; Fernando Mazzocca, Manlio Pastore Stocchi éd., di Canova, (colloque, 2003), Bassano del Grappa, 2007. 43. Lorenzo Bartolini: mostra delle attività di tutela ; celebrazioni di Lorenzo Bartolini nel Bicentenario della Nascita, 1777-1977, (cat. expo., Prato, Galleria di Palazzo Pretorio, 1978), Florence, 1978 ; Santo Varni scultore: (1807-1885), (cat. expo., Gênes, Accademia Ligustica di Belle Arti, 1985), Recco, 1985. 44. Barbara Musetti, Carlo Finelli (1782-1853), Cinisello Balsamo, 2002 ; Klaus Lankheit, Siegfried Käß éd., Giovanni Dupré: Gedanken und Erinnerungen eines Florentiner Bildhauers aus dem Risorgimento, Munich, 1990 ; Ettore Spalletti, Giovanni Duprè, Milan, 2002 ; Stefano Grandesso, Pietro Tenerani (1789-1869), Cinisello Balsamo, 2003 ; Giorgio Zanchetti, Benedetto Cacciatori (1794-1871), Cinisello Balsamo, 2005 ; Antonio Musiari, Elena Di Raddo, Floriana Cioccolo, Pompeo Marchesi: ricerche sulla personalità e sull’opera, Gavirate, 2003 ; Adriana Conconi Fedrigolli, Giovanni Battista Lombardi (1822-1880), Brescia, 2006. 45. Depuis Scultura a Carrara: Ottocento, Bergame, 1993 jusqu’à Sandra Berresford, Carrara e il mercato della scultura, Milan, 2007. 46. La città di Brera: due secoli di scultura, Giovanni Maria Accame, Claudio Cerritelli éd., (cat. expo., Brera, Accademia di belle arti), Milan, 1995. 47. Franco Sborgi, Staglieno e la scultura funeraria ligure tra Ottocento e Novecento, Turin, 1997. Voir aussi le compte rendu de Christian Omodeo, « Marbre et sculpture en Italie au XIXe siècle », dans Perspective, 2007-3, p. 468-473. 48. Lars Berggren, Lennart Sjöstedt éd., L’ombra dei grandi. Monumenti e politica monumentale a Roma (1873-1895), Rome, 1996. 49. En plus des expositions de Carrare sous la direction de Massimo Bertozzi, Sergéj Andrósov (1996, 1998, 2000), voir Canova alla corte degli Zar: capolavori dall’Ermitage di san Pietroburgo, Sergej Androsov ; Fernando Mazzoca éd, (cat. expo., Milan, Palazzo Reale, 2008), Milan, 2008. 50. Liliana Barroero, Fernando Mazzocca, Sandra Pinto, « Arte a Roma in epoca moderna. Il modello storiografico di Stefano Susinno », dans Maestà di Roma…, 2003, cité n. 32, p. 17-37. 51. Benedict Read, Victorian Sculpture, New Haven (Conn.), 1982.

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52. Künstlerleben in Rom: Bertel Thorvaldsen (1770-1844). Der Daenische Bildhauer und seine deutschen Freunde, Gerhard Bott, Heinz Spielmann éd., (cat. expo., Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, 1991), Nuremberg, 1991. 53. Harald Tesan, Thorvaldsen und seine Bildhauerschule in Rom, Cologne, 1998. 54. Giuseppe Molteni (1800-1867) e il ritratto nella Milano romantica: pittura, collezionismo, restauro, tutela, Fernando Mazzocca, Lavinia M. Galli Michero, Paola Segramora Rivolta éd., (cat. expo., Milan, Museo Poldi Pozzoli, 2000), Milan, 2000 ; Angelo Inganni, 1807-1880: un pittore bresciano nella Milano romantica, (cat. expo., Brescia, Palazzo Bonoris, 1998), Milan, 1998 ; Eliseo Sala: un ritrattista e la sua committenza nell’Italia romantica 1813-1879, Sergio Rebora éd. (cat. expo., Treviglio, Museo Civico, 2001), Milan, 2001 ; Adeodato Malatesta, 1806-1891: modelli d’arte e di devozione, (cat. expo, Modène, Foro Boario, 1998), Milan, 1998. 55. Liletta Fornasari, Pietro Benvenuti, Florence, 2004. 56. Stefano Susinno, « La scuola, il mercato, il cantiere: occasioni di far pittura nella Roma del primo Ottocento », dans Il primo ‘800 italiano: la pittura tra passato e futuro, Renato Barilli éd., Milan, 1992, p. 93-106 ; Stefano Susinno, « La pittura a Roma nella prima metà dell’Ottocento », dans La pittura in Italia: l’Ottocento, Enrico Castelnuovo éd., Milan, 1991, p. 399-430. 57. Liliana Barroero, Stefano Susinno éd., « Roma arcadica capitale delle arti del disegno », dans Studi di storia dell’arte, 1999, 10, p. 89-178. 58. Pour un panorama par région de la peinture au XIXe siècle et des notices biographiques sur les principaux artistes, voir Enrico Castelnuovo éd., La Pittura in Italia, L’Ottocento, Milan, 1991, 2 vol. Pour une synthèse plus récente, voir Carlo Sisi éd., L’Ottocento in Italia, le arti sorelle, Milan, 2005-2007, 3 vol. 59. Hugh Honour, « Canova’s studio practice: I: the early years », dans The Burlington magazine, 1972, CXIV, p. 146-159 et « Canova’s studio practice: II: 1792-1822 », dans The Burlington magazine, 1972, CXIV, p. 212-229. 60. Tommaso Minardi: disegni, taccuini, lettere nelle collezioni pubbliche di Forlì e Faenza, (cat. expo., Forlì, Palazzo Comunale, 1981), Bologne, 1981 ; Disegni di Tommaso Minardi: (1787 - 1871), Stefano Susinno éd., (cat. expo., Rome, Galleria Nazionale d’Arte Moderna, 1982), Rome, 1982. 61. Mostra dei maestri di Brera, 1975, cité n. 20. 62. Venezia nell’età di Canova, 1978, cité n. 20 ; Venezia nell’Ottocento immagini e mito, Giuseppe Pavanello éd., (cat. expo., Venise, Museo Correr, 1983), Milan, 1983 ; La pittura nel Veneto: l’Ottocento, Giuseppe Pavanello éd., Milan, 2002. 63. On appelle « zelanti » les cardinaux et prélats qui défendaient à Rome, du XVIIe au XIXe s., de manière intransigeante, les prérogatives du Saint-Siège. De Léon XIII (1823-1829) à Pie IX (1846-1878), l’Eglise fut gouvernée par une série de papes qui était enclins à conserver au pouvoir pontifical toute son autorité, à la fois au point de vue temporel et spirituel, contre les évolutions temporelles. 64. Canova alla corte degli Zar, 2008, cité n. 49. 65. Ottocento : da Canova al Quarto Stato, 2008, cité n. 4.

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INDEX

Keywords : Italian art history, ottocento, neoclassicism, recovery, historiography, exhibitions, heritage, academic culture Index géographique : Italie Mots-clés : histoire de l'art italien, ottocento, néoclassicisme, récupération, historiographie, expositions, patrimoine, culture académique Index chronologique : 1800

AUTEURS

GIOVANNA CAPITELLI Elle enseigne l’histoire de l’art à l’Université de Calabre. Ses premiers travaux portent sur la peinture de l’époque moderne (Benozzo Gozzoli, 2002), et actuellement plutôt sur la production artistique de l’Ottocento à Rome et en Italie (1815-1870), notamment la peinture sacrée (Maestà di Roma, 2003 ; Sotto il segno di Ingres, 2007).

STEFANO GRANDESSO Élève de Fernando Mazzocca et de Stefano Susinno, il s’est spécialisé dans l’étude de la critique d’art de l’Ottocento et la sculpture en Italie du Settecento à l’époque actuelle. Il a publié une monographie sur Pietro Tenerani (2003) et participé à de nombreuses expositions (Pompeo Batoni, 2008 ; Canova, Rome, 2007/Milan, 2008).

FERNANDO MAZZOCCA Ancien assistant à la Scuola normale superiore de Pise, il est maintenant professeur à l’Université de Milan. Ses recherches portent sur la culture artistique en Italie de la fin du Settecento et de l’ Ottocento. Il a été commissaire de plusieurs expositions et, tout récemment, de l’exposition Ottocento. Da Canova al Quarto Stato (Rome, 2008).

SANDRA PINTO Assistante à l’Université de Rome de 1963 à 1969, puis directrice de la Galleria d’arte moderna du Palazzo Pitti, à Florence, de 1969 à 1980, Sovrintendente per i beni artistici du Piémont entre 1987 et 1994, elle a ensuite dirigé la Galleria nazionale d’arte moderna de Rome de 1994 à 2004, où elle a procédé à un réaménagement du musée et était en charge d’organiser le concours pour le musée des Arts du XXIe siècle.

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XIXe siècle

Travaux

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La peinture en Allemagne au XIXe siècle. Religion et politique : les Nazaréens et l’école de Düsseldorf Nineteenth century Painting in Germany. Religion and politics : the Nazareans and the Düsseldorf school Die Malerei in Deutschland im 19. Jahrhundert. Religion und Politik : die Nazarener und die Schule von Düsseldorf La pittura in Germania nel Ottocento. Religione ae politica : i Nazareni e la scuola di Düsseldorf La pintura en Alemania en el siglo XIX. Religión y política : los Nazarenos y la escuela de Düsseldorf

France Nerlich

1 En 1847, Louis Viardot s’adressait aux peintres allemands pour leur conseiller de choisir Ary Scheffer comme modèle d’une peinture nouvelle afin qu’ils se détachent enfin de l’art stérile et passéiste de Peter von Cornelius et des autres peintres nazaréens. La réponse indignée ne vint pas du camp des Nazaréens, mais de Düsseldorf, où l’on se moqua non seulement de l’arrogance, mais aussi de l’ignorance du critique français, qui ne connaissait visiblement pas la réalité de l’art allemand de son temps. Cette réalité était sans doute difficile à appréhender de l’extérieur, tant la situation géopolitique complexe des États allemands ne permettait pas une lecture facile de son « art national », malgré les tentatives du comte Athanase de Raczynski pour la clarifier un peu avec sa monumentale synthèse, Histoire de l’art moderne en Allemagne (Paris, 1836-1841).

2 C’est donc assez naturellement que, pour la plupart des amateurs d’art étrangers de l’époque, « l’art allemand » se confondait avec « l’art nazaréen », un mouvement né à Rome en 1809 peu après la chute du Saint Empire romain germanique, lorsque de jeunes dissidents de l’Académie de Vienne menés par Friedrich Overbeck et Franz Pforr y fondèrent une confrérie de peintres communiant dans la foi en l’art et en la vérité

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pour raviver la peinture religieuse dans une fusion idéale de Raphaël et de Dürer. Offrant une visibilité internationale particulièrement forte, Rome devint ainsi le foyer d’une nouvelle école allemande, influente et durable, quoiqu’affublée du sobriquet de « nazaréenne » en référence à l’allure que se donnaient ses membres avec leurs cheveux longs et leurs robes simples. S’opposant au monde moderne issu des Lumières avec ses valeurs nouvelles de capital, d’industrie, de modernité urbaine et de pouvoir de l’individu, la confrérie des Nazaréens tenta de surmonter la rupture avec le passé en réinventant un langage artistique capable d’exprimer le lien de l’individu avec la Création et le renouveau de la culture par la religion. Leur réputation se mesura rapidement à l’échelle mondiale et Peter von Cornelius, qui avait pris un rôle central aux côtés d’Overbeck à la mort de Pforr, réussit à en importer des éléments-clés dans certaines régions allemandes, en particulier en Bavière et en Rhénanie.

3 Mais les réticences provoquées par leur attitude épigonale et outrancièrement pieuse furent tout aussi immédiates, comme le rappelle le virulent essai de Goethe sur cette Neudeutsche religiös-patriotische Kunst (1817). Assez vite, l’indifférence affichée par ces peintres pour la vie de la société contemporaine, visible dans leur mode de vie et leur peinture, de même que leur acharnement à faire revivre le religieux furent interprétés en Allemagne comme un signe de leur anachronisme par des critiques d’art comme Friedrich Theodor Vischer ou Jacob Burckhardt, inspirés par Hegel et sa philosophie critique de l’histoire (SCHLINK, 1982 ; POCHAT, 1983). Ils s’en donnèrent à cœur joie pour massacrer la peinture nazaréenne, qu’ils jugèrent non seulement mauvaise mais aussi obsolète et sans lien profond avec les préoccupations contemporaines et la réflexion sur l’histoire de leur temps. Vers 1850, d’autres auteurs comme Anton Teichlein constataient le fossé qui s’était creusé entre la peinture idéaliste et froide des Nazaréens dans la lignée de Cornelius et d’Overbeck et le public allemand, preuve accablante de l’échec du projet plus ambitieux de Cornelius, à savoir produire un art national et monumental qui s’adresserait à tout le peuple allemand, et ranimer plus généralement le lien entre la vie et l’art. Ce lien, des critiques comme Vischer et Burckhardt le virent à la suite de Heinrich Heine qui en avait parlé dès 1831 dans la peinture d’histoire, dans le genre historique de Paul Delaroche ; un style véhiculé avant tout par la tournée triomphale des tableaux de Louis Gallait et Édouard de Bièfve en 1842 dans les villes allemandes (SCHOCH : 1979, 1997), puis par les œuvres de Delaroche lui-même, comme Napoléon à Fontainebleau ou Marie-Antoinette devant ses juges à la fin des années 1840. Ces exemples radicalement différents firent culminer le débat autour de la peinture d’histoire allemande entre pôle idéaliste et pôle matérialiste peu de temps avant la révolution de 1848. C’est sur ce terreau critique que la recherche a jeté ses fondements quand il s’est agi d’étudier le mouvement nazaréen.

4 Au moment où Viardot faisait son faux pas, Overbeck venait d’essuyer son échec le plus cuisant avec son Triomphe de la religion dans les arts (1831-1840, Francfort, Städelisches Kunstinstitut), tandis que Carl Friedrich Lessing remportait les suffrages avec son Sermon des Hussites (1836, Berlin, Preussischer Kulturbesitz, Alte Nationalgalerie) ; deux tableaux emblématiques de deux projets artistiques antagonistes et néanmoins caractéristiques de la peinture d’histoire allemande de la première moitié du XIXe siècle. En accord avec le monde moderne, les peintres d’histoire et de genre de l’école de Düsseldorf cherchèrent à produire un art qui serait l’expression des tensions et des enjeux politiques contemporains. Sous la houlette de Wilhelm von Schadow, un nazaréen peu dogmatique qui avait succédé à Cornelius, l’Académie de Düsseldorf

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devint rapidement le foyer d’une peinture alternative qui, très éloignée de l’idéalisme nazaréen, assouplissait la hiérarchie des genres avec des tableaux d’histoire exécutés dans une veine plus réaliste et où la littérature romantique et les contes de fées furent progressivement doublés de sujets plus politiques en lien avec la situation contemporaine. Portée par un engouement populaire et critique extraordinaire, l’école de Düsseldorf devint autour de 1840 l’emblème d’une « autre » peinture allemande : la peinture du présent, la voie de l’avenir. Mais cet attachement au présent se retourna bientôt contre elle quand les critiques d’art se mirent à l’interpréter comme une simple émanation de l’esprit de la bourgeoisie et à en railler le caractère narratif et académique.

5 Antagonistes dans leur propos, ces deux faces de la peinture allemande de la première moitié du XIXe siècle éclairent néanmoins un même combat pour la modernité. Aussi paradoxal que cela puisse paraître de prime abord, le projet des Nazaréens en exprimait en effet le pan conservateur, tandis que les peintres de Düsseldorf tentèrent de trouver le langage adéquat à la nouvelle conscience historique décrite par les philosophes de leur époque. Face au « désenchantement du monde », les Nazaréens multiplièrent leurs efforts pour surmonter cette rupture par rapport au passé et à un univers où la foi était l’articulation suprême en renouant avec l’art des XIVe et XVe siècles, tout en se servant des moyens de diffusion modernes et de l’autonomie que leur conférait le nouveau statut de l’artiste, tandis que l’exaltante conscience d’être dans l’histoire poussa les peintres de Düsseldorf à donner corps aux idéaux et aux conflits de leur temps : ces deux mouvements cherchèrent à s’adresser au public contemporain tout en évaluant parfaitement la difficulté à trouver un langage capable de le faire.

6 Ces deux aspects de la peinture allemande sont peu familiers au public d’aujourd’hui. Objets de moquerie pour la critique lors de rares expositions, ils ne sont guère visibles dans les collections des musées en dehors de l’Allemagne. Pourtant, les enjeux qui leur sont liés dépassent le seul intérêt pour un style particulier parce qu’ils soulèvent de nombreuses questions sur notre capacité à penser l’art de cette époque. Longtemps incapables de remettre en question la sécularisation de l’époque contemporaine, les historiens de l’art ont tardé à s’intéresser sérieusement au genre de la peinture d’histoire, profane et religieuse, et à battre en brèche une image de l’art allemand incarnée, depuis la Deutsche Jahrhundert Ausstellung [ Exposition centennale de l’art allemand] à Berlin en 1906, en une figure jadis oubliée et désormais dominante, celle de Caspar David Friedrich. En 2006-2007, l’exposition présentée à Essen et à Hambourg annonçait même : Caspar David Friedrich : Die Erfindung der Romantik [ Caspar David Friedrich : L’invention du romantisme]. Si Werner Hofmann corrigeait immédiatement cette assertion en l’invention « d’un » romantisme dans l’introduction du catalogue, le titre disait vrai : le romantisme (allemand) a été inventé à partir de la seule figure de Friedrich. La marginalisation de l’art nazaréen et de la peinture d’histoire de l’école de Düsseldorf, héritage du discours critique du XIXe siècle, a ainsi considérablement modifié notre connaissance de la réalité historique et fossilisé l’image du romantisme allemand dans ses clichés les plus lourds, tels qu’ils apparaissaient encore dans l’exposition The Romantic Spirit in German Art : 1790-1990 (Londres, 1994), qui prétendait offrir une image diachronique et réconciliée de l’art et de l’âme germaniques. Mitchell Benjamin Frank a récemment analysé l’éviction progressive des Nazaréens du romantisme allemand en s’attelant à une rigoureuse étude du discours depuis les

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commentaires de l’époque jusqu’aux partis pris du XXe siècle (FRANK, 2001). À travers cette histoire critique de deux siècles de réception, il a su mettre en lumière les raisons esthétiques, politiques ou idéologiques qui ont forgé l’idée de romantisme allemand telle qu’elle continue d’être véhiculée par la littérature de vulgarisation et remettre en valeur la place du mouvement nazaréen dans les romantismes allemands. De son côté, Christian Scholl a soumis l’œuvre de Friedrich à une étude similaire visant, à travers l’analyse critique du discours, à revoir les œuvres sous un jour nouveau qui sortirait l’artiste d’un romantisme solitaire1. Résultat collatéral de ce processus de déconstruction : le clivage schématique des deux voies du romantisme allemand proposé par Herbert von Einem – l’une protestante, indépendante et tendant vers l’avenir avec des peintres tels Friedrich ou Runge, l’autre catholique, tournée vers le passé et liée à la restauration avec les Nazaréens2 –, dans lequel la présentation des Nazaréens s’était enlisée, s’atténue pour laisser la place à une vision moins antagoniste du langage emblématique et de la sensualité chez les Nazaréens et Friedrich.

7 En attendant une histoire de l’art véritablement réconciliée, les Nazaréens et les peintres de l’école de Düsseldorf représentent un terrain d’investigation essentiel pour la compréhension de l’art allemand du XIXe siècle et il nous semble donc d’autant plus intéressant de présenter ici le bilan d’une recherche active et féconde qui a permis depuis les années 1960 de modifier sensiblement le regard porté sur ces deux mouvements. Alors que certains conservateurs hésitaient dans les années 1970 à les soumettre aux yeux des visiteurs par peur de leur montrer de fausses valeurs, d’autres avaient déjà compris la nécessité de les faire réapparaître, comme Michel Laclotte et Werner Hofmann qui les avaient intégrés dans leur audacieuse exposition, La peinture allemande à l’époque du Romantisme (Paris, 1976), avec la volonté affichée de rompre avec les idées reçues et les discours condescendants. La recherche a progressivement investi ces objets mal aimés, reflétant dans ses tendances les grands courants de pensée qui ont profondément modelé notre perception de l’art du XIXe siècle.

Les Nazaréens : un objet problématique

8 Présenter les œuvres des Nazaréens au public ne va pas de soi : de fait, il est assez frappant de voir que les organisateurs des trois grandes expositions consacrées aux Nazaréens (Overbeck und sein Kreis…, 1928 ; Die Nazarener, 1977 ; Religion Macht Kunst…, 2005) ont non seulement toujours ressenti le besoin de légitimer leur choix, mais aussi qu’ils ont eu recours à des arguments sensiblement similaires, alors que leurs motivations étaient radicalement différentes. En 1926, Carl Georg Heise, alors directeur du St. Annen-Museum de Lübeck, organisa une grande rétrospective, Friedrich Overbeck und sein Kreis pour laquelle il invoqua trois raisons majeures : le devoir moral de la ville de Lübeck de rendre hommage à son fils, la nécessité de réhabiliter son rôle comme instigateur d’une école et d’un style en faisant connaître les œuvres qui s’y rattachent, et enfin l’importance de livrer des repères historiques aux jeunes mouvements artistiques qui se réclamaient des valeurs éthiques et formelles des Nazaréens. Réactualisés par la Neue Sachlichkeit [Nouvelle objectivité], les Nazaréens attiraient de nouveau l’attention après avoir été stigmatisés comme les pères de la Gedankenmalerei [peinture d’idées] allemande. Mais tandis que Heise invitait à une approche historique et critique, d’autres historiens de l’art comme Kurt Karl Eberlein ou Wilhelm Neuß

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célèbraient déjà la confrérie nazaréenne comme un modèle d’indépendance germanique, voire un modèle d’identification pour un nouvel art national.

9 Il fallut attendre les années 1960 pour que les Nazaréens fassent enfin l’objet d’études plus amples. En 1959, l’exposition The Romantic Movement organisée par le Conseil de l’Europe à Londres présentait quelques œuvres nazaréennes, sans cependant que des commentaires permettent de les resituer dans un contexte intellectuel et historique précis et les réactions peu amènes de la critique avaient perpétué le rejet goethéen. On manquait alors encore de clés qui auraient permis une compréhension historique plus large de ce mouvement. C’est cette lacune que Keith Andrews vint pallier en 1964 avec la première grande monographie consacrée à la confrérie (ANDREWS, 1964). Privilégiant une présentation chronologique, Andrews ne problématisa guère son propos sur les Nazaréens, même s’il consacra tout un chapitre au rayonnement européen de ces artistes allemands et à leur inscription dans l’histoire des idées. Il synthétisa des connaissances éparses et les rendit accessibles au grand public. Malgré quelques faiblesses – en particulier dues à un resserrement chronologique trop étroit et à une certaine superficialité de l’écriture –, Andrews proposait de réviser certains préjugés en rappelant notamment à quel point ces jeunes artistes allemands avaient été regardés par leurs confrères européens, corrigeant certains excès historiographiques comme ceux qui voyaient en Ingres l’initiateur du mouvement nazaréen3. Synthèse utile, mais un peu courte, l’ouvrage d’Andrews ne connut guère d’équivalent en allemand. Le conservateur lübeckois Jens Christian Jensen fit certes un bref résumé de ses études sur Overbeck en 1963 pour guider les visiteurs du Behnhaus, dont les collections réunissent le plus important ensemble d’art nazaréen, en particulier d’Overbeck, mais il ne rédigea pas la synthèse que pouvait laisser attendre sa connaissance du terrain (JENSEN : 1963, 1966, 1967). On peut regretter qu’il n’ait pas écrit cet ouvrage pour lequel il disposait à la fois de sources tangibles et de réflexions nouvelles et qu’au lieu de cela la monographie de Rudolf Bachleitner soit venue offrir au grand public une présentation générale du mouvement où il était assimilé à une image assez banale du romantisme allemand (BACHLEITNER, 1976).

Les Nazaréens au Städel et les tensions des années 1980

10 Au même moment cependant, l’exposition organisée en 1977 au Städel de Francfort par Klaus Gallwitz marquait une vraie étape dans la recherche sur l’art nazaréen et permettait de faire le point sur l’avancée rapide des connaissances depuis une dizaine d’années (Die Nazarener, 1977). Mais même si le contexte idéologique n’était plus le même, cet art idéaliste, avant tout religieux, était encore entaché des relents qui avaient accompagné sa résurgence au début du XXe siècle. C’est pourquoi Gallwitz, conscient de s’inscrire dans la lignée de Heise, se sentit obligé de justifier l’organisation d’une telle exposition en faisant valoir le devoir de piété filiale – le Städel comme émanation de l’esprit nazaréen, notamment par le biais de son conservateur Johann David Passavant –, l’intérêt scientifique d’une redécouverte artistique et, enfin, le lien avec l’actualité artistique dont « les symptômes de privatisation, de régression, bref les romantismes » attireraient naturellement le regard vers la peinture romantique du début du XIXe siècle4.

11 L’accueil de l’exposition fut plus que mitigé, aussi bien dans la presse grand public que dans les comptes rendus spécialisés, les uns se heurtant encore à la qualité jugée nulle

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des peintures nazaréennes, les autres aux partis pris et aux erreurs des commissaires. Trop fourre-tout, trop peu sélective, l’exposition fut jugée contre-productive par la critique avertie parce qu’elle réduisait d’emblée les Nazaréens à un condensé de la pensée et de l’œuvre d’Overbeck, soit un art au seul service de la religion chrétienne. Excluant la dimension patriotique et historique, l’imbrication de l’image de dévotion chrétienne et la peinture d’histoire nationale ou encore la peinture de paysage, elle figeait le mouvement dans une même forme de 1808 à 1870 et échouait à montrer que les Nazaréens n’étaient pas isolés dans leur quête passéiste, qu’ils faisaient écho à d’autres tendances artistiques en Europe et au travail d’historiens de l’art liés au mouvement comme Robert Wilhelm Bunsen, Barthold Georg Niebuhr, Ernst Zacharias Platner, Karl Friedrich von Rumohr ou Johann David Passavant.

12 Si l’exposition perpétue donc une vision caricaturale du nazarénisme en l’isolant de la situation artistique, politique, sociale et religieuse de l’époque, le catalogue publié pour l’occasion offre des perspectives plus différenciées (Die Nazarener, 1977). En dehors d’une définition effectivement très partielle du mouvement nazaréen proposée par Hans-Joachim Ziemke, les textes confiés aux conservateurs du Städel et à quelques spécialistes extérieurs tels Margret Stuffmann, Peter Märker, Sigrid et Günter Metken, Ellen Spickernagel, Anton Merck ou Paul Eich, abordent la complexité de la production nazaréenne, telle que l’exposition ne la montrait pas depuis son rôle dans l’art monumental allemand et européen, son expression dans différents genres comme la peinture religieuse ou le portrait, son rapport aux modèles médiévaux, la pratique intensive du dessin, son héritage controversé ou encore sa trivialisation dans l’imagerie religieuse populaire. La question du lien avec l’art italien, français et anglais y est longuement évoquée par Henri Dorra et Günter Metken, ainsi que le contexte philosophique, si ce n’est que dans le rapport houleux avec Goethe que Christian Lenz esquisse avec justesse. Si cet ouvrage, riche et foisonnant, inégal et chaotique, est devenu une référence incontournable, il est aussi révélateur des tendances qui tiraillent alors l’histoire de l’art autour de la peinture nazaréenne, et plus généralement autour de l’art du XIXe siècle. L’effort exigé par la volonté de réhabilitation d’un mouvement important mais difficile à apprécier est manifeste : si la plupart des textes révèlent une grande finesse dans l’analyse, en particulier ceux sur le dessin ou le contexte intellectuel, la postérité ou la réception internationale, d’autres traduisent encore l’hostilité que leur inspirent ces peintres. Réhabiliter tout en hiérarchisant les valeurs : ce défi n’est pas entièrement relevé, à l’instar de la bibliographie surabondante et paradoxalement lacunaire qui achève de dérouter le lecteur.

13 Dans la lancée de l’exposition, le Städel Jahrbuch publia en 1979 un ensemble d’études de jeunes chercheurs qui ont fait date parce qu’elles permettaient de resituer les œuvres nazaréennes dans le contexte plus précis des débats contemporains du XIXe siècle sur la peinture d’histoire et la peinture religieuse en Allemagne et ainsi de mieux problématiser la rupture ou la singularité des Nazaréens, dont la réception se modifia considérablement entre le début et la fin de leur mouvement (BÜTTNER, 1979a ; HINZ, 1979 ; KRENZLIN, 1979b ; MÄRKER, 1979 ; RINGSHAUSEN, 1979 ; SCHOCH, 1979). Deux ans plus tard, l’exposition Die Nazarener in Rom (Die Nazarener in Rom…, 1981) fut l’occasion de montrer à Munich et à Rome un ensemble d’œuvres presque aussi important qu’au Städel, invitant ainsi le public italien à redécouvrir ces peintres allemands qui avaient choisi la ville éternelle comme foyer de leur art. Au même moment, l’achèvement des

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restaurations des fresques du Casino Massimo permit de retrouver le décor monumental qui, à côté de la Casa Bartholdy – dont les fresques avaient été déposées à la fin du XIXe siècle avant d’être présentées à l’Alte Nationalgalerie de Berlin (GEISMEIER, 1967) –, avait durablement ancré la réputation des artistes nazaréens dans l’imaginaire européen (BÜTTNER, 1979b ; MCVAUGH, 1982).

14 Ces expositions et publications s’inscrivent dans un courant plus général qui permit dans les années 1970 de redécouvrir des artistes importants du XIXe siècle. La remise en question des normes esthétiques établies dès la fin du XIXe siècle à propos de ce que l’on pouvait montrer dans un musée ou étudier à l’université ne se fit cependant pas sans heurts. En remarquant en 1926 que la Deutsche Jahrhundert Ausstellung de 1906 avait figé l’image de l’art allemand du XIXe siècle dans une perspective impressionniste, écartant une part importante de la production artistique et abolissant la connaissance historique au profit d’une perception esthétique, Karl Koetschau, directeur du musée de Düsseldorf, avait touché du doigt ce qui, à plus grande échelle, allait durablement marquer l’étude du XIXe siècle5. Des motivations idéologiques s’étant progressivement greffées sur les critères esthétiques – identification entre style et position politique, critique de l’académisme ou de l’idéalisme comme critique idéologique de la bourgeoisie –, la période de réhabilitation du XIXe siècle, des autres XIXe siècles que ceux admis par la canonisation générale, devint plus que tendue. Alors que le contexte de la guerre froide avait polarisé les antagonismes politiques, l’histoire de l’art – au même titre que les autres sciences humaines – entama une difficile et douloureuse remise en question de ses discours dominants, ses « méta-récits » empreints de l’idée de progrès moderniste, en particulier dans le cadre de l’analyse critique de son passé proche – le XIXe siècle. Tandis que les historiens et les philosophes attaquaient les discours universels, la linéarité d’une narration téléologique et les illusions de progrès, les historiens de l’art se mirent à reconsidérer des artistes longtemps oubliés, mais dont la légitimité semblait malgré tout encore leur poser problème par rapport à une idée de la modernité dictée par les avant-gardes.

15 Dans le cas des Nazaréens, des travaux comme ceux d’Ulrike Krenzlin ou de Manfred Jauslin, situés aux deux extrêmes d’une période particulièrement tendue, révèlent la difficulté de s’approprier pleinement les œuvres d’art, tant que le processus de légitimation du discours n’était pas réglé (KRENZLIN : 1979a, 1979b ; JAUSLIN, 1989). Les deux auteurs, en tentant de réhabiliter l’intérêt pour les Nazaréens par une assimilation de leur pratique à celle des avant-gardes, reprenaient des idées qui avaient été soulevées çà et là depuis le début du siècle, en particulier celle qui interprétait la dissidence des jeunes peintres allemands comme le premier mouvement sécessionniste, ce qu’Heinrich Wölfflin avait déjà suggéré en 1911 dans son cours magistral sur la peinture du XIXe siècle6. Tandis que Krenzlin ne s’intéressait qu’aux premiers temps de l’art nazaréen pour sauver ce moment de rupture inédit de sa vulgarisation postérieure, Jauslin tentait de démontrer que ce mouvement devait être vu comme une révolution culturelle dont l’échec avait conduit à des positions dogmatiques et épigonales. Une autre tentative de réhabilitation consista, au même moment, en une réintégration du nazarénisme dans le romantisme, en faisant apparaître la part

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poétique et historique de leur production et en minimisant leur orientation religieuse encore difficile à légitimer (SCHINDLER, 1982).

Retour aux œuvres

16 Parallèlement à ces partis pris, révélateurs de tensions intrinsèques à l’œuvre des Nazaréens, mais aussi de l’embarras conceptuel de ces auteurs, des études ponctuelles se multiplièrent et permirent petit à petit de combler les lacunes, substituant progressivement aux discours fondés sur des approches théoriques la réalité des connaissances et fournissant le matériau nécessaire à une correction fondamentale de l’angle de vision. Avec l’affranchissement postmoderne des critères d’évaluation traditionnels, l’étude du mouvement nazaréen a pris un essor nouveau grâce à une analyse critique du discours et un retour salutaire vers les œuvres.

17 Les Nazaréens retrouvent ainsi progressivement leur place dans les expositions consacrées plus généralement au romantisme allemand, même si c’est surtout à travers leurs dessins, plutôt que leurs peintures, qu’ils sont davantage appréciés, comme le remarquait déjà Heise en 1926 (Overbeck und sein Kreis…, 1928). Leur part devient même prédominante dans les expositions spécifiques de dessins, comme le montre la récente exposition L’âge d’or du romantisme allemand : aquarelles et dessins à l’époque de Goethe (Paris, Musée de la vie romantique, 2008).

18 Quelques expositions furent néanmoins organisées autour d’acteurs centraux du mouvement, mais elles restent rarement monographiques, à l’exception de celles consacrées à Overbeck et Schnorr von Carolsfeld, à l’occasion du bicentenaire de leur naissance (Overbeck…, 1989 ; Schnorr von Carolsfeld… : 1994a, 1994b). Elles éclairent plutôt des aspects partiels de leur œuvre, telles celles sur les cartons réalisés par Overbeck en 1866 à la demande de l’évêque Joseph Georg Stossmayer pour la cathédrale de Djakovo en Croatie – cartons restaurés en Allemagne en 1992 alors que la guerre civile faisait rage dans l’ex-Yougoslavie, revirent à Zagreb en 1995 (Overbeck…, 1994) – ou sur leurs œuvres-phares, comme Italia et Germania d’Overbeck (1828, Munich, Neue Pinakothek) dont on a retrouvé en 1999 le carton original (Overbeck…, 2002).

19 C’est aussi à l’occasion d’une importante campagne de restauration que les cartons réalisés par Schnorr von Carolsfeld pour la Vie de Charlemagne à la Résidence de Munich sont montrés au public en 1999 (Schnorr von Carolsfeld…, 1999). Ce Nazaréen protestant jouit d’une visibilité plus grande que les deux peintres centraux du mouvement, peut- être grâce à sa Bibel in Bildern [bible en images] (1851-1860), dont le succès populaire assura la pérennité d’une certaine imagerie religieuse nazaréenne (Schnorr von Carolsfeld…, 1982), ou à son style qui pouvait concilier une certaine verve réaliste à l’idéal nazaréen (Schnorr von Carolsfeld…, 1999). En 1994, le bicentenaire de sa naissance donna lieu également à un colloque organisé par l’institut Caspar David Friedrich de l’université de Greifswald (VOGEL, 1996) ; il y fut non seulement question des œuvres du peintre, mais aussi des liens qu’il entretenait avec les écrivains et philosophes de son temps, des relations tissées à Rome avec des confrères hongrois, autrichiens, ou encore avec ses modèles, comme la fameuse . À défaut d’une exposition monographique, Peter von Cornelius a eu droit à des expositions-dossiers sur ses dessins pour le Faust de Goethe ou ses cartons par la Glyptothek de Munich (Peter Cornelius…, 1991 ; Die Götter Griechenlands…, 2004). À l’occasion de cette dernière exposition, une journée d’étude rassembla les spécialistes pour un éclairage transversal

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de l’œuvre du peintre, depuis la tension entre son enseignement et sa pratique, entre l’invention d’un langage iconographique et le rôle des cartons dans le processus créatif (KREMPEL, 2004).

20 En dehors des grandes figures, quelques expositions furent consacrées aux manifestations locales du mouvement, en particulier en Autriche et dans le sud de l’Allemagne, à travers des peintres moins connus, jugés secondaires dans une grande histoire de l’art nationale, mais essentiels pour l’histoire de l’art plus locale (Die Nazarener in Österreich…, 1979 ; Klassizisten-Nazarener…, 1982 ; Nazarener in Schwaben…, 1990 ; Flatz…, 2000 ; Spätromantiker und Nazarener, 2000).

Peter von Cornelius

21 Parmi les ouvrages fondamentaux qui ont permis de faire avancer la réflexion sur la peinture nazaréenne, le travail de Frank Büttner sur les fresques et projets de décors monumentaux de Cornelius est venu combler l’une des lacunes les plus béantes de l’histoire de l’art allemand du XIXe siècle (BÜTTNER, 1980). Fêté tout d’abord comme le grand rénovateur de l’art monumental en Allemagne, auteur entre autres des peintures murales de la Glyptothek de l’Alte Pinakothek (1830) et de la Ludwigskirche à Munich (1836-1840), héraut de l’idéalisme et de la grandeur, directeur de l’Académie de Düsseldorf, puis de Munich, considéré par la critique allemande et étrangère comme le premier peintre allemand de son temps, chef de file d’une école prolifique censée ressusciter le lien étroit entre l’art et le peuple, avant de connaître de son vivant encore l’échec brutal de sa peinture, jugée anachronique et impopulaire, le peintre n’avait jusqu’alors jamais fait l’objet d’une étude systématique. Büttner a su le premier défricher un domaine qui nécessitait d’importants efforts de reconstitution documentaire et visuelle à partir d’archives, de cartons et de dessins dispersés. Nombre de peintures murales ayant disparu, il s’agissait véritablement de reconstruire un objet devenu pratiquement invisible alors qu’il avait profondément marqué le débat et la création artistique des années 1820 jusqu’à la fin du XIXe siècle.

22 Les vingt ans qui séparent la publication des deux volumes de cette monographie, parus respectivement en 1980 et 1999 (le troisième volume, consacré aux autres œuvres du peintre, est annoncé sans date précise), permettent de saisir non seulement l’ampleur du chantier, mais aussi les problèmes méthodologiques posés par le sujet. L’auteur analyse lui-même le changement dans sa propre approche du sujet : d’une étude relevant de la seule histoire de l’art – vérification des sources, définition stylistique, etc. –, il a progressivement élargi son champ de réflexion à mesure qu’il appréhendait la complexité réelle de ces œuvres. La dimension théologique, longtemps négligée par rapport à la peinture religieuse allemande du XIXe siècle, est apparue comme une clé essentielle pour la compréhension véritable des programmes compliqués et inédits de Cornelius, en particulier dans la question du clivage confessionnel qui affecte les modes de représentation et d’interprétation. Face à la complexité de son objet, Büttner s’est ainsi mis à croiser, entre autres, histoire politique, histoire des idées et histoire de l’histoire de l’art pour mieux saisir une peinture trop longtemps négligée et intellectuellement sous-estimée. Par une analyse minutieuse et détaillée des œuvres, il montre comment Cornelius tenta de fonder une nouvelle pratique iconographique nourrie d’un intense travail sur les sources théologiques et iconographiques mais adaptée aux enjeux contemporains. Le choix de représenter les rois saints comme un

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groupe autonome dans les fresques du chœur des saints de la Ludwigskirche de Munich fait ainsi écho au principe de la grâce de Dieu comme fondement de la politique de la restauration, de même que la stricte hiérarchisation des ordres célestes est pensée comme un reflet de la nécessité d’une hiérarchie sociale dans le monde terrestre, comme au Moyen Âge. Cornelius intègre des aspects concrets de la politique religieuse de son temps, tel le soutien aux missions dans l’idée de l’Église comme institution universelle. Le caractère parfois labyrinthique de l’ouvrage de Büttner, qui n’offre pas de synthèse rapide mais une richesse d’information foisonnante, permet de prendre la mesure du retard à rattraper dans nos connaissances de la pratique artistique allemande de cette période (GRASSL, 1986). De fait, les travaux de Büttner ont profondément modifié la réflexion sur les œuvres de Cornelius, et plus généralement des Nazaréens, en ouvrant la voie à une analyse iconographique sérieuse (BÜTTNER : 1979a, 1983, 1991). C’est sur ces fondements qu’il a par la suite pu, entre autres, explorer de manière pertinente la réception de l’artiste en son temps (BÜTTNER, 1993).

23 Parallèlement, le travail de Monika Wagner, consacré plus généralement aux programmes de décors monumentaux en Allemagne au XIXe siècle, a lui aussi permis de mieux comprendre l’enjeu de cette pratique et son impact dans le langage visuel de la peinture d’histoire de l’époque (WAGNER, 1989), tandis que des études plus circonscrites et néanmoins essentielles tentaient d’affiner l’identification de sources visuelles précises, notamment dans l’emblématique ou les fresques de Michel-Ange (DORRA : 1973, 1988 ; GÖRNER, 1975). Une étude sur le décor disparu de l’Alte Pinakothek, qui articulait histoire de l’art allemand et italien dans les coupoles d’une longue galerie, montre l’impact de la réflexion théorique et historique sur l’art, le rapport aux sources anciennes et aux ouvrages historiographiques nouveaux, ainsi que les enjeux idéologiques d’un programme qui lie l’art des deux nations et les fait communier ensemble dans l’esprit de Raphaël (BIELMEIER, 1983).

Friedrich Overbeck

24 Plus d’un siècle après la première et unique monographie consacrée à Overbeck (HOWITT, [1886] 1971), le travail de Brigitte Heise a permis, là encore grâce à un dépouillement exhaustif des sources, notamment celles conservées à Lübeck, de quitter enfin le domaine du romanesque et de l’anecdote pour aborder plus sérieusement cette autre figure centrale du mouvement (HEISE, 1999). Peintre incontournable à Rome jusqu’à la fin de sa vie – tous les amateurs d’art de passage se devaient de lui rendre visite dans son atelier, à l’instar du pape Pie IX –, Overbeck est le représentant le plus « durable » du mouvement, alors que les autres membres ont quitté l’Italie et pris la direction d’institutions artistiques en tout genre. Fondateur de la confrérie avec son ami Franz Pforr, il reste fidèle jusqu’à sa mort au programme fixé dans sa jeunesse : être un artiste chrétien dans le seul but de la vérité. Alors que sa réception critique bascule définitivement en 1840 avec le jugement assassin de Vischer (POCHAT, 1983) sur le Triomphe de la religion dans les arts, l’image du « peintre-moine » se fossilise bientôt dans les mémoires : devenu le mètre-étalon du mouvement nazaréen, il semblait incarner à lui seul la vie et la mort de l’art nazaréen, depuis le projet dynamique d’une rébellion contre l’ordre établi et la perpétuation d’une idée de l’art hors du temps, jusqu’à son enlisement dans le dogme et la stérilité artistique. En exhumant le fonds d’archives personnelles à Lübeck, Heise a permis de faire apparaître un Overbeck

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soucieux du lien avec sa ville d’origine, réfléchissant aux enjeux de sa conversion et à son lien avec le passé. Parallèlement, plusieurs chercheurs se sont mis à analyser plus précisément le langage iconographique, la dimension philosophique, l’invention théologique de ses œuvres, qui sont réapparues sous un jour plus contrasté, moins figé. Cet œuvre à la simplicité apparente a ainsi commencé à révéler toute la complexité « hiéroglyphique » d’un idéalisme nourri des lectures de Friedrich Wilhelm Joseph Schelling et d’une quête de vérité objective à mille lieues du naturalisme (FASTERT, 1996 ; STOLZENBURG, 1995 ; SCHLINK, 2001 ; FRANK, 2002).

25 Emboîtant le pas à Brigitte Heise, Michael Thimann s’est engagé dans une lecture approfondie des œuvres d’Overbeck en complétant l’exhumation des sources allemandes par celle des sources italiennes, reconstituant autour de l’œuvre du peintre le contexte de la restauration romaine et du purisme religieux. Il montre clairement comment le peintre prenait en compte le regard des spectateurs modernes, conscient que pour ses contemporains le langage religieux n’allait plus de soi et qu’il ne pouvait plus s’adresser à eux comme un peintre médiéval. Avec une conscience historique aiguë, Overbeck savait que la renaissance de la pensée chrétienne devait surmonter la rupture rationaliste contre laquelle elle se dressait. Plus encore, il n’était pas le pasticheur ignorant si souvent décrié, mais au contraire un peintre qui réfléchissait à l’histoire de l’art et qui tentait de comprendre les pratiques anciennes qu’il ressuscitait : ainsi, il réalisa parallèlement des œuvres pour les autels de la Marienkirche de Lübeck et de la cathédrale de Cologne, tout en rédigeant un essai historique sur le genre du retable. Après avoir annoncé le renouveau de la peinture dans la Résurrection de Lazare (1808, Lübeck, Museum für Kunst und Kulturgeschichte), œuvre de jeunesse, Overbeck a choisi sa voie, où l’imitation revêtait un sens positif et créatif, avant de recentrer ses tableaux sur leur sens religieux, tout en corrigeant l’affiliation normative à Raphaël de ses débuts. Thimann a fait apparaître la singularité des œuvres et de la réflexion méta-artistique d’Overbeck, qu’il qualifie de « théologien de l’image » (THIMANN : 2001, 2005a, 2005b, 2006b, 2008) ; la monographie qu’il lui consacre devrait approfondir cette intelligence nouvelle des images et de leurs concepts dans une approche délestée des a priori critiques.

La peinture d’histoire profane

26 Même si la peinture religieuse est centrale dans le programme nazaréen, elle n’est pas exclusive : les peintres nazaréens, convaincus de la nécessité de ressusciter le grand genre de la fresque ou de la peinture monumentale à la suite de Cornelius, ont souvent réalisé d’importants programmes aux sujets historiques ou littéraires à la demande de souverains allemands ou de commanditaires privés. Sabine Fastert est une des premières chercheuses à avoir approfondi la réflexion sur la dimension patriotico- historique du mouvement nazaréen (FASTERT : 2000a, 2000b). En s’intéressant à la peinture d’histoire non religieuse, et plus particulièrement à la réception du Moyen Âge dans le contexte de l’historiographie de l’époque, elle a pu montrer que les Nazaréens ont été parmi les premiers à s’intéresser à l’histoire nationale, et notamment à l’histoire médiévale, symptôme d’une conscience historique de plus en plus vive. Si ce recours au passé médiéval faisait partie des programmes iconographiques fixés par des souverains comme Louis Ier de Bavière dans l’idée de fonder une conscience nationale germanique, son mode de représentation pouvait toutefois générer des tensions entre peintres et commanditaires. D’une manière générale, le lien entre art nazaréen et

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Restauration a souvent été avancé comme une évidence en raison du conservatisme affiché des peintres ; pourtant, en y regardant de plus près, on constate que seule la Bavière s’est activement emparée de ce « renouveau » de la peinture allemande pour en faire son outil de représentation, tandis que l’Autriche ou la Prusse ne soutinrent ce mouvement que bien plus tard. En s’appuyant en particulier sur le cas des salles des Empereurs de Schnorr von Carolsfeld dans les pièces de réception de la Residenz de Munich, Fastert remet utilement en question la vision schématique d’un art nazaréen au service du pouvoir en montrant que même en Bavière les intérêts esthétiques et politiques divergeaient (1845-1847) : tandis que Schnorr souhaitait mettre en scène le sens « abstrait » joué par ces empereurs dans une histoire de l’humanité universelle et religieuse, Louis Ier l’obligea à ancrer ses représentations dans la réalité historique et l’action anecdotique que le peintre qualifiait dédaigneusement de « revue de presse » du Moyen Âge.

27 Fastert articule son travail autour de la représentation récurrente, dans le travail des Nazaréens, des trois empereurs Charlemagne, Barberousse et Rudolph de Habsbourg. Son propos est d’autant plus éclairant qu’il se fonde sur un important dépouillement d’archives – correspondances officielles et privées, commandes et programmes, etc. – ainsi que sur l’analyse attentive des œuvres. Aussi le résultat de son travail permet-il de souligner la singularité stylistique et idéaliste de la peinture d’histoire nazaréenne, ainsi que les problématiques inhérentes aux changements de l’acception de l’histoire, depuis les Lumières jusqu’aux « historicismes » du XIXe siècle, et la question de l’influence décisive des souverains dans la réalisation artistique de cette époque.

Le rayonnement des Nazaréens

28 La question du rayonnement européen des Nazaréens a très tôt intrigué les chercheurs : marginalisés dans les descriptions de l’art du XIX e siècle, ces jeunes peintres allemands aux cheveux longs et à l’allure excentrique, installés au cœur de la scène artistique internationale à Rome, ont pourtant été à leur époque les ambassadeurs les plus efficaces de l’art allemand. À la suite de Keith Andrews, qui avait indiqué les pistes à suivre, William Vaughan a été l’un des premiers à réaliser une étude de fond, tirée de sa thèse The German Manner in English Art, 1815-1855 (Londres, 1977), consacrée au phénomène de leur réception, en s’intéressant au cas de l’Angleterre (VAUGHAN : 1979, 1998 ; voir aussi ETTLINGER, 1970 ; METKEN, 1977a ; BENEDETTI, 1982 ; LOTTES, 1983). Allant plus loin que la constatation habituelle et peu fondée de la ressemblance entre la confrérie des Nazaréens et le groupe des Préraphaélites, Vaughan tente de déterminer plus précisément les facteurs d’une « influence allemande » sur l’art britannique de la première moitié du XIXe siècle. En reconstituant les liens politiques, commerciaux, intellectuels et en repérant les moments où les traductions de Schelling, Schlegel, Novalis ou Schiller se multiplièrent, il explique pourquoi le style des Nazaréens et le goût des peintures monumentales a pu à un certain moment répondre à une demande, mais aussi susciter une réflexion de fond sur l’identité et les buts artistiques en Grande-Bretagne.

29 L’historien de l’art américain Henri Dorra a de son côté approfondi la question des rapports entre Nazaréens et artistes français, produisant un texte fondateur pour le catalogue de Francfort (DORRA, 1977). Il y retrace l’importance des Nazaréens pour les peintres catholiques de l’école lyonnaise au moment où, sous l’influence de Lamennais,

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Lacordaire et du comte de Montalembert, le catholicisme français connaît un essor nouveau en quête d’un mode de représentation adéquat (voir aussi DORRA, 1975). De Victor Orsel et Hippolyte Flandrin à Pierre Puvis de Chavannes en passant par Paul Chenavard, Dorra esquisse la perpétuation de l’impulsion des Nazaréens pour une peinture religieuse nouvelle en France. L’importance des idées nazaréennes est particulièrement sensible chez les peintres lyonnais, ce qui a conduit Michel Caffort à consacrer l’expression de « Nazaréens lyonnais » en référence à Claudius Lavergne, et l’on pouvait, pour une fois, voir dans l’exposition Le temps de la peinture : Lyon 1800-1914 des tableaux de Pforr et de Cornelius figurer aux côtés de ceux d’Orsel ou de Flandrin (CAFFORT, 2007). La question de « l’influence nazaréenne » a été ponctuellement étudiée dans l’œuvre d’artistes français comme Ingres (FRANK, 2006 ; CAFFORT : 1983, 1986), Émile Signol, Paul Chenavard (GRUNEWALD, 1987) ou Savinien Petit (MACÉ DE LÉPINAY, 2002), avec parfois une réflexion plus large sur la question des identités nationales et leur représentation comme dans le cas des peintres belges Godefroid Guffens et Jean Swerts (OGONOVSZKY, 2004), ou encore sur le positionnement esthétique singulier entre Ingres et Overbeck du peintre bernois Adolf von Stürler (FEHLMANN, 2005). Quant à la réception critique par les Français, peu d’études systématiques ont vu le jour, hormis pour Théophile Gautier qui profita de l’Exposition universelle de 1855 pour publier un texte sur l’art allemand, c’est-à-dire sur Cornelius et l’art nazaréen, dans lequel il constatait l’échec de la peinture philosophique (MOULINAT, 2005).

30 Alors qu’on savait que les colonies d’artistes s’étaient inévitablement croisées à Rome, exposant les œuvres aux yeux des uns et des autres lors de présentations officielles et « nationales » ou lors de visites d’atelier informelles, festoyant ensemble au Ponte Molle ou s’évitant soigneusement dans les cafés romains, les historiens de l’art ont longtemps hésité à se pencher sur ces lieux de convergence face à la difficulté d’en retrouver des traces tangibles (voir cependant BÜTTNER, 1988 ; Fohr…, 1995b ; JENSEN , 2001 ; STUFFMANN, BUSCH, 2001). L’exposition consacrée à la vie artistique à Rome autour de Bertel Thorvaldsen, dont Colin Eisler a souligné le rôle aussi pour les Nazaréens (EISLER, 1999), a permis de reconstituer une partie de ces réseaux en soulignant les liens qui unissaient le sculpteur danois et ses amis allemands (Künstlerleben in Rom…, 1991). Si cet ouvrage de référence ne concerne pas seulement les artistes nazaréens, il permet néanmoins de comprendre leur inscription dans un réseau de circulation des idées et des images qui apparaît plus dense qu’auparavant : aussi les études de Sabine Fastert consacrées aux échanges d’idées entre Nazaréens et Français à Rome sont-elles des apports précieux par rapport à la dimension européenne des débats et réflexions artistiques – comme celle autour de la redécouverte de la fresque – parce qu’elles croisent utilement sources allemandes, italiennes et françaises (FASTERT : 2001, 2003, 2006). Enfin, la question de l’héritage nazaréen, de sa confrontation avec le purisme italien, des réinterprétations stylistiques et du transfert de ses idéaux a fait l’objet d’études ponctuelles révélatrices d’un intérêt nouveau pour des formes « régionales » (RICHTER, 1983 ; SORRIES, 1990) ou la trivialisation de ses idéaux (BROWN, 1994 ; DE FONTBONA, 1990 ; LAROCHE, 1991 ; RAGN-JENSEN 1978). Abordée par Sigrid Metken en 1977 (METKEN, 1977b), la production d’images pieuses inspirées par les Nazaréens, dont le succès durable peut être comparé à celui des images saint-sulpiciennes (RINGSHAUSEN, 1979), n’a commencé à être vraiment prise en compte que dans la mouvance de l’analyse culturelle des images.

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Postmodernité

31 À la suite de la publication d’importants inventaires de musées allemands, les fonds nazaréens sont progressivement devenus accessibles aux chercheurs (Nazarenische Zeichenkunst, 1993 ; Fohr…, 1995a), rendant possible la réalisation de différentes formes de catalogues raisonnés (SUHR, 1991 ; WOLF-TIMM, 1991 ; TEICHMANN, 2001) qui à leur tour offrent la possibilité d’une nouvelle réflexion sur les peintres de ce mouvement. Symptomatique du changement de position de la jeune génération de chercheurs, le catalogue raisonné de Wilhelm von Schadow par Cordula Grewe propose bien plus qu’une monographie traditionnelle (GREWE, 1998). En s’appuyant sur les recherches actuelles sur le conservatisme politique, notamment des historiens américains James Retallack, David E. Barclay ou Larry Eugene Jones, l’auteur s’inscrit dans la mouvance des travaux « révisionnistes », dans le sens anglo-saxon du terme. Le conservatisme moral, esthétique, idéologique est envisagé comme une manifestation à part entière de la modernité, comme une manière d’opposer aux idéaux de la Révolution française des modèles et systèmes de représentation alternatifs. Le fantasme de l’évolution linéaire du XIXe siècle, de la montée de la bourgeoisie et de la fin inéluctable de la « vieille Europe » monarchique et aristocratique est écarté pour faire apparaître la complexité d’une modernité qui ne se réduit pas à la seule conquête de la liberté par une bourgeoisie rationaliste et organisée. Le conservatisme n’est plus interprété comme une lutte réactionnaire contre l’esprit de son temps, mais comme une émanation de l’esprit du temps, à un moment où l’Église et la monarchie ne sont plus une évidence et où les tentatives de les légitimer sont aussi osées que les ambitions « progressistes » de la partie adverse. La question de savoir s’il s’agit de bonne ou de mauvaise peinture est évincée, mais non l’étude rigoureuse des œuvres, qui sont à la fois regardées de près et soumises à une analyse qui mobilise l’histoire artistique, politique, sociale, théologique, économique, etc. L’absence d’empathie avec son sujet, le détachement visible par rapport à l’artiste, que Grewe étudie avec minutie mais sans bienveillance, témoignent du changement de cap amorcé par la recherche : il ne s’agit plus de réhabiliter un courant artistique ou de valoriser son échec comme le symptôme d’une avant-garde, mais de le comprendre – évidemment dans le contexte de l’histoire des idées et des mentalités – dans ses propres incohérences, ses faiblesses et ses achèvements.

32 La fin des années 1990 et le début des années 2000 ont ainsi vu paraître un nombre considérable d’études dont le changement de ton révèle tout l’impact de la postmodernité dans le positionnement théorique des chercheurs. La récente exposition consacrée aux Nazaréens à Francfort, Religion Macht Kunst, en est sans doute l’avatar le plus extrême et le plus contrasté (Religion Macht Kunst…, 2005). Épurée, soigneusement sélective, elle a évité l’écueil de l’indigestion provoquée par l’exposition de 1977. Curieusement les commissaires, Christa Steinle et Max Hollein, ont eu recours au même schéma de justification que leurs prédécesseurs en invoquant le devoir moral d’organiser l’exposition à Francfort et la nécessité de corriger le regard sur les Nazaréens et de démontrer le lien avec l’actualité artistique et politique. Mais ce lien est cette fois mis en avant d’une manière autrement provocante puisque l’argument central de cette exposition est non seulement de démontrer la modernité des Nazaréens, mais de prouver qu’ils furent d’une certaine manière les pionniers de la culture pop. Si l’époque postmoderne est plus à même de comprendre le recours des Nazaréens aux œuvres du Quattrocento allemand et italien, la plupart des arguments

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soulevés pour marteler leur modernité sont quelque peu éculés (les Nazaréens comme premiers sécessionnistes), superficiels (les Nazaréens comme premiers artistes conceptuels), voire absurdes : l’après-11 septembre impliquant selon les auteurs une nouvelle ère de conflit religieux entre chrétienté et Islam, n’est pas réellement comparable au début du XIXe siècle. Même si le « retour du religieux » pourrait nous permettre de mieux apprécier le travail des Nazaréens, le ton adopté par la plupart des auteurs, qui n’hésitent pas à s’appuyer sur des citations des chanteurs Sting, Xavier Naidoo ou Theodor W. Adorno, radicalise le détachement évoqué plus haut. Stratégie de marketing un peu trop visible, l’argument de la modernité, même présenté par le spécialiste de la question, Beat Wyss, ne convainc pas, tant les arguments relèvent du cliché que l’on est pourtant censé abolir. Mais derrière l’effet d’annonce un peu clinquant, d’autres auteurs relèvent le défi de cette démonstration dans un registre autrement plus virtuose et érudit, à l’instar de Cordula Grewe ou de Michael Thimann, qui proposent de réelles analyses comparées des enjeux théologiques et idéologiques et plus proches de la réalité. Tandis que la première s’interroge sur la tension entre « objectivité » et « subjectivité » dans le projet artistique nazaréen et son rapport avec la réflexion contemporaine de Schlegel sur le « sentiment » et la « vérité » ou la visualisation d’expériences divines par Friedrich, le second emboîte le pas à Aby Warburg, qui s’était étonné de la place éminente accordée à Overbeck dans la basilique Sainte-Marie-des-Anges d’Assise (GREWE, 2005a ; THIMANN, 2005a). Contrairement aux commissaires de l’exposition, ces auteurs ne ressentent pas le besoin de légitimer leur intérêt pour les Nazaréens et se contentent de réfléchir au sens de cette modernité comme concept historique et non comme une plate adaptation à nos valeurs actuelles.

33 C’est avec ce même sérieux et une érudition évidente que le comparatiste américain Lionel Gossman a décidé de rendre justice aux peintres nazaréens. Sa démarche est d’autant plus intéressante qu’elle intègre dans sa réflexion la difficulté de travailler sur des peintres toujours absents des cimaises des musées et pour lesquels une monographie récente manque toujours, et qu’elle révèle les possibilités dont dispose le chercheur actuel pour tenter de pallier ces lacunes. Utilisant les outils numériques les plus récents, il a ainsi fait réaliser à des fins pédagogiques un cours expérimental multimédia, véritable musée virtuel de l’art nazaréen rassemblant images, musiques, textes sources et indications bibliographiques, pour ses étudiants de Princeton7. En même temps, il publiait une version longue de son cours dans la revue internet Nineteenth Century Art worldwide, sorte d’introduction générale aux problématiques posées par la peinture nazaréenne (GOSSMAN, 2003). Intitulé « Unwilling Moderns » deux ans avant l’exposition de Francfort, son article tente la synthèse des connaissances historiques et prises de conscience critique depuis les années 1960, alimentée par une connaissance précise de l’histoire allemande des idées. La dernière partie de cet article, consacrée plus spécifiquement à une analyse de quelques œuvres de Franz Pforr, ébauche les contours d’une réflexion plus personnelle sur l’empreinte néo-humaniste qu’il y décèle. Au-delà du lien tissé par le peintre entre la situation politique de l’Allemagne de son temps et le sujet médiéval de tableaux tels que l’Entrée de Rodolphe de Habsbourg dans la ville de Bâle en 1273 (1809-1810, Francfort, Städelsches Kunstinstitut), dont le sens sous-jacent – l’espoir de voir ressusciter le Saint Empire romain germanique – avait déjà été signalé (CHAPEAUROUGE, 1977), Gossman voit plus généralement dans le strict ordonnancement des figures isolées les unes des autres, autonomes mais liées dans une action centrale sans ségrégation hiérarchique, l’indice de la quête d’une unité perdue, une volonté de réconciliation entre liberté et

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autonomie de la partie et unité de l’ensemble, subjectivité et objectivité, réalité et vérité. Il vient de publier le résultat de ses réflexions dans un ouvrage qui tente de montrer à travers le processus d’invention et de transformation d’une image mythique, qui de Sulamith et Maria est devenue Italia et Germania (1828, Munich, Neue Pinakothek), comment le mouvement nazaréen fut animé par le désir d’une unité originelle, pré- confessionnelle, quasi pré-historique, pour résoudre le sentiment d’aliénation historique (GOSSMAN, 2007). L’idée que les Nazaréens auraient été animés par la quête d’une origine non divisée, d’une unité morale et spirituelle totale, avait déjà été avancée en 1929 par Alfred Neumeyer, pour qui cette position était un avertissement contre la vision nationaliste de l’art8. Très récemment, ce désir de réconciliation, topos du romantisme allemand, a été étudié dans le cas de Runge et de Friedrich9. Il serait sans doute utile de croiser les réflexions sur les deux branches du romantisme allemand pour en finir avec cette distinction schématique qui a trop longtemps empêché de voir le fonctionnement hiéroglyphique et mystique de la peinture nazaréenne.

L’école de Düsseldorf

34 Comme les Nazaréens, les peintres de l’école de Düsseldorf ont connu une période de ferveur nationale et de rayonnement international, avant le déclin rapide de leur réputation. L’ouverture de la Düsseldorf Gallery, à New York en 1849, correspondit au sommet de leur gloire (GAEHTGENS, 1988 ; SITT, 1996 ; GERDTS, 1999). Ces peintres, issus de l’Académie de Düsseldorf ou gravitant tout autour dans des associations artistiques libres, sont difficilement réductibles à un seul terme ou à une seule définition stylistique. Tandis que Peter von Cornelius voulait rétablir la tradition de la fresque au cours de son directorat, son successeur, Wilhelm von Schadow, privilégia la pratique de la peinture de chevalet et l’étude d’après la nature. Ce sont ses élèves qui fondèrent la réputation de l’école, en particulier les peintres d’histoire Carl Friedrich Lessing, Eduard Bendemann, Theodor Hildebrandt, Carl Ferdinand Sohn, Julius Hübner. Leurs tableaux exploraient thèmes bibliques, littérature médiévale, sujets sentimentaux. Mais on comptait également parmi les représentants de la peinture de Düsseldorf des peintres de genre très influents comme Johann Peter Hasenclever, Adolph Schroedter, Wilhelm Joseph Heine, Carl Hübner, ou encore des peintres de paysage réputés comme Johann Wilhelm Schirmer ou Andreas et Oswald Achenbach.

35 L’école de Düsseldorf est de fait révélatrice de la vivacité des débats esthétiques et artistiques dans l’Allemagne des années 1830-1840, à un moment où la réflexion sur la peinture d’histoire, ses fonctions, ses devoirs, ses possibilités, était particulièrement intense. La situation politique de la Rhénanie – récemment soumise à la Prusse – démultipliait les questions liées à l’identité nationale alors que l’Allemagne n’existait pas en tant que telle mais se cherchait une unité culturelle. Les interrogations sur le but de l’art, la polarité entre réalisme et idéalisme, le choix des références, l’identité artistique nationale se reflétèrent donc de manière particulièrement visible dans les œuvres de ces artistes et dans la réaction enthousiaste ou critique qu’ils suscitèrent. L’idée que l’art allemand se trouvait alors au seuil d’un nouvel épanouissement était partagée par beaucoup d’auteurs qui, comme Wilhelm von Humboldt, considéraient que c’était là l’expression du niveau général de la formation spirituelle de son temps. Dans le camp des Junghegelianer, un tableau comme le Sermon des Hussites de Lessing

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devint vite une icône de la peinture d’histoire moderne, abolissant à leurs yeux l’idéalisme stérile des peintres académiques ou nazaréens pour s’adresser directement au public avec des sujets qui le concernaient. Ce tableau, qui représente une messe hussite organisée en plein air par un moine-guerrier animé par la volonté farouche de résister à l’Église catholique, fait écho aux tensions confessionnelles qui agitaient la Rhénanie prussienne dans ces années-là et qui couvaient dans toute l’Allemagne. Avec son Assassinat des enfants d’Édouard IV, Theodor Hildebrandt (1835, Düsseldorf, Kunstmuseum) s’inscrivait visiblement dans un dialogue avec Paul Delaroche, dont la vogue n’allait cesser de croître outre-Rhin. Le rapprochement avec la peinture d’histoire française et belge du moment sembla aux yeux de Jacob Burckhardt une voie salutaire pour le renouvellement de la peinture d’histoire allemande. De fait, le laboratoire artistique de Düsseldorf offrait un spectacle contrasté qui marquait la fin de la hiérarchie des genres et le début d’une critique sociale par les peintres dans des tableaux qui oscillaient entre genre et histoire.

La réflexion marxiste

36 Passée de mode dès les années 1860, cette peinture actuelle et engagée, divertissante et populaire, fut rapidement étiquetée « soziale Tendenzmalerei » et écartée des histoires de l’art, au même titre que la peinture « bourgeoise » et « académique » de Bendemann ou de Sohn. Alors que les directeurs des collections de Düsseldorf, Walter Cohen et Karl Koetschau, avaient tenté de raviver l’intérêt pour la peinture de Düsseldorf dans les années 1920, au moment de l’ouverture du Kunstmuseum de Düsseldorf, par le biais de grandes expositions et d’études d’œuvres publiées dans les fascicules du musée, l’intérêt des chercheurs était resté circonscrit à de rares études ponctuelles. Seul artiste à échapper à ce désintérêt manifeste, le peintre Alfred Rethel était avant tout étudié pour la « modernité » formelle de ses lithographies sur les événements de 1848, malgré la tentative de Koetschau de le replacer dans un contexte plus vaste et plus complexe avec son ouvrage Alfred Rethels Kunst : vor dem Hintergrund der Historienmalerei seiner Zeit (1929).

37 C’est à un historien de l’art de la RDA, Wolfgang Hütt, que l’on doit finalement la première et unique monographie sur l’école de Düsseldorf (HÜTT, [1964] 1995), qu’il tira de sa thèse, consacrée aux rapports entre l’art de Düsseldorf et les mouvements démocratiques de la première moitié du XIXe siècle, soutenue en 1957 à Halle. Particulièrement sensible à l’engagement social de certains peintres inscrits dans le réseau de la gauche rhénane avec des penseurs et littérateurs progressistes, socialistes ou communistes – dont Marx et Engels firent partie –, Hütt s’attacha en effet surtout à reconstituer ces liens intellectuels et politiques et à en retrouver la trace dans les œuvres. Il rappela ainsi que le tableau de Wilhelm Joseph Heine, Messe dans la prison (1837, Leipzig, Museum der bildenden Künste), acheté par la Kunstverein [société d’art] de Leipzig pour son futur musée, faisait explicitement allusion à la persécution des démocrates, tandis que Carl Hübner dénonçait les privilèges et injustices sociales dans ses Tisserands silésiens (1844, Düsseldorf, Kunstmuseum) ou Le droit de chasse (1845, Düsseldorf, Kunstmuseum). Peintre central dans sa démonstration, Hasenclever réalisa avec ses Ouvriers devant le conseil municipal en 1848 (vers 1849, Cologne, Wallraf-Richartz- Museum) un tableau d’histoire qui fit date en commémorant les revendications des ouvriers, devant le conseil municipal, pour des conditions de travail plus dignes. En reconstituant le contexte de cette production artistique, Hütt rétablit efficacement un

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état des connaissances jusqu’alors disparate et lacunaire, même si le fait de considérer ces œuvres comme l’expression des désirs et représentations de la bourgeoisie figeait d’une certaine manière le discours des critiques contemporains du XIXe siècle en pérennisant leur dimension politique.

38 Si on peut reprocher à Hütt d’avoir exagéré certaines interprétations en associant de manière systématique académie et pouvoir et en transformant certaines œuvres en icônes du prolétariat, il faut garder à l’esprit que ses recherches sur la peinture « bourgeoise » devaient aussi lutter contre la prégnance dogmatique de la SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands), dont il fut à plusieurs reprises victime. Il devait donc défendre son projet de recherche en soulignant sa dimension critique et sociale, quitte à parfois forcer le trait comme dans son article de 1955 à propos du célèbre tableau de Hasenclever (HÜTT, 1955a). Il reste malgré tout celui qui a donné une impulsion décisive à la recherche en remettant en question l’idée d’un art académique et uniforme, tel qu’on le décrivait encore, pour faire apparaître la diversité des formes artistiques ainsi que les différentes ramifications idéologiques et les liens avec la littérature et la pensée politique de l’époque (HÜTT : 1955b, 1958).

39 On trouve dans ce travail les prémisses de cette réflexion de fond sur la dimension sociale de l’art qui allait conduire au renouvellement du débat sur l’autonomie de l’art dans les années 197010. L’apport marxiste, entre autres des historiens d’art de la RDA, a contribué à remettre en cause la définition traditionnelle d’un art bourgeois, ainsi que l’idée d’une esthétique de la pure subjectivité, pour mettre en lumière l’engagement social et critique des artistes (GAGEL, 1972 ; ROTHE, 1972 ; BESTVATER-HASENCLEVER, 1979 ; GROSSMANN, 1985 ; SOINÉ, 1990). Rééditée deux fois depuis 1964, en 1984 et 1995, la monographie de Hütt reste non seulement une référence en la matière, mais elle témoigne de l’évolution de la réflexion de l’auteur, qui a lui-même modifié et corrigé nombre de ses premières positions. De fait, sa monographie a servi de source et de pierre d’angle pour la plupart des auteurs qui se sont par la suite lancés dans l’étude de cette école, comme récemment William Vaughan, qui s’est appuyé sur cet ouvrage pour une grande partie de sa réflexion sur les Meisterklassen de Düsseldorf (VAUGHAN, 2000).

Les années 1970

40 Dans l’Allemagne de l’Ouest, les travaux d’inventaire menés par Irene Markowitz (MARKOWITZ, ANDREE, [1967] 1977) au Kunstmuseum de Düsseldorf, dont le fonds est particulièrement riche, ont permis d’offrir une nouvelle accessibilité aux œuvres de cette école : paradoxe révélateur, alors que le rayonnement international de l’école de Düsseldorf et ses liens avec les écoles étrangères étaient au cœur des deux premières expositions (The Hudson and the Rhine…, 1976 ; Düsseldorf und der Norden, 1976), les manifestations restèrent étroitement liées au musée de Düsseldorf. En 1979, Wend von Kalnein organisa la première et seule grande exposition consacrée à cette école (Die Düsseldorfer Malerschule, 1979) à un moment où les recherches, stimulées par Hütt et alimentées par Markowitz, commençaient à porter leur fruit avec des catalogues raisonnés et des monographies d’artistes jusque-là négligés, comme Carl Friedrich Lessing (JENDERKO-SICHELSCHMIDT, 1973 ; LEUSCHNER, 1982) ou des expositions destinées à rendre visibles ces œuvres longtemps absentes des cimaises (Lessing…, 1980). Kalnein insista sur l’importance européenne de l’école de Düsseldorf, sur son rôle de plaque tournante et de lieu de rencontre internationale, creuset de la réflexion artistique bien

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avant que Munich ne devienne à son tour un centre d’attraction. Conscient de devoir s’attaquer à des préjugés qui dénonçaient dans les œuvres de Düsseldorf le coloris médiocre, les contours trop affirmés, le pathos creux et l’amateurisme petit-bourgeois, il rappela à quel point ils sont historiquement datés, ancrés dans une époque où l’on s’enthousiasmait pour la peinture de plein air, où les paysages devaient être atmosphère et où l’expressivité de la couleur était devenue le critère dominant pour juger de la valeur des œuvres. Kalnein plaida donc pour que ce jugement historiquement ancré soit lui-même révisé afin de permettre une redécouverte et réappréciation des œuvres de Düsseldorf.

41 Très clairement, le catalogue de l’exposition de 1979 (Die Düsseldorfer Malerschule, 1979) offre l’instantané d’un moment particulièrement fertile de la recherche sur cette école : Vera Leuschner et Ingrid Jenderko-Sichelschmidt tiraient ainsi des synthèses sur Lessing et sur la peinture d’histoire à Düsseldorf de leurs récents travaux sur le peintre, tandis que Hanna Gagel revenait sur l’ancrage des peintres de Düsseldorf dans le contexte politique du Vormärz (période qui précède les événements politiques de mars 1848). Mais le catalogue réunit aussi des auteurs qui travaillaient alors sur d’autres aspects de l’art allemand de l’époque, soulignant ainsi l’importance de considérer ensemble les manifestations artistiques allemandes : Frank Büttner se pencha sur la période où Cornelius était à la tête de l’Académie et Helmut Börsch-Supan, spécialiste de l’école berlinoise, sur les débuts de Wilhelm von Schadow à Berlin et sa singulière position parmi les Nazaréens. De même, alors que l’école de Düsseldorf et le mouvement nazaréen n’ont aujourd’hui encore pas suffisamment fait l’objet d’une étude commune, on trouve dans ce catalogue des textes qui évoquent le « nazaréen tardif » de toute une génération d’élèves de Cornelius, engagés dans des projets de fresques à Remagen, Stolzenfels ou dans le château d’Heltorf. La présentation générale un peu laborieuse de l’école tentée par Ekkehard Mai – qui, devenu par la suite l’un des spécialistes de la peinture d’histoire allemande et des institutions officielles, réfléchira aux enjeux institutionnels de l’école de Düsseldorf et aux questions de l’humour dans ses peintures de genre (MAI : 1984, 2007) –, témoigne de la difficulté de la tâche, tant l’objet reste difficilement saisissable. De fait, le catalogue traduit le caractère polymorphe de cette école par des textes qui oscillent sans cesse entre études de cas et esquisses de synthèse.

L’examen du discours critique

42 La réception de l’exposition par la presse de l’époque trahit la difficulté que soulevait alors une telle manifestation, à l’instar de l’exposition des Nazaréens. La question de la qualité des œuvres, sur laquelle les critiques et les historiens d’art continuaient d’achopper, tout en reproduisant la plupart du temps des discours hérités de leurs prédécesseurs du XIXe siècle, était loin d’être réglée, malgré les vœux formulés par Wend von Kalnein. Un pas important fut néanmoins franchi avec le travail d’Elke von Radziewsky, qui s’attachait justement à la question de la construction du concept d’une école de Düsseldorf par la critique de l’époque (RADZIEWSKY , 1983). En étudiant les sources contemporaines aux artistes, l’auteur – en réponse à Hütt dont elle jugeait l’interprétation trop orientée – en vint à la conclusion que le succès, voire la vogue de l’école de Düsseldorf, fut fabriqué de toutes pièces par la critique, qui utilisa les œuvres comme cheval de bataille pour des idées politiques. Outre le fait que la critique d’art et ses figures majeures, comme Jacob Burckhardt et Friedrich Theodor Vischer,

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ressurgirent alors d’une manière massive dans la réflexion des historiens de l’art (SCHLINK, 1982 ; POCHAT, 1983 ; BÖRSCH-SUPAN, 1985), on trouve dans cette thèse l’écho du débat particulièrement vif dans les années 1980 sur l’imbrication entre médias et marché dans la « fabrication » des artistes contemporains. Révélateur des stratégies médiatiques à l’œuvre dès la première moitié du XIXe siècle, ce travail a aussi su démontrer le lien entre esthétique et politique dans une controverse qui dépassait clairement les limites de la seule appréciation stylistique. Mais l’effet collatéral de cette étude fut aussi de reléguer un peu plus l’analyse des œuvres au second plan, barricadant leur accès derrière des textes tout en minimisant leur intérêt purement artistique.

43 On observe une démarche semblable dans l’une des premières thèses consacrées à Wilhelm von Schadow, le directeur ambivalent de l’Académie de Düsseldorf, nazaréen non dogmatique, longtemps jugé meilleur pédagogue que peintre, ce qui signifiait une négation pure et simple de son talent (TUCHOLSKI, 1984). Plutôt que de s’atteler à la tâche a priori rébarbative de l’analyse de ses œuvres, peintures religieuses, allégories chargées ou portraits sympathiques, Barbara Camilla Tucholski préféra analyser son œuvre à travers ses textes théoriques, dont elle exagéra du coup la qualité philosophique. Dans une tout autre démarche, Martina Gödecke-Behnke tentait une approche féministe du portrait bourgeois féminin dans lequel la grille de lecture encore largement marquée par l’héritage des discours critiques néo-hégéliens primait une fois de plus sur les œuvres elles-mêmes (GÖDECKE-BEHNKE, 1983). Malgré tout, ces travaux furent décisifs pour une réappropriation du sujet par la recherche en s’attaquant aux préjugés qui déniaient à ces œuvres le droit même d’être présentées au public.

Monographies et corpus

44 C’est sur les acquis des travaux plus généraux sur la peinture d’histoire ou la peinture allemande du XIXe siècle et la publication d’archives et de textes sources (Schadow…, 1992 ; ASCHENBORN, 1998) que les chercheurs ont pu s’appuyer au cours des décennies 1990 et 2000 pour produire des études sur des peintres-clés comme Hübner, Schadow, Lessing, Bendemann, dans lesquels la question des canons artistiques a cédé la place à une étude sérieuse et dépassionnée des œuvres et de leur fonctionnement visuel (MONSCHAU-SCHMITTMANN, 1993 ; GREWE, 1998 ; SITT, 2000 ; KREY, 2003). Pour Guido Krey, il ne s’agit pas de réhabiliter Eduard Bendemann comme un grand artiste, mais de comprendre comment ce peintre de la première génération des élèves de Schadow a pu jouer un rôle central dans la vie artistique des années 1830, quand des critiques comme Adolph Schöll s’enthousiasmaient de le voir ouvrir de « nouvelles portes dans l’histoire » (Kunstblatt, 1835, 35, p. 137). Krey s’attache ainsi à relire – selon un schéma un peu austère – quatre de ses œuvres majeures, dont Prisonniers juifs à Babylone (1832, Cologne, Wallraf-Richartz-Museum) et Jérémie sur les ruines de Jérusalem (1835-1836, non localisé), pour retracer comment elles ont pu donner lieu à des lectures aussi antithétiques que celles d’Anton Fahne et de Hermann Püttmann, le premier considérant ces œuvres comme trop éloignées de la réalité, le second comme des commentaires critiques à l’émancipation contemporaine des juifs. Krey s’intéresse particulièrement au sens de ce « judaïsme » qui fut très tôt attaqué par des traits antisémites. Mais il tente avant tout de montrer comment le discours critique a forgé notre regard sur ces tableaux en les transformant en pures toiles académiques et en

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témoignages d’une Allemagne sentimentale et résignée, une lecture fort éloignée de leur sens critique d’origine. L’ambivalence que recèlent ces œuvres se reflète dans les titres donnés aux expositions monographiques récentes, qui évoquent un Lessing « romantique et rebelle » (Lessing…, 2000) ou un Hasenclever oscillant entre « et Révolution » (Hasenclever…, 2003). Entre confort bourgeois et engagement social, anecdote amusante et subversion politique, elles échappent au discours unilatéral et aux simplifications idéologiques, ce dont les catalogues rendent bien compte.

45 Entrepris par le musée de Düsseldorf et la galerie Paffrath, le Lexikon der Düsseldorfer Malerschule témoigne aujourd’hui de l’avancée des connaissances avec des notices sur près de deux mille artistes (SITT, 1997-1998). Si les travaux de Hütt et des auteurs mentionnés plus haut sont passés sous silence dans l’introduction de Martina Sitt, directrice de publication et conservatrice du musée, les entrées révèlent plus équitablement la richesse et les faiblesses de la bibliographie. Confiées à des spécialistes comme Mai, Grewe ou Krey, les notices et les références de sources et d’ouvrages critiques sont d’une rigueur scientifique exemplaire. Parallèlement à ce projet de grande envergure, Sitt a profité des travaux de réaménagement du musée pour organiser une série de rétrospectives thématiques sur l’école de Düsseldorf. Présentant des œuvres, en grande partie issues du fonds de la collection, qui n’avaient plus guère été montrées depuis les années 1970, elle choisit de les exposer par genre pour mettre en avant des problématiques liées respectivement à la pratique du paysage, de la peinture de genre ou de la peinture d’histoire (Angesichts der Natur…, 1995 ; Angesichts des Alltäglichen…, 1996 ; Angesichts der Ereignisse…, 1999) ou encore à l’identification d’une communauté artistique spécifiquement attachée à Düsseldorf (Die « Düsseldorfer Compagnie »…, 2000). Malgré ces efforts, la présence des peintres de l’école de Düsseldorf dans la réflexion plus générale sur l’art allemand, voire européen du XIXe siècle, ne semble pas acquise. Peut-être parce qu’une nouvelle monographie synthétisant les apports des trente dernières années fait encore défaut.

46 La réhabilitation parallèle du mouvement nazaréen et de l’école de Düsseldorf éclaire la dimension historique et idéologique de la discipline, mais aussi les difficultés spécifiques liées à la reconstruction de l’histoire de l’art du XIXe siècle. La polarisation politique des chercheurs a longtemps affecté la connaissance réelle que l’on pouvait avoir des peintres de cette période, les positions « progressistes » ou « conservatrices » étant appliquées machinalement sur les artistes et la lecture de leurs œuvres. L’argument de la modernité, qui a servi aux commissaires de l’exposition de 2005 pour justifier leur démarche, doit sans doute être soumis à une réflexion plus globale et ne pas être utilisé pour réhabiliter les uns aux dépens des autres. Si l’actualité d’antan de l’école de Düsseldorf est ainsi jugée aujourd’hui par certains auteurs comme un symptôme de leur non-modernité (GOSSMAN, 2003), il faut repenser ces critères dans une réflexion épistémologique qui dépasse le seul cadre allemand. Le recours systématique aux jugements de l’époque a certes apporté des lumières sur l’histoire du goût, mais a trop souvent modelé notre discours et notre rapport aux œuvres. Entre la nécessité de se défaire d’une vision progressiste et moderniste de l’histoire de l’art, de se libérer de l’héritage parfois encombrant de Hegel et du discours critique qu’il a

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généré, sans sombrer dans la platitude postmoderne qui assimile tout et son contraire, le discours doit trouver son équilibre.

47 C’est précisément l’enjeu des deux ouvrages à paraître de Cordula Grewe, The Iconography of Belief : Christian Revival and Social Utopia in Nazarene Art et Painting Religion : Art and the Sacred Imaginary in German Romanticism. Après plusieurs articles où elle posait les jalons de sa réflexion (GREWE : 1997, 1998, 1999, 2000a, 2000b, 2002, 2004, 2005a, 2005b, 2006, 2007a, 2007b), l’auteur y retrace toute la complexité du projet nazaréen d’un nouvel art religieux dans une démarche historiciste, en éludant les écueils d’une historiographie éculée comme la périodisation habituelle des romantismes allemands ou encore la division du mouvement nazaréen en un premier temps inventif et subversif et un second temps stérile et académique. En s’intéressant vraiment aux antagonismes religieux qui divisaient la société allemande, elle montre que la conversion au catholicisme était bien plus qu’une simple attitude romantique. Le passage d’un « supernaturalisme naturel » à des positions religieuses plus orthodoxes soulève des questions doctrinales qui fragmentent l’unité « romantique » et reflètent les polémiques qui divisaient l’Allemagne de l’époque.

48 La dimension politique de ces débats est évidente et se retrouve dans la critique artistique de l’époque, comme quand Vischer déclarait anachronique cette résurrection du cadavre de la religion. L’orientation littéraire du mouvement nazaréen, dont les membres puisèrent dans les textes religieux et philosophiques anciens et contemporains, se traduisit visuellement par un difficile équilibre entre discours théologique complexe et expression d’une simplicité enfantine. De fait, la diversité des nazarénismes, entre « idéalisme radical » et « idéalisme naturaliste », « pré- raphaëlitisme poétique » et « fantastique sentimental », apparaît pour une fois dans sa globalité, permettant de mieux comprendre que la modernité anti-moderne des Nazaréens et la réponse pro-moderne des peintres de Düsseldorf évoqués plus haut furent les facettes d’un même effort pour donner une expression adéquate à des objectifs entièrement nouveaux : refonder un langage artistique religieux dans un monde dont la foi n’est plus le ressort intellectuel, inventer une peinture correspondant aux exigences morales et politiques du jour.

49 À un moment où des manifestations comme Religion Macht Kunst en 2005 ou Traces du Sacré en 2008 au Centre Georges-Pompidou dénotent une certaine confusion des propos sacrés, religieux ou mystiques, excluant complètement la dimension sociale et politique de ces notions, on ne peut que saluer l’effort de clarification – difficile et passionnant – proposé par des chercheurs comme Cordula Grewe et Michael Thimann. Il ne s’agit enfin plus de renvoyer dos à dos bonne et mauvaise peinture, mais de comprendre ensemble ces manifestations d’un romantisme pluriel.

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– Klassizisten-Nazarener…, 1982 : Klassizisten-Nazarener: Kunst im Oberland 1800-1850, Gert Ammann éd. (cat. expo., Landeck, Schloßmuseum/Innsbruck, Tiroler Landesmuseum Ferdinandeum, 1982), Innsbruck, 1982.

– KREMPEL, 2004 : León Krempel, Anthea Niklaus éd., Cornelius, Prometheus, der Vordenker. Symposium Haus der Kunst ; Beiträge, (colloque, Munich, 2004), Munich, 2004.

– KRENZLIN, 1979a : Ulrike Krenzlin, Nazarenische Kunst, Berlin, 1979 ; thèse d’habilitation non publiée.

– KRENZLIN, 1979b : Ulrike Krenzlin, « Zu einigen Problemen der nazarenischen Kunst », dans Städel-Jahrbuch, 7, 1979, p. 231-250.

– KREY, 2003 : Guido Krey, Gefühl und Geschichte: Eduard Bendemann (1811-1889) ; eine Studie zur Historienmalerei der Düsseldorfer Malerschule, Weimar, 2003.

– Kunst der bürgerlichen…, 1972 : Kunst der bürgerlichen Revolution von 1830 bis 1848/49, Marlies Lang- Schilling éd., (cat. expo., Berlin, Neue Gesellschaft für bildende Kunst, 1972), Berlin, 1972.

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– LAROCHE, 1991 : Ginette Laroche, « Les jésuites du Québec et la diffusion de l’art chrétien : l’église du Gesu de Montréal, une nouvelle perpective », dans Journal of Canadian art history, 1991, 14/2, p. 6-27.

– Lessing…, 1980 : Carl Friedrich Lessing 1808-1880: Handzeichnungen aus dem Cincinnati Art Museum, Ohio, Vera Leuschner, Rudolf Theilmann éd., (cat. expo., Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle, 1980), Karlsruhe, 1980.

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– LEUSCHNER, 1982 : Vera Leuschner, Carl Friedrich Lessing: 1808-1880 ; die Handzeichnungen, Cologne, 1982.

– LOTTES, 1983 : Wolfgang Lottes, « Nazarener und Präraffaeliten: zwei Künstlerbünde in den deutsch-englischen Kunstbeziehungen des 19. Jahrhunderts », dans Adolf Matthias Birke, Kurt Kluxen éd. Viktorianisches England in deutscher Perspektive, (Prinz-Albert-Studien, 1), Munich, 1983, p. 109-132.

– MACÉ DE LÉPINAY, 2002 : François Macé de Lépinay, « Un `nazaréen français´ : Savinien Petit (1815-1878) », dans Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 2002, p. 229-259.

– MAI, 1984 : Ekkehard Mai, « Die Düsseldorfer Kunstakademie im 19. Jahrhundert. Cornelius, Schadow und die Folgen », dans Gerhard Kurz éd., Düsseldorf in der deutschen Geistesgeschichte (1750-1850), Düsseldorf, 1984, p. 197-237.

– MAI, 2007 : Ekkehard Mai, « Scherz, Satire, Ironie und tiefere Bedeutung: das Rührend-Komische bei den Düsseldorfern », dans Kanz Roland éd., Das Komische in der Kunst, Cologne, 2007, p. 138-160.

– MÄRKER, 1979 : Peter Märker, « `Selig sind die nicht sehen und doch glauben´ – zur nazarenischen Landschaftsauffassung Ferdinand Oliviers », dans Städel-Jahrbuch, 1979, 7, p. 187-206.

– MARKOWITZ, ANDREE, [1967] 1977 : Irene Markowitz, Rolf Andree, Die Düsseldorfer Malerschule, (Bildhefte des Kunstmuseums Düsseldorf, 4), Düsseldorf, 1977 [1967].

– MCVAUGH, 1982 : Robert Eastburn McVaugh, The Casa Bartholdy Frescoes and Nazarene Theory in Rome: 1816-1817, Princeton, 1982.

– METKEN, 1977a : Günter Metken, « Ein nationaler Stil ? England und das nazarenische Beispiel », dans Die Nazarener, 1977, p. 355-365.

– METKEN, 1977b : Sigrid Metken, « Nazarener und `nazarenisch´ » – Popularisierung und Trivialisierung eines Kunstideals », dans Die Nazarener, 1977, p. 365-389.

– MONSCHAU-SCHMITTMANN, 1993 : Birgid Monschau-Schmittmann, Julius Hübner (1806-1882). Leben und Werk eines Malers der Spätromantik, Münster/Hambourg, 1993.

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– OGONOVSZKY, 2004 : Judith Ogonovszky, « Godefroid Guffens et Jean Swerts : la peinture monumentale belge sous l’influence des Nazaréens », dans Hubert Roland, Sabine Schmitz éd., Pour une iconographie des identités culturelles et nationales : la construction des images collectives à travers le texte et l’image, (Studien und Dokumente zur Geschichte der romanischen Literaturen, 51), (colloque, Bruxelles, 2002), Francfort, 2004, p. 87-115.

– Overbeck…, 1989 : Johann Friedrich Overbeck, 1789-1869: zur zweihundertsten Wiederkehr seines Geburtstages, Andreas Blühm, Gerhard Gerkens éd., (cat. expo., Lübeck, Museum für Kunst und Kulturgeschichte, 1989), Lübeck 1989.

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– Overbeck…, 2002 : Johann Friedrich Overbeck: Italia und Germania, (Patrimonia, 224), (cat. expo., Munich, Staatliche Graphische Sammlung/Neue Pinakothek, 2002), Berlin, 2002.

– Overbeck und sein Kreis…, 1928 : Overbeck und sein Kreis. Hundert Bildertafeln mit dem Festvortrag « Kunst und Kunstgeist der Nazarener », Carl Georg Heise éd., (cat. expo., Lübeck, 1926), Munich, 1928.

– Peter Cornelius…, 1991 : Peter Cornelius: Zeichnungen zu Goethes Faust. Aus der Graphischen Sammlung im Städel, Martin Sonnabend éd., (cat. expo., Francfort, Städelsches Kunstinstitut und Städtische Galerie, 1991), Francfort, 1991.

– POCHAT, 1983 : Götz Pochat, « Friedrich Theodor Vischer und die zeitgenössische Kunst », dans Ekkehard Mai éd., Ideengeschichte und Kunstwissenschaft im Kaiserreich, Berlin, 1983, p. 99-131.

– RADZIEWSKY, 1983 : Elke von Radziewsky, Kunstkritik im Vormärz. Dargestellt am Beispiel der Düsseldorfer Malerschule, (Bochumer Studien zur Publizistik und Kommunikationswissenschaft, 36), Bochum, 1983.

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– Religion Macht Kunst…, 2005 : Religion Macht Kunst. Die Nazarener, Max Hollein, Christa Steinle éd., (cat. expo., Francfort, Schirn Kunsthalle, 2005), Cologne, 2005.

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– ROTHE 1972 : Friedrich Rothe, « Klassenpositionen fortschrittlicher Maler im Vormärz. Kommentar zu Werken von Rethel, Menzel, Hübner und Hasenclever », dans Kunst der bürgerlichen…, 1972, p. 144-150.

– Schadow…, 1992 : Wilhelm von Schadow und sein Kreis: Materialien und Dokumente zur Düsseldorfer Malerschule, Ingrid Bodsch éd., (cat. expo., Bonn, Ernst-Moritz-Arndt-Haus, 1992-1993), Bonn, 1992.

– SCHINDLER, 1982 : Herbert Schindler, Nazarener. Romantischer Geist und christliche Kunst im 19. Jahrhundert, Regensburg, 1982.

– SCHLINK, 1982 : Wilhelm Schlink, Jacob Burckhardt und die Kunsterwartung im Vormärz, (Frankfurter historische Vorträge, 8), Wiesbaden, 1982.

– SCHLINK, 2001 : Wilhelm Schlink, « Heilsgeschichte in der Malerei der Nazarener », dans Aurora. Jahrbuch der Eichendorff-Gesellschaft, 2001, 61, p. 97-118.

– Schnorr von Carolsfeld…, 1982 : Julius Schnorr von Carolsfeld: die Bibel in Bildern und andere biblische Bilderfolgen der Nazarener, Irmgard Feldhaus, Jutta Assel éd., (cat. expo., Neuss, Clemens-Sels- Museum, 1982), Neuss, 1982.

– Schnorr von Carolsfeld…, 1994a : Julius Schnorr von Carolsfeld, 1794-1872, Herwig Guratzsch éd., (cat. expo., Leipzig, Museum der Bildenden Künste/Brême, Kunsthalle, 1994), Leipzig, 1994.

– Schnorr von Carolsfeld…, 1994b : Julius Schnorr von Carolsfeld: Zeichnungen, Stephan Seeliger, Hinrich Sieveking, Norbert Suhr éd., (cat. expo., Mayence, Landesmuseum/Munich, Palais Preysing, 1995), Munich, 1994.

– Schnorr von Carolsfeld…, 1999 : Julius Schnorr von Carolsfeld. Aus dem Leben Karls des Grossen. Kartons für die Wandbilder der Münchner Residenz, Stephan Seeliger éd., (cat. expo., Dresde, Albertinum, 1999-2000), Cologne, 1999.

– SCHOCH, 1979 : Rainer Schoch, « Die belgischen Bilder. Ein Beitrag zum deutschen Geschichtsbild des Vormärz. Klaus Lankheit zum 65. Geburtstag », dans Städel-Jahrbuch, 1979, 7, p. 171-186.

– SCHOCH, 1997 : Rainer Schoch, « Die belgischen Bilder. Zu einem Prinzipienstreit der Historienmalerei des 19. Jahrhunderts », dans Karl Möseneder, Streit um Bilder: von Byzanz bis Duchamp, Berlin, 1997, p. 161-180.

– SITT, 1996 : Martina Sitt, « Stilprinzip oder ‘trademark’ als Klassenziel ? Als die Amerikaner noch in Düsseldorf in die Schule gingen… », dans Vice Versa: deutsche Maler in Amerika, amerikanische Maler in Deutschland, 1813-1913, Katharina Bott éd., (cat. expo., Munich, Deutsches Historisches Museum, 1996), Munich, 1996, p. 73-83.

– SITT, 1997-1998 : Marina Sitt éd., Lexikon der Düsseldorfer Malerschule: 1819-1918, Munich, 1997-1998, 3 vol.

– SITT, 2000 : Martina Sitt, Duell an der Wand: Carl Friedrich Lessing ; die Hussiten-Gemälde, Düsseldorf, 2000.

– SOINÉ, 1990 : Knut Soiné, Johann Peter Hasenclever. Ein Maler im Vormärz, (Bergische Forschungen, 21), Neustadt an der Aisch, 1990.

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– Spätromantiker und Nazarener, 2000 : Spätromantiker und Nazarener, Helmut Swozilek éd., (cat. expo., Bregenz, Landesmuseum, 2000), Bregenz, 2000.

– STOLZENBURG, 1995 : Andreas Stolzenburg, « Johann Friedrich Overbeck und Antonio Rosmini: zur Entstehungsgeschichte des Kreuzigungsbildes in Stresa », dans Städel-Jahrbuch, 1995, 15, p. 257-276.

– STUFFMANN, BUSCH, 2001 : Margret Stuffmann, Werner Busch éd., Zeichnen in Rom. 1790-1830, (Kunstwissenschaftliche Bibliothek, 19), Cologne, 2001.

– SUHR, 1991 : Norbert Suhr, Philipp Veit (1793-1877). Leben und Werk eines Nazareners. Monographie und Werkverzeichnis, Weinheim, 1991.

– TEICHMANN, 2001 : Michael Teichmann, Julius Schnorr von Carolsfeld (1794-1872) und seine Ölgemälde: Monographie und Werkverzeichnis, Francfort/New York, 2001.

– The Hudson and the Rhine…, 1976 : The Hudson and the Rhine. Die amerikanische Malerkolonie in Düsseldorf im 19. Jahrhundert, Rolf Andree, Ute Ricke-Immel, Wend von Kalnein éd., (cat. expo., Düsseldorf, Kunstmuseum, 1976), Düsseldorf, 1976.

– THIMANN, 2001 : Michael Thimann, « Hieroglyphen der Trauer. Johann Friedrich Overbecks `Beweinung Christi´ », dans Marburger Jahrbuch für Kunstwissenschaft, 2001, 28, p. 191-234.

– THIMANN, 2005a : Michael Thimann, « Der Bildtheologe Friedrich Overbeck », dans Religion Macht Kunst…, 2005, p. 169-177

– THIMANN, 2005b : Michael Thimann, « Vitae parallelae : Friedrich Overbeck, Tommaso Minardi und die Reflexion über das religiöse Bild im Purismo », dans Martina Hansmann, Max Seidel éd., Pittura italiana, (Collana del Kunsthistorisches Institut in Florenz, 9), (colloque, Florence, 2002), Venise, 2005, p. 255-278.

– THIMANN, 2006a : Michael Thimann, « Der `glücklichste kleine Freystaat von der Welt´? : Friedrich Overbeck und die Nazarener in Rom », dans Urlich Raulff éd., Vom Künstlerstaat : ästhetische und politische Utopien, Munich, 2006, p. 60-103.

– THIMANN, 2006b : Michael Thimann, « Die schwierige Geburt eines Bildtheo-logen: Klassizismus als formale Option im Frühwerk Johann Friedrich Overbecks », dans ENDERLEIN, ZCHOMELIDSE, 2006, p. 79-96.

– THIMANN, 2008 : Michael Thimann, Christus und Apoll. Friedrich Overbeck und die Bildkonzepte des 19. Jahrhunderts, (Studien zur christlichen Kunst), Regensburg ; à paraître.

– TUCHOLSKI, 1984 : Barbara Camilla Tucholski, Friedrich Wilhelm von Schadow, 1789-1826: künstlerische Konzeption und poetische Malerei, Bonn, 1984.

– VAUGHAN, 1979 : William Vaughan, German Romanticism and English Art, New Haven/Londres/ Yale, 1979.

– VAUGHAN, 1998 : William Vaughan, « The pre-Raphaelites and contemporary German art », dans Franz Bosbach, Frank Büttner éd., Künstlerische Beziehungen zwischen England und Deutschland in der viktorianischen Epoche, (Prinz-Albert-Studien, 15), Munich, 1998, p. 73-82.

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– VAUGHAN, 2000 : William Vaughan, « Cultivation and control: the `Masterclass´ and the Düsseldorf Academy in the nineteenth century », dans Rafael Cardoso Denis, Colin Trodd, Art and the academy in the nineteenth century, , 2000, p. 150-164.

– VOGEL, 1996 : Gerd-Helge Vogel éd., Julius Schnorr von Carolsfeld und die Kunst der Romantik, (colloque, Greifswald, 1994), Greifswald, 1996.

– WAGNER, 1989 : Monika Wagner, Allegorie und Geschichte. Ausstattungsprogramme öffentlicher Gebäude des 19. Jahrhunderts in Deutschland: von der Cornelius-Schule zur Malerei der wilhelminischen Ära, Tübingen, 1989.

– WOLF-TIMM, 1991 : Telse Wolf-Timm, Theodor Rehbenitz, 1791-1861: Persönlichkeit und Werk, mit kritischem Werkkatalog, (Schriften der Kunsthalle zu Kiel, 10), Kiel, 1991.

NOTES

1. Christian Scholl, Romantische Malerei als neue Sinnbildkunst : Studien zur Bedeutungsgebung bei Philipp Otto Runge, Caspar David Friedrich und den Nazarenern, Munich/Berlin, 2007. 2. Herbert von Einem, « Der katholische Weg der Romantik », dans Deutsche Malerei des Klassizismus und der Romantik 1760 bis 1840, Munich, 1978, p. 102-163, 202-210. Cette vision de la dualité du romantisme allemand est déjà évoquée chez Eberlein, auquel Einem s’était pourtant opposé plusieurs décennies plus tôt à propos de Friedrich : Kurt Karl Eberlein, C. D. Friedrich, Lieber und Goethe, Berlin, 1928, p. 12 et 30 : « Vor allem muss immer wieder betont werden, dass Romantikerschule und Nazarenerschule scharf zu trennen sind, dass die eine den Nordstämmen, dem Ich, der Symbolik, der Landschaft, der Farbe zugeschworen, dass die andere den Altstämmen, dem Du, dem Christentum, der Historie und der Liturgie, der Vergangenheit wie der Linie verpflichtet ist. […] Die protestantisch-mystische Landschaftskunst der Romantik hat keine Gemeinschaft mit der katholischen Nazarenerkunst ». Cité par Hartmut Fröschle, Goethes Verhältnis zur Romantik, Würzburg, 2002, p. 116-117. 3. Jean Alazard, Ingres et l’Ingrisme, Paris, 1950, p. 131. 4. Klaus Gallwitz, « Die Künste in den siebziger Jahren unseres Jahrhunderts zeigen Symptome der Privatisierung und Regression, Romantizismen also, die den historischen Romantikern wie von selbst neue Aufmerksamkeit zuführen », dans Die Nazarener, 1977, p. 9. 5. Karl Koetschau, Rheinische Malerei in der Biedermeierzeit ; zugleich ein Rückblick auf die Jubiläums- Ausstellung Düsseldorf 1925 der Jahrtausendfeier der Rheinlande, (Schriften des Städtischen Kunstmuseums Düsseldorf, 1), Düsseldorf, 1926, p. 9. 6. Heinrich Wölfflin, Kunstgeschichte des 19. Jahrhunderts: akademische Vorlesung aus dem Archiv des Kunsthistorischen Instituts der Universität Wien, Vorlesung, Alfter, 1994, p. 38 [manuscrit, 1911]. 7. David Bearman, Jennifer Trant éd., Museums and the Web 2004 : Proceedings, Toronto, 2004 ; version électronique : http://www.archimuse.com/mw2004/papers/alexander/alexander.html 8. Alfred Neumeyer, « Beiträge zur Kunst der Nazarener in Rom », dans Wilhelm Waetzoldt éd., Repertorium für Kunstwissenschaft, Leipzig, 50, 1929, p. 64. 9. Julie Ramos, Nostalgie de l’unité. Paysage et musique dans la peinture de Philipp Otto Runge et de Caspar David Friedrich, Rennes, 2008. 10. Voir entre autres Berthold Hinz, « Zur Dialektik des bürgerlichen Autonomie-Begriffs », dans Autonomie der Kunst: zur Genese und Kritik einer bürgerlichen Kategorie, (Edition Suhrkamp, 592), Francfort, 1974, p. 173-198.

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RÉSUMÉS

Traités en marge des histoires de l’art allemand du XIXe siècle, les Nazaréens et les peintres d’histoire de l’école de Düsseldorf ont longtemps porté des étiquettes dévalorisantes, peinture stérile tournée vers le passé pour les uns, peinture académique et bourgeoise pour les autres. Depuis les années 1960, l’intérêt des chercheurs a cependant commencé à se tourner vers ces deux courants dont on redécouvrait le rôle déterminant. Confrontés à des préjugés hérités d’une critique post-hégélienne et d’œillères mises en place dès la fin du XIXe siècle, les historiens de l’art ont eu du mal à revenir sur un discours préconçu. C’est donc aussi grâce aux grandes tendances de « déconstruction » – du marxisme au postmodernisme en passant par l’analyse critique du discours – que l’on doit aujourd’hui de reconnaître dans ces deux mouvements des pans majeurs de l’art allemand : replacées dans leur contexte historique, la religiosité des uns et l’implication politique des autres, qui semblaient auparavant les éloigner d’une idée figée de l’art moderne, font écho à une réflexion universelle, indissociable du romantisme dont la périodisation et le clivage traditionnels sont remis en question. Étudiées à partir d’une analyse objective des œuvres et de leur réception, la peinture nazaréenne et l’école de Düsseldorf se révèlent à présent des moments particulièrement féconds de cette phase expérimentale du début du XIXe siècle, tant en Allemagne qu’en Europe.

Relegated to the margins of the history of 19th century German art, the Nazareans and the painters of the Düsseldorf school have long been disparaged, their art considered sterile and backward-looking by some, and academic and bourgeois by others. Since the 1960s, however, researchers have begun to shift their interest toward these two movements and to rediscover the significance of their role. Confronted with prejudices inherited from post-hegelian criticism and blinders dating back to the end of the 19th century, art historians have had some difficulty reversing preconceptions. Thanks to the great « deconstructionist » approaches – from Marxism to to the critical analysis of discourse –, these two movements are recognized today as major chapters in German art : resituated in their historical context, the religiosity of some and the political implication of others, which seemed previously to distance them from a fixed idea of modern art, echoes a universal reflection that is indissociable from romanticism, whose periodisation and traditional classifications are thereby brought into question. Through the objective analysis of works and their reception, Nazarean painting and the Dusseldorf school have been revealed to be particularly fertile moments in the experimental phase that marks the beginning of the 19th century, in Germany and elsewhere in Europe.

Die Nazarener und die Historienmaler der Düsseldorfer Schule, die bisher nur am Rande der Geschichte der deutschen Kunst des neunzehnten Jahrhunderts behandelt wurden, haben langezeit einen abwertenden Stempel erhalten : für die einen als eine unfruchtbare, rückwärtsgewandte Malerei, für die anderen als akademisch-bürgerliche Kunst. Seit den sechziger Jahren jedoch haben sich die Wissenschaftler vermehrt dieser zwei Strömungen zugewandt und deren entscheidende Rolle wiederentdeckt. Dabei fiel es den Kunst historikern sichtlich schwer, auf die vorgefertigte Meinung zurückzukommen, die von den Vorurteilen der posthegelianischen Kritik und den intellektuellen Scheuklappen seit Ende des neunzehnten Jahr hunderts geprägt war. Die Neubewertung dieser zwei Bewegungen als bedeutende Eckpfeiler der deutschen Kunst ist vor allem den generellen Tendenzen der « Dekonstruktion » – vom Marxismus über die kritische Diskursanalyse zur Postmoderne – zu verdanken. Sofern sie in ihrem historischen Zusammenhang betrachtet werden, geben die Religiosität der einen und das politische Engagement der anderen (die sie zuvor von einer festgeschriebenen modernen Kunstauffassung entfernten) einen Widerhall universeller Gedanken zu erkennen, die mit der

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Romantik einhergehen und deren Periodisierung und traditionelle Spaltung in Frage stellen. Anhand einer objektiven Untersuchung der Werke und ihrer Rezeption zeigt sich, dass die Nazarener Malerei und die der Düsseldorfer Schule momentan als zwei besonders fruchtbare Momente in der experimentellen Phase zu Beginn des neunzehnten Jahrhunderts gelten können – und das sowohl in Deutschland als auch in Europa.

Considerati al margine della storia dell’arte tedesca del XIX secolo, i Nazareni e i pittori di storia della scuola di Düsseldorf sono stati al lungo svalutati, stigmatizzati dagli uni come pittura sterile e volta al passato e dagli altri come pittura accademica e borghese. Dagli anni ‘60, i ricercatori hanno cominciato tuttavia ad interessarsi a queste due correnti riscoprendone il ruolo determinante. Confrontati con i pregiudizi ereditati dalla critica post-hegeliana e con le idee preconcette formatesi alla fine del XIX secolo, gli storici dell’arte sono riusciti difficilmente a mettere in discussione queste interpretazioni. Grazie alle correnti decostruzioniste – dal marxismo al postmodernismo, alla critica letteraria – oggi questi due movimenti sono riconosciuti come due aspetti fondamentali dell’arte tedesca. Restituiti al loro contesto storico, la religiosità degli uni e le implicazioni politiche degli altri che sembravano averli precedentemente allontanati da un’idea stereotipata dell’arte moderna, questi due movimenti fanno eco a una riflessione universale, indissociabile dal romanticismo, la cui periodizzazione e le cui suddivisioni tradizionali sono state rimesse in discussione. Studiata a partire da un’analisi oggettiva delle opere e della loro ricezione, la pittura Nazarena della scuola di Düsseldorf si rivela, sia in Germania che in Europa, un momento particolarmente fecondo di questa fase sperimentale dell’inizio del XIX secolo.

Tratados al margen de las historias del arte alemán del Siglo XIX, los Nazarenos y los pintores de historia de la escuela de Düsseldorf han llevado etiquetas desvalorizantes durante mucho tiempo, para unos pintura estéril vuelta hacia el pasado, para otros pintura académica y burguesa. Desde los años sesenta, el interés de los investigadores comenzó no obstante a a volverse hacia aquellas dos corrientes cuyo papel determinante se redescubría. Enfrentados a unos prejuicios heredados de una crítica post hegeliana y de anteojeras establecidas a partir de a finales del Siglo XIX, los historiadores de arte tuvieron dificultades en replantearse un discurso preconcebido. Es pues también gracias a las grandes tendencias de « desconstrucción » – del marxismo al postmodernismo pasando por el análisis crítico del discurso – que se debe hoy de reconocer en aquellos dos movimientos trozos mayores del arte alemán : vueltas à colocar en su contexto histórico, la religiosidad de unos y la implicación política de otros, que antes parecían alejarlos de una idea fija del arte moderno, hacen eco a una reflexión universal, indisociable del romanticismo cuya periodización y separación tradicional se cuestiona. Estudiados a partir de un análisis objetivo de las obras y de su recepción, la pintura nazarena y la escuela de Düsseldorf se revelan ahora momentos especialmente fértiles de esta fase experimental de a principios del Siglo XIX, tanto en Alemania como en Europa.

INDEX

Index géographique : Allemagne Mots-clés : historiographie, peinture d'histoire allemande, art allemand, art nazaréen, romantisme allemand, école allemande, monographie, expositions, archives, sources, histoire nationale Keywords : historiography, German historic painting, German art, Nazarene art, German romanticism, German school, monograph, exhibitions, archives, sources, national history Index chronologique : 1800

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AUTEURS

FRANCE NERLICH Maître de conférences à l’Université François-Rabelais de Tours. Après des études d’histoire de l’art et de lettres à Berlin et Paris, elle a soutenu une thèse de doctorat sur « La réception de l’art français en Allemagne de 1815 à 1870 » (Paris IV-Sorbonne/Freie Universität Berlin). Elle est aujourd’hui rattachée à la Jeune Équipe 1025 InTru (Interactions, transferts et ruptures artistiques et culturels) et conseillère scientifique pour le projet « les relations artistiques franco- allemandes de 1789 à 1870. Les transferts artistiques » (Centre allemand d’histoire de l’art, Paris).

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XIXe siècle

Actualité

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Pygmalion ou le pouvoir du mythe

Cédric Lesec

RÉFÉRENCE

- GEISLER-SZMULEWICZ, 1999 : Anne Geisler-Szmulewicz, Le mythe de Pygmalion au XIXe siècle. Pour une approche de la coalescence des mythes, Paris, Éditions Champion, 1999. 418 p., ISBN : 2-782745300133 ; 58,55 €. - STOICHITA, 2008 : Victor I. Stoichita, L’effet Pygmalion. Pour une anthropologie historique des simulacres, Genève, Librairie Droz, 2008 [The Pygmalion Effect, Chicago, The University of Chicago Press, 2008]. 320 p., env. 120 fig. n. et b. ISBN : 978-2-600-00537-1 ; 20,86 €. - SAVETTIERI, 2003 : Chiara Savettieri, « ’Il avait retrouvé le secret de Pygmalion’ : Girodet, Canova e l’illusione della vita », dans Studiolo. Revue d’histoire de l’art de l’Académie de France à Rome, 2003, 2, p. 14-42, fig. n. et b. ISBN 2-85056-648-9 ; 40 €. - DRATWICKI, 2005 : Christiane Dotal, Alexandre Dratwicki éd., L’Artiste et sa muse, (colloque, Rome, 2005), Paris, Somogy Éditions d’art/Académie de France à Rome, 2006. 336 p., env. 120 fig. n. et b. ISBN 2-7572-0009-7 ; 25 €.

1 Dans ses travaux consacrés à l’évolution du mythe de Pygmalion, John L. Carr, dès les années 1960, avait ouvert la voie à de nouvelles réflexions1. Limitée au XVIIIe siècle, son étude a tracé des voies d’approche2 : en interrogeant les relations qu’entretient le créateur à son œuvre par la médiation du mythe, l’historien comprend les phénomènes qui sous-tendent la production artistique. Ce dispositif, particulièrement efficace pour le XIXe siècle quand se redéfinissent les rapports entre l’artiste et son œuvre, a la faveur de récents ouvrages. Anne Geisler-Szmulewicz et Victor Stoichita s’intéressent aux transformations du mythe de Pygmalion et à sa fortune visuelle et littéraire. À partir du tableau Pygmalion et Galatée d’Anne-Louis Girodet-Trioson, Chiara Savettieri concentre son analyse sur le thème principal du mythe : ce qu’Ernst Gombrich, dans son essai L’Art et l’illusion3, appelait « le pouvoir de Pygmalion », c’est-à-dire la puissance par laquelle l’artiste produit le sentiment de la vie, insufflée dans l’œuvre.

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2 Plus largement, l’étude du mythe ouvre une réflexion sur le thème des rapports entre l’artiste et sa muse qui a fait l’objet d’un colloque publié sous la direction de Christine Dotal et Alexandre Dratwicki. Quatre publications qui posent, chacune à leur manière, le concept d’inspiration dont les ressorts résistent habituellement à l’analyse et qui s’enrichit ainsi de multiples facettes – tantôt observation et idéalisation du réel, tantôt introspection de soi-même. Le mythe offre en outre une voie d’accès remarquablement efficace pour interpréter le problème posé par la représentation de l’artiste face à l’œuvre en cours d’élaboration.

3 À la suite des travaux de John L. Carr, des études d’historiens de l’art, pour la plupart allemands, ont pris pour cadre le XVIIIe siècle, considéré comme l’âge d’or du mythe de Pygmalion à cause de la place primordiale que Winckelmann lui donne dans son Histoire de l’art chez les anciens parue en 17644, de son importante iconographie et du mélodrame qu’en tire Jean-Jacques Rousseau5. Toutes offrent de très complètes analyses de la polysémie du mythe initial. Toutefois, le choix d’un champ chronologique élargi au XIXe siècle permet à d’autres travaux d’esquisser de plus fructueuses perspectives. Ces recherches s’essoufflent néanmoins à rassembler les formes les plus évidentes du mythe et arasent en conséquence la diversité de ses interprétations et la richesse de ses sens6. Le propos de l’exposition Pygmalions Werkstatt. Die Erschaffung des Menschen im Atelier von der Renaissance bis zum Surrealismus, tenue à Munich en 2001, pâtit notamment de cet impossible recensement. À l’inverse, le choix d’un corpus littéraire délimité aux seules œuvres d’un écrivain, Balzac ou Théophile Gautier par exemple7, empêche d’un auteur à l’autre toute analyse des multiples réverbérations du mythe.

4 Le propos d’Anne Geisler-Szmulewicz, fruit d’une thèse de doctorat ès lettres, se situe à la croisée de ces démarches associant études monographiques et approches plurielles. La définition préliminaire et l’étude d’un processus, celui de « coalescence des mythes », c’est-à-dire « la rencontre entre deux mythes différents qui produit le renouvellement de la signification de chacun d’eux » (p. 17) l’en distinguent. Ce nouveau regard permet non seulement d’analyser en profondeur les réécritures et réinterprétations du mythe de Pygmalion au XIXe siècle mais, au-delà, de poser la question de la liberté du créateur à le réinventer. La première partie de l’ouvrage s’attache ainsi à décrire la traduction que Jean-Jacques Rousseau fait du mythe au XVIIIe siècle et la transposition qu’en font Girodet et Canova quelques décennies plus tard. Une deuxième partie, la plus conséquente, étudie, dans les textes d’Edgar Quinet, d’E. T.A. Hoffmann, de Zola, de Villiers de L’Isle-Adam et bien d’autres, l’association au XIXe siècle de Pygmalion à d’autres mythes – Méduse, Daphné, Niobé, Narcisse. Ces différents degrés de « fédération » révéleront tantôt un simple rapprochement stylistique, tantôt de véritables bouleversements de l’intrigue et des personnages. La Pandore de Voltaire (1740), L’Anti-Pigmalion ou l’amour Prométhée de Poultier-d’Elmotte (1780), le Prométhée d’Edgar Quinet (1838) et les Martyrs d’Arezzo de Jules Le Fèvre- Deumier (1839), tous étudiés au chapitre IV, offrent de remarquables exemples de fédération du mythe de Pygmalion à un autre mythe, en l’occurrence celui de Prométhée. Au contact l’un de l’autre, le caractère de chacun des héros change, « la passion de Pygmalion prend un caractère plus corrosif tandis que la révolte de Prométhée se dote d’un caractère plus pacifique » (p. 106). La référence au Créateur,

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personnifié par Vénus dans le mythe ovidien, disparaît. Elle est remplacée par une allusion, plus ou moins dissimulée, à une Nature rivale. Les conséquences de ces influences réciproques sont bien plus importantes qu’il n’y paraît. Le rapport de Pygmalion à l’œuvre animée s’en trouve bouleversé. L’artiste, qui s’affirme en tant que tel, doit « tenter de résoudre l’altérité de son œuvre elle-même au prix parfois d’une guerre – l’œuvre étant vue comme un double démoniaque » (p. 106). Nombre d’œuvres dans lesquelles il se met en scène – peintures ou sculptures – présentent des analogies avec ces interprétations littéraires. Les exemples ne manquent pas chez les préraphaélites ou, plus tard, chez les surréalistes. À ce titre, les stimulantes analyses des romans ou nouvelles auraient gagné en épaisseur si elles avaient été mises, tout au long du travail de Geisler-Szmulewicz, en résonance avec quelques références artistiques contemporaines. En 1891, par exemple, apparaît dans Là-Bas la notion de « pygmalionisme » (p. 337-338). Ce phénomène décrit par Joris-Karl Huysmans est propre à l’artiste qui s’éprend, comme le Pygmalion du mythe, de l’œuvre qu’il a créée. Un même narcissisme se dégage des mises en scène que Jean-Léon Gérôme consacra au mythe, en 1890 notamment, dans plusieurs versions de Pygmalion et Galatée (vers 1890, New York, The Metropolitan Museum of art) ou en 1892, dans Le travail du marbre (New York, Dahesh Museum of Art).

5 La lecture du livre de Victor Stoichita comble cette frustration. L’adoption d’un large espace chronologique – de l’Antiquité au XXe siècle – laisse à l’auteur le recul nécessaire pour approfondir certains éléments du mythe ovidien restés jusqu’alors dans l’ombre. Cette vision distanciée, peut-être moins originale que celle déployée par Geisler- Szmulewicz, s’apparente à une herméneutique. Appliquée à quelques détails du mythe, cette méthode n’en réussit pas moins, par la justesse de ses comparaisons, à éclairer les interprétations visuelles du texte ovidien. Parmi ces éléments, une question concerne notamment le matériau dans lequel Pygmalion fabrique sa statue. Ovide cite à plusieurs reprises l’ivoire et ce détail n’a pas, d’après Stoichita, la simple fonction poétique qu’on lui attribue généralement. Au cours des siècles, l’habileté de l’artiste « à simuler la chair dans l’ivoire » a fait l’objet de nombreuses interprétations, étudiées dans la suite de l’ouvrage. L’auteur évite pourtant les travers d’une vaine recension des formes, en expliquant les changements et amplifications que connaissent quelques invariants du mythe définis en introduction. La figure du génie inspiré ou la relation sensible qu’entretient l’artiste avec l’œuvre en cours d’élaboration sont notamment étudiées au fil des multiples exemples convoqués par l’auteur : miniatures médiévales, statuaires de la Renaissance, peintures romantiques, photographies. Objet d’une ultime analyse, le film d’Alfred Hitchcock Vertigo ( Sueurs froides, 1958) montre quel degré atteint l’imprégnation du mythe de Pygmalion dans la culture visuelle occidentale. La plupart de ces œuvres prennent pour sujet ce moment-clé de la création où se confondent carnation et incarnation. Recentré sur le moment où l’inspiration donne vie à l’œuvre, le mythe devient mythe de l’artiste et mythe de la création. En 1878, l’ensemble de quatre tableaux qu’Edward Burne-Jones consacre à Pygmalion en est un exemple. Le peintre propose une narration séquencée des moments-clés de l’inspiration et de la création. Dans Le cœur désire, d’abord, face à une sculpture des Trois Grâces, le sculpteur contemple. Puis dans La main retient, face à Galatée encore de marbre, la passion amoureuse pour son œuvre naît. La statue s’anime, sa chair se colore dans La divinité enflamme pour qu’enfin, descendue du piédestal où jusqu’alors elle se trouvait, Pygmalion, dans le dernier volet du cycle L’âme s’élève, s’apprête à l’embrasser (1878, Birmingham, City Museum and Art Gallery).

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6 Geisler-Szmulewicz et Stoichita situent cette orientation du mythe vers l’artiste et sa création en 1770, date à laquelle Jean-Jacques Rousseau met en scène Pygmalion. La relecture de ce court texte permet toutefois à Geisler-Szmulewicz d’établir les libertés que l’auteur prend par rapport au texte initial, parmi lesquelles cinq écarts d’importance : « la scène se passe à Tyr et non à Chypre ; le sculpteur ne hait plus les Propétides ; la statue n’est plus anonyme mais se nomme Galathée ; la scène ne se déroule plus devant les autels de Vénus, mais dans l’atelier de Pygmalion et celui-ci est donc présenté comme un sculpteur de profession ; la descendance du couple n’est plus mentionnée » (p. 41). L’examen attentif de l’intrigue montre certains allégements significatifs. Tout élément susceptible de troubler la scène qui se joue entre le sculpteur et sa statue est éliminé : les déplacements des personnages dans l’espace scénique sont ainsi réduits à leur plus simple expression, le monologue de Pygmalion sur la scène, unique dans les représentations du mythe au XVIIIe siècle, n’en est que plus frappant. Cette dernière transformation, inspirée du groupe sculpté qu’Étienne-Maurice Falconet exposa au Salon en 1763 (1763, Baltimore, Walters Art Gallery), mène à un resserrement du récit autour du seul personnage de Pygmalion.

7 Anne-Louis Girodet-Trioson se fit, en 1819, le plus brillant interprète de ces changements. L’étude de son tableau Pygmalion et Galatée est une figure incontournable de bon nombre d’études consacrées au mythe et plus largement de celles qui traitent de problématiques liées à la production artistique et à l’inspiration. Toutes rappellent bien sûr le succès que Girodet obtint au Salon face à Géricault. Toutes y voient une confrontation forte de symboles. Pygmalion et Galatée d’un côté, qu’Anne-Louis Girodet- Trioson voulut un emblème d’une peinture d’histoire respectueuse des conventions académiques et inspirée de sujets antiques ; de l’autre, Le radeau de la Méduse, soit la représentation d’un événement contemporain que son auteur voulait hisser à la dignité d’une grande peinture d’histoire.

8 Par de multiples allusions à la presse de l’époque, Geisler-Szmulewicz réussit à faire revivre le triomphe remporté par Girodet (en effet, les lignes que lui consacre le Journal des débats font du peintre rien moins qu’un « Nouveau Pygmalion »). Son analyse souligne combien l’artiste fut l’homme-orchestre de ce triomphe, favorisant lui-même certains parallèles biographiques en puisant dans le récit d’Ovide pour décrire, dans un poème resté célèbre, son inspiration8.

9 Ce point de vue s’enrichit des thèses qu’avance Chiara Savettieri dans son article. L’auteur, qui a consacré une thèse de doctorat au peintre, explore ce que la critique du Salon, aveuglée par le sujet mythologique et par le modèle fourni par la Vénus Médicis, n’a fait que relever. Quand les comptes rendus de l’époque réveillent le souvenir du mélodrame de Rousseau en évoquant quelques détails communs aux deux interprétations, l’historienne voit leur enchevêtrement. La comparaison qu’elle opère, entre le mélodrame et le tableau d’une part et le récit initial des Métamorphoses d’autre part, suffit pour s’en convaincre. Restées en latence dans le récit d’Ovide, la relation de l’artiste à son œuvre et sa dimension mythique s’épanouissent sous la plume de Rousseau – et, après lui, deviennent des clés de lecture essentielles de l’interprétation du mythe par les peintres au XIXe siècle. Dès lors, le Pygmalion et Galatée de Girodet n’est plus seulement le chef-d’œuvre d’un néoclassicisme réinventé, mais traduit bien les

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réflexions d’un artiste qui y investit, peu d’années avant sa mort, son expérience de la peinture face à la toile. Le célèbre portrait dans l’atelier du peintre par François-Louis Dejuinne (1821), acquis récemment par le Musée Girodet de Montargis9, offre ainsi le spectacle d’une troublante mise en abyme10 : Girodet y peint debout sur un escabeau son Pygmalion et Galatée tandis que dans la pénombre se rhabille un modèle, à côté d’un moulage de la Vénus Médicis. À cet égard, les points de contact qu’établit Chiara Savettieri entre l’œuvre d’Antonio Canova, très inspirée par l’antique, d’une part, et l’ Endymion et le Pygmalion et Galatée du peintre français, d’autre part, rejoignent certains commentaires critiques du Salon de 1819. Selon l’intention du commanditaire, le comte Sommariva, cette dernière toile était en effet conçue comme un hommage à Canova, qui était capable de rendre la vie et l’impression de mouvement dans le marbre. L’œuvre de Girodet, qui croit que l’art se charge d’une forte composante intellectuelle, se démarque néanmoins des marbres canoviens par une certaine froideur, notamment dans le rendu des chairs.

10 Le chef-d’œuvre de Girodet n’épuise pourtant pas la richesse du mythe. L’éclectisme des exemples choisis par Frédéric Chappey dans l’article préliminaire de L’artiste et sa muse en donne un bon aperçu11. Chaque œuvre reflète l’évolution du regard que l’artiste jette sur lui-même, mis en scène dans sa relation avec son modèle : rapports tantôt sensuels, voire érotiques – qui se dégagent des interprétations que donnent Jean-Léon Gérôme ou Lovis Corinth du mythe au XIXe siècle –, tantôt métaphysiques dans l’Autoportrait avec tête et corps de Georges Segal en 1968. Si la référence explicite au mythe tend à se dissoudre au XXe siècle, le thème de l’inspiration, dont le récit d’Ovide était prétexte à la représentation, reste un sujet central. En accordant une part importante de leurs développements aux relations artiste-modèle, nombre de monographies reflètent l’importance de cette question. Certaines expositions s’en font également l’écho ; en particulier celles consacrées à deux artistes, contemporains ou non – par exemple Rodin/Carrière ou Giacometti/Cézanne12. Le dialogue qui s’établit alors permet d’appréhender ce moment-clé de la création, qui n’en reste pas moins difficile à modéliser.

11 Issus d’un colloque tenu à la Villa Médicis en 2005, les actes dirigés par Christiane Dotal et Alexandre Dratwicki proposent des pistes de réflexion intéressantes, notamment par son approche interdisciplinaire. Le domaine musical, confronté également aux problématiques touchant à l’inspiration13, offre en effet deux perspectives d’études sur le thème.

12 La première est développée par Marie-Pauline Martin dans un article consacré aux portraits de Christoph Willibald Gluck14. Celui qu’expose Joseph-Siffred Duplessis au Salon de 1775 montre le musicien, seul, tête tournée vers le ciel et main posée sur l’instrument. Le portrait de Gluck s’apparente à l’iconographie qui, depuis « Le Parnasse de Raphaël jusqu’à L’Inspiration du poète de Poussin définit la `Fureur poétique´, ce degré d’inspiration où, selon Platon, l’artiste ne se possède plus lui-même, mais est littéralement possédé par une puissance transcendante » (p. 164)15. Cet abandon, quoique proche des représentations extatiques post-tridentines, n’a rien de mystique. Il ne s’agit pas de révélation divine. « Ici le génie est actif et l’inspiration subjectivée, provenant de la seule force d’âme de l’artiste. En un mot, le musicien ne reçoit plus

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l’inspiration, il est lui-même inspiré » (p. 167). Nouveau génie, l’artiste crée sans le recours d’une quelconque aide extérieure. La muse qui était aux côtés de Pygmalion disparaît ainsi du tableau au profit d’une allégorie invisible que le spectateur devine mais ne voit pas. Le motif qui en découle, nommé par Marie-Pauline Martin « enthousiasme créateur », et que l’on voit à la même époque peint par Thomas Lawrence dans son portrait d’Antonio Canova, échappait aux analyses précédemment citées. Sans doute parce que la présence de Galatée face à Pygmalion, dans les représentations étudiées, a masqué en partie cet aspect du mythe au profit de l’habileté technique de l’artiste dans le rendu de la vie, ou de la relation amoureuse qu’il entretient avec l’œuvre qui naît sous ses doigts. Ici, la notion d’inventivité devient synonyme de celle de l’inspiration, quand l’artiste se place au centre de sa création. Cette focalisation sur lui-même concourt à une forme propre de mythification : le motif mythologique de l’inspiration, dont Pygmalion était l’emblème, disparaît pour renaître sous les traits de l’artiste lui-même. La pose méditative, le menton dans la main droite, est l’un des poncifs de cette représentation.

13 La seconde perspective est l’autofocalisation qui affleure dans un grand nombre d’œuvres des XIXe et XXe siècles abordées dans les essais de la dernière partie de L’artiste et sa muse. Parmi ceux-ci, Hervé Lacombe choisit l’opéra composé par Karlheinz Stockhausen en 1981, Donnerstag aus Licht, pour comprendre comment s’articulent le mythique et le biographique dans la création16, tandis qu’Alexandre Dratwicki s’intéresse aux deux niveaux de lecture qu’Antoine Elwart, Prix de Rome de musique de 1834, met au point dans L’entrée en loge. Le jeune homme ne modifia pas l’esprit du livret, mais y superposa sa propre expérience, dénonçant, non sans habileté, les contraintes du concours17.

14 La médiation du mythe offre de nombreuses perspectives d’analyse de concepts dont la richesse et la complexité sont mal prises en compte par les méthodes traditionnelles d’investigation. Support de l’analyse historique déployée dans les réflexions que proposent les quatre ouvrages recensés, le récit ovidien est prétexte à interroger la relation qu’entretient l’artiste avec son modèle et aborde les notions d’inspiration et de créativité.

15 Le croisement avec d’autres mythes s’avère également nécessaire. Pierre Sérié18 ou Christiane Dotal19, dans L’artiste et sa muse, s’y emploient en explorant celui de Phryné, très présent sur les cimaises des Salons de la seconde moitié du XIXe siècle. Dans ce même exercice, Bernard Vouilloux, dans Le tableau vivant, Phryné, l’orateur et le peintre, met en scène un troisième acteur incontournable de la création que le mythe de Pygmalion occultait : le spectateur20. L’auteur y approfondit les réflexions engagées par l’étude du texte d’Ovide vers d’autres récits et mythes antiques, en éclairant la théâtralité si importante pour la peinture du XIXe siècle et dont la Phryné devant l’Aréopage de Jean-Léon Gérôme sert de frontispice et d’œuvre-modèle.

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NOTES

1. John L. Carr, « Pygmalion and the Philosophes. The Animated Statue in Eighteenth-Century France », dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 1960, XXIII, 3-4, p. 239-255. 2. Citons notamment les travaux d’Andreas Blühm, Pygmalion. Die Ikonographie eines Künstlermythos zwischen 1500 und 1900, Francfort, 1988, et plus récemment Facundo Tomás, Isabel Justo éd., Pigmalión o el amor por lo creado, Barcelone, 2005. 3. Ernst H. Gombrich, L’Art et l’illusion. Psychologie de la représentation picturale, Paris, 2002, chap. III, p. 80-98 [New York, 1960]. 4. Par exemple Hermann Schlüter, Das Pygmalion-Symbol bei Rousseau, Hamann, Schiller. Drei Studien zur Geistesgeschichte der Goethezeit, Zurich, 1968 ; Hans Sckommodau, « Pygmalion bei Franzosen und Deutschen im 18. Jahrhundet », dans Sitzungsberichte des Wissenschaftlichen Gesellschaft an der Johann Wolfang Goethe Universität Frankfurt-am-Main, Wiesbaden, 1969, 8/3, p. 5-34, ou plus récemment Inka Mülder-Bach, Im Zeichen Pygmalions. Das Modell der Statue und die Entdeckung der « Darstellung » im 18. Jahrundert, Munich, 1998. 5. Johann J. Winckelmann, Geschichte der Kunst des Altertums, Dresde, 1764, 2. vol. ; trad. fr. : Histoire de l’art chez les anciens, Paris, 1766 [Genève, 1972]. 6. Voir notamment Mechthild Schneider, « Pygmalion-Mythos des schöpferischen Künstlers, zur Aktualität eines Themas in der französischen Kunst von Falconet bis Rodin », dans Panthéon, 1987, XLV, 12, p. 111-123. 7. L’attrait du mythe de Pygmalion constaté dans la seule littérature française du XIXe siècle interdit toute recension des travaux qui y sont consacrés. À propos de Théophile Gautier, voir notamment Annie Ubersfeld, « Théophile Gautier ou le regard de Pygmalion », dans Romantisme, 1989, 66, p. 51-60. 8. Ce poème a été étudié par Neil MacGregor, « Girodet’s poem Le peintre », dans The Oxford art Journal, 1981, IV/1, p. 26-30. 9. Richard Dagorne, « Le Portrait de Girodet peignant `Pygmalion et Galatée´ de François-Louis Dejuinne trouve sa place à Montargis », dans Revue du Louvre et des musées de France, 2007-2, p. 17-18. 10. Voir Girodet sous le regard de Dejuinne : portrait du maître dans son atelier, Richard Dagorne, Sidonie Lemeux-Fraitot éd., (cat. expo., Montargis, Musée Girodet, 2006), Montargis, 2006, p. 10-23 et Girodet 1767-1824, Sylvain Bellenger éd., (cat. expo., Paris, Musée du Louvre, 2005-2006/ Chicago, The Art Institut/New York, The Metropolitan Museum of Art, 2006/Montréal, Musée des beaux-arts, 2006-2007), Paris, 2005, p. 465. 11. Frédéric Chappey, « L’iconographie de Pygmalion et Galatée aux XIXe et XXe siècles : entre introspection et exhibition », dans DOTAL, DRATWICKY, 2006, p. 3-18. 12. Le cycle Correspondances proposé au public par le musée d’Orsay, mettant en regard les œuvres du XIXe siècle et le travail d’un artiste contemporain, fonctionne sur ce principe. 13. Ce domaine est évoqué notamment par Charles Rosen, La génération romantique. Chopin, Schumann, Liszt et leurs contemporains, Paris, 2002 [The romantic generation: based on the Charles Eliot Norton lectures, Cambridge (Mass.), 1995]. 14. Marie-Pauline Martin, « Gluck, le génie et son aura. Du musicien inspiré à l’inspiration de la musique », dans DOTAL, DRATWICKY, p. 163-176. 15. Le portrait du cardinal Tommaso Inghirami peint par Raphaël en 1515 est sans doute plus proche du modèle emprunté par Duplessis et pourrait dénoter alors un autre type d’inspiration. 16. Hervé Lacombe, « Donnerstag aus Licht (1981) de Karlheinz Stockhausen ; la nébuleuse biographique comme noyau, forme et substance mythiques », dans DOTAL, DRATWICKY, p. 265-278.

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17. Alexandre Dratwicky, « L’Entrée en loge d’Antoine Elwart (1834) ou `Quand l’artiste est sa muse ´ », dans DOTAL, DRATWICKY, p. 247-263. 18. Pierre Sérié, « Du modèle à la muse : les peintres de figure sous le patronage de Phryné. Nus au Salon (1861-1901) », dans DOTAL, DRATWICKY, p. 19-41. 19. Christiane Dotal, « Femmes mythiques et légendaires comme allégories modernes au XIXe siècle », dans DOTAL, DRATWICKY, p. 43-61. 20. Bernard Vouilloux, Le tableau vivant. Phryné, l’orateur et le peintre, Paris, 2002.

INDEX

Keywords : myth, creator, creation, muse, artist, work of art, artistic production, inspiration Mots-clés : mythe, créateur, création, muse, artiste, oeuvre, production artistique, inspiration Index chronologique : 1800, 1700

AUTEURS

CÉDRIC LESEC Université Paris X-Nanterre, Université de Fribourg (Suisse)

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Muséologie, catalogues et classification : l’art du XIXe siècle en Espagne

Matteo Lafranconi

RÉFÉRENCE

- LUIS DÍEZ, 2007 : José Luis Díez, Eduardo Rosales (1836-1873) : dibujos. Catálogo razonado, Santander, Fundación Marcelino Botín, 2007, 2 vol. 945 p., fig. n. et b. et coul. ; ISBN : 978-84-96655-07-2 ; 57,60 €. - REYERO, 2008 : Carlos Reyero, « Cuando los dioses clasicos no existían y los modernos no eran adorados todavía. Un lugar para el XIX en Bilbao », dans De Goya a Gauguin. El siglo XIX en el Museo de Bellas Artes de Bilbao, (cat. expo., Bilbao, Museo de Bellas Artes, 2008), Bilbao, Museo de Bellas Artes, 2008, p. 13-40. ISBN 978-84-96763-14-2.

1 Au cours des dernières décennies, plusieurs études historiographiques se sont efforcées, à travers des parcours variés, de retracer une physionomie du XIXe siècle qui ne serait pas nécessairement calquée sur le paradigme parisien de la modernité (réalismes, impressionnismes, avant-gardes) mais, au contraire, susceptible de rendre compte de tout ce que, dans le siècle des Nations, les différents pays de l’Europe et du monde, en dehors de la France, sont parvenus à réaliser avec leurs propres systèmes des beaux-arts, en tenant compte des horizons spirituels, des configurations territoriales, des événements historiques et culturels caractéristiques de chaque État. Dans cette perspective, il faut reconnaître le rôle moteur joué par les musées (aux États-Unis inclus). En effet, la muséologie, certes suivant des mécanismes qui ne lui appartiennent pas toujours en propre, a mis à l’ordre du jour la nécessité de replacer l’art du XIXe siècle dans son contexte culturel particulier, y compris le contexte académique, contribuant ainsi de manière décisive à faire apparaître un panorama bien plus complexe et varié qu’il y a trente ou quarante ans.

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2 L’ouverture de la nouvelle extension du musée du Prado, conçue par , le 30 octobre 2007, avec une exposition d’anthologie des fonds du XIXe siècle conservés au musée, a en effet voulu compenser par ce geste de dédommagement l’éclipse totale du Département du XIXe siècle, autrefois relégué extra muros, au Casón del Buen Retiro, jusqu’à la fermeture de l’édifice pour travaux en 1997. L’occasion était ainsi offerte de présenter les résultats de la profonde réflexion historico-culturelle sur l’art de ce siècle, élaborée en Espagne au cours des quinze dernières années1, essentiellement dans la lignée des réflexions nées autour du destin muséologique de la principale collection nationale d’œuvres du XIXe siècle, la plus consistante parmi les différents fonds du Prado et celle qui a toutefois connu le plus de dispersions et de vicissitudes.

3 L’objectif d’une réintégration durable des collections du XIXe siècle dans le contexte muséologique du nouveau Prado du XXIe, défini d’emblée comme prioritaire par l’actuelle direction Zugasa-Finaldi, a en effet impliqué la nécessité de soutenir de manière plausible un tel choix culturel, historiquement impossible à différer et statutairement nécessaire, mais courageux aussi (car peu populaire), à une époque où les musées sont esclaves de la rentabilité commerciale.

4 Bien qu’avec un indéniable retard par rapport au contexte chronologique européen, les études espagnoles ont obtenu un revival de leur XIXe siècle national en suivant un parcours original.

5 Étroitement associée à la question de la situation historico-culturelle des fonds au sein des collections nationales, cette problématique naturellement centrée sur le musée du Prado représente, comme nous le verrons, le point de repère central d’une réflexion historiographique générale encore à ses débuts, à une échelle qu’elle soit plus vaste, territoriale ou institutionnelle et méthodologique.

6 Le musée du Prado fut fondé au début du XIXe siècle. Dès son ouverture, en 1819, l’excellence des collections royales qui forment le noyau de la pinacothèque et l’extraordinaire importance des artistes qui y sont représentés, surtout pour la période allant du Greco à Goya, en passant naturellement par le Siècle d’or, ont exercé une immense influence sur le monde de la production artistique. Au point de rendre aujourd’hui impossible d’écrire une histoire de l’art espagnol du XIXe siècle (des contemporains de Goya, héritiers de la tradition académique du XVIIIe siècle comme Vicente Lopez, José de Madrazo, Juan Antonio de Ribera, Rafael Tegeo, aux artistes qui se succédèrent lors de la séquence dynamique de modernisation du pays tout au long du siècle, de Victor Manzano à Eduardo Rosales, de Leonardo Alenza a Mariano Fortuny, de Valeriano Béquer à Joaquin Sorolla) qui ne parte pas du rôle joué dans son évolution par la visibilité publique inédite d’un tel patrimoine. Loin de constituer un phénomène d’esprit de clocher, l’appartenance à une tradition de l’art espagnol – dont l’identité commence à se former et, littéralement, à « prendre corps » sur les murs où furent exposés les grands exemples de ce qu’il est convenu d’appeler l’école espagnole – se révèle être un désir perceptible précisément et surtout chez les artistes les plus cosmopolites et les plus attentifs à se confronter aux tendances de l’art international définies à Paris ou à Rome, tels José de Madrazo et son fils Federico, Eduardo Rosales, Mariano Fortuny, Antonio Gisbert, Aureliano de Beruete ou Joaquín Sorolla, tous en proie à l’ambition de s’emparer d’une place sur les cimaises de la Sala de Contemporaneos. Pour sa valeur de témoignage du passé dans le rapport muséal entre l’ancien et le moderne, cette salle, située (jusqu’au démantèlement de 1895) dans la partie haute de l’aile nord de l’édifice Villanueva, qui correspond – en termes actuels –

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à la rotonde haute de l’entrée « Goya » avec les espaces d’accès à la galerie centrale, devrait être considérée comme davantage qu’un simple toponyme muséographique. Son histoire pourrait au contraire servir de point de départ à toute tentative d’interprétation historique de l’orientation de l’institution quant à l’enrichissement de ses collections.

7 Dans le catalogue d’exposition La Pintura de historia del siglo XIX en España, qui s’ouvre sur l’imposant essai du directeur d’ouvrage, Javier Barón (p. 20-99), ayant pour objet la périodisation de la matière selon une articulation thématique et chronologique convaincante, l’article très éclairant d’Ana Gutierrez Marquéz, en fin de volume (p. 430-463), est justement consacré à l’histoire des collections du XIXe siècle : il montre (enfin sous une forme historique rigoureuse) l’alternance tumultueuse d’élans et de replis institutionnels que ce noyau a connue au cours du temps et aborde en filigrane le thème (décisif) des difficultés matérielles et conceptuelles que la définition de la modernité a subies en Espagne lors des deux derniers siècles, et cette histoire mérite d’être analysée dans ses principales articulations.

8 Lorsque, en 1819, on décida d’installer le Museo de Pinturas dans l’édifice conçu par Villanueva, le peintre du roi, Vicente Lopez, commença, sur ordre de Fernando VII, à sélectionner dans les différentes résidences royales les meilleures œuvres d’art que les monarques avaient rassemblées au cours des siècles. On y inséra aussi, selon un principe de continuité physiologique, des œuvres d’artistes encore vivants à l’époque et qui, en leur qualité de peintres de la cour, avaient surtout produit des portraits officiels et des peintures allégoriques et décoratives destinées aux divers bâtiments royaux. Seule une toute petite partie de cette sélection fut réellement exposée à l’époque des débuts du musée, mais, dès l’établissement de son tout premier catalogue (Eusebi, 1819), on peut noter que, parmi les 311 œuvres exposées, figurent aussi quelques-uns des tableaux les plus emblématiques du néoclassicisme espagnol, dont La mort de Viriatus (1807) de José de Madrazo (1871-1859). La frontière entre peintres anciens et peintres modernes, ces derniers étant définis comme « vivants » ou « récemment disparus », apparaît à partir de 1824 avec l’aménagement du « gran salón » où, à côté des Paret, Bayeu et autres Maella, apparaissaient des œuvres d’artistes alors en vie, comme José Aparicio (La famine à Madrid, 1819), José de Madrazo ou Goya lui-même. Les catalogues et inventaires ultérieurs du musée (1828 ; 1 834) enregistrent régulièrement l’enrichissement des collections selon ce même critère, avec des œuvres de Carnicero, Tejeo, Vicente et Bernardo Lopez, et quelques autres ; dans le catalogue de 1843, établi par Pedro de Madrazo, le chapitre « Escuelas contemporáneas de España » non seulement indique le nombre de pièces cataloguées (46), mais comprend encore une fiche technique synthétique, des notices biographiques des artistes et même quelques considérations de mise en contexte historico-artistique.

9 Il faut en outre rappeler que même la célèbre Généalogie iconographique des rois d’Espagne (la colossale entreprise d’autocélébration voulue par Isabelle II et réalisée entre 1847 et 1862, où furent engagés, sous l’égide de José de Madrazo, de nombreux artistes contemporains, dont quelques peintres « émergents » tels que Rosales, Vera, Gisbert, Esquivel) se vit attribuer une salle spécialement conçue, qui fut cependant progressivement démantelée à partir des années 1880 (voir notices dans le catalogue, p. 432).

10 Malgré la priorité historiquement réservée au développement des collections de peinture, le Real Museo incorpora aussi à ses salles, au moins à partir de 1826, un

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certain nombre d’œuvres sculptées, sélectionnées par José Álvarez Cubero, «premier sculpteur» de la chambre, et regroupées dans une salle qui, à la différence des salles de peinture, voyait cohabiter de très près des statues classiques et modernes (à l’époque, contemporaines, comme le groupe monumental La défense de Saragosse, réalisé par le même Álvarez Cubero), sans aucune classification, enrichies au cours des ans d’œuvres de Ramón Barba, José Ginés, Antonio Solá. Dans la restitution d’un rôle de premier plan à la sculpture, on observe un important saut qualitatif avec la réforme de 1853, qui inclut la conception de la Sala de la reina Isabel de Braganza, un espace absidial à deux niveaux communicants, où la sculpture installée au rez-de-chaussée bénéficiait des effets de réverbération raffinés obtenus grâce à la lumière zénithale provenant du lanternon central : cette installation obtint un grand succès auprès de la critique et fut maintenue jusqu’à la fin du siècle.

11 Un chapitre absolument décisif, aussi bien pour l’histoire du musée en relation avec l’art espagnol de l’époque que pour une historiographie générale de l’art espagnol du XIXe siècle, s’ouvrit avec l’association entre le musée du Prado et les Exposiciones Nacionales de Bellas Artes, société de promotion née en 1854 mais qui, dans un premier temps, utilisa les espaces du Museo de la Trinidad. Avec la disparition de ce dernier, en 1872, toutes les œuvres jusqu’alors acquises par l’État lors des expositions nationales relevèrent désormais du Real Museo ; dès lors, et jusqu’à la fin du siècle, elles deviennent une source d’enrichissement patrimonial régulier (les manifestations se déroulaient tous les deux ans). En Espagne, comme ailleurs en Europe, l’institution des expositions nationales représenta, pour au moins un siècle, une des mesures les plus significatives et les plus lourdes de conséquences pour la promotion de la vie artistique nationale et, surtout dans la seconde moitié du siècle, cette instances’affirma comme l’autorité la plus influente en matière de goût artistique, et très peu d’artistes de l’époque y manquèrent. La récompense économique attribuée aux vainqueurs des prix ne suffit cependant pas à expliquer une telle adhésion généralisée ; une motivation importante, de valeur intellectuelle authentique, était offerte aux artistes précisément par la possibilité de voir leurs œuvres acquises par l’État et destinées au glorieux musée national ; ce fut le cas, par exemple pour La reddition de Bailén (1864 ; cat. 43, p. 227-232) ou La légende du roi moine (1880 ; cat. 49, p. 428-453) de José Casado del Alisal, Isabelle la Catholique dictant son testament (1864) de Eduardo Rosales (cat. 37, p. 205-211), La folie de Jeanne de Castille de Lorenzo Valles (cat. 44, p. 232), Jeanne la folle de Francisco Pradilla (cat. 47, p. 238-244), Le prince don Carlos de Viana (1881) de José Moreno Carbonero (cat. 50, p. 254-256). L’institution des expositions nationales fut ainsi à l’origine d’une peinture de grand format (les prix encourageaient les artistes à investir du temps et du matériel) à sujets historiques, aptes à réaffirmer les valeurs morales durablement instrumentalisées par le monde politique convulsif de l’époque. Comme cela avait été le cas en France, en Italie et en Allemagne, cette évolution impliqua la création d’un « monde de l’art », composé aussi bien d’artistes engagés dans la compétition que de jurés appelés à juger leurs œuvres (académiciens, lettrés, savants) et de critiques.

12 Toutefois, la rigidité des contraintes logistiques empêcha le legs de cette importante histoire de se refléter concrètement dans l’aspect du musée, puisque les collections contemporaines augmentaient périodiquement, tous les deux ans, d’un important nombre d’œuvres, presque toutes d’un format considérable, et que l’institution se trouva contrainte de les placer systématiquement en réserve. C’est ainsi qu’en Espagne aussi, une part fondamentale de l’histoire de l’art du XIXe siècle, incluant les

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développements de la peinture académique, de propagande, institutionnelle et d’histoire, commença à se disperser aux quatre coins du pays et se retrouva rabaissée au rang de décoration des institutions nationales les plus variées : musées de province, universités, bibliothèques, ministères, tribunaux, établissements administratifs locaux, établissements ecclésiastiques, députations, collèges, ainsi que les locaux officiels de représentation dans les colonies et à l’étranger, avec des effets plus ou moins heureux quant à la conservation et l’inventaire des œuvres.

13 Une fois achevée, avec le changement de siècle, l’histoire des collections du XIXe en tant qu’art contemporain, leur destin au XXe siècle commence avec le décret décidant leur transfert du Prado au Museo de Arte Moderno nouvellement institué (1895), dont on installa le siège dans le Palais des Bibliothèques (l’actuelle Bibliothèque nationale), déjà bien encombré. Cette institution – née dans le sillage du succès du musée du Luxembourg ouvert à Paris – cessa de considérer l’art du XIXe siècle comme la continuation de l’histoire nationale moderne inaugurée par Philippe II, l’extrayant du contexte culturel, visuel et muséographique du Museo de Pinturas qui avait pourtant largement présidé aux conditions de son éclosion.

14 Malgré cette décision, qui scinda pour de nombreuses années les collections modernes du Prado, le musée parvint à effectuer quelques gestes isolés pour contrebalancer une telle politique, par exemple l’acceptation du legs Ramón de Errazu, composé d’un important noyau d’œuvres de Fortuny, Martin Rico et Raimundo del Madrazo, incorporé à partir de 19052. Mais il fallut attendre plus de soixante-dix ans avant le retour « chez elles » d’une partie significative des collections, avec la réattribution – en 1971 – des collections du XIXe siècle au Prado. Toutefois, la nouvelle « Seccion del siglo XIX », installée au Casón, ne cessa pas de subir les contingences de l’Histoire, comme celle de la donation définitive à l’Espagne, en 1981, de Guernica, qui dut trouver place de force au siège du Buen Retiro, ou, plus récemment encore, par l’apposition d’une nouvelle limite à sa juridiction statutaire, avec le décret de répartition définitive des collections modernes entre le Prado et le Reina Sofia, en 1995, exactement un siècle après la création du Museo de Arte Moderno. Si le statut des collections du Prado se fondait sur un critère de réalisation des œuvres avant le terminus post quem de la mort de Goya (1828), la création du nouveau musée d’art moderne en Espagne devait restreindre la juridiction du XIXe siècle de manière encore bien plus contraignante (avec le post quem non donné par la naissance de Picasso, en 1881), faisant ainsi de l’apparition du mythe par excellence de la modernité le critère de discontinuité historico-artistique entre XIXe et XXe siècle. C’est en fonction de ce critère, aussi controversé qu’arbitraire, que l’équipe scientifique du musée devra organiser le très attendu redéploiement des fonds, reliés conceptuellement mais, hélas, non physiquement, au reste des collections, dans les salles du Casón del Buen Retiro qui s’ouvriront prochainement.

15 Eduardo Rosales est l’une des figures les plus emblématiques de ce XIXe siècle espagnol à nouveau étudié et il est aussi symptomatique qu’ait été publié, cette même année 2007, le catalogue raisonné de ses dessins. De fait, l’artiste triompha, encore tout jeune, à l’exposition nationale de 1864, où il présentait son grand tableau réalisé à Rome, Isabelle la Catholique dictant son testament. Devenue le symbole de toute la peinture d’histoire espagnole du XIXe siècle, cette œuvre constitua une véritable révélation pour les

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peintres de la génération de Rosales et entraîna l’affirmation de sa personnalité artistique dans la lignée de la grande tradition picturale du Siècle d’or. C’est à partir de ce moment que la majorité des peintres espagnols prêtèrent une attention nouvelle à l’univers formel de Velázquez, qui contribua à déraciner définitivement l’idéal esthétique du purisme romantique tardif imprégnant encore la peinture espagnole historiciste. Le superbe traitement de la lumière et l’aspect vaporeux des détails du décor, de même que la modernité de la technique – fluide et synthétique – de réalisation des figures, construites à partir d’une stupéfiante sûreté de dessin associée à une touche ample et effrangée, manifestent en effet la pleine maturité artistique atteinte à l’époque par l’artiste, sa maîtrise totale du genre historique et son instinct scénographique peu commun, qui font de cette icône le témoignage de son admiration illimitée pour la peinture de Velázquez.

16 Fruit d’un long, difficile et méticuleux travail de recherche, le catalogue s’appuie sur les quinze années d’études inaugurées par les débuts du revival de la peinture d’histoire académique (l’exposition scandale de 1992 La Pintura de historia del siglo XIX en España) et la valeur qu’il donne au dessin se relève également dans les présupposés méthodologiques de l’appareil scientifique de l’exposition du Prado traitée plus haut, qui révèle une attention nouvelle à l’histoire du dessin conçue comme soutien indispensable à l’établissement de catalogues raisonnés. Celui des dessins de Rosales se présente toutefois comme un défi impavide et pionnier dans un domaine qui, en Espagne, est demeuré jusqu’à présent substantiellement négligé. Les causes de ce retard (désintérêt des collectionneurs, dispersion des matériaux, tradition d’études limitée, extrême variété de la production, surtout à partir du milieu du XIXe siècle) donnent d’autant plus de valeur à la compilation de cette œuvre rigoureuse, qui analyse plus de mille dessins en les ordonnant par périodes à l’intérieur de grandes sections thématiques (copies d’après l’antique, religion, histoire, allégories, littérature, portraits, caricatures, académies, animaux, paysages, architectures). Ce choix est légitimé par la grande production de l’artiste et par la facilité de consultation croisée qu’offrent les divers index placés en fin d’ouvrage (index des noms, des thèmes, des peintures de référence), tout en confiant à un traitement plus libre (Rosales dibujante, p. 23-138) le commentaire chronologique des œuvres les plus significatives. Le second volume contient les planches, qui proposent la reproduction complète des œuvres, classées par ordre chronologique (mais non selon la numérotation progressive suivant le critère thématique du catalogue), accompagnées de légendes composées du titre, de la date et de la localisation. Dans le premier volume, prélude au catalogue, le chapitre consacré aux aspects plus spécifiquement techniques et formels des dessins de Rosales (Proceso material en los dibujos de Rosales, p. 805-826) est dû à Ana Gutierrez Marquéz, qui a mis en évidence, selon des critères statistiques, les éléments récurrents les plus significatifs quant à la technique et aux supports, aux annotations, aux marques de propriété ou d’authenticité, aux signatures, aux sceaux, etc., autant d’informations d’un grand intérêt, y compris à propos de la circulation des œuvres entre les collections et les musées. L’ouvrage s’achève par une biographie complète (Vida de Eduardo Rosales. Apuntes para una cronologia documental, établie par Carlos Navarro, p. 827-898), qui cependant révèle l’importante attention bibliographique accordée à l’artiste (de loin supérieure à celle réservée à d’autres de ses contemporains et en partie motivée par la sensation que provoqua sa disparition précoce). Elle relève de deux sources principales, dont on a minutieusement croisé les informations : le journal de l’artiste publié dans la

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monographie fondamentale de 19263, et sa correspondance épistolaire, découverte dans les archives et publiée par Enrique Pardo Canalis.

17 Dans la lignée des progrès scientifiques et méthodologiques obtenus par le Departamento de Pinturas del Siglo XIX du Prado, il est significatif que, pour célébrer le centenaire de sa fondation, le Museo de Bellas Artes de Bilbao, l’un des plus riches du pays, ait choisi d’investir massivement dans une recherche portant sur ses collections du XIXe siècle, et de confier la réalisation de l’exposition De Goya a Gauguin. El siglo XIX en el Museo de Bellas Artes de Bilbao à trois des principaux protagonistes du renouvellement des études à ce sujet : Javier Barón et José Luis Díez, conservateurs en chef au Prado, et Carlos Reyero, professeur à l’Università Autonoma de Madrid.

18 La réflexion initiale que ce dernier développe dans son essai nous conduit à nouveau, tout en partant de circonstances opposées, au rapport controversé entre art du XIXe siècle et muséologie. Lorsque, en 1908, le Museo de Bellas Artes de Bilbao fut fondé, très peu d’artistes du fond du XIXe siècle relevaient de la grande tradition. Quand, en 1924, la ville basque voulut elle aussi avoir son musée d’art moderne (ici encore pour séparer le « classique », conçu comme le précipité de la décantation historique, du « moderne », entendu comme manifestation de la contemporanéité), les collections de cette institution n’étaient composées que d’œuvres d’artistes vivants et furent rattachées, quelques années plus tard, au Museo de Bellas Artes. Ce phénomène, que nous pourrions appeler la « passéisation » muséographique de l’art du XIXe siècle a sans aucun doute conditionné sa compréhension et sa valorisation ultérieures, jusqu’à une époque récente.

19 Cependant, on peut distinguer trois autres facteurs principaux, qui semblent offrir autant de fils conducteurs pour explorer les quelque trois cents œuvres composant la collection de peintures et de sculptures du XIXe siècle du musée de Bilbao. En premier lieu, il y eut le désir de ses directeurs de constituer une collection cosmopolite et, dans la mesure du possible, de réunir des noms d’une célébrité certaine, voire internationale, ce qui suppose la valorisation de certaines œuvres, en particulier les créations françaises (Cézanne, Gauguin, Cassat). En second lieu, il faut mentionner la présence significative d’artistes basques, ou en tout cas actifs au pays basque (Juan de Barroeta [1835-1906] ; Anton Maria de Lecuona [1831-1907] ; Macario Marcoartu [1858-1905]) ; José Ecenagurìa [1844-1912] ; bien qu’il soit courant que tout musée local prête attention aux manifestations artistiques du contexte où il se situe, l’assimilation d’un goût international par les peintres basques du XIXe siècle, en relation précoce et continue avec Paris et Rome, place certaines de leurs œuvres au centre des principaux débats du siècle. C’est le cas d’Anselmo Guinea (1855-1906 ; voir son Portrait de Juan de Rochelt, vers 1880, cat. 77, p. 383-384), qui réussit à dépasser le pittoresque conventionnel en traitant de sujets italiens (Souvenir de Capri, 1884, cat. 78, p. 386) ou locaux (Idylle en Arratia [1889], cat. 79 p. 390) ; ou d’Ignacio Zuloaga (vers 1875-1910 ; Portrait du comte de Villamerciel [1883 c.], cat. 118 p. 528-530) ; ou encore d’un sculpteur comme Nemesio Mogrobejo (1875-1910) dont l’Ève en bronze (1904 ; cat. 129, p. 565-566) triompha dans la salle espagnole de la biennale de Venise de 1905. Ce cosmopolitisme, entendu comme caractéristique identitaire d’un goût local, se traduit, chez ces artistes, par une série de parcours d’exploration suggestifs. Un tel phénomène, accru par la

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fortune critique dont bénéficièrent certains d’entre eux (Dario de Regoyos, Ignacio Zuloaga), trouve cependant aussi ses motivations dans le simple goût de la confrontation avec les participants aux grands concours des expositions nationales et internationales. En troisième lieu, enfin, il faut tenir compte de l’existence, en Biscaye, d’une bourgeoisie florissante qui, dès les premières années du XXe siècle, donna l’impulsion à la formation d’un collectionnisme en accord avec la signification sociale du musée, dont le caractère non seulement n’entre pas en conflit avec les deux lignes directrices mises en évidence plus haut, mais au contraire les renforce, à travers le mécanisme des donations. En ce sens, il ne faut pas oublier qu’avant d’entrer au musée, les œuvres ornaient des résidences privées et appartenaient souvent à des ensembles situés au pays basque. Ainsi, de même qu’un certain parfum d’« exposition nationale » imprègne les œuvres du XIXe siècle conservées au musée du Prado, de même on perçoit le goût du collectionneur, fruit d’une orientation esthétique sans équivoque, lors de la contemplation panoramique de celles du musée de Bilbao.

NOTES

1. La pintura de historia del siglo XIX en España, José Luis Díez éd., (cat. expo., Madrid, Museo Nacional del Prado/Museo Español de Arte Contemporáneo, 1992), Madrid, 1992 ; Pintura española del siglo XIX del Neoclasicismo al Modernismo : obras maestras del Museo del Prado y colecciones españolas, José Luis Díez, Esteban Casado Alcade, Carlos Reyero éd., (cat. expo., Bilbao, Museo de Bellas Artes/Madrid, Museo del Prado/Oviedo, Museo de Bellas Artes de Asturias, Saint-Jacques de Compostelle, Sala de Exposiciones del Auditorio de Galicia/Saragosse, La Lonja, 1992/Vitoria, Sala Amarica, 1992-1993/Valence, Museo de Bellas Artes San Pio V, 1993), Madrid, 1992. 2. El legado Ramón de Errazu. Fortuny, Madrazo y Rico, Javier Barón éd., (cat. expo. Madrid, Museo Nacional del Prado, 2005), Madrid 2005. 3. Juan Chacón Enríquez, Eduardo Rosales, Madrid, 1926.

INDEX

Mots-clés : historiographie, histoire de l'art espagnol, collection, musés, patrimonialisation, histoire des collections Index géographique : Espagne Keywords : historiography, Spanish art history, collection, museum, heritage, collections historyJohn L. Carr Index chronologique : 1800

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AUTEURS

MATTEO LAFRANCONI Galleria Nazionale d’Arte Moderna, Rome

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Traduire Semper : philologie et idéologie architecturales

Michael Gnehm

RÉFÉRENCE

- SEMPER, 2004 : Gottfried Semper, Style in the Technical and Tectonic Arts ; or, Practical Aesthetics, Harry Francis Mallgrave, Michael Robinson éd., Santa Monica, Getty Publications, 2004. 992 p., 19 fig. coul. et 359 n. et b. ISBN : 0-89236-597-8 ; 67 € [Der Stil in den technischen und tektonischen Künsten, oder praktische Ästhetik. Ein Handbuch für Techniker, Künstler und Kunstfreunde, t. I. Die textile Kunst für sich betrachtet und in Beziehung zur Baukunst, 1860 ; t. II. Keramik, Tektonik, Stereotomie, Metallotechnik für sich betrachtet und in Beziehung zur Baukunst, 1863]. - SEMPER, 2007 : Gottfried Semper, Du style et de l’architecture. Écrits, 1834-1869, Jacques Soulillou, Nathalie Neumann éd., Marseille, Éditions Parenthèses, 2007. 364 p., 1 fig. coul. et 24 n. et b. ISBN : 978-2-86364-645-8 ; 19 €. - HVATTUM, 2004 : Mari Hvattum, Gottfried Semper and the Problem of Historicism, Cambridge, Cambridge University Press, 2004. 288 p., 50 fig. n. et b. ISBN : 0-521-82163-0 ; 68 €. - MUECKE, 2005 : Mikesch W. Muecke, Gottfried Semper in Zurich: An Intersection of Theory and Practice, Ames (Iowa), Culicidae Architectural Press, 2005. 324 p., 150 fig. n. et b. ISBN : 1-4116-3391-1 ; 11 €.

1 Depuis le bicentenaire de la naissance de Gottfried Semper en 2003 et l’ouvrage édité à cette occasion1, rares sont les publications ayant contribué au savoir factuel sur sa vie ou ses œuvres théoriques et architecturales2. Les livres recensés dans cet article constituent quatre contributions importantes, moins à cause de leur apport factuel que parce qu’ils incitent à la réflexion approfondie sur les données du cosmos de Semper parfois prises comme étant établies à jamais.

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Théorie et pratique de la traduction

2 Le fait que, depuis 2004, les deux volumes de l’œuvre théorique majeure de Semper, Der Stil in den technischen und tektonischen Künsten, oder praktische Ästhetik (1860 et 1863), soient accessibles pour la première fois intégralement en anglais aura un effet considérable. De même, la parution récente d’une anthologie de textes de Semper traduits en français fournit un autre exemple d’un effort respectable vu la difficulté de son langage – responsable, selon Harry Francis Mallgrave, d’une traduction si tardive de Der Stil en anglais (SEMPER, Style…, 2004, p. VII). Dans cette sélection, Jacques Soulillou a inclus des extraits du premier volume de Der Stil, qui traite de l’influence de l’art textile en tant que technique des arts industriels considérée comme la plus décisive pour le développement de l’architecture. Laissant de côté les techniques traitées dans le second volume (la céramique, la charpenterie, la stéréotomie et la technique du métal), ce choix est justifié par l’importance incontestée du « principe du revêtement » pour toute la théorie de Semper. Ce principe « textile », qui inverse le rapport traditionnel entre surface et structure, imprègne, dès 1851, ses textes jusqu’aux concepts opératoires, comme le montre son rapprochement des mots Wand (paroi) et Gewand (vêtement) dans son texte Les quatre éléments de l’architecture (SEMPER, Du style…, 2007, p. 127)3.

3 Cette anthologie permet ainsi de retracer les éléments de la genèse, de l’enjeu et de la réception de Der Stil que Mallgrave fournit avec son introduction en les situant dans le contexte de la vie et de l’œuvre architecturale de Semper (SEMPER, Style…, 2004, p. 1-67) : les Vorläufige Bemerkungen über bemalte Architectur und Plastik bei den Alten (1834 ; SEMPER, Du style…, 2007, p. 55-87, traduit de façon erronée par « Remarques préliminaires sur l’architecture peinte et la sculpture des Anciens ») montrent qu’à travers la couleur, Semper se préoccupe dès alors de l’« enveloppe » architecturale ; les conférences de Londres des années 1850 se penchent (à la suite de la première exposition universelle) largement sur le rapport entre arts industriels et architecture (SEMPER, Du style…, 2007, p. 155-222) ; Über Baustyle (« Des styles architecturaux » ; 1869 ; SEMPER, Du style…, 2007, p. 339-360) est le seul texte publié du vivant de Semper à esquisser le programme d’un troisième volume de Der Stil. Bien que ses éléments en soient disséminés dans les deux volumes existants, l’éditeur de Semper attendait – comme ensuite la communauté scientifique – du volume manquant des approfondissements sur l’application de sa théorie à l’architecture de son temps. Semper prévoyait d’y traiter « des facteurs les plus puissants du style en architecture : l’état de la société et le contexte propres à chaque époque » (Semper, « Prospectus » [1859] de Der Stil, dans HVATTUM, 2004, p. 15) – des facteurs difficiles à déterminer pour sa propre période.

4 De ce point de vue, on regrette que l’anthologie française n’ait pas retenu de textes de Semper étroitement liés à la pratique architecturale : d’une part les expertises sur le patrimoine architectural4 ; d’autre part des textes que Semper avait publiés soit comme critique de l’architecture de son époque (seule sa critique « Des jardins d’hivers » est traduite ; p. 89-93), soit comme défense de sa propre architecture (tel son dessin d’une église pour Hambourg dans les années 1840). Ainsi, le rapport problématique entre théorie et pratique est-il réduit à un renvoi un peu trop direct au comme héritier supposé de Semper (SEMPER, Du style…, 2007, p. 7). En revanche, on bénéficie avec l’introduction de Mallgrave d’une synthèse de sa monographie de 19965, qui

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constitue aussi le socle des autres ouvrages recensés ici. Les textes de Semper résistent souvent à une traduction sans ambiguïté. Mais, en contrepartie, la présence d’éléments comme l’index des livres et périodiques cités dans Der Stil ou celui des noms et mots- clés est très précieuse (SEMPER, Style…, 2004, p. 921-946, 955-980).

Recherches philologiques et traduction métaphorique

5 Les études de Mari Hvattum et de Mikesch Muecke (des thèses de doctorat soumises toutes deux en 1999 et retravaillées depuis) montrent qu’il ne peut jamais être question uniquement d’une traduction « proprement dite ». On pourrait parler dans les deux cas d’un approfondissement philologique, avec des propositions qui servent à discerner le noyau de toute la théorie et la pratique de Semper dans un acte de traduction entendu dans un sens plus large, pour ainsi dire « métaphorique ». Hvattum dit qu’elle n’a pas écrit « en premier chef un livre sur Gottfried Semper, mais plutôt sur les ‘implications des apories de l’historicisme’ » dans le domaine de la pensée architecturale (HVATTUM, 2004, p. 5). Ainsi, elle « utilise Semper comme véhicule pour aborder des sujets essentiels dans le discours moderne sur l’architecture » (id., p. 23). Muecke, dans une même démarche métaphorique, part dans une autre direction, en se focalisant sur six « œuvres moins connues ou mineures » de Semper (MUECKE, 2005, p. 1) parmi les meubles et architectures de sa période zurichoise. Il déclare vouloir « utiliser les vestiges des projets de Semper comme catalyseur afin d’examiner leurs forces transformatrices pour la production architecturale d’aujourd’hui » (id., p. 11 ; voir p. 4, 249). Malgré ces tendances d’extension de la lecture, les deux études tournent bien néanmoins autour de Semper. Toute la question est alors de savoir de quel Semper il s’agit, et ici, les visées et les approches des livres en question divergent.

6 Muecke recherche « les croisements et recoupements entre les écrits et les bâtiments de Semper » en explorant les preuves existantes « de la position de Semper sur l’interdépendance entre théorie et pratique » (id., p. 2). Hvattum, en revanche, « ne traite pas de ses bâtiments, mais se concentre sur l’interprétation de ses textes », avec un triple but : « développer le concept de production artistique comme fiction poétique » (comprise comme la notion aristotélicienne de poiesis en tant que « mimesis de la pratique ») ; retracer les deux pôles de la pensée de Semper qui concernent « la nature essentielle de l’art » et « la méthode permettant de faire de l’art un objet légitime de la science » ; identifier les conflits entre ces deux pôles, dont elle entreprend d’isoler les effets catastrophiques sur le projet de Semper d’un édifice théorique qui tente de « fusionner une poétique avec une esthétique pratique » (HVATTUM, 2004, p. 21-25).

7 Cette « esthétique pratique » (annoncée par le sous-titre de Der Stil) est aussi au centre de l’ouvrage de Muecke, qui juge décisif le fait que Semper « respectait la dynamique de la création artistique en se focalisant sur les étapes génératives de la production artistique, et dans le sens littéral de la technique, et dans le sens figuratif d’une historiographie des arts » (MUECKE, 2005, p. 25). Or, Hvattum considère que c’est l’échec de cette aspiration à la pratique, entendue dans ce double sens de la technique et de l’historiographie, qui s’exprime à travers ce « manque tragique » (HVATTUM, 2004, p. 22) qui se traduit par l’inachèvement du troisième volume de Der Stil. Selon Semper, ce volume devait traiter « des variables extérieures du style » (SEMPER, Style…, 2004, p. 20, 51) ce qu’il appelait la « tendance » de l’architecture (Tendenz) et ne veut dire autre

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chose que son idéologie. Pour Hvattum, Semper trébuche sur ce côté social de l’architecture et finit dans une immanence formaliste où « l’œuvre d’art est complètement autonome » (HVATTUM, 2004, p. 5, voir p. 99, 102)6.

8 Une première réponse à la question de savoir à quel Semper on a à faire réside dans ce prétendu formalisme de Semper. Cette supposition s’appuie toujours sur une définition de la notion de « style » telle que Semper l’avait donnée, dans deux manuscrits des années 1850, sous forme de l’équation mathématique : « U = C (x, y, z, t, v, w…) » (U étant le « résultat », C la « fonction » de toutes les « variables » [intérieures et extérieures] x, y, z, etc.)7. Selon cette définition, le style est ce qui « met en évidence la signification artistique du thème fondamental et de tous les coefficients intérieurs et extérieurs qui ont modifié l’incarnation de ce dernier dans une œuvre d’art » (SEMPER, Style…, 2004, p. 20). Bien que ces coefficients stylistiques restent variables, Hvattum conclut que cette équation mathématique « révèle un rêve ambitieux : celui de capter l’histoire de l’art comme un système dans lequel tous les composants sont entièrement accessibles à l’historien » – rêve qui « présuppose la transparence de l’histoire et de la culture » grâce à laquelle « on peut calculer ses expressions artistiques » (HVATTUM, 2004, p. 110). Muecke, qui renvoie à ce même passage chez Semper (MUECKE, 2005, p. 26, 85), met en garde contre une telle interprétation déterministe en faisant référence à un texte de Semper de 1859, « Sur les projectiles de plomb chez les Anciens » (id., p. 131). De plus, Semper dit des variables de son équation que « leur nombre est indéterminable »8.

9 Selon Hvattum, le projet architectural devient chez Semper, dans sa « tentative de restaurer une relation authentique entre art et société à travers une méthode scientifique, inévitablement […] un dispositif opératoire pour le calcul à la place d’un acte d’interprétation » (HVATTUM, 2004, p. 192). Mais cette interprétation de Hvattum ne considère pas assez la valeur de l’équation mathématique dont Semper dit, comme elle le note, qu’elle ne lui sert que comme « béquille » (id., p. 110). Chez Semper, il semble qu’il ne faille pas prendre les mathématiques à la lettre. Il s’agit finalement de problèmes de traduction entre art et société, et c’est effectivement cette dernière qui ne se laisse guère contrôler par une équation mathématique. Semper utilise certes les modélisations des sciences naturelles mais toujours en les transposant. Ainsi, d’une part il se situe bien par rapport aux catégorisations de Georges Cuvier pour ses quatre éléments de l’architecture (id., p. 123-130) ; d’autre part, il décrit aussi les rapports entre catégories, « évolutions » architecturales et développements sociaux selon la théorie de Cuvier sur les effets « cataclysmiques » des « révolutions de la surface du globe », tout en la transposant au niveau politique9. Cette intrusion du politique échappe à l’horizon herméneutique que Hvattum emprunte à Hans-Georg Gadamer et Paul Ricœur (HVATTUM, 2004, p. 23, 78-81). En revanche, elle se laisse circonscrire aisément à travers les exemples « mineurs », en suivant « la question de la marge et sa relation au centre » que Muecke adapte du traitement des parerga kantiens par Jacques Derrida (MUECKE, 2005, p. 3).

Les imprégnations idéologiques

10 Le formalisme de Semper se révèle, selon Hvattum, de manière symptomatique dans les passages de Der Stil où il traite d’un « siège assyrien », en le reproduisant avec une gravure sur bois, mais sans restituer le contexte de l’original, c’est-à-dire les

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personnages représentés sur le relief du British Museum qui a servi de modèle à Semper. Hvattum expose comment se manifeste ici un conflit entre poétique et esthétique responsable de cette « étrange compression de sens » (HVATTUM, 2004, p. 5, 102-107) prévalant dans l’écriture de Semper – une compression provoquée, selon elle, par l’escamotage même de sens dû à l’autonomisation formaliste de l’art. Dans le contexte de l’« équipement assyrien » (c’est-à-dire meubles, chars, etc.), Semper exemplifie sa triple division des « motifs ornementaux » (ornamentale Motive). Aussi considère-t-il – en accord avec sa méthode de développement de l’architecture à partir des arts industriels et de leurs techniques – que « les motifs ornementaux de la charpenterie (Tektonik) et même de l’architecture » dépendent de l’application symbolique des techniques d’ornementation qu’il trouve avec l’équipement assyrien. Il s’agit de « motifs constructifs » (struktive Motive), de « motifs utilitaires » (zweckliche Motive) et de « motifs tendancieux » (tendenziöse Motive), c’est-à-dire de motifs « idéologiques », appelés ailleurs chez Semper « mystiques ». Leur interdépendance, aussi formelle que symbolique, est exposée ensuite par le cas spécifique du « symbolisme idéologique » (tendenziöse Symbolik ; SEMPER, Style…, 2004, p. 339)10.

11 Semper dit de l’ornement du « siège assyrien » qu’il « parle ici toujours comme symbole dans un double rapport, en vivifiant, pour ainsi dire, la traverse assemblant le piétement, tout en marquant la chaise comme équipement hiératique ». La chaise ainsi sanctifiée est devenue siège ou, selon Hvattum qui corrige Semper, « trône » (HVATTUM, 2004, p. 4). Cette vivification organique résulte de l’application de feuillage et de têtes d’animaux à un emplacement « constructif » : le piétement du siège. Dans la paraphrase de Hvattum, ces « têtes d’animaux flanquant le siège expriment à la fois la force portante et la signifiance religieuse » (HVATTUM, 2004, p. 2) ; c’est-à-dire qu’ils fonctionnent dans un double sens, à la fois comme « motif constructif » (ou naturel) et « motif tendancieux » (mystique ou idéologique). Bien que Semper renvoie explicitement à cette signifiance religieuse, comme le note Hvattum, elle lui reproche un « symbolisme […] étrangement immanent – attribué à la chaise en tant que composition formelle, et non pas à cause de son rôle dans le contexte de royauté assyrien » (id., p. 4‑5). Il est cependant difficile de comprendre comment Semper aurait pu ne pas penser à une utilisation du siège assyrien dans son contexte social, puisqu’il l’appelait un « équipement hiératique » symbolisé par son ornement.

12 De plus, on peut critiquer le concept d’immanence que Hvattum applique à la transformation du symbolisme assyrien en un symbolisme grec : « les Grecs ont démêlé le double symbolisme de leurs ancêtres et adopté leurs motifs dans un sens purement esthético-structurel » (id., p. 105-106) – transformation qui est centrale chez Semper pour ce qui concerne le développement du rapport entre artefact et société. Pour arriver à une telle lecture, Hvattum ne peut prendre en compte tout le passage où Semper affirme s’intéresser à l’« équipement assyrien » parce qu’avec lui, « l’art libre ne s’est pas encore détaché de l’ornement » et que les ornements ont donc une double valeur symbolique. L’art grec se révolte alors contre cette ambiguïté symbolique ; il la « divise et assigne à chaque moitié sa place conforme » et ne traite donc pas le symbolisme assyrien « dans un sens purement esthético-structurel », mais seulement les « symboles ornementaux » – terme qui, dans ce cas, ne désigne que les symboles « constructifs » et « utilitaires ». Grâce à cette réduction, le mysticisme ou l’idéologie sont libérés de ces contraintes ornementales toujours obligées de servir à symboliser la construction ou l’utilité de l’« équipement ».

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13 Maintenant, l’art est libre de prendre sa place dans le cadre d’un « équipement », le transformant ainsi en une œuvre d’une « expression monumentale majeure » (SEMPER, Style…, 2004, p. 760). Les monuments d’une expression majeure sont alors ceux où – comme chez les Grecs – l’art (y compris l’architecture) « assigne à l’art majeur ses champs neutres où il se développe librement, tout en étant indépendant de la fonction la plus proche et matérielle du système » (id., p. 343). C’est le cas du Parthénon et de son tympan indépendant du système constructif, avec l’effet que le « tympan du fronton qui couronne Athéna est, à l’instar du visage de la déesse, […] le réflecteur du cortège sacrificiel qui approche » (id., p. 96, SEMPER, Du style…, 2007, p. 304 ; traduction modifiée). L’architecture est devenue individu, abritant non seulement l’homme, mais étant faite selon son « image » (et non plus selon l’image d’un animal chimérique, quoique toujours selon l’image de l’homme dans le cadre d’une société sacrificielle).

14 Bien que le discours de Semper annonce implicitement la rupture entre architecture et « arts libres » (ou « majeurs », réputés autonomes, comme la peinture et la sculpture), celle-ci ne s’était pas encore concrétisée à sa propre époque. Semper voulait toujours, dans ses projets monumentaux, donner aux « arts libres » leur place dans le cadre architectural pour aller justement à l’encontre d’une tendance à appliquer les ornements « dans un sens purement esthético-structurel ». Pour Semper, l’adaptation grecque de l’art « barbare » (assyrien ou autre) ne se passe jamais « purement » ; dans l’art grec, un reste impur et barbare survit toujours, ce qui forme, dans les cas ornementaux, un reste « tendancieux » ou idéologique. C’est cette partie idéologique – dans l’immanence supposée de l’art grec selon l’interprétation de Hvattum du système de Semper – qui reste, en première apparence, extérieure à l’art, mais qui l’infiltre tout de même. Il s’agit en effet, comme le dit Hvattum, d’une « sublimation » (HVATTUM, 2004, p. 100, 112). Mais c’est une sublimation qui n’est jamais refoulée ; elle est plutôt présentée ouvertement avec le masque du « revêtement ».

D’un intérieur mobilier à un extérieur architectural

15 L’importance que Semper attribue à l’interdépendance des divers aspects ornementaux et au rôle de l’art se laisse déduire le mieux de sa propre architecture, absente chez Hvattum. En analysant ses projets « mineurs », qui sont plus proches de l’architecture « utilitaire » que « monumentale », Mikesch Muecke peut démontrer comment la construction et l’art gardent leur caractère « appliqué » sans jamais tomber dans une autonomie « purement esthético-structurelle ». Muecke donne pour premier exemple des œuvres « utilitaires » de Semper un cabinet de table de 1854 et le décrit dans le sens du développement – de l’« histoire » – de l’architecture à partir de l’art industriel et par là même à partir d’une technique utilitaire évoluant vers une architecture monumentale qui « libère » l’art. Une telle description est justifiée, d’autant plus que Semper reprend le modèle partiel de ce cabinet de table – un trépied pompéien – dans Der Stil. Muecke appelle ce cabinet de table « une représentation du conflit entre mythos et logos » (MUECKE, 2005, p. 117). Ceci correspond à son aspect « monstrueux », qui résulte de la combinaison, d’une part, des pieds de table en forme de pattes et de têtes de lion avec, d’autre part, un cabinet qui encadre dans sa face, c’est-à-dire à un endroit constructivement « neutre », une scène champêtre peinte sur porcelaine (Semper avait prévu une nature morte, adaptée à l’idée d’une collection). Lu de bas en haut, on y voit représentée de manière « télescopique » l’histoire des artefacts humains à partir de

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leur mobilité (le meuble) jusqu’à l’immobilité (l’architecture) qui est basée alors sur des origines « instables », tout en montrant certains de ces aspects « primitifs ».

16 On comprend alors la préférence de Semper pour la Renaissance et ses maniérismes, et non pour un hellénisme classique à la Klenze. Cette préférence pour l’ambiguïté maniériste est visible dans les œuvres mineures postérieures de Semper. Ainsi, la villa Garbald (1863), maison d’un douanier suisse dans les Grisons, « occupe un site hybride » à la limite entre la Suisse et l’Italie, en un lieu où les édifices sont les héritiers à la fois des maisons de campagne suisses et des palazzi italiens – des paramètres topographiques et architecturaux qui inspirent l’hybridité du bâtiment. La villa Garbald devient ainsi « un manoir micropolitain » ; son maniérisme s’exprime à travers le plan, qui n’est pas établi selon les mathématiques de la villa idéale, mais selon « une trame géométrique » qui « approche la géométrie pure sans jamais coïncider avec elle » (id., p. 132-134). En surveillant le trafic frontalier, la villa Garbald forme une sorte de pendant à l’immeuble commercial et d’habitation que Semper avait construit en 1867 pour le patron de la société commerciale Fierz, engagée dans le marché du coton.

17 Muecke peut montrer comment la théorie architecturale de Semper et son « principe du revêtement » ont imprégné toute la maison Fierz. Le soubassement à bossage forme « un ‘bord’ entre un monde souterrain naturel et un monde aérien artificiel », avec un polissage progressif dans la verticalité de la façade qui « signale une diminution du matériau et une augmentation de l’influence visuelle » (id., p. 215). La façade garde ainsi un aspect « télescopique » (id., p. 217), comme il est développé dans Der Stil par rapport à la stéréotomie (voir SEMPER, Style…, 2004, p. 727-738, et 40)11. La combinaison contradictoire d’effets stabilisants et dynamisants correspond « au caractère hybride de l’immeuble comme magasin et résidence, tous deux des lieux de stabilité (dépôt) et de dynamique (échange) » (MUECKE, 2005, p. 215). Ce qui est emmagasiné et marchandé, entre autres (le coton), se laisse pressentir, selon le « principe du revêtement », à travers la façade, qui, avec l’aspect « moucheté » du grès, se présente comme une « surface tissée » dont le matériau « s’est pétrifié » (id., p. 219). Bien qu’il soit probable que les pans entre les pilastres aient été initialement couverts d’un enduit gris clair12, ils laissent voir le filet des jointures comme « tendu » dans un cadre constructif visible. La façade rappelle « son origine de tapis tissé » et sert de publicité (camouflée) pour le négoce en question. Le textile occupe ici le champ « neutre » réservé à l’« art libre » dans l’architecture monumentale : il est devenu cet art tout en restant de l’art « appliqué », destiné au marché.

18 Semper était bien conscient du progrès des sciences et de la technique et de leur enseignement de son temps. Ce sont ces aspects que Muecke souligne dans sa « traduction » de la théorie de Semper en une pratique du XXIe siècle et qui se distingue ainsi des propos à la mode qui évoquent à travers Semper surtout le phénomène des murs-rideaux. Hvattum pense qu’un penchant scientiste de Semper l’a empêché de conduire à bien son projet synthétique d’un troisième volume de Der Stil. Pour elle, son conflit est que « l’historicité particulière de l’art, où son potentiel poétique réside, ne peut jamais être rendue transparente pour une explication méthodique ». Le résultat en est la fragmentation du projet de Semper qui « indique qu’une appropriation complète de la dimension poétique n’est pas possible. Il reste toujours, au milieu de chaque essai d’instrumentalisation, une force poétique de l’architecture qui s’entremet entre une tradition inépuisable et une situation concrète » (HVATTUM, 2004, p. 191-192). Muecke parvient à démontrer (à travers les relations de Semper avec Gottfried Keller et

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Friedrich Theodor Fischer) les affinités directes de Semper pour l’échange entre la poésie et l’esthétique13. De plus, il laisse entrevoir la possibilité d’interpréter la poésie concrète de son architecture comme la réalisation du troisième volume de Der Stil : il s’agit de ce reste qui marque le moment « où l’écriture sur l’architecture atteint ses marges extérieures, et où la construction prend la relève » (MUECKE, 2005, p. 251). On peut ajouter que, dans le cadre actuel de la production architecturale, Bernard Cache a interprété sous cet angle un des derniers bâtiments de Semper, le Musée des beaux-arts à Vienne (1871-1891)14, et s’est inscrit de cette manière dans l’historiographie et la philologie architecturales.

NOTES

1. Gottfried Semper 1803‑1879: Architektur und Wissenschaft, Winfried Nerdinger, Werner Oechslin éd., (cat. expo., Munich, Pinakothek der Moderne/Zurich, Museum für Gestaltung, 2003‑2004), Zurich/Munich/Berlin/Londres/New York, 2003. 2. Henrik Karge éd., Gottfried Semper – Dresden und Europa. Die moderne Renaissance der Künste, (colloque, Dresde, 2003), Munich/Berlin, 2007 ; Reinald Franz, Andreas Nierhaus éd., Gottfried Semper und Wien. Die Wirkung des Architekten auf « Wissenschaft, Industrie und Kunst », (colloque, Vienne, 2005), Vienne/Cologne/Weimar, 2007 ; Michael Gnehm, « Ethik der Ästhetik: Gottfried Semper in Dresden und Wien », dans Kunstgeschichte aktuell, 2008, XXV, 1, p. 3 (http ://http:// www.kunsthistoriker.at/data/aktuell_1_08.pdf). 3. Un extrait de ce texte avait été traduit en francais antérieurement ; voir Semper, « Les quatre éléments de la construction », dans eaV. La revue de l’école d’architecture de Versailles, 1997, 3, p. 64‑69 (trad. d’Élisabeth Fortunel, revue par Isabelle Kersimon et la rédaction). 4. Voir à ce propos Roland Recht, « Viollet‑le‑Duc et Gottfried Semper : leurs conceptions du patrimoine monumental », dans Revue Germanique Internationale, 2000, 13, p. 155‑168. 5. Harry Francis Mallgrave, Gottfried Semper : Architect of the Nineteenth Century, New Haven/ Londres, 1996. 6. Pour un autre point de vue sur les raisons de l’inachèvement du troisième volume de Der Stil, voir Michael Gnehm, « ‘Kritik gegenwärtiger Zustände’ als Ursprungskritik – zum 3. Band des Stil », dans Gottfried Semper, 2003, cité n. 1, p. 314‑320. Voir aussi Susanne Luttmann, « Von der Methodik des Erfindens – Gottfried Sempers ‘Vergleichende Baulehre’ », dans Karge éd., Gottfried Semper, 2007, cité n. 2, p. 221‑236. 7. Semper, « Theorie des Formell-Schönen », dans Wolfgang Herrmann éd., Gottfried Semper. Theoretischer Nachlass an der ETH Zürich, Basel/Boston/Stuttgart, Birkhäuser, 1981, p. 236 ; voir la conférence de Londres, de 1853, de Semper, « Projet d’un système de théorie comparative du style » (SEMPER, Du style…, 2007, p. 162, 173). 8. Semper, « Theorie des Formell-Schönen », cité n. 7, p. 236. 9. Voir Michael Gnehm, « ‘L’origine secondaire’ : Semper et Viollet‑le‑Duc sur les traces d’une histoire culturelle de l’architecture », dans eaV. La revue de l’école d’architecture de Versailles, 2006‑2007, 12, p. 62‑71. 10. Dans une de ses conférences de Londres de 1854, Semper parle du symbole en tant que symbole « naturel », « technique » et « mystique » ; voir « Des symboles architecturaux » (SEMPER,

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Du style…, 2007, p. 204). Hvattum utilise cette terminologie et renvoie à celle de Der Stil (HVATTUM, 2004, p. 102 ; 220, n. 63) ; Muecke se sert de celle de Londres (MUECKE, 2005, p. 31‑33, 144). 11. Pour cet effet « télescopique » des musées de Semper à Vienne par rapport à leur développement chez Constantin Lipsius, voir J. Duncan Berry, « Architectural Realism in Dresden: Semperian Themes from Lipsius to Schumacher », dans Karge éd., Gottfried Semper, 2007, cité n. 2, p. 311‑322, ici p. 314‑318. 12. Bernd Altmann, « Geschäfts- und Wohnhaus Fierz », dans Gottfried Semper, 2003, cité n. 1, p. 406‑409, ici p. 408, n. 21. 13. Pour une présentation plus générale du milieu de Semper à Zurich, voir Hermann Sturm, Alltag und Kult: Gottfried Semper, Richard Wagner, Friedrich Theodor Vischer, Gottfried Keller, (Bauwelt Fundamente, 129), Bâle, 2003. 14. Bernard Cache, « Digital Semper », dans Cynthia C. Davidson éd., Anymore, Cambridge (Mass.), 2000, p. 190‑197, ici p. 194.

INDEX

Mots-clés : architecture, art textile, patrimoine architectural, motifs, historiographie Keywords : architecture, textile art, architectural heritage, patterns, historiography Index chronologique : 1800

AUTEURS

MICHAEL GNEHM École polytechnique fédérale de Zurich, Institut für Geschichte und Theorie der Architektur

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Nation, identité, histoire de l’art : nouvelles recherches sur l’Allemagne et l’Europe de l’Est

Michela Passini

RÉFÉRENCE

- GEBHARDT, 2004 : Volker Gebhardt, Das Deutsche in der deutschen Kunst, Cologne, DuMont, 2004. 511 p., 308 fig. coul. et n. et b. ISBN : 3-8321-5959-2 ; 58 €. - BORN, JANATKOVÀ, LABUDA, 2004 : Robert Born, Alena Janatkovà, Adam S. Labuda éd., Die Kunsthistoriographien in Ostmitteleuropa und der nationale Diskurs, (colloque, Berlin, 2001), Berlin, Mann, 2004. 479 p., 86 fig. coul. et n. et b. ISBN : 3-7861-2491-4 ; 29,80 €. - PURCHLA, TEGETHOFF, 2006 : Jacek Purchla, Wolf Tegethoff éd., Nation, style, modernism, (colloque, Cracovie, 2003), Cracovie, Comité international d’histoire de l’art/Munich, Zentralinstitut für Kunstgeschichte, 2006. 390 p., 83 fig. coul. et n. et b. ISBN : 83-89273-36-5 ; 16 €.

1 À l’époque de sa fondation et des premières phases de son institutionnalisation, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, l’histoire de l’art a connu une nette prééminence du discours national. La mise au point des structures théoriques de la discipline passe à ce moment-là par la nationalisation de ses objets : la nation devient une catégorie fondamentale, et la faculté des œuvres, des écoles, des courants artistiques de se conformer à une certaine image du « caractère national » s’avère déterminante pour l’établissement du canon. En Italie, en France, en Allemagne, les Primitifs surgissent en tant qu’objet d’étude privilégié sous le signe de brûlantes passions identitaires1, tandis que d’autres phénomènes, comportant en quelque mesure l’influence de traditions figuratives étrangères, voient diminuer leur valeur sur l’échelle nationale du prestige patrimonial2. Une prise en compte globale de ce processus de nationalisation du discours s’impose désormais à une histoire de l’art qui paraît aujourd’hui s’être

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fortement engagée dans la révision de l’outillage, des méthodes, des pratiques et des objectifs dont elle a hérité.

2 Quelques essais pionniers ont paru au cours de ces dernières années, qui étudiaient l’emprise du paradigme national sur l’histoire de l’art. Ces premières recherches ont surtout éclairci la situation française3 et ont commencé en même temps à défricher le champ de la littérature artistique allemande du côté français4. Trois ouvrages spécifiquement consacrés à la critique et à l’historiographie en Allemagne et en Europe de l’Est apportent un éclairage nouveau. Le travail de Volker Gebhardt, Das Deutsche in der deutschen Kunst, se signale surtout pour l’exhaustivité d’une enquête touchant à la fois le champ de l’érudition et celui de la création artistique, voire de la critique militante. Les deux autres volumes ouvrent des perspectives complètement nouvelles sur le domaine jusqu’ici presque inconnu de l’écriture de l’histoire de l’art dans des pays tels que la Roumanie, la Hongrie, la Pologne et l’ex-Tchécoslovaquie. Les caractères, les méthodes, les enjeux propres à ces traditions historiographiques, dont les expressions nous étaient pour la plupart inaccessibles à cause de la barrière linguistique, sont maintenant interrogés, en anglais ou en allemand, dans un volume collectif issu du séminaire d’histoire de l’art de la Humboldt-Universität de Berlin, Die Kunsthistoriographien in Ostmitteleuropa und der nationale Diskurs, ainsi que dans un second recueil de textes, publié par le Comité international d’histoire de l’art (CIHA), Nation, Style, Modernism. Cet ouvrage, tout en proposant un vaste tour d’horizon sur le débat historiographique et critique dans les différents pays d’Europe et aux États-Unis, fait une très large place aux thèmes de la littérature artistique en Europe centrale et orientale.

3 L’Allemagne reste un terrain d’élection pour les recherches sur le développement de l’histoire de l’art en tant que discipline, tant par le rôle d’absolue prééminence qu’elle a joué dans l’établissement de ses assises scientifiques – pour toute la seconde moitié du XIXe et une large partie du XXe siècle, la Kunstwissenschaft allemande s’est imposée comme un modèle incontournable aux savants français, italiens et anglo-saxons – que, dans notre cas spécifique, pour l’influence prépondérante que l’historiographie de langue allemande exerça sur la formation des premiers historiens de l’art dans les pays de l’Empire austro-hongrois, tant dans le domaine de la conservation que de la théorie. Volker Gebhardt offre un tableau fort complet des tendances nationalistes qui traversèrent cette historiographie : en prenant pour point de départ la question, cruciale pour cette culture depuis les premiers débats sur l’unification du pays, « Was ist deutsch ? », l’auteur explore les différentes phases de l’histoire de l’art allemand en mettant en lumière, par une analyse scrupuleuse des textes fondamentaux des XIXe et XXe siècles, quels éléments stylistiques, quelles ressources idéales, quelles figures d’artistes ont été tour à tour considérés comme authentiquement « deutsch ». Dans le sillage des célèbres travaux de Hans Belting ou de Werner Hoffmann5 s’interrogeant sur la « relation difficile » entre les Allemands et leur art, la monumentale étude de Gebhardt retrace l’histoire de la réception et de la réélaboration critique d’un art dont il était surtout question d’exalter les qualités nationales. Plus encore qu’une histoire des oscillations du goût, l’ouvrage propose une analyse du substrat idéologique qui a permis l’identification de la nation allemande avec certaines manifestations de son art

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– une identification encouragée et parfois directement sollicitée par les pouvoirs politiques.

4 Ce n’est pas par hasard que l’essai s’ouvre sur la violente polémique qui opposa, après le bombardement de la cathédrale de Reims par l’armée allemande en septembre 1914, les historiens de l’art français, guidés par Émile Mâle, à leurs collègues allemands, accusés d’avoir toléré, sinon inspiré, un tel acte de vandalisme6. Épisode crucial dans le cadre d’une fatale détérioration des relations culturelles franco-allemandes, le débat sur les responsabilités et les raisons de l’attentat à la cathédrale laisse ressortir un conflit souterrain entre les savants des deux pays, dont les origines sont à rechercher bien avant le commencement de la Grande Guerre.

5 L’essai retrace ainsi les phases essentielles du débat sur la genèse française ou allemande du gothique qui a parcouru le XIXe siècle tout entier. Investi d’une puissante charge symbolique, le gothique a représenté dans les deux pays un enjeu essentiel dans le processus de construction d’une image incisive, vivante, de la patrie et de ses traditions. Les historiens de l’art et les archéologues ont joué un rôle de tout premier plan dans ce processus en posant, par des études systématiques sur la typologie et surtout sur la chronologie des édifices, les prémices pour une appropriation nationale du style. Ainsi, quand vers les années 1840 des spécialistes tels que Félix de Verneilh parvinrent à démontrer de manière définitive l’origine française des premières églises gothiques, l’historiographie et la critique allemande réagirent en développant des solutions dont il est aisé de saisir la logique compensatoire : si le gothique était né du sol de la France, les racines idéales du style étaient néanmoins allemandes. Le gothique était donc français pour sa provenance topographique, mais c’était en Allemagne qu’il avait trouvé le terrain le meilleur pour son développement, c’était en Allemagne qu’il avait connu une fortune et une diffusion qui allaient bien au-delà du XIIIe et du XIVe siècle : de tels propos, largement répandus dans les études7, représentent une des constantes fondamentales du discours historiographique du XIXe et du début du XXe siècle.

6 Le débat critique autour du gothique, de ses origines, ainsi que de ses caractères essentiels occupe une place centrale dans l’essai de Gebhardt. L’auteur s’efforce d’en restituer les différents aspects en partant de la conception préromantique et romantique du style : il retrace ainsi les étapes de la construction d’un véritable mythe de la germanité du gothique, des écrits de Mme de Staël et du pamphlet du jeune Goethe en l’honneur de la cathédrale de Strasbourg et de son créateur, Erwin von Steinbach, jusqu’à l’achèvement de la cathédrale de Cologne, élevée au rang de symbole d’un État allemand encore à venir. De plus, des pages extrêmement intéressantes sont consacrées à quelques œuvres qui, comme la très célèbre statue d’Uta, épouse du margrave Ekkard II de Meißen, dans la cathédrale de Naumburg8, ou celle du Chevalier de la cathédrale de Bamberg, ont déterminé une énorme fortune populaire du style et qui, par leur exploitation par différents médias (la photographie, mais aussi le cinéma), ont contribué à fixer une image du gothique dont la nôtre est encore en quelque mesure redevable.

7 Si certains chefs-d’œuvre de l’art gothique semblent avoir fait l’objet d’un extraordinaire investissement émotionnel ainsi que de véhéments élans patriotiques, les productions de la Renaissance ne suscitèrent pas moins de tentatives d’interprétation visant une explicite « germanisation » de l’époque et de ses protagonistes. Dürer est certainement, parmi les artistes allemands, celui qui plus que

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tout autre a catalysé cette tendance. Tout au long du XIXe et jusqu’à la première moitié du XXe siècle, le maître de Nuremberg a été au centre d’un débat aux tons parfois virulents qui vit s’affronter les partisans d’une interprétation patriotique de son art niant toute attache avec l’art classique de la Renaissance italienne, tels que Julius Langbehn ou Wilhelm Waetzoldt9, et ceux qui, comme Heinrich Wölfflin, prirent nettement position contre une lecture exclusivement « germanisante » de l’artiste10. En illustrant les points saillants de cette polémique, qu’il suit jusqu’au moment où une nouvelle sensibilité finit par faire préférer le sauvage et tourmenté Grünewald comme plus représentatif d’un art authentiquement national, l’essai aborde une question fondatrice pour l’histoire de l’art allemande. Se poursuivant par des aperçus sur le baroque et le rococo, l’enquête de Gebhardt touche enfin brièvement au débat autour du Gesamtkunstwerk wagnérien et aux bases idéologiques de l’expressionnisme. Critique, érudition et création artistique fusionnent dans une reconstruction exhaustive des thèmes nationaux dans la culture allemande des deux derniers siècles.

8 Dans les pays de l’Europe centrale et orientale, le développement d’une histoire de l’art conçue comme discipline scientifique au cours de la seconde moitié du XIXe siècle est étroitement lié à la montée de pulsions identitaires d’autant plus fortes que la situation politique de ces régions s’avère d’une extrême instabilité. Les secousses nationalistes qui ébranlèrent la difficile cohabitation des peuples de l’empire austro-hongrois et qui éclatèrent lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale ont eu dans les études historiques, littéraires et bien sûr d’histoire de l’art un canal de diffusion extrêmement efficace.

9 Cette jeune histoire de l’art, traitée dans l’ouvrage collectif de Born, Janatková et Labuda, s’était surtout focalisée sur des ouvrages ou des courants emblématiques d’une production locale : c’est le cas du baroque de Prague (Alena Janatková, dans BORN et al., 2001, p. 287-300), dont la redécouverte se laisse rapprocher de la générale réévaluation de l’art des XVIIe et XVIIIe siècles, encouragée principalement par de célèbres travaux allemands11, également dans le cas de la tradition picturale du Moyen Âge en Bohême (Milena Bartlová, dans BORN et al., 2001, p. 173-179) ou des sculptures de la cathédrale de Pécs, élevées au rang de monument spécifique de l’art hongrois (Erno˝ Marosi, dans BORN et al., 2001, p. 233-252). Dans le même temps, on assiste à un véritable réveil des études consacrées aux sources premières de l’identité nationale, tels que les « Cycles de Ladislas », dont Ivan Gerát retrace la « redécouverte » (dans BORN et al., 2001, p. 180-191). Or cette imposante quête des origines profita des rigoureux instruments d’analyse mis au point par la philologie et par la « science de l’art » allemandes, dont les élites culturelles hongroises, tchèques, polonaises avaient assimilé les principes dans les universités de Vienne et de Berlin. D’où l’importance qu’aurait une étude circonstanciée de la propagation des modèles et des méthodes de la Kunstwissenschaft : plusieurs essais parmi ceux qui composent les deux ouvrages dont il est question posent en effet les premiers jalons d’une recherche visant les enjeux stratégiques d’une telle transmission de savoirs.

10 Pendant les dernières décennies du XIXe siècle, le contexte politique favorisa des échanges scientifiques, académiques et artistiques qui, tout en accélérant le développement de l’histoire de l’art dans des pays tels que la Hongrie et l’ex- Tchécoslovaquie, ne firent qu’attester la suprématie de la culture austro-allemande sur l’érudition locale. La massive affirmation du modèle allemand – et plus encore une certaine tendance à la germanisation des objets d’étude – finit par provoquer de

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violentes résistances de la part de la nouvelle historiographie nationale. Ainsi, lors d’une conférence prononcée en 1876 auprès de Concordia, l’association des artistes praguois, l’Allemand Alfred Woltmann, professeur à Prague dans les années 1870 et promoteur d’une histoire de l’art tchèque entièrement fondée sur l’idée de la « germanité » suscita les protestations de ses hôtes en affirmant que circonscrire les éléments allemands dans la physionomie architecturale de Prague équivalait à devoir prendre en compte « beinahe Alles », presque tout12. À la suite des âpres réactions que ces propos soulevèrent parmi les savants tchèques, Woltmann se vit obligé de quitter l’université de Prague pour celle de Strasbourg. En retraçant la genèse d’une histoire de l’architecture en Tchécoslovaquie, Dirk De Meyer inscrit cet épisode, ainsi que les considérations de Cornelius Gurlitt sur l’absence d’un langage architectural spécifiquement tchèque, dans le cadre du conflit entre une historiographie tchèque en formation, oscillant entre l’acquisition de pratiques de recherche mises en place à l’étranger et la revendication de l’autonomie de son objet, et une tradition d’études plus ancienne et plus structurée, ne renonçant pas à l’idée d’un fort ascendant de l’Allemagne sur les pays slaves (dans PURCHLA, TEGETHOFF, 2003, p. 75-94).

11 L’essai que Ján Bakoš a consacré à l’influence durable des doctrines de l’« école de Vienne » dans l’Est européen complète sous un angle différent le tableau des échanges entre les différentes traditions historiographiques (dans BORN et al., 2001, p. 79-101). En montrant par quels intermédiaires et au prix de quelles reconversions certains principes d’analyse typiquement viennois se propagèrent pendant l’entre-deux-guerres dans les études et dans l’enseignement universitaire en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Hongrie, l’auteur éclaircit un autre aspect du rayonnement européen de l’histoire de l’art de langue allemande.

12 À partir de points de vues différents, les ouvrages que nous venons de présenter posent le même problème fondamental : par l’analyse des sources textuelles ainsi que par l’examen des multiples relations unissant l’érudition et la création artistique contemporaine, ils attribuent au nationalisme un rôle décisif dans la fondation de l’histoire de l’art (Wolf Tegethoff, dans PURCHLA, TEGETHOFF, 2003, p. 9-24). Loin de ne représenter qu’une maladie infantile de l’histoire de l’art – dangereuse, mais somme toute superficielle –, le nationalisme a conditionné la mise en place de ses structures théoriques et la formation de ses bases institutionnelles : bref, le discours national enraciné dans la culture européenne au tournant des siècles s’est avéré un formidable levier pour la constitution d’une historiographie visant à détecter dans la production artistique l’expression du « génie national ». En s’efforçant de préciser les conditions qui ont favorisé une telle évolution, d’en saisir les attaches avec le contexte politique et social, l’histoire de l’histoire de l’art essaie de dépasser la démarche prosopographique dont se sont nourries ses premières expériences, et qui constitue les prémisses nécessaires à nos études sans cependant pouvoir en remplir complètement les desiderata ; elle semble désormais prête à s’engager dans la direction d’une histoire des paradigmes.

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NOTES

1. Primitifs français : découvertes et redécouvertes, Philippe Lorentz, François-René Martin, Dominique Thiébaut éd, (cat. expo., Paris, Musée du Louvre, 2004), Paris, 2004. 2. C’est le cas de l’école de Fontainebleau, victime d’un préjugé anti-italien profondément enraciné dans l’historiographie française de l’époque. Voir à ce propos Paola Barocchi, « Precisazioni sul Primaticcio », dans Commentari, II, 1951, p. 203-223 ; Sylvie Béguin, « L’école de Fontainebleau. Fortune critique », dans L’école de Fontainebleau, Sylvie Béguin, Bertrand Jestaz, Jacques Thirion éd., (cat. expo., Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 1972-1973), Paris, 1972, p. 29-39. 3. Neil McWilliam, June Hargrove éd., Nationalism and French visual culture, 1870-1914, (colloque, Washington, 2002), Londres/New Haven/Washington, 2005. 4. Éric Michaud, « Nord-Sud. Du nationalisme et du racisme en histoire de l’art », dans Histoire de l’art. Une discipline à ses frontières, Paris, 2005, p. 49-84. 5. Hans Belting, Die Deutschen und ihre Kunst : eine Schwieriges Erbe, Munich, 1992 (trad. angl. : The Germans and their art a troublesome relationship, Londres/New Haven, 1998) ; Werner Hofmann, Wie deutsch ist die deutsche Kunst ? Eine Streitschrift, Leipzig, 1999. 6. Voir sur ce sujet : Mythes et réalités de la cathédrale de Reims, de 1825 à 1975, Sylvie Balcon, Marc Bouxin, Bruno Decrock éd., (cat. expo., Reims, Musée Saint-Rémi/Bibliothèque municipale/Musée du fort de la Pompelle/Musée des beaux-arts, 2001), Paris/Reims, 2001. Nous nous permettons de renvoyer aussi à notre article : « Martirio e resurrezione di Reims. Dispute novecentesche su una cattedrale », dans Enrico Castelnuovo, Giuseppe Sergi éd., Arti e storia nel Medioevo, IV, Il Medioevo al passato e al presente, Turin, 2004, p. 571-587. 7. Les travaux de Wilhelm Worringer et de Kurt Gerstenberg sont emblématiques de cette tendance : Wilhelm Worringer, Formprobleme der Gotik, Munich 1911 (trad. fr. : L’art gothique, Paris, 1941) ; Kurt Gerstenberg, Deutsche . Eine Untersuchung über das Wesen der deutschen Baukunst im späten Mittelalter, Munich, 1913. 8. À ce propos voir aussi : Wolfgang Ullrich, Uta von Naumburg : eine deutsche Ikone, Berlin, 1998 ; Willibald Sauerländer, « Die Naumburger Stiefterfiguren. Rückblick und Fragen », dans Cathedrals and sculpture, vol. I, Londres, 1999, p. 593-711. 9. Julius Langbehn, Benedikt Momme Nissen, Hans Thoma, Dürer als Führer. Vom Rembrandtdeutschen und seinem Gehilfen, Munich, 1928 (originairement paru dans la revue Kunstwart, en 1904) ; Wilhelm Waetzoldt, Dürer und seine Zeit, Vienne, 1935 (trad. angl. : Dürer and his times, Londres, 1950). 10. Heinrich Wölfflin, Die Kunst Albrecht Dürers, Munich, 1905 (trad. angl. : The Art of Albrecht Dürer, Londres, 1971) ; voir aussi la préface que Wölfflin écrivit pour la cinquième édition de l’ouvrage (Munich, 1926), et qui éclaircit le sens de sa démarche. 11. Notamment : Heinrich Wölfflin, Renaissance und Barock. Eine Untersuchung über Wesen und Entstehung des Barockstils in Italien, Munich, 1888 (trad. fr. : Renaissance et baroque, Paris, 1961) ; Cornelius Gurlitt, Geschichte des Barockstiles, Stuttgart, 1887-1889, 3 vol. 12. Alfred Woltmann, Deutsche Kunst in Prag. Ein Vortrag, gehalten zu Prag am 25. November 1876, Leipzig, 1877.

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INDEX

Index géographique : Allemagne Keywords : art history, discipline, nationalization, discourse, historiography, national genius Mots-clés : histoire de l'art, discipline, nationalisation, discours, historiographie, génie national Index chronologique : 1800

AUTEURS

MICHELA PASSINI Scuola Normale, Pisa

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Choix de publications

Perspective

1 – Arlette AUDUC, Quand les monuments construisaient la nation. Le service des monuments historiques de 1830 à 1940, Paris, Documentation française, 2008.

Le travail d’Arlette Auduc s’inscrit dans la tendance historiographique qui consiste à faire l’histoire de l’architecture à travers celle de ses institutions. Pour la première fois, le service des Monuments historiques y est étudié en tant que tel, mais, au-delà de l’outil qu’elle représente, cette somme a aussi pour mérite de nous livrer le tableau paradoxal des politiques mouvantes et instables menées par l’État français dans un domaine qui se pense au contraire comme un des fondements de la mémoire collective [J.-Ph. Garric].

2 – Catherine CHEVILLOT et al., La sculpture au XIXe siècle. Mélanges pour Anne Pingeot, Paris, Nicolas Chaudun, 2008.

Rassemblant 75 études dues aux meilleurs spécialistes français et étrangers, ce gros volume est le témoignage de la place désormais reconnue à la sculpture du XIXe siècle. Couvrant la période 1800-1914, abordant les thèmes les plus divers et mettant en scène un large éventail d’artistes, de Giraud à Rodin, Maillol, Minne, Degas ou Gauguin, il mêle des études pointues à la relation d’épisodes (ainsi le projet de mettre une sculpture – et laquelle ? – sous la pyramide du Louvre) qui auront marqué la réhabilitation de cette forme d’art. Celle-ci doit beaucoup à l’action d’Anne Pingeot, à laquelle ce recueil rend hommage [A. Le Normand Romain].

3 – Christiane DOTAL, Marcello, sculpteur, une intellectuelle dans l’ombre. La correspondance entre la duchesse Castiglione Colonna, dite Marcello, et le père Gratry, oratorien (1859-1869), ( Écrits d’artistes de la collection Frits Lugt, 1), Paris, Fondation Custodia, 2008.

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Veuve à vingt ans, partagée entre son désir de devenir sculpteur – son chef-d’œuvre est la Pythie de l’Opéra de Paris (1869) – et sa position de femme du monde, Adèle d’Affry, duchesse de Castiglione Colonna, trouva chez le père Gratry à la fois un directeur de conscience et un confident. Celui-ci n’appréciait guère la sculpture, aussi les 43 lettres précédées d’une longue introduction qui constituent ce volume sont-elles surtout intéressantes pour ce qu’elles révèlent de la personnalité de la jeune femme, de sa culture comme de ses convictions politiques et religieuses, et de sa réflexion sur la relation nécessaire entre l’art et la religion [A. Le Normand Romain].

4 – König Lustik ! ? Jérôme Bonaparte und der Modellstaat Königreich Westphalen, Michael Eissenhauer éd., (cat. expo., Cassel, Museum Fridericianum, 2008), Munich, Hirmer, 2008. – Jérôme Napoléon, roi de Westphalie, Christophe Beyeler, Guillaume Nicoud éd., (cat. expo., Fontainebleau, Musée national du château, 2008), Paris, RMN, 2008.

Ces deux catalogues étudient de façon très complète l’évolution de la Westphalie et de ses rapports avec la France sous le règne de Jérôme, jeune frère de Napoléon : avènement d’un État moderne doté d’une constitution et d’un parlement, transformations sociales et culturelles, mais également influence du style Empire français, notamment par le biais des aménagements des résidences royales [A. Dion].

5 – La collection La Caze, chefs-d’œuvre des peintures des XVIIe et XVIIIe siècles, Guillaume Faroult, Sophie Éloy éd. (cat. expo., Paris, Musée du Louvre, 2007), Paris, Musée du Louvre/Hazan, 2007.

Recherche de mécènes et histoire du collectionnisme aidant, le Louvre se penche sur ses donateurs. L’exposition La Caze (avril-juillet 2007) avait déjà été une première, en accrochant des tableaux « en tapis » pour essayer de restituer ce qu’était l’accrochage de la collection et de la salle La Caze au Louvre. Son catalogue est le fruit d’un intense travail autour du collectionneur et de ses tableaux. Il dresse ainsi, par une série d’essais, un portrait par petites touches du docteur La Caze, de ses achats dans les ventes à son image au XIXe siècle, en traitant également de l’importance de sa collection pour la peinture du XIXe siècle, ou proposant une comparaison avec la collection de Lord Hertford, et des articles, plus attendus mais tout aussi utiles, sur le goût de La Caze pour les différentes écoles. À signaler, un complet et très bien fait cédérom avec une chronobiographie très précise, la transcription des différentes listes de la collection et un catalogue complet des 582 peintures du legs La Caze. Une étude classique, mais menée avec finesse, très utile et complète, à imiter pour d’autres collectionneurs du XIXe siècle [O. Bonfait].

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6 – Satish PADIYAR, Chains David, Canova, and the Fall of the Public Hero in Postrevolutionary France, University Park, Pennsylvania State University Press, 2007.

Le livre de Satish Padiyar convoque plusieurs phénomènes culturels liés aux beaux- arts, à la philosophie kantienne et à la littérature érotico-politique du marquis de Sade dans la France post-révolutionnaire. Le Léonidas aux Thermopyles de David (1799-1814, Paris, Musée du Louvre) opère comme un leitmotiv dans cette étude, qui profite des nombreuses ressources d’une histoire de l’art critique, essentiellement alimentée par les travaux anglo-saxons s’intéressant aux méandres de l’art, du politique et du genre. Cet ouvrage original, qui ne s’interdit aucune approche, de la psychanalyse au féminisme, soutient une interprétation audacieuse et stimulante des représentations idéalisées du corps masculin sous le Premier Empire [A. Lafont].

7 – Jean-Pierre PLANCHON, Pierre-Benoit Marcion (1769-1840), ébéniste de Napoléon, Saint- Rémy-en-l’Eau, Monelle Hayot, 2007.

Dans un domaine où les monographies sont rares, sérieuse monographie d’un des principaux ébénistes du Premier Empire, fournisseur régulier du garde-meuble impérial [A. Dion].

8 – Todd B. PORTERFIELD, Susan L. SIEGFRIED, Staging Empire : Napoléon, Ingres, and David, University Park, Pennsylvania State University Press, 2006.

Ce livre à quatre mains se propose de repousser les limites interprétatives de deux tableaux emblématiques de l’image napoléonienne : Napoléon Ier en costume de sacre (1806, Paris, Musée de l’Armée) par Jean-Auguste-Dominique Ingres et Le sacre de Napoléon (1805-1807, Paris, Musée du Louvre) par Jacques-Louis David. Susan Siegfried démontre l’incorporation d’un régime fragile, instable, en quête de légitimité, en l’image d’un empereur surréférencé chez Ingres, tandis que Todd Porterfield, se détournant de la lecture simpliste du tableau-témoin, conduit une étude sur la performativité du tableau et son allégeance paradoxale au modernisme réactionnaire chez David. Cet ouvrage aux propositions remarquablement neuves exige du lecteur un pari : accepter de réinvestir l’Empire dans ses subjectivités [A. Lafont].

9 – Refinement & Elegance : Early Nineteenth-Century Royal Porcelain from the Twinight Collection, New York, Samuel Wittwer éd., (cat. expo., Berlin, Schloß Charlottenburg, 2007/Vienne, Liechtenstein Museum/Sèvres, Musée national de céramique, 2008/ New York, The Metropolitan museum of Art, 2008-2009), Munich, Hirmer, 2007.

L’étonnante collection formée par Richard Baron Cohen rassemble des porcelaines sorties des trois manufactures royales de Sèvres, Berlin et Vienne dans la première

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moitié du XIXe siècle. L’étude comparée de leur production démontre les similitudes stylistiques, leurs échanges, mais également leurs particularités [A. Dion].

10 – Florence RIONNET, La maison Barbedienne. Correspondances d’artistes, Paris, CTHS, 2008.

Il s’agit là du précieux volume de correspondances d’artistes qui constituait l’une des annexes de la thèse de doctorat de Florence Rionnet sur le rôle de la maison Barbedienne (1834-1954) dans la diffusion de la sculpture aux XIXe et XXe siècles (Paris IV, 2006, en cours de publication). Rassemblant 122 documents, faisant intervenir une centaine d’artistes, et pas des moindres (Marcello, Mercié, Paul Dubois, Puech, Rodin, Claudel, ainsi que des sculpteurs du XXe siècle tels que Drivier, Halou, Hoetger, Poisson, Poupelet…), il offre des informations de première main qui éclairent d’un jour parfois assez cru ce qui est l’un des aspects essentiels de la sculpture : le rapport entre art, industrie et commerce [A. Le Normand Romain].

11 – Thomas Hope : Regency Designer, David Watkin, Philip Hewat-Jaboor éd., (cat. expo., Londres, Victoria and Albert Museum/New York, Bard Graduate Center, 2008), New Haven/Londres, Yale University Press, 2008.

Ce remarquable catalogue reprend et renouvelle la monographie sur Thomas Hope (1769-1831), publiée il y a quarante ans par David Watkin, l’un des commissaires de l’exposition. Collectionneur, mécène et designer pionnier du style Régence, Thomas Hope fit aménager selon ses dessins sa maison de Duchess Street, dont certaines pièces sont reconstituées dans l’exposition d’après son célèbre manuel Household Furniture and Interior Decoration… (New York, 1971) [A. Dion].

12 – Chiara SAVETTIERI, Dal neoclassicismo al romanticismo, (fonti per la storia dell’arte ; 6), Rome, Carocci, 2006. – Silvia BORDINI, L’Ottocento: 1815-1880, (fonti per la storia dell’arte, 7), Rome, Carocci, 2002.

Afin d’offrir aux étudiants une anthologie intelligente des grands textes de la littérature artistique souvent difficiles à trouver, à lire dans une traduction appropriée, et à comprendre en l’insérant dans son contexte originel, Antonio Pinelli a créé, avec le soutien des éditions Carocci, une collection sur les sources de l’histoire de l’art, qui comprend dix volumes, de l’Antiquité au XXe siècle. Chaque volume est divisé en deux parties, une introduction générale, articulée en une dizaine de thèmes (et qui peut comprendre jusqu’à 300 pages !) et une large sélection de textes, classée selon les mêmes articulations et qui bénéficient chacun d’une courte présentation. Outre la qualité des introductions, il convient de souligner l’intelligence du choix des textes, ouverts sur un horizon européen et international et également complétés des

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documents d’archives. Une initiative qu’il serait bon de reprendre, adaptée, pour l’enseignement de l’histoire de l’art en France, du collège à l’université [O. Bonfait].

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Ouvrages reçus

1 – Edmond et Jules DE GONCOURT, L’Art du XVIIIe siècle, Jean-Louis CABANÈS éd., Paris, Lérot, 2007, 2 vol.

Jules et Edmond Goncourt publièrent entre 1859 et 1870 onze fascicules comportant douze monographies sur des peintres et graveurs du XVIIIe siècle (Watteau, Chardin, Boucher, Greuze, Les Saint-Aubin, Gravelot, Cochin, Eisen, Moreau, Debucourt, Fragonard, Prud’hon) qui, avec un douzième fascicule comprenant les notules écrites par Edmond, composent L’Art du XVIIIe siècle. La quatrième édition qu’Edmond de Goncourt fit publier chez Charpentier (1881-1884) a servi de référence pour cette édition, allégée des catalogues. Une riche annotation met en valeur l’érudition des Goncourt, et une courte introduction l’esthétique de leur écriture [O. Bonfait].

2 – Gustave Courbet, Laurence des Cars éd., (cat. expo., Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 2007-2008/New York, The Metropolitan Museum of Art/Montpellier, Musée Fabre, 2008), Paris, RMN, 2007. – Marie-Hélène LAVALLÉE, Bérangère GALY, Gustave Courbet, d’Ornans, Gollion, Infolio, 2007.

Ces deux ouvrages feront l’objet d’un compte rendu détaillé dans un prochain numéro de Perspective.

3 – Joseph Benoît Suvée et le néoclassicisme : Bruges, Paris, Rome, Paul Knolle, Sandra Janssens éd., (cat. expo., Bruges, Groeningemuseum, 2007-2008/Enschede, Rijksmuseum Twenthe, 2008), Gand, Snoeck, 2007.

Si l’exposition consacrée à Suvée avait un peu déçu car elle se limitait aux œuvres conservées à Bruges, ce catalogue est un ouvrage très précieux sur l’Académie de Bruges et le transfert du néoclassicisme par le réseau académique, en comportant un

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bon nombre de notices sur les tableaux et dessins de Suvée, mais aussi de Joseph Ducq, Joseph Denis Odevaere, Jozel Karel De Meulemeester. À noter également un groupe de treize dessins de paysages, faits en Italie par Suvée lors de son premier séjour comme pensionnaire à l’Académie de France à Rome entre 1772 et 1778 [O. Bonfait].

4 – Christine PELTRE, Philippe LORENTZ éd., La notion d’« École », Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2007.

Apparue à la fin du XVIe siècle pour classer et ordonner la production picturale italienne autour de trois grands pôles, Florence, Rome et Venise, distinguées par Vasari qui les liait à une des parties de l’art et à un artiste, la notion d’école fut vite reprise pour affirmer une autonomie locale ou une identité nationale, mais le terme servit également pour désigner une unité stylistique autour d’une forte personnalité ou d’un groupe d’artiste (l’école de David, l’école de Barbizon). Ce sont ces trois sous-entendus de la notion d’école, stylistique, géographique et historiographique qu’explorent les actes de ce colloque, de l’historiographie antique à l’architecture contemporaine. Cette diversité des études de cas fait la richesse de ce volume, et montre que cette notion, constitutive de la formation du discours de l’histoire de l’art, mérite bien d’être étudiée [O. Bonfait].

5 – Emmanuel PERNOUD, L’enfant obscur, Peinture, éducation, naturalisme, Paris, Hazan, 2007.

S’appuyant sur une très ample connaissance de la littérature du XIXe siècle et les études actuelles sur la propreté ou le corps, Emmanuel Pernoud développe une très belle enquête sur une autre vision de l’enfance que l’image traditionnelle et innocente. Le portrait d’enfant comme exercice pédagogique, soit de dressement du corps d’un enfant modèle soit vers la fin du siècle, d’un souci de développement naturel. Une iconographie trouble de l’enfance, avec par exemple le thème de l’enfant trouvé ou l’observation du passage à la puberté chez Degas. Mais surtout, à travers des œuvres de Géricault à Van Gogh, la représentation de l’enfant comme un monde autre, face aux adultes, de l’enfant mutique aux enfants lutteurs de Gauguin. Un monde secret où l’artiste se projette [O. Bonfait].

6 – Purs décors ? Arts de l’Islam, regards du XIXe siècle, Rémi Labrusse, Évelyne Possémé, Sophie Makariou éd., (cat. expo., Paris, Musée des arts décoratifs, 2007-2008), Paris, Les arts décoratifs/Musée du Louvre, 2007.

Magnifique catalogue d’exposition, aussi élégant dans sa présentation qu’intéressant dans son contenu. Différents essais abordent les multiples facettes du sujet, de l’histoire des études sur l’art islamique en France à « l’idée de décor dans les régimes de visualité islamique », en passant par la protection du patrimoine, le goût pour le tapis islamique

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ou la marque de l’Islam dans les arts décoratifs en France, et des études des différents modèles selon les grandes aires culturelles (mauresque, turco-persan…). Un utile répertoire des donateurs et vendeurs de l’art de l’Islam à l’Union centrale des arts décoratifs complète cet ouvrage qui, sur un sujet de plus en plus à la mode, apporte de très utiles essais de réflexion et de synthèse [O. Bonfait].

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