Bernard Bujold Pierre Péladeau Cet Inconnu
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Bernard Bujold Pierre Péladeau cet inconnu À mes deux enfants, David et Stéphanie. Merci à Carole pour sa généreuse collaboration à cet ouvrage, ainsi qu’à Heljon de Rueire pour son inspiration. Les liens du sang sont toujours les plus forts... Mario Puzo , Le Parrain. Les meilleurs alliés de l’homme sont la femme et le cheval... Napoléon Bonaparte. Introduction Il y a cinq ans, en décembre 1997, Pierre Péladeau, certainement l’un des personnages les plus controversés du milieu des affaires au Canada, s’éteignait, laissant en héritage à ses sept enfants, nés de trois unions différentes, l’un des plus riches et plus puissants empires de l’édition et de l’imprimerie en Amérique du Nord. Je suis arrivé dans la vie de Pierre Péladeau en 1991 alors que l’empire Quebecor était en pleine croissance et qu’il avait le vent dans les voiles. Le chiffre d’affaires atteignait alors plus de deux milliards de dollars. Douze ans plus tard, au début de 2003, il est de plus de 12 milliards de dollars. J’ai vécu avec Pierre Péladeau plusieurs événements uniques, captivants et parfois historiques. Ma principale responsabilité était de m’assurer que l’image publique du magnat de la presse soit à la hauteur du personnage. Je crois avoir connu Péladeau sous plusieurs aspects de sa personnalité qui n’étaient pas toujours visibles à première vue. J’étais avant tout adjoint exécutif, mais je suis devenu peu à peu l’ami et le confident du président fonda- teur de Quebecor. Aujourd’hui, cinq ans après sa mort, je réalise que j’ai vécu aux côtés de Pierre Péladeau une période très riche en événements dans sa vie et nécessairement dans l’histoire de Quebecor. J’ai connu l’homme d’affaires québé- cois voici plus de vingt-cinq ans et j’ai appris à l’apprivoiser. J’ai l’intime conviction que l’histoire de ce grand personnage mérite d’être racontée. Je suis un grand amateur de photographie et, selon moi, une image permet souvent de percevoir le vrai côté des gens. Lorsque je fais de la photographie, j’essaie de saisir l’âme de la personne qui est devant mon appareil. On pourra aimer ou non mon ouvrage, mais ce que j’ai voulu faire est une sorte de portrait en gros plan de Pierre Péladeau, pris sous l’angle où je l’ai connu et qui, je crois, fait ressortir plusieurs côtés méconnus du personnage. Ce livre offre un récit rempli d’anecdotes et qui raconte plusieurs faits vécus dans les milieux des affaires ou de la politique avec diverses personnalités du Québec et du Canada. Pierre Péladeau nous a laissé un héritage qu’il nous appartient de découvrir dans tous ses bons et ses mauvais côtés. Je suis très heureux de vous présenter le vrai Pierre Péladeau. Chapitre 1 Le 2 décembre 1997 La journée avait commencé comme d’habitude. C’était une belle journée d’hiver froide mais ensoleillée. L’agenda de Pierre Péladeau, grand patron de l’empire Quebecor, était bien rempli. Quelques problèmes à résoudre et des rencontres à l’interne en avant-midi. L’après-midi, il avait fixé un rendez-vous à un journaliste de Radio-Canada. Cette entrevue était planifiée depuis quelques semaines déjà et traitait d’un sujet qui lui tenait par- ticulièrement à cœur : le mécénat et les arts. On lui avait également demandé de choisir quelques-unes de ses pièces musicales préférées que l’on ferait jouer tout au long de l’émission diffusée sur les ondes de la radio FM de la société d’État. Au petit mot que je lui avais envoyé quelques semaines plus tôt, il avait répondu d’accorder l’entrevue le 2 décembre à 15 heures. Si on lui avait collé une étiquette d’homme d’affaires et de gestionnaire très rigide, enrichie d’une réputation de grand séducteur et d’une autre, moins prisée, de personnage irrévérencieux, on avait aussi découvert en lui un grand philanthrope, admirateur et ami des artistes et des créateurs. Ce trait de caractère a marqué de façon impor- tante la dernière partie de sa vie. Aux dires de ses nombreux détracteurs, il voulait se racheter. Aux dires du prin- cipal intéressé, la vie l’avait choyé et il était normal qu’il redonne un peu de ce qu’il avait reçu 1. Le soir du jour fatidique, un concert de l’Orchestre métropolitain avait lieu à la Place des Arts, et M. Péladeau y avait invité une cinquantaine de personnes. En tant qu’adjoint au président, je devais m’occuper de coordonner l’événement et d’assigner les places aux invités. Je passai donc une bonne partie de l’avant-midi à vérifier cer- tains détails et à confirmer les présences de dernière minute 2. Vers 12 h 30, M. Péladeau sort pour aller dîner. À ce jour, on ne sait toujours pas qui “ Monsieur P. ” allait ren- contrer. Rien n’était inscrit à son ordre du jour et, en sortant, il n’a rien mentionné non plus à sa secrétaire quant à son emploi du temps entre midi et 14 heures. Encore aujourd’hui, le mystère demeure. On ne semble pas savoir qui était la personne avec laquelle il aurait partagé son dernier repas. On a interrogé une quantité de gens, mais la question est restée sans réponse. Pierre Péladeau revient au bureau vers 14 h 15 pour préparer l’entrevue de 15 heures. Il enlève ses claques qu’il dépose bien alignées dans la salle de bains de son bureau, au 13e étage de l’édifice Quebecor de la rue Saint- Jacques, en plein cœur du quartier des affaires de Montréal. Ce bureau a été photographié à diverses reprises et les photographies ont été publiées dans plusieurs magazines et revues. On sait que le grand bureau était situé à l’angle des rues Saint-Jacques et McGill. Fenestré sur deux pans de murs, il comportait, à l’entrée, une table de travail ronde et quatre chaises. Plus loin se trouvait son bureau avec sur le côté, longeant les fenêtres, un meuble sur lequel étaient posés sa chaîne stéréo et les disques de ses pièces musicales préférées, qu’il écoutait sans arrêt. Pierre Péladeau suspend son manteau sur un cintre et s’assoit, non pas à son bureau, mais à la table de travail située à proximité. Il aurait peut-être eu une défaillance à ce moment précis, et aurait été trop faible pour se ren- dre jusqu’à son bureau. Il était seul, tout le monde vaquait à ses occupations. Tout était normal. Vers 14 h 30, sa secrétaire l’entend tousser d’une manière inhabituelle. Elle lui demande alors si tout va bien, mais n’obtient pas de réponse. Monsieur P. était très orgueilleux et n’aimait pas que les gens le prennent en pitié ou soient témoins de ses faiblesses. Comme sa secrétaire n’entend aucun son, elle quitte son poste de travail et se dirige vers celui de son patron, un peu trop silencieux. Au cours des derniers mois, Pierre Péladeau, alors âgé de soixante-douze ans, avait eu quelques malaises dont certains, assez sérieux, avaient été éprouvés lors de conférences données devant différents groupes de gens d’af- faires. Il n’y avait eu aucune pression ; il adorait ce genre de rencontres. C’était “ sa ” routine, mais on aurait dit que le corps ne suivait plus. Après avoir bu un café très fort, il revenait à lui, reprenait des couleurs et continuait comme si rien ne s’était passé. Il avait augmenté sa consommation de café corsé de façon considérable au cours des mois qui avaient précédé son attaque du 2 décembre 1997. Il ne faisait pas attention à son alimentation et il pouvait manger des aliments très riches et pas du tout recom- mandés pour son état. Il ne se privait de rien. Il était inutile d’essayer de le contenir dans ses élans. Il refusait d’en entendre parler. Il ne voulait pas savoir que, s’il continuait de cette façon, il y laisserait sa peau. Il remettait toujours à plus tard toute question concernant d’éventuelles mesures d’urgence à prendre à son sujet, ou alors il écartait systématiquement la question. Ce jour-là, donc, je suis au téléphone, en train de discuter avec un des invités de M. Péladeau pour le concert prévu en soirée, lorsque Micheline Bourget, sa secrétaire, entre en larmes dans mon bureau. J’ai de la difficulté à comprendre ce qu’elle me dit, tant elle est bouleversée, mais je devine que quelque chose de grave vient d’ar- river. Je cours vers le bureau de mon patron et je le trouve évanoui sur sa chaise. Un filet de salive coule entre ses lèvres et, visiblement, il ne respire plus. Même si tout le personnel savait que M. Péladeau était fragile, aucun employé de son entourage immédiat ne con- naissait les manœuvres de réanimation. On savait, Pierre Péladeau le premier, qu’un incident du genre pouvait arriver à tout moment, mais on n’avait pas encore pris les mesures nécessaires pour former au moins une person- ne de son entourage qui aurait pu lui administrer les premiers soins en cas de crise. Les témoins diront que j’étais calme. Je dirais que j’étais préparé. C’était un scénario qui se déroulait dans ma tête depuis plusieurs mois déjà ; en fait, surtout depuis que j’avais compris qu’il ne changerait pas d’idée pour les mesures d’urgence ; je m’attendais à cette situation n’importe quand.