NAISSANCE D'UNE VILLE DANS LA VALLÉE DE LA FENSCH

Serémange-Erzange RÉGION DE — ËTUDES HISTORIQUES Collection publiée sous la direction de l'abbé J. EICH, professeur au Petit Séminaire de Montigny-lès-.

Ont paru dans cette collection : 1. J. EICH, , essai d'histoire locale, Metz, 1947. 2. J. EICH, Théodore-Joseph Boudet de Puymaigre, littérateur et folklo- riste lorrain, Metz, 1947 (épuisé). 3. A. SCHNEIDER, La chapelle et l'ermitage de Saint-Roch à Kcenigs- macker, Metz, 1947. 4. J. EICH, Thionville et son arrondissement en 1848, Metz, 1948. 5. J.-J. OBRY, et ses seigneurs jusqu'en 1659, Metz, 1948 (épuisé). 6. M.1949. PAUL-ALBERT, Une famille lorraine, les Merlin de Thionville, Metz, 7. L. ADAM, La paroisse de -Audun, Metz, 1949. 8. A. PRINTZ, La chapelle de Morlange, Metz, 1949 (épuisé). 9. A. PLASSIART, Les seigneurs de Meilbourg, Metz, 1950. 10. E. JACQUEMIN, L'abbaye de Notre-Dame de Justemont (1124-1792), Metz, 1950. 11. A. PRINTZ, Vieilles pierres de pays ou art et foi d'aujourd'hui et de toujours, Metz, 1951 (épuisé). 12. A. SCHNEIDER, Kœnigsmacker, histoire paroissiale, Metz, 1951. 13. A. PLASSIART, , études historiques, Metz, 1952. 14. E.1953. JACQUEMIN, Recherches historiques sur Moyeuvre-Grande, Metz, 15. J. EICH, La paroisse de Thionville, période révolutionnaire, Metz, 1953. ADRIEN PRINTZ

■H D'il!III II dan.6 La ^ allée de La ge!fLcJcl; SERÉMANGE-ERZANGE

RÉGION DE THIONVILLE — ÉTUDES HISTORIQUES Fascicule 16

1954

Les hommes sont à l'écoute de leur origine, ils ne sont pas esclaves de machinerie. HEIDEGGER.

A GISÈLE ET A MICHEL.

Préface

C'est avec un très vif plaisir que je présente aux fidèles lecteurs de cette collection le nouveau travail de M. Adrien Printz, Naissance d'une ville dans la vallée de la Fensch, Serémange-Erzange. C'est la troisième étude historique sur la, région de Thionville que nous donne l'auteur. Nos lecteurs n'ont certainement pas oublié son travail sur la pittoresque Chapelle de Morlange (1949), ni ce pèle- rinage archéologique et historique à travers les vieilles chapelles de la région, intitulé Vieilles pierres de pays ou art et foi d'autrefois et de toujours (1951). Ce sont là des jalons d'une carrière littéraire déjà bien remplie, qui débuta en 1935 par un petit recueil : Les vaines enfances. En 1945, M. Printz fit paraître une Chronique Lorraine, 1940-1944, préfacée par Jean Schlumberger et couronnée par l'Académie fran- çaise (prix Louis-P. Miller, 1947). En 1946, parurent les Poésies de ce temps-là, auxque'lles s'ajouta, en 1950, une Anthologie de la poésie populaire lorraine de langue allemande d'après Verklingende Weisen, de Louis Pinck. Une œuvre aussi abondante et aussi variée est tout à l'honneur de M. Printz. Elle est le résultat d'un effort constant, d'une volonté tenace, car, né d'une famille d'ouvriers, sans jamais sortir de son village natal, sans quitter l'usine où il travailla dès sa sortie de l'école primaire et où il est encore aujourd'hui employé, il a acquis une bonne culture littéraire et historique. Lauréat de l'Académie française, il a obtenu en 1952 le prix Rolland, décerné par la Société de Folklore et d'Ethnographie de la . Depuis 1952, il est en outre officier d'Académie. Le présent travail témoigne une fois de plus des qualités de ce travailleur acharné. Après avoir esquissé très rapidement l'histoire des trois hameaux de Serémange, de Suzange et d'Erzange à travers les siècles antérieurs à la Révolution, l'auteur étudie en détail le développement de ces localités depuis le début du XIXe siècle. Il montre comment, après av,oir ét¡é de modestes villages, ils grandissent rapidement sous l'influence des industries sidérurgiques de et prennent l'allure d'ime ville. L'enseignement public et le développement de la paroisse, nouvellement créée, font l'objet de deux chapitres très intéressants. Le dernier chapitre est consacré à la Sollac qui fait, de Seré- mange l'un des centres les plus importants de la métallurgie fran- çaise. Ecrit avec amour, dans une langue agréable, ce nouveau travail de M. Printz mérite le même accueil bienveillant réservé par le public cultivé à ses œuvres antérieures. J. EICH. INTRODUCTION

L'industrie du fer dans la vallée de la Fensch. Les origines au XVIII siècle.

L'histoire de Serémange et d'Erzange est obscure et pauvre sous l'Ancien Régime, comme celle des familles du peuple. Les deux villages ne sortirent de leur anonymat qu'à la Révolution, qui leur accorda l'autonomie. Ce n'est donc pas un ouvrage d'histoire locale comme tant d'autres, c'est-à-dire consacré au seul temps passé, qu'on va lire, mais un travail qui se rattache directement à notre époque, une monographie en quelque sorte actuelle, en même temps qu'une étude-témoin valable pour l'ensemble de la région. Car, qu'il s'agisse d'Hayange, de , d' ou de Serémange-Erzange, chacune de ces localités a connu une évolution à peu près identique au cours des deux derniers siècles, et, de même qu'en géologie, l'ob- servation d'une simple coupe de terrain permet de connaître le sous- sol d'un vaste territoire, ainsi, une étude approfondie de la seule commune de Serémange-Erzange nous vaudra de comprendre l'évo- lution de toute la vallée de la Fensch. Sachant que cette évolution a été fonction avant tout du déve- loppement de l'industrie du fer, nous commencerons, comme il se doit, par les usines. C'est en Egypte, vers le xve siècle avant notre ère, qu'on relève les premières traces du fer. Plus difficile à travailler que tous les autres métaux connus : or, bronze (1) et cuivre, il est alors considéré comme un métal précieux. Sa première apparition en Europe a lieu environ six siècles plus tard et elle se situe en Haute-Autriche, à Halstatt exactement. Près d'un millier de sépultures furent exhu- mées là, avec leur mobilier de bronze et de fer mêlé. D'où le nom de ihalstattienne donné à la période qui inaugure l'âge du fer (2). Généralement caractérisée par la présence de tumuli, qui sont des tombeaux construits de pierres recouvertes d'une couche de terre ayant la forme d'un tertre, cette époque n 'a apparemment laissé que peu de traces chez nous, non plus d'ailleurs que la période suivante, dite de la Tène (3) et dont les trois phases (Tène I, II et III) vont de l'an 500 à l'an 0 avant J.-C. L'unique mention d'une découverte coïncidant avec l'âge du fer faite dans nos deux arrondissements, nous vient d'Evendorf, commune de , et station néo- lithique qui a fourni une cinquantaine de haches de silex. Cinq tumuli y furent explorés vers 1835-1837 : « Chacun d'eux contenait les ossements de plusieurs cadavres, quelques poteries grossières... ainsi que des ornements ou anneaux en cuivre... (3 b) », mais aucun objet en fer (4). Avec l'occupation romaine, la situation se claréfie notablement. Si l'existence de forges locales reste toujours problématique (mais (1) Consultant notre carte archéologique, p. 15, on verra que quatre dépôts de bronze ont déjà été découverts jusqu'ici dans la proche région de Thionville, notamment à Basse-, , Pépinville et . Cette carte a été établie d'après E. LiNCKENHELD : Répertoire archéologique des arrondissements de Thionville-Est et Ouest, Metz, 1934, et Maurice TOUSSAINT : Répertoire archéologique du département de la Moselle — Période Gallo-Romaine, Nancy, 1950. Les récentes découvertes de Moyeuvre-Petite (voir note 4) et de Rémelange (restes de villa gallo-romaine, avec tuiles, dallage multicolore, moitié de colonne, etc.) n'ont fait l'objet d'aucune communication aux sociétés savantes. (2) « Les ferrières les plus anciennement exploitées dans le continent paraissent avoir été celles de Carniole (Yougoslavie), de Styrie et de Carinthie (Autriche), aujourd'hui abandonnées. En , l'exploitation du nouveau métal semble avoir commencé très tôt... (notamment) en Lorraine... partout en un mot où la mine avoisine la forêt, et l'on sait si ces points sont nombreux, particulièrement dans l'Est de la France. » Albert GRENIER : Les Gaulois, p. 67. (3) D'après le nom d'une localité suisse. (3 b) LINCKENHELD, O. c. (4) Au sujet des fameuses mardelles, disséminées un peu partout dans nos proches forêts et susceptibles de recéler des vestiges de la métallurgie gauloise, lire A. BELLARD : La question des mardelles, dans Bulletin de la Société d'histoire naturelle de la Moselle, 33e année, 1932. On verra là que la question est loin d'être tranchée de savoir si ces excavations en forme d'entonnoir sont bien des fonds de cabanes et non de simples accidents géologiques, dits trous de dissolution. Disons cependant que, participant avec notre camarade André Lepape à la fouille d'une de ces mardelles. en pleine forêt de Moyeuvre-Petite, nous trouvâmes. sous environ 20 cm. d'humus et sur un fond de dalles de calcaire partiellement brûlées au feu, des débris de poterie qui permirent la reconstitution presque com- plète d'un petit vase ancien. M. Bellard, à qui notre découverte fut présentée, y reconnut d'emblée une œuvre gallo-romaine. nous y reviendrons), on peut toutefois affirmer que nos régions étaient à ce moment extrêmement fréquentées et peuplées. Pas moins de quatre-vingts localités de la région de Thionville ont livré des vestiges de cette époque, dont au moins quinze pour les seules vallées de la Fensch et de l' : , Algrange, , , Hayange, Serémange, Florange, Daspich, Ebange, Uckange, Réme- lange, , Justemont, Boussange, Gandrange, Rombas... De plus, deux voies secondaires (diverticuli), brancihées sur l'importante voie stratégique Lyon-Coblence (via Metz et Trèves), ouvraient nos con- trées sur tout le pays au delà de Briey et de Longwy. Si on ajoute à cela que les Romains s'intéressaient beaucoup à la métallurgie gauloise (5) et que notre vallée était alors très en minerai de surface, on ne sera pas éloigné de penser que la tradition pourrait fort bien dire vrai et que nos usines ont effectivement trouvé leur origine dans la création des forges romaines. N'est pas moins signi- ficative la découverte faite à Hayange, à deux ou trois mètres de profondeur, de lingotp de fer brut de 20 à 30 kg., près des restes d'une route qu'on suppose être l'ancienne voie romaine. Des osse- ments (animaux 1) calcinés accompagnaient ces loupes, dont on a du reste trouvé d'autres exemplaires à Hamévillers et à Fontoy. Mais force nous est d'attendre encore près d'un demi-millénaire pour découvrir un premier élément de preuve d'une éventuelle utilisation de la minette locale. Il s'agit de la mise à jour du vaste cimetière mérovingien de Hamévillers, en 1908. Le nombre des sépultures exhumées s'éleva à 64, et, comme l'écrit l'abbé Nicolay (6) : «Les fouilles, poussées plus loin, en auraient révélé d'autres. » Voyant le lit de minerai où les tombes étaient creusées, il est à peine croyable que leur abondant mobilier (armes et bijoux en fer) n'ait pas été forgé sur place. Il ne semble pas qu'une analyse ehimique des objets en cause ait jamais été faite. A noter qu'une nécropole identique a été découverte à Moyeuvre-Grande (7). Après cela, c'est à nouveau le silence et la nuit jusqu'à l'époque carolingienne. On sait que la première mention manuscrite relative à l'indus- trie du fer en Gaule remonte à Charlemagne. Il s'agit des prescrip-

(5) « En apportant des capitaux et une main-d'œuvre servile abondante, Rome donna un essor magnifique à l'industrie du fer et la métallurgie gauloise devint une des principales sources du marché du fer dans le monde romain. » Bertrand GILLE : Les origines de la grande industrie métallurgique en France, Paris, 1947. « ... Ils (les Gaulois) faisaient écrouler notre terrassement en creusant des sapes, d'autant plus savants dans cet art qu'il y a chez eux de grandes mines de fer et qu'ils connaissent et emploient tous les genres de galeries souterraines. » CÉSAR : Guerre des Gaules,, livre VII, chap. XXII. (6) Histoire d'Hayange, t. I. p. 41 ss. (7) En automne 1901, sur la rive droite de l'Orne, dans une pente boisée au sud- ouest, appelée « Kleiner Vogesenberg ». L'étendue du cimetière est restée inconnue; seules 23 tombes purent être fouillées., LINCKENHELD, o. c., p. 83. tions administratives édictées par l'empereur lui-même, concernant les exploitations minières dans ses propriétés. Attendu que Thion- ville, cité dès 753, avec sa curia rogia de Florange qui englobait toute la vallée de la Fensch, comptait parmi les plus importants et pros- pères de ces domaines (8), il ne fait pas de doute que les dites pres- criptions nous intéressent directement. Etudiées par Weyhmann (9), elles nous permettent de nous faire une première idée de la méthode employée à l'époque pour la fabrication du fer (1°). Le minerai était extrait de fosses ferrifères (fossae ferraricae) à peu près de la même manière qu'on récupérait les pierres, la glaise ou le sable des carrières. Après l'avoir concassé, on le versait dans des fourneaux à cuve d'environ 1 m. 50 de hauteur, dont le brasier, qui produisait une chaleur de près de 7 à 800 degrés, était activé par des soufflets à main. L'opération de la réduction du minerai en fer achevée, on obtenait une masse « spongieuse et non adhérente », dite la loupe, qui était soumise à un martèlement intense pour la débarrasser des scories internes et la rendre utilisable. Quant à l'emplacement de ces forges, dévoreuses de bois, il ne pouvait que se situer en bordure même des forêts, sinon dans les clairières (11). «Pour permettre aux mineurs, forgerons, fondeurs et charbonniers de subsister dans leur isolement, on leur assignera un lot de terre qu'ils devront vraisemblablement défricher d'abord pour s'adonner ensuite à l'agriculture, sans préjudice des travaux que leur impose leur métier principal. » Les historiens tiennent pour assuré que nombre de ces forges forestières donnèrent naissance à des localités. De là à admettre que telle a été l'origine des agglomé-

(8) Si la preuve n'a encore pu être faite que Charlemagne séjourna à Florange même, du moins sait-on que son petit-fils, Lothaire II, en avait fait une de ses résidences favorites. « Advence, évêque de Metz, écrit à Hatton, évêque de Verdun, de conjurer le roi Lothaire de renvoyer Waldrade, sa concubine, et de se rendre in Floriking (Florange) pour y recevoir l'absolution. » Abbé NICOLAY, o. c., p. 55. (9) Histoire de l'ancienne industrie du fer en Lorraine (trad.), dans Jahrbuch dsr Gesellschaft fur Lothringische Geschichte u. Altertumskunde, t. XVII, 1905. Cette étude, la plus importante et valable de toutes celles parues jusqu'à ce jour sur la question, nous ayant largement servi dans notre travail, nous n'avons pas jugé utile de signaler les nombreux autres emprunts que nous y avons fait. (10) Il ne faudrait cependant pas s'exagérer l'importance de la métallurgie carolingienne. L'Etat de Charlemagne était avant tout rural. « L'industrie ne tra- vaille plus guère pour la vente (Les invasions barbares avaient ruiné tout le sys- tème économique établi par Rome)... C'est une annexe domaniale de l'agriculture. Chaque grand propriétaire possède sur ses terres une forge, des ateliers de tissage et de menuiserie qui produisent tout ce dont le monde de la villa a besoin. Chaque canton s'organise pour vivre le plus possible sur lui-même. » Pierre GÀXOTTÏ : Naissance de l'Allemagne, dans Revue des Deux Mondes, 15 juin 1953, p. 678. (11) Ce n'est qu'au xive siècle, avec la découverte de la force hydraulique, qu'elles s'installeront dans les vallées, sur le bord des ruisseaux. En 1323, Edouard Ier de Bar fait établir à Moyeuvre, « à l'endroit où le Conroy se jette dans l'Orne, une chambrée pour contenir l'eau qui fera tourner une roue actionnant mécaniquement soufflets et marteaux ». E. JACQUEMIN : Recherches historiques sur Moyeuvre- Grande, Metz, 1952, p. 17. rations de la vallée de la Fensch, il n'y a qu'un pas, d'autant plus aisé à franchir que c'est précisément vers cette époque que leur existence est attestée historiquement. En effet, une charte de 875, établie en faveur de l'abbaye messine de Sainte-Glossinde par l'em- pereur Louis-le-Germanique, nous apprend qu'Hayange formait déjà VALLEE S de 1a FEXSCK et l'OBSE CARTE ARCHEOLOGIQUE

à ce moment une assez grosse paroisse, groùpant jusqu'à six filiales : Marspich (Marspach), Algrange (Alkeringes), Nilvange (Celvinges), Suzange (Suzengis), Erzange (Erizengis) (12) et Hamévillers (Hum-

(12) Une telle origine est surtout plausible pour Erzange, établi à proximité immédiate des bois, à l'écart de toute voie de communication importante et en bordure même de la couche d'affleurement du minerai. mervilla). Cette charte en confirmait d'ailleurs une autre donnée en 821, laquelle se référait elle-même à une donation antérieure. On peut donc assurer sans crainte que la région hayangeoise était déjà exploitée au viiie siècle et qu'elle constituait même un domaine d'une certaine importance. On ignore cependant en quoi consis- taient ses ressources, si elles comprenaient autre chose que des métairies. Ce n'est qu'en 1240 que nous apprendrons avec certitude qu'on y trouvait des exploitations minières. A cette date, nous lisons que «les religieux de l'abbaye cistercienne de Villers-Bettnach (arrondissement de Thionville-Est) obtinrent de Philippe de Flo- range le privilège de rechercher le minerai dans les terres soumises à sa juridiction et de le faire extraire en quantité non limitée ». On est d'avis que ce territoire s'étendait surtout vers la vallée de la Fensch. Vingt ans plus tard, en 1260, Thierry, seigneur d'Hayange, concède à Thibaut, comte de Bar, « la mine dou ban de Haienges », ainsi que le privilège de la faire exploiter, à titre gratuit, par les forgerons ou mineurs que le comte entretenait dans ses forêts de Briey. Le document est contresigné par Conrad et Philippe de Florange et par Adam, prieur d'Orval. Il semble tout d'abord résulter de ces pièces que l'industrie minière était passablement florissante dans la vallée au cours du moyen âge, ensuite, que le travail du fer lui-même y connaissait un certain ralentissement, sinon un arrêt total. A moins que le minerai ne s'y soit trouvé en telle abondance qu 'on ait pu l'exporter, comme nous le voyons faire en 1626, où les forges sarroises de Geislautern s'approvisionnent en matière première « en la prévôté de Thionville, proche le village d'Hayange ». En 1264, le même Thierry d'Hayange résigne en toute propriété au comte de Luxembourg ses bois et ses mines précédemment cédées au comte de Bar. D'où conflit que le roi de France, saint Louis, arbitre en 1270 en faveur du comte de Bar. Ce dernier paraît attacher une grande importance à ces possessions, puisqu'il se les fait confirmer en 1280. Cependant, malgré les nombreux actes que ces concessions, dona- tions et contestations suscitèrent, aucun renseignement précis ne nous est donné, ni sur le mode d'exploitation, ni sur les lieux exacts où le minerai était extrait et travaillé. Nous en saurons beaucoup moins encore durant le siècle qui suit, et c'est tout à fait incidemment qu'un relevé des recettes du duc Robert de Lorraine nous apprendra que trois forges sont en activité à Hayange en 1451. (Les forges de Moyeuvre-Grande et Petite, elles, sont nommément désignées à par- tir de 1320.) Par contre, nous savons, grâce à un livre de comptes de 1345, que les sieurs Hennekin et Andrekin de Raconval () sont

forgerons et qu'ils achètent du bois « en behault sur les champs de Raconvaul de leiz la grainge (derrière la grange) ». Leurs forges sont vraisemblablement celles-là même que nous retrouverons deux siècles plus tard dans les livres de recettes du bureau de Briey de l'année 1575 : (Reçu) « d'Arnoult Dhiedrich de Ranconval pour le cours de l'eau de la forge assise entre le moulin dudit Ranconval et Mor- l anges, ensemble pour une autre forge à faire long fer et ayant four- neau pour lesquelles il paye chacun an II francs. » Le même livre nous apprend, pour l'année 1580, que «noble homme Jean Pierron, demeurant à Moyeuvre (a été autorisé) par son altesse à... faire ériger ung moulin sur une place à luy appartenante assie au finage de Morlanges où anciennement souloit avoir une forge chargée de IIII fres de rente et IIII chapons envers les abbés et religieux de ... ». On admet également l'existence d'un marteau hydraulique, ainsi que d'un fourneau à loupe à Florange, dans la seconde moitié du xve siècle. D'autre part, le journal du chroniqueur messin Aubrion 1465-1511, nous apprend qu'en 1491 « maistre de forges Henry Feiron de Florhenges » est chargé par la ville de Metz de la création d'une forge à faire du fer dans l'île du Saulcy. En foi de quoi, l'intéressé s'engage de produire : « des f eulles quarrées (plaques) pour les poèles ; des rondeaux (clous ou ornements) pour toutes manières de harnais ; d'armes chappelz de fer, curasses et autrement ; des targes (écussons) de toutes fassons ; toutes manières de gros ferrements tant pour faire cloches artilleries, portes bancs et toutes autres choses ; des spéciaux fers de toutes fassons ; encore tout ce qu'on voudra avoir ouvrée ou non ouvrée ; it. si on avoit la mine ou la cru (fonte) le dit maistre Henry ferait aussi bien le neuf (fer forgé affiné) comme les dessus dits ferrements portes, huixes (huis) et fenestres de fer... » L'intérêt de cette énumération des capacités du maître de forges Henry Feiron n'échappera à personne. Les produits que ce pionnier de la sidérurgie locale s'offrait de fabriquer à Metz, il devait les façonner depuis longtemps à Florange, et il ne fait aucun doute que nous avons là comme une sorte de catalogue des produits métallur- giques de l'époque. Le premier inventaire connu des forges établies sur le cours de la Fensch date de 1560-1561. Il figure dans les comptes de « Nicolas Francequin, receveur des ville et prévôté de Thionville et les appar- tenances d'icelle» (13) et distingue dix forges :

(13) P.-X. NICOLAY, O. c., p. 137 sa. Forge de Fontoy (14) qui doibt chacun an 100 livres de fer à cause que icelle est ruinée néant Forge de Gussertal (15) II C (200) » Forge de Clasermann (16) II C » » Forge de Starretsschmidt (17) II C » » Forge Mariette (18) V C (500) » Forge Simon le Ferron (19) 200 livres de fer mais à cause que icelle est ruinée : néant « Du mesme qui semblablement doibt pour la forge neuve ou soul- loit estre le moulin à foulon » XXXII gros Nouvelle forge, dite Blechsmitt (20) 200 livres der et 1 florin d'or Forge de Clereher (21) 200 livres de fer Mais à cause que icelle est ruynée et que sur icelle place l'on a faict un moulin nommé Chassing (Flo- range) néant Forge Walchin (22) 200 livres de fer

Dans un compte de 1568-1569, nous lisons que Simon le ferron doit 5 sols 5 deniers pour son moulin à pillon, et Warchin 32 gros « d'ung petit prey» où il fait édifier une «forge neufve ». Un état de redevances dressé le 4 septembre 1615 par la Chambre des comptes de Bruxelles, ne mentionne plus que huit forges dans la vallée de la Fensch :

(14) Cette forge sera réorganisée en 1583 par la baronne de Landres de Briey, dame de Fontoy. Signalons que d'après Weyhmann (o. c.) : « c'est principalement dans la localité de Fontoy même que l'industrie métallurgique parait avoir pris un développement considérable » au xvie siècle. En 1565, le maître des forges de Moyeuvre envoie un délégué « au lieu de Fontoys quérir des ouvriers de forges » et selon les pièces d'un procès jugé en 1690 « nul ne pouvait établir une forge sur le cours de la Fensch de Fontoy à Florange » sans le consentement des seigneurs de Fontoy. (15) Plus tard Gustal, vallée de la fonte. (16) Nom d'un habitant d'Hayange. (17) De Starreisen — barres de fer. (18) Un cahier de recettes du domaine d'Hayange de 1660 mentionne un terrain appelé Marettenschmitt ou forge, autrement Theisenfelt. (19) Vraisemblablement fondée par un descendant du maître de forges floran- geois cité plus haut. (20) Voir plus loin. (21) Nom d'un habitant d'Hayange. (22) Ou Warchin Niclaus, d'Hayange. 1 à Fontoy cens annuel de 200 livres de fer 1 dite de Gustal » 200 » 1 » de Maximilien » 400 » 1 » de Gingerus » 400 » 1 » de Claustremont » 200 » 1 » de Simon Feron » 200 » 1 » de Henry (23) » 200 » 1 » de Pleichschmit » 7 livres de monnaie de Brabant. Enfin, un acte établi vers le même temps constate l'existence à Hayange d'une usine appartenant à Joachim de Lenoncourt, mar- quis de Marolles, premier gouverneur français de Thionville (1643- 1655). A cette usine étaient rattachés : un fourneau, une platinerie un peu plus en aval sur la Fensch, et une fenderie à Suzange. Après la mort du marquis de Marolles, surnommé le Pacha de la Lorraine « à cause de sa sévérité et de sa rapacité» (24), les ins- tallations passèrent à un autre gouverneur de Thionville, Jacques Rouxel, comte de Grancey et de Medovy, maréchal de France, puis à Rodolphe Hullin, seigneur de La Roche, capitaine des portes et aide-major de Thionville. Ce dernier les céda peu après à son gendre, Jacques-Antoine Le Comte, seigneur d', lequel ne réussit guère mieux que ses devanciers. En 1699, les usines furent même occupées militairement pour rendement insuffisant. Depuis 1695, Hayange livrait des munitions à l'artillerie. En 1697, les usines d'Hayange comprenaient (25) : « 1° — une forge à battre le fer nommée la Marolle, une maison joignante, bâtiment devant, une fenderie tenant à la Fensche et le grand chemin, plus une halle, une écurie et une bou- tique de maréchal ; 2° — un jardin dépendant de ladite forge, contenant un demi-jour de terre tenant à l'étang ; 3° — un fourneau à fondre la mine appelé « la Marolle » ; 4° — une fenderie sur le ban de Suzange et un petit bâtiment joignant ; 5° — un pré contenant un jour de terre tenant à ladite fenderie, au canal et à la rivière de la Fensche, d'autre part. »

(23) Henri Feiron ? (24) Abbé HECKMANN: Le passé de Thionville, dans Programme de l'exposition de Thionville de 1934. (25) Déclarations faites par le maire et les gens de justice d'Hayange des biens fonds appartenant à la dame de Lenoncourt, sis à Hayange, par ordre du lieutenant général du bailliage et siège royal de Thionville. La pièce est signée Georges Mul- ler, maier. Inventaire des Archives du château d'Hayange, dressé par M. Guermot, archi- viste, et terminé en 1919. La famille de Wendel. 1704-1954.

Puis, ce fut l'an 1704 et l'arrivée à Hayange de Jean-Martin Wendel ; une date et un nom qui constituent indéniablement l'évé- nement du siècle en Lorraine. Toute une révolution va notamment en résulter et une nouvelle ère s'ensuivre : celle des temps modernes. Désormais, les nombreuses usines dispersées tout au long de la vallée ne vont plus faire qu'une seule entreprise organisée de main de maître, et la fortune du nouveau propriétaire, puis la continuité de sa maison, vont agir dans un rayon de plus en plus étendu. S'intéresser à cette étonnante famille fixée au même endroit depuis un quart de millénaire est donc une nécessité pour l'historien local, et force nous est de retracer au moins dans ses grandes lignes le vaste panorama de son histoire où s'inscrivent et se confondent les destinées de toutes les populations environnantes. Le premier porteur connu du nom est le « très noble seigneur Jean de Wendel de Bruges en Flandre » (Praenobilis Domini Joannis de Wendel ex Bruges in Plandria (26), comme il est dit dans l'acte de baptême de son fils Jean-Georges, établi le 5 octobre 1605, à Trèves, dans l'église collégiale et paroissiale de Saint-Castor. Ce Jean-Georges, né à Coblence, qu'on retrouve colonel d'un régiment de cavalerie légère sous l'empereur Ferdinand III, s'était marié avec la « noble demoiselle » Marguerite de Hammerstein, qui donna le jour, en 1636, à Martial-Christ, dit Christian. Devenu officier, comme son père, mais dans les troupes ducales de Charles IV de Lorraine, ce dernier prit pour femme, en 1660, Claire de Saurfeld, du duché de Luxembourg. Notre futur maître de forges naquit de ce mariage, en 1665 (27). C'est donc en 1704 que Jean-Martin Wendel fit l'acquisition des usines d'Hayange. Le procès-verbal de cette historique prise de possession nous a été conservé ; en voici l'essentiel : « L'an mil sept cent quatre, le huitième jour du mois de May, dix heures du matin, en vertu du décret d'adjudication judiciaire- ment fait au bailliage et siège royal de Thionville en date du trei- zième juin mil sept cent deux, des deux tiers de la forge, fourneau

(26) H. GERMAIN : Die natiirlichen Grundlagen der lothringischen Eisenindustrie und die Verfassung vor 1870, dans Jahrbuch...", 24e année, 1912. (27) Christian mourut le 3 septembre 1708, âgé de 80 ans, à Longlaville, près de Longwy, dont le fief lui appartenait de moitié avec le comte de Vigneul, du chef de sa femme. Achevé d'imprimer sur les presses des "Editions lorrain " à Metz, le 20 août 1954. Il a été tiré de cet ouvrage mille exemplaires, dont cent sur vélin pur fil «Lafuma».

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