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Séquences La revue de cinéma

Vues d’ensemble

Fin de siècle et cinéma italien Number 210, November–December 2000

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this review (2000). Review of [Vues d’ensemble]. Séquences, (210), 62–67.

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THE CELL sont infinies. Commence ainsi une série de ses œuvres les plus populaires (Jean de voyages virtuels, sortes d'étranges huis clos Florette, Germinal, Lucie Aubrac). Il Bien que cette intrigue policière qui suit en enfilade sur de multiples décors aurait sans doute fallu explorer davantage la piste d'un tueur en série puisse s'appa­ oniriques où cauchemars et fantasmes les thèmes du désir et du vieillissement, et renter à Seven et à The Silence of the côtoient l'horreur. Certaines scènes sont développer un peu plus la psychologie du Lambs, The Cell se distingue de ses d'ailleurs à la limite du supportable. personnage féminin interprété malgré tout prédécesseurs par son esthétisme et son À mi-chemin entre le surréalisme, le avec brio par Fanny Ardant. habileté à sonder les méandres de la psy­ baroque et le cinéma expérimental, ce pre­ Berri aurait facilement pu exploiter le chologie humaine. mier film de Tarsem Singh, réalisateur de filon comique d'un sujet aussi explosif, la Le subterfurge utilisé est efficace : vidéoclips {Losing My Religion, de R.E.M.) lassitude sexuelle chez l'homme et l'arrivée grâce à une nouvelle méthode de traite­ et de publicités (pour les compagnies Nike sur le marché de la pillule-miracle Viagra ment thérapeutique, une psychologue et Levi's, entre autres), tire sa force de ses (le film a été tournée en 1998) étant des entre dans le subconscient d'un prédateur images somptueuses, troublantes et envoû­ thèmes si peu souvent traités au cinéma. sexuel comateux afin de découvrir l'en­ tantes. À ce propos, il faudrait aussi Malheureusement, à ses pires moments, droit où se cache sa dernière victime, tou­ souligner l'apport artistique considérable La Débandade n'est qu'un ramassis de jours vivante. Les possibilités sensorielles de Tom Foden, concepteur des décors, quiproquos monotones et de discussions d'Eiko Ishioka, créateur des costumes, entre vieillards libidineux sur les tech­ ainsi que de la maquilleuse Michèle Burke. niques à pratiquer pour contrer l'impuis­ Ils ont su créer un monde irréel remar­ sance. Au mieux, il rappelle par moments quable et troublant. les comédies italiennes qui ont fait la belle Pourtant, toute cette expérience époque des années 60. Il n'est pas sur­ visuelle laisse un goût amer et froid, prenant que le résultat soit si navrant : La comme si, en cours de route, le réalisateur Débandade a été un échec en et n'a s'était lui-même pris au piège devant tant pas tenu l'affiche très longtemps au de fantaisie et si peu de contenu. Ainsi, Québec non plus. devant ce manque de rigueur, le récit Pierre Ranger devient prévisible et laisse le spectateur à la

fois émerveillé et déconcerté. France 1999, 100 minutes - Réal. : Claude Berri - Pierre Ranger Scén. : Claude Berri — Int. : Claude Berri, Fanny Ardant, Claude Brasseur, , Danièle Lebrun, Brigitte Bémol - Dist. : Lions Gate. ^m La Cellule États-Unis 2000, 107 minutes - Réal. : Tarsem Singh - Seen. : Mark Protosevich - Int. : Jennifer Lopez, Vince GODZILLA 2000 Vaughn, Vincent D'Onofrio, Jake Weber, Dylan Baker, Marianne Jean-Baptiste, James Gammon, Tara Subkoff, Colton James, Patrick Bauchau, Gareth Williams — Dist. : Pour les inconditionnels de Godzilla (et Alliance Atlantis Vivafilm. ils sont légion), la sortie de Godzilla 2000 sur les écrans nord-américains constituait LA DÉBANDADE un événement. Mais les amateurs les plus avertis étaient au courant du piètre accueil Selon l'aveu de Claude Berri, La Déban­ réservé au film au Japon (le pire box-office dade n'est pas un film autobiographique, de toute la série) et, malheureusement, ces mais plutôt un projet personnel. Pourtant, craintes étaient fondées. Godzilla 2000 n'a tout, dans ce long métrage qui traite de rien pour combler les attentes, tant celles l'usure d'un couple et, plus particulière­ des fans que celles des néophytes. Non pas ment, de dysfonctionnement erectile, que la nouvelle allure de Godzilla soit exhibe les prouesses du cinéaste : il signe à décevante, au contraire (sa nouvelle crête la fois la mise en scène, le scénario et les dorsale lui donne une silhouette impres­ dialogues, et interprète même le rôle-titre, sionnante), mais les effets spéciaux sur­ poussant l'audace jusqu'à utiliser son véri­ passent à peine en qualité ceux d'un film table nom. de série B minable : transparences des plus Or, cette comédie légère n'a ni la évidentes, infographie sommaire (très portée de ses premiers films (Le Vieil original, le style de l'engin volant !), plans Homme et l'Enfant, Le Cinéma de papa, trop granuleux, etc. Ces lacunes techniques Le Pistonné, Je vous aime) ni l'ardeur de sont d'autant plus irritantes que les der-

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niers films de monstres japonais (la trilo­ de la guerre entre bandes de motards à tra­ plus préoccupés par le contrôle et le succès gie des Gaméra par exemple) avaient con­ vers les yeux d'un jeune délinquant qui se de leur « entreprise » que par la volonté de sidérablement élevé nos attentes. laisse entraîner dans ce monde fascinant, vouloir faire partie d'une bande rivale. Le film ramène les pires défauts de dangereux et inévitablement fatal. Dans le rôle complexe de Marc, person­ certains ka'iju-eiga : des personnages Hardi, le cinéaste Michel jette nous nage central du film, un être déchiré entre inconsistants récitant des dialogues à faire offre une fiction hautement ambitieuse le bien et le mal, le jeune débutant hurler, un personnage de gamin ou de (tournage de moins de trois semaines, Dominic Darceuil manque d'assurance et gamine qui n'a strictement rien à faire budget ridicule, version finale de plus de de conviction. Ceci étant dit, Hochelaga dans l'histoire, une mise en garde simpliste deux heures) qui, malgré de nombreuses mérite tout de même le détour pour son des dangers de la science (rien à voir avec qualités, ne s'avère pas à la hauteur de nos écriture rigoureuse, mais également l'ambiguïté de celle-ci dans le Godzilla attentes. comme objet de curiosité. original) ; bref, il s'agit d'un film qui risque D'un côté, l'écriture du film impres­ Pascal Grenier de nuire à l'image de notre dinosaure bien sionne. Le langage est cru et grassement aimé ! Godzilla 2000 a de quoi conforter « québécisé » ; les dialogues, incisifs ; la Canada [Québec] 2000, 130 minutes - Réal. : Michel Jette - dans leur opinion ceux pour qui un film construction dramatique, solide. Le film Seen. : Michel Jette - Int. : Dominic Darceuil, Ronald Houle, David Boutin, Michel Charette, Claudia Hurtubise, Paul Dion, japonais de science-fiction est synonyme offre également une intéressante réflexion Deano Clavet, Patrick Peuvion, Michéle Péloquin - Dist. : de produit démodé, kitsch et de piètre sur le pouvoir et la manipulation — son Cinéma Libre. qualité, ceux pour qui le souvenir du sujet principal. Par contre, en situant l'ac­ Godzilla nippon se limite à un film de Jun tion de son film dans le contexte des guer- Fukuda diffusé un après-midi pluvieux. La question qui vient évidemment à l'esprit est de savoir si la version américaine de Godzilla, réalisée par Roland Emmerich, a exercé une influence néfaste sur la Toho, maison de production de la série japonaise, question d'autant plus per­ tinente que certains plans de Godzilla 2000 renvoient directement au film d'Emmerich (le gros plan de l'œil, par exemple) — et même à Jurassic Park (le monstre approchant son immense tête de la jeep). Ce nouvel adversaire qui, au cours du com­ bat final, subit une mutation qui aurait dû, ultimement, en faire un clone de Godzilla, constitue peut-être toutefois un clin d'œil mordant à l'appropriation du mythe par les Américains, car leur Godzilla représente lui aussi une évocation très partielle de l'origi­ nal. On se plaît à imaginer le ton caustique res intestines actuelles, Jette rate littérale­ que Godzilla 2000 aurait pu adopter en ment son coup, son regard sur le milieu citant davantage la version américaine. Nul d'aujourd'hui étant tout au mieux dépassé. doute que les fans auraient apprécié... Tout ce qui semble compter pour les Alain Vézina motards d'Hochelaga sont les couleurs, les ^B Gojira ni-sen mireniamu tatouages de même que le nom de la bande Japon 1999, 99 minutes - Réal. : Takao Okawara - Scén. : auquelle ils appartiennent. On se croirait Hiroshi Kashiwabara, Wataru Mimura - Int. : Takehiro de retour à l'époque des rejetons d'Easy Murata, Naomi Nishida, Mayu Suzuki, Tsutomu Kitagawa, Hiroshi Abe, Shir Sano, Shelley Sweeney - Dist. : Columbia. Rider tels que Hells Angels on Wheels et autres Angels Hard as They Come... sans HOCHELAGA toutefois avoir conservé le côté outrancier, ridicule et ostensiblement trash de ces Le monde dur et violent des motards films, bien entendu. La haute sphère cri­ criminels a rarement été exploité au ciné­ minelle des motards d'aujourd'hui est ma québécois. Voilà qu'Hochelaga traite constituée d'hommes d'affaires qui sont

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HOLLOW MAN devenu cobaye, voilà qui constituait ini­ prétée avec beaucoup de grâce par tialement une piste intéressante... mais le Samantha Morton (qui jouait le rôle de la Technologie, quand tu nous tiens... Le récit pivote subitement à mi-parcours dans muette dans Sweet and Lowdown, de dernier film de Paul Verhoeven, un une orgie d'homicides sanglants. Fidèle à Woody Allen), qui devient ici la femme ou cinéaste décidément difficile à prendre au ses tics, Verhoeven saupoudre généreuse­ peut-être même toutes les femmes que FH sérieux depuis Showgirls et Starship ment cette épopée fantastique d'un parfum a aimées à cette époque. Le scénario est Troopers, continue à exploiter la veine d'érotisme purement gratuit et juvénile, construit de manière très fragmentée et les passéiste d'une science-fiction préventive, qui souligne son légendaire manque de anecdotes ayant trait à la consommation où est exposée la fatalité de l'exploitation goût et de subtilité. de drogues sont racontées avec une cer­ abusive des progrès technologiques dans À la fois huis clos et film de poursuite, taine ironie et même avec un humour noir. les viles mains de savants fous. Depuis Hollow Man offre en fait un spectacle si Donnons-en comme exemple la séquence Jules Verne et H.G. Wells, avons-nous pro­ ridicule qu'il devient rapidement gênant où, dans le service d'urgences d'un hôpital, gressé ? L'imaginaire d'où est issu Hollow d'assister à toute cette démonstration de un infirmier plutôt fou pratique une Man reflète peut-être les angoisses d'hier, talents gaspillés, de situations échevelées et opération nécessaire, mais sans prendre de mais réactualisées à l'aide d'une impres­ de dialogues insipides. Et force est d'ad­ précautions. Le style éclaté des prises de sionnante panoplie d'effets spéciaux, si mettre qu'on s'ennuie fermement à vues et des raccords entre les scènes bien que l'on peut désormais montrer l'in­ observer le corps scientifique multiplier les déroute de prime abord, mais exprime visible. courses folles dans ce laboratoire souter­ bien l'esprit du personnage central, inter­ Après le cyber-flic de RoboCop et le rain aux insondables avenues, à endurer les prété avec beaucoup de finesse par Billy voyageur spatio-temporel de Total Recall, longueurs et les raccourcis empruntés par Crudup, qui trouvera finalement son util­ Verhoeven s'attaque au mythe de l'homme une intrigue pataude, et, ultimement, à ité dans la vie à travers diverses rencontres. invisible et plonge le chercheur Sebastian tenter de deviner quel cliché suivra le Luc Chaput Cain dans le monde de la transparence. dernier. Dans un registre similaire,

Disparaîtront progressivement à leur tour Memoirs of an Invisible Man, de John États-Unis 1999, 109 minutes - Réal. : Alison MacLean - sa décence, puis son humanité, alors que Carpenter, était nettement plus sympa­ Scén. : Elizabeth Cuthrell, David Urrutia, Oren Moverman, d'après le recueil de nouvelles de Denis Johnson — Int. : Billy celui-ci s'abandonnera au voyeurisme, thique. Crudup, Samantha Morton, Jack Black, Denis Leary, Holly puis au meurtre... tout cela sous le nez de Charles-Stéphane Roy Hunter, Will Paxton, Dennis Hopper — Dist. : Lions Gate. ses vulnérables collègues de laboratoire, devenus d'aveugles proies. Le savant •• L'Homme sans ombre LEA États-Unis 2000, 114 minutes - Réal. : Paul Verhoeven - Hollow Man Scén. : Andrew W. Marlowe — Int. : Kevin Bacon, Elisabeth Shue, Josh Brolin, Kim Dickens, Greg Grunberg, Joey Slotnick, U ne jeune Slovaque, devenue muette après Mary Randle, William Devane - Dist. : Columbia. avoir assisté au viol puis au meurtre de sa mère par son père, est finalement vendue JESUS' SON par ses parents adoptifs à un ancien mili­ taire allemand. Cet homme taciturne et Un homme surnommé FH (pour obscur la forcera au mariage. Le film nous « Fuckhead », car tout autour de lui sert ses meilleures séquences pour illustrer s'écroule, alors que lui s'en sort) promène la métamorphose d'une relation qui semble son air de Candide dans le Midwest améri­ a priori vouée à un sourd échec. Ivan Fila cain des années 70. S'inspirant d'une tisse le chemin tortueux et délicat qui doit phrase tirée d'une chanson de Lou Reed mener les deux êtres à se rapprocher. La vio­ qui donne son titre au film, la réalisatrice lence des affrontements est exacerbée par le Alison Maclean parsème son film d'images silence dans lequel ils prennent place. Les christiques : un homme au cœur tatoué et échanges entre les deux personnages s'épa­ palpitant, FH aperçu à travers une vitre nouissent pour la plupart en de longs sous une guirlande qui pourrait être une silences où toute l'expression passe par le couronne de lauriers ou d'épines, etc. regard, la posture, le geste. À défaut de Adaptant un recueil de récits semi- paroles, la caméra se fait avide de gros autobiographiques de Denis Johnson, les plans : autant d'icônes significatifs qui tien­ trois scénaristes ont privilégié une approche nent leur propre discours (les chandelles, les disjointe et accordé à certains personnages chaînes, les yeux, l'écriture, la nourriture, les épisodiques du livre une plus grande photos). La rencontre entre Lenka Jesus' Son importance. C'est le cas de Michelle, inter­ Vlasakova et Christian Redl facilite les SEQUENCES 210 novembre!décembre 2000 VUES D'ENSEMBLE LES FILMS (

choses ; les deux acteurs livrent une inter­ Neighbours, des plats qui se dégustaient prétation des plus justes et évitent, la plu­ très froids. Laissant pour la première fois part du temps, l'exagération. l'écriture à un autre, il nous revient cette Conséquemment, on ne peut que fois-ci avec Nurse Betty, une comédie noire regretter amèrement la présence de cette qui remportait le Prix du meilleur scénario musique lourde, artificielle et précieuse qui au dernier Festival de Cannes. vient tantôt expliciter inutilement des émo­ Témoin du meurtre de son mari, un tions déjà très bien rendues par les acteurs, minable de premier ordre, Betty, la petite tantôt empiéter sur ce qui aurait dû être serveuse de casse-croûte rêvant de devenir d'heureux silences. On ne laisse pas le soin infirmière, déjante complètement en regar­ au spectateur d'apprécier ces instants (de dant son soap préféré et se réfugie dans solitude, d'affrontements, de commu­ l'univers irréel mais combien plus rassurant Nurse Betty nions) : cette partition pompeuse et redon­ de la télévision. Partant de son Kansas natal raude et du monde idéalisé des comédies dante semble vouloir nous garder au pas, pour la Californie à la recherche du docteur musicales, LaBute, lui, plonge son héroïne nous empêchant de nous abandonner David Ravell, son personnage favori, elle se dans un univers peuplé de lâches, de entièrement au sujet. Le cinéma contempo­ lance ainsi dans un voyage initiatique qui la menteurs, de tueurs, d'hypocrites. Il pose rain (celui des 20 dernières années) suc­ transformera et la ramènera sur Terre plus ainsi un commentaire social des plus per­ combe plus souvent qu'autrement à cette lucide, mais — et quel tour de force extra­ cutants — et c'est là l'intérêt du film.L e surenchère de signes, qu'ils soient visuels ou ordinaire ! — sans rien lui enlever de sa contraste entre ces deux univers est parti­ sonores. L'exercice qui consistait à provo­ prodigieuse candeur. culièrement frappant dans la scène du quer l'affrontement de deux personnages LaBute trace un étonnant parallèle plateau de tournage, où Betty retrouve ses muets (l'un par choc traumatique, l'autre entre l'histoire de Betty et celle de cette esprits au cours d'une effrayante humilia­ par économie) aux antipodes l'un de l'autre autre célèbre native du Kansas, la Dorothy tion publique : les dialogues et la mise en était pourtant prometteur. On ira donc voir de The Wizard of Oz (l'uniforme de scène sont d'un cynisme tellement acide et Lea pour le jeu du duo Vlasakova-Redl et serveuse de Betty fait d'ailleurs penser à la déchirant, le tout accentué par les cadrages pour la justesse de la mise en scène, et l'on tunique bleu ciel de Dorothy). Comme elle, désaxés et les gros plans de Betty, qu'il est tentera tant bien que mal de faire abstrac­ Betty doit fuir son chez-soi, après une difficile d'en sortir indemne. tion des fioritures musicales. épreuve traumatisante, pour se retrouver. Sur un ton légèrement moins désabusé Philippe Théophanidis Comme elle, Betty trouve refuge dans un que celui de ses films précédents, mais sans monde inventé. Comme elle, Betty rencon­ avoir toutefois rien perdu de l'acuité de son ^H Léa trera en cours de route d'étranges person­ regard et de son humour caustiques, LaBute Allemagne 1996, 100 minutes - Réal. : Ivan Fila - Scén. : Ivan Fila - Int. : Lenka Vlaskova, Christian Redl, Hanna nages qui lui laisseront une leçon bien sentie. nous offre avec Nurse Betty une fable à la Schygulla, Miroslav Donutil, Tereza Vetrovska, Klara Jirsakova, Également, à l'instar des femmes trop fois étrangement optimiste, cruellement Zuzana Kronerova, Udo Kier - Dist. : K. Films Amérique. souriantes des comédies musicales des pathétique et superbement ironique sur la années 50 interprétées par Doris Day, Betty fascination excessive qu'exerce la machine à NURSE BETTY est trop bonne et trop parfaite pour être rêves hollywoodienne sur l'Amérique. vraie (avec une grâce et un aplomb remar­ Claire Valade Chroniqueur acerbe des travers de quables, Renée Zellweger réussit d'ailleurs à ^m Garde Betty l'Amérique trop imbue de sa supériorité faire vraiment exister Betty, personnage États-Unis 2000, 108 minutes - Réal. : Neil LaBute - Scén. : morale, Neil LaBute nous avait offert avec potentiellement risible, sans jamais verser John C. Richards - Int. : Renée Zellweger, Morgan Freeman, ses deux premières œuvres, In the Chris Rock, Greg Kinnear, Pruitt Taylor Vince, Aaron Eckhart, dans la caricature mélodramatique). Tia Texada, Crispin Glover - Dist. : Universal. Company of Men et Your Friends and Toutefois, à mille lieues de la Cité d'Éme-

vjk REVUE Of La plus ancienne revue de cinéma au Québec (1955) toujours à la fine wCvît^J E NwCw pointe de l'actualité films 9 trames sonores • entrevues • reportooes • opprêcic

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THE ORIGINAL KINGS OF Original Kings of Comedy. Le film, qui endroit, sans se connaître. Ils ont tous deux COMEDY semble avoir été réalisé par un tâcheron perdu leur emploi et sont à la recherche surnuméraire de la chaîne HBO, aurait d'une situation. Auteur d'une filmographie aussi hétéro­ bénéficié d'une mise en scène plus serrée et A priori simple et banal, cet argument clite qu'inégale, il appert que ne de jeux de coulisse plus pertinents, voire devient le principal sujet du film, d'où l'uti­ génère plus le même enthousiasme qu'à ses mordants. Pour fanatiques et sitcom affi- lisation du supermarché comme endroit débuts. Porte-étendard de la communauté cionados seulement. propice à une première rencontre. Un afro-américaine depuis plus d'une quin­ Charles-Stéphane Roy endroit neutre, un no-mans-land dénué de zaine d'années, le cinéaste a privilégié tout romantisme, stérile, là où les identités plusieurs approches (fiction, documen­ Etats-Unis 2000, 115 minutes - Réal. : Spike Lee - Avec : se perdent ou n'existent carrément pas, là taire, vidéoclip) afin de donner la voix aux Steve Harvey, D.L Hughley, Cédric the Entertainer, Bernie Mac où seuls les codes barre et le tintamarre des siens. Il touche aujourd'hui au spectacle - Dist. : Paramount. tiroirs-caisses évoquent un semblant de vie. filmé, avec The Original Kings of Malgré tout, ce lieu devient le cataly­ Comedy, un compte-rendu de la tournée RIEN A FAIRE seur d'une situation romantique des plus d'un collectif constitué de quatre incontrôlables. C'est là où les deux protag­ humoristes noirs plutôt méconnus ici, Une chose est certaine : après Personne ne onistes se rencontrent et amorcent une mais qui se sont individuellement forgé m'aime (1994) et Love, etc. (1996), liaison adultère, sans pouvoir pourtant se une place de choix ces dernières années au Marion Vernoux signe ici un film poli­ résoudre à quitter leurs conjoints respec­ petit écran américain. Mais depuis Eddie tique. Car dans Rien à faire, l'originalité tifs. Mais ce qui frappe davantage dans ce Murphy Raw, la question demeure du propos réside dans la façon dont la rela­ film, ce sont les contraintes qu'il impose à entière : ce type de spectacle est-il réelle­ tion adultère est présentée. Il ne s'agit pas ses personnages : Marie-Do et Pierre ne ment destiné au grand écran ? tout simplement de la rencontre et des sont pas deux êtres réunis par le hasard et Tourné avec des moyens purement rapports entre deux êtres, mais surtout et se donnant aveuglement à l'amour, mais télévisuels et suivant intégralement l'évo­ avant tout d'un discours sur le monde. avant tout un ancien cadre tout à fait cons­ lution du spectacle, The Original Kings of Vernoux semble dire que le chômage est cient de son désœuvrement qu'il espère Comedy témoigne du jeu vivant des qua­ une situation sociale susceptible de faciliter passager et une caissière de supermarché tre humoristes, qui se relaient devant un les intrigues amoureuses. Marie-Do est qui, dans l'amour, souhaite combler le vide auditoire — majoritairement afro-améri­ une femme de ménage mariée à un mili­ causé par la perte d'un emploi. S'ils se par­ cain — conquis d'avance. Si la subtilité est tant syndicaliste. Pierre est un cadre qui a lent, c'est avant tout parce qu'ils partagent évacuée à grands coups de jurons, les mises épousé une femme plus instruite que lui. temporairement les mêmes conditions en situation, simplistes, dénotent un Ils travaillaient tous les deux au même d'existence. Lorsque le véritable amour manque d'originalité criant, et s'installe, leur relation commence à chavir­ Rien à faire er. se présentent finalement tel un sous-produit des meilleurs L'utilisation du format cinémascope spectacles d'Eddie Murphy, de et des gros plans donne sans doute au titre Chris Rock et de Martin du film sa véritable signification : malgré Lawrence. Au menu ? son espace infini et ses énormes possibil­ Moments quotidiens relevés à ités, la société gère de plus en plus l'exis­ la loupe, comparaisons entre tence des individus, les forçant à se fabri­ Noirs et Blancs, mots grossiers, quer des univers utopiques afin qu'ils puis­ puis... gros mots. Attention : sent s'en sortir. Dans le rôle des deux décodeur requis. Le langage amants chômeurs, Valeria Bruni Tedeschi employé ici est vif, souvent peu et Patrick Dell'Isola arrivent à nous conva­ articulé, et nécessite une con­ incre de la véracité de leur relation. Un film naissance préalable de l'améri­ qui, malgré sa froideur glaciale et son cain urbain, sans quoi, vous détachement, produit, aussi paradoxal que vous exposez à de longs cela puisse paraître, une vibrante émotion. moments de rate comprimée. Élie Castiel Et Spike Lee, dans tout ça ?

Hormis son admiration pour France 1999,105 minutes - Réal. : Marion Vernoux - Scén. : le quatuor, on se demande Marion Vernoux, Santiago Amigorena - Int. : Valeria Bruni- Tedeschi, Patrick Dell'Isola, Sergi Lopez, Florence Thomassin, encore quel rôle il a joué dans Chloë Mons, Alexandre Carrière - Dist. : Alliance Atlantis la concrétisation de The Vivafilm.

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TRAITRE OU PATRIOTE s'essayait pour la première fois à un film à gros budget), souhaitait pousser le genre La découverte, chez un antiquaire, d'un plus loin. Grâce à une écriture et à une portrait de son grand-oncle Adélard construction scénaristiques complexes, Godbout, premier ministre du Québec de ainsi qu'à des thèmes touffus, le cinéaste 1939 à 1944, amène le cinéaste Jacques nous offre une intrigue plus dense, des Godbout à s'interroger sur la place de cet super-héros plus ambigus (le personnage homme politique dans l'évolution du de Wolverine, particulièrement, qui nage Québec. Le cinéaste se concentre sur les dans les zones d'ombres) et un enrobage aspects liés à la guerre et évacue un peu visuel plus organiquement lié à son propos trop rapidement la question de la réforme que ce que nous offrent habituellement les du Code du travail et la création d'Hydro- gros canons du genre. Québec. La construction du film se fait à Adaptée de la plus populaire série de l'image de l'aménagement de son apparte­ l'histoire des comics américains, la ment-bureau. Son ironie provocatrice prémisse d'X-Men est, comme il se doit transparaît le plus évidemment dans la dans cet univers hyper­ séquence où, vêtu d'un tablier aux motifs bolique, à la fois plutôt tirée et couleurs de Y Union Jack, Jacques par les cheveux (l'entrée de Godbout se fait cuire des œufs au bacon. l'humanité dans une nou­ Si certaines vérités sur la participation velle phase de son évolution des Canadiens-français à la Seconde et l'apparition de mutants Guerre mondiale sont bien rappelées, le dotés de pouvoirs surhu­ cinéaste oublie de noter le fait que la mains) et porteuse de valeurs Canadian Legion, qui défendait les intérêts humaines fondamentales qui des anciens combattants, était plutôt anti- ne peuvent laisser personne French Canadian, ce qui en a empêché indifférent (la tolérance, la plusieurs de participer à la commémora­ compassion, les droits de tion du 11 novembre au Canada. La plu­ l'homme — et des mutants). part des témoins privilégiés font partie de À observer les tensions la mouvance politique libérale, ce qui co­ raciales qui secouent la lore au moins de rose le ton général de planète aujourd'hui, mais l'ensemble. Jacques Godbout aura quand aussi les derniers avance­ même réussi son pari de redorer la ments de la science en mémoire de son grand-oncle Adélard, ce matière de génétique, voilà X-Men qui, comme aurait pu le dire son ami Josh des questions, nous en con­ qui apportent de la crédibilité et une cer­ Freed, est un labour of love. viendrons, plus actuelles que jamais. taine subtilité à l'ensemble) et escamote Luc Chaput Manipulant avec habileté la dimension certains détails juteux au profit d'un por­ mythique qui régit l'univers éclaté des trait plus global des enjeux du récit afin Canada [Québec] 2000, 83 minutes - Réal. : Jacques comics, Singer n'appuie jamais trop la dose, Godbout - Scén. : Jacques Godbout - Avec : Jacques d'établir solidement les bases de cet Godbout, Josh Freed, Gérard Filion, Jean-Louis Gagnon, trouvant le parfait équilibre entre carton- univers. Forcément, le résultat souffre de Madeleine Parent - Dist. : Office national du film du Canada. pâte spectaculaire et tension dramatique. ces compromis. Mais, si X-Men laisse un Ce faisant, il transpose le tout avec une peu sur sa faim — et si le Batman de Tim X-MEN justesse exemplaire et un humour sarcas- Burton demeure la référence du genre —, tique décalé qui dessert merveilleusement Bryan Singer réussit tout de même l'ex­ Curieux et étonnant, X-Men fait figure son propos. ploit de nous offrir un film-phénomène à d'exception au sein de l'insipide produc­ Un bémol toutefois, Singer préfère ne dimension humaine. À quand la suite ? «• tion estivale dont nous assomment pas trop s'étendre sur la psychologie des Claire Valade généralement les grands studios améri­ personnages (sauf en ce qui a trait à cains. En effet, X-Men, blockbuster à part Wolverine, mentionné plus haut, ainsi Etats-Unis 2000,105 minutes - Réal. : Bryan Singer - Scén. : entière, est toutefois d'une réjouissante qu'aux deux mutants rivaux, le professeur David Hayter, d'après la série de comics - Int. : Hugh Jackman, sobriété et fait montre d'un souffle drama­ Xavier et Magneto, interprétés par Patrick Patrick Stewart, lan McKellen, Famke Janssen, James Marsden, tique surprenant. Bryan Singer, le réalisa­ Halle Berry, Anna Paquin, Tyler Mane, Ray Park, Rebecca Stewart et lan McKellen, deux acteurs Romijn-Stamos, Bobby Drake, Bruce Davison - Dist. : teur indépendant de Usual Suspects (qui exceptionnels au sommet de leur forme, Twentieth Century Fox.

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