Physiologie de la Grisette1 by Louis Huart

Chapitre II : Où l’auteur aborde franchement son sujet.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les grisettes ont été appréciées, courtisées et physiologiées.2 Il y a deux cents ans qu’un de nos plus grands poètes leur a consacré les vers suivants, qui, pour être de l’époque de Louis XIV, ne sont pas déjà trop rococos:

Une est un trésor,

Et, sans se donner de la peine,

Et sans qu’au bal on la promène,

On en vient aisément à bout ;

On lui dit ce qu’on veut, bien souvent rien du tout :

La peine est d’en trouver une qui soit fidèle3.

La grisette de notre époque a bien quelque ressemblance avec celle du bon La Fontaine.

C’est toujours un trésor, si vous voulez ; mais il faut la faire danser beaucoup et souvent : autrement, pas d’affaires, vous n’en viendrez jamais à bout. On lui dit toujours ce qu’on veut; elle y croit toujours. Quant à la fidélité, elle en a tout autant que certaines grandes dames, ne vous en déplaise.

Il en est de la grisette comme d’une foule d’excellentes choses qui s’en vont ; et pour peu que nous allions quelque temps encore, nous n’aurons bientôt plus rien de bon. La grisette, la véritable et non contrefaite, est une jeune fille de seize à trente ans qui travaille, coud ou brode

1 For an explanation of the term “grisette,” see introduction to Paul de Kock’s “Un Bal des grisettes” in this volume. 2 Huart creates a neologism here - “physiologized.” For more on the phenomenon of the physiologies see Introduction. 3 This citation is a slightly modified excerpt from Jean de La Fontaine’s 1665 work Joconde in which he writes: “Une grisette est un trésor ;/Car, sans se donner de la peine,/ Et sans qu’aux bals on la promène,/On en vient aisément à bout;/On lui dit ce qu’on veut, bien souvent rien du tout,/ Le point est d’en trouver une qui soit fidèle. “ toute la semaine, et s’amuse le dimanche. A trente ans, jusqu’à la vieillesse la plus reculée, elle perd sa spécialité : ce sera une couturière, une culottière, une fleuriste, une modiste, une brunisseuse, une chamarreuse, une ouvrière en chambre ou à la journée ; elle entrera dans la catégorie du commun des martyrs.4

Bonne, gentille, amusante et dévouée, la grisette est un singulier mélange des qualités les plus opposées ; elle a des défauts sans doute. L’homme n’est pas né parfait, disait un gendarme;5 la grisette non plus n’est pas née parfaite, mais chez elle les bonnes qualités l’emportent sur tout le reste.

Le sort de la femme sur la terre n’est pas toujours des plus heureux ; et bien qu’en ait dit nous ne savons plus quel monsieur, que Paris était l’enfer des chevaux et le paradis des femmes,6 il n’est pas bien certain que la grisette ait jamais rencontré dans la capitale toutes les joies du paradis. Elle peut quelquefois avoir de bons moments, mais aussi que de tristes quarts d’heure ! s’il nous est permis de nous exprimer ainsi.

De bonne heure livrée à elle-même, la pauvre enfant, en sortant d’apprentissage, se met dans son à part*7: un lit de sangle, un matelas, une chaise, un verre et un pot à eau, composent son ameublement; c’est tout au plus si la chambre est assez vaste pour contenir tous ces objets.

Elle domine les toits des environs, et vous pouvez facilement reconnaître, aux capucines qui l’inondent, la fenêtre de son modeste appartement.

La grande dame professe pour la grisette un souverain mépris; elle ne peut lui pardonner son joli pied, sa taille fine et élégante, et son gentil minois. Ce qui contribue encore à

4A culottière is a maker of undergarments; a brunisseuse is a burnisher; a chamarreuse is an embroiderer; an ouvrière en chambre or à la journée is a chambermaid or a day laborer. 5 The author playfully attributes this quote to a policeman to lend seriousness to his words. 6 This is an incomplete quote of a French proverb: “Paris est l’enfer des chevaux, le purgatoire des hommes, et le paradis des femmes.” 7* Son appartement, français de grisette, de rapin et d’étudiant (this footnote defining the slang term used by students and grisettes alike appears in the original edition). augmenter sa mauvaise humeur, c’est la profonde ignorance où est la grisette de la jalousie qu’elle excite.

Insouciante et désintéressé, la bonne fille n’a jamais pensé à l’avenir ; elle restera ce qu’elle est. Adolphe8 sera toujours auprès d’elle et ne l’abandonnera jamais. – Quelques mois encore, et son chéri rencontrera une princesse qui certes ne la vaudra pas, et qui vengera bien la pauvre petite des rigueurs et de l’abandon du cruel ; – mais n’anticipons pas sur les événements !

Chapitre V : Des passions de la grisette

Rien n’est parfait sur la terre, et, si vous y regardez de bien près, vous trouverez que le printemps n’est pas toujours la saison des roses, que le nez d’Odry est un peu trop relevé,9 et que le bouillon philanthropique et gélatineux ne nourrit que très médiocrement si l’on n’a la précaution d’y joindre un large rosbif aux pommes de terre ; -- ainsi pourquoi voudriez-vous que la grisette ici-bas fût seule exempte de quelques petits défauts !

Elle a donc aussi ses passions, -- mais passions assez innocentes du reste, et la plupart du temps faciles à satisfaire.

8 Adolphe is a stereotypical name for an unfaithful young lover, taken from the hero of the 1816 novel Adolphe by Benjamin Constant. 9 Jacques Charles Odry (1781-1853) was a comedic actor, playwright, and poet. He played many different roles, but was known for exaggerated body parts, in particular his nose. Author and critic Théophile Gautier wrote in 1837 that “Odry a le nez taillé en bouchon de carafe” (Odry has a nose shaped like a carafe’s stopper), after which Odry’s nose became somewhat of a legend. Odry was also a name used frequently in French puns in the nineteenth century, for example: “Voyant un homme qui avait le nez très-gros, Odry disait : — En faisant cet homme-là la nature a fait un nez fort” (“After seeing a man with a big nose Odry said, when she made that man, Nature made a real effort” – a play on words because “un nez fort” sounds like “effort” in French). See Olivier Bara, “Dérive, déliaison, délire: du scenario vaudevillesque au calembour ‘à l’Odry.’” Le rire moderne (Presses universitaires de Paris Ouest, 2013): 377-392. Quand un phrénologiste vient à palper une grisette, – la tête, bien entendu, – la première bosse qu’il rencontre est invariablement la bosse des marrons, babas, galettes, vin chaud, bischoff10 et autres rafraîchissements analogues.11

Les personnes qui se prétendent bien renseignées nous affirment que c’est l’amour qui a perdu Troie; – c’est possible, – mais à coup sûr ce sont les marrons de Lyon12 qui perdent une foule de grisettes parisiennes.

Dans le grand monde, un amoureux galant ne commence jamais à faire la cour à une dame sans lui apporter des bouquets formés des fleurs les plus rares ; – chez les grisettes, un jeune homme ne peut mieux débuter que par des fruits. – La grisette goûte infiniment mieux trois oranges et un demi-cent de marrons que le plus magnifique camélia.

Notez que la différence de prix est tout entière en faveur de l’amoureux: –dix-huit sous au lieu de vingt francs, c’est à considérer, – même quand on est étudiant en droit.

L’amoureux qui, lors de son admission dans un magasin ou dans une réunion de grisettes, signale son entrée par une distribution générale d’oranges et de marrons, est proclamé immédiatement par toute la société: un jeune homme bien comme il faut; – et la grisette à qui s’adressent ses hommages se dit aussi qu’elle ne peut manquer d’être fort heureuse avec un monsieur qui a un aussi charmant caractère.

La grisette a fait depuis son bas âge une étude si approfondie du marron, qu’elle reconnaît immédiatement la ville, ou plutôt la campagne qui lui a donné le jour, et ce n’est pas à elle que le

10 Mulled wine. 11 Phrenology is a pseudo-scientific discipline focused on measurements of the human skull that was popular in the early nineteenth century. According to phrenology, certain brain areas have specific functions. The joke here is that the phrenologist quickly locates the part of the grisette’s head that indicates her passion for treats. 12 Chestnut, not necessarily from Lyon, but called “de Lyon” because they were often shipped from Lyon after being harvested from nearby regions. marchand, même le plus diplomate, parviendrait à faire prendre de la châtaigne pour du Lyon premier choix.

Aussi pendant l’hiver, pour peu que vous soyez pris d’une fringale subite fouillez dans les poches d’une grisette, et vous aurez bien du malheur si vous ne tombez pas sur une trentaine de marrons plus ou moins brûlantes ; – escortés – d’une moitié de gâteau de Nanterre,13 – d’un fragment de sucre d’orge,14 – d’un étui, – de quelques noisettes, de trois pralines, d’un dé à coudre et d’une patte d’écrevisse; car cette poche lui sert à la fois de garde-manger et de sac à ouvrage.

Pendant l’été, la grisette, privée du marron et de la châtaigne, se rejette sur le baba15 quand on lui en offre, ou sur la galette quand elle n’a pas de chevalier galant.

Depuis le boulevard Montmartre jusqu’au boulevard du Temple, on compte huit ou dix marchands de galette célèbres ; et quand une grisette fait ce chemin dans toute sa longueur, elle se croit obligée de faire une petite station à chacun de ces établissements, – surtout si elle se trouve avec une amie ; car alors elles se font à tour de rôle une politesse de galette, moyennant deux sous, – ce qui met la part de chacune à cinq centimes. En mangeant cette pâte excessivement ferme, elles se livrent à des réflexions de haute gastronomie sur le mérite de la galette du Gymnase16 et de la galette de la Porte-Saint-Denis;17 – c’est un véritable cours de galettes comparées.

13 Brioche made with currants and raisins. 14 The nineteenth-century equivalent of a candy cane, the “sucre d’orge” were clear or yellowish candy sticks. 15 A pastry that, according to an 1835 dictionary, was made with raisins. That same year, however, in 1835, Parisian pastry chef Nicolas Stohrer became well known for using rum in this dessert, which is now called a baba au rhum. 16 The Galette du Gymnase, located near the Théâtre du Gymnase in what is now the 10th arrondissement, was one of the most famous locations to purchase galettes of the period. 17 Another galette stand also located in the 10th arrondissement that would have been close in location to the Galette du Gymnase.

Et si le Gymnase a des partisans nombreux, la Porte-Saint-Denis a aussi des fanatiques bien ferventes. – Mais sur ce point la plupart des grisettes sont d’une philosophie éclectique ; c’est-à-dire qu’elles consomment avec le même appétit la marchandise des deux célèbres rivaux.

Du reste, pour prouver l’immense quantité de galette absorbée annuellement par les grisettes parisiennes, il suffira de dire que ces marchands font fortune, véritablement fortune, en quatre ou cinq ans, et leurs fonds se vendent un prix fou. Le seul père Coupe-Toujours,18 de la Porte-Saint-Denis, débite chaque jour environ cent cinquante mètres de galette : – près de vingt-deux mille mètres par an!

Sur lesquels vingt mille mètres au moins sont absorbés et digérés par les grisettes, qui cachent sous leur petit corset un estomac d’autruche : –les pompiers n’en mangent pas, ils ne peuvent pas la digérer.

Une autre passion, mais beaucoup moins indigeste, et que l’on rencontre aussi chez toutes les grisettes, – c’est la passion de la giroflée.19

Il n’est peut-être pas une fleuriste ou une modiste, une lingère ou une couturière, qui n’ait entrepris de se livrer à l’horticulture en établissant sur la fenêtre de sa mansarde des jardins de

Babylone20 contenus dans une caisse de huit pouces de long et de trois pouces de large.

Et la fleur choisie par la grisette pour embellir sa vie et sa fenêtre est immanquablement une giroflée, – et ladite giroflée est arrosée soir et matin d’un pot d’eau complet. – Or, comme d’après M. de Buffon21 la giroflée n’est pas assez altérée pour absorber deux pintes d’eau par jour, il s’ensuit que les trois quarts du liquide vont arroser la tête du voisin qui se trouve à la fenêtre de l’étage inférieur.

18A common name to describe the individual working at the galette stand who sold, cut, and distributed the galette before collecting the money owed by customers. 19 A genre of flowering plant known for its pleasant odor called gillyflower in English. Some examples include carnations, wallflowers, and stock. 20 The Hanging Gardens of Babylon, one of the seven wonders of the ancient world. These were famed tiered gardens, and the author humorously likens them to the grisettes’ attempts to grow plants from her small attic room window. 21 Georges-Louis Leclerc, Comte de Buffon (1707-1788) was a famous French naturalist and author of Histoire Naturelle who also served as the director of the Jardin des Plantes. Aussi cet arrosage quotidien est-il la cause de bien des récriminations, – même quand il porte sur la tête un gazon22 qui ne pourrait cependant que gagner à ce régime aquatique, – toujours si l’on en croit M. de Buffon.

Enfin la troisième passion de la grisette consiste dans une affection très grande pour les moustaches brunes ou blondes… Mais arrêtons-nous!... cela pourrait nous mener trop loin, – car ceci n’est plus du domaine de l’agriculture!

Chapitre VII : Opinions littéraires et politiques de la grisette

La grisette, qui fait consister le vrai, le seul bonheur dans la liberté, ne pouvait manquer d’apporter l’indépendance la plus grande, la plus absolue dans son style et dans son orthographe.

Grâce aux lumières qui ont pénétré dans toutes les classes de la société, toute grisette sait

écrire, au moins en demi-gros; mais cette folâtre jeune fille secoue généralement avec trop de fierté le joug honteux de l’orthographe universitaire, et se plaît à improviser un assemblage de lettres qui cause la plus grande satisfaction à M. Marle,23 raiformateur ortaugrafic,24 et de M.

Trubert, directeur du Vaudeville, donnant des billets d’orquestre.25

La grisette ne parvient à se fourrer ni dans la tête ni dans les doigts l’orthographe des mots même les plus usuels pour elle : – au lieu de rendez-vous, jamais elle ne manquera d’écrire

22 Gazon literally means lawn or turf, but can also be used humorously to refer to a wig or toupee or to the few hairs that remain on the head of a balding person. Here the author refers to the hair of the neighbor who lives below the grisettes and receives, on a daily basis, the excess water that drips down from her window box planter. 23 Author of the 1826 Journal grammatical et didactique de la langue française, rédigé par M. Marle, membre de l’Athénée, de la Société grammaticale, etc., etc., et par plusieurs autres grammariens and the 1829 Réforme de l’orthographe actuelle de la langue française, Marle proposed a radical reformation of French spelling in which words would be written as they were pronounced. 24 Here the author spells out the words -- meaning spelling reformer -- phonetically, but incorrectly to imitate both the proposed new French spelling by Marle, and also the shoddy spelling skills of the grisette. One well-known literary example of a grisette with poor spelling is Ida in Balzac’s Ferragus. 25 Trubert was the director of the popular Théâtre du Vaudeville during the July Monarchy. He was rumored to have grossly misspelled “orchestre” as orquestre and “places” as “plasses.” See La vie parisienne à travers le xixe siècle. Paris de 1800 à 1900 d'après les estampes et les mémoires du temps publié, edited by Charles Simond (Plon, 1901). randaivou, à moins qu’elle ne soit prétentieuse, car alors elle fait du style et partage le mot en trois : rang-dez-vou. Spectacle se transforme invariablement en spéquetaqle, et amour ne marche jamais sans un H aspiré.

Après tout, cela tient peut-être à ce que la grisette taille toujours sa plume avec ces ciseaux.

Il est surtout un mot qui ferait le désespoir de la grisette si la grisette se désespérait de quelque chose: – c’est le mot polytechnique !

Toutes les fois qu’une grisette, fût-ce même une modiste de la rue Vivienne,26 se trouve en relation de commerce ou d’amitié avec un des élèves de l’établissement militaire de la montagne Sainte-Geneviève27, elle attrape une migraine véritable pour s’ingénier à mettre l'adresse sur le poulet destiné à l’élève en question. – Elle a beau assembler une foule compacte d’S, d’H et d’Y, jamais de la vie cela ne peut parvenir à produire le polytechnique désiré. – Ce jeu enfonce le casse-tête chinois28 lui-même.

Aussi un grand nombre de grisettes ont-elles dû la réputation de vertu dont elles jouissent dans le quartier Sainte-Geneviève au silence forcé qu’elles se voient obligées de garder vis-à-vis des amoureux qui ne se déclarent que par la voie de la petite poste, et qui implorent une réponse par le même canal gouvernemental.

Heureusement qu’il existe encore quelques vieux débris de l’ancienne et utile corporation des écrivains publics,29 Providence des cuisinières qui aiment à tenir leurs livres en parties parfaitement doubles, et des jeunes couturières auxquelles le ciel a départi un cœur sensible, et

26 Street in what is now the 2nd arrondissement near the Palais-Royal. 27 The Ecole Polytechnique, located in what is now the fifth arrondissement in the Latin Quarter, where it was relocated by Napoleon in 1804. The joke here is that polytechnique is far too difficult a word for the grisette to spell as she tries to send correspondence to her male acquaintances at the school. 28 A brain-teaser 29 Someone who writes letters or other documents for those who are unable to as a profession. qui par conséquent ne peut pas voir longtemps souffrir un beau jeune homme, blond ou brun, – quelquefois même deux jeunes hommes, l’un blond et l’autre brun, ce qui fait qu’alors la grisette,

à l’instar de la cuisinière, tient aussi sa correspondance en partie double.

Du moins l’écrivain public ne commet pas d’étourderies par trop fortes dans son orthographe, – il a toujours un style analogue à la circonstance, – et même, quand il le faut, il se charge de répondre en vers, – moyennant cinq sous de plus.

Plus il signe le tout Virginie ou Joséphine, en magnifique bâtarde,30 – avec paraphe,31 pataraphe32 et poudre d’or, – à moins que ce ne soit du tabac.

L’écrivain public a le double avantage de ménager l’amour-propre et de préparer une porte de salut en cas de saisie de correspondance: – on peut toujours nier l’écriture et le tabac d’un secrétaire salarié, et protester de son innocence en feignant de s’arracher quelques cheveux,

– puisqu’il est admis dans la société que des cheveux arrachés sont des preuves d’innocence.

Voilà pour l’écriture de la grisette. – Quant à sa lecture, grâce à l’étude approfondie qu’elle a faite des meilleurs auteurs dès sa plus tendre enfance, elle peut se flatter de lire très- couramment – dans les livres imprimés, bien entendu.

Aussi la grisette est-elle généralement d’une certaine force sur tous les auteurs contemporains ; et quand on lui demande qui elle préfère de ou de Lamartine, – elle n’hésite pas à répondre : – Paul de Kock!33

30 A style of slanted writing, script. 31 Signed initials. 32 Scrawl or scribble 33 Paul de Kock (1793-1871) was a prolific author of novels, short stories, physiologies, and vaudevilles. His name became a symbol of popular literature of dubious quality (“industrial literature”: a term dubbed in 1839 by critic Sainte-Beuve) and was often received negatively by literary critics. Though in actuality many readers - from the petite bourgeoisie to the upper-classes - read de Kock’s work, he was often referred to as the author most favored by grisettes, and the figure of the grisette is featured prominently throughout his oeuvre. For more on Paul de Kock, see Introduction. L’auteur de Mon voisin Raymond34 est, aux yeux de la grisette, le plus grand romancier des temps modernes ; il éclipse Eugène Sue,35 George Sand, Frédéric Soulié et Balzac lui-même,

– car la grisette ne comprend la littérature que sous son point de vue amusant, et rien ne l’amuse plus que les amourettes et les gaudrioles.36 – Les romans vertueux à la Ducray-Duminil37 n’ont le moindre succès auprès d’elle ; – elle vous fait remarquer, dans ces ouvrages, qu’on trouve une vertu par trop invraisemblable.

Elle vous dit ça avec beaucoup de sang-froid, tout en laçant ses brodequins.

Aussi l’apparition d’un ouvrage de Paul de Kock produit-il toujours le plus grand effet dans tous les magasins de Paris ; et un jeune homme galant n’a rien de mieux à faire que de procurer immédiatement à la grisette qu’il courtise le roman nouveau de Paul de Kock. – Elle s’empressera de le dévorer dans une seule nuit, – le roman.

La grisette néglige beaucoup plus les beaux-arts que la littérature; elle ne connaît que très-vaguement les noms de Paul Delaroche, de Pradier ou de David.38 Mais elle s’arrête

34 Published in 1842, Mon Voisin Raymond is one of Paul de Kock’s most well-known novels. 35 Eugène Sue (1804-1857) was best known for his serial novel Les Mystères de Paris (1842-43). At the time of the Physiologie de la Grisette’s publication, Sue had not yet published Les Mystères, but his roman de moeurs, Mathilde (1840-1841), was being serialized in the newspaper La Presse and was extremely popular. George Sand (Amandine Aurore Lucile Dupin (1804-1876)) was a prolific writer of novels, short stories, plays, and autobiographical works, including Indiana (1832), Consuelo (1843), and La Petite Fadette (1849). Frédéric Soulié (1800-1847) was a popular novelist, journalist, and playwright during the July Monarchy. He also contributed to the physiologie phenomenon with his 1841 Physiologie du bas-bleu. Honoré de Balzac (1799-1850) was a writer best known for his masterpiece La Comédie humaine. When Huart’s physiologie was published in 1841, Balzac was already the celebrated author of many novels including La Peau de chagrin (1831), Le Père Goriot (1835), Le Colonel Chabert (1835). His 1829 publication Physiologie du mariage was thought by some to be the inspiration for the later physiologie series. 36 Bawdy jokes. The author is indicating here that the grisette prefers the stories of casual romantic encounters and the lightly titillating content of Paul de Kock’s works to that of the other authors listed here. Though this was indeed de Kock’s reputation, his work also largely upheld contemporary bourgeois values and ended with a moral lesson. 37 François Guillaume Ducray-Duminil (1761-1819) was a French writer for children and young adults. He was especially known for the virtuousness and innocence promoted in his works, to which the author refers here. 38 Hippolyte de la Roche or Paul Delaroche (1797-1856) was a French painter was famous for his “juste milieu” paintings, a style from the July Monarchy seen as reconciling classicism and romanticism. James or Jean-Jacques Pradier (1790-1852) was a Swiss-born sculptor and painter who worked in . Jacques-Louis David (1748-1825) was a French Neoclassical painter, known both for his paintings before the French Revolution, his works documenting the French Revolution, and his portraits of Napoleon. volontiers devant les statuettes de Dantan;39 – ça lui donne même assez souvent l’occasion de se retourner vivement vers quelque autre admirateur du spirituel caricaturiste, en lui adressant l’épithète de – polisson!

Je ne sais pas ce qu’on a pu lui dire ou lui faire, mais le fait est qu’elle répond : – polisson !

Que diable a-t-on pu lui faire ? Après ça, nous sommes bien bons de nous en occuper si longtemps; – ça ne nous regarde pas.

La grisette qui a quelques relations avec des artistes est facile à reconnaître : elle sème sa conversation de termes d’atelier, surtout à l’époque de l’exposition de peinture, et est infiniment flattée quand elle peut voir son portrait dans la grande galerie, à côté d’un capitaine de la garde nationale en tenue de parade.

Bon nombre de grandes dames sont grisettes sur ce point. Heureusement que la grisette peut maintenant se procurer la satisfaction d’un portrait au daguerréotype.40

Mais ce qui la flatterait encore bien plus, ce serait d’avoir sa statuette ! – aussi est-il peu de sculpteurs qui ne soient assaillis de demandes de ce genre ; – ils se débarrassent des solliciteuses en leur assurant qu’on ne fait d’abord les statuettes que dans le costume des statues des Tuileries, et qu’on ne les habille qu’à la dix-huitième séance.

La solliciteuse rougit, et la proposition n’a pas de suite, car on trouve quelquefois de la vertu, même chez les modistes.

Quant à la politique, la grisette s’en occupe généralement fort peu. – Quand dans sa semaine on est obligée de confectionner deux chapeaux, de tailler trois robes, de chiffonner cinq

39Jean-Pierre Dantan (Dantan le Jeune) (1800-1869) was a French sculptor known for his caricatural renderings of contemporary politicians, artists and writers. He is said to have inspired Daumier. 40 An image made using an early photographic process, in which a picture is recorded on a silvered copper plate. It was introduced by Louis-Jacques-Mandé Daguerre in 1839, and it remained the most successful commercial photographic process until 1860. bonnets ou de faire 885,736 points arrière,41 on n’a plus guère le loisir de s’occuper de Méhémet-

Ali42 ou de la reine d’Espagne, ou de tout autre monarque ayant le droit et l’agrément de faire placer son buste en plâtre sur la cheminée de tous les fonctionnaires de son royaume.

Aussi la grisette a-t-elle besoin d’être en possession d’un républicain bien ardent pour avoir les moindres notions sur les droits de l’homme: – et de toutes les manifestations politiques, il n’en est qu’une seule qu’elle affectionne assez: – je veux parler des toasts portés en faveur d’une foule de libertés avec du cidre ou du bischoff! – Avec du bischoff surtout on lui ferait, dans la même soirée, boire successivement à la santé de Louis-Philippe, du duc de Bordeaux, de la république, du sultan et du pacha d’Égypte !

Chapitre XV : Métempsycose finale de la grisette.

M. de Balzac prétend, ou du moins prétendait, il y a quelques années, que le bel âge des femmes, c’est trente ans.43

Ce principe peut être vrai en général, mais à coup sûr il est complètement faux si on l’applique à la grisette ; car à vingt-neuf ans la grisette est quelque chose de fort triste, et à trente ans la grisette n’existe plus.

Non pas que nous voulions dire par ces lugubres paroles, qu’arrivée à cette époque critique, la grisette devienne tributaire de l’entreprise des pompes funèbres, – non pas, vraiment, il s’en faut même beaucoup, car jamais elle n’a été plus grasse et plus dodue ; – mais elle n’est

41 A term --mattress stitch in English -- that refers to a way of joining seams in knitting, making the seam almost invisible. 42 Muhammad Ali of Egypt (1769-1849). 43 A reference to Balzac’s novel La Femme de trente ans, written between 1829 and 1842. plus dodue et grasse en qualité de grisette ; c’est comme giletière, lingère ou mercière,44 ce qui n’est plus du tout la même chose. Comme nous l’avons déjà fait remarquer au commencement de ce volume, la jeune fille s’est évanouie et s’est transformée en une jeune femme plus ou moins fraîche, et ayant encore des dents plus ou moins blanches, mais qui à coup sûr n’est plus la rieuse grisette que vous aviez fait danser quelques années auparavant : – il y a transformation, transmutation, métempsycose; – elle a de l’ordre, de l’économie, quelquefois un mari et presque toujours des enfants, auxquels, – mariée ou non, – elle inculque des leçons de vertu comme si elle n’avait fait que cela toute sa vie.

Il y a même plus : sur vingt grisettes il en est tout au plus cinq qui arrivent jusqu’à l’âge de trente ans pour perdre ladite qualification ; – car de vingt à vingt-cinq ans deux ou trois passent Lorettes45 ; quatre ou cinq achètent des fonds de magasin avec diverses économies, et sept ou huit passent ferblantières, marchandes de vin en demi-gros ou épicières en fin, – avec un

époux béni par monsieur le maire !

Car autant la grisette de vingt-cinq ans a de laisser-aller quand on lui conte fleurette, autant elle se montre bégueule avec celui qui lui laisse entrevoir qu’il pourrait bien se décider à la fréquenter pour le bon motif.

Alors elle y met une diplomatie qui ferait honneur à une élève de M. de Talleyrand,46 et applique de grandissimes soufflets à l’audacieux qui se permet seulement de lui serrer témérairement le bout des doigts.

44 A giletière is maker of vests; a lingère is a worker who makes or sells linens; a mercière is a haberdasher. 45 Named after the Parisian neighborhood Notre-Dame-de-Lorette where many of them lived, the Lorettes were young women who straddled the line between the grisette and the kept woman. Like the grisette the Lorette figured frequently in popular culture and earned her own Physiologie de la Lorette (1841). 46Charles-Maurice de Talleyrand (1754-1838) was a French statesman who held high office under several successive regimes (French Revolution, Napoleon I, Restoration). He was known was his political shrewdness. Et l’amoureux, qui tout naturellement n’y voit que du feu, offre immédiatement et légitimement son cœur, sa main et ses bouteilles : – le tout est accepté.

Une fois mariée, la grisette est généralement bonne femme, bonne mère et bonne marchande de vin (ou autre), et se laisse d’autant moins prendre aux belles paroles des galants qui viennent flâner autour de son comptoir, que sa jeunesse a été d’autant plus orageuse. – Il n’est rien de tel que l’expérience pour apprendre à connaître les hommes ! Quant à la grisette qui, par suite de manœuvres astucieuses, parvient à se faire épouser par un bon petit bourgeois qui a quelques bonnes petites mille livres de rentes, – ce qui se voit encore assez souvent, – elle perd bien promptement son heureux et primitif naturel de grisette, pour prendre le naturel beaucoup moins heureux de la bourgeoise.

C’est-à-dire qu’elle est horriblement chipitorière47 avec sa cuisinière et sa marchande de modes des airs de princesse.48– Il va sans dire qu’elle ne les appelle que ma petite ! ou plutôt même ma p’tite !

Elle garde toute son amabilité pour son mari, qu’elle nomme mon gros bichon ! – ce qui ne l’empêche pas de le menacer de lui arracher les yeux toutes les fois qu’il se permet de sourire

à sa bonne, ne fût-ce que pour demander de l’eau pour faire sa barbe. A trente-cinq ans, la grisette, devenue petite bourgeoise, a tellement satisfait son penchant pour la gourmandise, qu’elle tourne à l’obésité d’une manière déplorable, et, à quarante ans, son portrait gravé sur bois pourrait servir d’étiquette aux flacons qui renferment le précieux racahout des Arabes49.

47 “Chipotière” appears to be a Huart neologism related to “chipoter” and “chipotage” meaning “to nitpick.” 48Marchande de mode was a term that referred to high end seamstresses, hat/headpiece makers, dress embellishers, purveyors of fashionable items, and what can be described today as "stylists." Theses marchandes de mode competed with regular seamstresses for elite clientele. They had more freedom than seamstresses, who were constrained by the tailor's guild. 49A nutritional powder made of starches, sugar, and cacao. It was a highly advertised product during the early nineteenth century and was referred to in other physiologies and vaudevilles. The allusion here refers to the fact that the grisette, by the age of 40, has grown so corpulent that she could serve as an appropriate advertisement for this nutritional supplement. Quant à la grisette qui n’a la chance de devenir ni bourgeoise, ni femme mariée, ni boutiquière, ni Lorette, – elle devient immanquablement une vieille fille excessivement vertueuse et non moins méchante, qui, à cinquante ans, ne manque presque jamais de s’affilier à la Congrégation de la Sainte-Vierge Marie!50

Mais à quoi bon nous inquiéter ainsi de ce que devient la vieille grisette? – nous inquiétons-nous, au mois de mai, de ce que deviendront les boutons de rose qui charment nos yeux et qui nous embaument de leur parfum? – Chaque année une nouvelle génération de grisettes fraîches et rieuses vient remplacer la génération ancienne. Il en est en France de la grisette comme de la royauté : – elle ne s’éteint jamais!

A la fin du carnaval dernier, vous avez remarqué en soupirant que quelques-unes des joyeuses habituées de Musard commençaient à danser avec des pattes d’oie. – Allez à l’ouverture des bals de cette année, et vous trouverez deux cents nouveaux frétillants débardeurs tout frais

échappés des magasins d’Herbaut,51 de Palmyre,52 de Victorine, etc., etc.

Et, à l’instar des courtisans chargés de saluer l'avènement de chaque nouveau règne, vous crierez:

La grisette est morte, vive la grisette!

50 The Congregation was a lay order that enables non-nuns to do good works in the world. That would fit with the idea of prudishness. 51 A fashionable hat shop situated on the rue Neuve-Saint-Augustin 52 A celebrity dress maker.