La photo de la couverture représente, sur un chapiteau de l'église de Nuaillé, le combat du dragon Nuaâ contre le chevalier Listang. RENDES ET CONTES D' ET SAINTONGE DU MEME AUTEUR

Petite histoire de , 134 p., 1964.

Royan, son passé, ses environs, 134 p., 12 illustrations, 1965.

Saintonge mystérieuse, Aunis insolite, 288 p., 47 illustrations, 1976.

Comment vivaient nos ancêtres en Aunis et Saintonge, 248 p., 43 illustrations, 1977.

L'humour en Aunis et Saintonge (avec H. Lahetjuzan), 400 p., 150 illustrations, 1978.

A PARAITRE EN DÉCEMBRE 1979 :

Sorciers, sourciers et guérisseurs en Aunis et Saintonge. Suivi d'une Petite histoire de l'occultisme et d'une Bibliographie raisonnée de l'apprenti sorcier.

I.S.B.N. 2-86474-001 - Y- Robert/COLLE de /' Acadér/ie de Saintonge

LECENDES ET CONTES D'AUNIS ET SAINTONGE

30 illustrations de Jacques Daniel

Deuxième édition augmentée

Editions Rupella L*a Rochelle 1979 © Robert Colle et Editions Rupella, La Rochelle, 1979.

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, « que les copies ou reproductions stricte- ment réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utili- sation collective » et, d'autre part, que les analyses ou courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'au- teur ou de ses ayants-droit ou ayants-cause, est illicite » (alinéa 1er de l'article 40). Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. INTRODUCTION

A légende est un récit merveilleux, d'origine populaire, ce qui en fait son intérêt pour les études folkloriques. Les actes qu'elle rapporte sont évidemment faux, mais ils ont presque toujours un fond de vérité, cette vente ayant été déformée par le fait de la transmission d'abord, surtout s'il s'agit, comme c'est le cas ici, d'une transmission orale, et par l'imagination du conteur qui brode sur le thème pour le rendre plus attrayant ou plus impres- sionnant.

L'origine la plus ancienne des légendes est l'explica- tion animiste de l'univers. Le primitif a constamment peur (peur du feu, de l'orage, des cataclysmes naturels, des animaux sauvages et de ses semblables) et il cher- che des explications à tout, la chose expliquée devenant moins terrifiante. Par exemple, les Grecs n'avaient plus peur du tonnerre quand ils disaient qu'il s'agissait d'une simple scène de ménage entre Zeus et sa femme. La légende explique les grands thèmes qui ont angoissé les hommes depuis les origines : la création du monde, la naissance, la mort, etc. Elle tend aussi à expliquer, plus modestement, certains objets ou certains phénomènes comme les mégalithes (dolmens, menhirs, tumuli) dont on avait peine à penser qu'ils aient pu avoir une origine humaine. Certaines légendes remontent peut-être à la préhis- toire, ou à la protohistoire, certaines nous viennent des Celtes, d'autres de l'Inde. Comme la plupart des faits de civilisation, il est impossible d'en fixer l'origine car rien ne se propage plus vite et plus facilement qu'une histoire. Par exemple, le thème de la chasse du sei- gneur de Beaufou qui paraît poitevin, nous le trouvons cité comme auvergnat dans le « discours exécrable des sorciers » de Bodin en 1603. Le thème du pont du Dia- ble se retrouve dans le monde entier, et chaque fois avec des détails locaux qui ont été rajoutés par le conteur et qui peuvent nous tromper sur sa véritable origine qui est inconnue ; en fait, beaucoup de ces thè- mes folkloriques ont dû naître dans plusieurs régions à la fois. L'esprit humain n'est pas illimité dans ses créations et je pense que les phénomènes de conver- gence sont très fréquents : par exemple les pyramides des Egyptiens et celles des Aztèques qui n'ont point de commune origine, bien que certains aient voulu le croire. La légende s'est longtemps maintenue grâce aux longues veillées d'hiver où, presque sans lumière, sans aucun des moyens modernes de se distraire, il fallait bien passer le temps : à la lueur du feu ou du chareil, on demandait aux vieux d'égayer ces interminables soi- rées. La légende est morte avec les veillées. Il faut se hâter de la fixer avant que le dernier vieillard, posses- seur de la tradition, ait disparu. Le premier qui ait recueilli les légendes en Saintonge est Georges Musset, en 1885, son livre est malheureusement introuvable aujourd'hui. D'autres, comme Geneviève Massignon, ont relevé le flambeau, ainsi que de nombreux folkloristes de nos jours. Qu'ils soient ici remerciés. Ce que je désire, c'est apporter une modeste pierre à cet indispen- sable édifice. D'après le Littré, le conte est « un récit d'aventures merveilleuses destiné à amuser » et ce mot serait syno- nyme de roman court ou de nouvelle. D'après le Littré toujours, la légende est « un récit mythique et tradition- nel » et, d'après le Larousse, « l'éclosion même de l'inspi- ration inconsciente des masses ». Cela veut dire que la légende, issue de la tradition populaire, a une valeur folklorique, elle peut nous ren- seigner sur la mentalité primitive, sur l'existence aussi de faits très anciens qui n'existent plus que par leur souvenir déformé. Les légendes mythologiques sont de ce type. Le conte, au contraire, est l'œuvre d'un érudit, par- fois fort ancien d'ailleurs, mais qui n'a pas de base popu- laire ou qui s'en est considérablement éloigné. Par exem- ple, la « légende de Foncillon » a été purement et sim- plement inventée par Jônain. Les « contes de Grimm » ont un fondement populaire, mais très arrangé. Peut-on distinguer un conte d'une légende ? En prin- cipe, oui. La vraie légende est courte et de forme mala- droite, tandis que le conte est une œuvre littéraire éla- borée avec introduction, développement et chute. La légende est explicative et symbolique, le conte est un pur jeu de l'esprit. En fait, il est très difficile de les distinguer car cer- taines légendes, recueillies par un érudit, ont été trans- formées par lui en conte et qu'il s'est produit un échange constant entre les deux genres. Par exemple, « le Rema- rin et Valérie » est-il un conte ou une légende ? Il est même probable que, à l'inverse du processus normal, la légende ait pour origine un conte : le thème des villes englouties doit beaucoup à l'histoire de Sodome et de Gomorrhe. Le peuple a transposé, localisé et adopté un récit qui lui avait été fait par un clerc. Cette confusion entre contes et légendes a été encore augmentée par des écrivains comme Paul Dyvorne qui a inventé des légendes (celle de l'yeuse d'amour) ou qui a mélangé des faits historiques avec des inventions (Matata) et publié sous le nom de « Folklore sainton- geais » des récits qui n'ont rien à voir avec le folklore. C'est pourquoi j'ai jugé plus honnête de séparer les légendes, qui ont un intérêt pour le folklore (encore ne faut-il pas en exagérer l'importance car il y a souvent contamination avec les contes) des contes proprement dits qui sont destinés surtout à divertir. I

LÉGENDES

Légendes païennes

LES GEANTS ET GARGANTUA

C'est un des thèmes les plus populaires, et qui existe dans tous les pays. Ce mythe a été étudié en 1868 par Gaidoz, en 1883 par Sebillot, en 1948 par Donten- ville, etc. La croyance aux géants a plusieurs origines : 1) L'existence d'hommes particulièrement grands (l'empereur Maximin mesurait, dit-on, 2,50 m) ou de races plus grandes que les autres. 2) La découverte d'ossements d'animaux préhistori- ques que nos ancêtres attribuaient à des êtres gigantes- ques. C'est ce qui s'est passé au xvie siècle, lors de la trouvaille des prétendus restes d'un prétendu roi Téuto- bochus. Voir pour cela la « Dissertation sur les osse- ments du roi Teutobochus. roi des Cimbres » de Nicolas Habicot (1613). Le chirurgien Mazurier les montrait en public sous Louis XIII.

3) L'existence des monuments mégalithiques (menhirs et dolmens), l'érection de ces pierres énormes laissant supposer l'action d'une force peu commune. Chez nous, Gargantua semble avoir absorbé les autres géants. Son succès date de la publication des Œuvres de Rabelais (1532), qui fut moine à Maillezais. C'est peut-être là qu'il en entendit parler. Mais Gargantua exis- tait déjà dans nos légendes locales, et cela depuis la plus haute antiquité. On discute encore sur ses origines : son nom semble le rattacher aux grosses pierres (Car ou Gar). Gaigoz, de son côté, voit en lui le dieu gaulois de la lumière Garuda. Dans la mythologie chrétienne, il est curieusement rapproché de saint Martin, l'un et l'autre fréquentant les lieux de pierres et d'eau. Mais deux différences les opposent : Gargantua lance une pierre, saint Martin la marque de son pied ou du pied de sa monture. Gargantua boit l'eau, saint Martin crée une source. On a aussi assi- milé Gargantua à Roland, l'un et l'autre étant d'une force prodigieuse. En Saintonge, on signale à Sainte-Ramée, un « châ- teau de Gargantua » en face du village des Guillet. Il s'agit plus probablement d'une combe appelée « le ber- ceau de Gargantua ». A Saint-Fort-sur-Gironde, se dresse le terrier de Beaumont. D'après la tradition populaire, il serait dû à la femme de Gargantua qui aurait voulu construire un pont sur la Gironde, en transportant de la terre et des pierres dans son tablier, et les cordons de celui-ci se seraient rompus. Ce thème du tablier dénoué est très fréquent dans la mythologie populaire ; nous en verrons d'autres exemples (avec les fées et la Vierge). L'île d'Oleron possède quatre ou cinq mégalithes liés au nom du géant : sa galoche, près de Pinturbat (on dit aussi sa fourchette), sa cuillère entre Saint-Gilles et Chéray, son palet à Saint-Denis. La colline de Pinsonneau, qui domine les vallées du Lary et du Mouzon, serait due à la boue tombée de ses bottes. A Charras enfin, Gargantua aurait lancé à mille pas la pierre d'un dolmen et la chute du rocher aurait donné naissance à une fontaine. Rabelais raconte que la chaîne qui fermait le port de La Rochelle était une des quatre forgées sur l'ordre de Gargantua pour lier son fils Pantagruel. Il place à Taillebourg l'épisode des moutons de Panurge (qu'il semble d'ailleurs avoir emprunté à l'« Histoire maca- ronique de Merlin Cocaie »).

LE BASILIC OU COCATRIX

C'est la version saintongeaise de la Vouivre que l'on trouve dans toute la : une femme à queue de ser- pent et ailes de chauve-souris qui porte sur le front une escarboucle. Le basilic est un animal aussi mythique qu'horrifi- que, et pourtant Pline et Lucrèce en ont parlé et nos vieux conteurs étaient capables d'en décrire très exac- tement l'aspect, les mœurs et l'origine. Il arrivait parfois, disaient-ils, que, dans un poulail- ler, un vieux coq présentait des signes extraordinaires d'agitation, il « chantait la poule » et, au bout de quel- que temps, il pondait un œuf énorme. La nuit, un cra- paud venait le couver et il en sortait un basilic qui dévorait le coq. Ce basilic avait un corps de gros ser- pent, une crête comme son père et un seul œil au milieu du front, mais cet œil était un diamant que le monstre posait sur le sol quand il allait se baigner, devenant alors provisoirement aveugle. Parfois, il avait en outre des ailes de chauve-souris et pouvait par conséquent voler. Il habitait dans le creux d'un vieux mur, dans une grotte, dans un grenier, mais toujours à proximité d'une source. Il y en avait un par exemple à La Rouillasse, près de Soubise, où la source thermale était déjà exploitée du temps des Romains. Le regard du basilic était tellement dangereux qu'il vous tuait net, à moins que l'on ait la précaution de lui opposer un miroir : dans ce cas, la vouivre était paralysée et parfois en mourait. Le seul ennemi qu'il redoutât était la belette qui lui livrait combat comme la mangouste au naja. Parfois, le basilic s'installait au fond d'un puits et tous les puisatiers qui descendaient au fond pour le nettoyer mouraient foudroyés par le monstre (ou par les gaz toxiques qui s'accumulent parfois dans les puits). Le basilic de la Rouillasse était bien connu dans la région mais on en avait fort peur et on évitait d'avoir le moindre contact avec lui. Un jour pourtant, un jeune paysan qui avait besoin d'argent pour se marier décida de voler le diamant du cocatrix.

Il prit un grand cuvier qu'il hérissa de clous tout autour, puis se rendit au crépuscule près de la fontaine. A minuit, la lune étant pleine, le basilic apparut. Il posa son œil sur l'herbe et se plongea dans la source ther- male. Le jeune homme sortit alors de sa cachette et, Basilic ou Cocatrix. (Abbaye de La Sauve-Majeure)

La. fontaine de la Rouillasse à Soubise Mélusine (ou sirène) de La Rochelle.

L'anguille de Pons. profitant de ce que le serpent était aveugle, il ramassa le diamant et se glissa avec lui sous le cuvier. Le basilic, qui l'avait entendu et senti, sortit préci- pitamment de l'eau et se rua sur le cuvier, mais se piqua cruellement sur les pointes de fer. Fou de rage, il se jeta de nouveau sur la cuve, mais fut repoussé encore. Et cela dura toute la nuit. Finalement, épuisé et déchiré, le basilic mourut. Au matin, le jeune homme sortit de son abri mais il avait eu si peur que ses cheveux étaient devenus tout blancs pendant l'effroyable nuit. Quant au diamant, il avait perdu tout son éclat et n'était plus qu'un vulgaire morceau de quartz. On eut la sottise d'enterrer le cadavre du basilic près de l'établissement thermal. En effet, son action néfaste se continua après sa mort et, on eut beau faire, les bâtiments tombèrent en ruines et la source fut aban- donnée. Effectivement, les constructions qui entouraient la source sont toujours là, dans une prairie, totalement oubliées du public. Quand une fermière trouve un œuf sans jaune, elle dit que c'est un « œuf cognatri » et se hâte de le briser en disant : « OEuf cognatri, je te voué... 0 faut que tu moures avant moué. » Ainsi, le mauvais sort est conjuré. LES FEES

Les fées (fades en langue l'oc) sont des êtres mer- veilleux, imprécis, parfois bons, parfois dangereux, que l'on désigne par le terme révérentiel de « dame » ou de « demoiselle ». Elles sont peut-être la transposition chré- tienne de ces déesses mères dont plusieurs statues figu- rent au musée archéologique de Saintes. Leur nom sem- ble venir de « fata », nom populaire des Parques : on les nomme parfois « Filandières ». Ausone les cite au quatrième siècle. Bonnes à l'origine, elles devinrent cruelles quand les Germains introduisirent chez nous les Normes et leur cortège inquiétant de nains, d'où sorti- rent peut-être nos fadets. Certaines fées, les Pédauques, avaient des pattes d'oie : les chrétiens en firent des lépreuses ou cette « reine Pédauque » que l'on voit aux façades de certaines églises. En Saintonge, elles hantaient les bois de la Faye d'Epannes, entre et Saint-Félix, là où s'élevaient deux dolmens aujourd'hui détruits. (Leur présence est souvent liée à celle d'un mégalithe ou d'une fontaine.) Celles-là avaient si mauvaise réputation que l'on évitait de passer de nuit dans cet endroit. Les Martres étaient de grandes fées à la poitrine nue dont les seins descen- daient jusqu'aux genoux. Elles poursuivaient les labou- reurs pour les faire téter en criant : « Tetrabouilli. » Il y avait une croix des Martes au bourg de Champniers. La « motte de Cherves » et le tumulus de auraient été l'œuvre de fées. Le grand tumulus de Courcoury a donné naissance à deux légendes différentes : La première est rapportée par Musset : La fée Mate, qui allaitait son bébé, le laissa tomber dans la Charente où il se noya. Elle vou- lut lui dresser un énorme tombeau et remplit sa robe de pierres mais les cordons de son tablier se dénouèrent et la charge qui lui échappa constitua le « terrier de la Fade » tandis que la rivière se précipitait dans la fosse qu'elle venait de creuser, constituant la « Fosse Argentine ». La seconde version a été relevée en patois sainton- geais vers 1840 par l'archéologue saintais Nicolas Moreau et traduite en français dans la Revue de Saintonge et d'Aunis de 1931. La voici :

Il y avait deux fades, l'une, Courcoride, que l'on appelait aussi la fée Corcosse, et l'autre, Sargentine, qui était la plus puissante. C'était une méchante, qui tour- mentait Courcoride. Une fois, elle l'aperçut entre l'étier de la Seugne et la levée de la Charente. Courcoride avait deux fadets qu'elle aimait de tout son cœur. L'un d'eux s'amusait dans une flaque d'eau et barbotait au bord de la Seugne. Sargentine creusa un trou à côté de lui. Hélas, ce fadet tomba au milieu, se débattit, coula au fond et se noya. La mère s'agita, s'écria, s'égosilla comme un traquet de moulin, se faisant entendre au loin. Tous ceux des Gonds, tous ceux de étaient affolés de peur. Courcoride s'empressa de combler le fossé pour garantir du danger les autres enfants. Elle prit, bonnes gens, de la terre plein son tablier et la porta en pleurant dans ce fossé. Mais la dame Sargentine, toujours empres- sée à lui faire de la peine, lui jeta un sort. Tout aussitôt, la corde de son tablier se rompit et la terre, en tombant, fit le « terrier de la Fade » et, aujourd'hui, nous appelons fosse Sargentine ou fosse Argentine (1) le grand trou où le fadet se noya. On trouve une légende analogue au confluent de la Charente et du Solençon où une mauvaise fée voulait jeter le « Gros Roc » dans le fleuve pour le barrer mais une bonne fée trancha avec des ciseaux d'or les galons de son tablier et le rocher tomba sur le sol.

Dans ces deux légendes, nous trouvons deux thèmes extrêmement classiques du folklore : l'explication d'un mégalithe ou d'un gros rocher isolé, et celui du tablier dénoué que nous avons déjà vu dans l'explication du ter- rier de Beaumont. Trois fades se seraient amusées à construire en une nuit le « fanal d'Ebeon ». L'une d'elles aurait été tuée d'un coup sur la tête. Là, nous avons à la fois un rite celtique (le coup sur la tête) et une tentative d'explica- tion d'un vernemet ou pile gallo-romaine (en fait, c'est une sorte d'obélisque qui marque l'emplacement d'un cimetière). A , un pont se nomme le « Plancher- des-Demoiselles ». A la Preuille, près de Rochefort, on appelait un dolmen le « Tombeau de la Demoiselle » et, à , le « Chemin-des-Dames » conduisait du dolmen de Chatresac au menhir d'Etaules. A Saint- Palais-de-Négrignac, il existe un « Pas-de-Ia-Faye ». Par contre, le « Bois des Fées » de Saint-Palais n'est qu'une déformation du « Bois du deffé », un bois où le ramas- sage des branches était réservé, donc défendu. C'est Madame de Rohan qui est responsable du changement de nom (2).

(1) Ce nom d'Argentine indique peut-être un mythe lunaire. (2) Il existe un autre Defend, près de . On appelait « cercles des fées » des circonférences dans les prairies où l'herbe pousse verte et drue (Les- son). Ce sont souvent des fossés préhistoriques ou proto- historiques, très visibles dans les photos aériennes. Le plus souvent, il existe là des cimetières gaulois. Mais il existe aussi des cercles où l'herbe est jau- nâtre et pelée, ce phénomène étant dû à des champi- gnons souterrains : la tradition prétendait que les fées avaient aplati l'herbe en venant danser là. Les fées, voyant la fin de leurs pouvoirs arriver, car on ne croyait plus en elles, demandèrent au Christ qui les remplaçait dans le cœur des hommes de les enter- rer, chacune sous un diamant. Mais le Christ, connaissant la cupidité humaine, et voulant qu'elles reposent en paix, remplaça les diamants par de simples pierres : ce sont les dolmens.

MELUSINE

La plus célèbre de nos fées est Mélusine, plus poite- vine que saintongeaise et dont j'ai conté l'histoire par ailleurs (1). La fée-serpent est certainement très ancienne : peut-être a-t-elle été amenée en Gaule par les mercenaires taifales, scythes ou sarmates de l'empire romain (abbé Consseau - 1845). La plus ancienne version connue de sa

(1) Sur Mélusine, il existe une bibliographie considérable mais hors de notre sujet. Je renvoie aux études passionnantes de MM. Ey- gun, Fromage, Martin-Civat, etc. J'ai raconté son histoire dans les « Contes et Légendes du Poitou » de la Collection « Nathan ». légende date du xe siècle et nous vient du plateau de Lan- gres (sermon de Geoffroy d'Auxerre, abbé de Clairvaux). Fée bâtisseuse, liée aux fontaines et aux arbres (Mère de l'yeuse d'après Martin Civat), annonceuse de désastres, soumise à une fatalité inéluctable, femme-serpent, elle est la femme tout court, séduisante, créatrice, mais aussi dan- gereuse et destructrice, fondatrice d'une grande famille (les Lusignan), mystérieuse, et qu'il ne faut pas que l'homme approche à certains moments du mois. A cause de sa queue de serpent, on la confond parfois avec les sirènes, qui sont d'ailleurs des tritones, tant il est vrai que la mythologie se plaît dans le vague et l'imprécis. En fait, sa profonde métamorphose, qui est celle de toutes les fées par la faute du christianisme, est celle de femme- oiseau bénéfique en femme-serpent maléfique. Fée poitevine, quels sont ses rapports avec la Sain- tonge ? On lui attribue la construction ou la restauration de Saintes, Pons, la tour Saint-Nicolas à La Rochelle et une ancienne tour de Châtelaillon. Près d'Yves, un car- refour portait son nom. Il existe un lieu-dit Merlusine, dans la commune de Thou. Ayant été insultée par le seigneur de Châtelaillon, on racontait aussi qu'elle avait démoli son château et en avait emporté les pierres une à une pour construire l'abbaye de Maillezais. Au cours d'un de ses voyages, elle aurait laissé tomber la « pierre levée » de . Autrefois, dit une autre légende, l'île d'Aix était rat- tachée au continent par de riches prairies où paissaient d'immenses troupeaux de moutons. Là se dressait un châ- teau dont le propriétaire était avare et cruel. Une nuit d'orage, une pauvre vieille vint frapper à sa porte : il la fit chasser sans pitié. Mais la vieille femme rejeta ses haillons, redresse sa haute taille et apparut sous les traits de Mélusine. — Pour te punir de ton égoïsme, dit-elle, je t'annonce que ces biens dont tu es si avide vont disparaître rapide- ment. Chaque jour, la mer rongera un peu de tes domaines, ton château miné s'effondrera sous l'onde et tu termineras ta vie dans le plus complet dénuement. C'est ainsi que le territoire d'Aix, autrefois pointe avancée du continent, serait devenu une île. Ce thème est celui de l'avancée de l'océan qui a fait disparaître des châ- teaux et des villes, il se rattache à celui des villes englou- ties dont nous reparlerons. On trouve une histoire identique à Pontaillac, mais elle me paraît d'origine très récente, l'auteur pourrait en être Jônain. Iconographie : Je crois que ce serait une erreur de prendre pour des Mélusines les sirènes de nos églises romanes. On peut voir des Mélusines dans les figures sui- vantes : sur une façade gothique de Marennes, au numéro 48 de la rue Chaudrier à La Rochelle, dans l'église et le château de Saint-Jean-d'Angle qui appartenaient à un Lusi- gnan. Et encore, celle de La Rochelle paraît-elle être plu- tôt une sirène.

LES DAMES BLANCHES

Ce thème populaire peut se rattacher soit aux fées, soit aux fantômes. Son origine est à chercher dans les formes étranges que l'on voit danser dans le brouillard. Le puits des Mazureaux, à , est visité par les Dames Blanches les nuits d'orage et elles dansent une ronde tout autour. Un téméraire s'étant approché d'elles, fut entraîné dans leur infernale ronde et jamais plus on ne le revit. La ronde, qui vient des cultes païens, est souvent considérée comme infernale. Mortelle aussi était la vue de la Dame des Rives qui apparaissait après la Saint-Jean dans le sud du départe- ment (Mongis).

On peut rapprocher de ce thème les fontaines dange- reuses : le bras rouge des Fontaines Bleues du château de Beaulon et, à Saint-Thomas de Cônac, la fillette désobéis- sante qui aurait été noyée par un bouc noir. Près du château de La Roche-Courbon, le pittoresque ruisseau du Bruant forme un trou profond que l'on appelle le Bouil-Bleu. Une légende raconte qu'une dame du ! château venait y retrouve* an pâtre mais que son mari, l'ayant appris, tua le jeune homme et que la dame se jeta dans la fontaine. La nuit, dans la brume qui monte de l'eau, on voit passer son fantôme charmant. L'hypothèse de Mériot qu'il s'agit d'Alienor d'Aqui- taine venant pleurer auprès du Bouil-Bleu est absolu- ment invraisemblable. Le château n'existait d'ailleurs pas ! du temps d'Aliénor. Cette histoire ressemble plus à un ; conte qu'à une légende mais le fait que les paysans de la région la connaissaient peut militer en faveur de son ancienneté et de son authenticité (R.S.A., 1896, p. 306). Non loin de Virson, la jolie fontaine de Mandroux est ; large, limpide et on la prétend sans fond. Une jeune fille, poursuivie par un seigneur qui voulait abuser d'elle, s'y jeta et reparaît parfois sous l'aspect d'une Dame Blanche. Une légende analogue existait à Foncillon, d'après le poète royannais Jônain qui en fait une complainte rimée. Une jeune fille, que son habileté à couper le blé avec une faucille avait fait surnommer Foncillon, pousuivie par un galant, se jeta du haut de la falaise dans une des conches de qui porta désormais son nom. Inutile de préci- ser que cette « légende » a été fabriquée de toutes pièces par Jônain.

A Tonnay-Boutonne, Gannes, commandant des Mar- ches de Saintonge, avait une fille nommée Isèle. Celle-ci s'éprit d'un chef sarrazin Ismaïl qui assiègeait le château de son père et le guida dans l'attaque. Mais, au cours de l'assaut, Gannes brisa le crâne du Maure et, sans le savoir, blessa mortellement sa fille. Isèle maudit son père avant de mourir. Et, maintenant encore, lorsqu'un malheur se prépare dans la région, Isèle au blanc manteau s'élève comme une légère vapeur au-dessus des ruines de la poterne et erre, un doigt sur la bouche, autour de l'em- placement du château. Cette légende a eu un grand succès. Elle a inspiré de nombreux conteurs et poètes : Musset, Mériot, Dyvorne. Paul d'Hérama, Mme Gaborit, Panneel. La Dame Blanche d'Esset hante les forêts au nord-ouest de Matha. Jadis, le seigneur des Brousses avait une fille très belle, âgée de dix-huit ans, qui se nommait Hermelinde. Il avait décidé de la marier à un guerrier chevronné, le sire de Godefroy, son ami, qui avait dépassé la cinquantaine. Mais la jeune fille lui préférait Roger, fils cadet du seigneur de . Ce jeune homme était étrange : toujours vêtu de noir, d 'un caractère triste et farouche, il passait son temps dans la forêt à poursuivre les fauves, loups et sangliers. Orphe- lin de mère, il avait été élevé par une vieille femme du Breuil-Marmaut qui passait pour sorcière. Seule, Herme- linde avait su le guérir de son humeur maussade. La nou- velle du mariage de celle-ci le plongea dans une colère terrible. Néanmoins, le jour fatal arriva. Le prêtre était en train de bénir l'union d'Hermelinde et du vieux chevalier quand une troupe armée envahit l'église d'Esset. Le sei- gneur des Brousses et le sire Godefroy tirèrent leur épée et la bataille s'engagea. Le prêtre, ruisselant de sang, tomba sur l'autel et Hermelinde, percée de coups alors qu'elle essayait de s'opposer au carnage, ne put que se traîner hors de l'église pour aller mourir à l'orée d'un bois. Un orage terrible se leva : la foudre tomba sur la chapelle maudite et la détruisit entièrement. On vit alors Satan saisir la cloche qui avait sonné pour ce néfaste mariage et la précipiter dans un puits où elle se trouve encore. De la sueur du démon, (d'autres disent du sang du prêtre) naquit une oseille acide, « l'oseille du curé » que l'on ne peut détruire et qui infeste les prairies de cette région. Quant à Roger, condamné à errer éternelle- ment dans la forêt, on rencontre parfois son fantôme que l'on appelle « le chasseur noir ». Ce conte, où l'on retrouve plusieurs thèmes classiques, a été recueilli par Lesson. LES FADETS

Les Follets ou Fadets semblent être les mâles des fées. Nous avons vu par exemple dans la légende de Courcoury que la fée Courcoride avait deux petits garçons qui étaient des fadets. Les Fadets (Korrigans bretons et Koboldes germani- ques) sont des êtres fantastiques, assez mal individualisés d'ailleurs, que l'on supposait hanter les entassements de pierres, les dolmens, les cavernes et les souterrains. C'étaient en général de petits hommes barbus, malicieux et moqueurs, parfois naïfs. Avec les plumes de la « coite » du lit, ils fabriquaient de maléfiques macarons qui ren- daient malades. Pour guérir, il fallait brûler ces bourres à jeun et avant le jour (Noguès). Ils aidaient les charbon- niers et les carriers, parfois aussi les ménagères, mais ils étaient très susceptibles. Quelle peut être l'origine de cette superstition, si répandue en Europe, et même ailleurs ? D'après certains auteurs, il s'agirait de Celtes insoumis qui, fuyant la domination romaine, se cachaient dans les grottes et n'en sortaient que la nuit, causant une grande frayeur aux populations soumises. Pour ma part, j'y verrais plutôt les paysans cachés dans les souterrains refuges (il en existe quelque cent cin- quante en Saintonge) au moment du passage des bandits, pillards et soldats qui, sortant de là, semblaient jaillir du sol et devaient terroriser les personnes non prévenues. La liaison entre souterrains et fadets est typique : à Saint-André-de-Lidon, on a découvert en 1880 un souter- rain-refuge au village des Fadets. Les Follets sont particulièrement nombreux dans les pays de bocages ou de landes, où haies touffues et tail- lis incitent au mystère. En Saintonge, pays en général découvert, la toponymie a été moins marquée par leur passage. On peut tout de même citer quelques exemples : le Trou-des-Fadets, près de Montlieu, une Motte-aux-Fadets près de Dolus, dans l'île d'Oléron, où l'on avait vu à main- tes reprises des fantômes (Rainguet). Un pré des Fadets à Corme-Ecluse et un autre à Saint-Palais-de-Négrignac. A titre d'exemple, nous donnerons plus loin le conte du Fadet de Fontbedeau.

LES FEUX FOLLETS

Dûs à la combustion spontanée de matières organi- ques, ils étaient fréquents dans les forêts à cause des souches pourries et dans les cimetières où ils passaient pour être les âmes des morts (1). Jadis, on fumait les champs en Saintonge, surtout le long de la côte, avec des crevettes qui, riches en phos- phore, dégageaient une odeur repoussante et donnaient fréquemment naissance à des feux follets.

LES MONSTRES

Les hommes du Moyen Age faisaient leurs délices des descriptions de monstres que l'on trouvait dans de nom- breux ouvrages, comme le De Bestiis et le Physiologus. Ils les représentaient avec plaisir. J'en ai remarqué une

(1) Un fossoyeur, M. Venet, frappant de sa pioche un silex, enflamma ces gaz qui le brûlèrent gravement aux jambes. magnifique série sur une fresque dans un monastère du mont Athos. En Saintonge, ils décorent nos églises roma- nes : Voici d'abord les griffons mésopotamiens encadrant un vase dans une pose hiératique. Du griffon, on peut passer au lion ou à la colombe (Corme-Ecluse). Le centaure est le symbole de l'orgueil bestial et de la lubricité, mais il est surtout très décoratif dans les scènes de chasse, à Biron et à Grézac. Il combat un dragon à . L'abbaye-aux-Dames présente des lions à face humaine qui sont probablement des sphinx, et une sphinge sur un chapiteau du clocher. La sirène est si fréquente que nous lui consacrerons un paragraphe. Le basilic combat un homme à Pont-l'Abbé-d'Arnoult et à Aulnay. Les claveaux de l'église d'Aulnay présentent une extraordinaire procession grotesque (imitée ensuite à Cha- denac) de chouettes à têtes d'hommes, et autres monstres fabriqués en mélangeant des fragments de corps humains et animaux. Un thème identique, que l'on suppose être un carnaval, décore une voussure à Nieul-les-Saintes. Sur un chapiteau de l'église de Geay, j'ai noté un aigle-lion à tête de cochon. A défaut de monstres, on appréciait les « combats de bestes » (Saint-Eutrope) ou les combats d'hommes contre des lions ou des aigles (Nuaillé). Certains avaient deux têtes comme le crocodile de Talmont qui possède une seconde tête à la place de la queue. LES SIRENES

C'est un mythe qui nous vient de l'Antiquité : il sym- bolise les séductions et les dangers de la mer, mais aussi la perfidie féminine. Saint Julien (qui est honoré à Saint- Julien-de-l'Escap), tenté par une femme, pria Dieu de la transformer en sirène : elle est représentée sur un chapi- teau de l'église. Il est possible que la représentation de la sirène soit antérieure et ait donné lieu à la légende chré- tienne, tant il est difficile de démêler si l'histoire est anté- rieure à l'iconographie ou si c'est le contraire. Il s'est rapidement créé une confusion entre la vraie sirène (à corps d'oiseau et à tête humaine) que l'on voit à l'abbaye-aux-Dames de Saintes et à Fenioux, et la tri- tone, à torse de femme et à corps de poisson, voire avec la femme-serpent et avec Mélusine. On trouve souvent ces femmes-poissons comme élé- ments décoratifs dans les églises romanes. Elles peuvent même avoir une queue double pour mieux meubler l'es- pace et décorer un chapiteau. On trouve des sirènes dans les églises de Saint-Eutrope, Aulnay, Avy, Chauvignac, Echillais, La Jarne, , Marignac, Saint-Fort, Saint-Georges-des-Agouts, Saint-Mandé, Surgères, etc. Il peut y avoir confusion, comme nous venons de le dire, avec Mélusine, par exemple à Châtelaillon où les pêcheurs montraient son habitation ou « hôté ». Voici la légende : La ville de Châtelaillon fut florissante tant que la sirène qui la protégeait fut respectée. Mais, un jour, un pêcheur l'ayant blessée par mégarde avec une foëne, la sirène annonça avant de mourir que l'ancienne capitale de l'Aunis s'en irait tous les jours dans les flots « d'un sillon et d'un denier ». Le nom de la Repentie, près de La Rochelle, viendrait d'une autre sirène qui aurait été capturée par un pêcheur et ramenée chez lui, mais je lui préfère la légende des nau- frageurs sur le même toponyme. Les voici toutes deux : Comme la sirène capturée se lamçntait, le pêcheur l'aurait relâchée mais son épouse s'y opposa, si bien que la sirène annonça à la méchante femme qu'elle s'en repen- tirait et, en effet, quelques temps plus tard, l'océan balaya la maison du pêcheur, noyant toute la famille. Et voici l'autre légende : Ce village était un repaire de naufrageurs et de pilleurs d'épaves. Ils se réunissaient à l'auberge de Saint-Christophe, tenue par la Grimarde, dite Mariette, et faite de morceaux de navires détruits. La tenancière avait été jadis honnête mais la dispari- tion de son fils unique l'avait rendue comme folle et elle était plus féroce que les hommes. Un soir de tempête, elle se mit à la tête des naufra- geurs et promena avec eux des lanternes sur la rive pour tromper les navires en détresse. L'un d'eux en effet se brisa sur les rochers avec un craquement terrible. La mer déchaînée poussait vers le rivage les épaves et les cada- vres des matelots. Lorsque les malheureux n'étaient que blessés, les naufrageurs les achevaient à coups de matra- ques. La Grimarde était en train d'assommer un jeune marin quand, à la lueur d'un éclair, elle reconnut son fils. Elle en subit un tel choc qu'elle changea de vie du jour au lendemain. Elle abandonna son auberge et se gagea à La Rochelle. Mais, dès qu'elle avait un moment de liberté, elle venait pleurer sur la plage où son fils était maintenant enterré. Un jour, on l'y trouva morte et c'est pourquoi le village qui se construisit à proximité fut appelé La Repentie (1). Sirène encore aurait été l'anguille de Pons, animal d'une taille et d'une beauté si prodigieuse que les habi- tants de la ville l'avaient munie d'une clochette et descen- due dans le puits du château où elle servait de porte- bonheur mais où le bruit de sa clochette annonçait un danger pour la cité. Voici une autre version de la légende : C'était à l'époque féodale où les serfs devaient, à cer- taines occasions, apporter un cadeau à leur seigneur. Or, un paysan de Mosnac avait attrapé dans la Seugne une anguille d'une taille énorme. Il se dit que la bête ferait sans doute plaisir au sire de Pons et qu'un tel cadeau lui vaudrait peut-être une exemption d'impôt. Il se rendit donc au château avec l'anguille lovée dans son panier. Là, malheureusement, il apprit que son seigneur était absent. Que faire du poisson ? S'il le rapportait à la maison, l'ani- mal risquait mourir de soif en route et sa femme le gron- derait. Il eut alors une idée merveilleuse : il jeta l'anguille dans le puits qui se trouvait près du donjon. Et il revint chez lui. Sa femme lui demanda : — Alors, notre maître a été content ? — Il n'était pas là. Mais, rassure-toi, l'anguille est toujours vivante. Je l'ai jetée dans un puits. — Pauvre imbécile ! Jamais tu ne la retrouveras. Quel malheur ! une si belle anguille ! — Pas si sot, répondit l'homme. Avant de la jeter, je lui ai passé au cou une clochette...

(1) L'histoire est moins belle que la légende : ce nom viendrait du mot arpent, mesure de surface qui date des gaulois. La sirène de Saint-Fort-sur-Gironde.

Guitinières : Châtiment de la luxure : serpents suspendus aux seins d'une femme. Echillais : Dragon avaleur de colonne.

Bords : Dragon ou démon avaleur de colonne. Cette légende a été reprise en 1875 dans un opus- cule anonyme, puis par plusieurs conteurs comme Paul Dyvorne qui lui ajoutèrent chaque fois de nouveaux détails. Certains Pontois pensent que l'anguille merveilleuse est représentée sur un chapiteau du xir siècle de l'hôpi- tal neuf de Pons, il y faut beaucoup d'imagination...

LES DRAGONS

Il s'agit encore là d'êtres fantastiques dont l'origine est inconnue. On ne peut admettre qu'il s'agisse du sou- venir des grands reptiles du Secondaire car ils avaient disparu depuis longtemps quand apparurent les premiers hommes. Ils peut s'agir soit de lézards ou de serpents d'une taille exceptionnelle ou d'une forme bizarre comme ce « lézard à crête » dont Tibère faisait ses délices. Soit de la matérialisation symbolique d'une catastrophe (une inondation par exemple, le fleuve dangereux déroulant ses anneaux comme un dragon, ou un incendie, la flamme se tordant comme un reptile). Soit enfin un mythe astro- logique. Souvent aquatique, lié à la fête des Rogations, donc du renouveau, c'est peut-être un avatar du dieu gaulois Lug. Dans la mythologie, il y a deux sortes de dragons : l'un bénéfique, l'autre maléfique. Le dragon bénéfique est celui de l'Orient : dragon chinois protecteur de la maison ou gardien de trésors, dragon perse, parthe, romain. Tibère avait un gros lézard qu'il caressait sou- vent. Sous Trajan, il figurait sur les enseignes des légions. Il symbolisait la force qui frappe et terrorise les ennemis. Il fut pris, au Moyen Age, comme symbole ou blason de certaines familles nobles. En Saintonge, nous le trouvons sous son aspect bénéfique, dans certaines églises roma- nes : un dragon « chinois » avale une colonne à Echillais. Le dragon peut d'ailleurs se transformer en démon ava- leur de colonne (à ). La girouette du château de représente un dragon qui protège, paraît-il, les habitants. A Biron, le dragon a un avant-train de lion, des ailes d'aigle et une queue de serpent. A Fenioux, il attaque un homme et le mord à la jambe. A , il prend un chien à la gorge. A Biron, il combat contre un serpent. A Nuaillé, un dragon crache des flammes contre un chevalier por- tant cotte de maille et qui se cache derrière un bouclier. Le combat d'un homme et d'un dragon est visible aussi à Saint-Pierre-de-l'Isle. Toutes ces scupltures sont roma- nes. Plus récent, car datant de la Renaissance, à Cra- zannes, sur la façade du château, un dragon attaque un centaure qui tire une flèche dans sa direction. La victoire sur le dragon est un thème mythologique et iconographique connu. C'est l'histoire des sept justi- ciers de Rô ou du jeune seigneur de Nuaâ que nous allons conter. Mais c'est aussi la victoire du Christ que l'on peut voir à Baignes et à Sainte-Radegonde, de Saint-Michel (à , Matha, Pons), et surtout de Saint-Georges (Aul- nay, Civray, Nuaillé, Pont-l'Abbé, Talmont). Sur la façade de cette dernière église, une jeune fille (peut-être sainte Radegonde) soumet un lion qui est ensuite entraîné par des pêcheurs tandis que des crocodiles à deux têtes se tordent sur une voussure. Au Moyen Age, on confondait facilement crocodile et dragon (château d'Oiron). NUAA

Au sud de Marans, s'étendait jadis un lac immense et, mystérieux dans les îles duquel habitaient les druides. Lorsque deux Gaulois étaient en grave désaccord, ils se rendaient dans une de ces îles et apportaient solennelle- ment deux gâteaux qu'ils posaient sur un rocher. Deux corbeaux aux ailes blanches apparaissaient alors et man- geaient la galette de celui qui avait tort. Sur la rive méridionale de cet ancien lac, se dresse Nuaillé-d'Aunis dont le nom vient, paraît-il, du dragon Nuaâ. Cela se passait peu de temps après la victoire de Charles Martel sur les Sarrazins. Une effroyable tempête dura trois jours et trois nuits. La mer envahit les terres et, quand elle se retira, elle laissa un dragon à la peau rugueuse dont les pattes membraneuses se terminaient par des griffes. Sa gueule était armée de six rangées de dents tranchantes. Il dévora des troupeaux entiers de moutons, et, parfois aussi, les bergers. Un jeune seigneur nommé Listang décida de le tuer. Il avait d'excellents chiens et, pour les entraîner, il fit faire un mannequin représentant la bête et les habitua à ne pas en avoir peur. Puis il leur confectionna des armures de cuir bardées de lames acérées. Quand tout fût prêt, il se rendit à Plaisance où le monstre avait son repaire et lança ses chiens. Le dragon eut beau pousser son cri affreux de Nuaâ et cracher des flammes, il finit par succomber et une chapelle votive fut érigée sur l'emplacement où avait été enterré son corps. Au-dessus de la caverne qui lui servait de repaire fut construit le château de Nuaillé (Lacurie). La scène du combat est représentée sur un chapiteau de l'église de Nuaillé-sur-Boutonne.

RO

La Pointe-du-Chay, près d'Angoulins, était le repaire de la bête Rô. C'était une sorte de dragon marin, d'une intelligence presqu'humaine, et qui dévorait les pêcheurs. Un jour, on vit descendre d'une blanche nef venant de l'île d'Oleron, sept chevaliers vêtus d'armures étince- lantes. Rô, sentant sa mort prochaine, recula jusqu'au pont de la Pierre. En vain : deux flèches bien ajustées vinrent lui crever les yeux, deux autres fixèrent ses oreilles sur son échine, les trois autres se plantèrent dans sa gorge. En même temps, on entendit gronder le tonnerre et un bloc de roche énorme tomba du ciel et se brisa en sept morceaux autour d'un gouffre profond. Les sept justiciers traînèrent Rô jusqu'au trou et l'y précipitè- rent. Depuis, le monstre y est captif et on l'y entend gronder les jours de tempête (abbé Mongis).

LES BIGOURNES

Le nom de Bigourne serait d'origine normande et désignerait un être maléfique à deux cornes. Les bigour- nes sont souvent confondues avec les ganipotes (1), les unes et les autres étant des êtres nocturnes, terrifiants et

(1) Bigourne se dit surtout dans le Nord et l'Ouest de notre département et ganipote, dans l'Est et le Sud. ACHEVÉ D'IMPRIMER EN SEPTEMBRE MIL NEUF CENT SOIXANTE-DIX-NEUF SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE DE L'OUEST A LA ROCHELLE

Dépôt légal : 4e trimestre 1979. — Imprimé en France. N° d'éditeur : 453.

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