VOIE ROYALE POUR LES

L’histoire de la compagnie des guides de Saint-Gervais Le 8 août 1786 sonne la fin des espérances locales. est étroitement liée à l’exploration du massif du Mont- Michel Paccard et le Blanc et à la rivalité avec les communes voisines. atteignent le sommet du depuis Fondée en 1864, elle est la deuxième institution de . La voie du Goûter va tomber dans guides de haute montagne en France. Avec quelques l’oubli pendant de nombreuses années. Charles singularités qui la distinguent de ses voisines. Durier, qui fut président et secrétaire général du Club alpin français à partir de 1895, écrira : u xviiie siècle, les tentatives « Chamonix et Saint-Gervais sont deux cités d’ascension du mont Blanc rivales, comme autrefois Rome et Albe. Si la pre- font entrer Saint-Gervais mière comptait les cristalliers les plus hardis, la dans l’histoire de l’alpinisme. seconde était fière à bon droit de l’intrépidité de La conquête de la plus haute ses chasseurs de chamois. C’est par le côté de cime des Alpes ne laisse pas Saint-Gervais que l’ascension du Mont-Blanc avait indifférents les habitants du d’abord paru plus près de réussir… Saint-Gervais pays. Ces paysans, conscients crut tenir la victoire, Chamonix l’emporta et Saint- des retombées économiques potentielles de l’alpi- Gervais en conçut un amer chagrin. » Ascension du mont Blanc La première ascension saint-gervolaine du mont ceux de Chamonix. Elle se dote d’un fonctionnement nisme, vont troquer leurs outils agricoles contre le En 1815, le colonel autrichien Franz-Ludwig von par le pyrénéiste et alpiniste Blanc est réalisée par le chef des guides Joseph- moderne reposant sur la « caisse de secours » (un français Henri Brulle, piolet pour accompagner les premiers voyageurs. Welden relance les explorations sur la route saint- le 3 août 1933. C’est la Auguste Octenier en 1853. Mais ce sont les Anglais fonds de solidarité), le « tour de rôle » (une répartition Médecin et alpiniste, Michel Paccard est le précur- gervolaine. Il recrute cinq guides de la vallée. quatrième ascension de et Edward-Shirley Kennedy qui équitable du travail) et les « voies d’ascension » (l’équi- ce grimpeur considéré seur de l’itinéraire de Saint-Gervais vers le mont Ensemble, ils bivouaquent au sommet de l’aiguille comme le fondateur du vont populariser l’itinéraire à partir de 1855. Grâce pement des itinéraires et des refuges). Les guides Blanc. En 1784, il tente l’ascension avec le guide du Goûter. L’espoir renaît. L’hôtelier Joseph- « pyrénéisme de difficulté ». à la promotion des alpinistes anglais dans les dif- veulent ainsi attirer une partie de la clientèle britan- local Jean-Baptiste Jacquet et montre le chemin Nicolas Genoux-Roux fait, quant à lui, construire Il est alors âgé de 79 ans férents milieux bourgeois d’Europe, la « voie royale » nique, non sans calcul vis-à-vis des concurrents. et encadré par André et aux différents explorateurs qui veulent essayer cette un pavillon sur le plateau de Bellevue. Le com- Raymond Chapelland de (par Saint-Gervais) surpasse même celle de l’« ancien Dès sa fondation, la corporation repose sur des voie du Goûter. Le village de Bionnassay, situé au merçant a compris l’impact touristique et com- la compagnie des guides passage » (par Chamonix). Il est temps pour les rites et des traditions comme la fête des guides, de Saint-Gervais qu’il pied du sommet, devient le camp de base d’alpinistes mercial de l’alpinisme. Il affirme que « le 18 mai guides de s’organiser… l’intronisation des nouveaux diplômés, le port de L’AUTEUR remerciera avec cette petite comme Marc-Théodore Bourrit ou Horace Bénédict 1818, cinq chasseurs de chamois de Saint-Gervais JULIEN PELLOUX dédicace personnelle. la médaille, le costume de cérémonie ou l’échange de Saussure… Leurs récits prouvent l’intérêt qu’ils sont parvenus à 8 heures du matin sur le dôme Historien et guide de haute Collection compagnie des guides RÉPARTITION ÉQUITABLE DU TRAVAIL solidaire avec les autres compagnies (Cervinia, montagne à la compagnie de Saint-Gervais. portent à cet itinéraire et aux guides de la vallée : du Goûter ». Le docteur Hamel, conseiller du tsar de Saint-Gervais, il est ET FONDS DE SOLIDARITÉ Chamonix, ou Pralognan-la-Vanoise). « Ces mêmes montagnards nous surpassent par de Russie, ayant entendu dire que les deux guides également l’auteur, Après la victoire sur le mont Blanc, l’engouement La plupart des courses en montagne concernent leur adresse sur les rochers et par la force de leur François Perroud et Maurice Mollard avaient avec Dominique Potard, pour l’alpinisme est important et nécessite d’orga- alors le mont Tondu, l’aiguille de la Bérangère, les d’un ouvrage (Les enfants tête au bord des précipices, autant que par celle atteint le sommet, décide de tenter sa chance en du mont-Blanc) paru en 2014 niser la profession. La compagnie des guides de dômes de Miage, l’ et le mont de leur jarret. » Malheureusement, leurs tentatives 1820. Malheureusement, l’expédition tourne au aux éditions Guérin pour Chamonix est créée en 1821. Celle de Saint-Gervais Blanc. Mais très rapidement, les guides s’exportent célébrer le cent cinquantième ne dépassent que rarement le sommet de l’aiguille cauchemar et l’échec conduit les guides devant anniversaire de la fondation sera quant à elle fondée le 15 avril 1864, avec un à l’étranger. En 1911, Lubin Broisat est ainsi le du Goûter à 3 863 mètres. les tribunaux. de la compagnie. règlement de cinquante-trois articles concurrençant premier à faire la de Chamonix à

N°87 | 34 N°87 | 35 Zermatt. Durant la Seconde Guerre mondiale, le Saint-Gervais est particulière. À l’origine, tous appar- Première photographie de la recrutement de la compagnie s’ouvre sur l’extérieur. tiennent à un milieu homogène et sont issus de compagnie des guides de Saint-Gervais en juillet 1896. En 1943, le héros de la France libre Charles Blanc, familles de paysans et de chasseurs de chamois. La Michel Orset dit « Magnin », résistant fusillé par les nazis en avril 1944, est le cartographie des villages et des hameaux d’où les Frédéric Mollard, Adolphe Chapelland, Anselme Martin, premier guide exogène à intégrer l’organisation. guides sont originaires montre que tous sont situés Lubin Broisat, Célestin Dans les années 1950, la compagnie va jouir d’un sur la rive droite de la vallée, accrochés au pied du Chapelland, Alphonse UNE MAISON prestige international grâce aux secours. Le mont Blanc sur les contreforts du Prarion. Ces habi- Estivin, François Perroud, Louis Mollard, Auguste TRANSFRONTALIÈRE 3 novembre 1950, un avion d’Air India s’écrase tats perchés sont riches et peuplés. Les habitants Magnin, Ernest Magnin, dans le massif du Mont-Blanc. À Chamonix, sous exploitent alpages et cols et possèdent très tôt des Alphonse Mollard, Philippe POUR LES GUIDES Cuidet et Eugène Mollard la direction du guide René Payot, une expédition écoles et des instituteurs éduquant les enfants. sont de retour de l’aiguille tente de secourir l’équipage. Hélas, les Chamoniards Au xixe siècle, les premiers guides appartiennent à du Goûter où ils ont eff ectué Le 3 novembre 1950, le et des Contamines et rassemble une centaine de des travaux sur le refuge. Au centre de la commune, l’ascension du mont Blanc, renoncent après la perte de leur leader dans une un milieu libéral, issu de la philosophie des Lumières. Malabar Princess, un vol membres dont certains comme Olivier Besson, Collection compagnie d’Air India reliant Bombay à la maison forte de on découvre l’histoire avalanche. La compagnie de Saint-Gervais envoie Dans le village de Bionnassay, on les nomme les des guides de Saint-Gervais Londres, s’écrase sous le quarante-neuvième Français à avoir gravi l’Everest, (fonds Pascal Chapelland). Hautetour accueille la de la compagnie des à son tour une équipe composée de cinq guides « libres-penseurs » comme le guide François-Joseph- sommet du mont Blanc. Une pratiquent l’alpinisme sur les plus prestigieux cordée de cinq guides maison transfrontalière des guides de Saint-Gervais. (André Chapelland, Louis Jacquet, Charles et Marcel Napoléon Perroud (1853-1940) : « C’était le sage du Carnet page de droite : de Saint-Gervais, composée sommets de la planète. guides de Saint-Gervais Celle de Courmayeur Margueron ainsi que Louis Viallet) et d’un gendarme village, instruit, très instruit. Il avait beaucoup lu, dès 1880, l’introduction de André Chapelland, Aujourd’hui, la structure est confrontée à de nou- des livrets individuels par Louis Jacquet, Charles et et de Courmayeur (val est également présentée (François Pignier). L’ascension est très diffi cile face puis comme guide il avait côtoyé beaucoup de clients. les compagnies de guides Marcel Margueron, Louis veaux enjeux comme les dangers liés au réchauf- d’Aoste, Italie), ainsi que avec des archives léguées aux grandes quantités de neige, au vent et au froid. Il savait mieux s’exprimer que les autres. » permet de codifi er le métier. Viallet et du gendarme fement climatique, la surfréquentation du massif Ces carnets contiennent les des artistes en résidence. par le musée du duc des La caravane fi nit pourtant par atteindre l’épave Contrairement aux compagnies voisines, la religion François Pignier, part du Mont-Blanc ou la mondialisation de la profes- règlements, les tarifs des à la recherche de survivants. Le projet a vu le jour en Abruzzes. Les conférences pour ne plus trouver que des débris de la catastrophe. a peu de place dans l’histoire des guides de Saint- courses, les brevets et À 4 677 mètres d’altitude, sion. Forte de ces cent cinquante ans d’expérience, 2012 à l’initiative de et les interventions de la Ils seront les seuls à être arrivés sur les lieux de Gervais. De nos jours, la messe des guides n’est pas assurent un suivi avec la l’accident ne laisse hélas elle continue de défendre des valeurs comme la liste des courses réalisées aucun rescapé et les guides deux guides, Pierre Curral compagnie des guides l’accident. Cet exploit mythique redore l’image de obligatoire et on ne trouve ni croix ni statues de la et les annotations des ne peuvent ramener dans la solidarité montagnarde et l’authenticité du métier. et Luciano Mareliati, de Saint-Gervais rythment la compagnie des guides. Les « cinq de Saint- vierge sur les sommets de la vallée. clients. Celui de Célestin vallée que les colis postaux Le meilleur exemple étant la coopération trans- Chapelland date de 1906 la collaboration des la vie du musée tout Gervais » reviennent en véritables héros, leur action Dans certaines fratries, le métier se transmet de l’avion. Après trois jours frontalière engagée avec les guides de Courmayeur avec l’obtention de son d’eff orts dans la tempête, le communes et des au long de l’année et étant rendue populaire par les médias d’alors, sur- comme un gène. Parmi les grandes familles de diplôme. Suite à la perte chef de l’expédition, Louis qui a permis la création d’un musée à Saint-Gervais compagnies ayant permis permettent de tisser de ses deux jambes lors pris que tous soient issus d’un milieu rural. guides de la vallée, citons les Broisat, Chapelland, Viallet, retrouve sa famille. (voir encadré). de dégager un fi nancement un lien entre la vallée de la Grande Guerre, il Collection compagnie Jacquet, Mollard, Orset et autres Perroud, même deviendra le guide-chef des guides de Saint-Gervais européen. À travers une et ses professionnels À lire UN FORT ANCRAGE si depuis une bonne cinquantaine d’années, il de la compagnie des guides (fonds Daniel Viallet). immersion scénographique de la montagne ainsi de Saint-Gervais en 1918. • « Les guides du Val-Montjoie, la Compagnie oubliée ». SUR LES FLANCS DU MONT BLANC existe un équilibre entre autochtones et nouveaux Collection compagnie Article paru en 1999 dans le numéro 20 de la revue au cœur du stage qu’en direction des Il faut dire que la composition sociologique des arrivants. Depuis 2015, la compagnie regroupe des guides de Saint-Gervais d’entraînement à nombreux visiteurs. (fonds Pascal Chapelland). En Coutère, publiée par le club d’histoire membres de la compagnie des guides de les professionnels des communes de Saint-Gervais et de traditions locales de Saint-Gervais.

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