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Les Cristaux

Les Cristaux

la lettre n0 5 / automne 2002 de l’Académie des sciences

Cles ristaux la lettre n0 5 / automne 2002 de l’Académie des sciences

Sommaire - La scolarisation d’une classe d’âge s’est accrue et les études supérieures Éditorial ont été diversifiées en sciences fonda- Les scientifiques de demain: mentales et appliquées. craintes, faits et réflexions Editorial - Les formations universitaires en Jean Dercourt page 2 sciences et dans leurs applications On évoque de plus en plus fréquemment croissent significativement, mais cette - Les filières générales ne sont profes- la désaffection des élèves et des croissance ne concerne que les forma- sionnalisantes qu’en deux paliers: à la Dossier étudiants pour les sciences. Quelques tions professionnalisantes. licence vers la formation des maîtres, La science des cristaux: faits significatifs me permettront de faire - Après la licence, les instituts univer- et en thèse, où aucun passage n’est de l’ordre au désordre le point. sitaires de formation des maîtres possible d’un palier à un autre. Hubert Curien page 3 Un élément de base, la transformation (I.U.F.M.) intègrent près de 20 000 radicale de la société française depuis étudiants scientifiques, souvent issus Je ne vois pas dans ces faits une désaf- Les rayons X et la structure 50 ans: en 1945, la population active se du D.E.U.G. Ils préparent le professorat fection des étudiants pour la science ou de la matière Paul Caro répartissait en 26 % pour l’agriculture, des écoles, le C.A.P.E.S. et l’agrégation de ses applications, mais une organisa- page 6 40 % pour l’industrie et 34 % pour les en suivant partiellement les maîtrises tion des études scientifiques générales

L’apport du rayonnement services, devenus aujourd’hui respecti- générales ou licences où ils sont comp- inadaptée aux souhaits des étudiants qui synchrotron à la cristallographie recherchent - comme tous les étudiants Entretien avec Yves Petroff par Paul Caro page 12 du monde entier - des études courtes. Les scientifiques de demain: A tous les niveaux de formations profes- Les quasicristaux, ou comment sionnalisantes, une véritable symbiose la nature déjoue les théorèmes existe entre professions, écoles et Remy Mosseri page 15 craintes, faits et réflexions universités mais s’étiole dans la forma- tion générale. Les enseignants-cher- Questions d’actualité cheurs l’assurent seuls en D.E.U.G. et vement 5 %, 35 % et 60 %, tous consom- tabilisés. Les maîtres ès-sciences en licence; les chercheurs, les labora- Les groupes en physique mateurs de scientifiques! poursuivent leurs études en écoles toires de recherche publics et privés n’y des particules Maurice Jacob Les qualifications ont également été d’ingénieurs dans et hors des univer- participent pas! page 16 bouleversées. En 1950, parmi la popu- sités. Les classes préparatoires et les

Où l’astronomie rejoint lation active de 18 à 65 ans, les diplômes universités ont décerné 16000 diplô- La baisse de fréquentation dans la filière l’ophtalmologie les plus élevés étaient pour 6 % un C.A.P., mes d’ingénieurs en 1990 et 24500 en scientifique générale est exacerbée en Pierre Léna page 17 pour 3 % un Baccalauréat et pour 3 % 2000. où la féminisation des études un diplôme de l’enseignement supérieur. - Enfin, d’autres maîtres ès-sciences scientifiques est réduite (55 % de la En 1996, ils représentaient 33 %, 12 % préparent soit un D.E.A. master recher- population étudiante, mais 20 % en I.U.T. La vie de l’Académie et 21 %, beaucoup relevant d’une forma- che (en 1994, 16000 diplômés, en 1999, scientifiques, 22 % en sciences et tech- Rencontre entre les Bureaux tion de science fondamentale ou appli- 10000). La baisse est particulièrement nologies de l’ingénieur, 35 % en sciences de l’Académie des sciences et de quée. Pendant les « 30 glorieuses », nette en physique et en chimie (37,5 %). de la matière). Seules les sciences de la l’Académie nationale des sciences des États-Unis élèves et étudiants trouvaient tous une Le D.E.S.S. master professionnel comp- vie en comptent 56 %; là existe une autre Yves Quéré embauche au sortir de leurs études, tait en 1994, 4000 diplômés, en 2000 la ségrégation: l’écrasante majorité des page 19 depuis 25 ans, ce n’est plus le cas. progression avoisine 90 %, de nombreux femmes choisissent d’enseigner, elles Succès de la théorie de Langlands Plusieurs points se dégagent de cette étudiants de maîtrises générales le ne bénéficieront jamais d’une approche Christophe Soulé évolution: préfèrent aux D.E.A.. de la recherche. Améliorer chaque page 19 - Au sein des universités, la fluidité des année, de quelques points, ce recrute- systèmes se développe dans les filières ment féminin et le fil de l’histoire en sera La vie des séances appliquées, elle le fait mal dans les changé, comme il l’a été dans beaucoup filières générales. d’autres secteurs professionnels. Le Sécurité sanitaire, vigilance sanitaire, goût des sciences est peu en cause dans surveillance épidémiologique Alain-Jacques Valleron De ces données brutes on peut extraire la baisse de la filière recherche ; le page 20 les éléments suivants: mauvais fonctionnement de toutes les - Les bacheliers choisissent préféren- formations l’est, car il ne répond pas aux tiellement des formations en étapes et besoins sociologiques de la génération

par Jean Dercourt acquièrent un titre « monnayable »

Secrétaire perpétuel à chacune d’elles (D.U.T., diplôme de l’Académie des sciences, d’ingénieur-maître, ou d’ingénieur professeur à l’université Pierre et D.E.S.S.).

2 Dossier e siècle que nous venons de vivre peut être qualifié de révolutionnaire dans tous les secteurs de la recherche et de la connaissance. L’un des effets de cette révolution L est d’ailleurs qu’il est devenu difficile, voire incongru, de dessiner une carte secto- rielle de la science faisant apparaître des frontières. Les cristallographes ont, peut-être avant d’autres, vécu dans cette atmosphère pluridisciplinaire. Minéralogistes tout autant que chimistes et physiciens, les voici maintenant partenaires des biologistes. En s’adonnant par goût et nécessité à la gymnastique de la pluridisciplinarité, ils sont devenus champions dans le sport du jeu d’échelles, du macroscopique au microscopique, avec un intérêt récemment grandissant pour le mésoscopique. Mais la conversion profonde opérée en cristallographie est dans l’intérêt croissant porté aux défauts des cristaux. Naguère consi- dérés comme des accidents regrettables venant troubler l’élégante périodicité de la matière cristallisée, les défauts cristallins, qu’ils soient ponctuels, linéiques ou surfaciques sont main- tenant appréciés pour leurs vertus. Bien contrôlés et sagement dosés, ils confèrent aux cris- taux des qualités essentielles pour leurs usages.

structure cristalline: un cristal est un assemblage périodique régulier dans l’espace de « molécules élémentaires » toutes identiques. Décrivant la nature des cristaux, il devenait aussi l’un des La Science découvreurs de la nature moléculaire et atomique de la matière. La maille élémentaire d’Haüy est l’entité que ne peut pas couper (a-tome) sans dénaturer une substance. des cristaux: Après l’ère des pères-fondateurs, Romé de l’Isle et Haüy, vint celle des mathé- maticiens – géomètres. Auguste Bravais (1811-1863) étudia les types de symé- tries compatibles avec la périodicité dans de l’ordre l’espace et dénombra les quatorze types de réseaux qui portent son nom. Puis vinrent les champions des groupes cris- tallins, Schönflies (1853-1928) et Fedorov (1853-1919). Travaillant indépendam- ment, l’un à Berlin, l’autre à Saint- au désordre Pétersbourg, ils apportèrent la preuve de leur excellence en proposant le même résultat, la même liste de deux cent trente groupes distincts. Ces deux cent 1 par Hubert Curien trente cases ouvertes au classement des cristaux selon leur symétrie ont donné a cristallographie est née comme pleine satisfaction aux cristallographes Lune science de l’ordre. Jean- jusqu’à des temps très récents où furent Baptiste Romé de l’Isle (1736-1790) découverts des milieux solides présen- édicta la loi de « constance des angles »: tant aux expériences de diffraction des les facettes d’un cristal d’une espèce symétries d’ordre cinq. Notre confrère déterminée font entre elles des angles Denis Gratias figure en tête des louables de valeurs constantes. Travaillant dans iconoclastes. En fait, ces phases à symé- le même esprit, mais non sans quelques trie quinaire sont d’une nature distincte. controverses, que l’évidence des faits eut Il est maintenant convenu de les appeler tôt fait de calmer, René-Just Haüy (1743- « quasi-cristaux ». 1822), partant de l’observation du phéno-

mène de clivage, donna une idée claire 1 Président de l’Académie des sciences, professeur et remarquablement moderne de la émérite à l’université Pierre et Marie Curie

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des substances fluides troubles et biré- fringentes qui deviennent limpides et isotropes à une température bien déter- minée. Ces phases liquides qui ont cependant quelques propriétés cristal- lines sont nommées « cristaux- liquides ». L’étude sera reprise un peu plus tard par Georges Friedel qui appor- tera la lumière sur la structure de ces substances et proposera une classifica- tion logique. Georges Friedel était le fils de Charles Friedel, chimiste dont le nom est resté attaché à la méthode de synthèse organique dite de « Friedel et Crafts ». Il fut le père d’Edmond, lui- même père de Jacques Friedel, brillant physicien contemporain. La famille Friedel n’est-elle pas un très remar- quable exemple de continuité familiale dans le succès de la démarche scienti- fique? Revenons aux cristaux – liquides dont les applications techniques connais- sent aujourd’hui un énorme succès. Leur caractère hybride est la cause de leurs vertus: fluides, ils sont aisément modi- fiables par des influences extérieures; anisotropes, ils peuvent constituer des éléments essentiels, dans des systèmes électro-optiques par exemple.

Poursuivons notre progression fruc- tueuse de l’ordre vers le désordre. Le milieu du siècle passé vit l’éclosion d’un nouveau champ d’intérêt pour les physi- ciens; l’étude des défauts ponctuels des cristaux. C’est à cette époque que l’ap- pellation « physique du solide » vit le jour. Elle s’appliquait essentiellement à l’étude du comportement des électrons dans les solides et, plus spécialement encore, à l’étude des semi-conducteurs, la merveille naissante des années quarante. Le comportement des élec- trons dans les solides est très fortement lié à la présence d’atomes étrangers qui constituent des défauts ponctuels dans des cristaux par ailleurs parfaits ou quasi-parfaits.

Quartz Les défauts ponctuels dans les cristaux ont été aussi, à partir de la même La périodicité et la symétrie, bases de la Max von Laue à Berlin et la famille Bragg sité des cristallographes supplée à ce époque, l’objet d’un intérêt particulier description de l’état cristallin devaient en Angleterre sont ici des figures de manque intrinsèque de données. En en liaison avec les effets des rayonne- conduire, au tournant du siècle que nous proue. La diffraction des rayons X par les trois-quarts de siècle, le « problème des ments ionisants sur la matière. La rapi- venons de quitter, à deux grands événe- cristaux est le triomphe de l’exploration phases » a été pratiquement résolu. Le dité des progrès de la physique des ments scientifiques. Le premier fut de l’ordre dans la matière. A la triple développement des moyens de calculs défauts cristallins doit beaucoup aux l’énoncé en 1894 du « principe de symé- périodicité du milieu cristallin corres- a été un facteur essentiel de succès. impulsions provoquées par les exigences trie » nommé généralement « lois de pond la nature discrète, en faisceaux de des programmes militaires. Il est politi- Curie ». Jacques et Pierre Curie décri- directions bien déterminées, des figures Triomphe de l’ordre donc, au profit de quement correct de constater que la vent en 1880 la piézoélectricité. Ils dédui- de diffraction. La relation entre l’espace tous les amateurs de connaissance de mise au point des armes atomiques et sent de leurs observations que, dans un cristallin et l’espace expérimental de la structure de la matière condensée. les besoins d’une électronique perfor- phénomène physique, les « causes » ne diffraction est une correspondance de Les biologistes eux-mêmes sont main- mante pour les engins d’attaque et de peuvent pas être plus symétriques que Fourier. La mesure des amplitudes des tenant des clients assidus et participa- défense furent des locomotives éner- leurs « effets ». Premier pas vers l’idée faisceaux de rayons X diffractés permet tifs. La détermination des structures de giques pour le train de la Recherche. que la symétrie maximum n’est pas le donc de dresser la carte de la densité protéines est devenue quasi-routinière, paradis des physiciens et que les dissy- électronique de la matière dans la maille à condition que l’on sache les cristalliser. Les défauts ponctuels ne sont qu’un des métries sont susceptibles d’apporter cristalline. L’affaire n’est malheureuse- modes adoptés par le milieu cristallin bien des satisfactions. Il en sera plus tard ment pas tout à fait aussi simple, car les Glissons maintenant un peu de l’ordre pour fronder avec la perfection. Parlons de même pour les défauts. mesures portent sur les intensités des vers le désordre. Les cristaux-liquides maintenant des « dislocations ». Lors- rayons X diffractés et non sur leurs nous proposent une piste. Reinitzer en qu’un métallurgiste théoricien voulait Second événement-clé pour les cristal- amplitudes, valeurs complexes dont on 1888, puis Lehmann en 1889, décou- expliquer autrefois quantitativement la lographes: la diffraction des rayons X. ne sait pas mesurer la phase. L’ingénio- vrent, par observation au microscope, plasticité des métaux à partir de la struc-

4 Dossier ture et des forces inter-atomiques dans « Aux mines de sel de Salzbourg, on jette, dans les profondeurs abandonnées de la mine, un solide, il se heurtait à de graves diffi- cultés : les matériaux, les métaux en un rameau d’arbre effeuillé par l’hiver; deux ou trois mois après, on le retire couvert de particulier, n’auraient pas dû, et de très cristallisations brillantes: les plus petites branches, celles qui ne sont pas plus grosses que loin, se déformer avec la facilité la patte d’une mésange, sont garnies d’une infinité de diamants, mobiles et éblouissants; constatée par les expérimentateurs. Il fallait trouver une explication: les défauts on ne peut plus reconnaître le rameau primitif. » nommés dislocations la fournirent. Ces défauts « linéiques » (néologisme pour: Stendhal, De l’Amour à une dimension), en se déplaçant dans les solides, permettent le glissement progressif, donc beaucoup plus aisé, de ce phénomène permet d’expliquer quan- positions: l’alliage est désordonné. Les mot avatar qui désigne les diverses diverses zones dans l’échantillon. Dans titativement non seulement les pro- transitions « ordre-désordre » ont fait incarnations de Vishnou), de souligner leurs déplacements, ces dislocations priétés thermiques des solides, mais l’objet de nombreux travaux. L’ordre et la diversité des méthodes et des instru- viennent d’ailleurs buter sur d’autres aussi les propriétés électriques et le désordre dans l’orientation des dipôles ments mis en œuvre pour l’étude de défauts, notamment des zones de magnétiques. En effet, par exemple, le magnétiques dont certains atomes sont l’ordre et du désordre de toutes espèces concentration de défauts ponctuels, comportement des électrons dans les porteurs constituent aussi un très beau dans la matière condensée. L’exploita- zones dites de « Guinier-Preston », à conducteurs est fortement influencé par chapitre de la physique moderne. tion toujours plus poussée des tech- la mémoire d’André Guinier, remar- les interactions avec le milieu agité. niques de diffraction a conduit à la quable cristallographe récemment L’étude de l’agitation thermique des Plongeons enfin dans le désordre appa- construction de sources de rayons X très disparu et de son collègue britannique atomes peut être menée par l’observa- remment anarchique mais qui s’avoue brillantes ou de faisceaux de neutrons G. Preston. En créant dans un solide des tion fine de la diffraction des rayons X. sans honte, celui des structures vitreuses, d’énergie adaptée. Grenoble, avec l’Eu- zones de Guinier-Preston on peut Puisque la stricte ordonnance triplement celui aussi des solides formés par ropean Synchroton Facility des polymères couramment nommés (ERSF) et le réacteur source de neutrons matières plastiques. Dans les verres thermiques de l’Institut Laue-Langevin, subsiste un ordre à courte distance qui est est un centre d’excellence (pas seule- étudié par des techniques très diverses. ment à ce titre, d’ailleurs!). L’instrument Les structures franchement désordon- « Soleil » qui se construit en Ile-de- nées ont fait depuis quelques dizaines France fera aussi la joie des structuro- d’années l’objet d’études théoriques et logues. Mais bien d’autres méthodes expérimentales très éclairantes et fruc- sont aussi impliquées, dont les réso-

De l’Amour, foyer secret de l’œuvre de Stendhal, garde trace de sa jeunesse mathématicienne et de son goût pour les théorèmes et les démonstrations. La naissance de l’amour comporte selon lui sept phases, dont la plus importante est la cristallisation, « opération de l’esprit qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’objet aimé a de nouvelles perfections ». Après avoir admiré un être et espéré d’en être aimé, l’imagination prend le relais pour le transfigurer: « On se plaît à orner de mille perfections une femme de l’amour de laquelle on est sûr ; on se détaille tout son bonheur avec une Une structure moléculaire déterminée par diffraction de rayons X: URATE OXIDASE (Aspergillus flavus) in N. Colloc’h et al, Nature Struct. Biol. complaisance infinie. Cela se réduit à s’exagérer une augmenter considérablement sa résis- périodique est troublée par les mouve- propriété superbe, qui vient à nous tomber du ciel, que tance mécanique. C’est ainsi que l’alu- ments atomiques, le rayonnement est l’on ne connaît pas, et de la possession de laquelle on minium facilement déformable peut-être diffusé en dehors des directions sélec- est assuré. » transformé, par ajout d’un faible taux tives de Bragg. Jean Laval fut l’initiateur d’impuretés, en Duralumin, de très en France de ce type d’étude et il en a bonne tenue métallique. Nous avons défini les caractères essentiels. C. G. rendu hommage à Georges Friedel à propos des cristaux liquides. C’est à son Allant toujours plus avant vers le petit-fils Jacques Friedel que s’adresse désordre, il faut, bien sûr, évoquer les tueuses pour les applications. Pour vous nances de toutes natures. Et n’oublions ici notre reconnaissance. Il fut l’un des alliages métalliques. Le cas le plus initier à cette connaissance du désordre pas que, sans le secours des ordinateurs pionniers de l’étude des dislocations simple peut être schématisé par l’occu- de la matière, je puis vous indiquer une les plus puissants, toutes ces recherches dans les cristaux. pation, au sein d’une structure, d’un excellente adresse: celle de Pierre-Gilles structurales subiraient un sévère même type de site par deux atomes de Gennes et de ses élèves. handicap. Un autre type de défaut cristallin mérite distincts A ou B. Ou bien les atomes A et Voilà donc rapidement, trop rapidement aussi notre attention: c’est l’agitation B occupent respectivement deux sous- Et, pour conclure, il me paraît intéres- dessinés, quelques traits marquants de thermique des atomes dans les cristaux. réseaux distincts et périodiques: l’al- sant, après avoir évoqué les divers l’histoire dense et riche de deux siècles Les atomes ne restent pas fixes, ils se liage est alors ordonné. Ou bien A et B avatars de la matière solide (souvenons- de cristallographie. Dans l’ordre ou le déplacent autour de leur position occupent au hasard un réseau global de nous de l’origine sanscrite, et noble, du désordre, la matière condensée ne moyenne d’équilibre, l’amplitude de ces manque ni d’exemplarité ni de ruses. déplacements allant croissant avec la Les cristaux ont tout pour plaire aux température. La connaissance fine de esthètes et aux curieux

5 Dossier Les rayons X et la structure de la matière

quelques essais infructueux obtinrent montrait, dans le cadre du modèle de effectivement un spectre de diffraction Bohr, qu’elles variaient régulièrement sur une plaque photographique placée avec la charge portée par le noyau. Ce derrière un cristal de « sphalérite » qui conduisit Moseley à proposer le clas- exposé à un faisceau de rayons X (la sement des éléments par leur numéro « sphalérite » est la blende ZnS, un atomique, donnant ainsi la clef du par Paul Caro 1 cristal cubique). Cette expérience tableau périodique de Mendeleieff. La démontrait d’un coup deux faits impor- longueur d’onde des rayons X émis est Les origines de la tants: la nature ondulatoire des rayons donc la signature d’un élément chimique diffraction des rayons X X et la structure atomique de la matière donné ce qui est la base d’une méthode Les rayons X furent découverts à Wurz- comme réseau géométriquement analytique (la fluorescence X) largement burg en Allemagne le 8 novembre 1895 ordonné. Elle valait le prix Nobel à von employée aujourd’hui. par Wilhem Conrad Röntgen. Ils résul- Laue en 1914. Dès 1912, William Les premiers expérimentateurs établi- taient de l’impact d’un flux de rayons Laurence Bragg démontrait la possibi- rent assez facilement la structure cathodiques (électrons) provenant d’un lité d’utiliser les interférences construc- atomique de composés minéraux sim- tube à décharge sur une surface miné- tives des réflexions des rayons X, dirigés ples comme le chlorure de sodium. Le rale. Ces mystérieux « rayons » étaient sous un certain angle sur les plans premier diagramme de diffraction X capables d’exciter la fluorescence d’un atomiques successifs d’une face cris- d’une protéine (une pepsine cristallisée) luminophore protégé au moyen d’une talline, pour mesurer la longueur d’onde fut obtenu en 1934 par John Desmond feuille de papier noir de la lumière visible du rayonnement X et les distances entre Bernal et Dorothy Crowfoot Hodgkin. et ultraviolette émise par le tube. Ils les plans. La fameuse formule de Bragg traversaient donc la matière. A cette exprime la relation entre ces trois quan- époque l’étendue du spectre des radia- tités. Sur elle est basée l’emploi de la Emission et absorption tions électromagnétiques était encore diffraction des rayons X pour déterminer des rayons X mal connue, cependant l’idée que des les structures cristallines. Son père ondes étaient associées aux rayons X William Henry Bragg construisait le Les rayons X émis par une cible frappée était dans l’air. La longueur d’onde était premier spectrographe à rayons X et les par des électrons forment un spectre supposée voisine de l’angström (10-10 résultats obtenus valaient aux deux discret composé d’un petit nombre de mètres). En 1912 à l’Université de Bragg le prix Nobel de physique en 1915. raies fines. Ces mêmes éléments sour- Münich, dans le Département dirigé par ces excités dans un plasma d’arc ou au A.J.W Sommerfeld, le physicien alle- En 1913, un autre jeune physicien anglais moyen d’une étincelle émettent un mand Max von Laue et un jeune thésard Henry Gwyn Jeffreys Moseley utilisant ensemble de raies fines dans le domaine spécialiste de l’optique, Paul Ewald, d’une part le principe du spectromètre visible ou ultraviolet. Ces spectres carac- eurent l’idée de rapprocher cette esti- de Bragg et d’autre part s’inspirant des téristiques sont utilisables également mation de celle de la distance entre les travaux d’un autre anglais Charles Glover pour l’analyse chimique. L’interprétation atomes dans les cristaux et donc de Barkla, mesurait avec précision les de ces spectres de raies (par les théo- tenter d’utiliser un cristal pour prouver longueurs d’onde X émises par diffé- ries de la spectroscopie « atomique ») a la nature ondulatoire des rayons X par rentes sources frappées par des élec- été longtemps difficile surtout pour les l’observation du phénomène de diffrac- trons. Il découvrait ainsi la suite des éléments les plus lourds. Ils proviennent tion. Deux de leurs collaborateurs, fréquences X caractéristiques émises de transitions entre les niveaux des W. Friedrich et P. Knipping, après par la succession des éléments et configurations (identifiées par des Quartz nombres quantiques différents) que peuvent prendre les électrons les plus extérieurs du cortège électronique de l’atome. Par contre les émissions X 1 Correspondant de l’Académie des sciences, directeur de recherche au CNRS proviennent de transitions qui affectent

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nement qui peut être électromagnétique ou des particules comme les neutrons, les électrons ou d’autres ou même des ondes sonores.

2/ La mise en œuvre d’une interaction entre un échantillon à étudier et le rayon- nement, ce qui peut se faire sous vide, des configurations qui comportent des Les sources de rayons X est extrêmement élevée. Elle surpasse en atmosphère conditionnée, ou encore électrons profonds. La spectroscopie X de beaucoup celle des sources conven- en fonction du temps, sur des mono- est donc une spectroscopie « de cœur ». Les sources classiques de rayons X sont tionnelles de rayons X exploitées depuis cristaux ou sur des poudres. Pour Comme pour les spectres « atomiques » des tubes scellés qui délivrent une Röntgen (d’un facteur qui atteint aujour- amener le rayonnement « à pied les émissions ne se produisent que si puissance maximale d’environ 2 kW. d’hui 1014 !). L’utilisation relativement d’œuvre » on utilise des filtres, des l’atome est contraint par une source Le métal bombardé (du cuivre par récente d’onduleurs, systèmes magné- monochromateurs, des collimateurs, d’énergie extérieure de « passer » dans exemple) émet des rayons X sous la tiques qui permettent d’obtenir une des miroirs… L’échantillon lui même est un état excité d’où il revient à son état de forme d’un spectre continu auquel se accélération périodique transverse des placé dans un diffractomètre. On peut base en émettant des photons. La capa- superposent des raies intenses carac- électrons, a permis d’augmenter considé- modifier les orientations du cristal par cité d’émettre (fluorescence) a pour téristiques du métal. On a aussi déve- rablement l’intensité du rayonnement X rapport au rayonnement incident de corollaire la possibilité d’absorptions qui, loppé des générateurs à anode tour- dans un domaine de longueur d’onde façon à recueillir le maximum de dans le cas où l’on reste dans le cadre nante qui diminuent les risques que l’expérimentateur peut choisir. Cela données en s’appuyant sur un pilotage de la gamme des configurations exci- d’échauffement et dont la puissance permet d’explorer avec des sources très par ordinateur. tées possibles, se traduisent souvent par atteint 20 kW. Ces sources sont utilisés brillantes des échantillons autour du des raies d’absorption fines qui sont tout dans les laboratoires. seuil d’absorption des atomes qui le 3/ La mesure des résultats de l’interac- aussi bien que les émissions des signa- constituent avec des conséquences tion au moyen de détecteurs (comme tures analytiques précises. En dehors des émissions d’origine capitales pour l’établissement des des plaques photographiques, des L’absorption des rayons X par la matière atomique les rayons X peuvent être structures cristallines notamment cellules photoélectriques; aujourd’hui, est d’autant plus probable que les obtenus sous forme d’un spectre celles des protéines. Les études des on emploie surtout des CCD ou des dispositifs d’imagerie). On observe les directions des faisceaux diffractés, réflé- chis ou diffusés dans les trois dimen- sions de l’espace, leur intensité, ou d’autres propriétés comme la polarisa- tion. On réalise aussi des mesures des effets produits au niveau de l’échantillon comme des émissions secondaires d’électrons, des fluorescences, etc… La mesure des énergies associées aux émissions et aux absorptions est une spectroscopie.

Dans tous les cas les mesures se tradui- sent par des tableaux de chiffres. En s’appuyant à la fois sur la théorie, l’or- dinateur et les modèles qu’il imagine, le chercheur peut transformer le tableau de chiffres en images. Par exemple dans le cas de la diffraction des rayons X, en cartes représentant la densité électro- nique au niveau atomique dans un échantillon. Cette opération exige d’ef- fectuer un grand nombre de calculs qui n’ont pu être menés à bien rapidement que grâce à l’existence assez récente Gypse, d’ordinateurs puissants et de logiciels adaptés. Pendant longtemps l’obtention numéros atomiques des atomes consti- continu comme conséquence du frei- structures fines de l’absorption au des structures a demandé un patient tutifs sont plus élevés. Les tissus consti- nage d’un faisceau d’électron d’une niveau du seuil (EXAFS, Extended labeur qui pouvait s’étaler sur des tués d’éléments légers sont aisément énergie supérieure à 150 MeV par la Absorption Fine Structure) ont été très années et qui, aujourd’hui, avec de traversés alors que les milieux denses matière (bremstrahlung), ou encore en utilisées par les chimistes pour avoir nouveaux instruments, peut se réduire composés d’atomes plus lourds, comme accélérant des électrons à des vitesses des informations sur l’environnement à quelques jours. l’os, absorbent le rayonnement. Ces relativistes sous un champ magnétique immédiat d’un atome dans un matériau différences sont une source de con- dans des orbites circulaires. Cette complexe (catalyseur par exemple) ou L’interaction trastes qui permettent de produire des dernière technique est utilisée pour pour suivre des cinétiques. rayonnement matière images. Les radiographies montrant l’in- produire le rayonnement synchrotron, dans le cristal térieur du corps comme un jeu d’ombre de plus en plus utilisé comme Les principes des appa- et de lumière ont été obtenues très tôt source de rayons X pour des études reils de caractérisation La théorie du milieu cristallin a été extrê- (par Röntgen lui-même avec la main de structurales, mais qui demande des mement développée comme branche de sa femme). Avant d’être un outil médical institutions spécialisées (comme l’ESRF La quasi totalité des appareils de carac- la physique et comme branche des ces clichés ont été des curiosités exhi- à Grenoble ou le futur « Soleil » à térisation reposent sur l’enchaînement mathématiques. La périodicité des bées dans les fêtes foraines. ). Une source synchrotron produit de trois phases expérimentales: motifs atomiques caractérise le cristal. un faisceau X très étroit avec une faible La plus petite unité contenant la totalité divergence angulaire dont la brillance 1/ L’utilisation d’une source de rayon- des motifs est la maille élémentaire qui

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se reproduit à l’infini dans toutes les directions de l’espace. Elle définit le réseau cristallin comme réseau de points (centrés sur les noyaux l’importance de l’imagination des cher- atomiques) et fixe ses propriétés géomé- cheurs dans la construction des modèles triques. Les éléments de symétrie de la qui permettent de simuler par le calcul maille sont un paramètre fondamental les résultats expérimentaux. de la structure du matériau étudié. Les opérations géométriques qui renvoient Réaliser une diffraction revient à effec- le motif atomique en coïncidence avec tuer expérimentalement une opération lui même: translations, rotations par qui est équivalente à une transformée rapport à des axes, inversions par de Fourier de l’espace périodique en trois rapport à un point, symétrie par rapport dimensions du cristal (on peut produire à un plan, ont fait l’objet d’un inventaire expérimentalement des transformées précis qui a abouti dès la fin du XIXe siècle optiques d’images périodiques bidi- à la définition rigoureuse de 230 mensionnelles avec un laser). Les rayons X «groupes d’espace » (« groupes » parce sont essentiellement diffractés par le que les opérations de symétrie y forment nuage électronique dans le cristal. Celui- un groupe au sens de la définition ci est beaucoup plus dense au voisinage Cérusite mathématique du groupe) parmi des nœuds du réseau atomique où se lesquels se rangent la totalité des cris- situent des atomes, surtout si ceux-ci taux. Les structures cristallines ont pu sont lourds (numéro atomique élevé), être classées en sept systèmes selon le c’est à dire ont beaucoup d’électrons. siques ne permettaient pas d’avoir des nombre et la nature des symétries Les rayons X sont donc plus sensibles informations sur un atome comme l’hy- présentes. Cet immense travail théo- aux atomes lourds qu’aux atomes légers. drogène. Mais aujourd’hui les techniques rique, condensé pour les chercheurs En conséquence les techniques clas- synchrotron les plus récentes, comme celles mises en œuvre à l’ESRF, ont permis d’établir la structure de l’hydro- gène jusqu’à 120 Gpa, et celle de la glace à 170 Gpa. A la différence des rayons X les neutrons ne sont diffractés que par les noyaux, ils peuvent donc permettre d’obtenir des informations sur des atomes légers qui les diffractent bien, comme l’hydrogène.

Le problème majeur de la cristallographie et ses solutions

Dans l’opération de diffraction on effectue donc une transformée de Fourier de la répartition périodique tridi- mensionnelle des densités électroniques dans le volume du cristal réel. Ceci implique que les détecteurs après l’in- teraction du faisceau X avec un mono- cristal devront enregistrer les positions et les intensités associées à une série de points (les « taches » de diffraction) correspondants aux nœuds du réseau réciproque associé à celui du cristal Pyrite (dans l’opération de transformation d’un dans les Tables internationales de cris- réseau en réseau réciproque les familles tallographie parues en 1950, est la base de plans réticulaires parallèles du fondamentale sur laquelle s’appuie réseau direct deviennent des nœuds du l’analyse des diffractions expérimen- réseau réciproque). En effet, ce sont les tales. seuls endroits où la transformée n’est pas nulle (d’après les propriétés des La saga de la découverte du principe de transformées de Fourier des fonctions la structure de l’ADN en 1953 par James périodiques). De plus les amplitudes des Watson et Francis Crick (lauréats du prix ondes X diffractées sont reliées au déve- Nobel de médecine en 1962), avec l’aide loppement en série de Fourier de la des résultats de diffraction X de cristaux densité électronique dans le cristal d’ADN de Maurice Wilkins (lui aussi examiné à travers une quantité complexe lauréat en 1962) et de Rosalind Franklin, appelée « facteur de structure » dont la est un grand exemple spectaculaire du valeur globale dépend des facteurs de pouvoir de la technique X pour déchif- diffusion caractéristiques des atomes frer les arrangements de l’infiniment qui se trouvent sur les plans du réseau petit. Mais l’histoire met aussi en valeur direct. Mais il y a un problème: il ne suffit

8 Dossier pas d’identifier les labels cristallogra- prix Nobel de chimie en 1985 pour leur phiques associés aux nœuds du réseau contribution décisive à l’établissement réciproque (les indices de Miller, une des structures cristallines, notamment série de trois nombres entiers positifs celles des matériaux biologiques. Ces ou négatifs) et de mesurer les intensités méthodes ont mis du temps pour être diffractées pour remonter à la densité acceptées par les cristallographes, en électronique. Il est difficile de reconsti- partie parce que la complexité des tuer par une transformée de Fourier Confronté à ce problème Max Ferdinand difficile pour des protéines qui contien- calculs exigeait de puissants ordina- inverse la densité électronique au sein Perutz, tentant d’élucider la structure nent un très grand nombre d’atomes teurs. L’idée est de rechercher une infor- du cristal, de trouver la position des de monocristaux d’hémoglobine eut légers. Utilisant une technique analogue mation statistique sur les phases qui est atomes dans le réseau direct par l’ob- l’idée en 1954 d’introduire par rempla- John Cowdery Kendrew résolvait en cachée dans les rapports entre les servation des maxima et de les identi- cement isomorphe dans certains sites 1958 la structure d’une protéine plus intensités des diffractions observées fier chimiquement (par l’évaluation de de la protéine des atomes lourds petite, la myoglobine. Les deux biochi- pour des familles de plans réticulaires leur coefficient individuel de diffusion). comme l’argent et le mercure qui mistes devaient recevoir pour leur travail dont les indices de Miller ont des rela- En effet, il manque une information diffractent les rayons X d’une manière le prix Nobel de chimie en 1962. Grâce tions particulières. perdue dans l’expérience: la phase de intense si bien que par comparaison à la méthode de Patterson des cristaux l’onde diffractée. C’est le problème avec les données de la protéine initiale, contenant un petit nombre d’atomes La technique de Patterson comme les majeur de la cristallographie structu- il est possible de les localiser dans la lourds se prêtent à une analyse qui méthodes directes peuvent conduire à rale. Dans une structure centrosymé- maille cristalline en traitant par le calcul conduit à de bons modèles structuraux des approximations de la structure trique, pour chaque diffraction la phase les amplitudes observées et leurs diffé- qui peuvent être ensuite affinés par le réelle. Pour améliorer le résultat, il y a vaut 180° ou - 180°, mais pour une struc- rences. L’analyse de Patterson (1934) calcul. La difficulté est cependant d’être des techniques mathématiques qui font ture qui n’a pas de centre de symétrie permet en effet d’obtenir une carte certain que le dérivé dans lequel est appel à des différences de synthèses de l’angle peut être quelconque. Cet représentant la densité des vecteurs inséré l’atome lourd n’est pas trop diffé- Fourier. Il existe de nombreuses sources obstacle n’a pu être levé que par le déve- reliant entre eux les atomes diffractants rent de la structure étudiée. Il faut sur le réseau Internet qui offrent des loppement des moyens de calcul liés au dans la maille, ce qui est efficace pour parfois obtenir plusieurs dérivés corres- programmes de calcul. On utilise un progrès des ordinateurs. les structures contenant peu d’atomes pondant à des substitutions isomorphes modèle de la structure qui est affiné lourds qui diffractent beaucoup, mais de métaux différents pour résoudre les jusqu’au moment où les différences Dans le cas des cristaux minéraux rela- tivement simples, on peut obtenir des diagrammes de poudre sur des échan- tillons finement broyés qui vont présenter au faisceau un grand nombre d’orientations cristallines permettant de mesurer les diffractions de Bragg et d’arriver à une série de chiffres repré- sentant des distances entre plans atomiques. Cette liste numérique a une valeur analytique: elle caractérise un matériau. Des banques de données permettent des identifications automa- tiques de composés. Des instruments perfectionnés utilisant un rayonnement X filtré bien monochromatique, comme la caméra de Guinier, apportent des mesures très précises qui peuvent être encore améliorées par l’utilisation du rayonnement synchrotron. Des règles liées aux groupes d’espace, par exemple des extinctions systématiques de certaines réflexions, permettent souvent d’identifier le système cristallin voire le groupe d’espace si la symétrie est élevée. L’application de quelques règles simples permet de déduire des distances Malachite mesurées les dimensions probables de la maille élémentaire. Il faut ensuite ambiguïtés dues au problème des entre les diffractions expérimentales et « habiter » celle-ci avec des atomes (il phases. Parmi les structures de molé- calculées, évaluées par une méthode faut connaître la composition chimique), cules biologiques importantes établies de moindres carrés, sont considérées un exercice qui permet de proposer un par les méthodes cristallographiques il comme acceptables. Il existe des biblio- modèle et de calculer ce que doit être le faut noter celle de la pénicilline en 1949, thèques de programmes pour conduire diagramme théorique en position et en puis celle de la vitamine B12 en 1957 ces opérations de raffinement. Il faut intensité. La comparaison avec l’expé- établies par Dorothy Crowfoot Hodgkin, cependant veiller à la vraisemblance rience, et l’ajustement, sont grandement qui recevra le prix Nobel de chimie en cristallochimique (distances entre facilités par des méthodes qui utilisent 1964, et résoudra en 1969 la structure atomes) ou aux propriétés chirales et notamment la mesure précise du profil tridimensionnelle de l'insuline. stéréochimiques des fragments molé- des raies de diffraction, comme la Il existe pour résoudre le problème de culaires impliqués dans la structure… méthode de Rietveld (1966). On peut ainsi la phase des méthodes plus efficaces La simulation d’une structure, ou d’élé- parvenir à établir des structures à partir et plus rapides qui s’appuient sur un ments partiels, obtenue par des calculs de diagrammes de poudre dans des cas puissant arsenal mathématique : les de dynamique moléculaire, peut aussi relativement simples. Cela n’est bien sûr méthodes directes. Elles ont été propo- être utilisée pour s’assurer de la vrai- pas possible avec les molécules géantes sées par Herbert Hauptmann et Jerome semblance de l’interprétation des que sont les protéines. Karle dès 1949. Ils ont tous deux reçu le données de diffraction.

9 Dossier La technique MAD diffractées. Deux atomes de sélénium (Multiple Wavelength permettent de déterminer les phases Anomalous Diffraction) d’environ 15 kD de protéine. D’autres La possibilité d’obtenir des raies X même valeur mais de signes opposés et refroidis à la température de l’azote éléments dont les seuils se situent pour intenses par le réglage des onduleurs différentes de celles de la diffraction loin liquide ce qui réduit l’agitation thermique des longueurs d’onde X comprises entre sur un anneau synchrotron a permis de du seuil. Ce qui introduit des différences moléculaire, améliore le rapport signal 0,3 et 3 angströms, peuvent être utilisés résoudre le problème de la phase en analysables entre les intensités expéri- sur bruit, augmente la résolution (par dans les protéines: Fe, Cu, Br, ou encore répétant l’expérience de diffraction à trois mentales des taches de diffraction. Pour l’observation de diffractions de Bragg Hg, Pt, U et les lanthanides (ceux-ci longueurs d’onde X différentes. On se des réflexions de Bragg reliées par des associées à des indices de Miller élevés) remplacent souvent le calcium dans les place sur un seuil d’absorption d’un éléments de symétrie du cristal, les et surtout ralentit la destruction du cristal. protéines). atome lourd contenu dans le cristal à phases diffèrent également (paires de L’élément le plus couramment utilisé étudier (ou introduit dans la structure). Bijvoet). Les amplitudes peuvent être pour la MAD est le sélénium. On le trouve On fait une mesure avant le seuil, au affectées aussi si certains atomes naturellement dans certaines protéines Des chiffres aux images seuil et après le seuil d’absorption de cet diffractent de façon anomale, d’autres et surtout on peut le substituer au soufre, élément. En effet au voisinage du seuil, pas. Le point de départ de la détermi- élément très fréquent dans les protéines. Les calculs permettent d’obtenir des le facteur de diffusion atomique indivi- nation des phases va être une carte de Le sélénium a l’avantage de présenter images tridimensionnelles de la struc- duel de l’élément se modifie : une Patterson pour reconnaître les vecteurs un facteur de diffusion qui varie d’une ture du cristal, souvent condensées en nouvelle composante avec une partie qui relient les uns aux autres les atomes façon appréciable avec la longueur projections bidimensionnelles sous réelle et une partie imaginaire prend de qui diffractent de façon anomale. Outre d’onde X autour du seuil. La contribution l’angle qui exprime le principe de la l’importance (diffraction anomale). Cette l’information obtenue pour une longueur du signal anomal au facteur de struc- structure avec le plus de clarté. On peut modification se comprend puisqu’en d’onde, on peut aussi s’appuyer sur la ture global est faible, au plus de l’ordre représenter les densités électroniques même temps le cortège électronique de variation du facteur de diffusion entre de 4 %. Il faut donc minimiser les erreurs à l’échelle de la maille élémentaire, c’est l’atome est perturbé par des processus deux longueurs d’onde différentes pour dans l’enregistrement des intensités une sorte de traduction cartographique,

Quartz et pyrite d’absorption. On va jouer sur l’évolution comparer les diffractions (différences du type « courbes de niveau », des chif- de ce facteur avec la longueur d’onde X dispersives). fres relevés. Mais pour faciliter l’inter- pour obtenir des informations nouvelles En fait, les différences observées sont prétation cristallochimique ou structu- grâce aux différences dans les intensités faibles et exigent pour être mesurées rale, on utilise des « modèles à boules » des diffractions. Au seuil, un certain beaucoup de soin dans le recueil des avec des sphères ou des points aux nombre d’atomes vont diffracter de façon données. Il faut s’assurer que le cristal nœuds du réseau où se trouvent les anomale et cela va contribuer aux ampli- n’évolue pas au cours des différentes atomes, parfois en jouant sur la couleur tudes et aux phases associées aux étapes de la mesure, qu’il n’est pas et la dimension pour faire « parler » réflexions de Bragg. Alors, les phases endommagé par l’impact du faisceau, l’image. Dans d’autres cas où l’on s’in- d’une paire de réflexions pour lesquelles que le bruit de fond des données est téresse plus à la liaison chimique, on va les trois indices de Miller sont de même suffisamment bas, etc… En général dans représenter, en totalité ou partiellement, valeurs mais de signes opposés, sont de ce genre d’expériences les cristaux sont les fragments de droite qui joignent les

10 Dossier Vers le futur

Une structure est comme une vision figée de l’arrangement d’atomes. Nos bases de sites atomiques. Cette représentation a enchaînements d’aminoacides adoptent données renferment aujourd’hui de très l’avantage de mettre en évidence les un certain nombre de formes fréquentes, nombreuses représentations. Dans cer- polyèdres de coordination autour de comme l’hélice alpha, le feuillet, le ruban, tains cas les structures évoluent d’une certains atomes qui font partie de l’ar- le pli, la boucle, le virage… qui sont utili- façon dynamique et cela peut être leur senal conceptuel des cristallochimistes. sées pour construire les images de propriété essentielle. Surtout pour les Les trois modes de représentations sont protéines. Les liaisons hydrogène jouent protéines qui passent d’une forme à une interchangeables et il y a aujourd’hui un rôle fondamental dans la formation autre en fonction de sollicitations exté- des programmes qui permettent de et la stabilité de ces conformations. rieures, thermodynamiques ou chimiques passer de l’un à l’autre. Ils utilisent en Comme la position individuelle des ou simplement en fonction du temps. Le général des procédures VRML (Virtual atomes est difficile à représenter à cause défi pour les structuralistes est de saisir Reality Modeling Language, apparu en de leur nombre, on a tendance à privilé- cette évolution. La technique de la diffrac- 1994). Ces programmes permettent de gier des volumes qui expriment une fonc- tion de Laue qui utilise un faisceau de «faire tourner » les images en trois di- tionnalité ou une identité chimique. L’en- rayons X « blancs » (polychromatique) mensions et donc donnent à voir une veloppe de ces volumes est la surface de permet d’abord d’avoir une idée de la symé- structure sous différents angles. Ils Van der Waals du groupe moléculaire. trie du cristal et de son orientation mais offrent en matière de publication élec- Les images de structures de protéines aussi, si les taches de diffraction du dia- tronique un avantage considérable par sont en conséquence assez différentes gramme de Laue peuvent être mises en rapport aux publications papier. Ils de style et d’apparence par rapport à rapport avec la longueur d’onde associée, s’adaptent bien à l’imagerie des pro- celles qui sont familières aux chimistes elles permettent d’accéder à la structure. téines. du solide ou aux organiciens. Les blocs En raison de la nature pulsée des émis-

Les protéines sont des macromolécules fonctionnels peuvent aussi être employés sions synchrotron il est possible de réaliser faites de 20 L-aminoacides différents. pour raffiner les structures car on des mesures résolues dans le temps qui En dessous de 40 aminoacides on retrouve des constantes d’un produit à capturent l’évolution d’une structure. La préfère le terme peptide. Les protéines un autre. Les constructeurs de modèles résolution temporelle est limitée par la multifonctionnelles peuvent contenir des exploitent l’arsenal des conformations longueur du paquet d’électrons sur les centaines d’aminoacides. La séquence connues au sein des protéines pour s’ac- anneaux de stockage (50 picosecondes). des aminoacides est la structure pri- corder avec les données expérimentales La détermination du comportement dyna- maire d’une protéine ou d’un peptide. La obtenues d’un cristal inconnu. mique de structures soumises à des conformation dans l’espace des protéines contraintes, allant jusqu’à l’observation est une caractéristique essentielle de directe de réactions chimiques, est certai- leurs propriétés biologiques. Il est donc nement le nouveau défi de la cristallogra- souvent important de la connaître. Les phie expérimentale

11 Dossier L’ apport du rayo synchrotron à la Entretien avec Yves Petroff 1

Il est blanc sauf si l’on utilise des ondu- atomes de soufre des protéines par du d’une nouvelle protéine, on s’appuie sur leurs, on obtient alors une série de raies sélénium. On peut résoudre le problème des sous-ensembles connus. Á l’ESRF, intenses dont la largeur est de quelques de la phase en faisant trois mesures, pour une protéine moyenne il faut à peu centaines d’eV à 10 KeV. Le gain en avant le seuil, après le seuil et à peu près près 10 minutes pour enregistrer les brillance par rapport à une source au seuil, une technique qui s’appelle le données, positions et intensités des conventionnelle de rayons X est de l’ordre MAD (Multiple-wavelength Anomalous taches de diffraction. On peut en recueillir de 1010. Comme on peut maintenant Diffraction). Il y a quelques années elle des millions en quelques minutes avec focaliser les faisceaux à des tailles infé- n’était utilisée que pour quelques % des des détecteurs bi-dimensionnels qui sont rieures au micron, on peut travailler sur structures de protéines résolues, main- le plus souvent des CCD. Á partir de ces de très petits cristaux et on sait que pour tenant 70 ou 80 %. données on reconstruit l’image très faci- les composés biologiques, plus le cristal lement. La partie software traitée par de est petit, meilleurs sont les résultats. On Et la diffraction de Laue? puissants ordinateurs, est extrêmement par Paul Caro 2 peut donc exploiter de tout petits cris- Au départ, la première ligne de l’ESRF importante. Les méthodes se sont beau- taux pour obtenir de bonnes résolutions. était une ligne de Laue, construite à la coup développées depuis une dizaine demande des biologistes. Aujourd’hui d’années. En général les grandes équipes Question: Il existe aujourd’hui une optique des RX? cette technique ne sert pour ainsi dire qui s’occupent de structures de protéines Quelle révolution introduit le rayonne- Il y a eu énormément de progrès au plus en cristallographie des protéines font tout. Elles commencent par faire ment synchrotron dans l’établissement cours des dix dernières années pour les sauf lorsque l’on veut faire de la diffrac- la cristallisation, puis l’acquisition des des structures des matériaux biolo- optiques des rayons X. On arrive main- tion résolue en temps. On peut essayer données, enfin la structure elle même. giques? tenant à faire des miroirs qui ont une de suivre à l’échelle des 100 picose- Ceci dit ce qui les intéresse c’est la fonc- rugosité de l’ordre de l’angström et des condes à peu près ce qui se passe dans tion biologique et pour l’instant la déter- Yves Petroff: erreurs de pente de l’ordre de 0,2 à 0,3 une structure de protéine. Par exemple mination de la structure est un passage Dans le domaine de la biologie, les pre- microradians. C’était absolument im- sur l’hémoglobine quand on fixe l’oxyde obligé. Si on a un tout petit cristal d’une mières structures cristallographiques pensable il y a dix ans! A l’ESRF il y a une de carbone sur le fer divalent dans taille de 10 ou 15 microns, il est difficile de molécules ont été faites à Cambridge dizaine d’années, on a construit deux l’hème. On irradie avec un laser picose- à aligner et, typiquement, il faut quinze avec des résolutions peu élevées mais lignes qui étaient supposées fournir des conde qui va casser la liaison entre le fer minutes, ce qui est un peu aberrant parce remarquables pour l’époque. A partir du faisceaux très petits de l’ordre de 10 ou et le CO et on peut suivre la migration du qu’il faut dix minutes ensuite pour moment où on a eu accès au rayonne- 15 microns, aujourd’hui il y a beaucoup CO dans le cristal ainsi que la manière prendre suffisamment de points expéri- ment synchrotron il a été possible de de lignes à l’ESRF qui ont cette caracté- dont les liaisons se réarrangent. Seules mentaux! Les mesures se font à une descendre à des résolutions qui main- ristique et il y en a plusieurs qui permet- les expériences résolues en temps température voisine de celle de l’azote tenant tournent autour de l’angström ou tent de descendre en dessous du micron. emploient encore le Laue. liquide, un gaz froid arrive sur l’échan- d’un angström et demi, ce qui est un pas Cela est du d’une part aux qualités des tillon. On assiste à une automatisation considérable par rapport à ce qui se miroirs, d’autre part à des progrès dans Est-ce que l’on établit les structures en complète de toute la chaîne. Des robots faisait il y a 20 ans. D’autre part, alors la mise au point de nouvelles lentilles comparant les résultats expérimentaux sont développés actuellement qui qu’il fallait autrefois un ou deux ans de faites avec des éléments légers qui avec les prédictions d’un modèle? peuvent recevoir 60 à 80 échantillons. Il travail pour déterminer la structure, permettent de refocaliser le faisceau sur Il est impossible de prévoir actuellement y en a à l’ESRF, à Stanford, à Berkeley… aujourd’hui on peut l’obtenir en quelques un diamètre qui est actuellement d’un les structures des grosses molécules Ils permettent de changer un échantillon heures. micron, et on pense que l’on pourra comme on peut le faire pour les petites. en 30 secondes. C’est important, parce descendre à 0,1 ou 0,2 microns. Par contre il existe des bases de données que lorsque l’on cherche à résoudre des Le rayonnement synchrotron est un avec des sous-ensembles qui ont déjà structures compliquées comme celles rayonnement blanc en principe, quelle La cristallographie des protéines est été étudiés. Pour établir la structure du ribosome ou de certains virus, la est la différence par rapport aux sources assez différente de celle des composés qualité des cristaux est extrêmement classiques anciennes de RX? minéraux ordinaires, quel type de importante et donc il faut souvent tester diffraction utilise-t-on? un très grand nombre de cristaux avant Essentiellement de la diffraction clas- d’en trouver un qui va diffracter à 1,5 sique, sauf que pour résoudre le pro- angströms ou à 2 angströms alors qu’il blème de la phase, on se place sur un y en a plein d’autres qui diffractent à 3, 4, 1 Université de Californie-Berkeley, directeur hono- seuil d’absorption d’un élément lourd, ou plus. Certains chercheurs rêvent d’en- raire du LURE (Laboratoire pour l’utilisation du rayonnement électromagnétique) et de l’ESRF par exemple celui du sélénium que l’on voyer leurs cristaux par la poste pour un (European Synchrotron Research Facility) trouve assez souvent dans certaines traitement automatique, c’est vrai pour 2 Correspondant de l’Académie des sciences, directeur de recherche CNRS protéines. On peut aussi remplacer les des cristaux biologiques d’un intérêt

12 Dossier nnement cristallographie

ou les virus, ont des poids moléculaires La partie biologie moléculaire repré- dans la gamme des millions de dalton, sente quelle fraction de l’activité des et donc la RMN actuellement ne peut synchrotrons? scientifique moyen, par contre pour les pas apporter de solutions. etc… Les discussions durent depuis Actuellement c’est de l’ordre de 25 à grands problèmes, comme l’interaction deux, trois ans et n’ont toujours pas 30 %. Le reste c’est essentiellement du ribosome avec les antibiotiques, il vaut L’industrie pharmaceutique est-elle abouti, alors qu’à Berkeley, qui a un physique des solides, matériaux, chimie, mieux participer directement aux expé- intéressée par les lignes de lumière anneau beaucoup plus petit, il y a deux géophysique, physique atomique et riences! synchrotron? lignes de biologie structurale qui sont moléculaire… Parmi les techniques Á l’ESRF actuellement il y a une quin- entièrement financées par l’industrie que les chimistes aiment bien il y a Comment se compare la technique de zaine ou une vingtaine de sociétés qui pharmaceutique. L’une d’entre elles l’est l’EXAFS (Extended X ray Absorption la diffraction avec la RMN? achètent régulièrement du temps de d’ailleurs par une compagnie pharma- Fine Structure) qui est moins utilisée Le grand avantage de la RMN par rap- faisceau dont certaines américaines. Par ceutique européenne… L’Europe est donc qu’il y a une dizaine d’années, car l’in- port aux rayons X, c’est que l’on peut contre aucun groupe européen n’a voulu très en retard, en partie parce que, terprétation s’est révélée complexe. Il la faire sur un liquide, on n’a pas besoin monter une ligne complète. C’est une comme il est déductible des impôts des y a de plus en plus de gens qui s’inté- d’avoir des cristaux. La faiblesse de la très grosse différence avec ce qui se entreprises, un investissement de ce ressent à ce qui se passe au seuil d’ab- RMN c’est qu’elle ne peut pas résoudre passe aux États-Unis. Il y a trois ou type est moins coûteux aux États Unis sorption, l’examen du seuil avec de des structures d’un poids moléculaire quatre ans à l’ESRF, on a commencé à pour des raisons fiscales. Il faut dire la lumière circulairement polarisée supérieur à 30000 dalton. Or, la plupart avoir des contacts avec une dizaine de aussi que là-bas le marché du travail est apporte énormément d’informations des structures qui intéressent aujour- grandes sociétés européennes comme plus flexible: il est plus facile de débau- sur la structure électronique de l’atome d’hui les biologistes, comme le ribosome Glaxo, Wellcome, Adventis, Novartis, cher le personnel… concerné .

13 Dossier

Entretien avec Yves Petroff

Quel est l’historique de l’installation des 16 milliards de francs par an, le CNRS synchrotrons en Europe? doit contribuer au budget de l’ESRF Les premières expériences avec les pour une somme de 60 millions par an! synchrotrons en Europe ont été faites (pour 1200 utilisateurs français par an). Est-ce que, dans le domaine de la phy- dans les années 60 à DESY (Hambourg) C’est quand même une goutte d’eau dans sique et de la chimie, les industriels font et par Yvette Cauchois à Frascati (anneau son budget global. Le budget de l’ESRF appel aux possibilités du rayonnement ADA). Elle avait demandé la construc- est de 420 millions de francs et la France synchrotron? tion d’une ligne de lumière à Orsay mais en paie à peu près 25 ou 26 % soit Il y a de plus en plus d’industriels qui cela n’a abouti que 10 ans plus tard avec 100 millions par an partagés entre le CEA utilisent l’imagerie de contraste de ACO. A cette époque il n’y avait en Europe et le CNRS. Le coût de ces instruments phase. En diffraction de poudres il y a que trois centres d’expériences. Les internationaux peut paraître élevé mais aussi pas mal d’industriels qui utilisent chercheurs y vivaient plus ou moins en il faut reconnaître qu’ils sont en général le rayonnement synchrotron à cause de parasites des spécialistes des hautes bien gérés. Au delà d’une certaine la très haute résolution. Selon qu’un énergies auxquels ils empruntaient la somme, à l’ESRF les acheteurs négo- médicament est amorphe ou cristallisé lumière à bas coût puisqu’ils ne payaient cient le prix, ce qui fait que lorsque je suis sa réactivité est vraiment différente: de pas la machine… Ensuite on a construit passé de LURE à Grenoble je me suis Qu’en est-il de la microscopie X? nouvelles lois en Europe vont imposer spécialement pour le rayonnement aperçu que l’équipement que j’achetais On peut faire des images, en particulier une caractérisation plus précise sur ce synchrotron à Daresbury (UK), à BESSY à Orsay me coûtait plus cher qu’à par l’exploitation de la cohérence, avec point aux sociétés pharmaceutiques. (Berlin), ou plus tard Super ACO à Orsay. Grenoble. En effet à l’ESRF on négocie des résolutions variables selon le do- Dans le domaine de la microélectronique Maintenant, il y en a partout. Aux États- systématiquement et il y a une souplesse maine d’énergie, on peut faire en con- par exemple en ce moment à Berkeley Unis il y avait aussi au début de petits administrative, une légèreté adminis- traste de phase des images d’objets qui il y a trois lignes de lumière qui sont anneaux, le premier Tantalus de quel- trative, qui fait que, par exemple, on a pu n’absorbent pas comme les polymères financées par des industriels comme ques mètres de diamètre comme ACO, construire un hôtel de 200 places, qui avec des résolutions de l’ordre de 0,5 Intel, IBM, Motorola. Le but est de cons- et par la suite, Brookhaven, Stanford, revient à peu près à 10 euros par jour petit microns. Par contre, dans le domaine truire les éléments qui permettront de plus récemment l’ALS à Berkeley, l’APS déjeuner compris, et qui a été amorti en des rayons X mous il y a énormément de faire les masques pour fabriquer la à Argonne et Cornell aussi. L’ESRF a été 5 ans. On n’a jamais été capable à choses qui se développent autour du nouvelle génération de puces qui sera conçu il y a très longtemps, dans les Orsay de construire un hôtel pour magnétisme et autour de microscopes mise sur le marché en 2007, peut-être années 75. Après 10 années de gesta- accueillir des gens qui viennent travailler à photo-émission qui exploitent aussi le avant, avec un écart entre les gravures tion la décision a été prise, dans les la nuit, qui travaillent 18 heures et qui dichroïsme et qui permettent d’avoir des de circuits de l’ordre de 500 angströms. années 87-88. Avoir attendu n’est pas sont obligés après ça d’aller se loger en résolutions de l’ordre de 300 angströms. Cela a déjà été fait en laboratoire, trois un mal, car la machine finale est très ville. L’ESRF a aussi négocié avec les On espère descendre à Berkeley à 50 laboratoires nationaux américains, différente de ce qu’elle aurait été quel- grandes compagnies aériennes, ce qui angströms et à BESSY (Berlin) à 10 Berkeley, Livermore, Los Alamos, ont ques années auparavant! Elle a béné- fait qu’en l’an 2000, pour 5000 utilisa- angströms. Il y a de plus en plus cou- travaillé avec les sociétés concernées. ficié de l’expérience acquise avec les teurs, le budget des voyages, logements plage de la microscopie dans le domaine C’est un projet de 150 millions de dollars onduleurs. L’émittance qui a été obtenue et repas compris, n’a été que de des rayons X mous avec des techniques et ils ont réussi à faire des optiques qui est la meilleure que l’on puisse avoir. La 7,3 millions de francs. Si on savait faire de spectroscopie pour caractériser permettent d’atteindre la résolution de construction a eu lieu dans les temps des économies au CNRS, on ne se pose- l’échantillon. En biologie, on peut faire 500 angströms souhaitée. Dans le do- prévus. Le futur laboratoire national, rait plus la question du choix entre les avec une résolution de 300 angströms maine du magnétisme, tout ce qui est lié « Soleil » a beaucoup traîné. Je crois gros instruments et les petits instru- des tomographies de cellules ou de à la magnétorésistance géante intéres- qu’une source nationale est importante ments… En ce qui concerne la carrière colloïdes. En microscopie électronique se des industriels comme Siemens, car un établissement international ne des chercheurs, souvent des personnels il faut travailler sur des échantillons qui Thomson, IBM, pour comprendre les peut pas accorder trop de temps à une détachés, il y a un problème. Ils ont une sont très minces alors que là on peut mécanismes qui commandent la capa- seule équipe. Un centre national devrait double tâche, ils font une recherche prendre des cellules qui font dix microns cité de stockage de données sur des permettre des expériences de recherche propre et ils font de la recherche de d’épaisseur. disques durs. Il n’y a plus beaucoup originales, audacieuses, risquées et service pour d’autres et souvent la nuit d’écart entre les découvertes fonda- demandant beaucoup de temps de fais- et le week-end. En conséquence, je crois mentales et leur mise en œuvre indus- ceau. Ceci est un peu plus difficile sur qu’ils ne doivent pas rester plus de dix trielle. La magnétorésistance géante a les installations internationales vu la ans dans un organisme de ce type parce été découverte en 1988 et quelques pression de la demande. qu’on les tue! Il faut donc des ponts pour années plus tard IBM l’utilisait pour des que les chercheurs puissent repartir dans produits grand public. Pour la recherche Quels sont les rapports entre les grands leurs organismes d’origine ou ailleurs. Il industrielle l’Europe est très frileuse, il équipements et la recherche fonda- y a une espèce de blocage actuellement n’y a pas la tradition des États-Unis. Les mentale? au niveau de Soleil parce que vous ne industriels sont intéressés par un ré- On ne résout jamais un problème en pouvez pas demander un travail de très sultat. Pour cela, ils sont prêts à sous- physique avec une seule technique. haut niveau à des gens et les payer avec traiter, ce n’est pas un problème d’argent. Quelqu’un qui fait des couches magné- les salaires ridicules du CNRS. Je crois Ce qu’ils ne veulent pas, c’est construire tiques utilise le rayonnement synchro- que cela conduit la recherche en France des structures avec du personnel pour tron, mais il travaille aussi avec un SQUID, dans le mur. En plus, c’est le seul pays faire de la recherche. On a des efforts à il fait des mesures de transport, il utilise au monde qui n’a pas de post-docs! Les faire en Europe pour s’adapter à ce type cinq ou six techniques. Il est vrai que dans étrangers peuvent venir en France, mais de demande. L’Europe devrait se de- beaucoup de domaines le rayonnement quelqu’un qui a fait sa thèse à ne mander pourquoi ses industries phar- synchrotron devient indispensable. Il peut pas aller en post-doc à Marseille! maceutiques installent leurs laboratoires faudrait quand même donner deux Je sais que c’est un sujet tabou, mais, aux États Unis et c’est une question qu’il chiffres car ils sont mal connus en vraiment, les post-docs, c’est ce qui fait ne faut pas se poser trop tard… général, le budget du CNRS est de la force des laboratoires!

14 Dossier Les quasicristaux, ou comment la nature déjoue les théorèmes Par Remy Mosseri 1

usqu’au milieu des années 80, tout “incommensurables” sont alors bien En l’espace de quelques mois, ils sont Les quasicristaux posent ici un pro- Jcristallographe sensé, placé devant interprétées comme modulations de des centaines à s’attaquer au problème, blème, car il sont trop ordonnés pour se un cliché de diffraction ponctuel, aurait phases cristallines). Les auteurs de la dans un contexte pluridisciplinaire satisfaire des approximations et simu- diagnostiqué sans hésiter la présence publication (deux Israéliens, D. Schecht- original, qui va des mathématiciens aux lations à l’œuvre dans les verres, mais d'un ordre atomique périodique, seul mann et I. Blech, un Français, D. Gratias, métallurgistes. Une première étape sera pas assez ordonnés pour pouvoir utiliser susceptible d'engendrer, par effet d'in- et un Américain, J.W. Cahn), bien sûr rapidement franchie grâce aux pavages pleinement les outils de la symétrie terférences constructives, des pics de conscient de ce qu'allait être la réaction «Bragg ». On comprend alors le grand à leur travail, avaient tourné et retourné étonnement, voire la stupeur ou l’incré- la question dans tous les sens (et dulité profonde, qui a gagné cette pendant plus de deux ans pour le communauté, et avec elle l’ensemble premier d'entre eux), cherchant à débus- des physiciens de la matière condensée, quer l'artéfact qui invaliderait le fait expé- de voir publié dans une revue réputée, rimental. Mais nos quatre chercheurs un cliché de diffraction électronique qui finissent par se convaincre que celui-ci semblait contredire les bases même de est solide, quand bien même ils ne cette discipline. Obtenu sur un alliage peuvent alors l'expliquer (c'est à dire apparemment banal d'aluminium et de proposer une structure microscopique manganèse, il présentait en effet un correspondante).

figure 1, micro-quasicristaux à facettage icosaédriques dans des alliages Aluminium-Lithium-Cuivre figure 2, le pavage de Penrose montre comment il est possible de paver parfaitement un plan, avec deux types de losanges (dont les angles sont des multiples de π/5), et de façon quasipériodique. caractère ponctuel, signature d’un ordre Rien n’excite plus la curiosité et l’imagi- du plan de Roger Penrose (proposés dix (comme le fameux théorème de Bloch à grande distance, et une symétrie nation des scientifiques qu’un paradoxe, ans plus tôt et généralisés depuis à trois pour calculer les comportements élec- d'orientation correspondant au groupe surtout lorsque celui-ci remet en cause dimensions), qui prouvent qu’il est troniques). Et, de fait, les dix dernières de l'icosaèdre, le cinquième solide pla- des principes bien établis. Notons bien possible de réconcilier l’ordre et les années ont vu attacher à ces matériaux tonicien, constitué de 12 sommets et qu’un ordre icosaédrique, toujours limité symétries interdites (ici pentagonales et des propriétés très originales: très faible 20 faces triangulaires. Or, ce groupe à courte ou moyenne distance, s’était icosaédriques) en se limitant pour le conductivité, très grande dureté suivie contient des axes d'ordre cinq, et c'est déjà manifesté dans diverses structures premier à une forme plus faible, la quasi- d’une spectaculaire transition fragile- un théorème que symétrie pentagonale atomiques, comme des agrégats métal- périodicité (voir figure 2). Ces pavages ductile à haute température, très faible et périodicité ne sont pas conciliables: liques ou de gaz rares, des métaux donnent alors une image approximative friction,… Une bonne compréhension de point de salut en dehors des tables de amorphes, où bien encore dans certains du type d'arrangement atomique dans tous ces phénomènes est loin d’être cristallographie, qui énumèrent les cristaux à grandes mailles répétitives. ces nouveaux alliages. Entre temps, de achevée, et laisse présager de belles groupes d’espaces, et donc les différents Mais dans le cas présent, quelque soit nouveaux alliages, d’une qualité struc- études à venir. En parallèle, des idées types d’ordre atomique à grande le niveau où on les observe, depuis turale toujours accrue, ont permis des d’application industrielle très diverses distance possibles (les phases dites l’échelle atomique jusqu’à celle de études toujours plus fines. sont sérieusement envisagées, voire microcristallites (figure 1), ces matériaux Le physicien du solide entend toujours même déjà réalisées dans le cas de

1 Directeur de recherche CNRS présentent des symétries pentagonales. pouvoir relier structure et propriétés. certains ustensiles de cuisine!

15 Questions d’actualité Les groupes en physique des particules

physique atomique, en physique nuclé- Les motifs (témoins de différents pendamment en différents lieux et à aire puis en physique des particules. Il groupes à priori possibles) n'étaient différents instants. Miracle mathéma- n'est qu'un élément du groupe de Poin- encore connus que de façon partielle tique, la symétrie peut se maintenir mais caré qui sert de cadre à toute la ciné- et souvent trompeuse. Murray Gell- à condition d'avoir des particules vecto- matique relativiste. Mann et Yuval Ne'eman arrivèrent indé- rielles de masse nulle, les gluons, eux pendamment au groupe qui s'avéra être aussi porteurs de ”couleurs“ et dont la Une première extension plus abstraite le bon, le groupe SU (3), admettant propriété d'invariance précise la nature Par Maurice Jacob1 de ce type de symétrie apparut en comme sous-groupe le groupe SU (2) de et le couplage. Il s'agit dans ce cas d'un physique nucléaire puis en physique des la symétrie d'Isospin. Avec SU (3) on ”groupe de jauge“. La symétrie se trouve instein a dit à propos du monde que particules. Elle traduisait encore une atteignait la symétrie unitaire regrou- maintenant à la base de la dynamique Ela chose la plus incompréhensible propriété d'invariance mais il s'agissait pant dans ses multiplets plusieurs multi- car elle implique les forces en jeu entre est qu'il nous soit compréhensible. La de l'invariance des interactions fortes plets d'isospin d'étrangetés différentes. les quarks échangeant des gluons et elle physique qui contribue de façon clé à par rotation dans un espace abstrait La découverte du Grand Oméga, singulet précise toutes leurs propriétés! cela a pris de longue date un aspect cette fois, qui est l'espace des charges, d'isospin de charge -1 et triplement C'est une invariance de ce type et un formel dans la mesure où elle s'appuie où l'on passe ainsi d'un neutron à un étrange, surprenant mais ainsi prévu, mécanisme d'interaction fixé de la sorte sur des lois qui revêtent une forme proton, mais aussi simultanément d'un rallia vite les derniers sceptiques au bien que l'on retrouve entre quarks et lep- mathématique. Elle se caractérise par πo à un π+ et d'un π- à un πo, par rota- fondé de cette symétrie. tons pour la théorie électrofaible qui des concepts qui doivent être librement tion dans cet espace. On en déduit la Le nombre des multiplets de symétrie rassemble dans le cadre d'un même inventés et dont la valeur et l'intérêt présence de motifs qui rassemblent les unitaire mais différant par le spin et la formalisme les interactions faibles et découle d'une confrontation de plus en différents états de charge associés au masse, ne cessa cependant d'aug- électromagnétiques. On a là le Modèle plus poussée avec l'expérience, mais les même ”spin isotopique“, comme le menter, l'explosion démographique des Standard, un des chefs-d' œuvre de la conséquences et la portée de ces con- proton et le neutron (doublet de spin particules n'étant qu' à peine endiguée physique contemporaine. Non seule- cepts sont analysées sous une forme isotopique 1/2), les trois pions π+,πo et par ce regroupement en multiplets. On ment les similitudes entre particules mathématique. On a beaucoup écrit sur π- (un triplet de spin isotopique 1), et pu cependant comprendre assez vite la mais surtout toute leur dynamique, la le rôle surprenant que peuvent ainsi ainsi de suite. Avec la découverte des raison d'être de cette symétrie. Il s'agit nature et la forme des forces qu'elles jouer les mathématiques, pures créa- particules étranges dans les années d' une propriété d'invariance des inter- manifestent entre elles, se déduisent de tions de l'esprit, dans la compréhension 1950, grande était la tentation, de trouver actions selon les changements de propriétés d'invariance traduites par des des phénomènes et ce fut en particulier un groupe de symétrie plus vaste pour charge ou d'étrangeté entre les trois groupes de symétrie. C'est tout cela, le cas pour Eugène Wigner qui joua une faire face à ces nombreuses particules types de quarks formant toutes ces mais dans le cadre de groupes plus rôle si important dans l'exploitation de toutes aussi ”élémentaires“ les unes que particules, les forces en jeu n'étant vastes, que l'on retrouve dans les déve- la théorie des groupes en physique les autres et parmi lesquelles on aurait sensibles qu'à la ”couleur“ portée par loppements plus récents mais encore quantique. pu retrouver les motifs (ou multiplets) ces quarks. Dix ans plus tard, au milieu assez spéculatifs qui sont à la base de La théorie des groupes est un outil associés à un tel groupe. Au début des des années 1970, les quarks ”colorés“ la grande unification et de la théorie des magnifique dans la mesure où de années 1960, à la première conférence étaient bien individualisés expérimen- supercordes. Dans ce dernier cas, la nombreux concepts font appel à des européenne de physique des particules, talement comme constituants encore supersymétrie recouvre des proprié- propriétés de symétrie, soit d'invariance à Aix en Provence, on assistait à un plus fondamentaux des particules. tés internes, comme la ”saveur“ et la par rapport à certaines transformations. premier déluge de nouvelles venues et ”couleur“ et des propriétés externes Ces symétries ne concernent le plus Richard Feynman pouvait résumer la Aujourd'hui les propriétés de la théorie comme le spin. La symétrie inclue aussi souvent pas des objets, comme dans le situation en disant que les physiciens se des groupes sont exploitées de façon la gravitation mais doit opérer dans 10 cas de la cristallographie, mais les lois partageaient en deux clans : ceux qui encore plus profonde. Il ne s'agit plus dimensions d'espace dont 7 sont qui traduisent la dynamique. Par ex- préféraient la dispersion (une référence seulement de traduire l'invariance selon compactifiées à l'échelle de Planck (10- emple, l'invariance des lois physique par aux relations de dispersion alors très des transformations effectuées simul- 35 m), les trois autres qui nous sont fami- rotation entraîne la conservation du utilisées), et ceux qui recherchaient la tanément à l'intérieur de tous les multi- lières s'étendant à l'échelle de l'Univers. moment cinétique mais aussi une symé- formation d'un groupe plets d'isospin ou de symétrie unitaire, Les propriétés d'invariance sont deve- trie traduite par la présence de motifs mais celle aussi présente selon des nues un des principes de base de toute abstraits que l'on peut associer aux 2 J+1 transformations qui impliquent les trois la physique des particules. Les groupes états quantiques d'une particule de spin ”couleurs“ qui différencient les quarks de symétrie qui les traduisent précisent J. Le groupe des rotations est un outil de même ”saveur“ (comme la charge et toute la dynamique 1 remarquable pour rassembler toutes les Correspondant de l'Académie des sciences, physicien l'étrangeté) et cela, même quand ces honoraire de l'Organisation européenne pour la propriétés quantiques liées au spin en recherche nucléaire transformations sont effectuées indé-

16 Questions d’actualité

l’astronomie rejoint l’ophtalmologie

ficiellement: à cette ouverture, les aber- rations d’ordre supérieur, insensibles en vision diurne, deviennent prédomi-

Par Pierre Léna1 nantes. Or c’est justement la combi- naison d’un oeil « optiquement parfait » et d’une pupille de diamètre maximal vec un peu d’outrance, le grand afin d’en détecter des pathologies (par qui conduirait à des images de la rétine, nant au télescope après traversée de l’at- OùAphysiologiste Hermann von Helm- exemple la dégénérescence maculaire faites in vivo depuis l’extérieur de l’œil, mosphère, sont mesurés, et cette onde holtz écrivait vers 1860, au sujet de cet liée à l’âge, ou DMLA, responsable de la de résolution maximale et précieuses est aplanie par un dispositif ad hoc: extraordinaire dispositif qu’est l’œil cécité de plusieurs centaines de milliers pour une multitude d’études et de l’image retrouve la qualité que fournirait humain: « Il n’est pas exagéré de dire de personnes en France) ou de com- diagnostics cliniques. un télescope placé dans l’espace. Aucun que si un opticien voulait me vendre un prendre le fonctionnement de la vision, grand télescope n’est désormais conçu instrument avec tous ces défauts, je depuis la rétine photosensible jusqu’aux La situation est assez semblable, curieu- sans optique adaptative: le Very Large devrais, avec raison, sévèrement repro- aires visuelles du cortex cérébral. sement, à celle que rencontrent les Telescope européen (VLT) vient ainsi de cher sa négligence et lui retourner astronomes qui observent, depuis la se voir équipé d’un des systèmes (NAOS) aussitôt son instrument ». Les défauts Un oeil optiquement parfait n’aurait surface terrestre avec un télescope les plus puissants au monde. de l’œil (dont les plus connus sont ceux comme seule limite à sa résolution que équipé d’un miroir primaire de quelques Dans un cas l’atmosphère, dans l’autre de mise au point et d’astigmatisme) ont l’étalement de la tache image formée mètres de diamètre, une étoile aux les aberrations géométriques des deux conséquences principales en terme sur la rétine: cet étalement est du à la longueurs d’onde de la lumière visible dioptres de l’œil, les inhomogénéités du de résolution d’image: la plus connue diffraction de la lumière par la pupille, ou infrarouge. Idéalement, lorsque corps vitré, les très rapides micromou- est de réduire la qualité de la vision et donc son importance dépend de l’ou- l’image est formée dans le plan focal, la vements du globe oculaire sont les causes de contraindre bien des sujets à porter verture de celle-ci. Lorsque celle-ci est lumière devrait être concentrée dans la de la dégradation de la résolution des des verres correcteurs, l’autre est de petite (3 mm, lors de la vision diurne), la tache de diffraction du miroir, mais en images. L’idée d’adapter l’optique adap- limiter la qualité des images de la rétine qualité d’image peut être excellente, fait les inhomogénéités de l’atmosphère tative à l’œil est récente: c’est en 1997 qu’un ophtalmologiste souhaite obtenir mais elle se dégrade chez la plupart des terrestre brouillent sans cesse cette qu’aux États-Unis J. Liang, A. Roorda et in vivo, depuis donc l’extérieur de l’œil, sujets lorsque la pupille est pleinement image, l’étalent et dégradent d’un fac- D. Williams publièrent les premières dilatée (7 à 8 mm de diamètre), soit natu- teur considérable, pouvant atteindre dix images améliorées de rétine in vivo, rellement en vision nocturne, soit arti- à cent, la résolution atteinte, donc la tandis qu’en France notre équipe finesse des détails perceptibles sur l’image. Un remède à cette situation fâcheuse, qui durait depuis plusieurs siècles, est l’optique adaptative, née au cours des années 1980: en temps réel, 1 Membre de l’Académie des sciences, professeur à l’uni- versité Denis Diderot les défauts de l’onde lumineuse, parve-

17 Questions d’actualité

l’astronomie rejoint Oùl’ophtalmologie

Il est désormais possible de concevoir un dispositif adaptatif d’imagerie « en routine » de la rétine dilatée, dispositif comprenant C. Boccara (ESPCI) et qui pourrait posséder de nombreuses La répartition spatiale des photorécep- point que l’on déplace par balayage trans- le Dr J.F. Le Gargasson (Université Paris 7 applications médicales, basées sur teurs, structurés comme des guides versal, et une lumière de référence. La & Inserm/Lariboisière) vient de publier l’analyse d’images rétiniennes, à des d’onde, leurs propriétés optiques sont résolution en profondeur (ou axiale) de ses premiers résultats avec la thèse de longueurs d’onde variées (du bleu à l’in- mal connues. L’imagerie haute résolu- cette technique, exploitée par des appa- doctorat de Marie Glanc (Fig. 1). On peut frarouge) poussées jusqu’à la limite tion in vivo permettra de les illuminer reils commerciaux et répandus, est remarquer au passage que l’œil est lui- ultime de résolution latérale (environ sélectivement et, combinée à des me- aujourd’hui de l’ordre de 15 micromètres même, déjà, un dispositif adaptatif natur- 1,6 µm à une longueur d’onde de 600 nm sures électro-physiologiques, de déter- (soit un quart environ de l’épaisseur de el de haute performance: il contrôle en pour une pupille dilatée à 8 mm): par miner précisément leurs réponses indi- la couche photosensible); elle est direc- permanence sa mise au point (accom- exemple la détection précoce de la dégé- viduelles. tement liée à la résolution transversale modation), son axe de visée, l’ouverture nérescence maculaire conduisant à la (x, y), qui est limitée par les aberrations de son diaphragme pupillaire (iris), sa cécité, celle des micro-anévrismes réti- Nous avons évoqué jusqu’ici l’imagerie de l’œil. Améliorer cette dernière par l’op- sensibilité (passage de la vision diurne niens qui caractérisent les stades en surface (x, y) de la rétine, la position tique adaptative conduira ipso facto à une à la vision nocturne). précoces du diabète, la préparation des en profondeur (z) de cette surface dépen- résolution en profondeur de quelques Décrivons brièvement le principe de interventions chirurgicales sur la rétine dant sans doute de la longueur d’onde micromètres. C’est le principe que déve- cette correction artificielle, qui se décom- et même l’observation de celle-ci chez utilisée pour former l’image. Or les loppe actuellement l’équipe française en pose en deux étapes. La première vue d’un véritable imageur tridimen- consiste à déterminer les aberrations sionnel (x, y, z) de la rétine in vivo. de l’œil: on forme un point lumineux sur Observer la rétine depuis l’extérieur de la rétine et on analyse la faible lumière l’œil est un objectif intéressant, mais (moins d’un millième de la puissance d’autres applications sont envisageables, incidente dans le rouge, un cent-mil- cette fois pour améliorer la vision des lième dans le bleu) que ce tissu com- sujets. Déjà, la possibilité d’obtenir une plexe rétrodiffuse vers l’extérieur de l’œil. mesure précise des aberrations de l’œil, Cette analyse détermine la forme du au delà de l’astigmatisme, à l’aide de front d’onde émergent, donc les aber- l’analyse de front d’onde décrite plus rations dont il a été victime. La mesure haut, ouvre la possibilité de mieux ajuster est délicate, car elle doit être rapide les lentilles de contact, de piloter la (quelques millisecondes, l’œil étant sans chirurgie cornéenne par ablation laser arrêt en mouvement) et ne pas requérir ou de déterminer et corriger les aber- d’illuminer trop fortement la rétine, sous rations résiduelles que peut laisser celle- peine d’y produire des dommages inac- ci (principalement une aberration sphé- ceptables, tout en fournissant un rapport Image d’un champ d’environ 300 x 300 mm sur la rétine d’un sujet emmetrope, avec œil dilaté à 7 mm: à rique). Ensuite, la possibilité de corriger gauche image non corrigée, à droite image corrigée par l’optique adaptative (miroir possédant 13 actua- signal-à-bruit convenable. La seconde teurs). Longueur d’onde d’observation: 550 nm, temps de pose: 7 ms. Le pavage fin des photorécepteurs les aberrations d’ordre élevé par un étape, simultanée, consiste à illuminer est clairement visible, les taches noires sont des défauts de l’optique, l’image de gauche montre également dispositif adaptatif pourrait conduire à un capillaire, flou car hors de la mise au point faite sur les photorécepteurs (Thèse de M. Glanc, 2002). une large zone de rétine, à une autre une « hypervision », donnant au sujet longueur d’onde pour la séparer de celle une acuité visuelle exceptionnelle. du point de référence, et à former l’image de cette zone sur une caméra (CCD), Bien que de substantiels développe- après que l’onde ait été réfléchie par un ments expérimentaux soient encore miroir correcteur (adaptatif) dont la les bébés prématurés, dont l’oxygéna- ophtalmologistes s’intéressent égale- nécessaires pour pleinement adapter forme est précisément contrôlée à partir tion nécessaire perturbe le développe- ment à obtenir une vision en coupe à l’ophtalmologie la technique adapta- de la mesure du front d’onde déformé, ment rétinien. L’analyse des phases (selon z) de rétine in vivo, et utilisent pour tive, ainsi que tous les raffinements que pour en compenser la déformation. Idéa- précoces du glaucome, cécité naissant cela une technique classique, appelée lui ont donné les astronomes, notam- lement, l’image obtenue possède alors de la perte progressive de fibres du nerf tomographie optique cohérente (OCT en ment en post-traitement d’image (tech- la résolution maximale. optique, pourrait également bénéficier anglais): l’idée est d’obtenir une explo- niques de déconvolution), le champ Le contraste des structures rétiniennes d’une imagerie précise de la zone réti- ration en profondeur à partir des inter- ouvert est prometteur, et ne manque pas est faible: il ne dépasse pas quelques nienne du nerf optique et de ses fibres férences formées entre une lumière d’intéresser aujourd’hui divers indus- pourcents pour les photorécepteurs individuelles. diffusée par la rétine, illuminée en un triels (cônes et bâtonnets), un peu plus pour la vascularisation. Néanmoins, outre un évident gain en résolution d’un facteur deux à trois, les premières images obte- nues montrent bien l’organisation des Note sur l’article Pierre Léna Les travaux faits en France résultent de la collaboration de trois Laboratoires (LESIA, Observatoire de Paris & Université photorécepteurs (d’environ 4 µm de Denis-Diderot, UMR CNRS 8632; Laboratoire de Biophysique de la Vision, Université Denis-Diderot, U-INSERM 483; Labo- diamètre) et de leurs frontières, la varia- ratoire d’optique de l’E.S.P.C.I.), avec des contributions de la Compagnie industrielle des lasers (CILAS) et la Société Mauna Kea Tech, l’aide du CNRS, de la Région Ile-de-France (SESAME) et du Ministère de la recherche. Les chercheurs impli- bilité du rapport entre les trois types de qués sont notamment Eric Gendron, Marie Glanc, François Lacombe, Pierre Léna au LESIA, J.-F. Le Gargasson & H. Gardette cônes selon les sujets. au LBV, C. Boccara et A. Dubois à l’ESPCI, S. Loiseau à MKT et P. Jagourel à CILAS.

Références Adaptive optics in astronomy. F. Roddier Ed., Cambridge University Press, 1998. Roorda & D.R. Williams. New directions in imaging the retina, Optics & Photonics News, Feb.1997, p. 23-29 D.T. Miller, Retinal imaging and correction at the frontiers of adaptive optics, Physics Today, Jan. 2000, p. 31-36.

18 La vie de l’Académie Rencontre entre les Bureaux de l’Académie des sciences et de l’Académie nationale des sciences des États-Unis (NAS)

Par Yves Quéré 1 en réseau, les échanges de chercheurs morales et politiques et ce dernier col- blissement de normes pour les pro- seraient nécessaires. De plus les résul- loque permettent de faire entendre une grammes d’enseignement, au dévelop- es relations entre ces deux Acadé- tats de la recherche ne sont sans doute voix française dans les actions et les pement des capacités d’enseignement Lmies sont cordiales et approfondies pas suffisamment transmis aux fermiers réunions académiques internationales. et de recherche pour les pays en déve- dans le cadre de l’InterAcademy Panel. africains (problèmes de formation, et là loppement, en passant par l’organisa- Depuis 6 ans environ, cette collaboration aussi de mise en réseau par internet) La réunion conjointe des Bureaux a tion d’actions d’enseignement des est renforcée par la réunion, tous les deux La nécessité de développer des techno- permis de s’informer sur les rapports sciences dans le primaire. La réplique ans, des deux Bureaux s’accompagnant logies agro-alimentaires, répondant aux en cours avec l’espoir commun, et française en est la Main à la Pâte qui d’un colloque d’une journée sur un sujet besoins des populations et créatrices parfois déçu, de les voir pris en compte suscite de nombreuses vocations et prioritaire pour les deux Académies. Une d’emplois, était un des sujets évoqués. dans les décisions politiques et lus par collaborations de par le monde (Chine, telle rencontre s’est tenue les 8 et 9 juillet La maîtrise du contrôle de la sécurité le public. Mexique, Vietnam, Sénégal, etc..). Deux derniers. Le colloque, consacré à ”l’Ali- et de la qualité (en particulier pour l’ex- La situation au Moyen-Orient et le terro- sites internationaux soutenant ces mentation en Afrique“ rassemblait, outre portation) demande également recher- risme en général sont des sujets de actions sont en développement dans le les membres des Bureaux, des cher- che et formation ainsi qu’une meilleure préoccupation: le réseau académique cadre d’une action de l’ICSU et de l’IAP cheurs français de l’IRD, du CIRAD, de connaissance des droits de propriété des Droits de l’Homme peut-il proposer (InterAcademy Panel) et dans le cadre l’INRA, Rudy Rabbinge, de l’Université de intellectuelle. des actions envers les académies européen. Wangeninen (Pays-Bas), qui préside le Les actions de l’Académie dans ce concernées par les conflits? groupe de travail de l’InterAcademy domaine, à travers le COPED (CDCI), le Deux autres thèmes ont été à l’ordre du - L’énergie : Quelles énergies pour le Council (IAC) sur ”Food for Africa“ et colloque ”Sécurité alimentaire et déve- jour. futur dans l’optique d’un développement Louise Fresco, directeur-adjoint de la loppement durable“ organisé en dé- - Les actions sur l’éducation: l’un des durable? La NAS entretient plusieurs FAO. cembre 1999 par le groupe de travail deux axes prioritaires de la NAS est le collaborations avec la Chine, l’Inde et A la réunion des Bureaux, s’étaient joints, interacadémique Académie des développement d’une Science pour le l’Académie des sciences se préoccupe en raison des sujets traités, François sciences/Académie des sciences développement durable. Cela va de l’éta- de son côté de ce problème Jacob, Georges Charpak, David Jasmin 1 Membre de l’Académie des sciences (de l’équipe LAMAP), et Michel Petit. Ce fut aussi, pour le Bureau de l’Académie des sciences, l’occasion de rencontrer le nouveau responsable des relations inter- nationales de la NAS, Michael Clegg, en fonction depuis le 1er juillet. Le colloque a souligné la diversité des Succès de la théorie problèmes rencontrés par l’agriculture africaine. Les raisons de l’incapacité de nombreux pays africains à suffire à leurs besoins sont mal connues et multiples. de Langlands Elles sont d’ordre économique (peu de moyens financiers consacrés à l’agri- Plus généralement, la théorie de 1 culture, éloignement des campagnes, Par Christophe Soulé Langlands définit les formes automorphes instabilité des prix) ou d’ordre technique. en termes d’opérateurs dans des espaces En vue de proposer des remèdes, l’ana- la fin des années soixante, différents a priori: les représentations de Hilbert de dimension infinie. lyse des erreurs et des réussites est R. Langlands (récipiendaire de galoisiennes et les formes automorphes. La correspondance de Langlands a un nécessaire, le rapport en cours de ré- Ala grande médaille d’or en l’an Une représentation galoisienne est une grand pouvoir prédictif, car certaines daction par l’InterAcademy Council s’y 2000) formula des conjectures arithmé- description par des matrices inversibles propriétés qu’on ne sait pas démontrer emploie. D’ores et déjà, on voit que les tiques qui constituent un programme du groupe des symétries de l’ensemble pour les représentations galoisiennes solutions doivent être variées et adap- extrêmement ambitieux et structuré, qui Q des nombres qui vérifient une équa- (resp. les formes automorphes) peuvent tées aux types de pays et d’agriculture n’a cessé depuis de guider certains des tion de la forme être résolues en passant « de l’autre côté n n-1 (production industrielle ou auto-suffi- plus brillants travaux en théorie des an + an-1 + ... +a1 + a0 = 0, du miroir ». Par exemple, P. Deligne a su sance). nombres, et a connu récemment d’im- où les ai sont des nombres entiers. Une majorer les coefficients de Fourier des portants développements. forme automorphe (classique) est une formes automorphes classiques en leur La recherche pourrait aider à résoudre fonction ƒ(z) d’une variable complexe z associant une représentation galoisienne, certaines questions mais elle est à la fois Le point central des conjectures de de partie imaginaire positive qui vérifie puis en étudiant les valeurs propres des insuffisante par manque de moyens, Langlands est la prédiction d’une corres- les deux relations matrices intervenant dans cette repré- empêchant la création d’un environne- pondance, biunivoque et explicite, entre ƒ(z + 1) = ƒ(z) et ƒ(-1/z) = z 2k ƒ(z) sentation, pour lesquelles il parvint à ment scientifique capable d’attirer les deux types d’objets arithmétiques très pour un certain entier positif k. On notera démontrer, en 1973, les célèbres conjec- jeunes de ces pays, et inadaptée, car la que, selon la valeur de k, il n’existe pas tures de Weil. L’estimée ainsi obtenue 1 recherche des pays du Nord ne répon- Membre de l’Académie des sciences, directeur de toujours une fonction (holomorphe,nulle répond, entre autres, à une question recherche au CNRS, Institut des hautes études scien- dant pas toujours aux besoins. La mise tifiques à l’infini) vérifiant de telles symétries. posée par Ramanujan en 1916

19 La vie des séances Sécurité sanitaire, vigilance

Succès de la théorie sanitaire, surveillance de Langlands épidémiologique En sens inverse, la preuve du théorème de Fermat par K. Ribet, R. Taylor et A. Wiles Par Alain-Jacques Valleron 1 représenter avec d’autres me- de celle de 1918 ; ou celle (1995) consiste, en raisonnant sures qui ne pourront pas, de leur des conséquences possibles par l’absurde, à associer à une a sécurité sanitaire concerne fait, être mises en place car les de l’épidémie d’Encéphalite solution entière de l’équation, Lles risques environnemen- moyens, les personnes, le temps Spongiforme Bovine sur la x n + y n = z n,n3, xyz ≠ 0, une taux, infectieux et iatrogènes (ris- ne sont pas illimités. santé humaine? la modélisa- représentation galoisienne, puis ques encourus à l’occasion de C’est à la surveillance et à l’alerte tion épidémiologique peut une forme automorphe, et à traitements). Face à eux ont été que revient la première étape donner des réponses, ne montrer que cette dernière mis en place des systèmes de (détecter les nouvelles maladies, serait-ce qu’en permettant n’existe pas. La version précise «vigilance » : surveillance et ou les changements d’incidence). d’identifier une liste de scé- des conjectures de Langlands alerte épidémiologique pour les C’est en principe à l’épidémiologie narios possible et d’envisager la lettre n0 5/ automne 2002 que l’on suit ici est celle for- risques environnementaux et analytique que revient le second méthodiquement les réponses de l’ cadémie des ciences mulée par J.P. Serre en 1987 infectieux, pharmacovigilance, rôle (identifier les facteurs de ris- disponibles. Cette modélisation A s pour les représentations galoi- hémovigilance, matériovigilance, que, démêler leurs importances épidémiologique relève de la siennes à cœfficients finis. pour les risques iatrogènes. respectives et quantifier celles- démarche scientifique clas- Publication de l'Académie des sciences La surveillance épidémiologique ci). Enfin de multiples para- sique dans la mesure où elle Les conjectures de Langlands est classiquement définie comme mètres, parmi lesquels l’évalua- repose sur un ensemble bien 23, quai de Conti 75006 PARIS générales sont encore loin d’être « un processus continu de col- tion du rapport coût/bénéfice, la précis d’hypothèses et de Tel: 01.44.41.43.68. Fax: 01.44.41.43.84. démontrées, mais deux analo- lecte, d’analyse et de redistribu- perception des risques par le méthodes de traitement des http: www.academie-sciences.fr gues de ses énoncés viennent tion de l’information épidémiolo- public, et l’action des groupes de données, ce qui permet la Directeur de publication: d’être résolus. Il s’agit d’abord gique vers ceux qui ont besoin de pression sont pris en compte dans contestation des hypothèses Nicole Le Douarin du cas dit « local », où un nom- savoir ». L’alerte épidémiologique la décision publique. ou des méthodes des résultats Directoire: bre premier p est privilégié et Q relève de trois cas différents: Les problèmes de sécurité sani- et par la mise en œuvre de Nicole Le Douarin est remplacé par son complété 1- Lorsqu’un indice épidémiolo- taire les plus marquants de ces modèles concurrents. Là où la Jean Dercourt p-adique, cas dû à R. Taylor et gique (fréquence d’une mala- dernières années entrent mal situation est particulière, Rédacteur en chef: M. Harris (2001). Une preuve die, ou niveau d’un facteur de dans le cadre épidémiologique c’est parce que la validation Jean-Didier Vincent risque) dépasse un « seuil classique. finale du modèle ne peut plus courte mais moins expli- Secrétariat général de rédaction: cite a aussi été donnée par d'alerte ». 1- Certains concernent des mala- survenir que lorsqu’il n’a plus Marie-Christine Brissot G. Henniart. 2- Lors de la survenue d’un évé- dies graves et fréquentes, mais d’intérêt (après l’épidémie!). Conception graphique nement inattendu, mais qui a qui surviennent longtemps Pour terminer, signalons la loi de Direction artistique D’autre part, le cas « global de déjà été observé (ce serait le après leurs causes (cancers 1998 sur la sécurité sanitaire qui Nicolas Guilbert caractéristique positive », c’est cas si on découvrait un cas de professionnels causés par fournit un cadre organisationnel Photographies: à dire la situation où un nombre variole). l’amiante, nouveau variant de rénové, complet, voire complexe pp. 1, 10, 11, 13, 20 N. Guilbert, pp. 2, 3, 5, 6, 12, 15, 16, 18 (DR), premier p est considéré comme 3- Lors d’un événement nouveau, la maladie de Creutzfeldt - à l’évaluation des problèmes nul, suit d’un travail magistral jamais identifié auparavant Jakob), si bien qu’on ne peut posés et à la recherche des solu- pp. 4, 7, 9 G. Mourguet pp. 6, 8 J.P. Boisseau de L. Lafforgue*. La preuve (exemple du SIDA lorsqu’il fut plus prévenir les cas qui conti- tions: en particulier, des agences, avec l’aimable concours du Musée des occupe environ huit cents pages identifié en 1981) nuent à arriver et que l’anxiété en principe indépendantes du minéraux de l’université Pierre et a valu à son auteur de rece- L’alerte épidémiologique, pour que provoquent ces cas peut pouvoir politique, ont été créées, et Marie Curie voir le prix Herbrand en 2001. être efficace, doit bien sûr reposer conduire en revanche à pren- avec un rôle « évaluatif » (cas de Elle utilise les travaux de Deligne sur des systèmes très sensibles. dre des mesures excessives, l’Institut de Veille Sanitaire: InVS), Comité de rédaction: précédemment cités mais doit Le prix à payer est le manque de voire inutiles. et même réglementaire (cas de Jean-François Bach, Roger Balian, Jack aussi surmonter de multiples spécificité de ces systèmesdu fait 2- D’autres concernent des mala- l’Agence Française de Sécurité Blachère, Édouard Brézin, Pierre Buser, Paul Caro, obstacles, tant dans le domaine même de leur sensibilité : ils dies qui peuvent survenir, mais Sanitaire des Produits de Santé: Jules Hoffmann, Alain Pompidou, Pierre de la géométrie algébrique que mènent souvent à de fausses ne sont pas observées pour AFSAPS et de l’Agence Française Potier, Éric Spitz, Jean-Christophe Yoccoz dans celui des représentations alertes, ce qui conduit parfois à l’instant (éventuelle nouvelle de Sécurité Sanitaire des des groupes et des formes auto- un signe d’alerte successivement pandémie de grippe, éventuel- Aliments: AFSSA). De nombreux Photogravure & impression: Edipro/PrintreferenceTM médiatisé, puis invalidé. Deux le épidémie de variole causée risques iatrogènes relèvent en morphes. Ce travail est aujour- 0141404900 d’hui le meilleur argument que dangers sont donc à éviter : le par un acte bioterroriste). réalité de la complexité des nous ayons en faveur de la véra- manque de transparence (ne pas 3- D’autres, enfin, concernent une processus de soins, difficile à cité du programme de Langlands. communiquer sur les alertes), ou faible augmentation, réelle ou maîtriser. La sécurité dans ce la recherche d’alertes tellement hypothétique, d’une maladie domaine passe par l’évaluation et Après une période aride dans les «fiables », c’est à dire spéci- de grande fréquence naturelle, l’accréditation des établissements années quatre-vingt, la théorie fiques, qu’elles perdent toute si bien que le faible risque de soins, et – on peut le penser- de Langlands a connu des suc- sensibilité, donc utilité. «relatif » puisse s’accompa- plus tard- par celle des person- cès extraordinaires, où l’école En principe, un problème de gner d’un fort risque « attri- nels. Ce rôle est dévolu à l’Agence française a fait très bonne figure. sécurité sanitaire devrait passer buable ». Nationale d’Accréditation et d’Eva- Elle attire désormais beaucoup par un certain nombre d’étapes: 4- Enfin, existent maintenant des luation en Santé (ANAES) créée des meilleurs jeunes mathé- valider la réalité du risque; iden- problèmes de sécurité sani- dans le cadre de la réforme du maticiens tifier les causes sur lesquelles on taire « prospective »: comment système de santé initiée en 1995 peut agir ; mettre en œuvre les anticiper la possibilité d’une actions correspondantes en attaque bioterroriste utilisant * 1 Correspondant de l’Académie qui vient de recevoir la médaille évaluant leur coût, leur impact, la la variole ; celle d’une pan- Fields. des sciences, professeur à l’université concurrence qu’elles peuvent démie de grippe du type Pierre et Marie Curie

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