Singe Pour Tous
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LADA Punk à singe Punk-rock, littérature et luttes des classes correspondance avec François Bégaudeau MMXVI Quelques ouvrages de François Bégaudeau Jouer juste, éditions Verticales, 2003 Dans la diagonale, éditions Verticales, 2005 Un démocrate : Mick Jagger 1960-1969, Naïve, 2005 Entre les murs, Éditions Verticales, 2006 Fin de l’histoire, Éditions Verticales, 2007 Antimanuel de Litterature, éditions Bréal, 2008 Le Problème, éditions Théâtre Ouvert, 2008 Vers la douceur, éditions Verticales, 2009 Parce que ça nous plaît : L’invention de la jeunesse, avec Joy Sorman, Larousse, 2010 La Blessure, la vraie, éditions Verticales, 2011 Tu seras un écrivain mon fils, éditions Bréal, 2011 Au début, éditions Alma, 2012 Le Foie, éditions Théâtre Ouvert, 2012 Deux singes ou ma vie politique, éditions Verticales, 2013 D’âne à zèbre, Grasset & Fasquelle, 2014 La Politesse, éditions Verticales, 2015 La Devise, Solitaires intempestifs, 2016 Discographie partielle des Zabriskie Point Fantôme (1995) Tout est bien (1996) Comment je devins fantôme (ma résurrection)... et les 45 tours de ma jeunesse (1997 : longue pièce développant la chanson Fantôme et compilation des premiers titres du groupe) Des hommes nouveaux (1997) Radicalement compatibles (1998 avec les Partisans) I would prefer not to (1999 : maxi 4 titres) Paul (1999) I would prefer not to live (1999 : en public) Tout ce qu’on a fait volume A (2009 : Des gens de l’Occident) Tout ce qu’on a fait volume Z (2009 : Des gens de l’Occident) Ce long dialogue, qui devait être initialement un simple entretien avec François Bégaudeau, a été réalisé au cours d’une correspondance électronique entre le 09 juin 2015 et le 11 novembre de la même année. « – Pour lire le code mon ami il ne suffit pas de savoir lire : il faut savoir lire le Code. Ce qu’il faut lire, dans ce livre là, ce n’est pas le noir, l’imprimé ; c’est le blanc, c’est ça... et il pose son doigt sur la marge ». Georges Darien, Le Voleur, 1900 5 09 juin - 13 juin 2015 Si pour moi Justine est le titre d’un roman de Sade, la première chose qu’évoque dans mon esprit le nom de François Bégaudeau est le souvenir d’un groupe punk-rock français des années quatre-vingt dix intitulé Zabriskie point. Mais si vous demandez à d’autres personnes, plus jeunes, beaucoup vous répondront que Justin(e) leur évoque au contraire le nom d’un groupe punk actuel tandis que François Bégaudeau est le blase d’un écrivain et journaliste reconnu, ce qui, au final, est une manière comme une autre de nous passer les uns et les autres au carbone 14, une génération nous séparant. C’est donc en vieux con que je suis allé écouter l’auteur de Jouer juste et d’Entre les murs qui donnait justement en janvier dernier une conférence sur le punk dans l’antre du savoir lillois, l’Institut d’Études Politiques de la rue de Trévise, dans le quartier Moulins. Et effectivement, ça donne un coup de vieux. La dernière fois que j’avais vu François à Lille, je crois que c’était en mars 94, alors qu’il partageait l’affiche avec les Toxic Waste [en fait non, c’était le 17 janvier 1998 au Rockline avec les Toxic et Sourire Kabyle]. Je me souviens avoir bu des bières en la compagnie des Zabs sur le trottoir de la rue de la Monnaie, dans le Vieux-Lille bourgeois, devant le bar Le Thémis où jouaient pêle-mêle à cette période des groupes comme Uk Subs, AOS3, Asian Dub fundation et toute la flopée de formations punk-rock qui étaient alors à la mode avant 5 Punk à singe Punk à singe qu’une vague crust et hardcore nous emporte. Autant dire que depuis, de l’eau a coulé sous les ponts... et dans mes veines. C’est donc avec un peu d’appréhension nourrie de quelques a priori, je dois bien le dire, que je m’apprêtais à suivre dans une salle de l’I.E.P. un cours magistral sur un genre musical et une scène que je n’ai jamais quittés, et ce dispensé par un mec que je n’ai pas revu ailleurs qu’à la télévision, de manière fortuite, ou au cinéma, dans l’adaptation éponyme de son roman Entre les murs où il jouait son propre rôle de professeur de français qu’il était devenu et pour lequel ils avaient reçu, lui et Laurent Cantet, le réalisateur, la palme du festival de Cannes 2008. Bref, je m’attendais au pire. Mais la catastrophe n’a pas eu lieu, même si je suis resté perplexe au sortir de la communication. Et plutôt que de dégainer un surin, j’ai préféré lui serrer la main et lui proposer de prolonger ce moment de réflexion autour de ce qui pouvait peut-être encore nous rapprocher lui et moi, à savoir un certain goût pour les mots, la musique punk et la passion politique. Comme quoi, oui, j’ai pris un coup de vieux, ce qui est mieux que de prendre de la bouteille, ou plutôt son tesson. François, sans que je le menace, a gentiment – ou poliment - accepté la proposition bien que le moment où j’ai choisi d’entamer l’entretien tombait plus ou moins en même temps que la sortie et donc de la promotion de son nouveau roman, La Politesse. Depuis, je me suis enquillé plusieurs de ses livres, quelques uns de ses articles et j’ai même ressorti mes vinyles des Zabs que je n’écoutais plus, leur préférant certains standards oi ! et mes vieux disques de rocksteady ou de punk hardcore ; lui a laissé à Nantes l’exemplaire du dernier Amer que je lui avais refourgué ce soir là à Lille. Nous en sommes là. 6 7 Punk à singe Punk à singe Les âmes : Dans les vieux trucs que j’ai ressorti pour préparer cet entretien, j’ai exhumé mon exemplaire du fanzine béthunois Génération No Future, le numéro deux, acheté chez Rockmitaine, où figure une interview des Zabs réalisée en 1996 par celui-là même qui montera le label Dirty punk quelques mois plus tard. Tu y déclarais, comme à ton habitude, entre deux réponses un poil agaçantes autant qu’agacées : « Ah ! Il y a deux trucs que les gens ne connaissent pas du tout dans le monde, c’est le marxisme et le punk. Et c’est incroyable comme ce sont deux choses qui font parler, alors que les gens n’y connaissent rien, que personne ne sait ce que sait le punk. Donc des blaireaux qui font de la radio ils nous interviewent alors qu’ils écoutent de la fusion ou de la pop et nous disent : « Ah les punks, vous n’avez même pas de crêtes ». Alors déjà t’es mort de rire. Après c’est : « Alors les punks, No Future ?! ». C’est vraiment la culture Quid RTL : c’est marqué punk, donc devant il y a marqué no future. ». C’est assez marrant de relire ces quelques lignes approximativement retranscrites par l’ami fanzineux, car c’est à peu près dans les mêmes termes que tu commences ta conférence sur le punk, presque vingt ans plus tard, comme quoi tu n’as pas changé d’avis sur le sujet. Ou que tu ressasses. Mais comme cette fois c’est dans un lieu très sérieux, et que ton sujet ne l’est pas pour un sou aux yeux de la plupart des clampins qui le fréquentent (et bien que les colloques consacrés au punk se multiplient dans les universités françaises depuis quelques mois), tu enrobes la pilule en t’amusant à donner un tour vaguement universitaire et donc très légitime à ton propos, en proposant trois catégories de 6 7 Punk à singe Punk à singe connaissances courantes de l’homme ordinaire, à savoir [1] ce que je connais bien ou très bien et dont je peux jacter sans me tromper, [2] ce que je connais pas du tout et dont généralement je ne parle pas, et [3] ce que je connais vaguement, ce qui me permet la plupart des fois de dire n’importe quoi. Or, et c’est l’un des exemples que tu prends et qui nous intéresse, pour la majorité des personnes que nous côtoyons, le punk fait partie des choses dont elles ont une connaissance vague et à propos desquelles elles disent généralement des conneries. Tout cet appareillage, sous des atours scientifiques, ne l’est pas, mais permet d’introduire le sujet de manière légère, ce qui est déjà pas mal. Pour nombre de nos contemporains, il reste incontestable que le punk, à raison parfois, est associé aux mots “ crêtes ”, “ no future ”, “ révolte ”, “ marginal ”, “ Angleterre ”, éventuellement à une date (1977), et à quelques noms de groupes comme les Clash ou les Sex Pistols. Quelques mots ou notions donc et un vague sentiment de violence, connecté à un vague sentiment de refus pour reprendre ta formule. Face à ces approximations, tu aurais donc pu, fort de ton passé de punk-rockeur et de ton présent d’intellectuel de gauche, faire ton sachant. Tu aurais pu faire le type catégorie [1] qui règle son compte à la catégorie [3] et humilier la connaissance vague qu’ont la majorité des gens sur le punk, tout en reconnaissant que c’est lamentable et petit (tu es de gauche quand même), mais que ça peut se comprendre, parce que c’est très pénible d’aimer autant que tu l’aimes le punk, et d’en entendre parler toujours aussi mal. Tu aurais pu exorciser vingt cinq ans d’humiliation entre les murs de science-po (belle revanche), mais au lieu 8 9 Punk à singe Punk à singe d’adopter cette attitude ressentimentale, arrogante et condescendante de sachant devant un auditoire qui n’attendait que ça, tu as fait du Bégaudeau, ce qui n’est pas très différent diront les mauvaises langues, c’est-à- dire que tu as cité Jacques Rancière pour expliquer que Toi, tu n’es absolument pas un maître es-punk, mais que tu as rencontré ce mouvement à l’âge de 16 ans, en 1987, que cela fait donc presque trois décennies que tu as un compagnonnage avec le punk rock, que tu l’as pratiqué – ce qui est toujours mieux pour le comprendre - et donc que tu parles à ce titre là, en tant qu’amateur et amoureux et non en tant qu’expert.