ème Caméflex-AFC - 4 édition Du 6 au 10 février 2016

CINEMA LE GRAND ACTION 5 Rue des Ecoles à Paris

Mahmoud Kalari

Du 6 au 10 février 2016 aura lieu au Cinéma Le Grand Action la 4ème édition de Caméflex-AFC. Comme dans les éditions précédentes la programmation de ces rencontres sera dominée par l’hommage que les membres de l’AFC veulent rendre au talent d’un directeur de la photographie. Il sera consacré cette année à Mahmoud Kalari, directeur de la photo iranien. Témoignage, poésie, cinéma politique, la carrière de Mahmoud Kalari est immense, ja- lonnée de plus de 60 films réalisés par de très grands metteurs en scène. Né en 1951 à Téhéran, Mahmoud Kalari a étudié la photographie aux USA avant d’inté- grer l’agence Sigma à Paris. En 1980, il était cité parmi les 15 meilleurs photographes par Times Magazine. Il entame sa carrière de directeur de la photo en 1985 avec Jadehay Sard, réalisé par Mas- soud Jafari Jossani, pour lequel il obtient le Best Cinematography Award à Téhéran. Il obtient par trois fois ce même prix au Festival de Fajr en 1996 pour Gabbeh (film pour lequel il reçoit aussi le FujiFilm Motion Picture Award), en 1997 pour Leila, en 2011 pour Derakhte Golabi (film pour lequel il reçoit aussi le Silver Hugo au Chicago Film Festival). Il est nommé en 1999 à Lodtz au festival Camerimage pour Le vent nous emportera, de , et il y recevra une Silver Frog en 2011 – une très haute distinction pour l’image – pour Une séparation, de .

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION Par son immense talent il a su traduire en images la vision de réalisateurs comme Abbas Kiarostami, Palme d’Or à Cannes, Majid Majidi (Les Enfants du ciel), nommé aux Oscars, ou Asghar Farhadi, Oscar du meilleur film étranger pourUne séparation.

Ci-dessous une liste des principaux films qu’il a éclairés :

2013 Le Passé Asghar Farhadi 2013 Le Poisson et le chat Sharam Mokri 2011 Une séparation Asghar Farhadi 2008 Shirin Abbas Kiarostami 2006 Hors jeu Jaffar Panahi 2006 Men at Work Mani Aghighi 2005 Bab’Aziz Necer Khemir 2005 Tickets Abbas Kiarostami 2004 Abadan Mani Aghighi 2000 Odeur de camphre parfum de jasmin Bahman Farmanara 1999 Le vent nous emportera Abbas Kiarostami 1998 Le Poirier Dariush Mehrjui 1998 Derakhte Golabi Dariush Mehrjui 1997 Leila Dariush Mehrjui 1996 Gabbeh 1996 Un instant d’innocence Mohsen Makhmalbaf 1995 Salaam Cinema (documentaire) Mohsen Makhmalbaf 1993 Sara Dariush Mehrjui 1992 Del Shodegan Ali Hatami 1990 Une occasion d’amour Mohsen Makhmalbaf 1990 Ei’Iran Naser Taghvai 1990 Le Temps de l’amour Mohsen Makhmalbaf 1988 Sorb Masud Kimiai

Seront projetés durant ces journées 10 à 12 des films les plus marquants dont il a signé la photo. Il dirigera une master-class, le mercredi 10 février, accompagné des invités de son choix. Mahmoud Kalari est un directeur de la photo qui exprime son talent dans le contexte d’une cinématographie riche et différente. Ses méthodes de travail sont toujours en adé- quation avec les moyens dont il dispose. Par une collaboration intelligente, sa sensibilité et sa créativité magnifient le récit du réalisateur. A travers son expérience il nous paraît important d’explorer son art cinématographique. De même que l’an passé, Caméflex projettera également au cours de ces journées des courts métrages d’étudiants d’écoles de cinéma de France et de cultures différentes et/ou éloignées. Cette sélection sera faite par Rémy Chevrin, Gérard de Battista et Dominique Gentil, du- rant le Festival International du Film de San Sebastián dans la section « Rencontres d’étu- diants de Cinéma ». Joints à des travaux d’élèves qui sont issus d’écoles de cinéma françaises, ces films partici- peront cette année à une compétition dont le lauréat sera invité à Paris et recevra un prix décerné par ses pairs. Enfin, un film du patrimoine restauré en numérique sera présenté en soirée de clôture.

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION Cameflex-AFC « Le lien avec la lumière »

Il y avait un besoin d’une manifestation dédiée à la lumière au cinéma, mettant en ve- dette celui qui est le premier collaborateur du réalisateur. Une manifestation qui donne un coup de projecteur sur cette profession à un moment où les techniques qui ont prévalu durant plus d’un siècle sont remises en causes par l’abandon de la pellicule au profit du numérique. Au-delà de ces changements, on doit savoir conserver, préserver et transmettre ce lien magique qui nous fait reconnaitre et apprécier, identifier, l’image que nous renvoie l’écran panoramique du cinéma. Le langage de la lumière n’a pas d’âge. Il est éternel et c’est à travers lui qu’un réalisateur, tel un peintre, et avec le concours de son directeur de la photo, transpose sa pensée à l’écran. La technique employée est un véhicule, mais sans la pensée créative, la technique ne serait rien. Sans un langage spécifique, elle ne pourrait véhiculer aucune idée. Cette manifestation s’appelle Caméflex, parce que le Caméflex, inventé en France en 1947, fut la première caméra portable et rechargeable à la lumière du jour, la caméra qui a bouleversé l’écriture cinématographique par sa maniabilité, la caméra adoptée par les réalisateurs de la Nouvelle Vague. Une caméra qui portait peut-être déjà en elle les germes d’une révolution. Les deux premières éditions de Caméflex se sont déroulées à Amiens, dans le cadre du Fes- tival International du Film, avec la complicité de Jean-Pierre Garcia et de Fabien Gaffez. Caméflex 2012 rendait hommage à Ricardo Aronovich, AFC, ADF, esthète de la lumière qui, des nouvelles vagues latinos des années 1950 jusqu’aux cinéastes les plus prestigieux du cinéma mondial (d’Alain Resnais à Raoul Ruiz en passant par Etorre Scola ou Andrzej Zulawski), s’est imposé comme l’un des principaux maîtres de son art.

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION Ricardo Aronovich a accompagné ainsi la rétrospective d’une dizaine de ses plus beaux films : L’important c’est d’aimer, d’Andrzej Zulawski, Providence, d’Alain Resnais, Klimt, de Raoul Ruiz, Invasion, de Hugo Santiago… et a di- rigé à Amiens une master-class sur le thème « Pourquoi la lumière ? », en compagnie des directeurs de la photo qu’il avait invités ce jour là : Georges Lechaptois (Belle épine, Augustine, The Passenger) et Gérard de Battista, AFC, (La Petite Lili, Vénus beauté, Thérèse Desqueyroux). Pour Caméflex 2013, c’est Denis Lenoir, AFC, ASC, qui avait été mis à l’honneur. Denis Lenoir partage son travail entre l’Europe et Hollywood ; il té- moigne d’un rapport différent à son métier. Denis Lenoir est un artiste libre, intuitif et inspiré. Le metteur en scène Olivier Assayas, avec qui il a beaucoup tourné, dit de lui : « Il réfléchit, il théorise, il expérimente et aussi il a le goût du large… ». Il était intéressant de s’interroger avec lui sur cette relation particulière qui s’instaure sur le long terme entre un réalisateur et un chef opérateur. © Germain Suignard Olivier Assayas accompagnait Denis Lenoir durant sa master-class « Le responsable de la lumière d’un film ? », modérée par le critique et biographe Michael-Henry Wilson. Son hommage était constitué de neuf longs métrages, dont quatre réalisés par Olivier Assayas, chacun représentant une décennie du travail de ce réalisateur et complice (Dé- sordre pour les années 1980, L’Eau froide pour les années 1990, Demonlover pour les années 2000, et Carlos pour les années 2010). Denis Lenoir avait aussi présenté un montage d’extraits de 15 films qu’il n’avait pas tour- nés mais qui avaient influencé plus particulièrement son art et son travail. « Ma vie d’ar- tiste en 15 films que j’ai pas tournés ». Caméflex avait projeté aussi Série noire, film d’Alain Corneau photographié par Pierre- William Glenn, AFC, aujourd’hui président de la Commission Supérieure Technique de l’Image et du Son. Série noire est un film très novateur dans sa cinématographie ; Pierre William Glenn, qui a travaillé avec de très nombreux réalisateurs au cours de sa carrière – dont François Truffaut, Costa Gavras, Bertrand Tavernier, Maurice Pialat, Jose Giovanni, Robert Enrico et bien d’autres… – a su nous communiquer durant le débat suivant la projection combien le tournage de ce film avait nécessité une implication totale pour réussir la transposition à l’écran de l’univers désespéré de Jim Thomson. En clôture de cette édition, l’AFC avait rendu un hom- mage au cadreur Luc Drion, SBC, disparu brutalement la même année, avec la projection en avant-première de Belle et Sébastien de Nicolas Vanier. Luc Drion, au cours de sa carrière, a exercé son talent sur de nombreux films parmi lesquels : Toto le héros (réalisé par Jaco Van Dormael), Himalaya l’enfance d’un chef (réalisé par Eric Valli), Le Peuple migrateur (réalisé par Jacques Perrin), Océans (réalisé par Jacques Perrin et Jacques Cluzaud).

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION Lors de sa dernière édition, en février 2015, Caméflex a quitté Amiens pour s’installer à Paris au cinéma Le Grand Action, rue des Ecoles, un lieu plus proche des professionnels du cinéma, des étudiants et des cinéphiles.

Cette fois, c’est à Luciano Tovoli, AIC, ASC, que Caméflex a rendu hommage, permettant de revoir quelques-uns des merveilleux films qu’il a photographiés Profession( Reporter, de Michelan- gelo Antonioni, Nous ne vieillirons pas ensemble, de Maurice Pialat, Le Désert des Tartares, de Valério Zurlini, Rêve de singe, de Marco Ferreri…) En compagnie de Yves Agostini, cadreur de plusieurs de ses films, et de Jacob Berger, dont il venait d’éclairer Pour l’exemple, Luciano Tovoli a dirigé une master-class « Un film, une lumière », modérée cette année par Dominique Maillet. Au-delà de ces hommages, la vocation de Caméflex, organisé par l’Association Française des directeurs de la photographie Cinématographique, est aussi de constituer un forum de recherche des chemins futurs de cette profession. L’AFC entend participer de façon active et dynamique à la transmission des savoirs, seule capable de préserver l’héritage de tous les talents de ceux qui la composent et de garantir ainsi la pérennité de cet art. Dans cette perspective, le programme de Caméflex consacre depuis l’an passé une jour- née à la présentation de travaux d’étudiants d’écoles de cinéma de toutes origines et de cultures parfois lointaines et/ou très différentes. Ces films de court métrage, au nombre de sept lors de la dernière édition, sont sélectionnés par un Jury du Festival de San Sebastián avec lequel l’AFC a créé un partenariat. En 2014, ce jury était présidé pour la réalisation par Laurent Cantet et pour l’image par Pascal Ridao et Philippe Van Leeuw, membres de l’AFC.

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION Sept jeunes réalisateurs sont venus ainsi à Paris, en février dernier, invités par l’AFC à pré- senter leur court métrage, accompagnés de leur directeur de la photo. Chacun d’eux était parrainé et présenté par un directeur de la photographie membre de l’AFC.

Pierre Lhomme et Matthieu Poirot-Delpech, président 2015 de l’AFC

Les journées Caméflex 2015 s’étaient terminées par une projection hommage à Pierre Lhomme, président d’honneur de l’AFC : La Vie de château, de Jean-Paul Rappeneau, en version numérique. Le film, d’un magnifique noir et blanc, venait d’être restauré avec le concours de Pierre Lhomme qui l’avait lui-même éclairé.

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION « 2012 - 1er Caméflex AFC » HOMMAGE A RICARDO ARONOVICH (AFC-ADF)

L’Éclaireur « La réalité est si complexe […] qu’un observateur omniscient pourrait ré- diger un nombre indéfini, et presque infini, de biographies d’un homme. » Borges, Autres inquisitions.

Un grand artiste se reconnaît à son « atelier ». Comme pour les grands peintres, l’atelier ne révèle pas l’homme, ni l’artiste, mais en épaissit encore le mystère — comme une nuit absorbant toutes les lumières. Lorsqu’on a la chance de pénétrer dans l’atelier de Ricardo Aronovich, ce lieu où il travaille ses photographies où il lit et, sans doute, imagine la lu- mière de ses films, c’est son climat apaisé qui frappe d’abord. Chaque objet semble avoir trouvé sa place, non pas selon un rangement docile et ennuyeux, mais comme déposés là par la vie et le temps passé. L’atelier de Ricardo Aronovich est comme une mémoire vivante, un anti-musée qui, de tableaux en photographies, de romans en beaux livres, nous dessine un imaginaire, presque un autoportrait. Ses trophées sont invisibles, ce sont les souvenirs qui habitent cette pièce ouverte sur le ciel par deux puits de lumière, qui semblent appeler l’œuvre en marche. L’atelier est habité par les formes et les idées qui peuplent cet îlot de culture en action. L’atelier épaissit le mystère de l’artiste, mais lève un coin du voile sur son art : il faut du temps pour apprivoiser la lumière, sans jamais la dompter. Un temps nourri par les lectures, les tableaux, tous les arts du monde, celui de vivre ou de voyager, un temps dont Aronovich a su retrouver les couleurs. Parler avec Ricardo Aronovich, c’est comme faire une expérience « borgésienne » du temps, et voyager sans considération de hiérarchie artificielle du passé ou de l’avenir. Ce voyage est aussi celui que propose un festival de cinéma, qui n’est pas une simple machine à remonter le temps, mais une ouverture de tous les possibles du temps, comme si l’his- toire, toutes les histoires, s’écrivaient devant nos yeux et au présent. De même Ricardo Aronovich, esthète qui ne cherche pas l’esthétisme, écrit à sa manière une « histoire de l’éternité ». Selon Luis Miranda, auteur d’un beau portrait documentaire du directeur de la photographie, Aronovich a des yeux de dinosaure : autant dire qu’il en a vu — et que ses visions s’incarnent à l’écran. Comme Borges, Aronovich est né en Argentine. Comme Borges, il parle plusieurs lan- gues (dont celle, universelle, de la lumière). Comme Borges sans doute, il voit l’image les yeux fermés. Car Aronovich a cette rare capacité à savoir quelle image il crée, sans s’aider d’un combo ou de tout contrôle technique. C’est à l’œil nu qu’il peut « fabriquer » un plan. L’homme a connu bien des pays. Depuis son travail en Argentine, jusqu’à ses collabora- tions avec de grands cinéastes européens, en passant par le Brésil ou les Etats-Unis. C’est à Chicago, soit dit en passant, qu’il découvre par hasard, s’engouffrant dans une salle de cinéma pour échapper au froid, Alexandre Nevsky. La vision du film d’Eisenstein, au moins pour sa splendeur plastique et ses recherches formelles, est comme une révélation : c’est à

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION ce moment-là qu’il a su qu’il ferait du cinéma. D’autres films l’impressionneront — comme on peut dire d’une lumière qu’elle impressionne la pellicule. Il y aura le travail de Gregg Toland pour les Hommes de la mer (The Long Voyage Home, John Ford, 1940) ou pour la Splendeur des Amberson (The Magnificent Ambersons, Orson Welles 1942). Il y a bien évi- demment Gabriel Figueroa, le maître mexicain . Il y a le travail de Vilmos Zsigmond pour John McCabe (McCabe & Mrs. Miller, Robert Altman, 1971), celui de Sven Nykvist — l’opé- rateur de Bergman — pour le Sacrifice (Offret, Andrei Tarkovski, 1986). Mais Ricardo Aro- novich, bien qu’il s’inquiète de l’avènement précipité du numérique, sait apprécier le travail de ses contemporains, tel celui de Tom Stern sur le sublime Lettres d’Iwo Jima (Letters from Iwo Jima, 2006), le dernier chef-d’œuvre de Clint Eastwood. Ou encore celui des opérateurs qu’il a conviés au Festival d’Amiens : George Lechaptois et Gerard De Battista. Aronovich est tenu par nombre de ses pairs pour un « génie ». Bien que le mot soit galvaudé, on peut lui reconnaître ce défaut. Claude Sautet, à qui nous consacrons une intégrale, voyait en Aronovich un « grand esthète de l’image ». Après sa période argen- tine, Aronovich a collaboré avec Ruy Guerra, s’exposant au paysage du Brésil, restituant sa lumière si particulière. Il y a aussi les amitiés au long cours, comme celle qui le lie au cinéaste Hugo Santiago. Il a ensuite collaboré avec les plus grands : Louis Malle, Ettore Scola, Alain Resnais, Andrzej Zulawski, Marguerite Duras, Costa-Gavras, Raoul Ruiz (avec ce dernier, il a formé un duo extraordinaire, au long de trois films singuliers). Selon lui, il n’est pas question de s’affirmer l’auteur d’un film, mais d’ouvrir des possibilités au réali- sateur. Et quand le réalisateur comprend cela, comme Alain Resnais ou Raoul Ruiz, cela donne des films « jamais vus », au sens strict. Ricardo Aronovich est passé maître dans deux domaines essentiels de la photogra- phie de cinéma : le paysage (il a su capter bien des territoires, fussent-ils « intérieurs », ou en restituer l’humeur) et le portrait (le rapport aux acteurs et la question très particu- lière de la photogénie, où l’on peut aussi trouver de la beauté dans un visage « laid »). Si l’on devait tisser un lien entre tous les films photographiés par Aronovich, on pourrait dire qu’il a su recréer une autre réalité, ne se soumettant jamais à un naturalisme béat ou à une reproduction mécanique du réel. Son réalisme est, d’une certaine manière, « poétique ». Sans virer au fantastique, il a su ouvrir des failles dans la réalité pour nous la dévoiler sous une autre lumière. La définition qu’avait donnée Cocteau du merveilleux au cinéma, la distinguant de la simple prestidigitation, pourrait s’appliquer au « style » de Ricardo Aronovich : « On parle beaucoup du merveilleux. Encore faut-il s’entendre et savoir ce qu’il est. S’il me fallait le définir, je dirais que c’est ce qui nous éloigne des limites dans lesquelles il nous faut vivre et comme une fatigue qui s’étire extérieurement à notre lit de naissance et de mort. » (La Difficulté d’être). L’atelier d’Aronovich, c’est bien cette fatigue heureuse du travailleur, qui repousse les limites du temps, qui creuse un « réel » dont il ne saurait se contenter. Fabien Gaffez

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION © Germain Suignard Ricardo Aronovitch reçoit la Licorne d’Or, le trophée du Festival du Film d’Amiens

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION 2ème Caméflex « La lumière au cinéma » 2013 - HOMMAGE A DENIS LENOIR (AFC-ASC)

L’Art et la Matière par Fabien Gaffez

Ce qui frappe en premier lieu, chez Denis Lenoir, c’est son regard. Vif, aussi sévère qu’hos- pitalier, d’un bleu de ciel qui pourrait virer à l’orage. Ses gestes sont précis, avec des mains comme des rapaces qui fondent sur leur proie. Sa voix laisse transparaître un homme dé- cidé, qui ne supporte pas les atermoiements ou les tergiversations — les décisions doivent être prises sur le vif, en un coup d’œil. On le rencontre un après-midi de septembre au Café de Flore, mais il ne semble pas lui appartenir. Lui qui partage sa vie et son travail entre Los Angeles et Paris, entre Hollywood et le cinéma européen. Nous tombons comme des cheveux sur la soupe germanopratine. Avant de venir à sa rencontre, nous avons au moins pu nous ressourcer dans les travées d’une librairie aux longs rayonnages habités. Le Flore garde sa faune, on y croise l’écrivain Patrick Besson et, à l’étage, c’est Costa-Gavras qui converse à la table d’à côté. Tout un monde. Mais quand Denis Lenoir arrive, on sent bien l’amène efficacité de sa présence, qui semble être celle d’un homme libre, doublé d’un artiste qui ne porterait par son ego en bandoulière. Il est souvent artificiel de vouloir, coûte que coûte, trouver des correspondances entre les goûts d’un homme et son œuvre, ou d’avoir la vue basse d’un Sainte-Beuve pour juger l’homme avant l’œuvre. Ainsi, l’homme qui aime Renoir ou Wellman ne fera pas forcément œuvre de Renoir ou de Wellman. Cela dit, les films qui marquent une vie la marquent pour toujours — au fer rouge (et c’est l’exercice que nous proposera Denis Lenoir, en plus de sa masterclass : celui des quinze films qui ont marqué sa vie d’artiste, sous forme d’extraits qu’il commentera). Si un directeur de la photographie n’est pas un copycat, il y a dans ses yeux un regard qui a déjà aimé, telle photographie, tel tableau, tel film, tel détail de la vie quotidienne. Et c’est une énigme, la mémoire des yeux, le dépôt d’images qui depuis l’enfance se remplit. C’est une énigme, les sensations du jour et de la nuit qui ont ici élu domicile. Les formes de lumière, les figures d’ombre, les couleurs sédentaires, les matières vitales. La vie ne se résume pas à ces choses-là, à ces profonds courants de conscience, mais le regard s’en nourrit et projette sur le monde son invisible faisceau. C’est ce que l’on voudrait lire dans les yeux de Denis Lenoir, mais qui garde la majestueuse opacité de celui qui n’a pas encore tout vu. Denis Lenoir, durant sa jeunesse de cinémathèque, a vu des centaines de films. Toutes ces images vues, rêvées, ressouvenues, oubliées, ont en partie formé son art de la lumière. On ne sent pas chez lui la volonté absolue de maîtriser la lumière, comme Aronovich. Sa conviction, que tous ne partagent pas, est que c’est d’abord le réalisateur qui est le res- ponsable de la lumière — bonne ou mauvaise. Et que l’opérateur n’en serait que l’agent talentueux. Cela n’est en rien minimiser la créativité de l’opérateur, mais c’est en relativi- ser la dépendance narcissique. C’est sans doute là une approche plus anglo-saxonne, plus

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION hollywoodienne, qui attend un travail bien fait plutôt qu’un art consommé. Néanmoins, on sent chez Lenoir une réelle fascination, un rapport quasi sensuel, à la lumière. Et, encore une fois, Aronovich n’est pas loin. Car l’un des hommes qui ont marqué sa car- rière, c’est le cinéaste argentin Hugo Santiago, et plus particulièrement son film Invasion éclairé par… Ricardo Aronovich Et si l’on parle un peu avec Lenoir, on devine plusieurs lignes de force dans ses goûts de cinéphile, au moins dans la nature des images qui lui ont impressionné la rétine. Car la lumière, c’est de la matière. C’est bien ce qui se dégage de nos conversations et de nos impressions. Bien des films qui lui reviennent comme ses chemins de Damas sont d’un noir et blanc tranchant, où les contrastes, l’énergie, le travail de surimpression transforme l’image en vibrante célébration de la lumière. Trois films lui reviennent, comme des ritournelles esthétiques : Invasion, Les Inno- cents de Jack Clayton, Faces de John Cassavetes. Dans le premier, Aronovich instaure un climat très particulier : le magnifique noir et blanc donne une sensation de malaise au film, l’éloigne de la simple série B et lui donne l’ampleur d’une pure œuvre de science-fic- tion. L’atmosphère et la grisaille de cette ville imaginaire, qui ressemble fortement à Bue- nos Aires, sont parfaitement restituées par la photographie qui pousse les lieux hors du monde, et rappelle par la même occasion le Tetro de Francis Ford Coppola. Si l’on revoit les Innocents, pur chef-d’œuvre du cinéma fantastique, on se rend compte que l’image prend une réelle autonomie par rapport au récit. Les effets de surimpression travaillent la hantise même du personnage principal (comme si le film lui-même était hanté par d’autres images). C’est Freddie Francis qui en signe la lumière, lui qui travailla longtemps pour la Hammer (il y réalisa également quelques films) et mit en place, si l’on ose dire, une sorte de lumière tératologique (il éclairera plus tard l’Elephant Man de David Lynch). Quant à Faces, au-delà de la vitalité qui se dégage du film, on sent surtout le grain de la pellicule qui se conjugue à celui de la voix et de la peau (le gros plan du visage, par sa labilité même, disant la constante incertitude de soi-même). Or, sauf erreur, Lenoir n’a jamais véritablement travaillé le noir et blanc (même si certains de ses films retrouvent ces tons décharnés, comme Monsieur Hire). La veine Cassavetes, que l’on pourrait décrire comme celle d’un naturalisme fiévreux, se retrouvera dans sa collaboration avec Olivier Assayas, dont certains films semblent rechercher la prime animalité de l’auteur de Hus- bands, ou dans des films comme la Séparation de Christian Vincent. Mais ce qui importe, encore une fois, au-delà du noir et blanc, c’est l’humeur de l’image, sa physionomie. Pour lui, la lumière est matière, et son art est d’abord tactile, recherchant les yeux fermés les puissances haptiques du film. Il y a plutôt du peintre que du sculpteur, chez lui. Mais un peintre qui jetterait ins- tinctivement ses couleurs sur la toile, sans jamais s’embourber dans la raideur du dessin. Un peu à la Jackson Pollock. Lenoir a filmé des peintres, comme dansCarrington ou dans Angel. Mais l’image jamais ne se fige dans le chromo ou la vignette, bien qu’elle travaille le paysage (Carrington) ou l’imaginaire (les transparences d’Angel). On sait qu’il aime beaucoup le Munch de Peter Watkins. Mais le film qui l’a peut-être le plus marqué, comme un tatouage, c’est Pierrot le fou. Le film-charnière de l’œuvre de Godard, qui s’est très souvent comparé à un peintre et, comme le rappelle Jacques Aumont dans l’Œil interminable, a travaillé de l’intérieur les vertus picturales du cinéma. De même, dans le travail de Lenoir, la lumière se diffuse comme un sentiment, plutôt que comme une idée. Outre l’usage fameux de la couleur, Pierrot le fou se démarque aussi par la physionomie du paysage, comme le décrit Aumont. Et Lenoir de vanter le génie de Raoul Coutard, rappelant que l’aspect « collage » du film l’avait fasciné : il est vrai qu’elle tranchait avec

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION la narration déjà traditionnelle de la Nouvelle Vague. Pierrot le fou, avec ces cadrages ironiques, ses citations iconoclastes, son récit décousu, son chromatisme éloquent, fut un choc pour celui qui ne savait pas encore qu’il se destinait à faire de sa passion pour le ciné- ma un métier. Aumont dit très justement : « Montrer ou laisser voir : l’éternel dilemme du cinéma, et Godard rêve de faire les deux à la fois. Le paysage expressif — crépusculaire, létal — de Pierrot le fou est le lieu de ce rêve. » Si l’on y ajoute d’autres « influences » (de ces influences secrètes plutôt que concrètes), tels Jancso ou Samuel Fuller, on y retrouve la même expressivité des mouvements de caméra, la même sensualité primitive. La manière de Lenoir, c’est la matière. Ce rapport sensuel à l’image se caractérise enfin par son approche des acteurs. On devine une nouvelle flamme dans les yeux de Denis Lenoir lorsqu’on lui pose la question de la photogénie (ce mystère jamais sondé de l’acteur de cinéma) : elle existe en effet, et c’est la chose du monde la moins bien partagée. Quand il évoque la responsabilité de la lumière, il ne s’en arroge pas la paternité, mais estime que le réalisateur, par ses choix et son tempérament, la provoque. Le cinéaste dirigerait la lumière comme on dirige un acteur, non pas tel un marionnettiste, mais comme celui qui insuffle la vision d’un en- semble, tout en l’échafaudant à partir de détails signifiants. Cette idée d’une « direction » de lumière partagée reste essentielle. Et la comparaison à l’acteur n’est pas anodine : il est l’autre matière vivante à laquelle s’accouple la lumière. Denis Lenoir sait de quoi il retourne, puisqu’il a également travaillé avec des stars hollywoodiennes (Pacino, De Niro, Redford), qui exigent une toute autre méthode sur le plateau. Il n’est pas avare d’anec- dotes (qui ne sont pas tant des anecdotes que les signes d’un gai savoir) : il chérit la cravate que lui offrit Dirk Bogarde (croisé sur Daddy Nostalgie de Tavernier) et reste impressionné par la précision technique de Jonathan Pryce. Il est vrai que Denis Lenoir a croisé la route de nombreux acteurs, dont il s’est fait le portraitiste en mouvement. Il est assez difficile, quand on les réunit dans la galerie de notre mémoire, de ne pas reconnaître un fil rouge, de paysages en visages, des tableaux de chair et de sang que l’on admire du coin de l’œil à la croisée des miroirs : le sourire de Virginie Ledoyen dans l’Eau froide, les visages fatigués de Jean Rochefort (Tandem) ou Michel Blanc (Monsieur Hire), la silhouette au pathétique burlesque de Jonathan Pryce dans Carrington, la grâce anachronique de Romola Garai dans Angel, la pulsion des corps dans Désordre, autant d’états du cinéma qui réforment nos états d’âme. Chaque film avait une lumière particulière, mais chaque film nous don- nait à sentir quelque chose de la lumière du monde — et de nos vies. Et lorsqu’on quitte le Café de Flore et que l’on fuit sa faune, sur le chemin du retour, dans la grisaille parisienne et le fleuve bigarré des visages que l’on croise, on se dit que bien des films éclairés par Denis Lenoir ont marqué la nôtre, de vie. Ils remontent à la surface, comme les balises d’un passé qui nous a construit. Ces films, nous les avons aimés. Et nous les avons aimés d’un cœur net.

Fabien Gaffez

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION Remise de la Licorne d’or à Denis Lenoir Eric Guichard. Rencontre avec le réalisateur sri-lankais Asoka Handagama et son directeur de la photo Channa Des- hapriya après la projection de son filmThis is My Moon

Denis Lenoir et Michael-Henri Wilson, modérateur de la master-class

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION © Germain Suignard De gauche à droite : Phillippe Piffeteau (AFC), Fabien Gaffez, Pascal Ridao (AFC), Olivier Assayas, Rémy Chevrin (AFC), Denis Lenoir (AFC), Richard Andry (AFC), Ricardo Aronovitch (AFC), Jean- Marie Dreujou (AFC), Jean-Noel Ferragut (AFC), Hélène Louvart (AFC), David Quesemand (AFC), Robert Alazraki (AFC), Vincent Muller (AFC), Gérard de Battista (AFC), Laurent Dailland (AFC), Michel Abramovicz (AFC), Alain Coiffier, Dominique Gentil (AFC), Michael Henri Wilson.

Rencontre Gérard de Battista avec le photographe Vincent Lignier « Image fixe, image en mouvement »

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION 3ème Caméflex « Un film, une lumière » 2015 – HOMMAGE A LUCIANO TOVOLI (AIC-ASC)

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION Luciano Tovoli et Dominique Maillet, modérateur de la Master-Class

Les invités de Luciano Tovoli : le cadreur Yves Agostini et le réalisateur Jacob Berger

Julien Poupard, AFC, directeur de la photo de Party Girl

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION Luciano Tovoli reçoit un Caméflex d’honneur des mains de Jacques Perrin au nom de l’AFC

Remise d’un Caméflex d’honneur à Jacques Perrin par Dominique Gentil, AFC, et Alain Coiffier

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION A propos de l’AFC

L’AFC a été créée en 1990. Association Loi de 1901, l’AFC réunit le plus grand nombre des directeurs de la photogra- phie français, présents au plus haut niveau artistique et technique dans les productions françaises et étrangères. Elle regroupe : - Des membres actifs : directeurs de la photographie, 131 à ce jour, admis après avoir été parrainés et agréés par leurs pairs. - Des membres associés : les constructeurs de matériels destinés au cinéma et les pres- tataires du secteur (loueurs de caméras et d’objectifs, matériel d’éclairage et de machinerie, travelling, laboratoires, studios de tournage, postproducteurs, etc…). Les membres associés apportent à l’AFC une contribution importante en amont des tournages, lors des essais de matériel, et dans les shows techniques pour la présen- tation des équipements de prises de vues nouveaux. Les membres associés contri- buent aussi au soutien financier de l’AFC. - Des membres consultants : techniciens, personnalités, chercheurs, reconnus par l’AFC comme ayant des compétences et des savoirs particuliers, qui contribuent au rayonnement des professions de l’image L’AFC bénéficie d’un appui important du CNC – Centre national du cinéma et de l’image animée – pour son fonctionnement courant ainsi que pour des projets spécifiques. Les activités de l’AFC : - la lettre mensuelle. - le site Internet (http:/www.afcinema.com). - le Micro-Salon technique organisé chaque année dans les locaux de La fémis – école des métiers du cinéma. - Caméflex : manifestation annuelle dédiée à l’image cinématographique. - le Festival de Cannes : présence et accueil des membres sur place. Publication d’une newsletter quotidienne. - le Cinédico, lexique technique du vocabulaire cinématographique, réalisé en plu- sieurs langues. (www.cinedico.fr) - les Cahiers Lumières consacrés à des sujets et à des entretiens mettant en valeur et illustrant les métiers de la prise de vues. - des projections mensuelles en avant-première de films éclairés par les membres actifs. Le bureau directeur de l’AFC se réunit régulièrement pour déterminer les orienta- tions de ses activités et communiquer le point de vue de ses membres auprès des instances culturelles et politiques, comme cela a été le cas lors des négociations autour de la nouvelle convention collective du cinéma. Cette collaboration entre créateurs, utilisateurs, industries techniques du cinéma et institu- tions de tutelle permet à l’AFC de faire entendre ses principes : défendre l’existence d’une image cinématographique de qualité, tester en priorité toutes les nouvelles techniques, et affirmer la compétence de ses membres en tant que collaborateurs de création auprès des réalisateurs et des producteurs, dans la meilleure tradition du débat culturel français.

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C AMEFLEX - 4ème ÉDI T I O N / CINEMA LE GRAND ACTION L’AFC remercie de leur soutien :

Le Cinéma LE GRAND ACTION - Isabelle Gibbal-Hardy YMAGIS - Jean Mizrahi, Christophe Lacroix, Arnaud Denoual K5600 LIGHTING - Marc Galerne PANAVISION - Olivier Affre, Patrick Leplat Encuentros de Estudiantes de Cine - Jose Luis Rebordinos (Festival International du Film de San Sebastian) Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) Commission supérieure technique de l’image et du son (CST)

Délégué Général Alain COIFFIER

Comité éditorial Nathalie DURAND Dominique GENTIL Eric GUICHARD Matthieu POIROT-DELPECH

Organisation Philippe DIEUZAIDE

Chargée de Presse Isabelle BURON

Maquette et graphisme Jose María LAGO

Coordination AFC Marie GARRIC

Crédits photos Alain Coiffier (sauf mention spéciale Germain Suignard)