AUTOUR D'ÉCOUVES © Éditions Charles Corlet, 1988 ISBN: 2-85480-118-0 Sous la direction de Daniel Clary

AUTOUR D'ÉCOUVES

Paysages, économies, sociétés Un siècle et demi de l'histoire de six communes

EDITIONSCharles CORLET 24, rue de Vire - 14110 Condé-sur-Noireau Avis aux lecteurs

Les documents cités ou évoqués dans le texte sont renvoyés à la fin de chaque chapitre. PRÉFACE

« Ah ! Insensé qui crois que je ne suis pas toi ! », s'écriait Victor Hugo dans sa préface des Contemplations (1856). Les joies, les peines surtout (la mort de Léopoldine) qui avaient inspiré ses vers étaient, pensait-il, des sentiments que ses lec- teurs avaient éprouvés ou pouvaient partager. Avec ses mots particuliers, il exprimait l'universel. Avec une grande modestie pour le fond et pour la forme nous pourrions reprendre la même expression. Les matériaux de cet essai ont été rassemblés par une équipe d'étudiants de l'Université du Troisième Age d'Alençon. Le texte de raccord est de leur directeur de recherches. Il s'agit en apparence d'une étude localisée : des moments de l'histoire de six communes du massif forestier d'Ecouves. Mais combien d'habitants d'au- tres communes pourront reconnaître l'évolution de leur cadre de vie à travers ces exemples ! Le couchage en herbe que nous voyons à l'œuvre, le déclin démographique, etc., sont des faits qui dépassent le local. Bien plus : il se trouve que certains lieux appartiennent au début du XIX siècle à ce que l'on consi- dérait alors comme la troisième région industrielle de ; la mort des activités, c'est une page de l'histoire régionale qui se tourne : elle mérite que l'on s'interroge assez longuement sur les raisons. Il nous semble que nous attacher à un cadre précis permet d'aller plus loin dans la perception des changements, de mieux comprendre notre histoire commune. Si quelques-uns partagent notre point de vue, nous avons atteint notre but, en nous faisant plaisir. N.B. Mme et M. Alexandre ont effectué les recherches sur La Ferrière-Béchet, Mme et M. Guiot (1) sur Gandelain, Mlle

(1) Mme Guiot est née Cusson. En l'an X, sur 747 habitants de Gan- delain âgés de plus de douze ans, 57 portent ce nom. En 1936, 9 sur 517 le portent encore... Radiguet et M. Papillaud sur La Roche-Mabile, Mme et M. Gué- mené sur Saint-Denis-sur-Sarthon, Mme et M. Aubry sur Saint- Hilaire-la-Gérard. M. Bouvet a proposé quelques notes sur Tan- ville, complétées par Mlle Radiguet et M. Papillaud. L'étude sur les enfants trouvés a été réalisée par Mme Herrouin. Nous ne saurions assez remercier Mme Gautier-Desvaux, directrice des Archives départementales de l', ainsi que le personnel des Archives, dont la patience a été mise à contribu- tion. L'intérêt qu'ils ont porté à cette opération a été un appui permanent et les possibilités matérielles mises à notre disposi- tion ont facilité la tâche. Puisse ce travail apparaître digne d'un hommage de remerciement. INTRODUCTION

LE CADRE

Les communes concernées par l'étude se regroupent en deux ensembles adossés de part et d'autre de la forêt d'Ecouves (carte 1). Cette opposition de « versants » implique des contras- tes climatiques et humains que la situation explique facilement. Les communes méridionales sont déjà dans une position de contact ; les Constituants avaient cru bon de faire passer par là une limite administrative. Elles se localisent dans une trouée de l'échine morphologique et du massif forestier, entre les bois de la Butte-Chaumont (378 m) au Nord-Est, et la forêt de Mul- tonne au Sud-Ouest (Mont des Avaloirs, 417 m). C'est dans cette échancrure que passe la grande route de Paris au Mont- Saint-Michel et à Brest. Saint-Denis-sur-Sarthon en tient le ver- rou. La circulation compense ainsi le handicap naturel, dont elle fait un atout. Alençon n'est qu'à 11-12 km. Les communes du Nord sont en apparence mieux dégagées du massif. La forêt y forme un amphithéâtre relativement éva- sé ; mais l'ensemble n'est traversé que par la route de La Ferté- Macé à Sées, par , au trafic modeste ; aucune grande ville ne tient réellement cet espace : Sées n'est qu'à 10 km, mais son influence économique n'égale pas son rayonnement reli- gieux.

Relief

L'élément essentiel de l'organisation de l'espace, pour les communes méridionales (carte 2) est la vallée du Sarthon. Elle détermine, avec son affluent le Chandon, une coulée, un niveau de base autour de 200 m. Ce niveau ne se retrouve ailleurs que dans la partie orientale de Saint-Denis-sur-Sarthon, passé le mas- sif, lorsque s'ouvre la plaine d'Alençon. Le relief se dispose somme toute simplement, à partir des trois points hauts — Butte- Chaumont au Nord-Est (378 m), Mont Souprat au Sud-Ouest (367 m) et une colline dominant Gandelain, au Nord-Ouest (331 m) — en direction de la vallée, avec des pentes certes inégales : une butte au Sud-Ouest de Gandelain, relevée à 306 m, sert de trait d'union au massif forestier entre Chaumont et Mul- tonne. Le relief des communes septentrionales (carte 3) se présente différemment, mais encore plus simplement, car la vallée de la Sennevière, modeste affluent de l'Orne qui prend sa source dans la commune de , n'est pas un élément directeur ; le rôle est ici tenu par les hauteurs d'Ecouves, limite méridionale des communes, aux alentours de 400 m, d'où les pentes descendent à peu près régulièrement vers le Nord-Est, en direction de la plaine de Sées.

Géologie

Au Nord, les couches s'ordonnent régulièrement — malgré quelques failles ou décrochements — en un berceau raboté par l'érosion ; les grès armoricains — les plus durs — arment la barrière de hauteurs à l'horizon sud. Schistes et grès plus tendres se succèdent ensuite. Le calcaire, élément consti- tutif des plaines, au Nord, n'apparaît qu'à peine, en une pastille, à !a limite de Saint-Hilaire-la-Gérard. La complexité géologique des communes méridionales est plus considérable, accrue encore par l'existence de champs de failles apparus et ayant rejoué à des dates variables. Mais, en fait, trois types de roches se juxtaposent. Les plus anciennes sont ici les roches granitiques qui forment l'essentiel du terri- toire des trois communes. Elles sont antérieures au plissement hercynien. Celui-ci a débuté par des phénomènes volcaniques dont il reste des éléments sur le flanc nord de Multonne. D'au- tres apparaissent à la faveur des jeux de failles, à l'Ouest de la Butte-Chaumont. Puis vient l'ensemble des dépôts sédimen- taires de la suite de l'ère primaire. Les grès armoricains gar- dent leur rôle fondamental dans le relief puisqu'on les trouve sur les hauteurs (Multonne, Butte-Chaumont, et hauteurs inter- médiaires). Les couches rencontrées au Nord existent peut-être partiellement, au pied de la Butte-Chaumont, mais nous ne les voyons pas, car tout est masqué par les limons de versants et les dépôts de solifluxion. Par contre les avancées du secondaire se manifestent plus vigoureusement au Sud, par une digitation de sables postérieurs sur le territoire de Saint-Denis. La simpli- cité apparente n'en résulte pas moins ici d'une histoire mouve- mentée... Le plus important dans cette opposition Nord-Sud n'est pas tant celle des roches que ce qu'elles impliquent pour la forma- tion des sols qu'elles supportent, lorsqu'ils en dérivent. Il serait trop facile cependant de conclure hâtivement : sols riches au Sud, pauvres au Nord ; les nuances selon la pente, l'épaisseur, et les apports extérieurs (de glissement, de solifluxion, mais aussi en engrais) sont trop complexes pour permettre de schéma- tiser ainsi. Cependant si de tout temps on a opposé la rigueur du Nord au caractère plus souriant du Midi, de part et d'autre du massif, ce n'est pas seulement pour des raisons climatiques...

Carte 1 — Le cadre de l'étude Carte 2 — Les communes méridionales. Relief Carte 3 — Les communes septentrionales. Relief

CHAPITRE I

LES COMMUNES AU DEBUT DU XIXe SIECLE

Notre point de départ ne saurait être une date précise ; il s'étale, au gré des sources facilement accessibles, de 1789 (ca- hiers de doléances) à 1824 (confection des matrices cadastrales dans les communes méridionales, celles du Nord les précédant de deux ans ; les plans ont été dessinés respectivement en 1812 et 1808). Il est entendu d'autre part que cette période n'est sans doute pas exceptionnelle : les événements politiques et mili- taires n'ont pas affecté trop directement ces milieux ruraux. Les curés non jureurs de La Ferrière-Béchet, Saint-Hilaire-la-Gérard et Saint-Denis-sur-Sarthon ont pu continuer, tout en se cachant, à exercer leurs fonctions pendant les dix ans (1792-1802) qui séparent la Constitution civile du Clergé du Concordat (1). Ils ont eu plus de chance en cela que certains prêtres d'Alen- çon. Mais, pour ces campagnes jusque-là dominées foncièrement et psychologiquement par des nobles, dont un seul à notre connaissance était physiocrate, le début du XIX siècle marque toutefois une ouverture. Au sens exact du terme d'abord : c'est après 1830 que de nouvelles routes sont tracées à travers les communes septentrionales. D'autre part, des activités impor- tantes disparaissent ou se transforment aux alentours de 1820- 1830. La civilisation industrielle commence à réorganiser l'es- pace et les sociétés. Le moment est donc favorable pour brosser un panorama introductif.

(1) Chanoine Pierre FLAMENT, Recherches sur le ministère clandestin dans le département de l'Orne sous la Révolution, Extrait principal de la Société Historique et Archéologique de l'Orne, année 1972, tome 90, p. 66. A) LES PAYSAGES

Par le cadastre, plusieurs traits nous sont révélés. Le pre- mier est à la fois l'omniprésence et l'importance inégale de la forêt. Elle forme le fond du paysage au Nord, en bordure du terroir cultivé ; elle y est aussi un aspect essentiel de l'existence puisque les limites communales de Tanville et La Ferrière en englobent de vastes sections. Au Sud, sa présence est moins pressante ; elle est plutôt un horizon — la masse de la Butte- Chaumont sert de référence visuelle et météorologique : « Quand Chaumont prend son chapeau, bonhomme mets ton manteau » — et un élément intégré dans le décor : sur les buttes sud-orien- tales de Gandelain, autour du chef-lieu et dans le bois de Gran- des-Brousses à La Roche-Mabile, autour des hameaux en miet- tes dispersées, et surtout des châteaux, en massifs plus compacts, à Saint-Denis. Les surfaces qui lui sont consacrées sont, par conséquent, inégales :

Surface en futaies % dans la surface bois taillis communale La Ferrière-Béchet 637 ha 46,2 Saint-Hilaire-la-Gérard 55 ha 6,4 Tanville 625 ha 48,3 La Roche-Mabile 14 ha 2,5 Gandelain 269 ha 18 Saint-Denis-sur-Sarthon 136 ha 10,4

Le deuxième trait est l'ensemble des marques d'une adap- tation patiente et ancienne aux conditions naturelles. Le bocage, élément essentiel du paysage et abri contre la pluie et le vent, en est déjà une marque. Il en est ainsi de la localisation des chefs-lieux. La Ferrière-Béchet doit son site et son nom à l'existence de minerai de fer à la base des schistes à Calymènes. Gandelain se localise au centre de son terroir, au point le plus élevé d'où il commande les environs : le clocher est aujourd'hui encore visible de partout alentour. La Rochc-Mabile, excentrée, est un château féodal construit sur un petit monticule (254 m), à l'ombre de la Butte-Chaumont, et facile à entourer d'eau. Les maisons se serrent à son pied et ne s'étaleront qu'ensuite dans la vallée, après la destruction par Philippe Auguste du point fortifié. C'est aussi la vallée qui explique l'emplacement de Saint-Denis aux marges de son terroir, à l'endroit précis où des gués permettent à la route de franchir la rivière. La disposition et la forme du parcellaire sont aussi une preuve de cette adaptation. La complexité du relief, des sols, n'a pu justifier ou permettre l'exercice d'une volonté collective se traduisant par un dessin géométrique simple. Le puzzle — comme le bocage — est au contraire la traduction des hasards, des hésitations, d'efforts individuels ou de petits groupes. Par- fois, compte tenu des moyens techniques du temps, les princi- paux éléments de relief commandent. Ainsi, sur Saint-Denis, la Butte-Chaumont détermine une structure en lanières perpendi- culaire à la pente. De même, selon la pente encore et la largeur de la vallée, les parcelles des fonds humides — et herbeux sans doute — du Sarthon et de la Sennevière sont normalement per- pendiculaires au cours d'eau, pour multiplier les possibilités d'usage. Mais, au contraire, lorsque la vallée s'évase, que les différents bras ont pu être aménagés, voire rectifiés par l'homme, et que le débit est régularisé par des étangs, des chemins peu- vent alors suivre un tracé perpendiculaire à la vallée, en cloi- sonnant le terroir : les parcelles deviennent parallèles à la rivière. L'adaptation aux qualités des sols se lit dans de nombreux détails. Nous n'en citerons que trois. A La Ferrière-Béchet, le tracé ancien de la route de Sées à Tanville (la route actuelle, Sées-Carrouges, n'existe pas non plus) suit le rebord de la forêt, entre 300 et 500 m de celle-ci, selon les sinuosités de la pente. De l'un à l'autre, point de bons sols — ils sont de l'autre côté — aussi ne trouve-t-on de ce côté-ci que deux hameaux chétifs et quelques bâtiments isolés ; les parcelles sont vastes et trapues : la surface unitaire compense-t-elle la pauvreté ? De même, à Saint-Denis-sur-Sarthon, toute la partie Nord (section A dite de la Croisette, et section B dite de la Forêt) est pratiquement vide d'habitants et les parcelles de cette dernière section surtout sont plus vastes qu'ailleurs... plus vastes que dans la section C, dite de Rance, au Centre-Est, là où commence véritablement la plaine d'Alençon et où les sols granitiques sont à la fois épais et bien égouttés : 10 hameaux et 666 parcelles se partagent ce terroir. L'impression que l'on retire est celle d'une débauche d'efforts pour des résultats décevants. Il en est certainement ainsi pour l'entretien de la voirie : les communes sont sillonnées par une multitude de chemins dont la surface occupe 15 ha à La Roche- Mabile, 22 à Saint-Denis, 33 à La Ferrière-Béchet, 35 à Saint- Hilaire-la-Gérard. L'explication de ce chevelu réside dans la dispersion de la population et dans l'émiettement des parcelles qu'il faut bien desservir — encore toutes ne le sont-elles pas directement.

Commune de Gandelain — Lieudit La Charpenterie Habitation de « Phonsine » Gandelain — La Charpenterie Gandelain. Vers 1906

La mère de Phonsine est la deuxième personne à partir de la droite Phonsine se trouve derrière, légèrement à gauche Gandelain. Vers 1907 — La Charpenterie

Devant une grange couverte de paille. Un mariage Phonsine est la servante, en blanc, au deuxième rang à l'extrême droite Gandelain. Vers 1920 — Mariage

Phonsine est debout au troisième rang à l'extrême gauche Sa mère est assise au premier rang, à l'extrême gauche Gandelain. 1931 — Mariage

Phonsine est assise au premier rang, en deuxième position à partir de la droite. Sa mère est debout derrière, légèrement à gauche Paris. 1910 Voiture de livraison de glace

Gandelain Le gâs Milien, à Alençon Habitation de Phonsine Repas de cérémonie — Mai 1929 La Roche-Mabile. 1918-1919

Le jeune homme assis à la gauche de la mariée deviendra, en 1928, le marié de la photographie au verso Gandelain Réunions avec le prêtre, devant le Presbytère

Saint-Hilaire-la-Gérard

Les enfants de l'école

L'Ecole-Mairie

La ferme d'Odette

Achevé d'imprimer N° d'Imprimeur : 4933 par Corlet, Imprimeur, S.A. dépôt légal : juillet 1988 14110 Condé-sur-Noireau Imprimé en France es matériaux de cet essai ont été rassemblés par une équipe, L d'étudiants de l'Université du Troisième Age d'Alençon. Le texte de raccord est de leur directeur de recherches. Il s'agit en apparence d'une étude localisée : des moments de l'histoire de six communes du massif forestier d'Écouves. Mais combien d'habitants d'autres com- munes pourront reconnaître l'évolu- tion de leur cadre de vie à travers ces exemples ! Le couchage en herbe que nous voyons à l'œuvre, le déclin démographique, etc., sont des faits qui dépassent le local. Bien plus : il se trouve que certains lieux appar- tiennent au début du XIX siècle à ce que l'on considérait alors comme la troisième région industrielle de France ; la mort des activités, c'est une page de l'histoire régionale qui se tourne : elle mérite que l'on s'in- terroge assez longuement sur les rai- sons. Il nous semble que nous attacher à un cadre précis permet d'aller plus loin dans la perception des change- ments, de mieux comprendre notre histoire commune. Si quelques-uns partagent notre point de vue, nous avons atteint notre but, en nous fai- sant plaisir.

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