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Notes du mont Royal www.notesdumontroyal.com 쐰 Cette œuvre est hébergée sur « No­ tes du mont Royal » dans le cadre d’un exposé gratuit sur la littérature. SOURCE DES IMAGES Google Livres OEUVRES COMPLETES D’H o MERE’.

TOME I.

On diroit que pour plaire , instruit par la nature , Homere ait à Vénus dérobé sa ceinture. C BOILEAU, Art poétique.

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OEUVRES COMPLETES D’HOMERE, TRADUCTION NOUVELLE DEDIEE AU ROI;

Avec des notes littérales, historiques et géographiques, suivies des imitations des poètes anciens et modernes.

PAR M. GIN, CONSEILLER AU GRAND-CONSEIL TOME PREMIER.

ne - A PARIS, DE L’IMPRIMERIE DE DIDOT L’AÎNÉ.

M.DCC.LXXXVL

AU ROI.

SIRE,

VOTRE MAJESTÉ, ayant permis que traduction des OEuvres completes d’Homere lui fût dédiée, a pensé, sans doute, que le tableau des maux inséparables de la guerre la plus juste étoit propre à faire goûter à ses sujets le bienfait inestimable de la paix- que sa sagesse vient de procurer à l’Europe. Les poèmes d’Homere appartiennent encore à un autre titre à VOTRE MAJESTÉ. Né parmi ces nations qui, dans les siecles postérieurs, se mon- trerent si jalouses de leur prétendue indépendance, mais soumises alors à des rois, peres et pasteurs des peuples, suivant l’énergique expression de notre poëte, Homere a parlé dignement de ce centre unique d’autorité, nécessaire pour arrêter les efforts des intérêts par- ticuliers contre l’intérêt public.

a: Illustre fils d’Atrée, roi des hommes, Agamemnon , dit le sage a; Nestor, je parlerai de toi, je commencerai par toi, parceque tu (c regnes sur un grand peuple, que Jupiter t’a donné le sceptre et a tout ce qui appartient à l’exercice de la justice, afin que tu prennes ce conseil pour eux. C’est à toi qu’il convient de parler le premier, ce d’écouter ensuite, et de procurer aux autres les moyens de te dire a ce que leur esprit leur suggere pour l’utilité commune ;d’ordonner a enfin, car à toi seul appartient l’empire n. Si le traducteur aspire à quelque gloire, il I’espere, SIRE, de la profession publique que les circonstances l’ont mis à portée de faire de ces vérités saintes dont l’amour est, depuis tant de siecles, le caractere distinctif des François (*). Eh! quel monarque, SIRE, est plus digne d’inspirer et de soutenir cet esprit national, qu’un roi qui chérit, par-dessus tous ses titres, le titre glorieux d’ami de la justice?

Je suis , avec le plus profond respect,

SIRE,*

S I DE VOTRE MAJESTÉ

le très humble et très obéissant serviteur et sujet, GIN.

(a!) Les mis principes du gouvernement fiançois. A Geneve , 1 78è.

SOUSCRIPTEURS.

s wLE ROI. pour 5 exemplaires. MONSIEUR.MADAME. ’ Madame la comtesse D’AaTors. S. A. S. M9 le duc D’ORLÉANS. M. le comte DE VEnGnNNEs. 26x. Mgr le prince DE Roman, grand-maître de Malte.

M. AnnAHAM, pensionnaire du roi. L’ACADËMIE nuançons ., qui a bien voulu accepterun exemplaire de cette traduction. M. le marquis D’ALOGNY. M. ART aux, libraire à Vienne. Mme la comtesse DE BEAUMONT. M. BERTIN, ministre d’état. M. BOSQUILLON, avocat au parlement. M. DE Borssr. M. DE Bounonou , gouverneur des pages de la petite écurie. M. Cnanonrnx , receveur général des finances. Mme la marquise DE CHASTENOYE. M. D’ANGLADE , prêtre de l’Oratoire, pour MM. de l’Oratoire.

M. le marquis DAVID D’ESCLIGNAC. , libraire. i M. FOURNIER DE Tour. M. D a FREVAL , lient. -coIon. de dragons, major du rég. de Bourbon. M. GENTIL , officier de cavalerie. M. .Goser, chanoine de Verdun. M. DUPONT , pour le grand-conseil. M. Lamncurvr DE BOUCHERVILLE, conseil. de la cour des aides. M. LA VALLÉE.

".SOUSCRIPTEURS. MF L’fivèQUE DE LOMEEz. M. DE LONGUEerLE. . M. MARQUET , receveur général des finances: M. ME NTELLE , historiographe de MF comte d’Artois. 6 ex; M. le marquis de MEJANEs. M. Mrnv DU BOSGUEROULT. M. MOLINI, libraire. M. Monoru, libraire. M. le comte DE NARBONNE-PELET. M. D E Nrcoraï, premier président du grand-conseil. 2 ex. M. cxouch, libraire. ,M. le marquis DE PAULMY, ministre d’état. M. P A ULZE , fermier général. M. PERRONET. M. PHELIPPON, directeur des fermes.

M. POURTEYRON , chanoine de la Sainte-Chapelle. M. le comte PONCE.DE Parnco. 4 ex. M. le comte DE ROCHES, chef d’escadre des armées navales.

LaM. librairie Savovn, académique libraire. de Strasbourg. 5 2 ex. A la société philanthropique la çx. Mme la veuve TARBË, libraire. M. l’abbé DE Tanguy. M. TISSET, secrétaire du roi. M. TOURTEAU, chanoine de la Sainte-Chapelle. M. TROU ART. l MF L’ABCHEVËQUE DE TOULOUSE.

On donnera à la tète du second volume la liste des personnes qui se feront inscrire chez DIDOT l’aîné, imprimeur-libraire, me Pavée-Saint-André-des- Arts, jusqu’à la publication du second volume, passé lequel temps le prix de chaque volume de la traduction françoise sera de 48 liv. au lieu de 36, et avec le texte grec 72 liv. au lieu de 54 liv.

DISCOURS PRÉLIMINAIRE

AYANT conçu le projet de faire connoître les poèmes d’Homere à ceux de mes concitoyens à ui la langue grecque n’est pas familiere, la sorte ’ d’oubli auquel l’Odyssée sembloit condamnée ’ dans notre nation m’avoit déterminé, lors de la premiere édition de ce livre , à m’essayer d’abord sur ce poeme. J ’entre dans un champ fertile que e ne crois pas entièrement défriché ; je profiterai des travaux de ceux qui m’ont précédé. Ainsi le nautonnier ins- truit par l’expérience évite des écueils contre les- . quels des pilotes plus habiles ont souvent échoué. ’ Les détails de a vie d’Homere se perdent dans la nuit des tem s. Apeine peut-on regarder comme constants que ques faits que , suivant la commune Opinion , ce poète nous a transmis lui-même dans l’Odyssée , sous l’allégorie ingénieuse des aventures d’Ulysse. Je les ai recueillis dans l’introduction de l’OdNion objet ssée. , dans ce discours, I est de jetter un V coup d’œil rapide sur la marche de l’Iliade , etle but moral qu’Homere s’estproposé; surie génie de no- tre langue, ra prOchée de celle d’Homere; enfin sur la nature clé notre versification , et le genre de 1.

K

xstyle DISCOURSauquel e me suis efforcé d’atteindre dans ces traductions. On peut comparer l’Iliade à une vaste galerie de tableaux du même maître , où les fureurs de Mars s’offrent sous tous leurs aspects, sous toutes leurs formes ; dans laquelle le spectateur , fatigué de l’hor- reur des combats , est sans cesse délassé par des Objets cham êtres, naïfs , touchants , sublimes, ef- fet de la mu titude de com araisons que ce poème q renferme , toutes tirées de ’gadmirable spectacle de la nature, tandis que l’œil se repose par intervalles sur de grands tableaux qui entrent dans le plan gé- néral pour former l’ensemble le plus parfait, tels que les conseils des dieux, les remords d’Hélene , les adieux d’Andromaque , la toilette de Junon , la ceinture de Vénus, les armes d’Achille, les funé- railles de Patrocle , celles d’Hector. Ce sont ces grands effets qui ont rendu Homère le modele de tous les poètes, de tous les orateurs , de tous les peintres, de tous les artistes, tantlan- ciens que modernes. Ce seul point de vue répond à la critique la plus a parente qui ait été faite du poème du courroux " ’Achille. Quel sujet, dit-on , pour un poème épique , que l’absence du héros ui en est le principal Objet! Mais dans cette simp’licité même éclate avec plus de majesté le génie du pere de la poésie épique. Achille paroit dans le remier chant de l’Iliade ; il force Agamemnon de livrer sa captive our appai- ser Apollon irrité. Dans le neuvieme, il)5e montre inexorable aux prieres et aux larmes d’Ulysse , d’A-

PRÉLIMINAIRE. xj jax, de Phœnix, députés par les Grecs C1pour fléchir son courroux. Dans le onzreme, éni’u ’une tendre pitié à la vue de Machaon blessé que Nestor ramene dans sa tente , à la vue de la flamme rête à consu- mer les vaisseaux des Grecs, il pren la résolution d’envoyer Patrocle , à la tête des Thessaliens , re- pousser les Troyens. Depuis l’époque de la mort de son compagnon , à la In du seizieme chant, le fils de Pelée ne quitte plus la scène. Lors même qu’il est absent, il est annoncé dans tOut le poème. Si Homère vante la beauté , la noble prestance d’un héros: cc Il étoit, dit-il, le plus beau des enfants de cc la Grece , après l’irréprochable fils de Pélée a). S’il ’ loue l’intréplde courage d’un guerrier: (c Il étoit le (c plus courageux des Grecs , après l’invincible fils cc de Pélée». Ainsi tous les héros dont on admire les exploits dans les premiers chants de l’Iliade , sont, s’il est permis de parler ainsi, les précurseurs d’Achille; et uels hommes! le prudent Ulysse , les deux Ajax, lefils de Tydée , Diomede , qui ne craint pas d’affronter le dieu de la guerre. Tous sont vain- cus par Hector: Achille paroit; et sa présence seule met en fuite les Tro eus. Il combat; Hector suc- combe. Le fils de Péfée ven e la mort de son com- pagnon , et lui fait de magnifiques Obseques; mais , respectant les prieres et les larmes du Vieux Priam , il lui rend la dé ouille mortelle de son fils. Que cet Acliille est différent de celui que les poètes postérieurs nous représentent, ne devant son intrépidité qu’à la précaution que sa mere a prise de le longer dans le pour le rendre invulné- rable! Le fils de Pélée a des armes immortelles, il

xij DISCOURS est vrai; mais elles lui sont nécessaires pour com-t battre Hector’couvert des armes divines que les dieux donnerent à Pélée , de ces armes qu’Hector’ aravies àPatrocle. Achille sait qu’une mort rompte l’attend aux champs troyens , et la certitud’e du tré- pas ne trouble point sa grande ame: ..... Puisqu’il faut enfin que j’arrive au tombeau , Voudrois-je , (le la terre inutile fardeau , Trop avare d’un sang reçu d’une déesse, Attendre chez mon pere une obscure vieillesse , Et, toujours de la gloire évitant le sentier, Ne laisser aucun nom et mourir tout entier? Tel est le langage d’Achille dans Homere , rendu si noblement par Racine ; c’est ainsi que le fils de Pélée agit dans tout le poème. Ce n’est donc qu’en prêtant au pere de la poésie épique les fables ridicules imaginées par les poètes ostérieurs , qu’on parvient à dégrader le héros de ’Iliade. Si le conquérant de l’Asie , l’émule d’Achille , admiroit l’exactitude avec laquelle Homere décrit ces combats sanglants qui triompherent, après dix années, de la résistance des Troyens, croirons- nous qu’un Objet plus digne de l’attention du phi- losophe ait fait une impression moins Vive sur la rande ame du disciple d’AristOte? Je veux parler (gie cette peinture vraie du cœur humain, l’expres- sion du type primordial de la nature, autour duquel les usages, les costumes, les révolutions des sie- clés, les formes des gouvernements, roulent sans cesse, sans jamais l’altérer.

PRÉLIMINAIRE. l xiij Aucun poète n’a introduit autant de divinités dans ses poèmes. Ce sont les dieux qui inspirent aux hommes lecourage et la prudence, ce sont les dieux qui envoient aux mortels les songes trom- peurs, qui les punissent, les vengent, les éclairent, soufflent les passions dans leurs aines, en moderent l’activité. Mais ces divinités secondaires qu’Ho- mere nous représente comme peuplant le Ciel, la terre, la mer, les enfers, que sont-elles, que les ministres de ce dieu suprême, ere des dieux et des hommes, pour me servir (lié l’expression de notre poète, de ce Jupiter, ce 120;, dont les Latins ont fait le mot deus, à la puissance duquel rien ne résiste, 1-05 703p ldeTOÇ in) péytarovPC’eSIZ ce qu’Homere ré ete sans cesse dans l’Iliade et dans l’Odyssée: telle est la sublime mythologie qu’il avoit ap rise des prêtres égyptiens, qui la tenoient des J ui s. Les hommes sont, dans l’Iliade, les instru- ’ ments, souvent aveugles, de cet être su rême. Les ressorts cachés qui déterminent les décrets du maître des dieux, et décident du sort des mor- tels, nous offrent l’image des intrigues qui domi- nent trop souvent dans les cours des rois. Dans l’Odyssée, au contraire, Homere nous présente les crimes et les erreurs des hommes comme la source de tous les maux qu’ils éprouvent;.en sorte que de l’ensemble des deux poèmes résulte cette vérité consolante pour l’humanité, que Dieu est le pre- mier moteur de tous les événements, mais qu’il permet que l’homme soit lui-même, par sa sagesse ou par son im rùdence, l’artisan de son bonheur ou de son ma heur. La preuve de cette proposi-

xiv DISCOURS tion résulte du développement de l’Iliade et de celui de l’Od ssée, dont j’ai tracé, dans ce dis- cours et dans l’introduction de l’Odyssée, une lé- gere esquisse. Chez tous les anciens peuples, les poètes furent les pontifes de la religion, les législateurs des na- tions. L’allégorie fit impression sur des imagina- tions neuves. Parée du charme de l’éloquence et de la poésie, la raison adoucit les mœurs sauvages des hommes épars dans les forêts; la société prit naissance. Mais bientôt, semblables à ces liqueurs que la fermentation, qui en émousse les pointes ai- guës, dissout et corrompt par sa durée, les hommes furent corrompus par leur fréquentation mutuelle; l’anti ne simplicité fut altérée, un masque trom- eur fut substitué au charme de la vertu. Les poètes l’arracherent; le théâtre devint l’école des mœurs:

L’harmonie, en naissant, produisit ces miracles. La versification des langues anciennes, sur- tout celle de la langue grecque, ne différoit du langage ordinaire que par l’énergie de l’expression, par la vérité des images, par une mesure cadencée, dans le genre de celle de notre musique. Les Grecs, dont l’idiôme favorisoit cette harmonie, autorise- rent dans leurs Oètes toutes les licences qui faci- litoient l’essor u génie. Cette liberté presque indéfinie fut restreinte chez les Latins, et cependant le même genre de versification subsista. Il triompha des incursions des barbares : nos poètes du cinquième et du sixieme Siècles en fournissent la preuve.

PRÉLIMINAIRE. xv Mais quand la tyrannie du gouvernement féo- dal, les guerres arivées, la servitude du peu le, eurent replongé l’EurOpe dans la barbarie, la ll’an- gue grecque fut entièrement oubliée; la langue la- tine se conserva avec eine dans les chants de nos églises. Du mélange d’és idiômes durs des peuples du nord avec une latinité corrom ne par une re- cherche puérile, ou par un vain uxe de paroles substitué à la noble simplicité du siècle d’Auguste, se formèrent nos idiômes modernes , modifiés par les mœurs, par le génie des nations, par l’influence du climat sur l’organe de la parole. L’allemand, dont l’anglois est une branche, conserva sa dureté et sa force originaires. L’italien, plus mOëlleux, plus tendre, que le latin même dont il tire son origine, porta l’impression de l’asservissement des nations armi lesquelles il prit naissance. L’espagnol sem- ble participer de l’orgueil des vainqueurs des Maures. Le fiançois oublia l’harmonie du st le Dur s’attacher à la netteté d’une expression, ’a- bord informe, erfectionnée ensuite par degrés à la renaissance djes lettres. Graiis ingenium, Graiis dédit 0re rotundo Musa loqui. C’est aux Grecs, disoit Horace, que la Muse a donné le génie; c’est aux Grecs qu’elle a départi un langage harmonieux. L’heureux climat de la Grece semble en effet avoir été destiné par la nature à être le berceau des lettres, des sciences et des arts, comme il est celui du plus beau sang qui existe sur la terre. Après la destruction de l’empire de Constanti-

nople,xvj les . GrecsDISCOURS , repoussés de l’orient vers nos cli- mats, fixerent armi nous la pureté du langage. Une multitude fie mots grecs furent introduits dans toutes les langues de l’Europe poùr exprimer des idées neuves, fruit de l’étude et de connaissances inconnues à nos peres. N os idiômes modernes ne purent se ployer aux inflexions, aux terminaisons variées du même mot, qui distinguent dans le grec et dans le latin les cas, les nombres , les modes, les temps; mais l’article emprunté du grec y suppléa en partie. Notre langue adopta Spécialement cette construction simple de la langue grecque, qui n’admet les inverSIOns, en poésie même, qu’autant qu’elles ne nuisent ni à la clarté ni à la marche na- turelle des idées. A la servitude du peuple, à la tyrannie ue le gouvernementféodal avoit introduite, succé erent des temps héroïques, à peu près semblables à ceux dont l’ancienne Grèce tire sa gloire; nos Vieux ro- . manciers prirent naissance. Les rovinces du midieurentleurs troubadours; celles du nord leurs chansonniers. Des princes, des souverains mêmes, un Frédéric I", roi d’Ara- gon, un dauphin de Viennois, un Richard, roi d’Angleterre, un Thibaut, comte de Champagne, ne dédaionerent pas de s’associer à ces travaux agréables? Nos idiômes modernes n’étoient ni assez variés, ni assez accentués, ni assez cadencés, pour sou- tenir la mesure exacte des vers grecs et latins z la consonnance des rimes, plus sensible à des oreilles encore brutes, fut substituée aux brèves et aux lon-

PRÉLIMINAIRE. xvij gués, qùe des règles assez sûres n’avoient pas fixées. e mauvais goût au point que non seule- ment l’italien et l’espagnol, quoique lus susce - tibles d’harmonie que notre langue, agopterent’fa rime, mais qu’elle remplaça, dans le latin même, la mesure cadencée des vers de Virgile et d’Horace: telles sont les proses chantées dans nos temples. , La différence des consonnances muettes et des s llabes sonores introduisit dans notre langue la (fistinction des rimes masculine et féminine, dont nulle loi n’avoit fixé l’arrangement. . Le Siècle législatif de Louis XIV erfectionna notre versification , mais il en, multi lia les entra- ves ; et toutefois la rotection accordée aux lettres par ce roi dont Col ert ne respiroit que la gloire, enfanta ces modeles qui, formés par l’étude assidue des anciens, assurent à la France une supériorité dont nous n’avons à redouter ne. la dégradation, inséparable de l’enthousiasme de nouveautés dan- gereuses. Ce tableau abrégé peut servir à décider .une uestion long-temps agitée, si les chefs-d’œuvre de l’anti uité, tels que les poèmes d’Homere et de Virgile,fioivent être traduits en prose ou en vers dans notre langue. Demander si le S le d’un traducteur d’Homere doit être animé du eu dela poésie, ce seroit de- mander si un autre qu’un eintre est digne de co- pier les chefs-d’œuvre de IRaphaël ou de Rubens, si un squelette décharné peut nous donner une idée vraie des mouvements rapides d’un athlete. Mais la méchanique de notre versification, si dif- l . c

férentexviij de celleDISCOURS des Grecs et des Latins, dénature essentiellement l’original qu’on s’efforce de repré- senter: elle fixe l’attention du lecteur sur le tra- ducteur, dont le plus grand mérite est de se faire oublier. Obligé de S’approprier son original usqu’à penser librement lors même qu’il est asservi,p0ur- quoi lui imposer d’autres chaînes? Je sais u’un versificateur célèbre a joûté, dans notre siec e, contre les Géor iques de Virgile; qu’un académicien, digne de fia réputation u’il s’est acquise, a tenté d’assujettir l’Iliade et l’O ys- sée aux loix de notre versification. Ainsi Virgile emprunta d’Homere les images, les comparaisons, les mouvements, la forme, a disposition de son Enéide; Racine, Boileau, Voltaire, ont imité en vers des morceaux détachés de ces poèmes su- blimes. Mais les devoirs d’un traducteur sont plus étendus : il nous doit son original entier; il le doit offrir vivant aux yeux de son lecteur, le suivre dans son pathétique, dans son sublime, dans sa Simpli- cité, dans cette heureuse négligence qui caracté- rise spécialement le père de la poésie é ique. ’ Sur la fin du Siècle de Louis XIV? parut un homme digne d’entreprendre un tel ouvrage. L’im- mortel Fénelon enrichit notre littérature d’un genre nouveau, la prose héroïque. Il fut imité chez les Allemands par Gesner; armi nous, par l’im- mortel auteur du Temple de Guide, et par cet homme célebre qu’une mort prématurée nous a enlevé (1), dont la prose héroïque, digne du perO

(I) M. l’abbé de Reyrac, prieur-curé de Saint-Maclou d’Orléans, mort en I782.

PRÉLIMINAIRE. xix h de la nature qu’il chanta, allie le feu de la Cplus bril- lante imagination à cette douce aménité e mœurs qui se peint dans les écrits du sage, et que la vertu seule eut donner. Tefs sont les modelés que je me suis proposés. Je terminerai comme j’ai commencé: si ma traduc- tion a quelque mérite, je le dois aux travaux de , ceux qui m’ontprécédé.

TABLE. DISCOURS PRÉLIMINAIRE, page ix.

CHANT I. Prières de Chrysès. Peste survenue dans l’armée. Haine des rois. Page 3. CHANT Il. Songe d’Agamemnon. Assemblée des Grecs. Dénom- brement des vaisseaux , ou Béotie. 37. CHANT III. Pâris et Ménélas combattent pour Hélene. 83. CHANT IV. Conseil des dieux. Violation du traité. Les fureurs de Mars recommencent. 109. CHANT V. Le fils de Tydée blesse Vénus et Mars. 139. CHANT V1. Adieux d’Andromaque et d’Hector. 185.

OBSERVATIONS sur la durée et la marche des deux poèmes d’Homere: ILIADE. 213. ’ ODYSSÉE. 217. DIVISION des deux poèmes. 222. NOTES LITTËR’II’SÎ’IÏSÂ ET HISTORIQUES. 223. NOTES GÉOGRAPHIQUES de M. Mentelle. 259. IMITATIONs D’HOMERE par les principaux poètes latins , italiens, .françois etanglois. 387.

d’3

i.

L’ILIADE. CHANT I.

ARGUMENT. PARIS, fils de Priam , roi des Troyens, viole les droits de l’hospi- talité par le rapt d’Hélene , épouse de Ménélas, roi de Lacédémone. Les Grecs, instruits de cette violence, députent vers Priam Mémé- las, Ulysse, Diomede et Acamas, fils de Thésée. Non seulement les Troyens refusent de rendre Hélene , mais ils attentent sur les dépu- tés. Ces députés eussent péri dans Troie , si Anténor, qui les avoit reçus dans son palais, ne les eût fait partir secrètement. De retour dans leur patrie, ils paroissent dans l’assemblée des peuples de la Grece, enflamment le courroux de la nation par le récit des outra- ges qu’ils ont essuyés. Agamemnon, roi de Mycenes, frere de Mé- nélas ,’est Choisi pour commander la flotte combinée , destinée à porter la guerre dans la Troade. La ville de Priam est assiégée pen- dant neuf ans, employés, pour la plus grande partie , Spécialement par Achille , à. dévaster les villes alliées de Troie , qui faisoient sa force. Dans la dixieme année , le courroux d’Achille suspend ces vic- toires. C’est le sujet de l’lliade. ChrySèS, prêtre d’Apollon, arrive au camp, dans le dessein de racheter sa fille captive. Renvoyé avec mépris par Agamemnon, il implore la vengeance du dieu dont il est le ministre. Une maladie contagieuse survient. Achille convoque l’assemblée de la nation, in- terroge Calchas. Cew devin explique aux Grecs la cause du courroux d’Apollon, leur conseille de fléchir. par une juste satisfaction le dieu irrité. Contraint de rendre sa captive, Agamemnon enleve Briséis, que les Grecs ont donnée à Achille, avant tout partage du butin , en récompense de ses travaux. * q ’ A la priere de son fils, Thétis, mere d’Achille, monte sur l’o- lympe, demande à Jupiter d’accorder aux Troyens la victoire sur les Grecs. Junon ,’ divinité protectrice des Grecs , instruite que les vœux de la fille du vieux Nérée ont été exaucés, éclate en reproches amers contre Jupiter. Vulcain rétablit la concorde entre les deux époux. Offrant aux dieux , dans une coupe d’or, le nectar, boisson des im- mortels, il rappelle la joie du festin sacré. Le soleil plonge dans l’océan; les dieux se séparent pour goûter les douceurs du sommeil.

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uF! . L’ILIADE.

CHANTI Prieres de Chrysès. Peste survenue "dans l’armée. ’ Haine des rois. ’

MUSE , chante le courroux d’Achille, fils de Pélée, cette pernicieuse colère, source des maux qui ac- .cablerent l’armée. des Grecs, qui précipita dans le royaùme de Pluton les ames de tant de héros, et livra leurs corps auxchiensvet aux vautours. Ainsi s’accomplit la volonté de Jupiter, depuis le jour fatal qui rendit ennemis le roi des hommes, Aga- memnon, et le divin Achille. ’ . Quel dieu souffla dans l’ame des rois cette haine, cette fureur de vengeance? L I Le fils de Latone et de Jupiter. Ce’dieu irrité suscita dans l’armée une funeste épidémie. Les peu- ples périssoient, parceque le fils d’Atrée avoit ou- tragé le prêtre Chrysès. Ce ministre du dieu qui lance au loin ses invincibles traits arrive aux vais- seaux des Grecs pour racheter sa fille captive. Il apporte une immense rançon. La couronne d’A-

4 L’ILIADE, pollon, son sceptre d’or, sont dans ses mains. Il, adresse à. tous les Grecs, et principalement aux deux fils d’Atrée , les pasteurs des peuples , ces humbles supplications: ’ Fils d’Atrée, et vous tous, illustres enfants de: la Grèce , que les dieux. qui habitent l’olympe vous accordent de livrer aux flammes la Ville de Priam, et de retourner dans vos maisons; mais rendez-moi ma fille, et recevez cette rançon; respectez le fils de Jupiter, le puissant Apollon, dont les flèches sont invincibles. Tous les Grecs applaudissent; tous veulen t qu’on honore le prêtre d’Apollorr, qu’on accepte la ma.- gnifique rançon qu’il apporte. Mais ces conseils n’agréent-point à Agamemnon; il renvoie avec du- reté le prê tre Chrysès, etlui tientce langage impie: Vieillard, que je ne te revoie pas dans mes vais- seaux: garde-toi d’y rester plus long-temps; garde- tOi d’y revenir; la couronne et le sceptre d’ApOllon te seront inutiles. Occupée aux ouvrages de son sexe, aux travaux domestiques , dans mon palais d’ArgOS, loin de sa patrie, ta fille ne te sera point rendue que la vieillesse n’ait flétri ses appas. Pars, ne m’irrite point; crains d’éprouver les effets de mon indignation. Il dit. Le vieillard, tremblant, obéit: il marche

tristement sur le ’rivageC H de la A mer mugissanteN T I. , a- 5 dressant de ferventes prieres à Apollon, fils de Lan toue à. la belle chevelure: Dieu de Sminto, que ton arc d’argent distingue entre tOus les immortels , qui proteges l’isle de etla divine Cylla, puissant roi de Téné- dos, écoùte-moi. Si jamais je suspendis de super- bes voiles aux voûtes de ton temple,’si je l’ornai d’agréables festons, si je brûlai sur tes autels les cuisses des tanreaux etdes Chèvres les plus grasses, venge mon injure, exauce mes vœux: que les en- fants de Danaüs, tombant sous tes flèches redouta- bles, paient chèrement les larmes qu’ils me font répandre l o I ’ Il prioit ainsi. Apollon l’exauce : le cœur enflam- mé de colère, il descend du sommet de l’olympe; son arc et son carquois sont suspendus à Son épau- le; il marche à grands pas; le bruit des flèches enfer- .mées dans le carquois retentit dans la plaine. Sem- blable’à la nuit, il s’assied non’loin du camp des Grecs, détache une flèche; son arc d’argent rend un son formidable : il frappe d’abord les mulets et les chiens ; maisbientôt les flèches enflammées du dieu de la himiere fondent sur les Grecs; on ne voit dans toùt le camp que bûchers et pompes fu- nebres. Pendant neuf jOurs les traits d’ApOllon ne

6 ’ L’ILIADE, cessent d’accabler l’armée. Leidixieme , Achille convoque l’assemblée de la nation; car Junon , qui protege les Grecs, et ne peut les voir périr sans être émue d’une tendre pitié, lui inspira cette sa-- lutaire pensée. Quand ils sont réunis, le divin Achille se lève , et parle en ces termes: Fils d’Atrée, je prévois que, contraints d’aban- donner le siège commencé, nous serons forcés de retourner dans nos maisons pour éviter la mort; car la peste et la guerre réunies accablent l’armée des Grecs. Interrogeons quelque devin, quelque ministre des dieux, auquel ils se communiquent dans les songes; car les songes viennent de Jupiter: qu’il nous dise quelle est la cause de cette terrible colère d’ApOllon. Méprise-t-il nos Offrandes et nos vœux? Exige-nil un sacrifice de cent bœufs? La graisse des chevres et des moutons pourra-belle fléchir son courroux? Obtiendrons-nous à ce prix la fin de ce fléau destructeur? Ainsi parle Achille , et il s’assied. Calchas , fils de Nestor, se leve; Calchas , le plus habile des devins, qui sait ce qui est, ce qui Sera, ce qui fut; aux ordres duquel l’armée qui assiege Troie obéit comme à ceux de la divinité, à cause de l’esprit prophétique qu’il reçut d’ApOllon. Ac.-

cablé du malheur CHANTdes Grecs, Calchas parle ainsi:I. 7 Ô Achille, chéri de Jupiter, tu m’ordonnes de te dire le sujet de la colère d’ApOllon, redoutable par ses flèches meurtrieres : je le dirai; mais pro- mets-moi, et confirme ta-promesse. par la religion du serment, promets-moi de me défendre, et par tes paroles, et par tes actions; car je prévois que je m’attirerai l’indignation de cet homme qui a l’au- torité sur les Grecs , à qui toute l’armée obéit. Un roi est tr0p puissant quand il s’irrite contre son su- jet: sa colère, parût-elle calmée, vit dans son ame jusqu’à- ce qu”il ait satisfait sa vengeance. Explique- toi donc clairement; dis si tu me protégeras, si tu me sauveras de la-fureur de ce terrible ennemi? Prends confiance, répond le divin Achille, an- nonce librement les volontés des dieux qui te sont connues. Je le jure par Apollon, l’ami de Jupiter, par Apollon que tu sers, ô Calchas, qui exauce tes vœux et t’inspire les oracles que tu dévoiles aux enfants de la Grece : tant que je vivrai, que j’exis- terai sur la terre, aucun des Grecs ne portera la main sur toi pour te frapper; aucun, pas même Agamemnon , que tu sembles redouter, qui se van te maintenant d’être le plus puissant des Grecs. Ainsi parle Achille , et l’irréprochable devin prend confiance en ses paroles.

.8, L’ILIADE, Apollon, dit-il, ne méprise ni vos vœux, ni vos sacrifices; mais il est irrité de l’injure qu’Agamem- non a faiteà son prêtre, refusant de lui rendre sa fille et de recevoir la riche rançon qu’il apportoit. Telle est la cause de la con tagiOn que le dieu dont les fleches sont inévitables a répandue dans l’ar- mée, qui deviendra plus affreuse; car ses mains in» yincibles demeureront appesanties sur les Grecs, tant que labelle Chryséis ne sera pas’rendue à Son pere, sans prix, sans rançon, jusqu’à ce que nous ayons envoyé dans l’isle de Chryse une sainte hé; catombe. Alors j’espère ’qu’Apollon s’appaisera, qu’il pitié des maux que nous souffrons. Il dit, et reprend le trône qu’il a quitté. Le fils d’Atrée, le puissant Agamemnon se leve , l’ame pé- nétrée d’une douleur profonde; la colere est dans son cœur; ses yeux ressemblent à des lampes ara dentés. J ettant sur Calchas de terribles regards: . toi, qui ne sais que prédire des malheurs, dit- ’ il, jamais la gloire, jamais l’utilité de ton roi, ne furent les Objets de tes harangues hardies. Tu te plais à m’annoncer des événements sinistres; jas mais tu ne nous servis utilement, ni par tes dis» cours, ni par tes actions. Maintenant tu semes , par tes oracles, la division dans l’armée des Grecs, les irritant contre moi, me faisant l’auteur des maux

qu’Apollon leur envoie,C parceqùe H Aj’ai refusé N la T ran- I. 9 . çon que Chrysès m’a Offerte pour la liberté de sa fille; car je préfère de la garder dans mon palais; elle m’est plus Chere que Clytemnestre, ma légiti- me épouse, que j’aimai dès ses plus jeunes ans. Chryséis n’est inférieure à Clytemnestre , ni en gra« ces, ni en beauté, ni en esprit, ni en habileté dans tous les arts de son sexe. Je consens cependant de la rendre, si ce parti est le meilleur. Je ne souffri- rai pas que mon peuple périsse : je fais au salut de mon peuple le sacrifice de mon amour. Mais pré- parez-moi la satisfaction qui m’est due; car il ne seroit pas convenable que, seul entre tous les Grecs, je fusse privé de ma récompense. Considérez donc quel dédommagement vous pourrez m’offrir. ’ Fils d’Atrée, le plus avide des mortels, lui ré- pond l’impétueux Achille, comment les valeureux enfants’de la Grece pourroient-ils te dédommager? Les dépouilles de toutes les villes dont no’us avons fait la conquête ont été partagées, rien n’est resté en cOmmun. Tu n”exiges pas sans doute que les Grecs remettent en partage ce qu’ils ont reçu. Rends maintenant ta captive au dieu qui la récla- me; nous te dédommagerons au triple et au qua- druple, si J upitér accorde aux Grecs de s’emparer de la puissante ville de Priam. 9.

’10 L’ILIADE, N’essaie pas , ô Achille, de m’éblouir par de vai- nes promesses , lui répond le roi des rois , Agamem- non: quelque confiance que méritent tes paroles, tu ne parviendras pas. à ébranler ma résolution. Pourrois-tu consentir de conserver la récompense que les Grecs t’ont donnée, tandis que je serois privé de la mienne? Tu exigesjque je rende ma cap- tive à son pere. Je cede à la nécessité. Mais si les Grecs ne me donnent un dédommagement pro- portionné à un tel sacrifice , pénétrant dans vos tentes, j’enlèverai ta captive, ô Achille, ou celle d’Ajax, ou celle d’Ulysse, sans redouter la colere’ de celui sur lequel e me ferai justice. Dans un au- tre temps nous nous occuperons de ces choses. Maintenant assemblons d’habiles rameurs, lançons un vaisseau à la mer, plaçons-y une sainte héca- tombe, que Chryséis y mon te; choisissons un chef expérimenté, soit Ajax, soit Idoménée, soit le di- vin Ulysse, ou toi-même , fils de Pélée , le plus fier des mortels; essayons d’appaiser Apollon par nos sacrifices , pour détourner ses fleches meurtrieres. A ce discours, Achille le regardant avec fierté: Ingrat, lui dit-il, qui réunis la cruauté du lion aux ruses du renard, comment espères-tu qu’aucun des Grecs obéisse à tes ordres, soit dans les marches, soit dans les combats? Est-ce donc pour vuider ma

CHANT I. ’ n querelle, que je me suis engagé dans cette guerre contre les valeureux Troyens? Quelle injure en ai-je reçue? M’ont-ils ravi mes coursiers’ou mes bœufs? Jamais vaisseaux partis des rives du Sca- mandre vinrent-ils dévaster les fertiles campagnes de Phthie? Des montagnes couvertes de bois, des mers immenses nous séparent. Je n’y vais que pour toi, ô le plus ingrat des mortels! Achille marche sous les ordres d’Agamemnon , pour venger l’in- jure faite à Ménélas , pour ceindre ton front de lau- riers arrosés de mes sueurs; tandis que tu jouis sans peine et sans danger du fruit de mes conquêtes. Cependant tu m’oses menacer de me priver de la récompense que j’ai acquise par mes travaux , du prix dont les enfants de la Grece ont payé mes ex- ploits. Quand les Grecs s’emparent des puissantes cités alliées de Troie, jamais ma récompense n’est égale à la tienne. Je soutiens seul tout le poids de cette guerre; et lorsqu’on partage le butin , ta por- tion est grande, la mienne petite; mais elle m’est Chere. Las de tes injustices, las d’une guerre dont tu recueilles tout le fruit, je retourne à Ph thie avec mes vaisseaux. Mon départ, imprimant la honte sur ton front, tarira la source de ces trésors qui sont l’objet de tes vœux. ’ Puis, répond Agamemnon , fins, si telle est ta

12 ’ L’ILIADE, volonté. N’espere pas que je m’abaisse aux prières pour te retenir. Jupiter me protège : assez d’autres guerriers, qui m’honorent COmme ils le doivent, recueilleront les lauriers qui te furent destinés. De tous les rois, enfants du dieu qui lance le tonnerre, tu m’es le plus odieux; car tu ne respires que guerre et combats; tu te plais à semer la division dans l’ar- mée. Si ta force, si ton intrépidité surpassent cel- les de tous les héros de la Grèce , ces avantages qui nourrissent ton orgueil sontdes présents des dieux: Pars avec tes vaisseaux et tes Thessaliens , retourne dans ta patrie , commande à tes sujets; je ne reî doute ni ton absence ni ta fureur. Cependantécoute des menaces qui ne seront point vaines. Puisqu’A- pollon exige que je rende ma captive, je la renver- rai avec un vaisseau et une. escorte convenable; mais j’irai moi-même dans ta tente enlever Briséis, cette belle captive qui fut ta récompense, afin que tu saches que je suis plus puissant que toi, afin que cet exemple intimide ceux qui oseroient s’égaler à moi. Il dit. Le cœur d’Achille est percé d’une dou- leUr profonde. Il délibère en lui-même si, tirant sa redoutable épée, il se fera jour à travers ceux qui environnent le roi des rois, ou si , mettant un fi’ein aux mouvements impétueux de son cœur , il diffé-

CHANT r. 13, rera sa vengeanCe. Déja l’arme fatale brille dans ses mains. En cet instant, envOyée par Junon qui les aime l’un et l’autre, Minerve se précipite du som-’ met de la voûte éthérée. Invisible à tout autre qu’au fils de Pélée, elle s’arrête sur la tête d’Achille ,çsai-- ait sa blonde chevelure. Le fils de Pélée se retour? ne, la reconnaît; ses yeux rencontrent les yeux de la déesse qu’enflamme un terrible courroux-L’a ter- reur s’empare des sens d’Achille: Fille de J tipi ter, lui dit-il, quel sujet t’amène? Viens«tu être témoin de l’injure que me fait le fils d’Atrée? Je le,-dis, et l’exécuterai :1 la mort sera la peine de sa témérité - etJe descendsde son du ciel pour orgueil. calmer tafiIreUr, ré: , pond la déesse aux yeux bleus: écoute mes cone seils , sois doCile’ à mes ordres. Junon ,:q’ui vous aime l’un et l’autre, me députe vers toi; Quitte ce glaive homicide; modère le courrOux qui t’enflam- me. Je te permets les reproches; mais abstiens-toi des actions. Si tu m’obéis, si tu réprimes les mou- vements impétueux de ton cœur , Agamemnon paiera au triple l’injure qu’il te fait maintenant. Je te le prédis: mes oracles auront leur accdmplisse-

Déesse, répond Achille, quelle que soit ma c0.- ment.lere , j’obéis; car la soumission aux ordres des. dieux.

x4 HILIADE, est un devoir; ils exaucent les vœux de ceux qui respectent leurs volontés. Il dit; docile aux conseils de Minerve, serrant d’une main nerveuse la poignée d’argent de sa re- doutable épée, il l’enfonce avec force dans le four- reau. La déesse remonte dans le palais de Jupiter, au sommet de l’olympe , reprend sa place dans l’as- semblée des dieux. Cependant la fureur d’Achille s’exhale en repro- ches amers con tre le fils d’Atrée: Ô roi, dont l’impudence égale la lâcheté, dit-il , cerf timide dans le combat, téméraire harangueur dans les festins quand le vin trouble ta raison, ja- mais On ne te vit endosser la cuirasse avec ton peu- ple; jamais tu n’osas te joindre aux chefs de l’ar- mée, ni pour combattre, ni pour attendre l’ennemi dans un défilé périlleux. Ton ame vile ne forme que de honteux projets. Il te paroît plus doux d’en- lever, à la vue des Grecs, la récompense d’un seul qui ose te résister. Cruel tyran qui dévores la sub- stance de ton peuple, et triomphes de la foiblesse de ceux sur lesquels tu exerces un injuste empire, fils d’At’rée, cette injure seroit la dernière que je recevrois de toi, si l’ordre des dieux ne suspendoit ma vengeance. Mais écoute le sermentque je fais; ce serment terrible ne sera. pas prononcé en vain:

je jure par ce sceptre,CHANT le plus redoutable I. serment .5 des rois; car le droit de juger les hommes, de leur donner des loix, de les défendre de l’oppression, est un présent de Jupiter; je jure par ce sceptre, symbole de la justice que les rois doivent à leurs peuples, qui ne porte ni feuilles ni branches, qui ne fleurira plus , depuis que la cognée l’a frappé au sommet des montagnes, que l’écorce qui le nour- rissoit en a été dé tachée : ainsi un jour viendra que les enfants de la Grèce regretteront Achille; leurs vœux, leurs cris l’appelleront en vain; ton ame sera déchirée, les voyant tomber en foule sous le jave- lot de l’homicide Hector; et tu ne pourras les dé- fendre. Tu regretteras alors de n’avoir pas rendu au plus courageux des Grecs l’honneur qui lui étoit dû. Achevant ces mots, il rejette loin de lui le sceptre, orné de Clous d’or, qu’il tient dans ses mains, et reprend le trône qu’il a quitté. Agamemnon con tient avec peine la fiIreur dont son ame est agitée. L’éloquent Nestor essaie de leur inspirer à l’un et à l’autre un esprit de paix; Nestor, le puissant orateur des Pyliens, de la bou- che duquel ’coulent des paroles plus douces que le miel. Il a vu deux générations s’élever et disparoî- tre de dessus la terre, et règne sur la troisième dans la divine Pylos. I

16 L’ILIADE, Nestor parle ainsi aux deux héros: Ô mes amis, un grand malheur afflige la Grece! quelle joie pour Priam , pour les fils de ce roi, pour tous les Troyens, S’ils apprennent un jour que la Discorde vous rend ennemis, vous qui surpassez tous les Grecs, autant par la sagesse de vos conseils, que par vOtre intrépidité dans les combats! Laissez: Vous persuader par mes paroles; car vous êtes l’un et l’autre plus jeunes que moi. J’ai véCu le compa- gnon des hommes les plus courageux que la Grèce ait produits; ils ne méprisoient pas mes conseils. Jamais je ne vis, jamais je ne verrai des héros tels que Pirithoüs, Dryas, le pasteur des peuples, Ké- née , Exadius, le divin Polyphême , Thésée , fils d’Égée , égal aux immortels. Ils furent les plus cou, rageux des hommes que la terre nourrit de ses dons , ils surpasserent tous les mortels en forée et en cou, rage , combattirent les monstres des forêts et des montagnes , détruisirent la race des géants. Tels furent les héros parmi lesquels je me trouvai, loin de Pylos, ma patrie, loin du Péloponese. Je fus le compagnon et l’émule de ces hommes auxquels aucun des mortels qui peuplent aujourd’hui la sur- face de la terre ne peut être comparé. Ils tenoient conseil avec moi, ils se laissoient persuader par mes paroles. Et vous aussi, ô mes amis, agrée-z des coup

.vv’wnurç par r’m-rç’. v

C H A N T I. . l 7 seils que l’intérêt commun m’inspire. Agamem- non, quelle que soit ta puissance, n’enlève point la captive d’Achille, souffre qu’il jouisse en paix de la récompense que les enfants de la Grece lui ont donnée. Et toi, ô fils de Pélée, cesse d’irriter le roi des rois par des reproches amers; car aucun ne l’égale en autorité; Jupiter l’éleva sur nos têtes. Que la force de ton bras , qu’une déesse qui te don- na le jour, n’enflent point ton orgueil. Il est plus puissant que toi, il regne sur un peuple plus nom- breux. Contiens ton indignation, ô Agamemnon. Mets un frein à ton courroux; je t’en conjure, ô Achille, le rempart des Grecs dans cette guerre ’ cruelle. Respectable vieillard, répond Agamemnon, tu as parlé convenablement; mais cet homme pré tend l’emporter sur tous , être plus fort que tous , régner sur tous. Je ne crois pas qu’il inspire à l’armée une telle docilité. Si les dieux immortels le firent un guerrier redoutable, lui ont-ils donné le droit de nous outrager? On me nommeroit avec justice et foible et mé- prisable, répond Achille , si j’avois la. lâché com- plaisance de me soumettre à tout ce qu’il te plaît d’ordonner. Que les autres obéissent à ton empire tyrannique; cesse désormais de l’étendre jusque 3

18 AL’ILIADE, sur moi.’Ecoute ce que je vais dire, grave-le dans ta mémoire. Enfants de la Grèce, si vous m’enle- vez la captive que vous m’avez donnée, je ne com- battrai pour la retenir, ni contre toi, ô Agamem- non , ni contre aucun autre; mais n’entreprenez pas d’employer la violence pour me dépouiller d’au- cune autre portion des richesses que mon vaisseau renferme : ou plutôt, Agamemnon , ose en faire la périlleuse expérience, afin d’éproùver, ala face de l’armée, l’effet de mes menaces, pour que les Grecs voient ton sang ruisseler sous les coups de mon javelot! Ayant accru leurs haines par ces propos inju- rieux, Agamemnon et.Achille se séparent, rompent l’assemblée. Le fils de Pélée retourne à ses vaisseaux et à ses tentes; ses valeureux compagnons le sui- vent; Patrocle, fils de Ménétius, est à leur tête. Cependant le fils d’Atrée s’approche de la mer, choisit un vaisseau léger et vingt rameurs, y place une sainte hécatombe destinée à appaiser la colère du fils de Latone. Lui-même il conduit au rivage la belle Chryséis; il la fait monter dans le vaisseau. Le sage Ulysse le commande; les rameurs fendent avec rapidité le sein de la plaine liquide; le fils d’A- trée ordonne au peuple de se purifier: ils obéis- sent, rejettent dans les flots l’onde impure; de par»

CHANT .I. r 1 19 faites hécatombes de taureaux et de chèvres sont immolées par leurs mains sur le rivage de la mer, pour appaiser Apollon irrité; la fumée de la graisse des victimes s’élève en replis ondoyants jusqu’à la voûte éthérée. ’ Tandis que ces soins occupent l’armée , Aga- memnon n’oublie ni sa colère , ni les menaces qu’il a faites au fils de Pélée. Appellant Taltybius et Eu- rybate , couriers légers , esclaves fidèles , hérauts soumis à ses ordres: Pénétrez, leur dit-il, dans la tente d’Achille; saisissez la jeune Briséis et me l’a- menez. Si le fils de Pélée ose la refuser, j’irai moi- même, suivi d’un peuple nombreux, l’enlever de sa tente; l’injure sera plus éclatante, l’affront plus sensible. Tels sont les ordres séveres qu’il donne aux deux hérauts. Contraints d’obéir, ils marchent tristement sur le rivage de la mer, traversent les vaisseaux des Thessaliens , parviennent à la tente d’Achillè. Assis à l’entrée de sa tente, près de son vais- seau, le fils de Péléè voitlès deux hérauts qui s’avan- cent vers lui. Le courroux éclate dans ses yeux. Tremblants, respectueux, ils s’arrêtent, n’osent l’aborder. Achille les prévient: k ’ Messagers du dieu qui lance le tonnerre, exé- cuteurs forcés des volontés des rois, hérauts, leur

20 i L’ILIADE, dit-il , e respecte votre saint minis terè ; approchez. Ce n’est poin t à vous que ’impute l’injure qui m’est faite, mais au fils d’Atréè, Agamemnon, qui vous ordonne d’enlever ma captive. Divin Patrocle, a- mène ma belle captive; remets Briséis entre leurs mains. Mais, ô hérauts, soyez témoins du serment que je fais devant les dieux et devant les hommes; reportez ce serment terrible au cruel tyran que vous servez. Unjour viendra qu’implorant le se- cours de mon bras , il fera de vains efforts pour m’engager à défendre son armée, à repousser les maux dont les Grecs seront accablés. Insensé! il ne sait ni récompenser la vertu , ni prévoir l’avenir, ni assurer la vie des enfants de la Grèce dans les combats meurtriers que cette guerre leur prépare; il ne voit pas les Troyens prêts à fondre sur ses vaisseaux. Il dit : docile aux ordres de son cher compa- gnon, Patrocle amène la belle captive , la livre aux deux hérauts; traversant tristement le camp des Grecs, ils l’entraînent à la tente d’Agamemnon; Briséis les suit contre sa volonté. . Pendant ce temps Achille, les yeux baignés de larmes, s’éloigne de ses compagnons. Solitaire et rêveur, il est assis àl’entrée de sa tente. Ses com- pagnons n’osent l’approcher. Les bras étendus , les

yeux fixés sur la plaineCHANT liquide , il adresse à saI. mère 21 ces tendres repro’ches: Ô ma mère ! puisque le destin borne à peu d’an- nées le Cours de ma vie, le dieu qui habite le sOm- met de l’olympe, Jupiter, dont la foudre éclate sur la voûte azurée, devoit m’accorder une gloire im- mortelle; èt cependant il tolère en ce moment l’af- front qui m’est fait. Le roi des hommes, Agamem- non, me traitè avec mépris; il m’a ravi la juste ré- compense de mes travaux! Il dit : des larmes abondantes coulent de ses yeux. Assise dans la profondeur des eaux, près du vieux Nérée , sa respectable mère l’entend. Elle se lève avec précipitation. Semblable à une vapeur légère , Thétis s’élance du sein de la mer écumeuse , s’approche de son fils, essuie de ses mains divines les larmes qui baignent ses joues. Ô mon fils, lui dit-elle, quelle est la cause des pleurs que tu ré- pands? Quelle est la cause de cette profonde tris- tesse dont toname est accablée? Parle, ne me ca- che pas le sujet de tes larmes , cherchons ensemble les moyens d’en tarir la source. Tu le Sais, ô ma mère, lui répond Achille pous- sant un profond soupir. Déesse, tu n’ignores pas mes infortunes; qu’est-il besoin que je t’en fasse le récit douloureux? Ayant marché contre la ville

22 L’ILIADE, sacrée de Thebe , le royaume d’Étion, cette cité puissante, fut dévasté par nos mains. Les riches- ses qu’elle renfermoit devinrent la proie du vain- queur. Un immense butin fut partagé entre les en- fants de la Grèce. Le fils d’Atréè, Agamemnon, s’empara de la belle Chryséis. Son père Chrysès, ministre du dieu redoutable par ses flèches invin- cibles, arrive aux vaisseaux des Grecs pour rache- ter sa fille captive. Il apporte une immense rançon; la couronne, le sceptre d’or d’Apollon sont dans ses mains. Il adresse d’humbles prières à tous les Grecs , et principalement aux deux fils d’Atrée, les pasteurs des peuples. Tous les chefs de l’armée des Grecs veulent qu’on honore le prêtre d’Apollon, qu’on reçoive la magnifique rançon qu’il vient offrir. Mais ces conseils n’agréentpas à Agamemnon: il renvoie le prêtre Chrysès avec de dures paroles. Le vieillard irrité s’éloigne des vaisseaux. Apollon exauce ses vœux. Son ministre Chrysès est cher à son cœur, il lance ses flèches invincibles sur l’armée des Grecs; elle est dévastée; les peuples périssent; les traits du dieu de la lumiere’s’étendènt dans toutes les parties du camp. Un devin, instruit des volontés des immortels, nous découvre la source de nos maux. Prenant la parole dans l’assemblée de la na. tion, j’ouvre le salutaire conseil de fléchir le dieu

irrité. La haine d’AgamemnonCHANT est ma récompense. I. 23 Le fils d’Atréè ose me faire d’indignes menaces; elles ontleur exécution. Les Grecs ramènent Chry- séis dans sa patrie; le vaisseau qui porte la belle captive d’Agamemnon, chargé d’immenses offran- des, fend en ce moment le sein des mers; et des hérauts sont venus dans ma tente enlever Briséis, cette captive que les enfants de la Grèce m’avoiènt donnée. S’il est en ton pouvoir, ô ma mère, viens à. mon aide; monte au sommet de l’olympe; im- plore Jupiter; rappelle en sa mémoire les services que tu lui rendis autrefois et par tes paroles et par tes actions. Il me souvient qu’assis dans le palais de Pélée mon père, je t’entendois souvent te vanter d’avoir seule osé défendre le maître des dieux des complots de tous les immortels. Junon, Neptune, Minerve, tous les habitants de l’olympè avoient formé le projet d’enchaîner sa puissance. Tu sur- vins en cet instant; aidée du géant à cent mains appellé par toi sur le vaste olympe , tu parvins à re- lâcher les liens du dieu qui lance le tonnerre. Les dieux nomment ce géant Briarée; les hommes, Égéon; car sa force surpasse celle de son père. Glorieux de s’asseoir près du trône de Jupiter, il inspire une tellefrayeur à tous les immortels, que, forcés de se soumettre à la puissance du maître des

24 L’ILIADE, dieux, ils n’oserent plus tenter d’enchaîner son pouvoir. Rappelle , ô ma mère , ce bienfait à la mé- . moire de Jupiter. Embrasse ses genoux. Qu’il pros tege les Troyens; que les Grecs, resserrés dans leur camp , dans leurs vaisseaux, sur les rives de la mer bruyante, tombent sous les coups de leurs en- nemis; que la peine due au crime de leur roi s’é-’ tende sur la nation entière; que le fils d’Atrée, le puissant Agamemnon, reconnoisse la faute qu’il a commise en faisant injure au plus courageux des Enfants de la’Grèce. Ô mon fils, que j’élevai avec tant de soins, ré- pond Thétis les yeux baignés de larmes, je recon- nois l’accomplissement des funestes oracles qui me furent prononcés à ta naissance. Puisque le destin ne t’accordoit que peu d’années, au moins: ta vie devoit-elle être exempte des pleurs que je te vois répandre. L’injure ne devoit pas être ton partage dans l’armée des Grecs; et cependant l’infortune te poursuit pendant ta vie, pardessus tous les au- tres mortels. Tu naquis dans le palais de Pélée, en butte à une cruelle destinée! Je monterai, n’en doute pas, au sommet de l’olympe couvert d’une neige éternelle; je déposerai mes douleurs dans le I sein du dieu qui lance le tonnerre; je ferai effort pour le persuader. Demeure dans ta tente, garde

aux Girecs un implacableCHANT courroux. I.Jupiter 25 est absent en ce moment; il partit hier, invité à un festin et à de solemnels sacrifices, chez lègirrépro- chables Éthiopiens, dans ces contrées que baigne le vaste océan; tous les autres dieux l’ont suivi; de douze jours .il ne remontera sur l’olympè. Alors j’en trèrai dans le palais d’airain du maître des dieux; j’embrasserai ses genoux: j’ai cette confiance qu’il ne sera pas inexorable à mes humbles prières. Thétis , ayant ainsi parlé , disparoît, laissant son fils en proie à la douleur que lui cause la perte de sa belle captive. ç Cependant Ulysse arrive à Chryse, conduisant la sainte hécatombe. Parvenus à la rive profonde, les matelots baissent la voile, la ploient, la dépo- sent dans le vaisseau; le mât est abaissé, à l’aide des poulies qui y sont attachées; on le couche dans le navire; les rameurs font entrer le vaisseau dans le port, jettent les ancres, les attachent au rivage avec de forts cordages , descendent sur la rive, font sortir du vaisseau les cent bœufs destinés à être ofZ ferts en sacrifice au dieu dont les flèches sont in- vinCibles : la belle Chryséis les suit, conduite à l’au- tel par le sage Ulysse, qui la remet aux mains de son père, adressant ce discours à Chrysès: Ô Chrysès, Agamemnon, le roi des hommes, 1 . . 4

26 L’ILIADE, m’a député vers toi pour te rendre ta fille, pour Ofï frir à Apollon une sainte hécatombe au nom de l’armée des Grecs, suppliant ce dieu terrible, qui porte maintenant la consternation dans nos ames, de prendre pitié des enfants de la Grèce, de par-

donnerIl dit, et remet a la leurbelle captive roi. aux mains. de son ç père. Chrysès reçoit avec joie sa fille chérie. Les compagnons du sage Ulysse arrivent en ordre, con- duisant la sainte hécatombe. Ils approchentde l’au- tel. Ayant lavé leurs mains dans l’onde salée , ils répandent sur la tête des victimes la farine du plus pur froment. Le prêtre Chrysès, levant au ciel ses mains suppliantes , adresse àhaute voix cette prière au dieu dont il est le ministre: Dieu de Sminto, que ton arc d’argent distingue entre tous les immortels, qui protèges l’isle de Chryse et la divine Cylla, puissant roi de Ténédos, écoute-moi; exauce mes vœux comme tu les exau- ças quand je t’implorai pour venger mon injure. La nation des Grecs tomba sous les coups de tes flèches meurtrières ; exauce encore mes vœux, ô Apollon; éloigne de l’armée des Grecs ce fléau destructeur. Ainsi prioit le prêtre Chrysès; Apollon l’exauce. Les prières étant achevées, les gâteaux sacrés jet-

D CHANT I. 27 tés dans le feu, les Grecs saisissent les têtes des victimes, les élèvent, e’nfoncent le couteau sacré dans leur gorge, enlèvent les cuirs épais dont elles sont couvertes, séparent les cuisses , étendent par- dessus une double graisse, détachent les morceaux de toutes lespartiès, les assemblent. Un bois sec, o disposé par le prêtre Chrysès, accroît l’activité ’du feu. Le respectable vieillard verse de saintes liba- tions de vin pur su s prémices consacrées àla di- vinité qu’il adore, le jeunes gens tiennent les bro- ches dans leurs mains; les cuisses étant brûlées, ayant dévoré les entrailles , ils partagent les au- tres partie.s , enfoncent de courtes broches dans les portions, les assaisonnent convenablement, .lès retirent du feu. Ces préparatifs achevés, ils jouissent des douceurs d’un festin que la joie et l’égalité assaisonnent. Quand le desir du boire et du manger est satisfait, des hérauts couronnent les coupes du vin dont ils les emplissent, les distri- buent à l’assemblée. Ayant fait des libations aux dieux, les enfants de la Grèce chantent pendant tout le jour des hymnes en l’honneur d’Apollon, qui lance au loin ses traits rapides; la rive retentit des chants harmonieux par lesquels ils s’efforcent d’appaiser la divinité irritée; Apollon lès entend; son amè est réjouie. Le soleil fait place aux ombres

28 L’ILIAD’E, de la nuit; ils reposent non loin des agrès de leur navire. A peine la fille de l’Air, l’Aurore aux doigts de rose, a-t-elle ouvertles portes de l’Oriènt, qu’ils remontent sur le vaisseau, empressés de rejoindre l’armée. Le dieu redoutable par ses flèches invin- cibles, Apollon, leur envoie un vent favorable. Le mât est dressé; ils étendent la voile ; le vent souffle , etporte le navire surles flots qui bruissent avec fra- ’ cas autour de la carène. Ils f dent avec rapidité la plaine liquide. Arrivés au Ïmp, le vaisseau est mis à sec sur la rive escarpée; ils le fixent avec de longs pieux et de forts cordages, et se dispersent dans leurs tentes. ç Cependant le fils de Pélée, le divin Achille, re- tiré dans ses vaisseaux, nourrit dans son ame son implacable courroux. Il ne paroît plus dans l’as- semblée de la nation. La gloire que l’éloquence procure , la gloire qu’on acquiert dans les combats, ne le touchent plus. Ce héros, qui ne se plaisoit autrefois que dans le tumulte des armes, contient maintenant dans la retraite les désirs impétueux de son cœur. Quand la douzième aurore se montre Sur l’ho- rizon, que tous les immortels, Jupiter à leur tête, sont de retour dans l’auguste palais qu’ils habitent au sommet de l’olympe’, Thétis n’oublie point les

C H A N T Il 29 vœux de son fils. S’élevant du sein des ondes avec l’astre du jour, elle monte sur la voûte éthérée, et s’avance vers l’olympè. Ell’e voit le fils de Saturne, le dieu qui lance le tonnerre, assis sur la cime la plus élevée de la montagne sainte, loin des autres divinités. La mère d’Achillè approche de son trô- ne: d’une main elle embrasse ses genoux; élevant l’autre jusqu’au menton du; dieu qui lance le ton- nerrè, elle lui adresse cette humble prière: Ô Jupiter, ô mon père, si, seule entre toutes les divinités, je te servis autrefois par mes paroles, ou par mes actions, exauce mes vœux en ce moment, prends soin de la gloire de mon fils , de ce fils dont la Vie doit être plus courte que celle de tolis les au- tres mortels. Et cependant le roi des hommes , Agamemnon, lui a fait injure; il a’ravi et retient le prix dont les Grecs avoient payé ses travaux. Roi de l’olympe, dont les conseils sont éternels, venge cet Outrage , donne la victoire aux Troyens; que les’Grecs, éprouvant le besoin qu’ils ont de mon fils, fléchissent devant Achille; qu’ils accroissent sesElle dit: honneurs. Jupiter garde le silence, et’ paroit im- mobile. Thétis, prosternée, renouvèlle ses instan- ces. Réponds-moi, ô Jupiter, dit-elle, exauce mes humbles supplications; assure-moi par ce signe de

30 L’ILIADE, ta tête auguste qui ne trompe jamais , que mes vœux ont eu accès dans ton cœur, ou rejette-lès ouver- tement; que la crainte de m’aflligèr ne t’arrête pas: j’apprendrai, par cet exemple, que je suis, plus que toutes les autres divinités, l’objet de tes mépris. Source de violents débats, d’invectives amères, répond Jupiter poussant un profond soupir, ce que tu demandes, ô Thétis, m’attirera la haine de Ju- non. Seule entrè tous les immortels, cette déesse ne cesse de troubler mon repos , m’accusant de protéger les Troyens dans ces combats meurtriers. Retire-toi promptement; que Junon ne s’apper- çoive pas de ton arrivée :repose-toi sur ma justice du soin de ta vengeance; e te la promets par ce si- gne que les dieux reçoivent comme un gage cer- tain de ma volonté suprême. Il dit, élève et baisse ses noirs sourcils; la che- velure du maître des dieux, flottant sur sa tê te im- mortelle, répand au loin une Odeur d’ambrosie; le vaste olympe est ébranlé. Ainsi ils se séparent, après avoir tenu conseil. Thétis, se précipitant du sommet de la montagne qu’une lumière éternelle environne, s’enfonce dans la profondeur des mers. Jupiter s’avance vers l’au- gustè assemblée des immortels. A l’approche de leur père, tous les dieux se lèvent par respect. J u-

CHANT I.’ 31 piter s’assied sur son trône. Junon ne tarde pas à découvrirle conseil secret qu’il a tenu avecla’déèsse aux pieds d’argent, la fille du vieux Nérée, le plus ancien des dieux de la mer. Perfide, lui dit-elle, quels funestes projets as-tu conçus? Toujours tu te plais à traverser mes des- seins par de secrets artifices. Jamais tu ne m’ins- truis avec franchise d’aucun de tes conseils. Ô Junon, répond le père des dieux et des hom- mes, quoique ma compagne, quelque saints que soient les nœuds qui nous unissent,- ne te flatte pas de pénétrer dans tous mes projets; il te seroit dur de les connoîtrè. Ce qu’il me plaît d’en dévoiler, aucun des dieux ni des hommes n’en sera instruit avant toi; mais n’entrèprends pas de sonder mes volontés sur les Objets que je renferme dans mon cœur, les cachant à tans les immortels. Cruel fils de Saturne, quelle parole est sortie de ta bouche , reprend Junon portant sur son époux un regard furieux? Je n’essaie point de pé- nétrer dans le secret de tes conseils; que tes dé- crets aient leur exécution. Cependant mon ame est troublée par la crainte que la fille du vieux Néo rée, Thétis aux pieds d’argent, ne t’ait séduit; car elle s’est présentée devant toi au lever de l’aurore; Thétis a embrassé tes genoux: je tremble que tu

32 L’ILIADE, ne lui aies promis, par ce Signe de ta tête divine qui ne trompe jamais, de venger, par la mort d’un grand nombre de Grecs, l’injure qu’Agamemnon a faite à son fils Achille. - Divinité inquiète et soupçonneuse, qui ne cesses de m’épièr, qui ne souffres qu’aucun de mes conseils te soit caché, répond le dieu qui assemble les nuées, garde-toi d’essayer d’en traverser l’exécution; tes fureurs les affermiroient, et te rendroient plus odieuse. Si telle est ma volonté suprême, respecte mes ordres en Silence; ne m’irrite pas par tes murmures: crains que je n’appèsan tisse sur toi mes invincibles mains; toutes les divinités qui habitent l’olympe se réuni-v roient en vain pour te soustraire à ma vengeance. Il dit: Junon, tremblante, se retire en silence, dévorant la douleur dontson ame estpénétrée. Les , habitants de la voûte éthérée gémissent en secret dans le palais de Jupiter. L’industrièux Vulcain es- saie, par de douces paroles, de calmer sa tendre mère, Junon aux bras d’albâtre : Ainsi, dit-il, l’in» térêt de vils mortels, portant le trouble dans les célestes demeures, change le palais des dieux en un séjour affreux, théâtre de révoltes et de divisions intestines. Les maux qui nous accablent ne nous permettentplus de goûter les douceurs du festin sacré. Je m’adresse à ma mère , j’implore sa pru-

CH’ANTI 33. dence, je la supplie d’opposer de douces paroles à la sévérité de mon père Jupiter, afin que la joie du Céleste festin ne soit plus troublée par ses terribles menaces. Le dieu qui lance la foudre , qui habite le sommet de l’olympè, pourroit, S’il le vouloit, nous renverser de nos trônes; car il est plus puissant que nous. Tu connois, ô ma mère, le pouvoir de test charmes; fléchis Son courroux; que le roi de l’O-’ lympe nous fasse éprouver la douceur de son em-

Il dit et se lève du trône sur lequel il est assis, prend une coupe à deux fonds, la présente à Ju- pire.non, èt lui tient ce langage: . Sonfre patiemment, ô ma mère, quelle que soit ton affliction; contiens ta colère; ne porte pas la tristesse dans mon cœur; que je ne te voie pas, sous mes yeux, en butte à la puissance de Jupiter, sans pouvoir, malgré tout mon désir, te porter au- cun secours : car il est dangereux de résister au Dieu qui règne sur l’olympe. Voulant venir à ton aide, Jupiter me précipita autrefois de la céleste enceinte; je fus porté pendant un jour entier dans le vague des airs; au coucher du soleil, je tombai presquè’sans vie dans l’isle de Lemnos: les Sin- tièns me recueillirent, prirent soin de moi, guéri- rent mes blessures. 1 . ’ 5

34 L’ILIADE, CHANT I. Il dit : Junon sourit et prend la coupe des mains de son fils. Vulcain puise le doux nectar dans les urnes qui le contiennent, emplit les coupes, les présente à tous les habitants de l’olympe. Les voû- tes du sacré palais retentissent du rire immodéré de tous les immortels, à la vue du boiteux Vulcain qui parcourt les célestes demeures. Le festin con- ’tinuè jusqu’au coucher du soleil. Apollon pince l’harmonieuse cithare; ses divins accords reten- tissentfians le palais de Jupiter; les se ré- pondent par leurs accents enchanteurs. Quand le flambeau du jour a fait place aux ombres de la nuit, les immortels se retirent dans les palais que le dieu des arts, Vulcain, éleva pour chacun d’eux, dOnt il conçut le modèle dans sa tête divine : le dieu qui règne sur l’olympe, dont la foudre éclate dans les airs, monte sur ce lit où il a coutume de goûter les douceurs du sommeil: Junon, au trône d’or, se place à ses côtés. ’

L’ILIADE. CHANT Il.

ARGUMENT. - J UPIT En , gardant le souvenir des vœux de Thétis et des promesses qu’il lui a faites , envoie à Agamemnon un songe trompeur pourfen- gagèr à livrer bataille aux Troyens en l’absence d’Achille. Conseil secret; assemblée de la nation. Pour éprouver les Grecs, Agamem- . non feint de désespérer du succès de la guerre. Par ses ordres, les Grecs se disposent à retourner dans leur patrie. Ulysse, inspiré. par Minerve, les arrête, réprime la témérité de Thersite, qui se répand en injures contre les rois. Sages conseils de Nestor. Sacrifice ètfestin solemnel. Les deux armées sont en présence. Dénombrement des vaisseaux et des chefs qui les commandent, suivi de celui des Troyens et de leurs alliés. ’

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L’ILIADE- CHANTIL Songe d’Agamemnon. Assemblée des Grecs. Dénombrement desmaisseaux, ou Béotie.

LES dieux et les hommes sont plongés dans le sommeil; mais Jupiter n’en goûte pas les dou- ceurs. Il médite en lui-même comment il comblera de gloire Achille, et donnera la mort à un grand nombre de Grecs. De tous les moyens qui s’offrent . à son esprit, le parti d’envoyer à Agamemnon un songe trompeur et pernicieux’lui paroît le meil- leur. Il l’appelle, lui parle ainsi: Songe pernicieux et trompeur, pars, lui dit-il, vole aux vaisseaux des Grecs; exécute mes ordres avec fidélité; pénètre dans la tente d’Agamemnon; donne à tes paroles un air de vérité, tel que le fils d’Atréè y prenne confiance. Ordonne-lui d’armer sans différer les enfants de la Grèce; promets-lui dès ce jour la conquête d’llion, la puissante ville des Troyens : car la discorde ne règne plus parmi les habitants de l’olympe; Junon les a fléchis par

38 L’ILIADE, sès prières; le malheur est prêt à fondre sur les

Il dit; le songe, ayant reçu les ordres du maître desTroyens. dieux, vole aux vaisseaux des. Grecs, . parvient à la tente d’Agamemnon. Un sommeil aussi doux que l’ambrosie a versé ses pavots sur ses paupières. Le songe trompeur s’arrête sur sa tête. Il a pris la ressemblance du fils de N élée, de Nestor, ce vieil- lard qu’Agamemnon honore par-dessus tous les au très. Sous Dette forme favorable à ses desseins, l’envoyé de Jupiter lui tient ce langage: Tu dors, fils du sage Atrée! Il ne sied pas à un roi, à qui les peuples sont confiés, que tant de soins accablent, de dormir pendant une nuit entière. Réveille - toi , et m’écoute; Jupiter, qui du haut des cieux s’intéresse à ta gloire , qui prend compassion des maux que tu souffres, me députe vers toi. Ce dieu t’ordon ne de faire prendre les armes aux Grecs; il te promet dès ce jour la conquête d’Ilion , la puis-’ sante ville des Troyens : car la discorde ne règne plus parmi les habitants de l’olympé; Junon les a fléchis par ses prières; le malheur envoyé par J u- piter est prêt à fondre sur les Troyens. Grave pro- fondément cet ordre dans ton esprit; garde- toi de l’oublier quand le doux sommeil abandonnera tes paupières.

Ainsi parle le CHANTsonge, et.il disparoît, laissantIl. 39 le fils d’Atrée profondément occupé d’un oracle qui n’aura pas d’exécution. Insensé! il se flatte du vain espoir de s’emparer en ce our de la ville de Priam; et telle n’est pas la volonté de Jupiter. De longs com- bats doivent précéder cette conquête; des maux sans nombre feront répandre avant ce temps des larmes amères aux Grecs et aux Troyens. Se croyant éclairé d’une lumière divine , Aga- memnon s’élance de son lit, endosse sa riche tuni- que , couvre ses épaules d’un vaste manteau de pourpre; ses pieds sontornés d’une chaussure écla- tante; sa redoutable épée est suspendue à son bau- drier. Il prend son sceptre, ce sceptre incorrupti- ble qu’il reçut de ses ancêtres, et parcourt les vais- seaux des Grecs. L’Aurorè ouvreles portes de l’olympe, la lu- mière s’étend sur le trône de Jupiter et des autres divinités; le fils d’Atréè Ordonne aux hérauts de convoquer, parleurs cris perçants, l’assemblée de la nation. Les enfants de la Grèce s’éveillènt; les chefs de l’armée se réunissent devant la tente du vieux Nestor, roi de Pylos. Agamemnon, les voyant assemblés, leur tient ce langage :- . Ô mes’amis, écoutez-moi. Lorsque la nuit ré- pandoit son parfum sur la terre, un envoyé des dieux

4o L’ILIADE, m’est apparu en songe; il ressembloit au divin Nes- tor; c’étoit son air, sa taille, c’étoit lui-même; le messager de Jupiter s’arrête au-dessus de ma tête, me parle ainsi : cc Tu dOrs, fils du sage Atrée! Il ne (c sied point à un roi, à qui les peuples sont confiés, cc que tant de soins accablent, de dormir pendant a une nuit entière. Réveille-toi et m’écoute; J upi- (c ter, qui du haut des cieux s’intéresse à ta gloire, (c a pris compassion des maux que tu souffres; il cc me députe vers toi pour t’ordonner de faire prènr a: drè les armes aux Grecs; il te promet des ce jour a la conquête d’Ilion, la puissante ville des Troyens: (c car la discorde ne règne plus parmi les habitants ce de l’olympe; Junon les a fléchis par ses prières; a: le malheur envoyé par Jupiter est prêt à fondre (c sur les Troyens. Grave profondément cet ordre «dans ton esprit». Il dit, et disparoît: le sommeil fuit de mes pan» piètes. Dociles aux ordres de la divinité , faisons prenv dre les armes aux enfants de la Grèce; et cepen- dant, pour éprouver et accroître leur ardeur, je dissimulerai mes desseins : je leur commanderai de remonter sur leurs vaisseaux , de retourner dans leur patiie ; vous vous opposerez à ce conseil, vous les contiendrez par vos discours,

CHANT II. ,4. Ainsi parle Agamemnon, et il reprend le trône qu’il a quitté; le roi de la sablonneuse Pylos , le plus sage des Grecs, Nestor, se levez Ô mes amis, dit-il, chefs et conseils de la na- tion des Grecs, si quelque autre nous eût raconté ce songe, je le croirois menteur, et m’efforcerois de vous détourner d’un tel projet; mais celui qui nous fait ce récit est notre chef, dont la puissance l’emporte sur tous: obéissons, faisons prendre les armes aux enfants de la Grece. Ainsi parle le roi de Pylos, et il sort du conseil. Dociles aux ordres du pasteur des peuples, tous les rois qui portent le sceptre se levent, rompent l’as- semblée. Les peuples accourenten foule. Tels,dans le printemps, des essaims d’abeilles nouvellement sorties du creux d’une roche aride , ayant parcouru le vague de l’air, semblables à une grappe de rai- sin, se dispersent sur les fleurs nouvelles; ainsi les Grecs , sbrtis confusément de leurs vaisseaux et de leurs tentes, se partagent par bandes sur le rivage- de la mer. Au milieu d’eux , la Renommée , cou- riere de jupiter, les presse de se rendre à l’assem- blée de la nation; les rangs se serrent, la terre. gé- mit sous le poids (le la multitude, un bruit confus se fait entendre; neuf hérauts, passant de rang en rang, appaisent le tumulte par le son éclatant de 1. 6

42 L’ILIADE, leurs voix; un silence profond succede. Les voix sonores des hérauts contraignent le peuple de s’as- seoir; chacun se dispose à écouter les rois, enfants de Jupiter. Agamemnon se leve, tenant en main ce sceptre, ouvrage de Vulcain, symbole de sa puissance. Le divin artiste en fitdon au fils de Saturne , qui régnoit alors sur la terre; Jupiter le donna au meurtrier d’Argus, Mercure, chargé de porter les ordres du dieu qui lance le tonnerre; le roi Mercure le trans- mit à Pélops , qui le premier enseigna aux hommes l’art de rendre dociles au frein des coursiers indom- tés; Pélops à Atrée , le pasteur des peuples; Atrée le laissa en mourant à Tllyeste, riche en troupeaux; de Thyeste il passa aux mains d’Agamemnon, roi d’Argos et des isles qui bordent cette fertile con- trée. Le roi Agamemnon, s’appuyant sur ce scep- tre, tient aux Grecs ce discours: Héros de la Grece, serviteurs de Mars, (lignes d’un meilleur sort, Jupiter nous accable de maux. Ce dieu nous tendit un piégé peu digne de la ma- jesté suprême. Le cruel! il me promit, paf ce signe qui, dit-on, ne trompe jamais, un heureux retour dans ma patrie , après avoir détruit la puissante ville de Priam; et maintenant il médite une fraude in- juste ; il m’oblige de retourner sans gloire dans

Argos, ayant perduCHANT un grand peuple. AinsiIl. le43 veut le maître des dieux, qui se plaît à abaisser les têtes superbes des plus grandes cités; car nul np résiste à sa puissance. Une armée immense contrainte de fuir devant un petit nombre d’ennemis , d’aban- donner- honteusement une guerre entreprise avec tant d’éclat, cette tache ineffaçable couvrira d’op- probre les enfants de la Grece jusques dans les sie- cles futurs; car, si l’on faisoit le dénombrementdes Grecs et des Troyens, qu’ils se réunissent dans un même lieu pour sceller une sainte alliance, que les Grecs fussent rangés par dix, etqu’un seul homme fût chargé de distribuer le vin à chaque dixaine, plusieurs tables manqueroient d’échanson; tant le nombre des enfants de la Grece surpasse celui des habitants de Troie! Mais de nombreux alliés la pro-- tegent; des hommes hardis ont volé des villes voi- sines au secours de cette grande cité; ils fatiguent mon armée, et ne me permettent pas de porter la désolation et le carnage dans ses murs. Déja neuf années sont écoulées; les bois de nos navires pour- rissent; les liens qui les attachent se séparent; nos femmes, nos enfants languissent dans l’attente de notre retour; nul succès ne répond encore à nos vœux. Obéissez donc tous à mes ordres; fuyons dans notre patrie avec nos vaisseaux, car nous ne

44 L’ILIADE, parviendrons pas à dévaster la puissante ville de Priam.Il dit: une douleur profonde u s’empare de la mul« titude qui n’a point assisté au conseil; un murmure confus s’éleve dans l’assemblée, semblable au fra- cas des flots de la mer icarienne , lorsque le vent d’est et icelui du midi, se précipitant de la voûte azurée, bouleversent ses ondes, ou tel que le sif- flement excité par le vent d’ouest, quand, tombant avec rapidité sur Une abondante moisson , il en. agite et courbe les épis; non moins grand est le trouble que le discours d’Agamemnon excite dans l’assemblée. Les Grecs se séparent, courent à leurs vaisseaux; une épaisse poussiere, semblable à. une masse soÜde, s’éleve de dessous leurs pas; ils s’em- pressent à l’envi de vuider leurs navires , d’étancher l’onde salée qui les emplit, de se préparer à les lan- cer à la mer; leurs cris s’élevent jusqu’aux nues. Déja ils détachent les cordages; dès ce jour le re- tour eût été irrévocable, malgré l’ordre du destin, si Junon, adressant la parole à Minerve, ne s’y fût

Fille du dieu qui lance le tonnerre, dit-elle, ain- siopposée: donc les Grecs fuiront sur le vaste dos, de la plaine liquide, pour retourner dans leur patrie, abandon. nant à Priam et auxTroyens la conquête d’Hélene,

de l’argienne Hélene,.CHANTIL pour laquelle tant de Grecs . A périrent dans les plaines de Troie , loin de leur terre natale. Vole , ô Minerve , à l’armée des Grecs; parle à chacun d’eux; emploie le charme de tes pa- roles, emploie cette éloquence qui t’est propre, pour les détourner d’un tel projet; ne souffre pas qu’ils lancent leurs vaisseaux à la mer. Elle dit : Minerve obéit. Se précipitant du som- met de l’olympe, la déesse parvient aux vaisseaux des Grecs , aborde Ulysse qu’elle rencontre le pre- mier. Rival de Jupiter par la sagesse de ses con- seils, l’ame pénétrée d’une douleur profonde, le fils de Laërte est assis près de son vaisseau, qu’il ne prépare pas. Minerve s’approche , lui parle ainsi: Descendantde Jupiter, sage Ulysse , fils de Laër- te, ainsi s’évanouissent les vastes projets des enfants de la Grece : ainsi, ô Grecs, vous vous précipitez en tumulte ’dans vos vaisseaux, fuyant dans votre patrie, cédant à Priam et aux Troyens la conquête d’Hélene , de l’argienne Hélene, pour laquelle tant de Grecs périrent dans les plaines de Troie, loin de leur terre natale. Vole, ô Ulysse, parcours l’ar- mée des Grecs, aborde chacun des guerriers quitla composent, emploie le charme de tes paroles pour empêcher l’exécution de ge honteuxproj et; ne souf- fre pas qu’ils lancent leurs vaisseaux à la mer.

46 - L’ I L I A E, Elle dit: docile aux ordres de la déesse, Ulysse rejette de dessus ses épaules le manteau qui les couvre; le héraut Eurybate, de l’isle d’Ithaque, le reçoit. Agamemnon remet en ses mains ce sceptre incorruptible, symbole de la puissance qu’il reçut de ses peres. Muni du signe auguste de l’autorité suprême, il marche aux vaisseaux des Grecs, aborde chacun des rois, chacun de ceux qui ont du crédit sur l’esprit de la multitude, emploie la force de ses paroles pour s’opposer à cette fuite honteuse: Insensé, dit-il à l’un d’eux, l’effroi que tu mon- tres est peu convenable; arrête, contiens la multi- tude par ton exemple. Ignores-tu la pensée du fils d’Atrée? Il éprouve maintenant les enfants de la Grece , et les punira de lui avoir obéi. N’avons-nous pas entendu comme il nous a parlé dans le conseil? Craignons de l’irriter; car la colere des rois, nour- rissons de Jupiter, est terrible. Le maîtie des dieux a remis le sceptre aux mains d’Agamemnon; J upi- ter l’aime et le protege. ’ Tel est’le langage que le fils de Laërte tient aux rois , aux chefs de l’armée; mais ceux d’entre la mul- titude qu’il découvre excitant d’une voix bruyante leurs compagnons à préparer le départ, il les con- tient avec le sceptre, leur parle avec autorité: Arrête, malheureux, dit-il; cesse de fuir: obéis.

CHANT Il. 47 aux ordres qui te sont donnés par des chefs plus puissants que toi. ConfOndu parmi le peuple, l’au- torité ne t’appartient pas; tu n’es compté pour rien, ni dans l’action, ni dans le conseil. Nous ne commandons pas tous; le gouvernement de plu- sieurs n’estpas bon ; qu’un seul commande , un seul roi, entre les mains duquel les éternels décrets de J upiterpntremis le sceptre , à qui il a donné le droit de faire des loix, et de rendre justice à tous, pour que tous lui obéissent. ’ Le fils de Laërte parcourt ainsi l’armée des Grecs, ranimant leur courage. Ils abandonnent leurs vais- seaux, s’empressent vers le lieu de l’assemblée: un bruit confus s’éleve : tel le murmure des flots qui se brisent contre les rives de la mer, retentit au loin sur la plaine liquide. Ils prennent place, selon leur ordre, sur des bancs et des trônes. Le seul Thersite s’agite vainement : Thersite , parleur im- pitoyable, esprit turbulent, toujours disposé à la révolte, toujours opposé aux volontés des rois, le plus difforme de tous ceux qui marcherent contre Ilion : ses vaines clameurs sont la risée du peuple; louche et boiteux, ses épaules inégales élevent sur sa poitrine et sur son dos une double montagne; sa tête pointue est couverte de poils épars, sembla- bles à de la laine: tous le haïssent, mais sur- tout

48 L’ILIADE, Achille et Ulysse, contre lesquels il se plaît à ré- pandre le fiel amer de ses propos injurieux. C’est maintenant contre le roi des rois qu’il déchaîne sa fureur séditieuse. Les Grecs en sont indignés; mais la haine publique ne. peut le contenir. Éle- vant la voix avec aigreur, il adresse la parole à Agamemnon. ’ Fils d’Atrée , que nous reproches-tu? Que veux- tu de nous? Tes tentes sont pleines d’airain, de captives choisies dont nous comblons ton insatia- ble avidité, quand nous nous emparons des villes alliées de Troie. Regrettes-tu l’or’ que les Troyens te donnerpient pour la rançon de leurs enfants que moi ou tout autre auroient emmenés captifs? Est-il quelque jeune esclave que tu veuilles ravir à l’un de nous pour servir à tes plaisirs? Tyran injuste et cruel! les maux dont tu accables les enfants de la Grece ne sontplus tolérables. Hommes foibles, dignes de l’opprobre imprimé sur vos fronts, Grecs plus timides que des femmes, retournez dans vos maisons avec vos vaisseaux; laissons cet homme consumer, sous les murs de Troie, les dons qu’il reçut de nous, la récompense de nos travaux; qu’il connoisse enfin à qui il est redevable de sa puis- sance et de ses victoires, lui qui osa faire injure à Achille, dont la valeur ne peut être comparée à la

CHANT II. 49. sienne, qui enleva et retient la captive du fils de Pélée. J’admire la patience d’Acliille! Si ce héros étoit moins ami de la paix, ce crime eût été la der- niereAinsi Thersite de tesse répand injustices. en injures contre .Aga- memnon, le pasteur des peuples. Jettant sur lui un regard terrible, Ulysse lui adresse ces paroles menaçantes: Téméraire harangueur, fertile en pa- roles, foible en œuvres, ô Thersite , mets fin à tes clameurs séditieuses; cesse d’outrager le roi des rois. De tous les mortels qui suivirent le fils d’A- trée aux plaines de Troie, je n’en connois aucun plus lâche que toi, et cependant tu injuries les rois; ton impudence se permet d’inveçtiver le fils d’A- trée; tu nous conseilles de fuir, de retourner dans nos maisons. J’ignore comment se terminera cette longue guerre , si les GreCs seront contraints de retourner honteusement dans leur patrie; mais une juste indignation s’empare de moi, quand je t’en- tends reprocher à Agamemnon , léopasteur des peu- ples , les dons qu’il a reçus de la libéralité des en- fants de la Grece. Je m’indigne des propos sédi- tieux par lesquels tu t’efforces de souffler le feu de la révolte. îÉcoute des menaces qui auront leur exécution: Si je te trouve une autre fois, te livrant à ces discours insensés, que la tête d’Ulysse ne 1. ’ 7

50 L’ILIADE, demeure plus sur ses épaules, que je cesse d’être appellé le pere de Télémaque , si , dépouillé de ton manteau, ayant déchiré les vêtements qui couvrent ton corps difforme, t’ayant chassé de l’assemblée, je ne te renvoie dans nos vaisseaux, mutilé , désho- noré , versant des larmes impuissantes. Il dit, et frappe de son sceptre d’or la tête’et les épaules de ce vil harangueur , du lâche Thersi te , qui ploie sous le coup. Sa chair est meurtrie; des larmes abondantes coulent de ses yeux; il tremble de tous ses membres; baissant la tête, s’efforçant d’essuyer les pleurs’que sa lâcheté lui fait répandre, il reprend le siege qu’il a quitté; des éclats de rire s’élevent dans l’asserfiblée. Malgré la douleur dont l’ame des Grecs est pénétrée, ils se regardent l’un l’autre: Sage dans le conseil, intrépide dans le com- bat, se disent-ils , Ulyss’e a fait bien des actions di- gnes de louanges; mais réprimant l’audace de ce fac- tieux, de ce lâche harangueur de la multitude , il a rendu aux Grecs un service plus signalé. Je ne pense pas que Thersite soit assez téméraire pour. oser encore se répandre en injures contre les rois. Tels étoient leurs discours. Cependant Ulysse, le destructeur des cités , se leve du trônesur lequel il est assis, se dispose à haranguer l’assemblée. Pour que les conseils du sage Ulysse, entendus de tous,

portent la convictionCHANT dans tous les espritsIl. 51 , Mi- nerve, sousla forme d’un héraut,impose silence. Ne respirant que la gloire de la nation , le fils de Laërte parle ainsi: a Fils d’Atrée , les Grecs veulent te rendre le plus méprisable des hommes. Ils ne tiennent pas les en- gagements qu’ils prirent avec toi, lorsqu’abandon- nant le séjour de la fertile Argos, ils te suivirent aux champs Troyens. Ils te promirent alors de ne point revoir leur terre natale, qu’ils n’eussent dé- truit la puissante ville de Priam; et maintenant, semblables à des femmes ou à des enfants , ils ver- sent des pleurs, gémissent des maux qui les acca- blent, s’excitent l’un l’autre à hâter les préparatifs du départ. Je n’ignore pas quelle est la force de l’a- mour de la patrie. Quelque douloureux qu’il soit de rentrer dans sa maison , le cœur percé d’une dou- leur profonde, un homme que les vents contraires, que les flots irrités retiennent, pendant un seul mois, éloigné de sa famille, séparé de sa tendre épouse, s’afflige, supporte ce malheur avec impa- tience. Neuf années sont écoulées depuis que nous demeurons sur cette terre ennemie; ce motif rend excusable à mes yeux la tristesse qui accable les en- fants de la Grece , l’ennui qui les consume dans - leurs vaisseaux. Cependant quelle honte pour nous,

52 L’ILIADE, d’avoir demeuré si long-temps absents de nos foyers, et de rentrer dans nos maisons après d’inutiles efa forts! Prenez courage , ô mes amis, attendez encore quelque temps; éprouvons si Calchas nous a induits en erreur, ou s’il a dévoilé à nos yeux l’ordre du destin. Je vous appelle en témoignage, vous qu’a épargnés le fatal ciseau de la Parque. Il vous soue vient que, la veille ou la surveille de notre départ, quand les vaisseaux des Grecs étoient assemblés en Aulide, animés par l’espoir déporter la mort dans le sein de Priam’et de tous les Troyens, pros- ternés aux pieds des autels, sous un platane élevé qu’arrosoit l’onde d’uneosource limpide, nous im- molions aux dieux de parfaites hécatombes; un grand prodige nous manifesta l’ordre des destinées. Un dragon , que le dieu qui regne sur l’olympe avoit produit à.la lumiere , couvert de taches sanglantes, s’éleve de dessous l’autel, monte au sommet du platane. Un nid de huit passereaux nouveaux nés étoit caché dans l’épais feuillage de cet arbre, sous les ailes de la mere qui leur donna le jour; le dra- gon s’en empare, les dévore à nos yeux; nous les voyons palpiter sous sa dent cruelle; notre aine en est attendrie. Leur tendre mere vole à l’entour, dé- plorant laperte de sa triste famille; le dragon l’en- veloppe dans les replis tortueux de sa queue im-

mense, l’engloutitr CHANT après ses enfants. Mais Il. voici un-53 signe manifeste de la volonté du fils de Saturne, dont les conseils sont éternels. Jupiter métamor- phose en pierre le monstre qui a tué ces passe- reaux. Pénétrés d’un saint respect, nous admirons ce qui est arrivé, attendant qu’un ministre des dieux nous dévoile l’ordre (les immortels. Quand le monstre envoyé par Jupiter a disparu sous les saintes hécatombes, Calchas parle ainsi: (c Enfants des Grecs , quelle frayeur vous réduit (c au silence! C’est en votre faveur, c’est pour vous cc manifester sa volonté suprême, que le dieu qui cc lance la foudre a opéré ce prodige. Il nous an- ’ cc nonce une guerre longue, dont le terme est éloi- . cc gné; mais il nous promet une gloire immortelle. (c Comme ce dragon a dévoré les huit passereaux (c et la mere après ses enfants, nous combattrohs (c pendant neuf années sous les murs de Troie , et (c détruirons dans la dixieme année la puissante (c ville de Priam a). Ainsi parle le devin , et nos yeux sont témoins de l’accomplissement de son oracle. Demeurez donc tous, héros de la Grece, jusqu’à ce que nous ayons dévastécla grande cité d’llion. Il dit : les Grecs applaudissent; les vaisseaux re- tentissent de leurs acclamations : ils admirent la sagesse du divin Ulysse. Le vieux Nestor prend la parole:

54 L’ILIADE. - Ô mes amis, dit-il, semblables à des enfants, in- capables d’atteindre à la gloire des guerriers, vous perdez le temps en vains discours. Que deviendront nos traités, nos serments, nos sages conseils, ces promesses dont les dieux furent témoins, ces en- gagements de nos mains serrées, que nous formâ- mes au milieu des festins sacrés? Combattons , gar- dons de perdre un temps précieux en vaines dis- putes , en discours interminables. Fils d’Atrée, iné- branlable dans tes desseins, guide sans différer les Grecs au combat. S’il en est parmi nous qui trem» blent, qui languissent dans une molle oisiveté, qu’ils tiennent conseil entre eux, nous saurons disç siper leurs projets; ils ne parviendront pas à nous persuader de retourner dans Argos, avant de con- nqître si Jupiter tiendra les promesses qu’il nous fit le jour que nous montâmes sur nos vaisseaux, portant la mort dans les murs de Troie. En ce jour, il me souvient que la foudre éclata sur la droite. Par ce signe certain de sa puissance, Jupi- ter nous promit le succès de notre entreprise; qu’aucun n’essaie donc de retourner dans sa pav trie, jusqu’à ce que, vengeurs du rapt d’Hélene et des gémissements que le crime de Pâris excita dans tous les cœurs , nous ayon’s joui des femmes des Troyens: la mort sera la peine de la désertion de

quiconque , persistantCHANT dans le dessein Il.de retourner 55 dans sa maison, osera seulèmentporter la main sur son vaisseau. Roi des rois, que ta sagesse décide; mais ne rejette pas les conseils des vieillards , agrée celui que je vais te donner. Divise l’armée par tri- bus , par familles; qu’une famille vienne au secours d’une famille, une tribu d’une tribu. Ëtablis cet. ordre par ta puissance, et veille à son exécution. Ainsi voyant combattre les chefs à la tête de leurs tribus , tu connoîtras quel capitaine, quel soldat est courageux, quel autre est lâche et’ timide; tu découvriras par toilmême si les conseils des dieux, ou la lâcheté et l’inexpérience des tiens, t’enlevent la conquête d’llion. ’ . Vieillard, répond le roi des hommes, Agamem- non, tu l’emportes par ta sagesse sur tous les en- fants de la Grece. Ô Jupiter, ô Minerve, ô Apol- lon, s’il étoit dans l’armée dix hommes d’une telle expérience , qui m’aidassen t de leurs conseils , bien- tôt la ville de Priam tomberoit sous nos coups; nous porterions dans ses murs la désolation et la mort. Mais le dieu qui porte l’égide, le fils de Saturne, m’accable de maux, excitant de vains combats en- tre les chefs; il sema la division entre nous; des propos injurieux aigrirent la fatale querelle que la perte d’une captive excita entre Achille et moi, et

56 L’ILIADE, je fus l’agresseur! Puisse la concorde être un jour rétablie! les Troyens n’é’chapperont pas long-temps aux maux qui les menacent. Héros, qui comman- dez l’armée des Grecs, donnez l’exemple : répa- rons maintenant par la nourriture nos forces abat- tues; livrons-nous ensuite aux fureurs de Mars : . que chacun aiguise sa pique, prépare son bouclier, donne à ses coursiers la pâture convenable, les at- tele à son char; mesurons nos forces contre l’en- nemi dans un combat qui dure tout le jour; ne cessons de’combattre que la nuit ne nous sépare, quand nos baudriers seront ternis de la sueur qui découlera de tous nos membres, qu’elle aura péné- tré la courroie qui les serre; contre notre poitriw ne, lorsque , maniant le pesant javelot, nos bras se- ront fatigués , que la sueur imbibera les harnois que nos coursiers auront portés pendant tout le jour. Malheur a celui que je trouverai oisif dans ses vaisv seaux , ou fuyant dans le combat! il n’échappera pas à la mort; son corps sera la proie des chiens et des vautours.Il dit: les Grecs applaudissent; ’ leurs cris retenç tissent au loin: ainsi mugit contre la rive escarpée l’onde écumeuse poussée par le vent du midi, qui se précipite du sommet d’un promontoire que les flots tumultueux environnent, éternel théâtre des

CHANT 11. 57 combats des vents. Tous se dispersent dans leurs vaisseaux; la fumée s’éleve des tentes; ils prépa- rent le repas du matin; chacun s’empresse de faire des libations aux dieux immortels; ils leur deman- dent d’échapper aux fureurs de Mars. Le roi des hommes, Agamemnon, ayant immolé au maître des dieux un bœuf gras, de cinq ans , invite au fes- tin sacré les vieillards, les chefs de l’armée des Grecs, Nestor avant tous les autres, le roi Idomé- née, les deux Ajax, le fils de Tydée, Ulysse, que la sagesse de ses conseils égale aux immortels. Mé- nélas arrive sans être invité ; car il connoît la tendre amitié de son frere, et partage les soins dont il est occupé. On amené le bœuf; ils l’environnent, en- levent les gâteaux sacrés. Au milieu (les chefs de l’armée , le roi des hommes , Agamemnon , adresse à Jupiter cette fervente prierez Grand Jupiter, dont l’univers publie la gloire, à la voix duquel les nuées obéissent, dont le trône est placé dans les airs, que le soleil ne quitte point l’horizon, que la nuit n’étende point ses voiles sur la terre, que je n’aie renversé le superbe palais de Priam , que la flamine n’ait consumé les portes éle- vées de la grande cité de Troie, que la tunique d’Hector n’ait été déchirée par mes mains, que’je n’aie brisé sa cuirasse , enfoncé mon glaive dans 1. 8

58 L’ILIADE, son cœur, qu’autour de lui ses braves compagnons n’aient mordu la poussière! Il dit: le fils de Saturne reçoit ses sacrifices; mais il n’exauce point encore ses vœux: ce succès doit être le fruit de longs travaux. Les prieres achevées, l’orge sacrée enlevée, ils égorgent la victime , la dépouillent, séparent les cuisses, placent dessus des morceaux détachés de toutes les parties, les recouvrent d’une double grais- se , les approchent d’un feu ardent, dont ils accrois- sent l’activité à l’aide de branches dépouillées de leurs feuilles , percent avec des broches les entrail- les de la victime, les placent sur le feu; ayant brû- lé les cuisses, et dévoré les entrailles, ils partagent les autres parties , enfoncent des broches dans cha- que portion , les assaisonnent convenablement, les retirent du feu, se livrent aux douceurs d’un agréa- ble festin : l’abondance, la douce égalité, répan- dent la joie dans tous les cœurs. Quand le désir du boire et du manger est appaisé, le vieux Nestor parle ainsi: Illustre fils d’Atrée , roi des hommes, Agamem- non, hâtons-nous de nous livrer aux travaux que Jupiter nous impose; que les hérauts se dispersent, que les vaisseaux retentissent de leurs voix sonores; que les Grecs s’assemblent, qu’ils se préparent au

combat; marchons àCHANTIL la tête de l’armée des Grecs; H provoquons les Troyens. Il dit: Agamemnon ordonne aux hérauts d’ap- peller les Grecs de leurs voix sonores. Ils obéis- sent; leurs cris se font entendre au loin; les Grecs s’animent l’un l’autre; ils arrivent en foule; les rois, enfants de Jupiter, se rangent, suivant leur ordre, autour du fils d’Atrée. Secouant son égide immor- telle , incorruptible, d’un prix infini, qu’environ- nent cent franges d’or nouées avec art, dont cha- cune est du prix de cent bœufs , la déesse aux yeux bleus, Minerve , les accompagne. Remarquable par cette brillante armure, la déesse vole (le rang en rang, enflamme le courage des Grecs, inspire à tous l’ardeur du combat; la guerre seule a mainte- nant des charmes à leurs yeux, ils la préferent au retour dans leur patrie. Comme la splendeur du feu s’étend dans une forêt embrasée au sommet des montagnes , ainsi l’airain étincelant qui brille sur le corps des enfants de la Grece, dans cette marche rapide, perce la nue, éclaire l’horizon. Semblables à des bandes nombreuses de canards, de grues, ou de cygnes au long cou, qui volent çà et là, expri- mant leur joie par les mouvements de leurs ailes , et s’abattent sur les marais de l’Asie, près des on- des de Caïstre; le lac retentit de leurs cris : telles

60 ’ L’ILIADE, les bandes de Grecs sortis de leurs tentes et de leurs vaisseaux s’assemblent dans la plaine arrosée par les ondes du Scamandre; la terre gémit sous les pas des hommes et des coursiers. Ils arrivent par milliers dans les prairies verdoyantes et fleuries que baigne le Scamandre: aussi nombreux que les feuil- les et les fleurs que l’aurore voit éclore dans le prin- temps; aussi nombreux que les essaims des mou- ches qui se répandent sous l’humble toit du pas- teur, attirées par les sources de lait qui coule en abondance dansles vases destinés à cet usage,quand le soleil, ayant chassé les frimats, rajeunit la nature: tels les Grecs, enflammés d’une ardeur martiale, se réunissent dans la plaine, impatients de livrer aux Troyens un sanglant combat. Comme les ber- gers séparent avec facilité les troupeaux confondus: ainsi les chefs de l’armée des Grecs qui les guident au combat divisent les nations, les tribus, les fa- milles. Le roi des rois, Agamemnon, paroit au mi- lieu d’eux, semblable par son regard, par sa tête auguste , au dieu qui lance la foudre; l’image du dieu Mars, par la majesté de son port; l’image de Neptune, par ses larges épaules, et sa vaste poi- trine: ainsi, au centre d’un immense troupeau, un taureau vigoureux efface les animaux qui l’environ- nent par sa démarche noble et fière, par la rapidité

de ses mouvements;CHANT Jupiter a relevé en II. ce jour 61 la majesté du roi des rois par-dessus tous les héros de la Grece. Muses, qui habitez le palais de l’olympe, car le fils de Saturne vous éleva au rang des déesses, vous savez toutes choses; ce que les mortels n’appren- nent que par la renommée, souvent trompeuse, vous en êtes instruites z apprenez-moi, ô Muses, les noms des rois qui commandoient l’armée des Grecs; car je n’entreprends pas de nommer cha- cun de ceux qui, confondus dans la foule, combat- tirent sous les murs de Troie. Quand j’aurois dix langues, dix bouches, une poitrine d’airain, une voix infatigable, je n’y pourrois suffire: je me bor- nerai à nombrer les vaisseaux, à nommer les chefs qui les commandoient; Muses , qui habitez l’olym- pe, daignez les rappeller à ma mémoire.

Dénombrement des vaisseaux, ou Béotie.

Pénélée, Léitus, Arcésilas, Protliénor et Clo- nius, commandent les Béotiens, dont les cités sont nombreuses. Les uns habitent Hyrié et l’Aulide pierreuse consacrée aux dieux, Schœnos Scôlos, Ètéone environnée de montagnes, Thespie, Graie, Mycalesse. D’autres qui bordent le fleuve Harma, habitent Ilesium et Érythrées, Éléon, Hylé, Pé-

62 L’ I L I A D E, ’ téone, Ocalée, la belle ville de Médéone, Côpas, Eutrésis et Thisbé, abondante en colombes; d’au- tres, Coronée et Haliarte, fertile en pâturages; Platée, Glissa et la superbe ville d’Hypothebes. La sont les peuples qui habitent Oncheste, célèbre par sa forêt consacrée à Neptune : ici les nations qui peuplent Arné, fertile en raisins; Midée, la di- vine Nissa; enfin, àtI’extrémité du territoire, An- thédone. Ces nations ont cinquante vaisseaux; cha- que vaisseau porte cent vingt guerriers. ’ Les habitants d’Aspledon et d’Orchomène de Minye ont à leur tête deux frères , Ascalaphus et Ialmenus , tous deux fils de Mars. Ils naquirent dans le palais d’Actor, fils d’Azée, d’Astioché, vierge respectable usqu’au our auquel l’invincible Mars eut un commerce secret avec cette nymphe, au sommet du palais de son pere. Trente vaisseaux rangés par ordre signalentla puissance de ce peuple. Schédius et Épistrophus, fils du magnanime Iphi« clus, fils de Naubod, commandent les Phocéens; les uns habitent Cyparisse, la pierreuse Pytho, la divine Crissa, et Daulis etPanope; les autres, Ané- morée, Hyampolis; d’autres bordent le divin Cé- phisse, d’autres enfin habitent Liléa, près de la source du Céphisse. Ils ont quarante vaisseaux pla- cés à la gauche de ceux des Béotiens.

Le léger Ajax, filsCHANT d’Oïlée, commande les Il.Lo- 63 criens. Plus petit de taille que le fils de Télamon, vêtu d’une simple cuirasse de lin, il surpasse tous les Grecs, tous les Achéens, dans l’art de lancer le javelot. Les Locriens habitent Cynus , Opunce, Calliare, Besse, Scarphé, l’agréable Augée, Tar- phé et Thronion sur les bords du Boagre, au-delà des rives sacrées de l’isle d’Eubée. Quarante vais- seaux les ont apportés. Les Abantes, qui respirent la guerre, habitent l’isle d’Eubée, Chalcis, l’Érétrie , Histiée aux vi- gnes fertiles; les uns peuplent Cérinthe, située sur [le bord de la mer, et la haute ville de Dium ; les ,” autres, Caryste et Styra. Eléphénor, fils de Calco- ’r. don, rejetton de Mars, les guide au combat. Les magnanimes Abantes le suivent d’un pas léger; la longue chevelure qu’ils laissent croître derriere leur tête flotte au gré des vents. Guerriers intré- pides , ils manient le javelot avec légèreté , impa- tients de briser d’un bras nerveux les cuirasses pe- san tes qui couvrent la poitrine de leurs ennemis. Ces peuples montent quarante vaisseaux. Les habitants de la superbe ’ville d’Athenes, au- trefois sujets d’Érechthée , marchent après eux. Ce peuple fut autrefois soumis à Érechthée, fils de la Terre, dont la fille de Jupiter, Minerve, prit soin

64 L’ILIADE, dès ses plus jeunes ans, qu’elle plaça elle-même dans le vaste temple, enrichi des offrandes des na- tions ,’consacré à son culte dans la ville d’Athenes. La de jeunes hommes , enfants des Athéniens, s’efforcent, après un certain nombre d’années, de rendre, par de pompeux sacrifices de taureaux et d’agneaux, la déesse favorable à leurs vœux. Mé- nesthée , fils de Pétéus, les guide au combat; Mé- nesthée qu’aucun n’égale dans l’art de ranger une armée en bataille, dans l’art de rendre docile au frein un coursier indomté. Nestor seul, plus vieux que lui, peut lui être comparé. Les Athéniens mon- tent cinquante vaisseaux. Ajax se joignit à eux, amenantde Salamine douze vaisseaux. Ce hérOs campoit près du quartier des Athéniens. Ceux-ci habitent Argos, Tirynthe, fameuse par ses hautes murailles, Hermioné et Asiné, qui dop minent sur un golfe profond; Trézène, Èiones et le riche vignoble d’Épidaure. Ceux-là, sous la con. duite du vaillant Diomede et de Sthélénus, fils de Capanée, arrivent d’Égine et de Masète. , égal aux dieux, Euryale, fils de Méchistée , qui fut fils de Talaïon, se joignit à eux. L’incomparable Diomede commande à tous ces peuples. Quatre- vingts vaisseaux les ont apportés.

CHANT II.’ 65 Les habitants de la grande ville de Mycenes, de la riche Corinthe, de Cléones, bien bâtie, d’Or- nées , de l’agréable Aréthurée , de Sicyone , où Adraste régna autrefois, d’Hypérésie, de Gonoesse, située sur une haute montagne, de Pellene, d’Égion, et des cités éparses sur la côte maritime de la vaste Hélicé. Cent vaisseaux les ontçapportés. Le fils d’Atrée , le roi Agamemnon, est à leur tête; les peuples les plus courageux, les plus nombreux , lui obéissent. Fier de sa puissance, il marche couvert d’une cuirasse d’un airain étincelant; son autorité l’élève au-dessus de tous les héros de la Grece: car le commandement lui fut déféré sur tous les Grecs, comme au plus puissant, à celui qui règne sur des peuples plus nombreux. Ceux-ci habitent la grande ville de Lacédé- mone, Pharès, Sparte, Messe, abondante en co- lombes, Brysée, l’agréable Augée , Amyclée , la ma- ritime Hélos, Laas et OEtyle. Le vaillant Ménélas, frere d’Agamemnon, est à leur tête. Ils montent soixante vaisseaux. Quoique dans la même contrée, les quartiers des deux fils d’Atrée sont séparés. Le vaillant Ménélas , au milieu d’eux , les anime par ses paroles et par ses exemples. Ce héros souf fie dans leurs aines l’ardeur du combat: punir le crime de Pâris, tirer vengeance des larmes et des 1. 9

66 i L’ILIADE, gémissements de son épouse, et du remords qui la consume, tel est l’objet de ses vœux. Ces guerriers s’arment à l’écart. Ceuxquihabitenthlos,l’agréableArene,Thryos, ou l’Alphée est guéable, la superbe ville d’AlÊpy, Cyparisse , Amphigénie, Ptélée , Hélos et Dorion , où les Muses firent taire Thamyris, le Chantre de la Thrace, à son retour du palais d’Eurytus dans OEchalie. Il se vantoit deremporter la victoire sur les Muses : les filles de Jupiter, irritées, le pri- verent de la vue , effacerent de sa mémoire ses chants divins; l’harmonieuse cithare devint re- belle sous ses doigts. Le vieux Nestor, savant dans l’art de dom ter des coursiers vigoureux, commande ces peuples. Quatre-Vingt-dix vaisseaux, rangés par ordre, les ont apportés. Une troupe nombreuse de guerriers arrive de l’Arcadie, près la haute montagne de Cyllene et du tombeau d’Épytius; valeureux combattants, ils ha- bitent Phénéos, Orchomene, abondante en trou- peaux, Ripée , Stratia, Énispé , agitée par les vents , Tégée et la délicieuse Mantinée, Stymphale et Parrhasie. Le brave Agapénor, fils d’Ancée, les commande. Soixante vaisseaux les ont apportés. Le fils d’Atrée, le roi des hommes, Agamemnon, a fourni les vaisseaux avec lesquels ils ont fendu le

CHANT Il. 67 sein de la plaine liquide; car ces peuples n’ont au- cune expérience de la mer. Ceux-ci habitent Buprasium, la divine Élis, et . tout le terrain qui s’étend depuis Hyrminé , Myr- sine , et la roche Olénienne , jusqu’à Alesium , dans l’intérieur des terres; ils obéissent à quatre chefs, a AmphimaqueetThalpius, l’un fils de Ctéate, l’autre d’Eury tus fils d’Actor, au vaillantDiorès, fils d’Ama- ryncée, et àPolyxene, fils d’Agasthene, dont le père fut le roi Augée, égal aux dieux. Dix vaisseaux, mon- tés par les nombreux Épéens, obéissent à chacun de ces rois. Ceux-là arrivent de Dulichium et des Échina- des , isles sacrées que la mer sépare de l’Ëlide , commandés par Mégès, l’émule de Mars , Mégès , fils de Phylée. Phylée , l’ami de Jupiter, eut ce fils dans le temps qu’irrité contre son pere, abandon- nant l’Élide, il se réfugia à Dulichium. Ces peuples ont quarante valsseaux. Ulysse est à la tête des braves Céphaléniens, qui habitent l’isle d’Ithaque et le mont Nérit couvert de bois , dont les vents agitent l’épais feuillage , Crocylée, la montueuse Égilipe, Zacynthe, Samé, et sur le continent, l’Acarnanie , voisine de ces isles. Ils montent dix vaisseaux commandés par Ulysse, dont la sagesse égale celle des dieux.

68 - ’L’I’LIADE, Thoas, fils d’Andrémon, commande les Èto-a liens, habitants de Pleurone, d’Olenos, de Pylene, de la maritime Chalcis, de la pierreuse Calydon ; car les enfants du magnanime OEnéus n’existent plus. OEnéus est mort; Méléagre, célebre par sa beauté, n’est plus: les Étoliens ont choisi Thoas pour leur roi. Quarante vaisseaux marchent à sa suite. Idoménée, célébré par sa force indomtable, re- gne sur les Crétois, qui habitent Cnossus, Gortyne aux hautes murailles, Lyctos, Milet, Lycaste, la blanche Phesté et Rhytium, dont le peuple est nombreux; d’autres arrivent des cent villes de la Crete. Le valeureux-Idoménée et Mérion , l’émule de l’homicide Mars, les guident au combat; ils ont quatre-vingts vaisseaux. Tleptoleme, fils d’Hercule, dont la force, dont la haute taille ne peuvent être comparées à celles des autres mortels, amena de Rhodes neuf vais- seaux montés par les peuples de cette isle, partagés en trois tribus, Lindos , Ialysse et Camire , blanchie par l’écume de la mer. Tous obéissent au courageux Tleptoleme, né du commerce secret d’Hercule et d’Astyoché. Ayant dévasté des cités nombreuses, habitées par de jeunes guerriers , nourrissons de Jupiter, Hercule ravit Astyoché dans Éphyre, sa patrie, sur les bords du Selléis; il éleva Tlepto-

1eme dans son palais.CHANT Ayant tué ’Licymnius, n.son a oncle maternel, rejetton de Mars, mais affoibli par les ans, Tleptoleme construisit des vaisseaux, as- sembla un grand peuple, fendit lesein des mers, fuyant les menaces , fuyant la vengeance de la race d’Hercule. Long-temps errant sur la vaste étendue des mers , après des infortunes sans nombre , il par- vint dans l’isle de Rhodes, alors déserte , partagea son peuple en trois tribus, leur abandonna la cul- ture des terres. Jupiter, qui commande aux dieux et aux hommes , le chérit; il versa sur ses sujets d’immenses trésors. Nirée, fils de la nymphe Aglaé et du roi Cha- rope , amena trois vaisseaux de Syme. Nirée les commande; Nirée , le plus beau de tous les Grecs qui marcherent contre Ilion, après l’incomparable fils de Pélée, mais foible, incapable de résister aux fatigues de la guerre: les troupes qu’il commande sont peu nombreuses. Cerix qui habitent Nisyros , Crapathos , Cases et Cos , où régna Eurypyle, et les isles Calydnes , mar- chent sous les ordres de Phidippe et d’Antiphe, tous deux fils du roi Thessalus , tous deux descen- dan ts d’Hercule. Trente vaisseaux les on t apportés. Muses, dénombrez maintenant tous ceux qui, sous les noms divers de Thessaliens , d’Hellenes et

7o L’ILIADE, d’Achéens , habitent Argos la patrie des Pélasges, Alos, Alope, Tréchine, Phthie, et l’Helladelaux belles femmes. Cinquante vaisseaux les ont appor- tés. Leur chef, c’est Achille; mais ils ont oublié les travaux de la guerre, personne ne les range en bataille, personne ne les mene au combat. L’in- ’ domtable Achille demeure dans ses vaisseaux, ir- rité contre Agamemnon qui lui ravit Briséis , sa belle captive, Briséis, le prix de ses travaux qu’il obtint dans Lyrnesse, après la conquête de cette grande cité , ayant détruit les hautes murailles de Thebe, ayant percé de son javelot Mynétus et Épistrophus , valeureux guerriers, fils du roi Éve- nus, qui eut Sélépias pour pere. Le fils de Pélée, irrité , semble plongé dans un sommeil profond; mais il ne tardera pas à se réveiller. Les habitants de Phylacé et de l’agréable - sos , où une sombre forêt est consacrée à Cérès: les habitants d’Itone; nourrice de moutons , d’Antron, voisine de la mer, de Ptélée, fertile en pâtiirages. Protésilas, l’émule de Mars, fut leur roi. Enfermé maintenant dans la tombe, une veuve qu’il a laissée à Phylacé meurtrit ses joues dans la douleur qui l’accable; le palais qu’il élevoit dans cette grande cité ne sera point achevé. Un Troyen a percé le vaillant Protésilas lorsque, devançant tous les en-

CHANT 11. 71 fants de la Grèce, il s’élançoit le premier sur les rives de Troie. Les peuples sur lesquels il régna le pleurent; mais le trône qu’il occupa n’est point demeuré vacant. Podarcès, rejetton de Mars, fils (l’Iphiclus de Phylacé , riche en brebis, riche en agneaux, le frere puîné du magnanime Protésilas, guide ces nations au combat, les range en bataille. Podarcès est du sang des rois; mais le grand Proté- silas , l’émule de Mars, fut son ainé; il l’emportoit sur lui par les qualités qui font les héros. Les peu- ples. ne manquent pas de conducteur; mais. ils regrettent les vertus et l’intrépide courage de Pro- tésilas. Quarante vaisseaux les ont apportés. Les nations qui habitent Phérès , près du lac Bœbéis; les habitants de Bœbé , de Glaphyre et de la superbe ville d’Iolcos. Eumélus, fils d’, est à leur tête; onze vaisseaux le suivent. Admete fut fils d’Alceste , la plus belle des filles de Pélias. Ceux-ci habitent Méthone et Thaumacie, Mé- libée et Olizon , située sur un roc escarpé. Philoc- tete, savant dans l’art de bander l’arc , de lancer les fléchés, fut leur guide. Sept vaisseaux de cin- quante rameurs , adroits archers, guerriers coura- geux , marchent à sa suite; mais leur roi est ab- sent, il éprouve des douleurs aiguës dans l’isle sa- crée de Lemnos , où les Grecs l’ont abandonné.

72 L’ILIADE, Tourmenté par un ulcere affreux que lui fit la mor- sure d’un serpent venimeux, étendu sur le sable de cette isle déserte , il souffre des maux extrêmes; bientôt les Grecs seront contraints de, se souvenir de leur roi Philoctete. Les peuples sur lesquels il régna ne manquent pas de conducteur; Médon les guide au combat; Médon, fils naturel d’Oïlée, que Rhéna eut d’Oïlée, le destructeur des cités: mais ils regrettent le héros qu’ils ont perdu. Ceux-là habitent la ville de Tricca et la mon- tueuse Ithome, d’autres OEchalie, la cité d’Eurytus, fils d’OEchalius : deux enfants d’Esculape regnent sur ces nations, tous deux savants médecins, Po- dalire et Machaôn. Trente vaisseaux les ont apq

Les habitants d’Orménium, les peuples voisins portés.de la fontaine Hypérée, ceux qui habitent i Astéw rion et les sommets toujours cOuverts de neige du mont Titane , sont commandés par Eurypyle, l’il- lustre fils d’Évemon. Quarante vaisseaux les ont apportés. Les nations qui habitent Argisse, Gyrtone, Or- the , Élone, et la blanche Oloosson. L’intrépide Polypete, fils de Pirithoiis, qui fiat fils de Jupiter, les commande. La célèbre Hippodamie, épouse de Pirithoüs, mit au monde Polypete, le jour air-

quel son époux punitCHANTIL les Centaures, monstres cou- fi verts de poils, dont l’aspect est affreux. Pirithoüs les chassa du Pélion , les poursuivit jusqu’aux mon- tagnes Éthiques; mais il ne dut pas sa victoire à sa seule valeur : le magnanime Léontée , fils du va- leureux Coronus fils de Céné , rejetton de Mars, étoit avec lui. Ces peuples arriverent aux champs, troyens sur quarante vaisseaux. Gunée amena de Cyphos vingt-deux vaisseaux; les Éniens, les Pérebes, infatigables dans les tra- vaux de la guerre, marchent à sa suite. Les uns ha- bitent les montagnes toujours glacées de ; les autres , les campagnes fleuries que baigne le Titarese, qui se jette dans le Pénée: mais ce fleuve orgueilleux ne mêle pas ses eaux limpides aux on- des argentées du Pénée; il le traverse comme un torrent huileux, et se précipite sous la terre, d’où il tire sa source, branche du Styx, par lequel les dieux n’osent jurer en vain. Prothoüs , fils de Tenthredon , commande les. Magnésiens , qui habitent les bords du Pénée et les sommets ombragés du Pélion. Prothoüs, léger à la course, règne sur ces peuples, les guide au com- bat. Quarante vaisseaux marchent à sa suite. Tels sont les chefs et les rois de l’armée des Grehs. Muse, dis-moi maintenant quels furent les 1. 10

74 L’ILIADE, plus Courageux des héros soumis aux ordres du fils d’Atrée; quels coursiers furent les plus vigoureux et les plus légers. Eumélus, fils de Phérès, surpasse tous les autres par la vigueur, par la légèreté de ses cavales, dont la rapidité égale le vol des oiseaux. De même poil, de même âge, leur crinière flotte sur leurs vastes épaules comme les épis agités par les vents; le dieu que son arc d’argent distingue entre tous les immortels, en prit soin dans la Pié- rie; leurs larges narines impriment la terreur et ’ respirent la guerre. Ajax, fils de Télamon, fut le plus valeureux des mortels , tant que dura la colère d’Achille; car aucun ne peut être comparé à l’in- vincible fils de Pélée; nuls coursiers n’égalent la légèreté des rapides coursiers d’Achille : mais il demeure dans ses vaisseaux, irrité contre le fils d’Atrée, Agamemnon, le pasteur des peuples. Ses Thessaliens s’exercent sur le rivage à jouer au dis- que, à lancer le javelot, à tirer des fleches; leurs Chevaux dételés cueillent, près de leurs chars, le lotos, le sélénus, les herbes des prés fleuris. Les chars d’AChille, ceux des héros soumis à ses or- dres, ces chars légers , dont la solidité égale la sou- plesse , reposent dans les lieux qui leur sont desti- nés, attendant que leur invincible maître se’ ré- veille ; les troupes d’Achille sont disPersées.

CHANT II. 75 Cependant l’armée s’avance; la campagne est ravagée comme si un vaste incendie l’eût dévastée , comme si Jupiter irrité l’eût frappée des éclats de son tonnerre : semblable à la terre qui environne le mont Typhée, au pays des Ariméens, où l’on dit qu’est le tombeau du géant , que.la fou- dre frappe sans cesse; telle la glebe desséchée re- tentit sous les pas des guerriers; ils traversent avec rapidité la plaine qui les sépare de Troie. Envoyée par Jupiter, la légère s’élance d’un vol rapide, portant aux Troyens cette terrible non! velle. Tous , jeunes et vieux, accourent en foule au. palais de Priam; l’assemblée de la nation se forme devant la porte de l’auguste demeure des rois. Iris approche; elle a pris la figure et la voix de Poli tès, l’un des fils de Priam , que les Troyens, se confiant dans la légèreté de sa course, ont placé au sommet du tombeau du vieillard Ésyétès, qu’ils ont chargé d’observer les mouvements de l’ennemi. Sous la forme de ce jeune héros , la légère Iris tient à Priam ceLa langage: vérité a toujours accès ’ auprès de toi, ô vieil- lard: e te portai autrefois des paroles de paix; main- tenant je t’annonce une guerre sanglante. J ’assistai à plusieurs combats; jamais je ne vis armée si for- midable que celle qui marche aujourd’hui contre

76 L’ILIADE, Troie; le nombre de ces guerriers, impatients de combattre sous nos murs, égale l’immense quan- tité de feuilles qui naissent au printemps, ou la profusion des sables de la mer. Hector, c’est en tes mains que notre sort est remis. Grand nombre d’al- liés sont accourus au secours de cette cité célebre; ils arrivent de pays éloignés; ils n’ont ni les mêmes usages, ni la même langue; chacun des chefs donne, dans sa langue , le signal aux troupes qu’il com- mande. Hector , guide les Troyens au combat, range-les en bataille, commande à nos concitoyens, commande à nos alliés. Elle dit: docile à la voix de la déesse, qu’il re- connoît, malgré la forme qu’elle a prise pour se dérober à la vue des mortels, Hector rompt l’as- semblée; tous se hâtent de s’armer; les portes de la ville s’ouvrent; une infanterie, une cavalerie nom- breuse sortent des murs de Troie; un bruit terrible s’éleve usqu’aux nues. Il est dans la plaine une émi- nence; les hommes la nomment Batiée; les im- mortels, le tombeau de l’agile Myrinne : c’est en ce lieu que les Troyens etleurs nombreux alliés se ran- gentLe vaillant en Hector, bataille. fils de Priam, commande’ les Troyens; un superbe panache flotte sur sa tête. Sous ce héros, des troupes nombreuses et Choisies

CHANT’II. 77 se préparent au combat; il leur tarde d’enfoncer leurs javelots dans le flanc de l’ennemi. Énée, fils d’Anchise, est à la tête des Darda- niens. La déesse de la beauté, Vénus, éprise d’a- mour pour un mortel, donna ce fils à Anchise, dans les sombres forêts qui couvrent les sommets de l’I- da. Deux fils d’Anténor, Archiloque et Acamas, savants dans l’art des combats, marchent aux cô- tés du fils d’Anchise, partagent le commandement avecLes habitants lui. de Zélée, au. pied l du mont Ida, qui boivent l’onde noire de l’Ésépus, riches en troupeaux, Troyens d’origine, son t commandés par Pandarus, fils de Lycaon , à qui Apollon fit don de l’arc dont il est armé. 1 Les nations qui habitent Adrastée, la cité d’A- pésus, la Pitye et la haute montagne de Téréis, marchent sous les ordres d’Adraste et d’Amphius, qui portent une cuirasse de lin, tous deux fils de. Mérops , fils de Percosius. Leur pere , le plus éclairé des augures , fit de vains efforts pour les empêcher de s’engager dans ces combats destructeurs de la race humaine: il ne put les persuader; car les des- tins avoient marqué aux Champs troyens le terme de leurs jours. Ceux qui habitent Percoté , Practios, ,

,78 L’ILIADE, - et la divine Arisbé, ont à leur tête Asius, roi des nations;Asius, fils d’Hyrtacus, que des cour- ’ ’ siers d’une taille élevée, aussi vîtes que l’air, ont amené aux champs troyens, d’Arisbé , sa patrie, sur les rives du Selléis. Hippothoüs marche à la tête des nombreux Pé- lasgiens, habitants de la fertile Larissa; Hippothoüs et Pylée, tous deux rejettons de Mars, fils du Pé- lasgien Lithus, qui fut fils de Teutamès. Acamas et le héros Piroüs commandentles Thrao ces et tous les peuples que l’Hellespont bruyant environne de ses ondes. Euphémus, fils de Trézenus, qui eut pour pere Cée, le nourrisson de Jupiter, est à la tête des bra- ves Ciconiens. Pyrechmus guide au combat les Péoniens, qui portent des arcs recourbés. Ces peuples viennent de pays lointains , d’Amydon , et des rives du grand fleuve , qui verse sur la terre ses eaux hm-

L’intrépide Pylamenès commande les Paphla- goniens, qui font partie des Énetes, la patrie des pides.mules sauvages. Ces peuples habitent . et Sésame ; ils ont des villes puissantes près du fleuve Parthénius,’, Égialée et la haute cité d’Év rythine.

Odius et ÉpistrophusCHANT sont à la tête des Il. Halizo- 79 niens, loin d’Alybe, leur patrie, abondante en mi- nes d’argent. Chromis et l’augure Ennomus commandent les Mysiens; mais l’intelligence de la langue des oi- ’ seaux ne le garantira point du trépas : il tombera sous les coups du valeureux descendant d’Éacus;le Xanthe roulera son corps dans ses flots, dans ce terrible carnage qu’Achille fera des Troyens sur les

’ Phorcysrives et Ascanius,de ce dont fleuve. la beauté égale celle. des immortels, sont à la tête des Phrygiens, loin d’Ascanie , leur terre natale; car le desir de signaler leur courage dans cette guerre fameuse les trans- porta sur Ces rives lointaines. Mes thlès et Antiphus, tous deux fils dePylemene, commandentlesMéoniens, qui habitentau pied du Tmolus , sur les bords du marais Gygée. N astès regne sur les Cariens, qui parlent une langue barbare. Ces peuples habitent Milet, les sommets ombragés des montagnes de Phthéiros , les bords du Méandre et les hautes montagnes de Mycalé. Amphimaque et Nas tès les guident au com- bat; tous deux fils de Nomius, tous deux d’une écla- tante beauté. Amphimaque marche à la guerre, paré comme une nymphe; l’or brille sur son armure:

8o. L’ILIADE, CHANT Il. insensé! cet or ne le préservera point du trépas; il tombera sous les coups du descendant d’Eacus; son corps sera précipité dans le Xan thé; Achille s’em- parera de sa riche armure. Enfin Sarpédon et l’irréprochable com- mandent les peuples arrivés des extrémités de la Lycie et des ondes tortueuses du Xanthe.

L’ I L I A DE. CHANT III.

Il

ARCUMENT

Semblables à des grues, les Troyens marchent au combat avec de grands cris; les Grecs s’avancent en silence. Pâris sort des rangs , provoque les Grecs, et recule à la vue de Ménélas. Vifs reproches , qu’il essuie; de le! part d’Hector; ils font impression sur son ame. Pâris consent de terminer la guerre par un combat singulier entre lui et Ménélas, et de rendre, s’il est vaincu, Helene et les richesses qu’elle a apportées. Hector et Ménélas contiennent les Troyens et les Grecs. Assise à côté de Priam, d’Anténor et des vieillards, sur la haute tour d’llion, Hélene fait connoître à Priam les chefs de l’armée des Grecs. Le héraut arrive, porteur des paroles de paix. Traité, serments solemnels. Le combat s’engage entre Pâris et Mé- nélas. Pâris est vaincu; Vénus l’enleve,le reporte dans son palais, y ramene Hélene. Remords de la fille de Tyndare; vifs reproches qu’elle adresse à Pâris, et cependant elle cede à son amour. Agamemnon réclame l’exécution du traité. .

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L’ILIADE.

C Hl-A N T III.

Pâris et Ménélas combattent pour Hélené.

LES deux armées réunies sous leurs chefs sont rangées: en bataille. Les Troyens s’avancent dans la plaine avec de grands cris; un bruiteffroyable ’ se fait entendre, semblable aux sifflements d’une troupe d’Oiseaux: tels les cris des grues percent la nue, quand,.fuyant les glaces et les pluies de l’hi- ver, elles s’envolent avec fracas vers les rives de l’OCéan, portant la guerre et la mortà la race des pygmées, ou lorsqu’au retour du printemps elles reviennent dans nos climats troubler le repos des habitants de l’air. Les Grecs marchent en silence, respirant la vengeance, animés du violent desir de signaler leur courage,et de se soutenir l’un l’autre dans la mêlée: tel le vent du midi, soufflant avec violence du sommet des montagnes, assemble les nuées, et verse sur la terre un brouillard obscur, .la terreur dupasteur, plus favorable que la nuit au voleur qui s’avance à pas lents pour’se saisir de sa

84 L’ I L I A D E, proie; la vue la plus perçante ne peut suivre la pierre que la main a lancée, tant sont épais les tourbil- lons de poussiere qui s’élevent de dessous les pas des guerriers! Les deux armées franchissent avec rapidité l’espace qui les sépare. Pâris, dont la beau- té égale celle des immortels, brille hors des rangs dans l’armée des Troyens. Ses épaules sont cou- vertes d’une peau de léopard; un arc recourbé, un carquois rempli de fleches y sont suspendus; un large baudrier soutient son épée; il agite dans ses mains deux javelots armés de l’airain étincelant, et. provoque au combat les plus valeureux d’entre les enfants de la Grece. L’ami du dieu de la guerre, Ménélas, le voit; son aine tressaille de joie. Tel, malgré la rapidité des chiens, malgré les cris de jeunes chasseurs, un lion, pressé par la faim , se ré- jouit à la vue d’un grand cerf ou d’une chevre sau- vage qu’il Se dispose à dévorer: tel Ménélas s’ap- prête à venger sur le beau Pâris le rapt d’Hélene; couvert de ses armes, il s’élance de son char. Pâ- ris , dont la beauté égale celle des immortels, le voit hors des rangs dans l’armée des Grecs; son cœur est brisé, il recule, se confond dans la foule des siens, fait effort pour échapper au trépas. Comme le voyageur recule a la vue d’un fier dragon qu’il apperçoit dans une sombre vallée; ses genoux treme

CHANT 111. 85 blent, une pâleur livide est répandue sur son front, il se hâte de gravir la montagne escarpée: d’une course non moins rapide , Pâris fuit à l’aspect du fils d’Atrée,’et se confond dans la foule des Troyens. Témoin de cette fuite honteuse , Hector lui adresse ces reproches amers: Homme foible et timide, lâche séducteur, qui n’as qu’une vaine apparence, capable d’en imposer à des femmes éprises de ta beauté, plût aûx dieux que tu ne fusses pas né, ou que la parque eût tran- ohé le fil de tes jours avant ton fatal ! ta mort nous seroit plus utile que ta vie. Opprobre de ta nation à la face des étrangers, objet de dérision aux valeureux enfants de la Grece, qui, te ugeant par la majesté de ton port et par ta beauté , te croyoient un guerrier courageux, quand ton ame est sans force et sans vigueur; de quel front, assemblant de hardis compagnons, as-tu osé traverser les mers sur des vaisseaux légers , aborder en des pays loin- tains, ravir dans une terre étrangere la plus belle des femmes , l’épouse, la sœur d’hommes coura- geux? Ainsi tu devins le fléau de ton pere , de ta ville, de ta nation, la risée des ennemis, l’oppro- bre de toi-même. Que n’attendois-tu le divin Mé- nélas, l’ami du dieu de la guerre? Il t’eût fait con- noître de quel héros tu possedes l’épouse chérie.

86 tL’ILIADE,’ Ni les sons harmonieux de ta cithare, ni les dons de Vénus, ni ta beauté, ni ta brillante chevelure, ne t’eussent dérobé à ses coups; le sang, la pous- siere eussent souillé tes blonds cheveux. J’admire la patience des Troyens; s’ils ne respectoient en toi la race de leurs rois, depuis long-temps la mort seroit la juste récompense de tes forfaits. Tes reproches sontustes, e les ai mérités,répond le beau Pâris. Hector, laforce de tes discours, que soutient ton intrépide valeur, ressemble à une ha-l che tranchante, dirigée par un bras vigoureux, qui pénètre la dureté du Chêne; un artiste habile s’en sert pour fabriquer un vaisseau léger destiné à fen- dre le sein des mers: ainsi le courage indomtable qui vit dans ton ame passe dans tes paroles. Cesse de me reprocher les dons de la blonde Vénus: glo- rieuses pour ceux qui les obtiennent, les faveurs des immortels ne doivent être méprisées de per- sonne; lés dieux les donnent ou les refusent à qui il leur plaît. Tu m’imposes l’obligation de com- battre; ordonne aux Troyens et aux Grecs de sus- pendre le carnage; seul je paroîtrai au milieu de l’arene; seul je combattrai le divin Ménélas, l’ami du dieu de la guerre; Hélène et ses richesses seront le prix du vainqueur: qu’il emmene son épouse; qu’un traité solemnel, cimenté par la religion du ser-

CHANT HL: æ men t,confirmel’alliancedes deuxnations.Troyens, habitez la fertile Phrygie; Grecs ,’ retournez dans Argos , abondante en haras, dans l’Achaïe, la patrie des belles femmes. Il dit: l’ame d’Hector est réjouie entendant ces: paroles. Tous les arcs sont tendus sur lui, toutes les frondes agitées. Ne redoutant ni les fleches, ni ’ les pierres, il s’avance entre les deux armées: pre- nant son javelot par le milieu, il contient les pha- langes troyennes. D’autre part, le roi des hommes, Agamemnon, arrête l’impétuosité des Grecs : En- fants de la Grece , s’écrie- t-il , suspendez vos coups, l’intrépide Hector vous porte des paroles de paix. Il dit : le combat cesse; tous gardent un pro- fond silence. S’adressant aux deux armées , Hector p’arle ainsi: Troyens, etvous , courageux enfants de la Grèce, écoutez les propositions de Pâris , l’au- teur de cette fatale querelle : cc Que tous les Grecs, cc que tous les Troyens laissent reposer leurs armes (c sur la terre, nourrice des humains; seul, dit-il, cc je combattrai Ménélas, l’ami du dieu de la guer- (c re; Hélene et ses trésors seront le prix du vain- (c queur: qu’un traité solemnel, cimenté par la re- (c ligion du serment, confirme l’alliance des deux cc nations a). i Ainsi parle Hector; tous gardent le silence.

88 L’ILIADE, Le vaillant Ménélas, prenant la parole : Grecs et Troyens, écoutez-moi, dit-il, mon ame est affli- gée à la vue des maux que vous souffrez, à la vue des maux que je vois prêts à fondre sur vos têtes, pour ma querelle et celle de Paris, le premier au- teur de cette guerre. Que celui de nous que la par» que destine au trépas périsse seul, que les autres se séparent. Amenez un agneau mâle, d’une écla-v tante blancheur, et une brebis noire; offrons l’un au Soleil, l’autre à la Terre; immolons un agneau mâle à Jupiter: que Priam vienne sceller notre traité du sang des victimes, qu’il le confirme par la religion du serment. Amenez le roi Priam; car ses enfants sont orgueilleux; leur foi est incertaine. Se confiant dans leurs forces, de jeunes guerriers sont difficilement contenus par les promesses les plus solemnelles; je craindrois que l’un d’eux ne transgressât les saints nœuds de l’allianqe que nous allons contracter; mais la prudence est l’apanage de la vieillesse : scellant notre traité , le vieux Priam portera ses regards sur le passé et sur l’avenir, pour l’avantage des deux nations. Il dit: l’espérance de voir la fin de cette guerre cruelle porte la joie dans l’ame des Grecs, dans l’ame des Troyens. Ils arrêtent leurs coursiers, les rangent par ordre dans la plaine, s’élancentde leurs

CHANT HL m chars, dépouillent leurs armures, les déposent sur la terre; les armes des Grecs, celles des Troyens se touchent, tant est court l’espace qui sépare les deux armées! Hector se hâte d’envoyer deux hé- rauts à la ville; il leur ordonne d’amener les deux agneaux, d’inviter Priam à venir cimenter le traité d’alliance. Le roi Agamemnon charge le héraut Tal- thybius d’aller aux vaisseaux, d’amener un agneau mâle. Talthybius part, docile aux ordres du divin Agamemnon. Cependant Iris porte à Hélene cette agréable nouvelle. La déesse a pris la forme de Laodice, - belle-sœur d’Hélene, l’épouse du valeureux Héli- caon , fils d’Anténor, la plus belle des filles de a Priam. Occupée dans l’intérieur de son palais à tresser un voile immense d’un éclat merveilleux, la fille de Tyndare trace sur ce voile les terribles combats des Grecs et des Troyens, les fureurs de Mars, les durs travaux que sa fatale beauté impoSa aux deux armées. La messagere des dieux, lalégere Iris , approche, lui parle ainsi: Belle nymphe, chere à mon cœur, leve-toi, lui dit-elle , sois témoin d’un spectacle enchanteur. Les Troyens, célebres dans l’art de soumettre au frein des coursiers indomtés , et les fiers enfants de l’a Grece , que la fureur du carnage transportoit, des- 1. 12

96 L’ILIADE, cendus dans la plaine pour un sanglant combat, assis maintenant en silence , reposentsurleurs bou- cliers; leurs longs javelots sont enfoncés dans la terre; la guerre est finie: Pâris seul et Ménélas, l’ami du dieu de la guerre, combattront pour ta conquête; tu seras nommée l’épouse chérie du vainqueur. Ainsi parle la déesse, et elle souffle dans l’ame d’Hélene un violent desir de se réunir à son pre- mier époux, de revoir sa ville natale, d’embrasser ceux de qui elle reçut le jour. Se levant avec pré- ’cipitation, elle couvre son visage d’un grand voile d’une éclatante blancheur; des larmes de oie cou- lent de ses yeux; deux esclaves la suivent, Aitrée , fille de Pitthée, et la belle Clyméné. Ainsi accom- pagnée, la fille de Tyndare marche vers le lieu où furent les portes Scées. Panthée, Thymétès, Lam- pus, Clytius, Hicétaon, rejetton de Mars, Ucalé- gon et Anténor, vieillards renommés par leur sa- gesse, par leur longue expérience, les chefs, les conseils de la nation, assis près de cette porte, en- vironnent le vieux Priam. Affaissés sous le poids des ans, leurs corps sont incapables des fatigues de la guerre; mais, orateurs puissants, ils ressem- blent à des cigales placées sur des chênes, dont les voix, plus douces que les accords de la lyre , reteni-

CHANT 111. 91 tissent dans une vaste forêt. Tels sont les chefs des Troyens réunis sur la tour qui domine la porte Scée. A la vue d’Hélene, qui s’avance vers eux, ils tien- nent un conseil secret: On ne doit être ni sulpris ni indigné, se disoient-ils l’un à l’autre, que les Troyens et les braves enfants de la Grèce souffren t tant de maux, depuis tant d’années, pour une telle femme. Sa beauté égale celle des immortelles. Qu’elle parte cependant; qu’elle remonte sur ses vaisseaux; que, retournantdans sa patrie, elle cesse d’entraîner notre ruine et celle de nos enfants. Ils parlent ainsi; mais Priam , élevant la voix, adresse à Hélène ces douces paroles : Approche , ma chère fille, prends place près de moi, jouis de la vue de ton premier époux, de tes parents, de tes ’ amis; tu n’es pas la cause des maux qui nous acca- blent, mais les dieux, qui m’entraînerent dans cette guerre, Source de tant de larmes, contre les valeu- reux enfants de la Grèce. Nomme-moi ce héros que la majesté de son port distingue entre tous les autres. Il est parmi les Grecs des hommes d’une taille plus élevée; mais je ne vis jamais tant de beauté, tant de graces réunies dans un mortel; il ressemble à un roi. ’ Ô mon respectable beau-père , que j’aime et révere, répond Hélène , la plus belle des femmes,

92 L’ILIADE, plût aux dieux que, le jour auquel je marchai sur ’ les pas de ton fils, abandonnant le lit de mon pre- mier époux, mes parents, ma fille unique encore au berceau, mes chères compagnes, je fusse des- cendue dans les sombres demeures de Pluton! Les dieux immortels en ont autrement ordonné; la honte est sur mon front, mes larmes flétrissent ma 1 beauté. Je satisferai cependant à tes questions, je te nommerai celui que tu désires connoître; c’est le fils d’Atrée, le puissant Agamemnon , bon roi, guerrier valeureux. Malheureuse! il est mon beau- frère, ou plutôt il le fut. Heureux fils d’Atrée, roi des Grecs , chef puis- sant d’une nombreuse etbrillante jeunesse, répond le vieux Priam saisi d’admiration à la vue de la ma- jesté d’Agamemnon, le Destin te départit le bon- heur au jour de ta naissance. Je parcourus autre- fois la Phrygie , célèbre par la fertilité de ses vignes; I j’y vis les nombreux Phrygiens, savants dans l’art de manier de vigoureux coursiers, sujets d’Otrée et du divin Mygdon; je les vis rangés en bataille sur les rives du Sangar; j’étois auxiliaire dans cette armée; je partageai leurs exploits en ce jour où les Amazones, ces femmes d’un courage viril, entre- rent sur leurs terres: mais l’immense armée des Phrygiens n’approchoit ni du nombre, ni de la force de celle des valeureux enfants de la Grèce.

CHANT HL, fi AppercevantUlysse: qume-moi encore celuia ci, ô ma chère fille, s’écrie le vieux Priam; moins grand de toute la tête que le fils d’Atrée, ses épau- les, sa poitrine sont plus vas tes; il semble plus fort, plus nerveux; ses armes reposent sur la terre: sem- blable à un bélier qui, chargé d’une épaisse toison , parcourt un grand troupeau , ce héros, paSsant de rang en rang, maintient l’ordre dans l’armée des Grecs. * ç C’est le fils de Laërte, le prudent Ulysse, ré- pond Hélène , la fille de Jupiter. Élevé dans les rochers de l’isle d’Ithaque, savant dans toutes les ruses de guerre, sa sagesse est le plus ferme rem- part des Grecs. . Femme , s’écrie le sage An ténor, tu as parlé avec vérité : Ulysse arriva autrefois dans Ilion avec le di- vin Ménélas, députés l’un et l’autre par les Grecs pour te réclamer; je leur donnai l’hOSpitalité, je les reçus avec amitié dans mon palais, j’éprouvai la sagesse de leurs conseils et les ressources de leur génie. Quand ils parurent dans l’assemblée des Troyens, tous deux debout, Ménélas surpas- soit Ulysse de la hauteur de ses larges épaules, mais le fils de Laërte avoit plus de majesté. Lors- qu’ils exposerent au peuple le sujet de leur ambas- sade, Ménélas parlaavec précision et fermeté, sans

94 ,L’1L1ADE, s’écarter du but, ni s’épuiser en discours superflus. Ulysse se lève après lui; ses yeux baissés regardent la terre , son sceptre immobile demeure incliné derrière lui, il semble embarrassé : on eût dit qu’il manquoit de sens. Mais quand il tira les paroles de sa vaste poitrine, elles coulèrent comme les neiges se fondent après les glaces de l’hiver; aucun mor- tel n’eût osé disputer contre lui. La force de ses discours, le charme de son éloquence nous entraî- noient sans nous permettre d’admirer sa noble pres- tance et sa beauté. Et cet autre , qui surpasse tous les Grecs de toute la tête, de toute la hauteur de ses larges épaules, reprend le vieux Priam? son regard est fièg; c’est sans doute un grand roi, un guerrier magnanime. C’est Ajax, répond Hélène, la plus belle des femmes, le terrible Ajax, le plus ferme appui de la Grèce. La Idoménée, au centre de ses Crétois , ressemble à un dieu;’lès chefs des Crétois l’envi- ronnènt z lié à Ménélas par les nœuds de l’hospitali- té, e le reçus souvent dans notre palais quandil y ar- rivoit de la Crète, sa patrie. Je reconnois les autres héros de la Grèce; je les vois tous assemblés; il me seroit facile de les nommer: mais il est deux héros que je n’appèrçois pas, mes deux frères; Castor, savant dans l’art de soumettre au frein un coursier

CHANT 111. 95 indomté; Pollux, célèbre par ses victoires dans les périlleux combats du ceste etde la lutte. Un même sein nous reçut; peut-être on t-ils refusé d’abandon- ner le séjour de l’agréable Lacédémone , pour mar- cher aux champs troyens avec l’armée des Grecs; peut- être ayant traversé les mers dans des vais- seaux légers , refusent-ils maintenant de combattre sous les murs de Troie , honteux de l’opprobre que mon crime imprime sur leurs fronts. Elle parle ainsi; car elle ignore que la tombe en- ferme les dépouilles mortelles de ses frères, dans la superbe ville de Lacédémone, leur terre natale. . Cependant les deux hérauts transportent par la ville les agneaux dont le sang doit sceller le traité affermi parla religion du serment; une outre épaisse, formée de la peau d’une chèvre sauvage, renferme le plus doux des fruits de la terre, le vin qui ins- pire la gaieté. Tenant dans ses mains une urne écla- tante, lehéraut Idée s’approChè du vieux Priam. Lève-toi, fils de Laomédon, dit- il; les chefs de l’armée des Troyens, savants dans l’art de dom ter ç des coursiers légers, les chefs de l’armée des Grecs, t’invitent à descendre dans la plaine , pour y sceller un traité d’alliance; Pâris seul et Ménélas, l’ami du dieu de la guerre, armés de longs javelots, se disputeront la conquête d’Hélene; Hélène et ses

96 L’ILIADE, trésors seront le prix du vainqueur; l’amitié sera rétablie entre les deux nations. Liés par un traité solemnel affermi par la religion du serment, nous habiterons en paix, nous, la Troade; les Grecs, Argos, abondante en haras, et l’Achaïe, la patrie des belles femmes. ’ Il dit: le vieillard frémit. Cependant il appelle ses compagnons, leur ordonne d’atteler. ses cour- siers à son char. Ils obéissent; Priam monte, les guides sont remises dans ses mains , il contient l’ar- deur de ses coursiers. An ténor s’assied près de lui. S’élançant de la porte Scée , les légers coursiers vo- lent dans la plaine , franchissent avec rapidité le court espace qui sépare les deux armées. Priam et Anténor descendent du char , s’avancent majes- tueusement au milieu des Troyens et des Grecs. Le roi des hommes, Agamemnon, et l’industrieux Ulysse s’e lèvent à leur approche; les hérauts ame- nent les animaux dont le sang doit sceller le traité , mêlent le vin dans l’urne sacrée, et répandent une onde limpide sur les mains des rois. Saisissant un glaive pur, que le sang humain n’a point souillé, qu’il porte suspendu à son baudrier, près de sa re- dou table épée, Agamemnon détache des poils de la tête des victimes, les remet aux mains des hé- rauts; ils les distribuent aux chefs des deux armées.

CHANT 111.. 97 Les mains élevées vers le ciel, haussant la voix, le fils d’Atrée pronence ces terribles imprécations: Ô Jupiter, qui domines sur l’Ida, le plus grand des dieux, à la puissance duquel rien ne résiste; et toi, soleil, qui vois tout, qui entends tout; terre, et vous, fleuves, qui l’arrosez de vos ondes bienfai- santes ; divinités infernales, qui punissez les mor- tels violateurs de leurs serments, soyez témoins de nos engagements et garants de notre traité. Si Pâ- ris , vainqueur, donne la mort à Ménélas, qu’il garde Hélene et ses trésors , remontons sur nos vaisseaux, retournons dans notre patrie; mais si Ménélas précipite le fils de Priam dans les sombres demeures, que les Troyens nous rendent Hélène et les richesses qu’elle apporta dans leur ville, et qu’ils se soumettent à un tribut qui transmette aux races futures la mémoire de la satisfaction que les enfants de la Grèce auront reçue. Si Priam et ses enfants refusent, après la défaite de Pâris, de se rendre tributaires des Grecs, je demeure ici, je combats sous les murs de Troie jusqu’à ce que, vengeant mon injure, j’obtienne la satisfaction qui m’est due. Il dit, et enfonce le glaive dans le flanc des agneaux; ils tombent palpitants, leur vie s’exhale dans les airs. Puisant le vin dans l’urne sacrée, les 1. 13

98 L’ILIADE, hérauts le versent dans les coupes, et le distri- buent aux chefs des deux armées; ils le répandent sur la terre, adressant leurs vœux aux dieux immor-

Grand Jupiter, le plus puissant des dieux, et vous,tels: divinités qui peuplez’ le ci’el, la terre, et les enfers, soyez témoins de l’alliance que nous con- ’ tractons. Que le crâne de celui qui violera ce traité garanti par nos serments soit brisé; que son sang coule sur la terre comme le vin que nous répan- dons; que sa postérité soit anéan tiè; que son épouse I adultère l’abandonne pour se prostituer à des étran:

Il dit: mais le fils de Saturne neoratifiè point ’ leurgers. alliance. Le descendant i de’ , Priam , prenant la parole: Troyens, dit-il, et vous, braves enfants de la Grèce, écoutez-moi. Je retourne dans Ilion ; car je ne soutiendrois pas de voir Pâris, ce fils que j’aime tendrement, engagé dans un combat périlleux con- tre Ménélas, l’ami du dieu de la guerre: que J upi- ter et les autres immortels tranchent le fil des ours de celui des deux que le destin a dévoué à la mort. Ainsi parle ce roi, dont la bonté égale celle des immortels. Plaçant lui-même les victimes sur son char, il y monte, et contient l’ardeur de ses cour-

CHANT 111. 99 siers, attendant qu’Anténor prenne place à ses cô- tés; ils se hâtent de rentrer dans Troie. Cependant le fils de Priam, Hector, et le divin Ulysse mesurent l’espace dans lequel les deux guèr- riers doivent combattre, et en fixent les limites; leurs marques sont reçues dans un casque d’airain , Hector et Ulysse les remuent: le sort décidera le- quel des deux héros lanceraçlè premier son javelot. Elevant les mainsvau ciel, les deux armées adres- sent leurs vœux aux immortels: A Grand Jupiter, père des dieux et des hommes, qui, du sommet de l’Ida , domines sur l’univers , que celui qui fut le premier auteur de cette guerre cruelle soit précipité dans les sombres demeures; donne-nous de vivre en paix, de garder la foi pro- mise, confirmée par nos serments. Ainsi ils prient: le vaillant Hector, détournant la vue, agite les sorts dans le casque; il en tire la marque de Pâris. Distribués par bandes dans la plaine , sous les chefs qui les commandent, les Grecs et les Troyens s’asseyent sur la terre; leurs armes, leurs chars sont près d’eux; leurs coursiers impatients frappentla terre à coups redoublés. L’é- poux de la belle Hélène , le divin Pâris, endosse sa brillante armure, couvre ses jambes et ses cuisses de superbes brodequins, attachés avec des agraffès

100 L’ILIADE, d’argent; la cuirasse de son frère.Lycaon, artiste- ment ajustée a sa taille, défend sa poitrine; une large épée d’airain , ornée de clous d’argent, est sus- pendue à son épaule; un bouclier solide, d’une vaste étendue, est dans ses mains; sur sa tête brille un casque effrayant, surmonté d’un panache de crins de cheval, qui flotte au gré des vents : saisis- sant un lourd javelot, il l’ajustè à sa main. Ménélas s’arme de son côté. Ayant ainsi endossé leurs ar- mures, loin de la foule, dans un lieu écarté, lan- çant l’un sur l’autre de terribles regards, ils s’avan- cent dans l’espace mesuré , à la vue des Troyens et des Grecs; leur aspect imprime la terreur. Parve- nus à la portée du trait, ils,s’arrêtent, agitent leurs javelots; la fureur est peinte dans leurs yeux. Lançant le premier le pesant javelot, le fils de Priam atteint le bouclier de Ménélas , mais ne peut le percer; l’airain luisant qui couvre ce solide bon-- clier résiste à ses efforts, la pointe aiguë est é- moussée. S’élançant sur Pâris, le fils d’Atréè adresse à J u- piter cette courte prière: Roi des dieux et des hommes, donne-moi de punir le coupable Pâris, qui m’a provoqué par ses forfaits. Venge mon injure; que le châtiment de cet hôte impie qui osa violer les droits de l’hospi-

talité, qui ravit l’épouseCHANT de celui qui le reçut Ill. avec 101 amitié dans son palais,’effraie les races futures. Il dit; et, imprimant a son javelot un mouvement rapide, il le lance, perce le bouclier, déchire dans le flanc la tunique du fils de Priam qui s’incline pour éviter la mort; la pointe aiguë pénètre dans la solide cuirasse, et s’y arrête. Armé de sa redou- table épée, Ménélas fond sur lui: d’une main il soulève le panache de son casque; de l’autre il lui porte un coup si terrible au sommet ombragé du casque d’airain, que, brisé en mis et quatre parts, le glaive échappe de ses mains. Tournant vers le ciel ses yeux baignés de larmes , il s’écrie: Père des dieux et des hommes, ô Jupiter, est- il quelque divinité plus cruelle que toi? J’avois conçu l’espoir de tirer vengeance du crime de Pâ- ris; mon glaive s’est brisé dans mes mains; mon ja- velot a atteint l’adultere Pâris, et n’a pu le percer. Il dit; et, s’élançant de nouveau, il saisit le pa- nache de crins de cheval, se retourne, entraîne le fils de Priam vers l’armée des Grecs. Tendue avec force par le bras du fils d’Atrée, la brillante cour- roie qui attache le casque au menton meurtrit la chair délicate du beau Pâris. Il l’eût entraîné jus- ques aux bandes nombreuses des enfants de la Gre- ce, une gloire immortelle eût été sa récompense,

162 ’ L’ILIADE, si, témoin du péril qui menace les jours de Pâris, la fille de Jupiter, Vénus, n’eût brisé dans sa main la solide courroie, ne lui laissant qu’un casque vui- dè, auquel il imprime d’un bras nerveux un mou- vement rapide par les cercles qu’il lui fait décrire, et le lance dans l’armée des Grecs; ses braves com- pagnons le reçoivent. Impatient de venger son in- jure, le javelot tendu, le fils d’Atrée se jette dans la mêlée, poursuit le lâche Paris; il est prêt à le sai- sir: mais la puissance divine le dérobe à sa vue; Vénus , l’enveloppant d’un nuage obscur, l’enlève, le transporte dans la chambre parfumée, théâtre de ses criminelles amours. Aussitôt prenant la forme de la plus vieille des femmes d’Hélène, qu’elle chérit par-dessus toutes les autres, qui préparqit ses laines à Lacédémone , courbée sous le poids des années, la déesse des jeux et des ris s’empresse d’annoncer à’la fille de Tyndare le retour de son époux. Elle la trouve as- sise sur la haute tour d’Ilion , entourée des Troyen- nes. Imprimant adroitement un léger mouvement au voile qui la couvre : Suis-moi, ma chère fille, lui dit Vénus, Pâris t’invite à revenir au palais; tu le trouveras sur le lit nuptial, couvert de superbes vêtements; mais sa beauté surpasse leur éclat: sem- blable à un danseur qui se prépare à montrer dans

à) une fête sa légèretéCHANT et sa grace, ou qui, III. de retour 103 de la danse, se repose mollement sur un lit parfu- mé, tu ne pourrois te persuader qu’il sort d’un pé- rilleux combat. Elle dit: l’ame d’Hélène est émue; mais elle ne tarde pas à reconnoître Vénus. L’agréable con tour du cou de la déesse , l’éclat de ses yeux, ce sein qui appelle les amours, la décelènt malgré les rides étendues sur son front. Effrayéè, elle s’écrie: Di- vinité cruelle, pourquoi, par une fausse apparence, essayer de m’induire en erreur? As-tu formé le pro- jet de m’enlever encore , de m’entraîner dans quel- qu’une des cités de la Phrygie ou de l’agréable Méoniè? Est-il quelque autre mortel que tu ché- risses, dont tu veuilles me rendre la conquête? Ménélas, vainqueur de Pâris, me réclame; il ou- blie mes forfaits; il consent de me ramener dans mon palais : quel motif t’engage à séduire une foi- ble mortelle? Si Pâris t’est cher, abandonne pour lui les célestes demeures, fixe ton séjour sur la terre, gémis sans cesse à ses côtés; mais sur-tout garde-le de ses propres fiireurs : attends avec pa- tience qu’il partage son lit avec toi, ou comme sa légitime épouse, ou comme sa captive. Je ne re- tourne point avec lui; je rougirois d’une telle in- constance: je redoute les justes reproches des

164 L’ILIADE, femmes troyennes; le remords qui vit au fond de mon cœur est pour moi un supplice trop cruel. Ne m’irrite point, malheureuse, répond Vénus courroucée: crains que je ne t’abandonnè, que je ne te haïsse plus que je ne t’aimai; que, rallumant le flambeau des haines qui divisent depuis si long- temps les Grecs et les Troyens, je ne te rende un objet d’horreur aux deux nations, que ta mort ne me venge de ton ingratitude. Elle dit : alarmée des menaces de la déesse, cou. verte d’un voile d’une éclatante blancheur, la fille de Jupiter, Hélène, la suit en silence. Aucune des Troyennès ne s’est apperçue de sa fuite; précédée de la déesse, elle arrive au superbe palais de Pâris: dispersées dans ce vaste édifice, les femmes escla- ves se hâtent de reprendre leurs ouvrages. Montant au sommet l’augustè demeure des rois , Hélène , la plus belle des femmes , pénètre dans la chambre parfumée où repose le beau Pâris: Vénus , la déesse des jeux et des ris, place elle-même un humble siège aux pieds du lit de son époux; la fille du dieu: qui porte l’égide, Hélène, s’y asseoit. Détournant la vue, elle adresse à Pâris ces reproches amers: Ainsi, dit-elle, tu échappes à ce terrible com- bat! Il eût été plus heureux pour moi, et plus glo- rieuxpour toi,de succomber sous les coups du hé-

ros qui fut mon premierCHANT époux. Tu te vantois III. d’ê- 105 tre plus fort, plus intrépide, plus adroit à manier le javelot que l’ami du dieu de la guerre, Ménélas: ose maintenant le provoquer; ose mesurer tes for- ces contre les siennes. Insensé! fuis plutôt un com- bat trop inégal, fuis la mort qui t’attend sous les coups du fils d’Atrée. Chère épouse, répond le beau Pâris, ne m’ac- cable pas de ces durs reproches; Ménélas a vaincu avec l’aide de Minerve : une autre fois je serai vain- queur; car les Troyens ont aussi leurs dieux tuté- laires. Goûtons en paix les douceurs du lit nuptial: jamais je ne me sentis tantd’amour; pas même lors- que, t’ayant enlevée sur mes vaisseaux à Lacédé- mone, ta patrie, nous nous livrâmes, pour la pre- mière fois, dans l’isle de Cranaé , aux transports de nos feux: telle est l’ardeur dont je me sens enflam- mé! telle est l’impatience de mes désirs! Ayant ainsi parlé, il la prend par la main, et la conduit au lit nuptial; Hélène le suit en silence. Cependant le fils d’Atrée, semblable à un lion à qui sa proie est échappée, court de rang en rang, cherchant le beau Pâris parmi les Troyens et leurs braves alliés; aucun ne peut lui découvrir la trace de ses pas. Si l’un d’eux l’eût apperçu, ni l’amour que les sujets portent à la race de leurs rois, ni les 1. 14

106 L’ILIADE, CHANT III. liens du sang, ni ceux de l’alliance, ne les eussent empêchés de le livrer au divin Ménélas; car tous le haïssoient à l’égal de la mort. Le roi des hommes , Agamemnon , élevant la voix: Troyens, Dardanièns, et vous, braves alliés . des Troyens , écoutez-moi, dit-il : la victoire de l’ami du dieu de la guerre , Ménélas , est manifeste; rendez l’argiennè Hélène et les trésors qu’elle ap- porta, et soumettez-vous à un tribut qui transmette notre victoire aux races futures. Ainsi parle le fils. d’Atrée, et tous les Grecs ap- - plaudissent.

L’ILIADE. ’ CHANTlv

ARGUMENT.

Conseil des dieux. Junon s’oppose à la paix. Minerve, descendue de l’olympe, par ordre de Jupiter, inspire à Pandarus de diriger une flèche sur Ménélas. Tandis que Machaon est occupé à panser la blessure du fils d’Atrée , les Troyens profitent du trouble pour attav quer l’armée des Grecs. Agamemnon court de rang en rang, exhorte les uns , soutient le courage des autres , adresse à d’autres de vifs re- proches. Combat sanglant.

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L’1 LIADE.

CHANTIV Conseil des dieux; Violation du traité. Les fureurs de Mars recommencent.

ASSIS surileurs trônes , sous les voûtes d’or du palais de J upi ter,les yeux fixés sur la ville de Troie, les dieux reçoivent dans des coupes d’or le nectar que leur! verse la jeune Hébé. Le fils de Saturne essaie, par un parallèle odieux et des paroles pi: quantes , d’exciter le dépit de Junon: , . Deux divinités protègent Ménélas, dit-il , Ju- non, divinité tutélaire d’Argos, et Minerve, dont le bras secourt puissamment ceux qu’elle chérit; mais elles se tiennent à l’écart, et goûtent en paix les douceurs du festin sacré. Vénus, la déesse des jeux et des ris, ne s’est pointéloignée de la sanglante arene; elle a sauvé Pâris, qui déja croyoit toucher aux portes de la mort; la déesse de la volupté l’a préservé du trépas. Cependant l’ami du’dieu de la guerre, Ménélas, est vainqueur: consultons entre nous sur les suites de ce combat; renouvellerons-

116 L’ILIADE, nous une guerre sanglante entre les deux peuples? ou, leur inspirant l’esprit de paix, maintiendrons- nous la concorde qui semble rétablie? Si ce parti vous agrée à tous, que la ville de Priam soit habi- tée, que son royaume prospère, que Ménélas ra- mène l’argienne Hélène à Lacédémone. Il dit: conjurées contre Troie, Minerve et Ju- non, assises près l’une de l’autre , expriment par leurs gestes le dépit dont leurs ames sont péné- trées. Minerve garde le silence; le respect qu’elle porte à son père la force de dévorer en secret le courroux qui vit au fond de son cœur: Junon ne peut se contenir: Cruel fils de Saturne, que dis-tu? s’écrie la déesse. Ainsi mes fatigues seroient sans fruit, mes sueurs auroient été répandues en vain; mes cour- siers sont épuisés par les travaux que j’ai exigés d’eux, pour assembler ce peuple immense qui de- voit accabler Priam et ses enfants. Fais ce qui t’a- grée; mais n’espère pas être approuvé des autres divinités.Poussant un profond soupir:. Déesse inexorable, lui répond le dieu qui assemble les nuées, quel as- sez grand forfait ont commis Priam et ses enfants, pour attirer sur eux cette haine implacable qui ne peut être satisfaite que par la ruine de cette cité

célébré? Entre toi-mêmeCHANT dans ses murs, IV.dévore 111 Priam, dévore les enfants de Priam et les autres Troyens. Qui t’arrête? peut-être alors ta haine se- ra-t-elle assouvie. Contente ton desir; que cet ob- jet ne soit plus entre nous un sujet de discorde: mais retiens ce que je vais dire. Si je conçois le pro- jet de dévaster une ville dans laquelle soient nés des mortels chers à ton Cœur, n’espère pas fléchir mon courroux; souffre en silence l’accomplisse- ment de mes volontés suprêmes: à cette condition je t’abandonne cette ville puissante, et me fais vio- lence à moi-même ; car de toutes les cités habitées par les mortels sous la voûte éthérée, il n’en est aucune que jepréferè à la sainte cité d’Ilion,àPriam, à son peuple belliqueux, dont les autels fument sans cesse en mon honneur, où je jouis d’éternels festins, d’éternellès libations, d’où la fumée de la graisse des victimes s’élève jusqu’à mon trône, seuls hommages que nous puissions recevoir des mortels. Trois villes me sont chères entre toutes les au- tres, répond Junon, Argos , Sparte, et la spacieuse Mycene; dévaste-lès si elles ont attiré ta haine, je ne t’envie pas cette gloire ,ç je ne les défendrai pas contre tes foudres: je l’essaierois en vain; car ma puissance ne peut être comparée à la tienne. Ce-

a

112 L’ILIADE, pendant, puisque je partage avec toi les honneurs suprêmes, que ma divinité a la même source que la tienne,que le Temps,dont les conseils sont éter- nels , nous donna naissance à l’un et à l’autre; puis- que, née du même sang, je suis ta sœur et ton épouse, que je règne sur les déesses quand ton èm- pire s’étend sur toutes les divinités, ne souffre pas que mes travaux soient infructueux; faisons un échange. Je t’abandonnè les cités que je possede; abandonne-moi Ilion : tout l’olympe applaudira à cet accord. Ordonne à Minerve d’aller prompte- ment rallumer le feu de la guerre entre les Troyens et les Grecs, d’engager les Troyens à violer leur serment, à provoquer au combat les enfants de la Grèce, qui s’enorgueillissentde leur victoire; qu’ils rompent l’alliance convenue entre les deux peu-

Elle dit: le pere des dieux et des hommes , cé- ples.dant à ses instances, adresse ç la parole à Minerve: Pars, lui dit-il, vole aux champs d’llion, inspire aux Troyens de violer leur serment, de provoquer au combat les enfants de la Grèce, qui s’enorgueil- lissent de leur victoire; qu’ils rompent l’alliance convenue entre les deux peuples. Minerve, ayant reçu cet ordre conforme à ses désirs, s’élance du sommet de l’olympe: semblable

CHANT 1V. 113 à un astre que le fils de Saturne détache de la voûte azurée, signal des maux qui menacent ou les matè- lots, ou des troupes nombreuses; il brille dans le ciel et laisse après lui un long sillon de lumière: telle Minerve se précipite du sommet de l’olympe entre les deux armées. A cette vue la frayeur s’em- pare des Troyens et des Grecs. La guerre , les com- bats sanglants vont-ils recommencer, se disent-ils y l’UH à l’autre?ou Jupiter, souverain arbitre de la guerre et de la paix entre les mortels, nous envoie- t-il ce signe pour cimenter notre alliance, pour af- fermir la concorde qui règne maintenant entre les deux nations? - Telles sont leurs pensées , tel est le langage des Grecs et des Troyens. .Cependant Minerve, ayant pris une forme humaine , la ressemblance de Laodo- cus, fils d’Anténor, hardi à lancer le javelot, porte ses regards de tous côtés, cherchant dans l’armée des Troyens le divin Pandarus , fils de Lycaon , guerrier courageux , habile archer : elle le voitien- vironné d’une troupe nombreuse de valeureux com- pagnons qui l’ont suivi des rives de l’Ésépus; la déesse approche , lui parle ainsi : Adroit fils de Lycaon , si tu voulois suivre mes conseils , assez intrépide pour décocher en ce mo- mentunè flechè légère sur Ménélas , tu serois chéri 1 . : 1 5

114 L’ILIADE, des Troyens , et sur-tout de Pâris,fils de Priam ;une gloire immortelle seroit ta récompense; àla vue du corps sanglant de son rival, percé de la flèche meur- trière , porté sans vie sur un triste bûcher, Paris te combleroit de riches présents. Adresse tes vœux à Apollon , qui naquit dans la Lycie , célèbre par son arc d’argent; promets à ce dieu que , de retour dans ta patrie , dans la sainte ville de Zélée , tu immoleras sur ses autels cent agneaux , prémices de tes trou- peaux. Bandè ton arc sur l’orgueilleux Ménélas. Ainsi parle Minerve: et l’insensé Pandarus , per- suadé , saisit son arc d’une corne luisante , qui orna jadis la tête d’une chèvre sauvage ; il l’attendit dans une embuscade , à la descente d’un mont escarpé , la perça dans la poitrine; l’animal tombe: le fils de Lycaon détache ses cornes longues de seize palmes; un habile ouvrier les polit, les orne de cercles d’or: tel est l’arc que le fils de Lycaon appuie contre la terre, pour le courber à l’aide du nerf qui y est attaché. Ses fidèles compagnons l’environnent, le mettent à l’abri de leurs boucliers, dans la crainte que les enfants de la Grèce, découvrant son des- sein , ne fondent sur lui avant qu’il ait frappé l’a- mi du dieu de la guerre , Ménélas , roi de la fer- tile Achaïè. Sous ce rempart, le perfide Pandarus découvre son carquois, prend une flèche neuve,

légère , source deCHANT douleurs profondes IV., la place 115 sur le nerf. Adressant ses vœux à Apollon , né dans la Lycie , célèbre par son arc d’argent, il promet à ce dieu que, de retour dans sa maison , dans la cité sainte de Zélée, il immolera sur ses autels cent agneaux, prémices de ses troupeaux. D’une main il presse la corne qu’efflèure à peine l’extrémité de la pointe aiguë; de l’autre il bande le nerf avec tant de force,qu’il touche son sein: le grand arc, décri- vant un demi-cercle , résonne sous ses doigts, se redresse avec bruit; la flèche aiguë part en sifflant, vole dans l’armée ennemie. Mais les heureux im- mortels ne t’oublient point en ce pressant danger, ô Ménélas; la déesse qui préside à l’assemblée des nations , Minerve , la fille de Jupiter, s’approche , détourne le coup mortel: telle une tendre mère écarte une mouche qui trouble le doux sommeil dans lequel les sens de son fils sont plongés; ainsi Minerve dirige elle-même la flèche aiguë à l’endroit où l’épaisseur du baudrier, attaché à la cuirasse par des anneaux d’or, forme un double rempart au corps du héros. Amortie par le baudrier qu’elle per- ce , la flèche meurtrière s’enfonce dans la cuirasse , effleure la peau du fils d’Atrée : son sang coule, semblable à une bande de pourpre , dont une fem- me de Méonie ou de Carie teint l’ivoire destiné à

116 L’ILIADE, parer le mors des chevaux; ce superbe ornement, digne du luxe des rois, est’rènfermé dans la de- meure de l’adroite ouvrière qui l’a travaillé; plu- sieurs le convoitent, il sera la parure d’un superbe coursier, la gloire de son conducteur : tel , ô Mé- nélas , le sang qui découle sur tes cuisses , sur tes jambes , sur tes chevilles , relève la blancheur de ta peau. Agamemnon frémit, l’intrépide Ménélas est effrayé; mais bientôt il se rassure à la vue des cro- chets de la flèche suspendus à son baudrier, dont l’épaisseur a amorti la rapidité que le nerf lui avoit imprimée : l’indignation se réveille-dans son aine. Poussant de profonds soupirs , le roi des hommes , Agamemnon , perce la foule des fidèles compa- gnons qui environnent le vaillant Ménélas ; prenant la main de ce frère qu’il chérit: Ô mon cher frère, lui dit-il , ainsi scellant du sang des victimes ce funeste traité , j’ordonnois ton trépas, t’exposant à combattre seul pour les Grecs contre les Troyens ! Perfides violateurs de leurs serments,ils ont osé te frapper. Le sang des agneaux, les libations que nous avons offertes aux dieux, la foi que nous nous sommes promise , les paroles solemnelles de Priam etde moi, ces liens sacrés n’au- ront pas été rompus-en vain. Quand le dieu qui ha; bite le sommet de l’olympe ne puniroit pas en ce

CHANT 1V. 117 moment le crime de la race impie du perfide Lao- médon , sa vengeance différée n’en sera que plus terrible ; elle s’appesan tira sur les Troyens ,511r leurs femmes , surleurs enfants. J’ai cette confiance dans lajirstice des dieux, qu’un jour viendra que la puis: sante cité d’Ilion tombera anéantie , que son peu- ple perfide sera dispersé , que le fils de Saturne, qui habite dans les airs, dont le trône est affermi au sommet de l’olympe, indigné de cette fraude impie, secouant sa redoutable égide, imprimera la terreur dans leurs ames : tels sont mes vœux, ils seront exaucés. Cependant, ô mon cher frère , de quelle douleur ta mort eût accablé mon cœur, si le destin eût marqué aux champs troyens le terme de ta vie ! Couverts d’ignominie , nous eussions repris la route de l’aride Argos; les Grecs découragés ne s’occuperoient en ce moment que du retour dans leur patrie; jouissant en paix du fruit de leurs cri- mes,Priam e’tles Troyens garderoien t l’argienne Hé- lene; nos projets de vengeance seroient évanouis; tes os demeureroient épars dansles plaines deTroie; l’orgueil des Troyens insulteroit à la tombe d’un héros. cc Plaise aux dieux, diroient-ils, que le cour- (c roux d’Agamemnon se réduise ainsi à de vaines cc menaces contre tous ses ennemis 1Ce roi superbe cc couvritles champs troyens d’une armée immense

118 L’ILIADE, (c de toutes les contrées de la Grèce; ses projets se .(c sont évanouis: forcé de remonter sur ses vaisseaux (c vuideg de guerriers , il a fui dans sa patrie , laissant (c dans les plaines de Troie la dépouille mortelle cc du vaillant Ménélas cc. Tels seroient leurs dis- cours. Que la terre, s’entr’ouvrant sous mes, pas , m’engloutisse avant ce temps dans ses profonds abîmes ! -Prends confiance, ô mon cher frère; cesse de porterl’alarme dans l’armée des Grecs: ma blessure , n’est pas dangereuse; mon baudrier, l’airain de ma solide cuirasse , m’ont préservé du coup mortel. Puisse-t-il être ainsi, ô mon cher Ménélas ! ré- pond Agamemnon. Cependant qu’un enfant d’Es- culape sonde ta plaie , applique sur ta blessure des simples salutaires qui calment tes cruelles douleurs. Il dit et appelle le héraut Talthybius : Hâte-toi, lui dit-il, d’amener le fils d’Esculape, Machaon , savant dans l’art de guérir les maux qui affligent les mortels; qu’il visite la blessure qu’un adroit ar- cher, entre les Troyens ou les Lyciens , a faite au divin Ménélas , l’un des chefs de l’armée des Grecs: fatale blessure , dont le Troyen triomphe , qui porte la douleur dans l’ame des Grecs. Docile a ses ordres , le héraut parcourt les ban- des nombreuses des enfants de la Grèce , cherchant

CHANTIv 1m des yeux le savant Machaon. Il le découvre assis au centre d’une foule d’intrépides guerriers qui le suivirent de Tricca , sa patrie , nourrice de coursiers vigoureux: Talthybius approche , lui parle ainsi : Lève-toi , fils d’Esculape; le roi des rois , Aga- memnon, t’appelle pour visiter la blessure qu’un adroit archer, entre les Troyens ou les Lyciens , a faite au divin Ménélas, l’un des chefs de l’armée des Grecs : fatale blessure, dont le Troyen triom- plie , qui porte la douleur dans l’ame des valeureux enfants de la Grèce. Il dit: le savant Machaon , effrayé , se lève , par- courtla vaste armée des Grecs. Parvenu au lieu où Ménélas blessé est environné des hommes les plus distingués des enfants de la Grèce, qui formentun cercle immense autour de ce mortel, l’image des dieux , perçant la foule , le savant Machaon appro- che , tire la flèche profondément enfoncée dans le baudrier du fils d’Atrée Les pointes aiguës dont elle est armée sont recourbées par laforce qu’il em- ploie pour la détacher; il enlève et le baudrier , et la cuirasse , et la bande d’airain qui y est attachée , sonde la plaie , la visite , suce le sang qui la souille , la couvre de ces simples bienfaisants que lui donna Chiron , l’ami de son père. Tandis que les chefs de l’armée des Grecs , em-

120 L’ILIADE, pressés autour de Ménélas , lui prodiguent leurs soins officieux , couverts de leurs boucliers , les ban- des des fiers Troyens approchent; les Grecs en- dossent leurs armures , se préparent au combat. Le roi des hommes , Agamemnon , accepte avec joie la bataille qui lui est offerte; la terreur n’a point accès dans son ame : un violent desir de gloire l’en- flamme. Il s’élance de son char, remet les rênes aux mains de son fidèle écuyer, Eurymédon , fils de Ptolémée , qui eut Pirée pour père ; lui ordonne de modérer l’ardeur de ses coursiers , de tenir son char près de lui , pour y remonter quand ses forces seront épuisées. Ses superbes coursiers le suivent, exprimantlèur impatience par le souffle qu’ils exha- lent de leurs vastes narines, par leurs fréquents hennissements. Le roi des rois , Agamemnon , par- court ainsi les bandes nombreuses des enfants de la Grèce. Ceux qu’il voit se préparer au combat, il ac- Croît leur ardeur par ces paroles: Prenez confiance , magnanimes enfants de la Grèce , leur dit-il; le père des dieux et des hour- mes, Jupiter, ne sera pas complice de la perfidie des Troyens; parjures, infracteurs d’un traité que leurs serments avoient cimenté , leur crime nous assure la conquête de la grande cité d’Ilion , leurs cadavres sanglants seront la proie des vautours;

leurs femmes , leursCHANT tendres enfants , IV.emmenés 121 cap- tifs , nous suivront dans la Grèce. Ceux qu’il voit sepréparer avec lenteur , il rap- pelle , par des reproches amers, le courage dans leurs ames : Archers impuissants , destinés à devenir la proie de l’ennemi, indignes d’un nom que vous flétris- sez; semblables à des faons timides qui , épuisés par la moindre course, se reposent sans force et sans vigueur : ainsi vous languissez dans une molle oisiveté , n’osantaffrontèr l’ennemi , n’osant le corn- battre. Attendez-vous que les Troyens se rendent maîtres de nos vaisseaux épars sur le rivage? Espé- r’ez-vous que le fils de Saturne étendra alors son bras puissant pour nous protéger? Il parcourt ainsi les bandes nombreuses des Grecs , donnant ses ordres à tous. Parvenu au quar- tier des Crétois, il voit les troupes que commande Idoménée endosser leurs cuirasses : semblable , par sa force, à un énorme sanglier, l’intrépide Idomé- née se montre au premier rang; Mérion anime les plus tardifs: l’ardeur qui enflamme ces guerriers porte la joie dans l’ame du roi des hommes , Aga- memnon. Adressant à Idoménée ces douces pa- roles: Idoménée, lui dit-il, dans tous les temps je ré- 1. . 16

122 L’ILIADE, compensai par d’honorables distinctions l’intrépide courage que tu montres et dans les combats etdans tous les travaux de la guerre. Quand les chefs de l’armée, appellés à de solemnels festins , mêlent dans les urnes le vin d’honneur, on le mesure aux autres: ta coupe est toujours pleine, ainsi que la mienne; tu la vuides quand la soif t’y convie. Fonds le premier sur l’ennemi, montre-toi tel que tu. fus autrefois. Fils d’Atrée, répond Idoménée, le roi des Cré- tois, je te fus cher dans tous les temps; je suis ton compagnon d’armes; tu me trouveras fidèle à rem- plir mes promesses. Ordonne aux Grecs de se hâ- ter de combattre. Les Troyens ont violé leurs ser- ments; la mort, les douleurs les attendent; ils ont les premiers rompu le traité; ils sont parjures. Il dit: le fils d’Atrée voit avec joie l’ardeur mar- tiale dont les Crétois sont animés : il les quitte, parcourt les lignes des enfants de la Grèce, par- vient au quartier des deux Ajax. Ils se couvrent de leurs casques; une troupe nombreuse de guerriers les suit, semblable à une nue épaisse que le vent d’ouest chasse devant lui : placé dans sa cabane, le pâtre vigilant apperçoit dans le lointain ce nuage obscur, qui, semblable à de la poix, s’étend sur la surface de la mer;la nue approche,portant dans son

CHANT 1V. 123 sein une horrible tempête; le pasteur effrayé ren- ferme ses troupeaux dans l’étable : ainsi les pha- langes serrées des vaillants compagnons des deux Ajax, que cachent leurs vastes boucliers, hérissées de longs javelots , souillées par la poussière qui s’é- lève de dessous leurs pas , s’avancent dans la plaine , se disposent à provoquer les Troyens au combat. Ce spectacle porte la joie dans l’aine d’Agamem- non : Invinciblès Ajax, leur dit-il, Chefs magnani- mes d’une brave jeunesse, je n’ai point d’ordres à vous donner. Inspirant aux guerriers qui marchent sous vos pas l’ardeur martiale qui vit dans vos ames, vous les avez prévenus. Plût à Jupiter, à Minerve, à Apollon, qu’une telle intrépidité enflammât tous les cœurs ! bientôt laville de Priam tomberoitanéan- tie; bientôt les trésors renfermés dans sa vaste en- ceinte seroient le prix de notre courage. Il dit, et passe à un autre quartier. Nestor, le puissant orateur des Pyliens, donne ses ordres à ses compagnons et les anime au combat; le grand Pé- lagon, , Chromius , le brave Hémon etBias, le pasteur des peuples , l’environnent. Placez les cavaliers et les chars en première ligne, leur crie le vaillant Nestor; que les gens de pied les suivent, que les plus valeureux, le rempart de nos troupes, marchent à la tête; que ceux dont le courage est

124 L’ILIADE, incertain occupent le centre; que des guerriers in- trépides ferment la phalange; qu’ils soutiennentles foiblès, et les forcent de combattre. Adressant la parole aux conducteurs des chars : Recevez, leur dit-il , mes ordres les plus importants. Co’ntenez vos coursiers, dans la crainte qu’ils ne jettent le trouble dans les rangs. Qu’aucun, emporté par son ardeur, se confiant dans son adresse à manier des coursiers vigoureux, n’entreprenne de combattre seul à seul contre les Troyens : vous seriez les plus foibles; qu’aucun. ne recule. Si l’un de vous, se précipitant de son char, s’élance sur celui de son compagnon, qu’il combatte le javelot tendu, et n’essaie pas de guider des coursiers qu’il ne connoît point;vous en serez plus forts. Ce fut ainsi que les murailles des villes tombèrent sous les coups de nos ancêtres, que des cités puissantes furent ren- versées, tant étoit grand leur courage! tant étoit grande leur intelligence! Instruit par une longue’expérience dans l’art des combats , le vieux NeStor donne ces ordres aux guerriers qu’il commande. Cette vue porte la joie dans l’ame d’Agamemnon: Ô vieillard, lui dit-il, que ta force ne répond- elle à ton courage , à la sagesse de tes conseils! mais le poids des ans t’accable comme les autres

mortels. Plût auxCHANT dieux que la loi commune 1V. s’ap- 125 pesantît sur tous , et que toi seul en fusses excepté! une éternelle jeunesse eût été la juste récompense de ta vertu. Fils d’Atrée , répond le vieux Nestor, que ne suis-je tel que je fias autrefois , quand le vaillant Eurythalion tomba sous mes coups! Mais les dieux n’accordent pas aux hommes toutes leurs faveurs. Je fus jeune autrefois; le temps de la Vieillesse est arrivé. Je combattrai cependantàla tête des chars; j’animerai leurs conducteurs par mes paroles, je les aiderai de mes conseils, seule gloire réservée aux vieillards: des hommes plus jeunes, des bras plus vigoureux manieront la pique et le javelot. Il dit: le cœur du fils d’Atrée est réjqui; il s’a- vance vers d’autres guerriers. Ménèsthée , fils de Pétéus , savant dans l’art de manier avec souplesse et légèreté des coursiers vigoureux, s’offre à sa vue , entouré des bandes nombreuses des Athéniens, artisans de terreur. .Près de ce héros , le sage Ulysse , a la tête de ses braves Céphalléniens , n’a encore fait aucun mouve- ment; car la nouvelle de la perfidie des Troyens n’est point parvenue jusqu’à lui. Déja les phalanges des Grecs et des Troyens sont ébranlées , le com- bat s’engage; ceux- ci , semblables à des tours , dei

126 .L’ILIADE, meurent immobiles. Indigné de leur apparente froi- deur, le roi des hommes , Agamemnon , leur adresse ’ ces reproches : Fils du vaillant Pétéus, roi chéri de Jupiter, et toi, Ulysse, savant dans toutes les ruses de guerre , quelle terreur vous saisit au moment du combat? ’ Attendez-vous que les autres recueillentlès lauriers qui vous furent destinés? Combattre au premier rang , vous exposer les premiers aux fureurs de Bellone , tel est votre devoir. Quand les Grecs sont invités par moi à de solemnels festins , e vous y ap- pelle les premiers; vous vous nourrissez des chairs consacrées à nos dieux; vos coupes sont remplies avant celles de tous les autres ; vous les vuidez lors- que le dçir vous y convie ; et maintenant il vous est doux de demeurer tranquilles spectateurs des combats sanglants des Grecs et des Troyens! L’industrièux Ulysse le regardant avec fierté: Fils d’Atrée , lui dit-il, quelle parole est sortie de ta bouche?lnjustement tu m’accuses de fuir le com- bat, quand les Grecs et les Troyens se disPutent la victoire dans une sanglante mêlée. Si tu doutes de l’ardeur qui m’enflamme , porte tes regards sur moi pendant l’action; tes yeux verront le père de Télé- maque combattre sans cesse au premier rang centre les perfides Troyens: alors tu te repentiras de tes injustes reproches.

CHANT IV. 127 Agamemnon , souriant de sa colère , s’empresse de se rétracter: Divin fils de Laërte, industrieux Ulysse, lui dit- il, ne t’arrête pas à de vains discours; je n’ai point d’ordres à te donner: je connois ton zele et ton amour; ton esprit te suggère toujours de salutaires conseils; les mêmes sentiments nous animent. Mar- che au combat, oublie ces vains propos; que les dieux en effacent le souvenir de ton esprit : si j’ai mal parlé , dans un autre temps je t’en ferai la satis- faction convenable. Il dit, les quitte , et s’avance vers d’autres guèr- riers. Il apperçoit le fils de Tydée , le vaillant Dio- medè , immobile sur son char; la fils de Capanée , Sthénléus, modère l’ardeur de ses coursiers. Adres- sant aux deux héros ces reproches amers : Fils du sage , du vaillant Tydée , s’écrie le roi des hommes , Agamemnon , quelle terreur s’empare de tes sens? oisif sur ton char , attends-tu l’événe- ment du combat?la crainte est indigne du fils du valeureux Tydée. Combattre au premier’rang , donner l’exemple à ses compagnons , tel est son dè- voir. Tel fut Tydée , si j’en crois ceux qui partage- rent ses travaux: car e ne me trouvai jamais engagé avec lui dans le combat; mes yeux ne furent pas témoins de ses exploits. On dit que Tydée l’em-

128 L’ILIADE, portoit sur tous les autres par son courage. Je le vis à Mycene; il y arrivoit dans un esprit de paix, ame- nant avec lui le divin Polynice , réclamant les droits de l’hospitalité , des secours , des alliés puissants, dans la guerre prête à s’engager sous les murs sacrés de . Sa demande est accueillie; les Mycé’ niens veulent marcher avec lui à ce siège fameux; Jupiter les contient par de sinistres présages. Ty» dée et ses compagnons , ayant parcouru: les nom- breuses cités de la Grèce , parviennent aux rives .dè l’ , couvertes de marais, de joncs, de ris ches pâturages. Choisi par les Achéens pour décla- rer la girerre aux Thébains, il marche vers la ville , aborde l’es chefsÜes Cadméens,assemblés dans le palais d’Étéocle pour un festin solemnel ; seul contre un grand nombre , étranger au milieu d’une ville ennemie , la crainte n’a point accès dans son amè ; il provoque les Cadméens dans tous les genres d’escrime , et remporte sur eux une facile victoire; car Minerve étoit accourue à son aide. Comme il sepdiÇôse à retourner à son camp , les Cadméens irrités , au nombre de Cinquan te, se placenten erri- buscade dans un défilé; deux chefs les comman- dent, Méon , fils d’Aimon , égal aux immortels , et l’intrépide Lycophonte, fils d’AutoPhonius: tous - tombent sous les coups du vaillant Tydée; il n’é-

CHANT 1v. .29 pargne que le seul Méon : respectant les signes vi- sibles de la protection des dieux, il le renvoie à Thèbes publier sa gloire. Tel fut l’étolien Tydée. a 4. Il a laissé un fils , orateur plus éloquent, mais foiblè dans l’action. Il dit : soumis et respectueux autant que guerrier magnanime , le vaillant Diomede garde un morne silence; le fils de l’orgueilleux Capanée prenant la parole:Fils d’Atrée , dit-i1, cdntiens . tes injustes repro- ches; tu sais la vérité, tu connois par toi-même combien nous l’emportons sur nos pères. Nous con- fiant dans les présages des dieux, dans le secours de Jupiter, en petit nombre contre une puissante armée, nous combattîmes sous les murs de Thèbes aux sept portes; cette grande cité fut notre c’on-’ quête; nos pères y avoient porté la peine de leurs crimes : ainsi notre gloire surpasse celle qu’ils se sont acquise. Con tiens tes reproches, ô mon ami,répond levail- lantDiomède , jettant surS thénélus un regard mêlé d’indignation et de tendresse ; obéis à mes con- seils , ne t’irrite point des paroles d’Agamèmnon , le pasteur des peuples: il s’efforce d’animer au com- bat les valeureux enfants de la Grece. Si les Troyens . sont vaincus , si la puissante cité d’Ilion est le prix 1. l7

130 L’ILIADE, de nos exploits , la gloire en rejaillira sur son front; le deuil et la honte de la défaite des Grecs retom- , t-beroient sur lui. Marchons au combat, montrons par nos actions l’ardeur dont nous sommes en- flammés. Il dit; et, se précipitant de son char, il marche contre-l’ennemi : le bruit de l’airain dont il est cou- vert répand au loin la terreur. Comme le flot poussé par le souffle impétueux du vent d’ouest se presse contre les bords de la mer bruyante , s’élève , et se brise avec fracas sur la rive escarpée , couvran tles dunes d’une blanche écume: ainsi s’avance avec ordre la phalange des Grecs. La voix des chefs est seule entendue; tous les autres , gardant un profond silence, écoutent et reçoivent avec respect les ordres des héros qui les guident au combat ;’les armures éclatantes dont leurs corps sont couverts répandent au loin la lumière. Tandis que , semblables aux troupeaux nombreux d’un homme riche , dont le pasteur exprime le lait dans l’étable , au milieu des bêlements alternatifs des agneaux et des brebis , les cris tumultueux de la vaste armée des Troyens percent la nue ; amas con- fus de peuples divers , elle n’a ni le même cri de guerre, ni la même langue; Mars souffle sa fureur dans leurs ames; la déesse de l’intrépide courage.

Minerve , dont l’œilCHANT est toujours serein 1V. , commande 131 l’armée des Grecs; la terreur et la fuite la pré- cedent; la Discorde , implaCable furie , sœur et compagne de l’homicide Mars , court de rang en rang, versant ses poisons dans tous les cœurs; foi- ble dans sa naissance , elle s’élève avec rapidité et cache dans la nue sa tête altière, ses pieds posent sur la terre : ainsi les deux armées s’avancent l’une contre l’autre; les casques se heurtent, les javelots se croisent, les boucliers se choquent et se brisent, la fureur vit dans l’âme des guerriers, les cris des vainqueurs , les cris des vaincus retentissent dans l’air, le sang ruisselle sur la terre. Tels les tarents grossis par la fonte des neiges se précipitent avec fracas, du sommet des montagnes; dans les vallées qu’ils inondent de leurs flots écumeux , bruit hor- rible , qui porte la terreur dans l’ame du pasteur placé sur une roche escarpée : tel l’affreux mélange des cris des vainqueurs et du désespoir des vaincus s’élève du sein des deux armées confondues. Antiloque frappe le premier un homme coura- geux , couvert du casque étincelant, qui combat hors des rangs dans l’armée des Troyens, Échépo- lus, fils de Thalysias. Le javelot du fils de Nestor pénètre dans le casque d’airain dont le panache flotte au gré des vents; l’os du crâne est brisé: les

132 L’ILIADE, 1 ombres dela mort s’étendent sur les yeux d’Éché4 polus; il tombe comme une tour au milieu d’une vaste plaine. Témoin de sa chûte, Éléphénor, le chef des magnanimes Abantes , le saisit par le pied , s’empresse de l’entraîner hors de la mêlée , d’em- pêcher le vainqueur de s’emparer de ses armes. Tentative funeste ! courbé sur le corps d’Échépo- lus , Eléphéno-r laisse son flanc découvert; le vail- lant Agénor le perce de son javelot: ses forces l’a- bandonnent’, sa vie s’exhale dansles airs. Son corps sanglant excite un affreux carnage; héros contre héros , Grecs et Troyens se livrent de terribles combats : tels des loups furieux se disputent leur proie. Le jeune Simoïsius , fils d’An thémion , tombe sous les coups .d’Ajax , fils de Télamon : tendre fleur que sa mère , descendant de l’Ida, où elle visitoit ses nombreux troupeaux avec ceux qui lui avoient donné l’être, mit au monde sur les bords du Simoïs , qui lui donna son nom; sa vie fut courte ; les auteurs de ses jours ne seront point récompensés des soins qu’ils prirent de son enfance. Ajax, fils de Télamon, le voits’avancer vers lui;il le frappe dans la poitrine, sous la mamelle droite; armée d’airain, la pointe aiguë se fait jour entre ses épaules: il tombe , sem- blable àun peuplier planté sur les bords riants d’un vaste étang; sa tige est droite, sa tête ornée de

CHANT 1V. 133 branches nombreuses; le charron qui le destine à former le timon d’un superbe char-le frappe de la cognée armée de l’airain tranchant; il tombe, on le dépouille, il Sèche sur les rives du marais où il prit naissance : ainsi Ajax dépouille le corps san- glant de Simoïsius , fils d’Anthémion , sur les rives du Simoïs,quile vitnaître. Témoin de ce spectacle ’ affreux, le fils de Priam, Antiphus, dont le pana- che flette au gré des vents, lance son avelot ; l’arme meurtrière s’égare , perce le flanc de Leucus , valeu- reux compagnon d’Ulysse , dans le temps qu’il fait effort pour entraîner hors du champ de bataille le corps sanglant de Simoïsius: la précieuse dépouille échappe de ses mains. Irrité de la mort de son com- pagnon , couvert du casque étincelant, le fils de Laërte s’élance hors des rangs, s’arrête devant l’ar- . mée des Troyens, frappe de tous côtés , lançant de terribles regards. Les Troyens reculent effrayés. Sous ses coups tombe Démocoon , né d’un com- merce secret de Priam dans la fertile Abydè , où il fut élevé.’A peine des coursiers légers l’ont-ils déposé dans les champs troyens , que le javelot d’Ulysse l’atteint dans la tempe; la pointe aiguë pé- nètre et sort par l’autre tempe : les ombres de la mort s’étendent sur ses yeux, il tonrbe ; le bruit de ses armes retentit au loin. Les plus vaillants d’entre

134 L’ILIADE, les Troyens, Hector lui-même, reculent effrayés: les Grecs , poussant des cris de joie, s’empressent d’enlever les corps sanglants de leurs compagnons. Du sommet de la tour de Pergame , Apollon les voit s’avancer d’une marche rapide; indigné, il appelle à grands cris les Troyens : ACcourez , Troyens, leur dit-il: pourquoi céder la victoire aux enfants de la Grèce ? Leurs corps son t-ils de pierre ou d’acier, inaccessibles aux coups du javelot? Achille, le fils de Thétis , ne combat point dans leur armée; irrité contre Agamemnon, il exerce une terrible vengeance en s’abstenant des combats. Ainsi leur crie, du haut de la tour d’Ilion , ce dieu redoutable qui protège les Troyens. D’autre part, la fille de Jupiter , Minerve , passant de rang en rang dans l’armée des Grecs, soutient leur ardeur, souffle le courage dans l’ame de tous ceux qu’elle voit se ralentir. Dans cette journée les parques tran- chèrent les jours de Diorès , fils d’Amaryncus , le chef des Thraces. Pirée , fils d’Imbrachus , arrivé depuis peu au secours des Troyens , lance une pierre énorme; le roc raboteux atteint Diorès à la cheville droite; les os sont brisés, les tendons rompus; il tombe expirant dans la poussière, levant vers ses compagnons ses mains suppliantes : Pirée s’é-

CHANT 1V. 135 lance, le frappe de son javelot dans le nombril; ses entrailles répandues tombent à terre , les ombres de la mort l’environnent. L’étolien T hoas fond sur Pirée, le frappe dans la poitrine , sous la mamelle gauche; l’arme meurtrière demeure enfoncée dans le poumon. Thoas approche; retire son javelot, saisit sa redoutable épée, en perce le fils d’Imbra- chus; sa vie s’exhale dans les airs: mais il ne peut s’emparer des armes du vaincu ; car les Thraces , géants énormes , au front chauve , agitant dans leurs mains leurs longs javelots , environnent leur chef. Quelque élevée que soit la taille de Thoas , quelque ardeur qui l’ènflamme, quelle que soit son intrépi- dité , les Thraces l’écartènt du corps sanglant de Pirée , le forcent de reculer. Ainsi tombent sous les coups l’un de l’autre, couverts de lourdes cui- rasses , le chef des Thraces et le chef des Epéens; grand nombre de héros les accompagnent dans les sombres demeures. Un guerrier que Minerve eût préservé des traits de l’ennemi pour le rendre juge de ce combat, courant dans tous les rangs sous l’égide de la déesse, témoin de tous les faits de guerre de cette mémorable journée, n’eût observé dans les deux armées ni foiblesse, ni relâchement dans les travaux guerriers. Grand nombre de Grecs,

136 L’ILIADE, CHANT 1v. grand nombre de Troyens mordirent la poussière, étendus près l’un de l’autre dans la place sur lav quelle ils avoient combattu,

L’ILIADE. CHANT V.

ARGUMENT. PROTÉGÉ par Minerve , Diomede donne la mort au perfide Pan- dams , et accable Énée du poids d’un rocher qu’il lance sur lui dans le combat. Vénus dérobe son fils au trépas. Le fils de Tydée la pour- suit et la blesse à la main. Dioné la console. Mort de Tleptoleme sous le javelot de Sarpédon. Junon et Minerve secourent les Grecs. Mars est blessé par Diomede, avec l’aide de Minerve. Ses plaintes à Jupiter ; reproches qu’il essuie. Péon guérit sa blessure.

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L’ILIADE.

CHANT V. Le fils de Tydée blesse Vénus et Mars:

CE 1211111) ANT Minerve, pour manifester aux yeux de tous les Grecs l’intrépide courage de Diomedè , fils de Tydée , etlui acquérir une gloire immortelle , souffle la constance dans son ame; le feu jaillit’de son casque , de son bouclier , semblable à l’astre brûlant des étés quand il s’est baigné dans les flots de l’Océan : auSsi vif est l’éclat qui environne la tête et les larges épaules-du vaillant Diomede. Mi- nerve le pousse au fort de la mêlée, où le nombre des ennemis est plus grand, le péril plus imminent. Il étoit parmi les Troyens un homme riche, ir- réprochable, prêtre de Vulcain; il se nommoit Da- rès: ses deux fils , Phégus et Idée, savants dans tous les genres de combats, l’appui de sa vieillesse, p01;- tés sur un même char par d’agiles coursiers, sortent des rangs pour fondre sur le fils de Tydée, qui com- bat à pied. Parvenus à la portée du trait, Phégus lance son javelot; la pointe aiguë vole au-dessus de

’14o L’ILIADE, l’épaule gauche de Diomede, et s’égare. Le javelot tendu, le fils de Tydée s’élance; l’arme meurtriere n’échappe pas en vain de sa main: frappé dans la poitrine, au-dessous des mamelles, le Troyen est renversé de son char. Témoin de la mort de son ’ frère, n’osant le venger, Idée se précipite du char brillant sur lequel il est monté , abandonne le corps sanglant de Phégus. Sa firite ne l’eût pas dérobé au coup mortel, si Vulcain , l’enve10ppant d’un nuage épais, n’eût volé à son aide. Ému d’une tendre pi- tié pour un père infortuné, ce dieu ne permet pas que la cruelle mort lui ravisse toute consolation dans sa vieillesse. S’élançant sur le char des vain- cus , le fils de Tydée l’éloignè du champ de bataille, remet les rênes aux mains de ses compagnons , leur ordonne de conduire aux vaisseaux et le char et les coursiers. A la vue de la défaite des deux fils de Darès, l’un tué sur son char , l’autre en fuite , les Troyens se troublent. Minerve rencontre le dieu Mars , l’arrête , lui parle ainsi : Mars, Mars, le destructeur de la race humaine; qui te plais dans le sang , qui renverses les murs des plus grandes cités, laissons les Troyens etlés Grecs se livrer un sanglant combat; cessons de prendre part à cet affreux carnage; Jupiter disposera de la victoire suivant ses éternels décrets : retirons-nous; craignons d’irritèr le plus puissant des dieux.

CHANT v. .41 Elle dit; et, entraînant le terrible dieu de la guerre hors du champ de bataille , elle le fait as- seoir sur les rives fleuries du Scamandre. Aussitôt les Troyens ploient sous les coups des Grecs; chacun des chefs perce l’ennemi qui lui est opposé . Le roi des hommes, Agamemnon , renverse de son char le grand Odius, le chef des Halizo- niens. Il fuit; Agamemnon l’atteint de son javelot entre les deux épaules; le javelot pénètre et sort par la poitrine : il tombe; le bruit de ses armes re- tentit au loin. Idoménée donne la mort à Phestus, fils du Méonien Borus, nouvellement arrivé au se- cours de Troie de la fertile Tarné, sa patrie. Il ré- montoit sur son char; le javelot du vaillant Idomé- née le frappe dans l’épaule droite: il tombe , les ombres de la mort l’environnent; les compagnons d’Idoménée dépouillent son corps sanglant. Le ja- velot du fils d’Atrée, Ménélas, donne la mort à Scamandrius, fils de Strophius , habile chasseur, qu’Artémise forma elle-même dans l’art de percer de ses flèches tous les animaux qui peuplent les forêts et habitent les antres escarpés des monta- gnes. Ni son adresse , ni ces flèches invincibles dont il s’enorgueillit, ne le préserveront du coup mor- tel. Il fuit; Ménélas vole sur ses pas, le perce de son javelot entre les deux épaules; la pointe aiguë

142 L’ILIADE, pénètre , et sort par la poitrine: il tombe; le bruit de ses armes retentit au loin. Sous le avelot de Mé- rion tombe Phéréclus , le fils de. l’adroit Harmori , savant dans l’art de construire toutes sortes de ma- chines; Minerve le chérit pardessus tous les autres mortels. Ignorantles oracles des dieux, il construisit les vaisseaux légers qui portèrent Pâris sur la plaine liquide: funeste entreprise, source des maux qui fondirent sur les Troyens et sur lui-même ! Phé- réclus fuit; Mérion s’élance, le frappe par derrière, au-dessous de la cuisse droite; la pointe aiguë se fait jour à travers les os qu’elle sépare , pénètre dans la cavité intérieure: il tombe sur ses genoux, poussant de longs gémissements; une nuit éterè nelle l’environne. Mégès donne la mort à Pédéus, fils d’Anténor. Quoique né d’un commerce illégi-’ time, la divine Théano, désirant complaire à son époux, l’éleva avec le même soin que ses enfants. 11 fuit; le fils de Phylée, l’illustre Mégès, lance son javelot, brise les tendons nerveux qui lient la tête à l’échine; la pointe aiguë perce la langue, s’ouvre Un passage dans la gorge et dans la mâchoire: il tombe le front collé dans la’poussierè, serrant en» tre ses dents l’arme fatale dont le froid. glace ses sens. Sous les coups d’Eurypylè tombe Hypsénor, fils du magnanime Dolopion, prêtre du Scamandre;

CHAN,T.V. 143 que le peuple honoroit comme un dieu. Il fuit; ar- mé de son glaive, le fils d’Evémon, Eurypyle, s’é- lance, lui porte un coup si terrible au-dèssus de l’épaule, que’le bras et la main sanglants tombent à ses pieds: son heure fatale est arrivée, les ombres de la mort l’environnen t. 0 Ces héros se disputent ainsi la victoire par de sanglants combats. Quant au fils de Tydée, vous ne pourriez’distinguer de quel parti il est; car tan- tôt au milieu des Troyens, tantôt au milieu des Grecs, furieux il parcourt le champ de bataille: semblable à un fleuve débordé, grossi par des pluies abondantes, dans la saison de l’hiver, dont ni les ponts ni les clôtures des champs verdoyants ne peuvent retarder la course rapide , qui renverse les digues, dévaste les campagnes, détruit les travaux du laboureur: tel le fils de Tydée , environné d’une foule d’ennemis que son seul aspect met en fuite, disperse les phalanges troyennes. Le fils de Lycaon , Pandarus , voit les siens mor- dre la poussière sous les coups de ce terrible enne- mi, voit les phalanges troyennes dispersées : il bande son arc, dirige la flèche meurtrière, saisit le défaut de la cuirasse de Diomede, l’atteint dans l’épaule droite au moment qu’il s’élance sur les Troyens; la flèche amère vole et pénètre; le’sang

144 L’ILIADE, coule, la cuirasse de Diomede est souillée: Panda- rus triomphe; il s’écrie: Pressez vos agiles coursiers, ô Troyens! le plus redoutable de nos ennemis est blessé; il ne résis- tera pas long-temps aux pointes aiguës du trait dont j! l’ai percé, s’il est vrai que c’est par l’ordre d’Av pollon , fils de Jupiter, que j’ai quitté la Lycie pour voler au secours de Troie. Ainsi parle le fils de Lycaon, se flattant d’un vain espoir. Mais la flèche aiguë n’a pas domté le fils de Tydée; il recule sous son char: adressant la parole à Sthénélus, fils de Capanée, son écuyer: Fils de Capanée, si cher à mon cœur, lui dit-il, empresse-toi de descendre du char: d’arracher de - mon épaule la flèche qui l’a percée, source de dourl leurs aiguës. ’ ’ ’ Il dit: Sthénélus se précipite du char, s’appro- che, arrache la fleche enfoncée dans l’épaule de son compagnon; le sang bouillonne entre la oui-I rasse et la tunique. Élevant la voix, le vaillant Dio- mede adresse ses vœux à Minerve: Fille du dieu qui porte l’égide, ô Minerve, dits il, si jamais tu protégeas mon père, si tu daignas me secourir dans cette guerre cruelle, vole à mon aide en ce moment, fais tomber sous les coups de mon javelot le fier Troyen qui m’a provoqué au

C H A N T V. O 145 combat, qui se glorifie de ma blessure, qui publie que je ne jouirai’pas long- temps de la vue des cé- lestesIl dit z Minerve flambeaux. exauce ses vœux, I approche, rend à ses mains, à ses jarrets, leur force, leur sou- plesse première, accroît son ardeur: Prends confiance dans mon secours, lui dit la déesse; combats puissamment les Troyens : j’ai soufflé dans toname le courage de tes ancêtres, l’intrépide courage du vaillant Tydée , ton père. J’écarte en ce moment le nuage qui offusque ta vue mortelle, pour que tu distingues les hommes des habitants de l’olympe qui combattent sur cette sanglante arène. N’entreprends pas de disputer la victoire aux dieux: mais si la fille de J upiter, Vé- nus, s’offre à toi dans la mêlée,’perce-la de la pointe aiguë de tOn javelot. La déesse, ayant ainsi parlé, disparoît. Le fils de Tydée combat hors des rangs; une ardeur nouvelle enflamme son courage, sa haine s’est accrue: sem- blable à un lion qu’un pâtre a blessé lorsqu’il s’é- lançoit dans la bergerie, sa fureur augmente, rien ne lui résiste, aucun péril ne l’effraie, il pénètre dans l’étable qu’il rend déserte; le pasteur fuit,les troupeaux effrayés se serrent et tombent égorgés; rassasié de carnage, le monstre franchit les barrie- 1. I l9

146 L’ILIADE, res d’un saut rapide: tel le fils du valeureux Tydée, retournant au combat, porte de. tous côtés le car- nage et la mort. Astynoüs et Hypénor, les pasteurs des peuples, tombent sous ses coups: le javelot at- teint l’un dans la poitrine; le. glaive tranchant brise la clavicule de l’autre , sépare l’épaule de l’échine. Le fils de Tydée les abandonne, fond sur Abas et Polydès, deux fils d’Eurydamas , sage vieillard à qui les dieux accordèrent le don d’expliquer les son- ges ; mais il n’instruisit pas ses fils de leur destinée, quand ils marcherent au secours des Troyens: le vaillant Diomède les perce l’un et l’autre, et s’é- lance surXanthus et Thoon, deux fils de Phénops, nés dans sa vieillesse; accablé sous le poids des ans, Phénops n’a point’d’autres enfants héritiers de ses riches possessions. Diomède les précipite l’un et l’autre dans les sombres demeures; leurs vies s’exhalent dans les airs: un deuil affreux, d’é- ternelles douleurs attendent leur père infortuné; il ne les recevra plus entre ses bras, échappés aux combats meurtriers; d’avides héritiers partageront ses trésors. Échémon et Chromius , deux fils de Priam, montés sur un même char, s’offrent à sa vue : semblable à un lion qui découvre une génisse et un bœuf, lorsqu’ils cueillent en paix les tendres rameaux d’un vaste taillis; le roi des forêts s’élance,

CHANT v. 147 broie leurs os sous ses terribles mâchoires : tel le fils de Tydée s’élance sur les deux Troyens, les perce de son javelot, les précipite de leur char, s’empare de leurs armes , remet les guides aux mains de ses compagnons, leur ordonne de con- duire aux vaisseaux le char et les coursiers. Témoin de ce carnage affreux" de bandes en- tières dispersées,.anéanties par l’impétueux Dio- medè, Énée se jette dans la mêlée, au milieu des javelots qui se croisent avec fracas, cherchant des yeux le valeureux fils de Lycaon , Pandarus, égal aux immortels. Il s’offre à sa vue. Pandarus, lui dit Énée, où est ton arc? où sont ces flèches que tu lances d’une main sûre , ces fle- ’ches légères par lesquelles tu surpasses tous les Lyciens? Démentiras-tu la gloire acquise par tes exploits? Lève les mains au ciel, adresse tes vœux à Jupiter; décoche une flèche sur cet homme qui l’emporte sur tous les autres, le meurtrier de tant de héros, qui accable de maux les Troyens : il tom- bera sous tes coups, s’il n’est un dieu irrité qui venge ses autels profanés; car la colère d’un dieu est terrible. Ô Énée, le plus sage des Troyens, répond l’il- lustre fils dè Lycaon, cet homme ressemble au bel- liqueux frls de Tydée; je le reconnois à son bou-

148 L’ I L I A D E, clier, à son javelot; je recentrois ses coursiers: mais j’ignore s’il n’est pas un dieu qui a pris la ressem- blance du vaillant Diomede.’ S’il est mortel, s’il est le fils de Tydée, ce n’est point sans l’ordre exprès des dieux qu’il exerce ses fureurs: quelque divinir té se tient sans doute près de lui, cachée sous un nuage obscur; car l’activité de la flèche aiguë dont je l’ai percé a été amortie par un dieu. J’ai bandé mon arc sur lui; ma flèche l’a atteint au défaut de la cuirasse : je croyois qu’il alloit descendre dans le royaume de Pluton, et cependant je n’ai pu l’a- battre; un dieu irrité a pris la forme du vaillant Diomedè. Je n’ai ni chevaux ni char pour me por- ter dans la mêlée; onze chars neufs, solides , magni- fiques, reposent dans le palais de mon père; des voiles immenses les couvrent: deux coursiers lé- gers, destinés à chacun de ces chars, mangent en paix l’orge et l’avoine dans les vastes écuries de Ly- caon. Instruit par une longue expérience des jeux de la fortune, mon père me donna de sages con- seils à mon départ: il vouloit que, monté sur un char attelé de coursiers agiles, je donnasse l’exem» ple aux Troyens dans ces combats sanglants. Je fus sourd aux conseils de la prudence; j’éparg’nai ses coursiers; je craignis qu’accoutumés à une nourri- ture abondante, ils ne dépérissent enfermés dans

CHANT V. 149 Vos murs : je marchai à pied au secours de Troie, me confiant dans mon arc, qui ne devoit m’être d’aucun secours. J’ai lancé mes flèches sur deux chefs de l’armée des Grecs, sur Ménélas, fils d’A- trée, et sur Diomede , fils de Tydée; j’ai fait couler leur sang; leur rage s’en est accrue. Ainsi les des- tins me furent contraires le jour que ,- pour com- plaire au divin Hector, je détachai mon arc du mur où il étoit suspendu, portan t secours à la grande cité d’Ilion; Qu’une main ennemie sépare ma tête de mes épaules, si, de retour dans ma patrie, à la vue de mon épouse , sous les voûtes de mon palais, je ne brise etne livre auxflammes ces fleches’qui me furent inutiles. . Laissons ces vains discours, répond Énée: monte sur mon char, attelé de coursiers vigoureux; mars chons l’un et l’autre contre cet homme, attaquons avec le javelot ce formidable guerrier: apprends par expérience quelle estla force et la légèreté des coursiers de Tros , pour fondre sur l’ennemi, pour échapper à ses coups par une fuite précipitée; nous portant avec rapidité dans la ville, mes courSiers nous déroberont au javelot du fils de Tydée, si J u- piter lui donne la victoire. Prends le fouet et les gui- des; debout sur mon char, je lancerai l’arme meur- trière : ou attends l’ennemi, je guiderai les cour.- siers. ’

156 L’ILIADE, Conserve les guides , répond l’illustre fils de Ly- caon; dirige tes coursiers. Si le destin nous con: traint de fuir, plus dociles sous ta main, ils nous déroberont avec’plus de légèreté aux coups du fils de Tydée : entreprenant de les guider, je crain- drois qu’accentumés à ta voix, ils ne refusassent d’obéir à la mienne; qu’effrayés , ils ne s’égaras- sent au lieu de nous porter hors de la mêlée. Dans ce désordre, Diomede fondroit sur nous , nous don- neroit la mort, raviroit tes coursiers : demeure sur ton char, j’opposerai mon javelot à sa fureur im- pé tueuse. Il dit : les deux héros montent sur le char, etdi« rigent les coursiers sur le vaillant Diomede. Le fils de Capanée, Sthénélus, les voit; haussant la voix pour être entendu de son maître, il s’écrie: Fils de Tydée, si cher à mon cœur, deux terri- bles ennemis s’apprêtent à te combattre; leurs for- ces sont redoutables: le fils de Lycaon , Pandarus, ç savant dans l’art de lancer les flèches, et Énée, qui se van te d’être fils d’Anchise et de Vénus. Remonte sur ton char, mets un frein àl’ardeur qui t’enflam- me; retirons-nous ; cesse de combattre hors des rangs: je crains qu’ils ne te donnent la mort. Le regardant avec indignation : Ne me donne point de timides conseils, répond le vaillant Dio-

CHANT v ” e1 mède; tu ne me persuaderois pas: jamais les héros de ma race ne connurent ni la fuite ni la crainte; Minerve me l’interdit. Mes forces sont entières; j’aurois honte de remonter sur mon char; je mar- che contre ces guerriers: quand l’un d’eux échap- peroit à ma poursuite , leur char, leurs coursiers ne les reporteront pas l’un et l’autre dans Troie. Mais exécute avec fidélité ce que je vais te prescrire: si Minerve m’accorde une victoire complète, que je donne la mort à ces deux héros, contiens tes cour- siers, suspends les guides à mon char, cours t’em- parèr des coursiers d’Énée, éloigne-les de l’armée des Troyens , guide-les vers le camp des Grecs; car ilssontde la race de ceux que Jupiter donna à Tros,» pour la rançon de son fils, le jeune Ganymède, les: meilleurs qui existent sur la terre, du couchant à l’aurore : le roi des hommes , Anchise , leur fit saillir secrètement ses cavales; il en eut six pou- lains , en retint quatre qu’il éleva avec soin dans son palais ;’il en donna deux à Énée, artisan de ter- reur. Si nous nous emparons de ces coursiers, ils nous acquerront une gloire immortelle. Tandis qu’ils s’entretiennent ainsi, les deux hé- rqs approchent; leurs coursiers les portent avec rapidité. L’illustre fils de Lycaon, adressant le pre- mier la parole au fils de Tydée:

152 ’L’ILIADE, Guerrier intrépide , valeureux fils de Tydée , ma flèche ne t’a point abattu, quoiqu’elle t’ait frappé; essayons si e serai plus heureux avec le javelot. Il dit; et, retirant le bras, il lance son javelot dans le bouclier de Diomede; la pointe aiguë pé- nètre, s’enfonce dans la cuirasse du fils de Tydée: Pandarus triomphe: Je t’ai frappé dans la poitrine , dit-il; je ne pense pas que tu résistes à l’impé tuosité de l’arme meur- trière: une gloire immortelle sera. le prix de ma vrctorre. Tu t’abuses , répond l’intrépide Diomede; ton javelot ne m’a point percé: mais je ne crois pas que ace combat finisse sans que le sang de l’un de nous rassasie le dieu de la guerre. Il dit, et lance l’arme meurtrière; Minerve la dirige : Pandarus se courbe ; la pointe aiguë pénètre entre l’œil et le nez, coupe la racine de la langue, briselès dents, Sortau-dessous du men ton: il tombe du char; le bruit de l’armure éclatante qui le cou- vre’retentit au loin; sa force l’abandonne, son ame s’exhale dans les airs; les coursiers d’Énée bondis- sent effrayés. Se confiant dans sa force et dans son courage, craignant que les Grecs n’enlevent la dépouille mortelle de son compagnon , Énée se précipite du

C H A N T V. 153 char : semblable à un lion qui garde sa proie , pous- sant des cris affreux, il marche à grands pas autour du corps sanglant du fils de Lycaon, présentant de toutes parts à l’ennemi et son javelot et son vaste bouclier, menaçant de percer quiconque osera ap- procher. Diomèdè saisit un roc énorme, que deux hommes, tels qu’ils sont aujourd’hui, pourroient a peine soulever; seul il le manie, le lance avec force, frappe Énée dans la jointure (le la cuisse et de la jambe; la pierre raboteuse déchire la peau, brise les os , coupe les deux tendons : le fils d’Anchise tombe sur ses genoux; s’appuyant dè’la main sur la terre ,V il a peine à se soutenir; les ombres de la mort s’étendent sur ses yeux. Il eût péri en ce lieu , si la fille de Jupiter, Vénus, n’eût volé à son aide. Né d’un commerce secret de Vénus et d’Anchise ,1 qui gardoit ses troupeaux dans les fertiles vallées de l’lda, sa tendre mère étend sur lui ses mains d’albâtre, le serre dans ses bras, l’enlève hors du champ de bataille, l’enveloppe des plis du voile brillant, immense, qui la couvre, dans la crainte que l’un des enfants de la Grèce n’ose lui donner la mort jusques dans les bras de sa mère. La déesse croit ce voile un rempart impénétrable aux traits

deCependant l’ennemi. le fils de Capanée n’oublie,v point les r.’ 20

154 L’ILIADE, ordres qu’il a reçus de Diomede ;1il éloigne ses cour- siers, suspend les guides à son char, s’élance sur celui d’Énéè, anime avec le fouet les légers cour- siers du fils d’Anchise, les écarte de l’armée des Troyens , les guide vers l’armée des Grecs , les confie à Déipyle, son cher compagnon, qu’il honore par- dessus tous les autres; de même âge l’un et l’autre , ils ont les mêmes pensées, les mêmes affections: Sthénélus charge Déipyle de conduire au camp les divins coursiers, remonte sur son char, prend les guides,s’empresse de rejoindre son maître. Le jave- lot tendu, l’intrépideDiomede poursuitCypris dans la mêlée. Il sait qùe la force n’estpointl’apanage de cette divinité, que Vénus n’est pas du nombre de ces déesses, telles que Minerve ou l’impitoyable Bellone , la destructrice des cités , qui partagent avec les héros les travaux guerriers, et les guident dans les combats. S’élançant sur la déesse des jeux et des ris , l’audacieux fils de Tydée lance son jave- lot: la pointe aiguë perce le voile divin , ouvrage des Graces, qui couvre la main de Vénus, effleure le léger tissu de sa peau, fait couler ce fluide im- mortel qui circule dans les veines des dieux; car le sang des heureux habitants de l’olympe n’est pas le même que le nôtre: ils ne se nourrissent point de la substance grossière du pain, ils ne boivent

point de vin ; le nectar,CHANT l’ambrosie emplissent V. leurs155 veines d’une substance pure , principe de l’immor- talité. Vénus jette un cri perçant; son fils échappe de ses mains; Apollon. le recueille dans ses bras, l’enveloppe d’un nuage obscur, le dérobe à la fu- reur des Grecs. Fille de Jupiter, laisse aux hommes les travaux guerriers, s’écrie le vaillant Diomede : ne te suffit- il pas de séduire les foibles mortels? Éloigne-toi de ces combats sanglants qui illustrent les héros. Si tu y reparois ...... Mais je pense que de ce jour tu auras la guerre en horreur, et ne voudras pas même en entendre prononcer le nom. Il dit: souffrant des douleurs aiguës, Vénus dis- paroît. La prenant par la main , Iris l’emmène hors du tumulte des armes; la douleur l’accablè, l’éclat de son teint est obscurci, sa main devient noire et livide. Elle apperçoit le terrible Mars assis sur la rive du Scarnandre, à la gauche du champ de ba- taille; le javelot, le char, les coursiers légers du dieu de la guerre sont près de lui, enveloppés d’un nuage obscur, pour les dérober à la vue des mor- tels : embrassant les genoux de ce fière qu’elle ché- rit, Vénus lui demande avec instance son char et ses coursiers ornés de panaches d’or: Prends pitié de moi, ô mon cher frere: prête-

156 L’ILIADE, moi tes coursiers, qu’ils me portent sur l’olympe, la demeure des dieux; car je souffre des douleurs aiguës de la blessure que m’a faite ’un mortel, le terrible fils de Tydée, qui défieroit au combat J u- piter même. Elle dit: Mars lui prête et son char et ses cour- siers. L’ame percée d’une douleur profonde , la déesse des jeux et des. ris monte sur le char du dieu de la guerre; Iris s’asseoit près d’elle, prend les guides dans ses mains, presse avec le fouet les coursiers vigoureux: ils obéissent à la main qui les dirige, fi’anchissent avec rapidité la haute monta-’ gne de l’olympe, la demeure des immortels. Par- venus au sommet de la montagne sainte, la légère Iris les arrête, les dételle , leur offre une pâture di- vine. La fille de Jupiter, Vénus, tombe aux pieds de Dioné, sa mère, qui la serre dans ses bras, qui lui prodigue de tendres caresses: O ma Chère fille, lui dit-elle, lequel des habi- tants des célestes demeures a osé te frapper, com.- me si tu eusses commis quelque grand forfait à la

faceLe fils de Tydéedes , répond dieux? Vénus , l’intrépide ç . Diomede m’a blessée, parceque je dérobois à sa vengeance mon fils Énée, que je chéris par-dessus tous les autres mortels; car l’orgueil des Grecs ne

CHANT v. 157 se berne plus à triompher des Troyens: ils com- battent les dieux mêmes. l Prends patience , ô ma chère fille, répond Dio- né; supporte en paix tes douleurs. Depuis long- temps nos divisions in tes tines enhardissentles mor- tels contre les habitants du sacré palais. Mars souf- frit quand le fort Otus et Ephialte, fils d’Aloéus , l’enchaînerènt, le resserrant pendant treize mois dans une prison d’airain: affoibli sous le poids de ses chaînes, succombant à la douleur, l’insatiable dieu de la guerre eût péri dans cet affreux séjour, si Éribée, la marâtre de ces géants, n’eût averti l Mercure; l’adroit meurtrier d’Argus déroba Mars à la’furèur de ses ennemis. Junon souffrit quand le ’ fils d’Amphitryon la blessa au-dessous du sein, d’un dard armé de trois pointes; son ame éprouva des douleurs qui ne reçurent aucun soulagement. Plu- ton souffrit en ce jour auquel le redoutable fils du dieu qui porte l’égide, le livrant à de cruels tour- ments, le frappa aux portes du séjour des morts: ’ accablé d’une tristesse profonde, l’ame percée des pointes aiguës de la douleur, Pluton franchit l’in- .te’rvalle immense qui sépare les enfers du vaste olympe , la demeure de. Jupiter; la flèche qui déchi- roit son cœur étoit suspendue à son épaule: Péon b guérit, répandant sur sa plaie un philtre puis-

158 . L’ILIADE, sant qui calma ses souffrances; car la mort n’avoit pas de prise sur lui. Malheur toutefois à l’impie qui ose porter une main audacieuSe sur les habitants de l’olympe ! Minerve, la déesse aux yeux bleus, a suscité contre toi l’audacieux Diomede. Insensé! il ignore que la vie de tout mortel qui ose lever un bras sacrilège sur les dieux est de courte durée; qu’épuisé par les fatigues dada guerre, ayant versé son sang dans les combats, il ne jouit pas des ten- dres embrassements de ses enfants. Que,’ malgré son intrépidité, le, fils de Tydée tremble mainte- nant qu’un autre plus fort que lui ne s’élève pour le combattre; que le sommeil de la fille d’Adraste, de la sage Égialéè, sa vertueuse épouse, qui souhaita dans sa jeunesse d’être unie par les nœuds de l’hy- men au plus courageux des Grecs, ne soit troublé des sinistres présages de la mort de son époux; qu’à la vue du corps sanglant de l’objet de son amour, elle n’éveillè de ses cris lamentables tous ceux qui habitent son palais, tous ses concitoyens. Ainsi parle Dioné; et, pressant la main de sa fille dans les siennes , elle épuise le fluide immortel que le javelot de Diomede a épanché: la main de Vé- nus est guérie, ses douleurs profondes sont appai-v sées. Minerve et Junon , la voyant de retour dans le sacré palais, provoquent par des railleries piquait.» tes le courroux de Jupiter.

C H A N T V. 159 Minerve prenant la parole: Père des dieux et des hommes, dit-elle, pourquoi ce que je vais dire exciteroit-il ton courroux? Sans doute Cypris em- ployoit ses charmes séducteurs auprès de quelque Grecque, dans le dessein de la livrer à un Troyen qu’elle chérit; tandis qu’elle s’efforce de séduire cette beauté par de douces paroles, l’agraffè d’or qui attache le voile immense des Grecques aura effleuré la main délicate de la déesse de Cythere. Le père des dieux et des hommes sourit. Adres- sant la parole à Vénus: Ô ma fille, lui dit-il, les exploits guerriers ne sont pas ton partage; laisse ces soins à Minerve, à l’impétueux Mars : les tiens sont plus doux; borne- toi à former, à resserrer les nœuds de l’hymèn et de l’amour. Tels sont leurs célestes entretiens. Ce- pendant le vaillant Diomeëe poursuit Énée entre les bras d’Apollon; le respect dû à la divinité ne peutl’arrêter: il aspire à la gloire de donner la mort à Énée, de se couvrir de ses belles armes. Trois fois il s’élance sur le fils d’Anchise pour le percer; trois fois il est repoussé parl’éclatant bouclier du dieu de la lumière; une quatrième, ce héros, égal aux immortels, s’agite avec plus de fureur. Le dieu qui lance au loin ses flèches invincibles lui adresse cette réprimande sévere:

,160 L’ILIADE, Arrête, fils de Tydée; n’essaie pas de mesurer tes forces a celles des dieux immortels: aucun des hommes qui rampent sur la terre ne peut leur être comparé. Il dit : Diomede recule effrayé; Apollon saisit cet instant pour enlever Énée; il le transporte , loin de la sanglante arène, dans le temple célèbre qui lui est consacré dans la citadelle de Pergame: La- tone et la chasseresse Artémise l’honorènt dans ce vaste asyle , et pansent sa blessure. Cependant le dieu que son arc d’argent distingue entre tous les immortels façonne un fantôme aérien , la ressem- blance d’Énéè; il le revêt des armes de ce héros: les Troyens et les Grecs combattent à l’entour; les uns le couvrent de leurs boucliers, les autres s’efforcent’dè le percer. Apollon adressant la pa- role au dieu de la guergc: Mars, Mars, dit-il , le destructeur de la race hu- maine, qui te plais dans le sang, qui renverses les plus fermes remparts, ne parviendras-tu pas à éloi- gner du champ de bataille ce terrible guerrier, le fils de Tydée, qui provoqueroit au combat Jupiter même? Il a blessé Cypris; son javelot a déchiré la tendre main de Cythérée: osant s’égaler à un dieu , il s’est élancé sur moi. h Il dit, et s’assied sur la haute tour de Pergame,

pour être spectateurCHANT du combat. Ayant V. pris 161 la for- me du léger Acamas, l’un des chefs des Thraces, le dieu de la guerre parcourt les bandes troyennes , accroît leur ardeur. Adressant la parole aux enfants de Priam: Fils d’un roi que Jupiter protège, leur dit-il, jusqu’à quand souffrirez-vous l’affreux carnage de vos concitoyens, qui tombent en foule sous le jave- lot dès Grecs? Attendez-vous qu’ils brisent vos portes, qu’ils détruisent vos remparts? Un homme que nous honorions à l’égal du divin Hector, le grand Énée, le fils du magnanime Anchise, est étendu sur la poussière; marchons, dérobons la dépouille mortelle de ce héros aux insultes des enfants de Danaüs. Ainsi Mars souffle le courage dans l’ame des Troyens. Sarpédon adressant la parole à Hector: Hector, lui dit-il, comment s’est évanouie cette ardeur, cette intrépide constance, que tu montrois autrefois dans les combats? Tu te vantois que, seul avec tes frères et les gendres de Priam, sans alliés , sans autres guerriers, tu forcerois les Grecs de re- monter sur leurs vaisseaux. Mes yeux parcourent le champ de bataille, aucun ne s’offre à’ma vue; ils tremblent comme une meute timide devant un 1 . 2 1

162 L’ILIADE, lion : alliés des Troyens , nous combattons seuls. Qui suis-je moi-même , qu’un allié de Troie? Ayant abandonné une épouse chérie, un fils au berceau, des richesses, des possessions suffisantes à l’ambi- tion de l’homme le plus avide, j’arrive ici d’une terre étrangère , de la fertile Lycie, loin des ri- ves tortueuses du Xanthe; j’enflamme le courage de mes Lyciens et par mes paroles et par mon exemple; je tiens ferme, et ne crains point d’af- ’ frontèr ce terrible ennemi. Cependant qu’ai- je à redouter de la fureur d’ës Grecs? que peuvent-ils me ravir? de quoi me dépouilleroient-ils? Et tu demeures oisif, ô Hector! on ne t’entend point exhorter les tiens à repousser les Grecs, à défen- dre leurs épouses! Tremblez, ô Troyens, qu’enve- loppés comme dans les mailles d’un énorme filet, devenus la proie des enfants de la Grèce, la puis- sante cité d’Ilion ne soit dévastée, que vous ne soyez emmenés captifs, réduits en servitude dans une terre étrangère. Ce spectacle horrible devroit être nuit et jour présent à ton esprit, ô Hector; on devroit te voir suppliant exhorter tes alliés à tenir ferme, faire cesser leurs justes plaintes par l’exem- ple que tu leur donnerois. ’ ’ Ainsi parle Sarpédon, et l’ame d’Hèctor est dé- chirée. Couvert de sa brillante armure, il s’élance

de son char; agitantCHANT deux javelots dans V. ses 163 mains, il court de rang en rang, ranime le combat. Les Troyens réunis marchent contre les Grecs, qui les attendent sans s’ébranler. Comme on voit le chau- me emporté par le souffle des vents sous la main du moissonneur qui vanne le bled dans l’aire , cou- vrir la terre d’une blanche poussière , quand la blonde Cérès sépare le grain de la paille légere: ainsi les mouvements rapides des chevaux troyens qui ont tourné bride, reportant leurs conducteurs dans la mêlée, blanchissent les armes des Grecs; un nuage épais de poussière s’élève jusqu’à la voûte d’airain qui enveloppe la terre; les Troyens s’élan- cent sur eux d.” une course rapide; les deux armées se confondent; le terrible Mars ajoute à l’horreur de ce combatpar l’obscurité dontil couvre le champ de bataille. Docile aux ordres qu’il a reçus d’Apol- Ion au glaive d’or, Mars vole de rang en rang por- tant secours aux Troyens. Apollon a vu Minerve, qui avoit jusqu’alors secouru les Grecs, s’éloigner du champ de bataille; il a chargé l’impétueux Mars de soutenir l’ardeur des Troyens: lui-même il se hâte de tirer Énée de l’asyle sacré où il l’a renfer- mé; soufflant le courage dans son amè, il l’envoie dans la mêlée. Le fils d’Anchise se montre au mi- lieu de ses compagnons; il vit; il est guéri de ses

164 - .L’ILIADE, blessures; un feu divin brille dans ses yeux: les Troyens le voient; la joie renaît dans leurs ames. Ils ne l’interrogent point-sur l’auteur de ce mira-- cle; d’autres soins les occupent, les fureurs de la guerre que raniment Apollon à l’arc d’argent, Mars, le destructeur de la race humaine , et la Discorde, insatiable de sang. Dans l’armée ennemie, les deux Ajax, Ulysse, et Diomede, soutiennent le courage des Grecs : ni le choc impétueux des Troyens ni leurs cris ne les effraient. Aussi immobiles que les nuées, quand le fils de Saturne a fait taire les vents qui siffloient au sommet des montagnes, quand Borée et les autres vents qui agitoient l’air de ’leurs souffles bruyants dorment dans leurs antres profonds: tels les Grecs attendent les Troyens; la terreur n’a point accès dans leurs amès. Le fils d’Atrée, cou- rant de rang en rang, donne ses ordres à tous: ’ Ô mes amis, leur dit-il, montrez-vous des hé- ros, rappellez votre force première; respectez les témoins de votre gloire ou de votre honte. Parmi les hommes courageux , un plus grand nombre échappe aux fureurs de Mars qu’il n’en périt; l’op- probre et la mort sont le partage du lâche qui fuit devant l’ennemi. Il dit, et lance son javelot, frappe le magnanime

CHANT v. 165 Déicoon, fils de Pergasus, l’ami, le compagncfl d’Énée, que les Troyens honoroient à l’égal des enfants de Priam; car ce héros combattoit toujours hors des rangs. La pointe aiguë du javelot d’Aga- memnon perce l’épais bouclier qui le couvre, pé- nètre le baudrier, ’s’enfonce dans la cuirasse , se fait jour dans ses entrailles: il tombe; le bruit de ses armes retentit au loin. Sous les Coups d’Énée succombent deux bra- ves guerriers, les deux fils de Dioclès, Créthon et Orsiloque.’Illustre descendant de l’Alphée, dont les fréquentes inondations couvrent la terre des Pyliens , leur père a de riches possessions dans Phérès qu’il habite. L’Alphée fut père d’Orsiloque, qui régna sur un grand peuple; Orsiloque eut un fils , Dioclès , dont naquirent deux jumeaux, Cré- thon et Orsiloque. Apeine un léger duvet couvroit leur menton , qu’ils marchèrent avec les Grecs aux champs troyens, pour venger l’injure du fils d’Atréè; et déja parvenus au terme de leur vie , les ombres de la mort les environnent: tels deux jeu- nes lions que leur mère a nourris au sommet des montagnes , dans les antres profonds d’une vaste forêt, en sortent pour dévaster des troupeaux de bœufs et de moutons, pénètrent dans les étables, y portent la désolation et le carnage, égorgent les

166 L’ILIADE, beufs, enlèvent les brebis engraissées, tombent en- fin sous les coups des chasseurs; l’airain aigu perce leurs flancs : tels ces deux frères, semblables aux tiges droites et élevées des pins, tombent sous le javelot d’Enée. Déplorant leur sort, le vaillant Ménélas s’élance hors des rangs ; son casque d’airain brille sur sa tête; il agite l’arme meurtrière. Pour ajouter par sa chûte à la gloire d’Énéè, Mars accroît son ardeur. Anti- loque, le fils de Nestor, voit le fils d’Atrée se pré- parer au combat; il approche, dans la crainte que le pasteur des peuples ne succombe épuisé par les travaux de cette pénible journée. Le javelot tendu, enflammés de l’ardeur du combat, Ménélas et Énée s’avancent l’un contre l’autre; Antiloque se range à côté du pasteur des peuples. A la vue de deux héros prêts à fondre sur lui, le courage du fils d’An- chise est ébranlé ; il recule: Ménélas et An tilo- que s’emparent des corps sanglants de Créthon et d’Orsiloque, les entraînent vers l’armée des Grecs, les remettent aux mains de leurs compagnons, se retournent , revolent au C01nbat , fi’appent Pyla- mène, égal au dieu Mars, le chef des magnanimes Paphlagoniens couverts de vastes boucliers. Le fils d’Atrée, l’illustre Ménélas, fond sur lui, le perce de son javelot au-dessus de la clavicule; le brave

Mydon , l’écuyer deCHANT Pylamene , détourne sesV. cour- 167 siers: An tiloque saisit cet instant, lance une pierre énorme; le roc raboteux atteint Mydon dans la jointure du coude ; les guides ornées d’ivoire , échappées de ses mains, roulent dans la poussière. Armé du glaive étincelant, An tiloquè lui porte un coup mortel dans la tempe: il tombe expirant; sa tête, ses épaules demeurent enfoncées dans le sa- ble profond, jusqu’à ce que ses propres coursiers l’étendènt sur l’arène, le foulent aux pieds. S’élan- çant sur le char, le fils de Nestor les anime aVec le fouet, les conduit à l’armée des Grecs. Hector a reconnu dans la mêlée Pylamene et Mydon, il a entendu leurs cris; il arrive suivi des phalanges troyennes: Mars et Bellone sont près de lui; Bellone, qui seme la terreur, qui met les ar- mées en fuite; Mars, agitant dans ses mains puis- santes son terrible javelot, tantôt précede Hector, tantôt le suit. L’intrépide Diomede fi’émit à cette vue : tel un coursier léger, ayant traversé d’un vol rapide une vaste plaine, s’arrête, recule effrayé du fracas des flots écumeux d’un fleuve immense qui porte à la mer le’ tribut de ses ondes : tel le fils de Tydée recule à la vue du dieu de la guerre qui pro- tège Hector. Adressant la parole aux siens: Ô mes amis , leur dit-il, l’intrépidité d’Hector

168 L’ILIADE, ne doit plus nous surprendre; l’un des habitants de l’olympe, sans cesse à ses côtés, écarte loin de lui les périls et la mort : en ce moment je vois, près du fils de Priam, le dieu de la guerre sous la forme d’un mortel. T ournons nos armes contre d’autres Troyens; cédez, n’entreprenez pas de mesurer vos forces à celles des habitants de l’olympe. Il dit : les Troyens approchent; Hector préci- pite dans les sombres demeures deux guerriers il- lustres montés sur un même char, Ménèsthée et Anchialus. Ajax, fils de Télamon, voit leur chûtè; indigné, il accourt, lance son javelot, atteint Am- phion, fils de Sélagus, qui habitoit dans la grande cité de Paise: riche, comblé de biens , l’inèxorable Destinée le conduisit aux champs troyens, parmi les nombreux alliés de Priam et de ses enfants. Le fils de Télamon le frappe au défaut du baudrier; la pointe aiguë pénètre dans les intestins; il tombe avec fracas: Ajax accourt, se dispose à le dépouil- ler de son armure; les Troyens l’accablent de pe- sants javelots. Caché sous son bouclier, Ajax com- prime du talon le corps sanglant d’Amphion , retire l’arme meurtrière; mais, succombant sous le nom- bre, il ne peut s’emparer des armes brillantes du guerrier qu’il a terrassé: fi’émissant de rage et de douleur, il recule malgré sa force invincible, mal- gré son intrépide courage.

CHANT V. 169. Tandis que les Troyens et les Grecs se livrent à ces durs travaux, la destinée du vaillant Tlepto- leme, le descendant d’Herculè, lui inspire de pro- voquer au combat le divin Sarpédon. Le fils et le petit-fils du dieu qui assemble les nuées s’avancent l’un sur l’autre. Tleptoleme adressant le premier la parole à Sarpédon: Chef des Lyciens, ô Sarpédon, dit-il, peu for- mé aux combats , peu instruit dans l’art de la guerre , que te sert de courir çà et la dans la mêlée? Dès imposteurs te disent fils de Jupiter: ta foiblesse te trahit; tu ne ressembles point aux anciens héros enfants du dieu qui lance le tonnerre. Tel futHer- cule, mon père, le courageux Hercule au cœur de lion. Il arrive dans ces contrées , réclamant les coursiers que Laomédon lui promit; six vaisseaux seulement, des troupes peu nombreuses marchent à sa suite: avec ce foible secours il s’empare d’I-’ lion, porte la désolation dans ses murs. Pusillanime’ Sarpédon , les troupes que tu commandes périssent sous tes yeux sans que tu oses les défendre. Arrivé de Lycie au secours des Troyens , ton bras est im- puissant pour les protéger; bientôt, tombant sous mes coups , tu parviendras aux portes du palais de Pluton. Tleptoleme, lui répond Sarpédon,lle chef des 1. 22

-17o L’ILIADE, Lyciens, Hercule dévasta la ville sacrée ’d’Ilion en punition de la perfidie de Laomédon, qui paya ses bienfaits d’indignes outrages , lui refusant les cour- siers pour lesquels il arrivoit de pays lointains: ainsi, tombant sous mes coups, ta mort ajoutera à ma gloire, ton ame descendra dans les sombres de- meures du roi des enfers, Il parloit encore : Tleptoleme lève l’arme ter- rible; les deux javelots partent dans le même ins- tant. Sarpédon atteint son ennemi au haut de l’é- chine; la pointe aiguë le perce: une nuit éternelle s’étend sur ses yeux. Le javelot de Tleptoleme pé- nètre jusqu’à l’os dans la cuisse du fils de Jupiter: mais son heure fatale n’est point arrivée; son père élOigne de lui le trépas. Ses valeureux compagnons l’environnènt, le transportent hors de la mêlée: le poids du javelot, les mouvements de ceux qui le portent déchirentla membrane sensible , accablent son ame de douleurs aiguës; car l’effroi de ses com- pagnons ne leur a pas permis de songer à arracher l’arme meurtrière avant de le placer sur son char. D’autre part, les braves enfants de la Grece en- traînent hors du champ de bataille le corps san- glant de Tleptoleme. Le valeureux fils de Laërte le reconnoît; son ame est émue d’une tendre pitié; il médite en lui-même sur le parti qu’il doit pren-

’Q

CHANT v V1 dre: s’élancera-t-il sur le fils de Jupiter, pour lui arracher ce reste de vie? ou , fondant sur les Ly- ciens, en immolera-t-il un grand nombre aux mâ- nes de son compagnon? Mais l’ordre du Destin n’est pas que le fils de Jupiter périsse de la main d’Ulysse; Minerve détourne sa vengeance sur les Lyciens: Céranus, Alas tor,Chromius, Alcandre,Ha- lins , Noémon , Prytanis, tombent sous ses coups. Il en eût précipité un plus grand nombre dans le royaume de Pluton, si, témoin de cet affreux car- nage, le grand Hector ne se fût avancé dans la mê- lée. Couvert de l’airain étinÊelant, son front im- prime la terreur dans l’ame des Grecs , porte la joie dans celle du fils de Jupiter. Poussant un profond soupir: Fils de Priam, lui dit-il d’une voix mourante, ne souffre pas que mon corps soit la proie des en- fan ts de Danaüs ; contiens leur fureur: défends-moi de leurs coups , jusqu’à ce que , parvenu dans votre ville , j’expire sous vos remparts; car je n’ai plus d’espoir de revoir ma terre natale, de réjouir par mon retour un fils au berceau, une épouse chère à mon cœur. Sans lui répondre , Hector s’élance sur les Grecs, les repousse, porte de tous côtés le carnage et la mort. Pendant ce temps , les compagnons du divin

172. L’ILIADE,’ Sarpédon le déposent sous le grand hêtre consa- cré à Jupiter; le valeureux Pélagon , son cher com- pagnon, arrache le javelot enfoncé dans sa cuisse: son ame est prête à s’exhaler; les ombres de la mort s’étendent sur ses yeux: et toutefois il respire; le souffle de Borée ranime ses esprits, le rend à la vie. Quoiqu’en butte aux traits de Mars et d’Hec- ter, une fuite précipitée ne reporte point les Grecs dans leurs vaisseaux; instruits que Mars combat à la tête des Troyens, craignant de s’engager dans une guerre impie, ils reculent en bon ordre. Muse, dis-moi qŒls héros tombèrent sous les coups du fils de Priam et de l’invincible Mars : le divin Teuthras, Orèste, savant dans l’art de gui- der des coursiers vigoureux , l’Étolien Tréchus , OEnomaüs,Hélénus, fils d’OEnops, Oresbius, dont le front est couvert d’un panache de plusieurs cou- leurs; il habitoit autrefois les champs d’Hyla, cul- tivant en paix ses riches possessions sur les bords du lac Céphisse, dans la terre fertile des Béotiens, abondante en pâturages. La déesse aux bras d’al- bâtre, Junon, voit les Grecs périr dans ce sanglant carnage. Adressant la parole à Minerve: Fille du dieu qui lance le tonnerre, ô Minerve, lui dit-elle, ainsi s’évanouiront les promesses que nous fîmes à Ménélas de remettre enses mains la

puissante ville deCHANT Priam , de le ramener V. 173couvert de gloire dans sa terre natale. Souffrirons-nous que l’impitoyable Mars exerce ainsi ses fureurs? En- trons dans la mêlée, portons secours à ceux qui nous sont chers. Elle dit: ce conseil agrée â Minerve. Junon, la fille du Temps, la reine des immortels, apprête elle-même ses coursiers; une tresse d’or soutient leurs crinières flottantes. Hébé, la fille de Jupiter, ajuste au char de la. déesse les orbes mobiles de ses roues d’airain ; huit rayons roulent sur un aissieu de fer; les jantes, d’un or incorruptible, couvertes de lames d’airain d’un travail exquis, s’emboîtent en des moyeux de l’argent le plus pur, artistement arrondis; deux demi-cercles, soutenus par des sou- pentes flexibles d’or èt d’argent, forment le char de la déesse; le timon est d’argent; un joug d’or y est attaché par des courroies revêtues du même métal : Junon, que l’ardeur des combats enflamme, amène elle-même ses coursiers légers, les soumet au joug. La fille du dieu qui porte l’égide, Minerve, détache son voile; ce voile de plusieurs couleurs, d’un travail admirable, qu’elle a tissu de ses mains immortelles, elle le laisse flotter dans le palais de son perè: marchant aux combats, source de dou- leurs ameres , elle endosse la cuirasse, la solide ar-n

174 L’ I L I A D E, mure du dieu qui assemble les nuées. La terrible égide est fixée sur ses épaules par des franges d’or, énorme bouclier que la terreur environne; la dis- corde, l’épouvante, l’effroi, la fuite sanglante y exer- cent leur empire : là est la tête de Gorgone, mons- tre affreux, cruel, épouvantable, que le père des dieux et des hommes créa dans sa firreur. Un cas- que à quatre pans , surmonté d’un énorme panache , dont l’immense étendue couvriroit une armée que cent villes auroient assemblée, ceint son front. Elle saisit ce javelot pesant, terrible , armé de l’airain étincelant, avec lequel elle détruit, dans sa fureur, des phalanges entières. Ainsi armée, la déesse de l’intrépide courage monte sur le char de Junon. La sœur , l’épouse de Jupiter tient les guides dans ses mains, anime avec le fouet ses agiles coursiers. Les portes du ciel mugissent et s’ouvrent d’elles- mêmes; les Heures les soutiennent, les Heures auxquelles sont confiées les portes du céleste pa- lais : elles ouvrent et ferment l’épais nuage qui en- vironne la demeure du maître des dieux. Al’èntrée de la route qui sépare le ciel de la terre, fendant la nue d’un vol rapide, les deux déesses apperçoi- vent le fils de Saturne assis à l’écart des autres divi- nités , au plus haut sommet de l’olympe. Junon aux bras d’albâtre arrête ses coursiers pour interroger Jupiter, le plus puissant des dieux:

CHANT V. 175 Père des dieux et des hommes , lui dit-elle, vois- tu sans indignation les firreurs de Mars? fléau ter- rible dè la nation des Grecs, il l’anéantit, contre l’ordre du Destin , et m’accable d’une douleur pro- fonde. Cypris et Apollon, que son arc d’argent dis- tingue entre tous les immortels, se livrant en paix aux doux penchants de leurs cœurs, ont envoyé dans la mêlée l’impétueux Mars, qui ne connoît ni loix ni justice. Jupiter, m’attirèrai-jè ton cour- roux èn châtiant le dieu de la guerre, en le forçant d’abandonner le champ de bataille? Livre à Minerve ce furieux, répond Jupiter; la déesse de la sagesse, qui préside aux assemblées des nations, est la source la plus ordinaire de ses douleurs. Docile aux ordres du père des dieux et des hom- mes, Junon anime ses coursiers avec le fouet; ils parcourent d’un vol rapide l’espace immense qui sépare la terre de la voûte azurée sur laquelle bril- lent d’innombrables étoiles : un seul saut des cé- lestes coursiers franchit toute l’étendue du vaste horizon que découvre la vue perçante d’un mortel placé sur un promontoire au sein de la plaine li- quide; les divins coursiers portent avec cette rapi- dité les deux déesses aux rives de Troie. Parvenus au lieu où le Simoïs se jette dans le Scamandre,

176 L’ILIADE, Junon arrête Ses coursiers , les détèle, les enve- 1 loppe et son char d’un nuage épais qui les dérobe à la vue des mortels. Le Simoïs apporte l’ambroisie, pâture des célestes coursiers. Semblables à de ti- mides colombes, rasant la terre, les deux déesses marchent au secours de l’armée des Grecs. Parve- nues aux lieux où les plus valeureux d’entre les en- fants de la Grèce , semblables à des lions affamés, ou à de formidables sangliers , entourent le vaillant Diomedè , troupe choisie dont la force est invin- cible , Junon s’arrête. Prenant la forme du magna- nime Stentor à la voix d’airain, aussi éclatante que celle de cinquante hommes: Ô honte! s’écrie la déesse; simulacres trompeurs , qui n’avez des Grecs que le nom et la beauté, tant que le divin Achille combattit avec vous , redoutant le javelot de l’in- vincible fils de Pélée, jamais les Troyens n’oserent sortir de leurs murs; maintenant, loin de leur en- ceinte , ils combattent jusques sous les poupes de vos vaisseaux. Ainsi l’épouse et la sœur de Jupiter souffle le courage dans l’amè des Grecs. La déesse aux yeux bleus, Minerve, s’approche du fils de Tydée. Elle le trouve près de son char, occupé à panser la bles- sure què lui fit la flèche de Pandarus. La sueur qui imbibe la large courroie à laquelle son bouclier est

CHANT Va 177 suspendu, a aigri sa plaie; il souffre des douleurs amères; son bras n’a plus la force de soutenir le pesant javelot: il soulève son baudrier, étanche le sang qui coule de sa plaie. S’appuyant sur le joug que soutiennent les coursiers, Minerve lui parle

Tydée a un fils peu digne de lui. La taille du valeureuxainsi: Tydée étoit moins élevée;ç mais, intré- pide guerrier, seul il arrive dans Thèbes, député par les Grecs pour déclarer la guerre aux Cadméens assemblés. Je voulois qu’il prît part aux festins sacrés; je lui avois défendu de s’engager dans un combat trop inégal: mais, avide de gloire, tel qu’il fut dans tous les temps , il provoque les Cadméens, et remporte sur eux une facile victoire; car e volai à son aide. Maintenant je suis à tes côtés, je veille sur tes jours; je t’ordonne d’attaquer les Troyens, et la fatigue épuise tes forces, la crainte t’arrête! Non, tu n’es pas le fils de Tydée, le descendant du sage Oinéus. h i Je te reconnois, ô déesse, fille du dieu qui porte l’égide , répond le vaillant Diomede ; ’oserai te par- ler avec franchise. Ni la crainte ni la fatigue ne me retiennent; j’ai gravé tes commandements dans mon esprit: tu me défendis de combattre contre les dieux, à moins que la fille de Jupiter, Vénus, 1. 23

178 L’ I L I A D E, ne parût dans la mêlée; tu m’ordonnas de la percer de l’airain tranchant; j’ai obéi: tel est le motif de ma retraite et de l’ordre que j’ai donné à mes com- pagnons d’abandonner le champ de bataille; car je vois le dieu Mars à la tête des Troyens. Digne fils de Tydée, ô Diomede, cher à mon cœur, répond la déesse aux yeux bleus , ne redoute ni Mars ni aucun des immortels; je marche à tes côtés, je veille sur tes jours: dirige tes coursiers sur le dieu de la guerre, frappe ce furieux de ton javelot; que ni le respect ni la crainte ne t’arrêtent; attaque l’impétueux Mars, ce fléau de l’humanité, qui change de parti au gré de ses passions. Il nous promit par un traité solemnel, à Junon et à moi, de combattre les Troyens, de secourir les Grecs; et, oubliant ses serments, il combat dans l’armée desElle dit; Troyens. et, prenan t Sthénélus 4 par le bras, elle le pousse hors du char. D’un saut aussi rapide que la parole , l’écuyer de Diomede s’élance; la déesse irritée prend place à côté du fils de Tydée : l’aissièu de frêne ploie sous le poids de l’énorme déesse et du héros. S’emparant et des guides et du fouet, Minerve dirige les coursiers sur le dieu de la guerre. En cet instant Mars détache les armes du géant Périphas, 1111.1 d’Olchésius, le chefdes 12161111115, qu’il

a précipité dans lesCHANT sombres demeures; l’armureV. 179 du farouche dieu de la guerre est teinte du sang de ce héros. Pour échapper à ses regards, Minerve ceint le casque de la mort. A la vue du divin Dio- mède qui s’avance sur lui, le dieu de la guerre, se flattant du vain espoir de donner la mort à l’in- vincible fils de Tydée, abandonne le corps san- glant de Périphas , marche contre Diomede , lancé le javelot armé d’airain; il vole au-dessus du joug et des rênes: Minerve s’en saisit, le jette hors du char. Diomedè lance l’arme meurtrière; Minerve la dirige, l’enfonce dans le flanc de l’impétueux Mars, au défaut de la cuirasse: le fils de Tydée la retire teinte de sang. Le dieu de la guerre blessé jette un cri perçant,aussi aigu,aussi fort, que celui de neuf et dix mille hommes dans un sanglant com- bat; ce cri porte la terreur dans l’armée des Grecs, dans l’armée des Troyens. Diomede ne voit plus qu’un nuage épais semblable aux noires vapeurs que le vent du midi élève de la terre , dans une violente tempête, pendant les chaleurs de l’été; la nue obs- cure qui portè le dieu de la guerre s’étend jusqu’à la voûte éthérée : il parvient ainsi au sommet de l’olympè, la demeure des dieux. Assis aux pieds du fils de Saturne, furieux, l’ame percée de dou- leurs aiguës, montrant le sang immortel qui coule

180 L’ILIADE, de sa plaie; de profonds soupirs s’exhalent de son cœur irrité; il adresse à Jupiter ces tristes paroles: Ô Jupiter, père des dieux et des hommes, dit- il, la vue de tels forfaits n’excitera-t-elle point ton courroux? Pour complaire à de vils mortels , les dieux se déchirent par leurs divisions intestines; ton étonnante patience tolère des guerres sanglan- tes entre tes enfants. Tu donnas naissance à une fille insensée , pernicieuse, qui se plaît dans l’injus- tice et dans les forfaits. Soumises à ta puissance, toutes les autres divinités te réverent, t’obéissent; mais ni tes ordres ni la crainte de tes châtiments ne peuvent contenir cette fille hardie, et tu cedes à tous ses désirs, parcequ’elle est née de ton sang. Implacable furie , elle vient d’inspirer au fils de Ty- dée l’audacieux projet de combattre les immortels. Il a blessé à la main la déesse de Cythere : osant s’égalèr aux dieux, il s’est élancé sur moi; la légè- reté de ma fuite m’a seule dérobé à ses coups. Sans cette fuite précipitée je fiasse demeuré enseveli sous d’horribles monceaux de cadavres , souffrant de cruelles angoisses : il n’eût pu m’ôter la vie; mais j’eusse perdu mes forces sous les coups redoublés ’ de son javelot. Le dieu qui assemble les nuées jettant sur l’ho- micide Mars un regard d’indignation:

.CHANT v. 181 Inconstan te divinité, dit-il, cesse de me fatiguer par tes qùerellès. De tous les habitants de l’olympe , aucun ne m’est plus odieux que toi ; car la discorde, les guerres , les combats , sont tes plaisirs et tes eux: Junon, ta mère, te transmit ces fureurs, ces haines implacables, cette humeur inflexible ,que toute ma puissance a peine à réfréner , sources des maux dont tu gémis maintenant. Cependant je ne te laisserai pas long-temps en proie à ces douleurs; car tu es mon sang, c’est moi qui t’ai donné l’être. Si tu n’é- tois mon fils, si quelqu’au tre divinité t’avoit donné naissance, depuis long-temps j’eusse puni tes for- faits , j’eusse abaissé ton orgueil; ton sortseroitplus affreux que celui des . Il dit, et ordonne à Péon de guérir la blessure de Mars. Le divin médecin étend sur la plaie du dieu de la guerre un philtre bienfaisant qui calme ses douleurs; car la mort n’a point de prise sur lui. Comme le lait renfermé dans les vases destinés a cetçusage perd sa fluidité par le’mêlangè qui coa- gule ses parties, telle sang qui sort à gros bouillons de la blessure de l’impétuèux Mars est étanché par les utiles secours de Péon. Promptement guéri, Hébé le purifie par le bain , le couvre de vêtements immortels; il s’assied. plein de gloire près du fils de

182 L’ILIADE, CHANT V. Saturne. Junon et Minerve remontent dans le pa- lais de Jupiter, ayant secouru puissamment les en- fan ts de la Grèce , ayant réprimé les fureurs de Mars, le destructeur de la race humaine.

L’ I L I AD E. CHANT V1.

ARGUMENT. Les dieux abandonnent le champ de bataille. Carnage des Troyens. Conseils d’Hélénus à Hector. Ce héros rentre dans Troie pour or- donner à Hécube, sa mère , d’adresser ses vœux à Minerve, de lui promettre un sacrifice solemnel, si le fils de Tydée s’éloigne de ces combats meurtriers. Cependant Glaucus et Diomede s’avancent l’un contre l’autre. Histoire de Bellérophon. Reconnoissance des deux héros; ils font l’échange de leurs armes. Hector aborde sa mère; vœux adressés à Minerve; reproches d’Hector à Pénis; remords d’Hélene ; adieux d’Hector et d’Andromaqué.

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L’ILIADE.”«

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Adieux d’Androinaque et d’Hector.

LEsdieuX’ontÏlivré les Troyens et les Grecs à l’ar-L deur martiale qui les enflamme. Les deux armées, le javelot tendu, s’avancent dans la plaine; l’espace étroit qui sépare le Xanthe du Simoïs estle théâtre a d’un affieux carnage. Ajax, le fils de Télamon, le rempart des Grecs , vole au secours des siens, rompt les phalanges troyennes., frappe de son javelot un guerrier célebre entre les Thraces, Acamas, fils d’EuSSOrus , géant énorme , d’un grand courage : le javelot du fils de Télamon l’atteint dans le front ;.la pointe d’airain brise le casque, brise les os, péne- tre dans le crâne;les.ombres de la mort l’environ- nent. Le vaillant-Diomede frappe et tue Axylus ,p le fils de Teuthranis, qui habitoit la belle ville vd’Aris- bé, riche, chéri des mortels: son palais est situé sur’le chemin; il exerce l’hospitalité envers tous les voyageurs; tous y reçoivent des témoignages de sa bienfaisance; et cependant" aucun n’ose, pour 1.C 24

186 L’ILIADE, lui sauver la vie, affronter l’impétueux fils de Ty- dée: il tombe, lui et son écuyer, Calésius, qui tient les rênes de ses coursiers; ces deux ombres des- cendent ensemble dans le royaume de Pluton. Euryale perce de son javelot Drésus et Ophel- tius , et marche contre Èsépus et Pédasus , deux fils que l’irréprochable Bucolion , l’aîné des enfants de Laomédon, eut d’un commerce secret avec la nymphe Abarbarée, lorsqu’il gardoit les troupeaux de son pere. Sans égard pour leur force, pour leur beauté, le fils deMécistès, Euryale, les précipite l’un etl’autre dans les sombres demeures, s’empare de leurs armures. Astyalus tombe sous les coups du valeureux Polypé tès; Ulysse perce de son javelot Pidytès de ; Teucer, le divin Arétaon; An- tiloque, Ablérus, qui habitoit la haute cité de Pé- dasus, sur les rives du large et limpide Satniœis; Élatus expire sous l’arme meurtriere du roi des hommes , Agamemnon; l’intrépide Léitus poursuit Phylacus qui fuit devant lui, le perce de son jave- lot; Eurypyle donne la mort à Mélan thius. Adraste effrayé, traversant la plaine d’une course rapide, s’engage avec son char dans la racine d’un myrte; le timon est brisé dans sa tige, les coursiers fuient vers la ville où la terreur les précipite: Ménélas approche armé du javelot; renversé sous les roues

CHANT V1. 187 de son char, la bouche collée sur la poussiere, le malheureux Adraste embrasse ses genoux, implore sa pitié: ’ -Fils d’Atrée, lui dit-il, sauve-moi la vie, je te paierai une riche rançon. Le palais de mon pere renferme d’immenses richesses , de l’airain , de l’or, de l’acier bien travaillé; ces trésors seront le prix de ma liberté, s’il apprend que je vis dans le camp des Grecs. Il dit: la pitié trouve accès dans l’ame de Mé- nélas ; il est prêt à le livrer aux mains de l’esclave qui le suit, pour le conduire aux vaisseaux. Aga- memnon survient : Ô mon frere, ô Ménélas, lui dit-il, sans doute les Troyens ont mérité que tu prennes soin de leur vie! Qu’aucun "de ceux qui tomberont entre nos mains n’échappe au trépas, ni le lâche qui fuit, ni l’enfant qui presse de ses ten4 dres bras le sein de sa mere; qu’ils périssent tous sans gloire, sans sépulture; qu’Ilion soit dévastée. Il dit :.docile aux conseils de son .frere, Méné- las repousse l’infortuné Adraste; Agamemnon le perce de son javelot; il tombe z appuyant le talon sur sa poitrine, le fils d’Atrée retire l’arme meur- triere. Nestor, élevant la voix, accroît la fureur des Grecs: Héros de la Grece, serviteurs de Mars, dit-i1,

188,. L’.-I.LIAD E, que l’ardeur. du butin n’engage aucun de vous à s’arrêter sur le champ de bataille, dans le dessein de dépouiller les morts, et de transporter leurs ar- mures aux vaisseaux. Semez de toutes parts le car- nage; après le combat vous vous emparerez sans. crainte et sans danger des riches dépouilles de l’en- nemi. Il dit: le courrouxhqui l’enflamme passe dans. l’aine des Grecs. Dès ce jour, poursuivis par les enfants de la Grece, les Troyens eussent été res- serrés dans leurs murs,.où la fuite les précipitoit, si Hélénus , fils de Priam , celui de tous les augures qui découvre avec plus de certitude , par le vol des oiseaux, la volonté des dieux, n’eût donné à Hec- tor et à Énée ces’sages conseils: vous, qui commandez aux Troyens et. aux Lyciens, les pluscourageux dans le combat, les plus sages dans le conseil, sur vous roulent tous les soins de cette guerre. Volez de rang en rang, empêchez les Troyens de s’enfermer .dans leurs murs; contenez-les aux portes de la ville: craignez que , cherchant unvain asyle entre les bras de leurs épouses , ils ne deviennent la risée de l’ennemi. Quand vous aurez réuni nos phalanges dispersées, nous nous mettrons àqleur tête, Énée et moi; nous combattrons sous nos remparts: resserrés par les

Grecs dans un défiléCHANT étroit, contraints parVI. la né- 189 cessité, nous tiendrons. ferme. Cependant, ô Hec- tor, pénetre dans la sainte cité d’Ilion; dis à notre mere de monter au temple de Minerve, d’assem- bler dans la .citadelle les femmes les plus distin- guées par leur âge, par le rang qu’elles occupent dans cette ville célebre, d’ouvrir le sanctuaire, de placer sur les genoux de la déesse le plus vaste, le plus beau des voiles que son palais renferme, ce- lui qu’elle prise par-dessus tous les autres, de pro; mettre.à.Minerve d’immoler sur ses autels douze génisses d’un an qui n’auront point fléchi sous le joug, si elle daigne prendre pitié des Troyens, de leurs femmes , de leurs enfants, repousser de la sain te cité d’Iliori l’impétueux fils de Tydée,xarti- san de terreur, le plus fort, le plus intrépide des Grecs. L’indomtable Achille, qu’on dit fils d’une déesse, ne nous sembloit pas aussi redoutable: la fureur de celui-ci ne peut être contenue; nul ne ’ peutlui résister. Il dit: docile aux conseils de son frere, couvert de son éclatante armure, Hector se précipite de son char; agitant deux javelots dans ses mains, il vole. de rang en rang, exhorte les siens à tenir fer- me, ranime un sanglant combat. Honteux de leur fuite précipitée, les Troyens se reploient, marchent .

190 . L’AILIADE,’ en ordre contre les valeureux enfants de la Grece, les contraignentide reculer; Hector leur semble un dieu descendu du ciel au secours des siens. Éle- vant la voix: Magnanime’s Troyens, dit-il, et vous, leurs gé- néreux alliés, soyez des héros , rappellez votre force premiere , tenez ferme pendant mon absence ; je vais à Ilion ordonner aux vieillards qui déliberent dans le conseil de la nation, ordonner à nos ten- dres épouses d’adresser leurs vœux aux dieux im- mortels, de leur promettre de riches hécatombes. Il dit, et rejette sur ses épaules son large bou- clier couvert d’une peau noire qui descend jusqu’à ses talons. Cependant Glaucus,fils d’Hippolochus, et Dio- mede , fils de Tydée, s’avancent entre les deux ar- mées, impatients de combattre. Parvenus à la por- tée du javelot, l’intrépide fils de Tydée adresse le premier la parole à Glaucus: Ô le plus audacieux des hommes, dit-il, je ne t’avois pas remarqué jusqu’ici dans la mêlée; main- tenant tu sors des rangs, ta témérité provoque les coups de mon javelot. Ignores-tu que malheureux sont les peres de ceux qui osent se mesurer avec moiPSi je rencontre en toi un dieu descendu de la voûte éthérée pour secourir les Troyens, je n’en-

CHANT’VI. 191 treprendrai pas de lutter contre un habitant des célestes demeures; car la vie du valeureux Lycur- gue, le fils de Dryas, qui osa combattre les dieux, fut de courte durée. Armé de la hache homicide, il ose poursuivre les nourrices de Bacchus dans les bois délicieux de ; toutes abandonnent leurs thyrses , fiaient effrayées: Bacchus lui-même , trem. blant, saisi d’effroi, redoutant les sacrileges me. naces du fils de Dryas , se cache sous les flots de la mer écumeuse; Thétis le reçoit dans son sein. Les dieux en sont indignés; le fils de Saturne répand les ténebres sur ses yeux; objet de la haine des im: mortels, sa vie est de courte durée. Instruit par cet exemple ,- je n’entreprendrai pas de combattre les heureux habitants de l’olympe: mais si tu n’es que l’un des mortels qui se nourrissent des fruits de la: terre , approche; tu parviendras bientôt aux portes-

Que t’importe de connoître mon origine , ô Dio- demede,répond la le vaillant mort. fils d’Hippolochus? La gé-I nération des hommes ressemble à celle des feuilles; le vent enleve les feuilles, et les précipite sur la terre; d’autres verdissent au printemps : ainsi les races des hommes s’éteignent, d’autres les rempla- cent. Cependant, puisque tu desire’s connoître la source du sang qui coule dans mes veines, je ne

192 L’ILIADE, te la cacherai point; elle est illustre. Une ville est située à l’extrémité du Péloponese; on la nomme ’ Éphyre. Sisyphe y régna, Sisyphe, fils d’Éole, le plus rusé des mortels. Il eut un fils, Glaucus, pere de l’irréprochable Bellérophon; les dieux lui don- nerent la beauté, le rendirent le plus courageux, le plus beau des humains. Jaloux de sa gloire , Prœ» tus, qui régna sur lesArgiens (car Jupiter les sou- mit à son empire), méditant la mort de Belléro- phon, le chaSsa de sa terre natale. L’épouse de ce a roi, la divine Antée, conçut une violente passion pour le vertueux Bellérophon : n’ayant pu vaincre sa résistance, furieuse , elle s’adresse au roi Prœtus, son époux: (c Tu périras, ô Prœtus, lui dit-elle, si (c tu ne donnes la mort à Bellérophon; il a osé me a faire violence pour me forcer de consentir à ses (c criminels désirs a), Ainsi l’impudique Antée ca- lomnie le vertueux Bellérophon: elle excite une violente colere dans l’ame du roi Prœ tus; et cepen- dant il évite de le percer de son javelot, car il le respecte dans son cœur. Prenant des tablettes, il écrit au roi de Lycie, son beau-pere, et lui députe Bellérophon. Porteur de ces signes funestes: dans lesquels le roi d’Argos a préparé son trépas, mais certain de son innocence, protégé par les dieux, Bellérophon part, arrive en Lycie, sur les rives du

CHANT VI. 193 Xan thé. Le puissant monarque qui regne sur cette vaste contrée lui fait un accueil honorable, immole neuf bœufs, le traite avec magnificence pendant neufours. A peine la dixieme aurore éclairoit l’ho- rizon, qu’il l’interroge sur l’objet de sa mission , lui demande les tablettes-[Ëont Prœtus l’a chargé. Ins- truit des projets de son gendre, il l’envoie com- battre l’indomtable chimere, monstre de race di- vine; lion par la tête et par sa vaste encolure, ser- pent par la croupe, chevre sauvage dans [Out le reste de son corps monstrueux, le feu jaillit à gros bouillons de sa gueule sanglante, de ses larges na- rines. Se confiant dans les présages des dieux, Bel- lérophon étend ce monstre à ses pieds. Forcé , par l’ordre de Prœtus, de combattre les Solymes, géants terribles , indom tables (ce fut, disoit Bellérophon, le plus périlleux de mes travaux); vainqueur de ces peuples , il est contraint de marcher contre les Amazones: l’intrépide Bellérophon éteint la race de ces femmes guerrieres. A son retour, le roi de Lycie dispose une embuscade d’hommes choisis entre tous les guerriers de cette vaste contrée: au- cun ne revient dans sa maison; tous tombent sous ç les coups de l’invincible Bellérophon. Reconnois- sant enfin , aux exploits de ce héros , qu’il est de race divine , le roi de Lycie le retient dans ses états, . 1 . ’ 25

194 L’ILIADE, l’unit à sa fille par les nœuds de l’hyménée, partage avec lui son empire; les Lyciens lui donnent des champs fertiles, un domaine immense planté d’ar- bres de toute espece. Il habitoit un superbe palais; il eut trois enfants,Isandre,Hippolochus et Laoda- mie. Jupiter aima Laodamié; elle eut de ce dieu le divin Sarpédon: funestes amours qui attirerent à Bellérophon la haine de tous les immortels! Dé- voré de chagrins cuisants, fuyant le commerce des humâns, il erra long-temps dans les forêts de la vaste Lycie. Mars perça son fils Isandre dans un combat contre les Solymes , insatiables de sang; Laodamie tomba sous les fleches de Diane irritée. Hippolochus fut mon pere: il m’envoya au siege de Troie, m’ordonna de me signaler entre les alliés de Priam , de ne point dégénérer de la vertu de mes ancêtres , qui s’acquirent une gloire immortelle dans Éphyre et dans la Lycie. Telle est mon ori- gine, telle est la tige illustre dont je fais gloire d’ê-

Il dit: le vaillant Diomede prend plaisir à l’en-w tretendre. Enfonçant issu. son javelot dans lao terre: Ainsi, dit-il , les nœuds de l’hospitalité nous unis- sent depuis longues années; car le divin Oinéus reçut dans son palais l’irréprochable Bellérophon: il l’y retint pendant vingt jours, lui fit et reçut de

’ .

lui les dons de l’hospitalité.CHANT Oinéus donna à VI.Bellé- 195 rophon un superbe baudrier sur lequel brilloient l’or et la pourpre; Bellérophon donna à Oinéus une coupe d’or à deux fonds que je conserve dans mon palais. Je ne te parle point de Tydée, mon pere; j’étois enfant quand il me quitta pour mar- cher côntre Thebes, où il périt etl’armée des Grecs avec lui. Tu es mon hôte dans Argos; je serai le tien dans la Lycie, si le destin m’y conduit. Les Troyens, leurs nombreux alliés, m’offrent assez de victimes qui éprouveront la force de mon bras, soit qu’un dieu les livre entre mes mains, ou que je les atteigne d’une course rapide; les Grecs t’of- frent assez de héros contre lesquels il te sera facile de signaler ton courage: évitons de combattre l’un contre l’autre; échangeons nos armes; que tous sachent que nous nous glorifions d’être liés par les nœuds de l’hospitalité qui unirent nos peres. Ainsi ils parlent; et, s’élançant de leurs chars, ils serrent leurs mains l’une dans l’autre, se jurent une amitié mutuelle. Glaucus revêt l’armure du fils de Tydée; le fils de Tydée, celle de Glaucus. Le fils de Saturne égare en ce moment l’esprit du Ly- cien Glaucus: il échange son armure d’or, du prix de cent bœufs, contre les armes d’airain du fils de Tydée , qui n’en valoient que neuf.

196 ’ L’ I L I A D E, Cependant Hector arrive à la porte Scée et au grand hêtre. Les épouses, les filles des Troyens, l’environnent, le questionnent sur leurs enfants, I sur leurs freres, sur leurs époux, sur leurs amis: (c De grands maux vous menacent, leur dit Hec- cc tor: adressez vos vœux à Jupiter a). Il dit, et fend la foule, parvient à la brillante n demeure de Priam, que de superbes portiques en- vironnent: cinquante palais de marbre, occupés par les cinquante fils de ce roi et leurs légitimes épouses, emplissent cette vaste enceinte; douze l pavillons y sont disposés par ordre; les gendres de Priam et leurs respectables épouses les habitent. En ce lieu la tendre mere d’Hector s’offre à sa vue: , elle marchoit vers le palais de Laodice, la plus belle de ses filles..Hécube vois sOn fils, l’appelle, vole dans ses bras z Ô mon fils, lui dit-elle, pour quel motif, aban- donnant l’armée, arrives-tu dans ce palais? Sans doute les Troyens sont repoussés jusques sous nos murs? ta piété te conduit à la citadelle pour élever vers le ciel tes bras suppliantSPArrête , que je mette la coupe sacrée entre tes mains, que je l’emplisse, qu’ayant fait de saintes libations à Jupiter et aux autres divinités, ce breuvage salutaire rende la vi- gueur à tes membres fatigués; car le vin augmente

la force de l’hommeCHANT qu’épuisent les travaux VI. de la 197 guerre: ainsi tu t’es las’sé en secourant les tiens. Ne m’apporte point de vin, ô ma respectable mere, lui répond le vaillant Hector; crains d’affoi- a blir mon courage. Le respect que je porte au maî- tre des dieux ne me permet pas de lui faire de sain- tes libations avec des mains impures : le dieu qui dominé sur les nues repousseroit les vœux d’ùn mortel souillé de sang et de carnage. Mais assem- ble les femmes les plus diStinguées par leur âge, par le rang qu’elles tiennent dans cette cité céle- bre; monte avec des parfums au temple de Mi- nerve ,I qui préside à l’assemblée des nations ; place sur les genoux de la déesse le plus vaste, le plus beau des voiles que ce palais renferme, celui que ’ tu prises par-dessus tous les autres; promets à Mi- nerve d’immoler sur ses autels douze génisses d’un an qui n’auront point fléchi sous le joug; qu’elle daigne prendre pitié de cette ville , protéger nos femmes et nos tendres enfants , écarter de la sainte cité le fils de Tydée, artisan de terreur. Empresse- toi, ô ma mere, de remplir cet auguste ministere; je vais trouver Pâris, j’essaierai de le rappeller au combat, de ranimer son courage par mes conseils. Plût aux dieux que la terre s’entr’ouvrît sous les pas de ce monstre, le fléau des Troyens, de Priam

198 L’ILIADE, et de ses enfants, ou que,le dieu qui habite’le som- , met de l’olympe l’écra’sât de’ sa foudre ! Le our au- quel je le verrois descendre dans les sombres de- meures effaceroit de mon esprit le triste souvenir des maux qui nous accablent. Il dit z Hécube, rentrant dans le palais, donne ses ordres aux esclaves. Les femmes les plus dis- tinguées par leur âge , par le rang qu’elles occupent dans Troie, se réunissent dans l’auguste demeure des rois; Hécube monte à l’appartement parfumé qui renferme les voiles, ouvrage des femmes Sido- niennes, que le beau Pâris apporta de Sidon , quand il traversa la plaine liquide, dans ce même voyage pendant lequel il ravit la belle Hélene. La mere d’Hector choisit entre ces voiles le plus grand, le plus beau, le plus précieux; placé sous tous les au- tres, il brille comme un astre par la variété de ses couleurs, par la finesse du travail. Tel est le voile précieux que la reine destine à être’offert à Mi- nerve. Portantdans ses mains ce voile éclatant, suivie des femmes les plus âgées, les plus distin- guées entre les Troyennes , elle marche vers le tem- ple de la déesse, situé dans la citadelle de Troie. Les portes du sanctuaire sont ouvertes par la belle Théano, fille de Cissé, l’épouse du valeureux An- ténor, que les Troyens établirent prêtresse de Mi-

CHANT VI. 199 nerve. Toutes , les mains élevées vers le ciel, implo- rent avec des cris perçants le secours de la déesse. Prenant des mains d’Hécube le voile d’un prix inestimable, Théano le pose sur les genoux de Mi- nerve, adressant cette fervente priere à la fille du grand Jupiter: Respectable divinité, protectrice des cités, la plus puissante des déesses qui habitent l’olympe, ô Minerve, brise le javelot du fils de Tydée; qu’il tombe dans .la poussiere, sous la porte Scée qu’il assiege : nous immolerons dans ton temple douze génisses d’un an qui n’auront point fléchi sous le joug, si tu prends pitié de la grande cité d’Ilion, des épouses (les Troyens , de leurs tendres enfants. Ainsi prient Théano et les femmes troyennes;

Minerve, la fille du grand Jupiter, està? inflexible. Cependant Hector s’avance vers le superbe pa- lais dont Pâris donna lui-même les plans aux artis- tes célebres que l’opulente ville de Troie renferme dans ses murs. De vastes logements, un magnifi- que pavillon , précédés d’une courimmense, furent construits par leurs soins près du palais de Priam et de celui d’Hector, dans la haute cité d’Ilion. L’ami de Jupiter, Hector, pénetre dans cette Spa- cieuse et brillante demeure: son javelot de dix cou- dées brille dans ses mains; l’éclat de la pointe

zoo L’ILIADE, aiguë dont il est armé imprime la terreur; un an- neau d’or l’environne. Le grand Hector trouve Pâ- ris occupé à polir, à nettoyer ses belles armes , son bouclier, sa cuirasse , son arc recourbé : assise à ses cô tés, entourée de ses femmes , Hélene préside à leurs brillants ouvrages. Adressant à son frere ces reproches amers: Lâche, lui dit Hector, quelle haine injuste as- tu conçue contre ta patrie? Les peuples périssent sur nos hautes murailles. Premier auteur de cette guerre cruelle, ayant attiré sur ta patrie l’implaca- ble courroux des enfants de la Grece , si tu voyois un autre fuir les travaux, fuir les périls de la guerre, tu le forcerois de combattre. Leve-toi; éloignons la flamme prête à consumer cette grande cité. Tes reproches sont justes , ô Hector, lui répond le divin Pâris; daigne toutefois m’écouter. Je plains les malheurs de ma patrie, et n’ai point conçu une haine injuste contre les Troyens. Retiré au fond de mon palais, je dévorois en secret ma douleur: les tendres reproches de mon épouse me rappel- lent au combat; ils ont ranimé mon courage. Ce conseil me semble préférable; car la victoire change souvent de parti. Attends que e me couvre de mes armes, ou pars, si tu veux; je te suivrai, et ne tare derai pas à t’atteindre.

CHANT VI. 201 Il dit: Hector ne daigne pas lui répondre: Hé- lene adressant la parole à son beau-frere : Ô mon cher frere, lui dit-elle , si mes crimes, si ma honte souffrent encore que je te donne ce nom; plût aux dieux que , le jour auquel ma mere me mit au monde, une tempête m’eût transportée au som- met d’une haute et déserte montagne, ou précipi- tée dans les flots de la mer éCumeuse, avant que je me fusse rendue coupable de tels forfaits! Puisque ma destinée, puisque les conseils des dieux m’en- traînoient dans le crime, au moins devoient-ils me donner un époux généreux, sensible à la ’honte, sensible à l’indignation des hommes : mais l’incons- tance et la foiblesse son t le partage de l’époux qu’ils m’ont choisi; il en sera la premiere victime. Dai- gne attendre quelques instants, ô mon frere; prends, place sur l’un de ces trônes. Les soins, les travaux de la guerre occupent ton esprit, je le sais; ils rou- lent sur toi plus que sur tous les autres : guerre af- freuse , que mon crime et celui de Pâris ont attirée , qui nous rendra la fable des races futures. s Ô Hélene, chére à mon cœur, lui répond le vaillant Hector, n’essaie pas de m’arrêter; tu ne me persuaderois point: je me hâte de retourner au combat, secourir les Troyens; opprimés pendant mon absence, ils attendent mon retour avec impa- 1. 26

202: L’ILIADE, tience. Presse le départ de Pâris: il m’atteindra fa- cilement avant que je sois hors des portes de la ville; car je vais à mon palais visiter ceux qui l’ha- bitent , embrasser mon épouse , embrasser mon fils au berceau: j’ignore si le destin me ramenera dans leurs bras , ou si je succomberai sous les ef- forts des enfants de la Grece. Ayant ainsi parlé , le vaillant Hector quitte Hé- lene et Pâris, marche vers son palais. Il n’y trouve point Andromaque: en proie aux plus vives alar- mes, poussant (le profonds soupirs, elle se dispose à monter sur la tour d’Ilion; une esclave porte son fils dans ses bras. Hector ne rencontre point dans son palais sa vertueuse épouse; il s’arrête sur le seuil de la porte: adressant la parole aux femmes

Femmes soumises à mes ordres, leur dit-il, ne captives:me cachez pas! la vérité : où est allée la vertueuse . . Andromaque? Chez quelques unes de ses belles- sœurs ou au temple de Minerve, où les plus illus- tres des Troyennes s’efforcent de fléchir cette im- placable divinité? Puisque tu m’ordonnes de te direla vérité, ô Hector, lui répond la vigilante célériere, Andro- maque n’est allée ni visiter ses belles-sœurs ni au temple de Minerve, où les plus illustres des Troyen-

CHANT VI. ’ 203 nes s’efforcent de fléchir cette implacable divinité. Instruire que les Troyens sont repoussés jusques sous nos remparts, que les Grecs sont vainqueurs, semblable à une bacchante, elle s’estélancée d’une course rapide, elle vole vers les mursfie cette grande cité , elle monte en ce moment sur la haute tour d’Ilion; son fils l’accompagne , entre les bras de. sa

’nourrice.Ainsi parle cette vigilante V ’ esclave. Hector se hâte de sortir du palais; parcourant le même che- min par lequel il est arrivé , il traverse à grands-pas la cité de Troie. Parvenu-à la porte Scée, tsar c’é- toit par cette porte qu’il devoit sortir pour rejoin- dre’l’armée, sa respectable épouse, ornée de toutes les vertus , qui lui apporta une riche dot, Androma- que , la fille du magnanime Ëtion, se précipite dans ses bras. Étion, roi des Ciliciens, habitoit la puis- sante ville de Thebe , dans l’ombragée Hypoplacie; sa fille épousa le grand Hector. Près d’elle une femme esclave tient attaché à son sein l’unique fruit de leurs amours, le fils d’Hector au berceau, ce fils chéri, semblable à un astre brillant qui s’é- leve sur l’horizon; Hector le nomma Scamandrius: . mais les peuples changerent ce nom en celui d’As- tyanax; car Hector seul étoit le plus ferme rempart d’Ilion. Une douce joie s’empare de l’ame du grand

.204 L’ILIADE, Hector, à la vue de son épouse et de son fils; il sourit. Andromaque, leserrant dans ses bras, l’ar- rose de ses larmes: Infortuné , qu’une ardeur insatiable des combats précipite dans’la tombe, dit-elle, ni ton fils au ber- ceau , ni ton épouse désolée , ne peuvent émouvoir ta pitié; ton épouse, qui sera bientôt veuve : car les Grecs se réuniront pour fondre sur toi, pour t’ac-’ cabler par le nombre. Mon sort seroit plus doux, si je descendois avec toi dans la tombe: te perdant, il ne me restera qu’un deuil affreux et des douleurs qui ne-recevront aucune consolation. Mon pere, ma respectable mere, ne sont plus.Mon pere tom- ba sous les coups de l’invincible Achille, lorsq’u’il dévasta la grande cité de Thebe, la puissante ville des Ciliciens: respectant dans son cœurle vertueux Étion, le fils de Pélée ne se permit point de s’em- parer de ses armes; ses mains victorieuses place? rent sur le bûcher la dépouille mortelle de ce hé- ros, couverte de son éclatante armure. Achille lui éleva un tombeau; les filles du dieu qui porte l’é- gide, les nymphes des montagnes, planterent des ormes à l’entour. J’eus sept freres élevés dans le palais (le mon pere, occupés à garder les troupeaux . d’Étion: le léger Achille fondit sur eux;’tous tom- berent, en un même jour, sous les coups de son

javelot. Ma mere régnoitCHANT dans l’ombragée,’Hypo- VI. 205 placie; Achille l’emmena captive sur ces rives, s’em- para de ses trésors : à peine eut-il accepté la riche rançon que nous lui offrîmes, et rendu la liberté à ma tendre mere, qu’Artémise la perça de ses fle- ches, dans le palais de mon pere. Hector, je re- trouve en toi mon pere, ma respectable mere, mes freres; car tu es mon époux. Prends pitié de moi; demeure sur cette tour; ne souffre pas que ton épouse soit veuve et ton fils orphelin; défends avec ton armée ce figuier sauvage, où la ville est plus abordable, la muraille d’un .accès moins difficile. Déja trois fois les plus valeureux enfants de la Grece, les deux Ajax, l’illustre Idoménée , les trou- pes que commandent les deux fils d’Atrée, l’invin- cible fils de Tydée, ont tenté l’assaut par cet en- droit, soit qu’un dieu le leur ait indiqué, ou que leurs propres conseils les y aient conduits. Ô ma chére épouse , lui répond le vaillant Hec- tor, des présages affreux s’offrent à ma pensée: mais l’amour de la gloire me soutient; je crains lés re- proches des Troyens et des Troyennes; Je les mé- riterois, si je tentois d’échapper, par une fuite hon- teuse, aux fureurs de Mars: 1110i qu’ils ont vu, pen- dant toutle cours de cette guerre cruelle, combattre hors des rangs, donner l’exemple aux Troyens, je

206 L’ILIADE, dégénérerois de la gloire de mon pere, je démen- tirois mes propres exploits. Je ne l’ignore pas ; cette triste pensée ne sort point de mon esprit: un jour viendra témoin de la ruine de Troie, té- moin de la mort de Priam et de son peuple belli- queux. Cependant les malheurs qui menacent les Troyens, Hécube, le roi Priam , mes freres, troupe . nombreuse d’intrépides guerriers qui tomberont sous les coups de nos ennemis, le front collé dans la poussiere, déchirent moins sensiblement mon cœur que ton sort, ô ma chére épouse. Si l’un des héros de la Grèce t’efnmenoit captive, baignée de larmes, s’il te transportoit dans Argos, condamnée ,àde vils travaux, forcée de tresser des voiles dans Son palais, Ou de puiser de l’eau à la fontaine de MesSéis ou d’Hypérée , ton orgueil s’indigneroit de ces honteux devoirs; mais l’impérieuse nécessité t’y contrfildr’oit. T e’voyant baignée de larmes , le Grec diroit : (c Cette femme fut l’épouse d’Hector, (c le. lus intrépide (les Troyens, celui qui défendit «1631118 cpurageusement Ilion contre les enfants (c de la Grece a). Ainsi parleroit ce Grec; et tes dou- leurs serOient renouvellées, privée d’un époux qui seul pouvoit te défendre de l’esclavage. Que la terre m’enferme dans ses gouffres profonds, avant qu’on

CHANT VI. 207 t’arrache de mes bras, avant que tes Cris doulou- reux viennent frapper mon oreille! Ayant ainsi parlé, le vaillant Hector étend ses bras vers son fils. L’enfant, effrayé de l’éclat de l’ai- rain , desmouvements du panache qui flotte sur le casque de son pere, se détourne en criant, se pen- che sur le sein de sa nourrice. Son père, sa respec- table mere, sourient à cette vue. Hector détache son casque, le pose à terre, prend son fils dans ses bras, l’éleve vers le ciel: ’ Ô Jupiter, dit-il, et vous, heureux habitants de l’olympe , accordez à cet enfantd’être , comme moi, le rempart de Troie , courageux dans le combat, ferme etsage dans le gouvernementde cette grande cité. Qu’on dise un jour, le voyant revenir du com- bat, chargé des dépouilles sanglantes d’un ennemi qu’il aura terrassé : cc Celui-ci vaut mieux que son cc pere a) ! Que ces paroles portent la joie dans l’ame A de sa mere. Il dit, et remet son fils entre les bras de sa ten- dre épouse. Andromaque, baignée de larmes, le presse contre son sein. La joie et la pitié combat- tent dans l’ame d’Hector: accablant de caresses la triste Andromaque,: Infortunée , lui dit-il, modere’ ta douleur: aucun

208 L’ILIADE, homme n’est précipité dans les sombres demeures contre l’ordre du destin; aucun , foible ou coura- geux, ne retarde le fatal ciseau qui doit couper la trame que les parques lui filerent à l’instant de sa naissance. Retourne dans ton palais, ô ma chére épouse; commande à tes femmes, préside à leurs ouvrages, reprends ta toile et tes fuseaux: les soins de la guerre, la défense de la patrie, regardent les héros à qui Troie a donné naissance, et moi plus que tous les autres: Ayantainsi parlé , le magnanime Hector reprend son casque, que surmonte un terrible panache de crins de cheval. Andromaque regagne lentement l’augus te demeure des rois,se retournant sans cesse, jettant sur son époux de tristes regards; des larmes abondantes coulent de ses yeux. Le cortege nom- breux de ses femmes l’attend; son récit, ses larmes, les effraient; le palais ’d’Hector retentit de leurs cris douloureux: elles pleurent Hector vivant; car elles n’osent espérer qu’échappé à la fureur des Grecs, il revienne dans son palais. Pâris ne tarde pas à rejoindre son frere. A peine a-t-il vêtu son éclatante armure, sur laquelle brille l’airain étincelant, que, fier de la légèreté de sa course , il traverse à grands pas la vaste cité d’Ilion.

CHANT VI. 209 Tel un vigoureux coursier qu’une pâture abon- dante a refait dans l’étable, ayant rompu ses liens, frappant la terre à coups redoublés , fier dans sa dé- marche, élevant sa tête altiere , s’élance dans la plaine, impatient de se baigner dans l’onde pure d’un fleuve qu’il connoît; une abondante criniere flotte sur ses épaules; ses jarrets nerveux, ses sauts hardis le portent avec légèreté aux pâtures accou- tumées: tel le fils de Priam , couvert d’une armure éclatante, brillant comme l’astre du jour, orgueil- leux, se confiant dans ses forces ,, descend d’un pas rapide du superbe palais qu’il habite dans la haute cité de Troie; ses pieds le portent avec légèreté; il atteint le divin Hector lorsque ce héros se sépare de sa tendre épouse : Mon respectable frere, .lui dit-i1, je me suis empressé de te joindre, et cepen- a dant je crains que tu ne me reproches de t’avoir arrêté trop long- temps. Infortuné, lui’ répond le magnanime Hector, la force ne manque point à ton bras; un juste esti- mateur des travaux guerriers ne t’imputera de man- quer ni de force ni de courage dans l’action: mais tu te relâches et refuses de combattre; les repro- ches des Troyens, accablés de travaux par ta négli- gence, percent mon ame d’une douleur profonde. l. 27

210 L’ILIADE, CHANT VI. Marchons; nous mettrons fin à ces débats, si Ju- piter permet que , délivrés du fardeau de la guerre, mis en liberté, ayant repoussé de nos murs les va- leureux enfants de la Grece, nous offrions, dans son temple, de solemnels sacrifices d’actions de graces à tous les immortels.

FIN DU SIXIÈME CHANT.

N O T E S DES 51x PREMIERS CHANTS DE L’ILIADE.

OBSERVATIONS SUR LA DURÉE ET LA MARCHE

DES DEUX POEMES D’HOMERE.

ILIADE. N’ofi’rez point un sujet d’incidents trop chargé. Le seul courroux d’Achille , avec art ménagé , Remplir abondamment une Iliade entiere. Souvent trop d’abondance appauvrit la mariera. BOILIAU-

Cnnvsès arrive à l’armée des Grecs pour racheter sa fille captive; Agamemnon refuse de la rendre. Apollon irrité envoie une épidé- mie qui dévaste l’armée. Pendant neuf jours, les fleches du dieu de la lumiere ne cessent d’accabler l’armée des Grecs. t Le dixieme , Achille convoque l’assemblée de la nation. Tel est le premier jour du courroux d’Achille. Il invoque Thétis, sa mere; mais Thétis est onze jours sans pouo voir implorer le secours de Jupiter. Il partit hier, dit la déesse, invité à un festin et à de solemnels sacrifices chez les irréprochables Éthiopiens... . de douze jours il ne remontera sur l’olympe. Le douzieme jour du courroux d’Achille, au lever de l’aurore , Thétis monte sur l’olympe , implore le secours du pere des dieux et des hommes pour venger l’injure faite à son fils. C’est le sujet du premier chant.

214 DURÉE ET MARCHE La nuit du même jour, Jupiter envoie à Agamemnon un songe trompeur. Le roi des rois assemble l’armée des Grecs. Les deux ar- mées étant en présence, Hector propose de terminer la guerre par un combat singulier de Pâris et de Ménélas. Pâris est vaincu; mais les Troyens refusent d’exécuter le traité convenu. La guerre recom- mence. Mars et Vénus sont blessés par Diomede. Hector ramene Pâris à l’armée ,. et quitte Troie pour n’y plus rentrer. La bataille se ranime avec plus de fureur; elle est terminée par le combat singulier d’Hector et d’Ajax. Tous ces événements, qui remplissent l’espace d’une seule journée et de la nuit qui précede, sontla matiere de cinq chants, depuis le deuxieme jusques vers le milieu du septieme. La fin de ce même chant et le huitieme remplissent l’espace de quatre jours. Le soir de la treizieme journée, les deux nations con- viennent d’une treve , pour enterrer les morts. Le quatorzieme jour est employé à ce triste devoir. Pendant la nuit suivante et pendant la quinzieme journée , les Grecs construisent la haute muraille. Le seizieme jour, les combats recommencent; septieme et hui- tieme chants. Hector vainqueur repousse les Grecs dans leur camp, et s’ar- rête surle bord du fossé qui environne la haute muraille. Les Grecs effrayés essaient de fléchir le courroux d’Achille, en lui députant Ulysse, , Ajax. Le fils de Pelée est inexorable. Dans la même nuit, Ulysse et Diomede donnent la mort à Dolon , à Rhésus et à douze de ses compagnons. Le lendemain , dix-septieme jour de la colere d’Achille , les com- bats recommencent: Hector est vainqueur; les Troyens font breche à la haute muraille ; Neptune ranime en secret l’intrépidité des Grecs; Hector met le feu au vaisseau de Protésilas. Patrocle obtient de se couvrir des armes d’Achille pour combattre les Troyens; il donne la. mort à Sarpédon , et tombe lui-même sous les coups d’Apollon, d’Euphorbus et d’Hector. Les Grecs et les Troyens se livrent un san- glant combat sur le corps du fils de Ménétius; Ménélas et Mérion s’emparent de cette précieuse dépouilleÎ Soutenus parles deux Ajax ,

DE L’ILIADE. 215 poursuivis par Hector et par les Troyens , ils la reportent au camp. Achille paroit sur le bord du fossé. Quoique désarmé , sa seule pré- sence disperse les Troyens. Telle est la dix-septieme journée, qui remplit sept chants, depuis et compris le onzieme jusqu’à la moitié du dix-huitieme. Pendant la nuit suivante , Vulcain forge des armes pour Achille. Au lever de l’aurore du dix-huitieme jour, Thétis les apporte à son fils. Achille poursuit les Troyens dans la plaine, en fait un horrible carnage sur les rives du Xanthe, les repousse usques sous leurs murs,- combat et donne la mort à Hector, l’attache à son char, le traîne trois fois autour des murs de Troie , et de là dans le camp des Grecs; ce qui comprend la fin du dix-huitieme chant et les vingt, vingt-un etQue vingt-deuxieme. demain, au lever de l’aurore, le roiI des hommes , Agamem- non, ordonne à l’armée d’aller dans la forêt couper le bois néces- saire au bûcher qui consumera les déplorables restes de Patrocle. Les funérailles de Patrocle commencent au dix-neuvieme jour de la colere d’Achille. Pendant toute la nuit suivante , poussant de longs gémissements , se roulant sur la terre , errant autour du bûcher de son fidele compa- gnon, il attend que l’étoile du matin, couriere du jour, se montre sur l’horizon. Au lever de l’aurore, accompagné des chefs de l’armée , le fils de Pélée rassemble les os de Patrocle , les enferme dans une urne d’or, ouvre les jeux et les combats funéraires. C’est le sujet du vingt-troi- sieme chant, qui comprend la dix-neuvieme et la vingtieme journées. Pendant onze jours il traîne le corps d’Hector autour du tombeau de son compagnon. QUand la douzieme aurore paroit sur l’horizon, Apollon adresse la parole à tous les immortels. Jupiter ordonne à Thétis de fléchir son fils, à Priam d’aller seul, avec son héraut Idée , au camp des Grecs, racheter la dépouille mortelle d’Hector. Le vieux Priam , pré- cédé d’Idée, accompagné par Mercure, arrive au moment qu’Achille

216 DURÉE ET MARCHE acheve le repas du soir; la table est encore dressée. Il obtient de re- porter dans Troie le corps d’Hector, et une treve de onze jours pour les funérailles de son fils. C’est le sujet du vingt-quatrieme et dernier chant. Ainsi la durée entiere du poème de l’Iliade est de quarante-deux jours, à compter depuis l’époque du courroux d’Achille, sujet du poème; et de cinquante-trois, en remontant àl’arrivée de Chrysès au camp des Grecs.

DE L’ODYssEE. 217

ODYSSEE

ULYSSE est retenu dans l’isle de . J’irai à Ithaque, dit Mi- nerve , animer le fils d’Ulysse.... je l’enverrai à Sparte et à Pylos s’enquérir d’un pere si digne de son amour, et mériter une gloire immortelle parmi les hommes. L’arrivée de Minerve à Ithaque , ses entretiens avec Télémaque , le courage que la déesse inspire au fils d’Ulysse, les douleurs de Pé- nélope. Premiere journée. Quand la fille de l’Air, l’Aurore aux doigts de rose, annonce le retour de la lumiere, le fils d’Ulysse sort avec précipitation de son - lit... . ordonne aux hérauts de convoquer l’assemblée des Grecs. Le son de leurs voix éclatantes se fait entendre; les peuples arrivent en foule. Cette assemblée et les préparatifs du départ de Télémaque. Seconde journée. Télémaque ordonne à ses compagnons d’appareiller. . . Minerve , sous la forme de Mentor, les accompagne pendant une nuit entiere et le jour qui la suit. Troisieme journée. Le soleil , quittant le séjour de l’onde , s’éleve sur la voûte azurée, pour éclairer et les dieux et les hommes qui habitent sur la terre, quand Télémaque et ses compagnons arrivent à Pylos , la puissante ville de Nélée.. .. Il y demeure un jour entier, et repart le lende- main , accompagné de Pisistrate, fils de Nestor. Le soleil se couche , les chemins sont obscurcis; les deux voyageurs arrivent au palais de Dioclès , fils d’Orsiloque , qui remplit envers eux les devoirs de l’hos- pitalité. Quand le repos de la nuit a dissipé les fatigues de la journée, que la fille de l’Air,1’Aurore aux doigts de rose, ouvre8 les portes du l . 2

218 DURÉE ET MARCHE jour, les coursiers sont attelés; Télémaque et Pisistrate montent sur le char. . . Ils arrivent dans les fertiles campagnes de Mycenes, terme de leur voyage, au moment que le soleil cesse d’éclairer la terre. Quatrieme , cinquieme et sixieme journées. Le terme du voyage de Télémaque concourt avec l’arrivée d’U- lysse à Ithaque. Pere des dieux et des hommes , et vous tous , heureux immortels, qu’il n’existe plus sur la terre de rois justes , amis des hommes , si le souvenir du divin Ulysse est effacé de la mémoire des peuples sur lesquels il régna comme un pere tendre l.., Ma fille, quelle parole est sortie de ta bouche De retour dans ses états, Ulysse punira . les brigands qui dévastent sa maison. Ramene toi-même Télémaque . dans sa patrie. . .. Ainsi parle Jupiter; et il appelle son fils Mercure , l’envoie au pa- lais de la nymphe Calypso. Mercure arrive chez Calypso sur la fin de la sixieme journée du poème. Docile aux ordres du maître des dieux , la nymphe cherche Ulysse, le trouve assis sur le rivage de la mer, versant des larmes à la vue de l’espace immense qui le sépare de sa terre natale. Infortuné, lui dit-elle, cesse de consumer ta jeunesse dans les pleurs et dans la tristesse; je consens acron départ: choisis de vieux chênes, façonne -les avec la cognée , assemble les planches, construis un navire commode, couvre-le d’un pont; qu’il te porte avec sû- reté sur la plaine liquide. . . . Cependant le soleil se couche , la nuit couvre le ciel de son ombre parfumée. Quand la fille de l’Air , l’Au- tore aux doigts de rose , paroit sur l’horizon ..... la nymphe précede Ulysse, s’avance avec lui jusqu’à l’extrémité de l’isle. La sont de vieux arbres séchés depuis long-temps , propres à voguer avec légè- reté sur les ondes.... Calypso, la reine des nymphes, les montre à Ulysse. . .. . La construction du vaisseau et de tous ses agrès est l’ou- vrage de quatre jours. Dans la cinquieme journée , la nymphe purifie elle-même sbn amant parle bain , le couvre de vêtements parfumés. . . l lui procure un vent favorable... . Pendant dix-sept jours le sommeil

DE L’ODYssÉE. 219 ne ferme point les paupieres du fils de Laèrte.... Le dix-huitieme , les montagnes ombragé es de la terre des Phéaciens s’offrent à sa vue. . . Neptune suscite une horrible tempête; le vaisseau d’Ulysse est brisé; il gravit la rive escarpée, se tapit sous un énorme amas de feuilles; Minerve répand sur ses yeux un doux sommeil... . Fin de la dix-hui- tieme journée, depuis le départ d’Ulysse de l’isle de Calypso, et de la vingt-neuvieme du poème. Par cet énorme amas de feuilles qu’U- lysse rencontre dans la Schyrie (l’isle des Phéaciens) , où il aborde , le poète nous fait connoître la saison dans laquelle il place les événe- ments qui font le sujet de son poème : c’est le temps de lachûte des feuilles , le commencement de l’automne. Dans la trentieme journée, Ulysse aborde Nausicaé, fille d’Alci- . noüs, roi des Phéaciens. Il est conduit par cette princesse et par Mi- nerve au palais d’Alcinoüs. Arétée ordonne à ses femmes de placer un lit sous la voûte sonore du portique, d’étendre par-dessus des couvertures de pourpre et de superbes tapis et les laines les plus fines. Lorsque la fille de l’Air, l’Aurore aux doigts de rose, se montre sur l’horizon, Alcinoüs et Ulysse , le destructeur des cités, se levent. Alcinoüs précede Ulysse ; ils marchent àl’assemblée des Phéaciens. . . Cette assemblée , les préparatifs du départ d’Ulysse , les jeux , les combats, les présents d’Alcinoüs et des chefs de la nation , remplis- sent le huitieme chant. Trente-unieme journée. Sur la fin du même jour et pendant la nuit suivante , Ulysse fait à Alcinoüs et aux Phéa- ciens assemblés le récit de ses aventures. N envieme, dixieme et on-

ziemeVous, qui chants.assistez à nos banquets ’ sacrés , qui entendez notre di- vin chanteur, plusieurs vêtements, des sommes immenses , présents que les chefs et conseils des Phéaciens ont faits à notre hôte, sont renfermés dans cette arche : que chaque pere de famille lui donne maintenant un trépied et un vase; nous répartirons cette dépense sur le peuple... . Ainsi parle Alcinoüs , et l’assemblée applaudit. Ces contributions , un sacrifice solemnel , l’arrivée d’Ulysse à Ithaque, l’apparition de Minerve , qui le métamorphose’en vieillard décrépit,

220 DURÉE ET MARCHE remplissent la trentedeuxieme et la trente-troisieme journées. Trei- zieme et quatorzieme chants. Une nuit sombre et humide étoit répandue sur la terre; car Jupi- ter fit pleuvoir pendant toute cette nuit: le vent du midi, le plus - orageux des vents , souilloit; Ulysse essaie d’engager Eumée à lui donner un manteau, ou d’ordonner à quelqu’un de ses compagnons de lui prêter le sien. C’est ainsi que le poète détermine d’une ma- niere plus expresse la saison dans laquelle son héros arrive à Ithaque. Cependant Minerve va à Lacédémone hâter le départ du fils d’U- lysse... Le retour de Télémaque, les entretiens d’Ulysse et d’Eu- mée , l’arrivée de Théoclymene , sont la ma tiere du quinzieme chant. l Trente-quatrieme journée. Télémaque arrive chez Eumée au lever de l’aurore; Minerve rend à Ulysse sa premiere forme. Ô mon hôte, que tu me parois dif« férent de ce que tu étois Tu ne ressembles plus à toi-même, mais aux dieux qui habitent l’olympe.... Je ne suis point un dieu.... je suis ton pere , après lequel tu soupires depuis si long-temps. Ulysse et Télémaque ayant tenu conseil , Minerve frappe le fils de Laèrte,le rend de nouveau méconnoissable. Le vaisseau de Téléma- que et ses compagnons parviennent à Ithaque. Pénélope, apprenant le retour de son fils , forme le projet de s’offrir à la vue des préten- dan ts à son hymen, de leur reprocher leurs projets criminels. Eumée vient rejoindre Télémaque et Ulysse. Seizieme chant, trente-cin- quiemeQuand la fille de l’Air, l’Aùrore journée. aux doigts de rose, ouvre les por-. tes de l’orient. . . . le divin fils d’Ulysse attache ses brodequins, prend - un javelot facile à manier, se dispose à aller à la ville. Son pere le suit de près, conduit par Eumée , chez lequel il a séjourné trois jours et trois nuits , comme Eumée le dit à Pénélope dans le dix-septieme chant. Reconnu par son chien, injurié , maltraité par Mélanthus, par les femmes coupables, par les prétendants, vainqueur d’Irus, il a, sur le soir du même jour, un entretien secret avec Pénélope, à qui il demeure inconnu. Elle remonte au sommet du palais; ses femmes .

DE L’ODYssEE. 221 la suivent: elle pleure Ulysse, son cher époux, jusqu’à ce que Mi-’ nerve Verse sur ses paupieres les pavots du sommeil. Tel est le sujet . des dix-septieme , dix-huitieme et dix-neuvieme chants. Trente- sixieme journée. Les présages, les nouvelles insultes des prétendants et de leurs complices, la joûte proposée par Pénélope , la mort de tous les pré- tendants, la punition des femmes coupables, remplissent les vingt- un et vingt-deuxieme chants. Trente-septieme journée. Réveille-toi, Pénélope, ma chére fille, dit la nourrice Euryclée: empresse-toi de voir de tes yeux celui que ton cœur désire, après lequel tu soupires sans cesse.... Ulysse est reconnu par Pénélope, purifié par le bain , rendu par Minerve à sa forme premiere. Les en- tretiens des deux époux remplissent la trente-huitieme journée et la - nuit qui la suit, que Minerve prolonge , ne permettant pas à l’Aurore d’atteler ses chevaux, Lampus et Phaéton, ni de sortir des profon- (leurs de l’océan, pour porter la lumiere aux mortels. Vingt- troisieme - chant. La descente aux enfers des ames des prétendants , les entretiens d’Achille et d’Agamemnon dans les sombres demeures, le récit des funérailles d’Achille , la reconnoissance d’Ulysse par Laèrte , son pere, la révolte des habitants d’Ithaque appaisée par Minerve, sont la matiere du vingt-quatrieme chant. Quarantieme et derniere journée.

DIVISION DES’DEUX POEMES. ILIADE- PREMIERE PARTIE. Depuis l’arrivée de Chrysès aux vaisseaux des Grecs , jusqu’aux adieux d’Hector et d’Andromaque; à la fin du sixieme chant. ’ He. Depuis la sortie d’Hector de la ville de Troie , pour n’y plus rentrer, jusqu’au moment qu’il franchit la haute muraille du camp des Grecs; à la fin du douzieme chant. IH’. Combats dans le camp des Grecs, mort de Sarpédon, mort de Patrocle, armes forgées pour Achille par Vulcain à la priere de Thétis; à la fin du dix-huitieme chant. IV’. Présents faits à Achille, vengeance qu’il tire de la mort de son compagnon, conseil des dieux , combat sur les rives du fleuve, mort d’Hector, fimérailles de Patrocle, le corps d’Hector rendu à Priam, ses funérailles; vingt-quatrieme chant.

ODYSSÉE. PREMIER]: PARTIE. Conseil des dieux, départ de Télémaque, son arrivée à Pylos et à Sparte, départ d’Ulysse de l’isle de Calypso, son arrivée dans l’isle et à la ville des Phéaciens; à la fin du sixieme chant. II’. Ulysse accueilli par Alcinoüs et par Arétée, présents des Phéa- ciens , récit de ses aventures après la prise de Troie; depuis le chant neuvieme jusqu’à la fin du douzieme. IH°. Arrivée d’Ulysse et de Télémaque à Ithaque, d’abord chez Eumée, ensuite dans le palais, jusqu’au combat d’Irus; au dix-hui- tieme chant. IV’. Insultes des prétendants à l’hymen de Pénélope , leur mort, Ulysse reconnu par son épouse et par son pere, paix rétablie dans Ithaque; depuis le dix-neuvieme chant jusqu’à la fin du vingt-qua- trieme et dernier chant. ’

.NOTES LITTERALES ET HISTORIQUES.

ILIADE. CHANT PREMIER. (PAGE 3. Muse, chante le courroux d’Achille.) J’ai usé , dans toute ma traduction , de la liberté que les poètes se donnent dans notre langue, de s’écarter de la politesse françoise , qui exige que nous employions la seconde personne du plurier au lieu de celle du singulier. Le ton simple, familier, de la nature m’a paru nécessaire pour conserver le caractère de la belle antiquité. J’ai aussi substitué presque par-tout le présent aux aoristes et au prétérit, très lents dans notre langue.

(Ibid. Le courroux d’Achille.) C’est le sens du mot Mm, une haine durable , un courroux per- sévérant, à la différence de xéÀoç, dont nous avons fait le mot fiançois colere, autrefois cholere , l’ardeur du moment.

(Ibid. Aux vaisseaux des Grecs.) Les vaisseaux ayant été tirés à sec sur le rivage , suivant l’usage des anciens, les tentes les touchoient, comme il est expliqué au chant XIV. Ainsi les vaisseaux et le camp des Grecs désignent le même lieu; ce qui m’a déterminé à me servir indifféremment des deux expressions.

224 . NOTES LITTÉRALES (Ibid. La couronne d’Apollon.) Le grec se sert de cette expression «74,4... , dontla racine est :7692", entourer. Quelques interpretes traduisent, les bandelettes sacrées: la couronne m’a paru plus noble; et en effet Homere appelle sou- vent Apollon ciai, roi. t (Page 4. Et vous tous, illustres enfants de la Grece.) Le grec porte: Grecs bien bottés. C’est l’épithete qu’Homere donne par-tout aux Grecs. M. Bitaubé traduit : Grecs revêtus du brodequin guerrier.

o ( Ibid. Que la vieillesse n’ait flétri ses appas , etc.) Le grec porte : Avant que la vieillesse soit tombée sur elle, par- courant le fuseau, loin de sa patrie , retournant mon lit. Madame .Dacier traduit, Travaillant en laine, et ayant soin de mon lit; M. Bi- taubé , Elle ourdira la trame et sera destinée à mon lit. (Page 5. Dieu de Smintho, que ton arc d’argent distingue entre tous les immortels.) Chacun des héros, et sur-tout chacune des divinités, avoit son épithete caractéristique, que j’ai conservée avec d’autant plus de . soin aux dieux et aux déesses, qu’ils sont, pour la plupart, des gé- nies ou des effets physiques. Ainsi Minerve , la déesse de la sagesse , du courage réfléchi, est dite la déesse aux yeux bleus , parceque cette couleur exprime mieux que toute autre la paix de l’ame; Junon , l’air inférieur, est dite aux bras d’albâlre, parceque le blanc des nuées indique la sérénité de l’air; Apollon, le dieu du jom’, dont les feux occasionnent les pestes , les maladies contagieuses , se recon- noît à son arc d’argent, à ses fleches redoutables; Jupiter est distin- gué par les épithetes caractéristiques de l’être infini, le dieu dont les conseils sont éternels, le dieu dont le tonnerre effraie les mortels , le pere des dieux et des hommes.

ET HISTORIQUES. CHANT I. 225

(Page 5. Les mulets et les chiens.) Madame Dacier observe que ces animaux, sur-tout les chiens, sont plus susceptibles de l’air contagieux, à cause de la finesse de - leur odorat. (Page 6. Achille se leve.) Le grec porte : Achille aux pieds légers. Cette épithete , dans Ho- mere , est caractéristique du fils de Pélée; avec raison , car la légèreté de la course étoit une qualité essentielle pour des guerriers qui s’at- taquoient corps à corps : elle leur servoit, non seulement à se déro- ber aux coups de l’ennemi, mais à fondre sur lui, à lui porter des coups inévitables, à le poursuivre. Cependant, dans notre langue, elle présente une idée de timidité et de fuite; ce qui m’a détermi- né à substituer presque par- tout une épithete qu’Homere donne assez communément à ses héros, le divin Ulysse , le divin Achille. Je n’ai conservé l’épithete léger que dans le chant XXII, où Achille, faisant faire à Hector trois fois le tour des murailles de Troie, fait preuve de sa légèreté à la course. Madame Dacier observe que, chez les anciens, les rois mêmes ne parloient que debout dans le conseil ou dans l’assemblée de la nation. Aussi, dans le chant XIX, Agamemnon blessé s’excuse: de parler assis. (Page K7. sa colere, parût-elle calmée, vit dans son ame.) Le grec porte: Quand il cuiroit maintenant son courroux, il le conserve par la suite jusqu’à ce qu’il ait satisfait sa vengeance.

(Page 8. Tant que la belle Chryséis, etc.) Le grec perte: Tant que la jeune fille aux yeux noirs, ou, si l’on veut, aux yeux vifs (car le mot ËÀlzalmç a ces deux sens), ne sera pas rendue1. à son pere. . . 29

226 NOTES LITTÉRALES Chryséis, fille de Chrysès , Briséis, fille de Brisès, noms patronyo miques. Le nom propre de Chryséis étoitAstynome ; celui de Briséis, Hippodamie. Chrysès et Brisès étoient deux freres : le premier , prêtre d’Apollon à Chryse; l’autre, habitant de Pédase, sur le Sta« nion , à dix lieues de Chryse. ’ On nommoit sacrificateurs des temples ceux qui immoloient les victimes que la nation offroit; car les rois et tous les chefs de famille étoient sacrificateurs dans leurs maisons. Cette distinction est expri- mée bien clairement dans le XXe chant de l’Odyssée. On ne man- geoit de chairs que celles qui avoient été consacrées aux dieux par les sacrifices. Cet usage subsista long-temps; ce fut l’origine de la question agitée dans le premier siecle de l’église , s’il étoit permis aux chrétiens de manger de la chair. (Page 8. toi, qui ne sais que prédire des mal- heurs.) E t ait réa: Israël ad Josaplzat .- Remansz’t vz’r 1mm, par quem pos- sumus interrogare Dominant ; sed ego odi eum , quia non proplzetat milzi bonum, sed malum, Miclzaeas,filius Jemla. Le roi d’Israël (Achab) dit : Il est resté un homme par lequel nous pourrions consulter le Seigneur; mais je le hais, parcequ’il ne m’annonce que des malheurs, Michée , fils de J emla. 3. Rois, 22, a). 8. (Page Io. Ingrat qui réunis la cruauté du lion aux ruses du renard.) - Le grec porte: Homme couvert d’impudence, cœur de lion, es- prit de renard. (Page 12. Ou si, mettant un frein aux mouve- ments impétueux de son cœur, il différera sa ven- geance, etc.) Le grec porte : Ou s’il appaiseroitsa colere et retiendroit les mou- vements impétueux de son cœur. Tandis que ces pensées roulent dans son esprit, etc.

ET HISTORIQUES. CHANT I.’ 227 (Page 14. Ô toi, dont l’impudence égale la lâ-. eheté.) Littéralement: Chargé de vin, ayant les yeux de chien, le cœur de cerE (Ibid. Cruel tyran, qui dévores la substance de ton peuple.) Littéralement: Roi, qui dévores ton peuple, parceque tu regnes sur des lâches... Certainement, ô fils d’Atrée , tu m’eusses injurié r maintenant pour la derniere fois. .. . Ces suspensions de phrase sont fréquentes dans Homere. J’ai cru devoir m’en abstenir, non seule- ment parceque le caractère distinctif de la langue fmçoise est la clarté; mais encore parceque cette licence , rejettée unanimement par tous les bons auteurs du siecle dernier, devenue de mode dans le nôtre, quoique plus littérale en apparence, m’a semblé donner au plus ancien poète de l’antiquité un ton moderne, peu convenable à son caractere. (Page 15. Je jure par ce sceptre..... car le droit de juger les hommes, etc.) Aristote remarque, dans ses Politiques, qu’il étoit des rois qui rendoient la justice aux peuples sans prêter serment, d’autres en le prêtant; ce serment consistoit à lever le sceptre. (Ibid. Depuis que la cognée l’a frappé au som- met des montagnes, que l’écorce qui le nourrissoit en a été détachée.) Le grec porte : Depuis qu’il a été coupé au sommet des monta- gnes, depuis que l’airain a détaché ses feuilles et son écorce. Sur - quoi M. Emesti observe, d’après Cl. Riccius, dans ses dissertations sur Homere , que l’art de tremper le fer et de forger l’acier étoit inconnu aux anciens, mais qu’ils le remplaçoient parun art que nous

228 NOTES LITTÉRALES n’avons plus , celui de durcir l’airain au point de le rendre tranchant. C’est par cette raison qu’Homere arme d’airain tous les javelots, tou- tes les armes offensives de ses héros. J’ai cru devoir conserver ce mo- nument de l’antiquité, ne me permettant pas, comme l’ont fait plu- sieurs,traducteurs, et madame Dacier elle-même, de substituer le fer ou l’acier à l’airain dont Homere nous parle sans cesse. Pausanias, liv. 3, ch. 3 , raconte que, de son temps, c’estvà-dire dans le second siecle de notre ere, on montroit à I’hasilée, dans le temple de Minerve , le terrible javelot d’Aehille , dont il sera parlé au XVIe chant de l’Iliade , armé d’airain. On voyoit aussi à Nicomé- die, dans le temple d’Esculape , l’épée de Memnon, dont la lame étoit d’airain.

Û (Page 15. Achevan t ces mots, Il rejette le sceptre, orné de clous d’or, qu’il tient dans ses mains.) Le sceptre des anciens étoit une sorte de pique, de bâton pasto- ral, recouvert d’une lame de cuivre , ou prné de clous d’or: Olim arbos, nunc artificis manas acre decoro I Inclusit. Arbre autrefois, maintenant la main de l’artiste l’a enfermé dans un airain brillant. Enéide, liv. 12. C’est l’origine de la crosse de nos évêques.

(Page 16. Cénée, Exadius, le divin Polyphême, Thésée, fils d’Egée.) La guerre des Lapithes et des Centaures, théâtre des exploits de ces héros, sert à fixer la durée des générations et l’âge de Nestor. Cette guerre survint cinquante-six ans avant la guerre de Troie; le fils de Nélée combattoit alors au milieu .des héros de la Grece , assis- toit à leurs conseils : on ne peut donc lui supposer moins de vingt ans. Si vous ajoutez dix années de la guerre de Troie, car c’est l’é- poque à laquelle commence l’action de l’Iliade , comme nous le verrons au chant II , Nestor avoit alors quatre-vingt-six ans, et par

ET HISTORIQUES. CHANT I. 229 conséquent chaque génération est comptée ici pour trente ans. Il vécut encore long- temps, puisqu’on le retrouve dans l’Odyssée , dix ans après la prise de Troie.

(Page 16. Le divin Polyphême.) Les Lapithes, sur lesquels ce prince régna, étoient des peuples de la Thessalie , voisins des Centaures, auxquels les anciens attri- buent l’invention de l’art de domter et d’assoupir les chevaux; raison pour laquelle les poètes et les peintres les représentent comme des monstres, moitié hommes , moitié chevaux , les plus sages ou les plus méchants des hommes: témoin le Centaure Chiron , qui fut l’institu- teur d’Achille, et d’autre part, les excès auxquels ils se porterent aux noces de Pirithoüs (voyez le XXI° chant de l’Odyssée); car le génie et les talents ont été, dans tous les temps, la source des gran- des vertus et des grands vices. (Page 23. Les dieux nomment ce géant Briarée, les hommes Egéon; car sa force surpasse celle de son père.) E1istathe et Henri Étienne changent ainsi le dernier vers:

0’ 712p c307: fini raki pép’lepoç 5:

[rifloir à: miouç’üwo 7643711907 tûpw’w’la. Car sa force surpasse de beaucoup celle de tous ceux qui habitent le tartare ténébreux.Briarée , de Bplefpoç, fort; ’ Égéen, de Jimmy, s’élancer, et de 7:71, terre. La mythologie fait ce géant fils de Neptune et de la Terre. Il avoit cent bras et cinquante têtes; sublime allégorie d’un général, dont l’armée, dirigée par de sages conseils, marche comme un seul homme , pour me servir de l’énergique expression de nos livres saints. Observons encore cette expression : Les dieux nommentce géant. . . les hommes ...... C’est ainsi qu’HomeIe distingue par- tout les noms anciens des noms modernes.

23e NOTES LITTÉRALES (Page 24. Que la peine due au crime de leur roi s’étende sur la nation entière.) Le grec porte: Afin qu’ils jouissent de leur roi. Ironie amere, à laquelle j’ai cru devoir substituer le sens qu’elle présente. (Ibid. Ô mon fils, que j’élevai avec tant de soins , etc.) Le grec porte: Ô mon fils , pourquoi t’ai-je élevé , t’ayant mis au monde sous une cruelle destinée? (Page 25. Il partit hier , invité par les irrépro- chables Éthiopiens.) Ûceanifinem juxta solemque endentent , Ultimus AEthiopum locus est, ubi maximas .6 11me humera torque: stellis ardentibus aptum. Près des rives de l’Océan , vers le lieu où le soleil se couche , à l’extrémité de la terre, est la demeure des Éthiopiens. C’est la qu’Atlas, énorme géant, fait tourner sur son épaule l’axe du monde et la voûte du ciel parsemée d’étoiles. Enéide, liv. 4. Un temple célebre étoit consacré à Jupiter dans Diospole, ville d’Éthiopie , dont le nom signifie la ville de Jupiter. Dans un certain temps de l’année , ces peuples portoient la statue de Jupiter et celles des autres dieux processionnellement autour de la contrée, et leur offroient des sacrifices et des festins solemnels pendant douze jours, coutume adoptée par les Grecs; c’est l’origine du Iectisternium des Romains. (Page 26. Ayant lavé leurs mains dans l’onde salée.) Les anciens regardoient comme une impiété d’offrir les sacrifices avec des mains impures. Voyez Hésiode , des Travaux et des Jours, et le discours d’Hector à. Hécube , au V1e chant.

ET HISTORIQUES. CHANTI. 231 C’est ici le lieu de résumer les cérémonies des sacrifices , par les- quels commençoient tous les festins, dont il est parlé fréquemment dans l’Iliade et dans l’Odyssée. . La victime étant amenée devant le ministre de la divinité ou de- vantla personne la plus considérable de l’assemblée, qui en faisoit les fonctions , il détachoit quelques poils qu’il jettoit au feu , et ver- soit ensuite sur la tête de la victime plusieurs poignées d’orge rôti, mêlé de sel; à défaut d’orge on employoit de la farine de froment. On égorgeoit la victime, et on la coupoit par quartiers; la graisse appartenoit aux dieux. Voyez la Théogonie d’Hésiode. Ils en enve- loppoient les cuisses , détachoient des portions de toutes les parties, les plaçoient sur la graisse , comme les prémices consacrées à la divi- nité , posoient le tout sur un brasier ardent, afin que la fumée s’éle- vât vers le ciel, coupoient le reste par morceaux, l’assaisonnoient, enfonçoient dans chaque morceau de petites broches pour le faire rôtir, distribuoient le tout à l’assemblée par portions égales. C’étoit le maître de la maison , ou la personne la plus distinguée , qui faisoit les portions; quelquefois cependant le chef des esclaves remplissoit cette fonction: ainsi nous verrons, dans le IV’ chant de l’Odyssée, Étionée diviser les chairs dans le palais de Ménélas. Les entrailles étoientiexceptées des portions distribuées à l’assemblée; les sacrifi- cateurs les dévoroient rapidement; expression dont Homere se sert dans toutes ses descriptions. C’est ainsi que la loi de Moyse prescri- voit aux Juifs de dévorer la tête et les intestins de l’agneau paschal: Caput cum pedibus ejus et intestinis vorabitis. Exode, eh. 12. On ne peut s’empêcher d’observer la ressemblance de plusieurs de ces solemnités avec celles prescrites dans les chapitres premier et second du Lévitique. Les gens de la campagIe avoient coutume de prélever une ou deux portions qu’ils consacroient aux nymphes, à Mercure, ou à quelque autre divinité, comme nous le verrons dans le XIVe chant de l’Odyssée ; superstition dont il reste des vestiges parmi nous dans la distribution du gâteau des rois.

232 NOTES LITTÉRALES (Page 30. Il dit, éleve et baisse ses noirs sour- cils, etc.) - Phidias , interrogé quel avoit été le modele de sa statue de Jupiter tonnant, cita ce vers d’Homere. Strabon, liv. 8. (Page 31. Portant sur son époux un regard fu-

Le poète réunit ici deux épithetes, 3050!; 41671111 n’y , la respecta- rieux.)ble Junon aux yeux de bœuf. Les Grecques . , les Asiatiques , les Juives mêmes , suivant la remarque de madame Dacier, non seulement augmentoient l’éclat de leurs yeux au moyen du contraste du rouge, mais encore accroissoient leurs paupieres avecle stibium. (Page 33. Il dit...... prend une coupe à deux fonds.) Ces deux fonds, placés en sens contraire, ne laissoient entre eux d’intervalle que l’espace de la main; c’est la forme de nos anciens calices. (Page 34. Les voûtes du sacré palais retentissent d’un rire immodéré...... à la vue du boiteux Vul- cain, etc.) Le grec porte : Lorsqu’ils virent Vulcain. Maisla cadence du vers présente l’image que j’ai exprimée.

(Ibid. Apollon pince l’harmonieuse cithare.) J’ai préféré ce mot, quoique peu connu, à celui de lyre, parce- qu’il m’a paru plus harmonieux, et que la cithare, qu’Homere dé- signe ici par ces mots, pépwnoç mpzxamfoç, différoit de la lyre, Àépd. ou xÉAuç, au moins par le nombre des cordes. ’ Il ne faut pas confondre cet instrument avec la guitare, que nous . tenons des Espagnols, chez lesquels elle fut apportée par les Maures.

ET HISTORIQUES. CHANT I. 233 Selon les anciens monuments et les témoignages des Grecs’et des Latins, la cithare étoit fermée de deux côtés recourbés, imitant les cornes du bœuf: le bout, ou le haut des cornes, étoit tourné en del hors; le bas , ou l’Origine des cornes , en dedans; le milieu , la partie comprise entre les extrémités recourbées, s’appelloit le bras : les côtés montants étoient fixés sur une base creuse , destinée à for- tifier le son des cordes; ils étoient assemblés par deux traverses; les cordes étoient attachées à la traverse d’en bas, d’où elles alloient se rendre sur des chevilles placées à la traverse d’en haut. La cithare avoit une base plate, et pouvoit se tenir droite sur cette base. C’étoit l’instrument de ceux qui disputoient les prix dans les eux pythiens: ils s’accompagnoient, en chantant le sujet donné par les Amphic- tyons au renouvellement des fêtes célébrées en l’honneur d’Apollon, en mémoire de la mort du serpent Python. Dictionnaire encyclopé- dique , sur le mot CITHARE.

234 NOTES LITTÉRALES

CHANT Il.

(PAGE 37. Donne à tes paroles un air de vérité.) Le grec porte : Parle avec vérité.

(Page 39. Se croyant éclairé d’une lumière di- vine.) ’ Le grec porte : Une voix divine étoit répandue autour de lui. Q (Ibid. Les chefs de l’armée se réunissent.) Le grec porte : Il tint d’abord l’assemblée des magnanimes vieil-

Observez la distinction, admise par toutes les nations, du con- lards.seil secret dans lequel les affaires’ de moindre importance sont dé- cidées irrévocablement, et les grandes préparées , et de l’assemblée de la nation consultée sur les objets qui l’intéressent. Tel fut le gou- vernement des Francs , nos ancêtres : De minoribus rebus principes consultant, de majoribus omnes ; [tu [amen ut en quorum penes ple- bem arbitrium est apud principes pertractentur. Tacit. de moribus German. Ceux qui étoient honorés de la confiance du monarque, qui as- sistoient au conseil secret, se nommoient vieillards, quel que fût leur âge; dénomination purement honorifique :car les deux Ajax, Diomede , Achille , Ulysse lui-même , étoient dans la force de l’âge; Idoménée étoit vieux (voyez le chant XIII); Nestor l’étoit davantage. C’est ainsi que nous nemmons prêtres ceux qui sont honorés parmi nous du sacerdoce, du mot vrpécCuç, vieux.

ET HISTORIQUES. CIIANT 11. 235 (Page’42. Le divin artiste en fit don au fils de Saturne, qui régnoit alors sur la terre.) Quel est ce Jupiter, pere des dieux et des hommes, ce zâuç, dont les Latins ont fait le mot deus, qui assemble les nuées,.l’auteur de tout ce qui existe, épithetes que lui donne souvent notre poète, et en même temps roi de Crete, dont le tombeau se voyoit dans cette isle, dont le sceptre fut transmis de race en race à Agamemnon , l’un de ses descendants, comme il est dit ici ; ce sceptre que les habitants de Chéronée prétendirent par la suite avoir trouvé dans la Phocide, et avoir reporté dans leur patrie avec d’immenses trésors? Les anciens reconnoissoient donc une sagesse suprême qui domi- noit sur l’air , cet cellier, ce sublime candens, comme le nomme Ci- céron , qui n’a d’autre pere que Saturne , x96»; , le temps , et en même temps la sagesse rendue visible aux mortels en la personne d’un grand roi. Tel étoit le dieu que sonsultoit, s’enfermant, suivant le rapport de Platon, tous les neuf ans, dans le tombeau de Jupiter, pour y méditer les nouvelles loix qu’il devoit donner à son peuple. (Voyez la note sur le XlXe chant de l’Odyssée.) C’est ainsi, comme je l’ai obseré au Vechant du même poème, que la verge de Mer- cure n’est autre que la verge miraculeuse de Moyse. La mythologie des Grecs s’est formée des traditions des peuples plus anciens, no- tamment de celles des Juifs, qui avoient séjourné long-temps parmi les Égyptiens; les faits authentiques contenus dans nos livres saints furent traduits par les Égyptiens dans leur langue allégorique , et transmis par eux aux peuples de la Grèce. (Page 44. Semblable au fracas des flots de la mer Icarienne.) La navigation, dans cette partie de la mer Égée , est très dange- reuse. Elle prend son nom d’Icare, fils de Dédale, qui, fuyant de l’isle de Crete avec son peu: , aborda l’une des isles de cette mer,

236 NOTES LITTÉRALES et, sortant avec trop de précipitation de son vaisseau, tomba dans la mer, où il se noya. Les poètes ont feint que l’industrieux Dédale avoit attaché avec de la cire des ailes aux épaules de son fils; mais que , s’étant élevé trop haut, la cire s’étoit fondue, ce qui l’avoit précipité.

Pindarum quisquis studet aemulari, Jule, caeratis ope daedalea’ N ititur permis , vitreo daturus N omina ponta.

Celui qui s’efforce (l’atteindre le vol sublime de Pindare , ressemble, ô Jule, à ce téméraire qui, se confiant dans les ailes que l’art de Dédale avoit attachées à ses épaules à l’aide d’une cire molle, donna son nom à une portion de l’humide élément. Horace.

(Page 52. Sous un platane élevé qu’arrosoit l’ori- de d’une source limpide.) Dans le deuxieme siecle de mitre ere, on montroit en Aulide, au rapport de Pausanias, et cette source et les restes du tronc de ce platane. (Page 53. Métamorphose en pierre le monstre qui a tué ces passereaux.) . Le grec porte : Le fils de’l’industrieux Saturne le fit pierre. Ce- pendant Cicéron, dans la traduction de ce discours, que j’ai trans-. crite dans la partie des imitations, ne suppose pas cette métamor- phose; mais seulement que Jupiter cacha ce dragon sous les pierres de son autel. (Page 54. En ce jour, il me souvient que la fou- dre éclata sur la droite.) Par-tout ailleurs , dans l’Iliade et dans l’Odyssée , la foudre , écla- tant sur la gauche , est regardée commefifh présage favorable. D’où

ET HISTORIQUES. CHANT II. 237, vienf cette différence? de la différente posit’fii des armées. Les an- ciens plaçoient à l’orient le trône du maître des dieux; le tonnerre , entendu de ce côté , étoit donc un signe de protection: par la raison contraire, entendu à l’occident, il étoit une menace; car la foudre éclatoit alors en faveur de l’ennemi. Troie est au nord-est de l’Au- lide. L’armée assemblée dans ce port avoit l’orient à sa droite ; mais parvenue dans les plaines de Troie, ou revenant de Troie dans la Grèce, ce qui est la position de toutes les autres scenes de l’Iliade et de l’Odyssée , l’orient étoit à sa gauche : ainsi les augures favora- bles s’entendoient de ce côté. Par la même raison, dans Virgile, le tonnerre, éclatant sur la droite, est un présage favorable ; car l’Italie a l’orient à sa droite : mais dans le récit du sac de la ville de Troie, qu’on lit au livre II de l’Énéide, le tonnerre , éclatant sur la gauche , est pris par Anchise et par Énée pour un présage favorable : V iæ en fiztus erat senior, subitoquefiagore Intonuit laevum. A Æn. lib. 2. (Page 57. Ils préparent le repas du matin.) Les Grecs avoient deux repas : l’un vers le midi, qu’ils nommoient rameau, dont les racines sont seime", Il faut travailler, d’où vient notre mot dîner; l’autre après le coucher du soleil, www , de J’épu "Juda, Le javelot se repose, d’où est dérivé notre mot souper. Cette distinction se trouve par-tout dans l’Iliade et dans l’Odyssée. Elle est d’autant plus remarquable, qu’elle diffère de l’usage des Latins, qui ne connoissoient d’autre grand repas que le souper, cœna, après le coucher du soleil; car le prandium répondoit à notre dé- jeuner, nom entièrement moderne, qui vient de jejunium, jeûne, dont nous avons fait déjeuner , rompre le jeûne; et les Italiens , dans le sens contraire, dijunare, jeûner. Les Grecs connoissoient aussi le déjeûner, qu’ils nommoient

238 NOTES LITTÉRALES Jpla’loy, le meilleur; les’fiens de la campagne avançoient le dîner au lever de l’aurore , Æp’nol , comme on le voit au XVIe chant de l’Odys- sée : ainsi le déjeuner se confondoit pour eux avec le dîner, comme il se confond encore parmi nous pour les ouvriers et les laboureurs. Il en étoit de même lorsqu’on se préparoit au combat. Voyez aux notes du chant I" les solemnités des sacrifices. (Page 58. Que les vaisseaux retentissent de leurs voix sonores.) Homere se sert de l’expression nupu’nuv, que j’aurois desiré pou- voir rendre par ces mots, sonner de la trompette; mais cet instru- ment paroît avoir été peu connu des Grecs, du temps de la guerre de Troie. Madame Dacier observe sur le chant V, où il est dit de Stentor qu’il avoit une voix d’airain, aussi éclatante que celle de cinquante hommes , que la hauteur de la voix étoit d’autant plus es- timée dans ces temps héroïques, qu’on n’avoit pas l’usage des trom« pettes. Cependant les trompettes étoient en usage chez les Juifs de- puis long-temps; les livres de Moyse en renferment la preuve : elles étoient connues des Égyptiens; témoin celles dont les prêtres d’Osi- ris se servoient dans leurs sacrifices; les Athéniens en attribuoient l’invention à Minerve. i La trompette des anciens, sur- tout celle des Romains et des Hé- breux, paroît différer de la nôtre, principalement en ce qu’elle n’a- voit qu’une seule anche ou canal, etqu’elle étoit entièrementdroite. Quelques unes de ces trompettes avoient les anches d’os. Decidat immeritd qui carpsit ab arbore vallum , Et struxit quemlas musa par assa tubas. Périsse celui qui, arrachant aux arbres des branches dont ils n’avaient pas mérité d’être dépouillés , en forma des palissades! Périsse celui qui, le premier, façonnant la plaintive trempette, tira des sons rauques de l’os de ce triste instru- ment. Prorarce, liv. 4, él. 3. Cette voix d’airain qu’Homere donne à Stentor au Ve chant, res-

ET HISTORIQUES. CHANT II. 239 semble beaucoup à une trompette; mais il est une autorité plusdé- cisive qu’on peut opposer à madame Dacier, c’estkcelle d’Homere lui- même , au XVIIIe chant de l’Iliade , où il compare la voix d’Achille à celle de la trompette qui porte l’alarme dans une ville assiégée: Tel le son de la trompette se fait entendre, quand l’ennemi environne une ville assiégée. Aussi Virgile n’a-t-il pas fait difficulté de supposer les trompettes employées au siege de Troie. Exoritur clamorque virdm clangorque tubarum. Les cris des vainqueurs, les cris des vaincus, le son éclatant des trompettes, retentissent au loin. En. liv. 2. . Madame Dacier se fait à elle-même cette objection dans ses notes sur le XVIIIe chant; elle y répond que cette expression de Virgile est une licence du poète latin, et aux vers d’Homere, que ce poète s’est permis de comparer la voix d’Achille, fortifiée par celle de Mi- nerve , au son d’un instrument connu de son temps , quoique la trom- pette ne le fût pas des Grecs trois cents ans avant, qui est l’époque du siege de Troie. (Page 59. Du prix de cent bœufs.) Monnoie ainsi nommée parcequ’elle portoit d’un côté l’empreinte d’un bœuf. C’est la plus ancienne monnoie connue, le premier em- ploi qui ait été fait des métaux , comme signes des valeurs; ce bœuf, objet ordinaire des échanges , dutemps de la vie pastorale , en étoit le symbole. Voyez au chantV la description de l’armure entiere de Minerve; l’égide est quelquefois, comme en ce lieu, le bouclier, quelquefois la cuirasse de cette déesse. Ce qui caractérise l’égide est la tête de Méduse qui y est empreinte : Jupiter seul et Minerve ont, suivant la mythologie , le privilege de la porter ; raison pour laquelle notre poète désigne souvent le pere des dieux et des hommes par ces expressions, le dieu qui porte l’égide.

240 NOTES LITTÉRALES ’Ces cent franges d’or étoient une sorte de guirlande de peaux de moutons avec la laine , qui entouroient les boucliers , les cuirasses et les tuniques. Telles étoient les franges sur lesquelles les Juifs écri- voient la loi du décalogue.

(Page 61. Béotie.) Dénomination donnée par les anciens au dénombrement, à cause de la premiere troupe dont il est parlé dans cette liste , les Béotiens. Voyez les notes géographiques de M. Mentelle.

O

ET HISTORIQUES. 241 1l CHANT III.

(PAGE 83. Tels les cris des grues percent la nue.) L’origine de l’ancienne fable des combats des grues et des Py - mées a partagé les commentateurs. Quelques uns entendent par les Pygmées des hommes forts et robustes, quoique de petite taille : Sed et Pygmaei qui emnt in tur- ribus. Ezechiel. D’autres entendentces épouvantails que les peuples d’Éthiopie mettoient dans leurs champs pour effrayer les grues; ma- dame Dacier , les nations éthiopiennes qui habitent entre la mer Rouge etl’Océan. Suivant le témoignage de Strabon, ces peuples sont d’une taille inférieure à celle du commun des hommes ; ainsi Homere indique ici le passage des grues des climats septentrionaux dans les zones tempérée et torride. g.

(Page 86. J’admire la patience des Troyens, etc.) Le grec porte : Les Troyens sont timides ; autrement, depuis long-temps, tu eusses vêtu une tunique de pierre pour les mauxque tu as faits. (Page .88. Amenez un agneau mâle d’une écla- tante blancheur, etc.) Les Troyens, suivant la remarque de madame Dacier, devoient fournir l’agneau mâle consacré au Soleil , et la brebis noire consacrée à la Terre , parcequ’ils étoient dans leur pays; les Grecs devoient un agneau à Jupiter hospitalier. (Ibid. Amenez le roi Priam , etc.) Le grec porte : Priam lui-même, car ses enfants sont fiers etinfi- 1. h 31

242 NOTES LITTÉRALES deles, de peut que quelqu’un n’ait la témérité de manquer au traité confirmé par de solemnels serments en présence de Jupiter; car les esprits des hommes armés s’égarent aisément.

(Page 9o. Aitrée, fille de Pitthée.) C’étoit, selon Plutarque, la mere de Thésée, emmenée captive à Sparte par les Lacédémoniens , dans la guerre qu’ils firent aux Athé- niens à l’occasion du rapt d’Hélene par Thésée. Plutarque en la vie de Thésée. (Ibid. Ainsi accompagnée, la fille de Tyndare marche vers le lieu où furent les portes Scées.) Ces mots , méta: miaou , signifient littéralement les portes gauches, c’est-à-dire les portes occidentales, les plus voisines du rivage de la mer. Voyez la note du chant Il sur les présages.

(Page 91. On ne doit être ni surpris ni indigné. .. que les Troyens et les braves enfants de la Grèce souffrent tant de maux, depuis tant d’années , pour une telle femme.) Le grec porte :

01’) d’un"; T951; uni îuxvéptd’aç Âxdloflç

Tolïid” duel yuvumi munir mérou d’kyw. aux!" ’ que l’on peut traduire aussi littéralement:

N’est-ce pas une honte que les Troyens et les Grecs souffrent tant de maux , depuis long-temps , pour une telle femme?

Ces deux sens, quoique opposés, ne diffèrent que par le point interrogant qu’on ajoute dans cette derniere leçon : or l’on sait que les anciens manuscrits n’ont ni points , ni virgules , ni esprits, ni ac- cents; ces signes sont de beaucoup postérieurs à Homère.

ET HISTORIQUES. CHANT III. 243 C’est ainsi que dans le chant V on trouve ce vers:

Z’iu Tœ’TQP , oit reliriez?» Apr: Ta’J’e unflipat Ëpya. ’ Ô Jupiter, notre père ,- ces fureurs de Mars n’excitent-eiles pas ton indigna- tien? Je m’étois déterminé d’autant plus violentiers à donner le même sens aux deux vers du IIIe chant, qu’il m’avoit paru plus analogue au conseil de renvoyer Hélene, et que cette sévérité des vieillards contraste avantageusement avec la douceur du vieux Priam :Appro- che, ma chère fille : tu n’es pas la cause des maux que nous souf- frons, mais les dieux. Le même motif m’avoit déterminé , pour fixer davantage ce sens, à faire usage d’un vers de Virgile, dans lequel le poète latin appelle Hélene la commune furie de Troie et de sa patrie: Trojize et patriae communis Erinnys. Æn. lib. a. Voilà, se disoient-ils l’un à l’autre, cette détestable furie pour laquelle les Troyens et les braves enfants de la Grece souffrent tant de maux depuis tant d’années : quelle honte pour les deux nations!

C’est ainsi que j’avois traduit’dans la premiere édition de ce livre. L’autorité de Quintilien me détermine, dans celle-ci, à me con- former au sens que les scholiastes et les traducteurs donnent com- munément à ces deux vers. En transcrivant les expressions de ce rhéteur, je mettrai mes lecteurs à portée de juger entre le modele d’amplificafion oratoire que Quintilien y découvre, et le sens plus naturel et plus simple que je leur avois donné: Les chefs des Troyens, dit-il, ne s’indignent pas que les Grecs et les Troyens souffrent tant de maux, depuis tant d’années, pour une beauté si parfaite. Quelle idée le poète nous donne-t-il de la beauté d’Hélene? car ce n’est pas dans la bouche de Pâris, qui l’a enlevé, qu’il met ce langage; ce n’est pas dans la bouche de quelques uns des jeunes gens, ou d’un homme du peuple, mais dans celle des vieillards, des plus sages d’entre les Troyens, qui environnent le vieux Priam , qui l’assistent de leurs conseils : ce roi lui-même, épuisé par une

244 NOTES LITTÉRALES guerre’de dix années, ayant perdu tant d’enfants, voyant sa ville dans le péril le plus extrême , à qui cette beauté d’Hélene , la source de tant de larmes, devoit être un sujet d’horreur, non seulement l’entend louer de sang froid , mais il la nomme sa fille , la fait asseoir à ses côtés, l’excuse, et nie qu’elle soit la cause de ses malheurs. Non putant indignum Trojani principes, Graios Trojanosque prop- terHelenae speciem tot mala, tante temporis spatio, sustinere. Quae- nam igitur illa forma credenda est? Non enz’m hoc dicit Paris qui rapuit, non aliquisjuvenis, non unus e vulgo, sed senes et pruden- tissimi et Priamo assistentes; verùm ipse rem, decennii belle exhaus- tus, amissis tot liberis, imminente summo discrimine, cuifaciem illam, ex qua tot lacrymantm origofluxisset, invisam atque chemi- nandam esse oportebat, et audit haec, et eamfiliam appelldhsjuæta se locat, et excusat, alque sibi esse malorum caulsam negut. Quintil. A Inst. Orat. lib. 8, cap. 4. (Page 91. Nomme-moi ce héros que la majesté de son port, etc.) . On demande comment Priam, à’la dixième année de la guerre, ne connoissoit encore aucun des héros de la Grece, ni Agamem- non lui-même. Homere satisfait à cette question au XIe chant, en observant que, pendant les neuf années qui avoient précédé, les Troyens , se tenant renfermés dans leurs murs, n’avoient tenté qu’une seule sortie ; la guerre se faisoit à l’extérieur par Achille ,’ qui dévas- toit les villes alliées. Mais Ulysse et Ménélas étoient venus à Troie ré- clamer Hélene. Eustathe répond que la distance de la porte Scée au champ de bataille et la foiblesse de la vue du vieux Priam excusent cetteOn peut ajouter lesignorance. neuf années qui s’étoient écoulées depuis . la députation d’Ulysse et de Ménélas.

(Page 92. Sujets d’Otrée et du divin Mygdon.) Voyez la grande hymne à Vénus.

ET HISTORIQUES. CHANT III. 245 (Page 96.bSaisissan’t un glaive pur, etc.) Les rois , étant en même temps sacrificateurs, portoient toujours un cimeterre à côté de leur épée. ’ Les hérauts distribuent les poils de la tête de la victime aux chefs de l’armée, pour les rendre garants de l’exécution du traité. (Page 98. Plaçant lui-même les victimes sur son char.) Priam remporte les agneaux immolés dans Troie, ou pour les enterrer, ou pour les précipiter dans le fleuve , comme des victimes de malédiction.

246 NOTES LITTÉRALES

CHANT IV.

Q (PAGE 109. Minerve , dont le bras secourt puis- samment Ceux qu’elle chérit.) C’est le sens du mot ùuuopwiitç, ddnt les racines sont in», force, secours, et par", courroux; qui s’irrite puissamment en faveur de ceux qu’elle protege : ce qui m’a paru présenter une ironie con- forme au ton de ce discours. (Page 113. Ou Jupiter..... nous envoie- t-il ce signe, etc.) Ces feux qui s’allument dans l’atmosphère et semblent des étoiles tombantes , étoient regardés par les anciens comme des présages d’événements heureux ou malheureux, suivant leur direction:

Et de eœlo lapsa per ambras Stella facem ducens multi eum luce cucun-it. Une étoile tombée du ciel, suivie d’un long sillon de lumière , parcourut un grand espace sous la voûte éthérée. En. liv. 2. (Page 1 14. Bande ton arc sur l’orgueilleux Mé- Hélas.)

L’infraction du traité est manifeste, puisque Ménélas a été vain- queur, et que Pâris n’a échappé à la mort que par la protection spé- ciale des dieux. Cependant cette circonstance fournit un prétexte aux Troyens pour refuser de rendre Hélène et ses trésors, s’attachant à la lettre du traité, qui ne sembloit les obliger qu’autant que Pâris . n’existeroit plus. Si Ménélas tombe sous les coups de Pâris, ou de tout autre, le

ET HISTORIQUES. CHANT 1v. 247 crime de Pâris sera couvert; il n’existera personne qui ait un titre pour réclamer Hélene.

(Ibid. Ses cornes,longues de seize palmes.) J’ai traduit, avec madame Dacier,- summum , seize palmes. Le palme grec étoit une mesure de quatre pouces; ainsi ces seize pal- mes faisoient soixante-quatre pouces, ou cinq pieds quatre pouces. . (Page 115. Son sang coule, semblable à une bande de pourpre dont une femme de Méonie ou de Carie teint l’ivoire.) On conclut de ce vers que, dès le temps d’Homere, les Grecs avoient pénétré dans l’Inde , dont l’éléphant est indigene. Pausanias, dans ses Attiques, liv. 1 , ch. 12. Mais cette preuve n’est pas com- plete; car les Phéniciens, qui faisoient alors le commerce de tout l’orient, pouvoient leur avoir apporté de l’ivoire. (Page 1 1 9. La couvre de ces simples bienfaisants que lui donna Chiron, l’ami de son père.) On verra de même, dans le XIe chant, Patrocle panser la plaie d’Eurypyle blessé avec des simples queClIiron apprit à Achille à connoître; c’est ce même Chiron qui éleva le fils de Pélée. (Page 122. Ta coupe est toujours pleine, ainsi que la mienne.) Athénée, l. 4 , c. 4, décrit la forme de la distribution du vin dans les repas publics des anciens. Les crateres (dont le nom signifie vases à mélanger) étoient placés sur le buffet. Les esclaves les emplissoient jusqu’au comble pour les chefs, distribuant aux autres des coupes

Il en étoit de même pou’r les viandes : c’étoit honorer son hôte, de servir devant lui la portion la plus délicate et la plus charnue de laégales. victime immolée. Voyez le XlVe chant de l’Odyssée.. AinsiJoseph,

248 NOTES LITTÉRALES pour honorer Benjamin, fait servir devant lui une portion double de celle de ses freres. Gen. ch. 43, a). 44. (Page 123. Placez les cavaliers et les Chars en première ligne.) Cet ordre de bataille étoit le plus ordinaire ; les chars et la cava- lerie étoient regardés Comme la principale force des armées. Voyez, sur la cavalerie des Troyens, le XVIIIe chant de l’Odyssée. Cepen- dant, dans le XI° chant, Agamemnon place la cavalerie et les chars- sur le derriere, pour soutenir la phalange. La position de l’armée , combattant en plaine, ou défendant les remparts du camp, est la cause de cette différence. I Je dis la cavalerie; car elle commençoit à être en usage depuis la guerre des Centaures, comme je l’ai observé. Les chars étoient montés par deux héros , dont l’un tenoit les gui- des, l’autre combattoit à pied , ou lançoit le javelot de dessus le char. . (Page 129. Nos pères y avoient porté la-peine de leurs crimes.) Tydée et Capanée fi1rent du nombre des sept chefs choisis dans la guerre de Polynice contre’son frere Ètéocle, pour attaquer en même temps les ’sept portes de Thebes. Capanée, voulant escalader les murs de Thèbes, malgré les présages contraires, fut foudroyé par Minerve : Tydée fut abandonné de la déesse, en punition de la cruauté qu’il avoit exercée sur Ménalippe. Dix ans après, Diomede et Sthérrélus s’emparèrent de cette grande ville sous les murs de laquelle leurs peres avoient péri; ce fut la se- conde guerre de Thèbes.

(Page 130. La voix des chefs est seule entendue.) Les Troyens courent sus à leurs eudémis avec de grands cris et fierté grande, et les Grecs avec silence; car craindre ses capitaines et ses supérieurs, lorsqu’on en vient aux niains avec l’ennemi, est

ET HISTORIQUES. CHANTJV. 249 signe de vaillance, ensemble et de bonne discipline militaire. Plu- tarque, traduction d’Amiot, Comment ilfaut lire les poètes. (Page 134. Irrité contre Agamemnon, il exerce une terrible vengeance en s’abstenant des combats.) Le grec porte : Achille, le fils de Thétis, à la belle chevelure, ne combat pas; il cuit dans ses vaisseaux son inexorable courroux. (Page 135. Les Thraces, géants énormes, au front chauve.) c Les Thraces , ainsi que les Abantes , ne laissoient croître leurs che- veux que par derriere , pour ne donner aucune prise à l’ennemi.

250 NOTES LITTÉRALES

CHANT V.-

à

(P Ac E 146. D’avides héritiers partageront ses tré-

sors.)Littéralement : Les chérostes. partageront ses biens. Les chérostes étoient des magistrats chargés de faire le partage des successions entre la veuve et les héritiers collatéraux de ceux qui décédoient sans enfants. (Page 149. Debout sur mon Char, je lancerai l’arme meurtrière.) J’ai suivi le sens que madame Dacier donne ici, d’après Eustathe, à ces mots: layai d”i’wvmv incantant. J’abandonnerai les coursiers, c’est-à-dire la conduite des cour- siers ; littéralement: Je descendrai des chevaux. Énée n’étoit point dans le dessein d’abandonner son char, puisqu’il ajoute dans l’ins- tant : Tu connoîtras la légèreté des chevaux de Tros pour échapper aux coups de l’ennemi. En effet Pandarus combat Diomede de des- sus le char, puisqu’il en est précipité. (Page 151. Ils sont de la race de ceux que J upi- ter donna à Tros , etc.) Cette fable de enlevé par Jupiter a, comme toutes les autres , son fondement dans l’histoire. Tantale , roi de Phrygie, pere de Pélops, bisaïeul d’Agamemnon et de Ménélas, avoit enlevé Ganymède, fils de Tros, frère d’llus, quatrième roi de Troie. Ilus fit la guerre à Pélops, le dépouilla de

ET HISTORIQUES. CHANT v. 251 ses états, l’obligea de se réfugier dans la partie de la Grèce qui fut appellée de son nom le Péloponese. Pâris, petit-fils d’llus, enleva Hélène par une espèce de représaille exercée sur Ménélas, arriére- petit-fils de Tros.

(Page 152. Pandarus se courbe.) J’ai ajouté ces mots au texte , pour faire entendre comment Dio- mede à pied peut frapper Pandarus de la maniere décrite ici par Homere. Au surplus Minerve dirige le javelot du fils de Tydée, ce qui répond à toutes les critiques. (Page 153. Frappe Énée dans» la jointure de la cuisse et de la jambe.) Le grec ajoute : Qu’ils nomment la rotule. (Ibid. Né d’un commerce secret de Vénus et d’Anchise.) Voyez la grande hymne à Vénus. (Page 155. Le nectar, l’ambrosie, emplissent leurs veines d’une substance pure.) On reproche à Homere, et ici et dans plusieurs autres lieux, d’avoir dégradé la divinité , faisant les immortels sujets aux passions et aux infirmités de la nature humaine, raison pour laquelle Pythagore en- l seignoit que ce poète étoit tourmenté dans les enfers, et Platon le chassa de sa république. Mais , indépendamment des traditions égyp- tiennes qui semblent justifier notre poète, n’est-ce pas une preuve que tous les dieux de l’olympe, de la terre, de la mer, des enfers, ne sont, dans Homere , que des génies, des anges, des démons, en un mot des êtres intermédiaires entre l’homme et Jupiter, ce dieu suprême , dont la puissance est infinie? Il est vrai que Jupiter même n’est pas. à l’abri de la révolte des êtres qui lui sont inférieurs ; nous l’avons vu dans le premier chant:

252 NOTES LITTÉRALES mais ce Jupiter des anciens n’est lui-même que l’aczher, l’air supé- rieur, ce sublime candens qui brille sur nos têtes , suivant l’expres- sion de Cicéron, de natur. deor. Cette tradition de la révolte des êtres qui lui sont subordonnés est plus ancienne qu’Homere; elle prend sa source dans la révolte des anges rebelles, consacrée par l’autoritéde nos livres saints. (Page 156. Vénus tombe aux pieds de Dioné, sa mere.) La fable qui fait naître Vénus de l’écume de la mer est donc pos- térieure à Homere. Cependant cette fable, consacrée par la petite hymne à Vénus, qui se trouve à la suite de la grande, est admise par Hésiode dans sa Théogonie; ce qui semble. prouver qu’Hésiode et les hymnes attribuées à notre poète lui sont postérieurs. (Page 157. Mars souffrit quand le fort Otus et Éphialte, etc.) Otus et Éphialte, deux des Titans qui firent la guerre à Jupiter. L’explication qu’Eustathe donne de cette allégorie est remarqua- ble. Otus est l’instruction, Éphialte l’humanité , qui enchaînent la cruauté , représentée par le dieu Mars; Éribée, la marâtre de ces géants, est la discorde, passion qui l’emporte trop souvent dans le cœur des mortels sur les sages conseils. De même Junon est l’air supérieur; Pluton, l’air enfermé dans l’intérieur du globe; Hercule , fils de Jupiter, l’intelligence humaine, qui tire sa source de l’être suprême, la vraie philosophie , qui s’éleve jusqu’à la voûte céleste et pénetre dans les enfers. (Page 158. Il ne jouit pas des tendres embras- sements de ses enfants.) Le grec porte: Ses enfants, assis sur ses genoux, ne l’appellent point papa, à son retour de la guerre et des combats sanglants.

E’IHISTORIQUES. CHANT v. 253 (Page 161. Dérobons la dépouille mortelle de ce héros aux insultes des enfants de Danaüs.) C’est’le sens de ce vers: ’

A’AA’ «34’? ,ix (ploie-Cm radeau" êcOÀày iraïpov.

Mais allons , sauvons du tumulte notre brave compagnon. Apollon a substitué à Énée un fantôme aérien étendu sur le champ de bataille. Les Troyens le croient mort; ils ne défendent que sa dépouille mor- telle. (Page 165. L’Alphée, dont les fréquentes inon- dations couvrent la terre des Pyliens.) C’est ainsi que j’ai cru devoir traduire, avec madame Dacier, ces mots Za-r’ in.) (du mais»: au 71:31;, sens que cette savante traductrice appuie de l’autorité d’Eustathe, archevêque de Thessalonique, qui devoit connoître ce fleuve mieux que nous. (Page 169. Il arrive dans ces contrées, réclamant les coursiers que Laomédon lui promit.) Récompense de la victoire remportée par Hercule sur un monstre marin prêt à dévorer Hésione, fille de Laomédon. Je ne m’étends pas davantage sur cette histoire, qui paroîtra avec plus d’étendue dans le XXe chant. (Page 173 . Hébé, la fille de Jupiter, ajuste au char de la déesse les orbes mobiles de ses roues d’airain.) Les anciens avoient des chars qui se démontoient, dont on as- sembloitles pieces quand on vouloit s’en servir; ce qui convient par- faitement au char de Junon, qui n’est autre que l’air. (Ibid. Elle endosse la cuirasse, la solide armure du dieu qui assemble les nuées.) L’armure de Minerve, la déesse de la sagesse, émanée du front

254 NOTES LITTÉRALES s du maître des dieux, est l’armure même de Jupiter, qu’Homere qualifie par excellence le dieu qui porte l’égide. (Page 176. Prenant la forme du magnanime Sten- tor à la voix d’airain.) Autre allégorie de Junon , ladéesse de l’air, dont le ressort trans- met le son. (Ibid. Maintenant, loin de leur enceinte, ils combattent insques sous les poupes de vos vais- seaux.) Strabon se sert de ce passage pour prouver que l’ancienne Troie étoit plus enfoncée dans les terres que celle qui existoit de son temps, dont on voit encore les vestiges dans la Mysie, située au confluent de deux torrents sortis du montIda , qu’on conjecture être le Simoïs et le Scamandre, sur les bords de la mer. (Rage 179. Minerve ceint le casque de la Mort, ou de Pluton.) Expression grecque passée en proverbe, pour dire , Se rendre in- visible aux dieux mêmes. Ce casque avoitla vertu de l’anneau de Gi- gès , allégorie sublime de la mort. (Page 180. Ton étonnante patience tolere des guerres sanglantes entre tes enfants.) Le grec porte : Nous combattons tous pour toi, ouà cause’de toi. (Page 1 8 1 . Sources des maux dont tu gémis main- tenant.) Littéralement : J’ai peine à la réprimer par mes discours ; e pense que tu souffres ces maux par ses conseils.

ET HISTORIQUES. . 255

CHANT’VI.

(P AG E 189.Repousser de la sainte cité d’Ilion, etc.) Cette épithete caractérise Ilion chez tous les poëtes : Horace l’ap- pelle sacrum Ilium ; Virgile , divüm damas; non seulement parce- que les murs de Troie avoient, selon la fable, été élevés par Nep- tune, mais encore à cause du grand nombre de temples qu’elle ren- fermoit.

(Page 190. Ô le plus audacieux des hommes,etc.) La maniere dont les anciens combattoient répond à la critique qu’on a faite de ces deux discours, et d’un grand nombre d’autres qu’on rencontre dans l’Iliade. Quand les troupes étoient rangées en bataille , comme nous l’avons vu au chant IV, les héros qui vouloient faire preuve de leur intrépidité s’avançoient hors des rangs; c’est ce qu’Homere exprime ordinairement par ces m’ots , tv vrpopèxotg: , et plus clairement ici par ces deux vers: i È; [40’607 cipço’lépay cuvirnv ptyaaË-re pinceau; .

Ci t1” 3’11 N 0905211 gray i7r’ at’ÀMÀotan lév’lcç.

(Glaucus , fils d’Hippolochus ,’et le fils de Tydée) s’avancent dans le milieu ,’ impatients de combattre; quand ils furent près, marchant l’un contre l’autre, etc.

Les lignes de circonvallation n’étaient point connues. On ne voit pas même que les Grecs eussent disposé des corps avancés peut me tercepter la communication de la ville assiégée avec les co’ixtrées voi- sines.De tels combats , laissoient le temps à des guerriers intrépides et de sang froid de se faire connoître l’un à l’autre avant d’en venir aux

256 -N0TESLITTÉRALES mains. Glaucus étoit arrivé nouvellement avec Sarpédon au secours des Troyens, ce qui justifie les questions de Diomede. (Page 192. Il a osé me faire violence pour me forcer de consentir à ses criminels desirs.) Il est facile de reconnoître dans cette histoire celle de Joseph et de la femme de Putiphar. - (Ibid. Prenant des tablettes , il écrit au roi de Lycie, son beau-pere.) Le grec porte : Il lui donna des signes funestes, écrivant dans une tablette ployée beaucoup de choses propres à occasionner son tré- pas. Eustathe explique ces signes des hiéroglyphes égyptiens, et rap- proche encore plus cette histoire de celle de Joseph, la supposant antérieure à Cadmus, qui apporta en Grece les caracteres phéniciens, etmême àl’invention des lettres par ces peuples ; car les lettres s’ap- pellent aussi des signes, comme elles le sont en effet:

Garrigue: d’une: Kall’pou,

Les signes phéniciens de Cadmus,

(Page 193. Il l’envoie combattre’l’indomtable chimere.) Montagne de Lycie, dont le sommet étoit un volcan habité par des lions , le milieu par des chevres ; des serpents rampoient dans la vallée. Voyez la note du XIX.c chant. ’ (Page 197. Monte avec des parfums au temple de Minerve.) Ces parfums étoient, selon Pline , liv. 3 , ch. 1, des bois de cedre et de citronnier; l’encens n’étoit pas encore en usage. Cependant Virgile, parlant du temple de Vénus à Paphos, dit:

ET HISTORIQUES. CHANT VI. 257 Ubi templum illi , centumque Sabaco Thure calent arde. Où un temple célebre et cent autels fumants de l’encens de Saba lui sont con- sacrés. En. liv. 1, 7). 420. (Page 201.0 mon cher frere...sr mes crlmes,51 ma honte souffrentA encore O que jeÛ te donne ù ce nom.) Le grec porte : Beau-frere de moi chienne, digne de ta haine, auteur de tous maux , etc. (Ibid. Guerre affreuse, que mon crime et celui de Pâris ont attirée.) Le grec porte : A cause de moi chienne et du crime de Pâris, à qui Jupiter a préparé un fâcheux destin qui nous rendra la fable des races(Page 203. Maisfutures. les peuples changerent 1 ce nom en celui d’As tyanax.) De Âflu, cité , et criminel" commander, qui commande , qui protege la cité. (Page 209. Ses jarrets nerveux, ses sauts hardis, le portent avec légèreté aux pâtures accoutumées.) M. Bitaubé traduit: Ses pieds souples le portent rapidementà ses bois et aux pâtures de ses juments. Madame Dacier, tous les traducteurs, donnent le même sens à ces mots, nul yopày 7m63; et on ne peut se dissimuler que Virgile a traduit ainsi: In. pastus armentaque tendit equfzmm. Voyez les imitations. Malgré ces autofités, je n’ai pas cru devoir salir.cette sublime comparaison d’une telle idée; car le génitif 77m6? est des deux gen- res, et le mot me" pris du verbe "la", paître, ou, si vous voulez, l .

258 NOTES LITT. ET HIST. CHANT vr. de topa; , loi, coutume, ne signifie que la loi, la coutume des chevaux, les pâtures accoutumées. (Page 210. Si Jupiter permet que, délivrés du fardeau de la guerre, mis en liberté, etc.) Littéralement: Si Jupiter nous donne , ayant chassé des murs de Troie les valeureux Grecs, de faire dans la coupe de la liberté des libations à tous les immortels. Expression orientale que les Grecs avoient empruntée des Hébreux. Il y avoit, dans les environs de My- cenes, une fontaine qu’on appelloit l’eau de la liberté.

PIN DES NOTES LITTÉRALES ET HISTORIQUES.

N()TIES GÉOGRAPHIQUES DE M. MENTELLE,

HISTORIOGRAPHE DE M" COMTE D’ARTOIS.

ILIADE.- CHANT-PREMIER. (PAGE 4. Olympe.) Le nom Olympe étoit commun à plusieurs montagnes , et je - suis persuadé qu’il a été donné à des montagnes terrestres avant de signifier le ciel : aussi ne suis-je pas de l’avis de Le Clerc, qui fait ve- nir ce nom du phénicien, holamibo, Les immortels l’habitent. Les hommes ont d’abord dû donner aux lieux terreStres des noms dont le choix-a été déterminé par la nature de ces lieux. Je préfere donc le sentiment de M. l’abbé Bergier , qui fait dériver ce mot de l’orien- tal, [op ou [up , élévation. D’après cette origine si naturelle , il n’est pas étonnantque plusieurs montagnes aient porté cg nom. Selon Hé- sychius, il y en avoit quatorze; on en connaît au moins sept en géo- graphie. Dans Homere , l’Olympe est toujours la demeure des dieux. Il semble cependant que ce po’ëte fasse quelquefois allusion à la montagne qui séparoit la Macédoine de la Thessalie. C’est l’un des’ l

l monts Olympe le plus connu de l’antiquité; nos voyageurs euro- l péens ne lui donnent pas d’autre nom.

260 NOTES GÉOGRAPHIQUES. Je ne finirai pas cet article sans faire mention d’une opinion de M. Boivin, consignée dans les Mémoires de l’Académie des Belles- Lettres, t. 7, p. 411. De ce qu’Homere fait monter ses dieux au sommet de l’Olympe pour découvrir ce qui se passe chez les mor- tels , il conclut qu’Homere avoit supposé que l’Olympe formoit dans le ciel, par rapport à nous, une montagne renversée. Pour prévenir l’objection qu’alors les dieux auroient eu la tête en bas, ce savant académicien s’appuie d’une vérité physique , qu’entre les planetes il n’y a ni haut ni bas. Cependant comme, en partant de l’une , dans cette supposition, on paroîtroit à ses habitants s’élever en l’air, et qu’Homere fait souvent descendre ses dieux de l’Olympe, on voit que le poëte, parlant de ce séjour des dieux, a en vue une montagne, quel que soit son emplacement, située dans le sens de celles de la terre; idée bien plus naturelle et bien plus analogue au génie du poète, qui ne descend pas dans les détails minutieux d’un point de physi- que. Il peint les objets en grand; il ne les démontre pas. (Page 5. Smintho.) Sminthium étoit une petite ville de la Troade, ou, comme dit Strabon, de l’Adramitene. Son véritable nom étoit Chrysa; mais, r disoit-on, Apollon, qui y avoit un temple, étant irrité contre son prêtre, fit ravager la contrée par une multitude de rats. Quand sa colere fut appaisée, lui-même tua ces rats à coups de fleches. Delà le nom de Smintho, dérivé de JFJ’YÛOÇ, rat, donné à cette isle. Voici ce qu’en dit madame Dacier: a Sminthe étoit le nom des temples « qu’Apollon avoit à Ténédos et à Chryse; on y adoroit une statue a de ce dieu au pied de laquelle on voyoit un rat. Une colonie grec- « que, allant s’établir dans la Troade, reçut ordre de se fixer dans (c le lieu où elle seroit attaquée par les enfants de la terre. Parvenus (c à la contrée dans laquelle furent bâties les villes de Sminlho et de «Chryse , une multitude de rats rongerent les courroies de leurs « boucliers; ce qui fut regardé comme l’accomplissement de l’ora- 1c de n. M. d’Anville a placé Sminthium à peu de distance du sud

de Tros ou Troie. Il paroit,CHANT par Homère, que cette ville I. étoit 261 dans une isle. (Page 5. Cilla.) Petite ville qui devoit être peu éloignée de Troie, mais dont on ignore la position. On voit, par le texte d’Homere, qu’elle étoit sous la protection d’Apollon.

(Ibid. Ténédos.) Petite isle sur les côtes de l’Asie mineure , très près de la Troade. Cette isle , qui n’est qu’un point, a été successivement célébrée par Homere et par Virgile. Ce dernier, en même temps qu’il rappelle sa splendeur au temps du siège de Troie, donne une idée de ce qu’elle étoit devenue après la prise de cette ville célebre; abaisse- ment dont elle ne s’est pas relevée.

Est in conspectu , thissimafizma’ Insula, dives opum, Priami dam regna manerent; N une tantùm sinus et stade malefida carinis. A la vue de Troie se trouve Ténéchs , isle célebre et riche tant que le royaume de Priam subsista; elle n’offre maintenant qu’une rade peu sûre pour les na- vires. Enéide, liv. 2, 7.1. 21 .

(Page 1 1. Phthie.) L’élégance de la traduction ayant exigé que le traducteur rendît son auteur par ces mots, Les fertiles campagnes de Phthie, on pour- roit croire qu’il s’agit d’une ville, comme on diroit les fertiles cam- pagnes de Rome ou de Florence; mais comme il y a en grec, Dans la Phthie, fertile en blés , abondante en pâturages et en hommes, il résulte que Phthie est pris ici dans Homere pour la Phthiotide, division de la Thessalie. Ce n’est pas qu’il n’y eut aussi une ville de Phthia dont la position est inconnue. Selon Procope (de Ædific. lib. 4, cap. 3), cette ville n’existait plus depuis long-temps lorsque cet historien écrivoit. Il est très probable que c’étoit du nom de cette ville que la Phthiotide avoit pris sa dénomination.

262 NOTES GÉOGRAPHIQUEYS.

(Page 12. Thessaliens.) Les Thessaliens sont ici les troupes de la Phthiotide qu’Achille avoit amenées avec lui. On a vu dans la note précédente que la Phthiotide étoit une des divisions de la Thessalie; elle occupoit la partie du sud-est, et formoit, à son extrémité, une presqu’isle entre le golfe Pélasgique, au nord. est, et le golfe Maliaque , au sud-ouest. Il y a dans le grec: Regne sur les Myrmidons. Ce nom , formé de péppnêf, ourmi, avoit été donné aux habitants de Phthie par dérision, parcequ’ils étoient une colonie de l’isle d’Égine, dont les premiers habitants avoient, disoit-on, habité sous terre. Mais ce même nom , qui, éloigné de son premier sens, est noble dans Homere , ne l’est pas dans notre langue, à cause de l’idée de foiblesse et de ridicule qu’on y attache ; raison pour laquelle le traducteur lui a substitué ce- lui de Thessaliens. (Page 15. Pyliens.) Homere entend par ce nom tous les sujets de Nestor, dont la ca- pitale portoit le nom de Pylos. Quant à la situation de cette ville, voyez la note suivante, (Ibid. Pylos.) Les sentiments ont été partagés chez les anciens, et le sontencore entre les modernes, sur la positibn de cette ville. On en connoît quatre de ce nom. Deux se trouvoient en Messénie , la troisieme dans la Triphylie, et la quatrieme dans la Coële, contrées de l’Élide. Il ne paroit d’incertitude qu’entre la premiere etla troisième. Pylius Messeniacus (aujourd’hui Navarin) étoit située sur la côte occiden- tale de la Messénie, en face de l’isle d’Asina. Selon Pausanias, elle avoit été bâtie parPylas, fils de Cléon, et peuplée par desLélege’s sor- tis de Mégare. Des Pélages , venus d’lolcos avec Nélée, chasserent les Léleges, et s’emparerent de leur ville. Elle devint très floris- sante sous ses nouveaux maîtres , et passa de Nélée à son fils Nestor.

CHANT r. . .263 De son côté Cléon, qui avoit été chassé de Pyle, passa en Élide, où il fonda une ville du même nom que celle qu’il venoit de quitter. Cette opinion étoit tellement celle des Pyliens , au temps de Pau- sanias, que l’on montroit à Pylos la maison de Nestor. On y voyoit le portrait de ce héros; non loin étoit l’étable de Nélée, dontles poë- tes ont célébré les nombreux troupeaux. Quoique assez généralement confiant aux contes des bonnes gens des pays qu’il visitoit, Pausanias montreici un peu d’incrédulité, observant qu’il n’eût pas été possible de nourrir de nombreux troupeaux dans un pays si sec et si sablon- neux ; ce qui se concilie parfaitement avec Homere, qui, dès le chant Il, donne à Pylos l’épithete de sablonneuse. Cette raison, ou quelque tradition différente de celle que je viens de citer, engage Strabon à adopter une autre opinion suivie par plusieurs modernes : ce géogra- phe croit que Nestor a régné à Pylos de la Triphylie. J’ai éprouvé qu’en lisant Homere avec beaucoup d’attention, on est naturellement préoccupé de cette idée, et elle me paroit préférable au sentiment de Pausanias ; car Homere rapproche souventl’idée de Pylos de celle de l’Élide , dont la Triphylie étoit une division.

(Page 16. Péloponnèse.) Le Péloponnèse est cette presqu’isle qui s’avance au sud de la Grèce, et ne tient au continent que par un isthme assez étroit, nommé autrefois isthme de Corinthe, actuellement Hexamili. La presqu’isle toute entière porte aujourd’hui le nom de Morée. Elle a été désignée dans l’antiquité par différents noms. Les plus connus sont ceux d’Apia , d’Argolide, de Pélasgie. Le Péloponnese étoit di- visé en plusieurs parties, qui formoient autant d’états particuliers, l’Argolide , la Laconie , la Messénie , 1’ Élide , l’Achaïe , la Sicyonie , la Corinthie, l’Arcadie au centre; la mer baignoit les côtes de tous les autres. (Page 22. Thebe.) Plusieurs villes de l’antiquité ont porté le nom de Thebe. Celle

264 NOTES GÉOGRAPHIQUES. dont il s’agit ici, qui avoit appartenu à des peuples alliés des Troyens, étoit dans la Mysie, à quelque distance à l’est du golfe d’Adramytte. On n’a point de détail sur l’histoire de cette ville; on ignore jusqu’à sa juste position.

(Page 25. Ethiopiens.) Le nom de ces peuples , selon l’étymologie , signifie visages noirs, brûlés par le soleil. Il convenoit donc, dans ce sens, à tous les peu- ples que leur situation méridionale exposoit à l’ardeur des rayons du soleil. Non seulementles anciens l’ont donné en général aux peu- ples de l’intén’eur de l’Afrique, à ceux que nous appelions , dans le même sens, Nègres; mais ils supposerent aussi des Éthiopiens en Asie. C’étoit apparemment les peuples de l’Inde , qui, quoique très différents des Negres, ont cependant la peau très basanée. C’est ainsi qu’Hérodote distingue les Èthiopiens : Les uns d’Asie , au des- sus de l’Égypte.... . les autres de la Lybie (l’Afrique) ..... car on ap- pelle ainsi tous les peuples brûlés par le soleil. Mais on voit par l’I- liade et par quelques endroits de l’Odyssée, qu’Homere parle des Éthiopiens d’Asie. Selon Hésiode, dans sa Théogonie, Memnon, fils de l’Aurore, étoit leur roi : fiai; Tint Magnums ..... ’ Âlûiomny Bannir.» De I’Aurone naquit Memnon ..... roi des Ëthiopiens. D’après quelques passages de Suidas etde Strabon , il paroit que la , dans les en- virons de Suse, avoit été désignée par le nom d’Éthiopie; et Straw bon dit Memnonium , pour dire la citadelle de Suse, et Memnonii mari, pour indiquer les murailles de cette ville. (Page 33. Lemnos.) Cette isle est dans la mer Égée , sous le quarantieme degré de latitude; longitude du méridien de Paris, vingt-trois. On la regar- doit comme consacrée à Vulcain, parcequ’il s’y trouvoit des traces de volcan, et même des feux en action. On lui donna aussi le nom d’Ætlzalia, brûlante. C’est sans doute d’après le nom grec de Vul- cain, qu’une ville située au nord-est portoit le nom d’Héphestia.

CHANT 1. 2’65 Cette isle étoit célèbre dans l’antiquité par le séjour qu’y avoient fait les Argonautes. Apollonius de Rhodes raconte à ce sujet le fait suivant. Les femmes de Lemnos ayant manqué de respect à Vénus, cette déesse , pour les punir, les rendit d’une odeur si insupportable , que leurs maris les abandonnèrent pour des captives qu’ils avoient prises sur les Thraces, avec lesquels ils étoient en guerre. Les Lemnien- nes, piquées de ce mépris, conjurerent contre tous’les hommes qui habitoient leur isle, les assassinerent en une seule nuit ; la seule Hyp- sipyle conserva la vie à son pere, le roi Thoas. On prétend que cette princesse , ayant caché Thoas dans un coffre , le fit transporter dans un bois voisin de la mer, et delà embarquer’si secrètement, que ses compagnes ne furent instruites de cette pieuse fraude que long- temps après. Cependant Hypsipyle fit célébrer les obseques de son pere avec beaucoup de magnificence. Ce fut alors que les Argo- nautes,qui alloient en Colchide ,aborderent àLemnos, et y disputèrent le prix aux euxfunéraires donnés en l’honneur de Thoas. A l’arrivée des Argonautes, les Lemniennes, croyant qu’ils venoient venger leurs époux, s’opposerent à leur descente; mais quand elles surent le motif de leur voyage , elles leur offrirent l’hospitalité. Hypsipyle eut de Jason deux enfants , l’un nommé Thoas , etl’au- tre Eunéus. Homère parle deux fois de ce dernier dans son Iliade. Cette isle fut presque toujours, parla suite , dans la dépendance de la province d’Asie qu’elle avoisine. Les prêtres de Lemnos exceL laient dans la guérison des blessures , sur-tout dans celles occasion- nées parles traits envenimés. Ce fut par cette raison que les Grecs , allant à Troie, y laisserent Philoctete, blessé au pied par l’une des flèches d’Hercule. Comme on attribuoit ces guérisons à la qualité d’une certaine espece de terre , le fameux Galien fit exprès le voyage de Lemnos pour connaître les vertus de cette terre. Il y trouva en effet un homme qui s’en servoit avec succès contre les morsures des reptiles , et même contre le poison. Les Turcs et les Grecs lui attri- buent encore la même qualité. Cette opinion ne s’est pas accréditée 1. 34

266 NOTES GÉOGRAPHIQUES. CHANT r. dans le reste de l’EurOpe. Cette isle a conservé le nom de Lemno; mais les gens de mer lui donnent celui de Stalimene. (Page 33. Sintiens, ou Sinthiens, ou Sindiens.) Il paraît par ce texte que, du temps d’Homere, on croyoit l’isle de Lemnos habitée par des Sintiens. Je ne cannois pas d’autres peu- ples auxquels on puisse donner ce nom , que les habitants de la ville de Sindus ou Sinthus, aux environs du golfe Thermaïque , Thraces d’origine, et qui appartenaient à cette nation au temps d’Homere. J’ai donné plusieurs manieres d’écrire ce nom; car on lit Sintiens dans Homère, Sindiens (2mm) dans le texte d’HérOdote, et Sinthiens (men) dans Étienne de Bysance, qui cite cet historien.

CHANT II.

(PAGE 37. Ilion.) Au temps dont parle Homere, il existoit dans l’Asie mineure, au sud du détroit appellé l’Hellespont, une ville puissante , nommée successivement Teucria, Mrdania, Troja, Ilium, et même Per- gama, en donnant à la ville le nom de citadelle. Cette ville , que M. d’Anville indique sous le quarante-quatrième degré de longitude, très près du quarantieme de latitude , avoit au nord le Simoïs, qui cou- lait de l’est à l’ouest, et au sud-ouest le Scamandre ou Xanthe, qui venoit du sud-est ; ces deux rivieres se réunissoient au nord-ouest de la ville : à peu de distance, à l’est, étoit le mont Ida. a Il paraît qu’elle eut pour fondateur Teucer, ou même Scaman- der, dont le regne remonte à l’an 1552 avant Jésus-Christ. Dardanus lui succéda , puis Tros , dont elle reçut le nom sous lequel elle est le plus connue. Ce fut d’llus qu’elle prit par la suite le nom d’llion; Priam, le dernier de ses rois, y fit bâtir, sur une montagne , une for- teresse qu’il nomma Pergame. Du temps de ce prince , Troie étoit la capitale d’un royaume fort étendu et très florissant. Je ne dissimulerai pas cependant que ses richesses me paraissent fort exagérées dans Homere. Quant à l’étendue de son territoire, il comprenoit la Mysie et plusieurs isles ; il avoit des alliés puissants et une nombreuse po- pulatian. Long-temps après la prise et la destruction de Troie, l’an 1209 avant J ésus-Christ, il se forma de ses ruines une nouvelle ville, non sur le même emplacement, mais un peu plus au nord , au-delà de la jonc- tion du Scamandre et du Simoïs , plus près des rives de l’Hellespont que n’avait été l’ancienne. Ce n’était encore qu’un bourg quand Ale- xandre arriva dans la Troade , après la bataille du Granique. ce con-

268 NOTES GÉOGRAPHIQUES. quérant sacrifia à Minerve , dans un temple célebre que cette déesse avoit à Ilium , et ordonna l’agrandissement du bourg, qui reçut par la suite de très grands accroissements sous les Romains , dont la chi- ’ mere étoit de se croire descendus d’Énée et des Troyens transportés par lui en Italie. César, pour flatter l’orgueil de sa nation, s’occupa de la prospérité de la nouvelle Ilium , jusqu’à faire craindre qu’il n’y transportât le siege de l’empire. Cette crainte n’était pas dissipée sous Auguste, puisque ce fut pour affermir dans l’esprit de ce prince le dessein de ne rien innover, qu’Horace fRsa belle ode , Justum et te- nacem propositi virum, etc. liv. 3, ode 3; et plus spécialement en- core celle, Pastor cùm traiterez. .. . Helenam, etc. liv. 1 , Ode 15. Cette seconde ville a succombé aux efforts du temps. Sous le regne de Mahomet IV on y voyoit encore quelques belles colonnes que ce sultan fit transporter à Constantinople. On n’y découvre plus que des ruines informes, éparses, et en partie recouvertes par les broussailles.

(Page 43. Argos.) On a vu précédemment la division du Péloponnese. L’Argolide en faisoit partie au sud; son principal fleuve étoit l’Inachus; ses villes les plus considérables, Argos, Mycenes, Épidaure, Nauplia, Trézene. Argos fut fondée par Inachus, qui commença, dit-on, à régner l’an 1823 avantJésus-Christ. Strabon parle d’Argos comme de la pre- miere ville du Péloponnese après Sparte. Cela étoit vrai de son temps; car dès lors la tradition seule pouvoit faire soupçonner les ruines de Mycenes : voici sur quoi je me fonde. Strabon écrivoit avant Pausa- nias, et paraît donner à Mycenes une position assez différente de celle que lui donne Pausanias ; cependant ce dernier dit avoir vu des ruines que la tradition seule attribuoit à Mycenes. Il est vrai que cette tradition renferme des circonstances si positives, que M d’Anville n’a pas hésité de l’adopter. Le seul témoignage de Pausanias, qui écrivoit sur le lieu même, est d’un très grand poids. Au temps de la guerre de Troie, quand les Pélopides dominoient sur presque tout

le Péloponnèse, Ménélas , roiCHANT de Sparte , etAgamemnon 11. , roi de My- 269 cenes, étoient les plusspuissants rois de la Grèce. Le regne d’Aga- memnon commença l’an 1226 avant Jésus-Christ, et fut de dix-neuf ans. Argos étoit surnommée 1’7r7réCo-roç, à cause de l’abondance de ses pâturages. Le peu de maisons qui subsistent encore dans son empla- cement porte le nom d’Argo.

(Page 44. Mer icarienne.) On distinguoit par ce nom la partie de la mer Égée , ou mer de l’Archipel, dans laquelle Icare tomba, suivant la fable.

(Page 46. Ithaque.) Cette isle, située à l’ouest de la Grèce, dans la mer ionienne, n’était séparée de l’isle de Céphalénie que par un détroit de quinze milles, selon Pline , et de cinq , selon le pere Coronelli. Elle faisoit, connue Dulichium et Céphalénie, partie des états d’Ulysse , qui ha- bitoit à Ithaque. La ville capitale , qui portoit aussi le nom d’Ithaque, étoit perchée, suivant l’expression de Cicéron, comme un nid sur des rochers escarpés. C’est cette ville et cette petite isle que le sage Ulysse préféra aux séjours les plus délicieux que lui offrit une navi- gation de dix ans. L’isle d’Ithaque avoit l’avantage d’un bon port. Elle s’appelle aujourd’hui Théaxi; on la nomme aussi la petite Céfa- lonie. Il ne faut pas la confondre avec un rocher stérile, qui n’est qu’un écueil, appellé Itaxi. Théaxi a environ quarante milles de tour, et un bon port nommé Valthi. On y trouve encore des ruines que l’on dit, avec assez peu de vraisemblance, avoir fait partie du palais de Pénélope. Ptolémée dit expressément, en parlant d’Itha- que, Il y avoit une ville du même nom; et Scylax dit, Une ville et ’ un port. Deux mots de l’Odyssée donnent la position de cette ville , 67H oym’ou , sous le mont One’ion.

(Page 52. Aulide.) Aulis ou Aulide, petite ville de la Béotie, située au fond d’un petit

270 NOTES GÉOGRAPHIQUES. golfe, en face de Chalcis d’Eubée. On voit, par Homère et par quel- ques autres poëtes, que ce fut dans ce partque les dieux retinrent la flotte des Grecs assemblés pour le siège de Troie : ce fut là qu’A- gamemnon sacrifia sa fille Iphigénie. Il semble que l’on devroit ap- peller la ville Aulis, et le tenitoire, Aulide. Homere dit, a; ’AÙN’d’d. Au temps de Pausanias, on montroit, sur une petite éminence, un seuil de cuivre, que l’on disoit avoir été placé en face de la tente d’Agamemnon. L’Aulide n’avait plus dès lors qu’un très petit nombre d’habitants occupés, pour la plupart, à des ouvrages de poterie. Elle avoit eu autrefois des villes florissantes , Tanagre , Mycalesse et Harma, qui ne subsistoient plus dès le temps de cet historien , dans le second siècle de notre ere.

(Page 59. Caïstre.) Le grec porte: Arias i1 Astyâ’vl, Kaüc’lpiou cipal fiétôpa. Ce que madame Dacier traduit: Dans les marais d’Asius, etc. Il me semble que c’est avec bien plus de raison que le nouveau traduc- teur s’est rapproché de Virgile, qui Cite les Oiseaux de passage se jouant dans les plaines d’Asie , sur les prairies arrosées par le Caïs tre. Jam varias pelagi polacres, et quae Asie; circum Dulcibus in stagnis rimanlur prata Caystri. Georg. lib. 1, v. 385. Quoique l’image soit différente , il semble que Virgile , en écrivant ces vers, avoit présent à l’esprit celui d’Homere , tant il y a de conformité dans l’indication des lieux! Le Caïster, comme disoient les Grecs , étoit un petit fleuve de l’Asie mineure dans l’Ionie, formé de la réunion de deux branches qui avoient leur source au mont Tmolus. Il couloit par le sud , arro- soit Métropolis, puis Éphese, au-delà de laquelle il se jettoit dans la mer. Les Turcs l’appellent aujourd’hui Koutchoux Meinder, le petit Méandre.

CHANT II. 271 (Page 60. Scamandre.) Le Scamandre, , est une petite rivière de la Troade. On trouve sur les cartes anciennes de M. d’Anville, que les sources du Scamandre , appellé aussi Xanthe , étoient vers le sud-est de Troie , au pied du mont Ida, et près de la colline Cotylus. Cette po- sition est confirmée par la carte que M. Wood a jointe à son Essai sur le génie d’Homere. On voit en effet le Scamandre commençant à la vérité un peu plus au sud de la position que doit avoir eue Troie, environ vers le sud-est. Il tourne par le sud d’une montagne qui doit avoir fait partie de l’Ida; puis en formant plusieurs sinuosités, . il remonte vers le nord. A quelque distance en deçà de son embou- chure , sur la droite, il reçoit le Simoïs. Voici le passage de M. Wood concernant ce petit coin si fameux de l’Asie. cc Le Scamandre sort (c d’un rocher et se répand au même instant dans un bassin circulaire (c de sept ou huit pieds de diametre , à l’ombre d’un platane ; il tombe a ensuite entre des bois et des rochers qui forment un effet très pit- « toresque. Il y a environ vingt-trois milles enligne droitede la a source du fleuve à la mer; mais la distance est plus considérable, si « l’on comprend les détours de la riviere, qui arrose ainsi bien des a cantons différents. D’abord son lit est pierreux et escarpé; il saute (c par cascades plutôt qu’il ne roule; ensuite il serpente dans une (c riche plaine. Il reçoit le Simoïs parmi des champs de blés entre- ’ a mêlés de plusieurs mûriers. Au-dessus de la jonction des deux ri- t: vieres les eaux roulent à travers des montagnes pleines de rochers, c: Où l’on voit quelques pins et d’autres arbres. En été il n’occupe (c pas, à beaucoup près, toute la largeur de son lit. Dans l’hiver il (c produit tous les effets des torrents; il s’emplit d’eau, roule des «c pierres considérables, déracine des arbres, etc... Je suis très sûr (c que la position du Scamandre a changé depuis le temps d’Homere; (c car la source chaude étoit, suivant ce poëte , une des sources de a cette rivière, et maintenanI elle est fort au-dessous de la source (c actuelle, et n’a pas de communication avec le Scamandre. .. . . Les

272 NOTES GEOCRAPHIQUES. (c révolutions qu’a éprouvées la source du Scamandre ont dû arriver (c avant le temps de Strabon; car il paraît qu’il a vu le pays tel, à peu « près, qu’il-est aujourd’hui a). Il est probable que le terrain s’est accru sur la côte Où se rend le Scamandre , et qu’il y avoit mains loin de la ville de Troie à la mer qu’il n’y auroit aujourd’hui, en la supposant à la même place.

Ici commence le dénombrement des vaisseaux des Grecs et des troupes de l’armée des Troyens, intitulé BÉOTIE, parceque cette liste donne d’abord l’énuméra- tion des vaissea une f0 umis parles villes de cette pro pince.

(Page 61. Béotiens.) La Béotie est une partie de la Grece , presque au nord de l’Attique; elle avoit autrefois porté le nom d’Aonia. Son nom de Béotie lui ve- . noit, disoit-on, de Béatus, fils de la nymphe Mélampie, petit-fils d’Amphictyon. Ce pays, quoique assez montagneux, est cependant très fertile, parcequ’il est bien arrosé. L’air yest plus épais que dans l’Attique , et l’on. prétendoit que le génie des habitants tenoit de cette différence. Cependant, comme la Béotie a donné naissance à Plutar- que, à Piudare, à Épaminondas, à Pélopidas, cette Opinion ne pa- ’ roît pas fondée, ou la nature y avoit fait de grandes exceptions. Il paraît, par ce que dit Homere, que, du temps de la guerre de-Traie, les Béotiens s’étaient réunis en un corps pour ne former qu’une seule nation. Ils ne tardèrent pas à se diviser. Plusieurs villes se gouverne- rent par elles-mêmes; on voit même que , dès le temps d’Homere, quelques unes formoient un petit état à part. Le poète en nomme qui ne sont connues que par l’Iliade, et dont il est impossible de rien dire de satisfaisant.

(Ibid. Hyrié.) Comme il est ici mention des vaisseaux béotiens, et que le nom

CHANT 11. 273 de l’Aulide se trouve aussitôt après , on ne peut raisonnablement chercher ailleurs qu’en Béotie le lieu qui portoit le nom d’Hyrié. J’a- voue qu’il m’est inconnu; car il n’est pas possible de le transporter de l’autre côté de la Grèce , en disant que le poète parle ici de l’isle Zacynthe, qui, selon Pline , porta aussi le nom d’Hyrié. Je remarque; rai en passant que c’est à tort que Mela fait de Zacynthe et d’Hyrié deux villes’différentes.

M.(Page d’Anville place 61. , sur sa carteSchœnos.) de la Grece , cette petite .ville au nord-est de Thebes. Elle est d’ailleurs peu connue; mais comme il , y avoit une Ville de ce nom en Arcadie , et que Pausanias dit qu’elle fut fondée par un certain Schœnéus , venu de Béotie, on peut croire que ce Schœnéus portoit le nom de la ville Où il étoit né, et qu’il le . donna à celle qu’il fonda.

(Ibid. Scôlos.) Autre petite ville de la Béotie. Étienne de Bysance en fait men- tion. M. d’Anville la place sur l’Asopus , au-sud de Thèbes. Au temps de Pausanias, on voyoit encore les ruines de cette ville, entre lesquelles étoit un temple de Cérès et de Proserpine.

(Ibid. Étéone.) Je ne connais ce lieu que par Homere, et je ne puis assigner sa position dans la Béotie.

(Ibid. ThesPie.) Pausanias et Étienne de Bysance écrivent ce nom au singulier; M. d’Anville l’écrit au pluriel. Pausanias, qui indique très bien la 7 position de cette ville , la place au pied de l’Hélicon. Selon une an- cienne tradition , elle avoit été fondée par Thespia , l’une des filles du fleuve Asopus. Un sentiment plus raisonnable étoit que Thespius, fils d’Érechthée , étoit venu d’Athenes en Béotie, et lui avoit donné 1. 35

274 NOTES GÉOGRAPHIQUES. ce nom. Je ne puis me refuser au plaisir de rapporter une petite his- toriette qui se débitoit au sujet d’une statue en bronze de Jupiter sau- veur, placée à Thespie. Cette ville étoit, dit-on , désolée par un dra- gon horrible. Jupiter, à la puissance duquel on eutrecours pour faire cesser ce fléau , ordonna que Chaque année les jeunes gens tireroient au sort lequel d’entre eux seroit exposé à la fureur du monstre. Un assez grand nombre avoit péri lorsque le sort tomba sur Cléostrate. Ménestrate, qui l’aimait passionnément, voulant le préserver de la dent du dragon, lui fit faire une cuirasse d’airain garnie de crochets aigus. Cet expédient n’eut pas le succès que Ménestrate avoit espéré: Cléostrate périt; mais le monstre expira des blessures qu’il s’était faites. Sa mort ayant été le salut des jeunes gens qui devoient être exposés au dragon , on éleva une statue à Jupiter sauveur. Au temps de Pausanias , ou voyoit à Thespie plusieurs autres belles statues. (Page 61. Craie.) s J’ignore la position de cette ville.

(Ibid. Mycalesse.) Sur la carte de M. d’Anville, Mycalessus. Cette ville étoit dans la partie orientale , entre Schœnos et Aulis. Étienne de Bysance,Thu- cydide, Pausanias, etc. en parlent. C’était une opinion assez géné- rale qu’elle avoit pris son nom de Moulin, mugir; parceque les vaches qui, dit-on , servoient de guides à Cadmus et à ses compagnons pour les amener dans la Grèce , s’étaient mises à mugir en cet endroit. Au temps de Pausanias on ne voyoit plus que les ruines de Mycalesse. (Ibid. Ilesium.) On ignare la position de cette ville.

(Ibid. Érythrées.) Pline , ainsi que Pausanias , écrivent ce nom de la même mauiere. M. d’Anville ne lui a point assigné d’emplacement sur sa carte. Selon

Pausanias, dans le territoireCHANT de Platée , au pied du Cythéron Il. , à275 peu de distance sur la droite, on voyoit les ruines d’Hysies et d’Éry- thrées. C’est tout ce que l’an sait de cette ville.

(Page 61. Éléon.) Cette ville n’est connue que par Homere.

(Ibid. Hylé.) Strabon indique un petit lac, différent du lac Copaïs, que M. d’Anville place au sud de ce dernier , sous le nom d’HyIica Pains. On pourroit , je crois , conjecturer, par le rapport des noms , que la ville étoit sur le bord de ce lac , et même qu’elle lui avoit donné son nom.

(Ibid. Pétéane.) ’ Absolument inconnue. . (Page 62. Ocalée.) On trouve dans Strabon le nom de cette ville écrit Ocalea et Oca- leae. Selon Étienne de Bysance , elle étoit peu éloignée de Thespie; mais Strabon dit positivement qu’elle étoit à égale distance d’Haliarte et d’Alacomene, à trente stades de l’une et de l’autre; d’où résulte la position que M. d’Anville lui a donnée sur sa carte.

(Ibid. Médéone.) En même temps qu’Homere emploie ici le participe poétique iüu’h’umy, pour ëux’lt’apmy, bien bâtie, il désigne cette ville par le mot 7K7ùÀftepot, une petite ville. M. d’Anville ne lui a pas donné de place sur sa carte; on n’y trouve que Médéone de Phocide, dont parle aussi Pausanias. La ville de Béotie nommée Médéone, selon Strabon, étoit située près d’Oncheste, au bas du mont Phœnicius. M. d’An- ville a placé Oncheste à l’ouest du petit marais d’Hylica; donc cette ville étoit à peu près de ce même côté. Strabon ajoute qu’elle avoit pris le surnom de Phœnicis; ce qui la distingue de la Médéone de Phocide.’

276 NOTES GÉOGRAPHIQUES.’

. (Page 62. Côpas.) Cette ville étoit sur le bord septentrional du lac Copaïs, un peu vers l’est. Selon Pausanias , il y avoit trois temples consacrés, l’un à Cérès , l’autre à Bacchus , le troisieme à Sérapis.

(Ibid. Entrésis.) J’ignore la position de cette ville.

(Ibid. Thisbé.) Cette ville étoit dans la partie: occidentale de la Béotie, près de l’Hélicon, peu éloignée, à l’est, de la partie du golfe de Corinthe appellée Alcyonium mare, la mer d’, entre deux monta- gnes. On avoit pratiqué une digue pour empêcher les eaux de sub- merger les terres. M. d’AnvillQ porté l’attention jusqu’à indiquer cet amas d’eaux sur sa carte de la Grece. On voyoit dans Thisbé un temple d’Hercule et sa statue de marbre; on y célébroit tous les ans des fêtes en l’honneur de ce dieu. Thisbé étoit censée avoir reçu son nom d’une nymphe du pays. SuivantPausanias, dans son voyage de Phocide , de Thisbé à Bulis il y avoit un chemin de quatre-vingts sta- des. Comme les historiens ne donnent aucun détail sur cette ville, on ne voit pas ce qui peut lui avoir mérité l’épithete qu’Homere lui donne en cet endroit.

(Ibid. Coronée.) Cette ville a subsisté long-temps dans la Béotie. Il en est parlé dans Plutarque, dans Cornélius N épos (vie d’Agésilas), dans D10- dore , dans Strabon, et sur-tout dans Pausanias. Elle étoit située sur un lieu élevé , à quelque distance au sud de Chéronée, peu éloignée au sud-ouest du temple de Minerve Itouia, dans lequel s’assem- bloient les états de la Béotie. On voyoit dans la place publique un autel de Mercure protecteur, un autre consacré aux Vents, et, un peu plus bas, un temple de Junon, où il y avoit une statue fort an- cienne, faite par Pythodore de Thebes. ’

(Page 62. Haliarte.)CHANT Il. Cette ville étoit l’une des plus considérables de la Béotie. On au- roit quelques détails sur son origine, si Pausanias eût rempli ses en- gagements; car, en parlant de cette ville (Béotie , ch. 33), ilditqu’il rapportera par qui elle fut fondée, en parlant des Orchoméniens: cependant il n’en parle pas. Selon cet auteur, Haliarte s’étant mon- trée fort attachée aux intérêts des Grecs lors de l’émigration des sous Xerxès, les troupes persannes y mirent tout à feu et à sang. On y voyoit, au temps de Pausanias, le tombeau de Lysandre, ce général des Lacédémoniens qui prit Athenes et y établit les trente tyrans. Le même historien remarque qu’il y avoit dans Haliarte plu- sieurs temples saus aucune statue. En général les terres de la Béotie étoient fertiles. Il paraît par l’épithete qu’Homere donne à Haliarte, que son territoire étoit abondant en pâturages et en herbes potage- res. Strabon dit qu’elle fut détruite après la guerre de Persée, et Tite Live nous apprend que ce fut par le préteur Lucrétius. Il faut cependant qu’elle ait recouvré quelque chose de son ancien état, puisque Pausanias, au milieu du second siecle, en parle comme d’une ville existante.

(Ibid. Platée ou Platées.) Homere écrit ce nom au singulier; Strabon (liv. 9) et Étienne deflBysance en font la remarque: mais Diodore , Strabon , Plutarque et Ptolémée écrivent mima: , Flamme. C’est cette orthographe qui paroîtêtre la véritable; c’est aussi celle que M. d’Anville a adoptée sur sa carte. Selon Pausanias , elle avoit pris son nom d’une fille d’A- sopus , appellée Platéa. Elle étoit située dans la partie sud-ouest de la Béotie, au nord-est du mont Cythéron, entre la source de l’Asopus et le petit ruisseau appellé OEroé. Les Platéens montrerent un grand courage à la bataille de Marathon, et sur-tout à celle qui porte le, nom de Platée, dans laquelle Mardonius, général de Xerxès, com- mandant une armée de trois cents mille hommes, selon Hérodote,

278 NOTES GÉOGRAPHIQUES. ou de cinq cents mille, selon Diodore, fut défait par les Athéniens et les Lacédémoniens , sous la conduite d’Aristide et de Pausanias , l’an 479 avant Jésus-Christ. Dans la suite Platée fut prise deux fois par les Thébains : ils n’en conserverent que les temples. Mais après la bataille de Chéronée, Philippe, voulant opposer aux Thébains un ennemi toujours prêt à agir, rappella les Platéens dans leur ville. Il paraît qu’au temps de Pausanias elle étoit encore considérable, puisqu’on y célébroit les jeux appellés éleuthériens. On y couroit tout armé devant un autel de Jupiter, et le prix étoit fort considéra- ble. A quinze stades de la ville étoit un monument élevé en mé- moire de la victoire remportée par Philippe sur les Grecs. (Page 62. Glissa.) Ce lieu , que Pausanias et Étienne de Bysance écrivent Glissas, et qui ne fut dans la suite qu’un petit village , étoit à l’est de Thebes, tout près de la ville de Témessus , sur un petitruisseau nommé Ther- modon, qui se jettoit dans l’Asopus.

(Ibid. Hypothebes.) On trouve dans différentes éditions d’Homere ce nom écrit diffé- remment. 1°. On lit, et c’est la leçon la plus suivie , rimeàcatç, Hypo- thebes; 2°. 3m 6.66m, sous Thebes. L’une et l’autre leçon offrent le même sens. Si l’on admet la seconde , on explique l’idée d’Homere de la maniere suivante. La premiere ville de Thèbes, bâtie sur la montagne où se trouvoit la forteresse appellée Cadmée, ayant été détruite lors de la guerre des Épigones ou des sept chefs, les Thé- bains construisirent la nouvelle Thebes au pied de la montagne , et l’embellirent de superbes édifices ; de là l’épithete bien bâtie qu’em- ploie Homere. Ainsi lorsque le poëte se sert du nom d’Hypothebes, c’est comme s’il disoit la ville basse de Thebes, bâtie au-dessous de l’ancienne. Ces réflexions prouvent avec combien peu de fondement quelques auteurs ont conclu, de ce que le nom des Thébains, sans addition, ne se trouve pas dans ce dénombrement, que ces peuples

n’avaient pris aucune part CHANTà la guerre de Troie. Une descriptionII. 279 de Thebes nous meneroit plus loin que les bornes de ces notes ne le permettent. (Page 62. Oncheste. Là sont les peuples qui ha- bitent Oncheste, célèbre par sa forêt consacrée à Neptune.) Les mots indou bien; signifient un bois consacré qui étoit beau. Quelques auteurs en ont tiré cette conséquence , que ce lieu n’était d’abord qu’un bois consacré à Neptune , à la place duquel une fille avoit été bâtie par la suite. A la bonne heure ; mais le sens exprimé par le traducteur est très naturel. Ce bois continuoit d’exister, quoi- qu’il y eût une ville. Apollonius de Rhodes , cité pailtieuue de By- sance, indique la position d’Oncheste entre Haliarte et Acræphia. Cette dernière étoit fortà l’est : M. d’Anville l’a placée à quelque dis- tance au sud du lac Copaïs , à l’ouest du marais Hylica. Quoiqu’elle fût détruite au temps de Pausanias , on y voyoit encore le bois sacré, et un temple avec une statue de Neptune.

(Ibid. Arné.) Cette ville ne se trouve passur la carte de M. d’Anville. Pausa- nias dit que c’étoit l’ancien nom de Chéronée. Il rapporte à ce sujet qu’Arné étoit une fille d’Éole, qui avoit bâti cette ville , ainsi qu’une autre du même nom en Thessalie. Je ne dois pas omettre que cet auteur présume que, même du temps d’Homere , les villes de Lébadée et de Chéronée portoient les noms sans lesquels nous les connaissons , mais que notre poëte a pré- féré l’ancien nom.

(Ibid. Midée.) j Cette ville perdit son premier nom pour prendre celui de Lébadée, sous lequel elle est beaucoup plus connue. Le nom de Midée, selon Pausanias , lui venoit de la mare d’Asplédon. La ville étoit alors sur la

280 NOTES GÉOGRAPHIQUES. montagne, situation essentielle pour des peuples peu nombreux, qu’elle mettoit à couvert des incursions fréquentes auxquelles le voi- sinage de la mer exposoit alors. La crainte de ce danger s’étant éva- nouie par la facilité d’obtenir du secours, un Athénien, nommé Lé- badus, persuada aux habitants de quitter la montagne pour s’établir dans la plaine. Il donna son nom à la nouvelle ville. Mais la descrip- tion de Lébadée n’est pas ici mon objet. Voyez ce que j’en dis dans le volume de Géographie ancienne de la nouvelle Encyclopédie.

, (Page 62. Nissa.) Malgré l’épithete très divine qu’Homere lui donne, on ignore au-j jourd’huî sa situation.

(Ibid. Ailthédone.) L’épithete imanat... , qu’emploie ici Homere, signifie ce qui est re- culé,ce qui est à l’extrémité. Mais, ou ce paëte prend ici cette épithete dans le sens que cette ville estla derniere dont il parle dans le dénom« brement des vaisseaux de ce canton de la Béotie, comme nous dirions, Enfin la ville d’Anthédone : ou il a entendu qu’elle étoit la derniere sur l’Euripe; car on voit par Strabon, Pausanias , Dicéarque, Scylax , Étienne de Bysance, que cette ville étoit située sur ce détroit. M. d’Anville, d’après Pausanias, la place peu loin, au nord, du mont Messapius. La ville étoit située sur une hauteur; mais elle avoit un port de son nom. Selon Pausanias , elle avoit pris ce nom de la nym- phe Authédon, ou plutôt d’un certain Anthès, fils de Neptune et d’Alcyone. Au temps de cet écrivain , on voyoit au milieu de la ville un temple des Cabires , et tout près, un bois consacré à Cérès, avec un temple de Proserpine, où la déesse avoit une statue de marbre blanc. Du côté de la terre, en face de la porte d’Anthédone, il y. aVOit un temple de Bacchus avec sa statue: mais le côté de la mer étoit plus intéressant; on y montroit un lieu appellé le saut de Glau- cus, connu dans la mythologie pour un dieu marin. De simple pê- cheur, Glaucus devint un dieu, pour avoir mangé d’une herbe qui produisoit cet effet.

CHANT 1.1. 281 (Page 62. Asplédon.) Cette ville étoit aussi comprise dans les limites de la Béotie, au nord-est d’Orchomene , dont elle étoit séparée par le petit fleuve Mélas. Selon Pausanias , elle avoit pris son nom d’Asplédon, fils de Neptune et de la nymphe Midée. Ses habitants l’abandonnerent par la suite à cause de la disette d’eau. (Ibid. Orchomene de Minye.) Le texte porte : La minyene Orchomene. Cela revient au même, non seulement parceque cette épithete distingue cette Orchomene d’une autre ville du même nom en Arcadie , mais parcequ’elle rap- pelle aussi un de ses anciens noms. Selon Pausanias , Orchomene avoit été une des plus considérables Villes de la Grece. Le premier, disoit-on , qui étoit venu s’établir dans cette contrée se nommoit Andréus ; il étoit fils du fleuve Pénée : d’a- près lui le pays fut nommé l’Andréide. Chrysée, l’une de ses des- cendantes , eut du dieu Mars , selon la fable, un fils nommé Phlégyas, qui régna sur cette contrée , et l’appella de son nom la Phlégyade. Ce Phlégyas fit une incursion dans la Phocide , dans laquelle il pilla le temple de Delphes. On raconte qu’en punition de ce crime lui et les siens furent brûlés par le feu du ciel. Deux générations après, Mi- nyas régna dans la même contrée ; il lui donna aussi son nom, qu’elle ne perdit pas lorsque Orchoménès , fils de Minyas, donna le sien à la ville. On voit par Homere que les Orchoméniens étoient fort puissants au temps de la guerre de Troie. Quand les fils de Cadmus firent voile en Ionie pour y établir des colonies, les Orchoméniens eurent part à cette expédition. Leur puissance excita la ja10usie des Thébains, qui les chasserent de leur ville. Quoique rétablis par Philippe, pere d’Alexandre , leur état alla toujours en s’anibüssanL - Il y avoit à Orchomene, entre autres objets de curiosité , un tem- ple de Bacchus,1. un autre consacré36 aux Graces, et sur- tout un bâti-

282 NOTES GÉOGRAPHIQUES. ment appellé le trésor de Minyas. Au récit que fait Pausanias de la supercherie des architectes de ce trésor, qui se ménagerent, au moyen d’une pierre mobile, le moyen d’y pénétrer en secret, il n’y a personne qui ne se rappelle ce qu’Hérodote raconte de la construc- tion du trésor de Rhamsinit en Égypte. Il est probable que l’une de ces historiettes, toutes deux fabuleuses, estimitée de l’autre. Cepen- dant on voyoit encore à Orchomene cet édifice, au second siecle de notre ere, du temps de Pausanias, qui nous apprend qu’il étoit de marbre, terminé par une coupole. On voyoit aussi à Orchomene le tombeau de Minyas et celui d’Hésiode, dont les os y avoient été transportés d’un coin de terre près de Naupacte, où il étoit mort. Voyez. le combat d’Homere et d’Hésiode , à la suite des œuvres d’Hé- siode. P H o c I D E. (Page 62. Phocéens.) La Phocide étoit au nord-ouest de la Béotie. Selon Pausanias , ce pays avoit pris son nom de Phocus , originaire de Corinthe. Un autre Phocus, fils d’Éacus, y vint depuis avec des Éginetes. Pausanias re- marque entre les expéditions militaires des Phocéens , 1°. qu’ils alle- rent au siege de Troie; 2°. qu’avant l’irruption des Perses ils eurent une guerre contre les Thessaliens , dans laquelle ils acquirent beau- coup d’honneur. Dans les temps postérieurs, l’avarice les ayant por- tés à piller le temple de Delphes , les Thébains armerent contre eux, plutôt pour satisfaire leur ancienne inimitié , que pour tirer, comme ils le disoient, vengeance de ce crime. Cette guerre fut appellée la guerre sacrée. Philippe , roi de Macédoine , s’en mêla. Les Phocéens y eurent toutes sortes de désavantages, et finirent par être exclus du conseil des Amphictyons.

(Ibid. Cyparisse.) Les anciens s’accordent à dire que cette ville fut connue, dans l:s temps postérieurs à Homere , sous un nom différent de celui que

-CHANT 11. 283 ce poète lui donne. Quelques uns , au rapport de Strabon, croyoient que la Cyparisse d’Homere étoit le bourg de Lycoréa, situé sur une montagne , près du Parnasse. Selon Pausanias , Cyparisse est la même qu’AnticyTe. S’il est ainsi, on demande pourquoi Homere n’a pas employé ce nom , qu’il devoit connoître, puisque , selon Pausanias, il avoit été donné à la ville par Anticyrus , contemporain d’Hercule. La ville d’Anticyre étoit sur un isthme qui joint au continent une pe- tite péninsule du golfe de Corinthe. Elle a été célebre dans l’anti- quité par l’ellébore qui croissoit dans ses environs. Ce lieu se nomme actuellement Aspro-Spitia. (Page 62. Pytho.) La ville dont Homere parle en cet endroit, et qu’on retrouve dans une hymne àApollon , est certainement Delphes. Quoique Ptolémée et Sophianus dans sa carte de Grece, Laurensberg dans sa carte de l’Achaïe , etc. en aient fait deux villes différentes , Homere et Pausa- nias , dont les témoignages sont ici d’un très grand poids , nous mon- trent que ce fut la même ville. On en sera pleinement convaincu quand on saura que le nom de mais se trouve presque toujours em- ployé parles poëtes pour désigner Delphes , qui n’est usité que dans la prose. M. Hardion a porté cette opinion jusqu’à l’évidence , dans sa dissertation sur le temple de Delphes (Mém. de Littér. t. 3, p. 159). On ne voit pas , à la vérité , dans les ouvrages des anciens lequel des deux noms a précédé l’autre. D’une part, le nom de nasal vient, selon Homere dans l’hymne à Apollon, du verbe Match: , exhaler une mau- vaise odeur; il fut donné à ce lieu, selon cette même hymne, à cause des exhalaisons que rendoitle corps du serpent Python tué par Apol- lon : mais d’autre part, la nymphe de I’isle, à laquelle Apollon s’a- dresse dans cette même hymne, s’appelle Delphise. Je n’insisterai pas sur ces fables z quelle que soit l’origine du nom Pytho, il rap- pelle des exhalaisons fâcheuses, assez ordinaires dans les lieux aqua- tiques et déserts; il est donc vraisemblable qu’il a précédé celui de Delphes. On aura ensuite fabriqué la petite histoire du serpent, et

284 NOTES GÉOGRAPHIQUES.’ de sa mort par les fleches d’Apollon; tout cela est dans le génie des Grecs. La ville de Delphes ou de Pytho étoit située entre des rochers; de là l’épithete pierreuse qu’Homere lui donne.

(Page 62. Crissa.) Il y a chez les anciens quelques erreurs concernant cette ville. 1°. Un ancien scholiaste de Pindare prétend que par le nom de Crissa on a désigné la ville même de Delphes. C’est une bévue trop forte, même pour un scholiaste; car cette classe d’hommes est en possession d’en faire d’assez grossieres. 2°. Plusieurs auteurs, tels que Pausanias , l’auteur du grand Éty- mologicon , etc. ont pensé que Crissa étoit la même ville que Cirrha. Cette opinion semble démontrée fausse.- 3°. De tout ce qui a été écrit sur cet objet par les anciens et par les modernes , Paulmier de Grand-Ménil , Casaubon , MM. de Valois, Neret, l’abbé Gédoyn, etc. (Mém. de Littér. t. 3 et 5), on peut conclure, et c’est le sentiment adopté par M. d’Anville, que Cirrha étoit le port, et Crissa la ville. Elle donnoit son nom à un territoire assez étendu. Je dois seulement remarquer que, Strabon la plaçant à l’extrémité méridionale du mont Cirphis , M. d’Anville s’est écarté du sentiment de cet auteur, en nommant Cirphis la petite chaîne de montagnes qui forme un promontoire entre le golfe de Crissa, au nord-ouest , et celui d’Anticyre , au sud-est. On voit par cette double position d’une ville dont le territoire est nommé par Strabon iuJ’d’mmv, heureux, et d’un port sur le golfe de Corinthe , que les Crisséens étoient un peuple considérable pour ce temps. M. de Valois pense qu’Anticyre faisoit aussi partie de l’état des Crisséens. Ce peuple se livra au commerce, et devint riche; ce qui le rendit insolent, puis injuste. Les Crisséens avoient d’abord im- posé des droits sur les marchandises qui entroient dans leur port, comme objet de commerce; ils finirent par en mettre sur les effets de ceux que la dévotion ou la curiosité conduisoit au temple de Del. phes, nonobstant une ordonnance des Amphictyons, qui vouloit que

CHANT 11.. 285 tout homme , soit Grec , soit étranger, pût aborder librement ce tem- ple. Encouragés par le succès , entraînés par une avidité coupable, ils se ettoient, par intervalles , sur les terres de leurs voisins ,.pilloient le temple de Delphes, voloient dans le bois sacré ceux que la reli- gion conduisoit à ce temple , commettoient d’autres violences égale- ment condamnables. Les Amphictyons consulterent l’oracle ; la ré- ponse fut sévere. Le dieu ordonna de leur déclarer la guerre, de les réduire en servitude, de laisser leurs terres sans culture, de les consacrer à Apollon, à Diane, à Latone et à Minerve. Après un siege long et meurtrier, laville fut prise et rasée; ceux des habitants que le fer avoit épargnés furent vendus et réduits en esclavage par les vainqueurs. Cette guerre dura dix ans. (Page 62. Daulis.) l Cette ville étoit dans la Phocide, à quelque distance au sud-est de Delphes. Homere , Pausanias , Étienne de Bysance , écrivent AzU’ÀIç ; mais Polybe écrit AœuÀl’ov , Daulium. Selon Pausanias elle étoit très peuplée; ses habitants étoient les plus robustes de toute la Pho- cide. Quant à l’étymologie du nom , j’abandonne celle qui la fait ve- nir de la nymphe Daulis , prétendue fille de Céphissus , pour en adopter une plus naturelle, tirée de l’ancien mot aux, [erre sau- vage. On avoit donné ce nom à cette contrée quand elle n’étoit en-s core qu’une forêt inculte. Ce fut à Daulis , selon une ancienne tradi- tion, que l’on servit à Thyeste, dans un repas, les membres de son fils. Il y avoit dans cette ville un temple de Minerve et deux statues de cette déesse.

M.(Ibid. d’Anville, qui aPanope.) suivi pour la position de cettep ville d’autres indications que celles données par Pausanias, la place vers le sud- est de Daulis. Du temps de Pausanias, Panope ou Panopée , car on dit l’un et l’autre, n’avoit plus ni sénat, ni théâtre, ni place publi- que, ni fontaine, ni lieu d’exercices ; cependant ses habitants, quoi-

286 NOTES GÉOGRAPHIQUES. que logés dans des especes de cabanes, jouissoient d’un petit terri- toire, et députoient aux états généraux de la Phocide. Ils se don- noient pour Phlégyens, originaires du territoire d’Orchomene en Béotie. L’ancienne Panopée, dont Pausanias avoit vu l’enceinte, avoit sept stades de tour. J’aurai occasion , dans les notes sur l’Odys- sée , de parler de l’épithete xœmfxopoç, célebre par ses danses, qu’Ho- mere lui donne (Odyssée , chant XI). o (Page 62. Anémorée.) Ou Anemon’a et Anemoriae, ville dont on ignore absolument la position. Il en est cependant parlé dans la Thébaïde de Stace et dans Lycophron.

(I bid. Hyampolis.) Cette ville est placée par M. d’Anville dans la partie orientale de la Phocide , à quelque distance au sud-est d’Élatée. Son nom, comme l’observe Pausanias, rappelloit l’origine de ses habitants : c’étoient de ces Hyanthes chassés de Thebes par Cadmus, qui s’étoient éta- blis dans Ce canton, où ils avoient bâti une ville. Xerxès, lors de son incursion dans la Grece , brûla Hyampolis. Elle s’étoit un peu remise quand elle fut entièrement détruite par Philippe. Cependant, au temps de Pausanias , on y voyoit encore quelques restes de l’ancienne place publique, un théâtre assez près des portes de la ville, et un édifice où le sénat s’assembloit. L’empereur Adrien y fit construire un portique. Comme il n’y avoit qu’un seul puits dans toute la ville, les habitants , pour suppléer au défaut d’eau , recueilloient dans des Citernes les eaux de pluie. Ils avoient une vénération particuliere pour Diane. Cette déesse avoit à Hyampolis un temple qui ne s’ou- vroit que deux fois par an.

(Ibid. Céphisse.) Ce fleuve prend sa source dans les montagnes qui séparent l’an- cienne Phocide de la Thessalie. Cette chaîne de montagnes s’appelloit

CHANT 11. 287 OEta. Le cours du Céphisse est de nord-ouest au sud-est. Pausanias dit qu’il est quelquefois très bruyant à sa source. En hiver le froid est très vif dans cette contrée à cause du voisinage des montagnes. A peu de distance de la source du Céphisse on trouvoit Liléa ou Li- lée , après laquelle le Céphisse reçoit à sa droite d’abord le Pindus , plus bas le Chacalis; ainsi accru, il coule au bas de la montagne où se trouvoit autrefois Parapotame, dont le nom signifie voisine du fleuve , d’où il entre dans la Béotie. Le Céphisse recevoit dans cette contrée l’Hercyna à sa droite, le Mélas à sa gauche , et se jettoit, au sud d’Orchomene , dans le lac Copaïs , nommé quelquefois le lac Cé- phissis. L’expression d’Homere, m2,? wo7œflàv, semble devoir s’enten- dre des habitants de Parapotame en particulier, le seul peuple de cette contrée qui formât un corps politique, et par conséquent qui pût envoyer des troupes à la guerre. L’expression, qui bordent ou habitent près des bords d’un fleuve , est vague, et suppose une ré- sidence particuliere. C’est aussi le sentiment de Pausanias, qui s’ap- puie du témoignage d’Hérodote.

(Page 62. Liléa.) Cette ville, comme le ditHomere , étoit peu éloignée des sources du Céphisse. Il paroit que quelques entreprises des ennemis l’avoient presque entièrement ruinée , puisque Pausanias dit qu’après que ses habitants eurent recouvré leur ville, ils furent accablés d’une nou- velle plaie par les Macédoniens. Démétrius l’assiégea et y mit gar- nison; mais Patron, l’un de ses citoyens, ayant armé le peuple, força les Macédoniens d’évacuer la ville. En reconnoissance de ce bienfait, ses concitoyens lui érigerent une statue àDelphes. Du temps de Pausanias on voyoit à Liléa un théâtre , une place publique , des bains et deux temples, l’un d’Apollon, l’autre de Diane, dont les statues étoient d’un beau marbre du mont Penthélique. Quant au nom de Liléa, il venoit, disoit-on, d’une naïade , fille du Céphisse.

288 NOTES GÉOGRAPHIQUES. L O C R I D E. (Page 63. Locriens.) Ces peuples, disent les anciens, tiroient leur nom d’un héros nommé Locrus, ou plutôt Locros, dont le fils Opus fonda une ville et lui donna son nom. Ils formoient quatre divisions distinguées par des surnoms différents: trois étoient en Grece , les Locriens Ozoles, les Locriens Épicnémidiens, les Locriens Opuntiens ; la quatrieme, les Locriens Épizéphyriens, habitoit la grande Grece, près du pro» montoire Zéphyrium, dont ils tiroient leur nom. Les Locriens Ozoles étoient les plus puissants. Leur pays, de forme oblongue , s’avançoit en pointe au sud, et se terminoit par un promontoire dans le golfe de Corinthe; ainsi il avoit la mer au sud-v ouest et au sud-est, à l’est la Phocide , au nord la Doride , au nord- estl’Étolie. Le surnom d’Ozoles , formé du verbe 62m! , sentir mauvais; venoit,disoit une ancienne tradition, des fleches empoisonnées d’Hero cule qui étoient enterrées dans ce pays, et, selon une opinion plus raisonnable, des peaux sans apprêt dont ces peuples encore sauvas- ges se couvr01ent. Les Locriens Epicnémidiens habitoient au nord-est de la Phocide, aux environs du mont Cnémis, d’où ils avoient pris leur nom. C’év toit au nord-est de leur pays, près de la mer, que se trouvoit le fa,- meux passage des Thermopyles. Les Locriens Opuntiens s’étoient établis le long de la mer, au sud-est des Êpicnémidiens. La partie septentrionale de leur pays avoit à l’ouest la Phocide , et la partie méridionale , la Béotie ; la ville d’Opus ou Opunce leur avoit donné son nom. Homere représente ces peuples comme armés à la légere, se servant de l’arc et de la fronde. Selon Pausanias, au contraire, du temps de la guerre des Perses , ils avoient des armes fort pesantes. Par les villes qu’Homere nomme en cet endroit, il paroit qu’Ajax, fils d’Oïlée, commandoit les Locriens Opuntiens et les Épicnémis diens.

CHANT II. 289 (Page 63. Cynus.) Cynus étoit sur le bord de la mer, au nord-est d’Opunce. C’étoit le port de cette ville qui renfermoit ses forces maritimes. (Ibid. Opunce.) Homere nomme cette ville à l’accusatif Ôm’efla; Pausanias, au même cas , dit ôm’ïfla; Étienne de Bysance dit 6min; , et Strabon 67:65;," qu’on a rendu en latin par Opus, et en fiançois , Opunce ou Oponce; M. l’abbé Gédoyn a écrit Opunte , traduisant le cas oblique du grec. Je remarquerai en passant que c’est à tort qu’Étienne de Bysance l’attribue aux Locriens Épicnémidiens , puisqu’elle donnoit son nom - aux Locriens Opuntiens, dont elle étoit la principale ville. Tout ce qu’on sait de cette ville , c’est qu’elle fut la patrie de Patrocle. Il en est peu parlé dans l’histoire de la Grece , juSqu’au temps où les Ro- mains y porterent leurs armes. Après la prise d’Élatée , vers l’an 197 avant Jésus-Christ, pendant que T. Quintius prenoit ses quartiers d’hiver dans la Phocide et dans la Locride, il s’éleva une sédition dans Opunce: l’un des partis tenoit pour les Étoliens, leurs plus proches voisins; un autre pour les Romains. Ces derniers l’empor- terent, chasserent les Étoliens, députerent vers les Romains, qui profitèrent de cette division pour se rendre maîtres de tout le pays.

( Ibid. Calliare.) Calliare, ou Callz’arus, appartenoit aussi à la Locride. Strabon en parle comme d’une ville qui avoit cessé d’être habitée. On ignore sa position. (Ibid. Besse.) En grec sima Cette ville, qui se trouve aussi nommée dans la Troade de Séneque le tragique , n’est pas connue d’ailleurs. Strabon parle de Bessa comme d’un terrain couvert de.bois, idée qui ne convient1. point à une ville. 37

290 NOTES GÉOGRAPHIQUES.

(Page 63. Scarphé.) Pausanias (in Corinth. 29) écrit îuptpûa, Scarphée en fiançois. Il place cette ville, d’ailleurs peu connue, sur les confins du terri- toire des Orchoméniens, très près des limites de la Béotie. Il s’est mépris faute d’avoir été sur les lieux , ou il y avoit deux villes de ce , nom; car, outre qu’entre Scarphée, Scarpheia des auteurs que je viens de nommer, Scarphia et Scarphe de Strabon, Scarphea de Ptolémée , Scarpheia d’Étienne et d’Appien , aussi bien que Scarphia de Pline, et Scarphea de Tite Live, il y a un si grand rapport, que c’est évidemment le même nom défiguré , selon Étienne de Bysance . et Tite Live cette ville étoit au nord des Locriens Épicnémidiens, position tout opposée à celle qu’indique Pausanias. Selon Tite Live, T. Quintius, étant parti d’Élatée pour se rendre aux Thermopyles, passa par Thronium et par Scarphée. M. d’Anville a adopté cette position sur sa carte.

(Ibid. Augée.) . L’épithete, agréable, qu’Homere y joint, donne une idée favora- ble de cette ville. On en ignore la position; elle étoit détruite dès le temps de Strabon.

(Ibid. Tarphé.) Pausanias ne parle pas de cette ville. Étienne de Bysance croit que c’est la même que Pharygae ou Pharyges ,- mais Strabon les dis- lingue. Je ne connais la position ni de l’une ni de l’autre.

(Ibid. Thronion sur les bords du Boagre.) Le petit fleuve ou ruisseau nommé Boagrius couloit de l’ouest à l’est, et se jettoit dans la mer, entre Scarphée au nord, et Cnémis au sud. Tous les auteurs s’accordent à donner cette ville aux Locriens. Le Périple de Scylax me paroit le seul ouvrage où Thronion soit dite

appartenir aux Phocéens. OuCHANT cet auteur s’est trompé, ou11. il a parlé 291 d’une époque pendant laquelle les Phocéens dominoienrsur cette partie de la Locride. Strabon l’indique à vingt stades de la mer. C’est cette position que M. d’Anville lui a donnée sur sa carte. EUBÉE. (Page 63.Au-delà des rives sacrées de l’isle d’Eu- bée.) Cette isle , la plus considérable de la Grece après l’isle de Crete, s’étend du sud-est au nord-ouest, depuis le trente-huilieme degré de latitude , jusqu’au trente-neuvieme seize minutes; elle touche dans sa partie septentrionale le vingt-unième degré de longitude , et dans sa partie méridionale, le vingt-deuxieme vingt-cinq minutes. Il est très probable qu’il a été un temps qu’elle faisoit partie, dans toute sa longueur, du continent de la Grece, dont elle est très proche; elle n’y communique actuellement que par un pont, à partir du lieu où étoit autrefois Chalcis , jusqu’au promontoire qui s’avance au sud- est du lieu Où étoit Aulis. C’est là que la mer, resserrée entre les terres, rend plus sensible qu’en toute autre partie de la méditerra- née le mouvement périodique des eaux, connu sous le nom de flux et reflux, dont la cause est l’action du soleil et de la lune sur les eaux terrestres rassemblées en grandes masses. Des détails un peu étendus sur l’isle d’Eubée m’entraîneroient plus loin que ne le com- porte la nature d’une note: je renvoie à ce qu’il en sera dit dans la Géographie ancienne de l’Encyclopédie. Cette isle se nomme actuel- lement Négrepont. Les conjectures qui se présentent sur l’origine de ce nouveau nom tiennent à la sorte de généalogie reconnue entre les langues anciennes et modernes. Du mot Eûpirroç, E un’pe, détroit qui baigne l’Eubée , une prononciation altérée aura faitEuripo , puis, admettant un son guttural , Égripo. Les matelots occidentaux , igno- rant la langue grecque, et entendant les matelots grecs dire, il; en 12791on , pour signifier vers ou à Égn’po, c’est-à-dire à l’isle à laquelle

292 NOTES GÉOGRAPHIQUES.’ ils donnoient le nom d’Euripe, auront altéré ces mots, et en les Iéna nissant ils’auront dit Négrepont. C’est à tort que quelques auteurs ont cherché cette étymologie dans les mots negro ponta. Le pont etté sur l’Euripe n’est pas de pierres noires; rien n’annonce cette couleur aux environs. Notre étymologie est d’autant plus naturelle, que beau- coup de mots grecs ont été dénaturés de cette même manière par les Turcs; particulièrement le mot Constantinople , qu’ils pronon- cent Stamboul, et qui a été formé de ceux-ci, in; 7m «6M, à la ville.

(Page 63. Abantes.) Plusieurs auteurs ont désigné par ce nom les anciens habitants de l’isle d’Eubée, ou du moins une partie des nations qui habitoient cette isle. Aristocrate, cité par Étienne de Bysance, fait descendre ce peuple d’un certain Abante, fils de Neptune, frere d’Aréthuse; on sent le peu de fond qu’il faut faire sur ces sortes d’origines. Je croirois plutôt avec Bochard que ce nOm, oriental d’origine, vient d’abus, engraissé, parceque les pâturages abondants de cette isle y entretenoient de nombreux troupeaux. Homère et Plutarque après lui remarquent que les Abantes coupoient leurs cheveux par-devant pour ne laisser aucune prise à l’ennemi, les laissant croître par-der- riere. Cette coutume, étrangère aux Grecs, appuie le sentiment de Strabon , qui fait venir les Abantes des Thraces. Ces peuples étoient belliqueux; ils dédaignoient l’usage des frondes et des flèches, avec lesquelles on pouvoit atteindre l’ennemi de loin, et ne se servoient que d’épées et de javelots, combattant toujours corps à corps. On remarque qu’Homere, parlant des anciens Eubéens , les nomme Abantes. Eustathe , aussi bien qu’Arphemage , cité par Strabon , pense que les Abantes et les Ennetes étoient le même peuple. (Ibid. Chalcis.) Cette ville , regardée comme la premiere et la capitale de l’Eubée, étoit bâtie dans la partie occidentale, sur la péninsule qui, s’avan- çant dans la mer, semble joindre l’isle d’Eube’e au continent. On la

trouve nommée dans l’antiquité,CHANT Eubée , Stymphelos, Halicame, II. 293 Hypochalcis. Ce seroit retomber dans les étymologies fabuleuses , de Croire que Chalcis tenoit ce nom d’une fille de l’Asopus nommée Combe , à laquelle on. avoit donné le surnom de Chalcis, parce- -, qu’elle avoit inventé les armures de cuivre, de xdlxàç, cuivre. Il est plus vraisemblable que ce nom lui venoit des mines de ce métal, qu’on retrouveroit peut-être encore si l’on fouilloit exactementle ter- rain. Les Chalcidiens, renommés de bonne heure pour leurs cannois- sances dans l’art de la navigation, furent décriés par le débordement de leurs mœurs. Ils envoyèrent des colonies en Thrace, en Macé- doine, en Sicile, dans I’isle de Corcyre, à Lemnos, en Italie, etc. Le nom moderne de Chalcis est Égripo.

(Page 63. Érétrie.) Cette ville, la seconde de l’isle d’Éubée, étoit aussi au le bord de la mer, à quelque distance au sud-est de Chalcis, en face de l’em- .bouchure de l’Asopus , sur le continent, séparant en cet endroit la Béotie de l’Attique. Il est vraisemblable, d’après Strabon et Héro- dote, qu’elle fut bâtie par les Athéniens , quoique ces auteurs diffe- rent sur l’époque de sa fondation,’le premier la plaçant avant la guerre de Troie, le second depuis cette guerre fameuse. Le récit d’Homere est plus conforme à l’opinion de Strabon. Éré trie futlong- temps une ville considérable; elle étoit dans un état très florissant sous le règne de Darius, fils d’Hystaspe, quand les Perses porterent la guerre dans la Grèce. Ayant attaqué et pris Érétrie , ils la détrui- sirent. On ne tarda pas à la rétablir: la nouvelle ville devint très ri- che; elle subsistoit encore du temps de Strabon. Les Chalcidiens furent pendant long-temps maîtres des isles d’Andros, de Tenos et de Cos; ces peuples se révoltèrent et parvinrent à se soustraire à la dépendance des Chalcidiens. Tite Live parle des richesses d’Érétrie en tableaux et en tous genres d’ornements. Il n’en reste aujourd’hui que le souvenir, et la persuasion des Grecs modernes que cette ville existoit dans un lieu qu’ils nomment Gravalinais.

294 NOTES GÉOGRAPHIQUES.

(Page 63. Histiée.) Le premier nom de cette ville , située dans la partie septentrionale de l’isle d’Eubée , sur une montagne, presque en face du golfe Pélas- gique , avoit été Oréos : probablement il lui venoit de sa situation sur une montagne; car ce mot, en grec, signifie montagne. C’est donc ’ une faute du graveur sur la carte de M. d’Anville, que ces mots, Oreus, priùs Istiaea ; il faudroit au contraire, Oreus, deindc Istiaea. Après différentes révolutions, les habitants d’Oréos , qui étoient souvent aux prises avec les Athéniens, furent enfin chassés de leur ville par Périclès; ils se retirerent dans l’Estiotide, contrée intérieure de la Thessalie. On envoya en leur place une colonie d’Athéniens, pris de la tribu Hestiée; de là le nom d’Hestiée ou Histiée, qu’ils donnèrent à leur nouvelle habitation. Ils souffrirent beaucoup, tant de la part des Romains, que d’Attale, roi de Pergame, qui les assié- gèrent. L’épithete , abondante en vignes, que lui donne Homere, est justifiée par une médaille citée par Golzius , sur laquelle on voit d’un côté une tête de bœuf, de l’autre une grappe de raisin. Du temps de Pline, cette ville avoit perdu son ancien lustre. On la nomme aujour- d’hui Orio ou Oréo.

(Ibid. Cérinthe.) L’épithete, maritime, qu’Homere donne à cette ville , eût pu con- venir à beaucoup d’autres villes de l’Eubée. Celle-ci se trouvoit sur la côte orientale, au nord-est de Chalcis : on n’en a point d’autres détails.

(Ibid. Dium.) Cette ville est la même que Strabon nomme Atlzenae Diades, que M. d’Anville place sur la côte septentrionale de I’Eubée, au sud- ouest d’Oréus ou Histiée, ayant en face , de l’autre côté de la mer, le golfe Pélasgique et le passage des Thermopyles. Il est probable qu’après avoir reçu son nom de , Athénien, son fondateur, qui

l’avoit appellée Athenae Diades,CHANT on supprima le nom d’Athenae, II. et295 que l’on changea Diades en Dium,Dios, etc. Ce seroit une erreur que (le croire , avec Ptolémée,’que n’étoit qu’un promontoire. Stra- bon dit positivement qu’il en sortit une colonie qui peupla Canès en Éolie. Étienne de Bysance la nomme aussi une ville , et observe qu’il existoit une autre ville du même nom en Thrace , ou , selon l’opinion la plus générale , en Macédoine.

(Page 63. Caryste.) Cette ville, au sud de l’isle d’Eubée, sur la côte occidentale , au fond d’un petit golfe qui se trouvoit de ce côté , un peu avant le pro- montoire de Leucate, est sur-tout remarquable par les carrieres de marbre que son territoire renferme, qui fournirent, avec deux ou trois autres carrieres renommées, aux plus beaux édifices de la Grece. On dit qu’elle avoit pris son nom d’un fils de Chiron appellé Carys- tus. Ses habitants adoroient, dit-on, le géant Briarée. Le hameau qui a succédé à cette ville célèbre porte encore le nom de Carysto. Strabon dit aussi que l’on y trouvoit l’asbeste , dont on faisoit, selon cet auteur , des habits qui ne se nettoyoient qu’en les jettant dans les flammes. La propriété de l’asbeste ou amiante, de pouvoir être filé et d’être incombustible, est fort connue des naturalistes; mais les modernes n’en ont filé jusqu’ici que par curiosité.

(Ibid. Styra.) Étoit peu éloignée de Caryste , sur la même côte, au nord-est. Ce lieu, qui n’est pas traité de ville par les auteurs, avoit été fondé par les habitants de Marathon. Il paroit cependant qu’Homere le re- gardoit comme ayant été considérable au temps de la guerre de Troie. Styra fut détruite par les Athéniens. A T T I Q U E. (Ibid. Athenes.) Athenes est trop connue pour qu’il soit nécessaire d’entrer dans

296 NOTES GÉOGRAPHIQUES. un grand détail sur cette ville : je dirai seulement qu’elle étoit à qua. rante stades de la mer, ce qui donne trois mille quatre cents toises; à peu près une lieue et demie commune de France, en comptant le stade de soixante-seize toises. On rapporte la fondation d’Athenes à l’an 1582 avant J ésus-Christ, par Cécrops, Égyptien. Elle fut d’abord appellée Cécropie, suivant quelques auteurs : ce ne fut que sous le regne d’Érechthée , son sixieme roi, qu’elle prit le nom d’Athenes, comme étant, en quelque sorte, consacrée à Minerve , dont le nom r grec est in". Pour juger de la magnificence de cette ville dans le premier et le second siecles de notre ere , il suffit de lire la descrip- tion que Pausanias nous en a laissée. Quant à son état actuel, on en prendra une idée affligeante et juste dans le bel ouvrage de M. Le Roy sur les monuments de la Grèce. Le nom du petit lieu qui occupe son emplacement porte encore le nom d’Athéni.

(Page 64. Salamine.) Cette petite isle est dans le golfe appellé autrefois Saronique, et paroit avoir fait originairement partie des terres de l’Attique; car l’isle fait de ce côté un angle, et le continent un petit golfe qui pro. bablement a été l’ouvrage du temps et des eaux. Elle porta d’abord le nom de Cychrie , d’après Cychrée, son premier roi; et celui de Pityusse, de la quantité de pins qui s’y trouvoient. Strabon met avant ces deux noms celui de Sciras, pris d’un ancien héros. La fable don- noit au nom de Salamine une origine plus illustre, le faisant dériver de Salamis , fille d’Asope , roi de Béotie, enlevée et transportée dans cette isle par Neptune , qui l’y rendit mere de Cychrée. L’isle de Sa» lamine eut successivement deux villes qui porterent le nom de Sala.- A mis d’ancienne , dit Strabon , me; 70’701, étoit au sud, en face d’Égine; l’autre , ne; 151 Â’Imàv, vers l’Attique. Malgré ce texte très formel, je ne me permettrai pas de blâmer le savant M. d’Anville d’avoir placé l’ancienne Salamis en face de l’Attique , et la nouvelle vers le nord-est de l’isle. Il a eu sans doute de bonnes raisons pour lui don- ner cette position; mais je ne puis m’empêcher d’en faire la remarque,

et même de ne pas adopterCHANT son sentiment. La nouvelle 11. Salamis 297 de- vint très peuplée , et se gouverna par ses propres loix jusqu’au temps d’Auguste. On prétend que cette isle fut d’abord habitée par des Io- niens , puis par des colonies venues de différentes parties de la Grece. Après Cychrée régna Teucer, puis Télamon, dont le fils Ajax con- duisit à la guerre de Troie les vaisseaux de Salarnine ; il étoit accom- pagné de son fiere Teucer. Mais ce prince, n’ayant pas vengé la mort d’Ajax, fut obligé , à son retour, de quitter Salarnine pour évi- ter la ’colere de son pere : il alla fonder une ville de même nom dans l’isle de Chypre. Philée, l’un des successeurs de Teucer, céda cette isle aux Athéniens pour vivre au milieu d’eux en simple particulier: il donna son nom à la tribu des Philiade.s. Les Mégariens prirent Sa- larnine sur les Athéniens; mais Solon, qui y étoit né, engagea les Athéniens à la reprendre. Lorsque les rois de Macédoine eurent abaissé la puissance d’Athenes, ils essayèrent de leur enlever Sala- rnine. Sous le regne de Cassandre ses habitants se révoltèrent contre Athènes; mais cette entreprise n’eut pas de succès. Les Athéniens, plus puissants que ces peuples ne l’avoient soupçonné, réprimerent la révolte, et chasserent de l’isle tous ceux qui y possédoient un état et des biens considérables; ils envoyerent à leur place une colonie athénienne. Sylla, disposant en maître de la puissance d’Athenes, déclara libre l’isle de Salarnine. Elle jouit de cette liberté jusqu’au régné de Vespasien, qui la mit au rang des provinces romaines. Salarnine est survtoutcélebre par la bataille navale qui se donna l’an 479 avant Jésus-Christ, dans le détroit formé par cette isle et le continent. Elle n’est plus aujourd’hui qu’un petit lieu qui porte le nom de ARGOLIDE (Page 64. Argos.) Argos étoit lacapitale d’un petit royaume du Péloponnese , auquel elle avoit donné son nom. On y joignoit ordinairement l’épithete 1. 38

298 NOTES GÉOGRAPHIQUES. lméCcfloç, faisant allusion à la beauté de ses pâturages , parceque le mot seul d’âne; , blanc, présente l’idée d’un terrain sec et ingrat. La ville d’Argos étoit à quelque distance de la mer, sur l’lnachus. On fait remonter sa fondation à l’an 1 823 avantJésus-Christ. Elle cessa d’être regardée comme la capitale du pays après le règne d’Acrisius et de - Prétus, vers l’an 1330 avant Jésus-Christ, Mélampus ayant obtenu une partie de ce royaume pour lui et une autre pour son frere Bias. Pausanias dit que ce fut sous Anaxagore ; mais nous avons cru devoir nous en rapporter, pour la suite des rois d’Argos , à la chronique d’Eusebe. Persée, petit-fils d’Acrisi.us, fit un échange avec son cousin Mé- gapenthe. Il lui céda Argos pour Tirynthe, que Mégapenthe lui aban- donna; mais il fonda, treize cents quarante-huit ans avant notre ere, une nouvelle ville qu’il appella Mycenes. Agamemnon commença à régner en 1226. Depuis l’arrivée des Héraclides en 1229, Argos reprit le rang qu’elle avoit perdu. Les Argiens se gouvernerent en- suite en république. Strabon parle d’Argos comme de la premiere ville du Pélopon- nese après Sparte. Il fut un temps pendant lequel les Argiens l’em- porterent en puissance sur les Lacédémoniens ; mais dès qu’ils eurent perdu la supériorité , ils ne purent la recouvrer. Argos étoit ornée d’un grand nombre de superbes édifices; l’un des plus anciens étoit le temple d’Apollon Lycien , élevé à ce dieu par Danaüs. Pausanias parle aussi avec éloge d’un monument plus moderne. Il étoit de marbre blanc, et avoit été construit en mémoire de la défaite et de la mort de Pyrrhus, tué dans cette ville par une femme qui lui avoit lancé de dessus-une maison une pierre sur la tête, l’an 272 avant Jésus-Christ. Dans un autre endroit de la ville, on voyoit un fossé dans lequel, à certains jours marqués, les habitants jettoient des torches allumées en l’honneur de Proserpine. La cita- delle s’appelloit Larisse; elle étoit au nord-est. Le petit village qui subsiste sur les ruines de cette ancienne ville se nomme encore Argo.

CHANT II. 299

Cette(Page ville, située dans l’Argolide,64. vers Tirynthe.) l’est d’Argos, avoit été A bâtie, disoit-on, par un ancien héros nommé Tiryns, fils d’Argus. On ne sait rien de son histoire. L’épithete nommer, que lui donne Homère, indique qu’elle avoit de fortes murailles. Pausanias, voya- geant dans l’Argolidè , n’en trouva plus que les ruines; mais il parle avec éloge de la grandeur des pierres qui y avoient été employées.

(Ibid. Hermioné.) Cette ville , qui appartenoit aussi à l’Argolide , étoit située à l’ex- trémité de la péninsule que le Péloponnèse forme de ce côté. Elle étoit au fond d’un petit golfe, où se trouvoit I’isle d’Hydréa. L’an- cienne ville d’Hermioné, probablement celle dont parle Homère , n’ofli’oit plus que des ruines du temps de Pausanias ; mais la nouvelle ville étoit dans un état florissant. Son emplacement est actuellement celui de Castri.

(Ibid. Asiné.) Cette ville et les deux autres ci-dessus nommées étoient situées sur le golfe Argolique , ce qu’Homere désigne par ces mots : Baôàr un; "Mm ixéueaç , placées sur un gob’e pnybnd ; Asiné au nord-ouest, Hermioné au sud-ouest d’Épidaure. Les Asinéens avoient porté d’a- bord le nom de Dryopes , lorsqu’ils habitoient le mont Parnasse, dans la Phocide. Ayant été vaincus par Hercule , sur la réponse d’ApOllon ce héros les mit en possession de la ville d’Asiné. S’étant ligués par la suite avec les Lacédémoniens contre les Argiens, leurs ennemis communs , ceux- ci , après le départ des Lacédémoniens, vinrent mettre le siège devant Asiné. Les Argiens s’étant opiniâtrés à former un blocus qui ne laissoit rien entrer par terre dans la ville, les Asi- néens montèrent sur des vaisseaux à l’aide desquels ils passerent , à l’insu de leurs ennemis , sur les terres des Lacédémoniens , alors maî- tres de la Messénie. Ils y fondèrent une nouvelle ville d’Asiné , dans

300 NOTES GÉOGRAPHIQUES.’ la presqu’isle occidentale de la Messénie , sur un petit golfe , qui prit le nom d’Asinus sinus.

(Page 64. Trézene.) Cette ville, aussi de .l’Argolide, étoit située sur la côte orien-, tale de la presqu’isle, au sud-est du Péloponnèse, à l’entrée du golfe Saronique, à peu de distance de la mer, au confluent de I’Hy- lieus et du Chrysorrhoès, dont le nom signifie, qui roule l’or dans ses flots. Trézene avoit, selon Pausanias, pris son nom d’un fils de Pélops, frère de Pitthée , le dernier prince qui y régna, célèbre par sa vertu et par la douceur de son gouvernement. La vénération ac- cordée à sa mémoire s’étoit perpétuée jusqu’au temps de Pausanias. On montroit, à Trézene, le siège de marbre sur lequel ce bon roi s’asseyoit en plein air pour rendre la justice à ses sujets , ainsi que son tombeau, placé par Thésée dans le temple de Diane conservatrice. Il avoit plusieurs autres monuments dans cette ville.’Les habitants d’Halicarnasse, en Carie, la regardoient comme leur métropole. (Ibid. Éiones.) ç J’ignore la position de cette ville, dont le nom signifie rivage , sui- vant la remarque d’Eustathe. Strabon dit qu’Éiones étoit le port de Mycenes. 1 (Ibid. Épidaure.) Cette ville étoit sur la côte orientale de la presqu’isle de l’Argo- lide, baignée par le golfe Saronique, presque en face de [isle drggine. Elle fut si long-temps célèbre par le temple d’Esculape, situé dans son territoire ,jèt par les miracles que l’on disoit s’y opérer , qu’il est surprenant qu’Homere la désigne par la fertilité de ses vignes, Plutôt que par la divinité qui y étoit adorée. On y voyoit un temple d’Escu- lape et une belle statue de ce dieu, tenant d’une main un bâton, ayant l’autre appuyée sur la tête d’un serpent; un chien paroissoit couché à ses pieds.

CHANT Il. 301’ A un mille d’Épidaure étoient le bois sacré et le temple célèbre dans lequel on venoit implorer la puissance d’Esculape. Le territoire d’Épidaure eût été profané si quelqu’un y fût mort; raison pour la- quelle une loi expresse obligeoit de transporter les malades et les vieillards dans une ’ e voisine. Le lieu qui subsiste aujourd’hui sur les ruines d’Épidaureise nomme Pidavra.

(Page 64. Égine.) L’islè d’Égine est située dans le golfe appellé autrefois Saronique, à l’ouest, presque en face d’Épidaure. Cette ville porte le nom d’En- gin, et l’a donné au golfe. On ne voit pas quel motif a engagé Étienne de Bysance à placer cette isle au nombre des Cyclades. Égine-fut d’abord nommée AEoné; il paroit qu’ensuite on l’ap- pella Myrmidonie, parceque ses habitants avoient habité sous terre. Voyez le mot THESSALIENS, chant I. Enfin Éacus, étant devenu roi de l’isle , la nomma Égine, du nom de sa mère, fille d’Asope. Ce chan- gement de nom est exposé très rapidement dans les vers suivants : OEnopiam Minos petit , AEacidalia regna : OEnopiam veteres appellavere ; sati ipse AEginam, genitn’cis nomine, dixit. Ovid. Metam. lib. 7, v. 47a. La fable , qui s’est plu à jetter du merveilleux dans l’histoire d’Éa. cus, a dit, 1°. que, son isle ayant été dépeuplée par une sécheresse, les dieux , à sa prière, avoient métamorphosé les fourmis en hommes pour la repeupler; 2°. qu’Éacus avoit mérité par sa justice de s’as- seoir, après sa mort, au nombre des trois juges des enfers. On attri- bue un autre prodige à ce prince, celui d’avoir placé sous l’eau les rochers qui rendent l’abord de cette isle très difficile , afin de la pré- server des attaques de l’ennemi. L’isle d’Égine avoit au sud-ouest une ville de son nom. Ayantété détruite par un tremblement de terre , Tibère prit pitié de ses mal- heureux habitants , et les exempta de toute espèce de tribut pendant trois ans. Pline parle avec éloge du cuivre qu’on tiroit des mines

302 NOTES GÉOGRAPHIQUES. d’Égine. Ce fiit sans doute l’excellente qualité de ce métal, préféra- ble , selon ce naturaliste, au cuivre de Délos , qui engagea à s’en ser- vir pour fabriquer des pièces de monnoie; car Éphore , cité par Strabon , dit que les premières pièces de monnoie de Cuivre furent faites à Égine par Pidon. Le terrain de cette isle, naturellement sec et pierreux , devint très fertile par l’industrie et le courage de ses ha- bitants. Il est probable que le métal se trouvoit dans le mont Pallénie. Pausanias dit que cette montagne étoit remarquable par un temple de Jupiter consacré à Éacus. Le même historien nous fait connoître quelques uns des monuments qui décoroient la ville d’Égine : vers le port, un temple de Vénus : dans le quartier le plus apparent de la ville , l’Éacéon ; c’étoit un quarré entouré de marbre blanc; on y voyoit les statues de plusieurs Grecs arrivés à Égine par ordre de la Pythie , pour implorer l’assistance d’Éacus dans un temps de séche- resse. On ajoutoit que ce prince leur avoit. obtenu, par ses prières , une pluie abondante. Probablement ce n’étoit pas de la pluie que les Grecs étoient venus demander aux Éginetes , mais des secours d’ar- gent, dans un temps où le grand commerce de cette isle permettoit à ses habitants d’en donner. Près de l’Éacéon, on voyoit le tombeau de Phocus, tué involontairement par son frère Pélée: à quelque dis- . tance du port, un théâtre, qui ne le cédoit pas en beauté à celui d’Êpidaure ; on admiroit la construction du stade placé derrière ce théâtre. Dans l’intérieur de la ville, trois autres temples, à peu de distance l’un de l’autre , consacrés à Apollon , à Diane et à Bacchus; Apollon étoit le seul de ces dieux qui fût représenté nud. Plus loin, un temple d’EscuIape et une belle statue de ce dieu. Les Éginetes , ayant été d’abord gouvernés par des rois , dont deux ou trois seulement sont connus , s’érigerènt en une république gouvernée par des magistrats, contre lesquels ils ne tardèrent pas de se révolter quand le commerce les eut enrichis. Dans la guerre des Perses, ce furent les Éginetes qui, après les Athéniens, fournirent un plus grand nombre de vaisseaux. Jalonx de la puissance d’Athenes, et sollicités par les Béotiens, ils se jetterent par la suite sur l’Attique:

ce fut le commencement CHANTde la haine qui divisa ces tr.deux peuples. 303 Les Éginetes firrent enfin chassés de leur isle par les Athéniens, et obli- gés d’aller chercher fortune ailleurs. Ils se retirèrent dans l’isle de Thyrée , sur les confins de l’Argolide et de la’Laconie, et ne rentre- rènt dans leur isle qu’après le renversement de puissance d’Athe- nés , mais sans recouvrer leurs anciennes forces. Sous le règne de Vespasien , Égine fit partie des provinces romaines , ainsi que les au- tres états de la Grèce.

(Page 64. Masète.) J’ignore la position de ce lieu.

(Page 65. Mycenes.) Les historiens et les géographes sont partagés sur la position de cette ville : les uns (c’est l’opinion qui résulte de la description de Strabon, qui ne parle pas comme ayant été sur les lieux) la placent au sud-ouest d’Argos ; les autres , d’après’Pausanias, qui paroit avoir écrit sur les lieux, ou du moins qui y avoit recueilli-les matériaux de son ouvrage , indiquent ainsi sa position. 1°. Persée passoit de Larisse en Thessalie à Argos, lorsque le pommeau de son épée tomba à terre : il prit ce signe pour un aver- tissement que lui donnoient les dieux de bâtir une ville en ce lieu; ce qu’il fit peu après. En plaçant, comme le fait M. d’AnvilIe d’a- près cette indication de Pausanias, Mycenes au nord-est d’Argos , elle se trouve précisément sur la route que devoit tenir Persée; et Pausanias dit expressément (Corinth. 1 5) que ceux qui, ayant quitté Tretum, vont à Argos , ont sur leur gauche les ruines de Mycenes. 2°. Pausanias dit ensuite : A quinze stades .de Mycenes, sur la gauche de cette ville , est le Haereum (ou temple de Junon). Cet his- torien décrit l’Argolidè en s’avançant du nord au sud: ainsi l’Hae- reum, qu’il voyoit à sa droite, devoit lui paroîtrè à la gauche de la ville de Mycenes, du côté d’Argos ; par conséquent le temple de Junon en étoit plus près de ce côté.

304 NOTES GÉOGaAPHrQUEs. 3°. On voit au commencement de l’ÊIectre de Sophocle, que le Pédagogue, entrant en scene avec Oreste , et lui montrant les lieux qu’il a dû connoître dans son enfance, lui dit (la scene est à Argos) : ’ à? 119567991; Je 3h mais; à tout"); mée. il Je fumiger Qu’un! Maure; ni; vroÀèæpu’a’oyç 5927. Sur la gauche est le superbe temple de Junon : nous pouvons voir aussi de ce lieu I’opulente ville de Mycenes. Ainsi, 1°. le temple de Junon étoit sur la gauche d’Argos, en sor- tant par le sud. 2°. Mycenes n’en étoit pas éloignée , puisque , regar- dant de ce côté, on l’appercevoit. D’ailleurs Pausanias dit positive. ment qu’il n’y avoit que quinze stades, mille cent quarante toises, une demi-lieue. Tels sont les motifs qui m’ont déterminé dans la po- sition que j’ai donnée à cette ville sur la carte. Cette discussion étoit nécessaire ; car les cartes de Grèce qui ont précédé celle de M. d’An- ville plaçoient Mycenes au sud-ouest d’Argos. On rapporte la fondation de Mycenes, par Persée, à l’an 1343 avant l’ere vulgaire. Agamemnon en fut le cinquième roi. On fixe le commencement de son règne à l’an 1 226 ; il régna dix-neuf ans. Les Héraclides détruisirent ce royaume en 1 129. Les Argiens , dit Pausanias , renverserent le royaume de Mycenes par jalousie de ce que , tandis qu’ils étoient restés dans l’inaction, les Mycéniens , qui avoient envoyé quatre-vingts hommes à la défense des Thermopyles lors de l’arrivée des Perses , avoient eu part à l’honneur de ce combat. Du temps de cet auteur, on ne voyoit plus que les restes de l’enceinte de la ville, et, dans l’intérieur, le tombeau d’Atréè et de tous ceux qui, avecAgamemnon, à leur retour de Troie, étoient tombés sous les coups d’Égysthe. On voyoit hors des murs d’autres tombeaux entre lesquels étoient celui d’Électre et ceux de Clytemnestre et d’Égysthe,

CHANT 11. 305 CORINTHIE (Page 65. Corinthe.) Cette ville, qui devint, par ses richesses et par l’étendue de son commerce , l’une des plus considérables de la Grèce, étoit située sur l’isthme auquel elle donna son nom , à une petite distance de la mer, au bas d’une montagne sur laquelle étoit la citadelle appellée Acroo Corinthe; son port se nommoit Lechœum. On attribue la fondation de Corinthe à Sisyphe , en 1 376 avant l’ere vulgaire. Ayant été suc- cessivement gouvernée par des rois, par des magistrats et par des ty- rans , elle rétath ses magistrats et se maintint sous le gouvernement républicain depuis l’an 582 jusqu’en 146 avant notre ère , que, prise par le mnsul Mummius, elle fut pillée et livrée aux flammes. Jules César la rebâtif; elle subsista toutefois , avec moins d’éclat qu’aupa- ravant , jusqu’au bas empire. Le lieu qu’occupe son emplacement se nomme Çorito. SUITE DE L’ARGOLIDE. (Ibid. Cléones.) Cette ville, dont Pausanias parle dans son voyage de Corinthe, étoit la dernière ville de l’ArgOlide,du côté de laCorinthie. On prétend qu’elle portoit le nom d’un fils de Pélops. On y voyoit, au temps de Pausanias, un temple et une statue de Minerve. M. Le Roy de l’aca- démie des belles-lettres, dans son ouvrage sur les plus beaux monu- ments de la Grèce, dit qu’en voyageant de Corinthe à Sparte , il ren- contra les ruines de Cléones. L’épithete qu’Homere lui donne la représente comme une ville agréable dès le temps de ce poëte.

(Ibid. Ornées.) Cette ville étoit aussi dans la partie septentrionale de l’Argolide , . ’ vers les frontières de la Sicyonie , sur un petit fleuve qui portoit son 1. 39

306. NOTES GÉOGRAPHIQUES. nom. On attribuoit la fondation d’Omées àOrnéus, fils d’Érechthée. Elle fut l’une des plates ruinées par les Argiens , qui transporterent ses habitants dans leur ville. Strabon dit que le culte de Priape y étoit autrefois en honneur. V

(Page 65. Aréthurée.) Homere se sert ici de l’un des anciens noms que porta Phlius, ville assez considérable, comprise dans la Sicyonie, et qui avoit appar- tenu autrefois à l’Argolide. Pausanias observe que ses habitants n’é- toient pas Arcadiens , qu’Aréthurée fiat d’abord habitée par des Ar giens. Elle fut bâtie , selon cet auteur, par un certain Aras , originaire du pays. Il eut un fils, Aoris, et une fille, Aréthurée. Aoris, en mé moire de sa sœur, changea le nom de la ville que son pere avoit bâtie (qui probablement se nommoit Aras) , pour donner le nom.d’Aré- thurée à la ville et à ton te la contrée. Phlius , que Pausanias croit fils d’Aréthurée, quoique quelques auteurs soient d’une opinion con- traire , lui fit éprouver un troisieme changement de nom en lui don- nant le sien. D’après cet exposé, on voit que c’est Phlius qu’il faut chercher sur la carte de M. d’AnviHe , à laquelle il faut appliquer l’é- pithete , très agréable, qu’Homere donne à Aréthurée en cet en- droit. Elle se nOmme à présent Staphilica. i S I C Y O N I E. (Ibid.. Sicyone.) Cette ville étoit la capitale d’un petit état situé sur le golfe de Corinthe. Elle porta d’abord le nom d’Égialée, son fondateur l’an 1737 avant notre ere. Comme Adraste, dont le nom est ici dans Homere, ne se trouve que le quatorzieme dans la liste des rois d’Ar- gos, et qu’il ne régna qu’en 1260, je crois qu’il faut traduire, Où Adraste régna autrefois. Étienne de Bysance dit que cette ville porta ensuite le nom de Telchinia. S’il est ainsi, elle ne conserva pas long- temps ce nom ; car Pausanias dit positivement que, sous le regne de . .

CHANT 11. , 307 , venu de l’Attique au secours de Laomédon , auquel il suc- céda, Égialée prit le nom de Sicyone. L’ancienne ville’de Sicyone étoit située dans une plaine. L’an 330 avantJésus-Christ, Démétrius Poliorcetes la rasa pour en bâtir une autre sur une hauteur plus près de la citadelle. Selon Plutarque, ce prince voulut nommer sa nou- velle ville Démétriade ; mais l’ancien nom prévalut. Sicyone, célebre par l’ancienneté de sa fondation, ne l’a pas moins été par la gloire - des peintres, des sculpteurs et des hommes célebres à qui elle a donné naissance. C’est dans cette ville que naquit Aratus, qui, à l’âge de vingt ans, mérita d’être mis à la tête des affaires de sa patrie, et qui, l’an 250 avant notre ere, forma la ligue desAchéens,rempart de la liberté de la Grece. Le peintre qui, représentant le sacrifice d’Iphi- génie , voila le visage d’Agamemnon , étoit de Sicyone. Du temps de, Pausanias,elle renfermoit plusieurs monuments d’une grande beauté. Ce n’est plus actuellement qu’un village connu sous le nom de Baril Iico, la ville royale. A C H A I E. (Page 65. Hypérésie.) La ville à laquelle Homere donne ce nom est connue plus géné- ralement sous celui d’Ægira ou Égire. Pausanias assure que ces deux noms s’appliquent à la’même ville 1 Ôpiipov (il w 731c iman imputiez «ivo- pac’lu. Il donne ensuite la raison de ce changement. Les Sicyoniens étant entrés à main armée sur les terres des Hypérésiens , ceux-ci ne purent leur opposer des forces égales; mais ils eurent recours à la ruse. Assemblantles chevres du pays, ils leur attacherent aux cornes des fascines de bois auxquelles ils mirent le feu. Les Sicyoniens, croyant avoir affaire à une puissante armée , se retirerent: les Hyp-’- résiens éleverent un temple à Diane , 50us le nom d’Apolera, dans le lieu même où la chevre qui précédoit les autres s’étoit arrêtée. Depuis cet événement, la ville d’Hypérésie prit le nom d’Ègire, du mot grec ouf , 4372;, clzevre. Elle renfermoit, au temps de Pausanias, plusieurs temples et de belles statues. On y adoroit Vénus Uranie,

308i NOTES GÉOGRAPHIQUES."

(Page 65. Goncesse.) Il est reconnu actuellement que c’est Gonoessa qu’il faut lire. l’au. sanias avertitque, les livres d’Homere ayant été dispersés, etPisistrate les ayant rassemblés, les copistes avoient, par ignorance, introduit dans le texte Aoréncay au lieu de maman. On a depuis corrigé cette leçon vicieuse. On trouve cette ville sous le nom de Gonussa. Au temps d’Homere elle appartenoit aux Sicyoniens.

(Ibid. Pellene.) Cette ville, qui appartenoit àl’Achaïe, étoit à quelque distance de la mer (du golfe de Corinthe), au sud-est d’Égire. Elle étoit cons- truite en forme (l’amphithéâtre , du plus bel effet, sur le côté d’une montagne dont le sommet étoit si aigu , qu’il étoit inhabitable. Les habitants de Pelléné ou Pellene prétendoient que leur ville avoit pris son nom de , l’un des titans; mais les gens instruits ne faisoient remonter ce nom qu’à Pellene , fils de Phorbas , petit-fils de Triopas. Un superbe aqueduc réunissoit les eaugde la montagne, et les distribuoit dans la ville. On yvoyoit un gymnase et des statues d’athletes. Ellenavoit un port que l’on nommoit Aristonautes, dont le nom signifie excellents nautonniers; ce qui détruit, comme Pau- ’ Sanias l’observe, la chimere qui faisoit construire ce port pour les Argonautes.

(Ibid. Égion ou Egium.) Elle fut pendant long-temps très considérable et jouit du titre de capitale de l’Achaïe. C’étoit dans ses murs que se tenoit l’assemblée ’ des états (auve’d’piov). Tite Live (liv. 38, ch. 30) doute si cet honneur lui fut accordé à cause de sa prééminence et à cause de la commo- dité du local. On voit en plusieurs endroits de Polybe, que les am- bassadeurs, et quelquefois même les rois, se rendoient àÉgion pour traiter avec les Achéens. Elle s’étoit formée , dit Strabon , de la réu- nion de Sept ou huit bourgs. On croit qu’elle subsistoit dans le lieu nommé aujourd’hui Vostiza.

CHANT 11. 309 (Page 65. Hélice.) Pausanias , parlant d’Hélicé , se sert du mot 7559:», un bourg: mais elle avoit été long-temps florissante sous les Ioniens et sous les Achéens, avant l’arrivée des Doriens dans le Péloponnese; ce qui en- gage Homere à lui donner l’épithete îupnïa , vaste. Elle se soutint dans cet état de splendeur jusqu’en l’an 373 avant Jésus-Christ, qu’un tremblement de terre ayant ébranlé toute cette côte, la mer couvrit une grande partie de l’emplacement d’Hélicé. Le poëte Callimaque (hymne 6), parlant des courses de Latone , qui cherchoit un asyle . contre la fureur de Junon, appelle cette ville l’amie de Neptune. Elle étoit alors dans toute sa splendeur; effet de son commerce ma- ritime. Au temps de Pausanias on n’y voyoit plus que les ruines d’un temple de Neptune. L A C O N I E.

(Ibid. Lacédémone.) Comme il s’agit ici de considérer le texte d’Homere sous un rap« port géographique, je ne puis me dispenser d’observer qu’en disant,

xénon Aach’ailpora infinitum , ce que la version latine rend par ces mots , Montibus clausam Lace- dacmona magnum , et nommant ensuite Sparte après Phares , le poëte distingue très clairement ces deux objets. C’estdonc ici le lieu d’établir cette distinction : par le nom de Spartiates, les anciens en- tendoient les habitants de Sparte ; et ils nommoient Lacédémoniens les habitants des diverses contrées de la Laconie. Ce pays étant en- touré de montagnes, l’épithete lémur, creuse, qu’Homere donne à Lacédémone, lui convient très bien. Il nomme cette région vaste, quoiqu’elle le soit assez peu ; mais cette épithete est relative aux au- tres états du Péloponnese , qui étoient d’une moindre étendue.

310 NOTES GÉOGRAPHIQUES.

(Page 65. Pharès ou Pherès.) Il me paroit certain que ce nom, qu’Homere écrit au singulier, est le même que Pausanias, Étienne de Bysance, etc. écrivent au pluriel cipal. Ilyavoit plusieurs’villes de ce nom; mais les deux vers d’Homere, qui nomment dans le même endroit Lacédémone , Phe- rès, Sparte et Messe, ne permettent pas de douter que le poëte ne désigne ici la ville de Pherès en Messénie, à l’est du golfe , près du fleuve N édon. Au temps de Pausanias cette ville étoit déchue de sa puissance; ses habitants étoient soumis à la domination de Sparte. On lui donnoit pour fondateur Phares , fils de Mercure. On y voyoit un temple de la Fortune et une statue fort ancienne de cette divinité.

( Ibid. Sparte.) Dans la nouvelle édition d’un ouvrage que l’on regarde avec raison comme un monument à jamais glorieux pour la France, il a échappé, à l’article MISITRA , quelques fautes, entre autres celle-ci. L’auteur prétend renfermer l’ancienne Sparte dans les fauxbourgs de la ville moderne. Plusieurs erreurs adoptées par l’éditeur de cet article, sans doute d’après le récit de M. F ourmont, me nécessitent d’insister sur la véritable position de l’ancienne Sparte. Ce qu’en ont dit Pausaë nias et Polybe se rapporte exactement avec le peu de connoissances que nous donne le.local actuel. Selon Polybe (liv. 5), Sparte étoit d’une forme ronde : l’espace qui l’entouroit étoit uni; mais on trouvoit dans son intérieur des éminences, des lieux irréguliers, d’assiettes différentes. Le fleuve qui coule à l’est, l’, étoit impraticable par sa largeur et sa profondeur, pendant une grande partie de l’année. M. Le Roy a tracé la position de Sparte sur les lieux. Il. la représente sur la droite de l’Éurotas, dans une place où ce fleuve, s’avançant circulairement, forme à l’est une espece de presqu’isle g c’est dans cette presqu’isle, à la gauche du fleuve , qu’étoit le plataniste dont je parlerai dans un A moment.

CHANT 11. 311: Au sud-ouest de Sparte couloit un ruisseau appellé alors Cnacion, actuellement Triti. Il vient du nord-ouest et se jette dans l’Eurotas , à peu de ’distance sud-est de Sparte. Je ne m’étonne pas que l’auteur de l’article MISITRA prétende que cette ville n’a plus les quarante-huit stades dont parle Polybe, puisqu’il veut les retrouver autour de Misitra, que l’historien n’a jamais connue. C’est une vérité reconnue depuis long- temps, qu’il existe une distance de plus de deux milles entre ces deux villes. Voici comment s’explique M. Le Roy: (c Sparte, comme je le reconnus dans les différents voyages que (c j’y fis de Misitra , est à deux milles de cette derniere ville. On passe, (c en allant de*Misitra à Sparte, un petit ruisseau que les Grecs ap- « pellent aujourd’hui Triti, du nom d’une petite ville où il prend sa a source , à deux lieues de Misitra. Au-delà du ruisseau on trouve «un petit village, ou plutôt un nombre de cabanes. éparses, aux- « quelles les Grecs donnent le nom de C’est là que com- ce mencent les ruines de Sparte. Cette ville a été entièrement dé- « truite; mais comme on n’a rebâti sur ses ruines qu’un petit nombre (c de cabanes, on reconnaît mieux son enceinte à l’espace stérile (c qu’occupent ses débris , qu’on ne découvre celle d’Athenes. (c La fameuse ville de Sparte étoit bâtie en partie sur de petites a hauteurs , au pied d’une montagne qui, formant une espece de a courbe , vient, en diminuant, se terminer en une pointe qui regarde a le sud-quart à l’est. La plaine, qui est rétrécie par cette montagne a ou la colline qui la divise , commence à s’élargir à Sparte, où elle (c peutgavoir une lieue et demie de large et six ou sept d’étendue (c du côté de la mer. Le cours général de l’Eurotas , dans la Plaine de a Sparte , est au levant de cette ville; mais (à cause des sinuosités de a son cours) la partie qui coule entre elle et le plataniste est à son (c nord-est. Sparte étoit bornée, du côté du sud-ouest, par la petite ce riviere de Triti, que les anciens appelloient le ruisseau Cnacion. a Ce ruisseau laisse , dans l’endroit où il joint les ruines de Sparte, (c un intervalle d’environ deux milles entre lui et la chaîne des mon- « tagnes qui bornoit la Messénie.

312 NOTES GÉOGRAPHIQUES. a L’espace qui est entre l’Eurotas et les montagnes situées au le- a vant de Sparte , sur une desquelles étoit bâti le fort appellé Mené. (c laïon , n’est pas de plus d’un quart de mille. Enfin cette Ville que a: j’ai trouvée, ainsi que le dit Polybe, de figure ronde , n’avoit pas a plus de six milles de tour , qui répondent aux quarante-huit stades a que cet auteur lui donne a). Selon Strabon, Sparte avoit été fondée par Patrocle; mais l’api. nion générale en attribuoit la fondation à Lelex, 1 51 6 ans avant l’ere vulgaire. Les auteurs qui ne remontent pas si haut veulentqu’elle ait été bâtie par Lacédémon en 1400 : peut-être y fit-il des augmentav tions. Mais Pausanias dit expressément (Lac. ch. l r) :Sparte ainsi nommée dès le commencement; et il ajoute, Elle prit ensuite le nom de Lacédémone : c’était le nom du pays. ’Cette ville avoit été long- temps sans murailles; les Spartiates croyoient ne devoir employer que leur courage pour se défendre. Cependant quand l’intrépide valeur de ce peuple commença à dé- choir de cette exaltation qui l’éleva long-temps aurdessus des autres Grecs , on construisit des murs. Cet événement eut lieu à l’occasion des guerres de Pyrrhus et de Démétrius. Les principaux monuments que Pausanias fait connaître à Sparte, sont 1°. la place publique, où étoient le conseil des vieillards, celui des Êphores , celui des Nomophylaces ou conservateurs des loix , et celui des Bidie’ens; c’est ainsi qu’on nommoit les inspecteurs des exercices. Le plus bel édifice de la place publique étoit le portique des Perses, appellé ainsi parcequ’il fut construit des dépouilles remportées sur les Perses. On y voyoit sur des colonnes les statues en marbre blanc des chefs.de l’armée des barbares, entre autres celle de Mardonius , fils de Gaubrias, et celle d’Artémise, reine de Carie, fille de Ligdamis. Dans la place étoient deux temples; l’un dédié à César, l’autre à Auguste. Enfin dans cette même place on remarquoit trois statues , l’une d’Apollon , l’autre de Diane , la troisieme de Latone. L’endroit où elles étoient placées se nommoit le chœur, parceque la jeunesse de Sparte s’y assembloit à certains jours pour danser et former des

chœurs de musique en l’honneurCHANT d’Apollon. Des autres Il. objets que313 Pausanias indique en cet endroit, je ne remarquerai que le tombeau d’Oreste, dontles os furent portésà Sparte, en exécution d’un oracle i d’Apollon , de la ville de Tégéepù ce prince étoit mort. En sortant de la place , du côté du couchant, on trouvoit le théâ- tre: c’étoit un superbe édifice de marbre, dont M. Le Roy a vu des ruines très reconnoissables. Vis-à-vis étoit le tombeau du roi Pausa- nias , qui cémmandoit les Lacédémoniens à la bataille de Platée; tout près, celui de Léonidas; ensuite le dromes, où l’on exerçoit les i jeunes’gens à la course, et deux gymnases, ou lieux d’exercices , près desquels étoit l’ancien palais de Ménélas; plus loin , la prome- made nommée le plataniste , à cause de la quantité de platanes dont elle étoit couverte. Ce lieu étoit presque dans sa totalité envi- ronné d’eau ; on y arrivoit par deux ponts , ce qui ’donne, avec une grande exactitude , la position reconnue par M. Le Roy : c’étoit un lieu d’exercices pour la jeunesse spartiate. Il -y avoit encore beaucoup d’autres monuments remarquables à Sparte , dont on peut voir la description dans Pausanias. (Page 65. Messe.) Je crois que c’est la même ville dont Pausanias ne fait qu’indi- quer la situation sur la côte de la Laconie , qui borde à l’est le golfe de Messénie , à quelque distance au nord-ouest du promontoire de Ténare , avec un port.

Pausanias( Ibid. parle de cette ville,Brysée.) qu’il nomme Bpufiédl, au lieu* qu’Ho- mere écrit apostai. Sylburge pense que , dans Pausanias, il faudroit lire Bpwémt , comme dans Homere. M. l’abbé Gédoyn fait une autre remarque qui me paroit porter à faux : il voudroit qu’on lût Brasies, nom qu’il prétend trouver dans Étienne de Bysance. Cet auteur en effet dit dew’cu , et cite Pausanias , liv. 3 (ëy 1’pr63); mais comme Pra- sies a été quelquefois nommée Brasies, on peut croire qu’il nomme 1. l 4o

314 NOTES GÉOGRAPHIQUES. cette ville par ce dernier nom. Au reste, du temps de Pausanias Bry- sée ne subsistoit déja plus. Elle se trouvoit à la descente d’une mon- tagne. M. Le Roy, voyageant en Laconie , croit avoir trouvé son em- , placement : il en parle dans son ouvrage des plus beaux monuments de la Grece.

(Page 65. Augée.) Homere écrith A’uw’a; êpamm’ç, et l’agréable Augée. Pausanias , en parlant de la petite ville,d’Égies ( Amar), soupçonne que cette ville est la même que celle qui estnommée Augée par Homere. Elle étoit sur la côte de la Laconie qui bordeple golfe Laconique à l’ouest, à trente stades de Gythium, sur le bord de la mer , alors peu considé- rable. On y voyoit un étang et un temple consacré à Neptune.

(Ibicl. Amyclée.) Cette ville étoit dans l’intérieur des terres. Quand on va de Sparte à Amyclée , dit Pausanias, on trouve la , que M. d’Anville place sur sa carte sous le nom de Trams. Amyclée étoit voisine du confluent de cette riviere et de l’EurotaS , à trente stades de Sparte , renommée par la beauté de son territoire fertile en arbres et en fruits excellents, suivant l’expression de Polybe; elle étoit aussi célebre par le culte d’ApOllon , qui en avoit pris le surnom d’Amycléen. Amyclée avoit été, disoit-on , le séjour de Léda, d’Hélene et des dioscures Castor et Pollux. Stace, dans sa Thébaïde, fait souvent al- lusion à cette opinion populaire. On voit dans Tite Live (liv. 34) que T. Flaminius, dans sa campagne du Péloponnese, campa près d’Amy- clée. Elle. fut détruite par les Doriens. Dès le temps de Flaminius, ce n’étoit plus qu’un village; et à l’époque ou Pausanias écrivoit, on n’y trouvoit plus qu’un temple d’Alexandra , que l’on croyoit être la même que Cassandre, fille de Priam ; un portrait de Clytemnestre, et une statue d’Agamemnon.

CHANT II. a 315 (Page 65. Hélas.) Cette ville étoit située au bord de la mer, au fond du golfe de la Laconie , au nord-est de l’embouchure de l’Eurotas. Selon plusieurs anciens , elle devoit son nom à Hélias , le plus jeune des fils de Per- sée. L’opinion d’Étienne de Bysance, qui pense qu’Hélos fut ainsi nommée à cause des marais dant elle était toujours environnée, «me «à iv in: rival, me paraît d’accord avec la nature du local. Hélas, bâtie par une colonie d’Achéens qui s’étaient établis dans la Laconie , faisoit partie du royaume de Ménélas. Quand les Doriens et les Héraclides s’emparerent du Pélapannese (onze cents vingt- neuf ans avant l’ere vulgaire, quatre-vingts ans après la guerre de Troie), Hélas se trouva en état de leur résister. Elle succomba sous Agis I", l’un des rois de Sparte, en 1059 : ses peuples furentréduits en servitude et attachés à la culture des terres. Pausanias (Lacon. c. 1 i, in fine) place cet événement sous le regne d’Alcamene, ce qui le porteroit à l’an 813. Mais comme , les Lacédémoniens ayant réduit les habitants d’Hélos en esclavage (d’où vint à leurs esclaves des campagnes le nom d’Hilotes ou d’HélOtes), Lycurgue défendit par une loi de leur donner la liberté, cru devoir me conformer à l’opinion de Strabon et de Plutarque , qui le font re- monter au regne d’Agis I". Ces esclaves attachés à la culture des terres avoient beaucoup de ressemblance avec nos serfs. Ils différoient des esclaves destinés au service de la maison, qu’on nommoit ami-m , mai- sonm’ers, si l’on peut se servir de ce mot.

(Ibid. LaaS.) La ville qu’Hamere nomme ici Laas est nommée Las par Strabon, par Pausanias, par Scylax, etc. ’Hamere est le seul qui ait redoublé la voyelle. Cette ville étoit à peu de distance de la mer, sur la côte occidentale du golfe de Laconie, au sud-ouest de Gythium. Elle ne subsistait plus du temps de Pausanias ; car je ne doute pas que ce ne soit l’ancienne ville de Laas, dont cet historien dit qu’on voyoit les

316 NOTES GÉOGRAPHIQUES.’ ruines sur une élévation peu éloignée de la nouvelle. Dans cette and cienne ville il y avoit un temple de Minerve, bâti, disoit-on, par Castor et Pollux, en action de gaces de leur retour de la Colchide; une statue d’Hercule, et un trophée érigé à l’occasion de la défaite de Philippe , qui avoit fait une invasion dans la Laconie. Strabon dit que ces deux freres avoient pris la ville d’assaut, et que ce fut l’origine du surnom qui leur fut donné de Admipa’ar , destructeurs de Las : il ap- puie son sentiment d’un vers de Sophocle. Cet événement avoit pro- bablement précédé la construction du temple.

(Page 65. OEtyle.) Cette ville, qu’Hamere, Pausanias et plusieurs autres nomment (SÛUÂOÇ, est appellée par Strabon leos ou leus. Elle appartenait à la Laconie; sa situation étoit de l’autre côté du mont , sur le golfe de Messénie. Au temps de Pausanias on n’y voyoit de remarc quable qu’un temple de Sérapis sur la place publique, et une statue d’Apollon Caméen. Elle tiroit son nom, suivant cet auteur, d’un héros argien. MESSÉNIE ET ËLIDE MÉRIDIONALE.

(Page 66. Pylos.) Voyez ce que j’en ai dit précédemment.

(Ibid. Arene.) Pausanias (Messén. c. 2) parle de la ville d’Arene. Elle fut fondée, dit-il, par Arpharéus , fils de Périeres , petit-fils de Persée par sa fille Gargophone; mais cet historien ne nous donne pas la position d’A- rene. Étienne de Bysance écrit ce nOm au pluriel, Api’wm; il dit qu’il y avoit deux villes de ce nom, l’une en Messénie, l’autre dans la Triphylie. Selon Strabon, celle dant parle Homere étoit située près du fleuve Mynicus; mais comme ce fleuve est le même que l’- grus, il suivroit de cette opinion que l’Arene d’Homere étoit dans la

O

Triphylie. Casaubon , adaptantCHANTIL l’existence des deux Arenes 3Vindi- quées par Étienne de Bysance, pense qu’Hamere parle de celle qui étoit dans la Messénie. Je ne déciderai pas la question. Près des deux endroits où l’on indiquoit des villes du nom d’Arene , il s’en trouvoit aussi du nom de Pylos. M. d’Anville, nommant Pylus en face de l’isle Spacterie , ajoute ces mots , val E ra , autrement nommée Arene.

(Page 66. ThryOS.) Cette ville étoit certainement dans l’Élide, puisqu’elle étoit sur l’Alphée; mais on ne sait rien de sa position.

(Ibid. AEpy.) Je ne trouve pas de ville de ce nom dans les auteurs; mais Pau- sanias dit, en parlant de Caronée (ville de Messénie , sur la côte qui forme le golfe à l’ouest) : Cette ville se nommoit autrefois Âm’m. Ce qu’il ajoute nous apprend qu’elle fut abandonnée quand les Lacédé- moniens eurent chassé les Messéniens de leurs villes, mais qu’Épi- mélide lui donna ’le nom de Coronée, lorsque les Thébains eurent rappellé les Messéniens dans le Péloponnese ; c’était celui d’une ville nommée Coronée, située en Béotie , dans laquelle il avait pris - sance. Je doute que ce soit de cette ville qu’Homere parle en cet en- droit, attendu la distance des lieux. (Ibid. Cyparisse.) On trouve le nom de cette ville écrit de manieres différentes dans les auteurs. Dans Pline on lit Cyparissa ,- dans Ptolémée, Kumpimu; dans Strabon, Kuratpi’aa’m; dans Pausanias, Kumpiacm; dans Étienne de Bysance, Rampinma; enfin dans Tite Live, Cypàrissz’ae. Je pré- viens de ces différentes dénominations dans la crainte qu’on ne les prenne pour autant de villes différentes. Cyparisse étoit dans la partie de la Messénie qui, s’avançant au nord-ouest, forme, avec l’Élide, plus reculée à l’est, un golfe nommé Cyparissien, ou golfe de Cyparisse. ’ Du temps de Pausanias on n’y voyoit que deux temples , l’un d’Apal-

318 NOTES GÉOGRAPHIQUES. lon , l’autre de Diane Cyparissia. On conjecture que cette ville avoit pris son nom de la grande quantité de cyprès qui croissent dans ses environs.

(Page 66. Amphigénie.) Pausanias ne parle pas de cette ville. Étienne de Bysance, qui cite Strabon , dit seulement qu’elle appartenoit à la Messénie ; c’est aussi le sentiment d’Antimaque : conformes en cela l’un et l’autre à Homere; car, en nommant cette ville immédiatement après Cypa- risse, il est raisonnable de l’attribuer au même pays. Il y avoit dans Amphigénie un temple de Latone. Les habitants prétendoient que c’était en ce lieu, non à Délos, que cette déesse avait donné nais- sance à Apollon. (Ibid. Ptélée.)

Étienne de Bysance parle d’une ville de ce nom en Ionie. La po- sition de celle-ci est inconnue.

(Ibid. Hélas.) Il est probable que c’est d’après ce vers d’Homere que Pline place en Messénie une ville d’Hélos. Strabon parle d’Hélos; mais il la dé; signe sous le nom de 965,34, une contrée, près des bards de l’Alphée; ce qui suppose, comme l’indique cet auteur, que cette Hélas étoit dans l’Élide. Strabon cite au même endroit l’Hélos de la Laconie dont ’ai parlé précédemment. Je remarquerai en passant qu’Étienne de Bysance nommant Hélas, ajoute vro’Nç Actinium , ville de la Laco- nie, et cite ce vers d’Homere: l Kari munir, nazi Ëàoç, nui Au’plov. Or certainement il n’est pas ici mention d’une Hélas de Laconie, puisque le poëte a terminé tout ce qui regarde cette contrée. . (Ibid. Dorion.) La position de ce lieu est inconnue. Pausanias parle d’un. lieu

nommé Dorion; mais il appartenaitCHANT à l’Asie. Je suis étonné II.que cet 319 historien n’ait pas recherché la position de cette ville , à cause du fait rapporté par Homère , que les Muses y ôterent à Thamyris la faculté de chanter; ce qui est d’autant plus remarquable que cet historien fait mention de Balyra, riviere dans laquelle ce poëte , étant devenu aveugle , laissa tomber sa lyre. Homere appelle Thamyris le chantre de la Thrace; Pausanias en donne pour raison qu’ArgiOpe , étant enceinte de Philammon, qui habitoit avec elle le Parnasse, voyant que Philamman se refusait à l’épouser, se retira à Odrysès, en Thrace, Où elle accoucha de Thamyris.

(Page 66. OEchalie.) Cette ville de l’intérieur des terres en Messénie , ne subsistoit plus du temps de Pausanias. Un bois de cyprès , fort épais, nommé le bais. Carnasius, en occupoit l’emplacement. On y voyoit trois statues, l’une d’Apollon Carnéen , l’autre de Mercure , la troisieme étoit nom- mée in»? trip-n, la chaste fille; ce qui, dans le langage mystique des Grecs, désignoit Diane. On faisait, dans le bois, des sacrifices aux grandes déesses. Il me semble que M. d’Anville a tiré la position de ces villes de ce que Pausanias , décrivant cette partie de la Messénie, s’avanCe du nard au sud , en partant de Messene, et que , parlant de l’entrée de la plaine de Stenyclare , il dit , Vis-à-vis est OEchalie , et qu’il nomme ensuite Andania.’

A R CA D I E. (Ibid. Cyllene.) Pausanias dit que cette montagne est la plus haute de toutes celles de l’Arcadie ; sa position est très bien indiquée dans cet auteur : c’est d’après ces indices que M. d’Anville l’a placée au nord-est de l’Ar- cadie, entre le territoire de Pellene en Sicyonie , et celui de Phénéos en Arcadie. Sur la cime de la montagne étoit un temple de Mercure

320 NOTES GÉOGRAPHIQUES. Cyllénien , en ruines du temps de Pausanias ; on y voyoit cependant encore une statue de ce dieu faite de bois. Ce qui surprit Pausanias sur cette montagne, ce fut d’y trouver un grand nombre de merles blancs. Ce fait paroit si étrange à notre historien, qu’il cite , pour en prouver la possibilité, les ours blancs qui se voient en Thrace , les licornes blanches que quelques personnes nourrissoient en Lybie, enfin les chevres blanches qu’il avoit vues à Rome. ’ Homère indique près de cette montagne le tombeau d’Épytius. Pausanias dit avoir considéré attentivement ce tombeau : (c C’est, (c dit-il, un petit tertre (75; 76594) environné d’une balustrade de (c pierres tout autour. Épytius étoit mort en ce lieu de la morsure a d’un serpent; il étoit fils d’Élatus a). Ce que j’observe pour le dise tinguer de quelque autre Épytius.

(Page 66. Phénéos.) L’ancienne ville de ce nom étoit dans l’Arcadie , près du mont Cyllene , au sud-est. Quoiqu’elle eût été bâtie sur un lieu élevé , cependant, ainsi que toute cette partie de l’Arcadie, elle étoit fré- quemment en danger d’être submergée par les inondations auxquelles toute l’Arcadie est exposée;ce qui avoit occasionné de grands travaux. Pausanias vit des restes de canaux qu’on prétendoit avoir été cons- truits par Hercule. Les Phénéates attribuaient la fondation de leur ville à Phénéus, né dans le pays, La citadelle étoit sur un roc escarpé. On y voyoit, au temps de Pausanias , les ruines d’un. temple de Mi» nerve Tritonia. Polybe parle aussi de cette ville: L’opinion ancienne étoit qu’Évandre, qui vint en Italie avant Énée, étoit de Phénéos; c’est à quoi Virgile fait allusion dans ce vers : Axessi , et cupidus Phenei sub mœnia duxi. ’ Æn. lib. a, v. 165. Je m’approchai , dit Évandre à Énée , et je m’empressai de conduire mes hôtes sous les murs de Phénée. La nouvelle ville avoit été construite dans le même lieu que l’an. cienne.

CHANT Il. 321 (Page 66. Orchomene.) Cette ville étOit située dans la partie du nord-est de l’Arcadie , à quelque distance au sud de Phénéos. Elle avoit été construite sur une montagne , probablement pour la garantir des eaux dontle pays étoit inondé. On parvint à leur donner de l’écoulement, et une ville nau- I velle fut bâtie au-dessous de l’ancienne qu’elle laissa au nord. Je soupçonne que la ville dont parle Homere n’existait plus du temps de Pausanias. L’épithete de anémia" quia de nombreux troupeaux, que lui donne Homere, indique l’abondance des pâturages de son terntaire. (un. iRpée.)

C’est ainsi que Pausanias a écrit ce nom. Quelques auteurs, dit- il, ont pensé qu’Énispé , Stratia et Ripée , dont parle Homere, étoient des isles du Ladon, autrefois habitées; mais ceux qui admettent ces rêveries sont dans l’erreur : le Ladon; quoique un très beau fleuve, n’est pas même assez large pour porter de grands bateaux.

(Ibid. Stratia et Énispé.) On ne sait de ces deux villes que ce qui en est dit dans l’article précédent; l’épithete qu’Homere donne à la derniere détermine à croire qu’elle étoit située sur une montagne. (Ibid. Tégée.)

Cette ville était située dans la partie du sud-est de l’Arcadie , à peu de distance de l’Argolide. Sa position , indiquée par Pausanias et par Polybe, a été bien saisie par M. d’Anville , qui la retrouve dans l’emplacement de la ville moderne de Morclia. Quoique bâtie par Aléus , fils d’Aphidas et petit-fils d’Arcas, elle prit le nom du canton, qui dès lors se nommoit Tégée , d’après Té- géate , fils de Lycaan. Ce prince avoit seulement donné le surnom d’Aléa à la Minerve du temple qu’il avoit construit à Tégée. Un l. 4 1

322 NOTES GÉOGRAPHIQUES. incendie ayant consumé cet édifice la seconde année de la quatre- vingt-seizieme Olympiade (l’an 395 avant Jésus-Christ), on en re- construisit un autre. Celui-ci, au rapport de Pausanias, étoit le plus beau de tout le Péloponnèse. Pendant long-temps on prétendit avoir dans ce temple les dé- fenses du sanglier de Calydon. Auguste , voulant se venger des Té- géates, qui, à l’exemple des autres Arcadiens, excepté pourtant ceux .de Mantinée , avoient pris les armes contre lui en faveur d’Antoine, fit enlever ces défenses, qu’il transporta à Rome avec la statue de Minerve Aléa. La vénération crédule des Grecs trouva quelque dé- dommagement dans l’opinion qu’ils conservaient encore la peau de ce même sanglier; ils mirent une nouvelle Statue à la place de l’an- cienne. Ce temple renfermoit un grand nombre d’autres curiosités. Le sacerdoce y étoit confié à une jeune fille, qui le quittoit lors- qu’elle avoit atteint l’âge de quinze ans. Près du temple étoit un stade Où l’on célébroit des jeux en l’hon- neur de Minerve , et d’autres en mémoire d’une victoire remportée sur les Lacédémoniens. La place publique étoit fortomée . on yvoyoit un temple et beau- coup de statues. Je ne parlerai que d’une figure de Mars Gynéco- thoëne , épithete qui rappelloit le souvenir d’une victoire due à la valeur des femmes de Tégée. Elles n’admettoient aucun homme au repas qu’elles Se donnoient dans cette fête. A peu de distance de la place publique étoit un magnifique théâ- tre entouré de statues de bronze; il n’en restait plus que les piédes- taux du temps de Pausanias , sur l’un desquels on lisoit l’épitaphe de

Philopémen.Tégée souffrit beaucoup dans les guerresl dont l’Arcadie fiit le théâtre au temps de la ligue des Achéens.

(Page 66. Mantinée.) Cette ville étoit dans la partie orientale de l’Arcadie, à peu près à égale distance d’Orchamene au nord, et de Tégée au sud. Les

CHANT Il. 323 Mantinéens , étant entrés dans la ligue des Achéens, vers l’an 225, changerent le nom de leur ville en celui d’Antigonie, hommage qu’ils rendoient à Antigone, roi de Macédoine sous le titre de tuteur de Philippe. Ce nom continua d’être en usage jusqu’au temps d’Adrien, qui, se trouvant en Grèce , indigné de ce qu’une ville si célebre por- toit un nOm si odieux aux Romains , lui fit reprendre son ancien nom l’an 1 23 de notre ere. Elle se nomme aujourd’hui Tripolizza. Du temps de Pausanias, les monuments les plus considérables qu’on admiroit à Mantinée, étoient: 1°. Un grand temple séparé en deux parties par un mur. D’un côté g on voyoit la statue d’Esculape, de l’autre celle de Latone avec ses enfants : cette statue étoit de Praxitèle. Sur une colonne étoit placée celle de l’historien Polybe, qui rendit de si grands services aux Achéens dans leurs guerres contre les Romains. 2°. Un temple de Cérès et de Proserpine , dans lequel on entre- tenoit un feu sacré qui ne devoit jamais s’éteindre. 3°. Un temple de Junon, situé près du théâtre. Cette déesse y étoit représentée assise sur un trône d’ivoire, ayant à ses côtés Mi- nerve et Hébé : ouvrage de Praxitele. 4°. Enfin un temple dédié à Antinoüs, cet infâme complice des débauches de l’empereur Adrien. Il occupoit une des plus belles places de la ville. Mantinée est célebre par deux batailles qui se donnèrentà peu de distance de ses murs: l’une dans laquelle périt Épaminondas, l’an 363 avant notre ere; l’autre dans laquelle Philopémen défit et tua Machanidas, tyran de Lacédémone, l’an 206 avant Jésus-Christ.

(Page 66 . Stymphale.) Cette ville était dans la partie du nord-est de l’Arcadie, à vu près au sud-est de Phénéos , au nord-est d’Orchomene. Je soupçonne que celle dant parle Homere est l’ancienne Stymphalos, qui avoit existé , selon Pausanias, peu loin du lieu où fut construite la nouvelle. Elle avoit eu pour fondateur Stymphalus, petit-fils d’Arcas. Ce fut

324 NOTES GÉOGRAPHIQUES; dans cette ville que Téménus, fils de Pélasgus, firt élevé par le secours de Junon, suivant la fable. Il y bâtit trois temples en l’honneur de cette déesse considérée sous trois rapports différents : Junon enfant (arguant), Junon adulte, épouse de Jupiter (7041:0), et Junon veuve (xûpav), ayant fait divorce avec Jupiter. Près de Stymphalos était le fameux lac Stymphale, sur les bords duquel Hercule avoit, disoit- on , tué ou chassé des oiseaux qui faisoient beaucoup de ravage. M. de Gébelin a donné l’explication de cette fable dans ses Allégories orientales, liv 1, p. 213. (Page 66. Parrhasie.) Homere parle ici de Parrhasie comme d’une ville ; et d’après lui, Étienne de Bysance n’hésite pas de dire Hapêacia, m’ai; Apxad’iaç, Par- rhasie, ville’d’Arcadz’e, et cite Homcre. On trouve aussi dans Pline Parrhasie. Cependant, ni Pausanias, qui entre dans beaucoup de dé- tails sur l’Arcadie, ni Strabon, ne font mention de la ville de Par- rhasie.Ils nomment ”une ’ montagne et des peuples de ce nom, mais sans aucune ville. Pausanias y place Lycosure, Thœné, Trapesunte, Prasé, ACacésium , Acontion , Macarie etDosée. Peut-être une de ces villes eut-elle autrefois le nom de Parrhasie ; ou Homcre, voulant désigner ce peuple , a-t-il donné à l’une des villes le nom de la contrée.

PARTIE SEPTENTBIONALE DE L’ÉLIDE. (Page 67. Buprasium.) Buprasium , en grec 30mm... Cette ville étoit à peu de distance, au nord , du fleuve Pénée et de la ville d’Élis : elle avait donné son ngm à la contrée, renommée par sa fertilité. Buprasium n’existait plus du temps de Strabon; son nom seulement avoit été conservé à un petit chemin qui conduisait d’Élis à Dyme en Achaïe , raison qui, sans doute, a déterminé Pausanias, qui écrivoit un siècle et demi après la destruction de Buprasium , à n’en pas faire mention.

CHANT Il. 325 (Page 67. Elis.) Elle donnait son nom à la province dont elle occupoit la partie septentrionale, à l’est de Cyllene. i Élis devait sa fondation à Oxilus, qui l’avait formée de la réunion de plusieurs lieux voisins. Voyez Strabon, liv. 10, p. 463. Pausa- nias nous apprend qu’Oxilus étoit Péloponnésien, et qu’il avoit di- rigé la marche des Héraclides dans la conquête de ce royaume. Il reçut d’eux l’Élide pour récompense. Iphitus étoit un de ses descen- dants. On croit que c’est le lieu nommé actuellement Gastouni. Cette ville étoit fort ornée : Pausanias en donne une longue des- cription. Je remarquerai seulement que: 1°. Pluton y avoit un temple; et Pausanias remarque que de tous les peuples connus les Éléens étaient les seuls qui honorassent le dieu des enfers d’un culte religieux. C’était un acte de reconnaissance; les Éléens croyoient que le dieu des enfers les avoit protégés contre Hercule , qui assiégeait leur ville. 2°. Un autre temple étoit consacré à Bacchus. Le jour de la fête de ce dieu, les prêtres déposoient dans le temple trois bouteilles vuides; puis ils fennoient les portes, et permettoient à chacun d’y apposer son sceau. Le lendemain les bouteilles se trouvoient, dit- on, miraculeusement remplies d’excellent vin.

(Ibid. Roche Olénienne.) Je ne sais pourquoi Homère lui donne cette dénomination, qui présente l’idée d’un’lieu placé sur une montagne; cependant cette ville étoit sur la côte septentrionale de l’Élide , à l’est de Dyme : d’où l’on doit conclure que le poète comprend ici tout le terrain qui s’é- ’ tendoit au nord de l’Élide , et même la partie occidentale de l’Achaïe. Il paraît qu’il y avoit long-temps que la ville d’Olénie n’existait plus quand Pausanias écrivoit.

Ct

326 NOTES GÉOGRAPHIQUES.

(Page 67. Hyrminé.) La position de cette ville n’est pas bien indiquée dans les auteurs; Pausanias dit seulement qu’elle avoit été bâtie par Actor, qui lui donna le nom de sa mère. M. d’Anville a donné le nom d’Hyrminé au promontoire où se trouve Cyllene, entre celui. que l’on nommait Araæum, au nord-est, et le promontoire de Chélonite , au sud-est. Strabon dit qu’Hyrminé avoit existé près du cap Cyllene. On n’en voyoit plus dès lors que la place et une espece de cap qui en conser- voit le nom. (Ibid. Myrsine.) Je trouve aussi ce nom dans Étienne de Bysance; mais comme cet auteur cite le vers d’Homere , ces deux autorités n’en fontqu’une. Je croirois bien volontiers que cette ville est la même que Strabon nomme Myrtontium, et que M. d’Anville a placée sur la côte, au nord-est de Cyllene, au nord d’Élis.

(Ibid. Alésium.) Cette ville étoit dans l’intérieur des terres , près du mont Pholoé, à quelque distance, au sud-est, de la ville d’Élis. Les gens du pays s’y rendoient à certains jours. Pausanias indique ce lieu comme un marché, une faire, Æyépa. De ce que cet historien ne fait pas menv tion de la ville , on doit conclure qu’elle n’existait plus de son temps.

(Ibid. Épéens.)

Selon Pausanias , Endymion eut trois fils, Pelon, Épéus , Étobas, et une fille nommée Eurycyde. Endymion ouvrit une lice, dans Olym- pie , entre ses trois fils: il promit le royaume à celui d’entre eux qui courroit avec plus de légèreté. Épéus remporta la victoire, régna après son pare; ses sujets furent nommés Épéens. Dans la suite Éléus, prétendu fils de Neptune et d’Eurycyde, régna sur ce peuple et lui donna son nom; raison pour laqtfefie Homere confond sauvent les deux noms d’Éléens et d’Épéens.

CHANT Il. 327 ISLES DE LA GRECE. (Page 67. Dulichium.) L’une des Échinades, suivant Étienne de Bysance, Strabon , etc. C’est indiquer assez qu’elle est située à l’ouest de la Grece, dans la mer d’Ionie. Observons cependant que les Échinades proprement dites étoient les petites isles qui se trouvent vers l’embouchure de l’Achéloüs. Étienne de Bysance dit que Buprasium fut aussi nommée AoAfxu. M. d’Anville la désigne sans ce nom sur sa carte; mais il pense que l’isle placée plus près de Céphalénie, et qu’il nomme Itha- l que , pourroit bien avoir porté aussi le nom de Dulichium. Son nom moderne est Théaxi , ou la petite Céfalonie. Les Grecs appelloient ces isles Éx’l’i’dl et l’imam; ; elles sont si voi- sines du continent, que M. d’Anville ne les regarde , d’après Pausa- nias, que comme des alluvions du fleuve Achéloüs , qui les eût réu- nies au continent s’il eût continué de charrier la même quantité de sable et de limon qu’autrefois. Les mythologues et Ovide, qui nous a transmis leurs brillantes rêveries , disent que des naïades étolien- nes, ayant invité tous les dieux à un sacrifice solemnel, oublierent le fleuve Achélaiis, et que , pour se venger de cette injure , ce fleuve métamorphosa ces nymphes en isles. Ovide, Métam. liv. 8.

(Ibid. Céphalléniens.) Homere comprend ici sous le nom générique de Céphaléniens tous les sujets d’Ulysse. L’isle de Céphalénie proprement dite est située dans la mer i0- nienne , et porte encore aujourd’hui le nom de Céfalonie. C’est la même isle à laquelle Homere donne le nom de Samé, de celui de l’une de ses villes , autrefois au nombre de quatre , quoique Ptolémée ne fasse mention que de deux. Strabon dit expressément que de son temps il ne restoit plus que deux villes à Céphalénie ; mais Pline en compte trois , et ajoute que les ruines de Samé , détruite par les Ro- mains, subsistoient encore. Pline, liv. 4, ch. 12.

328 NOTES GÉOGRAPHIQUES. L’isle de Samé fut conquise par les Thébains, sous la conduite d’Amphitryon. En ce temps un Athénien appellé Céphale, ayant tué sa femme Procris d’un coup de fleche en visant une bête fauve , se réfugia à la cour d’Amphitryon. Ce prince le prit sous sa protection, et lui donna le gouvernement de l’isle qu’il venoit de conquérir, qui changea son nom en celui de Céphalénie (Pausan. in Art. ). Elle fut long- temps au pouvoir des Macédoniens, ensuite conquise par les Étaliens, qui la possédèrent jusqu’à F ulvius Nobilior, qui s’en em- para après quatre mais de siege , l’an 1 89 avant Jésus-Christ; les ha- bitants, hommes et femmes , qui s’étaient retirés dans-la citadelle, furent contraints de se rendre, et vendus comme esclaves. Tite Live, ch. 24, (Page 67. Ithaque.) Voyez ci-dessus, page 269. (Ibid. Nérit.)

Le mont Nérit ou Neritus, auquel Homere donne ici l’épithete immunov, où lesfiauilles sont agitées, étoit dans l’isle d’Ithaque, puisque ce poëte fait dire à Ulysse , dans le chant Dl de l’Odyssée, vers 21 , Natalia main! ..... i7 il” ripe; sur]; Népflov inouçéMov.

J’habite l’isle d’Ithaque , dans laquelle est le mont Nérit.

Il est vrai qu’Homere donne aussi à Ithaque l’épithete 6mm», sous le Néius; ce qui détermine Eustathe à penser qu’il faut lire dans les vers de l’Odyssée que j’ai cités , et en ce lieu de l’Iliade , NnÎor , au lieu de Népflor. Strabon éleve le même doute, et ne le décide pas. Cependant, puisqu’on trouve le mot Néritus et dans l’lliade et dans l’Odyssée, je crois que cette montagne était dans l’isle d’lthaque. - .Virgile le pensoit ainsi, puisqu’il fait appercevair par Énée le mont Nérit dans l’isle même d’Ithaque...... Et N eritos ardua saæis. En. lib. 3, v. 271.

CHANT 11. 329 Sur quai Servius dit expressément, Neritos mons Ithacae. Pompo- nius Méla en fait une isle séparée ; ce qui a , je pense , déterminé M. d’Anville à ajouter au nom de l’isle , Leucadia, priùs Neritus. Cette isle de Leucadie, dont Hamere ne fait aucune mention, est la plus voisine de celles qu’il nomme.

(Page 67. Crocylée.) On trouve dans Thucydide (liv. 3) une ville de Kpoquloy, ou Cro- cylium , chez les Étoliens ; mais Strabon pense que la Crocylée d’HO- mere étoit dans la presqu’isle de Leucade. Paulmier de Grandmesnil place cette ville dans l’isle d’Ithaque ; je ne suis pas de son avis. (un. Égilipe.) On ignare la position de cette ville. Étienne de Bysance dit seu- lement, d’après l’idée qu’il en prend dans Homcre, dont il cite les paroles , qu’elle étoit près de Cracylée.

(Ibid. Zacynthe.) Isle de la mer ionienne, à l’ouest de la partie du Pélaponnese Où se trouvoit le sinus Chelonitis, au golfe de Chélonite : la mery forme un détroit. Elle s’appelle aujourd’hui Zante. Strabon lui donne cent soixante. stades de tour. Elle étoit couverte de forêts, et très fertile. Il y avoit dans cette isle une ville du même nom , dans la partie orientale , avec une citadelle. Selon Denis d’Halicarnasse , cette ville tiroit son nom de Zacynthus , fils de Dardanus, qui s’y fixa avec une colonie phénicienne. L’histoire de la Grèce parle peu de cette isle; elle passa sous la domination de Philippe, roi de Macédoine, qui la céda à Amynandre, roi des Athamanes. Ce roi en confia le gou- vernement à Philippe de Mégalopolis, qui le transmit à Hiérocles de Sicile, après la défaite d’Antiachus aux Thermopyles. Hiéro- des vendit Zacynthe aux Achéens. Elle appartient maintenant aux Vénitiens. 1. 42

330 NOTES GEOGEAPHIQUES.

(Page 67. tSamé.) C’était l’ancien nom de l’isle de Céphalénie proprement dite.

(Ibid. Acarnanie.) C’est bien là certainement le sens d’Homere; car l’Acamanie est la partie de l’Épire la plus voisine de Céphalénie, d’Ithaque, etc; Le texte parte : Ô: 7’ 137314301 ïxw, in!” iv’lnrfpuf iyipov’lo. Et ceux qui, maîtres de l’Épire , habitent le continent opposé à ces isles. Ainsi ce poète comprend dans l’Épire la partie du continent qui se trouvoit au sud, que l’on distinguoit autrefois par le nom particu- lier d’Acarnanie. L’Acamanie appartenoit au continent, et formoit un triangle, dont la base , baignée par la mer , s’étendait depuis le golfe d’Ambracie et le détroit qui y donne entrée, jusqu’à l’embouchure de l’Achélaüs; le côté oriental est borné par l’Achéloüs , allant presque du nord au sud , entre l’Acamanie et l’ÉtOlie; le côté septentrional, par le golfe d’Ambracie et par une petite portion de l’Épire. Les anciens n’ont parlé de ce pays que par sa relation avec d’autres contrées. Selon Pausanias (in . ), les habitants de l’Acamanie furent d’abord ap- pellés Cure tes : ils ne prirent le nom d’Acarnaniens que depuis Acar- nan , fils d’Alcméon et de Callirhoé.

(Page 68. Étoliens.) L’Étolie est à l’est de l’Acarnanie ; elle aau sud la mer, qui en bai- gne la côte depuis l’embouchure de l’Achéloüs jusqu’à l’entrée du golfe de Corinthe. Dans sa partie septentrionale , elle s’étend, depuis « le même fleuve Achélaüs , à l’ouest, jusqu’à la chaîne de montagnes qui porte, dans sa partie septentrionale, le nom de Pinde (Pindus mons), et dans sa partie méridionale , le nom de Corax (Corax mons); elle a au nord et au nord-est la Thessalie, au-delà des montagnes; à l’est, la Doride et la Locride.

CHANT II. 331 Cette contrée prit son nom d’ÉtOlus , fils d’Endymion, qui s’y re- tira pour éviter les suites du meurtre d’Apis , fils de Jason, qu’il avoit tué involontairement. L’Étolie, stérile vers la mer, est fertile dans sa partie septentrionale. Les rois les plus connus sont OEnée, OEneus, et son fils Méléagre, époux d’Atalante. Les Étoliens adaptèrent dans la suite la forme républicaine; ils furent dans tous les temps ennemis des Lacédémoniens. Ils avoient un conseil souverain com- posé des différents peuples de l’Étolie, appellé par cette raison Pan- Ætolium. Les traits sous lesquels les historiens nous tracent leur ca- rfiere ne nous en donnent pas une idée avantageuse. Selon Tite Live, ils étoient ingrats et vains; selon Maxime de Tyr et Strabon, c’étaient des pirates : tous cependant s’accordent à les reconnaître pour des guerriers valeureux. On dit qu’ils combattoient chaussés d’un pied, l’autre nud; mais peut-être faut-il rapporter à quelque autre usage l’épithete pavoxpti’n’ld’eç’; que lËur donnent les poètes. Ayant tenté de résister aux Romains , ils furent vaincus par F ulvius N obilig.

(Page 68. Pleurone.) Il y avoit en Étalie deux villes nommées HÀwpÂiy : l’ancienne, selon Strabon, étoit située près de Calydan; l’autre, qu’il nomme "étape meupüv, la nouvelle Pleurone, étoit voisine du mont Aracyntlzus, -’ suivant un passage de Pausanias (in Achaïa). Les habitants de cette ville firrent sauinis aux Achéens , et furent affranchis de la domina- tion de ces peuples par Sulpicius Gallus , envoyé en Grece pour fixer les limites entre les Argiens et les Lacédémoniens.

(Ibid. Olenos.) La position de cette ville, en Étalie, est inconnue. Strabon n’en parle que pour dire qu’elle fut détruite par les Étaliens eux-mêmes. Ptolémée indique sa place entre Pleurone et Calydan.

(Ibid. Pylene.) Cette ville de l’Étolie changea de nom par la suite ; elle prit, selon

332 NOTES GÉOGRAPHIQUES.’ Strabon , celui de Proschium, ou npoexjov; il est écrit de même dans Thucydide. Je ne m’arrêterai pas à discuter sa position; il me suffira d’observer que, selon Thucydide (liv. 3), Euryloque , qui command doit les troupes de Sparte de ce côté , étant sorti du tenitoire de N au- pacte , passa à Calydon , à Pleurone et sur le territoire de quelques au- tres villes, pour parvenir à Proschium, en Étolie , à l’effet d’attaquer Argos Amphilachicum ; d’où il résulte que Proschium (la même ville que Pylene, dont M. d’Anville n’a pas indiqué la position) se trou- voit sur cette route, dans l’intérieur des limites que ce savant géo- graphe danne à l’Acamanie. fi (Page 68. Chalcis.) Il y a eu plusieurs villes de Chalcis. Homère donne à celle-ci l’é-* pithete de d’yxz’œàov, ou maritime. Strabon, en parlant de la même ville, dit, sa Ëpoç à sz’ç, la montagne de Chalcis; car cette ville se trguvoit sur une montagne , dans une espece de presqu’isle , à la gau- che de l’embouchure de l’Événus. Il est parlé de cette Chalcis dans Thucydide , à l’occasion de la guerre du Péloponnese.

(Ibid. Calydan.) Ville de l’Étolie , sur la gauche de l’Événus. D’après le passage suivant de Thucydide , civexœ’pncœv ê; nir ÂloÀlcPu nir vi’iv xuÀéuprm Kuaué’aiyu, ils passerent dans l’Éolie, nommée à présent Caljdon , on avoit pensé que la ville de Calydon avoit d’abord porté le nom d’Éolie; mais d’autres auteurs, qui regardent le mot imam: comme le nom du pays, traduisent ainsi : Ils passeront dans l’Éolie, qui porte à pré- sent le nom de Calydan. Cette ville étoitfort ancienne et très célebre dans la mythologie. Ovide (Métam. liv. 8) décrit fort au long ses malheurs et ceux de son territoire; on les trouvera avec détail dans le discours de Phénix à Achille , au chant 1X.

CHANT 11. 333 CRÉTOIs (Page 68. Crétois.) L’isle de Crete, aujourd’hui Candie , est la plus considérable de toutes les isles de la Grèce. Elle est beaucoup plus longue que large, un peu inclinée du nord-Ouest au sud-est; une longue chaîne de montagnes la traverse dans sa longueur. Comprise entre les quarante: unieme et quarante-quatrième degrés de longitude, elle est en partie située sous le quarante-cinquième degré de latitude , au-dessus du- quel elle s’éleve de quarante minutes dans la partie du nord-ouest.- Ses plus considérables montagnes étoient le mont Ida, sur lequel on prétendoit que Jupiter avoit été élevé ; et, à peu près au centre de l’isle , le mont Dictée, appellé aussi montes leuci, monts blancs, parcequ’ils sont continuellement couverts de neige à leur sommet. Il n’y a point de fleuves navigables dans l’isle, mais elle offre sur ses côtés plusieurs bons ports et quantité de baies. Je ne dois pas m’arrêter ici à l’histoire de la Crete. Je dirai seu- lement que cette isle est célèbre dans l’antiquité par plusieurs faits -. les uns fabuleux , tels que le fameux labyrinthe , le Minotaure , pro- venu, disoit-on , des amours de Pasiphaé et d’un taureau , le combat de Thésée contre ce monstre, etc. ; les autres historiques, tels que le règne de Minos , si connu par la sagesse de ses loix et ses conquêtes dans l’Archipel, et ce que l’an dit des mœurs de ses premiers habi- tants , de la perfidie et de la mauvaise foi de leurs descendants, etc. Les anciens ont placé d’abord dans l’isle de Crète des Idaei, des Dactyli, des Curetes : ce sont autantde points d’antiquité dontla dis- cussion seroit ici hors de place. Ils disent que l’isle de Crete avait cent villes, dont quatre-vingt- dix avant la guerre de Troie, dix fondées depuis cette guerre fa- meuse par des Doriens : c’est ainsi que les commentateurs concilient le nombre de cent villes donné ici par Hornere à la Crete , avec celui de quatre-vingt-dix villes seulement qu’on trouve dans le chant XIX

334 NOTES GÉOGRAPHIQUES. de l’Odyssée. Ptolémée n’en compte que quarante existantes de son temps.Le gouvernement V de la Crete futlong-temps monarchique , auquel succéda le gouvernement républicain. Un conseil, composé des dé- putés des villes, et dont parle Aristote, jugeoit les contestations et préparoit les affaires d’état, dans lesquelles la nation entiere donnoit son sufi’rage. Par la suite les villes les plus puissantes ayant voulu s’élever au-dessus des autres, des guerres presque continuelles en résulterent. Au temps de Philippe, pere de Persée , les Cnossiens et les Gor- tyniens avoient presque réduit toute l’isle sous leur domination. Ces deux villes, ayant partagé entre elles l’autorité, jouerent pendant long-temps un rôle considérable g mais leur puissance fut écrasée sous les armes romaines. (Page 68. Cnossus.) Cette ville étoit sur la côte septentrionale de la Crete, vers l’est, à peu de distance de la mer. Selon Strabon (liv. 10), Cnossus avoit d’abord été nommée Cacratus ou Caeralos, du nom du fleuve qui l’ar- rosoit. On montroit encore dans cette ville , du temps de Lactance , dans le quatrieme siecle de notre ere, un sépulcre que l’on disoit être celui de Jupiter. Ce futla demeure de Minos, et pendant long-temps la premiere ville de l’isle. Elle devoit cet avantage à son étendue, qui, selon Strabon , étoit de trente stades, et à ses richesses, infini- . ment supérieures à celles des autres villes de Crete. Malgré les as- sertions de quelques modernes , il ne paroît pas qu’il en reste de ves- tiges. Ce n’est que par conjecture, ce me semble, et par sa relation avec les autres villes de la Crete , que M. d’Anville a pu la placer sur sa carte. (Ibid. Gortyne.) Autre ville de l’isle de Crete , au sud-ouest de Cnossus, de l’autre côté des montagnes. On a aussi écrit réflw. Homere lui donne l’épi-

thete de rapatrieront" entouréeCHANT de flirtes murailles. Elle 11.étoit, selon 335 Stra- bon , à quatre-vingt-dix stades de la mer d’Afrique , c’est-à-dire, de la partie de la méditerranée qui baigne la côte méridionale de la Crete , arrosée par le petit fleuve Léthamis. Une ancienne tradition, répétée par Solin, portoit que Jupiter, changé en taureau , empor- tant sur son dos la belle Europe, entra triomphant dans ce fleuve; ce qu’Eustathe explique de la fondation de Gortyne par Taurus, roi de Crete, ravisseur d’Europe. Quoi qu’il en soit de cette origine, ce ne fut qu’après la conquête de l’isle par les Romains, que Gortyne devintla capitale de l’isle de Crete. Pline parle d’un platane qui étoit près de cette ville, dont les feuilles ne tomboient que quand il en venoit de nouvelles. Les premiers cultivateurs ne pouvant expliquer ce phénomene, qui se répete journellement dans nos isles d’Amé- rique pour toutes ces sortes d’arbres , les mythologues s’en charge- rent : ils prétendirent que ce platane avoit abrité Jupiter lorsqu’il entretenoit Europe pour la premiere fois. On trouve des vestiges considérables de l’ancienne Gortyne.

(Page 68. Lyctos.) Lyctos étoit dans l’intérieur de l’isle , peu éloignée de Çnossus, au sud-est. Polybe dit, en parlant de cette ville : AU’TToç à AamJ’ulluéHaw pèy homo; 0’501 nui wwwàç, fixerai-m à 75v and: Kpti’rnr atrium, chipa; J” ôpvoyoupe’ru; Ëpn7ouç Je) opterions Kfn7amaw. La ville de Lyttos ou Lyc- tos, colonie lacédémonienne, la plus ancienne des villes de Craie, nourrice des hommes les plus courageux. Je crois bien, d’après l’exact Polybe , que l’on ne peut douter que la ville de Lyctos n’ait été fon- dée par une colonie de Lacédémoniens ; mais l’antiquité qu’il donne à cette émigration des Lacédémoniens ne paroit pas vraisemblable. L’existence vraie ou Supposée des Dactyles et des Curetes , et l’arri- vée d’Europe dans la Crete, prouvent que cette isle fin d’abord peu- plée par des orientaux ; d’où il semble qu’on doit conclure que l’exis- tence des villes de Cnossus, de Gortyne, a précédé l’arrivée d’une colonie venue de Sparte.

336 NOTES GÉOGRAPHIQUES. J’ai parlé, sur le mot Cure , de l’ambition des Cnossiens et des Gortyniens, qui aspiroient à dominer sur toute l’isle. Ils subjuguerent en effet toutes les autres villes, à l’exception de Lyctos , qui, seule , refusa de leur obéir. Les deux peuples se réunirent d’abord pour la subjuguer; mais peu après la division s’étant mise entre eux, une partie de ceux qui étoient du côté des Cnossiens les abandonnerent, prirent parti pour les Lyctiens. Ce n’étoit pas seulement entre les peuples que régnoit cette division , c’étoit même aussi dans l’intérieur des villes. A Gortyne, par exemple , les vieillards étoient pour les Cnossiens , les jeunes gens pour les Lyctiens. Les vieillards , d’intel- ligence avec les Çnossiens , firent entrer dans la citadelle mille soldats que les Lyctiens avoient fait venir d’Étolie : plusieurs jeunes gens fu- rent tués, les autres se rendirent. Ainsi, en peu de temps, toute la ville fut au pouvoir des Cnossiens. Voulant profiter de ces troubles pour nuire à leurs ennemis , les Lyctiens se jetterent sur leurs terres, ety menerent leurs troupeaux. Cette incursion appauvrit tellement la ville d’hommes , qu’il ne restoit personne pourla défendre. Les Cnos- siens , instruits de ces circonstances , coururent à Lyctos , s’en empa- rerent sans combat, emmenerent les femmes et les enfants, pillerent et brûlerent les maisons. Les Lyctiens, approchant de leur malheu- reuse patrie , apprirent ces désastres; au lieu d’entreprendre de rea- bâtir leur ville, ils allerent s’offrir aux Lampéens, qui les reçurent, eux et leurs troupeaux. Ainsi, dans le même jour, ils perdirent et recouvrerent une patrie , dont ils embrasserent la défense contre les Cnossiens. (Voyez Polybe, liv. 4.) Les Lampéens habitoient la ville appellée Anna: par Ptolémée , Dion Cassins, etc. Étienne de By- sance, Polybe, la Notice des évêques, etc. portent A1147" : ses habi- tants étoient nommés AaeraÎo: , que l’on peut rendre en fiançois par Lampéens. M. d’Anville ne lui a pas assigné de position en Crete, sur sa carte de l’empire romain.

(Page 68. Milet.) Cette ville se trouvoit sur la côte septentrionale de l’isle de Crete,

c H A N T 1 I. V 337 dans un petit golfe. On en sait peu de chose. Strabon dit qu’ayant été détruite , son territoire fut réuni à celui de Lyctos.

(Page 68. Lycaste.) L’épithete prlv6w7a,qu’emploie Homere, répond, selon les auteurs, à celle de Àeuxo’yuor, de terre blanche; ce qui donne lieu de croire que cette ville étoit située dans l’intérieur du pays, voisine des monts blancs, montes Ieuci.

(Ibid. Phesté.) Selon Diodore (liv. 79), elle étoit sur le bord de la mer, irai 3’1- Aa’wnç , vers le sud. Mais Denis le Périégete, vers 88, lui donne l’épi- Ïthete de àmpaïmù’, ville de l’intérieur des terres; il indique au com- mencement du vers qu’elle étoit près de Gortyne. M. d’Anville ne l’a pas placée sur sa carte. ’ (Ibid. Rhytium.) 0 On ignore la position de cette ville. L’épithete que lui donne Ho- mcre, et qui lui est commune avec la ville de Phesté, d’iurale’lœaiaaç, semble indiquer que ces deux villes étoient habitées par un peuple nombreux ou par un peuple riche. R H O D I E N S.

L’isle(Ibid. de Rhodes, situéeRhodes.) dans la méditerranée, près i des côtes d’Asie, au nord-est de la Crete. Pline lui donne cent vingt-cinq mille pas de tour; mais Isidore ne lui en donne que cent trois. Elle porta successivement les noms d’Oplziusa, d’, d’AEtlzrz’a, de T i- nacria, de Corymbia, de Pœessa, d’Atabrîa, de Macria et d’Alœssa, auxquels il faut joindre ceux de , de Telchz’nidus, de Pelasgia et de Rhodus. Il seroit superfluide .chercher l’étymologie de ces différents noms : je me borne à ce .qui a été dit de plus probable sur l’origine l n

338 NOTES GÉOGRAPHIQUES. du nom de Rhodes , que cette ville porte encore aujourd’hui. Quel- ques uns ont cru pouvoir le faire dériver du mot 55m , rose, parceque cette isle , dit-on, en produit abondamment. On fortifie cette conjec- ture de plusieurs médailles de la ville de Rhodes, Où l’on voit d’un côté un soleil, et une rose de l’autre. Mais le seul rapport du nom de Rho- des avec la rose , quelle qu’eût été son origine , eût suffi aux habitants pour faire adopter l’emblème de cette fleur. Je préfere l’opinion de Bochart, qui pense que , cette isle étant pleine de reptiles lorsque les . Phéniciens , ses premiers habitants, s’y établirent, ils la nommerent en leur langue Gezimtlz Bod, l’isle des serpents. De ce nom proba- blement est venu celui de Rhodes, que les Grecs lui ont donné, y attachant l’idée de la fleur qu’ils appelloient ainsi. L’isle de Rhodes devint si fertile sous la main des Grecs, que la fable disoit qu’elle avoit été arrosée d’une pluie d’or; ses fruits étoient délicieux, ses vins" exquis. La beauté de son ciel accrédita la fiction qu’ApOllon avoit tiré cette isle du sein des eaux, et qu’il ne se passoit pas.de jour qu’il ne se plût à la regarder. Les trois divisions de cette isle , dont parle Homere , me Tpfzz norr- pn9iv7eç, sont relatives à ses trois villes, Lindus, Ielyssus ou Ialyssus, et Camirus, dont Hérodote attribue la fondation aux Danaïdes, dans leur fuite d’Argos, après le meurtre de leurs époux. L’isle de Rhodes fut peuplée d’abord par des Asiatiques , ensuite par (les Doriens sortis de quelques uns des ports du Péloponnese. Leur puissance s’accrut avec leur commerce. La ville qui porte le nom de Rhodes ne fut bâtie que vers le temps de la guerre du Pélo- 4 ponnese. Les flottes des Rhodiens tinrent le premier rang parmi celles des Grecs; le siege que cette ville soutint contre Démétrius, fils d’Antigone, roi de Syrie , est un des plus mémorables de l’anti- quité, tant par les talents militaires du prince qui l’assiégeoit, que par la vigoureuse résistance des habitants. Dans les temps posté- rieurs , les Rhodiens furent constamment alliés des Romains jusqu’au regne de Vespasien, qui réduisit cette isle en province romaine.

CHANT 11. l 339 (Page 68. Lindos ou Lindus.) Cette ville étoit dans l’isle de Rhodes, un peu au sud de la capi- tale , sur la côte orientale. Selon Hérodote, Lindos fut une des villes fondées par.les filles de Danaüs; elle étoit recommandable par un magnifique temple de Minerve , par la naissance de Cléobule , compté entre les sept sages de la Grece, par celle d’Aristophane, dont les comédies exciterent l’admiration des Athéniens , et par celle de plu- sieurs grands hommes. On trouve encore une très petite ville dans son emplacement. (Ibid. Ialyse ou Ialysse.) Cette ville, située sur la côte occidentale de l’isle de Rhodes, vers le nord, avoit été fondée, selon Hérodote, par les Danaïdes. Homcre, suivant le dialecte ionien, écrit ÎnÀua’o’oç; mais Strabon , Diodore de Sicile, etc. disent luÀua’oç. Cette ville fut fortifiée à l’oc- casion de la guerre du Péloponnese. Strabon la nomme un", un vil- lage, parceque la plupart de ses habitants l’abandonnerent depuis la fondation de Rhodes. Elle cessa alors d’être considérable; elle con- serva toutefois , selon Strabon lui-même, une citadelle.

(Ibid. pCamire.) Cette ville de l’isle de Rhodes étoit située sur la côte occidentale, au sud-ouest d’Ialysse. Les Grecs écrivoient KépeipocmependantÉtienne ’ de Bysance supprime l’e, Kapu’poç. Au temps de la guerre du Pélopon- nese , dit Thucydide, Camire n’étoit pas entourée de murailles.

Éphyre(Ibid. étoit une ville du Péloponnese,Éphyre.) dans l’Élide, sur le Sel- i léis. C’est d’après Homere que Strabon dit qu’Astyoché, mere de Tleptoleme , l’une des épouses d’Hercule, étoit de cette ville, dont on sait d’ailleurs peu de chose. Comme Homere la désigne par le nom du fleuve qui l’arrosoit, je ne vois pas de raison d’adopter le

340 NOTES GÉOGRAPHIQUES.’ sentiment d’Apollodore, qui prétend que le poëte parle d’une autre

Éphyre.(Page 68. Selléis.) i Fleuve de l’Êlide, dans cette partie appellée un" , creuse, au nord de cette province. Sa source est dans le mont Pholoé, à l’est, près de l’Achaïe. Son cours, de l’est à l’ouest, le portoit à la mer, à peu de distance d’Éphyre , fort près du promontoire Chélonite.

(Page 69. Syme.) C’est, je crois , à tort que le traducteur latin d’Homere et le plus grand nombre des traducteurs fiançois écrivent Syma. Le texte d’Ho- mere , aussi bien que celui de Strabon, d’Hérodote, de Scylax, por- tent sans, Syme en latin et en français. Cette isle étoit au nord de Rhodes , à l’entrée du petit golfe de Doride ; on n’en saitrien de par- ticulier. Il est étonnant qu’elle ait pu envoyer trois vaisseaux chargés de guerriers au siege de Troie. ( Ibid. Nisyros.) l Cette petite isle étoit, selon Strabon, au nord de l’isle de Télos. D’après l’exacte connoissance du local actuel, il faut dire au nord- ouest, ajoutant qu’elle se trouvoit au sud-ouest du promontoire Trio- pium. Cet auteur ajoute que l’isle de Nisyros étoit un fragment de l’isle de Cos. Il est possible que l’isle de Cos, les roches appellées isles des .Nisyriens, et l’isle de Nisyros elle-même, n’aient fait au- trefois qu’une même isle , divisée depuis par quelque volcan.

(Ibid. Crapathos.) J’observe que c’est par métathese, et pour la mesure du vers, qu’Homere nomme ainsi cette ville; son véritable nom, ainsi que nous l’apprend Strabon, qui en fait la remarque, étoit Carpathos. Cette isle étoit moins célebre par elle-même que la petite portion de mer qui l’environnoit, à laquelle elle a donné son nom. Elle étoit

située entre l’isle de Crete , auCHANT nord-est, et l’isle de Rhodes, Il. au sud- 341 ouest. Strabon dit que l’isle Crapathos renfermoit quatre villes , dont une portoit le nom de Nisyros; mais Scylax ne lui en donne que trois, et Ptolémée-seulement une appellée Posidium. M. d’Anville n’a indiqué que les deux villes que je viens de nommer. Comme cette isle est longue et étroite, il n’est pas surprenant qu’en même temps que Scylax ne lui donne que cent stades de longueur (à peu près trois lieues du sud au nord), Strabon dise qu’elle a deux cents stades de tour. Je pense que ce qui a pu rendre la mer carpathienne assez célebre pour lui donner place dans les poésies d’Horace , d’0- vide , de Properce et de Juvénal, est que cette mer se rencontre sur la route de ceux qui passent des isles de l’Archipel en Chypre et en Syrie; on peut y ajouter l’agitation et le danger des écueils. Carpa- thos est nommée aujourd’hui Scarpanto.

(Page 69. Casos.) Cette petite isle étoit, selon M. d’Anville , au sud-ouest de Car: pathos. Ce géographe donne le nom de Cases au rocher qui se trouve au sud-ouest de Scarpanto ; ce qui est assez probable.

( Ibid. C05.) Cette isle, célebre à plus d’un titre, est très proche des côtes de l’Asie, remarquable entre les Sporades. Elle avoit à l’est la ville de Cnide , sur le continent, au sud-est l’isle de Nisyros , au nord-est celle de Calymna. Son nom actuel est Stanco ci Stanchio. Cette variété a eu lieu dans l’antiquité, puisque l’on trouve Km, Kaiwçs xéwç et Keaîç. Elle avoit aussi porté le nom de Menepe, de Cea, de Nymphaea et. de Caris. Pline et Strabon s’accordent à ne lui donner que quinze ’ milles de circuit. Sa capitale, nommée d’abord Astypalée, a pris ensuite le nom de Cos. Quoique la remarque que je vais faire puisse Paroître Peu importante, cependant, comme elle est une suite de ma défiance à suivre trop servilement les auteurs qui croient nous transmettre les opinions des anciens, je la place ici dans l’espérance V.

.Q 342 NOTES GÉOGRAPHIQUES. qu’elle pourra inspirer le même sentiment à ceux qui travailleront après moi. Le nom d’AstypaIœa signifie l’ancienne ville; Ce nom n’eût guere convenu à cette ville dans le temps qu’on la bâtissoit, et même plus d’un siecle et demi après. Je pense donc qu’il faut en- tendre et traduire ainsi Strabon : Avant que cette ville. eût pris le nom de Cos, qui est celui de l’isle, on la nommoit Astypalée, la vieille ville. Peut-être le nom qu’elle eut d’abord est-il un de ceux que l’on croit avoir été donnés à l’isle. Suivant l’opinion générale, c’est à la célébrité de son temple d’Esculape que l’humanité doit Hippocrate. Il étoit de l’isle de Cos , et s’étoit attaché à connoître les maladies et les procédés qui avoient rendu la santé à ceux que leur dévotion avoit conduits dans le temple du dieu; car les tables vo- tives, tabellae motivas, qu’on plaçoit dans les temples, en même temps qu’elles étoient un acte de dévotion et de reconnoissance en- vers les dieux , contenoient les moyens naturels qui avoient été em- ployés dans la guérison des maladies. Cos futaussi la patrie d’Apelle, du philosophe Ariston, et de plusieurs autres hommes d’un mérite distingué. Le gouvernement de l’isle de Cos fut d’abord monarchique. Eu- rypyle , dont parle Homere , y régnoit au temps d’Hercule. Chalion, Thessalus, Antiphe et Phidippe lui succéderent. Ces deux derniers, comme on le voit par Homere et par Théocrite, commandoient au siege de Troie. Après les rois, le gouvernement de Cos fut entre les mains du peuple : mais, ce qui arrive ordinairement, l’aristocratie prévalut; et, comme le trial va toujours en augmentant, de petits ty- rans succéderent aux aristocrates. Selon Hippocrate, les habitants de Cos refuserent de se joindre aux troupes de Xerxès, quand il atta- qua la Grece. Peut-être ce refus eut-il lieu d’abord ; mais l’effet ne subsista pas, puisque , suivant Hérodote, les troupes de Cos étoient jointes à celles des Perses dans cette expédition. Dans la vingtieme année de la guerre du Péloponnèse, la ville de Cos fut détruite par un tremblement de terre , et presque aussitôtravagée par Astyachus, qui commandoit dans le pays pour les Lacédémoniens. Alcibiade en

.0 rebâtit les murailles et y rétablitCHANT les magistrats. Quand Il. Mithridate 343 fit égorger tous les Romains répandus dans une grande partie de l’Asie , il ordonna que l’isle de Cos seroit respectée. Il y vint cepen- dant en personne, ravagea le pays et prit la ville. Cette conduite ir- rita tellement les habitants , que , lorsque les Romains parurent à la hauteur de leur isle , sous la conduite de Lucullus , questeur de Sylla, ils prirent les armes, égorgerent la garnison de Mithridate, etse ren- dirent aux Romains ; ce qui leur acquit dès lors une grande considé- ration auprès de ce peuple, et toutefois ne les empêcha pas d’être assujettis à un tribut: on ne sait en quel temps l’empereur Claude les en exempta , à la priere de son médecin Xénophon; mais Vespasien les réduisit en province romaine , et exigea d’eux le tribut que payoient les autres Asiatiques. Cos n’étoit pas moins célebre par ses fruits et par l’excellence de son vin, que par la beauté de sa teinture et de ses étoffes en laine , qui étoient d’une grande finesse , à en juger par l’épithete de tenues que leur donnent Horace, Properce et Tibulle. l o (Page 69. Les isles Calydnes.) Il n’est pas douteux que les isles ainsi nommées par Homere n’aient dû se trouver près des isles de Cos, de Casos, etc. dont le poète parle en cet endroit. Elles ont été méconnues depuis. Stra- bon les place près de Ténédos, où, de son temps, il s’en trouvoit sans doute qui portoient ce nom; Lycophron les indique vers ce même lieu, et Tzetzès dit que ces isles appartenoient à la Troade. Ainsi probablementle même nom a été donné à des isles différentes.

THESSALIENS, PÉLASGES, HELLÉNES.

Cet(Ibid. endroit d’Homere, Thessaliens.) qui me paroît rendu très majestueuse- A ment dans la traduction, donneroit matiere à une ample dissertation géographique , si c’étoit ici le lieu. .

344 NOTES GÉOGRAPHIQUES. Homère paroit séparer ce qui appartient à Argos, c’est-à-dire aux Pélasges, d’avec les possessions des Myrmidons, des Hellenes et des Achéens, qu’il comprend dans une seconde classe; la raison en est, suivant moi, qu’Homere, ainsi que les anciens historiens grecs, regardoient les Pélasges comme différents des Hellenes. Cette opinion a été adoptée et combattue par différents auteurs modernes. Voyez, sur l’origine des Grecs, les savantes dissertations de MM. l’abbé Geinoz, la Nauze, Gibert, Fréret, de Bougainville, l’abbé ’Belley, dans les Mémoires de l’Académie des Belles-Lettres, et de M. de Gébelin, qui a discuté ce point d’histoire avec beaucoup de sa- gacité, s’appuyant de l’autorité de Moyse, de plusieurs passages grecs, et d’un assez grand nombre d’étymologies heureuses. Il établit : 1°. Que tout le terrain compris entre le Danube net la mer du Pé- loponnese fut autrefois appellé la Pélasgie. 2°. Que, la population des Pélasges s’étant accrue par l’agricul- ture , à laquelle ces peuples s’adonnerent, ils envoyerent des colo» nies en Crete , en Étrurie et dans les parties méridionales de l’ltalie, oùples auteurs nous disent en effet qu’on trouvoit des Pélasges. 3°. Qu’à l’arrivée des colonies étrangeres amenées successivement en Grece par Cadmus , Cécrops et les autres , ces Pélasges, pour se maintenir dans leurs possessions, se réunirent, se confédérerent, et que ce furent les membres de cette confédération qui porterent d’a- bord le nom d’Hellenes. M. de Gébelin prétend dans un autre erg; drOit qu’Hellen, que les Grecs ont supposé fils de Deucalion, n’est autre que Japhet, fils de Noë , dont les descendants peuplerent l’Eu- rope. Il est donc vraisemblable que ces Pélasges confédérés prirent le nom d’Hellenes pour rappeller leur on’gine et se conserver en corps de nation distinct des étrangers qui venoients’établir dans leur pays. On donna ensuite les noms particuliers d’Achéens à ceux qui habi- toient les bords de la mer, de Thessaliens à ceux qui habitoient la Thessalie , etc. i

CHANT Il. 345 (Page 7o. Argos.) Étienne de Bysance et quelques autres auteurs de l’antiquité ont reconnu une ville d’Argos en Thessalie. Eustathe paroit vouloir faire entendre que cette ville est la même que Larisse. Pline la place surle golfe Pélasgique qui se trouve dans laPhthiotide à l’ouest, ayantla Ma- gnésie à l’est. J ’exposerai l’idée que me faitnaître ce vers d’Homere:

N57 J” Ëwoàç garrot 73 UeAarymàv Ana; frouer. Maintenant tous ceux qui habitent la pélasgique Argos. Puisque le mot Argos , selon Strabon (liv. 8), a signifié une plaine, ne pourroit-on pas croire qu’Homere emploie ici ce mot dans ce sens? Il faudroit donc l’appliquer à la contrée de la Thessalie Où étoient particulièrement établis les Pélasges ; alors on Opposeroit Ar- gos , regardée comme plaine ou pays plat, à Trachinia, la partie mon- tagneuse. Quelques auteurs ont cru , ce qui n’est guere vraisemblable, ’ que cette ville d’Argos, peuplée de Pélasges, étoit la même qu’une autre Argos que Constantin Porphyrogenete place parmi les dépen- dances de la Macédoine.

(Ibid. Alos.) Cette ville appartenoit à la partie de la Thessalie qu’on nommoit la Phthiotide. Elle se trouvoit à l’est du golfe Pélasgique , sur le petit fleuve Amphryssus. Voici ce qu’Étienne de Bysance en dit: Alos, ville de la Phthiotide , au pied du mont Othrys. Elle avoit été bâtie par Athamas. Théon raconte qu’Alos étoit une des femmes domes- tiques d’Athamas, qui apprit à Ino à faire rôtir le grain. En récom- pense de ce service , on bâtit une ville , à laquelle on donna son nom. Un autre auteur (Parménique) fait mention de deux ville’s nommées Alos, l’une soumise à Achille, l’autre à Protésilas. M. d’AnviIle n’a pas donné de place à cette derniere sur ses cartes.

(Ibid. Alope.)

Il y a eu plusieurs villes de ce nom. Celle dont Homere parle en cet 1. 44

346 NOTES GÉOGRAPHIQUES. endroit devoit être en Thessalie , puisqu’il en fait mention à l’article des villes de cette contrée, dans la Phthiotide : il la nomme immé- diatement après Alos , dont, sans doute, elle étoit peu éloignée.

(Page 7o. Tréchinie ou Trachinia.) Petite contrée , non de la Macédoine , comme le dit la Martiniere, mais de la Thessalie. Elle occupoit toute la partie montagneuse, à l’est du golfe Maliaque , entre le fleuve Sperchius au nord , et le mont OEta au sud. Ily avoit, très près de ce golfe, une ville nom- mée Trachinia, dont l’étymologie est TPGIXUÇ, âpre, mon- rogneux. (Ibid. Phthie.)

J’en ai parlé précédemment, page 261.

(Ibia’. Hellade.) Je n’oserois décider si dans cet endroit Homere parle d’une con- trée de la Thessalie dans laquelle le nom d’Hellas s’étoit conservé , ou de la ville qui, en effet, portoit ce nom. Elle étoit située au nord du mont Othrys, dans une plaine ou couloit l’Énipée, entre Hellade et Mélitée. Strabon , qui nous la fait connoître , dit que les habitants de Mélitée prétendoient, de son temps, qu’Hellas avoit été à dix stades de leur ville. Ce motif a décidé la position que M. d’Anville lui donne sur sa carte. Dicéarque dit aussi qu’Hellas étoit ancienne- ment une ville bâtie par Hellas, pere d’ÉOlus; qu’elle étoit située en Thessalie, entre Pharsale et Mélitée. Il est probable que le nom d’Hellas lui fut donné lorsque les Pélasges , dont j’ai parlé d’après M. de Gébelin , se réunirent pour former un corps sous le nom d’Hel- lenes. Le centre de la Thessalie dut se nommer l’Hellas , ou la patrie des Hellenes. (Ibid. Lyrnesse.) Les auteurs, même ceux de l’antiquité, ont été partagés sur l’exis-

4

CHANT I’I. 347 tence de cette ville: quelques uns, comme Hiérocles, ont cru que Lyrnessus étoit la ville d’Adramitte; d’autres, comme Hésychius , ont dit que c’étoit l’isle de Ténédos. Mais Strabon et Pline nous aident à retrouver sa véritable position : selon Strabon , Lyrnesse étoit en terre ferme , non loin de Thebes, et Pline dit expressément qu’elle étoit sur les bords de la riviere d’Événus. Selon le P. Har- douin , Adramitte s’étoit formée des ruines de Lymesse; c’est pro- bablement ce qui a fait confondre ces deux villes. (Page 7o. Thebe.) J’en ai parlé ci-devant, page 263.

(Ibid. Phylacé.) Il y a eu plusieurs villes de ce nom. Celle dont il est question ici étoit certainement en Thessalie. Strabon l’indique au voisinage des Maliens; mais on ignore si c’étoit près du golfe ou dans l’intérieur du pays. C’est par cette raison, à ce que je crois, que M. d’Anville ne lui a pas donné de place sur sa carte.

(Ibid. Pyrrhasos.) On ignore la position de cette ville , qui devoit être du nombre de celles des Maliens , à en juger par la situation des villes que le poëte nomme en cet endroit. Au reste je pense qu’Homere est le seul au- teur connu qui en ait parlé: il lui donne l’épithete de florissante.

(Ibid. Itone.) Étienne de Bysance et Eustathe disent que cette ville étoit quel- quefois nommée Sitone. Je ne sais quelle étoit sa position. Si d’un côté on la trouve placée par Homere au nombre des villes de Thes- salie , d’un autre c’est en BéOtie , c’est-à-dire assez loin, de l’autre côté des montagnes , au sud , que se trouvoit le temple de Minerve ltonienne, à moins qu’il n’y ait eu deux lieux de ce nom , l’un en Béotie et l’autre en Thessalie.

348 NOTES GÉOGRAPHIQUES. (Page 7o. Antron.) Elle appartenoit à la Phthiotide , située sur la côte que formoit, au sud, le détroit par lequel on entroit dans le golfe Maliaque, très près, à l’ouest, du promontoire Posidium. Cette ville, quoique ancienne, existoit encore du temps des Romains. Dans la guerre contre Persée, elle se rendit au consul P. Licinius , l’an 171 avant l’ere vulgaire. (Ibid. Ptélée.)

Les Latins disoient Pteleum. Elle étoit en Thessalie , dans la Phthiotide, à l’entrée du golfe Pélasgique, en sorte qu’Homere, qui donne à Antron l’épithete de maritime, eût pu donner la même épi- thete à Ptélée. Elle existoit encore au temps de la guerre de Persée. A l’approche du consul P. Licinius , l’an 171 avant l’ere vulgaire , ses habitants prirent la fuite, abandonnant la ville. Le consul s’en empara et la détruisit de fond en comble.

(Page 71. Phérès.) Cette ville étoit dans la Thessalie , sur les confins de la Pélasgio- tide, tirant vers la Magnésie et la Phthiotide , sur la rive gauche d’un petit fleuve appellé Naurus, au sud-est du lac Bœbéis. C’est à tort que quelques auteurs l’ont indiquée comme appartenant à la Macé- doine. Strabon la place sur les confins de la Pélasgiotide , du côté de la Magnésie , et ajoute que son port, sur le golfe Pélasgique , étoit le lieu nommé Pagases. Au temps de Philippe, pere d’Alexan- dre le Grand , roi de Macédoine , elle tenoit un rang considérable parmi les villes de la Thessalie. Un autre Alexandre, qui en étoit roi (ce que les auteurs grecs rendent par le mot de tyran quand le monarque a subjugué une nation libre ), avoit mis plusieurs villes de cette contrée sous sa dépendance. Les Thessaliens implorerent le secours de Philippe. Après deux victoires remportées par Lyco- phron , général du roi de Pherès , le tyran fut battu , et peu de temps après il fut mis là mort par sa propre femme etles parents de cette

CHANT 11. 349 princesse. Philippe, maître de la ville et de son territoire , rendit la liberté à toute la Thessalie. Pherès essuya de nouveaux ravages lors- que les Romains porterent leurs armes dans la Thessalie et dans la Macédoine.

(Page 71. Bœbéis.) Le lac Bœbéis étoit en Thessalie , à quelque distance vers le sud-- est de Larisse. Le fleuve Onchestus s’y rendoit, et en sortoit pour déboucher dans le golfe Pélasgique; ou plutôt ce fleuve se chargeoit des eaux du lac, qui communiquoit ainsi avec le golfe. (Ibid. Bœbé.)

Ville de la Thessalie , dans la Pélasgiotide, au nord du petit lac de son nom. Démétrius Poliorcete en retira les habitants, du moins en grande partie, pour peupler la ville qu’il venoit de fonder sous le nom de Démétriade.

( I bid. Glaphyre.) J’ignore la position de cette ville. Il est probable qu’elle se trouâ voit dans la partie de la Thessalie appellée Phthiotide, ou dans la Magnésie; car Homere la nomme après le lac Bœbéis, avant Iolcos D ce qui peut faire présumer qu’elle étoit située dans l’espace intermé- diaire. (Ibid. Iolcos.) En Thessalie, dans la Magnésie , au fond du golfe Pélasgique. Homere , qui, à cause de la mesure du vers , la nomme Iaolcos , lui donne l’épithete d’e’üx’lmém, bien bâtie. Elle fut considérable autre- fois ; son port étoit renommé. Ce futà Iolcos qu’Adraste , selon Pline, introduisit pour la premiere fois les jeUX funéraires. Strabon compte cette ville au nombre de celles qui furent détruites pour peupler la ville de Démétriade, qui n’en étoit distante que de sept stades à l’ouest.

350 NOTES GÉOGRAPIIIQUES. Jason étoit fils d’Éson, roi d’IOlcos. Ce fut du port de cette ville que les Argonautes partirent pour aller à la conquête de la toison d’or. A leur retour ils la trouverent au pouvoir de Pélias, frere de Jason. La fable raconte que Médée persuada aux filles de Pélias qu’elles parviendroient à rajeunir leur pere en épuisant ses veines de sang pour en substituer un nouveau; Pélias ayant été victime de cet artifice , Jason rentra dans ses droits.

(Page 7 1. Méthone.) Il y a plusieurs villes de ce nom. Celle que Thucydide attribue à la Macédoine, située en effet dans cette province, ne peut être la -1nê1ne dont Homere parle ici. J’adopte l’opinion de Scylax, qui la place dans la Magnésie. Deux raisons m’y engagent : 1°. Homere vient de parler de quelques autres villes de la Magnésie situées près du golfe Pélasgique; 2°. il nomme, après Méthone et Thaumacie, des villes qui appartenoient à [la Magnésie, sur la côte orientale. Il est donc impossible de douter que cette Méthone ne fut comprise dans cette province, quoique des révolutions qui nous sont inconnues nous en aient fait perdre la position. (Ibid. Thaumacie.) Strabon place cette ville dans la Phthiotide ; Pline et Favorin par- lent d’une ville de ce nom, située dans la Magnésie. Quelques au- teurs n’ont reconnu qu’une seule ville de Thaumacie. Je suis très porté à croire qu’il en a existé deux, sinon ensemble , au moins suc- cessivement, en des lieux peu distants l’un de ’autre; car Homere paroit faire ici l’énumération des villes de la Magnésie, situées, au moins celles que l’on connoît, sur la côte Orientale. Le mont OSSa offroit de ce côté une position élevée , propre à une ville dont la vue, se portant au loin, soit dans la plaine, du côté de la Thessalie, soit du côté de la mer, avoit mérité à cette ville , ainsi qu’à la Thaumacie de la Phthiotide, le nom qu’elles portoient, dérivé de flaupet’ëul’ , ad- mirer; car , selon Tite Live , telle étoit l’origine du nom de la Thau-

CHANT 11. 351 macie, que l’on rencontroit après avoir passé Lamia, avant de des- cendre dans la vaste plaine qui s’étendoit jusqu’à Larisse et au-delà.

(Page 71. Mélibée.) La ville de Mélibée , en latin Melibœa, étoit sur la côte orientale de la Magnésie, près d’un petit ruisseau appellé Amyrus. Tite Live, parlant de la marche des troupes romaines de ce côté, donne sa si- tuation au pied du mont Ossa, et Strabon dit encore positivement qu’elle étoit située dans le golfe qui est entre le Pélion et l’Ossa.

(Ibid. Olizon.) Cette ville se trouvoit sur la côte orientale de la Magnésie , au sud-est de Mélibée. Je présume qu’au temps de la fondation de Dé- métriade elle étoit peu considérable. Étienne de Bysance la compte au nombre des villes dontles habitants furent transportés dans la ville nouvelle; ce qui en occasionna la ruine absolue. L’épithete qu’Ho- mere lui donne prouve qu’elle étoit sur une montagne, ou au moins dans un pays montagneux. (Ibid. Lemnos.) Voyez ce qui en a été dit, page 264.

(Page 72. Tricca.) Ville de Thessalie dans l’Estiotide. Un lieu moderne, nommé Tricala, en donne la juste position , conforme à celle que Strabon lui assigne. Selon cet auteur , le Pénée , non loin de sa source qu’il prend dans le Pinde, laisse à sa gauche Tricca et Pellinéum; le Léthé se jette dans le Pénée, presque au sortir de Tricca. J’ajouterai que c’étoit sur les bords de ce petit fleuve que l’on disoit qu’Esculape avoit pris naissance. C’est pour n’avoir pas connu la juste position de Tricca, que la Martiniere confond le Léthé avec le Pénée; car Tricala n’est pas sur la Salampria (l’ancien Pénée), mais à une pe- tite distance , sur une autre riviere , qui est le Léthé.

352 NOTES GÉOGRAPHIQUES.

(Page 72. Ithome.) La ville dont Homere parle ici appartenoit à la Thessalie. L’épi- thete qu’il lui donne indique un lieu d’accès difficile. C’étoit en effet une espèce de forteresse qui se trouvoit sur les montagnes au nord de Pellinéum. Strabon dit que ce bourg étoit proche de Métropolis. (Ibid. OEchalie.) Quoiqu’il y ait eu plusieurs villes de ce nom , comme on le conclut très bien des différents auteurs grecs qui en parlent, et particulière- ment de Strabon et d’Étienne de Bysance, on ne peut douter qu’il ne s’agisse ici de l’OEchalie de la Thessalie. On ignore actuellement sa position. C’étoit, selon Homcre, la ville d’Euryte. Euryte ayant promis à Hercule sa fille Iole en mariage , et la lui ayant ensuite refu- sée, ce héros s’en vengea, dit-on, en détruisant la ville. Il paroit qu’OEchalie subsistoit encore dans le temps du siege de Troie , épo- que postérieure à celle dans laquelle on place Hercule. Peut-être ne fut-elle que considérablement affoiblie par ce héros, et ensuite en- tièrement ruinée; raison pour laquelle les anciens n’en parlent que comme d’une ville qui n’existoit plus de leur temps,

(Ibid. Orménium.) Cette ville , qui, du temps de Strabon , se nommoit par corruption Orminium , n’étoit , selon cet auteur, qu’un village situé sur le golfe Pélasgique, au pied du mont Pélion. M. d’Anville la place sur le bord de ce golfe , au sud-est d’Iolcos et de Démétriade. (Ibid. Hypérée.)

Cette fontaine étoit en Thessalie , selon Strabon, au milieu de la ville de Phérès : mais, selon un commentateur de Pindare , elle n’é- toit pas dans la ville ,, mais au-dehors, près des murailles; ce qui donne plus de justesse à l’expression d’Homere.

CHANT tr. 353 (Page 72. Astérion.) On ignore la position de cette ville. Étienne de Bysance, qui la nomme , ajoute : Actuellement c’est Pirésia. Sa position sur une mon- tagne lui avoit fait donner son nom , qui signifie petit astre. (Ibid. Titane.) On ne connoît, ce me semble, qu’un lieu de ce nom dans la Si- Cyonie. Je ne vois pas comment, en indiquant ce lieu, Étienne de Bysance cite ce vers d’Homere suivant lequel la montagne qui est nommée ici devoit se trouver en Thesalie. Je conjecture que , par ces expressions, Homere désigne l’une des montagnes que les Ti- tans , suivant la fable, s’étoient efforcés d’entasser pour escalader le ciel : Ter sunt conati imponere Pelio Ossam Scilicet, atque Ossaefrondosum involucre Olympum. Georg. lib. 1, v. 281. (Ibid. Argisse.) Peu d’auteurs parlent de cette ville. M. d’Anville l’a placée sur la gauche du Pénée , entre Larisse à l’est et Atrax à l’ouest.

(Ibid. Gyrtone ou Gyrton.) Place de la Thessalie, à la gauche du Pénée, à l’ouest du petit lac Néson-is, très voisine de la vallée de Tempe. Tite Live, parlant des marches des Romains danS cette contrée, nomme Gyrton (liv. 36, c. 1o, 42. et 54) comme une forteresse qui défendoit le pays. Strabon indique cette place, avec Larisse et Phérès, comme occu- pant la plaine appellée Pélasgique.

(Ibid. Orthe.) On voit bien, par la place qu’occupe le nom de cette ville dans Homere, qu’elle doit avoir été dans la Thessalie , assez près de Gyr- ton : du moins cela est probable, puisqu’Homere la nomme après 1. . g 45

354 NOTES GÉOGRAPHIQUES. cette derniere; mais elle est inconnue. C’est donc à tort que la Mar- tiniere la place dans la Magnésie , dont elle devoit être assez éloi- gnée au nord. J’adopte l’opinion de Strabon, qui l’indique dans la Perrhébie. Outre que ce géographe étoit plus à portée qu’aucun n10- derne d’être instruit de l’ancien état de la Grece, il se rapproche fort d’Homere, qui aussitôt après nomme des villes situées dans cette partie de la Thessalie.

(Page 72. Élone.) Cette ville étoit dans la partie de la Thessalie appellée Perrhébie, selon Strabon, qui la place a1 pied du mont Olympe, sur le petit fleuve Eurotas, que l’on ne doit pas confondre avec le fleuve du même nom dans le Péloponnese. Cette ville, qui, depuis Homere , A avoit pris le nom de Leimone , étoit détruite au temps de Strabon. (Ibid. Oloosson.) Cette ville étoit dans la partie de la Thessalie appellée Perrhébie; quelques auteurs pensent qu’elle est la même que Perrhébie, arrosée par le fleuve Eurotas, dont j’ai parlé à l’article d’Élone. Je suis étonné qu’Étienne de Bysance place cette ville dans la Magnésie ; ce ne peut être qu’une erreur de copiste. Cellarius a adopté ce senti- ment, démenti par Strabon et par la place indiquée par Homere’ entre les villes de cette partie de la Thessalie. L’épithete, blanche, que le poëte lui donne, a paru signifier à quelques auteurs qu’elle étoit environnée de murailles blanches; mais Strabon dit expressément qu’elle tiroit cette dénomination de la couleur de son terrain argilleux. (Page 73. Centaures.) En considérant les Centaures comme une espece d’hommes , ha- bitants d’un canton de la Thessalie , ils appartiennent àla géographie ancienne. Homère et Hésiode parlent des Centaures. Le premier, soit dans l’Iliade ou dans l’Odyssée, les nomme des sauvages, ou, si

CHANT 11. 355 l’on veut, des monstres couverts de poils : Les monstres des forêts et des montagnes , Iliade, chant I. Hésiode décrit, dans son Bouclier d’Hercule, le combat des Centaures et des Lapithes. Ce que l’on peut conclure de cette description , c’est que les Lapithes avoient des cas- ques et des cuirasses, au lieu que les Centaures combattoient sans aucune arme défensive : ni l’un ni l’autre de ces poètes ne donne aux Centaures la forme que nous leur attribuons. Pindare est le premier poëte que nous connaissions qui ait fait les Centaures demi-hommes et demi-chevaux : a Ces monstres, dit-il, (c étoient le fruit des amours de Centaurus, fils d’Ixion, avec les ca- « vales de Thessalie ; ils ressembloient à leur pere par la partie supé- cc rieure , à leur mere par le reste de leurs corps monstrueux a). Sur le coffre des Cypsélides , dont parle Pausanias, et sur lequel les caracteres écrits vers l’an 778 avantJésus-Christétoient en sillons ou boustrophédon, on voyoit le Centaure Chiron , non moitié homme et moitié cheval, mais représenté comme un homme porté sur deux jambes et sur deux pieds humains , aux reins duquel étoient attachés la croupe, les flancs et les jambes de derriere d’un cheval. Ainsi des quatre pieds de ce Centaure, il n’en avoit que deux de cheval: il ressembloit donc moins à un cavalier monté sur un cheval qu’à un homme qui conduisoit cetanimal par la bride. Aussi M. F réret (Mém. de Littér. t. 23, page 28) pense-t-il que les Centaures furent des bou- viers qui pendant long-temps occuperent avec leurs troupeaux les vallées de la Thessalie. Leur nom vient évidemment de une, j’ai- guillonne, et de Taüpoç, taureau; d’où ulv’laupu, centaures, piqueurs de taureaux. C’est de cette espece d’hommes qu’Homere parle ici. Ils habitoient d’abord les environs du mont Pélion; en ayant été chassés par Pirithoüs, ils chercherent une retraite dans le pays des Éthiques. Didyme, sur ce vers d’Homere et sur le suivant, observe que, selon tous les anciens, les Centaures du mont Pélion étoient la même nation que les Perrhebes. Ainsi ces Centaures ne sont réel- lement que les premiers bouviers de la Thessalie. Les plus anciennes sculptures ne. les offrent à nos yeux que comme des hommes qui se

356 l NOTES GÉOGRAPHIQUES.’ tiennent près d’un cheval; et ce ne fut que dans la suite, par une licence poétique et pittoresque, qu’ils furent représentés moitié hommes et moitié chevaux.

(Page 73. Pélion.) Toute la côte orientale de la Thessalie est bordée par une chaîne de montagnes qui s’étend depuis la presqu’isle qui confine au sud la Magnésie, jusqu’aux montagnes qui séparent la Thessalie de la Ma- cédoine. La portion de cette chaîne de montagnes, qui commence à peu près à la hauteur de Rhisus , et s’éloigne de la mer en remon- tant vers le nord-ouest, portoit le nom de Pélion. C’est donc dans une espece d’angle qu’elle forme en retournant vers l’est, que se trouve au pied de la montagne le petit fleuve Amyrus. La côte qui suit la direction de la montagne forme en ce lieu un petit golfe où étoit située Mélibée : j’en ai parlé précédemment. Depuis Mélibée jusqu’à la rive droite de l’embouchure du Pénée , la chaîne , qui res- serre la mer de fort près, portoit le nom d’Ossa. J’ajouterai qu’au- delà du Pénée, remontant vers le nord, cette chaîne se divise en deux parties, l’une qui suit la mer très exactement, l’autre qui in- cline un peu du sud-est au nord-ouest. Toutes deux se réunissent aux montagnes qui séparent la Thessalie de la Macédoine. Ce sont ces deux chaînes que les anciens paroissent avoir souvent désignées par le nom d’Olympe. ’ (Ibid. Éthiques.) Étienne de Bysance dit que ces peuples habitoient vers le Pinde; mais, citant ensuite le sentiment de Marsyas, il les place vers la Thaumacie. On les trouve sur la carte de M. d’Anville entre des montagnes , dans la partie du nord-ouest de la Thessalie où étoit si- tuée la ville d’Oxynia, près d’un lac d’où s’écouloit l’Ion.

(Ibid. Cyphos.) Cette quantité de vaisseaux suppose un lieu considérable. Cepeno, .

dant à peine Strabon indique-t-ilCHANT un village de ce nomIl. chez 357 les Per- rhébiens. Étienne de Bysance se sert du nom de WéÂIÇ, ville. Il en re- connoit deux de ce nom, l’une en Thessalie, l’autre en Perrhébie. Il cite un fleuve du même nom. M. d’Anville, qui n’a pu retrouver la position de ces villes, que je soupçonne n’en avoir fait qu’une, ne leur donne aucune place sur sa carte. (Page 73. Eniens.) J’avoue que je ne connois pas ce peuple, à moins que ce ne soit les Em’enses dont parle Hérodote (liv. 7), ce qui est assez vraisem- blable. Selon l’historien grec , ils demeuroientvers la source du Sper- chius, dans un angle que forment, par leur réunion, la chaîne de l’OEta au sud , et celle du Pinde à l’ouest. Cependant il paroit par les vers suivants qu’Homere les place vers Dodone, en Épire.

Quoiqu’Homere(Ibid. nePérebes.) mette qu’une r à ce mot, il en. faut certaine- ment deux , d’après tous les autres auteurs. Les Perrhébiens sont nommés en plusieurs endroits des auteurs, mais indiqués de divers côtés de la Thessalie. Il semble cependant, après un mûr examen de ces passages différents, que l’on doit ap- prouver la place que M. d’Anville leur a donnée sur sa carte : ils y occupent la partie septentrionale des montagnes qui s’étendent depuis l’Olympe, à l’est, jusqu’au pays des Éthiques, à l’ouest. L’épithe te , infatigables dans les travaux guerriers, convient très bien à des peuples qui vivoient dans les montagnes. (Ibid. Dodone.) Le lieu nommé Dodone étoit dans l’Épire; on n’a que des idées vagues sur sa position. Ce lieu renfermoit une forêt, ou plutôt la forêt elle-même portoit le nom de Dodone : là se trouvoit un oracle consacré à Jupiter, le plus ancien de la Grece ; ce qui est d’autant plus vraisemblable, que les premiers habitants de la Grece furent

358 NOTES GÉOGRAPHIQUES. tous compris sous le nom générique de Pélasges. Or les vers d’HO- mereet d’Hésiode, cités par Strabon, prouvent que Jupiter Dodo- nien étoit regardé comme une divinité pélasgique. Il y a plus , Stra- bon cite un passage d’un écrivain nommé Suidas , qui nous apprend que l’oracle de Jupiter avoit été transporté de Thessalie à Dodone, et que c’est l’origine du nom attribué à Jupiter Pélasgien. Hérodote, convenant que l’oracle de Dodone est le plus ancien de la Grece, dit avoir appris des prêtres de Thebes que les oracles d’Ammon et de Dodone étoient de même époque; qu’ils avoient été établis par deux femmes, prêtresses du même temple , enlevées par des Phéni- ciens, et vendues, l’une en Libye, l’autre en Épire. Cette diversité d’opinions prouve que les anciens n’étoient pas d’accord sur l’origine de cet oracle. Ils ne le sont pas davantage sur la maniere dontles oracles se ren- doient à Dodone. Servius , sur le vers 466 du liv. 3 de l’Énéide , dit qu’il y avoit une fontaine qui couloit du pied d’un chêne, et faisoit un peu de bruit, qu’une vieille femme nommée Pélias interprétoit ce bruit, et que, d’après les divers sons que produisoit l’eau par sa chûte , elle annonçoit l’avenir à ceux qui la consultoient. On trouve dans un supplément au liv. 7 de Strabon, qu’ily avoit dans le temple de Dodone un vase d’airain, au-dessus duquel étoit une» statue re- présentant un homme qui tenoit dans sa main un fouet d’airain; lors- que ce fouet étoit agité par le vent, il faisoit résonner l’airain. C’étoit aussi en admettant que l’oracle étoit rendu par le bruit d’un chau- dron d’airain, que Paulmier de Grandmesnil avoit trouvé l’étymo- logie de Dodone dans le son Je , Je , que rendoit cetinstrument. Vir- gile paroit favoriser cette opinion dans le vers 466 du liv. 3 de l’Én. Dodonaeosque lebetas. D’autres ont placé l’oracle dans le bruit des arbres agités par le vent, d’autres enfin dans le roucoulement de quelques colombes. Bochart croit devoir recourir à l’arabe et à l’hébreu, pour concilier les opinions de ceux qui font rendre les oracles par des colombes avec celles des auteurs qui prétendent que de vieilles femmes étoient

CHANT II. 359 les sibylles du temple de Dodone. Il trouve une ressemblance entre les deux noms, dont l’un signifie colombe, et l’autre prêtresse. M. l’abbé Sallier a montré, d’une maniere très simple, la cause de cette erreur. Pour dire colombes en grec, on disoit maltai; mais, dans . l’Épire, ce mot avoit le même sens que méfiai , de vieilles femmes .° de là est née l’équivoque, les uns ayant voulu que ce fussent de vieilles femmes, d’autres des colombes, qui rendissent ces oracles. Le bruit de l’airain et le murmure de l’eau peuvent avoir été em- ployés successivement par la supercherie de ces prêtresses. Le lieu de Dodone étant devenu célebre et très habité, obtint- l’état de ville , et fut le siege d’un évêque suffragant de . On a conservé le nom de quelques uns de ces évêques. Cette ville est actuellement si complètement détruite, que l’on ne peut même déterminer exactement sa position. (Page 73. Titarese.) Le Titarese, Titaresius, étoit un fleuve de la Thessalie, comme on le voit par Homerê. Quelques auteurs ont cru que ce fleuve est le même que l’Eurotas de Thessalie; mais M. d’Anville distingue ces deux fleuves. Le Titaresius prend sa source au nord, sur les con- fins de la Macédoine, au mont Titarus; il couloit par l’ouest de l’Olympe , pour se jetter dans le Pénée. Quelque différence dans la nature des eaux de ces deux fleuves ne leur permet pas de se mêler entièrement, quoiqu’ils coulent dans un même lit. Ce que ditici Ho- mere est répété presque littéralement par Lucain, livre 6, vers 376 et suivants: Salas in alterius nomen cùm venez-i; undae, Défendit Titaresus aquas, lapsusque supernè Gurgite Penei pro siccis utitur (trois. Huncfizrna est stygiis manare paludibus amnem, Et, capitis memorem,fluvii contagz’a willis N elle pati, supenlmque sibi servnre timorem. Le seul Titarese , parcourant des campagnes desséchées , défend ses eaux du torrent impétueux du Pénée dans lequel il se précipite. On dit que ce fleuve tire

360 NOTES GE’OGRAPHIQUES. sa source des marais du Styx; qu’enorgueilli de son origine, il en conserve la fierté, refusant de se confondre avec les ondes d’un vil ruisseau qui rampe sur la terre.

(Page 73. Pénée.) Le Pénée, fleuve qui coule dans la Thessalie de l’ouest à l’est. Il a sa source dans le mont appellé autrefois Pindus, son embouchure à l’est, vers l’entrée du golfe Thermaïque. Depuis quelques années il s’est élevé un doute sur la direction de ce fleuve. Les anciens croyoient que l’issue par laquelle il se rend à la mer étoitl’effet d’un tremblement de terre qui avoit, en cet endroit, séparé les monta- gnes. Personne ne paroissoit avoir tracé son cours aussi exactement que M. d’AnviIle sur son excellente carte de la Grece. Selon ce géo- graphe, le Pénée, depuis Larisse, coule vers le sud-est pour aller gagner la belle vallée de Tempe , qu’il arrose entre deux rangées de montagnes, remontant un peu du sud-ouest au nord-est. M. le comte de ChoiseuI-Gouflier, se trouvant à Larisse, examina, au sortir de cette ville, le cours du Pénée, et se convainqiiit, par un bâton qu’il fit flotter sur l’eau : 1°. que le fleuve qui s’étendoit du sud au nord, sous ses yeux , est le même que celui qu’il avoit vu arroser la ville ; 2°. que le cours du Pénée , sortant de Larisse , n’est pas du nord-ouest vers le sud-est; mais qu’il s’approche du nord avant de tourner à l’est pour se rendre à la mer. C’est ce dont on peut prendre une idée plus nette par l’inspection de la carte qui accompagne le superbe ouvrage de M. le comte de Choiseul-Gouffier. Strabon , ne donnant pas autant d’étendue à la Thessalie qu’on lui en donne communément, en fixoit les côtes , àl’est, depuis les Ther- mopyles jusqu’à l’embouchure du Pénée, exceptant de ce royaume quelques nations qu’on y comprend d’ordinaire. Selon les poètes, c’est sur les bords du Pénée que Daphné fut métamorphosée en lau- rier : on explique cette fable par la quantité de lauriers qui croissent sur les bords de ce fleuve.

CHANT II.’ . 361 (Page 73. Styx.) Le Styx, regardé par les mythologues comH1e l’un des fleuves des enfers , existe , pour les voyageurs et les géographes , dans l’Arcadie. Il prend sa source aux monts Aoranii, et se jette dans le Crathis. Comme ce ne peut être de ce fleuve qu’Homere entend parler ici, il a fallu supposer qu’il y en avoit un autre de même nom en Thessalie, l vers la Macédoine. Ce ne peut être que la nécessité d’y retrouver le Styx , donnant, selon Homere , naissance au Titarese , qui a fait ima- giner un marais de ce nom vers la source du fleuve. Outre que les anciens supposoient très gratuitement qu’un fleuve s’écouloit sous terre, pour remonter dans quelque lieu très éloigné de sa premiere embouchure, il me semble qu’ils n’ont jamais été d’accord sur la vé- ritable situation de ce Styx par lequel les dieux juroient, quand ils vou- loient rendre leurs serments aussi splemnels qu’ils pouvoient l’être.

(Ibid. Magnésiens.) La Magnésie, partie de la Thessalie, forme une espece de pres- qu’isle, qui se termine au sud par une courbure dans’ laquelle se trouve la plus grande partie du golfe Pélasgique. Homere, ayant parlé précédemment de plusieurs villes situées sur ce golfe , désigne ici sous le nom de Magnésiens les peuples qui habitoient l’autre côté des montagnes, sur la côte orientale. (Ibid. Qui habitent les bords du Pénée et les sommets ombragés du Pélion.) Ils ont été traités plus haut, pages 360 et 356. i (Page 74. Piérie.) La Piérie, baignée , selon Strabon, à l’est par le golfe Thermaï- que, s’étendoit depuis l’Haliacmo’n jusqu’à l’Axius. Cette contrée est un Pays plat, arrosé , et par conséquent fertile en pâturages. 1. 46

362 NOTES GÉOGRAPHIQUES.

(Page 75. Tgphée.) On n’a rien de certain sur la position que les anciens assignoient à cette montagne , qu’ils désignent comme écrasant par son poids le géant Typhon. Il y a lieu de croire que l’on aura qualifié ainsi quel- que volcan. Plusieurs auteurs la placent en Lydie; d’autres en Cilicie. Je ne puis m’empêcher de faire remarquer que le mot Inarime dont se sert Virgile , Dummque cubile Inarime, Jouir imperiis imposta Typhoeo. Afin. lib. 9, v. 716.

que l’on dit désigner l’isle appellée Ænan’a et Pithecusa (actuelle- ment Ischia), placée dans la méditerranée, en face du promontoire de Misene , semble avoir été forgé [un Virgile des.deux noms grecs em- ployés par Homere dans le vers 290 de ce dénombrement. Ce poëte, en parlant de la situation du mont Typhée , la place Ëtv Âpluozç , chez les Ariméens. Virgile, ne faisant qu’un seul moule la préposition et du substantif, parle de l’isle Inarimé , où étoit, dit-il, enseveli le géant Typhon. ’ (Ibid. Ariméens.) La situation de ce peuple est inconnue. Onl’a supposée en Syrie, en Lycie , etc. Voyez l’article TYPHÉE.

(Page 76. Batiée.) Ce n’étoit qu’une colline, une éminence.

’ TROYENS, DARDANIENS, ET LEURS ALLIËS. (Page 77. DardaniensÎ) Les Dardaniens étoient les habitants de la Dardanie, cette par- tie de l’Asie mineure qui est au nord-ouest, ayant la Mysie à l’est,

CHANT 11. 363 l’Hellespont au nord-ouest, et la mer de l’Archipel à l’ouest. Ses au- tres bornes ne sont pas déterminées exactement. Le pays appellé la Troade en étoit une subdivision, il formoit le territoire de Troie. Homere nous donne, au chant XX de l’lliade, la généalogie d’Hector’ et d’Énée , tous deux descendants de Dardanus et de Tros : Hector, par llus; Énée, par Assaracus, frere d’Ilus. Dardanus, fils de Jupiter et d’Électre, l’une des filles d’Atlas, originaire de I’Arcadie , selon Diodore de Sicile, naquit à Corinthe , dans la Tyrrhénie (aujourd’hui la Toscane). Un déluge ayant con- traint Dardanus de sortir d’Italie, il se transporta d’abord en Samo- thrace , ensuite dans les vallées du mont Ida, où il fonda une ville qui porta le nom de Dardanie. Cette ancienne origine est clairement ex- primée par Virgile, au liv. 3 de l’Énéide , v. 163.

Est locus, Hesperiam Graii cognomin’e dicunt; Terra antique, potens armis , algue ubere glebae. OEnotrii coluere ruin’ : nunc filma minores Italiam disois-se, ducis de nomine, gentem. Hue nabis propriae sedes, hinc Dardanus ortus. C Il est une contrée (les Grecs la nomment l’Hespérie), terre ancienne, fertile , puissante par l’intrépide courage des peuples qui I’habitent. Les OEnotriens l’ha- biterent les premiers : la renommée publie qu’elle prit depuis le nom d’Italie, du chef de cette nation belliqueuse. Tel est le siege de l’empire que les destins nous accordent; telle est l’ancienne patrie de Dardanus.

Tros, fils de Dardanus , s’étendit plus loin sur les rives du Xanthe ou Scamandre : il y bâtit Troie, que Laomédon, son arriere-petit- fils, environna de hautes murailles , à l’aide des trésors que lui fourni- rent deux princes voisins, ou plutôt des richesses qu’il acquit par la navigation et par ses nombreux troupeaux; d’où les poètes ont feint que Neptune , dieu de la mer, avoit bâti les murs de Troie , et qu’A- pollon avoit gardé les troupeaux de Laomédon. Les anciens habi- tants de Dardanie, transportés dans la nouvelle ville, ne furent pas tellement confondus avec les nouveaux colons, qu’on ne les distin- guât encore lors de la’guerre de Troie. Cette distinction est très

364 NOTES GÉOGRAPH’IQUES.. marquée en cet endroit et en plusieurs autres de l’Iliade ; delà ces expressions fréquentes dans Homere , Troyens, Dardaniens, ’etc. Il ne subsiste plus de vestiges de cette ancienne Troie ; ceux qu’on "appe oit en grand nombre dans cette contrée sont les restes de la nouvèlle Troie, bâtie par Alexandre et par Lysimaque , dans le voi- sinage de l’ancienne. La plupart de ces vestiges ne sont pas plus an- ciens que les Romains; les inscriptions le prouvent. On cherchoit déja inutilement l’ancienne Troie du temps de Strabon. Lucain , après avoir dit que l’on fit la même tentative avec aussi peu de’succès du temps de Jules César, remarque que les ruines mêmes de cette ville ne subsistoient plus de son temps : Etiam perlera ruinae. Phars. lib. 9, v. 953. On prétend que la haine des maisons d’Agamemnon et de Tros avoit une angine plus reculée que l’enlèvement d’Hélene; nous en parlerons par la suite. Sur la naissance d’Énée , voyez la grande hymne à Vénus.

(Page 7 7. Zélée.) Cette ville , selon Homere, se trouvoit au pied du montIda; mais il ne faut pas prendre cette expression à la lettre. C’est, selon Stra- bon, en donnant le même nom aux montagnes qui s’étendent, d’un côté, jusqu’au promontoire Lectum (sur la mer Égée, au nord de l’isle de ), et de l’autre, dans la Mysie, jusqu’à la hauteur de Çyzique, que le poëte place Zélée au pied du montIda. Elle étoit du territoire de Cyzique , à cent quatre-vingt-dix stades au sud de cette ville , arrosée par le Tarsius , ayant au sud le lac Aphnitis. Stra- bon rapporte qu’il y avoit eu autrefois un oracle dans cette ville , mais qu’il n’étOit plus consulté de son temps. Étienne de Bysance, d’après un antre écrivain , semble admettre une autre Zélée; mais rien n’en prouve l’existence.

CHANT Il. 365

On(Page trouve plusieurs montagnes 77. désignées Ida.) par ce nom dans l’anti- r quité. Celle dont il est question ici, sur les riants côteaux de laquelle s’étoit élevée, selon la fable, la querelle entre Junon, Minerve et Vénus, dont le berger Pâris avoit été constitué juge, est située dans la Dardanie, à quelque distance, tirantau sud-est , de l’ancienne ville de Troie. Elle renferme les sources de ces pages rivieres qu’Homere a rendues célebres, le Xanthe et le Simoïs.

(Ibid. Ésépus.) Ce fleuve, sur l’excellente carte de l’Asie mineure de M. d’An- ville , descend du mont Ida vers lenord- est, pour se rendre dangla Propontide, entre le Granique à l’ouest, et le Tarsius à l’est; ces trois fleuves coulent à peu près parallèlement. Quant à l’épithete noire, qu’Homere donne à ses eaux, elle in- dique la rapidité de ce torrent, qui noircit l’onde à la vue.

.Cette (Ibid. ville se trouvoitau Adrastée.) nord-ouest de Zélée , vers l’est de. Lamp- saque , au sud-est de , dont elle étoit peu éloignée. Elle avoit, disoit-on, été fondée par Adraste , fils de Mérops, qui y avoit bâti un temple à Némésis , déesse de la vengeancej’out près de la ville étoit un oracle d’Apollon et de Diane. Pline penSËît que Parium étoit l’Adraste d’Homere. ’

(Ibid. ApésuSpu Apæsus.) , Cette ville eSt nommée dans les auteurs Pesus. Elle appartenoit à la Dardanie , dans le canton, ou du moins très près du canton ap- pellé le Champ adrastéen, peu éloignée de la mer, surun petit fleuve du même nom. Lorsqu’elle fut détruite, ses habitants se retirerent à Lampsaque, près d’Apésus, vers le sud-ouest.

366 NOTES GÉOGRAPHIQUES.

(Page 77. Pitye.) Ville située sur le bord de la mer, à peu de distance de Parium. Elle tiroit son nom, selon les auteurs, de la grande quantité de pins qui se trouvoient sur la montagne Où elle étoit située; car art-ru; si- gnifie pin. (Ibid. Téréisg)

J’ignore la position de cette ville , située, comme le dit Homere , sur une haute montagne ; elle ne doit pas être éloignée de celles que ’ l’on vient de nommer.

’ (I bid. Percoté.) Cette’ ville , appartenant à la Dardanie , étoit à peu de distance au sud-ouest de Lampsaque. Un passage d’Arrien, qui décrit la marche d’Alexandre , lorsque ce conquérant parcouroit les ruines de Troie, nous donne à peu près la position de Percoté. Selon cet auteur, au sortir d’Ilion, Alexandre trouva Arisbé , et le lendemain il arriva à Percoté, puis à Lampsaque. Sur la carte de M. d’Anville, Percoté se trouve presque au sud de cette derniere ville. On voit par Plutar- que , dans la vie de Thémistocle , qu’elle fut l’une des villes dont le revenu avoit été abandonné par Artaxerxès à ce généml pour l’en- tretien de sa maisofl (Ibid. Practios.) Quoiqu’Homere , nommant Practios, semble indiquer une ville, on n’en voyoit pas même de vestiges du temps d’Alexandre; peut- être faut-il entendre les peuples qui habitoient les rives du Practios , fleuve. Je le trouve sur les cartes de M. d’Anville. Ce qui m’étonne, c’est la position qu’Arrien lui donne; car il s’exprime ainsi en par- Iant de la route d’Alexandre : ÎÀfou Âpfchnv 71m , nazi a"; ûc’lepatfqt ê; Hep-

nai’ruv’ Trié! c’éÂÀd Acipnletxo’v rattrapable; orpàç au.) Upa’x’liw n°743143 êe’lpa’rrfdïww. D’Ilion il alla à Arisbé, le lendemain à Percote’ : puis il se rendit à Lampsaque , s’étant avancé jusqu’au fleuve Practios.

CHANT Il. 367 De ce passage ainsi traduit il résulte que le Practios devoit être entre Percoté et Lampsaque ; au lieu que, sur la carte de M. d’An- ville, ce fleuve est à l’ouest, et l’on ne trouve aucune riviere entre Lampsaque et Percoté. Pline, décrivant cette partie de la Mysie , ne dit rien de contraire aux détails donnés par l’auteur grec. M. d’An- ville a pensé qu’Arrien avoit dit que le fleuve se trouvoit au-delà de la ville de Lampsaque; je l’entends autrement. M. d’Anville se con- forme, au surplus, à l’opinion de Strabon, IOISqu’il place Practios entre Abydos et Lampsaque. (Voyez Mém. de Littér. t. 28 , p. 335.) L’espace est considérable : ce que ditl’historien d’Alexandre est plus positif.(Page 77. Sestos.) ’ Ville d’Europe, située dans la Chersonese de Thrace, sur le dé- troit appellé Hellespont, en face d’Abydos.

(Page 78. Abydos.) Petite ville d’Asie, au sud-ouest de Lampsaque. Elle avoit en face, de l’autre côté du Bosphore de Thrace , au nord la ville de Ses- tos, à l’ouest celle de Madytus. Sans m’arrêter à l’opinion des an- ciens sur la largeur du détroit en ce lieu , je dirai seulement que M. d’Anville, d’après des mesures très exactes, ne lui donne que trois cents soixante-quinze toises et demie; Ces lieux sont célebres dans l’antiquité par les amours de Léandre et de Héro. Cette princesse, prêtresse de Vénus, vivoit à Sestos : Léandre, qui l’aimoit passionné- ment, demeuroit à Abydos ; il traversoit toutes les nuits le détroit à la nage: Héro lui montroit, à l’aide d’un flambeau placé au haut de la tour de Sestos, l’endroit où il devoit aborder. Un jour la mer étant impraticable, Léandre ne laissa pas de hasarder de traverser le dé- troit; il se noya: Héro, emportée par son désespoir, se précipita après lui dans la mer. . 4 Abydos avoit été fondée par une colonie d’glMilésiens. Cette ville devint considérable du temps de Philippe, pere de Persée, qui en

368 NOTES GÉOGRAPHIQUES.’ fit le siege. Les habitants aimerent mieux s’ensevelir sous les ruines de leur ville , que de se rendre à des conditions trop dures. Il n’est pas vrai, comme on l’a cru long-temps, que les villes de Sestos et d’Abydos fussent dans l’emplacement où sont actuellement les vieux châteaux d’Europe et d’Asie : ces châteaux sont plus au sud, sur une autre partie du détroit plus resserrée. A la place de Sestos, il existe un couvent de derviches. On ne trouve que des ruines sur le lieu où étoit Abydos.

(Page 78. Arisbé.) Arisbé ou étoit au sud-est d’Abydos, très près du petit fleuve Silléis. Quand Alexandre’passa en Asie, son armée campa près de cette ville tandis qu’il visitoit les ruines de Troie.

( Ibid. Selléis.) M. d’Anville croit, avec raison , retrouver le Silléis dans un petit fleuve, ou ruisseau, qui se jette dans le Rhodius, un peu à l’ouest d’Arisba.

(Ibid. Pélasgiens.) Voyez ce qui a été dit, page 343.

(Ibid. Larissa.) Je la nomme ainsi pour la distinguer de Larisse en ThesSalie, dans les états d’Achille. Il paroit que ces deux villes avoient une même origine; car Homere place des Pélasges dans Larissa : or cette nation peupla d’abord Larisse en Thessalie. On connoît dans l’antiquité plusieurs villes de ce nom, (Ibid. Thraces.) Je ne m’arrêterai 5;)th ici à faire’connoître ces peuples : cet ar- ticle auroit une étên e qui excéderoit les bornes d’une note. Je dirai seulement que le pays nommé Thrace s’étendoit depuis la mer

CHANTQ 11. 369 Noire à l’est, jusques :vers l’Axius à l’ouest. Les conquêtes des rois de Macédoine, et sur-tout de Philippe, pere d’Alexandre, resser- rerent ses bornes du côté de l’ouest. Alors, et encore long-temps après, la Thrace fut bornée à l’ouest par une chaîne de montagnes , descendant du nord au sud, depuis le mont Scomius , qui sépare le à l’ouesl: du Nestus à l’est, et se rend , ainsi que le Nestus, dans la mer de l’Archipel, qui baigne les côtes de la Thrace au sud. La Thrace fut long-temps illimitée au nord; ce n’est que dans les sie- . cles posté-rieurs qu’on "y trouve’ la Mésie. Ce pays renfermoit diffé- - rents peuples indépendants les uns des autres. (Page 78. Hellespont.) ’ Les anciens donnoient le nom d’Hellespont au détroit qui établit la communication de la mer Égée , ou mer de I’Archipel, avec la Pro- pontide, ou mer de : le nom grec signifie la mer des Helle- nes; car ce fut sur ses rives que ces peuples commencerentàse former des établissements. Les poètes ne se sont pas contentés d’une éty- mologie si simple. Selon eux, Phryxus, fils d’Athamas, voulant se mettre à l’abri des persécutions de sa belle-mere Ino, prit avec lui sa sœur Hellé. Tous deux placés sur un mouton dont la toison étoit d’or, ils partirent pour la Colchide. Hellé, s’étantlaissée tomber dans la mer , lui donna son nom. A cette fable on peut joindre ce qu’Hé- rodote raconte : que, Xerxès ayant fait construire sur l’Hellespont un peut qui avoit sept stades de long (le canal n’a en effet que cette largeur en quelques endroits), la mer ne tarda pas à renverser cette digue; ce qui transporta le roi des Perses d’une telle indignation, qu’il fit jetter des chaînes dans la mer, et lui fit donner trois cents coups de fouet, prononçant ces paroles : Élément salé et amer, ton maître te fait infliger ce châtiment pour l’avoir offensé sans raison; il a résolu de traverser tes flots en dépit de ton insolente résistance. Les troupes de Xerxès traverserent en effet I’Hellespont sur cette digue rétablie avec plus de solidité. 1. I 47

370 NOTES GE’OGRAPHIQUES.

(Page 78. Ciconiens.) Les Ciconiens, peuple de la Thrace, qui habitoit au sud , sur côte voisine des bouches de I’Hebre. C’était chez ce peuple féroce que se voyoit le tombeau de Polydore , immolé àl’avarice de Polym- nestor, roi du pays. . (Ibid. Péoniens.) Ces peuples habitoient en Europe, près des sources de l’Axius. Leur pays fit dans la suite partie de la Macédoine; mais , au temps de la guerre de Troie, et même lorsqu’Homere écrivoit, ils étoient compris parmi les Thraces et regardés par les Grecs comme barbares. M. Fréret (Mém. de littér. t. 19, page 587) pense que ce nom a été donné à des peuples qui vivoient très loin IeS uns des autres. Il est certain qu’en cet endroit Homere parle des Péoniens d’Europe, puis- qu’il les fait venir de loin , des bords de l’Axius.

(Ibid. Amydon.) Plusieurs anciens ont regardé Amydon comme une ville de la Thrace , sur l’Axius. Voyez I’Epitome de Strabon et Étienne de By- sance, etc. Le dernier écrit Abydon; c’est une faute qui n’est plus révoquée en doute. ’ (Ibid. Axius.) ’ ’ .’ Il en a été parlé précédemment.

(Énetes ou Vénetes.) Strabon parle des Énetes , ou , avec l’aspiration , Vénetes, comme d’un peuple de la Paphlagonie. M. d’Anville l’indique vers le nord- ouest, sur le bord de la mer. Pline n’en parle pas, parceque ce na- turaliste nous donne la description du pays au temps où il écrivoit, et que les Énetes ou Vénetes n’existoient plus alors dans ces con-M

trées. On prétend que, leur chefCHANT ayant été tué au siegefle Troie,Il. ils 371 suivirent Anténor en Italie. C’est l’origine des Vénitiens, comme le nom même l’indique , V enclin.

(Page 78. Paphlagoniens.) Ces peuples habitoient l’Asie mineure, sur les bords de la mer Noire, entre la Bithynie à l’ouest, et le Pont à l’est. Quoiqu’il y ait fort loin des Thraces dont on vient de parler, auxPaphlagoniens dont Homere parle en cet endroit, e pense que, de son temps, ces nations avoient entre elles un rapport de commerce qui les rapprochoit. Cet article seroit trop long, si je voulois développer ici l’origine de ce peuple. Selon Strabon, c’étoit la. patrie des Énetes ou Vénetes.

(Ibid. Cytorus.) On trouve dans les auteurs une ville nommée Cytorus et Cytorum. Elle étoit dans la partie de la Paphlagonie qui avoit été habitée Ori- ginairement par les Vénetes , sur le bord de la mer. Cette ville, selon Scylax, devoit ses commencements à une colonie (h Milésiens. Stra- bon , en disant qu’elle fut autrefois un port de Sinope, laisse entendre que c’étoit une des villes dans lesquelles ces peuples avoient leur principal commerce ; car Cytoms est à l’ouest, assez loin de Sinope, située elle-même sur la mer. Elle fut une des villes qu’Amestris af- foiblit, pour rendre plus considérable celle qu’elle fondoit, à la- quelle eIle donna son nom.

(Ibid. Sésame.) Ville de la Paphlagonie, sur le bord de la mer, au nord-ouest. Ce fut dans son emplacement, ou du moins très près, qu’Amest1is, niece de Darius Codoman, et épouse du tyran d’Héraclée, fonda une ville à laquelle elle donna son nom. On trouve cependant la nou- velle ville désignée quelquefois par le nom de Sesame : je pense que ce nom pouvoit être resté à la citadelle ou à quelque autre partie.

O C

372 NOTES GÉOGRAPHIQUES. 3 (Page 78. Parthénius.) Le fleuve Parthénius couloit dans la Paphlagonie, depuis , où il s’enrichissoit des eaux de plusieurs rivieres, jusqu’à la mer, par le nord-ouest. Vers son embouchure il servoit de limite entre la Pa- phlagonie à l’est, et la Bithynie à l’ouest.

(Ibid. Cromna, Égialée, Erythine.) Ces trois villes étoient sur la côte de Paphlagonie, dans l’ordre suivant : Érythine , Cromna , et, au-delà de Cytorus, Égialée. Érythine n’est guere connue que par son nom. Cromna z Étienne de Bysance se trompe quand il confond cette ville avec l’ancienne Amestris. Selon Arrien, il y avoit entre ces deux. villes cent vingt stades de distance. É ialée vers le nord-est; on n’en connoît ue le nom. gÛ 1 (Page 79. Halizoniens.) Strabon et quelques autres auteurs grecs ont parlé de ces peu- ples, moins pour nous instruire du pays qu’ils habitoient, que pour jetter des doutes sur leur existence. On a été jusqu’à croire que le texte d’Homere étoit défiguré en cet endroit, et qu’il falloit lire, les Amazones. Voyez l’article suivant. (Ibid. Alybe.) Strabon paroit croire que les Alybes, possesseurs de la ville d’Alybe, étoient le même peuple que l’on appella aussi Chalybes, et même Chaldéens. S’il en étoit ainsi, il s’ensuivroit que les Hali- zOniens habitoient la partie orientale du- Pont; car il seroit absurde de les transporter, avec quelques auteurs, dans la Scythie. On ne peut s’éloigner des pays dont Homere parle en cet endroit: or le Pont étoit à l’est de la. Paphlagonie.

CHANT 11. 373 (Page 79. Mysiens.) On doit entendre par ce mot les habitants de la Mysie. Ptolémée parlant de la petite Mysie , et Strabon paroissant faire entendre qu’il y en avoit deux, on peut croire qu’en effet on distinguoit la grande et la petite Mysie : la derniere au nord , sur la Propontide ; la grande au sud, s’étendant jusqu’à l’Étolie. Mais les auteurs ayant varié sur ’ leur situation , et Ptolémée appellant la petite celle que Strabon ap- pelle Ia grande, M. d’Anville s’est déterminé à les indiquer ensem- ble sur sa carte par le seul nom de Mysie. ’ ’ Selon Hérodote , les Mysiens descendoient des Lydiens ; ils avoient beaucoup de rapport avec les Phrygiens. (Ibid. Xanthe.) Voyez Scamandre, page 271. (Ibid. Phrygiens.) La Phrygie étoit une partie considérable de l’Asie mineure; elle n’a eu de bornes précises que dans les temps postérieurs à Homere. Le lac Ascanius , qui se trouvoit en Bithynie, à quelque distance au nord des bornes que l’on fixa depuis à la Phrygie, pourroit bien avoir appartenu à l’Ascanie dont parle ici Homère.

( Ibid. Ascanie.) Je pense qu’Homere appelle ainsi la contrée de la Bithynie où se trouvoit le lac de ce nom. Voyez l’article ci-dessus.

(Ibid. Méoniens.) Ce furent les anciens habitants de la Lydie. Strabon (liv. 1 3) dit: Les Lydiens, qu’Homere nomme Méoniens, furent dans la suite nommés Mœniens.. ’ t

374 NOTES GÉOGRAPHIQUES.

(Page 79. Tmolus.) Le mont Tmolus occupoit à peu près le centre de la Lydie. Il avoit d’abord, selon Pline, porté le nom de Tirnolus; Ovide emploie ce nom dans le vers suivant : Deseruere sui nymphae vineta Timoli. Matam. lib. 6, v. 15. Selon les mythologues , c’étoit sur cette montagne qu’ApOIlon avoit puni Midas , roi de Phrygie , en lui donnant des oreilles d’âne. Ce terrain étoit propre à la culture des vignes; les anciens ont parlé avec éloge du vin qu’elles produisoient. Denis le Périégete lui donne l’épithete de ventosus. C’est dans le Tmolus que le Pactole, qui pas- soit à Sardes , prend sa source.

(Ibid. Gygée.) Le petit marais ou lac de ce nom étoit tout près de Sardes à l’est.

(Ibid. Cariens.) Ces peuples habitoient la partie du sud-ouest de l’Asie mineure. Il y a différentes opinions sur leur origine z ils se prétendoient abori- genes, c’est à dire premiers habitants du pays; Hérodote dit qu’ils y étoient venus des isles voisines. On leur attribuoit d’avoir les pre- miers ajouté des panaches aux casques et des coun’oies aux boucliers pour les soutenir, et d’avoir les premiers gravé" sur les boucliers des figures d’hommes et d’animaux. (Ibid. Milet.)

Elle se trouvoit àl’extrémité d’une petite presqu’isle. Quoiqu’Ho- mere attribue cette ville aux Cariens, comme comprise dans cette contrée, elle se regardoit comme ville ionienne. Pline la nomme caput Ioniae. Cet article de Milet seroit trop long, si je voulois rap-

CHANT 11. 375 procher tout ce qu’en ont dit les anciens ; j’ajouterai seulement qu’elle étoit la métropole d’un très grand nombre de colonies.

(Page 79. Phthéiros.) On ne connoît pas la position de cette montagne. Quelques au- teurs ont pensé qu’elle étoit Ia- même que le , qui forme une petite chaîne à quelque distance à l’est de Milet. C’étoit sur Ie’Lat- mus que l’on plaçoit les amours de Diane et d’Endymion.

(Ibid. Méandre.) Ce fleuve commençoit en» Phrygie , au mont que Pline appelle ’Aulocrene fiprès d’Apamée Cibotos. Son cours général est déter- miné de l’est à l’ouest; mais le grand nombre de sinuosités qu’il fait avant de se rendre à la mer a tellement frappé les anciens , que l’épi- thete qu’on lui donne le plus ordinairement étoit le sinueux Méan- dre. Il séparoit la Lydie de la Carie, et se rendoit à la mer presque en face de l’isle de Samos. Les Turcs le nomment aujourd’hui bodjuc Minder, le grand Méandre.

( Ibid. Mycalé.) Le mont Mycalé étoit en Ionie, sur le bord de la mer, à peu de distance au nord de l’embouchure du Méandre. Étienne de Bysance, plaçant cette montagne en Carie , étend les bornes de cette province au nord du Méandre.

(Page 8o. Lycie.) Cette province se trouvoit à peu près au sud-est de la Carie , for- mant une espece de presqu’isle qui avoit au nord une partie de la Phrygie, au nord-est la Pisidie. (Ibid. Xanthe.) Au milieu de la Lycie, couloit, du nord-est au sud-ouest, un

376 NOTES GÉOGRAPHIQUES. fleuve qui, portant le nom de Xanthe, arrosoit une ville de même nom, puis se rendoit à la mer à peu de distance. Je pense que c’est de ce fleuve qu’Homere veut parler en cet endroit, que l’on ne doit pas confondre avec le fleuve qui, sous les noms de Xanthe et de Scamandre , arrosoit la plaine de Troie.

CHANT -:III. - (PAGEVaste contrée située à peu87. près au centrePhrygie.) de l’Asie mineure. Voyez . page 373. h (I bid. Argos.) Ville du Péloponnese. Voyez chant II, page 268 et 297.

(Ibid. Achaïe.) Çe mot, sous les Romains , a signifié presque toute la Grece : chez les Grecs , il s’entendoit de la partie septentrionale du Péloponnese, baignée par le golfe de Corinthe. Voyez chant Il , page 307.

(Page 92. Sangar.) Ce fleuve appartenoit à l’Asie mineure. Il commence dans cette partie de la Phrygie qui fut depuis nommée Galatie. Sa source est au bas du mont nommé alors Adoreus, où se trouve un petit lac que l’on nommoit Sangia. Il remonte ensuite, par le nord-ouest, jusqu’à et , tourne à l’ouest jusqu’à la hauteur de Dori- laeum, qu’il laisse au sud, reprend son cours par le nord-ouest jus- qu’à sa jonction avec’le Gallus à l’est de Nicée ; là se trouvoit un pont connu sous le nom de Pans Sangarii. De ce pont, le Sangar remonte par le nord-est, où il se jette dans la mer. Ce fleuve a été aussi nommé Sanga et Sangaris. Selon Plutarque , son premier nom avoit été-Xerabates, formé de Eépaç, sec, et de flatr’ê’w, marcher, couler; parceque dans l’été il est souvent à sec. Sangaris , fils de Myndon et d’Alexirhoé , s’y étant, dit-on , précipité dans un accès de fureur qui lui survint en punition du mépris qu’il avoit montré pour les prêtres et le culte .de Cérès, le fleuve fut appellé de son nom Sangaris ou ; comme les flots de la mer surnommée icarienne prirent leur nom de la chûte d’Icare, qui s’y.noya. 1. 48

378 NOTES GÉOGRAPHIQUES.

(Page 92. Amazones.) Parce met on entenddes femmes guerrieres qui se gouvernoient elles-mêmes et vivoient séparées de la compagnie des hommes. A la naissance de leurs enfants, elles estropioient une partie des mâles , et tuoient l’autre. Soit pour accroître leur force , comme le dit Hip- pocrate, ou pour leur donner plus de facilité à tirer de l’arc, elles brûloient la mamelle droite de leurs filles. Les Amazones habitoient d’abord les rives du Pont-Euxin, celles du Thermodon, et toute la contrée nommée Thémiscyre. Elles porterent leurs armes à l’ouest, fonderent des villes, passerent jusques dans l’Attique, où elles fu- rent battues par Thésée. Thalestris, l’une de leurs reines, vint trouver Alexandre, qu’elle arrêta pendant treize jours, etc. Le nom d’Ama- zones est formé de païen mamelle, et de l’a. privatif, sans mamelle. L’épithete d’dv’llct’vupau, qui leur est donnée par Homere , peut être rendue, selon Aristarque, cité par Hésychius, par le mot lvdlvd’pol, égales aux hommes. Le poëte Eschyle les appelle a7u7et’yopeç, ennemies des hommes.

(Page 94. Crétois.) Habitants de l’isle de Crete. Voyez chant Il , page 333.

(Page 103. Méonie.) C’est la même contrée que la Lydie.

(Page 105. Cranaé.) Très petite isle du golfe Laconique , située presque en face et très près de Gythium. On prétend qu’Homere n’a pas peu contribué à accréditer l’opinion, que ce fut dans cette isle qu’HéIene accorda à Pâris les premieres preuves d’un amour sans bornes. On attribuoit à ce ravisseur la fondation d’un temple bâti sur le continent, en face de l’isle, consacré à Vénus Migonitis, ou qui unit les êtres. Ce nom f. vient de flt’yvupl, je mêle. . I Mixte deo millier. VHGHL

CHANT IV.

(PAGE 1 1 1. Argos, Sparte, Mycene.) Voyez chant Il, pages 268 , 297 , 303 et 310.

(Page 1 13. Ésépus.) Voyez chant Il, page 365. Ce fleuve est très différent de l’Asopus du Péloponnese , qui, commençant au mont Cyllene, se jette dans le golfe de Corinthe, à l’est de Sicyone. Les gens du pays croyoient que ce fleuve étoit le même que le Méandre , et qu’il se frayoit un chemin sous la mer et sous les terres pour parvenir dans la Grece.

(Page 1 14. Zélée.) Voyez chant Il , page 364.

(Page 128. Cadméens.) La ville de Thebes en Béotie avoit été, suivant l’opinion com- mune, fondée par Cadmus; la citadelle de cette ville avoit continué d’être appellée Cadmea. Ceux donc qu’Homere nomme xdpeiœyaç. les Cadméens, ne sont autres que les Thébains; on le voit même par la suite du récit.

(Page 133. Abyde.) Sur le bord de l’HeIlespont. Voyez chant Il, page 367.

(Page 134. Pergame.) C’étoit le nom de la citadelle de Troie, bâtie sur le lieu le plus élevé de la ville. On voyoit dans cette forteresse un temple de Mi- nerve, Où étoit conservée avec le plus grand soin une statue de la déesse, haute de trois coudées , tombée , disoit-on, du ciel : on nom- moit cette statue le Palladium. Suivant S. Clément d’Alexandrie,

380 NOTES GÉOGRAPHIQUES.’ la tradition étoit qu’elle avoit été faite des os de Pélops. A sa conser- vation étoit attaché, selon l’opinion commune, le destin de la ville; Ulysse et Diomede parvinrent à s’en emparep

(Page 135. Épéens.) Voyez chant II, page 326.

MCHANT V. ( PAO E 141. Halizoniens.) Voyez chant Il, page 372. Quelques auteurs ont pensé que ce nom signifioit habitants des environs de I’Halys; mais la différence de I’r à l’a, différence bien plus considérable pour les Grec; que pour nous , paroit s’opposer à cette étymologiez

(Ibid. Tarné.) Quoique Strabon fasse mention de cette ville, la patrie, selon Homere , du Méonien Phestus , on ignore sa position : on sait seule- ment qu’elle se trouvoit en Lydie ou Méonie; car ces deux noms conviennent à la même province. Pline place près du mont Taurus une fontaine de ce nom. Il est à présumer que la ville n’en étoit pas éloignée.

(Page 165. Pyliens.) Habitants de Pylos , dans le Péloponnese. Voyez chant I, p. 262.-

(Ibid. Phérès ou Pharès.) Ainsi nommée par les Messéniens, qui substituoient, suivant le dialecte dorique, l’a à 1’". Les Ioniens appelloient cette ville Phérée ou Otipotl. Elle étoit sur le golfe de Messénie. Voyez chant Il, p. 310., (Page 168. Paise.) Paise ou Paisos. Voyez chant Il, APÉSUS, page 365. (Page 172. Hyla.) Ville de la Béotie, près de T hebes, voisine d’un marais qui en avoit pris le nom d’Hy’lica. Pains.

382 NOTES GÉOGRAPHIQUES. .

CHANT VI.

(PAGE 185. Arisbé.) Voyez chant Il , page 368.

(Page 186. Percoté.) - Voyez chant Il, page 366.

(Ibid. Pédasus.) Ville de la Troade, vers le sud-est. Elle étoit habitée par les Lé- leges au-delà du détroit. Elle avoit au sud-ouest Lesbos , au sud-est le golfe d’Adramitte. Elle étoit voisine du fleuve Satniœis.

(Ibid. Satniœis.) Petit fleuve de la Troade, dont le cours est du nord-est au sud- ouest, d’où il se rendoit dans la mer au sud-ouest de Pédasus, au lieu nommé Cimmeris, presque en face de Méthymna, ville de l’isle de Lesbos. (Page 191. Nyssa.) Outre la ville de Nysa ou Nyssa, donnée par quelques auteurs à la Carie , par d’autres à la Lydie, il y avoit plusieurs autres villes’de ce nom , entre autres une en Cappadoce, sur le fleuve Halys. Je pré- sume que c’est de cette derniere qu’il s’agit en cet endroit.

(Page 192. Éphyre.) C’étoit l’ancien nom de la ville de Corinthe. Diodore de Sicile (liv. r, ch. 9, sect. 3) dit expressément: Sisyphe, fils d’Équs, ayant fondé Éphyre, que nous nommons maintenant Corinthe.

’ CHANT v1. 383 (Page 194. SOlymes.) Peuples orientaux de Phénicie. Ils avoient habité les montagnes qu’on rencontre sur les confins de la Lycie et de la Pamphylie. Quoi- que Pline , d’après Ératosthene , regarde ce peuple comme éteint, il est vraisemblable que le nom du pays a plutôt changé en celui de Pisidie , que la race n’a été anéantie.

(Page 198. Sidon.) Sidon, ville de Phénicie, étoit nommée par les orientaux Tzid, la ville de la pêche ; située sur le bord de la mer, au trente-troisieme degré vingt-cinq minutes environ de latitude , elle fut la métropole de la Phénicie, jusqu’à ce que Tyr lui eut enlevé cet avantage. Se- lon Justin, cette ville avoit été fondée par des Phéniciens ou Cha- nanéens; car c’est le même peuple que les Grecs modernes disent être venus d’Égypte. Ils s’étoient d’abord établis près du lac d’As- syrie, qui ne peut être que le lac Asphaltite, d’où ils passeront sur le bord de la mer. Sidon étoit déja puissante’quand les Israélites en- trerent dans le pays de Chanaan. Moyse nous apprend qu’elle tiroit son nom de Sidon, fils aîné de Chanaan. Cette ville, selon S. Jérôme, étoit comprise dans le partage de la tribu d’Asser. Les Israélites ten- terent plusieurs fois de s’en rendre maîtres; mais elle leur résista et quelquefois les subjugua, au moins en partie. Dans les temps posté- rieurs, elle fut soumise à la ville de Tyr , d’où elle passa successive- ment sous la puissance des rois d’Assyrie, d’Égypte et de Perse. S’é- tant révoltée contre ces derniers sous le règne d’Orchus, ce prince la réduisit à une telle.extrémité , que le plus grand nombre des habi- tants s’ensevelirent sous les ruines de leurs maisons, dans lesquelles ils s’enfermerent après y avoir mis le feu; les autres furent pris et em- menés en captivité. Sidon fut rebâtie et repeuplée; elle étoitgouver- née par un roi au temps d’Alexandre. Après la mort de ce conqué- rant, elle obéit aux rois d’Égypte, puis à ceux de Syrie, desquels elle passa aux Romains. La religion chrétienne y étoit professée avec zele

384 NOTES GEOGRAPHIQUES." quand les Arabes s’en emparerent, l’an 639 de notre ere. Les ou- vrages des femmes sidoniennes étoient recherchés des anciens , pour la finesse du travail et la beauté de la teinture. (Page 203. Thebe.) En lisant ce vers d’Homere, on cherche ce royaume et cette ville dans la Cilicie. Cette Cilicie est celle que M. d’Anville nomme Cilicie leebaïca, au nord d’Adramitte. La contrée se nommoit l’HypOpla- cie, nom qui lui étoit commun avec la ville, et que ne porte point la Cilicie entiere , quoiqu’on lise dans Étienne de Bysance , qui fait l’énumération des différentes villes qui ont porté le nom de Thebe , 76174:4 êy umlaut Taro’rrAat’mç , la quatrieme dans la Cilicie Hypoplacie ; sur quoi les commentateurs observent qu’ily a faute, qu’on doit lire, tv mima immature; Àtylpfiyn, la quatrieme est Thebe H ypoplacie, dans la Cilicie. Sur cette côte, dit Strabon, après les Léleges, on trouve les Ciliciens. -

(Page 206. Messéis et Hypérée.) Lafontaine de Messéis , devenue célebre par ce vers d’Homere , étoit dans le Péloponnèse; mais sa position fut contestée dans les temps postérieurs. Les Messéniens la réclamoient comme étant dans leur pays; ce qui est très probable, puisqu’Homere fait ici allusion aux états de Ménélas et d’Agamemnon. Pausanias se trouvant dans la Laconie, vers le milieu du second siecle de notre ere, les habi- tants de Thérapné lui montrerent une fontaine qu’ils disoient être celle de Messéis, appellée mal à propos, dans la traduction de M. l’abbé Gédoyn , Masséis; d’autres Lacédémoniens prétendoient que cette ancienne fontaine avoit porté le nom de Pollydocée, la fontaine de Pollux. Quant à la fontaine d’Hypérée, elle étoit en Thessalie. Pline la nOmme, liv. 4 , ch. 8.

FIN DES NOTES GÉOGRAPHIQUES.

’IMITATIONS

D’HOMERE.

Uni fortè mortalium Homero datum est, ut naturâ suâ fœcundus, sine externis quibus aleretur rivulis, ipse foret ingeniorum fous.

M. l’abbé BIOTIER , préface de Phedre.

IMITATIONS. D’HOMERE

PAR LES PRINCIPAUX POETES LATINS, ITALIENS, FRANÇOIS ET ANGLOIS,

AVEC LA TRADUCTION.

N8. On a suivi pour les imitations angloises la traduction de Louis Racine : les morceaux latins et italiens ont été traduits par l’auteur de la présente traduction d’Homei-e.

CHANT I. (PAGE 3. Quel dieu souffla dans l’ame des rois cette haine , cette fureur de vengeance?) Musa, mihi causas memora, quo numine læso , Quidve dolens regina deûm tot volvere casus Insignem pietate virum , tot adire labores, Impulerit. AEn. lib. 1, v. 12. Muse , développe à mon esprit la cause de cette haine implacable que la reine des dieux conçut contre un héros célebre par sa piété ; source des travaux qu’elle lui imposa, des maux qu’elle fit fondre sur sa tête.

O Musa, tu che di caduchi allori Non circondi la fronte in Elicona, Ma su nel cielo infra i beati cori Hai di stelle immortali aurea corona;

388 erTATrONs. Tu spira al petto mio celesti ardori, Tu rischiara il mio canto. . . L Ger. lib. c. 1, st. 2. Ô.Muse, qui dédaignes ces lauriers périssables qui ceignent , sur l’Hélicon , le front de tes compagnes; ô toi, dont le front, sur la voûte azurée , au milieu des esprits bienheureux,est ceint d’une immortelle couronne de brillantes étoiles, éclaire mes chants, etc. V Muse , redis-moi donc quelle ardeur de vengeance De ces hommes sacrés rompit l’intelligence , Et troubla si long- temps deux célebres rivaux. Tant de fiel entre-t-il dans l’ame des dévots! Lutr. ch. r. Descends du haut des cieux, auguste Vérité; Répands sur mes écrits ta force et ta clarté : Que l’oreille des rois s’accoutume à t’entendre: C’est à toi d’annoncer ce qu’ils doivent apprendre; C’est à toi de montrer aux yeux des nations Les coupables effets de leurs divisions. Dis comment la Discorde a troublé nos’provinces; Dis le malheur du peuple, et les fautes des princes; Viens, parle. Hem. ch. 1 . Say first , for heav’n bides nothing from thy view, Nor the deep tract Of hell; say first what cause Mov’d our grand parents, in that happy state, Favour’d ofheav’n so highly , to fall Off From their creator, and transgress his Will , For one restraint, lords of the world besicles? Who first seduc’d them to that foul revoit? Th’ infernal serpent. Parad. lest, boa: 1.

Dis-moi d’abord, puisque la hauteur du ciel ni la profondeur de l’enfer ne cachent rien à tes regards, dis-moi quelle fut la cause de la chûte, de la désobéis-

c H A N T Il. 389 sance, de nos premiers peres, maîtres du monde, hors un seul objet qui leur étoit interdit? quel séducteur les entraîna dans cette révolte impie? le serpent infernal. (Page 5. Dieu de Smintho... si jamais je sus- pendis de superbes voiles aux voûtes de ton tem- ple , etc.) Tu , celeste guerrier, che la donzella Togliesti del serpente empj morsi; S’ accesi ne’ tuo’ altari umil facella, 8’ auro o incenso odorato unqua ti porsi; Tu pet lei prega. Ger. lib. c. in, st. 28. Céleste guerrier, qui préservas cette-vierge de la morsure impie du serpent, si j’allumai sur ton autel un modeste flambeau , si je t’oEris de l’or ou des par- fums , prie pour ma fille.

(Page 6. Calchas, le plus habile des devins, etc.) Novit narnque omnia vates Quæ sint , quæ fuerint, qua: Inox ventura trahantur. Georg. lib. 4, v. 392. Instruit par la divinité, le devin sait tout ce qui est, tout ce qui fut, tout ce qui sera...... Çalchas est ici, Calchas si renommé, Qui des secrets des dieux fut toujours informé; Le ciel souvent lui arle : instruit ar un tel maître Il sait tout ce qui fut et tout ce qui doit être. Iphigénie, acte 2, scene 1; (Page 10. Ingrat....P est-ce Pdonc pour 7 vuider ma querelle , etc.) Et que m’a fait à moi cette Troie où je cours? Aux pieds de ses remparts quel intérêt m’appelle? Pour qui , sourd à la voix d’une mere immortelle ,

390 IMITATIONS. Et d’un pere éperdu négligeant les avis , Vais-je y chercher la mort, tant prédite à leur fils? Jamais vaisseaux partis des rives du Scamandre Aux champs thessaliens oserent-ils descendre? Et jamais dans Larisse un lâche ravisseur Me vint-il enlever ou ma femme ou ma sœur? Qu’ai-je à me plaindre? où sont les pertes que j’ai faites? Je n’y vais que pour vous, barbare que vous êtes; Pour vous , à qui des Grecs moi seul je ne dois rien; Vous , que j’ai fait nommer et leur chef et le mien; Vous , que mon bras vengeoit dans Lesbos enflammée, Avant que vous eussiez assemblé votre armée. Iphigénie, acte 4, scene 6. (Page 1 1. Tu m’oses menacer de me priver de la récompense que j’ai acquise par mes travaux,etc.) Mais à qui prétend-on que je le sacrifie? La Grece a-t-elle encor quelque droit sur sa vie? Et, seul de tous les Grecs, ne m’est-il pas permis D’ordonner d’un captif que le sort m’a soumis? Andromaque , acte r , scene 2. (Ibid. Mon. départ, imprimant la honte sur ton front, etc.) Ben tosto fia (se pur qui contra avremo L’ arme d’ Egitto o d’ altro stuol pagano) C h’ assai più chiaro il tuo valor estremo N’ apparirà, mentre starai lontano: E senza te parranne il campo scemo , Quasi çorpo cui tronco è braccio o mano. Ger. lib. c. 5, st. 50. Que l’Égyptien , ou quelque autre des infideles , se joigne à Saladin pour nous combattre (ô Renaud), ton absence rappellera le souvenir de ton indomtable valeur; privé de toi, notre camp paroitra un corps sans bras et sans mains.

CHANT r. . 39.1 (Page 1 1. F uis , répond Agamemnon , etc.) Fuyez donc : retournez dans votre Thessalie. Moi-même je vous rends le serment’qui vous lie. Assez d’autres viendront, à mes ordres soumis, Se couvrir des lauriers qui vous furent promis ; Et par d’heureux exploits, forçant la destinée ., Trouveront d’llion la fatale journée. J ’entrevois vos mépris , et juge à vos discours Combien j’acheterois vos superbes secours. De la Grece déja vous vous rendez l’arbitre ; Ses rois , à vous cuir, m’ont paré d’un vain titre. Fier de votre valeur, tout, si je vous en crois , Doit marcher, doit fléchir, doit trembler sous vos loix.

Fuyez. Je ne crains point votre impuissant courroux; Et je romps tous les nœuds qui m’attachent à vous. Iphigénie , acte 4 , scene 6. (Page 1 3. Invisible à tout autre qu’au fils de Pelée, etc.) Talia jactabam , et furiatâ mente ferebar , Cùm mihi se , non ante oculis tam Clara, videndam Obtulit, et purâ per noctem in luce refulsit Alma parens, confessa deam , qualisque videri Cœlicolis et quanta solet; dextrâque prehensum Continuit, roseoque hæc insuper addidit 0re. AEn. lib. 2, v. 588. Je me livrois à la fureur qui m’agitoit, quand ma tendre mere (jamais elle ne s’offrit si clairement à ma vue z elle brilloit de tout l’éclat de sa divinité; la majesté de son port, ses charmes immortels étoient tels qu’ils paroissent aux yeux des habitants de la voûte éthérée) me prenant par la main, elle m’arrête ; sa bouche de roses m’adresse ces tendres paroles.

392 IMITATIONS.’ (Page 14. Fils d’Atrée, cette injure seroit la derniere que je recevrois de toi.) Rendez grace au seul nœud qui retient ma colere , D’Iphigénie encor e respecte le pere. Peut-être sans ce nom , le chef de tant de rois M’auroit osé braver pour la derniere fois. Iphigénie, acte 4’, scene 6.

(Page 15. Je jure par ce sceptre, etc.) N ulla die-s pacem banc Italis nec fœdera’ rumpet.

Ut sceptrum hoc (dextrâ sceptrum nam fortè gerebat) Nunquam fronde levi fundet virgulta nec umbras , Cùm semel in sylvis imo de stirpe recisum ’ Matre caret, posuitque comas et brachia ferro; Olim arbos, nunc artificis manus ære decoro Inclusit, patribusque dedit gestare Latinis.

Aucun temps. AEn. ne troublera lib. cette paix, 12, aucun v. temps 206.. ne rompra les saints nœuds de l’alliance que nous contractons ; comme ce sceptre (car il tenoit son sceptre à la main) ne se couvrira plus de feuilles légeres , n’étendra plus l’ombre de ses branches , depuis que la cognée l’a séparé, dans la forêt, du tronc dont il tiroit sa nourriture, que le fer l’a dépouillé de ses bras et de sa verte cheve- lure; arbre autrefois, maintenant enfermé dans l’airain brillant par la main de l’artiste , il est le symbole de l’autorité confiée aux chefs de la nation des Latins;

(Ibid. Nestor, le puissant orateur des Pyliens.) Di sua bocca uscieno, Più che mél dolci, d’ eloquenzai finmi. Ger. lib. c. 2, st. 61; ’ Semblable à un fleuve bienfaisant, une éloquence plus douce que le miel découloit de sa bouche.

en A N T r. 393 (Page 15. Il a vu deux générations s’élever et disparoître, etc.) Ce vieillard dans le chœur a déja vu quatre âges; Il sait de tous les temps les différents usages. Lutr. ch. r. (Page 16. Quelle joie pour Priam, pour les fils de ce roi, etc.) quue àudire sat est; jamdudum sumite pœnas: Hoc Ithacus velit , et magno mercentur Atridæ. AEn. lib. 2, v. 103. Mais c’est assez m’avoir entendu ; vengez-vous , punissez-moi : ainsi seront exaucés les vœux du roi d’Ithaque ; les Atrides obtiendront par mon trépas ce qu’ils acheteroient d’un grand prix.

(Page 27. Quand le desir du boire et du manger est satisfait.) Postquam prima quies epulis, mensæque remotæ, Crateras magnos statuunt , et vina coronant. AEn. lib. 1, v. 727. Quand leur faim est appaisée , que les tables ont été enlevées, des esclaves apportent de grands crateres , et couronnent les coupes par le vindont ils les em- plissent. Poiche de’ cibi il natural amore Fù in lor ripresso , e l’ importuna sete. Ger. lib. c. 11, st. r7. Quand l’amour naturel des aliments et l’importune soif furent réprimés.

(Page 28. A peine la fille de l’Air, l’Aurore aux doigts de rose, etc.) Postera Phœbeâ lustrabat lampade terras , Humentemque Aurora polo dimoverat umbram: 1 . 5 En.o lib. 4, v. 6.

394 IMITATIONS. A peine le dieu du jour avoit-il lancé sur la terre ses faisceaux de lumiere; à peine l’Aurore avoit-elle dissipé l’ombre humide qui voiloit la voûte éthérée, etc.

Già 1’ Aura messaggiera erasi desta A nunziar che se ne vien 1’ Aurora: Ella intanto s’ adorna, e l’ aurea testa Di rose , colte in paradiso , infiora. Ger. lib. c. 3, st. r. Déja le doux Zéphyr, messager de la Lumiere , annonçoit le retour de l’Au- rore , pendant que la déesse pare sa tête dorée de fleurs cueillies dans le paradis. L’ Aurora intanto in bel purpureo volto Già dimostrava dal sovran balcone. Ger. lib. c. 9, st. 74. Déja l’Aurore étaloit son voile de pourpre sur le céleste balcon. Era ne 1’ ora, che traea i cavalli F ebo del mar con rugiadoso pelo; E 1’ Aurora di fior vermigli e gialli Veniaspargendo d’ ogn’ intorno il cielo; E lasciato le Stelle aveano i balli, E per partirsi postosi già il velo , etc. Or]. fur. c. 12, st. 68. Il étoit l’heure à laquelle le dieu du jour attele ses coursiers au poil rouge; I’Aurore parsemoit la voûte céleste de fleurs vermeilles et jaunes; les Étoiles, quittant le bal , avoient repris le voile qui les dérobe à la vue des mortels, etc.

E quindi, poi ch’ usci con la ghirlanda Di rose adorna e di purpurea stola La bianca AurOra al solito cammino , Parti con Isabella il Paladino. Orl. fur. c. 13, st. 43. A l’heure à laquelle la blonde Aurore , avec sa guirlande de roses et sa robe de pourpre , s’éleve sur l’horizon pour commencer sa route accoutumée , le Pa- ladin part avec Isabelle.

L’Aurore cependant, au visage vermeil, Ouvroit dans l’orient les portes du Soleil :

a.

La Nuit en d’autresCHANT lieux portoit ses voiles sombres I. , 395. Les Songes voltigeants fuyoient avec les ombres. - Hem. ch. 7. The dreadless Ange] ...... tillmorn, Wax’d by the circling hours, with rosy hand Unbarr’d the gates of light. Parad. lost, boox 6. L’Ange courageux découvroit enfin l’Aurore, qui, réveillée par les Heures qui marchent sans cesse , ouvroit avec ses doigts de rose les portes de la lumiere.

(Page 28. Apollon leur envoie un vent favo- rable , etc.) Prosequitur surgens a puppi ventus euntes. AEn. lib. 3, v. 130. Un vent frais qui s’éleve de la poupe chasse nos vaisseaux. Vela damus’, vastumque cavâ trabe currimus æquor. AEn. lib. 3, v. 191. Nous déployons les voiles, la carene fend avec rapidité la vaste mer. Vela vacant , tumidoque inflatur carbasus austro. AEn. lib. 3, v. 357. Les voiles appellent les vents; elles sont enflées par le souille impétueux du vent du midi. l (Page 3o. Il dit, éleve et baisse ses noirs sour- cils, etc.) Annuit, et totum nutu tremefecit Olympum. AEn. lib. 1°, v. 115. Il fait un signe de tête et ébranle tout l’Olympe. Terrificam capitis concussit terque quaterque Cæsariem, cum qua terram, mare, sidera movit. 0v. Met. lib. 1, v. 179. Trois et quatre fois il agite cette vaste chevelure , l’ornement de sa tête di- vine , et ébranle la terre , la mer, les étoiles attachées à la voûte azurée.

.396 IMITATIONS. Cosl dicendo il capo mosse : e gli ampi Cieli tremaro, e ilumi erranti e i fissi; E tremô l’ aria reverente , e i campi Dell’ oceano , e i monti, e i ciechi abissi. Ger. lib. c. 13, st. 74. Ainsi parle l’Etemel, et il agite sa tète auguste : les cieux tremblent; ces spheres errantes qui roulent sur nos têtes, et celles qui, immobiles , sont atta- chées à la voûte azurée , se troublent; les puissances de l’air, effrayées, se pro- stement ; les champs stériles de l’océan, les ments sourcilleux , les noirs abîmes sont émus.

L’Éternel à ses vœux se laissa pénétrer: Par un mot de sa bouche il daigna l’assurer. A sa divine voix, les astres s’ébranlerent, La terre tressaillit, les ligueurs en tremblerent. Henr. ch. ro. ’ So was his Will ’ Pronounc’d among the gods, and by an oath, That shoox heav’n’s whole circumference, confirm’d. Parad. lost , boox 2. Ce fut lui-même qui, déclarant sa volonté dans l’assemblée des immortels, la confirma par un serment qui fit trembler la vaste circonférence des cieux.

(Page 3o. A l’approche de leur pere, tous les dieux, etc.) Divûm pater arque hominum rex. AEn. lib. r, v. 69-. Le pere des dieux , le roi des hommes.

Hominum sator atque deorum. AEn. lib. 1, v. 25s. Le créateur des dieux et des hommes.

(Page 3 1. Junon ne tarde pas à découvrir le con- seil secret qu’il a tenu, etc.)

CHANT I. I 397 Nec latuere doli fratrem Junonis et iræ. AEn. lib. 1, v. 134. La haine de Junon ne fut pas ignorée de son frere (Neptune); ses ruses lui sont connues. (Page 31. Ô Junon...... quoique ma compa- gne , etc.) Ma femme, lui dit-il d’une voix douce et flore, Je neveux point nier les solides bienfaits Dont ton amour prodigue a comblé mes souhaits; Et le Rhin de ses flots ira grossir la Loire , Avant que tes faveurs sortent de ma mémoire : Mais ne présume pas qu’en te donnant ma foi L’hymen m’ait pour jamais asservi sous ta loi. Lutr. ch. 2. (Page 33. Voulant venir à ton aide, Jupiter me i précipita, etc.) Thrown by angry Jove Sheer o’er’the crystal battlements ; from morn To noon he fell, from noon to dewy eve , A summer’s day; and with the setting sun Dropt from the zenith lixe a. falling star, On Lemnos th’ AEgean isle ......

...... Nor ought avail’d him now T’ have built in heav’n high tow’rs; nor did he ’scape By all his engines : but was headlong sent VVith his industrious crew to build in hell. Parad. lost, boox 1. Ils disent que Jupiter en courroux le fit voler par-dessus les créneaux de cryo- tal. Ce fut pendant un jour d’été, depuis le matin jusqu’au milieu du jour, et depuis le milieu de ce jour jusqu’à l’heure du soir, que, sa chûte continuant

398 IMITATIONS.’ toujours , enfin au coucher du soleil, pareil à une étoile qui se détache du fir- mament , il tomba dans Lemnos , isle de la mer Égée.... Les hautes tours bâties par lui dans les cieux ne purent le sauver : précipité du ciel avec ses industrieux ouvriers, il alla bâtir dans les enfers.

(Page 34. Vulcain puise le doux nectar dans les urnes qui le contiennent.) Tables are set, and on a sudden pil’d With angels food, and rubied nectar flows , In pearl, in diamond , and massy gold; Fruit of delicious vines, the growth ofheav’n. Parad. lost , boox 5. Soudain les tables sont chargées de mets propres à des anges ; le nectar, cou- leur de rubis , fruit des vignes délicieuses du ciel, coule en des coupes de perles, de diamant et d’or.

CHANT II.

(PAGE 37. Les dieux et les hommes sont plongés dans le sommeil; mais Jupiter n’en goûte pas les douceurs.) Sonno , che de’ miseri mortali È col suo dolce obblio posa e quiete , Sopi co’ sensii suoi dolori, e 1’ ali ’ Dispiegè sovra lei placide e chete : Nè perô cessa amor, con varie forme , La sua pace turbar mentre ella dorme.

Le sommeil,’ qui Ger. fait oublier lib. leurs c. maux 7, aux st. autres 4. mortels, assoupit ses sens, et paroissant calmer ses douleurs (d’Herminie) il les nourrit: en vain il étend sur ses paupieres ses ailes tranquilles ; l’amour, qui vit au fond de son cœur, trouble son repos par mille fantômes étranges.

Sorge intanto la notte, e su la faccia Della terra distende il velo nero. Vansene gli altri, e dan le membra al sonne; Ma i suoi pensieri in lui dormir non ponno.

Cependant la .nuit Ger. monte sur sonlib. char, et c.étend 1o,son voile noirst. sur 78.la terre; tous se retirent dans leurs tentes; le sommeil délasse leurs membres fatigués 9 mais les pensées qui agitent ( Godefroi) ne lui permettent pas d’en goûter les douceurs.

(Page 3R. Tu dors, fils du sage Atrée, etc.) Soliman , Solimano , i tuoi si lenti Riposi a miglior tempoomai riserva ; Chè sotto il giogo di straniere genti La patria, ove regnasti, ancor è serva. In questa terra dormi, e non rammenti

400 IMITATIONS.’. Ch’ insepolte de’ tuoi 1’ ossa conserva! Ove si grau vestigio è del tuo scorno , Tu, neghittoso , aspetti il nuovo giorno! Ger. lib. c. 10, st. 8. Soliman, Soliman, réserve à un autre temps ce repos que tu goûtes : ta paJ trie est captive ; les peuples sur lesquels tu régnas gémissent sous un joug étran- ger; la terre sur laquelle tu dors , attendant que l’Aurore ramene une nouvelle journée , est jonchée des corps sanglants des tiens privés de sépulture ; ces lieux l’offreur de toutes parts des signes évidents de ta défaite et de ta honte.

(Page 39. Se croyant éclairé d’une lumiere di- vine , etc.) Elle dit, et du vent de sa bouche profane Lui souffle avec ces mots l’ardeur de la chicane.

Thé angel ended , and in Adam’s. earLutr. ch. r; So charming left his voice , that he a while . Thought him still speaxing, still stood fix’d to hear. Parad. lost , boox 8.. L’ange cesse de parler, et laisse dans les oreilles d’Adam le son d’une voix si douce, que, s’imaginant qu’il parle encore, les yeux attachés sur lui, il reste attentif.

(Ibid. Les chefs de l’armée se réunissent, etc.) Ergo concilium magnum , primosque suorum Imperio accitos , alta intra limina cogit. 011i convenere, fluuntque ad regia plenis Tecta vils. Sedet in mediis , et maximus ævo, Et primus sceptris , haud lætâ fronte , Latinus. AEn. lib. 11, v. 234." Le mi des Latins convoque un conseil secret dans son palais. Les chefs de la nation affluent de tous côtés dans l’auguste demeure des rois. Le plus vieux, dont la longue expérienceet l’autorité l’emportent sur tous les autres, Latinus est assis au milieu d’eux; la tristesse qui l’accable est peinte sur son front.

CHANT 11: 401 Sentendo il re Agraman te a che periglio, Per guadagnare il regno di Pipino, Lasciava il suo , chiamar fece a consiglio Principi e re del popol Saracino; E poi ch’ tma o due volte girô il ciglio Quinci a Marsilio , e quindi al re Sobrino , I quai d’ ogni altro fur che vi venisse I duo più antichi e saggi, cosi disse : Quantunque i0 sappia, corne mal convegna A un capitano dir, Non mel pensai; Pur 10 dire, etc. Orl. fur. c. 38, st. 37. Le roi Agramant, sentant à quel danger il expose ses états pour conquérir ceux (du fils) de Pepin , assemble le conseil, y invite les princes et les rois du peuple sarasin. Portant par deux fois ses regards inquiets sur Marsile .et sur le roi So- brin , les plus anciens , les plus sages de tous ceux qu’il voit dans l’assemblée , il parle ainsi : Quoiqu’il soit peu convenable à un capitaine de dire, Je ne le pen- sois pas; je l’avouerai toutefois , etc. (Page 41. Les peuples accourent en foule. Tels, dans le printemps , des essaims d’abeilles, etc.) Hunc circum innumeræ gentes populique volabant. AC veluti in pratis, ubi apes æstate serenâ F loribus insidunt variis , et candida circum Lilia funduntur; strepît omnis murmure campus. . AEn. lib. 6, v. 706. Des peuples innombrables couvrent la rive (du fleuve Léthé). Telles l’on voit, dans un beau jour d’été, les abeilles se répandre dans les prairies , y cueillir les parfums que l’Aurore a versés sur des lis d’une éclatante blancheur, sur des fleurs odorantes; leurs bourdonnements retentissent dans la plaine. (Ibid. Semblables à une grappe de raisin.) Hic vero subitunr , ac dictu mirabile, monstrum Aspiciunt : liquefacta boum per viscera toto 1Stridere apes utero,. et ruptis5 etfervere costis1 ,

402 IMITATIONS. Immensasque trahi nubes; jamque arbore summâ Confluere, et lentis uvam demittere ramis. Georg. lib. 4, v. 554. Soudain un étonnant prodige s’offre à leurs yeux : un essaim nombreux de laborieuses abeilles, semblable à une nue épaisse, s’éleve des entrailles des bœufs immolés; déja elles atteignent la cime d’un arbre; suspendues à ses rameaux, , elles paroissent former une grappe de raisin.

Thicx swarm’d , both on the ground and in the air Brush’d with the hiss of rusling wings : as bees In spring-time , when the sun with taurus rides , Pour forth their populous youth about the hive ln clusters; they arnong fresh dews and flowers Fly to and fro , or on the smoothed planx, The suburb of their straw-built citadel , New rubb’d with balm, expatiate, and confer Their state-atfairs. Parad. lost, boox 1. Les démons se serrent les uns contre les autres sur la terre et dans l’air, se heurtent, et par le battement de leurs ailes, font un sifflement pareil à celui des abeilles, lorsque , dans la saison du printemps , quand le soleil marche vers le taureau, elles font sortir par pelotons, de la ruche, leur nombreuse jeunesse. Elles voltigent cà et là parmi les fleurs , sur la rosée , ou se promenent en délibé- rant des affaires d’état sur une planche unie , fraîchement enduite de baume , esplanade de leur citadelle empaillée: ainsi fourmillent, serrées l’une contre l’au- tre , les troupes aériennes. (Page 44. Il dit..... un murmure confus s’éleve dans l’assemblée, semblable au fracas des flots de la mer icarienne, etc.) Vix ca legati; variusque per ora cucurrit Ausonidum turbata fremor : ceu saxa morantur Cùm rapidos amnes , fit clauso gurgite murmur, Vicinæque fremunt ripæ crepitantibus undis. AEn. lib. 11, v. 296.

CHANT 11. 403 A peine les députés ont-ils achevé , qu’un murmure confus se fait entendre dans l’assemblée des peuples de l’Ausonie, semblable au fracas des fleuves qui se brisent contre les rochers, lorsqu’ils s’opposent à leur cours rapide; leurs ondes amoncelées s’irritent de l’obstacle qu’elles rencontrent; les rives voisines en frémissent. ’ He scarce had finisli’d , when such murmur fill’d Th’ assembly, as when hollow rocxs retain i The sound of blust’ring winds , which all night long Had rous’d the sea. Parad. lost, boox 2. A peine (Mammone) a-t-il achevé, qu’il s’éleve dans toute l’assemblée un bruit sourd , semblable à celui qui dure encore dans le creux des rochers après le fier sifilement des vents dont les souffles impétueux ont bouleversé la mer pendant une nuit entiere. (Page 44. Uné’épaisse poussiere, semblable à une masse solide, s’éleve de dessous leurs pas.) Jam pulvere cœlum Stare vident : subeunt equites. AEn. lib. 12, v. 407. l La poussiere consolide le vague de l’air; les cavaliers arrivent, etc. (Page 48. Tyran injuste et cruel! les maux dont tu accables les enfants de la Grece ne sont plus to- lérables.) Ciô che sofferto abbiam d’ aspro e d’ indegno Sette anni ornai sotto si iniqua soma , È tal, ch’ arder di scorno, arder di sdegno Potrà da qui a mill’ anni Italia e Roma. Taccio, che fil dall’ arme e dall’ ingegno Del buon Tancredi la Cilicia doma , E ch’ ora il Franco a tradigion la gode; E i premj usurpa del valor la frode. Ger. lib. c. 8, st. 64.

404 IMITATIONS. Les indignes et cruels traitements que nous avons éprouvés sous ce joug in- juste et pesant sont tels, qu’ils suffiroient pour enflammer la haine et solliciter la vengeance de Rome et de l’Italie pendant mille ans. J’oublie la Cilicie due aux armes, due à la sage conduite de Tancrede , devenue , par une trahison , la proie des François ; le prix de la valeur devenu la récompense de la perfidie, etc. (Page 48. Grecs plus timides que des femmes.) O verè Phrygiæ, neque enim Phryges! Phrygiennes- AEn. , non lib. Phrygiens. 9, v. 617. V O Franchi no, ma Franche. Ger. lib. c. 11, st. 61. Dirai-je François? non , mais F rançoises.

(Page 52. Prenez courage, ô.mes amis, etc.) F erte , vin’ , et dures animo tolerate labores , Auguris ut nostri Calchantis fata queamus Scire , ratos-ne habeant an vanos pectoris orsus? Namque omnes rnemori portentum mente retentant Qui non funestis liquerunt lumina fatis. Argolicis primùm ut vestita est classibus Aulis , Quæ Priamo cladem et Trojæ pestemque ferebant; Nos circum latices gelidos fumantibus aris Aurigeris divûm placantes numina tauris, Sub platano umbrifera fous unde emanat aquaï, Vidimus immani specie tortuque draconem Terribilem , Jovis ut pulsu penetrabat ab ara, Qui platani in ramo folionim tegmine septos Corripuit pullos; quos Cùm consumeret octo , Noria super tremulo genitrix clangore volabat, Cui férus. immani laniavit viscera morsu. Hunc, ubi jam teneros volucres matremque peremit, Qui luci ediderat genitor Saturnius idem Abdidit, et duro formavit tegmina saxo.

CHANT 11. 405 Nos autem timidi stantes mirabile monstrum Vidimus in mediis divûm vorsarier aris. Tum Calchas hæc est f1denti voce locutus : Quidnam [arpentes subito obstupuistis , Achivi? Nobis hæc portenta deum dédit ipse creator, Tarda et sera muni, sed famâ et laude perenni. Nam quot aves tetro mactatas denle videtis , Tot nos ad Trojam belli exantlabimus annos , Quæ decimo cadet et pœnâ satiabit Achivos. Edidit hæc Calchas quæ jam matura videtis. Cic. de Divinatione , lib. 2. NB. Ces vers sont la traduction littérale de ceux d’Homere. (Page 55. S’il étoit dans l’armée dix hommes d’une telle expérience.) Né già’ si tosto caderà, se tali Animi forti in sua difesa or sono. Ger. lib. c. 12, st. 11. Non, il ne tombera de long-temps (ton empire), puisqu’il lui reste de si braves guerriers pour le défendre.

(Page 56. Mesurons nos forces contre l’ennemi dans un combat qui dure tout le jour.) Continuô pugnas ineant, et prælia tentent, Ni roseus fessos gurgite Phœbus Ibero Tingat equos, noctelnque, die labente, reducat. . AEn. lib. 1 1, v. 912: Qu’ils ne cessent de combattre , que le dieu qu’une brillante rosée environne, Phœbus , ne plonge ses coursiers fatigués dans l’océan lbérien , que le jour tom- bant ne fasse place à la nuit. . (Page 59. Secouant son égide...... Minerve les accompagne.)

406 IMITATIONS. Hic Mars armipotens anirnum viresque Latinis Addidit, et stimulos acres Sub pectore vertit. AEn. lib. 9, v. 717. Le dieu de la guerre souffle l’intrépide courage dans l’ame des Latins , accroît leurs forces , les anime par le puissant aiguillon de l’honneur.

(Page 59. Comme la splemieur du feu s’étend dans une forêt embrasée, etc.) In segetem veluti cùm flamma furentibus austris Incidit. AEn. lib. 2 , v. 304. Telle, poussée par le souffle impétueux des vents, la flamme dévaste une riche moisson. At last Far in th’ horizon to the north appear’d From sxirt to sxirt a fiery region, stretch’d In battailous aspect, and nearer view Bristled with upright beams innumerable Of rigid spears , and helmets throng’d , and shields Various. Parad. lost, boox 6. Enfin, vers l’horizon du nord , nous crûmes voir de loin, d’une extrémité à l’autre, une région de feu qui s’étendoit et formoit l’image d’une armée; des lances sans nombre remplissoient l’air d’un éclat menaçant, d’insolents emblé- mes étoient peints sur une infinité de casques et de boucliers de différentes formes. (Ibid. Semblables à des bandes nombreuses de canards, de grues, ou de cygnes au long cou, etc.) Ibant æquati numero, regemque canebant: Ceu quondam nivei liquida inter nubila cycni Cùm sese e pastu referunt, et longa canoros Dant per modos; sonat amnis et longé Pulsa palus. AEn. lib. 7, v. 698.

C Ils marchent en ordre de bataille,CHANT célébrant la gloire de leur Il. roi, semblables 407 à une troupe de cygnes au long cou qui forment en l’air une nue blanche ; une voix sonore s’exhale de leurs flexibles gosiers; le fleuve, les marais de l’Asie retentissent de leurs chants harmonieux.

Alzano aller dall’ alta cima i gridi lnsino al ciel le assediate genti: Con quel romor, con che dai Tracj nidi, Vanno a stormi le grù ne’ giorni algenti; E tra le nubi a’ più tepidi lidi F uggon stridendo innanzi ai freddi venti. Ger. lib. c. 2o, st. 2. Du haut de leurs murs les cris de joie des assiégés percent la voûte éthérée : telles les bandes des grues , resserrées dans les montagnes de Thrace , font éclater leur alégresse à l’approche des jours d’été ; fuyant les vents froids, elles fendent la nue , impatientes de s’abattre sur des rives plus chaudes.

(Page 60. Aussi nombreux que les feuilles et les fleurs que l’aurore voit éclore dans le prin- temps.) Quàm multa in sylvis autumni frigore primo Lapsa cadunt folia. AEn. lib. 6, v. 3°,.

En aussi grand nombre que , dans une vaste forêt, les feuilles sont précipitées vers la terre par les premiers froids de l’automne.

He stood, and call’d His légions, angel-forms, who lay intranc’d Thicx as autumnal leaves that strow the brooxs In Vallombrosa. Parad. lost, boox 1. Là il s’arrête, appelle ses légions , substances angéliques, qui, encore dans le premier étonnement de leur chiite , sont renversées comme les pâles feuilles ’ qui tombent en automne sur les ruisseaux de Vallombreuse.

408 IMITATIONS.a (Page 60. Aussi nombreux que les essaims de mouches qui se répandent sous l’humble toit du pasteur.) Come assalire, o vasi pastorali , O le dolci reliquie de’ convivi, Soglion con rauco suon di stridule ali Le impronte mosche a’ caldi giorni estivi; Come gli stormi a’ rosseggianti pali Vanno di mature uve : cosi quivi, Empiendo il ciel di grida e (li romori, Veniano a dare il fiero assalto i Mori. Or]. fur. c. 14, st. 1O9.’ Semblables à des essaims de mouches importunes qui bourdonnent agitant leurs ailes, pendant les chaleurs de l’été, autour des vases de lait enfermés dans la cabane du pasteur, ou autour des restes sacrés d’un festin; avec la même ra- pidité que des bandes d’étoumeaux assiegent les palis d’une vigne, rougis par les grappes mûres qu’ils soutiennent : telles les bandes des Maures marchent à grands pas avec un bruit horrible et des cris affreux, pour donner l’assaut à la ville. (Page 61. Muses, qui habitez le palais de l’O- lympe...... Quand j’aurois dix langues, dix bouv ches , etc.) Non ego cuncta meis amplecti versibus opto: Non, mihi si linguæ centum sint, oraque centum, Ferrea vox. Georg. lib. 2, v. 42. Je n’entreprendrai pas de nommer toutes les especes; je ne le pourrois, quand j’aurois cent bouches , cent langues , une voix de fer. Non, mihi si linguæ centum sint, oraque centum, F errea vox, omnes scelerum comprendcrc formas, Omnia pœnarum percurrere nomina possim. Afin. lib. 6, v. 625.

Quand j’aurois cent langues,CHANT cent bouches , une voix de11. fer, je ne pourrois409 tracer qu’une foible esquisse de tous les crimes des mortels , et nommer les sup- plices divers infligés aux coupables dans ce séjour affreux.

Pandite nunc Helicona, deæ, cantusque movete: . Qui bello exciti reges; qua: quemque secutæ Complerint campos acies; quibus itala jam tum Floruerit terra alma viris , quibus arserit armis. Et meministis enim , divæ , et memorare potestis: Ad nos Vix tenuis famæ perlabitur aura. AEn. lib. 7. v, 641. Muses, qui habitez les bords de l’Hélicon , inspirez mes doctes chants : ap- prenez-moi quels rois furent engagés dans cette guerre, quelles armées ils com- mandoient , quels héros l’Italie avoit produits dès lors , de quels feux elle fut em- brasée. Déesses , vous vous souvenez de ces faits; vous seules pouvez les raconter: la renommée ne nous en a transmis que des bruits incertains.

Meute , degli anni e dell’ obblio nemica, Delle cose custode e dispensiera, Vagliami tua ragion , sicch’ io ridica Di quel campo ogni duce ed ogni schiera: Suoni e risplenda la lor fama antica, Fatta dagli anni om’ai tacita e nera; - Tolto da’ tuoi tesori, mia lingua Ciè ch’ ascolti ogni età, nulla 1’ estingu’a.

Esprit divin,a quiGer. veilles à lalib. garde des c. célestes 1, archives, st. ennemi 36. des ans et de l’oubli, qui dévoiles les faits que la nuit du tombeau avoit couverts de son ombre noire , daigne m’inspirer; accorde-moi de faire revivre l’antique renom- mée des chefs (du camp des chrétiens), de tant de héros qui guidoient au com- bat leurs bandes nombreuses; donne à ma foible voix ce charme divin’que le temps ne peut détruire; qu’il propage mes chants dans tous les siecles.

Non io , se cento bocche e lingue cento 1.Avessi, e ferrea52 lena e ferrea voce,

410 IMITATIONS.Narrar potrei quel numero che spento, Ne’ primi assalti, ha quel drappel feroce. Ger. lib. c. 9, st. 92. Quand j’aurais cent voix, cent bouches, une langue de fer, une voix de fer, je ne ponçois détailler la foule immense des guerriers abattus dans ce premier assaut par ce redoutable drapeau.

Musa , quale stagione e qual là fosse Stato di cose , or tu mi reca a mente : Qual’ arme il grande imperator, quai passe, Qual serva avesse , e qual compagna gente , Quando del mezzogiorno in guerra mosse Le fane , e i régi, e l’ ultimo oriente. Tu sol le schiere e i duci, e sotto 1’ arme Mezzo il mondo raccolto , or puoi dettarme. Ger. lib. c. 17, st. 3. Muse, rappelle à mon esprit quel étoit alors l’état de l’orient, quelles étoient les forces de son empereur , quelles nations lui étoient assujetties , quelles alliées; apprends-moi l’étendue de la puissance du midi et de l’orient réunis : toi seule peux compter ces bandes nombreuses , nommer les chefs qui commandoient à la moitié de l’univers assemblé sous les armes.

Say, Muse , their names then xnown, who first , who last, Rous’d from the slumber, on that fiery couch , At their great emp’ror’s call, as next in worth Came singly where lie stood on the bare strand , While the promiscuous crowd stood yet aloof. Parad. lost, boox 1. Muse, en me rappellent ces noms, dis-moi quel fut le premier, quel fut le dernier, qui se leva de son lit enflammé, lorsqu’à la voix du grand général les chefs s’approcherent de lui sur la rive déserte, chacun suivant sa dignité, tandis que le reste des troupes étoit dans le désordre et dans l’éloignement. (Page 66. Où les Muses firent taire Thamyris.) Misenum AEoliden, quo non præstantior alter AEre ciere vires, Martemque accendere cantu.

CHANT Ir.’ 411 Hectoris hic magni fuerat cornes......

Sed tum fortè cavâ dum personat æquora conchâ, Demens , et cantu vocat in certamina divos ; AEmulus exceptum , si credere dignum est, Inter saxa virum shosâ immerserat undâ. AEn. lib. 6, v. 164.

Misénus , fils d’Éole, qu’aucun n’égala dans l’art d’appeller , à l’aide de sa trompe d’airain, les héros au combat, et d’enflammer leur courage. Il fut le com- pagnon du grand Hector.... Insensé! tandis qu’assis sur la rive, il fait retentir les flots des accents de sa conque sonore, et provoque les dieux à une lutte périlleuse , un Triton jaloux, si ce fait est croyable, le saisit entre les rochers, le précipite dans l’onde écumeuse.

(Page 69. Nirée...... le plus beau de tous les Grecs..... après l’incomparable fils de Pélée.) Filius huic juxtà Lausus, quo pulchrior alter Non fuit, excepte Laurentis corpore Tumi. AEn. lib. 7, v. 649. Son fils Lausus est près de lui (de Mézence); Lausus, le plus beau des La- tins , après le Laurentin Tumus.

(Page 75 . Cependant l’armée s’avance, etc.) Tosto sotto i suoi duci ogn’ uom s’ accoglie. E l’ ordinato esercito congiunto Tutte le sue bandiere al vento scioglie.

Intanto il sol, che de’ celesti campi Va più sempre avanzando e in alto ascende, L’ armi percote, e ne trac flamme e lampi Tremuli e chiari, onde le viste offende. L’ aria par di faville intorno avvampi , E quasi d’ alto incendio in forma splende ;

412 IMITATIONS. E co’ feri nitriti il suono accorda Del ferro scosso , e le campagne assorda. Ger. lib. c. 1, st. 72. L’armée, réunie sous ses chefs , sort en ordre de bataille ; les étendards déc ployés flottent au gré des vents.... Cependant le soleil, s’élevant au sommet de la voûte azurée , darde ses rayons sur les armuresqül’œil ne peut soutenir l’éclat de la vacillante lumiere qu’elles réfléchissent; l’air s’enflamme ; la plaine semble embrasée; les fiers hennissements des coursiers se joignent au choc de l’airain et du fer pour assourdir les campagnes. (Page 75. Semblable à la terre qui environne le mont Typhée, au pays des Ariméens.) Qualis in Euboïco Bajarum littore quondam Saxea pila cadit, magnis quam molibus antè Constructam jaciunt ponto : sic illa ruinam Prona trahit, penitusque vadis illisa recumbit; Miscent se maria, et nigræ attolluntur arenæ ; Tum sonitu Prochyta alta tremit, durumque cubile Inarime , Jovis imperiis imposta Typhoëo. AEn. lib. 9, v. 710. Ainsi l’on voit, sur la rive de Baies, près de l’Eubéenne Cumes , d’énormes piles de rocs entassés par d’immenses travaux être lancées à la mer : leur poids les précipite sans les briser; l’élément liquide se trouble; ses sables noircis s’éle- vent; le haut Prochyte tremble ; le Prochyte , ce roc immense imposé dans Arima sur le corps du géant Typhon.

(Ibid. Telle la glebe desséchée retentit sous les pas des guerriers.) 011i per dumos, qua proxima meta viarum, Armati tendunt : it clamor, et agmine facto, Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum. AEn. lib. 8, v. 594. Couverts de leurs armures , ils franchissent les halliers , s’ouvrent les chemins encombrés , se forment en bataille : l’air retentit de leurs cris ; la glebe desséchée résonne sous les pas cadencés des coursiers.

CHANT 11. ’413 (Page 79. Chromis et l’augure Ennomus...... l’intelligence de la langue des oiseaux ne le garan- tira point du trépas.) Rex idem , et regi Tumo gratissimus augur; Sed non augurio potuit depellere pestem. AEn. lib. 9, v. 327. (Rhamnès) est roi, et l’augure favori du roi Tumus ; mais l’intelligence de la langue des oiseaux ne le garantira point du trépas.

414 IMITATIONS.

O CHANT III.

(PAGE 83. Les deux armées réunies sous leurs chefs sont rangées en bataille.) All in a moment through the gloom were seen Ten thousand banners rise into lhe air With orient colours waving : with them rose A forest huge ofspears; and thronging helrns Appear’d , and serried shields in thicx array, Of depth immeasurable : anon they move In perfect phalanx, to the Dorian mood Of flu tes and soft recorders; such as rais’d To hight ofnoblest temper heroes old Arming to battle ...... t...... Thus they Breathing united force , with fixed thought Mov’d on in silence to soft pipes , that charm’d Their painful steps o’er the bumt soil. . . .

...... Never since created man, Met such imbodied force , as nam’d with these Could merit more than that small infantry Warr’d on by cranes. Parad. lost, boox 1. En un instant dix mille bannieres élevées , ondoyantes, malgré l’obscurité, étalent leurs riches couleurs : avec elles s’éleve une épaisse forêt de lances; les casques , les boucliers , serrés les uns contre les autres , présentent une épaisseur impénétrable : toute l’armée, formant une phalange, s’avance au son de flûtes

CHANT 111. 415 et. de hautbois qui suivent le mode dorien , concert pareil à celui qui inspiroit autrefois la plus étonnante valeur à ces héros antiques qui s’armoient pour le combat.... Ceux-ci , pleins d’un courage égal , fermes dans leurs pensées , serrés les uns contre les autres, s’arment en silence, marchant au doux son qui, sur la plaine brûlante , charmé leurs pénibles travaux.. .. Jamais, depuis la création, armée si formidable n’a été rassemblée, qui n’eût paru devant celle-ci la petite armée qui redoutoit les grues.

(Page 83. Semblable aux sifflements d’une troupe d’oiseaux: tels les cris des grues percent la nue.) Quàm multæ glomerantùr aves, ubi frigidus annus Trans pontum fugat, et terris immittit apricis. AEn. lib. 6. v. 311. En aussi grand nombre que les oiseaux de passage s’assemblent, quand la saison des frimas, les chassant au-delà des mers , les envoie en des contrées plus chaudes. Quales sub nubibus atris ’ Strymoniæ dant signa grues , atque æthera tranant Cum sonitu, fugiuntque notos clamore secundo. Afin. lib. ro, v. 264. Telles on voit , sur les rives du Strymon , les grues donner le signal du départ, s’élever dans les airs , et fuir avec fracas les vents orageux.

(Page 84. L’ami du dieu de la guerre, Ménélas, le voit.... tel.... un lion, pressé par la faim, etc.) Impastus stabula alta leo ceu sæpe peragrans (Suadet enim vesana famés), si fortè fugacem Conspexit capream aut surgentem in comua cervum, Gaudet hians immane, comasque arrexit, et hæret Visceribus super incumbens : lavit improba teter Ora curer. AEn. lib. 10, v. 723.

416 IMITATIONs. Tel un lion affamé, tournant autour des étables garanties par de hautes mu; railles , fait effort pour y pénétrer, car la faim l’y convie; appercevant une chevre sauvage ou le bois élevé et branchu d’un vieux cerf, il ouvre une gueule im- mense , hérisse sa criniere , s’élance , l’abat, déchire ses entrailles; un sang noir découle de son honible mâchoire.

(Page’84. Comme le voyageur recule à la vue d’un fier dragon, etc.) Improvisum aspris veluti qui sentibus anguem Pressit humi nitens , trepidusque repentè refugit Attollentem iras, et cœrula colla tumentem. AEn. lib. 2, v. 379. Ainsi, s’efforçant d’affermir ses pas à travers les broussailles , le voyageur ré. cule avec effroi à la vue d’un serpent caché sous l’herbe qu’il a comprimé par mégarde ; l’animal furieux se dresse , se gonfle , bleuit son cou , darde sa langue venimeuse. Come quello, Che ’l piede incauto d’ improvviso ha messe Sopra il serpente venenoso e fello , Dal pigro sonno in mezo l’ erbe oppresso; . Che spaventato e smorto si ritira F uggendo quel ch’ è pieu di tosco e d’ ira. Orl. fur. c. 39, st. 32. Semblable au.voyageur qui, ayant mis le pied par mégarde sur un serpent caché sous l’herbe, recule et fuit épouvanté, demi-mort, à la vue du monstre ac- cablé jusqu’alors d’un sommeil léthargique , qui s’éveille plein de colere et de poisons. (Page 86. Ni les sons harmonieux de ta cithare; ni les dons de Vénus, ni ta beauté, ni ta brillante chevelure, etc.) Nequicquam Venetis præsidio ferox Pectes cæsariem, grataque feminis

CHANT 111. 4’17 Imbelli citharâ carmina divides; Nequicquam thalamo graves Hastas et calami spicula cnossii Vitabis, strepitumque, et celerem sequi Ajacem : tamen, heu! serus, adulteros Crimes pulvere collines. Horat. 0d. lib. 1, 0d. 16. En vain , fier de la protection de Vénus , tu peigneras tes blonds cheveux, ou, pinçant l’harmonieuse cithare, tu partageras à tes femmes tes chansons volup- tueuses; en vain , renfermé dans ton palais , tu fuiras le tumulte des armes , et les pesants javelots et les flaches aiguës des Crétois; tu échapperas en vain à la vive poursuite d’Ajax : un jour viendra , hélas! trop tard, qu’une honteuse poussiere souillera ta chevelure adultere.

(Page 86. Tu m’imposes l’obligation de com- battre; ordonne aux Troyens et aux Grecs de sus- pendre le carnage, etc.) 0 mater, neque enim Tumo mora libéra mortis. Nuncius hæc, ldmon , Phrygio mea dicta tyranno Haud placitura refer : Cùm primùm crastina cœlo Puniceis invecta rotis Aurora rubebit, Non Teucros agat in Rutulos; Teucrûm arma quiescant Et Rutulûm; nostro dirimatur sanguine bellum : Illo quæratur conjux Lavinia campo. AEn. lib. 12, v. 74. Ô ma mare , Tumus n’a pas le choix entre la vie et la mort. ldmon , porte au tyran phrygien ces terribles paroles : Quand l’Aurore , montant sur son char de pourpre, étendra ses rayons dorés sur la terre, qu’il cesse d’animer les Troyens contre les Rutules, que les armes des Troyens et des Rutules reposent, que le trépas de l’un de nous mette fin à la guerre: cette sanglante arene décidera de l’hymen de Lavinie. 1.. 53

418 IMITATIONS. (Page 87. Enfants de la Grece... . suspendez vos coups , etc.) Parcite’ jam, Ruhili; et vos, tela inhibete, Latini: Quæcumque est fortuna, mea est. AEn. lib. 12, v. 693. Épargnez les Troyens, ô Rutules ; Latins, cessez de lancer vos traits meur- ’ triers : quel que soit l’événement de ce combat, c’est moi seul qu’il regarde. (Page 91. Approche, ma chere fille..... tu n’es pas la cause des maux qui nous accablent, mais les dieux, etc.) Non tibi Tyndaridis facies invisa Lacænæ , Culpatusve Paris; divûm inclementia divûm Has evertit opes, sternitque a culmine Trojam.’ AEn. lib. 2, v. 601. Ce n’est point la fille de Tyndare , l’objet de ta haine , ni Paris , à qui nos mal- , heurs furent tant de fois reprochés ; c’est l’inclémence des dieux , des dieux ir- rités, qui a renversé cette cité puissante , qui a dissipé nos trésors, et précipité Ilion du comble de gloire auquel elle étoit parvenue. (Ibid. Nomme-moi ce héros, etc.) Che guerriero infra gli scelti eletto. Onde dice a colei ch’ è seco assisa, E che già sente palpitarsi il petto: Ben conoscer dei tu pet si lungo uso Ogni cristian, benchè nell’ armi chiuso. Ger. lib. c. 3, st. 17. Quel est ce guerrier, dont la taille, dont la majesté l’emporte sur les héros les plus fiers (dit Aladin à celle qui est assise à ses côtés, qui déja sent palpiter son cœur)? tu dois connoitre, par un long usage, tous les chrétiens , bien que cachés sous leurs armures.

CHANT III. 419 (Page 92. Je parcourus autrefois la Phrygie, etc.) Memini Hesiones visentem régna sororis Laomedontiaden Priamum, Salamina petenlem.

Mirabarque duces Teucros , mirabar et ipsurn Laomedontiaden : sed cunctis altier ibat Anchises. AEn. lib. 8, v. 157. Je me souviens que le fils de Laomédon, Priam , visitant les états de sa sœur Hésione , arriva dans Salamine. J ’admirois les Troyens, j’admirois le fils de Lao- médon : mais Anchise surpassoit tous les autres par sa taille élevée, par la ma- jesté de son port. (Page 94. Ulysse se leve après lui; ses yeux baissés regardent la terre , etc.) F inierat Telamone natus , vulgique secutum Ultima murmur erat , donec Laertius heros Adstitit, atque oculos paulùm tellure moratos Sustulit ad proceres , exspectatoque resolvit Ora sono, neque abest facundis gratia dictis. Metam. lib. 13, v. 225. Le fils de Télamon avoit fini de parler; un murmure d’applaudissements s’é- leve dans l’assemblée; il ne cesse qu’au moment auquel le héros, fils de Laërte, quitte le trône sur lequel il est assis. Ses yeux , inclinés vers la terre , s’élevent len- tement; il regarde d’un œil modeste les chefs de l’armée ; un silence de quelques instants fait attendre les paroles éloquentes qui coulent avec grace de sa bouche.

(Ibid. Quand il tira les paroles de sa vaste poi-. trine, elles coulerent comme les neiges se fondent après les glaces de l’hiver.) Corne in torrenti dalle alpestri cime Soglion giù derivar le nevi sciolte:

420 IMITATIONS.’ Cosi correan volubili e veloci Dalla sua bocca le cancre voci. Ger. lib. c. 2o, st. 13. Comme les neiges fondues par les vents chauds se précipitent en torrents de la cime des Alpes ; aussi rapides , aussi sonores , coulent les paroles de la bouche éloquente (de Godefroi).

(Page 96. Saisissant un glaive pur, que le sang humain n’a point souillé, etc.) Quatuor hic primùm nigrantes terga uvencos Constituit, fiiontique invergit vina sacerdos; Et summas carpens media inter comua setas, Ignibus imponit saèris, libamina prima. AEn. lib. 6, v. 243. La prêtresse conduit elle-même à l’autel quatre jeunes taureaux au poil noir, verse du vin sur leurs fronts, jette dans le feu sacré, pour premieres libations, quelques poils qu’elle a arrachés entre leurs cornes.

Illi ad surgentem conversi lumina solem , Dant fruges manibus salsas, et tempora ferro Summa notant pecudum , paterisque altaria libant. Tum pius AEneas stricto sic ense precatur: Esto nunc, sol, testis, et hæc mihi, terra, precanti, Quam propter tantos potui perferre labores, Et pater omnipotens, et tu Saturnia Juno, etc. AEn. lib. 12, v. 172. ( Tumus et Énée), les yeux fixés vers le soleil levant, emplissent leurs mains des gâteaux sacrés , détachent des poils de la tête des victimes , versent sur l’autel les prémices des coupes. Le pieux Enée, tenant dans sa main un glaive nud, adresse cette priere aux immortels : Soleil, sois témoin demes serments, et toi, terre de l’Italie , que j’ai acquise par tant de travaux, Jupiter, dont la puissance est sans bornes , et ton auguste épouse Junon , la fille du vieux Saturne , etc.

P01 che dell’ arme la seconda eletta

Si diè al campionCHANT del popolo pagano, III. 421 Duo sacerdoti ., l’un de 1’ una setta, L’ altro dell’ altra, uscir co’ i libri in mano. In quel del nostro è la vita perfetta Scritta di Cristo, e 1’ altro è 1’ alcorano : - Con quel de l’ evangelio si fe innante L’ imperator, con 1’ altro il re Agramante. Orl. fur. c. 38, st. 81. Quand le champion de l’armée mahométane a fait choix de ses armes, deux prêtres de l’une et de l’autre secte sortent des deux camps , tenant des livres dans leurs mains : le nôtre, ce livre divin dans lequel est écrite la vie du Christ; le mufti, l’alcoran : l’empereur jure sur l’évangile , Agramant Sur l’alcoran , etc.

(Page 101 . Brisé en trois etquatre parts, le glaive échappe de ses mains.) Altè sublatum consurgit Tumus in ensem; Et ferit. Exclamant Troës, trepidique Latini, Arrectaeque amborum acies. At perfidus ensis Frangitur, in medioque ardentem deserit ictu, Ni fuga subsidio subeat; fugit ocior euro, Ut capulum ignotum dextramque aspexit inermem. Fama est præcipitem, Cùm prima in prælia junctos Conscendebat equos, patrio mucrone relicto , Dum trepidat, ferrum aurigæ rapuisse Metisci; quue diu , dum terga dabant palantia Teucri, Suffecit: postquam arma dei ad Vulcania ventum est, Mortalis mucro , glacies ceu futilis , ictu Dissiluit, fulvâ resplendent fi’agmina arenâ. AEn. lib. 12, v. 729. Tumus éleve son glaive, s’affermit pour porter un coup plus sûr, frappe. Les Troyens frémissent, jettent des cris perçants; les Latins tremblent: les deux hé- ros portent l’un sur l’autre des regards menaçants. Mais à peine le perfide acier a-t-il

422 IMITATIONS. atteint le casque d’Énée , qu’il se brise; les éclats sont poussés loin de la main- de Tumus , qui déja se croyoit assuré de la victoire : sa fuite le dérobe à la mort; se voyant désarmé, il fuit, plus léger que le vent d’est. On dit que , lorsqu’im- patient de monter sur son char pour affronter le hasard des combats , le roi Tur- nus s’armoit à la hâte, il laissa dans son palais le glaive de son pere, et ceignit l’épée de son écuyer Métiscus. Elle lui suffit long-temps , quand les Troyens fuyoient devant lui : mais , à l’approche des armes de trempe divine que Vulcain a forgées pour Énée , le glaive mortel, semblable à une glace légere , se disperse en éclats ; ses tronçons brillent sur la molle arene.

Frangesi il ferro allor (Chè non resiste Di fucina mortal tempra terrena Ad armi incorruttibili ed immiste D’ eterno fabbro) e cade in su 1’ arena. Ger. lib. c. 7, st. 93. Le glaive (du Circassien) se brise, tombe en éclats ; sa trempe mortelle ne peut soutenir le choc de l’armure incorruptible forgée par l’éternel artiste.

CHANT 1V.

(PAGE 109. Assis sur leurs trônes, sous les voûtes d’or du palais de Jupiter, ete.) Panditurinterea domus omnipotentis Olympi, Conciliumque vocat divûm pater arque hominum rex Sideream in sedem, terras unde arduus omnes Castraque Dardanidûm aspectat, populosque Latinos. Considunt tectis bipatentibus. AEn. lib. no,v. 1. Cependant les portes de la brillante demeure du dieu qui regne sur l’Olympe s’ouvrent; le tout-puissant, le pere des dieux et le roi des hommes, convoque l’assemblée des immortels dans ce vaste palais parsemé d’étoiles, d’où il porte ses regards sur toute la surface de la terre, sur le camp des Troyens, sur les na- tions diverses qui habitent le Latium. Les dieux prennent place sur leurs trônes. (Page 1 1o. Quelassez grand forfait ont commis Priam et ses enfants, etc.) Quid meus AEneas in te committere tantum , Quid Troës potuere? quibus tot funera passis Cunctus 0b Italiam tei’rarum clauditur orbis? AEn. lib. 1, v. 235. Quel assez grand forfait ont commis mon fils Énée et les Troyens, pour les bannir de l’univers, après tant de pertes qu’ils ont essuyées, à cause de l’empire de l’Italie que les destins leur ont promis? (Page 1 12. Pars.... vole aux Champs d’llion, in- spire aux Troyens de violer leur serment, etc.) Accelera, et fratrem, si quis modus, eripe morti; Aut tu bella Cie , conceptumque excute fœdus. AEn. lib. 12, v. r57.

424i IMITATIONS.’ Hâte- toi (ô Intume ), fais ciron pour préserver ton &ere du trépas , ou romps le traité convenu entre les deux nations, renouvelle les combats sanglants. (Page 1 12. Minerve, ayant reçu cet ordre.....; s’élance..... semblable à un astre, etc.) Thither came Uriel, gliding througb the even On a sun-beam, swift’as a shooting star In autumn thwarts the night, when vapours fir’d Impress thé air, and shows the mariner From what point ofhis compass to beware Impetuous winds. Parad. lost, boox 4.. Uriel arrive, traversant la sombre clarté du soir , sur un rayon du soleil, aussi rapidement qu’en automne, lorsque l’air est rempli d’exhalaisons enflammées , une étoile traverse l’obscurité de la nuit, montrant aux navigateurs le point de la boussole qui les doit garantir de l’impétuosité des vents.

(Page 113. Ayant pris...... la ressemblance de Laodocus , fils d’An ténor, etc.) Melissa in questo tempo , ch’ era fonte Di quanto sappia incantatore o magb , Avea cangiata la femminil fronte , E del grau re d’Algier presa l’ immago : Sembrava al viso , a i gesti, Rodomonte.

Il creder d’ aver seco il re (1’ Algieri Fece che si curé poco del patte; E non avria di mille cavalieri Giunti in suo ajuto, si grau stima fatto. Orl. fur. c. 39, st. 4. Cependant Mélisse , instruite dans tout l’art de l’enchanteur et du magicien , change ses traits délicats en la ressemblance du roi d’Alger; son air, ses gestes, sont ceux de Rodomont.

CHANT 1v. V425 Se croyant assuré du secours du roi d’Alger, qu’il prise plus que mille cava- liers , (Agramant) s’inquiete peu de l’observation du traité. (Page 1 13. Adroit fils de Lycaon.... assez intré- pide pour décocher en ce moment une fleche lé- gere sur Ménélas, etc.) Il simulacro ad Oradino esperto Sagittario famoso andonne , e disse: 0 famoso Oradin, ch’ a segno certo, Corne a te piace , le quadrella affisse , Ah! grau danno saria, s’ uom di tal merto, Difensor di Giudea , cosi morisse ; E di sue spoglie il suo nemico adorna Sicuro ne facesse a’ suoi ritorno.

Qui a prova dell’ arte, e le saette Tingi nel sangue del ladron francese : Ch’ oltra il perpetuo onor, vuo’ che n’ aspette Premio al gran fatto egual dal re cortese. Ger. lib. c. 7, st. roc. Le simulacre (de Clorinde) s’approche d’Oradin , fameux archer, et lui parle ainsi : Illustre Gradin, qui diriges tes fleches avec tant de justesse, que jamais tu ne manques le but que tu t’es proposé, la mort d’un tel défenseur de la. Judée (Argant) seroit un grand échec pour notre armée. L’ennemi rejoindra-Ml en paix son camp , chargé de dépouilles si précieuses? F ais preuve de ton adresse , teins une flécha. meurtriere du sang de œ brigand fiançois ; une gloire immortelle sera ta récompense. Un roi généreux paiera cette grande action d’un prix proportionné au service important que tu lui auras rendu.

(Page 114. Pandarus...... saisit son arc d’une corne luisante, etc.) Talla jactantem dictis, ac dira canentem , Non tulit Ascanius: nervoque obversus equino 1.Contendit telum; ,.diversaque brachia54 ducens ,

426 IMITATIONS. Constitit, ante Jovem supplex per vota precatus.

Audiit, et cœli genitor de parte serena Intonuit lævum. Sonat unà lethifer arcus; Et fugit horrendum stridens elapsa sagitta , Perque caput Remuli venit, et cava tempora ferra Trajicit. AEn. lib. 9, v. 621. Ascagne ne souffre pas ces propos orgueilleux; il prend son arc , étend les bras , bande le nerf avec force : élevant les yeux au ciel, il adresse à Jupiter cette fervente priere.... Le pere des dieux et des] hommes l’entend, la foudre éclate sur la gauche par un temps serein. L’arc résonne; la fleche vole avec un sifile- ment aigu, atteint la tempe de Rémulus.

Dixit , et auratâ volucrem Threïssa sagittam Deprompsit pharetrâ , comuque infensa tetendit, Et duxit longé, donec curvata coïtent Inter se capita , et manibus jam tangeret acquis, Lævâ aciem ferri, dextrâ nervoque papillam. Extemplo teli stridorem aurasque sonantes Audiit unà Aruns , hæsitque in corpore ferrum. AEn. lib. 11, v. 858. Ainsi parle la chasseresse (Opis), et, découvrant son carquois, elle choisit une fleche aiguë, bande son arc, en rapproche les extrémités jusqu’à ce qu’il forme un demi-cercle; de la main gauche elle soutient sur la corde la flache légere , de la droite elle attire le nerf avec une telle force , que ses extrémités se touchent. Le malheureux Aruns entend le sifflement de la fleche aiguë , et l’acier homicide s’arrête dans son corps. (Page 115. Son sang coule, semblable à une bande de pourpre, etc.) i . Accepit vocem lacrymis Lavinia matris , Flagrantes perfusa genas; cui plurimus ignem Subjecit rubor, et calefacta per ora cucurrit. Indurn sanguineo veluti violaverit ostro

Si quis ebur; aut mixtaCHANT rubent ubi lilia multâ 1v. 427 Alba rosai : tales virgo dabat 0re colores. AEn. lib. 12, v. 64: Elle dit : les larmes mouillent les joues de Lavinie; une modeste rougeur s’étend sur son teint. Telle une bande de pourpre contraste avec l’ivoire , ou l’in- camat des roses avec la blancheur des lis : ainsi se colorent lesîoues de la jeune princesse.

Del bianco collo il bel capo ferille. Pu levissima piaga , e i biondi crini Rosseggiaron cosi d’ alquante stille , ’ Corne rosseggia l’ or che di rubini Per man d’ illustre artefice sfaville. Ger. lib. c. 3, st. 3o. Le dard atteint la tête de Clorinde sur les confins de son cou d’albâtre. La blessure est légere; quelques gouttes de sang, dispersées parmi ses blonds che- veux, les rougissent : ainsi l’or étincele du feu des rubis enchâssés par la main d’un artiste habile.

La non profonda piaga è lunga, quanto Non si misureria con una spanna: Le lucide arme il caldo sangue irriga Per sino al piè di rubiconda riga.

Cosi tal’ ora un bel purpureo nas tro Ho veduto partir tela d’ argento Da quella bianca man più ch’ alabastre , Da cui partire il cor spesso mi sento. Orl. fur. c. 24, st. 65. La plaie, peu profonde, est si longue, qu’on auroit peine à la mesurer d’une seule main ; le sang, qui mouille les armes (de Zerbin) , découle usqu’à ses pieds . Ainsi, sous cette main, plus blanche que l’albâtre , qui porte à mon cœur de si rudes coups , j’ai vu un ruban de pourpre se jouer sur une toile d’argent. (Page 1 17. Le fils de Saturne.... secouant sa re- doutable égide, etc.)

428 IMITATIONS.’ Arcades ipsum Credunt se vidisse Jovem , Cùm sæpè nigrantem AEgida concuteret dextrâ , nimbosque cieret. Afin. lib. 8, v. 352: Les Arcadiens croient avoir vu Jupiter luLmême secouer sa redoutable égide, et agiter les nuées. (Page 118. Que la terre, s’entr’ouvrant sous mes pas, m’engloutisse avant ce temps dans ses profonds abîmes!) Sed mihi vel tellus optem priùs ima dehiscat , Vel pater omnipotens adigat me fulmine ad umbras , Pallentes umbras Erebi , noctemque profundam. AEn. lib. 4, v. 24." Qu’avant ce temps la terre s’entr’ouvre sous mes pas , que la foudre du dieu qui regne sur l’Olympe me précipite dans le séjour des ombres, des pâles ombres de l’Érebe , dans cette nuit profonde.

(Page 1 19. Parvenu au lieu où Ménélas blessé est environné des hommes les plus distingués des enfants de la Grece, etc.) Stant lecti circum uvenes; ipse æger, anhelans.

AEn. lib. 10, v. 837. Les jeunes gens les plus distingués s’empressent autour de (l’infortuné Mé- zence); il touche aux portes de la mort; infirme, haletant .....

(Ibid. La couvre de ces simples bienfaisants que lui donna Chiron, l’ami de son pere.) Ille , ut depositi proferret fata parentis , Scire potestates herbarum usumque medendi Maluit. AEn. lib. 12, v. 395.

CHANT 1v. ’ 429 Pour prolonger les jours d’un pere qu’il chérit, (de tous les dons d’Apollon) il préféra (lapis) la connaissance des simples , l’art de guérir les maux qui assie- gent l’humanité. (Page 120. Le roi des rois, Agamemnon, par- court ainsi les bandes nombreuses des enfants de la Grece.) Quindi , sovra un corsier, di schiera in schiera Parea volar, tra’ cavalier, tra’ fanti. Tutto il volto scopria perla visiera; F ulminava negli oechi e ne’ sembianti. Confortô il dubbio, e confermô chi spera; Ed all’ audace rammentô i suoi vanti, E le sue prove al forte; a chi maggiori Gli stipendj promise , a chi gli onori. Ger. lib. c. 20, st. 12. Godefroi , sur un coursier léger, la visiere élevée, découvrant Sa face auguste, parcourt d’un vol rapide les bandes nombreuses des siens, ses cavaliers, ses fan- tassins : des traits de feu s’élancent de ses yeux; il encourage celui qui doute , fortifie celui qui espere , rappelle au héros ses anciens exploits, promet à celui- ci une paie plus forte, à celui-là des honneurs.

Cosi Emiren gli schiera, e corre anch’ esso Perle parti di mezzo , e per gli estremi: Per interpreti or parla, or per se stesso , Mesce lodi, e rampogne, e pene, e premj. Talor dice ad alcun : Perchè dimesso Mostri, soldato, il volto? e di che temi? Chè puote 1m contra cento? io mi confido Sol con 1’ ombra fugargli, e sol col grido.

Ad altri : O valoroso , or via con questa Faccia a ritor la preda a noi rapita. I Ger. lib. c. 20, st. 24. Émiren range de son côté ses troupes en bataille, s’élance d’un vol rapide du

430 ’IMITATIONS. centre aux extrémités de la phalange, parle aux uns par interprete, aux autres par lui-même, mêle les louanges aux reproches , les menaces aux promesses. A l’un il dit: Quelle tristesse obscurcit ton front? pourquoi baisser les yeux? que crains-tu? que peut un seul. contre cent? j’ai confiance que notre ombre et nos cris suffiront pour les mettre en fuite. l Il dit à l’autre : Valeureux combattant, cours , avec cette intrépidité empreinte dans tes regards, retirer des mains de l’ennemi la proie qu’il nous a ravie.

Les moments lui sont chers ; il court dans tous les rangs Sur un coursier fougueux plus léger que les vents , Qui, fiér de son fardeau, du pied frappant la terre, Appelle les combats et respire la guerre. Henr. ch. 8. (Page 122. Ils se couvrent de leurs casques; une troupe nombreuse de guerriers les suit, sem- blable à une nue épaisse, etc.) Qualis ubi ad terras abrupto sidéré nimbus It mare per médium ; miseris heu! præscia longé Horrescunt cordaagricolis : dabit ille ruinas Arboribus stragemque satis; ruet omnia latè: Antè volant, sonitumque ferunt ad littora venti. AEn. lib. 12, v. 451. Telle une nue épaisse fend le vague de l’air, s’étend sur la plaine liquide; le laboureur, qui l’apperçoit dans le lointain, en est effrayé; elle lui présage son malheur; les vents impétueux la précedent et la poussent contre la rive escarpée; elle déracinera les arbres , brisera les épis, détruira l’espoir du cultivateur.

Ainsi lorsque des monts séparés par Alcide Les aquilons fougueux fondent d’un vol rapide , Soudain les flots émus des deux profondes mers v Du choc impétueux s’élancent dans les airs , La terre au loin gémit, le jour fuit, le ciel gronde , Et l’Africain tremblant craint la chûte du monde. v Hem. ch. 8.

CHANT IV. 431 (Page 130. Il dit.... marche contre l’ennemi: le bruit de l’airain dont il est couvert répand au loin I la terreur.) Continuô nova lux oculis elfulsit, et arma Horrendum sonuere. AEn. lib. 9, v. 731. Une éclatante lumiere les éblouit, le bruit de l’armure d’airain dont (Tumus) est couvert imprime la terreur. (Ibid. Comme le flot poussé par le souffle im- pétueux du vent d’ouest. . . . s’éleve , et se brise avec fracas...... les armures éclatantes dont leurs corps sont couverts répandent au loin la lumiere.) F luctus ut in medio cœpit Cùm albescere ponto, Longiùs ex altoque sinum trahit; utque volutus Ad terras , immane sonat per saxa , nec ipso Monte minor procumbit z at ima exæstuat unda Vorticibus, nigramque altè subjectat arenam. Georg. lib. 3, v. 237. Comme on voit le flot blanchir l’onde salée ; décrivant de longs circuits, il se reploie , se roule contre la rive avec un horrible fracas , se brise contre les roches, fond enfin comme une montagne énorme sur la plaine liquide, la trouble jus- qu’en ses profonds abîmes; elle bouillonne et souleve les sables qu’elle noircit.

Horrescit strictis seges ensibus , æraque fulgent Sole lacessita, et lucem sub nubila jactant. Fluctus uti primo cœpit Cùm albescere vento; Paulatim sese tollit mare , et altiùs undas Erigit, inde imo consurgit ad æthera fundo. AEn. liba 7, v. 526. Les glaives brillent dans leurs mains , les rayons réfléchis par leurs boucliers- d’airain répandent au loin une éclatante lumiere z tel le flot poussé par un vent

432 IMITATIONS. frais blanchit l’onde salée; la mer se gonfle par degrés et sauleve ses ondes ; agitée jusques dans ses profonds abîmes , elle les lance contre la vaille éthérée. Carre innanzi il soldano , e giunge a quella Confusa ancora e inordinata guarda , Rapido si, che torbida procella Da’ cavernosi monti esce più tarda: Fiume ch’ alberi insieme e case svella, F olgore che le torri abbatta ed arda, Terremoto che ’l monda empia d’ orrore , Son picciole sembianze al sua firrore. Ger. lib. c. 9 , st. 22. Le sultan s’élance sur cette garde en désordre avec une telle rapidité, que la tempête, les souilles impétueux des vents qui se font jour à travers des rocs escarpés , les torrents qui déracinent les arbres, entraînent et culbutent les ha- bitations des hommes, la foudre qui abat les tours et les réduit en cendres, un tremblement de terre qui remplit le mande d’horreur, sont de faibles images de sa fureur. (Page 131. La Discorde..... faible dans sa nais- sance, elle s’éleve avec rapidité, etc.) F ama, malum quo non aliud velocius ullum; Mobilitate viget, viresque acquirit eundo : Parva metu prima , max sese attollit in auras, Ingrediturque solo , et caput inter nubila candit. Afin. lib. 4, v. 174. La Renommée, des furies la plus légere; la-mabilité est son essence; elle acquiert des farces dans sa course : faible dans sa naissance, contenue par la crainte, bientôt elle s’éleve dans l’air, pose ses pieds sur la terre, et cache dans les nues sa tête altiere. ce C’est en cette partie (l’élévation de l’ame) qu’a principalement a excellé Homcre, dont les pensées sont toutes sublimes, comme a on le voit dans la description de la déesse Discorde , qui a , dit-il, a La tête dans les cieux et les pieds sur la terre a). 11611. Traité du sublime, ch. 7.

CHANT 1v. 433 (Page 131. Les deux armées s’avancent l’une contre l’autre; les casques se heurtent, les javelots se croisent.....Tels les torrents grossis par la fonte des neiges, etc.) Postquam congressi in prælia , tatas Implicuere inter se acies , legitque virum vir; Tum verô et gemitus marientum, et sanguine in alto Armaque , corporaque , et permisti cæde virorum Semianimes volvuntur equi :ipugna aspera surgit. AEn. lib. 11, v. 631. Les phalanges étant rompues , les bandes confondues , chaque héros choisit . son ennemi; un grand combat s’engage; les gémissements, le désespoir, les cris des mourants, retentissent dans la plaine; le sang ruissele à grands flots, en- traînant les armes , les cadavres , les coursiers demi-morts, confondus avec leurs conducteurs. I In segetem veluti Cùm flamma furentibus austris Incidit; aut rapidus montano flumine torrens Sternit agros , stemit sata læta boumque labores, Præcipitesque trahit sylvas : stupet inscius alto f Accipiens sonitum saxi de vertice pastor. AEn. lib. 2, v. 304. Tel un vaste incendie qu’accraissent les souffles impétueux des vents consume une riche moisson; ou tel un torrent rapide se précipite de la cime d’un mont escarpé , ravageant les campagnes, encombrant les terres nouvellement semées, recouvrant les sillons que les pas tardifs et les travaux des bœufs avaient ouverts, entraînant les forêts du haut des monts dans les vallées : placé sur une roche élevée , le pasteur entend ce fracas dont il ignore la cause ; il demeure stupéfait, interdit. Ac velut immissi diversis partibus ignes Arentem in sylvam et virgulta sonantia laura; Aut ubi decursu rapido de montibus altis Dant soni tum spumasi amnes, et in æquora currunt, l .

434 IMITATIONS.’ Quisque suum populatus iter: non segniùs ambo AEneas Tumusque ruunt per prælia. AEn. lib. 12, v. 521. Aussi rapides que la flamme introduite de divers côtés dans une immense forêt au dans un verger planté de lauriers sonores; aussi impétueux que des tor- rents écumeux qui se précipitent du sommet des montagnes et ravagent à l’envi les terrains qu’ils parcourent : tels Énée et Tumus fondent l’un sur l’autre.

La fiera pugna un pezzo andô di pare , Che vi si discemea paca vantaggio , Vedeasi or l’ una, or l’ altro ire e tomate , Came le biade al ventolin di maggio , O came sopra ’l lita un mobil mare Or viene , or va, nè mai tiene un viaggio : Poi che fortuna ebbe scherzato un pezzo, Dannosa a i Mari ritornô da sezzo. Orl. fur. c. 16, st. 68. La victoire balance quelque temps ; on remarque peu d’avantage dans l’un ou dans l’autre parti : poussés , repoussés , comme les bleds par le vent frais du mais de mai, ou comme le flot sur la rive de la mer légèrement agitée , la fortune se joue peuùnt quelques instants , elle se décide enfin contre les Maures.

a Corne il grau Hume , che di Vesulo esce , Quanta più innanzi , e verso il mar discende , È che con lui Lambro e Ticin si mesce , Et Adda, e gli altri, onde tributo prende, Tanto più altiera e impetuoso cresce, Cosi Ruggier, etc. Orl. fur. c. 37, st. 92. Comme le grand fleuve qui prend sa source dans le Vésule , accru du Lambre, du Ticin, de l’Adda , et de toutes les sources qui lui partent le tribut de leurs ondes , est d’autant plus fier, d’autant plus impétueux , que sa chiite rapide l’ap- proche de plus près de la mer: tel Roger, etc. Corne al sofhar de’ iù Pbéni Eniventi,

CHANT 1v. 435. Quando Apennin scuopre 1’ erbase spalle, Movonsi a par duo tarbidi torrenti, Chè nel cader fan poi diverso calle; Svellono i sassi, e gli arbori eminenti Dall’ alte ripe, e portan nella valle Le biade , e i campi, e quasi a gaga fanno a, A chi far pua nel sua cammin più danno. Orl. fur. c. 39, st. 14. Ainsi, tandis que l’Apennin, balayé par les douces haleines du zéphyr, dé- couvre ses épaules couvertes d’herbe , deux torrents bourbeux se précipitent par divers chemins du sommet de ce mant escarpé, déracinent les rochers, entrai- nent les chênes à la tige élevée qui avoient crû sur leurs rives , les transportent dans la vallée, et avec eux les terres et les moissons dant elles sont couvertes, et semblent se livrer l’un à l’autre un cruel défi à qui fera le plus de dommage.

(Page 133. Il tombe; le bruit de ses armes re- tentit au loin.) Collapsa ruunt immania membra: Dat tellus gemitum , et clypeum super intonat ingens. AEn. lib. 9, v. 708. (Bitias) tombe: la terre gémit sous le poids énorme de son corps , l’airain de son immense bouclier rend un son éclatant.

Corruit in vulnus : sonitum super arina dedere. AEn. lib. 10, v. 488. (Pallas) tombe : ses armes retentissent au loin.

(Page 135. Un guerrier que Minerve eût pré- servé des traits de l’ennemi...... n’eût obserVé dans les deux armées ni faiblesse, ni relâche- ment, etc.) In strenglli each armed hand

436 IMITATION’S. A legion , led in’fight, yet leader seem’d.

’.".’. . . î. 2’. .. . Nothoughtafflight, None ofretreat , no unbecaming deed That argu’d fear.

. ChaqueParad. soldat, par sia lost,valeur, paroit unebaox légion; chaque 6. guerrier, allant au combat, paroit un capitaine ..... Nulle pensée de retraite ou de fuite, nulle ac- tion faible, nulle apparence de crainte. A

CHANT V.

(PAGE 139. Le feu jaillit de son casque, de son bouclier, semblable à l’astre brûlant des étés, etc.) Ardet apex capiti, cristisque a vertice flamma Funditur, et vastos umbo vomit aureus igues: Non secus ac liquidâ si quando nocte cometæ Sanguinei lugubre rubent : aut sirius ardor; 111e sitim morbosque ferens mortalibus ægris, ’ Nascitur, et lævo contristat lumine cœlum.

Le feu de son casque, AEn. d’airain; lib.les crins 1o, (teints env. rouge) 270.. du superbe panache qui y est attaché semblent des flammes qui voltigent au gré des vents; le centre d’or de son bouclier Vomit un feu tel que la lumiere rougeâtre dont les ’ cametes ensanglantées souillent l’air serein d’une belle nuit; au tel que brille le sirius , cet astre redoutable qui contriste le ciel de son sinistre éclat, porteur d’une soif ardente et des infirmités qui accablent les malheureux mortels. (Page 141 . Ni son adresse, ni ces fleches invin- cibles dont il s’enorgueillit, etc.) Nihil illos Herculis arma , Nil validæ juvere manus. l Min. lib. 1o, v. 319: Ni les armes d’Hercule ni leurs forces immenses ne leur furent d’aucun secours; (Page 142. Il tombe le front collé dans la pous- siere, etc.) Cade , e co’ denti l’ odiosa terra, Pieno dl rabbia , in sul marire afferra. Ger. lib. c. 9, st. 78. Il tombe , et mourant, plein de rage, il serre entre ses dents cette terre odieuse qui va l’engloutir.

438’ ’ IMITATIONS.’ (Page 143. Quant au fils de Tydée, vous ne pourriez distinguer, etc.) Punge il destrier, ciô detto , e là si volve .Ove di Soliman gl’ incendj ha scorti. Va per mezzo del sangue e della polve, E de’ ferri, e de’ rischj , e delle morti. Con la spada e con gli urtiapre e dissolve Le vie più chiuse , e gli ordini più forti: E sossopra cader fa, d’ amba i lati, Cavalieri e cavalli, arme ed armati. Ger. lib. c. 9, st. 48. (Godefroi) pressant les flancs poudreux de son coursier, vole aux lieux ou So- liman fait de plus grands ravages 3 à travers le sang , à travers la poussiere , le fer, les dangers, les morts qui l’environnent, son glaive, ses chocs impétueux ou- vrent , débouchent les routes les plus fermées, séparent les bandes les plus ser- rées , renversent de toutes parts et chevaux et cavaliers, armes et guerriers. Poichè di sangue ostil si vede asperso , Entra in guerra Golfredo, e la si volve Ove appresso vedea che il duce Perse Le più ristrette squadre apre e dissolve: Si che ’l sua stualo ornai n’ andria dispersa Came anzi 1’ austro 1’ afiicana polve. Ver lui si drizza, e i suai sgrida e minaccia, E fermando chi fugge, assal chi caccia.

Couvert. Ger. du sang du perfide lib. (Ormond), c. Godefroi2o, entre st. dans 47.la mêlée, cherche des yeux (Altamore) le chef des l’ersans , rompt les bandes les plus serrées avec la même facilité que le vent du midi disperse le sable et la poussiere dans les déserts d’Afrique: tel poursuivant Altamore, Godefroi contient par ses cris, par ses menaces , ceux qui fuient, et provoque au combat le héros qui les chasse devant lui. Tu ne saurois connaître , au fort de la mêlée , Quel parti suit le fils du courageux Tydée. Bail. Traité du sublime, ch. 22.

.1

CHANT v. ” 439 (Page 143. Semblable àun fleuve débordé, etc.) Con quel furor, che ’l re de’ fiumi altéra, 4 . Quando rom pe tal volta argini e sponde, E che nei campi Ocnei s’ apre il sentiero, E i grassi solchi, e le biade fecondc, E con le sue capanne il gregge intero , E co’ i cani i pastor porta ne 1’ onde; Guizzano i pesai a gli olmi in su la cima , Ove solean volar gli augelli in prima. Orl. fur. c. 4o, st. 31. Tel le roi des fleuves, ayant rompu ses digues, s’ouvre un chemin dans les champs d’Ocnéum, applanit les sillons engraissés, ploie les tiges fécondes des bleds, entraîne et les parcs et les troupeaux qui y sont renfermés, et les chiens et le pasteur, les parte d’un cours rapide dans le sein des ondes ; les poissons ha- bitent la cime la plus élevée des ormes autour desquels les oiseaux avoient cau- tume de voltiger.

Comme on voit les torrents, du haut des Pyrénées , Menacer des vallons les nymphes consternées; Les digues qu’on oppose à ses flots orageux Soutiennent quelque temps son choc’impétueux : Mais bientôt, renversant sa barriere impuissante , Il porte au loin le bruit, la mort et l’épouvante , Déracine en passant ces chênes orgueilleux Qui bravoient les hivers et qui touchoient les cieux, Détache les rochers du penchant des montagnes, Et poursuit les troupeaux fuyant dans les campagnes. Tel Bourbon descendoit à pas précipités Du haut des murs fumants qu’il avoit emportés; Tel d’un bras foudroyant, fondant sur les rebelles , Il moissonne en courant leurs traupes criminelles. Hem. ch. 6.

440 IMIATATIONS. (Page 144. Ainsi parle le fils de Lycaon , se flat. tant d’un vain espoir.) * D’Egmont joint le héros , il l’atteint dans le flanc , Il triomphe déja d’avoir versé son sang. y Le roi , qu’il a blessé , voit le péril sans trouble :I Ainsi que le danger son audace redouble ; Son grand cœur s’applaudit d’avoir au champ d’honneur Trouvé des ennemis dignes de sa valeur. Loin de le retarder, sa blessure l’irrite; Sur ce fier ennemi Bourbon se précipite : D’Egmont d’un coup plus sûr est renversé soudain; Le fer étincelant se plonge dans son sein. Sous leurs pieds teints de sang les chevaux le foulerent; Des ambres du trépas ses yeux s’envelopperent, Et son ame en courroux s’envola chez les morts , Où l’aspect de son pere excite ses remords. i Hem. ch. 8. (Page 145. J’écarte en ce moment le nuage qui offusque ta vue mortelle.) Aspice z namque omnem , quæ nunc obducta tuenti Mortales hebetat visus tibi, et humida circum Caligat , nubem eripiam. AEn. lib. 2, v. 604. Regarde; car j’écarte en ce moment le nuage qui offusque ta vue mortelle, Û je dissipe les ténebres humides qui l’environnent. Drizza pur acchi a riguardar l’ immenso Esercita immortal ch’ è in aria accolto : Ch’ i0 dinanzi torrotti il nuvol denso Di vostra umanità, ch’ intorno avvolto Adombrando t’ appanna il mortal senso , Si che vedrai gl’ ignudi spirti in volta:

E sostener, perCHANT breve spazio , irai v. 441 Delle angeliche forme anco patrai. Ger. lib. c. 18, st. 93. Leve les yeux , regarde l’immense armée des immortels réunie dans l’air; car je dissipe en ce marnent l’épais nuage qui offusque ta vue, afin que tu voies sans obstacle les esprits célestes , et que tes yeux soutiennent, au mains pen- dant quelques instants , les éclatants rayons des formes angéliques.

(Page 145 . Semblable a un lion qu’un pâtre a blessé , etc.) Pœnorum qualis in arvis Saucius ille gravi venantùm vulnere pectus, Tum demum movet arma leo , gaudetque camantes Excutiens cervice taros, fixumque latronis Impavidus frangit telum , et frémit 0re cruento. AEn. lib. 12, v. 4. Tel, dans les sables brûlants de la Libye, un lion que l’arme meurtriere des chasseurs a atteint dans la poitrine , déploie ses armes, secoue sa vaste criniere; intrépide, rugissant, la gueule teinte de sang, il s’élance, rompt le javelot prêt à le percer.

(Page 149. Qu’une main ennemie sépare ma tête de mes épaules, si...... je ne brise et ne livre aux flammes, etc.) Arme infelici, disse, e vergognose, Ch’ usciste fiior della battaglia asciutte , Qui vi depanga : e qui sepolte state, Poichè 1’ ingiurie mie mal vendicate. Ger. lib. c. 2o, st. 123. Armes malheureuses que j’ai honte de porter, qui êtes sorties du combat sans vous teindre du sang de mon ennemi, je vous dépose en ce lieu ; impuis- santes pour venger mon injure, demeurez-y ensevelies. 1. 56

442 IMITATIONS.’ (Page 151. Ils sont de la race de ceux que Ju- piter donna à Tros, etc.) Absenti AEneæ currum geminosque jugales , Semine ab æthereo , spirantes naribus ignem , Illorum de gente patri quos dædala Circe Suppositâ de matre nothos furata creavit. AEn. lib. 7, v. 28a. (Latinus envoie) à Énée absent deux coursiers de race divine ; le feu jaillit de leurs vastes naseaux: ils descendent de ces coursiers que l’adroite Circé dé- roba à son pere, ayant fait saillir ses cavales aux chevaux du Soleil.

(Page 153. Diomede saisit un roc énorme, etc.) Nec plura effatus , saxum circumspicit ingens , Saxum antiquum , ingens, campa quad forte jacebat, Limes agro positus litem ut discemeret arvis. Vix illud lecti bis sex cervice subirent, Qualia nunc hominum producit corpora tellus. 111e manu raptum trepidâ torquebat in hostem Altior insurgeas et cursu concitus . AEn. lib. 12, v. 896. Il dit; et portant ses regards de tous côtés, il voit près de lui une pierre énorme , roche antique , immense, enfoncée profondément dans la terre, limite des héritages destinée à prévenir les procès. A peine douze hommes choisis parmi ceux qui existent aujourd’hui pourraient l’élever sur leurs têtes. Animé par la course rapide qu’il a faite, Énée se leve, se dresse sur ses pieds, la lance avec force contre (Tumus).

A ces mots il saisit un vieil infortiat Grossi des visions d’Accurce et d’Alciat.

Sur l’ais qui le soutient auprès d’un Avicenne , Deux des plus forts mortels l’ébranleroient à peine : Le chanoine pourtant l’enleve sans effort,

Et sur le couple pâleCHANTV. et déja demi-mort 443 Fait tomber à deux mains l’effroyable tonnerre. Les guerriers de ce coup vont mesurer la terre. Lutr. ch. 5. (Page 153. Sa tendre mere étend sur lui ses mains d’albâtre.) i La Discorde le vit et trembla pour d’Aumale. La barbare’qu’elle est a besoin de ses jours. Elle s’éleve en l’air et vole à son secours; Elle approche. . . . -...... De cette même main, ministre de la mort, De cette main barbare accoutumée aux crimes, Qui jamais jusques la n’épargna ses victimes , Elle entraîne d’Aumale aux portes de Paris, Sanglant, couvert de coups qu’il n’avait pas sentis; Elle applique à ses maux une main salutaire. Hem. ch. 4. . (Page 154. L’audacieux fils de Tydée...... fait couler ce fluide immortel qui circule dans les veines des dieux.) Then Satan first’xnew pain , And writh’d him to and fra convolv’d; sa sore The griding sword with discon tinuaus wound Pass’d through him : but th’ ethereal substance clos’d, Nat long divisible; and [rom the gash A stream af nectar’ous humour issuing flow’d Sanguine , such as celestial spi’rits may bleed , And all his armour stain’d, erewhile sa bright. Parad. lost, boox 6. Satan, pour la premiere fois , cannoit la douleur, se tourne de tous côtés avec d’affreuses contorsions. Le terrible tranchant divise sa substance, lui fait sentir une douleur cruelle ; mais sa substance éthérée se referme aussitôt, ne pouvant

444 IMITATIONS.’ ’ rester long-temps divisée. blessure sort un torrent de cette liqueur qui tient lieu de sang aux esprits célestes , liqueur extraite du nectar qu’ils boivent; son armure, auparavant brillante, en est souillée.

(Page 160. Cependant le dieu..... façonne un fantôme aérien, etc.) Tum dea nube cavâ tenuem sine viribus umbram In faciem AEneæ (visu mirabile monstrum l) Dardaniis ornat telis; clypeumque jubasque Divini assimulat capitis , dat inania verba , Dat sine mente sonum , gressusque effmgit euntis: Morte abitâ quales fama est volitare figuras, Aut quæ sopitos deludunt somnia sensus. AEn. lib. 1o, v. 636. Alors la déesse façonne un nuage creux, ombre vaine , sans force et sans nerfs. Effet merveilleux de la divine puissance ! elle donne à ce fantôme la ressemblance d’Énée; le javelot troyen brille dans sa main; son bras soutient le vaste bouclier; le panache d’Énée flotte sur sa tête ; sa bouche articule de vains sons sans pen- sée ; il semble marcher : telles, après le trépas, on dit que voltigent les ambres des t mortels , ou tels nos sens, assoupis par le sommeil, sont trompés par de vaines

Argante, il tua periglio allor tal era, images.Quando ajutarti Belzebù dispose. ’ Questi di cava nube ombra leggiera (Mirabil mostra l) in forma d’ uom compose; E la sembianza di Clorinda altéra Gli finse , e 1’ armi ricche e luminose: Diegli il parlare, e, senza mente, il nota Suon della voce, e ’l portamento e ’l moto. Ger. lib. c. 7, st. 99. Argant est en ce pressant danger, quand Béelzébut se dispose à venir à son se- cours. Il façonne , à l’aide d’une nuée creuse , une figure légere. Admirable pro. (lige ! il lui donne une forme humaine , la ressemblance de la fiere Clorinde, ses armes riches et brillantes , son parler, le son de cette voix qu’Argant cannoit, quoique sans le secours de la pensée, la taille, les mouvements de Clorinde.

CHANT v. -’445 (Page 162. Tremblez, ô Troyens, qu’envelop- pés comme dans les mailles d’un énorme filet, etc.) Ah (dicea) valent’ uomini, ah compagni, Ah fratelli , tenete il luogo vostro z I nemici faranno opra di ragni , Se non manchiamo noi del dover nostro: Guardate 1’ alto anar, gli ampi guadagni , .Che fortuna, Vincendo, oggi ci ha mostro; Guardate la vergogna , e ’1 danno estremo , Ch’ essendo vinti, a patir sempre avremo. Orl. fur. c. 18, st. 43. Ah (disoit Ferrau)! vaillants hommes, mes compagnons, mes freres, tenez ferme; nous dissiperons les projets de nos ennemis avec la même facilité que des toiles d’araignée, si vous ne manquez pas à votre devoir. Considérez l’hon- neur, considérez le profit que nous procurera la victoire; envisagez la honte, le dommage extrême , irréparable, qui suivraient notre défaite.

(Page 163. 11 court de rang en rang, ranimele combat.) Ils cédoient; mais Mayenne à l’instant les ranime , Il leur montre l’exemple, il les rappelle au crime z Leurs bataillons serrés pressent de toutes parts Ce roi dont ils n’osoient soutenir les regards. , Hem. ch. 6. (Page 164. Parmi les hommes courageux, un plus grand nombre échappe..... qu’il n’en périt.) La via d’ anar della salute è via. Ger. lib. c. 20, st. 1 10. La route de l’honneur est la route de salut.

446 IMITATIONS. (Page 165. Tels deux jeunes lions que leur mere a nourris au sommet des montagnes, etc.) Cosi feroce leonessa i figli , Cui dal colla la coma anco non pende, Nè con gli anni lor sana i feri artigli Cresciuti, e l’ aune della bocca orrende, Mena seco alla preda ed ai perigli: E con 1’ esempio a incrudelir gli accende Nel cacciator che le natie lor selve Turba , e fuggir fa le men forti belve. Ger. lib. c. 9, st. 29. Telle une lionne mene à la proie et aux ses lionceaux dant la criniere n’est pas encore formée, dont l’âge n’a encore affermi ni les ongles ni ces dents formidables dont leur gueule doit être armée; leur mere les endurcit aux dan- gers, accroît par son exemple leur férocité, les anime contre le chasseur qui porte le trouble dans les forêts où ils sont nés , qui met en fuite les bêtes moins courageuses et moins fortes.

Quel, che la tigre dell’ armento imbelle Ne’ campi Ircani o là vicino al Gange, O 1’ lupo delle capre e dell’ agnelle Nel monte che Tifeo sotto si frange; Quivi il crudel pagan facea di quelle Non dirè squadre, non dirô falange, Ma vulgo, e popolazzo voglio dire , Degno, prima che nasea, di morire. Orl. fur. c. 16, st. 23. Le carnage que dans les champs d’Hyrcanie la tigresse fait des faibles trou- peaux, le ravage des chevres et des agneaux qui tombent sous la dent des loups habitants de ce mant sourcilleux qui braie les as du géant Typhon, le cruel ma- hométan (Rodomont), digne de mourir avant que de naître, le fait des chré- tiens: je ne dirai pas qu’il rompt les escadrons et les phalanges; il les dévaste et les met en pieces.

Came impastoCHANT leone in stalla piena ,v. 447, Che lunga famé abbia smagrato e asciutto , Uccide, scanna, mangia, e a strazia mena L’ infermo gregge in sua balia condutto. Orl. fur. c. 18, st. 178. Tel un lion affamé , amaigri , desséché par de longs jeûnes , entrant dans une étable pleine, tue, déchire, mange, dévaste le faible troupeau en butte à sa rage effrénée.

(Page 166. Tels ces deux freres, semblables aux tiges droites et élevées des pins, etc.) Ipse gravis graviterque ad terram pondere vasto Concidit; ut quondam cava concidit, aut Erymantho , Aut Ida in magna, radicibus eru ta pinus. AEn. lib. 5 , v. 447. Le pesant (Entellus) tombe ; son poids énorme l’entraîne vers la terre : tel, sur l’Érymanthe ou sur le vaste Ida, tombe un pin déraciné par les souffles im- pétueux des vents. . Came nell’ Apennin robusta pianta Che sprezzô d’ euro e d’ aquilon la guerra Se turbo inusitata alfin la schianta, Gli alberi intorno ruinando atterra; i ’ Cosi cade egli, e la sua furia è tanta, Che più d’ un seco tragge, a cui s’ affaira. E ben d’ uom si féroce è degno fine, Che faccia ancor, morendo, alte ruine. Ger. lib. c. 9, st. 39. Tel, sur l’Apennin , un arbre vigoureux qui a bravé les combats du vent d’est et de l’aquilon tombe enfin et entraîne dans sa chiite les arbres qui l’environ- nent: ainsi tombe (Latin); sa force est si grande, qu’il précipite avec lui dans les sombres demeures tous ceux auxquels il s’attache. Fin digne d’un guerrier si redoutable! il meurt environné d’ennemis dont il a fait un affreux carnage. l

1’448 IMIT,ATIONS. (Page 167. Mars et Bellone sont près de lui; Bellane, qui seme la terreur, etc.) Sævit media in certarnine Mavors Cælatus ferra, tristesque ex æthere diræ: Et scissâ gaudens vadit Discordia pallâ, Quam cum sanguineo sequitur Bellona flagella. AEn. lib. 8, v. 700. Au milieu des combattants, Mars, couvert de fer, déploie sa fiireur: deux furies descendues du ciel l’accompagnent; la Discorde à la tunique déchirée, que poursuit Bellone avec un fouet ensanglanté. (Page 173. Marchant aux combats. elle en- dosse la cuirasse, la solide armure. du dieu qui as- semble les nuées.) Porta il soldan su l’ elmo orrido e grande Serpe che si dilunga, e ’l colla snoda , Su le zampe s’ innalza , e 1’ ali spande , E piega in area la forcuta coda: Par che tre lingue vibri, e che fuor mande Livida spuma, e che ’l sua fischio s’ oda: Ed or ch’ arde la pugna, anch’ ei s’ infiamma Nel moto, e fuma versa insieme e fiamma. Ger. lib. c. 9, st. 25. Soliman porte sur son heaume un grand serpent qui s’alange , se reploie, s’éleve , étend ses ailes , courbe en arc sa queue fourchue , darde sa triple langue: on croit le voir lancer son écume livide , on croit entendre ses affreux sifflements; sa fureur accroît pendant le combat ; il semble s’enflammer par les mouvements rapides du guerrier qui le porte , et lancer des tourbillons de feu et de fumée. (Page 174. Là est la tête de Gorgone, etc.) Ipsamque’in pectore divæ Gorgona, desecto vertentem lumina colla. AEn. lib. 8, v. 437.

Au centre de la terrible égide, CHANTsur la poitrine de la déesse , est v.fixée la tête. de449 Gorgone , au cou tors , aux yeux hagards. Elle (la Discorde) oppose au nombre qui l’accable Son bouclier, de fer, immense , impénétrable , Qui commande au trépas, qu’accompagne l’horreur, Et dont la vue imprime ou la rage ou la peur. Henr. ch. 4; (Page 174. Les portes du ciel mugissent et s’ou- vrent d’elles-mêmes.) Th’ angelic quires , On each hand parting, to his speed gave way Through all th’ empyreal road; till at the gare theav’n arriv’d, the gate self-open’d wide , On golden hinges turning, as by worx Divine thé sov’reign architect had fram’d. Parad. lost, boax 5. Il s’éleve légèrement dans le ciel, dont il traverse d’un vol rapide le vaste em- pire , arrive à la porte ç cette porte merveilleuse , ouvrage du suprême architecte, s’ouvre d’elle-même , tournant sur ses gonds d’or.

(Page 175. Un segl saut des célestes cour- siers, etc.) Autant qu’un homme assis au rivage des mers Voir, d’un roc élevé , d’espace dans les airs; Autant des immortels les coursiers intrépides En franchissent d’un saut. Bail. Traité du sublime , ch. 7. Down he descended strait; the speed of gods Time counts nat, though with swiftest minutes wing’d. Parad. lost, boax 1o. Tout d’un coup il est descendu ; le Temps , quoique porté sur les ailes les plus rapides, ne1. peut mesurer la vélocité d’un57 dieu.

450 IMITATIONS. (Page 176. Semblables à de timides colombes, rasant la terre, les deux déesses marchent au se- cours de l’armée des Grecs.) Their march was , and the passive air upbore Their nimble tread; as when the total Kind Of birds , in orderly array on wing, Came summon’d over Eden , to receive Their names of thee. Parad. lost , boox 6. Leurs pieds légers ne posent sur aucun appui que sur l’air qui les soutient et les porte dans leur marche rapide : les oiseaux volerent dans un pareil ordre quand ils vinrent à Éden pour recevoir leurs noms.

(Page 178. Elle dit; et, prenant Sthénélus par le bras, elle le pousse hors du char.) Hoc concussa metu mentem Juturna virago , Aurigam Turni media inter lora Metiscum Excutit, et longè lapsum temone relinquit: Ipsa subit, manibusque undantes flectit habenas , Cuncta gerens , vocemque , et corpus, et arma Metisci. . Afin. lib. 12, v. 468. Agitée de cette crainte (la sœur de Tumus), la nymphe Jutume précipite du char Métiscus , l’écuyer de son frere : ayant pris la voix , l’air, la ressemblance de Métiscus, elle monte sur le char, saisit les rênes qui flottent sous ses mains lé- gérés. (Page 179. Le dieu de la guerre blessé jette un cri perçant, etc.) E grida si, che fin nel’ alto regno Manda a Michel de la vitto1ia segno.

Tremô Parigi, e torbidossi Senna A 1’ alta voce , a quell’ orribil grida;

Rimbombô il CHANTsuon fin’ a la selva Ardenna v. 451 Si, che lasciar tutte le fiere il nido; ’Udiron 1’ Alpi, e il monte di Gebenna, Di Blaja, e d’ Arli, e di Roano il lido , Rodano, e Sauna; udi Garonna, e il Reno; Si strinsero le madri i figli a1 seno. Orl. fur. c. 27, st. 100. (La Discorde) jette un cri perçant qui porte la nouvelle de cette victoire à l’archange Michel, au sommet de la voûte éthérée. Paris tremble , la Seine est troublée ; le son de cette voix effrayante, de ce cri horrible , retentit dans les Ardennes ; les bêtes féroces quittent leurs repaires ; les. Alpes , les Cévennes, Blaye, Arles, Rouen, le Rhône, la Saône, la Garonne, le Rhin , l’entendent; les meres effrayées pressent leurs enfants contre leur sein.

, Ce monstre composé d’yeux, de bouches, d’oreilles, Qui célebre des rois la honte et les merveilles , Qui rassemble sous lui la curiosité , L’espoir, l’effroi, le doute et la crédulité, De sa brillante voix, trompette de la gloire , Du héros de la France annonçoit la victoire : Du Tage à l’Éridan le bruit en fut porté ; Le Vatican superbe en fut épouvanté. Hem. ch. 8.

452 IMITATIONS. .CHANTVL

(PAGE 185. Le vaillant Diomede frappe et tue Axylus.... riche, chéri des mortels, etc.) Cadit et Ripheus , justissimus unus Qui fuit in Teucris , et servantissimus æqui. Diis aliter visum. AEn. 111.. 2. v. 426.

Riphée tombe , celui de tous les Troyens qui fiit le plus juste, le plus fidele observateur des loix de l’équité. Les dieux en penserent autrement. (Page 187. Fils d’Atrée. sauve-moi la Vie, etc.) Et genua amplectens effatur talia supplex: Per patrias manes , et spes surgentis Iuli, Te precar, banc animam serves natoque panique. Est domus alla; jacent penitùs defossa talenta Cælati argenti; sunt auri pondéra facti Infectique mihi. Non hic victoria Teucrûm Vertitur; haud anima une. dabit discrimina tanta. AEn. lib. 1o, v. 523. Il embrasse les genoux (d’Énée), lui adresse ces humbles supplications : Par les mânes de ton pere, par les espérances que te donne ton fils Iule , je t’en con- çue, sauve-moi la vie : elle est nécessaire à mon fils; elle sera la consolation d’un pere tendre. J’ai une maison élevée : des richesses immenses y sont renfer- mées , de l’argent ciselé, de l’or tel qu’on le tire de la mine , de l’or artistement travaillé. Ma mort ne donnera pas la victoire aux Troyens; la vie d’un seul ne peut être d’une telle importance. * (Page 189. O Hector, pénetre dans la sainte cité d’Ilion, etc.) Præterea, si qua est Heleno prudentia , vati

CHANT vr. 453 Si qua fides , animum si veris implet Apolla; Unum illud tibi, nate deâ, præque omnibus unum Prædicam, et repetens iterumque iterumque monebo: Junonis magnæ primùm prece numen adora; Junoni cane vota libens , dominamque potentem Supplicibus supera donis z sic denique Victor Trinacriâ fines italos mittere relictâ. AEn. lib. 3, v. 433. Outre cela , si tu prends confiance dans les avis du devin Hélénus , si quelque prudence m’inspire, si Apollon dévoile la vérité à mon esprit, fils de Vénus , je te recommande sur-tout , et ne cesserai de te le répéter : adresse à Junon de fer- ventes prieres , adresse tes vœux à Junon , essaie de fléchir par tes dans la puis- sante reine des cieux; c’est ainsi que , vainqueur de tous les obstacles, au sortir de l’isle de Trinacrie , tu aborderas enfin l’Italie. (Page 191. La génération des hommes res- semble à celle des feuilles , etc.) Ut sylvæ foliis promos mutantur in armas , Prima cadunt ...... Et, juvenum ritu , florent modô nata virentque. Har. Ars poet. Comme les forêts changent de feuilles dans la révolution d’une année; les vieilles tombent, de nouvelles les remplacent au printemps, parées de toute la fraîcheur de la jeunesse .....

(Page 192. Tu périras, ô Prœtus...... si tu ne donnes la mort à Bellérophon; il a osé me faire violence, etc.) E scapigliata, e con la faccia rossa: E le domanda di che sia turbata. Prima ch’ ella a rispandere sia massa , Pregar si lascia più d’ una fiata; Pensando tuttavia came si passa Vendicar di colui che 1’ ha lasciata ,

454 IMITATIONS. E ben convenue a1 sua mobile ingegno Cangiar 1’ amore in subitano sdegno.

Deh (disse al fine) a che 1’ error nascondo Ch’ ho commesso, signor, ne la tua assenza! Che quando ancora i0 ’1 celi a tutto ’1 monda Celar n01 passa a la mia conscienza. Orl. fur. c. 21, st. 21. Èchevelée , la rougeur sur le front, son époux lui demande la cause de son trouble. Elle se la fait demander plus d’une fois, et cependant elle médite dans son ame les moyens de se venger de celui qui l’a abandonnée. Il est digne de son inconstance de changer l’amour en une haine subite. Enfin elle s’écrie : Ah! seigneur, en vain je m’efforcerois de vous céler la faute que j’ai commise en votre absence ; quand je la cacherais à tout le monde , je ne pourrois me la cacher à moi-même , et le reste de l’histoire de l’infâme Gabrùze.

Arrêtez , Thésée , Et ne profanez point des transports si charmants: Je ne mérite plus ces doux empressements; Vous êtes offensé. La fortune jalouse N’a pas en votre absence épargné votre épouse. Indigne de vous plaire et de vous approcher, Je ne dois désormais songer qu’à me cacher. Phedre, acte 3, sceue 4. (Page 193. Instruit des projets de son gendre, il l’envoie combattre l’indomtable chimere, etc.) In luogo di trionfo al sua ritorno , F acemmo noi pensier dargli la morte. c Restammo poi, pet non ricever scomo; Chè la veggiam troppo d’ amici forte. Fingo d’ amarlo; e più di giorno in giorno Gli do speranza d’ essergli cousorte , Ma prima contra al tri uimici nostn’ Dico voler che sua virtù’dimostri. Orl. fur. c. 34, st. 37.

CHANT v1. 455 Au lieu de triomphe à son retour, nous avions formé le projet de lui donner la mort. Nous différons toutefois, craignant que notre entreprise ne tourne à notre honte ; car nous lui voyons trop d’amis puissants, courageux. Je feins de l’aimer; je le flatte de jour en jour de l’espoir de me voir sa compagne , mais j’exige qu’il donne de nouvelles preuves (le sa valeur contre d’autres ennemis de mon pere et de mai , et le reste de l’histoire de Lydie et d’Alceste.

(Page 194. Devore de chagrms culsants, fuyant le commerce des humains, il erra long-temps, etc.) Qui miser in campis mœrens errabat Aleis , Ipse suum cor edens , hominum vestigia vitans. Cie. Tuscul. quæst. lib. 3. Ces deux vers sont la traduction littérale de ceux d’Hamere. (Page 196. Cinquante palais de marbre, occu- pés par les cinquante fils de ce roi, etc.) Quinquaginta 1111 thalami, spes tanta nepotum l . Barbarico postes aura spoliisque superbi Procubuere. AEn. lib. 2, v. 503. Cinquante palais occupés par les cinquante fils de ce roi ; quel espoir d’une nombreuse postérité! portiques superbes, jadis couverts de l’or des barbares, enorgueillis des dépouilles de l’ennemi, maintenant cachés sous l’herbe.

(Page 197. Ne m’apporte point (le vin, ô ma respectable mere...... crains d’affaiblir mon cou- rage.) Ne , quæso, ne me lacrymis, neve amine tauto . Prosequere in duri certamina Martis euntem , O mater. AEn. lib. 12, v. 72. 0 ma mere, ne m’affoiblis point par tes larmes ; forcé d’affronter les fureurs de Mars , ne porte point le trouble dans mon esprit par de funestes présages.

456 IMITATIONs. (Page 198. Portant dans ses mains ce voile écla- tant, suivie des femmes les plus âgées, les plus dis- tinguées entre les Troyennes, etc.) Interea ad templum non æquæ Palladis ibant Crinibus Iliades passis, peplumque ferebant Suppliciter tristes, et umsæ pectora palmis: Diva solo fixas oculos immota tenebat. ’ AEn. lib. 1, v. 483. Cependant les Troyennes, les cheveux épars, soutenant le voile superbe qu’elles consacrent à la déesse, montent au temple de Minerve irritée. La tris- tesse est peinte sur leurs fronts; leurs mains meurtrissent leur sein d’albâtre; elles adressent leurs vœux à la déesse 1 Pallas détoume la vue ; ses regards immo- biles sont fixés sur la terre.

Necnon ad templum summasque ad Palladis arces Subvehitur magnâ matrum regina catervâ, Doua ferens; juxtàque cornes Lavinia virgo, Causa mali tanti, atque oculos dejecta décoras. Succedunt matres , et templum thure vaparant , Et mœstas alto fundunt de limine vaces : Armipotens belli præses , Tritonia virgo , Frange manu telum phrygii prædonis, et ipsum Pronum sterne solo, portisque effunde sub altis. I A AEn. lib. 1 1, V. 477. Cependant , accompagnée de la troupe nombreuse des épouses des plus illus- tres d’entre les Latins , la reine monte au temple de Minerve. La cause fatale de tant de maux, la triste Lavinie est à ses côtés; ses yeux sont fixés sur la terre, ses pleurs flétrissent l’éclat de sa beauté. Les épouses des Latins la suivent; l’odeur des parfums, de l’encens le plus pur, se répand dans la vaste enceinte du temple de Minerve; de toutes parts on entend ces tristes accents : Puissante divinité, qui présides aux combats , vierge sacrée, ô Minerve , brise le javelot du brigand phrygien; qu’il tombe sous nos murs ; que son corps sanglant demeure étendu sur le seuil de nos portes.

CHANT-V1. ç 457 , (Page 200. La victoire change souvent de parti.) i Cur ante tubam tremor occupat artus? Multa dies, variusque labor mutabilis ævi , Rettulit in melius : inultos alterna revisens Lusit, et in solido rursus fortuna locavit. AEn. lib. 11, v. 424. Quelle terreur s’empare de tes sens avant que la trompette guerriere se soit fait entendre? Le sort des combats est variable; la vie humaine est mêlée de bien et de mal : la fortune se joue des projets des hommes ; souvent elle affermit celui qu’elle avoit accablé.

(Page 203. Sa respectable épouse..... se préci- pite dans ses bras, etc.) Ecce autem complexa pedes in limine conjux Hærebat , parvumque patri teudebat Iulum. AEu. lib. 2, v. 673. Se tenant sur le seuil de la porte, ma tendre épouse m’arrête, embrasse mes genoux, me présente mon fils Iule; mes entrailles patcuielles sont émues. Hélas! je m’en souviens; le jour que son courage Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas, Il demanda son fils, et le prit dans ses bras: Chere épouse, dit-i1 en essuyant mes larmes, J’ignore quel succès le sort garde à mes armes; Je te laisse mon fils pour gage de ma foi, etc. Andromaque , acte 3, scene 8. (Page 208. Commande à tes femmes, préside à leurs ouvrages.) Cura tibi divûm effigies et templa tueri: Bella viri pacemque gérant, quels bella gereuda. AEn. lib. 7, v. 443. Visite les temples, embrasse les statues de nos dieux (ô ma mere): laisse aux hommes le soin de décider de la guerre et de la paix ; ces fonctions les regardent. 1. 58

458 IMITATIONs.’ (Page 209. Tel’un vigoureux coursier qu’une pâture abondante a refait dans l’étable, etc.) ’ Qualis ubi abruptis fugit præsepia vinclis Tandem liber equus , campoque potitus aperto ; Aut ille in pastus armentaque tendit equarum , Aut assuetus aquæ perfundi flumine nota , Emicat, arrectisque frémit cervicibus altè Luxurians, luduntque jubæ per colla, per armas. AEn. lib. 11, v. 492. Tel un coursier vigoureux ayant rompu ses liens, libre enfin , se hâte de sortir de l’étable en laquelle ou l’avait enfermé ; il bondit dans les champs, vole dans les prairies , se mêle parmi les cavales , au se baigne dans l’onde pure d’un fleuve qui lui est connu ; son encolure élevée , ses longs hennissements , manifestent sa joie; sa vaste criniere flotte sur son cou , sur ses larges épaules.

Came destrier che dalle regia stalle , Ove all’ usa dell’ arme si riserba , F uggè, e , libéra alfin per largo calle Va tra gli armenti, a a1 fiume usato, a a11’ erba: Scherzan sul colla i crini , e. sulle spalle Si scuote la cervice alta e superba: i Suonano i piè uel corso , e par ch’ avvampi , Di sonari nitriti empiendo i campi :

Tal ne viene Argillano; arde il feroce Sguardo ; hala fronte intrepida e sublime; Leve è ne’ salti, e sovra i piè veloce, Sicchè d’ orme la palve appena imprime. Ger. lib. c. 9, st. 75. Tel un superbe destrier , réservé pour un jour de bataille , échappé des écuries royales où il fut renfermé , fuit d’une course légere ; libre enfin , il semble voler; il traverse avec rapidité le chemin battu, court se confondre parmi les cavales, se baigner dans l’onde pure d’un fleuve qui lui est connu , ou cueillir l’herbe tendre des prés; ses crins se jouent sur son cou , sur ses épaules ; il secoue et balance

c H A N T V I. 459 sa superbe encolure , la terre retentit et s’enflamme sous ses pas; ses longs hen- nissements emplissent les campagnes : Tel arrive Argillan; le feu jaillit de ses yeux féroces , sa démarche est fiere , sa tête élevée , l’intrépidité est peinte sur son front; à peine , dans ses sauts hardis, ses pieds légers impriment une foible trace sur la poussiere.

Tel qu’échappé du sein d’un riant pâturage, Au bruit de la trompette animant son courage , Dans les champs de la Thrace , un coursier orgueilleux, Indocile, inquiet, plein d’un feu belliqueux, Impatient du frein , vole et bondit sur l’herbe : o Tel paroissoit d’Egmont. Hem. ch. 8.

FIN DU TOME PREMIER.