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Documentation et bibliothèques

La Bibliothèque de Limoilou The Bibliothèque de Limoilou La Biblioteca de Limoilou Gilles Gallichan

Volume 41, Number 1, January–March 1995 Article abstract This article describes the origins and the history of a library in one of the URI: https://id.erudit.org/iderudit/1033350ar neighbourhoods of Québec City. Many of the public libraries were established DOI: https://doi.org/10.7202/1033350ar on the foundations of an older parish libraries. Such was the case in Limoilou. The public library evolved from one that used reading to control morals and See table of contents parish life to one that used of reading for cultural advancement and to improve literacy among the citizens.

Publisher(s) Association pour l'avancement des sciences et des techniques de la documentation (ASTED)

ISSN 0315-2340 (print) 2291-8949 (digital)

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Cite this article Gallichan, G. (1995). La Bibliothèque de Limoilou. Documentation et bibliothèques, 41(1), 31–37. https://doi.org/10.7202/1033350ar

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La Bibliothèque de Limoilou"

Gilles Gallichan Bibliothèque de l'Assemblée nationale Québec

Cet article retrace les origines et l'évolution d'une bibliothèque de quartier de la ville de Québec. Il arrive souvent que les bibliothèques publiques au Québec se soient développées surle socle d'anciennes bibliothèques paroissiales. C'est le cas de Umoilou. La bibliothèque publique est ainsi passée d'une conception de contrôle moral et pastoral de la lecture publique à un service destiné à l'avancement culturel et à l'alphabétisation des citoyens.

The Bibliothèque de Limoilou La Biblioteca de Limoilou

This article describes the origins and the history of a library in one Este articulo describe los origenes y la evoluciôn de la biblioteca of the neighbourhoods of Québec City. Many of the public libraries de un barrio de la ciudadde . Muchas bibliotecas pûblicas were established on the foundations of an older parish libraries. de la provincia de Quebec se han desarrollados sobre el cimiento Such was the case in Limoilou. The public library evolved from one de antiguas bibliotecas parroquiales. Es el caso de Limoilou. La that used reading to control morals and parish life to one that used biblioteca pûblica ha pasado asi de una concepciôn de control of reading for cultural advancement and to improve literacy among moral y pastoral de la lectura pûblica a un servicio destinado al the citizens. progreso cultural y a la alfabetizaciôn de los ciudadanos.

Au début du XXe siècle, la ville de roisses comme un prolongement de l'ac­ faveur de trois facteurs. D'abord, le déve­ Québec possède de nombreuses petites tion pastorale du clergé. On redoute l'im­ loppement du port de Québec qui reprend bibliothèques d'associations et de collec­ pact idéologique de services municipaux vie après une période de léthargie, puis, la tivités, mais les établissements publics de lecture tels qu'on en retrouve depuis construction du chemin de fer vers Char­ sont rares. Notre-Dame-de-Québec pos­ longtemps aux États-Unis et au Canada levoix et le lac Saint-Jean et, surtout, la sède une bibliothèque paroissiale depuis anglais. À Montréal, au début du siècle, la disparition progressive des péages sur les 1843, mais elle n'est guère accessible aux création d'une bibliothèque publique a été ponts de la rivière et l'enlèvement des artisans et journaliers de la basse-ville. l'objet de farouches débats. Plusieurs con­ barrières sur la route de Charlesbourg ère Quelques privilégiés ont accès à la Biblio­ sidèrent la bibliothèque, de même que (aujourd'hui la 1 Avenue) et sur celle de thèque de la Législature s'ils sont recom­ l'école, comme une chasse gardée de Beauport (La Canardière). mandés par un notable, un professeur ou l'Église. un député. Entre 1890 et 1892, à Saint- À l'origine, Limoilou est une simple Roch, une bibliothèque gratuite pour les C'est donc souvent dans la paroisse zone semi-rurale aux portes de la ville, elle ouvriers a connu une brève carrière, mais qu'on expérimente la lecture publique au regroupe trois petites agglomérations elle a fermé ses portes lorsque le gouver­ Québec. La bibliothèque de Limoilou est ouvrières: Hedleyville, La Canardière et nement provincial lui a retiré sa subven­ un exemple de ces bibliothèques, nées New Waterford. En 1893, avec une popu­ tion (Gallichan 1994, 150-157). L'Institut dans le giron paroissial, qui sont devenues lation d'environ 1000 habitants, elle est canadien de Québec avec sa belle biblio­ au fil des années des bibliothèques de érigée en municipalité. Elle porte d'abord thèque d'association demeure le seul es­ quartier, poursuivant leur enracinement le nom de Saint-Roch Nord, mais on pré­ poir de ceux qui souhaitent qu'un service dans le milieu où elles sont nées. fère la rebaptiser Limoilou en souvenir du public de lecture soit un jour disponible à manoir malouin de Jacques Cartier qui Québec (Une question d'intérêt pu­ Un jeune quartier passa sur ce territoire son premier hiver en blic... 1896, 4). Nouvelle-France en 1535-1536. Limoilou est un quartier populaire de À cette époque, la question des bi­ Québec, situé sur la rive gauche de la bliothèques se pose surtout en des termes rivière Saint-Charles. Il est limité au nord de moralité publique. Les autorités, tant L'auteur tient à remercier les pères capucins de par la ville de Charlesbourg et à l'est par Limoilou, ainsi que M. Jean-Pierre Germain et le civiles que religieuses, préfèrent voir les Beauport. Ce secteur de la ville s'est urba­ personnel de la Bibliothèque de Québec pour bibliothèques se développer dans les pa­ nisé tardivement au tournant du siècle à la l'aide accordée pendant cette recherche. janvier - mars 1995 31 Documentation et bibliothèques

Ce n'est qu'en 1909 que la municipa­ encouragent les regroupements et asso­ primaire Saint-Maurice, ouverte en 1917. lité est annexée à Québec. Dès lors, ciations pieuses (tiers ordre, confrérie de Les Frères du Sacré-Coeur enseignent Limoilou attire les promoteurs de projets la Sainte-Famille, enfants de Marie, etc.). aux garçons à l'école Saint-Charles de­ résidentiels. En particulier, la Quebec Land puis 1910. Company acquière des terrains et mise Cependant, le sort s'acharne. La beaucoup sur ce nouveau j quartier at­ deuxième église brûle à son tour en 1916 La question de la lecture se pose trayant, au site agréable. De nouvelles et avec elle disparaissent 15 années de rapidement au sein de la communauté rues sont percées, les habitations se mul­ quêtes et d'efforts. On rebâtit néanmoins limouloise. Le Bulletin paroissial de tiplient et on encourage les jeunes ména­ et une nouvelle église est érigée en 1920 Limoilou, un mensuel fondé en 1912, abor­ ges à s'y établir. sur les ruines de la précédente. À cette de le sujet dès 1915 (Que lisez-vous? époque, le clergé catholique constate que 1915). On met en garde les paroissiens Après la Première Guerre mondiale, la Guerre a profondément changé les contre les mauvais livres (Vos lectures le quartier connaît un nouvel essor écono­ mentalités. Les pères sont conscients des 1922) qui menacent en particulier les jeu­ mique et démographique grace à l'ouver­ difficultés d'encadrement dans une pa­ nes filles souvent attirées par les romans ture d'une importante usine de papier jour­ roisse où la population est jeune mais à la mode (La page des jeunes filles 1924). nal, I'Anglo Canadian Pulp Company dépourvue de presque toute infrastructure On s'inquiète aussi du prosélytisme pro­ (aujourd'hui la Daishowa) et à l'apparition de loisirs. testant, des bibles et des pamphlets qui de plusieurs autres industries comme le sont vendus et distribués par des colpor­ bois de sciage, le cuir, le fer ornemental, la La salle paroissiale teurs (La sentinelle 1915). Il y a aussi ces construction résidentielle et l'alimentation. épiciers qui vendent «des petits livres En 1922, le père Urbain de Tecq, obcènes». Certains sont poursuivis en En un quart de siècle, la population alors curé de la paroisse, décide de trans­ justice au nom de la morale publique augmente de 500%. C'est une population former en salle paroissiale la chapelle (Commerce des livres... 1930). Bien sûr, jeune, surtout formée d'ouvriers, de cols temporaire qu'on avait bâti pour les be­ tous les romans ne sont pas corrupteurs, bleus et de petits fonctionnaires. On y est soins du culte. On y organise des activités mais il y a 65 ans, ce genre de librairie locataire à 80%. En 1930, Limoilou est un sociales en marge de la vie religieuse. clandestine n'était guère rassurant pour quartier presque entièrement francopho­ Mais ce frêle immeuble temporaire s'écrou­ qui avait charge d'âmes. ne et catholique et la paroisse constitue le le sous la neige en mars 1923. Le père 1 pôle social le plus solide . Urbain met alors sur pied un comité pour Dans Limoilou, nous avons quelques l'érection d'une nouvelle et vaste salle marchands qui tiennent un petit stock Les pères capucins à Limpilou paroissiale qui deviendra, espère-t-il, le de romans de quelques sous. Je sais centre communautaire du quartier. Le pro­ bien que nul d'entre eux ne voudrait C'est en 1896 que l'archevêché auto­ jet se réalise en un an et la nouvelle salle délibérément mettre dans le commer­ rise la division de Saint-Roch de Québec est inaugurée en 1924. ce de la littérature vraiment pornogra­ pour fonder, au-delà de la rivière, la pa­ phique, mais chacun se donne-t-H le roisse Saint-Charles de Limoilou. Les pre­ L'action catholique et la lecture publi­ souci sérieux de savoir exactement ce mières années sont difficiles. L'église, à que que valent les volumes qu'ils mettent peine terminée, est détruite par un incen­ en circulation. Nul vendeur pourtant die (1899) et, deux ans plus! tard, le curé Derrière le succès du père Urbain n'a de vendre au hasard et les déserte son presbytère, laissant la parois­ s'exprime le dynamisme que connaissent yeux fermés. (Épiciers... 1930) se avec une dette énorme. C'est alors que à cette époque les mouvements d'action Mgr Bégin confie la paroisse aux pères catholique, encouragés d'ailleurs par les La fondation de la bibliothèque capucins qui souhaitaient depuis long­ autorités diocésaines. Depuis déjà plu­ temps établir un noviciat dans le diocèse sieurs années, la Société Saint-Jean- Les pères comprennent rapidement de Québec. Le défi est de taille, mais le Baptiste, la Société Saint-Vincent-de-Paul que le meilleur moyen de combattre l'in­ père Alexis de Barbezieux j l'accepte au et les zouaves sont implantés à Limoilou. fluence des «mauvais livres», c'est d'ouvrir nom de sa communauté en 1902. L'ouverture de la salle permet l'éclosion de à la salle paroissiale une bibliothèque nouveaux mouvements comme la JÉC, la publique. Le père Maurice de Buzan, qui Les capucins, religieux de l'ordre de JOC, les cercles Lacordaire et Jeanne- succède au père Urbain à la tête de la Saint-François, étaient connus pour leur d'Arc, les guides et les jeannettes. paroisse, lance le projet qui reçoit, sem- travail communautaire et leur esprit so­ ble-t-il, un réel encouragement populaire. cial. Refusant les lois scolaires laïques Pour l'encadrement de tous ces «Quand la bibliothèque sera-t-elle ouver­ adoptées par le gouvernement de la II le mouvements, les capucins sont épaulés te?», demande «Une liseuse avide» dans République, ils quittent la France en 1890. par d'autres communautés religieuses qui Installés d'abord à , ils fondent leur se consacrent à l'enseignement. Les 1. Lorsque la Bibliothèque de Limoilou est fondée nouveau couvent à Limoilou en 1902 et Soeurs Servantesdu Saint-Coeur-de-Ma- en 1928, le quartier compte déjàtrois nouvelles prennent en mains la direction de la pa­ rie, arrivées à Limoilou en 1899, dirigent paroisses: Saint-François-d' Assise(1914), Saint- roisse. En peu de temps, ils donnent une en 1925 deux établissements: leur cou­ Pascal ( 1923) et Saint-Fidèle ( 1927). Laparoisse nette impulsion à la vie paroissiale et vent, érigé entre 1903 et 1912, et l'école Saint-Esprit est fondée en 1930.

32 janvier - mars 1995 Documentation et bibliothèques le Bulletin de juin 1928. On prévoyait alors une salutaire influence sur les moeurs d'apostolat, tant elles prodiguent l'inaugurer en septembre, mais tout ne fut et nos bibliothèques paroissiales parce joyeusement leurs fatigues. prêt qu'en novembre. que sous la surveillance des autorités religieuses offrent toutes les garanties C'est en effet dans un esprit mission­ Le père Maurice, l'initiateur de la que doivent exiger les parents honnê­ naire que le clergé conçoit encore le rôle bibliothèque, était d'origine française com­ tes et soucieux de l'éducation de leurs de la bibliothèque et de ses artisans. Il faut me son prédécesseur. Exilé d'une France enfants. (Bibliothèque paroissiale... défendre le Canada français contre «l'amé­ républicaine et laïque, il prêchait dans sa 1928, 10) ricanisme matérialiste» qui fait passer l'ar­ paroisse les valeurs du catholicisme tradi­ gent avant les valeurs de l'esprit. L'amour tionnel. Il était d'une école qui considère la L'oeuvre de Léona Trudel des livres et de la lecture doit se répandre lecture sans encadrement clérical comme pour soutenir la moralité publique et la vie une menace à l'ordre social et moral. Si cette bibliothèque voit le jour, c'est familiale. C'est en somme la survivance e grâce au soutien de la communauté des du discours ultramontain du XIX siècle [Le père Maurice] connaissait par sa (Notre bibliothèque... 1938). longue expérience personnelle le dé­ pères capucins, mais aussi grâce à une gât moral causé par les livres achetés équipe de jeunes femmes bénévoles qui Les règlements n'importe où etde n'importe quel auteur acceptent d'en assurer la garde, le service par les jeunes gens et peut-être enco­ et la gestion. Avec le vocabulaire de cette re plus par les jeunes filles. Il a pensé époque, Le Soleil mentionne le travail À ses débuts, la bibliothèque n'est qu'une bibliothèque possédant tous remarquable de ce «groupe de jeunes ouverte que le dimanche de 15 à 17 heures les livres au goût du jour, mais choisis filles aussi charmantes que dévouées.» et le mercredi de 19 h 30 à 21 heures. ceux-là parmi les bons auteurs, se­ (Le Soleil 1928) L'abonnement coûte 50 sous par année. raient pour les paroissiens en général On peut emprunter un livre à la fois et la durée du prêt est d'une semaine. Très vite, et les parents en particulier, une aide Un nom domine cette petite équipe ce règlement est modifié et on autorise morale et une distraction agréable de pionnières, c'est Léona Trudel qui con­ l'emprunt de deux livres par semaine. En autant que profitable. Car il faut bien se sacrera 20 ans de sa vie à la Bibliothèque cas de retard on exige une amende de 5 mettre dans l'idée, qu'une instruction, de Limoilou. Dès le début, on la désigne siforte soit-elle, est incomplète, si cette sous par volume (Avis et... 1929). comme la directrice ou la «bibliothécaire personne instruite ne lit pas. Il faut lire; en charge». Femme de tête, Léona Trudel et lire des livres qui meublent l'intelli­ En 1929, paraît le premier catalo­ anime avec persévérance son comité bé­ gence, la mémoire, qui cultivent et qui gue, une brochure de 52 pages composée 2 névole de huit personnes; on y retrouve développent. (De Buzan 1936, 169) . selon le modèle des catalogues imprimés Jeanne Crôteau, Hilda Matte, Gilberte de bibliothèques du XIXe siècle. Le cata­ Levasseur, Juliette Girard, Loretta Les débuts logue-brochure se vend 25 sous et offre Lapointe, Marguerite Maheux, Thérèse l'avantage de permettre au lecteur de le Dans l'après-midi du dimanche 11 Bérubé et Germaine Boucher. consulter à loisir et de mieux planifier sa novembre 1928, on procède à la bénédic­ visite à la bibliothèque. Un supplément de tion et à l'inauguration de la bibliothèque Le travail ne manque pas: il faut 15 pages est publié en 1932 avec la même installée dans un local de la salle parois­ commander et recevoir les livres, dresser présentation. siale de Limoilou. Le père Robert de Milhas, un catalogue et assurer un service régu­ supérieur du monastère, préside la céré­ lier. Mme Trudel doit aussi travailler de Des débuts difficiles monie. La nouvelle bibliothèque est dé­ concert avec un père qui est nommé par sa diée à sainte Thérèse de Lisieux, récem­ communauté pour veiller à la qualité mo­ Après des débuts encourageants, ment canonisée par Pie XI. C'est une rale des collections. Il va sans dire qu'il doit les progrès sont plutôt lents. En mai 1929, sainte fort populaire chez les catholiques approuver toute suggestion d'achat et, à de l'époque. De plus, on l'a désignée le nombre d'abonnés est de 240 et les l'occasion, il peut même en discuter avec prêts d'environ 700 par mois. On espère patronne des missions et des oeuvres ses supérieurs. La paroisse assume tous d'action catholique. Un choix inspiré, donc, voir rapidement doubler ces chiffres. Un les frais de fonctionnement de l'institution pour une bibliothèque. Une statue de la an plus tard, la collection compte 2 000 comme de l'ensemble des activités socio­ sainte occupe une place d'honneur dans le volumes, mais il n'y a encore que 284 local. culturelles de la salle. abonnés avec une circulation de 875 volu­ mes par mois. Le Bulletin paroissial rap­ e La petite collection initiale ne compte Le travail de Léona Trudel et de son pelle qu'au Canada, depuis le XIX siècle, que 500 volumes, mais 1 000 autres sont équipe est salué dans Le Bulletin de juin les brasseries ont prospéré avant les jour­ acquis au cours des semaines suivantes. 1937 et qualifié d'apostolat: naux ou les bibliothèques. On a «toujours Les journaux de la ville soulignent l'événe­ ment et L'Action catholique écrit: Qui pourra dire tout le bien fait par nos bibliothécaires? Elles ne le savent pas Nul doute que le public saura donnera elles-mêmes. Elles semblent ignorer 2. Le père Maurice avait aussi rédigé «le credo du cette initiative tout l'encouragement par ailleurs la somme d'abnégation et lecteur chrétien» en douze propositions (De Buzan qu'elle mérite. La saine lecture exerce de constance que requiert cette forme 1959,80) janvier - mars 1995 33 Documentation et bibliothèques plus soif de bière que d'instruction», écrit- on, un peu dépité (Notre bibliothèque... 1929, 226).

La grande dépression des années 30 n'encourage pas la fréquentation des li­ vres. Au cours de cette décennie, le nom­ bre d'abonnés ne dépasse guère 300. Limoilou compte pourtant plus de 1 600 familles. Heureusement que la bibliothè­ que offre une intéressante collection de romans, puisqu'en 1938 la bibliothèque prête 7 452 romans et seulement 418 «livres sérieux» à ses 212 abonnés.

Au cours des années suivantes les statistiques de la bibliothèque sont plus encourageantes. En 1942, on dépasse le chiffre de 500 abonnés et de 12 000 prêts. Les romans demeurent cependant les fa­ voris des lecteurs et des lectrices.

Le Bulletin paroissial offre une chro­ nique régulière pour faire la promotion de la bibliothèque, présenter les nouveautés et attirer une clientèle plus assidue. Au Intérieur de la Bibliothèque de Limoilou vers 1945. début c'est Léona Trudel qui rédige cette (Archives paroissiales de Limoilou) chronique mais, après 1942, elle est remplacée par une de ses collaboratri­ également une petite section sur l'histoire La bibliothèque des enfants ces, Mme Jeanne-d'Arc Minier qui signe de la Guerre de 1914 et une autre sur les «G. Lhu». Elle publie, jusqu'en 1946, de nom­ sciences, les récits de voyages et les À l'été de 1940, on fait une expérien­ breux articles au style vivant qui témoignent oeuvres classiques. Les auteurs classi­ ce en ouvrant la bibliothèque aux élèves encore du talent et de la volonté des femmes ques et romantiques choisis sont, entre des écoles pendant les vacances, moyen­ qui soutenaient l'établissement. autres, Boileau, Chateaubriand, nant un abonnement de 10 sous. On veut LaBruyère, Lafontaine, Lamartine, Moliè­ ainsi offrir un loisir aux jeunes et les proté­ Les premières collections re, Charles Perreault, Racine, Mme de ger «contre les dangers moraux et physi­ Sévigné, Shakespeare et Alfred de Vigny. ques qui les menacent pendant ces heu­ res libres.» (Une bonne nouvelle 1940). Le catalogue de 1929 et son supplé­ On y trouve aussi quelques auteurs an­ Plusieurs dangers sont évités, car plus de ment de 1932 constituent un intéressant ciens comme Sophocle et Virgile. témoignage d'une collection de ce genre 1 000 enfants fréquentent la bibliothèque en juillet et août de cette année-là (Un vrai de bibliothèque. On ne retrouve dans la C'est en somme, une collection po­ section des romans que des oeuvres dû­ succès 1940). L'expérience est concluan­ pulaire portant le sceau de la plus parfaite ment recommandées dans les listes de te et, l'année suivante, la bibliothèque de orthodoxie catholique, mais elle est aussi l'abbé Bethléem et de l'abbé Sagehomme. Limoilou inaugure sa section des jeunes. marquée au coin de la culture classique On y voit, par exemple, les livres de René qui dominait alors tout l'enseignement Bazin, Paul Bourget, Henri Bordeaux, Mme Ce mouvement de la lecture juvénile supérieur des collèges. Les lettres québé­ de Buxy, Mlle de Coulomb, Paul Féval, se manifeste d'ailleurs dans tout le Qué­ Mme Maryan, la comtesse de Ségur et coises n'y étaient pas négligées et une bec à cette époque et certains y voient un Jules Verne. Le catalogue compte aussi attention particulière était donnée aux «li­ avenir pour les bibliothèques populaires et une section de livres canadiens où figurent vres canadiens». un moyen de relèvement intellectuel pour parmi d'autres les oeuvres de l'abbé la collectivité (La bibliothèque des enfants Casgrain, LaureConan, Robert Choquette, Il existe un autre catalogue de cette 1941). Louis Frechette, Lionel Groulx, Robert de bibliothèque, lequel fut dressé vers 1960. Rocquebrune et du frère Marie-Victorin. Il n'est pas publié mais simplement dacty­ Limoilou se met donc à l'heure de la lographié. La structure générale de la littérature de jeunesse et achète des livres La bibliothèque offre aussi des «li­ collection demeure la même, mais on y d'aventure, des biographies destinées aux vres sérieux». Ce sont les ouvrages de remarque l'arrivée massive des éditions jeunes, des ouvrages de vulgarisation piété et de morale, les biographies, hagio­ de poche, des collections du type «Mara­ scientifique, des contes et des bandes graphies et livres d'histoire. On y trouve bout» et des livres pratiques. dessinées. Le samedi est la journée

34 janvier - mars 1995 Documentation et bibliothèques

réservée aux enfants à la bibliothèque et une grande utilisation et une fréquentation Charles est plus vieille, moins scolarisée on compte sur les enseignants et les intensive, la salle pèse lourd dans l'admi­ et plus pauvre. Le père Albert Gagnon, enseignantes pour assister la bibliothécaire nistration de la paroisse et le budget de la curé de la paroisse, écrit en 1950: ce jour-là et initier les petits au monde des bibliothèque en souffre au profit d'activités livres. plus lucratives comme celles de la salle de En somme, le niveau social et écono­ quilles beaucoup plus populaire. mique de Limoilou baisse tragiquement La succursale de l'Institut canadien et va certainement continuer sa cour­ Mme Yolande Boissinot, dans une be descendante. Comme Saint-Roch En 1948, la salle paroissiale est étude sur la salle paroissiale de Limoilou et beaucoup d'anciennes paroisses, agrandie d'une aile moderne, fonctionnel­ réalisée en 1950, constate que la biblio­ nous prenons figure d'ancienne grand- le et dotée d'un gymnase. La bibliothèque, thèque des adultes reste peu fréquentée, mère de plus en plus décrépite. Le à l'étroit dans son petit local de 1928, et surtout par des femmes d'âge mûr; on nombre de familles pauvres s'accroît. s'installe à l'étage du nouveau pavillon. La n'y voit pratiquement plus de jeunes. Le (Lettre du père Albert... 1950) superficie du nouveau local est de 1 278 samedi, une trentaine d'enfants occupent pieds carrés, soit un espace rayonnage de le local pour feuilleter les livres de contes Ce contexte explique en partie les 43 pieds sur 18 et une salle de lecture de et crayonner des cahiers de dessins difficultés de la bibliothèque. Le bénévolat 28 pieds sur 18. La collection dépasse (Boissinot 1952, 93). C'est peu si l'on et les dons ne suffisent pas à soutenir une alors les 5 000 volumes, mais le nombre pense que Limoilou compte alors environ institution culturelle qui ne parvient plus à d'abonnés plafonne autour de 550. 2 000 jeunes de 3 à 13 ans qui seraient remplir sa mission. Cette bibliothèque qui susceptibles de profiter de la bibliothèque. ne réussit pas à prendre son souffle est, en Avec le temps, la salle paroissiale de fait, à un tournant. Limoilou est devenue un important centre De fait, le «Vieux-Limoilou» se dé­ d'activités communautaires. En 1950, 86 grade et perd un peu de sa vigueur urbai­ En 1950, les pères capucins remet­ organismes et associations y occupent un ne. Le quartier s'étend vers le nord et deux tent la bibliothèque de Limoilou à l'Institut local: loisirs, services de santé, services nouvelles paroisses sont fondées, Saint- canadien de Québec qui en fera sa pre­ paroissiaux, mouvements catholiques, Albert-le-Grand (1946) et Sainte-Claire- mière succursale de quartier3. Depuis plu­ ciné-club, groupes sportifs, etc. Malgré d'Assise (1950). La population de Saint- sieurs années déjà, la ville a confié à l'Institut le soin d'offrir à la population des services de lecture. Avec l'acquisition de la bibliothèque de Limoilou et bientôt de celle de Saint-Malo, l'Institut crée le premier réseau de bibliothèques urbaines à Qué­ bec.

M. Henri Boissonneault assume à ce moment la responsabilité de la bibliothè­ que de Limoilou. On continue toujours néanmoins à recruter des bénévoles pour le travail technique et pour l'accueil. Dé­ sormais, on ne parle plus de bibliothèque paroissiale, mais bien de bibliothèque publique. Par la suite, Mme Louise Ber­ nard occupe le poste de bibliothécaire responsable du quartier.

Les bonnes lectures

Le nouveau service est entièrement gratuit et le prêt est consenti pour deux volumes par quinzaine. La moralité demeure cependant une priorité et un

3. La bibliothèque paroissiale de Saint-Malo est éga­ lement remise à l'Institut canadien à la même Au début des années 1960, la bibliothèque occupe un plus grand local, elle est alors époque. Le Conseil de ville de Québec demande à devenue une succursale de l'Institut canadien de Québec. (Archives paroissiales de l'Institut de prendre la direction de ces bibliothè­ Limoilou) ques et d'offrir un service de lecture publique dans ces quartiers. janvier - mars 1995 35 Documentation et bibliothèques aumônier est toujours nommé pour veiller comme les relations de couple, l'hygiène Centrale des syndicats démocratiques à l'orthodoxie des collections. corporelle ou la sexualité font leur appari­ (CSD). En octobre 1985, la nouvelle Bi­ tion sur les rayons de bibliothèques. On bliothèque est inaugurée à l'angle de la 4e Pendant toute la décennie 1950, le ne se désole plus de voir les lecteurs Rue et de la 4e Avenue. Mme Hélène Bulletin continue à faire la promotion des emprunter des romans populaires. La Dufour en est depuis la responsable sous bons livres et encourage la fréquentation bibliothèque publique prend un autre vi­ l'autorité de Jean-Pierre Germain, dési­ de la bibliothèque en publiant des listes de sage et tente de répondre davantage aux gné par la Bibliothèque de Québec com­ nouveautés. La moralité demeure présen­ goûts et aux besoins de ses usagers. En me directeur du réseau des bibliothèques te dans l'esprit des artisans de la bibliothè­ 1966, la collection est de 12 000 volumes de quartier. que. Il y a même, à l'époque, une croisade et périodiques, on compte 7 050 abonnés contre les mauvaises lectures, lancée par et 20 000 prêts annuels (La Bibliothèque Conclusion l'épiscopat du Québec. Cette campagne paroissiale 1966). dure de 1957 à 1962 et s'étend jusqu'aux L'histoire des bibliothèques populai­ rayons de la bibliothèque limouloise. Elle Avec la grande restructuration des res du Québec reste encore à faire. Il s'arrête avec les grandes réformes du services de bibliothèque à Québec, l'Insti­ faudra sonder les origines de plusieurs concile Vatican II au sein de l'Église et de tut canadien voit son rôle confirmé par la d'entre elles pour établir des comparai­ la Révolution tranquille au Québec. La ville comme responsable de ce dossier sons et confirmer les tendances générales disparition de l'Index, la démocratisation dans la capitale. Les bibliothèques de de leur évolution. Cependant, d'après nos de l'éducation, le changement des menta­ quartier connaissent elles aussi un nou­ connaissances du sujet, le cas de la biblio­ lités depuis la Guerre affectent en profon­ veau souffle au cours des années 1970 et thèque de Limoilou apparaît assez confor­ deur la vie culturelle du Québec et les 1980. Le grand Limoilou compte désor­ me à d'autres expériences du genre au bibliothèques publiques témoignent de ces mais trois bibliothèques: Saint-Charles, Québec. changements. La Canardière et Saint-Albert. Au début du siècle, la paroisse était On n'exige plus des bibliothécaires À Saint-Charles, il faut bientôt dé­ le seul lieu légitime et autorisé au Québec qu'ils soient des moralistes et des cen­ ménager, car la salle paroissiale a été où la bibliothèque pour tous pouvait naître seurs. Certains sujets naguère tabous vendue et devient le siège social de la et prendre racine. Le clergé fort de son autorité morale et de son statut social, avait de grandes ambitions et croyait, grâce à la générosité des fidèles, pouvoir soutenir et enrichir des collections publi­ ques de livres et de périodiques. Avec une bibliothèque fondée à l'ombre du clocher, on s'assurait que les livres offerts aient toutes les qualités morales et intellectuel­ les requises dans un quartier entièrement catholique.

Mais une bibliothèque coûte cher, son rayonnement et son impact culturels sont lents à se manifester, particulière­ ment dans un milieu populaire et défavo­ risé. L'obstination du clergé à refuser pen­ dant longtemps l'aide des pouvoirs pu­ blics municipaux et gouvernementaux ex­ plique les très lents progrès de ce type d'institution. On aurait aussi souhaité que le public lise moins de romans et plus de livres sérieux et édifiants. Les statistiques sont pourtant éloquentes à ce sujet: c'est le roman qui fut, et est encore, la voie royale de l'accès au monde du livre. Il fallait manifestement adapter la bibliothè­ que aux besoins du milieu pour qu'elle devienne un véritable levier culturel.

Ces débuts modestes ne doivent pas cependant dévaluer le travail obstiné des Édifice actuel de la Bibliothèque Saint-Charles à Limoilou. hommes et surtout des femmes qui ont

36 janvier - mars 1995 Documentation et bibliothèques donné bénévolement leur temps, leur dy­ Avis et règlements de la Bibliothèque paroissiale de La page des jeunes filles - Les mauvaises lectures. namisme, leurs compétences pour fonder Limoilou. 1929. 1924. Bulletinparoissial de Limoilou (janvier): 22. et maintenir, en pleine crise économique Bibliothèque paroissiale à Limoilou. 1928. L'action et presque sans ressources, une bibliothè­ catholique 9 novembre : 10. La sentinelle .1915. Bulletinparoissial de Limoilou que de quartier. Les noms de ces artisans (octobre): 116. et de ces pionnières sont souvent oubliés; Boissinot, Yolande. 1952. La salle paroissiale de Limoilou. Mémoire de maîtrise, Ecole de service Le Soleil. 1928.9 novembre: 21. leur contribution n'en est pas moins impor­ social, p. 93. tante pour les débuts de la bibliothéconomie Notre bibliothèqmparoissidlQ. 1929. Bulletinparois­ québécoise. Commerce des livres immoraux- Deuxjeunes épiciers sial de Limoilou (octobre): 226. plaident coupables. 1930. L'action catholique 27janvier: 10. La prise en mains de la bibliothèque Notre bibliothèque paroissiale. 1938. Bulletinparois­ sial de Limoilou (avril) : 82. de Limoilou par l'Institut canadien en 1950 DeBuzan, Maurice. 1936. Le coin de la bibliothèque. marque le début d'une ère de modernisa­ Bulletinparoissial de Limoilou(septQmbrè): 169. Que lisez-vous? 1915. Bulletinparoissial de Limoilou tion et d'ouverture sur une nouvelle con­ (août): 93. . 1959. Le credo du lecteur chrétien. Bulle- ception de la lecture publique. Petit à petit, tin paroissial de Limoilou (avril) : 80. Un vrai succès. 1940. Bulletinparoissial de Limoilou dans un Québec en mutation, la religion (octobre): 192-195. s'est retirée du service des bibliothèques. Épiciers et empoisonneurs. 1930. Bulletinparoissial de Limoilou (mars) : 57. L'oeuvre culturelle a remplacé l'oeuvre Une bonne nouvelle. 1940. Bulletin paroissial de Limoilou (juillet) : 129. pastorale et les bibliothèques de quartier Gallichan, Gilles. 1994. Honoré Mercier, lapolitique sont entrées dans une ère nouvelle de la et la culture. Sillery: Septentrion, p. 150-157. Une question d'intérêtpublic -Unmoyen facile d'avoir documentation et de la communication. I une bibliothèque publique àQuébec. 1896.Z 'élec­ Lettre du père AlbertàMgr J.-A. Bureau, 25 septembre teur (14 mars): 4. 1950. Archivesparoissiales de Limoilou, A-1 -3. Vos lectures. 1922. Bulletinparoissial de Limoilou Labibliothèque des enfants. 1941. L'actionnationale Sources consultées 18(2): 162-164. (décembre): 185-186.

À la bibliothèque. 1938. Bulletin paroissial de La bibliothèque paroissiale. 1966. Bulletinparoissial Limoilou (novembre): 220. deLimoilou(octobro): 14.

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