Entre patrimonialisation et aménagement du territoire : une archéologie des représentations des communautés religieuses dans le développement et la mise en valeur des "grands domaines" de Sillery (Québec, Canada)

Mémoire

Laurent Aubin

Maîtrise en sciences géographiques - avec mémoire Maître en sciences géographiques (M. Sc. géogr.)

Québec, Canada

© Laurent Aubin, 2019

Entre patrimonialisation et aménagement du territoire : une archéologie des représentations des communautés religieuses dans le développement et la mise en valeur des « grands domaines » de Sillery (Québec, Canada)

Mémoire

Laurent Aubin

Sous la direction de :

Étienne Berthold

Résumé

Depuis quelques années, les communautés religieuses du Québec expérimentent des transformations considérables sous l’effet de la baisse et du vieillissement de leurs effectifs. Il en découle de multiples manifestations visant à protéger et mettre en valeur le patrimoine des congrégations.

Ce mémoire s’intéresse plus précisément au processus de requalification des propriétés conventuelles et la patrimonialisation qu’il suscite dans l’optique de l’aménagement du territoire, à travers une archéologie des représentations.

Le présent mémoire étudie la patrimonialisation et la planification du secteur des « grands domaines » du site patrimonial de Sillery, un quartier de la ville de Québec au Canada entre 1964 et 2016. Il retrace et analyse les interprétations associées à la représentation des communautés religieuses et leur usage dans les discours et les pratiques aménagistes.

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Abstract

In recent years, religious communities in have been experiencing changes as a result of the decline and aging of their members. As a result, there are attempts to protect and enhance the communities’ heritage.

This thesis focuses on the process of requalification of convent properties and their patrimonialization, in the perspective of urban planning, through an archeology of representations.

The thesis examines patrimonialization and planning processes that took place between 1964 and 2016 on the main estates of the Sillery Heritage Site, located in , Canada. It traces and analyzes interpretations associated with representations of these communities and their use in discourses and planning practices.

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Table des matières

Résumé ...... ii Abstract ...... iii Table des matières...... iv Liste des figures ...... vi Liste des abréviations ...... vii Introduction ...... 1 Chapitre 1. L’aménagement du territoire et la patrimonialisation : pour un nouveau cadre d’étude du patrimoine des communautés religieuses ...... 4 1.1. Précisions conceptuelles ...... 6 1.1.1. Le patrimoine ...... 6 1.1.2. La patrimonialisation ...... 7 1.1.3. L’aménagement du territoire ...... 8 1.1.4. Le patrimoine et l’aménagement ...... 10 1.1.5. Le patrimoine des communautés religieuses...... 11 1.2. Principales orientations méthodologiques ...... 14 Chapitre 2. 1964-1988 - De l’histoire à la nature : l’émergence d’une représentation des communautés religieuses comme « gardiennes des lieux » aux prises avec les processus de patrimonialisation ...... 19 2.1. L’amorce d’urbanisation des grands domaines ...... 20 2.2. Vers la déclaration de l’arrondissement historique ...... 21 2.2.1. La notion d’arrondissement historique ...... 22 2.2.2. Caractérisation de l’arrondissement historique de Sillery en 1963 ..... 23 2.3. Les premières années de l’arrondissement (1963-1972) ...... 25 2.3.1. Le cas de Cataraqui ...... 26 2.3.2. Évolution du caractère de l’arrondissement historique ...... 28 2.3.3. La Stratégie de préservation et de mise en valeur de la falaise et de ses abords ...... 29 2.3.4. Le Vieux-Sillery – André Bernier ...... 31 2.3.5. L'architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas ...... 32 2.3.6. Le lotissement de Kilmarnock ...... 34 2.4. Le plan d’urbanisme de 1981 ...... 36 2.5. L’affaire Cataraqui en 1983 ...... 39 2.5.1. Le projet de la Maison-Michel Sarrazin ...... 40 2.5.2. Les auditions publiques d’août 1983 ...... 42 2.5.3. Le bilan de la Commission des biens culturels du Québec ...... 44 2.6. Le rôle des communautés religieuses (1963-2001) ...... 45

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2.6.1. Un rôle politique...... 49 2.6.2. Le rapport de 1982 ...... 51 2.6.3. Le cas du Boisé des Augustines ...... 52 Chapitre 3. 2005-2016 : Le nouveau millénaire ou la métamorphose d’un territoire : des discours et des outils d’aménagement et leurs nouvelles assises . 55 3.1. Un contexte urbanistique et immobilier particulier : le site patrimonial de Sillery au XXIe siècle ...... 56 3.2. Des premières conversions qui sèment la controverse...... 59 3.3. Des outils de planification en redéfinition ...... 63 3.4. Un renouvellement des discours de conservation ...... 68 3.5. De gardiennes à spéculatrices : une représentation paradoxale des communautés religieuses ...... 69 4. Chapitre 4 : Le patrimoine des communautés religieuses : réflexion sur une empreinte sur le territoire ...... 75 4.1. De la synthèse ...... 76 4.2. Des limites ...... 80 4.3. De la portée ...... 82 Conclusion ...... 86 Bibliographie ...... 90 Annexe A. Carte du site patrimonial de Sillery ...... 101

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Liste des figures

Figure 1. La maison des Jésuites-de-Sillery ...... 24 Figure 2. Vue aérienne du lotissement Kilmarnock ...... 35 Figure 3. Détail, Plan d'affectation du sol et répartition des densités ...... 38 Figure 4. Vue aérienne du Domaine Cataraqui ...... 41 Figure 5. Lotissement des propriétés des Assomptionnistes et des Sœurs de Sainte-Jeanne d'Arc ...... 48 Figure 6. Caricature du maire Charles-H. Blais ...... 50 Figure 7. Extrait de la carte « Les pôles métropolitains et les axes structurants » du PMAD ...... 57 Figure 8. Le Château de Bordeaux sur l'ancienne propriété des Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux ...... 60 Figure 9. La première phase de développement de la propriété des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique ...... 61 Figure 10. Carte du projet Domaine Benmore et Sous-les-Bois ...... 62 Figure 11. Détail de la carte « Arrondissement de Sainte-Foy-Sillery » dans le PDAD ...... 64

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Liste des abréviations

AHS : Arrondissement historique de Sillery

CBCQ : Commission des biens culturels du Québec

CMH : Commission des monuments historiques

CPCQ : Conseil du patrimoine culturel du Québec

CSMQ : Conseil des monuments et sites du Québec

LAU : Loi sur l’aménagement et l’urbanisme

LBC : Loi sur les biens culturels

LMH : Loi des monuments historiques

LPC : Loi sur le patrimoine culturel

MAC : Ministère des Affaires culturelles

PDAD : Plan directeur d'aménagement et de développement

PMAD : Plan métropolitain d'aménagement et de développement

PPU : Programme particulier d’urbanisme

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À Gabi, mon inspiration quotidienne

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There is no logic that can be superimposed on the city; people make it, and it is to them, not buildings, that we must fit our plans. – Jane Jacobs

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Remerciements

Mes premiers remerciements s’adressent d’emblée à mon directeur de recherche Étienne Berthold. Dès le début de l’aventure de cette deuxième maîtrise, il a su par ses conseils judicieux et sa passion pour les études urbaines m’intéresser à un sujet qui ne m’était pas familier, le patrimoine des communautés religieuses. Son support tout au long de mon parcours cahoteux et son érudition font que je le considère comme un véritable mentor. Merci !

Je remercie tout autant mes deux examinateurs, Mélanie Lanouette et Marc Saint-Hilaire, pour leur temps et leurs commentaires toujours constructifs. Je souligne aussi le support du Département de géographie de l’Université Laval, un milieu qui favorise la multidisciplinarité et la pensée critique.

Merci à toute l’équipe du projet « Le patrimoine des communautés religieuses : empreintes et approches » de la Chaire Fernand-Dumont sur la culture de l'Institut national de la recherche scientifique (Centre Urbanisation Culture Société) à Québec. Autre qu’Étienne, je pense aux professeures Diane Saint-Pierre, Linda Beaurivage et Ariane Vignola, pour m’avoir donné ma première chance en tant que stagiaire de recherche, ce qui a mené ensuite à l’organisation d’un colloque international et à la publication d’un ouvrage collectif.

Merci à toute l’équipe de l’Atlas de la vulnérabilité, spécialement Nathalie Barette et Benoit Lalonde pour avoir élargi mes intérêts scientifiques au domaine riche de l’adaptation aux changements climatiques et à une nouvelle forme de méthode de recherche. À mes collègues auxiliaires du local 3179, Jean-Louis, Louis-Pierre, Jean-Simon, Xavier, Simon, Jean-Philippe et j’en passe, merci pour votre amitié et les fertiles discussions.

J’aimerais également adresser un merci particulièrement senti à ma famille, plus particulièrement à mon père et à ma mère, Jean-Claude et Catherine, qui ont dès mon plus jeune âge toujours su attiser ma curiosité et m’inculquer l’importance de l’éducation. Merci pour vos encouragements et votre soutien sans borne !

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Je ne pouvais terminer ces remerciements sans adresser quelques mots à la personne la plus importante pour moi, ma blonde, Gabrielle. Je tiens sincèrement à te témoigner toute la reconnaissance et l’affection que j’ai pour toi. Tu m’as accompagné et réconforté à chaque instant. Ton aide et ton soutien tout au long de mon cheminement, qui a été pour le moins turbulent, et ce malgré mes angoisses et mes atermoiements, m’ont permis de garder la tête haute et de continuer. Merci !

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Introduction

À partir de la Révolution tranquille, mais plus particulièrement depuis le tournant du millénaire, on constate un déclin marqué et inexorable des effectifs des communautés religieuses au Québec. Le recrutement est très faible et chaque année, des centaines de religieuses décèdent. Une étude réalisée par la firme Samson Bélair prévoit d’ailleurs « l’extinction complète des communautés en 2035, si la tendance démographique se maintient » (Laurin, 2002 : 8).

De plus en plus de congrégations sont dans l’obligation de vendre leurs propriétés immobilières, souvent trop vastes et dont l’entretien est coûteux. Depuis une quinzaine d’années, l’aliénation de multiples ensembles conventuels à la grandeur du territoire québécois, tant en milieu urbain que rural, illustre bien cet irrésistible mouvement.

La vente de ces couvents et autres monastères suscite un mécanisme de conversion, ou encore plus précisément de requalification, c’est-à-dire le processus d’attribuer à ces propriétés une nouvelle vocation, qui s’accompagne généralement de la consolidation du milieu, entre autres par la construction de nouveaux bâtiments.

On observe, aussi bien dans l’élaboration des politiques publiques d’aménagement du territoire que dans la littérature scientifique, que les impacts de ces changements d’usage sont sous-estimés sur l’aménagement des villes. Ces transformations immobilières posent de nombreuses questions, notamment sur la prise en compte de la protection et la mise en valeur du patrimoine architectural, mais aussi de l’héritage social des communautés religieuses dans leur communauté.

Le présent mémoire s’intéressera ainsi à cette problématique, dans l’optique des études patrimoniales et de la géographie urbaine, par l’entremise de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Notre principal objectif est donc

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d’aborder la requalification des propriétés conventuelles comme un phénomène qui relève à la fois de la patrimonialisation et de l’aménagement du territoire.

Notre mémoire poursuit l’objectif principal d’étudier les rapports qui unissent le patrimoine et la patrimonialisation, d’un côté, et l’aménagement du territoire, de l’autre côté.

Plus précisément, le présent mémoire cherche à : 1- contribuer à l’étude du patrimoine sous l’angle des processus de patrimonialisation et des discours qui l’animent; 2- aborder l’aménagement du territoire sous l’angle des perceptions, des conceptions et des discours qui l’étayent; 3- aborder la requalification des propriétés conventuelles comme un phénomène qui relève à la fois de la patrimonialisation et de l’aménagement du territoire; 4- étudier les processus sous- tendant la requalification des propriétés conventuelles dans le site patrimonial de Sillery en mettant en exergue leurs rapports à la patrimonialisation, à l’aménagement du territoire et au rôle des groupes d’intérêt.

Nos questions de recherche sont les suivantes : de quelle manière les nouvelles conceptions du patrimoine transforment-elles les pratiques aménagistes ? De quelle façon la patrimonialisation marque-t-elle la requalification des ensembles conventuels ?

Notre hypothèse est structurée en trois volets :

1. La patrimonialisation et l’aménagement du territoire constituent des champs d’action idéologiques soumis notamment aux discours des acteurs sociaux; 2. La patrimonialisation « entraîne » la requalification des propriétés conventuelles dans un processus de protection et de mise en valeur qui traduit une idéologie de la conservation; 3. Les processus de patrimonialisation des propriétés conventuelles peuvent être largement teintés par les préoccupations de différents acteurs (gouvernements, municipalités, communautés religieuses, promoteurs, citoyens) et l’évolution du cadre légal, comme l’exprime le cas des grands domaines de Sillery.

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Le premier chapitre présentera notre cadre conceptuel, notamment les notions fondamentales de patrimoine, patrimonialisation et aménagement du territoire.

Les second et troisième chapitres présenteront quant à eux nos résultats : de 1964 au milieu des années 1990 pour le premier et de 2004 à 2016 pour le deuxième. Organisés sensiblement de la même manière, ces chapitres proposent une analyse du processus de patrimonialisation et de planification urbanistique du secteur de Sillery, en mettant en avant le rôle des représentations des communautés religieuses, lesquelles sont perceptibles à travers la construction des discours des acteurs institutionnels et citoyens.

Enfin, le quatrième chapitre clôt la présentation des résultats, revient sur nos objectifs de départs et propose une lecture nouvelle de nos conclusions.

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Chapitre 1. L’aménagement du territoire et la patrimonialisation : pour un nouveau cadre d’étude du patrimoine des communautés religieuses

Le présent chapitre comprend une revue de la littérature des principaux éléments de notre cadre conceptuel : patrimoine, aménagement du territoire, patrimonialisation et patrimoine des communautés religieuses. De plus, elle situe notre cadre théorique, notamment l’archéologie des représentations. La revue de littérature nous permet de justifier nos divers questionnements et hypothèses. Seront également présentés nos objectifs et nos questions de recherche, ainsi que nos hypothèses.

Le territoire étudié correspond aux frontières du site patrimonial de Sillery, anciennement nommé arrondissement historique de Sillery. Ses limites sont décrites dans l’arrêté en conseil numéro 219 du 5 février 1964 et correspondent approximativement au quadrilatère suivant : au nord par le chemin Saint-Louis, à l’est par l’avenue De Laune, au sud par le fleuve Saint-Laurent et enfin, à l’ouest, par la côte à Gignac (voir Annexe A). Il est entièrement compris dans l’arrondissement de Sainte-Foy–Sillery–Cap-Rouge de la ville de Québec et couvre près de 2,7 km2. Il englobe plus de 350 bâtiments, dont trois immeubles patrimoniaux classés, incluant la maison des Jésuites-de-Sillery, classée en mars 1929, qui est l'un des trois premiers biens patrimoniaux ayant reçu un statut juridique du gouvernement du Québec1.

Le site patrimonial de Sillery, comme le décrit le ministère de la Culture dans son inscription au Registre du patrimoine culturel du Québec, « couvre un territoire à caractère résidentiel et institutionnel. Il se distingue, entre autres, par son patrimoine bâti et paysager représentatif de toutes les périodes de son développement depuis le Régime français ». Il comprend enfin huit sites inscrits à

1 Les deux autres immeubles patrimoniaux sont la Maison George-William-Usborne, classée en 1972 et le Domaine Cataraqui, classé en 2012.

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l'Inventaire des sites archéologiques du Québec. Il possède également un potentiel archéologique qui résulte de la présence amérindienne et euro-québécoise.

Dans la perspective de la requalification de propriétés conventuelles, le site patrimonial de Sillery constitue un cas singulier. En effet, avec une présence historique de six communautés religieuses catholiques sur son territoire, il représente la plus grande concentration d’ensembles conventuels de la région de Québec à l’hectare, voire du Québec tout entier. On retrouve également d’autres propriétés ayant appartenu à des communautés ailleurs à Sillery2, mais celles-ci ont déjà un nouvel usage.

De plus, le statut de protection gouvernementale dont dispose le site patrimonial de Sillery depuis plus de cinquante ans encadre et conditionne grandement son développement autour de pratiques de conservation et de mise en valeur du patrimoine. Une telle dynamique fait du lieu un véritable laboratoire de l’évolution des pratiques urbanistiques et patrimoniales du Québec. De surcroît, on y retrouve une multitude d’acteurs (gouvernements, municipalités, communautés religieuses, institutions, gens d’affaires, groupes citoyens, etc.) qui s’intéressent de près au devenir du lieu.

La période qui sera étudiée s’étend de 1964 à 2016, soit de la création de l’arrondissement historique de Sillery jusqu’à l’entrée en vigueur du plan particulier d’urbanisme du site patrimonial de Sillery et ses environs3. Sur cette période d’un peu plus de 50 ans, quatre des six communautés présentes sur le site ont vendu la totalité ou une partie de leurs propriétés silleroises. Cette période consacre donc un mouvement immobilier propice à l’étude de la requalification des propriétés conventuelles dans le site patrimonial de Sillery.

2 La Ville de Sillery, fusionnée à Québec en 2002, a compté jusqu’à 11 communautés religieuses sur un territoire de 6,7 km2. 3 La deuxième version du programme particulier d’urbanisme a été dévoilée et adoptée aussitôt par le Conseil municipal le lundi 21 décembre 2015. Néanmoins, en raison d’une demande de groupes citoyens à la Commission municipale du Québec de donner leur avis sur la conformité de celui-ci au schéma d’aménagement, il est entré en vigueur le 30 mai 2016.

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1.1. Précisions conceptuelles

1.1.1. Le patrimoine

La notion de patrimoine a fortement évolué lors de son passage du droit aux sciences sociales. Rappelons d’entrée de jeu l’étymologie du mot, qui vient du latin patrimonium qui signifie littéralement « l’héritage du père ». À l’origine, il désigne l’héritage que l’on tient de son père et que l’on transmet à ses enfants. Il a alors un sens de bien individuel. La sémantique du terme s’élargit après la Révolution française dans sa signification de « bien collectif ».

Néanmoins, le sens premier du terme est encore utilisé aujourd’hui, notamment dans notarial. Il prend alors la signification suivante, soit l’« [e]nsemble des biens et des obligations d'une personne qui sont appréciables en argent. Il forme un tout constitué de l'actif et du passif d'une personne » (Reid, 2010).

Dans son aspect collectif, il est intéressant de rappeler la définition du concept dans la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 1972 de l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) : « Le patrimoine est l'héritage du passé dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir » (UNESCO, 1972).

La définition du patrimoine dans la Loi sur le patrimoine culturel du Québec montre à quel point la notion s’est considérablement élargie dans les quarante dernières années. On lit dans le préambule de ce texte juridique que « le patrimoine culturel, reflet de l'identité d'une société, est constitué de personnages historiques décédés, de lieux et d'événements historiques, de documents, d'immeubles, d'objets et de sites patrimoniaux, de paysages culturels patrimoniaux et de patrimoine immatériel » (chapitre P-9.002).

Dans les années qui ont précédé l’adoption de cette loi en octobre 2012, un nombre important de rapports et d’études gouvernementales ont été rédigés sur la

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notion de patrimoine, notamment par le ministère de la Culture et la Commission des biens culturels du Québec. Selon nous, la plus pertinente est celle du Groupe- conseil sur la politique du patrimoine, ou rapport Arpin : « peut être considéré comme patrimoine tout objet ou ensemble, matériel ou immatériel, reconnu et approprié collectivement pour sa valeur de témoignage et de mémoire historique et méritant d’être protégé, conservé et mis en valeur » (Arpin, 2000 : 33).

Berthold reprend en partie cette définition dans une publication de 2012, en la simplifiant pour l’opérationnaliser : « Un bien, un ensemble de biens ou un héritage immatériel qu’une collectivité donnée entreprend de conserver par l’entremise de pratiques de restauration » (Berthold, 2012 : 12).

1.1.2. La patrimonialisation

En règle générale, la communauté scientifique aborde, de plus en plus, le patrimoine comme le résultat d’un processus de construction sociale, la patrimonialisation. La patrimonialisation est une approche théorique qui voit la constitution du patrimoine d’une collectivité donnée comme une démarche sociétale. On l’appelle aussi « mise en patrimoine » ou encore « construction patrimoniale ».

Dans cette perspective, les manifestations à caractère patrimonial font l’objet d’un processus de sélection investi, de part en part, de préoccupations présentistes (Hartog, 2012). Ainsi, le patrimoine n’existe pas a priori, il est construit socialement et les sociétés cherchent à répondre à leurs préoccupations actuelles à travers lui (Sol, 2007; Di Méo, 2008). Ce processus de sélection prend forme autour de pratiques discursives et il reflète plusieurs influences (Berthold, 2012), parmi lesquelles figurent les contextes socioéconomiques (Greffe, 2014), les idéologies politiques (Hobsbawm et Ranger, 1994) et les spécialisations disciplinaires provenant de l’univers de la culture savante (Davallon, 2006).

Le travail de patrimonialisation croise inévitablement un « entrelacs de sensibilités » qui lui donnent une impulsion ou contre lesquelles il se heurte (Auzas

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et Tran, 2010). L’inscription dans l’espace-temps du patrimoine est également fondamentale pour de nombreux auteurs. Pensons ici à Michel Lacroix (1997) qui le considère comme une construction du présent nourrie par l’idéologie de la conservation ou encore à Henri-Pierre Jeudy (2001) qui le voit quant à lui comme une logique d’action ayant pour matière le passé mais résolument inscrite dans les intentions et dans le « jeu » des acteurs du présent.

Une autre dimension incontournable de la patrimonialisation influence ses effets à l'échelle urbaine. En effet, les processus de patrimonialisation sont très influencés par les jeux d’acteurs qui s’expriment à travers elle et tout particulièrement, par les groupes d’intérêt qui l’ont investie très fortement afin de soutenir leurs conceptions et leurs discours. Martin Drouin aborde cette logique dans son ouvrage Le combat du patrimoine à Montréal (1973-2003) : « […] le patrimoine est avant tout une idée qui prend forme dans les discours. […] Afin d’ériger le bâtiment architectural en patrimoine, un discours doit donc proposer un argumentaire de légitimation qui, en l’absence de réalité objective du patrimoine, articulera son identification et sa sauvegarde » (Drouin, 2005 : 21).

En définitive, nous aborderons ainsi le patrimoine comme un « véhicule » de discours par l’entremise duquel les acteurs sociaux cherchent à exprimer des intérêts et à légitimer des positions.

1.1.3. L’aménagement du territoire

En tant que pratique professionnelle et domaine d’étude, l’aménagement du territoire suscite un intérêt grandissant, notamment au Québec. Ce phénomène assez récent peut s’expliquer par plusieurs facteurs concomitants. D’une part, le cadre légal et réglementaire en matière d’aménagement et d'urbanisme connaît un développement soutenu depuis quelques années dans des secteurs aussi variés que la protection du territoire et des activités agricoles, la qualité de l’environnement ou encore le patrimoine.

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Dans ce domaine précis, l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur le patrimoine culturel (chapitre P-9.002), en octobre 2012, a permis de renouveler une partie de l’approche de conservation des manifestations et des objets dits patrimoniaux. D’autre part, l’intérêt du domaine de l’aménagement du territoire s’explique également par l’intensification des débats sociaux qu’il entraîne et devant laquelle les autorités politiques doivent prendre position, souvent dans la controverse (Ibanez, 2013).

Le plus souvent, l’aménagement du territoire est présenté comme un domaine au caractère relativement objectif qui a pour but d’établir la localisation la plus optimale des infrastructures et des grands équipements collectifs, encadré par un cadre législatif et règlementaire exhaustif. On peut définir l’aménagement comme un « ensemble d’actions concertées visant à disposer avec ordre les habitants, les activités, les constructions, les équipements et les moyens de communication sur l’étendue du territoire » (Merlin et Choay, 2015).

De plus, Pierre Merlin précise que cette « action volontaire, concertée [est] impulsée par les pouvoirs publics qui suppose une planification spatiale (aspect volontaire) et une mobilisation des acteurs concernés : population, entreprises, élus locaux, services publics, etc. (aspect concerté) » (Merlin, 1988 : 11).

Au Québec, l’aménagement du territoire est régi par une loi-cadre depuis 1979 : la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (chapitre A-19.1). Elle contient de nombreux éléments normatifs et oblige, notamment, les municipalités régionales de comté à se doter de schémas d’aménagement et de développement et les municipalités locales de plans et de règlements d’urbanisme harmonisés à ce schéma (zonage, lotissement, construction).

L'aménagement du territoire correspond aussi, et peut-être même de manière encore plus fondamentale, à un acte politique par la dimension de planification qu’il comporte ainsi que par le contrôle de l’usage du sol qu’il souhaite établir. Dans son ouvrage Géopolitique de l’aménagement du territoire, le géographe Philippe Subra (2007) explique que l’aménagement est un champ d’action

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éminemment idéologique dans la mesure où il est alimenté par un ensemble de perceptions et de conceptions du bien commun : toute action aménagiste recèle des choix politiques, une concurrence des discours et des conflits de représentations (Breux, 2007).

Par ailleurs, s’il est affaire de discussions et de débats, l’aménagement du territoire touche de près les populations locales. En effet, la participation publique est l’un des fondements du cadre aménagiste québécois instauré par la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme en 1979 (chapitre A-19).

Dans la logique de la démocratie participative, les citoyens cherchent à alimenter et à diriger l’aménagement sur la base de leurs préoccupations (Bherer, 2006). C’est ainsi qu’une problématique aménagiste peut rapidement acquérir une portée locale, régionale et nationale tout à la fois. Pour s’en convaincre rapidement, il suffit de regarder les controverses auxquelles ont donné lieu des projets marquants comme la construction de l’aéroport de Mirabel, pendant les années 1970, ou encore la question très actuelle de la construction d’un troisième lien entre Québec et Lévis (Côté, 2015). Pour résumer, l’aménagement du territoire est donc marqué de discours sociaux, qui l’influencent et le modèlent.

1.1.4. Le patrimoine et l’aménagement

Il existe plusieurs façons d’aborder le patrimoine culturel sous l’angle de l’aménagement du territoire, mais deux approches se détachent dans la pratique urbanistique. La première, pragmatique, consiste à considérer l’objet patrimonial comme un « équipement » collectif qu’il s’agit de localiser de la façon la plus optimale possible afin de contribuer au développement culturel ainsi qu’au bien- être des populations locales. C’est dans cette perspective, par exemple, que la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (chapitre A.19-1) confie aux municipalités régionales de comté la responsabilité de « déterminer les parties de leur territoire qui présentent un intérêt d'ordre historique, culturel, patrimonial, esthétique ou écologique » (article 5, paragraphe 6) dans leur schéma d’aménagement et de développement. Les urbanistes qui ont recours à cette approche sont

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particulièrement ceux qui exercent leur profession dans les municipalités régionales de comté et les municipalités.

Une deuxième approche, plus critique, aborde pour sa part le patrimoine sous l’angle des relations qu’il entretient avec le tissu urbain, défini comme un « concept synthétique de tous les aspects qui concernent l’assemblage des voies, des parcelles et des édifices dans la trame urbaine » (Larochelle, Gauthier, 2005 dans Patri-Arch, 2006a : 11). Elle prend, en quelque sorte, la contrepartie de la première qui conçoit le patrimoine comme un équipement collectif dépourvu d’ancrage historique qui peut être implanté à peu près indistinctement sur le territoire.

Elle postule plutôt que le fait d'instituer et d’encadrer un patrimoine par une série de mesures légales parfois très contraignantes mène à la « mise en réserve » de pans entiers de villes et de territoires (Guertin, 2015). Il s’ensuit le déploiement d’une idéologie de la conservation qui aurait pour effet d’altérer l’évolution naturelle et normale d’un « tissu urbain » portant, de façon innée, le sens de la ville et du territoire (Payette-Hamelin, 2007; Brochu, 2011).

Cette approche a le mérite d’être moins pragmatique que la première dont il a été fait mention plus haut. Néanmoins, elle paraît surdéterminée par une conception typo-morphologique de la réalité urbaine qui l’amène à sous-estimer une composante essentielle du patrimoine culturel et des idéologies qu’il véhicule, c’est-à-dire sa fonction de production du sens (Berthold et Aubin, 2016).

1.1.5. Le patrimoine des communautés religieuses

D’entrée de jeu, les communautés religieuses (en droit canonique, institut de vie consacrée), sont des « sociétés dans [les]quelles les membres prononcent, selon le droit propre, des vœux publics perpétuels, ou temporaires à renouveler à leur échéance, et mènent en commun la vie fraternelle » (can. 607 § 2 dans Libreria Editrice Vaticana, 2019).

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Le patrimoine des communautés religieuses s’inscrit dans le sillage du patrimoine religieux. Les études sur ce patrimoine portent en très forte majorité sur le patrimoine diocésain, soit les églises, les évêchés et les presbytères, mais assez peu sur celui des communautés religieuses (Martin, 2004). Néanmoins, l’étude du patrimoine des congrégations est fortement investie par des disciplines comme l’architecture et l’ethnologie. Leur patrimoine comprend à la fois des manifestations matérielles (ensembles conventuels, mobiliers, archives, etc.) et immatérielles (pratiques, mœurs). Un pan de la littérature s’intéresse au patrimoine archivistique religieux, à sa valeur de témoignage et aux enjeux entourant sa préservation. Cette littérature aborde par ailleurs largement le patrimoine archivistique des congrégations religieuses, particulièrement riche, mais aussi menacé compte tenu de la décroissance des effectifs (et du sous- financement).

On compte deux grandes approches pour étudier le patrimoine des communautés religieuses dans ses multiples dimensions au Québec. La première, qui relève des sciences de l’architecture, s’attarde aux composantes bâties des sites des ensembles conventuels, soit les différents éléments composant l’édifice principal et les bâtiments secondaires d’intérêt. Elle traite essentiellement de l’extérieur des édifices, mais également de l’intérieur si des éléments d’intérêt s’y retrouvent, tels des chapelles ou autres lieux significatifs pour leur décor et leurs finis architecturaux (Patri-Arch, 2006; Noppen et Morisset, 1994).

Cette évaluation par valeurs d’intérêt, en terme urbanistique (âge, usage, authenticité, art et architecture, paysage, position urbaine) amène souvent à une classification des propriétés dans le but d’en connaître les potentiels de conservation, de mise en valeur ou encore de développement.

Une seconde approche fait plutôt une analyse ethnologique, c’est-à-dire une étude de l’ensemble des caractères de chaque communauté, afin d’établir les lignes générales de structure et d’évolution de celles-ci. Par exemple, on compte de plus en plus d’inventaires des mœurs et des coutumes, dont l'art de la dorure ou de la broderie pratiqué par les Ursulines, ou encore les gestes quotidiens (repas, pratique

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religieuse) qui ont marqué les établissements des communautés religieuses (Simard, 1999).

Ces deux approches présentent de nombreux avantages, entre autres celui d’offrir une grille d’analyse fort utile aux intervenants chargés de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine à caractère religieux. Elles connaissent néanmoins des lacunes, la première ne s’intéressant qu’à la matérialité du patrimoine des communautés religieuses et la seconde se déployant à une échelle empirique parfois très éloignée des réelles préoccupations socioéconomiques et politiques de conservation.

Une troisième approche, émergente dans la littérature, propose un angle d’analyse nouveau. Elle est centrée avant toute chose sur l’action sociale des communautés religieuses4 et sur les traces que celle-ci a laissées dans les sociétés contemporaines, mais aussi sur sa mise en patrimoine (Berthold, 2015). Cette approche est d’autant plus intéressante qu’elle suggère une continuité dans les usages des bâtiments en fonction de l’histoire de ceux-ci et des usages historiques, sociaux et environnementaux qui s’en dégagent (Dubois, 2002; Velthuis et Spenneman, 2007). Ce postulat fait recours au concept, dérivé du développement durable, de « adaptive reuse », que l’on peut définir comme un processus au terme duquel un élément matériel frappé de désuétude acquiert de nouveaux usages (Bullen et Love, 2011)

Enfin, la conception du patrimoine social des communautés religieuses, appliqué au patrimoine bâti, postule d’emblée « qu’une adaptation réussie doit s’appuyer sur une correspondance étroite entre le sens historique que possède un bâtiment et le/les usage(s) social(aux) dont il a fait l’objet et le/les usage(s) futur(s) au(x)quel(s) il est destiné » (Bluestone, 2012; Yung et Chan, 2012; Berthold, 2017 : 11).

4 Une action qui, par-delà l’organisation et les cadres immédiats des congrégations, a été conçue pour être déployée auprès d’individus et de groupes sociaux de différentes taille et nature (des groupes d’appartenance immédiate, comme la famille, jusqu’aux plus grands groupes référentiels au sein desquels les individus ne sont pas en interaction directe). Une partie de cette action est, pour ainsi dire, « formatée » par les règles constitutives des communautés religieuses (Berthold, 2017).

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1.2. Principales orientations méthodologiques

Pour répondre à ces questions, nous allons utiliser, comme méthode de traitement de l’information, une analyse de type qualitatif, c’est-à-dire qui concerne la qualité, la nature des choses, et non la quantité, l'aspect mesurable (lire statistique). La présente recherche va donc adopter comme méthode l’analyse de contenu. Laurence Badrin l’a définie comme « un ensemble de techniques d'analyse des communications visant, par des procédures systématiques et objectives de description du contenu des énoncés, à obtenir des indicateurs (quantitatifs ou non) permettant l'inférence de connaissances relatives aux conditions de production/réception (variables inférées) de ces énoncés » (Badrin, 1977 : 43).

Plus précisément, nous allons utiliser l’analyse de discours pour comprendre les processus de patrimonialisation et dégager les grands enjeux de l’argumentaire des différents acteurs. Comme le mentionnent Gumuchian et Marois, parmi tous les matériaux susceptibles d’être retenus lors d’une réflexion sur l’espace, « le discours est certainement l’un des plus riches. En matière d’aménagement du territoire, le discours est même primordial puisqu’il participe directement au processus de production d’espaces » (Gumuchian et Marois, 1999 : 335).

Le concept de discours, qui connaît une évolution et un intérêt de plus en marqués dans la recherche en sciences humaines et sociales, sera analysé dans le sens utilisé par Michel Foucault et Amélie Seignour. Dans L’Archéologie du savoir, Foucault explique qu’un discours « est constitué d’un nombre limité d’énoncés pour lesquels on peut définir un ensemble de conditions d’existences » (Foucault, 1969 : 161). Autrement dit, les énoncés formant les discours doivent appartenir à la même formation discursive, provenir du même contexte et permettre de révéler les intérêts des acteurs.

Quant à Seignour (2011 : 32), dans Méthode d'analyse des discours, elle conçoit le discours comme un acte d’influence qui dépend d’un contexte donné.

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Ainsi, un discours ne reflète pas la réalité objective et factuelle, mais bien les représentations subjectives que les acteurs se font de cette même réalité. De surcroît, à travers l’énonciation même de ces discours, les acteurs souhaitent inculquer ces représentations à leurs interlocuteurs.

Ces définitions introduisent donc que dans l’analyse des discours, certains éléments devront nécessairement être identifiés : les acteurs les ayant énoncés, les relations entre ces mêmes acteurs, leurs représentations du réel, leurs intérêts communs ou divergents, les contextes dans lesquels s’ancrent leurs discours et les arguments y étant inscrits.

Il est à préciser que l’analyse de discours a comme objectif d’étudier la manière dont les discours sont énoncés et non la manière dont ils sont reçus auprès du public. Cette méthode possède certains points communs avec l’analyse de contenu, mais propose un examen plus approfondi; plutôt que décrire les discours en ne se concentrant que sur leur contenu, elle permet de les interpréter en étudiant la manière dont ils sont exprimés. Il est à noter que cette interprétation des discours est seulement possible avec la prise en compte des intérêts présents des acteurs (Paillé et Mucchielli, 2009; Seignour, 2011; Pawliw, 2019).

L’analyse discursive va nous permettre, d’une part, d’aborder l’aménagement du territoire et la conversion des propriétés conventuelles sous l’angle des processus de valorisation du patrimoine qui s’y rattachent (discours et leurs déterminants) et, d’autre part, d’identifier et d’analyser les interprétations qui, au sein de ces processus de valorisation du patrimoine, consacrent une conception du patrimoine social des communautés religieuses.

La chaine des opérations méthodologiques comprendra deux étapes majeures : 1- notre première démarche consistera à retracer le déroulement des processus de conversion des propriétés conventuelles à l’étude sur une base chronologique. Pour ce faire, nous nous appuierons surtout sur des sources premières (notamment les analyses scientifiques, lorsqu’elles existent, et les articles de quotidiens, qui sont nombreux); 2- notre deuxième démarche consistera

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à documenter les processus de valorisation du patrimoine à l’œuvre derrière la conversion des propriétés conventuelles.

Tout d’abord, selon nos orientations théoriques, nous retracerons et analyserons les discours qui véhiculent des interprétations mettant de l’avant le caractère matériel du patrimoine des communautés religieuses. Sur cette base, nous retracerons et analyserons, ensuite, les interprétations que couronne plutôt une préoccupation pour le volet social de ce même patrimoine. Notre démarche d’analyse des discours reposera sur une approche qualitative considérant l’univers textuel comme un foyer d’idées, d’arguments et de débats qui n’est pas refermé sur lui-même (Chartier, 1998). Les discours à l’étude seront ceux des « acteurs » (individus, tout comme des regroupements associatifs, des organisations et des institutions) qui ont pris part aux processus de conversion des propriétés conventuelles ou, encore, qui ont pu énoncer une conception du patrimoine au cours ou au terme de ceux-ci sans y avoir pris part formellement.

Les textes (articles de quotidiens, prises de position publiques, mémoires, etc.) constitueront notre principale source pour l’analyse des discours : dans le cas qui nous concerne, ces sources sont très nombreuses et sont de nature variée (gouvernementale, médiatique, scientifique, etc.).

Pour la période d’étude antérieure aux années 2000, nous étudierons principalement des sources de nature gouvernementales. Ces sources proviennent notamment des dossiers du Fonds Conseil du patrimoine culturel du Québec, conservé au centre d’archives de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Elles comprennent des rapports, des études, des procès-verbaux de rencontres ou d’exercices de consultation, des coupures de journaux et des notes personnelles. Une revue exhaustive de la littérature portant sur l’arrondissement historique de Sillery complète et approfondit certains éléments précis de la recherche, tout comme l’étude des documents de planification et de réglementation en matière d’urbanisme.

En ce qui concerne la période postérieure aux années 2000, nous avons mené une revue de presse des articles traitant à la fois du patrimoine et du site de

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Sillery, en mettant l’accent sur la mention des communautés religieuses. Une centaine d’articles des quotidiens Le Soleil, Le Journal de Québec et Le Devoir ont été étudiés, principalement sur la période 2005 à 2014. Enfin, une analyse approfondie des minutes de la consultation publique tenue par le Conseil du patrimoine culturel du Québec du 20 février au 3 avril 2013 sur le projet de plan de conservation du site patrimonial de Sillery a été menée.

Nous aborderons nos sources de deux façons principales : i- sur une base individuelle pour en décoder les logiques et les contenus propres; ii- sur une base collective pour identifier les « régularités » qui consacrent la construction des discours patrimoniaux. Cette analyse des sources nous invitera ensuite à situer les processus de valorisation du patrimoine et les discours qui s’y rattachent dans le cercle des contextes et des facteurs socioéconomiques et normatifs qui les encadrent.

Notre démarche méthodologique sera fondée sur l’objectif de retracer et d’analyser les jalons de la requalification des propriétés conventuelles des grands domaines de Sillery en mettant l’accent sur les processus qui ont mené à leur patrimonialisation. Les propriétés étudiées seront celles des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique, des Religieuses de Jésus-Marie, des Sœurs de Sainte- Jeanne d’Arc ainsi que des Augustines de la Miséricorde de Jésus. Nous nous attacherons, tout particulièrement, à retracer la patrimonialisation des grands domaines en décortiquant les argumentaires des divers acteurs en présence, notamment par une vaste revue de presse.

Le présent mémoire déconstruira le processus de conservation et de mise en valeur des ensembles conventuels du site patrimonial de Sillery. À travers une archéologie des représentations et une analyse historique, il retracera les grandes étapes du développement des orientations prises par les autorités publiques en matière de conservation du patrimoine et de planification du territoire. Sous ce rapport, nous démontrerons qu’il se forme des représentations des congrégations qui alimentent directement les processus de patrimonialisation et qui sont susceptibles d’influencer directement les pratiques aménagistes tout comme les processus de conversion des propriétés conventuelles elles-mêmes. Ce faisant le

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texte met en relief les tensions susceptibles d’être observées entre différentes interprétations de l’héritage des communautés religieuses.

Un tel travail d’interprétation nécessite, croyons-nous, un croisement avec une archéologie des représentations, à la manière dont l’a esquissée Foucault (1969), dans la mesure où celle-ci permet de retracer la construction des représentations couronnant les pratiques sociales. Elle amène à déconstruire un objet construit au fil d’une série de représentations qui prennent la forme de couches. C’est également le recours à la perspective archéologique qui permet le mieux, pensons-nous, de retracer les processus de formation du patrimoine social des communautés religieuses, c’est-à-dire les processus au fil desquels l’œuvre (religieuse), qui s’incarne dans une action sociale, se donne comme patrimoine dont la société contemporaine conserve les traces.

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Chapitre 2. 1964-1988 - De l’histoire à la nature : l’émergence d’une représentation des communautés religieuses comme « gardiennes des lieux » aux prises avec les processus de patrimonialisation

Ce chapitre consiste principalement en une étude « historienne » et urbanistique des trois premières décennies d’existence de l’arrondissement historique de Sillery, c’est-à-dire entre 1963 et 1988.

L’étude de la création de cet arrondissement historique illustre les préoccupations nationalistes de l’époque. Ensuite, l’analyse du changement de caractère de l’arrondissement montre l’évolution des sensibilités patrimoniales du site, d’un cachet lié au Régime français à la mise en valeur des espaces verts. Elle se fait à travers notamment un examen de documents historiques, de procès- verbaux de la Commission des biens culturels et des mémoires des auditions quant à l’avenir du domaine Cataraqui. Enfin, l’analyse du rôle des communautés religieuses montre l’apparition de leur représentation de gardiennes des grands domaines.

Au tournant des années 1960, l’agglomération urbaine de Québec, à l’instar de nombreuses autres aires métropolitaines nord-américaines, connait une expansion suburbaine importante. Les municipalités voisines de la capitale voient leur population augmenter de manière considérable dans un contexte d’urbanisation rapide de leur territoire (Mercier et Côté, 2012). Le phénomène est particulièrement fort dans la partie ouest de la colline de Québec, dans les villes de Sainte-Foy et de Sillery5. De surcroît, certains quartiers centraux de Québec subissent d’importants bouleversements dans le contexte de la rénovation urbaine (urban renewal, urban regeneration) et de l’urbanisme fonctionnaliste (Berthold, 2012 : 119). Dans le sillage de la sortie du Rapport sur l’aménagement de Québec

5 La population de la cité de Sillery passe en effet de quelque 4200 habitants à plus de 14 000 entre 1941 et 1961.

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et de sa région de Jacques Gréber (1956) et du rapport de la Commission d’enquête sur le logement de la Cité de Québec, communément nommé rapport Martin (1961), la région métropolitaine de Québec voit son réseau autoroutier se développer et certains logements insalubres taudis du centre-ville être démolis.

À l’instar de Sainte-Foy, Beauport ou encore Charlesbourg, une partie des terres agricoles de Sillery sont loties en ensembles d’habitations de faible densité particulièrement dans les zones limitrophes de Québec. Même si la municipalité se donne une vocation résidentielle, un petit secteur commercial est concentré sur l’avenue Maguire et les industries, dominées par les activités portuaires, sont repoussées au pied de la falaise (Urbanex, 1976). En 1980, une portion importante de l’assiette foncière de Sillery est occupée par des acteurs publics et parapublics (près de 45% du territoire de la municipalité), dont 80% par des communautés religieuses et l’Université Laval (Ville de Sillery, 1981 : 13). Enfin, on trouve à Sillery trois cimetières et le Bois-de-Coulonge (anciennement Spencer Wood), résidence officielle des lieutenants-gouverneurs du Québec de 1870 à 1964.

Fait à noter, Sillery accueille l’un des trois premiers monuments historiques protégés par le gouvernement de la Province de Québec en vertu de la Loi relative à la conservation des monuments et des objets d'art ayant un intérêt historique ou artistique de 1922. Il s’agit de la maison des Jésuites-de-Sillery, sur le chemin du Foulon, classée en mars 1929 en même temps que l’église Notre-Dame-des- Victoires à Québec et le château De Ramezay à Montréal.

2.1. L’amorce d’urbanisation des grands domaines

De manière singulière, la cité de Sillery ne connaît pas, jusqu’à la fin des années 1950, une urbanisation massive de son territoire par l’existence des « grands domaines », un ensemble de propriétés foncières pourvues de vastes terrains qui sont situées de part et d’autre du chemin Saint-Louis. Or, au tournant des années 1960, ces derniers sont de plus en plus menacés de disparaître par leur lotissement en raison des pressions de la densification résidentielle des banlieues de Québec et de l’arrivée de grandes compagnies d’assurances génératrice

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d’emplois au nord de la municipalité. Deux domaines font l’objet de telles opérations cadastrales : Spencer Grange devient le « Parc Lemoine », nommé en l’honneur de l’ancien propriétaire du domaine et historien James MacPherson Lemoine et Wolfesfield, qui appartenait à la famille Price, le Mont-Saint-Denis. Ces deux ensembles entraînent la construction d’environ 150 résidences unifamiliales entre 1947 et 1962.

Au même moment, les citoyens du secteur du chemin des Foulons voient les compagnies pétrolières construire un nombre imposant de réservoirs et perdent leur accès au fleuve avec la réalisation du boulevard Champlain (Bernier, 1977). De surcroit, un article sur les fouilles archéologiques poursuivies sur le site de la mission des Jésuites (Gaumond, 1960) et la parution d’un livre de Paul-André Lamontagne (1952) L'histoire de Sillery, 1630-1950, rappellent aux citoyens de la ville l’importance historique de Sillery dans l’histoire québécoise. Une partie importante de ces documents rappelle deux éléments liés à la période française : l’installation des Jésuites en 1637 dans l’anse Saint-Joseph, espérant ainsi évangéliser et sédentariser les Amérindiens, ainsi que l’établissement d’un hôpital à proximité de l'anse en 1640 par les Augustines de la Miséricorde de Jésus (Lamontagne, 1952).

2.2. Vers la déclaration de l’arrondissement historique

Dans ce contexte, le 2 décembre 1963, le conseil municipal de la cité de Sillery adopte à l’unanimité une résolution visant à demander au gouvernement de la Province de Québec de déclarer « arrondissement historique » une partie de la municipalité, en vertu de la Loi des monuments historiques (ci-après la « LMH »). La LHM permet au Conseil exécutif, sur recommandation de la Commission des monuments historiques, de déclarer arrondissement historique « une municipalité ou une partie d'une municipalité où se présente une concentration d'immeubles présentant [sic] un intérêt historique ou artistique » (LMH, art. 20). La Cité de Sillery, qui prend l’initiative de cette demande, est appuyée dans sa démarche par la Société Saint-Jean-Baptiste et la Compagnie de Jésus, qui possède la maison des Jésuites-de-Sillery (CBCQ, 2004 : 18).

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Les motifs de la Cité de Sillery sont retenus par la Commission des monuments historiques du Québec qui adopte, le 10 décembre 1963, une résolution qui recommande au lieutenant-gouverneur en Conseil de déclarer arrondissement historique le territoire décrit dans la résolution du Conseil municipal, sans ajouts, dont les limites sont, à l’est, l’avenue De Laune, au nord, le chemin Saint-Louis, à l’ouest, la côte à Gignac et, au sud, le fleuve Saint-Laurent (voir Annexe A).

L’arrondissement historique de Sillery (ci-après l’« AHS »), qui occupe près de 50% du territoire de la municipalité, est officiellement décrété le 5 février 1964 par l’arrêté en conseil numéro 219. À partir de ce moment, en vertu de la LMH : « Aucune construction, réparation, transformation ou démolition d'immeubles ne peut être faite qu'en vertu d'un permis approuvé par la commission ou délivré par elle » (art. 21).

En cas de violation de cette disposition, le ministre peut, sur la recommandation de la commission, faire exécuter aux frais du propriétaire, tous travaux susceptibles de remettre les lieux dans leur ancien état (art. 21).

2.2.1. La notion d’arrondissement historique

Si Sillery est le troisième arrondissement historique, les deux premiers étant ceux du Vieux-Québec et du Vieux-Montréal, déclaré par le gouvernement du Québec, il est constitué dans le sillage de la création de cinq arrondissements historiques en six mois, de novembre 1963 à mai 19646. En effet, c’est en juin 1963 que le titulaire du nouveau ministère des Affaires culturelles, Georges-Émile Lapalme, dépose à l’Assemblée législative le projet de loi 57, qui remplace la Loi relative aux monuments, sites et objets historiques ou artistiques (adoptée en 1952), et dont la pièce maitresse est la notion d’arrondissement historique.

6 En ordre chronologique, il s’agit des arrondissements historiques du Vieux-Québec, du Vieux-Montréal, de Sillery, de Trois-Rivières et de Beauport.

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L’idée d’étendre la protection accordée à un immeuble ou à un ensemble urbain percole dans l’esprit de la Commission des monuments historiques au début des années 1960 dans le contexte des menaces (démolitions, incendies) qui pèsent sur le Vieux-Québec (Roy, 1995). De plus, la rénovation urbaine est « aux portes de la basse-ville », augmentant l’intérêt que les urbanistes et architectes portent sur les ensembles urbains historiques comme le Vieux-Québec. Comme l’écrit Berthold : « [À] un niveau général, la rénovation urbaine fait du passé et de l’histoire une fonction de premier plan que doit remplir l’organisme urbain » (Berthold, 2012 : 122). La Commission des monuments historiques s’inscrit dans ce courant et croit que « de nouveaux outils étaient devenus nécessaires pour protéger le cachet du Vieux-Québec en s’assurant que les projets immobiliers s’insèrent harmonieusement dans la trame urbaine ancienne » (Gelly, 1995 : 125).

La Loi des monuments historiques est adoptée à l’unanimité en juillet 1963 et les seules questions du chef de l’opposition de l’époque, Daniel Johnson, portent sur les autres secteurs qui pourraient être protégés par de telles dispositions, questions auxquelles le ministre Lapalme répond en mentionnant seulement le Vieux-Montréal (Journal des débats de l’Assemblée législative, 1963). Selon Alain Gelly, « cette assertion confirme le fait que la loi […] veut avant toute autre chose règlementer le cas du Vieux Québec » (Gelly, 1995 : 127).

2.2.2. Caractérisation de l’arrondissement historique de Sillery en 1963

Les caractéristiques associées à l’AHS au moment de sa création reflètent l’état des connaissances historiques et archéologiques sur le secteur au début des années 1960. Selon les termes de la résolution de la Cité de Sillery du 2 décembre 1963, deux périodes ont marqué l’histoire de Sillery : l’établissement des premiers Européens en 1637 ainsi que l’occupation des grands domaines par les commerçants de bois et propriétaires des chantiers navals au XIXe siècle (CBCQ, 2004 : 21-22). La majorité des éléments spécifiquement identifiés par le conseil municipal se rattachent à la période française (1534-1763).

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Figure 1. La maison des Jésuites-de-Sillery

Source : Laurent Aubin, 2015

Les éléments identifiés au futur arrondissement historique sont très diversifiés dans ladite résolution : « un quadrilatère qui a tout un passé remarquable et où on y voit encore des lieux, des bâtisses, des vestiges et ruines de constructions auxquelles sont attaché l’histoire de Québec et de Sillery ». Mis en parallèle avec l’imprécision de certaines localisations et l’absence de hiérarchisation de ces éléments, cela laisse supposer qu’aucune étude particulière n’a été menée pour définir plus précisément le caractère ou vérifier la pertinence du périmètre du futur arrondissement (CBCQ, 2004). L’étude de caractérisation de l’arrondissement historique de Sillery rédigée par Légaré en 2004 explique cet état de fait : « Tout se passe comme si le fait généralement admis qu’il s’y trouvait "une concentration d’immeubles ayant un intérêt historique et artistique" aurait été suffisant pour présenter une requête de classement » (CBCQ, 2004 : 22).

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Enfin, le dernier paragraphe du préambule de la résolution du conseil municipal souligne par ailleurs l’objectif principal des élus pour vouloir la création de l’arrondissement historique : conserver le cachet historique et artistique de cette région.

2.3. Les premières années de l’arrondissement (1963- 1972)

Entre les années financières 1963-1964 et 1966-1967, 55 demandes de permis ont été analysées par la Commission des monuments historiques pour l’AHS7. Elle n’en a refusé qu’une seule. Sillery est le troisième territoire d’intervention en matière d’émission de permis de la Commission pendant cette période8. Alain Gelly écrit que cela s’explique « notamment par la grande superficie de cet arrondissement et par la présence de grands domaines perçus comme autant de territoires disponibles pour des constructions nouvelles [mais] également par la proximité de la ville de Québec » (Gelly, 2001 : 141).

À la lecture des procès-verbaux de la Commission, on constate que celle-ci se montre favorable aux demandes de permis venant des zones excentrées de l’arrondissement. Elle autorise, par exemple, lors de la réunion du 26 juillet 1965, la démolition de 22 bâtiments sur le chemin du Foulon jugés « sans intérêt et d’apparence médiocre » (CMH, 1965 : 9), afin de permettre l’élargissement du boulevard Champlain au nom de l’urbanisme moderniste et de la rénovation urbaine.

Néanmoins, la destruction de voûtes construites en 1637 explicitement citées dans la résolution du conseil municipal de 1963 et un certain laxisme de la Cité de Sillery inquiète la CMH. Lors de la réunion du 18 juin 1969, la Commission reçoit Georges Gravel, ingénieur et greffier de Sillery. Guy Laroche, un des commissaires, lui demande de manière non équivoque si cela vaut la peine de

7 En vertu de l’article 21 de la Loi des monuments historiques. 8 Pour la même période, la Commission a reçu 705 demandes de permis pour le Vieux- Québec, 139 pour le Vieux-Montréal, et 28 pour les autres arrondissements. Elle en a refusé 114.

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conserver l’arrondissement historique pour Sillery, la Ville n’ayant pas de plan d’urbanisme spécifique pour l’arrondissement. En déclinant les règlements de construction et de zonage en vigueur, la Commission fait remarquer sévèrement à M. Gravel que la Cité de Sillery n’a ni consulté, ni même fait approuver préalablement les modifications à ces règlements par celle-ci, contrairement à ce que LMH prévoit.

M. Gravel est d’avis que l’AHS doit le rester et rappelle les raisons qui ont incité la Cité de Sillery à demander sa protection. La Commission prend note que la ville est « intéressée à conserver son arrondissement historique, se déclare prête à travailler en collaboration étroite avec elle à l’avenir » (CMH, Procès-verbal de la réunion du 18 juin 1969).

En mai 1972, la maison George-William-Usborne (anciennement Julien- Dupont), voisine de la maison des Jésuites-de-Sillery, est classée en tant que monument historique. Considérée comme l’une des plus anciennes résidences de l’arrondissement et propriété de la famille Dobell, riches commerçants de bois de 1860 à 1946, cette maison rappelle « [l]es activités commerciales qui caractérisèrent l’anse de Sillery au XIXe siècle » (Reny, 1990 : 230).

2.3.1. Le cas de Cataraqui

En 1972, à la mort de Catherine Tudor-Hart, dernière héritière de la famille Rhodes qui en est propriétaire depuis 1905, le domaine Cataraqui est confié à la Trust Royal qui devra trouver un acheteur. La firme le propose au gouvernement du Québec, qui rejette l’offre, dans une certaine indifférence (Smith, 2001). Le ministère des Travaux publics estime que les frais d’entretien et d’exploitation seraient trop élevés et que cet achat serait « surtout en vue de la protection de l’environnement9 ». De surcroit, le budget d’acquisition du ministère des Affaires culturelles est de 60 000$. Devant la difficulté de trouver un acheteur, Trust Royal met aux enchères la collection de 128 meubles et œuvres d’art de la succession

9 Lettre de la direction de l’Allocation de l’Espace et de l’Équipement au sous-ministre des Travaux publics, 6 juin 1972, ANQ, E52, 1992-12-013/32.

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Tudor-Hart. Un article du quotidien Le Soleil du 14 décembre 1972, titré « Rien de bien québécois, mais des valeurs artistiques indéniables », témoigne du peu d’intérêt qu’ont les autorités québécoises pour les biens mobiliers de Cataraqui. En effet, lors de la vente qui s’étale du 13 au 16 juin 1973, la majorité des articles est vendue à des acheteurs anglais et américains (Smith, 2001 : 124).

En janvier 1975, le domaine est vendu à « Les Immeubles Cataraqui » pour la somme de 453 000$10. Les promoteurs présentent au ministère des Affaires culturelles (ci-après le « MAC ») un projet de 70 millions de dollars qui prévoit la destruction de la villa et de ses dépendances et le lotissement du terrain en 107 parcelles. Un autre projet avec des tours d’habitation est aussi présenté (La Société de conservation de Sillery, 1983).

Le MAC, dirigé par Jean-Paul L’Allier, refuse d’accorder le permis de lotissement et reconnait Cataraqui bien culturel en vertu de la Loi sur les biens culturels de 197211. Dès lors,

[Nul] ne peut altérer, restaurer, réparer, modifier de quelque façon ou démolir en tout ou en partie un bien culturel reconnu et, s’il s’agit d’un immeuble, le déplacer ou l’utiliser comme adossement à une construction, sans donner au ministre un avis d’intention […]. Nul ne peut aliéner un bien culturel reconnu sans avoir donné au ministre un avis écrit préalable d’au moins 60 jours (art. 18 et 20).

Dans le sillage de cette reconnaissance, le gouvernement du Québec achète finalement Cataraqui en 1976 pour un million de dollars. Il assure ainsi la protection de la seule grande propriété de l’arrondissement historique de Sillery ayant conservé à la fois sa villa, ses dépendances et son parc aménagé. Néanmoins, la villa est vide, dépouillée de son impressionnante collection.

La même année, le gouvernement du Québec acquiert la maison des Jésuites- de-Sillery des Missionnaires de Notre-Dame S.J.

10 Registre foncier du Québec, inscription 799327. 11 Selon l’article 15 de la LBC, le ministre peut, sur avis de la Commission, reconnaître tout bien culturel dont la conservation présente un intérêt public.

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La Direction du patrimoine du ministère des Affaires culturelles dresse un bilan positif de ses opérations dans l’AHS. Elle constate par ailleurs que « cette zone située au milieu d’un territoire fortement urbanisé semble avoir été épargnée par les pressions de la croissance urbaine et du développement, de sorte qu’aujourd’hui elle constitue le plus important réservoir d’espaces verts d’échelle métropolitaine » (CBCQ, 2004 : 23).

2.3.2. Évolution du caractère de l’arrondissement historique

L’identité de l’arrondissement historique de Sillery s’est transformée entre 1963 et le milieu des années 1970 : d’une vision résolument historique et archéologique, la prise de conscience de la valeur du paysage, tant naturel que bâti, fait que celui-ci devient un caractère fondamental de l’AHS. De surcroît, le développement des connaissances sur l’histoire silleroise mène le ministère des Affaires culturelles à reconsidérer le périmètre initial de l’arrondissement historique.

Il est important de mentionner qu’en 1972, le gouvernement québécois adopte la Loi sur les biens culturels (ci-après la « LBC ») qui remplace la LMH. Sanctionnée le 8 juillet 1972, la LBC accorde au ministre des Affaires culturelles, et non plus au Conseil exécutif du gouvernement du Québec (comme c’était le cas depuis la Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique de 1921), le pouvoir de classer ou de reconnaître un bien, même contre la volonté de son propriétaire (art. 24; 35; 45). De plus, la Commission des monuments historiques devient la Commission des biens culturels (ci-après la « CBCQ ») et n’a plus qu’un mandat consultatif (art. 2).

Élément nouveau, le patrimoine naturel est intégré dans la LBC, avec la notion d’arrondissement naturel, défini comme un territoire avec des intérêts « esthétique, légendaire ou pittoresque que présente son harmonie naturelle » (art. 45), ce qui reflète l’évolution de la conception du patrimoine et des objets qui s’y rattachent.

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Ces transformations vont de pair avec la publication d’importants documents sur l’AHS, plus particulièrement la Stratégie de préservation et de mise en valeur de la falaise et de ses abords d’Urbatique (1975), Le Vieux-Sillery d’André Bernier (1977) et L’architecture et la nature à Québec au XIXe siècle : Les villas de France Gagnon Pratte (1980). Les deux premières études sont menées dans le sillage de la préparation d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur de l’arrondissement, comme il est prévu au paragraphe 53 f) de la LBC.

2.3.3. La Stratégie de préservation et de mise en valeur de la falaise et de ses abords

En 1975, les premiers travaux sur l’élaboration d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur de l’arrondissement donnent lieu à l’établissement d’une Stratégie de préservation et de mise en valeur de la falaise et de ses abords, préparée par la firme d’urbanisme Urbatique. Le plan, d’une soixantaine de pages, élargit ses recommandations à l’ensemble de la région métropolitaine (depuis le cap Diamant jusqu’à la pointe de Cap-Rouge), une caractéristique des travaux de l’entreprise.

Le groupe Urbatique, dirigé par Jean-Paul Gravel, chargé de projet pour la Stratégie, est familier avec les arrondissements historiques. On doit notamment à cette firme de nombreuses études sur le Vieux-Québec (1970) et le Concept général de réaménagement de la Côte de Beauport (1971).

D’entrée de jeu, la Stratégie souligne le caractère naturel du territoire en faisant ressortir les caractéristiques morphologiques, archéologiques et historiques de la falaise (1975 : 10-19; 31-33), notamment son « imagibilité12 » et sa relation particulière avec le fleuve :

12 Concept développé par Kevin Lynch dans L'image de la cité. L’imagibilité est définie par Lynch « pour un objet physique, la qualité grâce à laquelle il a de grandes chances de provoquer une forte image chez n’importe quel observateur » (Lynch, 1960 : 11).

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À l’est, le Bois-de-Coulonge, avec le raccord aux Plaines d’Abraham que constitue la faille St-Denis, devient un point fort du caractère d’espace naturel que présente la falaise […]. Les quatre éléments, Bois-de- Coulonge, mission de Sillery, domaine Cataraqui et Aquarium de Québec, représentent, au moins potentiellement, les forces structurantes du territoire sous étude à l’est des ponts de Québec (Urbatique, 1975 : 41).

La recommandation principale d’Urbatique est l’aménagement d’un parc linéaire continu le long de la falaise, « lieu privilégié des relations du milieu urbain avec le fleuve : c’est la zone de contact par excellence » (Urbatique, 1975 : 42). Il s’agit des premiers balbutiements de l’émergence de la fonction culturelle de l’AHS. La Stratégie estime qu’« il faut préserver certains éléments du paysage soit qu’il s’agisse d’éléments naturels ou d’artefacts » (Urbatique, 1975 : 37). Elle attire aussi l’attention sur l’urgence de protéger les boisés du secteur, notamment le parc du Bois-de-Coulonge, les cimetières Saint-Patrick et Mount Hermon et les grands domaines entre la côte de Sillery (alors de l’Église) et la côte à Gignac.

En effet, Urbatique soulève que l’étude du territoire couvert par les grandes propriétés pose la question de la transformation progressive de l’utilisation du sol dans l’arrondissement historique, les projets du secteur privé ayant été annoncés indiquant « une tendance systémique à la densification13 » (Urbatique, 1975 : 29). L’étude des stratégies immobilières des communautés religieuses à cette époque nous montrera plus tard dans le présent chapitre que cette approche de forte densité sera privilégiée dans les nouveaux projets résidentiels.

L’étude de caractérisation de l’AHS de 2004 estime qu’en recommandant de préserver et même d’amplifier le caractère « naturel » de la falaise, la Stratégie de préservation et de mise en valeur de la falaise et de ses abords confirme la valeur paysagère de l’AHS : « l’importance du paysage comme une valeur ajoutée à la valeur historique du territoire concerné. Le caractère historique de l’arrondissement, fondé sur l’occupation du territoire, est ainsi complété d’un caractère géographique relié à la morphologie des lieux et d’un caractère paysager,

13 On parle de densification de l’usage résidentiel (projet de lotissement de Cataraqui (non réalisé), construction de résidences de personnes âgées, du Foyer St. Brigid et des conciergeries Les Jardins de Coulonge), mais également de l’introduction de l’usage commercial (place Brûlart, jamais réalisée).

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manifeste dans l’intervention humaine sur l’environnement naturel » (CBCQ, 2004 : 25).

Le projet, pourtant qualifié de fondamental par Urbatique, de sentier le long de la falaise, ne s’est jamais concrétisé dans sa portion de l’AHS jusqu’à aujourd’hui. Il apparaît dans le plan d’urbanisme de la Ville de Sillery de 1981 (et révisé en 1991) et est relancé dans le plan particulier d’urbanisme du site patrimonial de Sillery et de ses environs de 2015.

2.3.4. Le Vieux-Sillery – André Bernier

En 1977 paraît Le Vieux-Sillery dans la collection « Cahiers du patrimoine », une publication conjointe de la Direction des arrondissements et du Centre de documentation de la Direction de l'inventaire des biens culturels du MAC. L’objectif de l’étude, la première de cette importance depuis la constitution de l’AHS selon CBCQ, était

de montrer l’évolution du territoire afin de localiser les potentiels historique, architectural, archéologique et paysager, [ce qui] a amené l’auteur non seulement à considérer les secteurs anciens sauvegardés, correspondant à l’arrondissement historique déclaré, mais à inclure deux noyaux de villages fondateurs de la paroisse et de la municipalité se trouvant à l’extérieur de ce périmètre, Bergerville et Nolansville (CBCQ, 2004 : 26).

L’auteur, André Bernier, rappelle d’entrée de jeu que son étude n’est pas le premier document à s’intéresser à l’histoire de Sillery. Il rappelle le travail pionner de l’abbé Jean-Baptiste-Antoine Ferland avec ses Notes sur les environs de Québec en 1855 et la monographie de 1902 du chanoine Henri-Arthur Scott sur la paroisse de Sainte-Foy, qui couvrait Sillery jusqu’en 1856. Il insiste aussi sur les descriptions détaillées des villas et sur leur aménagement paysager par l’historien James MacPherson Le Moine, notamment dans ses ouvrages Quebec Past and Present (1876) et Monographies et esquisses (1885), mais surtout Picturesque Quebec (1882).

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L’étude précise l’apport au territoire des deux grandes périodes qui caractérisent l’arrondissement historique : le partage des terres et le réseau viaire pendant le régime français et la constitution des grands domaines avec leurs villas au XIXe siècle. Il détaille aussi l’historique de l’évolution de chaque domaine, constituant ainsi la première étude de caractérisation contemporaine de ceux-ci. Concernant les grandes propriétés, Bernier écrit : « La vie dans ces grandes propriétés, ainsi que leur aménagement, étaient marqués par le romantisme et le naturalisme de l’époque, auxquels le site de Sillery se prêtait on ne peut mieux. On s’y intéressait à l’histoire naturelle, à l’horticulture, à l’ornithologie. Les villas étaient dotées de serres, de salles de musique, de salles à dessin » (Bernier, 1977 : 55).

Il y a donc une construction de la valeur naturelle de l’arrondissement historique dans les écrits de Bernier. De surcroît, l’ouvrage révèle l’intérêt patrimonial des anciens faubourgs ouvriers du Vieux-Sillery : Saint-Michel autour de l’église, le chemin du Foulon, Nolansville (à l’ouest de la côte à Gignac) et de Bergerville (au nord du chemin Saint-Louis), les deux secteurs n’ayant pas été inclus dans le périmètre original de l’arrondissement. Cela posa la question de l’agrandissement de l’AHS, une problématique qui perdure encore aujourd’hui.

2.3.5. L'architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas

Du 24 septembre au 29 novembre 1980, une exposition sur le mouvement des villas à Québec et dans sa proche banlieue au XIXe siècle est présentée au Musée du Québec (aujourd’hui le Musée national des beaux-arts du Québec). Son catalogue, L'architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas est la première étude systématique sur le sujet. La publication est divisée en deux parties distinctes : un texte continu sur l’évolution de l’architecture des villas et un index détaillé des 73 villas recensées.

France Gagnon Pratte, historienne de l’art et auteure de l’ouvrage, explique son point de vue sur le fait qu’il s’agit de la première étude systématique sur le

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sujet : « Le peu d’intérêt que suscite cette architecture, il faut probablement l’attribuer à [sa] méconnaissance, et au fait qu’il s’agit là d’une architecture revêtant un caractère de domination, ce qui ne l’avantage guère dans l’opinion publique québécoise d’aujourd’hui » (Gagnon Pratte, 1980 : 157).

Sur les 73 villas dont Gagnon Pratte fait l’inventaire, 19 se trouvaient dans les limites de Sillery, dont 12 dans le périmètre de l’arrondissement historique. En 2017, seules 16 existent encore dans toute la région de Québec, dont neuf dans l’AHS14. Les villas deviennent dès lors l’une des caractéristiques les plus singulières de l’arrondissement historique et deviennent l’un des principaux arguments de conservation du patrimoine de l’arrondissement historique, le cas des auditions publiques sur le morcellement de Cataraqui en 1983 en fait foi.

De plus, le contact avec la nature des villas et leur caractère paysager est clairement un axe central de l’ouvrage de Gagnon Pratte. L’architecte et conservateur de l’art ancien Claude Thibault, qui signe l’avant-propos, explique que « [l]a remarquable insertion des villas dans la nature environnante témoigne de la relation harmonieuse que l’homme du XIXe siècle cherche à maintenir avec son univers » (Gagnon Pratte, 1980 : iii).

Son propos est appuyé par Denis Vaugeois, ministre des Affaires culturelles qui ajoute15 : « Du phénomène, ou si l’on préfère, de cette mode des villas, se dégage une notion fondamentale qu’on appelle aujourd’hui le respect de l’environnement. Non seulement le site des villas était-il soigneusement choisi en fonction de sa beauté naturelle, mais, selon le goût des propriétaires, on s’évertuait à en faire valoir les aspects les plus harmonieux et à y intégrer la demeure » (Vaugeois, 1980 : i).

14 D’ouest en est : Kilmarnock, Beauvoir, Mansion House (maison des Jésuites-de-Sillery), Clermont, Cataraqui, Benmore, Sous-les-Bois, Spencer Grange et Bagatelle. Celles qui sont disparues sont Woodfield, Spencer Wood (Bois-de-Coulonge) et Wolfesfield. 15 Il s’inspire visiblement du courant de l’architecture de paysage.

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Néanmoins, Gagnon Pratte, dans la conclusion de l’ouvrage, laisse exprimer son pessimisme face à l’avenir des villas, mais surtout des vastes terrains qui les entourent souvent, pointant principalement les promoteurs immobiliers :

Les promoteurs désireux de satisfaire une forte demande ou avides de profits, selon le cas, se partagent les espaces verts qui restent. L’exemple tout récent du lotissement du domaine Kilmarnock constitue une illustration vivante de ces procédés et démontre, à tout le moins, notre incapacité chronique à conserver et mettre en valeur notre patrimoine architectural avec un peu de perspective […]. Il n’y a guère que quelques communautés religieuses et quelques rares particuliers qui ont réussi à en sauvegarder quelques exemplaires, souvent des fragments (Gagnon Pratte, 1980 : 162).

Son propos est appuyé notamment par le morcellement complet ou partiel de certains grands domaines à l’intérieur des limites de l’AHS à la fin des années 1970 et dans les années 1980 : Kilmarnock, Beauvoir (Pères maristes), Clermont (Augustines) et surtout Cataraqui.

2.3.6. Le lotissement de Kilmarnock

Plusieurs projets immobiliers de moyenne envergure émergent, pendant les années 1970, dans notre secteur d’étude. Mais c’est le lotissement16 du domaine Kilmarnock en 1978 qui est considéré comme la première atteinte à l’intégrité de l’arrondissement historique de Sillery et l’une des plus manifestes (CBCQ, 2004; Gagnon Pratte, 1980).

16 Action de diviser en lots distincts. Par son règlement de lotissement, une municipalité peut définir les normes ainsi que les conditions à respecter lors du découpage et de l'identification des lots (Caron, 2015).

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Figure 2. Vue aérienne du lotissement Kilmarnock

Source : Google Earth, 2017 En pointillé rouge, le manoir de 1815.

En 1977, les promoteurs immobiliers Jean Arnoux et Gilbert Pichette achètent Kilmarnock, le domaine situé le plus à l’ouest de l’AHS. Ils prévoient la préservation de la villa, construite entre 1812 et 1815 et la subdivision du terrain, en deux phases distinctes, en 76 lots pour accueillir des résidences unifamiliales (CBCQ, 1978). Le projet respectant le zonage en vigueur depuis 1949, la ville de Sillery transfère le dossier au Ministère des Affaires culturelles et à la Commission des biens culturels du Québec.

Si la Direction des arrondissements du MAC recommande l’acceptation du plan d’ensemble, la CBCQ émet un avis très défavorable. Lors de sa réunion des 7 et 8 septembre 1978, la CBCQ estime que le lotissement et le déboisement de Kilmarnock amènent à « éliminer les éléments qui ont incité le ministère à déclarer Sillery arrondissement historique (à la demande de la ville de Sillery) » (CBCQ,

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1978). En effet, Kilmarnock est explicitement mentionné dans la résolution du conseil municipal de 196317.

Le MAC recommande finalement l’émission du permis de lotissement de Kilmarnock à la fin du mois d’octobre 1978. Peu après, les promoteurs procèdent en catimini au déboisement de la partie nord du domaine avant même d’avoir reçu ledit permis, suscitant le mécontentement des autorités. Le 4 novembre 1978, Denis Vaugeois, le ministre des Affaires culturelles, déclare que « le lotissement de Kilmarnock a été une erreur » (Gagnon Pratte, 1983 : 2).

2.4. Le plan d’urbanisme de 1981

Par ailleurs, il faut mentionner que le projet de lotissement de Kilmarnock est présenté à la CBCQ à la réunion suivante de l’étude du schéma directeur et des orientations du Ministère. Lors de cette rencontre tenue les 3 et 4 août 1978, les commissaires « manifestent leur inquiétude quant à la conservation des boisés et au développement résidentiel, quel que soit la densité ». De surcroît, dans la même résolution contre la subdivision de Kilmarnock, la CBCQ recommande que le plan d’urbanisme du secteur historique compris dans le schéma directeur d’urbanisme de la Ville de Sillery soit refusé.

En effet, le processus d’élaboration du schéma directeur d’urbanisme débute en 1976 et le mandat est donné par la Ville de Sillery à la firme de consultant en urbanisme et en aménagement du territoire Urbanex. Sa préparation se fait en étroite collaboration avec le ministère des Affaires culturelles depuis 1979 avec la signature d’un protocole d’entente entre les parties. Le MAC abandonne ainsi l’élaboration de son plan de sauvegarde et de mise en valeur pour concentrer ses efforts sur cet autre outil de planification.

17 « Le domaine de Kilmarnock où une propriété de près de deux cents ans, aujourd’hui demeure luxueuse, faisant partie autrefois du fief de Monceau » (CBCQ, 2004 : 19).

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Il est à noter qu’au cours de l’élaboration de ce plan, des séances d’information (1977), des consultations particulières (1978) et une révision interne (1979) sont tenues. Qui plus est, le gouvernement québécois adopte en novembre 1979 la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (ci-après la « LAU »). Cette loi est depuis le pilier central du régime aménagiste du Québec.

Le schéma directeur d’urbanisme que la Ville de Sillery prépare depuis trois ans devient un plan d’urbanisme conforme aux normes et aux dispositions de la LAU et est adopté en avril 198118. Le Plan d’urbanisme suit plusieurs recommandations de la Stratégie de 1975, notamment le respect de l’intégrité de la falaise et de ses abords et la protection du couloir visuel que constitue le chemin Saint-Louis.

Le Plan d’urbanisme confère par ailleurs autant d’importance au caractère patrimonial qu’au caractère naturel de l’AHS, même si aucun projet de mise en valeur du patrimoine bâti n’est développé : « Les propositions de développement de l’ensemble des propriétés au sud du chemin Saint-Louis devront-elle préalablement garantir un respect inconditionnel du caractère patrimonial et naturel du site […] le tout assujetti à l’approbation du ministère des Affaires culturelles dans le cas de l’arrondissement historique » (Ville de Sillery, 1981 : 30).

Un programme particulier d’urbanisme19 est appliqué à l’arrondissement historique, avec comme principe premier le transfert de densité. En effet, si la densité brute est fixée à 15 logements par hectare, on prône « la concentration des nouveaux bâtiments résidentiels sur une plus faible superficie du terrain de façon à protéger les éléments d’intérêt naturel ou patrimonial ». De plus, on favorise le

18 Document officiel le plus important de la municipalité en matière de planification de l’aménagement de son territoire, le plan d’urbanisme établit les lignes directrices de l'organisation spatiale et physique d'une municipalité tout en présentant une vision d'ensemble de son développement. Les pouvoirs habilitants se trouvent aux articles 80 à 84 de la LAU (MAMOT, 2015). 19 Un programme particulier d'urbanisme (PPU) est une composante du plan d'urbanisme. Le plan d'urbanisme réfère à la planification de l'ensemble du territoire municipal tandis que le PPU permet d'apporter plus de précisions quant à la planification de certains secteurs qui suscitent une attention toute particulière de la part du conseil municipal. Les pouvoirs habilitants se trouvent aux articles 85 et 85.1 de la LAU. (MAMOT, 2015).

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recyclage des bâtiments institutionnels à des fins résidentielles (Ville de Sillery, 1981 : 57-58).

Figure 3. Détail, Plan d'affectation du sol et répartition des densités

Source : Ville de Sillery, 1981, p.i.

De surcroît, le Plan d’urbanisme suggère certains critères d’aménagement plus précis qui seront repris par le règlement de zonage :

• Obligation de présentation d’un plan d’ensemble; • Hauteur maximale des bâtiments à quatre étages; • Marge de recul importante par rapport à la falaise (± 50 m), à l’emprise du chemin Saint-Louis (15 m) et à un bâtiment classé bien culturel (± 30 m); • Alignement des bâtiments de façon à garantir des percées visuelles depuis les terrains publics au sud du chemin Saint-Louis; • Protection intégrale de tous les boisés.

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Sur les propriétés conventuelles de l’AHS, la Ville de Sillery désigne comme zone constructible 74 000 mètres carrés de terrain pour un total possible de 256 nouvelles unités de logement (Ville de Sillery, 1981 : 60). Si l’on compte le recyclage des bâtiments institutionnels, ce chiffre passe à 656 unités20.

2.5. L’affaire Cataraqui en 1983

La question de l’avenir du domaine Cataraqui est depuis 1972 une véritable « odyssée administrative » selon la CBCQ, notamment « [s]ous les pressions contraires des forces et des projets, soit du marché libre, soit des administrations publiques soi-disant responsables » (CBCQ, 1982 : 44). Achetée par le gouvernement du Québec en 1976, la villa est laissée vacante et le terrain n’est plus entretenu. Le MAC cherche une vocation et plusieurs projets sont proposés au cours des années, comme une résidence pour les invités de prestige du gouvernement, une résidence pour le premier ministre, un centre international de la Francophonie, un centre d’animation scientifique, une bibliothèque municipale et même un casino (SHQ, 1983 : 1).

En 1982, un projet de « parc historique » est présenté par la SAUREV (Société pour l'aménagement et l'utilisation rationnelle des espaces verts) et les Amis du Jardin Van den Hende au MAC. Il comprend la restauration des jardins, la mise en valeur des prairies à des fins d’enseignement horticole, la mise en valeur de la villa pour les organismes communautaires et une accessibilité publique contrôlée (SHQ, 1983 : 2). La CBCQ, invitée à se prononcer sur le projet, l’appuie fortement et recommande « d’éviter l’intervention à la pièce et de considérer en priorité tout projet de mise en valeur qui respecte le principe d’ensemble » (CBCQ, 1982 : 44).

Dans le procès-verbal du 7 octobre 1982, la CBCQ ajoute « qu’il n’existe en milieu urbain aucun domaine historique public ni de jardins de cette qualité et de cette envergure au Québec […]. Toutes ses parties se complètent (villa,

20 Le plan d’urbanisme ignore dans le calcul de développement potentiel la propriété des Sœurs de Sainte-Jeanne d’Arc. Elle se trouve à l’est de la côte de Sillery entre le cimetière Mount Hernon et la propriété des Augustins de l’Assomption, rue du Maire-Beaulieu.

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dépendances, potagers, jardins d’agrément, boisés protecteurs, prairies, terrasses, panoramas, sentiers, etc.) » (CBCQ, 1982 : 45). Il faut « revaloriser et […] faire connaître les riches traditions horticoles et paysagères développées ici au siècle dernier » (CBCQ, 1982 : 45).

Lors de la même réunion, la Commission, très critique en constatant « les nombreuses atteintes qu’a subies l’arrondissement historique de Sillery [notamment le lotissement de Kilmarnock], s’interroge même sur la nécessité de le maintenir dans sa forme actuelle » (CBCQ, 1982 : 46-47).

2.5.1. Le projet de la Maison-Michel Sarrazin

Lors de la réunion suivante, tenue le 17 décembre 1982, la CBCQ reçoit du MAC une demande d’avis sur l’aliénation du lot 54-3, la partie sud-est du domaine Cataraqui. En effet, le gouvernement veut, par l’entremise d’un bail emphytéotique, céder cette parcelle de 9 432 mètres carrés (soit 7% du domaine) à la Maison Michel-Sarazzin, un centre hospitalier privé à but non lucratif de soins palliatifs pour les personnes atteintes de cancers. Selon le MAC, cette subdivision de Cataraqui est envisageable, car la parcelle visée (aussi appelée les Prairies) n’a aucune signification historique ou culturelle (ayant été au domaine en 1926), que l’immeuble projeté allait revenir au domaine public à la fin du bail emphytéotique et que le nouvel occupant s’engage à respecter les dispositions de la LBC (CBCQ : 1983 : 30).

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Figure 4. Vue aérienne du Domaine Cataraqui

Source : Google Earth, 2017

La CBCQ fait volte-face sur sa position d’octobre et recommande l’aliénation du lot 54-3 « si un concept général de mise en valeur concernant l’utilisation du reste du domaine en tant que parc historique est élaboré » (CBCQ, 1983 : 5). Le 14 février 1983, le Conseil des ministres signe le décret 369-83 qui autorise la cession du lot à la Maison Michel-Sarrazin.

Le 25 mars, un regroupement de huit organismes, les « Amis de Cataraqui », dont les représentants sont Pierre Dupuis, médecin et vice-président de la Société de conservation de Sillery et Pierre Larochelle, architecte, professeur à l’Université Laval et président de la Ligue des propriétaires de Sillery, annonce son opposition au morcellement du domaine. Ils dénoncent la subdivision d’un « bien collectif unique, une richesse architecturale végétale et patrimoniale » (Les Amis de Cataraqui, 1983). Le groupe proclame son refus « que le sort de Cataraqui soit uniquement fixé par un groupe restreint, indifférent à la sauvegarde du patrimoine » (Bonenfant, 1994 : 121).

Les représentants de la Maison Michel-Sarrazin sont « médusés » par la position du regroupement et Yolande Bonenfant, présidente du conseil

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d’administration de l’organisme, écrit que c’est une « étape imprévue (et imméritée) dans l’élaboration d’une œuvre pourtant inspirée par la compassion et l’amour du prochain » (Bonenfant, 1994 : 122).

Le ministre des Affaires culturelles Clément Richard déclare le 1er avril qu’il ne reviendra pas sur cette décision qui engage le gouvernement. Lors de sa réunion du 6 juin 1983, la CBCQ doit donner son avis sur le projet de construction du bâtiment de Michel-Sarrazin. Le comité de permis suggère de refuser le projet actuel et demande « la présentation de nouveaux plans architecturaux accompagnés d’une étude d’impact sur l’environnement et d’un plan général d’aménagement pour les autres composantes du domaine » (CBCQ, 1983 : 5).

Le 13 juin, le bail emphytéotique de 66 ans est officiellement signé et le lot est cédé à la corporation Michel Sarrazin en échange d’un dollar symbolique par année21. Les opposants à la subdivision n’en démordent pas et le 12 juillet, les « Amis de Cataraqui », qui regroupent maintenant 17 organismes, convoquent une grande conférence de presse à Cataraqui pour demander des audiences publiques. Pierre Dupuis y dénonce le gouvernement « qui s’est livré à un véritable abus de pouvoir » et l’attitude du ministre Richard, laquelle témoignait d’« une absence de bonne foi sinon un manque de compétence » (Bonenfant, 1994 : 126).

2.5.2. Les auditions publiques d’août 1983

La CBCQ convoque des auditions publiques le 16 août 1983 sur l’utilisation optimale du domaine Cataraqui, une consultation qui devient vite un réquisitoire contre la subdivision de la propriété. Sur les 22 mémoires présentés aux commissaires, seuls deux appuient la décision du MAC, soit ceux de la Maison Michel-Sarrazin elle-même et de la Ville de Sillery, dont le maire Charles-Henri Blais appuie personnellement le projet. Dr Jean-Louis Bonenfant, pathologiste à l’Hôtel-Dieu de Québec et cofondateur de Michel-Sarrazin insiste sur « le rôle humanitaire et communautaire de l’entreprise » et explique que « [l]’histoire jugera

21 Bail emphytéotique entre le ministère de Travaux publics et de l’Approvisionnement et la Maison Michel-Sarrazin, RFQ 1 082 823.

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les Amis de la Maison Sarrazin comme d’authentiques amis de Cataraqui qui auront eu au moins le mérite de réveiller l’intérêt pour le domaine et de participer à la première phase de sa mise en valeur » (Bonenfant, 1994 : 131).

Les autres mémoires critiquent fermement le MAC et le ministre et la majorité affirment ne pas être contre le projet de maison de soin palliatif en lui- même. Les différents groupes exposent leurs préoccupations notamment par rapport au patrimoine bâti (Société historique de Québec, Comité des citoyens du Vieux-Québec), naturel (Association forestière Québec Métro, SAUREV, Société linnéenne du Québec), horticole (Société des Amis du jardin Van den Hende) et même ornithologique (Groupe d’étude du potentiel ornithologique du domaine Cataraqui).

Le mémoire de la Société de conservation de Sillery de Dupuis évoque que le morcellement de Cataraqui attisera la « convoitise des promoteurs immobiliers, qui ont horreur du vide des espaces verts » (Société de conservation de Sillery, 1983 : 14) pour les autres grandes propriétés de l’AHS. Luc Noppen, du Conseil des monuments et sites du Québec (CMSQ), aujourd'hui Action patrimoine, écrit dans un autre mémoire que « le comportement du MAC rejoint celui des spéculateurs fonciers. La voie qui a été choisie pour justifier les limites du lotissement est d’ailleurs inspirée par de telles pratiques spéculatives » (CMSQ, 1983 : 2). Il dit même que le « propriétaire [le gouvernement] fait preuve d’un manque d’imagination qui frise l’inconscience » (CMSQ, 1983 : 2).

La Ligue des propriétaires de Sillery (LPS), représentée par Charles-Édouard Vermette explique dans son mémoire que le « conseil de ville de Sillery n’a pas cherché à rendre son plan d’aménagement compatible avec les impératifs de protection de l’AHS » (LPS, 1983 : 1) et que s’il y a « morcellement irréversible de Cataraqui, il faudrait conclure que ce concept d’arrondissement historique ne revêt véritablement aucune signification » (LPS, 1983 : 1-2). Enfin, il conclut en critiquant la ville et le ministère : « Les citoyens de Sillery ont eu à déplorer trop longtemps que le développement de leur ville dépende de décisions incohérentes, prises à la pièce, toujours susceptibles d’être entachées d’arbitraire ou de favoritismes » (LPS, 1983 : 4).

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Enfin, France Gagnon Pratte expose que « [p]eu à peu, les villas disparaissent, victimes des promoteurs et du peu de souci des gouvernements municipaux et provinciaux, face au patrimoine » (France Gagnon Pratte, 1983 : 2). La subdivision de Cataraqui « démontrera une fois de plus notre incapacité chronique à conserver et à mettre en valeur notre patrimoine architectural avec un peu de perspective » (France Gagnon Pratte, 1983 : 5).

2.5.3. Le bilan de la Commission des biens culturels du Québec

La CBCQ fait le bilan de cette soirée et présente sa position dans le procès- verbal de la réunion du 1er septembre 1983. D’entrée de jeu, elle rappelle l’historique des positions de la CBCQ et illustre que « la signification et la valeur- témoin du domaine Cataraqui peuvent être comprises différemment selon qu’on les regarde par la lunette de l’histoire, de l’écologie, de la planification urbaine ou plus prosaïquement par celle de l’administration gouvernementale » (CBCQ, 1983 : 6). La CBCQ blâme sérieusement le MAC et écrit que celui-ci « devrait admettre qu’il n’est pas possible de gérer un arrondissement historique sans que les préalables [un plan de sauvegarde et de mise en valeur] soient mis en place » (CBCQ, 1983 : 7). Ces plans, prévus pour les arrondissements historiques à l’article 53 f) de la LBC, n’ont jamais été mis en place et supprimés de la loi en 1985.

La CBCQ exprime dans un énoncé de principe qu’elle accepte la validité des arguments du MAC et qu’elle croit que « l’intervention projetée n’affectera pas la valeur intrinsèque de la Villa Cataraqui, ni la lisibilité de son témoignage historique » (CBCQ, 1983 : 11). Elle fait néanmoins une trentaine de recommandations, notamment de « déclarer un moratoire de 3 mois sur toute intervention concrète sur la propriété […] [afin] d’élaborer un concept général de mise en valeur concernant son utilisation en tant que parc historique », concept qui sera soumis à la consultation publique et d’envisager un « comité multipartite » entre la Ville de Sillery, les Amis de Cataraqui, la Maison Michel-Sarrazin et les représentants des ministères concernés (CBCQ, 1983 : 11-13).

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Plus loin dans le procès-verbal, les commissaires font des recommandations pour l’ensemble de l’AHS. Ils évoquent que « le plan d’urbanisme ne constitue pas dans les faits ni dans l’intention un plan de sauvegarde et de mise en valeur » et que c’est le « vide le plus complet, quant aux dispositions qui pourraient […] guider [les requérants] pour la construction ou la modification d’un immeuble » dans l’AHS (CBCQ, 1983 : 14).

De surcroît, la Commission stipule qu’« [a]ttendu que d’autres grandes propriétés sont ou seront soumises aux pressions spéculatives qui engendreront soit le lotissement ou la destruction hâtive de certains immeubles et que l’on peut, à juste titre, craindre une banalisation excessive du côté sud du chemin Saint- Louis ». Elle recommande également qu’un « plan de sauvegarde et de mise en valeur soit élaboré » et que ce document, « fort important pour l’avenir, précise les zones intouchables, naturelles ou historiques […] comprendra une réglementation sur les interventions » (CBCQ, 1983 : 15) et qu’il soit également soumis à des auditions publiques.

En conclusion, le ministère autorise le permis de construction le 12 octobre 1983 et les travaux commencent le 19 novembre de la même année. La Maison Michel-Sarrazin ouvre ses portes le 18 février 1985 et ses activités se poursuivent encore aujourd’hui. Aucune des recommandations de la CBCQ ne sera mise en œuvre par le MAC et la villa Cataraqui ainsi que la majorité du domaine n’auront aucune vocation précise et leur entretien sera minimal jusqu’au milieu des années 1990.

2.6. Le rôle des communautés religieuses (1963- 2001)

Les communautés religieuses occupent une place importante dans l’histoire de Sillery, plus particulièrement dans celle de l’arrondissement historique. Effectivement, les grands domaines ont été des lieux d’établissement pour un peu moins d’une dizaine de communautés religieuses à compter du dernier tiers du

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XIXe siècle et cette appropriation massive de ces espaces s’est déroulée sur une période de près de 75 ans. Les congrégations ont acheté ces vastes propriétés de notables de Québec, dont plusieurs anglophones qui avaient fait fortune dans le commerce du bois et la construction navale (Bernier, 1977). Ces grands « barons du bois » ont vendu leurs domaines avec le déclin de ce commerce qui avaient fait la fortune de Sillery dans la première moitié du XIXe siècle à la suite du blocus continental imposé par Napoléon en 1806.

Six communautés religieuses se sont implantées dans les limites de l’arrondissement historique : les Religieuses de Jésus-Marie (1869), les Sœurs de Sainte-Jeanne d’Arc (1917), les pères Augustins de l’Assomption (1921), les pères Maristes (1929), les Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique (1945) et enfin les Augustines de la Miséricorde de Jésus (1946).

Les communautés religieuses ont donc depuis près de 150 ans une emprise foncière importante dans la ville, Sillery était même la municipalité de la région de Québec ayant la plus forte concentration des propriétés conventuelles sur son territoire par kilomètre carré en 1995. En effet, les propriétés conventuelles occupaient 650 214 mètres carrés cette année-là, soit près de 10% du territoire de la municipalité (CUQ, 1995 : 15 dans Patri-Arc, 2006a). Dans l’arrondissement historique, les propriétés des six communautés s’étendaient, jusqu’en 2005, sur 380 385 mètres carrés, soit 16,2% de son territoire.

Malgré tout, dans la résolution du conseil municipal qui allait guider la création de l’AHS par le Conseil exécutif, on ne trouve qu’une seule mention du patrimoine des communautés religieuses, soit « la chapelle du lieu de pèlerinage le Montmartre canadien » des Augustins de l’Assomption, construite en 1925.

Nonobstant cela, les communautés religieuses apparaissent comme les « gardiennes » des grands domaines de l’AHS dans de nombreux documents et dans plusieurs interventions des participants au cours des débats sur l’avenir des grandes propriétés. « Cette appropriation massive des grandes propriétés par les institutions religieuses permet de préserver quelques paysages champêtres et certaines résidences. Elle freine également le mouvement d’expansion de la

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banlieue de Québec vers Sillery » (Reny, 1990 : 225). Cette assertion est appuyée par André Bernier qui explique que « la nouvelle vocation institutionnelle [des grands domaines des marchands de bois] leur a valu d’échapper à l’urbanisation jusqu’à nos jours » (Bernier, 1977 : 55). Plusieurs autres auteurs (Lapointe, 1982; Trépanier, 1989) soulignent cette protection d’une partie de l’ASH par les congrégations.

L’achat par les congrégations des nombreux grands domaines aurait également permis la sauvegarde des villas, selon plusieurs auteurs. Dans l’étude de caractérisation de 2004, les auteurs affirment : « En plus d’assurer la survie des domaines, l’appropriation par les communautés religieuses permet la préservation de certaines villas qui sont toujours reconnaissables malgré les transformations qu’elles ont subies au fil des ans » (CBCQ, 2004 : 17). France Gagnon Pratte affirme quant à elle : « Il n’y a guère que quelques communautés religieuses et quelques rares particuliers qui ont réussi à en sauvegarder quelques exemplaires, souvent des fragments» (Gagnon Pratte, 1980 : 162).

Les congrégations ont néanmoins toujours procédé à Sillery au lotissement de leurs terrains jugés excédentaires, souvent en périphérie de leurs propriétés. Ces subdivisions permettent aux communautés religieuses de financer certaines de leurs activités (Quatre communautés religieuses, 2012 : 7). Entre 1966 et 1987, elles ont ainsi vendu 139 615 mètres carrés de terrains, soit plus du quart de leur assiette foncière dans l’AHS. Les actes de vente de ces bandes de terres ne comprennent que peu de conditions, sinon que la construction de clôtures ou la constitution de servitudes de passage.

Ces aliénations ont surtout été faites à des promoteurs22, mais également à la Ville de Sillery. Les deux projets immobiliers les plus importants avant les années 1980 sont le Parc-Beauvoir (44 résidences unifamiliales) ainsi que le développement de l’avenue du Maire-Beaulieu. Celui-ci comprend les copropriétés Le Châtelain (80 unités) et Le Samos (28 unités) de même que les conciergeries Les Jardins de Coulonge (219 unités). D’autres terrains ont vu la construction

22 En ordre chronologique : à La Société immobilière Enic (1966), aux entrepreneurs en construction Gérard et Claude Légaré (1972) et à Bâtiments Noyer inc. (1984).

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d’habitations à loyer modique (Résidences Bergerville et de Puiseaux) et d’une résidence pour personnes âgées (Manoir Saint-Louis).

Figure 5. Lotissement des propriétés des Assomptionnistes et des Sœurs de Sainte- Jeanne d'Arc

Source : Google Earth, 2017

Le développement de ces différents projets immobiliers est favorisé par la Ville de Sillery par des changements aux règlements d’urbanisme qui relèvent de la technique du spot-zoning (ou rezonage parcellaire23). Effectivement, le règlement de zonage de 1949, en vigueur jusqu’en 1981, ne permet, pour l’usage résidentiel, que la construction de « maisons à logement unique ». Le conseil municipal adopte donc des règlements à la pièce pour chacun des lots visés pour autoriser la construction de bâtiments multi logements de grand gabarit (jusqu’à dix étages) avec néanmoins plusieurs conditions24. On ne trouve pas de traces dans les archives municipales et gouvernementales de contestation ni de la CBCQ ni de

23 On peut définir le spot-zoning comme un règlementation postérieure au règlement de zonage initial, propre à un territoire de petite dimension, favorable ou non à ce dernier, prévoyant des usages ou normes se distinguant de l’affectation généralement préconisée pour le territoire environnant et favorable ou non à l’intérêt public (Caron, 2015). 24 Règlement 102 de la Cité de Sillery.

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citoyens par rapport à ces projets. On se rappelle néanmoins les conclusions de l’analyse territoriale de la Stratégie de préservation et de mise en valeur de la falaise et de ses abords de la firme Urbatique qui faisait état de ce phénomène.

2.6.1. Un rôle politique

Les congrégations sont peu présentes dans l’espace public et restent très discrètes malgré un poids politique certain. Néanmoins, lors des élections municipales de 1974, les communautés religieuses jouent un rôle décisif dans la défaite du maire sortant Jules Beaulieu, au pouvoir depuis 1959. Celui-ci veut appliquer certaines dispositions de la nouvelle Loi sur l’évaluation foncière sur les propriétés appartenant aux institutions religieuses pour augmenter les revenus de la ville25. En effet, l’importance des propriétés conventuelles est telle à Sillery que même si leur évaluation à des fins d’impôts fonciers équivaut à l’ensemble des propriétés résidentielles, commerciales et industrielles de la ville, elles ne rapportent que 40 000$ de revenus (Hulbert, 1989 : 102).

Le maire Beaulieu est battu par 573 voix, les communautés religieuses représentant à elle seule 958 voix contre sa candidature. Le lendemain de l’élection, Le Soleil titre sur les propos de Beaulieu « Les religieux sont au pouvoir à Sillery26 ». La caricature de l’édition du surlendemain dépeint le nouveau maire Charles-Henri Blais, appuyé par les congrégations religieuses, comme le « maire supérieur » (jeu de mots avec mère supérieure) de la Communauté urbaine de Québec.

25 Selon la loi de 1972, les communautés religieuses seraient toujours exemptées de taxes foncières, mais les municipalités pourraient chercher des revenus pour les services fournis. Cette loi sera modifiée en 1975. 26 Page couverture du quotidien Le Soleil, 6 novembre 1976.

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Figure 6. Caricature du maire Charles-H. Blais

Source : Hunter, 1974

Les communautés religieuses semblent absentes des consultations publiques entourant l’élaboration du plan d’urbanisme au tournant des années 1980, aucun de leur représentant n’étant mentionné dans les procès-verbaux de ces réunions. Néanmoins, il serait erroné d’en conclure qu’elles n’ont joué aucun rôle dans sa préparation. Dans ses commentaires de début de séance lors de la réunion du conseil municipal du 6 avril 1981 qui voit l’adoption du règlement concernant le plan d’urbanisme, le maire Charles-H. Blais remercie expressément « les institutions religieuses […] pour leur étroite collaboration » et conclue qu’avec l’action cohérente des élus municipaux, la collaboration et l’appui de la population, il est à prévoir que Sillery demeurera cette "petite patrie" où il fait bon vivre » (Conseil municipal de Sillery, 1981 : 4).

De surcroît, on constate que plusieurs orientations du plan d’urbanisme s’inspirent des stratégies immobilières des communautés religieuses : principe du développement de type résidentiel de forte densité en périphérie des terrains, protection des vastes espaces verts, importantes marges de recul par rapport aux bâtiments existants. En effet, le rôle de gardiennes des grands domaines de congrégations de Sillery et leurs pratiques foncières vont donc jusqu’à laisser des traces dans les documents de planification et de règlementation de la municipalité.

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2.6.2. Le rapport de 1982

Vers la fin des années 1970, l’intérêt croissant des promoteurs immobiliers pour les propriétés conventuelles et leur urbanisation possible pose plusieurs questions. C’est dans ce contexte que la CBCQ commande un rapport à Johanne Boucher, Johane Dufour et Marc Panneton sur les propriétés des communautés religieuses de la partie ouest de l’AHS27. Le Rapport synthèse sur l’analyse des ensembles conventuels de Sillery. Arrondissement historique est présenté aux commissaires en janvier 1982. Les auteurs énumèrent les raisons de l’intérêt pour ces immeubles : « L’évolution du marché immobilier commence à s’intéresser dangereusement à ces propriétés […] caractérisées par de vastes domaines non construits, si ce n’est que le bâtiment principal […] et aussi leur emplacement qui en font des sites privilégiés, soit pour leur accessibilité, soit pour leur proximité du centre-ville, soit pour leurs propriétés intrinsèques » (Boucher et al., 1982 : 1).

Dans l’introduction de leur rapport, ils font la description peu flatteuse du rôle du promoteur immobilier dans ce jeu d’acteurs institutionnels et privés :

En effet, il y a peu de temps encore qui aurait osé penser s’approprier un terrain appartenant à une communauté religieuse, pour y construire autre chose qu’un bâtiment institutionnel ? Aujourd’hui, on assiste à un revirement de situation remarquable. Ces terrains sont maintenant la convoitise de grands nombre (sic) de promoteurs immobiliers qui voudraient bien tirer un maximum de profit de chaque pouce carré de terrain (Boucher et al., 1982 : 2).

Le rapport présente ensuite divers scénarios de mise en valeur foncière et immobilière des propriétés étudiées, notamment selon les postulats de l'École italienne de typo-morphologie, notamment l’étude des infrastructures (tracé au sol des occupations urbaines, voirie et parcellaire) et des superstructures (éléments eux-mêmes d’occupations du sol, essentiellement le bâti et les espaces libres. (Boucher et al., 1982 : 45).

27 Le rapport s’intéresse aux propriétés des Religieuses de Jésus-Marie, des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique et des Pères maristes, mais également au domaine Cataraqui, bien qu’il n’ait jamais appartenu à une communauté religieuse.

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2.6.3. Le cas du Boisé des Augustines

Le projet immobilier le plus imposant développé sur des propriétés conventuelles entre l’adoption du nouveau plan d’urbanisme de 1981 et la fusion de Sillery à Québec est le Boisé des Augustines, bâti en 1987-1988 sur le domaine Clermont, qui constitue la partie est de la propriété des Augustines de la Miséricorde de Jésus. La propriété de 44 845 mètres carrés comprend une villa qui a longtemps abrité le Centre de l’ouïe et de la parole de l'Hôtel-Dieu de Québec. Aussi appelée villa McInnis, celle-ci a été considérée pendant près de six ans comme un lieu potentiel pour accueillir la Maison Michel-Sarrazin (Bonenfant, 1994 : 88).

Les Augustines vendent finalement le domaine Clermont pour 500 000$ à un promoteur de Sainte-Foy, Bâtiments Noyer inc. en 1984. Le projet immobilier consiste dans la proposition finale en la construction de deux tours de sept étages comprenant chacune 42 copropriétés haut de gamme et deux étages de stationnements souterrains. Il permet la préservation et la mise en valeur de la villa Clermont, une construction de 1919 de style néo-Tudor unique à Québec (Gagnon Pratte, 1980). Un changement de zonage est nécessaire, le nombre d’étages deux fois plus élevé que celui prescrit, ainsi que la densité brute de logements à l’hectare (art. 4.3.5.5, règlement 950).

Le premier projet présenté à la Ville de Sillery, qui respectait le règlement de zonage, prévoyait la construction d’environ 70 maisons en rangée, la destruction de la villa et le déboisement d’une partie importante du site. La mairesse Margaret F. Delisle explique que ce changement de zonage « aurait pour résultat de sauver le boisé en conservant les espaces verts » (Dionne, 1986).

Le projet de règlement modifiant le règlement de zonage contenant des dispositions susceptibles d’approbation référendaire, la Ville de Sillery entreprend le processus prévu par la LAU (art. 124 à 137). Elle tient une première assemblée

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publique aux fins de consultation le 5 mai 1986, puis une deuxième le 7 juillet, certaines modifications ayant été apportées aux règlements.

Le projet est toutefois peu contesté pendant les consultations notamment en raison de la protection de la villa et du boisé en façade du chemin Saint-Louis. Certains intervenants, minoritaires, proposent des changements au plan d’urbanisme pour interdire le développement immobilier au sud du chemin Saint- Louis ou encore l’achat par la Ville des terrains des communautés religieuses pour en faire des parcs. La Ville rétorque que « des terrains valant des millions de dollars ne pourraient jamais être acquis à rabais, même s’ils appartiennent à des communautés religieuses » et qu’interdire le développement serait de « l’expropriation déguisée ». La mairesse intervient alors en disant : « Vous pensez que les communautés religieuses vont laisser faire ça ! » (Dionne, 1986).

Faute d’un nombre de signatures suffisantes au registre, aucun référendum n’est tenu et le conseil adopte le 10 novembre 1986 le Règlement 1085 amendant certaines dispositions du règlement de zonage n°950 en modifiant le plan de zonage de manière à abroger les secteurs de zone RB/P-10 et PB/R-23 et à modifier le secteur de zone RC/P-18, en abrogeant les dispositions particulières aux secteurs de zone RB/P-10 et PB/R-23 et en modifiant les dispositions particulières au secteur de zone RC/P-18. Le plan d’ensemble est quant à lui adopté le 15 décembre.

Le comité des avis de la CBCQ recommande en juin 1986 au MAC d’accepter la demande de permis, le projet Boisé des Augustines, peu visible du chemin Saint- Louis en raison de l’écran végétal du boisé (qui de surcroît est intégralement protégé) et dont l’implantation au sol en minimal, met en valeur la villa et ses parterres, préservant de ce fait « les éléments naturels et artificiels du site Clermont » (P.V., 16 juin 1986).

Entre la construction du Boisé des Augustines en 1988 et les années 2000, aucun projet majeur n’est annoncé dans l’arrondissement historique de Sillery. Le marché immobilier du Canada, particulièrement au Québec, tourne au ralenti avec la récession du début des années 1990, où l’économie canadienne ne connaît presque qu’aucune croissance entre 1991 et 1992. De surcroît, avec une nouvelle

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politique pour ralentir l’inflation, la Banque du Canada hausse ses taux d’intérêt, affectant les prêts hypothécaires (Banque du Canada, 2001). On assiste à une chute des mises en chantier et une baisse de vente résidentielle, le marché des copropriétés étant particulièrement morose. Cet état de fait plombe la promotion immobilière dans l’AHS et explique le hiatus de plus d’une quinzaine d’années dans la construction de nouveaux projets.

En définitive, ce chapitre a analysé l’évolution des sensibilités patrimoniales de l’arrondissement historique de Sillery entre sa création en 1963 et le tournant des années 1990. D’une conception du patrimoine principalement liée au Régime français, les caractéristiques évoquées du site deviennent de plus en plus associées à son caractère naturel et aux villas héritées des grands marchands de bois anglophones du XIXe siècle. Notre étude fait également ressortir que le cadre aménagiste de l’arrondissement, planifié et règlementé par le plan d’urbanisme de 1981, s’inspire des pratiques des communautés religieuses en matière de développement, notamment le principe de densité et de protection des espaces verts.

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Chapitre 3. 2005-2016 : Le nouveau millénaire ou la métamorphose d’un territoire : des discours et des outils d’aménagement et leurs nouvelles assises

Depuis la fin du XXe siècle, le déclin constant des effectifs des congrégations présentes sur le territoire québécois et l’irrémédiable vieillissement de leurs membres amènent la plupart des communautés religieuses, tant en milieu urbain que rural, à entamer une réflexion sur leur avenir et la mise en vente de leurs propriétés devenues trop grandes et difficiles à entretenir. Le nécessaire changement d’usage28 de ces ensembles conventuels, conjugué au boom immobilier de la décennie 2000, place le territoire des « grands domaines » du site patrimonial de Sillery au cœur de nombreuses démarches aménagistes de consolidation et de requalification urbaine.

Ce chapitre présentera d’abord une mise en situation du contexte, notamment en matière d’immobilier, singulier du terrain d’étude. Ensuite, seront abordées les conséquences des premières aliénations d’ensembles conventuels sur le devenir du site patrimonial de Sillery, un espace sous forte pression immobilière depuis le début des années 2000, ainsi que les actions des autorités politiques pour adapter les outils de planification du territoire à cette nouvelle réalité.

Ensuite, il analysera les transformations des discours des différents acteurs présents dans les débats aménagistes, notamment les congrégations elles-mêmes, relativement à certains enjeux. Nous analyserons entre autres l’évolution du rôle des communautés religieuses dans la sauvegarde de ces grands ensembles et la pérennité de la vocation « sociale » des lieux.

28 En urbanisme, l'usage réfère à l'utilisation qui est faite d'un immeuble, à sa destination, à sa vocation (ex. résidentielle, commerciale, industrielle ou institutionnelle).

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3.1. Un contexte urbanistique et immobilier particulier : le site patrimonial de Sillery au XXIe siècle

Depuis l’adoption en juin 2005 du Plan directeur d'aménagement et de développement (PDAD), l’une des principales orientations d’aménagement des autorités municipales est de « favoriser le renforcement de la structure urbaine et la consolidation du territoire » (Ville de Québec, 2005 : 27). Le PDAD, qui tient lieu de plan d’urbanisme pour la ville de Québec, est un document de planification qui « établit les lignes directrices de l'organisation spatiale et physique d'une municipalité tout en présentant une vision d'ensemble de l'aménagement de son territoire » (MAMOT, 2015).

Depuis le début des années 2000, le territoire de la ville de Québec et, encore plus particulièrement la partie ouest de la colline de Québec, qui correspond aux anciennes municipalités de Sillery et de Sainte-Foy, font l’objet d’un important effort de consolidation et de requalification urbaine. Ces opérations, de nature foncière et immobilière, consistent à « modifier les qualités physiques d’un milieu (ouverture de nouvelles rues, diversification des activités, densification du cadre bâti) afin de lui attribuer une nouvelle vocation » (Vivre en Ville, 2016).

La densification urbaine de Québec est un élément phare des outils de planification de la grande région métropolitaine. En effet, on lit dans le PDAD que « les parties de territoire où il est possible d’insérer, de rénover ou encore de remplacer des constructions devraient logiquement être développées en priorité. C’est dans cette optique de consolidation du territoire que la Ville choisit d’y orienter sa croissance urbaine, en priorité, au cours des vingt prochaines années » (Ville de Québec, 2005 : 30).

Pour ce faire, le PDAD propose notamment de « privilégier l’insertion, le recyclage et la densification douce dans les milieux résidentiels existants et à construire » (Ville de Québec, 2005 : 41). Concernant plus précisément les propriétés des communautés religieuses, le PDAD indique que « la Ville doit

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préconiser […] une approche prudente par rapport à la conversion de ces propriétés » (Ville de Québec, 2005 : 42). La Ville de Québec stipule qu’elle privilégie la préservation du caractère institutionnel des grandes propriétés, mais qu’elle est toutefois consciente que cet objectif ne pourra pas toujours être atteint puisque leur avenir est souvent soumis à des impératifs économiques et sociaux.

Figure 7. Extrait de la carte « Les pôles métropolitains et les axes structurants » du PMAD

Source : CMQ, 2012 Les marques sont de l’auteur.

Cette tendance urbanistique est de nouveau appuyée lors de l’adoption du Plan métropolitain d’aménagement et de développement du territoire (PMAD) de la Communauté métropolitaine de Québec en 201229 (Communauté métropolitaine de Québec, 2012) et des projets de schémas d’aménagement et de développement de l’agglomération de Québec30.

29 En effet, une des trois priorités d’aménagement identifiées par le PMAD s’y intéresse directement et elle fait l’objet de deux des treize stratégies d’aménagement préconisées par le même document. L’objectif primordial des PMAD est « d’assurer la compétitivité et l’attractivité du territoire de la communauté métropolitaine, et ce, dans une perspective de développement durable » (MAMOT, 2015). 30 Le schéma d'aménagement et de développement (SAD) est le document de planification qui établit les lignes directrices de l'organisation physique du territoire d'une municipalité régionale de comté (MRC). Il permet de « coordonner les choix et les décisions qui touchent l'ensemble des municipalités concernées, le gouvernement, ses ministères et ses

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De surcroît, la densification est poussée par une volonté politique forte de la part des élus municipaux, notamment le maire Régis Labeaume (Nadeau, 2017). Le site patrimonial de Sillery, situé entre deux pôles d’importance métropolitaine (la colline Parlementaire et Sainte-Foy, qui sont deux territoires sous l’effet d’un programme particulier d’urbanisme) et tout près d’un grand axe structurant (le boulevard Laurier) identifié tel quel par le PMAD, fait ainsi l’objet d’une intense pression immobilière.

Il est important de rappeler que les premières années de la décennie 2000 ont été marquées par une forte croissance des prix de l’immobilier aux échelles régionale, nationale et internationale (Berthold, 2013), stimulant notamment le marché de la copropriété haut de gamme dans les régions métropolitaines nord- américaines (Valley, 2006 : 17). Le prix médian d’une copropriété a en effet bondi de 60% dans la ville de Québec entre 2000 et 2010 (Berthold, 2013 : 26).

Le site patrimonial de Sillery, avec ses perspectives spectaculaires sur le fleuve Saint-Laurent dans ses limites, abrite un marché immobilier de luxe recherché à l’échelle de la région métropolitaine de Québec (Re/Max, 2014). En effet, la littérature scientifique démontre qu’en matière immobilière, la proximité d’un plan d’eau ou la vue sur ce dernier peut constituer un important facteur attractif susceptible de bonifier le prix des propriétés (Brown et Pollakowski, 1977; Bourassa et al., 2006). Cette aménité environnementale constitue également un facteur souvent déterminant dans l’achat d’une propriété de prestige (Mothorpe et Wyman, 2017). De surcroît, des études constatent que les projets urbanistiques de réaménagement des berges, par exemple la réalisation de la promenade Samuel- de-Champlain dans le périmètre du site patrimonial, stimulent les marchés immobiliers (Hoffman, 1999).

mandataires » (MAMOT, 2015). Depuis la réorganisation municipale de 2000-2006, les agglomérations issues des défusions et les villes-MRC sont également dans l’obligation de se doter d’un SAD.

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3.2. Des premières conversions qui sèment la controverse

C’est en mai 2005 que la première vente d’une propriété conventuelle dans le site patrimonial se concrétise. En effet, les Sœurs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique cèdent leur immeuble de 35 000 mètres carrés du 2071, chemin Saint- Louis à « Le Domaine Benmore inc », une compagnie du promoteur de Québec Marc Simard, pour 4,2 millions de dollars. Présente à Sillery depuis 1947, la communauté des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique, ou « Sœurs blanches » est fondée en 1869 en Algérie par Mgr Lavigerie. De spiritualité ignacienne, elle a pour mission « l'évangélisation des Africains et œuvr[e] plus particulièrement auprès des femmes et des jeunes filles » (Répertoire du patrimoine culturel, 2013). Leur propriété de Sillery leur servait jusqu’à cette vente de maison de repos et d’infirmerie.

Depuis cette date, trois autres ensembles conventuels sont vendus à des promoteurs immobiliers. Premièrement, la propriété des Augustines de la Miséricorde de Jésus est vendue à « Investissements Immobiliers LG, société en commandite », une filiale de « HDG Inc. » (portefeuille dont l'actionnaire principal est l’homme d’affaires Daniel Gauthier) en janvier 2008. Deuxièmement, en juin 2012 et en avril 2013, l’ensemble conventuel des Religieuses de Jésus-Marie est cédé en deux parties31, respectivement à « Investissement Immobiliers Benmore » et à « Collège Jésus-Marie de Sillery». Enfin, l’immeuble des Sœurs de Sainte- Jeanne d’Arc est aliéné en août 2016 à une compagnie à numéros, filiale du groupe Norplex, promoteur entre autres du redéveloppement de l’ancien collège Bellevue de la Congrégation de Notre-Dame et de ses terrains dans le quartier Saint- Sacrement, à Québec.

L’ensemble de ces anciennes propriétés conventuelles totalise près de 295 500 mètres carrés, soit 12,6% du territoire de site patrimonial, et la valeur des transactions s’élève à 24,2 millions de dollars. Un premier projet de conversion

31 D’une part, les terrains vacants au sud de la propriété et d’autre part les bâtisses du collège et les terrains qui l’entourent.

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d’un ensemble conventuel dans les limites du quartier de Sillery, nommé le Domaine et le Château de Bordeaux, avait aussi eu lieu sur la propriété des Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux au nord du chemin Saint-Louis, un immeuble qui n’est pas formellement compris dans les limites du site patrimonial. Après avoir été cédé pour 4 millions de dollars à un promoteur immobilier (le Groupe Melior, acheté depuis par l’ontarienne Chartwell) en 2003, le couvent est converti en résidence de personnes âgées entre 2005 à 2006. De plus, un immeuble résidentiel de sept étages aussi destiné à cette clientèle est construit au sud du terrain.

Cette nouvelle construction, qui densifie considérablement le cadre bâti de la propriété, suscite l’inquiétude de plusieurs citoyens, groupes d’intérêt et représentants de la Ville de Québec. Denis Jean, un urbaniste employé de la Ville, concède même au quotidien Le Soleil : « Le Château de Bordeaux, c'est le contre- exemple, il n'a pas sa place là » (Mathieu, 2006).

Figure 8. Le Château de Bordeaux sur l'ancienne propriété des Sœurs de la Sainte- Famille de Bordeaux

Château de Bordeaux : Bâtiment en forme de « C » inversé. On constate la densification du site entre 2003 (à gauche) et 2017 (à droite). Source : Google Maps

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Le premier projet de requalification situé dans le périmètre du site patrimonial est celui de la propriété des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique. Le projet immobilier est appelé le domaine Benmore, du nom historique du site au XIXe siècle. Il suscite des réactions divergentes au fil des étapes prévues du développement du site. La première phase n’implique aucune modification au règlement de zonage et a été complétée en 2007. Favorablement accueillie par les riverains, elle consistait en la transformation et la rénovation de la maison de repos de la communauté en 16 unités de copropriétés.

Figure 9. La première phase de développement de la propriété des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique

Source : Laurent Aubin, 2016

Cependant, le projet immobilier des promoteurs du domaine Benmore comporte d’autres phases beaucoup plus imposantes de développement, cette fois sur les terrains des Religieuses de Jésus-Marie. Le terrain situé au sud du Collège Jésus-Marie est acheté par un groupe d’investisseurs dont fait partie Marc Simard en juin 2012, après plusieurs années de négociations avec la congrégation.

Les travaux de construction du projet Sous-les-Bois, du nom de la villa construite sur le site en 1843, ont commencé à l’automne 2016 et consistent en la

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construction d’environ 180 unités d’habitation supplémentaires au sein de cinq nouveaux bâtiments, dont trois possédant au moins sept étages chacun.

Figure 10. Carte du projet Domaine Benmore et Sous-les-Bois

Source : Laurent Aubin, 2017

Ces phases subséquentes, qui nécessitent des changements notables à la réglementation d’urbanisme32 sont, contrairement à la conversion du couvent des

32 Parmi les changements apportés à la suite de l’adoption du PPU, on peut noter la hausse de la hauteur maximale du bâtiment principal à 21 mètres (l’équivalent de sept étages), l’autorisation de l’usage « Habitation avec services communautaires » et des dispositions particulières, comme par exemple « Malgré la hauteur maximale prescrite, 12% de la projection au sol d'un bâtiment principal peut atteindre 23 mètres » (R.C.A.3V.Q. 179).

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Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, très mal reçues par les groupes préoccupés par la conservation du caractère naturel du site patrimonial. En effet, il rappelle pour certains les premiers lotissements controversés des grands domaines du début des années 1980. Dès l’annonce du projet en 2013, Robert Dionne, vice-président de la Coalition pour l'arrondissement historique de Sillery, déclare à Radio-Canada : « Nous sommes contre le projet qui est devant nous sur les terrains de Jésus-Marie qu'on appelle le Sous Bois (sic). Pourquoi ? Parce que ça va détruire l'esprit des lieux » (Radio-Canada, 2013).

Les résidents du faubourg Saint-Michel, un ensemble de petites maisons ouvrières situé derrière l’église Saint-Michel sur la frange est du projet, ont formé un comité citoyen et dénoncent également la construction de ces copropriétés. Solange Simard, qui réside dans ce quartier, écrit dans une lettre ouverte en août 2017 :

Ce faubourg servira de voie de transit aux centaines d'automobilistes des futurs tours à condos qui s'élèveront jusqu'à sept étages. Ces mêmes automobilistes entreront par la suite sagement dans leur stationnement souterrain pour aller se reposer sur leur balcon ou dans leur piscine orientée du côté sud-ouest, sans aucun bruit ou pollution et avec un ensoleillement idéal que nous n'aurons plus. Ce « mur de Berlin » qui s'élèvera près des maisons ouvrières sera le symbole de la différence entre deux couches de la société (Simard, 2017 : 12).

3.3. Des outils de planification en redéfinition

Les premières démarches de refonte des dispositifs d’aménagement depuis près de vingt ans sont lancées par la Ville de Québec et le ministère de la Culture et des Communications avec l’annonce de ces premiers projets de conversion et concernent le secteur des « grands domaines », mais également tout le site patrimonial de Sillery et ses environs. En effet, en février 2006, la Ville de Québec décrète un moratoire qui empêche toute modification au zonage sur les terrains des propriétés conventuelles de Sillery. Les autorités municipales expliquent dans un article du quotidien Le Soleil que « [p]lutôt que de suivre la voie habituelle et de donner ou de refuser à la pièce des changements de zonage, [elles veulent] se

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donner une vision d’ensemble de la future densification de ce secteur très prisé, avec de magnifiques points de vue sur le fleuve » (Mathieu, 2006b).

La déclaration de ce moratoire repose entre autres sur les orientations du Plan directeur d’aménagement et de développement (PDAD). Ce plan confirme le potentiel de requalification de nombreux terrains et prévoit l’affectation du secteur des « grands domaines » de Sillery à des usages récréatifs et résidentiels (Ville de Québec, 2005). Le PDAD affiche aussi l’intention de la Ville de « protéger et de valoriser l’arrondissement historique de Sillery et ses composantes patrimoniales [et] la réalisation d’un exercice de planification détaillée » (Ville de Québec, 2005 : 368).

Figure 11. Détail de la carte « Arrondissement de Sainte-Foy-Sillery » dans le PDAD

Source : Ville de Québec, 2005 En brun, il s’agit des sites de reconversion potentielle identifiés par la Ville de Québec. En 2017, l’étendue des sites reconvertis ou en cours de reconversion est nettement plus élevée.

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Conséquemment, les autorités municipales entreprennent des démarches afin d’élaborer un programme particulier d’urbanisme, une composante du plan d'urbanisme qui permet d'apporter plus de précisions quant à la planification de certains secteurs qui suscitent une attention toute particulière de la part du conseil municipal (MAMOT, 2015).

Néanmoins, ces démarches sont mises en veilleuse quelques années plus tard lorsque le ministère de la Culture commence la préparation d’un plan de conservation pour le site patrimonial de Sillery. Effectivement, selon l’esprit de la Loi sur le patrimoine culturel adoptée en 2012, le ministère détient la prérogative des orientations de développement des sites patrimoniaux. Selon l’article 61 de cette loi, le plan de conservation est un document normatif qui définit les « orientations en vue de la préservation, de la réhabilitation et, le cas échéant, de la mise en valeur de ce site en fonction de sa valeur patrimoniale et de ses éléments caractéristiques ».

Il faut noter qu’avant l’élaboration du plan de conservation, d’autres documents gouvernementaux avaient été publiés au cours des dix années précédant la révision de la Loi sur le patrimoine culturel. Il s’agit de l’Étude de caractérisation de l’arrondissement historique de Sillery (2004) de la Commission des monuments historiques, préparée par l’historienne de l’art Denyse Légaré ainsi que du Cadre de gestion du Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine pour les grandes propriétés de l’arrondissement historique de Sillery (2010).

Ce dernier constitue un premier dispositif gouvernemental visant à définir les caractéristiques essentielles du secteur des grandes propriétés de l’arrondissement historique. Elles ont ensuite été traduites en cinq orientations par le Ministère pour encadrer l’évaluation des projets. Celles-ci comprennent, entre autres, le respect du caractère paysager en protégeant les grands espaces, la conservation des percées visuelles vers le fleuve et la rive sud, depuis le domaine public ainsi que le respect de la typologie architecturale et les systèmes

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d’aménagement des grandes propriétés, selon la présence d’édifices conventuels ou de villas (Ministère de la Culture et des Communications, 2010).

Ainsi, le plan de conservation du site patrimonial de Sillery est présenté en janvier 2013 et, à la suite de séances de consultations publiques au caractère parfois houleux, décrites comme des lieux de bataille, un « autre affrontement […] entre amoureux du patrimoine et promoteurs immobiliers » (Guéricolas, 2013), il est adopté en juillet de la même année.

Il est important de mentionner qu’il s’agit du premier plan de conservation adopté après l’entrée en vigueur de la Loi sur le patrimoine culturel et des premières consultations à caractère public du Conseil du patrimoine culturel du Québec, créé par la même loi en remplacement de la Commission des biens culturels.

Les principales orientations de ce plan ont trait, en grande partie, à la protection du caractère paysager et des qualités visuelles du site patrimonial de Sillery, dans l’esprit des précédents outils. Par exemple, des orientations particulières rappellent l’importance de préserver les alignements d’arbres, de maintenir le caractère naturel de l’escarpement ou encore de favoriser la mise en valeur des points de repère naturels et bâtis du site (Ministère de la Culture et des Communications, 2013).

Le Plan de conservation du site patrimonial de Sillery privilégie également le principe du traitement minimal, notamment le recyclage des bâtiments religieux. Pour les nouvelles constructions, le grand principe qui devrait guider les actions des promoteurs immobiliers est de « favoriser une nouvelle construction s’inspirant des caractéristiques historiques du milieu d’insertion, sans imiter les bâtiments existants, de manière à affirmer son époque de construction » (Ministère de la Culture et des Communications, 2013 : 70).

Néanmoins, le plan de conservation ne donne aucune directive concrète et précise quant aux balises qui encadreraient le développement immobilier, ce qui suscite une certaine grogne lors des consultations publiques. Le ministre de la

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Culture de l’époque, Maka Kotto, fait savoir que la Loi sur le patrimoine culturel ne lui permet pas d'interdire la construction dans un secteur donné et présente lors de la présentation du plan révisé à la suite des consultations qu’un projet d'amendement à la Loi33 sera présenté afin de permettre d'inclure la création de zones non constructibles, une demande répétée par les citoyens lors des séances de consultation (Radio-Canada, 2013).

Dans son rapport de consultation, le Conseil du patrimoine culturel aborde cette problématique et exprime que plusieurs groupes et citoyens affirment que le plan de conservation ne correspond pas à leurs attentes. Il souligne également que le titre même du document, soit plan de conservation, a créé des attentes importantes chez la population.

Pour ces intervenants, la conservation doit en effet « susciter des mesures de protection, et le plan déposé ne comble pas cet objectif » (CPCQ, 2013b). On reproche notamment le peu de place que le plan de conservation consacre à la protection et certains reprochent au document de constituer non pas un plan de conservation, mais plutôt un plan de développement.

C’est sur la base des orientations du plan de conservation que la Ville de Québec relance par la suite l’élaboration de son programme particulier d’urbanisme. Celui-ci est adopté par le conseil municipal en décembre 2015. D’entrée de jeu, la Ville justifie son utilisation d’un tel outil d’aménagement et met la table à un éventuel développement immobilier :

Considérant la valeur foncière importante de ces vastes propriétés et les coûts élevés que supposent l’entretien et la préservation des bâtiments conventuels et des aménagements paysagers, il est impossible qu’un acquéreur puisse rentabiliser ses opérations par l’unique recyclage des bâtiments conventuels […]

33 Le projet de loi 66 prévoyait de donner au ministre la possibilité d'adopter des règlements pour établir des contraintes précises et claires à l'égard des sites patrimoniaux, notamment la division, la subdivision, la redivision ou le morcellement d’un terrain, l’aménagement ou l’implantation d’un immeuble, toute construction, réparation ou modification relative à l’apparence extérieure d’un immeuble, la démolition en tout ou en partie d’un immeuble et l’érection de toute nouvelle construction. Le projet de loi est mort au feuilleton.

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Dans un tel contexte, il devient évident que le statu quo – qui serait pourtant le moyen le plus facile de préserver le caractère des lieux – n’est plus possible (Ville de Québec, 2015a : 13).

Les orientations et objectifs spécifiques d’aménagement du PPU sont regroupés en trois grandes catégories (le paysage urbain; l’aménagement et la forme urbaine ainsi que la qualité des milieux de vie) et se traduisent notamment par une vision d’aménagement qui favorise la conservation des caractéristiques paysagères propres au site patrimonial de Sillery, qui maintient la cohérence de la forme urbaine et respecte la capacité du milieu à intégrer de nouveaux espaces construits d’insertion et enfin qui redonne un caractère public aux abords de la cime de la falaise.

Cette vision s’inspire évidemment du plan de conservation, mais contrairement à ce dernier, le programme particulier d’urbanisme comprend les règles de zonage, de lotissement et de construction destinées à guider l'élaboration des règlements d'urbanisme.

À cet égard, le PPU du site patrimonial de Sillery et ses environs délimite également des aires protégées et constructibles, permettant ainsi la construction d’environ 800 nouvelles unités de logement sur plus ou moins 10% de la superficie totale du site, plus précisément sur les aires libres résiduelles autour des bâtiments existants et sur les franges des propriétés religieuses. De surcroît, des composantes et caractéristiques à maintenir ainsi que des règles d’intervention spécifiques à chaque « grand domaine » sont également énoncées dans le document.

3.4. Un renouvellement des discours de conservation

Lors des consultations publiques sur les divers dispositifs de planification urbaine qui ont ponctué les années 2006 jusqu’à 2015, s’exprime un renouveau dans le discours protectionniste des citoyens et des groupes d’intérêt dans la défense du site patrimonial de Sillery. Ce discours s’appuie fermement sur la problématique urbanistique de la conversion des ensembles conventuels, rendue inéluctable en raison de la vente par les communautés religieuses de leurs

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propriétés conventuelles. On distingue deux angles d’approche dans les plaidoyers conservationnistes.

D’une part, le discours protectionniste propose l’idée que les six ensembles conventuels constituent un incontestable « rempart » territorial qui favorise la conservation du cadre paysager et des qualités visuelles du secteur des « grands domaines ». Sur cet aspect, l’argumentaire dominant de ce discours oppose une densification désignée comme « non respectueuse » et un développement tous azimuts, à l’intégrité des ensembles conventuels, notamment sur les plans architecturaux et paysagers. Dans le sillage de la déclaration par la ville de Québec du moratoire de 2006, Jean Bousquet, professeur au Département des sciences du bois et de la forêt à l’Université Laval, explicite cette réflexion dans une prise de position dans les pages du quotidien Le Soleil :

Les grandes propriétés conventuelles de Sillery constituent, après l’arrondissement historique du Vieux-Québec et les plaines d’Abraham, la plus grande concentration de lieux historiques et la plus grande superficie de panoramas naturels encore intacts remontant au XIXe siècle à Québec […]. Afin d’éviter que le futur n’efface un passé encore présent […] c’est d’un projet mobilisateur dont il faut parler : celui de la mise en valeur durable de l’arrondissement historique de Sillery, non pas pour la possibilité foncière de ses plus beaux terrains, mais pour sa valeur historique indéniable et ses boisés et paysages naturels d’une beauté exceptionnelle (Bousquet, 2006 : 23).

Ces pratiques discursives s’inscrivent dans la continuité des prises de position citoyennes des années 1970-1980, notamment dans le dossier du lotissement de Kilmarnock.

3.5. De gardiennes à spéculatrices : une représentation paradoxale des communautés religieuses

À compter de la présentation du plan de conservation en 2013, la construction paysagère demeure au cœur de la patrimonialisation, mais elle se

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retourne à la fois contre le principe de densification et contre les congrégations religieuses elles-mêmes. Le discours conservationniste défend une position dichotomique par rapport aux communautés religieuses et à leur héritage.

D’un côté, celui-ci tend à stigmatiser les congrégations qui vendent leurs propriétés silleroises à des promoteurs immobiliers, peu importe les raisons qui les amènent à devoir en disposer. En effet, dans le cadre des différentes consultations publiques, des citoyens à titre personnel mais également des groupes d’intérêt, sont nombreux à critiquer le choix des congrégations, notons ici l’architecte Pierre Larochelle (engagé dans le débat sur le démembrement du domaine Cataraqui, trente ans plus tôt), la Coalition pour l'Arrondissement historique de Sillery ou encore le Jardin communautaire de Sillery.

Néanmoins, Le Soleil rapporte que le vice-président de la Coalition pour l'arrondissement historique de Sillery, Charles-Robert Dionne, « réfute "l'impression" que les citoyens "sont contre les sœurs" en s'opposant au développement immobilier sur leurs terrains » (Gaudreau, 2013) et leur offre même un rameau en signe de paix lors des consultations publiques. Ce geste que n’ont pas apprécié les communautés présentes, qui le considèrent comme une provocation.

Ces acteurs sont entre autres préoccupés par la densification du cadre bâti sur de vastes terrains susceptibles de devenir des espaces de conservation et de récréation, dénonçant par le fait même la privatisation des perspectives visuelles sur le fleuve (Héritage Québec, 2013; Coalition pour l'Arrondissement historique de Sillery, 2013).

Certains acteurs, notamment Héritage Québec et des citoyens à titre personnel (Charles-Robert Dionne, Fabienne Barnard) accusent les promoteurs et même les communautés religieuses de se livrer au jeu de la spéculation foncière. Il faut dire que la littérature scientifique explique que la figure du spéculateur immobilier, peu sensible à la conservation du patrimoine, donne souvent place « à des constructions discursives qui offrent un repoussoir permettant de légitimer l’adoption de mesures de conservation patrimoniale » (Berthold et Mercier, 2015).

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Dans ce sens, ces discours présentent le développement immobilier comme une avenue compromettant de manière pérenne à la fois le caractère exceptionnel des « grands domaines » et la mise en valeur patrimoniale du site patrimonial de Sillery.

Ce réquisitoire des citoyens et des groupes d’influence aux horizons divers est d’autant plus douloureux que la représentation des communautés religieuses comme gardiennes des grands domaines, forgée au tournant des années 1980, les montraient comme des actrices bienveillantes par rapport à la protection des qualités paysagères de leurs propriétés. Nonobstant ces informations, cette représentation si ancrée dans les discours conservationnistes de part et d’autre se retourne maintenant contre les congrégations. Les opérations immobilières, qu’elles ont toujours réalisées à une intensité variable depuis plus d’un demi-siècle, sont à présent fortement critiquées.

Ce revirement notable de situation, qui tente de s’imposer dans le débat sur la requalification des ensembles conventuels, est d’une telle force que les communautés religieuses, autrement très discrètes, voire silencieuses, sont amenées à prendre position publiquement sur la question du droit de propriété, de l’urbanisme et du patrimoine.

Dans un mémoire commun présenté lors des consultations sur le plan de conservation du site patrimonial au printemps 2013, quatre congrégations34 déplorent être victimes d’une « expropriation déguisée » et revendiquent haut et fort « le droit de disposer librement de [leurs] biens acquis de plein droit (Quatre communautés religieuses, 2013 : 8). Ces mêmes communautés expriment aussi leur point de vue dans une lettre ouverte publiée dans Le Soleil du 27 mars 2013 :

Depuis plusieurs semaines, les citoyens font entendre leur voix sur le Plan de conservation du site patrimonial de Sillery […] Les préjugés sont persistants quant à notre aisance financière, mais la réalité est tout autre. Nous subissons les contrecoups de la chute importante de nos effectifs, auxquels s’ajoute l’enjeu du vieillissement des religieux et religieuses […].

34 Il s’agit des Augustins de l’Assomption, des Sœurs de Sainte-Jeanne-d’Arc, des Religieuses de Jésus-Marie et des Augustines de la Miséricorde de Jésus.

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Contrairement au mythe répandu, nos propriétés ont été acquises et entretenues à fort prix au fil des années […] il n’y a pas si longtemps, nous étions les seules à accorder de l’intérêt et à reconnaître une valeur à ces « espaces de vie » dont on vante aujourd’hui les qualités. A-t-on besoin de rappeler que nos terrains, maintenant enviés et convoités, ont gardé leur spécificité parce que nous les avons sauvegardés et mis en valeur avant même la création de l’arrondissement historique ? À présent, alors que nos besoins financiers sont criants, il est tout à fait dans l’ordre des choses que nous puissions en tirer les bénéfices. (Latulippe et al., 2013).

Enfin, cette affirmation, forte et sans équivoque, est aussi reflétée dans un passage d’une entrevue accordée par sœur Hélène Marquis, supérieure de la Fédération des Augustines, à l’émission Second Regard le 17 novembre 2013 : « Ça nous tient à cœur le patrimoine, mais seulement que l’entretien de nos sœurs et la survie de nos sœurs, c’est prioritaire » (Second Regard, 2013).

Ce passage rappelle la puissance avec laquelle le discours protectionniste a stigmatisé les congrégations présentes sur le site patrimonial de Sillery alors même qu’il revendique, d’une certaine manière, l’importance de leur héritage architectural et de la pérennité de leurs actions sociales.

De l’autre côté, des arguments employés par les tenants du discours préservationniste militent en faveur de la perpétuation des usages associés aux propriétés conventuelles, ce qui n’était aucunement le cas dans les années 1980, lors de l’épisode de la construction de la maison Michel-Sarrazin. Pour plusieurs groupes d’intérêts, cette voie de redéveloppement urbain, qui s’appuie sur le patrimoine social des communautés religieuses, est à explorer.

En effet, au sein des études consacrées à la conversion des ensembles conventuels, le concept de patrimoine social peut aider à déterminer les usages « souhaitables » d’une propriété à requalifier en fonction de l’histoire de celle-ci et des usages historiques, sociaux et environnementaux qui s’en dégagent (Dubois, 2002; Velthuis et Spenneman, 2007), mais également savoir interpréter l’empreinte urbanistique des congrégations.

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Un passage du mémoire présenté par Pierrette Vachon-L’Heureux, présidente du Conseil de quartier de Sillery35, lors des consultations qui entourent l’élaboration du plan de conservation témoigne d’une préoccupation à l’égard de l’action sociale menée par les communautés religieuses au sein du discours patrimonial :

Les projets de recyclage, assurant la polyvalence des usages, en continuité avec les vocations déjà présentes sur le territoire, [doivent être] privilégiés. Y cohabitent, outre l’habitation, des domaines d’activités relevant d’éducation, de la santé dont les soins palliatifs, de l’agriculture urbaine et même de la vie communautaire et de l’économie sociale. Ce principe essentiel devra faire l’objet d’une réflexion plus large pour bien baliser la vocation du site patrimonial national, en assurant la polyvalence des usages urbains […]. Je crois qu’on a déjà dit […] qu’on voulait que les usages qui sont déjà actuels soient complémentaires, qu’ils soient augmentés, et pour ceux qu’on pouvait privilégier, outre l’habitation, il y avait bien sûr la récréation et le parc, mais aussi des usages à caractère social, l’éducation, l’hospitalier (CPCQ, 2013b : 47-48).

Ce chapitre avait pour objectif d’une part, d’illustrer l’évolution à la fois des discours protectionnistes des citoyens et des groupes d’intérêt, sur la question de la fonction sociale de cet espace, et d’autre part de montrer l’adaptation des dispositifs aménagistes à ces nouvelles réalités.

En effet, le départ massif des communautés religieuses de leurs propriétés des « grands domaines » du site patrimonial de Sillery, couplé à de fortes pressions immobilières et à une volonté des autorités politiques de consolider cet espace, accentue les sensibilités patrimoniales et ouvre un nouveau chapitre du processus de patrimonialisation du territoire. Avec les premiers débats sur la conversion des propriétés conventuelles au milieu des années 2000, notamment celle des Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux, même si la construction paysagère demeure un moteur de la patrimonialisation, celle-ci se retourne à la fois contre les projets de densification et contre les congrégations, accusées par certains de jouer le jeu de la spéculation immobilière.

35 Le conseil de quartier est une instance qui, à l’échelle de la Ville de Québec, s’apparente sur plusieurs aspects à un comité consultatif d’urbanisme.

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La représentation discursive des communautés religieuses comme étant les gardiennes de l’esprit pittoresque des lieux, construite dans les années 1970 et 1980 et fortement ancrée dans les débats, empêche désormais celles-ci de disposer de leurs propriétés comme elles le faisaient depuis des décennies. Néanmoins, les visions de développement du site patrimonial de Sillery, par des opérations de densification ciblées, s’inspirent encore de leurs pratiques immobilières d’avant.

À l’occasion des consultations publiques sur le plan de conservation du site patrimonial de Sillery de 2013, les congrégations, en temps normal d’une grande discrétion, entrent dans le débat et revendiquent haut et fort que limiter ou interdire le développement de leurs propriétés silleroises pose des préjudices irréparables qui menacent leur pérennité.

Enfin, de ces consultations et des suivantes émergent des idées pour un développement des ensembles conventuels qui s’appuie sur les principes de l’action sociale des communautés religieuses. Alors que cette vision s’était heurtée à de nombreux obstacles dans les années 1980, elle paraît aujourd’hui comme une alternative innovante qui permet à la fois de concilier la protection des paysages, la mise en valeur du patrimoine social des congrégations et un redéveloppement intelligent de leurs propriétés.

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4. Chapitre 4 : Le patrimoine des communautés religieuses : réflexion sur une empreinte sur le territoire

La discussion qui suit est le lieu pour une réflexion plus poussée et plus interprétative des résultats. Elle se divisera en trois grandes parties : la première rappellera les orientations fondamentales de notre étude et fera la synthèse des résultats de notre recherche, la seconde fera la synthèse des résultats de notre recherche et constatera les limites de celle-ci, tandis que la troisième cherchera à mesurer la portée des constats.

Rappelons d’entrée de jeu que notre mémoire fait le constat du déclin marqué et inexorable des effectifs des communautés religieuses, qui amène l’aliénation de multiples propriétés conventuelles à la grandeur du territoire québécois. Il postule également que la vente des ensembles religieux suscite un processus de changement de vocation de ces immeubles et que les impacts de cette requalification sur l’aménagement des villes sont sous-estimés.

Nous nous intéressions plus particulièrement au site patrimonial de Sillery à Québec, véritable microcosme de ce phénomène avec une demi-douzaine de propriétés appartenant ou ayant appartenu à des congrégations sur un territoire de 1,5 km2.

Notre recherche s’inscrit dans une perspective critique des études patrimoniales et aménagistes, intégrant le caractère changeant du patrimoine et la construction sociale derrière sa constitution. Son cadre théorique, qui repose sur une analyse des formations discursives, s’inspire de l’archéologie des représentations de Foucault et de la phénoménologie de la perception de Merleau- Ponty.

Les principaux objectifs de ce mémoire étaient les suivants : • Contribuer à l’étude du patrimoine sous l’angle des processus de patrimonialisation et des discours qui l’animent;

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• Aborder l’aménagement du territoire sous l’angle des perceptions, des conceptions et des discours qui le sous-tendent; • Aborder la requalification des propriétés conventuelles comme un phénomène qui relève à la fois de la patrimonialisation et de l’aménagement du territoire; • Étudier les processus sous-tendant la requalification des propriétés conventuelles dans le site patrimonial de Sillery en mettant en exergue leurs rapports à la patrimonialisation.

Nos questions de recherche se demandaient d’une part de quelle manière les nouvelles conceptions du patrimoine transforment-elles les pratiques aménagistes et d’autre part de quelle façon la patrimonialisation marque-t-elle la requalification des ensembles conventuels ?

Nos hypothèses se lisaient comme suit : premièrement, la patrimonialisation et l’aménagement du territoire constituent des champs d’action idéologiques soumis notamment aux discours des acteurs sociaux. Deuxièmement, la patrimonialisation « entraîne » la requalification des propriétés conventuelles dans un processus de protection et de mise en valeur qui traduit une idéologie de la conservation. Enfin, les processus de patrimonialisation des propriétés conventuelles peuvent être largement teintés par les représentations des acteurs territoriaux et l’évolution du cadre légal, comme l’exprime le cas des grands domaines de Sillery.

Cette étude « historienne » et urbanistique de la patrimonialisation du Vieux- Sillery et de la requalification de ses propriétés conventuelles repose sur une méthode éprouvée, soit l’analyse de contenu, principalement de sources primaires. Pensons ici aux actes du Registre foncier du Québec, à des documents d’archives comme des procès-verbaux, mais également des documents de planification et des rapports gouvernementaux.

4.1. De la synthèse

La thèse défendue dans le présent mémoire rappelle, d’abord, à quel point l’aménagement du territoire et la patrimonialisation sont influencés dans les

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processus qui les animent par des représentations et des discours qui évoluent au fil des décennies. Notre approche méthodologique, l’archéologie des représentations, qui amène à déconstruire un objet construit au fil d’une série de représentations qui prennent la forme de couches, offre une perspective inédite dans l’étude de la patrimonialisation du secteur des « grands domaines » du site patrimonial de Sillery, notamment sur le rôle essentiel des communautés religieuses dans sa mise en valeur au fil des ans. C’est l’objet de notre premier chapitre.

Effectivement, les congrégations sont associées à des représentations si ancrées dans les discours, plus précisément à celle de « gardiennes » de ces vastes terrains paysagers, qui alimentent à la fois le processus de patrimonialisation et les décisions des autorités en matière d’aménagement.

Le second chapitre analyse la patrimonialisation du secteur entre 1964 et 1980. En effet, depuis la décision de protéger le site patrimonial de Sillery prise par le gouvernement il y a maintenant près de 60 ans, les sensibilités patrimoniales à l’égard du secteur ont nettement évolué, à l’image des objets et des manifestations compris sous le vocable de « patrimoine culturel » qui ne cesse de s’élargir depuis l’adoption de la Loi des monuments historiques en 1963. Si au moment de sa classification par le gouvernement comme arrondissement historique en 1964, il était considéré comme un microcosme essentiellement issu du Régime français, le site de Sillery a vu évoluer, jusqu’au début des années 1980, ses caractéristiques patrimoniales fondamentales, sous les effets d’une certaine mobilisation citoyenne pour sa sauvegarde et la publication de nombreux documents de caractérisation du site. Ce premier processus de patrimonialisation a vu émerger dans les discours un nouveau visage pour le site, particulièrement son cadre paysager exceptionnel et ses villas de l’époque des grands barons du bois.

Après certains lotissements qui ont influencé de façon forte et durable la patrimonialisation du secteur (Kilmarnock, Spencer Grange, Wolfesfields), il se manifeste, dans les discours des forces protectionnistes, une représentation des communautés religieuses comme les gardiennes des grands domaines, immuables,

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lesquelles assurent notamment la préservation des vastes prairies aménagées et des boisés, tout comme de leurs ensembles conventuels.

La puissance de cette représentation est telle que le régime aménagiste du site patrimonial, particulièrement à travers le plan d’urbanisme de 1981 de la Ville de Sillery, assimile des pratiques immobilières de ces congrégations religieuses, des pratiques caractérisées par un développement de haute densité en périphérie des propriétés et un respect du cadre paysager.

Néanmoins, la place du patrimoine social est quasiment inexistante dans les discours de mobilisation lors de cette première phase de patrimonialisation, même lors des débats sur le lotissement du domaine Cataraqui pour la construction de l’établissement de soins palliatifs Michel-Sarrazin en 1980. En effet, les considérations paysagères et historiques ont monopolisé les discussions, tant du côté citoyen que gouvernemental.

Le troisième chapitre étudie quant à lui l’évolution du site et des documents de planification le concernant entre le début des années 2000 et 2017. L’arrondissement historique de Sillery, devenu site patrimonial désigné en 2013, largement délaissé pendant la décennie précédente, devient un espace de convoitise avec l’accélération des aliénations d’ensembles conventuels à travers le territoire québécois et le boom immobilier du début de millénaire dans la capitale, qui mène à une hausse des valeurs foncières et à un important développement urbain et une forte volonté de densification.

Alors que plusieurs congrégations connaissent des transformations importantes sous l’effet de la baisse de leurs effectifs, la performativité de cette représentation de gardiennes a évolué, notamment dans son interprétation sémantique, ce qui a maintenant pour effet de stigmatiser les congrégations. Certains citoyens et groupes de pression allèguent effectivement que les congrégations jouent le jeu des promoteurs immobiliers et de la spéculation foncière, compromettant ainsi le caractère d’exception du secteur.

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Par ailleurs, la refonte du cadre urbanistique du site patrimonial de Sillery et de ses environs, amorcée en 2005 par le PDAD, et poursuivi par la publication du plan de conservation du Ministère de la Culture en 2013 et le PPU de la Ville de Québec en 2016, amplifie les orientations d’aménagement favorables à une requalification résidentielle du secteur, ce qui place les communautés religieuses entre l’arbre et l’écorce, entre des promoteurs qui souhaitent développer leurs terrains et les partisans d’une conservation intégrale des grands domaines.

Si l’argumentation en faveur du patrimoine social ne s’était pas imposée dans la première phase de patrimonialisation, le portrait est fort différent pour la présente phase. Cet extrait du mémoire d’Action patrimoine, un organisme privé à but non lucratif œuvrant depuis 1975 à « protéger, à mettre en valeur et à faire connaître le patrimoine bâti et les paysages culturels du Québec (Action Patrimoine, 2018) », présenté lors des consultations entourant l’adoption du plan de conservation du site patrimonial de Sillery, illustre la force nouvelle de cette approche : « Pour la protection des sites conventuels en désaffection au Québec, il existe un urgent besoin de développer les modèles porteurs de solutions qui permettent de poursuivre dans le temps l’orientation sociale portée par les communautés qui les ont développés. Le site de Sillery donne cette occasion ».

En établissant un véritable partenariat mixte, public, privé, économie sociale, pour la requalification des bâtiments religieux en désaffection, la vitalité urbaine du secteur serait préservée tout en offrant un certain potentiel de développement immobilier. Les autorités concernées devront évaluer les outils financiers et fiscaux les mieux adaptés pour rencontrer les objectifs de préservation. Elles devront faire preuve d’ouverture et de créativité (CPCQ, 2013a : 86).

Dans le contexte de l’analyse des portées de la présente recherche, il faut interpréter ce passage comme un vif appel à défendre la perspective du patrimoine social et à développer les recherches en ce sens. Il fait également ressortir que le « tout-au-condos » n’est pas une solution miracle et que d’autres avenues, plus évocatrices de la contribution importante des congrégations à la société québécoise sont possibles, notamment en matière d’éducation et de soins de santé.

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En définitive, nos résultats confirment nos trois hypothèses de recherche. Nous avons démontré que la patrimonialisation et l’aménagement du territoire constituent des champs d’action idéologiques soumis notamment aux discours des acteurs sociaux et que la patrimonialisation « entraîne » la requalification des propriétés conventuelles dans un processus de protection et de mise en valeur qui traduit une idéologie de la conservation. Enfin, l’étude du cas des grandes propriétés du site patrimonial de Sillery illustre que les processus de patrimonialisation des propriétés conventuelles peuvent être largement teintés par les représentations des acteurs territoriaux et l’évolution du cadre légal.

4.2. Des limites

Il faut néanmoins noter quelques limites, de nature à la fois méthodologique, mais aussi technique, à notre étude. D’entrée de jeu, le choix du terrain d’étude, soit le site patrimonial de Sillery, enrichit notre recherche par la profondeur de son histoire : une patrimonialisation portée par de puissants acteurs, notamment les différents paliers de gouvernements ainsi qu’une riche documentation (scientifique, gouvernementale, médiatique) sur l’évolution de ce territoire.

Il s’agit de constats qui s’appliquent peu ou ne s’appliquent pas du tout à la majorité des ensembles conventuels sur le territoire de la province de Québec, qui ne sont souvent ni protégés par un palier de gouvernements quelconque, ni l’objet d’une planification particulière dans les documents d’urbanisme.

Le site patrimonial de Sillery est également un secteur singulier à d’autres points de vue : il compte une concentration exceptionnelle de propriétés religieuses, il est localisé dans l’un des quartiers les plus favorisés (revenu, éducation) de la province, ce qui favorise une prise de parole plus aisée de ses citoyens. Le secteur des grands domaines de Sillery, qui possède l’un des potentiels de développement immobilier de prestige le plus important sur la colline de Québec, en fait un site de choix pour les promoteurs immobiliers. Une trop grande généralisation des conclusions de la présente recherche serait donc une grave erreur d’appréciation,

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celle-ci tentant plutôt de comprendre les processus et les discours associés à ce secteur précis.

Ensuite, une autre limite de cette étude de cas est l’absence de l’expression du point de vue interne aux communautés religieuses en ce qui concerne la mise en valeur de leur patrimoine et la vente de leurs propriétés. Nous les citons par l’entremise de leur prise de parole dans les médias ou encore les consultations publiques, aucune entrevue n’a été menée avec des membres des congrégations.

Il faut toutefois mentionner que le choix de notre cadre théorique et méthodologique ne conduisait pas à la tenue d’entretiens de quelque nature que ce soit avec les acteurs impliqués dans la patrimonialisation du secteur des « grands domaines », ni dans les processus de requalification des ensembles conventuels, se basant sur l’analyse de contenu des sources écrites et des discours de ces mêmes acteurs. Le silence des congrégations est néanmoins éloquent en lui-même, témoignant de leur discrétion dans leurs relations avec les médias d’informations et leur pudeur sur les questions financières les concernant.

Nous avons tenté de refléter au mieux de nos connaissances les propos et les enjeux soulevés par les communautés religieuses dans leurs diverses interventions dans les débats entourant l’avenir de leurs ensembles conventuels, en prenant en compte la quasi-absence d’écrits sur les motivations des congrégations dans leur stratégie immobilière des années 1970-1980.

De surcroît, la tenue aléatoire des archives au niveau municipal et la destruction malheureuse de certains fonds d’archives lors de la réorganisation des municipalités du Québec de 2000-2006 compliquent le travail et nuisent également à la compréhension des actions prises par les conseils municipaux en matière d’aménagement du territoire et de protection du patrimoine bâti, même dans le cas d’un site protégé.

Dans le cas présent, les archives de l’ancienne ville de Sillery sont fragmentaires, certaines ayant été perdues lors de la fusion avec la Ville de Québec,

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et elles se limitent en grande partie aux procès-verbaux des conseils municipaux. Néanmoins, la qualité et la quantité d’archives gouvernementales disponibles sont à noter, malgré qu’une demande d’accès à l’information en bonne et due forme ait été nécessaire pour accéder à certains documents malgré leur nature publique.

Enfin, la requalification des ensembles conventuels demeure une problématique majeure de l’aménagement du territoire au Québec et ce à plusieurs égards. Les carences dans la littérature, scientifique ou non, sur l’évolution de ces immeubles (du point de vue historique, architectural ou encore urbanistique) et de leurs occupants, l’absence de normes de protection dans les outils d’aménagement, tant en milieu urbain que rural, mais également le manque de sensibilisation par rapport à la mise en valeur de patrimoine de plusieurs intervenants sont d’autant de défis pour les chercheurs universitaires qui s’intéressent à ce sujet.

4.3. De la portée

Notre étude démontre que la requalification des propriétés conventuelles, quand elle est abordée comme une manifestation de la patrimonialisation et une problématique d’aménagement du territoire, a pour effet de faire émerger des interprétations diverses et parfois contradictoires de l’héritage des communautés religieuses.

D’une part, l’archéologie des représentations, une posture méthodologique originale et novatrice, offre par sa déconstruction systématique des discours et de leurs produits, une analyse singulière à la fois dans les domaines de l’urbanisme et des études patrimoniales. Méthode prometteuse, elle est un outil d’analyse de plus pour les chercheurs, mais également pour les professionnels dans des champs d’expertise aussi diversifiés que l’architecture et la géographie urbaine.

Ses ressorts théoriques et sa méthode qui allient analyse de contenu et herméneutique sont loin de ne pouvoir s’appliquer qu’au patrimoine des communautés religieuses (ni au patrimoine en lui-même), ce qui démontre sa polyvalence analytique. On peut facilement imaginer sa pertinence dans les

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recherches sur le patrimoine bâti autre que religieux, mais aussi sur le patrimoine naturel et immatériel.

D’autre part, l’approche nouvelle du patrimoine social semble être porteuse et mérite l’attention des universitaires et des nombreux acteurs qui touchent à l’aménagement du territoire et au patrimoine, pensons encore une fois aux professionnels, mais aussi aux autorités publiques, aux promoteurs immobiliers et aux organismes communautaires. L’évocation du patrimoine social des communautés religieuses peut contribuer à identifier des nouveaux usages sui generis, un élément central dans la réflexion, incontournable, sur la requalification des propriétés conventuelles, dans la perspective du « adaptive reuse ». Il ne faut pas négliger aussi l’empreinte urbanistique des communautés religieuses, qui influence depuis quarante ans le développement de site comme celui de Sillery.

La perspective du patrimoine social est également inspirante pour les congrégations elles-mêmes dans la planification de l’aliénation de leurs propriétés. Les exemples de « don » dans les dix dernières années par les communautés religieuses de certains de leurs immeubles se multiplient.

Deux exemples récents méritent d’être mentionnés à ce moment-ci. Le plus connu de ces cas est le legs en 2013 du monastère de l'Hôtel-Dieu de Québec par les Augustines de la Miséricorde de Jésus à la Fiducie du patrimoine culturel des Augustines, une fiducie d’utilité sociale36, qui a pour mission d’y développer un lieu de mémoire habité dont la population serait la principale bénéficiaire. Le projet est ouvert au public en août 2015 et a reçu de nombreux prix (Le Monastère des Augustines, 2018).

36 La Fiducie du patrimoine culturel des Augustines a pour mission « d'assurer, pour toute la population et pour les générations à venir, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine (immobilier et mobilier, dont des collections d’objets médicaux, ethnologiques et religieux ainsi que des archives et des livres anciens) et de la mémoire des Augustines du Québec ». De plus, elle poursuit également « une mission sociale et culturelle auprès des proches aidants, des accompagnateurs de malades, des soignantes et soignants, des bénévoles et des groupes engagés dans le domaine de la santé » (Fiducie du patrimoine culturel des Augustines, 2014).

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Un cas plus récent est celui des Sœurs de Sainte-Anne de Lachine, qui ont lancé sa mise en œuvre en mars 2018 avec de nombreux partenaires. Le projet porte sur la reconversion à des fins résidentielles, à prédominance sociale et communautaire, de la Maison mère de la congrégation dans l’arrondissement montréalais de Lachine. Une nouvelle résidence serait construite pour les sœurs sur le site et les bâtiments existants seraient, quant à eux, prolongés par une nouvelle aile. Environ 450 unités résidentielles seraient réalisées, dont 150 pour les sœurs et 240 destinées à des personnes âgées de plus de 75 ans ou en perte d’autonomie. Dans le plan directeur du projet, on lit : « Souhaitant se départir de la gestion de la Maison mère, la Congrégation désire voir cette reconversion s’inscrire dans des traditions sociales et le respect du patrimoine historique, architectural et végétal » (Bâtir son Quartier, 2018 : 6). En effet, dans ce dernier cas, les Sœurs de Sainte-Anne ont « préféré voir ses bâtiments convertis en logements communautaires plutôt qu'en tours de condos », les « ambitions immobilières [des promoteurs] ne cadraient pas avec les valeurs de la communauté religieuse » (Normandin, 2018).

À plus long terme, nous espérons sincèrement que l’approche porteuse du patrimonial social dans l’aide à la prise de décision des congrégations et des élus pourra permettre de mieux planifier l’affection des sols et des usages du territoire dans une optique de continuité.

En définitive, la validité et la portée scientifiques de notre recherche sont démontrées. Nous suggérons que certaines recherches supplémentaires que nous n’avons pas menées dans le cadre de mémoire pourraient approfondir certains aspects étudiés et par le fait même enrichir la réflexion sur l’avenir du secteur des « grands domaines » du site patrimonial de Sillery.

Nous pensons entre autres à des entrevues avec les principales dirigeantes des communautés religieuses pour documenter la planification de la vente de leurs immeubles et leur départ du quartier de Sillery ou encore des études architecturales de l’intérieur des bâtiments pour mieux connaître leur potentiel ou non de conversion.

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Conclusion

En guise de conclusion, ce présent chapitre se veut un rappel du contenu des chapitres qui composent ce mémoire, mais également des principaux résultats de notre recherche. Ainsi, nous répondrons à nos questions de recherche en confirmant et en relativisant nos hypothèses.

Le premier chapitre présentait les principaux éléments qui allaient encadrer notre recherche, notamment les cadres conceptuel et théorique de celle-ci. De cette manière étaient définis nos concepts phares, soit le patrimoine et la patrimonialisation de même que l’aménagement du territoire, mais aussi la perspective critique qui anime notre analyse, soit l’archéologie des représentations. Ce chapitre présentait aussi d’entrée de jeu les caractéristiques physiques et humaines de la géographie de notre territoire d’étude, soit le site patrimonial déclaré de Sillery, mais également la période d’analyse, qui s’étend du début des années 1960 jusqu’en 2017. Le site a été choisi par sa forte concentration des propriétés conventuelles et son cadre aménagiste particulier en raison de sa protection patrimoniale par l’État québécois.

Par la suite étaient présentés notre méthodologie, l’analyse de contenu et nos objectifs de recherche. Au nombre de quatre, ils se lisaient comme suit : contribuer à l’étude du patrimoine sous l’angle des processus de patrimonialisation et des discours qui l’animent; aborder l’aménagement du territoire sous l’angle des perceptions, des conceptions et des discours qui le sous-tendent; aborder la requalification des propriétés conventuelles comme un phénomène qui relève à la fois de la patrimonialisation et de l’aménagement du territoire et, en terminant, étudier les processus sous-tendant la requalification des propriétés conventuelles dans le site patrimonial de Sillery en mettant en exergue leurs rapports à la patrimonialisation.

Enfin, nous avons défini nos questions de recherches et nos hypothèses auxquelles nous allons nous attarder plus longuement plus tard. Le second chapitre présentait quant à lui nos résultats pour la période historique de 1964-1988, qui débute avec le classement comme arrondissement

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historique du territoire de la cité de Sillery au sud du chemin Saint-Louis entre la côte à Gignac et l’avenue De Laune.

Il illustre la patrimonialisation à la fois citoyenne et institutionnelle du secteur qui originellement est reconnu par les autorités gouvernementales pour sa riche histoire liée au Régime français. Cette reconnaissance évolue dans la décennie qui suit pour qu’à la fin des années 1970, le Vieux-Sillery soit désormais perçu comme un site aux caractéristiques naturelles et paysagères exceptionnelles, ponctué de villas rappelant le romantisme du Régime anglais. Cette patrimonialisation est concomitante avec les premières caractérisations de l’arrondissement historique entre 1975 et 1980 avec la publication de plusieurs études qui avaient pour but premier de participer à l’élaboration d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur.

La patrimonialisation accélérée est également entraînée par l’impact des premiers lotissements au début des années 1970, qui voient l’émergence de la figure du spéculateur immobilier et les premières contestations des riverains. L’affaire Cataraqui, malgré son potentiel de rappel d’un certain patrimoine social, est un exemple de cette importante mobilisation citoyenne.

Le rôle des communautés religieuses, perçu et réel, est également défini lors de cette période. Discrètes, mais dotées d’un certain poids politique, les congrégations sont représentées comme les « gardiennes » des grands domaines de Sillery, ce qui leur permet de densifier leurs propriétés par des lotissements de haute densité sur les pourtours de leur domaine.

Au début des années 1980, se précise le cadre aménagiste du site avec l’adoption d’un ambitieux plan d’urbanisme en 1981. Avec ses principes de concentration et de transfert des densités, le plan s’inspire entre autres des pratiques immobilières des communautés religieuses, avec notamment une empreinte au sol réduite et une protection des espaces verts.

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Le troisième chapitre s’intéressait quant à lui à la période entre le début d’année 2000 et aujourd’hui. Cette période est principalement caractérisée par l’accélération des aliénations d’ensembles conventuels, mais également des processus de requalification de ceux-ci ainsi que le boom immobilier des années 2000, avec sa hausse des valeurs foncières et son développement urbain axé sur la densification.

On constate aussi un enrichissement de la patrimonialisation du secteur, avec de nouvelles études de caractérisation et l’adoption de la Loi sur le patrimoine culturel en 2012. Trente ans après l’adoption d’un premier plan d’urbanisme, les autorités refondent le cadre aménagiste rendu désuet par l’adoption d’un plan de conservation en 2013 et d’un programme particulier d’urbanisme en 2016. S’ils s’inscrivent dans le cadre des précédents efforts urbanistiques, ces nouveaux dispositifs voient l’intensification de la densité, l’empreinte urbanistique des congrégations depuis une quarantaine d’année et de la vocation résidentielle du site patrimonial de Sillery.

Du côté des communautés religieuses, nous démontrons l’évolution du sens de la représentation de gardiennes immuables de ces domaines centenaires, mais qu’elles développent parcimonieusement. S’il persiste dans les discours, il a désormais une connotation plus négative. Les congrégations, parfois considérées comme les nouvelles spéculatrices, dénoncent publiquement leur « expropriation déguisée » qui menace leur pérennité, tant au niveau financier que communautaire. Néanmoins, toutes les communautés, à l’exception d’une, ont vendu leurs ensembles conventuels sillerois entre 2005 et 2016, requalifiés pour la majorité en copropriétés de prestige qui misent sur la vue exceptionnelle sur le fleuve Saint- Laurent et le cadre champêtre.

La discussion vient rappeler sa requalification et questionne l’interprétation de l’héritage, à la fois matériel et immatériel, de plus de 150 ans de présence des communautés religieuses à Sillery. Si la conversion en copropriétés semble être devenue une tendance majeure de la reconversion des ensembles conventuels, pas seulement sur ce site, mais aussi à l’échelle du territoire québécois, celle-ci évacue très souvent cet héritage centenaire profondément ancré dans les communautés

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où ces congrégations s’étaient établies. La perspective du patrimoine social, avec d’une part l’idée d’une certaine continuité dans les usages de ces immeubles, mais aussi d’interprétation de l’empreinte urbanistique des communautés religieuses est quant à nous une voie intéressante à explorer.

Notre mémoire, avec les contraintes inhérentes à son format et les limites de nos méthodes, permet de confirmer nos hypothèses, soit que la patrimonialisation et l’aménagement du territoire constituent des champs d’action idéologiques soumis notamment aux discours des acteurs sociaux, que la patrimonialisation « entraîne » la requalification des propriétés conventuelles dans un processus de protection et de mise en valeur qui traduit une idéologie de la conservation ainsi que les processus de patrimonialisation des propriétés conventuelles peuvent être largement teintés par les représentations des acteurs territoriaux et l’évolution du cadre légal, comme l’exprime le cas des grands domaines de Sillery.

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Annexe A. Carte du site patrimonial de Sillery

Création : Laurent Aubin, 2017

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