Quand La Raison N'a Plus Raison : Les Mots De
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couvColin 4/11/07 12:00 Page 1 (2,1) Jean-Paul Colin Quand la raison n’a plus raison Les mots de la bêtise à la folie L a m b e rt - L u c a s L I M O G E S couvColin 4/11/07 12:00 Page 1 (1,1) « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. » Placé sous l’égide de Pascal, cet ouvrage part de l’idée que la raison et l’intelligence entretiennent des relations complexes avec leurs c o n t r a i res: d’où l’idée de réunir pour les rapprocher le lexique de la folie et celui de la sottise. De même que nos mots sont plus nombreux pour décrire le mal-être que le bien-être, la langue française foisonne d’expressions pro p res à désigner les Qua « égarements de l’esprit ». On sera frappé par l’hypert rophie de deux zones extrêmes: celle du langage des psys, aux allures savantes, concernant la folie; celle du langage familier, populaire ou argotique, concernant la sottise. Ont été moqués durant des siècles les individus « pas comme les autres » tan- dis que la langue « correcte » couvrait le tabou de la folie d’euphémismes et de périphrases. On est cependant passé en quarante ans de l’asile de fous a u c e n t re psychothérapeutique et du fou furieux au paranoïaque délirant, ce qui est beaucoup plus qu’une question de mots. Les certitudes pro g re s s i s t e s ont été sérieusement remises en cause par les conflits mondiaux et régionaux: les « grands hommes » dont les exploits politiques et militaires jalonnent l ’ h i s t o i re d e l’humanité ont-ils jamais été autre chose que des mégalomanes fous de pouvoir? Agrégé de Lettres classiques et docteur d’État, Jean-Paul Colin a été profes- seur des Universités de Tours, Paris X-Nanterre et Besançon. Passionné de mots, de dialectes et de littératures populaires, il est l’auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels des dictionnaires de langue : Trésor des mots exo- tiques, Belin, 1986;Clafoutis, gourgandine et vilebrequin:Les mots des provinces françaises, Belfond, 1991;Les Derniers mots: Lexique de la mort, Belfond, 1992;Dictionnaire des difficultés du français, éd. du Robert (2e éd. 1993, 3e éd. 1994). En collaboration:Grand Larousse de la langue françai- se en 7 volumes (sous la direction de Louis Guilbert), 1971-1978;Diction - naire de l’argot, Larousse, 1990 (2e éd. 1999);Histoire de la langue fran- çaise, CNRS, 1995 (2e éd. 2000);Le Grand Livre de la langue française (sous la direction de Marina Yaguello), éditions du Seuil, 2003. 260 pages 24 euros ISBN 978-2-915806-25-0 Jean-Paul Colin QUAND LA RAISON N’A PLUS RAISON Les mots de la bêtise à la folie Merci à Léo Ferré de nous avoir fourni le titre de ce dictionnaire. © Editions Lambert-Lucas, Limoges, 2006 ISBN 2-915806-25-X INTRODUCTION Le corps a ses déraisons que notre déraison ignore. Edgar MORIN, Pleurer, aimer, rire, comprendre, 1996. Il n’y a pas d’action sans un brin de folie, sans une dé- raison souveraine qui se moque des raisons. Emmanuel MOUNIER, Traité du caractère, 1946. Curieuse idée que de faire un recensement des dérapages de l’intellect ? N’y a-t-il pas assez de dinguerie comme ça, dans le monde qui nous cerne et nous concerne ? Pas assez de savants qui dissertent savamment sur la bêtise (des autres, bien sûr) ? Pas assez de prétendus fous qui veulent soigner les prétendus sages, et inversement ? Mais justement, explorer ce riche vocabulaire de l’anor- malité cérébrale et le commenter avec lucidité, cela peut jouer le rôle d’exorcisme, pour le plus grand bien des lecteurs !… et en rassurer beaucoup sur leur état mental, sur la difficulté en général de « bien penser », et sur l’impossibilité en particulier de « penser unique »… L’intelligence, le rationnel et le raison- nable, ce sont des domaines voisins, mais qui entretiennent des relations complexes avec leurs contraires. Pour peu qu’on y réfléchisse, on s’apercevra qu’on peut très bien être énarque, ou polytechnicien, voire normalien supérieur, et se trouver « tout bête », autrement dit fort dépourvu de sens pratique devant un problème existentiel et quotidien, à résoudre d’urgence, ques- tion de survie et/ou de dignité. A la Renaissance, il y eut même un grand érudit, Erasme, pour écrire un Eloge de la folie : quel- le audace ! Il est surprenant que, de même que le lexique français est bien plus fourni pour décrire notre mal-être physique et physio- logique que notre bonne santé (« Un homme bien portant est un malade qui s’ignore », affirmait finaudement le bon docteur Knock, en 1923), de même il foisonne de termes et d’expressions propres à désigner et à qualifier les « égarements 8 QUAND LA RAISON N’A PLUS RAISON de l’esprit », comme si la froide Raison manquait d’inventivité et de pittoresque pour faire son autoportrait, son autocritique ou sa caricature. On sera frappé, sans doute, par l’hypertrophie de deux zones extrêmes : celle du langage ou jargon technique, médical ou psy, aux allures savantes d’une part ; d’autre part, celle du langage familier, populaire, voire argotique. L’ironie et la méchanceté se sont moquées, durant des siècles, de l’individu « pas comme les autres » : exercice de critique dé- fensive, qui n’a rien de vraiment surprenant. Quant au français standard, « correct » et de bon ton, il a plutôt évacué le problè- me par sa sobriété, on pourrait même dire sa pauvreté verbale. Le tabou de la folie a plus développé l’euphémisme et la péri- phrase que son exacte description… En tout cas, notre langue, dans ce domaine comme dans bien d’autres, nous offre un terrain de chasse extrêmement gi- boyeux. Il eût été dommage – à l’heure où nous thématisons toutes sortes de choses, où les banques de données nous four- nissent une quantité impressionnante d’informations sur tout et le reste – qu’un tel champ de manœuvres cérébrales restât à l’écart de la science du langage, dans sa catégorie la plus hu- maine : la lexicologie. Voilà le mot savant lâché, à la poursuite d’une horde de vocables et d’expressions qui se moquent, plus ou moins gentiment, plus ou moins férocement, de ceux qui n’apparaissent pas conformes à la norme. Mais… quelle nor- me ? Justement, tout le problème est là. Quoi qu’on en dise, il y a quelque progrès dans l’évolution de l’humanité : passer en quarante ans de l’asile de fous (ou d’aliénés) au centre psycho- thérapeuthique ou médico-psychopédagogique, du fou furieux au paranoïaque délirant, c’est plus qu’une simple question de mots. Cela veut dire que nos insolentes et pseudo-cartésiennes certitudes de naguère se sont profondément transformées, à tra- vers le vocabulaire employé, et que nos anciens jugements ca- tégoriques sur la « folie » se sont mués en tentatives d’appréciation, d’approximation beaucoup plus prudentes sur la nature et le fonctionnement de l’intellect, sur ses parcours, ses variantes, sa topographie, avec ses voies royales, ses impasses et ses nids de poule. Où en est aujourd’hui la foi dix- neuviémiste dans le Progrès et les pouvoirs de la Science ? Les terribles conflits mondiaux et régionaux ont-ils été déclenchés par des « grands hommes » responsables et sensés, ou par des mégalomanes poussés – ou tirés – par une « grande Idée », par des « fous de pouvoir » ? LES MOTS DE LA BÊTISE À LA FOLIE 9 Il ne s’agit pas pour autant de jeter le bébé du Savoir et de la Raison avec l’eau du bain de boue – salissant ou salutaire ? – dans lequel les civilisations se trouvent aujourd’hui plongées. Essayons modestement, à travers cette revue de détail, qui ne négligera aucun niveau de langue, du plus littéraire au plus tri- vial, de comprendre comment et pourquoi l’Homme a perçu et décrit très tôt tout ce qui clochait dans le mécanisme interactif de ses hémisphères cérébraux. C’est un tableau historique – et qui ne se refuse pas l’humour – que je tente de brosser dans ces pages, sans prétendre, bien sûr, apporter de remède au « malheur de penser et d’agir de travers » (par rapport à quelle ligne droite ?). A quoi bon cet état des lieux ? Déjà à vous distraire, chers lecteurs ; à vous détourner du futile en attirant votre attention, le plus gaiement possible, sur l’essentiel, à savoir le bizarre de notre situation de roseaux pensants, oscillant entre l’inertie des choses et l’instinct des bêtes… Un mot encore… Dans beau- coup de cultures et de langues, et pas seulement occidentales, on constate que l’animal et l’humain entretiennent des rapports étroits, non seulement pour des raisons pratiques de subsistan- ce, mais aussi et peut-être surtout parce que nombre d’analogies de forme, de mouvement, de comportement, etc., ont été per- çues entre l’Homme et les diverses espèces qui lui tiennent compagnie sur le globe terraqué… Pour certaines religions et philosophies, les animaux étaient dépourvus d’âme, sinon d’« esprits »… De ces rapprochements et comparaisons, les parlers gardent trace et construisent une sorte de bestiaire uni- versel… Quant à nous… Vous avez dit « animal raisonnable » ? Ah ! pardon, j’avais cru entendre… ————————— NOTES LIMINAIRES 1. Je reconnais bien volontiers ma dette à l’égard d’une part du Trésor de la langue française, des Datations et documents lexi- cographiques, 48 volumes dirigés par Bernard Quemada, puis Pierre Rézeau et publiés chez Klincksieck depuis 1970 (et par- ticulièrement le n° 29, en 1986, dans lequel Martine Coutier a colligé les items néologiques de la Pathologie mentale, 1895- 1930) et qui m’ont apporté de riches informations quant aux 10 QUAND LA RAISON N’A PLUS RAISON datations de mots ; d’autre part du volume La Psychiatrie, pu- blié chez Larousse en 1994 dans la collection Textes essentiels et dirigé par Jacques Postel, copieuse anthologie qui m’a fourni une mine de citations et de datations utiles et pertinentes.