Bull. Soc. belge GéoL, Paléont., Hydrol. T. 82 fasc. 4 pp. 481-485 Bruxelles 1973

SUR LA STRATIGRAPHIE DU JURASSIQUE MOYEN DE NEUFCHATEAU () A CHAUMONT (Hte MARNE)

PIERRE L. MAUBEUGE

La stratigraphie du Jurassique moyen dans stratigraphique importante affectait le Batho­ le Sud de la Lorraine est restée longtemps une nien moyen et supérieur vers la Haute Marne énigme scientifique vu la diversité des inter­ si le calcaire lithographique de ST BLIN à prétations émises quant aux séries, à leurs CHAUMONT était Bajocien (6). En fait il a fallu faciès et à leur âge. Le premier travail d'en­ déplacer la lacune vers le bas et le Bathonien semble de WoHLGEMUTH, quoi qu'on ait pu inférieur, qui disparaît justement un peu au dire récemment n'a abordé aucune conception Nord de NEUFCHATEAU, est le terme manquant chronostratigraphique, restant dans la litho­ dans la série. Une note récente (1) n'apportant stratigraphie, et, partant, n'a formulé aucun aucun élément paleontologique, même micro­ âge (étages) pour aucune coupure fondamen­ paleontologique, adopte la plus grande partie tale. J'ai été amené à dresser un tableau qui du schéma général que j'ai présenté; mais elle est la seule possibilité de saisir la variété des diverge sur un point, concluant que le Batho­ avis des auteurs successifs dans ce problème, nien inférieur, homologue des «Caillasses à en le calant sur la chronostratigraphie (3). Anabacia »,est bien présent« très loin au Sud Lors de mes travaux ininterrompus, j'ai été d 'Autreville » on passerait à« un calcaire gris­ amené à établir à St BLIN (Hte Marne) une tallin gréseux, gris, à intercalations de marnes succession lithostratigraphique datée par des bleues à Rhynchonella Alemanica. Le terme fossiles, pilier dans des chainages stratigraphi­ stratigraphique se suivrait probablement bien ques. Le Callovien inférieur, avec des calcaires au Sud de BAZOILLES, un peu aù Sud de NEUF­ oolithiques et à la base des passées marneuses CHÂTEAU. et Coraux, repose sur le calcaire lithographi­ Il y a une contradiction immédiate si on est que, véritable «Calcaire à Rh. Decorata », en face d'horizons à R. Alemanica: il ne peut daté comme Bathonien supérieur par des s'agir de Bathonien inférieur donc d'équi­ Brachiopodes et Foraminifères. Ce point est valent des «Caillasses à Anabacia ». Encore maintenant admis comme une évidence. Rien une fois aucune preuve paléontologique n'est n'était établi jusque là dans la masse impor­ fournie. Il faudrait prouver que l'on est en tante des travaux contradictoires, cartes géo­ face d'un nouvel horizon fantôme apportant logiques comprises. Ce fait démontrait déjà un mimétisme de plus (3) dans une répétition que le calcaire oolithique de NEUFCHÂTEAU, générale des faciès et montées obliques ou avec épisode marnocalcaire à la base, à Bra­ interpén~trations de ceux-ci. Je pense montrer chiopodes du Bathonien moyen, implique que ici qu'il n'en est rien, en précisant quelques le calcaire lithographique sous jacent ne peut points supplémentaires dont certains entière­ être du Bathonien (6). Ceci est prouvé dès ce ment nouveaux. Non seulement il n'y a pas à moment et une série d'observations vient conclure «d'ores et déjà, les reconstitutions apporter un faisceau de preuves dans la data­ paléogéographiques qui ont pu être tentées tion des différents termes aux portes de NEUF­ sont à reconsidérer en fonction de ces données CHÂTEAU. nouvelles »;mais nous trouvons la preuve qu'il Primitivement, j'avais admis qu'une lacune existe des biseautages stratigraphiques dans le

481 Jurassique moyen. leur âge aux portes de NEUFCHÂTEAU, avec de Deux faits sont à signaler. D'une part, ce nombreuses observations. Plus au Nord j'ai problème de la complexité stratigraphique montré qu'à Tranqueville-Graux cet horizon du Jurassique moyen du Sud des Vosges vers sous les calcaires oolithiques a une faune de la Rte Marne est si évident que, en 1957, Brachiopodes du Bathonien moyen juste au conseiller scientifique pour les recherches de contact du Bajocien supérieur. pétrole en Lorraine, j'obtenais immédiatement Or, si nous reprenons un point considéré de la Société titulaire du permis de recherches par ce travail comme décisif, la coupe de 4 sondages stratigraphiques en carottage NONCOURT près de NEUFCHÂTEAU que j'étu­ continu jusqu'au toit du Bajocien moyen diais dès 1969, nous avons un fait par une voie («Calcaires à Polypiers»). On note, au Nord totalement indépendante qui confirme mes de NEUFCHÂTEAU, 2 forages: à RUPPES et à conclusions antérieures. Déjà la coupe non ; au Sud-Est, 2: à LIFFOL le Petit et loin de là, étudiée lors du Colloque Inter­ à ST BLIN. Je me propose de les publier en national du Jurassique (2), livrant des fossiles, détail prochainement; mes observations aussi n'avait soulevé aucune objection de la part bien que n'importe quel document à leur pro­ des spécialistes réunis. Celle de NONCOURT pos sont restés inédits. Nous les laisserons mène au même résultat. Dans les marnes et actuellement hors de la présente argumentation marnocalcaires alors bien visibles sous le cal­ afin de ne pas disposer d'éléments analytiques caire oolithique du Bathonien moyen, je manquants à d'autres auteurs. Par contre le rassemblais une série de Brachiopodes et sans second fait est à retenir car il procède d'élé­ donner la moindre indication stratigraphique, ments accessibles à tous. Si les levers carto­ les soumettais à Mme A. RoLLET (Besançon) graphiques pétroliers s'étaient prudemment spécialiste des Brachiopodes, notamment du abstenus de toute cartographie détaillée et Jurassique moyen. Pour elle, il ne s'agit ni levers structuraux au SO de NEUFCHÂTEAU des Rhynchonella Varians AUCT., ni des Téré­ sur le Jurassique moyen en cause, j'ai pu lever bratules qui leur sont liées, mais peuvent co­ et livrer entièrement la feuille de NEUFCHÂTEAU exister avec ces vraies R. Varians AUCT.; c'est au 50.000e pour la Carte géologique de la Rh. concinna HAAS à PETRI dont ROLLIER (5). J'ai pu suivre pas à pas et carto­ a fait Rh. Polonica. Vu l'incertitude du niveau graphier sur la base du 20.000e le toit du de cette dernière espèce mieux vaut garder Bathonien à son contact avec le Callovien; Kallirhynchia concinna Sow. Pour les Téré­ celui du Bajocien supérieur au contact du bratules ce sont surtout des Terebratula voi­ Bathonien, malgré les faciès divers en pré­ sines de f urciliensis HAAS et de T. Fleischeri sence. Les deux dalles taraudées repères peu­ OPPEL, du Bathonien moyen et supérieur. Il vent ètre suivies. Le calcaire compact bajocien est conclu à la présence de Cererithyris Flei­ homeomorphe du Bathonien moyen et supé­ scheri OPP .. On ne saurait mieux dater le rieur se continue à l'Ouest de BAZOILLES. Bathonien moyen supérieur, aucun élément Nulle part je n'ai pu trouver le moindre élé­ n'étant nulle part apporté en faveur du Batho­ ment lithostratigraphique, paléontologique nien inférieur. Avec sa disparition et ses fos­ ou micropaléontologique, pour supposer la siles caractéristiques vers Autreville (Vosges), présence du Bathonien inférieur, homologue il faut donc bien admettre faute de mieux un latéral des « Caillasses à Anabacia ». Si le biseautage stratigraphique du Bathonien infé­ Bathonien inférieur existe (1 ), sa présence reste rieur. Jamais jusqu'à très loin en Haute Marne totalement à prouver. aucun élément paléontologique quel qu'il soit, Un fait nous permet de douter fortement n'a pu laisser supposer la présence du Batho­ de cette présence du Bathonien inférieur. Il nien inférieur. serait existant si les marnes à Rhynchonella Me basant sur des observations aux points Alemanica n'étaient pas du Bathonien moyen. par trop espacés à l'époque, j'avais admis Je pensais avoir donné assez d'éléments (2), et d'autres biseautages stratigraphiques dans la déjà DouvILLÉ jadis, pour ne pas contester série médio-jurassique: ainsi l'absence des

482 « Marnes de Longwy » à hauteur de Colom­ d'Ammonites de la zone à P. Parkinsoni à bey les Belles. Il faut admettre maintenant que faible distance sur les« Calcaires à Polypiers». c'est une lacune locale comme j'ai rectifié celà Ceci impliquerait une disparition del'« Ooli­ dans des travaux ultérieurs (4). Et la lacune the miliaire inférieure » par biseautage strati­ stratigraphique de l'« Oolithe miliaire infé­ graphique, vu son absence lithostratigraphi­ rieure», qui leur est superposée, ne peut plus quement et vu les faunes; ou bien, seule autre être admise vers NEUFCHÂTEAU (5). Avec des explication, les faunes d' Ammonites indices, changements de faciès importants, on retrouve du Bajocien supérieur montreraient là, sou­ au Sud de NEUFCHÂTEAU, en bordure du Mou­ dain, des graves anomalies biostratigraphi­ zon, un équivalent del'« Oolithe miliaire infé­ ques. rieure» avec sa surface d'érosion terminale En ce qui concerne le contact Bajocien­ sous l'horizon à Clypeus Ploti également du Bathonien, sur le méridien de Nogent, à Bajocien supérieur. On trouve encore les Esnouveaux, on observe le « Calcaire à « Marnes de Longwy » (mais toujours sans R. decorata » (Bathonien) sur l'« Oolithe Ammonites indices-depuis Colombey les Bel­ miliaire supérieure » avec à son toit un faible les-) au sommet des grandes carrières de changement de faciès marquant une transition. Sommerecourt à une douzaine de kms au Sud A Chamarandes, aux portes de CHAUMONT, de NEUFCHÂTEAU. A même hauteur, les pla­ il n'y a pas de Bathonien inférieur décelable teaux à l'Ouest livrent des faunes endemiques, lithostratigraphiquement ou paléontologique­ de Brachiopodes, riches, mais sans signification ment: les deux termes précédents pour le stratigraphique fine dans le Bajocien supé­ Bathonien et Bajocien, sont en contact avec rieur. A Sommerecourt, entre 16 et 18 m. une transition de 3 m. de calcaire impur mi­ sous le toit des « Calcaires à Polypiers » on cacé, et une surface d'érosion interposée. trouve l'autre repère si constant et méconnu L'« Oolithe miliaire inférieure» change avant mes travaux, del'« Oolithe cannabine » donc considérablement de faciès dès la région du Bajocien moyen confondue parfois (Jain­ au Sud de NEUFCHÂTEAU (Vosges); elle s'éva­ ) par la carte géologique au 80.000e nouit lithostratigraphiquement vers Langrés (3e édition ) avec les «Marnes de et ne peut plus être repérée biostratigraphique­ Longwy». A NOGENTenBASSIGNY(Hte Marne) ment. Quant au Bathonien inférieur daté, c'est on retrouve dans des marnocalcaires des épi­ très exactement près de (Vos­ sodes argileux à P. acuminata, sur la surface ges) qu'on le repère pour la dernière fois en taraudée des « Calcaires à Polypiers »; plus allant vers le Sud. haut, la série ne montre pas de véritable En résumé, le schéma synthétique fourni «Oolithe miliaire» avec seulement des passa­ s'il ne prétend pas écarter des compléments ges fugaces à tendance miliaire, dans des cal­ éventuels, montre les grandes lignes des faciès caires de faciès variés, pour les 20 m. super­ et des synchronismes. Ce sont des preuves posés. L'« Oolithe cannabine » existe encore paléontologiques qui seules ont permis d'y ici dans la Bajocien moyen. Au Nord de tracer des points repères. Seules des preuves Nogent, on mesure à Esnouveaux 60 m. du bio-stratigraphiques permettront d'asseoir des toit des « Calcaires à Polypiers » au toit de modifications en dehors des suppositions. Il l '«Oolithe miliaire supérieure», donc pour y a par ailleurs assez de preuves, du Jurassique le Bajocien supérieur. L'épaisseur est assez moyen à la base du Jurassique supérieur, normale. Or, 10 kms à l'Ouest, entre MARNAY d'anomalies stratigraphiques et biostratigra­ et FOULAIN, j'ai trouvé une empreinte de phiques, pour penser que l'axe morvano­ Parkinsonia, du groupe de Parkinsoni Sow., vosgien a joué un rôle pendant toute cette à peu de distance au-dessus des « Calcaires à époque, en tant que partie en surélévation Polypiers». Par ailleurs, j'ai déjà signalé active. Changements de taciès, diminutions qu'aux environs de LANGRES, donc un peu de puissances des séries et même biseautages au Sud de ce point, on trouve aussi des faunes stratigraphiques en découlent.

483 (1) J. LE Roux. - Les variations de faciès du (4) Coupes géologiques nouvelles en Lorraine, Bajocien supérieur et du Bathonien de Toul Bull. Carte Geol. Fr., T. LIX, N° 273, 1963, (M. & M.) à St Blin (Hte Marne). Corrélations pp. 39-54. stratigraphiques. C.R. Acad. Sc., t. 276, 18juin (5) Carte géologique de la France au 50.000e, 1973, S.D., pp. 3265-3267. feuilles Vezelise, Neufchâteau. ( 2) MAUBEUGE P.L. - Comptes rendus Colloque ( 6) Existence d'une importante lacune stratigra­ international du Jurassique 1962, Mém. Insti­ phique de vaste extension geographique dans tut Grand Ducal Luxembourg, Sect. Sc., 1964. le Jurassique moyen haut-marnais, C.R. Acad. (3) Synchronisme stratigraphique des terrains du Sc., T. 235, pp. 891-93, 20 Oct. 1952. Bajocien moyen au Callovien inférieur dans (7) Observations géologiques dans l'Est du B?ssin l'Est de la France, ibid., pp. 591-93. de Paris, 1955, 2 T., 1082 pp. LVIII Tab.

ANNEXE: Rhynchonelles. Surface érodée, taraudée (cote 285 environ). Coupe de l'éperon en bordure de la route 4,00: calcaire à pâte fine, beige et blanc­ entre NONCOURT et NEUFCHÂTEAU (Vosges), beige, sublithographique, du faciès « Calcaire juste en face de Bagatelle: à R. decorata », à rares gravelles; parfois, De haut en bas: petites oolithes et gravelles mal marquées, 8-9 mètres: (la base est visible sur 2,00 au nombreuses. L'extrême sommet est gris, bord même de la route, de NONCOURT; le reste vitreux. est dégagé le long de.JJ, nouvelle route d'accès Commentaire: On a là le calcaire oolithique aux immeubles du lotissement). Calcaire fine­ du Bathonien moyen-supérieur; les horizons ment oolithique miliaire, blanc, à stratifica­ marneux à Brachiopodes, où ont été recueil­ tions entrecroisées, avec débris coquilliers fins; lies les espèces citées par ailleurs, constituent parfois finement cristallin suboolithique. Pas­ la base de ce Bathonien moyen et représentent sage continu rapide à un biseau basal des « Marnes à Rh. varians » 3,20-3,50 selon les ~oints: marne beige et du Toulois. Il est strictement impossible de gris-jaune, avec intercalaires irréguliers de trouver le moindre terme Iithostratigraphique calcaire cristallin gris-jaune et beige, sablo­ pouvant correspondre au Bathonien inférieur. micacé. (Niveau d'eau au milieu). Aucune faune du Bathonien inférieur n'a été 0,80: marne argileuse sableuse et micacée, rencontrée. Le calcaire sublithographique gris-jaune, feuilletée. blanc, où aucun Brachiopode bathonien ou 2,50: calcaire cristallin terreux, rocailleux, Foraminifère bathonien n'a été trouvé, cor­ à débris coquilliers, parfois granuleux; des respond au Bajocien supérieur. taches et intercalaires rocailleux, de marne Cette coupe n'est en rien différente de celle sablo-micacée ou granuleuse, parfois argileuse, aux portes de NEUFCHÂTEAU un peu plus au grise. Pinna, Belemnopsis, rares grosses Tere­ Nord, à ROUCEUX, que j'ai décrite (2,7) et qui bratules et Rhynchonelles écrasées. a été étudiée lors des tournées d'étude du 2,30: marne comme les 3,20-3,50, avec pas­ Colloque international du Jurassique et de la sées irrégulières de calcaire cristallin terreux session extraordinaire des Sociétés Belges de plus ou moins sablo-micacé, à débris coquil­ Géologie en Lorraine. DOUVILLE y avait liers fins des Brachiopodes écrasés. trouvé une Ammonite mal déterminée, sans 0,90: banc de calcaire cristallin terreux, que d'autres Ammonites ~~ént jamais pu être feuilleté, sablo-micacé; il diminue de puis­ retrouvées jusqu'ici malgr« de très longues sance latéralement et disparaît presque au recherches répétées. profit de la marne. Il est à noter que cette coupe de NONCOURT 1,30: marne beige et jaunâtre, finement invalide complètement le~ contours de la sablo-micacée, a"ec bancs irréguliers de cal­ feuille de MIRECOURT au 80.000e, 3ème édition caire cristallin terreux, feuilleté; quelques par MM. M1Noux & ScHTEPINSKY (la partie

484 Est du cours de la Meuse étant levée par le du toit du Bajocien. Le plus curieux est bien premier). Une faille Est-Ouest passerait au que les mêmes terrains avec même faciès, Sud de NONCOURT, un éperon de Bajocien donnant le même contact sont bien cartogra­ supérieur concernant seul ce village; en fait, phiés chronostratigraphiquement, par cette le contour J'-J" doit être étendu très au Nord carte, à ROUCEUX. Et le Bathonien et Callovien et la faille n'existe pas. Mes levers pour la inférieur de l'éperon de la ferme Galmanchien feuille de NEUFCHÂTEAU au 50.000e m'ont à l'Ouest de la ville sont portés comme Bajo­ permis de suivre pas à pas la dalle taraudée cien supérieur!

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