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UNIVERSITE 1 PANTHEON-SORBONNE

U.F.R. d’Histoire de l’art, École doctorale d’Histoire de l’art (ED 441)

Thèse de doctorat en histoire du cinéma

Présentée et soutenue publiquement le 26 octobre 2018

Histoire culturelle d’une star de cinéma en

Gérard Philipe, « le » jeune premier dans l’après-Seconde

Guerre mondiale (1946-1958)

VOLUME 1

Camille BEAUJEAULT

Sous les directions de Sylvie LINDEPERG, Dimitri VEZYROGLOU et Geneviève SELLIER

JURY

M. Christophe GAUTHIER, Directeur d’études, École Nationale de Chartres

Mme Myriam JUAN, Maîtresse de conférences, Université de Caen

Mme Sylvie LINDEPERG, Professeure, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Mme Geneviève SELLIER, Professeure émérite, Université Michel de Montaigne

Bordeaux 3

M. Dimitri VEZYROGLOU, Maître de conférences, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Mme Ginette VINCENDEAU, Professeure, King’s College London

À la mémoire de mes grands-pères,

Léon et Maurice

2

3

REMERCIEMENTS

Ma gratitude va d’abord à Geneviève Sellier et Dimitri Vezyroglou qui m’ont permis de mener à bien cette thèse. Ils ont su guider mes choix et mettre fin à mes doutes et à mes inquiétudes. Ce fut pour moi de vraies rencontres intellectuelles et humaines.

Je tiens aussi à remercier les membres de mon jury, Christophe Gauthier, Myriam Juan, Sylvie Lindeperg et Ginette Vincendeau pour l’intérêt qu’ils et elles ont porté à mes recherches et leur participation à ma soutenance de thèse.

Mes remerciements sincères vont aussi aux personnes qui m’ont accueillie et aidée au sein des divers centres d’archives et institutions, fréquentés dans le cadre de mes recherches : les équipes du Département des Arts du spectacle à la Bibliothèque nationale de France, de l’espace chercheurs à la Cinémathèque Française, des archives françaises du Film du CNC à Bois-d’Arcy, des archives départementales du Syndicat français des acteurs à Bobiny, de l’Université Bordeaux-Montaigne à Pessac.

Ma reconnaissance va également à Delphine Chedaleux, Gwénaëlle Le Gras et Thomas Pillard pour leur bienveillance et l’inspiration qu’ils m’ont donnée.

Merci à Julie Gresh qui a lu avec intérêt et corrigé avec attention ma thèse.

Enfin, un grand merci à mes parents, Jacky et Maryvonne, qui m’ont soutenue physiquement, moralement et matériellement au cours de ce marathon intellectuel. Merci à Tito qui a joué un rôle très important ces dernières années et sur qui j’ai pu m’appuyer sans compter, à Véronique Naud, Guilaine Nicolas et Nicolas Tual pour leur aide dans la mise au point final de cette thèse, à mes ami-e-s qui m’ont épaulée à chaque instant. Tous et toutes ont su m’écouter, me consoler et me divertir.

4

SOMMAIRE

Remerciements ...... 4

Sommaire ...... 5

Introduction ...... 10

I. Définition d’un champ d’études ...... 10 A. Star et star-système ...... 10

B. Études des stars et apport des approches anglo-saxonnes ...... 13

C. Histoire culturelle du cinéma et du vedettariat ...... 20

II. Sources diverses et variées ...... 23 A. Sources audiovisuelles et iconographiques ...... 23

B. Sources imprimées ...... 23

C. Archives privées ...... 25

III. Cadre de l’étude ...... 27 A. Une période de transition ...... 27

B. Notre démarche ...... 30

Premiere Partie. Panorama des acteurs dans le star-système en France ...... 36 patriarches vs jeunes premiers (1946-1958)...... 36

I. Étude quantitative et qualitative ...... 38 II. L’ancienne génération : toujours là ...... 44 A. ...... 45

B. ...... 50

III. Jeunes premiers : nouvelles figures d’hommes ...... 58 A. ...... 58

B. Henri Vidal ...... 63

C. Daniel Gélin ...... 67

D. Jean-Claude Pascal ...... 71

5

Deuxième Partie. Gérard Philipe, le jeune premier de l’écran dans après la guerre ...... 76

Chapitre 1. Gérard Philipe première mouture : Le Diable au corps et La Chartreuse de Parme ...... 79

I. Le Diable au corps : la révélation ...... 79 A. Éloge de la jeunesse ...... 81

B. Réception : un jeune acteur remarqué ...... 89

II. La Chartreuse de Parme : amoureux romantique ...... 92 A. Valorisation d’une masculinité passive ...... 94

B. Réception mitigée...... 100

Chapitre 2. Avènement de la star : et Les Grandes Manœuvres ...... 103

I. Fanfan la Tulipe : le prototype français du cape et d’épée ...... 104 A. Un don juan juvénile ...... 106

B. Réception : succès critique et prestige national...... 115

II. Les Grandes manœuvres : le séducteur cynique ...... 118 A. Un séducteur condamné pour son cynisme ...... 119

B. Une réception contrastée ...... 130

Chapitre 3. Une image ambivalente : Une si jolie petite plage et Monsieur Ripois ...... 134

I. Une si jolie petite plage : l’homme victime ...... 135 A. Sur les traces de Jean Gabin : entre continuité et rupture ...... 137

B. Rapports sociaux de sexes : Gérard Philipe enfant et victime ...... 144

C. Réception : écart entre le public et la critique ...... 151

II. Monsieur Ripois : « sordide petit salaud » ou « bourreau des cœurs ingénu »……………………………………………………………………………………..154 A. Les femmes des années cinquante au regard de l’homme : un portrait dévalorisant ...... 156

B. Réception : un personnage masculin très discuté ...... 170

6

Troisieme Partie. Gérard Philipe, une construction médiatique ...... 175

Chapitre 4. Hiérarchie des acteurs dans les magazines populaires : Gérard Philipe et la tradition culturelle ...... 180

I. Qui apparaît en unes des magazines ? ...... 181 A. Une dimension nationale ...... 181

B. Une formation théâtrale prestigieuse...... 186

C. Un mélange des sexes et des générations ...... 191

II. Le Tout-Cinémonde ou la hiérarchie des acteurs ...... 195 A. « Les superstars » ...... 195

III. Les Victoires du cinéma français ou la popularité des acteurs ...... 205 A. Des lauréats représentants de la « tradition de la qualité » ...... 206

Chapitre 5. Image médiatique : les jeunes premiers vus par Cinémonde ...... 211

I. Promotion d’une jeune génération masculine ambivalente ...... 212 A. Daniel Gélin : l’anticonformiste ...... 212

B. Henri Vidal : Monsieur Michèle Morgan ...... 217

C. Georges Marchal : le mâle ...... 222

D. Jean-Claude Pascal : le misanthrope ...... 226

II. Gérard Philipe vu par Cinémonde : « sur les marches du trône » ...... 231 A. Une large couverture médiatique ...... 232

B. De l’étoile à la star ...... 234

C. Une star qui ne se prête pas au jeu des magazines ...... 241

Chapitre 6. Écrire à la star : le courrier des lecteurs des magazines populaires ...... 246

I. Réception de l’image des jeunes premiers par les lecteurs-trices ...... 248 A. Un lectorat jeune et féminin ...... 249

B. Enjeux éthiques et esthétiques...... 252

7

Quatrième Partie. Gérard Philipe, un homme engagé à la ville ...... 263

Chapitre 7. Les lettres d’admirateurs et admiratrices de Gérard Philipe : nouvelles sources pour approcher la relation des spectateurs aux stars de cinéma ...... 266

I. Le profil des correspondants et correspondantes ...... 268 A. Un public international, aisé et cultivé ...... 268

B. Un public jeune ...... 270

C. Un public féminin ...... 271

II. Sur le chemin de la gloire...... 272 A. Un jeune premier aux débuts prometteurs ...... 272

B. Une prestigieuse carrière théâtrale au sein du T.N.P ...... 274

C. Une vedette de cinéma ...... 275

III. Entre admiration et expertise ...... 276 A. L’amateur de théâtre rencontre le passionné de cinéma ...... 276

B. Une impression sur le jeu de l’acteur et sur la persona de la star ...... 278

C. Une source de projection-identification ...... 279

Chapitre 8. Engagement politique et syndical de l'homme et du comédien aux prises avec l'image médiatique de la star ...... 283

I. Le « compagnon de route » ...... 286 A. Les accords Blum-Byrnes et la défense du cinéma français ...... 286

B. Gérard Philipe sous les banderoles du Mouvement de la paix ...... 291

C. La presse communiste : une appropriation idéologique de la star militante………………………………………………………………………………….294

II. Gérard Philipe, sa solidarité et son activisme syndica………………………...296 A. Restructuration à la Libération : les premiers pas du militant syndical…………………………………………………………………………………..296

B. L’émergence de Gérard Philipe et la création du Comité national des acteurs………………………………………………………………………...... 299

C. La création du Syndicat français des acteurs : Gérard Philipe président de choc……………………………………………………………...... 302

8

Chapitre 9. Les Aventures de Till l’Espiègle ou l’épopée « im » populaire de Gérard Philipe ...... 311

I. L’élaboration des Aventures de Till l’Espiègle : les états antérieurs ...... 313 II. L’élaboration des Aventures de Till l’Espiègle : une coproduction franco-(est-) allemande…………………………………………………………………………………... 318 III. Histoire et scénario : quels choix dans l’écriture filmique ? ...... 323 IV. Un désastre artistique et critique ...... 327 V. Une appropriation idéologique ...... 329

Conclusion...... 337

I. Une star de la Libération à la fin des années cinquante ...... 337 II. Une star dans la production cinématographique d’après-Seconde Guerre mondiale…………………………………………………………………………………….339 III. Une star : objet de culture « non noble » ...... 340 IV. Une star pour faire de l’histoire du cinéma ...... 342 V. Prolongement et approfondissement ...... 343

Sources et bibliographie ...... 345

Annexes ...... 380

Index des films ...... 417

Tables ...... 426

Table des matières ...... 433

9

INTRODUCTION

En 2008, Ginette Vincendeau écrivait : « Si la domination américaine du cinéma mondial et sa suprématie dans la création de stars n’est pas niable, il est temps de mettre en lumière nos stars nationales puisque le cinéma français a produit au cours de son histoire un grand nombre de stars ayant atteint la célébrité internationale dans des films de langue française1. » Si l’étude rigoureuse des stars n’a pas toujours fait l’unanimité dans les universités françaises, des travaux de prestige commencent à paraître. Les approches esthétiques du cinéma, fondées sur la suprématie de l’auteur, ont longtemps relégué les stars hors des instances de création – celles-ci étant perçues comme des produits issus de la culture de masse et donc peu légitimes culturellement. Or de notre point de vue, les stars peuvent être fascinantes, plaisantes à regarder et fournir des sujets d’études sérieuses et documentées. Notre travail en histoire culturelle propose donc de retracer le parcours de l’une d’entre elles, sous ses multiples aspects. Nous avons choisi Gérard Philipe, unique jeune premier de sa génération à avoir atteint le rang de star internationale. Ses contemporains, Georges Marchal, Henri Vidal, Daniel Gélin et Jean- Claude Pascal sont restés des acteurs populaires de notoriété nationale.

I. Définition d’un champ d’études

A. Star et star-système

Le mot « star » est apparu dans la langue française au cours des années vingt. Cet anglicisme est aujourd’hui répandu dans le vocabulaire courant et utilisé comme équivalent du français « vedette ». À l’origine, il existe néanmoins une différence non négligeable. Pour ce faire, donnons une définition précise de chaque terme. Etymologiquement, ce terme dérive de l’italien vedetta signifiant « lieu élevé pour observer ». En France, il est apparu à la fin du XVIe siècle dans le vocabulaire militaire où la vedette est le soldat de sentinelle. Le mot est adopté par le monde du spectacle deux siècles plus tard. Le terme vedette est alors associé au fait de mettre en vue :

1. Ginette Vincendeau, Les stars et le star-système en France, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 10. 10

« mettre en vedette », « détacher en gros caractères », « occuper la vedette ». Au XIXe siècle, l’expression désigne l’artiste qui a le premier rôle2. Myriam Juan fournit une définition intéressante de ce qu’est une vedette au cinéma :

D’un point de vue culturaliste, le terme désigne un acteur ou une actrice connu(e), apprécié(e) du public et supposé(e) attirer en conséquence les spectateurs dans les salles. […] L’accès au vedettariat, jamais définitif, génère un ensemble de signes dont le premier est le fait d’être mis en valeur sur une affiche. […] Il existe toutefois bien d’autres indicateurs de ce statut, dont certains sont du reste spécifiques au cinéma. Citons entre autres la place au générique, la présence en couverture des magazines, les citations dans le courrier des lecteurs, ou encore les mentions dans les concours auxquels participent les spectateurs3.

À ceux-ci, nous devons ajouter l’importance des rôles, la mise en valeur par la publicité et le montant des salaires4. La vedette et la star ont en commun la célébrité et la présence diffuse. Mais toutes les vedettes ne sont pas forcément des stars. Le mot star est employé, pour la première fois en français en 1844, dans un texte concernant le théâtre comme mot anglais : « un acteur d’élite qu’ils appellent leur étoile (star) ». Alain Rey définit la star comme « Une célèbre vedette de cinéma ; acteur ; actrice très célèbre auprès d’un immense public. […] Une personne très en vue, aux faits et gestes de laquelle le public et les médias attachent beaucoup d’importance5. » Mais la supériorité de la star réside dans ce qu’Edgar Morin appelle le processus de « divination ». Elle « pompe une partie de la substance héroïque, c’est-à-dire divinisée et mythique, des héros de film […] et, réciproquement, enrichit cette substance qui lui est propre »6.

2 . Alain Rey (dir.) Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 2006, p. 4008 (1re éd. 1992). 3. Myriam Juan, « Étoiles en manque de lumière : les difficultés du vedettariat français dans les années vingt », Studies in French Cinema, vol. 11, n°3, 2001, p. 183. 4. M. Juan, « "Aurons-nous des stars ? " Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940) », thèse de doctorat, Université de Paris 1, 2014, p. 16. 5 A. Rey (dir.) Dictionnaire historique…, op. cit. p. 997. 6. Edgar Morin, Les stars, Seuil, 1957, p.39. 11

Selon Richard Dyer, les mythes créés par la star ont pour fonction de canaliser des tensions sociales en associant des valeurs contradictoires

L’image de la star exprime des contradictions idéologiques – soit à l’intérieur de l’idéologie dominante, soit entre celle-ci et d’autres idéologies subversives. Ces rapports peuvent s’exprimer soit par le déplacement, soit par l’occultation de l’une des deux faces de la contradiction et la mise en avant de l’autre, soit encore par la réconciliation « magique » que la star réalise entre deux termes apparemment incompatibles7.

La primauté de la star résulte aussi de la construction d’une persona par les instances de promotion et les réactions du public. Pour Ginette Vincendeau, les stars sont donc un « phénomène global » soit :

Des acteurs de premier plan qui ont réussi à construire une persona (voire un mythe) faite d’une trilogie : jeu à l’écran, identité en tant qu’individu (telle qu’elle est perçue par les médias) et type de personnage, persona que le public reconnaît et s’attend à retrouver d’un film à l’autre et qui en retour détermine les rôles attribués à la star (ou choisis par elle). L’importance des stars est économique, culturelle et idéologique. […] En rendant crédibles certains types humains à certains moments, les stars ont un impact certain sur la culture nationale et parfois mondiale8.

Dans son étude du cinéma français, la chercheuse démontre l’existence d’un star- système en France9 qui met en jeu des personnes (acteurs aussi réalisateurs, producteurs, spectateurs…), des capitaux et des supports médiatiques (films, presse, photographies…) – chacun correspondant à un maillon de la chaîne dans l’industrie du cinéma : production, distribution et réception. Cependant, ce système ne fonctionne pas en vase clos et peut être influencé par son environnement extérieur. Dans ce travail, nous n’entendons cependant pas étudier le star-système français dans sa globalité, mais le rôle d’une star nationale dans sa dimension économique, idéologique et socioculturelle.

7. Richard Dyer, Le star-système hollywoodien, suivi de Marilyne Monroe et la sexualité, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 21. (1re éd. en anglais 1979). 8. Ibid. p. 10-11. 9. L’existence de ce dernier a été débattue. Pour Colin Crisp, l’absence de studio à l’américaine qui entretient les stars et engrange d’importants moyens financiers nie l’existence d’un star- système en France faute de studio à l’américaine. Voir Colin Crisp, The Classic French Cinema, 1930-1960, Bloomington, Indiana University Press, 1993, p. 224-226. 12

B. Études des stars et apport des approches anglo-saxonnes

L’après-Seconde Guerre mondiale en France voit se développer les discours savants et populaires sur les stars10. À la fin des années cinquante, le sociologue Edgar Morin produit « au plan mondial, la première réflexion consistante spécifiquement dédiée à la question des stars11 ». Celle-ci est centrée sur le cas hollywoodien12. À l’aide des outils des sciences humaines et sociales, il livre une analyse du phénomène de starification, ses métamorphoses de la production à la réception. Il fait l’hypothèse que les stars sont des demi-dieux dotés d’une « sur-personnalité13 ». Celle-ci serait née des échanges entre les interprètes et leurs personnages. Il les perçoit comme des êtres doubles, associant rationnel et irrationnel. C’est ce mélange qui, selon lui, génèrerait ensuite l’identification et/ou la projection du spectateur. Le champ lexical du religieux renforce la dimension mythique des personnalités : « liturgie stellaire », « Olympiens », « Dieux et déesses ». Malgré un impact limité à l’époque, l’ouvrage d’Edgar Morin est le point de départ du laboratoire de sociologie du CNRS et CECMAS (Centre d’études des communications de masse)14. Cette étude parue chez Seuil en 1957 s’inscrit dans un grand mouvement de démocratisation culturelle : une culture accessible à tous grâce aux livres bon marché ; toute culture est digne. Si le cinéma est en voie de légitimation15, il reste en majorité un art populaire. De fait, Edgar Morin l’aborde par le biais d’objets issus de la culture de masse (les stars). Son travail a pour originalité de prendre en compte l’engagement émotionnel du public, les sources populaires (mass médias, lettres) pour tenter de réduire l’écart entre culture savante et culture populaire16. Une vingtaine d’années plus tard, Richard Dyer pose un cadre théorique et méthodologique pour l’analyse de l’image des stars avec Stars17. Son étude est elle aussi limitée au cinéma hollywoodien. Selon Richard Dyer, les stars façonnent des modèles sociaux, en termes de classe, sexe, génération ou identité. Elles lui apparaissent

10. Gwénaëlle Le Gras, « Genèse de la théorisation de la notion de star dans la France d’après-guerre », G. Le Gras et Geneviève Sellier, Cinémas et cinéphilies populaires dans la France d’après-guerre (1945- 1958), Paris, Nouveau monde, 2015, p. 81-100. 11. Ibid. p. 82. 12. Edgar Morin, Les stars, Paris, Galilée, 1984, (1ère éd. 1957). 13. Ibid. p. 71. 14. Devenu Centre Edgar Morin depuis 2008, situé rue d’Athènes à Paris. 15. Le cinéma accède au rang des arts légitimes avec la Nouvelle Vague. 16. G. Le Gras, « Genèse de la théorisation… » op. cit. 17. Richard Dyer, Le star-système hollywoodien…, op. cit. 13

entièrement construites par les studios pour plaire aux différents publics. De fait, elles constituent un ensemble de textes et signes fortement chargés idéologiquement qui véhiculent les croyances et les valeurs d’une société et d’une culture18. C’est ce que Richard Dyer nomme « polysémie structurée19 ». Son livre donne naissance et légitimité au champ de recherche anglo-saxon, les star studies. Ces dernières associent diverses disciplines comme la sémiologie, la psychanalyse, la sociologie ou l’histoire. Et corrèlent plusieurs courants de recherches : les études cinématographiques, les cultural studies et l’analyse de la construction des identités sociales des groupes minoritaires ou opprimés. Le contexte anglo-saxon des années soixante-dix est propice au développement de ces travaux20. Longtemps ignorées des études filmiques françaises, les cultural studies, qui se sont développées en Grande Bretagne et aux Etats-Unis dans les années soixante et soixante-dix21, constituent une autre source d’inspiration. Leur démarche anthropologique vise à promouvoir une culture qui se tient à l’écart des hiérarchies traditionnelles et savantes. En d’autres termes, la culture de masse y est pensée comme un champ de lutte idéologique et interprétative selon les publics des groupes minoritaires ou opprimés. Dans leur synthèse sur les cultural studies, les sociologues Armand Mattelard et Érik Neveu résument cette conception des rapports de domination et de résistance :

Penser les contenus idéologiques d’une culture n’est rien d’autre que de saisir, dans un contexte donné, en quoi les systèmes de valeur, les représentations qu’ils recèlent œuvrent à stimuler les processus de résistance ou d’acceptation du statu quo, en quoi discours et symboles donnent aux groupes populaires une conscience de leur identité et de leur force, ou participent au registre aliénant de l’acquiescement des idées dominantes22.

Leur théorie permet ainsi de repenser celle d’une mystification collective d’une masse passive, où les gens du peuple perdraient leur identité et leur habitude.

18. M. Juan, «"Aurons-nous un jour des stars ?" Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940) », op. cit. 19. R. Dyer, Le star-système hollywoodien…, op. cit. p. 67. 20. G. Vincendeau, Les stars et le star-système…, op. cit. p. 7. 21. Richard Hoggart, pionnier des cultural studies, publie The Usesof Literacy en 1957 (traduction française, La Culture du pauvre, éd. de Minuit, 1970) et fonde le Centre for Contemporary Cultural studies, à Birmingham en 1964. 22. Armand Mattelard et Éric Neveu, Introduction aux cultural studies, Paris, La Découverte, 2008 (1ère éd. 2003), p. 37. 14

Progressivement, le courant s’oriente donc vers les études de réception. Au début des années soixante-dix, Stuart Hall propose une analyse sur les productions télévisuelles23. Selon lui, les images sont produites pour un public « auquel elles prêtent des attentes et des caractéristiques, mais il n’y a pas nécessairement concordance entre le contenu effectif du message et sa réception24. » Le spectateur peut donc adopter trois postures : adhérer au message de l’idéologie dominante, le tolérer mais en émettant des réserves, le rejeter et lui en substituer un autre. Cette recherche met en lumière la multiplicité des usages sociaux faits par le public en fonction de son parcours de vie. À l’instar, des cultural studies, les gender studies analysent les relations de pouvoir, mais spécifiquement dans leur dimension sexuée. Le postulat est que le « le système de bipartition hiérarchisé homme/femme n’est ni biologique, ni naturel, mais un construit social intrinsèquement lié à la domination (matérielle et symbolique) des hommes sur les femmes au sein du système patriarcal25. » Depuis une vingtaine d’années, les gender studies se développent dans les universités françaises et dans toutes les disciplines. Au cinéma, les études des représentations de genre prennent en compte les contradictions dans le texte filmique qui permettent différents points d’identification. Noël Burch et Geneviève Sellier ont, sur le sujet, livré une analyse pionnière des productions cinématographiques françaises entre 1930 et 1956, à la croisée de l’histoire du genre (gender), de l’histoire culturelle et de la sociologie26. Les auteurs considèrent les films « comme des constructions culturelles et non des reflets de la société. » ; « comme des productions culturelles, polysémiques et ambivalentes » ; « comme des interactions entre un texte et un contexte de production et de réception : ce sont les spectateurs qui donnent in fine sens au film. » Ainsi prises en compte, les œuvres filmées participent « à la construction des normes sexuées, à la fabrique du genre, particulière à chaque société et à chaque époque. » Les études gender articulent généralement l’analyse des rapports sociaux de sexe, l’analyse filmique et l’analyse de la réception dans la presse savante et populaire. Gwénaëlle Le Gras résume parfaitement la démarche :

23. Stuart Hall, « Codage/décodage », Réseaux, n°68, 1994, p. 29-39. 24. Delphine Chedaleux, « Les jeunes premiers et les jeunes premières du cinéma français sous l’Occupation (1940-1944) », thèse de doctorat, Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3, 2011, p. 17. Sa thèse a récemment donné suite à la publication Jeunes premiers et jeunes premières sur les écrans de l’Occupation (France, 1940-1944), Rennes, PUR, 2016. 25. Ibid. p. 20. 26. Noël Burch et Geneviève Sellier, La Drôle de guerre des sexes du cinéma français (1930- 1956), Paris, Nathan, 1996, p. 9-10. 15

Toute étude filmique est précédée d’un examen de la réception savante et populaire du film qui pointe les divergences et les convergences d’interprétation […] En relevant les éléments esthétiques, narratifs, les points de vue qui servent à construire le masculin et le féminin dans la fiction, l’analyse filmique met à jour les ambivalences du film et les enjeux qui lui affèrent : d’une part, elle révèle les aspects qui ont pu rendre compte des préoccupations d’alors (ce que la réception a retenu), d’autre part, elle met en lumière les éléments occultés par la réception. À partir de ce bilan, l’analyse filmique, en inscrivant le film dans son contexte, reconstitue les contradictions et même les non-dits d’une époque, complexité qui permet souvent de mieux expliquer le succès ou l’échec d’un film27.

Dans cette perspective la thèse de Delphine Chedaleux28 nous propose une étude approfondie de l’image de jeunes premiers et jeunes premières sous l’Occupation29, dans leur dimension sexuée et générationnelle, en rapport avec le contexte idéologique de Vichy. L’auteure envisage les acteurs et actrices comme des objets polysémiques matérialisant les préoccupations sociales propres à la période. Nous insistons sur ce travail qui semble nous fournir une étude exemplaire sur les acteurs dans une perspective socioculturelle : en associant examen de sources premières, du texte filmique, de la persona de l’acteur et de sa réception.

27. G. Le Gras, « Analyse filmique et gender studies : vers une autre approche des Parapluies de Cherbourg », Jacqueline Nacache (dir.) L’Analyse de film en question, Paris, L’Harmattan, p. 206. 28. D. Chedaleux, « Les jeunes premiers et les jeunes premières du cinéma français sous l’Occupation (1940-1944) », op. cit. 29. Marie Déa, , Odette Joyeux, Madeleine Sologne et . 16

À la suite de son travail, Delphine Chedaleux a pu conclure que les figures d’acteurs et actrices :

S’ancrent pleinement dans le contexte de cette période contrastée, parce qu’elles sont travaillées, à la fois dans les films et dans la presse populaire, par la tension entre, d’une part l’idéologie réactionnaire qui met en avant les femmes et les jeunes comme ferments d’un redressement national qui passe forcément par le respect de la Loi (patriarcale) et par le renoncement à ses aspirations personnelles, d’autre par un questionnement sur les places respectives et les rôles attribués aux femmes et aux hommes, aux jeunes et aux vieux, aux enfants et aux parents. Chacune de ces figures est construite sur un tiraillement entre l’émancipation et le maintien de l’ordre, qu’il soit social sexuel ou générationnel ; autrement dit, elles contribuent autant à redéfinir les frontières du genre (gender) et des générations qu’à les bousculer30.

Dans la lignée de Richard Dyer – mais dans le cadre français –, inspirée par l’histoire culturelle et les théories féministes31, Ginette Vincendeau réalise une belle étude de l’image de Jean Gabin sur l’ensemble de sa carrière32. En s’appuyant précisément sur les performances de l’acteur dans les films, l’auteur dégage trois facettes du « mythe Gabin » : une star, un Français, un homme. Son étude est fondée à la fois sur des aspects économiques, anthropologiques, nationaux et sexuels. Proposant une lecture stimulante de ce qu’elle appelle le « système G », qui

Réussit la réconciliation magique de valeurs antagonistes : ordinaire et extraordinaire, pauvre et riche, prolétaire aux racines dans la France profonde et bourgeois individualiste qui a réussi son ascension sociale, héros viril par excellence qui valorise les valeurs féminines33

En décryptant tous les aspects du mythe et de l’acteur – le jeu, le physique, la gestualité, la voix, l’expression, la captation de la mise en scène, les éléments qui contribuent à l’élaboration de son image, la réception dans la presse ou les contributions de l’acteur à sa propre mythologie –, l’auteure décrypte les significations de son image dans le contexte particulier d’une époque où se dessine un type de masculinité ambigu.

30. D. Chedaleux, « Les jeunes premiers et les jeunes premières du cinéma français sous l’Occupation (1940-1944) », op. cit. p. 369. 31. Ginette Vincendeau garde des analyses de Laura Mulvey la dimension structurante de la domination masculine dans le langage cinématographique. 32. G. Vincendeau, Jean Gabin. Anatomie d’un mythe, Paris, Nouveau monde, 2006. (1ère éd. 1993) 33 Ibid. p.11. 17

D’une part, Jean Gabin incarne une masculinité à la fois virile et douce qui incorpore des valeurs connotées traditionnellement comme féminines. D’autre part, érotisé par la mise en scène, il est donc construit comme un objet du regard. Ces éléments ont un pouvoir conciliateur qui valorise le spectateur masculin hétérosexuel sans dénigrer les femmes aux yeux des spectatrices. L’étude des stars de cinéma accorde également une grande importance aux spectateurs et aux spectatrices, tant sur le plan de la réception que sur celui des pratiques sociales qui lui sont liées. Dans la lignée des études menées sur la cinéphilie « ordinaire » (par opposition à la cinéphilie savante et cultivée), Geneviève Sellier et Jean-Marc Leveratto ont travaillé sur l’expertise des spectateurs et spectatrices, différenciée selon leur sexe, leur génération ou leur classe sociale. La première propose désormais des études exhaustives sur le courrier des lecteurs de Cinémonde34, « Potinons ». Elle perçoit la rubrique comme « un espace très dynamique d’interaction entre les lecteurs35», à caractère majoritairement féminin et populaire. À travers l’analyse des commentaires, la chercheuse démontre qu’il existe une expertise cinéphilique chez les spectatrices, mêlant dimension éthique et esthétique. Ainsi, elle remet en cause les théories où prédomine l’idée d’une cinéphilie savante masculine. Jean-Marc Leveratto aborde, quant à lui, la question de la star comme gage de qualité et de plaisir cinématographique pour le spectateur36 :

Comme fait d’expérience, elle est un instrument de mesure personnelle, un outil d’identification, de remémoration et de partage des objets cinématographiques qui m’ont particulièrement marqué. Le cinéma s’édifie d’abord autour de noms d’artistes auxquels la mémoire personnelle des individus confère une importance affective particulière.

34. G. Sellier, « Le Courrier des lecteurs de Cinémonde dans les années 50 : la naissance d’une cinéphilie au féminin », dans Noël Burch et G. Sellier, Le Cinéma au prisme des rapports de sexes, Paris, Vrin, 2009, p. 67-90 ; G. Sellier, « La réception des films de la Nouvelle Vague dans le courrier des lecteurs de Cinémonde », Communication, vol. 32/1, 2013 (URL : http://communication.revues.org/4951) ; G. Sellier, « Les goûts des spectateurs ordinaires : un paysage contrasté », G. Le Gras et G. Sellier, Cinémas et cinéphilies…, op. cit. p. 235-252. 35. G. Sellier, « Les goûts des spectateurs ordinaires : un paysage contrasté », G. Le Gras et G. Sellier, Cinémas et cinéphilies…, op. cit. p. 236. 36 . Laurent Jullier et J-M. Leveratto, Cinéphiles et cinéphilies, Paris, Armand Colin, 2010, p. 58. 18

Le spectateur doit cependant être distingué du public :

Un public est constitué d’un ensemble de personnes qui partagent un intérêt pour une même manifestation, alors qu’un spectateur est un individu particulier, caractérisé par ses goûts, ses compétences et son vécu (sauf à envisager « le spectateur » comme un idéal- type ce qui, dans une perspective historique, ne paraît guère porteur). Étymologiquement, le spectateur est celui qui regarde, sans y participer, un événement, un « spectacle »37 : il est avant tout défini par celui-ci (on est toujours le spectateur de quelque chose – le spectateur d’un film par exemple). On parle donc souvent des spectateurs sans dissocier les individus du spectacle qu’ils regardent, et cette situation conduit à privilégier le phénomène de réception. La notion de public est plus englobante. Car si on considère que les spectateurs ne restent pas constamment dans les lieux de spectacle, qu’ils ont aussi une vie sociale et privée et qu’ils sont en contact avec d’autres individus qui n’ont pas forcément assisté au spectacle, mais qui peuvent tout de même être en relation avec celui- ci à travers des éléments extérieurs (revues, affiches, photographies : autant de futures sources pour les chercheurs) et qui peuvent enfin agir en fonction de ces éléments (participer à un concours, collectionner des photographies et cartes postales d’artistes, etc…), alors on fait intervenir un ensemble plus vaste d’individus, spectateurs ou non, amenés à participer à de multiples activités en commun38.

Pour ce faire, Myriam Juan et Christophe Trebuil se sont intéressés aux différents types de manifestations de la réception d’un spectacle : « les émotions – c’est-à-dire les affects – et les jugements – c’est-à-dire les réflexions – que le spectacle suscite et qui se traduisent physiquement par les actes (rire, pleurer, parler, écrire…). » Plus que la signification des représentations filmiques, ils prennent en compte les manifestations et témoignages spectatoriels. Ce travail novateur élargit donc la réflexion sur la vision des films hors de la salle et sur les formes d’actions qu’elle provoque, « davantage ancrées dans les réalités sociales au sein desquelles évoluent les publics de cinéma. » Myriam Juan propose une sélection de lettres d’admirateurs qui offrent, selon elle, un aperçu sur la manière dont le cinéma s’insère dans le quotidien des gens « ordinaires »39. Néanmoins si ces sources sont peu nombreuses à nous être parvenues et le plus souvent transmises par un médiateur (journaliste, écrivain, enquêteur, etc…), elles n’en

37. La racine latine du terme specto, are signifie regarder, observer, contempler (action qui peut déboucher sur une appréciation, un jugement). 38. Myriam Juan et Christophe Trebuil, « Deux ou trois choses que nous savons d’eux : publics de cinéma », Conserveries mémorielles (URL : http://cm.revues.org/1262). 39. M. Juan, « La parole aux spectateurs. Extraits de mémoire choisis et présentés par Myriam Juan », Conserveries mémorielles (URL : http://cm.revues.org/1250). 19

constituent pas moins un outil précieux pour l’étude du cinéma et de ses stars dans une perspective de l’histoire culturelle.

C. Histoire culturelle du cinéma et du vedettariat

Notre démarche est aussi sensible aux avancées de ce courant de recherches, en plein essor en France depuis les années quatre-vingt40. L’histoire culturelle, que l’on définit comme une « histoire sociale des représentations41 », propose selon les termes de Dimitri Vezyroglou : « une approche globale du cinéma comme objet historique », où celui-ci est envisagé « sous tous ses aspects, des processus de production aux formes de réception, en passant par les modalités d’exposition et de reproduction42. » Dans son essai Le cinéma en France à la veille du parlant, le chercheur présente une histoire cinématographique de la France à la fin des années vingt considérée du point de vue des réalisateurs, des producteurs, des distributeurs, des exploitants, des critiques, des acteurs et des spectateurs. Dans la lignée de Robert Allen et Douglas Gomery, il part « du postulat que le cinéma représente un système, un phénomène complexe mettant en jeu nombre d’éléments interactifs43. » Au cours de son travail, Dimitri Vezyroglou met en relation une grande variété de sources dans le but de retracer « les conditions d’existence sociale d’une production artistique et culturelle », en croisant des données techniques, esthétiques, économiques, politiques et socioculturelles.

40. Dimitri Vezyroglou, « Positions, propositions, interventions et questionnements de l’histoire culturelle du cinéma », intervention lors du séminaire permanent de l’AFRHC « Nouvelles Recherches sur l’Histoire du Cinéma », organisé par Laurent Le Forestier et Guillaume Vernet, INHA, 12 janvier 2018. 41. Pascal Ory, L’Histoire culturelle, Paris, PUF, 2004, p. 40-41 42. D. Vezyroglou, Le cinéma en France à la veille du parlant, Paris, CNRS éd. 2011, p. 12 43. R. Allen et D. Gomery, Faire l’histoire du cinéma. Les modèles américains, Paris, Nathan, 1993, p. 41 (1ère éd. en anglais 1985), cité dans D. Vezyroglou, Le cinéma en France…, op. cit. p. 12. 20

Sur le plan méthodologique, la source filmique a été mise en regard, le plus souvent possible, avec toutes les autres sources concernées par notre champ d’études. Archives publiques, débats parlementaires, presse spécialisée et, le cas échéant, presse généraliste, archives privées de sociétés ou de réalisateurs (documents scénaristiques, archives de tournage, notes, projets, correspondance…) ; l’ensemble de ces sources, confrontées au film, ont permis la combinaison des échelles d’analyse – de l’individuel au collectif – et, surtout, une constante contextualisation de la représentation cinématographique44.

L’enjeu de son travail en histoire culturelle est d’examiner la perception du phénomène cinématographique, mais en le recentrant à une époque donnée, ici la veille du parlant. Nous retrouvons une démarche semblable dans le travail de Myriam Juan qui constitue une grande référence pour notre étude. Chercheuse en histoire culturelle du cinéma, elle étudie conjointement l’histoire des célébrités, l’histoire des imaginaires sociaux et l’histoire des publics (réception et pratiques). Dans sa thèse de doctorat, elle appréhende le vedettariat en tant que système. Les études universitaires consacrées aux vedettes françaises sont encore peu nombreuses et privilégient l’analyse d’une star, proposant le plus souvent un chapitre préliminaire sur le vedettariat à l’époque considérée. La démarche de Myriam Juan est donc novatrice car elle

Entreprend de déplacer le centre d’intérêt de la recherche pour le placer au cœur de celle- ci le système lui-même, en faisant l’hypothèse que les mécanismes, les réussites, les difficultés, les discours enfin que celui-ci suscite, sont révélateurs d’enjeux et de représentations idéologiques qui caractérisent la période considérée [du muet au parlant]45.

Pour ce faire, elle « part des sources elles-mêmes à travers lesquelles se manifestent les éléments de ce système et les interactions qui le constituent46. » Les magazines populaires et spécialisés constituent sa source majeure, mais la presse généraliste n’en est cependant pas occultée. Myriam Juan puise aussi ses informations dans les archives privées qui informent sur les conditions de productions du vedettariat. Enfin si l’analyse esthétique pure n’est pas son propos, l’auteure n’en délaisse pas pour autant les sources iconographiques et audiovisuelles. Toutefois, elle privilégie une étude

44. Ibid. p. 17. 45. M. Juan, « "Aurons-nous un jour des stars ?" Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940) », op. cit. p. 18. 46. Ibid. 21

en contexte et s’interroge sur les usages sociaux qui en découlent et les discours qui les entourent. À l’issue de sa recherche, la chercheuse constate qu’au lendemain du premier conflit mondial le cinéma français peine à retrouver sa splendeur d’avant-guerre et affronter la concurrence américaine. Les stars hollywoodiennes fascinent tandis que les vedettes françaises perdent en popularité47. Ainsi, l’auteure « questionne la rivalité du système hollywoodien avec l’hexagone, modèle auquel les professionnels et les journalistes français ne cessent de se référer, qu’il s’agisse d’en prôner l’adoption, l’adaptation ou le rejet48. »

Au final, jouant à l’écran comme à la ville sur l’identification davantage que sur la projection, les vedettes françaises n’ont jamais baigné dans la magie d’un lieu comparable à Hollywood, mais elles ont fait reposer leur succès sur une autre forme de mythe, le mythe de la proximité par rapport à leur public49.

Le vedettariat français prend donc réellement son essor avec l’arrivée du parlant et demeure durable par la suite. Mais selon Myriam Juan, la longévité du système découle, en priorité, d’un facteur d’ordre culturel : « les vedettes de l’écran incarnent littéralement un esprit national50. » De fait, si le cinéma français ne domine plus le marché mondial, il suscite un vif engouement populaire, lequel contribue aux excellents résultats de ses films sur le territoire national. La thèse de doctorat de Myriam Juan contribue donc à une histoire culturelle de la naissance du cinéma parlant en France à travers un nouvel objet d’étude : le système des vedettes de la production à la réception. Nous avons lu avec grand intérêt ces ouvrages et leurs théories sous-tendent nos analyses. Néanmoins sur le plan méthodologique, notre étude fait usage de trois grands types de matériels : sources audiovisuelles et iconographiques, sources imprimées et archives privées ou institutionnelles.

47. M. Juan, « Étoiles en manque de lumière : les difficultés du vedettariat français dans les années vingt », Studies in French Cinema, vol. 11, n°3, p. 181-192. 48. M. Juan, « "Aurons-nous un jour des stars ?" Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940) », op. cit. p. 37. 49. Ibid. p.790. 50. Ibid. 22

II. Sources diverses et variées

A. Sources audiovisuelles et iconographiques

Les films jouent un rôle capital dans l’étude du star-système. Nous avons donc visionné un grand nombre d’œuvres de la période pour construire une connaissance solide du cinéma français de l’époque et en cerner les discours prédominants. Ils ne feront pas tous l’objet d’une analyse fouillée, mais ils serviront à la comparaison. Pour étudier l’image filmique des jeunes premiers de notre corpus, nous avons privilégié des films, en fonction de l’importance du rôle, de la complexité du film et des indices de popularité. L’analyse des représentations cinématographiques s’accompagne systématiquement d’une étude de la réception dans la presse généraliste ou spécialisée, cultivée ou populaire. Nous serons aussi attentifs aux orientations idéologiques de diverses revues utilisées. Les analyses de films sont aussi enrichies par la présentation des affiches. Pour éviter les écueils d’interprétation, nous avons tenu à utiliser les affiches contemporaines à l’exploitation des films. Nous avons donc puisé dans les ressources de la Bibliothèque nationale de France (BnF), du catalogue de Stanislas Choko51 ou de sites spécialisés52. Mais du fait de notre approche en histoire culturelle, le matériel iconographique a donc été mis au regard de toutes les autres sources concernées par notre sujet.

B. Sources imprimées

Les magazines spécialisés en cinéma et les magazines populaires constituent une source primordiale car ils nous permettent d’appréhender la production (reportage et entretien), la diffusion (publicité et stratégie de promotion) et la réception des films (critique et courrier des lecteurs). Ils sont aussi le terrain d’expression du culte de la star. Pour Gwénaëlle Le Gras et Geneviève Sellier,

51. Stanislas Choko, Affiches de cinéma. Trésors de la Bibliothèque nationale de France, 1896-1960, Paris, Editions de l’Amateur, 1995. 52. http://www.cinema-francais.fr/. 23

Toutes les publications à destination du grand public ont en commun l’importance qu’elles accordent aux acteurs et actrices « comme véhicules d’identité de genre, de classe, de génération, mais aussi nationale et/ou culturelle. À travers les portraits, les entretiens, les reportages, les classements, les palmarès etc... se dessine un paysage que Gwénaëlle Le Gras a commencé à étudier et qui témoigne à la fois de la construction de consensus et de l’existence de conflits et de contradictions culturelles et idéologiques. La confrontation de ces sources avec le box-office […] montre qu’il ne s’agit jamais d’un simple commentaire complaisant du succès commercial du moment, mais plutôt de la construction d’un imaginaire collectif fait d’interprétation des films et des acteurs comme des leçons de vie53.

Les études menées par l’ANR Ciné Pop 5054 montrent que des acteurs qui tournent peu et dans des films de succès moyen peuvent être largement plébiscités, par la rédaction ou le public, car ils incarnent une légitimité culturelle liée à leur carrière théâtrale ou sont le symbole d’une émancipation55. Ces travaux défont les idées reçues sur les médias de masse, manipulateurs et aliénants. Puis ils démontrent que les images médiatiques d’acteurs et actrices reconfigurent les normes générationnelles, genrées et socioculturelles. Ces artistes agissent en effet comme des modèles ou des contre- modèles d’identification pour les lecteurs. Les chercheurs de l’ANR mettent tout de même un bémol car l’écart entre les goûts de la rédaction et ceux des lecteurs est parfois large. De fait, les articles révèlent la posture paradoxale des magazines qui jouent des compromis pour satisfaire un plus large public. Ces magazines hebdomadaires ont une diffusion nationale (métropole et colonies). Ils permettent ainsi aux provinciaux et aux habitants des colonies de suivre l’actualité cinématographique. L’exploitation cinématographique à Paris est bien antérieure à celle de la province et des colonies, où les films sont diffusés tardivement. À ces magazines, nous ajoutons des journaux corporatifs qui prennent en compte les opinions des producteurs, exploitants ou distributeurs et fournissent des chiffres sur l’économie du cinéma à l’époque concernée (entrées et recettes). La double carrière entre cinéma et théâtre est une des spécificités du star-système français. Notre étude

53. G. Le Gras et G. Sellier, « Introduction », G. Le Gras et G. Sellier (dir.) Cinémas et Cinéphilies…, op. cit. p. 15-16. 54. Site en ligne : http://cinepop50.u-bordeaux-montaigne.fr/ 55. G. Le Gras, « Edwige Feuillère dans le star-système français des années d’après-guerre vu par Cinémonde », Studies in French Cinéma, vol. 15, n°1, 2015, p. 37-55 ; D. Chedaleux, « Jean Marais, star de Cinémonde (1946-1958) : la construction d’une masculinité ambivalente », Studies in french cinema, mars 2015, vol 15, n°1, p. 56-68. 24

prend donc aussi en compte les transferts entre l’écran et la scène56. Pour ce faire, nous avons eu recours au recueil d’articles du Fonds Auguste Rondel conservé aux Arts du Spectacle de la BnF. Les commentaires d’époque publiés dans les diverses monographies, nous ont aussi permis d’enrichir notre analyse sur les stars.

C. Archives privées

Mais les sources étudiées ne se limitent pas aux films et aux archives de presse. Dans la perspective de l’histoire culturelle, nous avons consulté les archives privées susceptibles de nous renseigner sur la place de l’acteur dans le star-système. Le Fonds Anne et Gérard Philipe (AGP), à la Cinémathèque française, constitue un ensemble singulier au sein de notre corpus. Il présente publiquement des contrats, des scénarii annotés, des devis professionnels et des correspondances avec des producteurs, réalisateurs ou admirateurs qui nous éclairent sur la place de l’acteur dans le système de production. Ils permettent de saisir, à travers des données économiques et contractuelles, le moment où Gérard Philipe est devenu une star. Quelques lettres d’admirateurs nous ont permis d’appréhender la relation entre l’artiste et ses publics, sans l’intermédiaire des magazines. Le statut spécifique de Gérard Philipe, ne permet cependant pas de considérer ces archives comme un échantillon représentatif, mais plutôt comme les témoins d’un parcours singulier au sein du star-système français. Notons que les jeunes premiers contemporains de Gérard Philipe ne disposent pas d’archive privée. Les informations ont donc dû être récoltées dans les fonds de réalisateurs ou du Crédit National. Les archives privées de Gérard Philipe conservent de nombreux documents liés à son activité théâtrale au sein du Théâtre National Populaire (TNP)57 : contrats, textes annotés, correspondances, articles de presse. Ceux-ci nous ont donc poussés à chercher des traces de son parcours de comédien dans le Fonds du TNP aux Arts du Spectacle de la BnF. Ce dernier abrite une pluralité de sources (imprimées, manuscrites et iconographiques) qui nous informent sur l’histoire, l’administration, le personnel

56 Myriam Juan nomme les transferts entre différents milieux artistiques « les phénomènes d’intermédialités », voir M. Juan, «"Aurons-nous un jour des stars ?" Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940) », op. cit. p. 20. 57. Cinémathèque française (CF), Fonds Anne et Gérard Philipe (AGP), boîtes 14 à 17, dossiers 150 à 194. 25

(technique et artistique) et le public de la troupe. Elles renseignent aussi sur des données économiques grâce aux bilans de recettes et rapports de fréquentation en France et à l’étranger. Dans la partie réservée aux comédiens, nous retrouvons un dossier documentaire sur Gérard Philipe constitué de photographies, articles de presse, correspondances et hommages. Le Fonds AGP archive aussi des documents associés à l’activité syndicale de Gérard Philipe. La consultation des archives du Syndicat français des artistes interprètes (SFA), à Bobigny, est donc venue compléter notre étude. Ces imprimés (procès- verbaux, comptes rendus des assemblées générales, rapports du bureau, bulletins mensuels ou trimestriels, calendriers des actions, correspondances…) permettent de saisir les réflexions et organisations des artistes-interprètes pour défendre et faire progresser leurs droits (conventions collectives, salaires minimaux, congés payés, prestations sociales, qualité des conditions de travail…) au fil des évolutions techniques et économiques de leur métier (suprématie des films hollywoodiens, arrivée de la télévision, développement du marché du disque…). Les archives du SFA témoignent aussi du rôle déterminant de certains acteurs de prestige. Ceux qui ont su mettre entre parenthèses leur situation personnelle pour se préoccuper de l’intérêt général de la corporation. Dans les années cinquante, par exemple, les comédiens subissent de plein fouet les mutations économiques, techniques et artistiques. Pour faire face aux abus des employeurs, le syndicat adopte donc une posture plus offensive. « À l’époque, Gérard Philipe apportait à cette nouvelle ambition l’éclat de son prestige et le sérieux de son engagement (de cela je puis témoigner, ayant été l’un de ceux présents à ses côtés)58. » Un tel engagement n’est pas connu chez les jeunes premiers contemporains de Gérard Philipe. Dans la perspective d’une histoire culturelle du cinéma, le croisement des archives filmiques et « non-filmiques » permet donc de saisir les représentations cinématographiques dans un contexte précis.

58. Robert Sandrey, ancien délégué général du SFA, président de l’Union des artistes, cité dans Anne-Marie Rauch, De la cigale à la fourmi, Paris, éd. de l’Amandier, 2006, p. 357 26

III. Cadre de l’étude

A. Une période de transition

Nous avons choisi de limiter notre cadre d’étude aux années 1946 à 1958 car elles marquent un moment de transition entre l’Occupation et les années soixante. Cette période est en effet marquée par la fin du conflit, la diffusion des films d’origines étrangères (en particulier américaine) et le retour des spectateurs en salle59. Les années 1947 et 1957 constituent des pics de fréquentations, totalisant plus de 400 millions d’entrées. Notons aussi, la création du festival de Cannes en 1956 qui confère aux stars une visibilité médiatique nouvelle en France60. Les magazines spécialisés et populaires, interdits durant l’Occupation, réapparaissent. Ils proposent de longs articles, richement illustrés, sur la vie privée et professionnelle des stars. Ils donnent ainsi à voir une nouvelle culture de l’image de la célébrité : moins fantasmatique et plus populaire. Elles sont partie prenante de la société de consommation et de communication de masse qui s’impose en France durant la décennie. Leur éminence prend fin en 1959 avec l’arrivée de la Nouvelle Vague qui est officialisée au Festival de Cannes61. Les années 1946 à 1958 sont aussi marquées par des bouleversements économiques, institutionnels et culturels. Associés, à l’origine, au milieu cinématographique, ceux-ci s’intègrent dans un cadre politique plus large au niveau national et international. En 1946, après la signature des accords Blum-Byrnes, qui abolissent les quotas de diffusion des films, la profession s’inquiète de voir déferler, sur le marché français, tous les films américains interdits pendant l’Occupation, ceci au détriment de la production nationale. Le milieu cinématographique, avec le soutien de l’opinion publique, s’engage donc dans une bataille pour « sauver le cinéma français ». Après le conflit, l’appareil cinématographique français est vétuste, mais la profession entend bien résister à la concurrence étrangère. Elle exige donc une aide financière de l’État dans la production des œuvres de qualité qui, participeraient selon elle, à la renaissance du cinéma national. La lutte prend également corps sur le marché

59. Voir le box-office des films en France entre 1946 et 1958 en annexe 7. 60. Jennifer de Castro, « La star de Reflets de Cannes : l’image publique du Festival de Cannes », Contemporary French and Francophone Studies, vol. 19, n°1, novembre 2014, p.29- 37. 61. François Truffaut reçoit la palme d’Or pour Les Quatre cents coups. 27

international où le cinéma français souhaite poursuivre l’expansion de ses films amorcée dans les années trente. La France souhaite donc retrouver sa splendeur d’avant- guerre en diffusant de nouveau un patrimoine prestigieux et singulier62. Les discours sur la qualité du cinéma national et les moyens pour la réaliser s’étendent sur une large partie du territoire. Le Comité de libération du cinéma français (CLCF), l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) et les divers syndicats professionnels sont à l’œuvre. Les organes de presse comme L’Écran français, Le Film français, Les Lettres françaises ou Paris-Cinéma affichent leur soutien.

Cette centralité culturelle du cinéma dans la société française s’installe dans un contexte social et politique conflictuel contrasté : d’une part, antagonismes liés à la guerre froide, conflits coloniaux, instabilité politique, modernisation à marche forcée, début des Trente Glorieuses, entrée dans la société de consommation ; d’autre part, instauration du suffrage universel sans restriction de sexe (1944), parution du Deuxième sexe (1949), politique nataliste (allocation de salaire unique, répression de l’avortement) et reprise en mains patriarcale ; immobilisme des rapports intergénérationnels et peur de la délinquance juvénile (« les blousons noirs ») ; pénétration de la culture américaine (jazz, cinéma, série noire) et crispation sur l’identité nationale63.

Le cinéma étant perçu un fait de culture64, les œuvres filmées témoignent d’un état de la société qui les produit et les consomme. Elles sont les éléments d’un imaginaire collectif que nous nous proposons d’étudier. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France est un pays en reconstruction économique, mais elle est aussi le terrain d’affrontements générationnels et genrés. Les jeunes veulent s’affirmer comme une classe sociale autonome65 et les femmes qui ont gagné en indépendance durant l’Occupation manifestent un désir accru d’émancipation66. Mais face à ces bouleversements socioculturels, le pays est aussi

62. Guillaume Vernet, « Aux origines d’un discours critique : "la tradition de la qualité" et "la qualité française". La bataille de la qualité ou la mise en place du soutien de l’État aux films de qualité en France (1944-1953) », thèse de doctorat, sous la direction de Laurent Le Forestier, Université de Rennes 2, soutenue en 2017, p. 20-21. 63. G. Le Gras et G. Sellier, Cinémas et cinéphilies…, op. cit. p.8. 64. D. Vezyroglou, Le Cinéma en France…, p. 11. 65. Ludivine Bantigny, Le plus bel âge. Jeunes et jeunesse en France de l’aube des « Trente Glorieuses » à la guerre d’Algérie, Millau, Fayard, 2007 ; Ludivine Bantigny et Ivan Jablonka (dir), Jeunesse oblige. Histoire des jeunes en France (XIXe-XXe siècle), Paris, PUF, 2009. 66. Christine Bard, Les Femmes dans la société française du XXème siècle, Paris, Armand Colin, 2001. 28

marqué par le retour d’une société patriarcale. Les hommes veulent réinstaurer la domination masculine d’avant-guerre. Leur désir est à mettre en relation avec les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale et des guerres de décolonisation qui abîment la figure du guerrier, idéal de virilité67. Dans les films des années trente, les jeunes femmes exprimaient leur désir d’émancipation, mais celui-ci était toujours raisonné par la force tranquille d’un homme mûr. Sous l’Occupation, ces figures de pygmalions sont déchues et la période donne une visibilité inédite aux jeunes et aux femmes. Leurs rôles racontent comment ces dernières prennent la société en main face à un patriarcat défaillant. Ces images font indirectement référence au Maréchal Pétain qui a cédé à l’occupant allemand puis aux femmes qui élèvent seules les enfants en veillant à la survie du foyer, tandis que leurs maris sont mobilisés. À la Libération, le paysage cinématographique change. Les films restaurent l’autorité masculine et patriarcale d’avant-guerre. D’une part, les femmes peuvent être faibles et dépendantes des hommes. Celles qui manifestent des désirs d’autonomie sont rapidement ramenées dans le droit chemin sous la tutelle protectrice d’un patriarche. D’autre part, elles peuvent être diaboliques utilisant leur séduction pour détruire un homme amoureux d’elles. Mais ces femmes dangereuses sont souvent punies pour leurs actes qui ne sont en fait que les témoins d’un désir d’émancipation que l’on tente de réfréner. Les jeunes subissent eux aussi le retour à l’ordre des pères. Durant l’après-Seconde Guerre mondiale, les actrices sont reléguées aux rôles secondaires et les têtes d’affiches de cinéma sont en majorité des acteurs d’âge mûr, vedettes d’avant-guerre (, Jean Gabin, Fernandel). Parmi eux, un jeune premier fait exception : Gérard Philipe, dont le succès est fulgurant et constant jusqu’à sa mort prématurée en 1959. Mais l’arrivée de la Nouvelle Vague dans les années soixante renouvelle la doxa cinéphilique. Elle est portée par de jeunes réalisateurs appartenant à une élite cultivée et issus du mouvement des ciné-clubs. Ils ont généralement commencé leur carrière dans la critique cinématographique chez Arts et Les Cahiers du cinéma. Dans les années cinquante, leurs articles révélaient leur discrédit pour l’ancienne génération, qu’ils stigmatisaient sous l’appellation de « tradition de la qualité »68. Cette dénomination

67. Alain Corbin (dir.) Histoire de la Virilité, Tome 3 : La virilité en crise. Le XXe et le XXIe siècle, Paris, Seuil, 2011. 68. François Truffaut, « Une certaine tendance du cinéma français », Les Cahiers du cinéma, n°31, janvier 1954, repris dans Jean Narboni et Serge Toubiana (dir.), Le Plaisir des yeux, Paris, Éditions Cahiers du cinéma, 1987, p. 212-223. 29

aujourd’hui utilisée comme une catégorie historique – désormais fixée dans les textes –, renvoie en fait à un argument de débat politique. « La tradition de la qualité » ou « la qualité » est à l’origine une définition particulière englobant un ensemble de metteurs en scène et de films auxquels les jeunes critiques opposent le syntagme « cinéma d’auteurs », définissant des auteurs et une cinéphilie concurrents69. Avec la Nouvelle Vague, le cinéma n’est plus une industrie, la production n’est plus collective et n’est plus faite pour le peuple. Les stars, les studios et l’argent public sont désormais absents. Notons tout de même que ces cinéastes sont issus de la bourgeoisie et ont les moyens de produire leur film avec l’héritage familial ou l’argent du couple70.

B. Notre démarche

Notre souci dans cette thèse est donc de comprendre les spécificités de Gérard Philipe, de voir en quoi il constitue une exception nationale, genrée et générationnelle. Son amplitude au box-office et son rayonnement culturel le présentent à l’époque comme un modèle type de jeune premier. Georges Marchal, Henri Vidal, Daniel Gélin et Jean-Claude Pascal sont de la même génération d’acteurs et reconnus comme des jeunes premiers populaires71, ils n’ont cependant jamais atteint le degré de notoriété de Gérard Philipe. Par « jeune premier » nous entendons un emploi. Dès le XVIIe siècle, au théâtre il désigne un rôle-type attribué à un acteur en fonction de son âge, de ses caractéristiques physiques et de son style de jeu. Il correspond au rôle de « premier amoureux » ou « première amoureuse » en lien avec son importance dans la distribution. À l’écran, l’emploi de « jeune premier » qualifie : « un acteur jeune, séduisant, incarnant un

69. Antoine De Baecque, Cahiers du cinéma : histoire d’une revue, tome 1 : À l’assaut du cinéma (1951-1959, Paris, éd. Cahiers du cinéma, 1991 ; A. De Baecque, La Nouvelle Vague portrait d’une jeunesse, Paris, Flammarion, 2009 (1re éd. 1998) ; A. De Baecque et S. Toubiana, François Truffaut, Paris, Gallimard, 2001 (1er éd. 1996) ; Jean Montarnal, « Cinéma français d’après-guerre et « tradition de la qualité » : du mythe critique à la réalité esthétique », thèse de doctorat en études cinématographiques et audiovisuelles, sous la direction de Jacqueline Nacache, Université Paris 7 Diderot, soutenue en 2016 ; G. Vernet, « Aux origines d’un discours critique : "la tradition de la qualité" et "la qualité française". La bataille de la qualité ou la mise en place du soutien de l’État aux films de qualité en France (1944-1953) », op. cit. 70. G. Sellier, La Nouvelle Vague, un cinéma au masculin singulier, Paris, CNRS éditions, 2005 ; G. Sellier, interview pour Aux Ressources, (URL : http//www.hors-serie.net/Aux- Ressources/2017-12-09/Cinema-un-homme-est-un-homme-id277). 71. Les textes de l’époque les mentionnent comme tels. 30

renouveau dans le paysage cinématographique et devenant parfois le héros d’une génération72. » La génération désigne quant à elle une classe d’âge73, celle des jeunes acteurs nés dans les années vingt. La notion de jeune premier nous pousse aussi à nous interroger sur l’image masculine qu’ils incarnent car « la masculinité est une construction sociale et culturelle, un ensemble de caractéristiques comprises par ceux élevés dans notre culture. Ces traits sont susceptibles de changement dans le temps et l’espace74. » Notre première ambition est donc de repenser le système des stars au niveau national à travers le cas spécifique de Gérard Philipe en repérant les interactions économiques et sociales. Ce changement d’échelle appelle donc à une série de déplacements entre les films, les discours et les pratiques pour observer, d’une part, les modalités de construction du phénomène de la star et restituer, d’autre part, la pluralité des contextes d’appropriation. Nous proposons ici un approfondissement du phénomène de la star au moyen d’une étude plus complète sur Gérard Philipe, lequel sera régulièrement mis en rapport avec les jeunes premiers de sa génération cités précédemment. Ce travail nous permettra de saisir le rôle d’une star dans l’industrie du cinéma et d’en comprendre sa dimension idéologique. Nous chercherons ainsi à découvrir comment sa personne affecte sa persona et sa réception. La question est aussi de comprendre pourquoi Gérard Philipe est le seul de sa génération à avoir pu rivaliser avec les piliers du cinéma qui reviennent au sommet dans des rôles de patriarches.

72. D. Chedaleux, Jeunes premiers et jeunes premières…, op. cit. 73. Karl Mahnneim, Le problème des générations, Nathan, 1990. 74. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin…, op. cit. p. 31

Pour mesurer l’importance de Gérard Philipe dans les identités collectives, il est donc nécessaire de s’intéresser aux mécanismes de création et d’évolution de la star dans un environnement plus large, au niveau de l’industrie cinématographique et de la société. La démarche historienne permet de documenter les faits à partir desquels émettre des hypothèses. Mais le croisement avec d’autres méthodes nous semble apporter une plus grande richesse d’interprétation. Dans une perspective d’histoire culturelle, notre travail met donc à contribution les stars, cultural, gender studies, l’analyse filmique et les études de réception. Le croisement des approches fait émerger la pluralité des significations et des contextes d’attention qui incluent différentes dispositions, façons de voir, d’agir ou de sentir. Une telle approche demeure encore peu fréquente en histoire du cinéma car elle s’attache à une star et à ses spectateurs « ordinaires », objets issus de la culture de masse et peu légitimes culturellement. Myriam Juan souligne ce rejet et le dépasse avec son étude sur le vedettariat à l’arrivée du parlant.

Cette hostilité certaine de la cinéphilie savante vis-à-vis du principe même du vedettariat n’est toutefois pas incompatible avec l’amour des stars, que celui-ci passe par la mobilisation de références culturelles destinées à l’anoblir (recouvrant ainsi la vedette sous la figure du grand artiste) […] Quoi qu’il en soit, la place accordée aux vedettes est très inférieure à l’importance que celles-ci revêtent aux yeux des spectateurs et des spectatrices ordinaires, ce qui explique la place longtemps marginale qui leur a été réservée par une histoire du cinéma directement issue de cette cinéphilie savante75.

Notre projet de recherche est fondé sur une manne documentaire imposante mise au service d’une analyse en profondeur. Nous avons ainsi maximisé les séjours en archives, restitué des données que nous avons analysées grâce aux outils méthodologiques cités précédemment. Nous présentons nos travaux dans cette thèse de doctorat, avec l’ambition de contribuer à l’histoire culturelle des stars et du star-système en France amorcée par Myriam Juan. Notre hypothèse est que Gérard Philipe devient une star car son image – à l’écran, dans les média et à la ville –, exprime les préoccupations et les contradictions d’une période de reconstruction nationale, sur le plan économique, socioculturel et

75. M. Juan, « "Aurons-nous des stars ? " Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940) » op. cit. p. 797. 32

idéologique en France. Nous proposons ainsi trois entrées d’études pour décrypter les représentations, les usages et les pratiques qui le construisent en tant que star. Dans une première partie, nous nous intéresserons au paysage cinématographique du cinéma français chez les acteurs. L’étude du nombre de films, des premiers rôles et des œuvres totalisant plus de deux millions d’entrées, nous permettra d’établir une hiérarchie générationnelle entre les acteurs. En effet, excepté Gérard Philipe, les acteurs en tête des trois classements sont des artistes prestigieux des années trente. Nous poursuivrons donc avec une brève analyse de leur persona cinématographique. Puis nous la mettrons en regard avec celle des jeunes premiers contemporains de Gérard Philipe et cantonnés au bas des classements. Nous espérons ainsi mettre en lumière les premières distinctions et singularités liées à une génération ou à un style de jeu. Après avoir constaté la suprématie de Gérard Philipe au box-office et dans ses films, nous étudierons, dans une seconde partie, un corpus réduit d’œuvres caractéristiques, dits films « véhicules ». Notre travail ici articulera l’analyse de la réception des films dans la presse savante et populaire à l’analyse filmique dans la perspective des études de genre (gender). L’analyse des films s’inscrit dans le contexte particulier de l’après-Seconde Guerre mondiale pour saisir les conflits et contradictions de l’époque qui peuvent expliquer le succès ou l’échec des œuvres. Nous tenterons ainsi de comprendre de quelle manière l’image de Gérard Philipe dans les films renouvelle les représentations de la jeunesse et reconfigure les identités hiérarchisées de sexe et de génération. Dans une troisième partie, nous poursuivrons avec l’étude de l’image médiatique de la star. Une plongée dans la presse populaire des années d’après-Seconde Guerre mondiale nous aidera à mieux comprendre les représentations dominantes de l’époque et permettra d’exhumer des pratiques cinéphiliques restées dans l’ombre. Des magazines spécialisés tels que Cinémonde, L’Écran français, Le Film complet, Le Film français, fourniront des indicateurs qualitatifs et quantitatifs sur le star-système et constitueront un instrument de mesure de la célébrité. Les revues reflètent les préférences de la rédaction pour un cinéma de « tradition de la qualité » et les acteurs formés au théâtre. Ils sont le véhicule d’une tradition nationale/d’un classicisme à la française. Mais ils assurent tout de même la promotion de la jeunesse à dominante masculine portée par Gérard Philipe. Nous tenterons de voir comment les représentations et les discours convergent pour créer une image singulière à l’époque considérée.

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Enfin dans une quatrième partie, nous terminerons par l’analyse du fait social incarnée par la star. Celle-ci existe en effet dans un monde indépendamment de ses apparitions fictives à l’écran et dans la presse76. Elles incarnent des valeurs sociales qui dans le cas de Gérard Philipe s’expriment sur le terrain charitable, politique et syndical. Il semble exister une certaine incohérence entre le fait d’être une star, vedette commerciale, et le fait d’être un artiste engagé. Aussi, l’implication de Gérard Philipe avec le Parti communiste français (PCF) et le Syndicat des acteurs (SFA) est peu traitée dans la presse populaire et spécialisée. Or, elle constitue un élément central dans son parcours professionnel et personnel. Sympathisant communiste, figure de proue du Mouvement de la Paix, Gérard Philipe est aussi fervent défenseur du droit des acteurs de cinéma et des comédiens de théâtre. Avec le TNP, il milite aussi ardemment pour la démocratisation culturelle des œuvres de patrimoine. Les engagements de Gérard Philipe à la ville le distinguent de ses contemporains qui comme beaucoup de célébrités ne s’engagent que prudemment dans la vie publique : mondanités, galas de charité, etc… L’objet de notre recherche ici est donc d’étudier le rôle social de Gérard Philipe sur le terrain syndical et politique, là où les autres jeunes premiers de sa génération sont absents.

76. R. Dyer, Le star-système hollywoodien…, op. cit. p. 15-28. 34

Illustration 1. Gérard Philipe (1946)

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PREMIERE PARTIE

PANORAMA DES ACTEURS DANS LE

STAR-SYSTEME EN FRANCE (1946-1958)

PATRIARCHES VS JEUNES PREMIERS

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La valeur symbolique et marchande de la star, sa place au box-office et les jugements du public (populaire et professionnel) justifient son importance dans le système industriel et commercial du cinéma et les rôles qui lui sont attribués77. Il est donc nécessaire de s’interroger sur la hiérarchie des acteurs dans le paysage cinématographique français. Pour ce faire, nous avons comptabilisé la présence des acteurs à trois niveaux : 1) nombre de films tournés 2) nombre de premiers rôles 3) nombre de films à plus de 2 millions d’entrées. Les résultats obtenus exigent de la prudence dans l’interprétation78. Nous aurons donc recours, par la suite, à une étude approfondie de la persona des acteurs, en nous référant au contexte historique et socioculturel. Notre démarche s’inspire de celles de Delphine Chedaleux, Thomas Pillard, Ginette Vincendeau, Noël Burch et Geneviève Sellier79, qui ont en commun une approche culturelle du cinéma et la prise en compte des rapports sociaux de sexe. Leurs analyses montrent une relative continuité avec le cinéma des années trente : surreprésentation des acteurs d’avant-guerre (Fernandel, Jean Gabin etc...), domination des valeurs traditionnelles et patriarcales. Néanmoins, Gérard Philipe détient une place singulière dans ce paysage cinématographique. Il réussit à incorporer et à transcender des stéréotypes de genre et de génération et parvient à rivaliser avec les acteurs d’expérience et d’âge mûr. De ce fait, il se distingue des acteurs de sa génération qui comme lui s’illustrent dans des rôles de jeune premier.

77. Laurent Creton, « L’acteur et le box-office : valeur, prix et spéculation dans le champ cinématographique », Vincent Amiel, Jacqueline Nacache, Geneviève Sellier et Christian Viviani (dir.), L’Acteur de cinéma : approches plurielles, Rennes, PUR, 2007, p. 159. 78. L. Creton, « Economie du cinéma et de l’audiovisuel : questions épistémologiques et nouvelles pistes de recherche », Odile Bäclher, Claude Murcia, et Francis Vanoye (dir.), Cinéma et audiovisuel. Nouvelles images, approches nouvelles, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 255-265. 79. D. Chedaleux, Jeunes premiers et jeunes premières…, op. cit. ; Thomas Pillard, Le Film noir français face aux bouleversements de la France d’après-guerre (1946-1960), Motte-Achard, Joseph K. 2014 ; G. Vincendeau, Les stars et le star-système…, op. cit. p. 75-98 ; N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre des sexes…, op. cit. 37

I. Étude quantitative et qualitative

Afin de dégager la spécificité de Gérard Philipe, nous avons répertorié les principaux noms des acteurs qui ont du succès de la Libération à la fin des années cinquante. Notre premier tableau (ci-après) fait ressortir le classement des acteurs ayant le plus tourné entre 1946 et 1958.

Tableau 1. Nombre de films par acteur

Acteurs Nombre de films

Raymond Buissière 48 Fernandel 43 Philippe Lemaire 41 Daniel Gélin 40 35 38 François Périer 38 Franck Villard 36 Jean Gabin 33 Jean Marais 33 Raymond Pellegrin 32 30 Gérard Philipe 26 Henri Vidal 26 Jean-Claude Pascal 24

Raymond Bussières, Fernandel, Philippe Lemaire forment le trio de tête avec plus de quarante films, soit une moyenne supérieure à trois films par an. Neuf acteurs tournent entre trente et quarante films sur la période. Gérard Philipe, Henri Vidal et Jean-Claude Pascal constituent la fin du peloton avec vingt-six et vingt-quatre films, soit une moyenne de deux films par an. Ce classement fait apparaître une disparité générationnelle. En effet les neuf acteurs d’âge mûr, déjà vedettes avant-guerre, sont présents dans le haut du tableau. Les six acteurs de la jeune génération ayant émergé à la Libération apparaissent en gras dans le tableau. A l’exception de Philippe Lemaire et

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Daniel Gélin, ils sont concentrés en fin de classement. Cette domination de l’ancienne génération est liée au contexte de l’après-Seconde Guerre mondiale, où tente de se restaurer l’identité masculine malmenée pendant l’Occupation. A la Libération, ce sont les acteurs d’avant-guerre qui incarnent cette reconstruction en véhiculant des valeurs traditionnelles et patriarcales. Ils dominent très largement les écrans, au détriment des femmes et des jeunes hommes80. Néanmoins cette surreprésentation des acteurs des années trente ne signifie pas qu’ils apparaissent toujours dans un premier rôle. En effet le second tableau (ci-après) présente une répartition plus égalitaire : huit jeunes contre sept acteurs d’âge mûr.

Tableau 2. Part des premiers rôles dans la filmographie des acteurs (en %)

Acteurs Part des premiers rôles

Gérard Philipe 95 Jean Gabin 94 Jean Richard 90 Fernandel 89 Jean Marais 89 Pierre Brasseur 88 Jean-Claude Pascal 85 Henri Vidal 80 Franck Villard 80 Philippe Lemaire 79 Raymond Pellegrin 73 Bernard Blier 73 François Périer 72 Daniel Gélin 72 Georges Marchal 71

L’emploi dans un premier rôle est un indice de popularité. Ce tableau met en lumière les acteurs régulièrement en tête d’affiche et dont le nom peut potentiellement suffire à faire le succès d’un film. Et cela permet de voir les acteurs les plus exigeants dans leur choix. Pour ce faire, nous avons quantifié la part de films tournés dans un

80. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre…, op. cit. 39

premier rôle sur le nombre total de films tournés entre 1946 et 1958. Le classement obtenu est très différent du premier. Par exemple, Gérard Philipe passe de la treizième à la première place, tandis que Philippe Lemaire et Daniel Gélin81 descendent de la quatrième à la treizième. Ces deux acteurs multiplient les genres, les films et les types de rôle, mais souvent dans des seconds rôles. Parmi les acteurs plus âgés, Raymond Buissière disparaît. Figure très populaire du cinéma des années quarante et cinquante, il s’illustre essentiellement dans des rôles secondaires. Il fait partie des « excentriques du cinéma français », selon Olivier Barrot et Raymond Chirat. En revanche, Fernandel et Jean Gabin sont des acteurs de premier plan, avec une popularité incontestée82. Ils sont déjà des « stars » avant-guerre et à la Libération leur nom continue à figurer en tête d’affiche. Ils ne sont jamais distribués dans un second rôle. Ainsi décrit, ce tableau fait émerger la singularité de Gérard Philipe qui se démarque des acteurs de sa génération. Chez lui la qualité prime sur la quantité. Depuis le succès du Diable au corps83, sa notoriété ne s’est jamais démentie et c’est sans doute ce qui lui permet d’être exigeant dans le choix de ses rôles. Gérard Philipe est aussi un comédien de théâtre reconnu. Les tournées avec le TNP en France et à l’étranger lui demandent une grande disponibilité, ce qui contraint l’acteur à tourner moins de films et, du fait de sa double carrière, il est fort probable qu’il privilégie les rôles de qualité84. L’infériorité numérique des premiers rôles pour Georges Marchal, Henri Vidal, Jean-Claude Pascal et Daniel Gélin est aussi due à la notoriété supérieure de leur partenaire (homme ou femme). Ainsi Georges Marchal est dominé par Pierre Fresnay (Au grand balcon, , 1949), Danièle Darrieux (Bethsabée, Léonide Moguy, 1947), [Dernier Amour (Jean Stelli, 1948) et Arletty (Gibier de potence, Paul Richebé, 1951)]. Henri Vidal est éclipsé par Michèle Morgan et (Fabiola, Alessandro Balsetti, 1948), Michèle Morgan [La Belle que voilà (Jean-Paul Le Chanois, 1949), L’Étrange Madame X (Jean Grémillon, 1950)], Danièle Delorme (La Jeune folle, Yves Allégret, 1952) et Jean Gabin (Le Port du désir, Edmond T. Gréville, 1955). Tandis que Daniel Gélin s’incline devant Jean Gabin (Martin

81. Voir la filmographie de Daniel Gélin après-guerre en annexe 1. 82. Olivier Barrot et Raymond Chirat, Les Excentriques du cinéma français (1929-1958), Paris, H. Veyrier, 1983, p. 154-155. 83. Nous détaillons cet élément plus loin (voir 2e Part. chap. 1). 84. Pour visualiser la densité des correspondances annuelles entre les tournages de films et les représentations au théâtre voir le tableau en annexe 4.

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Roumagnac, 1946, Georges Lampin), (L’Affaire Maurizius, , 1953), (En effeuillant la marguerite, Marc Allégret, 1956) et Michèle Morgan (Retour de manivelle, Denys de La Patellière, 1957). Enfin Jean- Claude Pascal ne peut rivaliser avec Pierre Fresnay (Un grand patron, Yves Ciampi, 1951), ni avec Danièle Darrieux (Le Salaire du péché, Denys de la Patellière, 1956). À contrario, la notoriété de Gérard Philipe est toujours égale (Michèle Morgan [Les Orgueilleux, Yves Allégret, 1953 ; Les Grandes Manœuvres, René Clair, 1955], Danièle Darrieux [Le Rouge et le Noir, Claude Autant-Lara, 1954]) ou supérieure à celle de ses partenaires. De plus, chacun des autres jeunes premiers a joué au moins dans un film avec l’une des stars masculines d’avant-guerre : Georges Marchal et Jean- Claude Pascal avec Pierre Fresnay, Henri Vidal et Daniel Gélin avec Jean Gabin. Ces associations peuvent être lues comme le parcours initiatique des acteurs de la jeune génération auprès d’un acteur consacré. Gérard Philipe n’a quant à lui jamais eu cette posture de dominé sur le plan générationnel. Il partage une fois l’affiche avec une vedette d’avant-guerre, Michel Simon, dans La Beauté du diable (René Clair, 1950). Mais la renommée de Gérard Philipe est déjà faite et son statut de star masculine dépasse alors celui de son aîné. Cependant, la place sur l’affiche ne garantit pas toujours le succès auprès du public. Le troisième tableau (ci-après) met en lumière le nombre de films, par acteur, ayant atteint ou dépassé les deux millions d’entrées.

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Tableau 3. Nombre de films dépassant les deux millions d’entrées par acteur

Acteurs Plus de deux millions d’entrées

Fernandel 37 Jean Gabin 20 16 Jean Marais 14 Bernard Blier 12 Pierre Brasseur 12 Pierre Fresnay 12 Eddie Constantine 11 Luis Mariano 11 Gérard Philipe 11 Louis Jouvet 10 Robert Lamoureux 10 Georges Marchal 9 François Périer 8 Tino Rossi 7 Jean Chevrier 6

Ce tableau montre la présence durable des acteurs dans la tranche des films dépassant les deux millions d’entrées. Le public étant un des éléments clefs du succès des films et des acteurs, il s’agit ici de tenir compte des goûts des spectateurs ordinaires de l’époque. Les classements précédents s’en trouvent encore bouleversés. Le règne des acteurs d’âge mûr est incontestable : Fernandel et Jean Gabin sont toujours en tête. Le tableau comporte douze acteurs d’avant-guerre ou de l’Occupation et trois issus de la jeune génération. Cette disparité générationnelle met en lumière le goût du public pour les figures de patriarche comme Fernandel, Jean Gabin ou Pierre Fresnay, dont l’image est étroitement associée à un genre85 : Fernandel et la comédie, Jean Gabin et le film de gangster, Pierre Fresnay et le biopic86. En revanche, la notoriété de Bourvil et de Bernard Blier s’est construite sur leur persona d’homme doux : figures non séduisantes,

85. L. Creton, « L’acteur et le box-office : valeur, prix et spéculation dans le champ cinématographique », op. cit. p. 164. 86. Pour une étude approfondie de la persona cinématographique de Pierre Fresnay lire Raphaëlle Moine, « Les « biopics » dans le cinéma français d’après-guerre : série masculine et féminine », G. Le Gras et G. Sellier (dir.), Cinémas et cinéphilies…, op. cit. p. 167-184. 42

ils n’en sont pas moins appréciés car sympathiques et sans capacité de nuisance87. La présence de Luis Mariano et Tino Rossi s’explique par leur emploi de chanteur de charme qui leur confère une grande popularité auprès du public féminin, toutes générations confondues88. Nous pouvons constater une fois de plus la singularité de Gérard Philipe qui est le mieux classé de la jeune génération et le seul à apparaître dans les trois classements. Comme Fernandel et Jean Gabin, Gérard Philipe est un acteur emblématique du film en costumes, genre très apprécié par le public. Ces films spectaculaires sont aussi le véhicule d’un patrimoine culturel prestigieux89. Dans les années 1950, la plupart des films dans la tranche supérieure du box-office sont bâtis autour d’une tête d’affiche masculine sur laquelle convergent les attentes et les regards. C’est plus rarement le cas pour les actrices. L’acteur est généralement associé à un genre et son seul nom suffit au spectateur pour identifier le film et le type de rôle90. Le succès moindre de Daniel Gélin, Georges Marchal, Henri Vidal et Jean-Claude Pascal, les pousse à s’essayer dans plusieurs genres. Mais cette diversité ne leur permet pas de créer une persona qui leur soit propre et reconnaissable de film en film. Pour un succès durable, celle-ci doit intégrer des éléments de continuité avec les rôles précédents91. Dans ses premiers succès, Gérard Philipe présente une figure d’amoureux romantique à destination du public féminin. Néanmoins, cette figure est progressivement enrichie par un trait contradictoire, le cynisme du séducteur qui vise aussi un public masculin92. Cette antinomie est en lien avec le contexte de l’après- guerre en France, avec des films marqués par une thématique de guerre des sexes où les femmes sont malfaisantes et les hommes victimes93. Gérard Philipe propose aussi des personnages de jeune homme exalté qui témoignent du conflit des générations.

87. G. Le Gras, « Bourvil, la construction d’une masculinité dans la comédie d’après-guerre : du comique paysan au Français moyen (1947-1958) », Séminaire sur La comédie depuis 1945 : approches gender, socioculturelles et historiques d’un genre populaire, organisé par Raphaëlle Moine (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3) et Geneviève Sellier (IUF – Université Bordeaux Montaigne 3), INHA, Paris, 19 avril 2013. 88. G. Sellier, « Le chérie des midinettes » : Luis Mariano dans le courrier des lecteurs de Cinémonde (1949-1956), Théorème, n°20, « Voyez comme on chante ! Films musicaux et cinéphilies populaires en France (1949-1958), 2014, p. 31-42. 89. Nous détaillons ces éléments plus loin (voir 2e Part.). 90. L. Creton, « L’acteur et le box-office : valeur, prix et spéculation dans le champ cinématographique », op. cit. p. 163. 91. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin… op. cit. p. 140. 92. Nous détaillons cet élément plus loin (voir 2e Part. chap. 3). 93. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre des sexes…, op. cit. 43

En conclusion, l’étude quantitative qui précède montre une relative continuité entre le cinéma des années trente et celui des années cinquante. Les acteurs d’âge mûr restent les plus employés et les premiers au box-office. Au fil des films, ces derniers ont développé une persona reconnue et aimée du public. Leur présence est donc un gage de succès. Pour Ginette Vincendeau, « le pouvoir économique des stars repose sur leur apport d’une part de garantie de familiarité pour le public et donc – en principe – de revenu de production94. » Ce rôle de garantie financière est formulé dans le sondage du Film français qui mesure la cote de valeur des acteurs à « la bourse artistique du cinéma français ». À travers les résultats de trois années d’exploitation (1952-1953, 1953-1954, 1954-1955), Jean Gabin, Fernandel et Gérard Philipe sont ceux qui rapportent le plus d’argent95. Ce dernier qui tourne peu mais dans des films de qualité se maintient durablement, au contraire de ses contemporains : Daniel Gélin, Jean-Claude Pascal, Henri Vidal et Georges Marchal ont une présence irrégulière en tête d’affiche et au box- office. Cette stabilité témoigne de la notoriété spécifique de Gérard Philipe et soulève une autre question : comment sa réputation influe-t-elle sur l’existence et la forme des films ?96 Avant de réaliser une analyse approfondie des films « de » Gérard Philipe, nous allons examiner la persona des acteurs vedettes d’avant-guerre et de l’Occupation, puis des jeunes premiers de l’après-guerre. Ce bref aperçu fera, par la suite, apparaître de manière significative la singularité de Gérard Philipe.

II. L’ancienne génération : toujours là

Les écrans de l’Occupation accordent une grande visibilité aux femmes et aux jeunes, tandis que les figures patriarcales sont stigmatisées97. Or, la Libération en France est marquée par le retour des figures masculines d’avant-guerre : Jean Gabin, Fernandel. Leurs figures vieillissantes n’en restent pas pour autant ancrées dans le passé. Elles sont représentatives d’une époque et de ses normes masculines. Les rôles qu’ils jouent après-guerre témoignent d’un conflit générationnel et genré, et ils illustrent les inquiétudes face à la modernisation de la France au cours des années cinquante.

94. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin…, op. cit. p. 133-133. 95. Le Film français, n°597-598 (spécial automne 1955), p. 53-56. 96. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin…, op. cit. p. 133-133. 97. D. Chedaleux, Jeunes premiers et jeunes premières…, op. cit. p. 38-40. 44

Nous tenterons de définir leur persona que nous illustrerons par l’étude d’un rôle à succès.

A. Jean Gabin

Dans les années trente, Jean Gabin (1904-1976) incarne le jeune premier prolétaire qui se bat contre une société hypocrite. « Il est à la fois l’homme du peuple et le héros tragique, l’homme fatal, surtout vis-à-vis de lui-même98. » Ses personnages sont victimes des forces bourgeoises et patriarcales. Ils connaissent pour la plupart une issue tragique : Paris-Béguin (Augusto Genina, 1931), Cœur de lilas (Anatole Litvak, 1931), Du haut en bas (Georges-Wilhelm Pabst, 1933), Zouzou (Marc Allégret, 1934), La Bandera (Julien Duvivier, 1935), Les Bas-fonds (, 1937), Pépé le Moko (Julien Duvivier, 1937), Gueule d’amour (Jean Grémillon, 1937), Quai des brumes (Marcel Carné, 1938), Le jour se lève (Marcel Carné, 1939), Remorques (Jean Grémillon, 1940). Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Jean Gabin refuse de tourner avec la Continental99 et s’exile aux États-Unis, où il tournera deux films : La Péniche de l’amour (Archie Mayo, 1942) et L’Imposteur (Julien Duvivier, 1943).

Illustration 2. Portrait Harcourt de Jean Gabin dans les années cinquante

98. G. Vincendeau, Les stars et le star-système…, op. cit. p. 75-77. 99. Société de production cinématographique française à capitaux allemands. Très active durant l’Occupation, elle produit une trentaine de films et disparaît à la Libération. 45

Après son exil aux États-Unis, souvent perçu comme un abandon, l’acteur a des difficultés à retrouver sa place. Il est sujet aux sarcasmes. On ironise sur sa liaison avec Marlène Dietrich ; on le perçoit comme un acteur vieillissant et une star sur le déclin100. Le succès revient avec Au-delà des grilles101 (, 1949), La Marie du port102 (Marcel Carné, 1949), La Vérité sur Bébé Donge103 (Henri Decoin, 1952) et La Minute de vérité104 (, 1952). Néanmoins, ces films ne réussissent pas à imposer une image valorisante de Jean Gabin105. Il incarne souvent un homme victime d’une femme : piégé par l’amour d’une serveuse (Au-delà des grilles), par l’ambition d’une jeune fille (La Marie du port), trompé par sa femme (La Minute de vérité) ou empoisonné par sa femme (La Vérité sur Bébé Donge). Dans la deuxième moitié des années cinquante, Jean Gabin incarne aussi la figure d’un patriarche séducteur dans French Cancan (Jean Renoir, 1955)106, Voici le temps des assassins (Julien Duvivier, 1956)107 ou En cas de malheur (Claude Autant-Lara, 1958)108. Il y tient le rôle d’un bourgeois d’âge mûr qui aide une jeune femme à sortir de la misère. Les femmes sont souvent condamnées pour leur vénalité : Danièle Delorme (Voici le temps des assassins), Brigitte Bardot (En cas de malheur). Dans ces films, Jean Gabin présente une masculinité bien différente de celle d’avant-guerre. Ses personnages n’affrontent plus la société bourgeoise mais une femme diabolique. Et selon Noël Burch et Geneviève Sellier, ces films forment « un véritable catalogue des peurs masculines telles qu’elles se focalisent à la Libération109 ». Ils font écho au contexte social où les hommes désirent restaurer leur identité et rétablir leur domination sur les femmes. Celles-ci doivent rester au foyer et se soumettre à leur autorité.

100. T. Pillard, Le Film noir…, op. cit. p. 261-262. 101. 2 millions d’entrées (les chiffres d’entrées cumulées ont été arrondis à la centaine de milliers, à partir des données de Simon Simsi, Ciné-Passion. 7e art et industrie de 1945 à nos jours, Paris, Dixit, 2000). 102. 2,7 millions d’entrées. 103. 1,2 million d’entrées. 104 3,1 millions d’entrées. 105. A Brassart, Les Jeunes premiers… op. cit. p. 24. 106. 4 millions d’entrées. 107. 3,1 millions d’entrées. 108. 3,1 millions d’entrées. 109. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre des sexes…, op. cit. p. 251. 46

Illustration 3. Affiche du film Touchez pas au Grisbi

Mais c’est avec deux films d’amitié virile et de malfrats en bande que l’acteur retrouve sa popularité d’avant-guerre. Touchez pas au grisbi (Jacques Becker, 1953)110 et Razzia sur la chnouf (Jacques Becker, 1955)111 sont construits sur une distribution masculine. Ils transposent à l’écran le désir des hommes de réaffirmer leur suprématie malmenée pendant l’Occupation112. Les femmes qui servent de faire-valoir aux personnages masculins, sont naïves ou méchantes. Touchez pas au grisbi raconte une amitié indéfectible entre deux vieux truands Max (Jean Gabin) et Riton. Les deux hommes ont fait un dernier casse d’importance, dans le but de prendre une retraite bien méritée. Riton se confie à sa jeune maîtresse qui s’empresse de révéler le secret à un autre caïd. Ce dernier kidnappe Riton et fait chanter Max en lui proposant d’échanger le butin contre son ami. Dans ce film Jean Gabin propose une masculinité traditionnelle, « une assurance tranquille et une autorité indulgente qui sont une véritable réhabilitation du patriarcat113 ». Son attitude s’oppose au comportement maladroit et infantile de Riton. Pour Ginette Vincendeau, c’est donc grâce au film policier que Jean Gabin renouvelle son image :

110. 4,7 millions d’entrées. 111. 2,9 millions d’entrées. 112. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre des sexes…, op. cit. p. 251. 113. Ibid. 47

L’image de Gabin post Grisbi est associée au goût pour l’argent et aux rôles de gangster plutôt qu’à la dimension sociale du monde criminel ou à sa rédemption comme dans ses rôles d’avant-guerre, faisant ainsi écho à l’évolution de la société et des mentalités françaises. Le Gabin d’avant-guerre était profondément ancré dans la communauté des classes laborieuses […] ses personnages d’après-guerre sont devenus des criminels de carrière qui fréquentent les boîtes de nuit de luxe et habitent des appartements élégants, boivent du champagne et conduisent des voitures américaines114.

À travers la figure de Jean Gabin dans Touchez pas au grisbi, Thomas Pillard analyse les négociations identitaires qui se jouent entre un héritage français voué à disparaître et l’américanisation progressive de la société. Au milieu des années 1950, les Français sont confrontés à « une modernité idéalisée venue des Etats-Unis, ce mode de vie reste largement inaccessible pour la quasi-totalité de la population115 ». L’American way of life attise l’inquiétude sur la perte d’une identité française au profit d’une américanisation de la société. La figure de Jean Gabin/Max résume bien le heurt entre les deux cultures. Il possède un second appartement, neuf, vaste, luxueux et suréquipé, où il ne passe que très peu de temps. Selon Thomas Pillard, ce logement ressemble aux publicités des magazines féminins des années cinquante, mais ne correspond pas à la réalité des Français116 : au même moment, la crise du logement est à son apogée en France117. Cependant, le dîner que Max partage chaleureusement avec Riton – pain, foie gras et vin blanc – rappelle un élément clef de la persona de Jean Gabin : « son image de bon vivant attaché à la cuisine du terroir118 ». Cette scène agit comme une revendication nationale. La voiture de Max constitue un autre indice de collision culturelle. Il conduit une Vedette, automobile de conception américaine produite en France. Ce véhicule qui est un modèle haut de gamme dans la France d’après-guerre119, agit comme le témoin du renouveau économique et industriel du pays. Dans les années cinquante, la France est le deuxième constructeur automobile en Europe120. Pour Thomas Pillard,

114. Ibid. p. 90. 115. T. Pillard, Le Film noir…, op. cit. p. 311. 116. Ibid. p. 313. 117. Pascal Goestchel et Bénédicte Toucheboeuf, La IVe République. La France de la Libération à 1958, Paris, Librairie Générale Française, 2004, p. 271. 118. Ibid. p. 312. 119. Pour plus d’information voir Louis-Henri Boyer, La Grande histoire de l’automobile française, Paris, Solar, 1998, p. 67. 120. Ibid. p. 227. 48

Max incarne donc « le fantasme d’une amélioration de vie significative des conditions de vie en France, ainsi qu’une domestication française du mode de vie américain ». Selon Thomas Pillard, le personnage de Jean Gabin « intègre des traits positifs du mode vie américain (luxe, confort, hygiène) sans pour autant perdre ce qui fait la spécificité de son identité (masculine et populaire)121 ».

Illustration 4. Photogrammes du film

Touchez pas au grisbi exprime aussi des tensions genrées qui sont liées à l’évolution de la société française d’après-guerre. Thomas Pillard décrit des films à la « gloire des hommes entre eux », basés sur la création d’un univers homosocial et sur la valorisation de « familles » masculines impliquées dans des luttes armées122 ». Les personnages masculins visent à restaurer une identité virile malmenée, mais ces derniers apparaissent « souvent à la limite de la léthargie123 ». Max est un truand vieillissant et fatigué. Il manifeste à plusieurs reprises son désir de retraite. Il est aussi mis en échec lorsqu’il se fait dérober le butin de son dernier casse. Pour Thomas Pillard cette dualité est une habile manière de « réaffirmer la suprématie de la puissance patriarcale, tout en évoquant le traumatisme d’une génération d’hommes marqués à jamais par la guerre et l’Occupation124 ». Dans ces films, la prestation de l’acteur est l’occasion de prendre la mesure de ce qui a changé. En effet, la nouvelle prospérité de la France engendre des inégalités :

121. T. Pillard, Le Film noir…, op. cit. p. 312. 122. Ibid. p. 318. 123. Ibid. 124. Ibid. 49

exode rural, urbanisation et crise du logement, montée des classes moyennes au détriment des ouvriers et des paysans, consommation de masse et civilisation des loisirs pour une minorité. Jean Gabin incarne une réussite sociale et un goût pour l’Amérique, cependant son identité française et populaire est toujours revendiquée. Ainsi résumée, la seconde carrière de Jean Gabin montre que les rôles et la performance de l’acteur participent à la diffusion de valeurs nationales et patriarcales en réaction aux bouleversements sociaux d’après-guerre.

B. Fernandel

Fernandel (1903-1971) est une autre grande star française à la popularité exceptionnelle. Mais contrairement à Jean Gabin, il ne connaît pas de « tunnel ». Il devient vedette en 1932 avec Le Rosier de Madame Husson (Dominique Bernard- Deschamps, 1931), puis connaît un premier apogée de carrière entre 1936 et 1939. Il tourne dix-sept films sous l’Occupation. Mais c’est avec Le Petit monde de Don Camillo (Julien Duvivier, 1951)125 qu’il inaugure sa deuxième grande période au tournant des années cinquante. Après la guerre, Fernandel apparait tous les ans dans le « Top 20 » du box-office : un film en 1948, deux en 1949, 1950 et 1951, quatre en 1952, un en 1953, quatre en 1954, un en 1955, deux en 1956, trois en 1957, un en 1958126. Le succès de l’acteur auprès du public français est donc constant127. La continuité de sa carrière et de sa popularité, entre l’avant-guerre et l’après-guerre, est « inhabituelle » chez un acteur. Fernandel est avant tout un acteur comique. Ses traits « hors-normes » sont exagérés par des mimiques et des accessoires. Ginette Vincendeau le décrit de la manière suivante :

125. 2,5 millions d’entrées : c’est le plus gros succès public de l’année en France. 126. G. Vincendeau, « De l’innocent du village à Monsieur tout le monde », D. Chedaleux et G. Le Gras (dir.) Genres et acteurs du cinéma français (1930-1960), Rennes, PUR, 2012, p. 134. 127. En revanche, Fernandel ne retient pas l’attention des critiques, sauf les adaptations de . Sa popularité reste cantonnée à la France et l’Italie. Car à l’exception des co-productions franco- italiennes, ses films s’exportent peu. 50

Son visage long et mince, aux lèvres charnues, est souvent surmonté de calots ou képis, ou de bonnets informes ou ridicules. Ses cheveux noirs sont exagérément gominés […] ou bien hirsutes, des mouvements saccadés ou éternuements faisant voler sa frange. Ses yeux noirs s’arrondissent exorbités, ou au contraire se ferment à moitié, bouche béante pour signifier l’abrutissement ou l’ivresse. Mais le trait le plus « fernandelien », celui qui est reproduit par toutes les caricatures c’est bien entendu son rire. Au moindre prétexte, sa bouche découvre des dents immenses jusqu’en haut des gencives128.

Les portraits Harcourt et les affiches exploitent la persona comique et soulignent les singularités physiques de l’acteur.

Illustration 5. Portrait Harcourt de Fernandel dans les années cinquante

128. G. Vincendeau, « De l’innocent du village à Monsieur tout le monde », op. cit. p. 138. 51

Illustration 6. Affiche du film Le Printemps, l’automne et l’amour

Le burlesque envahit tout son corps : « moulinets de bras, chute, glissement, mouvements saccadés, courses désordonnées, dos voûté, jambes écartées129 ». Et sa voix est un instrument de jeu comique. En effet son accent connoté comme marseillais, n’en est pas moins modulé par des variations de ton, de vocabulaire, des raclements de gorge, des excès de colère ou de jovialité. Quels que soient ses registres d’interprétation, Fernandel mélange le parler et le rire. Pour Ginette Vincendeau, le génie de son jeu est donc d’associer excès physique et maîtrise du verbe130. Depuis ses débuts, l’acteur exploite son physique à des fins comiques. Il décline différents types du benêt, innocent ou idiot du village, victime des classes supérieures. Ainsi pour Richard Kuisel, la popularité de Fernandel réside aussi dans l’identité régionale et sociale qu’il incarne, associée à un « conservatisme culturel131 » à une époque de mutations sociales et économiques. Son identité méridionale est recyclée dans ses films par des titres évocateurs (Honoré de Marseille [Maurice Régamey, 1957], Le Boulanger de Valorgne [, 1953], Sous le soleil de Provence [Mario Soldati, 1957]) et les scènes tournées en extérieur permettent aux spectateurs d’admirer les villes et villages du Midi (Le Fruit défendu [Henri Verneuil, 1952], Le Petit monde de Don Camillo [Julien Duvivier, 1952], Le Printemps, l’automne et l’amour [, 1955]). Mais ses rôles ont également une dimension sociale. Il incarne des gens modestes, dominés, opprimés mais qui triomphent malgré leur

129. Ibid. p. 140. 130. G. Vincendeau, « De l’innocent du village à Monsieur tout le monde », op. cit. p. 140. 131. Ibid. p. 135, citant Raymond Kuisel, « The Fernandel Factor : The Rivalry between the French and American Cinema in the 1950s », Yale French Studies, n°98, 2000, p. 127. 52

handicap social. Pour Régis Dubois, « fort ordinaires, ni riches ni doués, ni brillants ni célèbres […] ces petits prennent à la fin leur revanche sur la vie, et en dernière instance, sur les puissants132 ». Fernandel propose des héros faibles, maladroits et incompétents. Ses gestes désordonnés et l’exhibition de ses émotions (peur, chagrin, joie etc…) indiquent le manque de contrôle de son corps. De ce fait, il transgresse les normes de virilité traditionnelle et patriarcale. Son jeu se moque de la masculinité héroïque jusqu’à adopter un comportement infantile ou « féminin ». Néanmoins, les films d’après-guerre le présentent aussi dans des rôles d’homme mûr empreints de misogynie. De cette manière, Fernandel se conforme « au retour de bâton133 » contre les femmes dans la France d’après-guerre. Dans les films de Fernandel après-guerre, les femmes sont 1) absentes du récit (Le Petit monde de Don Camillo) 2) légères et succombant à ses charmes (Coiffeur pour dames [Jean Boyer, 1952], Sénéchal [Jean Boyer, 1957], Le Couturier de ces dames [Jean Boyer, 1956]) 3) castratrices (Boniface le somnambule [Maurice Labro, 1951], L’Homme à l’imperméable [Julien Duvivier, 1957])134. L’acteur propose également des figures paternelles, protectrices ou séductrices vis-à-vis d’une jeune femme, sur un mode comique (Le Boulanger de Valorgue) ou sur un mode dramatique (Le Fruit défendu, Sous le soleil de Provence).

132. G. Vincendeau, « De l’innocent du village à Monsieur tout le monde », op. cit. p. 149, citant Régis Dubois, « Bienvenu chez les prolos : le cinéma populaire français et la lutte des classes », Contretemps ; nouvelle série, n°2, mais 2009 [http://lesensdesimages.com/2014/01/03/bienvenue-chez-les-prolos-le-cinema-populaire- francais-et-la-lutte-des-classes/]. 133. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre des sexes…, op. cit. p. 245-270. 134. G. Vincendeau, « De l’innocent du village à Monsieur tout le monde », op. cit. p. 145-147. 53

Illustration 7. Affiche du film Le Petit monde de Don Camillo

Le Petit monde de Don Camillo (Julien Duvivier, 1951), nous paraît un film intéressant sur plusieurs points : 1) c’est le plus gros succès public en France pour l’année 1952135 2) comédie, c’est le genre majeur dans la filmographie de Fernandel 3) il concentre toutes les caractéristiques de la persona de Fernandel 4) c’est une mise en abyme de la star 5) il exprime les bouleversements socioculturels et genrés de la fin des années cinquante. Le film se déroule dans un petit village (non nommé) dans la vallée du Pô en Italie. L’endroit est décrit favorablement :

Voici le village, voici notre petit monde quelque part en haut de l’Italie entre la mer et la montagne. L’hiver, c’est le royaume des eaux, et l’été, c’est l’empire du soleil. Il tape sur les crânes, il exaspère les passions. Mais sous sa grande lumière, les plus graves conflits gardent un air de gentillesse et parfois de comédie. On s’en veut, on se bat, mais on reste des hommes. Et il se passe ici des choses qui ne se passent nulle part ailleurs136.

À la fin du printemps de 1946, le village a voté pour élire le conseil municipal, « le parti noir contre le parti rouge ». Les communistes ont remporté la majorité. Fernandel y incarne Don Camillo, le curé du village. Il est à première vue le porte- parole des plus riches, croyants et pratiquants. Il véhicule des valeurs traditionnelles et patriarcales. Don Camillo est opposé au nouveau maire communiste, Pépone. Ce dernier

135. Le film totalise 12,8 millions d’entrées devant Violettes impériales (Richard Pottier, 8,1 millions d’entrées) et Fanfan la Tulipe (Christian-Jaque, 6, 7 millions d’entrées). 136. Premières paroles du film récitées en voix-off par Jean-Debucourt. Un panoramique latéral droit, cadré en plongé et en plan large, révèle le paysage. 54

est le porte-parole des plus pauvres, ouvriers agricoles exploités par les grands propriétaires. Il véhicule des valeurs progressistes. Leur opposition figure le tandem comique d’une comédie de mœurs permettant la confrontation de types sociaux et psychologiques. Le Petit monde de Don Camillo présente une image stéréotypée du sud : une couche populaire, ouvrière et illettrée face à une bourgeoisie, cultivée et dominatrice. Cette dualité, récurrente dans les films de Fernandel, assure un ancrage générique et national137. Don Camillo et Pépone désirent le bien du village mais ne s’accordent pas sur la manière. Le film est donc une succession de querelles construites sur des effets comiques, à l’instar d’une scène dans l’Église sur le second nom de baptême du fils de Pépone : « Lénine ». Les deux hommes se retirent dans la salle des cloches pour s’expliquer. Chacun retire sa veste, son chapeau et remonte ses manches. Ils se fusillent du regard et saisissent les cordes qui servent à sonner les cloches. Qui sera le plus fort et le plus endurant ? Par la suite, la caméra montre deux ouvriers dans un champ. Ceux-ci écoutent le son incohérent des cloches, en cherchant l’heure qu’il est. Mais sans trouver la réponse satisfaisante, ils haussent les épaules et reprennent le travail. La séquence se termine par un plan présentant Don Camillo et Pépone épuisés. Essoufflés et en sueur, les deux se serrent la main, personne n’est vainqueur. Le Petit monde de Don Camillo présente Fernandel sous une persona contradictoire. Premièrement, il prône la non-violence mais n’hésite pas à saisir le fusil ou utiliser ses poings pour se donner raison. Deuxièmement, des scènes le présentent calme, lisant son journal, éclairé par la lueur d’une lampe à pétrole. Le cigare et les lunettes posées sur le bout du nez accentuent son sérieux. Ces images contrastent avec celles du personnage, nerveux, incapable de décision et gesticulant dans la nef de l’Église. Troisièmement, Fernandel oscille entre le masculin et le féminin. Don Camillo est un homme sensible et émotif (il peut pleurer de joie). Ces caractéristiques connotées comme féminines sont renforcées par l’habit de curé qu’il porte tout au long du film : une ample robe noire. Mais Don Camilo est aussi doté d’une force physique dont il n’a pas conscience. Citons la scène de bagarre sur la place du village où Don Camillo chevauche gaiement son vélo de course. Le contraste entre la taille de l’appareil et la carrure de Fernandel est flagrant. Et de jeunes communistes, venus de la ville pour soutenir la grève des ouvriers du village, ne manquent pas de remarquer cette hilarante

137. Raphaëlle Moine, Les genres du cinéma, Paris, Nathan, 2002, p. 108-109. 55

situation. Le « curé de course » déclenche donc une raillerie générale qui le met en colère. Avec naturel et sans difficulté, Don Camillo assomme les quinze jeunes hommes. De cette manière, la scène sous-entend aussi que le curé, qui pourrait être leur père, leur inflige une sévère correction. Quatrièmement, malgré des réactions infantiles et violentes, Don Camillo est un patriarche bienveillant qui va défendre l’histoire d’amour de Gina et Marcelino. Depuis des générations, leurs familles s’opposent pour des raisons d’identité de classe, de religion et de politique. La jeune femme est riche et fidèle à L’Église. Le jeune homme est pauvre et communiste.

Illustration 8. Photogrammes du Petit monde de Don Camillo

Dans Le Petit monde de Don Camillo Fernandel nous présente un personnage incompatible avec la modernité. Grâce à son jeu (mimiques faciales, gaucherie, candeur), l’acteur tourne en dérision la jeunesse et la ville, toutes les deux associées à cette modernité. L’absence de personnage féminin fort témoigne aussi des inquiétudes masculines face à l’émancipation des femmes. Fernandel symbolise un refuge face à la modernité « féminine ». Pour Thomas Pillard, l’acteur « incarne en raison de ses origines méridionales et de sa personnalité, un mode de vie intensément traditionnel, à rebours des mutations technologiques138 ». Le milieu des années cinquante est, en effet, marqué par le redressement économique, l’inauguration d’une période de forte croissance, la montée du pouvoir d’achat et de la consommation, le développement accéléré de la mobilité, l’essor des banlieues résidentielles et la transformation des habitats sous l’effet de la modernisation et de la féminisation de la société139. À la toute fin du film, le village se réunit lors d’une fête foraine. Don Camillo passe devant une attraction, un jeune homme est en train de tirer des balles dans de

138. Ibid. p. 206. 139. T. Pillard, Le Film noir…, op. cit. p. 204-205. 56

grosses têtes de plâtre. Chacune représente un type social important policier, maire, curé, etc… Celle de l’homme d’Église n’est autre que la mise en abyme de Fernandel, reconnaissable par les traits de son visage : grands yeux, long nez, lèvres charnues. L’emploi de gros plans alternés sur l’objet et l’acteur – qui découvre la farce – accentue le comique de situation. Le visage de Fernandel est, de ce fait, utilisé comme un élément burlesque, un masque emblématique qui fusionne avec le décor. Ainsi résumée, la notoriété de Fernandel semble venir à la fois de sa persona comique, et de son identité masculine, régionale et sociale. Il est l’incarnation d’un monde rural voué à disparaître, il témoigne également du rejet des élites et de leur mode de vie. Ces traits ordinaires associés à un jeu outrancier et comique, quel que soit le genre cinématographique, favorisent l’adhésion d’un large public. Mais si le jeu de Fernandel tourne gentiment en dérision la masculinité traditionnelle, la trajectoire de ses personnages réhabilite l’autorité patriarcale. À l’exemple de Jean Gabin, il témoigne des inquiétudes face à la modernité et à l’émancipation des femmes. Et comme lui, son image légitime le maintien de la domination masculine. Après la Seconde Guerre mondiale (1946-1958), Jean Gabin et Fernandel restent donc des vedettes largement plébiscitées par la profession et par le public. Ils proposent des persona cinématographiques très différentes : richissime patriarche et séducteur pour Jean Gabin, idiot du village et modeste provincial pour Fernandel. Néanmoins, leurs personnages ont en commun la réhabilitation des valeurs traditionnelles et patriarcales. Dans le contexte de l’après-guerre où les hommes sortent humiliés du conflit, leur persona fait écho au désir de restauration de l’identité masculine et nationale. Comme le suggèrent les représentations filmiques, l’effacement des humiliations de l’Occupation passe par la restauration de la virilité, la répression de l’émancipation des femmes et la condamnation de leur sexualité. Mais la persona des deux acteurs témoigne aussi du désir d’idéaliser le patriarcat pour en faire une figure régénératrice de la nation française.

57

III. Jeunes premiers : nouvelles figures d’hommes

Georges Marchal, Henri Vidal, Daniel Gélin et Jean-Claude Pascal émergent à la Libération à la faveur d’un changement des représentations. Ils proposent des figures de jeunes premiers romantiques et séducteurs, qui entrent en résonance avec les normes genrées dominantes dans la société et le star-système français – où les acteurs prestigieux des années trente reprennent la main, au détriment des actrices, assignées à des rôles de garce ou à des personnages secondaires. Nous tenterons de définir leur persona à travers l’analyse de deux rôles : celui qui les a imposés comme jeune premier à la Libération et leur plus gros succès140 sur la décennie.

A. Georges Marchal

Illustration 9. Portrait Harcourt de Georges Marchal à la Libération

Georges Marchal (1920-1997) débute sous l’Occupation avec quelques rôles secondaires, avant d’être repéré dans Lumière d’été (Jean Grémillon, 1942). Il y incarne un héros positif : un jeune ingénieur qui sauve une femme en détresse des griffes de son amant. La presse le remarque, à l’instar de Simone Lavorel qui écrit dans Filmagazine :

140. Pour Georges Marchal et Jean-Claude Pascal des contraintes de visionnage ne nous ont pas permis d’accéder à leur plus gros succès. Nous avons donc choisi de nous concentrer sur une autre grande réussite qui, dans les deux cas, reste caractéristique de leur persona. 58

C’est un homme… Le scénario fait de lui un personnage sympathique, celui avec qui l’on suit l’histoire, le garçon sain, équilibré, décidé, capable d’imposer sa force et sa foi, d’arracher à un milieu taré celle qui mérite avec lui une évasion difficile… On retrouve, au barrage, dans le fracas des explosions, le va-et-vient des machines, le jeune chef en tenue de travail, tel un dieu dans son univers créateur141.

Ce film l’impose comme jeune premier idéal. Dans l’immédiat après-guerre, Georges Marchal est, de fait, propulsé en tête d’affiche142. Il connaît ses premiers grands succès dans des aventures exotiques (Torrents [Serge de Poligny, 1946]143, Bethsabée [Léonide Moguy, 1947]144) et dans des rôles de militaire (Les Démons de l’aube [Yves Allégret, 1946]145, Bethsabée).

Illustration 10. Affiche du film Les Démons de l’aube

Ces figures masculines font écho à la carrière militaire de Georges Marchal, membre des anciens Commandos de France146 durant la Seconde Guerre mondiale, comme dans Les Démons de l’aube, où il joue un prisonnier de guerre fraîchement libéré. Trahi par sa femme qui a dénoncé un de ses compagnons aux Allemands, il rejoint le bataillon de la France libre à Alger. Il mourra avec ses camarades en

141. P. Cadars, Les Séducteurs du cinéma français (1928-1958), Paris, Henri Veyrier, 1982, p. 130, citant Simone Lavorel, Filmagazine, 8 juin 1944. 142. Voir la filmographie de Georges Marchal après-guerre en annexe 1. 143. 3,9 millions d’entrées. 144. 3,5 millions d’entrées. 145. 2,4 millions d’entrées. 146. Maja Destrem, Les commandos de France - Les volontaires au béret bleu : 1944-1945, Paris, Fayard, 1982 59

détruisant un canon ennemi sur les hauteurs de Toulon. Pour Delphine Chedaleux, ce film empreint de misogynie « renvoie à la culpabilité de la collaboration des femmes et glorifie l’héroïsme des hommes147. » Par la suite, la carrière de George Marchal est d’un grand éclectisme mais ses films ont tous en commun de restaurer une virilité héroïque. Il est souvent victime de femmes castratrices et malfaisantes, mais il parvient toujours à se dégager de leur emprise. Il est un spécialiste français du péplum (Les Derniers Jours de Pompéi [Marcel L’Herbier, 1950]148, Messaline [, 1951]149) et du film de cape et d’épée (Les Trois Mousquetaires, [André Hunnebelle, 1953]150 et Le Vicomte de Bragelonne [Fernando Cerchio, 1954]151). Mais il s’illustre aussi dans des films d’hommes en bande (Au grand balcon [Henri Decoin, 1949]152). Il joue également dans des mélodrames et des comédies (Dernier amour [Jean Stelli, 1949]153, La Voyageuse inattendue [Jean Stelli, 1949]154, Le Plus joli péché du monde [Gilles Grangier, 1951]155, Douze heures de bonheur [Gille Grangier, 1952]156) qui rencontrent un succès moindre. Si dans tous les films cités l’acteur est une figure de jeune premier, à la moitié des années cinquante, Luis Buñuel lui propose un autre type d’emploi. Dans Cela s’appelle l’aurore (1955)157 et Mort en ce jardin (1956)158, Georges Marchal n’est plus un « beau gosse macho », mais un médecin progressiste et un aventurier. Le succès public n’est cependant pas au rendez-vous. Dans les films de cape et d’épée, Georges Marchal présente aussi une masculinité héroïque et conquérante. Cependant sa virilité est relativisée par les personnages féminins qui l’entourent.

147. D. Chedaleux, Jeunes premiers et jeunes premières…, op. cit. p.232. 148. 2,1 millions d’entrées. 149. 2,4 millions d’entrées. 150. 5,3 millions d’entrées. 151. 2,4 millions d’entrées. 152. 2,9 millions d’entrées. 153. 1,8 million d’entrées. 154. 1,9 million d’entrées. 155. 1,8 million d’entrées. 156. 740 000 entrées. 157. 1,1 million d’entrées. 158. 1,5 million d’entrées. 60

Illustration 11. Affiche du film Les Trois Mousquetaires

Dans Les Trois Mousquetaires, il incarne d’Artagnan, un jeune Gascon qui monte à Paris pour trouver le grade, la gloire et la fortune. Promu cadet, il devient Mousquetaire du roi Louis XIII après avoir remporté un duel face aux soldats du . Il est, par la suite, investi d’une mission secrète. L’épouse du roi, Anne d’Autriche, le charge de récupérer les bijoux qu’elle a donnés à son amant, le duc de Buckingham, en souvenir de leur liaison. Le souverain a en effet exigé qu’elle les porte au prochain bal de la Cour. Dans son aventure, D’Artagnan est accompagné de son serviteur Planchet (Bourvil), puis des trois Mousquetaires, Aramis, Athos, et Porthos. Dans Les Trois Mousquetaires, D’Artagnan est présenté comme un homme impulsif et son manque de maîtrise dans ses émotions lui vaut d’être assommé à plusieurs reprises. Les scènes de soin le montrent passif, le corps allongé et objet de désir pour les spectateurs et spectatrices. Il apparaît dans des poses langoureuses et le torse dénudé. Mais il possède aussi des qualités viriles : le courage, la bravoure, le maniement des armes et le charme du séducteur. Car si D’Artagnan est lié à Constance, la nièce de son logeur, il aime enchaîner les liaisons d’une nuit. Au petit matin, il ne présente aucun scrupule et il s’affiche fièrement devant ses camarades qui le félicitent. Constance n’est pas dupe, et pourtant, elle ne le condamne pas, mais se contente de gentilles taquineries. Ces différentes réactions, des personnages masculins et féminins, légitiment le comportement volage de D’Artagnan et, par conséquent, celui de l’homme. 61

Néanmoins, la virilité de D’Artagnan est contrebalancée par le personnage de Planchet. Ce dernier est un homme d’esprit, naïf, maladroit et peu séduisant. La majorité des scènes du film associe D’Artagnan et Planchet, les plaçant sur un pied d’égalité. Ils agissent dans les mêmes espaces, bénéficient du même temps d’apparition à l’écran et du même type de cadrage. Lors des bagarres les héros viennent chacun à bout de leurs ennemis, mais de manière différente. D’Artagnan se déplace dans toute la pièce et manie habilement l’épée. Il provoque par le verbe ses adversaires. Planchet se terre dans un coin, il lance des assiettes, des bouteilles ou des tartes. Il peut aussi attendre derrière une porte et assommer les soldats à l’aide d’une poêle. Si celui-ci parle beaucoup, il le fait différemment de D’Artagnan, en s’adressant à lui-même pour se donner confiance. Planchet, incarné par Bourvil, est le pendant comique de D’Artagnan. Il vise à amoindrir le modèle de virilité personnifié par Georges Marchal. Dans les années cinquante, Bourvil incarne un refus de virilité en imposant une dimension comique féminine. Il montre une silhouette souple qui se dandine, mais à l’allure hésitante et révèle son manque d’assurance. Il ne sait que faire de ses mains, joue peu de sa force physique et développe avec sa voix une musicalité qui lui est propre. Cette image masculine mal définie contraste avec la masculinité traditionnelle reposant sur le contrôle du corps159. Après la Seconde Guerre mondiale, Georges Marchal abandonne donc son image d’amoureux romantique qui aide les femmes (Lumière d’été). Il s’illustre dans des films teintés de misogynie. Et les personnages qu’il incarne expriment, dans des registres divers, le malaise existentiel des hommes après-guerre. Néanmoins, l’érotisation par la mise en scène, qui le construit comme un objet du regard et du désir, cible un public féminin. Cette objectivation est comparable à celle de Jean Marais160, et caractérise aussi Henri Vidal.

159. G. Le Gras « La construction d’une masculinité dans la comédie d’après-guerre. Du comique paysan au Français moyen », intervention dans le cadre du séminaire « Genre et Gender », co-organisé par Raphaëlle Moine et Geneviève Sellier, à l’INHA, le 13 avril 2013 160. D. Chedaleux, Jeunes premiers et jeunes premières…, op. cit. p. 189-220. 62

B. Henri Vidal

Illustration 12. Portrait Harcourt d’Henri Vidal dans les années cinquante

Les débuts d’Henri Vidal (1919-1959) coïncident avec ceux de Georges Marchal, en 1941 sous la caméra de Georges Lacombe dans Montmartre sur Seine. Suivent Port d’attache (Jean Chou, 1942) et L’Ange de la nuit (André Berthomieu, 1944). Après ces trois films, Henri Vidal est décrit comme :

Un spécimen de la beauté masculine. Son corps est celui d’un Apollon. Son visage est celui d’un jeune dieu. Etonnamment viril et pourtant très doux, un rien de sensuel parce qu’il est l’image même de la vie. Des yeux clairs très clairs et très beaux. Des cheveux noirs sur un front droit et pur, des sourcils épais et une bouche gourmande, un menton solide et le tout musclé finement comme un pur-sang161.

Jean Vietti souligne la perfection physique de l’acteur. Il fait deux fois référence au divin, emploie les champs lexicaux de la beauté et de la force, et utilise abondamment les superlatifs pour décrire chaque partie de son corps. Elu Apollon de la Côte-d’Azur162, il aura bien du mal à sortir de cette image de « pin-up boy ».

161. P. Cadars, Les Séducteurs…, op. cit. p. 140, citant Jean Vietti, Film magazine, 23 novembre 1944. 162. Jenny Rosane, « L’Étrange destin d’Henri Vidal », Cinémonde, n°633, 7 septembre 1946, p. 7. 63

Illustration 13. Affiche du film Fabiola

Son premier grand rôle à la Libération163 est celui du gladiateur Rhual dans Fabiola (Alessandro Basetti, 1948)164. Le film qui relate les amours interdits entre une patricienne romaine (Michèle Morgan) et un jeune gladiateur, est fortement marqué par l’érotisation du corps d’Henri Vidal. L’alternance de plans sur ses muscles en effort ou en souffrance, les éclairages très contrastés et les costumes très légers le construisent comme un objet de désir. Cette fétichisation l’impose comme jeune premier idéal et marque les esprits. Si bien que par la suite, « journalistes, scénaristes, producteurs et metteurs en scène continuent de le voir sous l’aspect du gladiateur Rhual, en homme éclatant de santé… il leur semble impossible que l’écran reflète autre chose qu’un sculptural gaillard bien portant165 ». Henri Vidal n’aura de cesse de se démarquer de cette image qui freine sa carrière. Sur le tournage, Henri Vidal rencontre sa future épouse Michèle Morgan. L’actrice est une des plus grandes stars féminines du cinéma français, découverte avant la Seconde Guerre mondiale avec Gribouille (Marc Allégret, 1935) et consacrée avec Quai des brumes (Marcel Carné 1938). Le couple tournera deux autres films ensemble : La Belle que voilà (Jean-Paul Le Chanois, 1949)166 et L’Étrange Madame X (Jean

163. Voir la filmographie d’Henri Vidal après-guerre en annexe 1. 164. 4,9 millions d’entrées. 165. P. Cadars, Les Séducteurs…, op. cit. p. 140, citant Bob Bergut, L’Écran français, 16 janvier 1952. 166. 1,7 million d’entrées. 64

Grémillon, 1950)167. Mais chaque fois Henri Vidal est éclipsé par sa partenaire. Leur histoire d’amour les rend très populaires auprès du public. De fait, la rédaction de Cinémonde les nomment successivement « le couple n°1 cinéma français » et « le couple le plus amoureux du cinéma français 168 ». Leur présence est un gage de réussite publique et financière. Les trois films où il est en tête d’affiche avec Michèle Morgan figurent parmi les plus gros succès populaires d’Henri Vidal169. À partir de 1950, il s’essaye dans divers genres : comédie (C’est arrivé à Paris [Henri Lavorel, 1952], Une parisienne [, 1957], Charmants garçons [Henri Decoin, 1957], Sois belle et tais-toi [Marc Allégret, 1957]), mélodrame (La Jeune folle [Yves Allégret, 1952], Porte des Lilas [René Clair, 1957], Le Port du désir [Edmond T. Gréville, 1955), ou policier (Série noire [Pierre Foucaud, 1954], Action immédiate [Maurice Labro, 1956]). Il est souvent un faire-valoir pour ses partenaires féminines ou masculins : Danièle Delorme (La Jeune folle), Brigitte Bardot (Une parisienne), Zizi Jeanmaire (Charmants garçons), Jean Gabin (Le Port du désir), Pierre Brasseur et Georges Brassens (Porte des Lilas).

Illustration 14. Affiche du film La Belle que voilà

167. 1,7 million d’entrées. 168. « Michèle Morgan et Henri Vidal vivent dans un musée Louis XIV », Cinémonde, n°933 (20 juin 1952), p. 22-23 ; « Les amoureux sont toujours seuls au monde ! », Cinémonde, n°1135 (10 mai 1956), p.10. 169. Nous ne tenons pas compte des films à sketch qui rassemblent un trop grand nombre de vedettes pour que le succès soit attribué à l’une d’entre elles. 65

Dans La Belle que voilà170, Henri Vidal est un jeune sculpteur, Pierre, qui tombe amoureux de sa voisine de palier, Jeanne (Michèle Morgan), qui a dû interrompre sa carrière de danseuse à cause d’une malformation cardiaque. Après leur première nuit d’amour, il disparaît, par crainte que l’amour, le mariage et les enfants ne nuisent à sa vocation artistique. Jeanne désespérée se console dans les bras d’un autre homme. Pierre la retrouve et lui tire dessus. Il est incarcéré. Pour l’aider à sortir de prison, elle va reprendre la danse, passant outre les risques pour sa santé. Elle va aussi se soumettre sexuellement aux hommes de pouvoir qu’elle rencontre. Grâce à ses relations, Jeanne fait libérer son amant, mais celui-ci la repousse avec dégoût. Elle finit par mourir de tristesse et d’épuisement. Pour Noël Burch et Geneviève Sellier, « toutes ces péripéties servent à démontrer d’une part qu’une relation entre deux artistes est impossible […] et d’autre part qu’une femme ne peut arriver socialement, quel que soit son talent et son travail, qu’en “couchant”171. » Ce film exprime les inquiétudes masculines face à l’émancipation sexuelle et professionnelle des femmes. Objet d’érotisation visuelle ou figure de domination, Henri Vidal joue des rôles aux aspects contradictoires qui fabriquent une « personnalité insaisissable » liée aux bouleversements des rapports sociaux de sexe. Cette dimension contradictoire caractérise aussi la persona d’un autre jeune premier : Daniel Gélin.

170. 2,8 millions d’entrées. Deux autres films connaissent un plus gros succès mais Henri Vidal n’y apparaît pas dans le premier rôle masculin. Les films avec Michèle Morgan restent les plus emblématiques. 171. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre des sexes…, op. cit. p. 258-259. 66

C. Daniel Gélin

Illustration 15. Portrait Harcourt de Daniel Gélin dans les années cinquante

Illustration 16. Affiche du film Rendez-vous de juillet

Daniel Gélin (1921-2002) débute sa carrière à la Libération172, après plusieurs petits rôles sous l’Occupation. Il tourne six films entre 1946 et 1948173, avant son

172. Voir la filmographie de Daniel Gélin après-guerre en annexe 1. 173. La Femme en rouge (Louis Cuny, 1946), Martin Roumagnac (Georges Lacombe, 1946), Miroir (Raymond Lamy, 1946), La Nuit de Sybille (Jean-Paul Paulin, 1946), Le Mannequin assassiné (Pierre de Herain, 1947), Le Paradis des pilotes perdus (Georges Lampin, 1948). 67

premier grand rôle dans Rendez-vous de juillet (Jacques Becker, 1949)174. Il y incarne un jeune existentialiste, Lucien, en rupture avec sa famille et son père despotique. Il étudie l’anthropologie, avec le projet de partir au Brésil pour conduire une mission ethnographique. À ses heures perdues, il profite des joies de la vie parisienne. Lorsque ses camarades lui annoncent qu’ils ne partent plus pour des raisons professionnelles ou conjugales, Lucien dénonce leur conservatisme bourgeois et symbolise l’audace juvénile en partant seul. Rendez-vous de juillet exalte la jeunesse et la camaraderie masculine : les femmes ne sont pas conviées au voyage et jouent le rôle d’obstacle aux ambitions professionnelles des jeunes hommes. Pour Delphine Chedaleux, « ce film “moderne”, qui s’adresse aux jeunes de milieux aisés (notamment à travers les nombreux renvois au style germanopratin), ne manque pas de rappeler que la place des femmes, même diplômées, demeure au foyer175 ». En effet, après la Seconde Guerre mondiale, les jeunes femmes, même diplômées, n’ont pas la carrière de leurs homologues masculins. Notons également la résonance entre le personnage de Lucien et l’image de Daniel Gélin à la ville176. Rendez-vous de juillet peut donc être considéré comme le « film révélateur177 » où son image de vedette (homme, acteur, personnage) fait écho aux discours socioculturels sur la jeunesse et les rapports sociaux de sexe. Selon Pierre Cadars,

Mieux que quiconque il personnifiait un certain esprit de Saint-Germain-des-Prés, mélange d’existentialisme et de bohème. Aux yeux de tous les censeurs du monde, il symbolisait une liberté difficile à récupérer, parce qu’elle était à la fois naturelle et insolente. Son mariage orageux avec Danièle Delorme apparaissait comme la rencontre de deux enfants turbulents qui ne parviennent pas à devenir adultes. Dans le personnage public de Gélin, le whisky, la drogue et les liaisons tapageuses constituaient une auréole maléfique qui ne pouvait que rebuter les donneurs de leçons et d’exemples. Il en restait toujours quelque chose dans les personnages qu’on lui donnait à interpréter178.

Cette image de marque perdure dans les deux autres films qu’il tourne sous la direction de Jacques Becker : Edouard et Caroline (1950) et Rue de l’Estrapade (1953) où il incarne un artiste bohème. Ces films ont une dimension légère qui est minoritaire

174. 1,9 million d’entrées. 175. D. Chedaleux, Jeunes premiers et jeunes premières…, op. cit. p.232. 176. Nous détaillons ces éléments par la suite (voir 3e Part. chap 5). 177. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin…, op. cit. p. 141. 178. P. Cadars, Les Séducteurs…, op. cit. p. 193. 68

dans la filmographie de Daniel Gélin. La plupart de ses personnages connaissent une fin tragique : la mort (La Minute de vérité [Jean Delannoy, 1952], La Neige était sale [Luis Saslavsky, 1953], L’Affaire Maurizius [Julien Duvivier, 1954], Sang et Lumière [Georges Rouquier, 1954]), la drogue (L’Esclave [Yves Ciampi, 1953]) ou la fuite (Les Amants du Tage [Henri Verneuil, 1955]). Entre 1952 et 1955, l’acteur incarne donc au cinéma « un mal de vivre179 » : le sien et celui de la jeunesse des années cinquante. Ces héros sont l’incarnation du « jeune premier sombre et byronien180 » selon Cinémonde. Dans la deuxième moitié de la décennie, il continue de tourner beaucoup, mais il se trouve souvent éclipsé par ses partenaires : (Paris-Canaille, Pierre Gaspard-Huit, 1956), Brigitte Bardot (En effeuillant la marguerite, Marc Allégret, 1956), François Périer (Je revendrai à Kandara, Victor Vica, 1957) et Michèle Morgan, (Retour de manivelle, Denys de la Patellière, 1957). Son image évolue aussi vers des rôles d’hommes plus « mûrs » et responsables. Cette évolution est contemporaine d’un changement dans sa vie privée. Il se remarie en novembre 1954 et mène une vie rangée, plus conforme aux normes sociales181.

Illustration 17. Affiche du film En effeuillant la marguerite

Dans En effeuillant la marguerite (Marc Allégret, 1956), il incarne Daniel, un journaliste-reporter, coureur de jupons, prétentieux et lâche. Il rencontre Agnès, une

179. P. Cadars, Les Séducteurs…, op. cit. p. 290. 180. Cinémonde, n°968 (27 février 1953), p11. 181. Nous détaillons cet élément par la suite (voir 3e Part. chap 5). 69

jeune provinciale venue à Paris pour fuir l’autorité paternelle et trouver un éditeur pour son premier ouvrage. Tout d’abord, Daniel se joue d’elle, mais son charme spontané finit par l’attendrir. Ils tombent amoureux et se fiancent. En marge de cette idylle, Agnès s’inscrit en secret à un concours de strip-tease pour rembourser une dette de son frère. Elle se produit masquée et sous le pseudo de « Sophia ». Chargé de couvrir le spectacle, Daniel succombe immédiatement aux charmes de la danseuse. Agnès se sent trahie. Mais le trouble ne dure pas, car Daniel est plutôt amusé lorsqu’il découvre la supercherie. L’amour ayant triomphé, il finit par demander la main d’Agnès à son père. Le film met Daniel Gélin face à Brigitte Bardot, la nouvelle figure féminine qui revendique son autonomie sexuelle à travers la maîtrise de son corps182. Les scènes dansées183 diffèrent des poses lascives des autres actrices présentées en tant que bel objet érotique184. À travers sa spontanéité, Brigitte Bardot est désirable et entreprenante. À la fois gamine et vamp, elle met en scène le désir sexuel féminin. Mais cette image de femme libérée a ses limites. Ce sont les hommes qui décident de son avenir : l’autorité du mari succède à celle du père. Et la dernière réplique du film témoigne des inquiétudes des hommes de toute génération face à la libération sexuelle des jeunes femmes à la fin des années cinquante185. Lorsque Daniel demande la main d’Agnès, le père répond avec empressement : « Oh, je vous la donne, il est temps qu’on prenne le relais. Elle finirait par me tuer avant l’âge. » À laquelle Daniel répond : « Oh vous savez, avec elle je ne compte pas non plus faire de vieux os. » Sur le ton du rire, ces propos sous-entendent qu’une femme émancipée est un danger pour l’homme (jeune ou âgé). Dans En effeuillant la marguerite, Daniel Gélin incarne un cynique don juan parisien, mais son évolution équivaut à une valorisation du personnage. C’est lui qui ramène la jeune fille qui s’encanaille dans le droit chemin. Au cours des années cinquante, la persona de Daniel Gélin est donc évolutive. À la fin de la décennie, il joue des hommes plus mûrs et plus responsables qui diffèrent des rôles de rebelle qui ont fait sa célébrité. Son ascension est contemporaine à celle d’un autre jeune premier : Jean-Claude Pascal, mais leur persona diffère sensiblement.

182. Pour une étude approfondie de la persona de Brigitte Bardot, voir G. Vincendeau, Brigitte Bardot, Londres, BFI, 2013. 183. Ces scènes font référence au film Et Dieu créa la femme (Roger Vadim, 1956) qui lança la carrière de Brigitte Bardot. L’actrice a commencé la danse classique à l’âge de 5 ans. 184. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre…, op. cit. p. 275. 185. G. Vincendeau, Brigitte Bardot…, op. cit. p. 24-25. 70

D. Jean-Claude Pascal

Illustration 18. Portrait Harcourt de Jean-Claude Pascal dans les années cinquante

Illustration 19. Affiche du film Un grand patron

Jean-Claude Pascal débute en 1949186 dans Le Jugement de Dieu (Raymond Bernard)187, mais c’est avec son deuxième film qu’il accède à la célébrité : Un grand

186. Voir la filmographie de Jean-Claude Pascal en annexe 1. 187. 770 000 entrées. 71

patron (Yves Ciampi, 1951)188. Il y incarne Marcillac, un brillant interne en chirurgie, second de l’illustre professeur Louis Delage (Pierre Fresnay). Le jeune homme est un arriviste plus préoccupé par sa renommée que par ses patients. Sa carrière étant son seul objectif, il est aussi peu respectueux des femmes. Ainsi, il suit la voie du grand patron de la chirurgie, Louis Delage, qui sacrifie tout à sa carrière. La femme de ce dernier s’est résignée à être une compagne mondaine, reléguée au second plan, pendant que son mari se consacre à sa profession. Un grand patron est une chronique du milieu de la chirurgie, qui valorise les hommes. Ils sont détenteurs du savoir, sauvent des vies et forcent le respect. Les femmes sont en position dominée. Épouses ou infirmières, elles témoignent de la grandeur des hommes. L’épilogue où Madame Delage tente de rassurer la fiancée d’un futur chirurgien, en est l’illustration :

Que veux-tu, il faut en prendre son parti. Après tout ce n’est pas si tragique. Il y a juste des moments difficiles, quelques minutes de découragement. Je t’aiderai. Ce qu’il faut c’est juste ne pas se poser de question. Nous sommes nombreuses dans le monde à être la femme d’un homme invisible. On n’y croit pas au début puis on fait comme les autres.

Ces paroles accompagnent l’ultime plan du film, où l’on voit Marcillac et Louis Delage en train d’opérer. À l’aube des Trente Glorieuses, Un grand patron établit des modèles de masculinité exemplaire, toutes générations confondues. Il célèbre les hommes en tant que porteurs de la grandeur nationale puis il vise à restaurer l’ordre patriarcal malmené par l’émancipation des femmes. Le cynisme de Marcillac contraste avec l’image de séducteur élégant de Jean- Claude Pascal dans ses plus grands succès populaires : Un caprice de Caroline chérie (Jean Devaire, 1952)189, Alerte au Sud (Jean Devaire, 1953)190, Les Enfants de l’amour (Léonide Moguy, 1953)191 ou Le Grand Jeu (Robert Siodmak, 1954)192. Dans Un caprice de Caroline chérie, Jean-Claude Pascal est construit comme un objet de désir. Son personnage d’amoureux romantique associe la beauté et la jeunesse. Mais il est dépourvu des éléments de virilité. Jean-Claude Pascal incarne Livio, le chef des insurgés italiens d’une petite ville de province, occupée par les Français. Il fomente une révolte contre la garnison qui doit fuir. Le général Gaston Sallanges et sa femme

188. 3,7 millions d’entrées. 189. 2,8 millions d’entrées. 190. 2,9 millions d’entrées. 191. 3,6 millions d’entrées. 192. 3,8 millions d’entrées. 72

Caroline trouvent refuge chez une Comtesse italienne, à qui Gaston fait la cour. Pour se venger de lui, Caroline rejoint Livio et lui fait des avances. Les troupes françaises finissent par reprendre la situation en main et Caroline retourne auprès du général sans avoir couché avec le bel Italien.

Illustration 20. Affiche du film Un caprice de Caroline chérie

Dans ce film, Jean-Claude Pascal est un objet de spectacle, à l’instar de la scène où il danse masqué et vêtu d’un justaucorps qui met en valeur sa musculature. Les gros plans sur son visage ou les plans larges le présentant dans des poses lascives le rendent encore plus désirable. Jean-Claude Pascal/Livio n’est donc pas là pour agir mais pour être regardé. Cette construction du héros masculin le destine en priorité à un public féminin. Si Un caprice de Caroline chérie exprime la permanence d’une sexualité féminine dominée et encadrée par les institutions patriarcales, l’érotisation de Jean- Claude Pascal par la mise en scène offre des plaisirs aux spectatrices. « Elle permet de jouir par procuration d’une liberté qui leur est déniée, sans pour autant ébranler les relations traditionnelles entre les sexes193. » Car l’objet du désir de Caroline ne sera pas consommé. Cette objectivation de l’acteur, qui caractérise tous ses grands succès populaires, peut sans doute expliquer le dédain où le tient la critique, constituée en majorité d’hommes. Au fil de sa carrière, Jean-Claude Pascal propose une figure masculine désirable et érotisée par la mise en scène, destinée à un public féminin et populaire. Il ne

193. R. Moine, « Les « biopics »dans le cinéma français d’après-guerre : série masculine et série féminine », G. Le Gras et G. Sellier, Cinémas et cinéphilies populaires…, op. cit. p. 183. 73

recueillera que très rarement l’approbation de la critique masculine. Célèbre dès 1951, après seulement deux films, son succès est éphémère. À la fin des années cinquante, les mutations socioculturelles font émerger des jeunes premiers plus sombres et plus virils194. Ces derniers figurent une norme hétérosexuelle où l’homme n’a pas à être objet de désir, mais le sujet actif de ses liaisons amoureuses. En résumé, Georges Marchal, Henri Vidal et Jean-Claude Pascal sont construits comme des objets, exposés aux regards et aux désirs des femmes, dans la fiction et dans le public. Néanmoins, au niveau du scénario, l’évolution de leurs personnages réaffirme les normes genrées traditionnelles. Cette dualité est liée au contexte d’après-guerre où les hommes sont sommés de renégocier leur identité face à l’émancipation des femmes. Daniel Gélin n’est pas soumis à la même fétichisation visuelle et sa figure s’adresse davantage à la jeunesse masculine. Elle transpose à l’écran les désirs d’émancipation d’une génération qui souhaite s’affirmer contre la génération précédente195. Exaltation juvénile, liberté et fureur de vivre sont les caractéristiques de ces personnages, jusqu’à ce qu’ils rentrent dans le rang au cours des Trente Glorieuses.

Pour conclure, les études quantitatives et qualitatives – évaluant le nombre de films, la part des premiers rôles et celle des films au-dessus des deux millions d’entrées –, ont montré la singularité de Gérard Philipe. Issu de la jeune génération d’acteurs qui ont émergé à la Libération, il se hisse au plus haut rang, à égalité avec les stars d’avant- guerre, toujours adulées après la Seconde Guerre mondiale par la profession et par le public, cependant que les autres jeunes premiers manifestent une présence irrégulière dans les différents classements. Ils tournent beaucoup, mais dans des genres variés. Or, cette démarche ne leur permet pas de construire un « mythe », une persona reconnaissable de film en film. Ils sont souvent dominés par leur partenaire féminine ou masculin, ne jouent pas toujours un premier rôle et n’apparaissent pas régulièrement au sommet du box-office. Toutes ces caractéristiques les distinguent de Gérard Philipe, qui

194. Alain Brassart, Les Jeunes premiers dans le cinéma français des années 1960, Paris, Cerf- Corlet, 2004, p. 48. 195. L. Bantigny, Le plus bel âge…, op. cit ; L. Bantigny et I. Jablonka, Jeunesse oblige…, op. cit. 74

tourne toujours dans un premier rôle et dont l’essentiel des films dépasse les deux millions d’entrées196. L’après-Seconde Guerre mondiale (1946-1958) voit s’installer différentes figures masculines de patriarches et de jeunes premiers. Celles-ci expriment les tensions socioculturelles de la période, en termes de génération, de genre et de classe sociale. Elles figurent aussi les inquiétudes face à la modernisation de la société française. Les véritables stars présentent une persona contradictoire qui correspond aux discours socio-culturels, tant au niveau du personnage, de l’acteur que de l’homme197 : Jean Gabin, Fernandel et Gérard Philipe198. Contrairement à eux, les jeunes premiers de la Libération ne parviennent pas à créer une persona consistante. Afin de consolider notre argumentation, nous allons maintenant procéder à l’analyse des rôles de Gérard Philipe, celui que Pierre Cadars nommait « le plus grand dénominateur commun199 ».

196. Voir la filmographie de Gérard Philipe en annexe 2. 197. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin…, op. cit. p. 135-141. 198. Nous détaillons ces éléments plus loin (voir 2e Partie). 199. P. Cadars, Les Séducteurs…, op. cit. p. 201. 75

DEUXIEME PARTIE

GERARD PHILIPE, LE JEUNE PREMIER

DE L’ECRAN APRES LA GUERRE

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Les années d’après-Seconde Guerre mondiale témoignent d’un changement des représentations où les acteurs d’âge mûr, vedettes d’avant-guerre, dominent les écrans au détriment des actrices. La fréquence des tournages, la qualité des rôles et le succès auprès du public indiquent la suprématie des stars comme Jean Gabin, Fernandel et Jean Marais. Mais ils révèlent aussi la singularité de Gérard Philipe. Emergé à la Libération, il est le seul acteur de sa génération à obtenir une notoriété égale à celle de ses aînés sur les écrans français. Patriarches ou jeunes premiers, les contemporains de Gérard Philipe arborent des rôles qui ont en commun la restauration traditionnelle des rapports de sexe. Or, Gérard Philipe propose des figures d’hommes jeunes et doux qui s’opposent aux normes genrées dominantes. Il développe le type du « jeune premier » raffiné et mélancolique, héritier d’une tradition iconographique et romanesque issue du XIXe siècle200. Comme le suggère Phil Powrie, ce type exprime le rejet de la masculinité virile exaltée durant la guerre. Il alimente désormais le goût des femmes pour les « hommes féminins »201. Dans cette seconde partie, nous allons nous intéresser aux représentations dans les films à travers l’analyse du personnage, du jeu de l’acteur et de la réception, en rapport avec le contexte historique et socioculturel. Nous tenterons ainsi de mettre en lumière l’évolution de la star Gérard Philipe et d’en comprendre ses spécificités à l’époque. Notre approche sera à la fois chronologique et générique. Dans le chapitre un nous réaliserons l’analyse du Le Diable au corps et La Chartreuse de Parme, adaptations littéraires qui ont posé les bases de sa persona. Ces œuvres, inspirées par un patrimoine culturel prestigieux, font l’éloge de la jeunesse et lui confèrent une aura de jeune premier désirable et romanesque. Le chapitre deux s’attardera sur le genre de cape et d’épée avec Fanfan la Tulipe et Les Grandes Manœuvres. Le début des années cinquante marque un tournant dans la carrière de l’acteur. Il abandonne les rôles d’amoureux romantiques pour incarner les séducteurs cyniques. Fanfan la Tulipe est le plus gros succès de Gérard Philipe, il façonne le prototype français du héros de cape et d’épée de par le monde. Ce personnage juvénile est peut-être le seul héros entièrement positif de sa carrière. Les Grandes Manœuvres constitue l’apogée du séducteur cynique. Enfin, le chapitre trois traitera de deux films plus ou moins proches du réalisme noir : Une si jolie petite plage et Monsieur Ripois.

200. M. Juan, « "Aurons-nous un jour des stars ?" Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940) », op. cit. p. 170. 201. Phil Powrie, Pierre Batcheff and stardom in 1920s French cinema, Edinburgh University Press, 2009, p. 28-32. « Hommes féminins » est une expression de Denise Tual au sujet de son mari, Pierre Batcheff, et reprise par Phil Powrie. 77

Tournés en 1949 et 1954, ils constituent un versant très sombre des rôles de l’acteur : jeune homme victimisé dans le premier et « sordide petit salaud » dans le second.

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CHAPITRE 1. GERARD PHILIPE PREMIERE MOUTURE : LE DIABLE

AU CORPS ET LA CHARTREUSE DE PARME

Le Diable au corps a propulsé Gérard Philipe en 1947 au rang de star car c’est dans ce film que s’établit « un rapport triangulaire étroit entre acteur, homme, et personnage202 ». Il articule des valeurs contradictoires – désir et innocence, rébellion et soumission, élan juvénile et retenue, sensibilité et cynisme – qui posent les bases de sa persona mais expriment aussi l’état des mentalités dans la société. La Chartreuse de Parme, réalisé l’année suivante par Christian-Jaque, achève de construire son image de star. Premier grand succès dans un film en costumes, il confère à l’acteur une aura de jeune premier désirable et romanesque. Aussi, c’est en nous référant au contexte de l’époque, du point de vue des rapports de génération et de sexe, que nous nous proposons d’analyser ces deux films pour comprendre de quelle manière ils construisent l’image de Gérard Philipe. Adaptations littéraires et drames en costumes, genres codés comme féminins, ils proposent une image masculine destinée à un public féminin en décalage avec les normes dominantes (patriarcales et viriles). À travers l’analyse du personnage, du jeu de l’acteur et de la réception, nous tenterons de voir comment l’image de Gérard Philipe dans Le Diable au corps participe à l’éloge de la jeunesse et promeut une masculinité passive dans La Chartreuse de Parme.

I. Le Diable au corps : la révélation

Le Diable au corps sort le 12 septembre 1947 : avec 4, 7 millions d’entrées en France, c’est le plus grand succès de Gérard Philipe depuis ses débuts au cinéma203. Mais c’est aussi le film où son image se déploie de la façon la plus complexe. Les six autres films français du « Top 20 » cette même année : Le Bataillon du ciel (Alexander Esway), (), Pas si bête (André Berthomieu), Quai des Orfèvres (Henri-Georges Clouzot), Les Aventures de Casanova (Jean Boyer) et Le Silence est d’or (René Clair), ont en commun de faire apparaître au générique une forte présence masculine : réalisateur, scénariste et tête d’affiche. À l'exception du Diable au

202. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin…, op. cit. p. 141. 203. La Boîte aux rêves : non renseigné ; Les Petites du quai-aux-fleurs : non renseigné ; Le Pays sans étoile : 500 000 entrées ; L’Idiot : 1 million d’entrées. 79

corps, ces films mettent en scène des figures patriarcales d’hommes d’âge mûr et célibataires, incarnées par des acteurs prestigieux, déjà vedettes avant la guerre : , Pierre Fresnay, Louis Jouvet et Maurice Chevalier. Pour Geneviève Sellier204, le cinéma français renoue avec les figures de patriarches d’avant-guerre et les acteurs fonctionnent comme des instruments de réaffirmation des normes sexuées : dans la restauration de l’unité nationale qui suit la Seconde Guerre mondiale, « c’est le masculin qui est porteur de l’identité nationale, alors que le féminin n’est […] qu’un objet de désir pour le sujet masculin205 ». En effet, les films cités valorisent tour à tour la solidarité masculine, les codes de l'honneur, le sacrifice pour la communauté et la droiture morale. Les actrices y figurent dans des rôles secondaires ou incarnent des femmes dangereuses. Le Diable au corps diffère de ce schéma sur plusieurs points : il propose une tête d’affiche féminine et valorise un jeune acteur encore peu connu du grand public.

Illustration 21. Affiches du film Le Diable au corps

Gérard Philipe y incarne François, un jeune lycéen de dix-sept ans qui va entretenir une liaison passionnée avec Marthe (Micheline Presle), mariée à un soldat parti au front pendant la guerre 1914-1918. La jeune femme est bientôt enceinte et leur

204. G. Sellier, « Implication d’une approche gender : repenser les corpus, prendre en compte la réception », Lignes de fuite. La revue électronique du cinéma, « Question de genre. Cinéma, télévision, arts plastiques », 2011 (URL : http://www.lignes-de- fuite.net/article.php3?id_article=17). 205. Ibid. 80

relation assumée sans la moindre trace de culpabilité fait scandale. Le jour de l'Armistice, Marthe part en province où elle espère mettre au monde son enfant loin de l'agitation parisienne mais elle meurt en couche le jour même. Le film (comme le roman de Raymond Radiguet dont il est adapté) est porteur d’un message anti-militariste et anti-conformiste et le recul historique permet d’aborder des questions sur la jeunesse, la famille et le mariage à un moment où se creuse un fossé entre les générations. Au cours de notre étude, nous tenterons tout d’abord de voir comment le film participe à l’éloge de la jeunesse. Nous nous intéresserons ensuite à sa réception, comme témoin de l’émergence d’un nouveau type de jeune premier.

A. Éloge de la jeunesse

Cinémonde publie un reportage pour le tournage du Diable au corps. La journaliste y croise Gérard Philipe venu en « visiteur » assister aux répétitions de Micheline Presle. Les photographies nous le montrent regardant et s’inspirant du travail de la professionnelle, déjà consacrée206. Elle décrit un Gérard Philipe « en liberté », avec « un physique d’intellectuel blagueur et ironique, avec sa chevelure hirsute et son laisser-aller vestimentaire207. » Ce portrait et la photographie qui l’accompagne mettent en avant la juvénilité, la spontanéité et le caractère rebelle de Gérard Philipe.

206. Micheline Presle connaît son premier succès considérable dans Paradis perdu (Able Gance, 1939), elle n’a que seize ans. Dans sa biographie (L’Arrière mémoire, Paris, Flammarion, 1994, p.51-52) elle confie : « un film très populaire qui a marqué une génération. » Paradis perdu lance sa carrière, elle enchaine par la suite les rôles de jeune première sous l’Occupation. Pour une étude approfondie de sa persona cinématographique sous l’Occupation, voir D. Chedaleux, Jeunes premiers et jeunes premières… op. cit. p. 87-124. 207. Odile Cambier, « Deux maris c’est trop pour un baiser, même pour une fille qui a le diable au corps », Cinémonde, n°643 (26 novembre 1946), p.17. Or Gérard Philipe entretient déjà une liaison avec Nicole Fourcade, c’est d’ailleurs elle qui lui conseille d’accepter le rôle de François. L’acteur de vingt-cinq ans se trouvait trop âgé pour incarner un jeune de dix-sept ans, voir G. Bonal, Gérard Philipe, Paris, Seuil, 1994, p. 88. 81

Illustration 22. Photographie de plateau du Diable au corps (Cinémonde, n°643)

Autant de caractéristiques que nous retrouvons dans le personnage. À l’instar de cet article, l’œuvre de Claude Autant-Lara établit une relation étroite entre l’acteur, le personnage et l’homme. Dans l’immédiat après-guerre, Cinémonde présente Gérard Philipe comme un jeune garçon encore très lié à sa mère. Ils vivent ensemble, elle l’aide dans ses choix professionnels et l’accompagne sur chaque tournage208. Pour le scénariste Jean Aurench, le film développe deux éléments essentiels : « une jeune femme qui veut vivre, malgré la guerre, en dehors de la guerre ; un garçon qui n’ose pas vivre. » La première partie du film est focalisée sur le personnage de François qui modifie le cours des choses pour conquérir la femme qu’il aime. Il décide de manquer ses cours de classe de terminale pour l’accompagner à Paris faire les magasins. Marthe, contrainte par les normes de comportement imposées aux jeunes filles, apparaît beaucoup moins libre que lui. Au café et au restaurant, le jeune homme tente diverses offensives pour charmer la jeune femme qui lui résiste. Cependant, le plaisir qu’elle manifeste quand elle mange le plat de sanglier connote son attirance pour François.

208. Nous avons développé ces éléments précédemment (voir 1re Part. chap. 3). 82

Illustration 23. Photogrammes du film Le Diable au corps

Quand elle esquive un baiser, il tape du poing sur la table : « Mais bon dieu pourquoi êtes-vous ici ? ». Marthe baisse les yeux et abdique. Cet épisode correspond à l'idée traditionnelle qu'une femme doit être forcée pour consentir. Mais si Gérard Philipe déploie une gamme de gestes et de propos qui évoquent la masculinité dominante – François ira jusqu’à choisir le lit de la chambre nuptiale, annonçant ainsi la liaison adultérine à venir – la caméra le révèle encore jeune et fragile. Les plans rapprochés sur son visage montrent un regard adorateur plutôt qu’agressif. Lorsque Marthe pleure, il apparaît démuni, ses gestes sont moins assurés et plus tendres. Il l’entend sangloter, se retourne vers elle et avec une voix douce il prononce naïvement : C’est ça qui vous fait pleurer ? »

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Illustration 24. Photogrammes du film Le Diable au corps

Dans la seconde partie, le film adopte le point de vue du personnage féminin. Un gros plan sur les mains de Marthe au-dessus du lavabo qui remet son alliance après se les être lavées indique un changement de focalisation mais il révèle aussi un changement de situation : elle est désormais mariée à Jacques Lacombe et apparemment rentrée dans le rang.

Illustration 25. Photogrammes du film Le Diable au corps

Mais Marthe va se révéler une femme autonome en prenant l’initiative d’une liaison amoureuse avec François. Elle le fait entrer chez elle, l’embrasse et l’invite à revenir chaque soir. De ce point de vue, le personnage de Marthe confirme la vision

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masculine traditionnelle de la femme qui par le mariage passe du statut d'oie blanche, « la fille dont l'innocence est fondée sur l'ignorance totale de son sexe et de son corps209 », à celui de femme émancipée. Quittant le domicile parental régi par les contraintes familiales et sociales, cette femme peut vivre une liaison extraconjugale en l'absence du mari. L'immédiat après-guerre a ravivé les angoisses masculines face à l'émancipation des femmes, en partie liées aux infidélités dont les prisonniers de guerre ont la hantise durant le conflit. François est enfermé dans une idéologie patriarcale selon laquelle l'homme doit être l’initiateur, l'innocence et la virginité étant exigées pour une femme, « le conditionnement de l'être féminin au profit de l'être masculin210 ». Alors qu'ils viennent de passer ensemble une nuit d'amour passionnée, François exprime sa déception, obsédé par l'idée qu'il n'est pas le « premier ». Le plan qui cadre en plongée les deux amants permet de comparer leurs attitudes et de saisir leurs émotions. Gérard Philipe joue sur le registre du cynisme. Les traits de son visage figés, la dureté du ton de sa voix traduisent la rigidité du personnage, puis témoignent de l'immaturité du jeune homme (il se comporte comme un enfant jaloux) et de son aliénation aux normes masculines.

209. Yvonne Knibiliehler, Marcel Bernos, Élisabeth Ravoux-Rallo et Éliane Richard, De la pucelle à la midinette. Les jeunes filles de l'âge classique à nos jours, Paris, Messidor, 1983, p. 91. 210. Ibid. 85

François : On raconte que les coqs chantent toute la nuit. Pas vrai ? Marthe : Oui, mais je ne les ai jamais entendus. François : Menteuse ! Marthe : Je te jure. François : Comment veux-tu que je te croie. Marthe : François, je n’ai jamais été aussi heureuse. François : Tu l’as déjà dit à quelqu’un

Illustration 26. Photogrammes et dialogues du film Le Diable au corps

Le personnage de François est une figure complexe et contradictoire car s’il désire devenir un homme, il n’en a ni l’apparence ni le comportement. Lorsque Marthe lui apprend qu'elle est enceinte, François perd toute maîtrise de la situation. Il redevient un adolescent, qui au-delà de la réalisation de ses fantasmes, se trouve confronté aux exigences du rôle de père. Alors qu'il dit vouloir s'engager avec Marthe, en assumant pleinement la place de l'homme et du père, ses gestes montrent le contraire. Les mouvements saccadés de François traduisent les angoisses du personnage. Il tremble de tout son corps, parle d'une voix chevrotante, boit deux grands verres d'eau cul sec, se mordille les ongles. Des gros plans sur son visage révèlent des gouttes de sueur qui confirment son incapacité à assumer un rôle d'adulte.

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Illustration 27. Photogrammes du film Le Diable au corps

Dans la dernière partie du film, Marthe quitte François. Elle prend le train pour Quimper et se rend chez sa grand-mère où elle désire mettre au monde son enfant. La confrontation des deux personnages dans le train pointe différents degrés de maturité qui renvoient François à son statut d’enfant. Le plan rapproché frontal donne accès aux réactions et aux registres de jeu opposé des acteurs. Si Micheline Presle joue sur le mode unique de la sincérité et apparaît comme une femme responsable, Gérard Philipe oscille entre cynisme et extrême sensibilité. Arborant une raideur corporelle, les bras croisés, le visage dur et le regard accusateur, il montre en même temps les désirs de tendresse du personnage. Garçon perdu qui manque de confiance, François prend momentanément le masque de la froideur. Celle-ci disparaît quand il pose sa tête sur l'épaule de Marthe qui lui caresse affectueusement le visage en murmurant : « J'ai deux enfants. » Il y a dans cette scène une dimension maternelle. Les sautes d'humeur (pleurs, colères...) de François révèlent un manque de contrôle émotionnel lié à sa jeunesse. Si l'hyper-émotivité, traditionnellement codée comme féminine, est perçue comme une faille dans l'idéal viril, elle est ici excusée par l'âge du personnage.

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Illustration 28. Photogrammes du film Le Diable au corps

La scène se termine sur ces phrases : Marthe : J’ai deux enfants. François : Tu as raison, je ne suis pas un homme. Marthe : Pourquoi n’es-tu un homme que quand tu me prends dans tes bras

Dans Le Diable au corps, la mise en scène centrée en grande partie sur François invite le public à s'identifier à lui. Les plans rapprochés font partager ses émotions. Pour rendre son personnage authentique, Gérard Philipe déploie un jeu complexe : son attitude est froide et distante lorsqu'il endosse le rôle de l'homme. Il arbore un visage fermé, un regard dur, des lèvres pincées et sa gestuelle est restreinte et contrôlée. Sa

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voix est grave et sèche. Mais le rôle de François exige aussi une énergie juvénile. Le regard fixe, les yeux écarquillés, la bouche souriante, il admire visiblement Marthe et comme l'écrit une des lectrices de Cinémonde : « Avec cela, allez savoir s’il vous parle sérieusement ou s’il ne se moque pas de vous quand, de sa voix la plus douce il vous raconte les plus invraisemblables histoires211. » À la Libération, l’oubli des humiliations de l’Occupation passe par la réaffirmation de la virilité, une reprise en main du corps des femmes et une condamnation implicite de leur désir et de leur sexualité212. Les représentations filmiques se font le relais de la misogynie ambiante, surtout dans les films du réalisme noir où les hommes sont souvent victimes de femmes maléfiques213. Dans une société patriarcale qui souhaite retrouver les prérogatives d’avant-guerre, Le Diable au corps, en proposant une figure masculine ambivalente, semble illustrer les contradictions de la période. Le personnage de François associe la sensibilité et la fragilité de l’enfant, deux thèmes qui assouplissent les raideurs du modèle viril antérieur. Dans un contexte conservateur – où les jeunes filles et les femmes contraintes par des normes familiales et sociétales font l’objet d’une surveillance accrue, l’image de Gérard Philipe peut donc leur sembler plus désirable. Le personnage de François et son interprétation propulsent Gérard Philipe au rang des stars françaises214. Il reçoit le prix d’interprétation masculine à Bruxelles et les louanges de la presse sont unanimes.

B. Réception : un jeune acteur remarqué

Le Diable au corps est accueilli par la critique comme un des grands films de l’année. À l’instar de Roger Vailland dans L’Écran français, on salue « le plus sensuel et le plus pathétique des films d’amour. […] Ce film apporte, en effet, un message, qui est celui de la jeunesse éternelle, souvent en désaccord avec les fatalités de l’histoire, mais toujours sincère, toujours naturelle, toujours pathétique215. » Gérard Philipe est

211. « Potinons », Cinémonde, n°723 (6 juillet 1948), p. 18. 212. Fabrice Virgili, La France virile, Paris, Payot, 2000. 213. N. Burch & G. Sellier, La Drôle de guerre…, op. cit. p. 217-306. 214. Nous avons détaillé ses éléments précédemment (voir 1re Part.) 215. Roger Vailland, L’Écran français, 16 septembre 1947. 89

unanimement salué dans la presse cultivée et populaire, généraliste et spécialisée. Les propos de J-M Arlaud dans L’Époque en témoignent :

Mais tout repose quand même sur Gérard Philipe sans qui ce drame des choses qui n’arrivent jamais ne serait pas supportable. Ce garçon grandi trop vite, ce tendre aux effarants cynismes, imposant sa volonté à une femme et se déconcertant lui-même, ce collégien au virage des jeux d’homme : ce rôle admirable et monstrueux, cette accumulation d’impondérables est si exactement traduit qu’il ferait douter des qualités de l’acteur et ferait croire à un personnage de peau, à une sorte d’auto-reportage. Comme nous avons déjà vu Gérard Philipe et qu’il n’en est plus à l’enfance qui joue le naturel sans le savoir, il faut bien reconnaître la confirmation d’un comédien complet. On peut prévoir, après le succès du film (car il aura du succès puisque l’on y pleure) que Gérard Philipe, déboulonnant les idoles actuelles, instituera un nouveau type de jeune premier assez proche du romantisme216.

Cet article souligne les thèmes qui vont devenir cruciaux dans la persona de Gérard Philipe : les rapports contradictoires face à la jeunesse et aux femmes, le mélange de tendresse et cynisme. L’homme, l’acteur et le personnage fusionnent, conférant ainsi une impression d’authenticité au rôle. Cette relation triangulaire participe à l’émergence d’un type singulier associant jeune premier et romantisme. L’acteur reçoit aussi plusieurs lettres de félicitations des membres de la profession. Le réalisateur lui écrit, le 31 janvier 1947217 : « Enfin, j’ai le plaisir à vous dire que vous pouvez dormir en paix, car vous êtes très bien dans Le Diable au corps. Tous les jours, toutes les projections nous en apportent la confirmation. » Le producteur Paul Greatz218 s’était au départ opposé à l’engagement de Gérard Philipe. Mais la fermeté de Claude Autant-Lara et Micheline Presle219 a fini par le convaincre. Et c’est avec satisfaction que le cinéaste envoie une autre lettre, le 12 juillet 1947220 : « Je lui disais que l’acteur qui jouera François décidera du sort du Diable au corps. Elle avait les mêmes pensées que moi et de ses choses tombaient votre nom. Elle savait aussi

216. L’Époque, 14 septembre 1947. 217. CF, Fonds AGP, boîte 1, dossier 1. 218. Sarah Leahy, « La genèse du Diable au corps (1947). Une recette française pour un scénario de « qualité » ? » dans Alain Boillat et Gilles Philippe (dir.), Adaptation : des livres aux scénarios. Approches interdisciplinaire des archives du cinéma français (1930-1960), Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2018, p. 135-163. 219. Micheline Presle est en contrat avec la Continental, Greatz et pour trois films. Elle a une influence dans le choix des acteurs et des scénarios. Pour plus d’informations voir R. Chirat, La IVe République et ses films, interview de Micheline Presle, Lausanne, Hatier, 1985. 220. CF, Fonds AGP, boîte 1, dossier 1. 90

qu’elle cédait la gloire à vous221. » Son ami Yves Allégret222 lui écrit le 28 mai 1947223 : « Je voulais te dire toute l’émotion que m’a donné la projection du Diable au corps. Mon petit Gérard, tu es extraordinaire. Pour la première fois au cinéma tu es aussi magnifique que tu l’étais au théâtre dans Caligula. […] Ca m’a donné, une fois de plus envie de faire un film avec toi. » Gérard Philipe tourne, en tant que figurant, son premier film [La Boîte aux rêves (1945)] sous la direction d’Yves Allégret. Par la suite le cinéaste l’engagera pour le premier rôle masculin dans Une si jolie petite plage (1949) et Les Orgueilleux (1953). Ces lettres confirment le succès d’un jeune acteur progressivement reconnu par la critique, le public et la profession. En résumé, Le Diable au corps associe des caractéristiques contradictoires au niveau du scénario, du personnage et jeu de l’acteur. Celles-ci s’inscrivent dans le contexte de l’immédiat après-guerre où l’on tente de restaurer l’identité masculine ébranlée durant l’Occupation. Gérard Philipe incarne un homme encore jeune qui, malgré ses besoins de tendresse féminine et maternelle, assoit la domination exigée du sexe masculin. À l’écran, il combine jeunesse, romantisme et cynisme. Les succès critique et public montrent que la performance de l’acteur parvient à réunir des tendances opposées reflets des tensions sociales de l’époque. Notre étude établit une correspondance entre Gérard Philipe (personnage, acteur et homme) dans Le Diable au corps et les discours sur le terrain social ou culturel224. Ce film constitue, de fait, la première étape dans le processus d’élaboration de la star. Néanmoins, La Chartreuse de Parme réalisé l’année suivante enrichit ce type en instaurant une objectivation par la mise en scène qui valorise une masculinité passive.

221 Par la suite, Micheline tente une carrière à Hollywood qui sera un échec. Son retour en France sera un peu difficile. 222. Gérard Philipe a débuté comme figurant dans La Boîte aux rêves réalisé en 1945 par Yves Allégret. Le couple Yves Allégret et font partie des amis de Gérard Philipe. Yves Allégret est recherché par les STO et se réfugie, avec sa femme Simone Signoret, chez Gérard Philipe. Pour plus d’informations voir Gérard Bonal, Gérard Philipe, Paris, Seuil, 1994, p. 64-77. 223. CF, Fonds AGP, boîte 1, dossier 7. 224. Dans son étude sur Jean Gabin, Ginette Vincendeau met en lumière l’étroite relation entre l’image à l’écran et le contexte socio-culturel, voir C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin… op. cit. p.144-145. 91

II. La Chartreuse de Parme : amoureux romantique

Illustration 29. Affiche du film La Chartreuse de Parme

La Chartreuse de Parme qui sort le 21 mai 1948 sur les écrans français et totalise 6, 1 millions d’entrées, est un triomphe public. Inspiré du roman éponyme de Stendhal, le film est réalisé après la guerre durant la période de reconstruction où la France tente de restaurer son identité nationale. Grâce aux adaptations littéraires, l’industrie cinématographique française espère retrouver son prestige d’avant-guerre et se place sur le marché international. Durant les années 1950, l’adaptation littéraire et théâtrale constitue 66 % du genre en costumes. Le tableau suivant présente les auteurs et les œuvres de prestige adaptées225 :

225. S. Hayward, The French costume…, op. cit. p.21. 92

Tableau 4. Auteurs et œuvres littéraires régulièrement adaptées

Auteur Film Notre Dame de Paris Les Misérables Emile Zola Nana Gervaise Pot-Bouille père Les Trois Mousquetaires La Reine Margot Le Vicomte de Bragelonne Le Comte de Monte Cristo La Tour de Nesle La Dame aux Camélias Alexandre Dumas fils Le Plaisir Guy de Maupassant Trois femmes Bel-Ami Une vie La Rafle est pour ce soir Chéri Minne l’ingénue libertine Jules Verne Michel Strogoff

En se référant aux grands auteurs français, Hugo, Zola, Dumas, Maupassant, Colette, Verne etc… ces productions ont aussi une vocation éducative. Elles véhiculent une identité culturelle prestigieuse et elles participent, ainsi, à la restauration de la nation française, après le conflit dévastateur de la Seconde Guerre Mondiale, alors que grondent les guerres coloniales226. Ce film pose les bases du « héros romanesque227 », pour reprendre la formule de Ginette Vincendeau, et institue Gérard Philipe comme la star incontestée des drames costumés français. Il y incarne Fabrice Del Dongo, un jeune homme de vingt-trois ans, qui rentre à Parme après quatre années d’études chez les Jésuites à Naples et après la bataille de Waterloo. Beau et séducteur, il entretient des liaisons avec des femmes mariées ou soumises à l’autorité d’un homme plus âgé. Au cours d’un duel, Fabrice tue l’un d’entre eux. Emprisonné, il tombe amoureux de la fille du gouverneur de la prison,

226. S. Hayward, The French costume…, op. cit. ; P. Ory, L’Aventure culturelle…, op. cit. 227. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin…, op. cit, p. 215. 93

Clélia Conti (Renée Faure). Ils vivent une relation platonique jusqu’à l’évasion de Fabrice mais après sa fuite, leur amour se révèle impossible. Clélia se marie sous la pression familiale, Fabrice est arrêté devant chez elle et remis en prison. Ils finiront par renoncer l’un à l’autre. Clélia part rejoindre son mari à Bologne et Fabrice s’enferme pour le restant de ses jours dans le couvent de la Chartreuse de Parme. Dans notre analyse, nous essayerons de voir de quelle manière les choix narratifs et visuels participent à la valorisation d’une masculinité passive. Nous tenterons ensuite de comprendre pourquoi malgré son succès public l’œuvre fut mal reçue par la critique.

A. Valorisation d’une masculinité passive

Le héros masculin de La Chartreuse de Parme est au cœur de toutes les stratégies narratives : les actes des autres personnages sont définis en fonction de lui. En tant que personnage principal, star et figure centrale du récit, Gérard Philipe devrait remplir le rôle du héros actif construit comme sujet du regard. Là où l’organisation traditionnelle des regards suppose que ce soit l’homme qui pose en premier son regard sur la femme228, La Chartreuse de Parme remet en cause la hiérarchie genrée dans le champ visuel. Lors du bal d’anniversaire du Prince Ernest IV (Louis Salou), c’est Clélia Conti qui pose en premier son regard sur Fabrice. Un plan rapproché sur le visage de Renée Faure nous montre Clélia qui se retourne sur son passage. Le regard insistant, elle suit ses mouvements, Fabrice passe devant elle sans la remarquer. Il s’avance vers le Comte Mosca en disant avec un léger sourire : « Je crois que je n’ai pas plu au Prince. » Mosca lui répond : « On ne peut pas plaire à tout le monde. » Cet échange peut être perçu comme une adresse au spectateur, Fabrice/Gérard Philipe est un homme qui plaît aux femmes (et seulement aux femmes) dans le film et dans le public.

228. Miriam Hansen, Babel & Babylon. Spectatorship in American Silent film, Cambridge, Harvard University Press, 1991, p. 269. 94

Illustration 30. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme

Dans les minutes qui suivent, la caméra capte dans un plan la Sanseverina (Maria Casarès) et le Comte Mosca qui observent Fabrice. La Duchesse avec son « Regardez- le » oriente la vision du Comte et du spectateur. Nous remarquons ainsi le contraste entre le regard adorateur de la Sanseverina et le regard jaloux de Mosca. Fabrice/Gérard Philipe est donc objet du désir féminin et de la jalousie masculine.

Illustration 31. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme

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Le sentiment envieux des hommes est souligné par deux gros plans isolés sur les visages du Comte Mosca et du Prince. Ce dernier se mord les lèvres en voyant la Sanseverina s’éloigner aux bras de Fabrice.

Illustration 32. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme

L’alternance de plans rapprochés sur les personnages féminins et masculins qui observent et les plans larges sur Fabrice, le construisent comme une source de fascination pour tous. De plus, le fait qu’il ignore leurs regards renforce son pouvoir d’attraction. Dans cette séquence, La Chartreuse de Parme construit Gérard Philipe en « homme-objet » et fait des personnages féminins le relais des spectatrices dans la fiction. Dans l’ensemble de ce film, les cadrages et les éclairages dotent l’acteur d’une dimension érotique plus poussée que dans les films précédents. Gérard Philipe bénéficie des cadrages les plus avantageux et d’un nombre de gros plans plus important que ses partenaires féminines, un traitement qui est dans le cinéma classique généralement réservé aux actrices.

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Illustration 33. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme

Dans le cinéma français quelques acteurs ont déjà été l’objet d’une telle fétichisation visuelle : Tino Rossi, Luis Mariano, Georges Guétary dans les comédies musicales ou opérettes, Jean Gabin avant-guerre et Jean Marais depuis L’Eternel Retour. Les effets de surcadrage mettent en valeur les traits du visage et la beauté de Gérard Philipe. La caméra morcèle le corps de l’acteur. Les plans resserrés sont associés à des plans d’ensemble qui le montrent dans des poses langoureuses. La sensualité de Gérard Philipe est renforcée par l’immobilité de son jeu silencieux ménageant des moments de contemplation érotique.

Illustration 34. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme

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Selon Susan Hayward, le corps masculin dans le film à costumes est montré le plus souvent dans l’action mais aussi exhibé en tant que « corps-objet229 ». Or dans La Chartreuse de Parme, le personnage de Gérard Philipe est plutôt défini par son impuissance et son inaction. Lors de la séquence de l’évasion où il descend le long de la tour Farnèse, des plans d’ensemble capturent la minuscule silhouette de l’acteur qui tient la corde à bout de bras. De cette façon, ils appuient la prouesse de l’acte, la force physique et le courage. Le personnage s’inscrit dans la lignée des héros masculins virils.

Illustration 35. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme

Fabrice descend héroïquement et sans faiblesse la tour, sous les yeux de Clélia. Or cette image d’une masculinité dominante n’est qu’apparente. Les plans rapprochés qui suivent révèlent la souffrance du corps : visage en sueur, bouche béante, yeux clignotants et mains en sang. Pour Steve Neale, l’exhibition de souffrance, dans sa dimension spectaculaire, fait partie intégrante de la fétichisation visuelle des stars masculines230.

229. S. Hayward, « Jean Marais, icône du drame en costumes/historique… op. cit. p. 86. 230. Steve Neale, « Masculinity as spectacle : reflections on men and mainstream cinema. », S. Cohan & I. R. Hark (dir.), Screening the male: exploring masculinities in Hollywood cinema, Londres, Routhledge, 1993, p. 9-20 98

Illustration 36. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme

Ces images doivent être analysées en lien avec un contexte fortement marqué par la diffusion d’images des mutilés de guerre231. En 1947, Le Diable au corps présentait déjà des images de mutilés. Bien que situé durant le conflit de 1914-1918, ces images étaient une mise en accusation qui valait pour toute guerre, sous-entendu le conflit récent de 1939-1945. Dans La Chartreuse de Parme (1948), la scène de l’évasion exacerbe la fragilité masculine et donc une perte de virilité. De ce fait, elle traduit, à l’écran, le malaise psychologique des hommes qui peinent à réaffirmer leur domination après les humiliations de la guerre. En 1952, Nez-de-cuir (Yves Allégret)232 prolonge cette thématique. La perte de virilité du héros, incarné par Jean Marais, est symbolisée par la perte de sa beauté : il est défiguré. Le film qui sort à une période où la France s’enlise dans les guerres coloniales, sonne comme un réquisitoire contre les effets de la guerre sur les êtres humains233. Ces œuvres cinématographiques présentent, chacune à

231. Stéphane Audouin-Rouzeau, « Armées et guerres : une brèche au cœur de l’idéal viril ? » dans J. Courtine (dir.), Histoire de la virilité…, op. cit. p.207-230. 232. S. Hayward, « Jean Marais, icône du drame en costume/historique… op. cit. p.79-87. 233. Ibid. 99

leur façon, une faille dans l’idéal viril et, par conséquent, une brèche dans la société patriarcale. Gérard Philipe incarne un homme doux, fragile et objet de désir. L’objectivation par la mise en scène participe à l’élaboration d’une figure opposée aux normes patriarcales et viriles qui prônent un héros masculin actif, fort et sujet du désir. Pouvons-nous faire l’hypothèse que cette féminisation par la mise en scène du héros est à l’origine de l’engouement du public féminin et de la dépréciation des critiques masculines ?

B. Réception mitigée

L’accueil réservé au film par la presse est plutôt froid : jugé à l’aune de la fidélité à l’œuvre littéraire, son succès critique semble souffrir du poids de la notoriété du roman et de son auteur. À l’instar de Claude Hervin qui écrit :

La Chartreuse de Parme…un précieux livre d’images. La Chartreuse de Parme de Stendhal, est un pur joyau d’une incomparable beauté de style et d’une merveilleuse richesse de langue. La Chartreuse de Parme de Christian-Jaque, est un vaste monument écrasant de solennité, de grandeur et de pompe glaciale croulant sous le luxe, les ors et la pourpre mais dépourvu d’âme et de vie. Tout y est sec et froid, les êtres et les choses semblent pétrifiés par un coup de baguette de quelques mauvaises fées234.

Pour Henri Troyat, les auteurs livrent une version édulcorée du livre, du fait de contraintes cinématographiques : « Lorsqu’ils tirent parti d’un roman, comme La Chartreuse de Parme, ils sont contraints de l’écourter, de le sécher, de le simplifier pour ne pas dépasser l’horaire officiel. La matière du récit stendhalien était trop riche pour être visuellement exprimée, fut-ce en deux heures et demie de projection235. » Les critiques désapprouvent aussi la performance de Gérard Philipe. Sans remettre en cause le talent de l’acteur, ils n’apprécient guère son interprétation. Dans L’Écran français, Jean Néry trouve que son personnage « manque de consistance236 », il l’aurait voulu un peu plus « solide ». Pour Jean Fayard qui écrit dans Opéra : « une fois de plus

234. Claude Hervin, Paris-Presse, 21 mai 1948. 235. Henri Troyat, La Bataille, 2 juin 1948. 236. L’Écran français, 25 mai 1948. 100

Gérard Philipe, très bon acteur, ne m’a nullement convaincu237 ». Selon lui, Gérard Philipe « est beau, simple et modeste » mais reste cependant « débordé par le personnage de Fabrice Del Dongo dont le souvenir l’écrase d’un bout à l’autre du film238. » À l’aune de ces jugements, émerge une dichotomie culture savante/culture de masse. La désapprobation des journalistes met en lumière le rejet de la critique de voir transformer un « chef-d’œuvre » de la littérature en un film de genre destiné au public populaire. À contrario, il est d’ailleurs intéressant de constater que les lectrices de Cinémonde ont largement apprécié la performance de Gérard Philipe. Il suscite l’admiration d’Anna Bienne, Raymonde Andrée, Joelle et La Gitane qui le considèrent comme « un de nos meilleurs jeunes premier239. » Irrintzina, qui a vu tardivement le film :

S’insurge contre les insinuations de Bruxelloise maraististe qui tire des conclusions hasardeuses du fait que les dents de Gérard Philipe soient mal rangées. Elle répondrait à cela que J. Marais a un visage bestial (c’est ce qui lui a permis d’incarner si magistralement la « Bête » du conte) si elle n’admirait pas elle-même cet acteur240.

Les femmes courriéristes sont les seules à s’exprimer sur l’interprétation de Gérard Philipe dans le film. Cette posture cinéphile et genrée indique donc que son personnage d’amoureux romantique dans La Chartreuse de Parme est en majorité plébiscité par un public féminin. Grâce à l’analyse de la mise en scène et du personnage, nous avons mis en lumière l’exhibition de la fragilité et de la passivité masculine dans un registre associé au féminin. Nous pouvons ainsi supposer que c’est cette féminisation par la mise en scène qui a suscité l’empathie des spectatrices et le rejet des spectateurs. En résumé, le film de Christian-Jaque incorpore un élément nouveau et qui deviendra, par la suite, essentiel à la persona de Gérard Philipe : l’acteur y est construit comme une source de désir. Les stratégies narratives et audiovisuelles en font une source de fascination et de fantasmes féminins, à l’écran et dans le public. La Chartreuse de Parme présente aussi un héros romantique passif, incapable d’agir, paralysé par son amour pour Clélia. Cette dimension passive fait de Gérard Philipe un cas atypique dans l’après-Seconde Guerre mondiale. En effet dans un contexte de

237. Opéra, 26 mai 1948. 238. Ibid. 239. « Potinons », Cinémonde, n°761 (7 mars 1949), p.18-19. 240. « Potinons », Cinémonde, n°989 (17 juillet 1953), p. 18-19. 101

réaffirmation masculine, les productions filmées présentent en majorité des héros forts, actifs et qui ne se laissent pas dominer par leurs émotions puisque, dans l’imaginaire collectif de l’époque, la sentimentalité est connotée comme féminine et signe de faiblesse. L’objectivation par la mise en scène et la passivité du personnage de Gérard Philipe le rapprochent de Jean Marais dans ses rôles sous l’Occupation241. Et comme lui, elles le destinent à un public en priorité féminin.

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L’image forgée par Gérard Philipe dans Le Diable au corps et dans La Chartreuse de Parme et les éléments qu’elle fusionne, tant au niveau du personnage, de l’acteur que de l’homme s’ancrent dans le contexte de l’immédiat après-guerre. À un moment où la jeunesse et les femmes sont confrontées au retour des hommes et à la réaffirmation de leur autorité, Gérard Philipe propose une figure nouvelle et contradictoire capable d’apaiser les tensions sociales pour plaire au plus grand nombre. Il oscille entre ses désirs de jeunesse et ses devoirs d’homme adulte. Amoureux romantique pour les femmes, il adopte aussi une conduite cynique à leur égard. De cette manière, il traduit le malaise psychologique des hommes. Avec ces deux films, Gérard Philipe propose des éléments de modernité. Ses personnages entrent donc en résonnance avec des discours socio-culturels qui posent les bases de sa persona de star. Entre La Chartreuse de Parme (1948) et Fanfan la Tulipe (Christian-Jaque, 1952), Gérard Philipe tourne six films dont trois en costumes242. Si La Beauté du Diable (2, 8 millions d’entrées), La Ronde (1, 5 million d’entrées) et Juliette ou la clef des songes (513 000 entrées) continuent de forger son image d’amoureux romantique dans les drames costumés, c’est bien le film de Christian-Jaque qui le consacrera au niveau international et dans un autre genre : le cape et d’épée.

241. D. Chedaleux, « Jean Marais ou l’éloge de la faiblesse » dans D. Chedaleux, Jeunes premiers et jeunes premières…, op. cit. p.189-220. 242. Une si jolie petite plage (Yves Allégret, 1949), Tous Les Chemins mènent à Rome (Jean Boyer, 1949), La Beauté du Diable (René Clair, 1950), La Ronde (Max Ophuls, 1950), Souvenirs Perdus (Christian-Jaque, 1950), Juliette ou la clef des songes (Marcel Carné, 1951). 102

CHAPITRE 2. AVENEMENT DE LA STAR : FANFAN LA TULIPE ET LES

GRANDES MANŒUVRES

Après Le Diable au corps et La Chartreuse de Parme, au tournant des années cinquante, Gérard Philipe est la star emblématique des films en costumes. Dans son ouvrage French Costume Drama of the 1950s, Susan Hayward étudie le genre en associant éléments historiques, statistiques, socio-politiques et industriels. Elle s’intéresse aux films en costumes des années cinquante, car ils participent, selon elle, à la reconstruction de l’identité nationale ébranlée pendant la guerre. Selon Susan Hayward, les caractéristiques du film en costumes sont les suivantes : 1) l’histoire est située dans une période passée où les personnages portent des costumes typiques de cette époque 2) La plupart de ces œuvres sont des adaptations ou des scénarios originaux fondés sur des moments marquants de l’histoire de France 3) Bien que construits comme des récits biographiques ou fictifs centrés sur des personnages qui ont existé, ils n’ont pas vocation à être des films historiques. L’enjeu du travail de Susan Hayward est d’analyser comment les films en costumes traitent du climat socio-économique et politique de la période en France, des rapports de classe et de sexe, et du sentiment national. Les films en costumes connaissent du succès sur toute la période : 83 % font plus d’1 million d’entrées, certains allant même jusqu’à 9 millions243. Cet engouement peut s’expliquer par les bouleversements historiques, économiques et socio-culturels de l’après-guerre, mais aussi par la popularité des acteurs à l’affiche. Pour Susan Hayward, les stars masculines les plus souvent associées au genre – Georges Marchal, Jean Marais et Gérard Philipe244 –, présentent un large éventail de personnages masculins245. Ils font écho aux défaites militaires qui ont affaibli la nation, et mettent en image les inquiétudes masculines qui émergent sur la décennie. Mais ils traitent aussi des rapports sociaux entre les sexes et les générations, à un moment où les jeunes et les femmes revendiquent leur émancipation. Face aux jeunes et aux femmes, les hommes cherchent à restaurer la domination masculine et patriarcale, telle qu’elle s’exerçait avant-guerre.

243. Voir le tableau présentant les films en costumes supérieurs à 3 millions d’entrées en annexe 5. 244. Voir le tableau présentant le top trois des acteurs français de films en costumes des années cinquante en annexe 6. 245. S. Hayward, French costume…, op. cit. p. 68. 103

Inspirée par les thèses de Susan Hayward et en prenant en compte le contexte de l’époque, l’analyse filmique (du personnage et du jeu de l’acteur) et l’analyse de la réception, nous tenterons de comprendre de quelle manière les films en costumes construisent la masculinité de Gérard Philipe et comment sa persona évolue du jeune premier romantique dans Fanfan la Tulipe au séducteur cynique dans Les Grandes Manœuvres qui constituent les deux plus grands succès publics de Gérard Philipe.

I. Fanfan la Tulipe : le prototype français du cape et d’épée

Illustration 37. Affiche du film Fanfan la Tulipe

Fanfan la Tulipe, réalisé par Christian-Jaque, sort le 20 mars 1952 et totalise 6,7 millions d’entrées. Il confère à Gérard Philipe une notoriété internationale246. De par le monde, les foules se déchaînent pour acclamer le comédien : « le samouraï de printemps » à Tokyo, « Fanfan Tulipan » dans les démocraties populaires, ou encore « Jet-propelled Frenchman » à New York247, où il reste quatorze semaines en exploitation248. Mais c’est aussi le film qui a le plus largement contribué à l’image d’éternelle jeunesse de l’acteur, grâce à un jeu qui combine dynamisme, chaleur et humanité. Gérard Philipe obtient une Victoire du cinéma pour ce rôle.

246. Avec Fanfan la Tulipe, Christian-Jaque reçoit le prix de la mise en scène à Cannes, l’Ours d’or à Berlin et Gérard Philipe obtient la Victoire du cinéma pour l’année 1952. 247. G. Bonal, Gérard Philipe, op. cit. p. 178. 248. S. Hayward, French Costume…, op. cit. p. 137. 104

Fanfan la Tulipe appartient à une sous-catégorie du film en costumes : le film de cape et d’épée qui est construit sur une série de péripéties incluant poursuites, combats et autres actes héroïques qui mettent en avant la bravoure et le désir de liberté du personnage. Fanfan (Gérard Philipe) se retrouve, le plus souvent, enrôlé par hasard dans des événements historiques et politiques, où il sert le roi Louis XV (Marcel Herrand) et son pays. Il lutte contre le mal ou l’oppression et s’engage dans une relation romantique, avec Adeline (Gina Lollobrigida) la fille de son sergent249. Pour Susan Hayward, le film de cape et d’épée concentre aussi l’attention sur le corps masculin qui, fétichisé par la mise en scène, apparaît dans toute sa beauté, sa santé et sa force physique. Cette exhibition du corps masculin est à mettre en lien avec le contexte des années cinquante. Les conséquences de la Seconde Guerre mondiale ont mis en crise l’identité masculine. Et la représentation des exploits héroïques dans le genre de cape et d’épée traduit le sentiment d’une société qui a besoin de retrouver des modèles d’une masculinité « forte »250. Selon l’auteure, Gérard Philipe est un des acteurs emblématiques du genre qui entrent pourtant en contradiction avec cet idéal viril : Mais voici l’ironie : qui sont les héros de cape et d’épée qui incarnent cette reconstruction (au moins au niveau de la pellicule !) ? Quels sont les corps qui figurent dans la production cinématographique de ce cinéma musclé ? Personne d’autre que le feu-follet au corps svelte de la gauche politique (Gérard Philipe)251 Dans Fanfan la Tulipe, Gérard Philipe propose une figure masculine juvénile qui donne un aperçu des rapports de domination entre les sexes et des processus d’inculcation de la virilité252. L’enjeu de notre étude est donc de comprendre quel type de héros romantique et séducteur Gérard Philipe construit dans ce film. Nous étudierons tout d’abord la construction d’une masculinité juvénile et donjuanesque. Puis nous nous intéresserons à la réception du film, en tant que véhicule de l’identité nationale.

249. Pour échapper au mariage, Fanfan la Tulipe s’engage dans le Régiment d’Aquitaine qui sert pour l’armée de Louis XV. Il tombe amoureux d’Adeline, la fille du sergent recruteur, mais celle-ci, ayant refusé les faveurs du roi, est enlevée par les serviteurs du souverain. Pour la sauver, Fanfan entame donc une chasse-poursuite qui le pousse à combattre contre les Autrichiens, pour Louis XV et lui donne la victoire. 250. « models of the muscular masculinity », S. Hayward, French Costume…, op. cit. p. 139. 251. « three dominant star vehicles », S. Hayward, The French Costume…, op. cit. p. 149. 252. Sur ce thème nous pouvons nous référer aux ouvrages historiques J-J. Courtine (dir.), Histoire de la virilité…, op. cit. ; André Rauch, Le premier sexe. Mutations et crise de l’identité masculine, Paris, Hachette, 2000 ; Anne-Marie Sohn, « Sois un homme ! » La construction de la masculinité au XIXe siècle, Paris, Seuil, 2009. 105

A. Un don juan juvénile

Dès les premières scènes, Gérard Philipe est montré comme un jeune homme insouciant et coureur de jupons. Fanfan batifole avec une jeune paysanne, Marion, dans une meule de foin. Le décor fait écho au comportement du jeune homme : les formes arrondies des meules, le chant des cigales, le climat estival participent à l’idée de jouissance. Un plan rapproché sur Gérard Philipe le montre souriant, les cheveux ébouriffés et parsemés de paille, sa chemise légèrement ouverte dénude une partie de son torse.

Illustration 38. Photogrammes du film Fanfan la Tulipe

Le jeu de l’acteur met en scène un Fanfan léger, insolent et frivole. Son comportement provoque la colère du père de Marion et des paysans du village qu’il ne se lasse pas de provoquer : « Qu’avez-vous à me reprocher ? Marion est belle et désirable, elle en doutait. Je lui ai prouvé qu’elle pouvait plaire ». Fanfan lui lance un regard complice et ajoute : « Pas vrai Marion ? » Après un duel au bâton, il est arrêté par les paysans et conduit sur la place du village où on veut lui faire épouser Marion de force.

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Illustration 39. Photogrammes du film Fanfan la Tulipe

Cette figure de jeune homme insouciant et volage fait écho au rôle des jeunes garçons dans la société de l’époque. Au cours des Trente Glorieuses, des professionnels de l’enfance étudient la psychologie du garçon. Selon la sexologue Nicole Sentilhes :

Pour le garçon, dominé par son instinct qu’il ne sait et ne peut maîtriser, la jeune fille ne représente à ce stade qu’un objet sexué […] Le garçon maîtrise difficilement son instinct sexuel et la fille qu’il choisit peut par sa coquetterie et son souci de plaire, éveiller en lui un désir violent. […] Il éprouve aussi, à la fois un désir d’autorité, un instinct de possession, une volonté, une force physique et psychique253.

Ces derniers qui ne sont pas encore des hommes adultes n’ont pas l’obligation de réfréner leurs pulsions sexuelles. Bien au contraire, l’expérience sexuelle étant une des caractéristiques de la virilité, la multiplication des liaisons durant l’adolescence et la jeunesse constitue un processus de socialisation décisif pour les garçons254. A l’inverse,

253. Régis Révenin, Une histoire des garçons et des filles. Amour, genre et sexualité dans la France d’après-guerre, Paris, Vendémiaire, 2015, p. 262-263, citant Nicole Sentilhes, « Les organes sexuels, comment ils changent notre vie », Mademoiselle Âge Tendre, n°56, 1969, p. 67-74 et n°58, 1969, p. 68- 70. 254. A. Rauch, Le Premier sexe..., op. cit. p. 126 ; Arnaud Baubérot « On ne naît pas viril, on le devient » dans J-J. Courtine, Histoire de la virilité…, op.cit. p. 174. 107

les jeunes filles doivent rester vierges jusqu’au mariage, car c’est le mari qui doit être l’initiateur. A travers la relation de Fanfan et Marion, le film montre de quelle manière les jeunes filles sont soumises à la loi des pères qui leur imposent un mari. A partir de la Libération, l’autorité paternelle se fissure et les mœurs traditionnelles évoluent255. Pour échapper au mariage, Fanfan s’engage dans l’armée française. Lors de son arrivée au camp du régiment d’Aquitaine, Fanfan est convié à un exercice militaire dirigé par le capitaine Fier-à-Bras (Noël Rocquevert). Il leur apprend à défiler, manier le fusil et monter à cheval. Des plans d’ensemble en plongée montrent le groupe de soldats à terre, genoux au sol, en alternance avec des plans resserrés sur Gérard Philipe.

Illustration 40. Photogrammes du film Fanfan la Tulipe

L’acteur joue un Fanfan lassé des pitreries de son supérieur. Il fronce les sourcils, pince les lèvres et peine à garder la pose. Fanfan, agacé, finit par ôter l’étouffant uniforme militaire. Il dit à son supérieur : « Etouffant et répugnant, je trouve cet exercice. ». Gérard Philipe, cheveux au vent, vêtu d’une chemise ample et légère qui laisse entrevoir le haut de son torse256, promeut une image de spontanéité et de liberté.

255 L. Bantigny, Le Plus bel âge…, op. cit. p. 37. 256 Dans les films de cape et d’épée le torse est le symbole de la puissance masculine par excellence. Ainsi, dans de nombreux films Jean Marais ou Georges Marchal apparaissent le torse entièrement dénudé, contrairement à Gérard Philipe. C’est ici encore un témoignage de sa juvénilité. Susan Hayward fait une 108

Face à lui, Fier-à-Bras symbolise rigueur vestimentaire et autorité tyrannique. Noël Rocquevert qui cabotine incarne un personnage grotesque. Il braille et insulte ses recrues : « bande d’abrutis », « allons plus vite que ça, mais qui est-ce qui m’a foutu une bande de clodos pareils ». Son strabisme, son épaisse moustache, sa perruque couverte d’un large chapeau et son costume tiré à quatre épingles, col haut et serré, accentuent le ridicule.

Illustration 41. Photogrammes du film Fanfan la Tulipe

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le soldat incarne un modèle de masculinité forte257. Et dans l’imaginaire collectif, le service militaire258 forme les hommes. Durant plusieurs mois, les garçons quittent le cocon familial et apprennent à devenir virils. Le service militaire procède à l’examen de la virilité, car c’est lui qui détermine les aptitudes sexuelles et matrimoniales des garçons259. De ce point de vue, le rôle de l’armée est de dissoudre progressivement les frontières qui séparent l’âge juvénile de

étude complète des trois acteurs dans les films en costumes des années 1950 dans S. Hayward, French Costume…, op. cit. p. 141-163. 257. A-M. Sohn, Sois un homme …, op. cit p. 205. 258. Le service militaire est institué en 1798. En 1950, le service militaire passe de douze à dix-huit mois. Il est cependant maintenu à trente mois pendant la guerre d’Algérie. 259. R. Révenin, Une histoire des garçons et des filles..., op. cit. p. 267. 109

l’âge viril260. Les jeunes garçons apprennent la gestuelle militaire, sont initiés au maniement des armes261 (sabre, fusil poignard) et peuvent revêtir l’uniforme du soldat qui fait le prestige de l’homme. Au sein même de la caserne, les hommes se battent souvent entre eux afin de prouver leur aptitude au combat et d’affirmer leur puissance face à leurs pairs262. Dans le film, la figure autoritaire du supérieur est ridicule. Le jeu de Gérard Philipe montre un Fanfan qui s’oppose à la brutalité de Fier-à-Bras. Dans les années cinquante, si l’institution militaire reste une instance de socialisation qui participe à la formation de l’identité masculine263, les processus d’inculcation se modifient. Et pour Régis Révenin, la dimension générationnelle a son importance. Selon lui, la masculinité adolescente, « donjuanesque et plus individuelle264 » exalte la sexualité, la rébellion et la bagarre. Elle se définit ainsi par opposition à la masculinité héroïque ou paternelle :

Après la Seconde Guerre mondiale, l’autorité paternelle sort affaiblie de la défaite de 1940 – les hommes n’ont pu accomplir leur rôle de chef de famille, se révélant incapable de protéger leurs femmes et enfants soumis à l’occupation allemande – la paternité n’est plus autant qu’avant l’incarnation d’une virilité adulte. Les adolescents valorisent désormais celle qui doit s’incarner dans un corps jeune, énergique associée au sport et à la nature265.

La confrontation entre Fanfan et Fier-à-bras fait donc écho à ce conflit entre les générations.

260. Ibid. 261. Selon Anne Marie Sohn, les attributs militaires fascinent les jeunes garçons et les armes comme le fusil, l’épée ou le bâton, symbolisent le prolongement du corps masculin et sont, de ce fait, associées à l’identité masculine, A-M. Sohn, Sois un homme…, op. cit. p. 199. 262. R. Révenin, Une histoire des garçons et des filles…, op. cit. p. 269. 263. Le service militaire reste obligatoire jusqu’en 1996. Cependant après la Seconde Guerre mondiale le modèle du soldat s’effrite, A. Baubérot, « On ne nait pas viril, on le devient », op. cit. p. 184. 264. R. Révenin, Une histoire des garçons et des filles… op. cit. p. 260. 265. Ibid. 110

C’est dans la dernière partie du film que Fanfan se construit une identité plus digne de l’homme adulte. Pour sauver Adeline, la femme qu’il aime, il se lance dans de longues chevauchées et combat les soldats du roi avec courage. Ces péripéties entrainent Fanfan vers les lignes ennemies. Sans oublier sa mission première qui est de sauver la jeune femme, il neutralise l’état-major ennemi et hisse le drapeau blanc sur le donjon266. En donnant la victoire au roi, il obtient la libération et la main d’Adeline, ainsi que la reconnaissance de toute la nation. Cet épilogue victorieux vise à réhabiliter l’identité masculine mise à mal depuis le récent conflit mondial. L’image de Gérard Philipe dans Fanfan la Tulipe s’articule avec les rapports de générations et de sexes dans le contexte des années 1950. Pour reprendre les mots de Susan Hayward : « Sa juvénile silhouette bondissante confère à l’acteur un charme aérien et princier. Il est l’adolescent qui aime rire et s’amuser.267 » Par conséquent, le jeu de l’acteur amène au personnage un dynamisme, une insolence, une chaleur et une humanité qui permettent à l’acteur de rompre avec son image dans La Chartreuse de Parme – où Gérard Philipe use d’un jeu silencieux, immobile et arbore un air continuellement triste. Au contraire dans Fanfan la Tulipe, l’acteur utilise des modulations très variées de ton, de débit, d’élocution et d’accent. Il incarne aussi un personnage tout en mouvement. Gérard Philipe prend un timbre juvénile. Son accent est joyeux et chantant, son intonation fougueuse et parfois moqueuse lorsqu’il s’adresse aux paysans et aux militaires. Il parle vite et beaucoup. La gestuelle de Gérard Philipe indique la jeunesse du personnage. Le jeune homme frivole se distingue par des gestes brusques et vifs. Lors des combats, il s’amuse, sourit continuellement. Ainsi, Gérard Philipe bondit, frappe et court sans jamais s’arrêter. Cette cadence effrénée est parfaitement soutenue par la mise en scène de Christian-Jaque. Les plans sont brefs, nombreux, les échelles variées et le rythme saccadé. En exemple, citons la scène où Fanfan vient, seul, à bout de cinq brigands pour sauver la Princesse Henriette et la Marquise de Pompadour.

266. Cette séquence ridiculise l’armée et le roi Louis XV à qui Fanfan subtilise la victoire. Louis XV qui avait organisé un plan d’action et quantifié le nombre de morts – comme il en était coutume à l’époque - est démuni. En haut d’une colline, il observe de sa longue vue les combats, stupéfait, déconcerté face aux événements. 267. R. Révenin, Une histoire des garçons et des filles…, op. cit. p. 40. 111

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Illustration 42. Photogrammes du film Fanfan la Tulipe

Cette mise en scène rappelle les productions hollywoodiennes. Et de fait, Fanfan la Tulipe constitue une des premières tentatives françaises pour concurrencer Hollywood sur le domaine du spectaculaire268. Dans les années qui précèdent sa sortie, les films de cape et d’épée américains connaissent un grand succès en France269. Ils perpétuent tous le mythe :

Des hommes forts, des actions nettes et belles, une psychologie et une morale simples, un corps puissant et racé, un parfum d’exotisme qui sent bon l’innocence retrouvée, puisqu’il s’agit non de descendre dans les abîmes de l’âme ou de définir des conduites, mais de dévoiler dans une confrontation lumineuse les ressources d’élégance et de noblesse, d’exaltation et de grandeur que la vie réserve à qui sait la prendre comme il le faut270.

Par exemple, dans Les Trois Mousquetaires (Georges Sydney, 1950) Gene Kelly, petit et trapu, offre une carrure solide. Mais cette apparence virile, associée à une extrême souplesse, lui permet de proposer une masculinité non menaçante. Blagueur et le sourire permanent, l’acteur suggère « un héroïsme à la virilité bon enfant271 ». Gene Kelly est aussi considéré comme l’un des plus grands danseurs et chorégraphes d’Hollywood272. Il a renouvelé la comédie musicale. Son style de jeu et ses qualités physiques sont donc aussi exploités dans des films non musicaux. Ainsi dans les Trois

268. « The prototype – Fanfan Philipe, France’s answer to Douglas Fairbanks Sr and Errol Flynn », S. Hayward, The French Costume…, op. cit. p. 142. 269. L’Aigle des mers (Mickael Curtiz, 1948) : 3, 3 millions d’entrées ; Le Fils de Robin des bois (George Sherman et Henri Levin, 1949) : 3, 4 millions d’entrées ; Les Aventures de Don Juan (Vincent Sherman, 1949) : 3, 7 millions d’entrées ; Capitaine de Castille (Henri King, 1949) : 3, 4 millions d’entrées ; Les Trois Mousquetaires (George Sydney, 1950) : 4, 3 millions d’entrées ; La Flèche et le flambeau (Jacques Tourneur, 1951) : 4, 3 millions d’entrées . 270. Antoine de Baecque, « Projections : la virilité à l’écran », J-J. Courtine, Histoire de la virilité, Tome 3…, op. cit. citant Michel Mourlet, L’Écran, janvier 1949, p. 450. 271 Ibid. 272. Avec Fred Astaire. 113

Mousquetaires, son personnage de d’Artagnan déjoue l’ennemi sans violence, grâce à des prouesses acrobatiques réalisées avec élégance273. Dans La Flèche et le flambeau (Jacques Tourneur, 1951), propose un autre modèle de masculinité :

Un homme d’action, athlète du cheval, quasi-homme-centaure, vivant de sa force physique (il dompte les bêtes sauvages), survivant par sa robustesse dans la nature hostile et par son adresse dans le duel, il possède une mission : combattre les civilisés corrompus et châtier ceux qui, hors-la-loi, ont trahi le code d’honneur fondateur274.

Le corps viril de l’acteur (carrure, stature, démarche) et les valeurs morales du personnage (droiture, laconisme, violence contenue, force apprivoisée) façonnent un homme hors du commun. Ces caractéristiques sont constitutives de la persona de Burt Lancaster275. Si dans Fanfan la Tulipe, Gérard Philipe marche sur la voie de ces acteurs américains, il se singularise par « sa juvénile silhouette bondissante » qui selon Samuel Lachize lui confère « un charme aérien et princier. Il est l’adolescent qui aime rire et s’amuser.276 » Son héros jeune et en bonne santé personnifie une nation revivifiée par la croissance durant les Trente Glorieuses et rajeunie par la montée de la jeune génération277. La critique presse souligne donc, à juste titre, une réussite française dans un genre associé jusqu’ici au cinéma hollywoodien.

273. Pour une étude de la réception ordinaire de Gene Kelly, voir Fanny Beure, « Amateurs de comédie musicale hollywoodienne sur Internet : renouvellement d’un genre classique par les pratiques spectatorielles de l’ère numérique », Conserveries mémorielles [En ligne], # 12 | 2012, mis en ligne le 05 avril 2012, consulté le 14 juin 2017. URL : http://cm.revues.org/1207 274. A. de Baecque, « Projections : la virilité à l’écran » op. cit. p. 453-455. 275. Burt Lancaster pratique diverses activités sportives : basket-ball, athlétisme et gymnastique. Il est aussi doué pour les acrobaties de cirque. Durant les années trente, il partagera la vie de saltimbanque avec les gens du voyage sur plusieurs tournées. 276. Laurent Marie, « Les Films en costumes de Gérard Philipe : entre le rouge et le noir », dans D. Chedaleux et G. Le Gras (dir.), Genres et acteurs…, op. cit. citant Samuel Lachize, L’Humanité dimanche, 24 novembre, 1969, p. 93. 277. L. Bantigny, Le Plus bel âge…, op. cit. 114

B. Réception : succès critique et prestige national

Depuis les années vingt et trente, Hollywood domine le film de cape et d’épée avec les figures incarnées par Douglas Fairbanks et Errol Flynn278. Or, au tournant des années cinquante, la France veut prouver qu’elle peut être un autre modèle dominant, à l’étranger, en se référant à son héritage patrimonial et littéraire prestigieux. L’article paru dans Parallèle279 le 10 février 1952 illustre bien ce désir de légitimation culturelle française :

Fanfan la Tulipe n’est pas seulement, comme on l’a dit, un western français, le plus mouvementé et le plus irrésistible de tous les westerns, c’est un film de cape et d’épée assurément, mais qui, à la bonne franquette, sans avoir jamais l’air d’y toucher, s’inscrit pourtant dans une très grande ligne de notre tradition littéraire : celle des Voltaire, Diderot, Beaumarchais, d’Artagnan, Gavroche et tant de nos chansons populaires anonymes.

Fanfan la Tulipe est, en effet, tiré d’une chanson populaire écrite durant la guerre en dentelles. Ces paroles douces et légères devaient égayer le moral des soldats durant les sept années de conflits. Pour le journaliste l’adaptation des chants du peuple au cinéma participe – au même titre que celle des œuvres de prestige – à l’affirmation de l’identité nationale en France et à l’étranger. À la lecture des articles de presse, la réussite du film est attribuée en majorité aux caractéristiques du personnage et au charme de l’acteur. L’Écran français dépeint ainsi le personnage de Fanfan : « généreux, fort, bon et bon vivant, enthousiaste, aimant la vie, les bonnes causes et les belles filles, un vrai héros comme on les aime à quinze ans et comme on fait semblant de ne plus les aimer quand on a pris de l’âge280. » Arts loue le choix de Gérard Philipe qui « a renoncé à jouer les beaux ténébreux dans les scénarios de Jacques Sigurd281 et qui se montre désinvolte et souriant dans un personnage qui semble fait sur mesure pour le lion superbe et généreux qu’il est

278. S. Hayward, French Costume…, op. cit. p. 137. Citons Les Trois Mousquetaires (Fred Niblo, 1921), Robin des bois, (Allan Dwan, 1922) pour Douglas Fairbanks, et pour Les Aventures de Robin des Bois (Michael Curtiz et William Keighley, 1938) pour Erron Flynn. 279. Auteur anonyme, Parallèle, 10 février 1952. 280. L’Écran français, 26 décembre 1951. 281. En référence au film Une si jolie petite plage (1949) où Gérard Philipe présente un personnage triste et silencieux. 115

devenu282 ». Enfin dans Cinémonde, on apprécie le sentiment de légèreté et de jeunesse qui émane du personnage :

Nous avons tant de fois baptisé de ce nom prestigieux les soldats de plomb de notre enfance, nous avons tant de fois juché Fanfan sur de multicolores chevaux de carton bouilli, que nous ne pouvons pas écarter son image de nos rêves… Des années et des années ont passé et, chaque soir, dans des salles de cinéma des centaines de gens vont chercher la personnification de leur héros, une silhouette palpable, une voix, un visage. Loin de périr, la merveilleuse légende revit283.

À l’aune de ces commentaires, rejaillit la dimension juvénile tant au niveau du personnage que du jeu de l’acteur. Cette jeunesse s’inscrit dans le cadre léger du divertissement, un film du « sam’di soir284 », au sens où on l’entend, pour les grands et les petits, à voir en famille ou entre amis. En résumé, dans Fanfan la Tulipe, Gérard Philipe propose de nouveau une image contradictoire. La figure de Fanfan oscille entre rébellion et restauration des normes sociales de sexe. Puis elle reprend des éléments de ses personnages précédents tout en innovant. Nous retrouvons ainsi la spontanéité juvénile du Diable au corps. Mais si dans ce dernier, nous percevions une alliance entre les générations d’hommes, Fanfan la Tulipe présente à l’inverse un conflit générationnel. Celui-ci fait écho au désir d’émancipation des jeunes qui veulent être reconnus comme un groupe social à part entière285. Le film de Christian-Jaque montre aussi la capacité de l’acteur, qui ne s’était jusqu’ici illustré que dans des mélodrames, à s’adapter à un registre nouveau : la comédie. C’est donc avec légèreté et naturel que Gérard Philipe continue de séduire, à l’unanimité, le grand public et les critiques. Gérard Philipe dans Fanfan la Tulipe semble bien illustrer la thèse de Ginette Vincendeau, qui veut que toute création s’intègre à la fois dans un principe de continuité et innovation rapport aux personnages précédents. Cette dualité est selon la chercheuse nécessaire à la star pour durer et éviter la lassitude286. En 1952, sortent Fanfan la Tulipe et Belles de nuit (René Clair), ces deux films en costumes, teintés de légèreté, marquent la fin d’une période dans la carrière de l’acteur

282. Arts, 27 mars 1952. 283. Cinémonde, n°925, 28 mars 1952, p. 7. 284. Fabrice Montebello, « Les usages sociaux et usages populaires du cinéma : la question des amateurs », Iris, n°17, 1994, p. 25-39. 285. L. Bantigny, Jeunesse oblige…, op.cit. 286. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin…, op. cit. p. 138. 116

qui, par la suite, développe un répertoire de héros beaucoup plus sombres287. Et c’est dans cette lignée que s’ancre le séducteur cynique des Grandes Manœuvres.

287. Nous détaillons ces éléments plus loin (voir 2e Part. chap. 4). 117

II. Les Grandes manœuvres : le séducteur cynique

Illustration 43. Affiche du film Les Grandes Manœuvres

Avec 5,3 millions d’entrées, Les Grandes Manœuvres est un succès au box-office. À l’affiche, on retrouve deux grandes stars du moment : Michèle Morgan et Gérard Philipe qui reçoivent chacun une Victoire du cinéma français pour leur interprétation. L’œuvre de René Clair adopte le point de vue du personnage féminin victime des manœuvres d’un séducteur cynique. L’héroïne constitue une source d’identification pour les spectatrices et suscite leur empathie. Dans un contexte où le cinéma témoigne d’un caractère conservateur et patriarcal – qui vise à réhabiliter l’identité masculine face à l’émancipation des femmes au tournant des Trente Glorieuses –, Les Grandes manœuvres résonne comme une critique de cette domination masculine288. Armand de La Verne (Gérard Philipe), est un jeune lieutenant du 33e Régiment des Dragons établi dans une ville de province en attendant le départ pour les grandes manœuvres dans les années dix. C’est un véritable don juan qui s’intéresse bien plus à ses conquêtes féminines qu’aux services qu’exige son statut d’officier. Un soir lors d’un dîner entre hommes, il fait le pari de devenir l’amant d’une femme désignée au hasard par un numéro de loterie. L’élue se nomme Marie-Louise (Michèle Morgan), jeune modiste divorcée venue de Paris. Après une longue résistance, elle succombe aux

288. Le film appartient à une nouvelle forme de mélodrame féminin qu’ils définissent comme « une contestation en mineur de l’ordre patriarcal », N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre…, op. cit. p. 253. 118

charmes d’Armand. Il éprouve à son tour des sentiments amoureux pour la jeune femme. Ils vivent une brève idylle, avant que Victor Duverger () autre prétendant de Marie-Louise, ne lui révèle qu’elle a été l’objet d’un pari. Profondément blessée, la jeune femme rompt avec Armand qui tente de se justifier, en vain. Le jeune officier, attrapé à son propre jeu, se retrouve seul. Dans notre étude nous tenterons de voir quelles sont les stratégies audiovisuelles et scénaristiques qui construisent le héros masculin et condamnent le séducteur cynique. Nous étudierons successivement les quatre parties du film, puis nous terminerons sur le clivage genré qui émane de la réception.

A. Un séducteur condamné pour son cynisme

La première partie est focalisée sur le personnage d’Armand de la Verne qui nous est présenté comme un séducteur cynique. Bel officier, beau parleur, il est impétueux, arrogant et manipulateur. À ses yeux, toutes les femmes se ressemblent et sont des objets de conquête. Il aime conserver les gants et les lettres de ses innombrables maîtresses (Yvonne, Rose, Thérèse, Odette, Mathilde, Gisèle, Léontine etc…) qui symbolisent les trophées de son tableau de chasse. Les aventures sans lendemain rythment la vie d’Armand. Les femmes qu’il séduit sont pour la plupart mariées. Il profite de l’ennui quotidien de ces femmes, issues de la bourgeoisie, et entretenues par leurs maris. La séquence d’ouverture du film illustre ce manège. Le premier plan montre le portail de la caserne encore ouvert au lever du jour, tandis que les trompettes à l’appel des soldats résonnent. Suit un plan d’ensemble sur une rue avec un panoramique latéral gauche qui dirige la caméra vers l’entrebâillement d’une porte d’où sort un officier, Armand de la Verne. Dans son empressement, il a oublié son sabre qu’un bras lui tend par la fenêtre. Il agite son képi en guise de remerciement et repart en courant.

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Illustration 44. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres

Mais son compagnon Félix (Yves Robert) l’attend devant le hall de son immeuble pour lui faire la morale. Les deux acteurs développent un jeu très différent. Gérard Philipe fait de grands gestes, monte et descend les escaliers. Il parle fort et vite, avec des changements d’intonation qui suggèrent qu’il fait une performance. Yves Robert affiche une raideur corporelle sans mouvement pour transposer l’esprit de devoir et de discipline, normalement exigé d’un soldat.

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Félix : Tu sais l’heure qu’il est ? Armand : Je serai prêt dans deux minutes ! Félix : C’est ce que tu crois. Armand : Quoi ? Félix : Elle est là-haut. Armand : Qui ? Félix : Celle avec qui tu avais rendez-vous hier soir. Armand : Moi ? Oh mon dieu, j’ai oublié ! Qu’est-ce que tu lui as dit ? Félix : J’ai dit comme elle. Armand : Ohlala !

Illustration 45. Photogrammes et dialogues du film Les Grandes Manœuvres

L’enchainement de ces deux scènes présente un don juan qui malgré les interdictions a découché chez sa maîtresse. Celle-ci n’étant figurée que par son bras reste anonyme pour le spectateur. Un choix visuel qui signifie que les maîtresses d’Armand sont interchangeables289. La séquence d’ouverture se termine par le défilé du régiment des Dragons. Les cavaliers passent fièrement sous les fenêtres des civils qui accourent pour les regarder. Les plans d’ensemble sur le défilé alternent avec des plans rapprochés sur les hommes et les femmes qui le regardent. Les enfants rient, les femmes admirent, les hommes déplorent leur enthousiasme et les pères interdisent à leurs filles de regarder. Tandis que les anciennes maîtresses soupirent, pleurent et fuient. Armand est le seul dragon filmé en plan rapproché.

289. Collectionner les femmes est une des tendances lourdes dans le cinéma des années 1950. Gérard Philipe développe cette caractéristique dans Monsieur Ripois. Nous détaillons cet élément plus loin (voir 2e Part. chap. 4). 121

Illustration 46. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres

Cette organisation des regards construit le personnage masculin comme un objet de désir. L’attitude du personnage masculin montre qu’il a clairement conscience d’être regardé. Souriant et fier, il s’offre en spectacle aux femmes. Objet de désir, il n’en est

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donc pas moins le sujet dominant de l’action. Cette distribution des regards diffère totalement de celle observée dans La Chartreuse de Parme, lors du bal d’Ernest IV. Lors d’un dîner entre civils et militaires, Armand fait le pari de séduire une femme choisie au hasard. C’est donc à l’issue d’un concours de loterie, organisé par le colonel des Dragons, que Marie-Louise est désignée à son insu. Elle devient donc une cible pour le lieutenant. Il parcourt les salles à sa recherche. Une femme finit par répondre à l’appel du numéro gagnant. Cadrée dos à la caméra, Michèle Morgan se retourne. Armand est subjugué par la beauté de la jeune femme. Celle-ci retire son gant dans lequel elle avait dissimulé le billet de tombola. Le lieutenant s’en saisit puis part chercher son lot. Entre temps, un plan nous montre Michèle Morgan cadrée à hauteur du buste, les mains sous le menton et le regard dirigé vers le lointain, l’air pensif.

Illustration 47. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres

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Son attitude indique que Marie-Louise n’a pas conscience d’être regardée, pendant que nous entendons hors-champ les paroles de la chanteuse Thérèse (Magali Noël), une ancienne maîtresse d’Armand :

On dit toujours. On dit jamais. On dit je jure ou je promets, la belle avance. Et ces grands serments vois-tu, ça n’a pas cours dans le jeu des amours sans importance. Je t’écoutais en m’amusant, mais à présent… Mais à présent. Nous n’avons plus rien à nous dire, tout entre nous n’était qu’un jeu. Un dernier baiser va suffire à notre adieu. Les mots d’amour c’était pour rire, c’était pour rire.

Illustration 48. Photogrammes et chanson du film Les Grandes Manœuvres

La chanson de Magalie Noël revient à plusieurs reprises dans le film, afin de rappeler le pari dont Marie-Louise est l’enjeu. Cette stratégie audiovisuelle permet d’évoquer ce que les anciennes maîtresses290 d’Armand ont vécu et crée un sentiment d’empathie avec le personnage féminin. La posture de Michèle Morgan contraste avec les paroles de la chanteuse. Elle semble ingénue et paisible, encore inconsciente de ce qui l’attend. Beaucoup plus tard dans le film, les deux protagonistes finissent par tomber amoureux. Lors d’un bal chez le colonel, ils se retrouvent, et un champ-contrechamp montre Gérard Philipe et Michèle Morgan, cadrés de face à hauteur de buste. Ils se regardent droit dans les yeux, silencieusement, sans sourire. C’est ici le signe qu’ils ne jouent plus, ni l’un ni l’autre. Gérard Philipe saisit Michèle Morgan par la taille. Suivent deux plans panoramiques qui filment le couple valsant. Ils passent de salle en salle pour finir leur valse sur la terrasse, sans se quitter des yeux. Chaque plan utilise des

290. Thérèse fut l’une de ses maîtresses. Leur idylle est antérieure au récit du film. 124

surcadrages de fenêtre, de porte ou de feuillage pour accentuer le caractère intimiste de la séquence. En effet, les personnages, épris l’un de l’autre, ne semblent pas tenir compte de la foule qui les entoure. La musique hors-champ qui vient progressivement recouvrir le brouhaha de la salle accentue cette impression. Une fois seuls sur la terrasse, Marie-Louise et Armand s’embrassent. Elle finit par se retirer, comme effrayée par son geste et supplie le lieutenant de la laisser partir.

Illustration 49. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres

Dans cette séquence, Gérard Philipe joue avec retenue, ses gestes sont mesurés, sa voix basse est rassurante, empreinte de conviction. Ses propos peuvent parfois montrer une certaine hésitation qui témoigne d’une plus grande sincérité. L’évolution du jeu de l’acteur indique un changement dans l’attitude du personnage. Le séducteur cynique

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devient un amoureux, il n’a donc plus la même maîtrise de ses sentiments. Face à lui, Michèle Morgan joue sur le registre du trouble et de l’égarement. Car si Marie-Louise a toujours été sincère et consciente de ses désirs, elle avait jusqu’ici fait preuve d’une grande méfiance vis-à-vis d’Armand. Sa méfiance est réactivée et son amour humilié lorsqu’elle découvre le pari dont elle a été l’enjeu. C’est son prétendant officiel, le civil Victor Duverger qui lui révèle la vérité pour la punir quand il découvre qu’elle a succombé à Armand. Pour fournir la preuve, il lui montre la lettre. Le soir même le lieutenant retrouve ses camarades autour d’une table. Tandis que tout le monde attend le nom de la femme qu’il a séduite, il tente de changer la règle du jeu pour révéler son amour envers Marie-Louise et leur mariage prochain. La disposition de la scène est semblable au repas d’ouverture où le pari avait été lancé. Les participants, en uniforme ou en civil, sont tous présents. Ils boivent, fument, et chantent en attendant la grande nouvelle. Mais quand Armand tente d’être sincère, il est taxé de « bel orateur » ou de « sacré farceur ». Durant cette scène, Gérard Philipe reste debout, immobile. Lors du premier dîner, il manifestait sa fierté à l’écoute des rires et des applaudissements. Mais ici, les blagues ont un goût amer. Armand ne riposte pas, il constate peiné l’ironie de ses camarades.

Illustration 50. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres

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Pour comparer, voici les images du premier dîner :

Illustration 51. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres

Les plans rapprochés sur le visage de l’acteur montrent sa sincérité. Son regard est doux, son air sérieux. Le sourire et les fossettes du début ont disparu. Cependant si le spectateur a conscience de la sincérité du héros, les protagonistes refusent de le croire. Gérard Philipe est placé au centre de l’image, son immobilité contraste avec l’agitation de ceux qui l’entourent. Les plans rapprochés permettent de voir les expressions de son visage. Les applaudissements qui viennent du hors-champ entrent en contradiction avec son comportement. Ainsi faite, la mise en scène souligne l’isolement du personnage. Il subit passivement ce qui lui arrive. Marie-Louise l’attend dehors dans un fiacre. Il sort en courant, ouvre la porte, s’assoit à ses côtés et l’enlace tendrement. Durant cet échange, la caméra reste fixée sur Michèle Morgan, à hauteur du buste. L’actrice est immobile et son regard rempli de larmes. Son jeu indique la déception amoureuse et le désespoir.

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Illustration 52. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres

Au milieu du dialogue, un seul plan court sur Gérard Philipe montre le personnage masculin qui prend conscience de la situation. Il est en train de perdre celle qu’il aime. Tombé sincèrement amoureux, il fait les frais de son parcours de séducteur sans scrupules.

Armand : Tu les entends, les camarades ? Marie-Louise : Avec qui tu devais dîner ? Armand : Oui. Marie-Louise : La veille du départ pour les grandes manœuvres ? Armand : Oui et ils s’amusent. Marie-Louise : Parce que je suis ici avec toi ? Armand : Mais ils ne savent pas qui tu es. Marie-Louise : Tu ne leur as pas encore dit. Armand : Jamais. Marie-Louise : Tu leur as parlé de moi, j’en suis sûre. Armand : Mais sans te nommer. Je leur ai dit que celle que j’aime est le seul amour de ma vie. Marie-Louise : Et ils l’ont cru ? Armand : Oui. Tu as l’air de douter de moi, pourquoi ? Marie-Louise répond-moi, laisse- moi regarder tes yeux. Marie-Louise tu me caches quelque chose ? Marie-Louise : Et toi ? Armand : Mais regarde les miens. Tu te souviens, un soir, tu m’as dit que tu savais... Marie-Louise : Lire dans les regards, mais pas dans le tien.

Le film livre donc une critique virulente de l’attitude du lieutenant de la Verne. Ses actes, au début constitutifs de son identité masculine et virile, le mènent finalement

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à sa perte. La nuit noire, la pluie et les parois du carrosse suppriment la profondeur de champ, ce qui donne une atmosphère sombre et pesante exprimant l’accablement du héros, son échec et sa solitude.

Illustration 53. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres

La première version du film de René Clair devait s’achever sur le suicide de Marie-Louise. Le jour du départ pour les grandes manœuvres, elle laissait sa fenêtre ouverte au moment du passage du régiment des Dragons. Armand pensait ainsi qu’elle lui avait pardonné, tandis qu’elle venait de se donner la mort. Mais cette fin fut refusée par les producteurs qui exigèrent du cinéaste une fin « plus acceptable »291. René Clair proposa donc la fin qui a été validée : Marie-Louise laisse ses persiennes fermées indiquant ainsi au lieutenant qu’elle ne lui pardonne pas sa trahison. Les Grandes Manœuvres propose une vision tragique des rapports entre hommes et femmes où, selon les mots de Noël Burch et Geneviève Sellier : « la volonté de domination masculine montre son caractère destructeur, y compris pour ceux qui l’exercent292. » Michèle Morgan incarne une femme amoureuse victime de l’ordre patriarcal et machiste, car elle a tenté de vivre libre. Cette figure fait écho à l’émancipation féminine des années cinquante qui bouleverse les rapports de domination entre les sexes. Marie-Louise est une femme indépendante sur deux points : elle travaille, elle est donc autonome financièrement ; divorcée, elle n’est donc plus soumise à l’autorité d’un mari. Mais sa liberté est contrée par son statut d’objet sexuel : son célibat est joué293 à la loterie. Conformément aux stéréotypes misogynes une femme

291. Radio Cinéma Télévision, 6 novembre 1955. 292. N. Burch et G.Sellier, La Drôle de guerre…, op. cit. p. 254. 293. Cette figure de la femme vendue est typique du cinéma des années 1950. Elle symbolise la soumission des femmes dans une société patriarcale et mercantile. Pour plus de détail voir N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre des sexes…, op. cit. p. 253. 129

ne peut être libre, maîtresse de son corps et de ses désirs. La seconde moitié du film insiste sur l’attachement réciproque des deux protagonistes. Cet élément scénaristique marque l’évolution d’Armand qui devient un amoureux romantique. Ce caractère, inhérent à la persona Gérard Philipe, annihile le cynisme du personnage. Mais la représentation positive des rapports amoureux est éphémère. Le caractère mélodramatique de l’épilogue présente une femme blessée par la vie. Il prend au sérieux ce qu’elle subit et de cette façon, il suscite l’empathie du public. Si l’analyse filmique met en lumière un discours de domination des rapports de sexe, la réception révèle, elle aussi, un clivage du point-de-vue genré.

B. Une réception contrastée

Dans la presse savante et généraliste, le film est louangé par la critique car il incarne un classicisme signe de la « tradition de la qualité » française. On apprécie aussi le mélange des registres. Le 6 novembre 1956, Témoignage chrétien publie :

En René Clair voisinent, ça et là, l’atticisme élégant de Voltaire, la tendre cruauté de Marivaux, la rêverie douce et amère de Musset, la lucidité laconique de Stendhal. Les Grandes Manœuvres se déploient sous ce quadruple et glorieux patronage. Cela donne un film ravissant, clair et brillant comme un jardin à la française, discret comme une litote, léger, bondissant, pétillant d’intelligence, de sensibilité, tout à la fois mélancolique et joyeux294.

Concernant l’interprétation, il est plus souvent question de Gérard Philipe. Et les commentaires sur sa performance sont dithyrambiques. Pour Claude Garson, dans l’Aurore : « Le mot « excellent » est au-dessous de la vérité. C’est certainement son meilleur film, et même son côté enfantin donne à ce don juan une plus grande vérité française295. » Dans Populaire dimanche, on écrit : « Gérard Philipe incarne avec virtuosité, son allégresse coutumière le bel officier296. » Enfin dans Témoignage chrétien, Roger Fressoz apprécie Gérard Philipe dans le personnage de dragon, qu’il

294. Roger Fressoz, Témoignage chrétien, 11-11-1955. 295. Claude Garson, L’Aurore, 20 octobre 1955. 296. Populaire Dimanche, 13 novembre 1955. 130

trouve « étourdissant de brio297. » De manière générale, le reste de la distribution est louangée par les journalistes. Les Grandes Manœuvres est le film le plus cité dans le courrier des lecteurs de Cinémonde, « Potinons » en 1956298. À la lecture des extraits de lettres, nous pouvons donc documenter les goûts des spectateurs et spectatrices sur la performance des acteurs. Sur l’année qui suit la sortie des Grandes Manœuvres, Geneviève Sellier a relevé vingt-trois commentaires sur le film299 : onze émanent de correspondantes et douze de correspondants. La performance des acteurs est jugée en premier et séparément. Michèle Morgan est la plus souvent mentionnée. De manière générale, les critiques positives viennent des femmes et les négatives des hommes. Par exemple, « Mirocline a beaucoup aimé Grandes Manœuvres (surtout M. Morgan pudique, douloureuse et fine300. » André Ronnet qui a, lui aussi, apprécié le film demande : « combien de temps faudra-t-il encore voir M. Morgan traîner son air las sur nos écrans301. » Les commentaires sur Gérard Philipe sont eux aussi partagés. Trois hommes émettent une réserve, comme Febrarius Mensis qui l’a trouvé « trop remuant et superficiel dans son personnage de joli cœur de province302. » Les propos les plus flatteurs sont le fait de femmes d’âge mûr, à l’instar des phrases qui suivent :

Maguy est femme de colonel en retraite et Les Grandes Manœuvres lui a permis de revivre sa jeunesse : « j’aimais moi aussi les lieutenants polissons (eh ! eh !) et je vois avec plaisir que le prestige de l’uniforme tient toujours. On aimait beaucoup Gérard Philipe maintenant c’est l’idolâtrie »

Femme adulte, Maguy manifeste l’adoration d’une midinette. Ces propos mettent en lumière le fétichisme de l’uniforme. Pour cette femme, ce n’est pas celui qui le porte qui fascine mais plutôt le statut social que le vêtement représente. Le costume symbolise l’institution militaire et les valeurs qui lui sont associées : courage, bravoure et patriotisme. Les Grandes Manœuvres semble proposer une source de projection et d’identification pour la spectatrice qui revit ses fantasmes de jeunesse. Contrairement

297. Roger Fressoz, Témoignage chrétien, 11 novembre 1955. 298. G. Sellier « Les goûts des spectateurs ordinaires : un paysage contrasté », dans G. Le Gras et G. Sellier (dir), Cinéma et cinéphilies populaires…, op. cit. p. 240-245. 299 Ibid. 300 « Potinons », Cinémonde, n°1141 (21 juin 1956), p. 18-19. 301 « Potinons », Cinémonde, n°1124 (23 février 1956), p. 18-19. 302. « Potinons », Cinémonde, n°1119 (19 janvier 1956) p. 18-19. 131

aux hommes qui analysent la performance de l’acteur uniquement sous l’angle esthétique, Maguy l’enrichit d’une dimension éthique. Les propos de la courriériste montrent aussi que si le film donne une place dominante à l’héroïne, le charme de Gérard Philipe tempère les agissements du séducteur cynique. Son statut de « jeune premier absolu » et d’« icône d’une masculinité idéale303» suffit peut-être à expliquer cette réception positive auprès des femmes. Il est aussi probable que son image médiatique « d’homme modèle »304 neutralise quelque peu la vision critique du machisme aux yeux des spectatrices. Les réserves émises uniquement par les hommes renforcent aussi l’idée d’un personnage construit à destination du public féminin. En résumé, Les Grandes Manœuvres présente une des meilleures créations où Gérard Philipe associe les caractéristiques contradictoires : amoureux romantique et séducteur cynique. L’évolution scénaristique, le mélange des registres comique et tragique, puis le jeu modulé de l’acteur (ton, gestes corporels et expressions faciales) participent à la construction de cette figure antinomique. Après Le Rouge et le Noir (Claude Autant-Lara), Les Grandes Manœuvres est le second film en costumes à révéler la facette noire de la persona. Mais contrairement à l’œuvre de Claude Autant-Lara, Les Grands Manœuvres infantilise et culpabilise le héros masculin. Le film adopte le point de vue des femmes victimes des impertinences du séducteur. Par conséquent, si le personnage d’Armand de la Verne peut recueillir la sympathie du public grâce à la performance de l’acteur – la réception en témoigne –, il ne peut en aucun cas susciter son empathie. Le film de René Clair entre en résonance avec le contexte des années cinquante où l’on tente de réfréner l’émancipation des femmes. Les ambivalences perçues chez Armand de la Verne existent déjà chez des personnages antérieurs : François (Diable au corps), Pierre (Une si jolie petite plage), André Ripois (Monsieur Ripois)305.

Pour conclure, Fanfan la Tulipe et Les Grandes Manœuvres constituent des films charnières dans la carrière de Gérard Philipe, du point de vue des représentations et du jeu de l’acteur. Fanfan la Tulipe est la première des deux interprétations de Gérard

303. G. Sellier, « Les Françaises des années 50 : amoureuses tragiques et poupées gonflables ? », CinémAction, n°99, Machisme et cinéma », 2001, p.72-79. 304. Nous détaillons ces éléments plus loin (voir 3e Part. chap. 6). 305. Nous détaillons ces éléments ailleurs (voir 2e Part. chap. 2 et 4). 132

Philipe dans un registre comique. Son personnage est l’apogée de sa jeunesse, caractérisée par la spontanéité et l’exaltation. Le genre de cape et d’épée célèbre une masculinité juvénile et héroïque, renforcée par le jeu de l’acteur. Mais l’analyse filmique nous a aussi permis de révéler les sous-textes en faveur d’une identité traditionnelle et patriarcale. Ainsi décrite, la performance de Gérard Philipe dans Fanfan la Tulipe personnifie à l’écran les conflits de générations et de sexes qui chahutent les rapports sociaux au tournant des années cinquante. Dans Les Grandes Manœuvres, l’amoureux romantique disparaît au profit du séducteur cynique. Gérard Philipe est une fois de plus la source de désirs et de fantasmes. Mais contrairement aux films précédents, son objectivation par la mise en scène indique son caractère destructeur sur les femmes. Comme nous avons pu le voir, le personnage et le jeu de l’acteur témoignent de l’oppression qu’elles subissent. Tandis que les stratégies audiovisuelles dénoncent la domination masculine.

133

CHAPITRE 3. UNE IMAGE AMBIVALENTE : UNE SI JOLIE PETITE

PLAGE ET MONSIEUR RIPOIS

Lorsqu’il entame le tournage d’Une si jolie petite plage, Gérard Philipe est déjà, malgré son jeune âge, une star consacrée du cinéma français. Après les succès du Diable au corps et de La Chartreuse de Parme, il incarne le jeune premier romantique. Adaptations littéraires et films en costumes, ces deux œuvres appartiennent à des genres traditionnellement connotés comme plutôt féminins. À l’inverse, Une si jolie petite plage est emblématique du « réalisme noir », un courant teinté de misogynie qui vise de façon privilégiée un public masculin. Ancré dans la tradition française du « réalisme poétique » des années trente, il s’inscrit dans le climat de l’après-guerre dont il exprime les tensions inhérentes aux bouleversements socio-culturels : souvenirs douloureux de l’Occupation, espoirs déçus de la Libération, craintes face à l’émancipation féminine, inquiétudes face à la puissance américaine et à la modernisation de la société. Monsieur Ripois est un film charnière dans la carrière de Gérard Philipe, car il marque la fin d’une période où l’acteur n’avait cessé d’incarner l’idéal romantique. André Ripois est le premier personnage d’un nouveau répertoire de séducteurs cyniques. Suivent Le Rouge et le Noir (Claude Autant-Lara, 1954), Les Grandes Manœuvres (René Clair, 1955), Pot-Bouille (Julien Duvivier, 1956) et Les Liaisons dangereuses (Roger Vadim, 1959)306. Le cynisme des personnages peut être lu comme le signe de l’angoisse des hommes de ne pas retrouver leur domination d’avant-guerre face à l’émancipation des femmes, qu’ils vivent comme une tentative de destruction de leur identité307. Dans Une si jolie petite plage, Gérard Philipe incarnait un jeune homme dont la « fragilité pathétique308 » le désignait comme la victime de choix d’une femme qui profite de sa naïveté. Dans Monsieur Ripois, l’acteur inverse donc le rapport de domination entre les sexes. À une époque où les hommes sont sommés de renégocier leur identité, ces deux films proposent chacun un nouveau type de personnage et un nouveau type de masculinité dans un genre qui était jusque-là étranger à l’acteur. À travers l’analyse des films et de la réception, puis en nous référant au contexte de l’époque, nous souhaitons

306. Ces films totalisent un grand nombre d’entrées. Le Rouge et le noir : 4, 3 millions d’entrées ; Les Grandes Manœuvres : 5, 3 millions d’entrées ; Pot-Bouille : 2, 6 millions d’entrées ; Les Liaisons dangereuses : 4, 3 millions d’entrées. 307. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre…, op. cit. p. 224. 308. Ibid. p. 232. 134

mettre en lumière les différents discours des films à travers l’image de Gérard Philipe qui s’y construit. De ce fait, nous verrons successivement comment l’image de Gérard Philipe présente un héros victimisé dans Une si jolie petite plage et un petit « salaud » dans Monsieur Ripois.

I. Une si jolie petite plage : l’homme victime

Illustration 54. Affiche du film Une si jolie petite plage

Une si jolie petite plage est né de la collaboration entre Yves Allégret, Jacques Sigurd et Gérard Philipe309. En 1948, Jacques Sigurd, journaliste à L’Écran français, décide d’écrire une nouvelle qu’il fait lire à Gérard Philipe310. Le jeune acteur présente le texte au couple d’amis, Simone Signoret et Yves Allégret311. Ce dernier emballé par l’histoire décide d’en faire un film. Le projet est porté par la jeunesse générationnelle ou professionnelle : 1) de Gérard Philipe qui est une étoile montante du cinéma français après ses succès dans Le Diable au corps (1947) et La Chartreuse de Parme (1948) 2)

309. Les trois hommes se sont rencontrés à Nice, Gérard Philipe qui suivait des cours d’art dramatique fréquentait aussi les studios de la Victorine. C’est le départ d’une longue amitié, voir G. Bonal, Gérard Philipe, op. cit. 310. Gérard Philipe et Jacques Sigurd partagent un appartement, 7 rue Dragon, à Paris. 311. S’il n’est que figurant dans La Boîte aux rêves (1945), c’est devant la caméra d’Yves Allégret que Gérard Philipe fait ses premiers pas au cinéma. 135

du scénariste Jacques Sigurd qui écrit là son premier scénario original312 3) du cinéaste Yves Allégret qui a réalisé trois films sous l’Occupation et un depuis la Libération313. Une si jolie petite plage appartient au « réalisme noir », une expression née en 1955314 et utilisée pour qualifier « des œuvres résolument pessimistes qui entretiendraient un lien étroit avec le réalisme poétique315 ». Dédée d’Anvers, Une si jolie petite plage et Manèges, réalisés par Yves Allégret en collaboration avec le scénariste Jacques Sigurd, constituent des œuvres typiques du genre. Thomas Pillard fournit une définition précise du réalisme noir :

1) Les films du cycle modulent de façon similaire les éléments identifiants typiques du film noir : le style visuel sombre entre ici en correspondance avec une tonalité sépulcrale.

2) Ils présentent le même type d’articulation entre le « national » et l’« étranger » : ils possèdent des liens étroits avec les films noirs français des années trente et empruntent des éléments au cinéma hollywoodien.

3) Ils possèdent des enjeux idéologiques analogues : des personnages d’hommes défaillants confrontés à des garces malfaisantes ; des tensions générationnelles ; des évocations plus ou moins transparentes de l’Occupation ; des allusions à l’émergence de la société de consommation316.

De plus, Noël Burch et Geneviève Sellier identifient dans le « réalisme noir » un courant teinté de misogynie. Et s’ils reconnaissent la filiation avec le « réalisme poétique », ils pointent aussi des différences :

312. Il co-scénarise Dédée d’Anvers avec Yves Allégret. 313. Tobie est un ange (1941), Les Deux timides (1941), Les Démons de l’aube (1945) et Dédée d’Anvers (1947). Il co-réalise La Boite aux rêves (1942) avec Jean Chou. 314. Raymond Borde et Étienne Chaumeton, Panorama du film noir américain, Paris, Éditions de minuit, 1955, p. 152. 315. T. Pillard, Le Film noir…, op. cit. p. 22. 316. Ibid. p.23. 136

L’élément nouveau et commun aux films de l’après-guerre est l’articulation (objectivement ou subjectivement) entre le caractère maléfique des femmes et la victimisation des hommes. […] une figure de sujet masculin victimisé, très différent du réalisme poétique, en ce sens que le spectateur est sollicité dès le départ et jusqu’à la fin pour s’apitoyer sur le héros, qui est pourtant en général jeune et même souvent beau garçon317.

Les approches historiques et genrées citées précédemment, nous permettent de comprendre de quelle manière l’œuvre d’Yves Allégret a profondément modifié l’image romantique de Gérard Philipe. Nous étudierons tout d’abord les ressemblances et les différences avec la figure emblématique du « réalisme poétique », Jean Gabin. Puis, nous nous intéresserons aux rapports sociaux entre les sexes. Enfin, nous terminerons avec une analyse de la réception. Dans Une si jolie petite plage, Gérard Philipe incarne Pierre, un ancien de l’Assistance publique qui revient sur les lieux de son enfance : une modeste auberge, près d’une petite plage, où il a travaillé comme domestique. Sur place il se souvient de son adolescence malheureuse, victime des mauvais traitements du patron de l’hôtel. Il constate avec désarroi qu’un jeune garçon, lui aussi pupille de l’Assistance, subit des maltraitances identiques. Au fil du récit, nous apprenons que Pierre a tué sa maîtresse – une chanteuse qui avait autrefois séjourné dans l’hôtel et avec qui il s’était enfui – pour échapper à son emprise. Rattrapé et dénoncé par un des amants de la victime, Pierre envisage de fuir mais hanté par le souvenir de la disparue, il se suicide.

A. Sur les traces de Jean Gabin : entre continuité et rupture

Dans les années 1930, un grand nombre de longs-métrages rattachés au « réalisme poétique » repose sur la performance de Jean Gabin : Pépé le Moko (Julien Duvivier, 1937), Quai des brumes (Marcel Carné, 1938), La Bête humaine (Jean Renoir, 1938), Le Jour se lève (Marcel Carné, 1939). Pour Ginette Vincendeau, il est « le héros emblématique du Front populaire et l’expression même de la noblesse de la classe

317. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre…, op. cit. p. 224-225. 137

ouvrière française dans La Belle équipe et Les Bas-fonds par exemple, persona qui sera renforcée par Pépé le moko, La Bête humaine, Quai des brumes et Le Jour se lève318». Dans son étude d’Une si jolie petite plage319, Thomas Pillard montre qu’il existe une filiation entre Gérard Philipe et Jean Gabin. À l’instar de la séquence d’ouverture, Une si jolie petite plage « incarne moins une identité nouvelle qu’il ne s’inscrit dans le prolongement d’une histoire ancienne320 ». Par exemple, la façon dont le héros nous est présenté dans le film d’Yves Allégret est semblable aux débuts de Quai des brumes et Le Jour se lève. Noyé dans la nuit noire, nous voyons un camion surgir de la profondeur de champ. Seuls les phares permettent de le distinguer. Le conducteur du camion évite de justesse une voiture non éclairée qui arrive en face. Cette image sombre et angoissante rappelle le deuxième plan de Quai des brumes321.

Illustration 55. Photogrammes du film Le Quai des brumes

Le plan suivant d’Une si jolie petite plage, montre une vieille dame (Gabrielle Fontan) dans la cabine du camion, qui réveillée en sursaut, dit au conducteur :

La dame : Eh bien Georges c’est t’y que tu veux nous tuer ! Georges : – Vous avez vu ces vaches-là. Ils ne peuvent pas mettre leurs codes ça leur ferait mal. Et après on s’étonnera qu’il arrive des accidents. La dame : Un accident est vite arrivé. Hein.

Elle se retourne pour prendre à partie le passager à l’arrière : « Surtout de ce temps-là ça glisse. » C’est donc à travers le regard de Gabrielle Fontan que nous

318. G. Vincendeau, « Jean Gabin du prolétaire au patriarche », Les stars et le star-système…, op. cit. p. 79. 319. T. Pillard, Le Film noir…, op. cit. p. 34-38. 320. Ibid. p. 35. 321. On reconnaît le style d’Henri Alekan, chef opérateur sur les deux films. 138

découvrons Gérard Philipe. Celui-ci esquisse un léger mouvement des lèvres mais ne répond pas.

Illustration 56. Photogrammes du film Une si jolie petite plage

Pour Thomas Pillard322, la présence de cette actrice établit une autre filiation entre Jean Gabin et Gérard Philipe. En effet, dans Le Jour se lève, elle fait une brève apparition au début du film. Alors que Jean Gabin vient de tirer sur Jules Berry, elle fuit l’immeuble, car elle n’entend pas rester dans « la maison du crime ». Dix années séparent le tournage du Jour se lève et d’Une si jolie petite plage, l’actrice a vieilli, son visage est plus creusé et ses rides plus marquées. Mais ses brèves répliques fonctionnent toujours comme des prémonitions qui annoncent la mort à venir du héros. Ainsi, chez Yves Allégret, Gérard Philipe connaît le même destin funeste que Jean Gabin dans le film de Marcel Carné. Le jeu de Gérard Philipe constitue une autre référence aux films du « réalisme poétique » avec Jean Gabin. L’acteur est régulièrement montré dans des positions semblables à celles de Jean Gabin. Dans la séquence d’ouverture, son attitude rappelle celle de Jean Gabin dans Quai des brumes : triste, mutique, le regard vide, le personnage semble hors du monde.

322. Ibid. 139

Illustration 57. Photogrammes du film Le Quai des brumes

Illustration 58. Photogrammes du film Une si jolie petite plage

Caractérisé par la solitude de Pierre, Gérard Philipe est souvent montré marchant seul, sous la pluie, sur les chemins qui bordent la plage. Son errance fait écho à celle de Jean Gabin dans les rues sombres du Havre.

Illustration 59. Photogrammes des films Quai des brumes et Une si jolie petite plage

Relevons aussi, les scènes où il se retrouve seul dans sa chambre d’hôtel qui rappellent les décors du Jour se lève. Gérard Philipe isolé dans une pièce étroite et

140

miteuse. Son personnage est ainsi présenté seul face à sa solitude : le regard vide, il est assis au bord du lit.

Illustration 60. Photogrammes des films Le jour se lève et Une si jolie petite plage

Enfin, sur le plan scénaristique, la figure incarnée par Gérard Philipe peut apparaître comme une reprise de celle de Jean Gabin dans Le jour se lève. Enfant de l’Assistance publique, Pierre est sans famille, sans femme. Solitaire, il est marqué par la fatalité comme l’était François, le héros tragique incarné dix ans plus tôt par Jean Gabin. Malmené par la vie, il a tué une femme malfaisante – équivalent du sordide patriarche incarné par Jules Berry et éliminé par François – et n’a donc pas d’avenir. Hanté par le souvenir, Pierre comme François se suicide et échappe ainsi à la police. Mais malgré ces nombreuses analogies, nous pouvons tout de même observer des différences liées à la persona des acteurs, leur dimension sociale et générationnelle. Dès le début d’Une si jolie petite plage, Gérard Philipe se distingue par son manque de vitalité et sa vulnérabilité. Pierre qui est « malade des nerfs323 » vient se reposer et respirer l’air sain de la mer. Tout au long du film, Gérard Philipe adopte une démarche fébrile et une élocution chevrotante, bien loin du corps solide de Jean Gabin. Au petit matin, la patronne de l’hôtel (Jeanne Marken) se réjouit d’accueillir des malades qui font marcher son commerce : « Les malades il y a leur famille qui vient les voir ça fait encore de la clientèle. […] Quand on aime on regarde ni au temps ni à la dépense. » Le garagiste (André Valmy) au comptoir lui répond : « Vous savez pas à quoi vous me faites penser Madame Mayeux ? À une hyène. C’est un chien qui vit dans les pays chauds et qui bouffe que des cadavres. » Dans le plan qui suit, Gérard Philipe descend les escaliers, le visage pâle et la démarche tremblante.

323. Propos tenus par la tenancière de l’hôtel (Jeanne Marken). 141

Illustration 61. Photogrammes du film Une si jolie petite plage

La fatigue de Pierre est palpable et fait l’objet de commentaires des autres personnages, à l’instar de cet échange avec Marthe () :

Marthe : Vous n’avez jamais dû travailler bien dur, vous ? Pierre : Si autrefois. Marthe : Et ça vous a tellement fatigué que maintenant vous vous reposez ? Pierre : Oui.

Dans Le jour se lève, la fatigue de François est physique et liée au travail. Le personnage joué par Jean Gabin s’exprime lui-même sur son état de fatigue qu’il contrôle : « Quand t’es rentré j’allais me coucher parce que je suis fatigué. Moi, je gratte toute la journée, tu comprends. Et demain je remets ça. Alors tu vois, c’est pas difficile, je remonte le réveil, je me couche et je dors. Demain il va sonner et il va falloir partir. Alors fous-moi le camp. » Usé après des années de dur labeur comme ouvrier, il ironise : « Le travail c’est la santé ! » Là où la fatigue du personnage de Gérard Philipe souligne sa fragilité, celle présentée par Jean Gabin ne fait que renforcer son image d’homme solide. Éreinté, il n’en perd pas pour autant le contrôle de son corps. Comme le note Ginette Vincendeau, le corps de Jean Gabin est « un corps de classe ». Jean Gabin est immédiatement identifié à un type social (l’ouvrier) et à une posture morale (la droiture). Le Jean Gabin des années trente est à la fois « l’homme du peuple et le héros tragique, surtout vis-à-vis de lui-même. En effet dans la quasi-totalité de ses films entre 1935 et 1940 son personnage connaît une issue tragique : la mort, l’exil ou la destruction par les forces bourgeoises et/ou patriarcales. C’est l’anti-héros par excellence, qui se bat contre la société324. » Elle ajoute : « dont la criminalité à une motivation sociale et n’entame en

324. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin…, op. cit. p. 76. 142

rien son image immanquablement positive325. » Le meurtre commis par Pierre est, quant à lui, engendré par une guerre de sexes. Le visage rude de Jean Gabin, avec des rides d’expression marquées, des lèvres minces, un nez fort, des cheveux épais renforcent son image d’homme du peuple. Sa voix grave au débit rapide et son langage argotique appartiennent aussi au registre du populaire. Le « charisme de l’homme ordinaire326 » renforcé par son jeu, mélange d’aplomb et de retenue. Il déploie une gamme discrète mais efficace de gestes quotidiens paradoxalement mis en valeur par les explosions de colère. Dans plusieurs séquences d’Une si jolie petite plage, Gérard Philipe manifeste aussi des explosions de colère. Le souvenir de la chanteuse disparue l’obsède et il ne supporte plus d’entendre le disque – où a été gravée la voix de sa maîtresse –, qui tourne en boucle. Un soir, alors qu’il subit les médisances des gens de l’hôtel, il ne peut contenir ses émotions. Il tape les poings sur la table, s’écriant : « Vos gueules » et se lève pour jeter au sol le tourne- disque. Si ces gestes de colères constituent des marques d’autorité qui intimident l’entourage chez Jean Gabin, ils ne font qu’exposer la fragilité du personnage de Gérard Philipe. Les regards stupéfaits et compatissants des autres protagonistes renforcent l’idée qu’il est excusable parce qu’il est malade des nerfs.

Illustration 62. Photogrammes du film Une si jolie petite plage

Les vêtements de Jean Gabin (casquettes, vestes souples, pulls courts), ses loisirs (vélo) et les décors dans lesquels il évolue, renforcent son image prolétaire. Gérard Philipe dans ce film est, quant à lui, socialement non identifiable327 : il est sans

325. Ibid, p. 79. 326. Ibid. p. 84. 327. Le scénario de Jacques Sigurd se prête très bien à cette image mystérieuse, on ne sait rien du personnage principal. Son passé est révélé par petites touches. Une phrase, une musique, un objet, un regard constituent autant d’indices fournis au spectateur qui devient détective. 143

profession et sans loisirs, sans hobbies. Mais en plus d’être sociale, la différence entre Jean Gabin et Gérard Philipe est aussi générationnelle. Ce dernier présente un visage fin, des cheveux rebelles mi-longs qui lui couvrent légèrement les oreilles, un corps longiligne et gracile qui lui donne une apparence juvénile, à l’opposé du corps de Jean Gabin.

B. Rapports sociaux de sexes : Gérard Philipe enfant et victime

Dans l’après-Seconde Guerre mondiale, Gérard Philipe propose une figure associant jeunesse, fragilité et masculinité. La scène où Pierre et Marthe s’isolent dans une maison abandonnée sur le bord de la plage, nous semble parfaite pour illustrer ce propos. Un plan rapproché en plongée sur le visage de Gérard Philipe le montre allongé, la tête posée sur les genoux de Madeleine Robinson, le regard absent. On voit la main de la femme qui lui caresse le visage. Le cadre s’élargit pour capter les deux personnages puis se resserre sur le visage de Marthe qui commence à parler d’elle :

Illustration 63. Photogrammes du film Une si jolie petite plage

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Marthe : C’est drôle, moi je n’ai jamais arrêté. Il y a des jours où je me demande pourquoi. Pierre : Vous en avez marre ? Marthe : Des fois oui, mais ça passe. Marre ou pas marre, on est bien forcé de continuer. Avant de travailler ici, j’étais à la mine en Belgique. Alors maintenant, je ne me plains pas. Si j’avais un homme et des gosses, j’aurais autant de travail qu’à l’hôtel et je n’aurais même pas le dimanche après-midi. J’ai vu ma mère. Pauvre femme. Vaut mieux encore travailler chez les autres. Faut en prendre son parti quoi. On ne peut rien changer à rien. Alors.

Elle baisse les yeux sur le jeune homme : « Vous avez raison on ne peut rien changer. » Il s’écarte de ses genoux pour s’allonger sur le sable les bras croisés derrière la nuque. Une alternance de plans plus larges sur les deux acteurs et de plans rapprochés sur le visage de Gérard Philipe permet au spectateur de voir les larmes lui monter aux yeux qui deviennent brillants. Les lèvres pincées et la voix chevrotante indiquent qu’il se retient pour pleurer. À cet instant, Marthe lui caresse les cheveux et dit : « Je sais, vous êtes tous pareils. J’en ai vu d’autres et des plus costauds que toi. C’est comme de la fatigue. On ne peut pas lutter contre. C’est dur de vivre. » Entendant ces mots, Pierre se retourne face contre sol et éclate en sanglots. Elle vient alors poser la main sur son dos en prononçant quelques paroles rassurantes : « Pleure, ça fait du bien. Les hommes aussi peuvent pleurer. Ils ont souvent des raisons pour. Tu n’as pas froid au moins ? Il faut faire attention, avec cette humidité le mal est si vite arrivé. »

Illustration 64. Photogrammes du film Une si jolie petite plage

Il y a dans cette scène une inversion des normes de genre traditionnelles. Gérard Philipe, allongé, la tête posée sur les genoux de Madeleine Robinson, est en position de dominé. Les gestes maternels de Madeleine Robinson renforcent cette impression. De 145

plus, Marthe, bien qu’encore jeune, est une femme usée par des années de travail. La fatigue se lit sur les yeux cernés de l’actrice et accentue la différence d’âge. Elle montre une lucidité, un corps solide et une force tranquille, des caractéristiques habituellement réservées aux hommes. À l’inverse Gérard Philipe, la mine triste, la silhouette gracile, sans énergie, est tout en fragilité. En fondant en larmes, Pierre bascule du côté de l’enfance, ce que confirment les propos de Marthe : « Tu n’as pas froid au moins ? Il faut faire attention, avec cette humidité le mal est si vite arrivé. ». Telle une mère, elle s’inquiète et le protège. En racontant son histoire, Marthe met en avant les contraintes sociales des femmes : l’isolement des femmes, mères au foyer, et leur dépendance économique qui les placent généralement dans un rapport de force conjugal et familial défavorable. Ce personnage féminin fait exception dans le cinéma de la période, car il dit la vérité sur ce que vivent les femmes à l’époque sans être dévalorisé. Le caractère subversif de la réplique n’est sans doute pas anodin lorsque l’on connaît les engagements à gauche du scénariste Jacques Sigurd et du réalisateur Yves Allégret. Marthe dénonce aussi l’oppression sexuelle des hommes sur les femmes lorsqu’elle confie à Pierre :

Vous consoler c’est ma façon à moi de ne pas être seule. Pourtant avec toi ce n’est pas tout à fait la même chose. Toi t’es comme un vrai gosse. Eux au bout d’un moment d’être là avec une femme ça leur donne des idées. Il faut faire ce qu’ils veulent. En Belgique déjà c’était comme ça. Qu’ils soient Belges, Français, Polonais. Peut-être qu’il n’y a vraiment que ça pour leur faire oublier.

Lorsqu’elle parle Madeleine Robinson/Marthe esquisse un léger sourire, nous présentant ainsi une femme rassurée et apaisée d’être aux côtés d’un jeune homme qui n’abuse pas d’elle.

Illustration 65. Photogrammes du film Une si jolie petite plage 146

Cette scène propose donc un héros masculin différent. Doux et en manque d’affection, Pierre respecte les femmes et, de ce fait, il se situe à mille lieux des hommes décrits par Marthe. Cette image fait écho au contexte de l’Occupation. Les hommes (maris et pères) mobilisés, les femmes et les enfants restent seuls au foyer. Leur relation s’en trouve renforcée. D’autre part, à la Libération, les hommes rentrent meurtris et blessés d’exil, du maquis ou des camps de prisonniers. Le comportement de Gérard Philipe dans le film fait écho à la fois à ce lien maternel fort que les adolescents – qui ont grandi pendant l’Occupation – ont noué avec leur mère, et au besoin de maternage des hommes abîmés par la guerre. Au début de sa carrière, Gérard Philipe est souvent associé à des actrices féminines plus âgées que lui : Jany Holt (Le Pays sans étoile, Georges Lacombe, 1945), Edwige Feuillère (L’Idiot, Georges Lampin, 1946), Micheline Presle (Le Diable au corps, Claude Autant-Lara, 1947) et Maria Casarès (La Chartreuse de Parme, Christian-Jaque, 1948). Figures de femmes fortes, elles ont, comme Madeleine Robinson328 à son égard, des instincts maternels et amoureux. Le lien fusionnel à la mère est aussi une des composantes de l’image de Gérard Philipe à la ville329. En 1949, il est encore perçu comme un jeune homme célibataire qui quitte rarement sa mère, Minou. Sa relation avec Nicole Fourcade – ethnologue mariée et mère d’un garçon, de quelques années son ainée – est encore inconnue des médias330 et ne sera officialisée qu’en 1950, lors de leur mariage. Une si jolie petite plage propose donc un personnage masculin caractérisé par sa faiblesse. Mais cette faiblesse est aussi une manière de créer de l’empathie vis-à-vis d’un homme dont on comprend qu’il a été littéralement vampirisé par une femme plus âgée qui a profité de sa jeunesse et de sa vulnérabilité. Comme le notent Noël Burch et Geneviève Sellier : « Les figures de jeunes hommes de l’immédiat après-guerre ont en commun une fragilité qui les désigne comme des victimes de choix, non plus de leur milieu social mais des femmes qui profitent de leur naïveté331 ».

328. Madeleine Robinson est née en 1917, Gérard Philipe en 1922. 329. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 3e Part. chap. 6). 330. Gérard Philipe a pourtant rencontré Nicole Fourcade en 1943 à Nice, où elle résidait. Ils se sont ensuite vus plusieurs fois sur Paris, où elle a assisté à la représentation de Caligula. En 1946, accompagné par Jacques Sigurd, il lui rend visite dans sa maison des Hautes-Pyrénées où ils discutent du projet du Diable au corps, voir G. Bonal, Gérard Philipe, op. cit. p. 86-88. 331. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre…, op. cit. p. 323. 147

À la Libération la place des femmes dans le récit filmique change. Sous l’Occupation les actrices têtes d’affiche incarnaient souvent des femmes sujets de leur propre histoire. Dans le cinéma de l’après-guerre les choses s’inversent et les personnages masculins reprennent le contrôle de l’histoire. Pour les auteurs de La Drôle de guerre des sexes du cinéma français (1930-1956), « cette revendication de la prééminence absolue du point de vue masculin traverse le cinéma d’après-guerre comme une revanche332 ». À la Libération, les hommes qui ont perdu leur domination d’avant-guerre vivent l’émancipation des femmes, amorcée sous l’Occupation, comme une tentative de destruction de leur identité. Le film d’Yves Allégret, en confrontant la faiblesse masculine au pouvoir ravageur d’une femme, donne corps à ces inquiétudes misogynes. À titre d’exemple, nous pouvons étudier cette scène où comme tous les soirs à l’hôtel, chacun vaque à ses occupations. Un plan d’ensemble montre les personnages affairés, le commis-voyageur (Carette) est au téléphone avec son fils, Madame Mayeux (Jeanne Marken) fait du tricot derrière le comptoir, le Pépé est reclus dans un coin de la pièce et Madame Curlier (Mona Dol) s’ennuie visiblement aux côtés de son mari plus intéressé par ses mots fléchés. Ces deux derniers regardent Pierre, qui nous fait face. Isolé au premier plan, il boit un café et leur tourne le dos. Madame Curlier se lève alors pour s’assoir près de lui et discuter, pendant que la tenancière met un disque :

332. Ibid. p.237. 148

Madame Curlier : Vous avez lu les journaux ? Pierre : Non pas encore. Madame Curlier : Figurez-vous que ça se complique. Ça doit être passionnant d’être détective. On dirait que vous n’aimez pas beaucoup ce disque. Pierre : Mais si. Madame Curlier : Oh, ne mentez pas j’en ai l’intuition. Ça vous rappelle peut-être des souvenirs ? Pierre : C’est ça oui. Madame Curlier : Alors je vous plains. Les souvenirs c’est terrible. La musique pour moi c’est La Valse triste. Vous connaissez ? Sibelius. Ça me rappelle quelqu’un que j’ai connu avant mon mariage. Ah la vie ne s’arrange pas toujours comme elle voudrait. Non ?

Illustration 66. Photogrammes et dialogue du film Une si jolie petite plage

À cet instant la femme pose un regard adorateur sur Gérard Philipe, tout en souriant et se frottant les mains. Ces gestes expriment son désir pour le jeune homme qui tente à plusieurs reprises de se dérober : son regard est fuyant et il gesticule nerveusement sur sa chaise. La femme assassinée se manifeste à travers la mélodie du disque, mais aussi par le personnage de Mona Dol. Dans cette scène la femme exprime librement son désir et abuse de son pouvoir sur de très jeunes garçons333. Le film nous la présente comme une femme d’âge mûr, encore belle et consciente de sa séduction. Elle est ainsi construite comme une réincarnation de la figure de la prédatrice que notre héros a dû assassiner pour se libérer. En discutant à table, mesdames Mayeux (Mona Dol) et Curlier (Jane Marken) se chargent de réactiver un traumatisme ancien : « C’est tout de même honteux quand on

333. Madame Curlier entretient une liaison avec le jeune employé enfant de l’Assistance qui travaille à l’hôtel. 149

pense à la vie qu’elle devait mener encore » ; « Les journaux ont dit qu’elle était toujours entourée de jeunes gens, ces femmes-là ça a deux métiers » ; « elles ne pensent qu’à leur corps ». Les deux femmes sont à la fois écœurées et envieuses de la vie de cette riche chanteuse. Elles fantasment sur le meurtrier : « ce doit être un sadique » et tandis qu’elles expriment leur façon de penser, la caméra s’attarde en plan rapproché sur le visage de Gérard Philipe.

Illustration 67. Photogrammes du film Une si jolie petite plage

Les yeux fixes, les sourcils froncés, les lèvres pincées et la sueur au front, le personnage contient sa colère. Ce plan rapproché sur Gérard Philipe fonctionne comme une infirmation des fantasmes malsains des deux commères. Car malgré ses mimiques de colère, l’acteur conserve un visage douloureux bien loin de l’homme qu’elles décrivent. Lorsqu’elle remet le disque, Madame Curlier s’exclame : « Mais dans ces cas-là ce n’est pas la faute des femmes, elles sont excusables. C’est eux qui sont monstrueux. Ces petits voyous. Elles aiment, elles aiment. Ce qu’elles cherchent c’est l’amour. Rien d’autre. On est toujours excusable d’aimer. Toujours. Si on le retrouve, il faut le tuer. » Ces propos sont illustrés par des champs-contrechamps sur Mona Dol et Gérard Philipe.

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Illustration 68. Photogrammes du film Une si jolie petite plage

La femme (Mona Dol) qui est en larmes et tape des poings adopte un comportement hystérique. Ainsi présentée, elle ne peut pas susciter l’empathie des spectateurs. Pierre ne pouvant plus supporter ses cris se lève brutalement pour renverser le tourne-disque d’où sort la voix de sa maîtresse assassinée. Ce geste dénonce la fausseté de l’émotion et condamne le comportement des femmes fatales qui sont perçues comme une aliénation pour les hommes. Notre analyse filmique révèle donc une dimension générationnelle et genrée que Thomas Pillard (« des personnages d’hommes défaillants confrontés à des garces malfaisantes »), Noël Burch et Geneviève Sellier (« s’impose une figure de sujet masculin victimisé, […] en général jeune et même souvent beau garçon. ») ont révélé comme caractéristique des films du réalisme noir. Celle-ci est cependant absente de la réception critique qui privilégie les éléments de tradition française et les qualités esthétiques, comme l’expression d’une tradition culturelle française.

C. Réception : écart entre le public et la critique

À sa sortie, Une si jolie petite plage est louangé par les journalistes pour ses références à la « tradition de la qualité » française : « Ces symboles expressifs rappellent dans leur utilisation à l’écran, une méthode chère à nos meilleurs metteurs en scène : Clair, Clouzot, Grémillon334. » L’expression de l’identité nationale est un élément essentiel dans l’après-guerre où la France tente de retrouver son prestige cinématographique face à la montée du cinéma Hollywoodien. Il est aussi perçu

334. René Edon, Paroles françaises, 28 janvier 1949. 151

comme : « Émouvant car c’est une tentative louable de porter à l’écran le romantisme de la jeunesse du vingtième siècle. […] Ce nouveau mal du siècle fait de mélancolie et de révolte contre les hypocrisies bourgeoises, de sympathie complexe pour les âmes simples et de mimétisme vis-à-vis de la nature335. » Gérard Philipe est lui aussi auréolé de gloire et, malgré son jeune âge, les critiques reconnaissent la maturité de son jeu336. On parle de « concentration », de « contrôle » et d’« intelligence ». Georges Sadoul le présente ainsi : « l’interprète divers, personnel et charmant du Pays sans étoile, de L’Idiot, de La Chartreuse de Parme, et surtout du Diable au corps est peut-être le plus grand acteur qui se soit révélé en Europe depuis dix ans337 ». René Edon décrit une fusion complète entre l’acteur, le personnage et l’atmosphère du film. Il souligne la maîtrise du jeu, la beauté de l’acteur et la sensibilité qu’il parvient à dégager dans un rôle muet et avec peu de mouvement :

Tout au plus faut-il convenir qu’il donne un style à l’interprétation de cette histoire terrible et que son personnage répond à toutes les sollicitations du décor, du paysage et de l’ambiance. Le dessin de son personnage suit une ligne précise jusqu’au point d’arrêt où il culmine à sa mort. Peu de mots, peu de cris, peu de grimaces ; un jeu concentré où la photogénie de ce jeune acteur est négligée pour celle de ses émotions. Car il est émouvant sans qu’il perde, semble-t-il, le contrôle de son jeu. La turbulence de son cœur, qui répond ici à son personnage malheureux et marqué par la fatalité, n’afflue que tamisé par son intelligence. Gérard Philipe est certainement le plus sensible et le plus intelligent de nos jeunes premiers338.

Néanmoins, le succès critique et la présence de Gérard Philipe n’ont pas permis au film de dépasser les 850 000 entrées. C’est un échec public. Précisons aussi qu’Une si jolie petite plage est quasiment absent des magazines populaires Cinémonde ou Mon film, qui constituent les témoins des goûts du public de l’époque. Aucune actualité de tournage, novellisation ou critique ne sont publiées. Et les spectateurs ne donnent pas leur avis dans le courrier des lecteurs. Du point de vue de ces derniers, nous pouvons donc supposer que le film d’Yves Allégret ne répondait pas réellement aux attentes. Or c’est bien le public qui fait le succès d’une œuvre. Une si jolie petite plage « avec ses

335. T. C., Spectacles, 1 février 1949. 336. En 1949, Gérard Philipe qui a joué dans six films, a aussi une longue expérience théâtrale. Souvent engagé pour un premier rôle dans des pièces classiques ou modernes, françaises ou étrangères, Gérard Philipe excelle dans des registres variés : Sodome et Gomorrhe (1943), Fédérigo (1945), Caligula (1946), Les Epiphanies (1947), K.M.X Labrador (1948), Le Figurant de la Gaîté (1949) 337. Georges Sadoul, Nouvelles littéraires, 1 février 1949. 338. René Edon, Paroles françaises, 28 janvier 1949. 152

deux mille cinq cent mètres de pluie, de brume, de cafard, de regret, d’amertume, d’ignominie, d’hypocrisie, de bassesse, de révolte, de découragement, de lâcheté, de dégoût, etc… Deux mille cinq cent mètres de bitume339 » ne pouvait sans doute pas être apprécié dans l’après Seconde Guerre mondiale, où la France tente de se reconstruire après les traumatismes du conflit et de l’Occupation. Depuis la Libération, nous constatons un engouement populaire pour la comédie et les films en costumes340, un fait qui indique la recherche du divertissement et de l’évasion341. En résumé, dans Une si jolie petite plage, si Gérard Philipe s’inscrit dans une tradition française des années trente portée par la figure de Jean Gabin, il s’en éloigne néanmoins sur plusieurs points : classe sociale, jeunesse, corporalité et fragilité. Il incarne un héros tragique du « réalisme noir », victime innocente d’une fatalité socio- sexuelle. « La problématique sociale d’avant-guerre (l’exploitation des enfants de l’Assistance publique par les familles d’accueil) a fait place à une thématique de guerre des sexes, où les femmes ont une emprise destructrice sur les hommes342.» Pierre est la proie facile d’une garce malfaisante qui joue de ses charmes et son malheur découle de son pouvoir abusif. Les stratégies audiovisuelles mettent en avant un personnage vulnérable face aux femmes, exempt de toute responsabilité du fait de sa situation sociale de dominé et de sa jeunesse. Le spectateur est beaucoup plus sensible à la tristesse désespérée du jeune homme qu’au sort tragique de la femme assassinée. Le film est donc construit comme la défense d’une identité masculine malmenée par les femmes. Cependant, la persona de l’acteur contraste avec le ton misogyne du film. Auréolé d’une grâce juvénile, Gérard Philipe incarne à la ville comme à l’écran un modèle de douceur et d’intégrité, et de bonne entente avec les femmes343. Cette antinomie entre le sous-texte du film et la figure du comédien donne un avant-goût du « sordide petit salaud » qu’il créera dans Monsieur Ripois.

339. Jeander, Libération, 20 janvier 1949. 340. S. Hayward, French Costume…, op. cit. p. 20-21. 341. Fabrice Montebello, Le Cinéma en France, Paris, Armand Colin, 2005, p. 50-53. 342. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre…, op. cit. p. 224. 343. Nous détaillons ces éléments par la suite (voir 3e Part. chap. 6). 153

II. Monsieur Ripois : « sordide petit salaud » ou « bourreau des cœurs ingénu »

Illustration 69. Affiche du film Monsieur Ripois

Monsieur Ripois, réalisé par René Clément, sort le 19 mai 1954 soit la même année que deux grands succès commerciaux : Touchez pas au Grisbi (Jacques Becker) et Les Femmes s’en balancent (Bernard Borderie). Avec des ambitions différentes, mais des logiques analogues sur le plan des rapports de sexes, leur réussite auprès du public est avérée : 4,7 millions d’entrées pour Touchez pas au Grisbi, 4,3 millions d’entrées pour Les Femmes s’en balancent et 2 millions d’entrées pour Monsieur Ripois. Au début des années 1950, le succès des comédies policières témoigne d’une fascination pour une nouvelle forme de machisme344. A travers les figures de deux truands fatigués (Jean Gabin et René Dary), Touchez pas au Grisbi, donne une vision du couple inégalitaire : les femmes mariées sont gentilles, mais irresponsables. Dans Les Femmes s’en balancent, Eddie Constantine incarne un détective de charme et de choc face à des femmes, qui lorsqu’elles ne sont pas soumises sont forcément malfaisantes. Les personnages féminins sont des objets sexuels et le nombre élevé des femmes séduites indique leur interchangeabilité. Pour Noël Burch et Geneviève Sellier, collectionner les femmes est « la tendance lourde de la décennie345. » Des productions sérieuses, comme Touchez pas au Grisbi, ou parodique, comme Les Femmes s’en

344. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre des sexes..., op. cit. p. 250-253. 345. Ibid. p. 250. 154

balancent, attestent « du besoin de réaffirmer la suprématie des valeurs masculines récemment malmenées346 » durant l’Occupation et l’après-guerre. Il s’agit de réhabiliter le patriarcat face à l’émancipation des femmes au tournant des Trente Glorieuses. Les femmes qui accèdent plus largement au travail salarié peuvent revendiquer une autonomie financière. S’il n’appartient pas au genre policier, Monsieur Ripois s’inscrit dans cette nouvelle forme de machisme qui est de collectionner les femmes. André Ripois (Gérard Philipe) est un français émigré à Londres dans l’après-Seconde Guerre mondiale. Jeune et beau, il n’a qu’un seul plaisir : séduire les femmes. De préférence, celles qui ont une belle situation, car lui n’a pas d’argent. À propos du personnage, Cinémonde : « Une jolie fille, elle me plaît, je le lui dis, je la séduis, je la quitte lorsqu’elle m’ennuie et je recommence. Avec un peu de désinvolture et une étonnante simplicité qui savait se renouveler à chaque fois…en jonglant avec ses multiples tampons, il se tissait ainsi une multitude de romans d’amour où il se réservait toujours le beau rôle347. » Dans notre étude nous verrons tout d’abord de quelle manière le film critique la féminisation de la société, associée à la modernité. Puis à travers l’analyse de la réception, nous montrerons par la suite comment la personnalité de Gérard Philipe parvient à annihiler le cynisme du personnage aux yeux du public.

346. Ibid. p. 251. 347. Cinémonde, n °1032 (14 mai 1954), p. 12-13. 155

A. Les femmes des années cinquante au regard de l’homme : un portrait dévalorisant

Le film est construit sur une série de flashbacks où chaque aventure est commentée en voix off par le héros-narrateur. Cette construction insiste sur la faiblesse des femmes face à la séduction ravageuse du personnage masculin. André Ripois livre un portrait de femmes – le point de vue est masculin et peu reluisant –, qui fait écho au contexte des années cinquante. La première, Anne (Margaret Johnson), est chef d’une équipe de secrétaires dont fait partie André Ripois. Le tailleur noir, les cheveux tirés en arrière, la raideur corporelle et l’absence de sourire sont les signes de sa rigidité et de son autorité. C’est une femme qui apprécie l’ordre, l’organisation et l’efficacité.

Illustration 70. Photogramme du film Monsieur Ripois

La musique extradiégétique – trompettes et tambours militaires – qui accompagne chacune de ses entrées renforce ce portrait. André Ripois la surnomme ironiquement « l’adjudant en jupons ». Elle le recadre avec mépris lorsqu’il s’égare : « Mr Ripois, ces cachets sont-ils posés à la case indiquée ? Non. Mr Ripois, les plus simples besognes demandent… sinon une certaine intelligence, du moins une attention éveillée. »

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Illustration 71. Photogrammes du film Monsieur Ripois

À son poste d’employé de bureau, André Ripois s’ennuie. Il effectue des gestes répétitifs et gagne peu (« Chaque semaine le jour de paye était pour moi un supplice. », « Si j’étais mieux payé, je ne serais pas obligé de prendre des avances. ») Pour améliorer sa situation, il décide donc de séduire Anne. Avec un peu d’audace, un cadeau et des compliments, Ripois parvient à ses fins. Mais les choses ne se déroulent pas tout à fait comme il l’espérait. Anne est aussi directive à la maison qu’au bureau. Il est donc convié aux tâches manuelles. En sueur, fatigué de porter les meubles et de coller les rouleaux de tapisserie, il pense : « En atteignant mon but d’employé, j’étais devenu esclave ! » La table sur laquelle il se tient bascule et il tombe emportant la tapisserie avec lui.

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Illustration 72. Photogrammes du film Monsieur Ripois

Le personnage d’Anne doit être associé à l’arrivée massive des femmes de classe moyenne dans le secteur tertiaire. Salariées, ces femmes peuvent revendiquer une indépendance économique et donc s’émanciper de la domination masculine348. La psychologie d’Anne (elle est présentée peu aimable) témoigne de l’inquiétude des hommes face à ce nouveau statut et leur refus d’être dirigés par une femme, car cette inversion des rôles traditionnels discréditerait leur identité. Les années cinquante sont marquées par l’urbanisation, les employés deviennent la catégorie socio-professionnelle majoritaire, au détriment des paysans et des ouvriers349. Le rapport au travail est donc différent : assis, dans un bureau, l’emploi peut être mixte et les femmes peuvent effectuer les mêmes tâches que les hommes. L’activité professionnelle est moins physique. Ces bouleversements professionnels peuvent aussi engendrer des changements au sein du foyer, comme une meilleure répartition des tâches ménagères. Cette inquiétude masculine est parfaitement retranscrite par la scène de la tapisserie. Gérard Philipe, le visage cerné et en sueur, présente un homme épuisé. Son jeu indique qu’André Ripois n’a plus d’emprise sur les volontés de sa femme, il s’épuise à ses désirs. Son foyer et son bureau sont devenus des lieux où s’exprime la domination féminine. La relation entre Anne et André Ripois devient rapidement conflictuelle, il repart donc « rôder autour d’une autre femme, pour se changer les idées ». Nora () est une jeune fille. Le chemisier boutonné jusqu’en haut du cou, gilet sur épaule, le livre Autant emporte le vent qu’elle lit dans le bus, indiquent son statut d’oie blanche. Nora vit encore avec ses parents, son frère et ses deux sœurs. Elle aime sortir

348. Pour plus d’informations voir, Françoise Battagliola, Histoire du travail des femmes, Paris, La Découverte, 2004 ; Sylvie Schweitzer, Les Femmes ont toujours travaillé : une histoire du travail des femmes aux XIXe et XXe siècles, Paris, O. Jacob, 2002. 349. J. Fourastier, Les Trente Glorieuses [1979], op. cit. 158

dans les musées, se balader dans les parcs et regarder des films d’horreur au cinéma. Néanmoins, contrainte par les normes familiales, la jeune femme ne peut flirter hors fiançailles. Elle repousse donc avec dégoût les avances de Ripois, lorsqu’il l’invite à prendre le thé chez lui et tente de l’embrasser. Elle se lève du fauteuil et sanglote devant le miroir :

Nora : André ! Je suis fâchée, très fâchée avec vous. Vous n’êtes pas un gentleman. Ripois : Enfin je ne vois vraiment pas. Nora ? Nora : Il n’y a plus de Nora. Je n’ai plus confiance en vous (il l’enlace de nouveau). Non, non, c’est fini. Fini ! Ripois : Nora. Mais enfin vraiment. Il n’y a pas de quoi. Nora : Vous êtes affreux. Je m’en vais. Ripois : (elle quitte l’appartement) C’est ça, allez-vous en ! Courez chez maman. Faites- vous bonne-sœur (il souffle).

Illustration 73. Photogrammes et dialogues du film Monsieur Ripois

Cette scène est filmée en plan séquence, les acteurs sont cadrés en plan américain. Ainsi le spectateur peut suivre leurs mouvements et discerner une différence de comportement. Le séducteur Ripois est surpris par la réaction de Nora qui lui semble

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exagérée. Pour jouer cet instant, Gérard Philipe adopte une attitude décontractée et un large sourire. Son air est méprisant. Face à lui Nora est effarée, choquée. Joan Greenwood parle vite et fort, sa voix tremble. Elle serre les poings, gesticule beaucoup pour s’extirper des bras de Gérard Philipe. Son jeu indique la crispation et la déception du personnage féminin. Cette confrontation montre le cynisme d’André Ripois et son mépris envers les jeunes filles « effarouchées ». Pour se rattraper il invente « un conte de fée » : « Des parents riches, très riches. Avec lesquels j’avais eu un différend. Et dans quelques semaines, j’allais toucher une petite fortune, quelques milliers de livres sterling. Alors nous pourrions nous marier. » Nora, enjouée par cette décision, le pousse donc à faire du lèche-vitrine. Il la suit sans enthousiasme : « Maintenant dans nos promenades, elle m’attirait toujours dans le magasin de meubles. Comme il m’était facile de deviner ses pensées. Car pour elle, le bonheur ça consistait à dépenser des tas d’argent en casseroles et en presse-purées. » Gérard Philipe, le ton monocorde, joue avec son briquet, agite son journal. Ces gestes anodins indiquent le dédain d’André. Ils appuient aussi la naïveté de la jeune fille. La scène suivante renforce cette posture inégale.

Illustration 74. Photogrammes du film Monsieur Ripois

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Les dialogues suivants correspondent à l’illustration précédente :

Nora : Chez nous ! Ripois : (soupir) Chez nous, quel mot merveilleux. C’est à peine croyable que le bonheur soit si proche. Tu quitteras ton emploi. Forcément, avec un intérieur à s’occuper. Quant à moi j’aurais une petite affaire. Une affaire à moi dont je serais le maître (il serre les mâchoires et le poing). Nora : Quel genre d’affaire ? Ripois : Je suis justement en train d’envisager des responsabilités (silence)… Et le soir, en rentrant à la maison, je retrouverais ma douce pervenche et mes chères pantoufles. Quelques fois ma petite fleur viendrait me chercher en ville, on irait au théâtre. A deux, rien qu’à deux. Nora : Et après ? Ripois : Après. On souperait dans un endroit chic où on danse, comme à Saint-Germain- des-Prés. Puis les voyages, Paris, Venise, les gondoles, Naples, les Indes, les flots bleus (soupir), le bonheur quoi…

Cette scène est filmée en contre-plongée et en plans rapprochés sur les visages. Gérard Philipe est avachi sur le fauteuil, sa tête appuyée sur sa main droite et son regard vague est dirigé vers le hors-champ. Son discours est ponctué de soupirs. Ses jolies paroles contrastent avec sa mine abattue. Face à lui, Joan Greenwood sourit, le dévore du regard et le câline amoureusement. Le jeu des acteurs indique les différents sentiments de leurs personnages. Ripois est blasé, sans entrain face à la vie de couple et dépourvu d’intérêt pour Nora. Contrairement à la jeune fille, éprise et enthousiaste, elle se sent « heureuse ». La figure de Nora fait écho aux jeunes filles des années cinquante qui continuent de véhiculer des valeurs familiales et conjugales traditionnelles350. Sur le modèle de leurs mères, elles apprennent les tâches ménagères, mais contrairement à leurs ainées, les jeunes filles peuvent jouir d’un meilleur appareillage ménager. Durant les Trente Glorieuses, les magazines féminins jouent un rôle important dans la diffusion du métier de ménagère et de maîtresse de maison351. Les photographies montrent un « sublime

350. Richard Ivans Jobs, « Travailleuses familiales et fées du logis - Les jeunes femmes comme agents de modernisation dans la France de l'après-guerre, dans L. Bantigny et I. Jablonka (dir.), Jeunesse oblige…,op. cit. p. 137-151. 351. Kristin Ross, Aller plus vite, laver plus blanc. La culture française au tournant des années soixante, Paris, Abbeville, 1997, p. 84-108. 161

domestiqué 352 ». Les articles évoquent les tâches ménagères, les achats et la mode. Aucun sujet sur le travail des femmes, la politique, l’économie ou les sciences car ces domaines sont décrétés hors de leur champ d’action353. En octobre 1954, le premier numéro de Marie Claire, reparu depuis la guerre354, affiche ses ambitions : « aider les femmes à adapter leurs maisons à leur époque », « à l’âge de l’abondance, de l’émancipation, du progrès social, l’âge des maisons claires, des enfants biens portants, du réfrigérateur, du lait pasteurisé, de la machine à laver, l’âge du confort, de la qualité et du bon marché355. » Par ailleurs, au début des années cinquante, un Salon des Arts ménagers se déroule chaque année. On y expose de nouveaux appareils électroménagers et on effectue des démonstrations. Après la crise du logement et les pénuries durant la guerre et l’immédiat après-guerre, les expositions annuelles et les magazines présentent un art de vie désirable. Cependant, en 1954 seuls les foyers aisés – ce qui est le cas de la famille de Nora – sont déjà équipés. Il faudra attendre la fin de la décennie pour que la modernisation de l’espace domestique, via l’appareillage ménager, se généralise356. Celui-ci est devenu, par la modernité de la société, accessible à tous. Ce portrait de femme est en proie à la domination masculine et patriarcale, car il vise à garder les femmes au foyer en les gâtant de gadgets ménagers. Elle pourra ainsi continuer à cuisiner, aspirer et laver les chemises de Monsieur. Cette vie n’est d’aucun attrait pour André Ripois qui quitte Nora, sans lui donner d’explication. Par la suite, il perd son travail et, dans l’incapacité de payer son loyer, il est mis à la rue. René Clément insiste sur sa condition de chômeur en filmant Gérard Philipe qui erre dans les rues de Londres. Durant le tournage, l’acteur n’était pas encore célèbre en Angleterre et il pouvait donc se fondre dans la foule sans être reconnu. On assiste à la dégradation progressive du séduisant Ripois. Les cernes et la barbe apparaissent, les vêtements se salissent et la faim le tiraille. Il salive devant les Londoniens assis paisiblement pour déguster une pâtisserie et profiter d’une boisson chaude. Monsieur Ripois est le premier film où Gérard Philipe appuie fortement la déchéance corporelle et morale de ses personnages. Son vêtement et son maquillage touchent à la source même de sa beauté.

352. Ibid, p. 86. 353. Ibid. p. 87. 354. Après la défaite française de 1940, la parution de Marie-Claire est suspendue jusqu’en 1954. 355. Cité dans Kristin Ross, Aller plus vite…, op. cit. p.87. 356. T. Pillard, Le Film noir…, op. cit. p. 312. 162

Illustration 75. Photogrammes du film Monsieur Ripois

Dehors sous la pluie, Ripois s’assoie sur un banc aux côtés de deux sans-abris. Après une nuit dehors il a « trop peur », « trop faim », il est « prêt à tout ». Même à demander de l’aide aux femmes qui ne l’intéressaient pas jadis : les prostituées (« Il y avait une sorte de femmes qui ne m’intéressait pas, c’était celles qui voulaient de l’argent. Car moi aussi j’en voulais. ») Ripois se refait donc une beauté : il se regarde dans le reflet d’une vitre, se recoiffe et remet le col de sa chemise. Ainsi, il est prêt à séduire une nouvelle femme. Durant cette errance dans les rues de Londres sous la pluie, la silhouette de Gérard Philipe rappelle étroitement celle qu’il présentait dans Une si jolie petite plage. Un homme triste et fragilisé par la vie. La fatigue, physique et morale, se distingue sur son visage, dans sa démarche et dans son allure. Suit un plan rapproché cadré sur le visage de l’acteur qui renvoie au visage du tueur-étrangleur qu’il incarnait dans Souvenirs Perdus (Christian-Jaque, 1950). La mine triste et éreintée devient progressivement effrayante.

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Illustration 76. Photogrammes du film Monsieur Ripois

La nouvelle victime d’André Ripois s’appelle Marcelle (Germaine Montero). C’est une prostituée française. Gérard Philipe arbore le même regard, sombre et fixe, la même attitude. Dominant de sa longiligne silhouette, il s’avance lentement et lève progressivement les mains vers le cou de sa partenaire. Mais contrairement au personnage de Souvenirs Perdus, il est incapable de tuer. Il s’effondre sous le coup de la fatigue et parce qu’il n’est pas un assassin.

Illustration 77. Photogrammes du film Monsieur Ripois

C’est la faim, le froid et la fatigue qui lui ont fait perdre la tête. Ripois lui raconte sa vie (« seulement ce qui était nécessaire ») et de cette manière il réussit à l’attendrir.

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Marcelle adopte une attitude maternelle envers lui. Elle l’accueille dans son petit appartement, lui sert un verre de vin, du pain beurre et du fromage. Elle le regarde en souriant, lui pose une caresse sur la main, lui fait couler un bain. Repu et lavé, Ripois se glisse dans son lit et s’endort. Germaine Montero incarne un personnage chaleureux et bienveillant.

Illustration 78. Photogrammes du film Monsieur Ripois

Cette séquence rappelle une scène du Diable au corps (Claude Autant-Lara, 1947). François arrive trempé chez Marthe. Il se déshabille, se réchauffe un peu auprès du feu, puis se glisse dans les draps de la jeune femme. Celle-ci revient avec un grog brûlant qu’elle porte à la bouche de François. Elle lui frictionne brusquement le dos avec un gant pour le réchauffer. Dans Monsieur Ripois et Le Diable au corps, Gérard Philipe incarne un jeune homme qui cherche le réconfort auprès de femmes plus âgées. Elles deviendront toutes les deux ses maîtresses. Depuis ses débuts de carrière357, la figure de l’amant-enfant est caractéristique de la persona de Gérard Philipe. Mais contrairement à François qui est réellement amoureux de Marthe, Ripois profite de Marcelle. Il loge chez elle et utilise

357 Le Pays sans étoile (Georges Lacombe, 1945), L’Idiot (Georges Lampin, 1946), La Chartreuse de Parme (Christian-Jacques, 1948), Une si jolie petite plage (Yves Allégret, 1949). 165

son argent. Le héros-narrateur intervient, en voix off pour dire : « Enfin j’avais un moment de répit. Marcelle était une bonne fille, elle n’avait qu’un défaut. Elle croyait avoir fait un gros héritage. Oui (rires). Trois mille livres et une quincaillerie. Elle passait son temps au téléphone avec son notaire. Mais enfin, c’était une bonne fille. » Ces propos indiquent le point de vue du personnage sur cette femme : gentille mais écervelée. Cette misogynie est caractéristique du point de vue masculin dominant depuis des décennies358. L’attachement de Marcelle et son statut d’homme entretenu finissent par ennuyer André qui la quitte sans rien dire et en lui dérobant cinquante livres. La partie du film centrée sur la liaison de Ripois et Marcelle présente des éléments contenus dans les rôles précédents. André Ripois contient des traces de François (Le Diable au corps), de Pierre (Une si jolie petite plage) et de l’étrangleur (Souvenirs Perdus) à la fois dans la construction du personnage et dans le jeu de l’acteur. Cette continuité permet au public de reconnaître la signature de Gérard Philipe. Mais le personnage de Ripois intègre aussi des caractéristiques nouvelles qui élargissent son registre d’interprétation et permettent d’éviter la lassitude des spectateurs. La prostituée au grand cœur est un stéréotype déjà utilisé dans le cinéma d’avant-guerre359. Son réemploi dans un film des années cinquante atteste donc d’un désir de restauration de l’autorité masculine. André Ripois travaille deux mois à son compte comme professeur de langue et de littérature française, avant de rencontrer Catherine. Celle-ci vient le consulter, car elle travaille à la traduction des textes français. Elle est parée d’attributs qui indiquent son statut social élevé : boucles d’oreilles, collier de perles, broche, vison, porte-cigarettes en or massif avec des diamants. Cet apparat contraste avec la mansarde où vit André Ripois : lit pliant, lavabo à borborygmes, pain-confiture et thé alimentent son quotidien. Il observe avec désir son porte-cigarettes : « Ça devait bien peser une livre un objet comme ça. Une livre d’or massif, plus quelques petits diamants. À l’idée de tout cet argent qui était là devant moi… J’en ai le vertige. » Cette femme est belle, riche et intelligente. Elle lui pose diverses questions sur ses goûts :

358. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre…, op. cit. 359. Gilles Horvilleur, Dictionnaire des personnages de cinéma, Paris, Bordas, 1988, p. 66. 166

Catherine : Quel est votre auteur français préféré ? Ripois : Euh. Catherine : Moderne bien entendu ? Ripois : Il y en a tellement Catherine : Aucun ? Ripois : Oh non, ce n’est pas ce que je voulais dire ! Catherine : Vous n’en aimez peut-être aucun ? Ripois : Non, pas du tout, non. Je préfère les classiques. Catherine : Comme ? Ripois : Euh et bien, disons Lamartine, Alexandre Dumas, Bossuet. Catherine : Vraiment. Ripois : Oui.

Illustration 79. Photogrammes et dialogues du film Monsieur Ripois

Elle se lève pour inspecter sa bibliothèque où trône Touchez pas au Grisbi, roman populaire à succès sorti en 1953. La présence de ce livre renforce les contradictions de Ripois déjà marquées par le jeu de l’acteur. Il hésite ou reste silencieux face aux questions de Catherine. Tandis que Valérie Hobson se met à l’aise – assise sur le lit, elle retire son vison –, Gérard Philipe gesticule. Il se lève de sa chaise de bureau, puis parcourt la pièce, pour finalement s’assoir sur le fauteuil près de la cheminée. La jeune

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femme n’est pas naïve. Elle doute de ses capacités de professeur de langue et littérature française et élabore un stratagème : elle lit un sonnet qu’elle dit avoir écrit et attend les réactions. Ripois s’exclame : « étonnant », « merveilleux ». Ce à quoi elle répond : « Je n’en doute pas c’est un sonnet de Mallarmé. » Les deux protagonistes rient aux éclats et s’adressent un regard complice.

Illustration 80. Photogrammes du film Monsieur Ripois

Au regard de ces images, le spectateur a conscience des désirs différents de chacun : la sincérité et l’effronterie de Ripois séduisent Catherine, mais c’est la richesse de celle-ci qui attire le héros. Si le début de la séquence plaçait Catherine en position dominante, la fin renvoie la femme à son statut de dominée. Elle succombe aux charmes d’André qui réussit une fois de plus son coup et pourra profiter des richesses de sa future épouse. Le jour de son mariage, André Ripois rencontre la jeune et jolie Patricia (Natasha Parry), qui n’est autre que l’amie de Catherine. Le vil séducteur ne s’arrête jamais. Catherine est une intellectuelle, d’origine aisée et indépendante qui représente une des parties inquiétantes de la gent féminine moderne. Sa figure fait directement penser aux femmes de lettres comme Simone de Beauvoir, figure incontournable des débats sur la question des femmes et dont les œuvres connaissent un grand succès360. Simone de Beauvoir est issue de la haute bourgeoisie. Elle mène de brillantes études supérieures à une époque où celles-ci étaient réservées aux hommes. Puis, elle devient une intellectuelle engagée avec Les Temps Modernes361 et Le Deuxième sexe (1949). Dans ce dernier, elle « pose les rapports entre les sexes comme un phénomène social total »

360. L’Invitée (1943), Pyrrhus et Cinéas (1944), Le Sang des autres (1945), Les Bouches inutiles (1945), Tous les hommes sont mortels (1946), Pour une morale de l’ambiguïté (1947), L’Amérique au jour le jour (1948). 361. Revue fondée en 1945 avec Jean-Paul Sarthe. 168

en confrontant la biologie, l’anthropologie, l’histoire, la psychologie, la littérature et la philosophie362. Dans son ouvrage, l’auteure traite ouvertement de l’intimité des femmes : expérience corporelle et travail domestique. L’analyse filmique qui précède montre une relation inégale des rapports sociaux de sexe. André Ripois est un jeune homme libre qui sent battre dans ses veines le sang impétueux du don juan. Il est sûr de sa bonne mine et en use habilement pour faire des ravages. Le jeu de l’acteur indique que le héros modifie consciemment ses stratégies en fonction des femmes qu’il rencontre, de leur personnalité et statut social. Ainsi, il attendrit Anne avec des cadeaux, il joue au gentil et parle de mariage à Norah, il apparaît faible pour susciter l’empathie de Marcelle. Enfin, il joue l’effronté pour séduire Catherine. Rappelons que le film totalise deux millions d’entrées et selon Geneviève Sellier :

Le choix de Gérard Philipe pour incarner ce Don juan à la petite semaine, Français réduit à vivre d’expédients à Londres, donne aux agissements de ce personnage peu reluisant, la séduction qui émane de l’acteur, icone d’une masculinité idéale dont la beauté désincarnée est auréolée de son image à la ville, militant de gauche, bon mari, bon père… Il est à l’époque le jeune premier absolu, et la manière dont son personnage exploite les femmes dans Monsieur Ripois est doublement neutralisée par le charme de l’acteur et par le manque de familiarité (et donc d’empathie) du public français avec les actrices anglaises qui lui font face.

Elle pense aussi que le choix du héros narrateur « accentue encore l’empathie du spectateur avec le personnage, alors que les femmes qui sont ses victimes apparaissent surtout comme des idiotes, puisqu’elles sont incapables de deviner ce que nous, nous savons depuis le début ! » Son point de vue est en partie confirmé par la réception du film.

362. Sylvie Chaperon « Simone de Beauvoir » dans C. Bard et S. Chaperon (dir.), Dictionnaire des féministes…, op. cit. p .131-137. 169

B. Réception : un personnage masculin très discuté

En dépit du caractère trouble de son personnage, Gérard Philipe est donc louangé à l’unanimité par la critique de presse généraliste et spécialisée. Pour Jean Néry, dans Franc-Tireur :

Gérard Philipe gambade avec désinvolture et élégance. Conscient ou inconscient, sincère ou diabolique, on ne sait. Mais à coup sûr toujours nimbé de poésie, de grâce délicate et de sympathique inconséquence. Gérard Philipe est-il Ripois ? Ripois est-il Gérard Philipe ? On ne sait plus. Qu’importe, le résultat est plaisant, amusant inimitable363.

Dans Les Nouvelles littéraires, Georges Charensol écrit :

Jamais il ne donne l’impression qu’il joue Monsieur Ripois : il est Monsieur Ripois, on ne l’imagine pas sous une autre apparence que celle de ce garçon, joli, certes, mais marqué par la mollesse de son caractère, par cette inconséquence qui le pousse à rechercher toutes les filles qui passent à sa portée, à profiter d’elles, à les abandonner – quitte à connaitre ensuite les plus pénibles déchéances. Un autre lui eut aisément donné le caractère conventionnel du séducteur professionnel. Lui en fait un personnage presque comique qui amuse les femmes autant qu’il les attendrit. Il a des trouvailles d’une extraordinaire drôlerie. Il nous répugne et nous séduit à la fois. Il n’est certes pas sympathique, nous ne parvenons pourtant pas à le condamner car l’interprète lui confère une vérité humaine à laquelle nous sommes sensibles malgré nos résistances364.

Pour Cinémonde, Gérard Philipe anime avec talent et authenticité :

Ce don juan junior, encore bien maladroit dans l’art de la séduction, est beaucoup plus qu’un héros de film : c’est un personnage. […] Chacune des créations de Gérard Philipe, il est vrai, marque la naissance d’un nouveau personnage : ce comédien est maintenant assez célèbre pour ne s’attarder qu’aux créations de qualité. Ce Monsieur Ripois retors et candide, beau garçon et mauvais sujet, amer et facétieux, est digne de figurer dans la galerie des meilleurs de Gérard Philipe. Les cinq femmes qui traversent la vie de Monsieur Ripois sont interprétées par d’excellentes comédiennes, formées pour la plupart au théâtre, et habiles à exprimer les différentes versions de l’éternel féminin.

363. Jean Néry, Franc-Tireur, 25 mai 1954. 364. Georges Charensol, Les Nouvelles littéraires, 27 mai 1954. 170

Nous constatons que les commentaires précédents, qui soulignent un résultat « plaisant » ou « d’une extraordinaire drôlerie », sont écrits par des hommes. A contrario, la seule critique négative que nous avons pu lire est écrite par une femme, Françoise Holbane, dans Paris-Comédia :

Je crois bien que je fais le procès d’un personnage dont on a abusé, et qui ne soutient plus l’intérêt, ni même la plus simple attention : le monsieur qui par magie de sa présence et de quelques boniments et grimaces, met à sa merci toutes les femmes qu’il approche, est à ranger parmi les vieux accessoires. […] La maîtrise de l’acteur n’emporte pas notre approbation : cette création ne compte pas parmi les meilleures de Gérard Philipe. Sans doute a-t-il senti, lui aussi, que son personnage n’a ni réalité, ni poids et aucune transposition ne peut le justifier365.

Tandis que les hommes saluent la création d’un nouveau « type » de héros masculin, Françoise Holbane condamne une énième réplique de séducteur voué à flatter la gente masculine. Celui-ci n’a, selon elle, plus d’actualité et serait le témoin d’un retour en arrière dans le contexte des Trente Glorieuses où les femmes désirent s’émanciper. La journaliste se sent offensée en tant que femme. Et contrairement aux critiques masculins, elle s’ennuie (« ils nous font bailler », « on rit sans entrain ») devant la prestation de Gérard Philipe. Sa critique dépasse donc celle du jeu de l’acteur pour faire l’étude des rapports de sexes. À l’instar des commentaires ci-dessus le donjuanisme d’André Ripois flatte et amuse les journalistes masculins. Or, pour Françoise Holbane, le film insiste sur la faiblesse des femmes face à la séduction ravageuse du personnage masculin. Et de fait, il reflète l’aliénation des femmes face à la domination masculine de la société de l’époque. Cette différenciation de réception en fonction du sexe est reproduite dans « Potinons ». La presse généraliste est le fruit d’une élite, de la culture savante, mais dans Cinémonde s’expriment les spectateurs ordinaires. Vingt courriéristes s’expriment sur Monsieur Ripois, deux hommes et dix-huit femmes.

Citons en exemple les correspondantes suivantes :

365. Françoise Holbane, Paris-Comédia, 26 mai 1954. 171

Semper fidelis bien d’accord avec vous, une fois de plus. Monsieur Ripois est excellent en tant que film et Gérard Philipe y est à l’aise comme un poisson dans l’eau. Et ce Londres bouleversant de vérité. Mais le personnage est tout simplement répugnant366.

Oiseau des bois, quant à Monsieur Ripois, elle en est sortie dégoutée, « cette histoire est répugnante, d’autant plus que Gérard Philipe arriverait presque à nous faire admettre son ignoble personnage367.

Pour ces deux spectatrices, la performance de Gérard Philipe ne réussit pas à leur faire aimer le personnage « ignoble » et « répugnant ». Il est probable qu’elles développent un sentiment d’empathie ou s’identifient aux femmes bafouées par André Ripois. Car si ces femmes, à l’écran comme à la ville, peuvent différer par leur situation socio-professionnelle, elles restent semblables par leur statut d’objet sexuel. À l’inverse, le courriériste José le caravanier : « a adoré M. Ripois pour des raisons toutes masculines : « Enfin un personnage d’homme avec tous ses défauts… Et c’est bien notre tour d’en faire voir à ces dames368 ! » José le caravanier est un correspondant régulier. Adulte et militaire, il adopte souvent une attitude machiste, illustrée par des propos misogynes. À la sortie de Monsieur Ripois, il consacre pour la première fois une critique longue sur Gérard Philipe et son interprétation. Le physique (pas assez viril) de l’acteur lui déplaît, mais il est surpassé par le caractère du personnage. Avec Monsieur Ripois, Gérard Philipe casse l’image d’amoureux romantique qu’il n’avait cessé d’incarner aux yeux du public féminin. Et le courrier de José le caravanier montre que l’acteur touche un nouveau public « d’hommes ». Nous pouvons donc faire l’hypothèse que le personnage d’André Ripois, avec ses qualités et ses défauts, vise les spectateurs plutôt masculins, dans un contexte où les hommes voient leur domination malmenée par l’émancipation féminine.

366. « Potinons », Cinémonde, n°1051 (25 septembre 1954), p. 24-25. 367. « Potinons », Cinémonde, n°1058 (12 novembre 1954), p. 24-25. 368. « Potinons », Cinémonde, n°1062 (10 décembre 1954), p. 24-25. 172

En conclusion, si Une si jolie petite plage et Monsieur Ripois constituent des films secondaires dans la carrière de Gérard Philipe, ils n’en imposent pas moins des caractères essentiels. Ils intègrent chacun à leur manière une forme de machisme dans les représentations filmiques : diabolisation de la femme et victimisation d’homme dans Une si jolie petite plage ; portraits dévalorisants et interchangeables des femmes dans Monsieur Ripois. De plus, les stratégies audiovisuelles et scénaristiques visent à susciter l’empathie du public masculin pour Pierre et sa sympathie pour André Ripois. La construction de ces personnages à destination d’un public masculin s’explique par les contextes de l’immédiat après-guerre et des années cinquante où les hommes sont contraints de renégocier leur identité face aux bouleversements socioculturels et genrés. Enfin, le cynisme et la misogynie des films contrastent avec l’image d’amoureux romantique, son statut de jeune premier français et son image à la ville (père et mari fidèle lors du tournage de Monsieur Ripois). L’antinomie étant une des composantes essentielles de la star, au sens où l’entend Richard Dyer369, Une si jolie petite plage et Monsieur Ripois ne peuvent donc être ignorés dans l’élaboration du mythe Gérard Philipe et dans l’étude de sa singularité.

369. R. Dyer, Le star-système hollywoodien…, op. cit. 173

⃰⃰⃰⃰ ⃰⃰⃰⃰

En définitive, après la Seconde Guerre mondiale, les acteurs mûrs reprennent le rang qui leur était assigné avant-guerre, au niveau de leur place dans le récit filmique comme au niveau de leur poids économique. À l’heure où l’on tente de restaurer l’identité traditionnelle et patriarcale, la jeunesse masculine brille par son absence, à l’exception de Gérard Philipe. Il est intéressant de constater que dans les années trente, Jean Gabin était lui aussi l’unique jeune premier gratifié du mot « star ». Dans les chapitres un, deux et trois, notre étude a montré qu’à travers son jeu et ses personnages, Gérard Philipe promeut un modèle de jeunesse, douceur et sensibilité qui entre en contradiction avec l’idéologie dominante de l’époque. Dans un contexte où l’on réfrène l’émancipation des jeunes et des femmes, sa figure anti-patriarcale et anti-machiste possède sans doute un fort potentiel identificateur pour le public jeune et féminin. Cependant, ses films ont aussi en commun de présenter une figure masculine ambivalente : amoureux romantique et séducteur cynique. Liée au désir de restauration de l’identité virile, celle-ci s’adresse à un public masculin plus large. La complexité de son image filmique explique sa suprématie sur sa génération : Daniel Gélin, Georges Marchal, Henri Vidal et Jean-Claude Pascal. Gérard Philipe est aussi l’acteur emblématique des films en costumes et de l’adaptation littéraire qui ont pour but de restaurer le prestige cinématographique d’avant-guerre. Ainsi, il devient le véhicule d’une identité culturelle française. Mais cette légitimation est indissociable de sa carrière théâtrale. Ses rôles dans les pièces en costumes du répertoire classique le rattachent aussi à une culture prestigieuse. À la scène, Gérard Philipe est l’incarnation d’un jeu classique à la française dans la lignée de Pierre Fresnay, Louis Jouvet, Edwige Feuillère, etc... Son parcours sur les planches, le différencie aussi de ses contemporains qui restent associés au cinéma populaire.

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TROISIEME PARTIE

GERARD PHILIPE, UNE CONSTRUCTION

MEDIATIQUE

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Dans Les stars et le star-système hollywoodien, Richard Dyer étudie le « fait d’être star » comme un phénomène médiatique fondé sur des contradictions idéologiques370. Il analyse la représentation de la vie privée des stars hollywoodiennes dans les fan magazines. Selon lui, ces journaux livrent des événements et détails sur leur style de vie. Associant le spectaculaire au quotidien et l’exceptionnel à l’ordinaire, ce mode de vie constitue pour Richard Dyer la toile de fond de l’image médiatique des stars. Les fan magazines entretiennent la fascination pour la vie d’aisance des vedettes. Néanmoins, ils mettent en avant « les qualités humaines qui existent indépendamment des conditions matérielles371. » Dans sa thèse de doctorat, Myriam Juan s’intéresse « aux dimensions socioculturelles du cinéma afin de mettre au jour les représentations et les valeurs qui s’y expriment372. » Son étude porte sur un phénomène populaire, produit d’une culture de masse. Au regard de l’histoire culturelle, les magazines spécialisés de l’entre-deux- guerres constituent la source principale de son travail. Selon elle, ils permettent d’aborder à la fois les processus de production, d’exposition, de reproduction et de réception de l’image des stars en France. Ces publications fourmillent d’informations sur la vie privée et publique des acteurs les plus populaires. Toutefois, il est essentiel de garder à l’esprit que ces images sont construites par les magazines en fonction de leur ligne idéologique, de la personnalité des acteurs, des normes sociétales et des goûts de l’époque. À partir de ce postulat, Myriam Juan analyse la signification des discours et images médiatiques pour comprendre comment ils s’intègrent dans le star-système et le continuum de la vie des spectateurs. La star éveille donc chez le public des sentiments humains qui dépendent d’un contexte historiquement et culturellement déterminé373. Inspirés par ces travaux, nous tenterons dans cette partie d’analyser les conditions et les circonstances de son succès à travers la presse populaire de l’époque, toujours avec l’idée de cerner le phénomène populaire constitué par Gérard Philipe. Pour mener à bien ce travail, il nous fallait établir un corpus restreint de diverses revues populaires et spécialisées. Créé en 1928, Cinémonde paraît jusqu’en 1972 avec une interruption sous l’Occupation entre 1940 et 1946. Lorsqu’il réapparaît après la Seconde Guerre mondiale, l’hebdomadaire est l’un des magazines les plus vendus, avec un tirage à plus

370. Richard Dyer, Le star-systèmehollywodien…, op. cit. p.29. 371. Ibid. p.37. 372. M. Juan, « "Aurons-nous un jour des stars ?" Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940) », op. cit. p.23. 373. Ibid. p.151. 176

de 250 000 exemplaires374 au tournant des années cinquante. Son prix passera de 15 francs en 1946 à 70 francs à la fin de la décennie375. Ce magazine, principalement dédié aux acteurs et actrices français, vise en priorité un lectorat féminin et jeune376. Chaque numéro propose des actualités, des portraits d’acteurs ou réalisateurs, des entretiens, des témoignages, des enquêtes, des classements et des référendums, des films-racontés, des critiques de films, des articles sur l’histoire de cinéma et un courrier des lecteurs. Issu de la Résistance, L’Écran français est un hebdomadaire proche des communistes qui joue un rôle majeur à partir de juillet 1945377. Magazine à la fois populaire, cinéphile et engagé, il est tiré à 100 000 exemplaires378 et son prix oscille entre 10 et 35 francs entre 1946 et 1952379. Il propose des débats passionnés, notamment entre de grandes figures comme André Bazin et Georges Sadoul, sur les actualités cinématographiques. Des critiques de films, des articles sur l’histoire du cinéma, des entretiens ou portraits de personnalités et un courrier des lecteurs « viennent agrémenter chaque numéro ». Le journal se destine à un public souhaité plutôt cultivé et masculin380. Mais peu à peu, il sombre dans le sectarisme stalinien, il perd progressivement son lectorat381, avant de disparaître en 1953 lorsqu’il est absorbé par Les Lettres françaises. Mon film est un magazine de novellisation. Apparu en 1946, il ne coûte que 6 francs, et si son prix grimpe à 30 francs dans les années cinquante382, il reste malgré tout le journal de cinéma le moins cher. Contrairement à L’Écran français, il n’a aucune ambition critique. Il propose chaque semaine un film-raconté, un portrait ou un entretien avec un-e acteur-trice et un courrier des lecteurs. Destinées à un public plutôt jeune, les novellisations permettent aux lecteurs-trices de province de découvrir en temps et en heure les films sortis sur Paris, et qui bien souvent arrivent chez eux avec plusieurs mois

374. D. Chedaleux, « Les magazines populaires, des archives au service d’une histoire culturelle du cinéma français. L’exemple de Cinémonde 1946-1950 » dans Giusy Pisano, L’archive-forme : création, mémoire, histoire, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 321. 375. Selon l’Insee, en valeur absolue, 15 francs équivaut à 1,16 euros et 70 francs équivaut à 1,30. 376. G. Sellier, « L’expertise de spectatrice ordinaire dans le courrier des lecteurs des magazines populaires : le cas de L’Écran français », Studies in French Cinema, vol. 10, n°3, 2010, p.4. 377. Le premier numéro « libre » sort le 4 juillet 1945. 378 . O. Barrot, L’Écran français 1943-1953 : une histoire d’un journal et d’une époque, Paris, Les éditeurs français réunis, 1979. 379. Selon l’Insee, en valeur absolue, 10 francs équivaut environ à 0,78 euros et 30 francs équivaut environ à 0,66 euros. 380. G. Sellier, « L’expertise de la spectatrice ordinaire dans le courrier des magazines populaires : le cas de L’Écran français », op. cit. p. 222. 381 Ibid. p.231. 382. Selon l’Insee, en valeur absolue, 6 francs équivaut environ à 0,46 euros et 30 francs équivaut à 0,57 euros. 177

de décalage, ou encore de revenir avec plaisir sur un film qu’ils ont déjà pu apprécier au cinéma383. L’hebdomadaire fusionne avec Le Film complet en 1958. Comme Cinémonde, ces magazines font la part belle aux acteurs et actrices français dont ils publient les portraits en une chaque semaine. Le Film français est un journal corporatif fondé par Jean Bernard-Derosne et Jean-Baptiste Mauclaire, dont le premier numéro sort le 8 décembre 1944. Créé quelques mois avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte marqué par des difficultés économiques, une situation industrielle préoccupante et de fortes tensions idéologiques, cet hebdomadaire occupe une place particulière dans l’histoire du cinéma français. Considéré comme la « bible du cinéma », il accompagne les évolutions industrielles, techniques et corporatives du milieu cinématographique depuis la Libération384. Le Film français communique de multiples données socio-économiques : statistiques, fiches de films, tableaux de tournage, bilans hebdomadaires des recettes d’exploitation, etc… Néanmoins, il réserve aussi de nombreuses pages aux acteurs, construits comme des outils de légitimation. Dans le chapitre quatre, nous analyserons tout d’abord les couvertures qui constituent le premier élément d’accroche du lecteur et les classements ou référendums qui hiérarchisent les acteurs et actrices dans le star-système en France. Ceux-ci valorisent notamment les acteurs prestigieux d’avant-guerre et de formation théâtrale. Cette hiérarchisation révèle une affaire de goût et de conception du cinéma : la valorisation d’un classicisme à la française porté par des comédiens de théâtre385. Dans ce système, Gérard Philipe est le seul de sa génération à bénéficier d’une grande visibilité. Le chapitre cinq s’attarde donc sur l’image médiatique des jeunes premiers contemporains construite par la presse populaire. Le but est de comprendre ce qui les différencie. Leur talent, leur parcours professionnel et leur vie privée sont mis en question dans la presse. Gérard Philipe y apparaît comme un cas singulier pour une raison : il associe deux tendances contradictoires, à savoir star de cinéma populaire et comédien de théâtre plus légitime culturellement. Enfin, le chapitre six propose l’étude du courrier des lecteurs. Il nous éclaire ainsi sur les goûts des spectateurs ordinaires. Les correspondants abordent des questions éthiques et esthétiques qui confirment la

383. Ibid. p.222. 384. Laurent Creton, Kira Kitsopanidou et Thomas Pillard, « Introduction », Le Film français (1945- 1958) : rôles, fonctions et identités d’une revue corporative, Théorème, n° 18, p. 2. 385. G. Le Gras, « Edwige Feuillère dans le star-système français des années d’après-guerre vu par Cinémonde », art. cit. 178

singularité de Gérard Philipe. Il semble en majorité apprécié pour son talent, ses rôles et son intelligence de création, même si certains le trouvent parfois trop maniéré dans son jeu.

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CHAPITRE 4. HIERARCHIE DES ACTEURS DANS LES MAGAZINES

POPULAIRES : GERARD PHILIPE ET LA TRADITION CULTURELLE

Comme le suggère Myriam Juan386, les unes des magazines de cinéma révèlent les choix des lignes éditoriales, la personnalité individuelle des acteurs et l’imaginaire collectif d’une époque. Toutefois, ces revues spécialisées proposent aussi des classements d’acteurs et actrices français qui dépendent plus ou moins du box-office. Le nombre d’entrées est en effet un des témoins du succès et de l’engouement des publics. Mais comme l’a démontré Gwénaëlle Le Gras387, la présence au box-office n’est pas le seul indicateur de la célébrité. Le talent, la longévité de carrière, l’influence et le professionnalisme entrent aussi en compte. Après la Seconde Guerre mondiale, les couvertures et les classements des magazines témoignent d’un intérêt certain pour le cinéma français et ses prestigieux acteurs d’avant-guerre formés au théâtre. Néanmoins, tout au long de la période388, des acteurs de la jeune génération reçoivent aussi les faveurs de la rédaction. Ils présentent un nouveau visage de la célébrité, témoins des nombreuses fluctuations qui touchent le milieu du cinéma. Pour déterminer un corpus d’acteurs et actrices privilégiés par les magazines populaires, nous avons donc choisi d’examiner les critères de la nationalité, le genre (gender) et la génération des personnalités en couvertures de Cinémonde, L’Écran français, Mon Film et dans les grands référendums « Le Tout-Cinémonde » et « Les Victoires du cinéma ». Gérard Philipe apparaît donc aussi comme un cas singulier dans les médias grâce à ses prestations cinématographiques, mais plus encore du fait de sa prestigieuse carrière théâtrale.

386. M. Juan, « La célébrité à l'heure de la reproductibilité. L'invention de la star de cinéma en France pendant l'entre-deux-guerres », Hypothèses 2012/1 (15), p. 127-144. 387 G. Le Gras, « The post-war star system (1945-1958) : prestigious vedettes and box-office stars », Contemporary French & Francophone Studies, vol. 19, n°1, novembre 2014, p.6-28. 388. Période chronologique délimitée pour notre champ d’étude, soit de La Libération à l’arrivée de la Nouvelle Vague. 180

I. Qui apparaît en unes des magazines ?

Les unes des magazines constituent le premier élément d’accroche du lecteur dont le regard est attiré par le portrait d’un acteur ou d’une actrice, ou en reconnaissant la maquette389. Placées en devanture des kiosques, elles doivent donc être séduisantes et signifiantes dès le premier regard.

A. Une dimension nationale

Chez Cinémonde, nous avons relevé 616 (65%) unes consacrées aux acteurs et actrices français et 335 (35%) aux étrangers. Le tableau suivant indique le détail par année et nationalité. Le gris ici met ici en valeur les années où les couvertures présentent une majorité d’acteurs et actrices français :

Tableau 5. Répartition annuelle des acteurs et actrices selon leur nationalité en une de Cinémonde

Année France Hollywood Suède Italie Espagne Suisse Autriche 1946 21 24 1947 42 16 2 1948 24 25 2 1 1949 52 17 1 1 1950 65 18 1 2 1951 61 21 1 1 1952 62 25 1 5 1 1953 57 30 3 1954 51 17 1 5 1955 62 9 1 8 1956 43 23 1 3 1 1 1 1957 43 26 2 4 1 2 1958 36 23 4 1 1 2

On constate une nette prédominance des artistes de nationalité française, à l’exception des années 1946 et 1948. Si Cinémonde fait quelques faveurs aux cinémas

389. M. Juan, « La célébrité à l'heure de la reproductibilité. L'invention de la star de cinéma en France pendant l'entre-deux-guerres », art. cit. 181

hollywoodien et italien, « la revue mondiale du cinéma390 » promeut en grande majorité un cinéma national. Ceci s’explique par la situation respective des cinémas français et hollywoodien sur les écrans français dans l’immédiat après-guerre. En effet, à la Libération, les films hollywoodiens interdits sous l’Occupation déferlent sur les écrans français. L’industrie du cinéma français se sent menacée par cette suprématie américaine et engage des campagnes de défense d’un cinéma national391. En mai 1946, à Washington, sont signés les accords Blum-Byrnes entre la France et les États-Unis. Ces derniers, qui déterminent les quotas de diffusion des films sur le marché français (avec un trimestre seulement est réservé aux œuvres nationales), sont perçus comme une invasion hollywoodienne. Cette concurrence étrangère met en péril le cinéma français sur ses propres écrans. En réaction à la signature des accords, la période de l’après-guerre est donc marquée par la montée d’un nationalisme corporatif qui s’accompagne d’une vision très négative des États-Unis. Cette rhétorique défensive est relayée par le Parti communiste français (PCF) qui appelle à la mobilisation de l’ensemble des professionnels du cinéma et du public. L’Écran français soutient ce discours alarmiste face à l’hégémonie américaine. Le 16 juin 1946, le magazine publie le dossier « A-t-on signé à Washington, l’arrêt de mort du cinéma français ? » Le texte retranscrit la conférence de presse tenue à l’IDHEC le 14 juin et portant sur la défense du cinéma français après la signature des accords. Pierre Laroche écrit :

Intellectuels, techniciens, ouvriers artistes et producteurs poussent un cri d’alarme. […] Pour la première fois, on a entendu des auteurs et des techniciens, des artistes, tenir le même langage. Pour la première fois, il semble que devant le danger de la concurrence étrangère, la nécessité d’un plan d’action commun se soit imposée à l’esprit de tous les membres de la corporation392.

Le sous-titre du magazine, « l’hebdomadaire du cinéma français », met d’ailleurs en avant sa préférence française. Dans l’immédiat après-guerre, la France, qui souffre de difficultés économiques et industrielles suite au conflit mondial, tente de se relever.

390. Sous-titre de Cinémonde. 391. L. Marie, Le cinéma est à nous. Le PCF et le cinéma français de la Libération à nos jours, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 51-77 ; Lorsque les accords Blum Byrnes arrivent à leur terme en 1951, L’Écran français publie deux manifestes « SOS pour le cinéma français », n°313 (4 juillet 1951) et n°314 (11 juillet 1951). 392. Pierre Laroche, « A-t-on signé, à Washington, l'arrêt de mort du cinéma français ? », L’Écran français, n°51 (16 juin 1946). 182

C’est dans ce contexte de reconstruction que les acteurs et actrices en une du magazine deviennent les véhicules d’une identité culturelle française. La part des acteurs et actrices présentés en couverture de L’Écran français est donc très majoritairement française. Sur 351 artistes, 294 sont de nationalité française (84%) et 72 de nationalité étrangère (16%). La France domine sur toute la période de diffusion :

Tableau 6. Répartition annuelle des acteurs et actrices selon leur nationalité en une de L’Écran français

Année France Hollywood Europe de l’est Suède Italie Suisse

1946 39 12 1 1947 38 11 1 1 1948 47 6 1 1 1949 51 12 2 2 1 1950 52 3 1 3 1951 58 3 1 4 1952 9 2

La tendance est différente en une de Mon Film. Sur un corpus de 974 comédiens et comédiennes, 407 sont français (42%) et 567 étrangers (58%). Les Français sont majoritaires uniquement pour l’année 1946.

183

Tableau 7. Répartition annuelle des acteurs et actrices selon leur nationalité en une de Mon Film

Année France Holly Italie Suède All Autri Mex Esp Tchè Pol Hong RU Suisse 1946 21 14 1947 31 37 3 3 1 1 1948 30 34 1 1 2 1949 33 50 1 1 1 1950 32 38 3 1 1 1951 28 45 2 1952 43 40 1953 30 42 6 1 1954 26 44 6 1 1 1955 25 43 3 1 1 1 1956 40 36 6 1 1 1957 31 30 8 1 2 1 1958 37 33 3 2 2

À l’inverse de Cinémonde et de L’Écran français, Mon Film fait la part belle au cinéma hollywoodien. En effet, la vague d’anti-américanisme n’est pas généralisée dans la presse populaire de l’après-guerre393. Des magazines comme Mon Film témoignent d’une fascination certaine pour Hollywood. La pléiade d’acteurs hollywoodiens présentée en couverture confirme l’attirance pour « l’usine à célébrités394» qui reste le modèle de la fabrique des stars, celui qu’André Bazin nommait « le génie du système395 » cinématographique. Comme l’écrit Myriam Juan, Hollywood se distingue dès les années 1920 :

[La] capitale du cinéma est le creuset d’une mythologie moderne qui contribue à transformer en demi-dieux ceux et celles qui y trouvent la gloire. Le succès constitue le fondement de ce récit mythologique : l’histoire d’une star est d’abord celle d’une formidable réussite dans un monde où ne manque pourtant ni la concurrence, ni les adversités396.

À l’aune des tableaux précédents, nous constatons aussi la bonne visibilité des acteurs et actrices italiens : 33 pour Cinémonde, 42 pour Mon Film et 11 pour L’Écran français. Celle-ci s’intègre dans le projet de « coordination très étroite entre des

393. T. Pillard, « Entre propagande nationale et coopération internationale : le nationalisme corporatiste et les rapports franco-américains dans Le Film français », Théorème, n°18, 2015, p. 96-109. 394. M. Juan, « La célébrité à l’heure de la reproductibilité. L'invention de la star de cinéma en France pendant l'entre-deux-guerres », art. cit. 395. André Bazin, « De la politique des auteurs », Cahiers du cinéma, n°70, avril 1957, p. 2-11. 396. M. Juan, « La célébrité à l’heure de la reproductibilité. L’invention de la star de cinéma en France pendant l’entre-deux-guerres », art. cit. 184

cinématographies française et italienne »397 amorcé en 1948. Celui-ci visait à œuvrer alors pour la mise en place d’une véritable politique commune de production entre France et Italie – à travers les nombreux échanges, collaborations et circulations de professionnels – en ces premières années d’après-guerre qui voyaient les films d’Hollywood déferler sur les marchés d’Europe398. Le premier texte signé le 16 octobre 1946 prévoit un modèle de coproduction associant qualité et devis élevé. Dans l’immédiat après-guerre, « l’intention est de renforcer le cinéma de tradition européenne, de manière à ce qu’il soit en mesure d’alimenter son propre marché et de concurrencer le cinéma hollywoodien399. » L’accord définitif est signé à Paris le 19 octobre 1949 et sera valable jusqu’en 1951. Les accords sont renouvelés le 6 septembre 1953. Si l’attention est toujours portée sur la « tradition de la qualité » française, on appuie cette fois « l’expansion des cultures italienne et française et [le] rayonnement de la civilisation de laquelle se réclament les deux pays400. » Selon les statistiques du CNC, de 1949 à 1953, la France a produit 547 films, dont 108 sont en coproductions. 92 d’entre elles ont été réalisées sous un régime d’accord officiel, dont 86 avec l’Italie. Ces données chiffrées montrent à l’évidence une « collaboration privilégiée entre la France et l’Italie, même par rapport à d’autres pays avec lesquels existent des accords à cette date401. » À titre comparatif, la France a coproduit 5 films avec l’Espagne et 1 avec l’Allemagne. Sur la période, la France et l’Italie se sont affirmées de façon très nette comme les deux pays européens produisant ensemble le plus de coproductions402. De plus, bien que les classements annuels au box-office attestent de la nette préférence accordée par le public français pour la production nationale et outre une présence forte des films

397 Maurice Bessy, « Pour une politique franco-italienne de production ». Le Film français. Paris, n° 171, 19 mars 1948, p. 9. 398. Camille Gendrault, « Les coproductions entre France et Italie dans l’après-guerre : la construction d’un public transnational ? » ; Paola Palma, « Opportunisme ou utopie ? L'Union du cinéma européen : une tentative italo-française de faire l'Union de l'Europe avant l'Union européenne », Paris, INHA, 11 juin 2015. 399. Paola Palma, « Les coproductions cinématographiques franco-italiennes (1946-1966) : un modèle de "cinéma européen" ? », Claude Forest (dir.) L’internationalisation des productions cinématographiques et audiovisuelles, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2017, p. 217. 400. « Accord de coproduction franco-italiens » [préambule], La Cinématographie française, n°1537, 10 octobre 1953, p. 5. 401. P. Palma, « Les coproductions cinématographiques franco-italiennes (1946-1966) : un modèle de "cinéma européen" ? », op. cit. p. 231. 402. Non signé. « La coproduction en France (Résultats d’exploitation) ». Bulletin d’information du CNC. Paris, n° 65, octobre 1960, p. 162-164. Voici les chiffres indiqués pour les coproductions sur la période 1949-1959 : 326 avec l’Italie sur la période, 23 avec l’Espagne : 23, 20 avec l’Allemagne et 39 avec d’autres pays. 185

hollywoodiens, les coproductions italiennes y entrent massivement403. À la fin de la décennie, la ratification des accords d’année en année404 et les chiffres montrent que l’institutionnalisation de la coproduction cinématographique entre la France et l’Italie a parfaitement fonctionné. Elle a permis de faire face à la concurrence américaine et d’impulser les productions nationales, à travers l’échange de savoir-faire et la participation financière (majoritaire ou minoritaire). Pour Paola Palma, « les cinématographies italiennes et françaises se posent à la fois en représentantes et en gardiennes du cinéma européen tout en préservant les intérêts de la production nationale405. » Précisons aussi que les films de coproduction sont perçus comme des produits culturels et artistiques. Ils sont diffusés systématiquement en France et en Italie. Réussite du modèle de coproduction oblige, les professionnels du cinéma sont partagés entre les deux pays sur une longue partie de leur carrière. Pour ces diverses raisons, les magazines français s’impliquent dans la popularisation du phénomène406. Les portraits en couvertures permettent donc de familiariser le public français avec les acteurs et actrices italiens. Si Cinémonde et L’Écran français promeuvent un cinéma national, au contraire de Mon Film, les trois magazines de cinéma semblent néanmoins privilégier les mêmes vedettes françaises. Ces dernières ont en commun une formation théâtrale.

B. Une formation théâtrale prestigieuse

En indexant les numéros 607 (19 mars 1946) à 1272 (25 décembre1958) de Cinémonde, Gwénaëlle Le Gras a répertorié les visages privilégiés par la publication407. Le tableau suivant présente les personnalités ayant eu au moins six couvertures entre 1946 et 1958408. Les acteurs apparaissent en gras.

403. Sur ce point, voir en particulier F. Montebello, Le cinéma en France… op. cit. p. 32-42 et p. 145. 404. De nouveaux accords sont signés le 8 novembre 1957. 405. P. Palma, « Les coproductions cinématographiques franco-italiennes italiennes (1946-1966) : un modèle de "cinéma européen" ? », op. cit. p. 217. 406. C. Gendrault, « Les coproductions entre France et Italie dans l’après-guerre : la construction d’un public transnational ? », op. cit. 407. G. Le Gras, « The post-war french star system (1945-1958) : prestigious vedettes and box-office stars », art. cit. 408. On répertorie six coproductions en 1952 puis une dizaine à la fin de la décennie. 186

Tableau 8. Top des acteurs et actrices en une de Cinémonde Rang Nom Nombre de Couvertures 1 Michèle Morgan 31 2 Jean Marais 23 3 Martine Carol 22 4 Gérard Philipe 19 5 Edwige Feuillère 17 6 16 7 Luis Mariano 14 8 Jean-Pierre Aumont 13 9 Micheline Presle 12 Viviane Romance 12 Danièle Delorme 12 Françoise Arnoul 12 13 Jean Gabin 11 Tino Rossi 11 Dany Robin 11 Daniel Gélin 11 17 Simone Renant 10 Henri Vidal 10 Georges Marchal 10 20 Georges Guétary 9 21 Yves Montand 8 Brigitte Bardot 8 23 Fernandel 7 Eddie Constantine 7 25 Gisèle Pascal 6 Claudine Dupuis 6 François Périer 6 Jean-Claude Pascal 6

Ce tableau atteste du goût de Cinémonde pour les comédiens de théâtre. Comme au temps du muet et à l’arrivée du parlant, la scène reste le vivier principal du cinéma français409. Deux grands types de spectacle vivant déterminent les formations des acteurs : le spectacle comique, chanté et populaire d’un côté, le spectacle culturellement respectable avec un répertoire classique de l’autre. Fernandel et Jean Gabin viennent du café-concert ou du music-hall. Tino Rossi, Georges Guétary, Luis Mariano, Yves

409. M. Juan « Le vedettariat en France (1926-1934) », mémoire de maîtrise, sous la direction de Pascal Ory, Université de Paris 1, 2008. 187

Montand s’illustrent sur la scène musicale. Les théâtres subventionnés par l’État comme le Théâtre national Populaire (TNP) ou la Comédie française forment Edwige Feuillère, Gérard Philipe, Georges Marchal ou Jean Marais. Durant toute leur carrière, des personnalités comme Edwige Feuillère, Danielle Darrieux, Madeleine Renant, Micheline Presle, Danièle Delorme, Dany Robin, Daniel Gélin et François Périer montent sur les planches des prestigieux théâtres parisiens. Les chassés-croisés entre le théâtre et le cinéma sont fréquents, du fait de la proximité des plateaux de tournage et des scènes de théâtre. Ces liens étroits entre la scène et l’écran constituent une des spécificités du star-système en France410 où la formation théâtrale reste une des bases du métier d’acteur de cinéma. Ceux-ci sont donc nombreux à mener une double carrière. La promotion de ces acteurs, comédiens de théâtre, est un moyen pour le magazine populaire de s’agréger un prestige culturel. Des variations sensibles sont observables entre les couvertures de L’Écran français et de Mon Film.

188

Tableau 9. Top des acteurs et actrices en une de L’Écran français et Mon Film Écran français Total Mon film Total Jean Marais 11 Danielle Darrieux 15 Edwige Feuillère 9 Jean Marais 13 Danielle Darrieux 7 Dany Robin 12 Michèle Morgan 7 Michèle Morgan 11 Gérard Philipe 7 Fernandel 11 Georges Marchal 7 Gérard Philipe 8 Simone Signoret 6 Françoise Arnoul 8 Micheline Presle 6 Micheline Presle 7 Viviane Romance 5 Renée St-Cyr 7 Dany Robin 5 Robert Lamoureux 7 Cécile Aubry 5 Brigitte Bardot 7 Pierre Blanchar 5 Gisèle Pascal 6 M. Robinson 4 Raymond Rouleau 6 Simone Renant 4 Tino Rossi 6 Maria Casarès 4 Jean Gabin 6 Renée de St-Cyr 4 Georges Marchal 6 Françoise Arnoul 4 Gaby Morlay 5 Jean Gabin 4 Danièle Delorme 5 Fernandel 4 5 Serge Reggiani 3 Eddie Constantine 5 Madeleine Sologne 3 Dany Carrel 5 Martine Carol 3 Madeleine Sologne 4 Danièle Delorme 3 Pierre Fresnay 4 3 Jean-Claude Pascal 4 Pierre Brasseur 3 4 Louis Jouvet 3 Nicole Courcel 4 3 Raymond Pellegrin 4

Pour constituer un palmarès d’une trentaine d’acteurs comme pour Cinémonde, nous avons indexé 321 unes pour L’Écran français411 et 648 pour Mon Film. Comme Cinémonde, les deux magazines privilégient les acteurs ayant une formation théâtrale. L’Écran français fait la promotion d’autres personnalités : Madeleine Robinson, Maria Casarès412, Pierre Blanchar, Fernand Gravey, Louis Jouvet, Pierre Brasseur413. En couverture de Mon Film on trouve des portraits de Gaby Morlay, Raymond Rouleau et

411. Indexation réalisée pour les numéros 27 (2 janvier 1946) à 348 (12 mars 1952) de L’Écran français et les numéros 1 (31 juillet 1946) à 648 (31 décembre 1958) pour Mon Film. 412. Maria Casarès intègre le TNP entre 1954 et 1959. 413. Pierre Brasseur est un fidèle interprète des pièces de Jean-Louis Barrault. 189

Pierre Fresnay. Tous ces acteurs sont de prestigieux comédiens de théâtre qui s’illustrent sur les scènes parisiennes dans des pièces classiques ou contemporaines. En revanche, les chanteurs de charme Tino Rossi, Luis Mariano et Georges Guétary n’apparaissent pas dans la sélection de L’Écran français. À l’époque, le film chanté est associé à un public populaire et féminin ; il n’est donc pas surprenant que les acteurs emblématiques du genre soient exclus des unes d’une revue qui se veut culturellement exigeante et destinée à un lectorat plutôt masculin. En effet, selon une note interne du journal, datée du 8 avril 1948 : « la clientèle qui s’intéresse au cinéma d’une manière plus intelligente ou plus particulière, publics de ciné-clubs, spectateurs cultivés et curieux, intellectuels, artistes, professionnels du cinéma. Cette clientèle est celle de L’Écran français414. » Les magazines spécialisés et populaires mettent en lumière les acteurs et actrices de formation prestigieuse, mais les critères de valorisation ont aussi une dimension genrée et générationnelle.

414. Citation reprise dans Olivier Barrot et Raymond Chirat, L’Écran français (1943-1953). Histoire d’un journal et d’une époque, Paris, les éditeurs français réunis, 1979, p. 235. 190

C. Un mélange des sexes et des générations

Dans Cinémonde, on observe une répartition genrée inégale, comme le montre le tableau suivant : Tableau 10. Répartition genrée en une de Cinémonde

Année Total Femme % Homme % 1946 21 14 67 7 33 1947 42 27 64 15 36 1948 24 15 63 9 37 1949 52 32 62 20 38 1950 65 42 65 23 35 1951 61 33 54 28 46 1952 62 35 57 27 43 1953 57 31 54 26 46 1954 51 31 61 20 39 1955 62 39 63 23 37 1956 43 30 70 13 30 1957 78 55 71 23 29 1958 36 23 64 13 36

Tableau 11. Répartition genrée et générationnelle en une de Cinémonde

Femmes Hommes Nés avant 1910 1 3 Nés avant 1920 3 5 Nés avant 1930 7 7 Nés après 1930 2

Il existe aussi des différences en termes de génération. Les vedettes d’avant- guerre415 sont les plus nombreuses. Elles côtoient des acteurs ayant émergé sous l’Occupation416 ou durant l’après-guerre417. Nous observons une large dominante des acteurs nés avant les années trente. Des artistes comme Edwige Feuillère, Danielle Darrieux, Viviane Romance ou Jean Marais personnifient un cinéma de la « tradition

415. Edwige Feuillère, Danielle Darrieux, Michèle Morgan, Micheline Presle, Simone Renant, Viviane Romance, Fernandel, Jean-Pierre Aumont, Jean Gabin, Tino Rossi. 416. Jean Marais, Luis Mariano, Georges Guétary, Gisèle Pascal. 417. Martine Carol, Gérard Philipe, Danièle Delorme, Françoise Arnoul, Dany Robin, Daniel Gélin, Henri Vidal, Georges Marchal, Yves Montand, Brigitte Bardot, Eddie Constantine, Claudine Dupuis, Jean- Claude Pascal. 191

de la qualité ». À l’exception de Viviane Romance, ils sont tous l’incarnation d’un jeu classique grâce à leur formation théâtrale ou musicale418. Issus du music-hall ou de l’opérette, Fernandel, Tino Rossi ou Jean Gabin n’en incarnent pas moins des modèles dans leur genre cinématographique. Ils ont un public fidèle419. Cinémonde promeut différents profils d’acteurs illustrant le cinéma français le plus prestigieux aux côtés des jeunes étoiles plus ou moins éphémères de l’époque420. Chez les quatorze acteurs et actrices nés entre 1920 et 1930, nous trouvons : Michèle Morgan, Gérard Philipe, Martine Carol, Micheline Presle, Danièle Delorme, Dany Robin, Daniel Gélin, Henri Vidal, Georges Marchal, Yves Montand, François Périer ainsi que Jean-Claude Pascal. Seules deux actrices sont nées après 1930 : Françoise Arnoul et Brigitte Bardot. La rédaction de Cinémonde manifeste une admiration artistique pour les grands acteurs, néanmoins elle ne peut ignorer le goût de son lectorat pour la jeune génération. Le lectorat jeune et féminin est fortement touché par les bouleversements de l’après-guerre, où l’émancipation des femmes et des jeunes est contrariée par le retour en force d’une société patriarcale. Le cinéma semble leur fournir une échappatoire face aux contraintes sociales. Nous verrons par la suite que les commentaires publiés dans le courrier des lecteurs révèlent ces désirs d’identification et de projection sur la jeune génération d’acteurs421. Les couvertures de L’Écran français et Mon Film dessinent, elles aussi, une inégale répartition entre femmes et hommes (tableaux ci-après) :

Tableau 12. Répartition genrée en une de L’Écran français

Année Total Femme % Homme % 1946 35 23 66 12 34 1947 34 22 65 12 35 1948 43 26 60 17 40 1949 44 21 48 23 52 1950 46 31 67 15 33 1951 55 31 56 24 44 1952 9 5 55 4 45

418. G. Le Gras, « Edwige Feuillère dans le star-système français des années d’après-guerre vu par Cinémonde », art. cit. 419. Nous avons détaillé cet élément précédemment (voir 1re Part.) 420. G. Le Gras, « Edwige Feuillère Feuillère dans le star-système français des années d’après-guerre vu par Cinémonde », art. cit. 421. Nous détaillerons ces éléments par la suite (voir 3e Part. chap. 6). 192

Tableau 13. Répartition genrée en une de Mon Film

Année Femme % Homme % 1946 10 55 8 45 1947 21 64 12 36 1948 17 61 11 39 1949 20 61 13 39 1950 16 57 12 43 1951 15 58 11 42 1952 25 61 16 39 1953 18 56 14 44 1954 13 56 10 44 1955 12 46 14 54 1956 22 52 20 48 1957 18 62 11 38 1958 24 65 13 35

Tant en couverture de L’Écran français que Mon Film, nous observons une plus grande présence des femmes. En revanche, la répartition générationnelle montre une préférence pour les acteurs d’âge mûr et les jeunes actrices (tableaux ci-après).

Tableau 14. Répartition genrée et générationnelle en une de L’Écran français

Femmes Hommes Nés avant 1900 1 Nés avant 1910 2 6 Nés avant 1920 4 2 Nés avant 1930 8 4 Nés après 1930 1

Tableau 15. Répartition genrée et générationnelle en une de Mon Film

Femmes Hommes Nés avant 1900 Nés avant 1910 1 5 Nés avant 1920 3 2 Nés avant 1930 5 5 Nés après 1930 5

Cette répartition genrée et générationnelle est en lien avec le contexte de l’époque. Si sous l’Occupation, les actrices dominaient les écrans dans des rôles de femmes fortes,

193

les représentations des rapports sociaux de sexes changent à la Libération422. Le cinéma renoue avec les figures de patriarches d’avant-guerre. En cette période de reconstruction où l’on tente d’oublier les humiliations de l’Occupation (défaite, maquis, prison…), les acteurs prestigieux (carrière et âge) fonctionnent comme des instruments de réaffirmation des normes sexuées et d’identité nationale. Ainsi, les couvertures font écho aux films qui confrontent souvent un homme mûr à une femme plus jeune qui n’est qu’un objet de désir pour le sujet masculin423. Dans les trois magazines, les noms de Jean Marais et Gérard Philipe figurent en haut du tableau. Jean Marais a débuté sa carrière sous l’Occupation avec L’Éternel retour (, 1943), le film qui a fait de lui une star. Gérard Philipe devient célèbre, quant à lui, à la Libération avec Le Diable au corps (Claude Autant-Lara, 1947). Si Jean Marais perd de son attractivité au box-office dans les années d’après- guerre (1945-1958)424, il reste le grand favori des magazines et de leurs lectrices425. Ces deux acteurs incarnent le type426 spécifique du jeune premier, susceptible de déclinaisons : amoureux romantique, séducteur cynique, puissant ou faible. Dans leur rôle d’homme raffiné et mélancolique, ils prolongent la tradition iconographique et romanesque datant du XIXe siècle. Conformément à la période, ces figures d’« hommes féminins » indiquent le rejet d’une masculinité virile exaltée durant les années de guerre427. Ils présentent des qualités physiques qui correspondent aux exigences de glamour des magazines et sont donc susceptibles de plaire au lectorat féminin de Cinémonde et Mon Film. Leur prestigieux parcours théâtral est une autre composante de leur visibilité. Si Daniel Gélin, Georges Marchal, Henri Vidal et Jean-Claude Pascal incarnent eux aussi des jeunes premiers au cinéma, ils sont nettement moins présents en couvertures des magazines populaires428. Cette visibilité du cinéma français et de ses acteurs prestigieux d’avant-guerre entre en résonnance avec les référendums organisés

422. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre des sexes…, op. cit.. 423. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 1re Part. et 2e Part.) 424. Par box-office nous entendons les vingt premiers succès annuels, le tableau suivant publié dans G. Le Gras, « The Post-war french star system (1945-1958) : prestigious vedettes and box-office stars » », art. cit. 425. D. Chedaleux, « Jean Marais, star de Cinémonde (1946-1958) : la construction d’une masculinité ambivalente dans la France d’après-guerre », art. cit. 426. Dans sa thèse Myriam Juan propose une étude des types de rôles et emploi dans le cinéma français entre 1919 et 1940, voir M. Juan « "Aurons-nous un jour des stars ? " Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940) », op. cit. p. 168. 427. « Hommes féminins » est une expression de Denise Tual reprise dans l’ouvrage de Phil Powrie, Pierre Batcheff and stardom in 1920s French cinema, Edinburgh University Press, 2009, p. 28-32. 428. Voir tableaux 8 et 9. 194

par la presse spécialisée. Gérard Philipe apparaît ainsi une fois de plus comme un cas singulier.

II. Le Tout-Cinémonde ou la hiérarchie des acteurs

Le « Tout-Cinémonde » est un classement publié chaque année à partir de décembre 1951 et qui propose le panthéon des acteurs français selon la rédaction du magazine. L’expertise est dirigée par Michel Aubriant, Georges Beaume et Hervé Le Boterf. Le « Tout-Cinémonde » est décliné en plusieurs catégories. Gwénaëlle Le Gras dégage la structure de base qui restera intacte sur toute la durée de publication.

Structure du Tout-Cinémonde durant les années 1950429 Les superstars Les stars Les comédiens de premier plan Vous connaissez leur visage / vous avez leur nom sur le bout de la langue Cinémonde vous dit : « ne les perdez pas de vue ! » Ils n’ont pas tourné cette année / Les vedettes sans emploi Leur musique adoucit les mœurs Les fantaisistes Cinémonde leur fait confiance

La rubrique témoigne d’une volonté de classification et de confrontation des acteurs et actrices en France. Elle constitue un instrument de légitimation pour le magazine populaire qui valorise les acteurs d’expérience, généralement formés au théâtre et représentants du cinéma de la « qualité française ».

A. « Les superstars »

Intéressons-nous de plus près aux « superstars », car cette catégorie suffit à reconnaître les grands noms du cinéma des années cinquante. Selon Cinémonde, « ils ont le talent, la gloire, le succès et la fortune. Ils sont les figures clefs de notre

429. G. Le Gras, « The Post-war french star system (1945-1958) : prestigious vedettes and box-office stars », art. cit. 195

mythologie. » Leur « nom appartient à l’histoire du cinéma ». Le tableau430 qui suit récapitule les élus de 1952 à 1959 :

Tableau 16. Les super-stars du Tout-cinémonde431

Année Actrices Acteurs

1952 Darrieux/Feuillère/Morgan/Romance Fernandel/Fresnay/Gabin/Guitry/Marais/Simon

1953 Carol/Darrieux/Delorme/Feuillère/ Fernandel/Fresnay/Gabin/Marais/Philipe/Simon Morgan/Romance

1954 Carol/Darrieux/Morgan Fernandel/Fresnay/Gabin/Gélin/Marais/Mariano/Guitry/ Pascal/Philipe

1955 Carol/Darrieux/Morgan Constantine/Fernandel/Gabin/Guitry/Pascal/Philipe

1956 Carol/Darrieux/Morgan Constantine/Fernandel/Fresnay/Gabin/Montand/Philipe

1957 Bardot/Carol/Morgan Boyer/Constantine/Fernandel/Fresnay/Gabin/Philipe/Tati

1958 Bardot/Carol Morgan Constantine/Fernandel/Fresnay/Gabin/Philipe

1959 Bardot/Darrieux/Morgan Brasseur/Fernandel/Gabin/Philipe/Tati

Nous observons une relative stabilité à travers toute la période avec la présence durable de Michèle Morgan, Danielle Darrieux et Martine Carol chez les femmes, puis celle de Pierre Fresnay, Jean Gabin, Fernandel et Gérard Philipe chez les hommes. La sélection des « supers-stars » confirme la préférence de Cinémonde pour les acteurs et actrices d’expérience ayant débuté avant-guerre, formés au théâtre ou au cabaret. Gwénaëlle Le Gras rappelle qu’à cette époque, plusieurs grand noms des années trente sont décédés (Harry Baur, Jules Berry, Louis Jouvet, ) ou relégués aux rôles secondaires. Bien que leur présence au box-office ne soit plus avérée, le magazine continue de promouvoir leurs figures432. L’attachement de la rédaction pour ce type d’acteurs est marqué par la présence de Danielle Darrieux, Edwige Feuillère, Michèle Morgan, Viviane Romance, Fernandel, Pierre Fresnay, Jean Gabin, , Michel Simon et . Les acteurs issus de l’Occupation ou de la Libération sont bien moins présents. Martine Carol, Jean Marais et Gérard Philipe y figurent durablement, tandis que Danielle Delorme, Daniel Gélin et Jean-Claude Pascal n’y entrent qu’une année. Cinémonde fait aussi une exception pour la très jeune génération avec Brigitte Bardot

430. Ibid. p.15. 431. Les noms des jeunes premiers de notre corpus figurent en gras. 432 G. Le Gras, « Edwige Feuillère dans le star-système français des années d’après-guerre vu par Cinémonde », art. cit. p. 37-53. 196

qui est nommée « super-star » en 1957, 1958 et 1959. En 1952 et 1953, nous observons une bonne visibilité des actrices qui s’inscrit dans la continuité de l’Occupation433 ; quatre actrices et six acteurs en 1952, six actrices et cinq acteurs en 1953. À partir de 1954, elles sont de nouveau sous-représentées, comme c’était le cas déjà avant la guerre. Ces rapports genrés et générationnels inégaux se retrouvent aussi dans les catégories inférieures.

Illustration 81. Les super-stars du « Tout-cinémonde » de 1956 (Cinémonde n°1117)

Pour Gwénaëlle Le Gras, le « Tout-Cinémonde » établit une hiérarchie des acteurs français en croisant des critères du box-office, de talent, de longévité de carrière et de formation prestigieuse. Elle dévoile ainsi la logique de promotion d’un cinéma de la « tradition de la qualité » française et la valorisation de la maîtrise du jeu classique de la part du magazine, laquelle entre parfois en contradiction avec les goûts des lecteurs pour les nouvelles vedettes434. Si les hommes apparaissent en plus grand nombre dans les catégories supérieures, les femmes ne manquent cependant pas de visibilité.

433. D. Chedaleux, Jeunes premiers et jeunes premières… op. cit. 434 G. Le Gras « The post-war french star-system (1945-1958) : prestigious vedettes and box-office stars », art. cit. 197

Illustration 82. Notule de 1953 sur Gérard Philipe (Cinémonde, n°960)

Dans les années cinquante, Gérard Philipe est une star incontestée du cinéma français. Il bénéficie du capital économique et culturel des « super-stars » définies par Cinémonde. Les chiffres d’entrées, les commentaires critiques des journalistes et des spectateurs sont la preuve de sa gloire et de son talent. Dans les années cinquante, un film avec Gérard Philipe rapporte en moyenne 143 526 000 F435 et totalise 146 519 entrées436. Ces chiffres le placent en tête de « la bourse artistique du cinéma français » établie par le Film français. De plus, sa double carrière entre théâtre et cinéma le place dans la ligne directe des acteurs prestigieux des années trente à l’instar des notules qui soulignent la légitimité culturelle de Gérard Philipe :

En 1953 : « Gérard Philipe se partage entre le cinéma et le T.N.P., à Avignon, il a interprété Lorenzaccio comme personne. À Chaillot, il a mis en scène Nucléa de Pichette. À l’écran, il a été l’interprète de René Clair dans Les Belles de nuit437. »

435. « Vedettes et réalisateurs sous le signe des recettes », Film français, n°597-598. Dans cet article, les journalistes étudient le « rendement » des principaux metteurs en scène et vedettes. Ils tiennent compte des recettes totales de première exclusivité à Paris et dans sept villes clés des films sortis entre 1953 et 1955. Pour comparer : Fernandel rapporte 122 606 000 F par film, Jean Gabin rapporte 81 050 000 F, Jean-Claude Pascal rapporte 58 586 000 F, Georges Marchal rapporte 42 163 000 F, Daniel Gélin rapporte 36 521 000 F, Henri Vidal rapporte 29 331 000 F. 436. « Vedettes et réalisateurs sous le signe des entrées », Film français, n°597-598. Dans cette seconde partie de l’article, les journalistes établissent une moyenne des chiffres d’entrées des films. Pour comparer : Fernandel totalise 130 354 entrées par film, Jean Gabin totalise 201 165 entrées, Jean-Claude Pascal 120 994 entrées, Georges Marchal totalise 64 469 entrées, Daniel Gélin totalise 95 993 entrées. 437. « Tout-Cinémonde 53 », Cinémonde, n°960 (26 décembre 1952), p. 11-18. 198

En 1954 : « Gérard Philipe, décidément infatigable, se partage entre le théâtre (Lorenzaccio) et le cinéma : Les Orgueilleux, Si Versailles m’était conté, Villa Borghèse), où il retrouve Micheline Presle. Il a parcouru l’Amérique du Sud, le Japon, l’Allemagne et l’Italie438. »

En 1955 : « Gérard Philipe malgré son activité débordante au T.N.P, ses tournées à l’étranger – a néanmoins trouvé le temps de tourner des films : Villa Borghèse (en Italie), Monsieur Ripois (à Londres), Le Rouge et le Noir (à Paris)439. »

À l’aune du « Tout-cinémonde », Gérard Philipe associe des tendances contradictoires. Il est une star de cinéma populaire et un comédien de théâtre plus légitime culturellement. Cette dualité explique sa singularité envers ses contemporains : Daniel Gélin, Georges Marchal, Henri Vidal et Jean-Claude Pascal qui restent qualifiés « stars » ou « vedette », soit les têtes d’affiches « qui ont une valeur commerciale et dont la vie privée n’a aucun secret pour le public. Leurs mariages et leurs divorces ont la France entière pour témoin. »

438. « Tout-Cinémonde 54 », Cinémonde, n°1013 (1 janvier 1954), p. 9-16. 439. « Tout-Cinémonde 55 », Cinémonde, n°1065 (31 décembre 1954), p. 10-18. 199

Le tableau suivant récapitule la hiérarchie des jeunes premiers de notre corpus dans « Tout-Cinémonde » de 1952 à 1958 :

Tableau 17. Répartition des jeunes premiers dans la catégorie star ou vedette

Stars et Vedettes Super-star 1952 Gélin/Marchal/Vidal 1953 Marchal/Vidal/Gélin 1954 Marchal Gélin 1955 Gélin/Marchal/Vidal Pascal 1956 Gélin/Marchal/Pascal/Vidal 1957 Gélin/Pascal/Marchal/Vidal 1958 Gélin/Vidal/Pascal

Après ses prestations dans Édouard et Caroline (Jacques Becker, 1950, 1, 6 million d’entrées) et des Mains sales (Fernand Rivers, 1951, 1, 4 million d’entrées), Daniel Gélin est classé parmi les espoirs du cinéma français, une « comète au firmament440 ». En termes d’entrées et de recettes, les années 1952441 et 1953 constituent l’apogée de sa carrière442 et lui permettent d’accéder à la catégorie des « stars » et des « super-stars » du « Tout-Cinémonde ». L’année de son divorce avec Danièle Delorme en 1954 est un trou noir dans son parcours et sa cote de popularité baisse : « a divorcé d’avec Danièle Delorme et épousé le mannequin Sylvie. A beaucoup travaillé […] Doit se renouveler443. ») Son retour est très fécond à partir de 1956 ; il tourne dix films en trois ans et obtient de nouveau l’intérêt de la rédaction. On apprécie la diversité de ses rôles et son parcours au théâtre : « a rétabli une situation qui, en 1955, lui échappait. Gardant un pied dans les films noirs, avec Je reviendrai à Kandara et Mort en Fraude, il s’est mis au rose avec Bonjour Paris et En effeuillant la marguerite avec B.B444. » « Daniel Gélin demeure un des comédiens les plus demandés, grâce à son très large registre […] et a créé, au théâtre, la pièce de Jean Renoir, d’après C. Odets : Le Grand Couteau445. »

440. « Tout-Cinémonde 52 », Cinémonde, n°908 (29 décembre 1951), p. 11-18. 441. À ce sujet, Georges Beaume écrira un article « 1952 : l’année Gélin », Cinémonde, n°922 (4 avril 1952), p. 7-9. 442. Voir la filmographie de Daniel Gélin en annexe 1. 443. « Tout-Cinémonde 55 », op. cit. 444. « Tout-Cinémonde 57 », Cinémonde, n°1170, (10 janvier 57), p. 10-p17. 445. « Tout-Cinémonde 58 », Cinémonde, n°1220 (26 décembre 1957), p. 10-17. 200

Illustration 83. Notule de 1954 sur Daniel Gélin (Cinémonde, n°1013)

La place de Daniel Gélin dans le « Tout-Cinémonde » est fondée sur des critères de box-office, de talent, longévité de carrière et professionnalisme. En effet, les films de l’acteur sont régulièrement présents dans le « top 20 ». Il travaille intensément sur toute la période proposant des créations variées et de qualité. Néanmoins, son rang dans le Tout-Cinémonde entre en contradiction avec sa visibilité dans les pages du magazine qui lui reproche sa vie de bohème et son côté existentialiste de Saint-Germain-des- près446. C’est donc pour des raisons morales que Cinémonde semble s’intéresser assez peu à lui, et ce malgré une carrière couronnée de plusieurs succès447. Pour Georges Marchal, nous constatons une divergence entre les critères du box- office et le point de vue de la rédaction du « Tout-Cinémonde ». En effet, Georges Marchal est une star emblématique des films en costumes qui font sa popularité auprès du public. Ils totalisent tous plus de 2 millions d’entrées (Bethsabée [Léonide Moguy, 1947, 3,5 millions d’entrées], Les Derniers jours de Pompéi [Marcel L’Herbier, 1950, 2,1 millions d’entrées], Messaline [Carmine Gallone, 1951, 2,4 millions d’entrées], Les Trois Mousquetaires [André Hunnebelle, 1953, 5,3 millions d’entrées], Le Vicomte de Bragelonne [Fernando Cerchio, 1954, 2,4, millions d’entrées]. Mais dans les notules, les journalistes évoquent leur lassitude : « il s’est adonné à l’Histoire tout au long de l’année [1954] : en pourpoint dans Les Trois Mousquetaires, en habit de cour dans Si Versailles m’était conté, en toge dans Théodora, Impératrice de Byzance, qu’il est allé

446. S. Hayward, « Daniel Gélin : l’étoile filante de Cinémonde (1947-1958) », G. Le Gras et G. Sellier, Cinémas et cinéphilies populaires…, op. cit. p.146. 447. Nous détaillons ces éléments par la suite (voir 3e Part. chap. 5). 201

tourner en Italie448. » « [En 1955] Georges Marchal est resté fidèle à la tradition des films à costumes avec Le Vicomte de Bragelonne449. » En 1957, le ton change, « Georges Marchal est devenu l’interprète favori de Luis Buñuel avec qui il tourne (en Corse) Cela s’appelle l’aurore, avant d’interpréter, au Mexique, Mort en ce jardin. Est attendu avec impatience par ses admiratrices dans un rôle à sa mesure450. » En 1958, on écrit : « est plus bel homme que jamais. Il pourrait être dans son emploi, un grand jeune premier. Mais il est peu utilisé et souvent mal451. » Les journalistes du « Tout-Cinémonde » classent Georges Marchal parmi les « stars » en croisant des critères du box-office et de talent. Ils apprécient les rôles joués à la fin de la décennie, hors du genre en costumes et hors du cinéma populaire. Du point de vue de la rédaction, ces derniers permettent à George Marchal de renouveler sa persona. Néanmoins, Cela s’appelle l’aurore (1,1 million d’entrées) et Mort en ce jardin (1,5 million) correspondent moins au goût du public. Ces films arrivent aussi à la fin de la décennie où s’amorce un changement des représentions masculines à l’écran452. Ce moment propice à l’émergence de nouvelles figures peut fournir une autre explication au déclin de Georges Marchal. Henri Vidal est présent parmi les « stars » du « Tout-Cinémonde ». Jusqu’en 1957, il ne semble être défini que par rapport à ses partenaires : « a tourné avec sa femme, Michèle Morgan, L’Étrange Madame X453. », « C’est arrivé à Paris, avec Evelyne Keyes454. » « En France, il a été le partenaire de Gabin455. » Dans chacune des notules, il n’est jamais question de ses prestations, de son talent ou de son professionnalisme. Henri Vidal n’est mentionné que comme faire-valoir d’acteurs plus prestigieux, « super-star » dans le cas de Michèle Morgan et Jean Gabin. Cette définition entre en résonnance avec les articles parus dans Cinémonde456. Ces derniers présentent Henri Vidal comme le compagnon idéal de la star française Michèle Morgan. S’il est toujours question de la carrière professionnelle de l’actrice, on omet celle d’Henri Vidal. Son image se joue ailleurs. En 1957, un changement de registre lui vaut les faveurs de la rédaction : « tourne dans le film de René Clair Porte des Lilas : c’est

448. « Tout-Cinémonde 54 », art. cit. 449. « Tout-Cinémonde 55 », art. cit. 450. « Tout-Cinémonde 57 », art. cit. 451. « Tout-Cinémonde 58 », Cinémonde, n°1220 (26 décembre 1957), p. 10-17. 452. A. Brassart, Les jeunes premiers…, op. cit. 453. « Tout-Cinémonde 52 », art. cit. 454. « Tout-Cinémonde 53 », art. cit. 455. « Tout-Cinémonde 55 », art. cit. 456. Nous détaillons ces éléments par la suite (voir 3e Part. chap. 6). 202

une manière de consécration. […] Il semble orienter sa carrière vers des rôles plus robustes457. » L’année suivante, on écrit : « longtemps considéré comme un jeune premier qui ne pouvait compter que sur son physique, a fait preuve, dans Porte des Lilas, Une manche est belle, Une parisienne et Charmants garçons d’un talent mûri, et d’une personnalité qui n’emprunte à personne. Poursuivra-t-il son ascension458 ? » La relation amoureuse entre Henri Vidal et Michèle Morgan peut expliquer la présence d’Henri Vidal au début de la décennie. En revanche en 1957 et 1958, la rédaction s’intéresse enfin à ses prestations dans les films. Porte des Lilas (René Clair, 1956, 3,9 millions d’entrées) et Une parisienne (Michel Boisrond, 1957, 3,5 millions d’entrées) sont de très gros succès qui peuvent sans doute être attribués aux têtes d’affiche. Cependant, Henri Vidal propose une nouvelle figure masculine, plus virile qu’à ses débuts. Contrairement à Georges Marchal, celle-ci fait écho aux changements des représentations qui surviennent à la fin de la décennie459 et s’avère donc plus susceptible de plaire à un large public. Très tôt dans sa carrière, Jean-Claude Pascal requiert l’intérêt du « Tout- Cinémonde ». En 1952, on écrit : « Un Grand Patron le classe définitivement. Attention dans ses prochains films460 ! » Ce film est son premier gros succès au box-office, 3, 7 millions d’entrées, mais il n’est pas la tête d’affiche. Néanmoins, sa prestation est très largement remarquée461. 1953 et 1954 sont des années de réussite pour l’acteur, tête d’affiche dans cinq films à plus de 2 millions d’entrées (Alerte au sud [Jean Devaivre, 1953, 2,9 millions d’entrées], Les Enfants de l’amour [Léonide Moguy, 1953, 3,6 millions d’entrées], La Rage au corps [Ralph Habid, 1953, 2,3 millions d’entrées] et Le Grand jeu [Roger Siodmak, 1953, 3,8 millions d’entrées]. Ainsi, en 1955, il intègre déjà les « super-stars ». Notons que Jean-Claude Pascal est un jeune acteur qui a débuté sa carrière en 1949. Ces éléments rappellent les débuts fulgurants de Gérard Philipe mais le manque de succès du Fils de Caroline chérie va discréditer Jean-Claude Pascal aux yeux de la rédaction (« il n’a pas eu avec Le Fils de Caroline chérie tout le succès escompté462 »). Et par la suite, les journalistes ne cesseront de le désapprouver. En 1957, on écrit : « Jean-Claude Pascal n’est plus l’idole des jeunes filles, qui cherchent

457. « Tout-Cinémonde 57 », art. cit. 458. « Tout-Cinémonde 58 », art. cit. 459. A. Brassart, Les jeunes premiers…, op. cit. 460. « Tout-Cinémonde 52 », art. cit. 461. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 1re Part.). 462. « Tout-Cinémonde 56 », Cinémonde, n°1117 (5 janvier 1956), p. 11-19. 203

ailleurs. La Châtelaine du Liban a déçu463. » En 1958, on lit « Jean-Claude Pascal très lucidement prend le temps de chercher un second souffle : il n’a tourné cette année que Les Lavandières du Portugal. Il poursuit la préparation d’un tour de chant et rêve de tourner dans une comédie musicale…avec Danielle Darrieux pas moins464 ! »

Illustration 84. Notule de 1955 sur Jean-Claude Pascal (Cinémonde, n°1065)

Comme nous l’avons vu précédemment, Jean-Claude Pascal propose dans ses films une image romantique qui s’apparente à la « féminité ». Dans un contexte où émerge un autre type de jeune premier plus viril et plus ambigu, Jean-Claude Pascal ne fait donc plus recette. Les deux films qu’il tourne en 1958 passent sous les 3 millions d’entrées (Guinguette [Jean Delannoy, 1,4 million d’entrées], Le Fric [Maurice Cloche, 603 000 entrées], Le Pêcheur d’Islande [Pierre Schendoerffer, 1,3 million d’entrées]). Cependant, Jean-Claude Pascal est aussi un acteur peu apprécié par la rédaction de Cinémonde. En effet, l’acteur devenu très populaire auprès du public, ne se prête cependant pas toujours au jeu des médias qui désapprouvent son « mauvais » caractère465. Nous pouvons donc penser que ce parti pris influe aussi sur son classement à la fin de la décennie. En résumé, le « Tout-Cinémonde » croise des critères de box-office, talent, longévité de carrière, influence et professionnalisme pour établir une hiérarchie au sein des acteurs du star-système français. La catégorie la plus prestigieuse des « super-stars » regroupe les acteurs d’avant-guerre et formés au théâtre. Gérard Philipe fait donc exception en s’y installant durablement. Aux yeux de la rédaction et contrairement aux

463. « Tout-Cinémonde 57 », art. cit. 464. « Tout-Cinémonde 58 », art. cit. 465. Nous détaillons cet élément par la suite (voir 3e Part. chap. 5). 204

autres jeunes premiers de sa génération, il recoupe à la fois popularité, recettes, talent et professionnalisme. Son parcours théâtral lui confère une légitimité malgré son âge face aux représentants de « la tradition de la qualité ». Daniel Gélin, Georges Marchal, Henri Vidal et Jean-Claude Pascal ne présentent pas de personnalités artistiques aussi complètes. Ils ont le talent et le succès plus ou moins durables. Mais ils n’ont pas sa richesse au théâtre car, même si Daniel Gélin et Georges Marchal montent sur les planches, ils ne déclenchent pas la ferveur populaire et professionnelle de Gérard

Philipe. Le prix des Victoires du cinéma propose un autre témoin de ces divergences.

III. Les Victoires du cinéma français ou la popularité des acteurs

Les Victoires du cinéma est un référendum organisé par Cinémonde et le Film Français. Les lecteurs de Cinémonde et les exploitants du Film Français votent pour élire les vainqueurs. Dans son article « Les Victoires du cinéma français : une entreprise d’institutionnalisation orchestrée par Le Film français », Gwénaëlle Le Gras466 montre comment Le Film français va faire de ces récompenses un enjeu culturel, politique et économique majeur. Officiellement créé en 1948467, c’est le premier prix qui implique le vote des exploitants et du public jusqu’ici exclus des referendums prestigieux. Or, pour le journal corporatiste : « Les directeurs de salle dont le travail, l’expérience et la connaissance du public sont à la base même de la bonne marche de l’industrie cinématographique, devraient eux aussi, avoir droit à la parole468. » La remise des Victoires est un des plus prestigieux événements qui réunit d’importantes personnalités du monde parisien, de la politique, de la littérature, du théâtre et du cinéma469. À travers ces récompenses, Le Film français défend aussi un cinéma national de « la tradition de la qualité ». Nous retrouvons dans cette rubrique les acteurs prestigieux d’avant-guerre, formés au théâtre et promus dans Cinémonde. Et ici encore, Gérard Philipe détient une place à part entière sur sa génération.

466 G. Le Gras, « Les Victoires du cinéma français : une entreprise d’institutionnalisation orchestrée par Le Film français », Théorème, n° 18, p. 121-132. 467. À partir de 1958, les Victoires du cinéma français est supplanté par les Étoiles de cristal, un prix qui exclut de nouveau les exploitants et le public. 468 Le Film français, n°113 (7 février 1947), p. 7. 469 Le Film français, n°236 (24 juin 1949), p. 7. 205

A. Des lauréats représentants de la « tradition de la qualité »

Le premier palmarès des Victoires recueille l’avis de 65% des exploitants, en France et dans les colonies. Le taux passera à 90% en deux ans470. Lors de la première édition, 3253 professionnels votent471 pour élire le meilleur film français et étranger, les meilleurs interprètes féminin et masculin. Dans le contexte de redressement de l’économie française depuis la Libération, l’exigence de qualité est un enjeu politique, culturel et économique fondamental. Il s’agit à la fois de symboliser la renaissance de la France comme puissance industrielle et de singulariser la cinématographie nationale à travers son prestigieux héritage culturel472. Le trophée représentant la Victoire de Samothrace, figure de l’art grec et trésor des musées nationaux français, vient renforcer l’idée de prestige. Par conséquent, les Victoires du cinéma deviennent un « label de qualité » dont les lauréats constituent les ambassadeurs de la marque nationale. Les récompenses décernées à des acteurs étrangers n’expriment aucune contradiction, mais plutôt un désir de placer les vedettes françaises sur un pied d’égalité avec leurs homologues étrangers.

470. Ibid. 471. Le Film français, n°126, 9 mai 1947, p. 11. 472. G. Vernet, « Aux origines d’un discours critique : "la tradition de la qualité" et "la qualité française". La bataille de la qualité ou la mise en place du soutien de l’État aux films de qualité en France (1944- 1953) », op. cit. Voir chapitre 2 : « L’appropriation du soutien de l’État aux films de qualité », p. 115-195 et chapitre 4 : « L’institutionnalisation du soutien de l’État aux films de qualité : archéologie de la « prime à la qualité » », p. 272-344. 206

Tableau 18. Lauréats des Victoires du cinéma français de 1946 à 1958

Le Film français Cinémonde Le Film français Cinémonde 1946 Feuillère Morgan Blanchar Marais 1947 Presle Presle Fresnay Philipe 1948 Morgan Morgan Jouvet Jouvet 1949 Delorme Delorme Blier Fresnay 1950 Morgan Morgan Fresnay Marais 1951 Robinson Robinson Gabin Gélin 1952 Carol Morgan Fernandel Philipe 1953 Carol Morgan J.C. Pascal Philipe 1954 Darrieux Morgan Gabin Philipe 1955 Carol Morgan Philipe Gabin 1956 Bardot Darrieux Bourvil Périer 1957 Bardot Darrieux Brasseur Brasseur 1958 Bardot Petit Chartier Bourvil

Nous pouvons faire le même constat que pour « les super-stars ». Parmi les vingt- trois lauréats, nous trouvons assez peu d’acteurs ou actrices ayant débuté leur carrière après-guerre (Danielle Delorme, Brigitte Bardot, Martine Carol, Pascale Petit, Gérard Philipe, Jean-Claude Pascal et Jacques Charrier). Les autres ont déjà une prestigieuse carrière dans les années trente ou sous l’Occupation et restent plébiscités après-guerre. La forte présence de ces acteurs et actrices d’expérience formés au théâtre ou au music- hall témoigne d’un désir de continuité entre les années trente et l’après-guerre473. Pour le choix des actrices, les exploitants et le public ont globalement les mêmes goûts jusqu’en 1951. Mais nous observons un clivage à partir de 1952 ; les exploitants préfèrent Martine Carol et Brigitte Bardot à Michèle Morgan et Danielle Darrieux. En revanche, sur toute la période, ils se montrent plus réticents envers la jeune génération masculine, préférant Pierre Blanchar à Jean Marais, Pierre Fresnay à Gérard Philipe, Jean Gabin à Daniel Gélin, Fernandel à Gérard Philipe, Jean Gabin à Gérard Philipe et Bourvil à François Périer. À trois exceptions, la primauté est accordée à un jeune acteur ; Jean-Claude Pascal en 1953, Gérard Philipe en 1955 et Jacques Chartier en 1958.

473. Jean-Charles Sabria, Cinéma français des années 50, Paris, Economica/Centre Georges Pompidou, 1987. 207

Illustration 85. Lauréats des Victoires du cinéma de 1957 (Cinémonde, n°1170)

Au contraire, Gérard Philipe est le grand favori des lecteurs de Cinémonde qui l’élisent quatre fois. En 1947, il est le premier jeune consacré face aux acteurs et actrices d’expérience déjà vedettes avant-guerre (Micheline Presle, Edwige Feuillère, Michèle Morgan, Pierre Fresnay, Jean Marais). Le Diable au corps est le premier grand succès et pose les bases de sa persona cinématographique474. Après ce film, Gérard Philipe devient très populaire auprès du lectorat jeune et féminin de Cinémonde. Selon Gwénaëlle Le Gras, cette adulation expliquerait sa Victoire475. Il reçoit quatre prix consécutifs avant d’être mis hors concours. Le public le prime en 1952 pour Fanfan La Tulipe, 1953 pour Les Orgueilleux, 1954 pour Le Rouge et le Noir et les exploitants en 1955 pour Les Grandes Manœuvres. Durant ces années, Gérard Philipe est à l’apogée de sa carrière cinématographique, les entrées et les recettes en témoignent. Mais son statut de star populaire du cinéma lui permet aussi de faire évoluer son image de l’amoureux romantique au séducteur cynique476. L’enrichissement de son image filmique est aussi un des éléments de fidélisation du public. Cette période est aussi marquée par l’entrée

474. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 2e Part. chap. 1). 475. G. Le Gras, « Les Victoires du cinéma français : une entreprise d’institutionnalisation orchestrée par Le Film français » art. cit. 476. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 2e Part. chap. 1, 2 et 3). 208

au TNP, les succès en France (Avignon, Chaillot, province) et à l’étranger477. Star de cinéma et comédien de théâtre, Gérard Philipe mélange glamour et qualité478. Les cinq Victoires reçues par Gérard Philipe le distinguent encore une fois de ses contemporains. Elles témoignent de sa primauté durable, du point de vue des lecteurs et des professionnels, au sein d’une jeune génération d’acteurs émergée à la Libération. Deux jeunes premiers sont primés : Daniel Gélin en 1951, après le succès d’Édouard et Caroline et Jean-Claude Pascal en 1953, après une fructueuse année cinématographique. Mais, contrairement à Gérard Philipe, leur distinction est éphémère. Le parcours cinématographique et la carrière théâtrale, qui le place dans la lignée des comédiens prestigieux d’avant-guerre, expliquent sa singularité aux yeux des exploitants et du public.

En résumé, l’examen des unes et des référendums des magazines populaires et spécialisés nous a permis de déceler une hiérarchie entre des acteurs et actrices du star- système en France. Les classements indiquent diverses similitudes et différences avec le panthéon du box-office, autant en termes de genre, de génération, que de parcours professionnel. Les acteurs d’avant-guerre et formés au théâtre sont majoritaires. Ils défendent une haute idée de la culture française et sont le symbole de l’identité nationale dans un contexte de reconstruction. Gérard Philipe est le seul acteur de sa génération, celle émergée à la Libération, à rivaliser avec les anciens. À tout juste trente ans, il est déjà sacré plusieurs fois « super-star », à l’égal de Jean Gabin, Fernandel ou Pierre Fresnay et a reçu trois Victoires. À l’aune de notre recherche, il nous semble que Gérard Philipe associe des caractéristiques contradictoires qui expliquent sa grande visibilité : beauté, jeunesse, popularité, tradition et légitimité culturelle. En 1954, le Centre National de la Cinématographie (CNC) présente une étude de marché qui indique les favoris du public français toutes nationalités confondues : Fernandel (28%), Pierre Fresnay (23%), Jean Marais (13%), Gérard Philipe (12%), Jean Gabin (10%)479. Celle-ci renforce donc l’idée

477. Voir les correspondances entre cinéma et théâtre chez Gérard Philipe en annexe 4. 478. G. Le Gras, « Les Victoires du cinéma français : une entreprise d’institutionnalisation orchestrée par Le Film français », art. cit. 479. G. Le Gras, « The post-war french star-system (1945-1958) : prestigious vedettes and box-office stars », art. cit. 209

développée dans ce chapitre, soit la préférence pour les acteurs prestigieux d’avant- guerre formés à la scène et pour le jeune premier de la Libération, Gérard Philipe, lui aussi comédien de théâtre. Cette singularité par rapport à Daniel Gélin, Georges Marchal, Henri Vidal et Jean-Claude Pascal est confortée dans les articles de presse spécialisée.

210

CHAPITRE 5. IMAGE MEDIATIQUE : LES JEUNES PREMIERS VUS PAR

CINEMONDE

À partir des travaux de Delphine Chedaleux480, nous proposons dans ce chapitre une étude de l’image médiatique des jeunes premiers dans Cinémonde (1946-1958). Dans son article « Jean Marais : star de Cinémonde (1946-1958) : la construction d’une masculinité ambivalente dans la France d’après-guerre », l’auteure analyse des discours tenus sur l’acteur à la ville, hors performances filmiques. Selon elle, le magazine en propose une image complexe et contradictoire qui bouscule les normes viriles traditionnelles tout en rendant ces images acceptables au public. L’enjeu de notre étude est donc d’explorer en quoi les figures des jeunes premiers de notre corpus présentent elles aussi des caractéristiques contradictoires propres aux années 1950. Pour mener à bien ce travail, Cinémonde semble être une source primordiale pour les raisons suivantes : magazine à grande diffusion, il s’adresse en priorité à un lectorat jeune et féminin en proposant dans chaque numéro portraits, entretiens et témoignages d’acteurs, actualités cinématographiques sur leur vie professionnelle ou privée. À partir d’une consultation exhaustive, nous ferons le bilan de leur présence dans le magazine pour analyser les comportements et valeurs masculines diffusées à travers leur image médiatique. Nous nous interrogerons aussi sur la manière dont ceux-ci diffèrent ou s’accordent avec leur image cinématographique. Enfin, il s’agit de dégager la singularité de Gérard Philipe par rapport à ses contemporains. Ce dernier mène une carrière parallèle au théâtre et au cinéma. À l’écran comme à la scène, il est associé à un patrimoine littéraire prestigieux. Gérard Philipe est ainsi auréolé d’une légitimité culturelle. Il semblerait, que pour ces raisons, il jouisse d’une grande visibilité dans le magazine, bien qu’il se prête avec réticence aux sollicitations des journalistes. Nous nous attarderons, tout d’abord, sur la visibilité de Daniel Gélin, Henri Vidal, Georges Marchal et Jean-Claude Pascal. Nous terminerons avec l’analyse plus détaillée des discours sur Gérard Philipe.

480. D. Chedaleux, « Jean Marais, star de Cinémonde (1946-1958) : la construction d’une masculinité ambivalente dans la France d’après-guerre », art. cit. 211

I. Promotion d’une jeune génération masculine ambivalente

Alors que les écrans français mettent en avant des figures d’hommes mûrs incarnés par des acteurs célèbres déjà avant la guerre, Cinémonde assure surtout la promotion d’une jeune génération d’acteurs en fonction de critères variés : style de vie, relation amoureuse, expérience théâtrale et cinématographique, etc…

A. Daniel Gélin : l’anticonformiste

La carrière cinématographique de Daniel Gélin est composée de trois phases. Cependant, cette composition tripartite repérée par la réception du public est moins marquée dans Cinémonde481. Le magazine préfère évoquer l’époque tumultueuse de son mariage avec Danièle Delorme (1947-1954) et sa vie plus calme aux côtés du mannequin Sylvie Hirsh (1955-1958)482. Au fil de sa carrière, ponctuée de succès à l’écran, Daniel Gélin ne semble pourtant pas séduire le magazine qui lui consacre assez peu d’articles – à l’exception de Georges Beaume qui lui manifestait une grande admiration. Le tableau qui suit indique la visibilité de Daniel Gélin dans Cinémonde entre 1946 et 1958. Nous y avons aussi ajouté le nombre de films par année (en gris).

Tableau 19. Visibilité de Daniel Gélin dans Cinémonde

1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958 Total Couvertures 1 4 3 1 1 10 Articles483 1 1 1 1 1 1 6 Actualité 1 7 1 12 8 1 2 2 6 40 Critiques 1 2 5 3 6 6 2 2 1 28 Total 2 1 10 7 20 17 9 5 2 3 8 84 Films 1 1 2 3 3 6 5 4 2 4 3 3 37

Nb : le critère « articles » recense les entretiens, témoignages et portraits consacrés spécifiquement à l’acteur.

Il faut attendre 1952 pour que Cinémonde s’intéresse sérieusement à lui. Daniel Gélin a pourtant déjà tourné dix films, dont quatre succès notables484 où il apparait en

481. S. Hayward, « Daniel Gélin : l’étoile filante de Cinémonde (1947-1958) », G. Le Gras et G. Sellier, Cinémas et cinéphilies populaires…, op. cit. p .131-146. 482. Sylvie Hirsh est mannequin chez Dior. 483. Le critère « articles » recense les entretiens, témoignages et portraits consacrés spécifiquement à l’acteur. 212

tête d’affiche : Rendez-vous de juillet (Jacques Becker, 1950, 1,8 million d’entrées), Dieu a besoin des hommes (Jean Delannoy, 1950, 2,7 millions d’entrées), Édouard et Caroline (Jacques Becker, 1950, 1,6 million d’entrées) et Les Mains sales (Fernand Rivers, 1951, 1,4 million d’entrées). En 1951, le magazine le décrit comme « une des 4 comètes au firmament485 ». Mais avant cette période, l’acteur de cinéma évoluait dans l’ombre de son épouse, Danièle Delorme486. L’actrice est consacrée pour son rôle dans Gigi (Jacqueline Aubry, 1949) avec lequel elle reçoit la Victoire du cinéma en 1950. Dans les critiques de films, Cinémonde se concentre essentiellement sur ses partenaires masculins et féminins : Pierre Fresnay dans Dieu a besoin des hommes, Susan Vernon dans Édouard et Caroline et Pierre Brasseur dans Les Mains sales. Si le magazine a assez peu de considération pour son jeu d’acteur, il le juge sur son physique : « Tourmenté, la mèche en bataille, un œil noir qui nous regarde révolté [Daniel Gélin] n’a pu résister à la tentation de Barbizon ; jeune, impétueux, la bouche rêveuse et déjà un métier fou487. » La Tentation de Barbizon (1946, Jean Stelli) est le premier film où Daniel Gélin obtient un rôle important. Il y incarne un jeune amoureux menacé par le diable qui veut détruire son couple. Un ange-femme parvient à tout remettre en ordre. Cette image positive est contredite le 4 avril 1949 quand Cinémonde parle de son « mariage ouvert » avec Danièle Delorme488. De plus, sur la période 1947- 1951, les rôles de Daniel Gélin n’ont pas contribué à donner une image flatteuse de lui : un type tourmenté (Le Mannequin assassiné), fils matricide (Dieu a besoin des hommes) ou jeune existentialiste avec le style Saint-Germain-des-près (Rendez-vous de juillet). Conformément à la logique du star-système, les personnages qu’il incarne à l’écran rejaillissent sur sa personnalité médiatique.

484. Nous ne tenons pas compte des films à sketchs. 485. Cinémonde, n°908 (29 décembre 1951), p. 12. 486. Cette différence n’existe pas dans vie théâtrale, mais Cinémonde n’en parle pas. 487. Cinémonde, n° 712 (23 mars 1948). 488. Cinémonde, n° 764 (4 avril 1949), p. 6-7. 213

Illustration 86. Daniel Gélin et Georges Beaume chez Daniel Gélin (Cinémonde n°922)

En 1952, Daniel Gélin reçoit sa seule Victoire du cinéma, tourne six films et réalise Les Dents longues. Mais « l’année Gélin489 » inaugure aussi la période la plus mouvementée sur le plan professionnel et personnel490 (1952-1955), où il tourne dix- sept films dont sept qui dépassent les 2 millions d’entrées. Ces années sont marquées par un surmenage et un mode de vie agité (alcool, drogue, nuits blanches et liaisons extra-conjugales). Georges Beaume écrit : « le visage creux, ce teint livide de noctambule quêtant sa perte, ces tics de joueur, cet œil de braise sous la mèche lasse, tout un style de vie qui fait des ravages491. » Pour Jean-Denis Foëx, Daniel Gélin gaspille son talent et sa vie :

Lutter pour s’ouvrir une voie, pour faire une carrière, exige un effort destructeur, une tension éprouvante. […] Gélin protège sa sensibilité réelle, mise à vif dans ses poèmes, sous une cuirasse de désinvolture cynique. Il cédait à la facilité de vivre à sa guise qui faisait de lui un mari intermittent492.

Le seul film qu’il dirige, Les Dents longues, a des accents autobiographiques. Daniel Gélin incarne un journaliste ambitieux qui met en péril son mariage. C’est d’ailleurs Danièle Delorme qui tient le rôle de sa femme. Sur cette période, ajoutons aussi que huit de ses films sont très noirs. Il se suicide (La Minute de vérité [Jean Delannoy, 1952], L’Affaire Maurizius [Julien Duvivier, 1954], La Neige était sale [Luis

489. Georges Beaume, « 1952 sera l’année Gélin », art. cit.. 490. S. Hayward, « Daniel Gélin : l’étoile filante de Cinémonde », op. cit. p. 134. 491. G. Beaume, « 1952 sera l’année Gélin », art. cit. 492. « Danièle-Daniel : ce grand amour blessé… », Cinémonde, n°968 (27-2-1953), p. 11. 214

Saslavsky, 1953], se drogue (L’Esclave [Yves Ciampi, 1953]), meurt accidentellement (Sang et or [Georges Rouquier, 1954]), est assassiné (Rumeur publique [Maurizio Cognati, 1954]) ou fuit le bonheur (Les Amants du Tage [Henri Verneuil, 1955]). C’est sans doute ce registre qui pousse Cinémonde à le qualifier de « jeune premier sombre et byronien493 ». « Il est l’incarnation aujourd’hui la plus populaire de la jeunesse intellectuelle et du romantisme rive-gauche494. » Si Cinémonde fait assez peu cas de l’acteur, il scrute sa vie privée. Le 28 mai 1954, le magazine annonce : « Les Daniel divorcent » :

Illustration 87. Danièle Delorme et Daniel Gélin (Cinémonde, n°1034)

Plus que tout autre peut-être, les ménages d’artistes sont vulnérables et la vie commune entre deux êtres qui se sont engagés parallèlement sur la route du succès est semée d’innombrables embûches et de pièges redoutables vis-à-vis desquels il faut être très fort ou très adroit pour ne pas succomber ! La tension d’esprit à laquelle est soumis en permanence un artiste qui, tout entier, s’adonne à son art, les exigences souvent difficiles du métier et aussi les nombreuses occasions qui s’offrent à l’un et à l’autre de contrevenir aux lois du mariage ne facilitent généralement ni la durée, ni la stabilité de telles unions495.

En 1955, quand Daniel Gélin se remarie avec Sylvie Hirsch, Cinémonde présente un homme nouveau qui s’est assagi : cures de désintoxication, jus de fruits, visites-

493. Cinémonde, n°968 (2 février 1953), p. 11. 494. Cinémonde, n°962 (9 janvier 1953), p. 3. 495. « La fin d’un roman mouvementé : les Daniel divorcent », Cinémonde, n°1034 (28 mai 1954), p. 6-7. 215

éclair aux soirées de gala : « il a changé de femme, de genre de vie et veut reprendre une place qu’il avait, un instant, compromise. » « Daniel n’est resté que quarante-huit heures au festival [de Cannes] […] il n’a bu que du soda. » Sylvie l’accompagne partout, elle l’aide et le surveille dans les endroits où la tentation est présente496. Néanmoins, les discours de Cinémonde demeurent ambigus. Les photographies sont peu flatteuses et les critiques de films sont focalisées sur les autres acteurs. On trouve aussi des remarques dévalorisantes : « Daniel a tourné (à Hollywood) L’homme qui en savait trop, un film de Hitchcock, dans lequel il a quatre mots à dire497. » Si Cinémonde s’intéresse au cinéma hollywoodien et s’inspire des fans magazines, il reste un journal qui promeut en priorité le cinéma national et n’apprécie guère de voir les acteurs français partir à Hollywood pour faire carrière. La critique sur Daniel Gélin est donc plus une condamnation qu’une étude approfondie de sa prestation. Pour Cinémonde « Daniel Gélin accumule, des années durant, les héros les plus morbides, dans les films les plus noirs. Il y eut bien sûr La Ronde puis Édouard et Caroline, mais c’est surtout lors de sa perte de vitesse que l’on songea à lui pour de petites comédies498. » Ces propos indiquent une certaine mauvaise foi si l’on s’attarde sur le tableau des entrées qui témoigne d’une relative stabilité499. Enfin, Cinémonde « propose (suffisamment souvent pour qu’on ne puisse pas en parler au hasard) des photos de plateau de l’acteur qui suggèrent une certaine lubricité500. » Sur toute la période (1947-1958), Daniel Gélin figure donc assez peu dans Cinémonde, tel un acteur de second rang. Il ne fait pas partie des « stars » ou des « super-stars » du « Tout-Cinémonde » dont les succès au box-office sont plus importants. Et bien que ces films approchent régulièrement les 2 millions d’entrées, il lui manque sans doute le gros succès à 4-5 millions d’entrées pour le faire sortir du lot. Cinémonde lui reproche aussi sa vie de bohême et son « mariage ouvert » avec Danièle Delorme. Mais sa nouvelle vie avec Sylvie Hirsh n’intéresse pas plus le magazine. Daniel Gélin présente « une persona non conformiste501 », il n’a pas une vie sociale rangée et transgresse ouvertement les normes d’une certaine respectabilité bourgeoise. Nous pouvons donc penser que pour des raisons morales, il a quelque peu déplu à Cinémonde.

496. S. Hayward, « Daniel Gélin : l’étoile filante… » op. cit. p. 138. 497. Cinémonde, n°1136 (17 mai 1956), p.4. 498. Cinémonde, n°1195 (4 juillet 1957), p.4. 499. Voir la filmographie de Daniel Gélin en annexe 1. 500. S. Hayward, « Daniel Gélin : l’étoile filante de Cinémonde », op. cit. p. 139. 501. Ibid. p.146. 216

B. Henri Vidal : Monsieur Michèle Morgan

La carrière cinématographique d’Henri Vidal est composée de trois phases : les films avant Michèle Morgan (1945-1948), avec Michèle Morgan (1948-1950) et sans Michèle Morgan (1951-1958). Cette répartition est moins marquée par Cinémonde qui divise son parcours en deux temps : sa vie avant et avec Michèle Morgan. Au début de sa carrière, Henri Vidal est d’abord mis en avant pour son physique, mais à partir du moment où il officialise sa relation avec l’actrice, il apparaît comme le compagnon idéal de la star auréolée de tous les succès. Michèle Morgan est une actrice consacrée avant-guerre. Elle s’exile à Hollywood pendant la guerre et retrouve son statut de star en 1946 grâce à La Symphonie pastorale qui reçoit la Palme d’Or au premier festival de Cannes et elle obtient le prix d’interprétation féminine. Michèle Morgan est l’actrice la plus primée aux Victoires du cinéma dans les années cinquante. Elle figure parmi les « supers-stars » du « Tout- Cinémonde » chaque année. Enfin, elle est la première actrice au box-office français entre 1946 et 1958502. Henri Vidal est loin d’atteindre une telle notoriété : aucune Victoire, nommé à trois reprises « star » du « Tout-Cinémonde » (1953, 1955 et 1959), il apparaît au seizième rang du box-office, tandis que Michèle se classe au quatrième503.

502. G. Le Gras, « The post-war french star-system (1945-1958) : prestigious vedettes and box-office stars », art. cit. 503. Ibid. 217

Le tableau suivant indique la visibilité de l’acteur dans les pages de Cinémonde :

Tableau 20. Visibilité d’Henri Vidal dans Cinémonde

1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958 Total Couvertures 1 1 1 3 1 2 1 10 Articles 1 1 1 1 3 1 2 10 Actualités 1 2 1 3 8 4 7 5 1 1 2 5 2 41 Critiques 1 1 3 3 2 2 3 15 Total 2 3 3 6 12 8 14 6 3 3 2 10 5 76 Films 2 2 1 3 1 3 2 4 1 3 4 2 29

Nous pouvons constater qu’il existe peu d’articles longs consacrés à Henri Vidal. Les mentions de l’acteur sont en majorité faites dans les actualités ou les critiques et très peu développées. Néanmoins, les dix portraits et entretiens publiés entre 1946 et 1958 suffisent à construire son image médiatique. Cinémonde commence à parler d’Henri Vidal dès son deuxième film Les Maudits (René Clément, 1946). Tandis qu’il s’active sur les plateaux de tournage, Jenny Josane écrit son premier portrait :

Illustration 88. Henri Vidal (Cinémonde, n°633)

218

Nous n’en sommes plus aux jeunes premiers gominés et figés qui brillèrent sur nos écrans d’avant-guerre. Ils ont vécu ; remplacés par ceux de la génération nouvelle à la stature athlétique, aux cheveux décoiffés, à la chemise ouverte sur un torse solide et bronzé, préférant le soleil aux éclairages savants de quelques mondains. Trois noms concrétisent cette nouvelle conception du jeune premier : Jean Marais, Georges Marchal, Henri Vidal504.

Mais contrairement à Jean Marais qui « affiche une plastique impeccable505 », « un mélange d’élégance et de force506 », Henri Vidal ne présente, selon Cinémonde, « aucune joliesse, aucune douceur de contour, mais une beauté virile, rude même. » Toutefois comme pour Jean Marais, les photographies qui illustrent l’article le construisent en objet érotique. Elles dévoilent sa musculature qui le dote d’une aura sexuelle. Ainsi, elles le mettent à disposition du regard et du désir du lectorat féminin. Nous pouvons observer le même type de fétichisation visuelle dans son premier très gros succès public, le péplum Fabiola (, 1948, 4,9 millions d’entrées). Dans son rôle de jeune premier amoureux romantique, Henri Vidal apparaît régulièrement dénudé. Ce code vestimentaire est une caractéristique du genre. Le film marque un tournant dans la vie professionnelle et privée de l’acteur. Il y rencontre sa future épouse, Michèle Morgan, avec qui il tournera trois films en deux ans : Fabiola, La Belle que voilà (Jean-Paul Le Chanois, 1949, 2,8 millions d’entrées) et L’Étrange Madame X (Jean Grémillon, 1950, 1,7 million d’entrées). Hors films à sketches, ces œuvres figurent parmi les plus gros succès d’Henri Vidal. Cependant ces réussites peuvent être en grande partie attribuées à la tête d’affiche féminine, Michèle Morgan. Entre 1948 et 1950, le magazine parle assez peu de ses prestations et sa carrière est éclipsée par celle de la jeune actrice, à laquelle il est pourtant associé. En juillet 1949, Cinémonde publie la « Remise solennelle des Victoires du cinéma français », une des notules indique : « Michèle Morgan en est à sa seconde victoire du cinéma français, Henri Vidal la félicite de cette constante dans le succès507. » Les deux acteurs se marient le 6 février 1950 et, dès lors, Henri Vidal est présenté comme le mari idéal. Cinémonde montre Henri Vidal comme un homme d’intérieur qui semble préférer la décoration – souvent du ressort des femmes – aux activités masculines

504. Jenny Josane, « L’étrange destin d’Henri Vidal », Cinémonde, n°633 (17 septembre 1946), p. 7. 505. Jean Farge, « La séance Marais-Day-Cocteau », Cinémonde, n°616 (21 mai 1946), p. 5. 506. Cinémonde, n°1005 (6 novembre 1953), p. 20. 507. « Remise solennelle des Victoires du cinéma français », Cinémonde, n°778 (4 juillet 1949), p. 10-11. 219

traditionnelles : « Henri Vidal, jeune premier sportif, qui s’habille avec une négligente élégance et possède les épaules athlétiques en vogue de notre ère atomique, se voit dévoré par une passion ardente : il collectionne les objets d’art508. » Il apparaît aussi comme un homme « joyeux et heureux de sacrifier ses loisirs et son sommeil pour que Michèle soit heureuse » :

Illustration 89. Michèle Morgan et Henri Vidal (Cinémonde, n°1062)

En dépit de ses accablantes et harassantes occupations professionnelles, Henri Vidal trouve encore le moyen de diriger personnellement les travaux de son nouveau logis, dont il est l’ensemblier. Il veille aux moindres détails. Il met, à l’occasion, la main à la pâte. Il donne un coup de main aux représentants des divers corps de métiers, actuellement campés chez lui. Parfois Henri s’inquiète : « Tout sera-t-il terminé dans les délais prévus ? Je voudrais tant que tout soit prêt lorsque Michèle rentrera du Maroc. Je voudrais la chercher à l’aérodrome et la conduire directement ici. » Souvent il téléphone à Michèle dans son palais du désert sud-marocain, pour lui demander son avis. […] Dès que ses films, la radio ou la TV lui laissent un instant de libre, Vidal bondit chez lui. Il saisit les plans de la bibliothèque, il manie varlope et robot. Diable d’homme ! Il faut avoir sa robuste nature pour supporter un pareil régime et ne pas y laisser sa santé. « Vois-tu, me dit-il, je voudrais tant que Michèle soit contente à son retour, je voudrais tant qu’elle trouve l’appartement à son goût !509 »

508. Jany Casanova, « Michèle Morgan et Henri Vidal vivent dans un musée Louis XIV », Cinémonde, n°933 (20 juin 1952), p.10-11. 509. « La Nouvelle maison de Michèle Morgan et de Henri Vidal date du roi soleil », Cinémonde, n° 1062 (10 décembre 1954), p10-11 220

Dans ces articles, il est très peu fait allusion à la carrière professionnelle d’Henri Vidal. On privilégie la figure du compagnon idéal qui entretient le foyer, tandis que sa femme est absente pour raisons professionnelles. Contrairement à son mari, la carrière de Michèle Morgan est l’objet d’un grand intérêt dans Cinémonde. Le magazine propose donc une image de masculinité non patriarcale. Celle-ci est en contradiction avec les rôles virils et misogynes qu’il incarne au cinéma, surtout dans les policiers. Dès 1951, les deux acteurs ne tournent plus ensemble. Si le succès de Michèle Morgan ne faiblit pas, la carrière d’Henri Vidal ne décolle pas. Ces films ne dépassent jamais les 2 millions d’entrées. Sans sa relation avec Michèle Morgan, il est donc fort probable qu’Henri Vidal n’aurait pas obtenu l’attention du magazine. C’est ce que souligne indirectement Georges Beaume :

Le tzigane rêve de tourner un rôle prestigieux avec un très grand metteur en scène ; l’Auvergnat souhaite une carrière durable et consulte le box-office. Le tzigane a une réputation de Don Juan qui lui va bien et qu’il ne décline pas ; mais l’Auvergnat épouse la belle des belles et ne la trompe pas. Biniou et violon : le concert est un peu déconcertant, aigrelet par endroits, inattendu en tout cas, il a du charme, de l’allant. […] Il a une supériorité qu’on ne peut pas lui enlever : il est heureux510.

C’est aussi ce que sous-entend Jean Vetti en 1957 : « la chance n°1 d’Henri Vidal », « son étoile, c’est Michèle… l’unique, la merveilleuse Michèle Morgan, son épouse. Elle l’a beaucoup aidé à devenir ce qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire à se bonifier511. » Dans l’immédiat après-guerre et selon Cinémonde, Henri Vidal propose donc un nouveau type de jeune premier dans la lignée de Jean Marais. Icone de masculinité, il est aussi objet de fétichisation érotique. Lorsqu’il rencontre Michèle Morgan, son image va cependant évoluer. Le magazine ne le présente plus qu’à travers une relation amoureuse idyllique qui cache une réalité beaucoup plus sombre. Dans les années cinquante, Henri Vidal sombre progressivement dans l’alcool et la drogue. Il suit de nombreuses cures de désintoxication avant de mourir d’une crise cardiaque le 10 novembre 1959. Cinémonde est forcément au courant de ses difficultés, connues par l’ensemble de la profession et la presse. En revanche, celles-ci sont ignorées par une majorité du lectorat. Le magazine vise donc à maintenir une belle image de l’acteur,

510. G. Beaume, « Henri Vidal auvergnat au cœur tzigane », Cinémonde, n°988 (10 juillet 1953), p7-9. 511. Jean Vetti, « Henri Vidal avec 4 films nouveaux devient l’homme du jour », Cinémonde, n°1186 (2 mai 1957), p.36-37. 221

d’une vie calme et rangée aux côtés d’une femme qu’il aime. Cette figure est plus conforme aux mœurs bourgeoises incarnées par le couple. Par ailleurs, elle permet également une identification du public.

C. Georges Marchal : le mâle

Après la Seconde Guerre mondiale, le parcours cinématographique de Georges Marchal est divisé en deux parties : jeune premier (1946-1954) et l’après jeune premier (1955-1958). Entre 1946 et 1954, l’acteur mène une prolifique carrière : sur vingt-trois films, neuf dépassent les 2 millions d’entrées et sept sont à plus de 1,5 million d’entrées. En revanche à partir de 1955, les succès se font plus rares, aucun de ses films ne dépassera les 1,5 million d’entrées512. La chronologie des articles parus dans Cinémonde suit la même progression. La grande majorité des textes paraissent entre 1947 et 1954. La période s’ouvre avec Torrents (Serge de Poligny, 1946), sorti le 27 juin, le film totalise 3,9 millions d’entrées. Elle se clôture avec Le Vicomte de Bragelonne (Fernando Cerchio), sorti le 9 décembre 1954 et totalisant les 2,4 millions d’entrées. Néanmoins, durant toutes les années cinquante et malgré une carrière qui bat de l’aile dans la seconde moitié de la décennie, l’image médiatique de Georges Marchal évoluera peu. Il incarne une virilité traditionnelle contrebalancée par l’érotisation de son corps. Le tableau suivant indique la visibilité de Georges Marchal dans les pages de Cinémonde :

Tableau 21. Visibilité de Georges Marchal dans Cinémonde

1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958 Total Couvertures 1 4 2 1 1 9 Articles 3 3 6 Actualités 5 2 5 6 4 1 2 1 1 27 Critiques 1 2 2 1 1 7 Total 2 3 12 2 7 7 5 3 2 2 1 49 Films 1 3 1 4 2 3 2 2 5 2 1 3 3 31

512. Voir la filmographie de Georges Marchal en annexe 1. 222

Peu de temps avant la sortie des Démons de l’aube, Cinémonde mentionne pour la première fois son nom dans la critique du film513. Mais c’est en 1947 que le magazine commence réellement à s’intéresser à lui. Pour Cinémonde, Georges Marchal incarne une virilité traditionnelle514 en accord avec ses rôles à l’écran. Dans un article publié le 21 mars 1949, « Georges Marchal demande une ferme, une vache, des cochons, et une femme515. » Il incarne aussi des valeurs terriennes et misogynes dans l’interview du 1 août : « Mesdames, voici vos 4 vérités516 » où l’on peut lire les propos suivants :

La femme qui joue m’exaspère. Ce qui ne veut pas forcément dire que j’aime la paysanne. Tâchez de saisir la nuance. J’ai horreur517 du maquillage, fond de teint, rimmel, rouge à lèvres et surtout le vernis à ongles. Je tuerais volontiers quand je vois une femme se préparer à être soi-disant belle. Je n’aime pas : les femmes érudites qui parlent sur le bout des dents, elles m’ennuient. Je préfère parler à la petite dactylo qui me raconte ses petites joies, ses malheurs, ou son beau dimanche. Elle est beaucoup plus vraie et elle n’est pas snob. C’est plus intéressant. […] Je ne suis pas brutal, mais si ma main s’applique sur leur petite figure, je suis navré, bien entendu… […] J’aime les femmes simples, douces, tendres, discrètes. J’aime celles qui sont fidèles. Je suis bien fidèle, moi518.

L’autoportrait de Georges Marchal s’inscrit dans le climat d’après-guerre où l’on tente de restaurer l’identité masculine. Les femmes sont dédaignées et corrigées. L’acteur peut donc avouer battre les femmes quand cela lui semble nécessaire sans condamnation. La preuve, Cinémonde accepte de publier : « Je ne suis pas brutal, mais si ma main s’applique sur leur petite figure, je suis navré, bien entendu…. » Dans ces divers articles, le magazine construit l’image d’un mâle dominant. La masculinité de Georges Marchal est aussi caractérisée par ses qualités sportives. Il pratique « les sports qui allongent les muscles, élargissent les épaules et redressent la colonne vertébrale519. » Son but « un esprit sain dans un corps sain. »

513. Cinémonde, n°608 (26 mars 1946), p. 13. 514. D. Chedaleux, « Les magazines populaires, des archives au service d’une histoire culturelle du cinéma français. L’exemple de Cinémonde 1946-1950 » op. cit. p. 328. 515. Cinémonde, n°763 (21 mars 1949). 516. G. Marchal, « Mesdames voici vos 4 vérités », Cinémonde, n°782 (1 août 1949), p. 13 517. En gras dans le texte. 518. G. Marchal, « À l’académie de l’amour Dany Robin et Georges Marchal conjuguent le verbe aimer », Cinémonde, n°782 (1 août 1949), p.13. 519. G. Marchal, « Je ne suis pas qu’un acteur, je suis un homme I. », Cinémonde, n°649 (7 janvier 1947), p. 9. 223

Cependant, ce portrait – à la fois viril, misogyne et actif – est contrebalancé par l’érotisation de son corps, c’est aussi le cas dans ses films. Beaucoup de photographies le montrent dénudé, les muscles saillants et dans des poses qui invitent à la contemplation. De fait, Georges Marchal s’inscrit dans la ligne directe de « Jean Marais qui, sous l’Occupation, a initié cet engouement pour les jeunes premier beaux et musclés520. » La photographie ci-dessous fétichise le corps de Georges Marchal. Debout et dévêtu, il présente une musculature exceptionnelle. Ce corps est associé à un visage androgyne qui allie délicatesse et puissance : yeux en amande, pommettes hautes, mâchoire carrée, bouche sensuelle. Dans la photographie ci-dessous, son regard songeur suggère délicatesse et sensualité.

Illustration 90. Georges Marchal (Cinémonde, n°649)

Ainsi décrites, les photographies de Georges Marchal mettent en lumière une ressemblance physique avec Jean Marais que souligne cette analyse de Delphine Chedaleux :

520. D. Chedaleux, « Les magazines populaires, des archives au service d’une histoire culturelle du cinéma français. L’exemple de Cinémonde 1946-1950 », op. cit. p. 328. 224

Les nombreuses photographies qui le dévoilent [Jean Marais] dans des poses lascives et à demi-nu fétichisent son corps offert au regard des lectrices et des lecteurs invité-e-s par le magazine [Cinémonde] à se laisser à la rêverie érotique […] L’aura sexuelle exceptionnelle de Marais tient en fait à la conjonction entre la beauté de son visage, la musculature exceptionnelle de son corps « jailli du marbre » [n°880, 1951 : 6] et sa mise à disposition au regard et au désir d’autrui521.

Si les photographies parues dans Cinémonde invitent les spectatrices à désirer Georges Marchal, les propos de l’acteur s’adressent directement au lectorat masculin. Après la Seconde Guerre mondiale, les femmes intelligentes, indépendantes et émancipées bouleversent les normes d’une société traditionnelle et patriarcale. Elles sont une source d’inquiétude pour les hommes, dont l’autorité s’est fortement amoindrie sous l’Occupation. Ils souhaitent restaurer la domination masculine, le droit de propriété sur le corps et l’esprit des femmes. Le magazine propose donc une image contradictoire qui allie beauté, virilité et misogynie à laquelle les lectorats féminin et masculin peuvent s’identifier pour des raisons opposées. Sur le tournage de La Passagère (Jacques Daroy, 1948), Georges Marchal rencontre sa future femme, Dany Robin. Leur relation est officialisée en 1951 lorsqu’ils se marient. Bien que connue des médias, leur histoire amoureuse est très peu traitée, parce qu’ils souhaitent préserver leur vie privée. Des allusions sont néanmoins faites dans les critiques des films qu’ils tournent ensemble522 : « Dany Robin et Georges Marchal sont partis pour une Destination inconnue » ou « Le cinéma a permis à Georges Marchal et Dany Robin de commettre Le Plus joli péché du monde ». Georges Marchal est donc longtemps présenté à la ville comme un célibataire endurci, alors qu’il incarne les amoureux romantiques et séducteurs à l’écran. Son corps et son visage sont fétichisés en objet de désir pour les lectrices. Le magazine le présente comme potentiellement disponible. Son mariage avec Dany Robin et leur refus d’alimenter les potins de Cinémonde modifieront peu son image médiatique.

521. D. Chedaleux, « Jean Marais : star de Cinémonde. La construction d’une masculinité ambivalente dans la France d’après-guerre », art. cit. 522. Christiane Fournier, « Dany Robin et Georges Marchal sont partis pour une Destination inconnue » : celle de leurs rêves », Cinémonde, n°787 (5 septembre 1949), p.24-25 ; Dany Robin, « J’ai épousé Georges Marchal mais c’est un mariage blanc », Cinémonde, n°795 (31 octobre 1949), p.9 ; Auteur anonyme, « Dany Robin et Georges Marchal sacrifient leur amour à La Soif des hommes », Cinémonde, n°817 (3 avril 1950), p.20-21 ; Auteur anonyme, « Le cinéma a permis à Georges Marchal et Dany Robin de commettre Le Plus jolie péché du monde », Cinémonde, n°891 (1 septembre 1951), p. 15. 225

D. Jean-Claude Pascal : le misanthrope

Jean-Claude Pascal émerge un peu plus tard que les autres jeunes premiers. Il tourne son premier film en 1949, Le Jugement de Dieu (Raymond Bernard). Mais son premier succès arrive deux ans plus tard en 1951 avec Un grand patron (Yves Ciampi, 3,7 millions d’entrées). Sa carrière décolle à ce moment-là et atteint son paroxysme en 1953 : cinq films dont deux à plus de 2 millions d’entrées (Alerte au sud [Jean Devaivre, 2,9 millions d’entrées] et La Rage au corps [Ralph Habib, 2,3 millions d’entrées]) et deux à plus de 3 millions d’entrées (Les Enfants de l’amour [Léonide Moguy, 3,6 millions d’entrées], et Le Grand jeu [Roger Siodmak, 3,8 millions d’entrées]). Il reçoit une Victoire du cinéma en 1955, mais sa popularité retombe par la suite. Sur les dix films qu’il tourne entre 1954 et 1958, seuls deux dépasseront 2 millions d’entrées (La Châtelaine du Liban [Richard Pottier, 2,4 millions d’entrées] et Les Lavandières du Portugal [Pierre Gaspart-Huit, 3 millions d’entrées]). Le tableau ci-après indique la visibilité de Jean-Claude Pascal dans les pages de Cinémonde qui ne semble pas vraiment suivre son parcours cinématographique :

Tableau 22. Visibilité de Jean-Claude Pascal dans Cinémonde

1947 1948 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958 Total Couvertures 1 2 2 1 6 Articles 1 1 16 1 19 Actualités 4 10 3 1 2 20 Critiques 1 1 2 1 5 Total 2 8 28 5 2 4 49 Films 1 3 4 5 3 2 2 1 3 23

Jusqu’en 1954, Cinémonde ne semble pas porter grand intérêt à l’acteur. Un seul article de fond lui est consacré : « Jean-Claude Pascal vous parle d’amour523 ». Mais durant l’année 1955, le magazine publie seize articles conséquents sur l’acteur, dont la série « Les Pensées de Jean-Claude Pascal524 ». Il semblerait que sa Victoire525 et ses succès auprès du public aient incité le magazine à parler de lui. Cette faveur est néanmoins de courte durée : aucun article long en 1956 et 1957, seulement deux

523. Cinémonde, n°1053 (8 octobre 1954), p. 5. 524. Série parue sur onze numéros : Cinémonde, n°1089 (16 juin 1955) au n°1099 (25 août 1955). 525. Sa Victoire du cinéma français est basée sur l’année 1954, durant laquelle sortent : La Rage au corps et Le Grand jeu. 226

critiques de films pour La Châtelaine du Liban526 (sortie nationale le 12 septembre 1956) et Les Lavandières du Portugal527 (sortie nationale le 23 août 1957), ses seuls grands succès à la fin des années cinquante. Pour finir, un article paraît en 1958, « Jean- Claude Pascal : ça va bien, merci et vous528 ? ». « Les Pensées de Jean-Claude Pascal » permettent en 1955 au lectorat de découvrir le parcours de « l’idole n°1 du cinéma français529 » : son enfance, son engagement militaire après ses études, ses débuts dans l’entreprise familiale, sa carrière de modiste chez Dior ou ses premiers essais au théâtre. On reconnaît qu’« il est beau, charmant, sensible et qu’il mérite bien toutes les chances qui lui sont offertes530. » « C’est maintenant un chef de file : il y aura (il y en a déjà) des tas de petits « Pascals » dans les dix ans à venir, car les acteurs et les aspirants acteurs sont proies faciles du mimétisme531. » On parle un peu de ses prestations à l’écran. Dans Un grand patron, on lui trouve « une présence cinématographique faite d’élégance et de naturel sur l’écran. C’est sa grande qualité532. » Dans Un caprice de Caroline chérie, cette présence est « trop intense et étrangement physique533». Néanmoins, ces propos louangeurs sont peu nombreux. Dans les numéros qui suivent, le ton est beaucoup plus mitigé :

Pour lui comme pour beaucoup d’autres, ce qui compte le plus, c’est l’avenir professionnel bien entendu. Mais dans le cas particulier de Jean-Claude Pascal, cet avenir prendra tout son sens lorsqu’il réagira mieux moralement contre cette grisante facilité qui a fait de lui une idole… Et qu’il se montrera digne des appuis qu’il a mérités débutant534.

L’acteur est souvent considéré avec condescendance : « il est trop beau », « sa beauté est provocante535 ». Il est plusieurs fois comparé négativement à Gérard Philipe et Jean Marais. Contrairement à eux, il n’a pas suivi de formation théâtrale prestigieuse : deux années au cours Simon (1948 et 1949) et deux pièces, La Dame aux camélias536 et Un Français à Moscou (pièce de Pol Quentin, mise en scène par Jacques

526. Cinémonde, n°1153, (13 septembre 1956), p. 13 527. Cinémonde, n1221, (22 août 1957), p. 21. 528. Cinémonde, n°1231, (13 mars 1958), p. 15-16. 529. Cinémonde, n°1091, (30 juin 1955), p. 10-11. 530. « Les Pensées de Jean-Claude Pascal », Cinémonde, n°1089 (16 juin 1955), p. 17-19. 531. Ibid. 532. « Les Pensées de Jean-Claude Pascal », Cinémonde, n°1091 (30 juin 1955), p.21-23. 533. Ibid. 534. « Les Pensées de Jean-Claude Pascal », Cinémonde n°1089 (16 juin 1955), p. 17-19. 535. « Les Pensées de Jean-Claude Pascal », Cinémonde, n°1094 (7 juillet 1955), p. 9-11. 536. Il joue Armand Duval aux côtés d’Edwige Feuillère (1948-1949). Il reçoit le prix d’interprétation masculine au festival de Venise en 1949. 227

Charon, 1957). Ceci lui vaut quelques comparaisons537. Georges Beaume, le portraitriste reconnu de Cinémonde, le qualifie de « Misanthrope », « Matamore » et le compare à « Narcisse ». Il le juge sur son physique :

Illustration 91. Jean-Claude Pascal (Cinémonde n°1089)

Ce front altier, ce nez rectiligne, voluptueux, ce menton charnu ; et, dans la voix, cet accent de triomphe à s’affirmer seul au monde. […] Ce grand garçon athlétique, qui promène son abondante toison à 1,90 m du sol, et les yeux bien plus hauts encore, est aujourd’hui un des jeunes premiers les plus demandés de notre écran. Rien ne le disposait au départ - si ce n’est son physique - à cette carrière […] Bon physique, belle voix, élégance naturelle, ne font pas forcément un grand comédien (mais peuvent produire une grande vedette !) Il faut un abandon, une chaleur, dont Jean-Claude Pascal se garde comme d’un danger. Dans Un grand patron, il était sans doute remarquable : mais dans Un caprice de Caroline chérie, il était déplaisant souverainement538.

En 1958, Cinémonde publie un article très défavorable : « Qu’est-ce qui ne va pas chez Jean-Claude Pascal539 ? ». Les auteurs anonymes s’interrogent sur le « cas Pascal » et son manque de succès à la fin de la décennie :

537. « Les Pensées de Jean-Claude Pascal », Cinémonde n°1099 (18 août 1955), p. 21-23. 538. Ibid. 539. « Qu’est-ce qui ne va pas chez Jean-Claude Pascal », Cinémonde, n°1227 (13 février 1958), p. 14. 228

Pascal est le type du parfait don juan romantique, dans la lignée de -Willm. Son étonnante beauté, sa race, sa sensibilité, touchent et émeuvent, mais, qu’on le regrette ou non, elles sont démodées. Un , un Maurice Ronet correspondent mieux à l’idée que l’on se fait actuellement du jeune romantique moderne540.

Selon Cinémonde, le donjuanisme de l’acteur ne fait plus recette, à l’heure où surgissent d’autres types de jeunes premiers plus ambigus, plus virils ou à la beauté moins traditionnelle ( et Jean-Louis Trintignant)541. Comme Jean Marais542, l’image de Jean-Claude Pascal dans Cinémonde, présente une esthétique qui peut s’apparenter à la féminité. Il est montré comme un objet de désir pour le lectorat féminin par les photographies mais aussi par son mode de vie d’éternel célibataire. Dans l’article « Jean-Claude Pascal vous parle d’amour », on affirme qu’« il est pour des centaines de milliers d’admiratrices, l’image même de l’amour543 ». Et on lui adresse les questions suivantes qui visent à informer les lectrices : « Comment concevez-vous l’amour ? Croyez-vous au coup de foudre ? Le mariage est-il, à votre avis, compatible avec votre profession ? Avez-vous déjà été amoureux ? Avez-vous déjà été aimé ? Qu’avez-vous aimé ? Que n’aimez-vous pas ? Qu’espérez-vous ? Quelle est, selon vous, la femme idéale ? » À travers ses réponses, Jean-Claude Pascal propose une image masculine rassurante : doux, sensible, capable d’aimer et d’être aimé. Il livre sa définition du bonheur : « C’est la quiétude morale, la confiance totale en l’être aimé, l’affection, la tendresse et les projets d’avenir à deux. » Dans « les 24h de la vie de Jean-Claude Pascal544 », le magazine montre le quotidien d’un homme célibataire, qui aspire à la tranquillité et fuit les mondanités qu’exige sa profession. À l’instar de Jean Marais, il a un style de vie qui mélange raffinement et simplicité545. Il aime écrire, peindre, composer au piano et chanter (« 19h : son meilleur moment il répète les dernières chansons. »). Il se ménage des moments pour répondre à ses admiratrices (« 20h : des centaines d’autographes en série. Jean-Claude sourit en pensant à la lettre la plus baroque. ») et apprécie les promenades en solitaire (« 9h30 : agréable instant que celui de la promenade au bois. Cadre idéal

540. Ibid. 541. A. Brassart, Les Jeunes premiers…. 542. D. Chedaleux, « Jean Marais : star de Cinémonde. La construction d’une masculinité ambivalente dans la France d’après-guerre », art. cit. 543. « Jean-Claude Pascal vous parle d’amour », Cinémonde, n°1053 (8-10-1953), p. 5. 544. « Les 24 heures de la vie de Jean-Claude Pascal », Cinémonde, n°1067 (14-11-1955), p.14-15. 545. D. Chedaleux, « Jean Marais : star de Cinémonde. La construction d’une masculinité ambivalente dans la France d’après-guerre », art. cit. 229

pour le jeune premier romantique… » ; « 17h30 : Détente sur les quais. À quoi rêvez- vous, Jean-Claude ? Le paysage est mélancolique. Devant la Seine, trotte en sa tête un poème qu’il transcrira ce soir. ») Pour ce reportage, Jean-Claude Pascal est vêtu de somptueux costumes qui témoignent de son élégance et de son goût pour la mode. Le soir, il enfile un peignoir à pois rehaussé d’un foulard blanc. Les poses langoureuses dans plusieurs photographies laissent aller à la rêverie érotique. Cinémonde en fait ainsi l’incarnation de l’idéal romantique à l’écran et à la ville.

Illustration 92. Photo-reportage sur Jean-Claude Pascal » (Cinémonde, n°1067)

Cette image tait une réalité connue du magazine mais ignorée du lectorat : l’homosexualité de Jean-Claude Pascal546. À l’époque, le sujet reste encore largement tabou. Les homosexuels sont « contraints, tout particulièrement en province, à la dissimulation, au mariage de façade, souvent incapables de concilier amour et sexualité547. » Cinémonde préserve une image de jeune homme disponible pour les lectrices et se conforme ainsi à la norme hétérosexuelle. Cette démarche n’est pas nouvelle pour Cinémonde qui dissimule de la même façon l’homosexualité de Jean

546. http://www.hexagonegay.com/Jean-Claude_Pascal.html. 547. Florence Tamagne, Mauvais genre ? Une histoire des représentations de l’homosexualité, Paris, La Martinière, 2001, p. 184 230

Marais548 et Luis Mariano. Les rôles d’amoureux romantiques que Jean-Claude Pascal incarne à l’écran viennent renforcer cette image hétérosexuelle549. Cinémonde est donc peu favorable à Jean-Claude Pascal. Le magazine tarde à parler de lui, laisse quelques mois planer l’espoir d’une belle carrière. Mais rapidement, le ton devient critique. La rédaction le juge sur son physique sans s’attacher à ses prestations. Néanmoins, Jean-Claude Pascal est défendu par un petit groupe de correspondantes dans « Potinons »550. Nous pouvons donc supposer que les pressions de son lectorat ont incité le magazine à publier deux articles louangeurs en 1957 et 1958. L’image de l’acteur dans ces deux derniers textes témoigne aussi d’une tentative de pérenniser un modèle de jeune premier romantique à l’aune des années soixante. La décennie suivante sera en effet marquée par l’émergence de nouvelles figures masculines plus modernes551. En conclusion, les images médiatiques de Daniel Gélin, Henri Vidal, Georges Marchal et Jean-Claude Pascal présentent des figures masculines contradictoires. Cette ambivalence est en lien direct avec le contexte de l’époque où l’on réprime l’émancipation des femmes pour restaurer la domination masculine. Nos quatre acteurs proposent des caractéristiques variées (érotisme, féminité, célibat, mariage, débauche…) pour répondre aux aspirations d’un lectorat diversifié. Leur style de vie prévaut sur leur profession. C’est ce qui les différencie de Gérard Philipe qui dès ses premiers succès, au théâtre comme au cinéma, s’impose professionnellement.

II. Gérard Philipe vu par Cinémonde : « sur les marches du trône552 »

La place accordée à Gérard Philipe par Cinémonde est importante et souligne sa capacité à mener une double carrière, sa maîtrise de la performance d’acteur ou de comédien et son dévouement au métier. Vedette des adaptations littéraires et théâtrales classiques, il incarne ainsi un modèle de qualité pour un magazine attaché au patrimoine culturel.

548. D. Chedaleux, « Jean Marais : star de Cinémonde. La construction d’une masculinité ambivalente dans la France d’après-guerre », art. cit. 549. En 1955, Jean-Claude Pascal fait ses débuts dans la chanson. En 1961, il remporte le concours de l’Eurovision pour le Luxembourg avec la chanson Nous les amoureux, écrite par Maurice Vidalin et composée par Jean Datin. La chanson dénonce la répression des amours homosexuelles et annonce l’évolution des esprits sur le sujet. 550. Nous détaillons cet éléments par la suite (voir 3e Part. chap. 6). 551. A. Brassart, Les jeunes premiers…, op. cit. 552. G. Beaume, « Gérard Philipe sur les marches du trône », Cinémonde, n°939 (1 août 1951), p. 7-9. 231

A. Une large couverture médiatique

La carrière cinématographique de Gérard Philipe comporte deux phases : sa progressive maturation avant Fanfan la Tulipe (1946-1950) et sa consécration après ce film (1951-1958). Cette bipartition coïncide sur le plan de la vie privée à deux époques : le jeune homme-enfant avec Minou, sa mère, et l’homme marié avec Anne Philipe. Les articles dans Cinémonde suggèrent une évolution semblable. Le tableau qui suit présente la visibilité de Gérard Philipe dans le magazine par année.

Tableau 23. Visibilité de Gérard Philipe dans Cinémonde (1947-1958)

1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958 Total Couvertures 1 2 2 1 1 2 1 10 Articles 1 3 4 8 2 1 1 3 2 2 27 Actualités 1 3 3 6 11 8 9 1 6 2 2 52 Critiques 1 2 3 1 4 5 7 2 4 2 3 2 36 Total 1 4 10 8 12 26 17 13 6 9 3 9 7 125 Films 2 1 1 2 3 1 2 4 1 3 1 2 2 25

Avant la sortie du Diable au corps, Gérard Philipe a déjà tourné trois films dont deux dans un premier rôle : L’Idiot (Georges Lampin, 1945) et Le Pays sans étoile (Georges Lacombe, 1945)553. Mais c’est bien le film de Claude Autant-Lara, sorti le 12 septembre 1947, qui marque l’avènement du jeune espoir du cinéma français554 . Le premier article qui paraît le 7 juillet 1947 « À Bruxelles, le talent de Gérard Philipe s’est imposé au monde555 », relate le déroulement du festival du cinéma de Bruxelles où l’acteur reçoit le prix d’interprétation masculine. Le magazine fait donc déjà la promotion de Gérard Philipe avant même la sortie du film en France. Suite au succès du film et de l’acteur, Cinémonde accorde une large couverture aux films suivants dans lesquels Gérard Philipe détient le premier rôle : La Chartreuse de Parme (cinq mentions entre 47 et 48), Juliette ou la clef des songes (neuf en 1950),

553. Cinémonde, qui n’était plus publié sous l’Occupation, réapparaît en 1946. Ceci permet d’expliquer l’absence d’article antérieur aux critiques du Diable au corps. Néanmoins L’Idiot et Le Pays sans étoile sont cités favorablement. 554. Les Petites du quai aux fleurs (Marc Allégret, 1944), La Boîte aux rêves (Yves Allégret, 1945), L’Idiot (Georges Lampin, 1945), Le Pays sans étoile (Georges Lacombe, 1945). 555. « A Bruxelles, le talent de Gérard Philipe s’est imposé au monde », Cinémonde, n°674 (7 juillet 1947), p. 8. 232

La Beauté du Diable (huit en 1950). Le magazine réserve la couverture à Gérard Philipe, qui apparaît seul, pour la sortie de ce dernier film556. Sa présence dans les pages du magazine explose toutefois littéralement en 1951 avec le tournage Fanfan la Tulipe, sorti le 21 mars 1952. Fanfan la Tulipe est de très loin le film le plus cité de la période (28 mentions, dont 22 entre 1951 et 1952). Entre mars et avril 1952, Cinémonde publie deux articles encenseurs où Gérard Philipe apparaît en vedette « En avant Fanfan la Tulipe557 » et « La France présente Fanfan la Tulipe, l’épée au poing, la blague aux lèvres, nous apporte un parfum de jeunesse558 ». Les textes sont illustrés de photographies de tournage où l’on peut apprécier l’ambiance de travail, le sourire et la fougue de Gérard Philipe lorsqu’il manie l’épée. Le 3 mars 1952, Gina Lollobrigida et Gérard Philipe font la couverture pour annoncer la sortie prochaine du film559. Durant le tournage de Fanfan la Tulipe, Gérard Philipe fait ses débuts au T.N.P dans Le Cid, la pièce de Corneille qui le consacre au théâtre. La proximité des rôles de Fanfan et Rodrigue n’est pas ignorée par Cinémonde qui promeut sa performance théâtrale au sein même des articles cinématographiques : « Gérard Philipe : je vais faire du théâtre au cinéma et du cinéma au théâtre560 » et « Les vedettes de l’écran entrent en scène561 ». Entre 1952 et 1955, Gérard Philipe a une grande visibilité dans le magazine, un moment où sa carrière est au beau fixe. L’acteur tourne dix films dont sept atteignent ou dépassent les 2 millions d’entrées562. L’année 1956 est plus contrastée, car c’est le moment où Gérard Philipe entreprend la réalisation des Aventures de Till l’Espiègle et n’accepte plus des rôles, ni au cinéma ni au théâtre. Cinémonde réussit tout de même à couvrir une partie du tournage avec quatre articles. Dans trois des titres, la rédaction insiste sur son nouveau statut de réalisateur : « Avec Till l’Espiègle, Gérard Philipe gagne ses galons de metteur en scène563 », « Les 24 heures de Gérard Philipe, metteur en scène de Till l’Espiègle564 » ou « Gérard Philipe débute dans la mise en scène565 ».

556. Cinémonde, n°733 (17 août 1948), n°921 (28 mars 1952) et n°814 (13 mars 1950). 557. Cinémonde, n°921 (28 mars 1952), p. 18-19. 558. Cinémonde, n°925 (25 avril 1952), p. 7. 559. Cinémonde, n°918 (3 mars 1952), p. 11. 560. Cinémonde, n°922 (4 avril 1952), p. 5. 561. Cinémonde, n°948 (3 octobre 1952), p. 16-17. 562. Belles de nuit, Les Orgueilleux, Monsieur Ripois, Le Rouge et le Noir, Les Grandes Manœuvres et La Meilleure part. Nous ne mentionnons pas les films à sketchs qui reposent sur un nombre trop important de vedettes. 563. Cinémonde, n°1128 (15 mars 1956), p. 8. 564. Cinémonde, n°1137 (24 mai 1956), p. 6-7. 565. Cinémonde, n°1161 (8 novembre 1956), p. 2. 233

Le film qui sort le 7 novembre est un échec critique566 mais totalise 2,3 millions d’entrées. Cinémonde assure néanmoins la promotion du film et publie des louanges. En effet, Gérard Philipe est une star et, par conséquent, sa réalisation constitue un événement. À l’époque, les acteurs qui passent à la mise-en-scène sont assez rares. Avec Daniel Gélin et Raymond Rouleau567, Gérard Philipe fait donc figure d’exception. En revanche, ces trois acteurs ont déjà une expérience de metteur en scène au théâtre568, une pratique fréquente depuis plusieurs décennies. Une partie de la presse va se montrer très critique569 du fait des engagements politiques de l’acteur qui réalise une co- production avec l’Allemagne de l’Est. En 1957 et 1958, l’acteur retrouve une bonne visibilité dans le magazine lorsqu’il tourne Pot-Bouille et Montparnasse 19. Ces deux années marquent aussi son retour avec le T.N.P. Il interprète Perdican, dans la pièce d’Alfred de Musset, Les Caprices de Marianne570. La visibilité de Gérard Philipe dans Cinémonde montre donc que le magazine suit les variations de sa carrière professionnelle. Les années de forte publication d’articles sur lui coïncident avec ses meilleures années cinématographiques. Contrairement à beaucoup d’acteurs et à la politique du magazine, Gérard Philipe préserve sa vie privée. Les articles ne laissent donc transparaître que l’image d’un acteur et comédien « amoureux de son métier ». Après le bilan de sa présence dans le magazine, nous allons donc nous intéresser aux discours tenus sur l’homme.

B. De l’étoile à la star

Au cinéma, Gérard Philipe incarne d’abord dans l’immédiat après-guerre un amant-enfant faisant souffrir une femme plus âgée puis un séducteur cynique dans les années cinquante. Ces figures s’inscrivent dans le contexte de la Libération, « marqué par la réaffirmation de la virilité, la réappropriation physique et symbolique du corps

566. Nous expliquons les causes possibles de son échec par la suite (Part. III, chap. 8). 567. Raymond Rouleau a réalisé Une idylle à la plage (1931), Suzanne (1932), Une vie perdue (1933, coréalisateur avec Alexandre Esway), Rose (1936), Trois, six, neuf (1937), Le Messager (1937), Le Couple idéal (1946, coréalisateur avec Bernard-Roland), Les Sorcières de Salem (1956). 568. Raymond roulé a monté trente-neuf pièces de théâtre entre 1931 et 1958, Daniel Gélin a mis en scène L’Homme qui se donnait la comédie (1955) et Gérard Philipe a mis en scène La Nouvelle Mandragore (1952) et Lorenzaccio (1952 et 1958). 569. Les Cahiers du cinéma en priorité. La revue a pour habitude de déprécier le cinéma de « la qualité » et ses acteurs. Ils souhaitent un réalisateur « auteur » de l’œuvre cinématographique et refusent le « dictat » de la vedette. 570. Pièce d’Alfred de Musset mise en scène par Jean Vilar. 234

des femmes et la condamnation implicite du désir et de la sexualité571. » Nous ne retrouvons aucune allusion à ce contexte dans Cinémonde qui s’attarde plutôt sur sa carrière, marquée en deux temps : « l’étoile montante » puis « la star ». Cette bipartition est appuyée par les classements et référendums. Gérard Philipe est lauréat des Victoires du cinéma en 1947, 1952, 1953 et 1954. Puis ayant reçu trois prix consécutifs, il est mis hors concours à partir de 1955. Il est classé « super-star » du Tout-Cinémonde entre 1953 et 1959572. Dès le début, Cinémonde propose l’image d’un artiste qui malgré son extrême jeunesse maîtrise parfaitement son art. À la suite du festival de Bruxelles, où Gérard Philipe reçoit le prix d’interprétation masculine dans Le Diable au corps, Georges Beaume lui consacre un long article. Le journaliste revient sur les débuts du jeune acteur pour rappeler des préliminaires déjà très prometteurs au théâtre. Dans Une grande fille toute simple :

Illustration 93. Gérard Philipe (Cinémonde, n°674)

571. D. Chedaleux, « Jean Marais, star de Cinémonde (1946-1958) : la construction d’une masculinité ambivalente dans la France d’après-guerre », art. cit. 572. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 2e Part. chap. 4). 235

C’est alors qu’apparut, gauche infiniment, avec des allures de jeune chien sans esprit, un grand garçon, le cheveu vague, les yeux d’almée, une silhouette à faire sourire. Il avait bien trois phrases à dire, et passablement insignifiantes : l’accent, l’autorité déjà, l’âme du comédien que l’on pressentait les chargèrent de tels explosifs qu’elles éclatèrent dans le silence soudain plus vigoureux, ensevelissant avec M. Dauphin, Mme Robinson, ramenés du coup à d’injustes et ridicules proportions : un très grand comédien venait de naître573.

Madeleine Robinson et Claude Dauphin sont des comédiens déjà consacrés qui ont débuté avant-guerre. Georges Beaume place Gérard Philipe, qui n’a pas encore vingt ans, sur un pied d’égalité avec eux. Il cite les pensées des grands du théâtre, Jean Cocteau, Albert Camus et Louis Jouvet « qui le considèrent comme étant de la race des seigneurs qui illustrèrent le théâtre ». Le journaliste loue aussi sa capacité à habiter ses personnages même les plus complexes : « Qui l’a vu dans Caligula n’oubliera plus ces cris de bête royale, éprise d’absolu, amoureuse de la mort, dont Gérard Philipe dessina le plus fier portrait qu’il se pût. » En 1943, Gérard Philipe se présente au concours d’entrée au Conservatoire. Il est reçu et obtient le second prix au concours de comédie dans Fantasio et Il ne faut jurer de rien, à la fin de l’année. En 1944, il passe dans le cours de Claude Roy qui perçoit un élève audacieux, confiant, libre et charmant :

Dès le début de ses études, en effet, la précision du dessin s’accordait avec le charme ; le travail assidu et patient avec des dons naturels ; le désir très actif de réaliser ce qu’on pouvait suggérer avec son secret personnel qu’il entendait bien ne pas entamer. Une autre vertu chez lui me ravissait en lui : l’accord d’une célébrité vraiment exceptionnelle et tôt acquise avec une loyauté totale devant la tâche. Il avait ses idées, je veux dire ses façons de voir, de se représenter les choses ; mais si, à la répétition ou à la leçon, vous lui proposiez une variante qu’il n’avait pas prévue et qui lui plaisait, il avait une façon de l’intégrer et de la faire sienne qui était un délice. Je n’ai jamais vu personne apporter autant que lui spontanément, ni accueillir avec autant d’intelligence – j’allais dire de flair – une indication574.

Dans son témoignage, Claude Roy met en avant une personnalité et un tempérament de comédien chez un très jeune homme et qui, malgré une maîtrise et des

573. Georges Beaume, « À Bruxelles le talent de Gérard Philipe s’est imposé au monde », art. cit. 574. C. Roy, Souvenirs… op. cit. p.39. 236

talents innés, se montre désireux d’apprendre et d’enrichir son jeu. À l’issue de sa deuxième année, Gérard Philipe prend congé du Conservatoire, réclamé par le théâtre et le cinéma : Caligula (pièce d’Albert Camus, mise en scène de Paul Oettly, 1945), L’Idiot (Georges Lampin, 1945), Le Diable au corps. L’engagement artistique de Gérard Philipe qui mène une double carrière entre théâtre et cinéma constitue aussi une facette essentielle de son image dans Cinémonde.

Au cinéma et au théâtre, ses réussites furent fulgurantes, ses succès personnels. Il est le meilleur de sa génération. Dans la hiérarchie du talent, si on excepte Pierre Brasseur, surtout acteur de théâtre, Philipe arrive derrière Pierre Fresnay et Michel Simon. Ses échecs relatifs (Une si jolie petite plage, La Ronde) n’ont aucune espèce d’importance. Cela lui a permis de déceler les bonnes cordes de son arc575.

Le début des années cinquante marque un tournant dans la carrière de Gérard Philipe. Il tourne dans les films de René Clair576 avec qui il apprend la mise en scène. Le réalisateur lui permet de manier la caméra le temps de quelques prises de vue sur le tournage des Belles de nuit577. Il intègre la troupe du Théâtre National Populaire (TNP) de Jean Vilar qui l’ouvre vers un autre genre de théâtre, où se mélangent répertoires classique et contemporain, français et étranger. Pour Cinémonde, « l’association avec Jean Vilar est en effet l’événement le plus important de sa carrière depuis ses débuts dans Sodome et Gomorrhe et sa création du Diable au corps à l’écran578. » En s’associant au projet du TNP, Gérard Philipe s’intègre dans une troupe, il accepte des salaires plus bas qu'au cinéma en fonction de son emploi et d’apparaître en bas de l’affiche, les noms étant listés par ordre alphabétique et une rémunération proportionnelle à l’importance de l’emploi579. Ce choix est conforme à la doxa du champ artistique : « Plus l’artiste fait preuve de désintéressement, plus grande est la valeur symbolique de son œuvre580. » Cette posture peut sembler contradictoire avec son statut de star du cinéma populaire. Or la circulation entre les registres culturels est

575. Georges Beaume, « Gérard Philipe sur les marches du trône », art. cit. 576. La Beauté du Diable (1950), Belles de nuit (1952). 577. Ibid. p.8 578. Auteur anonyme, « Ce qui n’a jamais été révélé sur Gérard Philipe : la vie privée de Gérard Philipe 2e partie. Le numéro un du cinéma français a fait avec son métier un mariage d’amour », Cinémonde, n°1179 (14-3-1957), p.19. 579. Pour plus d’informations consulter le recueil de lettres entre Gérard Philipe et Jean Vilar, J’imagine mal la victoire sans toi. Lettres, notes et propos (1951-1959), Avignon, Maison Jean Vilar, 2004. En février 1952, Jean Vilar adresse une note à tous les services, secrétariats, régies et comédiens précisant les conditions de travail, p. 14. 580. D. Chedaleux, « Jean Marais, star de Cinémonde (1946-1958) : la construction d’une masculinité ambivalente dans la France d’après-guerre », art. cit. 237

courante à l’époque. La proximité des plateaux de tournage et des scènes de théâtre permet des échanges entre théâtre et cinéma qui constituent une des spécificités du star- système en France581. Ajoutons que « la scène est une instance légitimatrice pour Cinémonde qui valorise systématiquement les acteurs menant une carrière parallèle au théâtre, moyen pour le magazine de s’agréger un certain prestige culturel582. » En 1951, Georges Beaume écrit :

Illustration 94. Gérard Philipe et Jean Vilar (Cinémonde, n°939)

Quelques comédiens, dont plusieurs se protègent des ardeurs du soleil par un bicorne en papier journal, voire un mouchoir étalé, répètent sur le plateau nu, d’où s’élève, dansante, une impalpable poussière d’or. Parmi eux, le visage creusé par une joyeuse fatigue, la barbe sale, l’œil d’un vautour qui surveille sa couvée : Gérard Philipe. Inlassable, attentif on ne peut plus, des fourmis plein les jambes, il anime la répétition, fait reprendre autant de fois qu’il le faut l’entrée des personnages, quelques fois souligne une intonation, avec l’autorité déjà sans réplique d’un César adolescent. Est-ce son tour d’entrer dans le jeu, qu’il bondit, emplit du coup la scène, et, tout à son plaisir, d’une voix sonore et qu’il ne retient plus, lance vers le ciel les stances du Cid comme s’il venait de les improviser583.

Pour le journaliste, l’engagement artistique de Gérard Philipe rejaillit sur sa personnalité et en fait un cas singulier dans la profession. Plus loin, il souligne que « des acclamations, chaque soir, ici ou là, remercient Rodrigue ou Hombourg. Il faut bien dire

581. G. Vincendeau, Les stars et le star-système… op. cit. p. 14-21 582. D. Chedaleux, « Jean Marais, star de Cinémonde (1946-1958) : la construction d’une masculinité ambivalente dans la France d’après-guerre », art. cit. 583. G. Beaume, « Gérard Philipe sur les marches du trône », Cinémonde, n°989 (1 août 1951), p. 7-9. 238

que, sans Philipe, jamais sans doute un tel répertoire n’aurait atteint un semblable public. C’est encore pour lui une bataille gagnée. Et dont il peut être fier à bon droit584. » Georges Beaume insiste sur le pouvoir d’une star qui réussit à déplacer les spectateurs de cinéma vers les bancs du théâtre. Il ouvre « une culture qui restait pour la plupart inaccessible aux masses585 » et permet aux publics des deux arts de se rencontrer. Mais pour Cinémonde, qui reste en priorité un magazine de cinéma, c’est grâce à la popularité du héros de Fanfan la Tulipe et de La Chartreuse de Parme que le TNP a conquis un public international.

584. Ibid. 585. L. Marie, « Les films en costumes de Gérard Philipe… » op. cit. p.100. 239

Cinémonde relate les tournées en Yougoslavie, Pologne, Grèce ou au Canada où la foule en délire vient saluer la star de cinéma :

Lorsque le passage du TNP fut annoncé à Belgrade, ce ne fut pas au Cid, ni à Richard, ni à Ruy Blas que l’on pensa, mais au merveilleux jeune premier qui avait à la fois la flamme, la sensibilité et le romantisme de Fabrice del Dongo et la vaillance, la fantaisie et l’allant de Fanfan la Tulipe ! Ce héros aux yeux clairs et à la voix de cuivre, si mince, si racé, il avait séduit les bourgades paysannes et les districts résidentiels, les employés et les hommes d’action, les intellectuels et les bourgeois586.

Le reportage-photographique le montre au milieu de ses admiratrices et quelques admirateurs, donnant la réplique aux étudiants d’art dramatique et visitant les paysans des villages montagnards reculés.

Illustration 95. Gérard Philipe en Yougoslavie (Cinémonde, n°1082)

Partout, l’accueil ressemble à des « retrouvailles ». La série photographique se concentre sur Gérard Philipe, aucun autre membre de la troupe n’apparaît ; de cette manière, le magazine met en avant la star de cinéma, artiste complet mais aussi personnalité populaire qui fait recette. Qui plus est, celle-ci est montrée accessible et proche de son public. Cette figure aimable diffère de l’image de l’acteur jugé, peu sympathique par les journalistes qui l’interpellent sur sa vie privée.

586 Auteur anonyme, « En Yougoslavie Fanfan et Fabrice ont servi de passeport à Gérard Philipe », Cinémonde, n°1082 (29 avril 1955), p.6. 240

C. Une star qui ne se prête pas au jeu des magazines

Si Gérard Philipe aime parler de son métier, en revanche, « il surveille jalousement les abords de sa vie privée et tient à garder ses distances587. » Sa présence dans les pages du magazine se limite à son métier de comédien de théâtre et d’acteur de cinéma. Ceci entre en contradiction avec la logique de Cinémonde, magazine populaire qui aime fournir des anecdotes croustillantes sur la vie des stars. C’est d’ailleurs ce qui lui fait perdre le match vedette contre Jean Marais588. Ce dernier « est dès le premier abord l’homme le plus sympathique qui soit. Personne, dans son métier, n’est plus aimé que lui. » Jean Marais « s’est toujours prêté aux exigences des journalistes qui le considèrent comme un ami. » Il « se plie avec sourire à toutes les exigences de son métier, la corporation l’adore. » Tandis que Gérard Philipe est décrit de la manière suivante : « Il ne fait pas de grands efforts pour être sympathique. Il préfère convaincre, ou surprendre, plutôt que plaire. Il a très peu d’amis. Mais ceux-là lui sont fidèles. » « Depuis quelques années, il ne se montrait plus très coopératif avec les journalistes. Il change. » Gérard Philipe « a toujours fait passer son travail avant tout. Ramène-t-il trop de choses à lui-même ? » Contrairement à Jean Marais, grand favori de la rédaction et coqueluche des lectrices, et qui combine exigence artistique et proximité avec le public589, Gérard Philipe reste inaccessible. La rédaction conclut le match en ces termes :

Le troisième set les départagera, qui est celui de la vie privée : l’un et l’autre veillent jalousement à garder la leur secrète. Ce que nous en savons nous permet cependant de donner l’avantage à Jean, pour qui les êtres au milieu desquels il est appelé à vivre comptent beaucoup plus, semble-t-il, que pour Gérard.

Ces commentaires sont malveillants et révèlent la mauvaise foi des journalistes. Gérard Philipe leur accorde peu d’interviews car il souhaite protéger ses proches. À l’inverse, Jean Marais accepte de leur donner des informations sur sa vie privée. Il préserve néanmoins son homosexualité. Passant outre le comportement qu’ils désapprouvent, les journalistes de Cinémonde dédouanent, à plusieurs reprises, Gérard Philipe qui a trouvé dans son métier « sa raison d’être ».

587. Ibid. 588. Match-vedette Gérard Philipe contre Jean Marais, Cinémonde n°1194 (27 juin 1957), p. 17-19. 589. D. Chedaleux, « Jean Marais, star de Cinémonde (1946-1958) : la construction d’une masculinité ambivalente dans la France d’après-guerre », art. cit. 241

Peu de comédiens font autant que lui, un sacerdoce de leur métier. Et peu, surtout, ont cette nature insolite, démoniaque, attirante et déconcertante du Gérard Philipe adulte que vous voyez sur les écrans… et surtout à la scène ! Il s’est donné corps et âme à son art, au point de gommer chez lui toutes les apparences humaines et publiques qu’on aime retrouver chez les autres idoles artistiques de notre temps590.

Pour les journalistes, la vie de Gérard Philipe tient dans sa carrière.

De toutes ses forces, il s’est employé depuis quinze ans à construire impitoyablement sa réussite, sans concession d’aucune sorte, en faisant même le vide autour de lui, braqué tout entier vers l’effort. […] psychologiquement c’est l’évolution normale d’un être qui, ayant choisi son destin, est devenu l’esclave de sa monomanie, prisonnier de sa propre volonté591.

Dans les pages de Cinémonde, la mise en valeur du travail participe aussi à la construction d’une image ordinaire592. Tandis que certaines stars sont présentées sous l’angle d’une vie de luxe et de loisirs qui dissimule le fait qu’elles exercent une profession, Gérard Philipe est présenté comme un artisan qui se consacre à son métier. Cette dialectique de la star Gérard Philipe fonctionne comme une structure réconciliatrice entre fiction et réalité593. Cette image entre en cohérence avec ses idéaux progressistes et la figure de leader syndical au cours des années cinquante594. Néanmoins, Cinémonde doit répondre au souhait de son lectorat qui aime connaître la vie intime de la star, car sa vie privée est une construction médiatique qui participe de sa persona595. Pour pallier le manque d’informations sur la vie privée de Gérard Philipe, Cinémonde publie donc en 1951 les « Carnets de Minou596 », mère de Philipe. Sous la forme d’un feuilleton pendant six numéros, ces entretiens relatent les différentes étapes de la vie du comédien : son enfance, sa jeunesse, sa gloire. Jusqu’à son mariage, il était montré comme un adolescent qui entretenait une relation

590 Ibid. 591. Ibid. 592. R. Dyer, Le star-système hollywoodien…, op. cit. p.31-33. 593. Ibid. 594. Nous détaillons ces éléments par la suite (voir 3e Part. chap. 8 et 9). 595. R. Dyer, Le star-système hollywoodien…, op. cit. 596. « Les Carnets de Minou », Cinémonde, n°898 (20 octobre 1951), p.13-14, au n°903 (24 novembre 1951), p.11-12. 242

fusionnelle avec sa mère597. Et contrairement aux autres jeunes premiers, il n’est jamais décrit à travers ses relations amoureuses. Cette image médiatique est en décalage avec les rôles d’amoureux ou de séducteur qui enchaîne les liaisons à l’écran. Les souvenirs de Minou paraissent à un moment charnière dans la vie de l’artiste et de l’homme. En 1951, Gérard Philipe vient de connaître son plus gros succès Fanfan la Tulipe. Il entre au TNP et se marie avec Nicole Fourcade598. Cette union marque « la fin du Gérard Philipe, première époque599 » et la relation filiale fusionnelle s’amoindrit. Les souvenirs de Minou s’adressent à un lectorat féminin qui peut s’identifier à cette femme, à la fois mère et admiratrice. Elle dresse le portrait d’un enfant modèle : attentif, doux, sensible et joueur.

Illustration 96. Gérard Philipe et Minou (Cinémonde, n°898)

Nous jouions la comédie tous les trois [Minou et ses deux fils, Gérard et Jean]. J’inventais des histoires tristes ou terribles pour aiguiser leur sensibilité. Les yeux de Gérard alors, étaient si attentifs que j’aimais y faire naître les lueurs de la tristesse, de la joie ou de l’indignation. Quand il était au diapason de mon histoire, nous changions de sujet ou d’occupation. Gérard à six ans manifestait déjà un penchant irrésistible pour le mime et les déguisements. Il savait bien que pour ces choses-là j’étais sa complice600.

597. Cette relation mère-fils est aussi une composante de l’image de Jean Marais, voir par exemple le « match-vedette Gérard Philipe contre Jean Marais », Cinémonde, n°1194 (27 juin 1957), p. 17-19. 598. Anne Philipe restera très discrète sur sa vie privée avec Gérard Philipe. Elle ne se dévoilera qu’en 1963 avec son livre Le Temps d’un soupir. Elle y relate les derniers jours de vie de Gérard Philipe. 599. Minou Philipe, « Les Carnets de Minou », Cinémonde, n°898, (20 octobre 1951), p.14. 600. M. Philipe, « Les Carnets de Minou », Cinémonde, n°899, p.9. 243

Puis elle propose ses réflexions de spectatrice :

Ces joies, ces impressions sont diverses. Inutile de parler de celles qui me contentent, qui me ravissent. Mais je ne saurais jamais exprimer la joie douloureuse que j’éprouve lorsque Gérard apparaît sur l’écran ou sur la scène, le jour d’une première ou d’une présentation. J’essaie de me fondre dans la foule soucieuse de rester seule en tête à tête avec mes émotions. Pendant le spectacle, je suis crispée et si attentive, si terriblement tendue, qu’il me semble lui donner la force de jouer. Je sais bien que je ne lui donne rien du tout, que rien ne passe la rampe, que l’écran est un mirage, mais je suppose que je suis une très bonne spectatrice601.

Cinémonde présente Gérard Philipe avant tout comme une personnalité exceptionnelle de la scène. C’est à ce titre, après ses prestations dans Sodome et Gomorrhe et Caligula, qu’il a pu être le héros de grands films. La densité des mentions liées au théâtre avoisine celle des films602. Cet équilibre montre bien que Cinémonde met en avant autant le comédien de théâtre que l’acteur, alors que nous sommes dans un magazine de cinéma. Ce choix s’explique d’une part par le fait que la rédaction n’a pas de matière sur sa vie privée. Mais il s’inscrit aussi dans la volonté de mettre en valeur des acteurs menant une double carrière, cela dans une logique de légitimation culturelle603. Comme beaucoup de ses aînés, Gérard Philipe est donc associé à une forme de légitimité culturelle. Il est l’incarnation d’une culture littéraire et théâtrale classique qui lui vaut les louanges de la rédaction. Cinémonde le sacre aussi, à plusieurs reprises, meilleur interprète masculin pour ces rôles d’amoureux romantique ou de séducteur cynique à l’écran. La rédaction admire son engagement professionnel tant au théâtre qu’au cinéma. Ainsi, l’acteur bénéficie d’une grande visibilité au sein de Cinémonde bien qu’il soit peu coopératif quand il s’agit de parler de sa vie privée.

601. M. Philipe, « Les Carnets de Minou », Cinémonde, n°902, p.23. 602. D’après la base de données Cinepop50, Cinémonde, qui est un magazine de cinéma spécialisé, publie 16 critiques de films tandis que ses prestations au théâtre y sont quotidiennement citées et commentées dans les actualités, les entretiens, les portraits ou les témoignages. Les courriéristes de Potinons analysent eux aussi les prestations théâtrales. 603. D. Chedaleux, « Les magazines populaires, des archives au service d’une histoire culturelle du cinéma français. L’exemple de Cinémonde 1946-1950 », op. cit. p. 321-333. 244

Apparus dans l’immédiat-après-guerre à la faveur d’un contexte de restauration de l’identité masculine, sur l’écran et dans la réalité sociale, Gérard Philipe, Daniel Gélin, Henri Vidal, Georges Marchal et Jean-Claude Pascal proposent des figures masculines en décalage avec les normes viriles. Les hommes qu’ils incarnent dans les pages de Cinémonde sont construits sur des contradictions genrées : virilité/érotisation, masculin/féminin, extraordinaire/ordinaire. Leur style de vie est souvent opposé aux normes bourgeoises associées à leur statut de vedette. Dans le cas de Daniel Gélin, les comportements « immoraux » sont exposés au grand jour, tandis qu’ils sont dissimulés pour Henri Vidal et Jean-Claude Pascal. Enfin, il n’est presque jamais question des engagements politiques de Gérard Philipe (« ses opinions politiques avancées lui ont valu des attaques dont nous n’avons pas à tenir compte ici604. ») Cinémonde traite ces acteurs selon une logique mêlant proximité et distance par rapport au box-office. Néanmoins, Gérard Philipe est de loin le plus visible bien qu’il boude les journalistes. L’étude des discours tend à montrer que sa carrière parallèle au théâtre et au cinéma le place au-dessus de ses contemporains. Sa singularité tient à sa maturité, son professionnalisme et sa double carrière (théâtre et cinéma). Il prolonge le goût pour un patrimoine culturel porté par les grands acteurs-comédiens : Edwige Feuillère605, Pierre Fresnay, Louis Jouvet, Jean Marais, etc… Dans les années cinquante, la valorisation de Gérard Philipe permet donc au magazine de s’approprier une légitimité culturelle. Aucun des quatre autres jeunes premiers n’a connu une carrière théâtrale aussi prestigieuse. Daniel Gélin joua dans de nombreuses pièces, mais dans un registre existentialiste moins reconnu. Si la rédaction de Cinémonde diffuse un point de vue sur les jeunes premiers, les spectateurs et spectatrices ordinaires s’expriment dans le courrier des lecteurs. Leurs jugements de goût ne sont pas forcément le reflet de la rédaction.

604. « Match-vedettes Gérard Philipe contre Jean Marais », op. cit. 605 . G. Le Gras, « Edwige Feuillère dans le star-système français des années d’après-guerre vu par Cinémonde » art. cit. 245

CHAPITRE 6. ÉCRIRE A LA STAR : LE COURRIER DES LECTEURS DES

MAGAZINES POPULAIRES

Le privilège accordé à la cinéphilie savante a longtemps maintenu, en France, les spectateurs ordinaires en marge des objets de recherche légitimes. Cependant, depuis plusieurs années, des chercheurs s’intéressent à la réception populaire, mettant ainsi en lumière la dynamique des rapports entre les œuvres et leurs consommateurs. Sont à la fois appréhendés les formes de sociabilité, les réseaux d’informations, les dispositifs de jugement et le rôle des films eux-mêmes dans la constitution et la transmission d’une culture cinématographique. Dans Cinéphiles et cinéphilies606, Laurent Jullier et Jean- Marc Leveratto observent les différentes pratiques cinéphiliques en mobilisant des approches historiques, sociologiques et anthropologiques. « Faire surgir la multiplicité des réseaux de spectateurs, des catégories de personnes (hommes et femmes, jeunes et vieux, hétérosexuels et homosexuels, américains et français etc…), et des types d’échanges que recouvre le terme de cinéphilie607 », tel est l’objectif que se fixent les deux chercheurs. Ils montrent à quel point les expériences personnelles du plaisir et de la dispute sont importantes. Les individus choisissent un film, assistent à la séance et sont émus. Ils interprètent les effets procurés par la projection puis exercent un jugement qu’ils désirent partager. Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto conçoivent ainsi la cinéphilie comme une situation d’expertise collective608 : par l’intermédiaire des films, une émotion éprouvée individuellement peut devenir une émotion partagée collectivement. Dans ce chapitre, nous proposons d’amorcer l’étude de la réception des jeunes premiers de l’après-Seconde Guerre mondiale chez les spectateurs et spectatrices, ici considérés comme agents de la cinéphilie de l’époque, par le biais de leurs discours et de leurs pratiques. Cette focalisation sur le culte de l’acteur suppose de s’interroger sur les instruments de mesure, quantitatifs et qualitatifs, de la valeur de la star. Émilie Charpentier et Geneviève Sellier ont montré le rôle central du courrier des lecteurs dans la fidélisation et l’acculturation du public par les magazines populaires spécialisés dans

606. Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto, Cinéphiles et cinéphilies, Paris, Armand Colin, « Cinéma/Arts visuels », 2010. 607. Ibid, p.22. 608. Ibid, p.23-26 246

le cinéma609. À leur suite, nous aurons donc recours au courrier des lecteurs du Film complet, intitulé « Côté cœur, côté jardin » et à « Potinons », courrier des lecteurs de Cinémonde, qu’ont notamment traités avant nous Thomas Pillard, Jean-Marc Leveratto et Geneviève Sellier610. La rubrique « Potinons » est au départ l’instrument de fidélisation du lectorat, en répondant aux diverses requêtes. Celles-ci ne concernaient pas toujours les acteurs mais pouvaient aussi être des demandes de professionnalisation. Au cours des années cinquante, elle va se modifier pour devenir « le lieu de jugements de goût et d’échange d’opinions entre potineurs611 ». L’homme-réponse passe en revue les lettres reçues par la rédaction, entre cent-cinquante et deux-cent par semaine612. Il répond à des questions, publie des extraits ou défend ses propres opinions. Geneviève Sellier a récemment fourni une étude éclairante de « Potinons » dans laquelle elle montre que le clivage à la fois générationnel et genré traversant les correspondants et les correspondantes alimente des discussions et des contestations, tant sur le plan éthique qu'esthétique613. Dans « Côté cœur, côté jardin », le « Caméraman amoureux » (pseudonyme du responsable de la rubrique) sélectionne une vingtaine de lettres par semaine. Au départ, l’accent était mis sur le jugement cinéphilique mais, au fil de la décennie, on constate une valorisation de plus en plus grande de l’identité de genre et la classe d’âge des correspondants et correspondantes. « Côté cœur, côté jardin » devient donc aussi un lieu de débat où chacun se positionne par rapport à son genre et sa classe d’âge, et plus rarement à son appartenance sociale. Le courrier des lecteurs est donc intéressant d’un point de vue historique, esthétique (jugements de goût) et sociologique (profil des courriéristes).

609. Émilie Charpentier, « Spectateurs, vous avez la parole ! Le courrier des lecteurs dans Cinémagazine et Mon Ciné (1921-1937) », mémoire de maîtrise, Université Paris 1, 2003 ; Geneviève Sellier, « Le courrier des lecteurs de Cinémonde dans les années cinquante : la naissance d’une cinéphilie au féminin », p. 67-90 in Noël Burch et Geneviève Sellier, Le cinéma au prisme des rapports de sexe, Paris, Vrin, « Cinéma et philosophie », 2009. 610. Jean-Marc Leveratto et Geneviève Sellier, « De la midinette à la future cadre : le courrier des lecteurs des magazines populaires de cinéma des années 1950 », Intervention à la journée d’études 1950-1959 : les années glorieuses du cinéma populaire en France, organisée dans le cadre du programme de recherche ANR Cinepop50 et du Festival du film d’histoire de Compiègne, Compiègne, 9 novembre 2013 ; Thomas Pillard, « Questionning a switch genres : Fernandel’s dramatic films in the 1950s », Contemporary French and Francophone Studies, vol. 9, n°1, p. 76-86. 611. G. Sellier, « Le courrier des lecteurs de Cinémonde dans les années cinquante : la naissance d’une cinéphilie au féminin », p. 74, dans N. Burch et G. Sellier, Le cinéma au prisme des rapports de sexe, Paris, Vrin, « Cinéma et philosophie », 2009. 612. Ibid. 613. G. Sellier « Le goût des spectateurs ordinaires : un paysage contrasté», in G. Le gras et G. Sellier (dir.), Cinémas et cinéphilies populaires…, op. cit. p. 235-254. 247

En analysant la perception de Fernandel par les correspondants et correspondantes de la rubrique, Thomas Pillard a mis en lumière une construction de points de vue différenciés sur le plan genré et générationnel. Selon lui, les lectrices (en majorité jeunes) saluent les rôles dramatiques de l’acteur dont elles apprécient moins les performances comiques, tandis que les hommes (jeunes ou plus âgés) semblent aimer autant les deux types de films, pour des raisons toutefois très différentes de celles exprimées par les admiratrices de la star. L’admiration pour un acteur de cinéma est souvent la première étape de la cinéphilie populaire. Dans le courrier des lecteurs des magazines populaires, celle-ci apparaît donc comme un instrument de mesure de la qualité cinématographique614, cette forme de cinéphilie pouvant déboucher sur une expertise plus sophistiquée, à travers l’analyse des films, du jeu de l’acteur ou de l’actrice et des personnages qu’il ou elle incarne. Lecteurs et lectrices cherchent à percer le mystère de sa vie privée, échangent des photographies, suivent sa carrière, vont voir ses films, confient leurs émotions et partagent leurs avis sur ses prestations. Ces pratiques dessinent une première image de la star. Toutefois, il faut garder à l’esprit que les lettres sont sélectionnées, leur contenu élagué pour la publication et, les archives des magazines ayant disparu, leur propos nous parvient donc tronqué. Dans notre corpus d’acteurs, Gérard Philipe est de loin le favori des courriéristes quel que soit le sexe ou la génération. Nous faisons l’hypothèse que les aspects contradictoires de sa persona cinématographique ainsi que son image médiatique de travailleur et de mari modèle lui donnent un pouvoir d’attraction exceptionnel. Tout d’abord, nous étudierons l'identité des courriéristes. Ensuite, nous apprécierons les goûts des différents publics.

I. Réception de l’image des jeunes premiers par les lecteurs-trices

Les images de Daniel Gélin, Henri Vidal, Georges Marchal, Jean-Claude Pascal et Gérard Philipe sont discutées dans le courrier des lecteurs. L’analyse des profils et des discours indique la construction de points de vue différenciés sur le plan genré et générationnel.

614. L. Jullier et J-M. Leveratto, Cinéphiles et cinéphilies, op. cit. p. 55-62. 248

A. Un lectorat jeune et féminin

Si l’on se fie aux données figurant dans les tableaux ci-après, les jeunes premiers semblent toucher un public en grande partie féminin et jeune, sans distinction de classe apparente615.

Tableau 24. Répartition des courriéristes de « Côté cœur Côté jardin » par génération (en %)

Jusqu’à 18 ans 18-25 ans 25-30 ans Plus de 30 ans Gérard Philipe 49,5 40,1 8,5 1,9 Daniel Gélin 55,2 39 4,8 1 Jean-Claude Pascal 48,2 48,2 2,2 2,2 Georges Marchal 57,3 33,3 9,3 Henri Vidal 54 44,4 1,6

Tableau 25. Répartition selon le sexe (en %)

Sexe Gérard Philipe F: 83, 5 H : 16, 5 Daniel Gélin F : 78,3 H : 21,7 Georges Marchal F : 79,7 H : 20,3 Jean-Claude Pascal F : 90,9 H : 9,1 Henri Vidal F : 75,6 H : 24,4

615. Ces tableaux prennent en compte les données tirées de « Côté cœur, côté jardin » uniquement pour les raisons suivantes : l’indexation menée par Jean-Marc Leveratto est exhaustive, tandis que celle de « Potinons » est encore incomplète. De plus, les correspondants du Film complet ont pour habitude de fournir leur identité générationnelle et genrée, ce qui n’est pas constant chez les « potineurs ». Néanmoins, l’analyse des commentaires (ci-après) mêlera conjointement les discours des courriéristes du Film complet et de Cinémonde. 249

Tableau 26. Répartition selon le sexe et la génération (en %)

Jusqu’à 18 ans 18-25 ans 25-30 ans Plus de 30 ans

Gérard Philipe F: 96, 1 F: 75 F : 55, 5 F : 25 H : 3, 9 H : 25 H : 45, 5 H : 75

Daniel Gélin F : 84,5 F : 73,2 F : 60 H : 100 H : 15,5 H : 26,8 H : 40 Georges Marchal F : 83,7 F : 92 F : 71,4 H : 12,3 H : 8 H : 29,6 Jean-Claude Pascal F : 96,3 F : 92,6 F : 100 F : 100 H : 3,7 H : 7,4 Henri Vidal F : 73,5 F : 82,1 F : 100 H : 26,5 H : 17, 9

Cette dimension générationnelle et genrée peut s’expliquer par la nature des pratiques ici prises en compte. À cette époque, la lecture des magazines populaires, l’échange dans le courrier des lecteurs et l’écriture sur la star sont pensés comme le fait de « midinettes » c’est à dire de jeunes filles des classes populaires ou moyennes et, plus largement, de femmes616. Ce déséquilibre entre les sexes doit aussi être remis en contexte avec la période historique et la nature du magazine : un genre de littérature féminine. Après la Seconde Guerre mondiale et dans les années cinquante, beaucoup de filles et femmes trouvent dans le courrier des lecteurs une manière de sortir du foyer où elles sont confinées à cause de leurs obligations familiales, d’activités professionnelles ou à cause des normes de comportement imposées aux filles. L’éloignement géographique des lieux de spectacle peut aussi jouer un rôle617. Mais ce déséquilibre entre les sexes et les générations s’explique aussi par la nature des rôles de Gérard Philipe, Henri Vidal, Georges Marchal, Daniel Gélin et Jean- Claude Pascal. Ils incarnent des amoureux romantiques ou des séducteurs cyniques, figures masculines destinées en priorité à un public féminin618. Ces acteurs sont très souvent le sujet agissant des films dans lesquels ils jouent : au jeu de l’amour, en tant que séducteurs, ils conquièrent les femmes et, en tant que héros masculins, ils contrôlent leur destin et celui de leur entourage. Néanmoins, ce statut de sujet est tempéré par la

616. G. Sellier « L'expertise de la spectatrice ordinaire dans le courrier des lecteurs des magazines populaires : le cas de L'Écran français», Studies in French cinema, n°3, 2010, vol 10, p. 220-234. 617. J-M. Leveratto, « Le courrier des lecteurs comme moyen d'observation sociologique de la consommation cinématographique. Problèmes méthodologiques et épistémologiques de son exploitation: l'exemple du Film Complet », Séminaire « Cinéphilies populaires », Paris, INHA, 22 novembre 2013. 618. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 1re et 2e Part.). 250

mise en scène, car les acteurs sont aussi objets du regard et du désir des femmes dans la fiction. Leur corps est révélé par fragments et de nombreux plans rapprochés sont centrés sur leur visage. Ces modes de représentation favorisent la fétichisation de l’image des jeunes premiers par les spectatrices/lectrices. Ces images sont à replacer dans le contexte des années cinquante qui constituent une période de backlash où les jeunes doivent se conformer à de nouvelles normes sexuées et familiales619. Si l’Occupation avait donné aux femmes l’illusion d’une autonomie nouvelle, à la Libération, la violence masculine envers elles fonctionne comme une mise en garde annonçant un retour à l’ordre. Dans les domaines économique, politique et culturel, les hommes retrouvent progressivement le monopole tandis que l’image de l’épouse discrète, soumise et dévouée à son foyer triomphe. En témoigne la multiplication des concours d’arts ménagers620. De plus, malgré le droit de vote obtenu en 1944, les électrices restent, ainsi que le souligne Christine Bard, « des épouses sous influence et des mères sensibles aux intérêts familiaux621 ». Le travail féminin connaît un infléchissement jusqu’en 1965, en partie lié à l’attrait de l’allocation de salaire unique qui vise à retenir la femme au foyer622. Néanmoins, si les cinq acteurs touchent un public en majorité jeune et féminin, Gérard Philipe domine numériquement dans le courrier des lecteurs du Film complet : 193 mentions, contre 181 pour Daniel Gélin, 152 pour Jean-Claude Pascal, 139 pour Henri Vidal et 137 pour Georges Marchal. Gérard Philipe est, en effet, le seul des acteurs du corpus à plaire autant aux hommes qu’aux femmes, aux adultes qu’aux jeunes. Par exemple, Henri Vidal et Jean-Claude Pascal n’intéressent pas les hommes de plus de 25 ans ou Georges Marchal qui n’a aucun correspondant de plus de 30 ans. Au contraire de Gérard Philipe qui atteint 45,5% chez les 25-30 ans et 75% chez les plus de 30 ans. À l’inverse, Daniel Gélin ne séduit pas les femmes de plus de 30 ans, une catégorie d’âge où Gérard Philipe totalise tout de même 25%. Pour tenter d’expliquer ce succès différencié, nous allons donc procéder à l’analyse du discours des courriéristes de « Potinons » et « Côté cœur, côté jardin ».

619. Richard Ivan Jacobs, « Travailleuses familiales et fées du logis : les jeunes femmes comme agents de modernisation dans la France d'après-guerre » dans L. Bantigny et I. Jablonka (dir.), Jeunesse oblige…, op. cit. p.137-152. 620. Christine Bard, Les Femmes dans la société française au XXe siècle, op. cit. p. 154. 621. Ibid. 622. Sylvie Chaperon, Les années Beauvoir (1945-1970), Paris, Fayard, 2000. 251

B. Enjeux éthiques et esthétiques

a. Les jeunes premiers contemporains de Gérard Philipe

Dans le courrier des lecteurs, la beauté de Georges Marchal est longuement commentée et divise les courriéristes. L’acteur est à maintes reprises comparé à Jean Marais par Libanaise aux yeux clairs qui écrit : « Georges Marchal et Jean Marais, bien que beaux et jouant bien, me paraissent maniérés et trop fiers de leur personne623. » Ou Espiègle Lily qui avoue : « J’aimais aussi Jean Marais, mais depuis que j’ai vu son sosie, Georges Marchal, il est rentré dans l’ombre624. » Mais pour Tour de France, Georges Marchal n’est pas juste l’émule de Jean Marais, elle l’apprécie « pour sa beauté austère et virile, et parce qu’il ne s’aplatit pas pour satisfaire au goût du public625 ». Pour François Marie-Josée, il représente le « plus beau des acteurs de la Comédie Française626 ». Sa ressemblance physique avec Jean Marais est largement exploitée par les magazines627. Son corps est l’objet d’une fétichisation visuelle dans les films et la presse. Mais contrairement à Jean Marais qui propose une image non patriarcale, celle de Georges Marchal est élaborée sur le modèle d’une virilité hétérosexuelle traditionnelle628. Jean Marais étant le grand favori des lectrices de magazines populaires – tant pour son physique que sa personnalité médiatique – nous pouvons donc penser que l’intérêt des lectrices à l’égard de Georges Marchal découle en priorité de sa ressemblance avec son aîné. Ces correspondantes s’opposent aux lectrices qui trouvent que Georges Marchal abuse de ses atouts physiques. C’est le cas de Wanda qui écrit : « Georges Marchal m’a presque dégoûtée dans Gibier de Potence, et si j’étais Dany Robin, je n’aimerais pas beaucoup voir mon mari s’exhiber dans une piscine à minuit avec une jolie fille629. » Et Caro Chérie qui déplore son interprétation dans La Mort dans ce jardin : « Vanel excellent comme toujours, Simone Signoret sensas. Hélas ! Il y avait Georges Marchal

623. « Côté coeur côté jardin », Film complet, n°302 (20 mars 52), p. 8, 624. « Côté coeur côté jardin », Film complet, n°259 (24 mai 1951), p. 9 625. Ibid. 626. « Potinons », Cinémonde, n°726. 627. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (3e Part. chap. 5). 628. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (3e Part. chap. 5). Pour plus d’informations relire l’interview de Georges Marchal par de « Je ne suis pas qu’un acteur, je suis un homme ! », Cinémonde, n°647 (7 janvier 1947) à 652 (28 janvier 1947), p. 9 et 12. 629. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°398 (3 septembre 1953), p. 8. 252

que je trouve parfait… dans les magazines630 ! » Gilbert Delatrompe, un des rares courriéristes masculins, est sans complaisance : « J’ai en horreur Georges Marchal, il a l’air d’un singe détraqué631. » En marge de ces critiques dévalorisantes, des courriéristes analysent aussi ses performances. Ils félicitent essentiellement sa capacité à se renouveler. Ciel de Castille écrit : « Je pense qu’il est préférable pour un acteur de ne pas se cantonner dans le même genre de rôle, mais au contraire d’incarner des personnages très différents. Comme Georges Marchal dans Torrents, Au grand balcon, La Passagère632. » Frivole Ondine répond au Caméraman Amoureux : « Dans une partie de votre éditorial, vous prétendez que les jeunes premiers sont hantés par le souci de ne pas perdre le prestige de leur beauté. Avouez pourtant, cher ami C. A. que Georges Marchal n’a pas hésité à se montrer sous un jour défavorable dans La Soif des hommes et Robinson Crusoé633. » Jusqu’en 1953, Georges Marchal s’essaye dans différents registres : péplum, costume, aventure, drame, comédie, etc... Mais à partir du succès des Trois Mousquetaires, il deviendra un acteur emblématique du film en costume dans des productions françaises. Ses prestations seront moins appréciées par le public et, de fait, sa « capacité » à varier ses rôles ne sera plus commentée. Henri Vidal est, lui aussi, en partie apprécié pour son physique. Pour Fille du vent et De La Brume, il est le seul « artiste qui fasse homme634 ». Fervente lectrice « est auvergnate et, comme telle, elle s’intéresse particulièrement aux acteurs de son terroir. Henri Vidal lui semble très représentatif du beau gars du Massif Central635 ». Les courriéristes mettent en avant la virilité d’Henri Vidal. Ces propos correspondent à l’image virile que Cinémonde diffusait dans l’immédiat après-guerre avant sa rencontre avec Michèle Morgan636. Il présente un physique semblable à celui de Georges Marchal et Jean Marais. Comme eux, sa virilité est contrebalancée par l’érotisation de son corps à l’écran et dans les photographies. Mais c’est surtout sa relation amoureuse avec Michèle Morgan qui fait parler de lui. Aux yeux des courriéristes, ils forment un couple « heureux637 », « charmant638 », «

630. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°631 (22 août 1957), p. 15. 631. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°329 (2 octobre 1952), p. 8. 632. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°256 (3 mai 1951), p. 9. 633. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°413 (24 octobre 1953), p. 8. 634. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°292 (10 janvier 1952), p. 8. 635. « Potinons », Cinémonde, n°969. 636. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 3e Part. chap. 5). 637. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°336 (13 novembre 1952), p. 9. 638. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°302 (20 mars 1952), p. 8. 253

bien assorti » qui « contribue largement au succès d’un film639 ». Cette image idyllique entre en résonance avec l’image médiatique construite par le magazine. Il apparaît comme le mari modèle de la grande star française640. La notoriété de Michèle Morgan éclipse la carrière de son époux cantonné à des rôles de faire-valoir. Ainsi, si les louanges sur le couple sont nombreuses, les commentaires sur les prestations d’Henri Vidal sont sévères. Pour Adepte du comte de Saint-Germains qui a vu aussi La jeune folle, film ancien (1951) « Danièle Delorme y est bouleversante, et Henri Vidal est écrasé par sa partenaire641. » Dans La Parisienne, Gina, la belle des belles estime qu’Henri Vidal « n’était que moyen642 » et Caro chérie le trouve « un peu perdu643 » aux côtés de Brigitte Bardot qui « joue Brigitte Bardot » et Charles Boyer qu’elle juge « extra ». Une exception est faite pour Les Salauds vont en enfer où Laddette trouve « Reggiani et Vidal, parfaits644 ! ». Jean-Claude Pascal est lui aussi apprécié pour sa plastique. Il est « l’idéal masculin645 » de Panthère blonde et le « type d’homme646 » d’Adorable panthère. Cependant, comme pour Georges Marchal, une partie non négligeable de courriéristes juge qu’il compte un peu trop sur son physique, au détriment de son jeu d’acteur. À l’instar de Pipelette qui n’apprécie pas Jean-Claude Pascal car « il n’a qu’un physique avantageux dont il se sert, mais c’est un fade personnage647 ! » Pruneau déplore « qu’il tourne si souvent des inepties ne développant pas sa personnalité. Être beau n’a jamais consacré un acteur, et je souhaite qu’il puisse égaler Jean Marais et Gérard Philipe648 ». Les courriéristes s’attardent aussi sur la psychologie de Jean-Claude Pascal. Bess « éprouve une sorte de répulsion : avec son air infiniment supérieur, c’est une vraie tête à claques649 ». Et Stromboli qui « a eu l’autre jour la surprise de voir Jean-Claude Pascal dans les rues de Tunis », « le trouve bêcheur et imbu de sa personne650 ». Le jugement des courriéristes entre en résonance avec l’image construite par la rédaction de

639. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°281 (25 octobre 1951), p. 8. 640. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 3e Part. chap. 5). 641. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°554 (1 mars 1956), p. 15. 642. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°672 (5 juin 1958), p. 15. 643. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°674 (19 juin 1958), p. 15. 644. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°585 (4 octobre 1956), p. 15. 645. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°627 (8 août 1957), p. 2. 646. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°643 (14 novembre 1957), p. 2. 647. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°606 (28 février 1957), p. 2. 648. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°532 (29 septembre 1955), p. 2. 649. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°581 (6 septembre 1956), p. 15. 650. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°651 (9 janvier 1958), p. 2. 254

Cinémonde qui n’apprécie guère l’acteur ni l’homme651. Selon eux, l’acteur est devenu célèbre parce qu’il est beau, il est donc rarement question de son talent. « Les Pensées de Jean-Claude Pascal », publiées en 1955, font exception en revenant sur l’ensemble de son parcours professionnel652. Or quelques courriéristes lui reconnaissent des qualités d’acteur dans des registres divers, prenant ainsi le contre-pied de la rédaction. Leur opinion reflète les tendances du box-office en France où les films de Jean-Claude Pascal sont généralement bien placés. Le Masque bleu lui reconnaît une « intéressante création653 » dans Le Grand Jeu tandis que Sophia ne lui trouve « pas de personnalité, yeux morts, voix neutre654 ». Pour O’Tannenbaum, Jean-Claude Pascal propose une « magnifique interprétation du docteur des Enfants de l’amour655. » Déçue par la vie apprécie Les Lavandières du Portugal qui « fait découvrir un Jean-Claude Pascal très gai, très sentimental malgré son apparente désinvolture656 ». Enfin, Daniel Gélin propose une persona anti-conformiste qui est très discutée dans le courrier des lecteurs657. Une partie des courriéristes est peu complaisante sur le physique et le jeu de l’acteur. Sans pseudo :

Ne s’explique pas l’engouement général pour Daniel Gélin qu’il a vu dans La Minute de Vérité et Adorables créatures, et qu’il trouve “terne et inexpressif”. Selon lui, bien d’autres spectateurs sont de cet avis et ne goûtent guère le grand jeune premier, dernier cru, à cause de sa personnalité très marquée658.

Irène « n’arrivera jamais à prendre Gélin au sérieux. C’est physique. […] Elle lui trouve le style 1900 et ne voit pas du tout en lui le type de la jeunesse française. De « le charme fait l’homme ». Nathalie pense que quand on a vu Daniel Gélin « dans un film on l’a vu dans tous659 ». Enfin Publita trouve qu’il « se contente de géliniser dans Sang et or660 ».

651. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (2e Part. chap. 7). 652. « Les Pensées de Jean-Claude Pascal », Cinémonde n°1089 (16 juin 1955) au n°1099 (25 août 1955). 653. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°500 (12 février 1955), p. 13. 654. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°536 (27 octobre 1955), p. 15. 655. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°568 (7 juin 1956), p. 2. 656. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°679 (24 juillet 1958), p. 15. 657. S. Hayward, « Daniel Gélin : l’étoile-filante de Cinémonde », op. cit. p. 140-145. L’auteure analyse le discours des lettres portant sur Daniel Gélin dans « Potinons ». 658. « Potinons », Cinémonde, n°965 (30 janvier 1953), p.20-24. 659. « Potinons », Cinémonde, n°1057 (5 novembre 1954), p.20-24. 660. « Potinons », Cinémonde, n°1059 (19 novembre 1954), p. 20-24. 255

On trouve aussi un camp « pro-Gélin ». Dans Cinémonde, il s’exprime le plus souvent par la plume d’Émaux et Camées qui représente à elle seule vingt-cinq des trente-neuf lettres favorables écrites sur l’acteur entre 1947 et 1958661. Elle défend tout d’abord son physique et ses performances : « un physique ingrat est un handicap qu’il faut infiniment de talent et de personnalité pour vaincre. […] Gélin n’est pas un jeune premier mais un acteur. Vive la personnalité et l’intelligence662. » Crysiac reprend les thèmes du physique et de la performance : « J’aime Daniel Gélin, son visage tragique, sa personnalité bizarre, envoûtante parfois. L’Esclave, La Minute de Vérité, Les Amants du Tage, sont des films où je l’ai admiré. Par contre, son rôle de Bonaparte dans le film Napoléon m’a franchement déçu663. » Napoléon (Sacha Guitry, 1954) est un film où la performance de Daniel Gélin est majoritairement désapprouvée. Un certain sourire l’a trouvé « supérieur et maigrelet664 ». Tandis que Pei Wen écrit : « Je détestais presque Raymond Pellegrin, mais là il m’a véritablement éblouie. Son Napoléon faisait oublier le Bonaparte de Gélin. Et je ne puis plus me représenter l’empereur que sous les traits de Pellegrin665. » Les courriéristes ont aussi une opinion sur la vie personnelle de Daniel Gélin. À l’époque de son divorce avec Danièle Delorme, Émaux et camées estime « que Danièle Delorme aurait dû s’effacer davantage, se contenter d’être une épouse et mère, et surtout ne pas imposer à son jeune mari la ribambelle familiale. De quoi chasser de la maison un époux moins séduisant et plus patient que Daniel666 ». Son avis diffère de celui de Maurice M. de Bizerte :

Je viens de voir dans les journaux du matin que le couple Gélin-Delorme divorce, et j’ai trouvé cela trop lâche, parce que lorsque Danièle avait son nom en tête d’affiche, Gélin faisait le parfait époux. Mais maintenant qu’il est acteur et metteur en scène, il la plaque. Peut-être se trouve-t-il trop célèbre pour elle667 ?

661. Émaux et camées est une des lectrices de Cinémonde qui apprécie le plus Daniel Gélin. Elle déplore souvent le fait que Cinémonde de parle pas assez de son favori. Voir G. Sellier, « Formes de cinéphilie au féminin dans les années 50 : le courrier des lecteurs de Cinémonde », Studies in French Cinema vol.15, n°1, mars 2015, p. 88-102. 662. « Potinons », Cinémonde, n°1000 (2 octobre 1953), p. 20-24. 663. « Côté coeur côté jardin », Film complet, n°570 (21 juin 1956), p. 13. 664 « Côté coeur côté jardin », Film complet, n°629 (8 juin 1957), p. 2. 665. « Côté coeur côté jardin », Film complet, n°566 (24 mai 1956), p. 15. 666. « Potinons », Cinémonde, n°1047 (27 août 1954), p. 20-24. 667. « Côté cœur côté jardin », Film complet, n°367 (16 mai 1953), p. 9. 256

En 1958, Émaux et camées loue sa relation heureuse avec Sylvie Hirsh : « Sylvie est vraiment, comme il le dit lui-même, son bon ange. Il est plus sobre, vrai, plus sensible que jamais dans ses derniers rôles668. » Ainsi résumés, les commentaires du courrier des lecteurs révèlent un engouement pour le physique des acteurs. Cette posture n’est pas surprenante du fait de leurs rôles qui les construisent en tant qu’objets et de la dimension générationnelle et genrée du lectorat, en majorité jeune et féminin. Les courriéristes suivent les tendances du box- office mais discutent le jeu des acteurs et leur comportement à la ville. Ils prennent, de fait, des latitudes par rapport au point de vue de la rédaction des magazines. Au contraire, Gérard Philipe fait l’unanimité.

b. Gérard Philipe, un cas singulier

Les correspondantes évoquent souvent son charme, sa photogénie, ses yeux et son sourire. La « potineuse » Thérèse Sanchez lui reconnaît des « yeux clairs et ironiques dans un visage grave, dont la bouche est constamment souriante. Avec cela, allez savoir s’il vous parle sérieusement ou s’il ne se moque pas de vous quand, de sa voix la plus douce, il vous raconte les plus invraisemblables histoires669 ». En lien avec ses prestations dans les films en costumes où son corps est montré avec ostentation, il est question de la « fougue juvénile670 » de Fabrice Del Dongo dans La Chartreuse de Parme, de la « bondissante jeunesse671 » de Fanfan la Tulipe, ou de sa prestation « du tonnerre672 » dans Le Rouge et le Noir. Le genre romanesque, visant plutôt un public féminin, met en scène des hommes en tant qu’objets673, admirés et désirés pour leur beauté que le port de costumes contribue à idéaliser. Pour la « potineuse » Maguy, épouse d’un lieutenant en retraite, « le prestige de l’uniforme tient toujours674 » et Gérard Philipe dans Les Grandes Manœuvres lui a permis de revivre sa jeunesse. Aussi

668. « Potinons », Cinémonde, n°1234 (3 avril 1958), p. 20-24. 669. « Potinons », Cinémonde, n°723, 8 juin 1946, p. 19. 670. « Potinons », Cinémonde, n°1014 (8 janvier 1954) et n° 1017 (29 janvier 1954) p. 20-24 ; « Côté cœur, côté jardin », Film complet, n°660 (13 mars 1958), p. 9. 671. « Potinons », Cinémonde, n°1060, (26 novembre 1954), p.32. 672. Petite chatte, « Côté cœur, côté jardin », Film complet, n°540, 24 novembre 1955, p. 9. 673. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin…, op. cit. p. 214. 674. « Potinons », Cinémonde, n°1147 (2 août 1956), p.34. 257

l’acteur est-il qualifié de « beau spécimen675 », « charmant676 », « authentique677 » et « naturel678 ». Dans les années cinquante, il commence à plaire, de manière plus significative, à un public masculin. Jeunes adultes ou hommes d’expérience, ceux-ci mettent en avant leur goût pour les performances cyniques de l’acteur. José le caravanier, « potineur » âgé d’une trentaine d’années, a adoré le film Monsieur Ripois pour des raisons toutes masculines : « Enfin un personnage d’homme avec tous ses défauts… Et c’est bien à notre tour d’en faire voir à ces dames679. » Jean-Loup des bois – militaire de 19 ans, surnommé « l’Apollon du courrier680 » dans « Côté cœur, côté jardin » – attribue tous les caractères de Julien Sorel à Gérard Philipe et, suite à « trois semaines de cabane », il écrit : « Après avoir débouché ma bouteille de cognac, je lève mon verre à votre bonheur, en vous souhaitant de faire honneur aux mérites des Grands, des Beaux, des Forts : les Hommes681 ! » Le schéma narratif classique, construit autour d’un personnage masculin central qui contrôle le déroulement de l’action, permet au spectateur-homme de s’identifier à un héros. La Libération suscite d’ailleurs, d’après Christine Bard, un imaginaire qui consolide l’ordre social masculin en réactivant le « mythe du guerrier » et de l’ « éternel masculin682 » ; ce goût pour les « vrais » hommes « virils » perdure en outre dans les années cinquante avec les guerres de décolonisation683. Dans de nombreux films avec Gérard Philipe réalisés après 1954, les femmes payent de leur vie le désir d’ascension sociale du héros. Cependant, celui-ci est généralement mis en échec. Attrapé à son propre piège, il connaît souvent un destin tragique (la solitude ou la mort)684 qui, on peut en faire l’hypothèse, neutralise le cynisme du personnage envers les femmes et laisse une possibilité d’identification pour

675. « Côté cœur, côté jardin », Film complet, n°538, p. 32. 676. « Potinons », Cinémonde, n°660 (25 mars 1947), p. 17 ; « Côté cœur, côté jardin », Film complet, n°299 (28 février 1952), p. 32. 677. « Potinons », Cinémonde, n°1173 (31 janvier 1957), p. 32-33. 678. « Potinons », Cinémonde, n°1062 (10 décembre 1954), p. 17 ; « Côté cœur, côté jardin », Film complet, n° 456 (15 avril 1954), p. 34. 679. « Potinons », Cinémonde, n°1062 (10 décembre 1954), p. 24-26. 680. « Côté cœur, côté jardin », Film complet, n°566 (24 décembre 1955), p. 2 et 13. 681. Ibid. 682 e . C. Bard, Les Femmes dans la société française au XX siècle, op. cit. p. 152. 683. Christelle Taraud, « Virilités coloniales et post-coloniales » dans Jean-Jacques Courtine (dir.), Histoire de la virilité, tome 3… op. cit. p. 387-410. 684. Ce destin tragique se retrouve dans Monsieur Ripois (René Clément, 1954), Le Rouge et le Noir (Claude Autant-Lara, 1954), Les Grandes Manœuvres (René Clair, 1955), Montparnasse 19 (Jacques Becker, 1958), Le Joueur (Claude Autant-Lara, 1958), Les Liaisons dangereuses (Roger Vadim, 1959), La Fièvre monte à El Pao (Luis Buñuel, 1960). 258

les spectatrices. En effet, on aurait pu penser que cette modification de l’image de l’acteur détournerait une partie de son public féminin. Or, à l’inverse, les correspondances attestent d’un phénomène de séduction perdurant tout au long de sa carrière. Seule la nature du propos change. Ainsi, Nora n’a jamais vu Gérard Philipe montrer plus de « finesse et de désinvolture685 » que dans Monsieur Ripois. Myosotis, est à la fois

[…] émue et terrifiée par Gérard Philipe. Il semble fragile, triste, un peu gauche, et brusquement le sourire devient ironique, l’œil dédaigneux, on découvre en lui un orgueil et une volonté farouches, quelque chose de satanique, Julien Sorel tel que Stendhal n’aurait osé le rêver […] On aimait beaucoup Gérard Philipe maintenant c’est l’idolâtrie686.

Tessa a vu dans Pot-Bouille un « festival Gérard Philipe » où « nul mieux que lui ne pouvait jouer le jeune arriviste qui fait sa carrière par les femmes687 ». Ces « potineuses » reconnaissent chez Gérard Philipe une personnalité forte, dont l’audace à aborder des rôles plus difficiles, la lucidité et les dons indiscutables lui ont permis « d’échapper à des rôles conventionnels, alors que son physique le désignait à l’emploi assez banal de jeune premier688 ». Mais au-delà de ses choix et de son talent de comédien, c’est aussi son image à la ville qui est appréciée. Lorsque les correspondants et correspondantes apprennent le mariage de Gérard Philipe avec Nicole Fourcade, les commentaires sur la vie du couple, leurs loisirs et la personnalité de l’épouse abondent. Ainsi, Don Quichotte, « le félicite d’avoir épousé une femme dont l’intelligence remplace la plastique ou l’élégance689 ». Maya trouve celle-ci « fine, discrète et jolie sur les photos prises par son mari au Japon » et Complainte Corse leur reconnaît « l’air de deux étudiants en vacances690 ». Gérard Philipe à la ville compense les aspects négatifs de ses personnages de l’écran. Il représente ainsi pour Gisèle tropicale « le garçon intelligent et cultivé avec qui on aimerait passer sa vie691 ». Composante essentielle de

685. « Potinons », Cinémonde, n°1053 (8 octobre 1954), p. 26. 686. « Potinons », Cinémonde, n°1087 (2 juin 1955), p. 30-34. 687 . « Potinons », Cinémonde, n°1229 (29 juin 1956), p. 32-33. 688. « Potinons », Cinémonde, n°985 (19 juin 1953), p. 26-27. 689. « Potinons », Cinémonde, n°1018 (5 février 1954), p. 26-27. 690. « Potinons », Cinémonde, n°1052 (1 octobre 1954),p. 26. 691. « Potinons », Cinémonde, n°1008 (27 novembre 1953), p. 26-27. 259

la star (acteur-personnage-homme692), cette réconciliation de valeurs contradictoires constitue également un instrument de fidélisation du public. En résumé, les discours publiés dans le courrier des lecteurs de Cinémonde et du Film complet révèlent la singularité de Gérard Philipe. Les commentaires sur lui peuvent être éthiques, quand il est investi des qualités d’« amoureux fidèle, bon mari, bon père, travailleur insatiable et responsable, intégrité et probité publique et privée693 ». Mais les jugements portent en très grande majorité sur ses rôles. Au contraire, les autres jeunes premiers du corpus sont avant tout évalués pour leur physique et leur comportement à la ville. Le courrier des lecteurs fait donc écho aux diverses consécrations que reçoit Gérard Philipe : Victoires, référendums populaires, festivals, box-office. Il renforce l’idée qu’il est la seule star de sa génération, tandis que ses contemporains restent des acteurs dont la popularité est limitée en termes de sexe ou de génération.

En conclusion, Daniel Gélin, Henri Vidal, Georges Marchal, Jean Claude Pascal et Gérard Philipe séduisent un public en majorité jeune et féminin. Cela est directement lié à l’image masculine qu’ils proposent à l’écran et à la ville. Cependant, l’étude approfondie des discours publiés dans les courriers des lecteurs de Cinémonde et Film complet montre que, sur sa génération, Gérard Philipe est le favori des correspondants et correspondantes694. Sa personnalité plus complexe séduit un public plus large, en termes de génération et de sexe. Elle associe des tendances contradictoires, au niveau du personnage, de l’acteur et de l’homme, qui permettent de résoudre des tensions sociales. Certes, la réception de Gérard Philipe ne contribue pas à un quelconque renversement radical du modèle dominant de la famille patriarcale puisqu’elle repose sur la transposition par nombre de spectatrices d’un désir de couple hétérosexuel souvent inaccompli ou déçu. Cependant, l’acteur semble personnifier le désir d’autonomie de jeunes générations féminines, contraintes par la réaffirmation du cadre normatif, social et genré de l’après-guerre. Leurs projections amoureuses nourrissent émotionnellement la majorité des jugements.

692. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin…, op. cit. p.138-139. 693. L. Marie « Les films en costumes de Gérard Philipe : entre le rouge et le noir », p.92 dans G. Le Gras et D. Chedaleux (dir.), Genres et acteurs du cinéma français 1930-1960, op. cit. 694. Le grand favori des courriéristes reste Jean Marais. 260

Néanmoins, l’élargissement au cours des années cinquante de l’aura de l’acteur à un public masculin diversifie les points de vue d’expertise. Véritable « tribu de fidèles695», les spectatrices et spectateurs repèrent dans le jeu de Gérard Philipe un style qui marque chacun de ses films à travers ses gestes, son regard, sa façon de se mouvoir ou sa psychologie. La star apparaît ainsi comme un gage de qualité mais peut-être aussi comme une figure masculine alternative au modèle patriarcal traditionnel696. En cela, la persona de Gérard Philipe, dans la lignée de Jean Marais, paraît faire le lien entre la reconstruction sociale d’après-guerre et l’émancipation culturelle des années soixante697.

695. E. Morin, Les stars, op. cit., p. 85. 696. Ceci reste une supposition car nous n’en avons pas réellement la preuve dans le courrier des lecteurs. 697. Delphine Chedaleux, « Jean Marais, star de Cinémonde (1946-1958) : la construction d’une masculinité ambivalente dans la France d’après-guerre », art. cit. 261

⃰⃰ ⃰

À l’issue de cette consultation dans la presse populaire (couvertures, classements, articles et courrier des lecteurs) des années 1946 à 1958, plusieurs remarques s’imposent. D’une part, le parti pris des magazines pour les comédiens français, à l’heure où la France ambitionne de restaurer sa suprématie d’avant-guerre face à l’hégémonie hollywoodienne. D’autre part, cette préférence nationale est corrélée à une surreprésentation des acteurs d’âge mûr, déjà célèbres dans les années trente. Leur visibilité est en lien avec le désir d’émancipation de la jeune génération que l’on tente de réfréner. Enfin, nous avons pu noter le déséquilibre entre hommes et femmes qui entre en résonnance avec le contexte de restauration de l’identité masculine dans l’après-Seconde Guerre mondiale. Mais finalement, et ce malgré ces caractéristiques, Gérard Philipe y obtient une place de marque. Cela s’explique par sa double carrière et son identité sociale complexe. En effet, pour valoriser les acteurs, les revues prennent en compte le talent, le poids économique et la carrière au théâtre sur une période de très forte fréquentation des salles de cinéma à l’instar des acteurs de prestige comme Jean Gabin, Pierre Fresnay ou Fernandel. Gérard Philipe est le seul de sa génération à réunir toutes ces conditions. Dans cette partie, nous avons donc pu voir de quelle manière les magazines populaires et spécialisés agissent comme baromètre des tendances du star-système en France. Ils témoignent de la pérennisation d’un modèle issu des débuts du cinéma parlant et qui confère une légitimation culturelle. Mais il présage aussi des changements de mentalités qui surviendront au tournant des années soixante ; avec l’arrivée de la Nouvelle Vague, la génération des pères et les jeunes premiers romantiques ne seront plus au goût du jour. Fort de son image cinématographique et médiatique, Gérard Philipe présente aussi une aura sociale qui en fait une star « ordinaire » peu commune. Gérard Philipe est un homme engagé sur le plan caritatif, politique et syndical qui entre en interaction avec la réalité sociale de la France au cours des années cinquante.

262

QUATRIEME PARTIE

GERARD PHILIPE, UN HOMME ENGAGE

A LA VILLE

263

Que les stars soient des produits issus de la culture de masse, voués à divertir, n’exclut pas la portée politique de certaines d’entre elles. Car si les stars ne sont pas toujours désireuses ou conscientes d’exprimer un message chargé idéologiquement, d’autres s’engagent clairement dans la vie publique et politique de leur pays. Depuis les années vingt, le principal champ d’action des vedettes reste le domaine de la bienfaisance et des opérations caritatives698. Ce sont le plus souvent des rendez-vous annuels qui bénéficient de l’intérêt accru des acteurs. La presse, la radio et la télévision parlent de ces manifestations où se rencontre « le Tout-Paris699 », soit la haute société littéraire, artistique et politique. Les français et les françaises sont donc invités à suivre à distance ces événements. Ces galas sont généralement associés à la promotion d’un film, à la vente de charité pour des écoles ou des associations auxquelles participent les stars. Leur talent ou leur simple présence y sont sollicités. En somme, la majeure partie des stars de cinéma intervient de manière prudente dans la vie publique. Cependant, certaines font part d’un soutien explicite dans les luttes sociales et politiques. C’est le cas de Gérard Philipe. Comme nous l’avons vu dans les deux parties précédentes, sa notoriété est construite avant tout sur sa personnalité de cinéma et de théâtre. Néanmoins, il est aussi connu pour ses engagements politiques et syndicaux. Sa présence lors d’événements singuliers peut donc être liée à ses idéaux progressistes et pourvue de significations politiques. L’après-Seconde Guerre mondiale est une période de forte mobilisation dans les milieux cinématographiques : accords Blum-Byrnes, Guerre froide, grèves, etc... Néanmoins, Gérard Philipe ne s’est pas contenté de donner son avis sur ces questions sociétales et politiques. Il est un compagnon de route du PCF qui milite activement pour le droit des artistes (cinéma et théâtre) et s’affiche dans les campagnes du Mouvement de la Paix contre l’armement nucléaire. Il est rapidement montré comme un leader charismatique dans les médias. L’enjeu de cette troisième partie est donc de comprendre de quelle manière Gérard Philipe s’intègre dans la vie publique des Français et Françaises après la Libération. Dans le chapitre sept, nous approcherons la mémoire individuelle des spectateurs au travers des lettres d’admirateurs adressées à la star. Ces documents sont peu nombreux, si l’on songe à l’abondant courrier qu’il a dû recevoir dans sa carrière.

698. M. Juan, « "Aurons-nous des stars ? " Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940) » op. cit. p. 762. 699. Françoise Giroud, Françoise Giroud vous présente le Tout-Paris, Paris, Gallimard, 1953. 264

Ils constituent néanmoins un « gloriomètre700 », de sa popularité. Ils nous éclairent sur l’intimité des liens qui se tissent entre le fan et son idole. Ces sources nous permettent de comprendre la manière dont Gérard Philipe – star, acteur et homme – s’inscrit dans le continuum des vies de spectateurs. Dans le chapitre huit, nous retracerons la genèse de son engagement politique et syndical, au sein du Mouvement de la Paix et du Syndicat français des acteurs (SFA). Notre parcours en archives l’a fait émerger comme une des figures emblématiques de la mobilisation en faveur de la profession. Mais ses idéaux sont aussi marqués par le rayonnement et le prestige du Parti communiste français (PCF) au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Enfin, dans le chapitre neuf, nous retracerons l’élaboration du projet Les Aventures de Till l’espiègle. Gérard Philipe réalise son premier et unique film à une période où il est un compagnon de route notoire du PCF. Imprégné par ses sympathies politiques, le film est donc étroitement lié à l’idéologie communiste, sans pour autant être un film militant. Sa sortie va, malgré tout, être ébranlée par les événements de Hongrie en novembre 1956. À la suite de ces événements, Gérard Philipe se désolidarisera du Mouvement de la Paix et du Parti communiste.

700. Gabriel Tarde (1902, p. 71) cité dans M. Juan, « « Encore une admiratrice ! » À quoi sert une star de cinéma : réflexion à l’aune de lettres de spectateurs et de spectatrices (début des années 1920, début des années 1930) », Mise au point [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 01 mai 2014, consulté le 21 novembre 2017. URL : http://map.revues.org/1684 ; DOI : 10.4000/map.1684. 265

CHAPITRE 7. LES LETTRES D’ADMIRATEURS ET ADMIRATRICES DE

GERARD PHILIPE : NOUVELLES SOURCES POUR APPROCHER LA RELATION

DES SPECTATEURS AUX STARS DE CINEMA

L'attachement à la star peut recouvrir les formes les plus diverses, de la simple sortie au cinéma au geste privé comme l'écriture d'une lettre701. Gérard Philipe, être adulé des foules, est à l'origine d'une abondante correspondance. Déclarations d'amour enflammées, confidences ou commentaires critiques, ces courriers constituent des témoignages émanant directement du spectateur ordinaire et sont le signe d'une cinéphilie en marge des cinéphiles célèbres. Les discours et les pratiques mis en lumière révèlent différents profils de spectateurs avec leur propre plaisir cinématographique. De la midinette à la spectatrice initiée, de l'adolescent à l'étudiant, de l'homme à la femme seule, ces passionnés de cinéma suivent le parcours de la star et nourrissent un regard critique pour devenir des cinéphiles exigeants. Les lettres d'admirateurs témoignent d'un engagement individuel et discret qui remet en cause la passivité des masses. Aussi, leur étude permet d'aborder le rapport entre la star et ses publics sous un angle non plus sémiotique mais pragmatique. Dans l’immédiat après-guerre et jusqu’au tournant des années soixante, le cinéma français atteint les sommets de sa fréquentation. Structuré par les genres et les stars, le cinéma est un art populaire où l’acteur tient une place prédominante. Certains noms, que les producteurs considèrent comme des valeurs financières, reviennent régulièrement en haut de l’affiche, à l’entrée des cinémas ou des théâtres, à la Une des magazines. Leur présence familière dans un rôle principal attire les spectateurs en masse. Gérard Philipe est de ceux-là. Dans la perspective d’une recherche inspirée par les star studies, les cultural studies et les études de représentations, l’étude d’une star nous pousse à nous interroger sur les outils qui nous permettent d’approcher la relation qui l’unit à ses spectateurs. Une des sources possibles, quand elle existe, est le courrier adressé à la star par des

701. Myriam Juan analyse un corpus de lettres d’admirateurs et d’admiratrices adressées à Sandra Milowanoff et Jean Gabin. Dans une perspective d’histoire sociale et culturelle, elle développe sur les fonctions et les usages de telles sources, illustrant ainsi le renouveau des études de réception. Voir M. Juan, « "Encore une admiratrice ! " À quoi sert une star de cinéma : réflexion à l’aune de lettres de spectateurs et de spectatrices (début des années 1920, début des années 1930) », Mise au point [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 01 mai 2014, consulté le 10 janvier 2018. URL : http://journals.openedition.org/map/1684 ; DOI : 10.4000/map.1684. 266

admirateurs et admiratrices, ses « fans », comme on en trouve dans le fonds Anne et Gérard Philipe702. Si le culte de la star se nourrit avant tout de la consommation frénétique des films, de la lecture d’articles de presse, de l’écriture à un magazine703 ou de la collection d’objets ersatz de sa présence réelle, il peut prendre une forme encore plus directe et personnelle, à travers les lettres qui lui sont adressées. Le dossier AGP217 a retenu notre attention car il regroupe 75 lettres que des admirateurs et admiratrices ont envoyées à Gérard Philipe durant sa carrière. Déclarations d’amour enflammées, elles peuvent aussi être un remerciement pour une prestation au théâtre ou au cinéma, et témoigner d’une grande subtilité dans l’analyse. De plus, elles constituent des sources originales qui nous parviennent dans leur intégralité et, de ce fait, elles permettent d’analyser le profil des correspondants et correspondantes. Nous pouvons rendre compte des documents dans leur matérialité même. Les lettres sont souvent longues de plusieurs pages, l’écriture et l’orthographe sont soignées. Manuscrites ou dactylographiées, elles peuvent être rédigées sur des feuilles tirées d’un cahier d’écolier, sur du papier à lettre simple ou décoré. Quelques lettres sont aussi accompagnées d’un cadeau, comme un dessin704 ou un poème705. Classées par ordre chronologique706, ces lettres sont regroupées dans une chemise, intitulée par l’acteur lui-même « lettres diverses ». Ce dossier est quantitativement très lacunaire par rapport à l’engouement populaire que Gérard Philipe a pu susciter auprès du public dans les années cinquante. On peut en effet trouver dans les magazines grand public des témoignages nous informant sur le nombre de courriers que recevaient les stars de l’époque. Dans Cinémonde par exemple, Luis Mariano et Jean Marais confirment recevoir plusieurs centaines de lettres par semaine. Dans « Potinons », la rubrique du courrier des lecteurs de Cinémonde, le responsable explique aux courriéristes que Gérard Philipe, très occupé, ne peut répondre à tous ses fans707. Enfin,

702. CF, Fonds AGP, boîte 20, dossier 217. 703. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (Part. III, Chap. 6). 704. Lettres non datées, une petite fille et un garçon accompagnent leur lettre d’un dessin de Fanfan la Tulipe. 705. Lettre non datée, neuf jeunes filles écrivent un poème à Gérard Philipe après le première d’On ne badine pas avec l’amour. 706. Les lettres non datées sont regroupées à la fin du dossier. 707. Jean Talky répond à « Miss Ivy les artistes n’ont pas toujours le temps de répondre à leurs admirateurs. Ne leur en veuillez pas, ils ont toujours beaucoup de travail. », Cinémonde, n°770 (8 mai 1949), p. 18. 267

dans ses Carnets, Minou, mère de Gérard Philipe, confie l’aider à classer les nombreuses lettres qui lui sont adressées708. Malgré le caractère extrêmement lacunaire de ce dossier, nous pouvons émettre des hypothèses sur les raisons et la nature de la popularité de la star. Néanmoins, d’importants problèmes méthodologiques persistent car si cette étude nous éclaire, elle ne peut suffire à rendre compte des goûts du public, du fait des manipulations et des sélections opérées au fil du temps. La lecture des lettres, des brouillons de réponses et des annotations, comme « à classer dans lettres intéressantes », suggèrent que Gérard Philipe triait ses lettres. À-t-il conservé uniquement celles qui lui tenaient à cœur ? Celles dont le propos éveillait chez lui un sentiment particulier ? D’autres aléas de conservation, qui nous restent inconnus, exigent aussi des précautions dans l’interprétation : les ayant-droits, en léguant les archives privées de Gérard Philipe, ont- ils fait eux-mêmes un tri ? Comment et avec quels critères l’indexation a-t-elle été menée à la Cinémathèque française ? Aussi, s’il est possible de s’appuyer sur les témoignages écrits dans ces soixante-quinze lettres, devons nous garder à l’esprit qu’il ne s’agit sans doute pas d’un échantillon représentatif, au sens scientifique du terme. Nous aborderons donc au sein de notre étude des questions simples sur les auteurs des lettres, les moments où ils écrivent et les motivations de leurs actes.

I. Le profil des correspondants et correspondantes

A. Un public international, aisé et cultivé

L’enthousiasme pour Gérard Philipe paraît atteindre toute la population française. Les lettres d’admirateurs et admiratrices proviennent essentiellement de quatre ensembles géographiques : Paris et sa banlieue (62%), des grandes villes de Province (22,3%) comme Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Strasbourg, des colonies d’Afrique du Nord (5,2%), comme l’Algérie, le Maroc ou la Tunisie, et de l’étranger (13,8%). Ces zones rappellent les principales régions cinématographiques définies par le Centre

708. « Et le volume de lettres a triplé […] Il faut classer tous ces messages, préparer les photos que Gérard signera. Je suis stoppée dans ces travaux par des lettres suédoises ou japonaises, mystérieuses et indéchiffrables », Témoignage de Minou, dans « Les carnets secrets de Minou », Cinémonde, n°903 (24 novembre 1951), p.20-21.

268

National de la Cinématographie. De ce fait, elles attestent de la diffusion des films avec Gérard Philipe sur l’ensemble du territoire français et témoignent de sa large popularité. Le pourcentage des lettres provenant de l’étranger atteste aussi de sa renommée internationale. Ambassadeur du cinéma français, Gérard Philipe est un véhicule de la culture française à l’étranger. Il n’est donc pas surprenant que deux lettres, venues réciproquement d’Indochine et du Japon, fassent allusion à sa francité : « Mon pays s’est soulevé contre le vôtre, mais je suis restée fidèle à la France parce qu’amoureuse d’elle709 » et « J’oublie toutes les choses en vous regardant, et j’écoute la musique, le beau français, ou admire les beaux paysages710 ». Les lettres étant plus nombreuses à partir des années cinquante et si l’on s’en tient à la lecture des magazines, elles témoignent d’une renommée grandissante avec le succès mondial des tournées du Théâtre National Populaire et de Fanfan la Tulipe711. Néanmoins, en regroupant presque 40 % des correspondants et correspondantes, Paris reste la ville privilégiée. La capitale se distingue par son offre culturelle diversifiée et un public cultivé. Aussi, parmi les auteurs des lettres qui renseignent leur profession, nous retrouvons des employés de la Fonction Publique, de nombreuses personnes exerçant un métier artistique (professeur d’art dramatique, costumière, technicien du son…), écrivains et journalistes. Nous ne recensons, par ailleurs, que très peu de métiers pouvant situer les spectateurs dans les classes populaires. Ce choix est sans doute à mettre en relation avec les origines bourgeoises de l’acteur, son appartenance à l’intelligentsia à travers son mariage avec l’ethnologue Nicole Fourcade712 et l’image d’homme cultivé qu’il forgea durant toute sa carrière. À l’écran, Gérard Philipe ne peut être rattaché à une catégorie socioprofessionnelle précise. Cependant son action est souvent dirigée dans des milieux fortunés. Nous pouvons donc supposer que l’image de Gérard Philipe s’adresse en priorité aux spectateurs et spectatrices de milieu aisé et cultivé.

709. CF, Fonds AGP, boîte 20, dossier 217 (lettre datée du 23 septembre 1947). 710. Ibid. (lettre datée du 9 février 1951). 711. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 2e Part. chap. 3). 712. Anne Philipe est une ethnologue-cinéaste reconnue à l’époque. Après son divorce avec le sinologue François Fourcade, Nicole Fourcade épouse Gérard Philipe et devient Anne Philipe. Elle reprend ainsi son premier prénom. 269

B. Un public jeune

Les correspondants et correspondantes de Gérard Philipe sont souvent jeunes, 45,8 % ont moins de dix-huit ans. Si des enfants racontent souvent comment ils ont découvert l’acteur au détour d’une sortie culturelle en famille – c’est le cas d’un très jeune garçon protégé des bousculades par sa sœur lors d’une représentation du Cid713 – l’essentiel des auteurs de lettres sont des collégiens et des lycéens. Au théâtre et au cinéma, Gérard Philipe est porteur du patrimoine littéraire prestigieux. Aussi ces jeunes se rendent-ils, seuls, avec des amis ou en compagnie de leur enseignant, au théâtre ou au cinéma pour voir l’adaptation des classiques de la littérature française étudiés en classe. Une admiratrice témoigne :

Notre professeur de français nous a emmenés à la représentation de Lorenzacccio. Je m’y suis rendue avec une curiosité inquiète car j’avais lu la pièce, nous l’avions vu dans les grandes lignes en classe, j’avais fait évoluer les personnages dans mon imagination714.

Littéralement envoutée, elle dit avoir « adopté le nouveau Lorenzo ». Si la famille et l’école apparaissent comme des moyens d’initiation au cinéma et au théâtre, les adolescents ou adolescentes et les jeunes adultes qui développent un culte pour l’acteur populaire s’émancipent progressivement du cadre familial et scolaire pour se constituer une culture autonome introduisant des traits caractéristiques de la « conduite de fan » définie par Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto715. Ils ne veulent manquer aucune occasion de voir Gérard Philipe. Ne pouvant attendre qu’on projette La Chartreuse de Parme dans son village de Yokohama, une jeune fille se rend seule à Tokyo pour assister à la projection du film. La consommation peut aussi être frénétique. Deux jeunes garçons ont donc vu respectivement Le Diable au corps, huit fois en moins de deux mois et Montparnasse 19, quatre fois en quatre mois. Les jeunes correspondants et correspondantes décrivent aussi les longues heures d’attente à la sortie des théâtres ou lors des séances de dédicaces pour échanger un regard, un sourire ou quelques mots avec l’acteur. Ils/elles pratiquent aussi un important travail de collection. Friands des potins sur la vie personnelle et sur la carrière de Gérard Philipe, ils/elles passent plusieurs heures par semaine à découper des articles,

713. CF, Fonds AGP, boîte 20, dossier 217 (lettre anonyme et non datée). 714. Ibid. (lettre datée de février 1959). 715. L. Jullier et J-M. Leveratto, Cinéphiles et cinéphilies…, op. cit. p. 17 270

des photographies dans les magazines, ou à enregistrer des émissions de radio aux dépens de leurs études. Une jeune fille écrit :

Je perds chaque semaine plusieurs heures à mille travaux divers, tous un peu plus ridicules les uns que les autres, découpage d'articles, de photos (ainsi se sont amoncelées 595 photos du sieur Gérard Philipe aucune ne provenant d'un magazine de cinéma), enregistrement sur magnétophone d'extraits de pièces diffusées à la R.T.F, audition de ces 716 bandes sonores .

À Dublin, certains vont même jusqu’à créer un fan-club, où ils distribuent des photographies et organisent des projections-débats sur les films de Gérard Philipe717. La grâce juvénile et la spontanéité véhiculées par ses personnages à l’écran, à la scène et son image à la ville expliquent sans doute sa séduction auprès du jeune public.

C. Un public féminin

Cette préférence générationnelle est aussi genrée. Environ 68 % des auteurs des lettres sont des correspondantes. Ce pourcentage fait écho à la composition du courrier des lecteurs des magazines populaires comme Film Complet ou Cinémonde, où, si l’on considère uniquement les admirateurs et admiratrices de Gérard Philipe, les femmes représentent environ 80 % du corpus. Ces chiffres indiquent la capacité de séduction de l’acteur – Gérard Philipe incarne d’abord un amoureux romantique puis un séducteur – mais ils témoignent aussi d’un début d’émancipation féminine qui s’exprime au cours des années cinquante. Dans un contexte social où l’écriture publiée est quasi- exclusivement réservée aux hommes, les lettres d’admiration envoyées aux acteurs s’inscrivent dans la continuité des journaux intimes et autres formes d’écriture « privée » autorisée aux jeunes filles. Les admiratrices de moins de dix-huit ans, qui représentent 62,7 % des correspondantes, aiment parler de l’amour en privilégiant des questions personnelles et sentimentales. Ces chiffres rejoignent le constat établi après l’étude du courrier des lecteurs des magazines spécialisés et populaires718.

716. CF, Fonds AGP, boîte 20, dossier 217 (lettre datée du 18 janvier 1959). 717. La présidente du club écrit à Gérard Philipe pour le tenir informé des activités de l’association, lettre datée de janvier 1959. 718. Nous avons détaillé cet élément précédemment (voir 3e Part. chap. 6). 271

En revanche, les femmes adultes, sensibles au goût de la beauté, s’affirment en tant que spectatrices cultivées, déjà initiées au théâtre et au cinéma. Tandis que les hommes adultes privilégient la distance esthétique, quatre correspondantes, toutes âgées de plus de trente ans, articulent amour pour la star, intérêt éthique et plaisir esthétique. Exigeantes sur une prestation, elles investissent le champ de la critique, réservée aux hommes, par le biais d’une longue lettre à la star où elles s’expriment indépendamment de l’avis d’un ami, compagnon ou mari, à l’instar de cette admiratrice :

Je me suis souvent entendue dire, par des amis même, que l’interprète n’était rien à côté de l’auteur. Vous prouvez que c’est faux. Modigliani, ce n’est pas celui des Montparnosses, ce n’est même pas celui qui a vécu, c’est vous, avec votre fortune, vos mépris, vos yeux clairs, votre splendide visage. Ce n’est pas de votre beauté que je suis amoureuse, c’est de votre grandeur que vous servez avec elle719.

Cette posture témoigne d’une « cinéphilie au féminin » étudiée par Geneviève Sellier dans le courrier des lecteurs de Cinémonde720.

II. Sur le chemin de la gloire

A. Un jeune premier aux débuts prometteurs

Le décompte des lettres par années et par mentions de titres (tableaux ci-après) indique des irrégularités mais nous permet néanmoins de dégager les moments importants dans la carrière de Gérard Philipe.

719. CF, Fonds AGP, boîte 20, dossier 217 (lettre datée du 5 juin 1958). 720. G. Sellier, « Le courrier des lecteurs de Cinémonde dans les années 1950 : la naissance d’une cinéphilie au féminin », op. cit. p. 67-90. 272

Tableau 27. Répartition des lettres par titre film721

Titre de film Nombre de lettres Le Pays sans étoile 1 L’Idiot 3 Le Diable au corps 7 La Chartreuse de Parme 2 Une si jolie petite plage 1 La Beauté du Diable 1 Fanfan la Tulipe 4 Monsieur Ripois 1 Le Rouge et le Noir 1 Montparnasse 19 5

Tableau 28. Répartition des lettres par titre de pièce722

Titre de pièce Nombre de lettres Une grande fille toute simple 1 Une jeune fille savait 1 Caligula 5 Les Epiphanies 2 Le Figurant de la Gaïté 1 K.M.X Labrador 3 Le Prince d’Hombourg 2 Le Cid 2 Lorenzaccio 4 Ruy Blas 2 Les Caprices de Marianne 4 On ne badine pas avec l’amour 6

Caligula, et Le Diable au corps constituent respectivement une pièce et un film charnières. Si des artistes doivent acquérir une certaine notoriété et attendre quelques années avant les premières lettres, Gérard Philipe en reçoit dès ses premières apparitions au théâtre. Alors qu’il n’est que figurant dans Une jeune fille savait et Une grande fille toute simple, Gérard Philipe est déjà remarqué par une spectatrice : « Je tiens à vous

721. Non mentionnés : La Boîte aux rêves, Les Petites du Quai-aux-Fleurs, Tous les chemins mènent à Rome, La Ronde, Les Souvenirs Perdus, Juliette ou la clef des songes, Sept Péchés Capitaux, Belles de nuit, Si Versailles m’était conté, Les Orgueilleux, Les Amants de la villa Borghèse, Les Grandes Manœuvres, La Meilleure Part, Si Paris nous était conté, Les Aventures de Till l’Espiègle, Pot-Bouille, La Vie à deux, Le Joueur, Les Liaisons dangereuses, La Fièvre monte à El Pao. 722. Non mentionnées : Sodome et Gomorrhe, Au petit bonheur, Fédérigo, la Calandria, Mère Courage, Nucléa, la Nouvelle Mandragore, La Tragédie du Roi Richard. 273

dire, une fois encore, mon admiration : vous avez été pour moi une révélation723 ». Mais c’est son rôle dans la pièce adaptée d’Alfred Camus Caligula qui est le plus commenté par les auteurs des lettres724 (cinq lettres). On parle déjà de « la plus belle des techniques », de « coup de génie », de « spontanéité » ou de « naturel ». Ces commentaires font écho aux louanges déjà parues dans la presse. À cette période, Gérard Philipe qui a joué dans cinq pièces, dont deux dans un rôle important725, commence à être reconnu par le milieu du théâtre et des lettres. Au soir de Sodome et Gomorrhe (1943), Georges Perros écrit : « l’Ange radieux avait enlevé la ville d’assaut. Il n’était plus que bruit de son charme un peu pêché, de sa voix nasale, souvent sanglante, des mèches brunes qui lui tombaient sous les yeux et qu’il rejetait en arrière avec le geste bref du cheval qu’encense. Paris ville amoureuse avait trouvé à qui se donner726. » Après Caligula (1947), Simone de Beauvoir confie : « J’avais assisté au Caligula de Camus qui, à la première lecture m’avait laissé froide : Gérard Philipe transfigurait la pièce727. » Mais c’est le cinéma qui fait réellement de lui une star. Révélé par L’Idiot, en 1946, Gérard Philipe est consacré par Le Diable au corps (Claude Autant-Lara, sortie en septembre 1947) qui totalise 4, 8 millions d’entrées en France. La plupart des lettres écrites dans les premières années de sa carrière font suite à ses interprétations dans L’Idiot (Georges Lampin, sortie en juin 1946), Le Diable au corps et La Chartreuse de Parme (Christian-Jaque, sortie en mai 1948). De ce fait, elles confirment le succès et la dimension populaire des trois films qui construisent son image de jeune premier romantique.

B. Une prestigieuse carrière théâtrale au sein du T.N.P

Devenu une star de cinéma, Gérard Philipe n’en continue pas moins de jouer au théâtre. Il continue de jouer au théâtre et c’est en intégrant la troupe du Théâtre National Populaire de Jean Vilar, en 1951, qu’il confirme ses débuts prometteurs sur les

723. CF, Fonds AGP, boîte 21, dossier 217 (lettre datée de janvier 1942). 724. La première parisienne de Caligula a lieu le 26 septembre 1945, quatre lettres y font directement suite et une cinquième écrite en 1947, retranscrit un souvenir. 725. Sodome et Gomorrhe, première parisienne le 11 octobre 1943, et Caligula. 726. Georges Perros cité dans C. Roy et A. Philipe, Souvenirs et Témoignages, op. cit. p. 46-49. 727. Simone de Beauvoir citée dans Dominique Nores, Gérard Philipe, Besançon, La Manufacture, 1991, p. 26. 274

planches. De nombreux correspondants et correspondantes font l’éloge de ses prestations dans Le Cid. Une spectatrice a été « touchée et impressionnée par tous ces sentiments divers qu’un homme avait pu communiquer à l’ensemble de la salle728 » pour Le Prince de Hombourg. Des admirateurs apprécient aussi sa « présence » dans Lorenzaccio et « le concours de la sensibilité » dans Ruy Blas, « le rapprochement subtil du comique et du tragique » dans Les Caprices de Marianne. Sans être ignorées, les pièces plus contemporaines et étrangères sont très peu mentionnées par les auteurs des lettres729. Cette prépondérance des classiques révèle la préférence du public pour le patrimoine littéraire prestigieux, dont Gérard Philipe est un des représentants au théâtre comme au cinéma. Il n’est pas étranger au succès des tournées du TNP en France comme à l’étranger. Grâce à sa popularité acquise au cinéma, il rend accessible les grandes pièces du répertoire à un plus large public. Les spectateurs et spectatrices le remercient tel ce jeune homme : « Je connaissais Musset depuis deux ans et appréhendais de mieux le connaître […] J’ai retrouvé avec joie et Octave et Perdican encore silencieux dans ma mémoire et dans le texte730. » À l’instar de son image médiatique dans Cinémonde, les lettres d’admirateurs témoignent du goût pour le comédien de théâtre.

C. Une vedette de cinéma

Dans ces mêmes années, Gérard Philipe continue d’être la tête d’affiche des films à succès Fanfan la Tulipe (Christian-Jaque, sortie en mars 1952, 6, 7 millions d’entrées) Le Rouge et le Noir (Claude Autant-Lara, sortie en novembre 1954, 4, 3 millions d’entrées), Les Grandes manœuvres (René Clair, sortie en novembre 1955, 5, 3 millions d’entrées) ou Les Liaisons dangereuses (Roger Vadim, sortie en septembre 1959, 4, 3 millions d’entrées). Le ton des quatre lettres qui mentionnent Fanfan la Tulipe révèle l’engouement du public pour ce héros jovial et téméraire. Mais qu’en est-il des autres films ? Entre 1952 et 1958, un seul admirateur parle de cinéma, à travers l’interprétation de Gérard Philipe dans Le Rouge et le Noir : « Surgit l’acteur si merveilleux. C’est le

728. CF, Fonds AGP, boîte 21, dossier 217 (lettre datée du 21 janvier 1959). 729. La Calandria, Mère Courage, Nucléa, La Nouvelle Mandragore, La Tragédie du Roi Richard. 730. CF, Fonds AGP, boîte 21, dossier 217 (lettre datée du 23 février 1959). 275

langage romantique quand il est amoureux et fort de Julien le pathétique quand s’approche de lui la mort731. » Dans la seconde moitié des années cinquante, Gérard Philipe propose des héros au caractère plus trouble qui contredisent l’image romantique de ses premières apparitions. Séducteurs cyniques qui ne se soucient guère que de leurs plaisirs, les personnages qu’il incarne n’ont aucun respect pour leur entourage qui est souvent victime de leur arrivisme. Nous pourrions donc trouver dans la modification de son image une explication à la distance des admirateurs et admiratrices. Or, si nous nous référons à d’autres sources comme le courrier des lecteurs des magazines populaires732, nous pouvons avancer que le public continue d’apprécier ces héros noirs, bien qu’on n’en trouve pas de trace dans le fonds. À partir de 1958, la plupart des propos sur le cinéma tenus dans les lettres portent sur son interprétation dans Montparnasse 19. Un intérêt qui est inversement proportionnel aux chiffres du box-office. Sorti en avril 1958, le film ne totalise que 1, 3 millions d’ entrées en France. Dans chacune des lettres traitant de Montparnasse 19, les auteurs mentionnent « le génie » de Gérard Philipe, son « emprise sur le rôle », sa « capacité à le surclasser de sa personne733 ». Aussi, nous pouvons faire l’hypothèse qu’il y a eu, de la part de l’acteur lui-même ou de ses ayant-droits, un désir de conserver des lettres élogieuses à propos de performances culturellement prestigieuses : incarner le héros de Stendhal, dans un film de Claude Autant-Lara représentant de la « qualité française », ou le peintre Modigliani, dans un film conçu par Max Ophüls et réalisé par Jacques Becker, malgré un relatif échec public de Montparnasse 19.

III. Entre admiration et expertise

A. L’amateur de théâtre rencontre le passionné de cinéma

Une étude sur les lettres d’admirateurs et admiratrices de Gérard Philipe prouve que la passion pour une star peut devenir une « compétence » au sens où l’entend

731. Ibid. (lettre datée d’avril 1955). 732. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 3e Part. chap. 6). 733. CF, Fonds AGP, boîte 20, dossier 217 (lettre datée du 14 décembre 1958). 276

Fabrice Montebello734. La conduite du fan obéit à la même démarche que celle de l’expert. En privilégiant leur expérience personnelle, en faisant confiance à leur jugement, les auteurs des lettres développent une évaluation de qualité qu’ils désirent partager par la suite. Les admirateurs et les admiratrices écrivent à Gérard Philipe pour formuler des questions personnelles, communiquer leurs impressions et critiques et demander des conseils. Le contenu des lettres se répartit donc en trois points : 1) le cinéma 2) le théâtre 3) la vie personnelle et les requêtes. Écrites entre 1942 et 1959, les lettres jalonnent toute la carrière de Gérard Philipe.

Tableau 29. Répartition des lettres par année

Année Nombre de lettres 1942 1 1945 4 1946 1947 9 1948 7 1949 3 1950 1951 1 1952 1953 1 1954 1 1955 4 1956 4 1957 3 1958 7 1959 18 Non datée 2

Néanmoins, leur forme et leur contenu changent au fil des années. La plupart des lettres mêlent des questions à la fois esthétiques et éthiques. Mais dans l’immédiat après-guerre, et ce jusqu’au tournant des années cinquante, les correspondant-e-s parlent soit de cinéma, soit de théâtre et rarement des deux. Au fil de la carrière de Gérard Philipe, les auteurs des lettres abordent plus souvent le cinéma et le théâtre au sein d’une même lettre et s’ils analysent les prestations indépendamment, ils peuvent aussi

734. F. Montebello, Le cinéma en France…, op. cit. p. 61. 277

comparer le jeu du comédien à la scène et à l’écran. Les premières lettres abordant le théâtre et le cinéma apparaissent en 1952 après la sortie de Fanfan la Tulipe et les premières représentations du Cid avec le TNP. Leur succès auprès du public est sans précédent dans la carrière de l’artiste et semble générer un rapprochement des goûts des publics. Que l’on soit amateur de théâtre ou passionné de cinéma, Gérard Philipe constitue donc un gage de qualité artistique735.

B. Une impression sur le jeu de l’acteur et sur la persona de la star

« Emballé », « subjugué », les correspondants et correspondantes expriment le besoin d’écrire à Gérard Philipe pour le remercier du plaisir procuré par sa prestation. Ils désirent parler à l’acteur, au comédien, tel ce jeune garçon : « J’écris pour vous parler de l’art que vous exercez et plus particulièrement de vos créations de cinéma 736». Les commentaires sur le jeu de l’acteur et du comédien sont extrêmement fournis. On reconnaît chez Gérard Philipe une maîtrise de son art et une capacité à se fondre dans ses personnages737. Ils/elles analysent le style, la cohérence et l’originalité de son jeu instaurant ainsi une hiérarchie entre les artistes. Une correspondante le préfère à Jean Gabin, vieillissant et qui incarne une figure patriarcale. Elle reproche à Jean Gabin

De jouer avec beaucoup de naturel mais sans cesse son personnage […] Il ne se met pas dans la peau de son personnage, c’est son personnage qui se met dans la peau de Jean Gabin. Il en est à peu près de même pour Fernandel et Pierre Fresnay738.

Dans les années cinquante, le cinéma français renoue avec les figures patriarcales d’avant-guerre et ces trois acteurs, vedettes de nombreux films, sont en tête du box- office739. Ainsi, pouvons-nous penser que la grâce juvénile et la finesse aristocratique de Gérard Philipe qui le différencient des autres stars masculines de la période, sont les clefs de la popularité auprès du public féminin ? S’il est difficile pour un acteur célèbre de faire oublier sa personnalité au profit d’un personnage, les correspondants et correspondantes, en reconnaissant sa

735. L. Jullier et J-M. Leveratto, Cinéphiles et cinéphilies…, op. cit. p. 55-62. 736. CF, Fonds AGP, boîte 20, dossier 217 (lettre datée du 14 décembre 1958). 737. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (2e et 3e Part.). 738. CF, Fonds AGP, boîte 20, dossier 217 (lettre datée du 4 janvier 1959). 739. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (1re Part. chap. 1). 278

« sincérité » et son « authenticité », montrent que Gérard Philipe réussit à dépasser cette difficulté. Passant de l’étude du jeu de l’acteur à celui de la persona740, un correspondant en relève les éléments constitutifs : « Votre vulnérabilité croît dans la mesure même de votre grandeur. Que vous soyez à la limite de l’ange ou du démon, ayant gardé toute la simplicité de l’enfance omnisciente741. » Il apparaît donc pour beaucoup d’admirateurs et admiratrices comme le comédien ou l’acteur « idéal ». Certains invoquent même le vocabulaire religieux pour rendre compte du sentiment qu’il éprouve et du caractère extraordinaire de la prestation : « lueur surnaturelle et divine, spontanée et transcendante742 ». Cette façon de placer des êtres réels au-dessus des autres est un des signes récurrents du processus de divinisation des stars743.

C. Une source de projection-identification

Plus que le comédien de théâtre, l’acteur de cinéma réactive des processus de « projection-identification744 ». Alors que le spectateur de théâtre croit au personnage uniquement pendant la représentation, le spectateur de cinéma vit le spectacle de façon quasi mystique, prolongeant le plaisir de la vision du film hors de la salle. « Le spectateur vit psychiquement la vie imaginaire et intense, valeureuse et amoureuse des héros des films, c’est-à-dire, s’identifie à eux745 ». Les lettres d’admirateurs et admiratrices apportent à Gérard Philipe des confidences nombreuses, des secrets sentimentaux, familiaux et professionnels. Des jeunes dans l’espoir de devenir acteurs demandent des conseils, des adultes en proie aux difficultés de la profession artistique sollicitent une aide ou une protection (dix lettres). Gérard Philipe a l’image d’un travailleur insatiable et responsable qui a réussi, ce qui suscite sans doute ce type de sollicitations, d’autant plus qu’il est aussi un acteur engagé sur le plan politique et social746. Il apparaît donc sans doute comme un homme conscient des problèmes de son temps, capable de comprendre et de répondre aux inquiétudes. Mais si cet engagement

740. Selon Richard Dyer la persona de la star est une synthèse entre personnage, acteur et individu. 741. CF, Fonds AGP, boîte 20, dossier 217 (lettre datée du 3 décembre 1947). 742. CF, AGP, boîte 20, dossier 217 (lettre datée du 23 février 1959). 743. E. Morin, Les stars, op. cit. p. 85-119. 744. Ibid. p. 108. 745. Ibid. 746. Nous détaillons ces éléments par la suite (voir 3e Part. chap. 8 et 9). 279

est très largement relayé par la presse, les correspondants et correspondantes mentionnent très peu les activités politiques et syndicales de l’artiste. « La star est profondément bonne et cette bonté filmique doit s’exprimer dans sa vie privée747 ». Aussi, les auteurs des lettres désirent de Gérard Philipe une écoute, une réponse et une sincérité amicale. À l’instar de cette femme qui lui attribue les qualités du prince Muichkine : « Malgré moi votre image est apparentée à celle du Prince (dans L’Idiot) : un être plein d’idéal, perdu dans un monde matérialiste et qui sans cesse bousculé, cherche à se maintenir au-dessus des basses contingences748. » Après quelques fléchissements dans sa vie sociale et sentimentale, elle désire « un encouragement pour continuer à marcher droit, jusqu’au point de jonction du compagnon rêvé…que mon destin ne connaîtra peut-être jamais ». Avec son rôle d’homme doux dans L’Idiot, Gérard Philipe est aussi l’objet d’une projection amoureuse chez les admiratrices. Jeune amant romantique qui a besoin d’aimer et d’être aimé749, il impose une masculinité non menaçante dans une société soumise à un retour brutal de l’ordre patriarcal et viril750. Cette image filmique associée à son image à la ville d’amoureux fidèle, bon père et bon mari, exprime sans doute l’engouement du public féminin. Nous ne devons cependant pas tirer de conclusions trop hâtives du fait du manque de lettres concernant les films des années cinquante. Selon Richard Dyer751 les stars revêtent un caractère polysémique. Le cas de Gérard Philipe est structuré autour d’éléments disparates qui dans les années quarante se renforcent mutuellement. L’amant-enfant, rêveur et idéaliste sur l’écran s’associe au fils prodige et célibataire à la ville. En revanche, dans les années cinquante, il réconcilie des valeurs contradictoires : cynique et volage à l’écran, il demeure amoureux et fidèle à la ville. Cette modification de son image exprime les contradictions idéologiques de la société de l’époque, les inquiétudes masculines face à l’émancipation féminine. Façonnée en réponse aux attentes du public, elle n’est cependant pas analysable du seul contenu des lettres.

747. E. Morin, Les stars, op. cit. p. 62. 748. CF, Fonds AGP, boîte 20, dossier 217 (lettre datée de septembre 1947). 749. Type incarné dans de nombreux films avant le tournant des années cinquante : Le Pays sans étoile, L’Idiot, Le Diable au corps, La Chartreuse de Parme, Une si jolie petite plage, La Beauté du Diable, Juliette ou la clef des songes. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (Part. I, chap. 2). 750. N. Burch et G. Sellier, La Drôle de guerre des sexes…, op. cit. p. 245-270. 751. R. Dyer, Le star-système hollywoodien…, op. cit. 280

Ainsi faite, la description du contenu des lettres nous informe sur le lien qui unit Gérard Philipe à ses admirateurs et admiratrices, sur la nature et la forme de leur admiration, puis sur leurs demandes explicites ou implicites. Elle permet de dégager des attitudes typiques du fan et des comportements caractéristiques du cinéphile pour montrer comment ils interagissent. En associant amour pour une star et jugement esthétique, les auteurs des lettres montrent que le culte d’un acteur peut être une entrée efficace dans l’expertise cinéphilique752. Elles nous informent à la fois sur la place de l’acteur dans le star-système et son importance dans la cinéphilie populaire. Le contenu des lettres révèle aussi que Gérard Philipe est apprécié et connu, à la fois au théâtre et au cinéma, et montre de nombreuses interférences entre les deux publics. L’analyse des lettres d’admirateurs et admiratrices de Gérard Philipe, telles qu’elles ont été conservées dans le fonds Anne et Gérard Philipe, met en lumière un public jeune et plutôt féminin issu des couches aisées de la population. Dans le cadre d’une étude sur le phénomène de la réception, il pourrait être intéressant de comprendre la nature de l’enthousiasme de ses admiratrices. Une étude qui nous amènerait à approfondir le regard qu’elles portent sur elles-mêmes et les émotions qu’elles éprouvent. Dans la perspective d’une étude des pratiques sociales, les lettres donneraient aussi à voir les manifestations et les témoignages spectatoriels susceptibles de comprendre de quelle manière Gérard Philipe a affecté la vie quotidienne des spectateurs et spectatrices753. Les nombreux remerciements pour les conseils apportés montrent que Gérard Philipe répondait aux lettres, soucieux d’entretenir le dialogue entre l’artiste et ses publics. S’intéressant aux questions sentimentales, esthétiques ou professionnelles posées par ses correspondants et correspondantes, Gérard Philipe ne semble pas avoir émis de jugement de valeur. Une étude réalisée uniquement sur les lettres d’admirateurs impose donc des précautions dans l’interprétation : 1) Du fait du tri opéré par Gérard Philipe, elle ne donne à voir que l’image que la star a d’elle-même 2) Compte tenu des sélections possibles effectuées par les ayant-droits et des contraintes associées à la conservation,

752. F. Montebello, Le cinéma en France…, op. cit. p. 61. 753. M. Juan et C. Trebuil « Publics de cinéma : pour une histoire des pratiques sociales », Conserveries mémorielles, avril 2012 (URL : http//cm.revues.org/1067). 281

elle ne donne à voir que l’image qu’un tiers a voulu donner d’une star. Il est donc intéressant de mettre en relation l’étude des lettres d’admirateurs et celle du courrier des lecteurs des magazines populaires et spécialisés pour pousser plus loin la réflexion sur la popularité de Gérard Philipe.

282

CHAPITRE 8. ENGAGEMENT POLITIQUE ET SYNDICAL DE L'HOMME

ET DU COMEDIEN AUX PRISES AVEC L'IMAGE MEDIATIQUE DE LA STAR

En mars 1950 Paris-match publie : « Pour les Juliettes de l’âge atomique, Gérard Philipe incarne précisément ce qu’elles attendent du monde et de l’amour : non plus une force de demi-dieu, mais l’inquiète et brûlante faiblesse d’un ange. » Beau, délicat, sensible, Gérard Philipe est un jeune premier au théâtre et au cinéma, mais c’est aussi un acteur engagé sur le plan politique et syndical. En consultant différentes revues de presse spécialisée et généraliste, nous avons trouvé assez peu d’informations sur son engagement, à l’exception des journaux d’obédience communiste, à l’instar du magazine Regards qui publie ces lignes en janvier 1960, deux mois après la mort de l’acteur :

Il est un aspect de l’activité de Gérard Philipe sur lequel les très larges articles de la « grande » presse n’ont guère insisté (quand elle en a parlé). Etre une vedette adulée des foules et demeurer cependant un citoyen dans toute l’acceptation du mot n’est pas si facile que certains le pensent. Gérard Philipe, avec qui la simplicité qui le caractérisait en toutes choses, s’efforça d’être le citoyen conscient, responsable, combatif. Il appartenait au Conseil national du Mouvement de la paix. Il fut, jusqu’à ce que cette tâche lui soit rendue difficile par son travail, président du Syndicat français des acteurs. Défenseur de ses pairs, il leur donnait l’exemple du dévouement à la cause syndicaliste qu’il entendait servir de tous ses moyens754.

Les magazines illustrés, spécialisés en cinéma, comme Cinémonde, Le Film complet ou Mon film assurent la promotion des vedettes755. À travers la publication d’articles, témoignages ou films racontés, ils s’attardent plus spécifiquement sur les films, le jeu de l’acteur, ses personnages et son travail de comédien, sans oublier la vie rêvée des stars. Cependant, en lisant dans Cinémonde, ce dossier au titre accrocheur « Ce qui n’a jamais été révélé sur Gérard Philipe756 » paru en mars 1957, nous n’avons trouvé aucun élément sur son engagement citoyen (politique ou syndical). Cette

754. CF, Fonds AGP, boîte 33. 755. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 3e Part.). 756. « Ce qui n’a jamais été révélé sur Gérard Philipe », Cinémonde, n° 1778 (7 mars 1957) et n°1779 (14 mars 1957). 283

absence s’explique quand on connaît les choix des rédacteurs de Cinémonde qui ne souhaitent pas parler de politique757. Pourtant de nombreux témoignages d’artistes, techniciens ou critiques de cinéma prouvent l’engagement intense de Gérard Philipe dans la défense du cinéma français. Ils décrivent un homme de gauche, dévoué, solidaire des travailleurs et passionné par les grands problèmes de son temps758 . Henri Pichette fait l’éloge d’un acteur vedette qui « aurait pu, s’il avait eu de petites volontés, ne répondre, qu’aux jouissances d’être jeune, beau, aimé, riche et célèbre. Or Gérard Philipe n’était point suffisant et rien de moins sourd aux preuves criantes de l’inhumanité de la vie759. » Ce sont donc les archives privées Anne et Gérard Philipe et les archives du Syndicat français des acteurs, conservées aux archives départementales de la CGT760, qui nous ont permis d’évaluer l’activité militante de Gérard Philipe. Dans le fonds Anne et Gérard Philipe, quatre dossiers sur quarante-huit conservent des documents liés à l’engagement politique et syndical de l’acteur761. Leur densité paraît bien faible face aux sources cinématographiques et théâtrales, et leur portée demeure limitée. Néanmoins, elles offrent une nouvelle image de la star « militante » et ambassadrice du cinéma français à l’étranger à travers les bulletins Unifrance Films, les revues de presse étrangères, les brouillons annotés ou les textes publiés. Pour combler les vides, ces sources peuvent être croisées à celles du syndicat des acteurs. Créé en 1917 et successivement appelé Union des artistes, Syndicat national des acteurs (SNA) puis Syndical français des acteurs (SFA), il constitue le syndicat le plus représentatif de la profession. De ce fait, tout acteur dès son premier contrat d’engagement adhère au syndicat pour bénéficier des avantages socioprofessionnels. Gérard Philipe prend sa carte dès 1943. Adhérent discipliné, il paye sa cotisation chaque année et militant actif dans les années qui suivent, il accède à la présidence le 15 juin 1958. Ces différents statuts de l’artiste engagé nous ont donc poussés à nous intéresser aux archives du SFA qui fourmillent de documents éclairants : cartes d’adhésion, correspondances entre militants, bulletins syndicaux, comptes-rendus et procès-verbaux d’assemblées générales, carnets de notes, coupures de presse et documents iconographiques.

757. Dans le match-vedette qui l’oppose à Jean Marais, Cinémonde publie des propos peu bienveillants sur les opinions politiques, voir n°1194 (27 juin 1957), p17-19. 758. C. Roy et A. Philipe, Souvenirs et témoignages, op. cit. p. 242-279. 759 Ibid. p. 244. 760 . Archives départementales de la CGT, fonds du Syndicat français des acteurs (SFA), Bobigny. 761. CF, Fonds AGP, boîte 18 et 19, dossiers 194 à 198. 284

Dans la perspective de l’histoire culturelle, les sources citées précédemment sont d’inépuisables filons pour appréhender la figure de la star dans son rapport au cinéma, à la politique et au syndicalisme qui lui sont associés. Au premier abord, le statut double d’acteur engagé et de vedette populaire peut paraître contradictoire. Les célébrités évitent de parler publiquement de leurs engagements politiques qui pourraient nuire à leur image762. Gérard Philipe est donc un cas exceptionnel car il n’a jamais caché ses opinions politiques. Ce chapitre vise donc à approcher la personnalité de Gérard Philipe et ses motivations de militant, en établissant une correspondance étroite avec son image médiatique, son parcours professionnel et l’opinion publique. Il s’agit donc de traiter de l’engagement effectif d’un acteur qui a accepté de mettre l’autorité que lui conférait sa notoriété au service de la profession. À juste titre, Marie-Ange Rauch écrit :

À la fois vedette de cinéma et de théâtre, il incarne parfaitement la conception de l’artiste- interprète défendue par le SNA qui veut qu’un même métier soit au service des différentes formes d’expression artistique ; il est l’incarnation exemplaire de l’aventure du TNP de Jean Vilar défendant un théâtre populaire basé sur un répertoire et des mises en scène de qualité. Compagnon de route du PCF, il a milité au sein du Mouvement de la paix, son engagement politique n’est pas assez marqué pour être un sujet de division syndicale […] Enfin, il jouit d’une popularité médiatique exceptionnelle763.

Pour mener à bien notre recherche, il est nécessaire de nous intéresser au contexte socioculturel et idéologique des années d’après-guerre. Aux prises avec les conséquences de la Libération, une nécessité de rénover le système économique et le paysage culturel, le milieu cinématographique connaît des bouleversements sans précédent : l’avènement de la IVe République, le contexte de la Guerre froide, les accords Blum-Byrnes et l’influence du Parti communiste, tant sur le plan idéologique qu’industriel, poussent de nombreux professionnels du cinéma à militer pour la défense du cinéma français. Certains d’entre eux, comme Gérard Philipe, s’engagent par la suite dans des combats qui n’ont plus rien de cinématographiques. Ce travail s’organise autour de trois questions : de quelle manière le prestige de la star peut-il être exploité à des fins politiques et militantes ? Comment les événements nationaux et internationaux influent-ils sur la profession cinématographique et sa

762. Citons par exemple, Françoise Arnoul ou Madeleine Sologne qui sont adhérentes au Parti mais restent discrètes. 763. Marie-Ange Rauch, De la cigale à la fourmi…, op. cit. p. 319-320. 285

défense ? Quel peut être le rôle de la vedette dans la restructuration du syndicat des acteurs ? Afin d’y répondre, nous proposons d’étudier l’image médiatique de la star, pour montrer comment, associée à la figure du Compagnon de route, celle-ci promeut une figure de leader syndical idéal. Nous espérons ainsi montrer que vedettariat et militantisme ne sont pas inconciliables, voire qu’ils peuvent même interagir.

I. Le « compagnon de route »

Lorsqu’il émerge à la direction du Syndicat français des acteurs à la fin des années cinquante, Gérard Philipe est déjà un acteur mûr politiquement. Militant sans être adhérent à un parti, il s’engage dans la bataille de la production et défile sous les banderoles du Mouvement de la paix dès la Libération. Ainsi, il expose ses idées progressistes et sympathies communistes. Son engagement apparaît dans un contexte de forte mobilisation dans les milieux artistiques.

A. Les accords Blum-Byrnes et la défense du cinéma français

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France est très affaiblie. « Matériellement d’abord, elle a subi les combats, les bombardements, et est en ruine. Moralement, ensuite, la défaite de 1940, l’Occupation, la collaboration, ont laissé des traces indélébiles. Politiquement, malgré sa présence aux cérémonies de capitulation, sa place est affaiblie sur la scène mondiale. Les premières indépendances consenties, de la Syrie et du Liban, laissent entrevoir la problématique de décolonisation764. » L’enthousiasme de la libération est retombé devant une réalité difficile : 600 000 tués durant la guerre, 530 000 morts dans l’immédiat après-guerre pour cause de malnutrition et de mauvaise hygiène, 460 000 immeubles ont été rasés, 1 900 000 lézardés, les transports et l’industrie sont lourdement endommagés. La carte du pain, supprimée le 1er novembre 1945, est rétablie en décembre765. La priorité est donc au ravitaillement et à la reconstruction. Les appareils de production et d’exploitation de l’industrie cinématographique sont eux aussi très endommagés. Le PCF, qui grâce à son

764. Jenny Raflik-Grenouilleau, La IVe République et l’Alliance atlantique. Influence et dépendance (1945-1958), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 19. 765. Ibid. p. 35. 286

engagement dans la Résistance et grâce au prestige du peuple soviétique, développe l’image d’un parti responsable766, se lance dans la bataille de la production pour redresser l’économie et participer à la « renaissance française767 ». Néanmoins, malgré les efforts, le pays demeure affaibli. On fait donc appel à l’aide américaine, via un plan de redressement européen, qui deviendra le Plan Marshall. Selon Jenny Raflik-Grenouilleau, « l’ancrage de la France à l’Ouest, dans le domaine économique, paraît ainsi résulter davantage des besoins matériels de la France de l’après-guerre et des effets de la politique soviétique à l’Est que d’une volonté première. La France semble subir la guerre froide, et non la désirer. Il se trouve que l’argent, les matières premières, les céréales, et donc les moyens, sont aux États-Unis. C’est donc de ce côté que l’aide est attendue768. » L’opinion publique française est d’ailleurs majoritairement pacifiste. Un sondage réalisé en septembre 1946 montre qu’à la question : « si un conflit éclatait entre l’URSS et les États-Unis, de quel côté iraient vos sympathies ? 40 % répondent pour les États-Unis, 21 % pour l’URSS et 33 % aucun. Mais 82 % souhaiteraient que la France se tienne à l’écart d’un tel conflit. Au gouvernement, le Parti communiste soutien l’URSS, la SFIO défend un pacifisme en faveur d’une troisième voie européenne, le MRP est divisé sur la question769. Avec le Plan Marshall, les États-Unis proposent d’ouvrir de nouveaux crédits à des taux avantageux, à condition qu’ils renoncent à toute barrière douanière pour les produits américains y compris les films. « Bataille de la production oblige770 », le 28 mai 1946, le socialiste Léon Blum, représentant du gouvernement français, signe donc avec James Byrnes, représentant du gouvernement de Washington, des accords qui réservent aux films français seulement quatre semaines d’exploitation par trimestre sur les écrans nationaux (la corporation en prévoyait sept). Les accords sont ressentis par la profession, qui attendait une véritable politique d’aide au cinéma déjà réclamée par les députés communistes, comme une condamnation à mort du cinéma français. Outre- Atlantique en effet, le cinéma hollywoodien prospère et s’apprête à déverser en France les films interdits pendant l’Occupation et déjà rentabilisés sur les écrans nationaux. En

766. Le PCF est le premier parti de France, le parti des ouvriers et du peuple. 767. L. Marie, Le cinéma est à nous…, op. cit. p. 37. 768. J. Raflik-Grenouilleau, La IVe République et l’Alliance atlantique…, op. cit. p. 47. 769. Ibid.p. 41. 770. Ibid. p. 45. 287

1947, la production française accuse une baisse sensible alors que 338 films américains sont projetés sur le seul premier semestre771. Le 5 mai 1947, les dirigeants communistes français, qui s’inquiètent d’une dépendance accrue vis-à-vis des États-Unis dont l’aide revêt, selon eux, un caractère oppressant, sont exclus du gouvernement. Leur éviction marque un tournant vers une politique de guerre froide à l’extérieur et d’abandon de la démocratie à l’intérieur. Ils relancent la campagne contre les accords durant l’automne 1947. Aux yeux des communistes français, la domestication des écrans constitue un des enjeux du Plan Marshall et une emprise idéologique des Américains sur l’Europe. L’Humanité du 24 novembre 1947 relaye cette idée :

L’Amérique costumée en dame patronnesse, la main pleine d’accords commerciaux, prête à assumer à elle seule tout le business européen, n’est qu’une mise en scène à grand spectacle montée par les fanatiques du dollar pour couvrir un expansionnisme dont la virulence devient un danger mondial772.

Cette lutte contre les accords s’inscrit donc dans le discours plus général de la guerre froide où s’affrontent deux blocs antagonistes. Le PCF oppose les États-Unis, expansionnistes et impérialistes, à l’URSS, anti-impérialiste et démocratique. La condamnation qui en 1946 était essentiellement industrielle, économique et corporatiste devient idéologique. À l’instar du texte de Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, publié dans France Nouvelle le 7 novembre 1947 :

La question du cinéma français n’est pas seulement celle du profit réalisé par les Américains et de la ruine, du chômage, de la misère qui frappent les artistes, les musiciens, et les travailleurs des studios français. Il faut y voir un aspect de la préparation idéologique, à laquelle les Américains soumettent les peuples qu’ils se proposent d’asservir.

Ces propos montrent la vigilance des communistes qui suivent de près les affaires du cinéma. Leur but est d’optimiser la mobilisation dans les milieux cinématographiques où l’inquiétude est grandissante.

771. G. Sellier, « Le précédent des accords Blum-Byrnes », Le Monde diplomatique, novembre 1993, p. 15. 772. Texte cité dans L. Marie, Le Cinéma est à nous…, op. cit. p. 68. 288

Illustration 97. Mobilisation contre les accords Blum-Byrnes en 1948

Le 4 janvier 1948, une grande manifestation est organisée à Paris. Spectateurs et professionnels du cinéma, comme Simone Signoret, Jean Marais, Jacques Becker ou Gérard Philipe, défilent pour protester contre « l’invasion » des films américains sur les écrans français. La bataille se poursuit durant plusieurs mois – meeting, articles de presse, lettres de soutien – pour aboutir à la révision des accords en février 1948. La signature des accords de Paris en septembre parachève un « arrangement » : l’augmentation des quotas de quatre à cinq semaines toutes les 13 semaines et une loi d’aide à la production. La lutte contre les accords Blum-Byrnes demeure dans l’histoire de la mobilisation des professionnels du cinéma un moment historique, car elle a démontré la capacité de la corporation cinématographique à se mobiliser, une capacité qui ne s’est jamais démentie depuis773. En effet, la mobilisation pour la Défense du cinéma français de 1948 doit être en priorité considérée comme la défense d’une profession mise en danger par la concurrence du cinéma américain. Le mouvement émerge à la fin de l’année 1947 avec la création du Comité de défense du cinéma (CDCF), une initiative du Syndicat des techniciens de la production774. L’objectif du CDCF est d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur la situation difficile du cinéma national. 94 longs métrages ont été réalisés sur l’année 1946 et seulement 72 pour l’année 1947. Ajoutons que le cinéma souhaite retrouver son prestige d’avant-guerre où la production de long-métrages était de 123775. Le Comité revendique la renégociation des accords Blum-Byrnes, mais aussi un soutien financier de l’État à la production. Pour les membres du syndicat et du CDCF le bon

773. G. Sellier, « Le précédent des accords Blum-Byrnes », art. cit. 774. Le syndicat est alors présidé par Marcel L’Herbier, Claude Autant-Lara en est le secrétaire général. 775. Bulletin d’information du CNC, n°17, janvier-février-mars et avril 1951, p. 6 à 9, cité dans G. Vernet, « Aux origines d’un discours critique : "la tradition de la qualité" et "la qualité française". La bataille de la qualité ou la mise en place du soutien de l’État aux films de qualité en France (1944-1953) », op. cit. p. 203. 289

niveau de la production doit permettre le maintien de l’activité salariale et des conditions de travail décentes776. Au cours de l’année 1947, le chômage est croissant dans l’industrie cinématographique. Guillaume Vernet en cite les principales raisons : la baisse du nombre de films produits, le manque d’ambition économique des productions associées aux matériaux et équipements vétustes, à la réduction des équipes engagées777. Le CDCF publie constamment les chiffres du chômage des techniciens, comédiens et auteurs des films. S’ils sont difficilement vérifiables, ils traduisent la crainte d’un chômage massif et durable liée à la concurrence américaine, à ses conséquences économiques et sociales. Le 18 novembre 1947, L’Écran français publie « Devant la catastrophe qui menace notre cinéma, les techniciens français lancent un S.O.S…et proposent un plan au gouvernement ». Ils « veulent vivre, travailler, s’exprimer778 ». Les interventions du Comité suivent les revendications du syndicat et mettent la paralysie de la production et le chômage massif au cœur des revendications. Le 30 mai 1947, le Comité tient une assemblée générale où s’exprime Charles Spaak :

Si l’on ne nous aide pas, vous verrez un jour dans un livre, que René Clair a fini sa vie comme plongeur, Marcel Carné garçon de piste au cirque Médrano, vendant des cacahuètes à la sauvette pendant que Pierre Bost fera les cartes etc... […] Si vous ne nous aidez pas, nous allons mourir. […] Mais si nous mourons, vous aussi serez touchés, car vous aurez sur les écrans des films absolument inacceptables […]779.

Pour Charles Spaak une production de qualité est indissociable de ses auteurs, de leurs méthodes et de leurs conditions de travail. Depuis la fin de la guerre, la Fédération du spectacle-CGT est solidement implantée dans les studios de cinéma, les laboratoires et parmi les acteurs. Forte du soutien accordé par le PCF, elle lance deux campagnes de sensibilisation en direction de la profession et du public. La première en 1950 : L’Humanité dimanche publie le 3 septembre un manifeste de défense de la production nationale, parmi les signataires figure Gérard Philipe. La seconde en juillet 1952 : les accords de Paris arrivent à leur terme et les professionnels se mobilisent de nouveau. L’Écran français publie deux

776. Ibid. 777. G. Vernet, « Aux origines d’un discours critique : "la tradition de la qualité" et "la qualité française". La bataille de la qualité ou la mise en place du soutien de l’État aux films de qualité en France (1944- 1953) », op. cit. p. 203. 778. « Devant la catastrophe qui menace notre cinéma, les techniciens français lancent un S.O.S…et proposent un plan au gouvernement », L’Écran français, n°125 (18 novembre 1947), p. 2. 779. Charles Spaak, « Le cinéma français en cours d’assises. Le procureur a demandé la mort… » Les Lettres françaises, 3 juin 1948, p. 6. 290

manifestes « SOS pour le cinéma français » les 4 et 11 juillet. Gérard Philipe est de nouveau signataire aux côtés de Claude Autant-Lara, Jean Delannoy, Yves Montand ou Simone Signoret. Les campagnes en faveur du cinéma français valent au PCF la sympathie des professionnels du cinéma qui étendent leur soutien à d’autres manifestations dont le motif n’a plus rien de cinématographique.

B. Gérard Philipe sous les banderoles du Mouvement de la paix

Au-delà de la défense nationale de la production, la campagne du Combat pour la paix connaît un succès important dans le milieu du cinéma. Celle-ci est lancée par le Mouvement de la paix, une organisation pacifiste créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui milite contre le réarmement allemand, la bombe atomique et pour le désarmement général. Le Mouvement de la paix génère des mouvements de masse en Europe qui « furent perçus par les croisés de la guerre froide comme des armes secrètes des communistes780. » Pour Éric Hosbawm,

Le Mouvement de la paix vise par le truchement de dispositif de sensibilisation, à apeurer afin de susciter l’engagement contre les armes nucléaires et la menace de guerre. Il participe à un « environnement atomique », soit « le contexte créé par des acteurs multiples (médias, artistes, les actions engagées etc...) qui vont rendre visible la menace, la présenter/représenter/voire manipuler, par des images, des discours, et qui vont en filigrane, volontairement ou non, être éventuellement des sources et des vecteurs d’émotions781.

Pour Isabelle Michot, le Mouvement de la paix fait partie des « entrepreneurs en émotions782 » qui établissent des dispositifs de sensibilisation pour convaincre l’opinion

780. Éric Hobsbawm, L’Âge des extrêmes. Histoires du court XXe siècle, Bruxelles, éd. Complexe, 1994, p. 318. 781. Isabelle Michot, « Émotions nucléaires. La population française face à la menace nucléaire 1950- 1960 », Philipe Buton, Olivier Büttner et Michel Hasting (dir.), La Guerre froide vue d’en bas, Paris, CNRS éditions, 2014, p. 290. 782. Traïni Christophe dans « Des sentiments aux émotions (et vice-versa) », Revue française de science politique, 2010/2, vol. 60, p. 335-338. 291

d’abonder dans leur sens783. En 1950, le Mouvement appelle à la création d’assises locales et définit en interne les moyens à mettre en place pour toucher la population :

1) Choisir une thématique susceptible d’émouvoir le plus grand nombre de partisans de la paix, toute obédience confondue.

2) Viser en priorité certaines catégories de la population pouvant contribuer à la popularisation de l’appel. 3) Assurer une diffusion massive par tous les vecteurs d’information disponibles (tracts, affiches, presse etc...) 4) Publier un dépliant montrant les dangers qui menacent le pays784.

En France, la campagne du Combat pour la paix débute avec « l’appel de Stockholm » contre la bombe atomique et le risque d’une troisième guerre mondiale, en mars 1951. L’appel est relayé par les partis communistes dans le monde et signé par de nombreux intellectuels, artistes et personnalités du cinéma. Gérard Philipe est l’un des premiers signataires. On retrouve aussi Louis Aragon, Yves Montand, Pablo Picasso ou Simone Signoret. Les représentants de l’intelligentsia occidentale sont peu à peu enrôlés dans une lutte idéologique785. Durant l’année 1950, des magazines proches du PCF, comme L’Écran français, consacrent plusieurs colonnes à cette manifestation. Des pétitions circulent sur les plateaux de tournage pour sensibiliser un maximum de professionnels. Nombre d’entre eux ne sont pas adhérents au parti, mais « compagnons de route ». Dans son ouvrage Au service du Parti, Jeanine Verdès-Leroux éclaire sur la nature de cet intérêt porté aux personnalités : « La direction communiste eut l’habileté de maintenir hors de ses rangs des artistes, des intellectuels prestigieux, fort justement, qui par leur personnalité, leur autonomie, leur désintéressement, risquaient de créer rapidement des problèmes et d’être perdus pour le parti786. De fait, si leur renommée rejaillit sur le parti, leur distance permet aussi habilement de véhiculer les idées communistes sans qu’ils soient officiellement associés au parti. Les couples Simone Signoret-Yves Montand et Anne-Gérard Philipe sont des figures de proue. Comme beaucoup, ils sont attirés par le communisme après la victoire de l’armée rouge à

783. I. Michot, « Émotions nucléaires. La population française face à la menace nucléaire 1950-1960 », op. cit. p. 290 784. Ibid. p. 291. 785. Jeanine Verdès-Leroux, Au service du Parti. Le Parti communiste, les intellectuels et la culture (1944-1956), Paris, Éditions Fayard / Éditions de Minuit, 1988, p. 161. 786. Ibid. p. 161. 292

Stalingrad qui a redonné une aura à l’Union soviétique et à son leader Staline. Le rôle du PCF dans la Résistance suscite leur admiration. Dans une interview réalisée par Hervé Hamon le 30 mars 1989, Anne Philipe témoigne :

Nous n’étions pas membres du parti communiste, mais le parti était pour nous un facteur de paix. Notre engagement a commencé au moment de l’appel de Stockholm. J’étais allée au congrès de Vienne. Nous étions encore très proches de la guerre et nous avions le sentiment que les Etats-Unis étaient très agressifs. La guerre de Corée, l’affaire des époux Rosenberg, la chasse aux sorcières – autant d’éléments qui nourrissaient l’antiaméricanisme787.

Cependant la foi en l’URSS, camp de la paix, s’ébranle durant l’année 1956 avec les événements de Hongrie et la publication du rapport Khrouchtchev « sur les crimes de Staline »788. Fort de ses succès au cinéma, avec des films bien exportés, et au théâtre, avec les tournées du TNP, Gérard Philipe est un acteur très apprécié dans les démocraties populaires. En 1955, membre de la délégation française pour la semaine du cinéma français en URSS, du 17 au 24 octobre, il joue le rôle d’ambassadeur de la France à l’étranger. Ce voyage a des visées culturelles et idéologiques, car c’est en tant que star, mais aussi pour ses sympathies communistes, que Gérard Philipe est choisi. Le Bulletin Unifrance film de 1955 illustre bien cette dimension idéologique en retraçant le match France-URSS qui n’a rien de cinématographique :

Jamais dans l’histoire les deux pays n’avaient engagé l’un contre l’autre leur équipe nationale, et l’événement était pour les sportifs, dont je ne suis pas, un événement sans précédent connu. Des inscriptions en français saluaient nos joueurs, les drapeaux tricolores flottaient à côté des drapeaux rouges et bientôt les haut-parleurs firent retentir La Marseillaise et l’Hymne soviétique. […] Sous les flashs, sous les appareils, sous les caméras de cinéma et de télévision, notre Fanfan la Tulipe donna le coup d’envoi789.

Ces mots de Georges Sadoul témoignent d’un désir d’entente fraternelle entre les deux pays et en donnant le coup d’envoi, Gérard Philipe en devient le représentant physique. Grâce à sa renommée, en tant qu’acteur, son engagement politique à gauche et sa visibilité dans les campagnes du Mouvement pour la paix, Gérard Philipe jouit

787. G. Bonal, Gérard Philipe, op. cit. p. 70. 788. Nous précisons ces éléments par la suite (voir 4e Part. chap. 9). 789. CF, Fonds AGP, boîte 45 (bulletin Unifrance film, 1955). 293

d’une grande popularité dans la presse communiste, et ce, bien que ses films ne correspondent pas aux préceptes du réalisme socialiste790. Dans le contexte de la Guerre froide, le Parti communiste réalise des films, pour l’essentiel des documentaires et des œuvres de propagande. Louis Daquin est le chef de file du réalisme socialiste français. Laurent Marie énonce les caractéristiques des films réalistes socialistes : « l’esthétisme, l’intellectualisme et le pessimisme doivent être bannis ; la gentillesse, la bonté, le bonheur conjugal, la droiture morale te le patriotisme sont encouragés791. » Selon le cinéaste Marianske-Lazne, « La véritable mission de l’art cinématographique est de participer au progrès social et à l’élaboration du bonheur de l’Humanité792. » Pour l’Écran français, « les bons films sont ceux qui aident le peuple dans sa marche vers l’avenir793. »

C. La presse communiste : une appropriation idéologique de la star militante

Dans les années 1950, Gérard Philipe demeure l’ambassadeur le plus séduisant du PCF. Dans Les Lettres françaises le 21 mai 1954, Georges Sadoul explique que dans La Beauté du diable, adaptation du mythe de Faust, par René Clair :

Illustration 98. Affiche du film La Beauté du diable et photographie promotionnelle de Gérard Philipe

790. L. Marie, Le cinéma est à nous…, op. cit. p. 90-91. 791. Ibid. p. 90. 792. Marianske-Lazne cité dans Ibid. 793. « Le cinéma d’essai est-il une mystification ? », L’Écran français, n°252 (1 mai 1950), cité dans Ibid, p. 91. 294

Philipe redevint le haut-parleur de son temps, et de sa patrie. Un soir en 1949, à Montreuil, Aragon qui venait d’applaudir ce nouveau film, saluait Jolio-Curie, en le comparant au Chevalier Henri, dont la personnalité dominait ce troisième Faust. Tandis que parlait le poète, un feuillet circulait de table en table, que nous étions les premiers à signer, sans savoir que ces vingt-cinq lignes allaient s’appeler pour les 500 millions qui les contresignèrent, l’Appel de Stockholm. L’homme Philipe allait aussi dignement que le chevalier Henri contribuer à cette grande action collective.

Georges Sadoul développe le principe de contemporanéité : « notion qui selon lui dépasse les sujets pris sur le vif, mais s’étend à des événements anciens possédant une profonde résonnance dans notre époque794 ». Cette notion justifie donc l’engouement du journaliste pour un film en costumes, perçu comme témoignage sur le présent, à un moment où Gérard Philipe lutte pour la paix dans le monde. Derrière un ton comique, le film véhicule un discours fataliste, à l’instar des derniers plans (photogrammes ci- après).

Illustration 99. Photogrammes du film La Beauté du diable

794. Ibid. p. 110. 295

Comme le suggère Georges Sadoul, Gérard Philipe apparaît comme l’ambassadeur de la culture française. Mais plus que ses personnages ou son jeu d’acteur, il semble que ce sont ses engagements dans la défense du cinéma français et le Combat pour la paix qui ont rendu possible une telle visibilité. La lutte contre les accords Blum-Byrnes et les manifestations menées en faveur de la paix révèlent l’ardeur militante de Gérard Philipe. Mais elles sont aussi le moyen pour le parti communiste d’exploiter la notoriété de la vedette à des fins idéologiques. Sa posture politique entre en résonnance avec son engagement syndical.

II. Gérard Philipe, sa solidarité et son activisme syndical

Comme l’écrivait Marie-Ange Rauch, « compagnon de route » du PCF et militant du Mouvement de la paix, Gérard Philipe « jouit d’une popularité médiatique exceptionnelle795» quand il émerge à la tête du syndicat des acteurs. Militant sur le terrain politique, il lutte avec la Fédération nationale du spectacle-CGT pour la défense du cinéma français, s’engageant ainsi sur la voie du syndicalisme. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la IVe République rétablit la liberté syndicale. En parallèle, les réorganisations dans l’industrie cinématographique et les bouleversements du paysage culturel génèrent une crise au sein du syndicat des acteurs qui nécessite une modification totale de sa structure interne.

A. Restructuration à la Libération : les premiers pas du militant syndical

À la Libération, l’organisation et les ressources financières du Syndicat national des acteurs (SNA) sont fortement affaiblies. Le secrétaire général Jean Darcante, qui a noué de solides liens avec les dirigeants de la Fédération du spectacle pendant la guerre en œuvrant pour le Syndicat clandestin des acteurs-CGT, tente de consolider l’identité syndicale. Il est partisan d’un combat plus offensif et cherche à ramener l’ensemble de la profession sur le terrain syndical en portant un intérêt particulier aux vedettes. Il fait adopter le principe d’une retenue de 1 % des salaires perçus. Cette cotisation est destinée à financer le fonctionnement du syndicat, car le cachet des vedettes étant

795. M-A. Rauch, De la cigale à la fourmi…, op. cit. p. 20. 296

nettement plus élevé que celui des autres membres de la profession, elle est le meilleur moyen pour réapprovisionner les caisses du SNA. Il est aussi à l’origine de la création du Bureau V796, en novembre 1946, défini dans le Bulletin du SNA de juin comme : « un organe consultatif sur certaines questions relatives à ces catégories d’acteurs (les vedettes) et également un organe représentatif qui symboliserait, dans des manifestations importantes, la preuve de la solidarité effective de notre profession797. » Les vedettes du Bureau V mettent leur renommée au service de la lutte syndicale, en étant délégués syndicaux des acteurs dans leurs projets cinématographiques. Gérard Philipe, délégué syndical sur les tournages du Diable au corps et de La Chartreuse de Parme, y siège dès sa création. Sur le tournage du Diable au corps, Gérard Philipe s’intègre dans une équipe professionnelle syndiquée. Rappelons-nous qu’à cette période Claude Autant-Lara est très lié à la CGT, d’abord au sein du syndicat des techniciens, et, à partir de décembre 1947, en tant que l’un des fondateurs du Comité de Défense du cinéma français, qui milite contre les accords Blum-Byrnes798. Or Le Diable au corps résulte d’un contrat passé entre le producteur autrichien-américain Paul Graetz et la vedette française Micheline Presle. Son plan de financement indique que 75 % des fonds proviennent de la société Universal et 25 % de Transcontinental Films799. Les auteurs et le producteur s’opposent alors sur trois points800. L’équipe du film s’engage donc dans de longues luttes au sujet du scénario et des rôles respectifs du producteur, du réalisateur et des auteurs. « Ces batailles verront une mobilisation syndicale en faveur d’une défense des « valeurs françaises » d’un cinéma indépendant et libre d’expression face à un

796. « Bureau V » : le V est employé pour désigner les vedettes. Citons chez les femmes : Berthe Bovy, Marguerite Deval, Gabrielle Dorziat, Edwige Feuillère, Marcelle Géniat, Jany Holt, Claire Maféi, Simone Rénant, Madelene Sologne, Valentine Tessier, Françoise Rosay, etc... Chez les hommes : Lucien Baroux, Pierre Blanchar, Jean-Louis Barrault, Bernard Blier, André Budino, Duvallès, Fernandel, Jean Gabin, Fernand Gravey, Fernand Ledoux, André Luguet, Jean Marais, François Périer, Pierre-Richard Wilm, Raymond Rouleau, Charles Vanel… (pour plus d’informations voir M-A. Rauch, De la cigale à la fourmi…, op. cit.). 797. M-A. Rauch, De la cigale à la fourmi…, op. cit. p. 243. 798. Selon Jean Aurenche, c’est Max Douy qui aurait introduit le réalisateur au sein du CGT, pour le blanchir de certains propos antisémites tenus pendant l’Occupation. J. Aurenche, La Suite à l’écran : entretiens, Arles, Institut Lumière/Actes Sud, 1993, p. 131. Voir aussi Sylvie Lindeperg, Les Ecrans de l’ombre, op. cit., p. 59, 349 et Jean-Pierre Bertin-Maghit, Le Cinéma sous l’Occupation. Le Monde du cinéma français de 1940 à 1946, Paris, Orban, 1989, p. 10. 799. Fonds Claude Autant-Lara, dossier 92/1 A7, Cinémathèque suisse, (plan du financement du Diable au corps, 2 juillet 1946). 800. Le premier concerne les coupes exigées par Graetz ; le deuxième vise une séance de précritique organisée par Paul Graetz à l’insu des auteurs et des acteurs du film ; le troisième touche au générique, où Paul Graetz refuse d’accorder à Claude Autant-Lara le statut d’auteur ou de réalisateur, le reléguant au rôle de metteur en scène. 297

« patronat » américain caractérisé par le souci d’argent et une certaine lâcheté face à la censure801. » Paul Gaetz réussira malgré tout à imposer quelques coupures. Jusqu’en 1948, le SNA enchaîne donc les victoires syndicales auréolées d’un optimisme qui s’estompe dans la décennie suivante. Les années cinquante, marquées par une évolution technique et économique des modes de production dans les secteurs du cinéma, des variétés et de la synchronisation, appellent à une réaction rapide du SNA, car de telles innovations ne peuvent être sans répercussion sur le droit et l’emploi des artistes interprètes. Jean Darcante accuse les dirigeants du Conseil syndical802 d’inertie et de gérontisme, face aux bouleversements survenus dans le paysage culturel. Le Conseil est composé en majorité d’acteurs retraités dont l’attitude conservatrice conduit, selon lui, à l’immobilisme. Écarté de la direction syndicale en 1954, Jean Darcante rassemble un pôle contestataire de jeunes syndicalistes et personnalités médiatiques dont Gérard Philipe fait partie. Ensemble, ils espèrent peser dans les décisions du Conseil. Leurs critiques ciblent une insuffisante prise en compte des progrès techniques, la question du théâtre populaire et de la décentralisation théâtrale, à l’exemple de ce discours de Jean Darcante à l’assemblée générale de mai 1957 :

Que s’est-il passé en 1956 ? Un événement important certes, mais un seul. Nous attendions une retraite complémentaire depuis longtemps, nous l’avons […] Or, en réalité, qu’a réalisé la majorité actuelle du conseil syndical en marge du travail du secrétaire général pour la retraite ? Exactement rien ! Au théâtre, rien ! Au cinéma, rien ! À la radio, rien ! A la synchro, rien ! En province, rien803 !

Comme l’écrit Marie-Ange Rauch, ces querelles opposent deux conceptions du syndicalisme : « les partisans d’une gestion tempérée de l’application aux métiers du spectacle des acquis sociaux des travailleurs ; de l’autre, les partisans d’un syndicalisme plus combatif, qui entendent promouvoir de nouvelles lois pour gérer l’évolution du paysage culturel804 ». Jean Darcante et ses sympathisants souhaitent rénover la composition du Conseil syndical. Ils veulent en finir avec la représentativité des anciens et la charité des vedettes, matrices originelles de l’ancienne Union des artistes.

801. S. Leahy, « Genèse du Diable au corps. Une recette française pour un scénario de « qualité » ? », op. cit. 802. Gaby Morlay (présidente), Gaston Severin, Marcel André, Jean Toulout, Raoul Macro, Raoul Girard, etc… Les personnalités influentes du Conseil sont des acteurs à la retraite qui disposent de davantage de temps que les acteurs en activité, voir M-A. Rauch, De la cigale… op. cit. p. 303. 803. Ibid. p. 312. 804. G. Bonal, Gérard Philipe, op. cit. p. 109. 298

B. L’émergence de Gérard Philipe et la création du Comité national des acteurs

La résistance des anciens du Conseil est vive. Jean Darcante, compte tenu de ses querelles avec les membres du Conseil, de ses ambitions personnelles et de son étiquette politique très proche du parti communiste, ne peut prendre la tête du mouvement contestataire. Il envisage donc, avec ses sympathisants, un nouveau chef de file : une personnalité médiatique et engagée politiquement, mais sans être affiliée à un parti politique, celle-ci ne devant pas être compromise par les conflits internes de l’après- guerre. Leur choix se porte rapidement sur Gérard Philipe qui, ayant suivi les différentes mobilisations corporatistes, jouit d’une forte popularité au sein du syndicat et dans l’opinion publique. Avec l’approbation de Jean Darcante, Bernard Blier part donc à la rencontre de Gérard Philipe qui tourne Les Grandes Manœuvres en 1955. Entre deux prises, Bernard Blier lui expose les problèmes syndicaux : « J’ai trouvé un gars prudent, réfléchi, qui avait besoin d’être renseigné. […] J’ai parlé le plus possible de tout ce qui nous agitait à l’époque et comme je n’avais pas tous les atouts dans la conversation j’ai demandé à Jean Darcante de venir le voir805. » Jean Darcante et Gérard Philipe s’entretiennent au printemps 1957 et ce dernier qui maîtrise désormais les données du problème apparaît comme le leader idéal. En juin 1957, une quarantaine d’acteurs dont Gérard Philipe, déposent une motion qui reprend les exigences exposées lors de l’assemblée générale de mai. Ils réclament la démission collective du Conseil, le remaniement des statuts pour écarter les membres trop âgés des élections et de leur présence au Conseil lors des nouvelles élections. Les contestataires menacent de démissionner si la motion n’est pas adoptée. Pour contrer la rébellion, le Conseil organise des élections anticipées le 19 juin. Les opposants sont pris de court car une fois de plus la technique des mandats ne leur a pas permis de se faire élire. Ils lancent un dernier appel et exigent de nouvelles élections générales, mais le Conseil syndical durcit sa position. Le procès-verbal de l’assemblée du 28 juin stipule que « Le Conseil syndical se considérant, après les élections du 19 juin, comme régulièrement mandaté par la profession, décide de se remettre immédiatement au travail pour la défense de nos intérêts professionnels ; appelle tous les adhérents à

805. A. Philipe et C. Roy, Souvenirs et témoignages, op. cit. p. 259. 299

l’unité dans le calme et la discipline et exclut définitivement tout débat n’ayant pas pour objet la seule action syndicale. » Le processus de scission est irréversible et à partir du 1er juillet, conformément à la menace du 6 juin, les démissions adressées au SNA se succèdent806. Les démissionnaires lancent la grève du versement du 1 % du salaire qui assure la cotisation du syndicat. À titre indicatif, la cotisation de Gérard Philipe est d’environ 279 000 francs807. Les 1 % sont transférés sur un autre compte qui permet le lancement d’un syndicat autonome en août 1957, le Comité national des acteurs (CNA). Lors de l’assemblée constituante du 29 septembre, Gérard Philipe est élu président. Il est entouré de sept secrétaires de sections (dramatique, lyrique, cinéma, télévision et variétés) formant le Conseil syndical. La presse généraliste ou spécialisée relaye le conflit interne au syndicat des acteurs. À droite, on prône à la fois un conflit générationnel et une lutte entre deux conceptions du syndicalisme comme responsables de la scission, à l’instar de cet article paru dans Arts, le 3 juillet 1957, « Guerre chez les acteurs entre les retraités et les jeunes » :

Pour comprendre la situation, il faut savoir que la majorité regroupe des retraités, des artistes exerçant un second métier et les « ennemis » personnels de Jean Darcante. La minorité réunit, à quelques exceptions près, tous les éléments valables de la profession dont la compétence et l’activité sont incontestables. […] Tous les membres minoritaires du conseil ont démissionné pour protester contre leur étouffement par une majorité statique et inconsciente des véritables problèmes808.

Dans un contexte où les jeunes critiques d’Arts, futurs cinéastes de la Nouvelle Vague, tentent de détrôner leurs aînés, dont ils fustigent le cinéma vieillissant, cette bataille générationnelle est une aubaine. La presse de gauche, comme L’Humanité, donne la parole aux acteurs démissionnaires. Elle affiche son soutien et légitime leur acte de rupture en publiant un extrait du premier Bulletin du CNA paru en août 1957 « Pourquoi nous sommes partis » :

806. Fonds SFA, boîte 175 J 40 (lettre de démission générale, écrite par Gérard Philipe le 2 juillet 1957). 807. CF, Fonds AGP, boîte 2, dossier 41 (documents divers associés aux conditions d’engagements pour Les Grandes manœuvres). Selon l’Insee, en valeur absolue, 279 000 francs équivaut environ à 5 301 euros. 808. Fonds SFA, boîte 175 J 40. 300

Parce que… tout en reconnaissant que le Syndicat national des acteurs est dangereusement encombré d’une foule de non professionnels, la direction syndicale, qui trouve là sa clientèle électorale, s’est opposée par tous les moyens aux réformes de structure proposées par les minoritaires. Parce que… il a été démontré de façon probante que, depuis trois ans, aucun résultat même d’envergure moyenne n’a été atteint sur le plan de la défense de nos intérêts professionnels. Parce que… en plus de toute tactique syndicale à rénover, il y avait effectivement sur le plan du spectacle des objectifs à atteindre. Parce que… à la tête du SNA à certains des postes clés, sont parvenus et se maintiennent à tout prix des conseillers dont la qualification est médiocre quand elle n’est pas nulle. […] Oui, ajoute Gérard Philipe « c’est en conscience que nous n’avons pas maintenu l’unité à tout prix, car le prix à payer, c’était la vie même de notre profession809.

Prônant une nouvelle forme d’organisation syndicale associant vitalité d’action dans la défense professionnelle et solidarité, Gérard Philipe répond à une crise de conscience qui marque le syndicat. Au lendemain de la parution du Bulletin du CNA, le SNA publie « Lettre à un acteur démissionnaire » qui vise à décrédibiliser les scissionnistes. Ces derniers sont accusés de manipulation, de démagogie, de propagande et de mépris des lois syndicales, comme le montrent les derniers mots du courrier du SNA :

La liberté d’opinion et le jeu de la démocratie prévus et assurés par les principes fondamentaux du syndicalisme ne sauraient justifier ni tolérer la constitution d’organisme agissant dans les syndicats comme fraction dans le but d’influencer et de fausser le jeu normal de la démocratie dans leur sein810.

À la fin des années cinquante, le SNA est considéré comme la seule organisation syndicale capable de représenter les acteurs. Aussi, le départ des démissionnaires momentanément séparés de la Fédération du spectacle-CGT constitue un risque pour la profession. Déjà, après la lutte contre les accords Blum-Byrnes, eut lieu une scission au sein de la CGT entre les partisans et les adversaires de l’aide américaine. À la suite de cette rupture, la CGT-FO, aidée par les syndicats nord-américains et financée par la CIA, crée un syndicat d’artistes annexe mais sans force réelle. Rapidement, les scissionnistes souhaitent réintégrer les rangs de la Fédération et reconstruire un grand syndicat pour la profession.

809. Fonds SFA, boîte 175 J 55. 810. Ibid. boîte 175 J 40. 301

C. La création du Syndicat français des acteurs : Gérard Philipe président de choc

Gérard Philipe, qui est parfaitement conscient de la gravité de la situation, fait appel aux dirigeants de la Fédération du spectacle. Le 17 juillet 1957, il envoie une lettre à son président Claude Autant-Lara, où il exprime son désir de rattachement et sollicite une intervention.

Comme les papiers que tu as pu compulser te l’ont montré, nous nous sommes séparés, la mort dans l’âme, du siège de notre Syndicat […] La séparation de la Fédération du spectacle n’est qu’apparente et par tous les moyens qui paraîtront possibles à la Fédération, nous demandons, nous souhaitons notre rattachement811.

Le 26 novembre, Claude Autant-Lara lui répond : « Il est indispensable que la Fédération nationale du spectacle prenne l’initiative de tout mettre en œuvre pour permettre la réunification du mouvement syndical chez les acteurs. À cet effet, il nous semble utile d’avoir, dans les meilleurs délais, une nouvelle entrevue avec votre délégation812. » C’est donc à la suite des contacts pris avec la Fédération que les représentants du SNA et du CNA approuvent l’idée d’une possible réunification. Celle- ci doit se faire dans le cadre d’une troisième organisation, adhérente à la Fédération, qui entraînera simultanément leur dissolution. La presse, bien au courant de la situation, relaye l’information. Elle insiste aussi sur la forte personnalité de Gérard Philipe qui a gagné en notoriété. L’article intitulé « Sagesse syndicale », paru dans La Cinématographie française le 7 mai 1958, met en lumière la capacité d’action, les idées progressistes et les acquis du groupe emmené par l’acteur :

811. Ibid. 812. Ibid. 302

En somme, il ne se sera agi que d’une fugue destinée à secouer les routines et à injecter un sang nouveau dans le vénérable organisme de la rue Monsigny. Pendant la courte période d’activité autonome du groupe Philipe, celui-ci a acquis certains avantages, plus particulièrement dans le domaine théâtral. Lorsque les deux syndicats fusionneront, ils auront vraisemblablement à mettre en commun leurs victoires respectives813.

Le 15 juin, se tiennent les assemblées générales ordinaires du SNA et du CNA où doit être votée la proposition de réunification, suivies d’une assemblée extraordinaire réunissant les conseillers élus. Le 1er Courrier d’information du SFA en août retranscrit le déroulement des assemblées générales du 15 juin814. Le débat au sein du SNA est virulent et ravive des tensions anciennes que Louis Arbessier tente d’apaiser. Il voit en Gérard Philipe un représentant de l’avenir du syndicat, chez qui il reconnaît des qualités humaines et décisionnelles : « Mes chers camarades, oubliez Jean Darcante815. Puisqu’il n’est plus là, ne vous souvenez que des services rendus. Enterrez les lamentables erreurs. Pensez que Gérard Philipe, notamment, est un homme d’entière bonne foi dont l’action est de jour en jour plus constructive et plus admirable. » Malgré les réticences du côté du SNA, les nouveaux statuts et la nouvelle organisation sont votés à la majorité. Le 15 juin 1958, c’est donc au titre de coprésidents que Jacques Dumesnil (ancien président du SNA) et Gérard Philipe signent le procès-verbal816 de l’assemblée générale du Syndicat français des acteurs (SFA), marquant la création officielle de ce nouveau syndicat. Mais Jacques Dumesnil abandonne son poste en décembre, laissant Gérard Philipe seul président. Par la suite, Gérard Philipe souhaite construire rapidement un syndicat moderne, comme il l’expose dans le 1er Courrier d’information du SFA en juillet 1958 ; son souci immédiat est de former une véritable équipe « saisie d’un élan nouveau » :

813. Ibid. 814. Fonds SFA, boîte 175 J 55. 815. Jean Darcante, en revendiquant des actions revendicatives plus offensives (manifestes, manifestations de rue, recours à la grèves...), se distinguait du Conseil syndical plus conservateur. Ce dernier lui reproche de prendre des décisions seul et l’accuse d’autoritarisme. Il est progressivement mis en échec aux élections et écarté des postes de direction du syndicat. 816. Fonds SFA, boîte 175 J 40. 303

Les acteurs qui vont vous représenter se répartissent différentes tâches que doit assumer la direction. Le fonctionnement de l’organisme directeur du SFA présente alors d’énormes avantages. Vos conseillers syndicaux se spécialisent en sections (théâtre, cinéma, diffusion sonore, TV) en commissions (réorganisation, information, gala de l’Union etc...) et seront personnellement responsables devant vous en assemblée générale817.

Il espère aussi une mobilisation de tous les militants, dont il juge les actions et les propositions essentielles à la bonne marche du syndicat :

Comment renforcer l’action ? En manifestant comme vous l’avez fait à de nombreuses périodes, un civisme syndical exemplaire. En écrivant à vos sections : sur un salaire de radio, sur les heures supplémentaires au cinéma, sur les 15 jours de répétitions que les tourneurs vous demandent, etc…818

Enfin, pour conclure, il en appelle à l’unité de la profession : « c’est aussi l’union des cœurs, c’est la conscience d’avoir dépassé les questions de personnes et la certitude de n’avoir plus en commun, qu’un souci : la défense de la profession819. » En essayant d’améliorer les conditions matérielles des acteurs, Gérard Philipe conduit aussi attentivement le mouvement de protestation professionnel contre les bas salaires. Le samedi 14 mars 1959, il appelle à un arrêt du travail d’une demi-heure. La lettre qu’il adresse le 12 mars aux membres du SFA expose une situation difficile qui justifie ses motivations :

817. Fonds SFA, boîte 175 J 55. 818. Ibid. 819. Ibid. 304

Si samedi soir, un seul théâtre se dérobait à la solidarité de tous, ce serait une atteinte sévère à notre communauté, un coup fatal à notre lutte constante pour maintenir à notre profession des salaires minimaux décents, ce serait, pour des années peut-être, notre Organisation réduite à l’impuissance, car cet échec se répercuterait dans toutes les branches de notre activité. Il n’y a donc pour personne, syndiqué ou non-syndiqué, aucune ambiguïté ni faux-fuyant possible. Nous avons le droit de demander que les plus bas salaires de nos camarades soient augmentés, nous avons le droit de penser qu’un refus brutal de toute discussion est totalement injustifié, nous avons le droit d’affirmer que nous restons mesurés et dignes dans notre action, en limitant notre avertissement à un simple retard du lever de rideau dont le public lui-même a été averti820.

En 1957, le Syndicat des directeurs avait accepté de rencontrer les acteurs et entendu leurs protestations contre les bas salaires. Or, deux ans après, ils changent d’attitude, c’est en toute connaissance de cause que les directeurs ignorent le Code du travail, demandant aux comédiens de modifier sensiblement les termes même de leur contrat, lorsque l’échec d’une pièce les met en difficulté. Au-delà des faibles rémunérations, le chômage est aussi un des maux de la profession. Dans une interview pour France Télévision, Gérard Philipe alerte l’opinion publique :

Illustration 100. Gérard Philipe sur le plateau télévision

820. Fonds SFA, boîte 175 J 250. 305

Le nombre de chômeurs est difficile à déterminer (la raison est simple, ceux qui ne travaillent pas ont quelque honte à aller se faire pointer rue Taitbout). Nous sommes 5000 acteurs dont 1500 actifs. […] Tout est facile pour les acteurs qui travaillent 12 mois par an comme c’est le cas pour Patate821, mais de nombreux acteurs ne jouent qu’un mois et ce sont ces acteurs qui sont à plaindre822.

Le président du SFA ne songe pas seulement au relèvement des salaires de base, il inscrit son activité syndicale dans un véritable plan de réorganisation des domaines artistiques à l’échelle nationale. Dans les années cinquante, les professionnels du spectacle ne cessent d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur la situation toujours plus grave du théâtre en province. Très souvent, leurs demandes se heurtent à l’argument financier. Cependant, l’essor de la télévision et la tendance à la centralisation des activités artistiques sur Paris, qui risquent d’anéantir la vie culturelle en province, supposent une solution d’urgence. Dans les objectifs du CNA, Gérard Philipe avait déjà exprimé son désir de rapprocher Paris et la province, et ce sont sans doute son expérience au Théâtre national populaire de Jean Vilar, puis sa participation au festival d’Avignon, qui l’amènent à repenser les conditions de la vie artistique sur le territoire national. Gérard Philipe est membre du TNP depuis 1951. L’ambition de Jean Vilar était de rompre avec le huis-clos parisien où le théâtre était prisonnier de son public bourgeois, « divisé et aliéné823 ». Comme l’écrit Jacqueline Jomaron, dans Le théâtre en France. De la Révolution à nos jours : « Il faut donc le rendre à son légitime propriétaire, le peuple. En faire le bien commun de la nation824. » Jean Vilar part à la conquête d’un public de masse, auquel il fournit un répertoire issu du patrimoine littéraire et théâtral, réservé jusqu’ici à une élite cultivée de la bourgeoisie parisienne. L’aventure prendra tout son éclat dans la cour du Palais des Papes à Avignon. Si le TNP engage des comédiens très divers, Gérard Philipe est une des figures phares qui va poursuivre avec le syndicat le mouvement de la décentralisation. Ainsi, dans le 3ème Courrier d’information du SFA, en octobre 1958825, est exposé un plan de réorganisation du théâtre dramatique et lyrique destiné à alléger le problème du chômage et à apporter aux

821. Patate est une pièce de boulevard créée en 1957 par . 822. Fonds SFA, boîte 175 J 250. 823. Jean Vilar cité dans Jacqueline Jomaron, Le théâtre en France. De la Révolution à nos jours, Paris, Armand Colin, 1989, p. 458. 824. Ibid. 825. Fonds SFA, boîte 175 J 55. 306

villes de province une activité aussi nouvelle et intéressante qu’à Paris. Deux lettres de Jean Vilar adressées à Gérard Philipe prouvent l’engagement de l’acteur :

Lettre 1.

Gérard, tu n’es pas pour moi que Rodrigue ou Hombourg, ou Lorenzo. Tu es le seul comédien de la génération d’après-guerre qui ait compris sentimentalement le problème populaire. Car c’est ainsi (hors nos questions de gestions, hors nos budgets particuliers) sentimentalement qu’il faut le traiter, ce Théâtre populaire. J’aime X… par exemple, mais X… vient en ami et comme en visite. On ne se trompe pas sur cela826.

Lettre 2.

Monsieur le Président,

1) Puis-je vous demander et vous prier de ne point faire de réunion syndicale dans le théâtre et à l’entracte d’une œuvre dont vous avez la responsabilité scénique par ailleurs (Lorenzaccio, le lundi 29 décembre 1958)

2) Puis-je vous demander et vous prier de ne point faire de réunion, en tant que Président du Syndicat des Acteurs, dans les bureaux du TNP, s’il vous plait. J’admire tes projets mais sont-ils les nôtres !

Je pense te parler désormais aussi fermement, jusqu’au moment où tu comprendras bien quelle sorte de fidélité me lie à toi, mais quel genre d’insolence m’en sépare.

Tibi le Suresnois,

Vilar827

826. Association Jean Vilar (AJV), Avignon (Lettre de Jean Vilar, 1954). 827. AJV, Avignon (Lettre de Jean Vilar, 1958). 307

Illustration 101. Claude Roy, Anne et Gérard Philipe, manifestation du 4 mai 1958 à Paris

Gérard Philipe est un acteur prolifique, mais qui même pris par des projets à l’étranger, continue de suivre les activités du syndicat. Le Conseil lui fait parvenir des copies des procès-verbaux, des projets et des textes officiels. Les feuilles annotées et les brouillons de réponses conservés dans les archives du comédien prouvent, que malgré son éloignement, Gérard Philipe s’investissait dans son rôle de président. La lecture des procès-verbaux qu’il fait sur le tournage de La Fièvre monte à El Pao en février 1959 au Mexique, l’amène à établir un bilan de la situation et des activités du syndicat. Il envoie six pages manuscrites et deux dactylographiées, où il fait part de son avis et émet des suggestions. En mai, c’est en tant qu’ambassadeur de la Fédération internationale des acteurs (FIA) que Gérard Philipe rencontre le leader du syndicat des acteurs mexicains. Des photographies du fonds du SFA nous montrent les deux leaders syndicaux devant le buste de Jorge Negrete, président de l’association des acteurs en 1956, et en visite dans une école828.

828. Fonds SFA, boîte 175 J 250. 308

Illustration 102. Gérard Philipe au Mexique

L’enjeu de ces illustrations est de façonner l’idée qu’il existe une entente fraternelle et la défense d’idéaux communs. Satisfait de son voyage, Gérard Philipe envoie une lettre aux membres du syndicat, qui témoigne aussi de son intérêt pour l’organisation et le fonctionnement des syndicats étrangers :

Leur organisation est considérable. La cotisation est de 7 % que tous payent. S’ils sont si organisés, c’est qu’ils ne bénéficient pas de la sécurité sociale en tant que saisonniers. Ils ont donc centralisé tous les services syndicaux plus les services sociaux : maison de retraite, clinique, théâtre qu’ils louent seulement aux producteurs d’œuvres de qualité829.

Les actions de Gérard Philipe ont redonné au Syndicat des acteurs un véritable essor. Car s’il a travaillé à revaloriser les salaires minimaux, a remanié l’organisation interne, il a aussi pensé à l’avenir du syndicat en entrevoyant les répercussions de transformations technologiques survenues avec la télévision, la place des acteurs dans leur pays, mais aussi dans le concert international830.

Pour conclure, ce parcours en archives nous a donc permis de faire plusieurs constats. Tout d’abord, nous avons pu appréhender différemment les recherches sur la star. En dehors de l’acteur de cinéma et du comédien de théâtre, nous avons étudié une autre facette de Gérard Philipe, celle du citoyen, plus anonyme et moins médiatisée. Durant toute sa carrière il fut fidèle à ses engagements, militant pour la défense du cinéma français à la Libération et défilant sous les banderoles du Mouvement de la paix au début des années cinquante. Il poursuit sa lutte pour le maintien des intérêts communs à la tête du syndicat des acteurs à la fin de la décennie, et ce jusqu’à sa mort en novembre 1959. Gérard Philipe président a modernisé l’organisation interne du syndicat et restructuré les relations avec la province. Vedette au théâtre et au cinéma, il ne connaît pas de difficultés professionnelles. Et si son statut lui permet de sélectionner ses projets, de négocier des clauses spécifiques ou de toucher des rémunérations très élevées, il n’en demeure pas moins solidaire des acteurs les plus démunis et ardent

829. Fonds SFA, boîte 175 J 251. 830. Les dernières grandes mobilisations des intermittents du spectacle en 2003, 2014 et 2016, liées aux réformes de leur assurance-chômage, montrent que la lutte est encore très actuelle. 309

défenseur de leurs droits. Dans sa façon de militer, Gérard Philipe propose, comme à l’écran et dans les médias, une image ambivalente associant jeunesse au SNA puis au CNA – activisme forcené, dissolution et désir de renouvellement du paysage syndical – et maturité au SFA – sagesse et désir de réunification. Cette recherche a aussi apporté un éclairage sur les bouleversements socioculturels et politiques qui ont secoué la profession et poussé celle-ci à se mobiliser. Comme nous avons pu le voir, cette force militante est à replacer dans le contexte national de la IVe République, mais aussi dans le contexte international de la Guerre froide, où beaucoup d’intellectuels et d’artistes de gauche s’engageaient aux côtés des communistes.

310

CHAPITRE 9. LES AVENTURES DE TILL L’ESPIEGLE OU L’EPOPEE «

IM » POPULAIRE DE GERARD PHILIPE

Illustration 103. Affiche du film Les Aventures de Till l’Espiègle

Le 7 novembre 1956 a lieu la sortie parisienne des Aventures de Till l’Espiègle, première et unique réalisation de l’acteur vedette Gérard Philipe. Le film, qui a bénéficié d’une large couverture médiatique831, suscite la curiosité du public, attirant 2, 3 millions de spectateurs832. C’est néanmoins un échec artistique et critique. Dans les ouvrages sur Gérard Philipe ou les livres d’histoire du cinéma parus postérieurement, il est peu question des Aventures de Till l’Espiègle833. Pourquoi ? Tout d’abord, film réalisé par une star dans un genre populaire, il apparaît sans doute, aux yeux des historiens, comme un objet peu légitime, destiné à la consommation de masse. Ensuite, cette œuvre qui est, pour une grande partie des critiques de l’époque, de qualité médiocre, est considérée comme une « erreur » dans la carrière de Gérard Philipe – sur laquelle il vaut mieux ne pas s’attarder. Enfin, film créé par des hommes engagés politiquement et véhiculant des idées progressistes, Les Aventures de Till l’Espiègle sort

831. Pour plus d’informations voir les articles promotionnels parus dans Les Lettres françaises du 23 février 1956 ou dans La Croix du 24 mars 1956, ainsi que la une de Cinémonde, n°1161 (8 novembre 1956), titrée « Gérard Philipe héros fantasque et fougueux des Aventures de Till l’Espiègle » montrant le comédien en costume, et le récit de tournage dans le même numéro. 832. Simon Simsi, Ciné-Passions…, op. cit. 833. Dans son ouvrage French Costume Drama of the 1950s Fashioning Politics in Films (Bristol, Chicago University Press, 2010), Susan Hayward consacre plusieurs pages aux Aventures de Till l’Espiègle en rapport avec le contexte historique de sa production. 311

dans un contexte de « guerre froide » qui justifie peut-être ce silence historique. Cependant, des recherches récentes sur la notion de genre de Laurent Marie et Sébastien Layerle834, abordent le film dans sa dimension esthétique et thématique en esquissant les enjeux idéologiques qui entourent l’œuvre. Notre hypothèse est qu’au-delà des questions d’ordre purement cinématographique, cet échec du cinéma français est à mettre en relation avec les événements internationaux qui agitent le monde à cette époque. Si la France intervient en Egypte aux côtés d’Israël et de la Grande-Bretagne pour s’opposer à la nationalisation du canal de Suez par Nasser en octobre 1956, c’est plus particulièrement l’insurrection de Budapest – qui débute le 23 octobre – qui jouera un rôle dans le cas qui nous occupe. L’enjeu de ce dernier chapitre est de retracer la genèse du film et de voir en quoi celle-ci nous permet de comprendre l’échec des Aventures de Till l’Espiègle. Mais aussi de mesurer autrement les engagements artistiques et idéologiques de Gérard Philipe. Dans le cadre d’une étude historique de l’œuvre, une approche chronologique s’impose pour accompagner l’histoire parallèle de l’acteur, du cinéma français, du film et leurs relations avec le contexte international qui ont déterminé sa réception. À cet égard Les Aventures de Till l’Espiègle offre un cas d’analyse intéressant dans la mesure où il pose des questions d’histoire. Premièrement, sa production se situe à un tournant de l’histoire européenne. L’idée de sa réalisation par Gérard Philipe est soumise en 1953 dans un contexte où s’affrontent deux blocs antagonistes, que dominent deux pays non européens, les États-Unis et l’Union soviétique. La mort de Staline, le 5 mars 1953, ouvre une période de détente durant laquelle s’amorce un processus de déstalinisation. Les rapports entre le monde occidental et les démocraties populaires changent. Ces dernières, aspirant progressivement à une position de neutralité face aux grandes puissances, ouvrent une brèche dans le système de défense soviétique. Ce contexte historique et géopolitique marque fortement la conception et la réception des Aventures de Till l’Espiègle. Deuxièmement, sa genèse éclaire plusieurs aspects de l’histoire du cinéma des années quarante et cinquante, notamment les coproductions avec la République Démocratique Allemande (RDA) et les relations du Parti communiste français (PCF) avec le cinéma depuis la Libération. Très bien

834. L. Marie, « Les films en costumes de Gérard Philipe: entre le rouge et le noir », art. cit. ; Sébastien Layerle « Une impétueuse jeunesse. Le héros populaire et le film d’aventures dans Fanfan la Tulipe et Les Aventures de Till l’Espiègle », journée d’études sur le cinéma populaire des années 1950, Festival du cinéma de Compiègne, 8 décembre 2013.

312

documentés sur ce sujet, les travaux de Patricia Hubert-Lacombe, Laurent Marie et Pauline Gallinari ont largement enrichi notre recherche835. Retracer la genèse du film donne aussi à voir l’intervention de Gérard Philipe et de ses partenaires qui cherchent à renouveler l’écriture filmique pour transposer à l’écran une œuvre traversée par des enjeux idéologiques. Pour finir, l’étude approfondie des Aventures de Till l’Espiègle de ses origines à sa sortie permet de mesurer, à l’aune des articles parus dans la presse, les positions critiques en fonction des orientations politiques. Afin d’examiner ces questions, nous avons exploré les archives personnelles de Gérard Philipe, déposées à la Cinémathèque française, qui contiennent des correspondances, des documents scénaristiques, des feuilles de travail, des contrats et des commentaires critiques. Les titres de presse, quotidiens ou spécialisés, de gauche ou de droite, communistes ou non, et destinés à un lectorat varié, forment une autre ressource documentaire pour analyser le parcours des Aventures de Till l’Espiègle et en discuter les enjeux.

I. L’élaboration des Aventures de Till l’Espiègle : les états antérieurs

La réalisation des Aventures de Till l’Espiègle est un parcours semé d’embûches. Projet engagé de longue date, il est abandonné à deux reprises avant d’être définitivement mis en selle par Gérard Philipe. Néanmoins, à chaque phase de son élaboration, le rôle de l’acteur est notable. Il nous faut donc revenir en arrière pour cerner les engagements officiels et officieux qui entourent le film. Nous sommes en 1947, au festival du cinéma à Knokke-le-Zoute en Belgique où, après le succès européen du Diable au corps (Claude Autant-Lara), Gérard Philipe vient chercher son prix d’interprétation masculine. À cette occasion l’acteur rencontre Félix Labisse qui lui met entre les mains la légende flamande de Thyl l’Uylenspieghel (Till l’Espiègle), écrite par Charles de Coster en 1867. Peintre surréaliste renommé, tant en France – où il côtoie Antonin Artaud, Robert Desnos, Max Ernst et René Magritte – qu’en Belgique – où il rejoint le groupe surréaliste révolutionnaire de Bruxelles – Félix Labisse est également passionné de cinéma. Il a fondé, avec Henri Storck, le premier ciné-club de

835. Patricia Hubert-Lacombe, Le Cinéma français dans la guerre froide 1946-1956, Paris, L’Harmattan, 1996 ; L. Marie, Le cinéma est à nous…, op. cit. ; Pauline Gallinari, « L’URSS au festival de Cannes 1946-1958 : un enjeu des relations franco-soviétiques à l’heure de la « guerre froide », 1895 revue d’histoire du cinéma, n° 51, mai 2007, p. 23-43 ; P. Gallinari, « Cinéma et communisme en France », thèse de doctorat, Université de Paris 1, 2009. 313

Belgique en 1922. Soucieux de relancer le cinéma belge au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il est à l’origine du premier projet d’adaptation cinématographique des aventures de Till l’Espiègle. À la lecture du livre, Gérard Philipe, encore jeune comédien, se prend d’affection pour le personnage. Dans une interview donnée à Cinéma 56, il déclare :

Quant au ton du livre, il est suffocant. Si longtemps après les horreurs de l’inquisition et les cruautés de l’occupation, un flamand écrivant en français nous révèle les blessures éprouvées par un peuple occupé par une armée étrangère. Le récit est violent, âpre et, le long du livre, le joyeux farceur que nous voyons naître, le petit flamand qui ne pense qu’à rire, parcourra le monde et son pays comprenant que son père a été brûlé injustement [...] Till servira la cause des gueux. Il combattra la bêtise, la violence, la malhonnêteté, la lâcheté employant l’arme à feu ou le rire. [...] Devant un tel roman, je souhaitais devenir l’interprète de Till836.

Till l’Espiègle est un personnage réel qui a vécu au XVe siècle. Perçu comme le premier frondeur venu du peuple qui s’attaque à l’hypocrisie des valeurs sociales telles que la propriété, la classe, l’avidité et la cupidité, il est un fanatique de la vérité. Aspirant à la liberté, il aime duper pour parvenir à ses fins. La première biographie, écrite en 1519 par Thomas Murner837, un moine strasbourgeois, a donné suite à de nombreuses publications en Angleterre, en Bohême, au Danemark, en France, en Italie, en Pologne. Dans toute l’Europe de l’Est des auteurs transposent la vie de Till en la conformant aux mœurs et à l’histoire locales. Rédigé en 1868, le livre de Charles de Coster découle d’une longue tradition littéraire dont le but est de divertir les lecteurs en une période troublée. Le biographe relate la vie de Till l’Espiègle de sa naissance à son enterrement, en quatre-vingt-seize histoires facétieuses, pleines d’entrain, d’inventions bouffonnes, de plaisanteries ou d’obscénités. Les types sont plutôt conventionnels (paysans, artisans, nobles, prêtres) et les farces, souvent traditionnelles, sont fondées sur la tromperie, le mensonge, la superstition ou le désir de vengeance. Ces histoires mêlent le genre comique et grotesque. Sans intention didactique ou moralisante, la trame de l’histoire est simple et linéaire. L’ouvrage de Charles De Coster est ancré dans les cultures allemande, belge puis française, et demeure populaire car, comme l’exprimera plus tard un archiviste de « Mon comité

836. CF, fonds AGP, boîte 9, dossier 94 (copie dactylographiée de l’interview). 837. Recueil imprimé chez Johannes Grieinger, Strasbourg, 1519. 314

flamand de France » dans sa lettre à Gérard Philipe le 19 mai 1952, elle touche à « un symbole essentiel des Flandres (françaises et belges) : l’esprit même de la vraie liberté qui sait rire, résister courageusement à tout envahisseur, sacrifier ses amours et périr à la hache et noblement838 ». Dans un contexte international conflictuel, l’histoire de Till, défenseur de la liberté luttant contre toute forme d’oppression, fait écho au combat pour la paix entre les peuples. Il semble donc logique que Gérard Philipe, dont les idées progressistes sont connues839, s’intéresse de près aux aventures de la vie de Till. Lorsqu’il tourne Le Diable au corps (1946), Gérard Philipe est déjà connu. Le jeune comédien de 23 ans a joué dans quatre films, Les Petites du quai-aux-fleurs (Marc Allégret, 1944), La Boîte aux rêves (Yves Allégret, 1945), Le Pays sans étoile (Georges Lacombe, 1946), L’Idiot (Georges Lampin, 1946) et dans six pièces de théâtre : Une grande fille toute simple (Louis Ducreux, 1942), Une jeune fille savait (Tournée Rasimi, 1943), Sodome et Gomorrhe (Georges Douking, 1943), Au petit bonheur (Fred Pasquali, 1944), Fédérigo (Marcel Herrand, 1945), Caligula (Paul Oettly, 1945). Il est révélé au public dès ses premières apparitions à la scène et à l’écran mais c’est Le Diable au corps qui le consacre comme grande vedette en France et à l’étranger. À la Libération, les producteurs belges désirant promouvoir un cinéma de qualité en associant le film en costumes, l’adaptation d’une œuvre littéraire populaire et un acteur vedette interprétant un personnage jeune avec panache semblent être une combinaison idoine840. Après Le Diable au corps, Gérard Philipe personnalise la grâce et le charme du jeune premier romantique. Il semble donc parfait pour le rôle841. En 1949, la production d’un film sur Till l’Espiègle associant Félix Labisse, le producteur belge Paul Haesaerts, Gérard Philipe dans le rôle principal et à la réalisation842 est abandonnée et récupérée par Storck qui monte en parallèle un projet similaire – même sujet, même réalisateur et même acteur. Storck, sans doute aux côtés de Félix Labisse depuis les origines du projet, a pu en saisir toutes les opportunités pour le cinéma belge et pour sa carrière. Il est une des figures tutélaires du cinéma belge, avec deux films marquants, Misère du Borinage (co-Ivens, 1933) et Symphonie paysanne (entre 1942 et 1944). Compagnon de route du Parti communiste, il valorise

838. CF, fonds AGP, boîte 9, dossier 83. 839. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 4e Part. chap. 8). 840. Informations données par S. Layerle, dans son intervention intitulée « Une impétueuse jeunesse. Le héros populaire et le film d’aventures dans Fanfan la Tulipe et Les Aventures de Till l’Espiègle » op. cit. 841. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 2e Part. chap. 1). 842. CF, fonds AGP, boîte 9, dossier 83 (une lettre de Paul Haesaerts, adressée de Bruxelles à Gérard Philipe, le 30 mai 1950, fait mention d’une conversation au Zoute, après le cocktail donne au moulin de Felix Labisse et qui avait pour objet la production d’un film sur Till l’Espiègle). 315

dans ses films les préceptes du socialisme. Cependant, contraint par des données économiques, il réalise aussi des œuvres moins personnelles843. Un film sur la vie de Till l’Espiègle est donc une occasion de renouer avec ses idéaux, tout en produisant une œuvre populaire. Ce devrait être une coproduction franco-belge engageant la société parisienne Armor Films de Fred Orain à hauteur de cent millions de francs et la société belge, et ses promoteurs P.G. Van Hecke et Henri Storck, à hauteur de cinquante millions de francs844. Cette nouvelle combinaison qui associerait Gérard Philipe, dans le rôle de Till, et Charles Spaak à la rédaction du scénario est pourtant abandonnée, elle aussi, en raison de mésententes entre les différents partenaires financiers belges. Alors que P. G. Van Hecke poursuit les négociations avec Fred Orain que, dans une lettre adressée à l’acteur le 23 mai 1950, il estime « en France à l’heure actuelle, comme le producteur le plus compétent et le plus sérieux de toute l’industrie845 ». Henri Storck entame des négociations avec d’autres partenaires financiers. P. G. Van Hecke ne cache pas son incompréhension et sa lassitude. Dans une lettre, le 19 juillet 1950, il écrit à Gérard Philipe :

Figurez-vous, mon ami, que Storck m’a laissé dans l’ignorance la plus complète [...] il m’avait dit que tous les espoirs lui étaient permis du fait d’une prise de contact avec un nouveau groupe de financiers (sans doute ceux qui commanditent le film de Storck et Spaak au Benelux ! ?), il m’avait promis de venir m’en parler à Knokke pendant la Quinzaine, mais je ne l’ai plus vu, ni entendu... Je ne vous cache pas que je suis las de ces manigances et aussi de l’attitude de ces Belges qui ne font que promettre sans jamais tenir846.

Découragé, il est prêt à abandonner l’idée d’un film engageant sa participation, à moins de pouvoir intéresser d’autres gens « plus courageux et plus optimistes847 » que ses compatriotes. Il pense même trouver un accueil plus chaleureux auprès de producteurs français ou italiens. Gérard Philipe, au centre de ces négociations, est toujours séduit par l’idée d’incarner le héros de Charles De Coster. Cependant depuis

843. Pour plus d’information sur le cinéaste voir Laura Vichi, Henri Storck : de l’avant-garde au documentaire social, Crisnée, Yellow Now, 2002 ; Bruno Benvindo, Henri Storck, le cinéma belge et l’Occupation, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2010. 844. CF, fonds AGP, boîte 8, dossier 87 (copie de la lettre d’Henri Storck, envoyée par P.G. Van Hecke à Gérard Philipe le 18 mai 1950). 845. CF, fonds AGP, boîte 8, dossier 87. 846. Ibid. 847. Ibid. 316

les origines du projet, le comédien poursuit sa carrière avec succès. Au cinéma, il tient le rôle principal dans La Chartreuse de Parme (Christian-Jaque, 1948), Une si jolie petite plage (Yves Allégret, 1949) Tous les chemins mènent à Rome (Jean Boyer, 1949), La Beauté du Diable (René Clair, 1950), Juliette ou la clef des songes (Marcel Carné, 1950). Au théâtre, il crée Les Épiphanies d’Henri Pichette avec Maria Casarès (Georges Vitaly, 1947), « mystère profane » de forme expérimentale, puis K.M.X Labrador (Jacques Deval, 1948) et Le Figurant de la Gaîté (Marcel Herrand, 1949). La critique est toujours unanime sur ses prestations. Son parcours prolifique connaît peu d’embûches et lui permet d’envisager, en 1951, une œuvre d’envergure comme Fanfan la Tulipe. Dans une lettre adressée à son ami, le réalisateur Jean-Paul Le Chanois, Gérard Philipe se dit « trop lassé par les cinq ans d’atermoiement, de promesses de projets faits et défaits par le groupe belge de Van Hecke848 » et il décide de se joindre à l’équipe de Fanfan la Tulipe. Le film sort le 20 mars 1952 avec 6, 7 millions entrées en France, troisième place au box-office et Gérard Philipe remporte la Victoire du meilleur acteur de l’année (avec Daniel Gélin). Fanfan la Tulipe est un véritable succès. Dans les mois qui suivent, le comédien multiplie les tournées promotionnelles aux quatre coins du monde et c’est dans les démocraties populaires où l’on acclame « Fan-fan Tulpan » que l’engouement semble le plus fort849. Fanfan la Tulipe terminé, Gérard Philipe et Christian-Jaque veulent entreprendre, avec la même équipe, la réalisation d’un film sur la vie de Till l’Espiègle850. Les maisons de production du projet P. G. Van Hecke et Henri Storck ont cédé les droits aux Films Ariane. Fondée en 1945 par Alexandre Mnouchkine, Georges Danciger et Francis Cosne, cette société française est spécialisée dans la production d’un cinéma de qualité851 et travaille régulièrement en coproduction. Un premier scénario est donc écrit par René Wheeler à partir de l’œuvre de Charles De Coster. Henri Jeanson, sollicité pour être le dialoguiste du film – comme il l’était pour Fanfan la Tulipe – refuse cependant de s’engager. Dans une lettre adressée à Gérard Philipe, il explique :

848. Ibid. (brouillon manuscrit d’une lettre écrite à Le Chanois, datation imprécise entre 1950 et 1951). 849. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 2e Part. chap. 3). 850. Ibid. (contrat d’engagement de l’acteur Gérard Philipe, daté du 18 juin 1952). 851. Liste de films « de qualité » produits entre 1948 et 1959 : L’Amant de paille (Gilles Grangier, 1950), L’Homme de joie (Gilles Grangier, 1950), Fanfan la Tulipe (Christian-Jaque, 1951), Le Retour de Don Camillo (Julien Duvivier, 1952), Lucrèce Borgia (Christian-Jaque, 1953), Madame du Barry (Christian- Jaque, 1954), Si tous les gars du monde (Christian-Jaque, 1955), La Loi c’est la loi (Christian-Jaque, 1957), Babette s’en va-t-en guerre (Christian-Jaque, 1959). 317

Je ne suis pas du tout mais pas du tout d’accord, ce n’est pas ainsi que je voyais votre film. Le sommet de l’adaptation littéraire est une chaise percée sur laquelle je refuse de m’asseoir pour écrire les dialogues et adapter une légende dont la truculence est faite selon moi d’une autre matière... Le sujet est trop important, les problèmes qu’il pose sont trop graves, pour que je me lance à la légère dans une aventure qui ne peut être menée à bien qu’en toute liberté852.

Henri Jeanson est un dialoguiste connu du cinéma populaire de qualité. Le parcours de cet homme, qui, sur le plan idéologique, prône un pacifisme intégral, est fait de contradictions et de compromissions. À la Libération, son pacifisme est nettement anticommuniste et pourrait expliquer son refus de s’engager dans « l’aventure » Till l’Espiègle853. Dans le contexte de la « guerre froide », sa participation au projet eût, pour lui, signifié clairement qu’il mettait une sourdine à ses critiques envers l’Union soviétique. Le temps passe, l’équipe peine à trouver une coproduction capable de soutenir le financement du film et Christian-Jaque, pris par d’autres projets – comme la réalisation d’Adorables créatures, Destinées et Lucrèce Borgia – renonce au film.

II. L’élaboration des Aventures de Till l’Espiègle : une coproduction franco-(est-) allemande

À la fin de l’année 1952, la production des aventures de Till l’Espiègle est donc à nouveau en panne. Gérard Philipe, qui intègre la troupe du Théâtre National Populaire (TNP) de Jean Vilar, est tête d’affiche dans trois films : Belles de nuit (René Clair, 1952), Les Orgueilleux (Yves Allégret, 1953) et Monsieur Ripois (René Clément, 1954). Mais c’est aussi le moment où il s’essaie lui-même à la mise en scène au TNP en montant Lorenzaccio et La Nouvelle Mandragore, puis à la réalisation de quelques scènes de Belles de nuit aux cotés de Clair. Dans sa biographie sur l’acteur, Georges Sadoul, critique aux Lettres françaises et ami du comédien, raconte :

852. CF, fonds AGP, boîte 8, dossier 87 (lettre manuscrite écrite par Henri Jeanson à Gérard Philipe, non datée). 853. En 1947 il quitte Le Canard enchaîné parce qu’on a caviardé un article sur « Aragon, Elsa Triolet, Maurice Thorez et les communistes ». 318

Les Philipe m’avaient déjà confié leur désir de réaliser un jour un film adaptant le roman de Charles de Coster, « Till l’Espiègle ». Déjà quand Gérard Philipe interprétait La Beauté du Diable un courriériste de Cinémonde l’avait dit très attentif au travail de René Clair, parce qu’il rêvait de « passer de l’autre côté de la caméra » pour devenir lui aussi réalisateur. Il avait déjà fait en 1952 d’éclatants débuts de metteurs en scène au TNP en montant le Lorenzaccio de Musset dont il fut le principal interprète, dans une de ses meilleures créations854.

À l’automne 1953, lors d’un passage à Paris, Joris Ivens apprend à Georges Sadoul que la DEFA, société de production cinématographique d’État de Berlin-Est (RDA), souhaite lui confier la réalisation d’un film sur Till l’Espiègle se déroulant dans les Flandres au XVIe siècle. D’après Sadoul, « le grand documentariste hésitait à se lancer dans la mise en scène à grand spectacle855 ». L’historien met donc Gérard Philipe et Joris Ivens en relation, qui décident de faire un film ensemble durant l’année 1955. À partir de cette entrevue, ils entament une fructueuse collaboration, décrite par Georges Sadoul dans Les Lettres françaises du 15 novembre 1956, une semaine après la sortie du film :

Je ne suis pas certain que Philipe se serait, sans le soutien du grand documentariste, lancé tout seul dans cette périlleuse aventure : se transformer en réalisateur. Un tel tournant n’est pas aisé dans une carrière. Je ne suis pas certain non plus que de son côté Joris Ivens aurait entrepris Till tout seul. Durant trente ans de carrière (à la demi-exception des Brisants, 1929), il est resté documentariste, exclusivement, passionnément. La direction des acteurs et la grande mise en scène historique lui posaient donc des problèmes complexes... Une entente s’établit donc très vite entre les deux hommes, fondée sur l’amitié, l’estime et la connaissance réciproque.

Dans une lettre à Gérard Philipe datée du 11 mars 1954, Joris Ivens confie avoir lu avec grand intérêt le scénario de Till l’Espiègle et apprécié le travail de Renée Wheeler amorcé en 1951. Dans ce même courrier, il envisage une coproduction franco- allemande avec la DEFA. Durant les années cinquante en France, l’augmentation du coût des films, due en partie au désir de faire place aux productions hollywoodiennes en présentant des films à grand spectacle, nécessite de généraliser les coproductions avec l’étranger. Celles-ci se

854. Georges Sadoul, Gérard Philipe, Paris, Seghers, 1967, p. 81. 855. Ibid. 319

développent en majorité avec l’Italie856. L’originalité du projet des Aventures de Till l’Espiègle réside donc dans cette collaboration avec la DEFA allemande et de surcroît est-allemande. En 1950, l’URSS avait cédé sa part de capital de la DEFA à la RDA. Deux ans plus tard, en octobre 1952, cette maison de production est donc transformée en une entreprise d’État hiérarchisée. Une ramification qui entraîne une règlementation stricte et un encadrement étroit de l’activité cinématographique857. Dans une période de tension Est-Ouest où s’affrontent les deux grandes puissances, les films de la DEFA se doivent de véhiculer un message idéologique anti-capitaliste, anti-impérialiste, anti- fasciste et de promouvoir le socialisme. À la recherche d’une reconnaissance internationale, la RDA développe une stratégie de coproduction cinématographique en dehors des habituels partenaires socialistes. Il s’agit souvent de grosses productions dont le prestige doit rejaillir à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Leur style s’inscrit cependant dans le cadre du « réalisme socialiste » soviétique et privilégie les épopées héroïques associant un personnage historique et des caractères populaires fictifs. Mais ce retour au passé doit délivrer un enseignement sur le présent. Dans cette perspective, Georges Sadoul avait déjà développé le concept de « contemporanéité », notion « qui dépasse les sujets pris sur le vif, mais s’étend à des événements anciens possédant une profonde résonance dans notre époque858 ».

856. P. Palma, « Les coproductions cinématographiques franco-italiennes 1946-1966 : un modèle de « cinéma européen » ? » op. cit. 857. Sur la DEFA voir Cyril Buffet, Défunte DEFA : histoire de l’autre cinéma allemand, Paris, Cerf, 2007. 858. G. Sadoul cité dans L. Marie, Le Cinéma est à nous…, op. cit. p. 110. 320

Illustration 104. Photographie de tournage des Aventures de Till l’Espiègle, Cinémathèque française

Ainsi, recourir à l’œuvre de Charles de Coster permet d’associer une mythologie populaire, issue du patrimoine culturel national, dans un but identitaire et pédagogique, mais aussi de faire écho à la « guerre froide » et aux contradictions politiques du moment. Cette coproduction franco-allemande de prestige vise à associer des scénaristes, réalisateurs et acteurs français reconnus, souvent engagés à gauche, adhérents ou sympathisants communistes. Leur coopération avec la DEFA est aussi un acte politique. Lorsque la réalisation des Aventures de Till l’Espiègle est envisagée859, Joris Ivens est un cinéaste-documentariste néerlandais renommé – quoiqu’interdit de séjour dans son propre pays et privé de son passeport860 – sa filmographie prolifique allie innovations esthétiques et politiques. Entre 1954 et 1955, il travaille à l’élaboration de Das Lied der Ströme (Le Chant des fleuves) en RDA. Son engagement communiste est indéniable, la direction de la DEFA lui accorde sa confiance. Il peut donc servir d’intermédiaire entre Français et Allemands.

859. La DEFA qui espère produire ce film depuis 1948 pensait en confier la tâche à Bertolt Brecht à son retour en Allemagne. Exilé dès 1933, déchu de la nationalité allemande par le régime nazi en 1935, Brecht avait quitté l’Europe en 1939 pour s’installer en Californie en 1941 en passant par la Suède, la Finlande, l’URSS. La montée de l’anticommunisme, l’action de l’HUAC (House Un-American Activities Committee), le chassent des Etats-Unis en 1947. Il rentre dans la partie orientale de l’Allemagne en 1949. Mais le projet ne se réalisera pas. 860. En raison de sa prise de position publique dénonçant le colonialisme néerlandais en Indonésie. Dès lors Ivens séjournera et travaillera dans la plupart des pays socialistes et ira filmer les luttes de libération nationale dans le monde. C’est en 1964 qu’il peut retourner aux Pays-Bas. 321

À la réception de la lettre de Joris Ivens du 11 mars 1954, Gérard Philipe reprend contact avec Alexandre Mnouchkine, directeur des Films Ariane, pour obtenir des financements du côté français. À la demande de l’acteur, Alexandre Mnouchkine se rend à la DEFA en avril en prévision des accords de coproduction. Les partenaires se rencontrent, entament des négociations. En décembre 1954, il semble décidé à reprendre le projet et envisage un tournage pour le début de l’année 1956861. Les accords deviennent officiels en février 1955. Dans une lettre datée du 23 février 1955, Joris Ivens exprime toute sa satisfaction : « Cher Gérard, tu sais déjà que Ariane et DEFA ont signé un contrat. Demande à Mnouchkine de te le montrer. Tout est en ordre ! Nos méthodes de partisans ont fonctionné pour le bien862 ». Bien qu’il évolue dans un pays dont le gouvernement a choisi de se rallier aux États-Unis en acceptant le Plan Marshall, le PCF s’est aligné, au plan international, sur l’URSS. De ce fait, dans une période tendue sur le plan géopolitique, il se présente, à partir de la Libération, comme le rempart français face à l’« impérialisme américain ». Il attire dans ses rangs de nombreux artistes et intellectuels qui ne sont pas tous membres du Parti mais soutiennent ses idées. Ainsi le PCF compte sur le soutien de nombreux « compagnons de route » parmi lesquels Gérard Philipe863. Grâce à sa renommée internationale en tant qu’acteur, son engagement politique à gauche et sa visibilité dans les campagnes du Mouvement de la paix (présence au Congrès des peuples pour la paix à Wroclaw du 25 au 28 août 1948, signature de l’appel de Stockholm le 19 mars 1950, siège à la direction du Conseil national de la paix créé après la réunion de Stockholm, etc...), Gérard Philipe jouit de la confiance des dirigeants de la DEFA. Dans ce contexte, tant pour les auteurs que pour les dirigeants de la DEFA, un film sur les aventures de Till l’Espiègle est idéologiquement envisageable pour trois raisons : tout d’abord, c’est un film à la fois historique et engagé. Ensuite, son sujet portant sur la résistance d’un peuple à l’oppresseur, la défense de la liberté, touche à un thème universel. La tonalité générale est profondément humaniste. Enfin, autant que l’engagement politique des auteurs, la publicité associée au nom de Gérard Philipe est un formidable atout.

861. CF, fonds AGP, boîte 8, dossier 87 (lettre dactylographiée de Joris Ivens à Gérard Philipe, le 22 décembre 1954). 862. CF, fonds AGP, boîte 8, dossier 87. 863. Nous avons détaillé ces éléments précédemment (voir 4e Part. chap. 9). 322

III. Histoire et scénario : quels choix dans l’écriture filmique ?

Le scénario est commandé en janvier 1955, Gérard Philipe qui est à ce moment envisagé comme acteur principal, co-scénariste avec René Wheeler, co-adaptateur avec René Barjavel et Joris Ivens, co-réalisateur avec Ivens, travaille donc à son élaboration jusqu’à la fin de l’année. Trop occupé par ses nouveaux engagements professionnels, le comédien se met en congé du TNP entre décembre 1954 et juillet 1956 et ne joue que dans deux films, Les Grandes Manœuvres (René Clair, 1955) et La Meilleure Part (Yves Allégret, 1955). Pour leur film, Gérard Philipe et Joris Ivens s’inspirent du scénario écrit par René Wheeler en 1951, puis projettent de développer le personnage de Till. Comme l’expose clairement Joris Ivens dans sa lettre à Gérard Philipe le 11 mars 1954, ils envisagent de mêler l’histoire du personnage aux grands épisodes de l’histoire des Flandres à la même époque :

Il ne faut pas oublier que Till doit avoir un développement personnel. Son caractère deviendra plus riche, si on le trouve d’abord comme il est en public, comme un type légendaire, plein d’humour, qui fait des blagues, un blagueur menteur qui est très populaire parmi le peuple des Flandres. Il faut montrer que ses blagues peuvent avoir un but : l’indépendance des Flandres ! Et pour ce but, il commence à utiliser sa popularité et ses blagues864.

Dans le film, Till doit donc servir la cause des gueux en combattant la violence, la malhonnêteté, la lâcheté, employant l’arme à feu ou le rire. L’ouvrage de Charles De Coster est trop dense, il y a trop de personnages, la période historique est trop longue et il y a trop d’épisodes, pour être développé efficacement à l’écran en une heure et demie (soit la durée moyenne des films de long métrage des années cinquante). Aussi, les auteurs du film entreprennent de resserrer l’histoire pour en tirer les éléments suivants : le destin géographique des Flandres, la situation politique après l’arrivée du duc d’Albe (représentant de l’autorité du roi d’Espagne Philippe II en Flandres) car c’est à ce moment qu’elle atteint le comble de l’intolérable et enfin l’opposition irrémédiable entre la joie de vivre du peuple et le fanatisme inhumain et l’ascétisme des gouvernants espagnols865.

864. CF, fonds AGP, boîte 8, dossier 83. 865. Ibid. (lettre manuscrite de Margueritte Naglioni à Philipe, le 19 mars 1954. Celle-ci qui devait travailler sur le projet avec de Sica propose de discuter des choix scénaristiques). 323

Illustration 105. Photographie de tournage des Aventures de Till l’Espiègle, Cinémathèque française

Dans le contexte politique, les auteurs et les dirigeants de la DEFA voient dans les gueux de Flandres une incarnation des peuples opprimés dans le monde et dans les Espagnols oppresseurs un équivalent du camp impérialiste dirigé par les États-Unis. Deux versions, dites respectivement « épique » et « héroïque », du scénario sont livrées aux producteurs des Films Ariane et de la DEFA au début de l’été 1955. D’un commun accord, la version « héroïque » est préférée, cependant dans sa lettre aux producteurs le 18 juillet, Gérard Philipe se dit encore insatisfait du résultat : « Je crois avoir développé ‘‘Thyl’’ dans une ligne qui peut nous satisfaire tous mais j’ai eu si peu de temps pour réaliser ce premier travail que je ne le considère pas comme achevé. Je vous serais donc reconnaissant de ne rien entreprendre avant que nous ayons parlé de cette nouvelle ébauche866. » Gérard Philipe reprend la version « héroïque » avec René Barjavel. D’octobre à décembre, les deux hommes travaillent au resserrement de l’histoire et à la construction des éléments épars déjà choisis par Gérard Philipe, Joris Ivens et René Wheeler867. Les tournages des Grandes Manœuvres (du 28 avril au 8 juillet) et de La Meilleure Part (du 25 juillet au 8 octobre) terminés, et avant d’envoyer la version définitive aux producteurs en janvier, Gérard Philipe remet le scénario à René Clair pour un regard critique. Dans une lettre datée du 20 décembre 1955, le cinéaste se dit embarrassé par ce

866. CF, fonds AGP, boîte 8, dossier 87. 867. CF, fonds AGP, boîte 6, dossier 76 (chronologie des différentes étapes de la conception du film de septembre 1953 à septembre 1956, établie par Gérard Philipe). 324

rôle et il expose ses suggestions avec toutes les réserves d’usage868. Croyant indispensable un minimum d’intrigue, il reproche à Gérard Philipe de procéder par tableaux successifs autour d’un personnage principal : « ce qui me frappe, c’est que cette intrigue – ou situation, pour parler le langage courant du théâtre – vous l’esquissez, mais de telle manière qu’elle tourne court et que l’on est déçu. » René Clair aurait ainsi donné plus d’importance à l’histoire d’amour privilégiant la comédie romantique et familiale. Il trouve aussi que, dans ses combats, Till est trop souvent aidé par la chance, trop régulièrement vainqueur. Des contre-gags dont il serait la victime provisoire seraient selon lui les bienvenus. René Clair est aussi gêné par la mort de Claes, « événement mélodramatique qui pèse lourdement sur la destinée de Till ». Dénoncé comme hérétique, celui-ci est condamné au bûcher. D’après le témoignage de Gérard Philipe recueilli par Yvonne Baby dans Les Lettres françaises du 15 novembre 1956, cette scène, absente du récit de Charles de Coster, est une invention des scénaristes :

Ainsi lorsque Till voit le bûcher de Claes, il ne se sent pas assez fort pour combattre sur l’heure contre l’Espagnol, mais il crie « Vive la Liberté ! » à son père qui meurt dans un sourire. Ceci est en réalité le tremplin du film et cette idée vient tout droit du scénario qu’avait établi René Wheeler869.

Le jeune Till comprend que la liberté est un bien précieux, et farces en main, il va parcourir le pays pour aider ceux qui souffrent de l’oppression espagnole. Mais selon Clair, Till n’a pas besoin d’un tel événement pour être partisan de la liberté. Il ajoute dans sa lettre : « ayant perdu père et mère, il devrait combattre farouchement et sans la gaîté que vous voulez lui laisser. » C’est donc aussi l’association d’un sujet grave et d’un comique de situation qui entraîne chez lui un certain trouble. En envoyant le scénario à René Clair, Gérard Philipe fait appel à l’ami pour sa confiance et au cinéaste renommé pour son regard professionnel. Il expose ainsi ses inquiétudes en tant que jeune réalisateur. Faute de temps ou d’accord, Gérard Philipe n’a pas, sur les trois points cités précédemment, tenu compte des remarques de René Clair. Or on constate que ce sont ces mêmes éléments qui vont nourrir les critiques à la sortie du film. Erreur artistique ?

868. CF, fonds AGP, boîte 8, dossier 83. 869. Yvonne Baby, Les Lettres françaises, 15 novembre 1956. 325

Illustration 106. Photographie de plateau des Aventures de Till l’Espiègle, Cinémathèque française

Le tournage se déroule du 27 février au 13 juillet 1956. L’équipe du film tourne en Suède (du 27 février au 16 mars), à Nice (du 19 mars au 17 mai), en Belgique (du 20 au 30 mai), en RDA (du 4 au 16 juin) et à Paris. Mais de retour d’Allemagne, Joris Ivens abandonne sa place de co-réalisateur. Cette décision, il l’explique en partie dans une interview réalisée par François Timmory, pour Les Lettres françaises du 26 avril 1956 : « Le problème pour moi, est que je suis un documentariste. Pour les gens de mon espèce, quand vous arrivez avec votre caméra, il ne reste plus qu’à saisir la réalité. Tandis qu’ici au studio, il faut la créer. » De l’adaptation du sujet au découpage technique, Joris Ivens a constaté l’énorme différence existant entre le film joué et le film documentaire. En tant que réalisateur de films documentaires, il ne s’estime pas en mesure de contribuer efficacement à la réalisation technique et artistique des Aventures de Till l’Espiègle. Par une lettre datée du 18 juin, Gérard Philipe est informé :

Que dans ces conditions, il était dans l’intérêt de la production que la mise en scène soit assurée par Gérard Philipe seul. [...] Ivens ayant joué un rôle prépondérant dans la mise sur pied de la production du film Till, la société DEFA demande qu’il accepte comme par le passé d’être son observateur auprès de la production et qu’à ce titre son nom figure au générique précédé d’une mention à déterminer d’un commun accord870.

870. CF, fonds AGP, boîte 8, dossier 83. L’auteur de la lettre n’est pas indiqué mais il s’agit vraisemblablement des producteurs d’Ariane film. 326

Joris Ivens qui a gardé le rôle d’un promoteur, d’un catalyseur et d’un conseiller indispensable tout au long du tournage, figure donc au générique du film au titre de « producteur associé DEFA ».

IV. Un désastre artistique et critique

La première parisienne des Aventures de Till l’Espiègle a lieu le 7 novembre 1956. On attendait beaucoup de ce film mais c’est un échec artistique et critique. Les critiques avancées par les journalistes concernent la faiblesse du scénario, l’interprète principal, Gérard Philipe, qui semble peu crédible et les trop nombreuses proximités avec Fanfan la Tulipe. À l’exception de la presse communiste qui soutient le film, les commentaires critiques des journaux de droite comme de gauche, généralistes ou spécialisés, se rejoignent. Tout d’abord, c’est le jeu de Gérard Philipe qui est fustigé. L’acteur, qui avait peur de s’enfermer dans les rôles de romantiques tristes, joue un personnage comique dans Fanfan la Tulipe et Les Aventures de Till l’Espiègle. Néanmoins quatre ans se sont écoulés entre les deux films et l’impétueuse jeunesse de Till ne séduit plus comme celle de Fanfan. Dans Le Monde du 13 novembre 1956, Jean de Baroncelli écrit :

Gérard Philipe incarne Till avec fougue, passion, sincérité. Il gambade, virevolte, s’élance même dans les airs sans craindre les malheurs d’Icare, fait mille grimaces et singeries. Il est beau, séduisant. Cependant le charme de l’adolescence a passé. La virilité est venue. C’est dans les moments les plus pathétiques que Philipe se montre ici le meilleur. Quand il joue au fou, avec ou sans grelot, on le sent, il compose.

Le 18 novembre 1956, Radio-cinéma-télévision juge : « Livré à sa seule fantaisie, il fait de Till un personnage exagérément bouffon » et L’Express du même jour partage cet avis : « Gérard Philipe l’aurait peut-être bien interprété il y a dix ans ; aujourd’hui ses galipettes sont de grimaçantes caricatures des débordements de jeunesse. » Au registre comique, la critique préfère le registre pathétique, à l’instar de Louis Chauvet qui écrit dans Le Figaro du 15 novembre 1956 : « Quant à Gérard Philipe, l’interprète, il est convaincant sur un mode grave. Mais ses clowneries font presque pitié : l’on croirait voir jouer un novice de patronage. »

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Les Aventures de Till l’Espiègle est aussi attaqué pour sa construction narrative, jugée trop simple et linéaire. Dans Radio-cinéma-télévision du 18 novembre 1956 on trouve : « Le film pèche surtout par les faiblesses de son style narratif. Les épisodes mouvementés sont encadrés de scènes lentes et ennuyeuses. Il n’y a pas de progression dramatique véritable ». Le 14 novembre 1956, Carrefour écrit : « Il est pénible de voir un grand sujet, celui d’un peuple luttant pour la liberté traité de façon aussi ridicule ». Dans Combat du 15 novembre 1956, la plume de R. M. Arlaud est, elle aussi, très dure : « Les thèmes de la lutte historique elle-même, simplifiée à l’extrême ne sont pas très convaincants... Il ne suffit pas de bousculer quelques Espagnols, d’arrêter un traître et de briser un sceau pour libérer une terre. L’épopée semble réduite aux dimensions d’une bande dessinée pour enfants. » Enfin, une autre critique partagée par les journalistes concerne les ressemblances maladroites avec Fanfan la Tulipe. Gérard Philipe, qui a souhaité pour sa première réalisation, renouer avec le succès du film de Christian-Jaque, subit les railleries de la presse qui souligne la faiblesse de Till par rapport au précédent. Dans L’Aurore du 12 novembre 1956, Claude Garson écrit : « Gérard Philipe s’est souvenu, pour ses débuts dans sa nouvelle fonction, d’un grand succès dont il fut l’interprète, Fanfan la Tulipe. Mais M. Christian-Jaque à qui nous devons ce dernier film, avait beaucoup plus l’habitude de mener une action rapidement. » Dans un article paru dans Arts, le 14 novembre 1956, François Truffaut le rejoint :

Fanfan la Tulipe fit une belle carrière en URSS et dans les démocraties populaires. En tournant Till l’Espiègle, Gérard Philipe désirait recréer artificiellement le succès chanceux de Fanfan la Tulipe : il a cru naïvement qu’il suffisait de doubler, tripler les doses pour reconstituer une recette qui avait fait ses preuves.

Les combats dont Till sort toujours vainqueur, les longues chevauchées et cavalcades et les tirs de canons sur le champ de bataille, commentés par le héros- narrateur, rappellent, en effet, Fanfan la Tulipe. Christian-Jaque avant de renoncer à la réalisation des Aventures de Till l’Espiègle a sans doute amorcé une réflexion sur la mise en scène. Il n’est donc pas impossible qu’il ait lui-même envisagé des reprises directes, des éléments efficaces qui après son retrait du projet ont pu être conservés par Gérard Philipe. De ce fait, les gags narratifs et les techniques audiovisuelles utilisés dans Les Aventures de Till l’Espiègle constituent des emprunts révélant un cinéaste encore peu assuré dans ses nouvelles fonctions mais soucieux de bien faire.

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V. Une appropriation idéologique

La critique communiste minimise l’échec artistique du film, pour mettre en avant la rhétorique de la solidarité, de la liberté, de la justice et de l’universalité qui singularise les discours. Pour Jean Marcenac, dans Les Lettres françaises du 1er novembre 1956, c’est

Surtout lorsque le texte, comme ici, est voué à ne crier, dans toutes les directions de l’horizon des hommes qu’un unique mot : le mot liberté. Il m’importe donc assez peu que Till l’Espiègle n’atteigne point, sinon par instant, à la fameuse truculence flamande. Laissez-moi seulement voir une fois le beau visage nu, le visage d’homme qu’il y a sous le fard et je vous tiens quitte. Là est l’essentiel. Là est la vraie fidélité.

La même ligne de pensée est adoptée dans Libération871 du 13 novembre 1956 : Till c’est autant l’anarchiste que le libérateur. L’esprit de rébellion que l’esprit de liberté. Et Till existe toujours. Il survit dans chaque Flamand. Immortel, il n’a pour ainsi dire pas de destinée propre. [...] Le premier film de Gérard Philipe est plus qu’honorable. Il abonde en scènes cocasses. Il est plein de bonne humeur. Il exalte l’amour de la patrie et celui de la liberté.

Deux jours plus tard le 15 novembre 1956, Romain Rolland dans Les Lettres françaises défend le film à son tour :

La voix de la liberté. Telle est cette épopée populaire, unique en notre temps. Je la vois comme une plaine où s’allument les feux de la Saint-Jean. Une foule de kermesse s’enlace furieusement [...] c’est le vent de la liberté. Il est la passion suprême. Il est par- delà le mal, il est la loi des Flandres.

Cette position de la presse communiste, dans le contexte politique, est à mettre en relation avec les événements de Hongrie qui précèdent de quelques jours la sortie du film. Une lecture idéologique selon les organes de presse et les origines politiques de chaque plume semble donc permise.

871. Libération, journal créé par le résistant Emmanuel d’Astier de la Vigerie en 1941. Il devient compagnon de route du PCF après la Seconde Guerre mondiale. Dans l’après-guerre, il intègre la présidence du Mouvement de la paix mais, en 1956, il se distingue des communistes par son neutralisme et condamne l’intervention soviétique en Hongrie. 329

Comme dans plusieurs démocraties populaires, la situation économique en Hongrie était désastreuse et la population souhaitait une réforme du système pour améliorer ses conditions de vie. Dans la deuxième moitié des années cinquante, les États-Unis proposèrent une aide économique aux pays en difficultés selon une stratégie d’endiguement du communisme ne recourant pas aux armes. La Hongrie comptait accepter cette aide, sortir du Pacte de Varsovie (crée en 1955) et devenir neutre sur le modèle de l’Autriche. Or sa neutralité eût constitué une brèche dans le système de défense soviétique face aux États-Unis. L’enjeu était politique et géostratégique : dans la lutte contre l’impérialisme et les volontés expansionnistes américaines, l’Union soviétique ne tint donc pas compte des revendications du peuple hongrois qui descendit dans les rues de Budapest le 23 octobre 1956. Dans les jours qui suivirent, les manifestations gagnèrent la province et des comités révolutionnaires se formèrent tandis que le gouvernement tombait et que des affrontements éclataient. Ne souhaitant pas que le mouvement s’étende et se radicalise, les autorités soviétiques décidèrent le 30 octobre l’invasion militaire de la Hongrie et, le 4 novembre, l’Armée rouge occupait Budapest et neutralisait l’armée hongroise. Les événements firent la « une » de la presse internationale. En France à partir du 25 octobre, la presse non communiste insista sur la volonté de déstalinisation et désatellisation des peuples d’Europe de l’Est. Mais après l’entrée des chars soviétiques dans Budapest, les éditorialistes dénoncèrent l’usage disproportionné de la force. Le Républicain Lorrain publie le 5 novembre : « Saint Barthélémy rouge à Budapest où les Russes noient dans le sang la révolte populaire hongroise. […] Le monde entier est horrifié devant l’agonie de la Hongrie. » Les photographies qui illustrent les articles diffusent une mise-en-scène et une dramatisation des événements. De par leur charge émotive, elles visent donc à susciter la compassion de l’opinion publique. À contrario, la presse communiste donna la priorité aux événements de Suez en Egypte, où la France était engagée militairement, et reproduisit un discours imposé par la direction du PCF qui dénonçait la violence de « bandes fascistes » afin d’accabler et de discréditer l’insurrection hongroise872. Dans ce contexte les thèses humanistes des Aventures de Till l’Espiègle prônant l’idéal socialiste et la paix entre les peuples trouvèrent dans la presse française

872. Nicolas Monod, « L’impact des événements de Hongrie octobre-novembre 1956 », La Guerre froide vue d’en-bas, op. cit. p. 89-107. 330

généraliste, de droite ou de gauche non communiste, un écho imprévu. Dans Le Monde du 9 novembre 1956, Jean de Baroncelli écrit :

Attendais-je trop de ce film, ou l’ai-je vu dans de mauvaises conditions intellectuelles, trop préoccupé par les événements présents pour pouvoir m’amuser sans arrière-pensée à une histoire qui nous montre des paysans insurgés aux prises avec une armée étrangère ? Je ne sais, mais il me faut dire que j’ai été déçu.

Claude Garson, plus acerbe encore, note dans L’Aurore du 12 novembre 1956 :

L’action [...] est fertile en péripéties inspirées par la colère d’un peuple soulevé parce qu’il ne supporte plus la présence des soldats étrangers sur ses terres. Les dramatiques événements de Hongrie donnent au personnage de Till une résonance inattendue. Surtout pour M. Gérard Philipe dont les sympathies communistes ne sont un secret pour personne.

Enfin, dans Combat, le 9 novembre 1956, Georges Ravon, plume de gauche non communiste, écrit :

C’est une piquante histoire en marge d’une histoire affreuse. Deux metteurs en scène qui ne cachent pas leur « engagement » Joris Ivens et le charmant Gérard Philipe, viennent d’achever un film inspiré des aventures de Till l’espiègle. C’est techniquement, un bon film, bien joué et bien construit. Mais à travers la révolte des gueux des Flandres contre la tyrannie du roi d’Espagne, c’est en filigrane, un hymne à la libération des peuples opprimés, une sorte de ‘‘Go home !’’ à tous les militaires qui tiennent la garnison hors de leurs frontières. Hélas ! Les auteurs n’avaient pas prévu que leur western flamand suivrait sur l’écran les poignantes images de l’agonie de Budapest qui prennent le public à la gorge. En sorte que chaque défaite essuyée par les occupants – des occupants bien gentils qui n’ont ni chars ni obus au phosphore et se laissent sans broncher arroser d’eau ou de farine – est interprétée par la salle comme une allusion directe aux événements de Hongrie.

Alors que chez les critiques de la presse généraliste, de droite ou de gauche non communiste, les événements de Hongrie imposent une lecture imprévue du film, les journaux communistes n’y font aucune allusion. Dans la société française de la Libération, le PCF est une force d’opposition appréciable, auréolée de sa propre action dans la Résistance. Le Parti dispose d’une série de journaux pour exprimer ses opinions, mais dont il conditionne sans doute les prises de positions.

331

Après la mort de Staline en mars 1953, des intellectuels commencent à mettre en doute leur confiance en l’URSS et sont censurés. Tout au long des années cinquante, le PCF continue à soutenir le « grand frère » soviétique et même si l’année 1956 marque une rupture – avec la publication du rapport Khrouchtchev « sur les crimes de Staline », les événements de Pologne et de Hongrie – le PCF tarde à prendre position sur les révélations du rapport et les répressions violentes survenues dans les démocraties populaires. Par le biais d’un communiqué paru le 5 novembre dans L’Humanité, le PCF soutient l’intervention soviétique en Hongrie : « Barrant la route à ceux qui furent les alliés d’Hitler, aux représentants de la réaction et du Vatican que le traître Nagy avait installés au gouvernement, la classe ouvrière hongroise, dans un sursaut d’énergie, a formé un gouvernement ouvrier et paysan qui a pris en main les affaires du pays. » Le Mouvement de la paix approuve aussi l’intervention russe, une position qui crée un malaise parmi les intellectuels, communistes ou non, adhérents ou sympathisants. Les événements de Hongrie donnent une image peu flatteuse des dirigeants soviétiques. Des intellectuels se désolidarisent du Mouvement qui pouvait compter depuis la libération sur une véritable audience et une assise dans les milieux intellectuels français. Ces derniers s’impliquent dans différentes actions de solidarité aux insurgés.

332

Un discours écrit par Gérard Philipe peu de temps après les événements de Hongrie illustre bien leur désarroi :

Il me faut maintenant parler des événements de Hongrie. Je ne me sens plus à l’aise au sein du Mouvement. Je vous parle de mes sentiments car je crois en avoir senti beaucoup... Et une fois de plus, je tiens à rappeler combien j’aime et j’ai aimé les positions fermes et les protestations sévères du Mouvement à l’égard de tout usage de force entre États. Pourquoi la Hongrie ? Parce que le Mouvement n’a pas pris une position ferme lorsqu’à Budapest et dans tout le pays l’URSS a fait usage de la force que partout ailleurs le Mouvement avait condamné ou réprouvé. Dans un parti politique on peut justifier une intervention armée d’État à État. Nous ne sommes pas là pour savoir si l’URSS a eu tort ou raison d’intervenir en Hongrie. Nous sommes là en tant que Mouvement de la Paix et de ce point de vue nous ne pouvons pas nous taire devant cette ingérence flagrante « quels que soient les motifs invoqués pour la justifier ». Une protestation s’imposait depuis de nombreux jours. Si le Mouvement national ne fait pas une déclaration formelle, je crois que nous perdons tout crédit auprès de ceux qui – non- communistes – ont foi dans le Mouvement et que nous serons empêchés dans toute action pour la paix à venir873.

Le mois de novembre 1956 en France est marqué par une mobilisation de grande ampleur. Celle-ci « se nourrit de la stupeur et de l’impuissance ressentie et se manifeste non seulement par un vaste élan de solidarité, mais aussi par des rassemblements, des hommages, de l’indignation et de la colère qui, le plus souvent se retournent contre le PC et ses organisations affidées874. » Des collectes de produits de premières nécessités, des appels aux dons en argent, des rassemblements pacifiques et temps collectifs de recueillement, une journée nationale de solidarité aux insurgés le dimanche 18 novembre, et des convois de réfugiés hongrois organisés par la Croix-Rouge internationale vers la France sont organisés. Des manifestations antisoviétiques et anticommunistes se déroulent les 7, 8 et 9 novembre à Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg et Nancy875.

873. CF, fonds AGP, boîte 33, dossier 239 (brouillon manuscrit rédigé par Gérard Philipe en 1956, intitulé « pour Les événements de Hongrie et le Mouvement de la Paix », nous n’avons pu savoir si ce texte a été communiqué, où et comment). 874. N. Monod, « L’impact des événements de Hongrie octobre-novembre 1956 », op. cit. p. 95. 875. Ibid. p. 101-103. Des locaux associatifs et des domiciles privés de militants communistes sont saccagés. Cette violence est réprimée par les autorités locales et l’opinion publique. 333

Dans ce contexte, la confiance en l’Union soviétique s’effrite et l’adhésion entière aux valeurs communistes semble difficile. Aussi, outre les questions artistiques, ce sont des questions thématiques qui peuvent expliquer l’échec des Aventures de Till l’Espiègle. Le film de Gérard Philipe, décrié par la presse en général, ne peut réaliser les espoirs dont il était investi.

La genèse et l’histoire de la production des Aventures de Till l’Espiègle rendent compte en partie des raisons d’un échec critique et commercial. Après plusieurs tentatives pour adapter le roman de Charles de Coster abandonnées du fait de multiples divergences financières, juridiques, artistiques ou idéologiques, le projet est réellement mis sur pieds en 1953. Le rôle de Gérard Philipe, malgré son statut double et contradictoire d’auteur engagé et vedette populaire, est central. Les Aventures de Till l’Espiègle est la première de trois coproductions réalisées avec la DEFA, entre sa crémation en 1946 et la chute du mur de Berlin en 1989. De ce fait, elle détient une place particulière dans l’histoire des coproductions françaises. À la sortie du film, à la suite des événements de Hongrie et des tensions entre la France et l’URSS, la presse mentionne rarement qu’il s’agit d’une coproduction franco-(est-) allemande, à quelques exceptions près dans la presse de droite. Le journal Franc-Tireur écrit le 10 novembre 1956 :

Le film faute de capitaux, était resté longtemps à l’état de scénario. Jusqu’au jour où par le jeu d’une coproduction, la somme nécessaire fut réunie. Ce fut une firme de l’Allemagne de l’Est qui ajouta ce qui manquait. [...] Du coup voilà nos gens du rideau bien embêtés. Comment vont-ils pouvoir distribuer là-bas ce film où il est si facile, pour le spectateur, de substituer la Pologne ou la Hongrie à la Flandres, l’URSS à l’Espagne et les tanks russes aux sbires d’Albe ? La projection de ce film n’est pas pour demain dans les pays satellites.

Aujourd’hui d’ailleurs, nous pouvons trouver dans certains ouvrages876 le film cité comme une production uniquement française, une position qui illustre bien les non-dits de la période. Les deux autres coproductions franco-allemandes avec la RDA sont Bel Ami (Louis Daquin, 1955), Les Sorcières de Salem (Raymond Rouleau, 1957) et Les

876. S. Simsi, Ciné-Passions…, op. cit. 334

Misérables (Jean-Paul Le Chanois, 1958). Bel Ami est interdit en France en 1955. La sortie le 26 avril 1957 des Sorcières de Salem, parabole sur le maccarthysme, est également perturbée par les événements de Hongrie. En revanche, Les Misérables, énorme succès en France, rencontre une attitude hostile des autorités allemandes qui voient dans le film un « humanisme chrétien bourgeois877 » trahissant l’idéologie communiste. En RDA sort donc une version différente du film qui en accentue la critique sociale. Comme pour Les Aventures de Till l’Espiègle le statut de coproduction avec la DEFA de ces films n’apparaît que très faiblement dans la presse. En revanche une collaboration économique avec l’Italie est aujourd’hui retenue dans les manuels de cinéma878. Durant dix années de « guerre froide » l’influence du PCF s’est élargie mais l’anticommunisme s’est aussi institutionnalisé, avec la « peur des rouges » et la « chasse aux sorcières ». Après la sortie des Aventures de Till l’Espiègle, Gérard Philipe ne fait pas d’autre tentative de réalisation cinématographique. Mais pour Georges Sadoul, « cet échec n’aurait été que provisoire si le temps et la vie ne lui avaient pas été alors strictement mesurés. Et je continue de tenir pour assuré que Gérard Philipe aurait pu, dans le courant des années 1960, apporter tout autant au cinéma français, que durant l’après- guerre Vittorio de Sica au cinéma italien879 ». S’il reste une vedette du cinéma populaire de qualité, il semble à la fin des années cinquante s’orienter vers un cinéma plus empreint d’un réalisme social. En 1959, Gérard Philipe soutient la révolution cubaine et soumet l’idée de jouer dans un film qui retracerait l’épopée castriste. Une coproduction franco-cubaine où l’acteur tiendrait le rôle principal de Raùl Castro. Sa mort le 25 novembre 1959 ne lui permet pas de la concrétiser. Vedette du cinéma populaire de qualité, Gérard Philipe a donc voulu, en tant qu’auteur, réaliser des œuvres engagées politiquement. Mais le climat de guerre froide qui a pesé sur Les Aventures de Till l’Espiègle, son unique tentative, a largement hypothéqué l’entreprise aussi bien artistiquement qu’idéologiquement. Au-delà des aspects esthétiques, l’histoire de ce film montre que le cinéma peut se trouver au carrefour d’appropriations politiques et idéologiques.

877. Cinémathèque française, catalogue de presse numérisée. 878. Voir les listes établies dans S. Simsi, Ciné-Passions…, op. cit. 879. G. Sadoul, Gérard Philipe, op. cit. p. 88. 335

⃰⃰ ⃰

Pour conclure, l’étude réalisée dans cette quatrième partie justifie la singularité de Gérard Philipe sur sa génération. Nous constatons l’ampleur de sa popularité sur le plan social qui lui accorde une célébrité supérieure à ses contemporains : Daniel Gélin, Georges Marchal, Henri Vidal et Jean-Claude Pascal. Les vedettes cinématographiques font rêver, « elles renvoient l’image de demi-dieux vivant sur leur lointain Olympe880 ». Or Gérard Philipe, tout en incarnant le bonheur et la réussite, dispose d’atouts pour se faire une place dans le quotidien des gens ordinaires. Dans la vie publique, il continue d’associer des tendances contradictoires à la base de sa singularité. Il apparaît comme un homme soucieux de justice sociale et de fraternité et qui, de ce fait, participe aux affaires de la nation. Ces engagements, en faveur du collectif et du populaire, contredisent l’idée qu’une star doit être associée à une élite, riche et individualiste. Cet aspect de son image est aussi ancré dans une réalité contemporaine qui contraste avec les personnages qu’il incarne à l’écran, héritier d’une tradition romantique du XIXe siècle. Enfin, son caractère d’homme engagé est omis par la presse spécialisée pour des raisons purement idéologiques : une star ne fait pas de politique881. En revanche, Gérard Philipe jouit d’une large couverture dans la presse communiste qui s’acquitte de mettre davantage en valeur ses engagements. À la fin de cette étude, Gérard Philipe offre donc le visage rassurant d’une personnalité exceptionnelle et malgré tout empreinte de générosité. Hors de l’écran, il incarne un modèle de justice sociale qui entre en résonnance avec les bouleversements de l’époque.

880. E. Morin, Les stars, op. cit. 881. R. Dyer, Le star-système hollywoodien…, op. cit. p. 80. 336

CONCLUSION

Dans la France de l’immédiat après-guerre et dans les années cinquante, les vedettes de l’écran jouissent d’une présence remarquable dans l’industrie du cinéma et dans la société. Elles s’affirment comme des personnalités emblématiques tant sur le plan culturel que sur le plan cinématographique, car les images qu’elles incarnent entrent en résonnance avec les goûts et les aspirations des publics de l’époque. Cependant, au terme de ce travail, Gérard Philipe nous apparaît comme une star unique dans le cinéma français d’après-guerre. Contrairement aux acteurs de sa génération – et conformément aux stars des années trente – il parvient à réconcilier des valeurs contradictoires à travers une trentaine de films. Il est à la fois : amoureux romantique et séducteur cynique, amant-enfant et père de famille modèle, personnalité riche, mais attachée aux valeurs humanistes, héros masculin qui valorise les caractéristiques féminines. L’image (cinématographique, médiatique et sociale) de Gérard Philipe est une construction culturelle fondée sur des ambivalences pour toucher un plus large public, au niveau de la génération, du sexe et de la classe sociale. Au cours de notre recherche, nous avons donc souhaité mettre en lumière sa singularité et en comprendre les fondements idéologiques.

I. Une star de la Libération à la fin des années cinquante

La star est une personnalité cinématographique, une construction médiatique et le produit d’une industrie culturelle (ici l’industrie du cinéma), capable d’assurer son bon fonctionnement. Pour ce faire, elle doit activer les processus de projection et/ou d’identification des publics. Ainsi, ses aventures à l’écran et à la ville se mélangent pour élaborer des histoires représentatives du quotidien des spectateurs. La star assure un équilibre entre extraordinaire et ordinaire. Membre de « l’Olympe882 », elle est aussi ancrée dans une réalité sociale moins fantasmatique et plus populaire. Comme nous avons vu durant notre étude, ces traits qui fusionnent dans la personnalité de Gérard Philipe en font un cas singulier sur sa génération. Dans un contexte de reconstruction de l’identité nationale, cette réconciliation de valeurs contradictoires est essentielle. Le cinéma français qui a perdu sa suprématie

882. E. Morin, Les stars, op. cit. 337

d’avant-guerre doit répondre au défi hollywoodien. En conséquence, les films véhiculent un patrimoine culturel de prestige et ont un rayonnement international. À l’instar du box-office et des recettes, les spectateurs et spectatrices manifestent un goût pour ces œuvres dites de « la tradition de la qualité » et leurs acteurs. Néanmoins, ces représentations ancrées dans le passé ne sont pas pour autant déconnectées de la réalité contemporaine. Les fictions de l’écran parlent aussi d’une société française qui se reconstruit et se modernise de la Libération à la fin des années cinquante. Gérard Philipe est une star emblématique de « la tradition de qualité »française. Au niveau national et international, il cultive l’identité française grâce aux adaptations littéraires à l’écran et aux tournées avec le Théâtre national populaire. En plus des textes, la tradition française est aussi étroitement liée au verbe et la parole qui sont employés sur scène. Depuis la fin des années vingt en France, les stars sont en majorité issues d’une formation théâtrale et maintiennent une double carrière tout au long de leur parcours. L’art de la scène enseigne une maîtrise du verbe et un jeu classique. Notre travail a permis de constater que dans l’après-Seconde Guerre mondiale, les jeunes ayant suivi ce parcours sont peu nombreux. Gérard Philipe est le seul à connaître une carrière aussi prestigieuse, tant à la scène qu’à l’écran. Sa notoriété est semblable à celle de ses aînés – des acteurs d’âge mûr qui ont débuté avant-guerre et dont le succès est durable. Gérard Philipe est donc un cas spécifique qui associe des valeurs traditionnelles et modernes. Dans les années soixante, l’arrivée de la Nouvelle Vague met fin au règne des vedettes. Les réalisateurs prônent désormais l’auteur unique. Les œuvres ne sont plus le fruit d’une collaboration entre cinéastes, scénaristes, dialoguistes, etc... Ils recherchent des acteurs inconnus qui ne leur feront pas d’ombre, auront des exigences moindres et dont la personnalité vierge pourra être facile à façonner. Enfin, les réalisateurs de la Nouvelle Vague discréditent les adaptations littéraires au profit du cinéma du réel. Ainsi, la majorité des stars des années trente et cinquante disparaissent des écrans. Certaines changent de registre cinématographique, suivent une carrière unique au théâtre, se forment à la chanson ou investissent le champ nouveau de la télévision.

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II. Une star dans la production cinématographique d’après-Seconde Guerre mondiale

La star est le produit d’un système qui assure le bon fonctionnement de l’industrie cinématographique. Après la Seconde Guerre mondiale, le cinéma français est confronté à l’hégémonie américaine et doit faire face à la déferlante des films américains interdits pendant les quatre années de l’Occupation. De plus, l’économie française est affaiblie et l’appareil cinématographique vétuste. Pour restaurer son système de production, l’industrie recourt à un système d’aide. L’État fournit donc une avance sur recettes pour financer des films de qualité : la « tradition de la qualité » française apparaît comme la solution pour restaurer l’identité nationale et rivaliser avec Hollywood. L’aide financière permet de créer des films à gros budget et esthétiquement plus ambitieux. Avec ce système, l’économie et la production repartent à la hausse. Dès la Libération, les films français de « la qualité » conquièrent le haut du box-office national. À partir des années cinquante, l’industrie du cinéma met en place un procédé de coproduction régulier, surtout avec l’Italie. Celui-ci permet d’accroître encore le budget des films et est surtout utilisé dans le domaine du spectaculaire, toujours dans le but de concurrencer Hollywood. La présence d’une star en tête d’affiche est donc un élément déterminant pour la réussite du film. L’investissement sur le nom d’une vedette est un pari effectué en amont de la réalisation. On tient généralement compte de sa persona en fonction du rôle, mais aussi de son succès dans les films précédents et de sa renommée au théâtre ou dans d’autres arts. Gérard Philipe est une star qui influe sur le financement des films. Son nom est souvent mentionné dans les demandes d’avance sur recettes, il constitue une part importante du budget de l’interprétation du film et sa rémunération dépasse souvent celle du réalisateur. Il est toujours engagé pour un seul film et bénéficie de clauses particulières liées à son statut de star. Cependant, si la vedette française semble plutôt indépendante vis-à-vis du système, elle tourne souvent avec les mêmes réalisateurs et techniciens. Dans le cas de Gérard Philipe, il s’agit des promoteurs du cinéma de la « tradition de la qualité » : Claude Autant-Lara, René Clair, Yves Allégret, Christian-Jaque, Jacques Sigurd, Pierre Bost et Jean Aurench, etc... Tout au long de sa carrière, Gérard Philipe apparaît donc comme un acteur emblématique de la « tradition de la qualité ». En France, il incarne l’idéal romantique et le séducteur cynique. À l’étranger, il véhicule l’identité culturelle française et représente « le prototype

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français » du film de cape et épée. Le parcours de Gérard Philipe témoigne donc d’une grande cohérence, autant dans les genres que dans les rôles qu’il interprète. Cette cohésion, qui manque à ses contemporains, constitue un autre élément de sa singularité. Par la suite, la Nouvelle Vague instaure de nouvelles pratiques dans l’élaboration et le budget des films. Les techniques et les matériaux employés se différencient aussi des décennies précédentes. Les films moins couteux sont tournés en décors naturels. Ils ne sont plus construits sur le nom de l’acteur mais sur celui du réalisateur. Le cinéaste est la nouvelle star du film. L’histoire est inspirée par la vie du réalisateur et l’acteur n’est pas moins que son alter ego.

III. Une star : objet de culture « non noble »

En adoptant un plan thématique pour ce travail, nous avons mis en lumière la place singulière de Gérard Philipe dans le star-système en France, de la Libération à la fin des années cinquante. Mais l’objectif de notre recherche était aussi d’éprouver les méthodes de l’histoire culturelle et des approches anglo-saxonnes – cultural studies, gender studies et star studies. Il s’agissait donc de comprendre ce que cette star signifiait auprès des spectateurs. En effet, la vedette constitue un phénomène socioculturel hors des studios qui nécessite qu’on le considère dans un environnement plus vaste. Cette démarche permet ainsi d’éclaircir l’état des mentalités dans un contexte particulier et à une époque donnée. La star de cinéma a longuement été perçue comme un objet culturel « non noble », car associée à la culture de masse. Et pourtant c’est parce qu’il est lié avec le grand public, avec le « populaire », que cet objet est chargé idéologiquement. La star est support de représentations des rapports entre les générations, les sexes et les classes qui se jouent dans la société contemporaine. L’analyse des textes et des images révèlent donc des rapports de domination qui ne fonctionnent pas unilatéralement. Les représentations et les discours jouent sur les compromis. Ils permettent ainsi une interprétation différente si l’on est une femme ou un homme, un jeune ou un adulte, de classe modeste ou bourgeoise. C’est ce que Stuart Hall appelle une « lutte interprétative883 ».

883. S. Hall, Identités et cultures. Politiques des cultural studies, Paris, Amsterdam, 2007. 340

Après la Seconde Guerre mondiale, le retour des hommes mûrs, absents pendant les quatre années de l’Occupation – mobilisés au front, prisonniers ou maquisards – redistribue les rôles sociaux. Durant le conflit, les femmes ont assuré la survie du foyer et travaillé pour le maintien de la société. Elles ont progressivement gagné une autonomie qu’elles ne souhaitent pas perdre. Les représentations cinématographiques s’inscrivent donc dans un rapport conflictuel qu’elles tentent, néanmoins, de canaliser. Par exemple, le retour à l’écran des acteurs d’âge mûr, déjà célèbres avant la guerre, témoigne des inquiétudes face à l’émancipation des femmes et des jeunes, amorcée durant l’Occupation. Chez Gérard Philipe, la figure du jeune premier révèle les tensions générationnelles et genrées, après la Seconde Guerre mondiale. D’une part, elle est constituée sur une idéologie traditionnelle et patriarcale. Mais d’autre part, elle met en lumière les aspirations, le rôle et le statut des couches dominées. L’image de Gérard Philipe est donc tiraillée entre le maintien de l’ordre patriarcal établi avant la guerre et la modernisation qui s’effectue sous l’impulsion des femmes et des jeunes. Notre étude montre aussi la diversité des usages sociaux (pratiques et discours) qui découlent du culte de la star. Dans le champ de la critique savante ou ordinaire, les jugements éthiques et esthétiques se mélangent et varient en fonction des parcours de vie. De fait, Gérard Philipe présente une image complexe à laquelle dominant et dominé peuvent s’identifier. Dans la décennie suivante, les jeunes premiers romantiques associant des caractères féminins et masculins disparaissent. Cependant, nous observons une obsession des angoisses masculines liées à la modernisation de la société et aux femmes autonomes. Le cinéma de la Nouvelle Vague valorise les héros virils et machistes en rejetant le féminin et par conséquent les femmes. « La femme au cinéma n’existe que comme truchement érotique884 » de l’homme. Son corps est morcelé et fétichisé par la mise-en-scène. De cette manière, elle est construite comme objet du désir masculin, tant au niveau du personnage, du cinéaste que du spectateur masculin.

884. G. Sellier, La Nouvelle Vague. Un cinéma au masculin singulier, éd. CNRS, Paris, 2005, p. 28 341

IV. Une star pour faire de l’histoire du cinéma

Si notre étude, plus précise sur Gérard Philipe, met en lumière la polysémie des textes filmiques, elle témoigne aussi de l’intérêt pour les sources « non-film » essentielles à l’analyse de sa persona. Notre préoccupation fut dès lors plus historique qu’esthétique. Durant l’entre-deux-guerres, les cinéphiles ont commencé à écrire une histoire du cinéma. Celle-ci était fondée sur des critères d’évaluation et de classements. Leurs jugements de goût étaient donc érigés en catégories effectives qui distinguaient les maîtres et leurs grandes œuvres, puis minoraient les autres réalisateurs et leurs films. L’histoire des cinéphiles était basée sur le modèle de l’histoire de l’art. Ils empruntaient l’expression, les méthodes, les catégories et le langage afin de légitimer leur choix885. Au contraire, l’histoire culturelle propose de prendre au sérieux tous les objets du cinéma. Le cinéma populaire, les stars, le discours et les pratiques des spectateurs et spectatrices ordinaires y sont donc considérés. De fait, notre recherche tend à déconstruire les préjugés de classes sur un loisir populaire et « populacier » qui ont longtemps exclu un pan du cinéma de la recherche scientifique886. Les détracteurs ont accusé l’histoire culturelle de nivèlement. Mais on ne peut ignorer ce qui est aimé par des millions de gens. Pour Dimitri Vezyroglou, si l’objet appartient au passé, il appartient donc à l’histoire. Par conséquent, il sert de document témoin d’une réalité sociale écoulée. Il doit être considéré comme une source historique pour établir des faits887. Il s’agit donc de comprendre culturellement les représentations dans un contexte et une époque précis. La multiplicité et le croisement des sources témoignent d’un intérêt réel du public pour les célébrités de cinéma. Celles- ci représentent un modèle de réussite professionnelle, de qualités morales et elles alimentent le goût pour la modernité. Elles présentent un mode de vie non conventionnel. Néanmoins, elles fascinent aussi pour ce qu’elles font en dehors des plateaux de tournage ou de ce qu’elles incarnent à l’écran. Elles attisent la curiosité des professionnels, des spectateurs, des autres médias (presse écrite, radio, TV), etc...

885. C. Gauthier, « Le cinéma : une mémoire culturelle », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 52 | 2007, mis en ligne le 01 septembre 2010, consulté le 30 janvier 2018. (URL : http://journals.openedition.org/1895/1012 ; DOI : 10.4000/1895.1012). 886. D. Vezyroglou, « Positions, propositions et questionnements de l’histoire culturelle du cinéma », intervention dans le cadres du séminaire « Nouvelles recherches de l’histoire du cinéma », organisé par l’AFRHC, INHA, Paris, 12 janvier 2018. 887. Ibid. 342

L’exemple majeur est la presse populaire et spécialisée qui renaît après la Seconde Guerre mondiale. Elle est aussi essentielle au fonctionnement de l’industrie cinématographique. Elle publie des jugements critiques, elle organise des concours, expose la vie professionnelle et privée des célébrités. À l’instar des films, elle présente des figures construites culturellement et, de fait, elle alimente le rêve. Au cœur des magazines, par l’intermédiaire du courrier des lecteurs, les spectateurs et spectatrices manifestent leurs attraits pour les stars. Leurs témoignages, qui mêlent les questions éthiques et esthétiques, ont longtemps été décriés par les critiques – en majorité des hommes – se revendiquant de l’élite cinéphile. Ces derniers stigmatisent une pratique jeune et féminine, fondée sur la sentimentalité et dépourvue de jugement critique. Les journalistes adoptent le plus souvent une posture moralisatrice dans leur réponse au courrier des lecteurs. La diversité des archives de cinéma, de théâtre ou de son engagement syndical et politique nous éclaire aussi sur l’image de l’homme à la ville. Elle montre que malgré son prestigieux statut, Gérard Philipe est ancré dans le quotidien des spectateurs qui font son succès. Il répond aux courriers qui lui sont adressés et s’intègre dans un mouvement de démocratisation culturelle avec le TNP. La troupe de Jean Vilar joue pour le public des provinces des œuvres du répertoire classique français. Elle défend ainsi l’idée que le théâtre n’est pas chasse gardée d’une élite intellectuelle bourgeoise et Parisienne. Enfin, si sa célébrité et sa renommée lui assurent un mode de vie luxueux et une carrière durable, Gérard Philipe est néanmoins un acteur engagé auprès des laissés-pour-compte de la profession. Des jeunes premiers issus de la Libération, il est le seul à s’être autant investi sur le terrain social et syndical. Modèle d’intégrité et de bienveillance, Gérard Philipe réduit la frontière entre fiction et réalité.

V. Prolongement et approfondissement

Notre sujet centré sur les jeunes premiers dans l’après-Seconde Guerre mondiale (1946-1958) a proposé une étude de cas plus complète sur Gérard Philipe. En effet, le croisement des sources nous a rapidement montré sa singularité. À partir de là, nous avons donc souhaité cerner le rôle de la star dans l’industrie du film et sa dimension idéologique. Nous nous sommes ainsi placés à la suite de différents travaux sur les jeunes premiers : 1) Ginette Vincendeau, qui a travaillé sur Jean Gabin dans les années

343

trente 2) Delphine Chedaleux, qui a étudié Jean Marais sous l’Occupation 3) Alain Brassart, qui a traité de Jean-Paul Belmondo, Alain Delon et Jean-Louis Trintignant dans les années soixante888. Nous avons fait de notre mieux pour apporter l’étude qui manquait sur les jeunes premiers de l’après-guerre. Pour ce faire, nous avons donc croisé l’analyse des films à celle des discours produits sur Gérard Philipe. Notre démarche a aussi prouvé l’intérêt d’associer les approches. Cependant, la recherche est loin d’être vaine. Nous nous permettons donc de proposer quelques pistes à suivre. Au cours de notre travail, nous nous sommes interrogés en priorité sur la représentation des rapports de domination entre les générations et les sexes. Néanmoins, il pourrait être bien d’élargir cette recherche à une zone géographique ou à une classe sociale. Nous avons aussi travaillé sur un corpus réduit. Or, il serait possible d’envisager une étude plus globale sur le star-système dans la France de l’après-guerre. Cette étude pourrait ainsi s’inscrire dans la lignée des travaux de Myriam Juan889. Une étude comparative avec les vedettes étrangères pourrait aussi être intéressante. D’une part, nous pourrions analyser la construction de leur image dans la presse spécialisée en France. D’autre part, il serait possible de cerner l’image des stars françaises à l’étranger. De tels travaux éclaireraient sans doute des points communs et des différences selon les personnalités, les pays et les publics. L’étude en contexte de la star peut parfois révéler les limites du panthéon cinématographique actuel. En effet, la notoriété de l’acteur et des films à une époque donnée ne peut être ignorée de l’histoire du cinéma. Nous pourrions donc envisager un travail – plus objectif – des mémoires des vedettes trop longtemps mises à l’écart. Enfin, la recherche sur le star-système pourrait aussi être perçue hors du champ cinématographique. Serait-il possible d’établir des passerelles entre les différents corps de métiers théâtre, chanson, télévision, radio ? De questionner les interférences et les différences liées aux jeux ou aux supports ? D’interroger la relation aux publics selon les lieux d’interprétation et les médiums ?

888. C. Gauteur et G. Vincendeau, Jean Gabin…, op. cit ; D. Chedaleux, Jeunes premiers…, op. cit. ; A. Brassard, Les jeunes premiers…, op. cit. 889. M. Juan, « "Aurons-nous des stars ? " Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940) » op. cit. 344

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

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SOURCES

I. Documents d’archives et sources manuscrites

A. Cinémathèque française

a. Fonds Anne et Gérard Philipe

AGP001 à 018-B1 : documents contractuels pour La Chartreuse de Parme, La Ronde, Souvenirs Perdus, Juliette ou la Clef des Songes, correspondance avec Claude Autant- Lara d’Yves Allégret, René Clair AGP019 à 048-B2 : documents Unifrance, documents contractuels, scénaristiques, techniques, correspondances pour Fanfan la Tulipe, Les Belles de nuit, Les Orgueilleux, Si Versailles m’était conté, Monsieur Ripois, Le Rouge et le Noir, Les Grandes Manœuvres, La Meilleure Part AGP050 à 061-B3 : documents contractuels, scénaristiques, techniques, correspondances pour Montparnasse 19, Pot-Bouille, La Vie à deux, Le Joueur AGP062 à 070-B4 : documents contractuels, scénaristiques, techniques, correspondance pour Les Liaisons dangereuses, La Fièvre monte à El Pao AGP071 à 074-B5, AGP075 à 076-B6, AGP077-B7, AGP078 à 087-B8, AGP088 à 099-B9 : documents contractuels, scénaristiques, techniques, correspondances pour Les Aventures de Till l’Espiègle AGP134-B13 : correspondance avec Jean Renoir AGP150 à 164-B14 : documents liés à l’activité théâtrale AGP194, 197-B18, AGP198 à 208-B19 : documents liés à l’activité syndicale, Unifrance, correspondance, prix du Chevalier des Ordres et des Lettres AGP209 à 217-B20 : documents personnels, lettres d’admirateurs, lettres de condoléances AGP299 à 324–B38, B39, B40 : coupures de presse étrangère, correspondances AGP325 à 329-B41 : hommages à Gérard Philipe. AGP331-B42, AGP333-B44 : matériel documentaire sur la disparition de Gérard Philipe. AGP332-B43 : revues liées aux voyages de Gérard Philipe.

346

b. Fonds du Crédit National

CN13- B87 : L’Idiot, demande d’aide à la production CN125-B82, CN1713-B83 : Le Pays sans Étoile, demande d’aide à la production CN299-B119, CN185-B206 : Une si jolie petite plage, demande d’aide à la production CN876-B536 : La Ronde, demande d’aide à la production CN458-BN324, CN852-BN53 : Juliette ou la clef des songes, dossier de réinvestissement CN530-B374, CN921-B539 : Fanfan la Tulipe, dossier de réinvestissement CN987-B543, CN991-B543 : Les Orgueilleux, demande d’aide à la production CN979-B542, CN626-B428 : Si Versailles m’était conté, demande d’aide à la production CN1000-B543, CN1009-B544 : Le Rouge et le Noir, demande d’aide à la production CN1039, B546 : Si Paris nous était conté, demande d’aide à la production CN672-B460, 1546-B671 : La Meilleure Part, demande d’aide à la production, presse CN1085-B549 : Les Aventures de Till L’Espiègle, demande d’aide à la production CN1122-B551, CN1137-B552 : Pot-Bouille, demande d’aide à la production CN1162-B553 : Le Joueur, demande d’aide à la production CN1213-B556 : Les Liaisons dangereuses, demande d’aide à la production CN772-B514, CN1221-B556 : La Fièvre monte à El Pao, demande d’aide à la production

c. Fonds Marc Allégret

MA305-B44 : correspondances

B. Département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France

a. Fonds du Théâtre National Populaire, direction Jean Vilar (1951-1953)

4-COL-71 : collection du TNP, direction Jean Vilar, 1951-1963 4-COL-71(1) à (3) : dossiers de presse généraux sur le TNP et ses acteurs, 1953 à 1960 4-COL-71 (4) et (5) : discographie, 1954 à 1960 4-COL-71 (8) et (9) : histoire du TNP, cahier des charges de Jean Vilar, décrets 1953-1975 4-COL-71 (254) et (255) : questionnaires destinés aux publics du TNP, 1952

347

4-COL-71 (256) : documents destinés aux abonnés de la revue Bref 4-COL-71(143) à (154) : bilan des recettes du TNP de 1951 à 1964 4-COL-71(155) à (166) : rapport sur la fréquentation des salles 4-COL-71 (263) à (266) : programmation générale du Palais de Chaillot et documents complémentaires, 1952-1961 4-COL-71 (267) à (272) : programmation générale du TNP, par années, 1956 à 1963 4-COL-71 (273) à (276) : le festival d’Avignon sous la direction de Jean Vilar, 1952-1960 4- COL- 71 (312 (1-2)) : Les Caprices de Marianne, dossier d’information, 1958 4- COL- 71 (314,1-2) : Le Cid, dossier d’information, 1951-1958 4- COL- 71 (329,1-2) : Lorenzaccio, dossier d’information, 1952-1959 4-Col-71 338 (1) : La Nouvelle Mandragore, dossier d’information 4-COL-71/339(1-2), 4-COL-71/394(56) : Nucléa, dossier d’information 4- COL- 71 (346,1-3) : Le Prince de Hombourg, documents d’information, 1951 4- COL- 71 (394,10-12-13) : Le Cid, lot de photographies, 1951-1958 4- COL- 71 (394,34-38) : Lorenzaccio, photographies d’Agnès Varda, 1952-1958 4- COL- 71 (394(5)) : Les Caprices de Marianne, photographies d’Agnès Varda, 1958 4- COL- 71 (394,55) : La Nouvelle Mandragore, photographies d’Agnès Varda, 1952 4- COL- 71 (394,56) : Nucléa, photographies d’Agnès Varda, 1952 4- COL- 71 (394(65-66)) : Le Prince de Hombourg, lot de photographies, 1951 4- COL- 71 (394,76-77) : Richard II, photographies d’Agnès Varda, 1953

C. Archives départementales de Seine-Saint-Denis

a. Fonds du Syndicat français des Acteurs

175 J 40 : documents sur la scission au sein du SNA en 1956, à la suite de laquelle se constitua le CNA (dont Gérard Philipe fut le président). Documents sur la réunification des deux syndicats, les assemblées générales et les rapports de notes, entre 1957 et 1959. Lettres de démissions d’adhérents du SNA, listes des démissionnaires et lettres d’adhésions au CNA. Coupures de presse sur la scission et la réunification du syndicat. 175 J 55 : courrier d’information du CNA, n°1 août 1957, sur la création du CNA. Bulletin du SFA, n°1 août 1958, sur la réunification.

348

175 J 250 : documents sur la présidence de Gérard Philipe au SFA. Interviews, extraits de colloque et photographie de l’acteur Gérard Philipe au sein du SFA. Coupures de presse sur le travail syndical de l’artiste. 175 J 251 : documents sur Gérard Philipe depuis son adhésion au SNA en 1943. Correspondances, rapports écrits de colloques et coupures de presse. 175 J 252 : hommages à Gérard Philipe.

D. Cinémathèque Suisse (Penthaz)

a. Fonds Claude Autant-Lara

10/2 à 10/6 : correspondances privées 12/3 à 13 :1 : conseil paritaire du CNC 14/2 : correspondances avec la Fédération nationale du spectacle 16/2 à 18/7 : documents relatifs au syndicat des techniciens de la production – rapports d’activités, procès-verbaux, ordres du jour, assemblées, projets et textes de résolution 20/1 à 20/7 : documents relatifs à la défense du cinéma français 24/1 à 25/2 : documents relatifs à l’Association des auteurs de films 38/2 : dossier thématique sur la censure – correspondances, coupures de presse et publications

b. Le Diable au corps

86/2 et 3 : contrats d’engagements 86/4 : plan de financement du film, devis 86/5 : liste des acteurs et techniciens envisagés 86/6 : rapports de tournage (1946) 86/7 : fiches de tournage (1946) 86/8 : Minutage (1946) 86/9 : croquis des plans (1946) 86/10 : liste des costumes et des décors (1946) 86/11 à 86/13 : Correspondances (1946-1980) 86/14 à 86/17 : résumé de l’intrigue du film, notes et croquis

349

87/1 à 87/3 : scénarios annotés 87/4, 88/1 à 88/5 : dialogues en anglais 89/1 : Festival du film de Bruxelles (1947) 89/2 à 89/5 : articles de presse sur le film (1946-1988) 91/5 à 92/5 : litiges – historique du film avec documents et correspondances 93/2 : entretien avec Claude Autant-Lara

II. Sources imprimées

A. Revues spécialisées, professionnelles et corporatives

Cahiers du cinéma Cinéma Cinémonde Cinévogue Écran français Film complet Film français Image et Son - La Revue du Cinéma Mon Film Positif

B. Presse généraliste

Arts Comoedia L’Aurore Le Courrier du Centre du cinéma La Bataille L’Époque Le Canard enchaîné Le Figaro Carrefour Le Figaro littéraire La Cinématographie française France-dimanche Combat France-soir

350

Les Lettres françaises Paris-presse Libération Paris-presse, l’Intransigeant Le Monde Radio-cinéma-télévision L’Objectif Opéra

C. Recueils d’articles et documents publicitaires sur Gérard Philipe et ses films

a. Fonds Auguste Rondel à la Bibliothèque nationale de France

 Critiques de films

R supp 3.940. : Belles de nuit R supp 3.391. : Les Orgueilleux R supp 4.156. : Monsieur Ripois R supp 4.173. : Le Rouge et le noir R supp 4.289. : Les Grandes manœuvres supp 4.938. : La Meilleure part R supp 5.180. : Montparnasse 19

 Critiques de pièces de théâtre

R.supp.3212. : Le Cid. R.supp.3212, R.supp 3841, R.supp 5163. : Le Prince de Hombourg. R.supp.3212. : La Calendria. R.supp 3841, R.supp 6037. : Lorenzaccio. R.supp 6037, R.supp 6092. : Les Caprices de Marianne. R.supp 6115. : On ne badine pas avec l’amour. MC. 11853. : divers documents sur les activités et projets du TNP. R supp 5268, R supp 5273, R supp 6079, R supp 6357 : Recueils d’articles factices sur Gérard Philipe. 351

III. Sources filmiques, iconographiques et radiophoniques

A. Documents filmiques

a. Films

Voir la filmographie des acteurs en annexe

b. Bandes annonces, Archives françaises du film, Bois d’Arcy

La Chartreuse de Parme Si Versailles m’était conté Une si jolie petite plage Le Rouge et le Noir La Beauté du Diable Les Grandes Manœuvres Fanfan la Tulipe Montparnasse 19 Les Sept pêchés capitaux Le Joueur Les Belles de nuit Les Liaisons dangereuses

c. Actualités et films documentaires à la télévision, Inathèque, Bibliothèque nationale de France

Gérard Philipe un prince dans la foule Avignon passions publiques Gérard Philipe : un homme, pas un ange Gérard Philipe un acteur de son temps Cinéma de minuit débat autour de Monsieur Ripois.

352

B. Documents iconographiques

a. Affiches, Bibliothèque nationale de France

Le Diable au corps, René Lefèvre, 60x80, distribution Universal, imprimerie Affiches Gaillard : IFN-5201050. La Chartreuse de Parme, auteur non identifié, distribution André Paulvé, 60x80, imprimerie La Cinématographie française : IFN-5202998. La Beauté du Diable, de Delfo, 160x120, distribution Corona film, imprimerie S.I.P. : IFN- 52003640. La Ronde, Jeanne Marcel, 160x240, distribution Jeannic films, imprimerie Bedos & Cie : IFN-5206868. Fanfan la Tulipe, Michel Landi, 80x58, distribution, société nouvelle des Acacias, imprimerie des Atelier Lalande : IFN-5203114. Les Belles de nuit, Roger Rojac, 120x160, distribution Gaumont, imprimerie La Cinématographie française, 1952 : IFN-5200220. Les Orgueilleux, René Peron, 120x160, distribution Columbia Picture Corporation, imprimerie Bedos et Cie, 1953 : IFN-5202257. Monsieur Ripois, René Peron, 160x120, distribution Cinédis, imprimerie Affiches Gaillard, 1954 : IFN-5200214. Les Grandes Manœuvres, René Péron 160x120, distribution Filmsonor, imprimerie Bedos et Cie, 1955 : IFN-5200251. Pot-Bouille, Anonyme, distribution CCFC, imprimerie Affiches Gaillard, 1957 : IFN- 5210812. Montparnasse 19, Jean Mascii, 160x120, distribution Cocinor, imprimerie Affiches Gaillard, 1958 : IFN52010034. Les Liaisons dangereuses, Jean Masci, 160x120, distribution Les films Marceau, imprimerie Affiches Gaillard, 1959 : IFN-5209273.

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b. Photographies

 Iconothèque, Cinémathèque française

CLA/0422/013, PO0008474, PO0008473 : L’Idiot, photographies de tournage, promotion et plateau. PO0008338, CLA/0396/003, PO0008339 : Le Pays sans étoile, photographies de plateau, tournage et promotion. PO0005626, PO0005627, PO0041300 : Le Diable au corps, photographies de plateau, promotion et tournage. CLA/0396/007, PO0041223 : La Chartreuse de Parme, photographies de tournage et plateau. PO0001627 : Une si jolie petite plage, photographies de plateau. PO0000626, PO0000627, PO0000628 : La Beauté du Diable, photographies de plateau, promotion et tournage. PO0042403, PO0018700 : La Ronde, photographies de promotion et de plateau. PO0039602, PO0039611, PO0039633 : Fanfan la Tulipe, photographies de tournage, plateau, promotion. PO0008345 : Les Sept péchés capitaux, photographies de plateau. PO000629, PO00630, PO00631 : Belles de nuit, photographies de tournage, promotion et plateau. PO0001617, PO0001618, PO0001619 : Les Orgueilleux, photographies de plateau, promotion et tournage PO0008736, PO0008737 : Si Versailles m’était conté, photographies de plateau et tournage. PO0000798, PO000799, PO000800 : Monsieur Ripois, photographies de plateau, tournage et promotion. PO0000557 : Les Amants de la Villa Borghèse, photographies de plateau. PO0005957, PO0005958, PO0005959 : Le Rouge et le Noir, photographies de plateau, promotion et tournage. PO0000652, PO0000653, PO0000654 : Les Grandes manœuvres, photographies de tournage, promotion et plateau.

354

PO0008734, PO0008735 : Si Paris nous était conté, photographies de plateau et promotion. PO0001607, PO000108 : La Meilleure Part, photographies de plateau et tournage. PO0022782, PO0022783 : Les Aventures de Till l’Espiègle, photographies de plateau et tournage. PO0011068, PO001169, PO0011070, PO0011071 : Pot-Bouille, photographies de plateau, promotion et tournage. PO0007631, PO0007632, PO7633 : Montparnasse 19, photographies de plateau, promotion et tournage. PO0010062 : La Vie à deux, photographies de plateau. PO0005637, PO0005638, PO00039 : Le Joueur, photographies de plateau, tournage et promotion. PO0022133, PO0022134 : Les Liaisons dangereuses, photographies de promotion et tournage. PO0017536, PO0017537 : La Fièvre monte à El Pao, photographies de plateau et de tournage. PO0036497, PO0036051, PO0038487, PO0039274, PO0039264 : Photographies de personnalités. PO0000621, PO0000622 : Théâtre National Populaire, photographies de plateau et photogrammes.

 Département des Arts du spectacle, Bibliothèque nationale de France

IFN- 1501112, IFN- 3800173, IFN- 1500469 : portraits de comédiens. 4-COL-71(394,115) : vie publique. 4-COL-71(394,116) : portraits de comédiens. 4-COL-71(394,117) : comédiens après la représentation avec le TNP. 4-COL-71(394,118) : comédiens en répétition avec le TNP. 4-COL-71(394,119) : comédiens au festival d’Avignon. 4-COL-71(394,120) : comédiens lors d’une partie de football.

355

C. Documents sonores

a. Court-métrage avec la voix de Gérard Philipe, Archives françaises du film, Bois d’Arcy

Avec André Gide, 1950, Marc ALLEGRET. Fêtes Galantes, 1951, Jean AUREL. Sur les rivages de l’ambre (Nad bursztynowyn bbrzegeim), 1955, Jan KALINA La Paix vaincra (Pokoj zdobedzie), 1951, Joris IVENS, Jerzy BOSSAK

b. Discographie de Gérard Philipe

SDCR- 5215 : Manifeste du Parti communiste. NUMAV- 520090 : Le petit prince de Saint-Exupéry. SDC 12- 176421 : Mozart raconté aux enfants. B- 13475 : La Belle au bois dormant. SDC 12- 237480 : Pierre et le loup. C- 12891 : Fanfan la Tulipe. 8 MU- 38986 : Les Fables de La Fontaine. SD 25- 169 : Les Aventures de Don Quichotte. SDC 12- 198152 : André Gide. B- 9837-9838 : Le Cid. SDCR- 5199 : Lorenzaccio. SDCR- 5151 : La tragédie de Richard II. SDCR- 5170 : Les grandes heures du TNP. SDCR- 5172 : Les Surréalistes. SD 30- 87420 : Les plus beaux poèmes de la langue française. AB/69- 2 : Les poètes en France.

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BIBLIOGRAPHIE

I. Orientations méthodologiques et épistémologiques

A. Histoire et histoire culturelle

a. Contextualisation

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C. Histoire de de la photographie

BARTHES (Roland), La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Seuil, 1980. BAURET (Gabriel), Approches de la photographie, Paris, Armand Colin, 2004. BESNEHARD (Dominique), Harcourt Paris. Le Mythe, Paris, La Martinière, 2014. BOURDIEU (Pierre), Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, éd. de Minuit, 1965. FRIZOT (Michel), Nouvelle histoire de la photographie, Paris, Bordas, 1974. NORI (Claude), Photographie française des origines à nos jours, Paris, Contrejour, 1988. 100 photos de stars pour la liberté de la presse, Paris, Reporters sans frontières, 2006.

III. Histoire du cinéma

A. Outils de travail

a. Dictionnaires et manuels d’analyse de l’image

AMIEL (Vincent), FARCY (Gérard-Denis), LUCET (Sophie) et SELLIER (Geneviève) (dir.), Dictionnaire critique de l’acteur. Théâtre et cinéma, Rennes, PUR, 2012. AUMONT (Jacques) et MARIE (Michel) (dir.), Dictionnaire théorique et critique du cinéma, Paris, Armand Colin, 2001. BAECQUE (Antoine de) et CHEVALIER (Philippe), Dictionnaire de la pensée du cinéma, Paris, PUF, 2012. CHIRAT (Raymond), Catalogue des films français de long métrage : films de fiction 1940- 1950, Bruxelles, Cinémathèque Royale de Belgique, 1981. MITRY (Jean), Dictionnaire du cinéma, Paris, Larousse, 2004.

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PASSEK (Jean-Loup) (dir.), Dictionnaire du cinéma, Paris, Larousse, 2 volumes, 1995 (1re éd. 1986). TULARD (Jean), Dictionnaire du cinéma, 2 volumes, Paris, Robert Laffont, 2007 (1re éd. 1991). VIRMAUX (Alain et Odette) (dir.), Dictionnaire du cinéma mondial. Mouvements, écoles, tendances, courants, genres, Monaco, éditions du Rocher, 1994.

b. Théorie et analyse de l’image

BAZIN (André), Qu’est-ce que le cinéma, Paris, Cerf, 1958-1962. AUMONT (Jacques), L’image, Paris, Armand Colin, 2005. AUMONT (Jacques), BERGALA (Alain), MARIE (Michel) et VERNET (Marc), Esthétique du film, Paris, Armand Colin, 2008. AUMONT (Jacques), MARIE (Michel), L’analyse du film, Paris, Armand Colin, 2005. CASETTI, Théories du cinéma depuis 1945, Paris, Armand Colin, 2005. JOLY (Martine), Introduction à l’analyse de l’image, Paris, Armand Colin, 2006. JOURNOT (Marie-Thérèse), Le vocabulaire du cinéma, Paris, Armand Colin, 2008. LEUTRAT (Jean-Louis), Le cinéma en perspective : une histoire, Paris, Armand Colin VANOYE (Francis), Récit écrit, récit filmique, Paris, Armand Colin, 2005.

c. Catalogues d’affiche

AUZEL (Dominique), Affiches du 7e art. Le cinéma français à l’affiche, Paris, Henri Veyrier, 1988. Les belles affiches de cinéma. Première époque : 1910-1949, Paris, Atlas, 1986, 158 p. CAPITAINE (Jean-Louis) et CHARTON (Balthazar), L’affiche de cinéma français, Paris, Birr. 1983. CHATEAU (René), Les plus belles affiches de la mémoire du cinéma français, Paris, Edition de l’Amateur, 1992. CHOKO (Stanislas), Affiches de cinéma. Trésors de la Bibliothèque nationale de France, 1896-1960, Paris, Editions de l’Amateur, 1995. SPIESS (Dominique), Affiches cinématographiques de la Cinémathèque française, Paris, Conti, 1989.

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d. Sites internet http://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ http://catalogue.bnf.fr/index.do http://www.cinefiches.com/index.php http://www.cinema-français.fr/index.htm http://cineressources.net/recherchet.php http://genre-ecran.net/ http://imagesociale.fr/ www.imdb.com http://journals.openedition.org/1895/ http://journals.openedition.org/map/index.html

B. Contextualisation

a. Ouvrages généraux

AUGROS (Joël) et KITSOPANIDOU (Kira), L’économie du cinéma américain : histoire d’une industrie culturelle et de ses stratégies, Paris, Armand Colin, 2009. BÄCHLIN (Peter), Histoire économique du cinéma, Paris, La Nouvelle édition, 1947 (1re éd. suisse 1945). BILLARD (Pierre), L’âge classique du cinéma français. Du cinéma parlant à la Nouvelle Vague, Manchecourt, Flammarion, 1995. BOSSENO (Christian-Marc), « Le répertoire du grand écran, le cinéma par ailleurs », RIOUX Jean-Pierre (dir), La Culture de masse en France de la Belle-Epoque à aujourd’hui, Paris, Fayard, 2002, p. 157-219. CRETON (Laurent) (dir.), Théorème, n°5, « Cinéma et (in)dépendance : une économie politique », 1998. CRETON (Laurent), L’économie du cinéma du cinéma français. Production et financement dans les années 1940-1960, Paris, CNRS, 2004.

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CRETON (Laurent), Économie du cinéma. Perspectives stratégiques, Paris, Armand Colin, 2001. GALLINARI (Pauline), « Cinéma et communisme en France », thèse de doctorat, sous la direction de Marie-Pierre Rey, Université de Paris 1, soutenue en 2009. GARCON (François), De Blum à Pétain, Paris, Cerf, 1984. GARCON (François), La Distribution cinématographique en France (1907-1957). Apparition, essor et développement du commerce des films, Paris, CNRS, 2006. GASTON-MAHE (Catherine), La société française au miroir de son cinéma : de la Débâcle à la Décolonisation, Paris, Cerf, 1996. GAUTHIER (Christophe) et VEZYROGLOU (Dimitri) (dir.), L’auteur de cinéma. Histoire, généalogie, archéologie, actes du colloque tenu à l’INHA (Paris) du 6 au 8 décembre 2007, Paris, AFRHC, 2013. KYROU (Ado), Amour, érotisme et cinéma, Paris, Losfeld, 1966 (1re éd. 1957). LEGLISE (Paul), Histoire de la politique du cinéma français, tome, Paris, Filméditions/Pierre Lhermier éditeur, LEPROHON (Pierre), Histoire du cinéma, tome 2, L’étape du film parlant, 1927-1962, Paris, Cerf, 1963, 324 p. MARIE (Laurent), Le cinéma est à nous. Le PCF et le cinéma français de la Libération à nos jours, Paris, L’Harmattan, 2005. MITRY (Jean), Histoire du cinéma. Art et Industrie : tome 5 « Les années quarante », Paris, Delarge, 1980. MOINE (Raphaëlle), Les genres du cinéma, Paris, Armand Colin, 2005, (1re éd. 2002). MOINE (Raphaëlle), Le cinéma français face aux genres, Paris, AFRHC, 2005. MONTEBELLO (Fabrice), Le cinéma en France depuis 1930, Paris, Armand Colin, 2005. PALMA (Paola), « Les coproductions cinématographiques franco-italiennes 1946-1966 : un modèles de « cinéma européen » ? », FOREST (Claude dir.) L’internationalisation des productions cinématographiques et audiovisuelles, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2017, p. 215-234. PALMA (Paola), « Viaggo in Francia : Pathé Italia-French co-productions », Journal of Italian Cinema & Media Studies, vol. 5, n°3, 2017, p. 333-354. PREDAL (René), 50 ans de cinéma français, Paris, Armand Colin, 2005. SADOUL (Georges), Le cinéma français (1890-1962), Paris, Flammarion, 1972. SADOUL (Georges), Histoire du cinéma mondial des origines à nos jours, Paris, Flammarion, 1972 (1re éd. 1949).

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SADOUL (Georges), Histoire générale du cinéma, tome 6, « L’époque contemporaine (1939-1954) », Paris, 1954.

b. Sur le cinéma français de l’après Seconde Guerre mondial aux années 1960

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C. Star et star-système

a. Étude sur le vedettariat

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b. Théories de l’acteur

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c. Approches socio-culturelle des acteurs

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d. Études sur Gérard Philipe : articles, biographies et témoignages

BONAL (Gérard), Gérard Philipe, Paris, Seuil, 1994. BONAL (Gérard), L’album Gérard Philipe, Paris, Seuil. BONAL (Gérard), Gérard Philipe, un jeune homme de son temps, Paris, BNF, 2003.

378

CADARS (Pierre), Gérard Philipe, Paris, Henri Veyrier, 1984. CHAPELLE (Monique), Gérard Philipe, notre éternelle jeunesse, 1965. CIEUTAT (Michel), « Gérard Philipe, comédien charnière », Positif, n°591, 2010, p. 89- 90. DURAND (Philipe), Gérard Philipe, éditions PAC, 1983. LE COZ (Martine), Dictionnaire Gérard Philipe, Paris, L’Harmattan, 1996. MARCY (Mona), Gérard Philipe était mon dieu, Nouvelle Edition Debresse, 1975. NORES (Dominique), Gérard Philipe, Besançon, La Manufacture, 1991. PHILIPE (Anne), Le temps d’un soupir, Paris, Livre de Poche, 1969. PERISSET (Maurice), Gérard Philipe, Paris, Edition Jean-Pierre Olivier, 1975. PICHETTE (Henri), Le tombeau Gérard Philipe, Paris, Gallimard, 1961. ROY (Claude) et PHILIPE (Anne), Gérard Philipe. Souvenirs et témoignages, Paris, Gallimard, 1960. SADOUL (George), Gérard Philipe, Paris, Editions Seghers, 1967. VILAR (Jean), J’imagine mal la victoire sans toi, Avignon, Association Jean Vilar, 2004.

379

ANNEXES

380

1. FILMOGRAPHIE DES JEUNES PREMIERS APRES LA SECONDE

GUERRE MONDIALE

Daniel Gélin La Tentation de Barbizon (1945, Jean Stelli) : 1,7 million d’entrées890 Un ami viendra ce soir (1945, Raymond Bernard) : 3,7 millions d’entrées La Femme en rouge (1946, Louis Cuny) : 1,2 million d’entrées Martin Roumagnac (1946, Georges Lacombe) : 2,5 millions d’entrées Miroir (1946, Raymond Lamy) : 1,8 million d’entrées La Nuit de Sybille (1946, Jean-Paul Paulin) : 557 000 entrées Le Mannequin assassiné (1947, Pierre de Hérain) : 800 000 entrées Le Paradis des pilotes perdus (1948, Georges Lampin) : 1,5 million d’entrées Rendez-vous de juillet (1949, Jacques Becker) : 1,9 million d’entrées Dieu a besoin des hommes (1950, Jean Delannoy) : 2,7 millions d’entrées Édouard et Caroline (1950, Jacques Becker) : 1,6 millions d’entrées La Ronde (1950, Max Ophuls) :1,5 million d’entrées Le Traité de bave et d’éternité (1950, Isidore Isou) : N.R. Les Mains sales (1951, Fernand Rivers) : 1,4 million d’entrées Le Plaisir (1951, Max Ophuls) : 1,2 million d’entrées Une histoire d’amour (1951, Guy Lefranc) : 509 000 entrées Adorables créatures (1952, Christian-Jaque) : 2,7 millions d’entrées Les Dents longues (1952, Daniel Gélin) : 1,3 million d’entrées La Minute de vérité (1952, Jean Delannoy) : 3,1 millions d’entrées La Neige était sale (1952, Luis Saslavsky) : 2 millions d’entrées Rue de l’Estrapade (1952, Jacques Becker) : 1,4 million d’entrées Voce del silenzio (1952, Georges Wilhelm Pabst) : N.R. L’Affaire Maurizius (1953, Julien Duvivier) : 1,7 million d’entrées L’Esclave (1953, Yves Ciampi) : 1,6 million d’entrées Ominione publica (1953, Maurizio Corgnati) : N.R. Sang et lumières (1953, Georges Rouquier) : 2 millions d’entrées Si Versailles m’était conté (1953, Sacha Guitry) : 7 millions d’entrées Allegro squadrone, (1954, Paolo Moffa) : N.R.

890. Chiffres approximatifs des entrées en France. 381

Les Amants du Tage (1954, Henri Verneuil) : 1,8 million d’entrées Napoléon (1954, Sacha Guitry) : 5,4 millions d’entrées Romana (1954, Luigi Zampa) : N.R. L’Homme qui en savait trop (1955, ) : 3,8 millions d’entrées Paris canaille ou Paris coquin (1955, Pierre Gaspard-Huit) : 2,1 millions d’entrées Bonsoir Paris, bonjour l’amour (1956, Ralph Baum) : 1,4 million d’entrées En effeuillant la marguerite (1956, Marc Allégret) : 3,3 millions d’entrées Je reviendrai à Kandara (1956, Victor Vicas) : 1,5 million d’entrées Mort en fraude (1956, ) : 1,4 million d’entrées Charmants garçons (1957, Henri Decoin) : 1,8 million d’entrées Retour de manivelle (1957, De la Patellière) : 2 millions d’entrées Trois jours à vivre (1957, Gilles Grangier) : 1 million d’entrées La Fille de Hambourg (1958, Yves Allégret) : 1 million d’entrées Julie la rousse (1958, Claude Boissol) : 1,7 million d’entrées Suivez-moi jeune homme (1958, Guy Lefrance) : 992 000 entrées

382

Georges Marchal Les Démons de l’aube (1945, Yves Allégret) : 2,4 millions d’entrées Torrents (1946, Serge de Poligny) : 3,9 millions d’entrées La Septième porte (1947, André Zwobada) : 538 000 entrées Bethsabée (1947, Léonide Moguy) : 3,5 millions d’entrées Figure de proue (1947, Christian Stengel) : 1,6 million d’entrées La Passagère (1948, Jacques Daroy) : 2,1 millions d’entrées Dernier amour (1949, Jean Stelli) : 1,8 million d’entrées Au grand balcon (1949, Henri Decoin) : 2,8 millions d’entrées La Voyageuse inattendue (1949, Jean Stelli) : 1,9 million d’entrées La Soif des hommes (1949, Serge de Poligny) : 1,3 million d’entrées Les Derniers jours de Pompéi (1950, Marcel L’Herbier) : 2,1 millions d’entrées Robinson Crusoé (1950, Jeff Musso) : N.R. Le Plus joli pêché du monde (1951, Gilles Grangier) : 1,8 million d’entrées Gibier de potence (1951, Paul Richebé) : 1,7 million d’entrées Messaline (1951, Carmine Gallone) : 2,4 millions d’entrées Douze heures de bonheur (1952, Gilles Grangier) : 738 000 entrées Les Amours finissent à l’aube (1952, Henri Calef) : 1,1 millions d’entrées Les Trois Mousquetaires (1953, André Hunnebelle) : 5,3 millions d’entrées Théodora impératrice de Byzance (1953, Ricardo Fréda) : 1,7 million d’entrées Si Versailles m’était conté (1954, Sacha Guitry) : 7 millions d’entrées Le Vicomte de Bragelonne (1954, Fernando Cerchi) : 2,4 millions d’entrées La Soupe à la grimace (1954, Jean Sacha) : 1,5 million d’entrées Dix-huit heures d’escale (1954, René Jolivet) : N.R. Castiglione (1954, Georges Combret) : 1,3 million d’entrées Cela s’appelle l’aurore (1955, Luis Bunuel) : 1,1 million d’entrées Gil Blas de Santillane (1955, Maurice Cloche) : 1 million d’entrées Mort en ce jardin (1956, Luis Bunuel) : 1,5 million d’entrées Marchand de filles (1957, Maurice Cloche) : 1,4 million d’entrées Quand sonnera midi (1957, Edmond T. Gréville) : 1,2 million d’entrées Filles de nuit (1957, Maurice Cloche) : 797 000 entrées Révolte des gladiateurs (1958, Vittorio Cottafavi) : 1,5 million d’entrées Sous le signe de Rome (1958, Guido Brignone) : 1,4 million d’entrées Les Prisonniers de la brousse (1958, Willy Rozier) : 783 000 entrées

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Henri Vidal Étrange destin (1945, Louis Cuny) : N.R. Les Maudits (1947, René Clément) : 2,3 millions d’entrées L’Éventail (1947, Émile-Edwin Reinert) : 1,6 million d’entrées Le Paradis des pilotes perdus (1948, Georges Lampin) : 1,5 million d’entrées Fabiola (1948, Alessandro Blasetti) : 4,9 millions d’entrées La Belle que voilà (1949, Jean-Paul Le Chanois) : 2,8 millions d’entrées Quai de Grenelle (1950, Émile-Edwin Reinert) : 1,7 million d’entrées Étrange Madame X (1950, Jean Grémillon) : 1,7 million d’entrées La Passante (1950, Henri Calef) : 1,2 million d’entrées Les Sept Péchés capitaux (1951, Carlo Rim) : 1,9 million d’entrées La Jeune folle (1952, Yves Allégret) : 1,4 million d’entrées Art 519 codice penale (1952, Leonardo Cortese) : N.R. C’est arrivé à Paris (1952, Henri Lavorel) : 505 000 entrées Les Femmes mènent le jeu (1953, Giorgio Bianchi) : 1,6 million d’entrées Attila, fléau de Dieu (1953, Pietro Francisi) : N.R. Orient express (1954, Carlo-Ludovico Bragaglia) : 1 million d’entrées Napoléon (1954, Sacha Guitry) : 5,4 millions d’entrées Le Port du désir (1954, Edmond T. Gréville) : 1,8 million d’entrées Série noire (1954, Pierre Foucaud) : 1,7 million d’entrées Les Salauds vont en enfer (1955, ) : 620 000 entrées Les Naufrageurs (1956, Charles Brabant) : 555 000 entrées Action immédiate (1956, Maurice Labro) : 1,5 million d’entrées Porte des Lilas (1956, René Clair) : 3,9 millions d’entrées Une parisienne (1957, Michel Boisrond) : 3,5 millions d’entrées Une manche est belle (1957, Henri Verneuil) : 1,3 million d’entrées Charmants garçons (1957, Henri Decoin) : 1,8 million d’entrées Sois belle et tais-toi (1957, Marc Allégret) : 1,9 million d’entrées Pourquoi viens-tu si tard ? (1958, Henri Decoin) : 2,1 millions d’entrées Sursis pour un vivant (1958, Victor Merenda) : 838 000 entrées

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Jean-Claude Pascal Le Jugement de Dieu (1949, Raymond Bernard) : 767 000 entrées Un grand patron (1951, Yves Campi) : 3,7 millions d’entrées Les Quatre roses rouges (1951, Nunzio Malasomma) : N.R. Ils étaient cinq (1951, ) : 657 000 entrées Le Plus heureux des hommes (1952, Yves Ciampi) : 1,2 million d’entrées La Forêt de l’adieu (1952, Ralph Habib) : 674 000 entrées Un caprice de Caroline Chérie (1952, Jean Devaivre) : 2,8 millions d’entrées Le Rideau cramoisi (1952, Alexandre Astruc) : N.R. Alerte au sud (1953, Jean Devaivre) : 2,9 millions d’entrées Les Enfants de l’amour (1953, Léonide Moguy) : 3,6 millions d’entrées La Rage au corps (1953, Ralph Habib) : 2,3 millions d’entrées Le Chevalier de la nuit (1953, Robert Darène) : N.R. Le Grand jeu (1953, Roger Siodmak) : 3,8 millions d’entrées Si Versailles m’était conté (1954, Sacha Guitry) : 7 millions d’entrées Trois voleurs (1954, Lionello de Félice) : N.R. Le Fils de Caroline Chérie (1954, Jean Devaivre) : 1,7 million d’entrées Mauvaises rencontres (1955, Alexandre Astuc) : 1,2 million d’entrées Milord l’Arsouille (1955, André Haguet) : 1,6 million d’entrées Le Salaire du pêché (1956, Denys de la Patellière) : 1,3 million d’entrées La Châtelaine du Liban (1956, Richard Pottier) : 2,4 millions d’entrées Les Lavandières du Portugal (1957, Pierre Gaspart-Huit) : 3 millions d’entrées Guinguette (1958, Jean Delannoy) : 1,4 million d’entrées Le Fric (1958, Maurice Cloche) : 603 000 entrées Le Pêcheur d’Islande (1958, Pierre Schendoerffer) : 1,3 million d’entrées

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2. FILMOGRAPHIE DETAILLEE DE GERARD PHILIPE

La Boîte aux rêves Date de sortie891 : 11 juillet 1945, entrées N.R. Réalisation : Yves Allégret. Assistant-réalisateur : René Clément. Scénario : Viviane Romance, Yves Allégret, René Lefèvre. Dialogues : René Lefèvre. Société de production : Scalera Film (Rome). Directeur de la photographie : Jean Bourgoin. Décors : George Walkhevictch. Musique : Jean Marion. Son : Paul Habans. Montage : Jean Sacha. Tournage : printemps 1943. Pays de production : France. Interprétation892 : Viviane Romance (Nicole), Franck Villard (Jean), Henri Guisol (Pierre) René Lefèvre (Marc), Gérard Philipe.

Les Petites du quai-aux-fleurs Date de sortie : 27 mai 1944, entrées N.R. Réalisation : Marc Allégret. Scénario : Marcel Auchard, Jean Aurenche. Dialogues : Marcel Auchard. Société de production : Compagnie Cinématographique Méditerranéenne de Production (CIMEP). Directeur de la photographie : Henri Alekan. Son : Émile Lagarde. Musique : Jacques Ibert. Décors : Paul Bertrand, Auguste Capelier. . Montage : Henri Taverna. Tournage : juin-septembre 1943. Pays de production : France. Interprétation : Odette Joyeux (Rosine), Bernard Blier (le docteur Bertrand), (Franck), Simone Sylvestre (Édith), Danièle Delorme (Bérénice), Colette Richard (Idiana), Jacques Dynam (Paulo), Gérard Philipe (Jérome Hardy).

Le Pays sans étoile Date de sortie : 3 avril 1946, 561 000 entrées. Réalisation : George Lacombe. Assistant-réalisateur : Raoul André. Scénario : Pierre Véry, George Lacombe, d’après un roman de Pierre Véry. Adaptation : Pierre Véry, George Lacombe. Dialogues : Pierre Véry. Société de production : Les Films Vog. Directeur de la photographie : Louis Page. Son : Roger Cosson. Musique : Marcel Mirouze. Décors : Robert Gys, Roger Hubert, Émile Duquesne. Montage : Raymond Lamy. Tournage : juillet-août 1945. Pays de production : France.

891 Date de sortie parisienne pour tous les films. 892 Noms cités par ordre d’apparition au générique hors films à scketchs. 386

Interprétation : Jany Holt (Catherine Le Quellec et Aurélia Tallacayud), Pierre Brasseur (Jean-Pierre Pellerin et François-Charles Tallacayud), Gérard Philipe (Simon Legouge et Frédéric Talacayud), Sylvie (Mme Nogret), Auguste Bovério (le juge d’instruction).

L’Idiot Date de sortie : 7 juin 1946, 1 million d’entrées. Réalisation : George Lampin. Scénario : Charles Spaak, d’après un roman de Dostoïevski. Dialogues : Charles Spaak. Société de production : Les Films Sacha Gordine. Producteur : Sacha Gordine. Directeur de la photographie : Christian Matras. Son : Paul Boistelle. Musique : V. de Butzow, Maurice Thieret. Décors : Léon Barsacq. Costumes : Marcel Escoffier. Montage : Léonide Azar. Tournage : février-mars 1946. Pays de Production : France. Interprétation : Edwige Feuillère (Nastasia Philipovna), Luicien Coëdel (Rogojine), Jean Debucourt (Totzky), Sylvie (Mme Ivolvine), Gérard Philipe (Le Prince Muichkine), Maguerite Moreno (la générale Epantchine), Nathalie Nattier (Aglaé).

Le Diable au corps Date de sortie : 12 septembre 1947, 4,8 millions d’entrées. Réalisation : Claude Autant-Lara. Assistant-réalisateur : Ghislaine Auboin. Scénario : Jean Aurenche, Pierre Bost, d’après un roman de Raymond Radiguet. Adaptation : Claude Autant-Lara, Jean Aurenche, Pierre Bost. Dialogues : Jean Aurenche, Pierre Bost. Société de production : Transcontinental Films. Société de distribution : Universal Film. Directeur de la photographie : Michel Kelber. Son : William Robert Sivel. Musique : René Cloërec. Décors : Max Douy. Costumes : Claude Autant-Lara, Monique Dunan. Montage : Yvonne Fortuna. Tournage : septembre-novembre 1946. Pays de production : France. Interprétation : Micheline Presle (Marthe Grangier), Gérard Philipe (François Jaubert), Jean Debucourt (M. Jaubert), Denise Grey (Mme Grangier).

La Chartreuse de Parme Date de sortie : 21 mai 1948, 6,1 millions d’entrées. Réalisation : Christian-Jaque. Scénario : Pierre Véry, d’après un roman de Stendhal. Dialogues : Pierre Véry. Société de production : Les Films André Paulvé, Scalera

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Film (Rome). Producteur : André Paulvé. Directeur de la photographie : Nicolas Hayer, Romolo Garrone, Anchise Brizzi. Son : Joseph de Bretagne, Zavagli. Musique : Renzo Rossellini. Décors : Jean d’Eaubonne, Ottavio Scotti. Costumes : Georges Annenkov, Rosi Gori. Montage : Jean Desagneaux, Guilia Fontana. Tournage : mars-septembre 1947. Pays de production : France, Italie. Interprétation : Renée Faure (Clélia Conti), Lucien Coëdel (le chef de la Police), Louis Salou (Le prince de Parme), Maria Casarès (la duchesse Sanseverina), Gérard Philipe (Fabrice Del Dongo), Louis Seigner.

Une si jolie petite plage Date de sortie : 19 janvier 1949, 849 000 entrées. Réalisation : Yves Allégret. Assistant-réalisateur : Paul Feyder. Scénario et dialogues : Jacques Sigurd. Société de production : Compagnie Industrielle et Commerciale Cinématographique (CICC). Producteur : Emile Darbon. Société de distribution : Les Films Corona. Directeur de la photographie : Henri Alekan. Son : Pierre Caalvet, Jacques Carrière. Musique : Maurice Thieret. Décors : Maurice Colasson. Montage : Léonide Azar. Tournage : mai-juillet 1948. Interprétation : Madeleine Robinson (Marthe), Gérard Philipe (Pierre), Jean Servais (Fred), André Valmy (Georges), Jane Marken (Mme Mathieu).

Tous les chemins mènent à Rome Date de sortie : 16 septembre 1949 Réalisation : Jean Boyer. Assistant-réalisateur : Lilly Pickardt. Scénario et dialogues : Jacques Sigurd. Société de production : Speva Films. Directeur de la photographie : Christian Matras. Son : Pierre Calvet. Musique : Paul Misraki. Décors : Léon Barsacq. Costumes : Marcel Escoffier. Montage : Jacques Desagneux. Tournage : 17 septembre-30 novembre 1948. Pays de production : France Interprétation : Gérard Philipe (Gabriel Pegase), Micheline Presle (Laura Lee), Marcelle Arnold (Hermine), Marion Delbo (Mady), Jacques Louvigny (L’ambassadeur), Albert Rémy (Edgar).

388

La Beauté du diable Date de sortie : 17 mars 1950, 2,8 millions d’entrées. Réalisation : René Clair. Assistant-réalisateur : Michel Boisrond. Scénario et dialogues : René Clair, Armand Salacrou. Adaptation : René Clair, Armand Salacrou. Société de production : Ente Nazionale Industrie Cinematographiche (ENIC, Rome) Universalia (Rome), Franco-London-Film. Directeur de la photographie : Michel Kelber. Son : Robert Biart. Musique : Roman Vlad. Décors : Léon Barsacq. Costumes : Antoine Mayo. Montage : James Cuenet. Tournage : juillet-août 1949. Pays de production : France, Italie. Interprétation : Michel Simon (Méphistophélès et Faust âgé), Gérard Philipe (Méphistophélès et Faust Jeune), Simone Valère (la princesse), Nicole Besnard (Marguerite).

La Ronde Date de sortie : 27 septembre 1950, 1,5 million d’entrées. Réalisation : Max Ophuls. Assistant-réalisateur : Paul Feyder, Tony Aboyantz. Scénario : Jacques Nantanson, Max Ophuls. Adaptation : Arthur Schnitzler. Dialogues : Jacques Nantanson. Société de production : Les Films Sacha Gordine. Producteur : Sacha Gordine. Société de distribution : Carlotta Film. Directeur de la photographie : Christian Matras. Son : Pierre Calvet. Musique préexistante : Oscar Strauss. Musique originale : Joe Hajos. Chansons originales : Louis Ducreux. Décors : Jean D’Eaubonne. Costumes : Georges Annenkov. Tournage : 23 janvier-18 mars 1950. Pays de production : France.

Souvenirs perdus Date de sortie : 11 novembre 1950, 2,4 millions d’entrées. Réalisation : Christian-Jaque. Scénario : Jacques et Pierre Prévert, Henri Jeanson, Paul Véry. Adaptation : Jacques Companeez, Christian-Jaque. Producteur : Jacques Roitfeld. Dialogues : Jacques Prévert, Henri Jeanson, Bernard Zimmer. Directeur de la photographie : Christian Matras. Son : Joseph de Bretagne. Musique : . Décors : Robert Gys. Montage : Jacques Desagneux. Tournage : 19 avril- 7 juillet 1950. Pays de production : France.

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Juliette ou la clef des songes Date de sortie : 18 mai 1951, 513 000 entrées. Réalisation : Marcel Carné. Scénario : Jacques Viot, Marcel Carné d’après une pièce de Georges Neveux. Adaptation : Jean Cocteau. Dialogues : Georges Neveux. Société de production : Films Sacha Gordine. Producteur : Sacha Gordine. Directeur de la photographie : Henri Alekan. Son : Jacques Lebreton. Musique : Joseph Kosma. Décors : Alexandre Trauner, auguste Capelier. Costume : Antoine Mayo. Tournage : 3 juillet-12 octobre 1950. Pays de Production : France. Interprétation : Gérard Philipe (Michel), Suzanne Cloutier (Juliette), Jean Caussimon (M. Bellanger et le Prince), Yves Robert (l’accordéoniste).

Fanfan la Tulipe Date de sortie : 20 mars 1952, 6,7 millions d’entrées. Réalisation : Christian-Jaque. Scénario : René Wheeler, René Fallet. Adaptation : Henri Jeanson, Renée Wheeler, Christian-Jaque. Dialogues : Henri Jeanson. Société de production : Les Films Ariane, Filmsonor, amato Produzione (Rome). Société de distribution : Filmsonor. Directeur de la photographie : Christian Matras. Son : Lucien Lacharmoise. Musique : Georges Van Parys, Maurice Thieret. Décors : Robert Gys. Costumes : Marcel Escoffier, Jean Zay. Montage : Jacques Desagneux. Tournage : 20 août-16 novembre 1951 et 18 décembre 1951-3 janvier 1952. Pays de production : France, Italie. Interprétation : Gérard Philipe (Fanfan), Gina Lollobrigida (Adeline), Noël Rocquevert (Fier-à-Bras), Geneviève Page (la Marquise de Pompador), Marcel Herrand (Louis XV), Olivier Hussenot.

Les Sept péchés capitaux Date de sortie : 30 avril 1952, 1,9 million d’entrées. Réalisation : Georges Lacombe. Scénario et adaptation et dialogues : René Wheeler. Société de production : Franco-London-Film. Directeur de la photographie : Robert Lefebvre. Son : Jean Rieul. Musique : Yves Baudrier. Décors : Max Douy. Tournage : 18-21 février 1952. Pays de production : France.

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Belles de nuit Date de sortie : 14 novembre 1952, 3,5 millions d’entrées. Réalisation : René Clair. Assistant-réalisateur : Michel Boisrond. Scénario et dialogues : René Clair. Société de production : Franco-London-Film. Directeur de la photographie : Armand Thirard. Son : Antoine Petitjean. Musique : Georges Van Parys. Décors : Léon Barsacq. Costumes : Georgette Filllon, Rosine Delamare. Montage : Louisette Hautecoeur. Tournage : 1 avril-6 juin 1952. Pays de production : France, Italie. Interprétation : Gérard Philipe (Claude), Martine Carol (Edmée et Edmée 1900), Gina Lollobrigida (la caissière et Leila), Magali de Vendeuil (Suzanne).

Les Orgueilleux Date de sortie : 25 novembre 1953, 2,8 millions d’entrées. Réalisation : Yves Allégret. Scénario : Yves Allégret, Jean Aurenche, d’après une œuvre de Jean-Paul Sartre. Dialogues : Jean Aurenche, Jean Clouzot, Pierre Bost. Société de production : CICC, Reforma Films, Chrysaor Films. Producteur : Raymond Borderie. Directeur de la photographie : Alex Philips. Son : Luis Fernandez, William Robert Sivel. Musique : Paul Misraki. Décors : Gunther Geiszo, Auguste Capelier. Montage : Claude Nicole. Tournage : 20 avril-13 juillet 1953. Pays de production : France, Mexique. Interprétation : Michèle Morgan (Nelly), Gérard Philipe (Georges), Carlos Lopez Moctezuma (Rodrigo), Michèle Cordoue, André Toffet (Tom).

Si Versailles m’était conté Date de sortie : 12 février 1954, 7 millions d’entrées. Réalisation : Sacha Guitry. Assistant-réalisateur : François Gyr, Gérard Renateau, Francine Corteggiani, Michel Bonnay. Scénario et dialogues : Sacha Guitry. Société de production : Société de Production de Films de Long et Court-Métrage (CLM, Paris). Société de Distribution : Cocinor – Comptoir Cinématographique du Nord. Directeur de la photographie : Pierre Montazel). Son : Joseph de Bretagne. Musique : Jean Françaix. Décors : René Renoux. Costumes : Maggy Rouff, Alex Papin,, Monique Dunan. Montage : Raymond Lamy. Tournage : 6 juin-18 septembre 1953. Pays de production : France.

391

Monsieur Ripois Date de sortie : 19 mai 1954, 2 millions d’entrées. Réalisation : René Clément. Scénario : René Clément. d’après une œuvre de Louis Hémon. Adaptation : René Clément, Hugh Mills. Dialogues : Hugh Mills, Raymond Queneau. Directeur de la photographie : Oswald Morris. Son : Cécile Mason. Musique : Roman Vlad. Décors : Ralph W.Brinton. Costumes : Pierre Balmain, Freda Pearson. Montage : Françoise Javet, Véra Campbell. Société de production : Transcontinentale Films. Société de distribution : Cinédis. Tournage : 8 juillet-3 octobre 1953. Pays de production : France, Grande-Bretagne. Interprétation : Gérard Philipe (André Ripois), Valérie Hobson (Catherine), Natasha Parry (Patricia), Margaret Jonhson (Ann).

Les Amants de la villa Borghèse Date de sortie : 28 mai 1954, 675 000 entrées. Réalisation : Gianni Franciolini. Scénario et dialogues : A. Curcio, L. Ferri, E. Flaiano, R. Sonego, A.E. Scarpelli. Directeur de la photographie : Mario Bava. Musique : Mario Nascimbene. Tournage : octobre 1953. Pays de production : . Interprétation : Gérard Philipe (l’amant), Micheline Presle (la femme mariée), Vittorio de Sica, , François Périer.

Le Rouge et le Noir Date de sortie : 29 octobre 1954, 4,3 millions d’entrées. Réalisation : Claude Autant-Lara. Scénario, dialogues et adaptation : Claude Autant- Lara, Jean Aurenche, Pierre Bost, d’après une œuvre de Stendhal. Société de production : Franco-London-Film, Documento Film (Rome). Directeur de la photographie : Michel Kelber. Son : Antoine Petitjean. Musique : René Cloërec. Décors : Max Douy. Costumes : Rosine Delamare, Paulette Coquatrix, Jacques Heim. Montage : Madeleine Gug. Tournage : 24 mars-5 juin 1954. Pays de production : France, Italie. Interprétation : Gérard Philipe (Julien Sorel), Danielle Darrieux (Louise de Rénal), Antonella Lualdi (Mathilde de la Môle), Jean Martinelli (Monsieur de Rénal).

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Les Grandes Manœuvres Date de sortie : 26 octobre 1955, 5,3 millions d’entrées. Réalisation : René Clair. Assistant-réalisateur : Michel Boisrond, Serge Vallin. Scénario et dialogues : René Clair. Adaptation : René Clair, Jéromme Géronimi, Jean Marsan.. Société de production : Filmsonor, Rizzoli Film (Rome). Société de Distribution : Cinedis. Directeur de la photographie : Robert Lefebvre. Son : Antoine Petitjean. Musique : Georges Van Parys . Décors : Léon Barsacq. Costumes : Rosine Delamare. Montage : Louisette Hautecoeur. Tournage : 28 avril-8 juillet 1955. Pays de production : France, Italie. Interprétation : Gérard Philipe (Armand de la Verne), Michèle Morgan (Marie- Louise Rivière), Jean Desailly (Victor Duverger), Yves Robert (Félix), Magali Noël (Thérèse).

La Meilleure Part Date de sortie : 26 octobre 1956, 2 millions d’entrées. Réalisation : Yves Allégret. Adaptation : Jacques Sigurd et Yves Allégret. Scénario et dialogues : Jacques Sigurd, d’après une œuvre de Philipe Saint-Gil. Directeur de la photographie : Henri Alekan. Son : Robert Biard. Musique : Paul Misraki. Décors : Auguste Capelier. Montage : Claude Nicole. Société de production : Le Trident, Silver Films (Paris), Noria Film (Rome). Société de distribution : Columbia. Tournage : 25 juillet-8 octobre 1955. Pays de production : France, Italie. Interprétation : Gérard Philipe (Perrin), Michèle Cordoue (Micheline), Gérard Oury (Bailly).

Si Paris nous était conté Date de sortie : 10 février 1956, 2,8 millions d’entrées. Réalisation : Sacha Guitry. Assistant-réalisateur : Jean Vivet, Daniel L. Aubry. Scénario et dialogues : Sacha Guitry. Société de production : CLM, Société Nouvelle des Etablissements Gaumont (SNEG), Franco-London-Film. Directeur de la photographie : Philipe Agostini. Son : Joseph de Bretagne, Emile Lagarde. Musique : Jean Françaix. Décors : René Renoux, Henri Schmitt. Costumes : Monique Dunan, Maggy Rouff. Montage : Paulette Robert. Tournage : 18 août-10 novembre 1956. Pays de production : France.

393

Les Aventures de Till L’Espiègle Date de sortie : 7 novembre 1956, 2,3 millions d’entrées. Réalisation : Gérard Philipe893. Scénario : Gérard Philipe et Renée Wheeler, d’après une œuvre de Charles de Coster. Dialogues : René Barjavel. Société de production : Deutsche Film Aktiengesellschaft (DEFA, Berlin), Les Films Ariane (Paris). Directeur de la photographie : Christian Matras. Son : William Robert Sivel. Musique : Georges Auric. Décors : Léon Barsacq. Costumes : Rosine Delamare. Montage : Claude Nicole. Tournage : 27 février-13 juillet 1956. Pays de production : France, République démocratique allemande. Interprétation : Gérard Philipe (Till), Jean Vilar (le duc D’Albe), Nicole Berger (Nell), (Lamme), Jean Debucourt (le cardinal).

Pot-Bouille Date de sortie : 18 octobre 1957, 2,6 millions d’entrées. Réalisation : Julien Duvivier. Assistant-réalisateur : Michel Romanoff, Pierre Maho. Scénario et Adaptation : Julien Duvivier, Léo Joannon, Henri Jeanson, d’après une d’Emile Zola. Dialogues : Henri Jeanson. Société de production : Paris-Films Production, Panitalia (Rome). Producteur : Raymond et Robert Hakim. Société de distribution : Compagnie Commerciale Française Cinématographique (CCFC, Paris). Directeur de la photographie : Michel Kelber. Son : Jacques Carrière. Musique : Jean Wiener. Décors : Léon Barsacq. Costumes : Marcel Escoffier, Jean Zay. Montage : Madeleine Gug. Tournage : 6 mai-2 juillet 1957. Pays de production : France, Italie. Interprétation : Gérard Philipe (Octave Mouret), Danielle Darrieux (Caroline Hédouin), Dany Carrel (Berthe Josserand), Jacques Duby (Auguste Vabre).

Montparnasse 19 Date de sortie : 4 avril 1958, 1,3 million d’entrées. Réalisation : Jacques Becker. Assistant-réalisateur : Serge Witta, Jean Becker. Scénario : Jacques Becker, d’après une œuvre de Michel Georges-Michel. Dialogues : Jacques Becker, Max Ophuls. Adaptation : Max Ophuls, Henri Jeanson. Société de production : Franco-Londo-Films, Astra Cinematografica (Rome). Producteur : Henri Deutschmeister. Société de distribution : Cocinor – Comptoir

893 Supervision technique non créditée : Joris Ivens. 394

Cinématographique du Nord. Directeur de la photographie : Christian Matras. Son : Gilbert Chain. Musique : Paul Misraki. Décors : Jean d’Eaubonne. Costumes : Georges Annenkov, Jacques Heim. Montage : Marguerite Renoir. Tournage : 19 août-25 octobre 1957. Pays de production : France, Italie. Interprétation : Gérard Philipe (Amedeo Modigliani), Anouk Aimée (Jeanne Hébuterne), Lili Palmer (Béatrice).

La Vie à deux Date de sortie : 24 septembre 1958, 2,7 millions d’entrées. Réalisation : Clément Duhour. Assistant-réalisateur : Jacques Poitrenaud, Henri Bérard. Scénario et dialogues : Sacha Guitry. Adaptation : Jean Martin. Société de production : CLM. Producteur : Clément Duhour. Société de distribution : Cocinor – Comptoir Cinématographique du Nord. Directeur de la photographie : Rober Lefebvre. Son : Joseph de Bretagne. Musique : Hubert Rostaing. Décors : Raymond Gabuttini. Montage : Paulette Robert. Tournage : 22 janvier-25 février 1958. Pays de production : France.

Le Joueur Date de sortie : 26 novembre 1958, 937 000 entrées. Réalisation : Claude Autant-Lara. Scénario : Pierre Bost, d’après une œuvre de Dostoïevski. Adaptation et dialogues : Jean Aurenche, Pierre Bost, François Boyer. Directeur de la photographie : Jacques Natteau. Son : René-Christian Forget. Musique : René Cloërec. Décors : Max Douy. Montage : Madeleine Gug. Société de production : Franco-London-Film, Zebra Film (Rome). Société de distribution : Gaumont distribution. Tournage : 20 mars-17 mai 1958. Pays de production : France, Pologne. Interprétation : Gérard Philipe (Alexeï), Lizette Pulher (Pauline), Françoise Rosay (tante Antonia), Bernard Blier (général Zagorianski).

395

Les Liaisons dangereuses 1960 Date de sortie : 9 septembre 1959, 4,3 millions d’entrées. Réalisation : Roger Vadim. Assistant-réalisateur : Jacques Poitrenaud, Serge Marquand, Jean-Michel Lacor. Scénario et adaptation : Roger Vadim, Roger Vailland, Claude Brulé, d’après une œuvre de Choderlos de Laclos. Dialogues : Roger Vailland. Société de production : Les Films Marceau (Paris). Producteur : Edmond Ténoudji. Société de distribution : Les Films Marceau. Directeur de la photographie : Michel Grignon. Son : Robert Biart. Musique : Duke Jordan, James Campbell. Décors : Ro1bert Guisgand. Costumes : Gladys de Segonzac. Montage : Roger Mercanton. Tournage : 23 février-30 avril 1959. Pays de production : France. Interprétation : Gérard Philipe (Valmont), Jeanne Moreau (Juliette de Merteuil), Annette Vadim (Marianne Tourvel), Jean-Louis Trintignant (Danceny).

La Fièvre monte à El Pao Date de sortie : 6 janvier 1960, 1,6 million d’entrées. Réalisation : Luis Buñuel. Assistant-réalisateur : Ignacio Villreal, Juan Luis Bunuel. Adaptation : Luis Buñuel, Luis Alcoriza, d’après une œuvre d’Henri Castillou. Scénario : Luis Buñuel, Luis Alcooriza, Louis Sapin, Charles Dorat, Henri Castillou, Dialogues : Louis Sapin, José Luis Gonzales de Léon. Directeur de la photographie : Gabriel Figueroa. Son : William Robert Sivel. Musique : Paul Misraki. Décors : Pablo Galvan. Costumes : Ana Maria Jones, Armando Valdés Peza. Montage : Rafael Lopez Ceballos, James Cuenet. Société de production : Groupe des Quatre (Paris), Cinematographica Filmex (Mexico). Producteur : Raymond Borderie, Gregorio Walerstein. Société de distribution : Les Films Corona. Tournage : 11 mai- 11juillet 1959. Pays de production : France, Mexique. Interprétation : Gérard Philipe (Ramon Vasquez), Maria Félix (Inès), Jean Servais (Gual).

396

3. THEATROGRAPHIE DE GERARD PHILIPE

Une grande fille toute simple Pièce d’André Roussin. Mise en scène : Louis Ducreux. Décors : Georges Whakevitch. Première représentation : casino de Cannes, 11 juillet 1942. Interprétation894 : Claude Dauphin, Pierre Louis, Jean Mercanton, Gérard Philipe, Madeleine Robinson.

Une jeune fille savait Pièce d’André Haguet. Tournée de Rasimi durant l’hiver 1943. Interprétation : Gérard Philipe (Coco), Svetlana Pitoëff, Marcelle Arnold.

Sodome et Gomorrhe Pièce de Jean Giraudoux. Mise en scène : Georges Douking. Décors et costumes : Christian Bérard. Musique : Arthur Honneger. Première représentation : Théâtre Hébertot, Paris, 11 octobre 1943. Interprétation : Lise Delamare, François Chaumette, Edwige Feuillère, Bernadette Lange, Gérard Philipe.

Au petit bonheur Pièce de Gilbert Sauvajon. Mise en scène : Fred Pasquali. Décors : Roger Domès, Robes de Lucien Lelong. Première représentation : Théâtre Gaumont, Paris, 8 novembre 1944. Interprétation : Sophie Desmaret, Odette Joyeux, Jean Marchat, Gérard Philipe.

Fédérigo Pièce de René Laporte d’après une œuvre de Prosper de Mérimée. Mise en scène et décors : Marcel Herrand. Costumes : Grès ; Musique : Georges Auric. Première représentation : Théâtre des Mathurins, Paris, 3 mars 1945. Interprétation : Maria Casarès, Jean Marchat, Claude Piéplu, Gérard Philipe.

Caligula

894 Noms cités par ordre alphabétique. 397

Pièce d’Albert Camus. Mise en scène : Paul Oettly. Décors : Louis Miquel. Costumes : Marie Viton. Première représentation : Théâtre Hébertot, Paris, 26 septembre 1946. Interprétation : Michel Bouquet, Henri Duval, Gérard Philipe, Georges Vitaly.

Les Épiphanies Pièce d’Henri Pichette. Mise en scène Georges Vitaly. Décors Matta. Musique : Maurice Roche. Première représentation : Théâtre des Noctambules, Paris, 3 décembre 19’47. Interprétation : Roger Blin, Maria Casarès, Michel Michalon, Gérard Philipe.

K.M.X Labrador Pièce de Jacques Deval. Mise en scène : Marcel Herrand. Première représentation : Théâtre de la Michodière, Paris, 29 janvier 1948. Interprétation : Claude Génia, Gérard Philipe, Karin Vengry.

Le Figurant de la Gaïté Pièce d’Alfred Savoir. Mise en scène : Marcel Herrand. Première représentation : Théâtre Montparnasse-Gaston Baty, Paris, 23 février 1949. Interprétation : Michel André, Jacqueline Maillan, Mia Parély, Gérard Philipe.

Le Prince de Hombourg Pièce de Henrich von Kleist. Adaptation : Jean Curtis. Régie : Jean Vilar. Costumes : Léon Gischia. Musique : . Première représentation : cour du Palais des Papes, Avignon, 15 juillet 1951. Interprétation : Jeanne Moreau, Gérard Philipe, Françoise Spira, Jean Vilar.

La Calandria Pièce de Bernardo Dovizi de Bibbiana. Adaptation : Michel Arnaud. R2gie Jean Vilar. Décors et costumes : Léon Gischia. Première représentation : verger d’Urbain V, Palais des Papes, Avignon, 17 juillet 1951. Interprétation : Monique Chaumette, Jean Négroni, Gérard Philipe, Françoise Spira, Jean Vilar.

398

Le Cid Pièce de Cornelle. Régie : Jean Vilar. Décors et costumes : Léon Gischia. Musique : Maurice Jarre. Première représentation : cour d’honneur du Palais des Papes, Avignon, 18 juillet 1951. Interprétation : Monique Chaumette, Jean Négroni, Gérard Philipe, Françoise Spira, Jean Vilar.

Mère Courage Pièce de Bertold Brecht. Adaptation : Geneviève Serreau, Benno Besson. Décors et costumes : Édouard Pignon. Musique : Paul Dessau. Première représentation : TNP, Théâtre de la Cité-Jardin, Suresnes, 18 novembre 1951. Interprétation : Monique Chaumette, Germaine Montéro, Gérard Philipe, Françoise Spira, Jean Vilar.

Nucléa Pièce d’Henri Pichette. Mise en scène : Gérard Philipe. Décors : Alexandre Calder. Musique : Maurice Jarre. Première représentation : TNP, Palais de Chaillot, Paris, 3 mai 1952. Interprétation : Louis Arbessier, Jeanne Moreau, Jean Négroni, Gérard Philipe, Jean Vilar.

Lorenzaccio Pièce d’Alfred de Musset. Mise en scène Gérard Philipe. Décors et costumes : Léon Gischia. Musique : Maurice Jarre. Première représentation : TNP, cour d’honneur du Palais des Papes, Avignon, 15 juillet 1952. Interprétation : Jean Deschamps, Daniel Ivernel, Gérard Philipe, Françoise Spira.

La Nouvelle Mandragore Pièce de Jean Vauthier d’après une œuvre de Machiavel. Mise en scène : Gérard Philipe. Décors et costumes : Édouard Pignon. Première représentation : TNP, Palais de Chaillot, Paris, 20 décembre 1952. Interprétation : Jeanne Moreau, Jean-Paul Moulinot, Gérard Philipe, Georges Wilson.

399

La Tragédie du Roi Richard II Pièce de . Régie : Jean Vilar. Costumes : Léon Gischia. Première représentation : TNP, Théâtre de la Cité-Jardin, Suresnes, 27 mai 1953. Interprétation : Jean Deschamps, Jean-Paul Mouliot, Gérard Philipe, Jean Vilar.

Ruys Blas Pièce de Victor Hugo. Régie Jean Vilar. Costumes : Léon Gischia. Première représentation : TNP, Palais de Chaillot, Paris, 23 février 1954. Interprétation : Jean Deschamps, Philipe Noiret, Gérard Philipe, Daniel Sorano, Gaby Sylvia.

Les Caprices de Mariannes Pièce d’Alfred de Musset. Régie Jean Vilar. Décors et costumes : Léon Gischia. Musique : Maurice Jarre. Première représentation : TNP, cour d’honneur du Palais des Papes, Avignon, 15 juillet 1958. Interprétation : Lucienne Le Marchand, Geneviève Page, Gérard Philipe, Georges Wilson.

On ne badine pas avec l’amour Pièce d’Alfred de Musset. Mise en scène : René Clair. Décors et costumes : Édouard Pignon. Musique : Maurice Jarre. Première représentation : TNP, Palais de Chaillot, Paris, 4 février 1959. Interprétation : Robert Arnoux, , Gérard Philipe, Georges Wilson.

400

4. REPARTITION DES INTERPRETATIONS DE GERARD PHILIPE PAR ANNEE

Année Cinéma Théâtre 1946 2 1947 1 1 1948 2 2 1949 1 1 1950 3 1951 1 3 1952 2 3 1953 3 1 1954 1 2 1955 3 1956 1 1 1957 2 1958 2 1

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5. FILMS EN COSTUMES SUPERIEURS A 3 MILLIONS D’ENTREES (1946-1958)

5 millions 4 millions 3 millions

Fanfan la Tulipe Cadet Rousselle Caroline Chérie Les Violettes impériales Ali Baba et les quarante Il est minuit Dr Schweitzer Les Trois Mousquetaires voleurs Belles de nuit Si Versailles m’était conté Le Rouge et le Noir Lucrèce Borgia Les Grandes manœuvres French Cancan Mam’zelle Nitouche Napoléon Gervaise Don Juan Le Comte de Monte-Cristo Les Aventures d’Arsène Notre-Dame de Paris Lupin Michel Strogoff Sans famille La Jument verte Les Misérables

Source : Susan Hayward, French Costume Drama of the 1950s. Fashioning Politics in Film, UK/Chicago, Intellect Bristol, 2010, p. 33.

402

6. LES TROIS STARS VEHICULES DU FILM EN COSTUMES FRANÇAIS

Philipe Marais Marchal Origine sociale Classe inférieure Aristocrate Aristocrate Origine humble Psychologie Séducteur Fanfaron Semblable à Marais Moralité douteuse Justicier Arriviste Cherche la revanche Physique Sex-symbol 1950s Viril Bel homme Dandy Corps trapu, Athlète, viril Corps léger, svelte puissant Carrure moyenne Jambes longues

Source : Susan Hayward, French Costume Drama of the 1950s. Fashioning Politics in Film, UK/Chicago, Intellect Bristol, 2010, p. 68.

403

7. BOX-OFFICE APRES LA SECONDE GUERRE MONDIALE EN FRANCE

1946

Pinocchio USA Disney 7,8 Mission spéciale France Canonge (de) 6,8 Symphonie pastorale (La) France Delannoy 6,4 Père tranquille (Le) France Clément 6,1 Odyssée du docteur Wassel (L') USA De Mille 5,9 Bataille du rail (La) France Clément 5,7 Bal des sirènes (Le) USA Sidney 5,4 Voleur de Bagdad (Le) GB Berger 5,1 Capitan (Le) France Vernay 5,1 Livre de la jungle (Le) GB Korda 5,1 Destins France Pottier 4,7 Mille et une nuits (Les) USA Rawlins 4 ,5 Fantasia USA Disney 4,3 Madame Miniver USA Wyler 4 Jericho France Calef 3,9 Belle et la bête (La) France Cocteau 3,8 Un ami viendra ce soir France Bernard 3,8 Roger la honte France Cayatte 3,7 Gardian (Le) France Marguenat (de) 3,5 Ange qu'on m'a donné (L') France Choux 3,4

Source : ressources documentaires de l’ANR Ciné Pop 50 (http://cinepop50.u-bordeaux- montaigne.fr/box-office.html)

404

1947

Bataillon du ciel (Le) France Esway 8,7 Pour qui sonne le glas USA Wood 8,3 Monsieur Vincent France Cloche 7 Pas si bête France Berthomieu 6,2 Quai des orfèvres France Clouzot 5,5 Rebecca USA Hitchcock 5,1 Diable au corps (Le) France Autant-Lara 4,7 Plus belles années de notre vie USA Wyler 4,7 (Les) Aventures de Casanova (Les) France Boyer 4,4 Silence est d'or (Le) France Clair 4,2 Valse dans l'ombre (La) USA Le Roy 3,9 Torrents France Poligny (de) 3,9 Mariage de Ramuntcho (Le) France Vaucorbeil (de) 3,8 Chanteur inconnu (Le) France Cayatte 3,6 Antoine et Antoinette France Becker 3,6 Casablanca USA Curtiz 3,6 Bethsabée France Moguy 3,5 Arènes Sanglantes USA Mamoulian 3,4 Aigle des mers (L') USA Curtiz 3,3 Desperados (Les) USA Vidor 3,1

405

1948

Bambi USA Disney 10,7 Chartreuse de parme (La) France Christian-Jaque 6,1 Bataille de l'eau lourde (La) France Müller 5,3 Clochemerle France Chenal 5 Aux yeux du souvenir France Delannoy 4,6 Casse-pieds (Les) France Dréville 4,3 Aventures des pieds nickelés (Les) France Aboulker 4,1 Ambre USA Preminger 3,9 Blanc comme neige France Berthomieu 3,6 Enchaînés (Les) USA Hitchcock 3,6 Ali Baba et les quarante voleurs USA Lubin 3,6 D'homme à homme France Christian-Jaque 3,6 Maître de forge (Le) France Rivers 3,5 Sept ans de malheur Italie Borghesio 3,5 Fils de Robin des bois (Le) USA Sherman 3,4 Par la fenêtre France Grangier 3,2 Mandrin France Jayet 3,1 Dédée d'Anvers France Allégret 3 Mademoiselle s'amuse France Boyer 3 Rocambole France Baroncelli (de) 2,9

406

1949

Jeanne d'Arc USA Fleming 7,1 Jour de fête France Tati 6,7 Troisième homme (Le) GB Reed 5,7 Fabiola France/Italie Blasetti 4,9 Tuniques écarlates (Les) USA De Mille 4,7 Barry France Pottier 4,1 Aventures de Don Juan (Les) USA Sherman 3,7 Duel au soleil USA Vidor 3,7 Cœur sur la main (Le) France Berthomieu 3,7 Manon France Clouzot 3,4 Héroïque Monsieur Boniface (L') France Labro 3,3 Gigi France Audry 3,2 Riz amer Italie De Santis 3,1 Capitaine de Castille USA King 3,1 On demande un assassin France Neubach 3,1 Voleur de bicyclette (Le) Italie Sica (de) 3 Chaussons rouges (Les) GB Powell 2,9 Au grand balcon France Decoin 2,8 Deux amours France Pottier 2,7 Fandango France Reinert 2,6

407

1950

Autant en emporte le vent USA Fleming 16, 8 Cendrillon USA Disney 12,8 Nous irons à Paris France Boyer 6,7 Uniformes et grandes manœuvres France Le Hénaff 4,6 Trois Mousquetaires (Les) USA Sidney 4,4 Justice est faite France Cayatte 4,3 Rosier de madame Husson (Le) France Boyer 4,3 Meurtres France Pottier 4 Roi pandore (Le) France Berthomieu 3,6 Conquérants d'un nouveau monde (Les) USA De Mille 3,1 Cage aux filles (La) France Cloche 3 ,1 Grand Cirque (Le) France Péclet 3 Pigalle-Saint-Germain-des-Prés France Berthomieu 3 Nous voulons un enfant Danemark O'Fredericks 2,9 Belle que voilà (La) France Le Chanois 2,8 Senorita toréador (Fiesta) USA Thorpe 2,7 Dieu a besoin des hommes France Delannoy 2,7 Marie du port (La) France Carné 2,7 Ronde des heures (La) France Ryder 2,7 Iwo Jima USA Dwan 2,6

408

1951

Samson et Dalila USA DeMille 7,1 Andalousie France Vernay 5,7 Flèche et le flambeau (La) USA Tourneur 4,3 Mines du roi Salomon (Les) USA Bennett 4,1 Roi des camelots (Le) France Berthomieu 4,1 Demain il sera trop tard Italie Moguy 4 Chacun son tour France Berthomieu 3,8 Un grand patron France Ciampi 3,7 Caroline chérie France Pottier 3,6 Topaze France Pagnol 3,9 Paris chante toujours France Montazel 3 Alice au pays des merveilles USA Disney 3 Deux Gamines (Les) France Canonge (de) 2,8 Auberge rouge (L') France Autant-Lara 2,7 Ma femme est formidable France Hunebelle 2,6 Garou-Garou, le passe-muraille / Passe- France Boyer 2,6 muraille (Le) Nuit est mon royaume (La) France Lacombe 2,5 Piédalu à Paris France Loubignac 2,5 Kim USA Saville 2,5 Barbe-bleue France Christian- 2,5 Jaque

409

1952

Petit Monde de don Camillo (Le) Italie/France Duvivier 12,8 Violettes impériales France/Espagne Pottier 8 Fanfan la tulipe France Christian- 6,7 Jaque Ivanhoé USA Thorpe 6,3 Limelight / Feux de la rampe USA Chaplin 6,1 (Les) Train sifflera trois fois (Le) USA Zinnemann 5,7 Jeux interdits France Clément 4,9 Fruit défendu (Le) France Verneuil 4 Coiffeur pour dames France Boyer 3,9 Trou normand (Le) France Boyer 3,9 Homme tranquille (L') USA Ford 3,6 Belles de nuit (Les) Italie/France Clair 3,5 Anna Italie/France Lattuada 3,4 Nous irons à Monte Carlo France Boyer 3,4 Aventures du capitaine Wyatt USA Walsh 3,3 (Les) Il est minuit docteur Schweitzer France Haguet 3,3 Table aux crevés (La) France Verneuil 3,1 Minute de vérité (La) Italie/France Delannoy 3 113 421 Nous sommes tous des assassins Italie/France Cayatte 3,1 Un américain à Paris USA Minelli 3

410

1953

Sous le plus grand chapiteau du USA De Mille 9,5 monde Retour de don Camillo (Le) Italie/France Duvivier 7,4 Aventures de Peter Pan (Les) USA Disney 7,2 Salaire de la peur (Le) Italie/France Clouzot 6,9 Quo Vadis USA Le Roy 6,3 Trois mousquetaires (Les) Italie/France Hunebelle 5,3 Vacances de monsieur Hulot France Tati 4,9 (Les) Belle de Cadix (La) France/Espagne Bernard 4,3 Manon des sources France Pagnol 4,3 Moulin-rouge GB Huston 4,1 Môme vert-de-gris (La) France Borderie 3,8 Tunique (La) USA Koster 3,8 Boulanger de Valorgue (Le) France Verneuil 3,7 Cet homme est dangereux France Sacha 3,6 Lucrèce Borgia Italie/France Christian- 3,6 Jaque Enfants de l'amour (Les) Italie/France Moguy 3,6 Homme des vallées perdues (L') USA Stevens 3,5 Corsaire rouge (Le) USA Siodmak 3,5 Compagnes de la nuit (Les) France Habib 3,3 Salomé USA Dieterie 3

411

1954

Si Versailles m'était conté France Guitry 7 Tant qu'il y aura des hommes USA Zinnemann 6,4 Papa, maman, la bonne et moi France Le Chanois 5,4 Touchez pas au grisbi France Becker 4,7 Rouge et le noir (Le) France Autant-Lara 4,3 Femmes s'en balancent (Les) France Borderie 4,3 Vacances romaines USA Wyler 4,2 Votre dévoué Blake France Laviron 4,2 Mouton à cinq pattes (Le) France Verneuil 4,1 Ali Baba et les quarante voleurs France Becker 4,1 Cadet Rousselle France Hunebelle 4 Pain, amour et fantaisie Italie Comencini 3,8 Mam'zelle Nitouche Italie/France Allégret 3,8 Grand jeu (Le) Italie/France Siodmak 38 Ennemi public n°1 (L') Italie/France Verneuil 3,7 Désert vivant (Le) USA Algar 3 ,6 Défroqué (Le) France Joannon 3,5 Obsession Italie/France Delannoy 3,4 Ulysse Italie Camerini 3,3 Chevaliers de la table ronde (Les) USA Thorpe 3

412

1955

Belle et le clochard (La) USA Disney 11 20000 Lieues sous les mers USA Fleisher 9,6 Comte de Monte Cristo (Le) France/Italie Vernay 7,8 Napoléon France Guitry 5,4 Grandes Manœuvres (Les) France Clair 5,3 Grande Bagarre de don Camillo (La) Italie Gallone 5,1 Vera Cruz USA Aldrich 4,5 La Strada Italie Fellini 4,5 À l'est d'Eden USA Kazan 4,2 French Cancan France/Italie Renoir 4 Chiens perdus sans collier France/Italie Delannoy 3,9 Évadés (Les) France Le Chanois 3,8 Hommes en blanc (Les) France Habib 3,7 Diaboliques (Les) France Clouzot 3,7 Madelon (La) France Boyer 3,5 Pain, amour et jalousie Italie Comencini 3,5 Ça va barder Italie/France Berry 3,4 Sur les quais USA Kazan 3,4 Vallée des rois (La) USA Pirosh 3,4 Main au collet (La) USA Hitchcock 3,3

413

1956

Michel Strogoff Fr/It/Youg Gallone 6,9 Guerre et paix USA Vidor 5,9 Notre-Dame de Paris France/Italie Delannoy 5,7 Traversée de Paris (La) France/Italie Autant-Lara 4,9 Chanteur de Mexico (Le) France/Esp. Pottier 4,8 Monde du silence (Le) France/Italie Malle 4,6 Fureur de vivre (La) USA Ray 4,3 Trapèze USA Reed 4,2 Gervaise France/Italie Clément 4,1 Belle des belles (La) Italie/France Léonard 4 ,1 Couturier de ces dames (Le) France Boyer 4 Cette sacrée gamine France Boisrond 4 Et Dieu créa la femme France Vadim 4 Si tous les gars du monde France Christian-Jaque 3,8 Papa, maman, ma femme et France Le Chanois 3,8 moi Homme qui en savait trop (L') USA Hitchcock 3,8 Mousson (La) USA Negulesco 3,7 Don Juan France/Espagne Berry 3,4 Enfer des hommes (L') USA Hibbs 3,4 En effeuillant la marguerite France Allégret 3,3

414

1957

Pont de la rivière Kwaï (Le) USA Lean 13,4 Sissi Autriche Marischka 6,5 Triporteur (Le) France Pinoteau 4,9 Chômeur de Clochermerle (Le) France Boyer 4,4 Porte des lilas France/Italie Clair 3,9 Tour du monde en 80 jours (Le) USA Anderson 3,8 Honoré de Marseille France Regamey 3,7 Géant USA Stevens 3,7 Folies-Bergère France Decoin 3,5 Une parisienne France/Italie Boisrond 3,5 À pied, à cheval et en voiture France/Italie Delbez 3,5 Anastasia USA Litvak 3,3 Règlements de compte à OK Corral USA Sturges 3,2 Loi du seigneur USA Wyler 3 Casino de Paris Fr/It/RFA Hunebelle 3 Lavandières du Portugal (Les) France Gaspard-Huit 3 Typhon su Nagasaki France/Japon Ciampi 3 Aventures d'Arsène Lupin (Les) France/Italie Becker 3 Famille Trapp (La) RFA Liebeneiner 2,8 Homme à l'imperméable (L') France/Italie Duvivier 2,8

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1958

Dix Commandements (Les) USA De Mille 14,2 Misérables (Les) France/Italie Le Chanois 10 Quand passent les cigognes Russie Kalatozov 5,4 Sissi face à son destin Autriche Marischka 5,1 Tricheurs (Les) France/Italie Carné 4,9 Bal des maudits (Le) USA Dmytryk 4,7 Mon oncle France/Italie Tati 4,6 Eau vive (L') France Villiers 4,1 Grandes Familles (Les) France Patellière (de la) 4 Loi c'est la loi (La) France Christian-Jaque 3,4 Sans famille France/Italie Michel 3,3 Vikings (Les) USA Fleischer 3,3 En cas de malheur France Autant-Lara 3,1 Maigret tend un piège France/Italie Delannoy 3,1 Chatte (La) France Decoin 2,9 Miroir à deux faces (Le) France/Italie Cayatte 2,9 Christine France/Italie Gaspard-Huit 2,8 Gorille vous salue bien (Le) France Borderie 2,8 Vie à deux (La) France Duhour 2,7 Amants (Les) France Malle 2,6

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INDEX DES FILMS

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A Aventures d’Arsène Lupin (Les) : 402, À l'est d'Eden : 413 415 À pied, à cheval et en voiture : 415 Aventures de Casanova (Les) : 79, 405 Action immédiate : 65, 384 Aventures de Don Juan (Les) : 408 Adorables créatures : 255, 318, 381 Aventures de Gil Blas de Affaire Maurizius (L’) : 41, 69, 214, 381 Santillane (Les) : 383 Aigle des mers (L') : 113, 405, 418 Aventures de Peter Pan (Les) : 411 Alerte au sud : 72, 203, 326, 385 Aventures des pieds nickelés (Les) : 405 Allegro squadrone : 381 Aventures de Till l’Espiègle (Les) : 8, Ali Baba et les quarante voleurs : 402, 233, 265, 273, 311-334, 335, 346, 406, 412 347, 355, 394 Alice au pays des merveilles : 409 Aventures du capitaine Wyatt (Les) : Amants (Les) : 416 410 Amants de la villa Borghèse (Les) : 199, 273, 354, 392 B Amants du Tage (Les) : 69, 215, 357, Bal des maudits (Le) : 416 382 Bal des sirènes (Le) : 404 Ambre : 406 Bambi : 406 Amours finissent à l’aube (Les) : 383 Bandera (La) : 45 Anastasia : 415 Barbe-bleue : 409 Andalousie : 409 Barry : 407 Ange qu'on m'a donné (L') : 404 Bas-fonds (Les) : 45, 138 Anna : 410 Bataille de l'eau lourde (La) : 406 Antoine et Antoinette : 405 Bataille du rail (La) : 374, 404 Arènes Sanglantes : 404 Bataillon du ciel (Le) : 79, 405 Art 519 codice penale : 384 Beauté du diable (La) : 41, 102, 233, Attila, fléau de Dieu : 384 237, 280, 294, 295, 317, 319, 352, Auberge rouge (L') : 409 353, 354, 388 Au-delà des grilles : 45 Bel Ami : 334 Au grand balcon : 60, 383, 407 Belle de Cadix (La) : 411 Autant en emporte le vent : 408 Belle des belles (La) : 413 Aux yeux du souvenir : 407 Belle et la bête (La) : 404 Belle et le clochard (La) : 412

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Belle que voilà (La) : 40, 64, 65, 66, 135, 147, 152, 165, 232, 239, 257, 219, 384, 408 270, 273, 274, 280, 297, 317, 346, Belles de nuit : 116, 198, 233, 237, 273, 352, 353, 354, 387, 406 318, 346, 351, 352, 353, 354, 391, Châtelaine du Liban (La) : 204, 226, 402, 410 385 Bethsabée : 40, 59, 201, 383, 405 Chatte (La) : 416 Blanc comme neige : 406 Chaussons rouges (Les) : 407 Boîte aux rêves (La) : 79, 91, 135, 232, Chevalier de la nuit (Le) : 385 273, 315, 386 Chevaliers de la table ronde (Les) : 412 Boniface le somnambule : 53, 407 Chiens perdus sans collier : 413 Bonsoir Paris, bonjour l’amour : 382 Christine : 416 Boulanger de Valorgne (Le) : 52, 411 Clochemerle : 406 Cœur de lilas : 45 C Cœur sur la main (Le) : 407 C’est arrivé à Paris : 65, 384 Coiffeur pour dames : 53, 410 Ça va barder : 412 Compagnes de la nuit (Les) : 411 Cadet Rousselle : 402, 412 Comte de Monte-Cristo (Le) : 402, 413 Cage aux filles (La) : 408 Conquérants d'un nouveau monde Capitan (Le) : 404 (Les) : 408 Capitaine de Castille : 407 Corsaire rouge (Le) : 411 Casablanca : 405 Couturier de ces dames (Le) : 53, 414 Casse-pieds (Les) : 406 Casino de Paris : 414 D Castiglione : 383 D'homme à homme : 406 Cela s’appelle l’aurore : 60, 202, 383 Dédée d'Anvers : 136, 406 Cendrillon : 408 Défroqué (Le) : 412 Cet homme est dangereux : 411 Demain il sera trop tard : 409 Cette sacrée gamine : 414 Démons de l’aube (Les) : 59, 136, 383 Chacun son tour : 409 Dents longues (Les) : 214, 381 Chanteur de Mexico (Le) : 414 Dernier amour : 40, 60, 383 Chanteur inconnu (Le) : 405 Derniers jours de Pompéi (Les) : 60, Charmants garçons : 65, 201, 384, 386 201, 383 Chartreuse de parme (La) : 5, 77, 79, Désert vivant (Le) : 412 91, 92-102, 103, 111, 123, 134, Destins : 404

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Desperados (Les) : 405 Et Dieu créa la femme : 414 Deux amours : 407 Étrange destin : 384 Deux Gamines (Les) : 409 Étrange Madame X : 75, 202, 219, 384 Deux timides (Les) : 136 Évadés (Les) : 413 Diable au corps (Le) : 5, 40, 77, 79-91, L’Éventail : 384 99, 102, 103, 116, 132, 134, 135, 147, 148, 152, 165, 166, 194, 208, F 232, 235, 237, 270, 273, 274, 280, Fabiola : 40, 64, 219, 384, 407 297, 298, 313, 315, 349, 353, 387, Famille Trapp (La) : 415 405 Fandango : 407 Diaboliques (Les) : 412 Fanfan la tulipe : 5, 54, 77, 102, 103- Dieu a besoin des hommes : 213, 381, 116, 132, 133, 208, 232, 239, 240, 408 243, 257, 267, 269, 273, 275, 278, Dix Commandements (Les) : 416 293, 312, 315, 317, 327, 328, 346, Dix-huit heures d’escale : 383 347, 352, 353, 354, 356, 390, 402, Don Juan : 402, 414 410 Douze heures de bonheur : 383 Fantasia : 404 Du haut en bas : 45 Femme en rouge (La) : 67, 381 Duel au soleil : 407 Femmes mènent le jeu (Les) : 384 Femmes s'en balancent (Les) : 154, 412 Fièvre monte à El Pao (La) : 258, 273, E 308, 346, 347, 355, 396 Eau vive (L') : 416 Figure de proue : 383 Édouard et Caroline : 200, 209, 213, Fille de Hambourg (La) : 382 381 Filles de nuit : 382 Les Enfants de l’amour : 72, 203, 226, Fils de Caroline Chérie (Le) : 203, 385 385, 411 Fils de Robin des bois (Le) : 406 L’Esclave : 69, 215, 256, 381 Flèche et le flambeau (La) : 113, 114, En cas de malheur : 46, 416 409 En effeuillant la marguerite : 41, 69, 70 Folies-Bergère : 415 200, 382, 414 Forêt de l’adieu (La) : 385 Enchaînés (Les) : 411 French Cancan : 46, 402, 413 Enfer des hommes (L') : 414 Fric (Le) : 204, 385 Ennemi public n°1 (L') : 412 Fruit défendu (Le) : 52, 410

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Fureur de vivre (La) : 414 I Idiot (L’) : 79, 147, 152, 165, 232, 237, G 273, 274, 280, 315, 347, 354, 387 Gardian (Le) : 404 Il est minuit Dr Schweitzer : 402, 410 Garou-Garou, le passe-muraille : 409 Ils étaient cinq : 385 Géant : 415 Imposteur (L’) : 45 Gervaise : 401, 414 Ivanhoé : 410 Gibier de potence : 383 Iwo Jima : 408 Gigi : 213, 407 Gorille vous salue bien (Le) : 416 J Grand Cirque (Le) : 408 Je reviendrai à Kandara : 76, 200, 382 Grand jeu (Le) : 72, 203, 226, 255, 385, Jeanne d'Arc : 407 412 Jeux interdits : 410 Grande Bagarre de don Camillo (La) : Jericho : 404 413 Jeune folle (La) : 65, 384 Grandes Familles (Les) : 416 Joueur (Le) : 346, 347, 352, 355, 395 Grandes Manœuvres (Les) : 5, 41, 77, Jour de fête : 407 103, 104, 118-133, 134, 208, 233, Jugement de Dieu (Le) : 71, 226, 385 257, 258, 273, 275, 299, 300, 323, Julie la rousse : 382 346, 351, 352, 353, 354, 393 Juliette ou la clef des songes : 102, 232, Guerre et paix : 414 273, 280, 317, 346, 347, 390 Gueule d’amour : 45 Jument verte (La) : 402 Guinguette : 204, 385 Justice est faite : 408

H K Héroïque Monsieur Boniface (L') : 407 Kim : 409 Homme à l’imperméable (L’) : 53, 415

Homme des vallées perdues (L') : 399 L Homme qui en savait trop (L’) : 382, La Strada : 413 414 Lavandières du Portugal (Les) : 226, Hommes en blanc (Les) : 413 255, 385, 415 Honoré de Marseille : 52, 415 Le jour se lève : 45, 137, 141

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Liaisons dangereuses 1960 (Les) : 134, Meurtres : 407 258, 273, 275, 346, 347, 352, 353, Michel Strogoff : 402, 414 355, 396 Mille et une nuits (Les) : 404 Limelight : 410 Milord l’Arsouille : 385 Livre de la jungle (Le) : 404 Mines du roi Salomon (Les) : 409 Loi c'est la loi (La) : 416 Minute de vérité (La) : 46, 69, 25, 214, Loi du seigneur : 415 381, 410 Lucrèce Borgia : 317, 318, 402, 411 Miroir : 67, 381 Miroir à deux faces (Le) : 414 M Misérables (Les) : 93, 334, 335, 402, Ma femme est formidable : 409 416 Madame Miniver : 404 Mission spéciale : 405 Maigret tend un piège : 416 Môme vert-de-gris (La) : 411 Mains sales (Les) : 200, 213, 381 Mon oncle : 416 Maître de forge (Le) : 406 Monde du silence (Le) : 413 Madelon (La) : 413 Monsieur Ripois : 5, 77, 121, 132, 134, Mademoiselle s'amuse : 411 135, 153, 154-173, 199, 233, 258, Main au collet (La) : 413 259, 273, 318, 346, 351, 352, 353, Mam’zelle Nitouche : 401, 412 354, 392 Mandrin : 406 Monsieur Vincent : 79, 405 Manèges : 136 Montparnasse 19 : 234, 258, 270, 273, Mannequin assassiné (Le) : 67, 213, 276, 346, 351, 352, 353, 355, 394 381 Mousson (La) : 414 Manon : 407 Mouton à cinq pattes (Le) : 412 Manon des sources : 411 Mort en ce jardin : 60, 202, 383 Marchand de filles : 383 Mort en fraude : 382 Mariage de Ramuntcho (Le) : 405 Moulin-rouge : 411 Marie du port (La) : 45, 408 Martin Roumagnac : 40-41, 67, 384 N Maudits (Les) : 218, 384 Napoléon : 256, 382, 402, 413 Mauvaises rencontres : 385 Naufrageurs (Les) : 384 Meilleure Part (La) : 233, 273, 323, Neige était sale (La) : 69, 214, 381 324, 346, 351, 355, 393 Notre-Dame de Paris : 402, 414 Messaline : 60, 201, 383 Nous irons à Monte Carlo : 410

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Nous irons à Paris : 408 Péniche de l’amour (La) : 44 Nous sommes tous des assassins : 409 Pépé le Moko : 44 Nous voulons un enfant : 408 Père tranquille (Le) : 404 Nuit de Sybille (La) : 67, 381 Petit monde de Don Camillo (Le) : 50, Nuit est mon royaume (La) : 409 52-56, 410 Petites du quai-aux-fleurs (Les) : 71, O 263, 304, 382 Obsession : 412 Piédalu à Paris : 409 Odyssée du docteur Wassel (L') : 404 Pigalle-Saint-Germain-des-Prés : 408 Ominione publica : 381 Pinocchio : 404 On demande un assassin : 407 Plus belles années de notre vie (Les) : Orgueilleux (Les) : 41, 91, 199, 208, 405 233, 273, 318, 346, 347, 351, 353, Plus heureux des hommes (Le) : 385 354, 391 Plus joli pêché du monde (Le) : 383 Orient express : 384 Pont de la rivière Kwaï (Le) : 415 Port du désir (Le) : 65, 384 P Porte des Lilas : 65, 202, 203, 384, 415 Pain, amour et fantaisie : 412 Pot-Bouille : 93, 134, 234, 259, 273, Pain, amour et jalousie : 413 346, 347, 353, 355, 394 Papa, maman, la bonne et moi : 411 Pour qui sonne le glas : 404 Papa, maman, ma femme et moi : 414 Pourquoi viens-tu si tard ? : 384 Par la fenêtre : 406 Printemps, l’automne et l’amour (Le) : Paradis des pilotes perdus (Le) : 67, 52 381, 384 Prisonniers de la brousse (Les) : 383 Paris-Béguin : 44 Paris canaille ou Paris coquin : 382 Q Paris chante toujours : 409 Quai de Grenelle : 384 Pas si bête : 405 Quai des brumes : 44 Passagère (La) : 225, 253, 383 Quai des orfèvres : 405 Passante (La) : 384 Quand passent les cigognes : 416 Pays sans étoile (Le) : 79, 147, 152, Quand sonnera midi : 383 165, 232, 273, 280, 315, 347, 354, Quatre roses rouges (Les) : 385 386 Quo Vadis : 411 Pêcheur d’Islande (Le) : 204, 385

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R Salomé : 411 Rage au corps (La) : 203, 226, 385 Samson et Dalila : 409 Razzia sur la chnouf : 47 Sang et lumières : 381 Rebecca : 405 Sans famille : 402, 415 Règlements de compte à OK Corral : Sénéchal le magnifique : 53 415 Senorita toréador (Fiesta) : 408 Remorques : 44 Sept ans de malheur : 406 Rendez-vous de juillet : 68, 213, 387 Sept Péchés capitaux (Les) : 348, 380 Retour de don Camillo (Le) : 411 Septième porte (La) : 383 Retour de manivelle : 381 Série noire : 65, 384 Révolte des gladiateurs : 383 Si Paris nous était conté : 273, 347, Rideau cramoisi (Le) : 385 355, 393 Riz amer : 407 Si tous les gars du monde : 416 Robinson Crusoé : 383 Si Versailles m’était conté : 199, 201, Rocambole : 406 273, 346, 347, 352, 353, 381, 383, Roger la honte : 404 385, 391, 402, 412 Roi des camelots (Le) : 409 Silence est d'or (Le) : 405 Roi pandore (Le) : 408 Sissi : 415 Romana : 382 Sissi face à son destin : 416 Ronde (La) : 102, 216, 237, 273, 346, Soif des hommes (La) : 225, 252, 383 347, 353, 354, 381, 389 Sois belle et tais-toi : 65, 384 Ronde des heures (La) : 408 Les Sorcières de Salem : 234, 334 Rosier de Madame Husson (Le) : 50, Soupe à la grimace (La) : 383 408 Sous le plus grand chapiteau du Rouge et le Noir (Le) : 41, 114, 132, monde : 411 134, 199, 208, 253, 257, 258, 260, Sous le signe de Rome : 383 273, 275, 312, 346, 347, 351, 352, Sous le soleil de Provence : 52 354, 392, 402, 412 Souvenirs perdus : 102, 163, 164, 166, Rue de l’Estrapade : 68, 381 273, 346, 389 Suivez-moi jeune homme : 382 S Sur les quais : 413 Salaire de la peur (Le) : 411 Sursis pour un vivant : 384 Salaire du pêché (Le) : 385 Symphonie pastorale (La) : 404 Salauds vont en enfer (Les) : 254, 384

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T Un caprice de Caroline Chérie : 72, 73, Table aux crevés (La) : 410 385, 402, 409 Tant qu'il y aura des hommes : 412 Un grand patron : 71, 72, 203, 226, Tentation de Barbizon (La) : 213, 381 385, 409 Théodora impératrice de Byzance : 383 Une histoire d’amour : 381 Toby est un ange : 128 Une si jolie petite plage : 5, 77, 91, 102, Topaze : 409 115, 132, 134, 135-153, 163, 165, Torrents : 59, 222, 383, 405 166, 172, 173, 237, 273, 280, 317, Touchez pas au grisbi : 47-49, 154, 412 347, 352, 354, 388 Tour du monde en 80 jours (Le) : 415 Une manche est belle : 384 Tous les chemins mènent à Rome : 94, Une parisienne : 65, 203, 384, 414 263, 306, 388 Uniformes et grandes manœuvres : 408 Train sifflera trois fois (Le) : 410 Traité de bave et d’éternité (Le) : 381 V Trapèze : 414 Vacances de monsieur Hulot (Les) : 411 Traversée de Paris (La) : 414 Vacances romaines : 412 Tricheurs (Les) : 416 Vallée des rois (La) : 413 Triporteur (Le) : 415 Valse dans l'ombre (La) : 405 Trois jours à vivre : 382 Vera Cruz : 413 Trois Mousquetaires : 53-55, 105, 106, Vérité sur Bébé Donge (La) : 45 113, 115, 201, 383, 408, 411 Vicomte de Bragelonne (Le) : 60, 201, Trois voleurs : 385 222, 383 Troisième homme (Le) : 409 Vikings (Les) : 416 Trou normand (Le) : 410 Violettes impériales (Les) : 402, 410 Tunique (La) : 411 Vie à deux (La) : 273, 346, 355, 395 Tuniques écarlates (Les) : 407 Vingt-mille Lieues sous les mers : 413 Typhon su Nagasaki : 415 Voce del silenzio : 381 Voici le temps des assassins : 45 U Voleur de Bagdad (Le) : 405 Ulysse : 412 Voleur de bicyclette (Le) : 407 Un américain à Paris : 410 Votre dévoué Blake : 412 Un ami viendra ce soir : 381, 402 Voyageuse inattendue (La) : 60, 383

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TABLES

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TABLE DES TABLEAUX

Tableau 1. Nombre de films par acteur ...... 38 Tableau 2. Part des premiers rôles dans la filmographie des acteurs (en %) ...... 39 Tableau 3. Nombre de films dépassant les deux millions d’entrées par acteur ...... 42 Tableau 4. Auteurs et œuvres littéraires régulièrement adaptées ...... 93 Tableau 5. Répartition annuelle des acteurs et actrices selon leur nationalité en une de Cinémonde ...... 181 Tableau 6. Répartition annuelle des acteurs et actrices selon leur nationalité en une de L’Écran français ...... 183 Tableau 7. Répartition annuelle des acteurs et actrices selon leur nationalité en une de Mon Film ...... 184 Tableau 8. Top des acteurs et actrices en une de Cinémonde ...... 187 Tableau 9. Top des acteurs et actrices en une de L’Écran français et Mon Film ...... 189 Tableau 10. Répartition genrée en une de Cinémonde ...... 191 Tableau 11. Répartition genrée et générationnelle en une de Cinémonde ...... 191 Tableau 12. Répartition genrée en une de L’Écran français ...... 192 Tableau 13. Répartition genrée en une de Mon Film ...... 193 Tableau 14. Répartition genrée et générationnelle en une de L’Écran français ...... 193 Tableau 15. Répartition genrée et générationnelle en une de Mon Film ...... 193 Tableau 16. Les super-stars du Tout-cinémonde ...... 196 Tableau 17. Répartition des jeunes premiers dans la catégorie star ou vedette ...... 200 Tableau 18. Lauréats des Victoires du cinéma français de 1946 à 1958 ...... 207 Tableau 19. Visibilité de Daniel Gélin dans Cinémonde ...... 212 Tableau 20. Visibilité d’Henri Vidal dans Cinémonde ...... 218 Tableau 21. Visibilité de Georges Marchal dans Cinémonde ...... 222 Tableau 22. Visibilité de Jean-Claude Pascal dans Cinémonde ...... 226 Tableau 23. Visibilité de Gérard Philipe dans Cinémonde (1947-1958) ...... 232 Tableau 24. Répartition des courriéristes de « Côté cœur Côté jardin » par génération (en %) ...... 249 Tableau 25. Répartition selon le sexe (en %) ...... 249 Tableau 26. Répartition selon le sexe et la génération (en %) ...... 250 Tableau 27. Répartition des lettres par titre film ...... 273

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Tableau 28. Répartition des lettres par titre de pièce ...... 273 Tableau 29. Répartition des lettres par année ...... 277

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Illustration 1. Gérard Philipe (1946) ...... 35 Illustration 2. Portrait Harcourt de Jean Gabin dans les années cinquante ...... 45 Illustration 3. Affiche du film Touchez pas au Grisbi ...... 47 Illustration 4. Photogrammes du film ...... 49 Illustration 5. Portrait Harcourt de Fernandel dans les années cinquante ...... 51 Illustration 6. Affiche du film Le Printemps, l’automne et l’amour ...... 52 Illustration 7. Affiche du film Le Petit monde de Don Camillo ...... 54 Illustration 8. Photogrammes du Petit monde de Don Camillo ...... 56 Illustration 9. Portrait Harcourt de Georges Marchal à la Libération ...... 58 Illustration 10. Affiche du film Les Démons de l’aube ...... 59 Illustration 11. Affiche du film Les Trois Mousquetaires ...... 61 Illustration 12. Portrait Harcourt d’Henri Vidal dans les années cinquante ...... 63 Illustration 13. Affiche du film Fabiola ...... 64 Illustration 14. Affiche du film La Belle que voilà ...... 65 Illustration 15. Portrait Harcourt de Daniel Gélin dans les années cinquante ...... 67 Illustration 16. Affiche du film Rendez-vous de juillet ...... 67 Illustration 17. Affiche du film En effeuillant la marguerite ...... 69 Illustration 18. Portrait Harcourt de Jean-Claude Pascal dans les années cinquante ...... 71 Illustration 19. Affiche du film Un grand patron ...... 71 Illustration 20. Affiche du film Un caprice de Caroline chérie ...... 73 Illustration 21. Affiches du film Le Diable au corps ...... 80 Illustration 22. Photographie de plateau du Diable au corps (Cinémonde, n°643) ...... 82 Illustration 23. Photogrammes du film Le Diable au corps ...... 83 Illustration 24. Photogrammes du film Le Diable au corps ...... 84 Illustration 25. Photogrammes du film Le Diable au corps ...... 84 Illustration 26. Photogrammes et dialogues du film Le Diable au corps ...... 86 Illustration 27. Photogrammes du film Le Diable au corps ...... 87 Illustration 28. Photogrammes du film Le Diable au corps ...... 88 Illustration 29. Affiche du film La Chartreuse de Parme ...... 92 Illustration 30. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme...... 95 Illustration 31. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme...... 95

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Illustration 32. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme...... 96 Illustration 33. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme...... 97 Illustration 34. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme...... 97 Illustration 35. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme...... 98 Illustration 36. Photogrammes du film La Chartreuse de Parme...... 99 Illustration 37. Affiche du film Fanfan la Tulipe ...... 104 Illustration 38. Photogrammes du film Fanfan la Tulipe ...... 106 Illustration 39. Photogrammes du film Fanfan la Tulipe ...... 107 Illustration 40. Photogrammes du film Fanfan la Tulipe ...... 108 Illustration 41. Photogrammes du film Fanfan la Tulipe ...... 109 Illustration 42. Photogrammes du film Fanfan la Tulipe ...... 113 Illustration 43. Affiche du film Les Grandes Manœuvres ...... 118 Illustration 44. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres ...... 120 Illustration 45. Photogrammes et dialogues du film Les Grandes Manœuvres ...... 121 Illustration 46. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres ...... 122 Illustration 47. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres ...... 123 Illustration 48. Photogrammes et chanson du film Les Grandes Manœuvres ...... 124 Illustration 49. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres ...... 125 Illustration 50. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres ...... 126 Illustration 51. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres ...... 127 Illustration 52. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres ...... 128 Illustration 53. Photogrammes du film Les Grandes Manœuvres ...... 129 Illustration 54. Affiche du film Une si jolie petite plage ...... 135 Illustration 55. Photogrammes du film Le Quai des brumes ...... 138 Illustration 56. Photogrammes du film Une si jolie petite plage ...... 139 Illustration 57. Photogrammes du film Le Quai des brumes ...... 140 Illustration 58. Photogrammes du film Une si jolie petite plage ...... 140 Illustration 59. Photogrammes des films Quai des brumes et Une si jolie petite plage 140 Illustration 60. Photogrammes des films Le jour se lève et Une si jolie petite plage ... 141 Illustration 61. Photogrammes du film Une si jolie petite plage ...... 142 Illustration 62. Photogrammes du film Une si jolie petite plage ...... 143 Illustration 63. Photogrammes du film Une si jolie petite plage ...... 144 Illustration 64. Photogrammes du film Une si jolie petite plage ...... 145 Illustration 65. Photogrammes du film Une si jolie petite plage ...... 146 430

Illustration 66. Photogrammes et dialogue du film Une si jolie petite plage ...... 149 Illustration 67. Photogrammes du film Une si jolie petite plage ...... 150 Illustration 68. Photogrammes du film Une si jolie petite plage ...... 151 Illustration 69. Affiche du film Monsieur Ripois ...... 154 Illustration 70. Photogramme du film Monsieur Ripois ...... 156 Illustration 71. Photogrammes du film Monsieur Ripois ...... 157 Illustration 72. Photogrammes du film Monsieur Ripois ...... 158 Illustration 73. Photogrammes et dialogues du film Monsieur Ripois ...... 159 Illustration 74. Photogrammes du film Monsieur Ripois ...... 160 Illustration 75. Photogrammes du film Monsieur Ripois ...... 163 Illustration 76. Photogrammes du film Monsieur Ripois...... 164 Illustration 77. Photogrammes du film Monsieur Ripois ...... 164 Illustration 78. Photogrammes du film Monsieur Ripois ...... 165 Illustration 79. Photogrammes et dialogues du film Monsieur Ripois ...... 167 Illustration 80. Photogrammes du film Monsieur Ripois ...... 168 Illustration 81. Les super-stars du « Tout-cinémonde » de 1956 (Cinémonde n°1117) 197 Illustration 82. Notule de 1953 sur Gérard Philipe (Cinémonde, n°960) ...... 198 Illustration 83. Notule de 1954 sur Daniel Gélin (Cinémonde, n°1013) ...... 201 Illustration 84. Notule de 1955 sur Jean-Claude Pascal (Cinémonde, n°1065) ...... 204 Illustration 85. Lauréats des Victoires du cinéma de 1957 (Cinémonde, n°1170) ...... 208 Illustration 86. Daniel Gélin et Georges Beaume chez Daniel Gélin (Cinémonde n°922) ...... 214 Illustration 87. Danièle Delorme et Daniel Gélin (Cinémonde, n°1034)...... 215 Illustration 88. Henri Vidal (Cinémonde, n°633) ...... 218 Illustration 89. Michèle Morgan et Henri Vidal (Cinémonde, n°1062) ...... 220 Illustration 90. Georges Marchal (Cinémonde, n°649) ...... 224 Illustration 91. Jean-Claude Pascal (Cinémonde n°1089) ...... 228 Illustration 92. Photo-reportage sur Jean-Claude Pascal » (Cinémonde, n°1067) ...... 230 Illustration 93. Gérard Philipe (Cinémonde, n°674) ...... 235 Illustration 94. Gérard Philipe et Jean Vilar (Cinémonde, n°939) ...... 238 Illustration 95. Gérard Philipe en Yougoslavie (Cinémonde, n°1082) ...... 240 Illustration 96. Gérard Philipe et Minou (Cinémonde, n°898) ...... 243 Illustration 97. Mobilisation contre les accords Blum-Byrnes en 1948 ...... 289

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Illustration 98. Affiche du film La Beauté du diable et photographie promotionnelle de Gérard Philipe ...... 294 Illustration 99. Photogrammes du film La Beauté du diable ...... 295 Illustration 100. Gérard Philipe sur le plateau télévision ...... 305 Illustration 101. Claude Roy, Anne et Gérard Philipe, manifestation du 4 mai 1958 à Paris ...... 308 Illustration 102. Gérard Philipe au Mexique ...... 309 Illustration 103. Affiche du film Les Aventures de Till l’Espiègle ...... 311 Illustration 104. Photographie de tournage des Aventures de Till l’Espiègle, Cinémathèque française ...... 321 Illustration 105. Photographie de tournage des Aventures de Till l’Espiègle, Cinémathèque française ...... 324 Illustration 106. Photographie de plateau des Aventures de Till l’Espiègle, Cinémathèque française ...... 326

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TABLE DES MATIERES

Remerciements ...... 4

Sommaire ...... 5

Introduction ...... 10

I. Définition d’un champ d’études ...... 10 A. Star et star-système ...... 10

B. Études des stars et apport des approches anglo-saxonnes ...... 13

C. Histoire culturelle du cinéma et du vedettariat ...... 20

II. Sources diverses et variées ...... 23 A. Sources audiovisuelles et iconographiques ...... 23

B. Sources imprimées ...... 23

C. Archives privées ...... 25

III. Cadre de l’étude ...... 27 A. Une période de transition ...... 27

B. Notre démarche ...... 30

Première Partie. Panorama des acteurs dans le star-système en France ...... 36 patriarches vs jeunes premiers (1946-1958)...... 36

I. Étude quantitative et qualitative ...... 38 II. L’ancienne génération : toujours là ...... 44 A. Jean Gabin ...... 45

B. Fernandel ...... 50

III. Jeunes premiers : nouvelles figures d’hommes ...... 58 A. Georges Marchal ...... 58

B. Henri Vidal ...... 63

C. Daniel Gélin ...... 67

D. Jean-Claude Pascal ...... 71

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Deuxième Partie. Gérard Philipe, le jeune premier de l’écran après la guerre ...... 76

Chapitre 1. Gérard Philipe première mouture : Le Diable au corps et La Chartreuse de Parme ...... 79

I. Le Diable au corps : la révélation ...... 79 A. Éloge de la jeunesse ...... 81

B. Réception : un jeune acteur remarqué ...... 89

II. La Chartreuse de Parme : amoureux romantique ...... 92 A. Valorisation d’une masculinité passive ...... 94

B. Réception mitigée...... 100

Chapitre 2. Avènement de la star : Fanfan la Tulipe et Les Grandes Manœuvres ...... 103

I. Fanfan la Tulipe : le prototype français du cape et d’épée ...... 104 A. Un don juan juvénile ...... 106

B. Réception : succès critique et prestige national...... 115

II. Les Grandes manœuvres : le séducteur cynique ...... 118 A. Un séducteur condamné pour son cynisme ...... 119

B. Une réception contrastée ...... 130

Chapitre 3. Une image ambivalente : Une si jolie petite plage et Monsieur Ripois ...... 134

I. Une si jolie petite plage : l’homme victime ...... 135 A. Sur les traces de Jean Gabin : entre continuité et rupture ...... 137

B. Rapports sociaux de sexes : Gérard Philipe enfant et victime ...... 144

C. Réception : écart entre le public et la critique ...... 151

II. Monsieur Ripois : « sordide petit salaud » ou « bourreau des cœurs ingénu » . 154 A. Les femmes des années cinquante au regard de l’homme : un portrait dévalorisant ...... 156

B. Réception : un personnage masculin très discuté ...... 170

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Troisieme Partie. Gérard Philipe, une construction médiatique ...... 175

Chapitre 4. Hiérarchie des acteurs dans les magazines populaires : Gérard Philipe et la tradition culturelle ...... 180

I. Qui apparaît en unes des magazines ? ...... 181 A. Une dimension nationale ...... 181

B. Une formation théâtrale prestigieuse...... 186

C. Un mélange des sexes et des générations ...... 191

II. Le Tout-Cinémonde ou la hiérarchie des acteurs ...... 195 A. « Les superstars » ...... 195

III. Les Victoires du cinéma français ou la popularité des acteurs ...... 205 A. Des lauréats représentants de la « tradition de la qualité » ...... 206

Chapitre 5. Image médiatique : les jeunes premiers vus par Cinémonde ...... 211

I. Promotion d’une jeune génération masculine ambivalente ...... 212 A. Daniel Gélin : l’anticonformiste ...... 212

B. Henri Vidal : Monsieur Michèle Morgan ...... 217

C. Georges Marchal : le mâle ...... 222

D. Jean-Claude Pascal : le misanthrope ...... 226

II. Gérard Philipe vu par Cinémonde : « sur les marches du trône » ...... 231 A. Une large couverture médiatique ...... 232

B. De l’étoile à la star ...... 234

C. Une star qui ne se prête pas au jeu des magazines ...... 241

Chapitre 6. Écrire à la star : le courrier des lecteurs des magazines populaires ...... 246

I. Réception de l’image des jeunes premiers par les lecteurs-trices ...... 248 A. Un lectorat jeune et féminin ...... 249

B. Enjeux éthiques et esthétiques...... 252

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Quatrième Partie. Gérard Philipe, une homme engagé à la ville...... 263

Chapitre 7. Les lettres d’admirateurs et admiratrices de Gérard Philipe : nouvelles sources pour approcher la relation des spectateurs aux stars de cinéma ...... 266

I. Le profil des correspondants et correspondantes ...... 268 A. Un public international, aisé et cultivé ...... 268

B. Un public jeune ...... 270

C. Un public féminin ...... 271

II. Sur le chemin de la gloire ...... 272 A. Un jeune premier aux débuts prometteurs ...... 272

B. Une prestigieuse carrière théâtrale au sein du T.N.P ...... 274

C. Une vedette de cinéma ...... 275

III. Entre admiration et expertise ...... 276 A. L’amateur de théâtre rencontre le passionné de cinéma ...... 276

B. Une impression sur le jeu de l’acteur et sur la persona de la star ...... 278

C. Une source de projection-identification ...... 279

Chapitre 8. Engagement politique et syndical de l'homme et du comédien aux prises avec l'image médiatique de la star ...... 283

I. Le « compagnon de route » ...... 286 A. Les accords Blum-Byrnes et la défense du cinéma français ...... 286

B. Gérard Philipe sous les banderoles du Mouvement de la paix ...... 291

C. La presse communiste : une appropriation idéologique de la star militante………………………………………………………………………….294

II. Gérard Philipe, sa solidarité et son activisme syndical ...... 296 A. Restructuration à la Libération : les premiers pas du militant syndical…………………………………………………………………………..296

B. L’émergence de Gérard Philipe et la création du Comité national des acteurs……………………………………………………………………………299

C. La création du Syndicat français des acteurs : Gérard Philipe président de choc…………………………………………………………………………...302

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Chapitre 9. Les Aventures de Till l’Espiègle ou l’épopée « im » populaire de Gérard Philipe ...... 311

I. L’élaboration des Aventures de Till l’Espiègle : les états antérieurs ...... 313 II. L’élaboration des Aventures de Till l’Espiègle : une coproduction franco-(est-) allemande……………………………………………………………………………………318 III. Histoire et scénario : quels choix dans l’écriture filmique ? ...... 323 IV. Un désastre artistique et critique ...... 327 V. Une appropriation idéologique ...... 329

Conclusion...... 337

I. Une star de la Libération à la fin des années cinquante ...... 337 II. Une star dans la production cinématographique d’après-Seconde Guerre mondiale…………………………………………………………………………………….339 III. Une star : objet de culture « non noble » ...... 340 IV. Une star pour faire de l’histoire du cinéma ...... 342 V. Prolongement et approfondissement ...... 343

Sources et bibliographie ...... 345

Sources ...... 346

I. Documents d’archives et sources manuscrites ...... 346 A. Cinémathèque française ...... 346

B. Département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France……………………………………………………………………………347

C. Archives départementales de Seine-Saint-Denis ...... 348

D. Cinémathèque Suisse (Penthaz) ...... 349

II. Sources imprimées ...... 350 A. Revues spécialisées, professionnelles et corporatives ...... 350

B. Presse généraliste ...... 350

C. Recueils d’articles et documents publicitaires sur Gérard Philipe et ses films……………………………………………………………………………...351

437

III. Sources filmiques, iconographiques et radiophoniques ...... 352 A. Documents filmiques ...... 352

B. Documents iconographiques ...... 353

Bibliographie ...... 357

A. Histoire et histoire culturelle ...... 357

B. Sociologie du genre ...... 361

C. Sociologie de la culture et de la jeunesse ...... 364

II. Public et cinéphilie ...... 365 A. Théorie de la réception et sociologie des publics ...... 365

B. Histoire de la cinéphilie ...... 366

C. Histoire de de la photographie ...... 368

III. Histoire du cinéma ...... 368 A. Outils de travail ...... 368

B. Contextualisation...... 370

C. Star et star-système ...... 374

Annexes ...... 380

Index des films ...... 417

Tables ...... 426

Table des tableaux ...... 427

Table des illustrations ...... 429

Table des matières ...... 433

438