<<

Thesis

Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique : études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l'exploitation de la donnée

TSUCHIYA, Kenji Jimmy

Abstract

Les médias traditionnels, à l'instar d'autres secteurs industriels font face depuis le milieu des années 90 au défi de la transformation numérique. Les défis pour la presse traditionnelle ont pour origine une compétition de la part d'acteurs médiateurs de l'information, tels que Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA) mais aussi une transformation des pratiques du lectorat. Ceci se traduit par une baisse des revenus des ventes d'exemplaires mais aussi publicitaires, en raison de la domination du marché de la publicité en ligne par Google et Facebook. Cette thèse a pour objectif d'analyser les trajectoires menées par les entreprises de presse traditionnelle en France, au Royaume-Uni et en Suisse face à cette transformation de la structure du marché. Ces trois pays sélectionnés disposent d'une configuration médiatique particulière marquée par la prégnance des tabloïds au Royaume-Uni en dualité avec une presse, qui en comparaison, peut se qualifier de qualité en Suisse et en France. En s'orientant autour de cette différence de positionnement nous mettons en avant les différences en termes de [...]

Reference

TSUCHIYA, Kenji Jimmy. Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique : études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l'exploitation de la donnée. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2018, no. SdS 98

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:113851 URN : urn:nbn:ch:unige-1138510

Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:113851

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

THÈSE présentée à la Faculté des sciences de la société

de l’Université de Genève par

Kenji Tsuchiya sous la direction de

prof. Patrick-Yves Badillo pour l’obtention du grade de

Docteur ès sciences de la communication et des médias.

Membres du jury de thèse :

Mme Giovanna DI MARZO SERUGENDO, Professeur présidente du jury, Université de Genève Mme Cinzia DAL ZOTTO, Professeur associé, Université de Neuchâtel M. Paulo FAUSTINO, Professeur associé, Université de Porto Dr. Philippe AMEZ-DROZ, Chargé de cours, Université de Genève

Genève, 30 août 2018

ii Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Résumé :

Les médias traditionnels, à l'instar d'autres secteurs industriels font face depuis le milieu des années 90 au défi de la transformation numérique. Au cœur de cette dernière se trouve la mutation des pratiques du lectorat mais aussi de nouveaux acteurs économiques, Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA), bouleversant la structure du marché des médias. Ceci se traduit par une baisse des revenus traditionnels issus des ventes d'exemplaires mais aussi publicitaires, en raison de la domination du marché de la publicité en ligne par les plateformes Google et Facebook. Cette thèse a pour objectif d'analyser les trajectoires menées par un échantillon sélectionné d’entreprises de presse traditionnelle en France, au Royaume-Uni et en Suisse romande face aux changements de la structure du marché de l’information. Ces trois pays sélectionnés disposent d'une configuration médiatique particulière marquée par la prégnance des tabloïds au Royaume-Uni en dualité avec une presse, qui en comparaison, peut se qualifier de qualité en Suisse et en France. En s'orientant autour de cette différence de positionnement nous mettons en avant les trajectoires en termes de transformation numérique des organisations et d’adoption des pratiques marketing, qu’il s’agisse du traitement des données personnelles des lecteurs ou des nouveaux canaux de communication. Pour cela, nous avons sélectionné des quotidiens représentatifs en termes de tirage dans les trois pays étudiés et analysons les stratégies de diversification des activités, d'utilisation des données des utilisateurs et des pratiques d'engagement avec le lecteur. Nous appuyant sur les théories du marketing, des sciences de gestion et de l’économie industrielle, notamment du modèle structure-conduct-performance, nous mettons en avant les actions menées par les entreprises de presse afin de s’adapter à la modification de la structure du marché par les acteurs du numérique. S’inspirant de ce modèle d’analyse nous mettons en avant les spécificités en termes d’innovation dans les médias de presse traditionnelle à travers une analyse comparative. Cette approche nous permet de mettre en avant deux trajectoires différentes dans la transformation digitale opérée par les entreprises de presse, entre le Royaume-Uni, la Suisse et la France. Les médias britanniques se caractérisent par une très forte adoption des pratiques du Customer Relationship Manager (CRM) ainsi que par une stratégie de croissance géographique, notamment par la recherche de nouvelles opportunités, profitant ainsi de la popularité de la langue anglaise dans le monde. Les entreprises de presse britanniques, notamment les tabloïds ont mis le consommateur au cœur de leur stratégie marketing et leur modèle économique, s’apparentant de plus en plus à des spécialistes du marketing, investissant intensivement dans les outils de collecte, de traitement et d’utilisation des données personnelles. Ceci s’oppose au retard relatif qu’accusent les médias dits de qualité dans l’adoption des techniques de marketing en ligne et de traitement des données personnelles des lecteurs, la raison principale provenant des différences culturelles, sociologiques et éthiques inhérentes aux deux types de journaux. Cette thèse s’inscrit dans les sciences de la communication et des médias via l’analyse d’un sujet relativement peu étudié, à savoir les pratiques de CRM via la iv Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. collecte, le traitement et l’utilisateur des connaissances issues des données des lecteurs par les entreprises de presse traditionnelle. A travers cette analyse nous souhaitons mettre en avant l’existence potentielle de spécificités dans l’adoption des pratiques innovantes dans le traitement des données des consommateurs entre la France, la Suisse et le Royaume-Uni. Nous souhaitons aussi mettre en avant les différentes techniques utilisées par les entreprises de presse, ainsi que les fenêtres d’opportunité face aux changements de la structure socio- économique des médias.

Abstract :

Since the mid-nineties, the newspaper industry is facing major challenges, not only due to changes in reading habits but also because of the digital revolution. New players in the media landscape such as Google, Amazon, Facebook and Apple (the so-called GAFA) are disrupting the market structure of medias and their business models. Consequently, traditional media firms are facing a revenue decrease, both from traditional sales and online advertising due to the duopoly of Google and Facebook.

This thesis aims to analyse the different strategies and actions taken by legacy media firms in France, the United Kingdom and Switzerland in reaction to the changes in the structure of the news’ market. These three markets were chosen due to their uniqueness. The United Kingdom’s news industry is characterised by the large market shares of tabloids, whereas in opposition, the French and Swiss news markets are still dominated by the “quality” newspapers. This duality is reflected in the different adoption of marketing tools as well as digital transformation strategies and CRM techniques.

This thesis analyses the daily newspapers in the three selected markets and highlights the diversification strategies and CRM techniques used by media firms. This analysis is based on management and industrial economics theories, more specifically the structure-conduct-performance model. We show through this framework the different actions used by media firms to adapt to changes in the market structure created by new players in the digital industry.

We’ve identified few different directions in terms of innovation, more specifically between France and Switzerland on one side and the United Kingdom on the other. UK medias are unique in the early adoption of CRM techniques as well as a geographical diversification of their activity, taking advantages of the widespread English language. British newspapers, especially tabloids have been early adopters of CRM techniques with a customer-centric marketing strategy and business models. In opposition, the Swiss and French newspapers lag in terms of the adoption of CRM techniques. These differences are mainly due to cultural, organisational and ethical reasons between the three countries and question the identity and the future of journalism.

This thesis belongs to the communication and media field and brings its contribution through the analysis of a topic with a relatively low-visibility: the adoption of CRM techniques by legacy media. Through this analysis, we aim to show the potential existence of patterns in the adoption of innovative CRM techniques, between France, Switzerland and the United Kingdom. This thesis also aims to show the different techniques used by newspapers firms as well as opportunities and reactions to the changes in the socio-economical structure of media.

vi Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Remerciements :

Mes remerciements vont tout d’abord à Monsieur Patrick-Yves Badillo, qui, après avoir été mon professeur d’économie de l’innovation au sein de l’Université Paris- Dauphine a accepté d’être mon Directeur de thèse. Son soutien ainsi que ses conseils avisés m’ont permis de mener cette thèse à terme.

Je tiens aussi à remercier Giovanna Di Marzo Serugendo, Professeure à l’Université́ de Genève, qui a accepté d’être présidente du jury ainsi que Cinzia Dal Zotto Professeure à l’Université de Neuchâtel, Paulo Faustino, Professeur à l’Université de Porto et Philippe Amez-Droz de l’Université de Genève. J’ai pu lire avec grand intérêt les travaux des membres du jury et je suis honoré qu’ils aient acceptés d’être jurés pour cette thèse.

Enfin, l’accomplissement de ce doctorat n’aurait pas été possible sans le soutien de ma famille française et japonaise à qui je souhaite dédier cette thèse, plus particulièrement Tsuchiya Kikuo, qui, aurait été très fier d’en voir l’aboutissement.

Je terminerai en remerciant Abir Qazilbash pour son soutien sans failles.

Table des matières : Table des matières : ...... 7 Liste des tableaux : ...... 12 Liste des figures : ...... 15 Introduction ...... 16 Chapitre 1. Corpus, méthodologie et cadre théorique ...... 26 1.1 Les données utilisées...... 27 1.1.1 Données sur les revenus des groupes de presse ...... 27 1.1.2 Données sur le référencement web et les réseaux sociaux 30 1.1.3 Données sur le tirage des quotidiens nationaux d'information générale ...... 32 1.1.4 Données sur les pratiques d'engagement des entreprises de presse ...... 33 1.2 Cadre théorique ...... 34 1.2.1 L'économie des médias ...... 34 1.2.2 L'économie industrielle ...... 36 1.2.3 Théories du management : la diversification ...... 38 1.2.4 Théories du marketing : le CRM ...... 39 1.2.5 Sociologie du journalisme : l'identité professionnelle ...... 42 1.3 Choix du sujet d'étude ...... 43 1.4 Hypothèses de départ ...... 44 Chapitre 2. Le défi des médias : Google et Facebook modifient le paradigme traditionnel de l'économie de l'information...... 47 2.1 La modification des règles du jeu de l'environnement économique par Google et Facebook, une explication des défis des entreprises traditionnelles de presse ...... 48 2.1.1 Les externalités de réseaux et l'effet boule de neige d'acquisition de l'audience de Google et Facebook ...... 48 2.1.2 Un modèle discursif techno-capitaliste structurant l'impératif d'innovation dans les médias...... 51 2.1.3 L'économie des coûts de transaction pour les annonceurs au cœur de la domination du duopole publicitaire de Google et Facebook...... 53

8 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

2.2 L'impact de Google et Facebook sur la chaîne de valeur des médias : la dépendance des médias traditionnels vis à vis des infomédiaires...... 56 2.2.1 Les entreprises de presse traditionnelles face à la compétition accrue de l'information en ligne ...... 57 2.3 Google et Facebook : le changement de structure selon le modèle structure-conduct performance ...... 63 2.3.1 Les contraintes algorithmiques de Google et Facebook sur la diffusion de l'information : le cas des fake news ...... 64 2.3.2 La "googlisation" du journalisme : les contraintes pour les entreprises de presse et la nécessité d'investir dans de nouvelles compétences marketing...... 72 2.4 Google est-il un média ? Les éditeurs de presse entre tentative de changement de la structure économique et partenariats avec le moteur de recherche...... 77 2.4.1 L'homéostasie ou la tentative des éditeurs de presse de négocier les règles de la structure du marché ...... 80 2.4.2 L'agenda technologique de Google comme définisseur de la transformation numérique des médias ...... 82 Conclusion...... 88 Chapitre 3. Déclin des ventes des journaux et présence sur les canaux de communication en ligne, une diversité des structures de marché et des trajectoires entre la France, le Royaume-Uni et la Suisse...... 90 3.1 L'économie du bien informationnel en ligne, les caractéristiques d'un produit d'expérience au coeur de la compétition pour l'attention ...... 91 3.2 La nécessité d'être présent : l'impact mitigé des entreprises de presse sur YouTube...... 93 3.3 La presse sur les réseaux sociaux, des usages divers dépendants de la taille du marché : entre breaking news au Royaume-Uni et faiblesse des médias suisses...... 99 3.La nécessité d'être présent : la présence des entreprises de presse sur Twitter et Facebook...... 117 3.5 Les entreprises de presse face au déclin des ventes et des revenus publicitaires : réactions en France, Royaume-Uni et Suisse ...... 136 3.5.1 Le constat unanime du déclin des ventes et des revenus publicitaires en France, Royaume-Uni et Suisse...... 137

9

3.5.2 L'absence de grandes concentrations domestiques des médias comme faiblesse structurelle ...... 146 3.6 Les médias sur le web : le passage aux versions en ligne de leurs éditions, entre concurrence et compensation du déclin de la vente des supports papiers...... 150 3.6.1 Le passage aux sites web : entre conquête britannique internationale d'un public anglophone et tâtonnements français et suisses...... 151 3.6.2 L'expérience du paywall : les échecs et succès des journaux britanniques marqués par l'imitation des bonnes pratiques...... 160 Conclusion...... 164 Chapitre 4. La presse face à l'innovation en ligne : entre redéfinition du positionnement éditorial et recherche d'un nouveau rôle, la différence entre tabloïds britanniques et presse de qualité...... 167 4.1 La transformation des médias comme objet d'étude ...... 168 4.1.1 La diversification des firmes médiatiques, entre opportunités et rattrapage technologique...... 169 4.2 L'ancrage éthique français et suisse du journalisme comme ressort de l'innovation journalistique...... 171 4.3 La diversification stratégique : L'exemple de l'adoption des pratiques marketing à succès par The Sun ...... 180 4.3.1 The Sun : un positionnement éditorial adapté au click-baiting ...... 180 4.3.2 The Sun : l'acquisition technologique par le rachat d'entreprises spécialisées ...... 183 4.4 La diversification du Daily Mail : une diversification sous la forme du "portail" et le rachat de sites web professionnels...... 188 4.5 The Guardian, un héritage d'investigation et de journalisme de qualité au coeur de son positionnement marketing ...... 193 4.6 The Guardian : l'innovation journalistique ...... 194 4.7 Le modèle de diversification du Monde et du Temps ...... 199 Conclusion...... 204 Chapitre 5. L'utilisation des données personnelles des consommateurs par les entreprises de presse : la dualité entre les tabloïds et la presse de qualité ...... 207 5.1 The Sun : l'utilisation des pratiques marketing de fidélisation au coeur de la stratégie de diversification des activités...... 211 10 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

5.2 Une meilleure compréhension de l'audience appliquée à un modèle économique du paywall : The Times ...... 215 5.3 En France et en Suisse : de la passivité des stratégies multi-plateformes à la course aux clics et à la masse critique des alliances de régies françaises...... 217 Conclusion...... 225 Chapitre 6. De l'opt-in aux pratiques de fidélisation : l'exploration des nouveaux canaux de communication pour accroître l'engagement avec l'utilisateur ...... 227 6.1 L'email marketing au service des entreprises de presse : nouveau médium ou nouvel outil au service de la presse ? ...... 229 6.1.1 L'email marketing comme média à part entière : l'exemple des pure-players de l'email, le succès français ...... 230 6.1.2 L'email marketing pour les entreprises de presse : le très fort investissement du Times et de The Guardian...... 232 6.1.3 L'email marketing : méthodes de capture ...... 233 6.1.4 Un état des lieux de l'email marketing pour les entreprises de presse ...... 235 6.2 S'orienter vers les applications mobiles : de la nécessité aux stratégies d'engagement ...... 239 6.2.1 Les applications mobiles comme moyen d'atteindre une nouvelle audience par la recherche de nouveaux formats : l'innovation du Monde et de The Guardian ...... 239 6.2.2 Une exploitation du marketing des applications mobiles : le cas de The Sun ...... 244 6.3 Vers les nouveaux canaux de communication : snapchat, chatbots et réseaux sociaux, naviguer dans le flou. The Guardian comme leader de l'innovation...... 246 6.3.1 Les entreprises de presse sur Snapchat, entre storytelling et lutte contre les fake news ...... 247 6.3.2 Les entreprises de presse sur Whatsapp : un outil pour toucher une nouvelle audience internationale ...... 248 6.3.3 L'utilisation des chatbots pour les alertes et breaking news ...... 250 Conclusion...... 252 Conclusion générale ...... 253 Tableau récapitulatif des hypothèses ...... 259 Bibliographie : ...... 263 Annexes ...... 278

11

Annexe 1 : bilans financiers du Guardian Media Group 2010- 2016 ...... 278 Annexe 2 : catégories socio-professionnelles NRS (National Readership Survey)...... 280 Annexe 3 : Audience de The Guardian...... 281 Annexe 4 : Audience de The Sun...... 284 Annexe 5 : Audience de The Daily Mail...... 285 Annexe 6 : Audience de The Times...... 286 Annexe 7 : Sites web les plus visités en France...... 287 Annexe 8 : liste des 150 premières chaînes YouTube au Royaume-Uni ...... 290 Annexe 9 : liste des 150 premières chaînes YouTube en France ...... 299 Annexe 10 : liste des 150 premières chaînes YouTube en Suisse ...... 307 Annexe 11 : liste des 150 premiers comptes Twitter au Royaume-Uni ...... 318 Annexe 12 : liste des 150 premiers comptes Twitter en France ...... 336 Annexe 12 : liste des 150 premiers comptes Twitter en Suisse ...... 353

12 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Liste des tableaux : Tableau 2.1 Classement Alexa des sites les plus visités en juillet 2017 - Monde...... 57 Tableau 2.2 Classement Alexa des sites les plus visités en juillet 2017 - Royaume-Uni ...... 58 Tableau 2.3 Classement Alexa des sites les plus visités en juillet 2017 - France ...... 58 Tableau 2.4 Classement Alexa des sites les plus visités en juillet 2017 - Suisse ...... 59 Tableau 2.5 Classement Alexa des sites d'information les plus visités en juillet 2017 - Monde ...... 59 Tableau 2.6 proportion de l'origine du trafic des sites web des quotidiens britanniques en provenance des réseaux sociaux ...... 64 Tableau 2.7 proportion de l'origine du trafic des sites web des quotidiens français en provenance des réseaux sociaux ...... 64 Tableau 2.8 proportion de l'origine du trafic des sites web des quotidiens suisses en provenance des réseaux sociaux ...... 65 Tableau 2.9 proportion de l'origine du trafic de la BBC et RTS en provenance des réseaux sociaux ...... 65 Tableau 2.10 Exemple de mises à jour de l'algorithme de recherche de Google depuis 2013...... 72 Tableau 2.11 répartition de l'origine du trafic des sites web des quotidiens nationaux britanniques par moteurs de recherche ...... 75 Tableau 2.12 répartition de l'origine du trafic des sites web des quotidiens nationaux français par moteurs de recherche ...... 75 Tableau 2.13 répartition de l'origine du trafic des sites web des quotidiens nationaux suisses par moteurs de recherche ...... 75 Tableau 2.14 répartition de l'origine du trafic des sites web la BBC et RTS par moteurs de recherche ...... 76 Tableau 2.15 liste des projets soutenus par le Fonds d'Initiative à la Presse en 2013 et 2014 ...... 83 Tableau 3.1 les quotidiens nationaux britanniques sur YouTube...... 101 Tableau 3.2 les quotidiens nationaux français sur YouTube ...... 103 Tableau 3.3 les quotidiens nationaux suisses sur YouTube ...... 104

13

Tableau 3.4 liste des 50 premières chaînes YouTube au Royaume-Uni ...... 106 Tableau 3.5 liste des 50 premières chaînes YouTube en France ...... 109 Tableau 3.6 liste des 50 premières chaînes YouTube en Suisse ...... 112 Tableau 3.7 répartition des chaînes YouTube par catégories au Royaume-Uni ...... 114 Tableau 3.8 répartition des chaînes YouTube par catégories en France ...... 115 Tableau 3.9 liste des 50 premiers comptes Twitter au Royaume- Uni ...... 118 Tableau 3.10 liste des 50 premiers comptes Twitter en France...... 120 Tableau 3.11 liste des 50 premiers comptes Twitter en Suisse ...... 123 Tableau 3.12 liste des 50 premières pages Facebook au Royaume-Uni ...... 127 Tableau 3.13 liste des 50 premières pages Facebook en France ...... 129 Tableau 3.14 liste des 50 premières pages Facebook en Suisse ...... 132 Tableau 3.15 comparaison de la présence sur Twitter entre la France, le Royaume-Uni et la Suisse ...... 134 Tableau 3.16 comparaison de la présence sur Facebook entre la France, le ...... 135 Royaume-Uni et la Suisse ...... 135 Tableau 3.17 évolution du tirage des quotidiens au Royaume-Uni de 2000 à 2017 ...... 139 Tableau 3.18 évolution des dépenses publicitaires par type de média en France ...... 142 Table 3.19 évolution du tirage de la presse en France entre 1999 et 2015 ...... 143 Tableau 3.20 évolution du tirage de la presse romande Suisse entre 2005 et 2015 ...... 145 Tableau 3.21 les principaux groupes de médias et diffuseurs de contenus dans le monde en 2016 selon la Banque mondiale ...... 148 Table 3.22 origine géographique des visiteurs des sites web des quotidiens britanniques ...... 152 Tableau 3.23 origine géographique des visiteurs des sites web des quotidiens français ...... 153 Tableau 3.24 origine géographique des visiteurs des sites web des quotidiens suisses ...... 153 14 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Tableau 3.25 origine géographique des visiteurs des sites web de la BBC et de la RTS ...... 154 Tableau 3.25 Évolution du nombre de visiteurs uniques quotidiens entre 2010 et 2017 des 6 principaux sites web d'information français ...... 156 Tableau 3.26 Classement des sites web les plus visités en 2017 - en milliers de visiteurs uniques par mois ...... 159 Tableau 4.1 répartition du tirage de la presse au Royaume-Uni par groupe de presse en 2016 ...... 174 Tableau 4.2 positionnement politique des principaux quotidiens britanniques ...... 174 Tableau 4.3 répartition du tirage par groupe de presse en France en 2016 ...... 177 Table 4.4 répartition du tirage par groupes de presse en Suisse en 2016 ...... 178 Table 6.1 comparaison des pratiques d'email marketing en France, Suisse et Royaume-Uni...... 236 Table 6.2 : Les données collectées par les entreprises de presse lors de l’opt-in (Juillet 2018) ...... 238

15

Liste des figures :

Figure 2.1 la chaîne de valeur des médias selon l'OCDE ...... 61 Figure 3.1 Répartition des visiteurs uniques des seize premières vidéos YouTube en septembre 2017 au Royaume-Uni...... 115 Figure 3.2 Répartition des visiteurs uniques des seize premières vidéos YouTube en septembre 2017 en France ...... 116 Figure 4.1 évolution du nombre de visiteurs uniques mensuels sur le site de The Guardian entre 2011 et 2016 ...... 198

16 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Introduction

Le déclin de la presse et les défis que représentent les technologies du numérique pour les quotidiens nationaux ont fait l'objet d'une littérature abondante, aussi bien dans les domaines académiques et profanes que par les professionnels de l'industrie de l'information. Un constat, celui de la chute des ventes des journaux sur les supports papiers et la fermeture de nombreuses entreprises de presse, est au cœur des tourments que subissent les différentes parties prenantes. Les exemples sont nombreux, France Soir, le quotidien français crée en 1944 et vendu à plusieurs millions d'exemplaires dans les années 60 cesse d'être imprimé en 2011. Au Royaume-Uni, The Independent, journal généraliste de centre-gauche se focalise uniquement sur les supports numériques depuis 2016. Cette tendance se retrouve en Suisse où en 2017 le quotidien francophone Le Temps subit une réduction de ses effectifs d'un quart. Ces exemples reflètent les défis et les difficultés de l'industrie de l'information traditionnelle à s'adapter aux modèles économiques sur lesquels les acteurs dominants, nommés GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ont un impact considérable. Ces derniers captent à la fois les revenus publicitaires et l'attention, ressource rare, des utilisateurs. Selon l'agence Zénith Optimédia1, Google et Facebook captaient en 2017 un cinquième des revenus internationaux de la publicité. Les usages des utilisateurs en matière de consommation de l'information ont aussi profondément changé. Selon le Pew Research Center2, en août 2017 plus de 67% des adultes américains s'informaient via les réseaux sociaux. Cette tendance est internationale. En France, où le public s'informe traditionnellement principalement via la télévision, le nombre de consommateurs de news sur les réseaux sociaux passe de 12% en 2013 à 17% en 2016 selon une étude de Médiamétrie3. Là encore on retrouve une tendance similaire en Suisse. Le rapport sur la qualité des médias de l'université de Zürich4 de 2015 met en avant qu'entre 2010 et 2014 le pourcentage de personnes s'informant en ligne est passé de 42% à 60%. Effet inverse, les lecteurs se désintéressent de la presse avec sur la même période une chute de 60% à 40%. Ce glissement de l'audience du support papier vers le numérique explique les décisions de quotidiens nationaux de se concentrer sur ce vecteur d'information. The Independent en 2016, La Tribune en 2012 et la réapparition du site web de France Soir en 2014 sont des exemples de cette décision. Néanmoins, très peu

1 Source article de theguardian.com du 2 mai 2017 : https://www.theguardian.com/media/2017/may/02/google-and-facebook-bring- inone-fifth-of-global-ad-revenue 2 Source article de journalism.org du 7 septembre 2017 : http://www.journalism.org/2017/09/07/news-use-across-social-media- platforms2017/ 3 Source article de lesechos.fr du 5 décembre 2016 : https://www.lesechos.fr/05/12/2016/LesEchos/22332-093-ECH_les-francais- sinforment-de-plus-en-plus-via-les-reseaux-sociaux.htm 4 Annales de 2015 sur la qualité des médias, Université de Zürich.

17

de journaux ont pu se targuer d'avoir généré des revenus en ligne. En 2017, The Guardian malgré une croissance forte de son nombre d'abonnés en ligne entre 2014 et 2017, passant de 15 000 à 200 000, et une forte stratégie de transformation digitale lancée en 2010, ne parvient pas à atteindre l'équilibre financier. Le quotidien britannique accusait une perte en 2017 de 70 millions de livres sterling5. De même, les tentatives du paywall par les entreprises de presse ont essuyé de nombreux échecs. The Sun cesse de l'appliquer en 2015, tandis que The Guardian, qui avait esquissé l'idée, déclare en 2013 ne pas vouloir le mettre en place. Les médias sont dans l'incertitude face aux modèles à adopter. François Mariet, dans le livre blanc sur "Les valeurs de la presse, son audience et sa data"6 décrit la presse comme l'une des industries les plus innovantes face au numérique ayant mis en place les modèles économiques les plus complexes dès le début des années 90. Au coeur de ces dernières se trouve une tendance générale du numérique, l'exploitation des données des utilisateurs. Les entreprises de presse disposent d'une masse considérable d'informations sur les pratiques en ligne, le comportement et les caractéristiques sociodémographiques de leurs lecteurs. Ce sujet est particulièrement populaire auprès de la presse grand public. The Economist citait ainsi que "The world’s most valuable resource is no longer oil, but data"7. De nombreuses entreprises extérieures au secteur des médias, notamment dans la banque et la grande distribution, ont intégré les données personnelles comme facteur clef de succès. En 2016 la banque britannique Barclays lance un programme utilisant le Big Data visant à aider les petites et moyennes entreprises à se financer et optimiser leurs dépenses et investissements8. Dans le domaine du retail, Walmart9 utilise un système d'analyse de masse des données afin d'appliquer une méthodologie de juste-à-temps dans sa chaîne de distribution. De manière similaire ces pratiques se sont fortement intensifiées dans le domaine financier. Des entreprises anglo- saxonnes telles qu’Experian ou Equifax disposent de base de données considérables aggrégant de multiples sources de données et offrant des analyses de credit scoring pour les banques commerciales dans le cadre de prêts aux particuliers. Les éditeurs de presse semblent avoir, à première vue, un retard dans le domaine de l'exploitation des données des utilisateurs notamment au vu de l’echelle des pratiques de data-mining et de collecte menées dans les industries de la finance ou du retail. En 2014, la chambre de commerce des Etats-Unis encourage les médias à s'orienter vers les technologies Big Data. Sean O'Leary, directeur de la communication de la Newspaper Association of America décrit un changement

5 Source article de digiday.com du 2 février 2017 : https://digiday.com/uk/guardian-draws-200000-paying-members/ 6 MARIET François, Valeurs de la presse, son audience, sa data, 2017 7 Source article de economist.com du 6 mai 2017 : https://www.economist.com/news/leaders/21721656-data-economy- demandsnew-approach-antitrust-rules-worlds-most-valuable-resource 8 Source dataiq.com : https://www.dataiq.co.uk/news/barclays-launches-big-data-insight-scheme-smes 9 Source walmart.com : https://blog.walmart.com/innovation/20170807/5-ways- walmart-uses-big-data-tohelp-customers 18 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. dans le rapport entre les marques et leurs lecteurs : "Decades ago, nearly any new subscriber would lead to a favorable return and high retention rate. Those same principles simply do not exist anymore. And while technology has expanded the ways for readers to consume information, it has also provided new methods for newspapers to identify and ‘micro-target’ new subscribers based on a wealth of information."10 Le Big Data, en tant que concept massivement repris par la presse spécialisée du marketing peut sembler être un "buzzword", un terme générique, forme de jargon visant à attirer l'attention du consommateur. Néanmoins, l'engagement avec les utilisateurs apparaît comme une réelle fenêtre d'opportunités pour les médias. Ceci intervient alors même que les grandes entreprises du numérique, dont le modèle économique repose sur la collecte et le traitement à grande échelle des données des utilisateurs sont remises en question. La cause est d'ordre politique. En 2016, le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne a mis en avant le rôle des fake news dans le résultat, des informations erronées et diffusées principalement sur les réseaux sociaux dans un but de manipulation politique. De manière similaire, ce phénomène se retrouve en 2017 au cours des élections générales britanniques. Un article de yourbrexit.co.uk, dont la structure et l'écriture reflètent une intention de viralité devient populaire en quelques heures sur Facebook et Google. Le titre de l'article "Corbyn confirms a Labour government would pay £92bn Brexit bill in full"11, est une affirmation fausse qui rencontre un vif succès sur les réseaux sociaux. Les fake news apparaissent aux yeux du grand public au cours des élections américaines de 2017. Derrière cette bataille de l'information le modèle économique général de la publicité en ligne est critiqué comme favorisant la prolifération de rumeurs. Le rapport du Reuters Institute for the Study of Journalism de 2017 12 met en avant le rôle de ce modèle dans la diffusion d'informations fausses. Ces scandales ont pris une ampleur considérable avec le scandale, en 2018, de l’exploitation des données des utilisateurs de Facebook par l’entreprise Cambridge Analytica. Derrière la profusion des rumeurs en ligne se trouvent deux raisons fondamentales, le fonctionnement des algorithmes de Google et Facebook et des acteurs trouvant une opportunité de générer des revenus publicitaires via des contenus attractifs, sujets à controverse et provocateurs. Un article de la BBC de 2016 explicite le fonctionnement. Dans l'exemple retenu par le service public britannique, des rédacteurs bulgares sont au coeur de la production de ces informations erronées, dans un objectif lucratif. Citant un étudiant adepte de ces pratiques, la BBC reflète le lien entre satisfaction

10 Source communiqué de la chambre de commerce des Etats-Unis du 18 juin 2014 sur uschamberfoundation.com : https://www.uschamberfoundation.org/blog/post/how-big-data-could- savenewspaper-industry/41529 11 Source article de theguardian.com du 19 mai 2017 : https://www.theguardian.com/politics/2017/may/19/truth-seekers-inside-the- ukelections-fake-news-war-room 12 Digital News Report 2017, Reuters Institue for the Study of Journalism

19

de l'audience et course au clic : "Americans loved our stories and we make money from them. [...]Who cares if they are true or false?"13.

Google et Facebook, de par leur fort taux de pénétration, jouent un rôle clef dans la chaîne de valeur et la distribution de l'information entre les producteurs de contenu et les consommateurs. En ce sens il est indissociable d'analyser l'impact qu'ont les deux firmes du numérique sur la structure économique et les règles du jeu marketing et technologique des médias. Face aux controverses que ces derniers font l'objet et la question de la responsabilité en tant que médium, les entreprises de presse traditionnelle peuvent trouver une opportunité de renouer avec une audience qui s'est déplacée vers les supports numériques et des producteurs de contenu alternatifs. Cette thèse a pour objet d'analyser les trajectoires prises par les éditeurs de presse dans l'engagement avec leurs lecteurs. Ceci passe par une analyse de la structure économique et technologique du champ des médias traditionnels ou legacy media, une mise en perspective des orientations historiques des pratiques du journalisme et la mise en avant des investissements technologiques et des techniques marketing utilisées. Pour cela notre étude se concentre sur trois marchés européens. Le premier, le Royaume-Uni a été choisi pour le caractère international de la langue, jouissant d'une audience anglophone sur les cinq continents et pour sa spécificité structurelle. Les journaux britanniques se divisent entre "presse de qualité" et tabloïds. Cette spécificité permet de mettre en avant des pratiques marketing à première vue avancées et uniques dans une trajectoire historique éditoriale et une culture professionnelle qui s'adaptent particulièrement bien aux usages des lecteurs en ligne. Le deuxième marché, la France se justifie par un parti pris. Ce dernier repose sur un constat personnel que la presse, pour reprendre la dualité britannique, dite de "qualité" demeure particulièrement plus importante qu'au Royaume-Uni. En ce sens, il permet de refléter une approche différente des entreprises de presse d'engagement avec ses lecteurs et d'adaptation aux pratiques du numérique. La Suisse, plus particulièrement francophone, est un marché particulièrement intéressant car caractérisé par une pénétration médiatique très forte et des usages traditionnellement actifs en termes de consommation des médias. Pour ce dernier marché, nous nous concentrons uniquement sur la presse francophone romande, en raison principalement de la complexité du marché local et de la taille conséquente de l’échantillon sélectionné. Le choix de ces trois pays repose aussi sur un deuxième parti pris. Nous postulons ainsi qu'en raison de la présence de grandes entreprises médiatiques internationales sur le marché britannique, telle que News UK mais aussi à cause de la place importante prise par la ville de Londres dans le domaine du marketing en ligne et de la technologie, les quotidiens nationaux ont mené des entreprises d'innovation et de diversification plus importantes. Ce parti pris se justifie aussi par l'absence d'une culture journalistique aussi importante qu'en France et en Suisse, symbolisé notamment par la non existence de carte de presse. Enfin notre thèse se concentre uniquement sur les quotidiens nationaux, aussi appelés legacy

13 Article de bbc.co.uk du 5 décembre 2016 : http://www.bbc.co.uk/news/magawine-38168281 20 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. media. La taille des marchés étudiés et le nombre conséquent de firmes médiatiques empêchent une étude exhaustive de l'ensemble des investissements et techniques d'engagement mises en place. De plus, nous souhaitons mettre en avant les trajectoires menées par ces derniers dans une transformation de leur organisation et de leurs pratiques marketing. Comme a pu le montrer Lucy Küng14, de nombreux pure-players ont mis dès leurs créations l'exploitation des données personnelles et l'engagement avec les consommateurs au coeur de leurs modèles économiques. Ces derniers ne permettent donc pas d'illustrer les défis de l'adaptation aux pratiques en ligne.

La littérature académique s'est très fortement intéressée aux changements de modèles économiques des médias. Nathalie Sonnac et Jean Gabswezicz15 ont analysé les médias à l'ère du numérique. En partant de l'idée d'un changement de paradigme dans l'économie des médias, l'auteur met en avant l'importance de la taille critique pour les entreprises de presse. Cette masse "minimale" leur permet de disposer de ressources financières suffisantes, à la fois pour la prise de risques et pour effectuer les investissements nécessaires à leur transition numérique. Face à la profusion de la production de contenu en ligne les auteurs soulignent un appauvrissement de la qualité de l'information. Suivant les logiques publicitaires de satisfaction de l'audience et une course aux "clics", la multiplicité des sources tend à créer une uniformisation du contenu, plus particulièrement à caractère politique. Sur la question des défis des médias face au numérique, l'essai de Bernard Poulet16 sur "la fin des journaux" a eu un impact retentissant auprès des professionnels des médias. Ce dernier explique les difficultés financières des entreprises de presse par la nouvelle structure de l'information. Les supports numériques sont de nouveaux intermédiaires fragmentés qui permettent aux annonceurs de ne plus passer via les régies publicitaires des firmes médiatiques pour diffuser leurs messages. De manière mécanique les revenus du modèle historique de la presse diminuent et ces derniers ne peuvent plus financier l'information. Jean-Louis Missika17 a de même effectué une analyse sur les défis éprouvés dans le secteur de l'audiovisuel. Ce dernier qualifie la transition numérique d'océan d'incertitudes, dans lequel la multiplicité des sources d'information tend à affaiblir le débat dans l'espace public. L'auteur parle ainsi de manière alarmante d'un affaiblissement de la qualité du contenu et des pratiques de consommation de l'information : "La dispersion des sources d’information, soutenues à la fois par les nouvelles technologies et par de puissantes demandes sociétales, risque de conduire à une nouvelle situation : celle d’un espace public bavard et inattentif". Philippe Amez-Droz s'est intéressé au cas suisse de la mutation de la presse vers le numérique. L'auteur met en avant une l'importance des mesures d'audience dans la valorisation publicitaire : "L’examen des

14 KÜNG Lucy, Innovators in digital news, I.B. Tauris, 2015, 141 p. 15 SONNAC Nathalie, GABSZEWICZ Jean, L’industrie des médias à l’ère numérique, Paris, Editions La Découverte, collection Repères, 2013, 126p. 16 POULET Bernard, La fin des journaux et l'avenir de l'information, Folio, 2011, 288 p. 17 MISSIKA Jean-Louis, La fin de la télévision, Le Seuil, 2006, 110 p.

21

instruments de mesure des audiences numériques, qui ne font pas toujours l’unanimité quant à la méthodologie censée garantir leur fiabilité et permettre de « qualifier » les audiences auprès des annonceurs, met en exergue la lutte des groupes médiatiques pour basculer vers un système d’économie de plateforme où les règles de marché se réinventent." Point particulièrement intéressant, Philippe Amez-Droz 18 évoque ainsi de nouvelles règles du jeu dans la commercialisation de l'audience pour les entreprises de presse face à des pratiques et des standards dominés par les grandes firmes du numérique et surtout le duopole publicitaire en ligne, Google et Facebook. Patrick-Yves Badillo traite la question sous l'angle des différents modèles économiques adoptés par les médias traditionnels. Face aux incertitudes liées à l'utilisation des paywalls l'auteur met en avant la logique économique des plateformes telles que Google et Facebook dont l'information produite par des tiers représente un moyen de capter l'attention : "En revanche, à l’échelle du méta-média et des réseaux sociaux mondialisés, la gratuité de l’accès reste la condition sine qua non des platesformes web aux contenus très diversifiés et proposant de l’information parmi d’autres biens et services. Pour de telles plates-formes, l’information n’est pas la finalité, mais un moyen, parmi d’autres, de capter l’attention."19

Les stratégies de diversification des entreprises et les trajectoires prises par les entreprises de presse ont pu être analysées par Gillian Doyles20. L'auteur met en avant le concept de "multi plateforme" qui se définit comme : "A multiplatform approach means that new ideas for content areconsidered in the context of a wide range of distribution possibilities (e.g. online, mobile, interactive games and so on) and not just a single delivery platform such as print or linear television." Cette approche met en avant les investissements effectués par les éditeurs de presse dans les différents supports numériques tels que les tablettes, smartphones et réseaux en ligne. Doyles dénonce dans ce cadre une volonté de rationnaliser les coûts en diffusant le même contenu sur l'ensemble des plateformes : "The apparently miraculous way that media companies have managed, on relatively fixed resources, to multiply the range and volume of their content outputs is explained by the fact that what they are doing, at least some of the time, is recycling the same output across platforms". Plutôt que de créer du contenu spécifique pour chaque type de support les firmes médiatiques contraintes par des impératifs financiers tendent à recycler le contenu, entraînant ainsi une uniformisation et un appauvrissement de l'information. La diversification des médias a aussi été analysée sous l'angle de la

18 AMEZ-Droz Philippe, Médias suisses à l'ère du numérique, PPUR, 2015, 140 p. 19 BADILLO Patrick-Yves, AMEZ-DROZ Philippe, "Le paradoxe de la presse écrite : un business model introuvable, mais une multiplicité de solutions", La Revue Européenne des Médias. 2014, vol. 29, p. 83-89 20 20 DOYLES Gillian, “Multi-platform media and the miracle of the loaves and fishes”, Journal of Media Business Studies, 2015, 12:1, 49-65 22 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. concentration des entreprises. Eli Noam21 montre ainsi une tendance dynamique aux Etats-Unis où durant la période allant de 1984 à 1994 la concentration a décliné avant de s'accroître sous la présence de Bill Clinton puis de décroître au début des années 2000. Ce dernier met en avant un phénomène accru dans le cadre de médias basés principalement sur la technologie tels que les pure players et les moteurs de recherche alors que les entreprises basées sur les supports traditionnels tendent à faire moins l'objet d'un processus de concentration.

La question des techniques marketing utilisées par les entreprises de presse dans la relation avec ses consommateurs a été relativement peu étudiée. Robert Picard s'est intéressé au lien entre pratiques marketing, management et le travail journalistique. Ce dernier met en avant que : "La commercialisation grandissante des médias n'est pas sans influencer à la fois la sélection, la production, la présentation et le contenu de l'information et du divertissement. [...] Les thèmes qui n'intéressent que peu de gens ou qui ne sont pas à la portée du consommateur moyen sont délaissés. Les sujets légers, joyeux, qui mettent le public de bonne humeur sont recherchés et bénéficient de plus de temps et d'espace."22 MacAllister23 soulignait au début des années 2000 un intérêt croissant de la part des médias pour les pratiques marketing en ligne alors en pleine émergence. De manière similaire, Mark Tungate 24 a offert en 2004 un panorama sur les techniques marketing utilisées par les médias traditionnels afin de s'adopter aux nouvelles règles du jeu en ligne. Ce panorama ne met néanmoins pas l'accent sur les techniques d'engagement avec le lecteur. Alice Antheaume 25 a analysé l'impact des pratiques marketing en ligne sur la profession journalistique. Cette dernière met en avant que les journalistes sont de plus en plus contraints à l'apprentissage de nouvelles règles liées aux dispositifs techniques de Google et Facebook. Dans un objectif de mise en visibilité sur les réseaux sociaux et sur les moteurs de recherche ces derniers intègrent dans leurs processus d'écriture des contraintes d'indexation liées au Search Engine Optimisation (SEO). Patrick-Yves Badillo évoque en ce sens un phénomène de "Googlisation des médias". L'impact des acteurs du numérique sur le journalisme entraîne une reinvention des pratiques et la nécessité pour les professionnels de l'information de s'adapter aux règles du jeu des géants du numérique.

On constate dans la littérature académique mais aussi professionnelle un manque d'intérêt pour l'étude des pratiques marketing utilisées par les firmes médiatiques.

21 NOAM Eli, Media Ownership and Concentration in America, Oxford University Press, 2009, 489 p. 22 PICARD Robert, Picard Robert G., « Les médias au risque du management et du marketing. », Le Temps des médias 1/2006 (n° 6) p. 165-17 23 MCALLISTER, M.P., “From flick to flack : The increased emphasis on marketing by media entertainment corporations”, Critical Studies in Media Imperialism, Oxford : Oxford University Press, 2000 24 TUNGATE, Mark, Media Monoliths : How Great Media Brands Thrive and Survive. London : Kogan, 2004, p. 261 25 ANTHEAUME Alice, Le journalisme numérique, Presses Universitaires de SciencesPo, 2013, 188 p.

23

Les approches sont en général liées aux sciences de la communication qui se placent sous l'angle des effets des médias ou bien des mutations du travail journalistique. Comme le montrent Arnaud Mercier et Nathalie Pignard-Cheynel26 une réflexion a été effectuée sur la réorganisation interne des rédactions et l'accompagnement des journalistes aux nouveaux modèles économiques. Ceci se retrouve sous l'angle de la sociologie du journalisme avec les défis du professionnalisme (Singer, 200327) et de l'identité culturelle (Le Cam, 200628) face au numérique qui ont été mis à l'honneur dans l'analyse des transformations des médias.

Ce désintérêt pour la question des pratiques marketing dans les entreprises de presse se justifie par l'appartenance traditionnelle du sujet de l'engagement des marques avec les consommateurs aux sciences de gestion. Christophe Meyer et Andre Schwager définissent l'engagement sous l'angle de l'expérience du consommateur : "[...] the internal and subjective response customers have to any direct or indirect contact with the customer.29" En 2006, l'Advertising Research Foundation offre une première définition générale de l'engagement comme étant un moyen de convertir un consommateur potentiel : "turning on a prospect to a brand idea enhanced by the surrounding context"30 En 2008, le Forrester Research Foundation, en réaction à la définition précédente jugée trop générique propose un approfondissement basé sur une relation à long terme avec la marque dans un objectif d'accroissement des ventes : "creating deep connections with customers that drive purchase decisions, interaction, and participation, over time". Face à la faible littérature académique existante sur la thématique de l'utilisation des pratiques marketing d'engagement par les médias traditionnels, cette thèse propose d'apporter sa contribution à une meilleure compréhension des moyens mis en place. Sans prétention d'analyser l'intégralité des techniques existantes en la matière nous proposons d'étudier le sujet dans une vision multi-canale de l'engagement avec le consommateur. Dans ce cadre nous mettons l'accent sur quatre supports principaux, les sites web des quotidiens, les supports mobiles via les applications, l'email marketing et les "nouveaux médias", plus particulièrement via les services de micro-messagerie (Whatsapp) ainsi que les chatbots. Afin de mieux saisir la complexité de l'environnement médiatique et de mettre en évidence l'influence des acteurs du numérique que sont Facebook et Google nous faisons un détour

26 MERCIER Arnaud, PIGNARD-CHEYNAL Nathalie, "Mutations du journalisme à l’ère du numérique : un état des travaux ", Revue française des sciences de l’information et de la communication, 2014 27 Singer Jane, "Who are these guys? The online challenge to the notion of journalistic professionalism", 2003, Journalism, 4, p. 139-163. 28 LE CAM Florence, " États-Unis : les weblogs d'actualité ravivent la question de l'identité journalistique", 2006, Réseaux, 138, p. 139-158. 29 MEYER Christopher, SCHWAGER Andre "Understanding customer experience." Harvard business review, 2007 30 Source site web de l'Advertising Research Foundation : https://thearf.org/ 24 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. par une explication de leurs effets sur la chaîne de valeur des médias traditionnels. Ceci a pour ambition de mieux saisir sous l'angle des "règles du jeu" du champ économique et technologique de l'information de quelle manière les firmes médiatiques s'adaptent à une modification de la structure du marché. Enfin, nous mettons un accent tout particulier sur la trajectoire des entreprises de presse. Nous postulons ainsi que les marques étudiées s'inscrivent dans une relation historique entre un contrat de lecteur avec leur audience, une capitalisation de la marque et des pratiques intégrées dans leur organisation. Pour cela nous faisons un détour par l'histoire éditoriale des entreprises étudiées afin de mettre en lumière la spécificité contingente de leurs décisions et investissements. Un accent tout particulier est porté sur la dualité entre tabloïds et presse de qualité. En effet, un constat est effectué, celui de l'intégration importante des pratiques marketing par la presse à sensation. Dans ce cadre The Sun et The Daily Mail au Royaume- Uni sont particulièrement analysés dans leur opposition, en termes d'orientation avec d'autres quotidiens, d'information générale, plus particulièrement Le Monde et Le Figaro en France et Le Temps en Suisse.

Ce doctorat, en plus d'apporter sa contribution à un sujet peu traité se veut aussi de mettre en lumière un positionnement général des médias vis à vis d'un contexte socio-politique spécifique. En effet, la thèse a été écrite au cours d'évènements internationaux majeurs. Le premier, le vote de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne du 23 juin 2016 a permis à l'auteur de saisir un très fort contraste dans le traitement de l'actualité entre la France et la Grande Bretagne. Cet évènement a constitué un parti pris, celui de la prégnance du marketing dans les techniques utilisées par les quotidiens britanniques et une forme de pragmatisme commerciale visant le profit à tout prix. Face à cette opinion personnelle, l'auteur a ainsi dérivé son sujet originel vers une étude des techniques commerciales mises en place par les grands quotidiens britanniques. Ceci se reflète dans ce doctorat via l'insistance portée sur la dualité entre la presse de qualité et les tabloïds qui représentent un idéal type des orientations dans l'adoption des techniques d'engagement et de compréhension de l'audience. Cette opinion personnelle a par la suite pu être confortée au cours de la participation à des évènements organisés par News UK et de Daily Mail and General Trust Plc de promotion de leurs outils analytiques ainsi que de leurs techniques marketing. De plus, il convient de noter que l'auteur était, durant l'écriture de cette thèse, un professionnel du CRM. L'expérience passée au sein d'agences marketing et d'une maison édition au Royaume-Uni a permis de saisir l'importance, au contact de nombreux journalistes et chargés de marketing pour les entreprises citées, des pratiques commerciales dans l'ensemble des activités des rédactions. Enfin, dans un deuxième temps, le résultat des élections présidentielles américaines de 2017 a créé un fort intérêt pour l'auteur dans la responsabilité de Facebook et Google dans la médiation de l'information et la lutte pour la conquête de l'opinion. Ceci se retrouve dans cette thèse, notamment sous la forme de l'étude des modèles économiques des deux acteurs du numérique et leur impact sur les entreprises de presse.

25

26 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Chapitre 1. Corpus, méthodologie et cadre théorique

Le corpus du doctorat s'est principalement focalisé sur la presse quotidienne d'information générale en France, au Royaume-Uni et en Suisse. Le choix de se limiter à ce champ d'analyse se justifie par la décision d'étudier principalement les entreprises médiatiques faisant face à une transformation numérique. Ce concept de "transformation numérique" implique de fait les legacy media, les entreprises de presse dont le cœur d'activité historique repose sur le support papier. Le choix de la France, du Royaume-Uni et de la Suisse comme marchés analysés provient des caractéristiques nationales spécifiques de ces trois pays. Le Royaume-Uni, par sa dualité entre tabloïds et journaux de qualité, offre un objet d'étude sur les différentes stratégies marketing adoptées en fonction du contenu produit. Ceci nous permet de mettre en avant des trajectoires différentes en fonction de la culture éditoriale et de l'identité journalistique de ces deux types de journaux. Cette différence structurelle dans l'écosystème des médias anglo-saxons nous permet d'effectuer une comparaison plus générale avec les quotidiens d'Europe continentale dont l'éthique journalistique et l'influence culturelle des organisations qui sont, à première vue, plus prononcées. Cette thèse s'inscrit dans l'analyse des médias et plus particulièrement dans le sous-champ de l'économie et du management des médias. Dans ce cadre des emprunts ont été effectués à d'autres disciplines notamment l'économie industrielle et les sciences de gestion. La première nous a permis de mettre en avant la transformation des structures économiques et technologiques du marché de l'information et, reprenant un modèle propre à la théorie des jeux, les réactions des firmes médiatiques face aux modifications de cet environnement. Ce cadre d'analyse est particulièrement important car il nous permet de mettre en avant l'influence de deux acteurs majeurs de l'économie du numérique, Google et Facebook. Ce modèle reprend principalement l'approche en termes de structure-conduct-performance au fondement de l'économie industrielle. Les sciences de gestion ont été essentielles dans l'écriture de ce doctorat, ce dernier portant principalement sur les stratégies de réactions des entreprises de presse face aux règles du jeu du numérique. Dans ce cadre les différents types de diversification ainsi que les stratégies de transformation digitale nous ont permis de mettre en avant des trajectoires pour les différentes firmes médiatiques étudiées. Enfin, partie intégrante des sciences de gestion, les techniques marketing, notamment dans le cadre des offres promotionnelles et des pratiques de fidélisation en ligne nous ont permis d'analyser les modes d'engagement des marques avec leurs consommateurs. Ce doctorat se propose donc d'importer des apports théoriques permettant d'aborder l'évolution des médias dans un environnement technologique numérique proche des sciences de gestion aux sciences de l'information, de la communication et des médias.

27

1.1 Les données utilisées

L'économie des médias et les sciences de gestion ont été au coeur de notre analyse des trajectoires numériques des entreprises de presse et des techniques d'engagement utilisées. Des apports disciplinaires de l'histoire et de la sociologie des médias, mais aussi de la science politique ont été particulièrement utiles dans le cadre de ce doctorat. Parmi les sources de données les plus utilisées, les bilans financiers des groupes de presse, notamment de The Guardian, le Daily Mail and General Trust Plc, News Corporation, le Groupe Le Monde, le Groupe le Figaro, Ringier et Tamedia, ont constitué des éléments clefs pour notre étude. Afin d'analyser la présence des groupes de presse sur les réseaux sociaux et d'illustrer la compétition existante entre les différents producteurs de contenu nous avons aussi utilisé des outils d'analyse marketing tels qu'Alexa Traffic Rank et SocialBakers Analytics. Ces derniers, bien que devant être sujet à caution, permettent d'avoir une vue générale sur la présence en ligne des groupes des quotidiens.

1.1.1 Données sur les revenus des groupes de presse

Les données sur les revenus des groupes de presse ont principalement été obtenues via les bilans financiers annuels. Les principaux quotidiens britanniques étudiés, The Sun, The Times, The Sun on Sunday et The Guardian appartiennent respectivement à News UK et au Guardian Media Group. Les bilans de ces derniers sont accessibles via leurs sites web et se composent principalement d'un récapitulatif des investissements effectués, des orientations stratégiques et des comptes de résultats et informations financières. Les données ont été particulièrement simples d'accès pour l'étude des médias au Royaume-Uni, l'ensemble étant directement accessible en ligne. Ces sources nous ont été particulièrement utiles afin d'analyser les trajectoires et investissements menés par les quotidiens. Trois éléments ont pu être tirés de ces informations. Le premier repose sur les déclarations des actionnaires et de l'équipe gestionnaire qui illustre de manière explicite les difficultés et les opportunités que les firmes médiatiques éprouvent face aux transformations numériques. Dans le cas de The Guardian on dénote une rupture en 2010 avec une perte opérationnelle nette de 53,9 millions de livres sterling pour l'année 2009/2010. En plein cœur de la crise financière cette date marque un changement stratégique dans les investissements effectués par le quotidien avec la vente de plusieurs éléments de son portefeuille d'activités, notamment du Trader Media Group en 2014. Les données obtenues sur News UK ont permis d'illustrer la diversification du groupe dans les activités de paris en ligne, de jeux et d'offres promotionnelles comme partie active de la stratégie.

28 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

En France, les données financières des groupes de presse des principaux quotidiens étudiées ont été beaucoup plus difficiles à obtenir. Les principaux médias étudiés, Le Parisien, Le Figaro et Le Monde ne publient pas leurs bilans financiers au grand public. Les informations obtenues proviennent donc principalement de la presse économique française, notamment Les Echos, La Tribune mais aussi des communiqués de presse des groupes étudiés. En Suisse, le groupe Tamedia, détenteur en région francophone de 20 minutes, 24 heures, Le Matin, Le Matin Dimanche publie ses rapports financiers ce qui a permis de faciliter la tâche pour l'étude des orientations des quotidiens. De manière similaire le groupe Ringier, détenteur à 92,5% du Temps SA publie annuellement ses résultats financiers, ce qui a permis de mettre en avant les trajectoires du quotidien. Les résultats financiers du Guardian Media Group ont été analysés de l'année 2000 à 2016. La raison principale repose sur la période faste du quotidien qui s'étend de l'an 2000 à 2007 puis une période de turbulence s'étendant de 2007 à 2010 suivie d'une orientation stratégique du groupe autour du "digital first". A partir de 2010, The Guardian Media Group s'oriente davantage vers une stratégie multiplateforme avec un développement du site web de The Guardian, la création d'une version américaine puis australienne et dans des innovations journalistiques.

Les bilans financiers étudiés dans le cadre de ce doctorat sont les suivants :

-Guardian Media Group Annual Report 2000/2001 -Guardian Media Group Annual Report 2001/2002 -Guardian Media Group Annual Report 2002/2003 -Guardian Media Group Annual Report 2003/2004 -Guardian Media Group Annual Report 2004/2005 -Guardian Media Group Annual Report 2005/2006 -Guardian Media Group Annual Report 2006/2007 -Guardian Media Group Annual Report 2007/2008 -Guardian Media Group Annual Report 2008/2009 -Guardian Media Group Annual Report 2009/2010 -Guardian Media Group Annual Report 2010/2011 -Guardian Media Group Annual Report 2011/2012 -Guardian Media Group Annual Report 2012/2013 -Guardian Media Group Annual Report 2013/2014 -Guardian Media Group Annual Report 2014/2015 -Guardian Media Group Annual Report 2015/2016

Les données obtenues pour News UK concernent les quotidiens The Times, The Times on Sunday et The Sun. News Corp, entreprise créée suite à la scission de News Corporation le 28 juin 2013 regroupe les activités de presse de son prédécesseur ainsi que des actifs dans le Dow Jones & Company, Harper Collins, News International et le New York Post. News Corp est une public company, équivalent américain de la société anonyme française dépendante du NASDAQ. La scission de News Corporation entre les activités presse, News Corp, et audiovisuelle avec 21st Century Fox intervient après le Leveson inquiry faisant

29

suite au scandale du piratage téléphonique par News UK de 2011. Parmi les principaux évènements financiers du groupe on notera le rachat en 2013 de Storyful, une agence spécialisée dans la collecte, la vérification et la distribution de contenus user generated content produits sur les réseaux sociaux pour un montant de 25 millions de dollars américains. Les bilans financiers de News Corp nous ont principalement permis de mettre en avant les orientations stratégiques du groupe vers des activités marketing extrajournalistiques relatives à The Sun, notamment le lancement The Sun Saver, The Sun Bingo et The Sun Play. Les bilans financiers étudiés vont de 2010 à 2015. La raison de ce choix provient de la rupture existante dans la stratégie de The Sun suite au scandale des écoutes téléphoniques. On constate une accélération des investissements dans les ressources digitales et les activités de jeux en ligne.

-News Corporation Annual Report 2010 -News Corporation Annual Report 2011 -News Corporation Annual Report 2012 -News Corporation Annual Report 2013 -News Corporation Annual Report 2014 -News Corporation Annual Report 2015

Les données financières du groupe Le Monde, de Figaro CCM Benchmark et Le Parisien ont été difficiles à obtenir car non rendues publiques. Afin de trouver des informations sur les orientations menées par ces médias nous nous sommes principalement appuyés sur la presse économique spécialisée, notamment les Echos, La Tribune mais aussi les sites web traitant du sujet tels que cbnews.fr et ladn.eu. D'une manière générale nous nous sommes aussi appuyés sur les communiqués de presse des quotidiens afin de suivre leur actualité. Le cas suisse a été relativement plus aisé, les groupes Ringier et Tamedia publiant leurs bilans financiers. Ces derniers nous ont permis de mettre en avant principalement une orientation multiplateforme principalement sur les supports mobiles, via la création d'application et la refonte de sites web. L'ensemble des rapports annuels est disponible sur le site web de Ringier. De manière similaire nous nous sommes appuyés sur les bilans financiers du Groupe Tamedia qui nous ont permis d'illustrer la crise de ses quotidiens francophones qui apparaît à partir de la crise financière de 2008 dont l'impact sur les investissements publicitaires a été conséquent. D'un point de vue général, l'orientation vers le numérique nous a permis de monter une stratégie d'adaptation du contenu journalistique aux supports numériques selon l'approche multiplateforme décrite par Gillian Doyles.

-Bilan financier annuel Tamedia 2010 -Bilan financier annuel Tamedia 2011 -Bilan financier annuel Tamedia 2012 -Bilan financier annuel Tamedia 2013 -Bilan financier annuel Tamedia 2014 -Bilan financier annuel Tamedia 2015 -Bilan financier annuel Tamedia 2016 30 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

-Bilan financier annuel Tamedia 2017

1.1.2 Données sur le référencement web et les réseaux sociaux

Afin de montrer la raréfaction de l'attention sur les réseaux sociaux et les moteurs de recherche nous avons utilisé deux outils d'analyse. L'objectif est de montrer le niveau de concurrence que le web offre par la multiplicité des sources d'information dues à l'abaissement des coûts de production en ligne et aux pratiques amateurs. Nos résultats ont montré sur YouTube un "sacre de l'amateur" (Flichy, 201031). On constate en effet une forte présence, notamment dans le cas français de vloggers et humoristes côtoyant des chaînes dotées de fortes ressources financières telle que Vevo par exemple. Ceci rejoint l'approche de Clay Shirky selon laquelle : "Our social tools remove older obstacles to public expression and thus remove the bottlenecks that characterized mass media. The result is the mass amateurization of efforts previously reserved for media professionals" (Shirky, 200832). D'un autre côté le référencement sur les moteurs de recherche reflète la domination des grands acteurs du numérique, notamment Google, Facebook, Amazon et les sites de Microsoft. Les quotidiens nationaux, au Royaume-Uni en France et en Suisse apparaissent comme particulièrement mal référencés en comparaison. La méthode utilisée pour l'analyse de l'intensité concurrentielle sur les moteurs de recherche et sur la plateforme de partage de vidéos YouTube repose sur le recueil de statistiques de trafic via les outils Social Bakers et Alexa Traffic Rank.

Social Bakers est une entreprise internationale de social media analytics spécialisée dans l'analyse des marques sur les réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram, Twitter, YouTube, Linkedin, Google+, Vkontakt et Pinterest. Utilisée par les entreprises de marketing pour l'analyse de leur présence en ligne, SocialBakers fait aussi partie d'un ensemble d'outils recommandés pour la recherche en sciences sociales sur les objets d'étude du numérique (Gideon, 201233). Pour mettre en avant la faible présence des quotidiens d'information nationale en France, au Royaume-Uni et en Suisse sur YouTube nous avons extrait les données d'audience au mois de novembre 2017 sur la plateforme de partage de vidéos en ligne. Nous avons principalement créé des rapports d'analyse sur les 150 premières chaînes disposant le plus de trafic, ceci nous permettant de mettre en évidence la très forte concentration de l'audience sur les principaux producteurs de contenu. Parmi les éléments manquant à cette analyse nous n'avons notamment pas pu mettre en avant un éventuel effet de longue traîne sur l'audience en ligne. Cette dernière se définit comme une alternative au

31 FLICHY Patrice, Le sacre de l'amateur, sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique. La République des Idées, 2010, 112 p. 32 32 SHIRKY Clay, Here Comes Everybody. The power of organizing without organisations. Allen Lane, 2008, 336 p. 33 GIDEON Lior, Handbook of Survey Methodology for the Social Sciences, Springer, 2012, 540 p.

31

principe de Pareto selon lequel seulement 20% des utilisateurs sont réellement actifs et sur lesquels les entreprises devraient concentrer leurs investissements. Selon Chris Anderson (Anderson, 200734), les produits culturels n'étant pas en tête d'affiche génèrent un revenu qui, cumulés, représentent un chiffre d'affaires supérieurs au 20% les plus populaires. Notre objectif étant d'illustrer la concentration du trafic auprès de quelques acteurs minoritaires nous avons préféré ne pas étudier le phénomène de longue traîne, les entreprises de presse étant des marques indépendantes, le produit cumulé de leurs trafics n'avait à notre sens que peu d'intérêt.

Dans un deuxième temps, afin d'analyser la concurrence et la concentration de l'audience sur les moteurs de recherche auprès de quelques acteurs, de manière similaire à YouTube, nous avons utilisé l'outil d'analyse Alexa Traffic Rank. Crée en 1996, Alexa fut acquis par Amazon en 1999 et est demeuré populaire sous la forme d'une barre d’outils disponible sur les navigateurs web permettant de mesurer le comportement des consommateurs en ligne. Ce dernier permet de mesurer notamment le nombre de visiteurs uniques mensuels, le temps passé sur le site web et le nombre de liens entrants. Selon Camille Alloing et Nicolas Moinet, ces derniers se définissent comme : "Les liens entrants sont les liens hypertexte pointant d’une source web vers une autre source web. L’évaluation du nombre de liens entrants est l’un des critères de popularité usité par les moteurs de recherche. Plus une source est « citée » (mise en lien) par d’autres sources, plus celle-ci est populaire : cela démontre son intérêt, sa pertinence, etc" (Alloing et al., 201035). Les techniques de référencement sont particulièrement complexes et dépendent des algorithmes, opaques, des moteurs de recherche et des réseaux sociaux. L'algorithme PageRank de Google, tiré de la thèse de Larry Page (Page, 1998 36) propose de référencer les pages du web selon une logique d'intérêt humain et de pondération en fonction de nombre de liens entrants et sortants : "In this paper, we take advantage of the link structure of the Web to produce a global "importance" ranking of every web page. This ranking, called PageRank, helps search engines and users quickly make sense of the vast heterogeneity of the World Wide Web." Ce système de tri de l'information a néanmoins fortement évolué, prenant en compte des éléments tels que la clarté du code, les mots clefs et l'optimisation des pages pour les supports mobiles. Alexa Traffic Rank est néanmoins un outil controversé dont les problématiques méthodologiques méritent d'être soulevés. Alexa Traffic Rank aggrège ses statistiques à partir d'un panel de sites web sur une période trimestrielle. Ce panel fait l'objet d'un scepticisme au sein des professionnels du marketing pour son manque d'exhaustivité. De fait les données obtenues, bien que permettant d'avoir une vue générale des principaux sites web référencés et de leur audience sont à prendre

34 ANDERSON Chris, La Longue Traîne : La nouvelle économie est là ! Pearson, 2007, 288 p. 35 ALLOING Camille, MOINET Nicolas, "Des réseaux d'experts à l'expertise 2.0. Le web 2.0 modifie-t-il la création et la mise en place de réseaux d'experts ?", Les Cahiers du numérique, 2010/1 (Vol. 6), p. 35-53. 36 PAGE Larry, The PageRank Citation Ranking: Bringing Order to the Web, Stanford University, 1998 32 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. avec précaution. Afin d'effectuer notre analyse nous avons extrait d'Alexa Traffic Rank les dix principaux sites les plus visités au Royaume-Uni, France, Suisse et d'un point de vue international. Les résultats nous ont permis d'illustrer l'absence des quotidiens nationaux dans le classement malgré la forte audience des médias britanniques en ligne tels que le MailOnline ou bien le site de The Guardian. Ces derniers étant respectivement le premier et le deuxième site web d'information de langue anglaise les plus visités au monde.

1.1.3 Données sur le tirage des quotidiens nationaux d'information générale

Le tirage des quotidiens nationaux nous a permis de mettre en avant les difficultés rencontrées par les entreprises de presse face au déclin continu depuis les années 90 de la vente de leurs titres papiers. La baisse des revenus issus de la vente aux utilisateurs finaux et de la publicité sur ce support implique une nécessité de s'adapter aux usages se déplaçant sur le web et les terminaux numériques. Afin d'illustrer ce phénomène nous avons utilisé plusieurs sources d'information. Au Royaume-Uni, l'Audit Bureau of Circulation (ABC) est une non profit organisation crée en 1931 par l'ISBA, la Society of British Advertisers dans l'objectif de fournir aux annonceurs des informations indépendantes sur le tirage des journaux. Depuis 2009, l'organisation offre gratuitement au grand public l'information sur les tirages des journaux à partir des revenus généraux des différents organes de presse étudiés. En 2014 l'ABC étend son champ d'étude aux supports numériques. L'ABC est dirigé par un conseil réunissant des annonceurs, agences média, entreprises de presse et syndicats afin de garantir une pluralité des points de vue des différentes parties prenantes de l'industrie de l'information. Les données étudiées nous ont permis d'illustrer un lent et continu déclin de la vente des journaux des vingt principaux quotidiens nationaux, amorcés dès le début des années 50 mais connaissant une accélération à partir des années 90. En France, L'Office de justification de la diffusion (OJD) fut créé en 1948, succédant à l'Office de justification des tirages. Jusqu'en 2015 l'organe assure un contrôle du nombre des médias et la mesure de l'audience des marques de presse. En 2015 l'OJD fusionne avec la SAS AudiPresse et devient l'Alliance pour le Chiffre de la Presse et des Médias (APCM). L'ACPM a le statut d'Association de Loi 1901 et a pour objectif de contribuer à l'élaboration des tarifs de publicité des supports certifiés. L'organe de mesure de l'audience analyse aussi la fréquentation des sites web, des applications mobiles et des tablettes en utilisant des technologies de marqueur "TAG". Ces derniers sont des appels d'images crées à l'aide de Javascript. A chaque visite d'une page web, le script envoie une requête à un serveur web permettant de mettre à jour le compteur de visites. Les données issues de l'ACPM nous ont ainsi permis de mettre en avant, à l'instar du Royaume-Uni, un lent déclin de la presse écrite en France, ainsi qu'une augmentation du nombre de visites sur les sites web et les applications mobiles, s'accélérant depuis les années 2010. En Suisse, comme le montre Philippe Amez-Droz, la REMP fournit depuis 1964 des données de mesures de l'audience. Organisée sous forme de Société Anonyme (S.A.), l'association ne poursuit aucun but lucratif et est dirigée par une assemblée générale constituée

33

de professionnels de la presse ainsi que des annonceurs. La REMP est soutenue par l'association Schweizer Medien, Médias suisses, Stampa Svizzera et l'Association des Sociétés Suisses de Publicité (ASSP). La Suisse dispose aussi de l'entreprise NetMetrix qui mesure le trafic des sites web des entreprises de presse. Cette dernière propose des comparaisons entre les différents sites visités en Suisse.

1.1.4 Données sur les pratiques d'engagement des entreprises de presse

Afin d'analyser les différentes innovations mises en place par les médias nous nous sommes appuyés sur les rapports fournis par le Reuters Institute for the Study of Journalism crées en partenariat avec l'université d'Oxford. Ce dernier produit chaque année un Digital News report énonçant les grandes tendances ainsi que les innovations dans le domaine des médias et du journalisme. Nous nous sommes aussi appuyés sur les rapports du World Association of Newspapers and News Publishers (WAN-IFRA), organisation internationale basée à Francfort dont l'objectif est la défense de la presse. Le WAN-IFRA offre des rapports sur l'état de la presse et le journalisme ainsi que les mutations du journalisme. La Nieman Foundation for Journalism at Harvard University et son laboratoire de recherche le Nieman Lab fournit une veille continue sur l'actualité des médias dans le monde autour de thématiques telles que l'adaptation aux supports mobiles, la mesure de l'audience ou encore l'innovation et les outils analytiques. Cette revue en ligne nous a permis de récupérer de nombreuses informations sur les tendances en termes d'adoption de pratiques analytiques et de transformation des rédactions dans le monde. Les investissements en termes d'outils CRM ne sont traditionnellement pas communiqués au grand public par les entreprises de presse. De fait, nous nous sommes appuyés sur les communiqués de presse des quotidiens, des groupes médias mais aussi sur la presse spécialisée afin de recueillir un maximum d'informations sur les types de systèmes utilisés et sur les pratiques mises en place. Afin d'accroître notre connaissance du sujet nous avons aussi participé directement aux journées portes ouvertes de The Guardian, News UK et du Daily Mail and General Trust Plc. Ceci nous a notamment permis d'avoir un contact direct avec les professionnels du marketing travaillant dans ces groupes médias et de recueillir des informations sur les logiciels et systèmes développés ou utilisés en interne.

L'analyse des pratiques liées à l'email marketing a été effectuée en s'inscrivant massivement à l'ensemble des newsletters des différents quotidiens britanniques, suisses et français. Afin de procéder à l'étude nous avons adopté un comportement "Open no click" sur une période de trois mois. Ceci nous a permis de recevoir plus de 300 emails dans notre boîte mail et d'analyser les stratégies d'engagement créées via ce canal de communication. Les stratégies classiques et les standards de l'industrie liés à l'email marketing ont été étudiés directement via les entreprises de référence en la matière. Litmus, l'entreprise d'email marketing américaine fournit ainsi un ensemble de recommandations telles que le code HTML/CSS à utiliser, la fréquence d'envoi ainsi que les techniques d'engagement et les différents types d'emails existants. 34 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

1.2 Cadre théorique

Ce doctorat a été effectué dans une logique d'interdisciplinarité. Comme le montre Michel Mathien, la création des sciences des médias s'est effectuée dans une logique d'apports provenant de disciplines diverses le tout, dans un esprit d'ouverture : "Mais cette discipline (les sciences de l'information et de la communication ndlr.) constitue aussi un chantier d'activités scientifiques en voie d'émergence que des approches pluridisciplinaires conjointement déployées permettent d'éclairer. Ces deux approches alimentent d'autant plus le débat interne de cette discipline récente que celle-ci s'est construite dans la nécessaire confrontation entre l'inter et la pluridisciplinarité qui, dans l'histoire d'autres champs scientifiques, a été source de bien des progrès." (Mathien, 199537). Parmi les différentes influences nous avons emprunté à l'économie industrielle, plus particulièrement aux théories de la structure-conductperformance, à l'économie des médias, notamment l'analyse de la concentration des médias, de l'étude des biens expérientiels et des approches en termes de multi plateforme. Nous avons aussi emprunté aux champs de la sociologie du journalisme afin de mettre en avant l'importance de l'identité professionnelle des journalistes. Ces apports disciplinaires ont été particulièrement structurants afin d'étudier la transformation numérique des médias traditionnels dans un rapport avec le duopole publicitaire que représente Google et Facebook. Afin d'analyser les stratégies des groupes de presse nous avons fait appel aux théories du management stratégique, notamment dans le cadre de la diversification et des choix décisionnels. Les techniques d'engagement et les trajectoires des médias ont quant à eux fait appel aux théories de la marque et à la littérature liée au CRM. Enfin, afin de montrer le cadre changeant des médias, nous nous sommes inspirés des études mêlant les disciplines de l'informatique et de la science politique, plus particulièrement sur l'étude de la viralité en ligne et l'impact des acteurs technologiques du numérique.

1.2.1 L'économie des médias

L'économie des médias est un sous-champ des sciences de l'information et de la communication et de l'économie. Comme le montre Nadine Toussaint- Desmoulins au sein de l'Institut Français de Presse, l'économie des médias et de l'information a été une "approche économique délaissée"38 dont l'objet d'étude

37 MATHIEN Michel, " L'étude des médias : un champ ouvert à la transdisciplinarité.", Communication et langages, n°106, 4ème trimestre 1995. pp. 77-88. 38 Cité par Michel Mathien : MATHIEN Michel, "Enseigner et étudier l'économie des médias", Hermès, La Revue, 2006/1 (n° 44), p. 179-182. TOUSSAINT-DESMOULINS Nadine, L’Économie de l’information, PUF, Que sais-je ? n° 1701, Paris, 1978

35

"l'information" est un sujet considéré comme n'étant pas une marchandise comme une autre. Parmi les principaux auteurs en France on note Nathalie Sonnac et Jean Gabszewicz39 qui proposent une analyse sous l'angle du "changement de paradigme" suivant la transformation des usages de consommation, orientés vers les supports en ligne et l'arrivée de nouveaux acteurs, plus connus sous l'acronyme de GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Nathalie Sonnac a proposé une synthèse de l'analyse des médias en tant que bien économique reprenant les théories économiques d'Ostrom et Ostrom40 sur la rivalité des biens et la théorie des biens d'expérience de Richard Caves41 selon laquelle : "la valeur des contenus ne peut être évaluée comme les autres produits avant l’acte d’achat, ils requièrent d’être testés" (Sonnac, 2009 42 ). Le bien informationnel se caractérise comme étant un bien non rival sous tutelle. Selon Paul Samuelson43 un bien rival repose sur la définition selon laquelle : "la rivalité est un principe en vertu duquel la consommation d’un bien par agent diminue la quantité disponible de ce même bien par un autre agent ; l’exclusion conduit à écarter de la consommation d’un bien un individu, qui ne pourrait pas ou ne voudrait pas payer, pour jouir de la consommation de ce bien." La production de l'information fait aussi l'objet d'économie d'échelles, le coût marginal d'un bien supplémentaire étant quasiment infime. Ces théories nous permettent de mettre en avant dans le cadre de ce doctorat la dimension "expérience" du bien lié à son contrat de lecture. Afin de satisfaire la promesse marketing initiale, les entreprises de presse doivent obtenir une connaissance accrue de leur audience afin de délivrer une offre conforme à leur image de marque. Eli Noam 44 a offert une analyse sur la concentration des médias dans le monde, mettant en avant un phénomène continu de regroupement sous la forme d'un "U", passant d'un déclin de la concentration entre 1984 et 1992 suivi d'un accroissement entre les années 90 et 2000 et une rechute dans les premières années du XXIe siècle. La concentration des médias est un sujet clef de notre analyse car il permet de mettre en avant les stratégies d'intégration horizontale et verticale, offrant des synergies et des transferts de technologie entre les différentes marques du groupe. Le cas exemplaire est celui de News UK, détenant au Royaume-Uni The Times, The Sun, The Sun on Sunday et ayant effectué de nombreux rachats d'actifs dans un

39 SONNAC Nathalie, GABSZEWICZ Jean, L’industrie des médias à l’ère numérique. La Découverte, 2010, 128 p: 40 OSTROM Vincent, OSTROM et Elinor Ostrom, « Public Goods and Public choices », Alternatives for Delivering Public Services: Toward Improved Performance, Boulder, co: Westview Press, 1977, 7–49 p 41 CAVES Richard, Creative Industries: Contracts Between Art and Commerce, Harvard University Press, 2002, 464 p. 42 SONNAC Nathalie, "L’économie de la presse : vers un nouveau modèle d’affaires", Les Cahiers du Journalisme, 2009 43 SAMUELSON Paul, "The Pure Theory of Public Expenditure". Review of Economics and Statistics, The MIT Press, 1954 44 NOAM Eli, Media ownership and concentration in america, Oxford University Press, 2009, 512 p. 36 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. portefeuille divers d'activités. Au Royaume-Uni Gillian Doyle 45 a analysé la transformation numérique des médias traditionnels via leurs stratégies d'adaptation aux différents supports et terminaux. Cette dernière a mis en avant que la plupart des quotidiens étudiés se contentent de diffuser les mêmes contenus sur les différents formats, permettant ainsi d'économiser les coûts de production mais contribuant à un affaissement de la qualité générale de l'information, à une redondance ou une homogénéisation et à une similarité de contenus dangereuse pour la pluralité de l'information. Cette théorie nous a notamment permis de mettre en avant différents niveaux d'innovation et d'investissements sur les différents canaux de communication entre les médias étudiés. Ceci se conjugue de meme avec l’économie industrielle dans le sens ou les firmes médiatiques évoluent et s’adaptent dans leur conduite au changement du cadre politico-legal, socio-economique et technologique aussi bien dans leurs techniques de management que dans leur modèle économique46.

1.2.2 L'économie industrielle

Comme le montre Patrick-Yves Badillo (Badillo, 201547) les premiers apports de la science économique sur l'étude des médias ont été apportés, notamment en France par l'économie industrielle. Nous avons principalement utilisé l'économie industrielle afin d'illustrer l'impact de Google et Facebook sur la chaîne de valeur des médias. La théorie de la structure-conduct-performance nous a permis de mettre en avant la logique mécanique du changement de structure induit par le "changement de paradigme des médias". Crée en 1933 par Edward Chamberlin et Joan Robinson48, le modèle a été développé par la suite par Joe Bain49 afin d'expliquer les performances des firmes liées aux structures de marché. L'hypothèse centrale du paradigme structure-conduct-performance repose sur l'idée que la structure du marché est une cause des performances des entreprises. De manière inverse une causalité existe, si un marché est profitable ce dernier va attirer des entreprises modifiant ainsi sa structure. La conduite des firmes se mesure par leurs réponses vis à vis de cette structure, ces dernières peuvent reposer sur la création de barrières à l'entrée, des stratégies de prix mais aussi sur la publicité. La performance des entreprises se mesure par le niveau de profitabilité, d'efficacité et de niveau technologique. Le modèle traditionnel de la structure-conduct-performance ne présuppose pas de feedbacks de la part des

45 DOYLE Gillian, SCHLESINGER Philip," From organizational crisis to multiplatform salvation? Creative destruction and the recomposition of news media". Journalism: Theory, Practice and Criticism, 16(3), pp. 305-323. 46 MEDINA Mercedes, FAUSTO Paulo, The changing media business environment, Media XXI, 2008, 324 p. 47 BADILLO Patrick-Yves, « Usagers et socio-économie des médias », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 6, 2015 48 CHAMBERLIN, Edward, Theory of Monopolistic Competition, Harvard University Press, 1933 49 BAIN Joe, "Market Classifications in Modern Price Theory," Quarterly Journal of Economics, 56(4), pp. 560-574.

37

différents acteurs du marché. La logique derrière ce modèle repose sur la concentration du marché qui offre à la firme dominante un pouvoir de domination sur ce dernier. Un marché est inefficace dans le cas où la compétition entre les acteurs est quasiment inexistante. Dans le modèle structure-conduct- performance incluant les feedbacks des firmes, ces dernières peuvent réagir dans leur conduite et modifier à leur tour la structure du marché. Ce modèle théorique nous permet d'illustrer la relation entre des acteurs en situation de duopole sur le marché publicitaire, Google et Facebook et les médias traditionnels. De par leur domination, ces derniers impliquent une modification de la performance des firmes médiatiques traditionnelles qui en conséquence doivent modifier leur conduite, par des stratégies d'innovation technologique ou de différenciation de marque. Ce modèle, relativement ancien a fait l'objet de critiques. Utilisé principalement pour justifier l'intervention de l'Etat dans l'ouverture des marchés, notamment des infrastructures essentielles à la compétition, plusieurs éléments ont été soulevés, tels que la difficulté de définir un marché et ses frontières ainsi que la difficulté de justifier les effets de l'intervention gouvernementale sur un marché. La nature de ce dernier étant différente en fonction des industries, les impacts peuvent être à la fois pervers et divers entre les différents marchés. Robert Picard50, propose une extension de ce modele en expliquant que la structure des medias affecte la conduite (conduct) des medias, ayant un impact direct sur le contenu de ces derniers.

Afin de mettre en avant l'impact du duopole publicitaire, Google et Facebook sur les médias traditionnels nous avons aussi utilisé la théorie des two-sidedmarket, liés aux effets de réseaux. Katz et Shapiro51 distinguent deux types d'externalités de réseaux :

• Les externalités directes de réseaux. L'utilité liée à la consommation d'un bien dépend du nombre de personnes disposant aussi de ce bien. Ces effets de réseaux se retrouvent dans le secteur des télécommunications où l'utilité, par exemple d'un téléphone, dépend du nombre de consommateurs utilisant aussi ce dernier. • Les externalités indirectes de réseaux. Ces dernières existent lorsqu'un agent économique tire son utilité de la présence d'autres personnes consommant ce même bien. Le consommateur sera concerné par la taille du réseau en raison de la diversité de services qui seront développés. Ceci s'illustre dans le cas de l'informatique. L'acheteur d'un produit accroît son utilité lorsque le nombre d'applications disponibles augmente avec la taille du réseau.

Ces deux théories s'appliquent aux réseaux sociaux, Facebook, Google et YouTube pour n'en citer que quelques uns. L'utilité des abonnés s'accroît avec la

50 PICARD Robert, Measuring Media Content, Quality, and Diversity: Approaches and Issues in Content Research. Turku, Finland: Turku School of Economics and Business Administration, 2000 51 KATZ L. Michael, SHAPIRO Carl, "Network Externalities, Competition, and Compatibility", The American Economic Review, Vol. 75, 1985 38 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. probabilité de retrouver des personnes de son cercle social ou d'autres consommateurs sur ces réseaux, entraînant ainsi un "effet boule de neige". Les réseaux les plus utilisés auto-entretiennent leur masse critique de par leur popularité. La théorie du two-sided-market poursuit l'étude des externalités de réseaux. Jean Tirole52 définit cette dernière comme étant un cas ou un marché satisfait deux groupes de consommateurs. La valeur perçue du premier groupe s'accroît avec le nombre de consommateurs du deuxième groupe. Ceci s'applique particulièrement bien à l'industrie médiatique, comme le définit Nathalie Sonnac et Jean Gabszewicz : " The conventional business model used by media firms exploits their role as platforms of interaction between two categories of users: audiences (consumers) and advertisers. Exchanges arising in media markets often generate cross network externalities (between advertisers and consumers, and vice versa), producing interactions between the demand for advertising and the demand for media content. Accordingly, traditional media outlets naturally appear as two-sided platforms.” (Sonnac, Gabszewicz, 201553). Ceci nous permet d'illustrer l'impact de la chute du nombre de lecteurs sur les revenus publicitaires et l'utilité perçue des annonceurs, et, mécaniquement, le glissement de ses derniers vers les leaders de l'industrie du numérique.

1.2.3 Théories du management : la diversification

Les théories du management stratégique nous ont permis d'analyser les processus de diversification développés par les firmes médiatiques, les synergies et l'acquisition de nouvelles technologies. Nous avons utilisé ces dernières notamment pour illustrer le cas de News UK, le groupe Le Monde et Le Figaro CCM Benchmark. Parmi les théories utilisées nous nous sommes notamment inspirés des modèles développés par Igor Ansoff. Ce dernier définit ainsi plusieurs types de diversification opérés par les firmes sur un marché :

• La diversification horizontale est la production et le développement de nouveaux produits utilisant des technologies et des moyens de production restant identique. L’entreprise étend ainsi principalement sa gamme de production. L'avantage pour la firme est de demeurer sur un secteur d'activités où elle dispose déjà d'une certaine expérience. Ceci se retrouve notamment dans le lancement de nouveaux magazines ou de sites web d'information générale comme ce peut être le cas pour Le Monde par exemple. • La diversification verticale repose sur l'intégration des différents éléments de la chaîne de valeur. Une entreprise réduit ainsi sa dépendance vis à vis de ces derniers.

52 TIROLE Jean, The Theory of Industrial Organization, MIT Press, 1988 53 SONNAC Nathalie, GABSZEWICZ Jean, "Media as multi-sided platforms", Handbook on the Economics of the Media, Dir. PICARD Robert, WILDMAN Steve, Elgar, 2015, 416 p.

39

• Les diversifications concentriques et conglomérées. La première se caractérise par une diversification progressive en proposant de nouveaux produits ou services à une même clientèle. En assimilant de nouvelles compétences clefs la firme opère un transfert progressif de savoir-faire sur l'ensemble de son portefeuille d'activités. Dans le cas de la diversification conglomérée une entreprise s'étend dans des domaines étrangers à son cœur historique d'activité. Ceci rejoint le modèle du portefeuille de Markowitz. Une firme diversifiant ses métiers limite les risques dans le cas de difficultés d'une activité, les pertes pouvant être compensée par une autre.

L'acquisition par News UK de nombreuses entreprises technologiques et de partenariats avec par exemple l'entreprise de paris en ligne TabCorp, l'agence de création de vidéos en ligne Unruly reflète à ce titre une diversification conglomérée de ses activités dans un but de transferts de savoir-faire progressif entre les différents métiers du groupe. Le modèle de la diversification nous a permis de manière générale de mettre en avant les stratégies liées aux entreprises avec une inégalité existante entre les firmes disposant d'une masse critique financière leur permettant d'opérer ce type de diversification et les médias traditionnels qui doivent innover par d'autres moyens, notamment en mettant en avant son identité de marque.

1.2.4 Théories du marketing : le CRM

La collecte de données, la classification des utilisateurs en segment marketing, la personnalisation des messages et du contenu ainsi que l'automatisation des tâches sont au cœur des techniques marketing dites de Customer Relationship Management (CRM). La définition du CRM est complexe. Comme le souligne Russel S. Winer54 le CRM possède une polysémie liée aux différentes branches d'activités professionnelles et de fonctions concernées. On peut retenir, plusieurs définitions liése aux techniques commerciales, à l'informatique et, celle qui nous intéresse, aux pratiques marketing. Pour Ronald S. Swift 55 le CRM se définit comme une technique permettant de comprendre le consommateur à travers des canaux de communication et d'améliorer la performance des échanges en attirant le consommateur, le conservant et le fidélisant dans un objectif d'augmentation des profits. Pour Lynette Ryal et Adrian Payne56, le CRM est conçu la plupart du temps sous l'angle des systèmes technologiques en tant qu'outil d'assistance professionnelle pour les fonctions commerciales. Atul Parvatiyar et Jagdish N. Sheth57 mettent l'accent sur la convergence organisationnelle et l'intégration des

54 WINER Russel S. "A framework for customer relationship management", in California Management Review, 2001 55 SWIFT S. Ronald, Accelerating Customer Relationships: Using CRM and Relationship Technologies, Prentice Hall, 2000, 512 p 56 RYALS Lynette et PAYNE Adrian F.T. “Customer Relationship Management in Financial Services: Towards Information Enabled Relationship Marketing,” in Journal of Strategic Marketing, 2001 57 PARVATIYAR Atul et JAGDISH N. Sheth, " Customer Relationship 40 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. différentes fonctions de l'entreprise autour d'une stratégie commune d'acquisition, de fidélisation et de création de valeur avec le consommateur. Cette définition pointe ainsi du doigt une autre dimension traitée par le CRM, à savoir le changement organisationnel dans un objectif de prise en compte accrue du consommateur. Alex Zablah, Danny Beuenger et Wesley Johnston 58 mettent quant à eux en avant que le CRM est une philosophie issue d’une autre discipline, celle du marketing relationnel, relativement ignorée par la littérature académique et en manque de recherche, manquant ainsi d'un cadre définitionnel. Comme le montre Hisham Sayed Soliman59, face au flou définitionnel et aux différences de points de vue en fonction des origines disciplinaires, des auteurs ont tenté de mettre en place une définition compréhensive du CRM. Adrian Payne et Penny Frow60 veulent donner une définition compréhensive du CRM. Ils le définissent comme une méthode stratégique visant à améliorer la relation entre les consommateurs principaux (les plus engagés) et ceux des autres catégories. Le CRM vise à unifier les stratégies marketing en utilisant les technologies de l'information afin de créer une relation de long terme avec le consommateur. Cette valeur est créée en utilisant les données des consommateurs via la collecte et le traitement de ces dernières afin d'améliorer la compréhension de leurs comportements. V. Kumar et Werner Reinatz61 mettent en évidence l'importance d'une communication personnalisée avec l'audience via les techniques du CRM. Ils le définissent comme un dialogue continu et personnalisé avec chaque consommateur en utilisant tous les moyens quantitatifs disponibles pour maximiser le profit. Enfin, dans un objectif de synthèse, Alex Zablah définit cinq points clefs du CRM comme étant un processus gestionnaire, une stratégie, une philosophie, des techniques et une technologie. La connaissance des consommateurs est au cœur de ses stratégies et se manifeste par la nécessite de maximiser les données obtenues. Avec l'apparition des plateformes numériques et des médiateurs de l'information et la production exponentielle de données nous pouvons aussi rajouter trois éléments qui nous semblent au cœur des préoccupations des professionnels du CRM, qu'il s'agisse des médias ou des firmes d'autres industries. Le premier repose sur la collecte des données en tant

Management: Emerging Practice, Process, and Discipline" in Journal of Economic and Social Research 3(2) 2001, 1-34 58 ZABLAH Alex, BEUENGER Danny, JOHNSTON Wesley, “Customer Relationship Management: An Explication of Its Domain and Avenues for Further Inquiry,” in Relationship Marketing, Customer Relationship Management and Marketing Management: Co-Operation–Competition–CoEvolution, Michael Kleinaltenkamp and Michael Ehret, eds. Berlin: Freie Universität Berlin, 115–24, 2003 59 SOLIMAN Sayed Hisham, " Customer Relationship Management and Its Relationship to the Marketing Performance" in International Journal of Business and Social Science Vol. 2 No. 10; June 2011 60 PAYNE Adrian, FROW Penny, "A strategic framework for Customer relationship management in Journal of Marketing, No. 4, Oct. 2005. 61 KUMAR V., REINARTZ Werner, Customer relationship management: A databased approach (N. Y.: Joh Wiley, 2006).

41

qu'élément clef de succès des stratégies CRM. En 2015, l'association américaine des professionnels du marketing direct The Data & Marketing Association en partenariat avec Harvard Business School et l'Université de Colombia ont mis en avant que la collecte de données et leur traitement aux Etats-Unis ont contribué à hauteur de plus de 202 milliards de dollars62 de génération de revenus. En 2017, l'équivalent britannique, The Direct Marketing Association met en avant que le croisement des données sociodémographiques, comportementales et d'activité sur le web sont au cœur des stratégies marketing. Ces derniers préconisent l'emploi accru de stratégies marketing basées sur l'enrichissement permanent de ces dernières via les différentes sources de collecte. Cet impératif n'épargne pas les firmes médiatiques. Des initiatives ont été lancées par des organisations telle que la Knight Foundation, fondation américaine pour les médias. En 2016 cette dernière a mis en place le Knight News Challenge avec comme thème l'utilisation des données. L'automatisation des tâches est un deuxième élément clef qui apparaît comme une thématique de premier plan dans le domaine du CRM. Cette dernière peut se définir comme un ensemble de processus et de technologies permettant de collecter, de traiter et d'exploiter les données obtenues sans qu'une intervention humaine soit nécessaire. Dans le domaine des médias, des initiatives technologiques d'automatisation ont été mises en avant par les prédictions pour le journalisme du Nieman Lab en 2016. Ce dernier met en avant que la collecte de données et le traitement de ces dernières seront au cœur des stratégies journalistiques dans un but de création originale et exclusive de contenus. H.O Maycotte, ancien Chief Technology Officer du quotidien régional américain The Texas Tribune met ainsi en avant plusieurs technologies existantes. ARGO, un outil de recherche et de traçage de l'évolution de la grippe se base sur les requêtes du moteur de recherche afin de produire automatiquement de l'information médicale. De la même manière, la technologie développée par IBM Watson favoriserait la création automatisée de contenus météorologiques par l'exploitation de centaines de sources d'information.

Dans un troisième temps, l'optimisation du contenu est au cœur des techniques CRM. En 2016, Frederica Cherubini et Ramus Kleis Nielsen63 mettent en avant dans le Digital News Project 2016 du Reuters Institute for the Study of Journalism que les pratiques d'optimisation du contenu sont une priorité pour les firmes médiatiques. Ces derniers citent l'exemple du site d'information The Huffing Post dont l'équipe éditoriale utilise des outils d'A/B testing en temps réel afin d'optimiser le contenu mis en ligne. L'A/B testing est une technique marketing visant à diviser la cible d'un message en deux et de proposer deux contenus différents afin de mesurer lequel est le plus performant. Le Huffington Post publie ainsi deux versions tests, celle ayant le plus succès étant conservée. De la même

62 DEIGHTON John, JOHNSON Peter, “The Value of Data 2015: Driving Insight, Innovation and Efficiency in the US Economy”, Commissionné par The Data and Marketing Association, 2015 63 CHERUBINI Frederica, NIELSEN Rasmus "Klein, Editorial Analytics: How news media are developing and using audience data and metrics". Digital News Project 2016, Reuters Institute for the Study of Journalism, Oxford University 42 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. manière, l'équipe éditoriale du quotidien national allemand Die Zeit s'emploie à l'application d'A/B tests afin de mesurer le contenu ayant le plus de succès auprès de son audience. Cette thèse retient donc une définition technologique, socio- économique et sociologique du CRM. En ce sens, le CRM repose sur un ensemble d'outils technologiques permettant la collecte, l'automatisation et le traitement de données. Ces derniers appartiennent à un écosystème économique et technologique dans lequel les firmes médiatiques et l'ensemble des organisations évoluent, caractérisés par l'oligopole des géants américains du numérique et un ensemble d'organisations proposant des services techniques. Les pratiques du CRM des firmes médiatiques reposent aussi sur une dimension socio-économique car s'inscrivant dans un champ économique et technologique dominé par des firmes n'étant à l'origine pas du secteur de l'information. En ce sens, les firmes médiatiques, dans l'adoption des pratiques et techniques du CRM doivent s'inscrire dans des relations de négociations de leurs pratiques éditoriales en lien avec les organisations dominantes du champ. Enfin, le CRM se caractérise par une dimension sociologique, les usages et pratiques marketing étant originellement non inhérents aux pratiques journalistiques, un processus de diffusion de l'innovation et d'adoption des usages est à l'œuvre. L'un des objectifs de cette thèse est d’analyser de quelle manière les firmes médiatiques traditionnelles effectuent une transformation digitale et s'adaptent aux règles du jeu du champ économique par l'adoption de pratiques marketing liées plus ou moins au CRM. Il s'agit aussi d'une interrogation générale sur la place et l'évolution des médias dans un environnement où la production de contenus ne dépend plus seulement des médias dits légitimes ou des sources institutionnelles et où l'information, de toute sorte, prolifère.

1.2.5 Sociologie du journalisme : l'identité professionnelle

Afin de procéder à l'analyse des trajectoires des entreprises médiatiques face aux défis de la transformation de la structure du marché nous avons suivi une logique en termes d'institutions. Ces dernières sont considérées comme une collection de structures, de règles de standards étant particulièrement autonomes, contrastant avec une vision en termes d'équilibre et d'individus recherchant la maximisation de leur utilité (March, Olsen, 1989 64). Les organisations sont le produit d'une culture, dont les membres s'attachent dans les pratiques à la recherche d'un sens à donner à leur activité quotidienne (Lagroye, 2006 65 ). L'impact de la transformation numérique et les réorganisations des rédactions se heurtent ainsi à une identité professionnelle, comme le montre par exemple le conflit entre Nathalie Nougayrède à la tête du Monde et les actionnaires du groupe sur les formats à adopter sur les supports web. La sociologie du journalisme a offert un cadre d'analyse sur le conflit qui oppose les professions traditionnelles sur le support papier et sur les médias en ligne. Florence Le Cam a mis en avant la

64 MARCH James, OLSEN Johan, Rediscovering Institutions: The Organizational Basis of Politics, The Free Press, 1989, 325 p. 65 LAGROYE Jacques, La vérité dans l'Eglise catholique : Contestations et restauration d'un régime d'autorité, Belin 2006, 303 p.

43

recomposition de l'identité journalistique face aux blogueurs. L'auteur met ainsi en avant que : "Cette identité professionnelle, simultanément prescrite et acquise, est issue d’une trajectoire historique et politique spécifique qui se construit au travers des interactions continuelles que le groupe peut avoir avec l’ensemble des pairs, du public, des sources et des institutions publiques. Elle se manifeste principalement par une production discursive particulière qui fonde le caractère spécifique de l’identité d’un groupe professionnel."66 La réticence des journalistes papiers à se déplacer vers les rédactions web a été illustrée par le même auteur, dans le cadre de la permanence et l'adaptation, incluant des crises et des résistances67. D'un point de vue général, le journalisme se caractérise par un "professionnalisme du flou" (Ruellan, 200768), défini par des mythes, des discours, des représentations du groupe social de lui-même qui contribue à la constitution de standards. La transformation de l’industrie médiatique, sous le poids des changements technologiques induit de nouvelles compétences. Cinzia Dal Zotto69 énonce ainsi que dans le phénomène de destruction créatrice : “The people who fill the new jobs are not the people who filled the old ones”. L’apparition de nouvelles professions exterieures au journalism au sein des redactions implique ainsi un processus d’adaptation culturel.

Ces éléments théoriques nous permettent de mettre en avant l'importance du poids culturel dans les décisions prises par les entreprises de presse face à la transformation numérique. Notre postulat repose ainsi sur l'idée que les rédactions disposant d'une forte éthique et identité journalistique tendent à davantage se concentrer et capitaliser sur cette dernière, notamment en termes de marque. A l'inverse, les trajectoires suivis par les médias tels que The Sun disposent d'une faculté de changement plus simple, principalement due à l'absence de contraintes culturelles et des standards journalistiques de plus faible qualité.

1.3 Choix du sujet d'étude

Notre champ d'étude repose sur trois pays, le Royaume-Uni, la Suisse romande et la France. Ce choix se justifie par la différence en termes de structure du marché médiatique et de configuration de la presse. Le Royaume-Uni se démarque ainsi par l'existence d'une très forte presse tabloïd qui concentre la majorité de l'audience des quotidiens d'information générale. La France et la Suisse en revanche sont caractérisées pour le premier par une forte prégnance de l'information régionale et pour le deuxième par une segmentation

66 LE CAM Florence, Le Cam Florence, « États-unis : les weblogs d'actualité ravivent la question de l'identité journalistique », Réseaux, 2006/4 (no 138), p. 139-158. 67 LE CAM Florence, L'identité du groupe des journalistes du Québec au défi d'Internet. Université Rennes 1, 2005 68 RUELLAN Denis, Le Journalisme ou le professionnalisme du flou, Presses Universitaires de Grenoble, 2007, 232 p. 69 DAL ZOTTO Cinzia, Growth and Dynamics of Maturing New Media Companies, Jönkoping International Business School, 2005 44 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. géographique et linguistique qui offre un cadre d'analyse intéressant. Notre choix d'étude se concentre essentiellement sur la presse d'information générale sur les trois pays étudiés. Le nombre de quotidiens étant relativement importants sur cet objet d'étude nous avons décidé de proposer une vue d'ensemble suivie d'un approfondissement sur plusieurs principaux journaux, The Sun, The Times et The Guardian au Royaume-Uni, Le Monde, Le Figaro en France et Le Temps en Suisse. Ceci nous permet d'illustrer la dualité des trajectoires entre les trois pays et plus particulièrement entre la presse britannique et les deux autres marchés. Se concentrer sur les quotidiens d'information générale essentiellement nous a permis de mettre en avant la transformation numérique des médias traditionnels sur le marché déclinant de l'information, excluant ainsi les effets de niches, comme ce peut être le cas de la presse sportive ou de l'information régionale.

Cette thèse s'articule autour de plusieurs hypothèses de départ, que nous avons découvertes après une première lecture de la littérature sur le sujet. Nous nous efforcerons au fil de notre argumentation d'infirmer ou d'affirmer ces dernières au regard de nos résultats de recherche.

1.4 Hypothèses de départ

Hypothèse Les médias britanniques ont été parmi les Chapitre 3 n°1 plus innovants dans la recherche d'un modèle économique et leurs tentatives de présences sur les différents canaux de communication ont porté plus de fruit que leurs homologues français et suisses

Hypothèse Les tabloïds britanniques, via l'exemple de Chapitres 4,5 n°2 The Sun, ont mis la connaissance de l'utilisateur au coeur de leur stratégie marketing. A contrario, les entreprises de presse de qualité, britanniques, suisses et françaises accusent un retard dans l'adoption des techniques de connaissance de l'audience et des lecteurs.

45

Hypothèse La trajectoire en termes d'innovation des Chapitres 4,5 n°3 firmes médiatiques dépend principalement de leur héritage éditorial et leur culture journalistique. Les tabloïds britanniques tendent à davantage s'adapter aux pratiques marketing et aux règles du jeu numérique alors que la presse dite de qualité tend à devoir innover sur les formats et trouver de nouveaux modes de création de valeur pour le consommateur

Hypothèse Les éditeurs de presse britanniques ont Chapitre 6 n°4 investi avec plus de succès et d'innovation les pratiques d'email marketing et les nouveaux canaux de communication en les considérant comme des supports de diffusion de l'information à part entière. A contrario, leurs homologues français et suisses ont une approche plus mécanique de ces canaux, s'en servant principalement pour diffuser le contenu de leurs sites web.

46

47

Chapitre 2. Le défi des médias : Google et Facebook modifient le paradigme traditionnel de l'économie de l'information.

Les entreprises américaines du numérique, les GAFA ont modifié l'environnement économique des médias. Nous proposons dans cette partie d'identifier les raisons au cœur de ce changement. Trois éléments sont identifiés : les externalités de réseaux, le discours capitalistique, entrepreneurial qui accompagne ces firmes et une économie des coûts de transaction dans la relation entre les annonceurs et les consommateurs. En reprenant le modèle structure-conduct-performance, nous mettons en avant de quelle manière les GAFA, plus particulièrement Facebook et Google interviennent dans la chaîne de valeur des médias, invitant à un questionnement sur la responsabilité de ces firmes dans la diffusion de l'information. De par leur caractère de leaders technologiques et de définisseurs des pratiques marketing, les GAFA représentent un challenge pour les entreprises de presse traditionnelles qui doivent modifier leur conduite à adopter en s'adapter à la modification de l'environnement techno-économique. Les médias britanniques, français et suisses suivent des trajectoires différentes, nous proposons d'analyser dans cette partie le cadre général de transformation de leur organisation. Nous partons ainsi de l'hypothèse suivante.

Hypothèse : "Les entreprises de presse traditionnelles doivent suivre les règles du jeu technologiques et économiques en tant que "suiveurs" sur ce marché. Pour cela elles doivent se réorganiser en suivant les règles du jeu définies par les leaders du marché."

Afin d'affirmer (ou infirmer) cette hypothèse nous mettons en avant les facteurs clefs de succès de Google et de Facebook qui sont autant d'avantages comparatifs vis à vis des médias traditionnels, puis leur impact sur la chaîne de valeur des producteurs d'information et les pratiques journalistiques. Enfin, nous illustrerons l'existence d'un agenda setting technologique de l'innovation des firmes médiatiques marqué par les leaders du numérique via le cas du conflit entre les éditeurs de presse et Google au sein de l'Union européenne.

48 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

2.1 La modification des règles du jeu de l'environnement économique par Google et Facebook, une explication des défis des entreprises traditionnelles de presse

2.1.1 Les externalités de réseaux et l'effet boule de neige d'acquisition de l'audience de Google et Facebook

En juillet 2017, The News Media Alliance 70 , organisation syndicale de coopération et de défense des intérêts de 2 000 firmes américains et canadiennes du secteur des médias demandait au congrès américain la possibilité de mener des négociations via un front uni, une class action, contre Google et Facebook. Le but de cette alliance était de lutter contre les asymétries de moyens, financiers et technologiques71, entre les géants américains et les producteurs de contenu, qui affecte les pratiques journalistiques des médias traditionnels. Les sources principales de revenus des entreprises du secteur de l'information, les recettes publicitaires, sont captées par ces deux entreprises qui définissent les règles du jeu, de par leur infrastructure technique et leur masse critique en termes d'utilisateurs. Cette asymétrie est perçue par les éditeurs de presse comme une "perte de contrôle" sur la distribution du contenu qui affecte la qualité de l'information produite, cédant aux logiques de course aux clicks pour la captation des revenus de la publicité en ligne. Emily Bell, directrice du Columbia University Tow's Center, parle d'une audience modelée par les technologies de l'information, qui sont une barrière supplémentaire contraignante pour atteindre l'audience : "As we see the disappearance of print as a significant medium, and the likely decline of broadcast television, the paths our stories and journalism must travel down to reach readers and viewers are being shaped by technologies beyond our control."72

Cette perte de contrôle dans la chaîne de valeur de l'information en ligne se conjugue avec des pratiques de consommation médiatique via des intermédiaires tels que les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche. Selon une étude73 du Pew Research Center de 2016, 62% des adultes américains s'informaient via les réseaux sociaux tandis qu'en Suisse 40% des 18-24 ans recherchent l'information via des agrégateurs de news et 22% sur les médias

70 Source Theguardian.com, article du 10 juillet 2017 : https://www.theguardian.com/media/2017/jul/10/news-media-alliance-targets- facebook-and-google-in-fight-against-fake-news 71 Une question similaire a pu être soulevée par la commission des affaires européennes du sénat français sous l'angle des infrastructures essentielles. Voir le rapport "L'Union européenne, colonie du monde numérique" de Catherine Morin-Desailly 72 Annual Hugh Cuddlip Lecture, London College of Communication, 26 janvier 2015 73 GOTTFRIED Jeffrey, SHEARER Elisa, News Use Accross Social Media Platform, Pew Research Center, 2016

49

sociaux 74 . Cette transformation du champ de l'information et l'évolution des pratiques de consommation n'est pas sans avoir un impact sur les médias traditionnels. En 2016, le groupe Tamedia se séparait de 14% des effectifs des quotidiens romands 24 heures et Le Temps, tandis que la précarisation des journalistes est un constat largement accepté. La cause, la baisse des revenus publicitaires, s'explique par le morcellement des audiences des publications de la presse traditionnelle et les coûts de transaction pour l'accès des annonceurs aux consommateurs75.

Cette baisse des revenus de la presse traditionnelle se retrouve dans le modèle économique biface ou two-sided market de l'information. Cette relation économique, entre les annonceurs, et les consommateurs via le médium se retrouve dans la définition admise suivante : "In two-sided markets a platform allows consumers and sellers to interact by creating sub-markets within the platform marketplace." (Tremblay76, 2015). Les caractéristiques du modèle biface induisent une tendance à la concentration et l'existence d'effets de réseaux (Tirole77, 2003). L'augmentation du nombre de membres d'une plateforme accroît l'utilité de ses utilisateurs. Comme l'expliquent Michael L. Katz et Carl Shapiro : "l'utilité qu'un utilisateur tire d'un bien dépend du nombre d'autres utilisateurs étant sur le même réseau"78. Cet effet boule de neige se traduit dans le nombre d'abonnés aux réseaux sociaux dominants, Facebook comptait en 2017 plus de 32 millions d'utilisateurs au Royaume-Uni, 34,3 millions en France et 4,1 millions en Suisse, en faisant ainsi le réseau social dominant dans les trois pays. Ces externalités de réseaux représentent un avantage comparatif pour Google et Facebook.

Michael Porter, définit un avantage comparatif comme : "[...] l'ensemble des activités discrètes qu'une firme exécute, dans le design, la production, le marketing, la distribution et le service client [...]", lui permettant d'avoir un avantage sur ses concurrents 79 mais aussi de créer des barrières à l'entrée contre d'éventuels nouveaux entrants sur le marché. Ces dernières peuvent être basées sur les coûts, la détention d’un brevet ou le contrôle de la chaîne de

74 Annales 2016, qualité des médias. Principaux constats, Université de Zurich, 2016 75 D'où de nombreuses stratégies d'alliance de la part des entreprises de presse, telles que Gravity en France, ou encore Admeira en Suisse. Ces alliances concernent les régies publicitaires des groupes de presse, en mutualisation ces dernières, les firmes peuvent réduire leurs coûts de transaction et avoir accès à un panel supérieur de lecteurs. 76 TREMBLAY Mark, "Vertical Relationships within Platform Marketplaces", Michigan State University, 2015 77 ROCHET Jean-Charles, TIROLE Jean, "Platform Competition in Two-Sided Markets", Journal of the European Economic Association, 2003, Vol. 1, n°4, p. 990-1029. 78 SHAPIRO Carl, KATZ L. Michael, "Network Externalities, Competition and Compatibility", The American Economic Review Volume 75, N°3, Juin 1985, p. 424-440 79 PORTER Mickael, The competitive advantage: Creating and sustaining superior performance, Free Press, 2004, 592 p. 50 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. valeur. Cette position dominante du marché par Google et Amazon a fait l'objet de sanctions. En juin 2017, la Commission européenne a infligé une amende de 2,4 milliards d'euros contre Google pour abus de position dominante et pratiques déloyales. La firme américaine a été accusée de favoriser ses services de comparateurs de prix via son algorithme, secret. Amazon, Facebook et Apple font aussi l'objet d'initiatives de l'Union européenne visant à limiter l'évasion fiscale. Comme le montre Nikos Smyrnaios80, les GAFA ont mis en place une stratégie de développement dont le but est de limiter la menace des nouveaux entrants via le rachat de concurrents (par exemple l'achat d'Instagram et de Whatsapp par Facebook) et de concentration verticale et horizontale. L'ensemble des services proposés par Google et Facebook, vise à renforcer l'avantage comparatif acquis via les externalités de réseaux et la réduction des coûts de transaction. De par l'étendue de leurs offres, ils intègrent dans leur chaîne de valeur des activités traditionnellement génératrices de revenus pour les entreprises de presse mettant en péril ces dernières. En avril 2017, le magazine de défense de l'industrie médiatique et du journalisme au Royaume-Uni, Press Gazette lance une pétition81 visant à inciter Google et Facebook à des accords plus justes avec les entreprises de presse telle qu'une rétribution des journalistes liée aux droits d'auteur pour le contenu partagé sur les plateformes. Comme les défenseurs du projet le soulignent, en 2020 les deux entreprises américaines absorberont 71% des revenus générés par la publicité en ligne au Royaume-Uni. Cette domination du marché publicitaire se fait au détriment des médias traditionnels dont les articles, diffusés sur Google et Facebook ne sont pas rémunérés portant ainsi atteinte aux droits d’auteur et faisant l’objet d’une concurrence déloyale. En tant que distributeurs de contenu, les entreprises de presse doivent "abandonner leur contenu et adopter les règles du jeu (de Google et Facebook ndlr.) sur comment l'information doit être diffusée, hiérarchisée et monétisée" 82 . Ce sentiment, partagé par l'ensemble des éditeurs de presse traduit la présence oligopolistique des grands acteurs technologiques américains dans l'ensemble de la chaîne de valeur des médias. Le concept de chaîne de valeur, représentant les différentes activités imbriquées constituant l'organisation, est utilisé par Michael Porter pour illustrer l'importance des différentes ressources de la firme dans la construction d'un avantage comparatif. Ces domaines d'activités stratégiques rentrent en compétition avec les firmes médiatiques traditionnelles sur le domaine de la publicité et de la distribution. Cet avantage83, est d'ordre technologique, discursif, marketing mais aussi culturel,

80 SMYRNAIOS Nikos, Les GAFAM contre l'internet, une économie politique du numérique, INA 2017, 131 p. 81 Source Pressegazette.co.uk : http://www.pressgazette.co.uk/press-gazette-launches-duopoly-campaign-to- stop-google-and-facebook-destroying-journalism/8/ 82 Source theguardian.com, article du 10 juillet 2010 : https://www.theguardian.com/media/2017/jul/10/news-media-alliance-targets- facebook-and-google-in-fight-against-fake-news 83 Cet avantage comparatif est de nature multiple, il est à la fois technologique, financier mais aussi culturel. A l'instar du modèle de la destruction créatrice de Schumpeter, le changement technologique est posé, dans l'ensemble des secteurs économiques, comme un impératif de survie. L'acteur principal du

51

comme le montre Nikos Smyrnaios. Les discours techno-utopistes des GAFA contribuent à un renouveau du libéralisme (Chiapello, Boltanski, 199984) dont la confiance a été fortement affectée suite à la crise financière de 2008, niant les nuances historiques telles que le financement public des infrastructures essentielles et créant ainsi un discours communicationnel offreur de sens aux activités tentaculaires des firmes américaines.

2.1.2 Un modèle discursif techno-capitaliste structurant l'impératif d'innovation dans les médias.

La naissance des grandes entreprises américaines du numérique, les GAFA, fait l'objet d'une narratologie85 mettant à l'honneur le modèle de l'entrepreneur innovateur de Joseph Aloïs Schumpeter. L'entrepreneur, au sens schumpéterien est "cet être d'exception, qui jouant sur deux tableaux, celui de l'invention et celui du marché, sait amener une intuition, une découverte, un projet au stade commercial."(Akrich, Latour, Callon, 198886). Bien que largement remis en question par les études complexes de l'innovation87, ce discours s'inscrit dans la vision libérale de l'entrepreneur et plus généralement le rêve américain88, idée selon laquelle toute personne peut, par son travail, devenir prospère. L'idée méritocratique sous-jacente à ce discours demeure cependant éloignée de la réalité. Les GAFA ont en effet un point commun, elles furent toutes fondées par des ingénieurs en informatique appartenant à une élite intellectuelle, diplômée des universités américaines les plus prestigieuses.

numérique, sous l'image du créateur de start-up, l'entrepreneur schumpéterien, renvoie à une image quasi-politique du leader charismatique wéberien. 84 BOLTANSKI Luc, CHIAPELLO Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, 843 p. 85 Ce mode narratif est notamment mis en avant par Christian Salmon dans son ouvrage : SALMON Christian, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, La Découverte, 2007. 86 AKRICH Madeleine, CALLON Michel, LATOUR Bruno A quoi tient le succès des innovations ? 1: L’art de l’intéressement; 2 : Le choix des porte-parole. Gérer et Comprendre. Annales desMines, Les Annales des Mines, 1988, pp.4- 87 De nombreuses théories se partagent le champ de l'innovation mais s'accordent à rejeter le modèle de l'inventeur visionnaire. Les approches en termes d'interaction sociales, ancrés dans un espace culturel, et de paradigme technologique tendent à prévaloir. FLICHY Patrick, L'innovation technique, La Découverte, 2003, 256 p. 88 Comme le montrent Eve Chiapello et Luc Boltanski, les technologies de l'information et de la communication ont offert au renouvellement du capitalisme de nouveaux discours sur le management. Cette analyse nous semble pertinent au regard de la pression sur les médias à adopter de nouvelles organisations telles que les méthodes "Agile d'optimisation", la culture du test "A/B test" ou encore de l"Open Innovation". CHIAPELLO Eve, BOLTANSKI Luc, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, 894 p. 52 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Crée en 1996 aux Etats-Unis, Google fut fondé par deux doctorants en sciences de l'informatique de l'Université de Stanford, Larry Page et Sergey Brin. Les deux étudiants donnèrent naissance au cours de leur thèse à l'algorithme de tri et de recherche PageRank, au cœur du moteur de recherche Google. De manière similaire, Facebook fut cofondé en 2004 par cinq étudiants de Harvard, dont le plus emblématique, Mark Zuckerberg étudiait l'informatique. Le fondateur d'Amazon, crée en 1994, Jeff Bezos est diplômé de l'université de Princeton et un ancien professionnel de l'informatique appliquée à la finance. Cette appartenance à une élite intellectuelle se retrouve aussi dans le cas d'Apple, qui bien que son co-fondateur Steve Jobs n’obtînt pas son diplôme d'université, compte dans ses rangs Steve Wozniak, ancien étudiant en informatique de l'Université de Berkeley. Cette importance des ingénieurs dans la création des grandes entreprises du numérique rappelle le conflit mis en avant par John Kenneth Galbraith89 dans le modèle de la technostructure. Ce dernier met en avant l'importance de la prise de pouvoir dans l'entreprise par les techniciens en contraste avec le renouveau néo-libéral de l'école de Chicago qui témoigne du retour en force des actionnaires90. Cette conflictualité se retrouve dans les codes propres à la culture des entreprises du numérique, marquée comme le montre Fred Turner91 par un héritage des idéaux utopistes des années 60 et des révoltes étudiantes mais aussi par des mythologies qui accompagnent les technologies de l'information et de la communication. Parmi ces dernières on retrouve une grille de lecture telle que définie par Victor Scardigli92 opposant les optimismes techniques aux craintes qui y sont liées. On retiendra parmi ces dernières le mythe de l'adhocratie et de l'égalité des individus, du savoir accumulé et de l'interconnexion des individus sur les réseaux malgré les distances. Ceci se retrouve dans les discours offerts par les grands acteurs du numérique avec par exemple la réponse de Mark Zuckerberg face aux controverses des fake news. Ce dernier a déclaré en juin 2017 que le rôle de Facebook était d'aider ses membres à créer des communautés et de "rapprocher les individus du monde entier", rejoignant ainsi une thématique de connexion des individus et d'organisation des rapports sociaux via les réseaux techniques. L'imaginaire des réseaux (Musso, 200393) met ainsi en avant des hiérarchies à postériori avec des communautés autorégulées d'individus faisant écho à un ensemble de réseaux techniques structurant les économies et sociétés contemporaines, qu'il s'agisse des infrastructures de télécommunication, de la finance de marché ou du transport. Ces formes de narration se heurtent néanmoins à des critiques, qui,

89 GALBRAITH, John Kenneth, The New Industrial State, p. 71 HMCO 1967 90 Cette conflictualité entre les managers et les techniciens prend sa forme dans les symboles qu'adoptent les leaders des entreprises numériques, rejetant les codes traditionnels du monde de l'entreprise, ils se posent ainsi en acteurs différents. Ceci rejoint aussi le storytelling des marques du numérique mais contribue aussi à mettre en avant cette dualité de manière performative. 91 TURNER Fred, From Counterculture to Cyberculture: Stewart Brand, The Whole Earth Network, and the Rise of Digital Utopianism. Chicago: University of Chicago Press, 2006. 262 pp., 92 SCARDIGLI Victor, Les sens de la technique, Presses Universitaires de France, 1992, 275 p. 93 MUSSO Pierre, Critique des réseaux, Presses Universitaires de France, 2003, 374 p.

53

après l'enthousiasme sur l'impact des médias sociaux dans les révolutions arabes et les mouvements politiques (Shirky, 200894) montrent un recul sur la responsabilité sociétale des acteurs du numérique. La collecte et l'exploitation des données personnelles sont au cœur du modèle économique de Facebook et Google. Ce qui n'est pas sans susciter à la fois des craintes, en termes de protection de la vie privée des membres mais permet aux deux firmes américaines d'offrir des services favorisant une économie de coûts de transaction.

2.1.3 L'économie des coûts de transaction pour les annonceurs au cœur de la domination du duopole publicitaire de Google et Facebook.

Crée en 1996, le moteur de recherche Google connait une croissance, fulgurante et constante de ses revenus depuis les années 2000. En 2002 son chiffre d'affaires s'élevait à 400 millions de dollars américains, avant d'atteindre les 6 milliards en 2005, 29,3 en 2010 puis 89,46 en 2016. La capitalisation boursière de l'entreprise était la plus élevée du monde en 2016, juste devant Apple, avec plus de 500 milliards de dollars de valeur. Le cœur de l'activité historique de Google, renommé Alphabet en 2015 est son moteur de recherche avec comme principale source de financement la publicité. Son chiffre d'affaires de 2015 pour ce domaine d'activité stratégique s'élevait à 75 milliards de dollars, pour un profit opérationnel net de 23 milliards. Parmi ces revenus, 89% provenaient des services de publicité proposés par Google. Cette croissance rapide n'est pas sans rappeler celle de Facebook. Le réseau social basé à Menlo Park, en Californie fut fondé en 2004 par Mark Zuckerberg et quatre autres partenaires, tous étudiants à l'Université d'Harvard. À l'instar de Google, l'entreprise a connu une croissance fulgurante, principalement grâce aux revenus publicitaires. En 2009, Facebook avait généré 764 millions de dollars de chiffre d'affaires avant d'atteindre 17 milliards de dollars en 2015. En 2016, les revenus de l'entreprise s'élevaient à 26,8 milliards de dollars pour un total de 17 000 employés. L'audience du réseau social est conséquente avec plus de 1,23 milliards d'utilisateurs uniques journaliers en décembre 2016 dont une forte proportion sur les supports mobiles avec plus de 1,15 milliards de visiteurs uniques. Au cœur du modèle économique de Google se trouve Adwords. Ce dernier, lancé en 2000 offre aux annonceurs la possibilité de cibler une audience sur le modèle économique du pay-per-click (PPC), l'annonceur est facturé au nombre de clics, et sur le modèle du cost-per-acquisition (CPA). Les publicités peuvent être diffusées sur les pages de recherche Google ainsi que ses partenaires du réseau Display, la boîte de courriels électroniques Gmail et sur des applications mobiles offrant ainsi un intermédiaire unique pour la commercialisation publicitaire. L'offre de Google est intégralement dépendante du traçage de ses utilisateurs. Comme le montre Alec Engeber95, la collecte de données effectuée est effectuée en masse. Via son service de courriels électroniques, Google scanne le contenu des

94 SHIRKY Clay, Here Comes Everybody: How Change Happens When People Come Together, Penguin Group, 2009 95 ENGEBER Alec, "Data Collection by Facebook and Google", Consumer Researchs Winter 2015 54 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. messages (qu'ils utilisent Gmail ou non) envoyés ou au départ d'une adresse email Gmail, les adresses MAC (adresses des hotspots d'un terminal), et les transmissions de données via la wifi96 sont aussi collectées. Son système de publicité en ligne, offre de nombreux outils témoignant de la capacité du moteur de recherche à capturer des données personnelles : • Adwords propose le tracking ou le traçage des consommateurs en ligne par l'intermédiaire des cookies97 HTTP basés sur les navigateurs. • Un ciblage géographique, par l'intermédiaire de l'exclusion de certaines adresses IP. L'annonceur peut aussi cibler des contenus spécifiques via un filtrage par mots clefs avec l'outil "placement-targeted advertisement" crée en 2003. • Le ciblage démographique. Par l'intermédiaire d'un ensemble de sites web, Google peut cibler les espaces les plus adaptés pour le segment sélectionné en se basant sur des critères sociodémographiques ou encore les noms de domaine.

Le modèle économique de Facebook est aussi dépendant des données personnelles de ses utilisateurs. Le réseau social est réputé pour sa collecte de données relatives au temps de téléchargement des photos de profil, aux horaires et lieux de connexion. Le partenariat effectué avec l'entreprise Atlas advertising permet à Facebook, via les boutons "like" et "share", de continuer à capturer des données sur ses utilisateurs même s'ils ne sont pas connectés. En 2016, le Washington Post98 publie 98 types de données que Facebook collecte, la liste bien que longue ne reflète pas l'intégralité des informations capturées par le réseau social. A l'instar de Google, le service publicité de Facebook propose aux annonceurs de diffuser leurs messages sur le réseau social via plusieurs services :

• Facebook Ad permet aux annonceurs de poster leurs publicités sur le réseau social en créant une audience basée sur des critères sociodémographiques, économiques, politiques et comportementaux en fonction des données disponibles sur les utilisateurs. • Facebook custom audience offre aux annonceurs la possibilité de cibler une audience via le téléchargement d'adresses emails. Si ces dernières

96 La diversification entreprise par Google lui permet de capturer une large gamme de données. Entre les années 2006 et 2010, lors de la constitution de la base des données Google Streetview, l'entreprise est accusée d'avoir collectée des données via les réseaux Wi-Fi public et non cryptés pour un total de plus de 600 Giga Bytes 97 En 2007 Google annonce que les cookies disparaissent après 2 ans si l'utilisateur ne navigue sur aucun service proposé, néanmoins ces derniers sont automatiquement renouvelés le cas échéant. En 2011 Google a annoncé l'anonymisation des adresses IP après 9 mois et des associations entre cookies et accès aux services web après 18 mois. 98 Article du 19 août 2016 sur le washingtonpost.com : https://www.washingtonpost.com/news/the-intersect/wp/2016/08/19/98- personaldata-points-that-facebook-uses-to-target-ads-to- you/?utm_term=.d7d1453eea43

55

correspondent à celles utilisées par les membres du réseau social, il leur sera alors possible de les cibler spécifiquement. • Facebook dispose de plus d'une technologie de reconnaissance d'images Automatic Alternative Text crée pour les personnes mal voyantes, permettant de décrire une image et d'un programme de reconnaissance contextuelle du texte, DeepText.

L'utilisation des techniques de traçage se heurte aux lois sur la protection des données personnelles. Comme le montre Newton Lee99 Facebook a fait l'objet de nombreuses brèches dans le domaine de la protection des données personnelles. En 2011, la Federal Trade Commission (FTC) américaine accuse Facebook d'avoir effectué une communication mensongère sur la confidentialité des données, aboutissant à un compromis sur lequel le réseau social s'engage à mieux informer ses utilisateurs. En 2017, l'Union européenne a imposé une amende de 110 millions d'euros pour, de manière similaire, une communication incorrecte sur la protection des données personnelles suite au rachat de l'entreprise de micro-messagerie Whatsapp en 2014.

Cet ensemble de services pointus, offre aux annonceurs une économie de coûts de transaction. Oliver Williamson100 définit les transactions comme "un bien ou un service transféré d'une interface technologique à une autre", les coûts de transaction sont relatifs aux frictions existant dans les organisations entre les différentes parties. Selon cette définition, il existe en interne et dans les relations entre firmes des incompréhensions entre les différentes transactions, générant des délais, failles et dysfonctionnements. Les transactions sont au cœur de la théorie de la firme de Ronald Coase via les coûts de transaction101 qui permettent d'expliquer pourquoi les acteurs économiques se regroupent en entreprises plutôt que de mener leur activité individuellement de leurs côtés. L'organisation en firmes, permet par exemple de diminuer les frictions générées par la recherche de partenaires publicitaires, de technologies tierces ou encore de consommateurs appartenant à d'autres réseaux. En suivant ce modèle théorique, la capacité de Google et Facebook à proposer un ensemble de services, mêlant connaissance et traitement de l'audience et des outils de segmentation, permet aux annonceurs d'effectuer une économie des coûts de transaction. Les entreprises de presse traditionnelle, avec leur modèle en régie publicitaire et leur audience morcelée souffrent ainsi d'un désavantage de taille. Les capacités techniques, financières et de tracking des utilisateurs de Google et Facebook, additionnées à une capacité stratégique d'adaptation face aux changements de l'environnement sont des atouts de taille menaçant la pérennité des médias

99 NEWTON Lee, Facebook Nation: Total Information Awareness, Springer, 2013, 235 p. 100 WILLIAMSON E. Oliver, The economics of organization: The transaction cost approach. in American Journal of Sociology, Volume 87, Novembre 1981, 548-577 101 COASE Ronald, The nature of the firm, in Economica, New Series, Vol. 4, No. 16. (Nov., 1937), pp. 386-405 56 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. historiques alors mêmes que l'activité des deux firmes américaines empiète sur leur coeur de métier.

2.2 L'impact de Google et Facebook sur la chaîne de valeur des médias : la dépendance des médias traditionnels vis à vis des infomédiaires.

La question de savoir si Google et Facebook sont des médias est au coeur des enjeux liés à la fois à la responsabilité de ces dernières vis à vis de la distribution du contenu et de la rémunération des entreprises de presse. Nathalie Sonnac définit les médias comme des "plateformes d’échanges qui proposent des contenus aux consommateurs"102. Selon cette définition, Google et Facebook bien que ne produisant pas eux-mêmes de contenus rentrent dans cette catégorie. D'autres définitions sur les nouveaux médias, notamment celle de Lev Manovich103, mettent en avant l'importance de la manipulation algorithmique, du traitement et du partage qui sont au coeur des réseaux sociaux. Pour ce dernier, les nouveaux médias se distinguent par trois principes, la manipulation algorithmique, la présence d'éléments modulaires prêt à être modifiés et remplacés, l'automation, l'intervention directe de l'usager n'est plus nécessaire et la possibilité de créer des versions multiples du contenu. La question du rôle de Google et Facebook en tant que média a été mis en avant après les polémiques liées aux fake news et à la manipulation de l'information en ligne, encourageant Facebook à mettre en place des dispositifs algorithmiques de filtrage de l'information. A l'origine crées comme moteur de recherche et réseau social, Google et Facebook ont désormais une place croissante dans la chaîne de valeur des médias, notamment via leurs stratégies de diversification et les logiques inhérentes à leur fonctionnement avec un impact social conséquent dépassant leur raison d’ëtre initiale.

102 SONNAC Nathalie, « L’écosystème des médias », Communication, Vol. 32/2, 2013 103 MANOVICH Lev, Le langage des nouveaux médias, Les presses du réel, 2010, 605 p.

57

2.2.1 Les entreprises de presse traditionnelles face à la compétition accrue de l'information en ligne

En 2017, selon le site de statistiques sur le trafic web Alexa104 détenu par Amazon, Google, Youtube, appartenant à Google, et Facebook remplissaient le podium des sites web les plus visités suivis de près par Baidu et Wikipedia. Comme l'illustre le tableau ci-dessous, le temps passé quotidiennement sur les différents sites renforce la domination des deux firmes américaines.

Tableau 2.1 Classement Alexa des sites les plus visités en juillet 2017 - Monde Classement Nombre de liens Temps passé entrants quotidien 1. Google 3 560 046 7 min 50 secondes 2. YouTube 2 699 220 8 min 60 secondes 3. Facebook.com 7 601 185 10 min 23 secondes 4. Baidu.com 137 783 7 min 47 secondes 5. Wikipedia.org 1 722 890 4 min 19 secondes 6. Yahoo.com 648 102 4 min 9 secondes 7. Reddit.org 479 134 16 min 7 secondes 8. Google.co.in 27 319 8 min 4 secondes 9. Qq.com 257 985 4 min 45 secondes 10. Amazon.com 827 984 8 min 28 secondes Source : Alexa Traffic Rank juillet 2017

104 Les données sont accessibles via le site web https://www.alexa.com/. La méthodologie mise en place par Alexa invite néanmoins à prendre les résultats du classement avec précaution. Le site crée son classement en calculant le nombre de visiteurs et de pages vues sur les trois derniers mois mais souffre néanmoins d'un manque de transparence sur la transparence de l'échantillon étudié. En effet, pour faire partie du panel étudié par Alexa, l'utilisateur doit installer un logiciel de suivi de la navigation, considéré comme adware et comme trackware par de nombreux antivirus. En revanche, bien que l'outil ne soit pas entièrement fiable pour une utilisation poussée et précise à des fins d'optimisation du ranking sur les moteurs de recherche, il n'en démontre pas moins les grandes disparités de trafic entre les grands acteurs du numérique et aggrégateurs de contenu et les sites d'information classiques. 58 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Tableau 2.2 Classement Alexa des sites les plus visités en juillet 2017 - Royaume-Uni Classement Nombre de liens Temps passé entrants quotidien 1. Google.co.uk 76 326 10 min 20 secondes 2. YouTube 2 699 220 5 min 32 secondes 3. Google.com 3 560 046 8 min 16 secondes 4. Facebook.com 7 601 185 3 min 99 secondes 5. Reddit.com 479 134 10 min 55 secondes 6. Amazon.co.uk 118 558 7 min 97 secondes 7. Bbc.co.uk 274 014 3 min 95 secondes 8. Wikipedia.org 1 722 890 3 min 37 secondes 9. Ebay.co.uk 40 123 10 min 30 secondes 10. Twitter.com 5 571 981 3 min 21 secondes 18. Theguardian.com 107 326 3 min 41 secondes 19. Dailymail.co.uk 145 625 5 min 31 secondes Source : Alexa Traffic Rank juillet 2017

Tableau 2.3 Classement Alexa des sites les plus visités en juillet 2017 - France Classement Nombre de liens Temps passé entrants quotidien 1. Google.fr 53 446 6 min 36 secondes 2. YouTube 2 699 220 8 min 60 secondes 3. Google.com 3 560 046 7 min 50 secondes 4. Facebook.com 7 601 185 10 min 23 secondes 5. Wikipedia.org 1 722 890 4 min 19 secondes 6. Amazon.fr 36 545 7 min 03 secondes 7. Leboncoin.fr 3 863 14 min 54 secondes 8. Yahoo.com 648 102 4 min 09 secondes 9. Live.com 55 559 4 min 02 secondes 10. Orange.fr 14 584 8 min 47 secondes 20. Lemonde.fr 40 503 8 min 12 secondes 21. Lefigaro.fr 27 193 5 min 53 secondes Source : Alexa Traffic Rank juillet 2017

59

Tableau 2.4 Classement Alexa des sites les plus visités en juillet 2017 - Suisse Classement Nombre de liens Temps passé entrants quotidien 1. Google.ch 8 662 5 min 45 secondes 2. YouTube 2 699 220 8 min 60 secondes 3. Google.com 3 560 046 7 min 50 secondes 4. Facebook.com 7 601 185 10 min 23 secondes 5. Wikipedia.org 1 722 890 4 min 19 secondes 6. Reddit.com 479 134 16 min 07 secondes 7. 20min.ch 5 195 6 min 44 secondes 8. Live.com 55 559 4 min 02 secondes 9. Bluewin.ch 2 205 5 min 08 secondes 10. Yahoo.com 648 102 4 min 09 secondes Source : Alexa Traffic Rank juillet 2017

Les entreprises Facebook, Google et YouTube (appartenant à Google) disposent au vu des données présentées dans les tableaux précédents d'une domination quasi absolue dans le domaine du trafic web. Outre le Royaume-Uni qui dispose de la BBC dans le top 10 des sites les plus visités, du Figaro.fr et de Lemonde.fr à la 20e et 21e place et de la Suisse avec 20min.ch, aucun des grands quotidiens nationaux ou sites d'information ne figure en première ligne des sites web les plus visités dans leurs pays respectifs. En ne prenant en compte que la catégorie "information", on constate au niveau international une disparité conséquente sur la taille des audiences entre les pays anglophones et les autres marchés linguistiques, faisant de pays comme la France ou la Suisse, des zones relativement insulaires. Selon le site Alexa, aucun média européen, hors Royaume-Uni ne figure dans le top 10 des sites web d'information les plus visités.

Tableau 2.5 Classement Alexa des sites d'information les plus visités en juillet 2017 - Monde Classement Nombre de liens entrants Temps passé quotidien 1. Cnn.com 207 935 4 min 19 secondes 2. Nytimes.com 309 861 4 min 09 secondes 3. Theguardian.com 107 326 3 min 41 secondes 4. news.google.com 3 560 046 7 min 49 secondes 5. Washingtonpost.com 109 451 3 min 45 secondes 6. Bbc.co.uk 274 014 4 min 27 secondes 7. Indiatimes.com 59 184 6 min 3 secondes 8. Forbes.com 145 234 2 min 30 secondes 9. News.yahoo.com 648 102 4 min 08 secondes 10. Foxnews.com 200 997 3 min 13 secondes Source : Alexa Traffic Rank juillet 2017

60 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Cette forte importance de la langue anglaise qui était en 2015 la première sur le web avec 51% du contenu en ligne contre seulement 4% pour le français se retrouve dans les stratégies mises en place par les sites des grands quotidiens nationaux. Les sites web de The Guardian ou The Daily Mail ont ainsi pu entreprendre une diversification géographique sur les marchés anglophones. Le premier a lancé un site web aux Etats-Unis en 2011 et le Mailonline.com figurait en 2015 à la première place des quotidiens anglophones les plus visités en ligne selon Comscore. Les agrégateurs d'information tels que news.google.com ou news.yahoo.com figurent tous deux parmi les sites les plus visités au niveau international pour consulter l'information. Cette importance des agrégateurs questionne sur la menace portée aux médias traditionnels. Rupert Murdoch, président de la News Corporation qualifie ces derniers de "voleurs" profitant du contenu produit par les médias traditionnels : "[...] Sans nous, les agrégateurs d'information seraient vides. A l'heure actuelle les producteurs d'information subissent tous les coûts et les agrégateurs profitent des bénéfices. Mais le principe est clair, il n'existe pas d'information gratuite.105".

Ce problème soulève la question de l'effet des agrégateurs d'information sur les revenus de la presse. Monika Isia Jasiewiz 106 met en avant, dans le rapport ambigu entre les éditeurs de presse et les agrégateurs d'information que "si les agrégateurs de news peuvent être qualifiés de passagers clandestins, le rapport entre ces derniers et les éditeurs de presse est plus compliqué car le lien de causalité n'est pas assuré. Il n'est pas entièrement prouvé que les agrégateurs de news décroissent le trafic des sites d'informations.", tout en mettant en avant le flou en termes de droit de la propriété intellectuelle qui entoure ces agrégateurs. Cette hégémonie des deux acteurs du numérique est principalement due à une diversification rondement menée. Igor Ansoff107 définit la diversification comme “le changement dans les caractéristiques de la ligne de produits ou de marché d'une entreprise. A l'inverse d'une pénétration de marché, d'un développement du marché ou du développement d'un produit qui représente d'autres types de changement la structure entre le marché et le produit. [...] La diversification est le départ simultané de la ligne de produits et de la structure de marché existante.".

Les entreprises Apple, Amazon, Facebook et Google se sont toutes orientées vers une diversification de leurs activités dans la chaîne de valeur du contenu. Le rapport de l'OCDE News in the Internet age: New trend in news publishing108 définit la chaîne de valeur du contenu comme "la chaîne de valeur de la production et de la distribution des news tend à se transférer vers des acteurs établis et nouveaux ayant pour objectif de dominer certaines activités de la chaîne de valeur. Certaines activités deviennent obsolètes et leurs participants traditionnels en pâtissent. La chaîne de valeur du contenu numérique voit

105 Article de Theguardian.com du 1er décembre 2009 - https://www.theguardian.com/media/2009/dec/01/rupert-murdoch-no-free-news 106 JASIEWICZ Isia Monika, "Copyright Protection in an Opt-Out World: Implied License Doctrine and News Aggregators" in Yale Law Journal, Vol. 122, 2012 107 ANSOFF Igor, "Strategies for diversification" in Stanford University, Graduate School of Business, 1957, pp. 85-86. 108 OCDE News in the Internet age: New trend in news publishing, 2010, 160 p.

61

l'apparence d'"infomédiaires" qui offrent des fonctions de supports tels que la numérisation, la gestion des droits numériques et des supports, des agrégateurs de contenus et la distribution, tels que les portails internet, moteurs de recherche et sites de e-commerce.".

Selon le modèle de l'OCDE la chaîne de valeur du numérique, reprenant le modèle de la chaîne de valeur de Michael Porter appliquée aux industries de contenus se compose de :

• Une première partie concernant la production et création de contenu. • Le support au contenu crée qui contient : la gestion du contenu (gestion des droits, streaming, distribution et commercialisation) et l'agrégation, la publication et la distribution. • La distribution en tant que telle effectuée par les infrastructures et terminaux (applications mobiles, acteurs des télécommunications etc.). • Le consommateur.

Production Fonctions de et création Distribution Consommateur support de contenu

Figure 2.1 la chaîne de valeur des médias selon l'OCDE

Les grands acteurs du numérique visent à dominer les activités de cette chaîne de valeur par une diversification de leur activité. Google s'est diversifié dans le transport de communications (Gmail), les services de messagerie (Google Hangout), de stockage de données (Google Cloud Platform), d'infrastructures et logiciels (Android), ceci autour de son cœur d'activité, le moteur de recherche. Ainsi, le 1er avril 2004, Google lance Gmail, son service de messagerie qui disposait en juillet 2017 de 1,2 milliards d'utilisateurs soit 20% de part de marché mondial dont plus de 90,6 millions d'utilisateurs uniques mensuels. L'outil est disponible sous la forme d'une application native à la fois sur les systèmes d'exploitation iOS et Android. Ce service se conjugue avec une application de messagerie, Google Hangout lancée en 2013, proposant d'effectuer des vidéo- conférences ainsi qu'un système de messagerie. L'entreprise américaine a aussi investi le secteur du cloud avec Google Cloud Platform qui propose un service d'hébergement mais aussi de développement d'applications pour programmeurs. Dans son ambition d'acquérir une présence auprès des applications bureautiques, Google profite de son expérience dans le cloud avec son service Google Doc, Sheets, Slides et Forms. La firme de Menlo Park a fortement investi 62 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. les activités propres à la chaîne de valeur des médias via un ensemble de produits : • La distribution de contenu : o Google News fut lancé en 2002. Service polémique, en témoigne le conflit entre Google et les éditeurs de presse européens, Google News dispose d'une sélection de sources inspectées quotidiennement par un robot crawler puis catégorisées en fonction des thèmes abordés. o YouTube : racheté par Google en 2006 pour 1,65 milliards de dollars, le site de distribution de contenu vidéo totalisait plus de 1 milliard d'heures de vidéo visionnées quotidiennement. o Google Books : lancé en 2004, le service propose de visionner en ligne une large gamme de livres numérisés. Particulièrement controversé, le service a fait l'objet de procès aux Etats-Unis et dans le monde. o Google scholar : lancé en 2014 et proclamant couvrir 85% des publications scientifiques selon Google, le service propose de visionner du contenu académique. • La commercialisation de contenu et services : o Google Play : Crée en 2012, le service propose l'achat d'applications pour le système d'exploitation Android, l'achat de films, livres et contenus multimédias. • L'infrastructure technique : o Google Chrome : navigateur web détenant plus de 59% de parts de marché mondiales en 2017. o Le système d'exploitation Android : lancé en 2015, le système d'exploitation pour mobile représente en 2017 plus de 80% des systèmes utilisés dans le monde. o Une gamme d'appareils mobiles, smartphones, lancé en 2010 par Google puis abandonnée en 2016.

Cette diversification de l'entreprise Google lui permet de contrôler l'ensemble de la chaîne de valeur de l'information ex-post de la production. La firme n'est cependant pas la seule à s'être positionnée sur l'ensemble des activités de cette chaîne de valeur. Ses concurrents, Facebook, Amazon et Apple ont effectué des entreprises similaires. Facebook s'est étendu dans son activité principale, les réseaux sociaux en acquérant en 2012 Instagram, lui permettant d'accroître ses revenus publicitaires. Estimés à 2 milliards de dollars en 2016, ces derniers devraient atteindre 5,5 milliards en 2018, selon l'entreprise. De même, le service de messagerie en ligne Messenger lancé en 2008 comme partie intégrante du réseau social est développé de manière indépendante à partir de 2011. Facebook Messenger était leader ex-aequo avec WhatsApp en 2017 avec plus de 1 milliard d'utilisateurs uniques mensuels actifs. Ce dernier a été racheté, par Facebook 2014 pour 19 milliards de dollars. Ne concernant pas directement les éditeurs de presse, les entreprises Amazon et Apple ont aussi eu un impact conséquent sur la distribution de contenu. Apple, dont le cœur d'activité est la production de matériels informatiques et multimédias s'est diversifié dans la commercialisation de contenu avec ses services Apple Pay, iTunes Store, Apple music et iBooks. De même, Amazon s'est étendu dans le domaine de l'hébergement web avec Amazon Web Services et de la distribution de contenu avec Amazon Video et Amazon Kindle.

63

A l'instar du conflit ayant opposé les éditeurs de presse et Google, Amazon a connu des rapports houleux similaires avec la maison d'édition française Hachette, plus particulièrement la filiale américaine Hachette Book Group. En mai 2014, Amazon annonçait ainsi que les précommandes de livres publiés par Hachette ne seraient plus prises en compte en raison d'un conflit sur le partage des gains entre la maison d'édition et l'entreprise de distribution.

2.3 Google et Facebook : le changement de structure selon le modèle structure-conduct performance

L'impact des GAFA sur la chaîne de valeur des médias impose aux éditeurs de presse un changement de leur modèle économique. Selon le modèle StructureConduct-Performance (structure, comportement, performance) développé par Joe S. Bain109, la structure du marché, selon des considérations technologique, économique, ou sociétale a un impact direct et à court terme sur le comportement des entreprises, affectant de facto leurs performances. Joe S. Bain110 propose une définition de ces trois éléments :

• La structure du marché se définit comme l'ensemble des variables affectant le comportement entre l'offre et la demande, le marché se définit en fonction du type de produit, de technologie et des barrières à l'entrée. Dans le cadre du duopole publicitaire mené par Google et Facebook, les barrières à l’entrée sont la masse critique (la part de marché acquise par l’entreprise, impliquant un fort degré de concentration) et le capital technique (les capacités d’innovation de ces entreprises ainsi que leur capital immatériel, actifs intangibles et investissements techniques). • Le comportement se définit comme la manière dont les acheteurs et vendeurs agissent entre eux et en interaction avec des acteurs tierces. Les firmes peuvent effectuer des "coups " en réaction à la modification de la structure du marché tels que : des investissements en recherche, en publicité, des stratégies d'imitation, d'alliance, de collusion etc. • La performance se mesure à travers le type de marché concerné via des ratios existants tels que la productivité, le niveau de profitabilité mais aussi la qualité des produits, l'allocation des ressources etc.

Ainsi, face à la modification de l'environnement entraînée par les GAFA, les médias traditionnels et éditeurs de presse vont adopter des stratégies d'investissements afin de maintenir leur survie dans le marché des médias en ligne. Ceci intervient alors même que l'information subit une transformation l'effet

109 BAIN S. Joe, "Structure Versus Conduct as Indicators of Market Performance: The Chicago School Events Revisited," Antitrust Law and Economics Review. 1986

110 BAIN S. Joe, “Structure Versus Conduct as Indicators of Market Performance: The Chicago School Events Revisited”, Antritrust Law and Economics Review, 1986 64 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. de "l'algorithmisation du contenu", la popularité des articles étant définie par les algorithmes de recommandation. Le cas des fake news illustre ce phénomène qui invite à un questionnement sur la responsabilité de Google et Facebook en tant qu'intermédiaire de l'information.

2.3.1 Les contraintes algorithmiques de Google et Facebook sur la diffusion de l'information : le cas des fake news

Les entreprises de presse génèrent une part importante de leur trafic via les réseaux sociaux et les moteurs de recherche. Ceci a été illustré par le vif conflit entre les éditeurs de presse européens et Google et dans le questionnement général sur l'impact des GAFA dans la chaîne de valeur des médias. Comme le montrent les données ci-dessous agrégées à partir d'analyses sur le trafic web, les principaux quotidiens nationaux suisses, français et britanniques génèrent des visiteurs en provenance des réseaux sociaux principalement depuis Facebook.

Tableau 2.6 proportion de l'origine du trafic des sites web des quotidiens britanniques en provenance des réseaux sociaux The Guardian The Sun The Daily Mail Facebook 51.22% Facebook 60.43% Facebook 61.21 % reddit 31.79% reddit 21.91% reddit 25.40 % Twitter 13.28% Twitter 15.07% Twitter 9.28% Hacker News 1.46% YouTube 1.03% YouTube 2.05% LinkedIn 0.99% LinkedIn 0.84% Pinterest 1.34% Source : SEM Rush octobre 2017

Tableau 2.7 proportion de l'origine du trafic des sites web des quotidiens français en provenance des réseaux sociaux Le Parisien Le Monde Le Figaro Facebook 87.28% Facebook 81.36% Facebook 80.89% Twitter 10.33% Twitter 16.28% Twitter 17.20% reddit 1.72% reddit 1.38% reddit 0.59% YouTube 0.36% YouTube 0.47% Vkontakte 0.58% Vkontakte 0.29% Pinterest 0.35% YouTube 0.27% Source : SEM Rush octobre 2017

65

Tableau 2.8 proportion de l'origine du trafic des sites web des quotidiens suisses en provenance des réseaux sociaux Le Temps La Tribune de Genève Facebook 86.06% Facebook 94.68% Twitter 9.42% Twitter 3.19% LinkedIn 3.67% YouTube 1.71% reddit 0.54% LinkedIn 0.42% Vkontakte 0.31% Source : SEM Rush octobre 2017

Tableau 2.9 proportion de l'origine du trafic de la BBC et RTS en provenance des réseaux sociaux RTS BBC Facebook 88.62% Facebook 49.30% Twitter 7.36% reddit 29.64% YouTube 2.34% Twitter 15.90% reddit 0.88% YouTube 2.40% Vkontakte 0.80% Hacker News 0.96% Source : SEM Rush octobre 2017

Cette dépendance des entreprises de presse vis à vis de Facebook intervient alors même que le rôle des algorthimes et le modèle économique de la publicité en ligne sont remis en question. Les GAFA, et plus particulièrement Google et Facebook ont été au coeur des polémiques autour des fake news. Cette expression a été popularisée aux Etats-Unis au cours de l'élection présidentielle de 2016 qui a vu se développer sur le web une profusion d'informations à la véracité suspicieuse. Néanmoins, le terme fake news recoupe plusieurs phénomènes. Damian Tambini 111 a déterminé une typologie des fake news, terme qui regroupe des jeux d'acteurs à des fins politiques ou économiques.

Ce dernier détermine six formes de contenu permettant d’éclaircir le concept :

• De fausses informations crées dans le but d'influer sur le résultat d'une élection. A titre d'exemple, face aux allégations d'une intervention russe dans les élections américaines et française de 2016 et 2017, la task force Stratcom de l'Union européenne a mis en place un site de lutte contre la désinformation : https://euvsdisinfo.eu/

111 TAMBINI Damian, Fake News: Public Policy Responses. Media Policy Brief 20. London: Media Policy Project, London School of Economics and Political Science. 66 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

• De fausses informations diffusées dans le but d'obtenir un gain financier. Plus connu sous le nom de délit de manipulation des cours, il "est le fait pour tout personne d'exercer ou de tenter d'exercer directement ou par personne interposée une manoeuvre ayant pour objet d'entraver le fonctionnement régulier d'un marché "régulé" en introduisant une autre personne en erreur". (Code monétaire et financier, Article L 465-2). Un autre élément à pointer du doigt est celui du modèle des publicités en ligne qui incite à la diffusion de contenu provocant ou voir même faux afin de générer davantage de clicks. Connu sous le nom de click-baiting, ce phénomène se traduit par la prolifération d'informations exagérées ou fausses à des fins commerciales, s'apparentant à du spam.112 • La parodie, dont l'exemple typique serait en France legorafi.com • Le mauvais journalisme ou yellow journalism, utilisant des titres sensationnalistes, une exagération à outrance dont l'exemple le plus probant est le tabloïd britannique The Sun. • Les médias remettant en cause l'idéologie dominante, le cas défini par Damian Tambini est l'exemple du président américain Donald Trump définissant de fake news les médias en opposition avec sa ligne politique. • Les médias remettant en cause l'orthodoxie politique.

Le phénomène n'est pas nouveau et se rapproche de l'histoire de la propagande et des luttes d'information étudiée par Fabrice d'Almeida 113 . Le terme propagande, définit à l'origine "une institution voulue par le Vatican en pleine Contre-Réforme. La fonction de la Congregatio de propaganda fide était initialement la reconquête des fidèles dans le monde occidental". Ce terme, ne disposant pas à l'origine d'un sens péjoratif voit son sens modifié au cours du XXe siècle et des conflits entre partis politiques. Comme le montre Fabrice d'Almeida, entre 1919 et 1939, l'ensemble des partis politiques se dotent d'organe de propagande, alors même que les membres du Parti Communiste Français (PCF) utilisent l'expression léninienne d'agit-prop. Inspiré de son expérience en tant que conseiller à la propagande des armées blanches antibolchéviques puis témoin de la montée des nazis en Allemagne, Serge Tchakotine théorise le modèle de la seringue hypodermique dans son ouvre Le

112 En 2016, les sites web de Buzzfeed et de The Guardian ont révélé qu'une grande partie de l'origine des sites de fake news étaient en provenance de Macédoine, crées dans des content farms dont l'objectif pécunier est atteint en générant du clic via des contenus provocants et douteux. D'autres sites de fake news sont aussi organisés en entreprise, ce qui est le cas notamment de Disinfomedia, géré à l'instar d'une organisation journalistique (hors l'éthique). Si dans ce dernier cas le fondateur déclare avoir recherche un objectif à la fois pécunier mais aussi "pour le fun", le principal but est la manne financière mais aussi d'influencer le résultat des élections pour des objectifs partisans. Pour plus d'information il est possible de consulter les articles de The Guardian : https://www.theguardian.com/us-news/2017/jul/05/donald-trump- russiainvestigation-fake-news-hillary-clinton 113 D'ALMEIDA Fabrice, Propagande, histoire d’un mot disgracié in Mots les langages du politique , 69 | 2002

67

viol des foules par la propagande politique114. Le terme de propaganda est par exemple utilisé par l'université d'Oxford dans le cadre de son projet "The computational propaganda project", mettant ainsi en avant l'application du concept de propagande aux pratiques de production et de diffusion de l'information en ligne.

Deux objectifs peuvent être mis en avant par ces pratiques, le premier repose sur l'idée que les techniques des bots et des fake news peuvent agir directement sur l'opinion des individus, le deuxième que les fake news ont un effet sur l'agenda politique. Modèle considéré comme obsolète, notamment suite aux travaux entre les récepteurs et les médias, la seringue hypodermique a le mérite de soulever la question de l'influence des médias sur les masses, dans un schéma pavlovien de répétition de messages aboutissant à la persuasion des récepteurs. Le modèle des "uses and gratifications" de Elihu Katz115, à contre-courant de l'école de Francfort fait du récepteur un acteur actif de sa consommation médiatique. Dans ce cadre, l'acteur à la recherche d'information ne consommera de l'information que dans l'objectif de maximiser son utilité personnelle en fonction de ses goûts spécifiques. En ce sens, une personne avec une certaine affinité politique, par exemple, n'aura que peu de chances de consommer de l'information appartenant à une opinion divergente. La recherche en théorie de la réception a offert de nombreux travaux dans les domaines de la littérature et des sciences de la communication et des médias avec un consensus général sur l'obsolescence du modèle du récepteur passif et une relation complexe, marquée par l'importance des facteurs culturels116 et de l'effet limité des médias. Inspirant la théorie des uses and gratifications de Elihu Katz, on notera le modèle du two- step flow of communication de Paul Lazarsfeld117 qui met en avant le rôle des leaders d'opinion dans la diffusion de l'information. Thématique que l'on retrouve notamment dans les pratiques marketing en ligne avec la recherche d'"influenceurs" mais aussi académique dans les sciences de la communication et des médias qui interroge à la fois les effets des médias, le rôle de la diffusion de l'information et de la persuasion mais aussi l'importance des sources. Le terme fake news s'inscrit dans une longue histoire. Stuart Hall a mise en avant le rôle des sources institutionnelles d'information dans la définition d'une primary

114 TCHAKHOTINE Serge, Le viol des foules par la propagande politique, Gallimard, 1952 115 KATZ Elihu, BLUMLER G. Jay, GUREVITCH Michael, Uses and Gratifications Research in, Public Opinion Quarterly, Volume 37, Issue 4, January 1973, Pages 509–523, 116 On retiendra notamment l'étude menée par Elihu Katz sur la réception du téléfilm américain au sein de plusieurs cultures différentes (Japon, Israel, Etats- Unis), aboutissant que les messages des séries ancrées dans un cadre culturel spécifique (dans le cas de Dallas, américain), fait l'objet d'un passage via des grilles de perception et de compréhension du monde propres aux valeurs des cultures spécifiques. KATZ Elihu, LIEBES Tamar, The Export of Meaning: Cross-Cultural Readings of Dallas, Polity, 1993, 200 p 117 LAZARSFELD Paul, People's Choice: How the Voter Makes Up His Mind in a Presidential Campaign, Columbia University Press, 3e édition, 1968, 178 p. 68 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. interpretation de l'actualité. Les cadres primaires sont clefs car ils permettent d'approcher les évènements selon l'angle déterminé par la source. Stuart Hall définit ainsi le rapport entre les médias et les sources de pouvoir dans la définition d'un cadre primaire d'interprétation : "Les médias ne créent pas simplement les news ni ne transmettent l'idéologie de la classe dominante, selon une approche conspirationniste. En réalité, dans une définition plus critique, les médias ne sont souvent pas les "définisseurs primaires" des évènements mais leur relation structurée leur fait jouer un rôle crucial mais secondaire dans la reproduction de la définition de ceux qui ont un accès privilégié, notamment via les "sources accréditées".118

Ceci pointe du doigt le rôle des sources officielles d'information, alors même que les informations proviennent des quatre grandes agences de presse mondiales, l'Agence France Presse (AFP), Thomson-Reuters, Associated Press (AP) et Kyodo News, ce qui invite Pierre Bourdieu dans sa critique du journalisme à dénoncer la circulation circulaire de l'information. Les différentes rédactions se copiant entre elles afin d'effectuer des économies de production, le journalisme aboutit à une dégradation de la qualité du contenu éditorial produit 119 . Les relations entre les sources officielles, les médias et l'opinion publique s'inscrit dans ce que Dominique Wolton définit comme la "triade communicationnelle" où le politique cherche à obtenir la maitrise de l'opinion publique via les médias. La question de l'agenda médiatique et de la relation avec les sources s'inscrit dans une problématique de lutte entre les différents acteurs visant à la domination de l'angle abordé par les médias. Ce modèle est à mettre en parallèle avec la théorie du framing politique développée par Shento Iyengar120. Inspirée des travaux de Daniel Kahnman et Tverski sur l'aversion politique, le modèle du framing postule l'importance de la construction sociale du cadre de représentation d'un problème dans la perception du public. L'impact sur les problèmes publics ou sociaux peut être conséquent en fonction de l'angle adopté par les cadres définisseurs primaires de l'information.

Ce cadre théorique s'applique principalement aux médias de masse, la télévision et la presse. Néanmoins, les acteurs du numériques, que sont Google et Facebook, répondent à des logiques différentes, principalement en raison de la

118 HALL Stuart, Hall, CRITCHER C, JEFFERSON T, CLARKE J, ROBERTS Policing the Crisis: Mugging, the State and Law and Order. Macmillan. London: Macmillan Press, 1978 Ce modèle a néanmoins subi quelques critiques, notamment sur la question de l'intégrité des définisseurs primaires, ces derniers pouvant en effet être désunis dans leur communication et ne pas être présentés comme une voix unique. MILLER David, Official sources and primary definition: The case of Northern Ireland in Media, Culture & Society, Vol 15, Issue 3, pp. 385 - 406, 2016 119 BOURDIEU Pierre, Sur la télévision suivi de L'emprise du journalisme, Paris, Liber, coll. « Raisons d'agir », 1996, 95 p. 120 IYENGAR Shento, Framing Responsibility for Political Issues: The Case of Poverty in Political Behavior, Vol. 12, No. 1, Cognition and Political Action. (Mar., 1990), pp. 19-40.

69

diffusion et la recommandation des articles basés sur des algorithmes dont l'utilisation est sujette à polémique.

En décembre 2016, l'algorithme de Google était décrié après une investigation de The Observer, l'hebdomadaire de The Guardian121. L'enquête reprochait à la firme américaine de favoriser la diffusion d'informations à caractère raciste et antisémite en raison de son algorithme d'indexation. L'algorithme de Google News est particulièrement opaque comme l'explique Dave Kale 122 : "Google News est "un agrégateur de headlines avec plus de 4 500 sources (Ndlr : sur le marché anglophone) d'information internationales. Google News groupe les articles par similarités et les affichent aux utilisateurs en fonction de leurs préférences personnalisées. Le regroupement (Ndlr : la méthode utilisée est celle des clusters) prend en compte des éléments tels que le texte des headlines, les articles, le média où l'article est publié mais aussi la date et l'heure, les statistiques web etc. Les articles sont par la suite divisés en sept thématiques particulières, puis le top 20 des articles est diffusé selon une méthode propre à Google.".

Neil Thurman123 citant Krishna Barat, l'un des fondateurs de l’algorithme, met en avant que Google News utilise aussi d'autres critères, tels que la récence de l'information qui joue un élément clef dans l'indexation. Cet algorithme demeure flou malgré les demandes du ministre de la justice allemand Heiko Maas auprès de Google de le rendre public en 2014124. Comme le montre le rapport de The Observer, l'algorithme de Google tend à suivre une logique de "boule de neige". En effet, il suffit, selon ce modèle algorithmique, pour quiconque souhaite créer un phénomène viral de pouvoir garantir une base d'utilisateurs suffisamment élevée dans la première phase de publication afin de garantir un succès qui s'auto alimentera (les articles à succès étant, selon cet algorithme, davantage recommandés). Ceci explique notamment l'existence des bots (Krombholz125, 2012), de faux profils qui alimentent les réseaux sociaux. Suite à la publication du rapport de The Observer, un représentant de Google explique le phénomène

121 Un résumé du rapport publié par The Observer est disponible sur le site de The Guardian dans un article de décembre 2016 https://www.theguardian.com/technology/2016/dec/05/google-alters- searchautocomplete-remove-are-jews-evil-suggestion 122 KALE Dave, Learning Paraphrase Models from Google New Headlines, Stanford University, 2007 123 THURMAN Neil, "The globalization of journalism online: A transatlantic study of news websites and their international readers. " in Journalism: Theory, Practice & Criticism, 8(3), pp. 285-307 124 La demande de Heiko Maas fut publiée dans le Financial Times en 2014. Parmi les raisons invoquées celui-ci mettait en avant le manque de transparence de Google sur son algorithme alors même que l'impact politique et économique de ce dernier est conséquent. https://www.ft.com/content/9615661c-3ce1-11e4-9733-00144feabdc0 125 KROMBHOLZ Katharina, MERKL Dieter, WEIPPL Edgar, "Fake identities in social media: A case study on the sustainability of the Facebook business model", Journal of Service Science Research, Volume 4 pp 175-212 70 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. de mise en avant des propos antisémites par le fonctionnement de l'algorithme : "Nos résultats de recherche sont le reflet du contenu à travers le web. Cela signifie que quelquefois des représentations déplaisantes sur des sujets sensibles en ligne peuvent affecter la manière dont les résultats apparaissent pour une requête spécifique. [...] La suggestion de recherche est générée automatiquement par un algorithme basé sur les recherches des utilisateurs, leur activité et intérêts. Comme la plupart des recherches sont nouvelles, les termes qui apparaissent peuvent être non voulus ou déplaisants."126

Ce phénomène de "boule de neige" a été décrit par Luke Goode127 dans une étude de cas menée sur le site Digg.com. Les articles disposant d'une forte visibilité sont ceux qui sont le plus "Digg-és". En ce sens, il est possible pour un article de disposer d'un "effet boule de neige" si une base suffisante d'utilisateurs promeuvent ce dernier. La visibilité offerte par la base initiale permet à l'article de gagner encore plus de visites de manière exponentielle car désormais disponible en priorité auprès d'un plus grand nombre. Le réseau social Facebook a aussi été au cœur de la polémique sur les fake news. La firme a été accusée de n'avoir pu empêcher le relai, et par la même, l'effet de caisse de résonnance du réseau social, dans les informations fausses au cours de l'élection présidentielle américaine de 2016. Au cœur des accusations, l'algorithme de recommandation de Facebook, et fait structurel, le modèle économique basé sur l'engagement a été remis en question. La recherche de clicks à tout pris, le click-baiting aurait entrainé la prolifération de fausses informations, ceci alors même que selon le Pew Research Center 128 plus de 44% des adultes américains s'informent principalement via le réseau social Facebook.

Le manque d'intégrité de l'information serait dû selon les critiques à ce que les anglo-saxons nomment le "filter-bubble" 129 . Les réseaux sociaux encourageraient de par la connection d'individus aux affinités similaires à la circulation d'information autoalimentant un certain type d'opinion correspondant aux préférences politiques des membres du réseau, en opposition au principe de sérendipité ayant été souvent décrite comme le modèle du web. Mark Granovetter130 a mis en avant via son étude des graphes sociaux l'importance des liens faibles. Si un individu communique de manière régulière avec deux autres personnes, alors ces personnes ont une probabilité plus grande d'avoir des interactions entre elles. Les liens faibles entre les individus tendent alors à

126 Des extraits du message du porte parole de Google peuvent être vus sur l'article en ligne de The Guardian publié le 5 décembre 2016 https://www.theguardian.com/technology/2016/dec/05/google-alters- searchautocomplete-remove-are-jews-evil-suggestion 127 GOODE Luke, "Social news, citizen, journalism and democracy” in New media and society, Vol 11(8): 1287–1305, 2009 128 Information tirée d'un article du Nieman Lab de mai 2016 : http://www.niemanlab.org/2016/05/pew-report-44-percent-of-u-s-adults- getnews-on-facebook/ 129 Eli Pariser, The Filter Bubble: What the Internet Is Hiding from You, Penguin Press (New York, May 2011 130 GRANOVETTER Mark, "The strength of weak ties" in American Journal of Sociology, Volume 78, mai 1973

71

créer des liens forts et l'information disponible pour un individu tend à circuler plus facilement entre les nœuds de ce cluster nouvellement formé, d'où une circulation fermée de l'information. Eytan Bakshi131, ingénieur pour Facebook en charge des études sur le réseau social confirme ce processus en soulignant que les membres ont 15% de chances en moins d'être confrontés à une information contraire à leurs opinions et moins de 70% de chances de cliquer sur un article d'une affinité contraire à la leur. Il convient néanmoins de noter que Google et Facebook ont tous deux entrepris des plans de lutte contre les fake news. Google a ainsi annoncé vouloir mettre en place des outils simplifiant les complaintes contre les fausses informations de la part des utilisateurs et d'améliorer son algorithme afin de limiter ces effets. Facebook de son côté q mis en place un outil de fact checking similaire en autorisant les utilisateurs à signaler un contenu abusif ou des fausses informations.

Le rôle de Google et de Facebook dans la diffusion de l'information se reflète dans les statistiques de consommation de l'information en ligne. Néanmoins les deux géants du numérique ne se définissent pas eux-mêmes comme tels. En août 2016, au cours d'une conférence à l'université Luiss de Rome, Mark Zuckerberg déclare que Facebook "n'est pas une entreprise de médias mais une entreprise technologique"132. Le fondateur du réseau social revient sur cette déclaration en décembre 2016 au cours d'une vidéo conférence avec Sheryl Sandberg : "Facebook n'est pas une entreprise traditionnelle de média, nous créons de la technologie et nous sentons responsables de la manière dont cette dernière est utilisée."133. Ce jeu sur l'ambiguïté du réseau social pourrait trouver sa source dans le droit américain, plus particulièrement la section 230 du Communication decency act qui déclare que : "No provider or user of an interactive computer service shall be treated as the publisher or speaker of any information provided by another information content provider." Les distributeurs de contenu, non producteurs d'information et purs services technologiques de transport d'information ne sont ainsi pas responsables du contenu, ce qui assure à l'entreprise une certaine immunité. Les logiques inhérentes aux modèles économiques de Google et Facebook amènent à une "googlisation" des pratiques journalistiques. Directement impactés par les dispositifs techniques de mise en visibilité de l'information les journalistes font face à des impératifs relevant davantage du domaine du marketing numérique et d'une bonne compréhension de l'informatique que de leur activité traditionnelle d'écriture.

131 BAKSHY Eytan, "Exposure to ideologically diverse news and opinion on Facebook" in Science 348, 1130, 2015

132 Information tirée d'un article de Reuters du 29 août 2016 : http://www.reuters.com/article/us-facebook-zuckerberg- idUSKCN1141WN?utm_source=Daily+Lab+email+list&utm_campaign=107c148 38f-dailylabemail3&utm_medium=email&utm_term=0_d68264fd5e- 107c14838f395963781 133 Information tirée du site web spécialisé dans la technologie TechCrunch : https://techcrunch.com/2016/12/21/fbonc/ 72 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

2.3.2 La "googlisation" du journalisme : les contraintes pour les entreprises de presse et la nécessité d'investir dans de nouvelles compétences marketing.

Patrick Badillo a introduit le concept de "googlisation des médias" afin de mettre en avant l'impact des dispositifs techniques sur le travail des journalistes. Ce dernier définit ce processus comme impactant la conception de contenu dans un objectif de recherche du trafic. L'infrastructure technique des moteurs de recherche a un effet direct sur l'écriture journalistique. Le fondement technique de Google fut la thèse de doctorat de Larry Page intitulée "The PageRank Citation Ranking: Bringing Order to the web"134 avec comme objectif "la création d'une méthode de notation des pages web de manière objective et mécanique mesurant l'intérêt humain et l'attention qui leur est accordée." PageRank estime la qualité du contenu des pages web via une technique de calcul agrégeant les liens entrants et sortants des sites web ainsi que leur pertinence afin de pouvoir leur attribuer un score d'influence et d'importance en fonction d'une thématique spécifique et ainsi créer un index de pages. Ceci n'est faisable que par l'utilisation de robots crawlers qui sondent le web et les différents sites quotidiennement, recherchant les méta-informations et les mots-clefs afin de les attribuer à la bonne catégorie. Cauchemar des professionnels du Search Engine Optimisation (SEO), de nombreuses mises à jour sont effectuées afin d'affiner la pertinence du moteur de recherche. Depuis 1998 l'algorithme de classification a fait l'objet de nombreuses évolutions qui témoignent de la volonté du site web d'améliorer son service.

Tableau 2.10 Exemple de mises à jour de l'algorithme de recherche de Google depuis 2013. Année Nom Objectif Mars 2017 Fred Fred a pour objectif de limiter l'influence des sites web pratiquant des tactiques agressives de monétisation telles que l'abus de publicités en ligne, du contenu pauvre et sans valeur ajoutée

134 PAGE Larry, The PageRank Citation Ranking: Bringing Order to the Web, Janvier 1998

73

Janvier 2017 Pénalité contre les Google a créé une publicités interstitielles pénalité contre les sites web abusant de publicités interstitielles ou de pop-ups avec comme objectif l'amélioration de l'expérience sur mobile. Septembre 2016 Penguin 4.0 Dévalue les liens de mauvaise qualité plutôt que l'intégralité du site web. Octobre 2015 RankBrain L'algorithme de Google utilise désormais le machine learning dans le calcul d'influence.

Avril 2015 MobileGeddon Les sites non adaptés aux usages mobiles sont désormais victimes d'un plus faible référencement. Octobre 2014 Pirate 2.0 Mise à jour visant à lutter contre les sites de téléchargement en ligne. Août 2014 HTTPS/SSL Google favorise les sites protégés par le protocole HTTPS/SSL Juillet 2014 Pigeon Google accorde une préférence aux résultats locaux de recherche. Août 2013 Hummingbird La mise à jour améliore la compréhension lexicale au cours des requêtes.

Source : Site de Google Developer, juillet 2017

Les mises à jour de Google sont largement suivies par les professionnels du SEO qui voient leur référencement potentiellement affecté par ces mises à jour. En moyenne, des incréments annuels sont effectués de manière importante par an avec entre 500 et 600 modifications apportées, les effets étant pour la plupart mineurs sur le référencement des sites web. Parmi les mises à jour les plus connues on notera notamment "Penguin" et "Panda". La première lancée en 74 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

2012 avait pour objectif de limiter les pratiques de spamming, notamment de "keyword stuffing" consistant à insérer des mots clefs trompeurs pour les robots indexeurs de Google et le "cloaking", technique visant à envoyer une page différente à la requête client d'un utilisateur de celle utilisée pour l'indexation par les crawlers. La deuxième mise à jour clef fut mise en place en 2011 sous le nom de "Panda" et vise à punir les sites web utilisant un ratio de publicités trop élevé par rapport au texte. Facebook dispose de même d'un algorithme, EdgeRank fonctionnant sous la forme d'un graphe social. Ce dernier est une fonction d'agrégation entre un score d'affinité calculé par un score entre l'origine de l'arrête (l'utilisateur) et le sommet (le visiteur), pondéré par le poids de l'arrête en fonction du type d'interactions et la date d'émission de l'arrête. L'objectif de l'EdgeRank est de ne diffuser aux utilisateurs que des contenus susceptibles de les intéresser. L'algorithme dispose ainsi d'une logique basée sur l'axiome que "si un contenu ne rencontre aucun succès mesuré par son nombre d'interactions alors ce dernier ne doit pas être diffusé dans la timeline et ne doit pas demeurer dans le temps". L'algorithme du Newsfeed de Facebook demeure relativement inconnu mais repose sur un système de pondération et d'attributions de scores qui sont définis par les développeurs et ingénieurs de l'entreprise. Les algorithmes de Google et Facebook ont un impact sur la pratique même du journalisme. Les mises à jour effectuées par Google et Facebook sur leur algorithme ont une influence sur l'indexation des pages web et sur la viralité des posts, les professionnels du SEO étant à l'affût du moindre communiqué de la part des deux firmes américaines. Ces effets se retrouvent dans les pratiques quotidiennes des journalistes. Murray Dick 135 met en avant la culture du clickstream dans les rédactions britanniques, aboutissant à une pression sur les journalistes à justifier leur agenda médiatique en fonction de leur visibilité sur les différentes plateformes. A titre d'exemple, les quotidiens The Sun et The Times, appartenant au groupe News UK, disposent d'une équipe en commun spécialisée dans l'analyse de données en temps réel et les méthodes d'optimisation du contenu. Les critères de performance sont basés sur des ratios tels que le dwell rate, le click through rate, le temps passé sur des pages web etc. Ces derniers sont analysés et proposés aux journalistes qui peuvent améliorer leur contenu afin d'avoir une visibilité plus importante et un engagement plus élevé. L'importance prise par les pratiques du SEO se justifie par la prépondérance de Google dans la génération de visiteurs sur les sites web des journaux. Les tableaux suivants, agrégeant les données de trafic de septembre 2017 des principaux quotidiens au Royaume-Uni, France et Suisse, illustrent la domination de la firme américaine sur le nombre de visiteurs en provenance des moteurs de recherche.

135 DICK Murray, "Search Engine Optimisation in UK News Production" in Journalism Practice, 5:4, 462-477,

75

Tableau 2.11 répartition de l'origine du trafic des sites web des quotidiens nationaux britanniques par moteurs de recherche The Guardian The Sun The Daily Mail

Google 94.37% Google 96.47% Google 94.13% Google News 3.26% Google News 1.91% Google News 2.25% Yahoo! 0.76% Bing 0.71% Bing 1.70% Bing 0.64% Yahoo! 0.39% Yahoo! 1.18%

0.50% DuckDuckGo 0.17% DuckDuckGo 0.43% DuckDuckGo Source : SEM Rush, octobre 2017

Tableau 2.12 répartition de l'origine du trafic des sites web des quotidiens nationaux français par moteurs de recherche Le Parisien LeMonde Le Figaro

Google 77.79% Google 84.52% Google 75.93% Google News 19.34% Google News 12.30% Google News 20.65% Bing 0.96% Ecosia 0.97% Bing 1.21% Qwant 0.78% Bing 0.90% Ecosia 0.97% Ecosia 0.65% Qwant 0.57% Qwant 0.57% Source : SEM Rush, octobre 2017

Tableau 2.13 répartition de l'origine du trafic des sites web des quotidiens nationaux suisses par moteurs de recherche Le Temps La Tribune de Genève

Google 94.79% Google 87.11% Google News 4.25% Google News 10.82% Ecosia 0.63% Ecosia 1.63% DuckDuckGo 0.27% Qwant 0.36% Yahoo! 0.07% Bing 0.08% Source : SEM Rush, octobre 2017

76 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Tableau 2.14 répartition de l'origine du trafic des sites web la BBC et RTS par moteurs de recherche SSR BBC Google 95.21% Google 95.69% Ecosia 1.67% Google News 1.64% Google News 1.57% Bing 1.35% Bing 0.93% Yahoo! 0.44% DuckDuckGo 0.28% Ecosia 0.34% Source : SEM Rush, octobre 2017

De nombreuses rédactions se sont dotées d'équipes et outils dédiés afin d'optimiser leur présence en ligne. Les pure players tels que Gawker, Buzzfeed ou The Huffington Post ont mis en place dès leurs créations les techniques analytiques au coeur de leurs stratégies. Comme le montre Lucy Kung136, des médias tel que Buzzfeed, crées dans l'intention d'être viral sont entièrement dédiés aux audiences du web avec des stratégies adaptées tels que le traçage en temps réel des performances et l'optimisation des articles via les pratiques de A/B testing. Les médias traditionnels se sont adaptés aux pratiques du marketing en ligne en se dotant d'équipes analytiques. The New York Times, et The Wall Street Journal aux Etats-Unis ont mis en place des dispositifs d'analyse de la performance éditoriale. Au Royaume-Uni, The Guardian et la BBC ont développé des outils internes d'aide à l'analyse de l'audience. En juin 2014 le quotidien britannique The Telegraph annonce par la voix de son rédacteur en chef Jason Seiken que 50 postes de journalistes numériques sont créés dont des experts en SEO faisant ainsi vent contraire au remerciement de 80 journalistes en 2013 pour causes de redondances. En 2010, le quotidien britannique The Daily Mail recrute de même (via un fichier robots.txt situé sur son site web) un SEO manager. Suivant une tendance similaire, les formations journalistiques, notamment anglo- saxonnes, ont évolué dans la même direction. Les écoles de journalisme des universités de Columbia et de Stanford ont mis en place des cours d'analyse de données à destination d'un public non expert en mathématiques. De manière similaire, la City University of London a instauré des cours de journalisme de données et d'apprentissage des outils analytiques. L'acquisition de ces compétences non traditionnelles au coeur de métier du journalisme s'explique par la nécessité de maîtriser une palette d'outils différents. Comme le montre Alice Antheaume137 les algorithmes ont un effet sur les compétences requises par les journalistes en ligne qui doivent apprendre de nouveaux modes d'écriture, impliquant un calcul de la densité de mots-clefs utilisés pour être correctement référencés, une maîtrise du code des liens entrants et sortants et de l'utilisation des balises HTML5 mais doivent aussi demeurer à l'affût de la moindre tendance

136 KUNG Lucy, Innovators in Digital News, I.B Tauris, 2015, 144 p. 137 ANTHEAUME Alice, Le Journalisme numérique, Presses de SciencesPo, 2016, 208 p.

77

via des veilles sur des sources d'information dont le nombre peut être conséquent138.

Le moteur de recherche Google impacte donc non seulement les modèles économiques des médias mais aussi les pratiques journalistiques, dans un cadre professionnel dont les contours sont historiquement flous. Ces changements dans la structure du marché de l'information ne sont cependant pas sans provoquer des résistances et des stratégies de la part des acteurs des médias. Partagés entre une transformation imposée et quasiment impérative de leurs pratiques professionnels et leurs modèles économiques les éditeurs de presse s'organisent entre une tentative de modification de la structure légale et politique du marché et d'adaptation aux règles du jeu des acteurs du numérique. Dans ce cadre, le conflit entre Google et les entreprises de presse reflète à la fois le rôle pris par ce dernier dans la chaîne de valeur de la production et distribution de l'information et son importance en tant que définisseur primaire des règles du jeu technologique et économique.

2.4 Google est-il un média ? Les éditeurs de presse entre tentative de changement de la structure économique et partenariats avec le moteur de recherche.

Comme nous avons pu le voir, le moteur de recherche Google a un impact direct sur les modèles économiques des médias de par son rôle de distributeur de contenus. Son infrastructure technologique et marketing entraîne une "googlisation" des pratiques journalistiques et des rapports asymétriques dans la redistribution des revenus pour lesquels les éditeurs de presse ont effectué un recours auprès de l'Union européenne. Cette stratégie se rapproche, dans le modèle structure-conduct-performance des situations dans lesquelles les firmes tentent une modification de la structure par le biais légal et politique afin de pouvoir garantir leur survie. Dans ce cadre, nous pouvons mettre en avant des stratégies d'alliance de la part des médias traditionnels. Le terme d'alliance, en sciences de gestion, se définit comme "une union, un engagement de soutien et d'aide mutuels entre des partenaires en vue de la paix et de la sécurité de chacun d'eux, éventuellement pour affronter un ennemi, un danger ou un risque. Cela ne signifie pas qu'en s'alliant une entreprise annule la concurrence mais plutôt qu'elle tente de modifier les "règles du jeu concurrentiel" [...]." (Garette, 1989139).

138 Lluís Codina, Mar Iglesias-García, Rafael Pedraza et Lucía García- Carretero proposent un cadre d'analyse et d'entraînement des pratiques et compétences nécessaires en SEO pour les journalistes dans l'article suivant. CODINA Lluís, IGLESIAS-GARCIA Mar, PEDRAZA Rafael, GARCIA- CARRETERO Lucia, Search Engine Optimization and Online Journalism: The SEO-WCP Framework, Barcelona: UPF. Communication Department. Serie Editorial DigiDoc, 2016 139 Cette définition est fournie par Bernard Garette dans son article : GARETTE Bernard, "Actifs spécifiques et coopération : une analyse des stratégies d'alliance." in Revue d'économie industrielle, Vol. 50, pp 15-31, 1989 78 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Cette définition nous permet de mettre en avant les "coups" effectués par les firmes en réaction à la modification des règles du jeu de la structure du marché de l'information. Les alliances entre concurrents rejoignent une approche définie par Cyert et March140, à contre-courant du modèle de la rationalité objective, les organisations sont des espaces socio-politiques de négociations entre les acteurs dans l'objectif de modifier leur environnement. En opposition au paradigme de la maximisation du profit et de la connaissance parfaite du marché, les deux auteurs définissent les firmes comme un espace de "marchandage", que l'on retrouve dans le cadre des médias où les éditeurs de presse négocient les règles du jeu pour redéfinir l'environnement économique, légal et politique affectant leur environnement. Cette approche a pour mérite de remettre en question une vision schumpéterienne de la destruction créatrice qui s'impose aux entreprises sous la forme impérative de la vague technologique, laissant de côté la dimension institutionnelle et légale de la structure économique.

Comme le montrent Anastassopoulos, Blanc et Nioche141, la compétition n'induit pas systématiquement une concurrence entre les entreprises mais aussi des relations stratégiques entre différents acteurs institutionnels (les firmes, Etats, administrations et syndicats) qui visent à modifier les règles de la concurrence, notamment lorsqu'une technologie clef est en jeu et que les firmes concernées ne disposent pas de cette dernière. Dans ce cadre technique et économique s'apparentant à un champ de lutte bourdieusien, les firmes traditionnelles mettent au coeur de leur discours la spécificité du produit informationnel. Philippe Bouquillon142 met ainsi avant la valorisation de l'unicité du produit culturel des industries créatives contre les acteurs distributeurs de contenu disposant des infrastructures de distribution. D'une manière générale, ce conflit pour la re- définition des règles du jeu concurrentielles concerne l'ensemble des firmes productrices de contenus contre les intermédiaires. Face à la stagnation des revenus publicitaires et de la vente aux utilisateurs finaux, ces dernières remettent notamment en question les stratégies d'exclusivité qu'imposent les entreprises ayant le contrôle des supports, avec pour exemple, dans le cas de la musique, d'Apple avec iTunes. Les enjeux sont d'ordre financiers et marketing, les industries culturelles veulent éviter de devoir verser des commissions aux intermédiaires et souhaitent conserver un contrôle sur la relation avec leurs utilisateurs. Ces stratégies peuvent passer par des actions de lobbyisme et l'action juridique mais aussi par des regroupements d'acteurs, sous la forme d'une coopétition et d'alliance contre un adversaire commun. Le conflit opposant Google aux médias européens met en avant les réactions et "coups" des firmes médiatiques face à la mutation de la structure économique et technologique.

140 CYERT Richard, MARCH James, A behavioral theory of the firm, WileyBlackwell, 1963, 268 p. 141 ANASTASSOPOULOS Jean-Pierre, NOCHE Jean-Pierre, BLANC Georges, Pour une nouvelle politique d'entreprise - contingence et liberte, Presses Universitaires de France, 1985 142 BOUQUILLON Philippe, "Concentration, financiarisation et relations entre les industries de la culture et industries de la communication" in Revue française des sciences de l’information et de la communication, 2012,

79

Selon Abraham Zaleznik143 les entreprises face à une période de turbulences peuvent adopter trois réactions différentes : • La stratégie homéostatique : ce modèle s'apparente à une réaction de défense, l'entreprise tente de préserver l'organisation des bouleversements internes ou externes. • Les stratégies proactives : similaire aux cas des éditeurs de presse face à Google, l'entreprise tente d'agir sur son environnement pour le modifier. • Les stratégies médiatives : l'organisation opère une modification interne afin de s'adapter à son environnement.

Nous postulons que le conflit entre les éditeurs de presse et Google illustre une double stratégie adoptée par les firmes médiatiques. Dans un premier temps ces dernières font appel au recours juridique et politique afin de protéger leur organisation interne et agir sur leur environnement puis dans un second temps adoptent une stratégie médiative afin de s'adapter aux changements de la structure. La finalité est une coopération entre les firmes médiatiques concurrentes sous la forme du "partenaire-adversaire" de Raymond Aron 144, coopérant sur certains projets tout en demeurant rivaux sur d'autres et une relation proche, entre éditeurs de presse et géants du numérique, des "associés- rivaux condamnés à vivre ensemble" de François Bourricaud145. Dans ce modèle, aucun des acteurs ne peut éliminer l'autre, Google et Facebook ont besoin des producteurs de contenu pour alimenter leurs plateformes tandis que les firmes médiatiques doivent vivre avec la domination technologique car aucunes ne disposent de la capacité nécessaire à dépasser les barrières à l'entrée existantes. Au vu de ce cadre théorique, le conflit entre les éditeurs de presse et Google apparaît comme une lutte entreprise par les firmes médiatiques traditionnelles pour la modification juridique de l'environnement économique et technologique (selon le modèle structure-conduct-performance) dont l'aboutissement est l'adoption de la logique du modèle économique orienté vers l'exploitation des données personnelles défini par les géants du numérique.

Ce conflit apparaît comme un processus en deux temps, la première phase, l'homéostasie est une tentative des éditeurs de presse de modifier la structure du marché par l'intermédiaire des acteurs politiques tandis que la deuxième phase repose sur la médiation de la transformation des entreprises traditionnelles de l'information par l'adoption des pratiques des définisseurs primaires des règles du jeu.

143 ZALEZNIK Abraham, DE VRIES Kets, Power of the Corporate Mind, Bonus Books, 1995, 288 p. 144 ARON Raymond, Paix et guerre entre les nations, Calmann-Levy, 1962, 794 p. 145 BOURRICAUD François, Esquisse d'une théorie de l'autorité, Plon, 1961, 423 p. 80 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

2.4.1 L'homéostasie ou la tentative des éditeurs de presse de négocier les règles de la structure du marché

Le conflit entre les éditeurs de presse, producteurs de contenu et les entreprises du web remonte aux années 90. La question des droits d'auteur est alors au coeur des revendications des médias face aux acteurs technologiques traitant leurs contenus en ligne. En 1997, la cour d'appel de Bruxelles rendait une décision sur le cas de la base de données Central Station qui regroupait les articles de journaux des principaux grands quotidiens nationaux. Crée sans le consentement des journalistes, cette affaire ayant eu lieu en plein balbutiement du web ancre la question des médias dans une conflictualité entre le traitement, la distribution et la rétribution de la production de contenu. Suite à l'intervention de la justice belge, le projet Central Station prend fin, au profit des éditeurs de presse.

En 2006, Copiepresse, l'association de défense des intérêts de la presse francophone en Belgique attaque Google pour violation du droit d'auteur dans le cadre de son service d'agrégation d'articles, Google News. Ce conflit, long de plus de six ans, illustre le mode conflictuel entre les éditeurs de presse et le moteur de recherche qui aboutit à une réaction drastique de la part de Google. En 2011 ce dernier déréférence Le Soir, La Libre Belgique, La Dernière Heure, Sudpresse et l'Avenir en représailles. En décembre 2012 les journaux belges parviennent à un accord avec Google d'indemnisation financière dont le montant n'est pas précisé. Selon un article du Monde du 13 décembre 2012, ce dernier s'élèverait entre 2 % et 3% du chiffre d'affaires de la presse belge francophone146. Si le géant du numérique dément, la version officielle de l'accord met en avant une collaboration entre Google et les éditeurs de presse. Ce dernier stipule que le moteur de recherche va contribuer aux chiffres d'affaires des médias en achetant des publicités aux journaux et contribuer à leur transformation numérique en les aidant à développer leurs paywall et leurs plateformes mobiles, en contrepartie de l'abandon des poursuites judiciaires.

En 2012, le confit s'étend à la France, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture propose de taxer les géants d'internet, notamment Google qui « (les firmes du numérique ndlr.) tirent un profit réel de l'utilisation des contenus riches en information, en savoir-faire, en matière grise147 ». Ce projet reprend l'idée de la "Lex Google", une proposition de Nicolas Sarkozy afin d'appréhender fiscalement les activités publicitaires des moteurs de recherche, alors même que ceux-ci ont leurs sièges sociaux dans des pays fiscalement avantageux, notamment l'Irlande. Cette proposition rejoint un texte de loi voté au Bundestag allemand en 2013 de taxation des articles diffusés sur les agrégateurs de news, à l'exception de "mots simples ou de petits passages", sans mentionner la taille maximale de

146 L'article est disponible via le lien suivant : http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/12/13/google-indemnise-la- pressebelge-pour-violation-du-droit-d- auteur_1805881_3234.html?xtmc=ternisien&xtcr=1 147 http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/09/18/votee-retardee- supprimeepetite-histoire-de-la-taxe-google_1761318_823448.html

81

ces derniers. Dans la pratique ces derniers peuvent désormais réclamer des droits d'auteurs sur les extraits d'articles publiés en ligne par les agrégateurs de contenus. Le 9 octobre 2014, Google annonce que les 200 titres membres de VG Media, dont sont membres Axel Springer et Burda, seront déréférencés du moteur de recherche, retirant ainsi les rich snippets, des entêtes affichant le contenu essentiel des articles sur le moteur de recherche. La Fédération française des Agences de Presse (FFAP) regroupant plus de 115 agences productrices de contenu, de presse, photographique mais aussi de télévision manifeste son soutien aux éditeurs de presse dans le cadre de la médiation entre ces derniers et Google. Le préjudice dénoncé repose sur l'utilisation par le moteur de recherche de contenus crées par des tierces parties, principalement des éditeurs de presse et des agences de création de contenu, bénéficiant de leur exploitation sans participer ni aux coûts opérationnels ni aux frais de propriété intellectuelle de ces derniers. En octobre 2012 les éditeurs de presse de la France, l'Allemagne et l'Italie font front commun face à leurs gouvernements respectifs afin d'obtenir des compensations du moteur de recherche. Etendu à l'échelle européenne, le conflit s'amplifie afin de partager la valeur ajoutée, les revenus publicitaires en France étant en 2012 de 2,6 milliards d'euros, 1 milliard d'euros de dépenses étant versés à Google. Ceci rejoint le terrain de la collecte des données des utilisateurs, avec la taxation des données personnelles proposée par le rapport Collin & Colin de 2012148. Dans ce dernier, les auteurs proposent de taxer les données personnelles collectées tout en diminuant la pression fiscale en cas de partage, avec pour cible principale les géants du numérique, Google, Facebook, Amazon, Apple. La presse française entame à partir de 2012 un conflit avec ces derniers sous l'égide de Nathalie Collin, présidente de l'Association de la Presse d'Information Politique et Générale et Marc Feuillée, président du Syndicat de la Presse Quotidienne Nationale. Ces derniers préconisent la création d'un droit voisin qui permettrait de faire payer une rémunération lorsque les contenus des journaux sont indexés. Cette piste est aussi étudiée du côté helvétique, représentés par Médias suisses, Schweizer Medien et Stampa Zvizzera. A l'inverse de la Lex Google allemande s'attaquant aux agrégateurs d'articles, le projet s'intéresse davantage au search.

Le 1er février 2013, après une longue période de médiation entre les éditeurs de presse, Google et le gouvernement français, un accord est trouvé sous la présence du président de la République François Hollande, de la ministre de la Culture et de la Communication Aurélie Filipetti, de Fleur Pellerin, ministre déléguée aux petites et moyennes entreprises et à l'économie numérique et d'Eric Schmidt, président de Google. L'entreprise américaine met alors en place un fonds de 60 millions d'euros visant à favoriser la transition numérique des médias traditionnels

Le bras de fer ressurgit en 2015 lorsque Margrether Vestager commissaire européenne à la concurrence adresse une communication de griefs pour abus de position dominante. Fruit de plus de sept années d'enquêtes, la Commission

148 Rapport de mission d'expertise sur la fiscalité de l'économie numérique établi par Pierre Collin et Nicolas Colin, 2013 accessible via ce lien : https://www.economie.gouv.fr/files/rapport-fiscalite-du-numerique_2013.pdf 82 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. européenne condamne Google le 27 juin 2017 à verser une amende de 2,42 milliards d'euros. Facebook n'est pas non plus en reste, au cours d'un entretien en 2016 avec le magazine économique suisse Bilan, Magali Philip, journaliste à la Radio Télévision Suisse (RTS) déclare ainsi que les médias classiques perdent le contrôle de l'information et que les algorithmes utilisés par les réseaux sociaux sont des facteurs décisifs dans la popularisation d'un article. En 2016, le président Rolf Heinz de Prisma Media, groupe français de presse détenant notamment les magazines Femme actuelle et Gala appelle par exemple à créer une "alliance contre Facebook et Google". Ce dernier pointe du doigt le caractère inégal de la structure du marché de la publicité, du contenu et de la connaissance et du traitement des données utilisateurs et, plus généralement, le duopole publicitaire de Google et Facebook.

Cette conflictualité homéostatique entre les acteurs montre le recours politique pour la modification de la structure du marché face à une technologie et une infrastructure technique faisant défaut aux firmes médiatiques. Ce modèle se conjugue à une autre approche qui reflète d'une manière générale une double dimension, celle de l'acceptation des règles du jeu de la structure du marché et le rôle, en tant que définisseur primaire de ces dernières, occupé par Google et les acteurs du numérique. Par l'intermédiaire du Fonds pour l'innovation numérique du moteur de recherche, l'entreprise américaine contribue ainsi à la création d'un agenda technologique des médias, qui par un processus de sélection des projets les plus innovants oriente les firmes dans une trajectoire et un modèle économique propice aux règles du jeu des acteurs du numérique.

2.4.2 L'agenda technologique de Google comme définisseur de la transformation numérique des médias

La troisième réaction mise en avant par Abraham Zaleznik, la stratégie médiative permet de mettre en avant une négociation des règles du jeu dans laquelle les firmes médiatiques parviennent à trouver un consensus pour leur survie. Comme nous avons pu le voir, l'entreprise américaine Google a crée le 19 septembre 2013 le Fond d'Innovation Numérique de la Presse (FINP), doté d'un capital de 60 millions d'euros pour une période de 3 ans. Ce dernier sous statut d'Association de Loi 1901 est présidé par Ludovic Blécher, directeur de 2008 à 2012 des éditions électroniques du quotidien Libération. Le conseil d'administration constitué de 7 membres est en charge des orientations stratégiques et de la sélection des projets. Tout membre de la Commission Paritaire des Publications et Agence de Presse peut soumettre un dossier de demande de soutien financier sous condition qu'aucune autre subvention publique n'ait été demandée. Les critères de sélection reposent principalement sur la capacité du projet à générer de nouvelles sources de revenus et favoriser la transition numérique des médias. Les projets soutenus par le Fonds d'Initiative à la Presse recouvrent une large gamme d'innovations numériques, qu'il s'agisse du data-journalisme, au native advertising, au social media, en passant par les MOOC et les paywalls.

83

Tableau 2.15 liste des projets soutenus par le Fonds d'Initiative à la Presse en 2013 et 2014 Publication Projet Budget Date Alternatives Une publication 457,5k 2013 Economiques exclusivement numérique euros sur l’actualité économique et internationale BFMTV BFM Social Media, la 261k 2013 première plateforme sociale euros d’information politique en France Charlie Hebdo Une application pour voir et 53,5k 2013 faire des caricatures euros d’actualité Contexte Un modèle payant 441k 2013 «multiface» adapté à une euros presse de niche La Croix «La Croix Data-Driven 835k 2013 Media», connaître et euros qualifier son audience pour mieux pousser et adapter les offres payantes

Les Echos «Grid», l’application mobile 588k 2013 multi-flux dédiée aux euros entreprises et à la veille économique Economie Matin Nouvelles interfaces de 29k 2013 navigation dans l’info euros économique Express-Roularta Une plateforme big data 1 970k 2013 pour passer d’une approche euros de marque («brand centric») à une vision «user centric» Le Figaro Figaro.tv, plus de 100 1 820k 2013 vidéos par jour pour faire euros entrer le groupe dans l’ère de l’image Jeune Afrique Créer la première 150k 2013 plateforme de revente de euros contenus éditoriaux francophones sur l’Afrique Libération Une offre de publications 649k 2013 numériques exclusives avec euros journal de fin de journée, 84 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

suppléments et ebooks à la demande Marsactu Création d’une lettre 131k 2013 spécialisée en ligne sur euros l’économie à Marseille 20 Minutes Création d’une gamme 267k 2013 d’offres publicitaires euros «Natives» avec un Back office dédié pour l’annonceur Le Monde Mobilité first, une offre 1 840k 2013 exclusive et expérimentale euros dédiée aux usages mobiles La Montagne Créer des supports 191k 2013 d’affichage dynamique euros autour de l’information locale Le Nouvel QuotidienObs, premier 1 990k 2013 Observateur quotidien digital pour un euros News magazine Ouest France «Ednum», deux éditions en 1 384k 2013 ligne par jour pour se euros «différencier du marché numérique français» Le Parisien le média d’information 144k 2013 leader sur le data euros journalisme Rue89 Le premier Mooc français 240k 2013 sur le journalisme euros numérique Slate la curation sociale 758k 2013 automatisée pour analyser euros les conversations numériques Sud Ouest Développement d’une offre 700k 2013 d’abonnements euros multidevices Le Télégramme Création d’un paywall sur 640k 2013 une offre d’information euros locale de qualité La Voix Du Nord Création de 1524 portails 840k 2013 hyper locaux derrière un euros paywall Les Echos «Solutions» : une 2 000k 2014 plateforme nationale de euros service pour les entreprises permettant de consulter ou déposer des annonces légales, d’accéder aux informations sur les

85

cessions ou reprises d’entreprises et aux offres de marchés publics Le Figaro «Data 2014»: récolter, 1 735k 2014 stocker, traiter et activer les euros données utilisateurs Le Point «Digital newsmag 360» : un 1 369k 2014 hebdomadaire augmenté euros très haut de gamme pour défricher des nouveaux formats Challenges Une édition économique et 1 100k 2014 politique quotidienne pour euros mobiles et tablettes Le Parisien Mon quartier numérique, 1 042k 2014 une offre payante dédiée à euros Paris et sa région Europe1 Une nouvelle offre vidéo 1 040k 2014 euros 20 Minutes Individualiser l’offre 853k 2014 éditoriale et l’expérience euros utilisateur Contexte «Le hub politique», un 766k 2014 nouvel usage de euros l’information politique Nyt/Iht Une plateforme 762k 2014 d’agrégation et de curation euros du meilleur du journalisme international Paris Match «Histoires de photos», 654k 2014 l’actualité par l’image euros Le Parisien La «Digital TV» du 556k 2014 Parisien.fr euros Le Figaro «Si Xiang Bali», une offre 497k 2014 de contenu lifestyle en euros Mandarin Les Echos «Start», la plateforme 458k 2014 dédiée aux étudiants et euros jeunes diplômés Le Monde «Le Monde Afrique», un 402k 2014 produit 100% numérique euros pour s’adresser aux audiences africaines La Dépêche Une offre d’’information 382k 2014 régionale «Premium» euros Playcorp/France Une offre de vidéos locales 361k 2014 Live poussées sur un réseau euros d’applications mobiles et de sites dédiés à chacune des 14 grandes villes de France 86 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Sud Ouest «Data Local» : exploiter les 344k 2014 données géographiques euros des lecteurs pour concevoir des offres de contenu et multiplier les abonnements La Provence Une nouvelle expérience 298k 2014 graphique pour changer les euros modes d’accès à l’information sur le site Les Inrocks Un «club» premium au 258k 2014 cœur de l’offre abonnés euros Worldcrunch Une plateforme pour 239k 2014 exporter des contenus de la euros presse européenne et africaine vers le monde anglosaxon Books «Booksfeed» Le monde à la lumière des 205k 2014 livres euros Factadata «Data Refinery» : la 176k 2014 plateforme de données euros publiques intégrée dans un média Newzulu/Citizendise Un outil de fact checking 170k 2014 destiné au support photo euros Bastamag Une nouvelle offre éditoriale 105k 2014 pour susciter le soutien euros financier des lecteurs Rue89 «LYON69 data»: faire du 104k 2014 site une référence en euros matière de création et de production externalisée de datajournalisme local La Tribune Un moteur sémantique pour 73k 2014 structurer les données de euros l’éditeur L’Opinion «Le Surligneur», 69,5k 2014 l’application de partage de euros contenu tous supports L’Opinion «Municipales 2014», un 57k 2014 aggrégateur éditorialisé de euros l’actualité politique Courrier Picard Une balade interactive sur 56k 2014 mobile pour faire découvrir euros la ville d’Amiens Source : FINP 2017

En 2015 l'exception française des aides fournies par Google s'étend aux autres pays de l'Union européenne avec la création de la Digital News Initiative. Crée pour une période de trois ans le fond est doté de 150 millions d'euros et est dirigé

87

par Ludovic Blécher, précédemment directeur du Fond d'Aide pour l'Innovation Numérique de la Presse. Durant la première étape de l'aide au financement de projets innovants de transformation numérique des médias, 128 entreprises du secteur des médias ont pu bénéficier de subventions pour un total de 28 millions d'euros. L'Allemagne est de loin le premier bénéficiaire avec plus de 4,9 millions d'euros d'allocations. Parmi les projets on note des financements à haute valeur ajoutée technologique utilisant l'écosystème des grands acteurs du numérique. Spectrm, entreprise berlinoise crée en 2015 bénéficie ainsi d'une subvention pour l'aide au développement de son chatbot spécialisé pour les médias. Agissant en temps que prestataire pour les éditeurs de presse, l'entreprise délivre des articles de presse via le système de messagerie Messenger de Facebook, le chat collaboratif Slack et via l'application de messagerie instantanée Telegram. Le site en ligne allemand Golem.de bénéficie d'une aide pour le développement d'une technologie de traitement automatique du langage tandis que le quotidien de Francfort le Frankfurter Allgemeine Zeitung développe un projet de personnalisation du contenu proposé à ses lecteurs sur la base de leurs préférences et de leurs centres d'intérêts. Au Royaume-Uni, le quotidien économique le Financial Times bénéficie d'une aide pour la création automatique de contenus journalistiques liés à des évènements économiques tels que, par exemple, des fluctuations des marchés financiers. Le groupe Trinity Mirror plc, plus grand groupe de presse britannique détenant notamment le Daily Mirror et le Sunday Mail bénéficie d'une aide pour un projet de développement d'une application présentant trois versions différentes d'un évènement afin de diversifier les angles journalistiques. Les projets soutenus par le Digital News Initiative de Google, à l'inverse du Fonds d'Innovation Numérique pour la Presse se distinguent par une montée en gamme vers les technologies de pointe plutôt qu'un rattrapage technologique, comme ce fut le cas par exemple avec des projets de création d'applications mobiles ou de refonte de sites web. Le fonds de Google tend ainsi à aider à la formation d'un écosystème des médias numériques en Europe via des canaux externes au moteur de recherche tels que les applications mobiles mais demeurant néanmoins sur les plateformes technologiques du groupe. Android, le système d'exploitation de Google lancé en juin 2007 est ainsi le leader avec plus de 80% de parts de marché dans le monde. Plutôt que créer des concurrents numériques remettant en cause le monopole de Google dans le domaine, il s'agit davantage d'une aide aux projets médiatiques d'évolution dans l'écosystème crée par le géant américain. La deuxième vague du Digital News Initiative est finalisée en novembre 2016 avec plus de 24 millions d'euros de subventions pour 124 projets. Parmi ces derniers on note une aide au quotidien suisse Le Temps. Subventionné à hauteur de seulement 24 mille euros, le projet a pour but d'exploiter l'evergreen content, le contenu n'étant pas "chaud" mais relativement ancien et pouvant être réutilisé en rapport avec des évènements d'actualité. L'outil nommé Zombie analyse les articles du site web du Temps et, à l'aide de l'outil de veille et d'analyse de l'audience de Google Chartbeats et de Google Analytics assigne un score à chaque article, qui s'il est suffisamment élevé déclenche une alerte auprès des journalistes. Google contribue donc, à l'aide de ses financements via ses fonds, initialement le Fond d'Innovation Numérique de la Presse puis le Google Digital News Initiative à constituer un écosystème de la presse numérique autour des outils et des plateformes technologiques crées par l'entreprise américaine. Dans cette 88 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. direction stratégique, la firme numérique a développé de nombreux outils visant à favoriser la production de contenu dans une logique de coopération entre les acteurs et potentiellement une situation de dépendance mutuelle. Le modèle économique et la logique des relations entre les éditeurs de presse et Google dans le cadre de ces subventions est donc d'accompagner les producteurs de contenu dans les projets innovants, l'entrainement aux outils de Google sans pour autant négocier un partage des revenus comme ce fut le cas au cours de la médiation entre Google et les éditeurs européens. Google et Facebook ont crée de nombreux outils à destination des professionnels de la production de contenu, des développeurs, des entrepreneurs amenant ainsi à la constitution d'un écosystème interdépendant d'innovations en termes de contenu et de pratiques marketing. La dépendance des entreprises médiatiques et plus généralement, de l'ensemble des firmes des industries créatives vis à vis de ces outils nécessite une explication détaillée des enjeux, des pratiques et des liens de dépendance existant dans cet environnement technologique aux impacts sociaux et économiques.

Conclusion

Google et Facebook ont un impact conséquent sur les entreprises de presse dans les domaines technologique, économique mais aussi dans les pratiques des journalistes. Les deux entreprises américaines jouissent de nombreux avantages tels qu'une masse critique en termes d'audience, une forte capacité de réaction et un important capital technologique. Les entreprises de presse traditionnelle, en France, Suisse et au Royaume-Uni subissent de plein fouet les effets de ces acteurs disruptifs dans l'environnement économique des médias. Dans un premier temps les recettes publicitaires en ligne des quotidiens sont en baisse, accaparés principalement par Google et Facebook, qui proposent une offre unifiée auprès des annonceurs ayant la possibilité de sélectionner une audience ciblée sur des critères multiples et précis. Dans un deuxième temps, les algorithmes de recommandation de Facebook et de référencement de Google ont un impact direct sur la diffusion de l'information et la génération de trafic sur les sites web des quotidiens. Les entreprises de presse traditionnelles sont ainsi dépendantes des articles diffusés sur les réseaux sociaux et sur Google afin de garantir un trafic suffisant sur leurs sites. Cette tendance se retrouve sur l'ensemble des titres, en France, au Royaume-Uni et en Suisse. L'effet de Google et Facebook sur les médias a culminé au cours du conflit entre les éditeurs de presse, Google et l'Union européenne. Ce dernier a mis en avant l'interdépendance entre les deux entreprises du numérique et les entreprises de presse. Les quotidiens nationaux dépendent des moteurs de recherche pour générer du trafic sur leurs sites web tandis que Google et Facebook, n'étant pas producteurs de contenu ont besoin des médias. Le fonds d'aide à la presse de Google peut s’apparenter à une forme d’agenda technologique qui permet aux firmes médiatiques de s'orienter vers les technologies et les modèles économiques à succès, plus particulièrement vers l'exploitation des données utilisateurs et le déploiement de nouvelles offres.

89

L'impact de Google et Facebook concerne l'ensemble des entreprises de presse, ce qui questionne à la fois leurs réactions vis à vis de cette modification de la structure économique et les différences existant entre des modes d'action et de réponses entre la France, la Suisse et le Royaume-Uni. Après avoir vu dans cette première partie les ressorts des avantages comparatifs de Google ainsi que leurs impacts nous allons voir dans les parties suivantes quelles sont les réponses des entreprises de presse au changement de structure.

90 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Chapitre 3. Déclin des ventes des journaux et présence sur les canaux de communication en ligne, une diversité des structures de marché et des trajectoires entre la France, le Royaume-Uni et la Suisse.

Comme le montre François Mariet, les firmes médiatiques, parmi les industries les plus impactées par la transformation numérique, ont fait l'objet de nombreuses innovations dans les modèles économiques, qu'il s'agisse de l'adoption de paywalls, de nouveaux formats ou la recherche de présence sur les différents canaux de communication. Cette recherche de nouveaux modes et moyens de diffuser l'information se heurte à une incertitude sur le retour sur investissement alors même que le bien informationnel, de par son caractère expérientiel est confronté à une intensité concurrentielle de la part de l'ensemble des marques. Nous souhaitons montrer dans cette partie que les firmes médiatiques sont à la recherche d'un modèle économique dans un environnement d'incertitude. Ce processus d'adaptation procède via des tâtonnements et des tentatives d'innovation, marquées par le succès, des retours en arrière et des contrastes entre les discours d'intention, la nécessité d'être présent sur certains canaux afin de suivre les bonnes pratiques des leaders technologiques. Notre analyse comparative entre la Suisse, la France et le Royaume-Uni repose sur une hypothèse que nous allons analyser au cours de cette partie.

Hypothèse 1 : "Les médias britanniques ont été parmi les plus innovants dans la recherche d'un modèle économique et leurs tentatives de présences sur les différents canaux de communication ont porté plus de fruits que leurs homologues française et suisses".

Afin de vérifier cette hypothèse nous allons étudier dans un premier temps les caractéristiques du bien informationnel puis nous analyserons le succès de la présence des marques de presse sur les réseaux sociaux, YouTube, Twitter et Facebook. Enfin nous mettrons en avant les expériences des sites web et du modèle économique des paywalls afin de mettre en avant les processus par tâtonnements et d'incertitude d'innovation des firmes.

91

3.1 L'économie du bien informationnel en ligne, les caractéristiques d'un produit d'expérience au coeur de la compétition pour l'attention

La crise des médias n'est plus un épiphénomène. De nombreux entrepreneurs de déclin ont témoigné d'une réalité certaine, marquée par la fermeture de nombreuses publications, la baisse des revenus et les déficits récurrents des firmes médiatiques, en exagérant parfois, évoquant la disparition totale de la presse. Le titre du site web newspaperdeathwatch.com qui recense les publications ayant disparu aux Etats-Unis se veut alarmant mais montre un constat, la fermeture d'un nombre croissant de publications à travers le monde. Le passage au tout- numérique de The Independent en 2015, la fin de France Soir en 2011 renvoie à la vision prophétique de Bernard Poulet 149 , ancien directeur du magazine économique l'Expansion sur la fin des journaux. Déjà, en 2005 Ignacio Ramonet150 s'inquiétait du déclin des revenus de la presse en France et de la mainmise des grands groupes tels que la Socpresse, les groupes Lagardère, Pinault, Arnault et Bolloré, parmi d'autres entraînant des inquiétudes sur la diversité et l'indépendance des médias. La crise de la presse est néanmoins un sujet relativement ancien qui s'ancre dans une chronologie longue de déclin des journaux, Richard Maisel 151 en 1973 parlait déjà "du déclin des médias de masse". Dans une approche critique vis à vis du technodéterminisme et de la fatalité des médias à succomber à la vague technologique du numérique, Georges Brock152 remet en question la rupture opérée par l'innovation technique en mettant en avant le caractère historique de la crise de la presse. Existant au moins depuis 1930, la crise des journaux serait due selon lui à une "paresse à innover" qui s'illustre au Royaume-Uni par un rapport de la Royal Commission qui mène à une enquête entre 1947 et 1949 pointant le déclin de la presse. Ce caractère historique de la crise des médias traditionnels est aussi souligné par Robert Picard153 qui met en avant aux Etats-Unis la disparition entre la fin de la seconde guerre mondiale et les années 2000 de 25% des journaux, entraînant les observateurs à "qualifier la presse d'économiquement non viable et de relique". Comme pointe Robert Picard, le cas de la "mort des médias" concerne davantage les petites publications qui souffrent de l'effet de spirale des grands quotidiens. Ces derniers, attirant davantage de lecteurs concentrent une majorité des annonceurs au détriment des journaux de plus petite taille. Philippe Amez-

149 POULET Bernard, La fin des journaux et l'avenir de l'information, Gallimard, 2009, 218 p. 150 Le Monde Diplomatique, janvier 2005, pages 26 et 27 http://www.mondediplomatique.fr/2005/01/RAMONET/11796 151 MAISEL Richard, "The decline of Mass Media" in Public Opinion Quarterly, Volume 37, pp. 159-170, 1073 152 BROCK Georges, Out of Print: Newspapers, Journalism and the Business of News in the Digital Age, Philadelphia, PA, and London, UK: Kogan Page, 2013, 242 pp. 153 Cité dans : ALEXANDER Alison, OWERS James, CARVERTH A. Rod, Media Economics: Theory and Practice, Routledge, 2003, 312 p. 92 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Droz154 pointe de même le caractère cyclique de la crise de la presse qui rejoint d'autres tendances macroéconomiques telles que la crise financière de 2008 et celle de la publicité mettant en saillance les faiblesses structurelles de cette industrie. En réalité, le consensus se fait non pas sur la "mort des médias" mais plutôt sur une transformation de la presse qui, ayant tenté l'expérience de très nombreux modèles économiques sur un temps réduit en fait l'une des industries les plus expérimentales dans le domaine de la transformation numérique. La spécificité des médias repose sur le fait que l'information n'est pas un bien comme les autres.

L'information en langue anglaise montre une diversité sémantique qui n'existe pas forcément dans la version française. Dans le sens économique, Carl Shapiro et Hal R. Varian155 définissent un information goods comme "everything that is or can be available in digital form, and which is regarded as useful by economic agents." Cette définition possède un sens large qui peut s'appliquer à une large gamme de produits tels que les prix des marchés financiers, la musique, les livres, les films, les résultats sportifs mais trouve son sens dans l'économie de réseau propre au numérique. D'une manière générale, un bien économique ou goods se définit selon Charles E. Ferguson156 comme un moyen via lequel les objectifs des acteurs économiques sont atteints. La question de savoir si l'information est un bien économique s'est posée dans le domaine académique. Klaus Krippendorf 157 , parmi les précurseurs sur le sujet postule ainsi que l'information ne peut être considérée comme un bien dans le sens économique. Ronald Coase158 en revanche suggère que l'information peut être traitée avec les mêmes définitions que l'analyse économique, la même optimalité, critère d'efficience et de marginalité. Ceci se retrouve par ailleurs au coeur de la théorie des coûts de transaction de Coase. Stigler 159 , Hirschleifer 160 et Marshal 161 apportent une pierre fondatrice aux théories des biens d'expérience en montrant

154 AMEZ-DROZ Philippe, La mutation de la presse écrite à l'ère numérique : Les conséquences de la crise de la demande publicitaire de 2008-2009 sur l'offre de contenus en Suisse et dans quelques pays industrialisés, Editions Slatkine, 2015 155 SHAPIRO Carl, VARIAN R. Hal, Information Rules: A Strategic Guide to the Network Economy, Harvard Business Review Press, 1998, 368 p. 156 FERGUSON E. Charles, Microeconomic Theory, Homewood, 1972 157 KRIPPENDORF Klaus (1984) "Information, Information Society and some Marxian Propositions."non publié 34th Annual International Communication Association Conference, San Francisco, CA, Mai cité dans LIEVROUW Leah A., BRENT Ruben David, Mediation, Information and Communication, Routledge 1989, 471 p. 158 COASE R. H. (1974) "The Market for Goods and the Market for Ideas." American Economic Review. 64:2:384-391 159 STIGLER George, “The Economics of Information." In George Stigler, The Organization of Industry. Chicago: University of Chicago Press, 1983 160 HIRSCHLEIFER Jack, "Where Are We in the Theory of Information." in American Economic Review, 1973 161 MARSHALL John M. "Private Incentives and Public Information." in American Economic Review, 1974

93

que la valeur d'un bien informationnel est incertaine et ne peut être attribuée qu'après sa consommation d'où une estimation via l'espérance de valeur162. Nathalie Sonnac propose une synthèse définitionnelle des caractéristiques du bien informationnel : • L'information est un bien non-rival et sous tutelle. La consommation d'un bien ne diminue pas la quantité disponible de ce même bien pour un autre agent. L'information peut aussi être un bien public ou semi-public. • L'information est un bien expérientiel, obligeant les entreprises de presse à susciter le désir auprès des consommateurs. • L'information est un produit éphémère aux coûts fixes élevés mais aux coûts marginaux quasiment nuls.

Ce cadre théorique sur l'économie de l'information est particulièrement utile car il met en lumière les caractéristiques du bien informationnel dans le cadre des économies de réseaux et plus particulièrement au vu des stratégies des firmes. Face à la compétition accrue des producteurs de contenus les firmes médiatiques doivent mettre en place des dispositifs visant à accroître l'intérêt et l'attraction auprès du consommateur. Conséquence de la chute des ventes d'exemplaires, les entreprises de presse doivent recourir à de nouvelles stratégies marketing afin de conquérir l'audience en ligne. Ceci passe par un premier constat, celui de la chute des tirages de la presse papier et une nécessité de réorienter les investissements et l'activité vers le numérique. Néanmoins, selon Patrice Flichy, l'économie du web se caractérise par des pratiques amateurs (Flichy, 2010163) dues à des coûts faibles de publication et de création de contenus. Dans cet écosystème à la compétition accrue et exacerbée les firmes médiatiques traditionnelles se doivent d'exister en offrant une valeur ajoutée et un positionnement différent des autres offreurs de contenus. Le risque pour les éditeurs de presse est que malgré l'existence de grandes marques à la réputation établie ces derniers ne parviennent pas, dans une économie d'expérience, à obtenir une audience suffisante, notamment sur les réseaux sociaux, alors même que la compétition entraînée par d'autres acteurs, liés notamment à l'entertainment captent une majeure partie du trafic.

3.2 La nécessité d'être présent : l'impact mitigé des entreprises de presse sur YouTube.

Les réseaux sociaux ont eu un impact considérable sur l'étude des médias avec une littérature abondante sur le sujet. Ces derniers ont suscité aussi bien un attrait dans les sciences de la communication qu'auprès des professionnels du marketing qui y ont vu un moyen d'atteindre une audience ciblée et conséquente. D'une manière générale, les médias traditionnels ont vu dans les réseaux sociaux un impératif de présence.

162 Dans ce modèle, la valeur d'un bien est dépendante d'une fonction X = E[u(x)] 163 FLICHY Patrice, Le sacre de l'amateur. Sociologie des passions à l'ère numérique. La République des idées, 2010, 112 p. 94 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Les études académiques sur les réseaux sociaux peuvent être divisées en trois catégories principales, les réseaux sociaux comme vecteur de démocratisation et de lien social, la modification des pratiques journalistiques et les usages sur ces derniers :

1. L'impact des réseaux sociaux sur le processus médiatique et démocratique, avec un accent sur leur faculté d'empowerment. Parmi les auteurs principaux on peut noter Clay Shirky qui met en avant le rôle des réseaux sociaux dans l'organisation de mouvements protestataires : "les réseaux sociaux sont devenus des outils de coordination pour presque tous les mouvements politiques dans le monde, alors même que les gouvernements essaient d'en l'imiter l'accès"164. Leur rôle a aussi été questionné dans le déroulement du Printemps Arabe avec comme effet principal l'amplification et la viralité de l'information (Lotan et al. 2011)165 ou encore le détournement de la censure (Tufekci, 2012)166. La thèse optimiste sur l'effets des médias est néanmoins sujette à critique, on retiendra les ouvrages d'Evgeny Morozov167, accusant le slacktivism et la vision techno-déterministe liée aux réseaux sociaux. 2. La modification des pratiques du journalisme entraînée par les réseaux sociaux. Lariscy, Avery, Sweetser et Howes168 ont analysé le rôle des principaux réseaux sociaux dans la construction de l'information avec les journalistes avec pour conclusion que ces derniers sont en réalité sous-utilisés. De la même manière, Ju, Ho Jeong et Chyi169 ont mis en avant malgré le "hype" à propos des réseaux sociaux que leur utilisation par les journaux et leur impact sur la génération de trafic et de revenus publicitaires était infime. 3. Les pratiques et usages sur les réseaux sociaux. On notera en France l'ouvrage de Dominique Cardon170, sur l'identité en ligne des internautes, les travaux de Newman, Hutton et Blank 171 sur l'émergence d'un "5th Estate", correspondant aux réseaux d'utilisateurs redistribuant l'information entre eux, en

164 SHIRKY Clay, The Political Power of Social Media in Foreign Affairs, janvier/février 2011 165 LOTAN, GILAD et al. " The Arab Spring | The Revolutions Were Tweeted: Information Flows during the 2011 Tunisian and Egyptian Revolutions." in International Journal of Communication, [S.l.], v. 5, p. 31, sep. 2011. 166 TUFEKCI Zeynep, "Social Media and the Decision to Participate in Political Protest: Observations from Tahrir Square" in Journal of Communication, 2012 167 MOROZOV Evgeny, The Net Delusion: How Not to Liberate the World, Penguin, 2012, 432 p. 168 LARISCY, R.W., AVERY, E.J., SWEESTER, K.D., HOWES, P., "An examination of the role of online social media in journalists’ source mix", in Public Relations Review 35 (3) 314-316, 2009 169 JU Alice, JEONG Sun Ho, CHYI Hsiang Iris " Will Social Media Save Newspapers?" in Journalism Practice Vol. 8, Iss. 1,2014 170 CARDON Dominique, « Le design de la visibilité. Un essai de cartographie du web 2.0 », Réseaux, vol. 152, no. 6, 2008, pp. 93-137. 171 NEWMAN Nic, DUTTON William, BLANK Grant " Social Media in the Changing Ecology of News: The Fourth and Fifth Estates in Britain" in International Journal of Internet Science 2012, 7 (1), 6–22

95

Parallèle du quatrième pouvoir que sont les médias. Enfin, l'importance croissante des réseaux sociaux est mise en avant, comme devenant centrale pour certaines catégories d'utilisateurs (Fletcher, Korell, Logan, 2012)172.

On constate néanmoins que peu d'études académiques ont mis en avant la présence et l'impact des réseaux sociaux dans les stratégies des éditeurs de presse. Ces derniers ont pourtant très tôt investi ce canal de communication, aussi bien dans leurs budgets marketing que via les journalistes qui ont pu y développer de nouveaux usages. On constate ainsi, au Royaume-Uni une utilisation courante des outils d'analyse de l'audience sur les réseaux sociaux. Au cours des élections générales britanniques de 2015, The Guardian a ainsi utilisé l'outil propriétaire Brandwatch Analytics afin de segmenter et analyser son audience sur les réseaux sociaux dans le but d'envoyer le contenu le plus adapté à chaque groupe. Ce terrain avait déjà été pris en compte par le quotidien, le 19 octobre 2010, The Guardian avait publié des recommandations éditoriales173 à destination de ses journalistes sur les réseaux sociaux. Ces dernières mettant en avant les bonnes pratiques et les éléments à éviter sur ce canal de communication, pouvant être relativement nouveau pour certains professionnels de l'information. De même, le tabloïd britannique The Sun annonce en 2013, le lancement d'un département marketing entièrement dédié au social media afin de maximiser la présence du quotidien. Cette initiative de dotation des entreprises de presse d'équipes dédiées fut lancée par de nombreux journaux dont Le Monde, avec la mise en place d'une "rédaction bimédia"174 dans le cadre des élections de 2012 et la RTS dès 2014. Pour cette dernière, les réseaux sociaux représentent avant tout un moyen de toucher une audience nouvelle ne lisant par forcément la presse papier, "un enjeu important pour toucher les jeunes publics" 175 tandis que le porte-parole de The Sun énonce "The key for newspapers is going to be that they "learn how to fill in the other bits they could be losing elsewhere"176. La justification des investissements sur les réseaux sociaux par les éditeurs de presse repose donc principalement sur l'exploitation d'une fenêtre d'opportunité permettant d'atteindre un public nouveau. D'un point de vue général, les réseaux sociaux pour les entreprises de presse sont perçus comme ayant trois principaux avantages :

172 HERMIDA Alfred, FLETCHER Fred, KORRELL Darryl, LOGAN Donna, "Share, like recommended" in Journalism Studies, Volume 13, 2012 173 L'article est disponible via le lien suivant : https://www.theguardian.com/info/2010/oct/19/journalist-blogging- commentingguidelines 174 Source lemonde.fr, article du 15 mai 2011 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2011/05/15/le-monde-lance- une-redaction-bi-media-pour-la-presidentielle_1522354_3236.html 175 Citation du directeur de la RTS reprise dans le site web du magazine 24 heures 176 Citation de David Dinsmore sur site web : https://www.journalism.co.uk/news/editor-of-the-sun-buzzfeed-is-the-best- thingon-the-internet-/s2/a554656/ 96 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

• Ils permettent d'atteindre une audience nouvelle de consommateurs qui ne lit pas traditionnellement l'information sur les supports papiers. C'est le cas de la RTS qui vise à atteindre une audience plus jeune. • Les réseaux sociaux sont aussi un moyen pour les entreprises de presse de générer du trafic sur leurs sites web. Le retour sur investissement et les gains publicitaires étant une priorité, ce canal permet dans cadre de soutenir l'activité principale du site Comme le montrent Ju, Ho Jeong et Chyi, ces pratiques sont cependant sous-utilisées par les entreprises de presse. • Interagir avec les journalistes qui deviennent une "marque", comme le montrent Broustau et Francoeur177 le "journaliste peut ainsi devenir l'ambassadeur d'un journal mais aussi de sa propre signature". Ceci se retrouve notamment dans les stratégies éditoriales de The Guardian et la mise en avant de journalistes vedettes qui via leurs comptes personnels diffusent de l'information exclusive, créant ainsi de l'engagement. Le lecteur devient ainsi loyal non plus à une marque de presse mais à un journaliste.

Cette "nécessité" d'être présent sur les réseaux sociaux fait écho à la modification des usages en termes de consommation de l'information. Ces derniers renvoient à une tendance générale de l'audience de s'informer sur les réseaux sociaux, avec, pour certaines catégories d'utilisateurs une exclusivité de la recherche d'information sur ces plateformes. Selon le Reuters Digital News Report de 2015, une tendance générale se dessine, les réseaux sociaux sont une source de plus en plus consultée lors de la recherche d'informations et ce dans l'ensemble des pays concernés par cette étude.

• Aux Etats-Unis, plus de 80% des personnes interrogées (sur un panel de 2 295 personnes) déclarent s'informer en ligne. Incluant les plateformes de social media, 43% via des sites en ligne, contre 40% pour la télévision et seulement 5% pour la presse papier. Selon une étude similaire réalisée par le Pew Research Center 178 en 2016, 62% des adultes américains déclarent s'informer via les réseaux sociaux. Entre 2013 et 2016 ce chiffre explose pour Facebook passant de 47% des personnes interrogées utilisant le réseau social pour s'informer à 66% en 2016. • Au Royaume-Uni, selon l'étude du Reuters Digital News Report de 2015, 38% des personnes interrogées sur cette étude effectuée entre 2012 et 2015 déclarent s'informer principalement en ligne contre 41% pour la télévision, très loin de la presse papier avec seulement 10%. • En France, 58% des interrogés déclarent s'informer principalement via la télévision contre 29% en ligne.

177 BROUSTEAU Nadège, FRANCOEUR Chantal, Relations publiques et journalisme à l'ère numérique Dynamiques de collaboration, de conflit et de consentement, Presses de l'Université du Québec, 2017, 256 p. 178 L'étude est citée via cet article : http://www.journalism.org/2016/05/26/newsuse-across-social-media-platforms- 2016/

97

Fait intéressant, on distingue un clivage entre les pays anglo-saxons, les Etats- Unis et le Royaume-Uni et la France où le petit écran constitue une source importante de consommation de l'information. En Allemagne et en Italie on retrouve des résultats similaires avec 53% de consommation de l'information sur le petit écran et 23% en ligne pour le premier et 49% d'usage de la télévision pour obtenir des news et 33% pour l'information en ligne pour le deuxième. Au delà du clivage géographique et culturel il s'agit davantage des différences générationnelles qui selon ce même rapport tendent à creuser l'écart entre les sources d'information. Les 18-25 ans et 25-34 ans déclarent respectivement à 60% et 54% s'informer principalement en ligne contre 44%, 33% et 22% pour les 35-44 ans, 45-54 et + de 55 ans. Facebook et YouTube sont les principaux réseaux sociaux utilisés pour s'informer, avec 41% des répondants déclarant s'informer via Facebook et 18% via YouTube. Parmi les interrogés seulement 38% déclarent trouver utiles les informations publiées sur le réseau social.

Selon une enquête menée par BuzzFeed News179 et Ipsos Public Affairs entre le 23 et 28 mars 2017 la consommation d'information sur Facebook est importante avec 48% des 3000 américains interrogés déclarant qu'ils considéraient la plateforme comme une source d'information majeure ou mineure. Néanmoins la confiance envers le réseau social est faible, 54% des répondants déclarant ne pas faire confiance aux informations présentes dessus ou seulement un peu. Plus intéressant, 70% des interrogés déclarent considérer comme "news" ou information les articles provenant de médias traditionnels tels que CNN ou le New York Times. Le Digital News Report 2016 du Reuters Institute for the Study of Journalism montre en 2016 de profondes disparités entre pays en termes de consommation d'information sur les réseaux sociaux.

• En Allemagne 6% des interrogés (sur un panel de 1500 à 2000 personnes par pays) indiquent utiliser les réseaux sociaux comme source principale d'information, ce taux est plus élevé au Japon, 7%, au Royaume-Uni, 8%, en France, 9%, en Italie 11% et aux Etats-Unis 14% avec des disparités constantes en fonction de la tranche d'âge. 64% des 18-24 ans déclarent s'informer principalement en ligne, dont les réseaux sociaux, contre seulement 47% pour les 35-44 ans. • On constate aussi un affaiblissement de la télévision comme source principale d'information avec 24% des interrogés entre 18 et 24 ans s'informant principalement via la télévision contre 37% pour les 35-44 ans. Selon cette même étude les réseaux sociaux les plus utilisés comme source d'information sont Facebook avec 44% des répondants, YouTube avec 19% des réponses et Twitter avec 10%. On constate aussi de fortes disparités dans les pratiques internationales de consommation des réseaux sociaux. Selon cette même étude du Reuters Institute, les coréens du sud privilégient Facebook, 24% et Kakao Talk, 22% pour s'informer tandis que YouTube domine en tant que source d'information avec 26% des réponses et Facebook et Twitter tous les deux à 16%.

179 https://www.buzzfeed.com/craigsilverman/americans-cant-agree-on- whatnews-is-on-facebook?utm_term=.yaWdNmNBw - .atEnkQkaw 98 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Ces statistiques mettent en avant une diversification des sources d'information auprès de la population. A l'inverse des médias de masse institutionnels des années post-seconde guerre mondiale, le web et les réseaux sociaux plus particulièrement contribuent à une multiplication de l'information et des pratiques. Ces dernières sont néanmoins inégales avec un clivage générationnel persistant. Les 18-34 ans sont ainsi les principaux usagers de ce type de consommation. Néanmoins, la réception de l'information sur ces derniers soulève une question propre aux théories de la communication et au récepteur actif. Les résultats fournis par l'enquête BuzzFeed et Ipsos Public Affairs incitent à penser que les lecteurs se méfient du contenu publié sur Facebook par exemple, montrant ainsi un scepticisme vis à vis de ce médium. De plus, il convient de rappeler que Facebook, et l'agrégateur de news de Google ne sont pas producteurs de contenus mais agissent en tant qu'intermédiaires entre les entreprises productrices et le consommateur. Au coeur des controverses des fake news ce rôle d'infomédiaire a pu mettre en avant la profusion d'informations de sources non institutionnelles au coeur d'une lutte pour la conquête de l'opinion. Le computational propaganda project de l'Oxford Internet Institute a ainsi mis en avant l'importance des messages automatisés produits par des bots dans le cadre des élections générales de 2017 au Royaume-Uni (Gallacher et al., 2017180), en France (Howard et al., 2017181) et au Brésil (Arnaudo, 2017182). L'automation du contenu en ligne sur les réseaux sociaux, dans ces études il s'agit de Twitter, témoigne du terrain de lutte que représentent ces derniers dans un objectif de conquête de l'opinion. La plateforme de partage de vidéos en ligne, YouTube appartenant à Google est aussi une des plateformes affectant la diffusion de l'information pour les éditeurs de presse et plus généralement les médias. Une étude de Comscore menée en juin 2016 aux Etats-Unis sur un panel de 2 940 personnes montrent une modification dans les usages de consommation de vidéos. On retrouve de manière similaire un clivage générationnel dans les pratiques de recherche de l'information et du temps passé sur ces plateformes. Selon cette enquête les 18-34 ans consomment davantage les vidéos en ligne que les personnes de plus de 34 ans avec pour préférence la plateforme de Google, YouTube. Parmi les interrogés 35% déclarent ainsi préférer le contenu proposé sur YouTube à la télévision traditionnelle 183. Selon l'étude 2016 du Reuters Institute for the Study of Journalism, The Future of News Video (données

180 GALLACHER John, KAMINSKA Monica, KOLLANYI Bence, HOWARD Philippe, Junk "News and Bots during the 2017 UK General Election: What Are UK Voters Sharing Over Twitter?", Oxford University, 2017 181 HOWARD Philippe, BRADSHAW Samantha, KOLLANYI Bence, DESIGAUD Clémentine, BOLSOVER Gillian, "Junk News and Bots during the French Presidential Election: What Are French Voters Sharing Over Twitter?", Oxford University, 2017 182 ARNAUDO Dan, “Computational Propaganda in Brazil: Social Bots during Elections.”Oxford university, 2017 183 Source Comscore: https://www.comscore.com/Insights/Blog/WhatMillennials-YouTube-Usage- Tells-Us-about-the-Future-of-Video-Viewership

99

obtenues par le Reuters Institue via des conversations privées avec le service presse de Facebook) la consommation journalière de vidéos entre 2013 et 2015 a augmenté de 5 à 8 milliards aux Etats-Unis et de 100 millions à 6 milliards pour Facebook sur la même année. YouTube et plus particulièrement la vidéo sont une partie intégrante des stratégies de présence en ligne des éditeurs de presse. L'enquête de 2016 menée auprès de 188 décideurs des firmes médiatiques indique que 79% des interrogés déclarent investir plus que l'année précédente sur ce format. A l'instar d'autres réseaux sociaux, utilisés principalement pour le partage de contenu non journalistique, la plateforme de vidéos en ligne fait l'objet d'une vive compétition avec d'autres producteurs de contenu, principalement encore dans le divertissement. Selon une enquête du Pew Research Center de 2016, aux Etats-Unis plus de 40% du panel interrogé déclare utiliser YouTube et 10% seulement pour s'informer. YouTube demeure néanmoins principalement utilisé pour la diffusion de contenu par les marques qui demeurent les plus populaires sur ce réseau de partage de vidéos. Les éditeurs de presse malgré un impératif d'existence sur les réseaux sociaux accusent ainsi un manque de présence principalement dû à une compétition exacerbée.

3.3 La presse sur les réseaux sociaux, des usages divers dépendants de la taille du marché : entre breaking news au Royaume-Uni et faiblesse des médias suisses.

Comme nous avons pu le voir avec l'enquête menée par le Reuters Institute, les intentions des décideurs des firmes médiatiques montrent une volonté d'investir dans le format vidéo et plus particulièrement les plateformes en ligne. Ceci soulève la question de l'efficacité de leurs efforts. Parmi les initiatives lancées par les groupes médiatiques, nous pouvons mettre en avant plusieurs objectifs liés à ces plateformes. On distingue ainsi trois principales intentions, l'acquisition d'une nouvelle audience, la récupération de contenus amateurs et l'innovation éditoriale :

• Le déploiement de vidéos dans un but d'acquérir une nouvelle audience et de nouveaux consommateurs. Il s'agit par exemple du déploiement de la BBC sur YouTube en 2008 sur six chaînes en ourdou, espagnol, russe, persan, portugais et chinois. Des stratégies similaires ont pu être mis en place par Radio France Internationale ou encore Russia Today. • Profiter du "citizen journalism" et du contenu amateur sur YouTube afin de disposer de vidéos prêtes à l'emploi, notamment dans le cadre de breaking news. • L'exploration de nouveaux formats et contenus. The Guardian propose ainsi sur chaîne YouTube, des suppléments, tels que des interviews, des éditoriaux et des vidéos éducatives. On retrouve un emploi similaire sur la chaîne du Monde avec de nombreuses vidéos pédagogiques sur des thématiques telle que "La crise des subprimes expliquée".

Comme le montre le tableau ci-dessous, les principaux quotidiens britanniques ont investi à des dates inégales la plateforme de vidéos en ligne. The 100 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Independent et les titres de News Uk, The Times, The Sun et The Sundays Times figurent parmi les premiers, dès 2006. L'activité varie néanmoins de manière conséquente, avec un nombre de vidéos pour The Guardian, supérieur à ses concurrents et des rubriques plus diversifiées, se corrélant avec un nombre d'abonnements et de visiteurs supérieurs. Ceci rejoint la stratégie adoptée en 2011 par le quotidien de "digital first" visant à développer les formats en ligne. News UK a déclaré en 2015 vouloir investir davantage dans les vidéos diffusées sur le web en nommant un directeur du contenu vidéo et en y allouant plusieurs millions de livres sans que le montant exact soit précisé184.

184 Source article de The Guardian du 26 juin 2016 : https://www.theguardian.com/media/2016/jun/20/rupert-murdoch-video- suntimes-news-uk

101

Tableau 3.1 les quotidiens nationaux britanniques sur YouTube Nom du The The Sun The Times The The Daily média Guardian and The Independent Mail Sunday Times Date de 14 février 12 juin 29 juin 2007 14 août 2006 20 août création 2016 2007 2012 Nombre 167 810 16 443 27 947 157 2 240 533 6 530 de 678 790 018 visiteurs Nombre 368 897 15 181 13 046 12 104 n/a185 d'abonne ments Nombre 6 358 473 412 277 190 de vidéos Contenu - - -Times + -Musique Aucune proposé Document Voyage (vidéos - catégoris aires - s - d'approfondis Approfondiss ation Vidéos Recette sement de ement de spécifiqu sur la - l'actualité) l'actualité - e réalité Célébrit -Exclusivités Podcasts virtuelle - és -Sport Vidéos - -Culture pédagogi Découv -Recette ques - ertes du Opinions web et débats -Séries (sur un thème particulier ) Autres Owen Page 3, Aucune London Aucune chaînes Jones Dream Evening talks, Team, Standard Guardian Fabulou Wire, s Guardian magazin Members, e, Sun Guardian Motors Football, Science, Culture, Musique, Food Source : Données récupérées sur la plateforme YouTube en juillet 2017

185 L'information n'a pas été rendue possible par le journal. 102 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

D'une manière générale, les stratégies éditoriales proposées par les chaînes YouTube des grands quotidiens britanniques reflètent l'approche et le positionnement marketing de leurs sites web et édition papier. Les quotidiens tels que The Guardian et The Independent ont une tendance à assumer une position de journal d'information de qualité en diffusant davantage de vidéos éducatives de décryptage de l'actualité. Situé sur un positionnement plus proche de l’infotainment, le tabloïd The Sun renforce ses catégories phares, à savoir les célébrités. The Guardian se démarque aussi en mettant en avant une chaîne dédiée à l'un de ses journalistes les plus populaires, Owen Jones, éditorialiste. Ceci renvoie à l'idée d'un journalisme sur les réseaux sociaux comme élément de marque. Les éditeurs de presse français sont aussi très influents en termes de trafic malgré une audience francophone internationale moindre. On constate une segmentation du contenu plus proche de l'information traditionnelle classique, Le Monde et le Figaro proposent ainsi des rubriques de décryptage et des coulisses de l'actualité, renforçant ainsi l'offre du site web et de la version papier.

103

Tableau 3.2 les quotidiens nationaux français sur YouTube Nom du média Le Monde Le Figaro Libératio Ouest Le n France Parisien (Le Parisien TV) Date de 17 mars 21 mai Non 2 avril 6 octobre création 2006 2006 présent 2010 2014 Nombre de 13 691 521 88 812 Non 3 947 10 691 visiteurs 638 présent 162 094

Nombre 91 329 72 277 Non 2 547 15 377 d'abonnement présent s Nombre de 677 6 063 Non 14 464 1 022 vidéos présent Contenu - -Actualité Non Non Non proposé Décryptage phare - présent catégoris catégoris et débat - Débats - é é Les Talk portraits stratégiqu - e Comprendr e l'actualité en 3 minutes - Les coulisses du cinéma - Critiques cinéma - Reportages Autres Aucune Le Live, Non Non Aucune chaînes Madame présent propre au Figaro, quotidien. tvMag, Sport24, Le Figaro vin, Figaro sciences Source : Données récupérées sur la plateforme YouTube en juillet 2017

On notera pour le Figaro une diversification du contenu visant à soutenir la production segmentée de ce dernier qui s'étend vers des rubriques thématiques telles que la gastronomie, les sciences ou encore son édition féminine, Madame Figaro. 104 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Tableau 3.3 les quotidiens nationaux suisses sur YouTube Nom du média La Le Temps 20 24 heures Le Matin Tribune minutes de Genève Date de 1er mai 5 février 24 février 21 3 création 2014 2015 2011 septembre septembr 2010 e 2014 Nombre de 227 158 865 924 1 840 1 115 589 1 248 666 visiteurs 606 Nombre 307 1 411 1 325 n/a 1 397 d'abonnement s Nombre de 82 639 378 499 516 vidéos Contenu Non Non -Sport -Festivaud -People proposé catégoris catégoris -Actualité (couvertur -Micro- é é - e de trottoirs Interview festivals -Animaux s musicaux) -Loisirs -Tutoriaux - -Le zap Jardinage vaudois - -Têtes de Joue la série (sur comme un les séries pro -Votre TV) région - Coulisses -Animaux Autres chaînes Non Aucune Non Aucune Le Matin propre au propre au du Soir quotidien quotidien Source : Données récupérées sur la plateforme YouTube en juillet 2017

En comparaison de la présence des entreprises de presse françaises et britanniques sur la plateforme de partages de vidéos, les médias suisses romands se caractérisent par un fort ancrage régional et d'une activité moindre pour les quotidiens régionauxs. Au vu de cette comparaison entre la France, la Suisse et le Royaume-Uni, on peut constater dans le cas britannique une forte segmentation en termes de contenus entre le tabloïd The Sun qui poursuit son positionnement sur l'infotainment et la presse de qualité, qui concerne notamment le cas français. La Suisse se démarque par une présence et une activité plus faible, reflet d'investissements moindres dans le format vidéo au regard d'autres quotidiens comme le Monde, The Sun ou The Guardian. Les efforts menés par les éditeurs de presse pour étendre l'offre médiatique, l'expérience de lecture et générer du trafic sur les sites web, font néanmoins face

105

à une très forte concurrence sur la plateforme de partage, caractéristique de la multiplicité des producteurs de contenu. YouTube est en ce sens une plateforme idéale permettant de montrer le flou entre les médias institutionnalisés et la professionnalisation des pratiques amateurs qui tendent à formaliser les pratiques de production en ligne (Burgess, 2012186).

Les données issues de l'outil d'analyse SocialBakers nous permettent d'obtenir une meilleure illustration de ce phénomène. Pour cela nous avons extrait les statistiques des cent premières chaînes en France, au Royaume-Uni et en Suisse de l'outil en octobre 2017. Ces dernières permettent d'effectuer un classement des chaînes YouTube les plus populaires. Il apparaît au vu des résultats que les médias traditionnels sont particulièrement mal positionnés et souffrent d'un manque de visibilité en comparaison d'autres chaînes thématiques telles que la musique ou les vloggers qui concentrent une majeure partie du trafic. La très forte importance des chaînes de musique dans le nombre de vues uniques et d'abonnements témoignage de la difficulté de mesurer les pratiques réelles des utilisateurs. Un visiteur pouvant tout aussi bien regarder une vidéo musicale que l'écouter, ce qui pourrait par exemple expliquer le nombre important de vues et d'abonnements dans cette catégorie.

D'un point de vue général, les médias traditionnels sont mal classés, sauf au Royaume-Uni pour le cas unique de la BBC avec 4 043 048 abonnés et plus de 4 millards de vues en mai 2017. Ceci s'explique par une stratégie d'investissement de la BBC effectuée très tôt à direction de YouTube. En 2007 la BBC a créé un partenariat avec YouTube afin de diffuser du contenu exclusif sur la plateforme187 financé par la publicité en ligne. A partir de 2014, le service public britannique a investi YouTube afin de proposer des programmes live et du contenu exclusif avec des personnalités du monde politique ou des célébrités. Une courte vidéo de 10 minutes d'une interview entre le journaliste Jérémy Paxman et Russel Brand avait ainsi généré un record de plus de 10 millions de visiteurs uniques entre octobre 2013 et janvier 2014. La BBC dépasse de très loin ses autres concurrents britanniques. Le quotidien britannique The Telegraph et la chaîne de télévision Channel 4 ne se classent qu'à la 124e et 125e position. Les chaînes de YouTube britanniques sont principalement dominées par les chaînes musicales. Ceci s'explique par l'investissement, très tôt des entreprises de l'industrie de la musique sur cette plateforme. On notera ainsi l'alliance en ligne VEVO, créée en 2009 par deux acteurs de la musique, Universal Music Group et Sony Music Entertainment qui concentre principalement le trafic des chaînes YouTube du top 10 au Royaume-Uni.

186 BURGESS Jean, "YouTube and the formalisation of amateur media", Amateur Media : Social, Cultural and Legal Perspectives. Routledge, 2012, pp. 53-58. 187Source theguardian.com, article du 2 mars 2007 : https://www.theguardian.com/media/2007/mar/02/digitalmedia.broadcasting 106 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Tableau 3.4 liste des 50 premières chaînes YouTube au Royaume-Uni Abonnés Nombre Rang Genre Chaine de videos vues Blogger/Vlog 16 512 11 161 1 DanTDM ger 233 433 113 21 855 9 299 559 2 Musique Ed Sheeran 169 680

CalvinHarris 12 166 8 041 250 3 Musique 967 217 VEVO

OneDirectio 22 723 7 618 038 4 Musique nVEVO 475 803

Coldplay 10 053 6 280 979 5 Musique Official 469 950 15 372 6 273 350 6 Musique AdeleVEVO 988 320

Britain's Got 8 262 5 738 415 7 TV Talent 403 419

The X 5 835 4 780 796 8 TV Factor UK 450 514

6 944 4 703 010 9 Blogger/Vlogger Toys AndMe 397 995 DisneyJunio 3 499 4 464 029 10 TV rUK 667 865

Média 4 043 4 182 308 11 BBC d'information 048 709

EllieGouldin 7 670 3 924 511 12 Musique 504 516 gVEVO Blogger/Vlog 17 263 3 712 578 13 KSI ger 453 719

YOGSCAST Blogger/Vlog 7 312 3 669 488 14 ger Lewis & 944 407 Simon

107

JessieJVEV 6 451 3 212 255 15 Musique 515 999 O Blogger/Vlog 11 408 3 017 876 16 W2S ger 989 422

MarkRonson 3 617 2 895 747 17 Musique VEVO 716 754

Blogger/Vlog ComedySho 8 570 2 884 937 18 ger 219 840 rtsGamer 4 211 2 870 871 19 Musique 148 517

SamSmithW 5 771 2 733 689 20 Musique orldVEVO 302 195

littlemixVEV 7 684 2 729 761 21 Musique O 207 905 4 014 2 704 174 22 Acteur/Actrice Mr. Bean 038 031 9 057 2 375 575 23 Jeux vidéo Ali-A 793 543 2 853 2 318 144 24 TV Disney UK 408 469 Queen 3 390 2 276 440 25 Musique Official 745 258 DisneyChan 2 222 2 218 031 26 TV nelUK 290 385

Blogger/Vlog Kiddyzuzaa 1 851 2 013 629 27 ger - WildBrain 716 944

Blogger/Vlog TheSyndicat 10 029 2 003 926 28 ger eProject 643 750

3 549 1 928 997 29 Musique Passenger 735 375 UKF 6 158 1 731 135 30 Musique Dubstep 906 924 2 842 1 683 798 31 Jeux vidéo GameSpot 496 372 108 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

5 500 1 669 239 32 TV Top Gear 073 816

LDShadowL 3 426 1 316 683 33 Jeux vidéo 611 786 ady 12 517 1 290 490 34 Blogger/Vlogger Vsauce 312 425 2 062 1 232 457 35 Musique Muse 803 416 Conor 6 107 1 232 257 36 Musique Maynard 233 886 The Slow 9 673 1 231 637 37 Web série Mo Guys 219 779 NaughtyBoy 1 513 1 215 984 38 Musique VEVO 342 838 Blogger/Vlog OfficialNerd 2 590 1 134 099 39 ger Cubed 960 587 Blogger/Vlog 8 133 1 099 398 40 ThatcherJoe ger 273 375

F2Freestyler

s - Ultimate 6 284 1 090 463 41 Sport Soccer 167 371 Skills

Blogger/Vlog 4 126 1 066 476 42 Vikkstar123 ger 877 731 Blogger/Vlog 1 048 315 43 HDCYT 351 130 ger 931 Blogger/Vlog 4 796 1 046 221 44 TomSka ger 433 771 Blogger/Vlog 12 039 1 028 892 45 Zoella ger 346 083 Blogger/Vlog 3 470 1 008 583 46 DaveHax ger 850 797 2 713 973 223 47 Musique Gorillaz 110 929 935 487 48 Musique Link Up TV 795 520 660 Official 2 459 919 706 49 Musique Arctic 221 557

109

Monkeys 4 439 910 731 50 Web série Simon's Cat 601 619 Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

La BBC est l'unique média d'information présent dans le top 20. Néanmoins, les programmes des chaînes britanniques de télévision sont aussi présents. Les émissions, Britain's Got Talent et The X Factor UK disposent d'un fort trafic et d'une communauté importante sur YouTube. Tous deux diffusés par la chaîne de télévision britannique ITV ceci montre un positionnement non pas sur la marque de manière globale mais plus spécifiquement sur les offres de programme. On retrouve une absence des éditeurs de presse dans les chaînes YouTube les plus fréquentées de manière similaire dans le cas de la France. Le premier média d'information classé est France 24 qui arrive en 89e position avec 469 978 abonnés et 249 901 183 vues suivi de BFM TV en 102e position avec 176 002 abonnés et 213 900 318 vues. Ces derniers sont néanmoins des chaînes de radio-télédiffusion, ce qui souligne l'absence des groupes de presse. Euronews en français est classée 104e avec 204 663 abonnés et 211 147 568 visiteurs uniques. L'AFP, 110e génère 201 305 243 vues pour 160 344 abonnés. A l'instar du Royaume-Uni, les médias d'information sont largement éclipsés par les chaînes de divertissement et de musique. La France se caractérise, en comparaison de l'exemple britannique par une très forte présence des vloggers. Parmi les 10 premières chaînes YouTube, 4 sont des humoristes amateurs.

Tableau 3.5 liste des 50 premières chaînes YouTube en France Rang Genre Chaine Abonnés Nombre de vidéos vues

1 Musique 14 819 670 8 768 358 332 2 Blogger/Vlo Squeezie 8 985 693 4 030 890 740 gger 3 Musique MaitreGimsVEV 3 786 194 2 142 681 871 O 4 Musique Monde des 1 636 327 1 778 956 355 Titounis 5 Musique DJSnakeVEVO 5 641 132 1 771 205 731 6 Blogger/Vlo Cyprien 11 390 569 1 697 647 638 gger 7 Blogger/Vlo Rémi Gaillard 6 418 747 1 647 533 503 gger 8 Blogger/Vlo Norman fait des 9 880 071 1 639 965 723 gger vidéos 9 TV Nick Jr. 1 462 322 1 520 920 003 10 TV Cauet 2 930 084 1 347 179 346 110 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

11 TV Disney FR 1 245 763 1 272 438 156 12 Musique Universal Music 1 123 852 1 159 699 886 France 13 Blogger/Vlo Studio Bubble 1 068 997 1 062 720 864 gger Tea 14 Musique Soprano Officiel 1 831 662 1 040 197 008 15 Blogger/Vlo Palmashow 2 865 688 1 020 813 686 gger 16 Musique Scorpio Music 1 435 986 1 001 395 085 17 TV Disney Channel 982 007 944 944 815 France 18 Musique Comptines et 774 406 943 196 856 chansons 19 Blogger/Vlo Siphano 2 121 955 938 233 000 gger 20 Musique KendjiGiracVEVO 1 682 177 916 380 954 21 Musique B2ObaOfficiel 2 049 005 911 822 600 22 Jeux vidéo LaSalle 2 164 364 899 098 547 23 Blogger/Vlo Le Bled'Art 2 744 413 830 454 542 gger 24 Blogger/Vlo Tibo InShape 3 865 617 806 192 305 gger 25 Media Disney Junior 747 940 728 476 531 FR 26 Musique L'Algerino 1 991 006 717 223 349 27 Blogger/Vlo Furious Jumper 1 594 530 666 930 789 gger 28 Musique PNLmusik 2 124 872 658 975 992 29 Jeux vidéo FantaBobGame 1 802 808 654 716 500 s 30 Blogger/Vlo Golden 2 914 008 646 816 730 gger Moustache 31 Musique Mhd Officiel 1 921 207 614 968 155 32 Musique DaftPunkVEVO 2 299 219 590 431 813 33 Musique Happy Music 661 175 575 962 425 34 Musique LacrimMusicVE 1 679 584 574 152 089 VO 35 Blogger/Vlo Frigiel 1 726 004 521 850 598 gger 36 TV Guillaume Pley 1 841 992 518 742 936 37 Blogger/Vlo Joueur Du 2 940 502 516 281 258 gger Grenier

111

38 Blogger/Vlo Studio Bagel 3 106 160 511 743 437 gger 39 Blogger/Vlo Aypierre 1 442 815 503 716 359 gger 40 Blogger/Vlo Cyril 2 677 788 490 933 894 gger Superkonar 41 TV Patrick 387 023 475 815 164 Sébastien 42 Blogger/Vlo Natoo 3 846 595 467 890 821 gger 43 Musique sexiondassautV 747 752 467 778 510 evo 44 Musique KaarisOfficielVE 1 418 126 465 494 938 VO 45 Musique SEXION 733 859 452 653 081 D'ASSAUT 46 Jeux vidéo CBGames 1 016 731 441 821 175 47 Blogger/Vlo LaFouineVEVO 1 162 074 439 715 692 gger 48 Blogger/Vlo EnjoyPhoenix 3 008 528 432 750 028 gger 49 Musique Bébé Lilly 311 826 430 841 530 50 Musique Keen'V 715 231 408 953 121 Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

La Suisse est un cas particulièrement intéressant en termes de présence des médias sur la plateforme YouTube qui est plus importante qu'au Royaume-Uni et en France. En effet, parmi les vingt chaines les plus visitées deux traitent d’information généraliste. Le service public de radio, production audiovisuelle et télévision romande Radio Télévision Suisse (RTS) est dixième avec 57 222 abonnés et 51 392 111 vues. Le groupe radio et télévision alémanique Schweizer Radio und Fernsehen est 11e avec 28 978 abonnés et 51 392 111 vues. Swissinfo.ch chaîne d'information anglophone est 24e avec 14 727 abonnés et plus de 18 millions de vues. Parmi les dix chaînes les plus visitées en Suisse, on constate une diversité en termes de contenu, avec la présence de thématiques telles que le sport, les jeux vidéo, la musique, la beauté et l'information.

112 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Tableau 3.6 liste des 50 premières chaînes YouTube en Suisse Rang Genre Chaine Abonnés Nombre de vidéos vues 1 Fitness Passion4Professi 1 899 834 428 362 682 on 2 Blogger/Vlog Benoît - Diablox9 1 725 615 246 814 625 ger 3 Musique IlDivoVEVO 408 560 229 620 738 4 Musique Swissbeatbox 552 078 196 172 051 5 Musique DJ BoBo 169 859 182 592 490 6 Blogger/Vlog Julia Graf 792 796 181 564 571 ger 7 Jeux vidéo Wartek 1 447 181 125 607 204 8 Musique SRF Musik 71 970 90 450 045 9 TV SRF The Voice 73 441 85 659 054 10 Média RTS - Radio 57 222 51 392 111 d'information Télévision Suisse 11 Marques de Migros Migros 25 977 41 100 533 grande consommatio n 12 Média Schweizer Radio 28 978 38 503 183 d'information und Fernsehen 13 Sport ISU Junior Grand 41 622 32 784 695 Prix 14 Cinéma Universal 6 199 26 949 408 Pictures Switzerland 15 Tourisme MySwitzerland 12 040 26 870 475 16 Autre Pro Infirmis 7 609 25 493 074 17 Streaming Netflix 201 552 24 817 402 18 Sport International 88 631 24 802 837 Hockey Federation (FIH) 19 Média joiz 26 640 23 023 959 20 TV SRF Comedy 15 327 22 175 002 21 Automobile TCS Schweiz- 7 325 19 570 887 Suisse-Svizzero 22 Streaming Viewster 223 805 19 302 237 23 Cinéma WarnerBrosSwitz 2 463 19 040 031 erland

113

24 Média SWI swissinfo.ch 14 727 18 727 259 d'information - English - 25 Marques de McDonald's - 8 603 17 556 552 grande Switzerland consommatio n 26 Électronique Samsung 12 434 17 417 609 Schweiz 27 Tourisme Zurich Schweiz 1 848 16 875 428 28 Musique Müslüm 19 434 13 478 312 29 TV SRF DOK 20 070 13 455 885 30 Transport Swiss 27 528 12 938 394 International Air Lines 31 TV SRF 3 9 296 12 812 153 32 Télécommuni Swisscom 14 103 12 780 503 cations 33 TV SRF Virus 9 270 12 261 474 34 Transport SBB CFF FFS 8 826 12 084 641 35 Tourisme Graubünden 8 188 11 930 489 36 Musique Bastian Baker 32 936 11 468 516 37 TV Disney Schweiz 5 579 11 384 124 38 Cosmétique L'Oréal Paris 3 841 10 587 117 Switzerland 39 Poste swisspost 4 155 10 532 753 40 Média Les archives de 0 10 402 529 d'information la RTS 41 Marques de Geberit 7 347 10 142 489 grande consommatio n 42 Cosmétique NIVEA Schweiz / 2 186 9 707 066 Suisse 43 Média Blogbusters 5 365 8 782 408 44 Autres StimorolSwitzerla 595 8 601 806 nd 45 Electronique Veeam 10 882 7 816 634 46 Assurance AXA Winterthur 1 182 7 537 658 47 Jeux vidéo Cauchemar 0 7 496 966 48 Sport Sauber F1 Team 51 291 7 431 588 49 Musique Alexander Rudin 8 227 7 264 564 114 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

50 TV SRF Kultur 16 124 7 183 517 Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

Les statistiques sur le type de vidéos YouTube montrent une absence des éditeurs de presse parmi les grandes chaînes et une autre tendance, celle de l'internationalisation de l'information en ligne, notamment sur les réseaux sociaux, que l'on retrouve sur d'autres plateformes telles que Facebook. Les principaux médias anglo-saxons tels que The Guardian ou la BBC bénéficient ainsi d'un avantage comparatif lié à la présence de la langue anglaise dans le monde. La page Facebook de la BBC avec plus de 853 997 fans dispose ainsi d'une audience internationale. Bien qu'étant un média britannique, la principale origine de ses fans provient des Etats-Unis avec plus de 12.8% de l'audience totalecontre 11% en provenance du Royaume-Uni. On constate aussi une forte présence dans les anciens pays de l'empire britannique tels que l'Inde, 7,2% ou encore le Nigéria, 5.9%. Le faible impact des médias sur les réseaux sociaux rejoint un article publié par le Nieman Lab188 témoignant du manque d'efficacité de ces derniers. Pour Josh Sternberg, professionnel des relations publiques : "Les investissements dans les vidéos en ligne par les médias d'information sont une perte de temps." Pour ce dernier, si les internautes apprécient regarder des vidéos en ligne, il ne s'agit par pour autant de vidéos d'information ce que l'on retrouve notamment en étudiant le type de contenu présent dans le top 100 agrégé des vidéos les plus consultées en France et au Royaume-Uni.

Tableau 3.7 répartition des chaînes YouTube par catégories au Royaume- Uni Catégorie Jeux Vlogger Musiqu Divertissem Beauté Info vidéo s e ents TV % du total de 7.33 23.69% 48.88% 17.22% 0.41% 2.48 vues uniques % % % du total 9.07 32.78% 42.67% 14.08% 0.46% 0.93 d’abonnement % % s Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

188 http://www.niemanlab.org/2017/05/the-accurate-belief-that-people-love- consuming-video-doesnt-mean-people-love-consuming-news-video/" I am 100 percent prepared to be wrong about this, but I think many publishers’ continued investment in video will prove to be a waste of time and money."

115

Tableau 3.8 répartition des chaînes YouTube par catégories en France Catégorie Jeux Vlogger Musiqu Divertissement Beaut Info vidéo s e s TV é % du total de 5.15 30.79% 43.95% 12.51% 2.53% 1.63 vues uniques % % % du total 6.40 46.47% 30.90% 6.59% 3.06% 1.15 d'abonnement % % s Source : Données récupérées via Social Bakers octobre 2017

Dans les deux pays, l'information ne concerne qu'une part infime du contenu le plus consulté, ce qui invite à relativiser l'importance de YouTube comme outil pour générer du trafic et à montrer l'importance des acteurs amateurs autres professionnels du divertissement sur la plateforme. Ces derniers opèrent ainsi une forme de concentration de l'audience, un nombre réduit de chaînes attirant une majorité du trafic. Au Royaume-Uni 16 chaines concentrent plus de 50% des vues du panel et 29 plus de la moitié des abonnements.

Vue Uniques (millions) 12000 10,003 10000

7,295 7,185 8000 6,847 5,809 5,609 5,249 6000 4,464 4,027 3,896 3,674 3,581 2,996 4000 2,615 2,608 2,576 2,549 2,472 2,263 2,242 2,129 1,981 1,939 1,876 1,860 1,835 1,714 2000 0

Figure 3.1 Répartition des visiteurs uniques des seize premières vidéos YouTube en septembre 2017 au Royaume-Uni. Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

Cet effet de concentration illustre la théorie de l'effet boule de neige des réseaux sociaux citée précédemment. De par le fonctionnement des algorithmes de recommandation, un contenu rencontrant un succès aura une tendance à naturellement accroître en alimentant sa propre attraction, ayant ainsi un impact négatif sur l'hétérogénéité des contenus proposés. Ceci se retrouve par exemple 116 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. dans le cas de la plateforme VEVO qui dispose d'une masse critique suffisante et d'un nombre d'abonnés conséquents pour concentrer une part importante du trafic. Il convient aussi de noter que les pratiques de promotion en ligne sont entachées de fraudes et de pratiques déloyales tels que des robots crées dans l'objectif d'accroître le nombre de clicks et résultats. De fait, l'ensemble des résultats fournis doit être pris avec précaution. Comme nous avons pu le voir, précédemment, les robots ou bots, programmes permettant d'automatiser une tâche ont ainsi joué un rôle conséquent dans la propagation des fake news comme le montre Shao et al.189 : " Relatively few accounts are responsible for a large share of the trafic that carries misinformation. These accounts are likely bots, and we uncovered several manipulation strategies they use. First, bots are particularly active in amplifying fake news in the very early spreading moments, before a claim goes viral. Second, bots target influential users through replies and mentions." Un résultat similaire sur la concentration des chaînes YouTube se retrouve en France, où 17 chaines accumulent plus de la moitié des vues et 26 pour le nombre d'abonnements.

4000 3,502 3500 Visiteurs uniques (millions) 3000 2500 1,971 2000 1,6281,570 1,5421,516 1,442 1,285 1500 1,119 1,110 1,008 936 925 914 887 880 872 854 848 839 1000 718 693 656 610 610 500 0

Figure 3.2 Répartition des visiteurs uniques des seize premières vidéos YouTube en septembre 2017 en France Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

Cette difficulté pour les éditeurs de presse à être présents sur les réseaux sociaux nous permet d'illustrer la concurrence accrue des amateurs, dont les pratiques se professionnalisent et des fournisseurs de contenus de divertissement dont la

189 CHENGCHENG Shao, CIAMPAGLIA Giovanni Luca, VAROL Onur, FLAMMINI Alessandro, MENCZER Filippo, "The spread of fake news by social bots", Indiana University, Bloomington, 2017

117

valeur en tant que bien d'expérience accroît la compétition en ligne. La raréfaction du temps cognitif des utilisateurs se conjugue avec une lutte accrue pour l'attention de la part des entreprises. A mesure que s'accroissent les pratiques marketing de ciblage du public et la présence de publicités en ligne, des comportements publiphobes se développent. L'enquête sur le marché publicitaire suisse du Médialab de Genève 190 a ainsi montré cette tendance. Selon l'étude menée auprès d'entreprises suisses, l'augmentation de l'offre publicitaire a accru (pour 38% des répondants) l'hostilité des consommateurs. Cette difficile pénétration des éditeurs de presse montre les défis liés aux règles du jeu et à la structure du marché de l'information et du contenu en ligne. Cette difficulté est d'autant plus un enjeu de taille que les médias traditionnels subissent un déclin de la vente de la presse papier, qui impose la nécessité de trouver de nouveaux débouchés numériques.

3.La nécessité d'être présent : la présence des entreprises de presse sur Twitter et Facebook

Comme nous avons pu le voir, les médias d'information générale et plus particulièrement les entreprises de presse ont une présence limitée sur la plateforme de partage vidéo YouTube. Ceci permet de mettre en avant la difficulté de générer du trafic dans un environnement à forte intensité concurrentielle investi par l'ensemble des marques. Twitter et Facebook font partie des deux autres grands réseaux sociaux traditionnellement considérés comme stratégiques dans les plans d'investissements en social media. Twitter a été étudié comme permettant pour les journalistes de garantir une couverture des breaking news et de générer une relation interpersonnelle de marque entre les journalistes et leur public (Vis, 2012191). L'analyse des données SocialBakers de septembre 2017 sur la présence des grandes marques sur Twitter nous permet de mettre en avant que les médias britanniques ont réussi à tirer partie de la plateforme de micro-blogging. La BBC est le premier compte présent avec environ 35 millions de followers, suivi par la marque soeur BBC World à la 10e place. L'agence de presse Reuters se positionne à la 12e place avec plus de 18 millions de followers. Les entreprises de presse accusent cependant une présence plus faible. The Guardian arrive à la 44e place avec plus de 6 millions de followers, suivi du Financial Times en 55e position. On constate l'absence des tabloïds britanniques dans ce classement, ce qui correspond, comme nous le verrons à une rupture volontaire avec une approche du contenu en termes de "breaking news" pour se concentrer sur le contenu d'infotainment.

190 BADILLO Patrick-Yves et al. Enquête nationale sur le marché publicitaire suisse face au défi numérique. Genève, 2015 191 VIS Farida, "Twitter as a reporting tool for breaking news", Digital Journalism, Vol. 1, 2013 118 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Tableau 3.9 liste des 50 premiers comptes Twitter au Royaume-Uni Rang Genre Profil Twitter Pages Nombre de suivies followers 1 Média BBC Breaking News 3 34 997 296 (@BBCBreaking) 2 Musique onedirection One 3 924 31 828 566 Direction (@onedirection) 3 Musique Harry_Styles Harry 2 047 31 236 019 Styles. (@Harry_Styles) 4 Musique Louis_Tomlinson Louis 3 811 29 109 040 Tomlinson (@Louis_Tomlinson) 5 Musique Adele Adele (@Adele) 157 28 760 313 6 Musique LiamPayne Liam 16 518 28 714 685 (@LiamPayne) 7 Acteur/Actri EmmaWatson Emma 365 26 716 441 ce Watson (@EmmaWatson) 8 Musique zaynmalik zayn 2 262 24 702 677 (@zaynmalik) 9 Musique coldplay Coldplay 1 512 24 465 539 (@coldplay) 10 Média BBCWorld BBC News 85 21 505 491 (World) (@BBCWorld) 11 Musique edsheeran Ed Sheeran 0 20 423 636 (@edsheeran) 12 Média Reuters Reuters Top 1 063 18 866 914 News (@Reuters) 13 Sport WayneRooney Wayne 435 16 440 898 Rooney (@WayneRooney) 14 Sport premierleague Premier 78 16 089 681 League (@premierleague) 15 Sport GarethBale11 Gareth 114 15 158 317 Bale (@GarethBale11) 16 Sport ManUtd Manchester 104 15 056 505 United (@ManUtd) 17 Littérature jk_rowling J.K. Rowling 522 12 925 122 (@jk_rowling) 18 Célébrité victoriabeckham Victoria 55 12 808 593 Beckham (@victoriabeckham)

119

19 Acteur/Actri rickygervais Ricky 1 204 12 780 490 ce Gervais (@rickygervais) 20 Acteur/Actri SimonCowell Simon 2 769 12 687 300 ce Cowell (@SimonCowell) 21 Musique CalvinHarris Calvin Harris 3 706 12 559 906 (@CalvinHarris) 22 Politique rustyrockets Russell 347 12 257 857 Brand (@rustyrockets) 23 Sport Arsenal Arsenal FC 157 912 11 802 268 (@Arsenal) 24 Entreprene richardbranson Richard 3 842 11 598 926 ur Branson (@richardbranson) 25 Blogger/Vlo Zoella  Boo-ella  523 11 160 257 gger (@Zoella) 26 Sport ChelseaFC Chelsea FC 252 10 449 057 (@ChelseaFC) 27 Musique LittleMix Little Mix 30 958 10 210 418 (@LittleMix) 28 Modèle Caradelevingne Cara 1 044 9 887 894 Delevingne (@Caradelevingne) 29 Acteur/Actri JKCorden James Corden 2 128 9 734 560 ce (@JKCorden) 30 Sport rioferdy5 Rio Ferdinand 558 9 484 180 (@rioferdy5) 31 Musique JessieJ Jessie J 36 8 909 605 (@JessieJ) 32 Média BBCNews BBC News 99 8 835 036 (UK) (@BBCNews) 33 Sport LFC Liverpool FC 387 034 8 747 970 (@LFC) 34 Musique ollyofficial Olly Murs 2 982 7 790 147 (@ollyofficial) 35 Musique CherLloyd Cher Lloyd 11 239 7 614 531 (@CherLloyd) 36 Acteur/Actri Fearnecotton fearne 576 7 434 210 ce cotton (@Fearnecotton) 37 Blogger/Vlo hollywills Holly 275 7 387 180 gger Willoughby (@hollywills) 38 Musique elliegoulding Ellie 565 7 156 549 Goulding (@elliegoulding) 39 TV TheXFactor The X Factor 26 177 7 089 975 (@TheXFactor) 120 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

40 Média BBCSport BBC Sport 276 7 050 794 (@BBCSport) 41 Journaliste JeremyClarkson Jeremy 176 6 978 529 Clarkson (@JeremyClarkson) 42 Acteur/Actri jimmycarr Jimmy Carr 317 6 900 901 ce (@jimmycarr) 43 Cuisine jamieoliver Jamie Oliver 4 361 6 895 858 (@jamieoliver) 44 Média guardian The Guardian 1 112 6 839 242 (@guardian) 45 Acteur/Actri antanddec antanddec 648 6 677 186 ce (@antanddec) 46 Sport GaryLineker Gary Lineker 889 6 660 495 (@GaryLineker) 47 Blogger/Vlo danielhowell Daniel 755 6 610 471 gger Howell (@danielhowell) 48 Acteur/Actri simonpegg Pegg News 0 6 560 838 ce (@simonpegg) 49 Musique RitaOra Rita Ora 1 734 6 535 174 (@RitaOra) 50 Célébrité CherylOfficial Cheryl 948 6 369 065 (@CherylOfficial) Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

En France on constate une très bonne présence du quotidien Le Monde arrivant en 4e place du classement des chaînes comptant le plus grand nombre de followers. Son rival, Le Figaro, arrive en 33e place et Libération est 35e tandis que le Parisien est 62e. Ceci confirme le rôle du quotidien Le Monde comme journal d'information auquel les lecteurs s'informent pour suivre la couverture de l'actualité à l'instar, au Royaume-Uni du compte Twitter de la BBC.

Tableau 3.10 liste des 50 premiers comptes Twitter en France Rang Genre Profil Twitter Pages Nombre de suivies followers 1 Musique davidguetta David 257 21 957 416 Guetta (@davidguetta) 2 Blogger/Vlogger MonsieurDream 553 7 696 917 Cyprien (@MonsieurDream) 3 Humoriste gadelmaleh GAD 1 073 7 630 656 (@gadelmaleh) 4 Média lemondefr Le Monde 504 7 525 823 (@lemondefr)

121

5 Comédien DebbouzeJamel 486 7 105 965 Jamel Debbouze (@DebbouzeJamel) 6 Sport Benzema Karim 59 6 945 636 Benzema (@Benzema) 7 Blogger/Vlogger NormanDesVideos 892 6 557 126 Norman  (@NormanDesVideos) 8 Comédien kevadamsss Kev 761 5 830 402 Adams (@kevadamsss) 9 Musique MPokora Matt Pokora 531 5 562 142 (@MPokora) 10 Sport PSG_inside PSG 100 5 550 968 Officiel (@PSG_inside) 11 Présentateur Cyrilhanouna Cyril 4 174 5 538 621 Hanouna (@Cyrilhanouna) 12 Média TF1 TF1 (@TF1) 814 5 062 102 13 Média lequipe L'ÉQUIPE 1 756 4 893 172 (@lequipe) 14 Sport AntoGriezmann 2 4 508 934 Antoine Griezmann (@AntoGriezmann) 15 Blogger/Vlogger xSqueeZie Squeezie 392 4 291 275 (@xSqueeZie) 16 Sport lafouine78 lafouine 2 437 4 241 671 (@lafouine78) 17 Blogger/Vlogger MisterVonline Mister V 585 4 165 433 (@MisterVonline) 18 Sport paulpogba Paul Pogba 15 4 083 636 (@paulpogba) 19 Musique booba Booba 30 4 060 978 (@booba) 20 Sport raphaelvarane 86 4 001 895 Raphaël Varane (@raphaelvarane) 21 Autres naosejatrouxa 153 497 3 729 072 (@naosejatrouxa) 22 Musique NRJhitmusiconly NRJ 1 991 3 708 106 (@NRJhitmusiconly) 122 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

23 Réseau social TwitterFrance Twitter 53 3 269 189 France (@TwitterFrance) 24 Sport equipedefrance 451 3 118 990 Equipe de France (@equipedefrance) 25 TV TPMP TPMP 1 818 3 031 567 (@TPMP) 26 Média M6 M6 (@M6) 351 3 006 286 27 Média NRJ12lachaine NRJ 882 2 963 382 12 (@NRJ12lachaine) 28 Sport LeTour Le Tour de 660 2 912 476 France (@LeTour) 29 Média FRANCE24 FRANCE 449 2 906 838 24 (@FRANCE24) 30 Média canalplus CANAL+ 997 2 888 981 (@canalplus) 31 Musique shymofficiel Shy'm 278 2 878 272 (@shymofficiel) 32 Média afpfr Agence 1 351 2 863 239 FrancePresse (@afpfr) 33 Média Le_Figaro Le Figaro 539 2 805 516 (@Le_Figaro) 34 TV cauetofficiel Cauet 3 208 2 794 575 Officiel (@cauetofficiel) 35 Média libe Libération (@libe) 196 2 688 248 36 Acteur/Actrice OmarSy Omar Sy 337 2 685 829 (@OmarSy) 37 Acteur/Actrice SamNasri19 Samir 75 2 669 978 Nasri Official (@SamNasri19) 38 Célébrité Nabilla Nabilla 711 2 618 999 Benattia (@Nabilla) 39 Autre LeVraiHoroscope Le 119 2 588 145 Vrai Horoscope (@LeVraiHoroscope) 40 Musique amel_bent Amel Bent 723 2 547 300 (@amel_bent) 41 Média France24_fr FRANCE 1 371 2 539 977 24 Français (@France24_fr) 42 Sport OM_Officiel 111 2 534 136 Olympique Marseille (@OM_Officiel)

123

43 Média VogueParis Vogue.fr 0 2 510 494 (@VogueParis) 44 Acteur/Actrice MichaelYoun Michael 429 2 438 213 Youn (@MichaelYoun) 45 Autre viedemerde VDM 116 2 416 216 (@viedemerde) 46 Média 20Minutes 20 Minutes 1 470 2 310 359 (@20Minutes) 47 Média France2tv France 2 1 304 2 308 215 (@France2tv) 48 Musique Sopranopsy4 Soprano 23 2 296 809 (@Sopranopsy4) 49 Média BFMTV BFMTV 481 2 270 018 (@BFMTV) 50 Média MaitreGims Maître 30 2 264 631 GIMS (@MaitreGims) Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

Les médias suisses sont aussi présents sur Twitter. Le quotidien gratuit 20 minutes arrive à la 20e place, suivi de NZZ, 21e. La Radio Télévision Suisse se situe à la 42e place tandis que Le Matin arrive à la 72e place. On notera que Le Temps et la Tribune de Genève sont absents des 150 premiers comptes Twitter en Suisse ce qui contraste avec les très bonnes performances du Monde en France et de la BBC au Royaume-Uni.

Tableau 3.11 liste des 50 premiers comptes Twitter en Suisse Rang Genre Profil Twitter Pages Nombre de followers suivies 1 Sport rogerfederer Roger 80 9 755 229 Federer (@rogerfederer) 2 Musique DRJAMESCABOT 153 693 4 102 203 DR JAMES CABOT (@DRJAMESCAB OT) 3 Politique NVPMexico Non 579 2 540 700 Violence (@NVPMexico) 4 Sport SeppBlatter Joseph 288 2 514 755 S Blatter (@SeppBlatter) 5 Science CERN CERN 404 2 468 484 (@CERN) 124 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

6 Organisatio ICRC ICRC 720 2 101 960 n (@ICRC) internation ale 7 Sport stanwawrinka 587 1 582 475 Stanislas Wawrinka (@stanwawrinka) 8 Sport WWECesaro 170 1 496 848 Cesaro (@WWECesaro) 9 Sport 26_DaniPedrosa 136 947 232 Dani Pedrosa (@26_DaniPedrosa ) 10 Sport GokhanInler 106 937 473 Gökhan Inler (@GokhanInler) 11 Blogger/Vl WaRTeK Anil 483 924 073 ogger (@WaRTeK) 12 Acteur/Actr orqlabohemia Ricky 803 655 913 ice Love (@orqlabohemia) 13 Sport XS_11official 98 646 069 Xherdan Shaqiri (@XS_11official) 14 Acteur/Actr ouiiiiii_nadege 977 571 328 ice Nadège Lacroix (@ouiiiiii_nadege) 15 Culture ArtBasel Art Basel 978 554 652 (@ArtBasel) 16 Sport SauberF1Team 344 553 987 Sauber F1 Team (@SauberF1Team) 17 Sport f_cancellara Fabian 351 529 801 cancellara (@f_cancellara) 18 Design swissmiss Tina 950 481 038 Roth Eisenberg 19 Blogger/Vl Benoitdx9 Benoit 1 011 435 943 ogger (@Benoitdx9) 20 Media 20min 20 Minuten 363 385 214 (@20min) 21 Media NZZ Neue Zürcher 2 447 371 580 Zeitung (@NZZ)

125

22 Blogger/Vl rhnchmd Reihan 326 345 788 ogger Achmad (@rhnchmd) 23 Poste swiss_mail Swiss 39 687 336 271 Post Services (@swiss_mail) 24 Sport ValonBera Valon 388 320 204 Behrami (@ValonBera) 25 Organisatio wto WTO (@wto) 401 303 446 n internation ale 26 Organisatio UNGeneva UN 1 307 297 560 n Geneva internation (@UNGeneva) ale 27 Sport JohanDjourou 371 282 414 Johan Djourou (@JohanDjourou) 28 Streaming NetflixDE NetflixDE 828 278 146 (@NetflixDE) 29 Sport Laragut Lara Gut 366 262 533 (@Laragut) 30 Media Blickch Blick 946 239 909 (@Blickch) 31 Transport FlySWISS Swiss 390 236 769 Intl Air Lines (@FlySWISS) 32 Musique Bastian_Baker 201 229 648 Bastian Baker (@Bastian_Baker) 33 Entreprene jltrachsel Trachsel 214 701 226 762 ur Jean-Luc (@jltrachsel) 34 Organisatio gmc_gm GMC 32 594 224 899 n (@gmc_gm) internation ale 35 Sport UCI_cycling UCI 522 221 426 (@UCI_cycling) 36 Organisatio UNAIDS UNAIDS 1 698 213 236 n (@UNAIDS) internation ale 126 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

37 Sport mhingis Martina 97 205 014 Hingis (@mhingis) 38 Entreprene RomeoMicev 207 431 200 093 ur Romeo Micev (@RomeoMicev) 39 Autre thevolves 161 961 197 181 Ƹ̵Ӝ̵ ̵̨̄ƷJhiéssKriég® (@thevolves) 40 Auteur viktorgiacobbo 793 186 895 Viktor Giacobbo (@viktorgiacobbo) 41 Media blickamabend Blick 3 445 183 755 am Abend (@blickamabend) 42 Media RadioTeleSuisse 464 176 549 RTS (@RadioTeleSuiss e) 43 Organisatio GlobalFund The 3 733 173 437 n Global Fund internation (@GlobalFund) ale 44 Media srf3 SRF 3 (@srf3) 231 171 893 45 Blogger/Vl kreshuu Kreshii 169 166 323 ogger (@kreshuu) 46 Media tagesanzeiger 1 146 165 564 Tages-Anzeiger (@tagesanzeiger) 47 Organisatio Federation IFRC 1 061 163 597 n (@Federation) internation ale 48 Organisatio IATA IATA 865 157 329 n (@IATA) internation ale 49 Sport Jgomeznoya Javi 254 155 526 Gomez Noya (@Jgomeznoya) 50 Culture 5PiecesGallery 5 128 150 154 015 Pieces Gallery (@5PiecesGallery) Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

Facebook est particulièrement intéressant car on constate une très faible présence des entreprises de presse sur le réseau social. Le premier média au

127

Royaume-Uni est le Daily Mail, à la 34e place avec plus de 13 millions de fans, suivi de The Guardian à la 65e place, The Independent 66e. The Telegraph se situe quant à lui à la 140e place. Ces quatre quotidiens sont les seuls journaux à avoir investi le réseau social et à être présents dans le top 150. Leur présence sur Facebook leur permet de disposer d'une audience considérable de plusieurs dizaines de millions de personnes.

Tableau 3.12 liste des 50 premières pages Facebook au Royaume-Uni Rang Page Genre Nombre de fans 1 Manchester Sport 73 917 438 United 2 Adele Musique 65 561 669 3 Jason Statham Acteur/Actric 54 986 344 e 4 David Beckham Sport 54 493 009 5 The Beatles Musique 41 766 186 6 Coldplay Musique 39 460 905 7 One Direction Musique 38 568 196 8 Arsenal Sport 37 993 956 9 Emma Watson Acteur/Actric 35 168 392 e 10 Chelsea Football Sport 34 656 772 Club 11 UNILAD Media 33 004 243 12 Pink Floyd Musique 29 203 441 13 Gareth Bale Sport 28 975 425 14 Queen Musique 28 788 178 15 Manchester City Ville 27 298 239 16 Harry Potter Litterature 26 786 685 17 Wayne Rooney Sport 25 498 464 18 Premier League Sport 24 595 231 19 Zayn Musique 20 001 370 20 The Rolling Musique 19 979 933 Stones 21 Jessie J Musique 18 906 824 22 Proper Tasty Cuisine 18 573 620 23 Ed Sheeran Musique 17 036 712 24 Muse Musique 17 001 853 128 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

25 William Litterature 16 608 278 Shakespeare 26 John Lennon Musique 15 579 171 27 Harry Styles Musique 14 931 383 28 Calvin Harris Musique 14 188 297 29 Iron Maiden Musique 13 835 607 30 Ellie Goulding Musique 13 644 499 31 Led Zeppelin Musique 13 619 685 32 BBC Sport Media 13 099 974 33 Julius Dein Blogger 12 838 039 34 Daily Mail Media 12 779 439 35 Black Sabbath Musique 12 113 426 36 Katrina Kaif Acteur/Actric 12 099 889 e 37 Radiohead Musique 11 855 307 38 Steve-O Acteur/Actric 11 676 799 e 39 Aunty Acid Humour 11 514 642 40 Slash Musique 11 242 724 41 Mercedes-AMG Automobile 11 052 094 Petronas Motorsport 42 Amy Winehouse Musique 10 828 786 43 Louis Tomlinson Musique 10 485 664 44 SPORTbible Sport 10 437 694 45 Taio Cruz Musique 10 435 961 46 Liam Payne Musique 10 375 480 47 Niall Horan Musique 10 370 747 48 Little Mix Musique 10 204 615 49 Gorillaz Musique 9 995 800 50 Eric Clapton Musique 9 385 761 Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

En France, Le Monde se situe à la 49e place avec plus de 3,9 millions de fans, tandis que Le Figaro, 77e aggrège 3,1 millions de personnes. Le Parisien se situe à la 85e place, suivi de 20 minutes à la 100e et l'Express à la 110e.

129

Tableau 3.13 liste des 50 premières pages Facebook en France

Rang Genre Page Nombre de fans

1 Musique David Guetta 53 881 683

PSG - Paris 2 Sport 28 188 876 Saint-Germain

Karim 3 Sport Benzema 23 145 431 4 Musique Daft Punk 13 405 523

5 Inspiration Sais-tu que ? 10 653 585

Rémi 6 Humour GAILLARD 9 831 652 7 Media BuzzFil 9 041 133

8 Sport Thierry Henry 8 345 379

9 Cinema 24 8 338 093

Recette 10 Cuisine 7 871 386 Gâteau - 750g

11 Ville Paris 7 570 765

12 Musique La Fouine 7 353 040

Arabic فرانس 24 / 24 13 Media 7 341 754

Santé+ 14 Media Magazine 7 183 204 Antoine 15 Sport Griezmann 7 065 146

16 Transport Air GLOBAL 6 892 640 130 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Paul Labile 17 Sport Pogba 6 806 005 18 Musique Maître GIMS 6 800 225

Raphaël 19 Sport Varane 6 797 550

20 Media beIN SPORTS 6 783 570

Pensées de 21 Inspiration Filles 6 687 144

22 Inspiration Sais-tu aimer ? 6 662 156

Sexion 23 Musique 6 151 930 D'Assaut 24 Inspiration Dahk'Man 5 873 363

Équipe de de 25 Sport Football 5 555 658 CGTN 26 Media Français 5 397 696 27 Fitness Anais Zanotti 5 243 290

Source du 28 Inspiration savoir 5 112 845 29 Media Le Petit Buzz 5 014 706

30 Acteur/Actrice Kev Adams 4 970 636

31 Autres nametests.com 4 965 314

Codes de 32 Inspiration Meufs 4 941 942 OMG by 33 Media Ohmymag 4 897 873

34 Blogger/Vlogger Cyprien 4 722 608

35 Musique DJ SNAKE 4 701 823

36 Musique Booba 4 635 619

131

وردة Warda 529 585 4 الجزائریة Musique 37 ALGERIA,

38 Blogger/Vlogger alexsmolik 4 421 488

39 Blogger/Vlogger Wil Aime 4 396 708

40 Musique Indila 4 395 527

Norman fait 41 Blogger/Vlogger des vidéos 4 350 359 Angelique 42 Acteur/Actrice Boyer 4 309 558 43 Musique Black M 4 307 198

44 Media minutebuzz 4 127 591

45 Blogger/Vlogger Mister V 4 096 525

46 Sport Sports et santé 4 068 720

JE T'aime 47 Autres MAMAN 3 922 847 48 Media TF1 3 908 004

49 Media Le Monde 3 903 110

750g : 50 Cuisine Recettes de 3 822 324 cuisine Sources : Social Bakers octobre 2018

En Suisse, le premier média d'information est 20 minutes avec plus de 500 000 fans, situé à la 29e position, suivi de Swissinfo.ch, 60e et de Lematin.ch, 67e. La Tribune de Genève se situe à la 96e place et Le Temps à la 108e.

132 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Tableau 3.14 liste des 50 premières pages Facebook en Suisse Rang Genre Page Nombre de fans 1 Sport Roger Federer 14 960 812 2 Mode Jo's Style 11 473 124 3 Sport UEFA.com 2 748 734 4 Politique Tariq Ramadan 2 067 374 5 Sport FC Basel 1893 2 019 858 6 Musique DJ Antoine 1 993 759 7 Sport Xherdan Shaqiri 1 931 980 8 Sport Felix Baumgartner 1 454 722 9 Acteur/Actrice Michelle Hunziker 1 354 082 10 Sport Granit Xhaka 1 170 782 11 Media The Watches Magazine 1 170 132 12 Culture BienarT 1 140 849 13 Musique Mike Candys 1 084 539 14 Musique Luciano (Official Page) 1 065 034 15 Acteur/Actrice Julie Ordon 996 802 16 Musique Dancefloor 933 076 17 Sport Martina Hingis 852 836 18 Voyage Ich brauche Ferien! , 845 651 GERMANY, AUSTRIA 19 TV Netflix GERMANY, , AUSTRIA 841 466 20 Musique Eluveitie 829 471 21 Design Architonic 800 443 22 Sport Stan Wawrinka 756 459 23 Sport Stephan Lichtsteiner 717 970 24 Fitness NUTRI-FACTS 672 416 25 Media LikeMag 656 653

133

26 Science CERN 627 337 27 Voyage HolidayCheck 623 463 28 Sport Lara Gut 621 937 29 Media 20 minutes online 598 150 30 Mode Céline Morel 556 273 31 Musique Liquid Soul (official) 555 096 32 Sport UCI 523 496 33 Autres Unwetteralarm GmbH 513 077 34 Media 20 Minuten 512 485 35 Sport Sauber F1 Team 497 230 36 Autres get natural 488 358 37 Media swissinfo.ch 487 980 38 Musique Tina Turner 485 534 39 Sport Taulant Xhaka 485 412 40 Automobile MÄNNERSPIELZEUG 469 834 41 Media 20 Minutes Sport 439 265 42 Sport Thabo Sefolosha 438 795 43 Mode INVU eyewear 427 902 44 Sport Gökhan Inler 415 383 45 Autres geneve2013.com 414 659 46 Mode Thomas Sabo 406 850 47 Inspiration I love 401 137 48 Musique Luca Hänni 400 679 49 Ville Zürich 392 486 50 Mode Girard-Perregaux 385 464 Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

D'une manière générale on constate un très fort contraste en termes d'audience entre le Royaume-Uni d'un côté et la France et la Suisse de l'autre. Ceci est du principalement à la taille du marché domestique, désavantage dans le cas suisse mais aussi à des stratégies d'extension internationale du marché opéré par les médias britanniques. Le tableau ci-dessous permet de mesurer la différence en termes de reach. Ce dernier se définit selon l'Internet Advertising Bureau britannique comme :"The number of unique web users potentially seeing a website one or more times in a given time period."192.

192 Source IAB UK : https://www.iabuk.net/resources/jargon-buster 134 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Tableau 3.15 comparaison de la présence sur Twitter entre la France, le Royaume-Uni et la Suisse Pays Profil Twitter Pages Nombre de suivies followers Royaume-Uni BBC Breaking News 3 34 997 296 (@BBCBreaking) Royaume-Uni BBCWorld BBC News (World) 85 21 505 491 (@BBCWorld) Royaume-Uni BBCNews BBC News (UK) 99 8 835 036 (@BBCNews) Royaume-Uni BBCSport BBC Sport 276 7 050 794 (@BBCSport) Royaume-Uni BBCR1 BBC Radio 1 (@BBCR1) 2 504 2 969 602 Royaume-Uni BBCMOTD Match of the Day 98 2 497 660 (@BBCMOTD) Royaume-Uni bbceastenders BBC EastEnders 5 658 2 495 310 (@bbceastenders) Total followers 80 351 189 BBC Royaume-Uni guardian The Guardian 1 112 6 839 242 (@guardian) Royaume-Uni guardiannews Guardian news 1 295 2 808 266 (@guardiannews) Royaume-Uni guardiantech Guardian Tech 22 692 2 735 667 (@guardiantech) Total followers 12 383 175 The Guardian Royaume-Uni FinancialTimes Financial Times 818 5 883 885 (@FinancialTimes) France lemondefr Le Monde 504 7 525 823 (@lemondefr) France Le_Figaro Le Figaro 539 2 805 516 (@Le_Figaro) France libe Libération (@libe) 196 2 688 248 France 20Minutes 20 Minutes 1 470 2 310 359 (@20Minutes) France LesEchos Les Echos 500 1 069 929 (@LesEchos) Suisse RadioTeleSuisse RTS 464 176 549 (@RadioTeleSuisse) Suisse RTSinfo RTSinfo (@RTSinfo) 324 116 026 Suisse RTSinfolive RTSinfolive 289 41 382 (@RTSinfolive)

135

Total followers 333 957 RTS Suisse 20min 20 Minuten (@20min) 363 385 214 Suisse NZZ Neue Zürcher Zeitung 2 447 371 580 (@NZZ) Suisse 20min_digital 20 Minuten Digital 517 103 727 (@20min_digital) Suisse Lematinch Le Matin 2 409 99 504 (@Lematinch) Suisse tdgch Tribune de Genève 326 81 959 (@tdgch) Suisse 20minutesOnline 20 minutes 134 75 936 (@20minutesOnline) Suisse 20min_sportnews 20 Minuten 476 54 519 Sport (@20min_sportnews) Suisse lenouvelliste Le Nouvelliste 1 40 488 (@lenouvelliste) Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

Nous avons inclu la BBC dans cette analyse bien que n'étant pas une entreprise de presse afin de montrer la domination de ce média en termes de présence sur Twitter dans l'information en ligne. Disposant d'une audience internationale, le service public britannique ne dispose d'aucun équivalent en Europe en termes de followers. En revanche, on constate des audiences relativement similaires entre The Guardian, The Financial Times et les journaux français, alors même que pour les deux premiers, ces derniers bénéficient d'une audience internationale. La grande différence apparaît dans le cas suisse où les médias subissent l'effet d'un marché domestique de petite taille, aucune des marques d'information ne dépassant le million de followers. On retrouve de même une tendance similaire sur Facebook.

Tableau 3.16 comparaison de la présence sur Facebook entre la France, le Royaume-Uni et la Suisse Pays Page Nombre de fans Royaume-Uni BBC Sport 13 099 974 Royaume-Uni BBC Earth 6 171 614 Total fans BBC 19 271 688

Royaume-Uni The Guardian 7 753 024 Royaume-Uni The Independent 7 632 431 Royaume-Uni Mirror Football 4 587 865 Royaume-Uni The Telegraph 4 367 679 136 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

France Le Monde 3 903 110 France Le Figaro 3 108 677 France Le Parisien 2 819 803 France 20 Minutes 2 586 420 France L'Express 2 418 924 Suisse 20 minutes online 598 150 Suisse 20 Minuten 512 485 Suisse 20 Minutes Sport 439 265 Total fans 20 Minutes 1 549 900

Suisse Blick am Abend 174 013 Suisse Blick 195 685 Total fans Blick 369 698

Suisse Les archives de la 203 822 RTS Suisse RTSinfo 149 335 Total fans RTS 353 157

Suisse L'illustré 283 754 Suisse LeMatin.ch 277 272 Suisse Tribune de Genève 203 314 Suisse Le Temps 183 910 Suisse 24heures 182 301 Source : Données récupérées via Social Bakers, octobre 2017

3.5 Les entreprises de presse face au déclin des ventes et des revenus publicitaires : réactions en France, Royaume-Uni et Suisse

En janvier 2017, l'éditeur Ringier Axel Springer annonce la fin de la parution du magazine suisse romand l'Hebdo après 36 ans d'existence. Pour Ralph Büchi, Chief Operating Officer, la cause est principalement la mutation des usages des consommateurs : "Nous, les éditeurs, ne faisons que tirer les conséquences des bouleversements dans la consommation des médias par nos clients, que ce soit comme lecteurs ou annonceurs"193. Ceci intervient alors qu'entre 2014 et 2017 l'hebdomadaire a perdu un tiers de ses recettes publicitaires. Les rédactions suisses ont fait les frais de nombreuses restructurations internes. En février 2017,

193 Source : article de letemps.ch du 23 janvier 2017 https://www.letemps.ch/economie/2017/01/23/lhebdo-fin-laventure

137

le même éditeur, Ringier Axel Springer décide de licencier 16 journalistes, 3 graphistes et un iconographe afin de faire face à la baisse des revenus. Là encore le porte parole de l'éditeur déclare dans une décision affectant le quotidien le Temps l'impact du déplacement de l'audience vers de nouveaux supports : "[...] La situation économique déficitaire de L’Hebdo depuis de longues années, ses pertes constantes sur le marché publicitaire et celui des lecteurs, la nature hebdomadaire du titre en soi et la transformation vers le numérique (sont la cause de cette restructuration, Ndlr.)."194 D'une manière similaire, au Royaume-Uni en 2011, Andrew Miller, directeur du Guardian Media Group déclare que le quotidien britannique national The Guardian et son édition hebdomadaire The Observer vont adopter une stratégie dite "digital first" afin de s'adapter à la structure du marché de l'information en ligne. Ceci intervient alors que le chiffre d'affaires du Guardian Media Group décroît de manière constante depuis 2007, avec une perte en 2017 estimée à 60 millions de livres sterling. The Sun, tabloid britannique fondé en 1962, connu pour sa ligne conservatrice et détenu par le groupe News UK ayant à sa tête Rupert Murdoch, James Murdoch et Rebekah Brooks a connu en 2016 une perte nette hors-taxes de 4,9 millions de livres sterling pour un chiffre d'affaires de 341,6 millions. La raison principale invoquée par Rebekah Brooks, directrice du journal est la baisse des revenus publicitaires et la baisse des ventes d'exemplaires, le tirage de ces derniers ayant diminué de 54%. De la même manière, le deuxième plus important journal britannique, le Daily Mail, tabloid de ligne conservatrice crée en 1896 et détenu par le Daily Mail and General Trust a vu une perte de ses profits. En 2016, ce dernier a vu ses revenus publicitaires s'effondrer de 18 millions de livres sterling en raison de la baisse du nombre d'exemplaires tirés, diminuant de 36% entre 2000 et 2016. Là encore, à l'instar des journaux suisses, le constat est sans appel, le déplacement de l'audience vers les supports en ligne est à l'origine du déclin des revenus. Alan Rusbridger, rédacteur en chef de The Guardian déclare que l'industrie des médias est dans une réflexion générale sur sa place dans le futur numérique195. Cette réflexion passe par une recherche d'un nouveau modèle économique permettant de garantir la pérennité des médias traditionnels.

3.5.1 Le constat unanime du déclin des ventes et des revenus publicitaires en France, Royaume-Uni et Suisse.

Les entreprises de presse font face à un déclin de leur vente en France, au Royaume-Uni et en Suisse. D'où une nécessité pour ces dernières de trouver de nouvelles sources de revenus via les formats numériques. Comme l'énonce Bob Franklin 196 , le développement des sites web des quotidiens questionne la définition même d'un journal. Parler d'un "journal" en tant que tel renvoie à une

194 Source : article de tdg.ch du 17 février 2017 https://www.tdg.ch/economie/ringier-axel-springer-licencie-36- collaborateurs/story/11317524 195 Source : article de theguardian.com du 16 juin 2011 https://www.theguardian.com/media/2011/jun/16/guardian-observer-digital- firststrategy 196 FRANKLIN Bob, "The future of newspapers", Journalism Practice, Volume 2, 2008 138 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. définition très large qui, en fonction de la langue, ne fait pas appel à la même notion, notamment en termes de supports. Le Larousse définit ainsi un journal comme "terme générique désignant plusieurs publications périodiques" tandis que la définition anglaise de l'Oxford dictionary met en avant le support papier : "A printed publication (usually issued daily or weekly) consisting of folded unstapled sheets and containing news, articles, advertisements, and correspondence." Le constat est néanmoins sans appel dans les statistiques, la vente des journaux diminue de manière constante. Ce déclin n'est cependant pas nouveau et fait l'objet d'une tendance longue. David R. Davies197 a mis en avant le caractère historique de la baisse des ventes de quotidiens datant depuis la fin de la seconde guerre mondiale aux Etats-Unis. De même, Brian McNair198, a conclu une analyse similaire avec parmi l'une des multiples causes, le changement des usages du public britannique à travers le XXe siècle. En France, Patrick Eveno a mis en avant une tendance longue qui se profile dès l'entre deux- guerres avec comme origine : "la presse quotidienne française, en ne percevant pas les attentes des lecteurs se déconnecte durablement de son marché [..]"199. Cette explication s'illustre dans la tendance vue auparavant d'une adoption tardive des plateformes de partage vidéo par les entreprises de presse, 2016 pour The Guardian, 2014 pour Le Parisien et 2015 pour le Temps.

Patrick-Yves Badillo 200 dénote un constat similaire en Suisse, avec comme origine la concurrence exacerbée des réseaux sociaux captant les revenus publicitaires et les géants du numérique déclarant de même que : "Les médias sont en quelques sortes "avalés" par le numérique. Et il n'y a pas que les médias ! C'est l'ensemble de nos sociétés qui est soumis à des tremblements tectoniques."201 Au Royaume-Uni, le tirage des journaux subit depuis les années 2000 une très forte baisse. L'ensemble des principaux quotidiens par ordre d'importance en termes de tirage, The Sun, Daily Mail, Metro, Evening Standard, Daily Mirror, Daily Telegraph, The Times, Daily Star, Daily Express, i, Financial Times, The Guardian, Daily Record et The Independent ont vue leur tirage s'effondrer. D'un point de vue général, la baisse est conséquente. Ces derniers sont passés d'un total de 13 millions d'exemplaires quotidiens en 2000 à 8,1 millions en 2015.

197 DAVIES Randall David, The Postwar Decline of American Newspapers, 1945-1965, History of American Journalism, 2006, 200 p. 198 MCNAIR Brian. News and Journalism in the UK. Routledge, 2009 199 EVENO Patrick, Histoire du journal "Le Monde" 1944-2004, Albin Michel, 2004, 707 p. 200 BADILLO Patrick-Yves, "L'imprévisible fin des médias suisses traditionnels", Medias pour tous, Soleure, 14 novembre, 2016 201 BADILLO Patrick-Yves, BOURGEOIS Dominique, DELTENRE Ingrid, MARCHAND Gilles, Médias publics et société numérique : L’heure du grand débat, Editions Slatkine, 2016

139

Tableau 3.17 évolution du tirage des quotidiens au Royaume-Uni de 2000 à 2017 Année The Daily Metro Evenin Daily Daily The s Sun Mail g Mirror Telegra Time Standa ph s rd 2000 35573 23539 440287 22705 1039749 72634 36 15 43 9 2001 36365 24797 432661 21494 1022263 73422 61 68 22 2002 35029 24892 410104 21645 1013653 71129 23 64 76 5 2003 35785 25185 424177 20710 946697 67134 06 44 59 2004 34107 24852 39509 19191 914981 66071 01 10 25 3 2005 33825 24091 350671 17483 920745 68632 09 21 27 7 2006 33193 23890 33708 17276 917943 68508 37 11 72 1 2007 32178 23540 276562 16210 911454 67005 44 28 00 4 2008 32097 23139 294823 15125 890086 63371 66 08 99 8 2009 31460 22003 237403 13668 78321 61748 06 98 91 3 2010 30065 21203 60196 12184 691128 50825 65 47 25 2011 30018 21365 704008 11940 651184 45725 22 68 97 2012 25823 19454 699368 11028 578774 39754 01 96 10 9 2013 24098 18631 695645 10584 555817 39933 11 51 88 9 2014 22136 17805 13628 805309 99225 544546 38430 59 65 93 6 4 2015 19787 16887 877532 92223 494675 39662 02 27 5 1 140 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

2016 17870 15894 13480 898407 80914 472033 40415 96 71 33 7 5 2017 16667 15113 14769 887253 72488 472258 45126 15 57 56 8 1

Année Daily Daily i Financi The Daily The s Star Expres al Guardi Recor Independe s Times an d nt 2000 50264 105084 435478 401560 62664 222106 7 6 6 2001 54380 979042 478161 410152 60391 223645 7 4 2002 70655 99156 475475 411386 58429 224655 4 2003 83534 983391 431875 409568 52054 221926 3 2004 90187 956649 422543 383157 50307 248876 9 7 2005 86182 949238 422519 376816 47170 2571 5 8 2006 82007 849001 44184 394913 45193 258387 2 2007 77363 771325 439104 38407 41862 263503 7 8 2008 72296 752699 452448 378394 39378 250641 9 8 2009 76853 73634 426676 358844 35430 215504 4 2 2010 77937 67464 390315 302285 32383 185815 6 1 2011 73431 639875 13347 383067 279308 30687 185035 1 2 2 2012 61708 577543 26443 316493 215988 29182 10516 2 2 5 2013 53595 529648 29394 275375 20444 25153 76802 7 6 5 2014 48906 500473 29826 234193 207958 22763 66576 7 6 9 2015 42524 457914 28035 219444 185429 20372 61338 6 1 5 2016 47036 408700 27185 198237 164163 17689 55193 9 9 2 2017 44345 392526 26676 188924 156756 15577 2 8 2 Source : Audit Bureau of Circulation, 2017

141

Ceci a eu pour effet une baisse considérable du chiffre d'affaires des médias britanniques. A titre d'exemple, The Guardian Media Group a vu le tirage de ses journaux passer de 400 000 exemplaires en 2000 à 164 000 en 2016. Son chiffre d'affaires a directement très fortement baissé, passant de 593 millions en 2007 pour les revenus du groupe à 209,5 millions en 2016. Les pertes nettes se sont aussi accrues de manière mécanique avec un déficit opérationnel de 10,2 millions de livres sterling en 2015 et de 71,1 en 2016. Les conséquences furent dramatiques pour le quotidien qui a dû se séparer d'une partie de son équipe éditoriale. En 2016, plus de 260 journalistes furent ainsi licenciés. De même, le quotidien The Independent, face à la baisse de ses revenus publicitaires passe au "tout numérique" en 2016, mettant ainsi fin à une existence sur le support papier de plus de 30 ans. The Telegraph connaît un destin similaire avec une baisse de son profit de 30% tombant à 32,2 millions pour un chiffre d'affaires passant de 314 millions à 295 millions en 2016. Cette baisse des revenus fait vent contraire à la croissance du marché publicitaire. En 2015 ce dernier croît de 7,5% au Royaume-Uni pour atteindre 20 milliards de livres sterling, la presse connaît alors une baisse de ses revenus publicitaires de 11% s'élevant à un chiffre total de 1,2 milliards. Aussi bien la presse dite de qualité que les tabloïds subissent cette baisse. Entre 2014 et 2015 seulement, les premiers voient une chute de 9,6% et de 16,2% pour les seconds. La cause évoquée est la captation des investissements publicitaires par Facebook et Google. Selon l'Internet Advertising bureau, entre 2015 et 2016 les revenus publicitaires ont cru de 17,3% passant de 10,3 milliards de livres à 12,1 milliards.

Le décompte par catégorie illustre la cannibalisation publicitaire effectuée par les deux firmes américaines : • Croissance du search : les revenus passent de 4,361 milliards en 2015 à 4,99 milliards en 2016 soit une croissance de 14,4% • Native advertising : croissance de 31% pour atteindre 1,1 milliard en 2016 • Vidéo en ligne : croissance de 29% s'élevant à 1,09 milliard en 2016 • Publicité via Google (moteur de recherche) et Facebook (réseaux sociaux) : croissance de 1,14 milliards entre 2015 et 2016, soit 94% de la croissance totale générée.

Cette tendance au Royaume-Uni se retrouve aussi sur le marché français où on assiste à un lent déclin du tirage des journaux depuis les années 50 et à une baisse des revenus publicitaires comme le montre le tableau ci-dessous.

142 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Tableau 3.18 évolution des dépenses publicitaires par type de média en France Millions € 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 Télévision 3267 3313 3495 3617 3476 3094 3441 Cinéma 67 77,875 82 89 75 76 90 Radio 826 836 848 805 779 708 744 Internet, hors liens 240 348 460 516 482 540 sponsorisés Presse 4704 4779,3 4872 4791 4599 3751 3612 Quotidiens 373 357,5 362 331 316 260 266 Nationaux Quotidiens 1058 1087 1103 1102 1096 984 935 Régionaux Magazines 1559 1541,5 1527 1478 1417 1161 1215 Spécialisés 581 566 572 547 518 418 400 Gratuits 1005 1092 1171 1196 1115 799 668 PHR 128 135,3 137 137 136 128 129 Publicités 1214 1223 1221 1237 1265 1127 1188 extérieures Annuaires 926 972 1020 1071 1106 1084 1033 Edition 643 665 673 672 636 588 532 papier Internet 176 227 279 339 424 451 461 Total 5 10078 10229,175 10518 10539 10194 8759 9075 Medias Historiques Total 11441,175 11886 12070 11816 10322 10649 Général Source : Irep 2017

Sur une tendance longue, le nombre de titres en France est passé de 142 en 1950 à 70 en 2003. Les principaux quotidiens nationaux d'information généraliste payants en 2016 étaient par ordre décroissant202 :

• Le Figaro, 305 701 exemplaires • Le Monde, 269 584 exemplaires • Aujourd'hui en France (Le Parisien) 131 359 • Les Echos, 127 389

202 Données issues de l'Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias, 2016

143

Ces publications ont toutes connu des difficultés financières. Le quotidien national Le Monde, détenu par Le Groupe Le Monde lui même contrôlé par le groupe Le Monde libre avec à sa tête Pierre Bergé, Matthieu Picasse et Xavier Niel a connu une perte nette de 2,5 millions d'euros en 2013. Suite à ces résultats négatifs, Le Monde effectue une restructuration de ses effectifs avec notamment la fermeture symbolique du Monde imprimerie la même année. Le groupe connaît un retour à l'équilibre financier en 2015 avec un résultat net positif de 3,5 millions en 2015 puis de 4 millions en 2016. En 2016 le Groupe Le Monde dispose d'un chiffre d'affaires de 327 millions d'euros, 68% provenant de la diffusion d'exemplaires, 20% de la publicité et 12% de la diversification de son offre vers d'autres activités. Le journal Le Monde tire encore une part importante de ses revenus par la vente de ses exemplaires avec 79% provenant de la vente et de la publicité de ses versions papiers contre 21% sur ses supports numériques. De manière similaire, le quotidien national Le Figaro, détenu par le groupe Dassault connaît des résultats similaires. Ce dernier accuse une perte de 39 millions d'euros en 2012 et de 7 millions en 2013. Ceci se retrouve aussi dans la presse économique avec Les Echos qui subit une perte de 13 millions en 2012 et de 2 millions en 2013. Entre 1999 et 2015, les quotidiens nationaux français ont connu une baisse de leur tirage conséquente, principalement pour L'Equipe (-156 467), Le Parisien (-118 798), Le Monde (-98 586) et Libération (77 778).

Table 3.19 évolution du tirage de la presse en France entre 1999 et 2015 Ann Le Le Le L'Éq Les Libéra La La L'Hum ée Paris Fig Mon uipe Éch tion Cr Trib anité ien aro de os oix une 199 479 366 390 386 122 169 86 85 9 112 690 640 189 999 427 40 885 0 200 486 360 392 397 128 169 86 90 50 097 0 145 909 772 898 342 011 57 918 4 200 506 366 405 370 127 171 87 87 47 051 1 610 529 983 661 445 551 89 577 1 200 509 359 407 331 120 164 92 82 46 126 2 114 108 085 638 333 286 67 042 3 200 505 352 389 336 116 158 94 80 48 175 3 419 706 249 533 903 115 92 459 9 200 501 341 371 365 119 146 96 80 48 966 4 492 083 803 752 370 109 31 846 7 200 506 342 367 355 140 144 10 89 55 629 5 490 445 153 333 313 480 3 866 144 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

40 4 200 517 338 355 365 137 135 10 91 54 788 6 965 269 017 349 448 411 3 345 67 3 200 534 344 358 336 138 139 10 88 53 530 7 032 479 655 929 726 959 5 118 21 6 200 524 336 340 323 137 130 10 81 52 436 8 516 888 143 403 775 458 4 894 22 7 200 499 331 323 315 127 117 10 74 52 456 9 269 022 039 504 361 547 3 198 73 8 201 470 330 319 314 120 118 10 79 51 010 0 583 237 022 566 444 785 6 164 15 1 201 462 332 322 296 121 121 10 75 48 878 1 403 120 872 239 203 707 5 170 36 3 201 462 335 318 285 126 124 10 46 930 2 973 845 236 133 601 371 5 59 9 201 470 329 303 251 127 105 10 43 744 3 583 175 432 639 007 863 5 06 9 201 385 325 298 226 128 97 933 10 40 674 4 275 459 529 834 196 2 37 2 201 360 321 292 229 129 91 649 10 39 384 5 314 569 054 722 455 0 63 2 Source : ACPM 2017

Là encore on retrouve des phénomènes similaires. Entre 2012 et 2013 les revenus publicitaires chutent. Sur l'ensemble des médias, les chiffres de la publicité baissent de 3,6% en 2013, de 2,5% en 2014 et de 1,1% en 2015. La

145

presse connaît un recul encore plus important, de -8,7% en 2014 puis 5,9% en 2015. En Suisse, une tendance similaire se dessine. Entre 2010 et 2015 le tirage des principaux quotidiens suisses romands203 passe de 881 046 exemplaires à 677 896, les journaux les plus atteints étant Le Matin Dimanche (52 945), 24 Heures (-16 616), 20 Minutes (-16 389) et L'Illustré (-15 238).

Tableau 3.20 évolution du tirage de la presse romande Suisse entre 2005 et 2015 An Le Trib Le 24 La L'Exp La Le Le Le née Cour une Te heur Côt ress Libe Nouve Matin Matin rier de mp es e rté lliste (sem dima Gen s aine) nche ève 200 9 40 71 0 46 103 12 25 26 38 7 44 531 76 41 217 3 5 6 29 9 262 067 0 96 0 92 65 200 9 11 67 1 45 95 3 11 24 41 38 7 42 958 76 19 215 0 6 6 51 9 15 335 2 33 4 24 70 200 8 82 62 0 45 89 1 10 23 34 38 7 42 671 70 01 210 1 7 0 03 1 02 543 4 35 2 77 03 200 8 90 58 9 45 85 8 9 9 22 32 38 8 42 614 61 34 202 0 8 2 52 8 13 11 3 01 5 30 83 200 8 76 56 3 45 81 9 3 21 60 38 7 41 996 58 84 193 6 9 6 33 5 566 58 2 61 9 01 06 p 201 8 38 54 0 44 78 9 8 8 21 02 38 9 41 554 57 89 188 0 0 9 68 4 64 36 8 56 4 53 50 201 7 99 51 4 42 75 7 8 3 20 62 39 0 41 129 57 10 175 9 1 7 87 4 96 88 8 86 7 51 33 201 7 79 46 6 41 71 9 8 4 19 77 39 0 40 489 55 29 160 9 2 1 88 5 57 34 8 45 9 99 31 201 7 51 45 4 36 68 0 8 3 18 95 38 1 40 093 51 36 147 3 3 0 18 3 11 88 0 09 0 96 91

203 Ceci inclut principalement la presse quotidienne (Le Courrier, La Tribune de Genève, Le Temps, 24 Heures, La Côte, l'Express, L'Impartial, La Liberté, Le Nouvelliste, Le Matin (semaine) et Le Matin Dimanche), la presse gratuite (20 Minutes) et la presse grand public, financière et économique (Bilan, l'Hebo, L'illustré). Source : Office Cantonal de la Statistique - OCSTAT, entre 2011 et 2015

146 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

201 6 90 42 4 30 63 8 7 8 17 41 36 6 37 508 47 18 134 2 4 2 40 9 37 33 6 32 6 33 23 201 6 73 39 5 29 59 1 7 5 16 57 36 109 44 11 123 0 5 0 68 7 80 96 1 2 06 63 Source : Office Cantonal de la Statistique, 2015

Les recettes publicitaires accusent des pertes similaires aux tendances constatées en France et au Royaume-Uni. Entre 2010 et 2015, le chiffre d'affaires de la presse suisse romande est tombé de 2 millions de francs suisses à 1,431 millions alors même que les recettes publicitaires nettes ont crû de 4,2 millions à 5,2 millions. Là encore la croissance du revenu de la publicité en ligne est l'une des principales raisons de cette croissance, ces dernières s'élevant à 572 000 francs suisses en 2015.

La baisse des revenus publicitaires de la presse malgré la croissance du marché s'explique par l'existence du duopole de Google et Facebook qui attire, de par les avantages comparatifs que nous avons vus précédemment, les budgets des annonceurs. La structuration du marché et les règles du jeu imposées par les deux firmes américaines renvoient aussi à des faiblesses structurelles des médias français, suisses et britanniques face aux grandes entreprises notamment nord-américaines. Les éditeurs de presse souffrent ainsi d'un handicap de par leur faible taille et un cadre juridique plus contraignant.

3.5.2 L'absence de grandes concentrations domestiques des médias comme faiblesse structurelle.

La publicité en ligne capte une part importante des recettes publicitaire provenant des supports papiers médias traditionnels alors même que les usages des consommateurs se modifient, ces derniers tendant à s'informer davantage vers des sources différentes. Cette raison, principale dans la difficulté des éditeurs de presse à compenser la perte des recettes publicitaires de la presse vers les revenus en ligne est à mettre en perspective avec la structuration des firmes médiatiques qui représente aussi un handicap face aux grands acteurs du numérique. La littérature dans ce domaine abonde et il ne s'agit pas ici de répéter des recherches plus détaillées. Sur le marché suisse, Philippe Amez-Droz204 a fourni une étude détaillée sur la transition numérique de la presse. En France, Jean-Marie Charon 205 et Nathalie Sonnac 206 ont de même mis en avant la

204 AMEZ-DROZ Philippe, Médias suisses à l'ère numérique, PPUR Presses Polytechniques, 2015 205 CHARON Jean-Marie, Les médias en France, La Découverte, 2014, 128 p. 206 SONNAC Nathalie, ALBERT Pierre, La presse française. Au défi du numérique, La Documentation française, 2014, 208 p.

147

structuration du marché des médias. Au Royaume-Uni, Gillian Doyle207 et Brian McNair208 ont étudié des thématiques similaires.

En France, on pourra citer le caractère spécial des entreprises de presse, qui se partage entre l'affection pour le caractère démocratique de ce dernier et son rôle dans le processus républicain. Ceci se retrouve dans l'image que les journalistes ont d'eux même "se positionnant à la fois comme central (droit des citoyens à l'information pour l'exercice de leur devoir démocratique) et périphérique (quatrième pouvoir)" (Ruellan, 1992209) qui n'est pas une spécificité uniquement française mais se retrouve néanmoins dans les politiques d'aide à la presse. Né en 1796 via le tarif postal privilégié, les aides se confirment via la loi de finance du 16 avril 1930 et l'article 7 du contrat de plan entre l'Etat et La Poste déclarant que "le transport et la distribution de la presse, indispensables à la libre circulation d’une information libre et pluraliste, permettant à chacun d’accéder à la publication de son choix » constituent un service public que La Poste exerce « dans le respect des dispositions [...] de son cahier des charges."

Les aides à la presse se divisent principalement entre les aides directes à la presse via le fonds stratégique pour le développement de la presse210, les aides indirectes et postales définies par le code des postes et des communications électroniques, les assiettes forfaitaires sur les cotisations sociales des professionnels de la presse, les abattements sur les impôts des journalistes et les aides à la presse en ligne. Outre ces aides, les médias en France sont aussi soumis aux lois anticoncentration. Ainsi, un groupe ne peut dépasser 30% du total des publications d'information générale et politique et la part de capitaux étrangers ne peut dépasser 20% du capital social de l'entreprise. Un même groupe ne peut non plus contrôler plus de 20% de la diffusion nationale s'il couvre déjà 4 millions d'habitants pour la télévision ou 30 millions pour la radio. Ces lois sur les concentrations s'ils garantissent une relative diversité des médias 211 aboutissent à une faiblesse au niveau international vis à vis des entreprises spécialisées dans la production de contenus. Le tableau ci-dessous nous permet de mettre en avant que les principaux groupes médiatiques en termes de revenus proviennent des Etats-Unis et sont organisés en conglomérats dont les activités

207 DOYLE Gillian, Understanding Media Economics, Sage Publications Ltd, 2013, 232 p. 208 MCNAIR Brian, News and journalism in the UK, Routledge, 2009, 224 p. 209 RUELLAN Denis, "Le professionalisme du flou", Réseaux, Volume 10, 1992 pp. 25-37 210 Pour plus de détail il est possible de visiter le site du ministère de la Culture et de la communication : http://www.culturecommunication.gouv.fr/Thematiques/Presse/Aides-a- lapresse/Le-Fonds-strategique-pour-le-developpement-de-la-presse- aidesdirectes/1.-Presentation-du-Fonds-strategique-pour-le-developpement-de- lapresse2 211 Cette question est à relativiser notamment, notamment sur le phénomène de concentrations des médias en France autour de grands groupes, Dassault, Lagardère (Hachette), Vivendi etc. mais souhaite pointer la différence de taille des principaux groupes d'un point de vue international, affaiblissant à la fois leur capacité d'action et de synergie. 148 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. diverses peuvent aller des télécommunications, avec par exemple le cas de AT&T, à la diffusion, ayant ainsi un contrôle vertical sur la chaîne de valeur. Au regard de la comparaison internationale les principaux médias européens disposent d'un revenu relativement faible, qui se justifie par une diversification moindre de leurs activités bien que demeurant de grands groupes de médias dont la domination du marché fait l'objet de contrôle et de controverses en termes de pluralité de l'information.

Tableau 3.21 les principaux groupes de médias et diffuseurs de contenus dans le monde en 2016 selon la Banque mondiale Groupe Position Revenus 2016 en Siège social milliards d'euros Alphabet Inc. 1 67,5 Etats-Unis Comcast 2 67,1 Etats-Unis The Walt Disney 3 47,2 Etats-Unis Company News Corp. Ltd 4 33,9 Etats-Unis AT&T 5 21,8 Etats-Unis Entertainment Group Time Warner 6 25,3 Etats-Unis Inc. Viacom Inc. / 7 24,3 Etats-Unis CBS Corp. Sony 8 22,9 Japon Entertainment Apple Inc. 9 17,9 Etats-Unis Altice Group 10 17,4 Pays-Bas Beterlsmann 11 16,3 Allemagne Facebook Inc. 13 14,8 Etats-Unis Vivendi S.A 18 10,7 France Lagardère 26 7,1 France Média BBC 27 6,6 Royaume-Uni Axel Springer 51 3,2 Allemagne SE Daily Mail & 66 2,5 Royaume-Uni General Trust Plc SRG SSR 88 1,5 Suisse Source : World Bank 2016

Le Royaume-Uni, la Suisse et la France sont sous-représentés parmi les 100 premiers groupes mondiaux de médias. Les revenus combinés de Vivendi S.A, Lagardère Média, la BBC, du Daily Mail and General Trust Plc et de la SRG

149

SSR ne représentent qu'à peine la moitié de ceux d'Alphabet Inc, anciennement Google ou de Comcast. Ceci provient principalement d'un cadre juridique et légal américain plus souple, notamment depuis les années 90. La concentration des médias aux Etats-Unis a fait l'objet de plusieurs régulations. Le Communications Act of 1934 a crée la Federal Communications Commission (FCC) avec pour objectif de réguler le secteur des télécommunications dans l'intérêt public notamment en attribuant les bandes de fréquence hertzienne. En 1975, la FCC interdit à un groupe de déterminer un quotidien à l'influence nationale et une chaîne de télévision servant la même communauté, dans un objectif de pluralité de l'information. The Telecommunications Act of 1996 ouvre les médias à la dérégulation ayant pour conséquence l'effet contraire de l'objectif initial entraînant une plus grande concentration des médias et des phénomènes de fusion entre firmes.

Sous le gouvernement de Georges W. Bush, la FCC entérine la limitation interdisant aux chaînes nationales de contrôler 35% des parts d'audience, augmentant le cap à 45%. Par la même occasion la commission autorise un même groupe à détenir un journal et une chaîne de télévision sur un même marché local, permettant ainsi aux grands groupes tels que News Corporation d'étendre leur emprise sur les médias. A noter comme le montre l'étude comparative des règles en matière de propriété des médias de la direction du développement des médias212 que "l’article 310 (b) du Federal Communications Act de 1934 interdit aux gouvernements étrangers ou à leurs représentants de détenir une licence de radiodiffusion, et limite à 20% les investissements étrangers directs et à 25% les investissements étrangers indirects". Ceci explique par exemple la nécessaire naturalisation de l'australien Rupert Murdoch, propriétaire de New Corporation en 2003, lui permettant de pénétrer le marché américain. Au Royaume-Uni, l'OFCOM, l'autorité de régulation des médias adopte en 2003 le Communications Act qui assouplit les règles de propriété, tout en ne permettant les fusions que dans le cas où il demeure un nombre suffisant de pluralité de points de vue.

Les règles de concentration sont les suivantes : • Le nombre de propriétaires dans un marché donné ne peut être inférieur à trois. • Le propriétaire d'une station de télévision ne peut détenir des stations de radio desservant la même communauté • Les propriétaires d'un quotidien dont la part de marché est de 50% ou plus ne peuvent détenir une participation supérieure à 20% dans le principal réseau privé de télévision.

Comme le souligne Heinz Bondafelli 213 , ces lois sur la concentration ne concernent néanmoins principalement que la concentration multimédia. Les

212 Concentration des médias : étude comparative, Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles, 2005 lien accessible via : http://www.ddm.gouv.fr/article.php3?id_article=983 213 BONDAFELLI Heinz, Concentration des médias dans les régions: diversité, pouvoir et régulation, Université de Zurich, 2005 150 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. concentrations verticales ne sont pas abordées, encore moins que les processus de conglomération ou de concentration diagonale, comme on le peut voir avec les entreprises se diversifiant dans des secteurs hors de leur activité principale. Ce phénomène est encore plus explicite dans le domaine des médias en ligne comme le montre Patrick Badillo. En Suisse la concentration des médias a augmenté, passant selon l'indice Herfindahl-Hirschman de 1137 à 2520 et explose dans le domaine des médias en ligne avec un indice de concentration supérieur à 8000 sur les moteurs de recherche, dominés par Google 214. La concentration des médias, bien que critiquable pour des raisons évidentes de pluralité de l'information a cependant un mérite en termes purement gestionnaires et économiques. Elle favorise une synergie entre les médias et un atout dans la convergence numérique entre des acteurs disposant de capacités technologiques diverses qui permettent ainsi d'accroître le partage de savoir faire. On peut citer le cas notamment de Amazon et du Washington Post racheté par Jeff Bezos ou encore News Corporation s'étant diversifié aussi bien dans les jeux en ligne que dans les médias avec une mise en commun de leurs équipes analytiques et de leurs outils. Ceci représente un atout de taille pour des entreprises qui peuvent rationnaliser et partager les coûts d'investissement tout en profitant d'une culture d'innovation technique et marketing, notamment dans le cas d'Amazon.

Les médias traditionnels, suisses, français et britanniques souffrent donc, dans leur ensemble d'un handicap lié à un manque de diversification de leur activité. Ceci se retrouve dans l'approche menée par les éditeurs de presse pour rechercher de nouveaux revenus en ligne. D'une manière générale, on constate une approche de l'innovation en termes d'expérimentation, de tâtonnements et de suivi des bonnes pratiques marketing et des modèles économiques à succès. Les innovations s'effectuent, avec le cas des sites web comme une adaptation au nouveau support en ligne, nécessaire et pratiquée par l'ensemble des firmes commerciales avec des modèles de revenus oscillant entre succès et tentatives ratées.

3.6 Les médias sur le web : le passage aux versions en ligne de leurs éditions, entre concurrence et compensation du déclin de la vente des supports papiers.

La création de siteS web par les entreprises de presse a été l'une des premières étapes opérées dans le cadre de l'adaptation aux supports numériques. Ces derniers ont vu dans internet deux objectifs que l'on peut identifier comme étant à la fois de toucher une audience nouvelle et de compenser la baisse des ventes sur le médium papier.

214 Source : interview de Patrick-Yves Badillo disponible via l'article de letemps.ch du 15 avril 2015 https://www.letemps.ch/opinions/2015/04/15/medias-modele-suisse-fil-rasoir

151

Au Royaume-Uni, le Mail Online, site web du quotidien britannique, est une part intégrante de la stratégie du Daily Mail d'acquisition d'une audience internationale, profitant d'un large public anglophone. The Guardian a entamé une stratégie similaire avec l'ouverture d'une rédaction aux Etats-Unis avec un site web dédié en 2011 puis en Australie en 2016. Les versions en ligne des quotidiens anglo-saxons jouissent d'un avantage stratégique vis à vis des médias francophones, celle d'une audience internationale et d'un marché potentiel plus large.

On note ainsi de manière générale trois comportements vis à vis des sites web qui se retrouvent dans les approches des éditeurs de presse.

• Un moyen d'extension vers de nouveaux marchés, comme l'illustre l'exemple à succès de The Guardian ou du Mail Online. Dans ce cadre il s'agit pour les éditeurs de presse de compenser la baisse du lectorat de la presse papier et des faibles ventes par une extension géographique de leurs marchés. • Un support générateur de revenus, notamment via les paywalls. Il s'agit de la stratégie mise en place par le quotidien économique The Financial Times et The Times. Dans ces deux cas le site web représente une opportunité de se concentrer sur le coeur de leur audience et de maximiser les recettes en ligne.

3.6.1 Le passage aux sites web : entre conquête britannique internationale d'un public anglophone et tâtonnements français et suisses.

Les entreprises de presse ont commencé dès la fin des années 1990 et le début des années 2000 à investir dans les sites web. La recherche d'une taille critique en ligne a été au coeur des investissements prévus et effectués par les firmes médiatiques. Néanmoins, on constate une incertitude sur ces nouveaux supports et sur les modèles économiques à adopter. Si les promesses et l'intention de développer des sites web existent, les provisions crées font néanmoins l'objet d'un risque pour les firmes. En 2002, le rapport financier de The Guardian indiquait ainsi que le quotidien capitalisait des fonds en prévision d'un développement futur du site web seulement si les espérances de gains futurs étaient avérées215. Cette crainte d'un retour sur investissement insuffisant face à une technologie relativement nouvelle et inconnue pour des éditeurs de presse traditionnelle justifie l'adoption lente de technologies, comme ce fut le cas par exemple pour l'accroissement de la présence en ligne des vidéos des journaux. Ceci est d'autant plus le cas que les budgets des entreprises de presse, réduits par la baisse des tirages depuis les années 50, sont traditionnellement réduits et rationnalisés. Les sites web de The Guardian et The Mail Online ont néanmoins rencontré un vif succès sur la scène internationale. Les différences en termes de trafic sont illustrées par les tableaux ci-dessous. On constate pour les quotidiens britanniques une très forte origine en provenance

215 "Design and content costs of a website are capitalised if there is a reasonable expectation that the future economic benefits generated by the website will be in excess of amounts capitalised. All other costs are written off as incurred." - Rapport financier du Guardian Media Group de 2002 152 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. des pays anglophones, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et le Canada qui représentent pour The Guardian plus de 70% de leur audience. En revanche, en France le trafic est principalement issu du marché domestique avec par exemple 72% pour Le Parisien et 49% pour Le Monde. Cette tendance se retrouve aussi en Suisse où l'origine des visiteurs est essentiellement nationale. Table 3.22 origine géographique des visiteurs des sites web des quotidiens britanniques The Guardian origine The Sun origine The Daily mail United States 13.4M United States 4.1M (3 United States 16.5M of America (2 of America 3.68%) of America (3 7.29%) 4.20%) United 13.3M United 3.3M (2 United 13.1M Kingdom (2 Kingdom 7.01%) Kingdom (2 7.08%) 7.30%) Australia 2.8M (5. Canada 477.1k ( Australia 2.1M (4. 67%) 3.87%) 39%) Canada 2.1M (4. Australia 363.8k ( Canada 1.9M (3. 34%) 2.95%) 94%) Germany 1.4M (2. India 318k (2. Germany 999.4k ( 94%) 58%) 2.08%) France 1.1M (2. Germany 220.4k ( France 815.7k ( 18%) 1.79%) 1.70%) Spain 1.1M (2. South Africa 142.3k ( India 731.3k ( 17%) 1.16%) 1.52%) India 1M France 128.6k ( South Africa 583.9k ( (2.06 1.04%) 1.21%) %) Ireland 663.8k ( Spain 125k (1. Spain 557.9k ( 1.35%) 02%) 1.16%) Netherlands 594.7k ( Singapore 123.4k ( Ireland 518.2k ( 1.21%) 1.00%) 1.08%) Italy 590.3k ( Malaysia 119.2k ( Philippines 472.2k ( 1.20%) 0.97%) 0.98%) Philippines 557k (1. Netherlands 119k (0. Singapore 448.8k ( 13%) 97%) 0.93%) Source : Données collectées via SEM Rush septembre 2017

153

Tableau 3.23 origine géographique des visiteurs des sites web des quotidiens français Le Parisien Le Monde Le Figaro

France 2.9M (7 France 6.4M (4 France 6.1M (6 2.67%) 9.46%) 6.16%) United States 212.9k ( United States 3.6M (2 United States 599.1k ( of America 5.29%) of America 7.59%) of America 6.54%) Belgium 100.5k ( Canada 335.7k ( Belgium 338.8k ( 2.50%) 2.61%) 3.70%) Morocco 88.5k (2 Belgium 289.6k ( Canada 200.8k ( .20%) 2.25%) 2.19%) Canada 80.7k (2 United 262.2k ( United 191.7k ( .01%) Kingdom 2.04%) Kingdom 2.09%) Algeria 80.4k (2 Switzerland 260.5k ( Morocco 163.9k ( .00%) 2.02%) 1.79%) United 70.8k (1 Germany 172.5k ( Switzerland 162.5k ( Kingdom .76%) 1.34%) 1.77%) Switzerland 58.9k (1 Morocco 162.2k ( Algeria 151.8k ( .47%) 1.26%) 1.66%) Germany 37.7k (0 Algeria 158.6k ( Italy 147.1k ( .94%) 1.23%) 1.61%) Italy 31.9k (0 Spain 147.7k ( Spain 146.1k ( .79%) 1.15%) 1.60%) Tunisia 31.8k (0 Italy 102.3k ( Germany 103.4k ( .79%) 0.79%) 1.13%) Spain 29.3k (0 Brazil 99.1k (0 Tunisia 76k (0.8 .73%) .77%) 3%) Source : Données collectées via SEM Rush septembre 2017

Tableau 3.24 origine géographique des visiteurs des sites web des quotidiens suisses Le Temps La Tribune de genève

Switzerland 143.6k (42.28 Switzerland 153.7k (52.15 %) %) France 114.5k (33.72 France 77k (26.13%) %) United States of 17.2k (5.07%) United States of 14.1k (4.78%) America America United Kingdom 12.1k (3.57%) Germany 13.9k (4.71%) Belgium 9k (2.66%) Belgium 5.5k (1.85%) Canada 8.4k (2.48%) Canada 4.7k (1.61%) Germany 4.4k (1.30%) United Kingdom 3.1k (1.04%) Tunisia 3k (0.90%) Algeria 2.6k (0.88%) 154 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Morocco 2.9k (0.87%) Spain 2.3k (0.79%) Spain 2.9k (0.86%) Czech Republic 2.1k (0.71%) Algeria 2.4k (0.72%) Morocco 1.3k (0.44%) Czech Republic 1.9k (0.56%) Netherlands 1.1k (0.36%)

Tableau 3.25 origine géographique des visiteurs des sites web de la BBC et de la RTS RTS BBC

Switzerland 462.2k (60.75 United Kingdom 63.6M (71.73 %) %) France 145.6k (19.14 United States of 9.8M %) America (11.07% ) United States of 31k (4.07%) Canada 1.2M (1.34%) America Argentina 21.1k (2.78%) Spain 1.1M (1.25%) Belgium 16.7k (2.20%) Australia 1M (1.14%) Canada 12k (1.58%) France 947.4k (1.07 %) Croatia 10.4k (1.36%) Germany 883.3k (1.00 %) Morocco 8.3k (1.09%) Italy 566.5k (0.64 %) Germany 7.2k (0.95%) Ireland 439.6k (0.50 %) Algeria 5.3k (0.69%) Netherlands 432.5k (0.49 %) Spain 5.2k (0.69%) India 399.7k (0.45 %) Italy 5.1k (0.67%) Japan 301.3k (0.34 %) Source : Données collectées via SEM Rush septembre 2017

En 2009, un rapport du Reuters Institute met en avant la forte présence de The Guardian et The Mail Online aux Etats-Unis, qui font alors même de l'ombre aux quotidiens nationaux américains216. Alan Rusbriger, rédacteur en chef déclare

216 CURRAH Andrew, "What’s Happening to Our News An investigation into the likely impact of the digital revolution on the economics of news publishing in the UK", Reuters Institute for the Study of Journalism, 2009

155

ainsi en 2008 à la House of Lords que "The Guardian has "a much bigger readership in America now than the LA Times"217. Le rapport de la chambre parlementaire britannique met en perspective les approches stratégiques et la vision des éditeurs de presse vis à vis de leur site web. On constate ainsi deux visions différentes de ce support. The Times, The Guardian et The Daily Mail y voient un outil d'expansion internationale permettant d'acquérir une audience nouvelle partageant une langue commune. En revanche, le tabloïd The Sun, y voit une opportunité d'améliorer sa connaissance de l'audience. Le site web représente pour le quotidien de News UK un outil analytique pour mieux comprendre ce que les lecteurs veulent en termes de contenu. Dans cette approche, les outils analytiques tiennent une place prépondérante car permettant de mesurer et de tracer les articles que leurs lecteurs préfèrent. On voit ainsi deux dimensions sur les approches marketing que mènent ces journaux vis à vis de leurs sites web. Dans un premier temps, The Sun se situe proche d'une vision consumer centric (Prahalad et al., 2003 218), visant à adapter le contenu aux préférences des utilisateurs tandis que The Times, The Guardian et The Daily Mail maintiennent un rôle de producteur primaire de l'information davantage concentré sur le produit.

En France, les éditeurs de presse investissent dès les années 90 le web comme support potentiel de génération de revenu. Le quotidien Le Monde est présent dès 1998 avec Le Monde Interactif crée en 1998, détenu à 66% par la filiale du Monde et 34% par le groupe Lagardère. Le site web rencontre un vif succès. En 2002 ce dernier totalisait 42 millions de pages vues par mois, en faisant ainsi le premier site d'information sur le web français. De manière similaire aux médias britanniques, les entreprises de presse françaises investissent à tâtonnements afin de réduire le risque d'un support dont le retour sur investissement est alors relativement inconnu. Pour Khaled Zouari219, la création de sites web par les éditeurs de presse en France représente une première phase de développement dans une stratégie numérique plus importante. Il s'agit d'une période d'expérimentation pour les journaux qui cherchent à se positionner sur le web, plus particulièrement à cause de la difficulté de ces derniers à identifier de quelle manière adapter leurs contenus sur ce nouveau support. D'une manière générale, le trafic des versions en ligne des quotidiens français a fortement cru depuis 2010 passant de moins de 25 000 visiteurs uniques journaliers pour lemonde.fr a plus de 140 000 en 2015. Ce dernier et lefigaro.fr étaient en 2015 les deux journaux les plus visités sur le web devançant de loin leurs concurrents leparisien.fr avec 60 000 visiteurs uniques, libération.fr, 25 000, 20minutes.fr, 50 000 et ouestfrance.fr 45 000.

217 The ownership of the news: evidence, House of Lords, 2008 218PRAHALAD Coimbator Krishnao, RAMASWAMY Venkatram, The New Frontier of Experience Innovation, MIT Sloan Management Review, 2003, juillet 2015 219 ZOUARI Khaled, "La presse en ligne : vers un nouveau média?", Enjeux de l’information et de la communication, GRESEC - Université Grenoble III, 2008, pp.13. 156 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Le tableau ci dessous illustre la tendance générale des quotidiens français en ligne à l'accroissement de leur trafic. On constate ainsi une tendance à la hausse du nombre de visiteurs uniques.

Tableau 3.25 Évolution du nombre de visiteurs uniques quotidiens entre 2010 et 2017 des 6 principaux sites web d'information français mai- mai- mai- mai- mai- mai- mai- mai- 10 11 12 13 14 15 16 17 Lemon 2507 6443 7490 6483 6757 7702 6753 1385 de.fr 0758 3184 1579 0102 9219 8853 9303 8317 4 Lefigar 2969 4911 5889 5836 6046 7385 4589 1209 o.fr 5441 8371 0838 2132 7030 9723 3786 4229 6 Leparisi 1845 3110 3487 3469 3288 4120 5218 6467 en.fr 0403 1765 6012 5249 0652 8496 9799 0521 Liberati 1638 2402 2671 2175 1662 1827 2001 2383 on.fr 7635 9434 0083 6128 3036 7902 8934 5069 20minu 1375 2469 2476 1975 2167 4889 5640 5447 tes.fr 6517 9387 9027 2892 6128 4446 3178 5082 Ouestfr 7561 9904 1321 1533 1568 2236 3000 4686 ance.fr 088 190 3168 9368 5677 4769 7371 6571 Source : ACPM 2017

On constate néanmoins deux approches différentes des journaux en ligne entre les médias français et britanniques. Le rapport de la Documentation française220 de 2011 souligne ces différences notamment en termes d'audience internationale. Les sites web des quotidiens français sont ainsi principalement axés sur un public et une information à dimension nationale. Leurs objectifs sont de trouver un nouveau moyen d'accroître l'engagement avec le public en profitant des modes d'interaction avec les lecteurs qu'offrent les outils du web. A l'opposé, les journaux britanniques, principalement The Guardian et le MailOnline saisissent l'occasion d'atteindre une audience internationale et principalement nord américaine. Cette stratégie d'extension géographique des marchés s'accroît au cours des années 2010. En 2013, The Guardian lance un site web en Australie afin d'étendre son influence sur les pays anglo-saxons et disposer d'un pied à terre vers l'Asie. L'objectif étant de pouvoir à terme diffuser du contenu en anglais vers les pays à fort potentiel en termes d'audience tels que la Chine. Ceci repose principalement sur un travail de marque et la mise en avant du caractère institutionnel de ces journaux.

220 Questions internationales, La Documentation française, volume n°47, janvierfévrier 2011

157

Comme le montre la rédactrice en chef Katharine Viner, The Guardian mise sur son positionnement et son image de journalisme de qualité et indépendant : "So why should you read us? First of all, Guardian Australia is independent: the only reason it exists is to create excellent journalism. We are owned by the Scott Trust, with no proprietor or shareholders, which means that Guardian journalists are free to say anything."221 Au coeur du positionnement de The Guardian, cette approche en termes de journalisme indépendant et de quatrième pouvoir se retrouve via plusieurs dispositifs mis en place sur le site web. Le quotidien lance la section "The comment is free" en 2006, qui permet aux lecteurs de commenter les articles et de partager leurs opinions. Cette nouvelle fonction sera par la suite mise en avant via les différents canaux de communication. Une newsletter "The best of Comment is Free", est envoyée aux abonnés, réunissant les articles les plus commentés de la section. Outil à la fois de participation et d'engagement avec le lecteur, The Guardian en profite aussi pour maximiser le contenu le plus populaire. The Comment is Free est ouvert à des bloggers externes qui permettent de diversifier les angles éditoriaux et les points de vue.

Le site web de The Guardian repose sur un modèle freemium. Les lecteurs sont encouragés à souscrire à un abonnement pour avoir accès à des articles et des dossiers en exclusivité mais se situe aussi sur un modèle de génération de revenus publicitaires, partie intégrante de sa stratégie d'extension géographique de son audience. Cette stratégie internationale a été un franc succès pour la version en ligne du quotidien the Daily Mail. En 2012, le Mail Online devient le journal anglophone le plus lu au monde, dépassant le quotidien américain le New York Times. L'ensemble du contenu de site est créé dans un objectif de recherche du trafic web. Le Mail Online a ainsi adopté une stratégie SEO réputée comme étant agressive avec de longs titres d'articles 222 et la présence de nombreux mots clefs, intégrés dans le code source des pages web et dans les articles, adaptés au référencement web. Le site web, à l'instar de Buzzfeed est aussi adepte des formats "listicles", dont le format est adapté à la viralité et au partage sur internet. Ces phrases, omniprésentes sur le web, telle que "15 Reasons You're STILL Waatchin Re-Runs of "Girlfriends" sont destinées à capter l'attention du lecteur par une syntaxe agressive et tape à l'oeil. The Guardian parle ainsi de "News Snacking"223 afin de dénoncer une stratégie éditoriale basée

221 Article en ligne de theguardian.com du 26 mai 2013 : https://www.theguardian.com/media/insideguardian/2013/may/26/welcome- toguardian-australia 222 Cette stratégie est toujours d'actualité avec de très longs titres tels que : "'It's an Oscar-winning performance': Expert reveals the six tell-tale signs that told police road rage killer Tracie Andrews was FAKING her tearful plea for help hours after stabbing her fiance to death" ou encore des formules destinées à attirer le lecteur : "Boy, five, dies choking on a sausage roll during lunch at school" 223 " [...]listicles are equally beloved for their condensed information format and online virality and decried as lazy journalism for the perennial lunchtime 'news snacker'' source : article de theguardian.com du 12 août 2013 https://www.theguardian.com/media-network/media- networkblog/2013/aug/12/5-ways-listicle-changing-journalism 158 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. sur un contenu de faible qualité visant principalement à satisfaire une consommation rapide et sans valeur ajoutée de l'information.

Les médias francophones suisses et français ont adopté une orientation similaire à ceux du Mail Online et de The Guardian plus tardive, souhaitant profiter de la diffusion de la langue française, principalement sur le continent africain. A partir de 2015, Le Monde lance une extension géographique de son audience avec le lancement du Monde Afrique, édition numérique, reprenant la ligne éditoriale du quotidien avec un contenu exclusivement dédié au continent africain, principalement la région francophone. Le modèle de The Guardian d'expansion internationale est clairement énoncé par le Groupe Le monde qui déclare de manière explicite :"Le Monde, comme son nom l’indique, a vocation à être un média francophone mondial, de la même manière que plusieurs grands médias anglo-saxons ont développé des éditions hors de leur territoire d’origine ; américaine et australienne pour le Guardian, asiatique et américaine pour le Financial Times."224

A l'instar du Monde, le groupe suisse Ringier profite aussi de la manne de l'audience africaine en lançant en 2011 huit plateformes numériques au Kenya, Sénégal, Nigéria et Ghana. La stratégie de ce dernier repose néanmoins sur une diversification de ses activités, davantage que la recherche d'un nouveau public. En 2017, le rachat de Business Insider Afrique permet à l'entreprise médiatique de se positionner sur l'information économique tout en ne souhaitant pas s'implanter de manière trop présente sur le marché de l'information régionale. Il convient par ailleurs de mettre en avant que Ringier s'était déjà illustré dans les années 90 par des investissements sur les marchés d'Europe de l'Est puis par la suite en Asie, profitant ainsi d'une expérience éprouvée de diversification internationale. Le groupe évite néanmoins soigneusement de se positionner sur l'information générale pour des raisons politiques et d'infrastructures comme le déclare Robin Rigg, le directeur du développement du groupe : "C'est très compliqué de se mêler de politique en Afrique et la distribution physique n'est pas à la hauteur."225

Cette stratégie de développement de sites web profite de manière générale aux firmes médiatiques qui voient leur audience grimper en flèche. Sur les versions numériques, le site web de The Guardian, theguardian.com jouit d'une croissance stable et rapide depuis 2005 passant de 2,7 millions de visiteurs uniques mensuels en 2005 à 155 millions en 2016. De même, l'audience de lemonde.fr passe de 39 millions de visiteurs en février 2010 à 48 millions de visiteurs uniques mensuels en juillet 2017. Le Daily Mail via son site web MailOnline passe de 40 millions en 2010 à 200 millions en 2015, connaissant

224 Source: article de lemonde.fr du 20 janvier 2015 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/01/20/le-monde-lance-le- mondeafrique_4559592_3212.html A noter que le lancement du Monde Afrique a été soutenu par le Google News Initiative notamment pour le développement d'une technologie mobile responsive. 225 Article de lemonde.fr du 31 mai 2014 http://www.lemonde.fr/actualitemedias/article/2014/05/31/l-afrique-numerique- nouvel-eldorado-pour-le-groupede-medias-suisse-ringier_4429619_3236.html

159

ainsi une croissance fulgurante. Il convient de souligner que les différentes métriques utilisées ne sont pas neutres de sens et que la pertinence de ces dernières sont questionnables. Les indicateurs utilisés sont ainsi des aggrégats artificiels qui ne rendent pas forcément compte par exemple d’éléments tels que le taux de conversion (de vente). Les systèmes de tracking de l’audience sont aussi sujets à caution, de par leur efficacité relative et leur manque de précision.

Néanmoins, la croissance de ces chiffres ne permet pas de garantir des revenus suffisants, face à une concurrence importante des moteurs de recherche et autres site web qui captent la majeure partie des revenus publicitaires. Ainsi, en 2015, le MailOnline, plus gros quotidien en ligne mondial, connaît une baisse de sa croissance de revenus publicitaires sur ses supports numériques alors même que son audience s'est élargie. Les raisons sont multiples provenant à la fois de la structure du marché et de nouvelles tendances de la part des consommateurs. D'un côté l'émergence des AdBlockers et leur très forte diffusion auprès de la population ont une conséquence sur la publicité en ligne, alors même que la structure du marché est défavorable pour les firmes médiatiques. Cette compétition en ligne est fortement intense avec la présence de nombreux grands acteurs du numérique qui captent, notamment via des portails, une majeure partie du trafic. Le tableau ci-dessous montre la forte concurrence en ligne et la très faible présence des éditeurs de presse dans le top 10 des sites les plus visités.

Tableau 3.26 Classement des sites web les plus visités en 2017 - en milliers de visiteurs uniques par mois Positi France226 Visiteur Royaume Visiteur Suisse - Visiteur on s -Uni227 s 2017228 s unique Mars unique unique s 2017 s s mensu mensu mensu els els els 1 Google 41 835 Google 48 257 sbb.ch 2 790 Sites 2 Facebook 27 661 Microsoft 41 926 local.ch 2 702 Sites 3 YouTube 25 469 Facebook 40 630 20min.ch 2 472 4 Microsoft 25 302 BBC 39 546 search.ch 2 352 Sites 5 Leboncoin. 19 362 Amazon 37 926 BlickOnline 2 286 fr Sites

226 Source : Médiamétrie, Audience Internet Ordinateur en France en janvier 2017 227 Source : comScore MMX Multi-Platform, Mars 2017 228 Source : NET-Metrix-Profile: portée en ligne 2017 - 1 160 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

6 Orange.fr 19 260 Trinity 31 430 srf.ch 2 273 Mirror Group 7 Amazon 16 826 Yahoo 31 319 homegate.ch 1 906 Sites 8 Windows 16 715 ebay 31 250 Bluewin 1 705 Live 9 Wikipedia 16 357 Mail 30 125 tagesanzeige 1 433 Online/D r.ch aily Mail 10 PagesJau 14 036 Sky Sites 29 192 comparis.ch 1 382 nes

On constate ainsi en France et au Royaume-Uni une domination des sites de Google, Facebook et Microsoft ainsi que des portails internet de Yahoo et Amazon. En France, aucun grand quotidien national ne se situe dans les 10 premiers sites consultés, Lefigaro.fr arrivant en 16e position avec 10 millions de visiteurs uniques et Lemonde.fr, 23e ne totalisant "seulement" que 8,9 millions de visiteurs. Au Royaume-Uni, à l'instar de sa forte présence sur YouTube, la BBC se classe 4e, en faisant ainsi le plus important média audiovisuel d'information mondial. A noter que les résultats du Trinity Mirror Group englobent l'ensemble des sites web du groupe, incluant le Daily Mirror, Sunday Mirror, Sunday Mail, Daily World, Local World et People ce qui permet à ce dernier de disposer de chiffres plus conséquents. La Suisse se caractérise, de manière similaire à sa présence sur YouTube, par une forte présence des entreprises de presse dans le top 10. Ceci se justifie aussi par la méthodologie de calcul des audiences menée par Net-Metrix Profile qui se focalise principalement sur les sites web d'origine suisses, excluant ainsi de facto Google, Facebook, Microsoft et YouTube de leur classement.

Le développement des sites web par les entreprises de presse s'est accompagné de succès, notamment dans la recherche d'une audience internationale comme le montre le cas du Mail Online et de The Guardian mais aussi par des expérimentations en termes de générations de revenus et d'une recherche d'un modèle économique adéquat. Le paywall est en ce sens emblématique car reflète un suivi de la tendance générale des médias à adopter ce dispositif, marqué à la fois par des tâtonnements, des retours en arrière et des échecs, caractéristiques du flou décisionnel des entreprises de presse face aux règles du jeu numérique.

3.6.2 L'expérience du paywall : les échecs et succès des journaux britanniques marqués par l'imitation des bonnes pratiques.

L'expérience du paywall est un exemple des tentatives des éditeurs de presse de trouver un modèle d’affaires adéquat. L'adoption de ce dernier met en lumière des tendances d'imitation et adoption des formules de la concurrence. Les firmes médiatiques investissent dans ce dispositif via à un phénomène d'observation des expériences à succès de leurs concurrents. Ces pratiques s'inscrivent dans

161

un processus d'innovation par adoption et copie des recettes à succès des différents acteurs du marché, amenant à la constitution soit d'une reproduction des modèles économiques, de leur abandon ou bien d'une innovation de remixing (Flath et al. 2017229). La réaction des acteurs du marché de l'information s'inscrit dans une relation entre l'innovation et la performance dont les actions possibles sont la riposte, le déni ou l'accommodation (Muller, 2005230). Lors de l'adoption du paywall par The Washington Post en 2013, le rédacteur en chef du quotidien Tony Gallagher mettait ainsi en avant l'importance du suivi des expériences à succès de la concurrence : "We’ve watched our peers in the industry, and we think the metered model is the best way to keep our reach while asking our readers to help pay for the quality journalism we are known for." Dans le cadre du paywall, nous pouvons mettre en avant que les stratégies mises en place reposent sur des actions de rupture via les hard paywall puis d'incrémentalisme (Lindblom, 1977231), notamment via l'adoption des metered paywalls.

Le modèle du paywall date de 1996, aux balbutiements du web. Le journal en ligne est considéré comme son équivalent papier pouvant alors être monétisé de manière similaire via le paiement d'un coût pour l'accès au contenu. L'adoption de ce dernier est mise en avant par les éditeurs de presse comme permettant de maintenir une offre de qualité aux consommateurs. Graham Horner, directeur marketing du Daily Telegraph explique ainsi en 2013 : "This step marks the next stage in our subscription strategy. Our priority is always to deliver choice and value to our customers; the continual evolution of our subscription packages ensures that we deliver on this promise."232. Le discours de l'impératif d'adoption" pour maintenir un contenu de qualité se retrouve aussi dans le cas de The Times en 2010 comme le montre son rédacteur en chef, James Harding : " What The Times does is journalism and we tried to create a platform for doing that.233", souhaitant ainsi mettre en avant que l'adoption du dispositif repose sur une adaptation technologique du quotidien aux contraintes économiques et techniques. D'une manière générale, les différents modèles de monétisation en ligne reflètent deux approches différentes de l'engagement et de la relation des marques de presse avec leurs consommateurs. Dans un premier temps on peut constater des stratégies de concentration des efforts et investissements sur le coeur de l'audience. Il s'agit d'une stratégie marketing classique de valorisation

229 FLATH Christoph, FRIEISIK Sascha, WIRTH Marco, THIESSE Frédéric, " Copy, transform, combine: exploring the remix as a form of innovation.", Journal of Information Technology, 2017 230 MULLER Jean-Philippe, « Stratégie d'innovation, concurrence et performance des nouveaux produits », Revue française de gestion, 2005/2 (no 155), p. 57-74. 231 LINDBLOM Charles, Politics and markets: the world's political-economic systems, New York, 1977 232 Source article de Pressgazette.co.uk du 26 mars 2013 : http://www.pressgazette.co.uk/telegraph-becomes-first-mainstream-uk- nationalnewspaper-adopt-metered-paywall/ 233 Source article de Pressgazette.co.uk du 25 mai 2010 : http://www.pressgazette.co.uk/new-times-sites-go-live-paywall-will-be-all- ornothing/. 162 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. des consommateurs fidélisés à haut potentiel d'achat (Lehu, 1999234). Il s'agit du cas de The Times et The Financial Times, qui accusent lors de l'adoption du paywall une forte chute de leur trafic en ligne, compensée néanmoins par des revenus supérieurs obtenus par les utilisateurs les plus actifs. Dans un deuxième temps, on constate que des journaux comme The Sun, dont le paywall s'est avéré être un échec, ne peuvent se permettre une chute de leur trafic car la propension des lecteurs à payer pour du contenu est faible. En 2016 le quotidien abandonne ce modèle, souhaitant rentrer en compétition avec le Mail Online en accroissant son audience, comme le montre la rédactrice en chef Rebekah Brooks :"I recently shared with you the future priorities for the company and am excited today to tell you more about our plans for the first of these: growing the Sun’s audience."235

Le mode de tarification financière pour l'accès au contenu date de 1996. Microsoft planifie alors la mise en place d'un paywall pour son magazine en ligne Slate accessible pour 19,95$ par mois comme partie intégrante du portail web MSN. Retardé, le projet fait dès ses débuts l'objet de craintes vis à vis d'une chute potentielle du trafic trop importante. Le paywall n'est mis en place qu'en 1998, Slate demandant alors à ses 140 000 lecteurs mensuels de payer pour l'accès au contenu en ligne. Un an après, le pure player abandonne ce modèle d’affaires, ouvrant l'accès à l'ensemble de son site web au public. Les craintes initiales furent justifiées par le contraste important en termes de trafic. Le modèle payant ne comptait que 20 000 abonnés, les revenus ne suffisant pas à couvrir la chute du trafic web, tandis que l'ouverture du média accroît le trafic à 400 000 visiteurs uniques mensuels. En 1997, le quotidien économique The Wall Street Journal lance son premier paywall pour un montant de 49$ par an pour l'accès en ligne et 29$ pour les personnes déjà abonnées à l'édition papier. Ce modèle économique rencontre un franc succès pour le journal qui un an après, en 1998, atteint plus de 200 000 abonnés. Inspiré par cette expérience pleine de succès, The New York Times lance une stratégie similaire en 1998 avec un abonnement mensuel de 35$ pour les lecteurs situés en dehors des Etats-Unis. Cette stratégie de tarification discriminante se base sur une collecte des données des lecteurs qui permet par la même occasion d'accroître la connaissance de leurs utilisateurs. Dans le processus d'inscription le quotidien enregistre l'âge, le genre, et les préférences de lecture ainsi que le lieu de résidence, permettant ainsi d'offrir une audience qualifiée aux annonceurs publicitaires et de segmenter les abonnés en fonction de leurs pays. En octobre 1998, le magazine en ligne américain Salon innove et lance un accès au contenu exclusif du site web pour 25$ par an. Cette stratégie, dite freemium donne accès à du contenu exclusif moyennant un droit de passage. En appartenant aux "membres de Salon", les lecteurs peuvent avoir accès à des évènements exclusifs avec des invités spéciaux, un t-shirt Salon ainsi que des invitations pour de grandes conférences organisées par le journal en ligne ainsi que des réductions pour le nouveau portail e-commerce lancé par le site web. Ce dernier, "Salon Emporium" propose des produits inspirés par la marque du média tels que des sacs, des posters, cartes ainsi qu'une marque de café liée à la marque Salon. On retrouve un modèle

234 LEHU Jean-Marie, La fidélisation client, Paris, Editions d’Organisation, 1999 235 Source article de Theguardian.co.uk du 30 octobre 2015 : http://www.pressgazette.co.uk/new-times-sites-go-live-paywall-will-be-all- ornothing/

163

économique similaire adopté par The Guardian qui propose à ses abonnés des offres spéciales pour ses autres services tels que les conférences ou formation. Le quotidien propose ainsi de participer à des débats et discussions avec des acteurs du monde économique, politique ainsi que ses journalistes mais aussi d'assister à des sessions d'entraînement dans des domaines tels que l'écriture journalistique ou le leadership par exemple. Cet "effet club" montre un positionnement particulier sur le web, orienté autour de la marque comme atout principal d'acquisition de nouveaux lecteurs, par la réputation, et de fidélisation par la constitution d'avantages financiers et d'un sentiment d'appartenance. Comme nous avons pu le voir, la mise en place de paywall s'effectue au sein des différents médias via des vagues d'adoption, caractéristiques des réactions des acteurs face aux signaux d'innovation émis par la concurrence. Les tentatives d'adoption d'un nouveau modèle économique se heurtent aux essais et incertitudes liés à la recherche de nouvelles sources de revenus. En 2001, Salon adopte une stratégie "premium" pour ses articles politique, suivie en 2002 par la mise en place de bannières publicitaires précédant la lecture pour le contenu gratuit. Le modèle du paywall est abandonné par le magazine en ligne Salon en 2009. Les déconvenues sont dans certains cas marquées par de brusques retours en arrière, le L.A Times impose une barrière à l'entrée de 4,95$ par mois pour l'accès au contenu en ligne. Après une chute de 97% de son audience sur le web le journal cesse son paywall en 2005 seulement deux ans après son adoption.

Le Financial Times demeure à ce jour l'un des journaux ayant remporté le plus de succès avec l'adoption d'un système de paywall. Lancé en 2001 le quotidien britannique spécialisé dans l'économie utilise un modèle de metered model paywall. Ce dernier se définit comme une forme de paywall offrant un accès à un nombre limité d’articles avant de devenir payant. Les lecteurs ont accès à 10 articles gratuits suite à quoi ils doivent entrer leur adresse email ainsi que leurs données personnelles afin d'avoir accès à 30 articles supplémentaires. Au delà du nombre d'articles gratuits les lecteurs doivent souscrire à un abonnement de 325$ annuels. Selon un rapport du Reuters Institute for the Study of Journalism en partenariat avec l'université d'Oxford les journaux d'Europe continentale ont aussi massivement adopté des modèles payant comme modèle économique. Basé sur 171 journaux en Europe (Finlande, France, Italie, Allemagne, Pologne et Royaume-Uni), l'étude montre que 66% des publications ont adopté un modèle payant, principalement les modèles freemium et premium. A l'inverse, l'ensemble des chaînes télévisées offre un accès gratuit aux contenus digitaux, l'exemple cité étant celui de la BBC, de TF1, de la RAI et de RTL en Allemagne. Les pure players disposent tous d'un modèle gratuit, à l'exception, cas unique en Europe de Médiapart. La France (95%) fait partie, avec la Finlande (87%) et la Pologne (87%) des pays dont les médias ont majoritairement adopté le modèle payant. Au Royaume-Uni, une majorité des journaux propose un contenu numérique accessible gratuitement aux lecteurs. Dans le cas d'évènements majeurs les paywalls sont abattus comme ce fut le cas par exemple pour le référendum de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne de 2016. Le Financial Times a ouvert son contenu la veille du référendum et The Times le vendredi suivant le vote accroissant de manière considérable son trafic en ligne et par la suite le nombre d'abonnements. 164 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

En France, Le Monde, Le Figaro et Le Parisien ont tous adopté un modèle freemium, une majeure partie du contenu demeure libre d’accès avec une partie exclusive, payante, tandis que La Croix et Les Echos utilisent un metered paywall (seulement quelques articles sont disponibles gratuitement avant qu’un paywall apparaisse systématiquement). Les chaînes télévisées telles que TF1, Canal +, BFMTV et France Télévisions proposent tous leur contenu numérique gratuitement. En Suisse, le quotidien francophone Le Matin propose de la même manière un contenu freemium. Le quotidien Le Temps se démarque par un modèle relativement différent. Ce dernier dispose d'un modèle en metered paywall. En fonction du parcours de l'utilisateur le lecteur se voit proposer entre 5 et 8 articles gratuits. Une fois le contenu consommé, ce dernier doit visionner une vidéo publicitaire ou bien d'acheter l'article via la solution de paiement développée par l'entreprise SwissPay 236 afin de poursuivre la lecture. Les journaux romands 24 Heures et la Tribune adoptent une stratégie similaire. Inspirés par les succès du TagesAnzeiger et Der Bund en Suisse alémanique, appartenant aussi au groupe Tamédia. Les lecteurs ont accès à une vingtaine d'articles par mois avant de devoir souscrire à un abonnement. Le paywall a cependant connu un succès mitigé pour les titres de Ringier Romandie. L'expérience menée par L'Illustré, TV8 et Edelweiss a avorté, seul L'Hebdo a poursuivi sur cette lancée. De manière similaire à la France et au Royaume-Uni le contenu en ligne de la Radio Télévision Suisse est accessible gratuitement. Ce panorama de l'adoption de modèles économiques payant nous permet de mettre en avant les stratégies d'innovation par tâtonnements développés par les entreprises de presse au début des années 2010, inspirés principalement par les expériences menées aux Etats-Unis et au Royaume-Uni par The Washington Post et The New York Times. Cette difficulté à trouver un modèle économique viable pour la presse en ligne nous permet de souligner l'importance pour les firmes médiatiques de trouver de nouvelles manières d'acquérir et fidéliser une audience, qui nous l'avons vu se caractérise par une faible propension à payer pour de l'information générale et dont l'attention est captée par d'autres acteurs producteurs de contenus.

Conclusion

D'un point de vue général, on constate entre les quotidiens britanniques d'un côté et français et suisses de l'autre une variable de taille dans les stratégies à adopter. Comme nous avons pu le voir, The Guardian et le Daily Mail ont su tirer profit d'une importante audience anglophone internationale, aux Etats-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande. The Guardian, en créant des bureaux aux Etats-Unis et des éditions pour les différents pays concernés a pu capitaliser sur sa marque, qualifiée de sérieuse et de qualité. Le vif succès rencontré est à mettre en parallèle avec celui du tabloïd The Daily Mail qui, désormais premier quotidien britannique d'information au monde, a pu tirer partie de la taille du marché anglophone. Les firmes médiatiques francaises de presse ont tardé à

236 Source articles lesechos.fr du 31 mai 2016 : https://www.lesechos.fr/31/05/2016/LesEchos/22202-090-ECH_--le-temps-- explore-de-nouvelles-pistes-pour-monetiser-ses-contenus.htm

165

profiter de l'audience francophone hors des frontières nationales. Le Monde, via la création d'une édition spéciale Le Monde Afrique est l'un des premiers journaux traditionnels français, hors presse spécialisée, à adopter ce type d'extension géographique. En Suisse, Ringier a procédé à une diversification de son activité de contenus en ligne en Afrique en évitant néanmoins l'information générale. Le groupe suisse d'édition a principalement racheté des portails en ligne, s'éloignant ainsi d'une activité de presse traditionnelle. On constate donc, en comparant les quotidiens britanniques, suisses et français, une opportunité réussie pour les premiers d'extension géographique alors même qu'en France et en Suisse, la diversification du marché a été plus tardive et limitée. Ceci se retrouve dans l'adoption de nouveaux modèles économiques où les entreprises de presse britanniques ont été particulièrement innovantes adoptant très rapidement des pratiques inspirées par leurs homologues des Etats-Unis. Dès 2001 le Financial Times avait ainsi mis en place un paywall qui demeure actif à ce jour. L'extension géographique des firmes de presse britanniques se retrouve dans leur présence sur les réseaux sociaux. Sur Twitter et Facebook, The Guardian, The Independent et The Telegraph accusent des audiences nettement supérieures à leurs homologues français, pour une taille du marché domestique néanmoins similaire. La Suisse dispose d'une faible audience sur les réseaux sociaux, souffrant d'un marché local relativement restreint. On note les fortes performances de la BBC britannique qui apparaît première sur Twitter via son compte BBC Breaking news. Ce qui nous invite à confirmer l'utilisation du réseau social par les entreprises de presse et les lecteurs principalement dans un objectif de recherche d'informations chaudes" mais aussi la puissance de la "marque BBC" à travers le monde. D'une manière générale, on constate un retard en termes d'extension géographique du marché des médias francophones suisses et français. Ceci se retrouve sur les réseaux sociaux avec une audience nettement plus faible que pour les médias britanniques, alors même que le potentiel du marché francophone, bien que plus petit que celui anglophone est conséquent. Cette réussite de la conquête d'une audience internationale pour The Guardian et The Daily Mail s'est traduite par la mise en place et l'investissement dans les techniques du marketing en ligne tels que le SEO et par une confiance de la part des managers dans les technologies du web.

Après avoir effectué un premier constat sur la présence des entreprises de presse suisses, françaises et britanniques sur les différents canaux de communication en ligne, dans un constat de déclin des ventes, il est intéressant de mettre en perspective avec les trajectoires des différentes firmes médiatiques. Ces dernières sont à prendre en compte d'un point de vue historique, éditoriale afin d'illustrer leurs potentiels innovants et les choix décisionnels effectués.

166 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

167

Chapitre 4. La presse face à l'innovation en ligne : entre redéfinition du positionnement éditorial et recherche d'un nouveau rôle, la différence entre tabloïds britanniques et presse de qualité.

La transformation des organisations est un sujet faisant l'objet d'une vive popularité, aussi bien à la fois par les politiques d'innovation mises en place que par un discours général mené par les acteurs du conseil en technologie de l'information. De nombreuses entreprises ont mis en place des stratégies de transformation numérique, notamment face aux risques et craintes de disparition comme l'illustre le cas de Kodak (Lucas et al. 2009237). De manière générale la transformation numérique s'inscrit dans la thématique du changement dans les organisations. Cette dernière fait l'objet de nombreux défis liés aux résistances et à la culture internes et aux défis de l'adaptation technique. La transformation numérique se définit comme : "[...] the changes that the digital technology causes or influences in all human aspects life" (Stoolman et al. 2004238). Cette définition générique a pour avantage de mettre en avant les dimensions humaines et culturelles. Dans le cadre des éditeurs de presse, l'innovation dans les médias et l'éthique journalistique sont des éléments à prendre en compte dans les stratégies de diversifications mis en place. Nous mettons ainsi en avant l'importance de la trajectoire historique, culturelle et gestionnaire, qui se traduit dans le positionnement marketing des marques médiatiques dans les directions prises par les éditeurs de presse, dans le cadre de leur adaptation de leurs activités à la modification de la structure du marché. Nous reposons ainsi sur une hypothèse que nous allons défendre ou infirmer au cours de cette partie.

Hypothèse 2 : "La trajectoire en termes d'innovation des firmes médiatiques dépend principalement de leur héritage éditorial et leur culture journalistique. Les tabloïds britanniques tendent à davantage s'adapter aux pratiques marketing et aux règles du jeu numérique alors que la presse dite de qualité tend à devoir innover sur les formats et trouver de nouveaux modes de création de valeur pour le consommateur."

237 LUCAS Henry, GOH Jie Mein, "Disruptive technology: How Kodak missed the digital photography revolution", The Journal of Strategic Information Systems, Volume 18, 2009, pp. 46-55 238 STOLTERMAN Erik, FORS Ana Croon," Information Technology and the Good Life", Information Systems Research. IFIP International Federation for Information Processing, vol 143. Springer, 2004

168 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

4.1 La transformation des médias comme objet d'étude

Comme nous avons pu le voir, la transformation numérique des médias renvoie à une thématique plus large de transformation des organisations. Le terme "transformation" se définit, selon le dictonnaire Larousse, comme "le passage d'une forme à une autre". Retrouvant ici le modèle de la destruction créatrice de Schumpeter, l'idée de "transformation" est liée à l'idée d'une adaptation à une nouvelle vague technologique, ce que d'aucuns nomment la "quatrième révolution industrielle 239 ". La littérature académique a longuement étudié la question du changement dans les organisations et les modèles économiques. Depuis le paradoxe de Solow, s'expliquant par le décalage entre l'investissement technologique et l'adoption de nouvelles pratiques, de nombreuses études académiques sur la diffusion de l'innovation dans les firmes médiatiques ont été effectuées. Parmi les précurseurs, Bruce Garrison 240 a analysé l'impact des technologies du web 2.0 dans les rédactions américaines entre 1994 et 2000. Durant ce laps de temps, les pratiques simples d'utilisation de l'informatique bureautique (recherche d'information, utilisation des moteurs de recherche, maîtrise de l'ordinateur) ont facilité le travail des journalistes, avec une segmentation dans les rôles entre spécialistes du web et de la presse traditionnelle. Depuis les années 2010, la question de l'innovation et l'adoption de pratiques technologiques dans les médias a été approchée sous l'angle de l'ouverture des rédactions avec des acteurs externes, notamment les groupes de hackers et d'informaticiens (Lewis, 2014 241) et de l'impact de l'ouverture des données via les open API (ouverture et exploitation du code source des programmes développés en interne par les rédactions) (Aitamurto, 2012 242). Tanja Aitamurto a ainsi montré l'impact positif au sein du New York Times, The Guardian, USA Today et NPR de l'ouverture du code source des applications développées par les médias via la création de nouveaux débouchés pour les produits crées et la constitution d'un réseau de spécialistes inspirés par le journalisme. Lucy Kung243 a analysé les facteurs clefs de succès de plusieurs médias (Buzzfeed, The Guardian, New York Times, Quartz et Vice), mettant en avant l'importance d'une culture orientée vers l'innovation technologique et une intégration forte entre journalistes et équipes techniques. La question de la résistance au changement a aussi été étudiée (Ekdale et al., 2015244) avec pour

239 SCHWAB Klaus, The Fourth Industrial Revolution, Penguin, 2017, 192 p. 240 GARRISON Bruce, “Diffusion of online information technologies in newspapers newsrooms”, Journalism, Vol 2, Issue 2, pp. 221-239 241 LEWIS C. Seth, “Code, Collaboration, and the Future of Journalism”, Digital Journalism, Vol. 2, 2014 242 AITAMURTO TANJA, LEWIS C. Seth, "Open innovation in digital journalism: Examining the impact of Open APIs at four news organizations", New Media & Society, 2012, Vol 15, Issue 2, pp. 314 - 331 243 KUNG LUCY, Innovator in Digital News, I.B. Tauris, ,2015, 144 p. 244 EKDALE Brian, SINGER B. Jane, TULLY Melissa, HARMSEN Shawn, “Making change, Diffusion of Technological, Relational and Cultural Innovation in the Newsroom”, Journalism & Mass Communication Quarterly Vol. 92, Issue 4, pp. 938-958, 2015

169

conclusion que la nécessité d'une montée en compétences technologiques était nécessaire mais avec néanmoins un rapport difficile sur la question des interactions avec les lecteurs, principalement due aux considérations éthiques et culturelles du journalisme. De manière générale, l'innovation dans les médias est un sujet qui a été abordé principalement sous l'angle des usages au sein des rédactions et de la collaboration ouverte avec des acteurs externes dans une thématique plus large d'open innovation. La question de l'engagement avec les consommateurs ou de l'utilisation de nouvelles techniques marketing par les entreprises de presse est un sujet relativement rare. La question de la diversification et des trajectoires prises par les entreprises de presse ne peut être mis en perspective sans prendre en compte le positionnement historique et la culture journalistique des organisations qui jouent un rôle essentiel dans la relation avec le consommateur et en interne avec les équipes de rédaction.

4.1.1 La diversification des firmes médiatiques, entre opportunités et rattrapage technologique.

Les stratégies de diversification des entreprises ont été largement étudiées en économie industrielle et en sciences de gestion. Igor Ansoff245 distingue plusieurs types de diversifications, horizontale, verticale et le conglomérat. La diversification horizontale se traduit par le développement de produits nouveaux autour d'une technologie et des moyens de production identiques. Il s'agit par exemple du lancement de nouveaux magazines par des quotidiens. La diversification verticale caractérise l'acquisition d'un acteur de la chaîne de valeur de l'entreprise dans un but de réduire les relations de dépendance. Il s'agit du cas, par exemple vis à vis d'un fournisseur (intégration en aval) ou en établissant un contact direct avec ses clients (intégration en amont). Le conglomérat en revanche, se traduit par le développement d'activités distinctes, une entreprise s'engageant ainsi sur un marché dont elle n'a aucune expérience. Les pratiques de diversification impliquent traditionnellement soit un investissement pour l'extension de la domination sur un marché respectif, de redéploiement, dans le cadre d'une activité vieillissante ou encore de survie, lorsqu'une entreprise nécessite de trouver des revenus dans de nouvelles activités. Le mode de diversification dépend de la taille de l'entreprise, de sa santé financière et de son capital technologique. Comme le montrent Samuel Grandval et Stéphanie Vergnaud246, les stratégies de synergie ont souvent justifié les diversifications sans pour autant atteindre au final le résultat escompté. Une synergie peut être définie comme une valeur ajoutée générée par la combinaison de deux firmes et la création de nouvelles opportunités qui n'auraient pas été faisables de manière indépendante. Les effets attendus sont des économies d'échelle (dans le cadre d'une diversification horizontale notamment), un pouvoir de tarification (via une domination du marché), la combinaison d'avantages comparatifs et de

245 ANSOFF Igor, Corporate Strategy, 1965, 208 p. 246 GRANDVAL Samuel, VERGNAUD Stéphanie, « La diversification liée comme stratégie de valorisation de compétences technologiques distinctives », La Revue des Sciences de Gestion, 2006/1 (n°217), p. 87-99 170 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. compétences clefs (par exemple dans le cadre d'une diversification conglomérale par l'acquisition de nouvelles technologies via le rachat de nouvelles entreprises à fort capital technique) ou une croissance sur de nouveaux marchés (Damodoran, 2005247). Michael Gary248 a mis en avant que les synergies entre organisations ne fonctionnent qu'avec un leadership suffisamment efficace qui permet d'éviter le relâchement. Ceci se retrouve dans les analyses menées par Douglas Miller qui montre les économies de coûts pour les entreprises se diversifiant dans un but de synergie. En effet, selon ce dernier, l'innovation induite des investissements en recherche et développement, les firmes disposant de technologies peuvent se diversifier et effectuer des "économies de champ"249, en partageant des compétences clefs entre les activités. Néanmoins, comme le montre Thierry Pénard250, il peut être préférable pour une entreprise de ne pas se diversifier ou fusionner si le résultat obtenu n'est pas suffisant en matière d'innovation et de coûts. La question de l'intensité technologique des firmes se pose aussi, car justifiant une diversification conglomérale dans le cadre de l'acquisition de technologies. Edith Penrose251 dans une analyse précurseur du modèle resource-based-value a mis en avant que les entreprises, afin de tirer avantage des ressources doivent disposer d'un niveau de connaissances sur les atouts de ces dernières. Les ressources internes de l'entreprise sont donc un avantage clef. Comme le montre Barney, ces dernières doivent être à haute valeur ajoutée (diminuent les risques et accroissent les opportunités), rares, inimitables et non-substituables. Le degré de compétence technologique est donc une ressource clef pour l'entreprise, qui n'est cependant pas soutenable sur le long terme, en raison de l'obsolescence technique, qui peut être inimitable (dans le cadre d'un modèle en infrastructure essentielle, par exemple Google) et non-substituable (par les effets de réseau). Dans le cadre des entreprises de presse, nous postulons que les médias traditionnels, en raison de leur identité et de leurs trajectoires historiques sont à la recherche d'un rattrapage de la frontière technologique, notamment vis à vis des leaders américains du numérique (en termes d'audience, de compétences technologiques et professionnelles), justifiant ainsi des stratégies de diversification mais aussi des considérations externes à la chaîne de valeur traditionnelle dans la production de contenus. Comme le montre Gillian Doyle252, les médias traditionnels prennent en compte les enjeux multi-supports dans leur stratégie :" multi-platform refers to a strategic approach where media companies are focused on making or putting together products and services with a view towards delivery and distribution of that content proposition on not just one but across multiple platforms. A significant aspect of

247 DAMODORAN Aswath, The Value of Synergy, New York University - Stern School of Business, 2005 248 GARY Shayne Michael, "Implementation strategy and performance outcomes in related diversification", Strategic Management, Volume 26, Issue 7, juillet 2005 Pages 643–664 249 Ibidem 144 250 PENARD Thierry, Economie du numérique et de l'internet, Vuibert, 2010, 192 p. 251 PENROSE Edith, The theory of the growth of the firm, Oxford University Press, 2009, 300 p. 252 DOYLE Gillian, “Multi-platform media and the miracle of the loaves and fishes", Journal of Media Business Studies, 2015

171

widespread migration towards a multi-platform approach is that, for many firms, it has fundamentally transformed their understanding of what the business of supplying media is about." impliquant ainsi une redéfinition du rapport à engagement des lecteurs : " In managing a more complex and more dialogical interface with digital endusers, the need for tools that are effective in sustaining engagement is increasing." Le rapport de 2008 de l'Observatoire de métiers de la presse 253 a proposé deux scénarios potentiels pour la transformation numérique des médias, le premier propose "sur l’idée d’une interrelation, contenu éditorial / support / rapport à l’utilisateur du média" 254 tandis que le second scénario propose l'idée d'une "autonomie entre le contenu éditorial, le support et le rapport au public, donc subsidiarité entre les médias". Nous postulons dans cette partie que la transformation numérique des médias s'opère d'une part par une redéfinition du rapport à la marque, ce que Gillian Doyle montre comme "un accroissement de la présence de marque", notamment par un positionnement plus prononcé et des investissements dans des technologies d'engagement avec l'audience, impliquant notamment un rattrapage de la frontière technologique. La redéfinition de la marque, notamment son renforcement et la stratégie de diversification est néanmoins dépendante des spécificités nationales du marché de l'information. Dans ce cadre on distingue de fortes différences entre le Royaume-Uni, d'un côté et la France et la Suisse de l'autre. Le premier se distingue par l'existence de tabloïds dont le contenu, historiquement destiné à attirer l'attention se porte particulièrement bien aux pratiques virales en ligne. Dans les cas français, suisses et de la presse d'information de qualité britannique, le contenu éditorial, plus contraignant s'adapte moins facilement au faible temps d'attention des consommateurs sur le web ce qui représente à la fois un fort attribut de vente mais aussi une difficulté à générer du trafic de masse en ligne.

4.2 L'ancrage éthique français et suisse du journalisme comme ressort de l'innovation journalistique.

L'écosystème des médias français, britanniques et suisses se caractérise par de fortes différences éditoriales et culturelles. Les médias britanniques se divisent traditionnellement entre les tabloïds (The Sun par exemple), aussi connus sous le surnom de red top, de par leurs titres écrits en rouge et la presse dite de qualité. Adrian Bingham 255 définit le contenu des tabloïds comme simplificateur, exagérateur et populaire : "[...] the vivid and dramatic presentation of events so as to give them a forceful impact … big headlines, vigorous writing, simplification into familiar everyday language and the wide use of illustration by cartoon and

253 CHARON Jean-Marie, "Deux scénarios d'évolution de la presse écrite", Observatoire de la presse écrite, 2011 254 CHARON Jean-Marie, " De la presse imprimée à la presse numérique. Le débat français.", Réseaux, 2010/2 (n° 160-161), p. 255-281. 255 BINGHAM Adrian, CONBOY Martin, Tabloid Century: The Popular Press in Britain, 1896 to the Present, Oxford University Press, 2015, 258 p. dans cet ouvrage, les auteurs citent un journaliste du quotidien Britannique The Mirror dans un article de 1949. 172 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. photographs." Le format tabloïd repose sur de gros titres, un ton éditorial agressif et aguicheur, une simplification du style pour le rendre familier, accessible à un public de catégories sociales moyennes ou inférieures, et l'utilisation abondante de dessins, images et photographies. Le style journalistique des tabloïds a été étudié sous l'angle critique, notamment pour le framing simplificateur de l'information mais aussi pour leurs positions conservatrices (Moore et al. 256 , 2008). Simon Cross 257 illustre ce style éditorial en montrant la logique sensationnaliste de la couverture des homicides et affaires criminelles dans les tabloïds. L'audience de ces derniers appartient principalement à la working class britannique au capital socio économique moins élevé (Boykoff, 2016258) que d'autres journaux comme, par exemple, The Guardian ou The Times. Depuis le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne de 2016, les tabloïds ont été critiqués pour leur prise de position en faveur d'un départ de l'espace communautaire européen. Ces derniers se sont démarqués par des articles sensationnalistes et des représentations abusives sur les enjeux politiques qui ont soulevé la question de l'intégrité journalistique, comme ce put être le cas du traitement médiatique de la crise européenne des réfugiés : "These startling misrepresentations often failed to distinguish between refugees and migrants, between European and nonEuropean migrants and mostly never defined adequately what a migrant is except to treat them as ‘Other’." 259

Les tabloïds britanniques ont de plus été entachés par de nombreux scandales dont le point marquant fut celui des écoutes téléphoniques de News of the World aboutissant au Leveson Inquiry mené entre 2011 et 2012 par le Lord of Justice Leveson et visant à enquêter sur la culture, les pratiques et l'éthique de la presse britannique260. Ce modèle de représentation de l'information s'oppose aux journaux qualifiés de "qualité" (la presse britannique est divisée entre quality

256 MOORE Kerry, MASON Paul, LEWIS Justin, " The Representation of British Muslims in the National Print News Media 2000-2008", Cardiff School of Journalism, Media, 2008 and Cultural Studies.

257 CROSS Simon, " Mad and bad media: Populism and pathology in the British tabloids ", European Journal of Communication, Vol 29, Issue 2, pp. 204 - 217. Dans cet article Simon Cross montre l'existence d'une grille de lecture "pathologique" du crime dans les tabloïds. Ces derniers qualifient les criminels soient de "fou" soit sous l'angle du "mal", offrant ainsi une vision binaire, individuaaliste et simplificatrice des problèmes sociaux.

258 BOYKOFF T. Maxwell, "The cultural politics of climate change discourse in UK tabloids", Political Geography, Volume 2, juin 2008, Pages 549-569 256 259 Source : article de Natalie Fenton, professeur à Goldsmith University https://www.opendemocracy.net/uk/austerity-media/natalie- fenton/brexitinequality-media-and-democratic-deficit 260 Le scandale des écoutes téléphoniques de News of the World eut un impact retentissant dans l'écosystème des médias britanniques. La publication du Leveson Inquiry ordonnée par la House of Commons conclut que la Press Complaints Commission était un organe insuffisant aboutissant à sa fermeture en 2014 et son remplacement par The Independent Press Organisation visant à l'établissement de standards de haut niveau pour la presse. La Leveson Inquiry

173

press et popular press) représentés notamment par The Guardian. Cette division se traduit aussi de manière traditionnelle par une différence en termes de format de journal. La presse dite "sérieuse" utilise un format broadsheet (540 x 385 mm en 8 colonnes). Les quotidiens utilisant ce format sont notamment The Financial Times, The Daily Telegraph au Royaume-Uni mais que l'on retrouve aussi en Allemagne avec Die Welt ou le Frankfurter Allegemeine Zeitung. A l’inverse, le format tabloïd, né au Royaume-Uni en 1884 est plus petit (280 mm × 430 mm) et se caractérise par des coûts de fabrication plus faible. Un autre format fut inventé en 1970 par le Daily Mail, qui, ayant copié le format tabloïd souhaitait se différencier en termes de contenu en raison de la connotation péjorative de ce dernier. Le terme "compact" réfère donc à un journal de qualité ayant adopté un format tabloïd mais souhaitant en théorie se différencier en termes de contenu. Parmi les journaux au format tabloïd nous pouvons compter The Sun, The Daily Mail, The Evening Standard, The DailyMirror. Le format compact inclut The Times et i au Royaume-Uni et les journaux Métro, Télégramme et L'Équipe en France. Le format berlinois mesurant 315 x 470 mm se veut relativement plus petit qu'un broadsheet mais plus grand qu'un tabloïd. Il s'agit du format adopté au Royaume-Uni par The Guardian et The Observer, en France par Le Monde et en Suisse par Le quotidien Le Temps.

Cette division dans le style éditorial des journaux britannique se caractérise par un très fort tirage pour les tabloïds, les cinq quotidiens au tirage le plus important faisant partie de cette catégorie, des prix relativement faibles, The Sun avec un tarif de 0,5£ et The Daily Mail, 0,65£ proposent ainsi un prix de vente inférieur à celui de The Times, 1,4£ ou de The Guardian, 2£. Les revenus des tabloïds, souffrant de la baisse des ventes de journaux ont accumulé des pertes, associées de plus à de nombreux scandales. Les journaux britanniques, en plus de la différenciation entre presse dite de qualité et populaire, se caractérisent par une forte concentration des tabloïds. Les groupes News Corporation (The Sun, The Times, The Sunday Times), DMG Media (Daily Mail, The Mail on Sunday, Metro) et le Trinity Mirror Plc (Daily Mirror, Sunday Mirror, People) détiennent à eux seuls plus de 71% du tirage quotidien de journaux261.

a aussi souligné la faiblesse juridique du Data Protection Act en termes de protections des données des journalistes. 261 Source : rapport sur la concentration des médias "Who owns the UK Media?" du Media Reform Coalition de 2014 174 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Tableau 4.1 répartition du tirage de la presse au Royaume-Uni par groupe de presse en 2016

Groupe Tirage Pourcentage en Pourcentage total du tirage cumulé News Corporation 15 818 965 33.6% 33.6% UK DMG Media 11 372 076 24.1% 57.7%

Trinity Mirror Plc. 6 395 622 13.6% 71.3%

Express 5 691 767 12.1% 83.3% Newspapers Telegraph Media 3 309 100 7% 90.4% Group Ltd Independent Print 2 102 236 4.5% 94.9% Ltd. The Financial Times 1 243 074 2.6% 97.5% Ltd. Guardian News and 1 198 526 2.5% 100% Media Ltd. Source : OFCOM 2017

Cette concentration est d'autant plus marquée qu'en termes de positionnement politique une majeure partie des principaux quotidiens britanniques se situent à la droite de l'échiquier politique. Ceci fut particulièrement marqué au cours du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne où la plupart des journaux ont défendu une ligne éditoriale eurosceptique. Le tableau cidessous permet de prendre la mesure de ce positionnement.

Tableau 4.2 positionnement politique des principaux quotidiens britanniques Publicati The Sun The Daily The Daily Daily The on Mail Evenin Mirror Telegraph Times g Standa rd Tirage 1787096 1589471 89840 80914 472033 40415 2016 7 7 5

Type Tabloid Tabloid Tabloi Tabloi Broadshe Compa d d et ct Euroscepti Euroscepti Centre Soutie Conservat Centre que que droit nt le eur droit

175

Tendanc Conservat Conservat Labour e eur eur Party politique Détenteu News UK Daily Mail E. Trinity Telegraph News r and Lebed Mirror Media UK General ev Group Trust 63%, Daily Mail and Gener al Trust 24,9% Modèle Site web Site web Site Site Site web Paywal économi entièremen gratuit. web web gratuit. l. que t gratuit. Journaux gratuit. gratuit. Journaux Journa Journaux payants. Journa Journa payants. ux payants. ux ux payant payant payant s. s. s. Prix d'un 0,5£ du 0,65£ du Gratuit 0,65£ 1,6£ du 1,4£ du exemplai lundi au lundi au du lundi au lundi re vendredi, vendredi, lundi vendredi, au 0,7£ le 1£ le au 2£ le vendre samedi samedi vendre samedi di, di, 1£ 1,5£ le le samedi samedi

Publicati Daily Star Daily i Financial The The on Express Times Guardia Indepen n dent Tirage 470369 408700 271859 198237 164163 55193 2016 Type Tabloid Tabloid Compac Broadshe Berliner Numériq t et ue seuleme nt Tendanc Conserva Euroscept Centre Libéral/ Centre Centre e teur ique gauche Conservat gauche gauche politique Conservat eur* eur 176 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Détente Northern Northern Johnsto Nikkei Inc. Guardia Alexand ur and Shell and Shell n Press n Media er et Media Media Group Evgeny Lebedev Modèle Site web Site web Site web Paywall, Modèle Pure économi entièrem entièreme journaux "freemiu player que ent nt gratuit. entière payants m", gratuit gratuit. Journaux ment journau Journaux payants. gratuit. x payants. Journau payants x payants. Prix d'un Du lundi Du lundi Du lundi 2,7£ 2£ du / exempla au au au lundi au ire vendredi vendredi vendred vendred 0,5£, 0,55£, i 0,5£, i, 2,9£ 0,7£ le 0,8£ le 0,6£ le le samedi samedi samedi samedi

La presse française se démarque de la presse britannique par la quasi-absence de la presse à scandale parmi les quotidiens nationaux (que l'on retrouve néanmoins dans les hebdomadaires et magazines). Les quotidiens régionaux disposent historiquement d'un tirage nettement supérieur aux journaux nationaux. Ouest France est ainsi la publication au tirage le plus élevé (hors journaux gratuits) avec 678 860 exemplaires quotidiens en 2016. La presse régionale connaissait en 2016 un tirage global (pour l'ensemble des 54 premiers titres régionaux) de plus de 4 millions d'exemplaires quotidiens, tandis que la presse nationale, avec 1,2 millions de copies tirées demeure en position plus faible. La encore dans le cas français on constate une concentration des groupes de presse. Trois groupes, EBRA, Ouest France et Rossel/La Voix représentaient 56% du tirage total des quotidiens nationaux en 2016. Les deux premiers disposant chacun de 25,4% et 20,7% de parts de marché.

177

Tableau 4.3 répartition du tirage par groupe de presse en France en 2016 Groupe Tirage262 Pourcentage Pourcentage du total cumulé Groupe EBRA 1047666 25,4 25,4 Groupe Ouest France 856429 20,7 46,1 Groupe Rossel/La 409209 9,9 56,0 Voix Groupe Centre 320720 7,8 63,8 France Groupe Sud Ouest 314908 7,6 71,4 Groupe LVMH 205486 5,0 76,4 Groupe Télégramme 194734 4,7 81,1 Autres 189208 4,6 85,7 Groupe NRCO 169000 4,1 89,8 Groupe La Dépêche 159476 3,9 93,7 Groupe La Provence 133186 3,2 96,9 Groupe Nice Matin 130451 3,2 100,0 Total 4130473 100,0 Source : ACPM 2016

La presse française se différencie ainsi du Royaume-Uni par des tirages élevés dans le domaine de l'information régionale. Cette spécificité se conjugue avec une culture du journalisme marquée par une histoire prononcée de l'éthique et de l'importance des codes déontologiques. La charte des devoirs professionnels des journalistes français créee en 1918 puis révisée en 1938 et en 2011 met en place une forte distinction entre le journalisme et les métiers de la communication, appuyant ainsi la différence entre les deux : "Le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité ; il ne peut se confondre avec la communication."263La charte prévoit aussi l'importance d'une intégrité des faits : "Tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles.". A l'instar des journalistes britanniques, les professionnels du journalisme ne sont pas tenus de respecter cette charte bien que les pressions sociales des pairs et de l'audience puissent jouer un rôle de garde-fou.

La spécificité française du journalisme tient aussi en l'existence de dispositifs d'appartenance à la profession, notamment la carte de presse via la commission

262 Données de l'ACPM 2016 263 Charte d’éthique professionnelle des journalistes, 2011, Syndicat National du Journalisme (SNJ) 178 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. de la carte d'identité des journalistes professionnels. Cette dernière n'a pas d'équivalent au Royaume-Uni où l'appartenance à la profession journalistique repose seulement sur le fait d'être salarié d'une entreprise de presse. L'une des raisons invoquée repose sur l'écosystème médiatique britannique, valorisant peu la profession de journaliste et qui est soumis à une économie des coûts de production aboutissant à ce que le journaliste de la BBC Waseem Zakir a défini comme le "churnalisme". Proche du modèle de la circulation circulaire de l'information de Pierre Bourdieu264, les médias britanniques, privés des revenus déclinants de la publicité ont effectué des coupes budgétaires, notamment en termes de ressources humaines. Pour compenser des équipes de rédaction plus petites, la récupération de contenu sans vérifier l'information et l'écriture à la chaîne dans un souci de rendement (on parle alors de hack writer, un journaliste très mal payé pour rédiger une importante quantité d'article dans un laps de temps faible) a affaibli fortement la qualité du contenu265.

La Suisse, au-delà de sa particularité politique d'être une consociation politique et de sa richesse linguistique entraînant l'existence de medias italophones, germanophones et francophones, se démarque par une forte présence de quotidiens régionaux, similarités partagées avec la France. En ne considérant que le marché francophone des médias suisses, on découvre ainsi que les quotidiens d'information généraliste sont principalement détenus par le groupe Tamédia dont le siège social est à Zurich.

Table 4.4 répartition du tirage par groupes de presse en Suisse en 2016 Journal Diffusion Groupe Pourcent Pource age ntage cumulé 20 minutes 187 018 Tamedia 41% 41% 24 heures 59 180 Tamedia 13% 54% Le Matin 44 112 Tamedia 10% 64% (semaineà Tribune de 39568 Tamedia 9% 73% Genève La Liberté 39 000 Groupe Saint Paul 9% 81%

264 BOURDIEU Pierre, Sur la télévision, Raisons d'Agir, 1996, 95 p. 265 Nick Davies, journaliste freelance britannique a attiré l'attention sur ce phénomène auprès du grand public dans son livre Flat Earth News. Il met en avant l'affaiblissement de la qualité du journalism. Pour appuyer ses propos, Nick Davies s'est appuyé sur l'étude de l'université de Cardiff de 2008 concluant que 60% des articles des journaux britanniques étaient en fait des communiqués de presse de la part de professionnels des relations publiques. DAVIES Nick, Flat Earth News, 2009, Vintage, 492 p. LEWIS Justin, WILLIAMS Andrew, FRANKLIN Bob, THOMAS James, MOSDELL Nick, "The Quality and Independence of British Journalism: Tracking the changes over 20 years", Cardiff University, 2008

179

Le Nouvelliste 36 109 Editions Le 8% 89% Nouvelliste Le Temps 29763 Ringier 7% 96% L'Impartial 10 433 Hersant 2% 98% Le Courrier 6730 Nouvelle 1% 100% Association du Courrier Total 451 913 100% 200% Source : Mediapulse 2016

Le marché suisse se caractérise par des usages plus importants et réguliers de la presse d'information générale avec un taux de pénétration des médias de 94% en 2017. Tamedia est le principal groupe de presse en suisse romande, détenant à lui seul plus de 73% de l'audience francophone. Les journalistes suisses disposent, à l'instar de leurs homologues français d'une charte des devoirs et de déontologie nommée la "Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste". Crée en 1972, la déclaration fut inspirée par celle de Munich de 1971 et suivie en 1977 de la constitution du Conseil de la presse suisse, chargé d'émettre des recommandations sur le journalisme et les médias. A l'instar de la France, les journalistes suisses disposent d'une carte de presse qui offre à ses détenteurs des avantages financiers (principalement des remises sur des produits, la carte de presse en France en revanche permet d'obtenir des abattements sur les impôts sur le revenu). Le journaliste suisse, afin d'obtenir la carte de presse doit remplir les critères suivants, il doit être membre du Syndicat Suisse des Médias (SSM), doit travailler dans une entreprise de médias sur des critères journalistiques et reconnaître la Déclaration des droits et devoirs du journaliste. Ces différences entre la dualité des journaux au Royaume-Uni, aux contours journalistiques peu restrictifs (pas de carte de presse, importance des tabloïds) et les médias français et suisses se retrouvent dans les modes d'adaptation des firmes aux numérique. On constate ainsi, au sein des tabloïds, et plus particulièrement de The Sun, des pratiques en termes de diversification et de recherche d'un modèle économique intégrant très fortement les pratiques du marketing et des trajectoires s'orientant vers des activités externes au coeur du métier journalistique. Ceci n'a pas d'équivalent en France et en Suisse, où les pratiques de diversification et d'adaptation du modèle tendent à s'orienter principalement autour de l'activité historique des médias, le traitement de l'information et la production de contenu.

180 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

4.3 La diversification stratégique : L'exemple de l'adoption des pratiques marketing à succès par The Sun

The Sun, détenu par le groupe News Corporation, avec à sa tête Rupert Murdoch, a connu à l'instar des ses concurrents britanniques, une baisse de son chiffre d'affaires, passant de 456,6 millions de livres en 2014 à 446,4 millions en 2016. En dépit de ces chiffres décroissants, l'entreprise est parvenue à générer un profit constant durant la même période, en hausse de 3,6%, atteignant 16,9 millions de livres en 2016. La baisse du chiffre d'affaires est due, de manière combinée, à une diminution des ventes de The Sun, qui, de 2000 à 2017 a vu une chute de 1,5 millions d'exemplaires vendus, mais aussi de manière générale à des investissements publicitaires en baisse, principalement cannibalisés par les grands acteurs tels que Google et Facebook. En plus de ces facteurs structurels, The Sun fut au coeur de la Leveson Inquiry et des amendes liées (5,2 millions pour les allégations de piratage des téléphones de News of the World), ce qui a fortement terni sa réputation et impacté ses ventes.

En réaction aux nouveaux impératifs technologiques et économiques, The Sun a mis en place une stratégie d'acquisition technique et de diversification que nous allons analyser dans cette partie. Au regard des spécificités de la presse tabloïd nous allons revenir sur l'histoire de The Sun, qui montre le positionnement éditorial de la publication au regard du champ journalistique britannique. Ceci est particulièrement intéressant car il permet de refléter une spécificité du Royaume- Uni qui n'a pas d'équivalent en Suisse et en France.

4.3.1 The Sun : un positionnement éditorial adapté au click-baiting

The Sun, comme le montre Sofia Johansson 266, se positionne sur une ligne éditoriale "proche de la population" et "anti-establishment". Le tabloïd a été dans l'histoire contemporaine britannique un soutien politique important au parti conservateur Tories, ce qui ne fut pourtant pas toujours le cas. Crée en 1964 en tant que successeur du quotidien Daily Herald, il s'ancre dans un héritage à l'origine proche des idées socialistes avec une audience largement ouvrière267. En 1933 le Herald était le journal le plus vendu au monde avec plus de 2 millions d'exemplaires par jour, diffusés dans l'ensemble de l'Empire britannique. Cet

266 JOHANSSON Sofia, Reading Tabloids: Tabloid Newspapers and their Readers, Södertörns högskola 2007 267 Le Daily Herald était réputé pour ses prises de positions en faveur des ouvriers, opposé à son grand concurrent le Daily Express. Pour plus d'informations, consulter l'ouvrage de Georges Landsbury sur l'histoire du quotidien. LANDSBURY Georges, Miracle of Fleet Street: The Story of the Daily Herald, Spokesman Books, 1925, 167 p.

181

engagement politique à la gauche de l'échiquier politique cesse en 1968 quand le groupe australien News Corporation, avec à sa tête le magnat des médias Rupert Murdoch, rachète le quotidien.

En 1969, ce dernier s'empare du quotidien The News of The World. Crée en 1843, le journal avait à l'origine pour cible le public ouvrier avec comme ligne éditoriale un contenu choquant et provocateur, principalement tiré des décisions de jugements et les retranscriptions policières sur des affaires de moeurs et de crimes. Dès 1903, le journal diversifie son contenu en s'orientant vers les évènements sportifs, associant sa marque à des compétitions tels que The News of the World Match Play Championship en 1903 et The News of the World Darts Championship en 1927. Le rachat de The Sun en 1968 et de The News of the World par News Corporation se caractérise par une rupture radicale avec le contenu du Daily Herald. Historiquement connu pour être un journal d'information politique avec des prises de position audacieuses et progressistes, le quotidien est renommé The Sun avec des articles provocateurs sur les célébrités et un angle porté sur le contenu sexualisé, notamment la page 3 du journal contenant des photographies de femmes topless. Dès le lancement de The Sun, en 1968, une attention particulière est portée à la compréhension et l'analyse de l'audience, particulièrement sous la direction de Sir Albert Lamb (connu aussi le nom de Larry Lamb). Jérémy Tunstall268 parle de la stratégie de Lamb comme étant orientée vers "the sex, sport and sensation" avec un contenu "unique, jocular, venomous style". Cette orientation s'explique par les objectifs de Lamb, ce dernier doit relever les ventes d'un journal en déclin en offrant à son public ce qu'il attend. En ce sens, le nouveau rédacteur en chef du quotidien a mis au coeur du journal la compréhension des désirs de l'audience269 et la satisfaction de leurs

268 TUNSTALL Jeremy, Newspaper Power: The New National Press in Britain, Oxford: Clarendon Press, 1996

269 Voir l'article de Peter Preston sur le lancement et le développement de The sun dans l'article de theguardian.com du 16 juillet 2017. Ce dernier met en avant le choix de Lamb de rompre avec un rôle journalistique de hiérarchie de l'information. En plaçant au coeur de la stratégie éditoriale du journal, du contenu aguicheur le rédacteur en chef a permis de redresser les ventes et de devenir le premier quotidien britannique, au prix néanmoins d'une détérioration de la qualité du journalisme. Article de theguardian.com : https://www.theguardian.com/media/2017/jul/16/inkplay-larry-lamb-murdoch- sun-mirror-sex A noter que Larry Lamb regretta par la suite d'avoir fait ce choix éditorial, notamment sur la page 3 : " Later, Lamb would express some regret at having launched the Page Three Girl, but comforted himself with the reflection that "if we hadn't emancipated the nipple I'm sure some other paper would have done it before long" Article du 20 mai 2000 du Télégraphe faisant suite au décès de Sir Albert Lamb, disponible via ce lien : http://www.telegraph.co.uk/news/obituaries/1366801/SirLarry-Lamb.html

182 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. besoins dans une logique marketing. Cette audience se caractérise selon la classification du NRS Social Grade comme principalement masculine, représentant 58% de son lectorat et relativement âgée, 60% ayant plus de 45 ans. La plupart des lecteurs de The Sun résident à Londres, 26% et en seconde place dans les Midlands, 21%.Le 15 novembre 1969, The Guardian publie un article sur le lancement de The Sun, où le journaliste, Geoffrey Moorhouse évoque en ces termes la rupture radicale effectuée : ""Ce matin, (le 15 novembre 1969), a été témoin de la dernière apparence du "Sun" en tant que broadsheet, de la bannière que M. Hugh Cudlipp a porté sur ses épaules, héritage du "Daily Herald" et d'une tradition de croisade socialiste. Lundi verra bien une édition du "Sun" mais ce dernier sera impossible à reconnaître"270.La première édition est en quelque sorte précurseur dans le domaine du marketing en ligne et du clickbaiting. Le titre énorme de la première publication, marqué de lettres capitales “HORSE DOPE SENSATION" résume de manière fidèle la ligne éditoriale que le quotidien allait adopter les années suivantes.

Sous l'influence de Rupert Murdoch, le journal va adopter une position de plus en plus conservatrice. Au début des années 1970, The Sun va demeurer conforme aux opinions politiques de son prédécesseur, The Daily Herald. Aux élections générales de 1970, le quotidien soutient le candidat du Labour party. En 1974, The Sun soutient le parti Tories mais invite au vote en faveur de l'entrée du Royaume-Uni dans l'Union européenne en 1975. Dans les années 80, The Sun se fait remarquer par son soutien en faveur de la guerre des Malouines et son soutien à Margaret Thatcher. La Une du 4 mai 1982 demeure ainsi dans les mémoires pour son titre provocateur et patriotique intitulé : "GOTCHA. Our lads sink gunboat and hole cruiser" suite à la destruction du cuirassé argentin Général Belgrano. Durant la crise des grèves minières de 1984-1985, le journal soutient la police britannique appuyant ainsi la politique de Margaret Thatcher, puis les Etats-Unis au cours du bombardement de la Libye en 1986. Le quotidien devient notoire pour ses articles sujets à controverse, tels que la Une du 17 novembre 1983 à caractère homophobe : "STRAIGHT SEX CANNOT GIVE YOU AIDS – OFFICIAL". The Sun a été qualifié comme le premier quotidien britannique (en termes de diffusion) capable d'avoir une influence considérable sur le résultat des élections (Reevers et al.271, 2015). Reevers met ainsi en avant que le soutien de The Sun au Labour party en 1997 a contribué à plus de 525 000 votes tandis que la couverture médiatique en faveur du parti conservateur en 2010 a permis aux tories de gagner 550 000 voix supplémentaires. Le rôle de The Sun dans la victoire des partisans de la sortie du Royaume-Uni dans est un sujet controversé, souvent évoqué dans les médias, notamment sous l'angle du manque d'éthique et de son irresponsabilité politique. Le 8 mars 2017, l'Independent Press Standards Organisation (IPSO), héritière de la Press Complaints Commission,

270 Article de theguardian.com du 15 novembre 2011 : https://www.theguardian.com/theguardian/2011/nov/15/1969-launch- murdoch-sun 271 REEVES Aaron, McKEE Martin, STUCKLER David, "It's The Sun Wot Won It’: Evidence of media influence on political attitudes and voting from a UK quasinatural experiment.", Social Science Research, 2015

183

émet une décision de plainte contre The Sun pour un article citant que la reine d'Angleterre soutenait la sortie de l'Union européenne272. A noter que les fausses allégations et la non vérification des sources fut une tendance générale des tabloïds ne concernant pas seulement que le journal de Rupert Murdoch. Le 15 juin 2017, The Daily Mail avait ainsi publié une photographie détournée de personnes à l'arrière d'un camion avec pour titre "We're from Europe let us in". Ces derniers étant en réalité des réfugiés originaires d'Irak et du Koweit. Cette réputation de The Sun à divulguer des informations non vérifiées rejoint l'approche dite en churnalism du journalisme et au manque de confiance envers le journal aggravé depuis le scandale de The news International de 2011 au cours duquel plusieurs employés du journal et Rupert Murdoch en personne sont accusés de corruption policière, de tentative d'influence pour l'obtention d'informations et plus particulièrement d'avoir mis illégalement sur écoute certains de ses journalistes.

D'une manière générale, The Sun, de par son contenu provocateur, a historiquement été un précurseur dans la logique de la course à l'audience et à la performance. Le modèle des médias en ligne, basé sur la recherche de trafic et sur les métriques de clicks, encourage des pratiques proches de la ligne éditoriale du journal de Rupert Murdoch. Ken Smith, représentant du pays de Galles au National Union of Journalists parle de : " "Inevitably, if the criterion for including the story on the website is determined by the number of clicks, then we're going down a very dangerous path."273 Cette dimension provocatrice et l'héritage historique du quotidien à créer du contenu destiné aux coups médiatiques s'adaptent particulièrement bien aux tendances virales du web et aux pratiques du clickbaiting. Ceci se retrouve notamment dans la diversification du quotidien, s'orientant vers des activités de paris sur les sports en ligne, les jeux et la production de contenu principalement destinée à créer des scandales. Ces derniers étant entièrement dédiés à accroître le trafic en ligne et ainsi ses revenus publicitaires.

4.3.2 The Sun : l'acquisition technologique par le rachat d'entreprises spécialisées

The Sun, de par son appartenance à News Corporation (puis News Corp.274) profite du savoir faire et des compétences technologiques acquises par les marques du groupe. Ces dernières sont mises à profit du quotidien qui effectue une transition numérique orientée autour de ses atouts historiques, le contenu provocateur, et le positionnement éditorial du journal autour du sport, sexe et des scandales. L'investissement vers de nouveaux supports mobiles et activités

272 La décision est visible via le site de l'IPSO : https://www.ipso.co.uk/rulingsand-resolution-statements 273 Cité dans un article de la BBC Online du 14 septembre 2015 : http://www.bbc.co.uk/news/uk-wales-34213693 274 News Corporation a été divisé en deux différents groupes en 2012 (21st Century Fox (détenteur notamment de Fox News)) et New Corps. 184 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

(sports, jeux en ligne) s'effectue à l'instar de ses concurrents par tâtonnements, indécisions mais est particulièrement intéressant car s'opérant toujours dans une vision multi-canale des médias. Une question se pose donc de savoir si The Sun prend une orientation où les activités éditoriales sont soutenues par les différents dispositifs mis en place par la publication ou si le contenu devient pour le journal un moyen d'attirer l'audience vers les activités marketing annexes de la marque, le quotidien devenant ainsi un outil pour attirer l'audience, une forme de produit d'appel275.

La nécessité d'effectuer une transformation numérique du quotidien provient de la crise financière que The Sun connaît dans les années 2010 et se poursuit au cours de la décennie. En 2015, The Sun accusait une perte de 59 millions de livres sterling, suivi en 2016 de plus de 60 millions. Les raisons, partagées par l'ensemble des entreprises de presse, sont le déclin des revenus publicitaires et, fait exclusif, le scandale du piratage téléphonique de News of the World de 2015 (en 2015, News UK le groupe détenteur de The Sun dut verser une somme de 5 millions de livres pour couvrir les frais de procès liés au scandale). Comme le montre Sonja Zmerli 276 , la confiance accordée au journal de The Sun est particulièrement basse (seulement 14% en 2012) et contraste avec le nombre d'exemplaires important diffusés chaque jour277. Cette chute du chiffre d'affaires du quotidien met les supports mobiles et numériques au coeur des stratégies de relance alors même que le modèle du paywall fut abandonné après un échec en termes de revenus. Originellement adopté en 2013 à la suite des deux autres journaux détenus par le groupe News UK, The Times et The Sunday Times, la directrice du journal, Rebekah Brookes abandonne ce dernier en 2015 à la suite d'un trop faible nombre d'abonnements à la version en ligne278.

Bien qu'ayant atteint un nombre de 220 000 abonnés, les revenus générés par le paywall ne parvenaient pas à compenser les coûts d'acquisition liés au recrutement de nouveaux consommateurs notamment la publicité en ligne et les frais de référencement de l'information sur les moteurs de recherche. De même, le journal a tenté l'expérience d'une diversification du contenu, hors de son positionnement traditionnel, vers l'information politique avec des résultats

275 Les professionnels du marketing utilisent en ce sens le modèle AIDA (Awareness, Interest-Desire-Action) afin de créer des messages publicitaires, un cadre d'analyse pourrait être utilisé afin de montrer la stratégie éditoriale de The Sun, partagé entre investissement publicitaires, contenu aguicheur et choquant (Interest-Desire) et invitation à partager l'information ou vers les autres services du quotidien (Action). 276 ZMERLI Sonja, VAN DER MEER Tom, Handbook on political trust, Edward Elgar Publishing, 2017, 560 p. 277 Comme le montrent Tsfati and Cappella, la relation entre le niveau de confiance et le niveau de la diffusion et des ventes est faible. La raison étant que les lecteurs peuvent être à la recherche de NFC (need for cognition), davantage que d'information. TSFATI Yariv, CAPPELLA Joseph, "Do people watch what they do not trust?", Communications Research, Vol. 30. pp 504-529 278 Pour plus d'information voir l'article du Financial Times : https://www.ft.com/content/0aa8beac-c44f-11e5-808f-8231cd71622e?mhq5j=e1

185

mitigés. The Sun Nation, lancé en 2015 avait pour ligne directrice un ton "provocateur et disruptif"279 sur la politique mais fut abandonné en 2016, étant désormais intégré à la rubrique politique du site web principale de The Sun. En novembre 2015, la directrice du quotidien annonce un changement de stratégie avec une orientation vers les supports numériques. Ceci se traduit par le recrutement de plus de 50 professionnels du marketing en ligne et le redéploiement du site web sur le Content Management System (CMS) Wordpress, au lieu de Escenic utilisé précédemment. De même, des choix stratégiques sont effectués, tel que le renoncement à une diversification géographique de l'activité comme le pratiquent le Daily Mail et The Guardian.

David Dinsmore 280 , directeur exécutif de The Sun déclare en 2015 que la stratégie éditoriale du journal en ligne cible principalement un public britannique résidant au Royaume-Uni en opposition à d'autres quotidiens, notamment The Guardian visant une audience anglophone internationale. Ceci se traduit par un positionnement sur les lignes conservatrices historiques du journal via un contenu éditorial promouvant l'identité nationale britannique. Le 14 juin 2016, une semaine avant le vote du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, The Sun publie une couverture au titre "Be Leave in Britain", marquant ainsi son soutien aux partis eurosceptiques.

Face à la baisse de ses revenus, le groupe effectue une diversification de ses contenus et activités autour de deux principaux pôles éditoriaux : • Les paris sportifs (hippiques, football, tennis) • Les jeux en ligne

Cette diversification offre au Sun, un savoir-faire dans le domaine de la vidéo, des jeux en ligne mais plus principalement, élément essentiel dans la chaîne de valeur de l'économie de données, de méthodes d'analyse des comportements du consommateur. Ce mode de diversification passe pour le quotidien par une acquisition externe de compétences technologiques, principalement via le rachat d'entreprises. En 2015, le journal s'associe à Tabcorp, spécialisée dans les jeux en ligne. L'entreprise, basée à Melbourne possède une expérience riche dans les domaines de la loterie et du jeu avec une base d'utilisateurs de plus de 1,2 millions de personnes et l'habitude de développer des applications sur des supports différents, iPad, iPhone et Android. L'entreprise dispose aussi de compétences prononcées dans le domaine du CRM, utilisant le logiciel leader sur le marché Salesforce avec une stratégie marketing orientée autour du consommateur, comme le montre Claire Murphy, Chief Marketing Officer pour Tabcorp : "“This is so they understand their role in creating compelling customer experience, [...] Finally, it’s about delivering value to customer experience –

279 "...a loud and disruptive platform", tiré de l'article de theguardian.com du 21 janvier 2016 : https://www.theguardian.com/media/2016/jan/21/the-sunpolitics- site-sun-nation 280 Interview sur le site de News UK : https://www.news.co.uk/2016/06/the- drumon-the-suns-digital-strategy 186 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. looking at customer journeys, where the painpoints are, then looking at how we demonstrate the value of removing those to the business and putting a mirror up to the journey to show the outcomes we deliver.”281 Ce partenariat offre au journal The Sun la possibilité d'effectuer des paris en ligne sur des sports tels que le football, le tennis ou la course hippique, dans la lignée d'une stratégie éditoriale historique orientée vers le soutien à des évènements sportifs et l'attrait de son audience pour ces derniers, notamment le football. En 2015, à l'aide de Tabcorp, The Sun lance Sun Bets, consécutivement au lancement antérieur d'offres spécialisées dans le domaine tels que Dream Team FC ou the Sun Favourite. The Sun offre aussi un service de jeu en ligne de Bingo, The Sun Bingo crée en 2006 en Australie et opérant au Royaume-Uni depuis 2015, qui, comme nous le verrons est au coeur de la stratégie d'acquisition et de collecte des données.

The Sun, entreprend de même l'acquisition de technologies lui permettant d'accroître sa présence en ligne et de générer des revenus publicitaires. En 2015 The Sun fait l'acquisition de deux entreprises britanniques, Unruly et Moat Partners. Unruly fut fondée en 2006 au Royaume-Uni et est spécialisée dans la production de contenus vidéo en ligne. En 2016 Unruly comptait plus de 200 personnes réparties entre Londres, New York et Singapore. L'entreprise propose des formats adaptés à la navigation web et mobile, notamment en preroll, publicité diffusée quelques secondes avant le début d'une vidéo. Unruly acquise par News Corporation pour 176 millions de dollars dispose aussi d'un système de détection prédictive de la viralité basé sur son algorithme ShareRank, utilisant un panel de 250 000 visiteurs et de 1,3 millions de vidéos afin de mesurer la potentialité d'un contenu à créer de l'engagement. Ceci rejoint la création d'une équipe analytique partagée au sein des rédactions de The Sun, The Sun on Sunday et The Times dont l'objectif est d'optimiser le contenu en ligne et garantir le maximum de viralité pour les articles publiés.

L'entreprise Unruly s'est par ailleurs distinguée pour des publicités en ligne pour des marques telles que Nivéa avec la campagne Nivéa Stress Test ou TV Thai Life, "Unsung Hero", avec un contenu fortement émotionnel ou visant à atteindre une forte viralité en ligne. Unruly est aussi notamment spécialisée dans les technologies mobiles et a développé pour The Sun une technologie permettant de visualiser les vidéos de manière verticale, en opposition à une vue paysage, traditionnelle. Ceci fait suite à la première vidéo développée dans ce format par l'entreprise TBWA/Hakuodo en 2016 au Japon pour le groupe de musique japonais Lyrical School. Comme l'énonce le directeur créatif de l'agence publicitaire, Satoshi Chikayama, l'objectif est de pouvoir déclarer aux nouvelles tendances de visionnage en ligne : "les jeunes japonais obtiennent une part importante de leur contenu via les smartphones, incluant la télévision, le social

281 Interview de Claire Murphy, Chief Marketing Officer de Tabcorp du 20 septembre 2016 pour le site en ligne australien : https://www.cmo.com.au/article/607142/cmo-interview-placing-bet-marketing- customer-led-future-tabcorp/

187

media, le web et les vidéos de musiques. Peu importe la taille ou l'échelle d'une musique vidéo, cette dernière sera vue via un écran. Ce qui représente une opportunité" 282 . L'objectif de l'agence publicitaire est donc de profiter des tendances de consommation, notamment d'un public jeune pour optimiser la vision de vidéos en ligne. De la même manière, le directeur commercial de Unruly, Phil Townend déclare que : "Le paysage (publicitaire) change rapidement et le format vertical aide les marques à créer un engagement et une relation plus authentique, intime et efficace avec l'audience mobile"283.

Cette dernière permet ainsi pour les annonceurs de profiter de la spécificité des supports mobiles. Cette technologie a été déployée par Unruly en France, Royaume-Uni, Allemagne, Etats-Unis et à Singapour. Continuant dans sa lancée Unruly lance en 2016 un réseau de créateurs de vidéos dédiés au format vidéo publicitaire vertical nommé Vertical Video Collective. Ce dernier regroupe un ensemble de producteurs et d'artistes créant du contenu utilisant ce format. Le réseau est mis à la disposation des annonceurs de News Corp intéressés par le format. L'objectif est de pouvoir mettre à la disposition des annonceurs les vidéos les plus innovantes et créatives qui permettent de se différencier sur le web comme le déclare la vice présidente d'Unruly Sarah Wood 284 . Parmi les principaux annonceurs ayant utilisé ce format sur le site web du journal, on compte notamment la marque britannique de distribution grand public Morrison qui cible les catégories socio-professionnelles du quotidien. L'acquisition d'Unruly traduit un engagement de la part de The Sun de s'imposer dans les vidéos en ligne et le contenu viral comme le déclare le directeur de la stratégie du journal, Derek Brown en 2016 : "La vidéo est une part clef de la stratégie éditoriale de The Sun, créer un format publicitaire reflétant ce choix est vital. Nous savons que nos lecteurs sont engagés avec les publicités vidéo mais nous sommes aussi conscients qu'ils n'apprécient pas la publicité intrusive et inconvéniente. Unruly leur offre un format vidéo non-intrusif et adapté à l'expérience utilisateur mobile"285.

La même année The Sun crée un partenariat avec The Moat. L'entreprise basée à New York est spécialisée dans les outils de mesures de l'audience et de l'efficacité publicitaire. Son outil Moat Analytics offre des services d'analyse de l'audience à des fins publicitaires tandis que Moat Pro est un outil fournissant en temps réel des informations sur l'efficacité des publicités. Parmi ces clients on

282 Source Interview de Satoshi Chikayama du 13 mai 2016 sur thedrum.com : http://thedrum.com/news/2016/05/13/vertical-video-retinal-projections- tbwahakuduho-says-content-has-go-native 283 Source article de thedrum.com du 25 août 2016 : http://www.thedrum.com/news/2016/08/25/unruly-launches-ad-format- andcontent-creator-network-vertical-video-apac 284 Source article de marketingland.com du 20 juin 2016 : http://marketingland.com/unruly-moat-partnership-brings-vertical-videos- newscorp-advertisers-181638 285 Source communiqué d'Unruly du 20 juin 2016 : https://unruly.co/news/article/2016/06/20/unruly-news-corp-moat-partner- bringviewable-vertical-video-advertisers/ 188 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. note The New York Times, Twitter, Unilever, Vice Media, Vox ou encore Facebook. Moat, spécialisée dans la mesure de l'audience web offre aussi un service de détection du trafic non humain, notamment des bots. L’entreprise Moat est ainsi chargée de mesurer l'efficacité publicitaire des vidéos publiées par The Sun via le format et le réseau publicitaire d'Unruly. Les technologies de Moat et d'Unruly bénéficient à l'ensemble des journaux du groupe News UK, The Times, The Sunday Times et The Sun on Sunday. News Corp a aussi racheté en 2013 l'entreprise Storyful basée à Dublin en Irlande. Cette dernière possédant des succursales au Royaume-Uni, Australie, Etats- Unis et à Hong Kong est spécialisé dans l'offre de services d'analyses, de contenu et de rédaction éditoriale à destination de professionnels du marketing et de l'édition. L'un des services offert repose sur la vérification de l'authenticité d'informations amateures publiées sur les réseaux sociaux, ceci en temps réel. Storyful propose aussi la création de contenu vidéo, de production de marques et d'analyses à destination de professionnels du marketing dans le domaine des contenus à format vidéo. Parmi les clients de l'entreprise on dénombre notamment Google, Coca-Cola, ABC News, AT&T, Mashable, MSN et le New York Post.

Ce rachat d'entreprises technologiques spécialisées dans les techniques analytiques de mesure de la viralité en ligne met en avant les synergies effectuées dans le cadre du groupe News Corporation. L'entreprise de Rupert Murdoch avait généré en 2016 un chiffre d'affaires de 8,14 milliards de dollars lui permettant ainsi d'investir dans l'acquisition de compétences et savoir-faire technologiques. Cette orientation traduit aussi une facilité à la transformation numérique, due principalement à l'absence de barrières culturelles contraignantes et un héritage historique en termes de positionnement vers du contenu éditorial adapté à la recherche de trafic sur le web. The Sun dispose d’une affinité élective entre sa trajectoire historique et les pratiques à succès de génération de trafic en ligne à faible coût. Ceci a pu favoriser une transformation digitale facilitée par le rachat de technologies et l’adoption de techniques analytiques. Il est intéressant dans un second temps d'analyser la diversification opérée par un autre tabloïd quotidien britannique, le Daily Mail.

4.4 La diversification du Daily Mail : une diversification sous la forme du "portail" et le rachat de sites web professionnels.

The Daily Mail est quotidien britannique de format tabloïd crée en 1869 et est le deuxième plus important journal du Royaume-Uni en termes de tirage. Le quotidien est diffusé du lundi au samedi avec une publication soeur le dimanche, The Mail on Sunday. Le journal est détenu par le groupe Daily Mail and General Trust PLC crée en 1922 et basé à Londres.

Le groupe possède plusieurs entreprises diversifiées, principalement dans le domaine des médias, de l'information et de la finance :

189

• Risk Management Solution est la solution de gestion des risques financiers du groupe, spécialie dans l'assurance et la couverture immobilière. • DMG information est la branche investissement spécialisée dans l'apport de fonds à des entreprises spécialisées dans l'information financière. • DMG events, basé à Dubai offre des services d'organisation d'évènements internationaux. L'entreprise compte ainsi dans ses rangs l'organisateur d'évènements ad:tech spécialisé dans le marketing digital et la publicité en ligne • Euromoney Institutional Investor PLC est une maison d'édition spécialisée dans les magasines financiers et est détenu à 49% par le groupe. DMG Media est la branche du trust spécialisée dans la publication de journaux. Parmi ces derniers on peut compter le Daily Mail, The Mail on Sunday, Ireland on Sunday, Mail Today tabloïd quotidien publié en Inde, le journal gratuit Metro et le MailOnline, site web d'information anglophone le plus visité en 2014 avec plus de 11,3 millions de visiteurs uniques journaliers en 2014 selon ComScore. Comme nous avons pu le voir dans les chapitres précédents, la diversification géographique a été au coeur de la stratégie d'expansion sur le web.

Le Daily Mail, se classe dans la catégorie des tabloïds et dispose d'une histoire journalistique au positionnement politique ambigü, ayant entretenu une ligne éditoriale conservatrice au cours du XXe siècle proche de nombreux gouvernements dictatoriaux. Pendant la période de l'entre deux guerres, le quotidien apporte son soutien aux régimes de Bénito Mussolini et d'Adolf Hitler, appelant les jeunes britanniques à s'engager dans l'Union Britannique Fasciste, puis, dans les années 70, le journal s'oppose au boycott des sportifs sud africains contre l'apartheid. Au cours du référendum de juin 2016 sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne The Daily Mail soutient l'United Kingdom Independence Party (UKIP) en appelant les électeurs britanniques à voter pour une sortie de l'Union européenne. Le journal a par ailleurs fait l'objet de nombreuses critiques et poursuites judiciaires suite à des affaires de diffamation. En septembre 2013 The Daily Mail attire l'attention de la justice britannique après un article publié à l'encontre du sociologue marxiste britannique Ralph Miliband, père du chef du parti travailliste britannique Ed Miliband. Le quotidien est accusé, en raison de son titre aguicheur "The Man who Hated Britain" de diffamation et d'anti sémitisme. En mars 2015, James King, ancien employé du site web du Daily Mail aux Etats-Unis publie un article dans le pure player américain Gawker286 dénonçant les pratiques peu éthiques des journalistes en ligne du quotidien consistant à la réécriture d'articles en provenance du web sans effectuer de vérification de l'information. Les scandales du Daily Mail se poursuivent en novembre 2015 suite aux attaques terroriste de Paris alors que le dessinateur britannique Stanley McCurtry publie un dessin qui associe directement les attentats à la crise européenne des réfugiés et critique les lois de l'Union européenne comme favorisant la diffusion de l'Islam en Europe.

Le lectorat du Daily Mail est relativement similaire à celui de l'autre grand tabloïd britannique, The Sun. Il se compose principalement de lecteurs de plus de 55

286 http://tktk.gawker.com/my-year-ripping-off-the-web-with-the-daily-mail- online1689453286 190 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. ans pour les journaux papier à hauteur de 70% en 2016 et à seulement 31% de personnes de moins de 34 ans pour la version en ligne. Suivant une tendance générale de la presse britannique, le tirage du quotidien a fortement baissé depuis les années 2000.

En 2000, ce dernier publiait 2,3 millions d'exemplaires journaliers contre 1,5 millions en 2016, accusant ainsi une baisse de 36% de son tirage. Le Daily Mail demeure néanmoins, en 2017, le deuxième journal le plus important en termes de tirage derrière The Sun, montrant ainsi la domination de la presse tabloïd sur le support papier dans le paysage médiatique britannique. De manière mécanique, les revenus combinés tirés des journaux papiers du Daily Mail et The Sunday accusent une tendance significative à la baisse entre 2010 et 2016. Cette dernière est compensée par une croissance significative et contenue des revenus du MailOnline dont l'équilibre est atteint en 2013 et qui, premier site web d'information anglophone au monde en 2015, constitue une part croissante des revenus de DMG Media. La stratégie du Daily Mail repose sur celle du groupe, définie dans le bilan annuel 2011 du Daily Mail and General Trust PLC comme étant principalement basée sur le contenu et l'amélioration de l'expérience de ses lecteurs : "L'ensemble de notre groupe repose sur une thématique commune, la fourniture aux lecteurs d'un contenu de valeur riche en informations…Nous développons des applications mobiles, des plateformes afin d'améliorer l'expérience de nos utilisateurs"287.

Le groupe déclare aussi valoriser la co-création de contenus en laissant une place importante aux commentaires sur les forums du site web, pratique que l'on retrouve sur d'autres sites web britanniques tels que The Guardian avec la section "Comment is free". Le groupe a effectué une forte diversification dans les activités en ligne avec l'existence aux côtés des journaux historiques de sites web tels que le service de recrutement jobsite.co.uk, findaproperty.com, spécialisé dans la recherche immobilière, wowcher.co.uk, site offrant des coupons de réduction pour des activités de loisir.

Le Daily Mail and General Trust Plc a été très tôt actif dans les activités de CRM de promotion et de fidélisation avec le lancement en 2011 du Mail Rewards Club, système de tirage au sort lancé par The Daily Mail et The Mail on Sunday. L'objectif marketing étant d'offrir un avantage financier à ses lecteurs en s'abonnant et de "générer davantage de ventes et de fidéliser les lecteurs existants"288. En échange de participation au tirage au sort, les candidats peuvent obtenir des bons de réduction pour des entreprises tels que Tesco, Boots ou WH Smith. Cette technique marketing a permis au groupe de générer plus de 600,000 nouveaux membres en moins de cinq ans. En 2011 les revenus publicitaires du groupe s'élèvent à 1,09 milliards de livres sterling, en baisse de 4% par rapport à 2010. La raison imputée est similaire à l'ensemble de l'industrie de presse britannique. L'adoption des supports numériques par les lecteurs et le

287 Source : Bilan financier annuel du Daily Mail and General Trust de 2016 288 “In May, the national titles launched a new promotional initiative, the Mail Rewards Club, with the twin objectives of building sales more efficiently and the retention of existing readers. This has helped to attract new readers and to date, 600,000 members have registered.” Bilan financier du groupe, 2011

191

déplacement des budgets publicitaires du papier au numérique sont les causes principales de cette chute.

En 2012 le groupe, dans une vague d'achats de sites web, acquiert jobrapido.com afin d'étendre ses parts de marché dans le secteur du recrutement et des offres d'emplois en ligne. La même année, le site web findaproperty.com fusionne avec Zoopla, plateforme de recherche d'achat de propriété immobilière. Le groupe détient 52,3% des parts de cette dernière. Cette diversification s'accroît avec l'acquisition de Broadbean, technologie basée à Londres d'aide au recrutement acquise par le Daily Mail and General Trust en 2008 et transformée pour devenir Evenbase suite à la fusion avec plusieurs autres entreprises et moteurs de recherche du secteur. L'objectif du groupe est alors de proposer un portail autour du coeur historique d'activité, son journal et son site en ligne MailOnline avec des activités diverses permettant d'étendre l'offre proposée aux lecteurs.

Le groupe est particulièrement consciencieux et attentif aux évolutions des technologies numériques et aux pratiques des consommateurs. Dans le bilan annuel de 2012, ce dernier souligne l'explosion du trafic de données s'accompagnant d'une diffusion des supports mobiles et d'un changement dans les modes de consommation de l'information s'orientant vers plus de mobilité. La stratégie est alors d'accroître les investissements sur ces supports afin de s'adapter aux nouveaux usages. A l'instar de The Guardian, le MailOnline a poursuivi une extension géographique de son marché en ligne, notamment vers les pays émergents, plus particulièrement l'Inde, zone perçue comme étant à fort potentiel de croissance. En 2012, le groupe met la technologie au coeur de ses investissements évoquant l'importance prise par cette dernière dans l'acquisition d'un avantage comparatif et la survie dans une structure économique marquée par les nouvelles règles du jeux techniques comme l'exprime le Vicomte Rothermere, président du Daily Mail and General Trust dans le bilan financier annuel de cette année : "Je crois que le future de DMGT repose dans sa capacité à répondre aux opportunités technologiques, investir dans les produits et services permettant d'activité le potentiel des meilleurs avancées technologies. Nous nous engageons à adopter les solutions techniques de traitement partage de données, vitales et pertinentes, qu'il s'agisse d'un model B2B ou B2C. Les supports mobiles sont la clef de notre développement stratégie et de nos investissements en temps et en ressources pour maximiser les modes consommations des personnes autour du monde et améliorer notre relation avec les consommateurs."

Cette orientation vers l'investissement technologique se retrouve dans l'ensemble des branches du groupe. Le directeur exécutif d'A&N média, branche média et information du Daily Mail and General Trust Plc déclare placer au centre de sa stratégie la transformation digitale du groupe sur un plan de 3 ans visant à investir dans les supports numériques afin de s'adapter aux changements d'usages et de pratiques de consommation. L'objectif étant à terme de substituer aux pertes des revenus de la publicité de la presse papier ceux de la publicité en ligne. Ce dernier annonce qu'au cours de l'année 2013 une version tablette payante du Daily Mail et The Mail on Sunday, Mail Plus sera lancé. Les revenus 192 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. du Mail Online croissent aussi de manière rapide au regard de la hausse significative du nombre de visiteurs. En 2013, le groupe a aussi lancé une version indienne du site web. Les visites du site web se font principalement en provenance du Royaume-Uni avec 2,8 millions de visiteurs uniques journaliers et aux Etats-Unis, 1,7 millions sur un total de 6,4 millions. L'application du Mail Online remporte aussi un franc succès avec plus de 445,000 utilisateurs journaliers. A l'instar de The Sun, le Daily Mail a pour objectif d'investir dans les supports vidéo en créant une nouvelle équipe de production dédiée à ce format.

Suite au plan stratégique sur trois ans d'amélioration technologique de l'entreprise le groupe souhaite de même accorder une place toute importante à la collecte et le traitement des données des utilisateurs. L'objectif est de pouvoir utiliser ces dernières afin de créer une source de revenus et d'analyse afin de mieux comprendre l'audience et agir en conséquence. La stratégie de diversification du groupe se poursuit vers de nouvelles audiences, marquées néanmoins par un échec. En 2015 le groupe acquiert pour 50 millions de dollars américains Elite Daily, site web ciblant principalement les "millenials". Fondé en février 2012 aux Etats-Unis et témoignant de la stratégie d'internationalisation du groupe, Elite Daily se définition comme "La voix de la Génération Y". Le site bénéficie d'une forte présence sur les réseaux sociaux, en 2014 ce dernier était le septième site le plus partagé sur Facebook. Le média est vendu en 2017 au Bustle Digital Group.

La stratégie du Daily Mail and General Trust Plc est particulièrement intéressante car elle montre, via la formation d'un portail d'activités, une modification de l'activité du journal qui devient de moins en moins orientée vers l'information. Ceci dénote une approche en termes de "marketing de contenu". Ce dernier est selon l'Internet Advertising Bureau une : "strategic marketing approach focused on creating and distributing valuable, relevant, and consistent content to attract a clearly-defined audience — and, drive profitable customer action." 289 Cette approche place au coeur de la stratégie marketing la production d'articles dont l'objectif n'est pas le traitement de l'information en soi mais l'attraction du consommateur vers des offres commerciales annexes notamment via le native advertising et le brand content. Le rachat de nombreux sites web spécialisés dans le recrutement ou l'immobilier est ainsi un exemple d'une orientation d'un média vers un détachement de son activité principale et une re-considération de sa pratique traditionnelle du journalisme. Comme nous avons pu le voir, la stratégie éditoriale du MailOnline a fait l'objet de controverses sur ses pratiques relativement peu éthiques et une production à bas coûts de l'information. Les tactiques éditoriales s'inscrivent ainsi, à l'instar de The Sun, dans un objectif de viralité et de génération de trafic vers des offres commerciales externes à l'activité traditionnelle journalistique des marques du groupe. Les deux tabloïds The Sun et le Daily Mail contrastent ainsi avec d'autres modes d'adaptation opérés par les éditeurs de presse. Traditionnellement considéré comme des journaux de faible qualité au contenu peu fiable, ils s'opposent ainsi à une diversification des activités orientées autour du journalisme et d'un renforcement de la marque en tant que média producteur

289 Source site web de l'Internet Advertising Bureau : https://iabeurope.eu/glossary/index.php?title=Content_marketing

193

d'information fiable et à haute valeur ajoutée comme le montre par exemple la trajectoire de The Guardian.

4.5 The Guardian, un héritage d'investigation et de journalisme de qualité au coeur de son positionnement marketing

The Guardian est un quotidien britannique crée en 1821 et connu jusqu'en 1959 sous le nom de The Manchester Guardian. Il est détenu par The Guardian Media Group, appartenant lui même à The Scott Trust Limited, groupe crée en 1936 afin de garantir l'indépendance financière et éditoriale du journal. The Guardian est diffusé du lundi au samedi avec une publication soeur éditée le dimanche, The Observer. Le quotidien a, très tôt dans son histoire, adopté une stratégie d'extension géographique avec The Guardian Weekly, hebdomadaire international anglophone reprenant du contenu publié dans The Observer et The Guardian. Il fut créé en 1919 avec pour cible principale les Etats-Unis, il dispose d'une version numérique et d'une présence sur les réseaux sociaux, notamment Facebook. The Guardian a lancé en 1999 theguardian.com qui fut en 2014 le deuxième site d'information le plus populaire au Royaume-Uni avec plus de 17 millions de lecteurs par mois, dépassé seulement par le Mail Online. En 2011 le groupe s'étend aux Etats-Unis avec une version américaine de son site web puis en Australie en 2013. Le tirage de The Guardian suit la tendance de l'effondrement des tirages de la presse papier avec depuis 2000 une baisse continue, passant de 401 560 exemplaires à 164 163 en 2016 soit une chute de 60%. En 2016 le quotidien était le douzième journal au tirage le plus important au Royaume-Uni, dépassé de loin par les tabloïds The Sun et The Daily Mail. Son audience se caractérise par un équilibre des genres avec 50,12% des lecteurs étant des hommes en 2016 et une audience relativement jeune, 41% de son lectorat ayant moins de 44 ans, avec une localisation principalement à Londres, 35,51%. Sa ligne éditoriale se situe sur le centre-gauche de l'échiquier politique avec une approche progressiste des problèmes sociaux et un soutien au maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne au cours du référendum de 2016. La longue histoire du quotidien se caractérise par une forte identité journalistique d'indépendance et par de nombreuses enquêtes d'investigation qui ont forgé une image de journal d'excellence. A l'inverse de The Daily Mail, The Guardian s'est positionné, à travers l'histoire du XXe siècle contre les formes dictatoriales de gouvernements. The Guardian soutient le gouvernement républicain contre le général Franco durant la Guerre civile espagnole, ce qui vaut à l'écrivain Georges Orwell d'écrire dans son témoignage de la guerre civile que : "de tous les quotidiens britanniques, le Manchester Guardian est celui qui m'inspire le plus d'honnêteté et de respect"290. Le journal s'oppose par la suite à la crise du canal de Suez en 1956 et au Bloody Sunday irlandais de 1972. The Guardian se caractérise de manière générale par des avis critiques vis à vis des

290 Traduit de l'anglais : " Of our larger papers, the Manchester Guardian is the only one that leaves me with an increased respect for its honesty" ORWELL Georges, Hommage to Catalonia, Folio Society, 1970, page 68 194 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. interventions étrangères des forces armées. Durant la Guerre du Golfe le journal émet un scepticisme puis une opposition contre la coalition publiant entre janvier et mars 1991 les trois courts essais virulents de Jean Baudrillard recueillis dans l'ouvrage La Guerre du Golfe n'a pas eu lieu291. En octobre 2004 le quotidien émet des critiques vis à vis du président américain Georges W. Bush avec notamment la publication médiatisée d'un article humoristique du journaliste Charlie Brooker appelant à l'assassinat de ce dernier. Le journal possède une forte histoire et culture liées aux enquêtes d'investigation, part intégrante de son identité et de son approche du journalisme aussi bien que de sa stratégie éditoriale et de marque. Ceci se retrouve aussi dans sa défense des lanceurs d'alerte et la découverte de scandales politiques. En 1983 The Guardian est au coeur d'une polémique après la publication d'un article relatant la présence de missiles de croisière au Royaume-Uni. Cette information fournie par le lanceur d'alerte Sarah Tisdall, crée un séisme politique et aboutit à l'emprisonnement de cette dernière suite à un ordre de la cour de justice britannique ordonnant la fourniture des documents aux autorités. En 2013 The Guardian effectue un coup d'éclat international en publiant les documents fournis par Edward Snowden sur la surveillance de masse opérée par les services secrets américains. Le journal a aussi été un long partenaire du site Wikileaks, publiant dès 2007 un article sur la corruption du leader kenyan Daniel Arap Moi puis, la même année d'une copie du Standard Operating Procedures for Camp Delta relatant les conditions de détentions du camp de Guantanamo. En juillet 2010, The Guardian, The New York Times et Der Spiegel publient des articles issus des 92 000 documents fournis par Wikileaks sur la Guerre d'Afghanistan. Cet héritage journalistique se traduit d'un point de vue stratégique par une très forte capitalisation du groupe sur la marque de The Guardian comme le montre les campagnes promotionnelles du quotidien. En janvier 2013 le journal lance une campagne publicitaire en ligne au budget important "We Own the Week-end" de promotion de l'édition du samedi de The Guardian et de The Observer. En 2012 The Guardian réitère en lançant une campagne publicitaire de 2 minutes "Three Little Pigs", souhaitant promouvoir l'image de qualité du journal ainsi que son positionnement libéral. Cet ancrage et le discours promotionnel du quotidien sur un journalisme de qualité, d'investigation, proche de l'image du quatrième pouvoir est un élément structurant des stratégies de développement numérique de The Guardian. Ce dernier, au contraire des tabloïds The Sun et The Daily Mail, s'oriente vers une accentuation de son activité journalistique sous une forme numérique avec la recherche d'un modèle économique permettant de concilier se positionnement et une rentabilité financière.

4.6 The Guardian : l'innovation journalistique

Comme nous avons pu le voir, The Guardian est détenu par The Guardian Media Group, groupe possédant en 2005 The Guardian, The Observer, The Guardian Weekly, l'agence de production de contenu d'éducation Learnthings ainsi que des journaux régionaux, principalement autour de la région historique du journal de Manchester. Le groupe détient aussi une division lui permettant

291 BAUDRILLARD Jean, La Guerre du Golfe n'a pas eu lieu, Editions Galilée, 1991, 104 p.

195

d'opérer une diversification de ses activités, le Trader Media Division. Cette branche est spécialisée dans la publication de magazines, tels qu'Auto Trader, publication de petites annonces automobiles ainsi que sa version en ligne autotrader.co.uk. Le groupe possède aussi une branche radio, GMG Radio Division, notamment smooth fm à Londres et Real Radio au Pays de Galles, le sud de l'Angleterre et le Yorkshire. En 2008 The Guardian Media Group crée une joint venture du Trader Media Group avec le groupe financier Apax Partners et se diversifie dans le cadre d'une entreprise jointe avec l'entreprise d'organisations d'évènements EMAP. Le groupe investit aussi largement dans l'infrastructure technologique de ses activités numériques en injectant 19 millions de livres sterling dans une refonte technique du site web de The Guardian afin d'introduire la vidéo sur ce dernier et mettre à jour la section Guardian Jobs Site du quotidien en ligne. The Guardian, à l'instar de The Daily Mail a profité de la forte audience anglophone internationale en procédant à une diversification géographique de son activité. Le quotidien se lance à la conquête des Etats-Unis avec la création d'un site web américain, Guardian American avec l'ambition comme le déclare la directrice exécutive Carolyn McCall de devenir le leader mondial du message libéral: "GNM also launched Guardian America to enhance its news and comment output for a US audience, and forged a new commercial partnership with Reuters to sell advertising in the US – the first steps in support of the Guardian’s ambition to become the world’s leading liberal voice"292

L'année 2009 marque une rupture considérable pour The Guardian, au coeur de la crise financière des subprimes, alors que l'économie britannique qui entre en pleine récession subit une contraction de son Produit Intérieur Brut de 4,2%. Le groupe Guardian Media Group, ayant effectué une joint-venture du Trader Media Group auparavant, déduit le chiffre d'affaires de ce dernier de ses comptes de résultat affaiblissant ainsi très fortement son bilan financier. Cet impact conséquent a pour effet de hâter la recherche de nouveaux modèles économiques en ligne. De la même manière, le journal fait aussi face à une baisse drastique de ses revenus publicitaires de 16,8% pour un total de 156 millions de livres. Le groupe continue sur cette période à subir des turbulences financières avec une perte opérationnelle de 96,7 millions en 2009 et de 171 millions en 2010. The Guardian réfléchit à de nouveaux modèles économiques, évoquant l'adoption d'un paywall, idée abandonnée par la suite, invoquant la non- rentabilité de ce dernier. Le groupe déclare : "Le Guardian Media Group soutient le concept d'autoroutes libres du numérique, adoptant la collaboration comme essence du journalisme au XXIe siècle. Beaucoup de travail reste à faire pour trouver de nouveaux modèles économiques et sources de revenus. Néanmoins l'esprit du web repose sur la liberté et l'ouverture et correspond à notre tradition du journalisme"293.

292 Source : GMG Annual Report 2008 293 Traduit de l'anglais : " During 2009/10 GNM examined various models for charging for access to content on guardian.co.uk. Its conclusion was that, at present, a general paywall does not represent a sufficiently attractive commercial opportunity, especially given the impact it would have on the reach and influence of our journalism." GMG Annual Report 2010 196 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

En 2010 The Guardian, à la recherche de nouveaux moyens de s'adapter aux supports numériques innove dans les contenus en ligne et de la couverture d'actualité en lançant un live blogging au cours d'évènements d'importance avec un franc succès. La couverture en direct via le site web de The Guardian pour les élections générales britanniques de 2010 attire plus de 333 125 visiteurs uniques et vaut au journaliste en charge le prix du journaliste politique de l'année au British Press Awards. En 2011 le Guardian Media Group continue à accuser des pertes de plus de 54,5 millions de livres sterling. Le groupe poursuit par ailleurs sa diversification sur les supports numériques notamment via sa filiale EMAP. L'année 2011 marque un tournant dans la stratégie de The Guardian avec le lancement du plan "digital first" et une stratégie journalistique fondée sur la poursuite de son avantage comparatif historique, l'investigation suite à la participation importante du journal dans les révélations du scandale du hacking de téléphones du quotidien The News of the World. Comme l'exprime le directeur exécutif du Guardian Media Group, Andrew Miller, la stratégie journalistique de The Guardian est fortement influencée par l'activité menée par ce dernier dans les récents travaux d'investigation : "Nous commençons une nouvelle stratégie radicale, notre journalisme a atteint des records d'audience avec les révélations du hacking des téléphones de News of the World qui a causé de profonds changements dans les journaux britanniques [...]ceci est le produit d'un travail d'investigation souvent contre tous que The Guardian mené. Il s'agit du type de journalisme que The Scott Trust Limited veulent promouvoir [...]"294. Au coeur de la stratégie "digital first", le groupe se focalise sur un journalisme ouvert et des investissements sur la captation de l'audience sur les supports numériques et le site web de The Guardian.

La recherche d'une synergie de création de contenu et d'une réduction des coûts de production est au coeur de la transformation du journal. Le modèle "digital first" du quotidien a pour objectif d'adapter le traitement de l'information sur l'ensemble des différents supports, papier, mobile mais aussi audio. L'interactivité est le deuxième point clef de cette stratégie avec une nouvelle section du site web "The Comment is Free" permettant aux lecteurs de commenter les articles, ainsi qu'un ensemble de blogs crées par les journalistes de The Guardian et pouvant être crées de manière ad-hoc pour un évènement spécifique. De même, la production journalistique est facilitée avec la possibilité de télécharger des vidéos directement depuis un téléphone mobile, s'inspirant ainsi directement de la tendance du crowdsourcing et de la co-construction de l'information propre aux pratiques du journalisme participatif.

294 Traduit de l'anglais : " In between, we embarked on a radical new strategy, our journalism reached record audiences, and the revelations about phone hacking at the News of the World, which caused global shockwaves , had huge implications for British media, politics and policing. The once-in-a-lifetime events triggered by this story followed years of courageous, dogged and often lonely reporting by the Guardian and Nick Davies in particular. It is precisely the kind of journalism that The Scott Trust Limited and GMG exist to sustain, and the plaudits for Nick, as well as special investigations correspondent Amelia Hill and editor-in-chief Alan Rusbridger, have been richly deserved." GMG Annual Report 2012

197

La stratégie digital first d'extension géographique de son marché et du traitement innovant de l'information se traduit par une augmentation de l'audience du site web atteignant en 2012 67,8 millions de visiteurs uniques, soit une augmentation de 38% par rapport à 2011. En 2014, pour soutenir sa stratégie de transformation digitale et créer un espace de recherche le groupe crée le Guardian Labs dont l'objectif est d'explorer les nouvelles formes de production d'information sur les supports numériques.

Anna Watkins, directrice du Guardian Labs décrit la stratégie de ce dernier comme reposant sur : "[...] la triade du contenu collaboratif, d'une audience progressiste et de données en temps réelles nous permettant de créer de l'engagement. En connaissant nos lecteurs nous pouvons garantir que nos marques créer un engagement plus profond et plus pertinent.295 " The Guardian Labs a pour objectif de devenir le laboratoire d'innovation sur les contenus numériques du groupe. Parmi ces expérimentations on note "Shifting Lenses", une fonctionnalité du site web permettant sur un support mobile de naviguer dans un article en découvrant de nouvelles perspectives et des informations additionnelles sans être redirigé vers une nouvelle page web. Ce positionnement vers l'innovation des formats journalistiques est justifié par le ciblage d'une audience particulièrement portée vers les nouvelles technologies.

Le groupe identifie ainsi son lectorat comme "des progressistes". Ces derniers sont décrits comme un groupe de personnes internationales, progressistes, libérales et enthousiastes vis à vis des nouvelles technologies. A partir de 2013 la stratégie "Digital First" commence à porter ses fruits sur les supports numériques avec une hausse des revenus digitaux de 28,9% par rapport à 2012 atteignant 55,9 millions de livres sterling. La même année le groupe se sépare de son activité radio, GMG Radio. En 2014 le Guardian Media Group se sépare du Trader Media Group permettant au groupe de garantir suffisamment de fonds pour ses investissements dans la transformation numérique du groupe comme le déclare Andrew Miller : "Nous avons accompli avec succès la vente de Trader Media dans une transaction qui nous permettra de garantir suffisamment de fonds pour les générations à venir. Ceci coïncide avec les investissements pour les revenus futurs plus particulièrement sur nos activités en ligne"296. En 2015 les

295 Traduit de l’anglais : " It is the trinity of collaborative content, a progressive community and live data that enables us to connect so powerfully. By knowing our readers, we can ensure that brands connect in a deeper, more meaningful way. As the most trusted newspaper in the UK we have a strong and valued relationship with our readers. This brings with it not only great opportunity, but also a strong sense of responsibility to safeguard that trust. To this end, we always clearly label our content for the benefit of all parties." Anna Watkins, 13 février 2014 https://www.theguardian.com/media-network/media- networkblog/2014/feb/13/launch-guardian-labs-content-marketing 296 Traduit de l'anglais : " "We successfully completed the divestment of Trader Media in a transaction that will sustain our finances for generations to come. This significant deal has coincided with an encouraging increase in underlying revenues, particularly from digital activities." Andrew Miller, 198 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. revenus en ligne du groupe atteignent plus de 82,1 millions de livres sterling pour une audience sur le site web de The Guardian de plus de 127 millions de visiteurs uniques mensuels. Les scandales des Panama Papers permettent par ailleurs au groupe de générer un pic de trafic important avec 10,4 millions de visiteurs uniques et 35 millions de pages visitées le lundi 4 avril 2016. Le vendredi 24 juin, suite au référendum de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, le site web génère son record de trafic avec 17 millions de visiteurs uniques et plus d’un milliard de pages vues au mois de juin. Les revenus digitaux commencent à croître à partir de 2012 permettant au Guardian Media Group de sortir d'une zone de turbulences financières amorcée en 2010.

Visiteurs uniques mensuels (millions)

180 160 155 140 129 120

Visiteurs 100 102.3 ( millions) 80 78.3 67.8 60 40 43.2 20 0 2011 2012 2013 2014 2015 2016 Années

Figure 4.1 évolution du nombre de visiteurs uniques mensuels sur le site de The Guardian entre 2011 et 2016 Source : Bilans financiers du Guardian Media Group 2011-2017

Cette stratégie de transformation numérique menée par The Guardian s’ancre principalement dans son identité narrative de journalisme de qualité et d'investigation, ce qui crée son élément distinctif dans un marché à forte intensité concurrentielle. Cette recherche d'un modèle économique permettant un compromis avec l'héritage culturel du quotidien a imposé la nécessité d'effectuer de nombreuses recherches en termes d'innovation dans les formations journalistiques, symbolisé notamment par la création du Guardian Labs. Cette prise de risque se retrouve dans la nécessité d'adopter des pratiques marketing externes à l'activité journalistique traditionnelle du quotidien. Les quotidiens d'Europe continentale Le Monde et le Temps s'inscrivent aussi dans cette appartenance et revendication à un journalisme de qualité. Les deux journaux

https://www.theguardian.com/gnm-press-office/guardian-media-group-plc- gmgtoday-announces-its-results-for-the-financial-year-2014

199

suivent des trajectoires relativement similaires marquées, dans le cas français par une forte importance d'une culture d'entreprise liée à l'éthique journalistique.

4.7 Le modèle de diversification du Monde et du Temps

Le Monde est un journal français crée le 18 décembre 1944 par Hubert BeuveMéry en tant que successeur du quotidien Le Temps qui disparait suite à l'ordonnance du 20 septembre 1944 sur les titres étant parus sous l'Occupation. Le Monde est à l'origine initié par le général de Gaulle qui souhaite créer un journal de qualité en France après la disparition du Temps, originellement lié à ce dernier, il devient indépendant du pouvoir politique à partir des années 50. Cette intention de distance vis à vis du pouvoir se retrouve dans la constitution d'une structure de surveillance. En 1951, la Société des rédacteurs du Monde est créée avec pour mission de veiller à l'indépendance du journal. En 1954, Le Monde diplomatique est créé en tant que journal à visée intellectuelle, avec des articles de personnalités académiques et des formats éditoriaux plus longs et étoffés. Le Monde se caractérise traditionnellement par une ligne éditoriale se situant sur le centre gauche de l'échiquier politique, bien que le quotidien déclare adopter une ligne politique non-partisane. Le journal connait dès les années 80 de nombreuses difficultés financières. À partir de 1975 le tirage du quotidien baisse de manière régulière et continue passant de 434 000 exemplaires entre 1974 et 1981 en moyenne à 335 000 exemplaires en 1985. Le Monde est alors en dessous du seuil de rentabilité, ce qui crée des tensions avec sa banque, la BNP qui force la firme médiatique à vendre son siège de la rue des Italiens à Paris. Installé boulevard Auguste Blanqui le journal accuse un recul de son tirage qui se poursuit jusque dans les années 90. En 1994 le Monde devient une Société Anonyme (SA), à directoire et conseil de surveillance, succédant à son statut précédent de SARL. Par la suite, en 1996, Le Monde investit dans les dispositifs numériques en lançant son site web Lemonde.fr proposant les contenus du journal papier de la même journée à partir de 13h ainsi que des dossiers spéciaux et du contenu multimédia exclusif. L'intégralité du journal en ligne est disponible à l'époque via un paiement pour l'accès pour un prix de 5 Francs. En 2007 Le Monde traverse une crise grave au sein de sa direction, la société des rédacteurs du monde suite à la non reconduction de Jean-Marie Colombani à la tête du directoire du groupe. Ceci se traduit par la volonté d'acteurs étrangers à prendre le contrôle du quotidien, dès 2010, Le Nouvel Observateur, Orange, El Pais, le groupe italien Gruppo Editoriale L'Espresso et le groupe suisse Ringier ainsi que Pierre Bergé, Matthieu Pigasse et Xavier Niel se proposent en tant que repreneurs du quotidien. La crise se tasse en juin 2010, lorsque les actionnaires salariés votent pour le trio Bergé-Pigasse-Niel qui est par la suite validé par le conseil de surveillance. Face aux conflits internes, aux difficultés financières du groupe et au retard accusé dans l'adaptation du journal aux supports et usages numériques une orientation vers une stratégie de transformation est opérée à partir de 2013. Natalie Nougayrède est nommée rédactrice en chef du Monde avec un objectif de transformation digitale des rédactions. Ceci a pour effet d'entraîner une réaction vive de la part des salariés qui en 2014 engagent un mouvement social de protestation contre un plan de mobilité d'une partie des 200 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. journalistes de la rédaction vers la version numérique. Face à ce conflit, ancré entre tradition journalistique et la prégnance d'une identité culturelle forte de la profession, le 14 mai 2014, Natalie Nougayrède démissionne remplacée par Gilles Van Kote puis Jérôme Fenoglio en 2015. Le Monde a subi, dans une tendance internationale de déclin des ventes, de très fortes baisses de son tirage entre 2000 et 2015, passant de 392 977 exemplaires à 292 054. Le quotidien maintien néanmoins sa place en tant que média leader de l'information générale en France. Il était ainsi en 2015 le troisième journal national au tirage le plus important, derrière Le Parisien et Le Figaro. Le Groupe Le Monde, au contraire de The Guardian, The Sun et The Daily Mail a opéré une stratégie horizontale de diversification en se concentrant principalement sur son coeur historique d'activité, les médias et la production de contenu. Ceci se traduit par le portefeuille de journaux et magazine du Groupe Le Monde qui édite, en plus du quotidien, Le Monde interactif, Télérama, La Vie et l'Observateur. Portée par le directoire dans un objectif de transformation numérique du quotidien, l'élection de Natalie Nougayrède au poste de rédactrice en chef a pour objectif de situer le consommateur au coeur des stratégies gestionnaires et marketing du journal. Le vendredi 7 mars 2014, cette dernière déclare en conférence de presse : "Nous voulons devenir le premier média d'information internationale francophone. C'est l'ambition que nous nous fixons pour les 70 ans du journal. Pour cela, nous allons amplifier les innovations et réaffirmer que le lecteur est au coeur de l'offre et qu'il peut avoir confiance dans nos contenus, vérifiés et hiérarchisés."297 A l'instar de The Guardian, Le Monde s'inscrit dans son image de marque de journal de qualité et dans une définition du journalisme en tant qu'acteur hiérarchisant l'information. Cette vision éducative, traductrice d'une conception du rôle des médias, se retrouve dans la mise en place d'une équipe d'analyse des news. Afin de s'adapter aux nouveaux supports numériques mais aussi aux nouvelles pratiques de consommation de l'information sur les réseaux sociaux, le blog de fact-checking Les Décodeurs est intégré en 2014 au site web du Monde. Le responsable de la section, Samuel Laurent met en avant les enjeux des Décodeurs dans un environnement web comme étant un moyen de mettre en place de nouveaux formats, adaptés aux pratiques et usages des consommateurs de l'information sur le web : "Cette nouvelle chaîne explore des formats narratifs innovants, dans des temporalités adaptées à celles des réseaux sociaux. De Facebook à Twitter, ce sont désormais de véritables espaces publics où naissent les 'buzz', et où rumeurs et intox peuvent circuler très vite, comme l'actualité récente l'a souvent montré"298. Les formats de Les Décodeurs sont ainsi particulièrement pensés et adaptés pour le partage sur les réseaux sociaux mais s'inspire aussi des pratiques de journalisme de données. Fondé de manière précurseur, avant les controverses des fake news, le blog d'analyse de l'information avoue ainsi s'aspirer des pratiques anglo-saxonnes d'investigation. Plus généralement, le quotidien français met en place une approche collaborative et participative du journalisme. À l'instar de The Guardian, le site web du Monde.fr

297 Source article de la-croix.com du 9 mars 2014 : http://www.lacroix.com/Culture/Medias/Le-quotidien-Le-Monde-reorganise-sa- redaction-201403-09-1117862 298 Source ozap.com, article du 7 mars 2014 : http://www.ozap.com/actu/- lemonde-lance-les-decodeurs-un-site-d-actu-adapte-aux-nouveaux-codes-de- lecriture-web/452086

201

met ainsi en place un ensemble de fils de discussion animés par des responsables des réseaux sociaux ainsi que des journalistes interactifs, favorisant ainsi la collaboration et la création entre journalistes et lecteurs. Nabil Wakim, rédacteur en chef du Monde.fr déclare ainsi que : "Si les Décodeurs, par le décryptage et l'explication du monde qu'ils proposent, est un projet identitaire pour LeMonde.fr et le pilier de notre développement, le débat fait partie de l'ADN du journal" 299 . S'inscrivant dans une démarche d'adaptation de l'écriture journalistique aux formats du web les Décodeurs utilisent des pratiques éditoriales se rapprochant des recettes à succès des pure players tels que Gawker ou Buzzfeed avec de nombreux formats vidéo, des images, de la data visualisation ou même des GIFs. D'autres formats sont aussi étudiés, notamment les long-forms, reportages multimédias de longue taille d'après le succès rencontré par le New York Times. Afin de favoriser le développement d'une culture entrepreneuriale et innovatrice Le Monde opère des changements dans l'organisation des rédactions. Inspiré par les méthodes agiles notamment mises en place au New York Times et à The Guardian, les équipes de rédactions sont déplacées à l'étage du marketing et du développement web en 2014 afin de favoriser la collaboration et le travail entre les équipes mais aussi de diminuer la réticence et la crainte des journalistes vis à vis du numérique, alors même que le journalisme web souffre d'un manque de crédibilité et de légitimité (Degand, 2012300). Le directeur délégué des rédactions, Vincent Giret, déclare ainsi que : "Le temps des organisations en silos, très rigides, est révolu. Il nous faut des rédactions mobiles et agiles. Il faut continuer à bouger le centre de gravité de la rédaction vers le numérique"301. Le Monde investit aussi dans la collecte des données des utilisateurs et le traitement dans un objectif d'optimisation de l'activité et d'amélioration de son offre publicitaire. Ceci passe notamment par des partenariats avec des entreprises spécialisées dans la mesure de l'audience et dans la constitution de nouvelles infrastructures technologiques. En 2012 le Groupe Le Monde a mis en place une plateforme de gestion de données avec un objectif de collecte, analyse, segmentation et activation des données sur les différents supports numériques du groupe. La régie publicitaire du Monde, M Publicité-Régie Obs, possède ainsi des données sur des centaines de campagnes médias notamment les centres d'intérêt, les comportements et les critères socio-démographiques. Afin d'accroître sa capacité de traitement des données, le Groupe Le Monde se dote en 2015 de Weborama Audience Manager. Cette solution permet d'enrichir la la connaisasnce des audiences et d'augmenter les volumes disponibles à destination des marques annonceurs, la plateforme intègre ainsi les sources propriétaires du Monde, à savoir les données de navigation, CRM, de publicité en ligne et sociodémographiques des

299 Source article de e-marketing.fr du 10 mars 2014 : http://www.emarketing.fr/Thematique/Medias-1006/Presse- 10030/Breves/Monde-innovenumerique-Decodeurs-fils-discussion-234450.htm - vToT6vt2BQglMLHW.97 297 300 DEGAND Amandine, Le journalisme face au web - Reconfiguration des pratiques et des représentations professionnelles dans les rédactions belges francophones, Presses Universitaires de Louvain, 2012, 552 p. 301 Source ozap.com, article du 7 mars 2014 : http://www.ozap.com/actu/- lemonde-lance-les-decodeurs-un-site-d-actu-adapte-aux-nouveaux-codes-de- lecriture-web/452086 202 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. campagnes media mais aussi obtenus auprès de tierces parties afin d'enrichir ces dernières. La présidente de la régie publicitaire du Monde, Corinne Mrejen déclare que l'objectif publicitaire du Monde est désormais d'accroître la connaissance du consommateur : " L’optimisation de la performance est essentielle, la consolidation de notre connaissance des audiences aussi. Pour cela, l’ouverture à la mutualisation de données entre partenaires de confiance est une nouvelle étape pour M Publicité- RégieObs. Nous développons de nouvelles compétences, comme le pilotage de campagnes à la performance, mais notre stratégie s’appuie toujours sur notre capacité à proposer toujours plus de personnalisation aux annonceurs. La DMP nous permet cette souplesse avec la création de segments dédiés à chaque annonceur ou campagne."302 La stratégie du Monde d'adaptation aux supports numériques s'opère ainsi vers deux trajectoires. La première relève de l'innovation journalistique et se rapproche du modèle adopté par Le Monde. Proche d'une culture d'éducation et de hiérarchisation de l'information, le traitement des données et le décryptage de l'actualité sont au coeur de cette stratégie avec l'adoption de nouveaux modes d'écriture adaptés au web. Dans un deuxième temps le quotidien se dote de technologie concentre son activité sur l'acquisition et le traitement des données obtenues par les lecteurs sur les différents supports. Cette approche s'ancre dans un modèle similaire de The Guardian et traduit, là encore, un compromis entre la nécessité d'adapter les rédactions aux pratiques à succès, comme nous avons pu le voir par exemple en mettant en place des méthodes agiles, tout en respectant la culture de l'organisation. D'une manière moins prononcée, le quotidien suisse Le Temps a aussi mis en place un processus de transformation de son organisation pour s'adapter aux supports numériques. Cette dernière se caractérise par un modèle relativement plus passif d'adaptation du journal vers le format web. Le Temps est un quotidien suisse édité à Lausanne, crée en 1998 il résulte de la fusion entre le Journal de Genève, la Gazette de Lausanne et le Nouveau Quotidien. Ringier possède aussi L'Illustré, L'Hebdo, TV8 et Edelweiss. Ce dernier a opéré une stratégie de diversification de ses activités ancrées entre une extension géographique de son marché et son développement vers des activités étrangères au coeur d'activité journalistique.

Le groupe Ringier se distingue par une forte présence et des investissements effectués très tôt sur les activités numériques. Ceci se justifie, à l'instar des autres entreprises de presse par les difficultés financières rencontrées liées à la baisse des revenus publicitaires. En 2013, le groupe suisse qui compte 120 publications voit son chiffre d'affaires reculer de 5,2% à 1,08 milliard de francs et de même, mécaniquement de son bénéfice net qui recule de 41,2% à 32,2 millions de francs303. En conséquence de ces résultats relativement décevants, subissant une cinquième année consécutive de baisse de son chiffre d'affaire, le groupe entreprend de s'adapter aux supports numériques en investissant plus de 1

302 Communiqué de presse du 14 octobre 2015, "Le Groupe Le Monde via M Publicité-RégieObs accélère sur la data et sélectionne la DMP de Weborama" 303 Source article de lesechos.fr du 29 mai 2013 : https://www.lesechos.fr/29/05/2013/lesechos.fr/0202793969288_ringier-vise- unquart-de-revenus-dans-le-numerique.html

203

milliard de franc suisse entre 2008 et 2013. Ceci passe par une stratégie de diversification vers des activités en ligne sous la forme du portail, principalement sur les marchés étrangers et sur les différents terminaux mobiles existants. Le groupe, traditionnellement ancré dans la presse bénéficie d'une expérience dans les pratiques de diversification dans le numérique avec l'acquisition du portail polonais Onet et en Suisse de la plateforme de recherche d'emplois Job.ch. Ceci se traduit par une croissance des revenus numériques passant de 13% des revenus en 2011 à 18% en 2013. Le groupe Ringier s'étend aussi géographiquement, profitant d'une audience francophone et de marchés émergents en pleine croissance. Il investit ainsi en Afrique avec le lancement de sites de sport et de divertissement, Pulse.neg au Nigéria, la plateforme de commerce en ligne Rupu.co.ke au Kenya et Tisu.com.gh et Allsports.com.gh au Ghana. Ce modèle de développement se fait en évitant les contenus à caractère politique en se détachant de l'information générale comme le déclare Robin Ligg, responsable du développement de Ringier en 2014 : "C'est très compliqué de se mêler de politique en Afrique et la distribution physique n'est pas à la hauteur."304 Ces sites web sont directement inspirés d'autres existant au sein du groupe, permettant ainsi de créer des synergies au sein de Ringier et des partages de savoir faire, c'est notamment le cas du site web Tisue.com.gh crée directementsur le modèle de DeinDeal. Le Temps se définit lui même, à l'instar du Monde comme non-partisan bien que se rapprochant traditionnellement des positions politiques de centre-droit. Le quotidien, dans une dualité anglo-saxonne entre tabloïds et journaux de qualité, se situe dans la deuxième catégorie. Il est édité dans un format berlinois comptant une vingtaine de pages traitant de l'actualité internationale, suisse, culturelle, économique et sportive avec des suppléments le samedi (agenda culturel, une fois par mois), le vendredi (carrières). Cette hiérarchisation et structuration de l'information se retrouve sur le site web du quotidien. Letemps.ch se veut comment étant l'adaptation du journal au format web. Il propose ainsi le contenu du format papier ainsi qu'une rubrique scientifique exclusive accessible seulement sur le web. Le Temps possède aussi deux applications pour smartphones disponibles sur iPhone et Android. L'une propose de consulter les articles publiés sur le site du Temps et la deuxième propose de consulter les versions électroniques des versions papier du temps. Le Temps, à l'instar de The Sun lance en 2013 une expérimentation de nouveaux formats publicitaires notamment pour la nouvelle collection "Engineered for men" d'IWC, visible en format open the bridge sur le site web et l'application mobile. En 2015 Le Temps manifeste une volonté d'améliorer son offre sur le web en effectuant une refonte de son site web en responsive design, adapté aux différents terminaux mobiles et en déclarant une intention d'accroître sa présence sur les réseaux sociaux.

304 Source article de lemonde.fr du 31 mai 2014 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2014/05/31/l-afrique- numeriquenouvel-eldorado-pour-le-groupe-de-medias-suisse- ringier_4429619_3236.html 204 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Conclusion

Les fondements éditoriaux et économiques des médias britanniques, français et suisses sont profondément différents. Le premier élément structurant est la dualité au Royaume-Uni entre les tabloïds et la presse de qualité. L'existence de News UK dans le paysage médiatique est particulièrement intéressante car il s'agit d'une multinationale dont les ressources financières et technologiques sont conséquentes avec des capacités de rachat d'entreprises et d'investissements dans des outils marketing de pointe. Ces possibilités sont plus limitées dans le cas du Guardian News Media Group ainsi que des médias français et suisses. Cet atout de taille est encore plus marqué que les tabloïds tels que The Sun ou le Daily Mail qui ont un positionnement marketing en termes de marque qui s'adapte tout particulièrement bien aux pratiques en ligne de viralité. Le contenu provocateur à la dimension éthique suspicieuse et la réputation de ces journaux en tant que médias de faible qualité éditoriale permet la création de trafic en ligne et une diversification qui n'encourage pas le public et la culture organisationnelle dans une dissenssion en termes d'éthos. Au contraire, The Guardian, Le Monde, Le Temps ne peuvent se permettre une telle diversification de leur activité et un contenu provocateur, car contraire à leur positionnement marketing, ceci entraînerait une rupture du contrat de lecture avec une audience qui s'informe sur ces médias pour leur caractère institutionnel. Ceci se retrouve dans plusieurs modes différents d'innovation.

• L'innovation drastique et totale de The Sun qui passe par une diversification dans des activités radicalement différentes de son coeur d'activité traditionnel, qui renvoie à son caractère de journal populaire. The Sun apparaît comme étant de moins en moins un produit journalistique d'information, s'orientant davantage vers un produit éditorial destiné à générer du trafic. Ceci se retrouve aussi pour The Daily Mail qui s'apparente de plus en plus à un portail en ligne via le rachat de nombreux sites professionnels.

• L'innovation journalistique de The Guardian. Afin de renforcer son image de marque de journal de qualité le média via sa stratégie "digital first" investit dans les nouveaux formats avec au coeur son site internet et la recherche d'une audience internationale. The Guardian est à la recherche d'une création de valeur ajoutée par des nouveaux modes de narration.

• Le Monde et Le Temps, entre contraintes organisationnelles pour le premier et retard d'adaptation aux supports numériques pour le deuxième. Le Monde a souffert de problèmes internes organisationnels marqués par le conflit dans les trajectoires à adopter vis à vis du numérique, notamment sur la question de l'identité du journal. Le journal s'oriente désormais vers une compréhension accrue de l'audience avec notamment un partenariat dans l'analyse des lecteurs en ligne. La stratégie du Temps se rapproche du modèle multi-plateforme défini par Gillian Doyle. Le journal accuse un retard dans les nouveaux supports numériques et consacre ses investissements au passage du contenu en ligne vers les différents formats.

205

Ces trois modes d'innovation nous permettent de mettre en avant un certain retard dans les pratiques marketing en France et en Suisse, principalement dû à une forte identité journalistique et à une intégration totale des pratiques dans le cadre des tabloïds britanniques. The Guardian apparaît comme un journal à la pointe de l'innovation, leader dans les expérimentations. Ces différentes formes d'innovation reflètent des transformations différentes des pratiques, radicales dans le cas des tabloïds, orientées sur le site web et les formats pour The Guardian, négociées pour Le Monde, en accord avec sa culture interne et la recherche d'un compromis avec l'identité journalistique et modérée dans le cas de Le Temps, manifestant un retard dans la transformation numérique du journal.

206 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

207

Chapitre 5. L'utilisation des données personnelles des consommateurs par les entreprises de presse : la dualité entre les tabloïds et la presse de qualité

A l'instar de la transformation des organisations, l'engagement avec le consommateur et les approches customer-centric sont au cœur des stratégies marketing en ligne des entreprises. Développées très tôt dans des secteurs tels que l'aéronautique ou encore la grande distribution, les éditeurs de presse ont adopté tardivement ces dernières. Les données personnelles des utilisateurs sont au cœur des stratégies marketing liées au Customer Rrelationship Management. La collecte de ces dernières est effectuée dans le but d'opérer des actions de personnalisation, de segmentation et de moduler l'offre en fonction du niveau d'engagement des utilisateurs. Anne Stringfellow propose une définition générale du CRM 305 , en tant qu'outil technique permettant de comprendre les besoins des utilisateurs dans un but d'accroissement des profits de l'entreprise : "[...] understanding customer needs and leveraging that knowledge to improve the company's profitability". Cette définition met en avant deux éléments clefs du CRM, la connaissance des consommateurs via la collecte de données et leurs utilisations pour améliorer les performances de l'entreprise. Le retour sur investissement dans les pratiques CRM n'est pas toujours évident. Sans vision stratégique les dispositifs mis en place subissent un échec (Stringellow, 2004) et traduit surtout une volonté de suivre une tendance générale sans pour autant avoir d'objectifs précis. D'une manière générale les entreprises collectent un nombre considérable de données, sans pour autant en être conscientes ou en tirer un usage utile. Thomas Davenport306 montre ainsi que la collecte doit être effectuée en tant que support d'une vision d'ensemble de la relation avec le consommateur :"[...] But the smart firms realize they can’t just collect data. The data has to translate into something meaningful about existing or potential customers. This requires first understanding which transaction-based approaches will provide the right data."Afin d'apporter un retour sur investissement aux pratiques d'exploitation des données, des objectifs et indicateurs de mesure de la performance doivent être mis en place. Les théories classiques du CRM utilisent la notion de Customer Lifetime Value (CLV) afin d'étudier la valeur potentielle d'un consommateur. Cette dernière peut se définir comme : "the present value of all future profits obtained from a customer over his or her life of relationship with a firm."307.

305 STRINGFELLOW Anne, NIE Winter, BOWEN E. David, "CRM: Profiting from understanding customer needs", Business Horizons, 2004 306 DAVENPORT T. H., Harris, J. G., & KOHLI A. K. ("How do they know their customers so well?"MIT Sloan Management Review, 2003, 42(2), 63-73 307 KUMAR V., “CLV: A Path to Higher Profitability,” working paper, University of Connecticut, Storrs. 208 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

De manière générale le CRM s'ancre dans un discours général lié à l'économie de la donnée. Il est difficile de distinguer dans les discours la simple intention, le suivi de la tendance ou la volonté réelle de procéder à une transformation du modèle économique par l'utilisation des données personnelles des consommateurs. Ceci s'explique par le caractère graduel de la transition des entreprises vers un modèle économique de la donnée (Schroeder308, 2016) et le flou qui entoure l'adoption d'un nouveau système technique et de pratiques dans un environnement changeant. Face à l'incertitude technique, les difficultés financières des entreprises de presse, diminuant la prise de risque, et le discours général des acteurs concernés par la vente de systèmes de CRM, les entreprises peuvent agir sous la contrainte. Comme le montre Shari S. Chang309, une vision claire des objectifs et du rôle du CRM adaptés aux besoins propres et spécifiques de l'entreprise est un facteur clef de succès de l'organisation. Les techniques marketing du CRM et plus généralement les modèles économiques utilisant les données des utilisateurs structurent l'organisation de l'entreprise via la mise en place d'une infrastructure technique de traçage des comportements des lecteurs en ligne, l'utilisation de logiciels d'engagement avec le consommateur et, l'omniprésence de métriques et systèmes de mesures qui entraînent un changement important pour les membres de la firme. Ceci renvoie à une définition même de la technologie, qui entremêle un élément d'invention, la technique et un discours sur cette dernière qui accompagne sa diffusion et le sens à lui accorder, notamment dans le cadre d'une implémentation interne. Les discours (logos), la communication en interne sont des éléments essentiels pour mener à bien cette transition technique (technè) qui s'apparente alors à un processus de médiation technique. Cette importance de la médiation justifie le questionnement de l'objet technique comme "offrant des espaces de pratiques signifiantes nouveaux, en tant que dispositif médiatique" (Jeanneret310, 2000) et renvoie au sens négocié par les membres d'une institution ou d'une organisation face aux changements. Le sens accordé aux nouveaux outils technologiques, en tant que rapport entre un dispositif technique et les croyances des membres de l'organisation, questionnent la vision accordée par ces derniers à leur profession et à leur rapport avec leurs lecteurs. Comme nous avons pu le voir dans le cas du Monde et du plan numérique mis en place sous la direction de Natalie Nougayrède, le changement implique des craintes, des résistances vis à vis de l'identité professionnelle des individus et du sens accordé à leur profession. Dans ce cadre, les technologies peuvent avoir une conséquence perçue comme menaçante pour les membres de l'organisation. Pour reprendre Michel Foucault, la technique peut s'apparenter à un dispositif structurant les pratiques des journalistes par l'intermédiaire des discours et des orientations économiques. Ce dernier définit un dispositif comme :" J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une

308 SCHROEDER Paul, " Big data business models: Challenges and opportunities", Social Sciences, 2016 309 CHEN Chi-Hsiang POPVICH, K., "Understanding customer relationship management (CRM): People, process and technology," Business Process Management Journal (9: 5), 2003, pp. 672. 310 JEANNERET Yves, Y a-t-il vraiment des technologies de l'information, Presses Universitaires du Septentrion, 2000, 135 p.

209

manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler, et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants."311 Le dispositif technique peut donc se heurter aux opinions des membres de l'organisation, entraînant une lutte pour le sens à accorder aux pratiques. Pour reprendre l'exemple du Monde, cette recherche du sens est illustrée avec l'élection de Natalie Nougayrède à la direction du Monde en 2013, portant la transformation numérique au coeur de son mandat. Dès 2014 des divergences éclatent, le transfert de journalistes vers la rédaction numérique est mal accepté. Les éditions web y voient l'arrivée de personnes hostiles aux nouvelles technologies tandis que les premiers rejettent le plan de mobilité, reflétant le clivage conceptuel entre les deux types de journalisme (Ringoot312, 2005). Ce conflit se retrouve entre les équipes managériales, Natalie Nougayrède s'opposant à l'actionnaire Xavier Niel sur le format des éditions numériques du journal, avec comme enjeu principal la qualité du contenu produit. Cette relation est d'autant plus complexe que les firmes qui rencontrent le plus de réussite centrent l'intégralité de leur modèle économique autour de l'exploitation des données (Bulger313, 2014), nécessitant ainsi une réorganisation des activités et des pratiques de ses membres. Dans ce cadre, l'adoption de pratiques marketing et technologiques nouvelles se heurtent aux héritages culturels et historiques des entreprises de presse. Les cas de The Sun, du Times et des quotidiens français et suisses permettent d'illustrer des formes de transitions numériques propres à des identités divergentes du journalisme. Pour les tabloïds anglais, partagés entre information exagérée et gros titres provocateurs, satisfaire l'audience314 est une priorité, à contrario de quotidiens, tels que Le Temps ou Le Monde, où la conception du journalisme en temps que quatrième pouvoir demeure prégnante. Si la manière dont les entreprises collectent des données personnelles des utilisateurs ne permet pas de refléter de manière exacte la conception qu'ont les équipes managériales de la profession journalistique, elle permet néanmoins de

311 Définit reprise dans : AGEMBEN Georgio, Qu'est ce qu'un dispositif ? traduit de l'italien, Rivages Poche, 2014, 80 p. 312 RINGOOT Roselyne, UTARD Jean-Michel, Le journalisme en invention. Nouvelles pratiques, nouveaux acteurs, Presses universitaires de Rennes, Coll. « Res Publica », 2005 313 BULGER Monica, TAYLOR Greg, SCHROEDER Ralph, " Data-Driven Business Models: Challenges and Opportunities of Big Data", Oxford Internet Institute, 2014 Dans ce rapport, les auteurs mettent en avant que les entreprises rencontrant le plus de succès dans l'adoption d'un modèle de données sont celles mettant la donnée au coeur de leur modèle économique ou étant "datadriven born". 314 On notera une citation de Kelvin McKenzie, éditorialiste pour The Sun, auteur notamment du titre "Gotcha" pour le tabloïd au cours de la guerre des Malouines. " You just don't understand the readers, do you, eh? He's the bloke you see in the pub, a right old fascist, wants to send the wogs back, buy his poxy council house, he's afraid of the unions, afraid of the Russians, hates the queers and the weirdos and drug dealers. He doesn't want to hear about that stuff (serious news)." Citation rapportée dans : HORRIE Chris, CHIPPENDALE Peter, Stick It Up Your Punter!: The Uncut Story of the Sun Newspaper, Faber & Faber, 2013 (1e édition, 1990), 554 p. 210 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. mettre en avant deux transformations des entreprises de presse, l'une dans une orientation marketing, visant à tirer partie de l'économie des données, l'autre recherchant une adaptation aux activités existantes plutôt qu'une "transformation". Comme nous avons pu le voir dans le chapitre précédent, les trajectoires menées par les firmes médiatiques dans leur adaptation aux changements de l'environnement économique et technologique s'interpénètrent avec les identités et le positionnement des marques de médias. Dans cette structure mouvante, la collecte de données est au coeur des logiques économiques des firmes visant à s'adapter aux règles du jeu des définisseurs primaires, Google et Facebook. Il est donc intéressant d'étudier les dispositifs techniques mis en place afin de permettre aux entreprises de presse traditionnelles d'appliquer les règles du jeu de ce champ technico-économique. Ceci ne peut être analysé sans mettre en avant le cadre légal entourant les pratiques. Au Royaume-Uni, le Data Protection Act (1998), transposition de la directive européenne définit la donnée personnelle comme "toute donnée liée à un individu qui peut être identifié (a) grâce à cette donnée, ou (b) à partir de cette donnée et d’autres informations qui sont en possession, ou pourrait être en possession du contrôleur de données."315 Le Data Protection Act de 1998 repose sur deux concepts. Le premier, le fair use of data spécifie que les données personnelles collectées doivent l'être de manière juste et conformément avec la loi. Le deuxième concept précise que ces dernières doivent être obtenues pour une raison spécifique et un objectif justifiable. En France, la loi Informatique et Libertés de 1978, relative à l'information, aux fichiers et aux libertés, modifiée par les décrets de 1991 et la loi de 2001 définissent la donnée personnelle comme : "[...] (la donnée personnelle ndlr.) constitue une donnée à caractère personnel toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d'identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres." A l'instar de la loi britannique, la collecte des données doit respecter un ensemble de règles telles qu'une collecte loyale et licite de données, avec une finalité déterminée, explicité et légitime avec la garantie qu'elles ne seront pas traitées pour d'autres fins ultérieurement. La loi précise néanmoins que ces dernières doivent être traitée pour des fins statistiques ou de recherche scientifique et historique. En Suisse, la loi fédérale sur la protection des données personnelles du 19 juin 1992 a constitué un cadre juridique très strict, interdisant quasiment tout traitement de données non explicitement autorisé par la personne intéressée. A l'instar des lois françaises et britanniques, le traitement des données personnelles doit être effectué conformément aux principes de bonne foi, dans le but indiqué lors de leur collecte et doit être reconnaissable de manière simple pour la personne concernée. Le consommateur doit avoir été dument informé des éléments sur la collecte et le traitement de ses données. Le consentement repose sur le concept de l'opt-in définit par la CNIL comme l'accord du destinataire à recevoir de la publicité, si "ce dernier ne dit pas "oui" alors c'est "non" 316." A l'instar des stratégies de diversification et d'adaptation aux règles du jeu numériques, la collecte de données effectuée par les éditeurs de presse subit un vif contraste entre les

315 Source : http://www.cil.cnrs.fr/CIL/spip.php?article1532 316 Source CNIL : https://www.cnil.fr/fr/cnil-direct/question/514

211

tabloïds anglo-saxons et les journaux dits de qualité. Pour les premiers, l'adoption des techniques du marketing s'effectue via une collecte importante de données des utilisateurs et l'emploi de pratiques éprouvées d'engagement avec le consommateur. Dans le deuxième cas, on constate une recherche d'un modèle visant à améliorer la connaissance et l'expérience de l'utilisateur via l'utilisation de techniques de collecte de données. Ces techniques mises en place demeurent néanmoins centrées autour du coeur d'activité journalistique. On distingue aussi le cas des alliances des éditeurs de presse français et suisses qui visent, via l'acquisition de données personnelles des lecteurs à pouvoir faire front aux géants du numérique, Facebook et Google, via des jeux stratégiques de coopération sur le marché. Afin d'illustrer ces trois modèles, nous avons sélectionné les cas particulièrement exemplaires de The Sun, The Times et de l'alliance Gravity des régies publicitaires des entreprises de presse en France. Cette partie repose sur une hypothèse principale.

Hypothèse 3 : "Les tabloïds britanniques, via l'exemple de The Sun, ont mis la connaissance de l'utilisateur au coeur de leur stratégie marketing. A contrario, les entreprises de presse de qualité, britanniques, suisses et françaises accusent un retard dans l'adoption des techniques de connaissance de l'audience et des lecteurs. "

5.1 The Sun : l'utilisation des pratiques marketing de fidélisation au coeur de la stratégie de diversification des activités.

The Sun a comme nous avons pu le voir opéré une stratégie de diversification horizontale (Sun Savers, Sun Bingo etc.) sur le web et les supports mobiles avec des investissements technologiques dans les formats vidéo et dans les technologies du CRM et de traitement de données. Les offres mises en place par le tabloïd illustrent une vision générale orientée autour du marketing des données. Le journal britannique a mis en place deux services, The Sun Savers et The Sun Bet qui permettent de collecter les données personnelles de ses utilisateurs. Le positionnement marketing de The Sun se résume par l'approche définie par Kate Bird, directrice marketing de News UK : " The Sun’s proposition has always very much been about giving value back to its readers."317 La valeur perçue par le consommateur, dans la typologie définie par O'Brien et Jones318 correspond à la probabilité d'atteindre la promotion promise par The Sun, notamment via l'existence de points, visibles et quantifiables et l'aspiration au gain monétaire potentiel. Ce positionnement marketing est à mettre en perspective avec l'audience du tabloïd. Pour le rappeler, le lectorat de The Sun est un public majoritairement masculin, attiré par les contenus aguicheurs, dont la réputation s'est développée suite aux controverses de la page n°3 du journal

317 Source interview de Kate Bird du 5 janvier 2017 pour Marketing Week https://www.marketingweek.com/2017/01/05/the-sun-focuses-value/ 318 O’BRIEN L., JONES C. “Do rewards really create loyalty?”, Harvard Business Review, May-June, pp. 75-82., 1995 212 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. comportant des photos de femmes dénudées. Les lecteurs du quotidien sont relativement âgés, plus de 71% ont plus de 45 ans et appartiennent aux catégories socio-économiques regroupant les travailleurs manuels et emplois correspondant aux classes moyennes-inférieures et inférieures. En termes d'aspiration, ces lecteurs recherchent principalement le gain financier et sont davantage enclins au type de promotion offerte par The Sun.

Conformément à sa réputation, de journal provocateur traitant principalement d'infotainment les lecteurs sont principalement attirés par les rubriques sur les célébrités (selon une étude YouGov 2014). The Sun est en ce sens un cas particulièrement intéressant car il reflète sa stratégie de diversification horizontale de son activité. Son orientation vers des activités externes au journal, notamment vers les paris en ligne se caractérise par une forte utilisation des techniques d'analyse et de traitement des données personnelles dans un objectif de promotions sur les différents supports. Cette volonté de The Sun Savers est un service de fidélisation de la clientèle basée sur la collecte de points les "Sun Codes" permettant d'obtenir des bons de réduction. Lancé en juin 2017, l'objectif est de fidéliser les lecteurs loyaux du quotidien à travers cette offre promotionnelle. Kate Bird, directrice marketing de News UK décrit la stratégie de l'offre comme visant à apporter un avantage financier à ses lecteurs : "We know we have a huge fan base, and we want to reward them by giving them £5 with no tricks or catches – just cash. Customers and what they want, have really being at the heart of this proposition."319 Chaque quotidien comporte un code unique que les lecteurs peuvent scanner après s'être enregistrés au programme de fidélisation Sun Savers. Pour chaque 28 codes obtenus, 5 livres sterling sont collectés sur le Sun Savers Wallet, un portefeuille virtuel de gestion des points

L'offre se conjugue avec le lancement de l'application mobile The Sun Savers qui permet aux utilisateurs de directement scanner les codes depuis leurs smartphones. Pour le lancement de l'offre, The Sun Savers Holidays propose pour chaque 28 codes obtenus, 5£ sont collectés sur le Sun Savers Wallet. Des offres spéciales saisonnières sont aussi proposées avec par exemple le Sun Savers Holidays. Les participants doivent collecter neuf codes consécutifs à compter du 8 juillet 2017 jusqu'au 1 août 2017 afin d'obtenir des prix réduits pour des vacances en Europe pour des montants commençant à 9£. Lancé en juin 2017 le programme s'est accompagné d'une campagne de promotion publicitaire importante en ligne ainsi qu'en magasins de la possibilité pour les distributeurs de gagner des écrans publicitaires digitaux en échange de la promotion de The Sun Savers. Cette stratégie de diversification s'inscrit aussi dans l'investissement sur des activités tels que les paris en ligne. En 2016 The Sun lance Sun Bet, une plate-forme de paris sportifs en ligne faisant suite à la création de Dream Team fantasy football puis de The Sun Bingo lancé en 2006. Cette diversification de The Sun sur le marché des paris en ligne s'ancre dans une stratégie de complémentarité et d'une ambivalence entre le contenu et la commercialisation sur un marché dont la cible représente celui de son lectorat, intéressé principalement par les célébrités et le sport. Comme nous avons pu le voir précédemment, la stratégie de content marketing repose sur l'utilisation du

319 Source : communiqué de presse de News UK du 16 juin 2017 : https://www.news.co.uk/2017/06/sun-savers-launches-this-weekend/

213

contenu dans un objectif de support d'offres annexes. En se lançant dans l'industrie des jeux en ligne, The Sun, permet donc d'opérer une approche en termes de plateformes, dont les articles journalistiques sont un moyen d'attirer l'audience vers les activités annexes. Le marché potentiel est de plus conséquent au Royaume-Uni. Selon David Attenborough, directeur de Tabcorp, l'entreprise assurant le système de paris en ligne en The Sun : "le partenariat entre Tabcorp et le Sun permet de pénétrer le marché britannique qui représente plus de 7 milliards de dollars australiens de revenus. Le Sun a plus de 10 millions de lecteurs par semaine dont 1 million de fans de football engagé via le Sun Dream Team FC Fantasy." 320 Ce commentaire du directeur de Tabcorp est particulièrement intéressant car il permet de mettre en avant la conception du journal en tant que marque attirant les consommateurs vers les services proposés.

Le marché des paris en ligne au Royaume-Uni est particulièrement profitable et représente une fenêtre d'opportunité pour le quotidien. Selon l'observatoire des paris en ligne de l'Université Polytechnique de Milan la Grande Bretagne représentait le premier marché en termes de revenus suivi de l'Italie et de la France. Le Gambling Commission du Royaume-Uni a par ailleurs montré que les pratiques de jeux en ligne étaient particulièrement étendues 48% des interrogés du rapport annuel de 2017 sur les pratiques ont pratiqué des paris dans les derniers mois. Ces derniers sont majoritairement des hommes à 52% avec une forte activité parmi les plus de 45 ans, correspondant ainsi au profil des lecteurs de The Sun. Les offres proposées par le quotidien s'inscrivent de plus dans une pratique de la collecte de données. The Sun demande à ses utilisateurs de fournir des informations d'ordre socio-démographique au cours de l'inscription incluant notamment le prénom, nom, l'adresse, la date de naissance, l'adresse email, le numéro de téléphone, le numéro de carte de crédit, le genre (via les salutations). Au cours de l'abonnement au service, les utilisateurs ont la possibilité de cocher une case leur permettant de recevoir des offres promotionnelles sous la forme d'emails ou bien de SMS. Il est aussi possible, sous la forme d'un soft opt-in d'accepter de partager ses données personnelles avec le News Group Newspapers Limited (NGN) dont le siège est basé à Londres. A l'inscription une offre promotionnelle de bienvenue est proposée avec des crédits gratuits pour participer aux jeux en ligne à partir du moment où l'utilisateur crédite son compte d'un minimum de 10£. D'autres données sont aussi collectées telles que l'activité de l'utilisateur, les montants pariés, l'évènement (le pari en soi), la participation à des discussions sur le site, les complaintes ou encore l'entrée dans des compétitions. Le comportement en ligne est aussi collecté, notamment l'adresse IP, les informations de connexion (logs, fréquence etc.), la date d'accès, le fuseau horaire ainsi que les données de navigation web sur le site. De la manière, les pages web du site font l'objet d'un tagging minutieux permettant de connaître de manière précise la navigation de l'utilisateur ainsi que son parcours. The Sun

320 "Entering the UK market in partnership with News is an exciting opportunity for Tabcorp as we take our capability into the A$7 billion UK online gambling market. The Sun has more than 10 million readers per week and over 1 million football fans actively engaged through The Sun Dream Team FC fantasy football competition. " David Attenborough, Communiqué de presse du 10 décembre 214 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Bettings utilise ces données principalement pour des objectifs de compréhension marketing et publicitaires mais aussi pour analyser les comportements des parieurs en ligne. Il est particulièrement intéressant au vu des législations européennes sur la protection des données personnelles de noter que les données sont collectées sur les serveurs de l'entreprise Luxbet Pty Ltd, basée en Australie. Le système de jeu en ligne de The Sun, géré par l'entreprise australienne Tabcorp met en avant dans sa politique de protection des données personnelles le traitement des données collectées sur les utilisateurs par un souci de compréhension marketing et de recherche, de promotion commerciale, de risque crédit. Plus intéressant, les termes et conditions expliquent que l'ensemble des données peut être partagé au sein du groupe News Corporation ainsi qu'aux tierces parties, incluant ainsi l'ensemble des titres. Le lancement de The Sun Bettings représente pour la directrice de News UK "un moyen de diversifier les sources de revenus de The Sun" en touchant un marché potentiel de 73 milliards de livres sterling, mettant ainsi en avant la stratégie multi-plateforme et la diversification de l'activité adressées par le groupe notamment dans le cadre de sa transformation digitale comme l'énonce Rebekah Brookes : "This deal with Tabcorp marks a pivotal moment in the digital transformation of the company, creating a world-class online sports book that will engage and entertain the betting public in the inimitable style of The Sun.". Beverley Mcintyre directrice des abonnements à News UK de 2012 à 2014 met en avant la stratégie du groupe vis-à-vis de l'engagement client. Dans une interview accordée à eConsultancy en 2014 cette dernière explique les outils et techniques CRM utilisés par le groupe. Pour Beverley McIntyre la thématique de l'engagement client et de l'utilisation des données des utilisateurs s'expliquent par la nécessité de simplifier l'expérience du consommateur. L’enjeu s’est déplacé du produit aux dispositifs techniques, les utilisateurs ont des attentes en termes de facilité d'utilisation mais aussi de soutien dans les éléments techniques du contenu tels que le téléchargement d'une application par exemple. Pour cela, la connaissance des préférences des utilisateurs favorise l'amélioration du service proposé et permet de délivrer le service attendu par l'utilisateur. L'équipe CRM de The Sun utilise le logiciel de gestion de la relation SalesForce Exact Target afin de connecter les données des utilisateurs en continu vers la base de données du logiciel. Les informations sont par la suite téléchargées vers la solution marketing SkyIQ. Cette dernière permet de scorer les données des utilisateurs afin de leur attribuer un profil prédéterminé sous la forme d'un persona marketing, forme d'idéal type de l'utilisateur basé sur des critères socio-démographiques, économiques et d'utilisation. Ceci permet, notamment grâce aux recherches menées sur le lectorat de proposer aux annonceurs une segmentation et une connaissance des utilisateurs pointue et qualifiée.

Cette stratégie de modèle économique se conjugue avec l'utilisation de la technologie du partenaire de The Sun, Unruly qui permet aux annonceurs d'avoir une connaissance poussée du portfolio de lecteurs de The Sun, The Times of London et The Sunday Times. Unruly permet de plus de proposer des tests en continu des offres et messages afin d'optimiser le nombre de conversions publicitaires. La stratégie de The Sun s'explique par un constat que le contenu attire moins les lecteurs, d'où l'utilisation du "bundle", des services et offres supplémentaires au produit principal ce qui redéfinit même le rôle d'un média en

215

tant que producteur de contenu journalistique. Ceci se retrouve dans la volonté des publications de News Corporation de quitter la "course au breaking news", qui fournit un journalisme de qualité, à l'image de The Guardian mais particulièrement coûteux comme l'énonce Alan Hunter, directeur digital pour The Times : "Nous savons que nous n'aurons jamais les ressources de la BBC et Twitter possède plus de 350 millions de correspondants à travers le monde"321. La stratégie de The Sun de diversification et d'utilisation des données personnelles s'inscrit dans une vision multiplateforme du journalisme. Pour Gillian Doyles322, la transformation numérique des firmes médiatiques se traduit par une réallocation des investissements dans des activités différentes du journalisme traditionnel. Une stratégie "multi-plateforme" se définit selon Doyles comme "une approche ou les firmes médiatiques se concentrent sur la production de contenus et de services avec comme objectif un accès non pas sur mais sur plusieurs terminaux mobiles". La diversification des firmes médiatiques s'accompagne à la fois d'une réallocation des investissements, vers de nouveaux actifs matériels et ressources humaines mais aussi par de nouveaux modes de capture des informations sur le lecteur. The Sun s'inscrit ainsi dans cette stratégie multi-plateforme en investissant des sommes conséquentes sur des activités extérieures au journalisme. Ce processus reflété par sa diversification est particulièrement intéressant dans le cas du tabloïd car il s'inscrit dans l'apprentissage et l'adoption de pratiques marketing issues des entreprises du groupe News Corporation et de ses nombreux partenariats. Cette approche en termes de paquet commercial se retrouve aussi dans l'autre quotidien de News Corporation, The Times qui adopte une stratégie similaire.

5.2 Une meilleure compréhension de l'audience appliquée à un modèle économique du paywall : The Times

Ce dernier propose en effet un ensemble d'offres telles que The Times Travel Magazine, The Sunday Times Wine Club qui permettent de créer une expérience étendue pour le lecteur autour du noyau d'activité que représente le produit journalistique. Des offres tels que des coupons de réduction ou des promotions spéciales représentent ainsi des produits d'appel permettant de générer du trafic ou de la fidélisation autour du journal. The Times of London, quotidien national détenu par News Corporation, à l'instar de The Sun, a opté pour la stratégie du paywall en juillet 2010. Il fut ainsi le premier quotidien national britannique généraliste à opter pour un modèle en paywall intégral. En moins d’un mois le trafic du site web a diminué de 64% passant de 4 à 1,2 millions de visiteurs uniques mensuels (incluant les personnes tentant de se connecter) selon un article de The Guardian du 18 juillet 2010 citant une étude de Comscore323. Le

321 " We know we are never going to have the resources of the BBC, and Twitter has 350 million correspondents around the world." Alan Hunter pour The Drum, le 28 juillet 2016 http://www.thedrum.com/opinion/2016/07/28/times-editor- johnwitherow-how-its-paywall-paying-and-why-he-thinks-guardian-will 322 DOYLES Gillian, "Multi-platform media and the miracle of the loaves and fishes" in Journal of Business Studies, 12:1, 49-65, 2015 323 We have, like a few other national newspapers, tens of millions of unique [web] users a month. But they are not regular readers. They are more like 216 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. prix à l'entrée s'élève à 1£ par jour ou bien 2£ par semaine pour un accès au Sunday Times et à The Times et le nombre d'abonnés à l'offre digitale était de 50 000 mensuels en 2010. Cette chute importante du trafic se compense selon le rédacteur en chef de The Times de 2008 à 2013 par la nécessité de se concentrer sur les lecteurs les plus actifs, disposés à payer pour du contenu : "Nous avons comme tous les autres quotidiens nationaux des dizaines de millions de visiteurs uniques par mois mais il ne s'agit pas de lecteurs réguliers. Ils agissent plus comme des "window shoppers. Plutôt que de défendre une bande déclinante de lecteurs existants nous préférons atteindre une cible recherchant à obtenir de l'information et des idées mais pas sur support papier". Ce choix du paywall fut particulièrement audacieux au regard des expériences passées. Seuls le Wall Street Journal et le Financial Times, tous deux sur le segment du contenu économique sont parvenus à trouver le succès. En 2016 les souscriptions à The Times et The Sunday Times atteignent un total de 413 600324 pour un profit sur l'année 2015 de 11 millions de livres sterling étant revenu au point de rentabilité en 2014 avec un profit de 1 million, contrastant fortement avec la perte de 70 millions de livres atteinte en 2009 avant l'adoption du paywall, ce malgré le déclin des ventes des exemplaires papier. Derrière le succès du paywall adopté par The Times se cache une stratégie marketing éprouvée, mélangeant à la fois des stratégies de produit d'appel et des nouvelles techniques éditoriales. Avant l'adoption de son modèle économique en péage, The Times était relativement reconnu pour son journalisme de qualité marqué par la recherche de breaking news. Ce modèle est abandonné en 2016 comme en témoigne Alan Hunter : "Les lecteurs viennent pour l'autorité de nos reportages, opinions et analyses. Les breaking news sont devenus une commodité et il est difficile de faire payer les gens pour cela. Nous croyons à la force des éditions digitales"325. Ce nouveau contenu, davantage focalisé sur l'analyse et les articles d'opinion s'accompagne d'une refonte du site web fusionnant à la fois The Sunday Times et The Times, offrant ainsi une fenêtre unique pour le lecteur et les annonceurs. Cette refonte concerne aussi les applications mobiles des deux publications. Le nouveau site web s'accompagne aussi d'une recherche d'amélioration de l'expérience utilisateur sur les supports mobiles, avec la nomination d'une nouvelle équipe dédiée à l'optimisation des articles sur ces terminaux. Afin d'attirer les nouveaux utilisateurs sur les window shoppers. Instead of just defending a dwindling band of existing readers, we're aiming to reach out to a world of people who want to get information and ideas but not from the printed page." James Harding pour The Guardian, article du 26 mars 2010 https://www.theguardian.com/media/2010/mar/26/murdochtimes-website- paywall 324 Source : communiqué de presse de News UK de juillet 2016 : https://www.news.co.uk/2016/07/the-times-and-the-sunday-times- achieverecord-subscriptions-and-outperform-market-in-abc-figures-released- today/ 325 "They come to us for the authority of our reporting, opinion and analysis. Breaking news has become a commodity, and it’s hard to charge people for it. We believe in the power of digital editions." Alan Hunter, 30 mars 2016 https://digiday.com/uk/breaking-news-commodity-times-adjusts-digital- newsmetabolism/

217

applications mobiles et le site web l'équipe marketing de The Times a mis en place un "funnel marketing", lié très fortement aux pratiques marketing du CRM. En juillet 2016 The Times of London a modifié son paywall afin de permettre aux lecteurs non-abonnés d'avoir accès à deux articles en ligne par semaine gratuitement en échange d'une inscription au site, leur permettant ainsi de capturer les données personnelles des lecteurs potentiels. Les données collectées sont l'adresse email ainsi que le nom et prénom et l'offre n'est accessible que pour les personnes localisées au Royaume-Uni. Cette dernière n'est cependant pas disponible sur l'application mobile. Cette technique de collecte de données est le fruit d'une expérimentation menée en 2016 avec notamment la possibilité pour les abonnés de partager des articles sur l'application iPad via email et les réseaux sociaux. Les personnes avec qui l'article est partagé peuvent par la suite lire gratuitement ce dernier. De même, les vidéos de courte durée sont accessibles librement après avoir été partagées sur les réseaux sociaux. Le partage sur les réseaux sociaux, conformément aux informations mentionnées dans les termes et conditions de News Corporation326 permet aussi à l'entreprise de collecter des données personnelles sur les utilisateurs. Les informations collectées telles que l'ID utilisateur, le nom, l'adresse email, la location et tous les autres informations permises par les termes et conditions sur la protection des données personnelles du réseau social peuvent être transmises à News Corporation pour traitement statistique à des fins marketing.

5.3 En France et en Suisse : de la passivité des stratégies multi-plateformes à la course aux clics et à la masse critique des alliances de régies françaises.

En France des stratégies similaires de diversification ont été mises en place, néanmoins à une échelle moindre. Le site web du quotidien national Le Parisien met en place une diversification de son contenu vers des offres autres que les articles journalistiques traditionnels. Dès 2014 Le Parisien crée des partenariats via des opérations spéciales. En juillet 2014 les lecteurs du Parisien pouvaient ainsi disposer d'un abonnement gratuit de 7 jours à l'édition numérique du quotidien moyennant un enregistrement à l'offre sur le site web du journal. En mai 2015 Le Parisien a crée un partenariat avec le site de recherche d'emploi Cadremploi. Le site web met à disposition des lecteurs l'ensemble des offres du portail. Le Parisien a aussi fortement investi dans les supports mobiles avec le lancement en 2015 d'une application dédiée au foot. Cette dernière repose sur un modèle freemium et publicitaire dans le sens où l'accès est gratuit pour 6 articles avant de devenir payant pour un montant de 3,99 euros par mois. Des publicités sont aussi visibles dans l'application permettant d'accroître les revenus de l'application. Le Parisien propose un ensemble de services variés allant de la

326 http://www.newsprivacy.co.uk/single/ "By logging in with or connecting your account with social media, you are permitting us to share information we collect from and about you with that social media provider, other users and your friends, and you understand that the social media service’s use of the shared information will be governed by the social media service’s privacy policy." 218 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. billetterie pour des évènements, à la consultation du trafic en ligne, logement étudiant, cours de langues, shopping et offres de vacances. L'ensemble est effectué via des partenariats avec des tierces parties. La section immobilière est ainsi créée en partenariat avec le site web Explorimmo, tandis que la section vacances s'effectue via l'entreprise TripAdvisor, parmi d'autres. La stratégie du Parisien de diversification est marquée par une montée en gamme en termes d'analyse de l'audience. Ceci se dénote par la volonté du groupe Les Échos-Le Parisien de se doter dès 2016, en partenariat avec le groupe Lagardère Active, d'une équipe de statisticiens et de professionnels de la donnée, les "data scientists" afin d'accroître leur capacité technologique, leur connaissance de l'audience et pouvoir ainsi affiner leurs offres commerciales. En termes d'exploitation des données personnelles le groupe possède au cours de l'abonnement à la collecte d'un ensemble de champs tels que la civilité (permettant de déterminer le genre), le code postal et l'adresse email. Le Parisien exploite aussi les données des utilisateurs provenant de ses partenaires commerciaux, notamment sur l'utilisation des supports numériques. Le comportement du lecteur est analysé au cours de sa navigation web via la collecte de données telles que l’adresse IP, le navigateur web, les données de connections, les pages vues, sessions, l'activité via le biais de cookies. Si l'objectif de cette collecte est purement dans un but gestionnaire, notamment des abonnements, des fins de marketing sont aussi le cas. Le Parisien déclare ainsi traiter ces données dans le cadre de statistiques visant à optimiser le site web, dans un but commercial, l'organisation de promotions et la gestion des newsletters. A l'inverse du processus de diversification effectué par des journaux tels que The Sun, The Times of London au Royaume-Uni et les partenariats avec des tierces parties pour diversifier le contenu avec Le Parisien, d'autres publications utilisent leur image de marque comme outil de captation de nouveaux lecteurs. Dans ce cadre nous pouvons citer deux acteurs clefs ayant mis au coeur de leur stratégie d'attraction leur image de marque, Le Temps en Suisse, Le Monde en France et The Guardian au Royaume-Uni. Comme nous avons pu le voir, la segmentation des publications est fortement marquée par un clivage entre presse populaire et journaux de qualité. Cette polarisation, fortement présente au Royaume-Uni de par l'existence de tabloïds aux pratiques éditoriales et marketing particulièrement prononcées se renforce par un positionnement stratégique effectué par les marques dont la recherche d'un modèle économique n'est pas passée par la mise en place de tactiques marketing externes aux pratiques du journalisme de revenus mais par un renforcement et une narrativisation de leur identité. Cette dernière représente, au delà de l'aura du journal, un outil clef pour capter les lecteurs potentiels, dont les équipes gestionnaires sont conscientes. Le Temps en Suisse est un journal particulièrement intéressant d'une stratégie de concentration de son activité, qui se reflète dans sa stratégie d'acquisition de nouveaux lecteurs. Crée en mars 1998 suite à la fusion du Journal de Genève, et Gazette de Lausanne et du Nouveau Quotidien, le journal se positionne sur un contenu de qualité autour de trois axes principaux, la politique suisse et internationale, l'économie et la finance, la culture. Les valeurs du Temps s'orientent autour de l'exigence éditoriale, l'indépendance et l'éthique, le respect de la pluralité des opinions et des partenariats éditoriaux internationaux. Ceci se traduit par des partages d'articles avec des journaux tels que The New York Times, The Financial Times,

219

Le Soir, Le Monde, Courrier International et Neue Zürcher Zeitung. La qualité éditoriale de Le Temps s'est traduite en 2010 par l'obtention de la certification l'ISAS BCP 9001 qui garantit une gestion de qualité dans les médias. Au plan mondial, Le Temps fut ainsi le premier média de presse écrite à recevoir cette certification. Les lecteurs de Le Temps se caractérisent par un âge relativement élevé, une majorité ayant plus de 35 ans avec un pic pour les plus de 55 ans. Il s'agit aussi d'un public relativement masculin composé de salariés aux revenus élevés avec un revenu brut de plus de 8 000 CHF mensuels327. Le site en ligne du Temps a remporté en 2010 le prix du meilleur site des quotidiens suisses avec pour point clef une qualité éditoriale de bonne facture, une clarté du design et de l'ergonomie et une bonne intégration du contenu multimédia au sein de la rédaction. Depuis le 12 janvier 2011 le site web a mis en place un metered paywall, obligeant l'utilisateur à s'enregistrer. L'accès libre correspond à environ 10 articles par mois. Le paywall a eu un résultat drastique sur les revenus publicitaires, ces derniers ont chuté de presque 60% en quatre mois. En revanche le nombre d'abonnés entre le 12 janvier 2011 et le 31 mai 2011 a augmenté de 112% sur le web passant et de 14% sur le print. Le nombre d'enregistrements sur le site web a augmenté de 47% sur la même période. L'offre du Temps se veut multicanale et adaptée à tous les supports. Le quotidien dispose ainsi d'une offre print classique, une offre web, une application pour iPhone, iPad et terminaux Android, une offre iPad et ePaper, une formule "digital access", proposant l'accès aux articles sur l'ensemble des supports numériques et "full access" pour l'ensemble, numérique et papier. La qualité éditoriale du Temps est garantie par une charte rédactionnelle328 dont l'article 3.1 en fournit les valeurs principales : "Le Temps est un média de référence en matière d'information, d'analyse, de réflexions et de commentaires. Il définit une hiérarchie dans le domaine des informations en privilégiant celles qui ont un intérêt pour la Société en général et ses lecteurs en particulier". La charte énonce aussi l'organisation de la rédaction, basée sur l'indépendance éditoriale. Les sources de financement et les articles du quotidien proviennent en partie de partenariats éditoriaux, notamment le contenu sponsorisé, le publi-reportage et le contenu à caractère éditorial et non publicitaire d'une tierce partie. Une stratégie similaire de positionnement sur les lecteurs à haut revenu se retrouve pour les quotidiens Le Monde et The Guardian, en France et au Royaume-Uni. Le Monde s'est engagé de même dans une charte éditoriale publiée le mardi 2 novembre 2010. Cette dernière met en avant l'indépendance, l'éthique et la qualité des publications du Groupe Le Monde. La vocation du quotidien est énoncée dès le préambule avec comme point clef : "La vocation des titres du groupe Le Monde est de fournir, sur tout support, une information de qualité, précise, vérifiée et équilibrée. Les journalistes doivent porter un regard critique sur l'information et faire écho au pluralisme des opinions." 329 De même, les publications du Groupe Le Monde s'engagent à respecter les principes contenus

327 Source : Etude pilote Total Audience 1.0 328 Charte disponible sur le site du Temps : https://www.letemps.ch/sites/default/files/charte_v3_2010.pdf 329 Source article du monde.fr du 3 novembre 2010 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/11/03/la-charte-d-ethique- etde-deontologie-du-groupe-le-monde_1434737_3236.html 220 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. dans la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes de Munich, adoptée par la Fédération européenne des journalistes le 24 novembre 1971. Ce principe éthique se retrouve aussi pour un autre journal de qualité, The Guardian. Ce dernier dispose d'une charte visant à suivre le crédo mis en place par Charles Prestwich Scott, à savoir que : "Le principal objectif d'un journal est le recueil d'informations, au péril de son âme il doit garantir que sa constitution ne soit pas teintée." 330 , symbolisée par l'essai A Hundred Years publié en 1921. Ce positionnement sur l'intégrité journalistique fait ses preuves en termes de confiance des lecteurs. En 2014 une enquête menée par Ipsos Mori pour la BBC montrait que The Guardian331 était le deuxième journal britannique auquel les interrogés faisaient confiance derrière The Financial Times. Selon la même étude les tabloïds britanniques sont considérés comme partisans et peu fiables vis à vis de leur couverture médiatique, The Sun arrivant dernier du classement, suivi de près par The Daily Start et The Daily Mail. Selon le baromètre Edelman Trust de 2017 la confiance dans les médias britanniques a atteint son niveau le plus bas depuis 2011 et les scandales du hacking des journalistes de News of the World suite au vote du référendum de sortie de l'Union européenne 332 . Ce positionnement haut de gamme permet aux trois médias, The Guardian, Le Monde, Le Temps, reconnus pour leur qualité éditoriale et leur exigence dans leurs pays respectifs de cibler un public à hauts revenus. En France, on note ainsi une approche différente de celle menée au Royaume-Uni par les quotidiens de News UK ou par le Daily Mail. Les grands médias français ont ainsi procédé à une alliance visant à peser sur le marché publicitaire en proposant une régie unique, diminuant ainsi les coûts de transaction pour les annonceurs. Ce projet nommé Gravity est lancé en 2017 par les principaux éditeurs français (Groupe Les Echos, Lagardère, Solocal, SFR, Prisma Media, La Dépêche, Le Télégramme, Sud Ouest, Fnac Darty et Prisma Media) pour faire face aux GAFA disposant d'un oligopole sur le marché publicitaire, Le Monde et Le Figaro s'associent de même la même année autour d'un accord de partage des données puis par la suite autour de l'alliance Skyline. Gravity atteint une audience d'environ 40% des français aux débuts de l'initiative contre environ 60% et 70% pour Google et Facebook. Ce poids atteint par les éditeurs permet de disposer d'une masse critique sur le marché de la publicité dite "programmatique" quiautomatise la médiation des messages entre l'offre et la demande avec comme base technique une connaissance pointue des données des utilisateurs333. Gravity opère comme une plateforme d'intermédiation entre les annonceurs et l'audience des différentes publications réunis en une seule régie. L'annonceur sélectionne une cible en fonction de critères socio-démographiques, de géolocalisation, de facteurs économiques ou comportementaux puis,

330 Charte éditorial de The Guardian : http://image.guardian.co.uk/sysfiles/Guardian/documents/2007/06/14/EditorialC ode2007.pdf 331 Etude IPSOS Mori pour la BBC "Public perceptions of the impartiality and trustworthiness of the BBC" juillet 2014 332 Edelman Trust Barometer 2017, Crisis in Trust in Post-Brexit Britain, https://www.edelman.co.uk/wp-content/uploads/UK-TB-2017.pdf fx 333 Source article de lesechos.fr du 5 juillet 2017 : http://www.lesechos.fr/tech- medias/medias/030427903333-publicite-les-medias-francais-allies-pour-mieux- contrer-les-gafa-2099852.php

221

lorsqu'un lecteur consulte l'un des sites web, le message publicitaire est affiché dans l'un des encarts disponibles. Point intéressant, le mode de rémunération des médias appartenant à Gravity s'effectue en proportion des données fournies par les différents membres, ce qui encourage ainsi ces derniers à accroître leur acquisition de données selon un modèle typique de l'économie de plateforme. Le point faible de ce modèle, mis en avant par les éditeurs repose sur la dépendance aux cookies pour le traçage des lecteurs, pratique contestée au sein de la directive e-Privacy de l'Union européenne qui vise à faciliter le nonrecueil des données pour les utilisateurs.

Le jeudi 6 juillet 2017, deux jours après le lancement de Gravity, le groupe Le Monde et Le Figaro, deux concurrents sur le segment de l'information de qualité marqués par leurs différences de positionnement politiques annoncent le lancement de Skyline. Ce projet met en commun les régies publicitaires des deux groupes. Ainsi un annonceur peut lancer des campagnes sur les sites du groupe Figaro et Le Monde pour un tarif et formats uniformisés. Cette alliance permet aux deux groupes de bénéficier d'un poids de taille due à son audience, qui, grâce aux nombreux sites constitués permet de figurer à la quatrième position des sites les plus visités derrière Google, Facebook et Microsoft. L'objectif annoncé par le directeur général du Figaro, Marc Feuillé est de garantir aux annonceurs une baisse de leurs coûts de transaction via un système de constitution de rapports de performance unifiés, des formats uniformisés et l'assurance d'une audience de qualité : "Face à ce constat d’un marché assez défavorable aux éditeurs de médias premium, nos deux groupes font la même analyse. Nous devons jouer sur nos points forts en valorisant la qualité de nos inventaires, celle de nos audiences, et en offrant aux annonceurs de la simplicité, de la confiance et de la transparence."334 Au delà de l'abaissement des coûts de transaction pour les annonceurs il s'agit aussi pour les deux groupes de favoriser la qualité des publicités, après les scandales de "brand safety" au cours desquels des marques sont apparus à côté de contenu haineux mais aussi de diminuer les publicités intrusives pour l'utilisateur conformément aux principes de la Coalition for Better Ads, tout en permettant aux éditeurs de diminuer les intermédiaires publicitaires. La création de Gravity et Skyline fait suite à d'autres initiatives, menées notamment à l'échelle européenne. On comptera ainsi La Place Media, Audience Square mais aussi la création d'une régie publicitaire commune entre TF1, Mediaset et ProSiebenSat.1, dans une alliance générale pour faire face à l'oligopole des GAFAM.

Cette stratégie d'alliance dans le domaine de la publicité vise à réduire le poids de l'intermédiation des GAFA dans la publicité en ligne, accusés de drainer les revenus publicitaires des médias traditionnels. Afin de garantir une audience et un panel suffisants de consommateurs, les médias traditionnels ont procédé à

334 Source article de lemonde.fr du 6 juillet 2017 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2017/07/06/alliance- surpriseentre-le-figaro-et-le-monde-dans-la-publicite_5156537_3236.html

222 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. une stratégie de diversification du contenu par le rachat de nombreux sites web. Une forme de course aux visiteurs uniques s'est ainsi enclenchée dans des médias en ligne spécialisés reconnus pour leurs positions de niche sur un segment spécifique. Cette dernière se traduit par l'acquisition de nouveaux sites en ligne, des partenariats et une diversification des contenus. En septembre 2015, le groupe Le Figaro rachète pour un montant de 130 millions d'euros le groupe CCM Benchmark qui possède les sites Comment ça marche, Le Journal du Net, l'Internaute, Le Journal des Femmes, Droit et Finances, et Copains d'Avant entre autres. Le groupe Figaro atteint ainsi une cible considérable de plus de 60 millions de visiteurs uniques par mois sur des segments très identifiés avec Le Journal des femmes pour la cible féminine par exemple ou Santé-Médecine pour des annonceurs du secteur de la médecine ou de la pharmacie ou encore NextPLZ, site communautaire dédié aux 15-24 ans. Par le biais de cette acquisition le Groupe Figaro opère une large diversification de son chiffre d'affaires atteignant désormais 34% sur les supports numériques avec des modèles économiques diversifiés regroupant des contenus premium en print et Web via le site web du Figaro, un système de petites annonces et des services marketing. L'acquisition du groupe CCM Benchmark permet aussi au groupe Le Figaro d'acquérir des actifs technologiques via CCM Benchmark Business Data, agence de marketing de données et la plateforme programmatique Zebestof. Crée en 2003, l'entreprise propose d'optimiser la performance digitale des publicités en ligne sur les réseaux sociaux et les supports mobiles. L'entreprise s'est spécialisée dans les algorithmes publicitaires de bidding (achat d'espace en ligne en fonction de l'offre et de la demande) et des bannières dynamiques personnalisées, assurant ainsi la technologie nécessaire pour agir en tant que régie publicitaire utilisant les techniques programmatiques.

L'alliance des groupes Le Figaro et Le Monde permet aussi de bénéficier des technologies et pratiques marketing innovantes des différentes publications de l'accord. Le média NextPLZ.fr, spécialisé dans le contenu pour les 15-24 ans s'est rapidement orienté vers les supports mobiles avec une stratégie "mobile first" et un objectif de plus de 1,5 million de visiteurs uniques par mois selon les fondateurs Benoît Sillard et Jean-François Pillou. Lancé en septembre 2016 le site web est pensé pour attirer un public relativement dont les pratiques sur les web se caractérisent, selon la stratégie marketing du média par une faible capacité d'attention, un contenu pensé pour les supports mobiles et une ligne éditoriale orientée vers l'infotainment. NextPlz adopte ainsi un format permettant de "swiper", c'est à dire de faire défiler horizontalement les différents articles d'un coup de pouce. De même, afin de réduire le temps d'attente et une attrition potentielle due au chargement des pages le site web s'est doté d'une technologie permettant d'optimiser la navigation en ligne. La rédaction s'oriente aussi fortement sur un contenu léger mêlant les tendances sur les réseaux sociaux et les dernières nouvelles liées aux célébrités. Le site web se veut tout particulièrement investi sur les réseaux sociaux et canaux de communication avec une rubrique dédiée aux meilleurs "snaps" du réseau social Snapchat et une autre dédiée aux meilleurs vidéos provenant de YouTube. De plus l'aspect collaboratif est fortement mis en avant par l'intermédiaire de forums et d'espaces de commentaires et de partage permettant de diffuser l'information sur les réseaux sociaux. Next PLZ gère le traçage des lecteurs par l'intermédiaire des

223

cookies pour la consultation d'une page web, d'un clic sur un lien, l'heure et le jour de connexion, le nom, l'adresse email, le système d'exploitation du terminal ou d'une recherche effectuée et partage une charte de confidentialité commune aux médias du groupe CCM Benchmark racheté par Le Figaro335. L'ensemble des données personnelles est susceptible d'être utilisé à des fins publicitaires et statistiques. Le modèle économique est basé sur la publicité en ligne et la qualification d'une audience jeune. Des informations sur les utilisateurs sont obtenues notamment par la nécessité de s'inscrire afin de pouvoir participer aux forums collaboratifs. Si les informations initialement collectées sont l'adresse email il est aussi possible par la suite de paramétrer son profil public en indiquant son genre et de suivre un ensemble de thèmes permettant de recevoir directement des alertes emails en cas de nouvelles publications. Ces notifications sont effectuées sous la forme de "soft opt-in". Le consentement est considéré comme immédiat suite à l'inscription et la désinscription à ces alertes doit s'effectuer via le paramétrage du profil public. Le site web NextPLZ dispose aussi de deux applications Android et iOS, NextPLZ Vidéos spécialisée dans la diffusion de vidéos à caractère comique et choc et NextPLZ qui propose du contenu repris du site web et adapté pour le support mobile.

L'alliance des groupes Le Figaro et Le Monde bénéficie aussi d'autres sites web de niche permettant de disposer d'une audience segmentée et qualifiée. Le rachat du groupe CCM Benchmark permet par exemple de bénéficier des données collectées sur le site web Copains d'avant, réseau social comptant une audience conséquente de plus de 13,5 millions de membres ou encore le Journal des femmes. Réseau social dédié au maintien de relations entre anciens élèves, l'inscription à Copains d'avant permet de collecter un certain nombre d'informations qualifiant l'audience. L'inscription au site web permet au groupe CCM Benchmark de collecter des données telles que la civilité, le nom de famille, prénom, le pays, la ville, la date de naissance, tout en souscrivant aux offres partenaires incluant les autres campagnes email des sites web du groupe. De même, l'accès au Journal des femmes permet de capture les adresses email et le genre des abonnés aux newsletters, permettant ainsi de qualifier une audience, principalement féminine.

Disposant d'une audience large via le rachat de CCM Benchmark, le groupe Le Figaro, de par son alliance avec le groupe Le Monde permet de garantir une qualité journalistique via les deux publications phares, Le Monde et Le Figaro, orientées vers un public de catégories sociales supérieures tout en disposant d'une masse critique sur le marché publicitaire. Selon la régie publicitaire du groupe Le Figaro citant l'étude d'audience Médiamétrie de Mai l'alliance Skyline se positionne troisième en France en termes de visiteurs uniques sur les supports numériques avec plus de 35 millions de visiteurs uniques par mois derrière Google (44 millions), Facebook (41 millions) et Microsoft (36 millions). Dans le domaine de la vidéo l'alliance se positionne troisième avec 6 millions de vues mensuelles derrière Google (21 millions) et Facebook (6,5 millions), suivie par

335 Source mentions légales de CCM Benchmark : http://www.ccmbenchmark.com/donnees-personnelles?origin=nextplz.fr - nature 224 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Prisma Média avec 5 millions de vues. Le modèle publicitaire permet de diffuser des messages sur 3 écrans différents, tablettes, téléphones mobiles et écrans de bureau sous les formes pre-roll, inread, cover et en native advertising. Le modèle d'achat peut s'effectuer de gré à gré ou bien en programmatique avec un ciblage contextuel, lié aux thématiques de l'actualité, de l'économie, du lifestyle, des loisirs, de la culture ou bien de la technologique mais aussi en fonction des données collectées sur les utilisateurs telles que l'information sociodémographique, les intérêts, les moments de vie ou les intentions d'achat. Cette alliance permet de cibler une audience large tout en focalisant les activités des publications historiques des deux groupes, Le Monde et Le Figaro sur leur public et activité clef, une cible de catégorie socio-professionnelle supérieure et une information de haute qualité comme définie dans leurs chartes éditoriales respectives. Selon la régie publicitaire MPublicité du Monde, le quotidien assurait sur ses supports web et papier une audience de plus de 2 416 000 lecteurs en avril 2017 et de 23,3 millions pour la marque Le Monde, incluant l'ensemble des publications du groupe. Le Monde totalisait en 2017, selon une étude de l'ACPM336 plus de 269 584 exemplaires diffusés quotidiennement, plus de 265 208 exemplaires pour le supplément hebdomadaire du Monde, 8 709 000 internautes uniques mensuels sur le site web, 3 791 000 lecteurs sur tablette, 10 418 000 sur téléphone mobile et 13 915 000 sur les réseaux sociaux.

La publication bénéficie de plus d'une forte audience auprès des CSP+ en étant première en France avec 7,9 millions de lecteurs auprès de cette catégorie, suivi par Le Figaro avec 7,7 millions et de 20 minutes, 7,5 millions. L'audience du Monde se caractérise par une forte présence des hauts revenus, établis à plus de 65 000 euros annuels dans la typologie. Plus de 470 000 lecteurs de cette catégorie consultaient Le Monde, contre 357 000 pour Le Figaro et 190 000 pour les Echos. Ceci se retrouve dans les offres pour les annonceurs via le paquet CSP+ qui permet de placer des encarts publicitaires auprès des publications du Monde orientées à direction des catégories sociales supérieurs telles que Le Monde, Télérama, Le Nouvel Obs ou Courrier International. Ceci a abouti à la création d'un nouveau segment marketing opéré par Le Monde et nommé les "creative leaders" constitué par les données primaires de la régie publicitaire MPublicité et complétée par les données de l'agence marketing Weborama. Ce persona marketing définit le segment comme représentant environ 20% de la population française et se caractérise par un goût prononcé pour le changement, la nouveauté et la prise de risque. Au niveau consommation, ils cherchent des marques distinctives et de la personnalisation et sont prescripteurs auprès de leur cercle social.

336 ACPM ONE GLOBAL 2017 V1, indicateurs Desktop, Mobile, Tablette 30j, pop. ensemble : 52 089 000 ind., Vs 2016 v4 ; ACPM ONE 2016, indicateur LNM & LDP, pop. ensemble : 52 075 000 ind ; Réseaux sociaux, cumul au 19 avril 2017

225

Conclusion

Le CRM en tant que discipline relativement technique, traditionnellement étrangère à l'industrie médiatique a été très peu adopté par les entreprises de presse. Au coeur des pratiques du CRM, la collecte des données des utilisateurs ne semble pas être une priorité pour les médias suisses et plus particulièrement Le Temps. On retrouve ainsi un retard similaire à celui de la transformation numérique de l'entreprise, avec une fenêtre d'opportunité manquée dans les pratiques marketing. En revanche, News UK a très fortement intégré les techniques de collecte de données des utilisateurs au coeur de sa stratégie de diversification. The Sun, de par la multitude de services proposés parvient à collecter de nombreuses données telles que la fréquence d'achat, les activités de jeu en ligne, entre autres, tout en proposant des offres de fidélisation, par exemple The Sun Savers qui encourage les consommateurs à acheter le quotidien. Cette stratégie de The Sun se retrouve dans ses investissements dans les logiciels d'analyse de données, qui démontre un positionnement relativement avancé dans l'adoption des pratiques marketing. Les alliances SkyLine et Gravity reflètent l'idée d'une innovation négociée des entreprises de presse traditionnelles françaises. Ne disposant pas d'une capacité financière similaire à celle de News UK pour procéder à une transformation de leurs pratiques d'analyse de l'audience et de fidélisation, les quotidiens nationaux ont adopté une stratégie d'alliance afin de rivaliser avec les leaders de la publicité en ligne, Facebook et Google. En partageant leurs audiences respectives et profitant des technologiques de la publicité programmatique les quotidiens de l'alliance jouissent ainsi de la réduction des coûts de transaction pour les annonceurs et de l'attractivité d'une base d'utilisateurs conséquentes.

La question de l'utilisation des données personnelles des utilisateurs ne permet pas de mettre en avant des pratiques plus avancées que d'autres en termes de comparaison entre la France, la Suisse et le Royaume-Uni. Il s'agit davantage de trajectoires qui se rapportent aux identités des différents journaux étudiés. Comme nous avons pu le montrer auparavant The Sun de par ses pratiques semble s'éloigner de l'activité journalistique pour adopter totalement les recettes à succès de la viralité en ligne, faisant du contenu un produit d'appel pour d'autres services. Les alliances Gravity et Skyline montrent une course à la taille des groupes de médias français afin de proposer aux annonceurs une large gamme d'audience potentielle allant d'un public d'adolescents aux catégories socio- professionnelles supérieures.

La collecte des données personnelles est à mettre en perspective avec les techniques de communication utilisées par les entreprises de presse. Ce que nous verrons dans une dernière partie.

226 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

227

Chapitre 6. De l'opt-in aux pratiques de fidélisation : l'exploration des nouveaux canaux de communication pour accroître l'engagement avec l'utilisateur

L'engagement est au coeur des stratégies de CRM, répondant aux objectifs du customer lifetime value, maximiser les consommateurs à haute valeur ajoutée et fidéliser la base existante. Comme nous avons pu le voir, ceci nécessite une connaissance de l'audience, passant, conformément au modèle de l'économie des données maîtrisé par Google et Facebook, par une collecte des données sur les utilisateurs (de navigation, transactionnels, d'usages mais aussi sociodémographiques). L'objectif est de pouvoir délivrer le produit ou service, le plus adapté, au bon moment et à la bonne personne, passant ainsi par des techniques de segmentation des consommateurs et de personnalisation. Les définitions sur l'engagement sont multiples et les contours du concept sont flous337. La description la plus générique parle ainsi d'"orientation à long terme en faveur d’une relation, qui inclut le désir de poursuivre cette relation"(Diller338, 1988) tandis qu'Oliver définit le concept comme : " la fidélité est un engagement profondément enraciné de racheter la produit ou service dans le futur, suscitant une répétition de l’achat de la même marque ou du même ensemble de marques, en dépit des influences situationnelles et des efforts marketing qui pourraient inciter le consommateur à changer de marque…". (Oliver, 1987 339 ). L'engagement se définit aussi par un rapport à la marque, qui peut être un atout de taille comme celle de The Guardian, et une stratégie relationnelle complexe, passant par la création de liens, de confiance, d'apprentissage et de socialisation (Brodie340, 2013).

Pierre Volle met en avant plusieurs bénéfices perçus par le consommateur :

• Les bénéfices utilitaires : reprenant les théories micro-économiques, le bénéfice perçu par l'utilisateur peut être un facteur d'engagement, si ce dernier peut maximiser son utilité avec le produit ou service consommé. Comme nous avons pu le voir dans le cas des médias, le bénéfice utilitaire est utilisé comme

337 Meyer et Allen (1991) montrent ainsi que : " nombreuses revues de la littérature ont été faites sur ce sujet et qu’un des problèmes majeurs de ces revues réside dans le manque de consensus dans la définition du construit." 338 Citée dans : TERRASE Christophe, L’engagement envers la marque. Proposition d’un modèle théorique et application à la comparaison de la fidélité aux marques nationales et aux marques de distributeurs. Sciences de l’Homme et Société. HEC PARIS, 2006. 339 OLIVER Richard L. Satisfaction: a behavioral perspective on the consumer, Routledge, 2010, 544 p. 340 BRODIE Roderick, ILIC Ana, BILJANA Juric, HOLLEBEEK Linda, "Consumer engagement in a virtual brand community: An exploratory analysis", Journal of Business Research, Volume 66, pp. 105-114, 2013 228 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. incentive par le quotidien The Sun dans le cadre de ses programmes promotionnels341. • Les bénéfices hédoniques : à contrario d'une vision en homo- économicus, l'émotion liée à une offre promotionnelle est davantage liée au "fait de se faire plaisir" mais aussi à un jeu auquel les consommateurs sont ravis de se prêter, par exemple dans le cadre de la cumulation de points. La encore, The Sun, via The Sun Savers correspond à cette typologie. • Le bénéfice de reconnaissance : comme le montre Pierre Volle, cette catégorie comporte les individus à la recherche de valorisation, ils désirent être reconnus et distingués notamment via la personnalisation.

Les stratégies de fidélisation des entreprises de presse traditionnelles peuvent s'ancrer dans des avantages pour les consommateurs liés à cette typologie, en fonction de leur positionnement marketing et de leur stratégie adoptée, comme nous avons pu le voir au chapitre précédent. Dans cette section nous nous intéresserons aux techniques de fidélisation employées par les entreprises de presse après le premier point de contact (obtention de ses données personnelles et opt-in). Notre hypothèse repose sur l'idée que les éditeurs de presse britannique ont investi les nouveaux canaux de communication (micromessagerie, réseaux sociaux éphémères) avec plus de succès, de même que les techniques traditionnelles de CRM, notamment l'email marketing.

Hypothèse 4 : "Les éditeurs de presse britanniques ont investi avec plus de succès et d'innovation les pratiques d'email marketing et les nouveaux canaux de communication en les considérant comme des supports de diffusion de l'information à part entière. A contrario, leurs homologues français et suisses ont une approche plus mécanique de ces canaux, s'en servant principalement pour diffuser le contenu de leurs sites web."

341 Comme le cite Pierre Volle, une autre dimension existe à l'incentive promotionnel, tels que l'économie de coûts de transaction liés à la recherche de promotions ainsi que la réduction des coûts de décision (les consommateurs peuvent prendre des décisions plus rapidement) (Chandon, 2001). Ces techniques se retrouvent aussi dans l'idée des "bons plans" fournis par The Times par exemple ou encore The Guardian. L'idée se rapproche du concept de "wise shopper", ensemble de consommateurs tirant un bénéfice personnel à recommander des "bons plans" à leurs entourages. VOLLE Pierre, MIMOUNI Aida, "Bénéfices perçus de la fidélisation et qualité relationnelle : une application exploratoire au secteur du transport aérien". 19eme Congrès International de l’Association Française du Marketing, May 2003, Gammarth, Tunisie. pp.532-549, 2003. CHANDON Pierre., WANSINK Brian, LAURENT Gilles “A benefit congruency framework of sales promotion effectiveness" Journal of Marketing, 64, 65-81.

229

6.1 L'email marketing au service des entreprises de presse : nouveau médium ou nouvel outil au service de la presse ?

L'email marketing est une technique largement utilisée par les entreprises dans leurs stratégies CRM. En moyenne, en 2016 au Royaume-Uni, 15% du budget marketing des entreprises était consacré à l'email marketing avec des niveaux de compétences dans le domaine variés. 79% des entreprises interrogées par l'enquête AdEstra et eConsultancy342 déclaraient ainsi se limiter aux bases de l'email marketing, faute de disposer d'une vue globale sur leurs utilisateurs (en termes de données et de connaissances de leurs utilisateurs). L'email marketing, selon cette même étude, demeure néanmoins le canal privilégié, 73% des entreprises déclarant être le meilleur outil de croissance en termes de retour sur investissement, devant le SEO.

L'email marketing est une technique nécessitant néanmoins des compétences spécifiques et des équipes dédiées. La discipline s'est ainsi complexifiée, agrégeant des domaines tels que la capacité à coder en HTML5/CSS, la connaissance en gestion de base de données, en optimisation mobile, en écriture, en automatisation et en maîtrise de la délivrabilité des emails. On distingue généralement plusieurs types d'emails, à des fins différentes : • La newsletter : crée dans un but d'information ou de promotion, elle a pour objectif d'étendre la relation avec la marque en créant une présence régulière avec le consommateur. • Le welcome email : email automatique généré dans l'objectif de créer un premier point de contact post opt-in avec le consommateur. Le welcome email a pour but de définir les termes de la relation marketing avec le récepteur. • Les triggered emails : emails automatiques envoyés au consommateur en fonction de son comportement ou de ses caractéristiques personnelles. On distigue ainsi des emails personnalisés basés sur les données sociodémographiques du récepteurs (par exemple des emails d'anniversaires) mais aussi d'actions transactionnels. En fonction du comportement sur les sites web des marques, des emails peuvent être envoyés. Parmi la plus connue on citera la technique de l'empty basket (un consommateur sélectionne un produit sur un site d'e-commerce mais ne procède pas à l'acte d'achat, un email de rappel lui est par la suite automatiquement envoyé afin de l'inciter à conclure son acte).

Les entreprises de presse traditionnelles ont aussi investi ce médium, variant, dans l'avancée des pratiques d'une organisation à l'autre. L'ensemble des médias propose un abonnement à la newsletter sur leur site web. Les équipes rédactionnelles comportent aussi des équipes dédiées au médium. Le New York Times offre par exemple 60 différentes newsletters pour une équipe de 12

342 Email marketing industry census 2016, eConsultancy en partenariat avec Adestra 230 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. personnes dédiées à leur écriture. De la même manière, le Washington Post dispose de plus de 70 newsletters et alertes différentes. Le choix important de newsletters s'explique par la possibilité de ne recevoir que les thématiques auxquels le récepteur est intéressé, aussi connu sous le nom de preference center343.

Le Digital News Report du Reuters Institute de 2015 identifiait l'email comme un nouveau canal retrouvant une certaine gloire après des années d'abandon de la part des entreprises de presse. La question se pose sur l'utilisation de l'email marketing comme médium à part entière ou comme canal de support au contenu principal des quotidiens ou des sites web.

6.1.1 L'email marketing comme média à part entière : l'exemple des pure- players de l'email, le succès français

De la même manière qu'il existe des pure-players dans le secteur des médias, des entreprises se sont spécialisées à part entière dans l'envoi d'information journalistique par email. Brief.me, The Browser et Time To Sign Off (TTSO) sont des exemples de cette utilisation exclusive du canal. Crée en 2014 par Laurent Mauriac, co-fondateur de Rue89 et ancien journaliste du quotidien Libération, Brief.me fut crée à la suite d'une collecte de fonds via le site de crowdfunding Ulele. Cette dernière a permis de réunir plus de 22 000 euros en quelques mois, autorisant ainsi la lancée du projet. L'objectif de l'entreprise est de remédier à un problème général des médias, identifié par le futorologue Alvin Toffler comme l'information overload et par Georges Gerbner comme le mean world syndrom344. Laurent Mauriac, en créant Brief.me souhaite ainsi répondre à un constat. Les consommateurs font face à une overdose d'informations due à une déstructuration du contenu et au manque de hiérarchie dont la cause est la multiplication des sources. Les responsables de cette overdose sont en partie les réseaux sociaux qui constituent un flux continu, désorganisé d'information. Sur le site de crowdfunding Ulele, le fondateur cite ainsi un article de The Guardian : "l'actualité est mauvaise pour vous et si vous arrêtez de la lire vous serez plus heureux."

L'envoi de la newsletter de Brief.me se veut donc à contre-courant des pratiques d'information en continu, qualifiées d'anxiogènes. La newsletter se définit

343 Campaign Monitor définit le preference center comme un outil permettant aux consommateurs de mettre à jour ses informations personnelles et leurs choix en termes de thématiques. Les avantages sont une plus grande pertinence sur les emails envoyés (ainsi que la fréquence), la possibilité de mettre à jour son adresse email et de disposer un plus grand contrôle sur ses données personnelles 344 GERBNER George, "Growing Up with Television: Cultivation Processes", Media effects: advances in theory and research, 2002 Le mean world syndrom définit le sentiment dépressif auprès des récepteurs crée par les médias de masse en rapportant des informations liées aux problèmes sociaux, politiques et économiques.

231

comme un moyen de structuration et de hiérarchisation de l'information, une forme de retour aux sources sur le rôle du journaliste. Envoyé tous les jours à 18h30, l'email concentre de l'information sélectionnée par l'équipe rédactionnelle sur les sujets clefs quotidiens. Divisée en cinq partie la newsletter propose de courts articles synthétiques, format de l'email oblige, sur les grandes actualités du jour, sous la forme de brèves, des sujets de profondeur, des articles d'opinion, des histoires inédites et de l'information pratique. Le modèle économique de Brief.me se base exclusivement sur les abonnements avec deux paquets, le premier mensuel à 5,90€ par mois et le deuxième annuel à 3,90€ par mois soit 46,80€. Les newsletters n'incluent pas de publicité. Une période d'essai de 30 jours est aussi disponible afin de tester les services proposés par Brief.me. En renonçant au modèle publicitaire, Brief.me souhaite aussi s'éloigner d'une certaine approche d'exploitation des données personnelles. Le média s'engage ainsi à ne pas commercialiser les données personnelles des utilisateurs, d'où un modèle économique sans publicité. De même, Brief.me, souhaite naviguer contre la controverse liée aux algorithmes de recommandation de Google et Facebook. Les articles proposés dans la newsletter ne sont pas issus de préférences indiquées par l'utilisateur au cours du processus d'inscription ou d'algorithmes de recommandations mais sont sélectionnés par une équipe de rédacteurs.

Le site américain The Browser propose un service similaire. Crée en 2008, le média offre un ensemble de 5-6 articles sélectionnés via des flux RSS aux abonnés de la newsletter. Pour un montant de 34$ annuel, les lecteurs reçoivent ainsi de manière quotidienne un ensemble d'informations sélectionnées pour eux suivant une logique similaire à celle de Brief.me. Ce modèle économique de l'abonnement, contraste avec un autre pure-player de l'email, Time to Sign Off (TTSO). Créee en 2011 et lancée dans un premier temps aux Etats-Unis, l'objectif, à l'instar de Brief.me est de renouer avec les pratiques traditionnelles et le rôle du journalisme. La newsletter propose aux lecteurs de hiérarchiser et sélectionner l'information afin d'éviter une "indigestion médiatique" et un "surplus cognitif" comme l'exprime le fondateur de la version française, Romain Dessal : "TTSO veut dire il est l’heure de décrocher : "l’actualité est rincée, tout le monde est crevé, la politesse pour nos lecteurs c’est d’être bref, informatif et de le faire rire au moins une fois."345 Time to Sign Off est entièrement gratuit et financé par la publicité via le biais du contenu rédactionnel sponsorisé. Le cinquième article de la newsletter est ainsi entièrement dédié aux publicités des annonceurs en publirédactionnel.

345 Source article du petitweb.fr du 1er février 2014 : http://www.petitweb.fr/actualites/comment-les-fondateurs-de-my-little-paris- timeto-sign-off-et-ooreka-retiennent-notre-attention/ 232 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

6.1.2 L'email marketing pour les entreprises de presse : le très fort investissement du Times et de The Guardian.

Outre les pure-players de l'email qui souhaitent renouer avec une tradition de hiérarchisation de l'information et aller à contre-courant de l'information à profusion, les entreprises de presse ont aussi adopté l'email afin d'étendre l'expérience de leurs utilisateurs. Les firmes médiatiques traditionnelles ont tardivement adopté l'email comme support de communication avec leurs lecteurs. Longtemps considérée comme une technologie obsolète, l'email retrouve ses lettres de noblesse à partir de 2013. En décembre 2013, The Atlantic lance une newsletter afin de contrer le flux incessant d'informations sur internet. De la même manière, The Financial Times lance en 2014 sa newsletter First FT la même année que The Guardian qui déploie sa newsletter quotidienne le 27 janvier 2014.

L'adoption par les médias contraste avec l'ancienneté de l'email. Les raisons de son utilisation tardive sont principalement dues à l'importance accordée aux réseaux sociaux, tendance inversée récemment et qui se traduit par une large diffusion de l'adoption de l'email. Selon une étude du Pew Research Center, en 2017, les newsletters étaient la priorité principale des firmes médiatiques, aux dépens notamment des applications mobiles346. The Times lance le 18 août 2014 sa newsletter, intitulée RedBox en référence aux porte-documents de couleur rouge des ministres britanniques. Le modèle économique de cette dernière repose sur la publicité insérée au sein même des emails. La newsletter fut lancée dans le cadre du référendum de l'indépendance de l'Écosse du 18 septembre 2014. Véritable fenêtre d'opportunité pour le quotidien britannique, les rédacteurs, en partenariat avec l'institut d'étude de l'opinion YouGov envoient les dernières alertes sur l'actualité politique et les enjeux liés à l'évènement. YouGov fournit ainsi les derniers sondages d'opinion sur un vote dont le résultat sera relativement serré (55,3% contre pour 44,7% pour).

La newsletter est envoyée pendant les jours ouvrés, du lundi au vendredi avec une plage horaire correspondant aux temps de voyage dans les transports en commun, ciblant ainsi principalement les "commuters" britanniques. The Times voit dans la newsletter une opportunité d'innover dans les formats journalistiques et de créer un espace alternatif de discussion avec les lecteurs. Joseph Stashko, responsable du développement digital du Times met ainsi en avant que :"L'email représente un médium intéressant et un espace d’innovation, à contre courant de l'investissement effectué par les entreprises sur les réseaux sociaux."347. L'expérience de la newsletter RedBox a été positive et maintenue à ce jour avec la désignation d'un rédacteur en chef dédié au médium en 2015, la création de podcasts et d'une page Facebook exclusive à l'email. En 2015, le nombre

346 Source article du Nieman Lab d'août 2017 : http://www.niemanlab.org/2017/08/in-2017-the-one-thing-every-digital- nativenews-outlet-needs-is-a-newsletter-not-an-app/e 347 Source article du du 8 août 2014 de journalism.co.uk : https://www.journalism.co.uk/news/times-sees-new-potential-in- emailnewsletters-with-launch-of-red-box-/s2/a557618

233

d'abonnés à la newsletter s'élevait à 33 000 personnes. La newsletter RedBox est financée en partie par la publicité à l'intérieur des emails à l'instar d'autres newsletters telles que le Daily Brief du site web américain Quartz qui utilise du contenu sponsorisé ou encore Time to Sign Off en France

Les techniques d'email marketing relèvent d'une combinaison disciplinaire entre le marketing et des aptitudes à coder en HTML5/CSS3 étrangères aux compétences classiques des journalistes. Afin de faciliter la création d'emails par les journalistes les développeurs de The Times ont crée des outils permettant à ces derniers de construire les emails et de les envoyer le plus simplement possible348. Intitulé The Deck, l'outil permet de créer les newsletters de manière rapide, utilisant une méthode drag and drop. Les journalistes peuvent rajouter des éléments, sous la forme de modules tels que des titres, sous-titres, listes, commentaires, des graphes ou des images sans avoir à écrire une seule ligne de code HTML ou CSS. The Deck permet aussi de créer des emails entièrement responsive (adaptés à la taille des différents terminaux) l'ensemble des boîtes emails, de Outlook 2003 aux Windows Phone adaptés aux différents écrans, respectant les spécificités particulièrement restrictives du code pour email. De même, l'outil se veut open-source, rendu accessible au grand public mais à la fois à la concurrence, rejoignant ainsi une tendance dans l'industrie des médias à partager le code source des logiciels crées dans un objectif de gain de temps et d'expérience.

Cette collaboration entre développeurs d'un média et personnes étrangères à l'organisation s'illustre dans de nombreux de cas et fait l'objet d'une tendance visant à remédier au manque d'innovation des entreprises de presse traditionnelle. Ce fut notamment le cas pour la BBC349 et le développement de son projet d'illustration en bande-dessinées Hooked crée en partenariat avec Al Jazeera. Des initiatives ont été mises en place à Londres afin de favoriser les rencontres entre différents développeurs du secteur des médias, partageant leur savoirfaire tels que Journocoders350 ou encore Hack & News. Au cours de ces évènements les journalistes et développeurs peuvent apprendre des techniques tels que l'extraction de données avec le langage de programmation Python ou encore utiliser les lignes de commande de leur ordinateur ou même créer des APIs.

6.1.3 L'email marketing : méthodes de capture

L'opt-in est au coeur des méthodes de capture des adresses email. Obligation légale, cette dernière prend la forme d'un champ d'inscription sur les pages web des quotidiens. Les pages d'abonnements sont ainsi une opportunité pour les firmes de collecter des données sur leurs utilisateurs, aussi bien pour connaître leurs préférences en termes de contenu (via le modèle du preference center) que

348 Source article du Nieman Lab d'avril 2014 : http://www.niemanlab.org/2015/04/its-journalism-is-behind-a-paywall-but- thetimes-of-londons-developers-embrace-open-source/ 349 Source BBC : http://www.bbc.co.uk/taster/projects/hooked 350 Source Journocoders : http://www.journocoders.com/ - london 234 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. pour accroître les informations sociodémographiques dans leurs bases de données. Le site web de The Guardian propose ainsi une page spéciale pour s'abonner aux newsletters du quotidien. Cette dernière demande à l'utilisateur de donner des informations personnelles dans le processus de souscription. Les informations obligatoires sont le nom, prénom et l'adresse email. La page preference center propose aux utilisateurs de s'inscrire à plus de 40 newsletters tels qu'un "morning briefing" (newsletter sur l'information du jour au Royaume- Uni), sur les news aux Etats-Unis, en Australie, sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, le sport, la culture, le lifestyle ou des éditoriaux (liste non exhaustive).

Ces informations sont une véritable mine d'or marketing pour The Guardian qui peut ainsi segmenter son audience et sa base de données en fonction des thématiques d'intérêts préférées par ses utilisateurs, acquérant ainsi une connaissance plus pointilleuse sur les préférences de ses lecteurs, élément à haute valeur ajoutée pour les annonceurs potentiels. Cette utilisation des informations sur les abonnés à la newsletter se retrouve dans la gestion des données personnelles effectuée par le quotidien. The Guardian annonce ainsi, sur sa page d'inscription à la newsletter que les informations partagées avec la publication peuvent être utilisées à des fins marketing dans l'objectif de croiser les préférences des utilisateurs avec des promotions d'offres partenaires. De la même manière, le quotidien annonce que les informations peuvent être enrichies d'autres sources, des entreprises tierces afin d'accroître la connaissance des utilisateurs. The Guardian, par ce biais peut donc obtenir une définition de son audience pointue, sur un spectre incluant des informations démographiques, sociales aux préférences des utilisateurs en termes de contenu. En termes de contenu, les emails reposent en grande partie sur les articles du site web, ce qui à laisse à supposer l'utilisation de flux RSS afin d'alimenter directement en texte les emails. Les newsletters se composent, pour le Morning mail d'un article mis en avant sur un évènement médiatique jugé clef puis sont suivis de "Top stories", un ensemble de textes, entremêlés d'hyperliens traitant de l'information "chaude". L'ensemble des emails regorge de Call to Actions, des invitations à effectuer une action, la plupart du temps un clic permettant le partage de l'information sur les réseaux sociaux ou encore demandant au lecteur de participer financièrement à la survie du journal. L'email marketing dans ce cadre joue un rôle à la fois de génération de trafic sur le site web, de viralité du contenu sur les réseaux sociaux mais aussi potentiellement de création de revenus via l'invitation des lecteurs à contribuer à la survie de The Guardian. Le journal souhaite aussi mettre en avant l'esprit collaboratif et participatif du journal via une newsletter exclusive dédiée à l'espace "Comment is free" de The Guardian. Lancée le 27 janvier 2014, la newsletter souhaite inspirer un mode co-constructif du journalisme où les lecteurs peuvent aussi participer à la création de l'information, ceci permettant de disposer à la fois pour, le journal, d'un contenu exclusif, unique, proche des lecteurs et pour l'utilisateur, de se voir rétribuer symboliquement par l'apparition de son article sur le site web et dans la newsletter. La newsletter de The Times of London, Redbox, propose un contenu relativement similaire offrant des articles d'opinion, conformément à sa stratégie de se

235

concentrer non pas sur les breaking news mais sur l'analyse de l'information via des éditoriaux et articles d'opinion.

6.1.4 Un état des lieux de l'email marketing pour les entreprises de presse

Les potentialités de l'email marketing sont particulièrement avancées. Comme le montre l'étude d'eConsultancy en partenariat avec Adestra les pratiques peuvent intégrer de l'automation marketing (envoi d'emails en fonction du comportement du consommateur ou de l'étape de ce dernier dans le cycle de vie), du retargeting (envoi d'un email en fonction du comportement d'un utilisateur sur un autre médium), de la personnalisation ou du contenu innovant (telle que la vidéo). Les logiciels leaders (Campaign Monitor, Salesforce, Adobe Neolane pour n'en citer que quelques-uns) offrent des fonctionnalités avancées dans ce domaine. Néanmoins les pratiques divergent selon les différents quotidiens. A titre d'exemple, en France, Le Huffington Post envoie automatiquement un email de bienvenue faisant suite à l'abonnement à la newsletter, pratique non partagée par l'ensemble des entreprises de presse. Le contenu de ce dernier remercie l'utilisateur et annonce aux lecteurs ce qu'il recevra les prochains jours, à savoir les informations les plus importantes et les meilleurs articles du site web. De manière similaire Buzzfeed.com, après l'envoi d'un email de confirmation de l'inscription redirige le lecteur vers une page du site web le remerciant de son abonnement à la newsletter. Le site suisse, pure player, Sept.info, opère de manière similaire à Buzzfeed en envoyant un email de confirmation351 redirigeant par la suite le lecteur vers une page de remerciement. De nombreuses différences existent ainsi en termes de pratiques de l'email marketing, nous proposons ici un compte-rendu des techniques utilisées, comme le résume le tableau ci-dessous.

351 Cette pratique de double vérification de l'adresse, intitulé "double opt-in" est notamment utilisée afin de qualifier l'audience de manière plus précise et s'assurer que cette dernière ne relève pas du spam. 236 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Table 6.1 comparaison des pratiques d'email marketing en France, Suisse et Royaume-Uni Nom du Typ Donnée Prefere Dou Confirm Welco Personnali media e s nces ble ation me sation collecté center optin d'inscrip email es tion The Leg Email, Oui Non Non Non Non Guardia acy nom, n medi prénom a The Leg Email, Non Non Non Non Non Times acy nom, Medi prénom a The Pure Email, Oui Oui Non Non Non Indepen play er genre, dent prénom, nom, pays, code postal, Le Leg Email Oui Non Oui Non Non Monde acy Medi a Le Leg Inscripti Oui Non Non Non Non Figaro acy on au Medi site a nécessa ire (genre, date de naissan ce, nom, prénom, professi on, code postal, pays

Le Leg email Oui Oui Oui Non Non Parisien acy Medi a

237

Le Pure email Non Non Non Oui Non Huffingt play er on Post La Pure nom, Oui Oui Oui Non Non Tribune play er prénom, email, code postal, professi on, pays Le Legacy Via Oui n/a n/a n/a n/a Temps medi abonne a ment La Leg email Non Oui Oui Non Non Tribune acy de medi Genève a Sept.inf Pure email Non Oui Oui Non Non o play er

Au vu des techniques utilisées par les différents médias, nous pouvons mettre en avant plusieurs considérations de l'email marketing. La première repose sur l'utilisation de l'email comme un médium permettant de reproduire le contenu offert sur le site web. Dans ce cadre, le canal est considéré comme un moyen d'atteindre une audience sur de nouveaux supports, principalement mobiles. Dans un deuxième temps, l'email est considéré à part entière comme un outil offrant une possibilité de nouveaux formats journalistiques. Nous avons pu le voir, des pure-players de l'email ont fait de ce médium un moyen d'innover dans les formats journalistiques. Dans le cas des entreprises de presse traditionnelles, cette forme prend le plus souvent celle de l'alerte. L'email est alors considéré comme un moyen pour l'utilisateur de recevoir en exclusivité de l'information sur des breaking news.

Dans la première catégorie, on retrouve les grands quotidiens nationaux tels que The Guardian, Le Temps, Le Monde et Le Figaro. Dans leurs newsletter quotidiennes ces derniers proposent une synthèse de l'information (l'information proposée diffère en fonction des choix de thématiques à recevoir) quotidienne. Le Temps propose ainsi dans ses newsletters sport et information générale, un format sous forme de liste hiérarchisée reprenant les principaux évènements du jour. En cliquant sur les liens (les liens sont ancrés dans les titres des articles de la newsletter), l'utilisateur est redirigé vers le site web du Temps. Le contenu de l'email reprend les titres et les premières lignes des articles. Cette stratégie a ainsi pour but de générer du trafic vers le site web principal, accessible sous un modèle freemium. Le Figaro utilise une approche similaire en envoyant une synthèse des articles, reprenant de la même manière le contenu principal du site web. Les deux quotidiens français, Le Monde et Le Figaro proposent aussi de 238 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. recevoir une version électronique du journal. Dans ce cadre l'email est utilisé comme support d'extension du site web principal et non à part entière. On retrouve de même une approche similaire opérée par The Guardian qui envoie dans ses emails un ensemble d'hyperliens afin de diriger l'utilisateur vers le site web du quotidien. A contrario de cette approche de l'email marketing le Parisien et la Tribune de Genève adoptent une stratégie plus proche des breaking news. Le Parisien envoie ainsi plusieurs alertes quotidiennes sur les dernières informations du jour. Intitulée Le Parisien Alertes ces dernières sont envoyées avec pour contenu l'information principale tenant sur une ligne puis un lien dirigeant l'utilisateur vers le site web. Cette stratégie se conjugue avec un envoi d'une synthèse quotidienne sur l'information du jour. La Tribune de Genève adopte une stratégie similaire, mêlant à la fois un résumé du jour et des alertes en cas de breaking news. Les données capturées par les entreprises de presse varient. Le Figaro, par exemple, se démarque de par le grand nombre de champs demandés au cours de l’inscription. La quantité d’information demandée a néanmoins été impactée par la Régulation Générale sur la Protection des Données Personnelles prenant effet le 25 mai 2018. Les possibilités de segmentation, capture, personnalisation sont rendues plus difficiles, ce qui n’affecte néanmoins pas d’autres supports de communication tels que les lettres postales ou encore le croisement avec des bases de données de tierces parties.

Table 6.2 : Les données collectées par les entreprises de presse lors de l’opt -in (Juillet 2018) Prén Nom Date Age Adre Préfér Civili Profe om de sse ence té ssion naissa (dom nce icile) Le Monde Non Non Non Non Non Oui Non Non Le Figaro Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Libération Non Non Non Non Non Non Non Non Les Echos Oui Oui Non Non Non Oui Oui Non The Non Non Non Non Non Non Non Non Guardian The Sun Non Non Non Non Non Oui Non Non The Daily Non Non Non Non Oui Non Non Non Mail Le Temps Non Non Non Non Non Oui Non Non La Tribune Non Non Non Non Non Oui Non Non de Genève

239

6.2 S'orienter vers les applications mobiles : de la nécessité aux stratégies d'engagement

Les applications mobiles sont devenues une quasi-obligation pour les marques qui ont massivement investi dans cet outil marketing. Usage mobile oblige, les opportunités en termes d'engagement avec les utilisateurs et de collecte de données sont conséquentes. Comme le montre Katie Shilton352, le dispositif technique des applications mobiles permet de capturer de nombreuses données sur les utilisateurs telles que, non exhaustivement, les informations de connection, les usages (niveau du joueur par exemple sur les applications de jeux vidéo), temps d'utilisation, localisation. En termes de pratiques marketing, les applications mobiles représentent une manne financière. Il est en effet possible d'encourager les utilisateurs à effectuer des achats (in-app purchases) via l'application mobile à travers des stratégies de gamification. Gabe Zichermann 353 met ainsi en avant qu'une application mobile adéquate, repose sur une mécanique mêlant : • La création d'un système de collecte de points (gemmes, badges, crédits), qui permet à l'utilisateur de quantifier et constituer un plaisir hédonique à l'utilisation de l'application. • La présence de récompenses, qui offrent à l'utilisateur une satisfaction au cours du jeu. • Une dimension sociale, afin de partager ses résultats avec son cercle social et encourager de la même manière ces derniers à jouer.

A l'instar de l'emploi de l'email marketing, les possibilités offertes par les applications mobiles sont importantes. Les pratiques reflètent néanmoins deux visions de ces dernières. La première repose sur leur utilisation dans un but d'atteinte d'une audience sur un nouveau support, tandis que la deuxième constitue un outil à part entière de marketing.

6.2.1 Les applications mobiles comme moyen d'atteindre une nouvelle audience par la recherche de nouveaux formats : l'innovation du Monde et de The Guardian

Les applications mobiles semblent être devenues une obligation pour les entreprises productrices de contenus. En raison des usages largement mobiles, les firmes ont investi dans leur ensemble dans le développement d'applications mobiles, qu'il s'agisse par le rachat d'entreprises spécialisées ou par la

352 SHILTON Katie, "Four Billion Little Brothers? Privacy, mobile phones, and ubiquitous data collection", Privacy and Rights, Volume 7, 2009 353 ZICHERMANN Gabe, CUNNINGHAM Cristopher, Gamification by Design: Implementing Game Mechanics in Web and Mobile Apps, O'Reilly Media, 2011, 182 p.

240 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. construction en interne des logiciels requis. Ainsi, The Guardian lance sa première application iPhone en 2009, suivie en 2014 d'une seconde itération pour les tablettes et les téléphones mobiles Android et iPhone. The Sun lance son application iPhone en 2010, devenant l'un des journaux les plus tardifs à adopter les supports mobiles, en raison principalement du refus de iTunes de référencer l'application de The Sun pour des motifs d'obscénité354 dus à la célèbre "page 3" du quotidien, fameuse pour ses photos topless de femmes. Conformément à sa stratégie de diversification de son activité dans le domaine des paris en ligne et de l'infotainment, d'autres applications ont par la suite été lancées telles que "Biz the Sun" en 2010, spécialisée dans les célébrités, le Sun Sweepstake shaker la même année puis Sun Cash en 2015. The Financial Times lance son application mobile en 2009 suivie en 2010 d'une seconde application, Little Book of Business Travel dédiée au contenu lié au voyage. En France, en juillet 2015, Le Monde lance une application mobile, La Matinale du Monde permettant aux lecteurs, de profiter, le matin, d'un contenu sélectionné par la rédaction. En 2009, le quotidien Libération lance son application mobile, tandis que Le Figaro effectue le lancement officiel de sa version iPad en 2010. Les médias traditionnels ont embrassé le virage des usages mobiles assez rapidement, davantage pour suivre la tendance que par pure innovation. En 2009, lors du lancement de l'application iPhone de The Guardian, Emily Bell, directrice du contenu numérique du journal mettait en avant la nécessité pour le quotidien de s'adapter aux pratiques mobiles pour survivre dans l'écosystème digital : "Pendant une longue période, le papier et le web étaient similaires en de nombreux points, aujourd'hui c'est différent. Rendre le contenu disponible sur différentes plateformes et la clef fondamentale pour réussir dans le monde numérique."355 De la même manière, les applications mobiles apparaissent pour The Guardian comme un moyen idéal pour atteindre le lecteur et créer de l'engagement : "Le web est clairement distributif donc pour atteindre le lecteur il faut l'engager sur différentes plateformes."356. Le lancement de l'application du quotidien Le Monde s'inscrit dans une logique similaire de "mobile first" : "L’idée de cette véritable édition du matin est venue d’un constat : le téléphone portable est en passe de devenir le premier vecteur d’information, au point que les rédactions du monde entier sont en train de passer du mot d’ordre « Web first » (l’information doit être mise à disposition dès que possible sur Internet) à celui de « mobile first »"357

En constatant que les supports mobiles devenaient les principaux médiums utilisés par les lecteurs, The Guardian s'est investi dans l'innovation dans le domaine des formats journalistiques dès 2011 en lançant sa stratégie de "Digital first" visant à concentrer ses efforts sur les numériques. Le quotidien est

354 Source pressgazette.co.uk : http://www.pressgazette.co.uk/the-sun- finallylaunches-its-ipad-app/ 355 Source article de theguardian.com du 14 décembre 2014: https://www.theguardian.com/media/2009/dec/14/guardian-launches- iphoneapplication 356 Ibidem 261 357 Source article du monde.fr du 11 mai 2011 : http://www.lemonde.fr/actualitemedias/article/2015/05/11/le-monde-lance-sa- matinale-une-application-mobiledu-matin_4630944_3236.html

241

rapidement devenu entreprenant dans le secteur des nouveaux supports numériques avec l'exemple en 2012 du "Tokyo City Guide"358, guide touristique de Tokyo disponible sur l'application mobile et effectué en immersion vidéo. En partenariat avec l'entreprise Condition One, les lecteurs de The Guardian pouvaient visiter les rues de Tokyo sur leurs iPads en vue à 180°. Bien que limité dans sa liberté d'utilisation, le projet visait à explorer de nouveaux modes de narration de l'information et d'illustrations vidéo. Comme le montre le journaliste voyage de The Guardian, Benji Lanyado : "Il est difficile d'atteindre un moyen idéal de délivrer l'information sous peu. Dans l'attente, nous devons expérimenter le plus possible afin de découvrir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas."359 Terra incognita, l'adoption des supports mobiles s'effectue par tâtonnements et par la recherche incrémentale de la narration et des pratiques éditoriales idéales pour le lecteur. Afin de favoriser la création d'innovations dans le domaine éditorial, The Guardian US crée en 2015 aux Etats-Unis le Guardian Mobile Innovation Lab financé à plus de 2,6 millions de dollars américains par la fondation Knight. L'objectif est de tester, trouver et développer de nouveaux moyens d'approche de l'information en utilisant les technologies mobiles. Cinq dimensions sont abordées par le laboratoire, le "reportage live" d'évènements via les supports mobiles, la narration vidéo, l'information contextuelle, à savoir comment délivrer l'information à un moment pertinent pour l'utilisateur, le contenu interactif et les notifications. L'objectif est de permettre la recherche de nouveaux modes de narration sur les supports mobiles en mêlant les équipes de rédaction, de développement et des professionnels du marketing disposant de capacité d'analyse de données et de développement de produits. De nombreuses expérimentations ont été développées utilisant les notifications des applications mobiles push notifications sous la forme d'alertes. En 2016, au cours des jeux olympiques de Rio, the Guardian US teste sur le système Android des alertes spéciales sous la forme de push notifications dont, un compte rendu envoyé à 11h30, sur les trois pays ayant remporté le plus de médailles, des alertes sur les médailles gagnées par le pays choisi par l'utilisateur, des mesures de l'opinion en temps réel sur les estimations de qui va gagner et des quizz. De même, pour les élections américaines de 2016 et les élections britanniques générales de 2017 l'application propose des push notifications sous la forme d'alertes sur les résultats locaux et nationaux en temps réel. Les notifications sont une partie intégrante de la réflexion menée par The Guardian Mobile Lab comme l'exprime Sasha Koren, responsable éditoriale du laboratoire : " Pour l'instant, (ndlr: les notifications) sont expérimentées principalement sur le contenu et le ton. Les stratégies autour de comment envoyer les alertes et autour de quels évènements ne semblent pas réellement être au coeur des organisations.360 " Les expériences de notifications

358 Source article de theguardian.com du 1er février 2012 : https://www.theguardian.com/info/2012/feb/01/tokyo-japan-city-guide-beta 359 Source article du Nieman Lab de février 2012 : http://www.niemanlab.org/2012/02/hello-tokyo-the-guardian-experiments- inimmersive-video-with-condition-one/ 360Source article du Nieman Lab de juin 2016 : http://www.niemanlab.org/2016/06/the-guardian-is-experimenting- withinteractive-auto-updating-push-alerts-to-cover-big-stories/ 242 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. et d'alertes menées par The Guardian Mobile Lab ont cependant un point noir au programme, ces dernières ne sont accessibles que sous Android et la version desktop de Google Chrome, non disponible sur iPhone, le nombre d'abonnés subit ainsi une contrainte de limite technique. Ces expériences de "live notifications" sont partagées par l'équipe de The Guardian Mobile Lab avec The Wall Street Journal. En 2017 ce dernier teste cette technique marketing dans le cadre de l'annonce des chiffres de l'emploi aux États-Unis de juin 2017. Les utilisateurs de l'application du Wall Street Journal pouvaient ainsi recevoir des alertes en consultant la page web via support mobile ou via l'application Android ou iOS. Au cours de la lecture de l'article ces derniers étaient informés en continu des informations les plus récentes sur les chiffres de l'emploi.

Afin de soutenir le développement et l'expérimentation des supports mobiles, les équipes de développement de The Guardian ont mis en place des outils techniques d'analyse développés en interne. En 2014, suite à un "hackday" organisé trois ans auparavant, les équipe de The Guardian développent Ophan un outil d'analyse en temps réel du trafic en ligne. Cet instrument de mesure de l'audience, offre aux 500 journalistes des équipes rédactionnelles un moyen de capter les informations et le contenu rencontrant le plus de succès auprès du public et d'optimiser ce dernier. Parmi les données fournies par Ophan on compte le nombre de pages vues, le nombre de clicks, mesurés via le clickthrough-rate, entendu comme le nombre de clics divisé par le nombre de pages vues, le nombre de rebonds, ainsi que des timelines du trafic. D'autres éléments d'analyse sont aussi mis à la disposition des journalistes tels que le type de support, les articles les plus consultés ou encore le système d'exploitation utilisé. Cet outil d'analyse permet ainsi aux équipes de journalistes de déterminer quelles sont les bonnes pratiques éditoriales fonctionnant auprès du public puis de les optimiser. Si The Guardian a tenté de manière innovante de trouver de nouvelles formes de narration sur supports mobiles, les expériences de la part des autres quotidiens sont moins aventureuses. Le Monde lance en 2015 une nouvelle application mobile "La Matinale" financée par le Fonds Google pour l'Innovation. Disponible sur iOS et Android, cette dernière permet de recevoir une édition du matin accessible du lundi au vendredi à 7h au lancement puis sur l'intégralité de la semaine par la suite. Le modèle économique de La Matinale est freemium avec des publicités sur l'application. Les articles sont disponibles premièrement gratuitement puis nécessitent un abonnement mensuel de 17,99€. L'application se veut profiter des recettes gagnantes de l'industrie mobile en imitant les pratiques à succès en termes de design et d'expérience utilisateur. Les articles se présentent sous la forme de cartes qu'il est possible par un simple mouvement du doigt de conserver ou bien de rejeter, à l'instar des applications populaires de rencontre. L'objectif est de fournir les dernières informations dans formats courts avec une "ergonomie souhaitant s'inspirer de Tinder", l'application de rencontre en ligne. Un nouveau format publicitaire a aussi été crée afin de pouvoir attirer des annonceurs sous la forme du "topsticiel". La Matinale permet aussi de partager l'information sur les réseaux sociaux et de suivre certains sujets spécifiques. Des formats innovants sont aussi expérimentés. Le "strip" est une courte bande dessinée de quelques cases seulement créee par une équipe de cinq illustrateurs du quotidien. La cible de l'application est un public jeune, d'où l'utilisation d'un design similaire aux applications de rencontre populaires parmi

243

les tranches jeunes de la population. Seulement un an après son lancement l'application a rencontré un vif succès avec plus de 450 000 téléchargements sur l'AppStore et Google Play.

Selon un communiqué de presse du Monde, le portrait type des lecteurs se compose à 62% de lecteurs gratuits et de 26% d'abonnés du monde. Les tranches d'âges touchées, malgré le désir de cibler un public jeune sont principalement les 35-49 ans à 33%. La tranche des 15-24 ans concerne 15% des utilisateurs de La Matinale contre 10% des lecteurs en continu. L'application est par ailleurs particulièrement adaptée aux lecteurs volatiles, à faible temps de lecture, ses utilisateurs passant en moyenne près de 10 minutes par jour à consulter les articles. En Suisse, Le Temps qui dispose d'un paywall dispose de deux applications mobiles. La première accessible via abonnement permet de consulter les articles publiés sur le site internet du Temps tandis que la deuxième "Le Temps ePaper", permet de consulter les versions électroniques des éditions du Temps publiées. Point particulièrement intéressant, Le Temps a procédé à la numérisation de l'ensemble des publications passées des trois quotidiens constituant originellement le journal dont il 'est l'héritier : le Journal de Genève et Gazette de Lausanne et le Nouveau Quotidien. Cette stratégie de transposition du contenu des sites web sur les applications mobiles rejoint d'autres quotidiens dont l'objectif principal est l'adaptation du contenu à ce nouveau canal sans pour autant effectuer une recherche dans l'innovation éditoriale. Parmi les journaux compris dans cette catégorie, on peut citer en France, Le Figaro, Libération, La Croix, en Suisse, Le Temps et la Tribune de Genève et au Royaume-Uni, The Times, The Telegraph, The Daily Express, parmi d'autres.

Les médias suisses ont néanmoins été particulièrement innovants par l'intermédiaire du public service broadcaster, chaîne de télévision publique de la Radio Télévision Suisse (RTS). La RTS a pu déjà manifester son intention d'innover dans les médias. Annoncé en 2013, la chaîne publique souhaite ainsi déménager à Lausanne, dans les locaux de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL). L'alliance stratégique entre l'institution audiovisuelle et l'école d'ingénieurs a pour objectif de faciliter les synergies et coopérations dans le domaine de la recherche dans les technologies des médias. Parmi les formats dans lesquels la RTS a pu innover on notera l'utilisation de web séries. En 2016, suite à l'étude d'opinion menée par la RTS déroulée du 9 juin 2015 au 13 décembre 2016, la chaîne lance le serious game DATAK. L'enquête ouverte portait sur la collecte des données menée par les entreprises et les institutions, qu'il s'agisse de l'utilisation de produits technologiques ou de la gestion des dossiers médicaux. Cette enquête s'est accompagnée d'une web-série "Do Not Track"361, consacrée à l'économie des données personnelles, publiée entre le 14 avril et 15 juin 2015 et aboutissant à la création du serious game. Le jeu interactif a par ailleurs pu bénéficier à son lancement d'un soutien de YouTubers témoignant des enjeux liés à la protection des données personnelles. Fruit de sa volonté d'investir dans le domaine des archives numériques la RTS en partenariat avec l'institut ICT de la HEIG-VD de Verdon lance le site web notrehistoire.ch en 2009. L'application notrehistoire-mobile permet de consulter

361 Disponible via https://donottrack-doc.com/fr/intro/ 244 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. des archives photographiques mais aussi d'effectuer des visites virtuelles de lieux d'époque suisses. En 2015, la RTS et Swissinfo lancent Politbox, disponible dans les quatre langues nationales ainsi qu'en anglais. L'application propose aux utilisateurs des quizz sur l'actualité ainsi que des sondages d'opinion. Crée dans le cadre des élections cantonales de 2015 Politbox propose aussi aux participants de s'affronter entre eux via des quizz, permettant ainsi de rendre l'ensemble ludique et participatif. En février 2017 la RTS récidive dans le domaine des applications mobiles en lançant "Together" visant à sensibiliser les individus aux spécificités culturelles suisses.

6.2.2 Une exploitation du marketing des applications mobiles : le cas de The Sun

Le tabloïd britannique lance en 2010 son application pour iPhone après une tentative retentissante rejetée par iTunes. Le tabloïd, célèbre pour la page 3 de son quotidien, présentant des femmes dénudées s'était vu refuser le téléchargement via le portail d'Apple pour raison d'obscénité. Afin de contourner les règles de l'entreprise américaine, News Corporation a imposé aux utilisateurs de déclarer être âgés de plus de 17 ans. Accessible pour 4,99£ par mois, après une période d'essai d'un mois disponible à 0,69£ l'application offre le contenu du site web et du journal en version adaptée aux supports mobiles. Le modèle économique de l'application repose sur une combinaison entre l'abonnement mensuel et de la publicité. Le contenu proposé repose sur une dimension particulièrement visuelle et sur l'infotainment. Les principales rubriques traitent de l'actualité des célébrités et du sport, conformément à la ligne éditoriale du quotidien mais propose aussi des jeux en ligne, tels que des mots croisés et des galeries d'image, profitant ainsi de la manne des applications de jeux mobiles. Les applications de The Sun offrent des exclusivités sur le support mobile telles que des "mini apps" avec "Mystic meg horoscopes", ou encore "Live match Centre", dédié aux résultats des matchs de footballs. Comme nous avons pu le voir précédemment, The Sun a adopté une stratégie de diversification vers des activités externes au journalisme.

Dans ce cadre, The Sun a aussi largement investi dans les applications permettant de supporter ses activités parallèles. En juin 2015 News UK lance Sun Play, une application mobile dédiée aux jeux en ligne, permettant de soutenir l'orientation de The Sun dans l'activité de paris. Parmi les activités proposées, on trouve des jeux gratuits et de paris. Sun Play lance pour l'occasion deux jeux exclusifs, "Striker Keepy Uppy", jeu d'adresse footballistique et "Beach Blast" où les utilisateurs doivent faire correspondre trois symboles dans un temps limité. A la clef ces derniers peuvent remporter des crédits, de la monnaie virtuelle, utilisables sur les jeux de The Sun, aussi bien sur le site web que via l'application mobile à travers les différents mini-jeux proposés. L'objectif annoncé par le président de News UK, Mike Darcey est d'accroître l'engagement de ses utilisateurs via les supports mobiles comme ce dernier l'indique : "News UK a constamment lutté pour accroître le niveau d'engagement de ses utilisateurs et nous reconnaissons que la voie la plus rapide de jouer à des jeux est désormais sur les applications mobiles. Nous avons eu un grand succès avec l'application du Sun sur mobile et tablette et nous croyons que Sun Play est une manière

245

idéale d'étendre notre offre d'entertainment sur différente plateformes et d'atteindre de nouvelles audiences" 362 . Développée par l'agence de développement spécialisée dans les jeux en ligne et basée à Gibraltar, Nektan, l'application propose un ensemble d'offres propres aux pratiques de ré- engagement des spécialistes des jeux sur mobile. Parmi les trois éléments clefs de la logique marketing des applications mobiles, nous pouvons noter la présence d'offres spécifiques, l'existence d'une monnaie virtuelle dans le but d'accroître la dépendance du joueur visant à le fidéliser et l'engager. Parmi les pratiques mises en place afin d'acquérir la loyauté du joueur on note l'existence d'une devise, les "spins" et les points appelés "Sun points". Ces derniers sont acquis en fonction de la loyauté de l'utilisateur aux jeux. Ce dernier, en jouant de manière régulière bénéficie ainsi d'un accroissement de ses "Sun points", le récompensant pour la longévité de son parcours. Afin d'encourager ces derniers à poursuivre l'expérience, tous les mardis, le dépôt d'une somme d'argent à jouer est récompensé de 20 "spins" bonus si le montant est égal ou supérieur à 10£. En supplément, le même jour, des bonus sont offerts pour un montant pouvant atteindre 50£. Enfin les joueurs réguliers bénéficient d'offres spécifiques, de "spins" supplémentaires et de bonus hebdomadaires. The Sun lance aussi en 2015 l'application The Sun Savers, permettant de soutenir son plan marketing de fidélisation de ses lecteurs par la collecte de codes promotionnels. En en obtenant 28, le lecteur peut obtenir 5£ en virement bancaire pour un montant de 65£ par an. L'application a pour but de favoriser la collecte de ces derniers en permettant de directement les scanner depuis son téléphone portable. Pour inciter l'emploi par de nouveaux utilisateurs, The Sun Savers offre 1£ de crédit disponible par virement bancaire ou via un compte Paypal. La souscription à l'application nécessite principalement l'entrée de l'adresse email, la date de naissance et les informations bancaires.

362 Source : communiqué de presse sur le site de News UK : https://newscommercial.co.uk/news/new-gaming-app-sun-play-launches 246 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

6.3 Vers les nouveaux canaux de communication : snapchat, chatbots et réseaux sociaux, naviguer dans le flou. The Guardian comme leader de l'innovation.

Outre Facebook et Twitter, largement investis par les médias, de nouveaux réseaux sociaux ont fait leur apparition, offrant aux entreprises de presse traditionnelle des outils d'engagement avec leur audience. Des applications tels qu'Instagram ou Snapchat, à l'audience relativement jeune offrent aux entreprises traditionnelles de nouveaux espaces d'interaction. En analysant le cas des entreprises de presse allemandes, Leif Kramp363 montre que la présence des marques médiatiques sur les nouveaux réseaux sociaux tels que Snapchat implique une structuration des équipes éditoriales sur ce nouveau canal, une réflexion sur la manière d'interagir avec cette audience et invite aussi les journalistes à un questionnement plus général sur les contours de leur profession partagée entre marketing sur ces nouveaux médiums et leur coeur traditionnel d'activité. Ces supports offrent des opportunités en termes de narration et de digital storytelling. Reprenant les théories de Roland Barthes sur l'analyse structurelle de la narration (notamment les cinq codes de la narration permettant de décrire un texte, l'herméneutique, la prohairesis, la sémantique, la symbolique et les référentiels), Marina Armancio364 met en avant les narrations existantes sur ces réseaux sous la forme d'une écriture spécifique, des emojis, des vidéos et des filtres.

Dans ce domaine, les médias traditionnels ont "navigué dans le flou", expérimentant des formats inédits, inconnus, s'inspirant d'entreprises non liées au journalisme et adoptant des pratiques marketing externes à leurs usages. Reprenant le modèle de rationalité défini par Charles Lindblom363, les approches des entreprises de presse sur ces supports s'apparentent à une stratégie incrémentale "des petits pas". Davantage qu'un plan formel, implémenté par les équipes dirigeantes des quotidiens, les médias semblent évoluer dans le flou, testant et expérimentant les manières d'engager avec l'audience. D'une manière générale, les applications de micro-messagerie (Whatsapp), les réseaux sociaux éphémères (Snapchat) offrent des systèmes délinéarisés de couverture de

363 KRAMP Leif, " “We Need to Keep Moving”: Strategies of News Media to Attract Young Audiences in Germany", Present Scenarios of Media Production and Engagement, Editions Lumière, pp. 107-122, 2017 364 ARMANCIO Marina, “Put it in your Story”: Digital Storytelling in Instagram and Snapchat Stories", Uppsala University, 2017 363 LINDBLOM Charles, "The Science of Muddling Through", Public Administration Review, Vol. 19, No. 2, pp. 79-88 L'approche de Charles Lindblom pointe plusieurs avantages à la méthode incrémentale dont la simplicité, le changement graduel et la flexibilité. On retrouve ces éléments dans d'autres méthodes adoptées notamment dans le cadre des pratiques d'optimisation et suit la logique de l'amélioration continue par le suivi de métriques d'analyse et d'enrichissement du contenu et des techniques.

247

l'information mais aussi via les méthodes de narration de hiérarchisation de l'information.

6.3.1 Les entreprises de presse sur Snapchat, entre storytelling et lutte contre les fake news

Créee en 2011 par Evan Spiegel, alors étudiant à Stanford, l'application de messagerie instantanée et éphémère Snapchat est populaire auprès d'un public relativement jeune. Selon eMarketer365, le réseau social comptait aux Etats-Unis 32,8 millions d'utilisateurs de moins de 25 ans soit 51,8% du nombre total d'utilisateurs. L'application propose un ensemble de fonctionnalités, tels que "My Story", créee en octobre 2013 qui permet la compilation de "snaps", les messages courts et éphémères du réseau social. Ces outils offerts aux producteurs de contenu invitent les équipes de rédaction des entreprises de presse à une réflexion sur les modes d'engagement avec leur audience comme le montre Cynthia Collins, social editor au New York Times : "We’ve only done one, so we still want to evolve our strategy as we learn more as we go. For now, we’re anticipating that Snapchat will be our platform to be a bit more raw, a bit chattier, a bit looser than what we’re doing on Instagram Stories"366

En juin 2014, l'entreprise américaine lance "My Story" qui incorpore des fonctionnalités de géolocalisation pour des évènements suivis en 2015 de"Discover", une chaîne, permettant de supporter les publicités sur l'application et le contenu de grands médias américains tels que BuzzFeed CNN, ESPN, Mashable et Vice. En août 2015 The New York Times a investi le réseau social pour satisfaire ses 50 millions de lecteurs dont une part importante a entre 18 et 35 ans. Afin de remercier les abonnés les plus fidèles, le quotidien américain propose une version de The Daily Mini, les mots croisés disponibles sur l'application et le site web, dont les réponses sont diffusées sur Snapchat. Le journal a par ailleurs innové dans le domaine de la narration en effectuant un article sous la forme d'un "Snap" vidéo à propos des rats démineurs mais aussi en demandant aux utilisateurs abonnés de leur fournir du contenu vidéo et photographique sur la tempête de neige ayant balayé les Etats-Unis en 2015. Il convient de noter que The New York Times n'en était pas à sa première tentative sur les réseaux sociaux. Le journal a adopté, l'application de vidéos de 6 secondes Vine pour créer du contenu sur Twitter, cette dernière ayant néanmoins fermé en 2016. Le jeu en vaut la chandelle à la fois pour les médias traditionnels et pour le réseau social. En effet, en accueillant les firmes médiatiques, Snapchat permet de proposer à sa cible jeune un contenu pédagogique. Les médias traditionnels peuvent ainsi atteindre un public jeune dont le cycle de vie peut les rediriger, plus tard, vers les autres supports proposés. Cet aspect éducationnel permet aux grands quotidiens d'accentuer leur image de marque orientée autour du traitement fiable et de qualité de l'information. Dans le cadre de la lutte contre

365 Source emarketer, février 2017 366 Source article du Nieman Lab d'août 2016 : http://www.niemanlab.org/2016/08/how-3-publishers-are-using- instagramstories-for-visually-compelling-storytelling 248 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. les fake news faisant suite aux élections présidentielles américaines de 2016, du référendum britannique et des élections présidentielles françaises de 2017, les médias traditionnels investissent Snapchat.

Le Monde a notamment utilisé Snapchat Discover afin de créer du contenu pédagogique visant à éduquer sur les fake news. Une équipe de sept personnes appartenant aux "Décodeurs", la section fact-checking du quotidien, fut dédiée à cette tâche. Sur le réseau social, les équipes du Monde ont effectué des explications et des guides sur comment ne pas être pris au dépourvu par les fausses informations. Afin de procéder, l'équipe a sélectionné une liste de déclarations effectuées par les candidats, suivie d'un rappel aux faits. Cet aspect éducationnel a aussi été investi par The Sun, davantage connu pour sa ligne éditoriale provocatrice. Dans le cadre des élections nationales britanniques du 7 juin 2017, le quotidien utilisant normalement la chaîne Snapchat pour attirer le lecteur via ses contenus choc a proposé des articles pédagogiques sur les enjeux liés à l'évènement politique. A raison de trois "snaps" par semaine The Sun a publié du contenu portant sur les principaux partis politiques, comment s'inscrire sur les listes électorales ainsi que des sondages d'opinion à propos des décisions des jeunes électeurs, cadrant ainsi son agenda éditorial sur l'agenda politique national.

6.3.2 Les entreprises de presse sur Whatsapp : un outil pour toucher une nouvelle audience internationale

L'outil de micro-messagerie WhatsApp a été investi par les médias traditionnels, notamment dans un objectif d'élargissement de l'audience. Comme le montre Trushar Barot, rédacteur en charge du contenu généré par les utilisateurs (User Generated Content) et des projets liés à WhatsApp pour la BBC, la plateforme offre une audience conséquente, domestique et sur les marchés internationaux : "Un de nos objectifs en tant que département international est que d'ici 2022 nous ayons doublé notre audience internationale. En ce moment nous avons une audience internationale de 250 millions, la cible est de 500 millions. Les applications de chat ont d'énormes bases d'utilisateurs, presque 400 millions pour WeChat et 500 millions pour WhatsApp"367.

L'outil de micro-mesagerie est de plus perçu comme offrant une expérience plus intime caractérisée par des taux de pénétration élevés en comparaison des autres canaux de communication : "Comparé à Facebook et Twitter où seule une fraction de nos followers verra notre contenu sur WhatsApp nous avons un taux de pénétration de 100% car le message arrive directement sur le téléphone et vient sous la forme d'une notification. En général l'utilisateur lira le message dans les secondes ou minutes qui suivent."368

367 Source article du Nieman Lab de juin 2014 : http://www.niemanlab.org/2014/06/around-the-world-media-outlets- andjournalists-are-using-chat-apps-to-spread-the-news/ 368 Ibidem 274

249

En 2015, The Guardian US, dans le cadre des expérimentations menées par le Mobile Innovation Lab a effectué une couverture en temps réel du débat des candidats républicains pour les présidentielles américaines de 2016. Ce dernier impliquant Marco Rubio et Ted Cruz fut couvert via l'application Whatsapp. Menée à titre d'expérimentation pour découvrir de nouvelles formes éditoriales, le nombre de personnes impliquées s'élevait à 256 utilisateurs s'étant inscrit pour l'expérience. Pour s'inscrire, ces derniers devaient ajouter le numéro de téléphone fourni par The Guardian puis envoyer un message demandant à rejoindre la conversation. Cette expérimentation ne fut pas la première puisque de nombreux médias ont adopté les applications de micro-messagerie pour s'adresser à leur audience. Le New York Times a par exemple utilisé l'application chinoise WeChat en fournissant du contenu en anglais et en chinois à une audience potentielle s'élevant à plusieurs millions d'utilisateurs dans le monde.

De même en 2015, suite au tremblement de terre ayant dévasté le Népal, la BBC a utilisé l'application Viber via son compte BBC Nepal afin de fournir de nouvelles informations sur l'évolution de la situation ainsi que des conseils pour rester en sécurité, le tout transcrit à la fois en népalais et en anglais. L'objectif de ces organisations est de pouvoir toucher une audience potentielle conséquente alors même que les leapfrogs technologiques menés dans ces pays ont permis une transition rapide vers le mobile et l'adoption des usages liés. Ces marchés, caractérisés par une forte pénétration relative du mobile, représentent une manne de lectorat conséquente pour ces derniers. En France, le quotidien Libération a tenté une expérience similaire pour la couverture des élections régionales de 2015, déclarant s'inspirer directement des initiatives menées aux Etats-Unis, au Canada et en France. Cette tentative s'est cependant avérée peu concluante pour le quotidien qui déclare le manque de structure pour la diffusion du contenu au public. Les listes de diffusion devant être crées après avoir rajouté manuellement l'ensemble des destinataires, la constitution d’un nombre suffisant de numéros de téléphones a largement ralenti l'entreprise. De plus, les filtres de spam de l'application WhatsApp on fortement réduit la vitesse de diffusion des messages en raison d'une obligation d'espace entre ces derniers de plusieurs minutes. Libération a de plus mis en avant une possibilité créative d'innovations dans les formats, notamment dans le domaine de la vidéo et de l'interactivité avec les utilisateurs. Néanmoins, le journal déplore le manque de retour financier, notamment au regard des ressources nécessaires et de la faible audience touchée dans le cadre de ces opérations369.

En 2017, la Tribune de Genève expérimente la plateforme de messagerie en proposant à ses utilisateurs de recevoir quotidiennement une sélection d'informations sur les messageries WhatsApp et Facebook Messenger pour une phase de test d'une durée de trois mois. Ce service d'alertes diffusées à 12h

369 Source article de liberation.fr du 17 décembre 2015 : http://www.liberation.fr/france/2015/12/17/cinq-choses-que-nous- avonsapprises-en-utilisant-whatsapp-pour-les-elections_1420931

250 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. fournit les trois ou cinq actualités à ne pas manquer et comptait en juin 2017 925 abonnés en un mois d'existence. La seule nécessité est de fournir son numéro de téléphone avec la promesse que cette information ne sera pas partagée avec des acteurs tiers.

6.3.3 L'utilisation des chatbots pour les alertes et breaking news

Les médias traditionnels ont largement investi le champ des alertes via les différentes plateformes de chat existantes. Parmi ces dernières, Facebook Messenger est l'une des plus populaires. Offrant la possibilité de créer des alertes automatiques mais aussi du contenu interactif avec les "chatbots".

L'année 2016 fut glorieuse pour le lancement des médias traditionnels sur Facebook Messenger et l'adoption des "chatbots". Le 12 juillet 2016, The Washington Post lance son chatbot sur Facebook Messenger afin d'"offrir une expérience unique et personnalisée pour l'utilisateur sur des thématiques que le lecteur demande lui même"370. Crée en tant que premier produit viable, ce dernier est progressivement amélioré par incréments en fonction de la manière dont les personnes intéragissent avec ce dernier. A termes, l'équipe en charge du robot souhaite rajouter des éléments de personnalisation du texte en utilisant les données collectées sur les utilisateurs et adapter le contenu aux utilisateurs en fonction de leurs habitudes et historiques de lecture. En août 2016, c'est au tour du tabloïd The Sun de tenter l'expérience en créant un chatbot dédié à l'information sportive, TheSunFootball, spécialisé notamment dans les dernières informations sur les transferts de joueurs ainsi que les rumeurs en exclusivité. Le lecteur peut sélectionner l'équipe de son choix et bénéficier ainsi d'une information personnalisée en fonction de ses préférences.

Le 7 novembre 2016 The Guardian lance son chatbot, souhaitant profiter des usages mobiles marqués par un temps conséquent passé sur les téléphones et une large base d'utilisateurs, alors même que Facebook Messenger a atteint en juillet 2016 le milliard d'usagers. L'objectif annoncé par le quotidien est de profiter à la fois d'une audience conséquente, de s'adapter aux usages mobiles et de s'engager de manière intime avec son lectorat. Le chatbot de The Guardian permet de recevoir des alertes à une heure choisie par l'utilisateur, de même, il est possible par une requête auprès du bot de demander les articles les plus populaires ou de consulter les articles liés à une thématique précise telles que "lifestyle" ou "politique". Ce choix a été effectué alors même que Facebook annonçait en juin 2016 qu'une modification de l'algorithme de recommandations sur le newsfeed allait renforcer le contenu provenant des amis et de la famille de l'utilisateur371.

370 Source article du washingtonpost.com du 12 juillet 2016 : https://www.washingtonpost.com/pr/wp/2016/07/12/new-washington-post- botavailable-on-messenger/?utm_term=.9c4614f36254 371 Source newsroom.fb.com : https://newsroom.fb.com/news/2016/06/newsfeed-fyi-helping-make-sure-you- dont-miss-stories-from-friends/

251

La RTS a aussi été innovante dans le domaine des chatbots. En novembre 2016, en partenariat avec le Montreux Comedy Festival Club, la RTS lance le "robot bavard" sur Facebook Messenger donnant l'accès aux guides des programmes TV, de recevoir des notifications et alertes sur les émissions disponibles en streaming. Développé en partenariat avec l'agence suisse basée à Lausanne, Shore.li, le robot dispose d'un framework lui permettant par la suite d'être implémenté dans d'autres solutions telle que Skype par exemple, ce dernier intègre de plus le langage naturel et dispose d'une capacité d'apprentissage de patterns liés aux conversations avec les utilisateurs. L'investissement initial ayant pour objectif de favoriser la conversion du chatbot vers d'autres thématiques telles que la culture ou la musique.

L'objectif annoncé est de permettre à la fois de toucher une audience nouvelle mais aussi de favoriser une intimité plus poussée avec les humoristes du festival, comme le déclare le directeur du festival, Grégoire Furrer : "Mais nous voulons aller beaucoup plus loin, en permettant, via notre chatbot, aux internautes d’interagir toute l’année avec les humoristes [...] Notre objectif est vraiment de créer le chatbot de la comédie au niveau international"372.

Les chatbots ont aussi été utilisés afin de suivre l'agenda politique, comme ce fut le cas notamment de la BBC, du magazine l’Obs ; du quotidien Le Parisien. La BBC a par exemple créé un "Brexit Chatbot", conscient que la demande en termes d'informations liées à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne allait croître. De même, l'Obs, dans le cadre des élections présidentielles françaises de 2017 a mis en place un "Chatbot pour les indécis" sous la forme d'une narration orientée autour de quatre personnages stéréotypiques indécis face à leurs choix électoraux. Reprenant des scénarios types de profils de votants, le programme permet de recevoir des nouvelles hebdomadaires sur les décisions prises par ces derniers, fournissant par la même occasion des informations politiques et un contenu éducatif sur l'actualité. Le Parisien a aussi profité de l'agenda politique en mettant en place un chatbot permettant de répondre aux requêtes des utilisateurs sur des sujets tels que le programme des candidats. Basée sur un ensemble de questions pré-établies, le lecteur peut sélectionner l'une des propositions émises par le robot afin de recevoir la réponse.

372 Source : https://www.letemps.ch/culture/2016/11/24/rts-montreux- comedyfestival-lancent-deux-chatbots 252 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Conclusion

Les médias britanniques sont de manières évidentes parmi les leaders de l'innovation en termes d'exploration des nouveaux canaux de communication et d'engagement avec leurs utilisateurs sur ces derniers. Sur les pratiques d'email marketing l'utilisation de "preference centers" met en avant un haut degré de personnalisation du contenu et des messages en accord avec les goûts des utilisateurs. Ceci se retrouve dans la qualité des emails offerts aux consommateurs. La newsletter "Redbox" de The Times, marque à part entière, dispose d'une ligne éditoriale travaillée avec une équipe de journalistes entièrement dédiée à ce support. De même, les différentes campagnes d'email marketing de The Guardian mélangent une curation de l'information et un travail sur le format à adopter via ce canal de communication. Dans ce domaine, les médias français et suisses rejoignent l'approche en termes de plateformes de Gillian Doyle. L'email semble être principalement un autre moyen de diffuser l'information du site web ou de la version en ligne du journal sans qu'un travail soit effectué sur le type de format à adopter. D'une manière générale, l'ensemble des quotidiens analysés ont adopté les applications mobiles avec des degrés divers d'innovation. The Sun, dans le registre de l'infotainment, a effectué un travail sur la recherche d'un contenu viral et facilement attractif pour son audience. De même Le Monde avec son application La Matinale se démarque par sa recherche et l'adoption des bonnes pratiques des industries externes au journalisme. En revanche on dénote en Suisse romande, parmi notre échantillon étudié, une absence relative d'innovation sur cette plateforme. Le clivage se creuse sur les "nouveaux médias" où The Guardian se démarque tout particulièrement ainsi que la BBC. Ces derniers ont profité de l'audience internationale anglophone et des différences en termes d'équipement électronique à travers le monde pour atteindre un public nouveau et ainsi acquérir de nouveaux consommateurs. The Guardian, via son laboratoire de recherche a été particulièrement innovant dans les nouveaux formats recherchant des moyens de diffuser de l'information sur l'actualité de manière innovante. La encore ces derniers ont pu tirer parti de ces canaux de communication pour atteindre une audience non-acquise à la marque et dont les pratiques en termes de lecture diffèrent. En investissant ces supports ils sont ainsi à la recherche de la conquête d'un nouveau public qui ne s'informe pas via les journaux ou leurs sites web, ce qui dénote une forte capacité de réaction et d'adaptation aux pratiques. En France les tentatives ont été effectuées par tâtonnements avec un angle principalement axé sur l'éducation à l'information tirant ainsi partie de la polémique des fake news. La Suisse dans ce domaine se démarque par une faible innovation, Le Temps, La Tribune de Genève et Le Matin parmi d'autres n'ayant quasiment pas expérimenté ces nouveaux supports.

253

Conclusion générale

Cette thèse porte sur une analyse des transformations des entreprises de presse traditionnelles, face au changement de la structure du marché, via une économie de l'exploitation des données des utilisateurs. La France, la Suisse et le Royaume-Uni offrent des paysages médiatiques différents, marqués pour le premier par une prégnance très forte de l'identité journalistique, tandis que la Suisse se dénote par une passivité relative face aux innovations médiatiques. Si les médias suisses innovent, ils ne l'effectuent pas à la même échelle que les groupes britanniques, accusant même un certain retard dans les pratiques d'engagement. Comme le montre Philippe Amez-Droz les entreprises de presse hélvétiques ont traversé une crise financière et publicitaire majeure, tout en ne bénéficiant pas de la puissance d'une audience anglophone internationale ou même domestique. Les groupes britanniques, plus particulièrement News UK se démarquent par leurs investissements dans le domaine du marketing et plus particulièrement de l'exploitation des données des utilisateurs, de leurs comportements en lignes et de la mise en place d'actions visant à optimiser l'offre auprès des journalistes. Ceci se traduit par la mise en place d'outils d'analyse, développés en interne ou bien acquis par le rachat d'entreprises, manifestant ainsi la puissance financière du groupe internationale. The Sun est ainsi au coeur de l'innovation en termes de pratiques d'engagement dans les médias. En ayant mis en place des outils d'analyse de l'audience, utilisant des data warehouses et des logiciels de CRM, le tabloïd britannique montre une adoption des pratiques marketing proche des leaders du domaine. Ceci n'est possible néanmoins qu'à travers les ressources du groupe News UK qui permet un rattrape technologique à grande vitesse mais aussi par l'identité du tabloïd. Caractérisé de journal de faible qualité, au contenu provocateur, la diversification de son activité se conforme à l'image d'un journal populaire dont le but n'est que la génération de trafic et la vente à tout prix d'exemplaires, se manifestant dans la faible confiance que le public britannique lui attribue. Cette stratégie se retrouve aussi pour le Daily Mail dont le Mail Online est le fer de lance de sa stratégie numérique. La recherche de trafic à tout prix, via le recrutement de spécialistes du web marketing et du SEO s'effectue au détriment du contenu, comme en témoignent les nombreux scandales qui entâchent le quotidien. La encore, la qualité du contenu passe en seconde priorité. Les tabloïds britanniques, The Sun, Mail Online adoptent une trajectoire des proches de certains pure players tels que Buzzfeed dont l'organisation, comme le montre Lucy Küng est entièrement orientée vers la recherche de trafic, l'optimisation et l'analyse de l'audience en temps réel, ce qui soulève la question de l'identité de ces médias en tant que journaux d'information.

A rebours de ces pratiques de marketing et du contenu de faible qualité, The Guardian se démarque par une grande richesse en termes d'innovation journalistique. Ayant traversé une crise financière relativement grave à partir de 2007 le quotidien lance en 2010 sa stratégie "digital first" avec au coeur de ce plan la recherche d'une audience internationale autout du site web du journal. En compétition avec son homogue britannique le Mail Online, The Guardian misant 254 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. sur son image de marque est parvenu avec succès à s'implanter aux Etats-Unis et en Australie, devenant ainsi le deuxième quotidien anglophone le plus lu dans ces pays. Le journal s'est démarqué par l'adoption de nombreuses pratiques à succès en termes d'innovation. Dans un premier temps, fort de son héritage de journalisme d'investigation, The Guardian a mis en place des équipes de data journalistes afin de profiter d'éventuelles breaking news, génératrices de trafic et permettant de renforcer l'image de marque. De même, de nombreux partenariats avec des acteurs externes ont été mis en place par l'intermédiaire de journées ouvertes, de collaborations et des partenariats dans l'objectif d'améliorer les services offerts. Ces pratiques, qualifiées d'open innovation se retrouvent dans de nombreuses autres industries et visent à ouvrir l'organisation aux acteurs externes permettant d'offrir un regard neuf. Cette prise de risque et capacité d'innovation culmine avec la mise en place de The Guardian Lab crée aux Etats- Unis. Ce dernier est à la recherche des moyens permettant de comprendre l'audience et de diffuser l'information sur les nouveaux canaux de communication. L'objectif est clair, il s'agit de se démarquer de la concurrence en offrant un contenu moderne profitant des outils technologiques pour accroître l'expérience de l'utilisateur. Ceci permet ainsi au quotidien de conquérir une nouvelle audience dont les pratiques en termes d'information se sont déplacées vers ces supports. The Guardian s'est illustré dans la couverture d'évènement tels que les Jeux Olympiques de Rio de 2016 ou les élections générales de 2017 au Royaume-Uni en mettant en place une couverture des évènements sur ces les nouveaux médias. Le journal fait ainsi, au niveau international, figure de leader de l'innovation journalistique et dans la recherche de nouveaux formats d'engagement avec l'utilisateur.

La France et la Suisse, au regard des pratiques marketing des journaux britanniques semblent accuser un retard ou des investissements moindres. Le Monde fait figure d'exception avec la création des Décodeurs, s'inspirant des pratiques du data journalisme aux Etats-Unis et au Royaume-Uni puis via la recherche de couverture en temps réel de l'information. Son application La Matinale, inspirée des bonnes pratiques des sites de rencontre dénote aussi une recherche de nouveaux moyens de communiquer avec une audience dont les pratiques se sont transformées. Néanmoins, l'alliance Gravity et Skyline semble refléter un constat, celui de la difficulté de transformer des organisations à l'identité journalistique forte et conflictuelle, comme l'illustre le conflit lorsque Nathalie Nougayrède fut à la tête de la rédaction du Monde. Le choix d'une recherche d'une taille critique et d'une base d'utilisateurs permettant de concurrencer Facebook et Google auprès des annonceurs manifeste une course à l'audience via notamment pour CCM Benchmark/Le Figaro, le rachat de nombreux sites à l'audience ciblées. En revanche, les quotidiens suisses semblent se rapprocher des approches multi-plateformes définies par Gillian Doyle. Selon cette théorie les médias préfèrent diffuser la même information sur plusieurs supports de communication différents plutôt que d'adapter le contenu aux différentes caractéristiques de ces canaux. La conséquence pour cette dernière est un appauvrissement de l'information qui se multiplie en proportion du nombre de supports utilisés sans pour autant être enrichie. On retrouve d'une certaine manière cette approche dans les pratiques d'email marketing où les quotidiens suisses et français, notamment Le Monde et Le Temps envoient une

255

série d'hyperliens dans le contenu de leurs emails ou bien encore une version de leur journal en ligne. Ceci contraste avec la richesse des newsletters de The Guardian ou de The Time et le travail effectué sur l'identité de marque et le format à adopter. Opportunités manquées pour les quotidiens français et suisses, l'email marketing demeure néanmoins l'un des moyens de communication avec le retour sur investissement le plus élevé.

Au regard de cette thèse il est possible d'effectuer une typologie des acteurs de l'innovation dans l'industrie de la presse quotidienne d'information traditionnelle. Everett Rogers 373 a proposé une typologie de la diffusion de l'information, identifiant les early adopters, early et late majority et les laggards. L'innovation dans les firmes médiatiques n'étant pas top-down mais internes et propres à chaque organisation dans un cadre plus général de tendance et d'imitation des bonnes pratiques, nous avons préféré constituer une typologie reprenant une approche en termes de leaders et de followers.

1. Les leaders dans l'adoption des pratiques marketing de données, The Sun, The Sun on Sunday, Mail Online : les journaux du groupe News UK se démarquent par une intégration totale de l'exploitation des données des utilisateurs dans la stratégie de l'entreprise. Ces derniers ont investi dans des outils d'analyse de l'audience, de CRM, ainsi que dans des équipes de professionnels du marketing intégrés avec les journalistes. Ceci se retrouve dans le traitement des données effectuées sur les différents services de la marque The Sun mais aussi dans la recherche de nouveaux moyens de collecte d'information et de fidélisation. Le Mail Online, par son orientation stratégique autour de son site web est aussi parvenu à mettre l'optimisation du contenu et la recherche du trafic au coeur de ses activités journalistiques, intégrant équipes marketing et journalistes.

2. Le leader dans l'innovation journalistique et de formats, The Guardian : le quotidien britannique a très tôt exploité les tendances en termes de journalisme de données et a très fortement investi dans les nouveaux canaux de communication visant à acquérir une audience dont les pratiques de consommation de l'information se sont déplacées vers de nouveaux supports. The Guardian illustre l'exemple d'une innovation axée autour de la stratégie de marque du quotidien. Situé dans un marché dominé par les tabloïds, la capitalisation sur la qualité du journal offre un avantage comparatif et une valeur ajoutée au consommateur, qui se manifeste aussi bien dans la stratégie adoptée sur les supports que dans la communication du groupe.

3. L'innovation négociée, entre suivi de l'innovation et contraintes internes : Le Monde, dans ses innovations avoue avoir imité les bonnes pratiques des médias aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, qu'il s'agisse de la création des décodeurs, de l'investissement sur les applications de micro-messagerie ou encore la couverture en temps réel d'évènements médiatiques. Comme nous avons pu le voir le quotidien est partagé entre contraintes internes liées à son

373 ROGERS Everett, Diffusion of Innovation, Free Press, 2003 (5e édition), 576 p. 256 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée. identité et sa culture organisationnelle et la nécessité de transformer son modèle économique. Le quotidien se dénote par des innovations tels que les Décodeurs mais aussi un retard certain dans le domaine des pratiques d'engagement, notamment d'email marketing, de collecte et de traitement des données des utilisateurs mais aussi de présence sur les réseaux sociaux.

4. Les approches multi-plateformes, Le Temps, La Tribune de Genève : Ces quotidiens se caractérisent par une approche multi-plateforme, à savoir la diffusion d'un contenu similaire sur les différents canaux de communication mais aussi par un retard dans les pratiques CRM, de collecte et traitement des données. Ces quotidiens semblent être en retard davantage que des suiveurs, concentrés principalement sur la question de l'adaptation aux nouveaux supports plutôt que sur l'exploitation des données personnelles.

Les exemples cités dans la typologie ne sont pas exhaustifs car ne permettant pas d'illustrer la complexité de l'innovation dans les différents quotidiens étudiés et les différences de trajectoires adoptées. A titre d'exemple, Le Parisien et Le Monde, engagés dans la recherche d'une masse critique à promouvoir auprès des annonceurs ont largement investi dans la publicité programmatique, visant à monétiser la connaissance de leurs audiences, sans pour autant avoir fortement constitué des stratégies de collecte de données ou de CRM.

Pour conclure, on peut constater au regard de cette thèse des opportunités manquées pour les entreprises de presse en France et en Suisse, qu'il s'agisse du choix tardif de la conquête d'une audience internationale ou encore dans la collecte, le traitement et la mise en place d'actions d'optimisation du contenu. Ces choix sont inhérents aux caractéristiques organisationnelles et culturelles mais aussi à l'identité de ces journaux dont l'éthique se démarque des quotidiens britanniques. Davantage que l'idée d'un manque de capacité d'innovation, en contraste avec les pays anglo-saxons, il s'agit davantage d'une différence structurelle, de marché, de positionnement marketing et certainement d'acceptation de la part des lecteurs qui est au coeur de ces différences. La dualité entre les tabloïds et la presse de qualité est, selon notre point de vue, l'un des facteurs clefs d'innovation. Les tabloïds ont très tôt intégré le marketing dans leur approche du journalisme comme le montre le cas de The Sun au début des années 60, alors même que The Guardian a pu trouver dans la configuration médiatique du Royaume-Uni un moyen de se positionner en tant que journal de qualité de référence. Le rôle joué par les médias et la profession journalistique en France et en Suisse ainsi que l’importance accordée à l'information diffère avec le cas britannique ou la profusion des tabloïds depuis le milieu du XXe siècle a contribué à un appauvrissement de l'information, et dans certaines situations de choix politiques à un manque de pluralisme de l'information. Comme nous avons pu l'illustrer, les médias britanniques ont été pointés du doigt pour leur soutien important à la sortie du Royaume-Uni au cours du référendum du 23 juin 2016. Les différentes stratégies utilisées ne constituent cependant pas des « recettes à succès » et il n’existe pas de déterminisme vis-à-vis du contenu à adopter pour survivre en ligne. The Sun, qui, comme nous avons pu le voir, a procédé à une forte transformation digitale avec des investissements technologiques importants, rencontre des difficultés sur certaines de ses

257

activités. En juillet 2018, The Sun Bets accuse des revenus inférieurs aux estimations initiales, ce qui pousse l’entreprise australienne Tabcorp à négocier une fin de contrat avec News Corporation. Ceci se justifie par l’intensité concurrentielle du marché britannique des paris en ligne374. De manière similaire, The Guardian, qui accusait pour l’année 2010-2011 un déficit net de 171 millions de livres parvient progressivement à devenir rentable, réduisant ses pertes à 20 millions en 2016-2017 et devant potentiellement générer des bénéfices pour l’année 2017-2018 après un long plan de transformation digitale initié en 2010. Les choix éditoriaux, de diversification et d’investissements technologiques montrent des différences en termes de positionnement et de survie à l’ère du numérique. En reprenant le modèle structure-conduct-performance, on constate ainsi que la structure du marché, modifiée par les géants du numérique a provoqué une conduite des affaires différentes pour les entreprises de presse orientée autour de la transformation digitale. Les résultats en termes de performance varient. Depuis la crise de 2010 et le lancement de nouveaux formats, Le Monde parvient en 2016 et 2017 à générer des profits. The Guardian suit une trajectoire similaire, potentiellement, en 2018. Le journal suisse Le Temps continue en 2017 à amputer ses effectifs, bien que la hausse de l’audience de son site web permettent un acroissement du chiffre d’affaires en ligne en mars 2018375. The Sun et The Times accusent des pertes continues depuis 2015, pouvant potentiellement expliquer le dynamisme dans la recherche de nouvelles activités et modes de communication. Ce changement dans la performance des entreprises a conduit, en relation avec les technologies et techniques de la communication digitale, au développement de modes d’engagement avec le lecteur qui invitent à penser à une nouvelle relation avec l’audience des journaux basée sur plus de personnalisation (email marketing, newsletters, push notifications et contenu des applications mobiles), d’interactivité (via les nouveaux médias et les live coverage) et d’immédiateté permettant d’augmenter la valeur ajoutée des médias traditionnels. Malgré la législation plus contraignante de l’Union européenne sur les données personnelles, le potentiel d’utilisation demeure conséquent. Les services offerts par Google et Facebook permettent de cibler une audience existante ou similaire en utilisant uniquement les adresses emails des utilisateurs, ce qui permet de compenser le manque d’informations collectées. On notera aussi l’existence des outils de programmatique et les Data Management Platforms (DMP), qui permettent de gérer, sur les différents canaux, le parcours des utilisateurs. Ces outils, notamment de Google et Facebook reposent néanmoins sur un modèle dépendant fortement des régulations existantes (ex : RGPD) et de la confiance accordée aux plateformes.

374 Source The Australian Financial Review, article du 19 juillet 2018 : https://www.afr.com/business/gambling/tabcorp-to-pay-news-corp-71m-to-shut- uk-sun-bets-venture-20180719-h12wvy 375 Source letemps.ch du 30 mai 2018 : https://www.letemps.ch/opinions/chiffres-daudience-temps- accelere-croissance-numerique

258 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

259

Tableau récapitulatif des hypothèses

Hypothèse Les médias britanniques ont été parmi les plus innovants dans la n°1 recherche d'un modèle économique et leurs tentatives de présences sur les différents canaux de communication ont porté plus de fruit que leurs homologues français et suisses

Conclusion De manière générale on constate un processus par tâtonnements hypothèse de recherche d'un modèle économique qui passe par l'imitation et 1 la copie des bonnes pratiques et recettes à succès. Néanmoins, les entreprises de presse traditionnelle britanniques ont plus tôt enclenché un processus d'extension géographique de leurs marchés. Le Mail Online et The Guardian ont profité de l'audience internationale anglophone pour accroître leurs revenus en ligne avec un contenu localisé et adapté aux différents pays (Guardian US, Australie par exemple). De manière similaire la BBC a su tirer parti des supports de communication tels que Whatsapp pour acquérir une nouvelle audience, notamment dans les marchés émergents. La France et la Suisse ont été plus tardifs dans le processus d'extension géographique, avec pour les deux une orientation vers l'Afrique (Ringier et Le Monde). On constate ainsi un contraste en termes d'exploitation des opportunités liées aux marchés linguistiques.

Ceci se retrouve dans les réseaux sociaux. D'une manière générale on constate une faible présence pour l'ensemble des entreprises de presse. Il convient de noter que la BBC demeure une référence internationale, principalement sur Twitter en raison principalement de l'information "chaude". Sur les autres réseaux sociaux, YouTube, et Facebook, on constate des disparités en fonction des différentes marques de presse et des résultats ne reflétant pas les investissements sur ces canaux. Hypothèse Les tabloïds britanniques, via l'exemple de The Sun, ont mis la n°2 connaissance de l'utilisateur au cœur de leur stratégie marketing. A contrario, les entreprises de presse de qualité, britanniques, suisses et françaises accusent un retard dans l'adoption des techniques de connaissance de l'audience et des lecteurs.

260 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Conclusion Il est difficile d'établir une tendance ou un contraste en fonction des Hypothèse différents marchés étudiés, de nombreuses disparités existent entre n°2 les publications. On constate néanmoins un élément structurant dans l'adoption de pratiques marketing de connaissance de l'utilisateur. The Sun, en raison de sa trajectoire particulière, misant sur le contenu choc et la satisfaction des attentes de son lectorat est historiquement plus enclin à adopter des techniques de connaissance de l'audience. Ceci aboutit à une forme de "course aux clicks" et de la recherche de viralité à tout prix afin de générer du trafic. En revanche, les marques de presse dite de qualité, The Guardian, Le Monde ou Le Temps ne peuvent se permettre ce type de traitement de l'information. On peut donc distinguer trois types d'innovation :

L'innovation drastique et totale de The Sun qui passe par une diversification dans des activités radicalement différentes de son coeur d'activité traditionnel, qui renvoie à son caractère de journal populaire. The Sun apparaît comme étant de moins en moins un produit journalistique d'information, s'orientant davantage vers un produit marketing destiné à générer du trafic. Ceci se retrouve aussi pour The Daily Mail qui s'apparente de plus en plus à un portail en ligne via le rachat de nombreux sites professionnels.

L'innovation journalistique de The Guardian. Afin de renforcer son image de marque de journal de qualité le média via sa stratégie "digital first" investit dans les nouveaux formats avec au coeur son site internet et la recherche d'une audience internationale. The Guardian est à la recherche d'une création de valeur ajoutée par des nouveaux modes de narration.

Le Monde et Le Temps, entre contraintes organisationnelles pour le premier et retard d'adaptation aux supports numériques pour le deuxième. Le Monde a souffert de problèmes internes organisationnels marqués par le conflit dans les trajectoires à adopter vis à vis du numérique, notamment sur la question de l'identité du journal. Le journal s'oriente désormais vers une compréhension accrue de l'audience avec notamment un partenariat dans l'analyse des lecteurs en ligne. La stratégie du Temps se rapproche du modèle multiplateforme défini par Gillian Doyle. Le journal accuse un retard dans les nouveaux supports numériques et consacre ses investissements au passage du contenu en ligne vers les différents formats.

Ceci se retrouve dans l'adoption des pratiques CRM. The Sun a pris une avance considérable en diversifiant ses activités et en investissant des outils technologiques tels que Salesforce. En France, en revanche on constate une course à la taille pour contrer

261

la masse critique de Google et Facebook auprès des annonceurs. Dans le cas de The Sun, le CRM est utilisé dans un objectif de promotion de la gamme des différents produits de la marque tandis que dans le cas français, la collecte des données des utilisateurs demeure ancrée dans un modèle économique des médias classique publicitaire.

Hypothèse La trajectoire en termes d'innovation des firmes médiatiques n°3 dépend principalement de leur héritage éditorial et leur culture journalistique. Les tabloïds britanniques tendent à davantage s'adapter aux pratiques marketing et aux règles du jeu numérique alors que la presse dite de qualité tend à devoir innover sur les formats et trouver de nouveaux modes de création de valeur pour le consommateur. Conclusion Les médias d'Europe continentale et plus principalement les hypothèse marques de la presse dite de qualité ont été au coeur du conflit entre n°3 l'Union européenne et Google. Cette tentative initiale de modification des règles du jeu par la voie du politique a abouti à l'accompagnement de la transformation numérique des ces marques par Google via le fonds d'innovation. On constate une forme de "dépendance historique au sentier" dans le cadre des marques étudiées. Si The Sun a effectué une tentative malheureuse de se lancer dans l'information politique sérieuse, il en est de même pour les autres cas analysés. Pour des raisons historiques, culturels mais aussi de compétition sur le marché de l'information, les entreprises de presse de qualité s'adaptent en misant sur leur valeur ajoutée principale telle que l'éthique journalistique et un traitement approfondi des news pour The Guardian. En revanche, conformément aux approches multiplateformes de Gillian Doyle on constate un manque d'approfondissement des opportunités ouvertes pas les supports numériques, notamment dans le cas du Temps.

De manière générale, on peut parler d'affinités électives dans l'adoption des pratiques marketing en ligne. Les tabloïds britanniques tels que The Sun ou le Daily Mail, habitués aux pratiques de viralité, au contenu choc, sont plus enclins aux règles du jeu de génération de trafic. En revanche, la presse de qualité se retrouve dans un questionnement lié à son éthique et son identité aboutissant à des formes d'innovation ancrées dans les contours de sa culture professionnelle. 262 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Hypothèse Les éditeurs de presse britanniques ont investi avec plus de succès n°4 et d'innovation les pratiques d'email marketing et les nouveaux canaux de communication en les considérant comme des supports de diffusion de l'information à part entière. A contrario, leurs homologues français et suisses ont une approche plus mécanique de ces canaux, s'en servant principalement pour diffuser le contenu de leurs sites web.

Conclusion Les médias britanniques se posent en leaders de l'exploration des hypothèse nouveaux canaux de communication. En termes d'email marketing, n°4 ces derniers se sont appropriés les bonnes pratiques tels que les preference centers, la gestion de marque et le contenu personnalisé. Les exemples tels que Red Box du Times illustrent les investissent sur ce support considéré comme média à part entière avec sa propre équipe de rédaction. De même la personnalisation de l'offre envoyée par The Guardian démontrer la mise en place de techniques marketing et CRM sophistiquées. En revanche dans le cas du Monde et du Temps, on se rapproche davantage des stratégies multiplateformes mises en avant par Gillian Doyle. Le contenu envoyé est similaire à celui du site web, sans considération de l'email comme média à part entière.

Le clivage se creuse sur les nouveaux médias. The Guardian et la BBC ont largement innové avec dans le premier cas la création du Guardian Lab entièrement dédié à l'exploration de nouveaux formats. L'utilisation avec succès de Snapchat et de WhatsApp par The Guardian au cours d'évènements sportifs et politiques q montré l'efficacité des investissements effectués. De même la BBC a profité de l'audience anglophone internationale pour acquérir de nouveaux utilisateurs via WhatsApp.

En France les tentatives ont été effectuées par tâtonnements avec un angle principalement axé sur l'éducation à l'information tirant ainsi partie de la polémique des fake news. La Suisse dans ce domaine se démarque par une faible innovation, Le Temps, La Tribune de Genève et Matin parmi d'autres n'ayant que très peu expérimenté ces nouveaux supports.

263

Bibliographie :

AGEMBEN Georgio, Qu'est ce qu'un dispositif ? traduit de l'italien, Rivages Poche, 2014, 80 p.

ALEXANDER Alison, OWERS James, CARVERTH A. Rod, Media Economics: Theory and Practice, Routledge, 2003, 312 p.

ANASTASSOPOULOS Jean-Pierre, NOCHE Jean-Pierre, BLANC Georges, Pour une nouvelle politique d'entreprise - contingence et liberte, Presses Universitaires de France, 1985

AMEZ-Droz Philippe, Médias suisses à l'ère du numérique, PPUR, 2015, 140 p.

AMEZ-DROZ Philippe, La mutation de la presse écrite à l'ère numérique : Les conséquences de la crise de la demande publicitaire de 2008-2009 sur l'offre de contenus en Suisse et dans quelques pays industrialisés, Editions Slatkine, 2015, 356 p.

ANDERSON Chris, La Longue Traîne : La nouvelle économie est là ! Pearson, 2007, 288 p.

ANTHEAUME Alice, Le journalisme numérique, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) « Nouveaux Débats », 2013, 188 pages.

ARON Raymond, Paix et guerre entre les nations, Calmann-Levy, 1962, 794 p.

BADILLO Patrick-Yves et al. Enquête nationale sur le marché publicitaire suisse face au défi numérique. Genève, 2015

BADILLO Patrick-Yves, « L'imprévisible fin des médias suisses traditionnels », Medias pour tous. Soleure. 2016

BADILLO Patrick-Yves, BOURGEOIS Dominique, DELTENRE Ingrid, MARCHAND Gilles, Médias publics et société numérique : L'heure du grand débat, Editions Slatkine, 2016

BAUDRILLARD Jean, La Guerre du Golfe n'a pas eu lieu, Editions Galilée, 1991, 104 p.

BINGHAM Adrian, CONBOY Martin, Tabloid Century : The Popular Press in Britain, 1896 to the Present, Oxford University Press, 2015, 258 p.

BOLTANSKI Luc, CHIAPELLO Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, 843 p.

264 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

BONFADELLI Heinz, Concentration des médias dans les régions : diversité, pouvoir et régulation, Université de Zurich, 2005

BOURRICAUD François, Esquisse d'une théorie de l'autorité, Plon, 1961, 423 p.

BROCK Georges, Out of Print: Newspapers, Journalism and the Business of News in the Digital Age, Philadelphia, PA, and London, UK: Kogan Page, 2013, 242 pp.

BROUSTEAU Nadège, FRANCOEUR Chantal, Relations publiques et journalisme à l'ère numérique Dynamiques de collaboration, de conflit et de consentement, Presses de l'Université du Québec, 2017, 256 p.

BUTTLE, F., 2009. Customer Relationship Management: Concepts and Technologies. 2nd ed. Amsterdam: Elsevier.

BUZZARD Karen, Tracking the Audience: The Ratings Industry From Analog, to digital, Routledge, 2012

CARRETERO Lucia, Search Engine Optimization and Online Journalism: The SEO-WCP Framework, Barcelona: UPF. Communication Department. Serie Editorial DigiDoc, 2016

CAVES Richard, Creative Industries: Contracts Between Art and Commerce, Harvard University Press, 2002, 464 p.

CHAMBERLIN, Edward, Theory of Monopolistic Competition, Harvard University Press, 1933

CHARON Jean-Marie, Les médias en France, La Découverte, 2014, 128 p.

CHIAPELLO Eve, BOLTANSKI Luc, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, 894 p.

CYERT Richard, MARCH James, A behavioral theory of the firm, WileyBlackwell, 1963, 268 p.

DAMODORAN Aswath, The Value of Synergy, New York University - Stern School of Business, 2005

DAVIES Nick, Flat Earth News, 2009, Vintage, 492 p.

DAVIES Randall David, The Postwar Decline of American Newspapers, 19451965, History of American Journalism, 2006, 200 p.

DEGAND Amandine, Le journalisme face au web - Reconfiguration des pratiques et des représentations professionnelles dans les rédactions belges francophones, Presses Universitaires de Louvain, 2012, 552 p.

265

DOYLE Gillian, Understanding Media Economics, Sage Publications Ltd, 2013, 232 p.

DOYLE Gillian, Multi-platform media: how newspapers are adapting to the digital era, Routledge, 2015

DOYLE Gillian, Media ownership. The Economics and Politics of Convergence and Concentration in the UK and European Media, SAGE Publications, 2002, 202 p.

EVENO Patrick, Histoire du journal "Le Monde" 1944-2004, Albin Michel, 2004, 707 p.

FERGUSON E. Charles, Microeconomic Theory, Homewood, 1972

FLICHY Patrice, Le sacre de l'amateur, sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique. La République des Idées, 2010, 112 p.

FLICHY Patrick, L'innovation technique, La Découverte, 2003, 256 p.

GALBRAITH, John Kenneth, The New Industrial State, p. 71 HMCO 1967

GIDEON Lior, Handbook of Survey Methodology for the Social Sciences, Springer, 2012, 540 p.

GOTTFRIED Jeffrey, SHEARER Elisa, News Use Accross Social Media Platforms, Pew Research Center, 2016

HALL Stuart, Hall, CRITCHER C, JEFFERSON T, CLARKE J, ROBERTS B. Policing the Crisis: Mugging, the State and Law and Order. Macmillan. London: Macmillan Press, 1978

HORRIE Chris, CHIPPENDALE Peter, Stick It Up Your Punter ! The Uncut Story of the Sun Newspaper, Faber & Faber, 2013 (1e édition, 1990), 554 p.

HUBÉ Nicolas, CHUPIN Ivan, KACIAS Nicolas, Histoire politique et économique des médias en France, La Découverte, 2012

JEANNERET Yves, Y a-t-il vraiment des technologies de l'information, Presses Universitaires du Septentrion, 2000, 135 p.

JOHANSSON Sofia, Reading Tabloids: Tabloid Newspapers and Their Readers, Södertörns högskola 2007

KALE Dave, Learning Paraphrase Models from Google New Headlines, Stanford University, 2007

266 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

KATZ Elihu, LIEBES Tamar, The Export of Meaning: Cross-Cultural Readings of Dallas, Polity, 1993, 200 p.

KAUFMANN Hans-Ruediger, Handbook of Research on Managing and Influencing Consumer Behavior IGI Global, 2014

KUMAR V., REINARTZ Werner, Customer relationship management: A databased approach, N. Y.: Joh Wiley, 2006

KÜNG Lucy, Innovators in digital news, I.B. Tauris, 2015, 141 p.

LANDSBURY Georges, Miracle of Fleet Street: The Story of the Daily Herald, Spokesman Books, 1925, 167 p.

LAGROYE Jacques, La vérité dans l'Eglise catholique : Contestations et restauration d'un régime d'autorité, Belin 2006, 303 p.

LAZARSFELD Paul, People's Choice: How the Voter Makes Up His Mind in a Presidential Campaign, Columbia University Press, 3e édition, 1968, 178 p.

LE CAM Florence, L'identité du groupe des journalistes du Québec au défi d'Internet. Université Rennes 1, 2005

LEHU Jean-Marie, La fidélisation client, Paris, Editions d’Organisation, 1999.

LIEVROUW Leah A., BRENT Ruben David, Mediation, Information and Communication, Routledge 1989, 471 p.

LINDBLOM Charles, Politics and markets: the world's political-economic systems, New York, 1977

LIU LI-YU, PICARD Robert, Policy and Marketing Strategies for Digital Media. New York: Routledge, 2014.

MCNAIR Brian, News and journalism in the UK, Routledge, 2009, 224 p.

MANOVICH Lev, Le langage des nouveaux médias, Les presses du réel, 2010, 605 p.

MARCH James, OLSEN Johan, Rediscovering Institutions: The Organizational Basis of Politics, The Free Press, 1989, 325 p.

MISSIKA Jean-Louis, La fin de la télévision, Le Seuil, 2006, 110 p.

MARIET François, Valeurs de la presse, son audience, sa data, 2017

MOROZOV Evgeny, The Net Delusion: How Not to Liberate the World, Penguin, 2012, 432 p.

267

MUSSO Pierre, Critique des réseaux, Presses Universitaires de France, 2003, 374 p.

NEWTON Lee, Facebook Nation: Total Information Awareness, Springer, 2013, 235 p.

NOAM Eli, Media Ownership and Concentration in America, Oxford University Press, 2009, 489 p.

OLIVER Richard L. Satisfaction: a behavioral perspective on the consumer, Routledge, 2010, 544 p.

ORWELL Georges, Hommage to Catalonia, Folio Society, 1970

PARISER Eli, The Filter Bubble: What the Internet Is Hiding from You, Penguin Press, New York, Mai 2011

PENARD Thierry, Economie du numérique et de l'internet, Vuibert, 2010, 192 p.

PENROSE Edith, The theory of the growth of the firm, Oxford University Press, 2009, 300 p.

PICARD Robert, Measuring Media Content, Quality, and Diversity: Approaches and Issues in Content Research. Turku, Finland: Turku School of Economics and Business Administration, 2000

POULET Bernard, La fin des journaux et l'avenir de l'information, Folio, 2011, 288 p.

RINGOOT Roselyne, UTARD Jean-Michel, Le journalisme en invention. Nouvelles pratiques, nouveaux acteurs, Presses universitaires de Rennes, Coll. « Res Publica », 2005

ROGERS Everett, Diffusion of Innovation, Free Press, 2003 (5e édition), 576 p.

RUELLAN Denis, Le Journalisme ou le professionnalisme du flou, Presses Universitaires de Grenoble, 2007, 232 p.

SALMON Christian, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, La Découverte, 2007.

SCARDIGLI Victor, Les sens de la technique, Presses Universitaires de France, 1992, 275 p.

SCHWAB Klaus, The Fourth Industrial Revolution, Penguin, 2017, 192 p.

268 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

SHIRKY Clay, Here Comes Everybody. The power of organizing without organisations. Allen Lane, 2008, 336 p.

SMYRNAIOS Nikos, Les GAFAM contre l'internet, une économie politique du numérique, INA 2017, 131 p.

SONNAC Nathalie, ALBERT Pierre, La presse française. Au défi du numérique, La Documentation française, 2014, 208 p.

SONNAC Nathalie, GABSZEWICZ Jean, L’industrie des médias à l’ère numérique Paris, Éditions La Découverte, collection Repères, 2013, 126 pages

SWIFT S. Ronald, Accelerating Customer Relationships: Using CRM and Relationship Technologies, Prentice Hall, 2000, 512 p.

TCHAKHOTINE Serge, Le viol des foules par la propagande politique, Gallimard, 1952

TERRASE Christophe, L’engagement envers la marque. Proposition d’un modèle théorique et application à la comparaison de la fidélité aux marques nationales et aux marques de distributeurs. Sciences de l’Homme et Société. HEC PARIS, 2006

TIROLE Jean, The Theory of Industrial Organization, MIT Press, 1988

TODREAS, Timothy, Value Creation and Branding in Television’s Digital Age. Quorum Books, 1999

TOUSSAINT-DESMOULINS Nadine, L’Économie de l’information, PUF, Que sais-je ? n° 1701, Paris, 1978

TUNGATE, Mark, Media Monoliths : How Great Media Brands Thrive

TURNER Fred, From Counterculture to Cyberculture: Stewart Brand, The Whole Earth Network, and the Rise of Digital Utopianism. Chicago: University of Chicago Press, 2006. 262 pp.,

UNDERWOOD, Doug When MBAs Rule the Newsroom. New York : Columbia University Press, 1993

ZALEZNIK Abraham, DE VRIES Kets, Power of the Corporate Mind, Bonus Books, 1995, 288 p.

ZICHERMANN Gabe, CUNNINGHAM Cristopher, Gamification by Design: Implementing Game Mechanics in Web and Mobile Apps, O'Reilly Media, 2011, 182 p.

269

ZMERLI Sonja, VAN DER MEER Tom, Handbook on political trust, Edward Elgar Publishing, 2017, 560 p.

Revues, colloques, articles, thèses, mémoires

AITAMURTO TANJA, LEWIS C. Seth, "Open innovation in digital journalism: Examining the impact of Open APIs at four news organizations", New Media & Society, 2012, Vol 15, Issue 2, pp. 314 - 331

AKRICH Madeleine, CALLON Michel, LATOUR Bruno "A quoi tient le succès des innovations ? 1: L’art de l’intéressement; 2 : Le choix des porte-parole. Gérer et Comprendre.", Les Annales des Mines, 1988, pp.4-17 & 14-29

ANSOFF Igor, "Strategies for diversification", Stanford University, Graduate School of Business, 1957, pp. 85-86. ALLOING Camille, MOINET Nicolas, "Des réseaux d'experts à l'expertise 2.0. Le web 2.0 modifie-t-il la création et la mise en place de réseaux d'experts ?", Les Cahiers du numérique, 2010/1 (Vol. 6), p. 35-53.

ARMANCIO Marina, "“Put it in your Story”: Digital Storytelling in Instagram and Snapchat Stories", Uppsala University, 2017

ARNAUDO Dan, “Computational Propaganda in Brazil: Social Bots during Elections.” Oxford University, 2017

ATHEY Susan, CALVANO Emilio, GANS S. Joshua, "The impact of the Internet on Advertising Markets for News Media", National Bureau of Economic Research, 2013

BADILLO Patrick-Yves, AMEZ-DROZ Philippe, "Le paradoxe de la presse écrite : un business model introuvable, mais une multiplicité de solutions", La Revue Européenne des Médias. 2014, vol. 29, p. 83-89

BADILLO Patrick-Yves, "Usagers et socio-économie des médias ", Revue française des sciences de l’information et de la communication, 6, 2015

BAIN Joe (1954). "Economies of Scale, Concentration, and the Condition of Entry in Twenty Manufacturing Industries", American Economic Review, 44(1), 15–39.

BAIN S. Joe, "Structure Versus Conduct as Indicators of Market Performance: The Chicago School Events Revisited," Antitrust Law and Economics Review. 1986

BAIN Joe, "Market Classifications in Modern Price Theory," Quarterly Journal of Economics, 56(4), pp. 560-574.

BAKSHY Eytan, "Exposure to ideologically diverse news and opinion on Facebook", Science 348, 1130, 2015 270 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

BENEDETTO-MEYER Marie, "« Des statistiques au cœur de la relation clients : l'accès aux « données clients », leur effet sur l'organisation du travail et les relations clients/vendeurs en boutique »", Sociologies pratiques, 2011/1 (n° 22), p. 49-61.

BOUQUILLON Philippe, "Concentration, financiarisation et relations entre les industries de la culture et industries de la communication", Revue française des sciences de l’information et de la communication, 2012

BOYKOFF T. Maxwell, "The cultural politics of climate change discourse in UK tabloids", Political Geography, Volume 2, juin 2008, Pages 549-569

BRODIE Roderick, ILIC Ana, BILJANA Juric, HOLLEBEEK Linda, "Consumer engagement in a virtual brand community: An exploratory analysis", Journal of Business Research, Volume 66, pp. 105-114, 2013

BULGER Monica, TAYLOR Greg, SCHROEDER Ralph, " Data-Driven Business Models: Challenges and Opportunities of Big Data", Oxford Internet Institute, 2014

BURGESS Jean, "YouTube and the formalisation of amateur media", Amateur Media : Social, Cultural and Legal Perspectives. Routledge, 2012, pp. 53-58.

CARDON Dominique, "Le design de la visibilité. Un essai de cartographie du web 2.0", Réseaux, vol. 152, no. 6, 2008, pp. 93-137.

CECERE Grazia, Le GUEL Fabrice, ROCHELANDET Fabrice, "Les modèles d'affaires numériques sont-ils trop indiscrets ?", Réseaux n°189, 2015/1

CHANDON Pierre., WANSINK Brian, LAURENT Gilles “A benefit congruency framework of sales promotion effectiveness" Journal of Marketing, 64, 65-81. 2003

CHARON Jean-Marie, " De la presse imprimée à la presse numérique. Le débat français.", Réseaux, 2010/2 (n° 160-161), p. 255-281.

CHARON Jean-Marie, "Deux scénarios d'évolution de la presse écrite", Observatoire de la presse écrite, 2011

CHARON Jean-Marie, "Presse écrite : du tirage au lectorat", Hermès n°37, 2003

CHEN Chi-Hsiang POPVICH, K., "Understanding customer relationship management (CRM): People, process and technology," Business Process Management Journal (9: 5), 2003, pp. 672.

CHENGCHENG Shao, CIAMPAGLIA Giovanni Luca, VAROL Onur, FLAMMINI Alessandro, MENCZER Filippo, "The spread of fake news by social bots",

271

Indiana University, Bloomington, 2017

CHERUBINI Frederica, NIELSEN Rasmus "Klein, Editorial Analytics: How news media are developing and using audience data and metrics". Digital News Project 2016, Reuters Institute for the Study of Journalism, Oxford University CHOU, LIN, YEN & XU, "Adopting customer relationship management technology.", Industrial management & data systems,102(8), 442- 452.

COASE Ronald, "The nature of the firm", Economica, New Series, Vol. 4, No. 16. (Nov., 1937), pp. 386-405

CODINA Lluís, IGLESIAS-GARCIA Mar, PEDRAZA Rafael, GARCIA-CROSS Simon, "Mad and bad media: Populism and pathology in the British tabloids ", European Journal of Communication , Vol 29, Issue 2, pp. 204 - 217.

CURRAH Andrew, "What’s Happening to Our News An investigation into the likely impact of the digital revolution on the economics of news publishing in the UK", Reuters Institute for the Study of Journalism, 2009

D'ALMEIDA Fabrice, "Propagande, histoire d’un mot disgracié", Mots les langages du politique , 69 | 2002

DAL ZOTTO Cinzia, Growth and Dynamics of Maturing New Media Companies, Jönkoping International Business School, 2005

DAVENPORT T. H., Harris, J. G., & KOHLI A. K. "How do they know their customers so well?", MIT Sloan Management Review, 2003, 42(2), 63-73

DEIGHTON John, JOHNSON Peter "The Value of Data 2015: Driving Insight, Innovation and Efficiency in the US Economy" Commissionné par The Data and Marketing Association, 2015

DICK Murray, "Search Engine Optimisation in UK News Production", Journalism Practice, 5:4, 462-477

DOYLES Gillian, "Multi-platform media and the miracle of the loaves and fishes", Journal of Media Business Studies, 2015, 12:1, 49-65

DOYLE Gillian, SCHLESINGER Philip," From organizational crisis to multiplatform salvation? Creative destruction and the recomposition of news media", Journalism: Theory, Practice and Criticism, 16(3), pp. 305-323.

EKDALE Brian, SINGER B. Jane, TULLY Melissa, HARMSEN Shawn, "Making change. Diffusion of Technological, Relational, and Cultural Innovation in the Newsroom", Journalism & Mass Communication Quarterly Vol 92, Issue 4, pp. 938 - 958, 2015

272 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

ENGEBER Alec, "Data Collection by Facebook and Google", Consumer Researchs Winter 2015

FEYEL Gilles, "Presse et publicité en France", Revue Historique, n°268, 2003/4 FLATH Christoph, FRIEISIK Sascha, WIRTH Marco, THIESSE Frédéric, " Copy, transform, combine: exploring the remix as a form of innovation.", Journal of Information Technology, 2017

FRANKLIN Bob, "The future of newspapers", Journalism Practice, Volume 2, 2008

GALLACHER John, KAMINSKA Monica, KOLLANYI Bence, HOWARD Philippe, Junk "News and Bots during the 2017 UK General Election: What Are UK Voters Sharing Over Twitter?", Oxford University, 2017

GARETTE Bernard, "Actifs spécifiques et coopération : une analyse des stratégies d'alliance.", Revue d'économie industrielle, Vol. 50, pp 15-31, 1989

GARRISON Bruce, "Diffusion of online information technologies in newspaper newsrooms", Journalism, Vol 2, Issue 2, pp. 221 - 239

GARY Shayne Michael, "Implementation strategy and performance outcomes in related diversification", Strategic Management, Volume 26, Issue 7, juillet 2005 Pages 643–664

GERBNER George, "Growing Up with Television: Cultivation Processes", Media effects: advances in theory and research, 2002

GIRET Vincent et POULET Bernard "La fin des journaux ", Le Débat 2008/1 (n° 148), p. 3-15.

GOODE Luke, "Social news, citizen, journalism and democracy,", New media and society, Vol 11(8): 1287–1305, 2009

GOLDFARB Avi, TUCKER Catherine, "Online display advertising: targeting and obstrusiveness", Marketing Science, 2011

GRANDVAL Samuel, VERGNAUD Stéphanie, « La diversification liée comme stratégie de valorisation de compétences technologiques distinctives », La Revue des Sciences de Gestion, 2006/1 (n°217), p. 87-99

GRANOVETTER Mark, "The strength of weak ties", American Journal of Sociology, Volume 78, mai 1973

HERMIDA Alfred, FLETCHER Fred, KORRELL Darryl, LOGAN Donna, "Share, like recommended", Journalism Studies, Volume 13, 2012

HIRSCHLEIFER Jack, "Where Are We in the Theory of Information.", American

273

Economic Review, 1973

HOWARD Philippe, BRADSHAW Samantha, KOLLANYI Bence, DESIGAUD Clémentine, BOLSOVER Gillian, "Junk News and Bots during the French Presidential Election: What Are French Voters Sharing Over Twitter?", Oxford University, 2017

IYENGAR Shento, "Framing Responsibility for Political Issues: The Case of Poverty" Political Behavior, Vol. 12, No. 1, Cognition and Political Action. (Mar., 1990), pp. 19-40.

JASIEWICZ Isia Monika, "Copyright Protection in an Opt-Out World: Implied License Doctrine and News Aggregators", Yale Law Journal, Vol. 122, 2012

JU Alice, JEONG Sun Ho, CHYI Hsiang Iris " Will Social Media Save Newspapers?", Journalism Practice Vol. 8 , Iss. 1,2014

KATZ L. Michael, SHAPIRO Carl, "Network Externalities, Competition, and Compatibility", The American Economic Review, Vol. 75, 1985

KRAMP Leif, " “We Need to Keep Moving”: Strategies of News Media to Attract Young Audiences in Germany", Present Scenarios of Media Production and Engagement, Editions Lumière, pp. 107-122, 2017

KROMBHOLZ Katharina, MERKL Dieter, WEIPPL Edgar, "Fake identities in social media: A case study on the sustainability of the Facebook business model", Journal of Service Science Research, Volume 4 pp 175-212

LARISCY, R.W., AVERY, E.J., SWEESTER, K.D., HOWES, P., "An examination of the role of online social media in journalists’ source mix", Public Relations Review 35 (3) 314-316, 2009

LE CAM Florence, Le Cam Florence, "États-unis : les weblogs d'actualité ravivent la question de l'identité journalistique", Réseaux, 2006/4 (no 138), p. 139-158.

LEWIS Justin, WILLIAMS Andrew, FRANKLIN Bob, THOMAS James, MOSDELL Nick,"The Quality and Independence of British Journalism: Tracking the changes over 20 years", Cardiff University, 2008

LEWIS C. Seth, "Code, Collaboration, And The Future Of Journalism", Digital Journalism, Vol. 2, 2014

LINDBLOM Charles, "The Science of Muddling Through", Public Administration Review, Vol. 19, No. 2, pp. 79-88

LOTAN, GILAD et al. " The Arab Spring| The Revolutions Were Tweeted: Information Flows during the 2011 Tunisian and Egyptian Revolutions." in International Journal of Communication, [S.l.], v. 5, p. 31, sep. 2011. 274 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

LUCAS Henry, GOH Jie Mein, "Disruptive technology: How Kodak missed the digital photography revolution", The Journal of Strategic Information Systems, Volume 18, 2009, pp. 46-55

MAISEL Richard, "The decline of Mass Media" in Public Opinion Quarterly, Volume 37, pp. 159-170, 1073

MARSHALL John M. "Private Incentives and Public Information.", American Economic Review, 1974

MATHIEN Michel, "L'étude des médias : un champ ouvert à la transdisciplinarité.", Communication et langages, n°106, 4ème trimestre 1995. pp. 77-88.

MATHIEN Michel, "Enseigner et étudier l'économie des médias", Hermès, La Revue, 2006/1 (n° 44), p. 179-182.

MCALLISTER, M.P., "From flick to flack: The increased emphasis on marketing by media entertainment corporations", Critical Studies in Media Imperialism, Oxford : Oxford University Press, 2000

MEDINA Mercedes, FAUSTO Paulo, The changing media business environment, Media XXI, 2008, 324 p.

MERCIER Arnaud, PIGNARD-CHEYNAL Nathalie, "Mutations du journalisme à l’ère du numérique : un état des travaux ", Revue française des sciences de l’information et de la communication, 2014

MEYER Christopher, SCHWAGER Andre "Understanding customer experience." Harvard business review, 2007

MILLER David, "Official sources and primary definition: The case of Northern Ireland", Media, Culture & Society, Vol 15, Issue 3, pp. 385 - 406, 2016

MOORE Kerry, MASON Paul, LEWIS Justin, " The Representation of British Muslims in the National Print News Media 2000-2008", Cardiff School of Journalism, 2008

MULLER Jean-Philippe, "Stratégie d'innovation, concurrence et performance des nouveaux produits", Revue française de gestion, 2005/2 (no 155), p. 57-74.

NEWMAN Nic, DUTTON William, BLANK Grant "Social Media in the Changing Ecology of News: The Fourth and Fifth Estates in Britain", International Journal of Internet Science 2012, 7 (1), 6–22

275

NGUYEN T. H., SHERIF, J. S., & Newby, M., "Strategies for successful CRM implementation.", Information Management & Computer Security, 2007, 15(2), 102-115.

O’BRIEN L., JONES C. "Do rewards really create loyalty?", Harvard Business Review, May-June, pp. 75-82., 1995 OSTROM Vincent, OSTROM Elinor, "Public Goods and Public choices », Alternatives for Delivering Public Services: Toward Improved Performance, Boulder, Westview Press, 1977, 7–49 p

PAGE Larry, The PageRank Citation Ranking: Bringing Order to the Web, Stanford University, 1998

PARVATIYAR Atul et JAGDISH N. Sheth, " Customer Relationship Management: Emerging Practice, Process, and Discipline", Journal of Economic and Social Research 3(2) 2001, 1-34

PAYNE Adrian, FROW Penny, "A strategic framework for Customer relationship management", Journal of Marketing, N. 4, Oct. 2005.

PAYNE, A., FROW P. "The role of multichannel integration in customer relationship management.", Industrial Marketing Management, 33(6), 527-538.

PENARD Thierry, RALLET Alain, "De l'économie des réseaux aux services en réseaux. Nouveau paradigme, nouvelles orientations", Réseaux 2/2014, n° 184185, p. 71-93

PICARD Robert, Picard Robert G., "Les médias au risque du management et du marketing.", Le Temps des médias, 1/2006 n°6, p. 165-174

PRAHALAD Coimbator Krishnao, RAMASWAMY Venkatram, "The New Frontier of Experience Innovation", MIT Sloan Management Review, 2003, juillet 2015

REBILLARD Franck, SMYRNAIOS Nikos, "Les infomédiaires, au cœur de la filière de l'information en ligne. Les cas de google, wikio et paperblog", Réseaux 2/2010 n° 160-161, p. 163-194

REEVES Aaron, McKEE Martin, STUCKLER David, "It's The Sun Wot Won It’: Evidence of media influence on political attitudes and voting from a UK quasinatural experiment.", Social Science Research, 2015

ROCHET Jean-Charles, TIROLE Jean, "Platform Competition in Two-Sided Markets", Journal of the European Economic Association, 2003, Vol. 1, n°4, p. 990-1029.

RYALS Lynette et PAYNE Adrian F.T. “Customer Relationship Management in Financial Services: Towards Information Enabled Relationship Marketing,”, Journal of Strategic Marketing, 2001 276 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

SAMUELSON Paul, "The Pure Theory of Public Expenditure". Review of Economics and Statistics, The MIT Press, 1954

SCHROEDER Paul, "Big data business models: Challenges and opportunities", Social Sciences, 2016 SHAPIRO Carl, VARIAN R. Hal, "Information Rules: A Strategic Guide to the Network Economy", Harvard Business Review Press, 1998, 368 p.

SHILTON Katie, "Four Billion Little Brothers? Privacy, mobile phones, and ubiquitous data collection", Privacy and Rights, Volume 7, 2009

SHIRKY Clay, "The Political Power of Social Media", Foreign Affairs, janvier/février 2011

SINGER Jane, "Who are these guys ? The online challenge to the notion of journalistic professionalism", 2003, Journalism, 4, p. 139-163.

SONNAC Nathalie, "L’écosystème des médias", Communication, Vol. 32/2, 2013

SONNAC Nathalie, GABSZEWICZ Jean, "Media as multi-sided platforms", Handbook on the Economics of the Media, Dir. PICARD Robert, WILDMAN Steve, Elgar, 2015, 416 p.

SONNAC Nathalie, "L’économie de la presse : vers un nouveau modèle d’affaires", Les Cahiers du Journalisme, 2009

SOLIMAN Sayed Hisham, " Customer Relationship Management and Its Relationship to the Marketing Performance", International Journal of Business and Social Science Vol. 2 No. 10; juin 2011

STIGLER George, “The Economics of Information.", George Stigler, The Organization of Industry. Chicago: University of Chicago Press, 1983 STOLTERMAN Erik, FORS Ana Croon," Information Technology and the Good Life", Information Systems Research. IFIP International Federation for Information Processing, vol 143. Springer, 2004

STRINGFELLOW Anne, NIE Winter, BOWEN E. David, "CRM: Profiting from understanding customer needs", Business Horizons, 2004

TAMBINI Damian, Fake News: Public Policy Responses. Media Policy Brief 20. London: Media Policy Project, London School of Economics and Political Science.

THURMAN Neil, "The globalization of journalism online: A transatlantic study of news websites and their international readers. ", Journalism: Theory, Practice & Criticism, 8(3), pp. 285-307

277

TIROLE Jean, ROCHET Jean-Charles, "Platform competition in two-sided markets", Journal of the European Economic Association, 2003

TREMBLAY Mark, "Vertical Relationships within Platform Marketplaces", Michigan State University, 2015 TSFATI Yariv, CAPPELLA Joseph, "Do people watch what they do not trust?", Communications Research, Vol. 30. pp 504-529

TUFEKCI Zeynep, "Social Media and the Decision to Participate in Political Protest: Observations From Tahrir Square", Journal of Communication, 2012 and Survive. London : Kogan, 2004, p. 261

VARGO Stephen, LUSCH Robert "Evolving to a New Dominant Logic for Marketing.", Journal of Marketing, 2004, Vol. 68, No. 1, pp. 1-1

VERON Eliséo,"Il est là, je le vois, il me parle.", Réseaux, volume 4, n°21, 1986.

VIS Farida, "Twitter as a reporting tool for breaking news", Digital Journalism, Vol. 1, 2013

VOLLE Pierre, MIMOUNI Aida, "Bénéfices perçus de la fidélisation et qualité relationnelle : une application exploratoire au secteur du transport aérien". 19eme Congrès International de l’Association Française du Marketing, mai 2003, Gammarth, Tunisie. pp.532-549, 2003.

WILLIAMSON E. Oliver, "The economics of organization: The transaction cost approach.", American Journal of Sociology, Volume 87, Novembre 1981, 548577

WINER Russel S. "A framework for customer relationship management”, California Management Review, 2001

ZABLAH Alex, BEUENGER Danny, JOHNSTON Wesley, "Customer Relationship Management: An Explication of Its Domain and Avenues for Further Inquiry", Relationship Marketing, Customer Relationship Management and Marketing Management: Co-Operation–Competition–CoEvolution, Michael Kleinaltenkamp and Michael Ehret, eds. Berlin: Freie Universität Berlin, 115–24, 2003

ZOUARI Khaled, "La presse en ligne : vers un nouveau média?", Enjeux de l’information et de la communication, GRESEC - Université Grenoble III, 2008, pp.13.

278 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Annexes

Annexe 1 : bilans financiers du Guardian Media Group 2010-2016

Bilan financier du Guardian Media Group 2010 et 2011

Bilan financier du Guardian Media Group 2011 et 2012

279

Bilan financier du Guardian Media Group 2013 et 2014

Bilan financier du Guardian Media Group 2015 et 2016

280 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Annexe 2 : catégories socio-professionnelles NRS (National Readership Survey).

Source : NRS 2016

281

Annexe 3 : Audience de The Guardian.

Source : The Guardian

Creators of digital content Which of the following online activities do you undertake at least once a month?

UK Online Guardian Average Select Source: Guardian Select Profiling Research 2012

Update or maintain a profile on a social 53% 68% networking site

Comment on someone else's blogs 24% 42%

Take part in discussions boards 27% 37%

Publish, maintain or update a blog 0.1 0.27

Upload video you created to a web site 0.06 0.26

Publish or update your own Web pages 0.08 0.24

Tweet or retweet on Twitter 10% 20% 282 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Write articles, stories, poems etc. and post 0.06 0.12 them online

Responsive to advertising How do you react to advertisements that appear on this site?

Guardian British online Select average

I always notice the ads on this site 56% 48%

Click on the ads 14% 4%

Read the ads without clicking on them 30% 33%

Search for more information 20% 5%

Go to the advertiser's site 10% 5%

Give the advertiser more attention and 10% 6% consideration

Tend to trust advertisers seen on this site 14% 3% more than those seen elsewhere

Guardian Select British online average

Food and drink 187 152

Toiletries and Cosmetics 19 13

CDs, DVDs, downloads 14 9

Cinema tickets 20 5

Live arts events 32 10

Books 19 8

Clothes and Accessories 74 38

Charity donations 20 11

283

Highly likely to spread word of mouth Have you recommended a product or service, an event or a charity to anyone in the last 4 weeks in any of the following ways?

Respondents who said 'yes'

Face to face 83%

Via phone or email 70%

Via Facebook 55%

By posting an online comment 49%

By writing a review 20%

Respondents who said 'yes'

Via Twitter 11%

284 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Annexe 4 : Audience de The Sun.

Source : Newswork.co.uk, decembre 2017

Platform Source Measurement Measurem Deliver AVG ent2 y Print ABC Circulation Circulation 15173 Daily 14 Print NRS Readership Adults 34880 Daily 00 Print NRS Readership ABC1 10930 Daily 00 Print NRS Readership C2DE 23950 Daily 00 PC ABC Unique Unique 55349 Daily browsers browsers 83 PC ABC Page Page 17756 Daily impressions impression 439 s PC NRS PADD Readership Adults 41950 Month 00 ly PC NRS PADD Readership 15-34 14430 Month 00 ly PC NRS PADD Readership 35+ 27510 Month 00 ly Print & PC NRS PADD Readership Adults 12543 Month 000 ly Print & PC NRS PADD Readership 15-34 44520 Month 00 ly Print & PC NRS PADD Readership 35+ 80910 Month 00 ly Print & PC NRS PADD Readership Adults 29570 Month & Mobile 000 ly Tablet ABC PAV PAV (Publication Daily (Publication active views) active views) Facebook /thesun Likes Likes 30000 Total 00 Twitter @TheSunNews Followers Followers 13500 Total paper 00

285

Annexe 5 : Audience de The Daily Mail.

Source : Newswork.co.uk, décembre 2017

Platform Source Measurement Measurem Delivery AVG ent2 Print ABC Circulation Circulation 138873 Daily 3 Print NRS Readership Adults 305200 Daily 0 Print NRS Readership ABC1 191200 Daily 0 Print NRS Readership C2DE 114000 Daily 0 PC ABC Unique browsers Unique 147034 Daily browsers 88 PC ABC Page impressions Page 143626 Daily impression 038 s PC NRS Readership Adults 698900 Monthl PADD 0 y PC NRS Readership 15-34 232600 Monthl PADD 0 y PC NRS Readership 35+ 466300 Monthl PADD 0 y Print & PC NRS Readership Adults 140150 Monthl PADD 00 y Print & PC NRS Readership 15-34 391600 Monthl PADD 0 y Print & PC NRS Readership 35+ 101000 Monthl PADD 00 y Print & PC NRS Readership Adults 310110 Monthl & Mobile PADD 00 y Tablet ABC PAV (Publication PAV (Publication Daily active views) active views) Facebook /DailyMai Likes Likes 130000 Total l 00 Twitter @mailonl Followers Followers 213000 Total ine 0

286 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Annexe 6 : Audience de The Times. Source : Newswork.co.uk, décembre 2017

Platform Source Measurement Measurement Delive AVG 2 ry Print ABC Circulation Circulation 44449 Daily 3 Print NRS Readership Adults 10550 Daily 00 Print NRS Readership ABC1 92200 Daily 0 Print NRS Readership C2DE 13300 Daily 0 PC ABC Unique Unique browsers Daily browsers PC ABC Page Page impressions Daily impressions PC NRS PADD Readership Adults 88100 Mont 0 hly PC NRS PADD Readership 15-34 22000 Mont 0 hly PC NRS PADD Readership 35+ 66100 Mont 0 hly Print & NRS PADD Readership Adults 40060 Mont PC 00 hly Print & NRS PADD Readership 15-34 11740 Mont PC 00 hly Print & NRS PADD Readership 35+ 28330 Mont PC 00 hly Print & NRS PADD Readership Adults 63750 Mont PC & 00 hly Mobile Tablet ABC PAV PAV 80282 Daily (Publication (Publication active views) active views) Faceboo /timesandsunda Likes Likes 70900 Total k ytimes 0 Twitter @thetimes Followers Followers 10500 Total 00

287

Annexe 7 : Sites web les plus visités en France. Source : ACPM, décembre 2017

Rang Sites Visites Visites Visites Pages Vues Pages totales Site Site Totales Vues / Web Web Visites Fixe Mobile 1 Orange.fr 32704 32704 2844172876 8,7 8088 8088 2 LeFigaro.fr 10254 51103 51439 250591764 2,4 3506 714 792 3 LeMonde.f 99666 51302 48363 302951303 3 r 406 942 464 4 L'Equipe.fr 87455 45178 42277 451189096 5,2 969 881 088 5 Tele- 78207 40271 37935 186139757 2,4 Loisirs.fr 051 495 556 6 Bfmtv.com 72990 16782 56207 135412785 1,9 099 984 115 7 20minutes. 66952 25594 41357 169280982 2,5 fr 071 323 748 8 Franceinfo 55675 27831 27844 95059275 1,7 .fr 342 331 011 9 LeParisien 55135 27693 27442 106342492 1,9 .fr 205 016 189 10 Ouest- 43867 24317 19549 208761210 4,8 france.fr 104 549 555 11 Doctissimo 39280 11683 27597 83931704 2,1 .fr 973 485 488 12 Ohmymag. 35228 47146 30513 76966909 2,2 com 225 84 541 13 Huffington 34999 12448 22551 54654010 1,6 post.fr 759 629 130 14 L'Obs.com 33680 17818 15862 78505798 2,3 494 234 260 15 Gentside.c 32413 60817 26331 59980080 1,9 om 689 81 908 16 Boursoram 31929 19841 12088 261382477 8,2 a.com 530 310 220 17 Femmeact 31252 17380 13872 106642610 3,4 uelle.fr 966 599 367 18 Lexpress.f 29953 14244 15709 61601059 2,1 r 934 232 702 19 Footmerca 29674 78318 21842 90420731 3,1 to.net 021 13 208 288 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

20 Gala.fr 27292 10645 16646 63756017 2,3 497 668 829

21 LePoint.fr 24933 11536 13396 63993366 2,6 213 214 999 22 Voici.fr 22807 87765 14031 58767803 2,6 749 44 205 23 Lachainem 22195 14565 76303 71185958 3,2 eteo.fr 449 124 25 24 Europe1.fr 20551 62299 14321 32092562 1,6 105 38 167 25 LesEchos. 20074 11717 83566 59219368 3 fr 106 495 11 26 01net.com 18434 12052 63819 62410334 3,4 585 608 77 27 Seloger.co 18362 18362 123309952 6,7 m 717 717 28 LCI.fr 17982 59608 12021 25902890 1,4 494 27 667 29 Sudouest.f 16100 78203 82798 48209731 3 r 169 58 11 30 Liberation. 14951 88823 60695 27428348 1,8 fr 953 99 54 31 Ledauphin 14791 59128 88784 41780788 2,8 e.com 232 26 06 32 Ladepech 13396 68514 65452 40854729 3,1 e.fr 723 57 66 33 ParisMatc 13187 47829 84043 89589459 6,8 h.com 320 66 54 34 Lavoixdun 13063 53041 77595 29409870 2,3 ord.fr 624 05 19 35 Actu.fr 12309 33660 89437 19110470 1,6 772 05 67 36 Cesoirtv.c 11862 29326 89298 24020895 2 om 457 45 12 37 Public.fr 11373 30790 82943 43311444 3,8 392 13 79 38 Arte.tv 11280 86217 26589 31775587 2,8 711 94 17 39 Leprogres. 10957 45873 63700 41939021 3,8 fr 387 44 43 40 Closermag 10660 76613 29986 30389992 2,9 .fr 054 75 79 41 Rfi.fr 10552 53192 52333 19361466 1,8 570 18 52

289

42 Logic- 10363 57947 45686 69773909 6,7 Immo.com 480 88 92 43 Medisite.fr 10238 50290 52097 24942372 2,4 841 63 78 44 Magicmam 98504 26303 72201 22075618 2,2 an.com 31 07 24 45 Planet.fr 97229 55907 41322 32714678 3,4 98 53 45 46 Topito.co 96114 46949 49165 18503135 1,9 m 37 12 25 47 Elle.fr 93721 41360 52360 59460294 6,3 13 18 95 48 Franceinte 92346 51269 41077 18092361 2 r.fr 14 02 12 49 Franceble 81647 37629 44018 11815251 1,5 u.fr 57 48 09 50 Marieclaire 81111 35970 45141 28272116 3,5 .fr 47 37 10

290 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Annexe 8 : liste des 150 premières chaînes YouTube au Royaume-Uni Source : Social Baker Octobre 2017 Nombre de Rang Genre Chaine Abonnés videos vues Blogger/Vlogg 16 512 11 161 1 er DanTDM 233 433 113 21 855 9 299 559 2 Musique Ed Sheeran 169 680 12 166 8 041 250 3 Musique CalvinHarrisVEVO 967 217 22 723 7 618 038 4 Musique OneDirectionVEVO 475 803 10 053 6 280 979 5 Musique Coldplay Official 469 950 15 372 6 273 350 6 Musique AdeleVEVO 988 320 5 738 415 7 TV Britain's Got Talent 8 262 403 419 4 780 796 8 TV The X Factor UK 5 835 450 514 Blogger/Vlogg 4 703 010 9 er Toys AndMe 6 944 397 995 4 464 029 10 TV DisneyJuniorUK 3 499 667 865 Média 4 182 308 11 d'information BBC 4 043 048 709 3 924 511 12 Musique EllieGouldingVEVO 7 670 504 516 Blogger/Vlogg 17 263 3 712 578 13 er KSI 453 719

Blogger/Vlogg YOGSCAST Lewis & 3 669 488 14 7 312 944 er Simon 407

3 212 255 15 Musique JessieJVEVO 6 451 515 999 Blogger/Vlogg 11 408 3 017 876 16 er W2S 989 422

291

2 895 747 17 Musique MarkRonsonVEVO 3 617 716 754 Blogger/Vlogg ComedyShortsGame 2 884 937 18 er r 8 570 219 840 2 870 871 19 Musique Clean Bandit 4 211 148 517 SamSmithWorldVEV 2 733 689 20 Musique O 5 771 302 195 2 729 761 21 Musique littlemixVEVO 7 684 207 905 2 704 174 22 Acteur/Actrice Mr. Bean 4 014 038 031 2 375 575 23 Jeux vidéo Ali-A 9 057 793 543 2 318 144 24 TV Disney UK 2 853 408 469 2 276 440 25 Musique Queen Official 3 390 745 258 2 218 031 26 TV DisneyChannelUK 2 222 290 385 Blogger/Vlogg Kiddyzuzaa - 2 013 629 27 er WildBrain 1 851 716 944 Blogger/Vlogg 10 029 2 003 926 28 er TheSyndicateProject 643 750 1 928 997 29 Musique Passenger 3 549 735 375 1 731 135 30 Musique UKF Dubstep 6 158 906 924 1 683 798 31 Jeux vidéo GameSpot 2 842 496 372 1 669 239 32 TV Top Gear 5 500 073 816 1 316 683 33 Jeux vidéo LDShadowLady 3 426 611 786 Blogger/Vlogg 12 517 1 290 490 34 er Vsauce 312 425 292 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

1 232 457 35 Musique Muse 2 062 803 416 1 232 257 36 Musique Conor Maynard 6 107 233 886

1 231 637 37 Web série The Slow Mo Guys 9 673 219 779 1 215 984 38 Musique NaughtyBoyVEVO 1 513 342 838 Blogger/Vlogg 1 134 099 39 er OfficialNerdCubed 2 590 960 587 Blogger/Vlogg 1 099 398 40 er ThatcherJoe 8 133 273 375

F2Freestylers - 1 090 463 41 Sport Ultimate Soccer 6 284 167 371 Skills Channel

Blogger/Vlogg 1 066 476 42 er Vikkstar123 4 126 877 731 Blogger/Vlogg 1 048 315 43 er HDCYT 351 130 931 Blogger/Vlogg 1 046 221 44 er TomSka 4 796 433 771 Blogger/Vlogg 12 039 1 028 892 45 er Zoella 346 083 Blogger/Vlogg 1 008 583 46 er DaveHax 3 470 850 797 973 223 47 Musique Gorillaz 2 713 110 929 935 487 48 Musique Link Up TV 795 520 660 Arctic 706 Official 919 49 Musique 2 459 221 Monkeys 557

910 731 50 Web série Simon's Cat 4 439 601 619 AmyWinehouseVEV O 907 796 51 Musique 1 196 526 092

293

Blogger/Vlogg 895 636 52 er Vikkstar123HD 3 009 401 767 890 655 53 Jeux vidéo SkinSpotlights 1 649 454 000 874 529 54 Musique Eagle Rock 677 693 017

002 Blogger/Vlogg TotalBiscuit, The 851 55 2 259 655 er Cynical Brit 420

Blogger/Vlogg 848 566 56 er Joe Weller 4 643 018 161 837 148 57 Musique MrRevillz 1 758 661 028 Capital FM Capital FM 836 788 58 Musique 1 818 182 146 836 150 59 Jeux vidéo GameSprout 2 568 364 446 Blogger/Vlogg 831 543 60 er MoreAliA 4 635 975 389 159 Cherlloydvevo 831 61 Musique 2 798 506 Cherlloydvevo 722

828 581 62 Autres ODE 263 306 359 827 716 63 Musique Dua Lipa 2 469 703 123 800 346 64 Musique UKF Drum & Bass 1 958 846 871 789 996 65 Réseau social ODN 393 662 395 762 453 66 Musique James Blun 1 238 673 250 760 673 67 Musique TaioCruzVEVO 706 580 468 746 604 68 Musique JohnNewmanVEVO 1 454 142 241 733 265 民視戲劇館 69 Communauté 403 694 133 294 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

711 890 70 Musique beegees 582 841 724 709 541 71 Musique georgemichaelVEVO 738 590 890 709 102 72 Cuisine Gordon Ramsay 4 705 991 313 Blogger/Vlogg 707 936 73 er MattHDGamer 2 137 388 595

706 138 74 Musique Dream English Kids 928 070 936 696 317 75 Musique BastilleVEVO 1 713 371 818 Blogger/Vlogg 694 956 76 er Daniel Howe 6 518 142 171 Blogger/Vlogg 687 384 77 er SACCONEJOLYs 1 830 361 262 664 429 78 Musique ThePoliceVEVO 522 175 605 660 137 79 Musique Madilyn Bailey 4 502 329 175 The Jeremy Kyle 655 302 80 TV Show 853 731 908 648 513 81 Musique Birdy 1 766 153 674 Blogger/Vlogg 643 569 82 er MoreZoella 4 765 406 097 634 568 83 Musique OllyMursVEVO 1 565 646 194 Blogger/Vlogg 624 898 84 er Sips 1 917 065 843 621 716 85 Musique leonalewisVEVO 614 132 932 FlorenceMachineVE 607 863 86 Musique VO 1 205 595 622 599 256 87 Musique DukeDumontVEVO 678 769 343 598 871 88 Musique XL Recordings 369 555 835

295

594 844 89 Musique officialcharlixcx 1 675 897 252 594 024 90 Musique robbiewilliamsvevo 625 953 463 598 Domino Recording 591 91 Musique 342 292 Co. 380

588 922 92 Musique Tinie Tempah 517 005 970

583 605 93 Musique RitaOraVEVO 1 425 386 850 Blogger/Vlogg 582 684 94 er colinfurze 5 430 178 374 579 265 95 Musique 3 Beat 458 488 341 Blogger/Vlogg 577 313 96 er JMX 2 376 136 460 Blogger/Vlogg 575 966 97 er TheGamingLemon 3 720 639 566 568 437 98 Musique SBTV: Music 919 840 363 559 505 99 TV Cartoon Network UK 754 639 336 558 017 100 Jeux vidéo Sjin 1 932 233 840 549 712 101 Jeux vidéo AdamzoneTopMarks 716 461 081 548 753 102 Jeux vidéo jackfrag 2 382 383 939 Blogger/Vlogg 515 432 103 er TWOSYNC 1 384 737 940 Blogger/Vlogg 502 371 104 er AmazingPhil 4 179 069 208 YearsAndYearsVEV O 492 794 105 Musique 1 139 686 542 Spiritman Productions 492 313 106 Musique 205 529 389 489 125 107 Musique thewantedVEVO 1 325 760 152 296 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

484 312 108 Jeux vidéo MrDalekJD 1 878 389 884 483 839 109 Musique JamesBayVEVO 1 085 241 856 Marques 526 de 480 110 Oasis 492 569 grande 738 consommation Blogger/Vlogg 478 958 111 er PointlessBlog 5 513 631 562 478 865 112 Jeux vidéo bowser12345 389 855 315

Blogger/Vlogg 477 883 113 er MoreTDM 3 047 665 049 476 864 114 Musique OasisVEVO 746 047 923 Blogger/Vlogg 475 070 115 er Jasmine Thompson 2 887 707 963 473 656 116 Media Journeyman Pictures 787 862 561 Universal 472 818 117 Cinéma Pictures UK 548 915 064 469 804 118 Jeux vidéo Gizzy Gazz 1 583 454 717 469 084 119 Sport GingerNinjaTrickster 762 698 083 468 756 120 Jeux vidéo NepentheZ 1 560 520 862 468 591 121 Musique Rudimental 798 443 300 467 074 122 Musique TheVampsVEVO 2 161 092 069 457 616 123 Musique RickAstleyVEVO 498 363 641 Média 457 031 124 d'information The Telegraph 274 124 471 Média 455 485 125 d'information Channel 4 Channel 4 435 490 584 434 320 126 Musique Lily Allen 618 779 338

297

431 987 127 Autres Jogwheel 845 100 556 Blogger/Vlogg 428 228 128 er FRANKIEonPC 3 580 920 472 423 138 129 Mode bubzbeauty 2 954 142 997 Blogger/Vlogg 422 679 130 er DanAndPhilGAMES 3 005 997 925 421 784 131 Jeux vidéo CBeebies 322 910 425 421 231 132 Musique GRM Daily 580 948 288 412 203 133 Autres Quirkology 2 129 199 565 134 Jeux vidéo Zerkaa 2 828 534 411 920 628

Blogger/Vlogg 409 951 135 er Life of Tom 2 575 471 398 Blogger/Vlogg 407 353 136 er Calfreezy 3 037 234 983 403 081 137 Musique SigalaVEVO 650 168 771 398 949 138 Sport talkSPORT 667 279 681 397 559 139 Mode Wayne Goss 3 039 133 460 397 277 140 Musique BMTHOfficialVEVO 1 659 300 071 387 029 141 Musique Marcus Butler 4 598 726 787 235 MyVoxSongs 383 142 Musique 358 769 Nursery Rhymes 258

380 497 143 Cinéma Hat Films 894 312 457 378 376 144 TV Teletubbies 597 095 731 375 833 145 Musique StingVEVO 373 874 692 375 098 146 Musique LabrinthVEVO 653 064 707 298 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

373 315 147 Musique HarryStylesVEVO 2 741 298 522 371 184 148 Musique DireStraitsVEVO 337 829 497 369 531 149 Musique KeaneVEVO 444 823 521 368 082 150 Cuisine Jamie Oliver 3 300 568 942

299

Annexe 9 : liste des 150 premières chaînes YouTube en France Source : Social Baker Octobre 2017

Nombre de Rang Genre Chaine Abonnés videos vues

8 768 358 1 Musique David Guetta 14 819 670 332 Blogger/Vlogg 4 030 890 2 er Squeezie 8 985 693 740 2 142 681 3 Musique MaitreGimsVEVO 3 786 194 871 1 778 956 4 Musique Monde des Titounis 1 636 327 355 1 771 205 5 Musique DJSnakeVEVO 5 641 132 731 Blogger/Vlogg 1 697 647 6 er Cyprien 11 390 569 638 Blogger/Vlogg 1 647 533 7 er Rémi Gaillard 6 418 747 503 Blogger/Vlogg Norman fait des 1 639 965 8 er vidéos 9 880 071 723 1 520 920 9 TV Nick Jr. 1 462 322 003 1 347 179 10 TV Cauet 2 930 084 346 1 272 438 11 TV Disney FR 1 245 763 156 300 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Universal Music 1 159 699 12 Musique 1 123 852 France 886

Blogger/Vlogg 1 062 720 13 er Studio Bubble Tea 1 068 997 864 1 040 197 14 Musique Soprano Officiel 1 831 662 008

Blogger/Vlogg 1 020 813 15 er Palmashow 2 865 688 686 1 001 395 16 Musique Scorpio Music 1 435 986 085 944 Disney Channel 944 17 TV 982 007 France 815

Comptines et 943 196 18 Musique chansons 774 406 856 Blogger/Vlogg 938 233 19 er Siphano 2 121 955 000 916 380 20 Musique KendjiGiracVEVO 1 682 177 954 911 822 21 Musique B2ObaOfficiel 2 049 005 600 899 098 22 Jeux vidéo LaSalle 2 164 364 547 Blogger/Vlogg 830 454 23 er Le Bled'Art 2 744 413 542 Blogger/Vlogg 806 192 24 er Tibo InShape 3 865 617 305 728 476 25 Media Disney Junior FR 747 940 531 717 223 26 Musique L'Algerino 1 991 006 349 Blogger/Vlogg 666 930 27 er Furious Jumper 1 594 530 789 658 975 28 Musique PNLmusik 2 124 872 992 654 716 29 Jeux vidéo FantaBobGames 1 802 808 500

301

Blogger/Vlogg 646 816 30 er Golden Moustache 2 914 008 730 614 968 31 Musique Mhd Officiel 1 921 207 155 590 431 32 Musique DaftPunkVEVO 2 299 219 813 575 962 33 Musique Happy Music 661 175 425 574 152 34 Musique LacrimMusicVEVO 1 679 584 089

Blogger/Vlogg 521 850 35 er Frigiel 1 726 004 598 518 742 36 TV Guillaume Pley 1 841 992 936 Blogger/Vlogg 516 281 37 er Joueur Du Grenier 2 940 502 258 Blogger/Vlogg 511 743 38 er Studio Bagel 3 106 160 437 Blogger/Vlogg 503 716 39 er Aypierre 1 442 815 359 Blogger/Vlogg 490 933 40 er Cyril Superkonar 2 677 788 894 475 815 41 TV Patrick Sébastien 387 023 164 Blogger/Vlogg 467 890 42 er Natoo 3 846 595 821 467 778 43 Musique sexiondassautVevo 747 752 510 465 494 44 Musique KaarisOfficielVEVO 1 418 126 938 SEXION D'ASSAUT 452 653 45 Musique 733 859 081 441 821 46 Jeux vidéo CBGames 1 016 731 175 Blogger/Vlogg 439 715 47 er LaFouineVEVO 1 162 074 692 Blogger/Vlogg 432 750 48 er EnjoyPhoenix 3 008 528 028 302 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

430 841 49 Musique Bébé Lilly 311 826 530 408 953 50 Musique Keen'V 715 231 121 Blogger/Vlogg 384 623 51 er TheKAIRI78 1 199 518 028 369 908 52 Jeux vidéo TheFantasio974 1 678 935 269 369 205 53 Communauté Famille Musulmane 697 677 981

157 Marque de 365 54 grande SEB 3 330 771 559 consommation

360 423 55 Radio SkyrockFM 868 722 677 352 341 56 Musique La Fouine 1 051 266 478 Universal 711 346 57 Cinéma Pictures 222 039 607 France 344 551 58 Musique colonelreyelofficiel 351 254 259 343 872 59 Musique ridsaofficiel 948 863 930 341 260 60 Musique Play On Label 504 304 502 339 317 61 Musique KungsVEVO 516 481 545 562 Wankil Studio - 324 62 Jeux vidéo 1 019 646 Laink et Terracid 815

323 728 63 Musique ANDY 3 213 124 620 Blogger/Vlogg 321 257 64 er sam zirah 652 677 828 402 Media de 318 65 Topito 1 301 700 divertissement 095

303

Blogger/Vlogg 313 850 66 er HugoPOSAY 2 575 509 108 313 689 67 Musique Tal Official 606 591 888 906 The Voice : la plus 306 68 TV 428 288 belle voix 017

305 171 69 Musique Sofiane Officiel 916 420 395 Blogger/Vlogg 302 659 70 er Mister V 4 039 269 972

Blogger/Vlogg 298 119 71 er Skyrroz 1 356 639 299 297 967 72 Musique ElectroPosé 887 897 322 Warner Bros. 287 649 73 Cinéma France 239 576 208 440 On n'demande qu'à 287 74 TV 307 226 en rire 747

286 400 75 TV Newtiteuf 1 018 930 028 284 290 76 TV Les Kassos 1 537 062 258 284 218 77 Musique ClubMusic80s 278 375 121 Blogger/Vlogg 275 805 78 er Mathieu Sommet 1 679 584 799 271 287 79 Musique Your Zouk TV 374 282 220 MyMajorCompany- 270 706 80 Musique Label 196 725 225 266 547 81 Streaming imineo.com 290 727 652 Blogger/Vlogg 265 221 82 er LaChaineDeJeremy 2 806 520 618 Un gars une fille | 262 678 83 TV Officiel 306 587 699 304 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

257 738 84 Musique Sara'h Officiel 1 177 820 455 Blogger/Vlogg 255 022 85 er VodK 1 756 544 284 DJHAMIDAOFFICI 254 029 86 Musique EL 554 822 300 174 20th Century Fox 251 87 Cinéma 197 347 France 602

On n'est pas 250 899 88 TV couché 260 213 685 Média 249 901 89 d'information FRANCE 24 469 978 183

248 528 90 Autres Parole de chat 937 071 094 WatchMojo Français 238 035 91 Autres 869 375 232 Blogger/Vlogg 235 930 92 er MrLEV12 ś LIFE 1 768 927 644 234 837 93 Musique CaravanPalace 663 388 129 233 836 94 Mode Sananas 1 884 496 633 Blogger/Vlogg 230 262 95 er Dr Nozman 1 920 185 136 229 620 96 Musique IlDivoVEVO 408 560 738 225 661 97 Mode Lilith Moon 1 471 770 318 224 660 98 Cinéma Trailers FR 372 188 780 Blogger/Vlogg 223 743 99 er Gonzaguetv 1 041 261 729 424 Paramount Pictures 220 100 Cinéma 127 383 France 223

219 463 101 Sport Ligue 1 Conforama 725 880 607 Média 213 900 102 d'information BFMTV 176 004 318

305

211 611 103 Autres No Comment TV 172 692 010 Média Euronews (en 211 147 104 d'information français) 204 663 568 Blogger/Vlogg 208 246 105 er Monsieur Seby 495 486 441 206 371 106 TV YANIS MARSHALL 1 407 338 771 204 474 107 Musique SHY'M 268 267 296 Blogger/Vlogg 201 791 108 er EnjoyVlogging 1 366 033 419 307 Blogger/Vlogg Nabil 'Aiekillu' 201 109 1 375 381 er Lahrech 351

Média 201 305 110 AFP news agency 160 344 d'information 243 Blogger/Vlogg 195 069 111 er Wass Freestyle 1 556 643 956 Blogger/Vlogg 193 527 112 er YoMax 860 872 948 188 242 113 Musique BOMAYEMUSIK 260 598 975 Blogger/Vlogg 184 546 114 er TutoDraw TutoDraw 983 624 329 Média 183 917 115 d'information France Inter 137 459 772 182 450 116 Musique Sadek 565 700 379 182 075 117 Cinéma SonyPictures 76 982 563 180 974 118 Musique zazVEVO 351 871 330 Blogger/Vlogg 179 223 119 er maxboublil 477 527 612 175 566 120 Autres Pratiks 303 104 670 Blogger/Vlogg 173 843 121 er Hugo Tout Seul 2 334 539 811 306 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

171 200 122 Musique WLAB 65 113 621 169 406 123 Cuisine 750g 566 984 700 169 239 124 Média AFP 139 770 326 Blogger/Vlogg 167 449 125 er Horia Horia 1 948 693 130 166 533 126 Mode Caroline 1 179 051 272 501 Blogger/Vlogg Learn French with 166 127 534 119 er Vincent 197

165 830 128 Média madmoiZelle 354 791 617 165 707 129 Musique Woodkid 475 060 786 163 593 130 Jeux vidéo WizGeekz 781 233 391 162 487 131 Électronique Samsung FR 84 707 227 160 169 132 Cinéma ParisFilmes 372 653 177 Blogger/Vlogg 160 059 133 er Jojol 1 154 443 760 159 733 134 Musique Madeon 652 767 236 158 851 135 Média Moto Journal 327 788 960 FRANCE 24 157 262 136 Média English 444 586 773 156 256 137 Jeux vidéo Naito75 740 677 435 156 070 138 Musique L.E.J 789 978 531 155 801 139 Musique JAINVEVO 303 180 724 155 799 140 Cinéma Metropolitan Films 63 869 375 155 354 141 Jeux vidéo JeuxActu 320 509 319 155 119 142 Radio Europe 1 114 277 981

307

Média 154 640 143 d'information Le grand JD 1 553 715 862 151 789 144 Musique Orelsan 634 685 004 150 112 145 Autres Piwi + 215 883 773 696 Les cinémas 149 146 Cinéma 118 724 Gaumont Pathé 993

Fédération 785 147 147 Sport Française de 506 263 Football 914 Blogger/Vlogg 147 315 148 er ❤Sandrea 1 130 985 055 143 963 149 Autres Booska-p.com 378 220 571 140 391 150 Mode Rose Carpet 1 105 292 792

Annexe 10 : liste des 150 premières chaînes YouTube en Suisse Source : Social Baker Octobre 2017

Nombre de Rang Genre Chaine Abonnés vidéos vues

428 362 1 Fitness Passion4Profession 1 899 834 682 246 814 2 Blogger/Vlogger Benoît - Diablox9 1 725 615 625 229 620 3 Musique IlDivoVEVO 408 560 738 196 172 4 Musique Swissbeatbox 552 078 051 182 592 5 Musique DJ BoBo 169 859 490 181 564 6 Blogger/Vlogger Julia Graf 792 796 571 125 607 7 Jeux vidéo Wartek 1 447 181 204 308 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

90 450 8 Musique SRF Musik 71 970 045 85 659 9 TV SRF The Voice 73 441 054 392 Média RTS - Radio 51 10 57 222 d'information Télévision Suisse 111

100 Marques de 41 11 grande Migros Migros 25 977 533 consommation

Schweizer 503 Média 38 12 Radio und 28 978 d'information 183 Fernsehen ISU Junior Grand 32 784 13 Sport Prix 41 622 695 Universal 949 26 14 Cinéma Pictures 6 199 408 Switzerland 26 870 15 Tourisme MySwitzerland 12 040 475

25 493 16 Autre Pro Infirmis 7 609 074 24 817 17 Streaming Netflix 201 552 402 802 International 24 18 Sport Hockey Federation 88 631 837 (FIH)

23 023 19 Média joiz 26 640 959 22 175 20 TV SRF Comedy 15 327 002 570 TCS Schweiz- 19 21 Automobile 7 325 Suisse-Svizzero 887

19 302 22 Streaming Viewster 223 805 237 WarnerBrosSwitzerl 19 040 23 Cinéma and 2 463 031

309

727 Média SWI swissinfo.ch - 18 24 14 727 d'information English - 259

de 556 Marques McDonald's - 17 25 grande 8 603 Switzerland 552 consommation

17 417 26 Électronique Samsung Schweiz 12 434 609 16 875 27 Tourisme Zurich Schweiz 1 848 428 13 478 28 Musique Müslüm 19 434 312 13 455 29 TV SRF DOK 20 070 885 938 Swiss International Air 12 30 Transport 27 528 Lines 394

12 812 31 TV SRF 3 9 296 153 Télécommunicati 12 780 32 ons Swisscom 14 103 503

12 261 33 TV SRF Virus 9 270 474 12 084 34 Transport SBB CFF FFS 8 826 641 11 930 35 Tourisme Graubünden 8 188 489 11 468 36 Musique Bastian Baker 32 936 516 11 384 37 TV Disney Schweiz 5 579 124 587 L'Oréal Paris 10 38 Cosmétique 3 841 Switzerland 117

10 532 39 Poste swisspost 4 155 753 Média Les archives de la 10 402 40 d'information RTS 0 529 310 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

de 142 Marques 10 41 grande Geberit 7 347 489 consommation

NIVEA Schweiz / 42 Cosmétique 2 186 9 707 066 Suisse

43 Média Blogbusters 5 365 8 782 408

44 Autres StimorolSwitzerland 595 8 601 806

45 Electronique Veeam 10 882 7 816 634

46 Assurance AXA Winterthur 1 182 7 537 658

47 Jeux vidéo Cauchemar 0 7 496 966

48 Sport Sauber F1 Team 51 291 7 431 588

49 Musique Alexander Rudin 8 227 7 264 564

50 TV SRF Kultur 16 124 7 183 517 Julia's Life Julia's 51 Blogger/Vlogger Life 97 192 7 043 885

Maybelline Schweiz 52 Mode 2 624 6 909 531 / Suisse Maybelline

Organisation International Labour 53 18 452 6 708 964 internationale Organization

54 Autres nouvo 5 748 6 353 392

55 Musique Jenny Kaufmann 62 368 6 305 953

56 Musique blAkeMusic 40 042 6 229 410

57 Science CERN 80 425 6 208 081

Pictet Wealth 58 Finance 0 6 130 545 Management

311

Lancôme 59 Cosmétique Schweiz/Suisse 1 016 5 959 458 Lancôme

Marques de 60 grande Mikado Sticks 596 5 881 384 consommation

Média 61 d'information NZZ Format 8 696 5 850 332 Télécommunicati 62 ons UPC Schweiz 1 653 5 766 613 AutoScout24Schwei 63 Automobile z 3 432 5 712 263 64 Tourisme FabTRAV 45 817 5 539 396

Marques de Ovomaltine Wander 65 1 047 5 412 605 grande AG consommation 66 Electronique Syneptic 7 070 5 288 726

Marques de 67 grande rivella 796 5 141 440 consommation

Marques Dr. Oetker de 68 SchweizSuisseSviz 612 5 111 660 grande zera consommation Média 69 d'information SRF Archiv 6 096 4 906 653 70 Cosmétique Roche 10 288 4 785 262

La Roche-Posay 71 Cosmétique 437 4 757 205 Schweiz/Suisse

72 Automobile Renault Suisse 885 4 604 450 312 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

73 Musique SEVEN 7 679 4 476 061

Marques de Leerdammer 74 grande 359 4 322 987 Schweiz consommation

75 Tourisme Visit Zurich 1 505 4 312 169

76 Musique Emmi 1 649 4 251 597

Tesla Schweiz 77 Automobile (Community 18 152 4 237 313 Channel)

78 Electronique Canon Schweiz 26 987 4 046 897

79 Média 20 Minuten 2 340 3 973 842

80 Sport Skating ISU 27 363 3 879 692

81 Automobile SEAT Switzerland 1 261 3 857 268

82 Assurance Suva Schweiz 2 459 3 764 123

Credit Suisse 83 Banque 1 099 3 763 893 Schweiz

84 Tourisme Davos Klosters 7 113 3 726 976

85 Acteur/actrice Peach Weber 2 269 3 676 597

86 Sport skierscup 3 465 3 663 833

Vichy 87 Cosmétique Schweiz/Suisse Vichy 484 3 637 257 Schweiz/Suisse

Marques de 88 grande Zweifel Chips 314 3 629 848 consommation

313

Generali 89 Assurance Switzerland 731 3 567 618

90 Blogger/Vlogger Fabian Doerig 31 043 3 566 903

91 Musique FarMoreTV 0 3 510 356

Zürcher 92 Banque 965 3 394 219 Kantonalbank

Télécommunicati 93 ons SunriseSpots 1 544 3 355 875 94 Assurance Die Mobilia 3 288 3 343 836

Marques de 95 grande IKEA Switzerla 3 457 3 251 939 consommation

el Marques de Mini Babyb 96 grande 1 498 3 226 055 Schweiz consommation

97 Electronique digitec.ch 2 494 3 153 482

98 ecommerce tutti.ch 1 018 3 107 765

PostAuto / / CarPostal / 99 Transport AutoPostale 1 128 2 973 888 PostBus

100 Musique Nora En Pure 17 745 2 880 353

101 ecommerce ricardo ch 991 2 810 659

102 TV Star TV 0 2 808 019

103 Sport Roger Federer 33 272 2 770 840

104 Musique Calanda 980 2 757 766

105 Culture ursusnadeschkin 3 322 2 739 173 314 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

106 Electronique BRACK.CH 536 2 735 793

107 Armée schweizerarmee 9 735 2 731 996

Marques de NESCAFÉ Dolce 108 grande Gusto Schweiz- 1 197 2 640 854 consommation Suisse-Svizzera

Marques de Nespresso 109 grande 895 2 526 669 Switzerland consommation

NIVEA MEN 110 Mode 559 2 494 958 Schweiz / Suisse

111 Automobile Ford Switzerland 779 2 463 335

Marques de 112 grande FREITAG 4 180 2 446 396 consommation

Marques de 113 grande Bally 0 2 311 546 consommation

Marques de 114 grande Cailler 735 2 306 612 consommation

115 Autres Elternplanet 16 115 2 295 164

116 Automobile BMW (Schweiz) AG 1 727 2 277 378

Marques de 117 grande ALDI SUISSE AG 557 2 249 612 consommation

315

118 Electronique QoQa Suisse 1 833 2 191 052

119 Assurance CSS Versicherung 1 177 2 189 313

120 Blogger/Vlogger KnackTV 5 800 2 171 258

Marques de 121 grande Cantadou Suisse 272 2 140 184 consommation

Marques de 122 grande SpecialTbyNestle 979 2 134 076 consommation

Marques de LINDT Maître 123 grande Chocolatier 308 2 128 222 consommation Switzerland

Média 124 d'information Tages Woche 842 2 122 532 125 Électronique ifolor 0 2 103 863

Média 126 LikeMag 3 979 2 089 512 d'entertainment

Marques de 127 grande Betty Bossi 3 768 2 080 799 consommation

Kiri Schweiz / Kiri Schweiz / 128 Suisse Kiri 304 2 060 343 Suisse Schweiz / Suisse

Organisation non 129 Solidar Suisse 565 2 052 773 gouvernementale

130 Education HSGUniStGallen 10 353 2 019 724 316 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

131 Autres Global InterGold TV 9 010 2 018 885

132 Transport Rhätische Bahn AG 3 094 1 990 543

Marques de 133 grande Lidl Schweiz 752 1 984 651 consommation

ImmoScout24Schw 134 Immobilier eiz 461 1 978 159 Men Expert 135 Mode Schweiz 137 1 900 282

136 Automobile MazdaSuisseSA 1 298 1 859 320

137 Média FM1Today 1 255 1 830 869

138 Musique diehochzeitsdjs 626 1 803 116

Marques de Feldschlösschen 139 grande 1 192 1 766 464 Getränke AG consommation

Média 140 d'information local.ch 381 1 727 294 141 Assurance Suva Suisse 1 970 1 718 574

142 Automobile Nissan Switzerland 731 1 694 397

Marques de 143 grande Kleenex 212 1 607 613 consommation

144 TV Géopolitis 0 1 574 297

145 Blogger/Vlogger Kristina Bazan 38 254 1 567 565

317

L'Oréal 146 Mode Professionnel 493 1 556 210 Schweiz/Suisse

147 Avocats watson 3 098 1 553 842

148 Autres Marvel Schweiz 846 1 550 297

149 Tourisme Zoo Zürich 1 662 1 547 993

Volkswagen 150 Automobile Switzerland 860 1 514 688

318 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Annexe 11 : liste des 150 premiers comptes Twitter au Royaume-Uni Source : Social Baker Octobre 2017

Pages Nombre de Rang Genre Profil Twitter suivies followers

997

BBC Breaking News 34 1 Média 3 (@BBCBreaking) 296

828 onedirection One 31 2 Musique Direction 3 924 566 (@onedirection)

236 Harry_Styles Harry 31 3 Musique Styles. 2 047 019 (@Harry_Styles)

109 Louis_Tomlinson 29 4 Musique Louis Tomlinson 3 811 040 (@Louis_Tomlinson)

Adele Adele 28 760 5 Musique (@Adele) 157 313 714 LiamPayne Liam 28 6 Musique 16 518 (@LiamPayne) 685

319

716 EmmaWatson 26 7 Acteur/Actrice Emma Watson 365 441 (@EmmaWatson)

702 zaynmalik zayn 24 8 Musique 2 262 (@zaynmalik) 677

coldplay 465 24 9 Musique Coldplay 1 512 539 (@coldplay)

505 BBCWorld BBC News 21 10 Média (World) 85 491 (@BBCWorld)

423 edsheeran Ed 20 11 Musique Sheeran 0 636 (@edsheeran)

866 Reuters Reuters Top 18 12 Média 1 063 News (@Reuters) 914

440 WayneRooney 16 13 Sport Wayne Rooney 435 898 (@WayneRooney)

089 premierleague 16 14 Sport Premier League 78 681 (@premierleague) 320 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

158 GarethBale11 15 15 Sport Gareth Bale 114 317 (@GarethBale11)

056 ManUtd Manchester 15 16 Sport 104 United (@ManUtd) 505

925 jk_rowling J.K. 12 17 Littérature Rowling 522 122 (@jk_rowling)

808 victoriabeckham 12 18 Célébrité Victoria Beckham 55 593 (@victoriabeckham)

780 rickygervais Ricky 12 19 Acteur/Actrice Gervais 1 204 490 (@rickygervais)

687 SimonCowell Simon 12 20 Acteur/Actrice Cowell 2 769 300 (@SimonCowell)

559 CalvinHarris Calvin 12 21 Musique Harris 3 706 906 (@CalvinHarris)

321

257 rustyrockets Russell 12 22 Politique Brand 347 857 (@rustyrockets)

802 Arsenal Arsenal FC 11 23 Sport 157 912 (@Arsenal) 268

598 richardbranson 11 24 Entrepreneur Richard Branson 3 842 926 (@richardbranson)

Blogger/Vlogg Zoella  Boo-ella 11 160 25 523 er  (@Zoella) 257

ChelseaFC Chelsea 10 449 26 Sport 252 FC (@ChelseaFC) 057

LittleMix Little Mix 10 210 27 Musique 30 958 (@LittleMix) 418

Caradelevingne 28 Modèle Cara Delevingne 1 044 9 887 894 (@Caradelevingne)

JKCorden James 29 Acteur/Actrice Corden 2 128 9 734 560 (@JKCorden)

rioferdy5 Rio 30 Sport Ferdinand 558 9 484 180 (@rioferdy5) 322 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

JessieJ 31 Musique Jessie J 36 8 909 605 (@JessieJ)

BBCNews BBC 32 Média News (UK) 99 8 835 036 (@BBCNews)

LFC Liverpool FC 33 Sport 387 034 8 747 970 (@LFC)

ollyofficial Olly Murs 34 Musique 2 982 7 790 147 (@ollyofficial)

CherLloyd Cher 35 Musique 11 239 7 614 531 Lloyd (@CherLloyd)

Fearnecotton fearne 36 Acteur/Actrice cotton 576 7 434 210 (@Fearnecotton)

hollywills Holly Blogger/Vlogg 37 Willoughby 275 7 387 180 er (@hollywills)

elliegoulding Ellie 38 Musique Goulding 565 7 156 549 (@elliegoulding)

TheXFactor The X 39 TV Factor 26 177 7 089 975 (@TheXFactor)

BBCSport BBC 40 Média 276 7 050 794 Sport (@BBCSport)

323

JeremyClarkson 41 Journaliste Jeremy Clarkson 176 6 978 529 (@JeremyClarkson)

jimmycarr Jimmy 42 Acteur/Actrice 317 6 900 901 Carr (@jimmycarr)

jamieoliver Jamie 43 Cuisine 4 361 6 895 858 Oliver (@jamieoliver)

guardian The 44 Média Guardian 1 112 6 839 242 (@guardian)

antanddec 45 Acteur/Actrice antanddec 648 6 677 186 (@antanddec)

GaryLineker Gary 46 Sport Lineker 889 6 660 495 (@GaryLineker)

danielhowell Daniel Blogger/Vlogg 47 Howell 755 6 610 471 er (@danielhowell)

simonpegg Pegg 48 Acteur/Actrice 0 6 560 838 News (@simonpegg)

RitaOra Rita 49 Musique Ora 1 734 6 535 174 (@RitaOra) 324 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

CherylOfficial Cheryl 50 Célébrité 948 6 369 065 (@CherylOfficial)

piersmorgan Piers 51 Journaliste Morgan 1 554 6 152 778 (@piersmorgan)

lilyallen Lily 52 Musique (@lilyallen) 1 802 5 963 896

GordonRamsay 53 Cuisine Gordon Ramsay 33 268 5 961 841 (@GordonRamsay)

AmazingPhil Phil Blogger/Vlogg 54 Lester 356 5 897 311 er (@AmazingPhil)

FinancialTimes 55 Média Financial Times 818 5 883 885 (@FinancialTimes)

jackwhitehall Jack 56 Acteur/Actrice Whitehall 646 5 707 282 (@jackwhitehall)

SkySportsNews Sky 57 Média Sports News 99 5 690 805 (@SkySportsNews)

JohnCleese John 58 Acteur/Actrice Cleese 192 5 650 178 (@JohnCleese)

325

Lord_Sugar Lord 59 Autres Sugar 1 803 5 412 964 (@Lord_Sugar)

Number10gov UK 60 Politique Prime Minister 802 5 393 342 (@Number10gov)

wossy Jonathan 61 Journaliste 8 397 5 385 109 Ross (@wossy)

AlanCarr Alan Carr 61 Acteur/Actrice 693 5 251 349 (@AlanCarr)

PointlessBlog Alfie Blogger/Vlogg 63 Deyes 344 5 116 181 er (@PointlessBlog)

Blogger/Vlogg Joe_Sugg Joe Sugg 64 2 642 5 089 587 er (@Joe_Sugg)

ManCity Manchester 65 Ville 54 985 5 054 937 City (@ManCity)

samsmithworld Sam 66 Musique Smith 1 282 4 979 640 (@samsmithworld)

LewisHamilton Lewis 67 Sport Hamilton 772 4 923 398 (@LewisHamilton) 326 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Camila_Cabello 68 Musique camila 16 652 4 793 654 (@Camila_Cabello)

eddieizzard Eddie 69 Acteur/Actrice Izzard 620 4 744 476 (@eddieizzard)

SkySports SkySports 70 Média (@SkySports) 508 4 588 919

71 Culture Tate Tate (@Tate) 1 221 4 497 429

GaryBarlow Gary 72 Musique Barlow 3 942 4 455 577 (@GaryBarlow)

iamjohnoliver John 73 Cuisine Oliver 101 4 446 619 (@iamjohnoliver)

Schofe Phillip 74 Journaliste 12 788 4 395 020 Schofield (@Schofe)

SkyNews Sky News 75 Média 11 4 340 343 (@SkyNews)

DesignMuseum 76 Culture Design Museum 2 378 4 312 990 (@DesignMuseum)

ChrisMoyles Chris 77 Journaliste Moyles 217 3 948 236 (@ChrisMoyles)

327

TheVampsband The 78 Musique Vamps 47 739 3 942 746 (@TheVampsband)

GNev2 Gary Neville 79 Sport 649 3 828 993 (@GNev2)

themichaelowen 80 Sport michael owen 706 3 826 192 (@themichaelowen)

IanMcKellen Ian 81 Acteur/Actrice McKellen 626 3 773 830 (@IanMcKellen)

Slash Slash 82 Musique (@Slash) 714 3 719 215

michkeegan michelle 83 Acteur/Actrice keegan 487 3 712 475 (@michkeegan)

andy_murray Andy 84 Sport Murray 141 3 693 771 (@andy_murray)

JohnBishop100 John 85 Acteur/Actrice Bishop 477 3 689 205 (@JohnBishop100)

lemontwittor Keith 86 Cinéma Lemon 3 290 3 687 357 (@lemontwittor) 328 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

JoshDevineDrums Josh Devine 87 Musique 10 989 3 656 537 (@JoshDevineDrum s)

JoeyEssex_ Joey 88 Célébrité Essex 367 3 593 057 (@JoeyEssex_)

PaulMcCartney Paul 89 Musique McCartney 16 3 568 180 (@PaulMcCartney)

BritishVogue British 90 Média Vogue 1 698 3 566 062 (@BritishVogue)

thebeatles The 91 Musique Beatles 368 287 3 557 825 (@thebeatles)

officialtulisa 92 Musique Tulisa 2 456 3 555 693 (@officialtulisa)

GemmaAnneStyles Gemma Styles 93 Célébrité 841 3 540 273 (@GemmaAnneStyl es)

SkySportsPL Sky 94 Média Sports PL  772 3 532 859 (@SkySportsPL)

ceracoat Dr Elio 95 Autres 1 446 3 522 746 Keller (@ceracoat)

329

Blogger/Vlogg KSIOlajidebt KSI 96 643 3 516 931 er (@KSIOlajidebt)

EleanorJCalder 97 Modèle Eleanor Calder 1 162 3 473 598 (@EleanorJCalder)

MarcusButler Blogger/Vlogg 98 Marcus Butler 490 3 431 922 er (@MarcusButler)

twhiddleston Tom 99 Acteur/Actrice Hiddleston 1 387 3 383 836 (@twhiddleston)

BillBailey Bill Bailey 100 Acteur/Actrice 792 3 340 405 (@BillBailey)

Wimbledon 101 Ville Wimbledon 370 3 331 107 (@Wimbledon)

Joey7Barton Joey 102 Sport Barton 854 3 296 986 (@Joey7Barton)

RoyalFamily The 103 Institution Royal Family 513 3 265 672 (@RoyalFamily)

104 Sport F1 Formula 1 (@F1) 58 3 235 000 330 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Charlottegshore 105 Célébrité Charlotte Crosby 3 806 3 211 776 (@Charlottegshore)

newscientist New 106 Média Scientist 78 3 158 082 (@newscientist)

LeighFrancis Leigh 107 Acteur/Actrice Francis 1 671 3 148 977 (@LeighFrancis)

England 108 Sport England 457 3 115 274 (@England)

FT Financial Times 109 Média 813 3 043 559 (@FT)

MayorofLondon 110 Institution Mayor of London 3 283 3 042 491 (@MayorofLondon)

RichardHammond Richard Hammond 111 Journaliste 141 3 020 263 (@RichardHammond )

MarkWright_ Mark 112 Célébrité Wright 546 3 014 038 (@MarkWright_)

Blogger/Vlogg TanyaBurr Tanya 113 780 3 009 665 er Burr (@TanyaBurr)

331

SonyPicsTeens 114 Cinéma Sony Pictures Teens 36 094 3 009 556 (@SonyPicsTeens)

SkyNewsBreak Sky 115 Média News Newsdesk 3 2 978 242 (@SkyNewsBreak)

MrJamesMay James 116 Journaliste May 232 2 972 868 (@MrJamesMay)

BBCR1 BBC Radio 1 117 Média 2 504 2 969 602 (@BBCR1)

DaniellePeazer 118 Danceuse Danielle Peazer 1 223 2 956 090 (@DaniellePeazer)

radioleary Dermot 119 Journaliste O'Leary 4 460 2 937 591 (@radioleary)

SirPatStew Patrick 120 Acteur/Actrice Stewart 213 2 917 861 (@SirPatStew)

JensonButton 121 Sport Jenson Button 207 2 906 580 (@JensonButton) 332 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

SoVeryBritish 122 Autres VeryBritishProblems 1 2 895 089 (@SoVeryBritish)

TomFelton Tom 123 Acteur/Actrice Felton 738 2 854 712 (@TomFelton)

guardiannews 124 Média Guardian news 1 295 2 808 266 (@guardiannews)

saatchi_gallery 125 Culture Saatchi Gallery 41 330 2 798 747 (@saatchi_gallery)

ProfBrianCox Brian 126 Science Cox 459 2 752 965 (@ProfBrianCox)

frankieboyle Frankie 127 Acteur/Actrice Boyle 727 2 744 428 (@frankieboyle)

guardiantech 128 Média Guardian Tech 22 692 2 735 667 (@guardiantech)

pinkfloyd Pink Floyd 129 Musique 259 2 696 728 (@pinkfloyd)

333

TravelMagazine The 130 Média Travel Magazine 723 2 678 594 (@TravelMagazine)

JackWilshere Jack 131 Sport Wilshere 373 2 670 168 (@JackWilshere)

TomDaley1994 Tom 132 Sport Daley 1 769 2 662 995 (@TomDaley1994)

neilhimself Nails 133 Littérature GHOULman 878 2 662 143 (@neilhimself)

aaronramsey Aaron 134 Sport Ramsey 119 2 638 118 (@aaronramsey)

robbiewilliams 135 Musique Robbie Williams 130 2 638 026 (@robbiewilliams)

TheRealAC3 Ashley 136 Sport Cole 458 2 604 672 (@TheRealAC3)

lottietommo Lottie Blogger/Vlogg 137 Tomlinson 2 305 2 604 418 er (@lottietommo) 334 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

MTVUK MTV 138 Média UK 11 508 2 567 021 (@MTVUK)

Blogger/Vlogg GazGShore GAZ 139 6 632 2 562 977 er (@GazGShore)

BBCMOTD Match of 140 Média the Day 98 2 497 660 (@BBCMOTD)

TimesFashion Times 141 Média Fashion 120 307 2 495 568 (@TimesFashion)

bbceastenders BBC 142 Média EastEnders 5 658 2 495 310 (@bbceastenders)

Nigella_Lawson 143 Journaliste Nigella Lawson 589 2 476 803 (@Nigella_Lawson)

RichardDawkins 144 Littérature Richard Dawkins 368 2 471 620 (@RichardDawkins)

camanpour 145 Journaliste Christiane Amanpour 151 2 459 271 (@camanpour)

335

Alex_OxChambo Alex Ox- 146 Sport 175 2 447 788 Chamberlain (@Alex_OxChambo)

JosephMorgan 147 Acteur/Actrice Joseph Morgan 216 2 445 504 (@JosephMorgan)

ProSyndicate Blogger/Vlogg 148 Tom  499 2 439 782 er (@ProSyndicate)

achrisevans Chris 149 Journaliste Evans 239 2 433 928 (@achrisevans)

muse muse 150 Musique (@muse) 4 2 421 626

336 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Annexe 12 : liste des 150 premiers comptes Twitter en France Source : Social Baker Octobre 2017

Pages Nombre de Rang Genre Profil Twitter suivies followers

davidguetta David 21 957 1 Musique Guetta 257 416 (@davidguetta)

MonsieurDream Blogger/Vlogg 2 Cyprien 553 7 696 917 er (@MonsieurDream)

gadelmaleh GAD 3 Humoriste 1 073 7 630 656 (@gadelmaleh)

lemondefr Le Monde 4 Média 504 7 525 823 (@lemondefr)

DebbouzeJamel 5 Comédien Jamel Debbouze 486 7 105 965 (@DebbouzeJamel)

Benzema Karim 6 Sport Benzema 59 6 945 636 (@Benzema)

NormanDesVideos Blogger/Vlogg Norman  7 892 6 557 126 er (@NormanDesVideo s)

337

kevadamsss Kev 8 Comédien Adams 761 5 830 402 (@kevadamsss)

MPokora Matt 9 Musique 531 5 562 142 Pokora (@MPokora)

PSG_inside PSG 10 Sport Officiel 100 5 550 968 (@PSG_inside)

Cyrilhanouna Cyril 11 Présentateur Hanouna 4 174 5 538 621 (@Cyrilhanouna)

12 Média TF1 TF1 (@TF1) 814 5 062 102

lequipe L'ÉQUIPE 13 Média 1 756 4 893 172 (@lequipe)

AntoGriezmann 14 Sport Antoine Griezmann 2 4 508 934 (@AntoGriezmann)

Blogger/Vlogg xSqueeZie Squeezie 15 392 4 291 275 er (@xSqueeZie)

lafouine78 16 Sport lafouine 2 437 4 241 671 (@lafouine78)

Blogger/Vlogg MisterVonline Mister 17 585 4 165 433 er V (@MisterVonline)

338 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

paulpogba Paul 18 Sport Pogba 15 4 083 636 (@paulpogba)

booba Booba 19 Musique 30 4 060 978 (@booba)

raphaelvarane 20 Sport Raphaël Varane 86 4 001 895 (@raphaelvarane)

naosejatrouxa kkkkkj 21 Autres 153 497 3 729 072 (@naosejatrouxa)

NRJhitmusiconly 22 Musique NRJ 1 991 3 708 106 (@NRJhitmusiconly)

TwitterFrance 23 Réseau social Twitter France 53 3 269 189 (@TwitterFrance)

equipedefrance 24 Sport Equipe de France 451 3 118 990 (@equipedefrance)

TPMP TPMP 25 TV 1 818 3 031 567 (@TPMP)

26 Média M6 M6 (@M6) 351 3 006 286

NRJ12lachaine NRJ 27 Média 12 882 2 963 382 (@NRJ12lachaine)

339

LeTour Le Tour de 28 Sport 660 2 912 476 France (@LeTour)

FRANCE24 29 Média FRANCE 24 449 2 906 838 (@FRANCE24)

canalplus 30 Média CANAL+ 997 2 888 981 (@canalplus)

shymofficiel 31 Musique Shy'm 278 2 878 272 (@shymofficiel)

afpfr Agence 32 Média France-Presse 1 351 2 863 239 (@afpfr)

Le_Figaro Le Figaro 33 Média 539 2 805 516 (@Le_Figaro)

cauetofficiel Cauet 34 TV Officiel 3 208 2 794 575 (@cauetofficiel)

libe Libération 35 Média 196 2 688 248 (@libe)

OmarSy Omar Sy 36 Acteur/Actrice 337 2 685 829 (@OmarSy)

SamNasri19 Samir 37 Acteur/Actrice Nasri Official 75 2 669 978 (@SamNasri19)

340 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Nabilla Nabilla 38 Célébrité 711 2 618 999 Benattia (@Nabilla)

LeVraiHoroscope Le Vrai Horoscope 39 Autre 119 2 588 145 (@LeVraiHoroscope )

amel_bent Amel 40 Musique 723 2 547 300 Bent (@amel_bent)

France24_fr FRANCE 24 41 Média 1 371 2 539 977 Français (@France24_fr)

OM_Officiel 42 Sport Olympique Marseille 111 2 534 136 (@OM_Officiel)

VogueParis Vogue.fr 43 Média 0 2 510 494 (@VogueParis)

MichaelYoun 44 Acteur/Actrice Michael Youn 429 2 438 213 (@MichaelYoun)

viedemerde 45 Autre VDM 116 2 416 216 (@viedemerde)

20Minutes 20 46 Média Minutes 1 470 2 310 359 (@20Minutes)

341

France2tv France 2 47 Média 1 304 2 308 215 (@France2tv)

Sopranopsy4 48 Musique Soprano 23 2 296 809 (@Sopranopsy4)

BFMTV BFMTV 49 Média 481 2 270 018 (@BFMTV)

MaitreGims Maître 50 Média GIMS 30 2 264 631 (@MaitreGims)

PierreMenes Pierre 51 Journaliste Ménès 409 2 221 953 (@PierreMenes)

mediapart Mediapart 52 Média 1 526 2 181 104 (@mediapart)

TalOfficial T A L ☮ 53 Musique 11 106 2 179 457 (@TalOfficial)

EmmanuelMacron Emmanuel 54 Politique Macron 655 2 155 380 (@EmmanuelMacro n)

tonyparker Tony 55 Sport Parker 119 2 151 622 (@tonyparker)

342 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

ThierryHenry Thierry 56 Sport Henry 54 2 106 830 (@ThierryHenry)

Arthur_Officiel 57 TV Arthur_Officiel 6 478 2 088 165 (@Arthur_Officiel)

Mdelormeau 58 TV Matthieu Delormeau 7 555 2 087 343 (@Mdelormeau)

fhollande François 59 Politique Hollande 1 546 2 086 280 (@fhollande)

MATUIDIBlaise 60 Sport Blaise Matuidi 89 2 073 541 (@MATUIDIBlaise)

_OlivierGiroud_ 61 Sport Olivier Giroud 63 2 035 272 (@_OlivierGiroud_)

le_Parisien Le 62 Média Parisien 910 1 961 509 (@le_Parisien)

rolandgarros 63 Sport Roland-Garros 482 1 950 531 (@rolandgarros)

343

pauldarbos Paul Blogger/Vlogg 64 Darbos 10 837 1 925 219 er (@pauldarbos)

65 Ville Paris Paris (@Paris) 2 208 1 910 139

NicolasSarkozy 66 Politique Nicolas Sarkozy 15 708 1 886 769 (@NicolasSarkozy)

dubosc_franck 67 Comédien franckdubosc 31 1 882 528 (@dubosc_franck)

JeanLucLemoine Jean-Luc Lemoine 68 Comédien 1 336 1 846 920 (@JeanLucLemoine )

MalikBentalha Malik 69 Comédien Bentalha 2 026 1 846 096 (@MalikBentalha)

Elysee Élysée 70 Institution 263 1 796 284 (@Elysee)

MLP_officiel Marine 71 Politique Le Pen 4 165 1 780 809 (@MLP_officiel)

jeremstar Blogger/Vlogg 72 JEREMSTAR 12 1 757 033 er (@jeremstar)

344 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

b_giabiconi Baptiste 73 Célébrité Giabiconi 8 174 1 701 850 (@b_giabiconi)

nikosaliagas Nikos 74 TV Aliagas 57 792 1 672 668 (@nikosaliagas)

Amelie_Officiel Blogger/Vlogg 75 Amélie Neten 891 1 649 396 er (@Amelie_Officiel)

76 Média RFI RFI (@RFI) 613 1 619 232

SemounElie elie 77 Comédien semoun 53 1 613 734 (@SemounElie)

alejodorowsky Alejandro 78 Cinéma 72 1 581 318 Jodorowsky (@alejodorowsky)

CamilleCombal 79 Journaliste Camille Combal 509 1 572 062 (@CamilleCombal)

Rue89 Rue89 80 Média 245 1 539 062 (@Rue89)

jeromejarre Blogger/Vlogg 81 JÉRÔME JARRE 9 624 1 538 293 er (@jeromejarre)

345

ECavaniOfficial Edi 82 Sport Cavani Official 52 1 533 389 (@ECavaniOfficial)

JohnnySjh Johnny 83 Musique Hallyday 743 1 524 307 (@JohnnySjh)

JPGaultier Jean Paul 84 Mode Gaultier 767 1 493 328 (@JPGaultier)

JLMelenchon 85 Politique JeanLuc Mélenchon 5 127 1 490 670 (@JLMelenchon)

KarlLagerfeld KARL 86 Mode LAGERFELD 63 1 486 703 (@KarlLagerfeld)

Hugotoutseul Hugo Blogger/Vlogg 87 Tout Seul 836 1 481 100 er (@Hugotoutseul)

HappiesFr Happie's 88 Média 460 1 474 070 (@HappiesFr)

max_boublil Max Blogger/Vlogg 89 Boublil 282 1 456 245 er (@max_boublil)

346 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

GhoulamFaouzi ghoulam 90 Sport 93 1 420 968 faouzi (@GhoulamFaouzi)

KathieLGifford 91 Célébrité Kathie Lee Gifford 965 1 398 061 (@KathieLGifford)

mamadousakho Mamadou 92 Sport 298 1 387 612 Sakho (@mamadousakho)

TheVoice_TF1 The 93 TV Voice Officiel 787 1 379 047 (@TheVoice_TF1)

Blogger/Vlogg enjoyphoenix Marie 94 801 1 362 630 er ♡ (@enjoyphoenix)

kenzafarah Kenza 95 Musique Farah 35 1 357 138 (@kenzafarah)

palmashow Blogger/Vlogg 96 PALMASHOW 206 1 355 853 er (@palmashow)

OL Olympique 97 Sport 1 164 1 355 054 Lyonnais (@OL)

347

lucbesson Luc 98 Cinéma Besson 67 1 350 339 (@lucbesson)

Eurosport_FR 99 Média Eurosport.fr 1 850 1 340 772 (@Eurosport_FR)

omar_fred 100 Comédien omaretfred 122 1 331 194 (@omar_fred)

youssouphamusik Youssoupha 101 Musique 313 1 330 796 (@youssouphamusi k)

manuchao Manu 102 Musique 14 1 327 491 Chao (@manuchao)

Europe1 Europe 1 103 Média 3 544 1 313 743 (@Europe1)

Anne_Hidalgo Anne 104 Politique Hidalgo 17 132 1 313 343 (@Anne_Hidalgo)

ActuFoot_ Actu Foot 105 Média 60 1 308 283 (@ActuFoot_)

GIRACKENDJI 106 Musique Kendji Girac 2 947 1 285 091 (@GIRACKENDJI)

348 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

franceinter France 107 Média 4 499 1 283 223 Inter (@franceinter)

AFP AFP news 108 Média 557 1 279 635 agency (@AFP)

109 Média lobs L'Obs (@lobs) 313 1 251 951

LEXPRESS 110 Média L'Express 667 1 245 397 (@LEXPRESS)

MuseeLouvre 111 Culture Musée du Louvre 2 484 1 242 771 (@MuseeLouvre)

beinsports_FR beIN 112 Média SPORTS 2 916 1 238 272 (@beinsports_FR)

ELLEfashion 113 Média ELLEfashion 251 1 190 290 (@ELLEfashion)

EnoraMofficiel 114 Célébrité Enora Malagré 633 1 185 387 (@EnoraMofficiel)

Bmesrimes 115 Musique BLACK.M 573 1 180 454 (@Bmesrimes)

349

ParisMatch Paris 116 Média Match 998 1 177 653 (@ParisMatch)

franceinfo franceinfo 117 Média 1 284 1 168 209 (@franceinfo)

nekfeu Feu 118 Musique (@nekfeu) 675 1 161 268

LouisSerge 119 Entrepreneur LouisSerge 78 189 1 153 043 (@LouisSerge)

lesinrocks les 120 Média inrocks 425 1 141 744 (@lesinrocks)

10APG Gignac 121 Sport Andre-pierre 1 473 1 136 725 (@10APG)

tweetsamoureux 122 Autres Tweets Amoureux 9 1 130 566 (@tweetsamoureux)

Blogger/Vlogg Seb_Frit Sébastien 123 696 1 125 876 er Frit (@Seb_Frit)

CyprienGaming Blogger/Vlogg 124 Cyprien Gaming 27 1 116 739 er (@CyprienGaming)

KeenvOfficiel 125 Musique Keen'V 4 550 1 103 425 (@KeenvOfficiel) 350 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

Orel_san 126 Musique OrelSan 1 296 1 099 672 (@Orel_san)

CapucineAnav 127 Célébrité Capucine Anav 443 1 098 891 (@CapucineAnav)

sexiondassaut 128 Musique Sexion d Assaut WA 40 1 097 820 (@sexiondassaut)

CNEWS CNEWS 129 Média 550 1 097 731 (@CNEWS)

warnerbrosfr Warner 130 Cinéma Bros FR  688 1 091 423 (@warnerbrosfr)

bchameroy Bertrand 131 Journaliste Chameroy 1 879 1 084 398 (@bchameroy)

AnthonyMartial 132 Sport Anthony Martial 45 1 075 755 (@AnthonyMartial)

LPJofficiel Le Petit 133 Média Journal 504 1 073 337 (@LPJofficiel)

LesEchos Les 134 Média 500 1 069 929 Echos (@LesEchos)

351

DeezerFR Deezer 135 Musique France 12 849 1 056 678 (@DeezerFR)

ARTEfr ARTE 136 Média 2 118 1 053 809 (@ARTEfr)

JournalDuGeek Le 137 Média Journal du Geek 1 156 1 048 580 (@JournalDuGeek)

francediplo 138 Institution FranceDiplomatie’ 1 710 1 022 676 (@francediplo)

FCBalletTheatre ★ Francesco Costanzo 139 Autres 14 972 1 020 216 ★ (@FCBalletTheatre)

UbisoftFR Ubisoft 140 Jeux videos France 157 1 011 488 (@UbisoftFR)

LeHuffPost Le 141 Média HuffPost 2 062 1 009 077 (@LeHuffPost)

ObispoPascal 142 Musique pascal obispo 871 086 999 193 (@ObispoPascal) 352 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

TerryBrival TERRY 143 Musique BRIVAL 1 560 987 052 (@TerryBrival)

nicolas88batum 144 Sport Nicolas Batum 668 978 068 (@nicolas88batum)

tsonga7 Jo-Wilfried 145 Sport 99 969 029 Tsonga (@tsonga7)

Madamefigaro 146 Média Madame Figaro 236 968 212 (@Madamefigaro)

CentrePompidou 147 Culture Centre Pompidou 585 968 116 (@CentrePompidou)

AnaisCSS7 Anaïs 148 Célébrité Camizuli 383 962 304 (@AnaisCSS7)

PatrickBruelOff 149 Musique Patrick Bruel 189 952 144 (@PatrickBruelOff)

Shannakress83 150 Célébrité Shanna Kress 555 936 135 (@Shannakress83)

353

Annexe 12 : liste des 150 premiers comptes Twitter en Suisse Source : Social Baker Octobre 2017

Nombre Pages Rang Genre Profil Twitter de suivies followers

rogerfederer Roger 1 Sport Federer 80 9 755 229 (@rogerfederer)

DRJAMESCABOT DR JAMES CABOT 2 Musique 153 693 4 102 203 (@DRJAMESCABO T)

NVPMexico Non 3 Politique Violence 579 2 540 700 (@NVPMexico)

SeppBlatter Joseph 4 Sport S Blatter 288 2 514 755 (@SeppBlatter)

CERN CERN 5 Science 404 2 468 484 (@CERN)

Organisation ICRC ICRC 6 720 2 101 960 internationale (@ICRC)

stanwawrinka 7 Sport Stanislas Wawrinka 587 1 582 475 (@stanwawrinka)

354 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

WWECesaro 8 Sport Cesaro 170 1 496 848 (@WWECesaro)

26_DaniPedrosa 9 Sport Dani Pedrosa 136 947 232 (@26_DaniPedrosa)

GokhanInler 10 Sport Gökhan Inler 106 937 473 (@GokhanInler)

WaRTeK Anil 11 Blogger/Vlogger 483 924 073 (@WaRTeK)

orqlabohemia Ricky 12 Acteur/Actrice Love 803 655 913 (@orqlabohemia)

XS_11official 13 Sport Xherdan Shaqiri 98 646 069 (@XS_11official)

ouiiiiii_nadege 14 Acteur/Actrice Nadège Lacroix 977 571 328 (@ouiiiiii_nadege)

ArtBasel Art Basel 15 Culture 978 554 652 (@ArtBasel)

SauberF1Team 16 Sport Sauber F1 Team 344 553 987 (@SauberF1Team)

355

f_cancellara Fabian 17 Sport cancellara 351 529 801 (@f_cancellara)

swissmiss Tina Roth 18 Design Eisenberg 950 481 038 (@swissmiss)

Benoitdx9 19 Blogger/Vlogger Benoit 1 011 435 943 (@Benoitdx9)

20min 20 Minuten 20 Media 363 385 214 (@20min)

NZZ Neue Zürcher 21 Media 2 447 371 580 Zeitung (@NZZ)

rhnchmd Reihan 22 Blogger/Vlogger Achmad 326 345 788 (@rhnchmd)

swiss_mail Swiss 23 Poste Post Services 39 687 336 271 (@swiss_mail)

ValonBera Valon 24 Sport Behrami 388 320 204 (@ValonBera)

Organisation 25 wto WTO (@wto) 401 303 446 internationale

356 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

UNGeneva UN Organisation 26 Geneva 1 307 297 560 internationale (@UNGeneva)

JohanDjourou 27 Sport Johan Djourou 371 282 414 (@JohanDjourou)

NetflixDE NetflixDE 28 Streaming 828 278 146 (@NetflixDE)

Laragut Lara Gut 29 Sport 366 262 533 (@Laragut)

Blickch Blick 30 Media (@Blickch) 946 239 909

FlySWISS Swiss Intl 31 Transport Air Lines 390 236 769 (@FlySWISS)

Bastian_Baker 32 Musique Bastian Baker 201 229 648 (@Bastian_Baker)

jltrachsel Trachsel 33 Entrepreneur Jean-Luc 214 701 226 762 (@jltrachsel)

Organisation gmc_gm GMC 34 32 594 224 899 internationale (@gmc_gm)

UCI_cycling UCI 35 Sport 522 221 426 (@UCI_cycling)

357

UNAIDS Organisation 36 UNAIDS 1 698 213 236 internationale (@UNAIDS)

mhingis Martina 37 Sport 97 205 014 Hingis (@mhingis)

RomeoMicev 38 Entrepreneur Romeo Micev 207 431 200 093 (@RomeoMicev)

thevolves 39 Autre Ƹ̵Ӝ̵ ̵̨̄ƷJhiéssKriég® 161 961 197 181 (@thevolves)

viktorgiacobbo 40 Auteur Viktor Giacobbo 793 186 895 (@viktorgiacobbo)

blickamabend Blick 41 Media am Abend 3 445 183 755 (@blickamabend)

RadioTeleSuisse RTS 42 Media (@RadioTeleSuisse 464 176 549 )

GlobalFund The Organisation 43 Global Fund 3 733 173 437 internationale (@GlobalFund)

44 Media srf3 SRF 3 (@srf3) 231 171 893 358 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

kreshuu 45 Blogger/Vlogger Kreshii 169 166 323 (@kreshuu)

tagesanzeiger 46 Media Tages-Anzeiger 1 146 165 564 (@tagesanzeiger)

Federation Organisation 47 IFRC 1 061 163 597 internationale (@Federation)

Organisation 48 IATA IATA (@IATA) 865 157 329 internationale

Jgomeznoya Javi 49 Sport Gomez Noya 254 155 526 (@Jgomeznoya)

5PiecesGallery 5 50 Culture Pieces Gallery 128 150 154 015 (@5PiecesGallery)

Tsoukalos Giorgio 51 Celebrite A. Tsoukalos 326 149 856 (@Tsoukalos)

ThaboSefolosha 52 Sport Thabo Sefolosha 219 143 556 (@ThaboSefolosha)

MrAdamGW Le 53 Blogger/Vlogger Farfadet 207 136 710 (@MrAdamGW)

359

Sebastien_buemi Sébastien Buemi 54 Sport 254 128 491 (@Sebastien_buemi )

efsavoia Emanuele 55 Celebrite Filiberto 321 128 139 (@efsavoia)

Couleur3 Couleur3 56 Media 835 122 225 (@Couleur3)

roger_fed Roger 57 Sport Federer 1 120 753 (@roger_fed)

MontreuxJazz 58 Culture MontreuxJazzFestiv 1 430 119 543 al (@MontreuxJazz)

SFV_ASF 59 Sport nationalteams_SFV 259 116 393 ASF (@SFV_ASF)

RTSinfo 60 Media RTSinfo 324 116 026 (@RTSinfo)

Organisation UNCTAD UNCTAD 61 803 115 925 internationale (@UNCTAD)

Organisation iocmedia IOC 62 554 114 899 internationale MEDIA (@iocmedia)

360 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

saveourseas Save 63 Politique Our Seas 1 274 111 675 (@saveourseas)

FC_Basel FC Basel 64 Sport 57 111 336 1893 (@FC_Basel)

Marques de migros Migros 65 grande 1 145 109 740 (@migros) consommation

quentinmosimann MOSIMANN 66 Musique 1 573 108 901 (@quentinmosiman n)

watson_news 67 Media watson News 4 003 107 472 (@watson_news)

PJenningsUNI Philip 68 Acteur/Actrice Jennings 948 104 567 (@PJenningsUNI)

20min_digital 20 69 Media Minuten Digital 517 103 727 (@20min_digital)

jessicab Jessica B. 70 Mode Creation 2 619 101 193 (@jessicab)

Organisation 71 ilo ILO (@ilo) 1 367 99 860 internationale

361

Lematinch Le Matin 72 Media 2 409 99 504 (@Lematinch)

PajtimKasami Pajtim 73 Sport Kasami 121 98 859 (@PajtimKasami)

DukascopyFX 74 Finance Dukascopy Signals 73 061 98 588 (@DukascopyFX)

75 Media SRF SRF (@SRF) 227 98 003

Organisation CICR_fr CICR 76 644 96 889 internationale (@CICR_fr)

SoWonderfulEDM So Wonderful 77 Musique 75 320 96 827 (@SoWonderfulED M)

DCD_AG_ENGLISH DCD AG, 78 Finance Switzerland 27 699 96 290 (@DCD_AG_ENGLI SH)

swissteam Swiss 79 Sport Olympic Team 405 95 141 (@swissteam)

PlaySwiss 80 Blogger/Vlogger PlaySwiss 741 88 519 (@PlaySwiss)

362 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

KongoloTerence 81 Sport Terence Kongolo 70 87 697 (@KongoloTerence)

Nikhartmann Nik 82 Journaliste Hartmann 1 150 86 072 (@Nikhartmann)

Schumperli Pascal 83 Entrepreneur Schumperli 102 85 638 (@Schumperli)

tdgch Tribune de 84 Media 326 81 959 Genève (@tdgch)

facehunter Yvan 85 Photographe Rodic 1 971 81 395 (@facehunter)

CindyTraining Cindy 86 Fitness Landolt 526 81 298 (@CindyTraining)

alain_berset Alain 87 Politique Berset 912 79 054 (@alain_berset)

MySwitzerland_e Switzerland Tourism 88 Tourisme 913 77 314 (@MySwitzerland_e )

363

20minutesOnline 20 minutes 89 Media 134 75 936 (@20minutesOnline )

ATLASexperiment ATLAS Experiment 90 Science 287 71 934 (@ATLASexperime nt)

BelindaBencic 91 Sport Belinda Bencic 331 69 929 (@BelindaBencic)

fisalpine FIS Alpine 92 Sport 459 69 471 (@fisalpine)

RailService 93 Transport RailService. 223 66 692 (@RailService)

RebellionRacing 94 Sport Vaillante Rebellion 1 099 66 175 (@RebellionRacing)

LichtsteinerSte 95 Sport Stephan Lichtsteiner 29 64 932 (@LichtsteinerSte)

Professionnels 96 iA iA Inc. (@iA) 294 63 691 du marketing

thelnino22 nino 97 Sport niederreiter 461 60 341 (@thelnino22)

364 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

murokoma Rob 98 Sport Konrad 6 58 983 (@murokoma)

hellojuliagraf Julia 99 Blogger/Vlogger Graf 123 55 449 (@hellojuliagraf)

20min_sportnews 20 Minuten Sport 100 Media 476 54 519 (@20min_sportnew s)

Twiplomacy 101 Science Twiplomacy  5 101 52 048 (@Twiplomacy)

gymnastics FIG 102 Sport 649 50 894 (@gymnastics)

FIM_live FIM 103 Musique 327 50 577 (@FIM_live)

JOIZTV joiz 104 Autre 2 843 49 672 Schweiz (@JOIZTV)

TimeaOfficial Timea 105 Sport Bacsinszky 154 47 639 (@TimeaOfficial)

youseftv Yousef 106 Entrepreneur Gamal El-Din 1 005 46 239 (@youseftv)

365

FilmFestLocarno 107 Culture Locarno Festival 3 691 46 031 (@FilmFestLocarno)

fabianschaer Fabian 108 Sport Schär 43 44 639 (@fabianschaer)

PatrickChareyre Professionnels 109 Patrick Chareyre 11 985 44 611 du marketing (@PatrickChareyre)

Swisscom_de Telecommunicati 110 Swisscom AG 450 43 951 ons (@Swisscom_de)

Zurich Zurich 111 Assurances 2 815 43 739 Insurance (@Zurich)

iborganization IB 112 Education official 1 699 42 914 (@iborganization)

CMSexperiment CMS Experiment 113 Science 8 42 652 CERN (@CMSexperiment)

RTSinfolive 114 Media RTSinfolive 289 41 382 (@RTSinfolive)

366 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

mbanzi Massimo 115 Entrepreneur 657 40 895 Banzi (@mbanzi)

lenouvelliste Le 116 Media Nouvelliste 1 40 488 (@lenouvelliste)

ISU_Figure ISU 117 Sport Figure Skating 671 39 726 (@ISU_Figure)

bazonline Basler 118 Media Zeitung 47 39 551 (@bazonline)

jonnywilde Jon Wilde | 119 Journaliste JWGP 4 060 39 173 (@jonnywilde)

de Marques BALLY_SWISS 120 grande BALLY 657 39 172 consommation (@BALLY_SWISS)

WorldRowing World 121 Sport Rowing 1 002 38 814 (@WorldRowing)

Kayture Kristina 122 Blogger/Vlogger 487 37 871 Bazan (@Kayture)

367

nschurter Nino 123 Sport Schurter 245 37 092 (@nschurter)

tageswoche 124 Sport TagesWoche 1 014 33 875 (@tageswoche)

spschweiz SP 125 Politique Schweiz 988 33 614 (@spschweiz)

EF EF Education 126 Education 467 33 552 First (@EF)

essence_DE essence 127 Mode cosmetics 390 33 428 (@essence_DE)

MySwitzerland_d Schweiz Tourismus 128 Tourisme 1 248 33 193 (@MySwitzerland_d )

de Marques fnac_suisse Fnac 129 grande Suisse 29 31 842 consommation (@fnac_suisse)

EPFL EPFL 130 Education (@EPFL) 885 31 607

Marques de NikeDe Nike DE 131 grande 257 29 624 (@NikeDe) consommation 368 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

jeromevalcke 132 Sport Jérôme Valcke 118 29 280 (@jeromevalcke)

ALICEexperiment ALICE Experiment 133 Science 45 28 504 (@ALICEexperimen t)

BSC_YB BSC 134 Sport Young Boys 56 28 111 (@BSC_YB)

RenePetry Rene Professionnels 135 Petry 【 ツ 】 439 27 360 du marketing (@RenePetry)

diaz_raphael_61 136 Sport Raphael Diaz 75 27 312 (@diaz_raphael_61)

MySwitzerland_i 137 Tourisme Svizzera Turismo 763 25 909 (@MySwitzerland_i)

SwissRe 138 Assurances SwissRe 1 482 25 006 (@SwissRe) viewster 139 Streaming Viewster 5 942 24 815 (@viewster)

369

greenpeace_ch Organisation 140 Greenpeace.ch 383 24 124 internationale (@greenpeace_ch)

News_SFL 141 Sport SwissFootballLeagu 116 23 980 e (@News_SFL)

IMD_Bschool IMD 142 Education business school 769 23 459 (@IMD_Bschool)

LHCbExperiment LHCb Experiment 143 Science 3 22 641 (@LHCbExperiment )

GrantXhaka Granit 144 Sort Xhaka 0 22 261 (@GrantXhaka)

nick_luethi Nick 145 Journaliste Lüthi ✎ 1 453 21 809 (@nick_luethi)

ETH ETH 146 Education Zürich 287 21 704 (@ETH)

UBSschweiz UBS 147 Banque Schweiz 62 21 572 (@UBSschweiz) 370 Les évolutions des entreprises de presse traditionnelle face au numérique – études de trajectoires britanniques, françaises et suisses autour de l’exploitation de la donnée.

ThBenkoe Bö | 148 Journaliste Thomas Benkö ☠ 2 003 21 367 (@ThBenkoe)

UNIGEnews Université de 149 Education 946 21 277 Genève (@UNIGEnews)

swiss_tennis Swiss 150 Sport Tennis 397 21 151 (@swiss_tennis)