Transatlantica Revue d’études américaines. American Studies Journal

1 | 2003 State of the Union Dossier préparé et présenté par Jean-Christian Vinel

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/transatlantica/47 DOI: 10.4000/transatlantica.47 ISSN: 1765-2766

Publisher AFEA

Electronic reference Transatlantica, 1 | 2003, “State of the Union” [Online], Online since 01 October 2003, connection on 29 April 2021. URL: http://journals.openedition.org/transatlantica/47; DOI: https://doi.org/10.4000/ transatlantica.47

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Transatlantica – Revue d'études américaines est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modifcation 4.0 International. 1

TABLE OF CONTENTS

Editorial

Enfin ! At long last !

Autour du livre de Nelson Lichtenstein, State of the Union

Articles

Introducing the Issues. State Of The Union in Historiographical Perspective Jean-Christian Vinel

Nelson Lichtenstein vs. Nelson Lichtenstein and the 20th Century Labor Question Donna Kesselman

Class, Race and American Labor Some Consideration on Nelson Lichtenstein’s State of the Union Catherine Collomp

Does The « Working Poor » Exist ? Social Experts, Unions and the Poverty Question in the Age of Erosion of the Union Idea Romain Huret

Reconstructing The Wagner Act Jean-Christian Vinel

A Rejoinder Nelson Lichtenstein

Où en est le mouvement ouvrier américain aujourd’hui ? Marianne Debouzy

Comptes rendus d'ouvrages

Daniel R. ERNST. Lawyers against Labor : From Individual Rights to Corporate Liberalism. Urbana & Chicago : University of Illinois Press, 1995, 334 pp. Alexis Chommeloux

Ruth MILKMAN (ed). Organizing Immigrants : The Challenge for Unions in Contemporary California. Ithaca : Cornell University Press, 2000. 260 p. Dominique Daniel

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Jennifer KLEIN. For All These Rights. Business, Labor, and the Shaping of America’s Public-Private Welfare State. Princeton : Princeton University Press, 2003. Romain Huret

Robert Rogers KORSTAD. Civil Rights Unionism. Tobacco Workers and the Struggle for Democracy in the Mid-Twentieth Century South. Chapel Hill, NC : University of North Carolina Press, 2003 (xii-556 p.) Claude Julien

Howell John HARRIS. Bloodless Victories : The Rise and Fall of the Open Shop in the Philadelphia Metal Trades, 1890-1940. New York : Cambridge University Press, 2000. 456 pp. Joseph A. McCartin

Etudes

« Le Virgile de l’Amérique » Paul Goodman entre avant‑garde et tradition Bernard Vincent

Les Women’s Studies aux États‑Unis. Le féminisme et l’université Éliane Elmaleh

Re‑Constructing and Celebrating the Louisiana Purchase in New Orleans Jean‑Pierre Le Glaunec

Humeur

Le Premier Amendement : un mythe Claude‑Jean Bertrand

Travaux en cours

La Fondation nationale cubano‑américaine. Influence sur le gouvernement américain et manipulation de l’opinion publique Émilie Descout

Varia

Quand Hollywood lave plus blanc... A propos de La couleur du mensonge André Bleikasten

Superchic(k) Anne Crémieux

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L’histoire d’un homme seul Pollock d’Ed Harris (2000) Jean Foubert

La rivalité Paris/New York à travers les expositions récentes d’œuvres françaises et américaines. Quelques remarques. Sophie Le Cam

Débat

Academic Journals and Publications : Mapping the Territories. A Debate on the Publication of American Studies Journals Divina Frau‑Meigs, Catherine Bernard, Noëlle Batt, Jean Kempf, Georges‑Claude Guilbert and Michel Bandry

Interview

An Interview with Steven Millhauser Marc Chénetier

Comptes rendus

Stephen BRUMWELL. Redcoats : The British Soldier and War in the Americas 1755-1763. Cambridge UP, 2002. 349 p. Nathalie Caron

Nicole Fouché. Benjamin Franklin et Thomas Jefferson : Aux sources de l’amitié franco-américaine 1776-1808. Paris : Michel Houdiard, 2000. 102 p. Nathalie Caron

François Duban. L’Ecologisme aux Etats-Unis : histoire et aspects contemporains de l’environnementalisme américain. Paris : L’Harmattan, 2000. 188p. Alain Suberchicot

Jacqueline Lindenfeld. The French in the United States : An Ethnographic Study. Westport, Conn. : Bergin & Garvey, 2000. Annick Foucrier

Luc Benoit à la Guilllaume. Les discours d’investiture des présidents américains ou les paradoxes de l’éloge. Paris : L’Harmattan, 2001. 304p. Larry Portis

Sylvia Le Bars. Le Conflit linguistique aux Etats-Unis. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2001. 181p. Marc Deneire

Malie Montagutelli. Histoire de l’enseignement aux Etats-Unis. Collection « Histoire de l’éducation ». Paris : Belin 2000, 345 p. Michèle Guerlain

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Daniel Lazare. The Frozen Republic ; How the Constitution Is Paralyzing Democracy. Daniel Lazare. The Velvet Coup ; The Constitution, the Supreme Court and the Decline of American Democracy. Thomas E. Patterson. The Vanishing Voter ; Public Involvement in an Age of Uncertainty. New York : Harcourt Brace & Co, 1996, 393 p., 14$. London & New York : Verso, 2001, 152p., 23$. New York : Alfred A. Knopf, 2002, 254 p., 25$ Pierre Guerlain

L’exception américaine. Actes de la recherche en sciences sociales n° 138 et 139 (juin et septembre 2001). Luc Benoît à la Guillaume

Rosanna Hertz and Nancy L. Marshall, eds., Working Families, The Transformation of the American Home. University of California Press, 2001. 389 p., 19.95 $. Evelyne Thévenard

Patricia Crain. The Story of A : The Alphabetization of America from The New England Primer to the Scarlet Letter. Stanford, Ca. : Stanford University Press, 2000. 315 p. Malie Montagutelli

Thomas Bender, ed. Rethinking American History in a Global Age. Berkeley, CA : University of California Press, 2002. Ix + 427 pages. $22.50. Marie-Jeanne Rossignol

Anne Garrait-Bourrier et Monique Vénuat. Les Indiens aux Etats-Unis : renaissance d’une culture. Paris : Ellipses, coll. Les essentiels, Civilisation anglo-saxonne, 2002. 192 pages. Bernadette Rigal-Cellard

Tony Tanner. The American Mystery. Cambridge : Cambridge UP, 2000. 242 p. (préface d’Edward Saïd, introduction de Ian F. Bell). Marc Chénetier

Phillip Barrish. American Literary Realism, Critical Theory, and Intellectual Prestige, 1880 — 1995. Cambridge : Cambridge UP, 2001. Guillaume Tanguy

Collin Meissner. Henry James and the Language of Experience. Cambridge : Cambridge UP, 1999. ix+237p. £37.50, $59.95. Annick Dupperay

François Brunet et Anne Wicke éds. L’œuvre en prose de Ralph Waldo Emerson. Paris : Armand Colin. 2003. Pp. xviii, 171. Joel Porte

Marc Bellot. Ralph Waldo Emerson. Parcours de l’oeuvre en prose. Neuilly : Atlande, « Clefs concours Civilisation américaine », 2003. 224 p., chronologie, notices biographiques, glossaire, bibliographie, index. François Brunet

James L.W. West III, ed. The Cambridge Edition of the Works of F. Scott Fitzgerald : « Trimalchio » : an Early Version of The Great Gatsby. Cambridge : Cambridge UP, 2000. xxii-192 p. Illus. Jean-Loup Bourget

Marie-Agnès Gay. Epiphanie et fracture : l'évolution du point de vue narratif dans les romans de F. Scott Fitzgerald. Paris : Didier érudition, 2000. 328 p. Elisabeth Bouzonviller

Pascale Antolin-Pires. L’Objet et ses doubles. Une relecture de Fitzgerald. Pessac : Presses Universitaires de Bordeaux, 2000. 247 pages. Marie-Agnès Gay

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Fabre, Geneviève et Michel Feith, eds. Temples for Tomorrow : Looking Back at the Harlem Renaissance. Bloomington : Indiana University Press, 2001. x, 392p. Illus. $22.95. Claire Parfait

Michael P. Kramer. New Essays on Bellow’s Seize the Day. Cambridge : Cambridge UP, 1999. £ 8.95. Jean-Yves Pellegrin

Luc Herman, ed. Approach and Avoid : Essays on Gravity’s Rainbow. Pynchon Notes 42-43 (spring-fall 1998) 342 p. $ 14. Anne Battesti

Kevin J. Kayes. Poe and the Printed Word. Cambridge : Cambridge University Press, 2000. 148p. ISBN 0-521-66276-1. Anne Garrait-Bourrier

Anne Ullmo. Edith Wharton. La conscience entravée. Paris : Belin, 2001. 128 p. Armelle Chastrusse

Julian Murphet. Literature and Race in Los Angeles. Cambridge : Cambridge UP, 2001. 203 p. Nathalie Cochoy

Philip C. Kolin. Williams : A Streetcar Named Desire. Stephen J. Bottoms. Albee : Who’s Afraid of Virginia Woolf ? Christopher Bigsby. Contemporary American Playwrights. Cambridge : Cambridge UP, 2000. 229p., £ 12.95, $ 19.95. Cambridge : Cambridge UP, 2000. 229p., £ 12.95, $ 19.95. Cambridge : Cambridge UP, 2000. 440 p., £ 15.95. Liliane Kerjan

Salah El Moncef. Atopian Limits. Questions of Self, Complexity, and Contingency in Postmodern American Narrative. Peter Lang, 2002. Jean-Yves Pellegrin

Antoine Cazé. John Ashbery. A contre-voix de l’Amérique. Paris : Belin, 2000. 128 p. Axel Nesme

Marie-Christine Agosto. Richard Brautigan. Les fleurs de néant. Paris : Belin, 1999. 128 p.http://www.editions-belin.com Jean-Bernard Basse

Marc Amfreville. Charles Brockden Brown. La part du doute. Paris : Belin, 2000. 128. http://www.editions-belin.com. Mark Niemeyer

Véronique Béghain. John Cheever. L’homme qui avait peur de son ombre. Paris : Belin, 2000. 127 p. http://www.editions-belin.com. Georges-Michel Sarotte

Elisabeth Bouzonviller. F. S. Fitzgerald. Ecrivain du déséquilibre. Paris : Belin, 2000. 128 p. http://www.editions-belin.com Pascale Antolin

Paul Carmignani. Shelby Foote. Un sudiste au carré. Paris : Belin, 1998. 128 p. Michel Bandry

Georges-Claude Guilbert. Carson McCullers. Amours décalées. Paris : Belin, 1999. 128 p. Yvette Rivière

Christine Raguet-Bouvart. Vladimir Nabokov. Paris : Belin, 2001. 128 p. http://www.editions-belin.com. Yona Dureau

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André Bleikasten. Philip Roth. Les ruses de la fiction. Paris : Belin, 1999. 128 p. http://www.editions-belin.com. Géraldine Chouard

Yves-Charles Grandjeat. John Edgar Wideman. Le feu et la neige. Paris : Belin, 2000. 128 p. Nathalie Cochoy

Yves Carlet. Stephen Crane. Les couleurs de l’angoisse. Paris : Belin, 2002. 128 p. Claude Dorey

Pascale Antolin-Pires. Nathanael West : Poétique de l'ecchymose. Paris : Belin, 2002, 127 p. Anne Luyat

Claudine Thomas. Norman Mailer. Le complexe d’Osiris. Paris : Belin, 1997. 128 p. André Bleikasten

Jacques Pothier. William Faulkner. Essayer de tout dire. Paris : Belin, 2003. 128 p. André Bleikasten

Sylvie Mathe. John Updike. La nostalgie de l’Amérique. Paris : Belin, 2002. 128 p. André Bleikasten

Marie-Christine Lemardeley. John Steinbeck. L’Eden perdu. Paris : Belin, 2000. 128 p. 50 F. André Bleikasten

Christiane Desafy-Grignard. Arthur Miller. Paris : Belin, 2001.128p. Susan Blattès

Richard Godbeer. Sexual Revolution in Early America, Baltimore (Md). The Johns Hopkins University Press, 2002, 430p. Éliane Elmaleh

Paul Buhle et Dave Wagner. A Very Dangerous Citizen : Abraham Lincoln Polonsky and the Hollywood Left. Berkeley : University of California Press, 2001, 275p. Larry Portis

Pap Ndiaye. Du nylon et des bombes : Du Pont de Nemours, le marché et l’Etat américain, 1900-1970. Paris : Belin « Histoire et société / Cultures américaines », 2001. 398 p., ill., biblio., index. François Brunet

Paul Lauter. From Walden Pond to Jurassic Park : Activism, Culture & American Studies. Durham : Duke University Press, 2001. 304 pp., 25 photos n/b, $18.95. André Kaenel

Martine Azuelos, dir. Travail et emploi : l’expérience anglo-saxonne, vol. 1, Aspects historiques. Martine Azuelos et Marie-Claude Esposito, dir. Travail et emploi : l’expérience anglo-saxonne, vol. 2, Aspects contemporains. Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001. 273 pp. Paris : L’Harmattan, 2001. 299 pp. Pierre Gervais

Alain Suberchicot. Littérature Américaine et Ecologie. Paris : L’Harmattan, collection Le Monde Nord-Américain — Histoire — Culture — Société, dirigée par Pierre Lagayette, 2002, 257 p. Marc Bellot

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William R. Handley. Marriage, Violence and the Nation in the American Literary West. Cambridge : Cambridge University Press, 2002. 261 p. Hélène Christol

Henry D. Thoreau. Wild Apples and Other Natural History Essays. William Rossi, ed. Athens : U of Georgia P, 2002. XXVII + 236 p. Michel Granger

Wendy MARTIN (ed). The Cambridge Companion to Emily Dickinson. Cambridge : Cambridge Universtiy Press, 2002. xvii + 248 pages. ISBN 0-521-00118-8. Joanny Moulin

Marie-Claude Feltes-Strigler. La Nation Navajo : Tradition et développement. Paris : L’Harmattan, 2000. 404 pages. Bernadette Rigal-Cellard

Bernd Herzogenrath. An Art of Desire : Reading Paul Auster. François Gavillon. Paul Auster : gravité et légèreté de l’écriture. Amsterdam : Rodopi, 1999. 245 p. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2000. 211 p. Claire Maniez

Isabelle Alfandary. E.E. Cummings. Eric Athenot. Walt Whitman. Paris : Belin, 2002. 126 p. Paris : Belin, 2002. 126 p. http://www.editions-belin.com Alain Suberchicot

Claire Bruyère. Sherwood Anderson. Le grotesque tendre. Paris : Belin, 2001. 128 p. Anne Ullmo

Marie-Claude Perrin-Chenour. Kate Chopin : ruptures. Paris : Belin, 2002. 128 p. Claire Maniez

Marie-Claude Feltes-Strigler. La Nation Navajo : Tradition et développement. Paris : L’Harmattan, 2000. 404 pages. Bernadette Rigal-Cellard

Christine DESAFY-GRIGNARD. Arthur Miller : Une vie à l’œuvre. Paris : Michel Houdiard Editeur, 2003. 424 p. 26 euros. Trudy Bolter

Droit de réponse Christine Desafy-Grignard

Réponse à Mme DESAFY-GRIGNARD au sujet de son ouvrage Arthur Miller : une vie à l’œuvre Trudy Bolter

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Editorial

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Enfin ! At long last !

1 Ce qui devait être le cadeau de Noël de l’AFEA est devenu un oeuf de Pâques... Aussi, je souhaiterais avant toute chose demander à nos lecteurs, et aux auteurs qui nous ont fait confiance, de bien vouloir excuser ce retard de publication. Les causes en sont nombreuses ; j’en retiendrai trois. • Nous voulions assurer une qualité des textes publiés. Le tri a donc été sévère, les ré‑écritures aussi et je tiens à remercier chaleureusement tous ceux qui, dans le comité et à l’extérieur, anciens ou nouveaux membres, nous ont aidés à relire les contributions, ont suggéré de nombreuses améliorations de fond ou de forme ; et bien sûr les auteurs qui nous ont fait confiance. J’en profite pour dire à ceux qui nous ont soumis des articles auxquels nous n’avons pas encore pu donner de suite positive que nous espérons bien les publier dans les prochaines livraisons. TransatlanticA est un atelier d’études américaines dont la vocation est de s’élargir. • Nous souhaitions maintenir la notion de livraison, comme pour une revue papier classique (à vous de nous dire si c’est une formule qui s’applique bien aux nouveaux modes de lecture produits par le web). Ce choix s’oppose à celui d’une publication d’articles au fur et à mesure de leur achèvement qui risquerait de transformer la revue en simple archive de textes où des lecteurs viendraient butiner. Ce n’est pas notre conception car pour nous, une revue est avant tout un projet scientifique. • Enfin, nous voulions privilégier les dossiers, parfois issus de journées d’études, ce qui impose des contraintes fortes dans la composition du numéro. TransatlanticA constitue pour les recherches en cours à la fois un niveau d’élaboration supplémentaire et offre une certaine informalité qui garde à la publication sa nature d’échange. L’appel est donc lancé. Parlez‑nous de vos projets scientifiques, proposez‑nous des contributions imaginatives, et menons ensemble ce dialogue américaniste que nous appelons de nos voeux.

2 Mais, pour conduire pleinement ce dialogue avec nos amis et collègues européens, américains et autres, il est clair que se pose le problème de la langue d’échange. Le dossier de ce numéro, sur le syndicalisme américain, est presque exclusivement en anglais. Nous serons amenés à nous poser encore cette question cruciale.

3 C’est aussi pour innover tout en conservant des repères connus, que nous avons développé la rubrique « Varia » avec une responsable de rubrique, Géraldine Chouard,

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qui a fait un véritable travail de collecte et d’élaboration pour cet espace dédié aux formes critiques brèves.

4 Enfin, nous continuons le travail de publication de travaux de doctorants amorcé dans les 2 premiers numéros. C’est une des vocations de TransatlanticA dans sa dimension d’ouvroir à laquelle l’équipe de rédaction tient beaucoup. La revue est une oeuvre éphémère qui constitue un modeste mais indispensable jalon dans un long débat, un outil dans la construction permanente d’une compréhension critique des Etats‑Unis. N’hésitez donc pas à reprendre la balle au bond et à nous adresser un texte, un développement, une réponse. Inventons les nouvelles formes du travail scientifique !

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Autour du livre de Nelson Lichtenstein, State of the Union

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Autour du livre de Nelson Lichtenstein, State of the Union

Articles

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Introducing the Issues. State Of The Union in Historiographical Perspective

Jean-Christian Vinel

1 It is no exaggeration to say that the twentieth century has been both a blessing and a bane for US labor unions. While it witnessed an era of social upheavals that, unlike previous ones, generated an important and unprecedented legislative effort (and, notably, a collective bargaining law that matched those adopted in countries such as France), the twentieth century also saw US unions decline to a parlous state. The Wagner Act notwithstanding, the proportion of unionized workers in the private sector has shrunk to 7%—a grim figure indeed.

2 Seen from the early days of the twenty‑first century, the history of American unions in the past century thus looks like a full circle. Nothing better exemplifies this full circle, Nelson Lichtenstein tells us, than the language of a Burger King application form. In this form, the prospective “franchisee” (who, notably, is not technically a “worker”) agrees to an “employment‑at‑will” status, whereby he can be fired “at any time, for any reason.” Lichtenstein finds this application form rather daunting—such, indeed, was the legal status of American workers before the New Deal. American workers are now back in the legal and political twilight zone where they were before what French historians call the “legalization of the working class,” that is, the official recognition of its existence, of its institutions, and of its weapons.1

3 How, Lichtenstein wonders, could a right to organize be formally enacted, implemented, and then abandoned? The thrust of State of the Union is to shed light on the intellectual, cultural, and political dynamics that contributed to the rise and fall of the union idea in the 20th century. By doing so, Lichtenstein breaks with the historical mien that had animated labor history since the 1970s, when a generation of social historians linked to the New Left had fully transformed the agenda of labor history. By moving its focus away from the labor unions, they had emphasized the social and cultural dynamics of the construction of class consciousness, at home and in the workplace. Thus, these “new” labor historians had uncovered the radicalism and the militancy of American workers, and derided the long‑held idea that American workers were beholden to the capitalist system as a mere functionalist assumption.2 More

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recently, another line of inquiry has been inaugurated to determine how the state, through its structures and policies, has affected the labor movement.3

4 Interestingly, in State of the Union labor history seems to experience a fresh shift in emphasis—it abandons the bottom up and the statist perspective for a labor‑intellectual history writ large. Notably, Lichtenstein does not tell us that workers have no agency and should recede into the background. He still believes that, in E.P. Thompson’s words, “class is made, not given.” Only, he adds yet another layer of analysis by showing that class is also constructed and deconstructed through ideas, policies and legal concepts in what Habermas has called the public sphere.4 “The fate of American labor is linked to the power of the ideas and values that sustain it,” he explains. Accordingly, the rise and fall of the “labor question” becomes the interpretive framework through which the history of the American worker is analyzed.

5 The product of this effort is a rich synthesis that cuts against the account of 20th‑century labor history established by the New labor historians, which has it that in the aftermath of the New Deal, instead of working to develop true working class politics, unions accepted to be incorporated into a political order designed to fine‑tune capitalism. Thus, State of the Union does not simply tell us the story of American workers in the twentieth century, it also tells us much about the state of the New Labor History and the political perspective that has sustained it. State of the Union, and the State of the New Left

6 In a recent, new introduction to his first book, Labor’s War at Home (1982), Nelson Lichtenstein explained that this book was the “product of the political and ideological debate that engaged my New Left generation when, in the early 1970s, so many campus‑based radicals inaugurated a remarkable probe into the character, meaning, and history of the working class and its institutions.”5 In the early 1980s, this probe had resulted in a fresh vision of the 1930s and 1940s, one that stressed an enormous loss of opportunity. Indeed, New Left historians found the twentieth century to be a mixed archival bag. While they could see the 1930s as a “turbulent era,” they met with deep disappointment in the post‑war period, for by then bureaucratic unions and a wage‑conscious working class seemed to have traded social activism for business unionism and the comfort of prosperity. In their opinion, the early 1940s were the endpoint of labor militancy and solidarity.6

7 Thus, in Labor’s War at Home, Nelson Lichtenstein argued that during the second World War, American unions went from militancy to accommodation through the acceptance of no‑strike pledges and the overall doctrine of industrial pluralism. That transformation, however, had to be imposed on militant locals where at times workers revolted against the unions’ leadership. Union leaders, Lichtenstein, argues, were enticed by a Mephistopheles‑like State to renounce their militant power and trade it off for institutional security. They agreed to that pact in the hope that the labor‑liberal alliance would bring about a political economy in which labor and business would be equal partners—a dream that never came true.

8 Moreover, supplementing this perspective was the “critical school,” a group of legal scholars who derided the Wagner Act as a snare and a delusion. Far from liberating workers, this law had actually lured them into believing that collective bargaining and grievance procedures would put them on equal footing with management, but it actually only enlisted them in a system aiming to thwart militancy. The right to

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organize, one scholar concluded, is but a “counterfeit liberty,” designed to ensure the workers’ submission to the capitalist order.7

9 The most striking feature of State of the Union is that it operates a sharp break with this vision. Indeed, Lichtenstein is much more appreciative of the efforts of liberals and labor reformers, who, he agrees, helped set up a new system of industrial relations that the workers would not have gotten by themselves. Most importantly, Lichtenstein repudiates the idea that the working class had become submissive and passive in the 1950s, and 1960s, when workers were still facing the same shop‑floor issues as in the 1930s, and were equally or more adamant in dealing with them. The main problem with the Wagner Act, Lichtenstein tells us, is not that it was a delusion or a snare, but rather that it did not go far enough to transcend racial and gender fault‑lines that ran across 1930s America. Finally, and most significantly, Lichtenstein parts ways with the theory of the labor‑management accord—labor unions wanted much more, and corporate America tolerated what it could not refuse. The labor contracts of the 1950s and 1960s were the product of a stand off, not of a truce.

10 What we witness as we read State of the Union, in a sense, is therefore the decline of the New Leftist paradigm. Replacing this paradigm is a narrative that refuses to postulate that the New deal collective bargaining regime collapsed of its own conservatism. Instead, it focuses on the forces (and Lichtenstein finds plenty of them) that embattled and finally weakened this regime. The 1950s and 1960s take center stage, since these were the decades that bred the cultural and ideological dynamics that eroded the notion of industrial democracy.

11 How can we account for this shift? Two explanations seem to be in order. The first one is purely historiographical. Although it has constituted the standard account for twenty years, the idea that during the 1940s the American State enticed the labor movement to shed its radicalism and accept the capitalist regime has come under increasing pressure. As early as 1994, Melvyn Dubofsky had challenged much of the critical school in a study that argued that the impact of state polices on the labor movement was much more ambiguous than had been acknowledged. “The State liberated as well as leashed. It offered a real as well as a counterfeit liberty,” he concluded.8 More recently, a few case studies have dealt important blows to the New Left vision. While he believed the case of the United Packinghouse Workers of America to be an exception, Rick Halpern had to admit that this union had not sought to curb shopfloor militancy in the name of responsible unionism. Nor had it established a strong, central organization—it actually maintained very democratic processes that did not alienate the rank and file from the union’s bureaucracy.9

12 Other scholars have been even blunter. Daniel Clark has demonstrated that Southern textile workers went to great lengths to retain the kind grievance procedure that New Left scholars had derided as a fraud. Mill owners, not the workers, were the ones trying to get rid of an arbitration system that handed too many victories to the union. According to Clark, there is no mistaking the enormity of the changes brought about by the union and the labor contract. It was, in the words of one worker “like night and day.”10 Jack Metzgar agrees in a recent study of the 1959 steel strike. “If what we lived through in the 1950s was not liberation,” he says, “then liberation never happens in real human lives.” Like Clark, Metzgar not only shows that the SWOC had an enormous impact on the lives of the steelworkers, but also that the contracts it wrested from the management of US Steel were the workers’ best protection against their owners’

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anti‑union policies.11 Both scholars take their fellow historians to task for having systematically derided the unions and their achievements in the postwar period.12

13 Historiography, however, is only one part of this new outlook. As Kevin Mattson explained in his recent Intellectuals in Action, the aim of the New Left was to further the New Deal impulse, not criticize it to death.13 Today, for labor activists, the question is no longer whether another form of unionism is possible, but rather if any form of unionism can be fostered. In the 70s, a rising wave of labor militancy seemed to indicate that the unions were obsolete bureaucratic institutions, the collective bargaining regime a golden cage. In the aftermath of labor unions’ decline, such a regime takes on a much more satisfying aspect. As Lichtenstein himself explains, “In the early 21st century, when the proportion of all union workers hovers just above 13%, organized labor’s incorporation into a claustrophobic state apparatus seems far less of an issue than survival of those same unions, not to mention the revival of a socially conscious, New Deal impulse within the body politic.”

14 In the course of this reevaluation of the New Deal, historians have developed an appreciation for unions and the State. While the former are key to defending Social Security or, developing national health insurance programs, enlisting the latter in the protection of labor’s activities now appears as a necessity. As Barbara Ehrenreich and Thomas Geoghegan explained in their recent call to “light labor’s fire,” rebuilding the unions on a voluntary basis simply won’t do. Workers need the protection of the State if they are to overcome the opposition of management. Thus, this historiographical shift is also inherently political. Towards a New Synthesis for the 20th Century?

15 The consequences to this paradigmatic shift are not, of course, totally visible yet. Still, it is worthwhile to try to ponder them. First and foremost, the notion of a New Deal order, which has been so far the most influential way to problematize the 20th century seems now more questionable. The thrust of the whole notion of a “new deal order” was a sharp critique of the New Deal, which had abetted administrative structures and procedures that simultaneously empowered workers and led them to accept the capitalist order. Indeed, in Lichtenstein’s words, what had jelled in the 1940s was an “American system of interclass accommodation,” which had done away with the labor question and thwarted a possible American social democracy.14

16 Yet, if there was indeed no labor‑management accord, then it becomes quite difficult to find in the labor relations of the 40s and 50s the stability necessary to foster anything close to a “New Deal Order.” Consequently, labor’s alliance with the Democratic Party becomes much less problematic, for it now seems that corporate America’s determination to oppose the empowerment of union and its means to bring that determination to bear were simply too strong, with or without a totally independent labor movement. The possibility of a social‑democratic America, to which the New Deal order was counterpoised, seems more distant.

17 More importantly, however, is one idea coming out of State of the Union, that the 1930‑1970s period may not constitute a coherent whole, in that such a periodization conceals a major shift in American political culture. In de‑emphasizing labor’s political alliances to focus on the substance and on the public debate and its evolution, the book suggests that the century can be divided into two distinct periods: a laboristic society from the 1910s to the late 1950s and a pluralist society from the 1950s onwards.

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18 From the progressive era to the 1950s, Lichtenstein demonstrates that the debate on industrial democracy was a function of the construction of what Sumner Slichter himself called a “laboristic society,” in which unions were seen by many liberals as the engine of progress. By way of contrast, from the early fifties on, in the wake of the defeat (not the moderation) of the New Deal impulse, class politics eroded and receded, thus paving the way for the emergence of a “pluralist society,” in which rights gained preeminence. The problem, then, is not that there was not enough working class consciousness or militancy in the 60s, but rather that labor unions were powerless because they were trapped in a political rhetoric that had died in the late 40s and early 50s—they were thoroughly unprepared to contribute to a political debate based on rights rhetoric and pluralist assumptions. As Lichtenstein shows, notwithstanding the working class unrest that was evident in the 60s, any form of revitalization of New Deal corporatism was impossible because in this pluralist age, unions had disappeared from the liberal imagination.

19 This has implications for the way we see the fifties. In the traditional progressive account of the 20th century, the fifties stand as an historical aberration. Not only are they marred by McCarthyism, but they were dominated by a social conservatism that stood in sharp contrast to the yeasty years of the radical 1960s. In the words of historian Robert Zieger, in the 1950s “America seemed to have abolished the very idea of a working class. Ensconced in suburban comfort, performing technical and managerial tasks, affluent to the point of satiation, the American worker had come a long way.”

20 By contrast, Lichtenstein differentiates between public discourse and social reality—the fifties were an “unquiet decade” riddled with social strife, he argues. Rather, he portrays the 50s as the pivotal decade of the 20th century, the very moment when the American public discourse, took on a distinctive, idiosyncratic tone—under the concurrent influence of intellectuals and the civil rights movement, abandoned class politics to embrace a form of pluralism that fostered individual rights—a rhetoric that, in the 1960s, would replace class in the minds of many people, including workers, as a venue for social empowerment. Thus, the fifties become a crucial period to understand what is peculiar about twentieth century American social history.

21 The essays included here discuss State of the Union from various angles. In the first essay, “Nelson Lichtenstein vs. Nelson Lichtenstein,” Donna Kesselman provides a three‑pronged critique of State of the Union. First, Kesselman, a savvy reader of Lichtenstein’s previous work, shows that one of the main points of State of the Union— the idea that the postwar labor relations regime was the product of a huge defeat—can be made only by renouncing a criticism of the New Deal which had been a hallmark of Lichtenstein’s earlier work, and which, according to her, is missing in State of the Union. Overall, she finds the book’s celebration of the New Deal labor relations regime unwarranted. Kesselman, however, does not simply point to contradictions in Lichtenstein’s work, she also offers ideas of her own. Indeed, she contends that the terminology used by American historians to analyze the history of labor is inadequate in so much as it masks the peculiarities of that history. Unlike their European counterparts unions have had to play multiple political roles, and only an acute consciousness of their peculiar mission will make it possible to assess their fate in the postwar era. Finally, Kesselman discusses the ideas Nelson Lichtenstein offers to rejuvenate the labor movement. In a provocative and insightful conclusion, Kesselman

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argues that those ideas are strikingly close to those of Walter Reuther, the leader of the UAW whose career and legacy have been a focus of Lichtenstein’s work. Walter Reuther, Kesselman concludes, has won Lichtenstein over to his cause.

22 In the second essay of this collection, “Class, Race and Labor,” Catherine Collomp challenges one of Lichtenstein’s main points—that American unions’ decline was in many ways caused by the rise of the civil rights agenda, which emphasized individual rights at the expense of class. According to Collomp, the rise of civil rights politics was the product not the cause, of the decline of organized labor. Indeed, she remarks, only after the labor movement had been tamed in the late 1940s did the Federal Government enter the struggle for racial equality. Thus, the shift in power relations that occurred in the 60s took place in an American polity which had already been cleansed of the radical aspirations of its social movements.

23 The 1960s are also at the heart of Romain Huret’s essay. In “Does the ‘Working Poor’ Exist?,” Huret moves the focus of the analysis away from the social and political realm to the Federal State and its experts. Lichtenstein, along with a host of commentators, thinks that the American Left and the Johnson Administration were at odds over the poverty question, because while the left advocated structural reform, the Johnson Administration focused on the cultural aspects of poverty. Huret, however, shows that a group of federal experts actually tried to design the structural policies that unions and the American left were demanding. Yet surprisingly, American unions never took much interest in the protection of the “working poor” that those experts unsuccessfully tried to put at the forefront of the liberal agenda. The 60s, according to Huret, were indeed a “lost opportunity” for unions, for, had they joined the war on poverty, they could have prevented the “labor question” and the “social question” from becoming two separate and independent strands of the liberal agenda.

24 In the last essay, this author challenges yet another element of the book—the idea that the Wagner Act operated a redefinition of American citizenship. The Wagner Act, I argue, was not akin to a reconstruction of American democracy. Indeed, there were two contemporary readings of the Wagner Act—a “philosophical” and an “economic” one. The former conceived of the right to organize as a fundamental one, while the latter saw it as a means to an end, a technique to raise wages. Unlike Lichtenstein, I contend that the economic reading of the law largely prevailed over the philosophical one. Moreover, I argue that the true constitutional innovation of the law was its broad redefinition of the powers and role of the Federal government. The Wagner Act created a Federal agency—the National Labor Relations Board—which, like its progressive forebears, was designed to promote the public interest through virtuous and disinterested expertise. However, the NLRB never enjoyed the legitimacy that it needed to carry out its mission. Instead, its work gave rise to an ever bigger political controversy. In the end I show the NLRB failed because the protection of the right to organize was not predicated on a social contract.

25 Nelson Lichtenstein gives all the above commentaries a long and thoughtful answer in a final rejoinder that speaks both the vitality of the debate on 20th‑century labor history and to his impressive mastery of the issues. Then, in an interview, Marianne Debouzy reflects on the parlous state of the union movement and on the intellectual debates which it has stirred. Finally, Alexis Chommeloux, Dominique Daniel, Romain Huret, Claude Julien, and Joseph McCartin have contributed book reviews that offer a glimpse

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of the rich and exciting work that has animated the field of American Labor History in the last ten years.

BIBLIOGRAPHIE

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Lichtenstein, Nelson. “Great expectations: the promise of industrial jurisprudence and its demise, 1939-1960”, in Lichtenstein, Nelson and Harris, Howell John, Industrial Democracy in America: The Ambiguous Promise. New York: Woodrow Wilson International Center for Scholars, 1993.

Lichtenstein, Nelson. The Most Dangerous Man in Detroit. New York: BasicBooks, 1995.

Lichtenstein, Nelson. State of the Union. Princeton: Princeton University Press, 2002. Présentation par l’éditeur / Publisher’s note (Princeton University Press) Texte de l’introduction au format html, ou au format .pdf / Author’s Introduction html format or .pdf format Sites intéressant l’histoire ouvrière / Labor history sites Bibliographie : Il s’agit d’une vaste bibliographie sur l’histoire ouvrière (Labor history) : http://www.oah.org/ pubs/magazine/labor/labor-bib.html Sur l’actualité : http://www.Labornet.org http://www.labornotes.org

Le Mouvement Social (n°203, avril juin 2003), « Le mouvement social aux Etats-Unis » : http:// biosoc.univ-paris1.fr/recherche/mvtsoc/num203.htm (sommaire du numéro et abstracts) Archives : http://www.marxists.org http://www.3.niu.edu/TILDEtd0raf1/labor/index.htm : recense un très grand nombre de documents, notamment tous les docs de Historymatters liés à l’histoire ouvrière. un pur bonheur.

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http://www.historymatters.gmu.edu http://www.lawcha.org : site de l’association des labor historians aux USA. Portail ouvrant sur un grand nombre de sites. http://libweb.uoregon.edu/speccoll/exhibits/labor/ : The Labor Project : Dedicated to the Preservation of Labor and Working-Class History in the Pacific Northwest. Le site donne aussi accès à une histoire ouvrière documentaire de l’Orégon et d’autres Etats de l’Ouest. http://www.bls.gov : site du Bureau of Labor Statistics

NOTES

1. See Alain Dewerpe, Le monde du travail en France, 2nd ed. (Paris: Armand Colin, 1998). 2. Herbert Gutman, “The Workers’ Search for Power,” in Power and Culture, Essays on the American Working Class (New York: Pantheon Books, 1987 3. Forbath William, Law and the Shaping of the American Labor Movement (Harvard, 1991), Melvyn Dubofsky, The State and Labor in Modern America (Chapel Hill: University of North Carolina Press, 1994). 4. A good introduction to this notion is Steven Seidman (ed.), Jurgen Harbermas on Society and Politics: A Reader (Boston: Beacon Press, 1989), chapter 10. 5. Nelson Lichtenstein, Labor’s War at Home: the CIO in World War II (Philadelphia: Temple University Press, 2003), vii. 6. For an account of the evolution of the historiography towards the theme of “containment,” see David Brody, “The CIO after 50 Years: A Historical Reckoning,” Dissent (Fall 1985): 457‑72. For an expression of this disappointment, see Alice Kessler Harris, “A New Agenda for American Labor History: A Gendered Analysis and the Question of Class,” in Kessler‑Harris, Alice, and J.Carroll Moody (eds.), Perspectives on American Labor History: The Problem of Synthesis (DeKalb: Northern Illinois University Press, 1989). 7. The phrase “counterfeit liberty” was used by Christopher Tomlins in The State and the Unions (New York: Cambridge UP, 1985). For a good introduction to the this scholarship see Whyte Holt, “The New American Labor Law History,” Labor History 30, n°2 (Spring 1989): 275‑293. 8. Melvyn Dubofsky, The State and Labor in Modern America, 236. 9. Rick Halpern, Down on the Killing Floor: Black and White Workers in Chicago’s Packinghouses, 1904‑1954 (Chicago: University of Illinois Press, 1997). 10. Daniel J.Clark, Like Night and Day: Unionization in a Southern Mill Town (Chapel Hill: University of North Carolina Press, 1997). 11. Jack Metzgar, Striking Steel: Solidarity Remembered (Philadelphia: Temple UP, 2000). 12. See Metzgar’s last chapter “The Contest for Official Memory.” 13. Kevin Mattson, Intellectuals in Action: the Origins of the New Left and Radical Liberalism, 1945‑1970 (University Park: Pennsylvania State University Press, 2002). 14. Nelson Lichtenstein, “From Corporatism to Collective Bargaining: Orgnaized Labor and the Eclipse of Social Democracy in the Postwar Era,” in Steve Fraser and Gary Gerstle (eds), The Rise and Fall of the New Deal Order (Princeton: Princeton UP, 1989), 122

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Nelson Lichtenstein vs. Nelson Lichtenstein and the 20th Century Labor Question

Donna Kesselman

1 As Nelson Lichtenstein writes, State of the Union explores the relationship between 20th century U.S. unions and the “labor question,” i.e., the condition of workers, notably marked by social injustice, industrial strife and dislocation. Why, he asks, did labor stand far closer to the center of the nation’s political and moral consciousness than it does today and what role has institutional unionism played here? In other words, why have labor’s “larger ambitions” failed?

2 In this paper, I hope to point out problematic continuities, evolutions and, at times, breaks in Lichtenstein’s scholarship as he came to conclusions in State of the Union, an impressively synthetic and at once multi‑dimensional essay of America’s century‑long labor experience.

3 First of all, I’ll look more closely at one of State of the Union’s [hereafter SOU] main theses, what Lichtenstein himself calls a “revisionist view” of the post‑war collective bargaining regime. Then I’ll question the use of some political terminology by Lichtenstein, and other U.S. labor historians as well, which apparently covers different conceptual spheres for American and European academics. Finally, these notions will be applied to the 20th century labor experience. Firm‑Centered Bargaining vs Politicized Bargaining1. A Revisionist View

4 Lichtenstein’s revisionism lies in his characterization of the postwar collective bargaining model as a “defeat”, a dictate “imposed upon an all‑too reluctant labor movement in an era of its political retreat and internal divisions” [SOU, 2002, 99, in all cases, my emphases]. He thereby takes issue with most observers for whom the so‑called postwar “social pact” or “labor‑management accord” was the foundation of industrial prosperity during those years, a “metaphor for pluralist democracy itself” [100]. This characterization is not new but a more thorough elaboration of what the author’s 1995 biography of Walter Reuther, The Most Dangerous Man in Detroit [MDM],

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already terms “The collective bargaining straight jacket that restricted the social visions and political strategies once advocated by the laborite left.”

5 How did Lichtenstein come to this verdict? First through empirical observation: the idea of a “pact” implying harmonious labor relations was in itself at odds with what few unionists who lived through the stormy period would call a stable or agreeable accord [SOU, 98‑99]. More fundamentally, though, what changed from the preceding period was the political frame in which bargaining took place.

6 Thus, for Lichtenstein, the twentieth century labor question was played out during what he dubs the “crucial fifteen years that stretched from 1933 to 1948” when the collective bargaining regime was essentially determined in a comprehensive political sphere: ... a highly politicized system of interclass conflict and accommodation put not just wages and working conditions in play across the negotiating table, but the fate of the New Deal impulse itself. Elections, legislative battles, strikes, organizing campaigns, and labor negotiations were seamlessly interwoven. [SOU, 100]

7 It is therefore erroneous, says Lichtenstein, to refer to firm‑centered bargaining during that time period, for the New Deal had thoroughly “politicized all relations between the union movement, the business community and the state” [SOU, 100‑101]. In was only in the 1950s and 1960s that collective bargaining had become a fully self‑contained system, that unions had “matured” to become part of the establishment [SOU, 142].

8 With this analysis Lichtenstein consolidates his view of what he calls politicized bargaining, portraying New Deal relations as a more coherent, interlocking scheme than he has in the past. He thus displaces the focal point of power further away from the workplace itself than in his important earlier work on industrial democracy. Over time, the two negotiating regimes are in fact increasingly counterpoised: the more postwar firm‑centered collective bargaining is described as a “defeat,” the more politicized bargaining of the previous period is presented as all‑inclusive.

9 To show the evolution of the author’s arguments, let’s start with the notion of “defeat.” In Lichtenstein’s first book, Labor’s War at Home [LWH, 1982], there is positive continuity rather than conflict between bargaining models: “Building upon the framework established by the National War Labor Board, the big industrial unions settled into a postwar collective‑bargaining routine that increased real weekly wages some 50% in the next two decades and greatly expanded their fringe benefit welfare packages[...]” [233]. Likewise, while the regime is “a dictate [...] imposed on an all‑too reluctant labor movement” in his recent State of the Union, the author’s first book described leaders meaning to make the best of things, such as that Walter Reuther, president of the United Automobile Workers Union (UAW) and David J. McDonald, president of the United Steel Workers of America, who hoped to find “a European welfare state in each contract” [LWH, 240].

10 In his earlier work, then, the diagnoses of postwar bargaining was not so severe, nor, in the previous period, politicized bargaining as inclusive. In their 1993 book Industrial Democracy [ID], Nelson Lichtenstein and Howell John Harris placed the decisive stakes of democratic society in the shopfloor. For them, the very specificity of mid‑century industrial democracy was its local focus, a “democratic regime” resulting from negotiating wages, hours and working conditions in each workplace; what distinguished this industrial democracy from its Progressive Era or World War I elders was precisely that this conception was not written into a larger vision of social change.

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Indeed “...the very phrase ‘industrial democracy’ went into eclipse, replaced by ‘collective bargaining’ as the singular definition of and means towards, democratic representation in industry.”

11 Though the authors at no time claim to embrace this ideology as their own, notably in the book’s pithy introduction, neither do they reframe workplace democracy within a comprehensive system of interdependent relations within the New Deal order. In other words, State of the Union’s all‑encompassing “politicized bargaining” thesis has yet to mature.

12 To the contrary, Harris and Lichtenstein set out the ideological confines of contemporary historiography, that which hailed “workers’ power” at the point of production: the very “factory‑centered bargaining” (sic) which emerged from workers struggles on the shop‑floor [Montgomery, 1979] which raised “frontiers of power in the workplace,” [Meyer, 1987] and the “workplace rule of law” [Fraser, 1989]. “Workplace contractualism” was another, less radical, recognition of the same epicenter [Brody, 1993]. Lichtenstein’s own piece in the book relates Walter Reuther’s pioneering efforts to codify or “constitutionize” labor‑management relations through binding grievance arbitration in the 1940 GM Contract. While industrial jurisprudence did advance the union’s frontier of control and workers’ “citizen rights” in the firm, it was a trade‑off for defusing shop‑floor conflict and maintaining industrial discipline. In the end, given the inherent imbalance of power, General Motors soon regained the initiative and relegated the institution’s democratizing potential [ID 14].

13 The process took place, of course, within a Wagner Act mandate, but the locus of power was decidedly local. And once again we find not opposition between pre‑ and postwar historical bargaining models but continuity: ...the system of legally established contract‑orientated unionism and adversarial collective bargaining that Americans celebrated as the means to, or the realization of, “democracy in industry” between the 1930s and the 1960s may well be [in the 1990s] in terminal crisis [ID, 3].

14 Lichtenstein’s 1995 biography of Walter Reuther, The Most Dangerous Man in Detroit takes a step towards a more systemic political construct. Thus, factory contract administration is the application of New Deal political economy at the microsocial level and industrial jurisprudence, the heart of the New Deal industrial relations: Although grievance arbitration is not mentioned in the Wagner Act, mechanisms for peacefully resolving the ‘labor question,’ for constitutionalizing and ameliorating shop conflict, were a product of more than half a century of agitation, experimentation and legal reform [...] strong unions and stable industrial relations [were] the key to a Keynesian relation of the economy and the extension of political democracy to the realm of the shop and office. [144]

15 Finally, in State of the Union industrial democracy is blown up into full‑fledged political doctrine: “[...] an idea [which] came to stand as a solution to the nation’s social and economic ills.” At the same time, the New Deal’s master plan for workplace democracy is expressed through the words of Senator Wagner: “Industrial tyranny is incompatible with a republican form of government.”

16 Lichtenstein’s revisionist view of postwar collective bargaining as a “defeat”—a deliberately strong and provocative term—is a corollary of his New Deal politicized bargaining synthesis. Accordingly, the more pronounced the characterization of the former, the more sweeping and democratic a “victory” is the latter. This hypothesis is a

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departure from conventional scholarship and also revises, or rather reformulates his own prior historical perspective. 2. Periodization 17 One gauge of New Deal and labor historiography is the question of periodization. In other words, defining “what” milestones most influenced the labor question is not unrelated to “when” they occurred. Lichtenstein scholarship remains globally coherent with regard to chronology, as we hope to show.

18 From an albeit somewhat schematic view, two main approaches to periodization prevail regarding New Deal and labor historiography; in both, a given author’s appreciation of the “New Deal” is most frequently tinged with that of the CIO. A first group of historians see the game of the New Deal and industrial unionism as having been essentially played out in the 1930s, for better or for worse.

19 Among them are Sidney Fine, Irving Bernstein, Robert H. Ziegler, and Lizabeth Cohen; they hail both the government regime and industrial unionism as progressive and interacting. For Cohen, Chicago workers declared themselves to be, at one and the same time, trade unionists affiliated to the CIO, supporters of the New Deal and “loyal” to the Democratic Party. In another light, Margaret Weir and Theda Skocpol regard the period from 1936 to 1939 as presenting the first, and the last, hope of seeing a form of social Keynesianism realized in the USA; the unprecedented influence of the workers' unions and program on the Democratic Party policy explains this exceptional opening.

20 Among the same group from the standpoint of chronology, but less enthusiastic about the state regime, there is David Brody [1993] who accents not change but continuity in unionism: the New Deal did not introduce the great innovations which some would have us believe. More critical scholars present the New Deal as an integrating force of the social movement which doomed progressive prospects of emerging unionism. The jurist Christopher Tomlins’s analysis is a subtle one: before the end of the decade New Deal institutions had already revealed they were intended to canalize the possibilities of the social movement and prioritize needs of production. The school of Corporate Liberal Theory is openly critical of both the New Deal and of industrial unionism, especially its leaders, whose bureaucratic nature was manifest from the start.1

21 The other group of historians, including Lichtenstein, places the New Deal’s stakes over the longer term. The governmental experience represented, in itself, a progressive gain, which made the coming of industrial trade unionism easier. The two phenomena evolved, as it were, on an equal footing: the gains of the young trade unions were lost to the extent that the new governmental experiment found itself slowing down; the CIO’s progressive character waned in relation to its own transformation into a moderating force of the social movement, roughly corresponding to the advent of the Cold War.

22 David Montgomery suggests that, while the CIO alliance with the Democratic Party dated back to the 1930s, its crucial aspect was the reactionary turn in this party’s foreign policy during the Cold War, thereby calling into question both CIO and New Deal gains. For Mike Davis, industrial union leaders took advantage of the Cold War to increase their own power: in the process they undermined the class‑consciousness and organization working people had won during the 1930s which could have influenced the Democratic Party in a progressive direction. More specifically in automobile, Martin Halpern regards the period from 1946 to 1947 as equally decisive, because the

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victory of the Communist Party supported union tendency in the UAW would have changed the course of American trade unionism in the progressive direction.

23 By setting the stakes in that “crucial fifteen year” stretch (1933 to 1948) mentioned above, Nelson Lichtenstein in his work finds their place here. The author identifies the pivotal turn of events between 1946 and 1948 when “a powerful re‑mobilization of conservative and employers’ forces” arose to block the ambitions of the workers’ movement. This helped to bring about the “forced retreat” of the New Deal, its economic and social, as of the wider political forces which had supported it, notably the progressive wing of the Democratic Party and industrial union leaders who joined to form what was thereafter termed the labor‑liberal alliance. In the years after 1948 the industrial unions, particularly the UAW, abdicated “any sustained struggle over the structure of the political economy,” choosing instead to “privatize the welfare state” through collective bargaining victories [“From Corporatism to Collective Bargaining”, 1989]. Referring to the same period in The Most Dangerous Man in Detroit, Lichtenstein describes the “lurch to the right after the war” and its eventual outcome: “The political impasse drove American trade unions toward negotiation of their own firm‑centered welfare state.” (in all cases, my emphasis).

24 And State of the Union enhances the immediate postwar conservative turn in American politics which “put union militancy and shop activism under a cloud,” defeating labor’s “larger ambitions.” Among the decisive factors were two exceptionally hostile forces in American life: corporate management generally, and industrial and agricultural white “oligarchs” of the South, in particular. Then came Taft‑Hartley, which restrained any serious attempt to project a class‑wide political economic strategy ... “the stage was therefore set for the union‑management ‘accord’ that framed industrial relations during the next three decades.”

25 Thus Lichtenstein sets the chronological frame to both politicized bargaining, which preceded the postwar turn, and the factory‑centered collective bargaining regime which would ensue. The substance is that the progressive nature of collective bargaining and industrial unionism depended heavily upon the evolution of the New Deal and its political base: this is synthesized in State of the Union’s elaboration of “politicized bargaining.”

26 Lichtenstein, in the long run, remains globally true to his own chronological line. But exceptions to the rule also reflect, as we have suggested, the appreciation he has, at any given moment, of the New Deal, the CIO and relations between them. More concretely, this translates in Lichtenstein through increasingly precise formulations of collective bargaining as a comprehensive regime and of its subsequent defeat. 3. Cause and Effect 27 In the cases mentioned above, external political and social forces are presented as the determining factors in curbing New Deal progressiveness, labor’s ambitions and union militancy to the point of “defeat,” i.e. the resulting postwar collective bargaining regime. The excerpts in italics in the above‑mentioned quotes highlight these cause and effect mechanisms: • a defeat “imposed upon an all‑too reluctant labor movement in an era of its political retreat and internal division,” • the “conservative turn in American politics after WWII [which] put union militancy and shop activism under a cloud;” • “a powerful re‑mobilization of conservative and employers’ forces” led to a “forced retreat,”

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• “The political impasse drove American trade unions toward negotiation [...] of their own firm‑centered welfare state...,”

28 Other factors also contribute to the postwar turn of events.

29 First among them is the record of the Truman government. The failure of government to interfere in corporate pricing during the 1945‑46 General Motors strike and then the collapse of price controls the next summer denoted a defeat for politicized “economic bargaining.” It helped result, says Lichtenstein, in the Republican Party’s resurgence in that fall’s midterm elections.

30 The Most Dangerous Man In Detroit also provides a micro‑explanation, how one key player helped consolidate firm‑centered bargaining. While the biographical genre begs, of course, such readings, it is nonetheless difficult to overstate Walter Reuther’s influence on organized industrial labor during his times. Lichtenstein writes: By 1947, Reuther had become a prisoner of the GM contract. He had held too many bargaining sessions, filed too many grievance appeals... to risk the destruction of the social order with which both sides had made their decade‑long accommodation. [MDM, 261‑262]

31 All these factors converge to support Lichtenstein’s thesis of the postwar turn. The 1946 midterm elections were the turning point, the return of a Republican majority which placed containment of union power and “privatization” of collective bargaining at the top of its agenda. Lichtenstein therefore refers to “before and after” the 1946 elections: “In the wake of the massive Republican victory of November 1946, Reuther made a rhetorical about‑face, now urging ‘free labor’ and ‘free management’ to join in solving their problems...” [MDM, 261‑262].

32 Given these electoral results CIO leaders announced they were not going to wait “for perhaps another 10 years until the Social Security laws are amended adequately” and therefore, looked for other negotiating alternatives. [MDM]

33 While these explanations and factors are not mutually exclusive, and as careful a historian Lichtenstein is when documenting and balancing social forces, clarification as to how they interrelate, the cause and effect relationship, would give them more argumentative clout. What fundamentally caused the eclipse of what Lichtenstein calls politicized bargaining or, in more general terms, how did workers and unions find themselves on the defensive in the early postwar period?

34 Regarding the nature of the New Deal, close Lichtenstein readers might also wonder why a number of strong arguments the author has made in the past have not reappeared in State of the Union. They tend to be critical of New Deal politics and present a less consensual image of its political base among workers. Consequently, they view politicized bargaining as a less commanding force and firm‑centered bargaining more directly rooted in the New Deal period than in State of the Union.

35 Earlier Lichtenstein scholarship thus shed a different light on the 1946’s turn of events. The 1946 midterms were a setback for labor‑liberal electoralism, but its causes and significance cannot be explained by merely external or conjunctural factors. For if the CIO‑Democratic Party alliance and the welfare state had really been a salvaging force for working families, if government policies had been perceived as convincingly progressive, then the widespread worker abstentionism—which is what actually lost these elections for the Democrats—would have meant that workers themselves had been swept up in the “conservative turn,” as State of the Union seems to imply. If not,

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what can explain such a brutal turn, a defeat? For at the time, workers were not on the defensive, notes Lichtenstein elsewhere: “American unions certainly had the power and capacity to conduct such politicized bargaining. By 1945, the trade unions stood near their 20th century apogee...” [SOU, 100]. And the year 1946 saw unionized workers in movement, it witnessed unprecedented industrial actions, from the winter strike waves to industry‑wide general strikes. President Truman had taken a hard line during those strikes, but Democrats running for election, especially those in working class constituencies, continued to run on their New Deal record.

36 Disaffection from Democrats was in fact not a new phenomenon in 1946. Events and earlier Lichtenstein attest to unprecedented attempts by workers to develop independent political alternatives to the two major parties, to the point of departing from the Democratic Party sphere. Farmer‑Labor parties and the popularity of labor party sentiment was already spreading in the late 1930s; in 1937, over 20% polled said they would join a labor party, not to mention vote for one [Lipset, 278]. New Deal governors of industrial states were thus upbraided for their bloody crackdown of the 1937 Little Steel strikes, including the infamous Republic Steel “Memorial Day Massacre.” In 1992 Lichtenstein did not pull any punches when criticizing New Deal Democrats for 1937: “In Illinois, Pennsylvania, and Ohio, three states that were central battlegrounds for the CIO organizing campaigns, prominent Democratic politicians [...] turned the power of government against the unions” [Who Built America, 416]. Widespread working class abstentionism in the 1942 midterms, reflecting dissatisfaction with the war regime, was a wake‑up call for CIO leaders who then formed the nation’s first Political Action Committee to massively get out the labor vote for FDR in 1944. Previous Lichtenstein writings have shown that even within Reuther’s circle third party sentiment was commonplace, that a break with Democrats was close in the postwar [MDM, 304‑5], that Reuther himself came out in 1948 for a party based on labor before finally rallying to Truman and the Democrats; Reuther continued to toy with alternatives on its liberal fringes through groupings like the Americans for Democratic Action. The 1948 Wallace campaign expressed this phenomenon in its own way.

37 In other words, Lichtenstein’s brand of politicized bargaining was not so solidly rooted in key sectors of the working population. What’s more, as viewed from the shop‑floor at the time, it did not appear wholly progressive, especially as the realities of the mandatory grievance arbitration system took hold. In addition to the objective or subjective factors mentioned thus far, collective bargaining itself fell victim, says Lichtenstein, to its own inner logic, which necessarily dampening shop‑floor militancy: The situation was inherently unstable, even before the conservative turn in American politics put union militancy and shop floor activism under a cloud. Whatever its inherent legitimacy among rank‑and‑file workers, the shop traditions that periodically shut down the line or disrupted production subverted the very idea of a collective‑bargaining agreement. Managers denounced such activism as illegitimate ‘wildcat’ stoppages that violated the contract and robbed collective bargaining of its usefulness. They complained that unless union leaders guaranteed labor peace during the life of an agreement, their incentive to bargaining would disappear. And most union officials, from John L. Lewis and Sidney Hillman right down to the most radical local union leaders, had to recognize the logic of this imperative, which is one reason that a tradition of shop syndicalism never quite achieved the kind of legitimacy in the past‑1940 era that it had won during the era of the Industrial Workers of the World a generation before. [SOU, 62]

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38 Given the very nature of collective bargaining, and the “orderly” relations it requires in each workplace, the balance of class power was clearly shifted into management hands. [MDM, 153] This order was secured though the stabilization of union leadership, thanks to the system of industrial jurisprudence’s introduction of the union shop: At this most immediate and crudely political level, Reuther and the other union officials wanted an umpire system in order to protect the leadership from the consequences of undisciplined shop‑floor militancy. GM department representatives had found their days and nights consumed with stopping these wildcat stoppages [“Great Expectations,” 129].

39 Such was the existential dilemma of trade unionists, that of conciliating the right to strike with the daily functioning stability of contractual relations. After taking political advantage of the former UAW president’s attempt to stabilize the internal union regime, Reuther himself fell prey to the same dilemma and risks: “Like Martin, Reuther had become a prisoner of the corporation’s demand for continuous production, and like Martin, he was coming under attack from militants in the shop” [MDM, 147]. It was nevertheless in the name of workers’ power, and the much trumpeted “ideology” of industrial democracy, that workers were deprived, as of the 1930s, of their most elementary source of power, that of shutting down the process of production.

40 In this way, industrial jurisprudence ultimately swayed the firm‑level balance of power in favor of management. To counteract its local advantage, labor’s only solution would be to look to the realm of national politics and the transformation of the American state: such was the politicized dimension of the bargaining regime. But many laborites would take issue with the premise that even an all‑inclusive political construct could offset management prerogatives if not grounded in workers’ fundamental power over production: the 1930s political and social legacy, all will agree, is inseparable from strike and struggle. So in the final analysis, the degree to which politicized bargaining was actually achieved is more debatable than State of the Union leads the reader to believe.

41 We have seen through this overview of Lichtenstein, culminating in State of the Union, that the more postwar bargaining is portrayed as a defeat the more it is opposed to the preceding system of politicized bargaining. This historical frame implies a characterization of the New Deal, and its balance of social forces right down to the shop floor, as being intent upon and able to ensure equitable collective bargaining. Lichtenstein thus consolidates his hypotheses over time and by doing so, globally reinforces his own chronological approach, which places the key turn of contemporary politics in the immediate postwar period. But in order to justify his most recent hypothesis of postwar firm‑centered collective bargaining as outright defeat he tends to lend the New Deal ever greater virtues, to the point, we believe, of weakening or even omitting previous arguments whereby the author explained how labor had found itself on the defensive, especially due to unfulfilled political expectations. Defining Labor’s Multiple Roles 42 We would like to highlight here some terms that are used by a number of American labor historians, and Lichtenstein in particular, and which cover different conceptual spheres than when used in Europe. They include corporatism, popular front and social democracy. The way they are applied in the United States reveals one dimension of labor and 20th century labor questions which we believe needs to be further addressed, i.e. the multiple roles that trade unionism adopted in the postwar period.

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1. Clarifying Terms 43 In the U.S., “corporatism/corporatist” is essentially interchangeable with tripartite, meaning any joint government, industry and labor body, most prominently those set up within the World War II defense state. This participation was active and enthusiastically undertaken by CIO unionists, from Washington’s economic commissions down to local defense industry centers like Detroit, where UAW officials helped implement wartime manpower policies in factories and public services in communities (transportation, day care [...]). American labor historians tend to present corporatism as a largely positive phenomenon, an opportunity for laborite influence in public affairs. In doing so, they are but mirroring a major aspiration of most CIO labor leaders at the time, especially the United Automobile Workers Union’s (UAW) Walter Reuther. Thus, when referring to the politicized nature of labor relations during the war Lichtenstein notes: “Corporatism of this sort placed capital‑labor relations within a highly centralized government context, where representatives of the contending ‘peak’ organizations bargained politically for their respective constituencies” [SOU, 101].

44 As for Walter Reuther, “an imaginative planner, he would link union power with government authority in what we might label today a ‘corporatist’ framework [...] a more stable and humane framework”[MDM, 155]. The term comes back repeatedly in Lichtenstein and most often in this positive light: when questioning whether the old New Dealers succeeded in their last attempt to politicize the bargaining regime, his chapter subtitle reads “Corporatism in the Sixities?” [SOU, 132].

45 In Europe the distinction between tripartism and corporatism is crucial. At its best “tripartism” is a balanced playing field of social partners where unions impose their demands upon government and business, thanks to their degree of organization and mobilization. On the other hand “corporatism” is opposite in nature, for since Mussolini’s attempt to destroy independent organizations through their integration into the state apparatus, it has been associated with fascism. As unions became direct instruments of running the economy, class struggle was subordinated to upholding the “common good.”

46 The “popular front” was the name of 1930s government coalitions bringing together Communists, Socialists and left‑leaning bourgeois parties against the fascist threat. (In France, the socialist S.F.I.O. governed with the bourgeois Radical Party, the Communist Party remaining outside but giving critical support.) Popular Front coalitions were broader alliances against fascism including trade unions and associations, as in the U.S. during that time, around the U.S. Communist Party. “Social Democracy” officially means those political parties having origins in the Second International (France’s S.F.I.O. meant “French Section of the Workers’ International). In the forefront of 20th century struggles for welfare state reforms within the capitalist system, these “reformist” parties are distinguished from “revolutionary” Communist parties which promoted the violent overthrow of capitalism to achieve social transformation. It should be noted that Socialist parties traditionally have their roots in the working class, linked to the trade unions and are component parts of the “labor movement.” Such is not systematically the case in U.S. labor history, where “social democracy” is freely applied to the non‑communist left, labor and even liberal Democrats.

47 Reference to American “social democracy” is frequently found in Lichtenstein’s work when describing welfare state programs or policies, unions or political trends. Walter Reuther’s agenda was that of an “American Social Democracy” [chapter title, MDM] and

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Reuther “understood, as so many did not, that for labor’s voice to carry real weight he had to reshape the consciousness of millions of industrial workers, making them disciplined trade unionists, militant social democrats, and racial egalitarians” [MDM, 301]. The label in the strict sense could formally apply to Reuther himself; who had been a card‑carrying member of the the U.S. Socialist Party and then later worked with Social Democratic parties around the world.

48 The New Deal was for all intents and purposes, America’s “Popular Front.” Likewise, the New Deal coalition regrouping CIO unionists and liberal Democrats became the homegrown version of Social Democracy, occupying the equivalent political space to social democratic or labor parties in Western Europe and the Commonwealth. Lichtenstein says as much, regarding the 1944 elections and the PAC: “Unionism boosted turnout and Democratic Party loyalty for fully a third of the electorate, so partisan politics in the early postwar era had something of a social‑democratic flavor” [SOU, 104‑105].

49 Such assimilations are both intellectually satisfying and useful to highlight trends among workers’ experiences worldwide. They conveniently fill the gap left by that aspect of American “exceptionalism” which is the lack of any mass political organization speaking in the name of working people and their families. But the amalgamations can also be problematic when referring to political parties without references to their historical or class roots, or clouding over the distinct nature between unions and political parties.

50 This “nature” derives from their particular constituencies, from the differing roles and responsibilities that respectively incur upon labor parties and labor unions in a democratic society and which, in most countries, create a sort of division of labor between them. And so, while political parties entering government and making public policy are part of their function, the same is not true of unions. During France’s Popular Front, for example, even while Socialist Party leaders were in government, unionists were in the factories and the streets mobilizing massive support among the working population for institutional reforms: each carried out its own, indispensable roles, on its own specific ground.

51 The absence of this kind of division of labor and its consequences constitute one dimension of the U.S. labor question which is rarely addressed. By not doing so, labor historians only reproduce a quasi‑permanent confusion between “political” and “trade union” activities, which is a characteristic trait of the New Deal‑CIO coalition itself. The current consensus around the AFL‑CIO’s “social unionism” finds its origins here.

52 One expression of this confusion is the free and interchangeable use of adjectives like “liberal” and “progressive.” The lack of definition or distinction has at least one significant effect, that of blurring class lines. And so, armed with liberal and progressive credentials, the labor‑liberal alliance is automatically deemed apt to defend workers’ interests in electoral politics and government spheres. Blurred class lines are a precondition for the loose application of terms like social democratic to a party with no working class roots. Thus UAW liberalism aspired to bring about the “crystallization of a social democratic current inside the urban‑labor wing of the Democratic Party” [MDM, 306, chapter “An American Social Democracy”].

53 Free use of political notions also serves to minimize the import of World War II “corporatism.” As long as unions’ roles were judged progressive, their quasi‑governmental functions in running the wartime state apparatus at all levels were

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taken for granted. But this corporatism resulted in U.S. labor leaders adopting multiple roles, in addition to those directly associated with the trade union mandate. 2. Labor’s Multiple Roles 54 Among labor historians, Lichtenstein goes furthest in exploring the repercussions of World War II labor statesmanship for workers and their trade unions. In a chapter aptly entitled “A Faustian Bargain” [Labor’s War at Home] he points out the pros and cons of such a corporatist bargain. Wartime agencies, especially the tripartite War Labor Board, socialized much of the trade union movement’s prewar agenda, thus making gains like seniority and grievance systems standard entitlements for extended working class sectors.

55 But Lichtenstein still asks, were unionists like Reuther making a Faustian bargain? Their unions had become “ensnared in a process that would cede much freedom and legitimacy to the warfare state” and the no‑strike pledge—whereby unionists committed themselves to the war effort, striving to ensure continued war production by blocking industrial actions—inevitably opposed union leaders to their own militant rank and file. The multiplication of tasks which came with running the war through participation in government agencies would bloat union bureaucracy. As a tireless legislator, lobbyist, planner, tribune, Walter Reuther was the emblematic labor statesman. His Washington work “distanced him from ordinary workers and feisty local union officers, whose interests he now felt to be but one pressure among many within this half‑constructed corporatist order” [MDM, 181]. This “distance” taken by Reuther and others was therefore from their role as trade union leaders, which is primarily defined by the mandate they receive to satisfy their members’ demands. In the meantime, they were assuming multiple identities as state managers, Washington lobbyists, politicians and finally campaign operatives who spared no efforts to rally unconditionally for an FDR victory in 1944.

56 All of this converged in politicized bargaining’s aim of accomplishing labor’s “larger ambitions,” which, in Lichtenstein, is a euphemism for its political agenda. But at the same time, political bargaining’s all‑encompassing mandate obliges both trade unionists, and their historians, to clarify terms. Which movement should be labeled as progressive or social‑democratic, and therefore endorsed in a year like 1944? On the one hand, there were CIO statesmen who, by choosing to uphold the defense state rallied workers electorally and so “boosted turnout and Democratic loyalty” [State of the Union]. On the other, there were rank and file workers starting to move in the opposite direction, away from the Democratic Party. In the past, Lichtenstein has enhanced the content of political independence in groupings like the UAW’s Rank and File Tendency which, at the union’s 1944 convention, clamored at once to revoke the no‑strike pledge, break with the defense state and form a third party, a new political party defending the interest of workers.

57 Which one of the movements is progressive for Lichtenstein? Both one and the other, depending on the bibliographical reference in question. Industrial unionists were trying to assume their multiple roles. But they could not at once integrate and uphold state institutions as labor statesmen and simultaneously mobilize workers’ countervailing power around their particular interests, as unions had done in the 1930s —on both sides of the Atlantic—resulting in the transformation of state institutions for the popular, not the “common,” good. Building upon their experience in the World War

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II defense state, U.S. unionists would pursue their new identities and thereby help shape the model of postwar labor. 3. The Postwar Model of Trade Unionism 58 What we have called labor’s “multiple roles” brought some unions to act as—or occupy the space of—political party, lobby, electoral machine, family or community center, hospital, bank, insurance company...

59 Politically, it has been argued that one union, the UAW, became the preeminent force of liberalism in postwar America. The automobile workers devoted enormous means to influencing government intervention into the economy, the growth of the welfare state, civil rights, U.S. foreign policy in the Cold War. For Walter Reuther, the UAW’s role in promoting a liberal America was indispensable, for the Democratic Party was “not a labor party” [Boyle, 1995].

60 AFL‑CIO unionists were still labor statesmen in the 1960s. At the very moment when America’s cities and neighborhoods were ablaze, these statesmen turned once again towards government agencies and tripartite action from above to resolve working people’s ills, as through President Kennedy’s Labor‑Management Advisory committee. Lichtenstein himself begs for a comparison with the World War II governing regime when placing this experience under the auspices of “corporatism” [State of the Union].

61 One conspicuous role, that of labor “lobby,” is particularly illustrative of the effects such activities and the causes they defend could have on the nature of unions. It was not just labor’s detractors, be they traditional conservative foes or, as Lichtenstein notes, former industrial pluralist allies, who labeled labor as mere lobby. It is worth noting to what extent the AFL‑CIO enthusiastically embraced this role, to the point of becoming a forerunner for modern public interest groups and political action committees. In the 1950s and 1960s, the AFL‑CIO and its C.O.P.E. lobbying branch defending causes as diverse as public housing and aid for the poor, Medicare, national public education.

62 In these instances, the labor lobby’s primary constituencies were not necessarily union members: certainly not the poor receiving aid for—almost as a rule—union members had higher‑than‑average living standards for working people. As for public housing, whereas the UAW aspired housing for one third of the population, and despite mammoth efforts, only a small fraction of the population ever profited and even a smaller proportion of union families. The 1963 national law on education was a case in point, for the labor lobby deliberately favored constituencies other than its own members. In the name of obtaining a federally mandated law to ensure equal educational opportunities for all children, whatever the socio‑economic level of the communities where they reside, the federation and teachers’ unions had to engage in tough give‑and‑take bargaining to gain concessions from competing lobbies, mostly private confessional schools. And as the bargaining logic goes, gaining concessions meant trading off labor’s most powerful bargaining chip, which in this case was teacher salary demands, ultimately the big losers of the law. Finally, industrial workers as well were somewhat critical of the AFL‑CIO’s legislative lobbying priorities as shop‑floor working conditions degraded and accidents multiplied. Despite this era of labor’s greatest organized strength, of crushing two‑thirds Democratic majorities with undivided government, a law regulating even elementary workplace safety and health issues, the 1970 Occupational Safety and Health Act, obtained much too little and came way too late.

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63 These examples illustrate to what extent the multiple roles played by labor leaders “distanced” them from their elementary function of carrying out the union mandate. And so what began with labor statesmen’s rapprochement to the World War II defense state apparatus ended up impacting the very model of trade unionism in the United States. The interests of “ordinary workers and feisty local union officers” had now institutionally become but “one pressure among many” among the various constituencies of labor leaders.

64 In this way, in their efforts to solve the labor question, unions played a variety of roles. This experience deserves more attention when considering the state of 20th century U.S. unionism? The roles sought to channel national political protest through institutional pressure, reserving militant strike action to support firm‑centered contract negotiations. In this way as well, they date back to the wartime imperative for social peace.

65 Thus the questions we’d like to address to Nelson Lichtenstein. To what extent did wartime corporatism, in the sense of state institutions tending to integrate class organizations and struggle, affect the nature of U.S. unions? And especially, how did unions’ multiple roles affect the postwar “defeat,” be this on the grounds of elections, legislation or contract negotiating? For Lichtenstein, labor’s multifaceted identity is presented as an inherent trait of U.S. trade unionism. American organized labor is “unique and transcendent, for the unions combine features inherent to an expansive social movement, an ideological formation, a political lobby effort and an institution designed to micromanage the labor market, both inside the workplace and out” [SOU].

66 However, these innovative attempts to satisfy labor’s “larger ambitions” have had implications upon the nature and model of postwar labor, notably the “distance” they introduced between leaders and members. And the relinquishment of more militant forms of workers protest implied was not indifferent to the “distance” labor took from the social movements of the 1960s. Conclusion: Nelson Lichtenstein vs Walter Reuther 67 In conclusion, the reader should not be surprised to find many references made to Walter Reuther in this paper, as in Lichtenstein, his biographer. In many ways, Lichtenstein’s pursuance of unions and the 20th century labor question has been what one might call a “career‑long, academic factional struggle” with the ideological, idealistic, combative leader of industrial America’s path‑breaking union. I first met Nelson during the summer of 1985 at Wayne State University’s Walter Reuther Archives in Detroit. Years later, in 1997, Nelson was surprised when I recalled how already at that time, 10 years before the publication of his landmark biography, he was already pondering, ruminating, throwing out ideas and testing formulations, concerned about how to best do historical justice to Reuther and the narrative history of industrial unionism he was about to write.

68 In this sense, it is safe to say that the publication of his landmark 1995 biography of Walter Reuther was, for Lichtenstein, as much history as catharsis. He recounts the militant life of an exceptional figure who spent most of his waking hours fighting, for his conception of democracy in the workplace, for more unionism in a better America, for power within his own organization and without. As a conclusion, in the face of the labor movement’s erstwhile woes, Lichtenstein opened future perspectives by asking “What would Walter do?”

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69 Seven years later with State of the Union, Lichtenstein ends with his own ideas about how labor should meet the challenges of the new century. To this effect, he answers the question: “What would Nelson do?”

70 Lichtenstein’s main design is to rebuild and reinforce trade unions. He explains why, despite its recent emergence and certain advantages in the courts, the so‑called rights‑based model of social regulation cannot replace one based on the collective advancement of mutual interests. This defense of unions as a component part of democracy is welcome at a time when some would like to dissolve trade unions into the indiscriminate context of “civil society.”

71 The author concludes with three strategic proposals for the future of labor which, maybe not surprisingly, bring Walter Reuther to mind.

72 The first is the need for “militancy,” as the union movement was built and has always imposed its will through struggle. The leader of some of the century’s great strikes, Reuther would certainly agree.

73 The second is “internal democracy.” This is where the two most diverge: the UAW’s tough internal regime under Reuther would not meet the standards of participatory culture urged by Lichtenstein to democratize labor organizations.

74 Finally, there is the “political dimension.” Lichtenstein concludes with an appeal for political action in favor of labor’s legislative agenda and workplace rights. He advances the need for a strong social‑democratic movement, linking unionists to a broader liberal constituency and for independent labor political action within the broad Democratic Party sphere.

75 For all intents and purposes, regarding labor’s role in society and politics, what would Nelson do? Pretty much what Walter would have done. It seems, then, that in this career‑long factional struggle, as was often the case in such struggles, Walter has won.

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NOTES

1. Among other academics in this group, Stanley Aronowitz, Staughton Lynd...

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Class, Race and American Labor Some Consideration on Nelson Lichtenstein’s State of the Union

Catherine Collomp

1 Labor history in the United States is well‑chartered territory. It is the object of countless scholarly books, appears in many college and university curricula and it is the subject of on‑going revisions and debates. Although labor history has always implied a form of at least implicit social commitment, it has been commented upon and written about as abundantly as other aspects of social history and often with more stamina or vindication. Nineteenth and early twentieth‑century working class formation, unionization, and institutional labor organizations, as well as labor politics, strikes and militancy have been studied, commented upon and been the object of sharp discussions.

2 Yet, as we are now in the 21st century, it appears that our knowledge of the second half of the 20th century is not established on such firm ground as is the case for earlier periods. Such concepts as class, working class, workers, unions, have disappeared from the current vocabulary or acquired new meanings. This is not simply the effect of post‑modernism, but a sign of what Nelson Lichtenstein calls the “eclipse of the labor question.”

3 Familiar explanations of current events on the labor scene fade into insignificance, shift into other categories as de‑industrialization has completely changed the structure of the work force and consequently the role and scope of labor unions.

4 In addition, the decline of the organized labor movement itself contributes to discrediting scholarly interest in labor history as a field of inquiry. In a short span of time, towards the end of the 1980’s, labor historians were struck by the disquieting feeling that there is less at stake politically, and also less scholarly interest in studying labor history than there was in the three previous decades. Was it a “ripple effect” of the collapse of the left in all Western societies and of the absence of credible alternatives to the capitalist order or to capitalist societies as they exist today? History is surely about things past, but as many historians have argued, this past is only interesting inasmuch as it is relevant to the present, or can be revisited with contemporary sensitivities. In State of the Union, Nelson Lichtenstein does much to bring

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the question to the fore in its many crucial aspects. His belief that labor has a “unique and transcendent function [...] designed to micromanage the labor market, both inside the workplace and out” (18) stimulates our questions and revives our hopes that the labor question is not out of place in the modern world.

5 Starting from the firm ground which Nelson Lichtenstein himself contributed to establish of New Deal and World War II labor history, State of the Union provides a new synthesis on the evolution of the American labor movement since World War II (in spite of its subtitle A Century of American Labor, the book is more about the second half of the century than the first).

6 It spans over 5 decades of US labor, political and intellectual history. The scope is wide and the purpose at least twofold. Lichtenstein explains the causes of labor’s institutional demise and, more importantly, he emphasizes that, for the sake of the workers, and for American social progress as a whole, unionization is just as necessary as it was at the beginning of the century. This book is therefore predicated, as the author underlines, on the idea that “a larger, more powerful, and more democratic trade‑union movement is essential to any progressive reso lution of the contemporary stalemate that structures social politics in the United States” (17). Lichtenstein does not accept the widespread notion that unionization is no longer in the order of the day: wages have declined, arbitrariness reigns supreme, work shifts are long, part time is imposed not chosen, absence of job security prevails in many sectors and especially in the most dynamic ones where jobs are created. The point is made at the outset of the book: “90% of all private sector workers in the United States are employed under at‑will doctrines. [....] The rights of workers as workers, and especially as workers acting in an autonomous, collective fashion, have moved into the shadows. The law, the managerial ethos, the opinion‑forming pundits, indeed many workers themselves, have marginalized and ridiculed the idea that democratic norms should govern the workplace” (3).

7 Many explanations have been given for the decline of unionization and unionism. These reasons generally belong to three sets of arguments. They first have sprung from a criticism of the labor movement itself, making it responsible for its inadequacy to the present situation. Much New Left criticism on the failing AFL‑CIO leadership in the 1960’s, George Meany and his conservative views, has been expressed for long. Paul Buhle’s recent book, Taking Care of Business: Samuel Gompers, George Meany, Lane Kirkland and the Tragedy of American Labor (New York, 1999) indicates that from its inception the US labor movement has been plagued by conservative leaders. But that in itself brings us back to the classic question: why is that so? And why have not more radical and open movements of the type of the Knights of Labor, the IWW or the early CIO taken a steadfast hold in the American context?

8 The second set of explanations refers to the economic environment: the changing structure of the economy from the 1960’s to the present. De‑industrialization, international competition, the rise of a service economy where more than four‑fifths of the work force is employed now, the disappearance of the large factories and of a skilled and semi‑skilled labor force of operatives which was the basis of union strength, are parts of the explanation.

9 Yet the inability of labor organizations to appeal to white collar workers, and to organize sales and service workers (banks, insurance companies, hotels, restaurants, medical care) is partly a direct consequence of the first problem: the AFL‑CIO’s absence

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of vision, imagination and radicalism and its snug bureaucracy since the 1950’s and 60’s. It has now become practically impossible to organize new locals, let alone new unions. Workers, often employed on a part time basis, and in small units, are rarely likely to risk their jobs for the benefits of a union after years of litigation. Not to mention the legal constraints of the Wagner Act ill‑adapted to today’s workforce.

10 Another cause of labor’s decline is ascribed to the political culture and managerial prerogatives of American employers: US managers’ aggressive tactics to get rid of the unions, or avoid them when none exist, have become highly sophisticated to circumvent labor laws. As Lichtenstein puts it: “The most exceptional character of US labor/management relations is the hostility managers have shown toward the regulatory state and virtually all systems of worker representation” (105). And of course the workers’ reluctance to unionize is understandable when the risk incurred for them is that of losing their jobs. American employers’ visceral opposition to unionization is not new. It was even fiercer, less subtle, a hundred years ago, and legally so. What now appears is that the New Deal parenthesis (1935‑75), which also partly corresponded to the 30 years of a glorious economy, had caused us to forget the employers’ historic opposition to labor rights, or had created the illusion that it could be overcome.

11 Nelson Lichtenstein explores these related factors, not successively, but together, seeking to establish the genealogy of the present legal situation through the many stages when laws were enacted, jurisprudence created or modified. The thread through these chapters is legal history. In this respect NL’s book has much to do with a line of the school of new labor legal history that includes David Montgomery’s Citizen Worker, The Experience of Workers in the United States with Democracy and the Free Market during the XIXth Century (Cambridge, 1993) and other studies more directly related to studying state/labor relations such as Christopher Tomlins (The State and the Unions, New York, 1985) and Melvyn Dubofsky (The State and Labor in Modern America, Chapel Hill, 1994).

12 To state the case clearly, and dramatically, Nelson Lichtenstein offers a fourth set of explanations. He establishes the contradistinction between the workers’ collective rights and the ascendancy of individual rights through the litigation of discrimination cases since the 1960’s and the Affirmative Action programs. Thus race enters the picture, not so much by reference to the divisive power of racism in the unions or the workplace, but because the nation at large, and employers in particular, are now responding to the demand for racial equality while they are opposed to union recognition and a union’s right to establish democracy in the work place.

13 Race and class have always had an antagonistic relation in US social history. That vicious relation has recently been re‑emphasized by the crop of “whiteness studies” that have appeared in the last ten years (in the wake of David Roediger’s Wages of Whiteness, London, 1991) pointing to the construction of racial identity among white workers and the benefits derived from that consciousness. Lichtenstein’s perspective, of course, does not ignore that, but he looks at it from the view point of the new forms of rights consciousness as they have developed since the Civil Rights Act of 1964 and its implementation in the workplace and in all aspects of the public sphere. He maintains that individual workers’ rights may easily be vindicated, but not the collective rights of workers—even, and perhaps especially, when they offer a united multiracial front. The employers’ legal and economic powers can defeat unionization by way of the old trick of satisfying individual demands of equal treatment thus downgrading the economic

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status of the workers as a collective group and depriving them of empowerment. Lichtenstein brilliantly explains that Affirmative Action has become the most publicized social agenda in the workplace, public or private. Employers’ commitment to “Equal Employment Opportunity” for all workers regardless of race, color, sex, religion, national origin, age, or marital status is the rule of the land in labor management. At the same time, insecurity in the workplace has also become the rule of the land and the basis of the new economy.

14 Indeed US law and society now recognize ethnicity, race, and gender ascription in an unprecedented and favorable manner, thus leading to identity politics and claims that preempt or precede other forms of collective action. But one problem with that interpretation is that of causality. Is it because of the favorable response that anti‑discrimination suits have obtained in the courts that the union movement does not keep its hold? Surely not. And the exception given in State of the Union (181‑186) of the high degree of unionization among black workers in the public services is proof to the contrary. When unions are not attacked they may flourish, especially if they also fight for racial equality. And figures prove that African‑Americans are more likely to be union members than white workers (respectively 25.4%, 17.7% according to the 1989 Statistical. Abstract of the US, for instance). The simple factor of their more massive presence in the working class or lower middle class explains the imbalance.

15 The articulation between race (or ethnicity and gender) has immense and complexly related variables. It deals with human agency, labor politics, culture and indeed employers, but also with the state, justice, the law and the courts. The problem is the relation between these elements. I would perhaps historicize the interplay between race and class, as aspects of social experience, differently from Lichtenstein’s interpretation which emphasizes the 1960’s as the moment when individual (anti‑discrimination) rights started overcoming collective rights.

16 The nexus of relations between race, class and empowerment has a long history which, until the advent of the CIO, was predominantly one of exclusion for women and non‑white workers and therefore a cause for fragility in the labor movement. The Wagner Act, the CIO, and the full employment generated by World War II, reversed that situation. Possibilities for the existence of a powerful labor and inter‑racial movement was already at stake in the 1940’s, at the apex of labor’s power. But it was immediately attacked by the employers’ indomitable resistance which led to the 1947 Taft‑Hartley Act and to later acts to curb labor (Landrum Griffin). It is therefore no coïncidence that the Civil rights legislation was belatedly enacted in 1964, that is after labor had been dealt the most severe blows. Not only blows to its regular functioning in the work place (strike regultation, right to work clauses, employers’ right to campaign against unionization, stipulated in the Taft Hartley Act). But also, in the context of the Cold War, the most definitive attacks were dealt against labor’s radical left, the Communist Party particularly. Only after the labor movement had been deprived of its most radical contenders and able organizers, did the state, through the US Supreme court’s judicial activism, began to dismantle segregation. Desegregation was a major achievement, but it operated within the tamed polity of the Cold war era. It is only then that the Warren Court formulated the Brown v. Topeka Board of Education decision (1954), later to be followed by the 1964 Act to more fully eradicate segregation. This was a time when the labor movement seemed economically strong and reunited within the AFL‑CIO, but whose political clout, beyond support to the Democratic party, had been eliminated and

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had led to a “pluralist society,” that is one where unions are tolerated as long as the economy can support their claims.

17 Thus if I agree with Lichtenstein that an immense shift in power relations took place in the 1960’s and 70’s, I think the roots of labor’s decline had already been at play since the late 1940’s. And the ascendancy of individual rights can be seen as a consequence of the stagnation and decline of labor unionism. In the 1960’s, simultaneously the old industrial order began to crumble (inflation, automation, de‑industrialization, international competition), and individual rights, the corner stone of American constitutionalism, were given a new recognition by elimination of all discriminatory factors that maintained racial minorities in a form of second class citizenship. The question as to why the labor movement was not able to join forces with the Civil Rights movement to create a broad social and political coalition for social justice lay in these historical precedents. Labor had already become too conservative and too much on the defensive to seize the objective benefit of an alliance with the progressive forces of the Civil Rights movement. These, in addition, were most active and successful in the South where labor was constitutionally weak. And, in the North and West, the failure of the economy to match economic equality with civic equality soon became manifest with the ghetto riots.

18 Several chronologies that reinforce the contemporary shift in power relations are intertwined here. The US Supreme Court’s intervention in the realm of individual rights is relatively recent in American constitutional history. It is certainly very new when compared to the right of contracts by which employers have always been free to hire or fire at will. It is only in the 20th century (Gitlow v. New York, 1925) when the SC started to take up the defense of individual rights and only after the 1937 crisis in the court, and the decline of MacCarthysim, that the court was now able to address the problem significantly. If historian Eric Foner has called the Reconstruction an “unfinished revolution,” (Reconstruction, America’s Unfinished Revolution, New York, 1988) we may suggest that as long as individual rights were not fully equally established the constitutionality of these rights also remained unfinished, that may be what is still at play now.

19 The question of the primacy of labor’s ability to subsume racial antagonism seems to be taken for granted in Lichtenstein’s work. And indeed in theory it should be. But most historians of the African‑American experience point out to persisting inequalities and hostility. Bruce Nelson’s study of steelworkers in the post World War II era (Divided We Stand: American Workers and the Struggle for Black Equality, Princeton, 2001) has shown the inability of the Steel Workers’ Union (USWA) to establish equal seniority rights between white and black workers well into the 1960’s and 70’s, that is when work began to disappear and the union to decline. Even through these decades the rate of unemployment was twice as high among black workers as among whites. Thomas Sugrue (The Origins of the Urban Crisis, Race and Inequality in Post War Detroit, Princeton, 1996) has similar examples for Detroit and the formation of a jobless ghettoized proletariat. And the work of William Julius Wilson (The Truly Disadvantaged: The Inner City, the Underclass and Public Policy, Chicago,1987; When Work Disappears: The World of the New Urban Poor, New York, 1996) has confirmed the persistence of this phenomenon. Race Matters, as Cornel West has suggested (Boston, 1993), and by race, he means the social construction of race on the two sides of inter‑racial relations. The subject of race as a shared culture, grounded in religion, a common past and experience, which leads

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to strongly articulated community reactions and today’s assertion of equal rights, is not really addressed in these pages.

20 To my knowledge (limited to the study of the late 19th and early 20 th centuries), unionism never was a primary form of organization in the American working class. It only came into existence when it coalesced with other forms of social organization. These were primarily local and ethnic in the context of high immigration rates (and that is still the case today), but also political or religious. The resources for welfare were rooted in ethnic or religious associations and fraternal orders. For instance, the highest degree of organization at the turn of the century was among Jewish workers in the garment trades, it sprang from a common linguistic, cultural, political (socialist) and religious heritage which became a model for the most modern forms of unionization achieved in the 1930’s. Unionization also took hold when its structural mode of organization adequately matched the most dynamic forms of industrial production. Trade‑unionism among craftsmen in the building trades, for instance, resulted from the fact that they were employed in small units relying on highly skilled workers who thus had leverage on their employers. The success of the CIO, to take another example, lay in its adequacy with the environment of mass production in large factories. But what are the economic structures of production today when de‑localization and de‑industrialization have transformed the economy? And when the possibilities of unionization for clerical and service workers are practically inhibited by the law with the exception of the public sector?

21 The situation today may be compared to that of the early 20th century, with the important exception that the local and federal state, as well as large companies, have become the providers of welfare systems, however fragmentary and incomplete these may be. Anti‑union employers have seen their advantage in providing insurance benefits in exchange for unionization thus at the same time defeating any universal welfare system which would have created a real counterweight to precariousness. The crucial debate today is that of universality of welfare or of more uniform wage and pay scales. Can any comparison be drawn with the French situation? France has an even lower level of unionization than the United States. Yet its collective bargaining system, also more fragile in today’s context, is not limited to actually unionized workers but is extended to all workers in the same sector. The case here is one of centralization and much greater state intervention than the United States would accept, an entirely foreign concept to the American political culture and all the more unlikely to develop in the context of economic liberalism in the US today.

22 By way of conclusion one may wonder if the heightened awareness of rights, whose effects are so thoroughly and convincingly analyzed in these pages, is only a phase of social relations, which when completed, as David Hollinger has hoped it will be (Post Ethnic America: Beyond Multiculturalism, New York, 1995), would lead to a more fully egalitarian and universal citizenry, and therefore to a more stable ground base for a workers’ movement? The present situation in the United States and the globalization of national economies in modern capitalism do not lead to unmitigated optimism for the reconstruction of a broad union movement.

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Does The « Working Poor » Exist ? Social Experts, Unions and the Poverty Question in the Age of Erosion of the Union Idea

Romain Huret

1 Nelson Lichtenstein’s State of the Union is a major accomplishment: a piece of work that moves us closer to the understanding of the historical role of unions. This rich synthesis is both a story of American workers and an attempt to reinvigorate Labor History. The chapters dealing with the post‑war decades provide a fresh and stimulating analysis. Above all, Lichtenstein parts ways with the theory of the “labor‑management accord” after World War Two, and he reconsiders the efforts of liberals and labor reformers, notably in the 1950s and 1960s. While he debunks the idea that the working class had become submissive at that time, he also argues that liberal policymakers helped set up a system of industrial relations that the workers would not have obtained alone. Like any impressive book, State of the Union has areas where the analysis could have been stronger, notably to explain the decline of unions during the 1950s and 1960s.

2 In the second part of the book, Lichtenstein pays considerable attention to these two decades, one of the key periods of the 20th century. Indeed, the the main focus of the book revolves around the emergence of unions in the first decades of the century and the beginning of their decline after the World War Two. To explain the slow erosion of the union idea, Lichtenstein singles out four main causes: the rise of Big Labor, which gave birth to political and judiciary backlash (141‑148 and 162‑166); radical and liberal disenchantment which led intellectuals to remain aloof from unions and the labor question (149‑162); a generational trend with the emergence of the New Left (160‑162) and the shift from a model of collective work rights to individual work rights (178‑182). I would add one more reason: the unions’ failure to encompass the “labor question” within a larger “social question.”

3 At the beginning of his book, Lichtenstein argues that the tension between the “labor question” and the “social question” had been central during the progressive era, as Alan Dawley has clearly shown.1 Above all, the Depression blurs the lines between the social question and the labor question with the key to recovery and economic stability depending on an increase in the workers’ purchasing power. I would argue that this

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tension resurfaced in the 1950s and 1960s, two decades of tremendous economic prosperity. While the “labor question” seems to disappear from the mainstream of American politics, many liberals put the “social question” at the top of their political agenda. The labor movement failed, nevertheless, to participate in any of the changes that took place during the 1960s and 1970s, most notably what Lichtenstein refers to as the “rights revolution.” Rather than being assertive in seeking constructive change for America’s dispossessed (racial minorities, women and the poor), organized labor barely took notice of what was happening, other than to issue occasional ritualized statements of support.

4 Paradoxically, while the book tends to rehabilitate the impact of state policies and the work of liberals in the course of the twentieth century, Lichtenstein maintains a traditional critical tone towards the War on Poverty, launched by Presidents Kennedy and Johnson in the fall of 1963.

5 While State of the Union integrates the most recent literature on poverty, the poverty question is viewed in a rather traditional way (194‑198). It is important to note that Lichtenstein clearly shows how the poverty question helped redefine the social question for New Left intellectuals such as Michael Harrington in his famous book, The Other America, published in 1962. One of the main arguments of Michael Harrington was the poor’s lack of political power. Hence, Lichtenstein quotes Harrington: The dispossessed at the bottom of the society are unable to speak for themselves. The people of the other America do not, by far and large, belong to unions, to fraternal organizations, or to political parties. They are without lobbies of their own; they put forward no legislative program (State of the Union, 161).

6 Lichtenstein then makes a clear distinction between the empowerment strategy of the Johnson administration and the old‑left wing liberal thinkers such as Leon Keyserling. He criticizes the War on Poverty for “blaming the victim,” to quote William Ryan’s famous book.2 Lichtenstein’s argument goes much further: as most historians contend, Johnson’s social reforms focused more on the psychological components of poverty than on the social and economic aspects: Lichtenstein has far more evidence about the lack of structural reforms in the labor‑market, often denounced by New Left historians. 3 Indeed, it is a well‑known fact that the Labor Department and his Secretary, Willard Wirtz, were strongly against the Community Action Programs.4 Instead, the Department pushed for intensified training, targeted economic development and substantial job creation initiatives.

7 Unions, on the other hand, cautiously endorsed the War on Poverty even though they had a long‑standing interest in the poverty question. As early as February 1959, the AFL‑CIO’s Department of research refuted the contention that “there were no impoverished Americans any more” by citing the estimated number of persons in 1957 who were either members of families with incomes below $3,000 or unrelated individuals with incomes below $1,500.5 A somewhat expanded version of this information was incorporated into a resolution on “Aiding America’s Lowest Income Families” at the September 1959 AFL‑CIO Convention.6 Thus, when the War on Poverty was launched, unions remained skeptical towards the goals of the Community Action Programs and the Job Corps. One year after the launching of the War on Poverty, United Auto Workers decided to finance the Citizens Crusade Against Poverty, a grassroots movement whose main goal was to empower the poor. 7

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8 In State of the Union, Lichtenstein shares this traditional skepticism, taking for granted the antagonism between social experts and labor reformers. A labor historian by training, he naturally tends to emphasize exogenous factors such as technology or social strife that seem to shape the limits of social policy. There are several points in the book where the importance of labor reformers, not to say liberal policymakers in terms of shaping social policy, appears to be somewhat secondary in comparison to dramatic technological or social changes, especially for the 1950s and 1960s, which were not, Lichtenstein argues, devoid of social strife. It seems to me that from a historical standpoint, the book would have been stronger had it been more aware of the poverty debate within the poor community and looked more seriously at the diversity of reforms promoted by experts within the Federal Administration. In State of the Union, the bureaucracy remains a passive body that expands through inertia or in response to external forces.8 Therefore, it is easy to reduce the stakes of the War on Poverty to an alternative among psychological or work factors and a choice between job training or job programs.

9 While most historians still emphasize the differences between liberals and labor reformers, notably New Left historians in the 70s and 80s, I would like to demonstrate that each group shared a common analysis of the poverty question in focusing on the specific category of the “working poor.”9 Contrary to what many historians have generally assumed, federal bureaucracies and unions were not inherently in conflict as far as analysis of this question is concerned.10 Antagonism arose more from the social tools which were promoted than from the social diagnostic that has been made at the time. Indeed, a common analysis of the poverty question was made during the 1950s and developed further in the 1960s when the Federal Government promoted the poverty question as a central concern for the nation. In my opinion, one does not have to wait for the 1970s and Nixon’s “working‑poor” rhetoric to see poverty experts focusing on this specific group.11

10 First and foremost, the economist Robert Lampman played a major role in shaping the limits of the “working poor” as a group. The “intellectual father” of the War on Poverty, in James Tobin’s words, was the heir of the Wisconsin school tradition, even if he tried to reinvigorate the analysis of the Commons’ generation.12 Although Lampman’s dissertation was straight out of the Wisconsin tradition, he began to shift from institutionalist theory to Keynes and neoclassical labor market theory during the 1950s. At that time, he challenged the “income revolution” theory heralded by economist Simon Kuznets,13 and showed that wealth holdings remained highly concentrated at the top of the income level. In 1959, he worked for Illinois Senator Paul Douglas and refuted Galbraith’s famous thesis about poverty.14 Indeed, he debunked Galbraith’s contention that the poor would not benefit from economic growth, becoming one of the leading experts of the country in the poverty field. Thus, his 1959 work for Senator Douglas drew the attention of Walter Heller when he became chairman of the Kennedy Council of Economic Advisers.15 As he entered Heller’s Council for Economic Advisers, Lampman shaped a new definition of poverty, more concerned with the main category of poor people—the working poor. The typical “working poor” family was two‑parent, male‑headed, and white. According to Lampman, more than 90 percent of the “working poor” received no benefits at all. In some states, working families in some states made less from employment than Aid to Families with Dependent Children families made from being on “welfare.”

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11 As he looked for means to reduce poverty, Lampman blamed the dual social security system: according to him, neither social insurance, nor welfare helped the poor. During the Task Force on Poverty of February 1964, the economist tried to promote this idea of focusing on the working poor. Nevertheless, he disagreed with the Labor Department’s experts about the creation of strong employment programs; he believed that reducing unemployment would not solve the poverty problem. To understand this specific standpoint, one has to know Lampman’s theory about poverty. During his years spent at the CEA, he distinguished the poverty rate and the “poverty income gap,” which was defined as “the aggregate amount by which the present poor population’s income falls short of $3,000 per family or $1,500 per unrelated individuals.”16 Indeed, job programs could improve the poverty rate but not reduce the poverty income gap. Therefore, he imagined an income‑transfer program, which would reduce the poverty income gap (in 1963, this gap was about $12 billion or 2% of GNP).

12 Nevertheless, Sargent Shriver and Lyndon Johnson decided to promote the empowerment strategy to help poor people, by launching both the Job Corps and the Community Action Programs. I would add here that for social experts such as Robert Lampman, the War on Poverty was a Pyrrhic victory since it was a weak reform, focusing only on the psychological aspects of poverty and promoting job training as the panacea to eradicating poverty. Contrary to what Nelson Lichtenstein contends, the War on Poverty was also a failure for many liberals within the Johnson administration. 17

13 Paradoxically, left‑wing thinker Leon Keyserling shared this analysis. As Nelson Lichtenstein argues, Keyserling remained the spokesman of many union members at the beginning of the Sixties.18 One of the last New Deal figures still involved in politics, he was deeply opposed to the growth strategy developed by the Eisenhower’s CEA and by Walter Heller’s CEA when he became chairman of Kennedy’s CEA. During the 1950s, Keyserling created the Conference on Economic Progress (CEP), a left‑wing organization whose aim was to rethink the liberal policy.19 In May 1957, the CEP published a study entitled Consumption: Key to Full Prosperity.20 The staff work for the study was undertaken by Mary Dublin Keyserling and Philip Ritz, under the direction of Leon Keyserling. In a section on “Poverty‑ridden Consumers,” the CEP set $4,000 as a “minimum adequate living standard” for families and $3,000 for unrelated individuals. In 1962, the Conference on Economic Progress published another study in order to stress the growth of poor people, living below the poverty line.21 The pamphlet strongly criticized the tax cut promoted by Heller. Indeed, Keyserling refused to distinguish between unemployment and poverty, as he believed that slow growth and unemployment had put 40% of American households at “poverty” (below $4,000) or “deprivation” (below $6,000) levels. This distinction between “poverty” and “deprivation” was made to include the category of “working poor.” Both for Keyserling and the CEP, the group of “working poor” was also at the core of the poverty question.

14 Yet, in spite of the common analysis relative to the extent of poverty, poverty experts and labor reformers disagreed on the ways and means to solve poverty.

15 For liberals such as Lampman, traditional methods of social reform, promoted by unions, were outdated in the 1950s and 1960s. In fact, in 1957, Bob Lampman blamed unions for their conservatism:

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It is typically an exclusive movement aimed at giving preference to “regular” workers and those having seniority. It should be borne in mind that union members are, generally speaking, in the upper half of the income distribution.22

16 When Lampman became a full member of the CEA, he made countless speeches and comments in front of union members and felt deeply disappointed by their lack of reaction. In June 1963, both Lampman and Walter Heller addressed the annual convention of the Communication Workers of America. Thinking this was a supportive audience, Lampman tested the idea of a comprehensive assault on poverty. Although some union members were interested in the tax cut, Lampman lost his audience nonetheless when he spoke about poverty. Thanks to his links within the Federal Administration, Lampman used the many task forces on poverty and income distribution to push for a negative income tax, the best way to reduce the poverty income gap. According to him, the negative income tax had to replace the welfare side of the social security system, reputed to be ineffective. The idea was an easy one: people below the low‑income bracket didn’t pay taxes so they could not benefit from exemptions and deductions from the tax system. Thus the Federal Government had to give them a tax credit corresponding to exemptions and deductions through the negative income tax system.

17 During the 1960s, unions deeply opposed these kinds of universal income‑transfer programs, even though, as Alan Derickson has shown, they had been strongly in favor, during the previous decade, of the same universal reforms.23 Within the Kennedy and Johnson Administrations, their fierce opposition was used by top‑level bureaucrats such as Wilbur Cohen to refuse to endorse a reform of the welfare side of the social security system.24 Indeed, cooperation remained strong between union leaders and conservative liberals like Cohen as far as the social question was concerned. At the end of the decade, however, they decided to abandon the goal of protection for the entire population and strongly endorsed the “salami slicing” policy of the Kennedy and Johnson administrations, to use Wilbur Cohen’s famous words. This strategy was based on the promotion of the insurance side of the social security system, which was made for middle‑class and regular workers. Social policy therefore remained targeted on specific groups of the population, whereas unions continued to refuse new proposals for social engineering focused on the entire population, such as the negative income tax.

18 Seen from the perspective of poverty question, State of the Union remains a traditional account, which still postulates that post‑war social policies collapsed from their own conservatism. For Lichtenstein, historical analyses revolve around social demand. My paper contends that it is worth treating the bureaucracy as a serious political force in its own right, particularly below the level of department secretaries. Perhaps the final stage of rehabilitation of liberal reformers during the New Deal Order is to reveal how appointed bureaucrats crafted agendas, sold their agencies and ultimately tried to convince elected officials and unions to move forward on programs they had designed. In focusing on the central role of middle‑level bureaucrats such as Robert Lampman, Lichtenstein’s analysis could have avoided the trap of claiming that the War on Poverty was only a psychological program shaped by conservative liberals. By claiming a reform of the American tax system, Lampman posited a new way of implementing social reforms only to encounter union apathy. It seems clear to me that these two decades were a “lost opportunity,” since poverty experts and labor reformers shared the same analysis of the extent of poverty in the country.25 Unable to find a common ground to

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combat poverty, they allowed the most conservative liberals within the Johnson administration to promote a consensual and inefficient approach to solving this social question.

19 Thus, it is no coincidence that Nixon should have used the “working poor” category as a way of consensus to redefine the social contract and endorse a sort of Negative Income Tax with the Family Assistance Plan. Under Nixon, the “working poor” entered the public arena and became a political category used for conservative reforms. Later, the Earned Income tax Credit (1976) was designed to help the specific category of the “working poor.” It is one of the more complex failures of both labor reformers and experts during the 1950s and 1960s, that of designing a common ground to solve the burden of poor people in post‑war America. In the 1970s, Nixon’s anti‑union rhetoric, based on the “working poor,” could have become labor and liberal rhetoric for the development of social democracy in the country.

NOTES

1. Alan Dawley, Struggles for Justice: Social Responsibility and the Liberal State (Cambridge: Harvard University Press, 1991). 2. William Ryan, Blaming the Victim (New York, Random House, 1976). 3. For recent insights on the lack of structural reforms, see Alice O’Connor, Poverty Knowledge: Social Science, Social Policy, and the Poor in Twentieth‑Century U.S. History (Princeton: Princeton University Press, 2001), 152‑158 and Margaret Weir, Politics and Jobs: The Boundaries of Employment Policy in the United States (Princeton: Princeton University Press, 1992), 53‑56. 4. On this specific topic, see Allen Matusow, The Unraveling of America: A History of Liberalism in the 1960s (New York: Harper Torchbooks, 1984). 5. “State and Local Tax Burdens Must Be Fairly Shared,” Labor’s Economic Review, vol. 4, n° 2 (February 1959). 6. “Aiding America’s Lowest Income Families: Resolution n° 136”, 22/09/1959, in American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations, Proceedings of the Third Constitutional Convention of the AFL‑CIO, vol. 1, Daily Proceedings, 303‑306. 7. See Kevin Boyle, The United Auto Workers and the Heyday of American Liberalism, 1945‑1968 (Ithaca: Cornell University Press, 1995), 189‑191. 8. This anti‑bureaucracy bias is usual in many books dealing with the War on Poverty. See for instance Daniel Knapp and Kenneth Polk, Scounting the War on Poverty: Social Reform Politics in the Kennedy Administration (Lexington: DC Heath, 1974). 9. For further explanations see my dissertation: “Le Grand Dessein. Les experts sociaux et la construction de la guerre contre la pauvreté 1945‑1972” (“The Grand Design. Social experts and the Design of the War on Poverty”), Paris, Ecole des hautes études en sciences sociales, 2003. 10. See notably James Patterson, America’s Struggle Against Poverty (Cambridge: Harvard University Press, 1994).

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11. For such an analysis: Alice O’Connor, “The False Dawn of Poor‑Law Reform: Nixon, Carter, and the Quest for a Guaranteed Income,” Journal of Policy History, vol. 10, n° 1 (1998): 99‑129. 12. On the first Wisconsin Idea, see Clarence Wunderlin, Visions of a New Industrial Order: Social Science and Labor Theory in America’s Progressive Era (New York: Columbia University Press, 1992). For this new Wisconsin idea, see Robert Lampman (ed.), Economists at Wisconsin 1892‑1992 (Madison: University of Wisconsin Press, 1993). 13. Simon Kuznets, “Economic Growth and Economic Inequality,” American Economic Review n° 45 (1954): 1‑28. For a critical apparaisal of the Kuznets’ theory, see Thomas Piketty, Les Hauts revenus en France au XXème siècle: Inégalités et redistributions, 1901‑1998 (Paris: Grasset, 2002), 516‑522. 14. At that time, Senator Douglas sought fresh analysis on the social and economic trends of the country, one year before the presidential campaign. See Roger Biles, Crusading Liberal: Paul H. Douglas of Illinois (DeKalb, IL: Northern Illinois University Press, 2002). 15. Interview with Robert Lampman by Barbara Newell, June 16, 1965, Madison, Wisconsin, State Historical Society of Wisconsin and Robert Lampman Oral History 1981‑1985, Oral History Project Interview, Poverty Institutes Series, Department of Economics, UW Madison Archives. 16. Robert Lampman, “Approaches to the Reduction of Poverty,” American Economic Review, vol. 55, n° 1/2 (March 1965): 516‑532. 17. In my dissertation, I offer compelling evidence that the War on Poverty was a Pyrrhic victory for middle‑level bureaucrats in the Johnson Administration: “Le Grand Dessein,” 276‑305. 18. Meg Jacobs, “The Politics of Purchasing Power: Political Economy, Consumption Politics and State Building 1909‑1949,” Ph.D. dissertation, University of Virginia, Department of History, 1998. 19. Leon Keyserling Oral History, 09/01/1969, LBJ Library 20. Conference on Economic Progress, Consumption: Key to Full Prosperity, Washington, May 1957. 21. Conference on Economic Progress, Poverty and Deprivation in the United States: The Plight of Two‑Fifths of a Nation, Washington, April 1962. 22. Robert Lampman, “The Effectiveness of Some Institutions in Changing the Distribution of Income,” American Economic Review, vol. 47, n° 2 (May 1957): 519‑528. 23. Alan Derickson, “Health Security for All? Social Unionism and Universal Health Insurance, 1935‑1958,” Journal of American History, vol. 80, n° 4 (March 1994): 1333‑1356. 24. On this central figure of the social security system, see Edward Berkowitz, Mr. Social Security: The Life of Wilbur J.Cohen (Lawrence: University Press of Kansas, 1995). 25. Ira Katznelson, “Was the Great Society a Lost Opportunity?”, in Steve Fraser and Gary Gerstle (eds.), The Rise and Fall of the New Deal Order 1930‑1980 (Princeton: Princeton University Press, 1989), 185‑211.

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Reconstructing The Wagner Act

Jean-Christian Vinel

1 To readers familiar with Nelson Lichtenstein’s previous work, State of the Union is an important book because it seems to be a milestone revealing a move away from the New Left perspective established in Labor’s War at Home. Key to this perspective was the idea that in the 1940s, unions had curbed workers’ militancy to bring them into the realm of corporate order, thereby accommodating the needs of a capitalist state. Not so anymore: the promise of industrial democracy no longer seems ambiguous, for Lichtenstein rehabilitates both liberal policy makers and unions, showing that they collaborated in the 1930s to foster and establish citizenship on the workplace. A radical idea, the notion of industrial democracy eroded over the 20th century—especially during the 1950s and 1960s—because it was embattled, moderated and abandoned. The ambition of State of the Union is to historicize this process—it is in many ways the history of the nullification of the Wagner Act.

2 I’m thoroughly convinced by this reevaluation of the role of American liberals, although I beg to disagree with the terms on which it is carried out. The first two chapters, “Reconstructing the 1930s” and “Citizenship at Work,” are critically important because they restore the idea that the New Dealers revolutionized the lives of American workers, and thus depict the objectives from which liberals subsequently strayed. Yet, in focusing exclusively on the notion of industrial democracy, and in equating the Wagner Act with a new definition of citizenship, these two chapters paint a somewhat optimistic picture of the law, leaving its weaknesses in the background.

3 I would argue that the phrase “industrial democracy,” because it meant different things to different people in the 1930s, is too vague to help us recapture the logic underlying the drafting and adoption of the Wagner Act. As we reconstruct the reform wrought by liberals, it is essential to distinguish between their objectives (industrial democracy) and their methods. In this paper, I would like to focus on the ways and means of New Deal liberalism, and highlight its inherent limits, which were most apparent in the failure of the institution it created—namely, the National Labor Relations Board. In the end, I would like to suggest that there are lessons to learn from this failure, lessons that are relevant to the current effort to rejuvenate American unions.

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An Ambiguous Right 4 I will first review the salient points of Lichtenstein’s analysis of the adoption of the Wagner Act. The National Labor Relations Act, he explains, was the product of two concurring liberal endeavors. The first one was to offset the underconsumption that was deemed to have caused the Great Depression. For years overproduction and cutthroat competition had stifled the American economy, both in “old” industries such as lumber and in the consumer-oriented ones, such as the automobile sector, leaving many farmers and workers in dire economic conditions. As a result, even as the economy grew in the 1920s, a large section of the population was left out and did not enjoy the benefits of prosperity. Hence, to liberals, empowering unions was seen as a method of enforcing minimum wage standards—an “American” standard of living (21-25).

5 As Lichtenstein explains, however, “if the New Deal State and the newly vigorous trade unions had only been successful as wage-fixing institutions designed to solve the problem of ‘underconsumption,’ their appeal would have been diminished considerably.”(30) Indeed, liberals, workers and policymakers alike were at work redefining the very notion of American citizenship both from the top down and from the bottom up. Along with an American standard of living, the liberals’ other objective was to democratize the American workplace to put an end to “industrial tyranny,” by giving unions legal recognition as well as state protection. According to Wagner, the right to organize was concomitant with the right to vote—there was to be industrial democracy as well as political democracy. In the 1930s, Lichtenstein argues, the right to organize became “American.”(35)

6 Thus, there were two readings of the Wagner Act—an economic reading and a philosophical one. These two readings, however, were scarcely compatible: for a group of liberals, such as Frances Perkins, President Roosevelt, and reform-minded businessmen, the right to organize was mostly a means to an end, there was nothing fundamental about it—they saw it as one measure that could bring about a way out of the Depression. Indeed, and the case of Franklin Roosevelt is illustrative, many liberals did not trust labor organizations, and did not want to strengthen them. Notably, there were no labor provisions in the first drafts of the NLRA bill.1

7 Other liberals, however, disagreed. According to them, the right to organize had compelling philosophical justifications—it was a goal in and of itself. As Leon Keyserling —the drafter of the Wagner Act—once remarked, the Act was based on the idea that “collective bargaining is an essential attribute of a free society.” To him, the Act was the last stage in the workers’ journey from oppression to freedom.2 Senator LaFollette concurred, arguing that the Wagner Act had elevated the right to organize to a civil liberty.3

8 Could the NLRA move simultaneously in two different directions? It seems highly unlikely. In his opening statement to Congress, Senator Wagner chose to emphasize the economic, not the philosophical reading of the Wagner Act, explaining that cooperation between employer and employee was key to achieving recovery.4 The report of the Committee of Education and Labor, otherwise extremely supportive of the bill, sounded no other theme, arguing that collective bargaining was necessary to improve workers’ wages and remedy the economic situation.5 The notion of citizenship was conspicuously absent from the debates held in Congress. From the beginning, I’d like to argue, the economic reading of the Act prevailed over the philosophical one.6

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9 Moreover, a close look at the Wagner Act shows the true nature of the revolution brought about by the Act. The act stated that it was the public policy of the US to promote industrial peace and avert strikes. Hence it promoted collective bargaining on the grounds that such protection would enhance the economy. The Act did make a passing reference to freedom of association, but it protected no substantive right. The right to organize was subservient to a public policy—sustaining consumption and preserving industrial peace. Interestingly, in 1938, in the aftermath of the constitutional crisis of the 1930s, the Supreme Court announced that from now on, it would differentiate between laws regulating the economy and laws affecting fundamental rights—the latter would be submitted to heightened judicial scrutiny. Tellingly, however, it did not list the right to organize as a fundamental right.7 The Wagner Act, in other words, promoted not a civil right, but rather what I would call a “public right”—a right whose philosophical underpinnings were not as strong as its economic ones.

10 Indeed, the act neither applied to citizens nor to workers, but to “employees”—a term that is taken for granted in this part of the book. Yet, an economic—not philosophical— concept, the term “employee” reminds us of Pierre Bourdieu’s admonition that historians must pay close attention to “performative speeches,” which are a way to shape social reality.8 A foreign import, the term “employee” entered mainstream American English in the post-civil war era at a time when American businessmen were busy trying to ward off the development of national unions, and when the Courts were developing a jurisprudence based on liberty of contract. Later, the term found much purchase in the welfare capitalism programs of John D. Rockefeller and others.9 All along, the use of the term “employee” was part of an attempt to convince workers that their interests were the same as those of their “employers”—its use amounting to a negation of class rhetoric. To be sure, Wagner and his aides probably defined it differently, but both the history of the term “employee” and the fact that its closest synonym in the law was not worker, but wage earner alerts us to the economic objectives pursued by the law.

11 Thus, notwithstanding the ubiquitous deployment of the industrial democracy rhetoric in the 1930s, the empowerment of the “employees” was not akin to a real democratization of the workplace. In no way did the law acknowledge the social stratification of American society. The class struggle was treated more as an economic pathology than as a social and political reality warranting a reconstruction of American democracy.

12 More importantly, the vision of industrial democracy promoted by the Wagner Act stood in sharp contrast to earlier definitions and visions of the right to organize. Samuel Gompers, for example, argued in his autobiography that the ever-larger number of injunctions issued against the AFL were unconstitutional because they deprived the workers of their constitutional rights as citizens.10 And, as we have learned from the scholarship of William Forbath and James Gray Pope, early in the 20th century the AFL tried to use the 13th amendment and the 1st amendment to develop a constitutional argument securing the legitimacy of unions.11 Yet the AFL’s constitutional reading of the right to organize was never endorsed. Not only did it run afoul of the progressive belief that laws should benefit the public interest, and not a special class, but it was also opposed by liberal reformers, who believed that the AFL’s voluntarism was no solution to industrial disputes, and crafted alternative and

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competing institutional schemes. In the 1930s, those reformers were able to impose their vision of reform, a vision predicated on a denial of the constitutional dreams of the AFL.12

13 Now, I’m not trying to argue that the 1930s were not turbulent years full of radical possibilities. Nor am I trying to defend the conservative interpretation of the New Deal that you rightfully lay to rest in State of the Union. Rather I’d like to suggest that we need to understand how New Deal liberals could simultaneously reject the constitutional right to organize for which the AFL had been calling for and believe they had achieved both moral and political victory with the Wagner Act.13 To do that, we must also look at the 30s and 40s from a state-oriented perspective, and emphasize the role of actors that remain in the background in State of the Union—legal reformers and the NLRB. The State’s Visible Hand 14 The significance of the passage of the Wagner Act lay as much in the growth of the administrative powers of the Federal State as in its protection of the right to organize. To be sure, it afforded unprecedented protection to unions and empowered millions of workers in the workplace. Yet the true revolution of the law was its new reading of the commerce clause of the Constitution, which enabled the Federal State to promote collective bargaining, and to set up an administrative agency, namely, the NLRB, to administer that policy.14 The members of the NLRB were to be at once the judges, the prosecutors and the legislators of the common law of labor.

15 Notably, the creation of the NLRB was an important milestone in the history of delegation, that is, the idea that the powers of the executive, the legislative and the judiciary could be concentrated in one independent agency for the sake of efficiency.15 Its members were granted the power to determine the size of bargaining units, and enforce the unfair labor practices clauses of the Act, which, ipso facto, meant that they could directly influence the strength and cohesiveness of the labor movement.

16 The NLRB was therefore the State’s visible hand on labor relations. It was a Progressive institution whose forebears were not the industrial commissions pioneered by the industrial pluralists earlier in the century, but rather the ICC and the Federal Trade Commission. Underlying its creation was a political theory that harkened back to the political thought of progressives such as Herbert Croly, Frank J. Goodnow, and Woodrow Wilson, who early in the century, had argued that independent agencies were the best way to further the public interest. Staffed with virtuous and disinterested experts insulated from political pressure, such agencies would devise scientific and impartial policies to deal with the social and economic problems confronting the nation.16 Thus, the American state would overcome the limitations imposed by the separation of powers. Popularized by James Landis’s The Administrative Process in 1938, this theory was revived in the 1930s, by the New Dealers, who believed it afforded the only way to deal with the flaws of the free market.17 As Landis explained, “The administrative process is, in essence, our generation’s answer to the inadequacy of the judicial and legislative processes.”18

17 Key to understanding the emergence and preeminence of the delegation doctrine was the full participation of legal realists in the shaping of New Deal liberalism. Like many advocates of regulation (Louis Jaffe, Thurman Arnold, Jerome Frank, etc.) James Landis was a lawyer who had accepted the basic tenets of legal realism, that is, the idea that the purpose of the law’s objectives should be to bring about just social results, not

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adhere to abstract principles. While they sought to introduce the use of social science in law, the realists saw the courts in general, and the Supreme Court in particular, as an obstacle to social reform in the 1920s and 1930s. Hence they favored the development of administrative law through the creation of regulatory agencies. Equally important, the realists largely inspired themselves from the work of Thorstein Veblen and his calls for a technocratic management of society. In the words of Roscoe Pound, the realists’ intellectual father, lawyers should become “social engineers.”19

18 The role of the legal realists in the shaping of the New Deal was not simply intellectual, but also logistical. Throughout the New Deal, Felix Frankfurter, the head of the wartime NWPB, and one of the closest advisers of President Roosevelt, channeled many young lawyers from Harvard and other elite institutions to Washington.20 Thus, the reemergence of the regulation theory was also the product of a quest for authority—the quest of lawyers who sought to recast themselves as disinterested and impartial public servants.

19 The creation of the NLRB was in many respects the product of this quest for a new institutional order. Legal realists had long considered collective bargaining to be a major public interest.21 The Wagner Act was drafted by three lawyers, Leon Keyserling Thomas Emerson, and Philip Levy, with the help of Milton Handler and Clavert Magruder—two well-known advocates of legal realism.22 Keyserling—the main drafter— was a particularly important figure. An economist who had studied with Rexford Tugwell at Columbia (one of the seedbeds of legal realism), Keyserling had been involved in the drafting of the NLRA, and had and pushed for and drawn up section 7a. To him, the protection of the right to organize was a compelling public imperative, because it was the only alternative to industrial chaos or a fully government- administered economy.23 Above all, he understood that it was important to emphasize the public’s interest, and not labor’s, for the law to be declared constitutional. Throughout the drafting process, the lawyers resisted Frances Perkins’s attempts to create a mediation agency located in the labor department, and also refused to put the Courts in charge of the enforcement of the law. Rather, they used the Federal Trade Commission as a model to make the NLRB an independent, quasi-judicial agency.

20 Thus, as we reconstruct the Wagner Act, the true ways and means of this political project become clear. True, the law’s objective was to operate an important change in the relations of power in American society. But in my view, no new definition of citizenship was involved in this legislative effort. Rather, the law resorted to regulation and disinterested expertise to change society in the name of the public interest. The adoption in 1947 of the Taft-Hartley Act showed that this attempt was a failure. The Limits of Regulation 21 If one were to find a phrase to capture the essence of the NLRB’s work from 1936 to 1947, none would be more appropriate than affirmative action. Not only was that phrase coined and included in the language of the Wagner Act, but the NLRB actively sought to put an end to the anti-union practices of employers and their effects.24 This vigorous promotion of industrial unionism included classifying as “employees” as many classes of workers as possible (foremen, plant protection employees, agricultural workers) and devising specific rules to curb employer’s interference with the law.25

22 While its enforcement of the law was successful, the NLRB failed to establish the legitimacy of its work, and the legitimacy of the regulation of labor relations as a whole. Indeed, by the end of the 1940s the NLRB was derided as a biased agency that

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exemplified the economic problems facing the nation. Labor unions had become too strong, and needed to be checked just like the agency that defended them. Most important of all, conservatives were not alone in voicing this criticism; liberals ranging from Walter Lippman to President Truman also joined the chorus.

23 Not surprisingly, this criticism was given a legislative transformation in the Taft Hartley Act. Not only did the act restrain the right to organize, but, as Lichtenstein remarks, it deprived supervisors of protection of the law, thereby denying both the impartiality of the NLRB and its vision of the public good. Finally, in a severe blow, Taft-Hartley separated its judicial from investigative procedures by making the General Counsel and independent actor, thus making it much more difficult for the agency to develop a coherent policy. NLRB members protested—to no avail—that the agency was no different from other regulatory agencies, and could not do its work properly with an independent General Counsel. In many ways, the Taft Hartley law marked an important departure from the delegation doctrine of the 1930s.

24 How can we account for this failure? In the end, I would argue, the Wagner Act worked well, indeed too well for its own good. The NLRB simply delivered what the Wagner Act implied—a redefinition of the power structure of American society. True, the Act sought to foster industrial peace, but such a peace, as Senator Wagner explained, could only come when the right to organize was fully respected.26 The problem, however, was that in the realm of labor relations, things did not play out according the scheme envisioned by the New Dealers. Let us remember that according to James Landis, regulation was an activity conducted by experts insulated from political controversies, working for the public good. The controversy that attended the NLRB’s definition of foremen as employees under the law, its decisions regulating employer behavior, the excessive power of unions in general shows that the NLRB never acquired this authority—in the area of labor relations, the delegation theory simply broke down in the 1940s.

25 First and foremost, contrary to what Landis and other proponents of the delegation doctrine expected, devising an “impartial” policy in the realm of labor relations is a quixotic quest. In the 1940s the decisions protecting the right to organize did not alleviate class conflict; rather, they nourished it and reinforced it. Second, there is no easily definable, lasting definition of what the “public interest” is. While in the 1930s liberals mostly sought to foster consumption, at the end of the war their main concern was to sustain production and employment, which led them to lend much more importance to industrial peace than they had previously done.27 Overall, because it was defined in political and economic terms from the start, the notion of “public interest” proved incompatible with the goal of allowing an independent agency to craft a lasting common law for labor.

26 Finally, the NLRB lacked legitimacy because of the language on which it relied. In an attempt to be a close as possible to judicial adjudication, the agency relied on a legal discourse in its proceedings and organization. In spite of the preeminence of the notion of the “rule of law” in America, however, this legal discourse jeopardized its authority because the NLRB had no monopoly on it. Its every decision was analyzed and dissected by supporters and dissenters alike. In an ironic twist of history, the agency became even weaker institutionally than the Courts it was supposed to supplement.

27 Thus, in the 19430s and 40s, the main process at work in labor relations was a process of politicization of labor expertise and regulation. This politicization was evident in

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Roosevelt’s decision to name a businessman from Kansas —John M. Houston—to the NLRB in 1943, in the legal battles that pitted union lawyers against those of corporations, and in the many calls for a revision of the law. Far from being the place of consensus that James Landis had envisioned, the NLRB became a place of conflict—a conflict that in the end the NLRB was too weak to manage.

28 In many ways, New Deal liberals were the victims of what Louis Jaffe—one of the leading advocates of administrative agencies—was to call the “illusion of the ideal administration.”28 The NLRB failed for one reason—its work, indeed, its very existence, was not the product of a strong social contract. Significantly, upon the creation of the EEOC twenty years later, the liberals had this “place of conflict” in mind, and they used the NLRB as a counter-model, limiting the new agency to investigatory powers.29

29 By way of conclusion, I’d like to make two related points. The first one is historical. I fully agree that the liberals, who pushed for the adoption of the Wagner Act, should be rehabilitated because theirs was indeed a radical idea that could have altered the very social structure of American society. Yet, there was an inherent weakness in their project. Although it was not apparent to many actors, by the late 1940s they had met with failure. The NLRB was a much weaker institution, which no longer enjoyed the support of the Courts. No longer liberalism’s workshop, the NLRB was unable to defend the law and adapt it to a changing economic environment. All that was left of the Wagner Act was its “economic reading,” a weak base that evaporated in the 70s with the advent of neo conservative economics. Thus in the 1960s, liberals still believed in an institutional arrangement that was actually obsolete. In that sense, the rights revolution of the 1960s, which might have afforded the possibility of recasting the law in more philosophical terms, was a missed opportunity instead.

30 This leads me to Lichtenstein’s call for the creation of a “civil right to organize.” I agree that in the American context, deploying a rights discourse is probably the only venue to revive unionism. Yet, faced with a constitution that in the words of Justice O’Connor, “protects persons, not groups,” the task of shaping a meaningful right to organize from the Bill of Rights will be difficult.30 Roe v. Wade—the court decision protecting the right to abortion—shows that interpreting the Bill of Rights in light of modern needs can be done, even if that means enforcing a right not specifically spelled out in the Constitution.31 The subsequent qualification of that right, however, should remind us that no right is really meaningful unless it is predicated on a strong social contract. This is precisely what the NLRB lacked in the 1940s, and what the EEOC and the Supreme Court lacked in the 1970s and 80s to develop affirmative action programs. Unfortunately, none is in the offing right now. If liberals fail to build this social contract, even the enactment of a civil right to organize will ring like a hollow hope.32

NOTES

1. See Leon Keyserling, Oral Interview, Truman Library.

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2. See Leon Keyserling, “Why the Wagner Act?” in Louis G. Silverberg (ed), The Wagner Act after Ten Years (Washington, DC: BNA, 1945), 5-33. The quote is on page 12. 3. In 1936, Senator La Follette conducted hearings on the violations of workers’ civil liberties. See Jerold S. Auerbach, “The LaFollette Committee: Labor and Civil Liberties during the New Deal,” Journal of American History, vol 151, n°3 (December 1964): 435-459. 4. Congressional Record, March 1, 1934, 3525-6. 5. Senate report N°573, 74th Congress, 1st Session, May 1st, 1935, 3-4. 6. In his interview with legal scholar Kenneth Casebeer, Leon Keyserling, the drafter of the Act, emphasized the economic reading of the Act. Notably, he remarked that Wagner dealt with the economic objectives of the Act in most of his speeches and reports on the law. See Kenneth M.Casebeer, “Holder of the Pen: An Interview with Leon Keyserling On Drafting the Wagner Act,” 42 U. Miami L.Rev.285 p.316. The records of the debates in Congress largely support Keyserling’s claim. A useful guide to these debates is Irving Sloan, The National Labor Relations Act of 1935 (New York: Oceana, 1983). 7. In the famous footnote for to its decision in the case United States v. Carolene Products Co, 304 U.S. 144, the Court announced that it would employ a double standard to review the constitutionality of laws. The Court would now make a rule of presuming the constitutionality of Federal laws. However, the Court listed several legal areas in the realm of Civil liberties, where this presumption might not be appropriate. Laws dealing with civil liberties would thus be subjected to a higher standard of judicial scrutiny. 8. Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire (Paris: Fayard, 1982). 9. I am relying here on my own research in progress on the history of the term “employee.” On the rise of Welfare capitalism, see the following works: David Brody, “The Rise and Decline for Welfare Capitalism,” in Workers in Industrial America, 2nd ed. (New York: Oxford: 1992), 48-81; Daniel Nelson, Managers and Workers: The Origins of the New Factory System in the United States, 1880-1920 (Madison: University of Wisconsin Press, 1975); For an edifying example of the use of the term by a public official see the “Report on Strike of Textile Workers in Lawrence, Ma., in 1912.” 62nd Congress, 2nd Session. 10. Samuel Gompers, Seventy Years of Life and Labor, edited by Nick Salvatore, Ithaca: ILR Press, 1984, pp. 168-169. 11. James Gray Pope, “Labor’s Constitution of Freedom,” 106 Yale Law Journal, 941 (1997); William Forbath, Law and the Shaping the American Labor Movement (Cambridge: Harvard University Press, 1991). 12. For the struggle between the two groups of reformers, see Daniel Ernst, “Common Laborers? Industrial Pluralists, Legal Realists, and the Law of Industrial Disputes, 1915-1943,” Law and History Review, vol. 11, n°1 (Spring 1993): 59-100; and Christopher Tomlins, “The triumph of industrial pluralism.” 13. “They knew that an ersatz industrial democracy could never provide a sound basis for the kind of vibrant shop representation and collective bargaining necessary to propagate the union idea and alter management behavior,” State of the Union, 38. 14. The Wagner Act is based on Art 1, Sec 8 of the Constitution. 15. Theodore Lowi, The End of Liberalism: The Second Republic of the United States (New York: Norton, 1969), chapter 5. 16. In Progressive Democracy (New York: McMillan, 1912), Croly argued that the legislatures were beholden to business interests and could not be trusted, hence the need for independent agencies working in the public interest. For a strong advocacy of impartial expertise see also Frank J. Goodnow, Politics and Administration (New York: Russell & Russell, 1900) and Social Reform and the Constitution (New York: McMillan,

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1911). Woodrow Wilson was one of the harshest critics of the separation of powers theory; see his famous article “The Study of Administration,” Political Science Quarterly, vol. 197 (1887): 213. 17. On the rebirth of the regulation theory, see Thomas McCraw, Prophets of Regulation (Cambridge: Harvard UP, 1984), 210-221 and Alan Brinkley, The End of Reform: New Deal Liberalism in Depression and War (New York: Vintage, 1995), chapter 3. 18. James Landis, The Administrative Process (New Haven: Yale UP, 1938), 41. 19. Quoted in Daniel Ernst, “Common Laborers ?,” 74. 20. See Brinkley, The End of Reform. 21. “Can we not have the wisdom to reorganize our government into an industrial democracy… in the common interest of all people?” Donald Richberg asked in 1917. Quoted in Joseph McCartin, Labor’s Great War, 65. (Later, however, Richberg moved to the conservative side of the spectrum.) 22. For records of the drafting of the NRLA, see Kenneth Casebeer, “Holder of the Pen,” but also the accounts given by Paul M. Herzog and Thomas Emerson in Katie Loucheim, ed, The Making of the New Deal: The Insiders Speak (Cambridge: Harvard UP, 1983), 205-218. 23. Oral history interview with Leon Keyserling, Truman Library. See also Kenneth Casebeer, “Holder of the Pen.” 24. The NLRB was authorized to order the offending party “to cease and desist from such unfair labor practice, and to take such affirmative action, including reinstatement of employees with or without back pay, as will effectuate the policies of the Act,” NLRA, 5 July 1935, sec 9c. 25. The best account of the implementation of the law prior to Taft-Hartley is James Gross, The Reshaping of the National Labor Relations Board. 26. Leon H. Keyserling, “Why the Wagner Act?,” 17. 27. The 1945 labor Management conference is illustrative of this shift in public policy. The records of the conference can be found in the collection of the Department of Labor library. For a clear statement of the emphasis on production and employment, see the Letter of Marriner Eccles (then on the Board of Governors of the Fedearal Reserve System) to President Truman, Truman Library, HST Papers, box 1114, Folder: Taft-Hartley Bill, 1947-1948; See also the memo “Points” in Clark Clifford’s papers, Box 6, Fodler “Case Bill-Miscellaneous,” in which he says that “the main objective is to obtain production. Must have it or we will have ruinous inflation.” 28. Louis L. Jaffe, “The Illusion of the Ideal Administration,” Harvard Law Review, vol 86 (1973): 1182-1199. 29. Hugh Graham, Civil Rights and the Presidency, 71-72. 30. Adarand Constructors Inc. v. Pena, 1995, opinion at 25. 31. 410 U.S. 113, 1973. 32. I am borrowing the phrase from Gerald Rosenberg, The Hollow Hope: Can the Courts Bring About Social Change? (Chicago: University of Chicago Press, 1993).

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RÉSUMÉS

This paper discusses the analysis presented in the first two chapters of State of the Union : « Reconstructing the 1930s, » and « Citizenship at work ».

AUTEUR

JEAN-CHRISTIAN VINEL Jean-Christian Vinel est un spécialiste d’histoire ouvrière et prépare actuellement une thèse sur le concept d’« employee » dans l’histoire du droit du travail américain à l’Université Lumière-Lyon 2. Lauréat d’une bourse Fulbright (2002-2003) il a travaillé sous la direction de Joseph A. McCartin à Georgetown University, de Olivier Zunz à l’Université de Virginie et de Nelson Lichstenstein.

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A Rejoinder

Nelson Lichtenstein

1 It is a pleasure and a challenge to engage these commentaries on my recent book, State of the Union: a Century of American Labor. The pleasure is there because this author, like almost every other, is deeply appreciative of the kind of critical attention, and sheer energy, to which his work is subject. The commentators assembled by Jean‑Christain Vinel understood with remarkable precision the main line of argument I was trying to advance, which has not always been the case on the American side of the Atlantic, where some of the most prominent reviewers misconstrued the relationship I was trying to make between union traditions, rights discourse, and U.S. intellectual and legal thought.1 Of course, this does not mean that French academics are soft on State of the Union: these four commentaries are a challenge because their critique is based on such an accurate understanding of how and why my book is indeed a revisionist reading of U.S. labor history, especially insofar as I seek to reinterpret the rise, fall, and possible revival of the “labor question.”

2 For those readers of TranstlanticA who have not read State of the Union, Donna Kesselman starts off her commentary with an admirably succinct summary of the main themes and chief historiographic innovations. However, she is not entirely pleased that my new book breaks with the perspective I put forward 20 years ago in a study that emphasized the limitations of the New Deal state and the bureaucratic devolution of the trade unions during World War II. Although I would not label my 1982 book, Labor’s War at Home: The CIO in World War II, a “New Left” study, it did share with that species of social criticism a belief that the greatest threat to working class militancy came from the conservative and bureaucratic trade union structures that had been imposed, through law, politics, and leadership, upon a progressive strata of rank and file workers.

3 A post New Left sensibility does not discount such retrograde influences upon working‑class consciousness, but as Kesselman herself acknowledges, labor historians of the early 21st century cannot ignore the extent to which the corporations and the political right have normally sought to smash, rather than co‑op, the trade unions and their allied organizations. “Corporate liberalism” of the sort imagined by C. Wright Mills, James Weinstein, and a much younger and more radical Ronald Radosh never had

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much of a reality in the United States, which is why most contemporary labor historians also discount the idea that the “labor‑management accord” of the 1950s and 1960s had much depth or staying power either. As Kesselman correctly puts it, we are witnessing the “decline of the New Leftist paradigm.”2

4 This naturally leads to a reappraisal of the New Deal and of the trade unions which briefly flourished under its political and legal tutelage. There was such a thing as a “New Deal Order,” a political and economic structure that formed in the late 1930s, reached its apogee in the mid 1960s, when the African‑American population finally won a semblance of social and economic citizenship, and then fell apart at some point in the late 1970s, when President Jimmy Carter abandoned even the most tepid efforts to sustain a Keynesian response to the stagnation crisis of that dismal decade. Kesselman argues that I have created a contradiction for myself by simultaneously downplaying the existence of a post World War II “labor management accord,” while at the same time saluting the idea of a reformist New Deal order under which the trade unions, and economic liberalism more generally, might flourish.

5 But the contradiction disappears when one abandons the idea that some kind of pluralistic equilibrium characterized the first few decades after World War II. Labor’s strength, and the liberal politics of a generation of Americanized immigrants, sustained New Deal statecraft in this era, not the depoliticized interest group politics celebrated by pluralist ideologues like Seymour Martin Lipset and Daniel Bell. My book takes polemical aim at these mid century intellectuals, not because they had much policy influence within the unions, but because their pluralist understanding of how and why labor was so potent in the 1945‑1970 era has proved such a disastrously ill informed guide to American politics and class relations. For example, the steel industry histories recently published by Jack Metzgar and David Stebenne demonstrate that the strike‑prone nature of industrial relations in steel was not a routinized form of mock combat, as so many leftists once believed, but a kind of chronic, trench warfare that never generated the mutually satisfactory accommodation celebrated by so many pluralists (and simultaneously denounced by those farther to their left).3 Indeed, it was just this spurious sort of interest group compromise that was at the heart of that stolid, self‑congratulatory “defense” of mid century trade unionism offered by the liberal pluralists, which is one important reason that the legitimacy and value of trade unionism took such a downward plunge in the 1960s when the civil rights movement and its off‑shoots put forward a new and higher standard by which to judge American institutions and define a democratic polity.

6 State of the Union argues that it was precisely this devolution, this transformation of the quest for an “industrial democracy” into a more limited program celebrating the technics of postwar “collective bargaining,” that prepared the way for the eclipse of the American labor question and its replacement, in public discourse and legal‑legislative statecraft, by a discourse of rights that could never satisfactorily resolve the social and economic issues put forward by a century of working‑class agitation. Catherine Collomp thinks I oversimplify this transition, and in truth the complexities inherent in the relationship between race, rights, and class make it almost impossible not to strike a mechanistic note when grappling with this conundrum. But to one charge I want to plead innocent: one cannot write of race, and class, and identity as if they were separate constructs between which the historian—or the social activist—must inevitably choose. In the United States, as in most nations, class consciousness and

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ethnic identities are entirely intertwined, which is a point that State of the Union repeatedly seeks to make. The problem is not in the tangible reality of this embrication, but in the failure of the American labor law, not to mention journalists, historians, and social scientists, to recognize this social fact.

7 Trade unions are in decline throughout much of the world today, and class as a category of analysis is difficult to operationalize, but this is hardly because we have moved from a world of dichotomous classes to a world in which ethnic and racial identities have suddenly intruded themselves into our social and political consciousness. If there is one thing that the last generation of labor and social history scholarship has demonstrated, it is that in the United States, and certainly elsewhere, a consciousness of ethnicity, race and class can hardly be divorced. In United States history, ethnicity reinforces as much as it divorces class. Indeed, one might well argue that during the hundred years that preceded World War II, class rhetoric was as much the language of ethnicity as it was the other way round. Herbert Gutman established his reputation as a founder of the new labor history by demonstrating that 19th century Americans were incapable of generating a class politics that was not thoroughly enmeshed in the ethnic, immigrant culture of the working class majority. Steve Babson demonstrated that even among the self‑consciously socialist, laborite skilled workers of interwar Detroit, Anglo‑Gaelic identities and traditions boiled just beneath the surface. Gary Gerstle’s account of the rise of industrial unionism among French‑Canadian textile workers uncovered a dialectic between ethnic self‑consciousness and trade union militancy. The linguistic trops were not the same as those we would deploy today, but any effort to counterpoise French‑Canadian identity and union consciousness during those Depression years would be entirely fruitless, if not reactionary. Likewise, the Latino consciousness that has infused union organizing activities in so much of Los Angeles during the last decade is not unlike that of Gerstle’s French‑Canadians or the Slavic steelworkers commemorated in Thomas Bell’s classic novel, Out of this Furnace. The problem is not identity consciousness per se, but the legal, ideological, and institutional structures into which such identities are cast.4

8 A juxtaposition taken from State of the Union encompasses this historically contingent interplay. During the middle decades of the 20th century, U.S. trade unionism held a legal and political legitimacy, even among those adamantly hostile to its methods and goals. Thus, advocates of African‑American freedom, whose movement was still groping for a legal‑administrative understructure, sought to deploy the authority of the union idea for their own “race” purposes. In the 1940s when Southern Bourbons wanted to discredit the labor movement in their region, they denounced it as a racially subversive institution that strayed well beyond its presumptive role as a well‑constrained collective‑bargaining organization. Southern unions, especially African American unions, were illegitimate because they sought to transform the social structure of the South. Segregationists denounced the progressive black unions then emerging in Memphis, Winston‑Salem, New Orleans, and East Texas as Communist‑led, integrationist institutions that merely masqueraded as trade unions. In defense, racially progressive unionists, both black and white, sought to deflect this right wing assault by emphasizing that their organizations were bona fide trade unions first, institutions concerned with civil rights and race advancement to but a secondary degree. Of course, this was a politically adroit subterfuge, confirmed during the last

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generation by every historian of the modern South. In the 1940s, as well as in our own time, no distinction can be made along these lines.5

9 By the late 1960s the social and linguistic landscape, not to mention the legal and political infrastructure, had been thoroughly transformed. Thus when black sanitation workers in Memphis sought to win union recognition for themselves, they carried placards that proclaimed “I Am A Man,” an identity politics slogan if there ever was one. Few observers, then or now, think of the Memphis strike as anything other than a civil rights struggle. Indeed, there is much evidence to show that had it been perceived as some sort of union‑management negotiation, it would never have emerged from its initial obscurity.6 By 1969 Southern elites, as well as union partisans, understood this new dynamic very well indeed. Thus when Hospital Workers Local 1199B sought to build an organization in Charleston, South Carolina, labor leaders cast their struggle almost entirely in terms of the civil rights movement of that era, reminding friends and foes alike that Martin Luther King had once called 1199 the “soul power” union. Conversely, South Carolina’s conservative elite insisted that the conflict in the Charleston hospitals was a question of old‑fashioned trade unionism, not civil rights. State officials did not red‑bait or race‑bait the civil rights/union activists, but to delegitimize the insurgency they insisted that the absence of a state collective‑bargaining law made the effort to unionize illegal and futile. Thus we find the Southern oligarchy capitalizing on the eclipse into which the postwar union idea had fallen, while at the same time paying a backhanded tribute to the power of an identity‑based, rights‑conscious social movement.7

10 The effort to counterpoise identity politics and class consciousness does justice to neither, but one can certainly find much in contemporary political culture that leads to a devaluation of collective, class‑based institutions and the simultaneous legitimization of a kind of rights consciousness that encourages an individualistic affirmation of racially coded rights and entitlements. Although one can find a substantial body of postmodern scholarship that sees class as little more than a metaphysical illusion, the main culprit does not consist of those scholars who declare the death of class and then celebrate the “new social movements” that have arisen during the last third of a century. Instead, the transformation of identity politics, often through a legally structured discourse of rights, has been a product of the trajectory taken by the main body of post 1960s liberalism. To the extent that a constrained brand of identity politics has flourished, it is largely because in the realms of politics, policy, and law, trade unionism and other forms of working class activism have been systematically devalued, while a set of legal rights based on racial and gender identity have been privileged, but in a fashion that most on the left might well reject.

11 Labor oriented legal scholars have become increasingly attuned to the problematic outlined above. In a stimulating essay, “Postmodern Unions: Identity Politics in the Workplace,” Molly McUsic and Michael Selmi take as a given the fragmented, identity oriented character of the contemporary workforce. They argue that working class unity, within the unions and without, cannot be conjured out of a monochrome solidarity, but will require a “cosmopolitan” perspective, which David Hollinger has defined as a “recognition, acceptance, and eager exploration of diversity” within a much larger context. Here self‑identification is affirmed, not submerged into an abstract notion of class solidarity. In this context unions function much like the borderland regions where cultures clash, meld and transform themselves into a more

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cosmopolitan entity. As McUsic and Selmi put it, “unions turn from being mini‑legislatures to becoming mediating institutions with transformative aspirations much like the border cultures where changes occur through the clash of cultures.”8

12 Labor historians will instantly recognize that such has been the nature of American unionism, certainly when it was most successful. During their heroic youth in the Progressive era, Steve Fraser has demonstrated that the needle trades unions represented a tenuous amalgam of Jewish socialism, Italian syndicalism, and Lithuanian shop militancy, coexisting uneasily with the inchoate feminism of an immigrant workforce that was overwhelmingly young and female. In the 1930s and early 1940s the Reuther wing of the United Auto Workers consolidated power up and down the union infrastructure by assembling an ethnopolitical coalition that proved more stable and resilient, if also more accommodating to state power, than did the equally heterogeneous caucus that the rival Communist grouping sought to guide toward union leadership. Likewise, those who organized packinghouse workers in the 1940s, hospital workers in the 1950s, California farm workers in the 1960s, and hotel and home care workers in the 1990s were always exquisitely sensitive to the negotiated character of working‑class solidarity and trade union practice.9

13 Toward the end of her comment, Catherine Collomp makes an important point comparing French and U.S. industrial relations traditions. Although actual union density in France is quite low, the wage bargains that are struck generally extend to workers throughout an industry. This used to be the case in the United States as well, where “pattern bargaining,” in auto and steel for example, quickly established the wage and benefit standards for a far larger group of workers. When the UAW raised wages at Ford, non‑union parts plants in Indiana followed suit, if only to inoculate their employees against the union virus. Pattern bargaining of this sort, which flourished for almost 40 years after World War II, served to ameliorate the racialized wage and job constructs that are so pervasive across the American industrial archipelago. The collapse of pattern bargaining in the 1980s has served to exacerbate “identity” politics in the workplace, as much among white workers as those of color, because as Catherine Collomp notes, wage differentials and job distinctions have once again returned to the stark, inequitable proportions characteristic of the early 20th century.

14 Jean‑Christian Vinel believes that when it comes to an appreciation of the political culture of the 1930s, State of the Union “paints a somewhat optimistic picture of the law, leaving its weaknesses in the background.” Vinel believes that the very term, “industrial democracy” is far too vague because it is open to so many meanings and interpretations. Indeed, he thinks that my relatively favorable account of New Deal liberalism, which I link to the union impulse, hides the weaknesses and contradictions that were inherent in Wagner Act law and New Deal statecraft. Vinel takes issue with my effort to conjoin the Wagner‑era economic recovery efforts, which required a strong trade union movement, to the more ideologically charged effort, stretching back more than half a century, to democratize the workplace and counter the power of corporations in American political life.

15 It is true, as Vinel emphasizes, that during the National Recovery Administration years, and even during the spring of 1935 when Senator Wagner advanced his bill in the Congress, proponents of a transformed labor law argued that is was primarily a recovery measure which would reduce industrial strife and thereby promote commerce. Vinel concurs with the recent work of David Brody in pointing out that the

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whole Wagner Era labor relations apparatus was not based on fundamental constitutional rights, but rather had an ad hoc character designed to resolve a set of economic issues that arose during a limited era of economic distress. Like Vinel, I too am attracted to the scholarship of James Gray Pope, Risa Goluboff, and other legal historians who argue that an older generation of trade unionists got it right: that the legal basis of American unionism might well have been stronger had it been rooted in the constitutional guarantees, including that of the 13th Amendment, banning “involuntary servitude.”10

16 But the Wagner Act is not silent on democratic rights in the work place. Indeed, one feature of the legal realism that was so influential in the 1930s is an appreciation of the actual power relations at the worksite, and what remedies would be necessary to vitalize the employee right to “self‑organization.” In an insightful reading of the Wagner Act history, with particular emphasis on the role that would be played by the representation election, David Brody emphasizes that Robert Wagner and his generation understood that if the unions were to flourish, even as institutions that regulated wages and working conditions, then the Courts and the NLRB would have to assure that employer coercion ceased when workers confronted the decision about whether or not they should form a trade union. Employer “free speech” during a union certification election—a constitutional right certainly—was little more than an invitation to economic blackmail, argued Wagner and other realists in the 1930s. Worker on worker intimidation was already prohibited by the common law, but the coercive employer threat to shut down the factory or penalize uncooperative workers, inherent in any management comment on the unionization decision, required a vigilant National Labor Relations Board that was backed up by a judiciary sensitive to the real meaning of workplace democracy.11

17 But the NLRB never really had a chance. Vinel places the blame on a set on influential legal craftsmen, like Leon Keyserling and James Landis, who sought to build an intrusive, administrative state, initially favoring labor and the left, but soon turned against those elements of the body politic by the chilly winds that blew in from the postwar political right. I think Vinel is right that the NLRB, perhaps unlike the more recent Equal Employment Opportunity Commission, never really established its legitimacy, in part because of the hyper‑political character of its personnel and its subordination to a judiciary that was never really comfortable with the powers exercised by this administrative agency. At a couple of points Vinel blames this failure on the absence of a “strong social compact” that might have given the state labor relations apparatus a certain autonomy. But as State of the Union argues, such a contract was never much of a possibility in the United States, and that what appeared as a social compact or contract during the 1941‑1973 era was in fact the product of labor’s combativeness sometimes reinforced by the corporativist structures essential to manage inflation, wages, and manpower during the war or cold war era emergencies.

18 Given such legal and administrative weaknesses, Vinel is critical of my deployment of the phrase “industrial democracy” to describe the impulse that motivated both workers and legislative craftsmen of the Wager Act era. One can find speeches where a Robert Wagner, a John L. Lewis, or even a Franklin Roosevelt proclaim the need for an “economic constitutional order,” but such rhetoric was normally subordinated to the Wagner Act’s larger purpose: fostering higher wages, economic recovery, and industrial peace.

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19 But a law does not define itself by itself. The American labor law became a lightening rod for conservative critics because for almost a full generation it did generate a set of ideological and legal conditions that opened wide the door to a set of power‑sharing transmutations deeply distasteful to the owners of productive property. Just as the civil rights laws of the 1960s became infused with a far larger and more potent set of ideological and social aspirations, so too did even a flawed Wagner Act generate an ideological and institutional progeny that constituted a radical challenge to traditional hierarchies: racial, ethnic, economic, even gender. This did not last, and the Wagner era labor law soon lost most of its transformative edge, but one cannot discount the democratic values and expectations with which the law was once associated. The anti‑New Deal conservatives certainly understood this dynamic. As Colin Gordon has explained, the late 1930s explosion of anti‑NLRB and anti‑union sentiment arose because many businessmen “underestimated the impact of unionism on management power.” Likewise, as Ira Katsnelson and his associates have argued, Southern elites turned hostile to the whole New Deal project in this same era when they came to realize that their enjoyment of New Deal economic assistance also meant the unionized empowerment of their subalterns, both white and African‑American.12

20 One reason for the controversary surrounding Wagner era efforts to empower a new labor movement is that these efforts could not be divorced from a growing movement to transform race relations by raising the social wage, as well as the real wage of minority workers. Romain Romain Huret is right to emphasize that in the 1950s and 1960s, as well as in more recent decades, the “labor question” has been largely replaced by that of the old‑new “social question,” or as Great Society reformers might have put it, the problem of poverty and the working poor. Throughout my book I tried to make clear that before 1940 most laborites and their allied reformers would have had a difficult time distinguishing between these two “questions.” It was Leon Keyserling, of course, who had drafted the Wagner Act and provided an “underconsumptist” rationale for its radical intervention into the labor market, and it was that same Keyserling who emerged in the 1950s as the chief critic of John Kenneth Galbraith and Arthur Schlesinger, Jr., whose portraits of an affluent working class helped divorce the New Deal era labor agenda from key elements of the Kennedy‑Johnson anti‑poverty initiatives. Such a dichotomy may well be fading in the early years of the 21st century: Wal‑Mart’s employment practices are today a lighting rod for criticism because of the failure of the world’s largest corporation to generate a wage structure that actually lifts its employees much above poverty or provide them with adequate health insurance.13

21 Huret is certainly correct to point out that during the labor movement’s postwar heyday, the well being of the poor did not stand high on organized labor’s social agenda. But Robert Lampman’s failure to win a support from a union audience for the kind of anti‑poverty program they might have been expected to support needs to be analyzed and not just condemned. This failure is real and it reflects the insularity into which postwar unionism had been forced by the straightjacket into that conservatives placed upon the unions early in the postwar era. Although one can find evidence of a racial “backlash” politics among rank and file white unionists in the 1940s and 1950s, the failure of the unions to play a more active part in shaping the Great Society initiatives reflects more than racial resentment. Rather, one of the major themes in my book emphasizes the self‑ghettoization inherent in the firm‑centered collective bargaining regime toward which the unions gravitated in the post World War II years.

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When unions like the United Automobile Workers linked their fortunes to the success of a company like General Motors, then it became increasingly difficult for even the most liberal union leaders to avoid the marginalization of those governmental initiatives designed to transform the lives of the men and women not covered by a UAW contract itself. And if this was true of a union led by such ex‑socialists as Walter Reuther, one can imagine the situation in those institutions run by unionists of a more prosaic sort.

22 But it is important to recognize that this doleful situation, confronted by Lampman and other anti‑poverty warriors, was not merely a function of the ideology of self‑satisfied union leaders or fat and sloppy rank and filers. The incapacity—indeed the illegality—of union efforts to fight for a higher social wage represented a victory of the anti‑union right, which in Taft‑Hartely and other legislation, successfully fought to depoliticize and de‑radicalize the labor movement and penalize any union activities that strayed too far beyond nuts and bolts unionism. So by the 1960s the cadre of unions like the Communications Workers of America had internalized the anti‑union agenda: stick to collective bargaining or you will start banging your head against a conservative wall of political and managerial resistance.

23 When it comes to the poverty program per se, Huret takes me to task for adopting a conventionally leftwing skepticism as to the merits and trajectory of the War on Poverty. Unlike the material I offer on the New Deal, where the liberal policymakers come out looking pretty good, State of the Union is either silent or negative on the “bureaucrats” who formulated and administered the Great Society programs. It is true that I don’t get inside the controversies that swept through the administrations of presidents Kennedy and Johnson, but my general perspective is clear: to the extent that a “structural” approach to the problem of poverty racialized and culturalized anti‑poverty policy, then the Great Society reformers were treading on ground that was both politically and economically dangerous. A more efficacious, if in the long run more expensive and disruptive approach, was that of the old New Dealers like Leon Keyserling and Willard Wirtz. Keyserling’s refusal to distinguish between poverty and unemployment was not just good economics but good politics. Raising the minimum wage, indexing Social Security (enacted during the Nixon years!), and providing health insurance for the elderly are examples of programs that Theda Skocpol has labeled “targeted universalism” because while these are entitlements for all citizens, the poor and the racial minorities benefit the most. The negative income tax, or Earned Income Tax Credit, is something less than universal, because only the working poor benefit. Huret applauds this popular program, and so do a surprising number of conservatives and centrist liberals in the United States, but organized labor is right to be less than enthusiastic, because ETIC amounts to a payroll subsidy for employers of low wage labor.14

24 Enough. It pains me that the commentators on my book are so knowledgeable about the United States, while I remain so ignorant about the French labor movement and the legal, cultural, and political context within which it fights and lives. But then that imbalance merely reflects a larger Transatlantic dichotomy that has been so frequently in the news of late.

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NOTES

1. See for example, Steve Early, “Our Collective Bargain,” The Nation, February 25, 2002, 25‑30; Stanley Aronowitz, “Calling Joe Hill,” Los Angeles Times, September 9, 2002; Bryan Palmer, “Whom Do you Trust?” New Labor Forum 12 (Spring 2003), 92‑99; and Daphne Eviatar, “A Dearth of Inspiration,” Dissent, Spring 2002, 112‑116. 2. For an appreciation and a critique of what was surely one of the very earliest “New Left” assessments see my introduction to C. Wright Mills, The New Men of Power: Americas Labor Leaders (Urbana: University of Illinois Press, 2001), originally published in 1948. And see also my own rethinking, in Nelson Lichtenstein, Labor’s War at Home: the CIO in World War II (Philadelphia: Temple University Press, 2003), vii‑xxviii. 3. Jack Metzgar, Striking Steel: Solidarity Remembered (Philadelphia: Temple University Press, 2000); David Stebenne, Arthur Goldberg, New Deal Liberal (New York: Oxford University Press, 1996). 4. Herbert Gutman, Power and Culture: Essays on the American Working Class, edited by Ira Berlin, (New York: Pantheon Books, 1987); Steve Babson, Building the Union: Skilled Workers and Anglo‑Gaelic Immigrants in the Rise of the UAW (New Brunswick: Rutgers University Press, 1991), 63‑154, passim; Gary Gerstle, Working Class Americanism: the Politics of Labor in a Textile City, 1914‑1960 (Princeton: Princeton University Press, 2002), xi‑ xxiv. 5. Michael Honey, Black Workers Remember: An Oral History of Segregation, Unionism, and the Freedom Struggle (Berkeley: University of California Press, 1999), 213‑36; Robert Korstad, Civil Rights Unionism: Tobacco Workers and the Struggle for Democracy in the Mid‑Twentieth‑Century South (Chapel Hill: University of North Carolina Press, 2003), 334‑45. 6. The initial news reports, buried on the inside pages of The New York Times, The Wall Street Journal, and The Los Angeles Times, all ‘framed” the Memphis Sanitation Strike as but one more of the disruptive municipal employee strikes that were then plaguing the big cities, most notably New York, where an illegal garbage strike had generated much editorial outrage. And this was the way the Memphis city fathers wanted it: the strike was futile because there was no legal provision for it. Moreover, early news reportage emphasized the large wage demands of the Memphis strikers. The fact that the entire workforce was African American was ignored until the NAACP belatedly advertised the civil rights aspects of the strike. “A Garbage Strike Plagues Memphis,” February 13, 1968, p. 34; “Garbage Collectors In Memphis Spurn Plea to End Strike,” February 14, 1968, p. 31, The New York Times; “Garbage Workers Strike in Memphis, Seek 33% Wage Rise,” February 13, 1968, p. 12, The Wall Street Journal. 7. Leon Fink and Brian Greenberg, Upheaval in the Quiet Zone: A History of Hospital Workers’ Union Local 1199 (Urbana: University of Illinois Press, 1989), 129‑58. 8. Molly S. McUsic and Michael Selmi, “Postmodern Unions: Identity Politics in the Workplace,” Iowa Law Review, 82 (August 1997), 1366‑69. 9. Steven Fraser, Labor Will Rule: Sidney Hillman and the Rise of American Labor (New York: Free Press, 1991), 27‑54; Nelson Lichtenstein, Walter Reuther: The Most Dangerous Man in Detroit (Urbana: University of Illinois Press, 1997), 186‑91; Roger Horowitz, “Negro and White, United and Fight!”: A Social History of Industrial Unionism in Meatpacking, 1930‑1990 (Urbana: University of Illinois Press, 1997), 206‑42 passim.

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10. Risa Goluboff, “The Thirteenth Amendment and the Lost Origins of Civil Rights,” Duke Law Journal 50 (2001): 1609. 11. David Brody, “Labor Vs. the Law: How the Wagner Act Became a Management Tool,” New Labor Forum 13 (Spring 2004), 9‑16. 12. Colin Gordon, New Deals: Business, Labor, and Politics in America, 1920‑1935 (New York: Cambridge University Press, 1994), 289; Ira Katznelson, Kim Geiger, and Daniel Kryder, “Limiting Liberalism: The Southern Veto in Congress, 1933‑1950,” Political Science Quarterly, 108 (Summer 1993), 283‑306. 13. For an illuminating discussion of Leon Keyserling see Meg Jacobs, Pocketbook Politics: Economic Citizenship in Twentieth‑Century America (Princeton: Princeton University Press, 2004); and also see Nelson Lichtenstein, ed., “Wal‑Mart: Template for 21st Century Capitalism?” (manuscript in preparation). 14. Alice O’Connor, Poverty Knowledge: Social Science, Social Policy, and the Poor in Twentieth‑Century U.S. History (Princeton: Princeton University Press, 2001), 286‑87.

AUTEUR

NELSON LICHTENSTEIN Nelson Lichtenstein est titulaire d’un doctorat de l’Université de Californie à Berkeley (1974). Il a enseigné à la Catholic University de 1980 à 1989, puis à l’Université de Virginie de 1989 à 2001. Depuis 2001, il est professeur à l’université de Califormie à Santa Barbara. Il a publié, entre autres, Labor’s War at Home : the CIO in World War II, qui vient de ressortir chez Temple University Press avec une nouvelle préface de l’auteur, et Walter Reuther : the Most Dangerous Man in Detroit (Univ of Illinois Press, 1995). Il a été lauréat de bourses Fulbright, Guggenheim, Rockefeller, et du National Endowment for the Humanities. Il a reçu le Philip Taft Prize du meilleur livre d’histoire sociale pour State of the Union. Nelson Lichtenstein travaille en ce moment à un ouvrage dont le titre provisoire est « Triumphalism and Apocalypse : Thinking about Capitalism in the 20th Century. »

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Où en est le mouvement ouvrier américain aujourd’hui ?

Marianne Debouzy

1 Tout d’abord permettez‑moi de vous remercier d’avoir accepté cet entretien. Les syndicats américains semblent avoir disparu de la scène politique. Pourtant, la lecture de journaux tels que Labor Notes révèle que les syndicats sont plus actifs qu’on pourrait le croire. Comment se porte le mouvement ouvrier ?

2 Il est mal en point. Si on s’en tient aux chiffres, aux statistiques, il est mal en point parce qu’il regroupe environ seize millions de salariés, et ce que les Américains appellent la densité du mouvement syndical, c’est‑à‑dire le taux de syndicalisation, est pour la situation américaine extrêmement basse puisque il est de l’ordre de 13 à 14% de l’ensemble des salariés, et de 9% pour le secteur privé. Aujourd’hui, une majorité des syndiqués ne sont naturellement plus des ouvriers mais des gens qui travaillent dans la fonction publique. Ce ne sont plus ceux qui ont formé la base du syndicalisme aux États‑Unis. Donc, du point de vue des chiffres, et compte tenu de tout ce qui se passe dans le monde lié à la mondialisation, la situation des salariés susceptibles de se syndicaliser me paraît grave. On voit très bien que les syndicats ont le plus grand mal à recruter de nouveaux adhérents et qu’en même temps ils sont confrontés à des forces auxquelles il leur est très difficile de résister. On le constate tous les jours, les grandes sociétés décident unilatéralement depuis 30 ans de se délocaliser, et même là où des ouvriers se sont battus, ils ont finalement perdu. On assiste aujourd’hui à de nouveaux effets de la mondialisation dont je vous donnerai deux exemples, et qui me paraissent extraordinairement dangereux. J’ai lu qu’il y a un certain temps, la General Motors, qui travaille maintenant pour une large part au Mexique et selon la méthode japonaise du flux tendu, avait dans une usine encore aux États‑Unis besoin de main d’œuvre parce qu’il y avait eu un accroissement de la demande à un moment particulier. Qu’ont‑ils fait ? Ils ont fait venir aux États‑Unis pendant trois mois des travailleurs mexicains de l’usine délocalisée, qu’ils ont payés au taux du travail au Mexique. Donc, c’est une délocalisation à double sens. L’autre exemple, que j’ai lu récemment dans un ouvrage de Reg Theriault, un ancien docker de la côte Ouest qui vient d’écrire The Unmaking of the American Working Class1, concerne le travail des dockers à Oakland. C’est un port où

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arrivent de grands cargos chargés de containers. Et ce sont les dockers d’Oakland, regroupés dans le syndicat des dockers, qui assurent le chargement et le déchargement. L’année dernière, en 2002, on a vu arriver un immense cargo avec des containers, et avant même que les containers aient été déchargés, on a vu descendre du cargo des Chinois — le bateau venait de Chine — qui ont installé les grues, qui ont fait le travail de déchargement — ceci d’ailleurs en toute illégalité, puisque le travail en principe était réservé aux dockers de la côte Ouest. Et ces derniers, bien qu’ils aient demandé des sanctions, n’ont finalement rien obtenu. Quant aux travailleurs chinois, ils étaient payés $4 par jour. Je rappelle que le salaire minimum horaire est de $5,15 aux États‑Unis. Les syndicats ont ainsi perdu énormément d’adhérents qu’ils n’ont pas réussi à remplacer.

3 Je pense donc que la situation est grave, mais d’un autre côté, je crois qu’il y a dans beaucoup d’endroits des signes que, localement, il existe des mouvements sociaux liés aux conditions de travail, qui peuvent être prometteurs. Il me semble en particulier qu’il y a quand même un renouveau du militantisme, notamment une émergence de militantisme chez les travailleurs immigrés, surtout dans les services. Et on a par ailleurs un certain nombre d’exemples très frappants de grandes campagnes de syndicalisation, des janitors sur la côte Ouest — je dirais du reste que la Californie est un des laboratoires de l’expérimentation syndicale actuellement même si on a aussi des janitors à Washington, à New York, qui se sont battus pour de meilleures conditions de travail. De plus, en dehors du mouvement syndical mais liées à lui, on trouve toute sorte de formes d’organisations, en particulier ce qu’on appelle les workers’centers, qui sont très souvent des associations qu’on pourrait comparer aux sociétés de secours mutuelles qui ont existé au XIXe siècle dans le mouvement syndical. Elles regroupent des gens par groupes ethniques et aussi par secteurs d’activités. Il existe un très grand nombre d’associations, que ce soit des associations coréennes, chinoises, asiatiques, mexicaines, la Mujer Obreja la Fuerza Unida, les Korean Workers, et qui ont mené des luttes absolument magnifiques et obtenu de meilleures conditions de travail. Ce qui se passe, c’est que ces victoires sont souvent éphémères ; aux États‑Unis, dans le monde syndical, rien n’est jamais acquis, et l’hostilité ambiante d’une part des employeurs, et d’autre part des organismes chargés de faire appliquer la loi, est telle que souvent les victoires ne durent pas2. Malgré tout, on pourrait citer quantités d’exemples, en particulier en Californie. Il y a eu, entre 1994 et 1996, un projet organisé par des activistes à Los Angeles, qui ont essayé de syndicaliser partie des 700000 ouvriers qui travaillent dans la petite et la moins petite industrie dans le couloir d’Alameda. Ils ont fait des choses vraiment remarquables, en associant des groupes qui n’étaient pas syndicaux à des syndicats. Bien sûr, ces formules sont souvent étrangères à la culture syndicale américaine et il n’est pas facile de faire coopérer des syndicats. Finalement, en 1996‑97 je crois, le mouvement a disparu mais malgré tout il s’était produit des choses intéressantes.

4 J’ajoute qu’il y avait eu aussi une tentative non moins intéressante en vue d’organiser les usagers des transports publics : dans la région de Los Angeles en effet, le système de transport public ne dessert peu ou pas les quartiers pauvres. Alors que, disons 70% des usagers se trouvent dans ces quartiers, des quartiers mexicains et d’autres minorités, la régie des transports métropolitains y consacre 30% de ses ressources. Dans les quartiers riches à l’inverse, elle consacre 70% de ses ressources à 30% des usagers, qu’elle fait voyager dans des trains de banlieue luxueux. Devant cette situation, des activistes comme Erik Mann, qui avait été très actif aussi à l’époque où la General Motors a

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coopéré avec les Japonais dans une usine d’automobiles sur la côte Ouest, ont eu l’idée d’utiliser l’arbitrage de la Cour suprême sur la déségrégation scolaire en 1954 [Brown v. Board of Education of Topeka], un système séparé et inégal, pour traîner devant les tribunaux la régie des transports métropolitains de Los Angeles, en arguant du fait que le système était « séparé et inégal », donc raciste. Et ils ont gagné. La régie a été obligée d’améliorer le transport, qui est indispensable pour que les gens puissent se rendre à leur travail et avoir accès à l’emploi.

5 Mais ces activistes ne se sont pas contentés de mener une lutte légaliste, juridique devant les tribunaux, ils ont utilisé cette lutte juridique pour mobiliser les gens, ils ont transformé les autobus en lieu de militantisme où ils distribuaient des tracts, où ils faisaient des happenings et où, pendant des semaines et des mois, ils ont mobilisé la population sur cette question de l’accès à l’emploi grâce à un meilleur accès au transport. Ce sont des formes tout à fait nouvelles et originales de militantisme et de mobilisation de la base. Et il me semble que, de ce point de vue là au moins, le mouvement syndical aux États‑Unis n’est pas aussi moribond qu’on pourrait le penser sur la simple base des chiffres, qui sont effectivement difficiles à contester.

6 On parle souvent de l’association problématique des syndicats et du Parti démocrate. Y‑a‑t‑il d’autres formes de collaboration qui pourraient permettre au mouvement syndical de se développer ? Pourriez‑vous nous dire, par exemple ce que les syndicats auraient à gagner, du concours d’autres types d’associations comme par exemple l’Église catholique.

7 Dans beaucoup d’endroits, les syndicats et les militants hors syndicats ont travaillé avec des groupes religieux. Un des exemples les plus frappants a été, à la fin des années 70 et au début des années 80, les luttes menées dans l’Ohio, en particulier dans la ville de Youngstown, où étaient implantées des aciéries. Il s’y trouvait un activiste d’un type tout à fait particulier et qui est bien connu aux États‑Unis, Staughton Lynd, fils de deux sociologues à qui leur ouvrage Middletown [1929] a valu la célébrité. Lui‑même est un historien qui a été mis sur la liste noire des universités au moment de la guerre du Vietnam, Yale a d’ailleurs refusé de l’embaucher ; à ce moment là, il a changé de profession pour devenir avocat des travailleurs. Il a été très actif dans la région de Youngstown où il habite et a essayé de militer avec des groupes religieux, pas seulement catholiques mais aussi protestants, pour essayer d’obtenir, et c’était quelque chose de très nouveau aux États‑Unis, la possibilité que des ouvriers et des gens qui seraient associés avec eux rachètent une partie de ce que les Américains appellent l’Eminent Domain, soit l’équivalent en quelque sorte de ce que nous appelons le domaine public, pour que l’on puisse remettre au travail les sidérurgistes dans un certain nombre de hauts‑fourneaux qui étaient arrêtés et voués à la ferraille. Les groupes religieux ont été très actifs, mais ils n’ont pas reçu le soutien politique nécessaire au niveau fédéral et ils ont eu contre eux évidemment l’ensemble des financiers et des employeurs.

8 Là où les Mexicains sont très nombreux et en particulier sur la côte Ouest, l’église catholique, ou une partie de l’église catholique, a souvent joué un rôle. Cela n’a pas toujours été le cas mais il a des lieux où elle les a soutenu, et par exemple lors de la grande grève des ouvriers du bâtiment, en particulier des « plaquistes » (dry wallers). Une grande grève a été menée en 1992, là aussi les Mexicains ont eu le soutien de groupes religieux et en particulier de groupes catholiques. On peut donc dire que, compte tenu de l’importance de la religion aux États‑Unis, il est certain que des groupes religieux interviennent dans nombre de luttes.

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9 Je donnerai un autre exemple dont je n’ai pas parlé toute à l’heure de la nouveauté de certaines formes de mobilisation : c’est ce qu’on appelle les living wage campaigns, sur un certain nombre de campus universitaires mais aussi dans de grandes villes. Les étudiants sur les campus, des groupes divers comme les associations civiques, les associations religieuses, les associations féministes, ou encore les syndicats dans les grandes villes ont essayé d’obtenir des universités qu’elles rémunèrent leur personnel administratif et technique par un living wage, c’est‑à‑dire un salaire décent qui permette de vivre, parce qu’il faut bien voir que même des universités richissimes comme Harvard exploitent de façon éhontée leur personnel de cafeteria, de nettoyage ou leur personnel administratif. Dans les grandes villes, de la même façon, les municipalités se sont efforcées, sous la pression de ces groupes militants, de négocier un living wage avec toutes les entreprises qui bénéficiaient de contrats publics. Ce fut un succès dans un certain nombre d’endroits. Si bien que, au moment des Jeux olympiques à Atlanta, là aussi il y a eu des négociations salariales et les sociétés qui avaient obtenu des contracts avec la municipalité ont fini par accepter de verser tant aux ouvriers du bâtiment qu’aux autres des salaires acceptables.

10 Justement, les universités américaines comptent un grand nombre de spécialistes d’histoire ouvrière, notamment depuis les années 60‑70, mais ils paraissent avoir des rapports un peu conflictuels avec le mouvement syndical, ils semblent à la fois s’entraider et s’ignorer.

11 Je pense que la tradition de coopération entre les intellectuels progressistes de gauche et le mouvement syndical, qui a existé à certaines époques, en particulier dans les années 30 avec les intellectuels communistes, s’est perdue au fil des temps, notamment à cause de la guerre froide. D’un côté il y a eu un renouveau de l’histoire ouvrière dans les années 60, avec des gens comme David Montgomery, David Brody, Herbert Gutman, et d’autres. Et parmi les jeunes beaucoup de labor historians, qui sont encore aujourd’hui en activité, ont commencé à travailler sur la classe ouvrière à la fin des années 60 et dans les années 70. Ils sont moins militants mais il est vrai qu’en 1995, lorsque John Sweeney, qui venait du syndicat des employés de service, a pris la tête de la AFL‑CIO, beaucoup d’intellectuels ont soutenu ce qui leur semblait un renouveau du mouvement syndical. Il y a d’ailleurs eu en 1996, à l’Université Columbia, une rencontre considérée comme historique entre les intellectuels et le mouvement ouvrier, dont il est sorti un livre3. Mais on n’est pas vraiment allé au delà de la réconciliation.

12 Je pense que la tradition des rapports entre les intellectuels et le mouvement ouvrier dans le milieu américain n’est pas la même qu’en Europe. Malgré tout, s’il ne faut pas idéaliser les nouvelles relations entre les intellectuels et les dirigeants syndicaux, il est certain que le mouvement syndical aujourd’hui est plus ouvert. Je crois aussi, on le voit dans l’actualité, qu’une partie non négligeable de celui‑ci, après d’ailleurs certaines hésitations et certaines divisions, a pris parti par exemple contre la guerre en Irak. Mais bien évidemment il y a une grande différence avec la situation au moment de la guerre du Vietnam où les tensions entre le mouvement syndical et les intellectuels étaient, à mon avis, très fortes. Les dirigeants syndicaux, qui d’abord étaient conservateurs et soutenaient inconditionnellement la politique étrangère des États‑Unis, ont évolué je crois sur ce point. Et par ailleurs, la tension était quand même entretenue par le fait que les contestataires étaient des étudiants qui eux n’allaient pas faire la guerre alors que les syndicalistes représentaient une classe ouvrière dont les fils en revanche allaient se battre. La situation est un peu différente aujourd’hui que l’armée est professionnalisée. Bien qu’il reste vrai que 20% des militaires de l’armée de

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terre sont des Noirs qui espèrent ainsi obtenir une formation, une chance d’avoir un métier, la situation a changé et il y a eu des coopérations entre le monde intellectuel et syndical.

13 Par exemple le mouvement anti‑atelier qui a été mené conjointement par les étudiants et les syndicats du textile, réunis maintenant dans un syndicat qui s’appelle Unite, et qui s’efforce de lutter contre l’exploitation des travailleurs dans le tiers‑monde — des travailleurs employés par les multinationales et en particulier dans la confection. Si le mouvement étudiant s’est intéressé à cette question, c’est que, comme on le sait, chaque université produit de façon indirecte, ou fait produire, toutes sortes de vêtements à son logo, et un grand nombre d’équipements sportifs et autres qui sont vendus sur les campus sont presque entièrement fabriqués dans les pays du tiers‑monde, par des ouvrières, souvent des jeunes femmes exploitées de façon éhontée. Les étudiants d’une centaine de campus se sont révoltés contre cette situation et se sont efforcés de faire pression sur les autorités universitaires pour qu’elles obligent les sociétés à payer leurs travailleurs correctement et à les faire travailler dans des conditions décentes. Ce qui est tout‑à‑fait nouveau et différent de l’époque du Vietnam, c’est qu’à cette occasion les étudiants ont travaillé en coopération avec des groupes divers, des associations et des syndicats qui ont d’ailleurs financé une grande partie de cette action. Là encore, c’est une des formes du renouveau syndical, parce que les étudiants ont organisé des visites souvent très difficiles à faire, sur les lieux de travail, dans les pays d’Amérique Centrale et d’Amérique Latine, et ont aussi organisé des visites d’ouvriers et d’ouvrières aux États‑Unis. Ils leur ont fait faire des tournées sur les campus et ont organisé des actions devant des boutiques comme Gap par exemple, ou dans des lieux où ils expliquaient aux consommateurs ce que gagne un travailleur au Honduras, au Mexique, etc., et la différence entre ce salaire, le prix payé par les consommateurs et les profits faits par les firmes comme Nike et d’autres. Donc c’est à la fois, à mon avis, un exemple d’une sorte de réconciliation entre le mouvement syndical et le mouvement étudiant ou une partie du mouvement étudiant, et une nouvelle forme aussi de mobilisation de consommateurs et d’étudiants concernés par la situation dans le tiers‑monde.

14 Venons en, si vous le voulez bien, à un thème que vous aviez abordé tout à l’heure, c’est‑à‑dire les possibilités d’une stratégie juridique pour les syndicats. Comme vous le savez State of the Union est un livre qui pose clairement une question d’histoire, une question de stratégie pour les syndicats aujourd’hui, qu’est‑ce que les syndicats ont perdu à ne pas participer au mouvement pour les droits civiques et qu’est‑ce qu’ils auraient aujourd’hui à gagner à employer des stratégies fondées sur la notion de droit ? Le livre est intéressant en ce qu’il montre que les syndicats ont beaucoup souffert de l’idée qui s’est développée pendant les années 50‑60, selon laquelle le droit d’action syndicale n’est pas un droit civique. Et Lichtenstein, même s’il reconnaît qu’une stratégie juridique a des défauts, dit malgré tout que le mouvement syndical pourrait aujourd’hui essayer de s’appuyer sur cette tradition, sur ce « rights discourse » comme l’a appelé la politologue Mary Ann Glendon pour se renouveler. Qu’est‑ce que vous pensez de la position de Nelson Lichtenstein ?

15 Pour éclairer cette position il faut revenir un peu en arrière et dire qu’à l’époque du New Deal, le gouvernement fédéral a mis en place un ensemble de règles et d’organismes chargés d’institutionnaliser le mouvement syndical. En particulier il a établi, à travers la loi Wagner de 1935, le droit des travailleurs à organiser des syndicats autonomes et a mis en place des organisations chargées de faire respecter le droit du

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travail établi par différents organismes et par différentes lois. Or, depuis globalement les années 80 et le reaganisme, on s’est aperçu que ces organismes étaient détournés de leurs fonctions. Ceci pour une raison. Le New Deal pensait que les syndicats étaient utiles et serviraient à relancer l’économie en faisant repartir la consommation, en assurant aux travailleurs des salaires minimums et acceptables ; il voyait donc les syndicats comme des instruments de sortie de crise, comme des instruments qui serviraient à canaliser le mouvement social. Les gouvernants républicains, en particulier depuis Reagan puis Bush, ne voient pas du tout les syndicats dans cette optique ; ils sont adeptes du sacro‑saint « marché », et considèrent que les syndicats introduisent des rigidités, qu’ils empêchent les entreprises de prospérer, ils n’ont donc qu’une idée : saper leur pouvoir. Par conséquent, ils ont détourné les organismes mis en place par le New Deal et s’en servent non plus pour protéger les syndicats mais au contraire pour les démolir. Le National Labor Relations Board en est un exemple, car il agit de telle façon qu’il permet souvent aux employeurs d’empêcher les syndicats de s’implanter là où ils n’existent pas, et d’obtenir leur décertification là où ils existent déjà.

16 Les exemples ne manquent pas de l’offensive anti‑syndicale systématique qui se fait jour aux États‑Unis depuis plus de 20 ans. C’est à mon avis ce qui explique l’intérêt que Lichtenstein, ou d’autres historiens, ou même d’autres stratèges syndicaux, portent à une autre voie que celle qui a été en quelque sorte inaugurée par le New Deal et qui consiste à dire : pour permettre aux syndicats d’exister, il faut les enraciner non plus dans des politiques publiques qui sont maintenant mises à mal, mais trouver des fondements qui seraient incontournables, incontestables, et qui consisteraient en fait à assimiler les droits syndicaux à des droits civiques. Evidemment, au début du mouvement pour les droits civiques, les syndicats n’ont pas été présents, je rappelle que les dirigeants du mouvement n’avaient même pas voulu participer à la marche de Washington en 1963, et par la suite, ils n’ont pas été enthousiastes pour faire appliquer certains des décrets de la loi de 1964, qui obligeait les syndicats à traiter ouvriers noirs et blancs comme des égaux, en particulier en matière de promotion et de travail, dans un certain nombre de domaines. Les syndicats ayant des pratiques racistes ont été réticents, on s’en doute, pour appliquer ces lois anti‑discriminatoires. Il n’empêche : la loi de 1964 a eu des effets bénéfiques pour un certain nombre de travailleurs parce que, quand des travailleurs, qu’ils soient issus des minorités comme des Noirs ou des Mexicains, ou que ce soit des femmes qui étaient aussi l’objet de discrimination dans le travail, sont allés devant les tribunaux en utilisant la législation des droits civiques, ils ont gagné.

17 L’idée qui se fait jour dans State of the Union et dans d’autres secteurs, c’est qu’il faut essayer de combiner une lutte qui s’inspire de la lutte pour les droits civiques avec une lutte revendicative qui est celle traditionnellement adoptée par les syndicats. Pour ma part, je trouve que c’est une bonne idée parce qu’effectivement un des atouts du mouvement pour les droits civiques, c’est qu’il n’a pas hésité dans un certain nombre de cas à braver des lois iniques, qu’il dénonçait comme telles, dans les États du Sud notamment, des lois qui empêchaient les Noirs de voter ou d’utiliser les services publics, ou encore d’être dans certains lieux. Il a souvent adopté des techniques non‑violentes, prônées par Martin Luther King et d’autres, et n’a pas hésité à défier la loi. Or le mouvement syndical, lui, avait toujours été très légaliste, en tout cas dans son aile dominante. On a ainsi vu par exemple en 1989‑90, dans un conflit qui est devenu problématique, celui des mineurs de Pittston4, des mineurs combiner une lutte

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revendicative qui visait à maintenir leurs droits en matière de santé et de protection sociale avec des tactiques qui s’inspiraient du mouvement pour les droits civiques. Je pense que c’est tout à fait légitime, et Lichtenstein souligne cet aspect des choses parce qu’il met en lumière un des paradoxes de la situation actuelle aux États‑Unis, enfin une situation qui dure depuis déjà plusieurs décennies : alors que le mot droit est dans toutes les bouches, que l’on parle de « révolution des droits », de « croisades pour les droits », de droits des minorités, des femmes, des homosexuels, des handicapés, il est un droit qui est systématiquement mis à mal et sapé, c’est le droit du travail, le droit des travailleurs. Il y a quelque chose de paradoxal dans cette situation et je pense que l’idée que le modèle du mouvement pour les droits civiques puisse inspirer le mouvement syndical, est une idée qui a une portée politique réelle. Donc il me paraît tout à fait judicieux de soulever cette question.

18 Certains spécialistes, pourtant, critiquent ce point de vue, je pense notamment à l’historien, Joseph McCartin, qui lors d’un colloque en Californie au mois de juin 2003, tentait d’expliquer qu’il y avait peu à gagner à adopter une stratégie juridique fondée sur les droits parce que dans la notion de droit, il manque une notion fondamentale pour un mouvement social, c’est la notion de solidarité5. Et ce que McCartin disait c’est que ce dont on a besoin, c’est de trouver un équivalent moderne à la notion d’industrial democracy. Et cet équivalent‑là, finalement on a peu de chance de le trouver dans la notion de droit, d’autant plus que la notion de droit peut‑être utilisée contre les travailleurs, puisque s’il y a un right to organize, il y a un right to work et a right to be free from unions. Je voulais savoir comment vous vous situez dans ce débat là parce qu’on voit bien qu’il y a une culture politique américaine particulière et qu’on ne peut pas l’ignorer. D’ailleurs je crois qu’on pourrait remarquer que le droit à l’action syndicale est inscrit dans la constitution française…

19 …et pas dans la constitution américaine.

20 Et pourtant, on pourrait dire que ce qui cimente un mouvement social, c’est quand même la notion de solidarité. Comment est‑ce qu’on peut essayer de réconcilier ces deux approches qui peuvent paraître antithétiques ?

21 McCartin soulève un problème réel, dont Lichtenstein est conscient et dont il parle dans State of the Union à la fin du livre, et qui est que, en effet, quand on revendique des droits, et on le voit tous les jours aux États‑Unis, la tendance est de plus en plus à individualiser ces droits et à faire en sorte que chacun revendique un droit parce qu’il a une situation particulière, ou un statut particulier. On revendique un droit en tant que femme, en tant que Noir, en tant qu’handicapé, en tant qu’homosexuel, et le résultat, c’est que de plus en plus le droit divise les gens, fragmente la société et que se perd effectivement la notion de solidarité. Donc il me semble que cette critique est tout à fait valable et par ailleurs, dans ce que dit McCartin, il y a une chose très réelle, c’est que les droits sont des armes à double tranchant. On a toujours vu dans l’histoire des États‑Unis des groupes opposés se réclamer du droit : le droit des esclaves à la liberté, le droit des esclavagistes à utiliser le travail des esclaves ; le droit des employeurs contre le droit des gens qui travaillent pour les employeurs. Et donc il est certain que le droit en tant que tel ne suffit pas à protéger les travailleurs, et que c’est la façon dont le légalisme peut être utilisé, qui s’avère comporter des difficultés réelles. Il n’empêche : à mon avis les droits sont des éléments importants du combat syndical même si l’on constate que le légalisme peut se retourner contre les travailleurs.

22 J’ajoute qu’évidemment dans la société américaine d’aujourd’hui si des travailleurs revendiquent un droit, par exemple le droit d’être prévenus sur les intentions des

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employeurs de fermer ou de délocaliser une usine, ce droit ne s’accompagne pas de sanctions réelles ou d’une volonté de faire appliquer la loi, et donc d’empêcher l’employeur d’agir unilatéralement même s’il a prévenu ses travailleurs. Et on voit aujourd’hui très souvent que les travailleurs conquièrent des droits, je pense en particulier aux gens qui travaillent dans des usines ou dans des emplois qui peuvent être délocalisés, mais s’ils obtiennent des droits sur un lieu de travail qui ensuite disparaît [à cause d’une délocalisation], ces droits particuliers sont vidés de sens et d’efficacité par des actions politiques sur lesquelles ils n’ont pas de prise. Pourquoi ? Parce que le rapport des forces entre les deux groupes n’est pas équilibré et — c’est une des critiques que l’on peut faire à mon avis au formalisme et au juridisme qui a souvent cours aux États‑Unis — que les travailleurs et leurs organisations ne se sont pas assez souciés d’action politique, ils n’ont pas essayé d’agir à ce niveau‑là bien qu’ils essayent maintenant de le faire un peu plus au niveau local, en élisant des représentants qui seraient derrière eux et pas contre eux. Mais il est clair que la conquête de droits liés à des particularismes et à des formes d’individualisation des droits ne résout absolument pas le problème du mode de création d’une solidarité entre tous les groupes qui disposent de droits particuliers, solidarités qui sont absolument essentielles au combat syndical. Je pense malheureusement que la solution à ces questions, peut‑être pas la solution mais disons un pas en avant dans ce domaine, serait que le mouvement syndical aux États‑Unis ne soit plus marginalisé politiquement comme il l’est aujourd’hui. Il n’a en effet aucun pouvoir politique, il n’a pas été capable depuis d’ailleurs un grand nombre d’années d’obtenir quelque législation que ce soit en sa faveur au Congrès, le Congrès a été absolument sourd à tous ses appels et naturellement un des problèmes, c’est son rapport au Parti démocrate, dans la mesure où celui‑ci a perdu son aile libérale désireuse de soutenir la classe ouvrière ou le mouvement qui la représente, et qu’il sait qu’il est devenu beaucoup plus conservateur qu’il n’a été.

23 On l’a vu avec Clinton, qui peut‑être en matière de mœurs était plus libéral que beaucoup de présidents mais qui, en matière de droit du travail, n’a rien fait pratiquement pour les syndicats et pour les ouvriers, et qui n’a eu qu’une idée : prendre ses distances par rapport à la politique sociale du New Deal. Il est certain que dans la mesure où le mouvement syndical n’intervient plus dans le débat public, il n’a pas de poids sur la scène politique et effectivement dans une situation précaire par rapport aux forces politiques, à mon avis il est difficile de voir comment il peut regagner du terrain.

24 Justement, dans cette situation de faiblesse, obtenir la reconnaissance d’un droit civique à l’action syndicale ne permettrait‑il pas aux syndicats de construire cette solidarité et de s’opposer plus efficacement aux entreprises ?

25 C’est une question qui est abordée dans le n°203 du Mouvement Social. David Brody, dans son article sur le droit du travail et son évolution depuis les années 30, suggère que si le droit syndical avait été considéré comme un droit fondamental, un droit universel, il aurait mieux résisté au temps. Comme il a été uniquement fondé sur une politique publique et que celle‑ci est aujourd’hui en quelque sorte en déshérence, ce droit s’est perdu. Et il est certain que dans la culture légaliste des États‑Unis, l’affirmation d’un droit est important mais nous savons tous que des droits même constitutionnels peuvent ne pas être respectés, et on sait très bien qu’il a fallu 100 ans pour que les droits civiques des Noirs soient respectés, et peut‑être d’ailleurs, comme nous l’a

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montré l’élection présidentielle de 2000, ce droit n’est‑il toujours pas pleinement respecté. Parce qu’on parle beaucoup — et j’en ai beaucoup parlé — du légalisme dans la société américaine, ce légalisme n’empêche nullement des violations incessantes du droit et des droits. Violation du droit du travail, j’ai travaillé récemment sur l’état des lieux du mouvement syndical6, je m’aperçois que plus je lis moins j’en sais, mais je m’aperçois aussi, par exemple, que la fameuse loi de 1938 Fair Labor Standards Act est violée en permanence par les employeurs, qui, dans beaucoup d’entreprises, se gardent bien de payer les heures supplémentaires aux tarifs auxquels ils devraient les payer aux termes de cette loi.

26 Donc il ne suffit pas qu’un droit soit inscrit dans la constitution ou dans un de ses amendements pour qu’il soit respecté et je ne suis pas aussi optimiste que certains quant au fait que, parce qu’il serait constitutionnalisé, le droit du travail serait appliqué. Personnellement j’ai tendance à penser que les droits sont appliqués quand les rapports de forces le permettent, et tant que le mouvement syndical restera aussi faible et aussi marginal qu’il est, il aura du mal à faire respecter ses droits. Les historiens du travail font souvent remarquer que les progrès du mouvement syndical se sont toujours produits dans des moments de crise, quand des mouvements de masse ont eu lieu et c’est bien grâce à eux que le mouvement progresse. Je pense qu’effectivement — et c’est très bien expliqué, à mon avis, dans l’article de Michèle Gibault du Mouvement Social qui traite non du droit du travail mais du mouvement pour les droits des soldats pendant la guerre du Vietnam — il y a plusieurs façon de considérer les droits et d’utiliser le légalisme dans une lutte sociale. Michèle Gibault y montre très bien que pendant la guerre du Vietnam il y eut des soldats, appuyés par des groupes politiques, qui ont utilisé le légalisme pour faire reconnaître certains droits (droit d’expression et de réunion par exemple). En effet, quand on revendique des droits constitutionnels, on est dans la légalité, et par conséquent on peut mieux se faire entendre, et en même temps, on se protège. Entre parenthèses, c’est un des traits de la société américaine que les soldats quand ils sont dans l’armée sont encore des citoyens, ce dont je doute en ce qui concerne la France. Michèle Gibault montre que, par ailleurs, il y a une autre façon d’utiliser les droits, parce qu’on peut utiliser des droits avec l’idée de remettre en cause la société dans laquelle on vit, ou l’institution dans laquelle on se trouve, et que donc à ce moment‑là, ce n’est plus tellement le légalisme en soi qui compte, l’invocation du droit, mais la finalité de ce légalisme. C’est précisément ce qu’avaient très bien compris les activistes de Los Angeles dont je parlais tout à l’heure, quand ils utilisaient le légalisme à des fins de mobilisation sociale et de remise en cause de l’institution ou de la société telle qu’elle fonctionne. Il y a des usages différents du légalisme à l’intérieur même d’une société qui se veut légaliste.

27 Continuons, si vous le voulez bien, par votre propre parcours. Comment en êtes‑vous venue à faire de l’histoire ouvrière ? Vous étiez la première en France à travailler sur l’histoire ouvrière américaine.

28 Je ne suis pas tout à fait la première en France. Jacques Crozier avait écrit un livre sur les syndicats, d’autres au XIXe siècle, Emile Levasseur avait écrit des ouvrages sur les syndicats, Louis Vigouroux à la fin du XIXe siècle 7. Je suis venue à la classe ouvrière américaine par des chemins détournés parce que j’ai commencé comme américaniste et j’ai travaillé pour ma thèse sur ce que j’ai appelé l’esprit de révolte dans la littérature américaine au tournant des XIXe‑XXe siècles. Et je me suis intéressée, entre autres, à la dissidence des écrivains, en me demandant pourquoi tant d’écrivains américains

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étaient critiques de la société américaine, et à la représentation des conflits sociaux dans les ouvrages de littérature. Donc j’ai travaillé sur beaucoup d’auteurs naturalistes, comme Dreiser, Upton Sinclair, Jack London. Et progressivement je suis passée de la représentation des conflits sociaux aux conflits sociaux eux‑mêmes, et aux acteurs de ces conflits sociaux, qui étaient les ouvriers.

29 Une autre motivation dont j’ai parlé dans un article qui introduisait une série d’articles sur l’histoire ouvrière américaine dans le Mouvement Social8, il y a un certain nombre d’années, est que j’étais un peu exaspérée par la condescendance des observateurs français récents par rapport à la classe ouvrière américaine. Parce qu’évidemment aux yeux de bien des historiens la classe ouvrière française serait un modèle dans la mesure où elle a une tradition révolutionnaire, alors que la classe ouvrière américaine est dans une certaine mesure paradoxale puisque c’est une classe ouvrière qui, au fond, aurait fait un compromis avec le capitalisme, avec la société dominante, et aurait été, en quelque sorte, d’une docilité exceptionnelle. Or, évidemment, l’histoire de la classe ouvrière américaine est une des plus violentes que l’on puisse imaginer et c’est aux États‑Unis que les conflits menés par les ouvriers ont été les plus durs. Donc j’ai voulu aller voir de plus près quel type de conflits avait lieu, à quoi ils étaient dus et je me suis intéressée au comportement de la classe ouvrière, disons par comparaison avec ce présupposé qui était souvent présent dans beaucoup d’articles ou d’ouvrages sur la classe ouvrière américaine. À savoir que les ouvriers français, les ouvriers européens, eux, avaient été de vrais révolutionnaires qui remettaient en cause l’ordre social alors que les Américains, eux, avaient accepté la société dominante. Naturellement l’histoire de la classe ouvrière américaine n’est pas conforme à cette image, même s’il est vrai que le mouvement syndical aux États‑Unis s’est accommodé en fin de compte du capitalisme et qu’il a accepté des formes de collaborations de classes.

NOTES

1. Reg Theriault, The Unmaking of the American Working Class (New York : The New Press, 2003). 2. C’est le National Labor Relations Board qui est en cause. Chargée depuis 1935 de faire respecter la loi protégeant le droit à l’action syndicale, cette agence est devenue hostile aux syndicats à la suite des nominations conservatrices du Président Reagan. 3. Audacious Democracy, Labor Intellectuals and the Social Reconstruction of America (Boston : Houghton Mifflin, 1997). Une autre rencontre a eu lieu en avril 2000 à Washington. 4. Voir l’ouvrage de James Green, Taking History to Heart: The Power of the Past in Building Social Movements (Amherst, MA : University of Massachusetts Press, 2000), chap 9. 5. Joseph A. McCartin, « What Happened to Industrial Democracy ? Looking Beyond the Current Rights‑Based Defense of Organized Labor in the Workplace », communication à la Southwest Labor Studies Association Conference, University of California at Berkeley, 10 mai 2003. 6. « Où en est le mouvement syndical aux États‑Unis ? », Mouvements, n° 30, (novembre‑décembre 2003) : 60‑68.

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7. Louis Vigouroux, La concentration des fédérations ouvrières dans l’Amérique du Nord (Paris : Armand Colin, 1899). Emile Levasseur, L’ouvrier américain, réedité en version électronique en 1995 par la BNF. 8. « La classe ouvrière : recherches et problèmes », Le Mouvement Social (janvier‑mars 1978) : 5‑8.

RÉSUMÉS

Cet entretien a été réalisé à Paris en novembre 2003 par Jean‑Christian Vinel. Marianne Debouzy est professeur émérite à Paris‑VIII. Spécialiste d’histoire ouvrière américaine, elle a notamment publié Le Capitalisme sauvage aux États‑Unis (Seuil, 1972), Travail et Travailleurs aux États‑Unis (La Découverte, 1990), et La classe ouvrière dans l’histoire américaine (Nancy : Presses universitaires de Nancy, 1989). Elle vient de diriger un numéro spécial du Mouvement Social sur la question des droits et des mouvements sociaux (n°203, avril juin 2003) [http://biosoc.univ‑paris1.fr/recherche/mvtsoc/num203.htm.]

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Autour du livre de Nelson Lichtenstein, State of the Union

Comptes rendus d'ouvrages

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Daniel R. ERNST. Lawyers against Labor : From Individual Rights to Corporate Liberalism. Urbana & Chicago : University of Illinois Press, 1995, 334 pp.

Alexis Chommeloux

1 The late nineteenth and early twentieth centuries was a period of considerable change in American labour relations, a change which is at the very heart of Daniel D. Ernst’s Lawyers against Labor. Economic changes were taking place with the decline of proprietary capitalism and the emergence, alongside the notion of “business trust,” of what embattled proprietary capitalists saw as an equally dangerous “labor trust.” The “age of the party” was coming to an end and being replaced by the “age of the group,” leading Ernst to deal with the theory of interest groups and make clear that, in his opinion, pluralism appeared in the first decade of the new century and not, as many would have it, much later.

2 The concept of industrial pluralism is all the more vital in the book since the cultural backgrounds of the protagonists are given pride of place, shedding valuable light on the—at times paradoxical—strategies of the employers and their lawyers on the one hand, union representatives and their own lawyers on the other hand. For it is the evolution of the law that Ernst brilliantly and comprehensively presents by analysing the social, political, and economic changes of the first decade of the twentieth century from the perspective of an organisation set up by owners of family businesses to “litigate and lobby against organised labor:” the American Anti-Boycott Association.

3 Co-founded by two Connecticut hat-manufacturers, Charles Hart Merritt and Dietrich Eduard Loewe, in an attempt to resist unionisation of their companies under threat of strikes and boycotts, the AABA was operational in August 1903 and recruited Daniel Davenport, a lawyer with a Victorian education and outlook most suited to the defence of the interests of employers who cherished the values of freedom, laissez-faire and individualism and felt that the existing law should be enforced to protect them from unduly powerful enemies. The particular strengths of the AABA were that it could

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finance legal actions in areas where employers did not have access to inexpensive and swift relief—secondary picketing and boycott cases—and that it could thus acquire valuable expertise in labour law, an expertise that could be used time and again in other cases, cases preferably chosen so as to obtain maximum publicity and a favourable jurisprudence nationwide.

4 Between the wave of cases of the “Great Upheaval” in the mid-1880s and the time when the underlying values of the AABA had been so upset that it had to change its name to the League for Industrial Rights (in 1918)—the genteel Victorian tradition was gradually becoming outdated and, with it, an individualistic, a priori conception of the law. (Charles Hart Merritt’s son, Gordon Merritt, who had assisted Davenport for many years as a young lawyer, embraced a more progressive approach, adopting a corporate form of liberal pluralism. Gordon Merritt took over from Davenport in 1915.) This happened under the influence of legal reformers whose ideas eventually seeped through into case-law.

5 Ernst insists on the importance of the educational backgrounds of the AABA lawyers (Davenport’s in Chapter 1 and Gordon Merritt’s in the last chapter) not only to underline the shift in the organisation’s values or to highlight the paradox that lies in Davenport’s legacy—an old-school Victorian individualist who worked hard for an organisation which was meant to defend Victorian values but whose successes in promoting the usefulness of his organisation among employers constitute a perfect example of pluralism at work and a textbook example of how to run an interest group (chapter 3)—, but also to demonstrate that the legal and political establishment had to undergo the same gradual conversion towards a vision of the law that increasingly reflected the changes in society and was more proactive, and that this conversion was spearheaded by legal intellectuals before being applied in the courtroom.

6 Ernst gives the example of the gradual decline in the use of criminal conspiracy in labour law cases and the increasing reliance on the law of intentional torts as a major step forward deriving from the feeling that employers were given too great an access to injunctions and from the rise of a new profession, that of the legal thinker, whose purpose was to adopt a more scientific approach to the law. An alternative was offered to the old sic utere tuo ut non alienum non laedas maxim (“so use your own as not to injure another”), so easily interpreted by judges as banning all boycotts. It allowed an exceptionally progressive judge like Oliver Wendell Holmes, in the 1890s, to launch a scathing attack on the genteel tradition and the conclusions reached by judges in the Great Upheaval cases: what he relied on to do so was the formula Sir Charles Bowen used in preference to malice (Mogul Steamship Co. v. McGregor, Gow & Co. (1989)) in a famous English case: the absence of “just cause and excuse.”

7 In spite of such developments, the AABA did not throw the genteel tradition overboard. Far from it. In the first decade of the new century, it persisted in following legal principles dating back to the 1880s, admittedly encouraged by the fact that most judges weren’t adapting fast either. That is particularly true of the organisation’s campaign to get the closed-shop declared illegal. On that front however, after a number of trials and many disagreements as to the interpretation of precedent, the AABA simply had to concede defeat and, in 1915, Daniel Davenport himself had to acknowledge the legality of the closed-shop (chapter 5).

8 Chapters 6, 7 and 8 of Lawyers against Labor focus on what the AABA will be remembered for. What Ernst demonstrates is that there were both successes and defeats in the

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courtroom but, irrespective of the legal outcome of the individual cases, the AABA was extremely good at putting pressure on politicians, setting the agenda for its own purposes and having an impact on the public debate. The Loewe v. Lawlor (1903-1917) and Buck’s Stove and Range Company v. Gompers (1907-1914) cases provide perfect illustrations of that.

9 Buck’s Stove was a particularly prominent case and it achieved great political significance for a number of reasons: leaving aside the rather anecdotal fact that the judge’s blatant bias and disgraceful behaviour caused him to resign in order to avoid impeachment, one of them was the personality of the litigants and what they represented: the action was brought by James Wallace Van Cleave, a very politically- minded anti-union employer who also happened to be President of the NAM, and the defendants were the AFL top brass, including Samuel Gompers. Another reason for the significance of Buck’s Stove was that the period was characterized by deep incursions into party-politics, a trend exemplified by Gompers’ unprecedented intervention in the congressional elections in 1906 and in the 1908 presidential elections. The legal significance of the case was limited and the result satisfied no-one but, partly because Gompers was jailed for contempt of court and turned the whole debate to questions of freedom of speech, Buck’s Stove contributed to a cross-class collaboration which left the AFL closer to the Democrats than ever before, particularly after 1914, a situation all the more worrying for the AABA since the AFL were also building bridges with big business.

10 In Loewe on the other hand, the AABA achieved a great legal victory. To obtain more damages, a precedent binding on all federal courts and a national audience,it had chosen not to ground its action in the common law but to try to get the judges to decide that the Sherman Act applied to labour. In the face of a disastrous defence on the part of the United Hatters, the Danbury hat-manufacturer and the AABA got what they wanted in 1908 and once again with the rejection of the appeal. The provisions of the Sherman Act did not apply to the hatters collectively, as a separate legal entity, but to individual employees, a great many of whom endured incredible hardships even though they had no personal knowledge of the boycott, trapped as they were between the intransigence of the AABA lawyers who, having sued them individually, demanded the full amount due, and AFL leaders (particularly Gompers) who shared the AABA’s individualism and fear of pluralism and vehemently rejected the idea of incorporation. Loewe was a great legal victory for the AABA but caused the debate on incorporation to gain momentum in intellectual and legal circles. The National Civic Federation, the corporate liberals and lawyers like Louis D. Brandeis and Felix Frankfurter led a campaign made more popular by both Davenport’s and Gompers’ resistance, and paved the way for pluralism, even in the ranks of the AABA. Gordon Merritt’s involvement in the pluralist debate over the labour exemption (Chapter 9), albeit by bringing consumers into the equation, testifies to this changing climate.

11 The debate over the Clayton Act and organized Labour’s exemption from antitrust legislation was a protracted one, and the AFL and AABA lobbied intensively from the outset to obtain favourable amendments. The result was an ambiguous piece of legislation and a good illustration of how Congress, faced with a politically sensitive situation, tends to burden the federal judges with the task of “establishing a clear meaning.” It led some thinkers (Henry Seager in particular) to deplore the absence of legislation along the lines of the British Trade Disputes Act (1906). The unions claimed the Clayton Act was a “Magna Carta” but the “gold bricks” contained “dynamite,” and

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the judges established a “clear meaning” which actually made labour’s position worse by proclaiming the right of private parties to injunctions. Once again, the AABA’s legal expertise had prevailed over the AFL’s leader’s relative amateurism and, paradoxically, Daniel Davenport’s organisation had served pluralism well.

12 In the Woodtrim War, to which the tenth chapter is devoted, Ernst provides an even clearer example of the pluralist tide turning against the proprietary capitalists. The secondary boycott had been curtailed and so, from 1910 to 1917, employers had to face another form of industrial action, the “materials boycott,” most notably carried out by the New York City locals of the United Brotherhood of Carpenters and Joiners against non-union wood-products. The AABA used this opportunity to drum up more support from the business community and this time, it was Gordon Merritt who led the fight. The judges’ decision hinged on a procedural question and gave a rather disappointing conclusion to a case (Paine Lumber Co. v. Neal (1917)) where an impressive legal arsenal had been used (sweeping injunctions, criminal prosecutions, damages actions, contempt applications).

13 The conclusion—which was favourable to the carpenters in that it established that their boycott was compatible with New York’s conspiracy legislation—must be read in the broader context of the judges’ efforts to determine the limits of group solidarity, and Ernst uses the “Building Trades Councils” cases to point out the extent to which the scope for action was broadened between the “Great Upheaval” cases and the First World War. From the neo-classical reliance on (horizontal) competition as a prerequisite for secondary action to the acceptance of the “principle of trade unionism” and what the author refers to as the judges’ “policy of deference to organizing through the BTCs,” the general attitude evolved a good deal and the lack of contractual relationship with the subcontractor ceased to be seen as a problem. A battle was won by the carpenters in Paine but in that same decision, the Clayton Act was interpreted as submitting the unions to injunctions by private parties, an interpretation confirmed by the Supreme Court in 1921 (Duplex Printing Press Co. v. Deering (1921)). Nevertheless, despite this portent, the legal reformers had achieved much during the Woodtrim War and one of their feats had been to transform the AABA beyond recognition.

14 Steered by a new captain who had fully endorsed industrial pluralism and whose views were now roughly in tune with those of the legal reformers and the corporate liberals, the AABA became the League for Industrial Rights in 1918 and, leaving behind the genteel tradition so dear to Daniel Davenport and the new captain’s late father, “set sail for the uncharted waters of the corporatist political economy of interwar America” (Lawyers against Labor, 213).

15 One could certainly argue that the ways in which the legal reformers and corporate liberals succeeded in influencing the judges and legislators could have been explained in greater detail, but the demonstration that the ball had been set rolling not after the War—as some historians would have it—but as early as the turn of the century is most convincing. In what is undoubtedly one of the best books devoted to the law and labour history since E.P. Thomson, it is also shown in a masterly manner that in this “place of conflict” that is the law, the situation was far from monolithic and that legal practitioners and theoreticians alike fumbled more or less awkwardly towards a modernisation of the law of industrial relations, in the context of what, in reference to Robert Wiebe’s famous book, could be described as “the judge’s search for order.”

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AUTEUR

ALEXIS CHOMMELOUX Université François Rabelais, Tours

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Ruth MILKMAN (ed). Organizing Immigrants : The Challenge for Unions in Contemporary California. Ithaca : Cornell University Press, 2000. 260 p.

Dominique Daniel

1 Organizing Immigrants, which is the result of a May 1998 conference at UCLA, is one of the first attempts to explore a domain that has received little academic attention as of today: the relations between immigrants and labor unions in the contemporary United States. California, the state which counts the largest number and proportion of workers of foreign origin in its labor force, is a fruitful framework for this undertaking. The contributors—mostly sociologists, an economist and a jurist—examine the socio- demographic profile of the “new” immigrant workers, analyze the political, economic and social factors that facilitate or hamper their organization and consider possible modes of organization.

2 Some of the articles offer general views of the situation in California. Lopez and Feliciano analyze California’s “plural labor force”, stressing the growing share of non white workers and the exceptional diversity of the new immigrants, in terms of ethnic origin, education and skills, as well as legal status. Although in California the preponderance of Mexicans is striking, there are workers of very diverse national origins. The most interesting contribution of the article is the stress put on the specificity of those immigrants. For example, the presence of illegal aliens is a condition rarely known earlier. Other articles in the book echo this analysis by assessing the effect of illegal status on the potential for unionization of the new labor force, some suggesting, in the wake of Hector Delgado’s pioneering study, that it may not be as much of a handicap as expected.

3 Waldinger and Der-Martirosian then study the relationship between immigrant status and unionization, using Current Population Survey data and concluding on a pessimistic note about the likelihood of organizing poor, unskilled and recent immigrants. Sherman and Voss, for their part, approach the issue from the perspective

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of organized labor. They conduct a comparative analysis of tactical innovations by different locals to unionize immigrants and insist on the necessity of a complete reorganization and an opening toward other languages and cultures.

4 The hypotheses and conclusions presented in the first three contributions find illustrations in the remaining articles, which are case studies of recent organizing drives and labor movements in selected economic sectors of California (Wells, Bonacich, Zabin, Milkman and Wong, Fisk, Delgado): respectively the hotel industry in San Francisco, garment workers in Los Angeles, the drywallers’ and ARE (a car wheel factory) strikes and the janitors’ movement in Southern California. In some cases these movements were successful and highly publicized, thus disproving the common view that such workers are impossible to organize.

5 The obstacles, admittedly, are many. As hinted at in the volume’s introduction, the general context of the 1980s and 1990s was very unfavorable to labor unions. The increased capital mobility in the manufacturing sector, both at the local and global levels, makes it easier for employers to boycott a factory where workers try to unionize; thus, in the garment industry, contracting out within and outside the United States is common practice. The lack of employment security, due to the seasonal or cyclical fluctuations of work, weakens employees. Illegal status and fear of deportation increases such vulnerability for some, although some articles offer evidence that undocumented workers tend to be more afraid of losing their jobs than of being deported.

6 Yet the articles put into relief the common characteristics that help explain the success of the movements: workers were very militant and leaders of their movement often benefited from union experience in their country of origin; there was strong solidarity between the strikers based on social and family ties from the home country and on collaboration with local churches and ethnic organizations; and they received substantial financial and legal assistance from organized labor.

7 Overall the book emphasizes both grassroots militancy among immigrant workers and the changing attitudes of American labor unions toward the newcomers (“bottom-up” and “top-down” approaches being both necessary). Published right after the new leadership of the AFL-CIO announced a renewal of organizing drives, it could not take into account the official reversal of the confederation’s stance on immigrant workers in 2000 (for one of the first analyses of this, see Julie Watts, Immigration Policy and the Challenge of Globalization: Unions and Employers in an Unlikely Alliance (Cornell University Press, 2002)).

8 One of the conclusions that stands out in all the articles is that immigrants are not to blame for the unions’ downturn of the last decades—on the contrary, they may be more eager to unionize, especially Latinos. The general conclusion, however, is mixed. The actions of the early 1990s demonstrated the potential and capacity for unionization of recent immigrant workers, but the hope of industry-wide organizing disappeared in the conservative and restrictionist mood of the rest of the decade, and organized labor so far has not taken significant strategic initiatives in favor of immigrants. The contributors offer the interesting hypothesis that the movements of the early 1990s may have been due to the impact of the amnesty program under the 1986 Immigration Reform and Control Act, which offered immigrant workers more legal security and created a “window of opportunity” for labor activism.

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9 Nevertheless, the findings of the authors of this volume are only a beginning. This volume concentrates on California, which stands out in terms of the social characteristics of its immigrants and where the unionization rate of non native workers is much lower than the national average (see Waldinger’s contribution); more research is therefore needed on other parts of the United States to assess the representativity of the Golden Gate state. Also, the bulk of the studies bears on workers of Mexican origin, with the notable exception of Wells’ article which includes Asian and Latino workers. The lower propensity of Asians to unionize deserves a closer look. The specificity of female workers is not taken into account either. Finally more information on the general context which labor unions have to cope with would be useful: the inadequacy of labor legislation, the effects of globalization, the very nature of labor relations in the contemporary United States make it difficult to unionize any worker, regardless of their legal status. This calls for comparisons between immigrant and native workers’ behaviors, so as to better assess the specificity of the case of non citizens in the workplace.

10 Yet this book provides a lot of “food for thought” on a all too often ignored topic. Very few other books adopt such a perspective at the crossroads of labor and immigration studies, and Organizing Immigrants invites us to follow this route. It therefore decisively lays the groundwork for fruitful research.

AUTEUR

DOMINIQUE DANIEL Université de Tours

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Jennifer KLEIN. For All These Rights. Business, Labor, and the Shaping of America’s Public-Private Welfare State. Princeton : Princeton University Press, 2003.

Romain Huret

1 At the 1939 World Fair in New York, Thomas Parkinson, the president of Equitable Life Assurance Society, proclaimed: “Security! The modern world is in constant search of security.” During the fair, Equitable policyholders could relax and find security in a garden and reflecting pool, which stood at the foot of the Equitable statue, aptly named Protection. Such a symbolic exhibit embodied the will of employers and insurers to adopt the language of security, which came to dominate political discourse in the thirties. Moreover, it reflected the battle to influence the very meaning of security from the 1910s to the 1950s. Jennifer Klein’s For all These Rights is a piece of work that moves us farther in the direction of understanding the battle for security that involved social reformers, welfare capitalists, unionists and liberals. In the course of the twentieth century, as Klein argues, the private welfare system competed with the public welfare system. Interestingly, the author broadens traditional insights of the American welfare state scholarship in focusing not only on state structures but also on social movements and economic institutions. She departs from the institutionalist analysis of the state and offers a brilliant demonstration of the vitality of institutional relationships between business, labor and the state. Her chronological perspective challenges the traditional chasm separating welfare capitalism in the twenties from the New Deal’s welfare state and collective bargaining. Indeed, the story of the book revolves around the continuity in social benefits provision from the 1920s into the post-New Deal period.

2 At the beginning of her demonstration, Klein uncovers the origins of the modern private benefits system, that is insurance companies, which promoted social and economic innovation. As no social insurance legislation existed, the companies pushed for the idea that American employers could and should meet the social welfare needs of their workers. Focusing on life insurance companies such as Equitable Life Assurance

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Society and Metropolitan Life Company, Klein links their strategy with the political strategy of social reform groups such as the American Association for Labor Legislation (AALL). At their incipient stage, insurance companies attracted large and high profile welfare capitalist firms. Indeed, Equitable remained a firm primarily oriented toward upper-middle class and wealthy individual policyholders. The Metropolitan Life departed from this strategy and became the “working man’s firm.” Yet, the big breakthrough in group insurance came after World War One, when the insurance firms’ strategy met the will of new managers such as GE’s Gerald Swope or Kodak’s Marion Folsom, who wanted to promote a social philosophy. According to them, corporate management could remedy the problem that neither the political system nor the free market could solve. Therefore, Met began developing a wide range of policies for employees to provide for their work. During the Twenties, this insurance company had to compete against the AALL’s proposals for public health insurance, women social welfare activists and the policies of the “new unionism.” Interestingly, Klein focuses on the Met’s social experiment hold in Kingsport, Tennessee. The insurance company designed a program for employees who had to view companies as “their family rather their enemy.” Indeed, workers often resented employers’ insurance policies. While they faced frequent layoffs, they preferred to invest for their family’s welfare in local ethnic societies or mutual benefit fund. To face such a challenge, Met created a new division, called the Policyholder’s Service Bureau (PSB).

3 This bureau was trusted with the responsibility of marketing man-based industrial security. Under the leadership of Henry Bruere, PSB gathered a base of information and data that promoted the idea that social well-being was part of the human engineering project. In her brilliant analysis, Klein demonstrates that PSB’s experts shared the view that social instability resulted from a mismanagement of material and social instability rather than from any intractable conflict between social classes. Paradoxically, experts focused on macroeconomic problems that could only be resolved at the microeconomic level. It is no coincidence that PSB should be asked for management expertise after the major strike that took place in 1922 in the railroad industry. PSB sought to depoliticize the operation of the railways. In the fierce labor context of the postwar years, experts claimed that employees’ welfare program could appease workers’ resentment. Importantly, this marriage between employers and management experts of insurance companies gave birth to the idea that social issues could be treated privately. Indeed, during the Twenties, insurance companies helped to reinforce what Klein calls the “insulated managerial authority” (p. 49) of American industry. Moreover, this decade also foreshadows the development of group insurance after the Depression.

4 At that time, insurance companies kept aloof from industrial pensions. Most American workers were enrolled in pensions plans provided by fraternal societies, labor unions and self-insured employers. The Depression put the industrial pensions at the forefront of the political debate as popular movements such as Upton Sinclair’s End Poverty in California pushed for old-age pensions. Interestingly, Klein shows that in response to the social politics of the Depression era, many employers and insurers launched an effort to preserve private welfare. Most of them thought that government solutions could be avoided if business made private options more dependable and realistic. At the beginning of the Thirties, PSB was asked to advise firms that sought to maintain welfare capitalist schemes, even as they scaled them back. Yet, workers and unions remained sceptical. Organized labor did not abandon its suspicion that employer- provided pensions undermined workers’ agency and autonomy. Indeed, this fear

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explained the rising role of the Federal Government in the social insurance field. For welfare capitalists, it was an even more profound challenge.

5 Importantly, the politics of the New Deal put security at the center of American political and economic life. For liberals, security was grounded in the notion of rights. Grass- roots movements such as the Townsend movement reinforced this ideology of security by emphasizing the communitarian norms of solidarity. In such a political climate, Roosevelt launched a new economy of welfare in which the ideology of security proved a powerful construct. The Social Security Act and the 1939 amendments transformed the extent of institutional relationships between state, business and labor. As far as employers were concerned, they viewed the fledgling welfare state as a minimal base, which had to be supplemented by private institutions. They sought exemptions from a public social insurance program and tried to adapt welfare capitalism to the newly welfare State. The author blames New Deal liberals who inadvertenly encouraged the development of a privatized social security system, either through tax laws (in 1938 and 1942) and the 1939 amendments to the Social Security act, or by accepting the ideological arguments for private supplementation of the public welfare state. During this chapter, Klein perfectly links the fledgling of the welfare state with the continuous struggle of welfare capitalists. While employers accepted the idea of providing economic security, they intended to do so on their own terms. Indeed, the permanence and rejuvenation of welfare capitalism shaped the boundaries of the American welfare state and reinforced the legitimacy of welfare capitalism. Conversely, as employers shaped a new policy of security in the late 1930s, many health care projects developed at the local level. As Klein brilliantly argues, it was an innovative period, largely neglected by current scholarship. Indeed, social workers, child welfare advocates, consumers’ unions, women’s groups and labor began developing health care programs in locations ranging from Midwestern cities to southern towns. This period of health security activism made health-security a two-tiered project: a federal government subsidy for insurance at the national level and group practice plans at the community level. Yet, these local experiments failed to gain national visibility. Instead, during World War Two, the federal government expanded its involvement in health care: the Social Security Board (SSB) solidified its position as the premier federal agency responsible for social welfare and promoted, according to Klein, private social welfare arrangements. It was the consequence of managers’ success in resurrecting welfare capitalism, even in an era of union power. Klein gives compelling evidence of such a revival in focusing for instance on the Permanente Health Plan of the Kaiser Industries.

6 In the postwar years, despite a presumptive “labor-management accord” and due to a peculiar political climate, management often implemented welfare plans without consulting a union or labor representative. Indeed, they tried to circumvent union plans for employees and to implement their own programs based on group insurance. Very interestingly, Klein points out that the management offered insurance coverage that met the imperatives of industrial relations more than the security needs of American individuals and their families. Such coverage put the emphasis on medical insurance and eclipsed the orientation toward community public health and occupational health that had characterized earlier group health centers’ approaches. This orientation in favor of cash-indemnity insurance and private pensions influenced the increasing fragmentation of the American welfare state. In the fifties and the sixties, the author demonstrates that private benefits programs were inefficient, inflationary and unreliable from their inception. Klein calls historians to rethink the

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consensus of the period regarding collective bargaining and social welfare. Unions fought for programs that would have been much better at delivering more equitably priced and distributed services to entire communities. According to her, “collective bargaining did not even the balance of power; it reflected the balance of power” (p. 254). This failure has been compounded by the limits of liberals’ reform in the Sixties, which allowed private insecurity to endure even during Lyndon Johnson’s Great Society. The end of the story is a disenchanted one: the public policies of the past twenty-five years have been aimed at propping up the leaky private welfare system. Indeed, it is no coincidence that neither the private nor the public system should provide universal coverage. Therefore, at the beginning of the twenty-first century, the American welfare state remained fragmented.

7 This book is a major accomplishment. It reflects the specificity of America’s mixed welfare state in which social provision is dispensed through public and private institutions. To understand this unique mix of private and public social welfare, business and government cannot be thought of as inversely proportional levers. Brilliantly, Klein pushes our attention away from institutionalist analysis but avoids the trap of claiming that state reformers were innocuous. Yet, Klein still views liberals’ reforms as a delusion. From time to time, she could have been much more appreciative of liberals, notably during the sixties and the Johnson’s Great Society. Nevertheless, this book remains a brilliant and political demonstration. Contrary to the presupposed idea that if we reduce or eliminate the role of the state in social provision, business will fill the gap, Klein demonstrates that employers increased their commitment to corporate welfare program when government itself expanded its social welfare role. Moreover, another lesson gives readers food for thought: business enterprises are not stable foundations for long-term social security. The recent bankruptcies of Enron, Polaroid or Lucent Technologies sustain Klein’s analysis in so far as they embodied both the failure of corporate responsibility and the limits of privatized social welfare support. Indeed, this book is a must-read for historians but also citizens in quest of reformulation of the ideology of security.

AUTEUR

ROMAIN HURET Université d'Arras

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Robert Rogers KORSTAD. Civil Rights Unionism. Tobacco Workers and the Struggle for Democracy in the Mid- Twentieth Century South. Chapel Hill, NC : University of North Carolina Press, 2003 (xii-556 p.)

Claude Julien

1 Ce livre constitue un apport précieux, ne serait-ce que parce qu’il ne manque pas de provoquer la réflexion. Le sujet en est la section 22 de la Food, Tobacco, Agricultural and Allied Workers of America (FTA), affiliée au CIO, et son combat au cours des années quarante contre R.J. Reynolds Tobacco Company et ses appuis — tant locaux que nationaux. Cette percée syndicale impliquant environ dix mille ouvriers dont plusieurs centaines de blancs se déroula à proprement parler de la grève de 1943 (d’où surgit le mouvement) à l’élection de 1950 de la NLRB qui, à une cinquantaine de voix près, mit le syndicat en minorité dans l’entreprise. En amont, en ces années où se préparait la loi Taft-Hartley, la mécanisation aidant, la direction avait pratiqué une politique de mise à pied des noirs afin de reprendre la situation en main. Ces mécanismes, à commencer par la grève de 1947 déclenchée du fait du refus de la direction de négocier, sont décrits par le menu (chap. 12).

2 Korstad ne limite pas son étude aux années quarante. Il situe le mouvement par rapport aux luttes antérieures (chap. 2 et 3), du pouvoir blanc triomphant à l’aube du XXe siècle à l’enquête fédérale des années trente sur la situation économique du Sud. On sait que cette enquête conduisit à une réforme agraire, donc à l’urbanisation des noirs qui modifia le tissu humain de la région. Des cartes et quelques documents iconographiques (la misère des quartiers noirs, p. 82) illustrent ces points utilement. L’auteur dresse également le profil des ouvriers et décrit leurs conditions de travail (chap. 4). Il en va de même du racisme ambiant que la compagnie attisa (l’argumentation de Korstad est convaincante) afin de briser un mouvement syndical interracial, certes numériquement déséquilibré mais qui représentait une alternative au cloisonnement inscrit dans les traditions ouvrières du pays. Korstad envisage à ce

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propos les différentes raisons susceptibles d’avoir déclenché le mouvement dans une région où la pénétration syndicale était alors des plus faibles (chap. 5-7).

3 La compagnie R.J. Reynolds ayant refusé l’accès à ses archives, et celles du syndicat ayant été détruites par une crue, l’auteur a tiré ses informations d’entrevues avec environ une centaine de survivants du mouvement, de la presse (principalement locale) et des archives du FBI.

4 On versera donc à l’actif de cette étude une documentation patiente, aussi complète que possible, un travail de terrain qui donne la parole aux militants et au vécu quotidien encore riche d’émotion. La lecture de cet ouvrage d’histoire sociale est facilitée par un index commode. La bibliographie où sont répertoriés tant les collections, que les livres et les articles, aidera aussi bien les spécialistes que les amateurs.

5 Ces multiples qualités étant dites, il importe de discuter la thèse principale : que cet échec d’un syndicalisme interracial impliquant une forte proportion de noirs a conduit la campagne pour les droits civiques qui allait s’ouvrir vers un programme politique restreint à la vie civile, donc, tout compte fait, plutôt conservateur. Korstad rappelle pour fonder cette idée que Martin Luther King, entre autres, chercha à élargir son champ d’action au monde ouvrier à partir du milieu des années soixante. (Le soutien qu’il apporta à la grève des éboueurs de Memphis fut l’ultime manifestation de cette réorientation.) Il est vrai qu’une structure syndicale déjà établie aurait été susceptible de fournir un cadre organisationnel non négligeable. Mais n’est-ce pas donner trop de retentissement à un mouvement syndical isolé ? Combien d’émules la section 22 de la FTA fit-elle dans le pays ? dans le Sud ? au sein même du CIO où le Comité d’Action Politique (CIO-PAC) créé à l’été 1943 ne réussit jamais à s’imposer ? Combien de noirs prêts à lutter pour les droits civiques connaissaient-ils l’existence de cette avancée syndicale susceptible de construire un début de conscience de classe ? Il reste à prouver que fondre deux revendications — raciale et ouvrière — aurait été un facteur de progrès plus sûr au niveau national ; compte tenu du peu d’empressement de l’AFL de cette époque à prendre en compte les revendications des noirs, d’une part, et, de l’autre, de la lutte que les centrales syndicales devaient mener pour leur propre survie en ces temps de guerre froide. Korstad impute la montée du radicalisme/nationalisme de la jeunesse noire des années soixante à l’échec d’une alliance entre les ouvriers et les militants noirs, échec dont l’effondrement du mouvement de la 22e section de la FTA- CIO fournit un exemple. Peut-être est-ce faire bon marché de l’opinion publique majoritaire d’une nation où, deux ans avant la naissance du mouvement étudié, seule la menace d’une marche sur la capitale conduisit le président en exercice, non sans réticence, à promettre le décret (Executive Order) 8802 ouvrant aux noirs de meilleures possibilités d’embauche dans les industries sous contrat fédéral.

6 Les commentaires faits ci-dessus relèvent du débat d’idée. La thèse de l’alternative manquée est énoncée en introduction et évoquée de nouveau en conclusion ; mais, absente du corps du texte, elle ne vient pas obérer la valeur documentaire d’un livre important qui a instruit le présent rapporteur quant à un mouvement dont il ignorait l’existence. Il est bien connu que le CIO attira environ un demi million de travailleurs noirs au cours de ses presque vingt années d’existence, mais les livres d’histoire font l’impasse sur les développements qui en découlèrent. L’histoire (peut-on dire officielle ?) regarde ailleurs. C’est pourquoi on recommandera la lecture de Civil Rights Unionism.

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AUTEUR

CLAUDE JULIEN Université de Tours

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Howell John HARRIS. Bloodless Victories : The Rise and Fall of the Open Shop in the Philadelphia Metal Trades, 1890-1940. New York : Cambridge University Press, 2000. 456 pp.

Joseph A. McCartin

1 Howell John Harris’s magisterial history of labor relations in the Philadelphia metal trades has provoked surprisingly little discussion thus far in the United States. Three years after its publication, the book had garnered only a smattering of reviews by labor historians. Indeed, the U.S. journal of record, Labor History, had yet to review the book. Nor had this long-awaited volume by a well-known and passionate participant in U.S. labor historians’ debates drawn the attention of scholarly symposia or sustained internet discussion.

2 This neglect, although undeserved, is in some ways understandable. Bloodless Victories does not fit easily into the mold of “labor history”—at least as most labor history is currently being written in the United States. This book is part business history, part labor history, part history of industrial relations. As a result it conforms to few of the characteristics most commonly found in recent labor histories, and is therefore ill- suited to prevailing scholarly tastes. Rather than making workers its primary actors, this book views history mainly though the eyes of employers as they struggle to control their labor markets and keep their shops non-union. Rather than chronicling a dramatic workers’ insurgency, it carefully examines subtle economic, political, and labor market developments that influenced the decisions of mid-sized metal trades employers to either fight or compromise with unions. Rather than probing the ways in which gender, race, or ethnicity complicate workers’ identities, it practically eschews such subjects for an examination of how competing employers found ways of transcending their individualistic tendencies to make common cause.

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3 Ironically, the very features which have helped to keep Bloodless Victories below the radar of most U.S. labor history scholars also serve to make this book one of the most useful and authoritative accounts of early twentieth-century American labor history to have appeared within the last decade. To be sure, Harris’s book sidesteps the debates about race and gender that are currently central to the field of labor history (a justifiable decision given the racial and gender makeup of his subjects). But Bloodless Victories wades confidently into another set of debates that go to the very heart of any effort to evaluate organized labor’s record of achievements and failures in twentieth- century America. As a result, this is a book that demands attention.

4 Harris’s choice of the Philadelphia metal trades industry as the locus of his study is apt, for in many ways the “City of Brotherly Love” provides a perfect setting in which to examine the development of U.S. labor relations. Philadelphia’s metal trades shops produced a diversity of labor relations visions in the twentieth century. Frederick Winslow Taylor’s scientific management theories were a product of Philadelphia’s metal working shops. The ideas of such labor relations innovators as Morris L. Cooke, Robert G. Valentine, and Clinton Golden were honed by their experiences with the Philadelphia metal trades. And the United Electrical Workers, the militant CIO union that transformed the metal trades industry in the 1930s, enjoyed its greatest strength in Philadelphia. In addition to incubating contending labor relations visions, the Philadelphia metal trades also left an unusually rich historical record. The MMA’s archives reveal a great deal about the collective behavior of the city’s metal manufacturing entrepreneurs. Additionally, the fact that many of those men came from the same densely intertwined Quaker middle-class makes it possible to see how their shared moral sensibilities and social ties reinforced their cooperative approach to the labor question. Harris makes the most of Philadelphia’s unique attributes and records to construct a compelling narrative that sheds light on some little understood areas of U.S. labor history.

5 One of the neglected areas limned in this volume concerns the manner of men and the types of businesses that formed the passionate cutting edge of the open shop movement. The hard-driving proprietary capitalists that led the middle-sized Philadelphia metal manufacturing companies often began as skilled mechanics themselves. They were, as Harris points out, “dedicated to the gospel of work—as a moral imperative and the road to self-realization” (60). They recruited most of their front-line supervisors from within the firm, and they prized loyalty among their workers. They were capable of competing aggressively against each other. But they were also drawn together by common problems, ranging from the erratic swings in demand for their products to the sudden upsurge of union organization among their skilled workers that erupted between 1897 and 1903. Metal manufacturers briefly flirted with the idea of compromise with organized labor during this period, but they chafed under the Philadelphia Agreement that governed relations between labor and management in the city from 1901 to 1903. The founding of the MMA in 1903 was an outgrowth of the employers’ decision to abandon compromise and unite to break union power in their trade. As Harris shows, the most energetic leaders of the Open Shop movement in Philadelphia came not from the city’s largest employers—such as Midvale Steel or Baldwin Locomotive—but rather from the middle-sized firms whose owners were more likely to have built their businesses from the ground up.

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6 In the ensuing struggle between management and labor, the key to victory was control of the labor market—a second neglected subject area illuminated in this study. The employers’ most effective tool in the battle for labor market power was the employment bureau which the MMA set up to keep records on all of the skilled workmen in the city (including notes on their union affiliation). Although this agency did not function as well as some of its planners hoped (due to the unevenness of the employers’ data keeping), during labor conflicts it effectively delivered a steady supply of skilled non-union workers to shops on strike. One of Harris’s most interesting findings is that Philadelphia’s skilled workers’ unions found it impossible to keep their own members from using the MMA’s employment bureau to locate work during times of rising unemployment. Combined with the occasional employment of labor spies and injunctions issued by sympathetic courts, the labor bureau and some convenient recessionary periods helped the MMA drive unionism from Philadelphia’s metal working shops in a series of battles between 1905 and 1911.

7 Despite the natural advantages employers enjoyed in their successful battle with trade unionism, the stability of Open Shop Philadelphia was not enduring. World War I triggered developments that even the MMA could not control. The war tightened labor markets in a way that gave workers leverage; it introduced dynamics that eroded metal employers’ tightknit solidarity; and it saw the federal government intrude into labor relations with mediation efforts that ultimately enhanced union organizing. By 1918 the Open Shop was in retreat.

8 Had the war lasted longer, it may have destroyed the Open Shop altogether. As it was, not only did the MMA’s Open Shop ideal survive the war, in many ways it emerged from post-war labor struggles improved and enhanced by a war-born reform vision. By the mid-1920s, the MMA had modernized its approach under the leadership of a new group of moralistic Quaker businessmen, most notably Morris E. Leeds. The revitalized MMA became a leading force for welfare capitalism in Philadelphia. It promoted personnel management techniques, built ties with researchers at the University of Pennsylvania’s Wharton School, developed a training program for skilled workers, and brought the city’s larger employers such as Disston and General Electric into its fold. By 1929 the MMA’s Open Shop vision, now reformed and retooled in light of the labor upheavals of World War I, seemed more secure than ever.

9 But the Great Depression and the New Deal pulled the rug from under the reformed MMA. The group’s futile efforts to rally its members around a voluntaristic response to unemployment were abandoned within the first few years of the depression and its training programs and promotion of welfare capitalism collapsed. Lacking credible alternatives, the MMA embraced elements of the early New Deal in hopes that it could replace economic chaos with order. But the stimulus that Roosevelt’s administration provided to trade unionism soon converted the MMA into a zealously anti-New Deal organization. And between 1933 and 1936 the MMA spent more than ever before to battle trade unionism. Ultimately, though, the MMA accommodated to what it could not change. Ever the hard-nosed realists, its members accepted collective bargaining when no better alternative seemed available. Rather than championing the traditional Open Shop, the MMA’s post-1937 mission was to help its members make the best of the new situation, limiting union power and resisting government intrusion wherever possible without fighting the idea of collective bargaining itself.

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10 The account of how the MMA first resisted and then accommodated itself to the New Deal Order is likely to be seen as the most significant contribution of Harris’s book in years to come. His analysis of this process in turn addresses three large interrelated questions that together provide a basis for evaluating twentieth-century U.S. labor history: to what extent was the union renewal of the 1930s primarily the product of grass-roots labor militancy? What role did the state play in the process of labor reform? And what was the significance for workers of the labor regime that emerged in this period? Each of these questions has elicited energetic and often passionate scholarly debate in the past. Harris weighs in on them with characteristic clarity and his judgements, rooted as they are in a finely detailed understanding of Philadelphia’s employers, command attention.

11 Harris argues convincingly that Philadelphia workers’ militancy and self-organization “followed rather than preceded state encouragement and endorsement” (356). Furthermore, he dismisses the contentions of Staughton Lynd and some New Left- influenced labor historians who have suggested that the emergence of “bureaucratic” CIO-style industrial unionism stifled a more radical grass-roots style of worker militancy. The union institutions that emerged from the 1930s did not so much muffle militancy as channel it, Harris argues. Industrial unions were the product of the realization that “militancy required strategy, direction, and discipline” and “to keep what it won, it required institutionalization” (357).

12 In Harris’s estimation, the orientation of government—local, state-level, and federal— was in turn crucial to trade unionism’s breakthrough in Philadelphia. He argues that the election of a liberal mayor and a liberal state government, together with the New Deal’s labor policies, were decisive in undermining the Open Shop in the mid-1930s. “The cumulative effect” of employers’ “experiences at the hands of the city, state, and federal governments was to make the MMA rethink the wisdom of the belligerent course it had pursued,” according to Harris (402). New Deal era governments at the local, state, or national levels were scarcely the handmaidens of capital—rather the state provided a crucial force “bearing in to crush the Open Shop” (397).

13 What then was the significance of the great shift in labor relations that occurred in the 1930s? Harris’s argument here rejects the contentions of Colin Gordon and some other recent commentators who have emphasized the degree to which employers accepted and even valued the logic of collective bargaining, exploiting unionization to both stabilize competitive labor markets and restrain autonomous shop-floor militancy. To the contrary, the MMA staunchly resisted unionism’s advance, Harris contends, until it became clear that labor’s advance simply could not be rolled back. “The pressure of an apparently unstoppable labor movement enjoying widespread public support” and “increasingly effective governmental backing” finally helped to persuade the MMA’s leaders that “the time for adopting a new approach that was more in keeping with the requirements” of the “unwanted New Deal Order” had arrived (405). None of the MMA’s members, had wanted the New Deal collective bargaining system, Harris tells us, but all more or less accepted it. To be sure, the collective bargaining regime did in some ways aid the MMA’s historic mission of rationalizing the labor markets of Philadelphia’s metal trades, and employers could console themselves with this. But the rationalization that came through collective bargaining cost employers more in terms of the loss of individual autonomy and power than they would have been prepared to tolerate had they had it in their power to do otherwise.

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14 The implications of Harris’s analysis are obvious: it was not that workers won a “counterfeit” victory in the 1930s, one that employers helped to influence and even engineer. Rather, workers’ gains came over the energetic opposition of employers who would have preferred a far different dispensation.

15 Its members having made their reluctant peace with the New Deal Order, the MMA turned to the task of better equipping them to influence and limit the collective bargaining regime. That was a much longer and more complex battle—it was also one that the MMA would ultimately win, though the contest would take decades to play out. In the end the MMA—through its successor organization, the Mid-Atlantic Employers’ Association (MEA)—outlived the New Deal Order. And, as Harris notes in an afterward to the book, the remnants of the employers’ association movement are today presiding over a the virtual collapse of the collective bargaining regime and the vibrant union movement whose aggressive organizing had called the employers’ movement into being at the dawn of the 20th century.

16 Harris’s tale is occasionally overly dense. And at times it tells us simultaneously too much about Philadelphia’s metal manufacturing entrepreneurs and too little about the actual effects that their policies had on wage rates and labor market structures in their industry. But the relatively minor flaws in this ponderous volume are more than redeemed by the broad vision that informs it and that fact that its narrative is told with great heart, keen wit, and an amiably combative style.

17 Bloodless Victories is a book that in many ways defies easy categorization. Yet, as Harris notes, it is ultimately “a book about power” (1). Few recent labor historians have grasped the dynamics of labor power more surely nor revealed its contested history as well as Harris. Scholars would be wise to pay attention to the arguments of this important book.

AUTEUR

JOSEPH A. MCCARTIN Georgetown University

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Etudes

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« Le Virgile de l’Amérique » Paul Goodman entre avant‑garde et tradition

Bernard Vincent

Goodman et ses maîtres

1 « Je suis Erasme », confia un jour Goodman à Judith Malina (Malina 223) — boutade orgueilleuse mais qui situe justement notre auteur dans la longue tradition de l’encyclopédisme et l’apparente, à travers le temps, aux humanistes de la Renaissance, à ceux des Lumières et, en Amérique, aux lettrés du mouvement transcendantaliste. La soif de lectures et de savoir qui caractérisa Goodman (1911‑1972) n’était donc pas spécifiquement américaine, mais à la tradition encyclopédiste de l’Europe il ajouta cet appétit typiquement américain, ce besoin de conquérir, de coloniser et d’accaparer qui, outre‑Atlantique, marque aussi bien la vie de l’intellectuel marginal que celle du capitaine d’industrie. Ce faisant, Goodman tomba dans les travers qu’il reprochait le plus violemment à là société technologique moderne : le règne du quantitatif et le productivisme. Érudit et écrivain insatiable, il s’efforça d’une part d’avoir tout lu et produisit d’autre part une œuvre monumentale, aussi titanesque que New York — la « Cité Empire ».

2 Mais la passion encyclopédique avait, dans le cas de Goodman, une signification politique précise. Dans un monde où tout s’unifie — la technique, l’économie, l’urbanisme, le mode de gouvernement etc. — préserver la spécificité de la culture occidentale (« cette vaste culture humaine qui ne change pas avec les dynasties » (PG 1945 203), et donc s’en imbiber jusqu’à la moelle, était pour lui la seule façon de ne pas se diluer dans cette sorte d’inculture de masse qui tend aujourd’hui à s’établir sur tout l’univers. À ses yeux, lire et connaître les anciens revenait à se doter de racines culturelles au moment même où la civilisation technique s’emploie à couper tous nos autres liens avec le passé de l’homme et de la terre. La tradition occidentale, expliquait‑il, repose sur un certain nombre d’histoires mythiques exemplaires qu’on se répète de génération en génération et qui tissent, en profondeur, notre singularité culturelle : notamment « les histoires de la Grèce et de la Bible [...] certains cycles nationaux du Moyen Âge [...] l’histoire d’Œdipe et d’Oreste [...] Caïn [...] Abraham chassant Ismaël et sacrifiant Isaac [...] Phèdre [...] le roi David [...] le roi Arthur » (PG 1946 50‑51). Or, de nos jours, ces histoires qui symbolisent nos sensibilités et notre

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façon d’être dans le monde ne sont plus guère enseignées aux enfants et la tradition tombe en désuétude. Le penseur moderne se trouve donc placé devant un dilemme : « Ou bien il abandonne la tradition occidentale [...] et essaye, en retardataire, d’adopter une perspective nouvelle (mais quelle perspective et comment l’assimiler ?) ; ou bien il persiste dans ses habitudes et a quelque peu le sentiment de se raccrocher à un patriotisme de clocher » (50).

3 Pour sa part, Goodman choisit sans ambages de rester fidèle aux traditions culturelles de l’Occident. Dès l’adolescence, comme poussé par un instinct de survie, il se mit à dévorer nos plus grands auteurs. À vingt‑trois ans, ainsi qu’il ressort de son premier essai publié (« Neo‑Classicism, Platonism, Romanticism » [PG 1934]), il était un lecteur familier de Longin, Platon, Dryden, Johnson, Aristote, Horace, Boileau, Racine, Virgile, Euripide, Sophocle, Milton, Démétrios de Phalère, Thomas d’Erfurt, Shakespeare, Euclide, Leibniz, Coleridge, André Breton, Proust, Santayana, Wordsworth, Matthew Arnold, Goethe, Démosthène, Homère, Thucydide, Théophile Gautier, Ruskin, Trotski. Art and Social Nature, publié quelque dix ans plus tard, témoigne d’une connaissance approfondie de Byron, Tolstoï, Nietzsche, Ibsen, Dostoïevski, Keats, Gogol, Flaubert, Mallarmé, Zola, Joyce. La bibliographie de sa thèse de doctorat (The Structure of Literature 1954) complète le tableau et nous indique non seulement que Goodman avait ingéré l’essentiel de la tradition littéraire et philosophique occidentale, mais qu’il était au fait des grandes œuvres de l’Orient.

4 Il jouissait d’une telle intimité avec certains de ces grands auteurs qu’il les tenait, en fait, pour plus réels et plus présents que la plupart de ses contemporains : « Sophocle, Milton ou Hawthorne », aimait‑il à dire, « sont plus mes amis personnels, hélas disparus, que les hommes de lettres que je connais » (PG 1976 217). La fréquentation quotidienne et assidue des grands esprits du passé avait pour effet, chez lui, d’abolir le temps, de mettre en lumière le continuum de la pensée humaine et, en quelque sorte, de déstatufier les figures mythiques de notre culture. D’où le sentiment, à lire Goodman, — et cela n’était pas une pose — qu’il était à tu et à toi avec les plus grands esprits du passé, avec Platon, Abélard ou Jefferson. C’est ce que souligne Nat Hentoff lorsqu’il dit : « Je revois Paul s’asseoir et dire à Aristote : Alors, tu es sûr qu’il y a un rapport entre ceci et cela [...] ?. Il pouvait agir ainsi. Il avait cette autorité » (Hentoff 39). Plus encore que citoyen de son temps et de son pays, Goodman se considérait — sur un pied d’égalité avec tous les autres — comme citoyen d’une éternelle et intemporelle République des Lettres.

5 Il faudrait une longue et minutieuse étude pour déterminer quelles œuvres, parmi tant de lectures, jouèrent le plus grand rôle dans l’élaboration de la pensée goodmanienne. Sans entrer dans le détail, le mieux est en l’occurrence de se fier aux clés fournies par Goodman lui‑même et par les références dont il ponctua, avec le plus de régularité, l’ensemble de son œuvre. Il apparaît d’abord qu’il fut très sensible, dans ses débuts, à l’influence exercée sur lui par certains de ses professeurs d’université, notamment Richard McKeon, Irving Babbitt et Morris Raphael Cohen. Ces maîtres orientèrent ses lectures ; il sut les écouter et à l’occasion les lire (en particulier Reason and Nature de Morris Cohen) et leur indépendance d’esprit contribua à ancrer chez Goodman une certaine idée de l’universitaire et de l’université qu’il devait développer longtemps plus tard dans The Community of Scholars (1962). Si, sur le plan de la poésie et de la fiction, il doit beaucoup à Milton, Wordsworth, E. E. Cummings, Cocteau, Pierre Mac‑Orlan, Rilke, Kafka, Horatio Alger, Sherwood Anderson et Ring Lardner1, l’essentiel de sa pensée

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politique et sociale apparaît, à la lecture, marqué par l’influence d’une dizaine d’auteurs ou d’ouvrages qui, en conjugaison ou isolément, hantent la plupart de ses idées. Citons Socrate (pour la pédagogie), Aristote (pour l’appréhension du réel), Jefferson (pour le décentralisme), Kant (pour la perception du monde), Kropotkine (pour l’anarchisme), William James (pour le pragmatisme), Freud et Reich (pour la libération instinctuelle), enfin la Bible (comme fable du monde) et Lao‑Tseu (pour sa sagesse et sa conception des forces naturelles).

6 S’en tenir à ces influences risque cependant de nous faire passer à côté de l’essentiel, car l’originalité de Goodman réside précisément dans l’extraordinaire synthèse créatrice qu’il sut faire de ces multiples apports. Ainsi que le note George Dennison, « une grande partie de ce qu’il dit n’est pas original, en ce sens qu’il n’en fut pas l’inventeur [...] Les choses qu’il emprunte sont souvent reprises sans la moindre transformation et demeurent identifiables, mais elles prennent place dans une gestalt nouvelle et véritablement unique. C’est exactement l’acte d’imagination dont parle Coleridge lorsqu’il distingue l’imagination de la fantaisie » (Dennison 1972 39‑40). Cette capacité de synthèse se retrouve chez la plupart des auteurs importants, mais chez Goodman elle a, semble‑t‑il, une signification toute particulière : à lire son œuvre, on a en effet le sentiment que les diverses influences auxquelles il a été sensible n’ont pas, à proprement parler, formé sa pensée, mais n’ont fait que confirmer et conforter une pensée toujours déjà là — comme si sa philosophie était née dans le même berceau que lui, comme si elle émanait viscéralement de sa personne au point qu’à partir de cette source initiale, Goodman donne l’impression d’approprier, d’amalgamer la pensée des autres à la sienne, lui‑même et sa philosophie constituant le centre, le lieu premier, d’où tout rayonne et vers quoi tout converge et se fond. C’est pourquoi plus que d’influences il faudrait ici parler d’échos, d’affinités ou de reconnaissances. Et c’est aussi pourquoi, ne se rattachant lui‑même à aucun lignage, Goodman pouvait affirmer, évoquant les origines obscures de sa pensée : « En fait, je suis né orphelin » (PG 1977 237).

7 Il est un peu vain, s’agissant de cet auteur, de prétendre rechercher telle ou telle influence décisive. Plutôt que de lui découvrir des pères spirituels qu’apparemment il n’avait pas, mieux vaut essayer de le décrire comme le continuateur, le synthétiseur et le rénovateur d’un certain nombre de traditions constitutives de la pensée occidentale et plus spécifiquement de la pensée américaine. Considérant ces traditions comme des parentés plus que comme des sources, et situant Goodman au lieu même où elles se croisent, nous examinerons successivement les rapports de la pensée goodmanienne avec la tradition radicale, la tradition libertaire et transcendantaliste, la tradition utopiste, la tradition psychanalytique et la tradition juive. Goodman, continuateur et rénovateur de la traditionA. La tradition radicale 8 Il est dans la nature des choses (et de l’étymologie) que le radicalisme soit devenu, dans un pays de déracinés comme les États‑Unis, une forme traditionnelle de comportement politique.

9 Coupé, par l’exil, de ses racines historiques, ce peuple éminemment composite — chercha, dès l’origine, à se doter de racines idéologiques de compensation, sous forme de grands textes fondamentaux : la Déclaration d’Indépendance, la Constitution, la Déclaration des Droits. Dès lors, et considéré dans ses développements ultérieurs, le radicalisme américain apparaît moins comme une volonté révolutionnaire destinée, ainsi qu’il arrive dans des nations ayant une longue histoire, à arracher des racines historiques qui, ici, n’existent pas ou qu’on a reniées (monarchie, bourgeoisie)

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que comme un effort, toujours frustré et toujours à reprendre, visant à mieux enraciner la vie sociale au regard du projet idéologique initial. De ce point de vue, on pourrait dire des radicaux américains qu’ils sont des desperados de l’enracinement. S’ils s’évertuent, de façon pathétique, à actualiser un rêve toujours inachevé — celui des Pères fondateurs — toujours ils se heurtent à l’entêtement des faits. Et leur action ne peut, au demeurant, qu’être récupérée par le système en place (Goodman disait le « Système Organisé »), dans la mesure même où elle se propose, non pas de détruire la société, mais, au contraire, de la rappeler à l’ordre et de l’aligner sur le rêve.

10 Cela (entre autres raisons) permet de comprendre pourquoi le radicalisme américain, qui s’est parfois (mais rarement) engagé dans des entreprises révolutionnaires, n’a jamais débouché sur une issue vraiment révolutionnaire. S’inspirant des idéaux radicaux de la plus pure tradition américaine, Martin Luther King écrit son poème célèbre « I have a dream », rêve d’intégration, non de rupture. Quant au combat plus radicalisé d’autres mouvements noirs, sur quelle revendication fondamentale s’appuie‑t‑il sinon sur la déségrégation, c’est‑à‑dire en dernier ressort sur l’intégration sociale ? Naturellement ce radicalisme d’intégration n’exclut pas la violence ; on peut même affirmer que plus la réalité sociale s’écarte du rêve, plus grande est la frustration et plus grands, par conséquent, les risques de violence. Mais il s’agit, en l’espèce, d’une violence plus thérapeutique que subversive, infiniment plus proche des prescriptions de Jefferson « Un peu de révolte de temps à autre est une bonne chose » que des recommandations stratégiques du léninisme.

11 Le radicalisme d’outre‑Atlantique a donc peu de chose à voir avec l’extrémisme européen et sa tendance au « tout ou rien ». On peut aujourd’hui être Américain et se réclamer du « radical center » ! Mais, même lorsque la passion et la violence sont de la partie, le radicalisme américain continue de reposer sur un fond de pragmatisme et se trouve limité dans son extension par l’amour du pays (entretenu notamment par les finalités de l’école), le respect des valeurs traditionnelles (y compris dans la contestation) et l’attachement à une unité nationale chèrement payée (et d’ailleurs inachevée, fragile et sans cesse menacée). D’où le caractère généralement ponctuel (« piecemeal ») — dans l’espace et dans le temps — de l’action radicale. Il y a, chez tout Américain, comme une sagesse populaire qui lui dicte de châtier la société à proportion de l’amour qu’il lui porte — et à travers la vision idéale qu’il en a. Il ne s’agit jamais que de faire tomber telle ou telle branche morte, afin de redonner vie à l’arbre, mais sans porter atteinte au tronc — et moins encore aux racines.

12 Même s’il s’apparente, en tant qu’artiste politisé, aux critiques sociaux victoriens du XIXe siècle anglais — et notamment à John Ruskin —, Goodman s’inscrit pour l’essentiel dans le droit fil de la tradition radicale américaine telle que nous venons de l’évoquer, avec sa force et ses faiblesses. On retrouve chez lui toute l’ambivalence de ce radicalisme singulier, à savoir la nécessité morale de se marginaliser devant l’inacceptable et, en même temps, la volonté politique de s’intégrer à la communauté sociale. D’une part, comme le note Harold Rosenberg, Goodman « représentait le type traditionnel de l’‘outsider’ », c’est‑à‑dire de l’homme révolté qui entend se tenir à l’écart du Système, mais d’autre part il « se considérait comme un citoyen et un patriote, ce qui, à strictement parler, le privait du titre de Radical » (Rosenberg 16‑17). S’il aspirait à prendre moralement des distances avec la société où il vivait, il refusait en revanche tout déracinement civique. N’ayant pas, comme les Pères fondateurs, à se rebeller contre un prince tyrannique et lointain, Goodman entreprit donc de transposer

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les grands idéaux constitutionnels des débuts de 1’Amérique à la société industrielle de son temps. Aussi bien, lorsqu’il revendiquait le droit au bonheur et à une vie libre (c’est‑à‑dire pour lui autonome), ne faisait‑il que revendiquer l’application, dans le contexte moderne, des principes fondamentaux énoncés dans la Déclaration d’Indépendance. Il souhaitait changer la société dans un sens plus conforme à ses racines originelles, mais il n’entendait pas, à vrai dire, changer de société. « La société où je vis, disait‑il, est mienne » (titre d’un de ses livres, The Society I Live In Is Mine). Au reste, il pensait que toute collectivité humaine est foncièrement tributaire de son histoire et que, si l’on peut infléchir l’avenir, il est en revanche impossible de défaire le passé. Dès lors la solution la plus « radicale » consiste à accepter l’héritage, à rester fidèle aux grands principes fondateurs qui le sous‑tendent et à mener en exilé de l’intérieur un combat légitime contre tous ceux qui chercheraient à le trahir. D’où, naturellement, l’apparence quelque peu passéiste de certaines de ses propositions. Rénovateur et actualisateur de la tradition, Goodman ne croyait pas qu’une société pût aller de l’avant de façon acceptable sans un perpétuel retour aux sources.

13 Fort de cette philosophie, il ne fut donc pas de ceux qui se retirèrent dans les montagnes. Des années trente jusqu’à sa mort, il se servit de sa plume et des diverses tribunes que lui offrait la presse contestataire (notamment Partisan Review, Politics et Why?) pour rappeler à l’ordre sa patrie — comme en d’autres temps l’avaient fait Milton ou Thoreau. Les circonstances l’obligèrent néanmoins à attendre les années soixante avant de devenir, pour reprendre une expression de Richard King, « le principal porte‑parole américain de la tradition non‑marxiste du radicalisme occidental » (King 78). Sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale et devant l’échec patent du capitalisme et du stalinisme, il put enfin apparaître, explique Michael True, comme le « conseiller perpétuel d’une génération montante découvrant le radicalisme à travers le mouvement pour les droits civiques et l’opposition à la guerre [du Viêt‑nam] » (True 235). En tant que maître à penser du radicalisme, qu’on appelait alors « la nouvelle gauche », on peut dire de Goodman qu’il appartient effectivement aux années soixante, période d’extraordinaire effervescence à laquelle, du reste, il ne devait pas survivre longtemps puisqu’il mourut, rappelons‑le, en 1972. De même que la blessure infligée à Yeats par l’Irlande avait précipité celui‑ci dans la poésie, de même, poursuit Michael True, « on pourrait dire de Goodman que la blessure à lui infligée par l’Amérique contemporaine le précipita dans la critique sociale. Les mouvements sociaux des années soixante lui procurèrent un vaste public et, grâce à son long apprentissage de prosateur, il put assumer, jour après jour, les tâches d’homme de peine où le plongea cette décennie » (236). B. La tradition libertaire et transcendantaliste 14 Au cours de la Grande Dépression et dans les années qui suivirent, il était de mise dans les milieux intellectuels new‑yorkais de glisser vers le communisme ou à la rigueur vers le trotskisme. Contrairement à sa sœur Alice et à son frère Percival un moment attirés par le stalinisme, Goodman ne céda, pour sa part, ni à l’une ni à l’autre tentation (même s’il semble avoir eu, à en croire Kenneth Rexroth2, quelques vagues sympathies pour le trotskisme). « L’idéologie socialiste de type marxiste », explique Colin Ward, « lui était totalement étrangère. Lorsqu’il était jeune — dans les années trente — et que les intellectuels de gauche, l’intelligentsia juive new‑yorkaise, épousaient trente‑six variétés de trotskisme et une unique variété de stalinisme, il choisit, lui, de prendre le large, où il demeura d’ailleurs presque tout le reste de sa vie » (Ward 239). De ce fait, Goodman se retrouva très isolé en Amérique et il n’est pas surprenant qu’au début des

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années cinquante ses plus proches compagnons de route aient été un petit cercle d’écrivains libertaires pour la plupart britanniques, à savoir Herbert Read, Alex Comfort, George Woodcock, D. S. Savage et Kenneth Rexroth. Il partageait avec eux la conviction que le marxisme était un rejeton monstrueux du capitalisme, que le capitalisme d’État ne valait pas mieux que le capitalisme d’affaires, que le centralisme et le nationalisme étaient rois à l’Est comme à l’Ouest et que, de toute façon, il n’y avait aucun salut à attendre d’une révolution violente. D’où, chez Goodman en particulier, le ralliement à une double tradition du radicalisme occidental : l’anarcho‑pacifisme et l’anarchisme communautaire.

15 Goodman ne se reconnaissait pas plus dans Bakounine que dans Marx ou Lénine. Marginal par rapport au socialisme révolutionnaire, il se retrouva également en marge de l’anarchisme dit insurrectionnel. À ses yeux, le rapport de forces entre les masses, fussent‑elles organisées, et l’ordre de plus en plus militaro‑policier des sociétés modernes rendaient illusoire l’espérance anarchiste classique d’un soulèvement populaire à grande échelle. C’est pourquoi il tenait les théories de Bakounine pour dépassées et c’est pourquoi aussi il se heurta au mouvement anarchiste américain, notamment aux critiques acerbes de son leader Murray Bookchin, ce dernier lui reprochant de trahir la révolution anarchiste par ses appels à la non‑violence3. À la spirale de la violence révolutionnaire Goodman préférait en effet, pour des raisons d’humanité et d’efficacité, le recours à une tradition plus pacifique du changement social inspirée d’une part de l’anarchisme taoïste du non‑agir (créer le Vide et se fier à la force des choses) et d’autre part du comportement politique de certains de ses contemporains : « C’est précisément pour rompre cette spirale », écrivait‑il, « que Gandhi, A. J. Muste et Martin Luther King ont imaginé la méthode dite de confrontation populaire non‑violente. Il s’agit par‑là d’obliger les arrogants et les puissants à reconnaître l’existence des autres et, ce faisant, à redécouvrir qu’ils sont eux‑mêmes des êtres humains, non des robots. Cette méthode personnalise les conflits et rend possible le rétablissement de la communauté, puisqu’à la fin des fins nous devons tous vivre ensemble » (PG CVSR 1968 111).

16 Si Goodman rejetait l’emploi de la violence, c’est qu’en réalité son objectif politique n’était pas la prise du pouvoir central, mais sa disparition ou, à tout le moins, sa dépossession progressive grâce à la reconquête pacifique par les individus et les groupes de leurs droits locaux et de leur autonomie naturelle. Les concepts goodmaniens de juste mesure ou d’« échelle humaine » sont des concepts d’origine aristotélicienne qu’on retrouve chez de nombreux anarchistes, en particulier chez Proudhon dont l’idéal localiste, fédéraliste et paysan recoupe sur beaucoup de points l’anarchisme d’autonomie de Goodman. Mais, parmi les « influences » étrangères subies par celui‑ci au plan de la théorie, celle de Piotr Kropotkine fut sans nul doute la plus déterminante. À maintes reprises Goodman reconnaît sa dette envers celui qui osait écrire dans ses Mémoires : « Avec quelques livres de pain et quelques grammes de thé dans une sacoche de cuir, une bouilloire et une hachette accrochées sur le côté de sa selle et, sous sa selle, une couverture [...], un homme se sent merveilleusement indépendant » (Steiner 159). Outre cette idée que l’homme n’a pas besoin d’être assisté par l’État autant qu’on veut bien le dire, Goodman retint des théories de Kropotkine une définition précise des bases sociales de l’anarchisme d’autonomie : L’anarchie est une philosophie politique propre aux artisans et aux fermiers, qui n’ont pas besoin d’un patron ; aux individus pratiquant des métiers dangereux, par exemple les mineurs, les forestiers ou les explorateurs, qui apprennent à compter

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sur eux‑mêmes et à s’entraider ; aux aristocrates, qui peuvent se permettre d’être idéalistes et savent ce que cache le spectacle du pouvoir ; aux artistes et aux savants, qui, s’ils respectent la réalité, ne craignent pas néanmoins de faire sortir des choses nouvelles de leurs propres cerveaux. Kropotkine était tout cela à la fois (PG KM 1968 521).

17 Mais, cette base sociale étant à l’évidence en voie de disparition, Goodman trouva chez Kropotkine une sorte de base sociale de remplacement en la personne de ceux qu’il appelle les « professionnels authentiques ». L’idée est qu’à partir du moment où la société industrielle dénature la plupart des métiers, pratiquer inflexiblement sa profession selon les lois naturelles de l’art est en soi une mise en cause radicale du Système qui entraîne nécessairement des conflits de caractère pacifiquement subversif : « Le principal enseignement, que Kropotkine ait légué à la jeunesse », poursuit Goodman, « concerne la façon dont un professionnel authentique devient un révolutionnaire » (520).

18 Sur un plan plus pratique — mais non coupé de la théorie —, Goodman est aussi un héritier de la grande tradition jeffersonienne qui, dans l’histoire américaine, inspira la plupart des mouvements progressistes et populistes. « L’agrarien indépendant de Jefferson », écrit Tom Nicely, « c’est l’homme autonome de Goodman ; l’aristocrate naturel de Jefferson, c’est le professionnel goodmanien qui se meut dans le monde avec force et avec grâce » (Nicely 6). C’est sans aucun doute à Jefferson — en tant qu’homme d’action et de pensée — que, dans l’ensemble de son œuvre, Goodman fait le plus constamment référence. Leur égale insistance sur les bienfaits du localisme, du ruralisme et du face‑à‑face communautaire révèle une parenté, une continuité historique profonde, fondée chez l’un comme chez l’autre sur une conception pluraliste des « droits naturels » directement inspirée de John Locke. Mais l’histoire américaine, basculant irrésistiblement vers l’industrialisme et l’urbanisation, a finalement donné tort à Jefferson, comme elle semble aujourd’hui donner tort aux théories de Goodman. Il y a lieu cependant de porter le regard au‑delà de cette triste parenté de destin, car il n’est pas déraisonnable d’imaginer qu’au sortir prochain de notre ère industrielle, la philosophie pré‑industrielle de Jefferson et la philosophie post‑industrielle de Goodman finiront par se rejoindre et, retrouvant une justification oubliée, par prendre leur revanche sur l’histoire.

19 Dans le prolongement de Thomas Jefferson, l’influence de Scott Nearing, dont vers 1930 Goodman suivit les conférences au City College de New York et dont plus tard il préfaça le livre Living the Good Life, paraît avoir été d’une importance non négligeable. De cet homme qui, au cœur de l’ère industrielle, passa sa vie en pionnier de l’autonomie rurale, Goodman écrit : « Le modèle économique de Living the Good Life n’est pas marxiste ni même déviant, mais remonte directement à l’Oeconomica d’Aristote, à la gestion domestique et domaniale, aux techniques de répartition des ressources et de l’effort en vue du meilleur usage et d’un optimum de satisfaction — le tout à l’écart du marché, de l’argent, des profits ou des ré‑investissements » (Nearing VIII). Il est à remarquer que, pour une étude approfondie de ce type de modèle économique, Goodman renvoie, dans le même texte, à un autre de ses « maîtres », Ralph Borsodi, auteur de Prosperity and Security qui, reconnaît‑il, inspira son propre ouvrage People and Personnel (1968).

20 À cette tradition essentiellement américaine, il serait coupable de ne pas ajouter un certain nombre d’expériences étrangères qui, à un niveau purement pratique, n’ont pas manqué de renforcer chez Goodman la croyance théorique dans les vertus de

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l’anarchisme. Les plus marquantes ont sans nul doute été, sur le plan politique, les premiers kibboutzim d’Israël et, sur le plan pédagogique, les expériences libertaires de Tolstoï à Yasnaya Polyana, de A. S. Neill à Summerhill et de Sylvia Ashton‑Warner en milieu maori. Mais, à la différence de tous ces novateurs — notamment, écrit George Steiner, à la différence de Tolstoï et de l’aile quiétiste du mouvement anarchiste —, « Goodman [était, lui] disposé à travailler avec les mécanismes existants de l’activité sociale, fussent‑ils sordides ou corrompus » (Steiner 160). Nous retrouvons ici le refus goodmanien de la marginalisation et la volonté — utopique ? contre‑utopique ? — d’intégrer le radical au réel quotidien et de ne pas se couper de la Grande Société tout en la contestant.

21 De ce mouvement séculaire et international des idées émerge un épisode de l’histoire de l’Amérique qui a façonné tout un pan de l’âme américaine et continue aujourd’hui encore à inspirer de nombreux comportements : je veux parler du transcendantalisme, dont il est manifeste que Goodman est à maints égards un héritier. Historiquement, le transcendantalisme s’inscrit dans la grande période « romantique » américaine qui, entre 1820 et 1860, entre l’élection populaire de Jackson et le déclenchement de la guerre de Sécession, entre la fin du ruralisme jeffersonien et les débuts de l’explosion industrielle, fut marquée, ainsi que l’a montré John Higham dans From Boundlessness to Consolidation : The Transformation of American Culture, 1848‑1860 (1969), par un éclatement des limites dans tous les domaines : éclatement géographique avec les annexions territoriales et la conquête de l’Ouest, éclatement politique avec l’apparition de la démocratie de masse, éclatement social avec l’ère des Réformes et le mouvement abolitionniste, éclatement idéologique avec l’institution de communautés utopiques et, s’agissant du Mouvement transcendantaliste, éclatement philosophique, littéraire et existentiel des limites de la conscience et de la sensibilité. Goodman se rattache à cette tradition dans la mesure où les années 1960 furent, à l’instar de l’ère romantique américaine, une période d’éclatement, de renouvellement radical, de boundlessness. Comme l’époque d’Emerson, cette décennie, celle des Beats et des hippies, de la musique rock, de la libération sexuelle, de la contestation étudiante et du mouvement contre la guerre du Viêt‑nam, se caractérisa, note justement Tom Nicely, « par une offensive contre les limites jusque‑là acceptées — contre les délimitations personnelles et intellectuelles, les situations acquises et les institutions “immuables” — et par une réaffirmation des possibilités de l’homme » (Nicely 5). Elle fut aussi marquée par l’émergence d’intellectuels francs‑tireurs, du type de Paul Goodman, exprimant contre les spécialistes en flanelle grise la nécessité d’une recherche transdisciplinaire de la connaissance et l’aspiration à une vision romantique et libératrice du changement social. Les années soixante se traduisirent enfin, à l’image du mouvement transcendantaliste, par une révolte contre l’inhumanité de la société industrielle de masse et un retour, parfois teinté d’orientalisme, à l’individu et à la nature.

22 C’est donc avec raison que Richard King a pu parler au sujet de Goodman — mais aussi de Norman O. Brown et de Herbert Marcuse que nous évoquerons plus loin — d’un « nouveau transcendantalisme » (King 173), ou, reprenant une formule de Frederick Crews, d’un « transcendantalisme inversé » (174). En effet, entre les deux mouvements transcendantalistes, entre celui des années 1830‑40 et celui des années 1960, s’est interposé tout le processus de modernisation de l’Amérique, avec à un bout l’effroi éprouvé devant les débuts de l’industrialisation à grande échelle et à l’autre l’effroi ressenti devant les résultats obtenus. La différence fondamentale entre les deux périodes, c’est qu’entre‑temps « Dieu est mort » et que par conséquent, même s’ils ont

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une origine analogue, le rejet du matérialisme, l’appel à la transcendance et le culte de la nature se chargent dans l’un et l’autre cas de significations distinctes. Les transcendantalistes du XIXe siècle partaient historiquement et philosophiquement de la nature ; ceux du XXe siècle, au terme d’un long détour et dans une perspective plus désacralisée, y retournent : « Pour les transcendantalistes des années 1830 », écrit Richard King, « la Nature était le véhicule, la médiation du moral et du spirituel ; pour les nouveaux transcendantalistes, la Nature, sous la forme du sexuel et de 1’érotique, devient la pierre de touche de la vertu et de la santé individuelle ou collective » (174). De même, alors que les premiers prenaient appui sur la religion comme fondement de l’existence personnelle et sociale, les seconds — tel Goodman ou Brown — ne font qu’y aboutir. Mais cette fois il s’agit moins du culte de Dieu que d’un culte « séculier » de la vie. À l’inverse de leurs prédécesseurs pour qui il s’agissait de préserver la transcendance contre une évolution qui la menaçait, les nouveaux transcendantalistes se trouvèrent placés devant un dilemme autrement tragique : retrouver ou réinventer une transcendance parmi les décombres mêmes de la foi.

23 Il reste que philosophiquement Goodman fut, à bien des égards, un nouveau Thoreau, mais un Thoreau en quelque sorte urbanisé : « Communitas », souligne Michael True, « fut son Walden et le fleuve Hudson, son Walden Pond. La morale qu’il prêcha ressemble de façon remarquable à celle du transcendantaliste de Concord : “Simplifiez, simplifiez, simplifiez” ; et une seule de ses phrases [...] résume ses espérances : « J’ai appris à n’avoir que des buts très modestes pour la société et pour moi‑même, à savoir de l’air et de l’eau pure, de l’herbe verte, des enfants aux yeux lumineux, des gens qu’on ne bouscule pas, un travail utile correspondant aux capacités de chacun, une nourriture simple et agréable et, à l’occasion, un orgasme satisfaisant” » (True 230). L’attachement à l’autonomie de l’homme, l’amour de la nature, la croyance en une sorte d’harmonie ou de régulation pré‑établie des systèmes naturels, enfin la foi dans la prééminence de l’individu par rapport aux institutions et à l’État, tels sont, à cent ans de distance, les points communs entre ces deux expressions du radicalisme romantique américain. Mais la comparaison s’arrête là, car, même s’il y a un lien de parenté évident entre le May Pamphlet de Goodman et l’essai « On the Duty of Civil Disobedience », il faut garder à l’esprit que politiquement Goodman préconisait non pas la retraite solitaire, mais l’engagement dans la société telle qu’elle est — au contraire de Thoreau qui, lui, visait infiniment plus à se réaliser lui‑même qu’à réformer la société. Celui‑ci, pour reprendre l’expression de G. Landré, « a limité sa révolution à lui‑même » (Landré 42) et son bref séjour en prison — dû au refus passif de payer l’impôt — ne peut suffire à le faire passer pour un activiste, ni même pour ce qu’on appelle de nos jours un « intellectuel engagé ». À la différence de son illustre prédécesseur, jamais Goodman ne borna son ambition à être « le capitaine d’une équipe de cueilleurs de myrtilles » (42).

24 Goodman est, de ce point de vue, beaucoup plus proche d’Emerson que de Thoreau. Le regard qu’il jeta sur son époque est analogue à celui que posa Emerson sur le Massachusetts de son temps. Et chez l’un comme chez l’autre on retrouve le même type d’idéalisme pratique, la même confiance dans la créativité « divine » de l’individu, la même volonté de vivre selon ses principes, le même effort d’authenticité et d’engagement. Drawing the Line est comme un prolongement de l’essai sur la « Nature » et l’appel de Goodman à la dissidence universitaire et à la mise en place d’« universités libres » (PG 1962 323‑324) n’est pas sans rappeler le célèbre Appel aux étudiants américains lancé en 1837 par Emerson à l’université de Cambridge (Massachusetts).

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L’œuvre de Goodman comme celle d’Emerson peuvent au total être lues — en tenant compte des différences particulières aux deux époques — comme une commune et vibrante Déclaration d’Indépendance de l’homme naturel américain.

25 Mais, par son aspiration à être le Virgile de l’Amérique, Goodman est plus fondamentalement encore un descendant de Walt Whitman. Chantre (dépité) de la Cité Empire, il a été lui aussi, à sa façon, mais sur le versant désensoleillé de l’histoire, le romancier, le poète et le censeur patriotique de l’épopée américaine. « Ses essais sur la jeunesse américaine », écrit Michael True, « sont à la critique sociale contemporaine ce que le “There Was a Child Went Forth” de Whitman fut à la poésie lyrique du XIXe siècle. Dès lors qu’on les a lus, on ne perçoit plus le monde adulte, le monde rationnel et quotidien de l’affairisme américain, des écoles américaines et des villes américaines de la même façon » (True 230). La prose de Goodman est en quelque sorte le négatif de la poésie whitmanienne. Alors que la voix optimiste de Whitman chantait un continent effervescent, plein de foi et de promesses, une terre grandissante animée par tout un peuple de bâtisseurs, Goodman nous montre, au terme de l’évolution industrielle, l’envers tragique de l’empire américain, ses failles immenses, l’écrasement du petit homme, l’échec de l’unité sociale, l’espérance désenchantée, mais aussi la façon de reprendre l’histoire à partir du moi. Ainsi, et comme s’interpellant à distance par‑delà les transformations de l’Amérique, c’est un peu la même voix — aimante, patriotique et américaine — que l’un et l’autre nous donnent à entendre : le même idéal démocratique fondé sur la fraternité (que Goodman appelle communauté) et la self‑reliance (que Goodman appelle autonomie), la même croyance en un élan vital universel, la même sensualité, le même sens du concret, le même égotisme parfois, mais aussi le même individualisme d’amour, c’est‑à‑dire ouvert aux autres et au monde — comme un livre — au point qu’on pourrait dire des œuvres de Goodman ce que Whitman disait lui‑même de Leaves of Grass : « Qui touche ce livre touche un homme ».

26 D’autres comparaisons s’imposent encore que Colin Ward a ainsi résumées : Tous deux chantèrent la même cité ; tous deux célébrèrent le même fleuve ; tous deux peuvent être imaginés, à la façon dont Allen Ginsberg se représenta Whitman au supermarché : “tripotant les viandes dans le comptoir frigorifique et reluquant les garçons d’étalage”. Tous deux se rendirent coupables de maladresses d’expression dans leurs œuvres les plus travaillées, non par manque de sensibilité mais parce qu’ils s’intéressaient à des significations qui ne relevaient pas de l’esthétique. Whitman se déclarait attaché au “commun, au familier, au bas”, Goodman prétendait n’avoir à offrir que des “solutions simples et toutes bêtes”, mais tous deux nous trompaient (Ward 237).

27 Il reste malheureusement que la contribution de Goodman au renouveau de la prose américaine n’est que très rarement comparable à ce que Whitman a pour sa part versé au patrimoine poétique de son pays.

28 Au reste, Goodman tranche avec tous les transcendantalistes par le fait qu’il ne se rallia jamais, ni de près ni de loin, à une conception mystique de l’homme et de la nature. Jamais il ne songea, comme Whitman, à fonder une nouvelle religion et, s’il lui arrivait de se référer à Dieu, à l’Esprit Créateur ou à la Grâce, ce n’était en aucun cas chez lui l’expression d’une foi reconnue, mais le simple recours à un langage métaphorique compris et accepté de tous depuis la nuit des temps. Contrairement à ses prédécesseurs du XIXe siècle, il ne croyait pas à la présence d’un Dieu transcendant dans la nature des choses et, de ce fait, on peut dire de lui qu’il fut en quelque sorte un transcendantaliste laïcisé. Il resta d’ailleurs parfaitement insensible aux tentations mystiques — et

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notamment au mysticisme oriental — qui se firent jour aux États‑Unis vers la fin des années soixante. Il se reconnaissait assurément dans le taoïsme, mais son adhésion aux thèses de Lao‑Tseu ne date pas des années soixante et elle ne relève en rien d’une conception mystique de l’homme et de l’univers4. C. La tradition utopiste 29 « À l’exception de Babel — mais sa silhouette se découpe dans la lumière du mythe — les archives de l’utopie sont vides jusqu’au jour où Hippodamos, au Ve siècle, y dépose ses épures. À Milet, Hippodamos va construire une ville volontaire. La logique ordonne ses rues. Elle n’emprunte rien à la tradition, rien à la nature et rien aux dieux. C’est par un sacrilège que l’utopie fait son entrée chez les hommes » : c’est en ces termes que Gilles Lapouge, dans un livre remarquable, décrit la naissance de 1’utopisme occidental5 (Lapouge 10), faisant coïncider son apparition avec la reconstruction de Milet par l’architecte Hippodamos, celui dont Aristote disait qu’il inventa le tracé géométrique des villes (11). Certes l’introduction de l’angle et de la ligne droite dans l’architecture est bien antérieure à Hippodamos : la géométrie n’était absente ni de Babylone, ni de la plupart des cités orientales, mais elle n’y concernait qu’une partie de la ville — tel temple, telle enceinte, tel monument — et relevait d’une symbolique religieuse. « Avec Hippodamos, soutient Lapouge, l’angle change de statut : désacralisé, il organise la ville en système. Il établit la résidence humaine sur une terre neuve, celle des mathématiques » (22).

30 L’apparition de l’utopie semble donc correspondre, dans l’histoire, à la naissance de l’esprit scientifique et de la rationalité occidentale. Elle traduit un déclin du religieux en même temps qu’un certain détachement des hommes par rapport aux courbes naturelles et aux configurations féminines qui jusque‑là présidaient au tracé des villes. « Ce que dévoilent », poursuit Lapouge, « les formes des premiers hameaux, c’est, à travers les figures du corps féminin, la plus vieille couche formatrice, le bios : le nid, le sein, la jarre, la femme, la ville enfin ne forment que les illustrations provisoires d’un même modèle fondamental : la “nature”. Et la ville d’Hippodamos, avec ses lignes droites, ses cercles et leurs rayons, est la première à s’en détacher » (15). Ainsi, l’Utopie serait née d’une soudaine transition de la ligne courbe à la ligne droite, de l’anarchie à l’ordre, de l’irrationnel au rationnel, de la nature à la culture, de l’ordre des dieux à l’ordre humain, voire masculin. Et c’est à partir de là que, s’élevant au‑dessus des contraintes naturelles, les hommes se seraient mis à imaginer des architectures et des communautés parfaitement ordonnées, immuables, insensibles aux aléas du temps et se bornant à perpétuer un modèle initial fondé sur l’élimination du hasard et sur l’égalité absolue. D’où les constructions imaginaires qui ponctuent l’histoire de l’Occident, de Platon à Thomas More et de Campanella à Fourier ou à Marx.

31 À la tradition de l’utopiste Lapouge en oppose une autre, celle du contre‑utopiste. L’utopiste, écrit‑il, « est un homme d’ordre : il aime les balances, les livres de compte, les décamètres, les équations, les uniformes et les codes civils […]. C’est un fanatique de la structure. Son rêve : injecter de la structure dans la vie des hommes, dans celle des sociétés ou des peuples » (24). À l’inverse, le contre‑utopiste ignore la logique : « C’est un vagabond, un trimard, un hippy, un poète, un amoureux. Il se moque de la société et ne veut connaître que l’individu. Son domaine est la liberté, non l’équité [...]. il déteste le groupe, l’État, la cellule, le bureau [...]. Il se protège de l’histoire en la niant ou bien en rêvant à l’origine, au temps d’avant les temps. Il a choisi le vital contre l’artifice, la

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nature contre l’institution [...]. C’est un nomade, un pasteur, un descendant d’Abel, il mange les fruits du Bon Dieu, et toute la terre lui appartient » (23).

32 Même si elle permet commodément de rattacher Goodman à la seconde tradition — celle du contre‑utopiste —, la distinction proposée par Lapouge est, nous semble‑t‑il, discutable : elle est trop linéaire et ne tient pas compte des modulations de l’histoire. Il est probable en effet que de tous temps les hommes se sont plu à imaginer des cités idéales — célestes ou terrestres — correspondant à l’image inversée de leurs conditions réelles d’existence. Dans les temps d’instabilité, de conquêtes ou de grands bouleversements, lorsque tout est fuyant et incertain et que la raison semble anéantie, comme sous le règne de Darius ou vers la fin du Moyen Âge, alors l’homme fait des rêves d’ordre, d’égalité et de justice : il échafaude des systèmes irréprochables où tout n’est que sécurité et harmonie. Au contraire, lorsque, comme aujourd’hui, la société est de plus en plus scientifiquement organisée et planifiée, lorsque l’individu est de façon croissante pris en charge par un État fortement structuré et centralisé, lorsque le bien‑être se généralise et que la raison prétend régner, alors l’irrationnel reprend ses droits et l’utopiste, cette fois, prône le dépérissement des structures, rejette les institutions, table à nouveau sur le risque et la créativité, redécouvre le goût de l’autonomie et les vertus de la nature. C’est plutôt dans cette perspective qu’il conviendrait, selon nous, de situer l’utopisme des années 60 en général et celui de Goodman en particulier. Ce que Lapouge appelle contre‑utopie n’est qu’une forme historique particulière de l’utopie. L’utopie étatique et l’utopie anti‑étatique — ou l’utopie de l’ordre et l’utopie de la liberté, pour reprendre la distinction de Fernando Aínsa6 — sont psychologiquement de même nature. Autrement dit, il n’existe, par‑delà les variations de l’histoire, qu’une seule et même tradition utopiste, c’est‑à‑dire une seule et même dimension onirique de l’homme social.

33 Erich Fromm propose une autre interprétation du phénomène utopique qui, sur certains points, recoupe l’analyse de Lapouge, mais va plus loin, nous semble‑t‑il, dans l’explication historique et psychologique de l’utopisme et permet aussi de mieux percevoir ce qui apparente Goodman à la tradition et ce qui l’en distingue. Pour Fromm, l’utopie — phénomène presque exclusivement occidental — trouve son origine dans la parole messianique des prophètes de l’Ancien Testament. L’idée centrale du messianisme, écrit‑il, est que « l’homme, après avoir perdu son unité première et pré‑individuelle avec la nature et avec son semblable (ainsi que l’exprime symboliquement l’histoire de la Chute et de l’expulsion du Paradis) commence à faire sa propre histoire [...], mais l’histoire a une visée et un but : à savoir que l’homme, poussé par son désir de réunion avec la nature et son semblable, développera si complètement ses capacités humaines d’amour et de raison qu’il parviendra finalement à cette réunion, à cette nouvelle harmonie avec la nature et avec l’homme [...]. L’idée prophétique est que c’est l’homme qui fait seul son histoire — que ni Dieu ni le Messie ne touchent à la nature ni ne le “sauvent”. Il grandit de lui‑même, se développe et devient ce qu’il est potentiellement : cet état nouveau de la société s’appelle “ère messianique” » (Fromm VII). Il s’agit bien là, pour Fromm, d’une prophétie à caractère et à usage historique, qui ne se réalisera qu’à proportion des efforts historiques de l’homme. Or, constate‑t‑il, « le christianisme a tendu à infléchir ce concept dans le sens d’un salut purement spirituel et non‑historique ; et la pensée médiévale est dominée par cette idée d’un salut qui se réalisera non pas dans l’histoire, mais dans un avenir trans‑historique et eschatologique » (Fromm viii). C’est pourquoi, endormie pendant des siècles, la vision prophétique d’une cité terrestre idéale dut attendre pour renaître

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la période décisive qui, avec le début de la Renaissance, devait inaugurer le nouveau destin de l’Occident : « Alors le grain de la pensée rationnelle et théorique, transplanté de la Grèce sur le sol de l’Europe, commença à germer [...]. Deux courants de la civilisation occidentale se rejoignirent : la vision prophétique de la société idéale comme but de l’histoire et la foi hellénique dans la raison et la science » (Fromm viii). À partir de là, toutes les grandes périodes qui suivirent — la Renaissance, la Révolution anglaise, le Siècle des Lumières et le XIXe siècle — créèrent leurs propres utopies, théoriquement fondées sur un ordre rationnel, sur la justice, l’amour et la solidarité.

34 Le malheur est qu’au XXe siècle nombre de ces utopies ont été bel et bien réalisées et que, en matière d’harmonie sociale, les résultats ont peu de chose à voir avec les prévisions théoriques. Outre qu’ils souffrent de la faim, les trois‑quarts de l’univers connaissent le despotisme, la tyrannie ou la dictature ; quant aux quelques « démocraties » qui subsistent, elles s’étiolent peu à peu sous l’effet du centralisme, de la bureaucratie, de l’injustice et du désordre planifié. Surorganisées et surtechnologisées, nos sociétés modernes sont en fait, sous l’apparence du réalisme scientifique, de véritables constructions utopiques dans lesquelles, comme on dit aujourd’hui, la réalité dépasse de plus en plus la fiction. Dans sa rencontre avec le messianisme biblique, la rationalité grecque a fini par triompher et par occuper tout le terrain. C’est pourquoi, sans pour autant renier la tradition scientifique, les nouveaux utopistes, tel Goodman, se sont efforcés de rétablir un plus juste équilibre et ont mis radicalement l’accent sur le contenu messianique ou millénariste de l’utopie7. Mais ils ont, ce faisant, renouvelé l’ensemble de la tradition, car, tirant les leçons du passé, ils ont tenté d’arracher l’utopie à l’Histoire et d’inscrire le messianisme (ou le millénarisme) dans l’instant présent. Pour l’essentiel, l’utopisme social de Goodman n’est pas une projection onirique pour un temps à venir, mais une expérience, un existentialisme, visant à instituer ou à commencer d’instituer le « Royaume » — c’est‑à‑dire à réunifier la nature et la culture, l’homme et le monde, l’homme et l’homme — dans le cadre tangible de l’Ici et du Maintenant. En l’occurrence il s’agit bel et bien, comme dans le cas des phalanstères du XIXe siècle — mais cette fois à l’intérieur même de la société — d’une rupture avec l’utopisme classique et sa tendance traditionnelle à toujours situer ailleurs dans l’espace et dans le temps la survenue du miracle social.

35 En dehors des considérations d’ordre historique concernant les erreurs du passé, le souci chez Goodman d’attacher l’utopie à la réalité vécue est aussi lié à son empirisme d’Américain et, sur un plan plus théorique, à la philosophie pragmatiste de C. S. Peirce, William James et John Dewey. Pour Goodman comme pour ces « expérimentalistes » (souvent mal compris — ou récupérés par le capitalisme d’affaires), il ne saurait y avoir de coupure entre un idéal lointain et la pratique immédiate, la fin est déjà en gestation dans les moyens, le développement individuel et social n’est pas un processus clos assujetti à un projet rigide et immuable qu’on aurait arrêté a priori : c’est dans l’espace vivant et ouvert de l’expérience que s’élaborent simultanément et la méthode d’action et les formes possibles de l’idéal à atteindre. Au lieu d’enfermer l’avenir et le réel dans un dessein pré‑établi de façon contraignante et forcément arbitraire, le pragmatisme ouvre l’action humaine à l’imprévisible, à la nouveauté, à l’adaptation créatrice. Il est de ce fait le contraire des conceptions totalitaires de la démocratie et il permet de concilier — grâce à ce que James appelait l’empirisme radical — les vertus apparemment contradictoires du réalisme, de l’idéalisme et de l’utopie. Il fait de

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l’histoire une invention continue et de la société un laboratoire ou un chantier où tout est toujours à reprendre, à repenser, à recréer. La pensée de Goodman est, par bien des côtés, héritière de cette tradition : le mélange d’audace et de prudence qui caractérise ses propositions, son approche ponctuelle des problèmes, sa méfiance envers l’esprit de système, la nature toujours pratique, concrète et sélective de ses suggestions, mais en même temps la constance de sa vision anarchiste globale, tout cela met en lumière le caractère spécifiquement américain de sa forme de pensée et invite à définir l’utopisme goodmanien non comme un véritable utopisme, non comme une pensée de l’ailleurs, mais bien comme un vitalisme social ou, mieux, comme une synthèse du messianisme onirique et du réalisme expérimental. Il y a une filiation d’évidence entre le « practicalisme » social de James et la « practicalité » adamique de Goodman. D. La tradition psychanalytique 36 Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les intellectuels américains — qu’ils fussent libéraux ou « radicaux » — se retrouvèrent dans une situation difficile. Devant le fiasco universel des doctrines politiques, l’effondrement des valeurs, les ruines de la guerre, l’anéantissement de tant de vies humaines, ils ne pouvaient plus croire à ce en quoi ils avaient cru : « Contemplant les dévastations physiques, morales et intellectuelles de l’après‑guerre », explique Richard King, « ils eurent la conviction grandissante que quelque chose s’était dévoyé dans la tradition occidentale. La révélation du massacre systématique de six millions de Juifs, la prise de conscience du caractère totalitaire du régime stalinien et l’utilisation d’armes nucléaires par l’Amérique contribuèrent à désabuser nombre d’intellectuels quant aux notions de progrès historique et de perfectibilité de l’homme » (King 43). De même qu’il fallait reconstruire un monde saccagé, de même il fallut à l’intelligentsia américaine opérer des révisions déchirantes et reprendre pour ainsi dire à zéro la façon dont jusque‑là elle avait considéré l’homme et la société.

37 Cela prit du temps et explique les hésitations, le retrait et d’une certaine manière la platitude de la vie intellectuelle américaine jusqu’à l’explosion des années soixante. Dwight Macdonald fut certainement, à la tête de Politics, le premier à tenter une redéfinition du radicalisme à partir des désillusions de l’après‑guerre. En septembre 1944, il publia une sorte de manifeste du « nouveau radicalisme8 » (Macdonald 1944 244) fondé sur le respect (limité) de la propriété, le refus des nationalisations, le contrôle ouvrier, l’élection (révisable) de tous les responsables politiques, économiques, judiciaires et sociaux pour un seul et unique mandat. Inspiré de Proudhon, de l’anarcho‑syndicalisme et de la tradition populiste‑progressiste américaine, ce programme autogestionnaire ne comportait — signe des temps — aucune référence à la tactique, à la stratégie, au sens ou à la logique de l’Histoire. Macdonald précisa sa pensée deux ans plus tard dans un essai intitulé « The Root Is Man » (Macdonald 1946) . Dans ce texte qui n’est pas sans rappeler les analyses antihistoricistes de l’époque — notamment The Open Society and Its Enemies de Karl Popper, L’Homme révolté d’Albert Camus et Les origines du totalitarisme d’Hannah Arendt —, Macdonald oppose le clan des « progressistes » — qui croient au progrès historique et fondent leur éthique sur la logique de l’histoire — au clan des « radicaux » pour qui la pensée et l’action politiques reposent sur des « absolus non‑historiques [la vérité, la justice, l’amour] » (100). Est radical celui qui rejette l’idée de progrès dans l’Histoire et mise sur l’action de l’individu dans le seul cadre du présent : « Le lieu où se fait le choix

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des valeurs se trouve à l’intérieur de l’individu, non dans l’histoire de Marx, ni dans la science de Dewey, ni dans le Dieu de Tolstoï » (198).

38 À ce manifeste anti‑étatique, anti‑marxiste et, somme toute, traditionnel manquait une dimension nouvelle et positive — la dimension psychanalytique — que Goodman sut, avec d’autres et souvent mieux que d’autres, lui apporter — fournissant ainsi au radicalisme américain un regain inespéré de jouvence et de vitalité. Le déclin du marxisme comme théorie radicale du changement social s’accompagna en effet, dans l’Amérique de l’après‑guerre d’une montée progressive du freudisme et des théories psychanalytiques. Comme le note à nouveau Richard King, « laissant derrière eux la rhétorique marxiste‑populiste des années trente (luttes de classe, oppression, réaction, progressisme, etc.) ainsi que la rhétorique traditionnelle de la religion occidentale (péché, culpabilité, vérité, erreur, salut, damnation), les cercles intellectuels avancés et, à leur suite, la classe moyenne lettrée s’emparèrent de la terminologie thérapeutique et des métaphores médicales pour s’expliquer eux‑mêmes et expliquer l’état de la société » (King 44). Dans un monde tenu pour malade ou pour fou, le vocabulaire de la psychanalyse parut soudain répondre mieux aux traumatismes causés par la guerre que les liturgies discréditées de la politique ou de la religion. Connaissant une vogue grandissante mais éclatant au contact de l’Amérique en une diversité d’écoles plus ou moins orthodoxes9, la psychanalyse freudienne commença à s’appliquer, dans un élan nouveau, à des domaines non thérapeutiques : un important mouvement de pensée se fit jour qui, à partir du freudisme, s’efforça de conjuguer la théorie ou la pratique politique traditionnelle avec les apports de la psychologie des profondeurs.

39 Goodman fut, en compagnie de quelques autres, au centre de ce mouvement, mais sur un mode qui tranche de façon radicale avec la tradition « aseptisée » du néo‑freudisme de l’époque. À la différence des néo‑freudiens de son temps, Goodman insista avec force sur le rôle fondamental de la sexualité comme facteur social d’aliénation ou de libération. Bousculant les positions théoriques de Freud — en ce qu’elles risquaient de déboucher psychologiquement sur une conception conformiste de l’âge adulte et politiquement sur un renforcement de la soumission sociale —, il se rallia dans une assez large mesure aux conceptions plus pratiques et plus libératrices de Wilhelm Reich. « Reich, écrit George Dennison, avait été expulsé en fanfare du mouvement psychanalytique pour avoir mis l’accent sur le sens politique de la psychanalyse, et du Parti communiste pour avoir mis l’accent sur le contenu sexuel de la politique. Goodman reprit à son compte l’une et l’autre position » (Dennison 1978 20). Si la pensée psychanalytique de Goodman s’articule, de façon très particulière et nuancée, avec celles de Freud et de Reich, il faut néanmoins souligner, comme l’a fait George Dennison, que « ce serait une erreur de surestimer l’importance de Reich chez Goodman. Celui‑ci trouvait simpliste sa théorie de la nature et estimait que sa conception du « self » et de la névrose restait trop étrangère à la vitalité dialectique qui caractérise ces phénomènes dans la vie. Freud, bien plus que Reich, influença sa pensée, et d’ailleurs l’approche psychanalytique date, chez lui, de bien avant la guerre. Ses premières nouvelles étaient déjà marquées par la psychologie » (21). Reste que Reich, poussant les enseignements théoriques de Freud jusqu’au bout de leurs implications révolutionnaires, a fortement marqué la pensée de Goodman et que cette filiation indiscutable permet de classer ce dernier parmi ceux que Richard King a justement appelé « the Radical Freudians » (King 50).

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40 À la différence des « progressistes » désillusionnés (comme Lionel Trilling) qui se contentaient d’apporter une réponse philosophico‑culturelle à des problèmes éminemment politiques10 et à la différence de la gauche libérale (David Riesman) se référant au freudisme comme à une théorie du XIXe siècle largement inadaptée à notre époque11, les « Radical Freudians » — Paul Goodman, Herbert Marcuse et Norman O. Brown — s’efforcèrent, à des degrés et sur des modes différents, de faire la synthèse entre le radicalisme socio‑politique traditionnel et la libération érotique des instincts. Richard King a, avec un certain bonheur, rangé ces trois penseurs sous une appellation commune « The Party of Eros ». Ce qui permet de les réunir ainsi, c’est (1) la conviction commune que la sexualité est au cœur de l’existence ; (2) le rejet — ou une interprétation très différente — de la théorie freudienne de l’instinct de mort et de l’instinct d’agression ; (3) le refus du conservatisme freudien en matière sociale et politique ; (4) la volonté d’assurer à la sexualité un rôle de premier plan dans l’élaboration d’un nouvel ordre humain ; (5) le souci hautement affirmé de parvenir à une société meilleure par la libération de l’éros individuel et l’érotisation de l’ensemble de la vie sociale. Mais, au‑delà de ces convergences, il y a entre ces trois auteurs, ou plus exactement entre Goodman et les deux autres, assez peu d’affinités : dans toute son œuvre, Goodman cite une fois Marcuse, pas une seule fois Norman O. Brown. Il ne connaissait probablement ni l’un ni l’autre, ni ne se délectait de leurs écrits. La raison en est que Marcuse restait un marxiste (à la forme de pensée toute germanique) qui croyait à la transcendance du processus historique alors que Brown était, lui, un mystique, fondant son idéal de libération sur un « mysticisme du corps » qui était, explique Theodore Roszak, « tout à la fois séculier et transcendant » (Roszak 119). Marcuse était avant tout un politique — cherchant à greffer le freudisme sur l’arbre dégénéré du socialisme — et Brown un apolitique , venu sur le tard aux problèmes sociaux par le biais du freudisme, situant l’origine de la répression dans l’homme (« amoureux de ses propres chaînes » [Brown 242]) et préconisant dès lors une révolution de la conscience plutôt qu’une révolution économique et sociale. Goodman partageait avec Brown la conviction que les hommes sont séparés par une barrière intérieure, non par une barrière sociale, que l’histoire n’est que le retour du refoulé et que le salut viendra de la personne et de sa capacité à se réunir avec le monde, la nature, les autres et lui‑même par une sorte de sursaut d’amour. Mais la réduction chez Brown de la personne à l’individu aboutit à la négation même de la société réelle, à l’abolition de la réalité sociale et au rejet de la politique comme moyen sérieux de modifier l’ordre des choses. Contrairement à Brown et à Marcuse, Goodman considérait à cet égard que l’individu comme la Société sont psychologiquement des abstractions du réel, que la seule réalité est l’individu‑dans‑le‑groupe et que là réside l’unité fondamentale que par la politique et la psychanalyse il s’agit de retrouver. Par‑delà le freudisme ou le reichisme, Goodman se référait à la psychologie gëstaltiste fondée sur l’interaction dynamique de l’organisme et de l’environnement. Dès 1947 Goodman se lia d’amitié avec Fritz et Laura Perls, fondateurs de la Gestalt‑thérapie aux États‑Unis, et cette rencontre fut déterminante dans la mesure où elle permit à Goodman de mieux intégrer dans sa pensée — et dans sa pratique — le rôle de l’organisme (comme lieu de la psychologie) et celui de l’environnement (comme lieu de la politique).

41 Malgré tout ce qui les distingue, Richard King n’a pas eu tort d’assimiler ces trois auteurs sinon à une même « école », du moins à un même courant de pensée. Car ce sont leurs recherches théoriques, leurs tentatives visant à concilier la psychanalyse et la politique, la libération de l’éros et l’action collective, qui ont jeté les bases de ce qui

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allait devenir la contre‑culture. Sans les travaux préparatoires de Goodman, Marcuse et Brown, on voit mal comment le mouvement contre‑culturel des années 1950 et 60 aurait pu se développer dans le sens qui fut le sien et comment par ailleurs auraient pu voir le jour les œuvres théoriques maîtresses du Mouvement, notamment The Making of a Counter‑Culture (Theodore Roszak, 1969), The Pursuit of Loneliness (Philip Slater, 1970) et The Greening of America (Charles Reich, 1970).

42 Au carrefour de la tradition et de la modernité, Goodman fut de ceux qui contribuèrent avec le plus de cohérence à psychologiser la politique et à politiser la psychanalyse — au nom de l’unité de l’homme. E. La tradition juive 43 La place du judaïsme dans la pensée de Goodman peut se mesurer de deux points de vue différents et complémentaires : (1) d’un point de vue historique et sociologique, par l’étude de ses attaches naturelles avec l’intelligentsia juive new‑yorkaise ; (2) d’un point de vue individuel et philosophique, par l’examen de ce qui relève effectivement du judaïsme dans la forme et la matière même de son œuvre. Nous aborderons successivement ces deux aspects du problème et tenterons de déterminer en quoi Goodman s’inspira ici aussi de la tradition et dans quelle mesure il sut la transcender.

44 L’histoire de la pensée juive aux États‑Unis reflète l’histoire de la communauté juive américaine dans son ensemble, son évolution sociale, ses revirements politiques, les trois phases principales de son développement. Comme l’écrit Dominique Dhombres, « la première génération, parlant yiddish, rêvant parfois du socialisme révolutionnaire et autres mythes de la vieille Europe, ne mettait guère en question son judaïsme : elle le vivait. La deuxième génération, dans sa fièvre d’intégration et d’ascension sociale, a tout rejeté, et violemment : il s’agissait d’être encore plus américain, plus « patriote » que les autres. La troisième génération [...] relativement prospère, apparemment intégrée, loin des ghettos [...] a oublié la langue et perdu le contact avec l’Europe ; [elle] s’interroge à présent sur son identité [...] et cherche [...], dans un mouvement qui ressemble à ce que les psychanalystes nomment « le retour du refoulé », à retrouver ses origines » (Dhombres 1). À cheval sur les deux premières, Goodman ne se fût pas reconnu dans la troisième et il eût sans doute condamné l’actuel regain du mysticisme juif comme étant une sorte de retour au ghetto.

45 Ce regain s’inscrit en effet à contre‑courant de toute l’évolution de l’intelligentsia juive depuis les années 1930. Celle‑ci n’a pu devenir une intelligentsia et un courant dominant de la pensée américaine qu’une fois la communauté juive sortie de son ghetto et au prix d’un abandon au moins partiel de la conscience juive. À partir du milieu des années trente, toute l’évolution de la pensée juive va dans le même sens et est simultanément marquée (1) par le passage du statut d’émigrant à toujours plus d’américanité ; (2) par le renoncement au provincialisme culturel et l’accès à toujours plus d’universalité et (3) par l’abandon du socialisme, voire du stalinisme, au profit du radicalisme dans un premier temps, du libéralisme dans un second temps. Dès lors, on peut dire avec Norman Podhoretz, que vers le milieu des années 60 l’intelligentsia juive américaine « s’était presque totalement désintégrée, sa cohésion n’ayant pas résisté [...] aux processus inexorables de l’acculturation » (Podhoretz 83). Le paradoxe de cette évolution est que l’intelligentsia juive n’a pu conquérir la position dominante qui est la sienne aujourd’hui qu’en se déjudéisant, c’est‑à‑dire en renonçant à la tradition qui la caractérisait à l’origine12. (Nous verrons plus loin, s’agissant de Goodman, que ce qui a été consciemment abandonné a néanmoins continué de hanter l’inconscient.)

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46 Il reste qu’entre les années 30 et 60 — période d’activité intense pour Goodman — l’intelligentsia juive new‑yorkaise a bel et bien constitué une famille d’esprits particulière dont l’influence sur la vie intellectuelle et politique du pays a été à bien des égards déterminante. Bien qu’il se soit agi en réalité d’un rassemblement de solitaires, d’une « harde d’esprits indépendants » (Harold Rosenberg — quoted in Howe 213) ou d’une « tribu mal cimentée et non reconnue » (214), cette famille était liée par suffisamment de convergences pour apparaître comme une entité singulière et originale. De ces intellectuels new‑yorkais, Irving Howe dit, en 1970, qu’ils avaient en commun : un anticommunisme virulent (du moins après la Grande Dépression), une tournure d’esprit radicale (du moins jusqu’à une période récente), une prédilection pour la spéculation idéologique, une tendance à politiser la critique littéraire, un penchant pour la polémique, la volonté d’être brillants, la conscience de former une intelligentsia, l’appartenance à une opposition active, enfin le goût de la pensée critique (211, 212). Et d’ajouter : ils ont « une histoire commune longue aujourd’hui de plus de trente ans, une perspective politique commune — en dépit de querelles internes incessantes —, un style commun de pensée et peut‑être d’écriture, des sujets de préoccupation intellectuelle communs et [...] une origine ethnique commune » (211).

47 Mais ces traits propres à l’ensemble de la famille ne doivent pas faire oublier qu’au fil du temps, à mesure de leur acculturation et de leur « américanisation », les intellectuels finirent, en ordre dispersé, par s’intégrer aux différents courants traditionnels de la vie sociale et politique américaine, certains se retrouvant dans l’aile la plus droitière de l’éventail idéologique. La Grande Dépression et la Guerre terminées, l’abondance revenue, on se mit à être moins sévère envers une Amérique qui venait de remporter la victoire contre les Nazis et constituait le seul rempart sérieux contre la menace soviétique. Alors se posa une question qui, selon Norman Podhoretz, contribua à diviser gravement la famille : « Dire que l’Amérique, c’était mieux que la Russie, cela signifiait‑il que l’Amérique fût acceptable ? » (Podhoretz 93). Les uns, dans le sillage de Lionel Trilling, découvrirent à partir de là les nouvelles possibilités de ce que Mary McCarthy appela « America the Beautiful » ; de moins en moins « radical », Commentary se proposa « d’arracher la « famille » au désert de l’aliénation où elle avait si longtemps erré et de la conduire sur la terre promise de l’Amérique démocratique, pluraliste et prospère où elle vivrait avec un bonheur égal sa judéité et son américanité » (101). D’autres refusèrent ce conformisme insolite : Irving Howe, par exemple, fidèle à son socialisme de jeunesse, créa en 1954 la revue Dissent. Quant à Goodman, il semble être le seul, au milieu de ces années tumultueuses, à n’avoir pas varié : ni socialiste ni stalinien au départ, il ne se rallia pas au libéralisme au terme de sa route. Il demeura de bout en bout un radical et un libertaire, ennemi résolu de la société industrielle et apparemment insensible aux aléas du temps (même si l’on peut noter une différence de ton, une différence de sérénité entre ses œuvres de jeunesse et les pages moins virulentes de sa maturité). S’il changea parfois de terrain, glissant de la politique pure à la psychanalyse, et souvent de compagnons — par exemple, délaissant Partisan Review pour les colonnes de Politics ou de Why —, ce fut par fidélité à lui‑même, par souci de ne pas dévier, comme semblaient le faire certains autres, du combat que l’instinct et la raison lui dictaient de mener.

48 À ce niveau de l’histoire collective des juifs américains, le judaïsme et la judéité ne paraissent pas avoir joué chez Goodman un rôle plus important que chez les autres intellectuels new‑yorkais de sa génération. Comme eux, il entra sur la scène américaine

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en laissant derrière lui les nostalgies du judaïsme et de la tradition. Ni en tant que référence historique, ni en tant que sentiment, le judaïsme n’exerça une influence significative sur sa vie consciente d’homme et d’écrivain : avant d’être (circonstanciellement) juif, Goodman fut (fondamentalement) un intellectuel et un Américain. En revanche, comme substrat philosophique, comme résidu inconscient d’un certain milieu et d’une certaine éducation, comme dimension intime de l’individu, il semble bien que le judaïsme ait marqué plus en profondeur et la forme et le fond de l’œuvre goodmanienne.

49 Bien qu’il ait poursuivi l’essentiel de ses études à l’école publique et n’ait pas bénéficié de ce fait d’une éducation hébraïque soutenue, Goodman naquit et grandit dans une famille et un milieu juifs dont l’influence, ajoutée à celle de ses lectures et des cours occasionnels qu’il parait avoir suivis, étant enfant, dans un institut hébraïque13, a certainement modelé dans leurs couches les plus profondes certaines strates de sa personnalité et de sa pensée. Il avait la foi, mais curieusement ne croyait pas en Dieu. Il fut culturellement et socialement assez « juif » cependant pour s’occuper de près de l’aménagement d’un Musée Juif à New York et de l’architecture des synagogues, notamment celles qu’édifia son frère Percival14. Au surplus Goodman nous a laissé plusieurs textes qui témoignent de l’intérêt qu’il portait aux problèmes du judaïsme, en particulier par rapport à sa vie et à son travail d’écrivain. Ainsi : « Project for a Modern Jewish Museum » (avec Benjamin Nelson), « Creating a Modern Synagogue Style » (avec Percival Goodman), « udaism of a Man of Letters », « Modern Artist as Synagogue Builder » (avec Percival Goodman), « The Jewish Writer and the English Tradition », « Jews in Modern Architecture » (avec Percival Goodman)15. Outre ces articles spéculatifs, on retrouve la présence des thèmes juifs dans de nombreuses parties de son œuvre, par exemple dans sa pièce Jonah, dans ses nouvelles (« Noah’s Vineyard », « Saul », « Adam ») et dans de multiples poèmes (dont « The Well of Bethlehem »). Et ce n’est pas un hasard si l’épigraphe de The Empire City est empruntée à Maimonide.

50 Les avis sont en fait très partagés sur le degré de judéité qui caractérise la pensée goodmanienne. Certains, tel Colin Ward, excluent carrément Goodman de la tradition intellectuelle juive : « On parle par exemple, écrit‑il, de la clarté française, de la profondeur germanique et du goût des juifs pour la spéculation abstraite par référence, je suppose, à la sainte trinité de Marx, Freud et Einstein. Hé bien, tout juif qu’il était, je ne crois pas que Paul Goodman ait appartenu à ce mode particulier de pensée » (Ward 238). Beaucoup plus nuancé, L. Becker reconnaît qu’à la différence d’un Bernard Malamud ou d’un Saul Bellow, il y a quelque difficulté à ranger Goodman dans la famille des « écrivains juifs ». Celui‑ci se prête en effet moins aisément que Malamud à la définition donnée par Alan Warren Friedman du « Hero as Schnock » (Friedman). Il se rattache mieux, suggère Becker, à une tradition plus large, au personnage mythique de Job (raillant l’absurdité du monde) et plus encore à celui de Jonas (le prophète malchanceux qui espère et qui lutte). « Le thème de Jonas », dit‑il, « sous‑tend toute l’œuvre de Goodman » (Becker 207). D’autres commentateurs sont beaucoup plus affirmatifs encore : Edouard Roditi (ami personnel de Goodman) insiste, lui, sur l’une des sources de sa « méthode » sur laquelle, surtout en conversation, Paul a fort souvent insisté : la dialectique, non pas seulement socratique, mais aussi talmudique, telle que celle‑ci se trouve illustrée surtout dans l’œuvre de Maimonide. Paul avait d’ailleurs une surprenante connaissance de cette méthode, ayant été, au City College, l’un des élèves de Morris Cohen. Paul avait en outre une certaine connaissance du Sic et non d’Abélard, et tout cela lui permettait de mettre

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en doute ce qui lui paraissait trop affirmatif, et de laisser ainsi « un peu d’air libre » pour l’évolution des idées, des événements16.

51 Point de vue que confirme Burton Weiss : « Surtout vers la fin de sa vie, ses espoirs pour l’avenir du monde étaient particulièrement modestes (comme ceux de Maimonide dans le dernier chapitre de Minesh Torah) » (Weiss 3). De la pratique de Maimonide comme de celle du Talmud (compilation d’un débat séculaire sur le texte donné de la Bible) Goodman paraît avoir retenu, au plan de sa méthode de pensée, l’habitude proprement juive de discuter incessamment le donné du monde, celui de la société comme celui de soi‑même. De même, la tradition hassidique d’une vie communautaire intense n’est sans doute pas étrangère au choix goodmanien du communautarisme comme forme idéale de vie sociale et politique.

52 Mais la source la plus sûre en la matière, c’est Goodman lui‑même. Dans « Judaism of a Man of Letters », il écrit en effet : « Si l’on pose la question des rapports entre la culture juive et mon comportement créateur comme homme de lettres, poète et tisseur de pensées politiques, alors j’ai beaucoup de choses à dire » (PG 1948 241). Il reconnaît ne pas avoir une conscience vive de la communauté juive et de ses problèmes, mais il ajoute : « leur impact sur moi est inconscient » (241). Depuis l’enfance il porte en effet en lui, de façon intériorisée, les histoires mythiques de la Bible qui sont le fondement de la tradition juive. Celles qui, de son propre aveu, se présentent le plus souvent à son esprit sont l’histoire de la Tour de Babel — symbolisant à la fois l’hubris des hommes et la rupture de leur unité — mais aussi celles d’Abraham et du Roi David qui « ont occupé, et continueront d’occuper, mon âme et ma plume, parce que je suis père de famille et poète. Et, comme je suis un anarchiste communautaire, je retourne (également) dans tous les sens [...] le récit d’Adam au Paradis » (241‑242). Et il confirme ce que nous avons dit plus haut : « L’histoire de l’Évangile m’est intérieure » (242).

53 Mais plus que par les textes eux‑mêmes qui relèvent tout aussi bien de la tradition chrétienne, c’est par leur interprétation, par la dialectique et la théologie juives proprement dites qu’il se sent vraiment héritier de la tradition hébraïque. Il écrit : « Alors qu’avec les théologies des gentils ce sont les hérésies qui m’excitent l’esprit — elles ont la vitalité des extrêmes [Goodman songe ici au calvinisme, à l’athéisme, etc.] —, dans la théologie juive c’est précisément l’orthodoxie la plus stricte qui, en son centre même, est source de vitalité. Relevons les quatre propositions suivantes : il y a une Création, Dieu n’est pas un corps, le Messie viendra, le reste est douteux et inessentiel. Pour des raisons tout à fait différentes, ces quatre pensées paraissent nécessaires à ma lutte pour le bonheur » (242). Dans la première proposition — « il y a une Création » — Goodman trouvait l’idée que le monde existe, mais aussi (à la suite de Spinoza et de Maimonide) « que la Création se justifie elle‑même, que je n’ai pas besoin de la justifier » (242). D’où, dans son œuvre, le rappel constant qu’il faut s’accommoder de « notre seul monde », du « seul monde qu’il y ait ». La deuxième proposition — « Dieu n’est pas un corps » — nous apprend avant tout, dit Goodman, « à ne pas adorer des idoles » (242), c’est‑à‑dire à se méfier des incarnations, des symboles et des représentations anthropomorphiques. D’où son refus du Père — en religion comme en politique — ; d’où aussi, dans une certaine mesure, sa vocation d’iconoclaste. À ses yeux, la troisième proposition — « le Messie viendra » — « signifie plus que la société idéale que nous autres moralistes politiques et anarchistes essayons maladroitement de faire advenir [...]. Elle signifie qu’il y faudra un miracle » (242). Autrement dit, pour nécessaire qu’il soit, l’effort des hommes ne suffit pas, et si assurément l’utopie va au devant du miracle, elle ne saurait, à elle seule, le faire

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survenir. La venue du Messie est ainsi le « pendant communautaire » (243) de cette notion chrétienne individuelle, et chère à Goodman, qu’est la Visitation du Saint‑Esprit. De la dernière proposition — « le reste est douteux et inessentiel » — Goodman tirait l’enseignement qu’en matière de religion tout ce qui s’ajoute aux trois premières propositions n’est que littérature, chimères ou fantasmes. Il admirait la façon ouverte et enjouée dont par exemple la tradition juive traite de l’immortalité de l’âme. « En comparaison, soulignait‑il, la théologie chrétienne abonde en illusions flatteuses dont même le contenu imaginaire se révèle totalement creux (demandez donc à un catholique de vous expliquer l’état de béatitude) » (243).

54 Goodman se réfère enfin à deux notions communautaires d’origine juive dont il dit qu’elles sont désormais inextricablement mêlées aux idées modernes d’anarchisme communautaire et d’éducation progressiste. Il s’agit d’abord des communautés juives médiévales, caractérisées par un cadre de vie limité, fondées sur le face‑à‑face et l’aide mutuelle, et internationalement fédérées entre elles : le projet de société proposé par Goodman s’inspire largement de ce modèle. La seconde idée, rattachée à la première, « c’est que chaque détail de la vie — l’acte de manger, de chanter, le tracé des rues — est une expression intégrale de la totalité de la vie, qu’il n’y a pas de distinction entre ce qui est privé et public, entre les fonctions nobles et vulgaires, entre symbole profane et symbole sacré » (243). Nous tenons certainement là l’une des sources de l’attachement, chez Goodman, à l’unité de l’homme.

55 Cependant ce que Goodman dit retenir des idées de la tradition, ce sont les idées, non la tradition elle‑même. S’agissant du communautarisme juif médiéval, c’est, affirme‑t‑il, : l’idée de ce genre de communauté que je trouve belle et durable, en aucun cas les applications présentes de cette idée, ni ce qui reste de ses applications anciennes. Par exemple, je mange comme un Américain, je pense que la famille patriarcale a été quelque chose de désastreux et que les mœurs sexuelles juives d’aujourd’hui sont condamnables, etc., .etc. Ce n’est pas avec des juifs en tant que tels que j’aimerais partager ma vie dans une communauté de ce type, mais avec des personnes dont l’esprit fonctionne comme le mien. (243)

56 Si donc Goodman reconnaît sa dette envers certains aspects importants de la culture juive — « qui me forment et que je transforme » (243) — et s’il peut soutenir que cette culture « a marqué de son empreinte […] tout ce qui est socialement significatif dans mon comportement » (243), il n’en définit pas moins nettement les limites de sa judéité, c’est‑à‑dire les limites de l’influence exercée sur lui par le judaïsme. Juif, il fut dès l’enfance nourri par l’enseignement hébraïque, mais, Américain, humaniste et citoyen du monde, on peut dire qu’il fut tout autant marqué par la Cité Empire où il vivait, par les tragédies politiques de son temps, le commerce des Anciens, la découverte de la psychanalyse ou sa rencontre avec la pensée de Lao‑Tseu. L’enfermer dans le judaïsme, ne voir en lui qu’un « typical alienated Jewish intellectual », serait faire preuve de beaucoup d’excès, sinon de beaucoup d’ignorance : cela reviendrait en effet à ne tenir compte ni de l’évolution de la communauté juive américaine, ni de la façon dont la tradition juive s’articule chez lui avec l’ensemble des autres traditions, ni enfin du fonctionnement syncrétique de l’intellect humain. Ici comme ailleurs, il faut se garder de confondre la partie avec le tout.

57 On peut s’étonner qu’une pensée abreuvée à tant de traditions ait pu apparaître comme une pensée neuve et originale. Le secret de ce paradoxe est que la tradition a été chez Goodman 1’aliment, le matériau, l’élément second d’une créativité débordante qui constitue, elle, l’élément premier du génie de cet auteur. Ce qui fait l’originalité de

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Goodman, c’est moins la diversité des sources de sa pensée que l’art avec lequel il parvint à intégrer et à fondre ces multiples apports dans le creuset de sa propre Weltanschauung — comme si, par une étrange alchimie, toute la sagesse du passé prenait, dans sa bouche ou sous sa plume, la forme et même la substance d’une vision radicalement neuve. Restant pleinement lui‑même et pleinement de son temps au milieu de tant d’influences, attentif aux leçons du passé comme à celles du présent, sachant d’où venait l’homme et à quel stade il en était de son progrès, il sut pressentir les configurations nouvelles d’un monde en gestation — s’avançant même, d’un pas sûr et souvent impérial, sur les chemins hasardeux de l’utopie. Aussi peut‑on dire de lui qu’il fut un découvreur et un pionnier, et de son œuvre qu’elle fut dans une large mesure celle d’un prophète.

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NOTES

1. Voir à ce sujet l’interview de Goodman par Eliot Glassheim dans « The Movement Towards Freedom in Paul Goodman’s The Empire City », Ph. D., Université de New Mexico, 1973 : 169‑172, où Goodman déclare notamment : « Mon art est presque entièrement dominé par l’influence des écrivains d’avant‑garde des années vingt » (171). 2. Voir Kenneth Rexroth, « On Paul Goodman, » The American Poetry Review (mai‑juin 1974): 48. Témoignage confirmé par Percival Goodman que j’ai interviewé à ce sujet en juillet 1976. 3. Voir à ce sujet dans Rat 9‑22, (août 1968) la réaction violente de Murray Bookchin à l’essai de Goodman « The Black Flag of Anarchism » publié le 14 juillet 1968 dans le New York Times Magazine. 4. Pour une étude des rapports particuliers que Goodman entretenait avec le taoïsme, voir mon Présent au monde : Paul Goodman (Bordeaux : L’Exprimerie, 2003) 183‑205 (« Le Tao : une philosophie du monde‑dans‑l’homme »). 5. L’analyse concernant le point de vue de Gilles Lapouge reprend le passage qui lui est consacré dans mon Présent au monde, 104‑106. 6. Fernando Aínsa, La reconstruction de l’utopie (Paris, Arcantères Editions et UNESCO Editions, 1997). 7. « Notre action », écrit Goodman sur ce point, « ne doit pas viser, à la façon des utopistes, une cité future ; nous devons (pour ainsi dire en tant que millénaristes) nous efforcer d’instaurer des conditions fraternelles dès aujourd’hui, en intégrant progressivement à la société libre que nous fondons un nombre de plus en plus grand de fonctions sociales », Drawing the Line (New York : Random House), 1962, 35. 8. Dwight Macdonald, Politics (sept. 1944): 244.

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9. Sur la transplantation de la psychanalyse en Amérique et l’éclatement de l’orthodoxie européenne, voir : Donald Fleming et Bernard Bailyn, éds. Perspectives in American History, vol. 23. The IntellectuaI Migration : Europe and America, 1930‑1960 (Cambridge, Mass.: Charles Warren Center, 1968), et « The Legacy of the German Refugee Intellectuals », Salmagundi (automne, 1969). 10. Voir : Lionel Trilling, The Libera1 Imagination (New York : Doubleday, Anchor Books, 1957) et Freud and the Crisis of Our Culture (Boston : Beacon Press, 1955). 11. Voir : David Riesman, « Authority and Liberty in the Structure of Freud’s Thought », « The Themes of Work and Play in the Structure of Freud’s Thought », « Freud, Religion and Science » et « The Themes of Heroism and Weakness in Freud’s Thought », in Individualism Reconsidered (New York : Doubleday, Anchor Books, 1955) — essais écrits entre 1946 et 1950. 12. Leslie Fiedler écrit à ce propos : « Le triomphe de l’écrivain juif aux États‑Unis coïncide avec le moment où sa conscience de lui‑même comme juif est en train de se réduire à néant », Waiting for the End (New York : Penguin Books, 1964) 73. 13. Dans « The Jewish Paul Goodman », Genesis 2 (12 octobre 1972), Burton Weiss écrit : « Paul Goodman fréquenta un cheder, “pendant des années” déclara‑t‑il un jour, et il y apprit bien — c’est‑à‑dire par cœur — [...] le siddur, Pirke Avot et le Chumash, avec les exégèses qu’on enseignait aux enfants juifs [...]. Lorsque nous fîmes connaissance en 1965, il utilisait toujours le ‘Chumash‑with‑Rashil’ […] qu’on lui avait donné, étant enfant » (3). 14. Par exemple, Temple Beth‑El à Providence (Rhode Island), Baltimore Hebrew Congregation à Baltimore, Congregation Beth‑El à New London (Connecticut), West End Synagogue à Nashville (Tennessee). 15. Dans l’ordre : Commentary (février 1946) : 15‑20 ; Ibid. (juin 1947) : 542‑44 ; Ibid. (septembre 1948) : 241‑43; Ibid. (janvier 1949) : 51‑55 ; Ibid. (septembre 1949) : 211‑12; Ibid. (juin 1947) : 542‑44 ; Ibid. (septembre 1948) : 241‑43 ; Ibid. (janvier 1949) : 51‑55 ; Ibid. (septembre 1949) : 211‑12 ; Ibid. (juillet 1957) : 28‑35. 16. Lettre manuscrite personnelle en date du 2 novembre 1976.

RÉSUMÉS

Paul Goodman (1911-1972) est une importante figure du paysage intellectuel des années 40 à 60. On lui doit des ouvrages sur de nombreux sujets, dont la Gestalt Therapy (1951), mais il est aujourd’hui surtout connu pour son analyse de la jeunesse des années 50 dans Growing Up Absurd (1960) et pour son roman-fresque The Empire City (1959).

AUTEUR

BERNARD VINCENT Professeur émérite à l’Université d’Orléans, Bernard Vincent a consacré deux livres à Paul Goodman (Paul Goodman et la reconquête du présent, Paris, Le Seuil, 1976, et Pour un

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bon usage du monde, Paris, Desclée, 1979). Les deux ouvrages viennent d'être réédités en un seul volume sous le titre Présent au monde : Paul Goodman, Bordeaux, L’Exprimerie, 2003.

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Les Women’s Studies aux États‑Unis. Le féminisme et l’université

Éliane Elmaleh

1 Issues du mouvement des femmes des années 70 , les Women’s Studies avaient pour objectif de prolonger la critique de la place faite aux femmes dans la société par la critique des discours légitimant leur exclusion. Dans un contexte général de développement des études sur les minorités, les féministes universitaires ont obtenu, à une large échelle, avec l’appui des étudiantes, la création d’enseignements sur les femmes et de Women’s Studies interdisciplinaires1. Les premiers cours apparurent entre 1965 et 1968 au sein des universités libres du mouvement étudiant. À ceux‑ci, qui s’avérèrent être avant tout des groupes de lecture et d’« éveil de la conscience », succéda le premier enseignement « d’études féminines » officiellement intégré dans un programme universitaire, organisé par Sheila Tobias, dès le printemps 1969 à l’université Cornell (New York). Dès l’automne 1970, naissait ensuite le premier programme d’études féminines au centre universitaire de San Diego (Castro, 1984, 263). Mis en place au sein des départements d’anglais, de littérature, de sciences sociales et de sciences humaines, les Women’s Studies ont proliféré durant les années 70 et 80. Il y a actuellement plus de 600 départements d’études féministes, sans compter les nombreux cours intégrés aux autres départements.

2 L’objet de cette présentation est de s’intéresser aux pratiques des Women’s Studies en tant que champ disciplinaire articulé aux Cultural Studies. Je tenterai de déterminer quel a pu être leur apport, positif ou négatif, aux études sur les femmes, et je m’intéresserai tant à l’impact que les études féministes ont pu avoir sur les départements d’Humanités à l’université aux États‑Unis, qu’à leurs pratiques (éducatives ou militantes) ; je m’interrogerai également sur leur influence dans l’université française, notamment au travers des rares cours d’études féministes qui existent dans certains départements Lettres, Langues, Sciences Sociales ou Sciences Humaines2. Apports des Women’s Studies aux études sur les femmes

3 Le terme Women’s Studies, avec ses ambiguïtés grammaticales, ne se traduit pas facilement. La formulation apparaît comme ambiguë car l’on peut se demander s’il s’agit d’étudier les femmes, d’études pour les femmes, s’il s’agit de ce que les femmes

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étudient ou devraient étudier, de l’histoire des femmes, de l’histoire de la pensée sur les femmes ou de l’histoire des théories féministes. Il semble acquis que les cours portent sur des questions dites « féministes », bien qu’un certain nombre d’enseignantes s’accordent à penser que les programmes pourraient se passer de l’étiquette féministe à partir du moment où le sujet d’étude reste la femme.

4 Le terme Feminist Studies, apparenté à Women’s Studies, adopté par un certain nombre d’universitaires, ne délimite pas véritablement, quant à lui, un domaine d’études sexué. Il a pour but d’indiquer une démarche qui a ses ancrages théoriques dans les mouvements féministes, et dont la dimension critique peut être portée sur tous les champs de la connaissance, même ceux où les femmes ne sont pas objet d’études. C’est également la raison pour laquelle l’appellation « Gender Studies » a fait son apparition3. Cette appellation donne moins l’idée d’une fixité immuable, que ce soit du côté de l’objet ou du sujet (étudier les femmes, études des femmes ou pour les femmes)4. Les Women’s Studies sont perçues par les féministes universitaires comme le plus solidement implantées dans les sciences sociales, face aux Gender Studies ou Feminist Studies qui, selon les praticiennes des Women’s Studies, auraient tendance à essayer d’orienter les études féminines vers celles des rapports entre les hommes et les femmes (Auzias et al, 1982)5.

5 L’objectif des Women’s Studies était d’étudier des problèmes dits « féminins » dans plusieurs domaines, ce en regroupant des féministes universitaires dispersées dans différents départements ou unités de recherche6. Les féministes de l’enseignement supérieur choisirent de situer leur action au sein des structures conventionnelles pour étendre le mouvement des femmes7 au campus universitaire (Yeatman, 1997). Dès le départ, les Women’s Studies ont occupé une position inhabituelle à l’université ; ces études n’étaient pas seulement multidisciplinaires, elles avaient également une mission duelle : éducative et militante. Cette mission se doublait d’une dimension critique de l’histoire, de l’anthropologie et de la sociologie, qui étaient perçues comme « écrites par les hommes », de l’économie qui « invisibilisait la production domestique » ou encore des sciences politiques qui « ne s’interrogeaient pas sur l’exclusion des femmes de la scène politique » (Bowles et al, 1983, 25). Par ailleurs, la critique littéraire féministe, au travers d’un certain nombre d’écrivain(e)s féministes qui suivirent la voie tracée par Virginia Woolf, fit son apparition dans la seconde moitié des années 608. Les Women’s Studies voulaient démontrer que le discours universitaire était non seulement sexué, mais aussi socialement et culturellement positionné. Ses praticiennes actuelles résument ainsi l’objectif premier des Women’s Studies : Women’s studies developed out of the need to counter hegemonic discourses about women that ignored, distorted, or trivialized women’s history, experience, and potential. Women’s studies consequently formulated compensatory and oppositional histories that told the « truth » about women (Stanford Friedman, 1995, 4).

6 La mission éducative avait donc un caractère compensatoire et critique, fondé sur une réparation des « silences patriarcaux du passé », pour reprendre les termes de Natalie Zemon Davis9. Comme a pu le souligner l’historienne Linda Gordon : We had first to render the invisible visible, the silent noisy, the motionless active. In doing so we were answering a call from a massive and powerful women's liberation movement for useful myths and countermyths (1986, 20).

7 Les premiers travaux sur l’histoire des femmes avaient pour but de les redécouvrir10, de les rendre visibles, et les titres des ouvrages témoignent de ce désir : Hidden from History

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(Rowbotham, 1973), Becoming Visible (Bridenthal et al, 1977). La métaphore de la visibilité était utilisée pour déconstruire les mythes qui entouraient la féminité et partir à la recherche de femmes en action, les replacer dans leurs contextes historiques, faire surgir leurs travaux, leurs statuts, leurs combats (Thébaud, 1998).

8 Les thèmes abordés dans les premières publications collectives, ainsi que dans une grande partie des revues actuelles, témoignent de cette convergence entre travail théorique et actions militantes : critiques radicales de la société en termes de système, analyses des rapports entre les sexes comme des rapports sociaux dans le cadre d’un système économique, culturel et symbolique appelé patriarcat, analyses des processus par lesquels se construit la différence des sexes.

9 L’introduction des Women’s Studies, a, sans nul doute, contribué à un questionnement sur les programmes, une interrogation sur la pédagogie et le canon dont tient compte une partie de l’enseignement dispensé dans les autres départements. Qui devait‑on inclure ou exclure du canon ? Comment aborder certains aspects de l’histoire en rendant justice aux femmes et aux groupes opprimés ? Comment présenter certains personnages emblématiques de la nation américaine, alors que, typiques de leurs temps, ils étaient sexistes et racistes ? Certaines œuvres littéraires classiques témoignant des mêmes travers, devaient‑elles être exclues ou étudiées dans une perspective plus éclairée ?

10 L’intrusion militante, à l’université, des Women’s Studies a certainement réussi à influer sur le contenu des programmes dans les départements d’Humanités en général. Les Women’s Studies ont contribué à faire éclater les American Studies qui, dans l’entre‑deux‑guerres, s’étaient constituées comme discipline. Ce faisant, les Women’s Studies, à l’instar des Cultural Studies, ont dénoncé les enseignements qui y étaient dispensés, comme « défendant les intérêts d’une élite conservatrice blanche et masculine, au service de la culture dominante » (Evans, 1983, 104). Elles ont fait prendre conscience de la complexité de l’« identité américaine », qui se définissait notamment par un patrimoine commun à l’ensemble des Américains, tout en évacuant les conflits d’ordre sexuel, social ou politique. Elles ont tenté de s’écarter d’une notion essentialiste de l’« identité féminine » pour la déconstruire et la fragmenter en unités plus pertinentes. Les Women’s Studies ont dénoncé les mythes de la génération précédente — la frontière, l’Ouest des pionniers, les Puritains — comme se référant à « une culture particulière, oppressive et patriarcale, celle du groupe dominant, l’homme blanc » (Schmitz, 1985, 45). Des aspects de l’histoire, de la littérature, des sciences sociales, ont été révisés et présentés comme étant partiaux et patriarcaux. Puisant notamment dans la boîte à outils de Derrida et de Foucault11, les Women’s Studies ont développé une pensée critique de la différence des sexes, se sont interrogées sur le clivage entre public et privé, sur les formes individuelles et collectives des résistances, et ont interprété les rapports humains comme des rapports de pouvoir, partout cachés, partout infiltrés, microscopiques.

11 Fondamentale pour le féminisme dans son combat contre le déterminisme biologique, la distinction entre « sexe » et « genre » a ouvert la porte à l’histoire des rapports de sexe. Selon certaines historiennes, — les plus connues sont Joan Scott aux États‑Unis et Denise Riley en Grande Bretagne —, le genre a démultiplié la catégorie « femmes », et produit un ensemble d’histoires et d’identités collectives. Depuis une vingtaine d’années, ces historiennes ont souligné que l’appartenance ethnique, ou plutôt les constructions sociales et culturelles, « brisaient l’unité du sexe féminin » et

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interdisaient toute généralisation sur « les » femmes (Scott, 1988). Elles ont contesté le modèle uniracial de l’historiographie des années soixante et soixante‑dix, qui, à la recherche d’une culture féminine définie par contraste avec celle des hommes, posait comme universelle l’expérience des femmes blanches des classes moyennes. Elles ont tenté d’aller « au‑delà de la quête de sororité12 » — c’est le titre en 1985 d’un article historiographique de Nancy Hewitt dans Social History —, et de prêter attention aux différences. Sensibles aux conflits et aux rapports de pouvoir entre femmes, elles ont étudié l’histoire des femmes noires, celle des immigrantes et des diverses minorités, puis proposé une approche multiculturelle dont Unequal Sisters, réédité en 1994, offre un panorama thématique (Ruiz et Dubois, 1991, 1994). Cet ouvrage invite à des questionnements sur les effets politiques et théoriques de l’approche multiculturelle : jusqu’où faut‑il segmenter l’humain et reconnaître la différence ? Faut‑il surmonter le risque d’une histoire fragmentée, explorer les relations dialectiques entre les diverses catégories sociales construites comme le genre, la classe, l’appartenance ethnique, la culture, la génération... ? Des programmes d’études sur les femmes, dont des femmes des « minorités », ont été créés. Les modifications introduites mettent notamment en avant les possibilités d’étudier des traditions littéraires longtemps ignorées. Les ouvrages de femmes noires, latinas, homosexuelles, ont fait leur entrée dans les programmes universitaires. Des chercheuses dans de nombreuses disciplines ont étudié la résistance des femmes13. Elles ont essayé de repenser la sociologie, l’histoire et la culture du point de vue de celles qui n’avaient pas eu droit à la parole.

12 Parallèlement, la New Cultural History (« la nouvelle histoire culturelle ») apparaît parmi les historiens américains spécialistes de l’Europe et plus particulièrement de la France de l’époque moderne et de la Révolution ; issue d’un colloque tenu à l’université de Berkeley et publié par Lynn Hunt en 198914, elle est définie par un de ses praticiens, comme « la version actuelle d’un projet de libération né de la crise du marxisme occidental des années 1960 », (Lebovics, 1995, 116). La New Cultural History se veut « attentive aux approches d’autres disciplines, soucieuse d’étudier de manière universelle le droit à la différence, de désontologiser les catégories sociales ». Elle a pour objectif « d’aborder l’histoire comme un texte et d’utiliser l’analyse du langage au sens le plus large du terme » (Lebovics, 1995, 121).

13 A l’origine, les programmes distincts d’études féministes se sont inscrits dans une perspective humaniste et universaliste. Les autres programmes sont devenus plus ouverts à la critique féministe, et c’est l’un des apports fondamentaux des Women’s Studies. Des cours sur les implications de l’appartenance sexuelle ou sur le genre, ou encore qui s’inscrivent en faux contre le sexisme, la misogynie, l’homophobie, le racisme, la xénophobie, sont maintenant intégrés dans un certain nombre de programmes universitaires en Humanités. Par ailleurs, une grande partie des travaux de réinterprétation historique et sociale a été menée par des universitaires ayant participé aux mouvements pour les droits civiques et pour la paix, en conséquence, ils et elles ont puisé les bases de leur idéologie dans le creuset des idées humanistes et universalistes pour justifier les changements de programmes et l’établissement d’études féministes15. Pratiques des Women’s Studies : éducatives ou militantes ?

14 A l’origine, certaines praticiennes des Women’s Studies avaient pour objectif d’introduire l’analyse politique féministe dans leurs cours, en s’orientant non pas vers l’université, mais vers l’extérieur pour s’adresser à toutes les femmes (Castro, 1985, 265). Elles ont

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établi des réseaux, notamment au travers de la National Women’s Studies Association (NWSA) dont la Constitution stipule : « The uniqueness of Women’s Studies has been and remains its refusal to accept sterile division between the academy and community » (Patai, 1995, 4). Cette déclaration reste d’actualité puisque les participantes au dernier congrès de la NWSA en 1999 déclaraient : « by refusing to limit itself strictly to the academy, by appealing to a wider community of women, Women’s studies has challenged the division between academic and popular feminism » (Rothenberg, 2000, 23). Les féministes universitaires ont ainsi tissé des liens, au sein de l’université et au dehors, au niveau national et international, avec les militantes féministes.

15 Les féministes défendaient l’idée qu’une grande partie du savoir sur l’oppression des femmes résulte des expériences personnelles ; dans cette perspective, le « personnel » devient « politique ». Les chercheuses féministes ont intégré cette dimension de la connaissance pour concentrer certaines de leurs analyses sur le caractère personnel de chaque expérience, et elles ont fondé en partie leur enseignement sur la réalisation de soi, sur le développement du potentiel spirituel, psychologique, créatif et individuel de chacune16.

16 Face à ces pratiques, certaines sont critiques d’un militantisme qui tourne parfois au séparatisme. Ainsi, la sociologue Joan Mandle, ex‑enseignante en Women’s Studies, vient de publier un ouvrage, Can We Wear Our Pearls and Still Be Feminists ? Memoirs of a Campus Struggle, dans lequel elle critique les notions de « separatist safe spaces » et de « therapeutic classrooms » (classes dans lesquelles les objectifs académiques laisseraient la place à une sorte de thérapie de groupe), ainsi que les appels constants à la « sororité » ; elle déconstruit les objectifs utilitaristes de certaines universitaires dont les pratiques séparatistes ont servi à affirmer leur identité de « véritables féministes », les amenant à s’insurger contre tout empiétement sur « leur » territoire.

17 Daphne Patai et Noretta Koerge, professeures d’études féministes à l’université17, ont écrit un ouvrage, Professing Feminism, pour dénoncer « la rhétorique militante et doctrinaire » de l’enseignement dispensé dans les départements d’études féminines. Selon elles, certains programmes tentent de minimiser la différence entre l’objectif des Women’s Studies et ceux des groupes féministes militants, et l’intérêt pédagogique est totalement subordonné à l’intérêt politique (Pataï et al, 1995, 7). L’équilibre se résumerait à « Women’s study is the theory and activism the practice » (Pataï et al, 1995, 8).

18 Les praticiennes des Women’s Studies se refusent cependant à considérer que certaines ont pu construire des « empires séparés » au sein des universités. Le séparatisme est en effet une pratique assez courante qui peut parfois se manifester, non seulement par la quasi‑exclusion des auteurs masculins dans les programmes, les fiches de lectures et les travaux de recherche, mais souvent aussi par un refus de collaborer avec les collègues masculins18. Pratique dommageable, qui a pu induire les étudiantes à croire que toute production intellectuelle masculine était incompatible, ou en conflit, avec les idéologies féministes, alors même que cette pratique était en contradiction avec l’objectif des pionnières des Women’s Studies qui affirmaient en 1970 le caractère transitoire des études féministes, appelées à se fondre dans une culture progressiste et humaniste idéale de type non sexiste (Castro, 1984).

19 Par ailleurs, il se trouve que peu d’enseignantes et de chercheuses, au sein même des Women’s Studies, se permettent de critiquer les pratiques séparatistes qui s’y opèrent parfois ; les choix idéologiques servent de couverture à des enjeux de postes, de

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carrière, de publication, de crédibilité (ce qui, il faut le dire, n’est pas l’apanage des universitaires impliquées dans les women’s studies). En fait, tout en essayant de remettre en question les frontières disciplinaires et de constituer un nouveau champ d’investigation, les Women’s Studies ont parfois institué leurs propres règles, qui peuvent s’avérer tout aussi oppressives que celles qu’elles rejettent dans les autres disciplines. Les Women’s Studies, qui ont lutté pour surmonter les silences du passé, ont, dans certaines universités, développé leurs propres pratiques de mise au silence.

20 La critique justifiée de l’éducation traditionnelle, considérée comme sexiste et eurocentrique, aurait pu conduire à l’établissement de programmes mettant en avant une idéologie universaliste ; mais les choix qu’un certain nombre de Women’s Studies ont fait, consistent en un renversement de préjugés. Les signes d’exclusion sont inversés et systématisés. Le sexisme anti‑homme, à l’instar du machisme, se perpétue dans les mêmes cadres conceptuels, tout en se considérant comme idéologiquement opposé. Les préjugés à l’encontre des hommes se justifient par l’existence des préjugés à l’encontre des femmes.

21 Par ailleurs, le développement dans les Women’s Studies d’une éthique globale de respect des identités et des cultures, et la prise en compte progressive des intérêts et des droits des « minorités », ethniques, sexuelles, ou même culturelles, a également mené à la fragmentation du groupe « femmes » en petits groupes, fondés sur une identité définie de façon restrictive : des distinctions ont été établies selon le statut social, la génération, la maternité, l’ethnicité, la sexualité, la nationalité19. En témoignent non seulement les programmes d’études féministes, mais aussi les divers appels à communication qui relèvent souvent d’un étiquetage identitaire20. Paula Rothenberg, professeure de philosophie en Women’s Studies à l’université du New Jersey, auteure de Invisible Privilege : A Memoir about Race, Class and Gender, considère les analyses faites sur les intersections des trois composantes « race », « class » et « gender » comme les outils intellectuels et politiques infaillibles et indispensables dans les Women’s Studies. Elle s’inscrit ainsi dans une voie ouverte tout d’abord par Frances Beale (1970)21, puis par Angela Davis dans Women, Race and Class (1981). De telles analyses explorent les intersections et entrecroisements entre des critères qui conduisent à des oppressions spécifiques de certaines catégories de femmes. Mais elles peuvent également avoir des implications graves : on ne peut être historien ou sociologue que de soi‑même, et il devient difficile de s’aventurer à faire des commentaires ou des critiques en dehors de son propre contexte culturel. Légitimité scientifique des Women’s Studies

22 Etant données les pratiques militantes des Women’s Studies et les dérives séparatistes auxquelles elles ont pu donner lieu, la question de leur légitimité à l’université se pose. Pour certains sociologues, universitaires, chercheurs, un programme d’études féministes perd sa légitimité en tant que domaine de recherche lorsque l’analyse militante prend le pas sur « l’analyse objective » (les Cultural Studies affirment effectivement qu’il n’y a pas de savoir objectif). Ils insistent sur la contradiction qui consiste à rejeter le fonctionnement de l’institution universitaire, alors que cette dernière a rendu possible l’existence de la recherche féministe et les Women’s Studies ; ils s’insurgent aussi contre l’enseignement dispensé, qui se résume, pour eux, à une idéologie fondée sur un paradigme de classe oppresseur/opprimée et sur la restructuration fondamentale de la société22.

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23 Les Women’s Studies s’insèrent en effet dans une politique de démocratisation, au travers de la dénonciation d’un certain type d’enseignement et de connaissance. Cette démocratisation, à l’origine, a signifié que les universités devaient adapter leurs procédures d’entrée et leurs structures pour s’ouvrir à des groupes traditionnellement peu représentés dans l’enseignement supérieur. Cela a également signifié que les valeurs de ces groupes devaient s’insérer dans les débats intellectuels de l’université, ce qui a été perçu comme une politisation de l’université. Cette politisation a été ressentie par beaucoup comme une menace contre les fondements mêmes de l’institution. La notion d’éducation « rationnelle et objective » s’est vue remise en question par les revendications de groupes s’étant donné pour mission de « corriger » cette connaissance. Cette relation conflictuelle fonctionne comme une opposition binaire entre les représentants « scientifiques » de la « connaissance rationnelle » et ceux « politiquement corrects » de la certitude morale (Yeatman, 1997).

24 Parallèlement, en tant que discipline académique, les Women’s Studies s’ajoutent à la liste des matières ou des majors, s’intègrent à l’institution et aux dispositifs épistémologiques existants, et font partie de ce système d’options, qui mise sur le choix du consommateur, où la nouveauté et l’innovation sont perçues comme un nouveau produit, dans un système où certains sociologues dénoncent les pratiques d’achat et de vente, la Cafeteria Culture, le shopping around des étudiants au début du semestre, l’inflation des salaires des professeurs, ou encore le star system. Et en ce sens, les Women’s Studies entrent dans le cadre consumériste et domestiqué de l’université américaine.

25 Ce qui est censé être « authentique », différent de la norme, peut ainsi se retrouver incorporé, assimilé, et perdre tout pouvoir critique, toute capacité de lutte. En s’identifiant aux Women’s Studies, qui font partie de l’institution universitaire, le féminisme se trouve, d’une certaine manière, relégué dans une position conservatrice, symbole de l’assimilation ou de la normalisation d’un mouvement qui se voulait radical et marginal ; il est perçu comme une spécialité parmi les autres dans la liste des options à choisir pour le succès professionnel. Si le féminisme fait partie de l’institution, s’il s’incorpore comme une connaissance parmi les autres, il ne modifie plus rien à l’ensemble ; il devient lui‑même une institution et cesse d’être un mouvement23. Les Women’s Studies peuvent être perçues comme une activité en faveur du statu quo alors que « le » féminisme serait en opposition avec les valeurs de la société dominante (Pauldi et al, 1986, xvii). La légitimité scientifique des Women’s Studies est donc remise en question non seulement par ceux qui se prononcent contre leurs pratiques militantes, mais aussi par certaines féministes radicales qui s’opposent à leur « domestication ». Elles se trouvent donc déchirées par des détracteurs idéologiquement opposés.

26 Les pratiques universitaires américaines sont complexes et diversifiées. Elles répondent à des traditions culturelles et politiques nationales qui, nous allons le voir, sont fort différentes de celles de la France. Les Women’s Studies et la recherche féministe en France

27 Le développement des études féministes n’a pas suivi aux États‑Unis et en France des voies similaires. En France, l’implantation institutionnelle des recherches sur les femmes est faible, et les études féministes n’ont jamais vraiment été légitimes. Profitant de l’ouverture annoncée par les socialistes en 1981, les universitaires qui faisaient des cours ou des recherches sur les femmes ont réclamé reconnaissance et moyens institutionnels. Depuis, environ cinq postes de maîtres de conférences sont

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fléchés « Etudes féminines » : à Rennes, Paris 7, Toulouse et Paris 8, ce qui est infime en comparaison de l’implantation des Women’s Studies aux États‑Unis. Cependant, les recherches entreprises à l’université et dans les grands organismes de recherche nationaux, tels le CNRS, sont beaucoup plus importants.

28 On peut faire aujourd’hui un état des lieux des centres et groupes de recherche créés ici et là en France. Hors institution universitaire, un certain nombre de philosophes, d’anthropologues et de sociologues s’intéressent à la différence des sexes et aux rapports sociaux entre les sexes. En témoigne, par exemple, la création, par des sociologues du travail au CNRS, d’un groupe de recherche sur la division sexuelle du travail, dont l’un des objectifs est de familiariser les sociologues au concept et au terme de « genre ». Au sein du CNRS également, un groupe de recherche autour de Christine Delphy, anime la revue Nouvelles Questions féministes, et un autre groupe, le GEDISST, travaille sur la division sociale et sexuelle du travail. A l’université, on dénombre plusieurs structures installées dans quelques pôles géographiques : Paris, Lyon, Aix‑en‑Provence, Toulouse, Nantes, Bordeaux24. De statuts et d’activités diverses, ces structures ont pour objectif « de faire converger les approches, circuler les concepts et éclater les catégories de pensée » (Groupe Simone, Thébaud, 1998, 89). La diversité des appellations — « femmes », « féminin », « féministe » — n’est pas, selon les responsables, le reflet de problématiques différentes mais celui de positions divergentes dans le champ académique, positions qui s’ordonnent autour de la rhétorique de la scientificité : entre un « pôle militant » et celui de « 1a recherche orthodoxe », la majorité des groupes cherchent une troisième voie, « ni féministe, ni sur les femmes, fondée sur la position du juste milieu » (Thébaud, 1998, 89).

29 Selon les sociologues féministes Françoise Armengaud et Gaïs Jasser, la situation des recherches et des études féministes en France, n’a cessé de se dégrader depuis le début des années 80, beaucoup de chercheuses « rentrant dans le rang », c’est‑à‑dire « dans la clandestinité, maquillant leurs intérêts réels, neutralisant au possible leur langage, renonçant à l’appellation féministe » (1994, 10). Elles font état d’une « méfiance accrue vis‑à‑vis de tout projet sur les femmes » et d’une « discrimination qui confine à la persécution » à l’encontre des chercheuses ayant une démarche féministe revendiquée (1994, 11). Si l’on peut difficilement croire à une « discrimination qui confine à la persécution », il est certain qu’il existe une résistance certaine des institutions françaises à ce qui apparaît comme un particularisme.

30 En 1990, Pierre Bourdieu lui‑même avait lancé une offensive sur les dangers auxquels était exposé « tout projet scientifique qui se définit par rapport à un objet pré‑construit, tout spécialement lorsqu’il s’agit d’un groupe dominé, c’est‑à‑dire d’une cause qui, en tant que telle, semble tenir lieu de toute justification épistémologique et dispenser du travail proprement scientifique de construction d’objet ». Les « Women’s studies », affirmait‑il « sont d’autant moins protégées contre la naïveté des bons sentiments qu’elles confèrent à ceux et celles qui s’en emparent un monopole de fait en les conduisant à s’enfermer dans une sorte de ghetto scientifique » (1990, 25).

31 L’enjeu de l’invalidation du point de vue féministe, particulièrement depuis la fin des années 80, est, selon les chercheuses féministes, marqué par l’abandon de « perspectives liées à la situation des dominées » pour revenir aux perspectives de « dominants », telles « les femmes et la famille » ou encore « les femmes et la conciliation travail‑famille ». Ce retour à des problématiques traditionnelles, dans lesquelles, selon la féministe Judith Ezekiel, les femmes ne sont envisagées qu’en tant

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« qu’elles sont utiles et/ou posent des problèmes aux hommes », représente une « attitude rétrograde » et un « programme politique clairement énoncé » qui tendrait à minorer, si ce n’est complètement évacuer, les perspectives féministes (1994, 23).

32 Bien que le féminisme de la différence dit « gynocentrique » ou encore « différencialiste » paraisse avoir ses sources en France25, car dérivé des théories d’Hélène Cixous, de Luce Irigaray26 et de Julia Kristeva, ce qui fut rapidement connu sous le nom de French Feminism aux États‑Unis ou en Angleterre ne correspond pas à ce qui s’est appelé féminisme en France ; il correspond à des analyses féministes de textes français, analyses souvent écrites en anglais, la plupart par des universitaires américaines. Comme le souligne Christine Delphy dans son article « The Invention of French Feminism : an Essential Move », « ‘French Feminism’ is not feminism in France… Feminists in France don’t need to call their feminism a particular name anymore than American feminists call theirs ‘American Feminism’ »27. En fait, l’idée même du French Feminism est une idée anglo‑américaine. Ce féminisme propose une théorie générale de l’histoire de la pensée occidentale qui pose comme constitutive et fondamentale la différence sexuelle laquelle, pour Julia Kristeva, est très précisément incommensurable avec les autres formes ou catégories de différenciation, à la fois sur le plan du développement individuel et sur le plan ontologique.

33 Un certain nombre d’universitaires français déplorent par ailleurs la diffusion du tournant linguistique (linguistic turn) qui, de débat interne à l’histoire intellectuelle américaine, est devenu rapidement, dans la concurrence que se livrent les universitaires, une « machine de guerre contre les historiens sociaux », ainsi que l’introduction de querelles philosophiques insolubles sur les fondements de la connaissance, qui conduisent à une surenchère permanente du « new », du « post » et du « rethinking » (Noiriel, 1996, 144). En effet, le débat sur les mérites respectifs de la Women’s History et les diverses formes de Gender History, recoupant les discussions sur le linguistic turn ou sur l’opposition entre l’histoire sociale et l’histoire culturelle, l’histoire post‑structuraliste et la New Cultural History, s’est particulièrement développé au sein des Women’s Studies, alimenté par la parution de nombreux ouvrages collectifs. Ce débat a multiplié les clivages et les appellations de nature à laisser perplexe un lecteur français28. S’il faut reconnaître que féminisme et postmodernisme ont parfois les mêmes sources, force est de constater également que le postmodernisme n’est pas autant discuté chez les féministes françaises, alors que ses références sont françaises, et malgré le goût du féminisme français pour la théorie (Picq, 1995). En France et en français, l’origine et la signification du postmodernisme, comme ses implications épistémologiques et politiques sur le féminisme, sont analysées par la philosophe Françoise Collin et l’historienne Eleni Varikas. La première insiste sur le rôle décisif de l’enseignement de Jacques Derrida dans les universités américaines et souligne que, « privilégiant la catégorie du féminin, il semble oublier la réalité sociopolitique incontournable des femmes » (Collin, 1995, p 21). Tenant compte des contextes socioculturels français et américain, Varikas met l’accent sur les risques d’une « pensée affirmative » qui renonce à toute « critique vraiment transformatrice de la réalité sociale » (Varikas, 1993, 64).

34 Le seul concept de « genre » a mis beaucoup de temps à traverser l’Atlantique. Aux colloques sur les femmes, les participantes débattent de concepts plus marxisants, qui conceptualisent moins la différence des sexes : du concept de classe, des modes de production domestique, ou encore du patriarcat. Le concept ne fait d’ailleurs pas

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l’unanimité en France : pour les unes, le genre risque de masquer le rapport de domination entre hommes et femmes (Mathieu, 1991) ; pour d’autres, c’est un concept utile comme catégorie d’analyse mais source d’ambiguïtés ; pour d’autres enfin, il est le seul à pouvoir rendre compte du rapport de domination. Le genre est souvent évoqué dans des sessions animées par des spécialistes des études anglo‑américaines. En général, il lui est préféré l’expression « rapports de sexe »29. Selon les universitaires américaines, les historiennes françaises assimilent des éléments du gender mais en boudent le terme, à l’instar des sociologues, qu’un long cheminement a conduits de l’étude de la condition féminine, à une sociologie des « rapports sociaux de sexe » (Ferrand et Le Feuvre, 1992 ; Haicault, 1992)30.

35 S’il y a bien eu, dans l’histoire du féminisme français, des tentatives de réécriture féminine31, ainsi que quelques propositions de réformes, notamment celle passée depuis peu à l’initiative du gouvernement socialiste pour la féminisation des titres et fonctions, et même si l’on peut reconnaître l’existence d’un débat sur « l’écriture féminine » ou « l’art féminin », de façon générale, les féministes françaises ne se sont pas lancées dans une réfection du lexique à la manière des féministes universitaires américaines, ceci certainement du fait du nombre extrêmement limité de départements d’études féminines. Cependant, du fait de la réforme de la Constitution32 visant à y inscrire la parité entre les hommes et les femmes en politique, la diversité des opinions qui se sont exprimées sur le sujet ainsi que la mise en avant des divergences entre les femmes elles‑mêmes obligent à nuancer les propos que l’on serait tenté de tenir sur « le » féminisme français. Dans le contexte idéologique des années 70, l’appartenance sociale primait sur l’identité sexuelle. Seules les partisanes d’un féminisme essentialiste auraient revendiqué la parité au nom d’un repli identitaire. Aujourd’hui, dans ce contexte nouveau, une grande partie des féministes françaises réactive l’idée que les femmes agissent au nom de leur spécificité féminine et reconstruisent, en politique, de manière informelle, le ghetto qu’elles avaient rejeté à l’université. Les études féministes retrouvent une certaine forme de légitimité car elles sont confortées par l’institutionnalisation de la différence.

36 Par ailleurs, un certain nombre d’universitaires en France souhaitent, en pratiquant l’histoire des femmes, l’intégrer à leur discipline, assurer son enseignement à l’université et transmettre ses apports dans l’enseignement primaire et secondaire (Thébaud, 1998). L’histoire des femmes doit avant tout se démarquer progressivement du militantisme de ses origines et l’objectivation doit garantir sa scientificité au même titre que toute autre spécialité disciplinaire. Dans ce sens, influencées par leurs consœurs outre‑Atlantique, les historiennes tentent de porter une attention nouvelle au genre pour insérer l’histoire des femmes dans l’histoire générale.

37 Pour elles, écrire l’histoire des femmes est une entreprise mixte, avec environ 20% d’hommes. Les historiennes cherchent avant tout « l’occasion, voire le moyen, de sortir du « ghetto » toujours possible » (Perrot, 1994) ; cette attitude illustre la voie française des études sur les femmes, qui est plus à la recherche de la confrontation et de l’intégration que de la sécession. Les études sur les femmes en France ont privilégié certains thèmes de recherche liés au travail et à la famille notamment ; récemment elles ont commencé à se tourner vers la sexualité33, la question des femmes dans la cité ou l’histoire des femmes du temps présent. Par contre, à la différence des Women’s Studies, elles se sont peu intéressées à la construction sociale de la sexualité, aux rapports coloniaux et plus généralement aux croisements de la différence des sexes

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avec les catégories sociales et les diversités ethniques. L’attention portée à la catégorie de « race » s’est surtout concentrée sur l’analyse des régimes racistes et des persécutions raciales de la deuxième guerre mondiale, même si la perspective multiculturaliste commence à faire son entrée dans les départements de sciences sociales et sciences humaines en France.

38 Comme on a pu le voir, les pratiques universitaires américaines et françaises sont très diversifiées. Aux États‑Unis, l’extension du « politique » de la sphère publique vers la sphère privée, pour dénoncer la subordination des femmes à la maison, ce qui se passait dans les foyers devenant affaire publique (d’où le slogan « the personal is political »), reflète la fragmentation du paysage politique et le refus de s’apparenter à des catégories sociales de masse. L’appartenance identitaire est devenue un facteur plus mobilisateur que l’exploitation collective, et la création et la prolifération des Women’s Studies en sont symptomatiques. La lutte pour l’inclusion des femmes dans les programmes universitaires était censée se faire à l’intérieur des départements déjà existants, qui devaient réviser leurs critères sur les inclus/exclus du canon. La radicalisation des discours produits par les politiques identitaires a parfois conduit les femmes, à l’instar d’autres groupes, non pas à lutter pour leur intégration dans un programme universitaire et universaliste, mais à s’enfermer dans leurs propres enclaves pour produire un programme particulariste.

39 Les Women’s Studies ne tentent pas toujours de s’intégrer dans une vision sociale d’ensemble qui transcende les points de vue des femmes en tant que femmes. Si écrire l’histoire d’une catégorie sexuelle avec des événements et une chronologies propres, se justifiait sans nul doute dans une optique de réparation, l’histoire, présente et passée, l’anthropologie, les sciences sociales sont des entreprises mixtes. Continuer de faire des femmes un objet d’étude autonome, c’est continuer d’écrire un appendice à l’histoire générale, un chapitre annexé, et proposer un ajout qui ne contribue pas à l’explication de questions plus larges34. Les Women’s Studies reproduisent métaphoriquement à l’université ce qu’elles ont rejeté dans les livres d’histoire. Elles se cantonnent dans leur champ et, à l’intérieur de ce champ, la notion d’universalisme perd sa signification.

40 En France, ce qui a dominé jusqu’à présent, c’est la peur de créer un « ghetto » intellectuel et institutionnel, de forger un champ d’études et des cursus tolérés mais dévalorisés et sans influence sur les disciplines. A l’appui de cette résistance, peuvent être invoqués d’autres paramètres comme la centralisation de l’université, une plus grande rigidité des disciplines et des cursus, la méfiance d’un grand nombre de féministes françaises envers toute forme d’institutionnalisation vécue comme récupération, enfin le refus de la majorité des chercheuses et universitaires d’adopter une stratégie séparatiste. Plutôt que de créer de nouveaux champs disciplinaires, les féministes ont cherché à entrer dans les institutions et à explorer des voies moyennes entre le séparatisme et l’intégration.

41 Ces divergences d’appréciation franco‑américaines n’hypothèquent cependant pas un entrelacement idéologique ainsi qu’une influence réciproque des travaux aux États‑Unis et en France. Les Women’s Studies aux États‑Unis et les études féministes en France, malgré toutes les critiques et réserves émises à leur encontre, ont, sans nul doute, contribué à un renouvellement des études, une interrogation sur la pédagogie et le canon dont tient compte une partie de l’enseignement dispensé dans les autres départements, et dans ce sens, il ne fait aucun doute que leurs apports aux sciences sociales et aux sciences humaines, de part et d’autre de l’Atlantique, sont inestimables.

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NOTES

1. Ces enseignements se sont notamment implantés dans les départements d’histoire. L’American Historical Association reconnaît l’histoire des femmes comme Conference Group en 1974 et en 1987, une femme militante de l’histoire des femmes, Nathalie Zemon Davis, en devient la présidente. 2. Une enquête récente rapportée lors de la journée d’inauguration du Centre Louise Labé de l’Université Lumière‑Lyon 2, le 16 octobre 2003, a montré qu’en France, ce sont les départements d’anglais qui contiennent le plus grand nombre de telles formations. 3. Robert Stoller, dans son ouvrage, Sex and Gender (1968), puis Ann Oakley dans Sex, Gender and Society (1972), furent parmi les premiers à mettre en évidence la différence entre sexe et genre. Le sexe fait référence aux différences biologiques entre hommes et femmes, le genre renvoie à la culture, concerne la classification sociale et culturelle en masculin et féminin et se définit comme le « sexe social », c’est‑à‑dire la construction sociale autour de l’appartenance sexuelle. Cette différence est fondamentale pour le féminisme dans son combat contre le déterminisme biologique, pour repenser les questions de pouvoir, de structure sociale, de rôles.Voir également sur le sujet l’ouvrage de Shulamith Firestone, The Dialectic of Sex. La notion de gender est également

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explicitée par Ginette Castro dans son article « De l’Histoire des femmes à l’histoire des genres », Chantiers d’histoire américaine, sous la direction de Jean Heffer et François Weil (Paris : Belin, 1994). 4. Voir sur le sujet l’article de De Lauretis Teresa (1986). 5. Voir sur le sujet l’article de Claire Auzias, Hélène Chenut et Danièle Voldman, « Histoire orale et histoire des femmes : lieux de la recherche et état des travaux (France, Italie, États‑Unis, Grande‑Bretagne), Bulletin de l’Institut d’Histoire du Temps Présent, Supplément n°3. 6. En automne 1978, 54% de ces programmes débouchaient sur un diplôme (Castro, 1985, 264). 7. Il n’y a pas « un » mouvement des femmes. Il y a plutôt des courants théoriques divers qui, cherchent à comprendre, chacun à sa façon, pourquoi et comment les femmes occupent une position subordonnée dans la société. Lorsqu’on parle de « mouvement des femmes », on fait généralement appel à ce bloc de courants hétérogènes (comprenant la tendance libérale ou égalitaire, la tendance marxiste et socialiste et la tendance radicale) qui tentent d’expliquer pourquoi les femmes se retrouvent ainsi subordonnées. 8. Cette tendance est illustrée par Kate Millett qui appliqua la notion de « sexual politics » à D. H. Lawrence, Henry Miller, Norman Mailer et Jean Genet. 9. Cf. Natalie Zemon Davis, « History’s Two Bodies », American Historical Review (vol 93, 1988) : 1‑30 et Natalie Zemon Davis et Joan W. Scott, « A New Kind of History », A History of Women I, From Ancient Goddess to Christian Saints, sous la direction de Pauline Schmitt Pantel (Cambridge, MA ; Harvard U. P., 1992). 10. On peut noter l’ouvrage bien connu d’Eleanor Flexner, Century of Struggle : the Woman’s Rights Movement in America, (Cambridge, MA : Belknap Press, 1975).Voir également Gerda Lerner, « New Approaches to the Study of Women in American History », Journal of Social History (Fall 1964) et Joan Kelly, « Did Women Have a Renaissance ? », Becoming Visible, Women in European History, sous la direction de Renate Brindenthal et Claudia Koonz (Boston : Houghton Mifflin, 1977). 11. Michel Foucault et Jacques Derrida ont beaucoup inspiré les chercheuses outre‑Atlantique. Michel Foucault, par sa conception du pouvoir et ses analyses critiques des discours, Jacques Derrida, par sa méthode déconstructionniste des textes, théorisée dans De la grammatologie (1967), méthode qui analyse comment le sens est porté et les arguments structurés et présentés. Par ailleurs, Michel Foucault a entrepris, durant la fin des années soixante‑dix, un cycle de travaux consacrés à la place de la sexualité dans la culture occidentale : L’Histoire de la sexualité, articulée en trois volumes (La Volonté de savoir, L’Usage des plaisirs et Le Souci de soi réédités chez Gallimard respectivement en 1994, 1996 et 1997). Il y a prolongé les recherches entreprises avec Surveiller et punir et L’Archéologie du savoir (réédités chez Gallimard respectivement en 1993 et en 1996), mais en concentrant ses analyses sur le « sexe » et la sexualité. L’axe de cette entreprise était de montrer comment la vie sexuelle a enclenché une volonté systématique de tout savoir sur le sexe qui s’est systématisée en une « science de la sexualité » laquelle, à son tour, ouvre la voie à une administration de la vie sexuelle sociale. Foucault a fait ainsi l’archéologie des discours sur la sexualité (littérature érotique, pratique de la confession, médecine, anthropologie, psychanalyse, théorie politique, droit, etc.) depuis le XVIIe siècle et, surtout, au XIXe siècle. La réflexion de Jacques Derrida se heurte à une problématique ancienne : comment être critique d’une pensée authentiquement critique sans sombrer dans le conformisme ou dans le

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consensus ? Au fil de son oeuvre, le philosophe a mené un travail de « déconstruction » du discours sur l’actualité : la distinction qu’il établit entre la différence (dans l’espace) et la différance (le fait de différer dans le temps) recoupe celle de la parole et de l’écriture. Voir notamment De la grammatologie (Paris : Minuit, 1967) et L’Écriture et la différence (Paris : Seuil, 1967). 12. « Beyond the Search for Sisterhood : American Women’s History in the 1980s », Social History 10 (October 1985) : 299‑321 (repris dans Unequal Sisters : A Multicultural Reader in US Women’s History, sous la direction de Vicky L. Ruiz et Ellen Carol Dubois (New York et Londres : Routledge, 1991). 13. Par exemple sur l’histoire de l’esclavage Eugene Genovese, Roll, Jordan, Roll : The World The Slaves Made (New York : Random House, 1976) et Herbert Gutman, The Black Family in Slavery and Freedom, 1750‑1925 (New York : Knopf, 1977) ; Gerda Lerner et Linda Gordon sur l’histoire des femmes. Gerda Lerner a rassemblé des récits de femmes noires dans Black Women in White America ; a Documentary History (New York : Vintage, 1973). Voir également l’ouvrage de Deborah White, Ar’n’t I a Woman : Female Slaves in the Plantation South (New York : W.W. Norton, 1985). 14. The New Cultural History (University of California Press, 1989). 15. Voir Todd Gitlin, The Twilight of Common Dreams. Why America Is Wracked by Culture Wars (New York : Henry Holts, 1995). 16. Voir sur le sujet l’article de Susan Swatzlander, Diane Pace et Virginia Lee Stamler, « The Ethics of Requiring Students to Write about their Personal Lives », Chronicle of Higher Education (17 février 1993) : B1. 17. Daphne Pataï est enseignante à l’Université du Massachusetts à Amherst et Noretta Koertge exerce à l’Université d’Indiana à Bloomington. 18.Voir les ouvrages des universitaires bien connues, Daly Mary, Andrea Dworkin ou encore Catharine MacKinnon. La violence masculine, son inévitabilité, son intemporalité, son universalité, est au cœur de la pensée et des actions de certaines féministes différencialistes. Il existerait selon Andrea Dworkin un « sadisme masculin systématique » (Dworkin, 1980, 288). Cette dénonciation passionnée de la « nature masculine » est soutenue par la théoricienne féministe chrétienne Mary Daly qui parle de la « pestilence permanente » des hommes et de la « pureté spirituelle » de la femme dans son fameux essai intitulé Gyn/Ecology : The Metaethics of Radical Feminism (1984, 379). L’historienne Alice Echols a noté la confusion pouvant exister entre essentialisme et constructionisme social chez certaines féministes. Tout en se défendant d’être essentialistes, elles perçoivent la domination masculine comme « éternelle et immuable » sans s’apercevoir de la contradiction inhérente à de telles affirmations (1989). De nos jours, la perception du comportement masculin par les féministes différencialistes a influé sur le mouvement des femmes. Pour Karen De Crow, ancienne présidente de la National Organization for Women, organisation qui prône une idéologie libérale et égalitaire, il est incontestable qu’il y a eu, ces vingt dernières années, émergence d’un discours anti‑homme chez les féministes (Pataï, 1998). 19. Voir Nancy Hewitt et Suzanne Lebsock (eds), Visible Women, New Essays on American Activism (Illinois U. P., 1993). 20. Ainsi un appel à communication pour un colloque devant se tenir à Indiana State University sur le thème « Feminism / Womanism / New Mestiza Consciousness / Third Wave / Cyberfeminism » est adressé aux chercheurs‑ses nés entre 1960 et 1980 travaillant dans les Women’s Studies, Gender Studies, Queer Studies, African American Studies,

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Chicana Studies, Latina Studies, Jewish Studies, Native American Studies, Multicultural Studies et Cultural Studies. « American Studies Woman », Harper’s Magazine (août 2000) : 26‑27. 21. Frances Beale est à l’origine de l’expression « double jeopardy » qu’elle utilisa dans un article « Double Jeopardy : To Be Black Female », The Black Woman : an Anthology, sous la direction de Toni Cade (New York : Signet, 1970) et repris récemment dans Beverly Guy‑Sheftall (ed.), In Words of Fire : an Anthology of Black Feminist Thought (New York : New Press, 1995). 22.Voir sur le sujet l’ouvrage d’Ann Brooks, Postfeminisms, Cultural Theory, Cultural Forms (New York : Routledge, 1997). 23.Voir sur le sujet E. Messer‑Davidow ; Michele Paludi et Gertrude A. Steuernagel, Foundations for a Feminist Restructuring of the Academic Disciplines (New York : Harrington Park P, 1990, xvi). Ambivalents sur les programmes proposés dans les Women’s Studies, les auteurs déclarent : « Too often, the tendency has been for feminist scholarship to be contained within the boundaries of Women’s Studies courses and journals. The initial revolutionary thrust of Women’s Studies is threatened by the growing acceptance and recognition of Women’s Studies as a legitimate academic enterprise. Conceived as a clarion call to eliminate gender bias in knowledge and ways of knowing, it has become the unwitting victim of the forces of institutionalization. » 24. Citons, par pôle et par ordre chronologique le CEFUP, Centre d’études féminines de l’université de Provence, créé en 1972 ; le GEF, Groupe d’études féministes (1975), puis le CEDREF, Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes (1984) de l’université Paris 7 auquel succède le centre Louise Labé de l’université Lumière‑Lyon 2 depuis octobre 2003 ; le CLEF, Centre lyonnais d’études féministes qui, fondé en 1976, amorce son histoire dans un ouvrage consacré au « mouvement de libération des femmes à Lyon » (1989) ; le Centre d’études féminines de l’université Paris 7 (1978) ; le GRIEF, Groupe de recherches interdisciplinaires d’étude des femmes, qui s’installe en 1979 à l’université de Toulouse, où Marie‑France Brive fonde, sept ans plus tard, le groupe « Simone » de conceptualisation et de communication de la « Recherche‑femme ». 25. Même si l’on peut noter que, dans leur Déclaration de Sentiments, calquée sur la Déclaration d’Indépendance, les femmes américaines, réunies en convention à Seneca Falls, avaient déjà jugé nécessaire de dénoncer la « fausse universalité » de « all men » en lui associant à chaque fois le mot « women », et faisaient, de fait, de la différence sexuelle un principe constitutif de l’humanité. 26. Examinant la tradition philosophique occidentale et l’universalité supposée du sujet rationnel, Irigaray constate l’impossibilité de définir l’essence de la féminité car le concept de féminité et l’identité féminine sont prédéterminés par le discours masculin, phallocentriste. Sous l’éclairage de la linguistique, elle reconsidère le discours psychanalytique, et plus particulièrement la théorie freudienne, pour en montrer l’orientation exclusivement masculine et la logique qui découle d’un tel modèle (Speculum de l’autre femme, 1974). Penser la différence féminine, pour Irigaray, c’est donc constater d’abord que la femme ne se laisse enfermer dans aucun concept, en ce qu’elle relève d’un « sexe qui n’en est pas un » (titre d’un ouvrage paru en 1977). Il s’agit bien plutôt de chercher ce qui, de la féminité, est occulté, enseveli dans le système de représentation masculin. Comme Catherine Clément ou Julia Kristeva, notamment, Irigaray veut faire émerger l’altérité du sexe et du corps féminins. Pour ce faire, il faut aussi une « pratique de la différence sexuelle », avec des choix d’existence conçus pour transformer la structure patriarcale de la société.

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27. Yale French Studies 87 (1995) : 190. Voir aussi l’ouvrage de Toril Moi, « Introduction » French Feminist Thought (Oxford : Blackwells, 1987). On peut évoquer ici le rôle joué par le départ d’Antoinette Fouque pour les États‑Unis, qui exportera ainsi l’approche « Psych et Po » (pour psychologique et politique), plus conforme à une tradition française incarnée par Christine Delphy, Monique Plaza, Anne Tristan ou encore Simone de Beauvoir. 28.Voir le colloque interdisciplinaire publié par la théoricienne de cinéma Teresa de Lauretis, « Feminist Studies/Critical Studies : Issues, Terms, and Contexts, » Feminist Studies/Critical Studies (Bloomington : Indiana UP, 1986). Voir également Critical Studies (1986), le débat entre « post‑structuralisme » et « féminisme culturel » (1987‑88) dont rend compte la revue Signs ainsi que le numéro de Feminist Studies consacré à la déconstruction (printemps 1988). Parmi les parutions récentes, voir The Postmodern Turn. New Perspectives on Social Theory, ouvrage collectif dirigé par Steven Seidman (1994). 29. Cette expression appelle les précisions suivantes : « quels que soient les objets traités, l’histoire des femmes est celle de leurs rapports, individuels et collectifs, réels et symboliques à l’autre sexe ; il s’agit de faire l’histoire de ces rapports à tous les niveaux : discours, représentations, pratiques effectives... ; d’articuler aussi rapports de sexe et rapports de classe », (Perrot, 1987), 26. 30. Voir sur le sujet le chapitre intitulé « Le Temps du gender » dans l’ouvrage de Françoise Thébault, Ecrire l’histoire des femmes, 1998. Il y est question du « gender à la française ». 31. Voir notamment Parole de femmes d’Annie Leclerc (Paris, Grasset, 1974) ; cet ouvrage suscitait déjà une réflexion sur le langage et les changements lexicaux qui devaient s’imposer. Voie également Mona Ozouf, Les Mots des femmes, Essai sur la singularité française (Paris : Fayard, 1995). 32. C’est dans ce contexte qu’un certain nombre d’hommes politiques, dont Jacques Chirac et Lionel Jospin ont plaidé pour une plus grande place des femmes dans les instances politiques et que l’Assemblée nationale a adopté, à la quasi‑unanimité en première lecture, le 26 janvier 2000, le projet de loi visant à « favoriser » l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives pour les élections qui ont lieu au scrutin de liste (municipales, régionales, européennes, sénatoriales dans les départements qui élisent plus de quatre sénateurs). 33. Voir notamment l’article de Marie‑Victoire Louis, « Recherche sur les femmes, recherches féministes », L’État des sciences sociales en France, sous la direction de Marc Guillaume (Paris : La Découverte, 1986). 34. Voir l’essai de Ann D. Gordon, Mary Jo Bruhle et Nancy Schrom Dye, « The Problem of Women’s History », Liberating Women’s History, Theoretica and Critical Essays, sous la direction de Berenice A. Carroll (Illinois U.P., 1976), 75‑92.

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AUTEUR

ÉLIANE ELMALEH Eliane Elmaleh est maître de Conférences à l’Université du Maine au Mans. Son domaine de recherche est principalement l’étude des discours : discours tenus par les féministes, dans les magasines féminins et féministes, sur le multiculturalisme ou encore sur les politiques identitaires. Elle a également écrit un certain nombre d’articles sur l’art américain contemporain.

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Re‑Constructing and Celebrating the Louisiana Purchase in New Orleans

Jean‑Pierre Le Glaunec

1 The first Louisiana Purchase celebration started on and around the Mississippi river. On December 20, 1803, as soon as the American flag was hoisted at the center of the Place d’Armes and the French flag taken down, cannon shots were fired on the river by French and Spanish ships. Spectators were pressed against each other around the balconies of the Cabildo and they were also lined up along the levee. Two hundred years later, it is no surprise that the Mississippi should be once again the focal point of the Purchase Celebrations. The period leading up to statehood was marked by the arrival of the first steamboats. To commemorate both the Purchase and the centrifugal role played by the Mississippi in the westward movement, and as part of its new marketing policy, the now New‑York owned and operated Delta Queen steamboat company recently organized steamboat races downriver in New Orleans and upriver in Saint Louis. In New Orleans, visitors and locals alike could then attend the projection of an Imax film narrating the Lewis and Clark expedition, a few steps away from the landing deck of the steamboats.

2 The argument of my paper is that the Louisiana Purchase may be construed both as a historical and geopolitical event and as an imagined “construction” in very much the same way Alfred Young recently envisioned the memory of the Boston Tea Party.1 The memory of the Louisiana Purchase was constructed and re‑constructed in various ways and at different moments: from the day of the retrocession to the 1904 universal exhibition held in Saint Louis with the construction of a replica of the Cabildo, from the 1953 sesquicentennial Mardi Gras parade and visit of President Eisenhower to today’s various exhibitions, walking tours and public television programs, from the anti‑celebrations and public demonstrations of “dissent” of Federalists that followed the Purchase to today’s widespread rites of “assent” and general consensus, from the 1990’s Broadway Musical, The Louisiana Purchase, to the forthcoming opera entitled The Pontalba Affair to be premiered next October.2 The Louisiana Purchase is in many ways a lieu de mémoire being now revisited, re‑presented and re‑located among other founding celebrations of American nationalism.3 If in 1803 observers could note “the continual

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spread of nationalist practices to the very peripheries of the nation itself,” namely to the Territory of Orleans and West Florida, today’s observers may underscore, on the contrary, the centrality of the Louisiana Purchase area in the redefinition of the American nation.4 Up and Down the Mississippi: The Meanings of Celebration and the Construction of Public Memory 3 No sooner was the Louisiana territory ceded to America that it was integrated into the tradition of nationalist celebrations, toasts and fêtes that emerged with and after the American Revolution in the Atlantic States. The period immediately leading to the Purchase, and the era immediately following it, opposed in person and in print Jeffersonian Republicans in favor of the transaction and Federalists who deemed the Purchase anticonstitutional and potentially destructive. At about the same time, leading planters in and around New Orleans petitioned Governor Laussat, the French Governor, about their fear and dissatisfaction concerning the news of a possible cession of the territory to America.5 A mere few days after the Purchase, the French‑speaking newspaper, Le Moniteur de la Louisiane, published an elegiac epistle written by a “a young citizen” mourning the loss of a mother, France.6 In his letters, Governor Claiborne mentioned various squabbles between French and American Louisianans about which dances should come first at public balls.7 A general consensus seems now to have emerged, to such an extent that the politics of celebration have somewhat disappeared. It is at times difficult to tell the various Louisiana Purchase celebrations from mere tourist‑oriented functions.

4 Not surprisingly, the celebrations of the Purchase include a wide set of memorabilia: bread and bun warmers representing the Purchase territory, pot‑belly figurines of Thomas Jefferson, Napoleon and Louis XVI, lunch bags, medallions, silver book marks, maps, lapel pins, video tapes, paper weights, Mardi Gras beads and flags. Shops in the French Quarter usually selling coins and medals from the Civil War advertise “Louisiana Purchase era merchandise” though, as may be predicted, none of it is relevant to the Purchase itself. Recently, the Gambit Weekly, a liberal and art‑oriented weekly free newspaper published an article reminding the reader of the importance of the Purchase, “learning more about the Louisiana Purchase can be a simple yet profound act of national pride at a time when many Americans are redefining the meaning of patriotism.”8

5 In 2001, the Louisiana Commemorative Coin Advisory Commission was set up by Governor Mike Foster. The United States Mint eventually developed the Louisiana quarter representing the Purchase territory, standing out from the rest of North America, a trumpet, musical notes and a pelican. The same year, a bill was introduced by Representative Charles Riddle to issue commemorative license plates. Lieutenant Governor Blanco remarked that “as these new license plates circulate the nation, they will remind people everywhere of Louisiana’s role in the enormous expansion of the United States. This contribution to American history should be the cause for many travelers to join us for our statewide celebration.”9 This quotation is emblematic of the general emphasis of almost all Louisiana Purchase celebrations: in a state where economy flounders, tourism has appeared to be the last resort, no matter what the celebration may be.

6 In 2002 Congress passed the Louisiana Purchase Bicentennial Commission Act introduced by Senator Mary Landrieux. The Commission encompasses all states carved

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out of the Louisiana Purchase area. On July 22, 2002, a report from the Committee on Resources of the House of Representatives justified the need for legislation in terms strongly reminiscent of O’Sullivan’s supposedly “Manifest Destiny,” “The Louisiana Purchase helped shape the American destiny. Commemoration of the Louisiana Purchase and the related opening of the West can enhance public understanding of the impact of the democratic westward expansion of American society.” The objectives of the commission are three‑fold, “to edify, publish, and display the importance of the Louisiana Purchase to all Americans” [my emphasis].10 Interestingly enough, “this bipartisan commission [was to be] partially modeled after the celebration of the American bicentennial—striving to be inclusive of Americans.”

7 It is unclear if the states north of Louisiana such as Arkansas or Missouri are today celebrating the bicentennial of the Louisiana Purchase or the bicentennial of the preparation of the Lewis and Clark expedition. As far as inclusiveness is concerned, the issue of slavery has been strangely and generally overlooked. In New Orleans in particular, the history of the last years of the Atlantic Slave Trade in the context of the Purchase has been left aside except in a few papers presented at conferences before scholarly audiences. Among few exceptions, the African American Congress at Tulane University recently included a map of the Louisiana Purchase in its program of events for Black History Month. For want of having a float especially dedicated to slaves and free people of color, the African American riders of last week’s parade, called “King Arthur,” had hoped to have a float testifying to the African heritage of Louisiana. Instead, public memory was restricted to the political heritage of Jefferson and Napoleon, to the arrival of the Ursulines and to the folklore of Pirate Jean Lafitte and misplaced Cajuns. Ironically enough, the “Cajun” float was mostly manned by people of African American descent or who considered themselves “Creoles of color”— descendants of “Acadians” were hardly to be seen. A Typology of Celebrations 8 Celebrations of the Purchase abound in New Orleans ranging from plays written by local playwrights to operas, conferences and special exhibits. Local water companies and banks have advertised their services on television and in newspapers carefully using the argument of the Purchase. It seems that each local institution, with the notable exception of the Office of Special Events of the City of New Orleans, has contributed willingly or less willingly in celebrating aspects of the Purchase.

9 One may distinguish four categories of celebrations: the Purchase as backdrop or décor, the Purchase remembered through primary sources, the Purchase as interpreted in conferences and scholarly walking tours, and the Purchase as represented in street parades and popular political culture. Subcategories include different sets of opposites: academic / non academic, tourist‑oriented / aimed at locals, elite / mass celebrations, political / apolitical celebrations. The Louisiana Purchase as Décor: The Politics of Celebration 10 In a private interview, Robert Lyall, Director of the New Orleans Philharmonic Orchestra recently insisted on the fact that The Pontalba Affair, a new opera composed and written by Thea Musgrave, was first and foremost a million‑dollar opera at the first performance of which candidates for governorship would be strongly represented. The story of the Purchase is to be found mainly in the first act of the opera, especially scene four. According to Robert Lyall, the Purchase is to serve almost exclusively as the backdrop for the melodrama. History—in particular what he considers as a “real estate

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deal”—never moves audiences the way murder and love stories do. The grand finale of the first act is concomitant with the news of the Purchase. The action moves from a street gathering to a contrapuntal scene pitting against each other a stereotyped so‑called “Creole” people, opposed to the Purchase, and the “Spanish and American” citizens exulting over the news. The opposition dissent / assent vanishes at the end of the scene in a dramatic and artificial celebratory way, We will unite under one flag, then a great future awaits us. And we will take our place Among the great peoples of the world. We will leave in peace. Let us celebrate.11

11 At the beginning of February, the French Consulate organized classical music concerts in collaboration with the University of New Orleans. A theatre festival is also to begin soon. The Consulate has also helped finance several public functions, among which the Omohundro institute conference. The avowed objective of the French Consulate is not, however, the celebration of the Purchase per se, but an occasion to advertise French culture, in much the same way as the 1999 Francofête. No street theatre will take place as envisioned by the former French Consul. Displaying the Louisiana Purchase 12 The Historic New Orleans Collection has three exhibits open to the public: the first exhibit “Napoleon’s Eyewitness: Pierre Clément Laussat in Louisiana, 1802‑1814,” hinges around the papers of Governor Laussat, though the relevance—in terms of content and time frame—of some documents may be questioned. The second exhibit, entitled “Conflict, Controversy, and the Louisiana Purchase,” is a selection of newspaper cuttings from the Louisiana Purchase newspaper collection. Among the questions raised by the Federalist and Republican editorialists are the constitutionality of the Purchase, the importance of the cession for westward expansion and the role played by the Mississippi. The last and most important exhibition, in terms of targeted audience and documents, entitled “A Fusion of Nations, A Fusion of Cultures: Spain, France, the United States and the Louisiana Purchase,” presents manuscript documents, paintings and maps from the discovery of Louisiana to its retrocession. It may be wondered, at times, whether the exhibition is indeed more of an exhibition about the history of Colonial Louisiana or an exhibition dedicated to the Purchase itself. The January Historic Collection commemorative conference and walking tours proved successful but not popular in the broad sense of the term. In collaboration with selected K‑12 teachers in Louisiana, a set of lesson plans and a video have been assembled and published by the Historic Collection. It is unclear however whether all pre‑college students will have access to such materials.

13 A few miles north of the Mississippi, the New Orleans Museum of Art has also organized special events including a high‑profile exhibition—chaired by Mrs. Laura Bush—of paintings, sculptures, decorative arts and Native American artifacts. The nearby Botanic Gardens will also celebrate the occasion by focusing on the plants of the Louisiana Purchase, on both sides of the Atlantic.

14 The Louisiana Purchase will also be displayed in the streets of New Orleans. Numerous walking tours have been prepared and scheduled by the organizers of the Omohundro conference by the Friends of the Cabildo and by the Louisiana State Museum. Publishing the Louisiana Purchase

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15 One of the landmark events of the bicentennial year has been the Baton Rouge Digitization Project entitled “From Diversity, Strength: A People’s History of Louisiana, 1800‑1815.” The Louisiana State University Digital Library embarked last year in the digitization of thousands of documents from four different collections, the collections of Louisiana State University, the Tulane University Special Collections, the New Orleans Public Library and the Historic New Orleans Collection. The online exhibition will be organized in different themes including “American Nile: The River,” “Native Americans and Explorations,” and “The People of the Territory and State: A Frontier of Cultural Exchange and Adjustment.” Also to be noted is the New Orleans Public Library special exhibition of primary documents from the collection of the Conseil de Ville, also available online. The exhibition, though restricted in its scope, is maybe the most “popular” event in that it reaches out to the mostly underprivileged African American population who lives around the public library.

16 At least two re‑enactments will take place: a formal one with representatives of Spain, France and America and a more casual one organized by the Louisiana Historical Society. Descendants of Laussat, Jefferson and Claiborne are particularly sought after as in the 2002 Tulane educational conference where a descendant of Thomas Jefferson dressed in faded clothes could be seen floating around the rooms. Mardi Gras 2003 and the PBS film series 17 Five Mardi Gras parades have decided to “celebrate” and “remember” the Louisiana Purchase—three in the white‑dominated suburbs of New Orleans and two in the City itself. The “Little Rascals Celebrate the Louisiana Purchase”. Excalibur’s theme is “Louisiana’s Buy Centennial. Emphasis on Thomas Jefferson, Lewis and Clark and Cajuns [again].” With more than a touch of historical short‑cutting, the Gladiators have decided to celebrate “Gladiators 30 Years, Louisiana 200 Years.” Last week The King Arthur parade answered the question “What’s the Big Deal?—Louisiana 1699‑1803.” On Mardi Gras day, the Rex parade will close the marching season with a “Bicentennial of the Louisiana Purchase.” The public aspect of the celebration will be echoed later this year with a special series on Louisiana history prepared by Public Broadcasting. The Louisiana Purchase Timeline: A Multimedia Re‑Construction 18 The Louisiana Purchase timeline, developed by the Deep South Regional Humanities Center at Tulane University in partnership with the University of Paris VII, has emerged as a collaborative work with ten different archives located in New Orleans and Baton Rouge, including the New Orleans Public Library, the Notarial Archives, the Archdiocese Archives, the Xavier University Special Collection, the Historic New Orleans Collection and the Louisiana State Museum. The Timeline is an effort to publicize rare primary documents and make them available to as wide an audience as possible. The Purchase is not simply considered as a backdrop but envisaged and re‑constructed in terms of its origins and consequences. The Timeline is accompanied by a set of teaching resources, several animated fly‑throughs developed by the Center of Bioenvironmental Research at Tulane University, and a special section giving readers the opportunity of reading newspapers from the Purchase era, notably The Louisiana Gazette. The project was elaborated with the assumption that it should throw light on the process of nationalism that defined the Louisiana Purchase. More than one hundred documents were selected and digitized. Twenty or so scholars contributed in writing headnotes for each document, always keeping in mind the broader storyline. Contrary to the Baton Rouge Digitization Project, the documents were arranged not simply

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thematically but chrono‑thematically into three sections: from 1790 to 1802 “The Stage of Things to Come: People and Places,” from 1803 to 1804 “Re‑Shaping the Atlantic World: Changing hands,” and between 1805 and 1820 “The Old World Made New: Cultures in Conflict.” It is thus not a mere juxtaposition of documents but an attempt to throw light on the cogs that led to the Purchase, always bearing in mind the context of the Atlantic World.

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NOTES

1. Alfred F. Young. The Shoemaker and the Tea Party. Memory and the American Revolution (Boston: Beacon Press, 1999). Read in particular the introduction. Alfred Young quotes David Thelen as saying that “memory, private and individual, as much as collective and cultural, is constructed, not reproduced. The second is that this construction is not made in isolation but in conversations with others that occur in the context of community, broader politics, and social dynamics,” xiv. See David Thelen, Introduction to a special issue, “Memory and American History,” Journal of American History 75 (1989): 1117‑29. 2. On the dichotomy “assent” / “dissent”, see Sacvan Bercovitch. The Rites of Assent : Transformations in the Symbolic Construction of America (New York, 1993). On public

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memory, see Michael Kammen, Mystic Chords of Memory : The Transformation of Tradition in American Culture (New York, 1991). By the same author, A Season of Youth : The American Revolution and the Historical Imagination (New York, 1978). 3. See Pierre Nora. Les lieux de mémoire (Paris: Gallimard, 1984, 1986, 1992). 4. David Waldstreicher, In the Midst of Perpetual Fêtes. The Making of American Nationalism, 1776‑1820 (Chapel Hill / London: University of North Carolina Press, 1997), 286. 5. Laussat Papers, items 407‑8, Historic New Orleans Collection. 6. Le Moniteur de la Louisiane, January 4, 1804. 7. Rowland, Dunbar (ed.). Official Letter Books of William C.C. Claiborne, 1801‑1816. 6 volumes. Jackson, 1917, I, 304‑7, 323, 331 and II, 249. See also Waldstreicher, In the Midst of Perpetual Fetes. The Making of American Nationalism, 1776‑1820 (Chapel Hill / London : University of North Carolina Press, 1997), chapter 5. Regionalism, Nationalism, and the Geopolitics of Celebration, 246‑294. 8. The Gambit Weekly, February 4, 2003. 9. Department of Culture, Recreation and Tourism, Baton Rouge, Press Release, November 1, 2001. 10. Report 107‑599, House of Representatives, 107th Congress, 2d Session. 11. Thea Musgrave. Unpublished Libretto of The Pontalba Affair. Courtesy of the New Orleans Philharmonic Association.

RÉSUMÉS

L’auteur s'est intéressé aux formes de célébrations/commémorations du bicentennaire de l’Achat de la Louisiane (1803) suite à un séjour de deux ans à l’Université de Tulane. Chercheur au Deep South Regional Humanities Center, il a participé sous la direction du Professeur Sylvia Frey à la création d’un CD-ROM (Louisiana State University, 2003) retraçant les mécanismes historiques, économiques, sociaux et culturels ayant précédés, accompagnés et suivis l’Achat de la Louisiane.Ce texte est issu d'une communication au colloque « Stemming the Mississippi » organisé par l’Institut Charles V de l’Université Paris 7. Il s’agit de la première étape d'un travail en cours sur la commémoration.

AUTEUR

JEAN‑PIERRE LE GLAUNEC Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Fontenay Saint-Cloud, Jean-Pierre Le Glaunec prépare, sous la direction de Marie-Jeanne Rossignol, une thèse sur les esclaves en fuite en Louisiane, en Caroline du Sud et en Jamaïque entre 1800 et 1815.

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Humeur

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Le Premier Amendement : un mythe

Claude‑Jean Bertrand

Premier amendement à la Constitution des Etats- Unis, 1791 : « Le Congrès ne pourra faire aucune loi ayant pour objet l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice, de limiter la liberté de parole ou de presse, ou le droit des citoyens de s’assembler pacifiquement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour qu’il mette fin aux abus ».

1 Autrefois, un point d'interrogation eût été de rigueur, en fin de titre. Plus aujourd’hui. Nos cousins d’outre‑Atlantique exagèrent à agiter sans cesse le Premier amendement comme un talisman. Un exemple : « The First Amendment is what distinguishes this Republic from all others in the world », déclare Howard Simons, directeur de la Nieman Foundation, à Harvard. Et ils rêvent d’y convertir toute la planète !

2 Le Premier amendement constitue aux États‑Unis une obsession quasi religieuse. Il me fait penser à ces sectes Étatsuniennes dont la théologie se fonde sur quelques versets obscurs de la Bible. Un signe de cette obsession ? Le nombre d’ouvrages qui lui sont consacrés : plus de 60 livres dans les années 90 seulement, en ne comptant que ceux qui portent « Premier amendement » dans le titre et sont consacrés aux médias1. Il ne sera question ici que de la partie de l’amendement qui concerne la liberté de presse et de parole. C’est là que réside l’essentiel du problème.

3 N’étant pas spécialiste du droit de la presse, j’appliquerai au Premier amendement un gros bon sens. C’est là un comportement simpliste, il est vrai, mais il arrive des moments où il faut crier que le roi est nu. Il y a bien des années, j’ai découvert que, à proprement parler, le Premier amendement n’existait pas.

4 En septembre 2002, le First Amendment Center a fait faire une enquête d’où il ressort que 35% des Étatsuniens ne peuvent pas nommer un seul des droits garantis par le Premier amendement2. Une enquête du Freedom Forum en 19973 indiquait que 15% seulement des Étatsuniens savaient qu’il y était question de liberté de presse. Si l’on considère que la grandeur des États‑Unis repose sur la démocratie, que la démocratie

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repose sur la liberté d’expression et qu’aux États‑Unis la liberté d’expression repose sur le Premier amendement, il peut paraître bizarre que la plupart des Étatsuniens l’ignorent.

5 En outre, on peut se demander si la minorité d’Étatsuniens qui connaît l’amendement le comprend, étant donné ce qu’elle en dit. Voici quelques citations qu’il faut lire en gardant à l’esprit le texte même de l’amendement : « Congress shall make no law... abridging the freedom of speech, or of the press ... »4 : Jane Kirtley, professeur de droit de la communication, dans sa chronique de janvier 2003 de l’American Journalism Review : « The First Amendment requires that truth must be a defense to any criminal libel charges, even if the statements were made with ill will or bad motives. » Dans Broadcasting & Cable du 18/12/95, après que les câblo‑opérateurs US ont accepté qu’une puce (le V‑chip) puisse limiter l’accès des enfants à la violence télévisée : « Having abdicated the First Amendment on the V‑chip, the cable industry... » En 1994, la municipalité de Chicago voulait déplacer le kiosques à journaux qui se trouvait en face de la bibliothèque municipale. Les kiosquiers ont invoqué la protection du Premier amendement, mais la US Court of Appeals ne l’a pas entendu de la même oreille. Néanmoins, en 1988, la Cour suprême avait décidé que les boîtes distributrices de journaux étaient protégées par le Premier amendement et que les municipalités ne pouvaient les déplacer ou les retirer à leur guise. 5 Dans Editor & Publisher du 19/4/86 : « A US judge in Tacoma (WA) recently ruled that a State statute banning exit polling within 300 feet of a voting place violated the First Amendment. » Le 6 février 1985, le New York Times parlait d’un « procès intenté par quatre firmes de pornographie qui protestaient contre le plan de rénovation du quartier de Times Square, en vertu de leurs droits selon le Premier amendement. » La même année, dans une lettre à Editor & Publisher (23 mars), on lit : « Journalism has become an elitist profession no longer guided by the original ideals of the First Amendment. »

6 De toute évidence, ces gens ne parlent pas du véritable amendement, ce qui est compréhensible car ce qu’il dit est sans valeur. Il stipule que le Congrès (pas l’exécutif fédéral ou le judiciaire), juste le Congrès (et pas les législatures d’Etat ou les gouvernements locaux), ne fera aucune loi restreignant la liberté de parole ou de presse.

7 Or, à commencer par les Alien and Sedition Acts en 1798, le Congrès a fait des lois restreignant la liberté de parole et de presse, et même en grand nombre au XXe siècle, tels le Postal Act de 1912 qui, entre autres, force les éditeurs à publier une fois l’an les noms des propriétaires des entreprises de presse et le chiffre des ventes ; l’Espionage Act de 1917, utilisé contre la publication des Pentagon Papers en 1971. Surtout le Communications Act de 1934 et la Federal Communications Commission qu’il créait pour élaborer une réglementation de la radiotélévision et la faire respecter. La Cour suprême l’a accepté. Ou encore le Smith Act de 1940 contre la subversion communiste : dans l’affaire Dennis v. US (1951), la Cour suprême l’a jugé compatible avec le Premier amendement ; de même pour les lois anti‑trust, dans l’affaire Associated Press, en 1945.

8 Une contradiction est apparue dès que les médias se sont commercialisés et que certains (comme la radiotélévision) se sont répandus hors de leur localité. Le conflit concerne le Premier amendement et l’Article 1 de la Constitution, clause 3, section 8, lequel déclare que « le Congrès aura le pouvoir de ... réglementer le commerce ... entre

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les divers États ». Et donc, depuis la naissance de l’industrie des médias, les lois fiscales, sociales, anti‑monopole lui ont été appliquées comme aux autres industries.

9 Est‑il stupide de prendre le Premier amendement à la lettre ? Il y a eu au XXe siècle d’éminents « absolutistes » du Premier amendement6 : Hugo Black, de la Cour suprême, affirmait que « pas de loi » voulait dire « pas de loi », un point, c’est tout — même en ce qui concerne les lois anti‑monopole, comme il l’a soutenu (en vain) dans l’affaire de l’Associated Press.

10 En fait, dans tous les pays, une majorité s’accorde à penser que la liberté d’expression doit parfois céder à d’autres exigences de la société. Aux États‑Unis comme ailleurs, on reconnaît l’importance de la sécurité nationale, d’où l’interdiction de paroles présentant « a clear and present danger » ; l’importance pour chacun de sa réputation, et donc la nécessité de punir la diffamation ; l’importance de protéger les enfants, notamment contre la pornographie : il va de soi qu’en ce haut lieu du puritanisme, l’obscénité n’est pas protégée par le Premier amendement, avec pour effet que des œuvres littéraires, comme le Ulysses de Joyce, ont été longtemps interdites. Et on reconnaît aussi la valeur des droits d’auteur, des marques déposées, de la vie privée, etc.

11 D’où l’absurdité du Premier amendement. Cette absurdité engendre des déclarations stupéfiantes de la part de juristes tel Justice Brennan, de la Cour suprême, qui dans l’affaire Roth v. U.S. (1957), a déclaré : « The unconditional phrasing of the First Amendment was not intended to protect every utterance ». Comme on était très gêné, on a introduit une distinction entre deux types de « parole », celle qui est protégée et celle qui ne l’est pas. Pourquoi alors n’a‑t‑on pas introduit ce genre de distinction entre deux types de Congrès, deux types de lois, deux types de liberté. Ce n’est qu’en 1952 que la Cour suprême a placé le cinéma sous le bouclier de l’amendement : auparavant on n’y voyait qu’un divertissement commercial. Il a fallu attendre 1976 pour qu’elle a accordé une protection à la publicité (parole commerciale) alors qu’elle la lui avait expressément refusée en 1942.

12 Il est normal, bien sûr, qu’une Constitution d’avant la Révolution industrielle (1787) soit interprétée, et même amendée, pour être adaptée aux États‑Unis post‑industriels. Peu importent les intentions des Pères fondateurs : ils ont écrit un texte pour leur temps et ne pouvaient prévoir l’avenir. Songez à la prééminence qu’a acquise la Présidence au XXe siècle. D’ailleurs certains passages étaient si vagues qu’on a dû, dès le début du XIXe siècle leur construire une interprétation, d’où un nouveau rôle pour la Cour suprême, à partir de l’arrêt Marbury v. Madison (1803).

13 Selon l’interprétation actuelle, on considère que le Premier amendement interdit à l’exécutif, au législatif et au judiciaire de limiter la liberté de presse ou d’expression au niveau fédéral et (en pratique, depuis les années 1920) au niveau des États et des localités. S’agit‑il là d’une extension acceptable du sens originel ? Je ne le pense pas.

14 Prenez des équivalents de la Bill of Rights et voyez ce qu’ils disent de la liberté de parole et de presse : ainsi l’article 12 de la Déclaration des droits de l’État de Virginie (1776) déclare que : « the freedom of the press is one of the greatest bulwarks of liberty, and can never be restrained but by despotic governments. »

15 L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme publié par la Révolution française en août 1789 indique que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire,

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imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

16 Et l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948 par les Nations‑Unies pose que : Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

17 Elle dit ce que disent les interprètes du Premier amendement. Aussi, la concision de l’amendement serait‑elle simplement due à un trait de caractère de l’auteur ? Non, et on peut le prouver. Car il y a eu une première mouture du Premier amendement7. Voici ce qu’avait d’abord écrit James Madison : « The people shall not be deprived or abridged of their right to speak, to write or to publish their sentiments; and the freedom of the press, as one of the great bulwarks of liberty, shall be inviolable. »8

18 Ce texte est clair et global. On peut, ce me semble, en conclure que l’amendement qui fut voté (puis ratifié) constituait une restriction consciente : c’est bien du Congrès, institution nouvelle et dominante, qu’on se méfiait. Et les États qui le désiraient gardaient le droit de le censurer : ils l’ont gardé au moins jusqu’au 14e amendement9, et en fait jusqu’aux années 1920.

19 Difficile, dans ces conditions, de justifier les interprétations « créatives » du XXe siècle. Et ce d’autant plus que ce qu’on interprète n’est plus tant le texte original que ce qu’on croit y lire. Voici le processus : (1) Le Premier amendement établit la liberté de presse (ce qui est déjà fort discutable). (2) La presse a besoin d’être fabriquée et vendue, certes. (3) Donc les journalistes ont droit d’accès à l’information (réunions, archives d’organismes publics, par exemple). Par conséquent (4) les boîtes distributrices de journaux ne peuvent être retirées ou même déplacées.

20 A l’extrême, des interprètes découvrent dans le Premier amendement des droits étonnants. Le Professeur Jerome Barron a défendu une « théorie » séduisante : d’après lui, la liberté de parole et de presse n’a pas de sens dans une société de masse si le citoyen ne peut se faire entendre. D’où Barron déduit que le Premier amendement garantit l’accès des citoyens aux médias. Les experts jugent que Barron va trop loin mais il ne va pas tellement plus loin que bien d’autres.

21 Considérez une décision récente de la Cour suprême. Le Révérend Jerry Falwell, prédicateur de télévision et un des chefs de la droite religieuse, avait été présenté dans un dessin de Hustler, magazine pornographique, comme ayant été dépucelé par sa mère ivre dans une cabane de jardin10. Il s’est estimé diffamé. Selon la Cour (1988), il ne l’était pas : le Premier amendement exige un vigoureux débat social.

22 En réalité, ce qu’on appelle « First Amendment law » relève non pas de l’interprétation rationnelle mais de l’imagination créatrice. Le résultat n’a pas grand chose à voir avec le Premier amendement tel qu’il existe. Un jeu intéressant consisterait d’ailleurs à prendre d’autres passages de la Constitution et de les soumettre au même traitement.

23 Le Premier amendement me semble avoir trépassé il y a bien longtemps. Ce à quoi les gens croient de nos jours, est un mythe — un mythe correspondant à la première version de Madison. Un mythe est un mythe : il peut être puissant, certes, mais il reste flou. Les interprétations qu’on en donne varient selon l’environnement et selon les interprètes.

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24 Le seul interprète devrait être la Cour suprême, mais bien d’autres s’en mêlent. L’obscénité, par exemple, est définie par les autorités locales. La définition de la diffamation est laissée, dans une large mesure, aux jurys. Ce que la Cour suprême a autorisé dans l’affaire du Stanford Daily (1978), le droit pour la police de fouiller une salle de rédaction sans mandat, a été interdit quelque temps plus tard par le Congrès.

25 En conséquence, les limites de la liberté de parole et de presse sont variables aux États‑Unis. La jurisprudence est si complexe et si grande la latitude des juges qu’on ne peut jamais être sûr de l’issue d’un procès de presse. Dans des périodes comme l’après Première Guerre mondiale ou l’époque McCarthy la liberté s’en trouve gravement menacée. Les gens de média, qui vénèrent le Premier amendement, ne sont jamais convenablement protégés par lui. Plus de journalistes sont envoyés en prison par un juge offensé aux États‑Unis que dans tout autre pays démocratique.

26 Au contraire, un pays tel que la Suède, petit mais riche et très respectueux des droits de l’homme, possède une loi sur la presse précise et claire. Cette loi (qui date de 1949) plonge elle aussi ses racines dans le XVIIIe siècle et a été, de la même façon, intégrée dans la Constitution11. Pourquoi la citer ? Parce qu’elle résout à la satisfaction générale la plupart des problèmes auxquels se heurtent les médias des Etats‑Unis : accès à l’information, protection des sources, procès de presse, etc.

27 On considère traditionnellement que le principal ennemi de la liberté de presse aux Etats‑Unis est le pouvoir politique. D’ailleurs, au cours du dernier demi‑siècle, le gouvernement s’est conduit normalement : il n’a pas montré un infini respect pour cette liberté. À preuve les Dossiers du Pentagone. Mais il faut se souvenir également que des gouvernements ont fait voter un Freedom of Information Act, des Open Records laws, des Open Meetings laws, des Shield laws, qui accordent de grands privilèges aux médias. Ils ont procédé à la déréglementation des médias électroniques (depuis le milieu des années 70). A quoi il faut ajouter des décisions judiciaires comme celle de la Cour Suprême dans l’affaire The New York Times v. Sullivan (limitant la diffamation) en 1964 et, 10 ans plus tard, lors du scandale du Watergate.

28 Pendant ce temps, qu’a fait le Big Business, pour protéger et promouvoir la liberté de parole et de presse ? Cette simple question a de quoi choquer des oreilles US. Qu’est‑ce que les milieux d’affaires ont à faire avec la liberté de parole et de presse ? Un point, en tout cas, n’est pas discutable : le Big Business a partie liée avec la presse, écrite ou électronique. Les États‑Unis sont la seule grande nation où tous les médias, avec quelques exceptions négligeables, sont commerciaux.

29 En conséquence, le but naturellement poursuivi par les patrons de médias est non pas de servir le public, mais de gagner de l’argent, encore plus d’argent tous les ans, la majeure partie sinon la totalité de leurs revenus provenant non pas des citoyens mais d’autres firmes commerciales. Quant à leur second objectif, il est de maintenir le statu quo, puisqu’il leur est favorable, comme aux annonceurs, gens d’affaires eux aussi. Outre qu’aucun d’eux n’est élu, qu’aucun n’a de comptes à rendre aux usagers, le problème vient de ce que les objectifs financiers et politiques des milieux d’affaires ne sont pas toujours compatibles avec la liberté de presse.

30 En minimisant les dépenses et en maximisant les revenus, les dirigeants de médias restreignent la liberté des journalistes à servir le public convenablement. Il faut savoir qu’aujourd’hui, malgré la crise, le profit moyen des médias US (20%) est plus du double de celui des autres industries. Dans certains groupes de journaux, on licencie des

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journalistes quand le profit passe en dessous de 25%12. La plupart des médias US fonctionnent comme des pompes à fric, pas comme des services publics. C’est la liberté d’entreprise qui leur importe, pas la liberté de parole. D’ailleurs, les médias commerciaux s’accommodent d’ordinaire assez bien des régimes fascistes.

31 Ce qui les gêne n’est pas, comme ils le prétendent, qu’on leur dicte quelques contenus, mais qu’on menace leur porte‑monnaie en tentant de leur imposer des obligations telles que faire des émissions pour enfants (1990)13; ou donner du temps d’antenne aux candidats à des élections (1995) ; ou limiter la violence ou interdire la publicité pour les boissons alcoolisées à la télévision (1994). Comme disait H.L. Mencken : « Hit in the moneybag, they suddenly become fanatical devotees of the Constitution ».

32 Actuellement, alors que les télécommunications deviennent cruciales pour tout le monde, la concentration du contrôle des médias s’est terriblement accentuée. La restriction de la liberté de parole et de presse par de grosses firmes commerciales est plus grave que jamais. Quelques personnes peuvent décider ce qui sera ou ne sera pas publié. Pour savoir ce qui est passé sous silence, voyez, entre autres, la liste des « Ten Best‑Censored Stories »14. Et cherchez quelle proportion des cibles du journalisme d’enquête sont des firmes commerciales et non des services publics. Voyez ce que fournissent les médias US en matière d’information internationale, de culture, d’éducation.

33 Contre de telles restrictions à une liberté essentielle, que peut faire le Premier amendement ? Absolument rien. Il ne s’applique pas aux censeurs privés. De là l’existence de « speech codes » sur les campus et toutes les règles « politiquement correctes » : on peut tout dire sauf ce qui risque de déplaire à la minorité X, Y ou Z. Ne fût‑ce que pour cette raison, le Premier amendement est d’une utilité limitée. On pourrait le comparer à la Ligne Maginot, fortification impressionnante que les blindés nazis se sont contentés de contourner en passant par la Belgique.

34 Une lueur d’espoir est apparue du côté du public. Il est plus éduqué, mieux avisé. Une majorité hétérogène a compris qu’elle pouvait exiger que ses droits soient respectés : ceux des consommateurs, des femmes, des Noirs et d’autres minorités, des vieux, des handicapés ou des homosexuels. Pour se faire entendre, la plupart ont dû d’abord créer leurs propres médias, comme l’« underground press » des étudiants dans les années 60. La plupart de ces médias ont été harcelés par la police et par les tribunaux, en dépit des droits que leur accordait prétendument le Premier amendement15. Et ils ont reçu peu de soutien des médias ordinaires, malgré l’attachement que ceux‑ci proclament au Premier amendement. Pourtant, s’il est besoin de protéger un droit à la parole, c’est bien celui de qui est impopulaire.

35 Cette expérience a été l’un des facteurs qui ont engendré la méfiance du public envers les médias. Son hostilité a été confirmée au cours des trente dernières années par une multitude de sondages — sans que les médias la prennent vraiment au sérieux.

36 Quel rapport entre tout ceci et le Premier amendement ? Eh bien, le public aux États‑Unis, tout attaché qu’il soit à la liberté de parole et de presse, semble n’avoir pas le même concept de l’amendement que les médias. Pour commencer, le public semble croire que la liberté de presse lui appartient à lui et non à ceux qui possèdent les médias.

37 Une grande part des Étatsuniens ne sont pas favorables à la déréglementation des médias électroniques, pourtant elle n’a pas cessé depuis les années 80 au nom du

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Premier amendement16. Une cible centrale des dé‑régulateurs était la Fairness Doctrine, formulée par la FCC, confirmée par le Congrès puis par la Cour suprême. Elle exigeait que sur les questions importantes, il y ait débat à la radio et à la télévision et que divers points de vue soient présentés. La plupart des usagers estiment que c’est là un droit du citoyen, que d’entendre au moins deux avis. Et bon nombre d’entre eux pensent même que de nouvelles lois devraient forcer les journaux à être équitables dans leur présentation des questions d’intérêt public.

38 Selon l’enquête menée par le First Amendment Center en septembre 2002, 42% des Étatsuniens estiment que la presse a trop de liberté. En 1997, une enquête du Freedom Forum17 a indiqué que 65% d’entre eux jugeaient que la liberté de presse devait être restreinte dans certaines occasions. Ces gens s’opposent à la censure ; approuvent le journalisme d’enquête et le rôle de chiens de garde qu’assument les médias — mais ils ont la sagesse de penser que la vraie liberté n’existe pas dans une jungle ; que la vraie liberté ne peut venir que de règles décidées démocratiquement et fermement appliquées. La totale dérégulation amène à une dictature de l’argent. Il semble que les usagers, bien que très ignorants du Premier amendement, sachent en tout cas cela.

39 Ils n’ignorent pas que les médias ne sont pas indépendants. Selon le sondage du Freedom Forum en 1997, 81% jugeaient que l’information était souvent indûment influencée par des élus, 87% par les grosses sociétés, 88% par les patrons de médias, 88% par les annonceurs, 91% par la cupidité des médias.

40 Dans les années 90, on a commencé à s’inquiéter de leur impopularité : on les jugeaient trop puissants, trop arrogants, dévoués aux forces d’argent, on leur reprochait de négliger le service du public. Les jugements des tribunaux (sous la forme de dommages et intérêts énormes) se faisaient l’écho de l’opinion publique.

41 Que faire ? Vu le statut de « révélation divine » que possède le Premier amendement, il n’est pas question de supprimer la partie qui concerne parole et presse. Pas question non plus de l’amender. De toute manière, à l’heure actuelle, les médias US disposent de bien plus de liberté qu’ils n’en utilisent jamais — ce qui rend incongrue leur obsession de défendre tous ces privilèges qui seraient inclus dans le Premier amendement. Puisqu’il faut interpréter le mythe, peut‑être faudrait‑il y chercher, non plus des droits supplémentaires pour les médias, mais pour les usagers, notamment celui d’être bien servis par les médias. On peut penser que les Pères fondateurs songeaient plutôt à ces droits là qu’aux bilans de News International, de Time‑Warner, ou de General Electric.

NOTES

1. En janvier 2003, si l’on recherche « The First Amendment » sur Google par exemple, on obtient 2,7m. de réponses, contre 2m. seulement pour Georges W. Bush et 424000 pour Saddam Hussein. 2. Un sondage Gallup réalisé en décembre 1979 avait révélé que trois Étatsuniens sur 4 ne savaient pas répondre quand on leur demandait ce qu’était le Premier amendement et ce qu’il contenait, dont 6 sur 10 parmi les diplômés de l’enseignement supérieur.

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3. Voir Editor & Publisher, 29/3/1997. 4. Texte complet du Premier amendement : « Le Congrès ne pourra faire aucune loi ayant pour objet l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice, de limiter la liberté de parole ou de presse, ou le droit des citoyens de s’assembler pacifiquement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour qu’il mette fin aux abus. » 5. Editor & Publisher, 25/6/88. 6. Par exemple, en 1988, une Free Press Association, composée d’absolutistes, comptait 300 membres. 7. Pour qui serait tenté d’attribuer un sens à la place qu’occupe le Premier amendement dans la Déclaration, il est à noter d’ailleurs qu’à l’origine il était le quatrième. 8. Cité par J. Herbert Altschull, Agents of Power (New York: Longman, 1984), 26. 9. Le 14ème amendement à la Constitution (ratifié en 1868) dit, dans sa section 1 : « No state shall make or enforce any law which shall abridge the privileges or immunities of citizens of the United States; nor shall any state deprive any person of life, liberty, or property, without due process of law; nor deny to any person within its jurisdiction the equal protection of the laws. » 10. Jugement confirmé un peu plus tard quand la Cour refusa d’examiner le recours de l’ultra féministe Dworkin contre le même magazine. 11. Et ne peut être modifiée sinon par deux votes du Parlement séparés par une élection générale. 12. Voir Leaving the Readers Behind : the Age of Corporate Newspapering, sous la direction de Gene Roberts (Fayetteville : University of Arkansas Press, 2001). 13. Par le Children’s Television Act. 14. Établie annuellement depuis plus de 20 ans par des experts sous les auspices de Sonoma State University. 15. La Cour suprême a approuvé la censure par les autorités des journaux de lycéens et d’étudiants (1988) 16. The Speaker and the Listener: A Public Perspective on Freedom of Expression, sous la direction de J. Immerwahr et al. (New York: The Public Agenda Foundation, 1980.) George Gallup, « Whose First Amendment Is It Anyway? ». 17. Voir Editor & Publisher, 29/3/1997.

RÉSUMÉS

Ce papier, plein de verve, d’humeur et d’humour, pose, comme sait si bien le faire l’auteur, des questions profondes sous une apparence paradoxale. Il a été présenté lors d’un colloque sur le Premier amendement organisé à l’Université Lumière-Lyon 2 les 17 et 18 janvier 2003. Certaines communications ont été publiées dans le volume XXIV, n°1 (2003), « Le premier amendement : un modèle américain des libertés » (sous la direction de Vincent Michelot) de la Revue Tocqueville.

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AUTEUR

CLAUDE‑JEAN BERTRAND Claude-Jean Bertrand est professeur émérite à l’Université Paris 2 (Institut français de presse) après avoir enseigné à Strasbourg et Nanterre. C’est un spécialiste reconnu des médias, sur lesquels il a publié une vingtaine d’ouvrages, et tout particulièrement de la déontologie. Parmi ses nombreuses publications on citera : Media Ethics and Accountability Systems, New Brunswick (NJ) & London, Transaction, 2000 (traduction de La déontologie des médias, Paris, PUF, 1977, ouvrage traduit en plus de 10 langues), et An Arsenal For Democracy : Media Accountability Systems, Cresskill (NJ), Hampton Press, 2003 (traduction de L'Arsenal de la démocratie, Paris Economica, 1999, aussi traduit au Brésil et au Japon (2002)). On pourra se reporter, pour ces questions, au site http:// www.presscouncils.org

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Travaux en cours

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La Fondation nationale cubano‑américaine. Influence sur le gouvernement américain et manipulation de l’opinion publique

Émilie Descout

1 Considérés, dans un premier temps, comme une terre d’asile « temporaire » 1, les États‑Unis sont devenus, au fil du temps, une seconde patrie pour de nombreux exilés cubains. Depuis la prise de pouvoir de Fidel Castro le 1er janvier 1959, nombre de Cubains ont fui Cuba, son régime totalitaire et socialiste et son président‑dictateur, Fidel Castro, pour se réfugier dans le plus proche et le plus anticommuniste des pays dans le monde, les États‑Unis. L’anticommunisme et l’anti‑castrisme étant des principes fortement ancrés en chacun des exilés cubains, le gouvernement américain accorda, par conséquent, dès les années 1960, un statut bien plus privilégié aux Cubains si on le compare à celui dont bénéficiaient les autres nationalités d’immigrants aux États‑Unis. Dans les années 1970 et 1980, après un exil « temporaire » qui durait déjà depuis plus de deux décennies pour les premières « vagues » d’exilés cubains arrivés aux États‑Unis, la communauté exilée cubaine décida de s’impliquer dans la vie politique américaine. En 1980, de nombreux Cubains demandèrent la citoyenneté américaine. Par la suite, ils s’inscrivirent sur les listes électorales afin d’élire Ronald Reagan, le candidat républicain à la présidence connu pour sa position anticommuniste2.

2 Le rôle de la communauté exilée cubaine dans la vie politique américaine prit une plus grande ampleur encore avec la création, en 1981, d’un lobby cubano‑américain anti‑castriste, la Fondation Nationale Cubano‑Américaine3. Trois cubano‑américains furent à l’origine de la création de ce premier lobby cubano‑américain aux États‑Unis. Le principal instigateur de ce projet fut Jorge Mas Canosa, un riche homme d’affaires connu pour sa participation dans l’Invasion de la Baie des Cochons et pour son action, dans les années 1970, dans le groupe d’exilés « violent », la RECE (Representacion Cubana en el Exilio ; Représentation Cubaine en Exil). Jorge Mas Canosa fut secondé dans ce projet par un riche banquier à Miami, Raul Masvidal, lui aussi vétéran de la « Brigade 2506 » qui avait pris part à l’Invasion de la Baie des Cochons. Le dernier homme à prendre part à la création de la Fondation fut Carlos Salman, un important

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agent immobilier4. Il semblerait également qu’un autre homme resté dans l’ombre ait été aussi à l’origine de la fondation de ce premier lobby cubano‑américain anti‑castriste. Par le biais de ce groupe d’exilés cubains, le président américain, Ronald Reagan, aurait, en fait, essayé d’obtenir un soutien de la communauté exilée cubaine à sa politique controversée au Nicaragua5. Ce qui fit de la Fondation une organisation de l’exil atypique et, l’on peut même dire, exceptionnelle fut le fait qu’elle adopta une stratégie qui était nouvelle dans le milieu de l’exil cubain. En effet, les membres‑fondateurs de la Fondation décidèrent de faire de leur organisation un puissant lobby anti‑castriste au sein même du Congrès américain. Ces cubano‑américains ambitieux comptaient se servir du pouvoir économique de la communauté exilée cubaine afin de financer les campagnes électorales de candidats favorables à la « cause cubaine ». A cette dimension économique, devait s’allier le poids politique et électoral incontestable de la communauté cubaine des États‑Unis6. Pour obtenir le soutien financier et politique de la Fondation, il suffisait aux hommes politiques de soutenir les principes majeurs qu’elle défendait. Il fallait, donc, soutenir la politique de l’embargo américain contre Cuba et également favoriser l’immigration des Cubains aux États‑Unis. Enfin, l’homme politique désireux de s’attirer les bonnes grâces de la Fondation devait s’engager à dénoncer les violations des droits de l’homme commises par le régime castriste et à soutenir la dissidence cubaine.

3 En ce qui concerne l’un des principaux chevaux de bataille de la Fondation, en l’occurrence l’embargo américain contre Cuba, les États‑Unis décidèrent, en fait, dès 1960, d’imposer les premières sanctions économiques. Au même moment, Cuba nationalisa les entreprises américaines situées sur le territoire cubain après que ces dernières refusèrent de raffiner le pétrole en provenance de l’URSS, le nouveau partenaire commercial de Cuba7. Depuis 1960, les États‑Unis n’ont cessé de promulguer d’autres lois visant à renforcer l’embargo contre Cuba — la présidence de Jimmy Carter fera exception puisque le président essaiera de normaliser les relations entre les deux pays. Depuis 1981, la Fondation Nationale Cubano‑Américaine a été, sans nul doute, pour beaucoup, dans cette politique de renforcement de l’embargo puisqu’elle a toujours affirmé qu’empêcher Cuba de commercer avec les États‑Unis et inversement constituait la « meilleure pression sur le régime de Castro jusqu'à son retrait inconditionnel du pouvoir »8.

4 De 1981 à 1992, les présidents républicains, Ronald Reagan et George Bush, imposèrent de nouvelle sanctions économiques à l’encontre de Cuba et ce, bien entendu, à la grande satisfaction de la Fondation si ce n’est sur son initiative9. Ronald Reagan appliqua cette politique de renforcement de l’embargo américain parce qu’elle était en adéquation avec sa position anticommuniste et anti‑castriste. Cuba était considérée comme une double menace pour les États‑Unis : elle était l’alliée de l’URSS et elle mettait en péril l’influence des États‑Unis en Amérique Latine10. De plus, par son soutien à l’embargo américain contre Cuba, le président Ronald Reagan s’assurait le soutien de la Fondation et de la communauté exilée anti‑castriste dans son engagement controversée dans le conflit au Nicaragua. En ce qui concerne son successeur, George Bush, sa politique à l’encontre de Cuba aurait pu être tout autre étant donné les changements intervenus dans les pays de l’Est et en URSS. Les circonstances étaient, en effet, bien différentes et auraient pu amener George Bush à engager un processus de normalisation des relations entre les États‑Unis et Cuba. D’une part, les relations entre l’ancienne URSS et les États‑Unis étaient bien meilleures. D’autre part, Fidel Castro était certainement prêt à engager des discussions avec le gouvernement américain à un

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moment où l’île était entrée dans une crise économique sans précédent, occasionnée par la diminution de l’aide économique que lui accordait l’URSS. Malgré cette nouvelle conjoncture internationale, George Bush mena la même politique que Ronald Reagan dans le domaine de l’embargo. Les généreuses contributions financières de la Fondation Nationale Cubano‑Américaine pour sa campagne présidentielle et les 85% du vote cubano‑américain en Floride du Sud furent, à n’en pas douter, pour beaucoup dans sa décision de perpétuer la politique économique reaganienne à l’encontre de Cuba11. Cependant, afin de protéger les intérêts économiques des corporations américaines, les deux présidents républicains furent, tout de même, contraints de faire des exceptions dans cette politique de renforcement de l’embargo. Ils accordèrent, notamment, des licences commerciales à certains produits vendus à Cuba12.

5 A l’approche de l’élection présidentielle de 1992, la Fondation Nationale Cubano‑Américaine qui voyait se profiler l’espoir d’une chute prochaine du régime castriste décida de s’engager dans la mise au point d’une nouvelle stratégie politique. Les mesures drastiques imposées par le gouvernement castriste, dès 1991, au peuple cubain devaient inévitablement amener à l’effondrement du régime castriste et la Fondation pensa accélérer ce processus tant souhaité en renforçant, une fois de plus, l’embargo contre Cuba. Elle mit au point une règle du jeu on ne peut plus simple pour les deux candidats principaux à la présidence, en l’occurrence George Bush et Bill Clinton. Le candidat devait s’engager à soutenir un projet de loi proposé, quelques mois auparavant, par le député démocrate, Robert Torricelli, s’il voulait recueillir une majorité des votes cubano‑américains et s’il voulait bénéficier des généreuses donations de la Fondation13. Ce projet de loi connu sous le nom de « Loi sur la Démocratie Cubaine » (Cuban Democracy Act) s’articulait en quatre points. Il interdisait aux filiales des entreprises américaines situées à l’étranger de commercer avec Cuba. Il encourageait vivement la communauté internationale à se joindre aux États‑Unis dans leur « soutien au peuple cubain ». Le projet de loi prévoyait aussi de développer les moyens de communication entre les deux pays. Enfin, cette mesure devait, selon les propres mots de la Fondation, assurer que « une fois que Castro ne serait plus au pouvoir, un nouveau gouvernement provisoire recevrait de la nourriture, des médicaments et d’autres formes d’assistance économique dont le peuple cubain aurait besoin »14. Ce projet de loi qui présentait des ressemblances troublantes avec un document publié par la Fondation en 1992 sous le titre de « Programme de Transition »15 reçut le soutien de plusieurs sénateurs et députés considérés comme étant les « pit bulls loyaux » de la Fondation16. La Fondation devait, en grande partie, le soutien de ces individus aux donations qu’elle leur versait lors des campagnes électorales. Les deux candidats à la présidence qui avaient affirmé leur opposition au passage de la « Loi sur la Démocratie Cubaine » se décidèrent, sous les « pressions électorales et financières » de la Fondation, à soutenir le projet de loi.

6 L’élection présidentielle de 1996 fut aussi le théâtre de nouvelles tractations entre les candidats à la présidence et la Fondation Nationale Cubano‑Américaine. En 1995, le sénateur Jesse Helms et plusieurs autres députés et sénateurs faisant partie du cercle des « pit bulls loyaux » de la Fondation proposèrent au Congrès un nouveau projet de loi visant à renforcer l’embargo contre Cuba. Cette « Loi sur la Liberté Cubaine et la Solidarité Démocratique » (Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act) qui présentait, une fois de plus, des points communs avec le « Programme de Transition » de la Fondation avait deux objectifs. Elle devait « renforcer les sanctions internationales contre le gouvernement castriste à Cuba [et] développer un plan de

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soutien à un gouvernement de transition qui devait précéder un gouvernement démocratiquement élu à Cuba »17. Les pressions exercées par la Fondation sur les candidats à la présidence contribuèrent, sans nul doute, à la décision de Bill Clinton de soutenir ce nouveau projet de loi. Toutefois, ils est indéniable que ce fut l’incident en février 1996 au cours duquel l’armée cubaine abattit deux avions appartenant à « Frères à la Rescousse », un groupe d’exilés cubains, qui décida le président à signer la loi sur l’embargo.

7 La Fondation Nationale Cubano‑Américaine ne tarda pas, en effet, à se rendre compte du rôle décisif qu’avait joué l’incident de février 1996 dans la décision de Bill Clinton de ratifier la loi. Loin de confirmer son rôle d’allié auprès de la Fondation, Bill Clinton mit en place, dès 1996, une nouvelle politique économique vis‑à‑vis de Cuba. Il ne prit aucune sanction contre les pays étrangers commerçant avec Cuba18. De 1996 à 2001, il suspendit, à plusieurs reprises, l’une des clauses de la « Loi sur la Liberté Cubaine et la Solidarité Démocratique ». Cette clause autorisait les citoyens américains à engager des poursuites contre les nouveaux propriétaires des biens qui leur avaient été confisqués par le gouvernement castriste19. Enfin, en 1999, Bill Clinton présenta un « plan pour assister les Cubains ». Le plan prévoyait de mettre en application trois mesures auxquelles la Fondation était opposée. Les citoyens américains devaient être autorisés à envoyer jusqu'à 1 200 dollars par trimestre à leurs parents à Cuba. Dans le cadre du plan, les entreprises américaines pouvaient vendre certains produits alimentaires et agricoles à des organisations non‑gouvernementales, des exploitations agricoles et des restaurants privés cubains. Il était également prévu qu’il y aurait un accroissement du nombre de vols entre les États‑Unis et Cuba20.

8 En plus de ces mesures visant à promouvoir de meilleures relations économiques entre Cuba et les États‑Unis, la Fondation Nationale Cubano‑Américaine vit encore plus en Bill Clinton un « adversaire » lorsque celui‑ci encouragea, en avril 1997, la formation de USA*Engage, un lobby commercial21. Cette « coalition de 670 petites et grandes entreprises, corporations agricoles et commerciales » dont faisaient partie Unocal, Texaco et Boeing affirma que son objectif premier était de « chercher des alternatives à la prolifération de sanctions unilatérales dans la politique étrangère américaine »22. Selon USA*Engage, l’imposition de sanctions unilatérales comme le préconisait la Fondation et le manque d’échanges commerciaux entre Cuba et les États‑Unis étaient pour beaucoup dans le manque d’amélioration des droits de l’homme à Cuba. Quant à la Fondation Nationale Cubano‑Américaine, elle affirma haut et fort que Bill Clinton et son « allié », USA*Engage, ne se préoccupaient, en aucun cas, des droits de l’homme à Cuba mais des « intérêts corporatistes américains »23. Il est sûr que, dès sa création en 1997, la coalition d’entreprises américaines joua un rôle décisif dans la non‑adoption de plusieurs lois visant à renforcer l’embargo contre Cuba.

9 La question de l’immigration cubaine aux États‑Unis a été aussi une des principales préoccupations de la Fondation Nationale Cubano‑Américaine et ce, non sans raison. En effet, la création de la Fondation fut précédée, en 1980, par un incident migratoire sans précédent entre Cuba et les États‑Unis. Durant cet événement plus connu sous le nom d’ « exode de Mariel », 125 000 Cubains parmi les quels se trouvaient des criminels furent autorisés par le gouvernement castriste à quitter Cuba. L’image de la communauté exilée cubaine des États‑Unis se retrouva entachée par cet incident24. Dans ce contexte, la Fondation Nationale Cubano‑Américaine se présenta, en 1981, comme une

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organisation qui avait pour but de « modifier l’image de la communauté exilée cubaine au niveau de l’opinion publique nord‑américaine »25.

10 La Fondation s’évertua, dès sa création, à faciliter l’immigration cubaine aux États‑Unis et, ainsi, à perpétuer au maintien de ce qui était « un droit naturel » dans l’esprit des Cubains et des cubano‑américains. Le président Ronald Reagan, en réponse aux attentes de la Fondation, signa un accord migratoire avec Cuba en 1984. Cet accord qui prévoyait l’octroi de 20 000 visas par an par les États‑Unis fut suspendu en mai 1985 par Cuba suite à la création par le gouvernement américain — et, en arrière‑plan, par la Fondation — de Radio Marti, une station de radio émettant vers Cuba26. En 1986, le gouvernement américain se décida, enfin, à négocier avec Cuba pour réactiver l’accord migratoire de 1984. Ronald Reagan ne pouvait faire autrement car il était l’objet de virulentes critiques de la part de l’opinion publique américaine qui désirait le retour à Cuba des quelques 2 700 « Marielitos » emprisonnés aux États‑Unis pour des affaires criminelles. Par conséquent, un nouvel accord fut conclu entre les États‑Unis et Cuba. Cuba s’engageait à rapatrier les criminels cubains emprisonnés aux États‑Unis27. Cependant, les Cubains emprisonnés aux États‑Unis se révoltèrent, exprimant, ainsi, leur désir de ne pas rentrer à Cuba. La Fondation voyant dans cette affaire probablement un moyen de jeter le discrédit sur le régime castriste rentra, alors, en scène. Par l’intermédiaire du Révérend Agustin Roman, elle réussit à devenir le porte‑parole des « Marielitos » et, ainsi, à régler ce différend28.

11 Durant la présidence de Ronald Reagan, elle mit au point un projet facilitant l’immigration des Cubains aux États‑Unis. Le projet intitulé « Fond d’Aide à l’Exode Cubain » (Cuban Exodus Relief Fund) avait pour objectif de « procurer de l’aide humanitaire sus forme de nourriture, de logement, d’éducation et d’assistance médicale à des réfugiés cubains séjournant dans des pays tiers sans statut légal et dans l’attente d’une autorisation d’entrée aux États‑Unis »29. Au cours des années 1980, nombre de Cubains désirant immigrer aux États‑Unis se retrouvèrent, en effet, contraints d’immigrer, dans un premier temps, dans des pays comme le Venezuela ou l’Espagne avant d’obtenir un visa pour les États‑Unis. Dès 1984, grâce à l’organisation de collectes de fonds, la Fondation commença à rassembler l’argent nécessaire au financement de son projet30. Le président, Ronald Reagan, contribua à faire de ce projet un réel succès lorsqu’il décida de mettre en application, en 1986, un nouveau programme intitulé « Initiative du Secteur Privé ». Ce programme prévoyait l’accueil par les États‑Unis de 4 000 réfugiés étrangers à la condition que cela n’engendrât aucun coût financier au gouvernement fédéral31. Ce geste de Ronald Reagan vers les minorités ethniques ne fut certainement pas sans lien avec le fait qu’en 1986, la stabilité de la présidence de Ronald Reagan fut gravement mise en péril suite aux révélations concernant le lien entre les ventes secrètes d’armes à l’Iran et l’aide secrète accordée par Ronald Reagan aux « contras » nicaraguayens. Cependant, sous la pression, à n’en pas douter, de la Fondation Nationale Cubano‑Américaine, Ronald Reagan changea les clauses du programme « Initiative du Secteur Privé » : sur les 4 000 réfugiés accueillis par an, 1 500 devaient être des Cubains attendant une autorisation d’entrée aux États‑Unis dans des pays tiers32. Ce « Fond d’Aide à l’Exode Cubain » autour duquel la Fondation ne manqua pas de monter une véritable campagne de propagande remporta, bien évidemment, un grand succès auprès de la communauté exilée cubaine et contribua, sans nul doute, à faire de la Fondation l’organisation politique la plus influente au sein de l’exil cubain aux États‑Unis. Cependant, il semblerait que, bien que le programme « Initiative du Secteur Privé » n’eût dû engendrer aucune dépense pour

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le gouvernement américain, le « Fond d’Aide à l’Exode Cubain » aurait reçu 2 millions de dollars du gouvernement fédéral de 1988 à 199333.

12 Il n’est pas à douter que George Bush essaya de contribuer au succès du projet de la Fondation puisque, tout comme Ronald Reagan, il décida de faciliter l’immigration cubaine aux États‑Unis. Par le biais de cette politique, il voulut, comme l’avait fait son prédécesseur, discréditer le gouvernement castriste en montrant que les États‑Unis accueillaient sur leur territoire un grand nombre de Cubains n’approuvant pas la politique castriste. Toutefois, le déclenchement, dès 1990, d’une nouvelle crise migratoire entre les États‑Unis et Cuba ne permit pas à George Bush de mener à bien cette politique de l’immigration. Confronté à une crise économique sans précédent à Cuba, Fidel Castro décida de « réduire le nombre de bras inutiles et de bouches à nourrir » et, pour ce faire, il encouragea les Cubains à quitter Cuba34. De son côté, le président Bush, sous la pression certainement de la Fondation, décida d’accorder un certificat de résidence aux Cubains résidant depuis plus de six mois aux États‑Unis. Cette décision ne contribua, bien sûr, qu’à accroître le nombre de Cubains arrivant aux États‑Unis jusqu'à un tel point que le gouvernement américain dut se résoudre, en juillet 1991, à suspendre l’octroi de visas touristiques aux Cubains35. Enfin, étant donné que les États‑Unis ne délivraient pas les 20 000 visas prévus dans l’accord migratoire de 1987 et qu’ils tentaient de réduire le nombre de visas touristiques, un autre phénomène apparut en 1990 : l’arrivée de « balseros » sur les côtes américaines36.

13 Loin de décroître, le nombre de « balseros », c’est‑à‑dire de Cubains quittant illégalement Cuba sur des embarcations de fortune, s’accrut. En 1993, les garde‑côtes américains recueillirent 3 656 « balseros »37. Ne pouvant faire face à cet afflux massif de Cubains sur le territoire américain, le nouveau gouvernement de Bill Clinton dut se résoudre à prendre de nouvelles mesures vis‑à‑vis de l’immigration cubaine. En 1994, Bill Clinton décida de détenir, sur la base navale de Guantanamo, les « balseros » cubains recueillis par les garde‑côtes américains. Cette mesure reçut, non sans surprise, l’approbation de la Fondation Nationale Cubano‑Américaine qui, en échange de cette concession, avait obtenu du président qu’il suspendît les vols entre Cuba et les États‑Unis et qu’il interdît les envois d’argent à Cuba. Bill Clinton décida aussi d’accorder un financement plus important à Radio et TV Marti, les médias du gouvernement américain émettant vers Cuba38. Cependant, le nombre de « balseros » ne diminua pas pour autant. De plus, l’émergence de lobbies américains anti‑immigrants décida, finalement, le gouvernement américain à aller contre les attentes de la Fondation et à mettre fin à sa politique migratoire « habituelle » envers les Cubains39. En septembre 1994, Bill Clinton signa un accord migratoire avec Cuba dans lequel il s’engageait à délivrer 20 000 visas par an à des Cubains. De son côté, le gouvernement cubain acceptait de limiter l’immigration illégale cubaine vers les États‑Unis en usant de moyens pacifiques. Il s’engageait aussi à accueillir à Cuba les « balseros » désireux de rentrer dans leur pays après leur détention à Guantanamo40. Malgré les pressions exercées par la Fondation Nationale Cubano‑Américaine et par la communauté exilée anti‑castriste suite à la signature de l’accord migratoire de 1994, le gouvernement de Bill Clinton se vit contraint de signer un nouvel accord avec Cuba en mai 1995. La situation était, en effet, devenu ingérable pour les États‑Unis : en 1995, il restait encore 21 000 « balseros » sur la base navale de Guantanamo. La base navale devenait, de plus en plus souvent, le théâtre de manifestations de violence de la part de « balseros » désespérés. Cette situation engendrait un énorme coût financier pour le gouvernement fédéral. Enfin, la politique du gouvernement américain à l’encontre des

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« balseros » était l’objet de critiques de la part d’organisations des droits de l’homme, de gouvernements latino‑américains et de groupes d’exilés cubains comme la Fondation Nationale Cubano‑Américaine41. Dans un premier temps, l’accord migratoire conclu avec Cuba fut accueilli favorablement par la Fondation Nationale Cubano‑Américaine puisqu’il prévoyait d’autoriser les « balseros » détenus à Guantanamo à entrer sur le territoire américain. Cependant, ce bon accueil fit, rapidement, place à de la colère car l’accord migratoire de 1995 marquait aussi l’arrêt définitif de ce qui était un « droit naturel » pour les Cubains, c’est‑à‑dire l’entrée sur le territoire américain42.

14 En 1996, la Fondation espéra que l’incident au cours duquel l’armée cubaine abattit deux avions de « Frères à la Rescousse », un groupe d’exilés cubains aux États‑Unis, mettrait fin à la coopération entre les États‑Unis et Cuba dans le domaine de l’immigration. Il n’en fut rien43. Durant l’année 2000, La Fondation Nationale Cubano‑Américaine tenta, une fois de plus, de contraindre le gouvernement américain à mettre un arrêt définitif à sa coopération avec le gouvernement cubain. Pour parvenir à ses fins, elle orchestra une campagne de propagande autour du petit Elian Gonzalez, un petit Cubain recueilli par les garde‑côtes américains suite au naufrage du bateau sur lequel il se trouvait avec sa mère. Cependant, sa campagne de propagande qui visait aussi à regagner de l’influence sur la scène politique américaine — la mort de Jorge Mas Canosa, le président de la Fondation, en 1997 fut un coup dur pour la Fondation — se solda par un échec. En effet, le petit Elian repartit à Cuba vivre avec son père et le gouvernement américain continua à coopérer avec le gouvernement castriste dans le domaine migratoire44.

15 Toutefois, malgré la détermination de la Fondation Nationale Cubano‑Américaine à promouvoir un renforcement de l’embargo américain contre Cuba et aussi à faciliter l’immigration cubaine sur le territoire américain, il n’en reste pas moins que le principal cheval de bataille de la Fondation fut, avant tout, la défense des droits de l’homme. Il s’avère que, durant les années 1960 et 1970, la multiplication du nombre de sanctions économiques à l’encontre de Cuba fut considérée par le gouvernement américain comme le meilleur moyen pour déstabiliser un gouvernement castriste dont l’alliance avec l’URSS était perçue comme un réel danger pour la sécurité des États‑Unis. Toutefois, dès l’année 1981 qui marqua l’accession au pouvoir de Ronald Reagan et la création de la Fondation Nationale Cubano‑Américaine, le nouveau gouvernement républicain essaya de précipiter la chute du régime castriste en utilisant, en plus de l’embargo, la question des droits de l’homme à Cuba. Bien évidemment, le gouvernement américain et la Fondation affirmèrent haut et fort que le combat des États‑Unis contre les violations des droits de l’homme commises par le gouvernement castriste était mené au seul bénéfice de la population cubaine.

16 Tout tend à prouver que, durant les présidences de Ronald Reagan et de George Bush, la question des droits de l’homme a bien été utilisée par la Fondation et par les deux présidents républicains pour promouvoir leurs intérêts respectifs et jeter le discrédit sur le régime castriste. En 1983, Ronald Reagan fut, notamment, à l’origine de la création de la « Fondation Nationale Pour la Démocratie » (National Endowment for Democracy, NED), une organisation promouvant des groupes démocratiques présents dans des pays gouvernés par des régimes totalitaires. Loin d’être créé en tant qu’organisme du gouvernement fédéral américain, le NED reçut un statut d’organisation non‑gouvernementale même si, dès sa création, le gouvernement

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américain finança largement ses activités. Les groupes dissidents cubains et, surtout, cubano‑américains, firent partie, dès 1983, des bénéficiaires de l’aide financière et matérielle accordée par le NED. Grâce, probablement, aux liens étroits qui unissaient le président Reagan et la Fondation Nationale Cubano‑Américaine, cette dernière fut le premier bénéficiaire des fonds du NED destinés à Cuba45. La Fondation en profita, alors, pour financer une organisation des droits de l’homme située en Espagne et dirigée par Armando Valladares, un ancien prisonnier politique cubain à la réputation très controversée46. Ayant affirmé qu’il était paralysé et qu’il ne bénéficiait d’aucun soin dans la prison cubaine dans laquelle il était emprisonné, il avait obtenu le soutien de nombreuses personnalités et, notamment, de François Mitterrand. En 1982, il fut libéré par le gouvernement castriste suite à la demande de François Mitterrand mais quelle ne fut pas la surprise des gens quand il descendit en marchant de l’avion qui l’avait amené à Madrid47 ! Bien que la Fondation prétendît le contraire, tout tend à prouver qu’elle fut même la fondatrice de cette « Coalition Européenne pour les Droits de l’Homme à Cuba » et que ce fut elle qui choisit de placer à sa tête le personnage controversé qu’était Armando Valladares. Nombreux furent ceux qui soulignèrent le fait que la Fondation octroyait illégalement des fonds du NED à la « Coalition Européenne ». En effet, Armando Valladares, bien qu’il n’eût pas le droit d’intervenir publiquement aux États‑Unis, témoigna devant le Congrès américain et parla devant les étudiants d’un campus américain48. La Fondation utilisa aussi les fonds du NED pour financer ASOPAZCO (Asociacion por la Paz Continental, Association pour la Paix Continentale), une autre organisation des droits de l’homme située, quant à elle, en Amérique Latine et dirigée par Luis Zuñiga, un des directeurs de la Fondation. Enfin, grâce aux fonds du NED, la Fondation aida aussi matériellement et financièrement des groupes dissidents cubains dont le Comité Cubain pour les Droits de l’Homme à Cuba, le premier groupe dissident des droits de l’homme créé à Cuba49.

17 L’année 1987 fut un moment important dans le processus de dénonciation par le gouvernement américain et la Fondation Nationale Cubano‑Américaine des violations des droits de l’homme commises à Cuba. En effet, ce fut la première fois que le gouvernement américain — et, en arrière‑plan, la Fondation — chercha à obtenir une condamnation de Cuba pour non‑respect des droits de l’homme au niveau de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU. Pour parvenir à leurs fins, les États‑Unis et la Fondation financèrent les voyages à Genève d’anciens prisonniers politiques cubains et de dissidents exilés aux États‑Unis. Ces derniers témoignèrent des abus dont ils avaient été victimes ou dont ils avaient été témoins à Cuba. La Fondation réussit également à faire nommer, au sein de la délégation américaine, Armando Valladares « ambassadeur spécial à l’ONU ». Ce denier recevait, pourtant, un salaire du NED, vivait à Madrid et ne parlait pas couramment l’anglais50.Grâce au soutien des pays de l’Est et de nombreux pays latino‑américains, Cuba ne fut pas condamnée en 198751. L’année 1988 fut, elle aussi, marquée par un événement dont la Fondation se réjouit dans un premier temps. Avec l’accord préalable du gouvernement cubain, une délégation de l’ONU voyagea à Cuba pour constater si les droits de l’homme étaient respectés dans l’île. Au grand désarroi de la Fondation, Cuba ne fut, finalement, pas condamnée pour des cas avérés de non‑respect des droits de l’homme52. La première condamnation du gouvernement castriste par la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU n’intervint qu’en 199153. Depuis cette date, le gouvernement cubain fut, chaque année, l’objet de condamnations par la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU, exception faite de

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l’année 1998 au cours de laquelle ce furent les États‑Unis qui furent accusés par l’ONU de maintenir un embargo injuste contre Cuba54.

18 Au cours de l’année 2000, la Fondation Nationale Cubano‑Américaine qui se montrait déjà on ne peut plus critique vis‑à‑vis de la nouvelle politique économique du gouvernement de Bill Clinton à l’encontre de Cuba s’insurgea contre une déclaration que fit Bill Clinton. Suite à la condamnation de Cuba par l’ONU, le président démocrate se dit prêt à accepter que Fidel Castro restât au pouvoir et fût même l’instigateur de meilleures relations entre Cuba et les États‑Unis s’il s’engageait à respecter les droits de l’homme et à promouvoir la démocratie à Cuba55.

19 En 1985 et en 1990, les créations de Radio et TV Marti par le gouvernement américain contribuèrent également à faire de la défense des droits de l’homme à Cuba un sujet de tout premier ordre dans la politique américaine à l’encontre du régime castriste. Ces deux médias du gouvernement américain furent créés dans le but de fournir des informations objectives et non censurées au peuple cubain. Radio Marti se vit attribuer une autre mission : elle devait servir de tribune d’expression aux dissidents cubains56. Malgré l’opposition de nombreux députés et sénateurs à la création de Radio Marti et malgré les menaces de Fidel Castro de brouiller les ondes de la radio ainsi que celles d’autres stations de radio américaines57, le président Reagan décida de créer, avec le soutien de la Fondation Nationale Cubano‑Américaine, Radio Marti. Cependant, la station de radio se retrouva très vite sous le contrôle de la Fondation et, surtout, de son président, Jorge Mas Canosa, qui fut nommé président du « Bureau Consultatif pour les Programmes Radiodiffusés et Télévisés vers Cuba » (Advisory Board for Cuba Broadcasting)58. Jorge Mas Canosa profita de sa position au sein des instances supervisant Radio et TV Marti pour faire de Radio Marti sa tribune d’expression. Il émit, notamment, sur les ondes de Radio Marti, des critiques virulentes à l’encontre des exilés cubains ne défendant pas les mêmes idées que la Fondation. Jusqu'à la mort de Jorge Mas Canosa en 1997, il semble que Radio Marti ait donné la parole, avant tout, à des dissidents cubains qui étaient favorables aux thèses de la Fondation59. L’objectivité de Radio Marti fut, par conséquent, rapidement remise en cause. A ce titre, des membres du Congrès essayèrent, à plusieurs reprises, de mettre fin à ses activités. Certains des dirigeants de Radio Marti dont Jorge Mas Canosa et Rolando Bonachea, le directeur des programmes, lui aussi membre de la Fondation, furent les objets d’une enquête judiciaire fédérale. Malgré des preuves irréfutables quant à la non‑objectivité de Radio Marti, aucune poursuite ne fut engagée contre eux suite à cette enquête60. La mort de Jorge Mas Canosa en 1997 mit un point d’arrêt définitif à toute enquête relative à sa participation dans les instances dirigeantes de Radio et TV Marti. Malgré le manque avéré d’objectivité de Radio Marti et malgré le fait que les ondes de la radio fussent assez efficacement brouillées par Cuba, Radio Marti continua à être financée par le gouvernement fédéral américain. TV Marti fut, quant à elle, créée en 1990 par George Bush qui fut soutenu, dans ce projet, par la Fondation Nationale Cubano‑Américaine61. Tout comme ce fut le cas pour Radio Marti, un grand nombre de sénateurs et députés s’opposèrent à la création d’une télévision émettant vers Cuba. Il s’avéra assez vite que, tout comme l’avaient prédit les opposants à la création de TV Marti, la station de télévision se révéla être un échec. En effet, le brouillage de ses ondes par le gouvernement cubain lui ôta, dès ses premières émissions, toute capacité de diffusion à Cuba62. Toutefois, sous la pression de la Fondation et de la communauté exilée anti‑castriste, le gouvernement américain continua à financer la station de télévision. Même si le peuple cubain ne pouvait capter la télévision, la Fondation

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considérait que TV Marti avait, tout de même, une utilité puisque le brouillage de ses ondes engendrait des dépenses importantes au gouvernement castriste63.

20 En ce qui concerne les actions menées par la Fondation Nationale Cubano‑Américaine dans le domaine des droits de l’homme, la première de ses initiatives consista à créer, en 1990, sa propre station de radio, la « Voix de la Fondation » (Voz de la Fundacion). L’organisation cubano‑américaine affirma qu’elle allait faire de la « Voix de la Fondation » une tribune d’expression pour tous les dissidents cubains64. La « Voix de la Fondation » devint, en fait, une tribune de propagande pour la Fondation : sur les ondes, étaient diffusés des propos virulents et critiques à l’égard autant de Fidel Castro que d’exilés cubains désireux d’engager un dialogue avec le gouvernement castriste65. De plus, la Fondation prit pour habitude de diffuser sur les ondes de sa radio des témoignages de dissidents favorables aux idées qu’elle défendait. Dans les années 1990, elle donna, d’ailleurs, particulièrement la parole aux membres du groupe dissident cubain formé en 1991, la « Coalition Démocratique Cubaine » (Coalicion Democratica Cubana). Cette coalition regroupait six groupes dissidents cubains qui partageaient clairement les principes prônés par la Fondation, c’est‑à‑dire le refus d’engager un quelconque dialogue avec le régime cubain et la promotion d’une politique de renforcement de l’embargo américain contre Cuba66. Certains affirmèrent même que la Fondation était la fondatrice de cette coalition de groupes dissidents cubains et que, par le biais de cette coalition, elle tentait de mettre de préparer son entrée dans une future Cuba post‑castriste. La Fondation Nationale Cubano‑Américaine utilisa d’autres stations de radio anti‑castristes de Miami comme tribunes de propagande67. Enfin, elle créa sa propre maison de publication, la « Fondation pour les Etudes Cubano‑Américaines » (Endowment for Cuban American Studies) pour diffuser ses thèses anti‑castristes ainsi que les témoignages de dissidents cubains et d’anciens prisonniers politiques cubains68. En 1993, la Fondation décida, finalement, de s’organiser plus spécifiquement dans le domaine des droits de l’homme afin de donner plus de légitimité et de poids à sa lutte controversée pour les droits de l’homme. Elle créa la « Fondation pour les Droits de l’Homme à Cuba » (Foundation for Human Rights in Cuba ; FHRC). En plus de la « branche » principale de la FHRC située à Miami, la Fondation fonda treize autres délégations nationales et internationales ; leur mission était de disséminer des informations relatives aux violations des droits de l’homme commises par le gouvernement castriste à Cuba69. Dans le cadre de cette « Fondation pour les Droits de l’Homme à Cuba », la Fondation créa aussi le « Moniteur des Droits de l’Homme » (Human Rights Monitor), un journal consacré à la dénonciation des violations des droits de l’homme. Pour mener au mieux cette tache de divulgation, l’organisation cubano‑américaine affirma qu’elle entretenait des contacts téléphoniques réguliers avec de nombreux dissidents cubains70. Au cours des années 1990, la Fondation Nationale Cubano‑Américaine organisa également des expositions ayant pour thème la situation des droits de l’homme à Cuba. La première exposition intitulée « Couverture du Génocide de Fidel Castro » (Quilt of Fidel Castro’s Genocide) consista à montrer à Genève, à Washington et dans plusieurs universités américaines et étrangères une couverture faite de 10 000 petits carrés de tissu, chacun des carrés représentant une victime de la politique répressive du régime castriste. Au cours d’une seconde exposition appelée « Cuba, Un Pays de Larmes et de Mort » (Cuba, A Country of Tears and Death), la Fondation construisit des modèles grandeur nature de cellules d’enfermement et de torture. Elle exposa aussi une collection d’embarcations de fortune utilisés par des « balseros » cubains pour traverser le Détroit de Floride. Dan

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cette exposition itinérante qui eut lieu dans plusieurs pays latino‑américains et dans plusieurs villes américaines, la Fondation tenta de toucher l’opinion publique en montrant une série de photographies représentant les souffrances endurées par les prisonniers politiques cubains, par les « balseros » cubains et par le peuple cubain71.

21 Bien que la Fondation Nationale Cubano‑Américaine n’eût cessé d’affirmer qu’elle consacrait ses efforts au « rétablissement de la paix et de la démocratie à Cuba »72, ses détracteurs tentèrent d’utiliser les médias pour rétablir la vérité sur les ambitions de la Fondation. Il était devenu évident aux opposants du lobby cubano‑américain que, lorsque la Fondation réussissait à manipuler l’opinion publique en se servant habilement des médias qu’elle contrôlait, son influence en ressortait grandie. Dans les années 1990, les opposants à la Fondation entreprirent, donc, d’organiser une campagne « anti‑Fondation » dans les médias puisqu’il devenait, alors, indéniable que la Fondation était prête à tout pour arriver à ses fins.

22 La principale cible des attaques lancées contre l’organisation d’exilés cubains ne fut autre que son fondateur et son président charismatique, Jorge Mas Canosa. En plus de vilipender ses adversaires dans les médias, il n’épargnait aucune autre méthode pour aller jusqu'à « détruire » des ennemis potentiels. L’une des victimes de ce que la journaliste Ann Louise Bardach appela la « mégalomanie, la cruauté [et] l’intolérance »73 de Jorge Mas Canosa ne fut autre que son frère, Ricardo Mas. Ce dernier intenta deux procès à Jorge Mas Canosa : un premier en 1980 pour coups et blessures et pour vol et un deuxième en 1990 pour diffamation. La véracité de ces deux accusations fut confirmée par Jorge Mas lui‑même puisque, dans les deux cas, il essaya d’étouffer l’affaire en versant des sommes d’argent substantielles à son frère74. Dans les années 1990, ce fut au tour de Mario Baeza de devenir l’une des cibles de la « mégalomanie, la cruauté [et] l’intolérance » du président de la Fondation. Mario Baeza qui devait devenir le nouveau Secrétaire‑assistant aux Affaires Interaméricaines dut, sans nul doute, sa non‑nomination à ce poste à Jorge Mas Canosa. Ce dernier considérait que Mario Baeza était « insuffisamment anti‑castriste » mais, surtout, il ne pouvait pardonner à Mario Baeza son refus de le rencontrer à Miami75. En 1991, Jorge Mas Canosa fit, une nouvelle fois, preuve d’arrogance lorsqu’il refusa de témoigner devant le « Sous‑Comité Torricelli ». Il dit ne pas vouloir être auditionné par les membres du Congrès en même temps que des exilés cubains prêts à engager un dialogue avec Fidel Castro76.

23 Les journalistes opposés à la Fondation s’évertuèrent également à dénoncer la place prépondérante que tenait l’argent dans les affaires et les ambitions de la famille Mas et de la Fondation. En ce qui concerne la famille Mas, le succès de son entreprise, MasTec, Inc., ne pouvait qu’apparaître évident puisqu’en l’an 2000, la Fondation affirma que l’entreprise avait des « revenus annuels de plus de un milliard de dollars »77. En fait, le désir de pouvoir et d’argent était si fort dans la famille Mas que Jorge Mas Canosa n’hésita pas, au début des années 1990, à investir dans des entreprises chinoises. Il n’eut apparemment aucun scrupule à investir de grosses sommes d’argent dans un pays communiste comme la Chine alors que, dans le même temps, il voulut interdire les entreprises américaines d’investir à Cuba. En 1997, l’argent fut aussi au cœur d’une controverse concernant un contrat signé par le Comté de Miami‑Dade et la famille Mas. Une enquête fut menée pour déterminer si le montant du contrat n’avait pas été surestimé78. En 1980, Jorge Mas Canosa avait déjà été accusé de faits similaires par un

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ancien membre de la Fondation. Ce dernier avait affirmé qu’il existait « un réseau d’intérêts commerciaux au sein de celle‑ci [la Fondation] »79.

24 L’argent fut aussi à l’origine du succès de la Fondation. En effet, par le biais de son « Comité d’Action Politique » (Political Action Committee) financé par les contributions annuelles des membres du lobby anti‑castriste, la Fondation réussit à contribuer au financement des campagnes électorales de nombreux hommes politiques républicains et démocrates80. Parmi les bénéficiaires du Comité d’Action Politique de la Fondation, se démarquèrent des hommes et des femmes comme Dan Quayle, Ileana Ros‑Lehtinen, Lincoln Diaz‑Balart, Connie Mack, Robert Menendez, Robert Torricelli, George Bush, Ronald Reagan et Bill Clinton81. La plupart de ces hommes politiques étaient encore, à la veille de l’élection présidentielle de 2001, les « pit bulls loyaux » de la Fondation qui se vantait de pouvoir « changer des votes grâce aux donations [faites aux hommes] politiques »82.

25 Toutefois, la recherche du profit et l’usage de l’argent pour contrôler et influencer l’opinion publique américaine n’apparut, dès les années 1990, que comme une première étape dans la stratégie de la Fondation Nationale Cubano‑Américaine. Les détracteurs du lobby anti‑castriste ne tardèrent pas à affirmer que le lobby cubano‑américain se préparait à contrôler financièrement et politiquement une future Cuba post‑castriste. D’ailleurs, la Fondation ne nia pas le fait qu’elle désirait « s’engager corps et âme dans la reconstruction de ce que le communisme [aurait] détruit »83. En 1992, elle publia un « Programme de Transition » applicable dès la chute du régime castriste84. Elle créa aussi un programme appelé le « Corps Mission Marti » (Mission Marti Corps). Ce projet avait pour but de former de jeunes cubano‑américains afin que ces derniers fussent en mesure de prendre part à la reconstruction d’une Cuba démocratique85. La Fondation forma également une commission d’experts en économie ; ce projet reçut le nom de « Commission Ruban Bleu pour la Reconstruction Economique de Cuba » (Blue Ribbon Commission for the Economic Reconstruction of Cuba)86.

26 Il n’en reste pas moins que la réelle ambition de la Fondation était d’installer son président, Jorge Mas Canosa, à la tête de l’île et, ainsi, de prendre le contrôle de Cuba. Cependant, étant donné que le président du lobby anti‑castriste affirma que le meilleur gouvernement à Cuba serait une « junte militaire »87, il était, donc, on ne peut plus difficile de croire que la Fondation établirait une démocratie à Cuba. Il apparut aussi que la seconde étape pour la Fondation était de « vendre des actions » dans une Cuba post‑castriste. En effet, Jorge Mas Canosa ne se vanta‑t‑il pas, en 1992, de pouvoir rassembler « quatre milliards de capitaux d’investissement auprès de cubano‑américains et un milliard de plus par an auprès de Wall Street pour acheter des propriétés d’état cubaines »88 ?

27 Cependant, afin de parvenir à prendre le contrôle financier et politique de Cuba, il restait encore un obstacle de taille à franchir. La Fondation se devait de précipiter la chute du régime castriste. A ce titre, le lobby anti‑castriste ne cessa d’affirmer qu’il utilisait des moyens légaux tel que son activité de lobbying au sein du Congrès américain. La Fondation ne manqua pas également de souligner son engagement à promouvoir « une solution non‑violente au problème cubain »89. Toutefois, deux affaires tendirent à prouver que la Fondation et son président étaient impliqués dans le financement d’actes terroristes à Cuba.

28 En octobre 1997, quatre exilés cubains interceptés en mer par les garde‑côtes américains avouèrent, au bout de quelques heures d’interrogatoire, que le but de leur

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expédition en mer était d’assassiner Fidel Castro durant le Sommet Ibéro‑américain devant se tenir au Venezuela. Les résultats de l’enquête menée suite à ces arrestations furent on ne peut plus surprenants. Il fut clairement démontré que le bateau su lequel se trouvaient les quatre exilés cubains appartenait à un membre de la Fondation. De plus, il s’avéra que l’une des armes saisies sur le bateau était la propriété de Pepe Hernandez, le président du lobby anti‑castriste. Malgré ce faisceau de preuves convergentes, aucune poursuite n’avait été encore engagée à la veille de l’élection présidentielle de 200190.

29 En juillet 1998, un exilé cubain du nom de Luis Posada Carriles déclara, dans un entretien qu’il accorda à des journalistes américains, que sa « campagne d’attentats à la bombe et de tentatives d’assassinat visant à éliminer Fidel Castro (...) avait été financée pendant plus de dix ans par les dirigeants de la Fondation ». Luis Posada Carriles précisa également que Jorge Mas Canosa, le président de la Fondation décédé un an plus tôt, avait été son seul interlocuteur durant ces dix années91. Jorge Mas Santos devenu le principal dirigeant de la Fondation depuis la mort de son père réagit immédiatement à ces révélations faites par le New York Times. Il menaça le journal de le poursuivre en justice pour diffamation. Il avait, en effet, en sa possession une autre interview de Luis Posada Carriles qui démentait toute accusation contre la Fondation ou Jorge Mas Canosa. Cette menace et la campagne médiatique de la Fondation contre le New York Times mirent un terme à cette affaire92.

30 La campagne médiatique visant la Fondation Nationale Cubano‑Américaine, les enquêtes menées sur les agissements de Jorge Mas Canosa au sein de Radio et TV Marti, la mort du président charismatique de la Fondation en 1997 et la victoire de Fidel Castro dans « l’affaire Elian Gonzalez » contribuèrent à affaiblir considérablement le puissant lobby anti‑castriste. A la veille de l’élection présidentielle de 2001, il était indéniable que la Fondation avait perdu un grand nombre d’adhérents et, surtout, qu’elle jouait un rôle moindre sur la scène politique américaine. Pourtant, en l’an 2000, la Fondation tenta de revenir sur le devant de la scène en organisant une campagne publicitaire contre une probable levée de l’embargo contre Cuba93. De plus, la Fondation n’hésita pas à affirmer haut et fort son soutien au candidat républicain aux élections présidentielles, George W. Bush. Ce dernier avait très judicieusement assuré au lobby anti‑castriste : « Je continuerai à maintenir les sanctions [contre Cuba] si je suis élu président »94. Cependant, en juillet 2000, malgré le lobbying de la Fondation au sein du Congrès, ce dernier envoya deux experts à Cuba pour déterminer quels seraient les effets d’une levée de l’embargo95. Le 20 juillet 2000, les deux Chambres du Congrès autorisèrent également la vente de certains produits alimentaires et pharmaceutiques à Cuba96.Si le Congrès américain venait, prochainement, à décider une levée des sanctions économiques à l’encontre de Cuba, cette mesure ne porterait‑elle pas un coup fatal à une Fondation Nationale Cubano‑Américaine engagée, corps et âme, dans le maintien de l’embargo contre Cuba ? A la veille de l’élection présidentielle de 2001, il semblait de plus en plus évident qu’une levée de l’embargo pourrait réellement sceller le destin du plus puissant lobby anti‑castriste aux États‑Unis.

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8. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « The Alternatives of Freedom, A Statement of Principles and Objectives for a Free and Democratic Cuba », Miami, Colonial Press ; voir Jorge Mas Canosa, « Our Mission », 3. 9. Donna Rich Kaplowitz et Michael Kaplowitz Esq., « New Opportunities for U.S.-Cuban Trade », The Cuban Studies Program, The Paul K. Nitze School of Advanced International Studies, John Hopkins University. 10. Juan Gabriel Tokatlian, Cuba y Etados Unidos : un debate para la convivencia, Buenos Aires, Grupo Editor Latinoamericano, 1984 ; voir Riordan Roett, « Politica Exterior de Cuba y EE.UU. », 63-64. 11. Maria Cristina Garcia, Havana USA, Cuban Exiles and Cuban Americans in South Florida, 1959-1994, États-Unis, University of California Press, 1996 ,156 ; Nichols, « The Power of the Anti-Fidel Lobby », 390. 12. Kaplowitz, « New Opportunities for U.S.-Cuban Trade », 62 et 64. 13. Feliu, El Rescate de una Nacion, 197. 14. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « The Alternatives of Freedom... », 15. 15. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « Transition Program » : http:// www.canfnet.org/canf-lib/trnsition.txt(02/12/1999). 16. Ann Louise Bardach, « Our Man in Miami », The New Republic, 3 octobre 1994, 21. 17. « The Cuban Libertad and Democratic Solidarity Act of 1995 » 104th Congress, 1st Session, in the Senate of the United States, February 9 (legislative day, January 30), 1995 : http://www.canfnet.org/canf-lib/s.381_rts.txt (02/12/1999). 18. Fondation Nationale Cubano-Américaine, Cuba Survey, Special Report, « Peeking Behind the Curtain ; Sanctions, Big Business, and U.S. Foreign Policy », automne 1998 ; voir l’article « The Sanctions Sellout », 4. 19. U.S. Department of State, International Information Programs, « Text : White House January 15 Statement on Cuba Sanctions », 18 janvier 2000 : http://www.usia.gov/ regional/ar/us-cuba/wh1500.htm (13/02/00). 20. IFCO, « An IFCO/Pastors for Peace Analysis of President Clinton’s Announcement of « Proposals to Assist Cubans » » : http://www.ifconews.org/clinton.html (16/03/2000). 21. Fondation Nationale Cubano-Américaine, Cuba Survey, Special Report, « Peeking Behind the Curtain... » ; voir l’article « The Sanctions Sellout », 5. 22. USA*Engage, « USA*Engage Calls New Trade Rules with Cuba a « Modest Step » », 19 mai 1999 : http://www.usaengage.org/resources/pressreleases.html - MAY99 ! (08/01/2000). 23. Fondation Nationale Cubano-Américaine, Cuba Survey, Special Report, « Peeking Behind the Curtain... » ; voir l’article « The Sanctions Sellout », 8 ; voir aussi Ken Silverstein, « So you want to trade with a dictator ? », Mother Jones Magazine, mai/juin 1998, 10. 24. Portes, City on the edge..., 19-23. 25. Feliu, El Rescate de una Nacion, 34. 26. Garcia, Havana USA..., 74-75. 27. Felix Roberto Masud-Piloto, From Welcomed Exiles to Illegal Immigrants, Cuban Migration to the U.S., 1959-1995, New York City, Rowman and Littlefield Publishers, Inc., 1996, 133-134. 28. Garcia, Havana USA..., 76,77 et 152. 29. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « Cuban Exodus Relief Fund, Inc. » : http://www.canfnet.org/english/prgexodu.htm (28/11/1999). 30. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « Cuban Exodus Relief Fund, Inc. ».

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31. Feliu, El Rescate de una Nacion, 108. 32. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « Cuban Exodus Relief Fund, Inc. ». 33. Masud-Piloto, From Welcomed Exiles to Illegal Immigrants..., 133. 34. Jean-François Fogel et Bertrand Rosenthal, Fin de siècle à La Havane : les secrets du pouvoir cubain, Paris, Editions Du seuil, 1993, 394. 35. Fogel, Fin de siècle à La Havane..., 395-396. 36. Garcia, Havana USA..., 178. 37. Masud-Piloto, From Welcomed Exiles to Illegal Immigrants..., 136. 38. Peter Kornbluh, « Cuba No Mas », The Nation, 29 mai 1995, 745. 39. Bardach, « Our Man in Miami », 25. 40. Masud-Piloto, From Welcomed Exiles to Illegal Immigrants..., 134 ; Garcia, Havana USA..., 80. 41. Masud-Piloto, From Welcomed Exiles to Illegal Immigrants..., 142-143. 42. Masud-Piloto, From Welcomed Exiles to Illegal Immigrants..., 128. 43. Feliu, El Rescate de una Nacion, 204 ; Christopher Marquis, « U.S., Cuba set to resume talks on immigration », The Miami Herald, 28 novembre 1996. 44. Emilie Descout, « The Cuban American National Foundation : influence on the U.S. administrations and manipulation of the public opinion », mémoire de maîtrise, UFR de Lettres, Langues et Sciences Humaines, Université d’Orléans, 2000 ; voir le chapitre « The Elian Gonzalez case : a good opportunity for the CANF to regain its influence and to put an end to the U.S.-Cuban cooperation ». 45. Nichols, « The Power of the Anti-Fidel Lobby », 389. 46. Nichols, « The Power of the Anti-Fidel Lobby », 391 ; Ralph McGehee, « Cloaks and Daggers ; Worldwide Covert Operations », 6 septembre 1996, 4 : http:// www.infowar.com/iwftp/cloaks/090696.html-ssi (12/05/2000). 47. Earl Shorris, « Imaginary Persons, Imaginary Prisons », The Nation, 20 décembre 1986, 708-714. 48. Nichols, « The Power of the Anti-Fidel Lobby », 391 ; McGehee, « Cloaks and Daggers... », 4. 49. McGehee, « Cloaks and Daggers... », 4. 50. Garcia, Havana USA..., 160-161 ; Feliu, El Rescate de una Nacion, 128. 51. Garcia, Havana USA..., 161. 52. Garcia, Havana USA..., 161-162 ; Fondation Nationale Cubano-Américaine, « The Alternatives of Freedom... », 7. 53. Garcia, Havana USA..., 162. 54. Amnesty International, « Amnesty International Report 1999 : CUBA » : http:// www.amnesty.org/ailib/aireport/ar99/amr25.htm(31/03/2000). 55. U.S. Department of State, Office of the Spokesman, « U.S. Response to Decision of UNHCR to Pass Cuba Resolution », 18 avril 2000 : http://www.humanrights-usa.net/ cuba.html (19/04/00). 56. « Office of Cuba Broadcasting » : http://www.ibb.gov/marti/english/marti.html - radio (29/11/1999). 57. Smith, Subject to Solutions..., 151. 58. Feliu, El Rescate de una Nacion, 78-79. 59. Entretien avec M. Tristan Mattelart, maître de conférence à l’Institut Français de Presse à l’Université Paris II, à propos de Radio et Télévision Marti (15 décembre 1999). 60. Christopher Marquis, « State Department exonerates Radio, TV Marti management, The Miami Herald, 4 février 1997.

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61. Gaeton Fonzi, « Who is Jorge Mas Canosa ? », Esquire, janvier 1993, 89. 62. Peter Kornbluh et John Elliston, « Will Congress Kill TV Marti ? », The Nation, 22/29 août 1994, 195. 63. Fonzi, « Who is Jorge Mas Canosa ? », 89. 64. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « La Voz de la Fundacion » : http:// www.canfnet.org/english/prgvoz.htm (29/11/1999). 65. Feliu, El Rescate de una Nacion, 162 et 165. 66. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « Cuba in Crisis, Proceedings from a conference sponsored by the Cuban American National Foundation, J. W. Marriott Hotel, Washington DC », 26 octobre 1993 ; voir Ninoska Pérez-Castellon, « Coping in Cuba ; The Internal Opposition Movement ». 67. Bardach, « Our Man in Miami », 23-24. 68. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « The Endowment for Cuban American Studies » : http://www.canfnet.org/english/prgendow.htm (26/11/1999). 69. Feliu, El Rescate de una Nacion, 133-134. 70. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « Foundation for Human Rights in Cuba » : http://www.canfnet.org/english/prgfhrc.htm (26/11/1999). 71. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « Foundation for Human Rights in Cuba » ; Feliu, El Rescate de una Nacion, 134 et 136. 72. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « Cuba in Crisis... », page de garde. 73. Bardach, « Our Man in Miami », 24. 74. Bardach, « Our Man in Miami », 24 ; Fogel, Fin de siècle à La Havane..., 404. 75. Bardach, « Our Man in Miami », 21-22. 76. Fonzi, « Who is Jorge Mas Canosa ? », 88. 77. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « Jorge Mas Santos » : http:// www.canfnet.org/English/chairman.htm (26/07/2000). 78. Ann Louise Bardach et Larry Rother, « Investigation Leads to Plot to Kill Castro by Powerful Cuban Lobby », The New York Times, 5 mai 1998. 79. Fogel, Fin de siècle à La Havane..., 404. 80. Garcia, Havana USA..., 149-150. 81. Garcia, Havana USA..., 147 ; Bardach, « Our Man in Miami », 21 ; Nichols, « The Power of the Anti-Fidel Lobby », 390. 82. Garcia, Havana USA..., 147. 83. Jorge Mas Canosa, « Our Mission » : http://www.canfnet.org/english/(20/11/1999). 84. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « Transition Program ». 85. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « Mission Marti » : http:// www.canfnet.org/english/prgmarti.htm (26/11/1999) ; Fondation Nationale Cubano- Américaine, « Transition Program ». 86. Fondation Nationale Cubano-Américaine,« Blue Ribbon Commission for the Economic Reconstruction of Cuba » : http://www.canfnet.org/english/prgblue.htm (26/11/1999). 87. Bardach, « Our Man in Miami », 24. 88. U.S. News and World Report, « After Castro Moves Out », 4 mai 1992, 42. 89. Fondation Nationale Cubano-Américaine, « FAQs on U.S. Policy Toward Cuba » : http://www.canfnet.org/english/faquspol.htm (20/11/1999). 90. Bardach et Rother, « Investigation Leads to Plot to Kill Castro... » ; Jane Franklin, « Gunning for Castro », The Nation, 15 décembre 1997, 6-7.

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91. Ann Louise Bardach et Larry Rother, « Cuba attacks funded with Mas’ money, exile claims », New York Times Service, The Miami Herald, 12 juillet 1998. 92. The Associated Press, « Cuban Exile Group to Sue New York Times », 15 et 16 juillet 1998 : http://www.cubanet.org/Cnews/y98/jul98/16e4.htm (09/01/2000). 93. Fondation Nationale Cubano-Américaine, CANFNET Press Releases, « Cuban American Groups Launch TV Ad to Counter Big Business Maneuvers Aimed at Overturning the Trade Embargo », 14 juin 2000 : http://www.canfnet.org/English/ archives/Press/14jun00.htm (16/08/2000). 94. Fondation Nationale Cubano-Américaine, CANFNET Press Releases, « CANF Applauds Governor Bush », 11 août 2000 : http://www.canfnet.org/English/archives/ Press/11aug00.htm(16/08/2000). 95. U.S. Department of State, International Information Programs, « U.S. Trade Experts Examining Effects of Embargo on Cuba », 19 juillet 2000 : http://www.usinfo.state.gov/ regional/ar/us-cuba/embargo19.htm(16/08/2000) 96. U.S. Department of State, International Information Programs, « White House Hopes to Work with Congress on Easing Cuba Sanctions », 24 juillet 2000 : http:// www.usinfo.state.gov/regional/ar/us-cuba/cuba24.htm (16/08/2000).

RÉSUMÉS

Après avoir écrit un mémoire de maîtrise sur la Fondation Nationale Cubano-Américaine et un mémoire de DEA sur les relations entre le gouvernement américain, l’exil cubain et la dissidence interne cubaine, Émilie Descout prépare actuellement, sous la direction de Mme Divina Frau- Meigs, une thèse sur les groupes de l’exil cubain à Miami. En 2002-2003, elle a été lauréate d’une bourse Fulbright qui lui a permis de conduire des recherches au Centre d’Etudes latino- américaines de l’Université de Miami. Ce texte est un extrait remanié de son mémoire de DEA.

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Varia

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Quand Hollywood lave plus blanc... A propos de La couleur du mensonge

André Bleikasten

1 Alexandre Dumas pensait (je cite de mémoire) que « l’on peut violer l’Histoire à condition de lui faire un bel enfant ». Il savait de quoi il parlait, il lui en avait fait d’assez beaux. La métaphore, c’est entendu, n’est pas du meilleur goût, mais, s’agissant de la question toujours controversée de l’adaptation cinématographique, l’idée me paraît assez juste. Un cinéaste peut s’emparer d’un roman pour le malmener, le triturer et le défigurer, le tirer vers lui au point de le rendre méconnaissable. Peu nous importe s’il a assez de force et d’imagination pour en faire un film à lui. Quand Stroheim adapte McTeague, Orson Welles Le Procès ou John Huston Dubliners, il nous indiffère qu’ils aient été fidèles ou non à Norris, Kafka ou Joyce. L’important, c’est que d’une oeuvre ait pu s’engendrer une autre, que d’un texte‑prétexte ait pu naître un film qui tient debout par lui‑même.

2 On ne ferait donc pas grief à Robert Benton d’avoir « trahi » The Human Stain s’il avait réussi à tirer du roman de Philip Roth un film vraiment convaincant. Malheureusement, loin de faire preuve d’infidélité créatrice, Benton s’est contenté de mettre un roman âpre et turbulent en jolies images. La couleur du mensonge (pourquoi ce titre insipide en français ?) est bien « l’adaptation » d’une oeuvre littéraire aux normes hollywoodiennes et aux contraintes du star system. Certes, dans les dialogues on retrouve parfois la verve de Roth, mais le scénario de Nicholas Meyer privilégie — il fallait s’y attendre — la liaison clandestine de Coleman Silk et de Faunia Farley aux dépens de tout le reste. Disparus sans laisser de trace, les enfants de Coleman. La redoutable et exécrable Delphine Roux, figure majeure du roman, n’est plus qu’une silhouette furtive, et dans Nathan Zuckerman, sensiblement rajeuni, on a du mal à reconnaître le confident‑narrateur de Roth.

3 Restent les deux têtes d’affiche, Anthony Hopkins et Nicole Kidman. Ils sont, hélas, inoubliables : on n’oublie à aucun moment les stars en représentation pour découvrir les personnages à la dérive auxquels ils sont censés donner souffle et chair. Si Hopkins, en vieux lion encore rugissant, ne cabotine pas trop et réussit parfois à nous émouvoir, Nicole Kidman est trop belle, trop sûre de sa beauté et trop sûre d’elle‑même pour qu’on puisse croire un seul instant à son rôle de jeune paumée et elle‑même n’y a

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vraisemblablement pas cru. Ses qualités d’actrice ne sont pas en cause, mais elle n’est de toute évidence pas (encore) faite pour jouer les souillons, passer la serpillère ou traire les vaches.

4 Erreur de casting ? Oui, mais pas seulement. C’est le film tout entier qui nous laisse sur notre faim. Pourtant il ne commence pas trop mal : une atmosphère ouatée, un beau paysage hivernal, une voiture filant sur une route au milieu de bois enneigés. Et puis, sans tarder, l’accident fatal, la mort brutale des amants qui fait de la suite du récit un long retour en arrière. Benton et Meyer crurent bon de commencer par la fin et leur agencement narratif riche en flashbacks pouvait donner lieu à un film‑enquête passionnant. Mais manque ici l’énergie rageuse et ravageuse qui emporte l’écriture de Roth. Benton n’aime pas ce qui décape et dérange. Au lieu de chercher à restituer d’une manière ou d’une autre la sauvagerie du roman, il lisse, aplatit et affadit, s’emploie consciencieusement à banaliser le scandaleux et réussit le tour de force de neutraliser ce que le livre de Roth a de politiquement incorrect par la correction frileuse d’une mise en scène sans surprise.

5 Fin elle aussi prévisible de ce bref compte rendu : voir « La Couleur du mensonge » n’est pas un must ; allez plutôt (re)lire le superbe texte de Roth.

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Thèmes : Trans’Arts

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Superchic(k)

Anne Crémieux

1 Blondes, like most things, come in all shapes and colors. There’s the platinum blonde and the strawberry blonde, the classy blonde and the trashy blonde, the sunlit blonde and the ash blonde… and then of course, there’s the dumb blonde.

2 Except that, contrary to common knowledge, blondes are not things, and Elle Woods is not the kind of blonde who would even bother explaining what kind she is, genuine or fake, legal or dyed, certified or certifiable. She is she, Elle, womanhood incarnate, the epitome of self‑confidence who can will herself into Harvard Law, win a murder case on her acute knowledge of hair care, and trade in her prejudiced boyfriend for a sensitive, smart and successful gentleman lawyer. When he asks her how she thinks he’d look as a blond, Elle kindly smiles back and says: “I’m not sure you could handle it.” Does he know that being a blonde means keeping faith in yourself despite the universal expectations of vapidity everyone delights to see you meet?

3 Elle Woods is more than the Bel Air, rich girl type of blonde in a single, fundamental way—she is a blonde, Bel Air rich girl set on proving everybody wrong: though she may be a figure of beauty, she is not a brainless one. If only because being stereotyped at every turn makes you smarter, stronger, and possibly in this very case, blonder.

4 With , a team of hired filmmakers made the bold Hollywood bet that audiences of all backgrounds would care about this poor rich white girl who’s got every thing except that rich white boy who dumps her saying that if he wants to be a Senator by the time he’s thirty, he needs to marry a Jacky, not a Marilyn... The old stratagem works for one good reason: you’re not supposed to feel sorry for her. You are, however, supposed to laugh at her and, quickly enough, with her, around her and through her, no matter how dark and cynical a sense of humor you might have come to the theater with.

5 Legally Blonde is a parody, a parody of political correctness standing on its head. Elle Woods is president of her Delta Nu sorority, has a fashion major that includes an advanced class in history of polka dots, and she was in a Ricky Martin video. If Harvard’s dedication to diversity is more than just an empty claim, the middle‑aged white men who make up the admission office committee can only accept her. And yes,

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she’s got the required LSAT scores to apply. But Legally Blonde oversteps the parodic genre by giving credence to the character’s victimization, no matter how extreme her feminine behavior might seem. The assigned traits of the cheerful, voluptuous blonde are only an extension of discrimination against women. The plain, brown‑haired Vivian can’t help but notice that Callahan never asks the male interns to bring him coffee or fetch a file. Elle agrees, though such small offenses she quickly brushes off. But when sexual harassment ensues, she breaks down, telling her new best friend from the beauty parlor how Callahan only had one thing on his mind when he hired her... Because hair care is the true unifier of women and, for the third time in the film, the location for life‑changing revelations, Professor Stromwell, who had picked Elle out to humiliate her on her very first day of class at Harvard, rises from under her perm machine and declares: “If you’re going to let one stupid prick ruin your life, you’re not the girl I thought you were…” All women, blonde or brunette, old and young, rich and poor, serious and frivolous, seem to unite in the film finale to win the case of another blonde, who happens to have been framed by her jealous daughter‑in‑law. The daughter‑in‑law is a badly made‑up brunette blinded by her father’s remarriage to a woman her age. As for the perfect beau, he does not hesitate to break male solidarity and stand with the woman he loves. Maybe he could handle being a blonde after all.

6 Elle is a fashion expert, her “signature color” is pink, and she changes hairstyles more often than Brittany Spears. She’s going to law school with one motivation: to win her cruelly ambitious boyfriend back. But somewhere along the line, she takes up to the challenge and proves that even though she did wake up one morning and decide to go to law school, she also happens to have the brains for it, and for much more. She will be everything a man with a Harvard Law degree is allowed to be, without living by any masculinist standard of feminine strength. Not driven by ambition, but by female solidarity and her own sense of self, she never submits to the male establishment, to its spirit or its style. She stands chin high, but not above her own manicurist. She competes for her boyfriend and befriends her rival. She quits rather than accept a summer internship that involves sleeping with the boss. She never denies her Delta Nu sisters in spite of courtroom cheers that are not helping her credibility. And most of all, she wins her case wearing high heels and a pink suit. Who thought Barbie dolls were ahead of their time? Elle Woods is lipstick feminism revived.

7 Though the theme song for Legally Blonde is the cheerful “Perfect Day,” the credits roll on “One Girl Revolution:” “Some people see the revolution / But most only see the girl / I can lose my hard earned freedom / If my fear defines my world / I declare my independence / From the critics and their stones / I can fight my revolution / I can learn to stand alone.” Female rock‑‘n‘‑roll over heart‑dotted pink words has got to be the surest way to make you want for more…

8 Fortunately in this case, as always in Hollywood, original films that turn into an unexpected success suffer from the sequel syndrome. Legally Blonde has a 2: Red, White and Blonde, in which Elle goes to Washington to pass a bill to ban animal testing, including on cosmetics. A revolutionary plan indeed. You know you’re watching a sequel when the plot shifts to revolve around the main character’s pet... In LB2, little Bruiser the Chihuaha seeks his biological mom, falls in love with a Rottweiler, and helps his lover come out. Red, White and Blonde is still about being yourself, believing in what you do in spite of setbacks and treachery, and making friends in low as well as high places. The manicurist of the first film is traded in for the Senate’s doorman, who

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knows more about law than anyone else is willing to share with Elle. Older, harsh‑looking women in power are still Elle’s best allies in the end, and Elle’s job is still to convince no‑nonsense professional females, this time an African American woman who thinks bills concerning housing for the poor have priority over animal rights, that they are fighting for the same goals and have the same enemies: ambitious men and women who adhere to the patriarchal, corrupt functioning of society.

9 Where the first film excelled, the sequel partly fails, blending not‑so‑subtle feminism with overly broad parody. Nonetheless, the sequel is not a sole legacy in this particular case. Legally Blonde fueled a trend already announced by the popularity of the Powerpuff Girls cartoon or the Charlie’s Angels movies: women can be super fem and super strong, making fun of macho action heroes and going for the sensitive, righteous men—you know, the kind that you marry rather than enjoy a one‑night‑stand with and discard. And if anyone were to call these women men‑hating dykes, that would simply be a mistake, not an insult. Could feminism have found its third way, both undermining patriarchy and fighting for equal rights by just being your own strong female self? One thing at least is certain: it’s a lot more fun that way…

10 If you missed both Legally Blondes in the theaters, you can still catch the latest product of this female role‑model movie trend, Freaky Friday, a remake of the 1976 film featuring young Jodie Foster. In the 2003 version, mother and daughter live out each other’s complicated lives as career woman / struggling teenager whose boyfriends / husbands have a bit of a hard time keeping up with. As for that spoiled brat of a little brother stuck in his I‑hate‑girls phase yet craving motherly affection, he faces his own kind of challenge when his sister starts calling him honey and his mother drops him off 200 yards from school so he can get some exercise. Though Freaky Friday, like Legally Blonde, focuses on the women, the male characters are well‑rounded, intelligent beings fully included in the films. Maybe feminism is not about women after all, but about the woman in all of us females, males, Chihuahuas and Rottweilers... Elle Woods wouldn’t have it any other way.

11 Legally Blonde, directed by Robert Luketic, written by Amanda Brown, Karen McCullah‑Lutz, and Kristen Smith, starring Reese Witherspoon, 2001

12 Legally Blonde 2: Red, White and Blonde, directed by Charles Herman‑Wurmfeld, written by Amanda Brown, Eve Ahlert, and Kate Kondell, 2003

13 Freaky Friday, directed by Mark S. Waters, written by , Heather Hach, and Leslie Dixon, starring Jamie Lee Curtis and Lindsay Lohan, 2003

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Thèmes : Trans’Arts

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AUTEUR

ANNE CRÉMIEUX Université Paris 10 — Nanterre

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L’histoire d’un homme seul Pollock d’Ed Harris (2000)

Jean Foubert

1 En s’attaquant, pour son premier film en tant que réalisateur, à la biographie de Jackson Pollock, l’acteur Ed Harris (The Right Stuff de Philip Kaufman [1983], Absolute Power de Clint Eastwood [1997], The Truman Show [1998]) relève le défi tout à la fois passionnant et délicat de retracer la vie d’un véritable mythe de l’histoire culturelle américaine. Dans ce type d’exercice, le risque principal consiste à céder à une complaisance hagiographique posthume qui abuserait du stéréotype. Evoquer la vie d’un peintre tel que Pollock n’est pas, il est vrai, chose aisée tant la stature mythique de l’artiste paraît devoir aveugler le jugement. On le donne à voir comme la figure emblématique de l’expressionnisme abstrait et de l’ »action painting », le peintre américain le plus doué et, à coup sûr, le plus médiatique de sa génération, personnage exalté qu’on pourrait, dans la tradition des Hemingway, Malraux ou Picasso, situer quelque part entre le Don Quichotte de Cervantes et le Don Juan de Lord Byron. Pollock demeure, dans tous les cas, celui qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, installe l’Ecole de New York sur le devant de la scène artistique internationale, celui surtout dont on dit qu’il y a eu, dans l’histoire de l’art américain, un avant (nécessairement anonyme et provincial) et un après (obligatoirement ambitieux et triomphant). Comme l’a dit un Willem de Kooning enthousiaste, « Jackson broke the ice ». Dès son premier one‑man‑show à l’Art of this Century Gallery de Peggy Guggenheim en novembre 1943, il suscite l’intérêt de Clement Greenberg, de James Johnson Sweeney (qui écrit l’introduction du catalogue), de Grace Morley qui veut reconduire l’exposition dans son musée de San Francisco et d’Alfred Barr qui achète le tableau She‑Wolf (1943) pour le Musée d’Art Moderne de New York. Aux yeux de beaucoup, Jackson Pollock est ainsi cette figure héroïque qui éveille, aux Etats‑Unis comme ailleurs, l’intérêt de la critique et du public pour la peinture américaine. Parallèlement, son statut de « maverick », sa destinée tragique et l’individualisme désespéré dont il a fait preuve, confortent la dimension d’« angry young man » et d’artiste maudit.

2 Face à un tel sujet, on aurait pu craindre le pire. Cependant, on s’aperçoit, dès l’amorce du film, qu’Ed Harris prend bien soin d’éviter tout autant l’éloge que le lieu commun. Quand, au cours de l’exposition donnée en 1950 à la galerie de Betty Parsons, une

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admiratrice demande à Pollock de lui dédicacer le célèbre article du Life du 8 août 1949 qui lui est consacré, c’est moins pour rappeler le caractère flatteur et, à l’évidence, pompeux du titre de la publication (« Is Jackson Pollock the Greatest Living Painter in the United States ? ») que pour mesurer l’indifférence de l’artiste à cette forme de reconnaissance. On comprend ainsi d’emblée qu’en racontant la vie de Pollock, le parti d’Harris n’est naturellement pas celui d’une « success story » qui tourne mal mais, au contraire, celui d’un drame existentiel ou, comme on a pu l’entendre dire de l’action painting d’un De Kooning, celui d’une « mise en situation » de l’existence de l’artiste : Pollock est replié sur lui‑même, comme absent aux sollicitations du monde qui l’environne : il sonde tristement la foule à la recherche dans le hors‑champ d’un regard que le film nous révélera être plus tard celui de sa femme : Lee Krasner Pollock admirablement campée par Marcia Gay Harden.

3 La séquence d’ouverture du film définit instantanément le thème central du film, à savoir l’impossibilité poignante de Pollock à communiquer avec son entourage. Moins qu’un film sur l’art du peintre ou son statut d’artiste au sein de l’Ecole de New York, le Pollock d’Ed Harris doit d’abord se voir sous l’angle du mélodrame, de la triste histoire d’un homme horriblement seul. Pour l’acteur/réalisateur, la vérité d’un Pollock est en effet, d’abord, à rechercher du côté des rapports difficiles du peintre à ses proches (les scènes d’alcoolisme et d’hystérie en sont l’illustration souvent répétitive). Dans tous les cas, elle n’est pas à rechercher dans le milieu de l’art, du côté d’Howard Putzel que Pollock ignore superbement au moment de ses retrouvailles avec son ami Reuben Kadish (peintre relativement méconnu qu’il avait connu au lycée en Californie) ou du cercle d’amis de Peggy Guggenheim qu’il méprise totalement (se rappeler la soirée où il urine dans une cheminée).

4 Dans une perspective strictement mélodramatique, on peut certes admettre que cette indifférence du Pollock « harrissien » à la reconnaissance critique et publique de ses accomplissements picturaux veuille refléter un sentiment d’aliénation sociale. Toutefois cette position nous paraît également être le corollaire de l’attitude d’un réalisateur qui, à notre idée, sous‑estime, dans une bien trop large mesure, l’influence du milieu culturel new‑yorkais sur le développement de Pollock comme homme et comme peintre. Et on est en droit de se demander si, dans le désir d’amplifier l’isolement du peintre, Harris ne cède pas facilement au stéréotype de l’artiste inventeur d’un monde ex nihilo. De même, dans le désir de centrer son œuvre autour du couple Pollock, Harris tend parfois à surestimer le rôle de Lee Krasner dans la carrière de son mari (ainsi n’est‑ce pas elle mais Robert Motherwell qui présente Pollock à Peggy Guggenheim). De la sorte, le Pollock se donne un peu trop à voir comme l’artiste aliéné d’un monde artificiel qui, à l’exception de sa femme, paraît le comprendre au moins aussi peu que lui ne le comprend.

5 Si Harris évite avec habileté le piège de l’hagiographie, son film nous semble donc, par contre, présenter pour défaut de ne faire aucun cas (ou sinon si peu) de l’Ecole de New York, ce qui, pour une biographie de Pollock, est pour le moins déconcertant. On entend certes parler de John Graham, de Carl Gustav Jung, de cubisme et de surréalisme. On y voit aussi Lee Krasner lire avec ferveur les extraits d’une chronique de Clement Greenberg du Nation du 7 novembre 1943 (« Review of Exhibitions of Marc Chagall, Lyonel Feininger and Jackson Pollock »). Mais on ne sent nullement le désir de contextualiser l’œuvre et l’existence de Pollock au regard de mouvements intellectuels et esthétiques qui ont, pourtant, indéniablement contribué à façonner sa peinture et

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son existence. Des influences et de l’évolution du jeune Pollock, le film choisit ainsi de ne rien dire. Pourtant, la fascination des grands espaces californiens, les déceptions politiques, l’influence de Thomas Hart Benton et des muralistes mexicains auraient pu grandement éclairer l’art et la psychologie de Jackson Pollock. Cependant, l’émergence d’un milieu culturel à New York et l’idée d’une Ecole de New York semblent laisser Ed Harris totalement indifférents. Seuls véritables rescapés de l’amnésie harrisienne en ce domaine, Peggy Guggenheim et Clement Greenberg ne sont guère plus que des caractères pittoresques, véritables faire‑valoir de l’incompréhension et de la solitude de l’artiste : Guggenheim est l’aristocrate new‑yorkaise émancipée et vaniteuse tandis que Greenberg fait figure de critique sentencieux. Or si, sur un plan existentiel, Pollock a pu être ou se sentir seul et aliéné, il est beaucoup plus contestable qu’il est pu l’être sur un plan esthétique ou culturel.

6 Tout autant que les choix faits par Harris pour retracer l’existence de Pollock, la mise en scène de l’art de Pollock et de sa pratique picturale pose certaines questions. L’évolution de la peinture de Pollock du début des années quarante jusqu’à sa mort (le surréalisme expressionniste « bentonien » de She‑Wolf et Pasiphae [1943], l’impressionnisme « all‑over » et abstrait de Lavender Mist [1949‑50], le déclin des dernières années) est certes assez bien rendue. Mais, quand il s’agit d’évoquer la collaboration entre Jackson Pollock et Hans Namuth, les choix d’Ed Harris s’avèrent plus contestables. Il nous est ainsi permis de douter que les photographies ou les documentaires réalisés par Namuth témoignent du désir d’embaumer le geste créateur pollockien ainsi que le laisse à penser le film alors même que le travail de Namuth nous semble oeuvrer dans le sens opposé et que ses indéniables qualités esthétique et didactique ont pendant longtemps pallié aux insuffisances de la critique à trouver le mot juste pour décrire la pratique idiosyncrasique de Pollock. Il suffit de se rappeler les photographies de Namuth pour s’apercevoir qu’elles restituent le geste créateur pollockien dans un espace de liberté et d’improvisation controlée. Dans tous les cas, Namuth n’a jamais été tel que le donne à voir Ed Harris, le philistin incapable de comprendre que l’inspiration d’un peintre ne peut s’accorder aux limites définies par la durée d’une pellicule. Le procédé est d’autant plus malhonnête qu’Harris, pour étayer son argument, n’utilise ni le travail documentaire, ni le travail photographique de Namuth, dont il s’inspire pourtant largement, mais un pastiche qu’il a lui‑même réalisé et qui donne un sentiment d’enfermement et de paralysie qu’on ne retrouve pas chez Namuth. Gageons que l’essai‑documentaire d’Hans Namuth, qui constitue un tournant décisif dans l’histoire de l’art, survivra pourtant au film d’Ed Harris.

7 Ces réserves restent toutefois celles d’un spectateur amateur d’expressionnisme abstrait. Aux yeux du cinéphile, Pollock demeure un mélodrame de bonne facture où Harris révèle une intelligence de la mise en scène (la découverte du « dripping ») et un sens de l’esthétique visuelle (les très belles vues en extérieur de Pollock dans la campagne de l’East Hampton) remarquables pour un premier film. Et si, en définitive, Pollock peut décevoir, ce n’est pas pour ses choix esthétiques ou sa direction d’acteurs mais pour la raison qu’on pouvait s’attendre à y entendre parler d’art, de New York et de ses milieux intellectuels et créatifs alors même qu’il est y surtout question de la difficulté qu’il peut y avoir pour un homme à s’accorder au monde ainsi qu’aux êtres qui l’entourent. Car Pollock n’est pas à proprement parler un « film d’art ». Son titre est trompeur. Il s’agit avant tout du drame d’un couple (Lee Krasner et Jackson Pollock) qui se bat dans la recherche d’un bonheur impossible et dont la pratique artistique n’est que le symptôme de cette tragique aliénation. L’idée n’est certes pas nouvelle mais elle

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donne ici un film de qualité qui aurait mérité de rencontrer en France un plus large succès.

8 Pollock (2001)

9 Réal. : Ed Harris. Scén. : Barbara Turner et Susan J. Emshwiller d’après le livre Jackson Pollock : An American Saga de Steven Naifeh et de Gregory White Smith. Photo. : Lisa Rinzler. Son : Scott Breindel. Mont. : Kathryn Himoff. Mus. : Jeff Beal. Prod. : Fred Berner, Ed Harris, John Kilik.

10 Int. : Ed Harris (Jackson Pollock), Marcia Gay Harden (Lee Krasner), Amy Madigan (Peggy Guggenheim), Jennifer Connelly (Ruth Kligman), Jeffrey Tambor (Clement Greenberg).

INDEX

Thèmes : Trans’Arts

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La rivalité Paris/New York à travers les expositions récentes d’œuvres françaises et américaines. Quelques remarques.

Sophie Le Cam

1 L’attribution en 1964 du Grand Prix de la 32ème Biennale de Venise à l’artiste américain Robert Rauschenberg a constitué un tournant dans les relations artistiques entre la France et les États‑Unis. Elle a entériné le nouveau rôle de New York en tant que centre de l’art moderne en lieu et place de Paris déclenchant de nombreuses polémiques entre les protagonistes du monde de l’art français et américain. La « rivalité » entre les deux univers artistiques a alors atteint un point culminant.

2 Au cours de l’année 2002, le Musée Maillol à Paris a abrité une exposition consacrée aux œuvres récentes de Robert Rauschenberg (Fondation Dina Vierny — Musée Maillol, du 6 juin au 14 octobre 2002). Cette dernière s’ouvrait sur une présentation de l’artiste remettant en cause sa victoire de l’époque. Il aurait, selon le terme employé par les organisateurs, « usurpé » le Grand Prix à l’artiste français François Bissière. La remarque faite à l’occasion de cette exposition témoigne de la persistance avec laquelle certains protagonistes du monde de l’art n’ont cessé, jusqu’à aujourd’hui, d’envisager les rapports entre Paris et New York sous un angle conflictuel. Si cet aspect est souvent ignoré, la « rivalité » entre les deux métropoles reste en effet vivace, malgré les dénégations, sincères ou intéressées, des acteurs concernés. Les analyses relatives aux tensions franco‑américaines dans le domaine artistique portent en majorité sur des faits antérieurs, les éventuels antagonismes persistant actuellement faisant l’objet de brèves allusions. Le rappel de ces clivages contribue pourtant en soi à entretenir une certaine défiance entre les deux univers. Ce phénomène est notamment perceptible à travers les expositions présentant côte à côte des œuvres d’artistes français et américains.

3 Les expositions soulignant les similitudes et différences entre œuvres américaines et françaises appartenant à des courants non contemporains entendent le plus souvent

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démontrer quel groupe d’artistes, américain ou français, a eu la primauté d’influencer l’autre et de marquer l’histoire de l’art en général. C’est au début des années 50 que ce procédé est apparu pour la première fois dans un esprit de confrontation. Les polémiques entourant l’exposition Young Painters from US and France organisée en 1950 par Leo Castelli à la galerie Sidney Janis sont caractéristiques. Une quinzaine de rapprochements furent alors établis entre peintres de l’École de Paris et peintres de l’École de New York, en particulier entre les œuvres de Pierre Soulages et Franz Kline, comparaisons qui continuent actuellement à faire l’objet de multiples analyses, voire de débats. Depuis lors, de nombreuses expositions ont offert la possibilité de comparer l’évolution de la création artistique de part et d’autre de l’Atlantique, selon des approches et à des fins variées. Depuis la seconde moitié des années 90 le phénomène a cependant pris une nouvelle dimension. À une époque où les rapprochements entre les univers artistiques français et américains croient en nombre et en ampleur — une structure comme FRAME est là pour en témoigner — et où l’intérêt respectif des publics américains et français pour toutes les formes et toutes les périodes de l’art existant outre‑Atlantique se développe — François Brunet en a traité un de ces aspects dans cette même revue (Transatlantica 2) sous le titre « L’art américain d’avant Pollock est‑il à la mode ? » — il est d’autant plus surprenant que les parallèles effectués entre artistes français et américains soient en réalité autant de prétextes à les opposer.

4 L’exposition De Klein à Warhol : face‑à‑face France/États‑Unis présentée au Musée d’Art moderne et d’art contemporain de Nice au cours de l’hiver 1997‑98 et qui a rassemblé des œuvres françaises et américaines du Centre Georges Pompidou et du Musée d’Art moderne et d’art contemporain de Nice illustre bien l’approche ambivalente de ces événements actuellement en voie de multiplication. Comme il est dit en introduction du catalogue accompagnant l’exposition, l’objet essentiel de cette dernière est d’évoquer « les échanges artistiques entre la France et les États‑Unis autour du Nouveau Réalisme et du Pop Art », et ce, dès le début des années 50 où se forme le groupe français. Le ton adopté par les organisateurs de l’exposition et rédacteurs du catalogue, Sophie Duplaix et Gilbert Perlain, trahit cependant une volonté de réaffirmer l’originalité de la création artistique française de l’époque et de réagir aux propos antérieurs de la critique américaine, selon eux chauvins : « Bien que l’apport français, dans la diversité de ses démarches, apparaisse particulièrement novateur, il semble qu’une grande partie de la critique américaine n’ait pas été disposée à en reconnaître l’originalité. Ainsi Lucy Lippard qualifie de « laborieuse et fortement surréaliste » la participation en 1962 des Nouveaux Réalistes à l’une des premières expositions new‑yorkaises où ils figurent en bonne place aux côtés des Américains, à la Sidney Janis Gallery ; dans le même esprit, Irving Sandler affirme, de façon plus générale, que les Nouveaux Réalistes « n’ont pas particulièrement impressionné les milieux new‑yorkais ». Il convient de conserver toutefois une certaine distance vis‑à‑vis d’un phénomène qui, en définitive, n’est pas propre à cette période, mais traverse l’histoire des rapports entre la France et les États‑Unis depuis l’après‑guerre. » (13) Cette dernière remarque suggère que les relations artistiques entre les deux pays demeurent entachées de rivalités, et afin de justifier de la crédibilité de leur propos, Sophie Duplaix et Gilbert Perlain incluent dans le catalogue un entretien avec Pontus Hulten, de nationalité suédoise et témoin privilégié des développements artistiques de l’époque. Ils font ainsi une allusion plus directe à la motivation profonde de cette exposition : dénoncer le nationalisme excessif de certains Américains à travers « (…) une lecture nuancée d’une époque où domine essentiellement, côté américain, une

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critique triomphaliste ». (13) Il apparaît que c’est l’interprétation qui est donnée de ces expositions qui, pour une grande part, transforme ces mises en apposition d’œuvres en confrontations.

5 C’est un constat récurrent sur lequel nous reviendrons à propos d’expositions plus récentes. Ainsi, si certains observateurs tel que Robert Rosenblum ont vu à travers l’exposition De Klein à Warhol : face‑à‑face France/États‑Unis un dialogue entre artistes français et américains établi dans un esprit d’échanges amicaux, plus nombreux ont été les commentaires des critiques cautionnant l’idée d’une confrontation perdurant dans le domaine artistique entre la France et les États‑Unis. Même si cette volonté de rétablir la valeur des artistes français, trop souvent dévalorisés par la critique américaine selon ces derniers, concerne une époque révolue, il est un fait qu’elle constitue un aspect des relations actuelles. Dans un article intitulé « Nice et Beaubourg : un pont sur l’Atlantique », le critique journaliste Damien Sausset insiste sur le fait que le principal apport de cette exposition est de donner une vision nouvelle de l’importance réelle de la création des Nouveaux Réalistes : « (…) la réussite de cette exposition réside dans sa volonté de démontrer combien les œuvres d’Arman, de Raysse, de César, de Dufrêne, de Hains et de Klein témoignent d’une résistance à la représentation figurative qui anime alors les œuvres américaines. Le poids excessif de l’art américain de ce début des années 60 se trouve soudain relativisé, comme oblitéré par la capacité des artistes français à ouvrir leurs œuvres au regard subjectif des spectateurs ». (27) Il donne un exemple concret de l’effet obtenu par la mise en présence de ces œuvres françaises et américaines des années 60. L’exposition face‑à‑face de l’œuvre de Claes Oldenburg Cemetery Flag (1960) et de Jacques de la Villeglé les Affiches Lacérées (1950) permet selon lui de mesurer « les écarts qui existent entre ces Nouveaux Réalistes qui n’hésitent pas à tenter sans grand succès, de conquérir le marché américain et des artistes new‑yorkais qui, souvent, jugent la production française trop sentimentale ».

6 Loin de s’estomper, ce phénomène a donc pris une dimension supplémentaire en ce début de XXIème siècle avec des expositions d’envergure internationale telles que Les Années Pop 1956‑1968 et Paris Capitale des Arts 1900‑1960. La présentation d’œuvres d’origines diverses a permis d’étendre les analyses comparatives aux artistes européens afin de mieux justifier des rectifications entamées à l’égard des artistes français.

7 Présentée au Centre Georges Pompidou du 15 mars au 18 juin 2001, Les Années Pop 1956‑1968 revient par ce biais sur les tensions liées à l’émergence des artistes du groupe des Nouveaux Réalistes et du Pop Art. Rédigé par Jean‑Jacques Aillagon, alors Président du Centre Georges Pompidou, l’avant‑propos qui ouvre le catalogue de l’exposition n’est d’aucune ambiguïté à cet égard. L’un des buts essentiels de la manifestation est de rappeler l’importance du rôle joué par les artistes européens, et en particulier français, dans l’émergence du mouvement Pop Art. À travers un essai intitulé « Nouveaux Réalismes et Pop Art », Catherine Grenier, commissaire générale de l’exposition, souligne l’apport essentiel, voire fondateur, des Nouveaux Réalistes au mouvement Pop Art. Sans exclure la participation des artistes américains au développement du groupe des Nouveaux Réalistes dans les années 50, Catherine Grenier entend démontrer que ce mouvement est bien antérieur au mouvement Pop Art apparu dans les années 60. Elle étaye son argumentation en précisant comment de nombreux artistes américains, tels que Robert Rauschenberg et Jasper Johns ont utilisé des techniques créées par les artistes français. Aussi radicale soit elle, la perspective voulue par Catherine Grenier n’est pas aussi marginale qu’elle pourrait le sembler aux yeux de certains spécialistes.

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8 Alain Jacquet, artiste français ayant évolué sur la scène artistique de l’époque tient des propos similaires. Tout en évoquant l’intensité et la richesse des échanges entretenus par les artistes français et américains, il insiste sur la nécessité de « …remettre les pendules à l’heure » et de démontrer que le Pop Art n’est pas « …un phénomène exclusivement américain ». Il estime par ailleurs important de prendre en compte les effets de la politique étrangère américaine de l’époque qui visait à augmenter l’influence des États‑Unis en Europe par des voies culturelles et artistiques. À la lumière de cet exemple, il apparaît que des personnalités ayant eu une expérience concrète de ces événements y demeurent sensibles, exprimant leur volonté de revenir sur des aspects litigieux. Ils participent ainsi à faire perdurer un débat commencé de longue date.

9 Autre exposition récente ayant contribué à rappeler les nombreux clivages ponctuant les relations artistiques franco‑américaines, et sur lequel il convient donc de s’arrêter, Paris Capitale des Arts 1900‑1960 (Royal Academy of Arts, Londres, du 26 janvier au 19 avril 2002 et Guggenheim Museum, Bilbao, du 21 mai au 3 septembre 2002). La dimension internationale de celle‑ci est d’autant plus marquée qu’elle n’a pas été organisée sur une initiative française ou américaine. Présentée successivement à Londres et à Bilbao dans le courant de l’année 2002, elle témoigne d’une généralisation de l’intérêt soulevé par cet aspect des rapports franco‑américains. Sarah Wilson, l’un des commissaires principaux de l’exposition, analyse à plusieurs reprises les tensions apparues entre les protagonistes français et américains au cours des années 60. Figurait par ailleurs dans le catalogue de l’exposition un essai rédigé par Eric de Chassey dont le titre « Paris‑New York : rivalités et dénégations » est, à lui seul, révélateur de la perspective dans laquelle l’exposition a été conçue. Son évocation des rapports conflictuels entretenus par les acteurs des scènes artistiques française et américaine depuis l’après‑guerre jusqu’à la fin des années 60 se conclut sur cette remarque à propos de l’état actuel des relations franco‑américaines : « [À la fin des années 60] alors que les expositions consacrées aux artistes américains se multipliaient à Paris, les artistes français éprouvaient des difficultés à exposer leurs œuvres aux États‑Unis. D’emblée, leur art était considéré comme ‘provincial’ : trop français. Un préjugé qu’il faut encore assumer ». (350) Une nouvelle fois il est suggéré que les rivalités passées demeurent inscrites dans les esprits.

10 À défaut d’un réel sentiment d’animosité, il subsiste sans aucun doute une grande sensibilité à l’égard de ce qui est décrit comme le déplacement du centre de l’activité artistique mondiale de Paris vers New York. Malgré son caractère antérieur, c’est sans doute parce qu’elle continue à avoir des conséquences sur la nature des relations actuelles que cette question conserve un caractère contemporain. Une autre raison justifiant la pérennité de cette rivalité est la multiplication de ses implications. À l’image des travaux de Serge Guilbaut ou de l’Américaine Laurie J. Monahan, ces expositions ont été l’occasion d’évoquer, voire de mettre en exergue comme l’ont notamment fait les organisateurs de Paris Capitale des Arts 1900‑1968 les enjeux politiques sous‑jacents au contexte artistique. S’il est quasiment indéniable qu’assurer la prééminence artistique de New York a été l’un des moyens utilisés à l’époque par le gouvernement américain pour s’élever contre l’expansion du communisme en Europe, il est difficile d’évaluer le rôle — s’il existe — attribué de nos jours par les politiques à l’art dans la défense des intérêts nationaux. C’est en effet aujourd’hui avant tout vers

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les sphères financières et économiques que l’essentiel des rapports concurrentiels se sont déplacés.

11 Si pendant très longtemps, les acteurs français, qu’ils soient artistes, marchands ou responsables officiels, ont dans leur majorité ignoré l’importance des enjeux économiques, depuis la fin des années 90 ils semblent avoir progressivement pris en compte la nécessité dans laquelle ils se trouvaient de s’imposer face aux États‑Unis sur le terrain commercial. Depuis l’exposition Les Années Pop 1956‑1968 au début de l’année 2001, beaucoup d’observateurs ont mis en exergue le clivage existant entre les artistes français et leurs homologues américains, non seulement en terme de notoriété mais aussi de cote sur le marché. Même si les comparaisons effectuées mettent surtout en lumière le « fossé » qui existe entre la valeur monétaire des œuvres des artistes des deux nations, elles sont néanmoins une preuve de la nouvelle approche des protagonistes français à l’encontre de la vraie valeur des œuvres sur le marché. Suite à l’engouement, bien que limité au contexte parisien, suscité par la vente « Manifeste pour la Nouvelle Figuration » organisée le 4 février 2002 par les études Poulain‑Le Fur et Robin Fattori, cette volonté de se mesurer sur un terrain jusque là négligé s’est affirmée. Si, à cette occasion, la plus haute enchère a été atteinte avec une toile d’Andy Warhol, les œuvres des artistes Pop américains n’ont généralement pas emporté un succès à la mesure de celui habituellement connu, et c’est surtout l’élévation de la cote des artistes français qui aura été retenue. C’est donc d’un point de vue avant tout économique que la rivalité artistique entre Paris et New York — si tant est qu’elle subsiste — est appelée à évoluer de manière significative, et ce d’autant plus depuis la disparition du monopole des commissaires‑priseurs français. Avec l’ouverture du marché français aux maisons anglo‑saxonnes, professionnels français et américains sont en effet directement confrontés, donnant une nouvelle dimension à la « rivalité » artistique entre les deux métropoles.

BIBLIOGRAPHIE

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Les Années Pop 1956‑1968, Paris, Centre Georges Pompidou, 2001.

Breerette, Geneviève, « Une exposition inédite sur la naissance d’une culture populaire », Le Monde, vendredi 16 mars 2001.

Dagen, Philippe « Alain Jacquet, peintre : « le pop n’est pas un phénomène exclusivement américain », Le Monde, vendredi 16 mars 2001.

De Klein à Wahrol : face‑à‑face France/Etats‑Unis, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1998.

Grenier, Catherine, propos recueillis par Geneviève Breerette, « Le Centre Pompidou explore sous toutes ses formes l’art des ‘Golden Sixties’ », Le Monde, vendredi 16 mars 2001.

Transatlantica, 1 | 2003 202

Guilbaut, Serge, Comment New York vola l’idée d’art moderne ?, Nîmes, Editions Jacqueline Chambon, 1988.

Paris Capitale des Arts 1900‑1960, Londres, Royal Academy of Arts ; Hazan pour l’édition française, 2002.

Reconstructing Modernism Art in New York, Paris, and Montreal 1945‑1964, édité par Serge Guilbaut, Cambridge, Mass., MIT Press, 1990.

Rosenblum, Robert, « Pop Art Revisited », Art Forum, V39, N5, janvier 2001, 37.

Sandler, Irving, The Triumph of American Painting, New York, Harper Collins, 1970, 1977.

Sausset, Damien, « Nice et Beaubourg : un pont sur l’Atlantique », L’Œil, n°492, janvier 1998, 27.

INDEX

Thèmes : Trans’Arts

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Débat

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Academic Journals and Publications : Mapping the Territories. A Debate on the Publication of American Studies Journals

Divina Frau‑Meigs, Catherine Bernard, Noëlle Batt, Jean Kempf, Georges‑Claude Guilbert et Michel Bandry

NOTE DE L’ÉDITEUR

[Please inform the editor if you find a mistake, a forgotten link or if you wish to add information or react to the papers] Introduction by Divina Frau‑Meigs

1 (About the author : Professor, University of Orléans, co‑editor of Revue Française d’Etudes Américaines and TransatlanticA, member of the editorial board of Sources (University of Orléans) and MédiaMorphoses (Institut National de l’Audiovisuel))

2 Debating about academic publications as territories makes sense because journals reflect our imaginary, somewhat utopian, vision of scientific collaboration and exchange, with its attendant values of knowledge sharing, of multiple viewpoints, of freedom of self‑expression and freedom from selfish interests. Journals however behave like real territories : they cut up boundaries, within disciplines and within universities ; they set anchor either in local waters or in national and international harbors. More concretely, they also place individual researchers on the map as they provide legitimacy, recognition, quotation, and eventually pave the way for a successful carrier and inclusion in the larger community of scholars.

3 Territories are also about identity and visibility, a fact that became sorely apparent to our community of American studies researchers during the various recent crises that the United States has dealt with : the controversial presidential election of 2000, the Twin Towers attacks of September 11th 2001, the anti‑terrorist wars of Afghanistan and

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Iraq. The need for thoughtful scientific analysis was seriously tested by the urgency to keep up with current events. RFEA and TransatlanticA contributed issues on the topic (see RFEA, issue 89 on the elections, TransatlanticA, installment 1 on 09/11), but it was not an easy task. The role of our community as providers of complex explanations and long‑term understanding appeared as essential to offer balanced views of the United States, especially in a time when our own country, France, was itself under attack and under stress. This role is not going to diminish as our societies become increasingly global and as world governance is, arguably, led by the United States.

4 As a result, the debate within our community has been relaunched about our capacity to react fast and to make a difference with the media. The realit—that journals are not about journalism—has brought us to the realization that we must keep working at a double task : we must maintain a cool and cooling distance to events and yet we need to provide some « gray matter », some unfinished yet compelling piece of thought, to feed to the media in times of rapid change, so that our informed point of view penetrates the public space and so that our community remains engaged in the national and international debates. This may imply two different types of publications and different time frames : the finished article—necessarily slow—, the work‑in‑progress paper— necessarily unpolished.

5 This dual strategy may be facilitated by on‑line options, like e‑prints or pre‑prints databases, allowing us to make our working papers available to a wider community without waiting for the time‑consuming process of reviewing and rewriting (Chartron 200 ; Guédon 2002). We have tried to offer our community this dual path, with the development of an on‑line journal, TransatlanticA, together with the maintenance of RFEA. This repositioning is not without trouble and our colleagues seem to find it difficult to depart from traditional formats. The road for challenging territories to explore still remains open in that respect and the « open archives » movement, supported by the Budapest Open Access Initiative (BOAI), launched in February 2002, needs to be watched closely by our scholarly community. Our own national and European views about access, common good, public domain, and knowledge sharing and building in a public service perspective are seriously coming under attack (Quéau 2002). If we do not engage ourselves more actively in thinking‑through our editing and publishing patterns we may be left behind in the so‑called « information society ». And yet, as a specific community which has developed an intellectual and linguistic agility in dealing with the Anglo‑american culture, our role of « passeurs » can be crucial.

6 Within our community, however, identity is less about outside visibility and policy than about legitimacy and self‑promotion, to which journals contribute via their articles selection and production. The concrete unit of analysis then is the article, as a separate item, with a life quasi of its own. A published article contributes to the identification of its author and its recognition among its peers. It seals one’s belonging to a team, to a research laboratory and marks the institutional territories that we are all vying to invest and investigate. It also signals a whole process of consensus‑building and of co‑option whereby some are included and others are left out or on the margins (Quinton 2002).

7 The legitimacy of our journals runs counter issues of argumentation and certification, two processes that are different but feed on each other in practice. The journal editors strive at maintaining the argumentative value of the articles they select either by peer‑reviewing or of their own authority. This charge in itself is quite a social

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responsibility and they tend to ignore any other, especially as to what happens to the life of the articles published. They think at best of the notoriety they will derive from their task, which is collective (the journal) and not itemized (each article in the collection the journal gradually builds‑up). Certification on the other hand is what happens to the life of the article and its author after publication, postpartum. Done by members of the same class, that are both judge and party, it gives currency to the article, and like paper money, gives credit (or discredit) to the author. The article then becomes a kind of « unit of account for one’s career » (unités de compte des carrières, Quinton, 189), itemized in the list that appears at the appropriate slot in one’s curriculum vitae. Intellectual property value and institutional administrative logics cohabit, with the dangerous drift seen among some colleagues, who write articles to make them fit in with conference topics and will neglect their own research interests and their own construction of the field. The responsibility of scientific and professional associations is thus engaged when they encourage thematic conferences exclusively, to the detriment of more open workshop procedures.

8 In France this double‑bind is reinforced by the institution of Conseil National des Universités (our National Board of Evaluation). Its role is to certify colleagues who wish to become associate professors or full professors and to promote them within the salary system. This is often done on the basis of the quantity of publications produced, rather than on their quality (this task being left to the editors and publishers and their boards). Arguably, the presence of this qualifying instance also may accelerate a process already existing in the hard sciences, the tendency to favor the production of articles over the productions of books, on the grounds that the latter are too long and become obsolete too soon. Postmodern criticism has long predicted the dominance of articles over books and of the digital culture over the paper tradition. The current situation however shows a bi‑polar situation : paper endures and remains,—perennial —, on‑line booms and busts,—all pervasive. This seems to point to a division of labor between the media and their diffusion : paper keeps the weight of legitimacy while digital allows for more visibility. Both remain pertinent in terms of publication alternatives. None are free, in spite of the supposed cost‑effectiveness of the electronic format.

9 A quick look at our French territory reveals the weakness of our situation in the light of this recent evolution. The report on the state of American Studies (see annex 3 « éditeurs et revues », Kempf 2002) reveals that there are 11 journals devoted to English studies, at national level, only one of which focuses on American studies (RFEA). The on‑line publications situation is worse, with fewer titles, and only TransatlanticA for American studies. The local landscape is richer, with about 30 titles, but it offers a very mixed batch (of bulletins, annals, etc.). The dependency as to the associations or the universities that host such journals is great, and to be contrasted to the autonomy of American publications, often professionally managed, with their own secretariat and their own line of funding.

10 So when dealing with journals, we have to keep in mind these competing criteria (legitimation, certification and even qualification), and these competing formats and means of distribution (paper and digital). They do not help us clarify the different paths to success ; they are evidence and traces that we are in a time of transition, when crucial decisions have to be made, crossroads negotiated and roads not taken.

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11 Convening a roundtable on these issues is both tantalizing and frustrating because not all points of this complex process can be tackled in one session. So the roundtable reflects the sharing of a variety of experiences, in pragmatic fashion. It covers international, national and local grounds, it questions on‑paper and on‑line strategies, it examines criteria for legitimation, certification and qualification. Hence the presence of a variety of actors in the process, without any claim for exhaustive representation. Catherine Bernard 12 (About the author : Professor, University Paris 7‑Denis Diderot, editor of Les Cahiers Charles V, journal of the Faculty of English and American Studies, University Paris 7 ; joint editor of The European Journal of English Studies, official journal of the European Society for the Study of English, with Claire Connolly (Cardiff University) and Ansgar Nünning (University of Giessen))

13 As the editor of two journals, one in France and the other in relation with a European academic structure, I have had ample occasion to compare the editorial practices of French academia and those of our colleagues throughout Europe. I have also had the opportunity to compare the respective merits and drawbacks of two very different modes of editing and publishing, whether the journal is financed by a private publisher or funded by a university.

14 Les Cahiers Charles V were created in 1979 and have been successively edited by Michel Gresset and Claire Bruyère. They are financed by the sales of each issue, subscriptions (essentially coming from University libraries) and a grant from the research budget of Paris 7. Its purpose is to reflect the research that is being done in the Faculty of English and American studies of Paris 7 and its links with other research centers in France and abroad. It has a working reading committee and an international advisory board. It only publishes thematic issues meant to provide a state of the arts vision of a given theme of research. Each issue is edited by a guest editor who is also a member of the Faculty and who can solicit articles from within or without our institute.

15 The fact that it is inter‑disciplinary is both an asset and a drawback. Each issue being geared to a very specific audience, in turn made of specialists of linguistics, literature or what in France we define as « civilization » (elsewhere also called « area studies »), it has proved over the years difficult to build up a loyal readership and to increase the number of individual subscriptions.

16 The main difficulties encountered by such a publication are those of most publications of its kind, difficulties that suggest it is probably high time we start reflecting on our own editorial practices, on the way we can give our research endeavors greater visibility and probably as well on the very kind of research we will in the future choose to invest an ever more precious time in.

17 The first difficulty derives from the absence in Paris 7 of university presses. University presses are too rare in France. Even rarer are the Presses ready to invest in the production of usually non‑profit making journals whose circulation often remains unsatisfactory. The time has come maybe to consider pooling our financial and academic resources, although such team work involving several universities would of course be in contradiction with the way research is funded in France and the necessity for each research group to have its own publishing channel which ensures some kind of visibility to the research carried out, whether it be a journal or a series of volumes of articles. This should not however stop us from assessing collectively the quality of such

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so‑called visibility. To put it bluntly what is the point of publishing journals whose circulation is unreliable and which fail to attract the readership they rightly deserve ?

18 One way of solving this difficulty may undoubtedly be to develop the publication of journals on‑line, a solution illustrated with Cercles and TransatlanticA at this round table. One should not underestimate what a complex process on‑line publishing can be for the journals’ editors. One should not underestimate either the changes this would mean in our research practices : • Should the publication go exclusively on‑line without retaining a hard copy paper version ? On‑line publication would undoubtedly ensure greater visibility for the journal. However, it also seems to me that it would mean the end of the thematic format. Browsing will be rarer as those who choose to connect themselves will more likely than not prefer to read and possibly download only the article that is of immediate interest to them. • By way of consequence, how are we to limit the development of what could be defined as « scholarly endogamy » which is likely to be the end of the pluridisciplinarity of our discipline ?

19 The second difficulty one should address collectively is that of the language of publication. One can understand that France should be keen to defend its linguistic heritage. However one may also find it odd that we still feel compelled to publish essentially in French, whereas we intend to write for an international readership with whom we share a language which also maps our field of research.

20 The third problem we should address is even more complex and is not specific to French university publishing. I have also been confronted with it as joint editor of The European Journal of English Studies. It has something to do with the form of temporality in which we choose and possibly should inscribe our research.

21 Most likely, the European nature of this editorial venture has made me hyper‑aware of this question which is in fact rarely raised. This journal was produced in the wake of the creation of The European Society for the Study of English in 1990. The members of the initial editorial board were Kate Belsey (Centre for Cultural and Critical Theory, Cardiff University), Herbert Grabes (Giessen University), Jean‑Jacques Lecercle (University Paris X‑Nanterre). The purpose of this journal was from the start both simple and complex : it was meant to foster an ongoing dialogue between the various communities of English and American studies specialists across Europe, and to promote the circulation of ideas among this vast and varied community. I will not be presumptuous enough to explain to a community of scholars of American culture how multifarious the Europe of English and American studies may be. The European Association of American Studies has been a living proof of this multiplicity for a long time. It is precisely one of the great and wonderful lessons of working at an international level to understand that we work on different time layers, each national community having reached a different moment of our joint history, because of its own history, because of the way it is structured and even financed. It is common knowledge that France is still, to some extent, lagging behind other nations in Europe in the matter of library resources, which has compelled us to develop a different form of research that relies for instance heavily still on a more formalist reading of literature.

22 The task of a journal such as The European Journal of English Studies was, in the minds of its founders, to create a forum where this diversity could be acknowledged rather than suppressed and to allow us to learn from other definitions or conceptions of our common object of study, the idea being to bring down the hermetic partitions between

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our respective traditions and not simply to add yet another title to the awe‑inspiring list of journals of English studies in Europe (see the list compiled by Balz Engler and published in the newsletter of the association, The Messenger, n° 3.1 ; the list numbered 349 journals and only included the journals whose editors had replied to our colleague’s call).

23 The intention was to resist both the excessive specialization previously mentioned and the imposition of a theoretical doxa emanating from Britain and the United States. Each issue is placed under the responsibility of a guest editor whose task is to solicit articles from as wide a range of European countries as possible and focuses on a theme meant to cover a question that is currently attracting particular attention in the field of literature, linguistics or cultural studies.

24 The difficulties of such a venture are many. A form of cultural tropism makes us naturally turn our gaze towards Britain and the United States as the sources of theoretical inspiration and it is thus quite a challenge to prove that the rest of the research done in Europe may be invested with the same credibility. It is not so much simply that « we do things differently on the continent » ; it is not so much that difference as such may be suspect but that the very status of our discipline cannot be the same depending on whether we teach English literature in Birmingham or in Paris 7, in Timisoara or at King’s College, London. This may be obvious. This however has momentous consequences on the viability of such a venture as a European journal of English or American studies. Furthermore, a private publisher will always favor the publication of miscellaneous issues that will attract a wider audience, whereas such a journal should not, to my mind, try to compete with other well established journals publishing miscellaneous articles.

25 In spite of all this, it is the task of the editors of European journals to use what may seem difficulties and contradictions to foster a collective reflection on the very logic of our discipline, on its tensions and its limitations.

26 Such stock‑taking implies that one should have the time to reflect and ponder, which does not always easily combine with the pressures of the market whether it be that of academic publishing or of academia itself. Both my experiences as editor in France and at a European level have taught me that one should try and resist such pressure as best one can and that research should have the time to develop itself at its own pace, inscribed as it must be in the « longue durée ». It benefits from efficient peer‑assessment, contacts at home and abroad. The mission of university publishing should be to foster such slow and at times painstaking progress.

27 We have in that respect, it seems to me, a lot to learn from the way the reading committees of most English and American journals function which precisely take such slow progress into account and do not hesitate to ask authors to rethink, rewrite, reread and who submit the articles to specialists of the given topic dealt with in each article. Undoubtedly the publishing schedules are not those we are accustomed to in France. My intention is not to question the quality of the research that is being done in France or anywhere else in Europe and one must acknowledge the fact that the publishing procedures that are privileged here contribute to the diversity of modes of thinking that remain intrinsically reticent towards the influence of the current theoretical doxa.

28 I would like nevertheless to plead for a form of « slow thinking » which to my mind is the only guarantee we have against the current tyranny of ready‑to‑wear thinking. The

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reflection initiated during the 2003 congress of the French Association of American Studies is a sign that we feel the time has come to reassess precisely the priorities that should be those of academic publishing so as to make our common labor both more widely known and ever more relevant. Noëlle Batt 29 (About the author : Professor, University Paris 8‑Saint Denis, editor of TLE “recherche en revue”)

30 The journal TLE was created in 1981 by a few members of a research team located at the University of Paris 8‑Vincennes at St‑Denis and led at the time by Professors Olga Scherer and Christine Brooke‑Rose. The group was involved in theoretical thinking on narratology based on a body of works from American and English literature. In 1984, the journal came under the auspices of the University Press of Paris 8 (alongside other journals like Hors‑cadre, Médiévales, Histoire. Epistémologie. Langage, Extrême Orient‑Extrême Occident and Recherches linguistiques ). A new editorial program was established in accordance with the team’s new research project on the evolution of the processes of representation in English‑language fiction.

31 Issue number 6 (1988), « Literary Representation : New Conceptual Models », defined a new and challenging goal for the journal—one which has continued to be its signature ever since. TLE was to act as a forum both for developing theoretical thought on the dynamics of literary systems and for stimulating conceptual collaboration between literary theory and other disciplines such as semiotics, philosophy, linguistics or epistemology.

32 From Issue 8 (« Literature and Cognition ») onward, a privileged relationship was established with cognitive science (issues 8, 9, 10, 11, 17), complexity theory (issues 8, 15, 16, 18), the theory of non‑linear dynamic systems (issue 12) and Deleuzian philosophy (issue 19). In each case, the concern was to work on the borderline between different disciplines, in order to build bridges between concepts and to adopt and adapt those which would be most likely to serve a critical approach to literary texts in fiction and poetry alike. The main body of works studied in the journal continued to be taken from American and English literature, although new colleagues who had joined the team were studying French, German, Russian or South American literature. More than ever, the chief ambition of the journal was to contribute to the emergence of crucial questions concerning the position of literary studies in the field of the human sciences today, with a clear awareness of the need to conduct a certain amount of interdisciplinary work and to contribute to a problematization of methods and procedures.

33 The journal is published once a year, in a run of 400 copies. All editorial work is done by the editorial board, with the help of editorial advisers. The actual journal is produced by the University Press. A common distributor for French university presses (AFPU‑diffusion) is responsible for its placement in bookstores. Information about the journal can be found on the Paris University Press website http:// www.puv‑univ‑paris8.org.

34 At a time when the word « interactive » has become the almost exclusive property of communication on the web, and when almost all journals are considering their future on‑line, I should like to insist on the numerous interactions that a printed journal is still capable of stimulating. You can have the pleasure of taking a printed journal off a library shelf because you like the smoothness of the cover, because the name of a

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foreign scholar catches your eye, because the title of such‑and‑such an article just happens to coincide with your current preoccupations, because sometimes it is simply pleasurable to let yourself be guided by sheer curiosity… Choosing to allow time to take its time or surrendering to the impulse to run your fingers over a surface on which letters and words happily leap and dance—these are certainly not indifferent actions in an age in which speed and over‑activity all but rule supreme. A visit to the 13th Salon des Revues (Journals Fair) which will take place on October 18‑19th 2003, at the Espace des Blancs‑Manteaux, in Paris, will surely do more to convince you of this than any further arguments along these lines.

35 I should nevertheless like to conclude with a word on a theme that I developed a few years ago in a volume devoted to the link between Research and Journals (Didier and Ropars 1994). A journal that opens its pages to the work of a research group is more than just a space in which things get published, although to some extent it is obviously this too. For it is not merely a place where writings are inscribed and preserved ; it is also a call for writing. As such, it is a true partner—a hetorotopia which allows a research team to regard itself as a constant becoming of new thoughts and novel inscriptions. Georges‑Claude Guilbert 36 (About the author : Associate professor, University of Rouen, editor in charge of book reviews for Cercles)

37 The electronic journal Cercles is the result of the collaboration of four general editors : Antoine Capet, Georges‑Claude Guilbert, Philippe Romanski and Aïssatou Sy‑Wonyu. But it is first and foremost the product of Philippe Romanski’s academic and technological expertise. It can be found on the web at http://www.cercles.com. Cercles made the move from paper to electronic publishing a few years ago ; it was then decided to transfer on the web the capacities and the know‑how developed on paper, without transforming the traditional editorial line of the journal. 1.The Articles 38 Every issue of Cercles is devoted to a particular theme, chosen either by one of us four, or suggested by a member of our prestigious editorial board. We occasionally welcome suggestions from colleagues who are not linked to Cercles on a regular basis and who may wish to edit an issue.

39 I myself edited issue #3, « British and American Popular Music : Subversion and/or Entertainment ? » (2001), thus opening the webpages of Cercles to the field of Cultural Studies and Gender Studies. I prolonged this with issue #8, « Gender, Race and Class in American TV Sitcoms » (2003). Issue #8 is entirely in English, which is the result of a deliberate policy : our readership is international ; we are particularly well‑known in U.S. academic circles, and most of our collaborators teach in English departments. 2.The Book Reviews 40 I am the sole book review editor of Cercles. Following the logic detailed above, we review mostly books written in English and write our book reviews in English. I have heretofore given particular attention to English and American literature, twentieth‑century English and American history, Film Studies, Cultural Studies, and LGBTQ Studies, but our scope is widening. • Dealing with publishers : Editing book reviews means getting to know the publicity managers of publishing companies and winning their trust. After slow beginnings in 2001, I

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can now say that practically every American and British publisher takes us very seriously indeed, and sends us all the books we request, as well as unsolicited review copies. We are starting to deal with German and Danish publishers too (French publishers, on the other hand, are much more difficult and grudging). I am compelled to limit the number of books we review, for material reasons : having no financing, I have no help and spend a considerable amount of my time packing and dispatching books, etc. Some publishers have taken to quoting us on their websites • Dealing with reviewers : I experience no difficulty recruiting reviewers worldwide ; indeed I often receive spontaneous offers of collaboration. I do have quite a lot of work editing reviews, though, since not everyone is as respectful of English grammar as I would wish. My principal predicament is linked to the deadlines I try to impose, since far too many colleagues tend to disregard them. I believe Cercles book reviews should appear online within six months after the release of the books—for obvious reasons—and my Australian, British and American collaborators seem to agree with me. Unfortunately, many of my French collaborators evidently do not. • Dealing with authors : We get a fair bit of feedback from the authors of books we review, generally rather positive. They e‑mail to express their satisfaction, occasionally their misgivings. Some quote our reviews on their websites. • Dealing with readers : The readership of the book reviews grows daily and is larger than the readership of our articles. Our readers are located all over the planet, with strong concentrations in the U.S., the U.K., and France. We often receive e‑mails from professors complimenting us and letting us know that they recommend Cercles to their students and colleagues. Several have linked their own academic websites to Cercles. We try to answer every query and react to every suggestion.

41 To conclude, I see Cercles as a success that gives quite a lot of satisfaction, even though there is plenty of room for improvement, naturally. My only regret is that a number of colleagues—again, especially in France—continue to distrust electronic publications, displaying, dare I say, a somewhat fetishistic attachment to paper. It is true that « anything goes » on the Internet, but that does not mean people cannot recognize quality or at least academic seriousness when they see it. It is true too that we cannot certify that everyone of our readers has at least a BA, as has been (not jocularly) pointed out to me ; but I myself do not see that as a problem. This is the twenty‑first century, I am convinced the future of academic journals lies in electronic publication. And judging by the influx of new e‑journals of the same type as Cercles, many share my conviction. Paper and cyberspace may coexist harmoniously, not to the detriment of culture, on the contrary. Jean Kempf 42 (About the author : Professor, University Lyon 2‑Lumière, editor of TransatlanticA, the on‑line journal of the Association Française d’Etudes Américaines)

43 As far as e‑journals are concerned we can only be sure of one thing : they do not exist yet—even though some of us edit them and write for them. With e‑publication, academics are faced with the first real revolution in the production of their work since… the invention of the Xerox machine ! Or most probably since the emergence of the modern social sciences in the late XIXth century. For more than a century, academic publishing had merely been « more of the same ». Today, electronic technologies may give us opportunities to reinvent the way we structure our professions, our exchanges, that is to say the way we produce knowledge. This is not a

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totally uninteresting perspective. Hence the few remarks I would like to contribute, from the vantage point of my practice as editor of TransatlanticA and my work at University Lyon 2 on a rejuvenated and innovative comprehensive scheme of scholarly publishing integrating all media, from the web to traditional books (See the Presses de l’Université de Lyon site).

44 Theoretically, e‑journals have many advantages for human and social sciences (the case of natural sciences is slightly different and would require a separate discussion). Low costs of production and especially of distribution, allowing academics to spend their meager and ever diminishing funds on other activities, easy indexation and access (provided a few recommendations about the structure of documents are implemented, which is still far from being the case) and a greatly improved « economy of writing » by the link system. There remain, however, numerous problems, in particular the maintenance of records, but they can all be solved through (the evolution of) technical devices or processes that will not utterly affect the content or—more importantly—the very process of production. This is why my intention is to point at other more complex and serious issues, those of the very function of journals and their place in the social sciences.

45 The vast majority of the existing publications are « mere » academic journals in electronic form/stored in electronic form, both in their structure, appearance, lay out (does such a word have any sense on the web ?), but even more seriously in the way content is produced. Our relationship to « the article » and to editing has remained the same, so has our relation to reading. Cognitive reasons are certainly part of the explanation, legal ones as well : the web is based on the principle of generalized quoting and recent court decisions as well as the standard laws of copyright tend to systematically undermine its epistemological logic. Political reasons are at work as well. Just as the generalized availability of computers has transferred the burden of technical and secretarial work in academia to scholars, thus lowering the material quality of academic publishing (in France at least), electronic publishing without serious financial backing will result in the same impoverishment by under‑using the possibilities of the web (as opposed to commercial sites for instance) and results will be disappointing as they already are.

46 Eventually, if we do not boldly tackle (experimentally and theoretically) the question of what it is to write for the social sciences, we will merely produce more of the bad (and maybe more of the worst as well) ; all publishing will become vanity publishing (as is already the case almost everywhere) ; and the ancient hierarchies will create themselves again, especially in the near future when the so far surprisingly timorous commercial publishers will have understood their interest in the field (they are already controlling the market in the natural sciences).

47 There is for us a wonderful opportunity to control protection and keep it in our own hands, not to prevent debate and access but on the contrary to ensure that access and debate remain the backbones of our activity and social function. I do not know what the form(s) will be—or I’d be famous by now—but I know that e‑journals will have to stop being objects (albeit electronic ones) to become « spaces » or « segments » in a continuum.

48 Conventional journals have increasingly become substitutes for books : as journals do not play the role they should and as too many books are printed which should never have seen the light of day, those that are needed may not always come to fruition—my

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comment here is not qualitative but epistemological. E‑journals are part of the process which transforms ideas into scientific items (which in turn return to the idea stage, etc.), moving from fragments and opinions to statements. In French we have two words which translate into the same word in English, édition and publication, both meaning « publishing ». However, they are not synonymous : publication is to make public (taking a scientific commitment and risk towards the community), often a temporary or topical act ; édition is the result—or should be—of a maturation and sifting which « stabilizes » a network of ideas into a form having some sort of (limited) permanency.

49 Central to all scholarly publishing is the question of « validation ». Validation is not merely an assessment of abstract qualities but also of relevance, i.e. of choices which organize and structure a domain. But in the social sciences, a great part of the process is highly relative, which does not imply that anything goes. On the contrary, for such a fundamental act to take place in the best conditions, strong links between publications and real scholarly « projects » are indispensable. The publication (i.e. the publicizing) of research in social sciences until recently had been controlled and governed by those who had the power to allocate rare resources ; today resources are virtually unlimited, thus displacing the inevitable process of « validation » from the controller of resources to the consumer. And electronic media, far from leading to mediocrity, allow a new test of validity, that of usage.

50 Indeed, publishing on the web means immediately exposing oneself (at least potentially) to the global community and thus taking a much greater risk. This point is also the strongest one to offer those who fear plagiarism : when something is electronically published, it is de facto protected by exposure and indexation. Publishing in an obscure conventional journal, on the contrary, can facilitate plagiarism. The same applies to theses or dissertations whose presence on the web automatically « copyrights » them, in a way no paper thesis or dissertation can ever be.

51 If the author needs protection, however, in this new environment where abundance has suddenly replaced scarcity, it is against himself. Editing and reviewing (by peers and technicians) must be as systematic as before but with different objectives as the article must be seen as merely a step in a dynamic process. For instance, it may be quite possible to publish simultaneously the paper and its reviews. On the whole, publishing on the web will increase the quality of publication, displace the real scholarly talent from the acquisition of information to its conceptualization (and originality) ; historiography will become the first necessary step to all research as opposed to simple bibliography, and the power that some derive from the management of secrecy and access to sources will slowly disappear.

52 Conversely, the concept of a journal issue, and of « putting the journal to sleep », being potentially dead, journals run the risk of being mere repositories of contributions, simple data banks of unrelated papers with the publisher becoming a mere distributor (which is already the case of many publishers in France who, irrespective of electronic publishing, have now become mere printers and, in the best case, distributors). Such evolution would only mirror a general fragmentation of the social sciences and destroy what a journal is : a space where papers are positioned and not simply stored. This can be countered by fully playing the fluidity of the electronic form : dossiers for instance may grow over time, enriched by successive additions, extend also to other publication through critical links, as one speaks of a critical bibliography or a bibliographical essay, i.e. a discourse producing meaning over meaning. Thus, especially when financial

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stakes have receded, the bottom line is really the existence of true intellectual communities (and stakes) behind publication. This is why I think that what must be formed are clusters of publications (some electronic, some in paper form, some heavily edited, others fairly spontaneous) around learned societies—which should thus develop a scientific agenda—and around universities (for instance their presses) with the effect of resuscitating an ailing academic community. Other formulas—service platforms such as http://www.revues.org, which may serve a temporary purpose in formulating structural but certainly not intellectual principles—seem to me bound to disappear.

53 E‑publishing really leads us to a debate on science, as a process where the impossible objectivity has been replaced by objectivized criticism, where the real production is not of statements (articles, books) but of debates. It can help us reinvent hierarchies and will allow the generalization of a model that was only reserved to the wealthy few and thus to democratize and improve research. It will also allow the development of new forms of presentation for research (Baker 1990) and of alternatives to English as a scientific language, the real participation in the construction of knowledge of our colleagues from the South and the actualization of a public service in the face of commercial interests. In short it may help the producers keep control over their production, not for themselves but so that it remains free, open, and alive. Michel Bandry 54 (About the author : Professor, University of Montpellier 3, President of the English Studies Section of the Conseil National des Universités (French National Board of Evaluation))

55 To assess the status and importance of publications in the career of French academics, it may be necessary first to recall the different stages in the process of recruitment in the French universities. There are two levels of tenured positions : maître de conférences (associate professor) and professeur des universités. To be appointed, a candidate must first receive a diploma from a University (a doctorate for the maîtres de conférences ; a doctorate and an habilitation à diriger des recherches—habilitation to supervise research— for the professeurs). Then he/she must get a certification (qualification) from a national committee (the Conseil National des Universités, CNU). Once he/she is certified, he/she can apply for one of the positions offered by different universities. His/her application is then examined by a local committee. The CNU in English is composed of 32 nationally elected members and 16 government appointed members, 24 professeurs, 24 maîtres de conférences who are specialists in the different fields that constitute the spectrum of English studies (linguistics, literature, civilisation, Great Britain, The United States,…).

56 At each stage, or each hurdle, the candidate is chosen, mostly, on the quality of his/her research and publications. For the maîtres de conférences, it is mostly the doctoral dissertation which is the basis for choice. It does not have to be in book form. For the professeurs, the process is more complex. They are generally maîtres de conférences and have had an experience in teaching in a university. The requirements for receiving an habilitation may differ from one university to another, but the candidates are expected to present a certain amount of printed material as proof of their research work after the defense of their doctoral dissertation, as well as a monograph in which they present the nature of their research, its problematics, define their projects and indicate in what way and what direction they could supervise doctoral students and participate in research groups. The evaluation process also takes into account the activity of the scholar in the research groups he belongs to, in his university or in national or

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international research centers, his participation in national and international seminars or conferences. It is, generally, the work of ten years or more that is thus evaluated.

57 The role of the CNU is to assess the value of this research work on a national basis and to make sure that the habilitation is not awarded on parochial criteria. The candidate submits his publications and monograph to the CNU, and this work is evaluated by two examiners who present an extensive written report to the whole assembly and give their opinion on the advisability of certifying or not the candidate. The decision of the CNU is based on the opinion of the examiners who have read the whole body of material submitted. This evaluation is thus done mainly on the candidate’s publications and the difficulty lies in assessing the value of the different publications submitted. A certain number of candidates have at least one book among their publications. This book is most often derived from their dissertation, in French or in English. When this book is published by a well‑known French or foreign publisher, it is considered as a great asset. But, given the difficulty for French scholars to be published by serious publishers either in France or abroad, the material submitted by the candidates is mostly composed of articles or chapters of books.

58 The distinction is easily made between the articles published in « established » journals with an editorial board and an editorial policy that submits all articles to outside readers and other publications. An important part of each application file must be made of such articles published in French and international journals.

59 But the rest of the application file is most often composed of another type of publications : articles published in « local » journals (nearly each university has its own publication), seminar or conference proceedings, « on line » journals… whose readership is most often very limited. It has been the policy of the CNU these last ten years or so not to dismiss such publications as of little or no value on two conditions : the material submitted by the candidate must not be limited to this kind of publication and there must be evidence of a screening process in the decision to publish a contribution. This policy is founded on one consideration at least : the candidates must show that they are active in team research, that they animate and work within research groups most often in their own universities and the result of this research work appears through those « local » publications. Not to take such work into consideration would eventually deny any value to the work done locally and would discourage any attempt at doing serious research work in the universities. It would also discourage researchers from working in their universities.

60 It is the task of the CNU to validate in a way those local and individual endeavors by giving an informed outside assessment on such publications. This validation is done through several levels of evaluation :

61 1‑ At least one of he CNU examiners is a specialist in the field (e.g., American literature, linguistics…) ;

62 2‑ The CNU can and does submit publications to the appreciation of competent outside readers if need be ;

63 3‑ More generally, the CNU, as a whole, has a clear picture of the value of the work done by the different research groups in the universities and of their reputation : individual contributions to the group research projects are thus assessed according to this reputation and judged in view of the original character of the work done, specially when they reflect one stage in a research in progress.

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64 The CNU is also in charge of promoting the professors within the national salary scale and the same criteria regarding the publications are used in the difficult task of electing the few that will be promoted each year. Conclusions and Recommendations for the Future by Divina Frau‑Meigs 65 From these contributions and the various responses from the audience, several points need to be stressed, to establish a roadmap for future action.

66 We need to reassess our strategies about the circulation and distribution of our journals. Those relying on university presses seem to have similar problems, related to the lack of personnel and lack of distribution circuits ; those relying on traditional publishing houses realize that they don’t always make journals their priorities and they haven’t evolved adequate marketing strategies or sales strategies (subscriptions or sales of articles on‑line are non‑extent or poorly designed). As for libraries and bookstores, they don’t always have available space to place journals in a visible position, still giving precedence to books.

67 We need to reassess the relationship between our journals and learned societies, especially the national associations. Their position places them in an ambivalent relation to journals, sometimes acting as allies and also as brakes on innovation. Journals and learned societies can in fact be caught either in shared strategies or in oppositional strategies. Learned societies have intellectual missions that are mitigated with others, less exalted, like defense of the profession, representation at official events, connection with the United States, interface with authorities, etc. They also have contacts with decision‑makers at ministry level and with evaluators of the discipline and as such their activism may help promote the field of American studies, which makes them a dynamic ally. But they may be tempted to utilize the journal they sponsor as an official tool for control of the field as well, especially as they are interested in the cost‑effectiveness of the publication and its certification power rather than its argumentation capacity. They can influence academic life, especially in their capacity to mobilize the research community, often around a ritual annual event, the Congress. They have an impact on the themes chosen and give currency and visibility to some trends over others, which can lead to oppositions, disaffections and to dissensions from the editorial committee, which may feel constrained by its lack of autonomy. Mostly, as institutions, they have not adjusted yet to the demands and the opportunities of on‑line publishing, which doesn’t need to be thematic to be federative. So they are a powerful actor in the field, that needs to be involved in new alliances to reform scholarly publishing, together with librarians, specialized bookstores and publishers.

68 We also need to develop our thinking around the very process of publishing and the role of journals in that process. This is particularly topical when dealing with a multidisciplinary field like ours, which invites our scholars to combine history, literature, sociology, cultural studies, visual semiotics, etc. This is particularly topical also with an international comparative domain like ours, where perspectives coming from all points of Europe can enrich our exchanges with American scholars in the United States.

69 Reconsidering the role of our productions, especially the status of the article, requires us to pay close attention to the open archives movement and to the e‑print databases. They are important in helping us interact among ourselves as researchers, aside from certification ; they also are a harbinger of the new, more direct, relations developing

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between creators of ideas and users of these ideas. Beyond copyright issues and intellectual property feuds, open archive databases for American studies could be interesting repositories of gray matter and works in progress. They could make our research more visible and accessible to a larger public, including the media. They should not be seen as substitutes to journals but as subsidiaries, with links between these different stages of research development. For more credibility and for the establishment of trust, some other agencies could be involved in the validation process, like the Centre national de la recherche scientifique (CNRS) in France.

70 These points need to be considered in common and the task started in Graz and Bordeaux, the regular convening of editors of journals within EAAS, should continue (see list appended below). Invitations should be extended to editors in related or neighboring fields. Reaching out to journals outside associations is essential to the current debate and to the finding of new alternatives and procedures. We also need to discuss with our web masters and coordinators, Jaap Verheul and Dick Ellis, how to develop and co‑ordinate such a group. A mailbase, somehow connected with EAAS, seems like the first step to establish liaison with each other, though we are all overworked and backlogged… Another step is the setting up of a central internet website or portal, a sort of ‘Omnibus Contents’ as Dick Ellis puts it, on which we can display the contents pages of our publications, for mutual information and for EAAS members at large. It implies updating this portal as new issues of each of our journals appears. One of the topics for discussion on this portal should be the viability of the project of taking turns in producing special issues rather than creating a European journal on American studies ; another topic of interest remains the open archiving option. These topics are not mutually exclusive.

71 Many questions remain up in the air, that might be worth a conference specifically dedicated to the future of publishing in our field : translation, referencing systems and standards, bibliometrics, the status of proceedings and preprints, trust and reciprocity, preservation of public domain, etc. To me, one fundamentally intriguing question remains, that of the black box, « Who is the end‑user ? » Is it a captive audience ? Is it a monitoring body ? Is it community of self‑styled scholars ? Is it large or confidential ? If we are moving toward a world of direct exchange between producer of ideas and user of these ideas, how do we start envisioning that reader ? If we are moving towards on‑line exchanges, how do we validate that interaction ?

72 As these questions are not going to be answered in the near future, we should be grateful for journals…because they have given us the culture of installments. So, as we say in France, « à suivre » ! For Further Reading and Exchanging 73 « E‑print », available at http://www.eprints.org; see also http://www.eprints.org/self‑faq/#What‑is‑Eprint; http://www.eprints.org/self‑faq/#self‑archiving‑vs‑publication.

74 « Open Archives Initiative », available at http://www.openarchives.org

75 BABOU, Igor et LE MAREC, Joelle. « Nova Atlantis — Manifeste pour une utopie baconienne en sciences humaines et sociales », Alliage 47 (2001).

76 BAUDRILLARD, Jean. « Vers une société de l’immatériel », Les Clés du XXIe siècle. Paris : UNESCO/Éd. du Seuil, 2000.

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77 BORGMAN, Christine L. From Gutenberg to the Global Information Infrastructure, Access to Information in the Networked World. Boston : MIT Press, 2000.

78 BROWN, John Seely and DUGUID, Paul. The Social Life of Information. Boston : Harvard Business School P, 2000.

79 BUYDENS, M. La protection de la quasi‑création. Bruxelles : Bruylant, 1993.

80 CATTELIN, Sylvie. « Internet ou la renaissance du mythe du savoir partagé », Les Cahiers de Médiologie 5 (1998).

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RÉSUMÉS

Ce débat a eu lieu dans le cadre du congrès annuel de l’AFEA à Rouen, le 30 mai 2003. Il a été publié dans le numéro européen de la Revue française d’études américaines (RFEA 98, décembre 2003, 116‑137). Il est reproduit ici avec l’aimable autorisation des Editions Belin et l’accord de la rédaction de la RFEA.

AUTEURS

MICHEL BANDRY Divina Frau‑Meigs is co‑editor of the Revue Française d’Etudes Américaines ; Catherine Bernard is editor of Les Cahiers Charles V, the journal of the Faculty of English and American Studies, University Paris 7, and joint‑editor of The European Journal of English Studies, the official journal of the European Society for the Study of English ; Noëlle Batt

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is editor of TLE « recherche en revue » at University Paris 8 ; Jean Kempf is editor of Transatlantica ; Georges‑Claude Guilbert is editor in charge of book reviews for Cercles at the University of Rouen ; Professor Michel Bandry is the former President of the English Studies Section of the Conseil National des Universités (national evaluation board for higher education)

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Interview

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An Interview with Steven Millhauser

Marc Chénetier

1 This interview was conducted by e‑mail between November 20th and December 10th 2003, in the wake of Steven Millhauser’s readings in Paris

2 Marc Chénetier: Could I begin by asking you how you see the place the collection The Knife‑Thrower occupies in your work, not in terms of chronology, even though its composition is not itself entirely chronological, but in terms of its relative importance, thematically and/or formally?

3 Steven Millhauser: I’m almost superstitiously reluctant to comment on the possible “importance” of any element of my work, as if by doing so I were trespassing on terrain properly reserved for critics. But in the case of this collection, I do have the sense of a formal fact that may be worth mentioning. As stories began to accumulate during the 90s, I was aware that many of them made use of a plural narrator—the “we” of the title story and of some half dozen others. The use of “we” is, of course, hardly my invention. It’s used more than once by Kafka, most notably in “Josephine the Singer, or The Mouse Folk,” to say nothing of the famous opening of Madame Bovary, where the very first word is “Nous.” It’s also used by the chorus in Greek tragedy, although there you have a visible group speaking together—sometimes as “we,” sometimes as “I.” In any case, I found myself increasingly drawn to this pronoun, partly because it allowed me to enact the drama of an entire community set against a person or group that threatens it, and partly because the pronoun felt new and exciting, a pronoun that didn’t drag in its wake one hundred billion stories, as in the case of an “I” or a “he.” It strikes me as a barely explored pronoun, full of possibilities, and I’m certainly not done with it.

4 One of Beckett’s narrators reports that as a child he learned the names of the days of the week. And the child thinks: “Only seven!” I sometimes feel the same way about the personal pronouns… Only three!—or perhaps: Only six! I’d invent a fourth person, if I could. Short of that, the scarcely explored “we” remains deeply interesting to me.

5 MC: You seem to take it for granted there is a terrain “properly reserved for critics.” Which would it be?

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6 SM: As I see it, criticism is a complex and highly specialized act that begins in analysis and ends in evaluation. A writer of fiction may have analytic or evaluative gifts, but the act he’s engaged in is essentially synthetic.

7 MC: Might one say that the use of the “we,” passing the buck, so to speak, to a collective voice, is one way for the narrator to avoid the issue of moral choice or, to put it differently, to avert or dissolve responsibility for this or that particular interpretation of the events related?

8 SM: It can certainly have that effect, though I would argue that it doesn’t have to. In any case, what interests me about the “we” is something quite different. What interests me is the way moral indecisiveness or questioning may be given more weight or significance by attaching itself to a multiple being. A single narrator might have multiple interpretations of an event, or might try to evade moral choice in numerous ways, but the same kind of uncertainty in an entire community becomes public, societal, even political, and carries a different weight. I would argue that the moral wavering of the “we” in “The Knife Thrower” is more disturbing than the moral wavering of an “I” would have been, or disturbing in a different way.

9 MC: For all this, the “we” of “The New Automaton Theater”, for example, “cohabits” with an “I”, who reports on that “we”…

10 SM: One of the things I find fascinating about the “we” is the way it can slip easily in and out of “I.” When that happens, as in this story and “The Sisterhood of Night,” the “we” becomes different from the “we” of a story (like “The Knife Thrower”) that doesn’t contain an “I.” In these double‑pronoun stories, the “we” is revealed as having its origin in an “I”—the “we” is a mask behind which a particular narrator speaks for an entire group. Or you could say that the “we” is grounded in an “I.” In a “we” story that doesn’t slip into “I,” the “we” is more difficult to account for. It acts rather like a chorus, a mysterious plurality chanting in unison. You can, however, imagine an undramatized single narrator, emitting the words but speaking on behalf of a community. How can one resist a pronoun so supple and ungraspable?

11 MC: Would you consider The Knife‑Thrower as somewhat “darker” than preceding collections, and, if so, why should this turn have been taken?

12 SM: If a story is an artifact composed of a certain amount of darkness and a certain amount of light, I suppose it’s true that this collection is somewhat darker than the earlier ones. The reasons for this are obscure to me, though, so far as I can tell, it has nothing to do with some darkening sense of the human condition, or any such ponderous thought. What I look for in a work of art is something that might be called an expansion of being, a sense of mysterious exhilaration, and this has little to do with the quality of darkness in a work, but rather with the arrangement of elements, the elaboration of a significant design. The darkness is surely there, but it’s in the service of something else, which I think of as celebratory.

13 MC: Would you care to try and define this mysterious “something else?”

14 SM: I see you won’t let me get away with anything! I intended nothing mystical or mystifying here. I meant only that art is connected in my mind—in my body—with a sense of enhancement, of radical pleasure, of affirmation, of revelry. Darkness is the element against which this deeper force asserts itself. It may even be that this force deliberately seeks out darkness, in order to assert itself more radically.

15 MC: In this context, did you deliberately undertake the composition of Enchanted Night as a sort of “pause” in your work, a more serene, appeased version of themes and motifs exploited in the previous book?

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16 SM: It’s true that I thought of Enchanted Night as a more serene version of certain themes in the previous book, but it’s also true that this wasn’t my only way of thinking about it. I was searching for a form that allowed me to use many different voices, to use a host of pronouns. The conception of the work was musical—a theme and variations on a summer night. In a sense, Enchanted Night was an elaboration of “Clair de Lune.” I confess that the word “pause” makes me a little uneasy. It seems to suggest that serious effort was somehow interrupted for the sake of this book. But that wasn’t my sense of it at all, not for a moment. I hurled myself into that little book as into everything I write—as if it’s the only thing I’ve ever written, as if there could never be anything else.

17 MC: I didn’t mean that Enchanted Night had less intensity, urgency or necessity, but that it read as much more appeased, as if staging characters and situations that had, so to speak, been rather “defused”, rid of their more potentially explosive tensions, operated in the midst of a less stormy blue.

18 SM: Fair enough. I deliberately set out to soothe a number of troubled characters, to give them respite. I had in mind the spirit of something like A Midsummer Night’s Dream. A slow movement in a violin sonata. Adagio cantabile.

19 MC: This being so, would you care to explain what it was you wanted them to have respite from ?

20 SM: From the confusion and sorrow and disappointment of their lives. Haverstraw is a failed writer who has never left his childhood house, Laura is restless and virginal and assaulted by dangerous vague longings, Coop drinks too much and feels that his life since high school has gone downhill, Danny is upset about not having a girlfriend, the mannequin is trapped in her elegant careful pose, the woman who lives alone talks to herself out of sheer loneliness, Pierrot is desperate for a sign from Columbine, and even Janet is anxious and wants from the night something the night doesn’t usually bring. In the lovely Ben Jonson song from which I borrowed the book’s epigraph, the poet addresses Diana the huntress, goddess of the moon: Lay thy bow of pearl apart And thy crystal‑shining quiver. Give unto the flying hart Space to breathe, how short soever. In Enchanted Night, I gave the flying hart—the restless heart—a little space to breathe. Day will come soon enough.

21 MC: Since you mention this “flying hart,” what kind of continuity or difference would you discern between the sort of levitation that occurs at the end of “Clair de Lune” and the overall theme of “Flying Carpets?” And how do they connect, in your mind—or contrast—with the dialectics of “Balloon Flight, 1870?”

22 SM: The ascents in all three stories are expressions of spiritual elevation, of a casting off of earthly or material things. But the differences are crucial. In “Clair de Lune,” the final ascent is a kind of ecstatic soaring, a disappearance into regions of bliss. In “Flying Carpets” the ascent is a deliberately undertaken adventure, which the boy carries to a forbidden extreme—he soon becomes fearful of losing touch with the familiar objects of his world. The return to earth is presented as joyful, though at the end of the story there’s a suggestion that the ascent has become a forgotten wonder, an adventure now unimaginable, a movement of spirit to which the mundane boy no longer has access. This contrast between realms of air and earth is carried into “Balloon Flight, 1870,” where it’s made even more explicit. My narrator begins his flight with a clear, practical, indeed political objective, but he soon finds himself in unearthly regions that

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threaten to break his bonds with human things. He returns to earth with a feeling of gratitude and joy, like the boy in “Flying Carpets” before the final two paragraphs of that story. I suspect there are other shades of difference and similarity , but these are the ones that come to mind.

23 MC: You said earlier that “In a sense, Enchanted Night was an elaboration of ‘Clair de Lune’.” Could you say in what sense and, more particularly, what you feel had been “underexplored” in the story, needed “elaboration” or, to phrase the question in another way, what differences between these two creations were important to you?

24 SM: It’s an elaboration in the sense that although the decor is much the same—moon, blue night, wandering—the novella widens the geography, increases the number of characters, lengthens the time, complicates the mood. But I wasn’t driven to Enchanted Night by any sense that “Clair de Lune” was somehow underexplored. I do sometimes feel that something is insufficiently explored in a story—for instance, the history of the early years of Sarabee in “Paradise Park,” which later developed into the story of Martin Dressler—but in this instance the impulse derived from something else. What I wanted most to do, in the novella, was experiment with many points of view. It’s almost as if I wished to attempt in stricter, more lyrical form my own miniature version of a Dos Passos novel. Exactly what impelled me to choose a summer night is mysterious even to myself, though summer nights abound in my work, “Clair de Lune” simply being a recent instance.

25 MC: Two stories, at least, in The Knife‑Thrower, seem to partake of a logic different from the imaginative developments of your previous work: “A Visit” and “Kaspar Hauser Speaks.” Would you care to comment on what I see as the imaginative, formal, “reversed” challenges they represent?

26 SM: I was very much aware of violating my own usual procedure while writing “A Visit.” There are essentially two ways of presenting the fantastic in a story. You can begin in the everyday, familiar world and move gradually in the direction of the unfamiliar, so that the reader can barely detect where the line is crossed, or you can introduce the fantastic suddenly and eruptively. The second method is the method of Gulliver’s Travels (every detail before the introduction of the six‑inch Lilliputians is scrupulously realistic), of the explosive opening of Kafka’s Metamorphosis, and of any British ghost story (in which a familiar world is suddenly disrupted by the supernatural). By temperament and conviction, I much prefer the first method, the slow elaboration of a quotidian world that veers gradually toward the unquotidian, the improbable, the impossible. In “A Visit,” however, the logic of the story required a different approach. In fact I resisted it for a long time, since I dislike the crude melodrama of a sudden impossible eruption. But it began to fascinate me, almost as a kind of challenge. The problem, as I saw it, was to outrage the reader’s trust, and then seduce the reader into believing what can’t be believed. All this is quite apart from other considerations, such as the fairy‑tale theme of the frog (who in this case turns into a beautiful creature without changing).

27 MC: Would you, thereby, mean that this “visit” is less an epiphany or visitation than a gradual getting acquainted, a progressive acceptance of the odd, the different, the “other side” of the “real”?

28 SM: Yes, I like that way of putting it. But it’s also true that the story leads to a moment, near the end, very much in the style of a classic epiphany. You might say that “A Visit” owes a structural debt to a familiar kind of realistic story, while introducing into the body of the text an element associated with fairy tales.

29 MC: But I haven’t let you answer the question on the “difference” that seems to characterize “Kaspar Hauser”…

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30 SM: Until you spoke to me about it, I wasn’t aware that “Kaspar Hauser Speaks” obeyed a different logic from the other stories. Most of my stories include solitary figures, who in one way or another are posed against a community (the knife thrower against the audience, the narrator of “A Visit” against the friend and the frog, Heinrich Graum against the other masters and the town, Sarabee against the usual world of amusement‑park owners), and Kaspar Hauser is the most solitary of them all. But you’re quite right that the movement in the story is crucially different. In other stories, a solitary figure—or, in “The Dream of the Consortium,” a solitary institution—generally moves in a direction that grows more and more extreme. Here, Kaspar longs to be less extreme, to move in the opposite direction, to blend in with the crowd. Logic demanded it. Kaspar’s experience, indeed his entire nature, is so extreme that the only direction in which he can move is toward the familiar and everyday. I would argue that such a longing only emphasizes his apartness.

31 MC: What, then, in “Kaspar Hauser” is the relative importance of, or the connection between his explanation of “how things looked” to him before (accounting for the “real world,” in other words, for example what a candle is) and his gradual realization that his perceptions, emotions and attitudes should become “normal?” Doesn’t the “poetry” of his condition depend on his not understanding what the world is like?

32 SM: Yes, it’s absolutely essential for him to begin by not understanding what the world is like. His radical estrangement, which for everyone else constitutes the “poetry” of his condition, is precisely what drives him toward the normal. The normal or average is usually granted a certain respect in my stories, is even celebrated, but in this story it is associated solely with mediocrity, with the loss of individual perception. Kaspar craves mediocrity the way average people crave the exotic. Verlaine’s Gaspard Hauser asks: “Qu’est‑ce que je fais en ce monde?” My Kaspar answers: I am learning the art of disappearance...

33 MC: Earlier, you mentioned your desire to eschew “such ponderous questions.” Do I— happily— hear in this an invitation to avoid at all costs anything that might be construed as the symbolic import of motifs, objects and situations, anything that might arrest the movement of the text and the imagination in favor of a stable world view of any kind?

34 SM: By training and temperament I believe that the text is primary, that the reader must not bring to the text anything that isn’t actually there. I have an aversion to what you call “symbolic import” because it seems a way of smuggling into a text illegal goods. But though I don’t concern myself with hidden symbolic meanings, or a consistent world view, I draw back from something in your question that seems to make me forbid such speculation altogether. It may well be that a writer is drawn to a particular cluster of motifs and objects and situations, that such a cluster defines that writer’s imaginative response to the world and distinguishes him usefully from other writers, and that the cluster therefore suggests or points to a larger meaning that can be defined. I have no objection to interpretations of that kind, so long as they derive rigorously from what is actually in the work.

35 MC: What is the ratio, in the collection, of historical detail and invented, imaginary material, and to what ends do you have recourse to accurate historical detail or shift over to imagined facts and references?

36 SM: The proportion varies. In stories based on historical events, such as “Balloon Flight, 1870” and “Kaspar Hauser Speaks” there is a fairly large amount of accurate historical detail, though even in such pieces the details are in the service of unhistorical, which is to say fictional, ends. In “Kaspar Hauser,” details such as the tower, the candle, the window, the elderberries, are all

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taken from the extremely precise accounts left by Anton von Feuerbach and Georg Friedrich Daumer, but the speech itself is entirely invented—the historical Kaspar Hauser had a rudimentary grasp of language and could never have delivered a speech so rhetorically sophisticated. The historical details in “Balloon Flight, 1870” are taken from histories of the Franco‑Prussian War and the brilliantly detailed journal of Edmond de Goncourt, but the thoughts and feelings of the narrator are of course my invention. But even in stories that require no research, stories that are, so to speak, entirely invented, many details of setting are based on my memory of particular streets and houses and rooms—and because memory is itself a form of history, these stories too may be said to have an historical basis. In some cases a clearly “invented” story—say, “Paradise Park,” with its series of increasingly improbable amusement parks—springs from my reading about an historical event, in this case the development of the three Coney Island amusement parks at the turn of the century. Sometimes in a story imagined without the aid of research, such as “The Sisterhood of Night,” I might add a small historical detail, which only a few readers may notice. In that story, for example, I named one of the girls Mary Warren. It’s a very commonplace name, which anyone might have, but it happens also to be the name of one of the girls at the Salem witch trials.

37 MC: Would you care, as an obvious follow‑up, to comment on the reasons for your fascination with the world of adolescence?

38 SM: What’s fascinating about adolescence is that it’s an in‑between state. It feels a tug in two directions: back toward the completed world of childhood, from which it is permanently banished, and forward toward the unknown realm of adulthood, which it both craves and fears. Because it’s an in‑between state, adolescence is fluid, unformed, unsettled, impermanent—in a sense, it doesn’t exist at all. Fiction conventionally presents adolescence as a time of sexual awakening, but for me it feels like the very image of spirit in all its restless striving.

39 MC: One suggestion I was tempted to make in the book I wrote on your work was that one founding, permanent crisis in your texts consists in the contradictory desire to find a form for dreams and things and a refusal to see this necessary form solidify into anything permanent, a permanent struggle between form and dissolution. How widely have I erred?

40 SM: Not widely, not narrowly, not at all. One thing I learned from your book—and I learned lots of things—was how often I write about dissolution. It hadn’t struck me before. Why this continual return to images of disappearance, of fading away, of dissolving? It must be that dissolution is the necessary other side of permanence, its logical contradiction. It’s also a fact in the world: the loveliest snowman melts away, civilizations crumble, galaxies die. Against this universal principle of dissolution, the urge for un‑dissolution, for permanence, asserts itself. Form is the response of the spirit to the experience of dissolution.

41 MC: Is your insistence on dream and the imagination connected with a concern for any kind of transcendence?

42 SM: No and yes. If by “transcendence” you mean something religious or mystical, then the answer is no. But “transcendence” is a tricky word. Its roots suggest a climbing‑across, a rising‑above, a going‑beyond. In this sense, dream and imagination are nothing but acts of transcendence, since they carry us beyond the limits of immediate sensation. In the same way, memory is also an act of transcendence. But I would make a distinction between secondary imagining and dreaming, and primary imagining and dreaming. The secondary form is whimsical, ignorant, a little bored, a little frivolous—it seeks only distraction. The primary form, though playful like all acts of mind, is radically serious. It seeks to go beyond immediate sensation because it doesn’t believe that sensation fully accounts for the astonishing,

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ungraspable event called the world. In this sense, dream and imagination are methods of investigating the nature of things, they are precise instruments for exploring reality. But enough, and more than enough. For someone who prefers silence, I’ve been talking far too much. It must be your fault.

43 MC: Let me be guilty all the way, then: your texts often refer to “something dubious” in the desire of the imagined spectators of “The Knife‑Thrower,” or “Paradise Park,” to “forbidden passions” that “cannot be named.” Pointing as they seem to do to a fascination for the erotic and the deadly, should these mentions, however, be read more widely to suggest a collective desire for further “unspeakable practices,” or are they, less topically, meant to underline the somber side of any imaginative act?

44 SM: Both; but the second especially. Imagination has the violence and danger of all powerful things. Reason continually comes up against limits, it’s in fact an acknowledgment of limits, but imagination is unstoppable, it wants to smash limits out of sheer exuberance. Its cry is always the same : More! More! The brightest, most playful act of imagination casts a dark shadow.

45 MC: A question that may lead us back to your use of the “we” in the volume at hand has to do with the room left for the reader in front of your characters’ rather imperial dreams? What is your most ardently wished for reaction on his/her part?

46 SM: Another madly impossible question. I think the adventure I’d wish for a reader is the opposite of the one told by Kaspar Hauser. That is, I’d wish the reader, in the course of falling into one of my stories, to grow more and more estranged from the familiar, until by the end of the story he or she, if only for a moment, sees the world as a mysterious and surprising place. After all, our nervous systems are arranged for practical ends—we see what’s immediately useful to us and ignore the rest. In this sense, art is a method of destruction. It turns our attention away from the useful, it allows us to see things usually obscured by habit—it invites us to witness the thrilling strangeness of the world.

47 MC: Thank you, dear Steven, for your good will, patience and precision while answering my “madly impossible questions.” After all, you are an expert concerning the “madly impossible”… and the temptation was great.

AUTEUR

MARC CHÉNETIER Université Denis‑Diderot, Institut Universitaire de France

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Comptes rendus

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Stephen BRUMWELL. Redcoats : The British Soldier and War in the Americas 1755-1763. Cambridge UP, 2002. 349 p.

Nathalie Caron

1 Stephen Brumwell propose au lecteur une description fouillée de « l’Armée américaine » composée des soldats portant l’habit rouge du roi Georges, les « redcoats », au cours de la Guerre des Sept ans qui opposa la Grande-Bretagne et la France de 1755 à 1763. Ce livre se veut d’abord aller à l’encontre d’une certaine historiographie — américaine essentiellement — selon laquelle l’armée britannique de la moitié du dix-huitième siècle était une organisation sociale rigide et polarisée, où des soldats, placés sous le commandement d’officiers incompétents et corrompus, ayant perdu leur humanité et privés de droits, se trouvaient confrontés à une machine militaire impitoyable. Tout en utilisant certains des travaux sur la question, notamment le récent Crucible of War. The Seven Years War and the Fate of Empire in British North America, 1754-1766 de Fred Anderson (New York, 2000), Brumwell se démarque de ceux-ci en faisant porter l’accent ailleurs que sur les tensions entre Américains et Britanniques, déjà perceptibles lors de la guerre et signes de la rupture à venir. Tout en reconnaissant que certains tiraillements au sein de l’armée portent en germe le conflit futur, Brumwell insiste dès le premier chapitre sur le rapprochement entre les colonies et la Grande-Bretagne au terme de la guerre et conclut son livre sur la filiation entre « l’Armée américaine » de la Guerre des Sept ans, qui s’opposa, finalement avec succès, à l’armée française de 1756 à 1763, et « l’Armée continentale » qui entre 1775 et 1783 mena un combat, lui aussi victorieux, contre l’armée britannique. Brumwell met ainsi en évidence un paradoxe : les « redcoats », officiers ou simples soldats, nés en Grande- Bretagne, en Allemagne ou aux colonies, ont gagné leur propre victoire en contribuant d’abord à la transformation de l’armée britannique, transformation qui a conduit à la victoire contre la France, mais qui a ensuite permis à l’armée Continentale de se construire. Compte tenu de l’issue du conflit entre les colonies et la métropole, les

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« redcoats » réussirent en définitive à s’émanciper du contrôle politique et de la « machine » militaire.

2 Après une description étonnamment précise des diverses opérations menées par l’armée entre 1755 et 1763 contre la France, en Amérique du nord et dans les Caraïbes, destinée à introduire le contenu thématique de l’analyse, Brumwell s’attache à retracer l’expérience militaire du « redcoat » de « l’Armée américaine ». Il s’intéresse au recrutement et à la composition du corps des officiers et de celui des soldats, aux possibilités de promotion, ainsi qu’à la motivation de ces soldats, parfois enrôlés de force sous l’effet des Press Acts ou de l’alcool, mais souvent aussi désireux d’échapper à une situation économique ou sociale difficile. Aussi de nombreux hommes (et quelques femmes, prostituées ou femmes de soldats chargées du linge) furent-ils finalement convaincus de s’engager dans l’armée, au péril de leur vie, pour un maigre salaire et un statut social méprisé. Brumwell remet en question l’idée selon laquelle le recrutement se faisait dans la « lie » de la société. Il démontre que les soldats avaient des origines sociales et des niveaux d’instruction très divers et que l’armée recrutait des ouvriers agricoles comme des artisans qualifiés. La diversité est également reflétée par la composition ethnique d’une Armée qui comprenait une forte proportion d’Ecossais et d’Irlandais (plus de 50% en 1757), notamment parmi les officiers, ainsi que quelques Américains, recrutés en général avant 1757, eux-mêmes le plus souvent de récents immigrants irlandais. Des Allemands protestants et des Indiens — rarement intégrés aux bataillons réguliers — étaient également recrutés.

3 Brumwell explore la façon dont fonctionnait l’armée en faisant le point sur l’application d’une discipline stricte et l’utilisation fréquente du châtiment corporel, qui, affirme-t-il, n’était pas seul à régir le comportement du soldat et n’empêchait pas celui-ci de faire valoir ses droits (sur les rations de nourriture, le salaire ou les dispenses) au moyen par exemple de pétitions aux officiers, ou de se sentir finalement protégé par la communauté solidaire et fraternelle que représentait l’armée. Dans une partie plus particulièrement consacrée aux défis rencontrés par l’armée, il recense les obstacles physiques — terrain escarpé et boisé, vêtements trop lourds et mal adaptés au climat, insectes et régime alimentaire générateurs de maladies, malaria, fièvre jaune, scorbut, insuffisance de l’aide médicale — auxquels étaient confrontés les « redcoats », surtout dans les Caraïbes, ainsi que les problèmes militaires et éthiques posés par le contact avec les « irregulars » — rangers, milice locale canadienne ou caraïbe, Indiens alliés ou ennemis, ou encore Indiens menant leur propre guerre de résistance — , dont les règles étaient éloignées du code militaire européen, et qui pratiquait une guerre de raid et d’embuscades mal maîtrisée par les « redcoats ». Des relations parfois étroites furent tissées entre Indiens — alliés ou ennemis — et soldats coupables de désertion ou soumis à la captivité (l’un servant parfois de couverture à l’autre), relations dont les caractéristiques, allant de l’esclavage à l’adoption, voire l’assimilation, varient grandement d’un exemple à l’autre. Bien que la plupart des soldats britanniques n’ait acquis qu’une connaissance superficielle de la culture indienne, il n’en demeure pas moins que celle-ci a laissé sa trace dans les régiments du roi en matière de stratégie guerrière et d’équipement.

4 Brumwell souligne ainsi que les conditions de combat en Amérique conduisirent l’armée britannique à alléger son équipement et à modifier son approche tactique, sans pour autant que les soldats en viennent à maîtriser parfaitement les tactiques de guerre indiennes. Tout un chapitre est consacré à l’évolution tactique des « redcoats » en

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Amérique du nord, notamment en matière de combat de brousse, mais aussi d’attaque amphibie ou de positionnement. En particulier c’est dans le contexte de la Guerre des Sept ans que fut officiellement formée l’infanterie légère de l’armée britannique.

5 L’efficacité de « l’Armée américaine » procéda de cette capacité d’adaptation mais aussi du courage et de la ténacité des Écossais des Highlands, dont étaient exclusivement composés certains bataillons comme celui des Black Watch. Ces « redcoats », auquel Brumwell voue tout un chapitre, se distinguaient par leur kilt et leur dialecte, mais aussi par l’application d’un code d’honneur strict et leur façon de combattre. En dépit des rébellions jacobites qui s’étaient soldées en 1747 par la défaite de Culloden, la participation écossaise à la Guerre des Sept ans contribua à l’émergence d’un sentiment d’appartenance culturelle à une identité britannique commune. Le dernier chapitre, consacré notamment aux « redcoats » morts au combat, au processus de démobilisation et au pauvre sort réservé à la plupart des survivants qui avaient donné leur vie pour la nation, montre bien que la victoire britannique et la gloire qui rejaillit sur l’empire ne purent se passer du sacrifice des soldats et des officiers.

6 L’objectif de Brumwell est donc de réhabiliter les « redcoats », d’apporter des éclaircissements sur cette catégorie sociale méconnue et mésestimée et de lui donner chair, de façon à prouver que la victoire britannique n’avait rien d’évident, que la conquête du Canada, en particulier, n’était pas un fait accompli, comme le suggèrent certains historiens. Bien au contraire, il soutient que la Guerre des Sept ans fut gagnée par la Grande-Bretagne en grande partie grâce à l’effort et à l’efficacité des « regulars » de l’armée britannique qui ont su s’adapter à des conditions géographiques et climatiques difficiles, à un type de combat pour lequel ils n’étaient pas entraînés — la guérilla — , à des adversaires — les Indiens alliés des Français — dont les tactiques ne procédaient pas des mêmes règles. L’approche révisionniste de Brumwell ne l’empêche pas de reconnaître que certains des faits reprochés à l’armée britannique — la présence de criminels en son sein, la sévérité inutile de sa discipline, la corruption de certains officiers, l’adoption de tactiques militaires inadéquates — sont avérés.

7 Dans son analyse de l’endurance et de l’adaptabilité de l’armée britannique, destinée à mettre en évidence sa métamorphose progressive, l’auteur s’appuie sur des sources sous-exploitées et en particulier sur des documents qui font entendre la voix du « redcoat » ordinaire : lettres de sous-officiers ou de simples soldats ou encore pétitions envoyées au ministère de la Guerre par des officiers ou des veuves de soldats. Néanmoins, c’est surtout la correspondance entre officiers qui est exploitée, de même que les papiers de trois commandants en chef — John Campbell, Lord Loudoun (1756-58), James Abercromby (1758), Jeffery Amherst (1758-63) — et du général de brigade John Forbes. Les registres comportant les noms de ceux qui réclamèrent — souvent en vain — une pension de guerre à l’Hôpital de Chelsea, permettent à l’auteur de tirer un certain nombre de conclusions sur les soldats blessés ou malmenés par la guerre, privés de tout à leur retour au pays, et d’insister sur la nécessité de traiter ces soldats comme des individus à part entière, dignes d’intérêt, et non comme les simples composantes d’une machine de guerre impitoyable. Sont également utilisés, pour retracer les campagnes et le théâtre des opérations, les papiers officiels de « l’Armée américaine », et les lettres émanant du ministère de la Guerre, ainsi que, dans la lignée de l’historien Stanley Pargellis, les archives des cours martiales de l’armée.

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8 Le livre est constitué d’une introduction et de neuf chapitres, suivis d’une longue bibliographie et d’un index thématique, ainsi que de huit tableaux de statistiques fort utiles sur les proportions d’officiers, de sous-officiers et de simples soldats, la composition ethnique des forces militaires en Amérique du nord, l’âge moyen des soldats et de leur recrutement, leur taille ou encore leurs activités professionnelles antérieures à leur recrutement dans l’armée. Quelques illustrations dont une carte, dont on peut regretter qu’elle soit un peu succincte, permettent de rendre la réalité des faits plus palpable encore.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

NATHALIE CARON Université Paris 10 — Nanterre

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Nicole Fouché. Benjamin Franklin et Thomas Jefferson : Aux sources de l’amitié franco-américaine 1776-1808. Paris : Michel Houdiard, 2000. 102 p.

Nathalie Caron

1 Spécialiste des relations franco-américaines, Nicole Fouché propose une comparaison presque terme à terme entre deux Pères fondateurs de renom, Benjamin Franklin et Thomas Jefferson. Ce choix, comme la brièveté de l’ouvrage, le nombre limité de notes, la présence d’une courte bibliographie et l’absence d’index, répond aux exigences de la collection « Biographies américaines », dirigée par Annick Foucrier, dont l’objectif est de « présenter l’histoire des Etats-Unis à travers les vies de deux personnages emblématiques, montrés en miroir, dans la comparaison, la coopération ou l’affrontement ». Ici, le moment de l’histoire américaine que ce choix éditorial permet d’appréhender est la naissance des relations franco-américaines, de 1776 — lorsque la Déclaration d’indépendance des colonies américaines impose la nécessité de trouver une aide extérieure et donc de lancer une politique étrangère — à 1808, date à laquelle se termine le deuxième mandat présidentiel de Jefferson et se confirme la volonté américaine d’adopter une position de neutralité vis-à-vis de la France. Si le choix s’est porté sur Franklin et Jefferson, c’est qu’ils furent les deux premiers ministres plénipotentiaires américains à la cour de Versailles et sont, pour l’auteur qui ne cache pas son admiration pour tous deux, les « initiateurs de l’amitié, si riche d’avenir », entre la France et les États-Unis. Leurs séjours respectifs à Paris — de 1776 à 1785 pour Franklin, de 1784 à 1789 pour Jefferson — recouvrent d’ailleurs la période de formation des États-Unis, de la Déclaration d’indépendance à l’élection du premier président, George Washington.

2 Après une préface de Claude Folhen, l’étude s’ouvre par un chapitre intitulé « Le cadre et les personnages », où est décrit, de façon très didactique, le contexte historique, depuis la guerre de Sept Ans, qui opposa la France et l’Angleterre sur le sol américain entre 1756 et 1763, jusqu’à la recherche d’une aide extérieure indispensable à la poursuite de la rébellion américaine contre la couronne britannique, c’est-à-dire

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jusqu’à la tentative faite par les nouveaux États-Unis d’obtenir un traité d’alliance avec la France, rivale de l’Angleterre. Sont ensuite présentés Franklin et Jefferson avant leur départ pour la France, leurs origines sociales et familiales, leur jeunesse et leur personnalité respectives. L’accent est mis sur les différences entre les deux personnages, sans que soit toujours évitée la schématisation. Non seulement Franklin est de dix-sept ans l’aîné de Jefferson, mais il est également de naissance plus modeste ; l’un est né en Amérique, l’autre en Angleterre ; l’un est citadin, l’autre planteur ; l’un est joueur et extroverti, l’autre sérieux et introverti ; tous deux sont mariés, mais si l’épouse de Franklin n’occupe pas une grande place dans sa vie, celle de Jefferson, vouée à un destin tragique, fut passionnément aimée, etc. De façon plus pertinente au regard du propos général, l’ouvrage met finalement l’accent sur l’anglophilie de Franklin, qui évolua de telle façon qu’il se rangea finalement, en 1776, du côté des insurgés, à la francophilie de Jefferson, qui, lorsqu’il fut président, le fit pencher en faveur d’une neutralité raisonnée. De même — aux deux chapitres suivants qui traitent tour à tour de Franklin puis de Jefferson — l’auteur remarque que les missions des deux ministres intervinrent dans des contextes bien différents, puisque Franklin dut se rendre en France pour demander une aide militaire à la cour de Versailles et négocier un traité d’amitié en temps de guerre, alors que Jefferson eut à confirmer et développer l’alliance française en temps de paix. Toutefois, Franklin réussit dans sa mission d’une façon plus éclatante que Jefferson, puisqu’il obtint, grâce à ses négociations mais aussi parce que la France voyait là un moyen de contrer sa rivale, la signature des deux traités franco-américains de février 1778, à savoir d’une part le traité d’Amitié et de Commerce et, de l’autre, le traité d’Alliance militaire qui en 1780 permit l’envoi de troupes françaises sur le territoire américain et assura ainsi la victoire aux colonies rebelles. Jefferson, lui, dut œuvrer dans un contexte de crise financière, la France affrontant alors une Angleterre en pleine croissance économique, et faire face à la mauvaise volonté des Français qui en 1786 signèrent un traité commercial, dit traité d’Eden, avec l’Angleterre.

3 Si les succès diplomatiques de Jefferson furent limités, ses efforts vinrent consolider les acquis de Franklin, dans la mesure où ils favorisèrent les transferts culturels entre France et Etats-Unis. C’est ce qui ressort des trois chapitres suivants où sont décrits les réseaux de connaissances — officiels et privés — de Franklin et de Jefferson. N. Fouché insiste sur la continuité entre les deux ministres sur le plan social et sur leur complémentarité, même si Jefferson ne bénéficia pas du même accueil à la cour que son prédécesseur. Jefferson, comme Franklin, entretint des liens amicaux étroits avec les philosophes et plus généralement les membres de l’élite française, confirmant ainsi l’amitié franco-américaine amorcée d’une façon tout à fait remarquable par son prédécesseur. À l’initiative des deux hommes, de nombreux échanges culturels et intellectuels eurent lieu, qui permirent à la France et aux États-Unis de mieux se connaître et comprendre. À l’instar de Franklin, dont les expériences sur l’électricité lui valurent d’être félicité par Louis XV et admis à l’Académie des sciences de Paris, Jefferson s’intéressait à la science — il proposa Lavoisier comme membre de l’American Philosophical Society de Philadelphie. Il se passionnait tout particulièrement pour l’horticulture, importa des plants américains et chercha à faire partager son goût pour le vin français. C’est par l’intermédiaire de Franklin que le duc de la Rochefoucauld d’Enville traduisit en français les Constitutions de colonies américaines. De son côté, Jefferson fit paraître en France ses Notes on the State of Virginia et collabora à la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Curieux, alerte, plus jeune

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que Franklin lors de son séjour en France, Jefferson est défini par N. Fouché comme un moderne, issu de l’encyclopédisme des Lumières, qui non seulement transmit à ses compatriotes une certaine image de la France — à travers l’architecture par exemple qu’il chercha à reproduire en Virginie — mais aussi proposa aux Français une incarnation de la spécificité américaine. Jefferson toutefois ne vit pas tout de la France ; et en particulier ne vit rien de la misère du peuple. Il ne semble pas avoir été conscient des fractures de la société française qui furent à l’origine des événements de 1789, date à laquelle il est rappelé aux États-Unis. Les relations franco-américaines furent ensuite ternies par la venue du ministre plénipotentiaire français, Genêt, qui en 1793 déclencha une vague de francophobie chez les partisans de Washington, par le traité de Jay en 1794, qui remit en cause les traités de 1778, et surtout par l’affaire XYZ et la quasi- guerre avec la France en 1798. Président à partir de 1800, Jefferson acheta la Louisiane à Bonaparte tout en adoptant une position de neutralité vis-à-vis de la France.

4 En somme, voilà un petit livre clair, de lecture facile et agréable, plus descriptif qu’argumentatif, qui intéressera tous ceux qui souhaitent faire le point sur le rôle des deux ministres en France, ou qui cherchent à en savoir plus sur le contexte des Lumières et sur la place de Franklin et de Jefferson dans les cercles français de sociabilité entre 1776 et 1789. Toutefois, outre la tendance à la schématisation notée plus haut, soulignons le flou de certains passages, qui contraste avec le parti pris pédagogique du chapitre d’introduction. Ainsi un lecteur non averti regrettera probablement l’absence de détails sur le contenu du traité de Paris de 1783. De même, la présentation de la venue de Genêt est incomplète puisque l’accent est mis sur la francophobie déclenchée par les actions du ministre, sans que soit souligné le fait que cette francophobie ne s’étendait pas aux membres des sociétés démocratiques- républicaines, qui continuèrent à soutenir Genêt même après son renvoi.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

NATHALIE CARON Université Paris 10 — Nanterre

Transatlantica, 1 | 2003 239

François Duban. L’Ecologisme aux Etats-Unis : histoire et aspects contemporains de l’environnementalisme américain. Paris : L’Harmattan, 2000. 188p.

Alain Suberchicot

1 L’ouvrage de François Duban étudie les manifestations actuelles des écologies américaines et en évalue les effets culturels et politiques. Il retrace d’abord les origines de cette prise de conscience de la fragilité des écosystèmes et de la terre américaine. Parmi les précurseurs, on trouve H. D. Thoreau et John Wesley Powell, l’explorateur de l’Ouest. C’est avec John Muir (1838-1914) et Gifford Pinchot (1865-1946) que la réflexion se fait plus spécialisée, et que se fondent les concepts qui sont encore déterminants de nos jours dans la conscience écologique américaine, nous apprend en substance François Duban. Ces deux grandes figures ont permis de marquer les différences, pour ne pas dire les divergences, entre les tenants de la conservation, prônée par Pinchot, favorables à un usage avisé des ressources, et les tenants de la préservation, défendue par John Muir, proposant une protection totale de la nature sauvage. Il y a là un clivage originaire que François Duban a le mérite de mettre en évidence, et dont il suit les conséquences jusque dans les excès de ce que l’on appelle plus près de nous l’écologie profonde.

2 Après avoir analysé les concepts essentiels d’une première phase de développement de l’environnementalisme, François Duban nous oriente très habilement parmi les nombreuses associations écologistes américaines, et il se fait plus politologue qu’historien des idées. On note une connaissance fine des propositions et des débats du Sierra Club, la puissante association californienne de défense de la nature qui voit le jour en 1892, à l’initiative de John Muir, et un examen minutieux de l’action de la Wilderness Society, à partir de sa création en 1935. Ces pages denses mènent à la grande période de l’écologie américaine, en gros de 1970 au début des années 1990, moment où l’environnementalisme commence à marquer le pas. C’est là que l’ouvrage de François

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Duban atteint son point de réflexion critique le plus passionnant. Nous voyons alors se dessiner un paysage paradoxal de l’environnementalisme où les grandes organisations défendent des politiques modérées tandis que les valeurs de l’écologie se diffusent dans le grand public ; nous mesurons l’engouement croissant suscité par l’écologie profonde autour du mouvement Earth First, qui ne craint pas d’opposer la nature aux richesses et aux nécessités de la croissance économique. A lire François Duban, on se pose alors la question suivante : les tenants de la deep ecology (qui ont dû influencer nos Verts hexagonaux, parmi les rangs desquels on ne craint pas de taxer et de représenter en même temps) sont-ils les staliniens de l’Amérique contemporaine ou bien une espèce plus ancienne et typiquement autochtone, des puritains des premiers temps de retour parmi nous pour refuser le monde tel qu’il nous est donné au nom d’un devoir moral ? Le livre de François Duban permet aussi de mieux comprendre pourquoi un Al Gore a longuement cultivé son image d’environnementaliste. Il suffit de lire Earth in the Balance (qu’Al Gore a écrit alors qu’il était encore sénateur) pour comprendre, à la lumière des analyses de François Duban, que les valeurs écologistes permettent de se forger une image de radical à peu de frais et de brasser des idées générales. Il sera toujours plus consensuel de se lamenter sur l’effet de serre — puisque c’est un domaine où l’administration Reagan en effet n’a pas été réactive, comme le relève Al Gore — que de faire des propositions concrètes sur l’avenir de la protection sociale et sur les moyens de combattre la pauvreté urbaine. En outre, nous mesurons, grâce au livre de François Duban, que les valeurs écologistes sont éclectiques, voire clivées. C’est sans doute pour cette raison qu’elles sont aisément récupérées par les hommes politiques, qui y trouvent une réserve d’idées où l’on pourra toujours puiser un discours de substitution faute de pouvoir y trouver une idéologie de rechange. L’environnementalisme n’est donc pas anodin ; il ne l’est pas dans le constat qu’il nous propose ; il ne l’est pas dans sa façon d’être convié au jeu politique.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

ALAIN SUBERCHICOT Université Jean-Moulin — Lyon 3

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Jacqueline Lindenfeld. The French in the United States : An Ethnographic Study. Westport, Conn. : Bergin & Garvey, 2000.

Annick Foucrier

1 Ethno-linguiste née en France et vivant aux Etats-Unis, Mme Lindenfeld expose les résultats de ses recherches sur les Français installés en Californie et dans le sud de l’Oregon depuis la Deuxième Guerre mondiale. Il s’agit d’étudier la conservation de l’identité française malgré le processus d’adaptation. Après un rappel de l’historique de la présence française aux Etats-Unis, l’auteur définit la notion d’ethnicité comme construction sociale où la perception qu’en ont les intéressés est déterminante, et décrit les techniques d’enquête qu’elle a utilisées. Elle appuie ses analyses sur des entretiens avec un échantillon de Français « isolés » parmi des non-Français. La pratique de la langue par les enfants est présentée comme un marqueur ethnique.

2 L’auteur rappelle que dans la deuxième moitié du XXe siècle la plupart des Français sont arrivés isolément, et non plus en suivant les chaînes de migration — si importantes à la fin du siècle précédent. Cette situation les rend plus perméables à l’influence de la société dominante. Son groupe de référence, choisi volontairement sans liens avec les associations françaises en Californie, révèle des personnalités individualistes, ayant quitté la France par goût de l’aventure et pour échapper à une société pesante. Ces Français conservent pourtant de multiples liens avec leur pays d’origine, où ils effectuent de fréquents voyages. Mais cela ne suffit pas pour soutenir une identité ethnique. Mme Lindenfeld souligne le manque d’associations où les Français puissent se regrouper pour exprimer leur spécificité culturelle. Ils ne la renient pas pour autant.

3 Conséquence de cette insuffisance de structures communautaires, la pratique de la langue française est plus faible en Californie qu’en Louisiane et en Nouvelle-Angleterre, comme le montrent les recensements. À cet égard la maîtrise du français par les enfants est très symptomatique. Ainsi, dans le cas des Françaises ayant épousé des Américains, plus la mère est à l’aise en anglais, et moins ses enfants sont encouragés à

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parler français. L’auteur conclut que les Français transmettent à leurs enfants surtout le sens de l’aventure. Cette étude illustre bien la difficulté pour les immigrants de conserver leurs spécificités culturelles dans un environnement où ils sont très minoritaires.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

ANNICK FOUCRIER Université Paris 13

Transatlantica, 1 | 2003 243

Luc Benoit à la Guilllaume. Les discours d’investiture des présidents américains ou les paradoxes de l’éloge. Paris : L’Harmattan, 2001. 304p.

Larry Portis

1 Étude universitaire des discours prononcés par les présidents américains à l’occasion de leur investiture, au cours du vingtième siècle, le travail de Luc Benoit, jeune américaniste, se distingue par un contenu théorique (concepts élaborés, intelligemment appliqués au sujet) et critique qui tranche sur la plupart des ouvrages universitaires. L’auteur ne borne pas son horizon à la connaissance des textes historiques et des ouvrages d’autres chercheurs dans le domaine qu’il traite. Les concepts empruntés à la théorie sociale ou sociologique critique et à la philosophie (à Marx, Terry Eagleton, Louis Althusser, Barbara Cassin, Pierre Bourdieu, entre autres) lui permettent d’élaborer sa propre grille de lecture. Comme il l’écrit dans sa conclusion : « Etudier les discours d’investiture, c’est poser la question de l’idéologie, au double sens de la critique des illusions, dans la tradition marxienne de la dénonciation de la fausse conscience, et de l’étude fonctionnelle de l’efficacité et du fondement institutionnel de ces illusions. Car ces discours sont l’objet d’une triple dénégation idéologique : celle de l’interdiscours, des conflits et de l’histoire » (287).

2 Par-delà l’apparente simplicité du sujet et la transparence des textes étudiés, l’objectif du livre est assez ambitieux. Il s’agit d’examiner comment une culture politique est soigneusement entretenue par une rhétorique destinée à renforcer l’idéologie dominante. D’où la possibilité pour l’auteur de se prononcer sur la nature même de l’idéologie : « […] même si le consensus est l’une de ces illusions que l’Amérique « se fait sur elle », n’a-t-elle pas une influence sur les propos de ses dirigeants ? Les mots ne sont pas que des outils rhétoriques qui représentent — ou trahissent — une réalité extérieure au discours, ils contribuent également à créer cette réalité » (289).

3 Malgré sa volonté de s’engager dans un débat aux implications politiques, L. Benoit ne manque pas de nuancer ses propos. S’expliquant sur sa méthode, il souligne, en faisant

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reférence à Mikhail Bakhtine : « Les discours d’investiture ne se contentent pas du rappel des mythes fondateurs. Par-delà leur apparence constative apparaît leur rôle performatif de création des valeurs. Le travail de fabrication du consensus dépend des circonstances politiques et du rapport de forces. Le problème n’est donc pas de savoir si les allocutions sont idéologiques ou pas, mais plutôt d’étudier leur caractère plus ou moins ouvertement dialogique et d’essayer de relier les variations formelles et génériques à l’évolution de la conjoncture » (99).

4 Ici se pose la question d’une possible ambivalence ou ambiguïté entre démarche universitaire et buts politiques. Quoi qu’il en soit, il s’accomplit dans ce livre un mariage assez rare entre, d’une part, l’analyse littéraire et linguistique et, de l’autre, l’étude de la civilisation. L’examen de l’évolution idéologique et des changements politiques à travers les discours présidentiels se fonde sur le commentaire de texte, exercice très prisé dans l’enseignement supérieur français. Or, l’auteur réussit à maîtriser cette technique sans (comme c’est souvent le cas) s’y laisser enfermer. En effet, avec un tel sujet le grand danger est de se cantonner dans le descriptif ou dans l’analyse des mécanismes rhétoriques. Ces pièges sont heureusement évités et le résultat est de grande qualité.

5 Certes, l’ouvrage reste fortement marqué par son origine universitaire et conserve les caractéristiques d’une thèse, légèrement remaniée pour publication. Il est regrettable que l’éditeur n’ait pas introduit d’interligne entre le texte et les citations longues. Et que l’auteur n’ait pas traduit les très nombreuses citations : cela réduit le nombre potentiel de lecteurs. Mais ce ne sont là que critiques de forme, qui ne doivent décourager personne de lire un ouvrage qui est un excellent exemple de recherche en civilisation américaine.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

LARRY PORTIS Université Paul-Valéry — Montpellier 3

Transatlantica, 1 | 2003 245

Sylvia Le Bars. Le Conflit linguistique aux Etats-Unis. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2001. 181p.

Marc Deneire

1 Les questions linguistiques, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, sont largement ignorées par les politologues et les civilisationistes, même si ceux-ci s’accordent sur le fait qu’elles jouent un rôle important dans la formation et la vie politique et sociale des états. Le livre de Sylvia Le Bars se révèlera donc particulièrement éclairant pour ceux et celles d’entre nous qui peinent à faire la part des choses entre les différentes positions énoncées dans la presse et la littérature spécialisée.

2 Selon Sylvia Le Bars, le conflit linguistique (et non les) se résume à une question fondamentale en ce début de siècle : l’anglais est-il menacé par l’espagnol aux Etats- Unis ? Si ce n’est pas le cas, quels sont les enjeux d’un tel débat ? Le Bars répond d’emblée à sa propre question en indiquant que les enjeux sont essentiellement politiques, voire idéologiques. Les défenseurs de l’anglais (les English-Only) estiment que toute reconnaissance des langues minoritaires menace la cohésion nationale. Il existe d’ailleurs des alliances avérées entre ceux-ci et la droite républicaine qui lutte pour un contrôle plus sévère de l’immigration, l’imposition des « valeurs américaines », la défense de leur propre statut, et qui s’expriment essentiellement à travers des organismes tels que Center for Equal Opportunity (CEO ; Linda Chavez), l’ Institute for Research in English Acquisition and Development (READ ; Rosaline Porter), et la National Review. Ceux-ci ont récemment remporté quelques victoires éclatantes, notamment en obtenant le vote des propositions 227 en Californie (1998) et 203 en Arizona (2000), propositions qui ont mis fin à plus de trente ans d’enseignement bilingue dans ces deux Etats. Parmi les défenseurs du bilinguisme et du biculturalisme (les English-Plus), on trouve la plupart des linguistes et des spécialistes de l’éducation qui, au delà des arguments de nature psychologique et pédagogique un peu trop rapidement traités dans le livre, considèrent le bilinguisme comme ressource, et le multiculturalisme comme vecteur de décloisonnement culturel et idéologique. Malheureusement, ces derniers n’ayant ni la puissance financière d’un Ron Unz, le sponsor des propositions

Transatlantica, 1 | 2003 246

227 et 203, ni l’expérience des campagnes politiques de leurs adversaires, n’ont pu efficacement défendre leurs arguments auprès du public lors du vote des propositions.

3 Ce débat permet à S. Le Bars de poser la question de l’identité et de la citoyenneté américaines. En effet, sous l’impulsion de l’évolution démographique récente, les questions d’intégration et d’assimilation se posent sous un jour nouveau. Au moment où près de la moitié des grandes villes américaines sont peuplées par une majorité de « non-blancs », l’« accommodement » n’est plus synonyme de creuset, mais plutôt de partage de pouvoir entre les différents groupes linguistiques et ethniques. D’autre part, l’assimilation ne passe plus nécessairement par l’abandon de sa langue et de sa culture d’origine. C’est sur cette base que Le Bars propose l’adoption de nouveaux modèles, ceux de Hollinger, de Michael Lind et de Roberto Suro qui permettraient de dépasser les politiques identitaires.

4 Il s’agit donc de refondre la citoyenneté en terme de droits culturels et linguistiques, tout en évitant une (re-)ethnicisation par le biais de la langue, ce qui est, selon Le Bars, en train de se passer avec l’espagnol. Nous touchons là, nous dit Le Bars, à l’un des paradoxes produits par le contexte actuel ; en effet, dans leur lutte pour la reconnaissance, les minorités se servent du système de racialisation et d’ethnicisation que la majorité a mis en place. Ce paradoxe peut mener à l’enfermement mais est également source d’espoir. On peut en effet espérer que la majorité prendra conscience de la fragilité de son appareil institutionnel et juridique et sera amenée à repenser sa politique vis-à-vis de ses citoyens dans toute leur diversité.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

MARC DENEIRE Université Nancy 2

Transatlantica, 1 | 2003 247

Malie Montagutelli. Histoire de l’enseignement aux Etats-Unis. Collection « Histoire de l’éducation ». Paris : Belin 2000, 345 p.

Michèle Guerlain

Transatlantica, 1 | 2003 248

1 L’intérêt principal de cet ouvrage est de présenter en un volume et d’une manière claire et ordonnée une histoire de l’enseignement public, primaire et secondaire aux Etats-Unis, de l’époque coloniale à nos jours. C’est donc un outil qui permet rapidement de vérifier une piste en matière de réforme éducative par exemple ou de se concentrer sur une époque, une région ou un problème.

2 Ce n’était pas tâche aisée car il n’y a pas de système éducatif national centralisé et le fédéralisme politique se retrouve dans la décentralisation et la diversité du système. Il est particulièrement intéressant de voir comme l’histoire du peuplement des Etats-Unis a influé sur la forme et le contenu de l’enseignement.

3 Malie Montagutelli distingue ainsi dans l’Amérique coloniale les écoles mises en place par les colons de Nouvelle Angleterre et leurs descendants de l’enseignement plus élitiste, laissé à la responsabilité des familles dans les plantations de Virginie par exemple. Elle montre également la persistance d’objectifs tels que la transmission de valeurs ou la formation de bons citoyens, par delà les évolutions du système et l’expansion du pays.

4 Les réformes au dix-neuvième siècle, l’enseignement de la langue anglaise avec la contribution capitale de Noah Webster, les minorités ethniques, les apports de la psychologie et les contacts fructueux de part et d’autre de l’Atlantique ne sont que quelques exemples des questions traitées dans ce livre.

5 Bien sûr les limites d’une telle histoire sont que chaque point n’est abordé que rapidement et c’est particulièrement le cas pour l’époque la plus récente. Le débat sur les « vouchers » ou encore la présentation succincte et principalement positive des « charter schools » auraient mérité de plus longs développements.

6 Enfin notons qu’une bibliographie très complète termine l’ouvrage et permet de prolonger l’intérêt que cette présentation ne peut manquer de susciter.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

MICHÈLE GUERLAIN CPGE, Lycée Marcelin Berthelot, Saint-Maur

Transatlantica, 1 | 2003 249

Daniel Lazare. The Frozen Republic ; How the Constitution Is Paralyzing Democracy. Daniel Lazare. The Velvet Coup ; The Constitution, the Supreme Court and the Decline of American Democracy. Thomas E. Patterson. The Vanishing Voter ; Public Involvement in an Age of Uncertainty. New York : Harcourt Brace & Co, 1996, 393 p., 14$. London & New York : Verso, 2001, 152p., 23$. New York : Alfred A. Knopf, 2002, 254 p., 25$

Pierre Guerlain

1 Ces trois ouvrages traitent des difficultés du système politique américain et des causes de la dépolitisation des citoyens des Etats-Unis. Les deux livres de Daniel Lazare couvrent le même champ mais le plus récent est une réaction aux élections de 2000 qui reprend les thèmes abordés dans l’ouvrage plus théorique de 1996.

2 Pour cet auteur, l’explication fondamentale de la paralysie politique américaine tient essentiellement au fait que la Constitution, qui fait l’objet d’un véritable culte aux Etats-Unis n’est pas, contrairement à ce qu’affirment tant de responsables politiques, flexible ni facilement amendable. La procédure d’adoption d’un amendement est longue et complexe. L’article V stipule en effet que les deux tiers des membres du Congrès ou les deux tiers des parlements des Etats doivent être d’accord pour proposer un amendement qui devra, par la suite, être ratifié par les trois quarts des Etats. On se souvient du sort de l’ERA (Equal Rights Amendment) voulu par les groupes féministes, voté par le Congrès mais non ratifié par les Etats. La fin de l’article V stipule

Transatlantica, 1 | 2003 250

encore : « no State, without its consent, shall be deprived of its equal suffrage in the Senate ». Ceci bloque toute tentative de réforme du système électoral pour gommer la disparité profonde qui existe entre les Etats peuplés, comme la Californie, et les petits Etats, comme le Vermont, peu peuplés mais qui envoient quand même deux sénateurs à Washington ce qui donne un pouvoir accru à leur représentation. Le principe « one person, one vote » n’est donc pas respecté et il est difficile d’imaginer que les Etats moins peuplés acceptent de ne pas avoir le même nombre de sénateurs que les autres.

3 On sait que le collège électoral, les fameux grands électeurs, est composé d’un nombre égal au nombre de représentants et de sénateurs par Etat. En 2000, le poids minoré de la Californie et de New York a joué un rôle important. Si les grands électeurs représentaient la population américaine de façon proportionnelle les résultats des élections seraient sensiblement différents. Dix Etats américains rassemblent 54% de la population et dix autres n’en comptent que moins de 3%, ces deux groupes de dix Etats ont pourtant un nombre égal de sénateurs (20). Au sénat, 3% de la population a le même pouvoir, grâce à sa représentation, que 54% des Américains et dans le collège électoral la disparité est atténuée par la proportionnalité de l’attribution du nombre de représentants mais n’en demeure pas moins. Noirs et Hispaniques qui habitent le plus souvent dans des Etats très peuplés voient leur poids politique réduit par l’iniquité du système électoral.

4 Lazare propose une explication historique au long cours puisqu’il remonte à l’histoire britannique de la fin du XVe siècle puis passe par la révolution puritaine et la Reform Bill de 1832. Pour lui, la Grande-Bretagne a déjà vécu une situation semblable à celle des Etats-Unis aujourd’hui mais a cessé de vénérer une Constitution dépassée dès les années 1830, ses institutions sont plus flexibles et démocratiques que celles des Etats- Unis. La guerre civile serait, selon Lazare, une manifestation de l’impossibilité de régler les problèmes constitutionnels par la voie pacifique. L’esclavage et la prédominance du Sud étant, en quelque sorte, protégés par la Constitution, Lincoln a dû recourir à la guerre et à la violation des lois pour imposer le changement.

5 De façon générale, Lazare interprète un grand nombre des problèmes politiques américains comme des manifestations de la paralysie constitutionnelle. Il voit dans le système américain un système plus vieux que celui des divers pays d’Europe qui ne peut se réformer et qui ne mérite pas la vénération dont il est l’objet. Ses deux livres se présentent comme une histoire de la Constitution et des phénomènes politiques qu’elle a induit. On peut regretter qu’il semble prendre l’exact contre-pied des adorateurs de la Constitution qui voient en elle la raison du succès des Etats-Unis alors que lui y voit la cause de tous les échecs politiques et sociaux de ce pays. Son texte est très hamiltonien, donc anti-Jeffersonien, et critique de la séparation des pouvoirs, qui, aux Etats-Unis, selon lui, aboutit à la paralysie. On peut ne pas partager sa prédilection pour un pouvoir parlementaire fort sinon quasi-dictatorial (on dit du parlement britannique, fort admiré de Lazare, qu’il permet une dictature élue) mais ses ouvrages sont roboratifs et lient préoccupations historiques et juridiques, science politique et histoire. Son petit ouvrage sur les élections présidentielles de 2000 est fort stimulant et instructif, il réintroduit dans le débat toutes les zones sombres passées sous silence par les acteurs politiques du moment.

6 Thomas Patterson, professeur à Harvard, cherche à comprendre le désintérêt des citoyens américains pour les élections et la chose politique elle-même. Son ouvrage rend compte d’un travail de terrain mené lors des élections présidentielles de 2000 et

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passe en revue les causes de la dépolitisation américaine. Patterson analyse le fonctionnement des partis et des médias, la durée des campagnes et les conditions d’inscription sur les listes électorales. Il propose dans son dernier chapitre une « campagne modèle » qui tiendrait compte de toutes les analyses présentées dans le reste du livre. Peu de facteurs présents dans ce livre n’ont pas été présentés dans la presse et si l’analyse des médias et de leur sensationnalisme n’est pas fausse, elle n’est point neuve non plus. Bizarrement, peut-être, le professeur de Harvard se montre moins ambitieux que Lazare qui se présente comme journaliste. Patterson n’aborde pas les problèmes constitutionnels ni la grande similitude dans les programmes des deux partis dominants ni la sociologie de la dépolitisation. Ce livre, qui n’est pas inintéressant en soi, conduit cependant à se poser des questions sur la science politique puisqu’un professeur de cette discipline, enseignant dans l’une des universités les plus prestigieuses, présente une analyse très mainstream et convenue de phénomènes qui retiennent l’attention de sociologues ou d’historiens intervenant dans le débat public. Si les Noirs ou les pauvres ne votent pas beaucoup alors que les barrières juridiques à l’inscription sur les liste électorales sont tombées, il faut chercher des raisons sociologiques et politiques à ce comportement. De même, la prédilection américaine pour des décisions juridiques là où en Europe la préférence va aux décisions politiques (avortement, par exemple) devrait être analysée. Dans un pays où les valeurs de la société de consommation sont très fortes on ne peut pas ne pas s’interroger sur le sentiment d’absence de choix de la part de certaines catégories sociales ou encore sur les messages, transmis par les médias que Patterson critique sévèrement, d’un hédonisme consommateur et d’un voyeurisme parfois morbide qui encouragent la dépolitisation.

7 Patterson reste souvent à la surface des choses alors que Lazare invite à penser. On ne peut s’empêcher de s’interroger sur les enjeux qui guident la rédaction d’un ouvrage de science politique. Etre pris dans le monde universitaire et ses rites de passage n’incite pas à l’originalité, quitter le mainstream de la profession présente quelques risques en termes de carrière ou de possibilité de publication. Etre un genre de public intellectual sans affiliation universitaire peut donner une liberté de ton et d’approche idéologique. Patterson balise un terrain bien connu par les lecteurs de la presse de qualité tandis que Lazare offre une pensée originale qui, parfois, est un peu hasardeuse ou trop systématique mais a le mérite de susciter la réflexion.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

PIERRE GUERLAIN Université du Maine, Le Mans

Transatlantica, 1 | 2003 252

L’exception américaine. Actes de la recherche en sciences sociales n° 138 et 139 (juin et septembre 2001).

Luc Benoît à la Guillaume

1 Quand la revue de Pierre Bourdieu se penche sur l’Amérique, on attend à la fois une analyse documentée de la société américaine et une critique raisonnée des mythes qu’elle engendre. Et, autant le dire d’emblée, on ne sera déçu sur aucun de ces deux points. Les auteurs des quelque douze articles réunis dans ces deux numéros d’Actes de la recherche en sciences sociales analysent à la fois les « structures structurantes » (ou cognitives) et les « structures structurées » (ou sociales) : ils traitent autant des divisions de classe que des luttes de classement et oscillent entre une description fouillée de la réalité sociale américaine et une critique acérée des représentations que charrie l’Amérique, cette « prophétie auto-réalisante ». D’où le titre de ce dossier, l’exception américaine, qui ne se contente pas de procéder à la nécessaire critique de la notion d’exceptionnalisme, mais prend acte de la réalisation au moins partielle de la « prophétie » en étudiant certaines caractéristiques spécifiques de la société américaine. Ainsi les auteurs confrontent à la réalité sociale chacun des mythes partiellement réalisés qui sont censés fonder cette exception (société sans classes, mobilité sociale, marché-roi et Etat faible, égalité devant la loi, existence d’« identités ») et analysent les mécanismes de leur reproduction.

Classes et classements

2 La première contribution, intitulée « Dictature sur le prolétariat », rappelle opportunément l’existence d’une classe ouvrière et d’un mouvement syndical en butte à une répression systématique là où l’idéologie néolibérale ne s’intéresse qu’aux droits des consommateurs. « La double vérité du travail », à la fois exploitation objective et investissement subjectif, est analysée dans deux autres articles, qui portent sur une agence d’emploi privée et la restauration rapide. Enfin, une étude détaillée du surendettement de la classe moyenne aborde à la fois les causes des difficultés financières et les stragégies des faillis, qui utilisent la faillite pour éviter de perdre leur maison. A partir d’une analyse statistique rigoureuse, les auteurs en viennent à

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comparer le modèle européen, fondé sur la socialisation des risques par l’Etat providence, et le modèle américain, pour lequel la faillite constitue une soupape de sécurité individuelle en l’absence de mécanismes collectifs de protection sociale. Les faillites sont donc une arme dans les luttes de classement qui aident à la reproduction (menacée) de la classe moyenne américaine.

3 Le panorama des différentes classes sociales est complété par une description des pensionnats d’élite. L'éducation d’adolescents privilégiés dans ces institutions fermées s’apparente à un long rite de passage qui préserve l’homogénéité de la haute bourgeoisie.

4 Enfin un article sur le concept d’identité offre une critique nuancée de l’emploi généralisé de ce terme dans le domaine des cultural et des ethnic studies. Tiraillé entre des acceptions fortes, réifiantes et objectivistes et des acceptions faibles, flottantes et subjectivistes, ce concept ne permet pas de penser correctement les processus d’identification personnelle, de classement et de constitution de groupe et « a pour effet de fondre les structures d’inégalité dans le solvant rhétorique de la (multi)culture » (Loïc Wacquant).

Marché et Etat

5 Loin d’être fondé sur le « moins d’Etat » et sur la libre concurrence chers aux théoriciens libéraux, le dynamisme économique des Etats-Unis dépend de l’intervention de l’Etat, comme le montre l’étude de deux exemples emblématiques du capitalisme américain, la valeur actionnariale et la Silicon Valley. La doctrine de la valeur actionnariale a favorisé la constitution de monopoles et l’accroissement des inégalités sans améliorer la compétitivité des entreprises. Quant à la Silicon Valley, son développement est étroitement lié à l’industrie de défense. Si l’Etat intervient dans l’économie, la réciproque est tout aussi vraie : ainsi l’article intitulé « Politics is money » montre l’influence corrosive de l’argent sur la vie politique. Dans la logique du don et du contre-don analysée par Marcel Mauss, il s’agit moins de corruption directe que de la création d’un réseau serré d’obligations qui permet aux grandes entreprises de confisquer le débat politique en neutralisant les deux principaux partis. Mi-publique mi-privée, la National Endowment for Democracy fait l’objet d’une analyse qui montre comment ce think tank permet à l’establishment et aux anciens contestataires de propager la bonne parole américaine en prêchant la démocratisation dans le monde entier. Dans le domaine de la santé, l’exception américaine se traduit par une marchandisation de la médecine et par l’absence de couverture universelle malgré l’importance des dépenses. Mais c’est sans doute la symbiose entre ghetto et prison qui témoigne le mieux d’une des caractéristiques les plus inquiétantes de l’ordre néolibéral : le remplacement de l’Etat providence par l’Etat carcéral. Prolongeant ses études sur les « prisons de la misère », Loïc Wacquant montre comment la politique répressive de l’Etat américain stigmatise la population noire et contribue à réinventer la « race » noire. Ainsi, « le saut sidérant de l’incarcération des Noirs [est la] conséquence de l’obsolescence du ghetto en tant qu’instrument de contrôle et de la nécessité d’un appareil de substitution pour maintenir les Afro-Américains déqualifiés ‘à leur place’ ». L’Etat carcéro-assistanciel post-keynésien prend en charge les hommes noirs pauvres par la prison et les femmes noires pauvres par le workfare.

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Structure et histoire

6 Si ces deux numéros décrivent en détail l’état actuel de la société américaine, ils ne permettent pas toujours de comprendre les changements qui ont accompagné la récente vague néolibérale. Certes la description des mythes du marché explique l’évolution du mode de contrôle des entreprises depuis la seconde guerre mondiale. De même, juxtaposant des états de structure successifs, l’article sur le ghetto et les prisons propose une analyse passionnante des quatre systèmes successifs de reproduction de l’ordre ethnoracial. Mais on souhaiterait par moments en savoir plus et, par exemple, comprendre pourquoi, s’agissant d’une élection présidentielle contestée, on est passé en un siècle de la résolution du conflit par le Congrès (1877) à sa résolution juridique par la Cour suprême fédérale (2000). Cette préférence pour l’étude des structures pointe cependant la grande force de ces deux numéros : leur cohérence, qui résulte de la présence heureuse d’un véritable point de vue sociologique. Ce point de vue explique l’accent mis sur les stratégies des agents, les luttes symboliques, et l’état présent de la structure sociale américaine plutôt que sur les mécanismes juridico-institutionnels et les évolutions historiques, car seule la connaissance précise des structures permet de comprendre leur transformation. Ce double dossier fonde scientifiquement et documente empiriquement l’étude de l’exception américaine. Somme indispensable pour tout américaniste, il concilie la critique et la clinique et réconcilie le savant et le politique.

AUTEUR

LUC BENOÎT À LA GUILLAUME Université Paris 10 — Nanterre

Transatlantica, 1 | 2003 255

Rosanna Hertz and Nancy L. Marshall, eds., Working Families, The Transformation of the American Home. University of California Press, 2001. 389 p., 19.95 $.

Evelyne Thévenard

1 Comment concilier travail et vie familiale ? Les difficultés rencontrées par les parents avec l’entrée massive des femmes sur le marché du travail depuis les années 70, suscitent un intérêt croissant aux Etats-Unis, dans une société où l’Etat ne fournit qu’une protection sociale minimum et où la politique familiale est inexistante. On constate ainsi un grand nombre d’ouvrages consacrés à ces questions ces dernières années.

2 Le présent ouvrage est issu d’un séminaire qui avait été organisé à Wellesley College par R. Hertz et Nancy Marshall, sociologues et spécialistes de Women’s Studies, dans le but d’amorcer une réflexion sur un nouveau champ disciplinaire en train de voir le jour : le travail et la famille. Cette réflexion a trouvé son prolongement en 1998, à Boston, dans un congrès national réunissant des universitaires, et des représentants du monde de l’entreprise. Dix-huit des 100 communications présentées à ce congrès (« Work and Family : Today’s Realities and Tomorrow’s Visions ») se trouvent rassemblées dans ce volume qui tente de faire le point sur les problèmes auxquels sont confrontées les familles — pour concilier obligations parentales et professionnelles — mais aussi les entreprises. Celles-ci sont amenées à gérer, tout en maintenant leurs objectifs de productivité, de plus en plus de demandes émanant de leur personnel : horaires adaptés aux réalités familiales, congés et solutions pour les gardes d’enfants.

3 L’approche adoptée est interdisciplinaire et l’ouvrage inclut aussi bien des études de cas, micro-enquêtes de terrain portant sur des échantillons réduits, que des études plus larges s’appuyant sur des analyses de statistiques et sur bases de données nationales (Census Bureau ou fondations privées). Chaque enquête fait l’objet d’explications méthodologiques très détaillées, et l’ouvrage est enrichi de nombreux tableaux

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statistiques. Bien que les auteurs utilisent des méthodes d’analyse différentes, l’ouvrage se réclame de la sociologie féministe et d’une volonté de dénonciation de stéréotypes anciens qui continuent à imprégner la recherche, en ce domaine relativement récent. L’influence des facteurs de race, de classe et de genre est prise en compte, à travers l’examen de situations très variées.

4 L’ouvrage dans son ensemble tente de dégager des orientations permettant l’intégration harmonieuse de deux sphères que l’on a longtemps voulu séparées, et dont l’interpénétration actuelle est trop souvent génératrice de conflits pour les femmes. Ces conflits entre la vie familiale et la vie professionnelle ne peuvent être analysés isolément, mais doivent être compris à la lumière des changements profonds qui se sont opérés ces vingt dernières années dans la nature et l’organisation du travail, et dans un contexte de mondialisation de l’économie.

5 L’ouvrage est divisé en quatre parties. La première évoque les transformations de la famille au 20e siècle : changements dans la structure familiale, généralisation des familles où les deux conjoints travaillent, allongement de la durée de la vie et impact sur la décision de devenir parent, participation des pères aux travaux domestiques. La seconde partie est consacrée aux politiques familiales d’entreprise (« family-friendly policies »). La troisième partie examine les différences entre les sexes dans la manière dont l’intégration travail/vie familiale est perçue et ressentie. Dans la dernière partie, les auteurs analysent, à travers plusieurs études de cas, l’influence du travail des parents et de la gestion des modes de garde sur le vécu des enfants.

6 Etant donné la quasi-absence de politique familiale au niveau de l’Etat fédéral ou des Etats fédérés, c’est au sein de l’entreprise que se prennent les décisions permettant aux parents de concilier vie familiale et vie professionnelle. On note, certes, des progrès incontestables dans la prise en compte de la vie familiale des salariés par les employeurs. Outre les effets de la loi fédérale de 1992 (le Family and Medical Leave Act) sur le congé parental, les services de gestion des ressources humaines perçoivent de plus en plus les effets positifs pour l’entreprise de politiques familiales généreuses, qui motivent et fidélisent le personnel et en accroissent la productivité. De nombreux éléments déterminent la politique d’entreprise envers les salariés parents : structure de l’organisation, type d’activité, investissement de l’entreprise dans la formation du personnel, niveau de qualification du personnel, répartition des sexes (l’idéal est l’entreprise mixte — les entreprises ayant un pourcentage très élevé ou très faible de femmes ne sont pas généreuses, reflétant une logique de pouvoir et de coûts financiers). Or, plusieurs études convergent pour constater d’énormes variations d’une entreprise à l’autre en ce domaine. Le FMLA ne s’applique qu’aux entreprises de plus de 50 salariés, le congé n’est pas nécessairement rémunéré, et ne concerne pas les travailleurs précaires. De plus, ce sont, dans l’ensemble les grandes entreprises qui ont mis en place des politiques familiales : horaires flexibles, temps partiel choisi, congé de maternité et/ou parental, indemnités pour garde d’enfant, crèche d’entreprise. La syndicalisation joue peu : les syndicats se montrent actifs pour les avantages sociaux traditionnels (retraite, assurance-maladie), mais sont nettement en retrait pour le « nouveau » type de prestation que représentent les avantages familiaux. Ceux-ci vont aux cadres supérieurs à haut niveau de compétence, non syndiqués, qui souvent négocient eux-mêmes leurs prestations avec l’employeur. Ainsi, laisser aux entreprises le soin de mettre en oeuvre de telles mesures renforce la structure inégalitaire du

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marché du travail en pénalisant les travailleurs précaires et peu qualifiés qui bénéficient très rarement de tels avantages.

7 Par ailleurs, même lorsque de tels avantages sont théoriquement proposés par l’entreprise, la persistance de stéréotypes quant à la flexibilité du travail et au congé parental (réservé aux femmes, incompatible avec la performance), et la rigidité de l’organisation du travail en limite trop souvent l’utilisation par les salarié(es) qui craignent que cela compromette leur carrière. Ces craintes sont d’autant plus fortes dans un contexte de mondialisation qui fragilise l’emploi et conduit les entreprises à abaisser les coûts de main-d’œuvre. Ainsi, il ne suffit pas de mettre en place des « family-friendly policies », encore faut-il que cela ne pénalise pas les bénéficiaires (« mommy-track »), et que s’opère un changement dans les normes culturelles qui rende ces choix acceptables pour les deux parents, sinon elles contribuent en fait à reproduire et à pérenniser les schémas traditionnels.

8 L’étude de cas qui clôt l’ouvrage porte sur le problème crucial de l’accueil des jeunes enfants. Elle illustre la diversité des modes de garde selon le milieu social, l’ethnicité, la structure familiale, avec un système à deux vitesses : le marché privé pour la middle- class, des structures semi-publiques dégradées et le recours aux réseaux familiaux pour les classes modestes et les immigrants.

9 Outre la quasi-absence de comparaisons internationales, on peut regretter que certaines contributions n’apportent guère d’éléments véritablement nouveaux (c’est le cas, en particulier, de l’article de Waite et Nielsen). Cependant, cet ouvrage, qui plaide en faveur d’une restructuration de l’organisation de l’entreprise, du temps de travail, et de mesures publiques en faveur des parents salariés fournit un état des lieux intéressant d’une question qui a déjà commencé à occuper sa place dans le débat politique. Il offre également des pistes de réflexion intéressantes, aussi bien pour les entreprises que pour les chercheurs.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

EVELYNE THÉVENARD Université Paris 4

Transatlantica, 1 | 2003 258

Patricia Crain. The Story of A : The Alphabetization of America from The New England Primer to the Scarlet Letter. Stanford, Ca. : Stanford University Press, 2000. 315 p.

Malie Montagutelli

1 Au sein de toute culture donnée, l’alphabétisation est un phénomène qui présente une spécificité historique. Le présent ouvrage est fait de différentes parties qui, ensemble, forment une vaste étude de « l’alphabétisation de la culture américaine », le terme alphabétisation étant entendu par l’auteur comme « l’ensemble des pratiques individuelles, sociales et institutionnelles ayant trait à l’internalisation de l’alphabet » (4).

2 L’alphabet et les lettres sont ici considérés comme des artefacts culturels, avec leurs caractéristiques propres et, pour en faire l’analyse, l’auteur fait tour à tour appel à différentes disciplines comme l’anthropologie, l’histoire de l’art, l’histoire de l’alphabétisation, l’histoire tout court, la communication, l’éducation, les arts graphiques, la linguistique, la littérature, les sciences des média, la rhétorique, la sémiotique et la typographie.

3 Crain étudie le va-et-vient entre le texte et l’image et les implications qu’a ce mouvement dans l’acculturation, la socialisation et l’idéologie de l’individu, en tant qu’apprenant et lecteur, comme de la société. Le lecteur découvre l’évolution survenue entre les premiers abécédaires et ceux qui furent écrits et publiés au XIXe siècle. Ainsi, on peut voir la place occupée par l’enfant dans la société américaine jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, pendant une époque où l’alphabétisation relève du domaine de l’Eglise, puis de la sphère publique, autant, ou même davantage, que de la responsabilité des parents ; on voit également, durant cette première période, le recul de l’Eglise comme agent de l’alphabétisation, à un moment où la publication d’abécédaires et de livres de lecture se multiplie au point de devenir un marché florissant. Les abécédaires et livres

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pour enfants du XIXe siècle révèlent l’apparition d’une nouvelle idéologie domestique centrée autour du foyer et de la mère, caractéristique de la classe moyenne émergeante.

4 Dans une seconde partie, l’auteur étudie deux romans tout deux publiés en 1850, The Wide, Wide World, dont l’auteur est Susan Warner, et l’oeuvre classique de Nathanael Hawthorne, The Scarlet Letter. Crain analyse le rôle joué, dans l’histoire imaginée par Warner, par les notions d’alphabétisation et d’acquisition du savoir sur son héroïne, Ellen Montgomery. Ces notions sont pour Ellen l’héritage que lui a laissé sa mère et Crain voit en celles-ci une représentation de certaines des valeurs culturelles propres à la société américaine d’alors. Dans le roman de Hawthorne, le décor n’est plus celui de l’enfance, mais celui du monde adulte et de ses règles. Une analyse minutieuse est faite de la représentation symbolique d’une action par une lettre, du lien entre l’écrit, l’oralité et l’imaginaire, sans oublier le pouvoir exercé par le signe sur les différents personnages du roman, en particulier sur Hester et sa fille, Pearl.

5 Un épilogue ramène le lecteur à la période contemporaine. L’auteur y ébauche une réflexion sur la place des lettres dans un environnement culturel postmoderne en ayant recours à trois exemples : The F House, tableau peint en 1987 par le peintre américain Edward Ruscha, F for failure dans la notation des devoirs scolaires et l’utilisation de lettres dans la série télévisée, Sesame Street.

6 A travers l’étude de l’alphabet, Patricia Crain montre le lien profond que l’homme entretient avec le langage, la relation que l’adulte établit avec l’enfant et le discours qu’il tient sur l’enfant. Son livre fait preuve d’une érudition fine dans de nombreuses disciplines ; il est d’une lecture agréable, car elle rattache toujours la théorie et la réflexion intellectuelle à la réalité des très nombreux documents qui illustrent son ouvrage.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

MALIE MONTAGUTELLI Université Paris 8

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Thomas Bender, ed. Rethinking American History in a Global Age. Berkeley, CA : University of California Press, 2002. Ix + 427 pages. $22.50.

Marie-Jeanne Rossignol

1 L’OAH, l’association américaine des historiens de l’Amérique, s’efforce depuis une vingtaine d’années d’internationaliser ses pratiques, sinon ses problématiques. « Internationaliser », cela signifie, entre autres choses, s’ouvrir à des histoires et des auteurs non américains. La revue de l’association, le Journal of American History, est donc dotée d’un Advisory Board d’américanistes du monde entier ; sous l’impulsion d’un des anciens rédacteurs en chef du JAH, David Thelen, l’association décerne depuis le début des années 1990 un prix du meilleur livre étranger. David Thelen a également dirigé un numéro de la revue dédié à l’internationalisation de l’histoire américaine en décembre 1999. Il est donc tout naturel que l’OAH ait accueilli favorablement le « Project on Internationalizing the Study of American History » de Thomas Bender, de New York University. Autour d’une large question (« How does one frame the narrative of American history in the context of a self-conscious global age ? ») se sont donc réunis de 1997 à 2000, à La Pietra en Italie, lors de 4 séminaires, des participants américains et non-américains, spécialistes d’histoire des Etats-Unis comme d’autres régions du monde, pour repenser le récit national américain à une époque où la catégorie du « national », longtemps structurante et dominante en histoire, subit de nombreuses critiques et ne paraît plus pouvoir rendre compte seule des expériences américaines, ou d’autres nationalités. L’ouvrage collectif qui a été tiré de ces rencontres constitue une somme très précieuse dont il est difficile de rendre ici pleinement compte tant elle est dense et riche. La lecture en est pourtant en général aisée car il s’agit d’un débat sur un sujet qui concerne l’avenir de la profession historique aux Etats-Unis ; les auteurs sont souvent passionnés, et leurs développements parfois polémiques.

Si d’aucuns en doutaient, l’internationalisation de l’histoire américaine a déjà largement été entamée et Rethinking American History in a Global Age ne fait que le rappeler en passant en revue les différentes évolutions historiographiques des vingt dernières années qui ont tout simplement rendu impossible l’écriture d’une histoire

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américaine insulaire, refermée sur un cadre étroitement national : l’histoire des relations internationales a pris en compte les forces et les acteurs transnationaux, ainsi que les identités non-nationales (Akira Iriye) ; les historiens de l’esclavage et des Africains-Américains, comme ceux de l’immigration ont quitté le cadre des Etats-Unis pour recentrer leur récit sur l’Atlantique et s’intéresser aux communautés dans leur dimension diasporique (Charles Bright et Michael Geyer, Robin G. Kelley) ; les spécialistes de l’histoire coloniale du continent nord-américain ont retracé les contacts multiples entre Amérindiens et colons de diverses nationalités qui se nouaient du Nord au Sud, d’Ouest en Est, faisant du cœur du continent un haut lieu de la diplomatie internationale et des échanges culturels (Karen Ordhal Kupperman). Toutes ces approches se sont appuyées sur d’autres notions que la nation ; elles ont remis au goût du jour l’étude des frontières américaines dans l’histoire, mais dans une toute autre perspective que celle de Turner, pour montrer qu’elles étaient perméables, franchissables, modulables et modelables. En liant l’histoire des Etats-Unis à celle des Caraïbes et de l’Europe, ces nouvelles histoires américaines ont mis à bas l’idée d’une Amérique différente, meilleure, exceptionnelle enfin. Des comparaisons moins usitées, avec d’autres sociétés de colonisation, telles l’Australie, permettraient de remettre également en question le rapport des Américains à leur environnement, moins unique qu’ils ne le croient, et de replacer le développement économique de telles régions périphériques dans le cadre de l’économie-monde (Tyrell).

Quitter le cadre du récit national, ainsi que le font ces adeptes de problématiques hybrides, créolisées et croisées, permet donc aux historiens américains de critiquer et de dépasser la perspective nationaliste antérieure, mais Thomas Bender ne plaide pas pour une histoire « postnationale » des Etats-Unis, il milite simplement pour une histoire moins « provinciale » qui enrichirait le récit national en lui donnant plus d’épaisseur, et plus de résonance internationale. Il est suivi sur ce plan par plusieurs historiens qui proposent des thématiques « transnationales » pour l’étude de l’histoire nord-américaine : Dirk Hoerder trace les grandes lignes d’une approche comparée des migrations en Amérique du Nord, de l’Atlantique au Pacifique ; Robert Wiebe suggère, parmi plusieurs cadres d’analyse, d’étudier « la démocratie, le nationalisme et le socialisme » comme « des aspects interactifs d’un processus transocéanique » du XVIIIè au XXè siècle ; enfin, toujours dans le domaine de l’histoire intellectuelle transatlantique, Daniel T. Rodgers voudrait que l’on se penche davantage sur « the Age of Social Politics », des années 1890 à 1940, où s’élaborèrent, dans un trafic constant d’idées et de perceptions, les nouvelles exigences des réformateurs sociaux, d’un côté à l’autre de l’Atlantique.

Face à ce déferlement de projets tous plus comparatistes et moins américano-centristes les uns que les autres (et donc extrêmement sympathiques, disons-le), quelques articles prennent le contre-pied du parti pris anti-exceptionaliste du projet pour s’inquiéter de cette attitude angéliste, qu’ils jugent déconnectée des enjeux du monde réel : Marilyn B. Young rappelle que l’idéologie américaine, telle qu’elle se reflète dans le discours public et les représentations majoritaires, reste profondément structurée par une vision exceptionaliste qui se double, depuis plus d’un siècle, d’une puissance incontestée. Il ne faudrait pas que de nouveaux récits de l’expérience nationale, sous prétexte de décentrement et de comparaison, en gomment les abus exceptionnels. A tous ses collègues, elle lance cette mise en garde qu’il faut citer : « Efforts to

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internationalize America’s history, to diversify and multiply its culture, need to keep in mind the reality of American hegemony and its dominant, self-absorbed culture. ( …). Decentering America in one’s head is a good thing. But it does not in itself create a world free of its overwhelming military and economic power, and it is crucial to remember the difference or the effort to decenter American history will run the danger of obscuring what it means to illuminate. (291) » David Hollinger, dans une veine similaire, pense qu’on ne peut évacuer la nation du récit de l’histoire américaine, au risque de ne plus pouvoir évaluer le coût humain considérable de cette construction nationale (esclavage, extermination des Indiens, exclusion des Hispaniques). Redonner la parole aux exclus, est-ce vraiment leur donner a posteriori le pouvoir, est-ce là la mission de l’historien ? Ou alors faut-il continuer à étudier les dirigeants de la nation pour mieux défendre les minorités opprimées ?

A ces remises en cause des problématiques anti-exceptionalistes ou transnationales, s’ajoute une autre série d’articles critiques du processus d’internationalisation, qui porte, entre autres choses, sur l’authenticité de l’ouverture de la profession aux historiens américanistes non-américains (François Weil et Ron Robin). L’article de François Weil est exemplaire sur ce sujet, en ce qu’il utilise sa connaissance exhaustive de l’historiographie nord-américaine pour aboutir à des conclusions que les autres historiens français (mais aussi européens) de l’Amérique subodorent depuis longtemps mais n’auraient pu si bien étayer : les américanistes étrangers sont bien des Extérieurs à un milieu américain dont la principale caractéristique est l’insularité. Insularité due à la structuration très professionnelle du milieu. Pour pénétrer le milieu américain, les américanistes non-américains doivent adopter ses problématiques, et son mode de travail, mais à quel prix, en termes d’originalité ? On peut se demander ce qu’ils pourraient alors apporter aux Américains : c’est un cercle vicieux. A l’inverse, l’historiographie américaine, produite en circuit fermé, n’a pas d’impact sur les historiographies d’autres pays, alors que les historiens américains de la France ont su s’y faire apprécier en s’ouvrant aux travaux français tout en apportant leur propre contribution.

L’internationalisation de l’histoire américaine, dans ses pratiques comme dans ses problématiques, est donc une affaire plus compliquée que les efforts initiaux de l’OAH n’auraient pu le laisser penser. Ce livre en reflète toute la complexité.

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Thèmes : Recensions

Transatlantica, 1 | 2003 263

AUTEUR

MARIE-JEANNE ROSSIGNOL Université Paris 7 — Denis Diderot

Transatlantica, 1 | 2003 264

Anne Garrait-Bourrier et Monique Vénuat. Les Indiens aux Etats-Unis : renaissance d’une culture. Paris : Ellipses, coll. Les essentiels, Civilisation anglo-saxonne, 2002. 192 pages.

Bernadette Rigal-Cellard

1 Cette collection permet aux étudiants et aux lycéens de se familiariser avec de nombreux sujets, mais le format oblige les auteurs à résumer à l’excès leur travail, et ce volume démontre les limites de l’exercice. La majeure partie du livre est intéressante, mais l’introduction et la dernière partie comportent des faiblesses et de graves erreurs factuelles.

L’introduction abonde en déclarations à l’emporte-pièce entre de trop nombreux points de suspension, et en truismes qui occupent l’espace au détriment de l’approfondissement (« Lorsque les premiers colons européens prirent possession d’une terre dont il est indéniable qu’elle ne leur appartenait pas », 14) et recèle plusieurs maladresses : les auteurs donnent l’exemple de la Confédération iroquoise des « Six Nations » mais ne citent que cinq d’entre elles, oubliant les Senecas (9) ; le terme d’« ethnologue » pour Lahontan n’est pas approprié. La chronologie, partie capitale de ce type de livre, est trop sommaire et ne permet pas suffisamment de suivre l’histoire des Indiens. En revanche les chapitres sur « Peuplement et dépeuplement », « Spoliation et extermination » sont bien menés et sont à la fois synthétiques et suffisamment précis. La deuxième partie, « cultures, identités et héritages indiens » brosse un tableau des aires culturelles et résume les débats sur l’acculturation, l’assimilation, la christianisation des Indiens au dix-neuvième siècle, puis présente les Indiens dans les villes. Plusieurs pages sont consacrées à la littérature. On regrettera que ce ne soit que sous forme de nouvelle que l’œuvre majeure de James Welch, Winter in the Blood, soit citée, ou que l’on écrive que Vizenor a vécu « longtemps en Chine » alors qu’il n’y a passé que quelques mois.

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Les termes utilisés dans le chapitre sur la spiritualité ne sont pas précis, ainsi « ces activités ont permis la survie d’une tradition spiritualiste indienne authentique », « cette religion syncrétique qu’est la tradition animiste et monothéiste autochtone » : s’agit-il d’un monothéisme récent, ancien ? La question de la spiritualité est trop complexe pour être ainsi schématisée. Les affirmations selon lesquelles « Dès l’origine, les cultes indiens se rapprochaient du christianisme » et « Il n’y a pas d’opposition de fond majeure entre les croyances chrétiennes et les croyances indiennes » devraient reposer sur de solides notes bibliographiques car elles relèvent des théories controversées de l’inculturation du christianisme et sont sujettes à caution. Passé l’énoncé des ressemblances entre les deux religions, le résumé des divergences est caricatural, très marqué par le parti pris de Deloria. Il est insultant pour les chrétiens, et c’est mal les connaître, que d’écrire que « le Chrétien peut quitter l’église et refermer derrière lui la porte du divin », alors que le noble Indien vit « sa spiritualité au quotidien ». Quant à écrire que la cérémonie du peyote se déroule « du point du jour au crépuscule », cela relève du grave contresens car c’est le contraire, la conclusion de la cérémonie sur le lever du soleil étant capitale. Il y a aussi un très gros contresens sur l’arrêt Smith de la Cour Suprême de 1990 : ce n’est pas une « loi », et il n’a pas du tout interdit l’utilisation du peyote. Quant au Windigo, il n’est pas le « ‘croquemitaine’ indien » mais exclusivement celui des Chippewas/Ojibwa et de leurs voisins culturels. Un livre qui souligne la nécessité de différencier les tribus se doit de respecter leurs particularismes. Le texte n’a pas suffisamment été vérifié et c’est très gênant pour un manuel scolaire et universitaire.

Un autre défaut majeur est que les auteurs n’ont pu s’empêcher de débuter et, pire, de conclure par le poncif qui consiste à partir des stéréotypes (ici, comme toujours, par « le seul bon Indien… ») afin de contrer le cliché par le récit historique de la survie du peuple indien dans le reste de l’ouvrage, puis à résumer dans la conclusion le western, ce « piège dans lequel le regard blanc ne cesse d’enfermer les Amérindiens », comme si on ne pouvait aborder la question des Amérindiens de façon neutre. Car enfin en recourant soi-même à ces poncifs, que l’on prétend dénoncer, on les perpétue aux yeux des jeunes lecteurs qui ne liront ici qu’un historique littéralement encadré, « framed », par les clichés. Même si c’est pour se féliciter qu’enfin un film réalisé par un « authentique Indigène », Sherman Alexie, ait eu du succès en Europe, les derniers mots des auteurs replacent clairement la culture indienne dans la Légende dorée, car elle est « profondément attirante à tout esprit féru de spiritualité et de beauté… à tout amoureux de l’Humain, dans ce qu’il a de plus pur et d’universel ». Mais justement, il est fort peu probable que quelqu’un comme Sherman Alexie pose un tel regard sur sa propre culture.

Enfin, il est étrange que les ouvrages français majeurs sur la question et régulièrement remis à jour, soient ignorés dans la bibliographie (le nom des auteurs apparaît cependant en notes de bas de page sans plus de référence). Il faut les citer ici car tous trois sont abordables par tout lycéen et tout étudiant, sont très richement documentés et sont à la hauteur des productions américaines :

2 Nelcya Delanoë. L’entaille rouge. Des terres indiennes à la démocratie américaine, 1776-1996. Paris : Albin Michel, 1996, réédition. Joëlle Rostkowski. Le renouveau indien aux Etats-Unis : un siècle de reconquêtes. Paris : Albin Michel, 1985. Rééditions : 1996, 2001. Nelcya Delanoë et Joëlle Rostkowski. Les Indiens

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dans l’histoire américaine. Paris : Armand Colin, 1996, réédition (chronologie très détaillée).

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Thèmes : Recensions

Transatlantica, 1 | 2003 267

Tony Tanner. The American Mystery. Cambridge : Cambridge UP, 2000. 242 p. (préface d’Edward Saïd, introduction de Ian F. Bell).

Marc Chénetier

1 Tony Tanner nous a quittés. Tony Tanner ne nous a pas quittés. Tony Tanner ne peut pas nous quitter. Parce qu’il est depuis peu décédé. Parce qu’il nous offre ces pages aujourd’hui. Parce qu’il faudra toujours se nourrir de ses grands livres et mesurer à leur aune propos et jugements sur la littérature américaine. Sans lui, naguère, qui eût osé s’aventurer dans les terres inexplorées de la fiction récente ? Pourtant, dans son splendide isolement, ce courageux maverick n’a jamais cédé à la tentation de tracer les lignes droites séparatrices qui navrent le Pynchon de Mason & Dixon, livre auquel le dernier essai (et seul inédit) de cet ultime recueil est consacré. Pas plus qu’il ne s’est laissé lui-même enfermer dans un champ particulier. A peine le croyait-on occupé à traquer les rémanences de la littérature américaine du dix- neuvième siècle dans les œuvres des contemporains, qu’il se promenait du coté de Bath au bras de Jane Austen. A peine le croyait-on éloigné des neuves amours de City of Words, qu’il nous donnait l’un des meilleurs livres jamais écrits sur Pynchon. A peine l’imaginait-on revenu à l’étude de la littérature anglaise qu’il repartait pour l’Amérique. Peut-être cette permanente hésitation, au gré d’une fascination-répulsion qui n’est pas inconnue des américanistes européens, trouva-t-elle un point d’équilibre dans ses derniers travaux sur Henry James, à l’œuvre duquel, au reste, The American Mystery consacre trois beaux essais.

2 Découvreur, peut-être Tony Tanner le fut-il moins lorsqu’il parlait d’écrivains encore peu étudiés que lorsqu’il affrontait les classiques. Sa capacité à relire, à rénover le regard, à renouveler le mystère des textes les plus labourés et à en modifier la problématique reconnue (ici The Great Gatsby ou Moby-Dick) ; sa vaste culture littéraire, qui lui permettait, à tout moment et à la fois, d’opérer les liaisons les moins attendues entre écrivains temporellement et culturellement distants, de relativiser les prétendues « avancées » et de juger de la valeur des « nouveautés » selon les exigences des piliers de la tradition ; une générosité intellectuelle qui n’avait d’égale que son intransigeance (Tanner est intraitable envers ceux qu’il admire, en témoignent ses lectures très critiques de Vineland ou de Underworld même si le recueil culmine sur l’auteur du

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premier et emprunte son titre cryptique et fertile à l’auteur du second) : telles pourraient être les caractéristiques majeures d’une œuvre critique comparées à laquelle rares sont les voix enfuies ou contemporaines qui vaillent, et négligeables les innombrables et insipides produits de circonstance de la mondaine et laborieuse industrie contemporaine du CV. On ne saurait pourtant omettre de cette liste brève deux autres traits parmi les plus importants : une voix très particulière et une fascination / compréhension profonde des tensions pérennes de l’imaginaire américain.

3 Tony Tanner savait, aux moments qu’il fallait, être délicieusement corrosif. Mais si sa voix garde toujours la trace des vives réactions que lui inspiraient la médiocrité, l’incohérence, la complaisance ou la facilité, elle garde aussi celle du goût réel pour la conversation, pour le dissentiment complice, qu’entretint toujours celui qui n’écrivit que pour qui était désireux, sérieusement, passionnément, de comprendre une littérature et une culture dont les contradictions lui inspiraient à la fois enthousiasme et perplexité. L’écriture de Tony Tanner, on le verra d’un bout à l’autre de ce volume, est méticuleuse, méditative, nécessaire, mûrie, réfléchie, enchaîne questions et hypothèses libres de tout jargon, de toute mode, en déprise absolue d’avec les débats incidents, traque les anxiétés de la geste américaine sous les écritures les plus différentes. Page après page, c’est une intelligence cultivée au travail, digne de toutes les admirations : souci du texte, sensibilité aux moindres aspérités, dialogue du lointain et du proche, de l’esthétique et de l’éthique, rigueur, dépassement constant des idées reçues, bonheurs de prose.

4 Du rêve absolu de l’ouvert à la mélancolie pynchonienne (« What if America was just America ? »), Tanner explore tout l’espace du déploiement des possibles enfuis et d’un réel navrant. Sans jamais se hausser suffisamment le col pour trancher, il écrit dans l’intervalle, entre la conscience d’une législation possible et le refus d’y avoir recours. On entend s’affronter dans sa pensée sa sympathique écoute des textes, selon la logique interne de leur tragique magnificence, la conscience de l’impossibilité qu’il y a pour un Européen à réellement adhérer aux prémisses de cet objet d’étude, sa chaleureuse attention et son amour immodéré envers les marginaux d’une culture à qui ils ont donné sa littérature. Il faut l’entendre écouter Emerson « who sought to find a mode of writing which, as it were, seemed to dissolve itself even as it began to settle, stiffen, and congeal — a writing seemingly in a state of permanent transition », l’entendre écouter Hawthorne, dont le ton « as always tends uncontrollably towards the facetious, so that, even if he wants to take something seriously, by the time he has finished talking about it he has either undermined, ridiculed, banalised, or vaporised it », l’entendre — dans ses trois essais sur Melville : White-Jacket, The Confidence Man et Moby-Dick, ou dans les trois qu’il consacre à Henry James — raffiner plus avant les causes de son admiration, l’entendre radicalement décaper les ironies du contrat énonciatif dans The Great Gatsby (il écrit dans ce texte, génialement, que « The American dream is not an index of aspiration but a function of deprivation » et l’on pense à Lindsay, confiant à ses carnets : « America overstimulates her youth and overdrugs her middle-aged. That is her crime »…), il faut goûter son sens aigu de la formule qui n’est jamais simple formule (sur Howells : « corrigible folly rather than irremediable evil is the order of the day » ; sur Fitzgerald : « out of the great last chance that was America—America has contrived to make itself utterly accidental and accident-prone » ; sur Don DeLillo, ce « latter-day American urban Transcendentalist » : « the panic inside the plastic » ; sur Pynchon, à l’œuvre entièrement tendue sur « a great subjunctive premise » : « What Pynchon

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realizes […] is that the best way to be deadly serious is to be whimsically unserious. ») pour comprendre que Tony Tanner n’était pas seulement un connaisseur avisé de la meilleure littérature des Etats-Unis mais qu’il a sa place, pour avoir si intimement compris sa raison d’être et ses modes de déchirement, auprès des plus grandes voix de la critique de notre temps qui ont su être immenses d’être aussi profondément personnelles. Quelque part, peut-être — et si l’on veut bien faire litière de la spécificité des corpus — , entre celle de Jean-Jacques Mayoux et celle de Jean Starobinski s’élève la voix de Tony Tanner.

5 C’est dire qu’on ne concluera pas en disant que ce livre « stimulant sera de la plus grande utilité, etc », mais en proposant simplement que se priver du plaisir si pur donné par le spectacle d’une si pure intelligence au travail serait un pur scandale.

6 Tony Tanner n’a jamais ménagé la culture américaine. Il n’a jamais non plus ménagé ses efforts pour tenter de la faire comprendre. On dit communément, s’agissant d’amitiés factices, opportunistes et complaisantes, « with such friends, who needs enemies ? » En inversant la formule, on sera tenté de dire : « Avec de semblables critiques, quel besoin la littérature américaine aurait-elle de banals thuriféraires ? »

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

MARC CHÉNETIER Université Paris VII-Denis-Diderot / IUF

Transatlantica, 1 | 2003 270

Phillip Barrish. American Literary Realism, Critical Theory, and Intellectual Prestige, 1880 — 1995. Cambridge : Cambridge UP, 2001.

Guillaume Tanguy

1 En balayant un large champ — fiction et théorie critique — et en couvrant plus d’un siècle, le livre de Barrish a de quoi intéresser un large lectorat. Ce qui, selon l’auteur, réunit fiction réaliste (Howells, James, Wharton, Cahan) et théorie critique, c’est la quête toujours renouvelée du réel, la thèse du livre étant que celle ou celui qui parvient à formuler « the realest real thing » acquiert du prestige intellectuel. Le réel devient alors objet de convoitise, et la question du réalisme fait son retour en critique. Barrish s’efforce de définir une « disposition réaliste » qui dépasse les genres et les époques. Fait « autorité » celle ou celui qui peut permettre au lecteur d’accéder au « réel » — le réel étant défini comme « matérialité prédiscursive non construite ». La critique post- structuraliste participe elle aussi de la disposition réaliste dans la mesure où elle veut dégager un « réel non symbolisable ». La recherche du « capital symbolique » (le prestige) serait une entreprise essentiellement — mais pas exclusivement — masculine ; le réalisme devient alors indissociable des gender studies. Le prestige des héros de Howells se fonde sur la recherche d’un « goût réaliste » (Howells joue sur tous les sens de « taste »). Chez James, celui de Merton Densher consiste à découvrir que le réel réside non pas dans le très visible (l’argent de Milly) mais dans l’invisible (la mystérieuse maladie de Milly). Quant à l’héroïne de Twilight Sleep de Wharton, elle impose son statut intellectuel en contestant la définition patriarcale de la réalité et en s’insurgeant contre l’inceste.

2 La dernière section passe en revue diverses conceptualisations théoriques du « réel » (Trilling, Guillory, de Man, Copjec et Butler) et dégage un dénominateur commun : « The critics…each claim to offer a more…complex, unfixable material reality at the same time as they assertively call attention to a less mediated, more straightforward, above all more literal ‘real’ ». Et Barrish de conclure que le prestige intellectuel, comme le réel, fluctue : « the recurrent pattern of …[‘realer-than-thou’ claims] does create a

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certain effect of wheelspinning.…[Any] assumption that one can be ‘right’ about materiality seems to run counter to some of the recent critical theory’s own most crucial insights. »

3 Aux questions « où est le réel ? », « qui est réaliste ? », Barrish répond donc que le réel est partout et que personne n’en a le monopole. Libre au lecteur de juger si cette thèse élargit par trop le concept de réalisme… On peut toutefois regretter que Barrish n’ait pas décalé sa période d’un an pour inclure dans son corpus le grand roman oublié de Howells — The Lady of the Aroostook (1879) — , texte matriciel qui pose de nombreuses questions. Le personnage de Lydia définit en effet une nouvelle dialectique des sexes : si le protagoniste masculin s’empare finalement du réel, il y est initié par Lydia, actant à la fois économique, érotique et heuristique. L’homme s’empare du réel, mais grâce à la femme. Ce texte qui aujourd’hui peut sembler paternaliste était à l’époque incontestablement novateur.

4 On pourra enfin s’interroger sur la pertinence de la notion de prestige appliquée à Howells, qui est le romancier du commun. Toute l’œuvre cherche à transcender les distinctions — que ce soit dans A Hazard of New Fortunes, où les lieux idéaux sont ceux qui dissolvent les distinctions de classe (« if there was not distinction, it was not for want of distinguished people, but because there seems to be some solvent in New York life that reduces all men to a common level »), ou dans The Whole Family, où la banalité de la conversation entre deux voisins représentés dans leurs jardins et leurs classes sociales respectifs dissout littéralement la barrière physique et invisible qui les sépare.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

GUILLAUME TANGUY Université Rennes II

Transatlantica, 1 | 2003 272

Collin Meissner. Henry James and the Language of Experience. Cambridge : Cambridge UP, 1999. ix+237p. £37.50, $59.95.

Annick Dupperay

1 Conformément aux développements récents de la critique jamesiennne, qui s’efforce de réconcilier formalisme et historicisme, Meissner redécouvre ce qu’il est convenu d’appeler la dimension « politique » de l’oeuvre de James et insiste sur la fonction « civique » du récit de fiction telle que l’envisageait le romancier lui-même en définissant « the civic use of imagination » (voir la préface à « The Lesson of the Master »). Meissner procède à une analyse textuelle approfondie de trois romans représentatifs des étapes successives de l’oeuvre fictionnelle — The American, The Portrait of a Lady et The Ambassadors — qu’il rapproche en fin d’ouvrage des trois volumes de l’autobiographie. S’il s’agit de démontrer l’interrelation entre esthétique et politique, l’auteur souhaite cependant s’inscrire en porte-à-faux par rapport aux approches « new historicist » comme celles de Mark Seltzer (Henry James and the Art of Power, 1984). Seltzer perçoit chez James une double stratégie selon laquelle l’écrivain déplore et reconnaît à la fois la collusion entre l’art et le pouvoir et ce faisant, révèle son rapport de connivence avec l’ordre établi et le discours du maître. Meissner, quant à lui, associe l’engagement « politique » de l’écriture jamesienne à son pouvoir de subversion et de contestation des canons culturels et sociaux, même s’il insiste sur le caractère essentiellement individualiste de la démarche. Malgré ses affinités avec Walter Pater, poursuit Meissner, James entra très tôt en guerre — dès 1875 avec Roderick Hudson et 1877 avec The American — contre les méfaits de l’esthétisme : « the immoral underside of aestheticism, at least in so far as the aesthete cultivated a hypersensual response to life ».

2 La complexité des relations humaines en sa dimension sociale fait elle aussi partie de ce réel que l’on ne peut manquer de rencontrer tôt ou tard (voir préface à The American). La notion d’expérience s’envisage suivant deux logiques contradictoires qui s’affrontent dès The American ; on discerne une logique accumulatrice et empirique, un mode de consommation, par lequel la dite expérience vient renforcer les structures mentales et schémas culturels préétablis. Elle entre en conflit avec une autre vision de

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l’expérience, sous le signe de l’altérité et de l’altération, une démarche négatrice — « transformative and non-affirmative ». L’exemple par excellence de cette rencontre déstabilisatrice avec l’autre que soi est la scène du Lambinet (The Ambassadors) : « The sudden explosion of Strether’s frame of reference matches exactly James’s understanding of reality as an unfixable, ever-expanding horizon, what William James referred to as a ‘multiverse’ ». La rencontre de l’inconnu ou de l’étrange devient mode de connaissance et l’on appréciera de ce point de vue d’intéressants parallèles entre The Portrait of a Lady (Isabel’s « midnight vigil »), The Ambassadors et The American. Ce dernier, souvent perçu à tort comme un romance manqué (« a failed comic romance ») entraîne déjà personnage et lecteurs, par cercles concentriques, vers une forme d’épiphanie négative que Meissner appelle « an interpretive quandary » : « the failure to understand often becomes the medium of understanding ». Le problème étant que, vu l’extrême fluidité de leur expérience, les personnages ne peuvent plus être signifiés par l’intrigue qui les contient ; James les laisse « en l’air » (voir Notebooks, Portrait of a Lady). D’où l’énigmaticité des dénouements (Portrait et The Ambassadors), et la frénésie interprétative de plusieurs générations de lecteurs contraints d’aller au-delà du texte de fiction, d’envisager la multiplicité des possibles — l’avenir extra-textuel des héros. C’est ainsi, selon Meissner, que James maintient le dialogue entre l’art et la vie et rappelle les limites du formalisme esthétisant.

3 On appréciera la réévalution des dénouements les plus équivoques, ainsi que le parallèle établi entre les représentations fictionnelles de la conscience artistique et leur contrepartie autobiographique. L’autobiographie de James se situe à l’intersection entre l’art et la vie ; la figure de l’auteur se libère à son tour du cadre formel de la narration puisque le dernier volume demeura inachevé. Tout n’est pas nouveau dans l’ouvrage de Meissner, mais l’analyse est solide, souvent convaincante et remarquablement rédigée.

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AUTEUR

ANNICK DUPPERAY Université de Provence

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François Brunet et Anne Wicke éds. L’œuvre en prose de Ralph Waldo Emerson. Paris : Armand Colin. 2003. Pp. xviii, 171.

Joel Porte

1 Appearing in the bicentennial year of Emerson’s birth, in connection with the inclusion of Emerson’s work as one of the set texts in the Agrégation, the volume of critical essays edited by François Brunet and Anne Wicke would seem to give official recognition to Emerson’s stature as a founding figure in American literature and culture, though the special number of RFEA devoted to Emerson in 2002 had already signaled a wide-spread interest in Emerson among French academics. Nevertheless, as noted by Brunet and Wicke in the introduction to their volume, “despite multiple efforts, at different times [to introduce Emerson to French readers], he still remains today an author curiously little-known in France.” Some of Emerson’s texts were presented in French translation by Émile Montégut as early as 1851, and by 1895 the Essays were “bedside reading” for Marcel Proust. Between 1900 and 1930 much of Emerson’s work became available in French, but this effort, as the editors inform us, underwent a kind of eclipse until the publication of Maurice Gonnaud’s magisterial doctor’s thesis in 1964 (Individu et société dans l’œvre de Ralph Waldo Emerson: essai de biographie spirituelle). Still, as the editors note, despite the devoted efforts of many French Americanists, “the work of the ‘sage of Concord’ remains, in French universities, a body of canonical citations rather than a true field of study.” Emerson’s Work in Prose announces at the outset that while threading one’s way through the “impressive labyrinth of Emersonian studies,” with all the “complications and contradictions therein revealed,” it is important to keep in mind that the central issue to which one constantly returns is “that of the invention of a specifically American language, or simply a language of one’s own.” Accordingly, Brunet and Wicke insist that their main concern in assembling “this work designed to serve as an introduction to Emerson’s oeuvre was to foreground the verbal dimension—textually and rhetorically—of that oeuvre so as to provoke the French public to read Emerson and

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not become narrowly circumscribed by his ideas.” I think this is an admirable goal, though it is realized only fitfully in the volume, which actually offers a number of discussions (often quite rich) of concepts and movements—intellectual continuities and discontinuities, philosophical affiliations and problems.

Thus, in the first essay in the collection Yves Carlet traces what he calls the “Transcendental religion” (semantic quotes) from its origins in seventeenth-century Puritanism through the deformations caused by the religious disputes characteristic of Emerson’s own time: “continuities and ruptures” is thus the subtitle of Carlet’s chapter. Carlet notes that modern readings of Emerson have been largely controlled by a “new doxa,” founded essentially on the work of Stanley Cavell, “whose gaze is directed more downstream than upstream, toward philosophy rather than religion, toward Wittgenstein and Heidegger more than toward Cotton Mather and Jonathan Edwards.” For those who follow this line, Carlet argues, Emerson tolled the knell of the oldtime religion and functioned as the mid-wife of a new secular national culture, “or at least one based on the discovery of alternative religious models.” Carlet’s chapter, however, tends to recapitulate the argument of Sacvan Bercovitch’s Puritan Origins of the American Self, seeing Emerson as being haunted by the ghost of John Winthrop. My own view is that neither the Cavellian approach nor that of Bercovitch is adequate to the complexities of Emerson’s role in American culture. We must read him in his own terms.

In the second chapter in the collection, “Emerson and the Transcendental Movement,” François Specq rehearses the checkered history of this cultural event in its social, political, and intellectual aspects, and reasonably concludes that Emersonian Transcendentalism had a significant effect on American culture in its own time and retains a certain vitality even in current intellectual debate. Mark Niemeyer (in English) takes us back to “The American Scholar” in an essay entitled “Ralph Waldo Emerson’s Intellectual Declaration of Independence,” then goes back further to place Emerson’s address in the context of Jefferson’s “Declaration.” Anne Wicke (“The America to Come and the Burden of Europe”) weighs the balance of past and future in Emerson’s thinking about his young nation, also invoking John Winthrop’s “City upon a Hill” (loosely) as a model for Emerson’s “optative” view of America and its promise. In an essay usefully adding to current debate among American academics as to Emerson’s role as a public intellectual (“The ‘Sage of Concord’: An Engaged Intellectual?”) Aïssatou Sy-Wonyu argues, convincingly enough, that “it is hazardous to reduce Emerson to the role of a moralistic voice behind which lurks the terrible and bloody intentions of American imperialists”—a position taken recently by John Carlos Rowe. On the contrary she insists that Emerson was “never deaf to the voice of his conscience.” He was the “philosopher of a democracy on the march”—essentially a libertarian and a true idealist.

Other essays in the collection deal with such questions as Emerson and modern capitalist America (“Idealism Tested by Materialism”—Marc Bellot) and Emerson in the heritage of American philosophy that leads (according to Sandra Laugier and Mathias Girel) from Williams James to—of course!—Stanley Cavell: “The invention of the ordinary by Emerson represents the discovery, or the foundation [to appropriate the play on words of Cavell, ‘finding as founding’], of American thought.” Another essay,

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Mathieu Duplay’s “Emerson, the Art, the Poet,” moves through Emerson and the Romantic movement (with the help of Philippe Lacoue-Labarthe and Jean Luc-Nancy) and on to Emerson’s poetry of “utopian America.” Duplay argues, eloquently, that, following the example of The Eumenides of Aeschylus, Emerson as the poet of democracy will not allow his fellow Americans to turn away from the only “question that matters, that of the eternal and the beautiful”—which is to say “they will be the citizens of a New World yet to be discovered, an America of the mind that differs from the nation called the United States, as a True [book] is distinguished from a bad book of philosophy, or the Beautiful from a failed poem.”

Finally in a chapter by Michel Imbert devoted to “Self-Reliance” (“Individualism or the Infinitude of the Self”), we do get some close reading (though Emerson’s texts are occasionally imperfectly reproduced) that, however, in the end subscribes to Layla Raïd’s untenable notion, in the RFEA volume edited by Sandra Laugier in 2002, that Emerson resorts to grammatical “non-sens” to achieve his rhetorical goals. What is one to do with an essay that concludes by glossing relying on oneself as “self relying relaying lying on/to oneself”? The jeu de mot in this case strikes me as a long way off from le mot juste.

But the last word must be that despite differing anglophone and francophone habits of mind that sometimes seem to result in meanings getting lost in translation, the Brunet/ Wicke collection attests to a serious interest in Emerson in France and represents a valuable contribution to Emerson studies that should be noticed on both sides of the Atlantic.

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AUTEUR

JOEL PORTE Cornell University

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Marc Bellot. Ralph Waldo Emerson. Parcours de l’oeuvre en prose. Neuilly : Atlande, « Clefs concours Civilisation américaine », 2003. 224 p., chronologie, notices biographiques, glossaire, bibliographie, index.

François Brunet

1 Petit par la taille, le livre de Marc Bellot affiche l’ambition modeste de fournir des « repères » aux agrégatifs qui en 2003 auront eu à affronter l’épreuve d’option sur l’oeuvre en prose d’Emerson. Or si cet objectif est pleinement réalisé, il faut d’abord saluer l’événement qu’est en France la parution d’un ouvrage sur Emerson (combien y en a-t-il eu depuis la thèse de Maurice Gonnaud en 1964 ?), et le tour de force qu’a réussi Marc Bellot en composant non pas un simple manuel mais un véritable précis. On ne cherchera pas ici d’interprétations nouvelles, mais on se reportera sans hésiter à une synthèse qui brille par sa qualité didactique. Marc Bellot a affronté méthodiquement la difficulté d’une lecture civilisationniste d’Emerson, et en a déduit un plan clair et convaincant. On a d’abord une revue des contextes (la carrière et la réception d’Emerson, puis les grands enjeux historiques et culturels qui traversent l’œuvre : puritanisme et unitarisme, pastoralisme et progrès technique, question de l’esclavage). Viennent ensuite les parcours thématiques (sur l’unitarisme, le transcendantalisme, le spiritualisme, la fonction poétique, l’histoire, l’expansionnisme, le progrès technique, l’essor économique, l’activisme abolitionniste, les droits des femmes), systématiquement appuyés par d’abondantes citations et des éléments de contextualisation toujours pertinents. A travers ces parcours sont couvertes toutes les questions qu’impliquent aujourd’hui une lecture civilisationniste, et même une lecture politique, d’Emerson, sans oublier ni la dimension littéraire ni surtout la dimension morale de cette oeuvre. Cette lecture est d’autant plus riche qu’elle aborde, au-delà du corpus proposé dans l’édition Norton, d’autres textes importants mais peu accessibles (comme la conférence « American Civilization » de 1862). L’ouvrage excelle donc aussi par la qualité et la maîtrise de l’information (sur les sources primaires, sur les débats du 19e siècle, sur l’historiographie et sur la critique émersonienne, américaine mais aussi française), qui trouve des rappels clairs et commodes dans les annexes : chronologie croisée de la vie d’Emerson et de son époque, notices biographiques de tous les

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personnages historiques cités (de George Fox à James Elliot Cabot), glossaire des termes et notions (peut-être un peu fourre-tout, puisqu’on y trouve « Eucharistie » à côté de « Destinée manifeste » et de « « Post-kantisme », mais ce fourre-tout n’est-il pas à l’image d’Emerson ?), enfin une riche bibliographie (qui reprend grosso modo celle élaborée collectivement pour les préparateurs). Inévitable revers de l’exigence didactique de cet ouvrage, l’Emerson de Marc Bellot manque un peu de complexité textuelle et rhétorique, paraît même parfois un peu trop prévisible (encore que soient parfaitement mis en lumière les revirements sur l’abolitionnisme ou sur le capitalisme). De même cet ouvrage tend-il plutôt à effacer ce que certains critiques américains appellent le « radicalisme » (moral et philosophique, plutôt que politique) d’Emerson. Par là même, cependant, il n’en évite que mieux les ornières du débat lancinant sur le positionnement idéologique et socio-historique d’Emerson. Aussi n’hésite-t-on pas à se réjouir d’avoir enfin en français, avec le petit livre de Marc Bellot, un ouvrage de référence sur Emerson, assurément destiné à survivre au programme 2003.

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AUTEUR

FRANÇOIS BRUNET Paris 7 — Denis Diderot

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James L.W. West III, ed. The Cambridge Edition of the Works of F. Scott Fitzgerald : « Trimalchio » : an Early Version of The Great Gatsby. Cambridge : Cambridge UP, 2000. xxii-192 p. Illus.

Jean-Loup Bourget

1 Présenté comme « an early version of The Great Gatsby », “Trimalchio” est une tentative de reconstitution du manuscrit dactylographié envoyé par Fitzgerald à son éditeur, Scribner’s, en octobre 1924. Ce tapuscrit étant perdu, le texte a été établi à partir des épreuves avant correction, elles-mêmes composées à partir du tapuscrit. Il représente donc un stade intermédiaire entre le manuscrit holographe conservé à Princeton (fac- similé publié par les soins de Matthew J. Bruccoli en 1973) et le texte publié en avril 1925 qui nous est aujourd’hui familier. La publication de « Trimalchio » se justifie doublement.

D’abord, s’il était brouillé avec l’orthographe, Fitzgerald était aussi un styliste perfectionniste, ratureur obsessionnel, éternel insatisfait, qu’il est évidemment passionnant d’observer au travail. En outre, il tint certainement compte des remarques de Maxwell Perkins, son editor chez Scribner’s, qui, enthousiasmé par le roman, avait néanmoins noté que le personnage de Gatsby n’était pas décrit avec suffisamment de netteté et que les révélations sur son passé et l’origine de sa fortune, venant tout à la fin du récit, auraient gagné à être préparées par quelques indices et à être étoffées sans que Gatsby y perde sa nécessaire aura de mystère. Pendant les quelques semaines qui séparent « Trimalchio » de Gatsby, Fizgerald procède donc à quantité de suppressions, d’ajouts, de modulations et d’étoffements, mais aussi à des changements de structure. Ajoutés, le passage décrivant le sourire de Gatsby, l’échange entre Gatsby et Nick sur l’impossibilité de faire revivre le passé. Etoffée, la confrontation entre Gatsby et Tom Buchanan à l’hôtel Plaza (dans « Trimalchio », Daisy n’oppose guère de résistance à son mari, ce qui entraîne une défaite trop rapide de Gatsby). Surtout, les éléments qui

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éclairent le passé de Gatsby ont été déplacés pour figurer plus tôt dans le récit. Les réminiscences sentimentales de Gatsby passent du chapitre VII à la fin du chapitre VI, c’est-à-dire avant que le héros cesse de donner ses extravagantes réceptions et remplace son personnel stylé par des protégés de Wolfshiem. La relation des rapports entre Gatsby et son père adoptif Dan Cody passe du chapitre VIII (après l’accident dont est victime Myrtle Wilson) au début du chapitre VI ; cette relation est en partie à la première personne dans « Trimalchio », alors que dans le texte publié Fitzgerald revient exclusivement à la troisième personne. Le rôle de Nick comme narrateur est donc renforcé au détriment de la voix propre de Gatsby, tandis qu’inversement sa responsabilité dans les retrouvailles de Gatsby avec Daisy s’estompe peu à peu du manuscrit à « Trimalchio », puis au texte publié.

Les réécritures et repentirs de Fitzgerald ne suivent pas toujours un schéma linéaire. En témoignent ses hésitations répétées sur le titre du roman : « The Great Gatsby », « Gatsby », « Gold-hatted Gatsby », « The High-bouncing Lover », « Trimalchio in West Egg », « Trimalchio », « On the Road to West Egg », « Under the Red, White and Blue ». Il semble que le tapuscrit d’octobre 1924 ait été intitulé, comme le manuscrit holographe, « The Great Gatsby », mais que Fitzgerald ait ensuite écrit à Perkins pour lui dire sa préférence pour « Trimalchio in West Egg ». Dépourvues de page de titre, les épreuves portent le titre courant « Fitzgerald’s Trimalchio ». Seul Perkins aimait l’incongruité du rapprochement Trimalchio / West Egg ; les autres (dont Zelda) jugeaient le titre trop cryptique, trop peu « vendeur ». Fitzgerald continua à hésiter, préférant peut-être « Trimalchio » tout court (« imprononçable », selon Ring Lardner), mais il était trop tard : le livre était annoncé sous ce qui était, après tout, son titre original. Le parvenu Trimalcion n’avait pas réussi à détrôner Gatsby le Magnifique.

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AUTEUR

JEAN-LOUP BOURGET ENS Ulm

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Marie-Agnès Gay. Epiphanie et fracture : l'évolution du point de vue narratif dans les romans de F. Scott Fitzgerald. Paris : Didier érudition, 2000. 328 p.

Elisabeth Bouzonviller

1 Alors que l’œuvre de F.S. Fitzgerald avait été quelque peu oubliée par la recherche universitaire française depuis les années soixante-dix, l’ouvrage de M-A. Gay prouve qu’elle peut être explorée avec succès au moyen d’outils critiques récents. Ainsi que l’attestent la bibliographie et le titre, son approche relève de la linguistique, mais elle ne rebutera pas les profanes en la matière puisque, ainsi qu’elle l’explique elle-même, elle « se situe [...] au carrefour d’une analyse stylistique et d’une approche plus largement littéraire, l’examen des marques linguistiques et pragmatiques de la perspective narrative se doublant d’une étude sur la thématique du regard ».

2 Son ouvrage se divise en quatre parties qui correspondent à la chronologie de l’œuvre et considèrent successivement la façon dont l’écrivain a géré la notion de point de vue dans ses cinq romans. Son originalité réside dans l’affirmation d’un intérêt marqué de la part de Fitzgerald pour les questions de forme et tout particulièrement pour la notion de point de vue, alors qu’il a longtemps été considéré uniquement comme le spectateur et chantre de « l’Age du Jazz ». M-A. Gay insiste sur la corrélation entre l’évolution du talent du romancier et sa maîtrise progressive de cet outil narratif. Bien qu’elle connaisse parfaitement la critique fitzgeraldienne antérieure, elle s’y réfère peu et l’intérêt principal de son approche réside dans son analyse personnelle et scrupuleuse des textes. Elle s’interroge sur les « réflecteurs », sur la distance entre lecteur, écrivain, personnages et narrateur et sur la perception des événements par les personnages.

3 Au-delà des erreurs de jeunesse, elle croit reconnaître les prémices d’une réflexion sur le point de vue dans les premiers romans et les germes d’un talent à venir alors que

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Fitzgerald passait d’une identification totale à ses personnages à une dissociation complète et qu’il cessait d’être le porte-parole de son époque pour en devenir l’observateur cynique. A propos de Gatsby le Magnifique, M-A. Gay étudie évidemment le narrateur homodiégétique et la fiabilité de son message. Elle démontre avec succès que, malgré ses failles, Nick transmet finalement ce qu’elle nomme le « point de vue métaphorique » de Gatsby et conclut sur l’idée que le roman met en scène « la naissance d’une voix », seule capable d’exprimer l’infinie quête du sens. Dans son analyse de Tendre est la nuit, elle soutient que l’utilisation d’un point de vue « fragmenté », souvent mal perçue par la critique, constitue en fait la clé de voûte du roman, qui, grâce aux différents réflecteurs, offre au lecteur une expérience mimétique de l’ambiguïté, de la fragmentation, voire de la schizophrénie. A charge alors au lecteur de découvrir, derrière cette expérience traumatique, la promesse esthétique d’une certaine plénitude qui devra être reconstruite à partir du chaos narratif apparent. Ainsi, de Gatsby le magnifique à Tendre est la nuit, Fitzgerald faisait le chemin de la « lumière verte » aux ténèbres keatsiennes, de l’épiphanie à la fracture, annonçant déjà « le point de vue comme emprisonnement » de son dernier roman inachevé. M-A. Gay peut donc conclure que cette « évolution du point de vue narratif dans les romans de F. Scott Fitzgerald » reflète son désenchantement progressif, de l’enthousiasme des années folles à la « banqueroute émotionnelle » de la crise de 1929, mais que finalement son œuvre célèbre la supériorité de l’imagination et de la fiction sur la réalité.

4 Cette approche qui lie analyses linguistique et thématique peut surprendre au premier abord car M-A. Gay s’intéresse tout à la fois à la focalisation, aux regards, aux perspectives visuelles et narratives et considère même l’aspect moral de la perception alors qu’elle s’interroge sur l’honnêteté des témoins et la validité de leurs messages. Néanmoins, son ouvrage franchit aisément les barrières entre les différents domaines et se distingue par son analyse pointue et convaincante des textes dans un style rigoureux mais souvent poétique qui rend justice au talent d’un romancier si souvent critiqué pour son attitude dilettante et le gâchis de son talent. Ainsi, M-A. Gay nous offre un éloge original mettant admirablement en valeur les qualités formelles d’une œuvre longtemps sous-estimées.

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AUTEUR

ELISABETH BOUZONVILLER Université Jean-Monnet — St-Etienne

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Pascale Antolin-Pires. L’Objet et ses doubles. Une relecture de Fitzgerald. Pessac : Presses Universitaires de Bordeaux, 2000. 247 pages.

Marie-Agnès Gay

1 Ce n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage que de tenir le pari affiché dans son titre, à savoir nous entraîner en effet dans une « relecture » de Fitzgerald. La référence aux objets évoque certes la dimension mimétique du texte fitzgeraldien, si souvent réduit à un documentaire sur le Jazz Age ; mais l’auteur, en traquant les doubles ou faux sens de ces objets-signes présente l’envers de cette œuvre qui, plutôt que d’une tradition réaliste fondée sur le mode référentiel, relève d’une écriture moderniste donnant à voir le décalage entre signifiant et signifié et mettant en avant l’artifice de l’écriture.

2 L’étude, en quatre parties, explore le fonctionnement de l’objet, clé de voûte d’un double dispositif référentiel et réflexif, et met à nu le passage d’un code de représentation à un code de signification, la perte d’une vérité univoque qui se fait ouverture... Malgré son foisonnement, l’objet fitzgeraldien est avant tout le site d’une absence, transcendée dans une dialectique du désir.

3 Le premier chapitre s’intéresse aux éléments de la technê et aux biens de consommation qui, trompeurs, traduisent la vision pessimiste de Fitzgerald sur l’Amérique matérialiste de la première moitié du vingtième siècle, mais expriment également la scission du signe. L’objet, signe flottant, marque alors le triomphe de la fiction sur la représentation.

4 Au second chapitre, l’auteur étudie le rôle stratégique de l’objet dans la construction de l’univers narratif pour montrer là encore que l’objet fitzgeraldien n’est jamais engagé dans un simple procès mimétique. L’objet signifie plus qu’il ne représente, et s’avère toujours plus fluctuant, escamotant le réel. En soulignant la mutabilité du signe, le romancier expose la fiction en même temps qu’il la fonde. Celle-ci devient le seul référent possible ; l’ancrage ne peut être qu’encrage.

5 Le troisième chapitre aborde les objets de discours (images, descriptions et listes) qui, à leur tour, font et défont le sens et altèrent le code référentiel. Les images d’objets (métaphores et comparaisons), tout en renvoyant au réel, parlent surtout d’écriture ;

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machine, tissu, miroir… élaborent une mise en abyme métatextuelle et signalent la spécularité d’un texte qui bascule vers la métafiction. Même dualité pour la description qui, sous prétexte de convoquer le réel, est avant tout le lieu d’un spectacle des signes, et pour les listes d’objets où l’afflux de signifiants suggère un signifié de plus en plus évanescent. Dans le cadre de cette écriture réflexive, le sens se dessine comme vide.

6 Le dernier chapitre, « Cet obscur objet du désir », tente de démêler l’enlacement du textuel et du sexuel. L’auteur évoque d’abord la collection d’objets, « parole » équivoque ; comme l’objet manquant de la collection est le moteur du désir, le manque- à-être de la dispersion sémantique alimente la fiction désirante. De même, le fétiche est au personnage ce que la versatilité du sens est à l’écrivain : un objet de désir, substitut imparfait mais également moteur du discours. Enfin les objets-seuils instaurent un espace de jeu où est mis en scène l’ab/sens ; mais si « le sens s’absente, […] c’est pour se faire d’autant plus désirer, transformant la tragédie de la perte en une comédie du désir ».

7 Pascale Antolin-Pirès propose un exposé riche, rigoureux et progressif, écrit dans une langue à la fois claire et alerte qui, bien que dense, ne cède que très rarement à la tentation du jargon. L’auteur a le sens de la formule, comme le montrent ponctuellement certains titres, mais plus généralement son écriture qui, en traquant la multivocité fitzgeraldienne, joue à son tour avec les mots. Bien que l’ouvrage aborde principalement les romans, dont les deux œuvres de jeunesse moins souvent traitées par la critique (This Side of Paradise et The Beautiful and Damned), on relève également des allusions bienvenues à certaines nouvelles. Les micro-lectures sont toujours très fines, révélant la profondeur du texte et faisant souvent ressortir des échos prégnants. L’auteur utilise enfin un appareil critique fourni, toujours convoqué avec justesse. En revanche, on peut regretter l’absence d’une bibliographie qui oblige à la consultation des notes pour rechercher les références éditoriales.

8 Pascale Antolin-Pirès nous aide à entendre la parole de ces objets que Fitzgerald « trouve le moyen de […] faire parler « , parole en creux qui fait du désir le réel objet de son œuvre. Au terme de cette étude, le lecteur ne peut que souhaiter (re)partir en quête du plaisir que promet le texte fitzgeraldien.

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AUTEUR

MARIE-AGNÈS GAY Université Jean Moulin — Lyon

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Fabre, Geneviève et Michel Feith, eds. Temples for Tomorrow : Looking Back at the Harlem Renaissance. Bloomington : Indiana University Press, 2001. x, 392p. Illus. $22.95.

Claire Parfait

1 La Renaissance de Harlem, période aussi riche en contradictions qu’en productions artistiques, forme le sujet de Temples for Tomorrow. G. Fabre et M. Feith ont rassemblé dans cet ouvrage dix-sept essais qui ont fait l’objet de communications lors du colloque sur la Renaissance de Harlem organisé à Paris en 1998. Les essais sont précédés d’une introduction à la fois riche et stimulante, qui fait le point sur les débats critiques, et propose d’évaluer cette période fort controversée comme projet fédérateur avant tout ; il s’agissait en effet de proposer une représentation qui s’oppose aux stéréotypes adoptés par l’Amérique blanche et par certains des Africains- Américains eux-mêmes.

2 Les essais qui suivent sont regroupés en trois parties, dont les deux premières examinent des formes d’art aussi diverses que la littérature, la musique (tant la symphonie que le blues), l’illustration, la sculpture, la peinture et le théâtre. Les thèmes récurrents de cette exploration de domaines rarement envisagés dans leur syncrétisme sont les questions de race et d’identité, le recours à l’histoire et à l’art africains, ainsi que la tension entre primitivisme et modernisme d’une part, et entre culture populaire et culture d’élite d’autre part. Si certains des essais examinent, souvent d’un oeil neuf, des artistes reconnus, qu’il s’agisse d’écrivains comme Langston Hughes, James Weldon Johnson, ou Zora Neale Hurston, ou de peintres et illustrateurs comme Aaron Douglas, d’autres s’intéressent à des artistes quelque peu négligés (la chanteuse Ethel Waters, le cinéaste Oscar Micheaux), dont la réputation a souffert des contradictions propres à la Renaissance, et notamment de l’ambivalence de certains de ses architectes vis-à-vis de la culture populaire africaine-américaine. Harlem n’est pas oubliée dans les essais, où elle apparaît à la fois comme « lieu de mémoire » et construction textuelle.

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3 La troisième partie de l’ouvrage élargit la perspective à la scène internationale, en examinant les liens qu’entretiennent les artistes de la Renaissance avec le reste de la diaspora. Sont évalués la place des Caraïbes dans le mouvement, la constitution d’un discours noir sur la diaspora dans l’Entre-deux-guerres, avec ses accords et ses lignes de fractures dont les traductions (d’américain en français) fournissent une démonstration éclatante.

4 Complété par une utile chronologie et une bibliographie très fournie, Temples for Tomorrow offre une perspective nouvelle sur une période qui demeure très diversement interprétée. On notera en particulier l’éclairage fourni sur les liens entre divers genres artistiques ainsi que sur la complexité du mouvement envisagé à l’échelle internationale de la diaspora.

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AUTEUR

CLAIRE PARFAIT Université Paris VII-Denis-Diderot

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Michael P. Kramer. New Essays on Bellow’s Seize the Day. Cambridge : Cambridge UP, 1999. £ 8.95.

Jean-Yves Pellegrin

1 Les New Essays on Seize the Day réunissent six articles qui, pour la plupart, s’attachent à une question mainte fois soulevée par la critique bellowienne : comment définir et quelle place accorder à la notion de judéité dans les textes de Saul Bellow ? Le propos introductif de Michael P. Kramer a le mérite de souligner clairement le caractère fuyant de cette notion et la difficulté d’accoler une quelconque étiquette ethnique à l’œuvre de Bellow en général et à Seize the Day en particulier, court roman où ne perce aucun signe tangible de la judéité de son auteur. Mais une fois ce constat posé, Kramer ne s’interroge pas sur la pertinence du débat ethnique, et préfère voir en Tommy Wilhelm la figure prototypique du juif déraciné, incapable de réintégrer son héritage et faisant ainsi l’expérience de l’exil, expérience juive par excellence. Cette interprétation, inspirée des écrits d’Isaac Rosenfeld, et proposée dans les années 1960-70 par Keith M. Opdahl, Irving Malin et quelques autres, va dans le sens d’une lecture étroitement ethnique et quelque peu désuète de Bellow.

2 On pourrait faire le même reproche à l’article d’Emily Miller Budick qui veut voir en l’Holocauste la lettre dérobée du texte bellowien : le silence de Seize the Day sur le génocide serait en effet l’inscription en creux de la Shoah, une présence fantomatique dans le non-dit ou l’allusif du texte. Outre les réserves que l’on peut émettre sur l’argumentation proposée, il faut noter que cette thèse a déjà été développée par Lillian Kremer, peut-être à plus juste titre, à propos de The Victim. On doit néanmoins souligner la conclusion très intéressante de Budick sur le nihilisme dans Seize the Day, jugement qui va à contre-courant des idées largement diffusées sur l’humanisme de Bellow.

3 L’article de Hana Wirth-Nesher propose une étude linguistique et intertextuelle de l’héritage juif dans le roman. Si la démonstration n’est pas toujours convaincante à force de vouloir démontrer, via l’onomastique par exemple, la filiation du texte avec certains repères de l’histoire juive (comme la querelle entre Hassidim et Maskilim), elle finit néanmoins par s’éloigner d’une lecture monoculturelle du texte pour thématiser

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avec force la notion d’hybridité et présenter Bellow sous le jour d’un passeur, d’un traducteur qui introduirait les lecteurs non juifs à la littérature juive en adaptant celle- ci aux normes du nouveau monde, et présenterait aux juifs anglophones les analogies qu’entretient cette littérature avec la tradition américaine. On peut certes émettre quelques réserves sur la validité de cette hypothèse qui donne pour mission ultime à l’écriture bellowienne l’intégration de la communauté juive au mainstream américain (dont l’œuvre de Bellow toute entière ne cesse de dénoncer l’illégitimité), mais au moins pose-t-elle la question de la judéité chez Bellow dans le cadre pertinent d’une dialectique Vieux Monde/Nouveau Monde.

4 L’étude de Donald Weber reprend ce cadre en soulignant le conflit qui permet vraiment de parler de problématique ethnique chez Bellow, à savoir celui qui oppose l’exubérance yiddish au code anglo-saxon du restraint. Pour Weber, Seize the Day exprime moins l’expérience du juif que celle du greenhorn et de sa descendance en Amérique (il faut d’ailleurs noter que l’adjectif Jewish est ici l’équivalent de Russian ou East European). L’aliénation que le roman met en scène consiste alors en cette hésitation de l’immigrant entre volonté de contenir les braillements honteux de son âme slave pour se conformer à la rigidité et au silence anglos, et désir de laisser percer les accents pathétiques de son opéra yiddish ; dilemme que traduit le conflit entre Wilhelm et son père américanisé.

5 L’antagonisme père/fils et le refus de la règle anglo-saxonne fournissent à Sam B. Girgus la matière de son étude. Reformulé en termes psychanalytiques, le débat sur la notion d’identité quitte la sphère ethnique pour celle de l’élaboration du moi. Le rejet par Wilhelm du code « tough boy » en vigueur dans l’Amérique des années 1930, et son incapacité à se construire une identité cohérente s’expriment à travers l’homosexualité ou la féminité latentes du personnage. Manière de dire le désir du père et la volonté de s’en démarquer, la crise identitaire de Tommy vaut comme transcription de l’oscillation bellowienne entre l’Ancien et le Nouveau Monde. On pourra regretter que cette étude fort intéressante emprunte à l’ouvrage de Kaja Silverman, Male Subjectivity at the Margins, un appareil théorique parfois indigeste, et que l’analyse du film tiré de Seize the Day par Fiedler Cook reste très succincte.

6 Si tous les articles du recueil n’offrent pas une lecture réellement neuve du roman de Bellow, les New Essays constitueront néanmoins une référence bien utile à qui souhaite s’initier aux interprétations suscitées ces trente dernières années par l’un des textes les plus denses de la littérature américaine du vingtième siècle.

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Transatlantica, 1 | 2003 289

AUTEUR

JEAN-YVES PELLEGRIN Université Paris 4

Transatlantica, 1 | 2003 290

Luc Herman, ed. Approach and Avoid : Essays on Gravity’s Rainbow. Pynchon Notes 42-43 (spring-fall 1998) 342 p. $ 14.

Anne Battesti

1 Fruit d’un colloque international à l’université d’Anvers en juin 1998, cette livraison copieuse des Pynchon Notes propose un recueil forcément inégal de dix-huit articles, souvent marqués par l’influence des « cultural studies », et par l’apport philosophique de la « French connection »…parfois au risque d’une fétichisation de la théorie, et plus encore d’un maniérisme d’expression qui n’affermit pas forcément la pensée, et où l’amour de la langue ne trouve pas son compte : allégeance et connivence académiques, qui ont tôt fait de fossiliser certaines audaces. Ce n’est pas le cas dans l’article passionnant de Christophe Den Tandt, qui introduit la notion de « sublime » souvent évoquée par la suite. La réalité économique et technologique est un défi à la représentation, et si l’irreprésentable est alors l’objet de toute une littérature « postmoderne » ainsi aimantée par une nouvelle espèce du sublime (c’est la thèse de Joseph Tabbi dans Postmodern Sublime, cité dans plusieurs articles), on peut aussi revenir sur le roman réaliste américain, où déjà les corporations ne peuvent être nommées avec exactitude tant les réseaux qu’elles construisent semblent inextricables et illimités : l’économie devient un « objet sublime », forme non totalisable au sein du mode réaliste pourtant voué à représenter des univers connaissables. Le « surnaturel économique » de Pynchon hérite de cette tradition du « corporate discourse » dans la fiction, aussi parce qu’il reprend les deux grands types de personnages (ou « corporate identities ») que sont d’une part le maître totalisant, magiquement lié à une économie sublime et à sa flexibilité protéenne, et d’autre part le « trickster », lui aussi métamorphique à son échelle. Dans Gravity’s Rainbow, le pouvoir, militaire en même temps qu’économique, est devenu terrifiant, inextricablement détenu et simulé par ceux qui le servent, et qui, plus que jamais, usent du chaos et de l’incertitude à des fins de contrôle. Peut-on subvertir un tel (« sublime ») dispositif ? La question, qui occupe bien des œuvres « postmodernes », est souvent posée dans ce recueil à la suite de Linda Hutcheon qui notait, dans son étude de la poétique « postmoderne », « a curious mixture of the complicitous and the critical ». Ainsi Gravity’s Rainbow est-il « aux prises

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avec l’irreprésentable, avec le sublime, et à l’inverse ne peut se mettre à l’abri d’une idéalisation fabulatrice du chaos et de l’incertitude ». Den Tandt exempte toutefois Pynchon de la fascination, qu’il perçoit dans le réalisme, pour le « protean corporate male » (apparenté à l’artiste visionnaire). La résistance passe par le bricolage, ce que dans GR tente localement la Counterforce, ce que fait le récit dans ses bifurcations narratives où se recycle un matériel culturel hétéroclite.

2 Le terme « postmoderne » est défini dans un article de Laurent Milesi, en accord avec Lyotard, comme l’écriture après Auschwitz ; Pynchon, rappelle-t-il, n’évoque l’holocauste « imprésentable » que de biais, en le déplaçant (le massacre des Hereros par les colonisateurs allemands en 1904), et pose les questions du témoignage et de la représentation formulées dans les « Holocaust studies ». La fusée de Gravity’s Rainbow, par excellence « figure totalisante mais non totalisable », est aussi porteuse d’une terreur nucléaire qui nourrit une problématique voisine (Derrida, dans son « Not Apocalypse, Not Now », déclare « fabuleux » ou « fictif » le référent de la guerre nucléaire, et souligne l’impossibilité radicale du témoignage et de l’archivage). Revenant sur le désordre temporel créé par la fusée, qui en inversant l’avant et l’après défait le temps et l’espace, l’auteur souligne que GR est « à la fois apocalyptique et post- apocalyptique, tendu entre le sentiment de courir à la catastrophe, et celui d’avoir survécu à un cataclysme déjà survenu » (Baudrillard). Telle est à peu près la définition du « sublime nucléaire », donnée en citation d’un tenant du « nuclear criticism » : contempler la dévastation depuis un point situé au-delà de la fin, dans une survie fantomatique. Cette temporalité de l’après-coup (« belatedness », défini par Freud à propos du traumatisme), est encore étudiée dans un article tarabiscoté sur « l’art traumatique » que servirait Pynchon ; s’habillent ainsi d’oripeaux neufs des analyses conduites auparavant, car à la fin revoilà les bons vieux rhizomes…Plus généralement, on finit par se demander si les « Holocaust studies » n’ont pas encouragé un usage un peu désinvolte de l’holocauste : un brin de fascination savante pour l’impensable, l’impossible, l’irreprésentable ; beaucoup de discours acrobatiques ou abscons. Le traumatisme est encore évoqué dans un article sur « l’histoire hantée » chez Pynchon, dont l’œuvre est un peu escamotée au profit des références à Avery Gordon (Ghostly Matters) et surtout au Spectres de Marx de Derrida, qui pose les problèmes de la présence absente, de l’héritage illisible, du redressement des torts. Fort bien, mais si, comme le concède l’auteur, « ghosts, right now, are hot », autant s’acquitter plus discrètement des figures imposées, autant laisser parler l’œuvre de Pynchon et, ce faisant, tenter de parler de sa propre voix. C’est ce qui manque souvent dans ce recueil, et plus cruellement encore l’éclat de Gravity’s Rainbow, la chair fantomatique et luxueuse de ce texte. A quoi bon, alors, brandir les « singularités » ou l’« événement » ?

Deux autres contributions utiles, malgré tout : sur l’esthétisation du politique et sa critique par Pynchon ; et sur le rapprochement possible entre Bleak House et le Londres de GR, qui éclaire le « gothique apocalyptique » de Pynchon. La dernière contribution, sous la plume de Brian McHale, oppose la vogue des anges dans la culture populaire des années 90 aux anges « sublimes » de Pynchon, via Rilke et Benjamin, et de Wim Wenders au cinéma ; mais l’auteur est trop rapide pour tenir ses promesses, et préfère commenter une chanson de Laurie Anderson (« Gravity’s Angel ») qui aurait bigrement besoin de la musique pour faire son effet. « Cultural studies », encore un effort…

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

ANNE BATTESTI Université Paris 10 — Nanterre

Transatlantica, 1 | 2003 293

Kevin J. Kayes. Poe and the Printed Word. Cambridge : Cambridge University Press, 2000. 148p. ISBN 0-521-66276-1.

Anne Garrait-Bourrier

1 Kevin Hayes est Associate Professor à l’université d’Oklahoma. Spécialiste de culture américaine, il a publié de nombreux ouvrages sur le livre et sur le monde de l’édition aux Etats-Unis, en particulier A Colonial Woman’s Bookshelf (1996) ou Folklore and Book Culture (1997). Il s’est également intéressé à certains écrivains canoniques américains comme Melville, auquel il a consacré trois ouvrages, et Henry James.

L’ouvrage qui nous intéresse ici réunit en fait les deux centres d’intérêt de Hayes : l’étude du monde du livre et de l’édition américaine et le parcours d’un écrivain au cœur de cet univers. Pour ce faire, l’auteur choisit un écrivain dont les choix éditoriaux ont souvent été dictés par les modes littéraires de son temps : Edgar Allan Poe.

L’ouvrage, conçu de façon très pédagogique, est de lecture aisée. Le lecteur emboîte le pas de Hayes dans son double projet chronologique et thématique : suivre Edgar Allan Poe, ses prises de décisions, ses orientations artistiques au fil du temps, tout en observant simultanément le milieu de l’édition américaine, ses contraintes et ses limites. Hayes partage ainsi son ouvrage en huit chapitres brefs — d’une vingtaine de pages chacun — organisés autour d’un thème plus ou moins directement rattaché au monde du livre. Pour ne citer que quelques exemples, notons que le chapitre introductif s’intitule assez vaguement « The Student and the Book » puisqu’il ne vise qu’à poser la problématique c’est-à-dire, définir les liens existant entre Poe et le livre, une problématique qui sera développée de façon plus systématiquement culturaliste dans le cours de l’ouvrage. Ainsi, dès le chapitre deux, « Poetry in Manuscript and Print », Hayes arrive au cœur de son analyse en démontrant par quels biais Poe s’inscrit dans la culture éditoriale de son pays pour publier ses premiers poèmes. Hayes s’appuie sur les analyses d’un autre culturaliste américain spécialiste de l’écrit, Donald H. Reiman (The Study of Modern Manuscripts : Confidential, and Private. Baltimore : John Hopkins UP, 1993), afin de souligner le pas franchi par Poe en passant d’une écriture de

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soi à une écriture publique répondant à des normes imposées.

Cet ouvrage, à la bibliographie clairement orientée vers le monde de l’édition, offre un regard très documenté sur la seconde proposition du titre, c’est-à-dire, « the Printed Word ». Il apparaît donc qu’il ne s’agit pas ici d’un travail d’analyse littéraire sur l’œuvre de Poe, malgré la présence au chapitre cinq de pages très éclairantes sur les origines du texte poesque Gordon Pym. Le parcours de Poe ne semble en fait être utilisé par Hayes que comme une sorte de toile de fond idéale pour souligner l’évolution des goûts du public américain dans le cours du XIX siècle depuis les feuilletons publiés dans les gazettes, aux nouvelles indépendantes ; puis des recueils de nouvelles aux romans, et enfin des romans, devenus trop indigestes, aux feuilletons de qualité. Et il faut bien reconnaître que cet ouvrage nous convainc aisément qu’il ne pouvait sans doute pas y avoir de meilleur exemple que celui de Poe pour illustrer ce que fut la dictature du public en matière éditoriale et les contraintes des modes littéraires au XIX siècle. Poe présentait en effet tous les aspects de l’auteur « dépendant » des modes éditoriales.

L’ouvrage de Hayes est un essai qui traite d’un point précis de la culture américaine. Il renseignera également tous ceux qui cherchent à découvrir Edgar Allan Poe et veulent en savoir davantage sur sa personnalité et sa vision du métier d’écrivain. Il se pourrait cependant qu’il laisse les lecteurs spécialistes du texte même d’Edgar Allan Poe légèrement sur leur faim car aucune étude de fond n’est menée dans ce domaine malgré un titre qui peut sans doute laisser espérer une approche structuraliste de l’œuvre de Poe (« Poe and the Printed Word » peut en effet laisser sous-entendre une étude détaillée des œuvres publiées de Poe…). Hormis cette légère confusion possible dans le titre même de l’ouvrage, Hayes prévient d’emblée ses lecteurs de son double projet à la fois culturaliste et biographique, ce qui suffit dès les premières pages à lever toute ambiguïté.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

ANNE GARRAIT-BOURRIER Clermont II

Transatlantica, 1 | 2003 295

Anne Ullmo. Edith Wharton. La conscience entravée. Paris : Belin, 2001. 128 p.

Armelle Chastrusse

1 Dans l’ouvrage intitulé Edith Wharton. La conscience entravée, Anne Ullmo s’attache à présenter l’ambivalence de l’écrivain qui oscille entre nostalgie et iconoclasme. Son premier chapitre analyse cette opposition en montrant comment Wharton, qui tente de recomposer les fragments d’un monde disparu à travers le processus même d’écriture, célèbre tout en la craignant la force destructrice des parvenus. A la notion d’étouffement la romancière oppose celle de mouvement, incarnée par ces « boucaniers », et à cet égard les remarques d’Anne Ullmo concernant les déplacements (géographiques et sémiotiques), la marche, les hôtels, et les phénomènes de tourbillon et de gravitation, sont particulièrement éclairantes. Le deuxième chapitre, « le ballet des apparences », évoque des antithèses telles innocence et expérience, dedans et dehors, réalité et illusion. Le troisième, « les tragédies du silence », se penche sur le mutisme (engendré par la solitude ou par la société new-yorkaise), sur les articulations du non-dit dans certains récits minimalistes, et sur la menace que représente la parole. Quant au dernier, « les muses de la création », il est consacré aux problèmes liés à la création littéraire, pour l’auteur comme pour ses personnages artistes. Si l’on peut regretter que les sous-parties donnent parfois l’impression d’être éclatées, les multiples échos et références à d’autres œuvres, ainsi qu’à des anecdotes biographiques pertinentes, permettent une vue d’ensemble de l’œuvre et des préoccupations de l’écrivain.

2 Autre collection, autre approche. Dans The Age of Innocence, Edith Wharton : L’art du contretemps, Anne Ullmo donne une analyse détaillée de ce roman majeur. Elle considère en effet comme centrale à cette oeuvre l’expression d’une individualité qui s’oppose à la cohésion sociale, et dans cette optique, différence et répétition forment « le couple rhétorique à la base du récit ». Elle présente ainsi à la fois des exemples d’attitudes conventionnelles, semblables, conformes, et diverses formes de transgression des codes sociaux arbitraires. Les choix narratifs de Wharton (et notamment la « cadence irrégulière » donnée au texte par la focalisation interne et les

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tâtonnements du narrateur) sont donc en adéquation avec la thèse du contretemps, en ce qu’il permettent au personnage de Newland Archer d’apprendre à lutter contre les obstacles à l’affirmation de sa voix. Anne Ullmo présente des analyses extrêmement précises et stimulantes, telles que l’étude des structures itératives ou celle des premières phrases du roman (dont le vocabulaire architectural annonce déjà la tension entre passé et présent) ; ou encore celle du préfixe « co- » (ou « con- »), marqueur linguistique du motif de la cohésion sociale (dans « convenient », « conventions », « conformity »…), et qui s’oppose à la récurrence des privatifs (« unusual », « unmapped », « undifferentiated »…). Ces privatifs, associés, quant à eux, au monde des bohémiens et des nomades, sont autant de pas de travers, donc d’expressions du contretemps. Il faut aussi mentionner la lecture du dialogue entre la servante Nastasia et Archer, lors de sa première visite, et ses « dérapages linguistiques ». Anne Ullmo présente un texte qui se refuse à l’univocité. Elle rappelle également la croyance d’Edith Wharton en la magie des mots — magie dont elle a dans cet ouvrage particulièrement bien su rendre compte.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

ARMELLE CHASTRUSSE Université Bordeaux III

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Julian Murphet. Literature and Race in Los Angeles. Cambridge : Cambridge UP, 2001. 203 p.

Nathalie Cochoy

1 La ville de Los Angeles est un défi pour les écrivains américains contemporains, non seulement à cause de son expansion désordonnée, de sa fragmentation géographique, sociale, ethnique ou linguistique, mais aussi à cause de l’omniprésence de l’image qui substitue à la « réalité » urbaine une production abstraite et amnésique, encombrée de clichés improvisés par les bâtisseurs de « Tinseltown » — « the imagineers ». Selon Julian Murphet, la littérature de L. A. témoigne de l’anéantissement de la conscience individuelle et collective par 1’appareillage sémiotique et idéologique qui régit le spectacle permanent de la ville. Mais J. Murphet entend aussi montrer que des voix engagées et sonores émergent encore de la machinerie visuelle de L. A. — « ‘Blades of Grass’ waving faintly in the last breath of wind blowing from paradise ». Mobilisant avec une remarquable lucidité les concepts élaborés par Henri Lefebvre, J. Murphet révèle en effet comment les textes littéraires parviennent encore à manifester la présence d’« espaces représentatifs », imaginaires et affectifs, et de « pratiques spatiales », rituelles ou rythmiques, au sein d’une ville saturée d’images. Loin d’être le miroir d’une réalité divisée et dénaturée, la littérature réinvente un « acte d’appropriation » de l’espace social.

2 Pour éclairer mais aussi dépasser les tensions raciales qui déchirent la ville et les clichés oxymoriques qui la façonnent, Julian Murphet choisit de mettre en parallèle des oeuvres très dissemblables. Rappelant la tradition de résistance culturelle à l’idéologie dominante qui caractérise la littérature de Los Angeles, 1’auteur évoque d’abord le genre du « roman noir », revisité par James Ellroy et Walter Mosley. Il montre ainsi comment, dans les romans d’Ellroy, la scission violemment stéréotypée de l’espace urbain des années cinquante — entre la verticalité arrogante du « Bureau » et de la loi, symbolisée par le City Hall Building, et la dégénérescence rampante de la « rue » et de 1’Autre, incarnée par les quartiers de South Central ou de East L. A. — se trouve contestée par le style fiévreusement expérimental de l’auteur. En effet, de même qu’au

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niveau de la diégèse, la corruption de la police remet en question l’autorité de la loi, de même qu’au niveau du discours, les détours thérapeutiques du côté de l’horreur ébranlent la répartition rationnelle de l’espace, de même, au niveau du style, le mélange des stéréotypes du pouvoir blanc et des rythmes syncopés du jazz noir semble annoncer une rencontre entre l’idéologie centrale et la subversion des marges. Le parallèle entre les romans d’Ellroy et ceux de Mosley est ainsi justifié. Or, si les protagonistes d’Ellroy sont dénués de profondeur, les personnages de Mosley sont des consciences percevantes à part entière. J. Murphet dévoile ainsi le « réalisme latéral » qui, hérité de Chandler, permet à Mosley de s’attarder sur les valeurs d’endurance et de survie qui constituent la communauté afro-américaine. Cependant, toute densité individuelle semble avoir disparu du Los Angeles des années quatre-vingt. Pour des auteurs tels que Bret Easton Ellis ou Dennis Cooper, le voyage au bout de l’extrême, aux confins du morbide et de l’obscène, manifeste la revanche paradoxale du vivant sur le pouvoir hypnotique du visuel. J. Murphet explique ainsi comment le « degré zéro » du style d’Ellis, neutre et répétitif, représente l’irreprésentable vacuité de l’existence — l’invasion paralysante de l’espace intime par la déferlante de messages et d’images qui gouverne la ville. De façon plus subtile encore, J. Murphet dévoile le hiatus étonnant qu’opère Cooper entre les motifs obsessionnels de ses récits — le décryptage sacrilège de corps masculins violés et mutilés — et le sublime maniérisme de son style : « Dennis Cooper’s latter-day romanticism achieves, miraculously, the banal sublimity of the true particular, the unassimilable, in an age of purified equivalence ». La poésie s’annonce ainsi comme un mode privilégié de recréation de 1’affect face au fétichisme réifiant et cloisonnant des discours dominants. Optant pour une approche « multi- ethnique », J. Murphet explore successivement les poèmes de Wanda Coleman, Luis Rodriguez et Sesshu Foster. A l’aide de micro-analyses claires et convaincantes, il dégage 1’énergie expérimentale et lyrique qui amène la poétesse noire à recourir à d’extravagantes métaphores pour raviver la sensualité du quotidien, le poète chicano à rappeler les pouvoirs unifiants de 1’oralité pour compenser la dispersion du regard, et le poète d’origine chicano-japonaise à allier la polyphonie de sa voix à la plasticité de ses vers pour retrouver une forme d’harmonie au lieu de la dissonance. Loin de subir l’influence pétrifiante de la ville, les poètes manient le verbe pour « produire » l’espace urbain où ils vivent. Telle est également la gageure d’Anna Smith qui, dans son spectacle inspiré des émeutes de 1992, invente un « réalisme anti-réaliste » susceptible de rassembler les voix les plus disparates de L. A. et de recréer les pratiques intimes du corps au sein de l’abstraction urbaine. Imprévisibles et spontanés, le rythme et le mouvement de 1’art performance parviennent à agir directement sur l’espace urbain — à se l’approprier.

3 Rigoureusement démonstratif, agrémenté de rappels historiques documentés, de références théoriques maîtrisées (Bakhtine, Barthes ou Deleuze sur le roman, Benjamin, Williams ou Lefebvre sur la ville, Mike Davis sur Los Angeles…) et d’exemples analytiques précis, l’ouvrage de Julian Murphet est une étude originale et passionnante qui marque une nouvelle étape dans l’exploration des rapports entre ville et texte. Remarquablement écrit, Literature and Race in Los Angeles rend également grâce à l’attention minutieuse que 1’auteur porte au style des oeuvres de son corpus — à l’instar d’Ellroy ou de Cooper, il parvient presque à en faire oublier l’insoutenable violence.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

NATHALIE COCHOY Université Toulouse II

Transatlantica, 1 | 2003 300

Philip C. Kolin. Williams : A Streetcar Named Desire. Stephen J. Bottoms. Albee : Who’s Afraid of Virginia Woolf ? Christopher Bigsby. Contemporary American Playwrights. Cambridge : Cambridge UP, 2000. 229p., £ 12.95, $ 19.95. Cambridge : Cambridge UP, 2000. 229p., £ 12.95, $ 19.95. Cambridge : Cambridge UP, 2000. 440 p., £ 15.95.

Liliane Kerjan

1 Deux grands classiques du patrimoine théâtral américain font ici l’objet de monographies bien illustrées, complétées par une bibliographie et la chronique des mises en scène majeures, dans la collection Plays in Production. Il s’agit de retracer la carrière d’une pièce et ses métamorphoses, de saisir ce « comment faire des choses avec des mots » cher à Albee, ce « Blanche, c’est vous », comme l’annonce le programme de Seattle à tous ceux qui souffrent d’injustice et croisent le malheur, dans le contexte des années 90 et du sida. L’enjeu est donc la variation, la transposition, et l’intérêt pour l’étudiant ou le comédien vient de la marge d’autonomie dans la re-création de la pièce au cœur d’un isolat culturel, lors d’un soubresaut de l’histoire, ou bien lors du passage du théâtre à l’italienne au cinéma, à la télévision, au ballet ou à l’opéra. À ce jeu, Bottoms sur Woolf apporte peu, par contre Kolin sur Streetcar fortifie la réflexion sur l’arrière-plan, l’interstice et le cadre, et complète très utilement les critiques parues sur T. Williams.

Plus ample et plus classique, à raison d’un chapitre par auteur, C. Bigsby présente, de John Guare à Lanford Wilson, dix personnalités qui ont marqué et changé le théâtre à texte au cours des trente dernières années. Les femmes y tiennent leur place à parité — Tina Howe, Emily Mann, Marsha Norman, Paula Viegel, Wendy Wasserstein — , témoignant d’un profond changement d’attitudes et de perception envers elles-mêmes :

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elles occupent désormais le centre de leur vie, à la recherche d’une nouvelle définition de leur potentiel, de leur épanouissement et de leur survie. Soirées d’épiphanies que seul le théâtre peut soutenir dans le silence, le verbe et la tension, en total dépassement de l’espace domestique chez Norman, de la fresque historique chez Mann. D’une grande clarté dans l’écriture, stimulant dans l’analyse, Bigsby défend bien ses choix, et conclut par une pirouette empruntée à Vonnegut, pour qui les artistes auraient pour mission de faire apprécier, au moins jusqu’à un certain point, le pur fait d’être en vie. Cocktail de mondes fictifs et réels, le théâtre américain d’aujourd’hui fait entendre et vibrer cet accord au-delà du tourment, et son panorama, qui fera ouvrage de référence, mérite d’être largement connu.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

LILIANE KERJAN Université Rennes 2

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Salah El Moncef. Atopian Limits. Questions of Self, Complexity, and Contingency in Postmodern American Narrative. Peter Lang, 2002.

Jean-Yves Pellegrin

1 En quatre chapitres et un post-scriptum, Salah el Moncef propose une lecture de Moon Palace, One Flew Over the Cuckoo’s Nest, Rabbit at Rest, The Silence of the Lambs, Duluth et Empire of the Senseless, autant de textes que rien ne semblait a priori prédisposer au rapprochement. L’auteur nous invite pourtant à y voir la représentation d’un même constat : celui des tensions qu’induit la complexité croissante du « système total » produit par le capitalisme multinational de nos sociétés modernes. En dépit de son désir de stabilité, le système est en effet contraint par sa nécessaire expansion, son inévitable emballement, à une complexité et une pluralité croissantes qui le rendent non seulement opaque à lui-même, mais qui font surgir depuis l’intérieur du système, les lignes de failles, les espaces interstitiels qui le déstabilisent et en exposent les limites. C’est à l’exploration de ces espaces paradoxaux, « atopiques », que procède chacun des essais du présent ouvrage. L’étude de la décomposition du sujet dans Moon Palace dessine ainsi le seul (non-)lieu possible de la réalisation du moi : l’intervalle introuvable entre enfermement autiste et nomadisme radical. C’est aussi dans cet intervalle que s’inscrit la voix de Bromden dans Cuckoo’s Nest, voix de la marge et de la négativité, voix de l’Autre ou du « parasite », qui élève celui qui la profère au rang d’observateur critique tout à la fois extérieur et intérieur au système dont il est le produit. Avec Rabbit at Rest, le parasitage se fait jour dans le rapport d’équivalence établi entre le dérèglement de l’organisme et la déstabilisation du corps social. Cette équivalence révèle la manière dont le système déconstruit de l’intérieur ses propres mécanismes reproductifs, remplace les principes de linéarité et de répétition censés y présider par d’imprévisibles arborescences, lesquelles font alors de la reproduction un espace multidimensionnel créateur d’une hybridité proliférante, incontrôlable, et

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subversive. Enfin, la lecture de The Silence of the Lambs complète la notion d’hybridité par celle de monstruosité : perturbatrice du système qui lui a donné le jour, et dont elle est l’expression pathologique et paroxystique, celle-ci fait la synthèse des différents espaces atopiques explorés tout au long de l’étude.

2 Salah el Moncef signe ici un travail d’une grande rigueur scientifique, très fouillé dans ses analyses et parfaitement documenté. Atopian Limits est un ouvrage de référence conçu peut-être davantage pour les enseignants que pour les étudiants en raison de son haut degré d’abstraction. On regrette à cet égard le goût, quelquefois trop prononcé, de l’auteur pour une langue technique qu’il manie avec talent mais qui menace par instants de ralentir la lecture. C’est d’ailleurs lorsque le propos prend le pas sur le discours universitaire que l’ouvrage se fait le plus éclairant.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

JEAN-YVES PELLEGRIN Université Paris IV

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Antoine Cazé. John Ashbery. A contre- voix de l’Amérique. Paris : Belin, 2000. 128 p.

Axel Nesme

1 L’auteur de cette étude a relevé avec succès un double défi : enfermer dans quelque 130 pages d’une écriture serrée et rigoureuse l’œuvre foisonnante et multiple de John Ashbery, mais aussi ordonner au fil de trois parties aux enchaînements impecccables un discours poétique cultivant « l’obscurité retorse dans la mutilation du sens et l’effacement du référent ». Plusieurs paradoxes définissent ce qu’A. Cazé nomme après Ashbery « le principe de difficile visibilité » du poète, et c’est de leur tension que l’analyse tire sa dynamique. Paradoxe d’une écriture auto-référentielle qui, imitant le tracé des patineurs sur la glace, se désigne comme absente de la place à laquelle pourtant elle renvoie pour n’exhiber en fin de compte « que les traces indistinctes et balbutiantes de son absence même », procédant ainsi d’une stratégie d’évitement généralisé où toute amorce de discours se voit aussitôt sapée dans ses fondations. Paradoxe du texte comme pellicule jetée sur le réel qu’il voile, mais dont il révèle les contours, l’invisibilité du réel devenant la condition même de sa lisibilité. Paradoxe de l’intimité extrême qui fait de l’œuvre ashberyenne l’« espace contradictoire d’une marginalité centrale, d’un fatras essentiel » où le sujet, privé de toute maîtrise de l’univers discursif qu’il habite, se trouve néanmoins par lui constitué, alors même que sa vérité lui échappe. Paradoxe, enfin, d’une « machinerie verbale » surdimensionnée au regard d’un sens qui y existe au mieux à l’état d’esquisse.

2 Chez Ashbery, poète et critique d’art, peinture et écriture se fécondent mutuellement de manière à rendre les poèmes « aussi inévitables que des tableaux ». Parmi les tendances picturales qui l’ont influencé, A. Cazé relève le surréalisme vis-à-vis duquel Ashbery maintient une attitude critique, voire ironique, préférant alterner composition consciente et libre association afin d’arpenter la frontière où la réalité « se colore » au contact du rêve. Si l’influence du cubisme se décèle dans la pratique ashberyenne du collage, la référence obligée n’en est pas moins ici l’expressionnisme abstrait. Là où dans cette esthétique la peinture rompt avec toute « velléité mimétique » et se veut avant tout « expressive d’elle-même », l’écriture d’Ashbery enchaîne les fragments

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contradictoires de manière à compromettre toute lecture vectorisée par un sens comme « horizon interprétatif ultime ». Cependant, si le pouvoir dénotatif du langage se trouve remis en cause par le collage poétique, cette pratique n’en débouche pas moins sur un nouveau réalisme mettant en valeur ces rapports imprévisibles entre les choses qui échappent aux représentations préétablies.

3 Ce travail de déconstruction de la représentation conduit Ashbery, dans The Tennis Court Oath, à faire s’entrechoquer formes poétiques fixes (sonnets ou sextine, entre autres) et longs poèmes aux contours plus indécis, l’ironie particulière de cette juxtaposition se reflétant dans la contradiction qui oppose l’académisme du « Serment du Jeu de Paume », tableau de David qui sert de titre au recueil, et l’expressionnisme abstrait qui définit son esthétique. Cette esthétique, Antoine Cazé nous la montre à l’œuvre de manière saisissante dans la belle étude de « Self-Portrait in a Convex Mirror » qui clôt la première partie du livre. Dans ce poème, dont le titre est emprunté à une œuvre du Parmesan, A. Cazé signale le paradoxal « double geste par lequel le poète se représente en train de (se) décrire et en même temps se protège de l’acte de représentation », geste qui conditionne un rapport particulier à la temporalité, dans la mesure où l’invocation du modèle pictural participe aussi bien d’une volonté de « figer le temps dans l’espace que d’animer l’espace du tableau du mouvement de l’écriture ».

4 Le chapitre de l’ouvrage intitulé « Cadres fixes, contours flous » interroge le statut de la forme dans la poésie d’Ashbery, où la contradiction est encore une fois de mise : maîtrise des formes traditionnelles et pression simultanée de l’informe définissent le moment de « crise de la poésie américaine » où se situe l’œuvre d’Ashbery. Sans nul doute, c’est ici que se pose avec le plus d’insistance la question de l’originalité, d’ailleurs inhérente à l’attitude post-moderne dont A. Cazé souligne bien qu’elle confine le poète au statut de faussaire, l’intention parodique menaçant à tout instant de s’abolir dans ce que le critique nomme avec lucidité « une certaine complaisance dans le mauvais goût ». Ashbery ne cède pourtant nullement à la tentation du passéisme, et la virtuosité formelle est chez lui subordonnée à une volonté exploratoire qui s’illustre brillamment dans la sextine où A. Cazé décèle des résonances oulipiennes et dont la maîtrise technique devient elle-même facteur d’« instabilité sémantique ». Aux antipodes de ces contraintes formelles, le poème en prose, quant à lui, en suivant au plus près le mouvement chaotique de la pensée et des perceptions, finit, à force de côtoyer le réel, par en compromettre toute représentation. Se dégage ainsi une tension entre la forme et son autre qui fait du poème un lieu de perpétuelles transformations où la fixité de l’image n’a plus cours, de même que la forme poétique, sitôt perçue, y est menacée de dissolution, comme en témoigne la belle analyse du poème « Litany ». Parce qu’elle refuse une vision statique du monde, la poésie d’Ashbery apparaît donc sous la plume d’A. Cazé comme une poésie de la syntaxe plus que de l’image rendant presque caduc le principe jakobsonien de projection du paradigme sur le syntagme.

5 Le dernier chapitre, intitulé « Peintures sur soi », explore le lyrisme ashberyen dont la polyphonie signe la fin d’une ère « romantique » croyant encore à la possibilité pour « la voix simple et claire d’un poète de s’exprimer sans ambiguïtés ». Libre au lecteur de déceler au fil de ces pages une continuité entre l’œuvre d’Ashbery et une tradition qui passerait par les « self-consuming artefacts » de George Herbert, les ballades lyriques de Wordsworth et les monologues dramatiques de Browning, où l’on pourrait arguer que l’identité poétique se déclare déjà, selon la belle formule d’A. Cazé à propos d’Ashbery, « ouvertement frictionnelle et instable ». De même, là où chez Ashbery

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« l’authenticité des sentiments […] est à la fois affichée dans le lyrisme et dénoncée par le jeu de l’ironie », on songera peut-être à Heinrich Heine, souvent mis en musique par Schumann auquel A. Cazé nous rappelle d’ailleurs qu’Ashbery emprunta sa devise dans « The Skaters ». L’enjeu, toutefois, est bien spécifique à Ashbery, car il s’agit pour le poète de « s’avancer masqué afin de rendre compte de la fêlure secrète de son homosexualité », telle qu’elle se profile derrière l’identité précaire qui ne cesse ici de ne pas s’écrire et qui bientôt « n’est plus qu’un vide, un trou » recouvert par une série de représentations factices jetées comme autant de masques sur l’irreprésentable. C’est le rare mérite de cette étude d’avoir su, au fil de trois parties dont il n’est pas fortuit que chaque titre soit emprunté au domaine de l’image, épouser le paradoxe ashberyen pour faire résonner une voix poétique qui s’engendre ainsi par un jeu subtil de mises en regard.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

AXEL NESME Université Lumière — Lyon 2

Transatlantica, 1 | 2003 307

Marie-Christine Agosto. Richard Brautigan. Les fleurs de néant. Paris : Belin, 1999. 128 p.http://www.editions-belin.com

Jean-Bernard Basse

1 Richard Brautigan, si on lui reconnaît un certain humour, est souvent associé avec condescendance au phénomène hippy et considéré comme un auteur démodé, superficiel. Celui qui écrivait dans Cahier d’un Retour de Troie : « Les mots sont des fleurs de néant » est pourtant l’un de ces écrivains que l’on pourrait qualifier de mineurs essentiels, et seuls ceux qui l’ont peu ou mal lu s’étonneront de ce que Marie-Christine Agosto ait choisi de donner comme sous-titre « Les fleurs de néant » au petit volume qu’elle lui consacre dans la collection dirigée par Marc Chénetier. On peut écrire des textes courts, apparemment désinvoltes, fragmentés, faussement simples, pour dire l’angoisse née de l’écoulement du temps, de l’oubli, de la perte de l’innocence.

2 Dans son étude exhaustive, M.-C. Agosto rappelle qu’on distingue trois périodes dans l’oeuvre de Brautigan, correspondant à trois types de contenu et d’écriture : la première semble dresser un état des lieux de l’Amérique, où la veine écologique, pseudo-pastorale, s’appuie sur des techniques de mise en morceaux, de démontage historique, culturel et textuel (Un Général sudiste de Big Sur, La Pêche à la truite en Amérique) ; la seconde où il s’attaque aux genres littéraires dans des parodies de romans (sentimental dans L’Avortement, western et gothique dans Le Monstre des Hawkline, japonais dans Retombées de sombrero, policier dans Un Privé à Babylone ...) ; et la troisième, à l’écriture plus dépouillée, où l’examen du quotidien, associé à une tentative de bilan personnel, vire à la tristesse, à l’amertume. C’est, écrit-elle, « une oeuvre qui commence dans la fantaisie provocatrice et se termine dans la résignation amère. »

3 Mais au fond, si la tonalité et la thématique des écrits de Brautigan changent avec le temps, M.-C. Agosto montre la permanence des procédés qu’il affectionne. On retrouve souvent l’utilisation de bribes d’écrits, inachevés, effacés, de fragments qui semblent arrachés à l’usure du temps, de textes où le blanc, le silence, et parfois quelque digression intempestive semblent plus importants que le récit lui-même. Quand l’accidentel tient lieu de logique, l’auteur multiplie les parataxes, les associations d’éléments souvent hétéroclites ; aux constructions causales il préfère les

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juxtapositions incongrues. Ici, avec une feinte naïveté, c’est la disparition des valeurs de l’Amérique mythique qui est marquée, là c’est l’écart entre l’expérience individuelle et le déroulement de l’Histoire. Ailleurs, l’humour met en évidence l’inadéquation du langage et du réel. Aussitôt son sourire effacé, le lecteur sent monter une angoisse que provoquent l’échec omniprésent, le sentiment de perte de contrôle, d’impuissance à comprendre quoi que ce soit.

4 Dans la même veine M.-C. Agosto analyse avec justesse les dédoublements fréquents chez Brautigan, où les personnages vont par paires, soulignant des identités incertaines, jouant avec des caractérisations rudimentaires de bandes dessinées, et exacerbant parfois le vertige quand le miroir renvoie du vide. Et si, dans ces livres, le sentiment d’attente, de stase, prédomine, si l’incapacité des personnages à accomplir ce pour quoi ils sont programmés est quasi-systématique, le lecteur est tenu en haleine, malgré la multiplication des procédés de distortion du temps (prolepses fréquentes) comme s’il voulait savoir ce qui ne se passera pas ensuite. C’est ici que les célèbres images brautiganiennes prennent toute leur importance. L’auteur subvertit le discours par l’imaginaire, lui donne une tonalité loufoque et surréaliste. Avec l’audace et l’incongruité de ses comparaisons, il crée un langage en perpétuelle effervescence, il « substitue le jaillissement désordonné de l’imaginaire au récit traditionnel, militaire, codifié et régimenté ». C’est une des raisons pour lesquelles Brautigan regrette l’enfance, cet état d’avant la pensée rationnelle, et s’efforce de retrouver l’innocence d’un tel regard, capable de créer à partir de rien. Ici encore, avec cette vision du fonctionnement de l’imaginaire « comme on épluche un oignon jusqu’à le réduire à un rond de plus en plus petit et que les larmes viennent aux yeux jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’oignon, que je l’aie épluché complètement et que je cesse de peurer », Brautigan cache mal sa fascination du vide. Certains de ses textes donnent parfois l’impression de s’effacer progressivement, au fur et à mesure qu’ils sont écrits et, comme le note M.-C. Agosto, « si les premiers livres de Brautigan créaient des images sur le vide, les derniers écrits ne peuvent plus que dire et cerner le vide » à l’instar de Cahier d’un Retour de Troie, livre posthume, « suite de digressions, de parenthèses, de détours et d’ébauches, dont le but avoué est de tuer le temps avant qu’il ne vous tue lui-même », récit plein de trous, d’oublis, où les questions s’accumulent, sans réponse.

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AUTEUR

JEAN-BERNARD BASSE Université Paris 10 — Nanterre

Transatlantica, 1 | 2003 309

Marc Amfreville. Charles Brockden Brown. La part du doute. Paris : Belin, 2000. 128. http://www.editions-belin.com.

Mark Niemeyer

1 La collection « Voix américaines » remonte cette fois-ci jusqu’au tout début de la littérature des Etats-Unis. Né en 1771, juste avant la guerre d’Indépendance, Charles Brockden Brown, sujet de ce volume, publia six romans (Wieland, Ormond, Arthur Mervyn, Edgar Huntly, Jane Talbot et Clara Howard) entre 1798 et 1801. Il n’est pas véritablement le premier romancier américain, car ce titre devrait plutôt revenir à William Hill Brown dont The Power of Sympathy parut en 1789. Charles Brockden Brown cependant semble mériter le titre de « père de la fiction américaine » qui lui est souvent donné.

2 Le fait que les volumes de la collection « Voix américaines » soient des introductions approfondies est spécialement heureux dans le cas de Brown parce que cet auteur, qui tient pourtant une place importante dans l’histoire de la littérature américaine, reste, contrairement à des écrivains comme Poe, Hawthorne ou Melville, peu connu et peu lu. Ce premier ouvrage français consacré exclusivement à Brown sera donc tout aussi utile au grand public qu’aux spécialistes de littérature. Que Marc Amfreville nous présente Brown est bien naturel. Auteur d’une thèse qui porte sur cet écrivain et co-responsable, avec Françoise Charras, d’un numéro récent de « Profils américains » consacré à Brown, Amfreville est indiscutablement le premier spécialiste français en ce domaine.

3 Cette étude, claire et intelligente, commence par souligner l’un des paradoxes posés par Brown : le contraste entre son importance historique et le fait qu’il ait été, au moins jusque récemment, quasiment oublié aussi bien aux Etats-Unis qu’en France. Amfreville évoque également le positionnement intermédiaire de Brown entre réalisme et fantastique, entre 18e et 19e siècles, entre l’Europe et l’Amérique. Après un court chapitre qui voit en Brown un « être divisé », l’étude se concentre sur son rôle d’« obscur éclaireur », c’est-à-dire d’écrivain qui, tout au début de l’histoire de la jeune république, cherche à créer une littérature spécifiquement américaine et ceci dans un environnement relativement hostile à toute activité artistique. Brown, en fait, fut l’un des premiers romanciers à souligner l’importance des décors américains. Dans la

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préface d’Edgar Huntly (1799), par exemple, il écrit que les auteurs devraient exploiter des thèmes locaux comme les « péripéties des guerres indiennes » ou les « périls encourus dans les déserts de l’Ouest ». Plus subtilement, comme le fait remarquer Amfreville, les personnages de Brown servent souvent à mettre en scène de façon symbolique la dualité des Américains de l’époque, pris entre leur passé européen et leur présent (et futur) américain, entre leurs certitudes nationalistes et leurs doutes sur la direction que prenait alors leur nouveau pays.

4 Le troisième chapitre traite de la dimension gothique des romans de Brown, dimension qui lui est le plus souvent associée. L’étude offre un historique rapide et utile du roman gothique et analyse trois éléments du gothique anglais intégrés par Brown : les ténèbres, la stature satanique du scélérat, le thème du double. Cependant Amfreville insiste aussi sur les différences entre le gothique de Brown et celui d’Ann Radcliffe. Vient ensuite un chapitre qui met l’accent sur des narrateurs qui, en effet, rendent les écrits de Brown plus intéressants que la plupart des romans de l’époque, surtout d’un point de vue psychologique. Amfreville fait remarquer, par exemple, que le personnage éponyme d’Edgar Huntly, est « le prototype de ces narrateurs non fiables qui, sous la plume de Poe, Hawthorne et Melville, vont constituer un des traits distinctifs de la jeune littérature américaine ». Pourtant, les récits des narrateurs de Brown ne sont pas toujours faciles à suivre. Amfreville explique certaines des apparentes incohérences narratives par le fait que ces narrateurs sont souvent traumatisés, voire instables mentalement, mais en lisant Brown, on a quand même le sentiment que ce problème est aussi dû — et plus qu’Amfreville ne semble vouloir l’admettre — à la trop grande rapidité de la composition. Si Brown écrivait avec une sorte de frénésie susceptible de provoquer des incohérences, c’est en partie parce qu’il n’a jamais été complètement à l’aise dans son statut d’écrivain. Cette anxiété est l’un des facteurs pouvant expliquer l’aspect auto-référentiel des romans de Brown, qui, en précurseur des romanciers postmodernes, évoque souvent l’acte d’écriture tant explicitement qu’implicitement. En effet, la question de l’écriture, sujet du dernier chapitre de cette étude, nous ramène à celle du statut de l’auteur américain à l’époque. Si Brown était si peu à l’aise dans son métier d’écrivain, s’il a mis en scène de façon récurrente l’acte d’écriture et s’il a renoncé à sa carrière de romancier après seulement quelques années, c’est en partie parce que l’environnement dans lequel il vivait l’incitait à remettre perpétuellement en doute sa vocation d’auteur.

5 Notons cependant l’absence dans la bibliographie de la seule édition de poche fiable et facilement disponible de Brown en anglais, l’édition « Oxford World’s Classics » de Wieland et Memoirs of Carwin the Biloquist. Cette lacune toutefois n’enlève rien à la valeur de cette étude. En effet, avec ce livre, Marc Amfreville contribue à faire connaître ou reconnaître un auteur qui, injustement ignoré, est pourtant non seulement d’une grande importance dans l’histoire de la littérature américaine mais aussi d’un réel intérêt pour le lecteur d’aujourd’hui.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

MARK NIEMEYER Université Paris 4 — Sorbonne

Transatlantica, 1 | 2003 312

Véronique Béghain. John Cheever. L’homme qui avait peur de son ombre. Paris : Belin, 2000. 127 p. http://www.editions-belin.com.

Georges-Michel Sarotte

1 Ce qui intéresse Véronique Béghain au premier chef c’est de mettre à nu « la fragile ossature et les chairs délicates des fictions cheeveriennes » et de dégager l’écrivain des « lourdes jupes du costume du moraliste dont il se voit affublé ». En effet, en apparence, Cheever est « politiquement incorrect ». Ses personnages sont surtout des bourgeois américains ou des aristocrates italiens ; les marginaux de tout poil étant volontairement exclus de son corpus fictionnel.

2 L’auteur de John Cheever s’attache d’abord à baliser « l’espace symbolique » des nouvelles, la banlieue américaine ou l’Italie, en notant d’emblée que, dès la toute première, « Expelled » (1930), où un élève est expulsé d’une prep-school, on perçoit le « motif originel de l’éviction du paradis terrestre » qui parcourt l’ensemble de l’œuvre jusqu’au dernier roman Oh What a Paradise It Seems. Thème de l’exil et de l’expatriation en Italie — lieu de « toutes les confusions » et de « désordres » — , figure emblématique du « casseur de maison » (« The Housebreaker of Shady Hill », 1956) que Véronique Béghain lie fort bien au thème sous-jacent de la marginalité et de l’homosexualité, ce prétendu conformiste étant en réalité un bisexuel in the closet qui présente au fil de son œuvre des maisons désertées, des maisons-étouffoirs, des maisons-prisons, images du « moi-prison ». Derrière le masque du puritain, on devine le rebelle qui, dans l’Amérique d’avant les années 70, avait choisi de mettre sa différence sous le boisseau.

3 L’auteur de cette étude est particulièrement à l’aise dans le chapitre où elle analyse la technique narrative : « feuilletage du texte », points de vue, « jeux palimpsestiques », intertextualité. Avec discrétion et pertinence elle fait appel aux grands théoriciens, de Foucault à Lacan, etc. et se sert avec adresse des Journaux intimes de Cheever qu’elle considère comme l’« hypotexte » de l’œuvre fictionnelle.

4 La deuxième partie du livre est consacrée à l’étude des cinq romans. Ici Véronique Béghain s’efforce de convaincre le lecteur que malgré la « narration éclatée », la

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« discontinuité », la structure « non-linéaire », les récits « excentriques » ou enchâssés, il s’agit d’œuvres cohérentes dont l’unité est assurée par un système de « parallélismes » et d’« échos ». À ses yeux, en dépit des digressions et de l’apparent désordre, les romans de Cheever constituent « une vaste fresque au chromatisme unifié » et un « assemblage polyphonique ». Dans l’œuvre romanesque, comme dans tant de nouvelles, l’homosexualité réprimée (sinon refoulée) devient « le motif essentiel », « le moteur principal de la narration ». Dans l’avant-dernier, Falconer (1977), qui se passe en prison (troisième métaphore de l’enfermement selon Cheever, après la banlieue et la petite bourgade de St Botolph, lieu de l’action des deux premiers romans) et dont le thème est cette fois-ci ouvertement homosexuel, Véronique Béghain voit « une véritable glose du motif de l’éviction du paradis terrestre ».

5 Dense et très bien écrite, cette étude regorge de formules éclairantes qui emportent l’adhésion. Évitant toute critique négative, Véronique Béghain, en avocate compétente, s’attache à métamorphoser en vertus les moindres défauts (univers fictionnel limité, portraits de femmes chargés, structure chaotique des romans qui m’apparaissent plutôt comme des nouvelles artificiellement mises bout à bout, etc.) de l’écrivain un peu négligé aujourd’hui qu’elle s’est chargée de défendre avec brio et rigueur.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

GEORGES-MICHEL SAROTTE Université Paris 10 — Nanterre

Transatlantica, 1 | 2003 314

Elisabeth Bouzonviller. F. S. Fitzgerald. Ecrivain du déséquilibre. Paris : Belin, 2000. 128 p. http://www.editions-belin.com

Pascale Antolin

1 La collection « Voix américaines » vient de s’attaquer à l’un des piliers de la littérature américaine : Francis Scott Fitzgerald. Cerner le géant fitzgeraldien en 128 pages n’est certes pas chose facile mais Elisabeth Bouzonviller relève le défi avec finesse et conviction. Pour ce faire, elle s’appuie sur les œuvres (les cinq romans et une quinzaine de nouvelles parmi les plus célèbres) mais aussi sur les textes personnels de l’écrivain (lettres, essais, carnets) qu’elle cite abondamment, si bien que le lecteur n’a qu’à se laisser convaincre.

2 Et la démarche est aussi logique que cohérente. D’un bout à l’autre, Elisabeth Bouzonviller poursuit la limite, explore la faille qui, selon elle, déchire l’univers fitzgeraldien jusqu’au cœur de l’être. Se fondant sur les théories psychanalytiques lacaniennes, elle nous mène ainsi du thématique à l’ontologique. Au point de départ, « la guerre des sexes », consécutive à l’émancipation de la femme américaine et à l’arrivée sur la scène sociale de la « flapper », cette femme libérée qu’incarnent la plupart des héroïnes fitzgeraldiennes. En face d’elle, en effet, l’homme est désorienté, privé de ses repères autant que de ses rôles traditionnels. Les analyses d’Elisabeth Bouzonviller à ce propos s’appuient presque systématiquement sur l’onomastique dont elle tire, semble-t-il, le meilleur parti. Ce clivage initial au sein du couple la conduit ensuite à l’évocation d’une famille défaillante elle aussi puisque le père, dépassé, est incapable de faire la loi. Les enfants, du coup, n’ont plus la possiblilité de grandir, de mûrir, et le pays tout entier se change en « une vaste nursery ». On voit apparaître, dès lors, une société en crise, ravagée par la violence, menacée de sombrer dans le chaos. Et c’est ce point où tout bascule, cette limite précisément, que va chercher Elisabeth Bouzonviller dans une étude non seulement de la topographie (le passage qu’elle consacre aux « Frontières et [aux] promontoires » est fort bienvenu) mais aussi des ténèbres, pour ce que s’y « dessine la vérité de l’être ». Le point d’aboutissement de son analyse est le déséquilibre, consécutif à un manque-à-être fondamental que seule peut traquer ou plutôt « tracer » l’écriture.

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3 Elisabeth Bouzonviller aurait peut-être pu accorder plus de place à l’écriture précisément, afin de démasquer ce manque, de donner à voir cette absence, ce blanc inscrit au cœur du texte, dans des jeux souvent ironiques de montrer-cacher. Mais l’ouvrage sort des sentiers battus et fournit une grille de lecture aussi personnelle que pertinente, un outil précieux tant pour les spécialistes que pour les amateurs de Fitzgerald.

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AUTEUR

PASCALE ANTOLIN Université Michel de Montaigne — Bordeaux 3

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Paul Carmignani. Shelby Foote. Un sudiste au carré. Paris : Belin, 1998. 128 p.

Michel Bandry

1 L’excellent petit volume de la collection Voix américaines que consacre Paul Carmignani à Shelby Foote est un hommage raisonné au « doyen des lettres sudistes ». Hommage naturel de la part de quelqu’un qui a par ailleurs longuement écrit sur Foote. Hommage raisonné car l’admiration que voue Carmignani à Foote est fondée sur une longue pratique et une connaissance remarquable de l’oeuvre ainsi que sur une appréciation lucide de sa place dans la littérature sudiste.

2 Surtout connu dans son pays pour sa magistrale histoire de la guerre de Sécession en trois volumes et la série télévisée qui en a été tirée, Shelby Foote est historien et romancier. Il est vrai que l’histoire de la guerre est sous-titrée « récit », Foote disant lui-même que histoire et roman « ont tous deux pour objectif…de recréer le passé par leur méthode respective et de le faire revivre dans le monde qui les entoure ». L’une et l’autre permettent de « dire tout le Sud », selon l’ambition avouée d’un écrivain qui consacra vingt ans de sa vie à écrire la chronique de l’événement charnière de l’histoire du Sud et retraça une partie de l’histoire du Delta en quatre romans et un recueil de nouvelles. Dire le Sud, cela semble être le projet de tout écrivain sudiste véritable et l’on appréciera les quelques pages denses où Carmignani livre le fruit d’une réflexion longuement mûrie sur le Sud comme topos littéraire, la spécificité de la littérature du Sud, le poids de l’histoire, pour situer son auteur et, en fait, montrer son originalité profonde. Si Foote, à l’instar de Faulkner, a « son » comté, ce n’est pas pour « créer un cosmos qui soit à lui » mais pour en dire l’histoire, tenter de trouver la vérité et comprendre son pays. Refuser l’image trompeuse de la société harmonieuse d’un Sud idéalisé, éviter la tentation d’une représentation mimétique faisant place au pittoresque et à une certaine forme d’humanité, mais dire la crise, les moments oubliés qui ont fait l’histoire, dire la faute, le destin de l’homme du Sud, fruit de sa terre, de son temps et du passé.

3 Les romans du cycle de Jordan County, publiés entre 1949 et 1954, Tournament, Follow Me Down, Love in a Dry Season, Shiloh et Jordan County, mettent en scène des moments de

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l’histoire du Delta et du Sud liés aux moments clé de l’épopée humaine. La lecture qu’en donne Carmignani met en évidence la cohérence de l’ensemble, cohérence qui apparaît également avec September September (1977), sorte de coda qui intègre la turbulence de la fin des années cinquante. Foote n’est pas un témoin de son temps comme on le dit de ces romanciers ou autres chroniqueurs d’une époque, il est une voix exigeante et forte qui met à jour la réalité du Sud à travers son histoire. Ce petit livre rappelle utilement l’importance d’un des grands écrivains sudistes. Qu’il donne envie de le lire !

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

MICHEL BANDRY Université Paul-Valéry — Montpellier 3

Transatlantica, 1 | 2003 318

Georges-Claude Guilbert. Carson McCullers. Amours décalées. Paris : Belin, 1999. 128 p.

Yvette Rivière

1 Avec le recul, on redécouvre Carson McCullers et l’on tente de lui rendre justice. Après l’édition annotée par Marie-Christine Lemardeley-Cunci de nouvelles traductions de la romancière (La Pochothèque 1994) et la flamboyante biographie de Josyane Savigneau (Stock 1995), Georges-Claude Guilbert s’attache dans le format ramassé du petit Belin à la défendre contre ses détracteurs. Il glisse sur les détails biographiques qui relèvent du « voyeurisme » et se démarque des traditionnels couplets sur la solitude et le « gothique » pour cerner au plus près la voix spécifique de McCullers, son style unique et rigoureux.

2 Le sous-titre, amours décalées, joue sur le caractère unilatéral de l’amour tel qu’il se manifeste chez les différents protagonistes, puisqu’il tient davantage au regard de l’amant qu’à la nature de l’objet aimé. Mais cet amour dépasse les relations personnelles pour s’étendre à l’humanité entière sous forme de compassion envers les exclus, les marginaux (d’Eros on passe à Agape). Bien avant la reconnaissance des Droits Civiques, les Noirs sont présentés comme participant de l’humaine condition et victimes d’une terrible injustice et, bien avant les « gender studies », McCullers insiste sur la nature double de chacun des êtres dont l’ambivalence est soulignée par la modulation des prénoms et des comportements. Nul ne mérite d’être rejeté sous prétexte qu’il n’entre pas dans un moule préformé et ne se soumet pas aux exigences de la société : éloge de la différence qui lui valut l’incompréhension des critiques les plus traditionalistes.

3 Guilbert choisit d’écarter systématiquement de sa critique les nouvelles de la romancière et sa dernière œuvre (L’Horloge sans aiguilles) ; il a toutefois l’habileté d’y faire référence pour étayer les thèmes ou les remarques qu’il développe. On peut regretter la présentation éclatée en quatre chapitres (avec intertitres), chacun consacré à un roman particulier, même si chacun d’eux est analysé avec franchise et avec soin. L’auteur s’attarde sur la peinture réussie de l’adolescence mais avoue sa préférence pour Reflets dans un œil d’or dont, malgré les allusions freudiennes appuyées, il

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démontre la cohérence et l’économie musclée. Moins sensible à la dimension héroï- comique de La Ballade du café triste inspirée des contes et récits populaires, il insiste sur le côté cruel et pathétique de l’affrontement hideux et grimaçant entre spécimens de foire. L’ouvrage est bien informé, explicite les allusions et les réminiscences littéraires ; de plus, écrit dans un style vif, il a le mérite de récuser les clichés, les a priori réducteurs et de faire ressortir, par-delà le régionalisme, les résonances universelles.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

YVETTE RIVIÈRE Université Paris 12 — Val de Marne

Transatlantica, 1 | 2003 320

Christine Raguet-Bouvart. Vladimir Nabokov. Paris : Belin, 2001. 128 p. http://www.editions-belin.com.

Yona Dureau

1 L’ouvrage de Christine Raguet-Bouvart sur Vladimir Nabokov se présente comme une étude concise et érudite de l’oeuvre et de la vie du grand écrivain russe. L’ouvrage tient en 119 pages de texte, suivies d’une chronologie biographique de trois pages et d’une bibliographie sélective. Cette critique, publiée dans la fameuse série « voix américaines », se révèle indispensable, aussi bien pour l’étudiant cherchant à se familiariser avec cette oeuvre encore inconnue pour lui, que pour le chercheur en quête d’informations ponctuelles, classées de façon rigoureuse et précise. Toutefois, le travail de Christine Raguet-Bouvart ne se limite pas à une synthèse d’informations. Il apporte avec clarté de nouvelles perspectives critiques, démontrant le jeu complexe inter-linguistique et intertextuel établi par Nabokov au sein de ses romans, guidant le lecteur au sein d’un dédale de références artistiques, transmettant avec conviction l’essence de l’esthétique du grand maître en littérature, et insufflant l’intuition devant inspirer le lecteur dans une perception polysémique de ses romans. Les citations des oeuvres, bien que données dans la langue de Molière, sont choisies avec subtilité, rendant compte du travail littéraire de l’auteur en anglais, voire en russe

Ainsi, l’ouvrage de Christine Raguet-Bouvart s’avère incontournable, indispensable à tous ceux que l’oeuvre de Nabokov attire, intrigue, ou désarme.

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Thèmes : Recensions

Transatlantica, 1 | 2003 321

AUTEUR

YONA DUREAU Université Jean-Monnet — Saint-Etienne

Transatlantica, 1 | 2003 322

André Bleikasten. Philip Roth. Les ruses de la fiction. Paris : Belin, 1999. 128 p. http://www.editions-belin.com.

Géraldine Chouard

1 On connaissait la prose riche et nuancée de Bleikasten sur Faulkner, l’auteur auquel il a consacré (une large part de) sa vie universitaire : dans la critique américaine contemporaine, son Parcours compte sans doute parmi les plus beaux. On découvre maintenant, avec cet ouvrage sur Roth, une plume sensible aux effets d’une autre écriture : trempée à l’encre de la complicité (et non plus de la mélancolie), elle dessine les contours d’une œuvre tout à la fois joueuse et sérieuse, d’une verve inépuisable, dont elle s’attache à articuler les motifs et les enjeux. Après Faulkner-le-père, voilà venu, en quelque sorte, Roth-le-frère. Changement de cap, changement de ton : le texte se place sous le signe d’une entente fort stimulante.

2 S’il n’avait guère écrit jusqu’alors sur Roth que des comptes-rendus dans La Quinzaine Littéraire, il est clair, à lire ce volume critique (publié dans la collection « Voix américaines », chez Belin), que Bleikasten fréquente Roth depuis toujours. Et qu’il n’est pas prêt à le lâcher. Depuis Portnoy et son complexe (1969) jusqu’ à La Tâche humaine (2000), dont les extraits cités sont traduits de sa main, il décline les « biographèmes » d’un auteur qu’il connaît par cœur : « l’enfance à Newark, les années d’étudiant, le passage à l’armée, les premières aventures sexuelles, un premier mariage désastreux, la notoriété au prix d’un roman à scandale, la vindicte des bien-pensants, les voyages en Europe de l’Est, les dépressions, le pontage coronarien, les années partagées avec Claire Bloom ». Pour ajouter aussitôt que si le ressort essentiel de l’écriture de Roth est de nature autobiographique, le travail critique doit se situer dans « l’écart qui ne cesse de se creuser entre la vie de l’écrivain et ses fictions ». Et Bleikasten de citer Zuckerman, dans La Contrevie : « contrairement à l’opinion générale, c’est la distance entre la vie de l’écrivain et son roman qui constitue l’aspect le plus fascinant de son imagination ». Dont acte.

3 Pour dissiper d’autres malentendus qui s’attachent parfois à (la personne de) Roth, le point est fait sur les divers combats menés par cet « écrivain incommode » qui n’a jamais cessé de résister. A peu près à tout. A l’étiquette d’écrivain « juif-américain »,

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pour commencer : sans désavouer sa judéité, il ne saurait s’y identifier : « comme tout véritable écrivain, il se définit non pas par ses appartenances mais plutôt contre elles » (12) et au passage, Bleikasten prend soin de le distinguer de ses contemporains, Bellow et Malamud, auxquels il n’a pas manqué d’être associé. Pour Roth, l’écriture n’est autre qu’une éternelle bataille menée contre la bêtise, et son œuvre est un immense règlement de comptes « avec les femmes, les rabbins, les hommes politiques, les psychanalystes, les critiques litéraires. Avec les autres comme avec lui-même ».

4 Après avoir salué son entrée « en beauté » dans le monde des lettres américaines avec Goodbye, Columbus, en 1959, Bleikasten signale les quelques faiblesses de romans écrits sous l’influence de ses modèles, Flaubert et James : Laisser Courir (1962), indigeste, et Quand elle était gentille (1967), peu inspiré. C’est avec l’odyssée priapique de Portnoy et son complexe (1969) que Roth se lance dans la pratique d’une fiction libérée, fantasque et provocatrice : « Roth devient enfin Roth ». « En roue libre », le romancier publie alors des textes qui se définissent par leur langue débridée : Tricard Dixon et ses copains (1971) et Le Grand Roman américain (1973), Le Sein (1973) jouant sur les registres du loufoque et du grotesque, avec une exorbitante audace.

5 Si chez Roth, fiction et autobiographie se sont toujours fait « la courte échelle », les dispositifs narratifs successifs ont donné chaque fois un tour d’écrou supplémentaire à la question de la relation entre auteur, narrateur et personnage. L’exercice est devenu périlleux à partir de Ma vie d’homme (1974), où les effets de dédoublement se sont singulièrement compliqués. Procédant à l’inventaire des « vies d’artiste » de Roth, Bleikasten détaille avec une remarquable finesse les trajectoires de David Kepesh, le Professeur de désir (1977), de Nathan Zuckerman, « le plus connu des Doppelgänger de l’écrivain », L’Ecrivain fantôme (1979) figurant dans les deux autres textes de la trilogie, Zuckerman délivré (1981) et La Leçon d’anatomie (1983) ainsi que dans son épilogue, L’Orgie de Prague (1985). En réalité, la « zuckermanie » de Roth ne s’arrête pas là, loin s’en faut : dans La Contrevie (1987), d’une « confusion pirandellienne », Nathan reparaît aux côtés de Henry, son frère, et leurs destinées s’entrecroisent dans un éblouissant jeu de reflets spéculaires et de bifurcations excentriques, au détour desquels sont abordées les brûlantes questions du statut de l’Etat hébreu et de l’identité juive collective. Mais toujours dans un cadre romanesque, c’est-à-dire « dialogique ».

6 Après ces exercices subtils d’autobiographie oblique, Roth passe aux aveux avec Les faits (1988). Ou plutôt, il continue de faire semblant, par le biais de dispositifs paratextuels qui dénaturent son projet (tel le sous-titre de ce texte : « autobiographie d’un romancier »). Puis il renouvelle l’expérience virtuose de « la mise en abyme » avec l’inclassable Tromperie (1990) et se livre encore à un « portrait de l’artiste en agent double » avec Opération Shylock (1993), qualifié d’« éblouissant tour de force ». Seule exception à la règle, Patrimoine (1991), une histoire vraie, sans ironie cette fois : « ni vulgaire règlement de comptes ni banal éloge funèbre », d’un ton « admirablement juste », c’est ici, selon Bleikasten, « du meilleur Roth ».

7 Aux « ruses de la fiction » telle que les pratique Roth, Bleikasten est parfaitement rompu. Mais loin d’être désabusé par ses feintes identitaires, il saisit à chaque fois, dans les tours de passe-passe de l’illusionniste, la confession intime dont chaque texte porte le secret.

8 Le dernier chapitre, « Histoire(s) d’Amérique », est consacré aux derniers romans de Roth, déployés sur la vaste toile du continent. De toute évidence, c’est au Théâtre de Sabbath (1995) que va la préférence de Bleikasten, sensible au souffle (et au soufre) du

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« monstre magnifique » qui en est le héros. Avec La Pastorale américaine (1997), Roth renoue avec le genre classique américain de la jérémiade et le critique regrette que « ce requiem pour l’Amérique perdue » n’échappe pas à une certaine forme d’allégorisation entre le Bien et le Mal. Un travers que partage aussi à ses yeux J’ai épousé un communiste (1998) même si la question de l’identité y est posée dans des termes dignes d’intérêt. Enfin, au-delà de la question du « politiquement correct » auquel le roman se rattache, La Tâche humaine (2000) met en scène, par le biais de la transgression de barrières raciales, le miracle d’une « autogénèse réussie ». Une prouesse emblématique à tous égards de l’entreprise de Roth, pour qui, à chaque fois, il s’est agi « de récrire la vie, de se refaire une identité (comme on se refait une santé) par la magie des mots ».

9 Le mérite enchanteur du texte de Bleikasten tient à la force évocatrice de son analyse qui fait toujours la différence entre les différents registres d’une écriture forte et variée dont il a subtilement mis en lumière les complexes protocoles de narration. Sensible à la vérité qui se cache sous les pistes brouillées, son parcours critique se fraie un chemin parmi les simulacres de la représentation et sait entendre la rumeur élégiaque qui pointe à l’horizon d’un imaginaire jubilatoire. On ne se refait pas.

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AUTEUR

GÉRALDINE CHOUARD Université Paris 9 — Dauphine

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Yves-Charles Grandjeat. John Edgar Wideman. Le feu et la neige. Paris : Belin, 2000. 128 p.

Nathalie Cochoy

1 John Edgar Wideman, auteur noir américain contemporain, est généralement connu en France pour la complexité de son écriture. L’œuvre de Wideman paraît en effet déroutante : le brouillage vertigineux des repères narratifs, la porosité des frontières entre réalité et fiction, la dislocation soudaine de la syntaxe, emportée par la violence d’un témoignage ou par la pulsation d’un blues, brisent les modes de pensée et de lecture traditionnels. Or, selon Yves-Charles Grandjeat, auteur de ce très bel ouvrage de la collection « Voix Américaines », la désorientation esthétique que pratique Wideman relève d’un véritable projet politique et moral : en refusant « l’ordre rigide des règlements immuables », en luttant formellement contre « la pensée fixiste et divisionniste » qui alimente le racisme, l’auteur sollicite une « altération » du regard et de la conscience — une transformation des réflexes de lecture et une authentique rencontre avec l’Autre.

2 Dans le plus grand respect de l’énergie doublement déconstructrice et métamorphique qui parcourt le vaste corpus de romans, nouvelles, essais et entretiens de Wideman, l’étude d’Y.-Ch. Grandjeat conjugue avec souplesse et finesse une analyse experte des stratégies discursives, des motifs récurrents dans le texte et une traversée initiatique de la poétique fluide et imprévisible de l’auteur. Jonglant (dribblant ?) avec des exemples toujours soigneusement sélectionnés et explorés, Y.-Ch. Grandjeat propose une lecture transversale de l’œuvre de Wideman. Il fait d’abord surgir des liens entre les textes, montrant que l’art de la « fragmentation » et du « décentrage » auquel s’adonne l’auteur prélude à l’invention d’un univers relationnel, régi par l’interdépendance et la complémentarité. Ce constat l’amène à dévoiler le formidable pouvoir de régénération où l’auteur puise pour surmonter les souffrances qui le hantent. En effet, Y.-Ch. Grandjeat montre combien le démantèlement des structures, la défaillance du langage, ou au contraire les relances affolées de l’énonciation, la prolifération des images hallucinatoires et apocalyptiques témoignent de l’inquiétude d’un écrivain impuissant à nommer l’indicible. L’indicible, c’est d’abord la tragédie de

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l’Histoire collective (l’esclavage et ses conséquences — « l’étreinte fatale qui accole l’innocence à la violence » dans les villes) et de la biographie familiale (l’emprisonnement du frère, la perte du fils). L’indicible, c’est encore la défection coupable des pères face au cataclysme de l’horreur et de l’inhumain. Mais, souligne Y.- Ch. Grandjeat, l’écriture de Wideman n’est pas désespérée. Comme le blues qui toujours associe la douleur et la joie, elle se ressource à la tradition afro-américaine et trame un « tissu de voix entremêlées » pour couvrir les blessures du passé et accueillir l’altérité. Aux flambées de violence répond un floconnement d’histoires, dansant dans l’espérance d’un devenir commun. Sérieux et convaincant, l’ouvrage d’Y-Ch. Grandjeat parvient aussi à éclairer la magie musicale et lyrique de l’auteur. La justesse et l’élégance de son expression sont, plus encore qu’une invitation au « passage » par l’œuvre de Wideman, une initiation au partage d’un sincère bonheur de lecture.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

NATHALIE COCHOY Université Toulouse-Le-Mirail

Transatlantica, 1 | 2003 327

Yves Carlet. Stephen Crane. Les couleurs de l’angoisse. Paris : Belin, 2002. 128 p.

Claude Dorey

1 Il est heureux que les cendres de Stephen Crane entrent au panthéon de Marc Chénetier. Yves Carlet, l’ordonnateur, nous convie au « survol » d’une œuvre qu’il décrit comme un « commencement avorté ». Le trajet s’effectue au moyen d’oppositions binaires. Un axe de polarités contraires est, d’entrée, posé : d’un côté, la ligne morale de l’honnêteté réaliste, de l’autre, celle, baroque, du conteur ironique et nostalgique. Néanmoins une « cohérence profonde » dessinée par des « motifs obsédants » serait repérable. L’absence de solution de continuité entre l’œuvre journalistique et les romans favoriserait la mise en évidence de celle-ci. Crane ferait son apprentissage en composant des croquis journalistiques, le plus souvent consacrés à « l’autre moitié », où déjà bouillonneraient les « images obsédantes des romans et des nouvelles ». Le romancier « précéderait donc le journaliste ». Crane se différencierait cependant des naturalistes purs et durs tels que Zola, car il décrit des plongées dans les abîmes de la désocialisation quand le Français propose une représentation précise d’individus appartenant à des groupes sociaux affrontés. Enfin les enquêtes de Crane sont travaillées par une tension profonde entre pathos et ironie. Evoquant Maggie, Carlet poursuit sa réflexion sur la question du naturalisme. Si la force de l’environnement n’est pas absente, le déterminisme de celui-ci s’exerce sous une forme plus cauchemardesque et ténébreuse qu’économique et sociale. Clôture et exclusion, enfermement et violence en constituent les lignes de force. La conscience de classe est peu présente, même si « c’est la censure sociale et religieuse qui est dans ce roman la racine du mal », ou encore « le conformisme bourgeois ». Face à celui-ci, la « volonté parodique prend le pas sur la logique naturaliste ». Ce texte constituerait une « révolution copernicienne » du projet naturaliste, la fiction s’y donnant moins comme enquête sociale que comme « carnet intime » où s’inscrivent les affects, les illusions d’une « fille des rues ». Toujours à propos de Maggie, l’étiquette impressionniste est contestée. A partir des trois scènes situées au music-hall, Carlet montre comment le passage de l’euphorie au cauchemar est manifesté par les altérations de la perception,

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dans un vertige expressionniste aiguisé par une syntaxe syncopée et instable. George’s Mother est ensuite évoqué, la symétrie formelle et thématique des deux textes imposant un parallèle qui permet, selon Carlet, de situer les limites du génie de Crane. Le deuxième chapitre s’ouvre sur les Sullivan County Sketches, plongées du « little man » fanfaron et de ses acolytes au cœur d’une Amérique primitive et déjà désuète. Ces textes constitueraient un « laboratoire où s’élaborent diverses stratégies narratives » : la parodie empruntée aux humoristes de l’Ouest, la parodie appliquée aux topos à la Cooper, la persistance obsédante du « fantasme phobique » que l’ironie vient ensuite vider de sa substance. Ces textes porteraient en germe bien des motifs de Red Badge, notamment l’échange de regards entre vif et mort, et l’échange de statut entre animé et inanimé. Viennent ensuite les textes de l’Ouest et du Mexique, notamment Nebraska’s Bitter Fight for Life, reportage sur lâcheté et héroïsme devant les plaies infligées à l’homme par le feu de la sécheresse puis la vitrification d’un blizzard. Ce texte appelle dans son sillage thématique The Blue Hotel, où l’on voit un blizzard agréger quatre voyageurs dans un drôle de lieu. Le caractère énigmatique de ce récit de fiction excite les pulsions interprétatives. Celles qu’évoque Carlet sont peu convaincantes, notamment celle de Benfey. D’autres récits de l’Ouest et des textes sur le Mexique sont proposés à l’observation, soit dans la perspective des motifs obsédants, particulièrement la peur, soit dans celle de la déconstruction parodique. Entrent aussi dans cette séquence les textes de l’Ouest écrits trois ans plus tard, notamment The Bride Comes to Yellow Sky, brièvement traité. Un Ouest de la « frontière moribonde » et de la méprise y est mis en scène où Crane jouerait avec les codes narratifs des récits populaires sans toutefois renoncer à un fond nostalgique, deux voix se croiseraient, « l’une stridente, l’autre hésitante ».

Le troisième chapitre se consacre principalement à Red Badge. Plus qu’un roman de guerre, ce serait une « fable sur la peur » où s’engouffrent les motifs obsédants. A nouveau est posée la question du naturalisme, du degré de déterminisme. Pour mesurer celui-ci, une comparaison avec Norris est proposée. Avec Red Badge l’antagonisme thématique et structurel entre impuissance individuelle et toute-puissance de la machine de guerre reconduit le commentateur à la question des motifs obsédants, notamment ceux de l’intégration-enfermement et de la dissociation-amputation, de la réification des humains et de l’animation de l’environnement. Une caractérisation naturaliste serait reconnaissable au fait qu’Henry cherche son salut au sein de la nature et que celle-ci ne lui offre guère que des entraves. Outre cela, en campant un cadavre détaillé au cœur du repli forestier, Crane retrouverait le regard clinique d’un Zola, à cette différence que l’Américain n’aurait pas complètement abjuré les tentations du romantisme puisqu’il fait de cette rencontre une scène de fascination. Crane serait alors un « naturaliste et un décadent » qui utilise les « schèmes naturalistes » et les met au service de l’ironie. La question de Red Badge, roman d’initiation, est ensuite posée. Sont évoquées les interprétations qui font de RB une allégorie chrétienne ou un triptyque mythique ou encore une série de rites de passage ramenant la brebis égarée au bercail, sans oublier la lecture Jungienne de Cazemajou. Enfin la logique paradoxale qui anime tout le parcours du héros reconduit le commentateur à la question de l’ironie. Une pédagogie négative jaillirait de celle-ci, le fanfaron exalté prenant la mesure de son erreur glorieuse et de sa propre insignifiance. Où l’on retrouverait le nada de Hemingway. Surgit ensuite l’incontournable querelle relative à l’impressionnisme de Crane, vite close, Dieu merci, au profit de considérations sur la

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modernité de cette écriture. Il est alors question de « techniques proto- filmiques » — pratique singulière du montage, représentation du mouvement etc ; autre nouveauté, cet art se vouerait à la représentation du « paradoxe de la perception en temps de crise », « expérience disjonctive » caractérisée par le retard. L’expressionnisme est à nouveau convoqué et Kandinsky aperçu à l’horizon. Ce chapitre se clôt par l’évocation d’autres récits de guerre comparés à des « eaux-fortes ».

La conclusion générale se contente d’effleurer les poèmes, au motif que ceux-ci obéiraient à une implacable double contrainte : une affirmation quasi sacrilège d’autonomie face à un Dieu hégémonique et une inclination vers la parabole biblique à la Bunyan. Carlet oppose alors la « fadeur, la vacuité de l’univers poétique de Crane » à « l’intensité de son univers fictionnel », propos qu’il illustre via The Open Boat, texte de l’expérience, mais « décanté » par la ressouvenance et thématiquement proche des poèmes. C’est, de loin, la meilleure partie de cette étude. A partir de plusieurs citations s’élabore une analyse de cet « art poétique » de la fiction où se mêlent l’exigence de fidélité au réalisme brut et le souci de traduire la subjectivité des impressions. « La ligne de fuite qui permet la fusion entre ces deux démarches . . . est celle du regard ». On retrouverait dans ce texte la « révolte métaphysique des poèmes » mais ici la dérision enlèverait au sacré son caractère pesant. Carlet pointe les glissements entre le collectif et l’individuel dans ce récit d’une expérience solitaire et partagée où l’ironie fouette l’apitoiement sur soi. Pour conclure, cette étude fait souvent mouche. On ne saurait qu’approuver sa réticence vis à vis des clichés diagnostiques que charrie l’œuvre de Crane. Un regard pénétrant est porté sur les forces motrices et inhibitrices que constituent les motifs obsédants en liaison avec l’ironie. L’orientation générale nous paraît juste. On pourra ne pas toujours approuver le corpus privilégié et les relégations qui en découlent, mais le format est si bref. Une réserve majeure, cependant, le propos aurait gagné à prendre en compte des travaux plus récents, l’un d’eux notamment, effectué sous la direction de Michel Gresset. Ce travail propose une interprétation originale fondée sur une analyse approfondie des motifs obsédants. Elle met en évidence la présence d’une fantasmagorie insistante qui donne à l’œuvre sa dynamique mais la contraint dans des schèmes restreints. Selon cette lecture, la scène princeps, scène de fascination, est la rencontre du fils avec le cadavre tyrannique du père et toute l’œuvre se joue et se déjoue à partir de ce face à face. « P(l)op ! » (The Upturned Face).

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AUTEUR

CLAUDE DOREY Université Paris X-Nanterre

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Pascale Antolin-Pires. Nathanael West : Poétique de l'ecchymose. Paris : Belin, 2002, 127 p.

Anne Luyat

1 Rares sont les écrivains de l’entre-deux-guerres qui réussissent à Hollywood. Nathanael West est l’exception qui confirme la règle. Si, à la demande des studios tout puissants, il écrit des scénarios qui mettent en scène les chimères de la culture de masse, il se consacre dans ses romans et ses essais à la subversion de cette même culture. Pascale Antolin retrace avec précision le chemin qui mène le fils d’immigrés new-yorkais à construire une œuvre comique et sombre destinée à faire voler en éclats ces rêves frelatés. Nathanael West ne se contente pas de libérer les victimes de l’artifice médiatique, il s’applique simultanément à créer une esthétique que Pascale Antolin nomme avec bonheur la “ poétique de l’ecchymose ”. L’ecchymose ou tache noire produite par la diffusion du sang dans le tissu sous-cutané, soit à la suite d’un traumatisme, soit en rapport avec un trouble de la coagulation, traduit bien la conception qu’avait West d’une société malade à la fois de ses désirs absurdes et du simulacre.

L’analyse percutante de Mme Antolin, bien définie, présentée et annotée, situe le travail de West par rapport aux mouvements littéraires les plus importants, y compris la tradition juive de l’humour noir et le postmodernisme. Elle rappelle aussi l’influence d’écrivains tels que William Faulkner, William Steinbeck et Sherwood Anderson et ce faisant, l’importance de la tradition américaine du grotesque dans son œuvre. La comparaison avec Henri Bergson, plutôt inattendue, est convaincante et pourrait être approfondie, car c’est ici que se trouve la clé de l’énigme du fonctionnement du grotesque et donc, si l’hypothèse de Mme Antolin est bien posée, la base de la nouvelle esthétique de Nathanael West. Le livre est passionnant à lire en raison de la présentation détaillée de la fiction de West et parce qu’il indique la possibilité que nous avons d’examiner son écriture à travers les critiques modernes.

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AUTEUR

ANNE LUYAT Université d’Avignon

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Claudine Thomas. Norman Mailer. Le complexe d’Osiris. Paris : Belin, 1997. 128 p.

André Bleikasten

1 Peut-on faire tenir un océan dans un gobelet ? A l’impossible nul n’est tenu, mais on peut toujours essayer. Comme d’autres avant et après elle, Claudine Thomas s’est vaillamment employée à rendre compte d’une oeuvre monumentale dans les 128 petites pages que « Voix américaines » (collection, à présent riche de plus de cinquante titres, dirigée par Marc Chénetier d’une main de fer à peine gantée de velours) alloue à chacun de ses auteurs. Aujourd’hui octogénaire, Norman Mailer, encore que toujours alerte, n’est plus « l’enfant terrible » des lettres américaines, et le moment est peut-être venu de tenter un premier bilan de cet « itinéraire tumultueux, fait de succès confirmés et de ratages, de prises de position généreuses et de considérables outrances, de défis proposés à l’écriture et de perpétuels retours à certains thèmes obsédants ». Personne en France n’était mieux armé(e) pour le faire que Claudine Thomas. Bref par nécessité, son ouvrage n’en réussit pas moins à faire le tour de son sujet. Une connaissance intime de tous les textes de Mailer s’allie ici à une intelligence critique jamais en défaut. Les analyses et les commentaires proposés procèdent de toute évidence d’une longue réflexion patiemment affinée, l’admiration n’y aveugle jamais le jugement et ce qui frappe d’emblée dans cette lecture de Mailer est sa constante justesse. Dès la première page on nous avertit que dans sa production « le pire côtoie le meilleur » et dès le premier chapitre le lecteur commence à entrevoir les paradoxes, les contradictions et les impasses d’une oeuvre follement ambitieuse. Oeuvre de romancier, mais pas seulement. Lire Mailer, note Claudine Thomas, « c’est s’intéresser aux avatars d’une écriture plutôt qu’aux seules tribulations d’un romancier parfois en mal de roman » et « c’est aussi trouver sur son chemin la personne de l’écrivain ».

Une écriture inquiète, en quête d’elle-même, toujours en mouvement et en métamorphose. Un écrivain comédien-caméléon, dans la multiplicité chatoyante de ses rôles et de ses identités, toujours en représentation sinon à la parade : Claudine Thomas ne perd de vue ni l’une ni l’autre, et, mine de rien, elle a su prendre la mesure de la

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démesure de cette entreprise, dont elle suit attentivement le cours et démonte soigneusement les rouages, de The Naked and the Dead jusqu’à Oswald’s Tale. (On lui pardonnera de ne pas être allée jusqu’au décevant Gospel according to the Son, tout juste mentionné à la fin ; dans la réécriture des évangiles Pasolini et Saramago ont fait nettement mieux). Sa grande familiarité avec l’ensemble de l’oeuvre de Mailer lui permet de mettre en évidence à la fois la constance quasi obsessionnelle de ses enjeux et le renouvellement incessant de ses stratégies. Qu’il s’agisse de fiction ou de « faction », de textes autobiographiques, de reportages ou d’enquêtes, chez Mailer la scène d’écriture se laisse rarement dissocier du « théâtre du moi ». Mais cet égotiste macho-parano-mégalomane, ce bateleur ivre, souvent bouffonnant et un rien énergumène est également l’un des chroniqueurs les plus impitoyablement lucides de l’Amérique, de ses rêves et de ses cauchemars, et comme le dit Claudine Thomas au terme de sa belle étude, « un guetteur infatigable du siècle ».

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AUTEUR

ANDRÉ BLEIKASTEN Université Marc Bloch — Strasbourg II

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Jacques Pothier. William Faulkner. Essayer de tout dire. Paris : Belin, 2003. 128 p.

André Bleikasten

1 Jacques Pothier sait de quoi il parle. De Faulkner il a tout lu — les grands romans de Le Bruit et la fureur à Descends, Moïse, bien sûr, mais aussi les premiers poèmes et les premières proses, les textes encore tâtonnants où s’ébauchait l’oeuvre à venir (Le Faune de marbre, « La Colline », Le Père Abraham, etc.) et les romans-palimpsestes de la fin, où la fiction faulknérienne, revenant sur ses propres traces, se relisait en se réécrivant. Et Pothier s’est également intéressé de près au Sud, à sa géographie et à son histoire, ce qui lui permet de situer avec précision les textes de Faulkner dans leurs contextes sociaux, économiques et culturels. Son ouvrage nous rappelle opportunément que cet immense romancier fut un écrivain du Mississippi et que son oeuvre s’est constamment nourrie de la riche « matière » du Sud. Mais l’approche de Pothier n’a rien de réducteur et sait éviter les écueils de l’historicisme. Ce que nous sommes invités à découvrir et à explorer, c’est d’abord l’absolue singularité d’un romancier démiurge dans la tradition de Balzac qui fut en même temps l’un des écrivains les plus inventifs et les plus novateurs du vingtième siècle. Faulkner a su créer « un cosmos bien à lui » et rien qu’à lui. Ce foisonnant univers fictionnel, Pothier s’y meut avec l’aisance et l’assurance que seule peut donner une fréquentation assidue de l’oeuvre et il se montre aussi soucieux du mouvement d’ensemble de la création faulknérienne que de son détail, aussi attentif aux constantes, à ce qui, d’un livre à l’autre, se redit et se répète, qu’aux inépuisables ressources d’une écriture romanesque qui n’a cessé de se remettre en question et de se renouveler.

Pothier aborde l’oeuvre de Faulkner dans l’ordre de sa chronologie, mais ne se contente pas de passer ses romans en revue. Le Bruit et la fureur, Absalon, Absalon!, Le Hameau et Descends, Moïse le retiennent assez longuement, Tandis que j’agonise, Sanctuaire et Lumière d’août un peu moins, Pylône et Si je t’oublie, Jérusalem n’ont droit qu’à quelques pages et sur Parabole (que Faulkner, à tort sans doute, considérait un temps comme son magnum opus) il n’y a que quelques lignes. On serait mal venu de reprocher à Pothier ses

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préférences et ses choix au nom d’une improbable « objectivité ». A chacun son Faulkner. Dans ce qui, après tout, ne devait et ne pouvait être qu’une « présentation », Pothier en dit assez pour laisser entrevoir à son lecteur l’inépuisable richesse et l’extrême complexité d’une oeuvre toute en plis et replis, et il faut lui savoir gré d’avoir accordé dans ses commentaires sur les romans et les nouvelles de Faulkner autant d’attention à leurs enjeux thématiques qu’à leur technique narrative et leurs particularités stylistiques. Le plus neuf et le plus intéressant, cependant, dans cet ouvrage, ce sont les rapprochements, inattendus parfois mais toujours éclairants, entre les textes, les réflexions sur les « scènes matricielles » (déjà relevées par Michel Gresset), la mise au jour des « réminiscences » et des « récapitulations » dans les derniers romans. Pothier fait ainsi surgir un vaste réseau intertextuel qui nous fait comprendre combien tout, dans cette oeuvre, se tient et combien, dans sa diversité, elle est une.

L’épilogue est bref, trop bref. Je l’aurais aimé plus ample, plus aigu, plus enlevé. Pothier y rappelle tout ce que le roman doit à Faulkner, mais il ne dit guère la force de son oeuvre, son prodigieux pouvoir de saisissement. Et je ne crois pas que Faulkner, quand il écrivait, dans le secret de sa solitude, au milieu de ses « voix », se soit soucié de « refonder un idéalisme américain humaniste ». Il avait mieux à faire.

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AUTEUR

ANDRÉ BLEIKASTEN Université Marc Bloch — Strasbourg

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Sylvie Mathe. John Updike. La nostalgie de l’Amérique. Paris : Belin, 2002. 128 p.

André Bleikasten

1 John Updike a trouvé en Sylvie Mathé à la fois une lectrice intelligente et sensible et une éloquente avocate. Updike n’est certes rien moins qu’un auteur maudit, parmi les écrivains américains d’aujourd’hui il n’en est pas de plus lu, de mieux connu, mais sa célébrité même le déconsidère aux yeux de ses détracteurs. Le succès est toujours suspect, Updike plaît à trop de monde pour plaire à tout le monde, et dans son introduction, Sylvie Mathé rappelle opportunément tout ce dont on lui a fait reproche : une production surabondante, une écriture séduisante mais sans audaces et sans risques, qui se borne à gérer brillamment la tradition du moderne, et enfin, tare majeure, une coupable complaisance envers l’Amérique moyenne, l’Amérique middle class et wasp qu’Updike décrit dans ses nouvelles et ses romans avec une minutie quasi maniaque, mais aussi avec une rassurante myopie, sans jamais porter son regard au- delà des petites misères intimes de ses petits bourgeois blancs, sans jamais mettre en cause, fût-ce obliquement, la société américaine d’aujourd’hui en tant que telle.

Ces griefs, Sylvie Mathé ne les reprend pas à son compte. L’admiration, chez elle, l’emporte de loin sur les réticences. Le portrait qu’elle dresse d’Updike est celui d’un réaliste, écrivant « au plus près du quotidien et du réel », mais aussi d’un éblouissant styliste, soucieux comme Flaubert de transfigurer la banalité de ses sujets et la médiocrité de ses personnages par les pouvoirs magiques de l’art. Le réalisme d’Updike n’a rien de maussade ni d’étriqué, il ne cherche aucunement à dénigrer le réel. Loin des noirceurs du naturalisme, sa fiction « chante les splendeurs et les malheurs de la condition humaine, la douceur de vivre sous le soleil, la mélancolie de l’irréversible » et « c’est à un assentiment au monde, un hymne à l’harmonia mundi que nous invite son œuvre ».

Après avoir ainsi défini les visées de l’écrivain, Sylvie Mathé, dans son premier chapitre (« Le milieu du monde »), interroge les déterminations géographiques, historiques,

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sociales et familiales de son oeuvre et se met en quête de ce point central, ce midpoint originaire à partir duquel, au fil des années, s’est construit en cercles concentriques l’univers updikien. Viennent ensuite, selon une ordonnance qui hésite, on le comprend aisément, entre thématique et chronologie, une réflexion sous le signe du retour (« Nostos ») sur les nouvelles, une étude des premiers romans, de Jour de fête à l’hospice à La ferme (« Le mémorial familial »), une lecture de Couples, d’Epouse-moi et des Sorcières d’Eastwick, « la trilogie érotique des années soixante », le chapitre attendu sur « Rabbit et la saga de l’Amérique » et, pour solde de tout compte, un ultime chapitre qui traite de tout le reste, de la série des Bech jusqu’aux textes les plus récents de ce jeune septuagénaire incroyablement vert.

A la fois romancier (plus de vingt romans à ce jour), nouvelliste (une douzaine de recueils), poète, mémorialiste, dramaturge et essayiste, Updike est un écrivain aux multiples facettes dont il paraît presque impossible de faire le tour en si peu de pages. Mais le petit livre concis, alerte et élégant de Sylvie Mathé tient admirablement la gageure.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

ANDRÉ BLEIKASTEN Université Marc Bloch — Strasbourg

Transatlantica, 1 | 2003 339

Marie-Christine Lemardeley. John Steinbeck. L’Eden perdu. Paris : Belin, 2000. 128 p. 50 F.

André Bleikasten

1 Il y a « un cas Steinbeck ». Dès 1948 Claude-Edmonde Magny, dans L’Age du roman américain, s’interrogeait sur les « limites » de son art et notait dès la première phrase du chapitre qu’elle lui consacrait que « Steinbeck apparaît déjà comme beaucoup moins important dans la littérature américaine qu’il ne pouvait sembler voici quelques années ». Magny ne s’est guère trompée. Un demi-siècle plus tard, Steinbeck continue certes à être lu dans le monde entier, mais son étoile a pâli plus encore que celles de ses contemporains Hemingway et Dos Passos. La voix de Steinbeck est assurément une « voix américaine », mais est-ce bien la voix d’un écrivain majeur ?

Marie-Christine Lemardeley n’esquive pas tout à fait la question, mais préfère parler de « malentendu ». Malentendu entre qui et qui ? Steinbeck et son public ? Steinbeck et ses critiques ? Des malentendus, il y en a certes eu, mais le temps n’est plus où Steinbeck était classé parmi lesc « réalistes prolétariens » et passait pour un « rouge », un dangereux « agitateur d’idées », voire un « idéologue » subversif. Déjà auteur de substantiels commentaires sur Des Souris et des hommes et Les Raisins de la colère, tous deux parus dans la collection « Foliothèque », Marie-Christine Lemardeley nous propose ici une présentation globale de l’oeuvre de Steinbeck qui se veut sans préjugés et s’efforce d’en donner une image aussi juste que possible. L’information est abondante et sûre, et Marie-Christine Lemardeley sait rappeler en peu de mots (le format de l’ouvrage l’obligeait à être économe) ce qui a fait la séduction et la force des meilleurs romans et des plus belles nouvelles de Steinbeck. Mais elle peine un peu à nous convaincre qu’il est un grand écrivain. A vrai dire, l’oeuvre de Steinbeck, ce qui dans sa production mérite vraiment d’être appelé « œuvre », tient en quelques titres : Des Souris et des hommes, La Grande Vallée et surtout Les Raisins de la colère, roman admirable qui n’a rien perdu de son âpre beauté et que Marie-Christine Lemardeley qualifie très justement de « livre-événement ». Après Les Raisins de la colère Steinbeck s’est tant bien que mal survécu : à trente-sept ans, il avait dit tout ce qu’il avait à dire,

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son aventure d’écrivain était terminée. Or, si Marie-Christine Lemardeley reconnaît volontiers que Steinbeck fut un auteur « inégal » et ne manque pas de relever au passage certaines de ses faiblesses, elle ne procède pas à une véritable évaluation critique et accorde à ses oeuvres tardives — Le Règne éphémère de Pépin IV, Le Voyage avec Charley, La Saison amère — une attention bienveillante qui ne paraît pas de mise pour des textes aussi mineurs. Les Raisins de la colère compte à coup sûr parmi les grands romans américains du vingtième siècle, et Des Souris et des hommes, bien qu’un tantinet daté, vaut toujours le détour. Mais autant l’avouer : dans la carrière de Steinbeck l’état de grâce ne dura guère, ce romancier au coeur tendre n’était pas un coureur de fond.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

ANDRÉ BLEIKASTEN Université Marc Bloch – Strasbourg

Transatlantica, 1 | 2003 341

Christiane Desafy-Grignard. Arthur Miller. Paris : Belin, 2001.128p.

Susan Blattès

1 Raconter la vie et l’œuvre d’Arthur Miller en moins de 130 pages n’est pas facile, surtout si, comme le fait Christiane Desafy-Grignard, l’objectif est de faire connaître aux jeunes générations non seulement l’homme de théâtre, mais aussi le romancier, l’essayiste et l’intellectuel qu’est cet Américain de 87 ans. En effet, Miller a beaucoup écrit et continue à écrire depuis ses premières pièces qui datent des années 30. La bibliographie proposée est nécessairement limitée. Etant donné qu’il est plus facile en France d’avoir accès aux éditions britanniques qu’aux éditions américaines, il aurait été utile de signaler que Methuen publie des recueils des pièces de Miller. Le volume 5 a été publié en 1995 et contient The Last Yankee et The Ride Down Mount Morgan. Quant à la bibliographie critique, que l’auteur a été obligée de réduire considérablement, on peut y ajouter l’ouvrage de C.W.E. Bigsby (The Cambridge Companion to Arthur Miller, Cambridge : Cambridge UP, 1997) qui a l’avantage de consacrer un chapitre à chacune des pièces les plus importantes.

Le livre de Christiane Desafy-Grignard n’est pas organisé chronologiquement, mais thématiquement, autour de quelques notions fondamentales dans l’œuvre de Miller. Elle aborde notamment la crise de 1929 (chapitre 3), le Rêve américain (chapitre 4) et la question de l’authenticité (chapitre 6), autant d’idées centrales chez Miller. Christiane Desafy-Grignard souligne notamment l’attitude très ambivalente de Miller, « un Américain qui dérange », envers le Rêve américain. Cette organisation permet d’aborder les œuvres les plus significatives. Très judicieusement, l’auteur nous renvoie régulièrement à l’autobiographie de Miller (Timebends : A Life), ouvrage indispensable à celui qui s’intéresse à cet écrivain. La décision de comparer pièces et nouvelles apporte aussi une certaine originalité à cette étude, puisque les nouvelles sont bien moins connues.

Evidemment, dans un ouvrage si court, il est impossible d’étudier en détail les subtilités

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de l’écriture théâtrale de Miller, qui reste avant tout homme de théâtre. Ainsi, l’auteur doit parfois analyser très rapidement les procédés théâtraux employés. Il faudrait consacrer plus d’un paragraphe aux techniques utilisées, par exemple, dans The American Clock (75).

Dans le chapitre 7 (« Un dramaturge de l’air du temps »), Christiane Desafy-Grignard lie les écrits de Miller à des événements précis de l’histoire américaine, même si Miller lui- même semble vouloir éviter de trop s’appuyer sur l’actualité. Cette méthode entraîne une certaine répétition puisqu’elle oblige l’auteur à revenir sur l’importance de la crise de 1929, par exemple, événement qui revient sans cesse dans l’œuvre de Miller. Si une pièce comme The Crucible semble très liée à son époque, ce n’est pas le cas de bien d’autres pièces. Il est clair que les pièces de Miller, même si elles reflètent le climat psychologique, économique et social de l’Amérique à certains moments, dépassent ce cadre. C’est pour cela que les pièces les plus célèbres ont été reprises de nombreuses fois un peu partout dans le monde au cours des cinquante dernières années.

Christiane Desafy-Grignard a certainement raison, dans sa conclusion, d’insister sur le fait que Miller est « plus humaniste que politique » (115). On peut regretter qu’elle ne puisse nous montrer en quoi les pièces sont dignes d’intérêt, les grandes œuvres mériteraient chacune une étude spécifique, mais au moins elle nous incite à découvrir ou à redécouvrir l’un des plus grands écrivains dramatiques contemporains.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

SUSAN BLATTÈS Université Stendahl — Grenoble 3

Transatlantica, 1 | 2003 343

Richard Godbeer. Sexual Revolution in Early America, Baltimore (Md). The Johns Hopkins University Press, 2002, 430p.

Éliane Elmaleh

1 Cet ouvrage, au titre provocateur, dévoile la complexité et la surprenante multiplicité des comportements sexuels dans l’Amérique coloniale. L’objectif principal de l’auteur est de révéler l’existence d’un clivage persistant entre théorie et pratique, entre l’affichage d’une Amérique puritaine dont les idéologies officielles et les normes morales ont été reconstruites au travers de décrets gouvernementaux, lois, décisions juridiques, sermons, traités théologiques ou encore littérature didactique, et une Amérique sexuellement subversive, celle sur laquelle Godbeer a choisi de se pencher en analysant par exemple les témoignages scandalisés des pasteurs et hommes d’église qui découvraient les pratiques sexuelles dans le Nouveau Monde. Godbeer met donc en avant une autre facette de l’Amérique coloniale, une Amérique où les relations sexuelles avant ou hors mariage n’étaient pas scandaleuses mais au contraire courantes, et qui contredit fortement l’image stéréotypée de l’abstinence puritaine véhiculée par l’imaginaire national. Correspondances privées, journaux intimes (tenus par une élite d’hommes blancs lettrés), rapports d’affaires juridiques à caractère sexuel, journaux et magazines populaires — qui en exposant les scandales et crimes sexuels ont pu donner la parole à des points de vue alternatifs et divulguer des informations sur des comportements interdits — sont ainsi passés en revue pour redéfinir la « culture sexuelle » de l’époque. Godbeer est un historien qui a choisi de mener une étude des mœurs sexuelles sur le territoire des colonies Britanniques sur deux siècles, de la période coloniale aux premières décennies de la République. Cet ouvrage ne se veut pas une étude générale de la sexualité, c’est plutôt une sélection de cas qui permettent de mieux comprendre le rôle qu’elle a pu avoir, son impact et la place qu’elle a eu dans l’architecture morale et culturelle de la société, ainsi que la façon dont ont évolué les controverses durant une période où l’imposition d’un ordre moral paraissait d’autant plus urgent que l’environnement primitif dans lequel les colons se retrouvaient, semblait, pour les tenants d’un ordre moral, encourager les tendances barbares et avilissantes, pouvant mener à une dégénération culturelle symbolisée par la présence

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des Indiens, et par la suite des Africains qui menaçaient de contaminer les colons et compromettre leur civilisation. L’auteur montre bien que la sexualité etait perçue comme le symbole des multiples dangers auxquels étaient exposés les colons durant une période marquée par l’incertitude politique, économique et culturelle, et la raison pour laquelle elle devint la cible principale de ceux qui pensaient que le péché et le chaos menaçaient les colonies.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

ÉLIANE ELMALEH Université du Maine, Le Mans

Transatlantica, 1 | 2003 345

Paul Buhle et Dave Wagner. A Very Dangerous Citizen : Abraham Lincoln Polonsky and the Hollywood Left. Berkeley : University of California Press, 2001, 275p.

Larry Portis

1 Abraham Lincoln Polonsky (1910-1999) — cinéaste, romancier, militant marxiste — fut l’un de ces intellectuels états-uniens qui, à force de refuser de faire des concessions vis- à-vis des autorités, resta dans l’ombre malgré son talent. Scénariste et réalisateur de cinéma original et créatif pendant les années 40 et 50, sa carrière fut entravée par la répression de cette période. Qualifié publiquement de « very dangerous citizen » par un membre du House Un-American Activities Committee (HUAC), devant lequel il avait eu recours au cinquième amendement de la Constitution des États-Unis, il finit évidemment comme tant d’artistes d’Hollywood sur la liste noire en 1951.

2 Pourquoi s’intéresser en particulier à Polonsky ? Les quelques films dont il est l’auteur ou le réalisateur avant l’établissement de la liste noire sont remarquables, pour leur approche thématique et le traitement subtil des rapports humains et des caractères. Body and Soul (1947), Force of Evil (1948), I Can Get It for You Wholesale (1951), et, après son retour d’exil ou de clandestinité, Tell Him Willie Boy Is Here (1969) décrivent l’exploitation sociale et la misère morale engendrées par le capitalisme. Pour remettre en question « le système », Polonsky fut l’un des cinéastes de gauche les plus talentueux de son temps et sans doute le plus efficace dans son engagement.

3 C’est avec une sensibilité et un soin méticuleux que les deux auteurs retracent la vie de Polonsky et épluchent son œuvre littéraire et cinématographique. Buhle et Wagner, en résumant et analysant les écrits de Polonsky, soulignent l’authenticité des dialogues et la véracité des caractères qui font du cinéaste engagé un auteur dans le mouvance existentialiste.

4 L’importance de cet ouvrage ne tient pas seulement à l’intérêt professionnel au regard que l’on peut porter sur l’histoire du cinéma et du maccarthisme. La biographie d’Abraham Polonsky jette un éclairage particulier et concret sur des processus

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concernant la production artistique et scientifique dans une société marchande où le statut social prime le plus souvent sur les mobiles individuels.

5 Ce livre est précieux parce que Buhle et Wagner, auteurs d’un ouvrage consacré à un intellectuel artiste militant, s’engagent eux-mêmes dans un travail politique qui consiste à élucider un contexte historique pour expliquer le présent et inspirer des actions futures. Ils mettent en lumière non seulement Polonsky le scénariste hollywoodien, mais aussi Polonsky le marxiste ouvert et subtil, l’altruiste engagé sans illusions par rapport à la médiocrité, la lâcheté, l’égoïsme ou l’arrivisme. Le cas de Polonsky met aussi en lumière les diverses manières dont une génération d’intellectuels et artistes juifs ont répondu aux exigences ethniques culturelles et assimilationnistes.

6 La « carrière » de Polonsky révèle le cas d’un engagement politique maintenu en dépit des contraintes de la production cinématographique et de ses enjeux. Avancer professionnellement implique l’acquisition d’une autorité, par étapes objectives propres à une profession particulière par l’ancienneté, les concours ou par promotion interne. Cela se fait aussi dans la concurrence avec ceux qui pratiquent le même métier.

7 Dans ce contexte, des êtres comme Polonsky se distinguent car leur principal objectif apparaît moins professionnel que « politique » dans le bon sens du terme. L’avancement professionnel ne prime pas sur l’œuvre de communication. Améliorer la condition humaine, transformer les rapports sociaux, modifier les institutions, telles sont les motivations profondes de qui se ne limite pas aux intérêts personnels ou institutionnels.

8 Cette biographie dépasse donc le cadre habituel d’un ouvrage scientifique ou universitaire. C’est un livre rare par sa clarté d’exposition, sa sincérité et la profondeur de son analyse.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

LARRY PORTIS Université Paul-Valéry — Montpellier 3

Transatlantica, 1 | 2003 347

Pap Ndiaye. Du nylon et des bombes : Du Pont de Nemours, le marché et l’Etat américain, 1900-1970. Paris : Belin « Histoire et société / Cultures américaines », 2001. 398 p., ill., biblio., index.

François Brunet

1 Qu’y a-t-il de commun entre le nylon et la bombe atomique ? Réponse : la firme Du Pont de Nemours, géant historique de l’industrie chimique américaine, qui, en 1945, fabrique et vend à grande échelle ces deux innovations de grande ampleur, divergentes dans leur technologie comme dans leurs usages, mais symboliquement complémentaires dans le nouvel ordre économique et politique qui émerge de la seconde guerre mondiale. Mais ce gros livre, issu d’une thèse d’histoire, n’est pas un tableau du triomphe du modernisme américain, ni d’ailleurs une simple histoire de l’entreprise Du Pont au sens traditionnel de l’histoire des affaires. Alors que cette dernière, dans le sillage de Raymond Chandler et contre l’historiographie progressiste, a généralement centré son propos sur l’analyse « internaliste » des stratégies industrielles et commerciales, Pap Ndiaye défend dans un remarquable premier chapitre une conception équilibrée de l’histoire de l’industrie, faisant la part aux interactions « externes » (avec le marché, le monde universitaire et surtout peut-être l’Etat) et révisant parallèlement l’analyse internaliste des organisations industrielles dans le sens d’une histoire sociale des professions de l’entreprise. Ainsi, le véritable sujet de ce livre brillant n’est pas tant l’innovation technique, ni la stratégie (parfois hésitante) de Du Pont, mais bien l’émergence des ingénieurs chimistes comme groupe professionnel et comme « culture », au sein de l’entreprise et dans ses rapports avec les partenaires. C’est bien, en effet, l’essor parallèle du « génie chimique » au sein de la firme et dans les universités (surtout le MIT) qui est le fil conducteur de cette étude, qui nous mène de l’invention des « opérations unitaires » après la Première Guerre mondiale jusqu’au relatif déclin du prestige et du pouvoir des ingénieurs (chimistes) dans le contexte des remises en question des années soixante. Sont ainsi mises en lumière des évolutions trop souvent relatées en termes soit purement économiques soit purement

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scientifiques, comme celle qui conduit Du Pont, fabricant traditionnel d’explosifs, à imaginer et à mettre en oeuvre la filière conduisant de l’ammoniac au nylon. Cette histoire des professions s’appuie logiquement, et fort rigoureusement, sur des documents rarement exploités comme les archives et statistiques internes de la firme et les témoignages écrits des ingénieurs. Et elle aboutit, dans les deux chapitres centraux, « Culture et politique chez Du Pont » et « Les ingénieurs oubliés de la bombe », à une révision fondamentale de quelques idées bien enracinées sur la genèse de la bombe atomique américaine. D’abord, en dépit ou plutôt à cause même d’un management idéologiquement conservateur, la firme ne s’engagea qu’à reculons dans le Projet Manhattan, demandant instructions et garanties explicites à ses interlocuteurs gouvernementaux, et prenant soin d’écarter a priori toute idée de profit (il n’y eut aucune rémunération au-delà du défraiement). Ensuite, contre la vulgate journalistique de l’après-guerre et plus généralement ce qu’on peut appeler la « mythologie de la bombe », qui ont toujours monté en épingle le génie des physiciens de Chicago, l’analyse éclaire de manière absolument décisive le rôle régulateur des ingénieurs chimistes, les « oubliés de la bombe » (notamment Crawford Greenewalt, l’un des personnages-clés de cette histoire, qui se plaindra rétrospectivement que les historiens aient toujours décrit la bombe comme « un projet de physiciens » alors qu’il s’agissait d’« un effort interdisciplinaire », cité p. 226) ; ce sont les ingénieurs, en particulier, qui, regroupés au sein d’une nouvelle division intitulée TNX, conçurent et mirent en œuvre la pile d’essai, l’usine-pilote et l’usine de fabrication (à Hanford dans le Washington), s’opposant à plusieurs reprises aux physiciens par leur vision technologique, plus économe et plus concrète, et surtout plus prudente en ce qu’elle laissait sa place à l’indétermination. Enfin, le chapitre « Gloire et déclin du génie chimique » démontre que le triomphe de la chimie industrielle dans l’après-guerre, qui fit du nylon le bien de consommation le plus recherché du monde et comme l’envers pacifique de la bombe, ne pouvait guère survivre aux années cinquante, dans la mesure où la chimie allait le céder dans l’innovation et l’imaginaire de la modernité à la biologie et à l’informatique, tout en se voyant accusée à partir des années soixante de bon nombre des maux écologiques et sociaux de l’après-guerre, sans parler de la culpabilité durable attachée à Hiroshima, déjà puissamment mise en scène par Ray Bradbury dans The Martian Chronicles (1950). Le livre de Pap N’Diaye n’est pas seulement passionnant de bout en bout ; il est formidablement pédagogique, sur des sujets aussi variés que l’organisation des diverses divisions de l’entreprise ou les différents isotopes de l’uranium ; et c’est un modèle de recherche, de rigueur et de composition, tant comme étude d’histoire américaine que comme étude d’histoire des techniques.

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Thèmes : Recensions

Transatlantica, 1 | 2003 349

AUTEUR

FRANÇOIS BRUNET Université Paris 7 — Denis Diderot

Transatlantica, 1 | 2003 350

Paul Lauter. From Walden Pond to Jurassic Park : Activism, Culture & American Studies. Durham : Duke University Press, 2001. 304 pp., 25 photos n/b, $18.95.

André Kaenel

1 La métaphore de l’américaniste comme « passeur » connaît une certaine fortune depuis quelque temps au sein des Etudes américaines en France (voir en particulier le numéro 83 de la RFEA sur le thème « Civilisation américaine : problématiques et questionnements » issu du Congrès de Toulouse en 1998). Littéraires, historiens ou civilisationnistes assureraient le « passage » des Etats-Unis en France, et par delà, en Europe, de la matière américaine, sa traduction tant linguistique que culturelle, à l’intention des étudiants et, certains l’espèrent, de l’espace public. A condition qu’elle ne serve pas à envisager ces transferts sur le mode des rapports, aujourd’hui dépassés, entre un centre et une périphérie (dans un régime de « mondialisation », la matière américaine est désormais partout), la métaphore paraît défendable. Mais si le passeur facilite le transport des biens, des idées ou des personnes, il peut aussi se faire contrebandier à l’occasion en assurant celui de marchandises frappées de suspicion. C’est le cas notamment des « cultural studies » ou des « gender studies », malcommodes à traduire et difficiles à faire passer, alors que les travaux issus de ces deux mouvances apparentées, ont recomposé le paysage des Etudes américaines et des sciences humaines et sociales en général dans les pays anglo-saxons. La quasi invisibilité parmi les américanistes français des ouvrages du catalogue des éditions Routledge (cultural studies, media studies, film studies, gender studies, etc.), par exemple, doit être prise comme un signe de la résistance ou du désintérêt relatif que notre communauté manifeste envers les reconfigurations intellectuelles, résolument transdisciplinaires et fortement théorisées (parfois, avouons-le, de manière fébrile) qui dominent le champ américaniste aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.

2 From Walden Pond to Jurassic Park est donc bienvenu à plus d’un titre. Son auteur est idéalement placé pour éclairer les mutations récentes du champ et pour porter la controverse en son cœur. Paul Lauter a en effet été activiste dans les mouvements

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contestataires des années soixante (droits civiques, combat féministe, guerre du Viêt- nam), Président de l’American Studies Association (ASA) et il est aujourd’hui directeur général de la Heath Anthology of American Literature et « facilitateur » international des Etudes américaines au sein de l’ASA. Son livre est une réflexion en forme de bilan, au croisement du personnel, du politique, du culturel et de l’institutionnel dans lequel il propose de définir les « American Studies » comme, précisément, carrefour privilégié d’une réflexion critique sur les Etats-Unis dans leurs rapports avec le monde. Fil rouge de l’ouvrage, les Etudes américaines y sont envisagées comme une discipline universitaire dotée d’un ensemble de méthodes éclectiques et néanmoins cohérentes qui lui permettent d’analyser des objets dont la diversité et la complexité vont croissantes. Ce postulat, les chapitres de From Walden Pond to Jurassic Park viennent l’illustrer avec conviction en s’articulant autour de trois grandes aires qui correspondent aux trois parties de l’ouvrage : la pratique des Etudes américaines, la question raciale et ethnique, et les liens entre le canon littéraire et le modernisme.

3 Paul Lauter pose d’entrée de jeu les cinq caractéristiques qui sont selon lui au cœur des Etudes américaines : 1) l’historicisation (du texte et de l’acte de lecture) ; 2) l’importance de la textualité ; 3) la dimension comparative et globale ; 4) la théorisation des rapports de pouvoir ; 5) l’interdisciplinarité, à la fois source de richesse et de difficulté. Discipline « désobéissante » (« disobedient discipline ») les Etudes américaines, dans la version qu’en donne Paul Lauter, dessinent depuis leurs origines, dans les années 1930 et 1940, un projet résolument progressiste sur le plan tant des affiliations politiques que des emprunts théoriques. Depuis une vingtaine d’années, sous l’effet des cultural studies, elle cherche en outre à s’affranchir des carcans nationaux, voire nationalistes, qui l’ont façonnée durablement dans la période, faste pour son essor, de la Guerre froide. Les américanistes s’intéressent ainsi aujourd’hui plus aux mécanismes des échanges hémisphériques, transnationaux ou globaux qui ont modifié la carte des Etats-Unis dans ses relations avec le reste du monde. La globalisation de la culture américaine, écrit Paul Lauter, appelle la localisation de son étude. Ses remarques sur les différences entre la pratique américaniste dans sa double dimension nationale et internationale révèlent un auteur sensible aux implications, et aux dilemmes, de la présence des Américains — et de l’Amérique — sur la scène internationale. De ce point de vue, la fin de la Guerre froide n’a pas, selon Lauter, mis un terme à la tentation de la « position du missionnaire ». Mais le paradigme dominant de la science américaniste, au seuil du troisième millénaire, est caractérisé par l’attention croissante accordée au frontières et aux zones de contact, aux « borderlands » aussi bien littéraires que culturels. Ce dont témoigne la place importante qu’occupent les enseignements consacrés aux minorités ou aux groupes ethniques dans les programmes de la plupart des département d’American Studies aux Etats-Unis.

4 Le credo de l’auteur ne l’amène toutefois pas à confondre art et politique, esthétique et sociologie. Il nous montre au contraire, dans sa troisième partie, comment l’un et l’autre se sont construits mutuellement au cours de l’histoire, en particulier au début du 20ème siècle. Ce qui nous vaut un chapitre éclairant sur l’émergence, dans les années 1920, d’un Melville résolument anglo-saxon, masculin, et romantique. Lauter y démontre le rôle que joua l’auteur de Moby Dick dans les luttes pour l’autorité culturelle qui caractérisèrent l’avènement du canon moderniste et l’émergence d’un ensemble de critiques qui s’en firent les défenseurs. A l’autre bout du siècle, un chapitre propose un bilan de la redoutable Heath Anthology of American Literature, aujourd’hui l’anthologie de

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littérature américaine la plus vendue aux Etats-Unis, publiée sous la direction de Paul Lauter, qui contribua, dans les années 1990, a faire éclater un canon moderniste relayé et conforté par la culture de la Guerre froide.

5 En cours de route, au long d’un parcours éclectique qui alterne chapitres synthétiques et lectures d’œuvres, Paul Lauter se sera arrêté sur le film de Steven Spielberg Jurassic Park, dont il passe en revue différentes interprétations pour conclure par un plaidoyer en faveur d’une grille de lecture qui rende compte du travail culturel (« cultural work ») effectué par le film ; sur les romans de l’écrivain afro-américain Charles Chestnutt, aux prises avec les contradictions de la société américaine des années 1890 ; ou encore sur la figure de la poétesse Amy Lowell. Ne reniant pas l’explication de texte ou le close reading, même s’il sait être critique envers ces approches traditionnelles, Lauter insiste en même temps sur la dimension performative des textes littéraires ou culturels et sur l’acte politique que représente selon lui la pratique américaniste. La figure de Thoreau, évoquée en creux dans le titre du livre, souligne l’importance de l’engagement, de l’activisme qui est au cœur du travail américaniste tel que le conçoit Paul Lauter. Mais c’est une voix whitmanienne, ample et chaleureuse, souple et déliée, parfois même légère, que ce livre nous donne à entendre. Au-delà de l’éclairage précieux qu’elle nous apporte sur les bouleversements survenus dans le champ des études américaines ces dernières années, aux Etats-Unis mais ailleurs aussi, elle nous indique aussi, indirectement, des pistes pour dépasser le côté quelque peu convenu voire artificiel de l’épreuve de synthèse, ajout pourtant salutaire dans nos programmes de concours, et pour l’ancrer dans une pratique et une série de postulats méthodologiques (au centre desquels le concept de « cultural work ») inévitablement culturels et politiques.

6 Pour poursuivre le travail critique et historique mené par Paul Lauter dans From Walden Pond to Jurassic Park, signalons deux publications récentes : Locating American Studies : The Evolution of a Discipline (Ed. Lucy Maddox, Baltimore : The Johns Hopkins University Press, 1999), reprend des contributions parues à l’origine dans les pages de American Quarterly, l’organe de l’ASA fondé en 1947. On y trouvera des articles fondateurs des années 1950 à nos jours, signés entre autres par Henry Nash Smith, Barbara Welter, Nina Baym, Houston Baker ou Alice Kessler-Harris, qui nous permettent de lire les transformations des Etudes américaines et la porosité croissante de ses frontières analysées par Paul Lauter. Chaque article est accompagné d’un commentaire qui en propose un bilan critique. La revue American Studies publiée par l’Université du Kansas a d’autre part réalisé un numéro spécial sur le thème « Globalization, Transnationalism, and the End of the American Century » (Summer/Fall 2000, site web ). Ce volume épais au profil plus sciences sociales que le précédent (ou que celui de Lauter) intéressera plus particulièrement les civilisationnistes, les historiens et les politistes.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

ANDRÉ KAENEL Université Nancy 2

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Martine Azuelos, dir. Travail et emploi : l’expérience anglo-saxonne, vol. 1, Aspects historiques. Martine Azuelos et Marie-Claude Esposito, dir. Travail et emploi : l’expérience anglo-saxonne, vol. 2, Aspects contemporains. Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001. 273 pp. Paris : L’Harmattan, 2001. 299 pp.

Pierre Gervais

1 Dirigée par Martine Azuelos, en collaboration avec Marie-Claude Esposito pour le deuxième volume, cette collection réunit les contributions à un colloque tenu en novembre 1999 à l’Université de Paris III Sorbonne-Nouvelle dans le cadre du Cervepas (Centre de recherches sur la vie économique des pays anglo-saxons). Le premier volume, malgré son titre, porte essentiellement sur la Grande-Bretagne moderne, du XVIe au XIXe siècle, avec un seul article américaniste, celui de Jacques-Henri Coste. « Des tutelles au contrat : une archéologie de la relation d’emploi aux Etats-Unis » veut voir dans l’opposition entre travail libre marchand et dépendance statutaire, esclavage ou indentured labor, la clé de l’élaboration des rapports de travail aux Etats-Unis. Le survol en moins de quarante pages de trois cent cinquante ans d’une histoire complexe est un exercice difficile, qui conduit parfois à des raccourcis regrettables (les puritains n’espéraient certes pas « l’éventuel rachat de l’individu par les œuvres », p. 234, les travaux de J. R. Nelson entre autres contredisent l’idée selon laquelle Hamilton aurait été un chaud partisan du développement industriel, p. 257, etc.). Surtout, l’opposition binaire entre servitude et travail libre telle qu’elle est posée au début de l’article, recouvre de l’aveu même de l’auteur quatre formes sociales de travail bien différentes :

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esclavage, indentured labor, travail dans le cadre de la petite propriété indépendante, et salariat. Or ces formes ne sont pas toujours précisément datées et distinguées, et leur articulation reste peu claire. Ainsi, l’importance de ces indentured servants est exagérée au détriment de celle du travail libre, expédié en quelques pages alors qu’il est nettement plus important que la servitude volontaire numériquement et idéologiquement dès le XVIIe siècle. Le lien fait en conclusion entre subordination salariale de la fin du XXe siècle et bound labor du XVIIe siècle constitue une thèse trop audacieuse pour pouvoir être solidement étayée dans le cadre d’un article de portée très générale, qui n’offre pas non plus par ailleurs un modèle véritablement formalisé et testable empiriquement.

2 Si certaines contributions du deuxième volume, sur les aspects contemporains du sujet, souffrent de la même tendance à la généralisation et à l’imprécision chronologique et empirique, les spécialistes des Etats-Unis y trouveront tout de même plus d’éléments les concernant directement. Six contributions portent en effet sur les Etats-Unis, outre la petite mise au point bibliographique de Christophe Daniel sur les théories récentes du marché du travail, exploitable par des étudiants en économie. Olivier Frayssé, suivant un raisonnement proche de celui de Jacques-Henri Coste, tente de démontrer que la crise actuelle du monde salarié aux Etats-Unis est en réalité un retour aux formes de travail pré-fordistes, « lockiennes et jeffersoniennes ». Si le procès — d’ailleurs pas vraiment neuf — du modèle social étatsunien est instruit avec une certaine précision, il reste que là encore, l’identification anachronique du travail de l’époque de Locke et du salariat contemporain n’est pas vraiment justifiée dans l’article, qui se conclut d’ailleurs non sur cette question, mais sur une analyse sommaire du réveil syndical actuel aux Etats-Unis. Une toute autre approche méthodologique apparaît dans le reste de ce volume, avec les contributions de Taoufik Djebali (« Travail et welfare aux Etats-Unis : la nouvelle stratégie de la réforme de 1996 »), Martine Azuelos (« Fiscalité et incitation au travail : de l’Earned Income Tax Credit au Working Families’ Tax Credit »), Laurence Gervais-Linon (« Minorités et géographie socio-économique de l’emploi aux Etats-Unis : le cas de Chicago »), et Danièle Stewart (« Le femmes et le monde du travail aux Etats-Unis »). Dans ces quatre cas, il s’agit de mises au point synthétisant une bibliographie récente, voire quelques sources primaires, en particulier sur Chicago, à propos d’objets d’étude restreints : législation particulière, politique d’emploi des minorités dans une municipalité donnée, ou indicateurs empiriques des inégalités persistantes entre hommes et femmes sur le lieu de travail. Sans viser à renouveler les problématiques des champs de recherche dont relève leur sujet, ces auteurs nous offrent des chiffres et des références récents, ainsi que des historiques ou des descriptions parfois sommaires, mais le plus souvent assez clairs, surtout en ce qui concerne les trois derniers auteurs cités. Enfin, Donna Kesselman brosse un panorama assez complet, et qui a le mérite de la concision, de l’état du syndicalisme étatsunien aujourd’hui et des discours politiques qui en émanent (« syndicats américains et mondialisation »).

3 Au total, la combinaison de réflexions théoriques larges mais pas toujours parfaitement maîtrisées et de synthèses monographiques sur des sujets particuliers, plus ou moins précises mais le plus souvent sans visée méthodologique ambitieuse, ne permet pas d’aboutir à une image vraiment cohérente d’un modèle « anglo-saxon » (ou plutôt anglo-américain) du travail et de l’emploi, malgré les efforts méritoires des présentatrices pour relier tous ces éléments dans la préface du deuxième volume. Il

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faut dire que malgré des cadres théoriques parfois diamétralement opposés, les participants à cette collection ne dialoguent pas véritablement, juxtaposant le plus souvent des contributions dont certaines sont franchement contradictoires. La quinzaine d’articles consacrés à la Grande-Bretagne n’apparaît d’ailleurs pas beaucoup plus unifiée aux yeux du non-spécialiste qu’est le présent lecteur. Enfin, les spécialistes des Etats-Unis regretteront l’absence d’effort monographique sur leur terrain d’étude dans le premier volume. Malgré le caractère intéressant ou novateur de certaines hypothèses semées au hasard des pages, cette collection doit donc être utilisée comme source d’informations plus que d’idées nouvelles, malgré son statut de publication issue d’un colloque — un reproche que l’on pourrait d’ailleurs faire à bon nombre d’ouvrages du même type. Parmi ces derniers, Travail et emploi ne démérite pas, sur un sujet complexe et important. Il convient donc de saluer cette tentative, même si elle n’aboutit pas toujours aux résultats espérés

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

PIERRE GERVAIS Université Paris 8 — CENA/EHESS

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Alain Suberchicot. Littérature Américaine et Ecologie. Paris : L’Harmattan, collection Le Monde Nord- Américain — Histoire — Culture — Société, dirigée par Pierre Lagayette, 2002, 257 p.

Marc Bellot

1 Les grandes controverses écologiques qui agitent la vie politique mondiale sont toutes sous-tendues par une référence implicite ou explicite à la place de l’homme dans son environnement. La conception « écocentrique », qui postule une égalité fondamentale entre toutes les espèces vivantes s’oppose à celle « anthropocentrique » qui attribue une valeur intrinsèque aux seuls humains en ne valorisant que le côté utilitaire de la nature. Les débats houleux suscités par les tenants du mouvement de la « deep ecology » aux Etats-Unis ont toutefois mis en lumière l’existence dans ce pays d’une longue tradition des « nature writings » qui ont façonné la vie littéraire et la conscience philosophique de la nation américaine qui fut une des premières à poser, par littérature interposée, la question de la relation de l’homme à son environnement naturel.

2 C’est précisément cette longue et riche tradition littéraire américaine qu’Alain Suberchicot se propose d’examiner dans son ouvrage Littérature Américaine et Ecologie dans lequel il entreprend une analyse chronologique des œuvres majeures qui jalonnent la pensée américaine de l’environnement, depuis les philosophies de la nature héritées du transcendantalisme jusqu’aux écritures contemporaines qui tentent de penser les rôles respectifs que les espèces vivantes doivent occuper afin de préserver un environnement naturel de plus en plus fragilisé. Disons-le d’emblée, le but est atteint, et l’auteur donne à voir un large panorama intellectuel qui autorise une meilleure appréhension des filiations, influences et lignes de forces majeures dans le tressage des pensées et des écritures d’environnement en Amérique.

3 Dans sa phase de « constitution », l’idée même d’environnement remonterait aux postulats émersoniens du transcendantalisme qui théorisent la valeur « intrinsèque » de la nature dans une tension dialectique avec la conscience individuelle du sujet. C’est Henry David Thoreau qui acclimatera les théories du transcendantalisme en posant

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dans ses Journals la question de la préservation de la nature, préfigurant ainsi les écrits des tenants de la préservation du milieu naturel, John Muir, Gifford Pinchot et John Burroughs. Avec ces auteurs se constitue une authentique écriture de l’environnement qui installe dans le genre littéraire la question fondamentale de la place de l’homme dans le monde naturel. Avec John Steinbeck et Aldo Leopold, l’idée d’environnement entre, selon l’auteur, dans la phase de « consolidation », où l’écriture se fait militante, comme pour exorciser la vieille culpabilité de l’appropriation indue d’une terre par essence rebelle à un productivisme qui éloigne de plus en plus la nation du consensus social hérité du pastoralisme jeffersonien. C’est à travers les écrits d’Aldo Leopold, qui découvre l’unicité de l’écosystème dans les yeux du loup qu’il était venu exterminer, que se fait jour la notion de « conservation ethic », une démarche de type religieux qui pose le principe d’une nature intrinsèque pourtant engagée dans une opposition dialectique avec le sujet humain. Plus proche de nous, cette radicalité tend à s’amenuiser dans sa troisième phase que le lyrisme poétique de Wendell Berry illustre en s’érigeant « en une conscience qui révèle la douleur et l’inscrit dans le paysage » (164). L’écrivain recrée dans l’écriture le sublime d’une nature devant laquelle il a le devoir de s’effacer. Avec Barry Lopez refait surface le rêve d’intégration absolue du monde naturel dans une rhétorique religieuse qui postule la parité et la solidarité entre les humains et le monde naturel. L’ouvrage se clôt sur une très belle évocation de l’œuvre d’Annie Dillard qui retrouve à travers les procédés littéraires une vision inspirée — voire mystique — d’un ordre naturel sublimé dont l’homme est partie prenante. Les références à la conscience et à l’intuition intellectuelle évoquent irrésistiblement Emerson dont les écrits sont sans doute les plus à même d’expliquer cette filiation religieuse qui irrigue les écrits d’environnement américains. C’est peut- être là que se situe le seul vrai manque de ce livre ambitieux et riche, dans la relative sous-évaluation dont fait l’objet la thématique religieuse dans les théories transcendantalistes de la nature : Emerson n’écrivait-il pas « Therefore is Nature ever the ally of Religion : lends all her pomp and riches to the religious sentiment. Prophet and priest, David, Isaiah, Jesus, have drawn deeply from this source » (Nature, 1836), ou encore « The aspect of Nature is devout. Like the figure of Jesus, she stands with bended head, and hands folded upon the breast. The happiest man is he who learns from nature the lesson of worship […] the noblest ministry of nature is to stand as the apparition of God » (Ibid.) ? La loi morale émersonienne que révèle la spiritualité de la nature n’aurait-elle pas inspiré l’univers moral de Barry Lopez, la notion d’éthique de préservation de la nature d’Aldo Leopold ou de Wendell Berry, « the passive soul » de H. D. Thoreau, voire « The Gospel of Nature » de John Burroughs ? Cette relative « laïcisation » de la culture écologique américaine ne saurait cependant faire oublier la richesse et l’originalité des analyses qui feront découvrir à bon nombre de lecteurs français la quintessence de la tradition littéraire américaine des écrits d’environnement qui rappellent inlassablement que « in the tranquil landscape […] man beholds somewhat as beautiful as his own nature » (Emerson).

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

MARC BELLOT IUT de l’Oise

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William R. Handley. Marriage, Violence and the Nation in the American Literary West. Cambridge : Cambridge University Press, 2002. 261 p.

Hélène Christol

1 Si l’on pouvait encore douter que l’Ouest américain fût une source inépuisable d’analyses et interprétations diverses, cet ouvrage de William Handley, Marriage, Violence and the Nation in the American Literary West, vient nous rappeler avec talent qu’il est en effet toujours possible de réexaminer le phénomène de la frontière et de l’Ouest sous un angle différent, à l’interface de la littérature et de l’histoire. Handley le fait grâce à une méthodologie intertextuelle originale et clairement explicitée dans le premier chapitre de son livre. Ce souci de définir ses outils le pousse d’ailleurs à reprendre, dans une sorte de postface, les arguments d’une discussion que ne peuvent éviter les critiques littéraires travaillant sur l’Ouest et ses représentations. Ce n’est pas le moindre intérêt de ce livre que d’évoquer lucidement et sans polémique certains des problèmes théoriques posés par les liens que peuvent nouer historiens et critiques littéraires de l’Ouest.

2 L’objet essentiel de Marriage est cependant l’analyse des relations entre mariage, nation et violence dans les oeuvres de fiction écrites à l’époque qui suit la fermeture de la frontière. La thèse de Handley, c’est qu’au 20ème siècle, les figures de l’autre, et en particulier celle de l’Indien, disparaissent, même dans les textes les plus nostalgiques et populaires de la littérature de l’Ouest. La violence devient familiale, signe qu’une culture blanche hégémonique se tourne contre elle-même, « inward », après avoir conquis les peuples et les cultures étrangères : « Imperialism brings its guns home », comme l’écrit Handley. D’où l’intérêt d’étudier les représentations du mariage comme lieu et symbole de la vie privée (après avoir été le symbole de la nation), le cercle de la famille et des familiers où se déroulent les conflits les plus violents qu’ait mis en scène la littérature de la post-frontière. Handley le fait en six chapitres ; trois d’entre eux sont consacrés à des auteurs qui semblent encore servir les desseins de l’empire à l’orée du 20ème siècle, Turner bien sûr et sa « frontière rhétorique », Owen Wister et sa

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reformulation du sens de la démocratie et du caractère américain dans un ouvrage comme The Virginian, et enfin Zane Grey et son roman populaire, Riders of the Purple Sage, qui permet à Handley de se pencher sur la figure du Mormon et sur le lien entre polygamie et empire. Les trois derniers chapitres introduisent quatre autres visions du mariage et de la violence dans la littérature de l’Ouest : le « unwedded West » de Willa Cather, l’Ouest perdu de Fitzgerald dans Great Gatsby et enfin celui des promesses et échecs des noces américaines dans certaines oeuvres de Didion et de Stegner. Les textes de ces auteurs révisent les allégories traditionnelles de la force (masculine) et de la soumission (féminine), de la liberté individuelle confrontée aux contraintes de la civilisation. Loin cependant d’opposer les auteurs du premier groupe à ceux de la subversion du mythe, Handley retrouve en fait chez tous, par le biais de la mise en scène de relations privées, une lecture oblique, critique, de l’épopée de la nation qui remet en cause la croyance américaine dans les idéaux de liberté individuelle, de conquête, de destinée manifeste et de progrès.

3 Par l’analyse pertinente d’oeuvres choisies, cet ouvrage tente donc d’apporter des réponses à la question de savoir pourquoi et comment une culture passe de l’iconisation du héros turnérien à la représentation quasi-obsessive des échecs et de conflits domestiques dans le cadre familial. En chemin, il a mené son lecteur sur des pistes variées, avec brio et parfois humour, jetant un regard nouveau sur des textes connus et découvrant aussi des textes moins connus, travail de pionnier à la recherche d’un Ouest différent. Il sera très utile à tous ceux qu’intéressent l’histoire et la littérature de l’Ouest, mais aussi plus largement, à ceux qui continuent de s’interroger sur le sens que donnent les Etats-Unis à leur destinée manifeste dans ses dimensions publiques et privées. Les problèmes que soulève Handley en toute lucidité attestent à la fois de la richesse de sa recherche et de l’actualité des questions qu’elle pose. Son livre nous semble donc un jalon nécessaire pour quiconque s’intéresse aux études américaines.

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AUTEUR

HÉLÈNE CHRISTOL Université de Provence

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Henry D. Thoreau. Wild Apples and Other Natural History Essays. William Rossi, ed. Athens : U of Georgia P, 2002. XXVII + 236 p.

Michel Granger

1 Ce recueil inclut les divers essais que Thoreau a consacrés à la nature pendant une vingtaine d’années et qui ont été publiés précédemment sous le titre inexact d’Excursions (1962) : « Natural History of Massachusetts », « A Walk to Wachusett », « A Winter Walk », « Walking », « The Succession of Forest Trees », « Autumnal Tints », « Wild Apples » ; il ajoute « Huckleberrie », projet de conférence tardif, publié seulement en 1970. Le texte a été soigneusement mis au point par William Rossi, l’un des membres de l’équipe qui prépare l’édition de référence des œuvres de Thoreau (Princeton).

2 Les quelque 200 pages permettent de se rendre compte du développement de la pensée de Thoreau sur la nature, depuis le point de vue transcendantaliste jusqu’aux travaux les plus scientifiques. On trouve aussi des écrits à finalité plus littéraire dans lesquels l’enjeu consiste à rendre compte de l’expérience de la nature, à tenter de faire vivre cette dernière sur le papier, mais aussi un texte, le dernier, où se révèle la prise de conscience au sujet de la nécessité de protéger la nature sauvage, à un moment où la Nouvelle-Angleterre se déboisait de façon vertigineuse, s’urbanisait et s’industrialisait.

3 Le volume est précédé d’une solide introduction qui replace judicieusement les essais de Thoreau dans le contexte culturel du milieu du XIXe siècle, les situe par rapport à la pensée d’Emerson, explique l’engouement de toute une société pour les diverses sciences de la nature. Ce tableau permet de mieux comprendre qu’il y avait un public pour accueillir les travaux des naturalistes, professionnels ou amateurs, mais aussi les écrits des observateurs passionnés de la nature.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

MICHEL GRANGER Université Lumière — Lyon 2

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Wendy MARTIN (ed). The Cambridge Companion to Emily Dickinson. Cambridge : Cambridge Universtiy Press, 2002. xvii + 248 pages. ISBN 0-521-00118-8.

Joanny Moulin

1 This collection of essays by eleven American scholars is scrupulously close to the spirit of the series and provides a survey of the present state of critical discourses in Dickinson studies. Never straying in the least from the staple, business-like framing apparatus of biographical chronology, notes on the contributors, select bibliography, index and an introduction that barely sums up the various contributions classically grouped in three parts titled “Biography and Publication History,” “Poetical Strategies and Themes” and “Cultural Context,” this book delivers a well-informed, pragmatic picture of the critical and academic landscape, of which the features are not always specific to Dickinson’s life and works, but reflect much more general contemporary trends. It seems, however, that the recontextualisation of literary studies that came back into fashion over recent years is particularly rewarding in this case. Thus, Betsy Erkkila examines what she calls the “Emily Dickinson wars,” meaning first the disputes that raged especially between Emily’s sister Lavinia, her sister-in-law and intimate friend Susan Guilbert Dickinson and her brother Austin’s lover Mabel Loomis Todd over questions of ownership of the manuscripts after the poet’s death. Beyond the family feud, however, this raises the issue of poetic genius as a societal construct, in the case of an extremely private poet, who barely published more than ten poems during her life-time. The notion that Dickinson is an individualistic, original poetic genius representative of New England genius and American genius has demonstrably been used as a powerful argument in favour of a New Critical idea of culture, in a methodological and ideological debate against Marxian criticism, from the nineteen- thirties on. Furthermore, the editorial “cleaning up” of Dickinson’s handwriting and idiosyncrasies would later encourage more recent critics like Susan Howe and Jerome McGann to favour a return to the original manuscripts. But they were overreached by the “critical grotesque” of William Shurr’s 1993 edition of New Poems of Emily Dickinson that pretended to enlarge the Dickinson canon to the text of “poems”

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excavated from her letters, thus bringing water to the mill of a critical reflection on the very nature and contructedness of the poet’s canonicity. Christopher Benfey remarks that much of the legend of Emily Dickinson is due to Southerners. While Conrad Aiken called her “the most perfect flower of New England Transcendentalism,” in the 1920s Allen Tate, a leading figure of the Agrarian movement who favoured a Southern “organic society” of common rural values against the industrial society of shared economic interest exemplified by the North, upheld Dickinson as a reactionary rebel and viewed her withdrawal from the patriarchal society she was born in as an endictment of the money-based values of the Gilded Age and a wish to return to the religious values of “Old New England.” Contributing in another way to reinforcing the picture of Dickinson as a figure of silent protest, Martha Nell Smith examines the long- lasting correspondence and intimate friendship of Emily Dickinson with her sister-in- law Susan, whom she presents as a powerful intellect and a devoutly religious person, in such a way as to tilt the stereotype of the lone genius toward the notion of fruitful intellectual complicity. Wendy Barker shows how Dickinson’s apophtegmatic and concise style may me partly accounted for as a reaction against the prosy discursiveness of her surroundings; her “Gem-tactics” may be seen as a strategy of resistance against the stultifying world of Calvinistic sermoning she felt pent up in. Two or three articles are perhaps slightly less convincing than others, as for instance Fred White’s attempt to demonstrate that Dickinson may be viewed, as it were, as a proto-existentialist in spite of her having lived in a time when Kierkegaard’s ideas probably had not yet spread beyond Europe, especially as White’s argument rests basically on the definition of existentialism in T.Z. Lavine’s From Socrates to Sartre. But Daneen Wardrop’s study of Dickinson’s use of the Gothic in Fascicle 16 very interestingly corroborates David Reynolds demonstration of the influence on Dickinson’s world of the popular culture of her time. This challenges very efficiently the reductive and simplistic vision of Dickinson as a self-centered agoraphobic minimalist, by showing how much she responded, most often with ironical playfulness, to some of the worldly and aesthetic preoccupations of her time. Her relationship with Rev. Charles Wadsworth, for instance, goes beyond the scope of a mere anecdotal putative love-affair, in so far as Wadsworth was also one of the antebellum period’s foremost innovator in American sermon style, who advocated the use of the imaginative over the strictly doctrinal manner of the previous generations of old-style sermon writers. Dickinson’s startling imagery is granted an added resonance when it comes to be perceived against such contextual background, which includes the Gothic elements of sensational popular novels or Yellow Jacket Literature and penny- newspapers, or the jocularity of some Temperance literature. As if coming to open one more window in the hagiographic cell of the canonical Amherst recluse, Domhall Mitchell underlines a fairly consistent lack of political correctness in Dickinson’s epistolary writings, in which she repeatedly proves contemptuous of progressive movements, and callously uninterested in such issues as ethnic injustice and the hard living conditions of the lower classes, or even the women’s cause, as when Elizabeth Stuart Phelps wrote to ask for her support and Dickinson burnt her letter before mailing a flat refusal. It is as the result of the same recontextualisation of Dickinson’s works that Paula Bernat Bennett looks back on the important part played by feminist scholars in the 1970s in establishing Dickinson among America’s major poets. Bennett declares that she wishes to “revert at least partially to an older, pre-feminist approach to Dickinson,” considering “the influence of Puritan self-examination and Emersonian

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transcendentalism far more pertinent to her poetry.” In most of these studies, the methodological turn to new historicism is strongly perceptible and, in the case of Dickinson as least, it may have been the opening up of new perspectives which may still further be explored.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

JOANNY MOULIN Université de Provence

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Marie-Claude Feltes-Strigler. La Nation Navajo : Tradition et développement. Paris : L’Harmattan, 2000. 404 pages.

Bernadette Rigal-Cellard

1 Cet ouvrage est la version remaniée de la thèse de l’auteur, dirigée par Elise Marienstras, qui permettra au public français de sortir des généralités sur les Amérindiens en montrant comment un groupe particulier, les Diné ou Navajos, a vécu depuis les Conquêtes espagnole et américaine et surtout comment aujourd’hui il forme une communauté démographique et économique importante dans le Sud-Ouest, en fait la communauté indigène la plus nombreuse des Etats-Unis. La problématique est classique : comment faire face aux défis de la modernisation, voire de la mondialisation tout en restant navajo, mais la démonstration est nouvelle car il s’agit avant tout d’un traité sur l’économie d’une tribu/nation.

L’auteur a effectué de longs séjours dans la réserve des Navajos afin de se documenter, et son analyse, qu’elle définit comme « ethnohistorique économique », repose à la fois sur des sources premières, rapports administratifs, commerciaux, tant fédéraux que tribaux, sur la littérature existant sur la question, sur la presse locale, sur son observation personnelle et sur de nombreux entretiens.

L’introduction retrace rapidement l’évolution du terme de nation sous lequel les gouvernements ont rassemblé divers groupes pour faciliter leur administration avant que les intéressés eux-mêmes ne le revendiquent pour affirmer leur importance, ce que fit le conseil tribal navajo en 1969. L’auteur souligne très vite l’inconfort de la position des Diné : ils n’ont qu’une marge de manœuvre étroite « parce qu’ils n’ont pas de base économique solide », et la suite de l’ouvrage démontrera qu’ils travaillent avec un relatif succès à l’élargir. Sont aussi abordés le problème de l’étrange souveraineté dont bénéficient les nations amérindiennes, ces fameuses « domestic dependent nations », et celui de la tradition ou transmission des valeurs aux générations suivantes, car « le

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passé est un moyen d’organisation du futur ».

La première partie résume l’histoire de la tribu diné : l’arrivée dans la zone actuelle, les relations avec ses voisins les Pueblos, la déportation en 1864 à Bosque Redondo, équivalent à l’Ouest peu connu du célèbre Chemins des Larmes des Cherokees à l’Est, retour dans les terres ancestrales de Dinetah. Comme elle se concentre sur l’activité économique, M.C. Strigler détaille les modes d’élevage des moutons dès les premières années, suite à l’arrivée des Espagnols, et les mutations de l’économie au début du vingtième siècle, l’extension de l’élevage et sa réduction, associée au développement de l’artisanat, tissage et argenterie, qui fait la célébrité des Navajos de nos jours. Les variations du régime foncier sont précisément expliquées afin que le lecteur saisisse l’assise des divers développements économiques. Les programmes de réduction des troupeaux, les plans de pacage sont tous solidement documentés, de même que les améliorations de l’équipement de la réserve en routes, écoles, industries, et l’impact des travaux d’extraction minière et pétrolière après la seconde guerre mondiale, sur les revenus et sur l’habitat (la maison américaine remplace le hogan), les moyens de transport, le chauffage, etc.

La deuxième partie intitulée « La colonie américaine » est axée sur la deuxième moitié du vingtième siècle et les défis engendrés par la richesse minière du sous-sol navajo en pétrole, gaz, charbon et uranium, mais aussi par la gestion de la rareté de l’eau dans cette réserve dont une bonne partie est semi aride. L’auteur analyse les divers projets que les Navajos mettent en œuvre avec le soutien de l’État fédéral : ainsi le projet d’irrigation des Navajos, le NIIP, ambitieux et unique, qui va l’encontre du gâchis perpétré par les autres Américains de la région, ou celui de la gestion des forêts. Le livre ne manque pas de poser le problème capital de la destination des bénéfices de ces ressources. Il est bien évident que les Navajos se retrouvent dans la position de bien des peuples exploités puisque en tant que tribu indienne ils ne possèdent pas leur territoire et demeurent sous contrôle du fédéral, ce qui les empêche encore à ce jour de faire accéder tous leurs membres à un niveau de vie correct, à la hauteur de la richesse des ressources naturelles.

La troisième partie part des données économiques de la deuxième pour les examiner à la lumière diné, c’est-à-dire qu’elle analyse la vision holistique que les Navajos ont de leur développement économique actuel dans lequel la spiritualité conserve la première place. Le rôle controversé du conseil tribal navajo est abordé, notamment ses agissements sous la présidence du célèbre Peter McDonald dans les années quatre- vingt. L’auteur montre comment les intérêts économiques et politiques du conseil ne satisfaisaient pas tous les administrés qui souhaitaient que leur spiritualité et leurs traditions soient respectées lors des diverses transactions commerciales, et des projets de développements du territoire. La perception du monde en tant qu’ensemble beau et harmonieux ne peut s’accommoder de l’exploitation agressive de la terre. Si de telles croyances sont maintenant assez bien connues, il n’en va pas de même des relations familiales très complexes que l’auteur décrit : notamment le système de crédit familial, le « système indien de sécurité sociale » qui forcera celui qui monte « sa petite entreprise » à financer tous les projets de sa famille étendue, sans guère d’espoir d’être remboursé, l’épargne n’entrant que très lentement dans les mœurs, ce qui provoque souvent sa faillite ; ou encore les balbutiements de l’esprit de compétition à

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l’occidentale qui semble être le seul garant de la réussite économique. Les conséquences économiques de la vision que les Navajos ont de la mort (et que connaissent tous les lecteurs de Tony Hillerman !) sont également dommageables puisqu’on fera brûler non seulement l’habitation du mort mais aussi son entreprise, son magasin, ou celui dans lequel il est mort. Les derniers chapitres détaillent les tout derniers développements sur la réserve, l’augmentation du chômage mais aussi les possibilités d’amélioration qui seraient apportées par le tourisme et les casinos, elles aussi très critiquées par les traditionalistes. Ainsi par deux référendums successifs, les Navajos ont refusé l'ouverture de casinos sur leur réserve, contrairement à la volonté du gouvernement tribal.

Les options politiques des Navajos sont étudiées de près par d’autres tribus. Il faudra consulter aussi le livre-manifeste de Peter J. Ferrara qui, abordant le même sujet mais dans une veine moins équilibrée et moins holistique, démontre que seul l’accès à la véritable souveraineté tribale peut libérer les Indigènes de l’assistance sociale et « enable each tribal member to enjoy the fruits of properity that have become the staples of the American dream » : The Choctaw Revolution : Lessons for Federal Indian Policy, sur le succès économique des Choctaws du Mississippi sous l’impulsion du Chef Phillip Martin (Washington, DC : Americans for Tax Reform Foundation, 1998).

En conclusion, le livre de M.C. Feltes-Strigler est passionnant car il se concentre sur un sujet peu abordé dans les études indiennes, celui de l’économie au jour le jour, depuis les projets gouvernementaux jusqu’aux détails des transactions familiales, et démontre comment la gestion du quotidien matériel dépend de la vision spirituelle que partagent les individus. On assiste ici à la lente éclosion de l’éthique du travail à l’occidentale dans un milieu allogène, à la fois séduit par les possibilités qu’elle offre et craintif devant les contraintes qu’elle impose, tout particulièrement l’allégeance totale de la personne physique et morale. L’ouvrage est à recommander à tous ceux qui veulent comprendre le fonctionnement actuel d’une communauté indigène, loin des théories et des bons sentiments.

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Thèmes : Recensions

Transatlantica, 1 | 2003 370

Bernd Herzogenrath. An Art of Desire : Reading Paul Auster. François Gavillon. Paul Auster : gravité et légèreté de l’écriture. Amsterdam : Rodopi, 1999. 245 p. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2000. 211 p.

Claire Maniez

1 Ces deux ouvrages ont en commun d’être des réécritures de thèses, mais les ressemblances s’arrêtent là : le premier, en effet, aborde quatre romans de Paul Auster à travers une grille de lecture lacanienne et derridéenne (entre autres) ; le deuxième, plus essai que thèse, parcourt l’intégralité de l’œuvre en prose, de The Invention of Solitude à Leviathan, et convie son lecteur à une exploration de la « galaxie des signes » austériens.

2 Dans An Art of Desire, Bernd Herzogenrath poursuit en fait deux projets concomitants qui ne font pas nécessairement bon ménage : tout d’abord, il entend montrer comment Auster « défamiliarise » divers genres (le roman policier dans City of Glass, la dystopie dans In the Country of Last Things, le roman picaresque dans Moon Palace et le « road novel » dans Music of Chance), et pour ce faire il consacre ses chapitres impairs à un rappel historique (en général bien informé) sur le genre considéré, afin de mettre en évidence les subversions génériques opérées par Auster. Les chapitres pairs sont quant à eux consacrés à une étude dans chaque œuvre de la notion de « désir », dans une perspective résolument psychanalytique à laquelle l’œuvre de Paul Auster, avec ses personnages toujours en quête d’une identité et d’un langage pour l’exprimer, se prête avec une grande complaisance. C’est ainsi que le chapitre 2, « Paradise (always already) lost » analyse City of Glass comme mise en intrigue du « stade du miroir » de Quinn, dans laquelle les personnages que ce dernier rencontre, et avec lesquels il s’identifie (les deux Stillman et « Paul Auster »), incarnent les différentes phases du processus. Ce chapitre, le plus long de l’ouvrage, met en place les références principales, Lacan et Derrida, cadre théorique dont il est dommage qu’il étouffe parfois la démonstration. Si

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le chapitre 2 rend bien compte de la totalité du roman auquel il est consacré, on ne peut pas en dire autant du chapitre 4, qui traite de In the Country of Last Things, et où l’analyse concerne essentiellement la première partie du roman, description de l’univers apocalyptique et des techniques de survie d’Anna ; sont convoqués ici Freud, René Thom (pour sa théorie des catastrophes), Lacan, mais aussi Deleuze et Guattari… ce qui fait beaucoup pour un chapitre de 18 pages, et le parallèle établi entre écriture et scavenging n’est pas vraiment nouveau. Le chapitre 6 consacré à Moon Palace est celui où les deux projets de la thèse sont le plus harmonieusement combinés, puisqu’il tente d’interpréter l’impossible rencontre entre la figure du picaro et l’esthétique du sublime en termes de la formule lacanienne du désir. Les pages consacrées au rôle de l’écriture dans la relation au père sont les plus convaincantes. Dans le dernier chapitre, « Unresolved Harmonies », jouant sur le double sens de drive, l’auteur assimile conduite automobile et pulsion de mort, et analyse dans The Music of Chance la relation chiasmatique entre la route et le mur, la liberté et l’esclavage. Si dans ce chapitre les rappels théoriques se font de nouveau pesants, la démonstration n’en est pas moins assez convaincante, et rend bien compte de l’économie générale du roman.

3 Ce n’est pas à une plongée dans l’inconscient que nous invite François Gavillon dans Paul Auster : Gravité et légèreté de l’écriture, version remaniée et enrichie de sa thèse, mais plutôt à un voyage intersidéral à travers la galaxie des romans de Paul Auster. L’itinéraire, comme le suggère le titre, va de la gravité à la légèreté, et suit grosso modo la chronologie de l’œuvre, commençant par le « big bang » de la mort du père, d’où naîtra The Invention of Solitude, et se terminant sur une étude de « l’endocentrisme métafictionnel » dans Leviathan. Il n’y a cependant rien de strictement linéaire dans ce parcours : il s’agit de mettre en évidence les deux forces contraires qui maintiennent cette galaxie en équilibre, d’un côté la « force gravitationnelle » de ce qu’on pourrait appeler le « réalisme » d’Auster (étiquette qu’il revendique lui-même), de l’autre la « force centrifuge » de l’ironie et de la métafiction. Les quinze chapitres se répartissent autour de cinq axes de réflexion pour explorer les tensions entre ces deux forces. Les trois premiers, consacrés au poids du réel, examinent au fil des neuf chapitres qui les composent les liens entre « l’écriture et la vie » dans The Invention of Solitude, la thématique récurrente de la chambre close, « l’art de l’anorexie », analyse fine du trope de la disparition et de la déliquescence. Dans la deuxième partie, « La cité et la grand- route », il est question des différentes représentations de la ville dans la trilogie et In the Country of Last Things, espace urbain qui s’ouvre sur l’espace de l’ouest dans Moon Palace. « La faute et l’expiation » se penche sur l’épaisseur historique des romans Moon Palace, Leviathan et The Music of Chance, et sur le thème de la dette. Les deux dernières parties analysent les stratégies par lesquelles le texte échappe à la gravité, à coup de répétitions et d’« ampliation baroque ». Le chapitre sur la « géométrie baroque » de Moon Palace évoque discrètement la théorie des fractales pour rendre compte des phénomènes d’auto-similarité dans le texte. La dernière partie, « de la gravité à la légèreté métafictionnelle », montre le « déploiement réflexif » de l’œuvre, où auteur et personnages, réalité et fiction sont mis en regard. La bibliographie, très complète pour ce qui concerne les écrits de Paul Auster, est précédée d’une « constellation lexicale », répertoire des mots et associations de mots qui constituent le matériau linguistique d’Auster, et qui ont servi de base aux divers développement proposés. Tout n’est sans doute pas très nouveau dans l’ouvrage de François Gavillon (on a déjà beaucoup écrit sur des thèmes tels que la mémoire, l’écriture, le picaresque, la ville chez Paul Auster, pour n’en citer que quelques-uns). Ce qui en fait l’intérêt, c’est la démarche adoptée,

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cette mise en résonance des éléments de la « constellation lexicale » à travers toute l’œuvre, qui met en évidence la dynamique lui permettant d’échapper à la pesanteur du réel. C’est le texte de Paul Auster qui dicte cette démarche, et les références philosophiques et littéraires, très éclectiques comme en témoigne l’index des noms propres, viennent à point nommé en éclairer tel ou tel aspect sans pour autant l’écraser, donnant à cet essai un ton très personnel qui est l’un de ses atouts.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

CLAIRE MANIEZ Université de Strasbourg

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Isabelle Alfandary. E.E. Cummings. Eric Athenot. Walt Whitman. Paris : Belin, 2002. 126 p. Paris : Belin, 2002. 126 p. http://www.editions- belin.com

Alain Suberchicot

1 On doit louer Marc Chénetier pour avoir suscité l’écriture de ces deux volumes consacrés à Cummings et à Whitman, et encouragé ainsi les chercheurs à consacrer leurs travaux à la poésie américaine. Isabelle Alfandary et Eric Athenot s’acquittent avec passion et finesse de la tâche qui leur a été confiée de présenter une synthèse dans un espace relativement restreint. Dans les deux cas, nous sommes devant des ensembles littéraires ambitieux, quoique très différents, et nés d’époques qui ne se ressemblent guère sinon par leurs désastres et l’appel à la générosité humaine et à la responsabilité politique qu’elles inspirent à l’un comme à l’autre poète.

2 Dans sa lecture de l’œuvre de Cummings, Isabelle Alfandary, on n’en sera guère surpris, s’intéresse à l’écriture, mais elle le fait de telle sorte que c’est la matérialité du signe poétique qui est l’objet de sa réflexion, et plus spécifiquement un jeu dans l’espace, qui inquiète le sens. Est notamment mise en évidence avec brio ce qu’Isabelle Alfandary nomme « la primauté de la sensation », c’est-à-dire l’attrait qu’exerce sur Cummings la venue de la lettre dans une configuration unique et surprenante devenue poème, et qui est l’effet d’un travail d’agencement propre à Cummings. D’où l’idée qui consiste à étudier les poèmes de Cummings en tant qu’événement, question à laquelle est consacré le chapitre 3 de l’ouvrage. C’est à ce point de sa réflexion que le livre d’Isabelle Alfandary atteint un degré particulièrement fascinant lorsqu’elle nous dit, traçant peut-être les contours d’une recherche future, que Cummings cherche à tordre le cou à l’idéalisme des romantiques et que « pour en venir à bout, il faut ré-investir l’idéal romantique, le fissurer de l’intérieur, le faire sonner creux, l’affoler par une grammaire qui a perdu le sens commun, en un mot, l’émouvoir » (55). Une telle perspective critique est particulièrement juste car elle met à jour une volonté de la part de Cummings d’asseoir l’autorité de la poésie en tant que genre, et le meilleur moyen d’y parvenir est effectivement de se tourner vers les romantismes, qui sont un moment important de constitution de la poésie. Il reste malgré tout à déterminer si les

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romantismes eux-mêmes n’avaient pas entrepris avant la modernité littéraire de fissurer l’idéalisme par pure volonté de conscience cognitive. Et Isabelle Alfandary nous restitue la fraîcheur de Cummings, en nous faisant prendre la mesure de l’attention qu’il portait à l’amour, amour des autres, amour de la langue, ce qui tisse un irréductible écheveau de substance relevant effectivement de l’idéalisme. D’où sans doute ce vacillement de la poésie de Cummings, qui n’échappe pas à Isabelle Alfandary, surtout lorsqu’elle en vient à ce moment d’intense acuité intellectuelle qui la porte à décrire comme suit, par une formule qu’on lui envie tant elle ramasse l’analyse, un processus fondamental de l’écriture de Cummings : « Accidenter la langue, l’affecter, c’est faire surgir en elle le sens comme événement ». ( 72) On lira également avec profit la partie consacré à la voix chez Cummings, qui nous permettra de tirer des enseignements utiles, bien entendu, à la compréhension des ressorts fondamentaux de l’œuvre de Cummings, mais aussi de nombre de poètes du vingtième siècle.

3 Eric Athenot, dans son ouvrage, modifie l’image de Whitman à laquelle nous nous sommes habitués, dans la mesure où l’on connaît trop les moments d’extase panthéiste du grand poète américain, et ses élans d’enthousiasme politique, suscités par Abraham Lincoln, notamment. Tout l’intérêt de la démarche d’Eric Athenot est de faire apparaître la gravité du poète, et les incertitudes qui parcourent son écriture. On doit aussi à Eric Athenot de nous appeler à la lecture des textes fondamentaux, et s’il en est un, c’est bien Varieties of Religious Experience, de William James, qui examine d’un point de vue philosophique les diverses traditions religieuses et comporte des remarques à propos de Walt Whitman. William James a ainsi forgé à propos de Whitman, nous l’apprenons, la notion d’émotion ontologique (« a passionate and mystic ontological emotion, » Library of America, 83). Eric Athenot fait ensuite travailler cette notion dans son étude, et aboutit lui-même à la notion d’utopie onirique, qui ne manque pas d’intérêt, puisque, effectivement, il y a une part d’échappée vers l’irréel chez Whitman, assurément pour combattre l’angoisse, et maîtriser ce qu’elle peut avoir de déstabilisant quand on recherche comme le fait Whitman avec la poésie une religion de la bonne santé de l’esprit (« a religion of healthy-mindedness », c’est la formule de William James pour décrire les vitalistes parmi les chrétiens, ceux qui ne sont pas alourdis par la faute). De là provient la nécessité qu’il y avait à tempérer l’optimisme de James, qui s’abat sur Whitman, et a tendance à nous enfermer dans le type de lecture qu’Eric Athenot s’emploie à combattre, à juste titre. Car la notion d’utopie onirique semble confirmer l’idée de James d’une émotion ontologique, et la combat adroitement sans le dire, au nom d’une compréhension du lyrisme poétique, et contre la philosophie qui a la fâcheuse tendance à voir dans la poésie un exercice de cruciverbiste, en général soit plaintif soit enjoué, sans portée réelle. Un chapitre du livre d’Eric Athenot prend une direction semblable, qui consiste à montrer que la poésie est une revendication de sens, le chapitre consacré à la pensée politique de Whitman. Les arguments sont maîtrisés, et le propos fondamental d’Eric Athenot nuancé, et là aussi ramassé en une saisissante formule, lorsqu’il évoque « l’alliage troublant de pessimisme désenchanté et d’optimisme millénariste » (73).

4 Ces deux ouvrages démontrent la rigueur et l’enthousiasme de la recherche française en matière de poésie américaine, et une capacité de positionnement théorique qui fait notre force.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

ALAIN SUBERCHICOT Université Jean-Moulin — Lyon 3

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Claire Bruyère. Sherwood Anderson. Le grotesque tendre. Paris : Belin, 2001. 128 p.

Anne Ullmo

1 Claire Bruyère n’aborde pas l’œuvre de Sherwood Anderson selon un ordre chronologique et s’en explique dans l’introduction en précisant que l’œuvre « ne procède pas par étapes claires ». Son ouvrage comprend cinq parties qui exposent dans un style presque andersonien — clair et précis — les traits marquants de l’écriture d’un auteur qu’elle replace avec rigueur dans le contexte littéraire de la Renaissance de Chicago. Dans une première partie intitulée « Le Mythe », l’auteur articule une réflexion qui pourrait ne se nourrir que d’éléments biographiques, autour de la notion de « rupture », fructueuse dans le cas d’Anderson puisque sa problématique du vide spirituel contraste fort avec celle de la conquête du succès en vogue depuis le XIXeme siècle. Le chapitre II, « Silences éloquents » met quant à lui l’accent sur l’usage andersonien de l’esthétique du grotesque, qui, selon C. Bruyère s’inscrit certes dans une longue tradition artistique mais est déclinée sur un mode personnel par Anderson. Les références à Hugo, Thomas Mann, Poe et d’autres permettent d’affiner la définition du grotesque tout en révélant ce que cette « union des contraires » n’est pas pour Anderson. Le chapitre « Enfances » fait le lien entre la posture naïve et le style oral des récits d’Anderson et la jeunesse des réflecteurs de Mark Twain. L’analyse de Tar : A Midwest Childhood qui met en scène un préadolescent peu sûr de lui permet à l’auteur de souligner que S.Anderson est une fois de plus en rupture avec la culture populaire de l’époque qui renvoie des images de virilité triomphante. Le travail sur la nouvelle moins connue « L’homme qui devint une femme » met en lumière l’univers fantasmagorique des narrateurs andersoniens, leur expulsion douloureuse vers le monde de l’expérience et leur transfert sur le cheval, objet érotique et envers positif de la société. La nouvelle « L’œuf » est le point de départ du chapitre « Résister » qui confirme la place d’Anderson à contre-courant des épopées américaines de l’époque. Si épopée il y a, elle est ici de l’ordre du tragi-comique et du grotesque. Les maladresses de cet écrivain n’occultent pas, nous dit-on, le désir de faire travailler « ce qui gît au dessous », par opposition à l’entreprise de l’ennuyeux Sinclair Lewis dont le travail est

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de surface. Le rapprochement avec l’ouvrage d’Henry Adams, The Education of Henry Adams, permet à l’auteur d’interroger la place de la femme dans l’œuvre d’Anderson et de réfléchir sur l’impact du social et du politique sur ses derniers récits : l’engagement de l’écrivain dans les années 1930 passe avant tout par une écriture sans concession qui se refuse à embellir le réel. Le dernier chapitre, « L’impuissance créatrice », propose une synthèse sur le style d’Anderson qui ne s’apparente que superficiellement au naturalisme de la fin du XIXe siècle. Les figures de l’incontournable Gertrude Stein ou encore de Cézanne et d’Alfred Stieglitz sont invoquées pour l’influence qu’elles ont exercée sur Anderson : défendre l’authenticité américaine tout en restant ouvert aux influences extérieures semble être le credo de ces artistes qui prônent la simplicité de l’écriture.

2 La mise en contexte est le point fort de cet ouvrage qui ne se paie pas de mots, résume les récits avant de les faire entrer en résonance les uns avec les autres et prend soin de faire état de l’actualité intellectuelle du moment. On pourrait regretter l’absence ici de micro-lecture, mais le format de la collection ne permet pas nécessairement de se livrer à des analyses approfondies des textes. On reviendra néanmoins avec plaisir à la lecture de cet auteur méconnu dont Claire Bruyère sait ici évoquer « le désir de mettre en mots des émotions confuses et violentes ».

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

ANNE ULLMO Université Lille 3

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Marie-Claude Perrin-Chenour. Kate Chopin : ruptures. Paris : Belin, 2002. 128 p.

Claire Maniez

1 Cinquante ans après son « maître » Cyrille Arnavon, à qui l’ouvrage est dédié, Marie- Claude Perrin-Chenour poursuit le travail de réhabilitation entrepris par ce dernier, faisant comme lui la part belle au roman phare de Kate Chopin, The Awakening, auquel elle consacre les trois quarts de son texte. Comme l’indique son sous-titre, elle a choisi d’organiser ses quatre chapitres autour de la notion de rupture. Le premier chapitre, « Les ruptures de l’histoire », établit un parallèle entre l’itinéraire personnel de Kate Chopin et le destin de l’Amérique pendant la période de la Reconstruction : l’antagonisme Nord/Sud se vit chez elle dans son double héritage (père irlandais et mère créole), source d’un « clivage linguistique » qui expliquerait le « sentiment de dualité » caractérisant ses héroïnes. M.-C. Perrin-Chenour y brosse à grands traits les principaux épisodes de la vie de Kate Chopin, dont elle retrace les échos dans quelques nouvelles. Elle montre également comment ces dernières, dépourvues de tout didactisme et de toute nostalgie, rendent compte de manière lucide des enjeux de la Reconstruction.

2 Si la notion de rupture fonctionne bien comme fil conducteur dans le premier chapitre, elle paraît moins pertinente dans les deux suivants, qui mettent plutôt l’accent sur l’ambivalence et l’indirection. Le deuxième chapitre « Ruptures thématiques : le double et l’entre-deux » reprend l’étude de The Awakening déjà parue dans Les romancières américaines (Ellipses 1995), en en modifiant légèrement l’organisation et en la complétant. Dans une analyse serrée et convaincante, l’auteur met est lumière la dualité constitutive du personnage central, dualité qui se reflète dans le cadre spatial et dans le système des personnages du roman : Edna est prise dans un jeu de « relations triangulaires » où elle se trouve en général confrontée à deux autres personnages antagonistes et/ou complémentaires. Le troisième chapitre, « Ruptures stylistiques : une esthétique de l’indécision », montre, à l’aide d’exemples très éclairants, comment l’ambivalence du personnage se trouve manifestée dans la structure narrative du roman et dans ses procédés stylistiques.

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3 Dans le quatrième chapitre, « Ruptures épistémologiques : la nature en question », M.- C. Perrin-Chenour examine la question controversée des « influences », notamment celles de Montpassant et de Flaubert, pour montrer que Kate Chopin, malgré toute son admiration pour les naturalistes français, ne les suit pas jusqu’au bout dans leur conception de la nature. Celle de Chopin, en effet, devrait plus à Emerson, sans pour autant en posséder la dimension religieuse. Là encore, la romancière refuse de s’inscrire dans une tradition, se forgeant en tout indépendance d’esprit une vision du monde que son époque était encore incapable d’accepter.

4 On pourra reprocher à M.-C. Perrin-Chenour d’avoir quelque peu délaissé les nouvelles et l’autre roman de Kate Chopin, At Fault, à peine évoqué, pour se consacrer de manière quasi exclusive à The Awakening. Son ouvrage, s’il ne rend pas complètement compte de l’ensemble de l’œuvre, n’en constitue pas moins une relecture très riche du texte auquel la romancière doit sa notoriété, et qui constitue son apport le plus original à la littérature américaine.

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

CLAIRE MANIEZ Université de Strasbourg

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Marie-Claude Feltes-Strigler. La Nation Navajo : Tradition et développement. Paris : L’Harmattan, 2000. 404 pages.

Bernadette Rigal-Cellard

1 Cet ouvrage est la version remaniée de la thèse de l’auteur, dirigée par Elise Marienstras, qui permettra au public français de sortir des généralités sur les Amérindiens en montrant comment un groupe particulier, les Diné ou Navajos, a vécu depuis les Conquêtes espagnole et américaine et surtout comment aujourd’hui il forme une communauté démographique et économique importante dans le Sud-Ouest, en fait la communauté indigène la plus nombreuse des Etats-Unis. La problématique est classique : comment faire face aux défis de la modernisation, voire de la mondialisation tout en restant navajo, mais la démonstration est nouvelle car il s’agit avant tout d’un traité sur l’économie d’une tribu/nation.

2 L’auteur a effectué de longs séjours dans la réserve des Navajos afin de se documenter, et son analyse, qu’elle définit comme « ethnohistorique économique », repose à la fois sur des sources premières, rapports administratifs, commerciaux, tant fédéraux que tribaux, sur la littérature existant sur la question, sur la presse locale, sur son observation personnelle et sur de nombreux entretiens.

3 L’introduction retrace rapidement l’évolution du terme de nation sous lequel les gouvernements ont rassemblé divers groupes pour faciliter leur administration avant que les intéressés eux-mêmes ne le revendiquent pour affirmer leur importance, ce que fit le conseil tribal navajo en 1969. L’auteur souligne très vite l’inconfort de la position des Diné : ils n’ont qu’une marge de manœuvre étroite « parce qu’ils n’ont pas de base économique solide », et la suite de l’ouvrage démontrera qu’ils travaillent avec un relatif succès à l’élargir. Sont aussi abordés le problème de l’étrange souveraineté dont bénéficient les nations amérindiennes, ces fameuses « domestic dependent nations », et celui de la tradition ou transmission des valeurs aux générations suivantes, car « le passé est un moyen d’organisation du futur ».

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4 La première partie résume l’histoire de la tribu diné : l’arrivée dans la zone actuelle, les relations avec ses voisins les Pueblos, la déportation en 1864 à Bosque Redondo, équivalent à l’Ouest peu connu du célèbre Chemins des Larmes des Cherokees à l’Est, retour dans les terres ancestrales de Dinetah. Comme elle se concentre sur l’activité économique, M.C. Strigler détaille les modes d’élevage des moutons dès les premières années, suite à l’arrivée des Espagnols, et les mutations de l’économie au début du vingtième siècle, l’extension de l’élevage et sa réduction, associée au développement de l’artisanat, tissage et argenterie, qui fait la célébrité des Navajos de nos jours. Les variations du régime foncier sont précisément expliquées afin que le lecteur saisisse l’assise des divers développements économiques. Les programmes de réduction des troupeaux, les plans de pacage sont tous solidement documentés, de même que les améliorations de l’équipement de la réserve en routes, écoles, industries, et l’impact des travaux d’extraction minière et pétrolière après la seconde guerre mondiale, sur les revenus et sur l’habitat (la maison américaine remplace le hogan), les moyens de transport, le chauffage, etc.

5 La deuxième partie intitulée « La colonie américaine » est axée sur la deuxième moitié du vingtième siècle et les défis engendrés par la richesse minière du sous-sol navajo en pétrole, gaz, charbon et uranium, mais aussi par la gestion de la rareté de l’eau dans cette réserve dont une bonne partie est semi aride. L’auteur analyse les divers projets que les Navajos mettent en œuvre avec le soutien de l’État fédéral : ainsi le projet d’irrigation des Navajos, le NIIP, ambitieux et unique, qui va l’encontre du gâchis perpétré par les autres Américains de la région, ou celui de la gestion des forêts. Le livre ne manque pas de poser le problème capital de la destination des bénéfices de ces ressources. Il est bien évident que les Navajos se retrouvent dans la position de bien des peuples exploités puisque en tant que tribu indienne ils ne possèdent pas leur territoire et demeurent sous contrôle du fédéral, ce qui les empêche encore à ce jour de faire accéder tous leurs membres à un niveau de vie correct, à la hauteur de la richesse des ressources naturelles.

6 La troisième partie part des données économiques de la deuxième pour les examiner à la lumière diné, c’est-à-dire qu’elle analyse la vision holistique que les Navajos ont de leur développement économique actuel dans lequel la spiritualité conserve la première place. Le rôle controversé du conseil tribal navajo est abordé, notamment ses agissements sous la présidence du célèbre Peter McDonald dans les années quatre- vingt. L’auteur montre comment les intérêts économiques et politiques du conseil ne satisfaisaient pas tous les administrés qui souhaitaient que leur spiritualité et leurs traditions soient respectées lors des diverses transactions commerciales, et des projets de développements du territoire. La perception du monde en tant qu’ensemble beau et harmonieux ne peut s’accommoder de l’exploitation agressive de la terre. Si de telles croyances sont maintenant assez bien connues, il n’en va pas de même des relations familiales très complexes que l’auteur décrit : notamment le système de crédit familial, le « système indien de sécurité sociale » qui forcera celui qui monte « sa petite entreprise » à financer tous les projets de sa famille étendue, sans guère d’espoir d’être remboursé, l’épargne n’entrant que très lentement dans les mœurs, ce qui provoque souvent sa faillite ; ou encore les balbutiements de l’esprit de compétition à l’occidentale qui semble être le seul garant de la réussite économique. Les conséquences économiques de la vision que les Navajos ont de la mort (et que connaissent tous les lecteurs de Tony Hillerman !) sont également dommageables

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puisqu’on fera brûler non seulement l’habitation du mort mais aussi son entreprise, son magasin, ou celui dans lequel il est mort. Les derniers chapitres détaillent les tout derniers développements sur la réserve, l’augmentation du chômage mais aussi les possibilités d’amélioration qui seraient apportées par le tourisme et les casinos, elles aussi très critiquées par les traditionalistes. Ainsi par deux référendums successifs, les Navajos ont refusé l'ouverture de casinos sur leur réserve, contrairement à la volonté du gouvernement tribal.

7 Les options politiques des Navajos sont étudiées de près par d’autres tribus. Il faudra consulter aussi le livre-manifeste de Peter J. Ferrara qui, abordant le même sujet mais dans une veine moins équilibrée et moins holistique, démontre que seul l’accès à la véritable souveraineté tribale peut libérer les Indigènes de l’assistance sociale et « enable each tribal member to enjoy the fruits of properity that have become the staples of the American dream » : The Choctaw Revolution: Lessons for Federal Indian Policy, sur le succès économique des Choctaws du Mississippi sous l’impulsion du Chef Phillip Martin (Washington, DC: Americans for Tax Reform Foundation, 1998).

8 En conclusion, le livre de M.C. Feltes-Strigler est passionnant car il se concentre sur un sujet peu abordé dans les études indiennes, celui de l’économie au jour le jour, depuis les projets gouvernementaux jusqu’aux détails des transactions familiales, et démontre comment la gestion du quotidien matériel dépend de la vision spirituelle que partagent les individus. On assiste ici à la lente éclosion de l’éthique du travail à l’occidentale dans un milieu allogène, à la fois séduit par les possibilités qu’elle offre et craintif devant les contraintes qu’elle impose, tout particulièrement l’allégeance totale de la personne physique et morale. L’ouvrage est à recommander à tous ceux qui veulent comprendre le fonctionnement actuel d’une communauté indigène, loin des théories et des bons sentiments.

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Thèmes : Recensions

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Christine DESAFY-GRIGNARD. Arthur Miller : Une vie à l’œuvre. Paris : Michel Houdiard Editeur, 2003. 424 p. 26 euros.

Trudy Bolter

NOTE DE L’ÉDITEUR

[Voir dans ce même numéro le droit de réponse de Christine Desafy-Grignard et la réponse de Trudy Bolter]

1 Dans ce livre, Christine Desafy-Grignard fait la navette entre l’autobiographie d’Arthur Miller, Timebends :A Life, (1987), et l’œuvre, qui inclut des pièces qui ont enregistré et marqué leur siècle, Death of a Salesman (1949) et The Crucible (1953). Faisant concorder les personnages des deux textes (la « vie » et l’ensemble des écrits), elle remet dans l’ordre chronologique les événements que Miller embrouille, les entrecoupant de retours en arrière, dans Timebends.

2 L’on a parfois l’impression de tenir entre les mains le premier jet mal corrigé d’un livre nécessaire (car peu d’ouvrages francophones sur Miller sont disponibles) mais inachevé. Il, est dommage que si peu de place soit accordée aux aspects théoriques du thème. Il est d’autant plus difficile d’excuser la profusion d’erreurs sur tous les plans: orthographe, histoire, histoire culturelle.1 Le traitement d’Odets (comme d’O’Neill et Williams) est tronqué, superficiel.2 Les notes (trop rares) lorsqu’elles sont présentes, sont souvent incomplètes. Quelques développements comme la discussion (134) du caractère tragique de Salesman sont rapides, dénués d’exemples, sans références, et n’apparaissent pas vraiment comme discours méticuleusement construit.

3 L’analyse manque parfois de rigueur. C’est grave, car Desafy-Grignard s’attache à montrer que Miller est auteur « juif », « juif psychologique » qui « trahit sa judéité » (379) par des intuitions se rapprochant de celles de Freud, davantage que « par le cadre de ses pièces»(379). Il s’agit même d’un « écrivain religieux », « malgré son image de juif séculier » (381).

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4 Ce point de vue, qui se rapproche en partie de ceux d’Harold Bloom ou Ellen Schiff, qui le développent autrement,3 serait plus convaincant à mon avis s’il n’était pas affaibli par la présence de formulations essentialistes irréfléchies. Je cite comme exemple en le soulignant une maladresse regrettable parmi d’autres : « Sa mère, Augusta, est … plus superstitieuse (un trait de caractère chez les femmes juives que l’on retrouve chez plusieurs des héroïnes de l’œuvre) que pieuse, plus attirée par le côté occulte de sa religion que par l’orthodoxie du dogme » (17)4

5 Utilisant sans nuance des termes éculés tels que la « yiddish mamma » (22)5 pour décrire les personnages, l’auteur frôle parfois le stéréotype déplaisant (19, le juif « caméléon »). Recourir à ce type de raccourci me semble paresseux, voire dangereux . Malgré les lacunes et les analyses qui me paraissent contestables, Christine Desafy- Grignard a eu la bonne idée de faire exister un livre sur un auteur majeur qui mérite de revenir à la mode. Elle traduit de l’anglais de grands extraits de l’œuvre millerienne et rend ainsi accessible à un plus large public les écrits d’un dramaturge qui associe poésie de la scène et conscience politique.

NOTES

1. Un exemple : « Constantin Stanislavski, ancien du Group Theater, mort en 1938. » (193). 2. Et notamment de sa pièce Awake and Sing (1935) traitant du caractère chimérique du rêve américain révélé dans le vécu d’une famille d’immigrés juifs, qui fait partie de l’intertexte évidente de Death of a Salesman, Il aurait été intéressant de traiter aussi la façon d’Odets d’être (et ne pas être) auteur « juif » peu de temps avant (et en même temps que) Miller. 3. Harold Bloom, ed., Arthur Miller, Coll. Bloom’s BioCritiques, Broomall, Pa., Chelsea House, 2003 (5), et Ellen Schiff, ed., Awake and Singing : Seven Classic Plays from the American Jewish Repertoire, Harmondsworth, England, Penguin Mentor,1995, (xix). 4. Une question : où est le « dogme » du judaïsme ? religion sans « pape » mais aux mille commentateurs, la diversité étant tout aussi typique du judaïsme que du protestantisme américains. Mme. Miller, spirite, faisait tirer les cartes avant le départ de son fils pour l’université, activait avec délectation sa planchette OuÏja, communiquait avec l’ « autre » monde, pratiques assez courantes àl’époque (années 20), à témoin le milieu du poète W.B. Yeats totalement différent mais obsédé par ces questions. 5. Personnage autoritaire présent, selon l’auteur, dans « toute la littérature juive américaine » (aucun titre n’est donné comme exemple précis).

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Thèmes : Recensions

AUTEUR

TRUDY BOLTER Institut d’Etudes Politiques, Université Montesquieu-Bordeaux IV

Transatlantica, 1 | 2003 386

Droit de réponse

Christine Desafy-Grignard

NOTE DE L’ÉDITEUR

Ce droit de réponse fait suite au compte rendu par Trudy Bolter (Institut d’Etudes Politiques, Université Montesquieu-Bordeaux IV) de Christine DESAFY-GRIGNARD. Arthur Miller : Une vie à l’œuvre. Paris : Michel Houdiard Editeur, 2003. Il sera suivi d'une réponse de Mme Bolter.

1 La Revue Transatlantica a publié un compte rendu sur mon livre, Arthur Miller, une vie à l’œuvre, qui appelle certaines mises au point : j’utilise donc mon droit de réponse. Dire d’un livre de 426 pages qu’il est « înachevé », d’une seconde édition qu’elle « donne l’impression d’un premier jet mal corrigé », des notes qui occupent 21 pages — soit 6% du livre — qu’elles « sont trop rares ( 258 au total ) et surtout incomplètes » tient du paradoxe et presque de la provocation ; parler de « profusion d’erreurs sur tous les plans » surtout sur celui de l’orthographe, probablement confondue avec la typographie, est une hyperbole déplacée, quand on sait que l’ouvrage contient plus de 180000 mots représentant environ 900000 signes ! S’agissant de Stanislavski, puisqu’il est cité, je concède que le mot « membre » est une extrapolation imprécise de l’influence que le célèbre russe eut sur Lee Strasberg et les méthodes du Group Theatre. Il eut été en effet plus juste d’écrire « membre de la communauté spirituelle du Group Theatre ».

Qualifier de « tronqué et de superficiel » le traitement que je fais d’auteurs contemporains de Miller — Odets, O’Neill, Williams — laisse entendre négligence voire ignorance de ma part, alors qu’il s’agit du choix concerté d’un auteur et de son éditeur d’alléger un ouvrage dont le sujet est vaste, ce genre d’étude parallèle trouvant mieux sa place dans une revue universitaire.1 Pour l’opinion portée sur la discussion (134) du caractère tragique de Salesman « rapide, dénuée d’exemples, sans références » (comme le sont, paraît-il, d’autres développements qui ne sont pas mentionnés ), je précise qu’il s’agit là d’un choix personnel : privilégier l’éclairage socio-culturel, c’est à

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dire le contexte dans lequel cette « tragédie moderne » a été créée et reçue par les critiques de théâtre.

Ces remarques seraient recevables si elles faisaient partie d’un compte rendu exhaustif de mon livre, ce qui n’est pas le cas.

Je constate en effet que seul le paragraphe 1 du texte qui annonce la démarche du livre, fait office de compte rendu, quoique là encore, on ait oublié de signaler que « la navette » (puisque telle est l’expression employée) que j’effectue entre Timebends et l’œuvre cessant de fonctionner en 1987, je continue de rendre compte de la fécondité de l’écrivain2 dans le dernier chapitre, La fin d’un siècle et le début d’un autre (339-377), sans le support biographique. En fait ce compte rendu ne concerne que quelques lignes des chapitres I, II (La Judéité et Le Clan) et de l’Epilogue qui traitent de la judéité de Miller : quatre paragraphes sur six sont consacrés à ces passages et le reste du livre est, au mieux survolé, au pire, ignoré, soit quelques 360 pages qui témoignent pourtant de l’homme de théâtre et de l’essayiste,3 du romancier et auteur de nouvelles,4 et de l’intellectuel engagé que continue d’être aujourd’hui Arthur Miller.

Dans les quatre paragraphes en question, certaines de mes expressions sont mises en vedette. L’ennui, je devrais dire, la malhonnêteté, c’est qu’on les a extraites du contexte, privées des citations qui les illustrent et qu’elles débouchent sur une exégèse tendancieuse qui leur donne une connotation péjorative loin de mon propos.

Ainsi p. 19, on accole le mot juif à celui de « caméléon » et on en fait « un stéréotype déplaisant, un raccourci paresseux, voire dangereux » , alors que la phrase de mon livre est la suivante : « Miller attribue à ses antécédents son désir constant d’évolution, ce devenir perpétuel qui est un trait du caractère juif ; l’errance, source de souffrance, a développé chez le Juif la qualité du caméléon : une grande adaptabilité ».

On m’accuse (22) d’utiliser « sans nuance » le terme « éculé de Yiddish mamma » ( un terme éculé perd peut-être de son originalité mais pas de sa véracité ) mais on omet de citer la petite scène savoureuse d’humour, extraite de La Pendule américaine5 qui appelle ce terme (le jeune Sydney, qui a l’ambition de devenir compositeur, se bat, dans le contexte difficile de la Grande Dépression, avec sa mère qui, pour pouvoir payer le loyer de la famille, a décidé qu’il épouserait Doris, la fille de leur propriétaire, une boulangère !).

Dans l’Epilogue (380- 381), on me reproche « de manquer de rigueur », lorsque je m’attache à montrer que Miller est un auteur « juif ». Or , avec force d’exemples à l’appui (§ au bas de la p. 380), je fais la preuve (je me cite) que « l’identité juive de Miller s’est affirmée dans ses œuvres récentes où beaucoup de personnages sont juifs, le disent et le clament même bien haut ». Dommage que ces exemples ne soient pas cités. On me conteste l’expression « juif psychologique » (écrite entre guillemets, car elle n’est pas de moi), employée par Yosef Yerushalmi mais on omet de citer le portrait qui accompagne cette expression et la justifie : « il possède certains traits de caractère inaliénables : l’intellectualité et l’indépendance d’esprit, une exigence éthique et des normes morales élevées ainsi qu’un souci de justice sociale/…/ Il est sensible d’une façon qui lui est particulière aux préjugés antisémites, il flotte dans une judéité

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indéfinissable mais pourtant réelle et s’oppose farouchement à toute tentative de la part de la société environnante de le définir contre sa volonté ».6 Appliquant au théâtre de Miller ce que David Sievers, dans les années 50,7 écrivait de celui d’Odets, (à savoir que c’est davantage par ses intuitions sur Freud que par le cadre de ses pièces, que Miller trahit sa judéité), on me concède que ce point de vue n’est pas inintéressant mais on déplore que je l’affaiblisse par « des formulations essentialistes et irréfléchies » en donnant comme exemple, une phrase « maladroite et regrettable parmi d’autres » (parce que j’y emploie le mot « dogme » pour la religion juive)8 mais qui, malheureusement, n’a rien à voir avec le jugement de Sievers !

« Last but not least », encore dans l’Epilogue (381), on me conteste l’appellation « d’écrivain religieux » et afin de mieux en montrer l’incongruité, on l’accole, suivant le procédé précédemment dénoncé, à celle, habituelle donnée à Miller, de juif séculier. Là encore l’expression « écrivain religieux » n’est pas de moi (d’où mes guillemets), mais de Neil Carson9 et est reprise par Terry Otten, 10 deux exégètes de Miller qui, eux, ne sont pas rebutés, par le paradoxe qui consiste à dire que Miller, vers la fin de sa vie, malgré son image et sa réputation de juif séculier, peut en effet être décrit comme un écrivain « religieu ». Une opinion que je partage mais que je ne revendique pas péremptoirement, puisque j’écris (381) : « On peut voir dans la manière dont Miller persiste à réaffirmer le « présent » du passé et dans la foi qu’il garde dans le pouvoir rédempteur de la tragédie, une manière de pallier le chaos dans lequel la mort de Dieu a laissé l’univers moderne. Dans cette optique et malgré son image de juif séculier et d’humaniste, on peut peut-être s’autoriser à parler de lui comme d’un écrivain religieux ».

En conclusion, cet article (que je suis contrainte d’appeler « compte rendu » faute de mieux) reflète le peu d’intérêt que la Recherche universitaire et le public français en général ont porté à l’œuvre d’Arthur Miller depuis les jours glorieux de Salesman et de The Crucible. On remarquera que seules ces deux pièces sont citées. Le silence qui est fait sur toutes les autres empêche de comprendre l’homme et l’évolution de son oeuvre.

NOTES

1. Voir mes articles : « The modernity of Arthur Miller : the mutation of the tragic hero after Eugene O’Neill ». Confluences VII. Presses universitaires de Paris X-Nanterre, 1993. et « Judéité, Judaïsme et Psychanalyse chez Arthur Miller ». Parcours judaïques. Presses universitaires de Paris X-Nanterre, 1994. 2. The Ride Down Mount Morgan (1991) ; The Last Yankee (1993) Broken Glass (1994) ; Mr Peters’Connections (2000) ; Plain girl, A Life ( 1995). 3. Près de 30 pièces de théâtre publiées et jouées ; The Theatre Essays (1977), Echoes down the Corridor (2000), Politics and the Art of Acting (2001). Ces deux derniers ouvrages sont seulement cités dans mon livre.

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4. Focus (1945) , The Misfits (1957) , The Collected short stories (1967) , la novella, Plain girl, a life (1995). 5. The American Clock , act I., pp. 37-38. London : Methuen, 1983. 6. Freud’s Moses : Judaism Terminable and Interminable. Yale University Press, 1991. Le Moise de Freud. Judaisme terminable et interminable : p. 41. Paris : Gallimard, 1993 7. W.D. Sievers. Freud on Broadway. New York : Hermitage, 1955. 8. Je ne suis pas théologienne, mais tout le monde aura compris que je considère le terme « dogme » dans son acception la plus large, celle du dictionnaire qui ne limite pas son usage au champ de la religion chrétienne. 9. Neil Carson. Arthur Miller : p. 154. NewYork : Grove, 1982. 10. Terry Otten. The Temptation of Innocence in the Dramas of Arthur Miller. Preface p. XII. University of Missouri Press. Columbia, Missouri, 2002.

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Thèmes : Recensions

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Réponse à Mme DESAFY-GRIGNARD au sujet de son ouvrage Arthur Miller : une vie à l’œuvre

Trudy Bolter

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cette réponse fait suite à un droit de réponse au compte rendu par Trudy Bolter (Institut d’Etudes Politiques, Université Montesquieu-Bordeaux IV) de Christine DESAFY-GRIGNARD. Arthur Miller : Une vie à l’œuvre. Paris : Michel Houdiard Editeur, 2003. Ce texte clôt l'échange entre les deux intéressées et le public selon les règles de la déontologie de l'édition.

1 RÉPONSE à Mme DESAFY-GRIGNARD au sujet de son ouvrage Arthur Miller : une vie à l’oeuvre

Un compte rendu n’est pas forcément un résumé neutre : rien ne m’oblige à répéter en l’étoffant la quatrième page de couverture de l'ouvrage. « Lu par ... » dit bien qu'il s'agit d'une vision personnelle. J’avoue que j’ai lu ce livre avec surprise, une émotion très vive, pas toujours très positive. Je conteste certaines approches, qui m’apparaissent approximatives, pas assez complètes , quelques tournures qui semblent, à mon avis, ne pas vraiment correspondre à la pensée de l’auteur telle qu’elle la présente dans son droit de réponse.

2 La haine revient partout. Elle se nourrit du stéréotype, de l’analyse rapide, du raccourci. Dans ces conditions, utiliser un langage neuf, précis, devient à mes yeux un devoir professionnel, voire citoyen. Je ne mets pas en cause dans ce domaine le cœur de la pensée, les opinions profondes de Mme. Desafy-Grignard, et je ne souhaite donc en aucun cas en faire un débat personnel. Mais j’ai remarqué dans son texte la présence occasionnelle de certains stéréotypes, qu’il conviendrait d’aborder avec plus de

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distance critique, surtout pour une auteure sensible, convaincue de la valeur des individus aussi bien que des tendances plus générales des cultures juives qu’elle étudie depuis longtemps, semble-t-il. Ces clichés sont certainement « loin de ses propos » – elle a raison de protester. Mais en toute honnêteté je ne pourrais jamais dire, pour la satisfaire, qu’ils n’y sont pas présents.

3 Soyons clairs : je ne me suis jamais méprise sur son respect de la judéité, Mais c’est justement pour cela que j’ai pensé que son ouvrage était inachevé, trop rapidement rédigé : le temps donne du recul,, le texte qui repose se décante et se clarifie. J’ai trop d’expérience de l’écriture pour sous-estimer le nombre de malentendus que peut susciter la plume trop rapide d’un homme ou d’une femme de bonne volonté. Je récuse non les convictions de l’auteure, mais les glissements de langage qui entachent parfois les pages écrites par Mme Desafy-Grignard – et elle n’est pas la seule – ; c’est justement pour cela que je réagis avec tant d’énergie.

4 Je suis une lectrice un peu particulière, c’est vrai, car j’ai rédigé une thèse comparatiste qui traite, entre autres, d’Eugène Ionesco. Le point de vue de Ionesco, ajouté à mon scepticisme naturel, crée des difficultés, dont je suis, peut-être de manière perverse, assez fière, car je pense que la résistance aux stéréotypes est une forme utile de rébellion, de résistance au sens plus large. Reparlons un peu de la « yiddish mamma » : je n’ai jamais pu comprendre en quoi elle diffère de la mamma italienne. Quant au terme de « juif psychologique », personnage postulé par Yosef Yerushalmi que cite Madame Desafy-Grignard, je l’accepte mal. Pour moi, il s'agit d'un « stéréotype distingué », pour paraphraser ce cher Ionesco. Existe-t-il ? Affirmer n’est pas prouver. Où sont les exemples, les exceptions ? J’aime mieux parler de certains juifs, que d’un Juif de partout et de toujours, doté de « traits de caractère inaliénables ». Peut-on approuver de parler ainsi de catholiques, d’Américains, de Français , et j’en passe ?

5 L’analyse de Sievers, que l’auteur développe peu, est tout simplement étonnante. Quelle est cette logique qui conduit un auteur à « trahir (quel verbe !) sa judéité » « par ses intuitions sur Freud ». Qui se rassemble s’assemble ? Et Proust, alors ? Lawrence ? Shakespeare ?

6 Je veux redire ici (fidèle à Ionesco) que le stéréotype (verbal ou intellectuel) se prête à la dérive. Il faut l’éviter, et apprendre à nos étudiants à s’en méfier. Et ce, dans tous les domaines. If not now, then when ? If not us, then who ?

7 Il y lieu de présenter en guise de complément à la réponse ci-dessus une partie, un peu remaniée pour les besoins de la cause, du long article que m’a inspiré dans un premier temps cette lecture. Je l’ai coupé pour me conformer à la longueur standard des comptes rendus de Transatlantica, mais la version courte était peut-être trop condensée. Je reprends donc ci-dessous en détail certains des arguments que j’ai inclus dans mon compte rendu, en me référant à des extraits plus extensifs de l’ouvrage concerné.

8 Dans son droit de réponse, Mme Desafy-Grignard souligne son approche « socio- culturelle » de l’œuvre de Miller. Mais au fil du texte, on remarque quelques approximations sur le plan de l’histoire culturelle,.qui donnent au lecteur (un étudiant ?) un tableau tellement simplifié qu’il en vient à être erroné. Voici par exemple la première partie du texte de la note 7, qui se référe à la page 287, et apparaît page 419 : elle est destinée à expliciter l’affirmation par Miller de son ignorance de l’œuvre de Brecht à l’époque du Commis-voyageur :

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En 1950, les producteurs de Broadway n’auraient pas songé à mettre en scène les pièces du Théâtre épique de et du Théâtre de l’Absurde de Ionesco qui sont déjà joués en Europe.

9 Cette note est rajoutée comme information complémentaire censée élargir la culture du lecteur, étoffer le contexte de l’affirmation de Miller. La première partie de cette affirmation brève n’est pas erronée, mais l’ensemble paraît hâtif et incomplet si l’on se reporte au détail de la chronologie de l’histoire du théâtre international, car il s’avère qu’en 1950, le théâtre européen lui-même venait tout juste de songer à produire les œuvres dramatiques de Ionesco (que lui-même venait tout juste – en 1949 – de se mettre à les écrire): la première de la Cantatrice chauve eut lieu le 16 mai 1950 au Théâtre des Noctambules. Quant à Brecht, les productions classiques du théâtre épique – essentiellement les productions des grandes pièces de Brecht écrites pendant les années de son errance (1933-1941) – ont été élaborées avec sa femme Hélène Weigel, au Berliner Ensemble fondé en 1949, et installé dans son propre théâtre en 1954, deux ans avant sa mort. Bien que les pièces de Brecht n’aient pas, au début, trouvé en Amérique la réussite espérée (c’était aussi le cas de ses scénarios hollywoodiens, à l’exception de Hangmen Also Die /Les bourreaux meurent aussi, Fritz Lang, 1943) certaines furent bel et bien produites en Amérique dès 1933 – rarement, c’est vrai. L’ignorance de Brecht qu’affiche Miller dans Timebends est un peu surprenante quand on sait que le 7 décembre 1947, le Galileo de Brecht fut produit à New York, dans une traduction de Charles Laughton, qui jouait le rôle titre, et une mise en scène de Joseph Losey – 6 représentations seulement, malheureusement. Mais elles ont existé.

10 Pour revenir à Broadway, si Ionesco dut attendre 1961 pour y être joué, et Brecht 1963, L’Opéra de Quat’sous de Brecht et Kurt Weill tint sept ans sur Off-Broadway à partir de 1954 – attirant des centaines de milliers de spectateurs, et faisant largement connaître le nom de l’auteur. (The Bald Soprano se joua off-Broadway en 1958). La théorie du v-effekt, amorcée plus tôt, est pleinement développée par Brecht dans son Petit Organon du Théâtre qui date de 1949. ( L’influence de Brecht alla croissant à partir de la production de Mère Courage qu’il mit en scène en 1949, année qui apparaît comme une sorte d’annus mirabilis du théâtre occidental). Cette toile de fond très riche méritait, à mon avis, un traitement plus ample, mais les choix d’un auteur sont bien évidemment question de goût, je l’accorde.

11 Le style est parfois imprécis. En parlant du chef d’œuvre de Miller, Mort d’un commis-voyageur, l’une des œuvres emblématiques de la littérature américaine du XXe siècle, et peut-être de tous les temps, l’auteur nous dit : Le dramaturge a écrit sa pièce au début des années 50 qui demeurent la période du plus grand boom économique de l’histoire mondiale. Or la vie de Willy Loman, l’échec de son fils Biff, sont à la fois l’illustration et la négation de la vague d’optimisme et de matérialisme qu’est censée soulever cette croissance économique soudaine chez beaucoup d’Américains. Voilà pourquoi elle est et demeure une pièce populaire mais contestée. (133)

12 Comment comprendre le paragraphe cité? Mort d’un commis voyageur a été créée sur Broadway en 1949. Certes, la pièce a été produite au seuil des années cinquante, à la veille de cette décennie : mais si rétrospectivement, en 2003, date du livre de Mme Desafy-Grignard, la pièce nous apparaît comme « l’illustration et la négation de la vague d’optimisme », comment, pouvait-elle produire cet effet sur le spectateur de l’époque, avant même que cette période se soit déroulée ? C’est donc l’expérience de la vie américaine postérieure à l’écriture de la pièce qui lui donne rétroactivement son

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sens ? Comment dans ce cas expliquer la réception exceptionnelle (spectateurs en pleurs, trop émus pour applaudir), qui l’accueillit en 1949, avant même que démarrent les années cinquante ?

13 Un peu plus loin sur la même page, est abordée la question épineuse, qui a fait couler beaucoup d’encre et inspiré plus d’un cours de littérature, du caractère tragique (ou non) de Mort d’un commis voyageur : Dans les siècles passés on parlait de la mort d’un archevêque, d’un roi, à l’époque moderne d’un président, parce que ce sont des gens importants, mais un commis voyageur qui de plus, est laid, banal, impécunieux et vieux !`Voilà un titre qui détruit plus d’un mythe, qui dérange plus les mentalités dans un pays où beauté, jeunesse, argent, réussite sont des valeurs essentielles. (134)

14 Cette discussion très courte ne comporte pas d’exemples. Se réfère-t-on à Murder in theCathedral (1935), d’Eliot ? Connaît-on des exemples de tragédie portant sur un président ? Ce traitement rapide banalise et schématise à la fois la question de l’essence tragique, et celle des valeurs américaines, réduites ici à quelques clichés sommaires qui relèvent plus de la vulgarisation journalistique que de l’analyse .

15 Ce recours au raccourci, au nivellement et au stéréotype, me semble encore plus regrettable dans le domaine de la judéité de Miller lui-même. Effectivement, Mme Desafy-Grignard s’attache à montrer que ce « juif laïcisé », issu d’une famille peu pratiquante, époux de trois chrétiennes laïcisées, est un auteur « juif », et, en plus, d’une certaine façon, religieux. (381) Vie et œuvre attestent que Miller possède une personnalité riche et pleine de contradictions, fruit d’un double héritage culturel ; la culture protestante, plus particulièrement puritaine, des pays anglo-saxons et le patrimoine ethnique juif. La culture protestante, c’est l’homme « extérieur », tourné vers l’action, les autres, et l’avenir. Le patrimoine juif, c’est l’homme « intérieur » enclin à l’introspection, tiraillé par des sentiments ambivalents et tourné vers le passé. (380)

16 Le point de vue de l’auteur se défend ,et se rapproche d’ailleurs de celui d’Harold Bloom. Mais comment définit-on le « juif » ? Dans l’extrait ci-dessus, le double portrait du protestant-juif me semble schématique, déterministe, les étiquettes sont avancées avec trop de confiance, trop peu de nuances. La culture « puritaine », la culture ethnique « juive » , sont-elles des blocs tellement distincts, aussi monolithiques, – et somme toute réfractaires l’un à l’autre – éternellement insolubles malgré l’effervescence bouillonnante de la culture américaine qui se re-brasse sans cesse ? Je ne partage pas sur ce sujet l’opinion de Christine Desafy-Grignard, mais son point de vue pourrait mieux se défendre si les stéréotypes qu’elle emploie avaient été mis en question. Or, ils font souvent figure de « sagesse populaire » tout particulièrement dans la première partie du livre qui s’intitule « la judéité ». On peut citer pour exemple les passages ci-dessous : (17) Sa mère, Augusta, est plus superstitieuse (un trait de caractère chez les femmes juives que l’on retrouve chez plusieurs des héroïnes de l’œuvre) que pieuse, plus attirée par le côté occulte de sa religion que par l’orthodoxie du dogme (19) À la double culture judaïque et germanique acquise pendant la première enfance, Isidore (le père d’Arthur Miller) dût en ajouter une troisième, la culture américaine : il l’assimila pleinement, si l’on en juge par son désir constant d’évolution, ce devenir perpétuel qui est un trait du caractère juif ; l’errance imposée à travers les siècles, source de souffrance, a développé chez le Juif la qualité du caméléon : une grande adaptabilité. (21) Sans pouvoir attribuer avec certitude les traits de caractère d’Esther Simon dans Pas si méchant que ça à l’une ou l’autre des sœurs d’Augusta, il est à peu près

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sûr que Miller s’est inspiré de leur caractère pour ce personnage. Ce dernier possède en effet plusieurs traits caricaturaux de l’épouse et de la mère juives telles qu’on les montre dans les pièces de boulevard

17 Reproduire les stéréotypes quels qu’ils soient a l’effet de les perpétuer, les renforcer. Le fait même de les utiliser nous rend vulnérables aux effets pervers qui sont parfois inscrits de façon indélébile dans ces figures. Un exemple : le juif « caméléon » , victime de diaspora ou génocide, displaced person par excellence : c’est une figure hautement symbolique, à résonance universelle. Mais ce terme peut susciter plus d’une interprétation malveillante.

18 Il est pour moi absolument clair que Mme Desafy-Grignard respecte – vénère même – Miller, sa judéité, la judéité en général, et je ne mets pas en cause le fond de ses propos, son respect de la différence, que je suppose entier. Son livre ne cherche qu’à illustrer la démarche de l’auteur américain, beau sujet s’il en était. Mais le langage ne doit pas stagner, la « véracité » du cliché doit être constamment testée pour savoir si sa couleur n’a pas viré à l’équivoque. Aborder un texte littéraire par le biais de l’ethnicité est une démarche risquée, parfois réductrice, qui tend à conforter, si l’on n’y prête garde, les préjugés dans lesquels elle peut s’enfermer, au détriment du questionnement qui demeure le fondement de l’entreprise critique, et – selon moi – de la vie.

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