Pink Floyd Et Syd Barrett, La Croisée Des Destins
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ALEXANDRE HIGOUNET ALEXANDRE HIGOUNET PINK FLOYD & SYD BARRETT LA CROISÉE DES DESTINS BARRETT PINK FLOYD SYD & M — LE MOT ET LE RESTE R ALEXANDRE HIGOUNET PINK FLOYD ET SYD BARRETT la croisée des destins le mot et le reste 2021 INTRODUCTION 29 avril 1967. La vague psychédélique qui déferle sur Londres connaît son apogée. Pink Floyd en est la tête d’affiche. Il est au moins 5 heures du matin lorsque le groupe monte sur la scène de l’Alexandra Palace pour clôturer le 14 Hour Technicolor Dream, le grand festival organisé au soutien de la publication underground International Times. Une grande partie du public est complètement défoncée du fait de la distribution gratuite d’un nouvel acide dérivé du LSD, le STP 1. Les derniers survi- vants de ce marathon de musique, endormis devant la scène principale, se réveillent aux premières notes de « Astronomy Domine ». Ils ne sont pas dix mille comme le veut la légende. Quelques centaines tout au plus sont restées. Les membres du Floyd eux-mêmes sont fatigués. Dans la journée, ils étaient aux Pays-Bas pour enregistrer une émission intitulée Fan Club. Ils ont voyagé toute la nuit, en voiture et en ferry, pour gagner l’Alexandra Palace. Ils n’ont pas envie d’être là. La rumeur a même couru dans le public pendant la soirée que Pink Floyd ne viendrait pas. Brian Jones, Jimi Hendrix ou encore John Lennon se sont, eux, joints à la foule. John Dunbar, propriétaire d’une galerie d’art sur Londres, était au domicile de Lennon ce soir-là : « Nous étions à Weybridge en train de regarder la télé. Et soudain on voit que ce truc était en train de se dérouler. 1. Selon le témoignage de Col Turner, un fan historique du groupe, dans le livre de Richard Houghton, Pink Floyd, I Was There. Un igloo en plastique aurait aussi été bâti pour confectionner et distribuer des joints en peaux de bananes. INTRODUCTION 7 Et on s’est dit : “Putain, on y va !” On s’est retrouvés dans cet endroit où toutes les personnes que j’avais pu un temps connaître dans ma vie passaient à un moment ou un autre dans mon champ de vision. Tous les yeux se tournaient fatalement vers nous car on était avec John, mais j’ai véritablement croisé des gens que je n’avais pas vus depuis le jardin d’enfants et que je n’ai pas revus depuis. » (8) En arrivant à Londres, à Edbrooke Road, Syd Barrett et Peter Jenner, l’un des managers du Floyd, se sont arrêtés pour prendre de l’acide et ils pénètrent défoncés dans l’enceinte. « L’acide a commencé à faire son effet lorsqu’on nous a indiqué l’entrée », raconte Jenner. Jack Lyons, un fan de la première heure, se souvient : « Alors que je luttais contre le sommeil, j’ai aperçu les membres de Pink Floyd avec leur manager Peter Jenner en train d’installer le matériel autour de la scène. Je me suis frayé une voie vers le premier rang pour prendre ma place habi- tuelle, à mi-chemin entre les claviers de Rick et la guitare de Syd, qui avait l’air de ne plus savoir qui il était. C’était un peu comme une anti-apothéose alors que nombreux étaient ceux qui étaient restés toute la nuit pour voir Pink Floyd. » (9) Mais lorsque le groupe monte sur la scène, le miracle se produit. L’aube arrivant, les premiers rayons de soleil traversent les baies vitrées du Palace… « Et la magie est arrivée, témoigne Col Turner. [L’Esquire Mirror-Disc] de Syd Barrett s’est d’un coup trouvée dans le champ des premiers rayons rosés du soleil. Syd l’a remarqué et alors, les yeux défoncés, il a fait rugir sa guitare de plus en plus bruyamment, alors qu’elle reflé- tait la lumière de l’aube dans les yeux du public et baptisait ceux qui seraient assez chanceux pour suivre Pink Floyd toute leur vie. » (9) Turner poursuit : « L’ambiance était électrique. Ils ont joué comme des dieux, comme s’il ressentait une atmos- phère spéciale. Il y avait une connexion extraordinaire entre le groupe et le public. C’était comme si d’un coup, les gars 8 PINK FLOYD ET SYD BARRETT venaient de comprendre qu’ils étaient désormais des grands musiciens, mais qu’ils voulaient dans le même temps garder leur vie d’avant, tout en sachant qu’il n’y avait plus de demi-tour possible. » (9) Barry Miles, un membre actif de l’underground londonien, écrit à l’époque une chronique pour l’International Times : « Le groupe est monté sur scène alors que les premières lueurs de l’aube pénétraient à travers les énormes vitres roses, la pulsation de la ligne de basse de “Interstellar Overdrive” galvanisant le public. Sa musique était mystérieuse, solennelle et apaisante. Après une nuit entière de batifolages, de festivités et de trop-plein d’acide, vint la célébration de l’aube. […] Dans la foule, les gens se donnaient la main les uns les autres. Les Floyd étaient épuisés et n’ont probablement pas joué si bien, mais à ce moment-là, ils étaient superbes. Ils ont donné une voix au ressenti de la foule. Les yeux de Syd brillaient alors que ses notes montaient dans le jour qui se renforçait et que les premiers rayons de l’aube se reflétaient dans sa fameuse Esquire Mirror-Disc, faisant danser la lumière dans la foule. Alors vint la renaissance de l’énergie, d’un nouveau jour, et avec le soleil l’explosion de la dance et de l’enthousiasme. » (12) Le 14 Hours Technicolor Dream venait en quelques secondes d’entrer dans l’histoire du rock. Le soleil avait fait son choix. Il l’avait choisi, lui, Syd Barrett, le diamant fou du Floyd. Lui qui en quelques mois et un album – The Piper At The Gates Of Dawn – allait faire basculer le rock dans une nouvelle dimen- sion, à mi-chemin entre la structure et son absence, entre la mélodie et la dissonance. Lui sans qui le groupe qu’il avait appelé Pink Floyd ne serait jamais sorti des fonds de cave des pubs londoniens pour y disparaître dans l’indifférence. Lui qui allait bientôt s’effacer du monde rationnel, tournant le dos au soleil pour rejoindre la face cachée de la lune, dans un terrible aller sans retour… INTRODUCTION 9 Mais en ce 29 avril 1967, Syd Barrett brille, brille et brille encore. Sa créativité déborde dans un flot ininterrompu de chansons. Son rock psychédélique ébouriffant percute l’under- ground londonien. Son charisme sidéral lui permet de l’incarner magistralement. Ses mélodies accrocheuses séduisent jusqu’au grand public. Entouré de Roger Waters à la basse, Rick Wright au clavier et Nick Mason à la batterie, il porte Pink Floyd vers le haut des charts. Son premier single « Arnold Layne » a pointé à la vingtième place. Dans quelques jours, il composera le tube « See Emily Play », qui grimpera lui jusqu’au sixième rang. Le Pink Floyd de Syd Barrett paraît emprunter alors la voie royale du succès. Il connaît au contraire son apogée. Quelques mois plus tard, le 26 janvier 1968, trois semaines seulement après l’embauche de son ami d’enfance David Gilmour afin qu’il le double sur scène, Waters, Wright, Mason et Gilmour décident de ne pas passer prendre Barrett pour aller au concert de Southampton programmé ce soir-là. Aussi vulnérable qu’ingé rable, l’esprit broyé par le LSD, rejetant les impératifs de son ascension au nom de son idéal artistique, Syd est viré de son propre groupe. Qui ne se pardonnera jamais vraiment de l’avoir abandonné comme ça, sur le bord de la route, en pleine déliquescence. Inscrit dans son acte de naissance, l’épi- sode marque la mémoire du quatuor Waters-Gilmour-Wright- Mason au fer rouge et hantera sa conscience au fil des ans, au fur et à mesure que s’écrit un terrible croisement des destins : d’un côté le succès mondial du nouveau Pink Floyd, de l’autre l’effacement mental et artistique de son inspirateur initial, consumé dans le feu de son génie à la fin des années soixante. Le nœud relationnel entre le groupe et son premier leader, au carrefour des sentiments, des ambitions, des non-dits et des moments d’enfance partagés, offre une clé incontournable dans la compréhension de ce qu’est Pink Floyd. C’est tout sauf un hasard si l’un des sommets floydiens, « Shine On You Crazy Diamond », le titre probablement le plus en phase avec 10 PINK FLOYD ET SYD BARRETT son ADN, celui où il réussit la synthèse parfaite entre ses pôles wrightien et watersien, magnifiée par la musicalité de David Gilmour, celui où chacun de ses membres offre la quintessence de son apport à l’œuvre collective, est une chanson dédiée à son ancien leader. « Lorsque je chante “Shine On”, raconte Waters, j’ai sans cesse Syd devant moi car cela parle de lui. C’est une grande chanson. Elle décrit comment j’ai vécu son effondrement. Elle décrit aussi le grand souhait que j’avais à l’époque et que j’ai toujours, mon besoin aussi, de célébrer son talent et son humanité. Et d’exprimer mon amour pour lui. » (17) L’immense mélancolie, la profondeur et la solennité qui s’en dégagent témoignent à quel point l’effacement personnel de Syd Barrett a touché le groupe à vie et à quel point il a exercé une influence sur sa trajectoire artistique, avec en toile de fond un sentiment omniprésent et jamais résolu, car jamais on ne change le passé : la culpabilité.