Conseil d’administration - Séance du 10 décembre 2020

Point n° 1 de l’ordre du jour :

L’Hyper-fréquentation sur le territoire du Parc national des : débat d’orientations

La présente note vise à poser les enjeux de l’ « hyper-fréquentation » sur le territoire du Parc national des Calanques, entendue comme phénomène de concentration de la fréquentation dans le temps et dans l’espace, sur ce qu’on pourrait appeler des hots-spots de fréquentation.

Ce phénomène, connu depuis de nombreuses années, a atteint des niveaux inédits sur certains sites cet été 2020, à l’issue du confinement de printemps lié à la pandémie de COVID 19.

Il amène à soulever les questionnements suivants :

. Peut-on parler de fréquentation excessive ? Approche-t-on ou a-t-on dépassé un « niveau inacceptable » de fréquentation du point de vue de la préservation des patrimoines, de la qualité d’expérience des visiteurs… ? Sur la base de quels critères ? Qui est légitime pour poser ce diagnostic, suivant quel processus décisionnel ?

. Comment le Parc national doit-il agir face à ces questionnements ?

Pics de fréquentation : passe des Croisette, plage d’En-Vau, route de Callelongue (@PnCal)

1 Parc national des Calanques Bâtiment A – 3ème étage – 141, Avenue du Prado - 13008 Tél. +33 (0)4 20 10 50 00 www.calanques-parcnational.fr

1. UNE FREQUENTATION BALNEAIRE ANCIENNE

Le territoire du Parc national des Calanques, à la fois terrestre et marin, connait une fréquentation d’agrément depuis la fin du XIX siècle, à l’instigation des Excursionnistes marseillais (1897) et du Club alpin qui en font la promotion et aménagent des refuges et sentiers de randonnée. L’essor des loisirs récréatifs, et de la voiture après-guerre, accompagne le développement d’un usage balnéaire des calanques dès le début du XXième siècle. (Claeys 2013)

Calanque de Figuerolle -1935 (Delcampe) de Sormiou - années 1950 (A. Dethan)

Camping des Goudes - années 1950 Buvette de la calanque de Port-Pin - années 1950 (Cassisforum)

A la suite de premières mobilisations citoyennes en faveur de leur protection en 1910, les espaces naturels des massifs des Calanques et du sont progressivement protégés. Les politiques d’acquisition foncière publique, de classement au titre des sites et monuments naturels et de caractère (loi 1930) et enfin de protection du littoral permettent de limiter l’urbanisation et le développement touristique, et même de désaménager un certain nombre d’équipements en espace naturel (buvette de Port-Pin, boite de nuit de la Maronaise…). La création du Parc national des Calanques en 2012 vient entériner et conforter les efforts consentis pour la protection de ce joyau.

Si les données manquent pour objectiver totalement ce phénomène, la fréquentation des espaces naturels du territoire depuis les années 2000 semble suivre la même tendance à la hausse que sur l’ensemble de la façade littorale ou des espaces protégés au niveau mondial. Entre 2010 et 2019, la fréquentation terrestre sur la calanque de Port-Miou a augmenté de 180%1 et sur le Frioul2 de 30%. En revanche, la fréquentation nautique sur le territoire maritime, déjà très intense (1er pôle de plaisance de France), n’aurait pas connu d’accroissement majeur (relative stabilité des pics de fréquentation dans les différentes calanques depuis le début des années 2000)3, hormis le développement d’usages nautiques nouveaux (kayak, paddle…).

1 Ecocompteur ONF 2 Navette maritime RTM 3 Comptages harmonisés CEN PACA, puis GIP Calanques 2 Parc national des Calanques Bâtiment A – 3ème étage – 141, Avenue du Prado - 13008 Marseille Tél. +33 (0)4 20 10 50 00 www.calanques-parcnational.fr

2. UNE FREQUENTATION HETEROGENE DANS LE TEMPS ET L’ESPACE : DES HOT-SPOTS BIEN IDENTIFIES

La fréquentation globale du territoire du Parc national, estimée à environ 3 millions de visites / an rivalise avec les grands sites touristiques de la région (3,5M pour les plages du Prado, 1M pour le site Ste Victoire, 2M Notre Dame de la Garde).

Hiver Printemps Eté Automne Résidents Touristes français Touristes étrangers Fréquentation journalière sur l’année Répartition par segment des visiteurs sur les 4 saisons (données Fluvision Tourisme 2018) (données Fluxvision tourisme 2018 )

Les pics de concentration observés principalement pendant les week-ends et jours fériés de Pâques à Toussaint concernent un nombre réduit de sites à dominante balnéaire (archipel du Frioul, littoral sud, calanques de Sormiou, Sugiton, En-Vau, Port-Pin), l’intérieur des massifs restant peu fréquenté. En cumul sur l’année, les visiteurs sont à 70% constitués de locaux contre 20% de touristes français et 10% de touristes étrangers4. Les périodes concernées par les pics estivaux cumulent en revanche à parts quasi-égales un haut niveau de fréquentation locale avec un afflux de touristes.

Evaluation des flux annuels de visiteurs (Sources : FluxVision Tourisme, écocompteurs, navette Frioul, taxe Barnier)

4 Etude qualitative ALTIMAX de la fréquentation dans le Parc national des Calanques – 2016/2017 3 Parc national des Calanques Bâtiment A – 3ème étage – 141, Avenue du Prado - 13008 Marseille Tél. +33 (0)4 20 10 50 00 www.calanques-parcnational.fr

Les pics de fréquentations estivaux sur les sites les plus prisés (Sormiou, Sugiton, En-Vau) dépassent les 3000 visiteurs par jour sur chacune de ces calanques, avec des niveaux de fréquentation instantannés très élevés : plus de 180 bateaux sur la seule calanque de Morgeret ou encore 1000 personnes sur la plage d’En-Vau ont pu être comptés.

Un calcul théorique de la densité de fréquentation en jour de pointe rapportée à la surface de la plage (ci-contre) permet de situer les calanques de Sormiou et En-Vau par rapport aux plages du Prado de Marseille, ou à la plage emblématique de Maya Bay (Parc national Thaïlandais) fermée depuis 2018 et jusqu’à 2021 du fait de sa surfréquentation.

3. DES LIENS ENTRE NIVEAUX DE FREQUENTATION ET IMPACTS A APPROFONDIR

En dehors des comportements déviants (dépôt de déchets…), l’impact de la fréquentation à l’échelle de l’individu est généralement très faible. Mais multiplié par milliers et additionné sur le temps long, il peut devenir notable, voire potentiellement inacceptable, ce à trois niveaux : (1) sur les patrimoines écologiques, paysagers et culturels, (2) sur la qualité de l’expérience des visiteurs (conflits d’usage, surfréquentation, incivilités) et (3) sur les infrastructures (dégradations des aires de stationnement, sentiers, signalétique, saturation des toilettes…).

3.1. Des impacts sur les infrastructures et la gestion

Sur le territoire du PnCal, les hot-spots de fréquentaton connaissent des problématiques de gestion aïgues (congestion automobile et stationnement anarchique, incivilités, déchets, érosions de sentiers, accidents…) et requièrent en tout état de cause en retour une gestion intensive.

Déchets, toilettes sauvages, érosion sentier Portalet, statistiques d’intervention du bataillon des marins pompiers de Marseille (année 2020 incomplète ->sept), anayse des eaux de baignade de Port-Pin non conforme du 19 août 2019 (pollution fécale)

3.2. Des impacts écologiques avérés et à mieux documenter

Les impacts sur les sols et la flore par le piétinement sont sans doute parmi les plus documentés dans la littérature scientifique. Ils peuvent apparaitre dès de faibles niveaux de fréquentation.

Des impacts sur la faune sont aussi identifiés : stress, modification des déplacements dans le temps ou l’espace, diminution des taux de reproduction et niveaux de population, développement de comportements de dépendance alimentaire, collision avec les véhicules…

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Ces impacts se cumulent avec les pressions liées aux pollutions, au bruit, aux perturbations lumineuses (…) comme autant de facteurs de stress combinés sur le vivant.

Les notions d’espace et de temps rentrent en ligne de compte. Facilement mis en évidence à l’échelle des individus, les impacts sont plus difficiles à caractériser à l’échelle macroscopique des populations et des fonctionnalités écologiques. Dans le temps, ensuite : les dégradations issues de la fréquentation sont beaucoup plus rapides que les temps nécessaires à la restauration.

Sur le territoire du Parc national des Calanques, les impacts de fréquentations intenses sur les milieux naturels sont documentés pour un certain nombre Modèle conceptuel des impacts (Monz, Leung, 2006) d’aspects : piétinement de la flore et fragmentation des habitats littoraux patrimoniaux, arrachage des herbiers de posidonie par le mouillage des navires… Ils peuvent utilement être approfondis et mieux documentés.

Piétinement et fragmentation phrygane littorale Destruction herbier de posidonie par le mouillage des navires (@PnCal) GR 58 accès Marseilleveyre (@photo aérienne MAMP)

3.3. Impacts sur la qualité de l’expérience, un sujet complexe

La perception des visiteurs dépend de plusieurs facteurs : caractéristiques propres des individus (expériences passées, motivations, attentes vis-à-vis de la visite), caractéristiques des autres personnes rencontrées (taille des groupes, mode de déplacement, proximité perçue), et du site considéré (une fréquentation importante peut être acceptée au niveau d’une plage urbaine, mais moins d’une calanque sauvage). (Manning 2017)

Il n’y a sans doute pas opposition systématique entre intensité de la fréquentation et délectation. Pour Jacobi (2017) : « La queue devant l’entrée d’un monument […] n’est pas décourageante. Au contraire, elle attire et stimule le désir d’en être. Le public attire le public et renforce sa sociabilité. Sur l’image négative de la masse des touristes, se superpose celle de la communauté réunie au même moment pour un spectacle qu’elle apprécie ou pour la prière dans laquelle elle communie ». Courbe d’acceptabilité sociale de différents niveaux d’intensité d’usages sur Acadia Nat Park (Manning, 2017)

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On peut retrouver de nombreuses études établissant des liens entre intensité d’usage et perception d’une qualité d’expérience par les visiteurs, ce avec deux grands types de méthodes : sur la base de photos ou enregistrements sonores permettant d’illustrer différents niveaux d’usage ou d’enquêtes de perception in situ comparés à une analyse objective de densités de fréquentation.

Sur le territoire du Parc national des Calanque, l’effet de l’intensité de fréquentation sur la qualité de l’expérience des visiteurs reste insuffisamment connue. Les sociologues ont mis en évidence la complexité du sujet. Comme le relevait C Claeys au moment de la création du Parc national (2012), si les protagonistes s’accordent majoritairement sur la nécessité d’extraire le à l’activité industrielle et la pression immobilière, en revanche, la question de la régulation de la fréquentation récréative fait débat.

A l’instar de bien d’autres espaces “naturels”, les Calanques sont depuis plusieurs décennies le théâtre de la démocratisation des loisirs de nature et des dramaturgies produites par la diversification et l’intensification des activités propices aux conflits d’usages et de représentations. Dans un contexte d’augmentation régulière du temps libre (CORBIN, 1995; DUMAZEDIER; 1988) et de démocratisation relative des préoccupations environnementales, tous partagent le même désir de Calanques, comme échappatoire aux maux urbains. En revanche, chacun assouvit son désir de nature selon son habitus de classe, mais aussi générationnel, où l’ambivalence entre l’ordinaire, le familier et le remarquable rapproche tout autant qu’elle divise les usagers du site s’appropriant symboliquement et/ou matériellement les lieux. Dans ce contexte, la définition des Calanques comme espace de liberté est un leitmotiv, mais son sens et sa mise en pratique prend des formes différentes et parfois incompatibles, faisant s’opposer l’individuel et le collectif, l’intellectualisé et le ludique, le bruit et le silence, l’isolement (seul ou avec des membres choisis) et le grégaire, la nonchalance et la performance du corps… (C. Claeys 2012)

Le recours au mérite comme principe justificatif : . l’effort physique qu’il est nécessaire de produire pour bien connaître les Calanques associé à un mode de vie ascétique pour ceux qui ont choisi d’y résider, . les pratiques de vigilance ordinaires accomplies (veille et alerte, ramassage des déchets laissés par des visiteurs…), . une mobilisation collective régulière au profit de la préservation du massif.

Des légitimités qui s’opposent : à Sormiou entre tradition et usages urbains, dans les calanques plus isolées enre solitude et grégarité

Pendant les deux mois d’été 2020, la perception des visiteurs a été approchée de manière exploratoire (à approfondir) via l’analyse des avis trip-advisors. Les descripteurs employés par les visiteurs pendant cette période de forte intensité de fréquentation relèvent ainsi tout à la fois des expériences de visites positives et négatives.

Nuage de mots établis à partir des avis Trip-Advisor sur la période de juillet-aout 2020, de gauche à droite : calanques d’En-Vau, Sormiou et Frioul.

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4. HYPER-FREQUENTATION, SURFREQUENTATION, MALFREQUENTATION : DES QUESTIONNEMENTS LEGITIMES

La création du Parc national des Calanques a pour fondement premier la protection des patrimoines écologiques, paysagers et culturels exceptionnels à l’échelle nationale et mondiale du site.

Mais elle emporte également un enjeu d’accueil et de sensibilisation des « Les lieux les plus sauvages et les plus publics, d’autant plus important pour ce parc national urbain, en bordure d’une isolés sur Terre, les espèces les plus en agglomération de plus de 2 millions d’habitants. Un accueil inclusif tourné vers danger, ne seront protégés que si les populations urbaines se soucient de la tous les publics, y compris les plus éloignés a priori de la nature, comme le nature là où elles vivent. » UICN 2014 relève l’UICN dans son document guide concernant les parcs nationaux urbains aires protégées urbaines ci-contre.

L’équilibre entre protection et accueil des publics est délicat. Les niveaux de fréquentation atteints sur le territoire doivent questionner.

Il est en tout état de cause de la responsabilité du Parc national d’éviter la dégradation/dénaturation des sites à enjeu (écologique, paysager, caractère) du fait de densités/intensités/répartition de fréquentation trop importantes ou de restaurer les sites impactés ayant encore une capacité de récupération avant qu’ils ne deviennent écologiquement sinistrés voire « stérilisés ».

Le graphique ci-contre explicite cette zone de responsabilité du Parc national dans l’équilibre entre missions d’accueil et de protection. Si l’approche est en théorie simple, la mise en œuvre pratique reste complexe.

5. VERS UNE GESTION DE LA FREQUENTATION PAR LA DEFINITION DES « CONDITIONS SOUHAITEES » OU GESTION PAR OBJECTIFS

Comme le relève Valérie Deldrève5, la notion de capacité de charge est mobilisée dès les années 1930 comme ‘concept’ de gestion (Göktuğ et al., 2015) dans les parcs nationaux. Elle a été définie comme le niveau d’usage qu’un site peut supporter en maintenant un haut niveau de satisfaction des visiteurs et un faible impact sur les patrimoines. La littérature abonde sur les difficultés d’établir scientifiquement ce seuil quantitatif théorique que ce soit sur la base d’indicateurs écologiques ou de satisfaction des usagers.

La généralisation des problématiques de sur-fréquentation sur les aires protégées patrimoniales a stimulé la publication entre 2016 et 2019 de lignes directrices convergentes par l’UICN et le US interagency council (regroupement des gestionnaires des aires protégées fédérales américaines).

5 Valérie DELDRÈVE, Charlotte MICHEL, La démarche de capacité de charge sur Porquerolles : de la prospective au plan d’actions, 2019 7 Parc national des Calanques Bâtiment A – 3ème étage – 141, Avenue du Prado - 13008 Marseille Tél. +33 (0)4 20 10 50 00 www.calanques-parcnational.fr

Influencés par des auteurs comme Lindberg et Manning, ces institutions préconisent aujourd’hui une autre approche : la question n’est pas tant « how many is too many », mais « what are the desired conditions ». La gestion de la fréquentation d’un site repose sur des jugements, des normes, qu’il convient d’expliciter.

A partir de l’essence de l’aire protégée, de ses valeurs, le guide méthodologique de l’US interargency council, propose de dégager les conditions souhaitées (« desired conditions ») en termes de (1) protection des patrimoines, (2) qualité de l’expérience des visiteurs, (3) spectre des possibilités récréatives offertes. Ces objectifs pouvant être transcrits en indicateurs chiffrés dotés de seuils d’alerte et plafonds à ne pas dépasser pour éviter une atteinte insupportable aux patrimoines ou aux conditions désirées. La gestion vise ainsi à surveiller en permanence le système, comparer les conditions réelles aux conditions désirées et mettre en place en conséquence les mesures de gestion appropriée permettant de corriger l’écart.

Il s’agit bien de la mise en place d’une gestion adaptative pilotée par un choix politique transcrit dans « les conditions souhaitées » et alimentés par des dispositifs scientifiques de monitoring. Le schéma ci-dessous en synthétise les principes.

Conditions Conditions désirées réelles

Leviers de gestion

En fonction de l’intensité des enjeux de protection des patrimoines, du degré d’incertitude, des niveaux de conflictualité, des degrés d’engagement des acteurs, le processus de définition politique des « conditions désirées » sera plus ou moins lourd et complexe en termes de niveaux d’analyse, de documentation, d’association des parties prenantes et de formalisation du processus décisionnel.

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6. DES LEVIERS OPERATIONNELS DE GESTION

6.1. Une boite à outils à mobiliser pour répondre à une stratégie de gestion bien identifiée

Pour maintenir ou retrouver les « conditions désirées » ainsi définies, quatre grands types de stratégies peuvent être mises en oeuvre (Manning 2017) :

- augmenter l’offre sur le territoire ou à l’extérieur pour accroitre les flux de visiteurs ou alléger la pression sur les sites sensibles - réduire le flux de visiteurs accueillis en règlementant les périodes, zones ou types d’activités autorisées - réduire les impacts du flux de visiteurs arrivant en dispersant ou concentrant les flux sur des sites adaptés, - gérer le flux de visiteurs arrivant en « durcissant » l’expérience et/ou les sites d’accueil du public

Elles sont décomposées dans le schéma ci-dessous (à partir de guide UICN 2018, Manning 2017) :

Pour chacune de ces stratégies, 3 grands types de de leviers sont mobilisables pour les gestionnaires, qui peuvent bien entendus être utilisés de manière conjointe et articulée.

GESTION INDIRECTE Accent mis sur l'influence ou la modification du comportement. Les individus restent libres de choisir. Le contrôle est GESTION DIRECTE moins complet, plus de Accent mis sur la régulation variations dans l'utilisation du comportement, la restriction des choix individuels, le haut niveau de contrôle

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Des critères de choix pour la mobilisation des différentes stratégies et leviers ont été définis dans le guide US Council, ils s’appuient sur l’analyse de (1) leur efficacité sur le maintien ou l’atteinte des conditions désirées, (2) leur effets possibles en termes de reports de fréquentation indésirables, équité entre groupes d’usagers… et (3) les moyens humains et financiers nécessaires.

6.2. Dans le cas du Parc national des Calanques, des leviers de gestion directe en coeur

Des mesures restrictives d’ordre règlementaire peuvent être potentiellement prises sur le territoire du Parc national, doté de dispositifs juridiques de protection forts. (voir annexe 1)

Le Conseil d’administration du Parc national a ainsi la compétence de réglementer la circulation des personnes aux fins de réduire les impacts ou d’organiser la fréquentation sur tout le cœur terrestre. La circulation des véhicules sort de son champ de compétence sur les routes citées dans le décret de création du Parc national, qui relèvent de la compétence du Maire6 ; lequel, peut prendre des mesures règlementaires fortes aux fins de protection des espaces naturels7. Sur le cœur marin, le Conseil d’administration ne peut qu’émettre des propositions de règlementation sur la circulation des personnes et des navires, le préfet maritime restant compétent.

Le Directeur du Parc national peut à son niveau règlementer l’escalade, les autres activités sportives et de loisir, qu’elles soient terrestres ou subaquatiques et soumet à autorisation l’exercice des activités commerciales. Il peut également prendre toute mesure conservatoire nécessaire à la protection d’espèces ou habitats menacés en cœur terrestre ou marin.8

Sur les propriétés publiques en espace naturel sensible ou domaine du conservatoire du littoral, le conseil départemental ou le conseil d’administration du Conservatoire peuvent respectivement prendre des mesures de limitation de l’accès des personnes aux espaces naturels au titre de la fragilité de certains sites.

6.3. Des retours d’expérience sources d’inspiration, mais pas de solution miracle

Une étude commanditée par le Parlement européen, rendue en octobre 2018, sur la problématique du « surtourisme » a conduit une analyse de 41 sites patrimoniaux (urbains, naturels, culturels) dans le monde. Dans cette étude, le surtourisme s’entend lorsque la capacité d’une des dimensions écologique, physique, social, psychlogique ou économique est excédée. Perceptions venant des touristes eux-même, des résidents, des acteurs économiques sur un niveau trop important de visiteurs à certains moments sur certains lieux. Les principales conclusions sont les suivantes :

 un sérieux manque de données et indicateurs permettant d’établir une situation de sur-tourisme  les effets du sur-tourisme peuvent être très sévères, et relèvent quasi systématiquement de : impacts écologiques, incivilités, déchets, congestion, dépassement infrastructures (toilettes), perte du caractère, problème d’adduction en eau et énergie, …) ; ils sont susceptibles de réduire fortement l’attractivité des sites

6 Une proposition d’amendement déposée par le sénateur Brignon en nov 2019 doit permettre d’étendre le pouvoir du maire à la règlementation (et non plus seulement l’interdiction) de la circulation des personnes (en plus des véhicules). Ce pouvoir conféré par l’article L2313-4 du code général des collectivités territoriales enrichi deviendrait alors complémentaire du pouvoir du CA hors cœur terrestre du Parc national. 7 Sauf routes départementales de la route des crêtes et de la Gineste qui relèvent du règlement départemental de voirie (Conseil départemental des Bouches-du-Rhône) 8 Ce que le Directeur du Parc national a déjà fait pour protéger la nidification sur des sites d’escalade, interdire la circulation sur le Cap Croisette pour protéger de l’écrasement les plantes protégées qui s’y trouvent en grande densité, limiter les pratiques de vélo sur le site sensible des sablières d’Anjarre. 10 Parc national des Calanques Bâtiment A – 3ème étage – 141, Avenue du Prado - 13008 Marseille Tél. +33 (0)4 20 10 50 00 www.calanques-parcnational.fr

 sur beaucoup de sites, les autorités gèrent la destination sur un paradigme basé sur la croissance volumétrique du nombre de visiteurs et ne parviennent pas à limiter les effets du sur-tourisme  le rôle des plateformes peer-to-peer et les réseaux sociaux sont souvent la cause première du sur-tourisme, accélérant la croissance et la concentration géographique des flux et volumes de visiteurs.

Les tableaux en annexe 2 identifient quelques exemples intéressants de sites protégés sur lesquels des mesures fortes et ambitieuses de gestion ont été mise en œuvre.

7. VERS UNE GESTION ADAPTATIVE, PROACTIVE ET ITERATIVE

Dans un article rédigé en 1968 (cité par Manning 2017), Hardin relève ce qu’il appelle la « tragédie des communs », qui appelle à la mise en place de contraintes mutuelles et acceptées d’un commun accord. La question de l’équilibre accueil-protection n’est pas simple :

- elle touche à la liberté de chacun (non incompatible avec la nécessité) - elle se heurte aux lacunes de connaissance et de compréhension d’interactions extrêmement complexes - mais elle reste consubstantielle au fondement même d’un parc national et ne peut à ce titre être évitée. Une fréquentation intense requiert en tout état de cause une gestion intense.

La démarche de gestion par objectifs ou définition des « conditions désirées » présentée ci-dessus fournit un cadre méthodologique intéressant dans un processus déroulé dans le temps.

Il est donc proposé de s’emparer de la problématique des hot-spots de fréquentation sur le Parc national des Calanques en déroulant ce cadre méthodologique jusqu’à la prise de mesures fortes, en s’appuyant sur :

- la gouvernance du Parc national - l’expertise du conseil scientifique (dans une approche pluridisciplinaire croisant écologie, géographie, sociologie, anthropologie, économie…) - l’acquisition de données de monitoring pour suivre la réaction du système socio-éco-politique aux mesures de gestion prises (ou non) par le Parc national des Calanques et les acteurs du territoires (institutionnels, économiques, associatifs…).

Un positionnement fort et des mesures sont déjà consolidés et en cours de validation à court terme dans la stratégie d’accueil et ses déclinaisons opérationnelles : schéma d’accès, schéma de mouillage, schéma des sports et loisirs de nature… Leur trame et leurs effets pourront être analysés et suivis suivant le prisme proposé par la méthode de la gestion par les « conditions désirées ».

8. CALENDRIER

Conseil d’Administration (CA) décembre 2020 : débat d’orientations

CA janvier/mars 2021 : stratégie d’intervention et mesures expérimentales

 mise en œuvre concertée de 1ère mesures expérimentales pour la saison 2021.

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Principales références bibliographiques (non exhaustif)

Jérôme BIGNON (2019) RAPPORT FAIT au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat sur la proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l’hyper- fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux

Cécilia CLAEYS, Jean-Noël CONSALES, Carole BARTHÉLÉMY (2012), Marseille et ses natures : perméabilites spatiales, segmentations sociales,

Valérie DELDRÈVE, Charlotte MICHEL (2019) La démarche de capacité de charge sur Porquerolles (, Parc national de Port-Cros, France) : de la prospective au plan d’actions dans Sci. Rep. Port-Cros natl. Park, 33: 63-100

Interagency council (2019) Visitor Capacity Guidebook - Managing the Amounts and Types of Visitor Use to Achieve Desired Conditions - Edition One | February 2019

Interagency council (2016) Visitor Use Management Framework - A Guide to Providing Sustainable Outdoor Recreation - Edition One | July 2016

Robert E MANNING, Laura E ANDERSON, Peter R PETTENGILL (2017) Managing outdoor recreation : case studies in the national parks

Thierry TATONI, Lidwine LE-MIRE-PECHEUX (2013), FHUVEL – Rapport final - Caractérisation de la fréquentation littorale et détermination d’indicateurs de vulnérabilité écologique pour définir des modes de gestion durable –Cas de la bande littorale du Parc national des Calanques

Parlement européen (2018) - Research for TRAN Committee : Overtourism: impact and possible policy responses - Policy Department for Structural and Cohesion Policies - PE 629.184

UICN (2014) Urban protected areas: Profiles and best practice guidelines

UICN (2019) Gestion du tourisme et des visiteurs dans les aires protégées : lignes directrices pour la durabilité

12 Parc national des Calanques Bâtiment A – 3ème étage – 141, Avenue du Prado - 13008 Marseille Tél. +33 (0)4 20 10 50 00 www.calanques-parcnational.fr

Annexe 1 : leviers règlementaires mobilisables pour la régulation de la fréquentation sur le territoire du Parc national

13 Parc national des Calanques Bâtiment A – 3ème étage – 141, Avenue du Prado - 13008 Marseille Tél. +33 (0)4 20 10 50 00 www.calanques-parcnational.fr

Annexe 2 – Leviers de gestion – exemples de mise en oeuvre

Mesures règlementaires

Type Principe Exemples de mise en oeuvre

Parc national de Komodo (10 000 visiteurs / mois) : fermeture partielle envisagée pour restaurer les populations de dragons de komodo. Décision abandonnée en octobre 2019 suite à pression des acteurs locaux.

Banff National Park (Canada) : fermeture d’une route de 17km de 20h à 8h. Effet étudié Interdiction de toute sur 9 espèces de mammifères -> taux de détection x2, amélioration de la qualité de l’habitat (Nature, mars 2019) Mise en jachère fréquentation pendant un temps donné pour permettre la Bukhansan national park (Corée du sud) : fermeture par rotation de certaines zones « rest- (fermeture reconquête d’un habitat Year Sabbatical System temporaire) dégradé ou d’une population d’espèce menacée. Devil’s tour national monument : fermeture volontaire de l’escalade chaque mois de juin (respect montagne sacrée pour les amérindiens) -> bons résultats : 80% de réduction de la fréquentation.

PnCal : mesure conservatoire de fermeture temporaire en faveur de la nidification du cormoran huppé

Régulations par Interdiction des activités à fort PnCal : interdiction a priori des nouvelles activités émergentes jusqu’à preuve de leur type d’activité impact absence d’impact PnCal : interdiction accès îles de Riou, zones de non pêche, zones de tranquillité de la faune sauvage…

Cinque Terre : zonage marin : dans les Zones A la navigation est admise seulement pour les Restriction d’usages ou de résidents des Communes de l'Aire Marine Protégée des Cinque Terre et aux assimilés, après Zonages types de fréquentation en autorisation, et seulement pour les bateaux à rames, à pédales et à voile. fonction de la sensibilité des (mesure spatiale) zones, des impacts de la Muir woods : définition de zones de silence à Cathedral grove avec objectif à 37 db (soit pratique, du type de public une réduction de 30% de la fréquentation), dispositif de surveillance sonore (définition d’une courbe d’acceptabilité sociale du bruit à partir de 5 enregistrements fréquentation croissante)

Table mountain national park :

Rocky mountain / Yosemite national park : expérimentation d’un système de réservation « spécial covid » (1 mois à l’avance + quota de 10%) pour les visiteurs venant en voiture, valable 7 jours. Quota fixé entre 50 et 60% de la fréquentation de celle de l’année 2019. Système de Requiert que les visiteurs Programme pilote sur Yosemite en 2017 : réservation en ligne de places stationnement réservation avec potentiels réservent un espace (PB : sous-remplissage du parking du fait du non-respect des places attribués par les quotas ou un permis avant leur visite arrivants) (nbre limité de permis) Pacific Rim national Parc (Canada) : système de réservation en ligne sentier de la côté Ouest, avec nombre limité de places (1er servi)

Mont Blanc : instauration en 2019 d’un quota de nuitées dans les refuges

PnCal : régulation offre nautique location de bateaux

Limitation nombre de PN Mercantour : accès vallée des Merveilles hors sentier réservé à des accompagnateurs Régulation offre prestataires autorisés et professionnels agréés. commerciale capacités Gd Canyon - Colorado River : quota de départs pour les commerciaux. Formation obligatoire des guides par services du Parc.

Yosemite : instauration en 2010 d’un quota max pour accès au Half dome via sentier équipé d’un cable, avec système de loterie (payant) : 225 places/jour réservables à l’avance en Requiert que les visiteurs mars et 50 /jour ouverts loterie chaque jour Tirages au sort potentiels attendent des espaces ou permis disponibles Gd canyon – Colorado river : définition d’un quota de départs sur la rivière (réparti entre commerciaux et non commerciaux) ; allocation des quotas pour les particuliers via loterie (et pas plus d’1 / an / personne)

14 Parc national des Calanques Bâtiment A – 3ème étage – 141, Avenue du Prado - 13008 Marseille Tél. +33 (0)4 20 10 50 00 www.calanques-parcnational.fr

Parcs nationaux américains

Parcs nationaux canadiens : ex Pacific Rim national Park - permis de fréquentation nocturne pour financer les frais d’exploitation du sentier (p. ex. services de sauvetage, services d’information, construction d’échelles, bacs à câbles, promenades en planches et Requiert que les visiteurs ponts). Tarification de potentiels payent un tarif pour l’accès Parcs nationaux coréens : étude sur le consentement à payer (2017): + pour protection de un permis la biodiversité, - pour l’aménagement de sentiers de randonnée, - pour l’extension des zones de protection.

Marais du Vigueirat (Conservatoire du littoral) : tarification accès sentier pédagogique pour financer l’entretien des aménagements d’accueil (tarif différencié pour touristes, habitants, familles)

Aménagement du territoire

Massif du Canigo : recul de l’accès motorisé au sommet Gestion de l’accès Limitation de l’accès véhicule Mt Rainier national park : « one car in, one car out » des véhicules autorisé Rocky Mountain : accès uniquement en navette lorsque le parking est plein

Aménagement de site pour Durcissement de augmenter sa résistance aux Calanques : aménagements de sentiers dans le cadre du programme LIFE site impacts des visiteurs

Cinque terre card : offre combinée train, sentiers payants, excursions… Requiert que les visiteurs Tarification de potentiels paient pour un Royal national park : entrée véhicules et stationnement payant / navette payante faisant service (parking, navette…) services le tour du Park en ½ journée permettant la découverte de sites à pied

Ou pour bénéficier de services Calanques : pass Marseille incluant la navette du Frioul notamment

Définition d’une stratégie de Création offre destination à plus large échelle Massif du Canigo : détournement d’une partie des visiteurs vers nouvel itinéraire « Tour du alternative avec proposition de circuits Canigo en 5 jours » alternatifs attractifs

Information / pédagogie / communication

Promotion des Association Leave No Trace : de nombreux outils pédagogiques bonnes pratiques PnCal : application Mes Calanques

Le démarketing est une stratégie par laquelle les Les méthodes de démarketing peuvent inclure l’augmentation des prix, la création d’un gestionnaires d’aires protégées système de files d’attente, moins de promotion en général, ou une promotion en direction Démarketing découragent la demande de publics ciblés. La promotion d’offres alternatives pouvant satisfaire les mêmes besoins touristique pour un lieu ou un et demandes, ou soulignant les problèmes de la surfréquentation comme la dégradation de service particulier, afin de l’environnement, sont d’autres façons de « démarketer » un site (Armstrong & Kern, 2011). réduire les des visiteurs.

Glacier national Park : Mise en place online recreation access display en 2019 (saturation des parkings et aires de camping) Notification en temps réel de GIP Littoral aquitain : expérimentation en 2017 d’un dispositif de mesure de la Information des l’état de saturation des sites les fréquentation sur les plages, élaboration d’un modèle prédictif de la fréquentation, mise à visiteurs en temps plus attractifs et/ou disposition des données aux usagers et évaluation des changements de comportements réel proposition en temps réel d’alternatives équivalentes. Conseil Régional PACA : expérimentation WAZE sur 3 sites test à l’été 2020 : mise en place de systèmes popup sur les téléphones pour orienter les visiteurs vers parkings relais (via outil de recherche…)

15 Parc national des Calanques Bâtiment A – 3ème étage – 141, Avenue du Prado - 13008 Marseille Tél. +33 (0)4 20 10 50 00 www.calanques-parcnational.fr