Albert Robida, Un Génie Paradoxal
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ALBERT ROBIDA, UN GÉNIE PARADOXAL « Parmi ceux dont le talent ne peut être comparé à aucun autre, Robida est assurément un des premiers par l’Imagination, l’Esprit de facture, l’Érudition de la plume et du crayon et aussi par la variété des procédés. C’est un des plus extraordinaires tempéraments qui se soient produits dans notre pays au cours de ce siècle, un des mieux inspirés surtout pour la mise en livre hâtive et ingénieuse d’une idée toujours vivante et personnelle, suivi d’une exécution rapide et toujours excessivement fantaisiste...1» Octave Uzanne, 1901 « Quel dommage que Robida n’ait pas été directeur de notre Grand État Major ! 2 » Henri Béraldi, 1916 Artiste, dessinateur et illustrateur (mais aussi aquarelliste, lithographe, graveur) et auteur, Albert Robida a créé une œuvre exceptionnelle par son étendue : soixante mille dessins, plus deux cents livres illustrés dont cinquante écrits par lui, collaboration à plus de soixante-dix revues de presse et par sa diversité : caricatures et chroniques de presse, livres de voyages, histoire de Paris par le texte et l’image, illustration d’ouvrages littéraires, livres pour la jeunesse. Amoureux du passé, il est paradoxalement un maître de l’anticipation, reconnu comme tel par les spécialistes comme Pierre Versins, Jacques Van Herp ou Gérard Klein. Né le 14 mai 1848 à Compiègne, rue Maître Rouart. Peu intéressé par les thème de la guerre, extraits d'un des Boucheries, Albert Robida y tâches de gratte-papier, il met à profit album manuscrit La guerre au passera son enfance et son ses moments de loisirs pour dessiner. 20eme siècle — Campagne de adolescence, avant de gagner Paris à Il suit ainsi les cours gratuits de la Jujubie . l'âge de dix-huit ans. Compiègne et ville prodigués par Félix Deligny et À son arrivée à Paris, il habite à la région qui l'entoure sont remportera le premier prix de dessin Belleville, chez des lointains cousins, imprégnées des souvenirs d’après la bosse en 1866. Mais il les Noiret, dont il épousera la fille architecturaux du passé chers à verse aussi dans la saynète Cécile, en 1876. Attachés désormais Viollet-Le-Duc, mais une bouffée de humoristique comme Le Manuel du à la région parisienne, Robida et sa la vie parisienne pénètre la tranquille parfait notaire, un petit cahier famille résideront successivement à sous-préfecture par le biais des manuscrit à la verve plutôt Belleville, à Argenteuil à partir festivités qui animent le Château, irrévérencieuse qui est - dit-on - de1882, au Vésinet de 1894 à 1917 et résidence royale, puis impériale. Ces découvert un jour par Maître Rouart. enfin à Neuilly sur Seine, ce qui ne deux pôles d'attraction, l'un tourné Celui-ci aurait alors conseillé une l’empêchera pas de faire de fréquents vers le passé, l'autre vers l'actualité autre voie à son employé farceur tout voyages à Compiègne. parisienne, semblent avoir façonné en le présentant au Vicomte de Noé, En 1870-71, pendant le Siège de profondément les goûts de Robida. alias Cham, dessinateur très en vogue Paris et la Commune, Robida se fait Une forte myopie interdit au jeune de l’époque. Une passion pour reporter de guerre, saisissant, sur ses Robida de suivre la même carrière Garibaldi partagée avec son médecin carnets de croquis, les contrastes de d'artisan que celle de son père, Jules de famille lui vaut de rencontrer cette période terrible. Malgré leur Robida, de profession menuisier. Alexandre Dumas père. Si finalement tonalité grave, ces croquis incisifs ne Celui-ci, homme de goût, travailleur, il ne part pas en Italie, il va pouvoir sont pas exempts de clins d'œil de moralité stricte lui transmettra ses enfin réaliser son vœu, vaincre les humoristiques que ce soit dans le rigoureux principes de vie. A l'issue résistances familiales et quitter enfin dessin lui-même ou dans la légende. de sa scolarité à l'école primaire Compiègne pour tenter sa chance à Exécutés très librement, parfois Hersan, où il va manifester très tôt sa Paris . rehaussés de lavis à l'encre de Chine, passion pour le dessin, Albert Recommandé par Cham et ils donnent une vision de la réalité Robida, aîné d’une fratrie de quatre Alexandre Dumas, le voici débutant bien différente de celle des clichés enfants doit trouver un emploi. Ce en novembre 1866 au Journal académiques ou patriotiques diffusés sera d’abord comme petit commis amusant que dirige Eugène Philipon. par les journaux d'actualité ou les d’architecte, épisode dont on ne sait Ses dessins « de chic », pleins ouvrages publiés ultérieurement. Ses à peu près rien. Prodigieux d'humour, lui valent de collaborer dès croquis sont reproduits en partie dans autodidacte, comme il va le l'année suivante en qualité de la presse de l'époque, La Chronique manifester tout au long de sa carrière, chroniqueur et de caricaturiste à illustrée et Le Monde illustré, mais il c’est là qu’il a dû assimiler les d'autres périodiques parisiens faudra attendre un siècle pour que principes qui lui serviront dans ses également voués à la satire des soit publié en 1971 son Album du dessins à venir de ses « vieilles mœurs, comme Paris-Caprice, Le Siège et de la Commune, présentant villes » et de leurs monuments, voire Polichinelle ou Paris Comique. Ces son Journal et près de 200 croquis de leurrestitution en 3D. Sa belle deux derniers titres publient en reproduits en fac-similé. Avec cette écriture lui permet d’entrer à seize 1869-70 les premiers dessins série de dessins pris sur le vif, le ans comme jeune clerc à l'étude de d'anticipation de Robida liées au crayon de Robida s'affranchit des 1 Octave Uzanne, «Un artiste écrivain, illustrateur, peintre-graveur, lithographe, architecte et voyageur, Albert Robida » L’Œuvre et l’image, n° 4, février 1901, p. 3 2 Henri Béraldi, Un Caricaturiste prophète. La guerre telle qu’elle est prévue par A. Robida il y a trente-trois ans, Paris, Dorbon aîné, 1916 contraintes de thème et de format abondamment illustré Voyages très Robida, qui n'a pourtant rien d'un va- propres à la presse illustrée, le jeune extraordinaires de Saturnin t-en guerre a eu, sous son manteau de dessinateur acquiert à ce moment une Farandoul dans les cinq ou six dessinateur humoriste, des intuitions maturité artistique qui caractérisera parties du monde et dans tous les hélas ! géniales en imaginant La désormais son œuvre. pays connus et même inconnus de M. Guerre au vingtième siècle - qu'il Sous la IIIe République, il reprend sa Jules Verne (1879). Le héros, élevé déclinera dès 1869 (inédit), puis en collaboration à des périodiques tels par des singes - ce qui donnera 1883 (dans La Caricature) et en que Le Monde illustré. d’ailleurs quelques idées à Edgar 1887- telle que ce siècle la Correspondant de ce journal à Vienne Rice Burroughs - rencontre, au cours connaîtra : conflits meurtriers, au moment de l'Exposition de ses aventures haletantes sur les surtout pour les civils, utilisation de universelle de 1873, il publiera aussi cinq continents, les mythiques « la gueuse de science » pour la mise des croquis de mœurs dans le personnages de Jules Verne, plutôt au point d'armes nouvelles, quotidien illustré autrichien Der encanaillés. Celui-ci se souviendra à apparition des engins blindés, des Floh. son tour, dans son roman Gil Braltar, aéronefs bombardiers, utilisation des À partir de 1871, la revue comment Farandoul a su utiliser ses armes chimiques et « miasmatiques hebdomadaire La Vie Parisienne amis quadrumanes pour triompher, ». Son œuvre d'anticipation militaire absorbe une bonne part de son un moment, de la perfide Albion. se poursuit par l'illustration de La activité, il y publie de grandes C'est dans cette décennie que Robida Guerre Infernale (1908) de Pierre planches, ainsi que des vignettes, une publie ses deux grands ouvrages Giffard, dont la parution en semaine sur deux environ. Ses d'anticipation, Le Vingtième Siècle livraisons connaît un grand succès compositions mêlant le texte et (1883) et sa suite La Vie électrique populaire. l'image, foisonnantes de (1892) où il dresse, avec une plume Installé depuis 1894 dans la grande personnages, débordantes de et un crayon humoristiques, une maison qu’il s’est fait construire au fantaisie, conçues avec beaucoup fresque étonnamment prémonitoire Vésinet, avec son épouse et ses sept d'élégance, préfigurent la bande de notre société de la fin du XXe enfants, dont les aînés sont déjà dessinée. siècle. Il met en scène de grandes lancés dans la vie, Robida va être La femme moderne et élégante y innovations en extrapolant très rattrapé par ses prémonitions. tient une grande place. Elle devient largement les techniques de son La première guerre mondiale éclate, en effet un sujet de prédilection dans temps, telles que le téléphonoscope , elle est particulièrement dramatique l'œuvre de Robida, qui s'exprime un système de télévision-internet, les et douloureuse pour lui. Son fils aussi bien dans la caricature que dans tubes terrestres à grande vitesse, les Camille est grièvement blessé à la le livre illustré, dont La Grande aéronefs ou la cuisine industrielle bataille de la Marne, rapatrié Mascarade parisienne (1880) est un Mais sa démarche est originale, très mourant, amputé d’une jambe et s’en exemple. imaginative, certes, mais encadrée sort miraculeusement. Son fils Au début de la même année, Robida par une sérieuse réflexion. Grâce au Henry, lieutenant de chasseurs alpins fonde avec Georges Decaux - qui dessin qui fait corps avec son texte, il est tué en septembre 1914 à Saint sera, jusqu'en 1892, son éditeur quasi ne se perd pas en fastidieuses Mihiel. Robida va voir se concrétiser exclusif - l'hebdomadaire La explications ou descriptions, mais il l’une de ses plus funestes prévisions, Caricature qui constitue décrit de façon rationnelle les la guerre chimique, son fils Frédéric l'aboutissement de sa création dans le applications de ces innovations, en sera victime en Champagne.