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prix nobel ...... Prix Nobel de médecine 2008 pour la découverte du VIH, enfin... souvenirs et perspectives

symposium rassemblait une trentaine de scientifiques dont huit femmes et quatre scientifiques européens et canadiens ac- hommes avec des spécialisations en vi- tifs dans le domaine et j’ai eu le privilège rologie, maladies infectieuses, biochimie, d’y participer. Lors des discussions infor- microscopie électronique et en techni- melles pendant et après le meeting avec ques de laboratoire. 3 C’est donc globale- des professeurs du Karolinska, il apparais- ment un travail pour lequel des femmes Rev Med Suisse 2008 ; 4 : 2295-7 sait clairement qu’ils désiraient attribuer scientifiques ont joué un rôle capital, ce un prix Nobel pour le VIH et en particulier que les polémiques transatlantiques ont L. Perrin pour la découverte du virus. Cependant bien entendu laissé de côté. la polémique transatlantique concernant J’ai la chance de connaître personnel- Pr Luc Perrin la primauté de la découverte présentait lement depuis longtemps plusieurs des Laboratoire de virologie et division des maladies infectieuses encore un obstacle bien que la majorité acteurs clef de la découverte et aimerais HUG, 1211 Genève 14 des participants soient convaincus de rappeler leur contribution. Tout d’abord à [email protected] l’antériorité de la découverte des cher- l’époque, si l’on excepte , cheurs de l’Institut Pasteur. A cette oc- ils étaient tous de jeunes trentenaires en- casion plusieurs participants ont égale- thousiastes. ment souligné le rôle capital dans la dé- L’histoire commence avec un clini- est tout simplement fantas- couverte de Françoise Barré-Sinoussi qui, cien en maladies infectieuses, le Dr Willy tique ! On l’attendait pour le curieusement, n’était quasiment jamais Rozenbaum qui voit, à l’hôpital Pitié Sal- C’domaine, et surtout pour les mentionnée par les multimédias de l’hexa- pêtrière, les premiers malades en France malades, car cette reconnaissance de- gone et les journaux scientifiques à large présentant des symptômes d’immuno- vrait donner un nouvel élan à la lutte diffusion anglo-saxons. Ceux-ci ne détes- déficience non expliqués comme cela contre le sida et à la recherche parfois un tent pas les polémiques car le phénomène avait été décrit au préalable sur la côte peu oubliée alors que rien n’est résolu en fait vendre et entraîne la publication d’ar- ouest des Etats-Unis. Lui et son collègue particulier dans les pays du Sud. On l’at- ticles qui s’emboîtent en série comme parisien Jacques Leibowitch postulent tendait, donc, ce prix Nobel, pour stimuler des poupées russes (références 1,2... et alors comme l’a fait en tout premier Don la recherche alors qu’on n’a toujours beaucoup d’autres…). Ils auraient pourtant Francis aux CDC, que cette symptomato- qu’une vision fragmentaire des relations pu faire la lumière puisqu’ils disposent logie est causée par une infection due à hôte/virus, que manquent des médica- de moyens d’investigation sans pareil et un nouveau virus et vraisemblablement ments encore plus efficaces et surtout peuvent même avoir recours comme l’un un rétrovirus. Willy Rozenbaum cherche plus accessibles aux populations des pays d’eux à des magiciens (cf., la mémoire alors de l’aide pour identifier le virus à ressources limitées et qu’enfin on es- de l’eau). On peut aussi relever que le auprès de la microbiologue/virologue de père dans le développement d’un vaccin manque d’attention à la réalité historique son hôpital, la Dr Françoise Brun Vezinet comme cela s’est fait pour une autre in- est aussi notre fait, puisque la Fondation et ensemble ils contactent les scientifiques fection virale persistante, le papillomavirus. Louis Jeantet n’a attribué son prix qu’au de l’unité du Pr Luc Montagnier à l’Institut Le papillomavirus, une autre infection vi- seul Luc Montagnier qui, dans son exposé rale impliquée dans le cancer du col de de l’époque (j’y ai assisté), n’avait quasi- l’utérus comme l’a démontré, à contre- ment pas mentionné l’apport de ses col- courant des idées reçues, Harald zur Hau- lègues. C’était pourtant une occasion sen, lui aussi récipiendaire du prix Nobel unique de montrer que le progrès scienti- 2008. fique est très souvent le fait d’une équipe Beaucoup pensent qu’il aura fallu at- pluridisciplinaire. On peut d’ailleurs se tendre bien longtemps pour l’attribution poser la question de la justification de la de ce prix à la découverte du VIH. Il y a personnalisation dans l’attribution des une dizaine d’années, mon collègue et Nobel scientifiques puisqu’une découver- ami, Jan Andersen, professeur de patho- te majeure découle habituellement d’un logie au Karolinska, organisa un sympo- travail d’équipe. sium Nobel sur l’immunopathologie du Le travail original des deux prix Nobel Figure 1. Dr J.-C. Chermann, Prs F. Barré-Sinoussi et L. Montagnier VIH et le développement de vaccin. Ce rassemblait en effet les efforts de douze

0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 22 octobre 2008 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 22 octobre 2008 2295 33605_2295_2297.qxp 16.10.2008 10:04 Page 2

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Pasteur qui acceptent de les aider. Par la de laboratoire dont je ne connais pas destie et la qualité de ses prestations suite, Willy Rosenbaum apporta person- l’exacte contribution. scientifiques. Elle est également prési- nellement au Dr Jean-Claude Chermann dente du conseil scientifique de l’Agence un ganglion prélevé chez un malade souf- LES DEUX RÉCIPIENDAIRES nationale de recherche sur le sida (ANRS) frant d’une lymphadénopathie généra- DU PRIX NOBEL 2008 et dirige le centre de recherches de l’ANRS lisée. C’est à partir de ce prélèvement en Asie du Sud-Est. que le virus fut isolé par culture. Le tra- Le Professeur Luc Montagnier Les deux scientifiques français ont en vail de culture et d’isolement du virus Le Professeur Luc Montagnier créa en commun leur soutien aux pays du sud et est par la suite essentiellement celui de 1972, à l’Institut Pasteur, sous l’impul- à ce propos, au moment de l’annonce du Françoise Barré-Sinoussi, Jean-Claude sion de Jacques Monod, l’unité d’onco- prix Nobel, ils n’étaient pas à ; Luc Chermann et Luc Montagnier au sein de logie virale. C’est lui aussi qui engagea Montagnier était en Côte d’Ivoire et Fran- l’unité d’oncologie virale de l’Institut Pas- dans cette unité en 1977 Jean-Claude çoise Barré-Sinoussi au Cambodge, tous teur. Willy Rozenbaum est un clinicien Chermann et Françoise Barré-Sinoussi deux dans le cadre de projets liés à la hors pair et chaleureux, et il a par la suite qui tous deux avaient une grande expé- lutte contre le VIH. eu un rôle très actif dans la recherche rience des rétrovirus murins. Leurs re- Ils ont aussi en commun d’être pasteu- clinique, la prévention et l’information à cherches initiales sur la détection de ré- riens. Lors de l’attribution du prix Nobel, travers les médias. trovirus dans les leucémies humaines le comité Nobel a insisté sur la reconnais- Le Dr Jean-Claude Chermann est un restèrent infructueuses mais elles permi- sance du rôle clef de l’Institut Pasteur. virologue de talent et c’est dans son rent de mettre en place des facilités de Une institution pionnière dans le domaine laboratoire que le virus a été isolé. Il était culture et des tests diagnostiques tels de la recherche et du traitement des alors un expert des rétrovirus murins et a que celui de l’activité de la transcriptase maladies infectieuses. Dans ce cadre, le par la suite publié de nombreux travaux inverse qui se révéla indispensable pour VIH fait partie du groupe des maladies scientifiques importants. Aussi bien Luc l’isolement du VIH. Luc Montagnier s’in- émergentes au même titre que les virus Montagnier que Françoise Barré-Sinoussi téressa très tôt à l’isolement de rétrovirus de la dengue, du chikungunya, du West regrettent qu’il n’ait pas été récipiendaire à partir de prélèvements effectués chez Nile et peut-être demain une pandémie du Nobel avec eux au vu de sa contribu- l’homme et son unité était donc à la grippale dévastatrice d’origine aviaire. Il tion essentielle dans la découverte du pointe au début des années 80. Après le est apparu récemment d’ailleurs que le virus. travail initial d’isolement du VIH, les cher- VIH a passé du singe à l’homme beau- La Dr Françoise Brun Vezinet (aujour- cheurs de son unité isolèrent et caracté- coup plus tôt que postulé antérieurement, d’hui professeure comme tous ses col- risèrent des isolats VIH à partir de prélè- lègues) est une virologue et elle a été sur vements effectués chez des malades de la brèche dès les premiers instants puis- nombreux groupes à risque, ils réussirent que c’est par elle que se sont créés les aussi à isoler et caractériser un second premiers contacts avec l’Institut Pasteur. virus dont l’infection peut également pro- Par la suite, Françoise Brun Vezinet a voquer un sida, le VIH2. Après sa retraite développé un laboratoire de virologie cli- de l’Institut Pasteur, il y a quelques an- nique de pointe. Plus récemment sous nées, Luc Montagnier devint président de sa supervision, ses collègues virologues la Fondation mondiale pour la recherche français ont mis au point les meilleurs et la prévention du sida et il s’est fait systèmes d’interprétation de la résistance l’avocat à plusieurs reprises d’un soutien aux antiviraux. Il s’agit d’outils indispensa- plus intensif à la recherche et aux pays à bles à la conduite d’un traitement optimal ressources limitées dans leur lutte contre chez les malades souffrant d’une infec- la propagation du VIH. tion à VIH. La Dr Christine Rouzioux a assuré le La Professeur Françoise Barré- développement de nombreux tests diag- Sinoussi nostiques et du contrôle de qualité de C’est une virologue, et tous ceux qui ces tests sur le terrain. Plus récemment, ont participé au processus de l’isole- elle a organisé des programmes dans le ment du virus lui attribuent le crédit prin- cadre de la prévention de la transmis- cipal. C’est aussi elle qui a incubé des sion de l’infection VIH de la mère à l’en- cultures de lymphocytes normaux avec fant. Elle a aussi beaucoup soutenu les des surnageants de cultures infectées programmes d’aide aux pays du sud et (passages) et qui, de ce fait, a permis de a développé des tests pour la mesure de cultiver le virus à long terme en rempla- la virémie VIH à des prix abordables dans çant les cellules (CD4) tuées par le virus les pays à faibles ressources. par de nouvelles cellules. La mesure de Les autres signataires de l’article, si l’activité de la transcriptase inverse per- l’on excepte les deux «Nobel», sont soit mettait alors de mesurer l’activité virale. des spécialistes en microscopie électro- Françoise Barré-Sinoussi est unanime- Figure 2. Pr F. Barré-Sinoussi nique, soit des ingénieurs en techniques ment appréciée pour sa droiture, sa mo-

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c’est-à-dire il y a plus d’un siècle 4 et pourtant son extension foudroyante ne date que d’une trentaine d’années. Ici comme pour beaucoup d’infections vira- les émergentes, le rôle de l’emprise in- contrôlée de l’homme sur son milieu vital et l’émergence de métropoles immenses aux conditions sanitaires précaires de- vraient nous interpeller. En fait, l’émer- gence puis l’extension de l’infection VIH pourraient être en large part dues à un bouleversement en profondeur de notre écosystème et nous tardons toujours à y remédier et à aider efficacement ceux qui en sont les victimes.

Bibliographie

1 Montagnier L.A history of HIV discovery. Science 2002;298:1727-8. 2 Gallo RC, Montagnier L. Enhanced : Prospects for the Future. Science 2002;298:1730-1. 3 Barre-Sinoussi F, Chermann JC, Rey F, et al. Isolation of a T-lymphotropic from a patient at risk for acquired immune deficiency syn- drome (AIDS). Science 1983:220: 868-71. 4 Worobey M, Gemmel M,Teuwen DE, et al. Direct evidence of extensive diversity of HIV-1 in Kinshasa by 1960. Nature 2008;455:661-4.