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Par Xavier Japiota Les Péripates, des curiosités zoologiques

Peripatopsis moseleyi (Wood-Mason, 1879), Péripate d'Afrique du Sud (Natal, Pietermarizburg). Cliché H. Ruhberg et H. Bosch.

■ Les Péripates à cette conclusion qu'Arthropodes et citer : () capen- au sein des Arthropodes... Annélides ont certainement des an- sis (Afrique du Sud), Macroperipatus - Les Proarthropodes (tableau I) re- cêtres communs” (Max Vachon). (Peripatus) acacioi, Macroperipatus groupent les Onychophores (ou Les Onychophores datent du insularis, Peripatus moseleyi (Afrique Péripates), les Tardigrades et les Cambrien (500 à 570 millions d'an- du Sud), Peripatus edwardsii. Linguatules (ou Pentastomides). nées) et peut-être de l'Algonkien - Les Linguatules (ou Pentastomides), (1 milliard d'années). Les fossiles ■ Une répartition sont des parasites des voies respira- sont rares ; une forme marine relativement large toires des Vertébrés (Carnivores, (peut-être 2 espèces) retrouvée dans Les Péripates habitent toutes les ré- Reptiles). Leur corps aplati évoque ce- des schistes datant du Cambrien gions tropicales et tempérées lui d'une Sangsue ; ils mesurent de moyen (515 à 540 millions d'an- chaudes australes de la planète : quelques millimètres à 10 cm de lon- nées) est la plus remarquable, ce Afrique (Centre et Sud), Amérique gueur. qui fait des espèces actuelles de vé- du Sud, Malaisie, Australie, - Les Tardigrades sont des petits ani- ritables “fossiles vivants”. Nouvelle-Zélande... Une telle distri- maux aquatiques (moins d'1 mm de L'une des formes retrouvées à l'état bution correspond bien avec leur long), à quatre paires de pattes termi- fossile est le genre Aysheaia origine très ancienne. nées par des crochets. Ils se dépla- (Cambrien moyen de la Colombie- Les deux familles de Péripates, à cent très lentement (d'où leur nom !). Britannique, Canada) qui est peut- savoir les et les Il en existe près de 280 espèces. être proche de l'origine commune , ne cohabitent pas : “Les Arthropodes étaient bien diffé- des Annélides et des Arthropodes. renciés antérieurement au Cambrien Cet rappelle les Péripates ac- Peripatidae et une origine polyphylétique de ce tuels : son corps annelé, à onze Distribution autour de l'équateur : vaste ensemble est possible. paires de pattes, portait des papilles. Amérique australe, dont le Nord de Néanmoins le développement révèle Selon les auteurs, les Péripates re- l'Amérique du Sud, Caraïbes, de nombreuses affinités avec celui groupent actuellement entre 60 à Afrique centrale (Congo), Asie (val- des Annélides. Si l'on veut recher- 120 espèces. Ils ne furent décou- lée du Brahmapoutre, Himalaya cher encore plus loin, dans le temps, verts et décrits qu'à partir de 1826. oriental), presqu'île de Malacca, l'origine des Arthropodes, on aboutit Parmi les espèces actuelles, on peut Sumatra et Bornéo.

Insectes 25 n°120 - 2001 (1) Par ailleurs, l'animal est pourvu de 14 tique des animaux cavernicoles. à 43 paires (selon les espèces) (en Les caractères annélidiens pré- moyenne 24 à 27 paires chez les sents chez les Péripates sont leur mâles et 26 à 29 paires chez les fe- cuticule souple, les cils vibratiles melles) de courtes pattes insegmen- sur les parois internes des conduits tées (non articulées) nommées lobo- génitaux et excréteurs, les fibres podes, chacune armée d'une paire de musculaires uniquement lisses, la griffes (Onychophore signifie “porteur structure de l'œil. Mais les mues, de griffes (ou d'ongles)”) rétractiles les appendices masticateurs, le cœ- protégées par un repli cutané. lome (cavité comprise entre les Sa tête est surmontée de deux an- deux feuillets du mésoderme ex- tennes charnues annelées (rappe- terne et qui constitue la cavité gé- lant les “cornes” des limaces) et nérale du corps de l'embryon) ré- d'une paire d'yeux globuleux situés duit, la structure du cœur et de à leur base. l'appareil génital sont des carac- La bouche, très large, est munie de tères arthropodiens. Cependant, deux paires de fortes lames man- les segments et les appendices non dibulaires et présente deux articulés, l'absence de métamérie glandes allongées, dites glandes à (segmentation) externe, les nom- glu, dont l'animal projette les sé- breux stigmates disposés sans crétions (grâce à ses glandes sali- ordre ne permettent pas de les ran- vaires et à sa langue) par ses pa- ger dans le sous-embranchement pilles orales situées de part et des Euarthropodes, d'où leur clas- d'autre de la bouche pour se dé- sement parmi les Pararthropodes, fendre ou se nourrir ; cette glu selon Cuénot. peut être projetée jusqu'à une dis- La longueur des Péripates est généra- tance de 50 cm (en moyenne de 8 lement comprise entre 10 et 160 mm à 30 cm), avec une certaine préci- (Peripatus edwardsii d'Amazonie). En sion, vers la cible. Tant qu'il reste moyenne les mâles avoisinent dans le corps du Péripate, ce mu- 30 mm et les femelles 53 mm. suteri (Dendy, 1898), espèce cus est fluide, mais au contact de Le poids moyen des mâles atteint originaire de Nouvelle-Zélande. l'air, sa surface se solidifie aussitôt 170 mg, certains grands mâles pesant Cliché H. Ruhberg et H. Bosch. sous forme de fils gluants. parfois jusqu'à 400 mg. Celui des fe- Peripatopsidae Sa coloration brillante (bleu, vert, melles, 2,6 fois supérieur, s'élève à Distribution australe : Chili, Sud de noir, orange, brun, brun-rou- 450 mg. Certaines grandes femelles l'Afrique (provinces du Natal et du geâtre, gris ardoise, terre cuite) dépassent le gramme ; le poids maxi- Cap), région indo-australienne de la s'harmonise souvent de manière mal relevé appartient à une femelle Nouvelle-Zélande à la Papouasie- exacte au milieu de vie. Dans les de 1,7 g qui mesurait 83 mm de long. Nouvelle-Guinée en passant par grottes de la montagne de la Table La longévité observée en élevage (la- l'Australie et la Tasmanie, Nouvelle- (Afrique du Sud) se trouve une es- boratoire) varie de 3,5 à 4,5 ans pour Bretagne (île à l'est de la Nouvelle- pèce complètement dépourvue de les mâles tandis que les femelles, Guinée, dans l'Océan Pacifique), pigment, à la manière caractéris- plus robustes, atteignent 7 à 8 ans. Céram (île à l'est des Célèbes, Indonésie). Tableau I : Les Péripates au sein des Arthropodes Embranchement Sous-embranchement Super-classe Classe Arthropodes Proarthropodes Pentastomidés ■ Une anatomie caractéristique (1 095 000 espèces = Pararthropodes = Linguatules actuelles) Tardigrades Son corps allongé présente une (Cambrien Onychophores face dorsale convexe et une face à actuel) = Péripates ventrale aplatie. Le Péripate est un Euarthropodes Trilobitomorphes Trilobitoïdés Arthropode atypique, au corps (Trilobites) Mérostomoïdés Pseudostracés mou allongé et vermiforme, sans Marrellomorphes exosquelette mais recouvert d'une Chélicérates Mérostomes (Limules…) cuticule duveteuse (couverte Pycnogonides d'écailles et de papilles) d'un mi- Arachnides cromètre d'épaisseur et souple. Au Mandibulates Crustacés = Antennates Myriapodes toucher, la peau de l'Onychophore Hexapodes est sèche, molle et veloutée. = Insectes

Insectes 26 n°120 - 2001 (1) ■ Croissance et reproduction À l'instar des autres Arthropodes, le Péripate effectue plusieurs mues. La fine cuticule se renouvelle régulière- ment durant toute la vie de l'animal, la mue survenant en moyenne toutes les trois semaines. La croissance est lente ; le poids des animaux aug- mente 2,5 fois plus rapidement chez Peripatopsis capensis Grube, de la Montagne de la Table, au Cap. (d'après Sedgwick, in Grassé P., 1949 – Traité de Zoologie, t. VI) les femelles que chez les mâles. Au sein de chaque espèce, les sexes sont séparés et le dimor- phisme sexuel est net. Les mâles sont pourvus de deux testicules, précédés chacun d'une vésicule séminale et d'un canal déférent. La fécondation des femelles a lieu une fois pour toutes, les spermato- zoïdes s'accumulant dans des vési- cules copulatrices. La fécondation est généralement in- terne, toutefois Peripatopsis capensis se signale par son comportement Vue ventrale de la tête de curieux, qui consiste à déposer ses Peripatopsis capensis a, antenne – l, lèvre péribuc- spermatophores (petits sacs, d'en- cale – m, mandibule - po, viron 1 mm, contenant le sperme) papille orale (Grassé P., 1949 – Traité de Zoologie, t. VI) ça et là sur le corps de sa femelle. Les tissus cutanés de la femelle se ■ Un mode de locomotion de néphridies (unités constituant désagrègent au point de contact. particulier des organes excréteurs plus ou Le sperme traverse ensuite les té- Le Péripate se déplace à la manière moins complexes jouant le rôle de guments avant de gagner les or- des Iules (Myriapodes). L'analyse de reins, grâce auxquels, comme ganes sexuels femelles. Les sper- la locomotion des Onychophores a pour les Annélides, les Péripates matozoïdes pénètrent ainsi dans révélé trois sortes d'allures, qui dé- rejettent les déchets à l'extérieur le corps de la femelle et parvien- pendent du nombre et de l'ordre du corps) et d'athrocytes. nent jusqu'aux ovaires, où a lieu la des pattes touchant le sol, et de la Le système nerveux comprend un fécondation. longueur de chaque foulée. Pour le ganglion cérébroïde et deux chaînes La gestation, chez la majeure par- démarrage ou l'accélération, en longitudinales reliées par de nom- tie des espèces de Péripates, dure courtes foulées, il faut le contact breuses commissures ; il y a de treize mois et, comme les jeunes d'un maximum de pattes avec le sol. nombreuses papilles sensorielles. naissent tous les ans, il y a un Par contre l'allure rapide se traduit Les sens du Péripate sont peu étu- mois, chaque année qui suit la par un nombre moindre de pattes diés. Les yeux ont un pouvoir cu- maturité de la femelle (c'est-à-dire en contact avec le sol, et par consé- rieusement limité : l'animal ne au cours de sa deuxième année), quent par de longues foulées. voit pas devant lui, mais seule- au cours duquel elle porte deux La respiration se fait par de nom- ment au-dessus et sur les côtés ; lots d'embryons, les uns aux pre- breuses trachées qui communi- ces organes sont si simples qu'ils miers stades du développement, quent avec l'extérieur par des stig- ne sont pas capables d'enregistrer les autres presque arrivés à terme. mates (à l'instar des autres autre chose que des variations de Chez les espèces ovipares (1) (que Arthropodes) et à travers le tégu- luminosité. l'on rencontre notamment en ment (comme les Annélides). Il existe, cependant, un système Australie), les femelles pondent L'appareil circulatoire se réduit à complexe de poils sensoriels, or- des œufs volumineux, riches en un cœur, ou vaisseau dorsal, avec ganes tactiles et gustatifs qui re- vitellus ; chez les espèces ovovivi- ostioles. couvrent les antennes et la ma- pares (2), l'incubation et l'éclosion Le tube digestif comprend un œso- jeure partie du corps. se déroulent dans l'utérus de la phage suivi d'un long intestin se (1) Ovipare : la femelle pond des œufs qui se développeront et écloront à l'extérieur de son organisme. terminant par l'anus. (2) Ovovivipare : la femelle élabore des œufs dont l'évolution embryonnaire s'effectue à l'intérieur d'une L'appareil excréteur est composé cavité incubatrice interne. Les petits éclosent à l'intérieur de la femelle qui leur donne simultanément le jour.

Insectes 27 n°120 - 2001 (1) mère, qui donne le jour à des préfèrent mourir de faim plutôt jeunes déjà formés ; chez les es- que de se nourrir en captivité. pèces vivipares (3), les embryons Des représentants de deux espèces sont en étroite relation avec l'orga- ont été gardés en vie pendant nisme maternel par l'intermé- quatre ans, en Angleterre, et des diaire d'un placenta, tout à fait jeunes, nés en captivité ont crû et analogue à celui des Mammifères, prospéré pendant deux ans... avant et les nouveau-nés ne se différen- de se laisser mourir ! cient des adultes que par leurs Attention : dans une chambre nor- moindres dimensions. malement sèche, l'Onychophore Une femelle fécondée donne nais- perd un tiers de son poids en sance chaque année (par oviparité, moins de quatre heures ; il se des- ovoviviparité ou viviparité selon les sèche deux fois plus vite qu'un ver espèces) à une portée composée en de terre, et quarante fois plus vite moyenne de 4 nouveau-nés sur un qu'une chenille de la même taille. écart variant de 1 à 20 jeunes. En Australie et en Nouvelle-Zélande, les Péripates ont des prédateurs ■ Quelques observations parmi lesquels de grandes Planaires éthologiques terrestres prédatrices qui s'en nour- Le Péripate est un animal terrestre rissent ou leur infligent de sévères et lucifuge ; il apprécie les endroits blessures qui finiront par cicatriser. sombres et humides des zones Au Brésil, on a remarqué que des chaudes ; l'humidité est pour lui Myriapodes Chilopodes de grande d'une importance vitale. On le ren- taille (Scolopendres) pouvaient s'atta- contre ainsi aux bords des rivières, quer aux Onychophores et les dévorer. dans les forêts, entre les racines, Enfin, en 1985, un herpétologue dans le bois en décomposition, (scientifique étudiant les Reptiles sous les écorces, sous les feuilles et les Amphibiens) américain a si- mortes (litière) et sous les pierres. gnalé que les proies du serpent co- Certains spécimens terricoles loca- rail Micrurus hemprichi se compo- lisés autour d'Ouro Prêto, dans saient surtout de Péripates. r l'État de Minas Gerais, Brésil, ont Vue ventrale d'un Péripate (Oeperipatus été observés vivant dans l'obscu- weldoni) A, anus – Ant, antenne – Ap, patte Pour en savoir plus... rité des cavités du sol où règnent – B, bouche – Gg, papilles à glu une humidité à saturation et une – Gv, glande ventrale – Neph, ouverture • Burton M. , 1984 - Des protozoaires aux des néphridies – Pg, pore génital (d'après myriapodes – Éd. Marabout-Elsevier, température constante de 18°C. Evans, in Aron M. et Grassé P., 1939 - Précis de Paris, Collection “Encyclopédie du Pendant la saison sèche, les animaux Biologie animale) monde animal”, n° 2. • Collectif, 1981 - La grande encyclopédie du se groupent en profondeur, dans les monde animal – Éd. Gründ, Paris. galeries restées humides. Au retour Dès la naissance, le jeune est préda- • Collectif, 1974 - La faune, Vol. VIII – Éd. Grange Batelière, Paris. des pluies, ils remontent près de la teur, se nourrissant principalement • Collectif, 1982 - Les animaux, Vol. IX : surface du sol et se dispersent. de micro-arthropodes et de vers Animaux inférieurs – Éd. Atlas, Paris. • Collectif, (1971) 1986 - Le monde étrange L'altitude maximale où fut obser- qu'il immobilise au moyen de la glu et fascinant des animaux - Éd. Sélection vée une population de Péripates qu'il projette. Suivant la taille de ses du Reader's Digest, Paris. est d'environ 1 200 m dans l'État proies, il les ingère en entier ou les • Collectif, 1985 - Qui mange qui. La lutte pour la vie dans le monde animal - Éd. de Minas Gerais, au Brésil. dépèce. En élevage (laboratoire), il Balland, Paris. Contrairement aux assertions de di- fait en moyenne un repas abondant • Cuélot L., 1949 – Les Onychophores – in Grassé P.P., Traité de Zoologie, tome VI vers auteurs, les Péripates ne s'ali- par quinzaine, constitué, par – Éd. Masson et Cies, Paris. mentent pas de débris végétaux exemple, de morceaux de blattes. • Tétry A., (1996) 1999 - Encyclopaedia Universalis – Éd. Encyclopaedia mais sont tous strictement carni- En captivité, les Péripates ne sont Universalis, Paris. vores. Bien que la littérature cite di- pas toujours faciles à nourrir. vers cas de cannibalisme, rien de Certains acceptent des termites, des semblable n'a été constaté en éle- cloportes, des blattes, des saute- L’auteur vage avec l'espèce Macroperipatus relles et des criquets vivants ou que Xavier Japiot (Peripatus) acacioi. l'on vient de sacrifier. Du foie de 66bis, rue de la République mouton cru est très généralement Avon (3) Vivipare : les petits naissent complètement dé- 77210 veloppés et non recouverts d'une membrane. bienvenu, mais certains individus

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