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Ciné-Bulles

Compromis pompier World Trade Center d’ Nicolas Gendron

Volume 24, Number 4, Fall 2006

URI: https://id.erudit.org/iderudit/60796ac

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Publisher(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (print) 1923-3221 (digital)

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Cite this review Gendron, N. (2006). Review of [Compromis pompier / World Trade Center d’Oliver Stone]. Ciné-Bulles, 24(4), 57–58.

Tous droits réservés © Association des cinémas parallèles du Québec, 2006 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ La Vie secrète des mots, elle présente un flit en ex-Yougoslavie et les désastreuses La Vie secrète des mots drame poignant qui évite les recettes éprou­ conséquences sur sa population. En ce d'Isabel Coixet vées du larmoiement facile. sens, La Vie secrète des mots n'hésite pas à s'attaquer à la souffrance des vic­ La cinéaste s'affaire à capter le rappro­ times de conflits armés et aux silences qui Les silences chement qui s'exerce, par petites touches, deviennent souvent leur prison. • entre la serviable infirmière et son patient obligés volubile. Pour ce faire, elle cadre magni­ fiquement les visages des deux héros afin La Vie secrète des mots STÉPHANE DEFOY de nous révéler leur fragilité. Les gros 35 mm / coul. /112 min / 2006 / fict. I Espagne-États- plans se multiplient pour nous faire par­ Unis tager leur condition d'âmes en détresse. hacun porte son handicap. Hanna Réal. et scén. : Isabel Coixet (Sarah Polley) est sourde et doit L'excellent Tim Robbins (Mystic River, Image : Jean-Claude Larrieu faire usage d'un appareil auditif Human Nature), presque toujours immo­ Mont. : Irène Blecua C bilisé dans un lit, nous fait partager avec Prod. : El Deseo Films pour entendre. Josef (Tim Robbins) est la même intensité ses déchirements mo­ Dist. : Métropole Films momentanément aveugle à la suite d'un Int. : Sarah Polley, Tim Robbins, Javier Camara, grave accident sur une plateforme de fora­ raux et ses blessures physiques. Ses dis­ Steven Mackintosh ge. Sa condition physique précaire ne lui cours ne manquent d'ailleurs jamais d'hu­ permettant pas d'être ramené sur la terre mour, ni d'authenticité, tout en soulignant ferme, il est cloîtré dans sa chambre et pri­ délicatement la gravité de la situation. Les World Trade Center sonnier de son lieu de travail déserté par quelques anecdotes qu'il déballe, pour notre d'Oliver Stone ses collègues, faute de reprise des activi­ plus grand plaisir et celui de sa soignante, tés. Hanna se fait embaucher comme infir­ relèvent avec subtilité le désarroi de son mière afin de prodiguer les premiers soins personnage. Pour lui donner la réplique, la Compromis à ce patient gravement blessé. Rencontre prodigieuse Sarah Polley offre une des entre deux écorchés vifs. plus puissantes performances de sa carriè­ pompier re. Volontairement butée dans son silence et cultivant le mystère jusqu'à la révéla­ D'entrée de jeu, Isabel Coixet situe l'ac­ NICOLAS GENDRON tion finale, elle semble toujours sur le tion sur une plateforme pétrolière frappée point de s'effondrer, mais chaque fois elle par une importante explosion, ce qui n'est inq ans déjà que les tours jumelles revient plus forte. Sa prestation donne au pas sans rappeler Breaking the Waves de du World Trade Center ont dis­ film toute la densité nécessaire à ce trou­ Lars von Trier. Contrairement au cinéaste paru du paysage new-yorkais. Et blant face-à-face. En une seule scène, elle C danois, Coixet tire le maximum de ce lieu seul le Britannique Paul Greengrass avait livre sans retenue de douloureux souve­ coupé du monde afin de tisser des liens osé jusqu'ici, avec son éloquent United 93, nirs cachés et nous arrache littéralement le entre les deux personnages. On comprend aborder sur grand écran un sujet jugé cœur. rapidement que ce huis clos sera l'occa­ pratiquement intouchable par Hollywood, sion pour les protagonistes de raconter, qui marche sur des œufs pour ne pas mor­ après bien des hésitations, leur passé dou­ Ne serait-ce que pour cet instant d'une tifier l'opinion publique. Le cinéaste Oli­ loureux. Auparavant, chacun devra appri­ incalculable intensité dramatique, on par­ ver Stone est le deuxième courageux en voiser l'autre pour finalement ouvrir donne à la réalisatrice quelques maladres­ lice et, si l'annonce de son projet a fait sour­ l'entrée de sa forteresse, lieu où les vérités ses, comme celle de prolonger inutilement ciller les tenants de la droite, son film se troublantes ne manquent pas. Tour à tour, le récit ainsi que le saupoudrage de per­ révèle pratiquement apolitique, si ce n'est les murs vont s'écrouler, révélant des bles­ sonnages secondaires, des solitaires mar­ dans son apologie mielleuse des valeurs sures à peine cicatrisées. Décidément, la ginaux au profil attachant. Néanmoins, La américaines. Après les déboires de son réalisatrice catalane se spécialise dans Vie secrète des mots gagne son pari dernier film, Alexander, auprès de la cen­ l'art de dépeindre des individus aux prises d'englober dans un drame intimiste les sure, on est en droit de se demander si avec des secrets inavouables ou de graves horreurs des guerres oubliées, car il faut Stone n'a pas pris goût aux compromis. dilemmes moraux. Dans son long métrage saluer le cran de Coixet de traiter sans précédent. Ma vie sans moi, elle évoquait détour dans le dernier tiers du long mé­ « L'intrigue » de World Trade Center n'a les derniers mois d'une femme atteinte trage d'un événement tragique qui ne sus­ rien de palpitante, puisque tirée d'un fait d'un cancer, une œuvre déchirante. Avec cite aujourd'hui que peu d'intérêt : le con­ héroïque notoire lié aux événements du

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World Trade Center 11 septembre 2001 : deux pompiers dépê­ fie mieux ses silences que ses ralentis, il vouloir se faire de la douleur une amie chés en toute urgence sur les lieux se excelle toutefois à représenter l'état du pour vaincre l'épreuve. Cet hommage tron­ retrouvent coincés dans les décombres et monde en un tournemain. La planète en­ qué et précipité est en fait si mince que les seront parmi les derniers à en ressortir tière semble rivée à son téléviseur ou col­ victimes récoltent plus de sympathie que vivants. L'intérêt du film se trouve donc lée à son poste de radio. La machine à les deux héros anonymes. Sur une parti­ dans la façon de raconter cette histoire. rumeurs s'emballe elle aussi : le Pentagone tion musicale larmoyante, des femmes Un mardi de septembre, il fait 18 °C sur la volatilisé, Israël atomisé, l'Apocalypse? éplorées, des retours en arrière à l'eau de Grosse Pomme, qui s'active peu à peu, Retour en épilogue des plans larges du rose et un ancien marine appelé en renfort telle une fourmilière. Cette ebullition mati­ début, cette fois-ci marqués par une ville par Dieu viennent compléter ce tableau nale est illustrée par une succession rapide ravagée et des murs placardés d'avis de désincarné qui souffre des atermoiements de plans larges et variés, comme quoi recherche. de son réalisateur trop prudent. Critique cette journée n'a rien de particulier. Quand acéré de l'histoire états-unienne, observa­ l'empire américain vacille un peu avant Puis le pire survient (on parle de cinéma, teur excessif d'une société déboussolée 9 h, il n'y a que l'ombre d'un avion pour entendons-nous bien), et la mécanique (voir Natural Born Killers), Oliver Stone évoquer le choc. Lui répondent en écho déraille gravement dès qu'il est question aboutit ici tristement dans la zone la plus des images télévisées à la facture im­ de sentiments. La famille, l'héroïsme, la consensuelle de l'excès. • provisée, seuls remparts du moment con­ foi et le patriotisme — quoi d'autre? — tre l'ignorance. Noir et vertige. Produite sont glorifiés comme autant de poncifs, en studio et à l'aide d'effets numériques, avec la subtilité d'un éléphant, un piège World Trade Center la reconstitution des deux tours est stupé­ brillamment désamorcé dans United 93. 35 mm / coul. /129 min / 2006 / fict. / États-Unis fiante. Les feuilles qui tombent du ciel par Quoi de plus émouvant, n'est-ce pas, que Réal. : Oliver Stone centaines, les policiers qui serrent les lè­ de voir un papa se lever aux aurores et Scén. : Andrea Berloff vres d'effroi à la vue d'un suicide, la pani­ border ses enfants, lorsqu'on sait pertinem­ Image : Seamus McGarvey que qui se propage furieusement, le World ment qu'il part risquer sa vie au nom de Mus. : Craig Armstrong Trade Center s'écroulant tel un château de son pays? Les pompiers n'ont guère le Mont. : David Brenner et Julie Monroe Prod. : Moritz Borman, Debra Hill, Michael Shamberg, cartes; des souterrains aux prises de vue temps de nous être familiers que les voilà Stacey Sher et Oliver Stone aériennes, le panorama de la tragédie est déjà enterrés sous les gravats, à parler du Dist. : Paramount on ne peut plus confondant. Si Stone justi­ Int. : , Michael Pena, Jay Hernandez, temps qui passe et de leur marmaille, à Maria Bello, Maggie Gyllenhaal, Michael Shannon

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