Réseau juridique canadien VIH/sida REVUE VIH/SIDA, DROIT ET POLITIQUES

VOLUME 13, NUMÉRO 1, JUILLET 2008

Livraison tardive – Première mondiale par le Régime canadien d’accès aux médicaments

Quatre ans (à un mois près) après l’adoption d’une loi par le Parlement canadien pour permettre la four- niture de médicaments moins chers à des pays en développement qui en ont besoin, la première exporta- tion est finalement sur le point de se réaliser. Dans le présent article, Richard Elliott présente un aperçu des récents développements liés au Régime canadien d’accès aux médicaments (RCAM) et il souligne d’importants éléments à réformer pour désencombrer le régime afin qu’il soit utilisé plus facilement pour répondre à des problèmes de santé du monde en développement.

Les règles de l’OMC et la loi canadienne sur l’exportation de médicaments génériques Dans ce numéro En vertu du traité de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) Thaïlande – Le gouvernement en matière de propriété intellectuelle, l’Accord sur les aspects de ravive sa guerre contre la drogue 38 propriété intellectuelle qui touchent au commerce (« l’Accord sur Canada – Projet de loi prévoyant des les ADPIC »),1 les États membres sont tenus d’accorder des droits peines minimales obligatoires pour exclusifs de brevets pour les médicaments. Ils conservent cependant des infractions liées à la drogue 28 le droit d’accorder des licences obligatoires, qui autorisent légalement la production de versions génériques pouvant être vendues moins R.-U. – Élaborer des lignes directrices sur les poursuites cher, en échange de redevances à être versées au titulaire du brevet. judiciaires liées au VIH 14 L’évitement du monopole du titulaire du brevet et l’entrée en scène de concurrence permet de faire baisser les prix. L’accès aux condoms en prison Toutefois, l’Accord sur les ADPIC stipule aussi que les produits aux États-Unis 22 fabriqués en vertu d’une licence obligatoire doivent « servir princi­ Une restriction dans le programme canadien d’accès à la marijuana à voir page 5 des fins médicales est abolie 49 VIH et droits humains dans les politiques antidrogue de l’ONU 43 Suisse – Énoncé sur la La publication de la Revue VIH/sida, droit transmission sexuelle du VIH et politiques est rendue possible grâce à par des personnes sous TARV 40 l’appui financier de l’Agence de la santé publique du Canada. Revue VIH/sida, droit et politiques

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Nous aimerions connaître vos idées et opinions. Les lettres à l’éditeur, les réactions à des Des commentaires? articles publiés et les commentaires sur la formule de la Revue sont tous les bienvenus.

2 REVUE VIH/SIDA, DROIT ET POLITIQUES TABLE DES MATIÈRES

DOSSIERS Livraison tardive – Première mondiale par le Régime canadien d’accès aux médicaments 1 Élaborer des lignes directrices sur les poursuites judiciaires liées au VIH : une forme de réduction des méfaits? 14 L’accès aux condoms en prison aux États-Unis 22

DÉVELOPPEMENTS AU CANADA Une loi prévoyant des peines minimales obligatoires pour des infractions liées à la drogue franchit la deuxième lecture 28 Manitoba – Une loi autoriserait le test du VIH sans consentement 30 Un règlement limite les dons d’organes venant d’hommes gais 32 Plainte d’inconduite contre un juge 34 Santé Canada publie un rapport sur les lieux supervisés pour l’injection 35 En bref 36 Modifications proposées à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés dans le budget de 2008 Publication d’un rapport indépendant sur les prisons Annonce de financement provincial à un programme de réduction des méfaits d’Ottawa Le gouvernement fédéral détourne des fonds du secteur communautaire vers l’Initiative de vaccin

DÉVELOPPEMENTS INTERNATIONAUX Thaïlande – Le gouvernement ravive sa guerre contre la drogue et contre les personnes qui en consomment 38 Suisse – Énoncé sur la transmission sexuelle du VIH par des personnes suivant un traitement antirétroviral 40 États-Unis – La Chambre des représentants et un comité du Sénat adoptent des projets de loi sur la réautorisation du PEPFAR 41 VIH et droits humains dans les politiques antidrogue de l’ONU : percées minimes 43 En bref 45 La Russie refuse un traitement anti-VIH à un détenu Californie – Le gouverneur s’oppose à un autre projet de loi sur les condoms en prison, mais laisse une ouverture Australie – Le gouvernement légiférera pour éliminer la discrimination à l’endroit des conjoints de même sexe L’OIT publie un recueil de bonnes pratiques législatives en Afrique Le secrétaire général de l’ONU demande l’abolition de la criminalisation de populations vulnérables

.../4

VOLUME 13, NUMÉRO 1, JUILLET 2008 3 LE VIH/SIDA DEVANT LES TRIBUNAUX – CANADA La Cour fédérale invalide une restriction prévue dans le programme d’accès à la marijuana à des fins médicales 49 L’identité d’un demandeur de statut de réfugié comme travesti doit être considérée dans l’évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État 51 Un jugement relatif à la divulgation de la séropositivité clarifie le droit à la vie privée en Ontario 52 Une cour rejette pour des motifs de sécurité publique l’appel d’une femme séropositive qui souhaitait obtenir une libération inconditionnelle 53 Droit criminel et transmission du VIH ou exposition : sept nouvelles affaires 54 En bref 58 Un nouvel examen est ordonné dans la détermination du statut de réfugié d’un homosexuel travesti séropositif La demande de contrôle judiciaire présentée par un demandeur de statut de réfugié séropositif originaire du Mexique est rejetée Rejet d’une poursuite en diffamation : la réputation n’a pas été « affectée de manière appréciable » Les dernières accusations portées contre l’ex-directeur de la Croix-Rouge canadienne sont retirées

LE VIH/SIDA DEVANT LES TRIBUNAUX – INTERNATIONAL La Cour européenne des droits de l’homme rejette le recours d’un détenu portant sur l’échange de seringues en prison 60 La High Court d’Afrique du Sud fait valoir le droit à l’eau 63 La Cour européenne condamne le refus du gouvernement français d’autoriser une adoption 65 En bref 66 CEDH – L’Ukraine est tenue responsable du traitement inhumain et dégradant d’un détenu séropositif Suède – Un homme est reconnu coupable d’avoir transmis le VIH à deux femmes Népal – Arrêts clés de la Cour suprême sur les droits des LGBTT et le droit à la vie privée États-Unis – Un Texan est acquitté dans une affaire de consommation de marijuana à des fins médicales Égypte – Un tribunal condamne des hommes pour des actes de « débauche » Inde – Un tribunal juge que le VIH est un motif de divorce

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de la page 1

palement au marché domestique »; sont entrés en vigueur un an plus dans le RCAM, non requise par la ceci contraint le recours aux licences tard (mai 2005).7 À la demande de Décision de l’OMC). Le processus obligatoires, par les États membres l’organisme humanitaire international d’examen de Santé Canada a duré de l’OMC, pour la production de Médecins Sans Frontières (MSF), sept mois; le produit a reçu l’homo­ médicaments génériques qui seraient le plus grand fabricant canadien de logation en juillet 2006.9 Le 10 août destinés principalement ou exclusive­ médicaments génériques, Apotex inc., 2006, à quelques jours du Congrès ment à l’exportation vers un autre a produit l’« Apo-Triavir », une nou­ international sur le sida à Toronto, pays. Ceci entrave la capacité de pays velle combinaison à dose fixe de trois le Programme de préqualification de importateurs du monde en développe­ médicaments antirétroviraux exis­ l’OMS, ayant examiné le dossier pré­ ment d’avoir recours concrètement tants, contre le sida : la ­zidovudine, senté par Apotex à Santé Canada, a à des licences obligatoires afin la lamivudine et la névirapine donné lui aussi son approbation.10 d’obtenir des traitements à meilleur (AZT/3TC/NVP). prix pour leurs patients. La combinaison de ces trois En août 2003, les membres de médicaments en un seul comprimé, l’OMC, sous la pression de pays en à prendre deux fois par jour, simpli­ développement ainsi que d’activistes fie l’un des régimes combinés de pour les traitements, ont adopté une premier recours que recommande Trois ans après l’adoption décision du Conseil général prévoyant l’Organisation mondiale de la santé des exceptions à cette contrainte, dans (OMS) pour le traitement des person­ de la loi et deux ans après certaines conditions.2 En mai 2004, à nes vivant avec le VIH/sida. Cette son entrée en vigueur, l’issue d’une campagne de plaidoyer combinaison n’existait pas, jusque-là, de huit mois par des groupes de la dans un même comprimé.8 aucun médicament n’avait société civile,3 les deux chambres MSF a indiqué qu’il allait ten­ encore été exporté en du Parlement du Canada ont adopté, ter d’avoir recours au RCAM pour vertu du RCAM. à l’unanimité, une loi amendant la commander le produit d’Apotex dans Loi sur les brevets4 et la Loi sur les le cadre d’un ou plusieurs de ses aliments et drogues, afin d’appliquer projets de traitements contre le sida, cette décision de 2003 de l’OMC.5 dans le monde en développement. Les organismes de la société civile En vertu du RCAM et des termes de canadienne sont arrivés à faire appor­ la Décision de 2003 de l’OMC qui ter d’importantes améliorations au le sous-tend, ceci allait nécessiter au En mai 2007 – soit trois ans après projet de loi initialement déposé par moins un certain degré de coopéra­ l’adoption de la loi et deux ans après le gouvernement, mais ils ont signalé tion de la part du gouvernement du son entrée en vigueur –, cependant, que les lacunes qui subsistaient pays en développement où MSF pré­ le RCAM n’avait encore servi à pourraient affecter l’utilité de la voyait importer le produit. exporter aucun médicament, en législation. Ils se sont engagés néan­ Le produit d’Apotex a reçu raison de l’apparente réticence des moins à appuyer d’éventuels efforts l’appro­bation de Santé Canada, qui pays en développement admissibles de recours à la loi pour le bien de l’a homologué comme satisfaisant aux termes du RCAM à transmettre patients de pays en développement.6 les mêmes normes de réglementation à l’OMC ou au Gouvernement du Après d’autres pressions d’ONG, qu’un médicament destiné à la vente Canada les notifications requises.11 la loi et le règlement l’accompagnant au Canada (une condition imposée MSF a donc fini par informer Apotex

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de l’abandon de son plan initial de tembre, Apotex a procédé au dépôt (176 $ US par patient par année) à commander son produit. de sa demande de licence obligatoire, cette date.18 auprès du Commissaire aux brevets, Le 7 mai 2008, Apotex a annoncé Percées : le Rwanda 15 comme le veut en tel cas la loi. qu’elle avait remporté le concours : franchit une étape Le 19 septembre 2007, le commis­ le Gouvernement du Rwanda avait historique, une première saire a accordé la licence demandée, décidé d’acheter l’Apo-Triavir.19 licence est accordée, la autorisant Apotex à produire et à Les militants canadiens pour la commande est placée exporter la quantité citée dans l’avis santé ont accueilli favorablement cette du Rwanda, équivalant à 15 600 000 annonce. Ils ont toutefois souligné Finalement, en juillet 2007, près de de comprimés en deux ans.16 (Puisque que cette percée avait eu lieu quatre quatre ans après l’adoption initiale de le traitement consiste en deux com­ ans plus tard, et en conséquence de la Décision de l’OMC, et à la suite primés par jour, cela permettra de l’engagement d’un fabricant et de d’interventions de l’Initiative sur le fournir un traitement pendant une divers intervenants de la société civile VIH/sida de la Fondation Clinton, le année à plus de 21 000 patients; ou à – ce qui peut difficilement être consi­ Rwanda est devenu le premier pays, traiter pendant deux ans la moitié de déré comme un processus durable ou et demeure le seul à ce jour, à aviser ce nombre). susceptible de se répéter; ils ont insis­ l’OMC de son intention d’importer té sur la nécessité que le Parlement le produit d’Apotex.12 Son avis expri­ simplifie grandement le processus mait l’intention d’importer jusqu’à prévu par le RCAM.20 260 000 paquets d’Apo-Triavir. Cet Lacunes à éliminer : avis était une condition nécessaire Les militants canadiens à ce qu’Apotex puisse continuer les pressions pour la démarches en vertu de la loi cana­ pour la santé ont réforme du RCAM dienne afin d’obtenir une licence pour réitéré leur incitation la fabrication légale du produit pour Dans la loi de 2004 qui a conduit au l’exportation. au gouvernement et au RCAM, il était prévu que le minis­ Les activistes canadiens pour la Parlement d’apporter des tre fédéral de l’Industrie procède à santé ont affiché un optimisme pru­ changements au RCAM. l’examen de la loi dans les deux ans dent, devant ce progrès vers un possi­ suivant son entrée en vigueur (en mai ble recours au RCAM; ils ont affirmé 2005) et rende compte de ses conclu­ que, même si ce cas unique finissait sions au Parlement. par aboutir à une réussite, le Canada En août 2006, pendant le Congrès devrait réformer sa loi s’il souhai­ international sur le sida à Toronto, le tait qu’un recours par un autre pays En octobre 2007, le Canada a noti­ ministre canadien de la Santé a expri­ admissible soit réellement possible.13 fié l’OMC de l’octroi de cette licence mé publiquement, en réponse aux Le mois suivant, des médias ont obligatoire.17 pressions, un engagement à accélérer rapporté – erronément, comme on Le Gouvernement du Rwanda a l’examen et à apporter les change­ devait le constater – qu’Apotex alors initié un processus international ments nécessaires au bon fonctionne­ avait réussi à négocier des licences d’appel d’offres. Ayant en mains ment de la loi.21 volontaires avec les trois sociétés une licence obligatoire l’autorisant En janvier 2007, les intéressés pharmaceutiques titulaires des brevets à produire légalement l’Apo-Triavir (dont un certain nombre de groupes canadiens sur les produits composant pour exportation au Rwanda, Apotex de la société civile) ont transmis la nouvelle combinaison à dose fixe; a déposé une offre au montant de et/ou présenté des mémoires au de telles licences auraient permis à 0,195 $ US par comprimé, ce qui Gouvernement du Canada, dans Apotex de procéder à l’exportation de correspond à un prix de 146 $ US le cadre de cet examen.22 D’autres son produit générique au Rwanda.14 par patient par année. Ceci est moins recommandations de réformes ont En fait, aucune licence volontaire cher que le plus bas prix de source été communiquées trois mois plus n’a fini par être accordée; dès sep­ générique déclaré publiquement tard à un comité parlementaire, lors

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d’audiences sur l’échec de la loi à En conséquence, des activistes pharmaceutiques visés par le régime; atteindre son but de rehausser l’accès de la société civile canadienne ont la liste est formée principalement des à des médicaments abordables.23 Une identifié de nombreux éléments de médicaments figurant sur la Liste des consultation internationale auprès réforme afin que le régime soit plus médicaments essentiels de l’OMS d’experts a aussi contribué à l’identi­ convivial pour les pays en développe­ (dans sa version du début de 2004, fication de plusieurs aspects préoccu­ ment (i.e., les acheteurs potentiels) et moment de la promulgation de la pants du RCAM.24 pour les fabricants génériques (i.e., loi canadienne) et de la plupart des Pourtant, dans un rapport finale­ les fournisseurs potentiels) – qui médicaments antirétroviraux contre le ment déposé au Parlement le ven­ doivent tous deux avoir recours au sida qui étaient brevetés au Canada à dredi 14 décembre 2007 (donc six mécanisme afin que ses bienfaits se l’époque.28 mois en retard, et le tout dernier jour concrétisent pour des pays en déve­ Une ordonnance du cabinet fédéral avant la levée de la session parle­ loppement. canadien est nécessaire à l’ajout de mentaire pour une longue vacance), Les suggestions les plus concrètes tout produit qui ne fait pas partie de le ministre de l’Industrie a indiqué ont été préparées par une coalition cette liste (cette mesure a été appli­ que le gouvernement était d’avis de la société civile, le Groupe pour quée deux fois, depuis l’entrée en qu’il serait prématuré de déposer des l’accès mondial aux traitements vigueur de la loi, dont une fois pour amendements au RCAM, et qu’au (GAMT),26 et par le Réseau juridique ajouter le produit d’Apotex combi­ lieu de cela il poursuivrait ses efforts canadien VIH/sida qui a grandement nant AZT, 3TC et NVP). pour faire connaître le régime parmi étayé les propositions du GAMT, sur les pays en développement.25 le plan technique – y compris en for­ Les militants pour la santé ont cri­ mulant des exemples d’amendements tiqué l’inaction du gouvernement, ils législatifs.27 ont intensifié leur lobbying auprès de Une recommandation centrale députés et ils ont commencé à appro­ des groupes de la société civile était La décision sous-jacente cher des députés de partis de l’oppo­ de ne pas se contenter de petites de 2003 de l’OMC ne sition quant à la possibilité d’apporter retouches au RCAM par des amen­ des propositions d’amendement par le dements mineurs. Ils ont plutôt incité requiert pas une liste biais d’un projet de loi émanant d’un le gouvernement à abolir le proces­ limitée de médicaments. député. sus actuel du RCAM pour la licence (autorisant la production et l’exporta­ Rectifier le Régime : tion de médicaments génériques), qui propositions pour une est basé sur la décision sous-jacente réforme de 2003 de l’OMC, et à le remplacer par une procédure plus simple qui Or la décision sous-jacente de Le but affirmé du RCAM est de aurait de plus fortes chances d’être 2003 de l’OMC ne requiert aucune­ favoriser l’exportation de versions utilisée de manière répétée afin de ment que la liste des médicaments génériques moins coûteuses, fabri­ combler des besoins de santé publi­ soit limitée. La loi canadienne devrait quées au Canada, de médicaments que dans des pays en développement. être amendée afin d’abolir la fonction vers des pays en développement qui Les réformes proposées par les grou­ de « régulation » que jouent cette liste sont admissibles. L’unique recours pes de la société civile sont résumées et le cabinet fédéral; on devrait plutôt fructueux au RCAM, en conséquence ci-après. affirmer clairement qu’une licence d’un effort résolu et persistant, sur obligatoire peut être octroyée pour Éliminer les limites quant aux plusieurs années, a eu lieu en dépit tout produit breveté, afin de permettre produits pouvant être l’objet des éléments dissuasifs qui font partie la plus grande souplesse possible pour d’une licence obligatoire intégrante des dispositions du régime répondre aux besoins qu’identifient – et, vu ces circonstances, il ne s’agit À l’heure actuelle, les dispositions les pays en développement. pas vraiment d’une démonstration législatives qui forment le RCAM Compte tenu de la portée de la que ce dernier peut porter fruit. incluent une liste limitée de produits décision initiale rendue par l’OMC,

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une loi canadienne amendée devrait gré les vifs efforts des États-Unis et Le principe de veiller à la quali­ aussi affirmer clairement qu’elle de quelques autres pays riches, pour té des médicaments est positif. s’applique aux ingrédients actifs des faire inclure une telle limite). Le fait Cependant, l’approche actuelle médicaments (plutôt que seulement à d’imposer cette exigence aux pays comporte une rigidité injustifiée. Le un produit fini), et à toute trousse de qui ne sont pas membres de l’OMC RCAM pourrait préciser, plutôt, que diagnostic nécessaire à l’utilisation constitue un double standard et un l’approbation de Santé Canada ou du d’un produit pharmaceutique. geste de mauvaise foi. projet de préqualification de l’OMS (une norme largement référencée et Éviter le deux poids deux Abolir les obstacles additionnels comprise par les pays en développe­ mesures qui est une à la fourniture par des ONG ment) suffit. discrimination contre les pays non membres de l’OMC Dans sa forme actuelle, le RCAM On pourrait aussi simplement lais­ requiert qu’un organisme non gouver­ ser au pays importateur la tâche de À l’heure actuelle, le RCAM traite nemental (p. ex., MSF) désireux déterminer les normes applicables tous les « pays les moins avancés » d’acquérir des médicaments (qui pourraient très bien inclure (PMA) (reconnus comme tel par les génériques fabriqués au Canada, afin l’acceptation d’une agence bien déve­ Nations Unies) et tous les pays en de les importer dans un pays admis­ loppée et exigente, en matière de développement qui sont membres sible, ait la « permission » du pays réglementation des médicaments). de l’OMC comme des importateurs de destination – mais le terme n’est Ceci permettrait une plus grande soup­ potentiels de médicaments génériques défini nulle part. lesse et respecterait mieux l’autonomie en vertu du régime canadien. Le Il s’agit d’une embûche injustifiée des pays en développement, sans sacri­ RCAM crée cependant des obstacles et qui devrait être abolie. Si le médi­ fier l’assurance de qualité. injustifiés, dans le cas des pays en cament concerné satisfait aux critères Abolir l’exigence de divulgation développement qui ne font pas partie d’approbation établis par les autorités préalable du pays importateur de l’OMC (et qui ne sont pas sur la de réglementation des médicaments liste des pays les moins avancés). du pays – que ce soit un examen En vertu des règles actuelles du Afin d’être ajouté à la liste des réalisé par les experts techniques du RCAM, avant qu’une licence obliga­ pays admissibles au RCAM, un pays, ou comme c’est souvent le cas toire puisse être octroyée à un fabri­ pays en développement qui n’est pas de plusieurs pays en développement, cant générique, celui-ci doit d’abord membre de l’OMC doit déclarer une que l’on mise sur l’approbation du avoir tenté de négocier une licence situation d’urgence nationale ou des projet de préqualification de l’OMS volontaire avec le titulaire du bre­ « circonstances d’extrême urgence » ou d’une agence de réglementation vet, pendant au moins 30 jours – et, et s’engager à ce que le produit des médicaments dans un pays ayant ce faisant, d’avoir divulgué au(x) importé ne soit pas utilisé à des plus de ressources – cela devrait être breveté(s) le nom et la quantité du « fins commerciales »; cette dernière suffisant. produit qu’il souhaite produire pour expression, qui est floue, n’est pas exportation, de même que le pays Abolir l’exigence d’une définie dans le régime et elle pourrait qui souhaite importer le produit approbation de Santé Canada être interprétée comme impliquant générique. comme la seule qui soit une interférence à la distribution acceptable Cela signifie que, même avant que du produit dans le pays importateur le fabricant générique puisse garan­ par des pharmacies privées et à but Le RCAM empêche actuellement le tir à l’éventuel pays importateur sa lucratif. Commissaire aux brevets d’accorder capacité de lui fournir légalement le Contrairement à des prétentions à un fabricant générique une licence produit, le gouvernement de ce pays fausses mais souvent répétées, rien ne obligatoire pour l’exportation à moins subira possiblement des pressions du/ nécessite que la possibilité de recours que Santé Canada ait confirmé que le des titulaire(s) du/des brevet(s) et de de pays membres de l’OMC à des produit concerné satisfait les mêmes tout gouvernement opposé au recours licences obligatoires soit restreinte normes de réglementation que les à des licences obligatoires (les États- aux circonstances de crise de santé produits approuvés pour la vente au Unis, par exemple), afin qu’il s’abs­ publique ou à d’autres urgences (mal­ Canada. tienne d’emprunter cette avenue.

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Ne prenons pas à la légère cette visant les pays qui ont recours à des Clarifier l’option de crainte, vu les antécédents en la licences obligatoires. Toutefois, elle réexportation par un pays matière – notamment, dans certains éliminerait à tout le moins une péri­ importateur, au sein d’un bloc cas, des menaces de sanctions com­ ode préliminaire où un pays risque de commercial régional merciales, et des refus par certains subir des répercussions avant même Lorsqu’un pays en développement titulaires de brevets d’inscrire des d’être assuré qu’il obtiendra les médi­ ou un pays des « moins avancés », médicaments existants ou nouveaux caments qu’il lui faut. membre de l’OMC, est partie à un dans un pays visé. Il s’agit probable­ traité de commerce régional avec Éliminer l’exigence de négoci­ ment d’un facteur qui explique pour­ d’autres pays dont au moins la moitié ation de licence volontaire, dans quoi, à ce jour, le Rwanda est le seul sont des pays des « moins avancés », les cas urgents pays à avoir avisé l’OMC de son la Décision de 2003 de l’OMC lui intention de recourir au mécanisme À l’heure actuelle, le RCAM requi­ permet, après avoir importé des issu de la Décision de 2003. ert qu’un fabricant générique tente produits pharmaceutiques génériques d’abord de négocier avec le(s) en vertu d’une licence obligatoire, titulaire(s) de brevet(s) l’obtention de réexporter ces produits à d’autres d’une licence volontaire l’autorisant à pays en développement ou PMA qui produire le médicament pour expor­ font partie de ce groupe de commerce À ce jour, le Rwanda est tation. Ceci découle d’une exigence régional. de l’article 31 de l’Accord sur les Cependant, la formulation actuelle le seul pays à avoir avisé ADPIC. Or, dans ce même article, des dispositions du RCAM crée une l’OMC de son intention l’OMC prévoit aussi que la loi d’un incertitude, à savoir si cela serait per­ de recourir au mécanisme pays peut l’exempter d’une telle mis en vertu d’une licence obligatoire exigence dans des cas d’urgence accordée à un fabricant canadien de issu de la Décision de ou autres circonstances d’extrême médicaments génériques – il pour­ 2003 de l’OMC. urgence, d’usage non commercial du rait s’agir autrement d’un motif qui produit en question, ou lorsqu’une entraîne l’annulation de la licence licence obligatoire est accordée pour obligatoire.29 De plus, le taux de remédier à une pratique du breveté qui redevance applicable en tel cas n’est a été qualifiée d’anti-concurrentielle pas clairement précisé. à l’issue d’un processus judiciaire Le RCAM devrait être réformé, La loi qui régit le RCAM devrait ou administratif. Ainsi, il est plutôt afin de permettre clairement l’émis­ être amendée afin d’éliminer cette étrange que la loi canadienne n’intègre sion d’une licence obligatoire pour exigence de divulgation préalable, de pas cette souplesse incontestée approvisionner plus d’un pays en la démarche de demande de licence qu’offre déjà l’Accord sur les ADPIC. développement au sein d’un groupe obligatoire. Il suffirait de stipuler tout Le RCAM devrait être amendé afin commercial régional, dans le cadre simplement qu’un fabricant géné­ d’abolir l’exigence de négocier. d’un processus simple et en vertu rique, dans sa demande de licence d’une seule licence, tel que le permet Abolir la limite arbitraire de la volontaire auprès du titulaire de bre­ la Décision de 2003 de l’OMC. durée de la licence obligatoire vet, s’engage à divulguer le nom du Éliminer les occasions pays lorsque la licence sera accordée, Sans que cela ne soit fondé sur aucun additionnelles de litige intenté et à payer le taux de redevance appli­ texte de loi de l’OMC, le RCAM par les brevetés cable selon la formule en vigueur limite à deux années la durée de – et, advenant un refus du breveté, toute licence obligatoire accordée en Insérées à la dernière minute, certai­ le fabricant générique déposera au vertu de ses dispositions; ainsi, la loi nes dispositions du RCAM ouvrent Commissaire sa demande de licence canadienne lie les mains de l’acheteur des avenues qui permettent à des obligatoire. tout autant que du fournisseur, sans titulaires de brevet d’intenter des Bien sûr, une telle approche n’éli­ au­cune justification. Cette limite litiges afin de faire en sorte que des minerait pas la menace de représailles devrait être abolie. tribunaux révoquent ou modifient une

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licence obligatoire qui a été accor­ de cette décision par le Conseil géné­ fabricant générique n’aurait besoin dée à un fabricant générique.30 Ces ral de l’OMC, le Rwanda demeure que d’une licence obligatoire. Cette dispositions constituent des éléments le seul pays à avoir exprimé son licence unique devrait l’autoriser à qui dissuadent les fabricants généri­ intention d’utiliser le mécanisme.31 fabriquer et exporter sa version géné­ ques d’avoir recours au RCAM; de D’après l’expérience de MSF, illus­ rique de tout produit pharmaceutique plus, elles ne sont pas requises par la trée par son implication directe en breveté au Canada, et non seulement Décision de 2003 de l’OMC. vue d’un recours à la législation du ceux qui sont inscrits sur l’actuelle Le potentiel de litige vexatoire Canada pour l’obtention d’un médi­ liste limitée du RCAM. La licence venant de titulaires de brevets, visant cament peu coûteux afin de traiter des devrait être accordée avant qu’un à bloquer ou à faire annuler une personnes vivant avec le VIH/sida, pays ou une quantité de produit ne licence obligatoire accordée à un la Décision de 2003 de l’OMC n’est doive être précisé. fabricant générique ne saurait être « ni rapide, ni même une solution ».32 Une telle autorisation pourrait être écarté, vu les longs antécédents de En mai 2008, après avoir enfin accordée par le biais d’une disposi­ contentieux entre le secteur breveté et réussi un premier recours au RCAM tion légale de « licence obligatoire » le secteur générique, dans le domaine (l’unique cas à ce jour, rappelons- permanente – c’est-à-dire qu’un pharmaceutique. Les dispositions sus­ le), le fabricant Apotex a répété qu’il article particulier de la Loi sur les mentionnées devraient être retirées. n’était pas intéressé à tenter d’utiliser brevets pourrait être adopté à l’effet le régime à nouveau, si des change­ d’autoriser légalement la production ments significatifs n’étaient pas générique de tout produit pharma­ apportés.33 ceutique breveté, à condition que ce Si le Parlement du Canada sou­ soit aux seules fins d’exportation à un La décision de 2003 de haite que le RCAM devienne un ins­ pays admissible nommé dans la loi. trument utile pour aider les pays en Dans l’alternative (si la législation l’OMC n’est « ni rapide, ni développement, il doit réexaminer les exigeait une demande spécifique de même une solution ». éléments de base de la Décision de licence obligatoire pour un produit en 2003 de l’OMC et être disposé à sim­ particulier), au lieu de requérir une plifier radicalement le RCAM. licence distincte pour chaque com­ La Décision de l’OMC, dont est mande d’un même médicament, la issu le RCAM, pose des obstacles loi pourrait accorder à ce fabricant superflus au recours à la licence obli­ une licence obligatoire initiale, de Désencombrer le RCAM : gatoire par les fabricants génériques droit, sur un médicament. La licence la « solution à licence unique » et les pays en développement – et autoriserait le fabricant à exporter ce Bien que les éléments de réforme même si une licence obligatoire est médicament à tout pays admissible décrits jusqu’ici contribueraient à obtenue pour la production d’un nommé dans la loi. éliminer certaines des embûches médicament précis, le RCAM n’en Dans un cas comme dans l’autre qui minent actuellement le RCAM, autorise l’exportation que d’une (disposition légale ou licence une réforme plus fondamentale est quantité préétablie, et à un seul pays, spécifique), une des conditions re­quise. L’expérience actuelle en lien ce qui impose la répétition du même serait l’obligation que le fabricant avec le RCAM a mis en relief le fait processus pour toute autre commande générique paye une redevance au(x) que le problème central concerne le du même pays ou d’un autre. Le pro­ détenteur(s) du brevet, selon la for­ processus même qui est prévu pour cessus légal doit être plus convivial mule établie dans la loi actuelle. la licence autorisant la production et pour les pays en développement et les Licence en main dès le début, le l’exportation de produits génériques – fabricants génériques. fabricant générique aurait la possi­ et que la racine de ce problème vient Cette prémisse est le point de bilité de négocier de multiples directement de la Décision de 2003 départ de la « solution à licence contrats avec plusieurs pays en déve­ de l’OMC. unique » que prônent des organi­s­ loppement, plutôt que des ententes Ne perdons pas de vue le fait que, mes de la société civile canadienne. unitaires par pays et commande par près de quatre ans après l’adoption Description en toute simplicité : un commande en quantité préétablie. Les

10 REVUE VIH/SIDA, DROIT ET POLITIQUES Première mondiale par le Régime canadien d’accès aux médicaments

redevances à payer dépendraient de les ADPIC … et de leur interpréta­ expressément que « [l]es Membres la somme des contrats négociés; une tion. »34 [de l’OMC] seront libres de déter­ condition de la licence serait la notifi­ En 2002, plusieurs pays en déve­ miner la méthode appropriée pour cation des renseignements pertinents loppement et divers ONG, avec l’ap­ mettre en œuvre les dispositions à cet aspect, au moment du verse­ pui de l’Organisation mondiale de la du présent accord dans le cadre de ment périodique des redevances. santé, avaient proposé qu’une autre leurs propres systèmes et pratiques Ce processus simplifié partie de l’Accord sur les ADPIC juridiques ».37 offrirait la possibilité de contrats (l’article 30) puisse servir de base En 2001, dans la Déclaration de d’approvisionnement à grand volume pour régler le problème – des restric­ Doha, les membres de l’OMC ont dans plusieurs pays et permettrait des tions au recours à des licences obli­ également convenu de manière una­ économies d’échelle considérables, gatoires à des fins d’exportation – en nime que l’Accord sur les ADPIC ce qui contribuerait à encourager les cause (que l’OMC a finalement pré­ devrait être interprété et mis en fabricants génériques à participer, et à féré tenter de régler par sa Décision œuvre d’une manière qui appuie le réduire encore le prix offert aux pays de 2003).35 L’article 30 de l’Accord droit des Membres de l’OMC de pro­ en développement. Il éliminerait aus­ sur les ADPIC stipule : mouvoir l’accès aux médicaments, si le délai occasionné par l’exigence et ils ont réaffirmé « le droit des de tenter de négocier une licence Exceptions aux droits conférés Membres de l’OMC de recourir plei­ volontaire avec le titulaire du brevet nement aux dispositions de l’Accord – et éviterait d’exposer pendant ce Les Membres pourront prévoir des sur les ADPIC, qui ménagent une temps un pays à des pressions avant exceptions limitées aux droits exclusifs flexibilité à cet effet. »38 conférés par un brevet, à condition même qu’un fabricant générique que celles-ci ne portent pas atteinte de puisse lui garantir qu’il peut lui ven­ manière injustifiée à l’exploitation nor­ dre un produit. male du brevet ni ne causent un préju­ En outre, il en résulterait une plus dice injustifié aux intérêts légitimes grande souplesse pour les pays en du titulaire du brevet, compte tenu des Le mécanisme établi dans développement, qui pourraient ajuster intérêts légitimes des tiers. avec le temps les quantités de produits la Décision de 2003 de dont ils ont besoin, plutôt que de Comme l’a signalé l’association l’OMC n’est pas la seule devoir (comme à l’heure actuelle en représentant le secteur générique raison du RCAM et de la Décision canadien : avenue qui s’offre aux de 2003 de l’OMC) déterminer à États membres de l’OMC. l’avance une quantité parce que le fab­ l’intention de la Décision [de 2003 ricant générique est contraint de faire de l’OMC] est que si un membre sa demande de licence obligatoire admissible à l’importation tente de se uniquement pour ce nombre estimatif. procurer des médicaments en recou­ La solution à licence unique est rant au système, une réponse rapide est importante et compatible avec la différente du mécanisme établi dans Conclusion Décision (voir son préambule). Tout la Décision de 2003 de l’OMC. conflit avec l’exploitation normale Le Canada a été l’un des premiers D’ailleurs, ce mécanisme qu’imitent d’un brevet, si elle est compatible pays à mettre en application la le RCAM et des lois d’autres pays avec cet objectif, ne peut être dérai­ Décision de 2003 de l’OMC; il a n’est pas la seule approche qui s’of­ sonnable. Le membre admissible à observé des efforts soutenus pour fre aux États membres de l’OMC. l’importation ou ses citoyens sont des recourir à son régime domestique qui Il est expressément affirmé, dans la tiers qui détiennent des intérêts légi­ applique cette décision, et il a assisté Décision de 2003 de l’OMC : « La times.36 au seul recours jusqu’ici, à l’échelle présente décision est sans préjudice mondiale, à un tel mécanisme – qua­ des droits, obligations et flexibilités Rappelons aussi que l’article 30 de tre ans après sa création. qu’ont les Membres [de l’OMC] en l’Accord sur les ADPIC laisse la voie En conséquence, le Canada vertu des dispositions de l’Accord sur ouverte; de plus, l’Accord affirme est bien placé pour faire preuve

VOLUME 13, NUMÉRO 1, JUILLET 2008 11 Première mondiale par le Régime canadien d’accès aux médicaments

de leadership­ à reconnaître que l’Accord de Marrakesh instituant l’Organisation mondiale du 8 Pour information sur le produit « Apo-TriAvir », voir commerce, Legal Instruments — Results of the Uruguay www.apotex.com/apotriavir. l’approche actuelle n’offre pas la Round, vol. 31, 33 I.L.M. 1197 (1994). 9 Médecins Sans Frontières, Neither Expeditious, Nor a solution requise – rapide, flexible et 2 Conseil général de l’OMC, « Mise en œuvre du para- Solution: The WTO August 30th Decision is Unworkable – An durable – qui avait été promise; et il graphe 6 de la Déclaration de Doha sur l’accord sur Illustration Through Canada’s Jean Chrétien Pledge to Africa, les ADPIC et la santé publique », Décision du Conseil août 2006, p. 6 (www.accessmed-msf.org/fileadmin/user_ pourrait adopter une loi qui met en général en date du 30 août 2003, WTO Doc. IP/C/W/40 upload/medinnov_accesspatents/WTOaugustreport.pdf). (30 aôut 2003) [« Décision de 2003 de l’OMC »], en- œuvre une approche différente qui 10 ligne via http://docs-online.wto.org. Pour une discussion B. Clark, vice-président, Apotex, Inc., exposé lors d’une aurait de meilleures chances d’être discussion plus détaillée, voir R. Elliott, « Delivering on the séance satellite, « Commitment compromised?: WTO pledge: global access to medicines, WTO rules and refor- rules and Canada’s law on compulsory licensing — the utilisée par des pays en développe­ ming Canada’s law on compulsory licensing for export », continuing challenge of scaling up treatment access », e ment et des fabricants génériques. McGill International Journal of Sustainable Development Law XVI Congrès international sur le sida, Toronto, 15 août and Policy 3(1) (2007) : 23, accessible via 2006, en filière. Pour information au sujet du Programme Légalement, le Canada pourrait www.aidslaw.ca/gtag. de préqualification de l’OMS, et les listes à jour des pro- duits préqualifiés et des producteurs, voir remplacer l’actuel RCAM par un 3 Pour une description plus détaillée des efforts de cette http://healthtech.who.int/pq/. campagne, voir R. Elliott, « De Doha à Cancún… via processus désencombré, semblable 11 Ottawa : les élans mondiaux pour l’accès aux traitements Pour un aperçu de ces efforts, voir Médecins Sans à ce que nous venons de décrire, et et le projet de loi canadien C-56 », Revue canadienne Frontières, Neither Expeditious. il serait à même de le défendre des VIH/sida et droit 8(3) (2003) : 1, 7–20; et R. Elliott, « Des 12 Gouvernement du Rwanda, « Notification under pas en avant, en arrière et de côté – La loi canadienne paragraph 2(a) of the Decision of 30 August 2003 on the plaintes auprès de l’OMC, en invo­ sur l’exportation de produits pharmaceutiques géné- Implementation of Paragraph 6 of the Doha Declaration quant le contenu de l’article 30 de riques », Revue VIH/sida, droit et politiques 9(3) (2004) : on the TRIPS Agreement and Public Health », WTO Doc. 16–23; accessibles via www.aidslaw.ca/revue. R. Elliott, IP/N/9/RWA/1, 19 juillet 2007. Accessible via l’Accord sur les ADPIC. « Delivering on the pledge ». http://docs-online.wto.org. 4 Il n’y a pas, en somme, de Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, c. P-4. Accessible via 13 Réseau juridique canadien VIH/sida, « Le Rwanda, pre- problème d’incapacité juridique. La http://laws.justice.gc.ca. mier pays à tenter d’acheter des médicaments anti-VIH 5 Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les ali- abordables au moyen du régime d’accès du Canada », question est la suivante : les parle­ ments et drogues (Engagement de Jean Chrétien envers communiqué, Toronto, 20 juillet 2007. Accessible via mentaires canadiens auront-ils la l’Afrique), L.C. 2004, ch. 23. Accessible à www.canlii.org/ www.aidslaw.ca/medias. volonté politique de faire le néces­ ca/la/2004/c23. Pour un aperçu, voir www.parl.gc.ca/37/3/ 14 S. Ubelacker, « Canada’s untapped Access to Medicines parlbus/chambus/house/bills/summaries/c9-f.pdf. Outre le program to export first AIDS drug », Presse canadienne, Canada, en date de mai 2008, quelques autres ressorts saire pour aider à améliorer l’accès à 8 août 2007; T. Talaga, « AIDS drugs fiasco a tale of red – Norvège, Inde, Union européenne, Pays-Bas, Corée tape », Toronto Star, 9 août 2007; L. Priest, « Canadian des médicaments anti-sida, ou autres, du Sud et Chine – avaient adopté des lois, règlements, companies agree to share generic AIDS drugs with directives de politiques ou autres instruments qui, d’une pour des dizaines ou des centaines de Rwanda », The Globe and Mail, 9 août 2007. manière ou d’une autre, et à divers degrés de spécificité milliers de personnes dans les pays et de restriction, appliquent la Décision de 2003 de 15 Apotex, Inc., « Application pursuant to Section 21.04 of en développement? l’OMC afin d’autoriser des mesures de licence obliga- the Patent Act », 4 septembre 2007. Accessible via toire de produits pharmaceutique pour exportation à http://strategis.ic.gc.ca/sc_mrksv/cipo/jcpa/p4-f.html. certains pays admissibles. Pour d’autres renseignements 16 et documents, voir la compilation de Knowledge Ecology Commissaire aux brevets (Office de la propriété – Richard Elliott International (anciennement le Consumer Project on intellectuelle du Canada), « Authorization Under Section Technology), « Legislation to Allow for the Export of 21.04 of the Patent Act », 19 septembre 2007. Accessible Pharmaceuticals Under Compulsory License », à via http://strategis.ic.gc.ca/sc_mrksv/cipo/jcpa/p4-f.html. www.cptech.org/ip/health/cl/cl-export-legislation.html. 17 Gouvernement du Canada, « Notification under para- 6 Pour une analyse plus détaillée, voir R. Elliott, « Pledges graph 2(C) of the Decision of 30 August 2003 on the and pitfalls: Canada’s legislation on compulsory licensing implementation of paragraph 6 of the Doha Declaration Richard Elliott ([email protected]) est of pharmaceuticals for export », International Journal of on the TRIPS Agreement and Public Health », WTO Doc. directeur général du Réseau juridique cana­ Intellectual Property Management 1(1/2) (2006) : 94–112, IP/N/10/CAN/1, 5 octobre 2007. Accessible via dien VIH/sida. Pour de plus amples rensei­ accessible via www.aidslaw.ca/gtag; Réseau juridique http://docs-online.wto.org. canadien VIH/sida et Coalition interagence sida et déve- gnements sur le RCAM, consulter le site 18 Médecins Sans Frontières, Untangling the Web of Price loppement, La Loi de l’engagement de Jean Chrétien envers Reductions (10è éd.), juillet 2007 (dernière mise à jour : Internet du Gouvernement du Canada, l’Afrique et son impact sur l’amélioration de l’accès aux mars 2008), www.accessmed-msf.org/main/hiv-aids/ à www.rcam.gc.ca, et les documents de traitements anti-VIH/sida dans les pays en développement, price-guide-to-aids-drugs. août 2006, accessible via www.aidslaw.ca/gamt. groupes de la société civile via 19 Apotex, Inc., « Canadian company receives final tender 7 Industrie Canada, « Entrée en vigueur de l’Engagement www.aidslaw.ca/gamt. approval from Rwanda for vital AIDS drug, » communi- de Jean Chrétien envers l’Afrique », communiqué et fiche qué, Toronto, 7 mai 2008, en filière. d’information, Ottawa, 13 mai 2005. Accessible via http://www.ic.gc.ca. Voir aussi Règlement sur l’usage de 20 Réseau juridique canadien VIH/sida, « Le Canada enfin produits brevetés à des fins humanitaires internationales, sur le point de fournir des médicaments abordables à des D.O.R.S./2005-143; Règlements sur les aliments et drogues pays en développement, comme promis? », communiqué, (1402 – drogues [sic] pour des pays en développe- Toronto, 7 mai 2008. Accessible www.aidslaw.ca/medias. ment), D.O.R.S. 2005/141; Règlements sur les instruments 21 médicaux (pays en développement), D.O.R.S. 2005/142, I. Teotonio, « Clement vows to get cheap drugs tous dans la Gazette du Canada (Partie II), vol. 139 (no flowing », Toronto Star, 16 août 2006, p. A1. er 11), 1 juin 2005; accessibles via http://canadagazette. 22 Le texte intégral des mémoires écrits est accessible via gc.ca/partII/2005/20050601/html/index-f.html. Pour plus http://camr-rcam.hc-sc.gc.ca/review-reviser/index_f.html. d’information sur ce qui a été rebaptisé depuis, par le 1 Accord sur les aspects de propriété intellectuelle qui tou- gouvernement, comme le « Régime canadien d’accès aux 23 Pour le résumé du comité à propos des enjeux signalés chent au commerce (TRIPS), 15 avril 1994, Annexe 1C de médicaments », voir www.rcam.gc.ca. à son attention, voir Comité de l’industrie, de la science

12 REVUE VIH/SIDA, DROIT ET POLITIQUES Première mondiale par le Régime canadien d’accès aux médicaments

et de la technologie de la Chambre des communes,voir dien d’accès aux médicaments — Mémoire du GAMT 33 U. Gandhi, « Supplying generic AIDS drug called pricey sa Lettre à l’hon. Maxime Bernier, ministre de l’Industrie, 14 à l’intention du Gouvernement du Canada, janvier 2007. process », The Globe and Mail, 8 mai 2008.

mai 2007, et le sommaire qui l’accompagne. À Accessible via www.aidslaw.ca/gamt. 34 http://cmte.parl.gc.ca/Content/HOC/committee/391/ Décision de 2003 de l’OMC, par. 9. 27 Réseau juridique canadien VIH/sida, Rectifier le Régime indu/webdoc/wd2967322/391_INDU_Letter/ 35 — Mémoire présenté au Comité permanent de l’indus- Voir OMC, « Déclaration du représentant de l’Orga- 391_INDU_RelDoc_PDF-e.pdf. nisation mondiale de la santé », Conseil des ADPIC de trie, des sciences et de la technologie de la Chambre des l’OMC, 17 septembre 2002. À 24 Réseau juridique canadien VIH/sida et Institut Nord- communes, relativement au Régime canadien d’accès aux http://www.who.int/mediacentre/trips/fr/index.html. Sud, L’accès aux médicaments et la propriété intellectuelle médicaments, 18 avril 2007. Accessible via – Une réunion d’experts internationaux sur le Régime cana- www.aidslaw.ca/gamt. 36 L’Association canadienne du médicament générique, dien d’accès aux médicaments, les développements dans Canada’s Access to Medicines Regime Consultation Paper 28 Voir Loi sur les brevets, annexe 1, à http://laws.justice. le monde et les nouvelles stratégies pour améliorer l’accès, — Comments by the Canadian Generic Pharmaceutical Ottawa, 19–21 avril 2007. Accessible via gc.ca/fr/showdoc/cs/P-4/bo-ga:s_79::sc:1//fr?page=20. Association, 24 juillet 2007, p. 7. Accessible via www.aidslaw.ca/gamt, www.nsi-ins.ca. 29 Loi sur les brevets, art. 21.14(g). www.canadiangenerics.ca, www.camr.gc.ca. 25 37 Gouvernement du Canada, Rapport sur l’examen légis- 30 Ibid., art. 21.08(4)–(7), 21.14 et 21.17. Accord sur les ADPIC, article 1(1). latif des articles 21.01 à 21.19 de la Loi sur les brevets, 14 38 e décembre 2007. À http://camr-rcam.hc-sc.gc.ca/ 31 OMC, « ADPIC et santé publique : page du site web 4 Conférence ministérielle de l’OMC, Déclaration sur review-reviser/camr_rcam_report_rapport_f.html. consacrée aux notifications », At http://www.wto.org/ l’Accord sur les ADPIC et la santé publique, 14 novembre french/tratop_f/trips_f/public_health_f.htm. 2001, WTO Doc. WT/MIN(01)/DEC/2, par. 4. À 26 Groupe pour l’accès mondial aux traitements, Livrer www.wto.org/french/thewto_f/minist_f/min01_f/ la marchandise, tel que promis : Réformer le régime cana- 32 Médecins Sans Frontières, Neither Expeditious. mindecl_trips_f.htm.

VOLUME 13, NUMÉRO 1, JUILLET 2008 13 Élaborer des lignes directrices sur les poursuites judiciaires liées au VIH : une forme de réduction des méfaits?

Maintes discussions sur la tendance mondiale aux poursuites contre des individus, pour trans- mission du VIH, tendent à se concentrer sur les arguments pour ou contre cette réponse pénale. On a porté moins d’attention à examiner comment, dans une telle situation, la commu- nauté, le secteur bénévole et les instances professionnelles pertinentes (ci-après, « le secteur du VIH ») peuvent mitiger les préjudices qui en découlent et optimiser l’équité et la compréhen- sion dans le processus de la justice pénale. En Angleterre et au Pays de Galles, où des procès pour transmission insouciante du VIH ont lieu depuis 2003, le secteur du VIH a convaincu le Crown Prosecution Service (CPS [le Service des procureurs de la couronne]) de procéder à une consultation sur la production de conseils juridiques pour les procureurs et agents de cas du CPS (ci-après, « lignes directrices ») dans ce domaine du droit, de même que d’un énoncé de position.1 Dans cet article, Yusef Azad décrit la démarche ainsi que le résultat, et tente d’évaluer provisoirement si cette intervention a été utile à des personnes vivant avec le VIH.2

Le droit en relation possibles en vertu de l’article 19 de quelques éléments de préoccupa­ avec les poursuites pour l’OAPA 1861, mais cela n’a pas eu tion et d’incertitude : Quels types transmission du VIH, au lieu jusqu’ici.4 de comportements sexuels les cours Royaume-Uni La Cour d’appel a clairement considéreront-elles comme « insouci­ établi que l’infection par le VIH ants » aux fins d’une transmission du Dans un article antérieur de la est un préjudice grave; que le fait VIH? Le port du condom constitue- Revue VIH/sida, droit et politiques, de causer un tel préjudice en étant t-il un moyen de défense? La trans­ Matthew Weait et moi avons décrit ­conscient du risque à cet effet consti­ mission d’autres infections peut-elle l’application du droit à la transmis­ tue de l’insouciance; qu’il est pos­ être matière à poursuites également, sion du VIH, en Angleterre et au Pays sible d’invoquer comme moyen de où cela se limite-t-il au VIH? Quelle de Galles, telle qu’elle se manifestait défense le fait que le plaignant avait connaissance de la séropositivité au à la lumière de quatre procès ayant consenti au risque que cette infection VIH et du potentiel de contagion jusque-là été observés, et, en particu­ se produise; mais que l’on ne peut doit avoir eu l’accusé, afin d’être lier, telle que décrite dans deux arrêts pas présumer de ce consentement du considéré insouciant (le deuxième de la Cour d’appel.3 Brièvement dit, simple fait que le plaignant ait eu des homme déclaré coupable n’ayant depuis 2003 l’article 20 de l’Offences rapports sexuels non protégés, mais jamais passé le test du VIH)? Le fait Against the Person Act 1861 (OAPA qu’à cette fin il était nécessaire qu’il d’exposer une personne au simple 1861) a été invoqué pour intenter des ait spécifiquement été au courant de risque de contracter le VIH constitue- poursuites pour la transmission insou­ la séropositivité au VIH de l’accusé. t-il un crime? ciante du VIH en tant que préjudice Les deux jugements de la Cour En juillet 2004, le National AIDS physique grave. Jusqu’en mars 2008, d’appel ont laissé plusieurs questions Trust (NAT) et le Terrence Higgins sur un total de 13 poursuites en vertu sans réponse, pour les personnes Trust (THT), deux importants ONG de l’article 20, dix se sont terminées vivant avec le VIH se trouvant pour du secteur du VIH au Royaume-Uni, par un verdict de culpabilité, et trois la première fois devant la possibilité ont organisé un séminaire pour dis­ par un verdict de non culpabilité. d’enquête policière et de possibles cuter des manières par lesquelles le Des poursuites pour la transmis­ poursuites si elles transmettaient secteur pourrait répondre aux pour­ sion intentionnelle sont par ailleurs le VIH à une autre personne. Voici suites. Y ont assisté, des activistes

14 REVUE VIH/SIDA, DROIT ET POLITIQUES Élaborer des lignes directrices sur les poursuites judiciaires liées au VIH

de la communauté, des représentants comporterait, dans le climat politique étaient tous des migrants africains, du secteur bénévole, des cliniciens, actuel, un sérieux risque d’empirer en mettant en relief la vulnérabilité des chercheurs universitaires et des les ­choses au lieu de les améliorer. sociale des communautés les plus avocats. On se préoccupait particu­ Processus consultatif affectées par le VIH au R.-U. (les gais lièrement des questions susmen­ et les Africains), et en soulignant tionnées, en l’absence de clarté sur Des pratiques récentes du CPS ont la nécessité de faire en sorte que l’application du droit. Cela n’est donné lieu de croire qu’il y avait les poursuites soient menées d’une pas étonnant, puisqu’une loi du dix- possiblement une certaine disposi­ manière non discriminatoire et en neuvième siècle était invoquée pour tion à travailler avec le secteur du présence d’une bonne compréhen­ intenter les poursuites en cause – une VIH à des lignes directrices pour les sion des faits biologiques et sociaux loi qui n’avait définitivement pas procureurs dans ce nouveau domaine touchant le VIH. été conçue en pensant à la transmis­ du droit. Depuis 2002, une démarche La lettre a été délibérément sion du VIH (ni d’une autre maladie de consultation publique par le CPS, adressée en copie au président de la d’ailleurs). avec l’appui d’un groupe de travail Commission pour l’égalité raciale. On y a identifié comme des élé­ d’experts composé de « praticiens », Ceci a engendré une réponse et un ments prioritaires l’élaboration de avait contribué à l’élaboration de engagement à s’impliquer avec le lignes directrices pour les cliniciens, politiques et de lignes directrices secteur du VIH dans un processus pour les organismes d’aide en matière dans quelques autres domaines consultatif pour identifier des poli­ de VIH, et pour les personnes vivant socialement délicats, notamment tiques et des lignes directrices appro­ avec le VIH, ainsi que l’implication les crimes homophobes, la violence priées, à l’intention des procureurs. auprès des médias. Mais la clarifica­ domestique et la haine raciale et à Le processus inclut tous les élé­ tion des circonstances détaillées pour caractère religieux.6 ments qui, au dire du CPS, font partie des poursuites ne pouvait venir que de ses exercices consultatifs de ce du CPS. Il y avait consensus sur le type – on a établi un groupe de tra­ fait que le CPS devrait être approché, vail composé des principaux déposi­ avec une demande de clarté et taires d’enjeux de la communauté; il d’explications pour ce domaine du Le secteur du VIH a a été clairement dit que les politiques droit. fourni des conseils et des et lignes directrices seraient celles du En contrepartie, il s’est manifesté CPS uniquement, quoique « éclairées au séminaire, et persiste dans le sec­ arguments, mais on n’a par la communauté »; une ébauche teur du VIH, une méfiance quant pas demandé son accord des politiques et lignes directrices a à l’idée de tenter de convaincre le final sur les politiques ou été rédigée, pour discussion et perfec­ Parlement et le gouvernement de la tionnement par le groupe de travail, nécessité d’amender la loi et de faire conseils. puis disséminée pour un processus cesser les poursuites pour transmis­ consultatif de trois mois; des exerci­ sion insouciante de l’infection. Des ces qualitatifs ont été organisés pour articles de journaux, en 2006, ont compléter le processus de discus­ signalé qu’en neuf années au pouvoir sion;7 à partir des réponses reçues le gouvernement travailliste avait Les tentatives initiales de convain­ dans la consultation, une version créé plus de 3 000 nouvelles infrac­ cre le CPS de l’importance du sujet provisoire révisée a été produite, pour tions pénales, soit deux fois plus ont échoué. Cela a changé en octobre d’autres discussions du groupe de que le gouvernement conservateur 2004, lorsque les directeurs généraux travail; et les documents de politiques précédent.5 Autrement dit, il n’est du NAT et du THT ont adressé une et de lignes directrices ont été soumis pas à la mode de décriminaliser lettre directement au chef du CPS, le au directeur des poursuites publiques quoi que ce soit, et il y a eu consen­ directeur des poursuites publiques, et aux officiers légaux pour approba­ sus lors du séminaire quant au fait pour attirer son attention sur ce nou­ tion finale, puis publication. qu’une demande d’examen législatif veau domaine de poursuites et sur le Le groupe de travail de ce proces­ entourant la transmission du VIH fait que les trois premiers coupables sus consultatif incluait, du secteur du

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VIH, des représentants du NAT (dont suites n’allaient pas dans le sens de force de ces arguments a servi à faire l’auteur du présent article), du THT, l’intérêt public. Cependant, il est en sorte que l’ampleur des perspec­ de la U.K. Coalition of People ­living devenu clair que le test de l’intérêt tives de poursuite soit limitée autant with HIV and AIDS, de l’African public s’appliquait à la question de qu’il se pouvait. HIV Policy Network et un clinicien pour­suivre ou non un individu, et ne senior représentant la British HIV donnait pas au CPS une discrétion Association. Il incluait aussi un cer­ en matière de politiques publiques tain nombre de représentants du CPS, pour altérer des décisions judiciaires un délégué de la Metropolitan Police ou parlementaires. Inévitablement, et des représentants du ministère de l’engagement auprès du CPS dans des Les arguments contre la Justice et du département de la lignes directrices pour les procureurs les poursuites pour Santé. Le groupe a travaillé à la fois impliquait de gérer les attentes transmission insouciante en réunion et par correspondance de du secteur du VIH : il ne s’agirait courriel. Quatre réunions ont eu lieu aucune­ment d’abolir les poursuites. n’ont pas été un gaspillage. – trois avant la consultation publique L’un des premiers arguments Leur force a servi à limiter et une peu après la fin de la période présentés au CPS a été que le fait autant que possible les consultative. de cibler uniquement la transmis­ Deux points sont à souligner. sion du VIH, à l’exclusion de toute perspectives de poursuite. Premièrement, les décisions sur autre maladie transmissible sérieuse, les politiques et lignes directrices consti­tuait de la discrimination. Le relevaient uniquement du CPS. Le CPS a accepté d’inclure, dans le secteur du VIH a fourni des conseils mandat de la démarche, la trans­ et des arguments, mais en bout de mission sexuelle de toute infection ligne n’avait pas à donner son accord sérieuse. Ainsi, peut-être de manière Un important développement qui sur l’issue de la démarche. Cela était ironique, le résultat de la préoccupa­ s’est produit pendant la consultation important. Les représentants du sec­ tion du secteur du VIH à l’effet que fut le trouble croissant quant à la teur du VIH au sein du groupe de tra­ l’on ne devrait pas stigmatiser cette manière dont des données scienti­ vail étaient tous opposés au principe infection a été que le CPS a dévelop­ fiques, et en particulier l’analyse phy­ des poursuites pénales pour transmis­ pé des lignes directrices pour les logénétique, avaient été utilisées par sion insouciante du VIH. Fournir des poursuites en lien avec une gamme des procureurs dans la tentative de conseils relatifs aux lignes directrices élargie d’infections, accroissant ainsi soi-disant « prouver » la responsabi­ pour les poursuites, afin de limiter les la portée de la consultation. (Il n’y lité de la transmission. La première préjudices, est une chose; les rédiger a jamais eu de poursuite pour une remise en question, par un expert et en être le dépositaire est une autre infection autre que le VIH.) virologue, de cette utilisation inap­ chose. Toute demande d’accord aurait La consultation publique propre­ propriée de données a eu lieu en août conduit à une absence de résultat, et ment dite s’est déroulée de septembre 2006, à la Cour de la Couronne de l’on aurait perdu ainsi une occasion à novembre 2006; elle a suscité un Kingston, et a conduit à un premier d’influencer des choses pour le mieux. vif intérêt : plus de 60 mémoires acquittement dans une de ces affaires. Deuxièmement, le CPS ne ont été déposés, qui présentaient En février 2007, le NAT et le NAM8 pouvait pas remettre en question presque tous des arguments contre ainsi qu’un certain nombre d’experts l’interprétation du droit exprimée les poursuites pour transmission du impliqués dans le domaine ont publié dans les deux arrêts de la Cour VIH, et qui identifiaient des enjeux « HIV Forensics », où sont décrites la d’appel. Il existe un test pour valider qui devraient être gardés à l’esprit valeur et les limites de l’analyse phy­ « l’intérêt public » de poursuites, et dans toute poursuite. En dépit de logénétique dans des poursuites pour il y eut au début du processus des l’absence de pouvoir du CPS d’abolir transmission insouciante du VIH.9 tentatives d’argumentaire à l’effet les poursuites, je suis d’avis que les Comme suite à ces préoccupa­ qu’en raison d’allégations de préju­ arguments contre les poursuites n’ont tions, le CPS a aussi créé un autre dice à la santé publique, les pour­ pas été un gaspillage. Je crois que la groupe de travail, distinct, formé

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de cliniciens. Ce groupe a fait une poursuite, pour toutes les infections nant qui ait transmis l’infection à contri­bution importante, en confir­ transmissibles sexuellement présen­ l’accusé, ou ils peuvent avoir tous mant les arguments exprimés sur les tant une pertinence, et pour leurs deux contracté l’infection d’une limites de ces données scientifiques, divers degrés de sérieux, et mode de tierce partie. Ainsi, les lignes direc­ mais aussi en apportant des informa­ transmission, était impossible. En trices nécessitent, même en présence tions utiles, notamment sur la nécessi­ conséquence, les lignes directrices d’échantillons qui présentent une té d’être conscient des diverses phases sont générales – le lecteur constate étroite ressemblance, que d’autres de l’infectiosité, et du choc d’un immédiatement que l’on ne nomme preuves soient recueillies, par diagnostic de séropositivité qui nuit à aucune infection, VIH ou autre. exemple les antécédents sexuels de la capacité de comprendre pleinement Certains des principaux éléments l’accusé et du plaignant, afin de prou­ les messages sur le comportement. abordés dans les lignes directrices ver la probabilité de responsabilité du D’autres personnes avaient bien sûr sont examinés ci-dessous. Les lec­ premier pour l’infection du second. apporté ces renseignements, mais la teurs sont incités à examiner le conte­ Il est affirmé dans les lignes direc­ voix d’un médecin ajoute du poids nu des deux documents du CPS, trices qu’il est possible que la preuve et il est vraiment utile de faire cause proprement dits, pour plus de détails. scientifique démontre que l’accusé commune, autant que possible, avec Bien que l’interprétation présentée n’est pas responsable de l’infection des cliniciens pour le VIH, relative­ dans cet article relève uniquement de du plaignant. Sans que cela soit ment aux questions de poursuite. l’auteur, elle reflète la compréhension explicitement affirmé dans les lignes Bien que la réponse du gouverne­ initiale des documents du CPS par directrices, la preuve scientifique en ment aurait normalement dû paraître l’ensemble des collègues du secteur lien avec le VIH sera habituellement trois mois après la fin de la péri­ du VIH. Il reste à voir si les pratiques l’analyse phylogénique des échan­ ode de consultation (donc en mars en matière de poursuite se confor­ tillons de VIH prélevés chez l’accusé 2007), le CPS a en effet poursuivi meront à cette interprétation. et le plaignant. ses délibérations pendant la majeure Bref, à elle seule la preuve scien­ Preuve scientifique et infection partie de l’année 2007, à l’interne, au tifique ne peut démontrer de manière sujet des réponses à la consultation et Les lignes directrices indiquent concluante la responsabilité de des données présentées par le groupe clairement que, dans tous les cas, l’accusé pour l’infection du plai­gnant, de cliniciens. Ce n’est qu’à l’automne même lorsque l’accusé envisage de mais elle doit être présente dans 2007 qu’une nouvelle version a été plaider coupable, des preuves scien­ toute affaire pénale en la matière. produite, pour considération par le tifiques sont cruciales à établir la Cette position peut sembler quelque groupe de travail de la communauté. probabilité que c’est bien lui qui a peu paradoxale, mais elle reflète à La raison de la longue durée de transmis l’infection au plaignant. la fois l’importance et les limites de la démarche fut immédiatement Parmi les premières affaires, des la preuve scientifique, et elle est un apparente : les documents avaient été reconnaissances de culpabilité et des facteur central de la récente diminu­ récrits en entier. Ils étaient grande­ verdicts de culpabilité se sont produit tion du nombre d’affaires soumises ment améliorés; les commentaires sans preuve scientifique démontrant à des cours ainsi que de la récente du groupe de travail, dans les quatre la responsabilité de l’accusé pour augmentation du nombre de verdicts derniers mois, avaient fait en sorte l’infection du plaignant. L’exigence d’acquittement. que la grande majorité des sugges­ qu’une preuve corrobore même une Connaissance et insouciance tions du groupe avaient été acceptées reconnaissance de culpabilité par et intégrées. Le document de conseils l’accusé, que ce soit pour une trans­ La deuxième affaire pénale, en d’orientation et l’énoncé de politiques mission insouciante ou intentionnelle, Angleterre, impliquait la condam­ ont été publiés le 14 mars 2008 sur le est une importante disposition. nation d’une personne qui n’avait site Internet du CPS. Même lorsqu’une grande ressem­ pas passé le test du VIH mais dont Contenu des orientations blance est observée entre deux l’épouse l’avait informé qu’elle avait échantillons, il peut y avoir d’autres reçu un diagnostic de séropositivité Le CPS a conclu que la tentative explications en cause – par exemple, et que son médecin était d’avis que d’établir des critères détaillés pour la il est possible que ce soit le plaig­ lui aussi devrait passer le test. Ces

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circonstances ont soulevé la question sur la disposition des gens à passer question de savoir si cela pourrait se de savoir quel degré de connaissance le test du VIH si le spectre de la démontrer en cour, en l’absence d’un une personne doit avoir, pour être responsabilité criminelle était aussi diagnostic, est peut-être douteuse. poursuivie pour transmission insouci­ étroitement lié au diagnostic. Le CPS C’est néanmoins un élément à sur­ ante du VIH. signale, dans son introduction de veiller soigneusement. Les lignes directrices renferment l’énoncé de position, « l’important La discussion de la connais­ un solide test subjectif pour établir la intérêt public à inciter au test parmi sance, dans les lignes directrices, connaissance, en lien avec la question les personnes pouvant être à risque a été clairement influencée par les de l’insouciance – « les procureurs de quelconque infection transmissible mémoires et témoignages du secteur examineront les preuves que l’accusé sexuellement » [trad.]. Il est affirmé du VIH. Le document requiert non «savait» qu’il avait une infection dans les lignes directrices que « les seulement la preuve qu’un diagnostic transmissible et pouvait la transmettre personnes qui décident de ne pas a été donné, mais qu’il a aussi été à autrui s’il avait des rapports sexuels passer le test n’éviteront pas néces­ compris. En référant au choc d’un non protégés » [trad.]. Cela impli­ sairement des poursuites pour trans­ diagnostic positif et à la difficulté que qu’une personne qui « aurait mission insouciante d’une infection de comprendre à ce moment tout dû savoir » qu’elle avait ou pouvait transmissible sexuellement, si toutes ce qui peut être expliqué, les lignes avoir l’infection ne peut être pour­ les circonstances indiquent qu’elles directrices soulignent que « les pro­ suivie en l’absence de connaissance savaient qu’elles avaient cette infec­ cureurs devront être certains que subjective de son infection.10 tion » [trad.]. l’accusé avait réellement compris Les exemples présentés pour illus­ qu’il était contagieux pour autrui, et trer la connaissance sans diagnostic – ­comment l’infection concernée pou­ ou l’« aveuglement volontaire » – tel vait se transmettre » [trad.]; et que que le CPS qualifie le cas, peut-être « la ­connaissance sera probablement La discussion de la inutilement –, incluent « la situati­ ­difficile à prouver » [trad.]. connaissance, dans les on d’un accusé qui a un diagnostic Bref, l’emphase sur la preuve de préliminaire d’un médecin lui ayant connaissance subjective de l’infection lignes directrices, a été recommandé un test de confirmation et de l’infectiosité ainsi que la recon­ clairement influencée pour l’infection sexuelle, mais qui naissance de certains des facteurs n’a pas donné suite à ce conseil du sociaux qui se rattachent à une telle par les point de vue du médecin » [trad.]. D’autres exemples connaissance font en sorte que le secteur du VIH. de possible connaissance en l’absence seuil de la preuve est élevé, pour les d’un diagnostic sont « de clairs procureurs. Comme l’affirme le CPS symptômes associés à l’infection dans l’introduction des lignes direc­ sexu­elle », partant desquels la trices, « la criminalité de l’accusé connais­sance peut être raisonnable­ réside dans la mens rea. Cela signifie Les lignes directrices affirment ment déduite, ou encore le diagnostic que les infractions pertinentes seront que la « preuve habituelle et la meil­ d’un partenaire sexuel qui n’a pu difficiles à prouver selon la norme leure » d’une telle connaissance est contracter­ l’infection que de l’accusé. élevée qui est requise » [trad.]. un diagnostic médical – i.e. « une Les lignes directrices soulignent Comportement et insouciance preuve démontrant que l’accusé avait toutefois que de tels cas sans diag­ passé un test, avait été avisé des nostic seront « rares » et « exception­ Les lignes directrices affirment que moyens de réduire le risque de trans­ nels ». Il est important de clarifier « insouciance » signifie que l’accusé mission à autrui, et avait compris ces que ces exemples de connaissance voyait le risque d’infection de son conseils » [trad.]. sans diagnostic ne constituent pas partenaire sexuel mais a quand même Un important argument invoqué des cas d’« aurait dû savoir ». La pris ce risque, de manière déraison­ par plusieurs intervenants du secteur poursuite doit tout de même prouver nable. L’exigence de connaissance du VIH, à l’encontre des poursuites, une connaissance subjective, réelle, subjective est ainsi complétée par une était leur possible effet dissuasif de la séropositivité chez l’accusé. La exigence de preuve plus objective

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liée au concept du « caractère raison­ insouciant, ce qui constitue un type ce qu’est un comportement qui com­ nable ». Il y a un risque théorique et de jugement très différent. Il est pos­ porte un risque sérieux de préjudice. distant d’infection par une très vaste sible que la couronne et la défense Les précautions comme gamme de comportements sexuels, fassent toutes deux appel à des moyen de défense mais dans plusieurs cas, le risque, cliniciens, à titre d’experts témoins, quoique pouvant être constaté, est pour débattre de cet élément, et que Tout aussi frappante que l’absence si faible qu’il est raisonnable. D’un l’approche ne soit pas constante. du mot « VIH » des lignes directrices point de vue objectif à savoir quels Nous ne savons pas encore, par est celle également du mot ­ comportements impliquent un degré exemple, si une poursuite pourrait « condom ». Encore ici, cela découle pertinent de risque, justifiant des être tentée pour un cas de transmis­ de la décision de fournir des consi­ poursuites, les lignes directrices font sion du VIH par des rapports sexuels gnes générales pouvant s’appliquer à référence aux « avis scientifiques oraux. l’ensemble des infections transmis­ actuels relativement à la nécessité sibles sexuellement. Il est possible de précautions et à leur utilisation » que le mot « précaution » [safeguard, [trad.]. en anglais], utilisé dans le document, Une conséquence importante du soit interprété comme référant non fait de maintenir les lignes direc­ Le document ne contient seulement à un instrument ou une trices à un tel degré de généralité pas de désignation technologie, mais aussi à un élément est l’absence, dans le document, de explicite à savoir quels comportemental qui réduit le risque. désignation explicite de comporte­ La principale précaution, en ce qui ments sexuels qui constitueraient comportements sexuels concerne le VIH, demeure néanmoins de l’insouciance en lien avec la constitueraient de le condom. transmission du VIH. À défaut, le Les lignes directrices signalent l’insouciance en lien avec procureur doit s’assurer de compren­ que les données sur l’usage constant dre la nature de l’infection sexuelle la transmission du VIH. de précautions (lire « condoms ») en cause, ses modes de transmis­ feront en sorte qu’il est « fortement sion, les degrés divers d’infectiosité improbable que la poursuite arrive à possible, et le rôle de « précautions prouver que l’accusé a été insouci­ appropriées » pour éviter les risques ant », même si l’infection s’est quand de transmission. À tous ces égards, On peut affirmer, en contrepartie, même produite. Cette affirmation, le procureur devrait obtenir des avis que l’absence de stipulation, bien qui est effectivement au sujet du port d’un expert. qu’elle n’exempte de poursuite aucun du condom comme comportement Cette approche recèle sans contre­ comportement, n’inclut pas non plus pouvant servir de moyen de défense dit des difficultés, pour les personnes n’importe quel comportement, sans contre des poursuites, est évidem­ qui souhaitaient la clarté de la part équivoque – i.e. nous avons évité ment bienvenue, et elle renforce les du CPS. Le jugement, aux fins d’une une liste futile qui aurait établi sans messages de santé publique. Les poursuite, à savoir si un compor­ contredit qu’un certain comporte­ lignes directrices poursuivent en affir­ tement particulier démontre une ment serait considéré insouciant. Ceci mant que même si la précaution est insouciance ou si une précaution par­ permet le développement, en termes utilisée de manière inappropriée ou ticulière était appropriée, relève des de compréhension scientifique et de incorrecte, « il ne sera probable que experts et des procureurs. consensus, et ouvre la porte à une la poursuite prouve l’insouciance que Il semble que l’expert serait habi­ approche nuancée qui pourrait mieux dans le cas où l’on peut démontrer tuellement un clinicien. Bien que les tenir compte des mesures de réduc­ que l’accusé savait que ces précau­ cliniciens puissent être capables de tion du risque ou des divers stades tions étaient inappropriées » [trad.]. fournir une expertise sur le degré de d’infectiosité. On pourrait même Autres éléments risque, ils n’ont pas nécessairement avancer que le CPS a effectivement un point de vue unique ou objectif, à retourné au secteur du VIH la respon­ Les lignes directrices réaffirment la savoir quel comportement peut être sabilité d’établir un consensus quant à position de la Cour d’appel à l’effet

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qu’une défense possible est que la l’énoncé de politiques, dans un an, ce base de données détaillées, ce qui est personne qui a contracté l’infection qui sera une occasion de se pencher nécessaire à prouver la responsabilité­ (le plaignant) avait consenti au risque de nouveau sur des incertitudes ou de la transmission, la connaissance, que l’infection lui soit transmise. sur des préoccupations persistantes. l’insouciance et l’utilisation appro­ Ceci implique la connaissance spéci­ Un séminaire pour le secteur du priée de précautions. Une compré­ fique de la séropositivité de l’accusé VIH est organisé par le NAT et le hension éclairée de ces éléments a au moment où la transmission a eu THT, afin de discuter d’une compré­ permis, même dans le contexte du lieu. Les lignes directrices précisent hension collective des documents droit pénal actuel, de réduire le nom­ toutefois que, bien que la divulgation du CPS ainsi que des prochaines bre de poursuites et de faire en sorte serait la manière la plus habituelle étapes. Il y a un besoin évident de qu’elles soient plus justes. Comme par laquelle le plaignant aurait été faire connaître les implications des l’affirme le CPS dans son énoncé de informé, d’autres voies d’information lignes directrices, aux individus ainsi position : « [O]btenir des preuves existent, notamment d’un tiers, d’une qu’aux organismes et aux instances suffisantes pour prouver le caractère visite à l’hôpital ou de « l’apparition professionnelles. Des ressources intentionnel ou insouciant dans la de plaies » – et ce n’est clairement conçues spécialement à cet effet transmission sexuelle d’une infection pas une liste exhaustive. devront être produites, pour divers sera difficile … et en conséquence, il En ce qui concerne la transmis­ publics. Vu l’importante place qui est est peu probable qu’il y ait un grand sion intentionnelle, les lignes direc­ envisagée pour les preuves cliniques nombre de poursuites. » trices affirment qu’une infraction de d’experts, il sera important de revoir Ainsi, nous devrions considérer « tentative de transmission intention­ les conseils utiles produits pour les que ceci est un exemple de succès nelle » est possible; elles signalent cliniciens, en mars 2006, relativement d’intervention au chapitre des poli­ explicitement, par ailleurs, qu’il aux affaires judiciaires.11 tiques, pour la réduction des méfaits. n’y a pas d’infraction de « tenta­ Il sera important aussi de travailler Cela n’était pas dépourvu de risques. tive d’insouciance ». Autrement dit, avec les forces policières à établir La réussite a découlé de plusieurs il n’y a pas de crime d’exposition une pratique exemplaire constante, facteurs, notamment le fait que le insouciante d’autrui au risque de dans l’investigation de ces affaires. CPS était déjà engagé à prendre au transmission du VIH. Pas plus qu’une Un examen d’affaires sélectionnées sérieux les préoccupations et expéri­ personne serait coupable de viol pour est amorcé, par la police métropoli­ ences de communautés affectées, avoir eu un rapport sexuel consensuel taine et le THT, afin d’identifier des dans la considération de poursuites sans divulgation de son infection. exemples de bonnes et de mauvaises dans des domaines du droit qui sont Le document ne fournit pas de pratiques d’enquête. Le NAT utilisera socialement délicats. Certains ressorts conseils sur les éléments délicats les résultats de cet examen pour tra­ n’auront pas le bénéfice d’un service de l’application du droit aux jeunes vailler avec l’Association des chefs de procureurs aussi éclairé, donc le personnes qui vivent avec le VIH, de police à l’élaboration de lignes secteur du VIH devra remonter plus qui atteignent l’adolescence et qui directrices de pratiques exemplaires en arrière dans son intervention, en deviennent actives sexuellement. applicables à l’échelle nationale, en termes d’implication auprès des auto­ Par ailleurs, on n’y trouve qu’un matière d’enquête policière. rités. Mais il peut être possible même compte-rendu bref et inadéquat de dans les divers contextes légaux des l’application de la loi en cas de bris Conclusion pays, d’utiliser les lignes directrices du du condom pendant la pénétration. L’évaluation du degré de succès CPS afin de susciter des améliorations dans la pratique à d’autres endroits. Prochaines étapes dépend grandement des attentes ini­ tiales. Le CPS n’était pas en position La démarche a grandement béné­ Le CPS demande que ses bureaux d’abolir les poursuites pour trans­ ficié de l’engagement d’une gamme locaux réfèrent ces cas délicats à son mission insouciante, ou de refuser de partenaires d’une diversité extraor­ bureau chef, qui devrait alors établir l’interprétation de l’OAPA 1861 faite dinaire, du secteur du VIH – ONG, une expertise et une uniformité. Il par la Cour d’appel. Ce qu’il pouvait universitaires, cliniciens, virologues est supposé, par ailleurs, y avoir un faire – et a fait – était de considérer et, par-dessus tout, personnes vivant examen des lignes directrices et de avec plus de profondeur, et sur la avec le VIH.

20 REVUE VIH/SIDA, DROIT ET POLITIQUES Élaborer des lignes directrices sur les poursuites judiciaires liées au VIH

Bien que les préjudices puissent 1 L’énoncé de politiques s’adresse à un lectorat géné- jamais rendues en cour. ral; son titre exact est « Policy for Prosecuting Cases 5 avoir été circonscrits, ils ne sont pas Involving the Intentional or Reckless Sexual Transmission « Blair’s ‘frenzied law-making’: a new offence for every éliminés – il y a encore des poursuites of Infection ». Accessible à www.cps.gov.uk/publications/ day spent in office », The Independent, 16 août 2006. prosecution/index.html. Les lignes directrices pour les 6 Voir www.cps.gov.uk/publications/prosecution/index.html pour transmission insouciante du VIH procureurs et agents de cas sont plus détaillées; le titre pour les documents concernant les politiques et lignes est « Intentional or Reckless Sexual Transmission of directrices du CPS pour les pousuites. et il y en aura d’autres. Il est urgent et Infection ». Accessible à www.cps.gov.uk/legal/section7/ nécessaire de réaffirmer les arguments chapter_h.html. Les deux documents contiennent des 7 Dans ce cas, le CPS a organisé une plus grande discus- passages très semblables. Dans le présent article, la sion de groupe, en décembre 2005, pour inviter les per- éthiques et de politiques, à l’encontre source des citations est le document des lignes direc- sonnes du secteur du VIH à apporter des contributions de telles poursuites, et de considérer trices, sauf lorsque l’énoncé de politiques renferme des à la préparation du document en vue des consultations éléments additionnels. publiques. constamment par quels moyens et à 2 La description n’est pas exhaustive et, notamment, 8 NAM (anciennement le « National AIDS Manual ») quel moment nous nous impliquerons ne peut pas rendre compte du degré plus large et plus est un important ONG britannique en matière de VIH, avec des responsables des politiques, soutenu d’implication du secteur et de la communauté, qui fournit de l’information sur les traitements et autres à l’égard de cet enjeu; cela a inclus des publications, des aspects du VIH. Voir www.aidsmap.com. relativement à ces enjeux. enquêtes, la dissémination d’information, la dénonciation de reportages stigmatisants et l’implication en matière de 9 NAT/NAM, HIV Forensics, 2007, à www.nat.org.uk/ réforme des politiques de détermination de la peine ainsi document/230; voir aussi, E. Bernard, Criminal HIV – Yusef Azad que des lois sur la santé publique. Transmission, NAM, 2007. 3 M. Weait et Y. Azad, « Criminalisation de la transmission 10 Pour un compte-rendu utile du contexte du droit du VIH en Angleterre et au Pays de Galles: questions britannique relatif à l’insouciance, voir M. Weait, Intimacy juridiques et éthiques », Revue VIH/sida, droit et politiques, and Responsibility: The Criminalisation of HIV Transmission Yusef Azad ([email protected]) est 10(2) (2005) : 1, 5–13. (London, Routledge-Cavendish, 2007), p.158–160. directeur des politiques et des campagnes, 4 Il y a eu deux ou trois tentatives d’accuser des person- 11 British HIV Association, HIV Transmission, the Law and au National AIDS Trust. nes de transmission intentionnelle, mais elles ne se sont the Work of the Clinical Team, 2006, à www.bhiva.org.

VOLUME 13, NUMÉRO 1, JUILLET 2008 21 L’accès aux condoms en prison aux États-Unis

En dépit d’un lourd corpus de données à l’effet que le port du condom prévient la trans- mission du VIH, les autorités des prisons états-uniennes continuent de limiter la disponibi­ lité de condoms, pour les personnes incarcérées. Des préoccupations liées à la transmission du VIH dans les prisons, puis dans la communauté lorsque les personnes incarcérées sont remises en liberté, rehaussent l’intérêt pour cet enjeu, chez certains responsables des poli- tiques. Dans le présent article, Megan McLemore traite des préoccupations qui concernent la sécurité, puis des arguments des droits humains en faveur des efforts pour adopter une approche de santé publique à la réduction des méfaits dans les prisons états-uniennes.1

Le contrôle des maladies infectieuses, fournir des condoms aux détenus. Au États-Unis. On observe parmi ces en prison, est un impératif des droits palier fédéral, la congressiste Barbara personnes un fardeau disproportionné de la personne ainsi qu’un enjeu de Lee a déposé le Justice Act of 2006 de maladies infectieuses, notamment santé publique. Considérant le taux (HR 6083), une initiative législative les infections à hépatite B (VHB), élevé d’infection à VIH parmi les complète pour répondre au VIH/sida à hépatite C (VHC) et le VIH/sida. personnes qui entrent en prison, la en prison, qui inclut une disposition Bien que les détenus ne composent mise à disposition facile de condoms autorisant la distribution de condoms que 0,8 % de la population des pour les détenus est une mesure effi­ pour réduire la transmission. États-Unis, il est estimé qu’entre 12 cace et peu coûteuse que les autorités Aucun de ces projets législatifs et 15 % des États-Uniens atteints correctionnelles devraient mettre en n’est devenu loi, mais leur dépôt d’infection chronique à VHB, 39 % œuvre afin de réduire la propagation illustre la disposition de législateurs de ceux atteints d’infection chronique de cette infection. à reconsidérer une question contro­ à VHC et de 20 à 26 % de ceux De récentes études démontrent versée, lorsque l’intérêt de la santé atteints d’infection à VIH transitent l’absence de répercussions sur la publique le requiert. Au Texas, par par une prison, annuellement.2 sécurité, dans les systèmes correc­ exemple, le représentant Garnet La prévalence du VIH dans les tionnels, lorsque des condoms sont Coleman a expliqué au Comité sur prisons fédérales et d’État est deux disponibles. Ces constats ainsi qu’un les corrections, qui se penchait sur ce fois et demie plus élevée que dans la impératif croissant de réduire la projet de loi, qu’il visait à protéger population générale.3 La prévalence transmission du VIH dans la commu­ non seulement la santé des détenus du VHC parmi les détenus atteint nauté, après la remise en liberté des mais aussi celle des membres de la presque les 40 %.4 La co-infection est détenus, ont suscité des efforts dans communauté afro-américaine, où les également préoccupante : un nombre plusieurs États ainsi qu’au Congrès taux de transmission du VIH sont en significatif des détenus séropositifs au états-unien afin que soit autorisé hausse alarmante. En Californie, le VIH sont aussi atteints de l’infection l’usage du condom en prison. Ces gouverneur Arnold Schwarzenegger à VHC. efforts devraient être soutenus par les a rejeté par son veto un projet de loi Bien que la majorité des détenus professionnels et responsables des qui visait à autoriser la distribution qui vivent avec les infections à VHB, politiques du domaine correctionnel. générale de condoms en prison, mais à VHC ou à VIH les aient contractées Depuis 2006, des législateurs a autorisé un projet pilote dans une hors de prison, la transmission de des États où les populations car­ prison afin d’évaluer la faisabilité maladies infectieuses en prison est de cérales sont les plus élevées, comme d’un tel programme. mieux en mieux documentée.5 Des le Texas, la Californie, l’Illinois, Les maladies infectieuses interventions ciblées afin de réduire l’État de New York et la Floride, ont le risque de transmission du VIH déposé des projets de loi pour auto­ en prison en prison, comme la provision de riser le personnel d’organismes à but Plus de 2,2 millions de personnes ­condoms, le traitement d’entretien à non lucratif ou le personnel médical à sont actuellement incarcérées, aux la méthadone et la provision d’eau de

22 REVUE VIH/SIDA, DROIT ET POLITIQUES L’accès aux condoms en prison aux États-Unis

Javel pour le nettoyage de seringues tionnels qui reçoivent des plaintes par une distribution plus générale. Or et aiguilles, s’avèrent des moyens très personnelles et qui prennent des aucun système correctionnel dont les efficaces de prévenir la transmission mesures disciplinaires contre des politiques institutionnelles prévoient du VIH en prison, tout comme elles détenus qui s’adonnent à des activités la distribution de condoms n’a encore le sont lorsque mises en œuvre hors interdites.7 constaté de motifs de changer ou des prisons. La Prison Rape Elimination Act d’abroger cette mesure. Ces approches de réduction (2003)8 [Loi pour éradiquer le viol D’éminents experts en santé en des méfaits sont appuyées par en prison] énonçait l’estimation que milieu carcéral appuient la distri­ l’Organisation mondiale de la 13 % des détenus, aux États-Unis, bution de condoms en prison. La santé (OMS), l’ONUSIDA ainsi que avaient été agressés sexuellement, en National Commission on Correctional l’Office des Nations Unies contre prison, et elle demandait des recher­ Health Care (NCCHC) états-unienne, la drogue et le crime, comme des ches sur la prévalence du phénomène principale instance de normalisation éléments qui font partie intégrante et sur ses caractéristiques. Une com­ et d’accréditation dans ce domaine, d’une stratégie de prévention du VIH, mission nationale sur l’éradication est en faveur de la mise en œuvre de y compris en prison.6 L’échec des du viol en prison a organisé une série stratégies de réduction des méfaits, y gouvernements à assurer l’accès à d’audiences sur la violence sexuelle compris la distribution de condoms : des services de réduction des méfaits dans des établissements de détention « Sans endosser l’activité illégale des place les détenus en situation de ris­ locaux, d’État et fédéraux; le U.S. détenus, nous considérons que notre que accru et non justifié de contracter Bureau of Justice Statistics a amorcé préoccupation principale concerne des infections. une enquête nationale sur la violence la stratégie de santé publique pour sexuelle en détention; et des normes réduire les risques de contagion ».9 nationales sont en développement De plus, les American Public Health pour répondre au problème. Association Standards for Health Services in Correctional Institutions L’échec des Les politiques e correctionnelles et la (3 édition, 2003) [normes de gouvernements à assurer distribution de condoms l’Association états-unienne de santé l’accès à des services de publique, relativement aux services En dépit d’un lourd corpus de don­ de santé dans les établissements cor­ réduction des méfaits nées démontrant que le port du rectionnels] recommandent que l’on place les détenus en condom prévient la transmission du fournisse des condoms aux détenus. VIH, les responsables des prisons situation de risque Les programmes de distribution aux États-Unis continuent d’y limiter de condoms dans des prisons accru et non justifié de l’accès pour les détenus. Moins de des É.-U. contracter des infections. 1 % des établissements correctionnels en fournissent aux détenus, bien que Certains responsables correctionnels ceux qui le font sont en milieu urbain se disent inquiets que la distribution et parmi les plus grands au pays. de condoms affecte la sécurité des Ces politiques contrastent radi­ établissements. Cette préoccupation L’activité sexuelle, consensuelle calement avec l’approche de santé s’est avérée non fondée, à la suite de et sous la coercition, est répandue publique adoptée par les autorités au recherches sur le sujet au Canada et en prison en dépit des règlements Canada, en Europe de l’Ouest, en en Australie.10 Et, nous y reviendrons institutionnels. Les rapports sexu­ Australie, en Ukraine, en Roumanie ci-dessous, une récente évaluation els entre détenus ont été profusé­ et au Brésil, où l’on fournit des d’un programme de distribution de ment documentés, non seulement ­condoms aux détenus depuis nombre condoms en prison aux États-Unis par des recherches académiques et d’années. Aux États-Unis, quelques apporte d’autres données démontrant d’organismes des droits humains grandes prisons urbaines de ressort que la sécurité n’est pas compromise comme Human Rights Watch, mais fédéral, et un État, en fournissent, soit par cette mesure de réduction des aussi du côté des systèmes correc­ par le biais du personnel de santé, soit méfaits.

VOLUME 13, NUMÉRO 1, JUILLET 2008 23 L’accès aux condoms en prison aux États-Unis

Une étude a examiné le programme Autoriser l’accès des détenus à des distribution de condoms, le premier de distribution de condoms établi condoms demeure une mesure contro­ du genre dans une prison d’État cali­ depuis 1993 au Central Detention versée parmi la plupart des profes­ fornienne. Facility de Washington, D.C. (CDF). sionnels correctionnels. Néanmoins, Le CDF loge approximativement parmi les prisons aux États-Unis qui Lignes directrices et 1 400 hommes adultes, 100 femmes ont autorisé cette mesure, aucune normes légales n’a modifié sa politique par la suite adultes et 40 délinquants juvéniles; le et aucune n’a signalé de problèmes Normes légales internationales roulement est d’environ 2 800 cas par importants de sécurité. À la prison mois. L’établissement a un personnel de Washington D.C., le programme Dans leur traitement des détenus, les de 551 agents correctionnels. fonctionne depuis 1993 et aucun États-Unis doivent respecter leurs Des condoms étaient fournis gra­ incident sérieux n’a eu lieu. Des son­ obligations du registre à l’égard des tuitement par des intervenants en dages auprès des détenus et des agents droits de la personne. Les États-Unis santé publique et d’organismes de correctionnels ont révélé que l’accès sont signataires du Pacte international lutte contre le VIH/sida. Les détenus aux condoms est généralement bien relatif aux droits civils et politiques pouvaient s’en procurer lors de cours accepté dans les deux groupes.11 (PIRDCP), qui garantit à toute per­ sur la santé, ou de séances de coun­ sonne le droit à la vie et de ne pas selling préalable ou consécutif au Certaines grandes prisons en milieu être soumises à des peines cruel­ test volontaire du VIH, ou en faisant urbain, notamment les prisons de les, inhumaines ou dégradantes; et la demande au personnel de santé. comté de Los Angeles et de San en ­situation de privation de liberté, D’après les rapports d’inventaire, Francisco, mettent des condoms à la d’être traitée avec humanité et de environ 200 condoms étaient dis­ disposition des détenus. Le sheriff de manière respectueuse de la dignité de tribués chaque mois. San Francisco, Michael Hennessey, la personne humaine. Des détenus et des employés ont appuyait vivement le projet de loi Les États-Unis sont aussi signa­ été interviewés sur leur opinion au californien pour autoriser la distri­ taires de la Convention contre la sujet du programme de distribution bution de condoms en prison, qui a torture (CCT), qui veut protéger de condoms. Cela a révélé que 55 % été adopté par vote en 2005 puis en toute personne contre la torture et des détenus et 64 % des agents cor­ 2007, mais qui a été bloqué chaque les mauvais traitements; ils sont de rectionnels étaient en faveur de la fois par le veto du gouverneur de plus si­gnataires du Pacte interna­ disponibilité de condoms au CDF. l’État. tional relatif aux droits économiques, Les objections exprimées concer­ Dans un texte d’opinion publié sociaux et culturels (PIRDÉSC), qui naient principalement des préoccupa­ dans le San Francisco Chronicle du garantit le droit à la norme de santé la tions morales et religieuses à l’égard 19 avril 2005, le sheriff Hennessey plus élevée qui puisse être atteinte.12 de l’activité homosexuelle. a affirmé que les responsables cor­ Les obligations de protéger les Treize p. cent des agents correc­ rectionnels devraient « faire tout ce droits à la vie et à la santé et de tionnels ont affirmé être au courant qu’ils peuvent pour prévenir l’activité protéger contre la torture et autres de problèmes institutionnels associés sexuelle pendant la détention, mais mauvais traitements imposent des à la distribution de condoms, mais on ne devrait pas fermer les yeux obligations positives au gouverne­ aucun n’a donné de description des sur le fait qu’il y en a ». De plus, il a ment, d’assurer l’accès à des services problèmes. On n’a signalé aucune signalé que le risque de contrebande médicaux adéquats et de prendre les infraction majeure à la sécurité, de choses interdites était bien plus mesures appropriées pour la préven­ impliquant un condom, depuis les grand dans le cadre des contacts tion et le contrôle des maladies.13 débuts du programme. On n’a décelé courants entre des détenus et des visi­ Le droit international sur les droits aucun indice d’augmentation de teurs, qu’en lien avec la disponibilité humains affirme clairement que les l’activité sexuelle, lors d’entrevues de condoms dans une prison. Fait détenus conservent les droits et liber­ auprès d’employés, ni par un examen d’importance, après avoir utilisé son tés fondamentaux qui sont garantis des rapports disciplinaires pour la veto pour faire avorter le projet de par les lois sur les droits de la per­ période concernée. Les chercheurs loi, le gouverneur Schwarzenegger a sonne, hormis les restrictions qui sont ont affirmé : autorisé la tenue d’un projet pilote de inévitables dans un environnement

24 REVUE VIH/SIDA, DROIT ET POLITIQUES L’accès aux condoms en prison aux États-Unis

clos. Les conditions de détention ne dies sexuellement transmissibles, en prétée comme incluant des méthodes devraient pas aggraver la souffrance particulier le VIH/sida ». efficaces pour le dépistage, la préven­ inhérente à l’emprisonnement : la La réalisation de la norme de santé tion et le traitement des maladies qui seule punition est la perte de liberté. la plus élevée ne nécessite pas seule­ menacent la vie. Les États ont des obligations posi­ ment l’accès à un système de soins Des conseils formulés par l’OMS, tives de prendre les mesures néces­ de santé; de l’avis du Comité onusien l’ONUSIDA et l’Office des Nations saires à assurer que les conditions de des droits économiques, sociaux et Unies contre la drogue et le crime détention respectent les normes inter­ culturels, cela requiert aussi que les (ONUDC) préconisent des mesures nationales en matière de droits de États adoptent des mesures positives pour protéger les droits fondamen­ la personne. Le Comité onusien des pour promouvoir la santé, et qu’ils taux des détenus aux mesures pour droits de l’homme, expert mandaté s’abstiennent de conduite qui limiterait la prévention, les soins et le traite­ de surveiller le respect du PIRDCP la capacité des personnes de protéger ment du VIH/sida.15 Le principe de et de formuler des interprétations sur leur santé. Les lois et politiques « sus­ l’équivalence est spécifiquement les dispositions de ce traité, a expli­ ceptibles de provoquer des atteintes mis en avant dans les Principes qué que les États ont une obligation à l’intégrité physique, une morbidité fondamentaux relatifs au traitement positive à l’égard des personnes qui inutile et une mortalité qu’il serait des détenus, adoptés en 1990 par sont particulièrement vulnérables en possible de prévenir » constituent des l’Assemblée générale des Nations raison de leur liberté restreinte. violations spécifiques de l’obligation Unies : « Les détenus ont accès aux au respect du droit à la santé. services de santé existant dans le Les principaux instruments inter­ pays, sans discrimination aucune du nationaux pertinents établissent le fait de leur statut juridique ».16 consensus général que les détenus Les Directives de l’OMS signalent Les États ont une ont droit, sans discrimination fondée aussi que les détenus ont droit à des sur leur situation légale, à une norme programmes de prévention équivalents obligation positive à de santé qui soit équivalente à celle à ceux fournis dans la communauté; il l’égard des personnes offerte dans le reste de la commu­ y est de plus question de la distribu­ nauté. tion de condoms en milieu carcéral : qui sont particulièrement Dans certains cas, en raison de vulnérables en raison de leurs obligations de protéger les Les mesures de prévention du leur liberté restreinte. droits fondamentaux des détenus, VIH/sida en prison devraient complé­ en particulier celui de ne pas être ter celles prises au sein de la commu­ soumis à un mauvais traitement ou à nauté et être compatibles avec elles. la torture, ainsi que le droit à la santé, Ces mesures devraient également tenir compte des comportements à risque les États peuvent avoir à assurer que l’on rencontre effectivement chez une norme de soins plus élevée que les détenus, notamment le partage des Le PIRDÉSC spécifie que chacun celle fournie hors de prison aux gens seringues chez les toxicomanes I.V. a le droit de « jouir du meilleur état qui ne dépendent pas complète­ [utilisateurs de drogue par injection] de santé physique et mentale qu’elle ment de l’État pour la protection de et les rapports sexuels non protégés. soit capable d’atteindre », et il requi­ ces droits.14 En prison, où la plu­ … Puisqu’en dépit des interdictions, ert que les États prennent toutes les part des conditions matérielles de des rapports sexuels avec pénétration mesures nécessaires pour « [l]a pro­ l’incarcération relèvent directement peuvent se produire entre les détenus, phylaxie et le traitement des maladies de l’État et où les détenus sont privés des préservatifs devraient être mis à la épidémiques … ainsi que la lutte de leur liberté et de leurs moyens disposition des détenus pendant toute 17 contre ces maladies », ce qui inclut d’autoprotection, l’exigence de pro­ la durée de leur détention. « la mise en place de programmes de téger les individus contre le risque de Normes légales aux É.-U. prévention et d’éducation pour lutter torture ou d’autre mauvais traitement contre les problèmes de santé liés au peut entraîner une obligation positive Le huitième Amendement à la comportement, notamment les mala­ à l’égard des soins, qui a été inter­ Constitution états-unienne protège les

VOLUME 13, NUMÉRO 1, JUILLET 2008 25 L’accès aux condoms en prison aux États-Unis

détenus contre les « châtiments cruels Les cours ont constamment reconnu limitée. L’opposition à ces pro­ et inusités » et requiert que les auto­ que les détenus diagnostiqués du grammes en raison de préoccupa­ rités correctionnelles fournissent un VIH/sida avaient des « besoins médi­ tions de sécurité n’est pas appuyée « milieu sûr et humain ». Les détenus caux sérieux ».19 par les données que contiennent aux É.-U. ont un droit à des soins de L’élément subjectif a été consi­ les rapports des prisons de ressorts santé qui va plus loin que celui de déré présent lorsqu’un responsable qui ont établi, évalué et décidé de la population générale. Comme l’a de prison « connaît un risque excessif maintenir leurs politiques pour la expliqué le juge Marshall dans l’arrêt pour la santé ou la sécurité du détenu distribution de condoms. Les respon­ Estelle : et y ferme les yeux ».20 sables des politiques aux États-Unis Dans l’arrêt Farmer, par ail­ devraient appuyer les efforts actuels Ces principes fondamentaux établis­ leurs, un détenu transgenre a intenté pour l’adoption d’une approche en sent l’obligation du gouvernement de une poursuite contre les autorités la matière­ qui soit fondée sur les fournir des soins médicaux aux per­ des pri­sons fédérales pour obtenir objectifs de la santé publique, et ainsi sonnes qu’il punit en les incarcérant. compensation parce qu’il avait été appliquer les recommandations des Un détenu dépend des autorités des brutalement battu et agressé sexu­ experts correctionnels nationaux et prisons, pour répondre à ses besoins médicaux; si les autorités échouent ellement et, allègue-t-il, que les respecter les normes légales et direc­ à cette responsabilité, ces besoins ne responsables auraient pu prévenir tives internationales. seront pas comblés. Dans les pires les événements. La Cour suprême a cas, un tel échec peut dans les faits déféré le procès pour des audiences – Megan McLemore constituer « de la torture ou une supplémentaires, mais l’opinion

mort lente », qui sont les maux dont contient une discussion détaillée de Megan McLemore ([email protected]) s’inquiétaient spécialement les auteurs la portée de l’obligation des respon­ travaille pour le programme de Human de l’Amendement. sables de prison de protéger les déte­ Rights Watch sur le VIH/sida et les droits nus d’un préjudice lorsque le risque humains. Dans des cas moins sérieux, le refus en est connu ou reconnu. de fournir des soins médicaux peut Il n’y a pas de jurisprudence états- engendrer douleur et souffrance, ce unienne portant sur la constitutionna­ que personne ne considère utile à aucun but de la peine. L’infliction lité de l’échec d’un système carcéral d’une telle souffrance non néces­ de fournir des condoms aux détenus, saire n’est pas conforme aux normes mais on peut soutenir que le refus de contemporaines de la décence, qui mettre en œuvre des programmes de s’expriment dans les lois modernes, distribution de ­condoms en prison codifiant le point de vue de common satisfait le critère de l’« indifférence law à l’effet qu’« il est juste que le délibérée », en particulier devant public soit tenu de prendre soin du le corpus croissant qui documente prisonnier, qui ne peut pas, vu sa non- les taux d’infection parmi les déte­ 18 liberté, prendre soin de lui-même ». nus, leurs comportements à risque 1 L’emploi du mot prison par l’auteure inclut tous les types d’établissements de détention et de corrections, et l’incidence de transmission de y compris les prisons locales. L’usage peut être différent L’arrêt Estelle, cependant, applique pathogènes. dans des citations. 2 un critère exigeant aux plaintes en C. Weinbaum et coll., « Hepatitis B, hepatitis C, and HIV Conclusion in correctional populations: a review of epidemiology and vertu du huitième Amendement : il prevention », AIDS 19(3) (2005) : 41. nécessite que les détenus fassent la En dépit de taux élevés d’infections, 3 U.S. Bureau of Justice Statistics, HIV in Prisons 2005, sep- démonstration que les autorités ont de l’existence de comportements tembre 2007 (accessible via www.usdoj.gov). 4 A. Spaulding et coll., « A framework for management of été « délibérément indifférentes à à risque, et de la transmission de hepatitis C in prisons », Annals of Internal Medicine 144 des besoins médicaux sérieux ». Ce pathogènes parmi les détenus, qui (10) (2006) : 763; S. Allen et coll., « Hepatitis C among offenders — correctional challenge and public health critère implique des aspects à la fois sont de mieux en mieux documen­ opportunity », Federal Probation 67(22) (2003) : 22. objectifs (besoins médicaux sérieux) tés, la distribution de condoms dans 5 Voir, p. ex., « HIV Transmission among male inmates et subjectifs (indifférence délibérée). les prisons états-uniennes demeure in a state prison system — Georgia 1992-2005 »,

26 REVUE VIH/SIDA, DROIT ET POLITIQUES L’accès aux condoms en prison aux États-Unis

CDC Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR), 8 Prison Rape Elimination Act, 2003, Public Law 108-79, Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme 55(MM15) (2006) : 421. Pour une revue des études sur 108th Congress. (à http://www2.ohchr.org/french/law/). la transmission du VIH, du VHB et du VHC dans des pri- 9 14 sons états-uniennes et dans d’autres pays, voir R. Jürgens, NCCHC Position Statement, Journal of Correctional Voir R. Lines, « From equivalence of standards to « HIV/AIDS and HCV in prisons: a select annotated Health Care 11(4) (2005). equivalence of objectives: the entitlement of prisoners to standards of health higher than those outside prisons », bibliography », International Journal of Prisoner Health 10 Service correctionnel du Canada, Évaluation des mesu- International Journal of Prisoner Health 2 (2006) : 269. 2(2) (2006): 131. Pour un examen de la littérature états- res de réduction des méfaits du VIH/sida du Service correc- unienne dans ce domaine, voir T. Hammett, « HIV/AIDS tionnel Canada, 1999; L. Yap et coll., « Do condoms cause 15 OMS, Lignes directrices de l’OMS sur l’infection à VIH et and other infectious diseases among correctional inmates: rape and mayhem? The long-term effects of condoms in le sida en prison, 1999; ONUSIDA, Directives internatio- transmission, burden and an appropriate response », New South Wales prisons », Sexually Transmitted Infections American Journal of Public Health 96(6) (2006) : 974. nales sur le VIH/sida et les droits de la personne, 2006; (STI) Online (19 décembre 2006), à www.stibmj.com. ONUDC, HIV/AIDS Prevention, Care, Treatment and Support 6 Voir, p. ex., WHO/UNAIDS/UNODC, Effectiveness of 11 J. May et E. Williams, « Acceptability of condom availa- in Prison Settings: A Framework for Effective National Interventions to Manage HIV in Prisons – Prevention of bility in a US jail », AIDS Education and Prevention 14(Supp. Response, 2006. Sexual Transmission, 2007. B) (2002) : 85. 16 Principes fondamentaux relatifs au traitement des déte- 7 Voir, p. ex., C.P. Krebs et coll., « Intraprison transmission: 12 En signant le PIRDÉSC, mais en ne le ratifiant pas, les nus, Assemblée générale des Nations Unies, Résolution an assessment of whether it occurs, how it occurs, and É.-U. n’ont pas accepté d’être liés légalement par le traité; 45/111 (1990), par. 9. who Is at risk », AIDS Education and Prevention 14(Supp. ils devraient néanmoins s’abstenir d’adopter des mesures 17 OMS, paragraphes 4 et 20. B) (2002) : 53; A. Spaulding et coll., « Can unsafe sex régressives en lien avec les obligations établies et sont behind bars be barred? », American Journal of Public tenus de s’abstenir d’actions qui iraient à l’encontre de 18 Estelle v. Gamble, 429 U.S. 97 (1976). Health 91(8) (2001) : 1176; N. Mahon, « New York inma- l’objet et du but du traité (article 18 de la Convention de tes’ HIV risk behaviors: the implications for prevention Vienne sur le droit des traités 1969). 19 Voir Smith v. Carpenter, 316 F.3d 178 (2d Cir. 2003); et policy and programs », American Journal of Public Health Montgomery v. Pinchak, 294 F.3d 492 (3d Cir. 2002). 86 (1996) : 1211; et Human Rights Watch, No Escape: 13 Ces importants instruments internationaux des droits Male Rape in US Prisons, 2001. humains sont accessibles sur le site Internet du Haut- 20 Farmer v. Brennan, 511 U.S. 825, 114 S.Ct. 1970 (1994).

VOLUME 13, NUMÉRO 1, JUILLET 2008 27 DÉVELOPPEMENTS AU CANADA

On trouve sous cette rubrique de brefs comptes-rendus de développements dans la législation, les politiques et la défense des droits en lien avec le VIH/sida au Canada. (Les affaires canadiennes confiées à des cours ou à des tribunaux des droits de la personne sont sous la rubrique Le VIH devant les tribunaux – Canada.) Les nouvelles rapportées ici sont tirées d’information portée à notre connais- sance par des correspondants au Canada ou notée lors de survols des médias. Les lecteurs sont invités à signaler des sujets et développements à Alison Symington, rédactrice en chef de cette rubrique, à [email protected]. Mme Symington est l’auteure de tous les articles de cette rubrique.

Une loi prévoyant des peines minimales obligatoires pour des infractions liées à la drogue franchit la deuxième lecture

Le 16 avril 2008, le Projet de loi C-26, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances,1 a franchi l’étape de la deuxième lecture, à la Chambre des com- munes, puis il a été référé au Comité permanent de la justice et des droits de la per- sonne. Cette loi est proposée en tant qu’élément de la Stratégie nationale antidrogue.2

À l’heure actuelle, il n’existe pas (LCDS). Le Projet de loi C-26 a été notre gouvernement de réprimer le de peines minimales obligatoires introduit en novembre 2007 par le crime et renforcer la sécurité des d’emprisonnement pour les infrac­ ministre de la Justice et procureur Canadiens ».3 tions à la Loi réglementant cer- général du Canada, en tant qu’« autre La loi propose d’ajouter taines drogues et autres substances étape de la réalisation du plan de des peines obligatoires

28 REVUE VIH/SIDA, DROIT ET POLITIQUES DÉveloppements Au Canada

d’emprisonnement pour des infrac­ Les peines minimales obligatoires (communément appelés « drogues tions de production, de trafic, de énoncées dans le projet de loi sont les du viol ») de l’Annexe 3 à l’Annexe possession pour fins de trafic, suivantes : 1, ce qui signifie que les infractions d’importation et d’exportation, et de liées à ces drogues seraient sujettes possession pour fins d’exportation • Pour le trafic ou la possession à des peines plus sévères, y compris des drogues énumérées à l’Annexe 1 pour fins de trafic de substances des peines minimales obligatoires.12 (p. ex., héroïne, cocaïne et métham­ inscrites à l’Annexe 1, ou de Enfin, le projet de loi prévoit une phétamine) et à l’Annexe 2 (p. ex., substances inscrites à l’Annexe 2 exception pour les personnes recon­ cannabis et marijuana) de la LCDS. et dont la quantité est supérieure nues coupables et qui participent à Le projet de loi établit deux listes à trois kilogrammes : une peine un programme judiciaire approuvé de de « circonstances aggravantes ». d’emprisonnement minimale d’un traitement de la toxicomanie. La cour La première liste inclut les infrac­ an, en présence d’une circon­ pourrait suspendre la peine obliga­ tions commises pour le compte du stance aggravante de la première toire et imposer une peine moins crime organisé ou en association liste; ou une peine minimale sévère si l’individu complète un tel avec celui-ci; les infractions impli­ de deux ans, en présence d’une programme avec succès.13 quant des menaces ou des actes de circonstance aggravante de la En 2006, une tentative (Projet violence; les cas où le contrevenant ­deuxième liste.7 de loi C-9) d’instaurer des peines était en possession d’une arme, l’a • Pour l’importation et minimales obligatoires pour cer­ utilisée ou a menacé de le faire; et les l’exportation de substances taines infractions liées à la drogue cas où le contrevenant a été reconnu inscrites à l’Annexe 1 et dont avait échoué. Dans sa forme initiale, coupable, ou a purgé une peine la quantité est inférieure à le Projet de loi C-9 aurait amendé d’emprisonnement, pour une infrac­ un kilogramme : une peine le Code criminel pour en retirer la tion liée à la drogue (excluant la d’emprisonnement minimale d’un possibilité de peines avec sursis possession simple) au cours des dix an; pour une quantité supérieure pour toute infraction passible d’un dernières années.4 à un kilogramme, une peine mini­ emprisonnement de dix ans ou plus. La deuxième liste inclut les infrac­ male de deux ans.8 Autrement dit, l’emprisonnement tions commises près d’une école, • Pour l’importation et l’exportation aurait été obligatoire. d’une cour d’école ou d’un autre lieu de substances inscrites à l’Annexe Le Réseau juridique canadien public régulièrement fréquenté par des 2 pour fins de trafic : une peine VIH/sida s’est inquiété de l’impact personnes de moins de 18 ans; dans d’emprisonnement minimale d’un qu’aurait le Projet de loi C-9 sur les une prison; et impliquant une personne an.9 personnes qui utilisent des drogues de moins de 18 ans comme complice.5 • Pour la production de substances et les efforts pour réduire les méfaits Le projet de loi établit aussi une inscrites à l’Annexe 1 : une peine associés à l’usage de drogue, dont série de circonstances aggravantes d’emprisonnement minimale de la transmission du VIH. En septem­ liées à la santé et à la sécurité – deux ans; en présence d’un risque bre 2006, il a témoigné à ce sujet notamment les faits que le contre­ pour la sécurité et la santé : une devant le Comité permanent de la venant ait utilisé des biens immeubles peine d’emprisonnement mini­ justice. La loi a été amendée, avant appartenant à autrui pour la perpétra­ male de trois ans.10 la troisième lecture, pour qu’elle ne tion de l’infraction; que la production • Pour la production de substances s’applique plus aux infractions liées à de drogues énumérées à l’Annexe 1 inscrites à l’Annexe 2 : une peine la drogue.14 ou 2 ait créé un risque d’atteinte à la d’emprisonnement minimale sécurité ou à la santé de personnes allant de six mois à trois ans, Commentaire de moins de 18 ans qui se trouvaient se­lon la substance, la quantité et Le Projet de loi C-26 comporte les sur les lieux où l’infraction a été la présence d’un risque pour la mêmes lacunes que le Projet de loi commise, ou à proximité; et que le santé et la sécurité.11 C-9. La loi est présentée comme contrevenant ait placé des trappes ciblant les trafiquants de drogue, susceptibles de causer la mort ou des Par ailleurs, le projet de loi dépla­ alors qu’en pratique le fardeau des lésions corporelles à autrui.6 cerait le GHB et flunitrazépam peines obligatoires est porté par des

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personnes impliquées dans la distri­ Enfin, en rendant obligatoire 3 « Notes pour une allocution de l’honorable Rob Nicholson, C.P., c.r., député de Niagara Falls bution à petite échelle ou qui con­ l’emprisonnement pour des infrac­ ministre de la Justice et procureur général du Canada somment des drogues pour assouvir tions non violentes et en passant à l’occasion de l’annonce du dépôt du projet de loi sur les peines d’emprisonnement minimales pour les crimes une dépendance. Par ailleurs, accroî­ outre à la discrétion des juges graves liés aux drogues », 20 novembre 2007. tre le taux d’incarcération des per­ d’adapter la peine à chaque contreve­ 4 Projet de loi C-26, art. 1(1)(a)(i). sonnes qui utilisent des drogues serait nant, la loi va à l’encontre des princi­ 5 Projet de loi C-26, art. 1(1)(a)(ii). une politique malavisée au regard de pes fondamentaux du droit canadien 6 Projet de loi C-26, art. 3(2). la santé publique, notamment parce sur la détermination des peines ainsi 7 Projet de loi C-26, art. 1(1)(a)(i) et (ii). que les prisons canadiennes échouent que des droits de la personne.15 8 Projet de loi C-26, art. 2. à fournir un accès à des seringues 9 Ibid. stériles. 10 Des données états-uniennes Projet de loi C-26, art. 3(1)(a). 11 indiquent que les peines minimales Projet de loi C-26, art. 3(1)(a.1) à (b)(vi). obligatoires sont inefficaces, pour 12 Projet de loi C-26, art. 6. les infractions liées à la drogue, car 13 Projet de loi C-26, art. 5(4) et (5). elles résultent en l’incarcération d’un 14 Réseau juridique canadien VIH/sida, Nouvelle sur le Projet de loi C-9, Loi modifiant le Code criminel (emprison- grand nombre de contrevenants non 1 Projet de loi C-26, Loi modifiant la Loi réglementant nement avec sursis), document d’information, novembre violents mais ne contribuent aucune­ certaines drogues et autres substances et d’autres lois en 2006. conséquence, 2 e sess., 39e législature, 2007. ment à remédier à la criminalité liée à 15 Ibid.; Réseau juridique canadien VIH/sida, Les peines 2 Voir « Le gouvernement conservateur annonce une minimales obligatoires pour les infractions liées à la drogue : la drogue ni à l’usage problématique nouvelle stratégie antidrogue », Revue VIH/sida, droit et tout le monde y perd et voici pourquoi, document d’infor- de drogue. politiques 12(2/3) (2007) : 29-31. mation, avril 2006.

Manitoba – Une loi autoriserait le test du VIH sans consentement

Le ministre de la Santé du Manitoba a introduit une loi qui autoriserait le dépistage obligatoire du VIH et d’autres infections dans certains cas possibles d’exposition professionnelle ou non professionnelle à du sang ou à d’autres liquides corporels.

Intitulée The Testing of Bodily Fluids travail de pompier ou de technicien l’exposition (« personne source ») de and Disclosure Act, la loi autoriserait ambulancier.1 subir un prélèvement sanguin pour le une personne qui a été en contact La loi établit un mécanisme par dépistage de virus comme le VIH. avec tout liquide corporel d’une autre lequel on pourrait s’adresser à la Aucun rapport médical ne serait personne à demander une ordonnance cour pour obtenir une ordonnance requis pour le mécanisme accéléré. de test si le contact résulte d’un acte de test régulière, ou à un juge de Par contre, la procédure régulière criminel à son endroit, de la four­ paix pour une ordonnance accélérée. nécessiterait une évaluation médicale niture de services d’urgence ou de Le juge pourrait alors ordonner à du risque pour la santé de la personne premiers soins, ou de tâches liées au la personne qui est la source de exposée ainsi que de la nécessité

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que des tests soient effectués pour Premièrement, le test forcé fait fi tests et obtenir les résultats; et vu la prendre les mesures nécessaires à la du principe éthique et juridique du possibilité d’un résultat faux négatif. prévention d’infections. ­consentement éclairé, ce qui constitue La personne exposée doit prendre des Les résultats de test seraient trans­ une violation des droits à la sécurité décisions quant à (a) un traitement mis aux médecins du demandeur et à la vie privée. La Cour suprême post-exposition pour réduire le risque et de la personne source, s’ils sont du Canada a maintes fois reconnu d’infection; et (b) des changements ­connus; sinon, ils seraient communi­ qu’un individu ne peut être soumis comportementaux pour prévenir une qués au médecin-hygiéniste. à des procédures médicales sans y éventuelle transmission secondaire Si une ordonnance est émise avoir préalablement donné son con­ (p. ex., à un partenaire sexuel ou à un en vertu du mécanisme accéléré, sentement éclairé.3 nouveau-né nourri au sein). la personne source aura 24 heures Deuxièmement, le risque de L’approche des « 3 C » est recon­ pour signifier son objection. En cas transmission par une exposition nue, au Canada et à travers le monde, d’objection, l’ordonnance sera invali­ professionnelle est très faible. Par comme la procédure fondée sur les dée et le demandeur devra s’adresser exemple, le risque d’infection à la droits pour le test du VIH.7 En vertu à la cour pour obtenir une ordon­ suite d’une exposition percutanée de celle-ci, le test du VIH ne peut nance régulière. La personne source (p. ex., une blessure par aiguille) à du être administré qu’en présence d’un aura l’occasion de présenter à la cour sang contaminé par le VIH est de 0,3 consentement éclairé et spécifique; un des éléments de preuve à l’effet que p. cent (1 chance sur 300).4 Ce type counselling pré- et post-test adéquat le prélèvement d’un échantillon san­ d’exposition directe et sous-cutanée à doit être fourni; et la confidentialité guin entraînerait un risque significatif du sang contaminé comporte le plus des résultats doit être assurée. Une loi pour sa santé physique ou mentale. Si grand risque de transmission du VIH sur le dépistage obligatoire comme le juge constate un risque significatif, – et même dans ce cas, la probabilité celle proposée au Manitoba est il ne pourra émettre d’ordonnance. est très faible. ­contraire à une telle approche fondée Si l’état sérologique de la per­ sur les droits. Commentaire sonne source est inconnu, ou si Pour ces raisons, des organismes De telles lois existent déjà en Alberta, l’exposition s’est produite par une comme le Réseau juridique canadien en Saskatchewan, en Ontario et en membrane muqueuse ou par une VIH/sida signalent qu’une loi sur Nouvelle-Écosse.2 Fondées sur un plaie cutanée plutôt que par voie le dépistage obligatoire ne consti­ raisonnement erroné, elles soulèvent percutanée, la probabilité d’infection tue pas une approche équilibrée à d’importantes préoccupations de est encore plus faible. De fait, on n’a l’exposition professionnelle et non droits humains. recensé qu’un seul cas confirmé (et professionnelle au VIH. C’est une Le projet de loi proposé au deux cas probables) de transmission mesure inutile qui ne respecte pas Manitoba comporte les mêmes lacunes professionnelle du VIH depuis le et ne protège pas adéquatement les que les autres lois provinciales de ce début de l’épidémie, au Canada.5 droits de la personne.8 genre, mais son mécanisme accéléré le Troisièmement, une loi sur le rendrait encore pire puisqu’il augmen­ dépistage obligatoire comporte peu terait les chances que des ordonnances d’avantages pour les personnes de test soient émises sur la base de exposées. La plupart des personnes craintes exagérées à l’égard du VIH et sources acceptent de passer des tests d’autres pathogènes hématogènes en et de fournir les informations perti­ Le processus législatif entourant ce projet cas d’exposition professionnelle. Les nentes à la personne exposée, dans de loi peut être suivi sur le site Internet juges de paix sont peu susceptibles de de telles circonstances.6 Si une per­ de l’Assemblée législative du Manitoba : détenir les connaissances médicales sonne source ne consent pas à être http://www.gov.mb.ca/legislature/. Pour nécessaires à évaluer adéquatement testée, l’information résultant d’un une analyse plus détaillée des lois sur une demande de test. dépistage obligatoire n’aura qu’une le dépistage obligatoire au Canada, voir Réseau juridique canadien VIH/sida, Le Par ailleurs, une telle loi sur le utilité limitée pour la personne expo­ dépistage obligatoire du VIH : questions et dépistage obligatoire soulève diverses sée, à cause du temps requis pour réponses, novembre 2007, accessible via préoccupations d’ordre général. suivre les procédures, effectuer les www.aidslaw.ca.

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1 Bill 18, The Testing of Bodily Fluids and Disclosure Act, 2 e Ont.); Videto v Kennedy (1981), 33 OR (2d) 497 (C.A.). Au premier plan : le Canada se mobilise contre le VIH/sida sess., 39e législature, Manitoba, 2008. (2005/2010), 2005; ONUSIDA et Haut Commissariat 4 T. de Bruyn, L’administration de tests aux personnes que des Nations Unies aux droits de l’homme, Directives 2 Voir Réseau juridique canadien VIH/sida, Force excessive : l’on croit être la source d’une exposition professionnelle au internationales sur le VIH/sida et les droits de la personne, survol de la législation provinciale sur le dépistage obligatoire VHB, au VHC ou au VIH — Étude générale, Stratégie cana- du VIH, octobre 2007; et des numéros antérieurs de la dienne sur le VIH/sida et Réseau juridique canadien édition consolidée, 2006. VIH/sida, 2001, p. 4. Revue. 8 Voir Réseau juridique canadien VIH/sida, Legislation 5 3 Reibl c. Hughes, [1980] 2 R.C.S. 990; voir aussi : Hopp Ibid., p. 6. To Authorize Forced Testing for HIV in the Event of Occupational Exposure: An Unjustified and Unnecessary c. Lepp, [1980] 2 R.C.S. 192; Ciarlello c. Schacter, [1993] 6 Ibid., p. ii. 2 R.C.S. 119; Malette v Shulman (1990), 37 C.A.O. 281 Rights Violation — A Submission to the Government of (CA); Fleming v Reid (1991), 82 DLR (4th) 298 (C.A. 7 Voir, p. ex., Association canadienne de santé publique, Manitoba, avril 2008.

Un règlement limite les dons d’organes venant d’hommes gais

Un nouveau règlement fédéral visant à protéger la santé et la sécurité des receveurs d’organes est entré en vigueur le 7 décembre 2007.

Le règlement énonce les exigences • tout homme ayant eu des rapports • les personnes ayant été exposées pour l’enregistrement des établisse­ sexuels avec un homme au cours au VIH, au VHB ou au VHC au ments de transplantation; l’évaluation des cinq dernières années; cours de la dernière année; de l’admissibilité des donneurs; • les personnes qui se sont injecté • les détenus et les personnes ayant l’emballage, l’étiquetage et la conser­ des drogues illégales au cours des été incarcérées pendant 72 heures vation; les procédures en cas de man­ cinq dernières années; consécutives ou plus au cours de quement et d’effets indésirables; la • les personnes atteintes la dernière année; tenue des dossiers; et les procédures d’hémophilie et ayant reçu du • les personnes qui se sont fait d’opération.1 concentré de facteur de coagula­ tatouer ou percer au moyen Pour évaluer l’admissibilité tion dérivé de plasma humain; d’aiguilles partagées au cours de de cellules, tissus ou organes, • les personnes ayant eu des rap­ la dernière année; l’établissement de transplantation ports sexuels en l’échange • les personnes ayant été en contact est tenu d’obtenir le dossier médical d’argent ou de drogue au cours étroit avec une personne atteinte du donneur et de lui administrer un des cinq dernières années; d’hépatite virale active au cours examen physique ainsi que des tests • les personnes ayant eu, au cours de la dernière année.4 pour certaines maladies.2 De plus, des 12 derniers mois, des rap­ l’établissement doit déterminer que ports sexuels avec toute personne Par ailleurs, pour les donneurs le donneur n’est pas inadmissible en décrite aux items précédents, pédiatriques, les enfants nés de mères fonction d’un ensemble de critères ou avec une personne connue séropositives au VIH ou qui corre­ d’exclusion3 pour le don de cellules, ­comme étant séropositive au VIH, spondent à des critères susmentionnés de tissus ou d’organes, qui visent au virus de l’hépatite B (VHB) ou sont également exclus, à moins que notamment : au virus de l’hépatite C (VHC); l’on puisse définitivement écarter la

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possibilité qu’ils soient séropositifs soulignant qu’il est le fruit de nom­ Pour le texte du règlement, voir au VIH.5 breuses années de consultation.9 http://canadagazette.gc.ca/ Le nouveau règlement renferme Selon Santé Canada, le Comité per­ partII/2007/20070627/html/sor118-f.html. aussi des dispositions sur la « distri­ manent de la santé de la Chambre des bution exceptionnelle ». Plus préci­ communes a recommandé en 1999 sément, des cellules, tissus et organes que des normes nationales sur les qui n’ont pas été déterminés comme cellules, tissus et organes destinés à étant sûrs pour la transplantation la transplantation deviennent obliga­ (notamment si le donneur est exclu toires par incorporation par référence selon les critères susmentionnés) au règlement de la Loi sur les ali- peuvent être utilisés si aucun organe ments et drogues. Par conséquent, considéré sûr n’est disponible, que le des normes nationales sur la sécurité médecin responsable de la transplan­ ont été publiées en juin 2003 pour tation autorise la distribution excep­ consul­tation publique. tionnelle et que le receveur y donne Santé Canada a ensuite commencé son consentement éclairé.6 à préparer une ébauche de règlement Certains spécialistes de la trans­ fédéral basé sur ces normes. La ver­ plantation d’organes et des militants sion finale du règlement a été publiée pour les droits des gais ont dénoncé en juin 2007. Santé Canada signale le nouveau règlement, alléguant qu’il que des experts en transplantation et cible déraisonnablement les hommes d’autres domaines ont été impliqués 1 Règlement sur la sécurité des cellules, tissus et organes humains destinés à la transplantation, DORS/07-118. gais en tant que risque pour la santé à toutes les étapes de l’élaboration du 2 Ibid., art. 18(a),(c) et (d). 10 et qu’il réduira l’approvisionnement règlement. 3 7 Ibid., art. 18(b), qui réfère à Exigences générales pour les en organes. Notamment, quatre Dans son communiqué, Santé cellules, tissus et organes destinés à la transplantation et à professeurs du département de bio­ Canada poursuit que les donneurs la reproduction assistée de la CSA, CAN/CSA-Z900. éthique de l’Université Dalhousie sont évalués en fonction de facteurs 4 « Critères d’exclusion pour les facteurs de risque asso- ciés au VIH, au VHB et au VHC », Exigences générales pour se sont demandé pourquoi les con­ de risque pour certaines maladies les cellules, tissus et organes destinés à la transplantation et ditions supplémentaires relatives (i.e., le VHB, le VHC et le VIH) à la reproduction assistée de la CSA, Annexe E, E.1. 5 aux donneurs qui correspondent puisque, dans de rares cas, ces infec­ Ibid., E.2. à des critères de « risque élevé » tions peuvent être présentes mais 6 Règlement sur la sécurité des cellules, tissus et organes humains destinés à la transplantation, art. 40. (selon leurs antécédents) ne sont pas indécelables au moyen de tests. Il 7 « Ban on gay men donating organs scientifically unjus- présentées dans le règlement comme précise que les facteurs de risque tifiable: MD », Hamilton Spectator, 9 janvier 2008, p. A6; J. Miner, « Organ donor rules cut gay men », The une procédure régulière plutôt que ont été déterminés par un groupe London Free Press, 9 janvier 2008, p. A3; C. Spencer, comme des « exclusions ». Ils ont d’experts canadiens du domaine de « Time for a second opinion? Non-gay policy should be ­rethought: organ transplant specialist », The Winnipeg Sun, noté que « le message envoyé par le la transplantation et qu’ils reflètent 9 janvier 2008, p.7; « Halifax doctors object to Health nouveau règlement est problématique la pratique internationale acceptée en Canada ban on organ donations from gay men », Halifax 11 Chronicle Herald, 8 janvier 2008; et R. Howe, « Donor- à d’autres égards. Il renforce le stig­ matière de sélection des donneurs. discrimination wrong », The Daily News (Halifax), 11 mate négatif à l’endroit de membres Enfin, Santé Canada affirme que janvier 2008, p. 15. de groupes sociaux désavantagés les critères de risque ne sont pas dis­ 8 J. Kirby et coll., « Being sensitive won’t kill us », The Ottawa Citizen, 25 janvier 2008. de même que l’idée erronée que ces criminatoires : « Définis en fonction 9 Santé Canada, « Feuillet de renseignements – Sécurité groupes posent un risque significatif de critères purement scientifiques, des cellules, tissus et organes (CTO) destinés à la trans- pour la santé publique. »8 ces facteurs servent à évaluer les plantation », communiqué, 28 janvier 2008. Dans un communiqué du 28 comportements et la situation médi­ 10 Ibid. janvier, Santé Canada s’est porté à cale et ne visent aucun groupe en 11 Ibid. la défense du nouveau règlement, particulier. »12 12 Ibid.

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Plainte d’inconduite contre un juge

En décembre 2007, lorsqu’il a été divulgué lors d’un procès que le demandeur était séropositif au VIH et au virus de l’hépatite C (VHC), le président du tribunal a ordonné qu’il porte un masque ou qu’il témoigne par voie électronique dans une autre salle. Le Réseau juridique canadien VIH/sida et la HIV& AIDS Legal Clinic of Ontario (HALCO) ont déposé une plainte formelle auprès du Conseil de la magistrature de l’Ontario,1 en réponse à ce qu’ils ont qualifié de « pensée et pratique outrageusement discriminatoires ».2

L’incident s’est produit lors du pro­ Cour supérieure de justice a rejeté part d’un juge (et d’autres employés cès de M. Lee Wilde pour agression la demande, soulignant qu’il était du de la cour), qui s’écarte considérable­ sexuelle à l’endroit d’un codétenu.3 droit juridictionnel du juge d’adopter ment des normes professionnelles et Dans son ordonnance, le juge Jon- des précautions dans la salle du éthiques attendues. Nous croyons qu’il Jo Douglas de la Cour de justice de tribunal, « même si sa décision s’agit d’un exemple particulièrement l’Ontario (région centre-est) s’est dit pourrait être considérée comme fau­ extrême de comportement inacceptable de la part d’un membre de la magis­ préoccupé par un risque de transmis­ tive ».7 Elle a reconnu qu’en rejetant trature. Or il est peu probable que la sion du VIH. Il a proposé diverses la demande, elle accordait une plus ­désinformation au sujet du VIH/sida, précautions qu’il accepterait pour grande importance au déroulement et par conséquent le potentiel de biais entendre la cause du témoin, comme sans interférence du procès, lorsque et de conduite ouvertement préjudici­ une salle plus grande pour se tenir à les décisions relèvent de la compé­ able, soient limités à ce seul cas. [trad.] distance de lui, l’utilisation d’un écran tence du juge, qu’à la protection du ou d’un appareil technologique, ou droit du témoin à un traitement équi­ La HALCO et le Réseau juridique que le témoin prenne place à une table table.8 En définitive, le juge Douglas ont exhorté le Conseil de la magistra­ derrière celle de l’avocat.4 Des médias s’est volontairement retiré du procès. ture de l’Ontario à mener une enquête ont aussi rapporté que des employés Dans leur lettre de plainte au sur cet incident et à prendre les de la cour avaient porté des gants de Conseil de la magistrature de mesures appropriées pour répondre latex pour ne pas être exposés au virus l’Ontario, le Réseau juridique et la au comportement du juge Douglas. qui aurait pu se trouver sur les docu­ HALCO affirment que les normes Ils l’ont aussi incité à envisager une ments que le témoin avait touchés.5 éthiques qui guident les juges cana­ réponse plus vaste à cette forme L’avocat de la Couronne a contes­ diens requièrent qu’ils se compor­ de stigmatisation et de discrimina­ té ce traitement du témoin, en tent et dirigent leurs procédures de tion liée au VIH. En particulier, les allant jusqu’à présenter des preuves manière à assurer l’égalité devant la deux organismes ont affirmé qu’il d’experts médicaux à l’effet que loi. Cela inclut de ne pas être influ­ serait approprié d’examiner dans le VIH et le VHC ne sont trans­ encé par des attitudes fondées sur quelle mesure les juges reçoivent missibles que par le contact avec des stéréotypes, des croyances ou des de l’information sur le VIH/sida et certains li­quides corporels, mais le préjugés, et d’éviter tout commen­ ses enjeux juridiques et de droits juge Douglas a rejeté ces preuves taire, expression, geste ou comporte­ humains, dans le cadre de leur forma­ et a ordonné que le témoin porte un ment pouvant raisonnablement être tion professionnelle. masque ou qu’une autre mesure de interprété comme un manque de sen­ Jusqu’ici, aucune réponse officielle protection soit adoptée pour la suite sibilité ou de respect à l’égard d’une (excepté un accusé de réception) n’a du procès. Il a de plus refusé une personne. La lettre signale en outre : été reçue par le Réseau juridique ou requête de l’avocat de la Couronne la HALCO. 6 visant à faire déclarer le procès nul. En tant qu’avocats œuvrant à des La Couronne s’est donc adressée enjeux juridiques liés au VIH, nous 1 Le Conseil de la magistrature de l’Ontario est l’agence à une cour supérieure pour trancher sommes profondément bouleversés par chargée d’examiner les plaintes à l’endroit de juges pro- la question. La juge Eberhard de la les récits d’une telle inconduite de la vinciaux.

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2 Lettre de plainte datée du 17 janvier 2008 [en filière 4 R. v. Wilde, compte-rendu (31 octobre 2007), dossier 6 R. v. Wilde (4 décembre 2007), dossier no 07-7709. auprès de l’auteur]. no 07-2285/07-7709. 7 R. v. Wilde (12 décembre 2007), dossier no 07-314, 3 Voir la section « Le VIH/sida devant les tribunaux – 5 paragr. 15. Canada » du présent numéro de la Revue pour un L. Watt, « Judge’s actions met with outrage », The Barrie compte-rendu complet de l’affaire. Advance, 1 er février 2008, p. 19. 8 Ibid., paragr. 35.

Santé Canada publie un rapport sur les lieux supervisés pour l’injection

Un rapport préparé par un comité consultatif d’experts de Santé Canada apporte d’autres preuves à l’appui de l’efficacité de l’Insite, le lieu supervisé pour l’injection (LSI) de Vancouver.1

Le ministre de la Santé Tony Clement taux d’usage de drogue dans la l’Insite fonctionne en vertu d’une avait créé ce comité afin d’examiner communauté. exemption fédérale temporaire à la la recherche existante sur l’Insite et • Il n’existe aucune preuve Loi réglementant certaines drogues et d’autres LSI dans le monde. Le rap­ d’augmentation du flânage, du autres substances; l’exemption vient port a été rendu public en avril 2008. trafic de drogue ou des délits à échéance le 30 juin 2008. Entre- Le comité d’experts a fait état de mineurs liés à la drogue, à proxi­ temps, deux poursuites signalées dans divers points de consensus, notam­ mité du LSI.2 un article du numéro précédent de la ment : Revue,6 alléguant que le gouverne­ Le comité consultatif a remis en ment fédéral dépasse son champ de • Plus de 8 000 personnes ont question les conclusions de certaines compétences, devraient être enten­ visité l’Insite pour s’injecter des études quant à l’impact de l’Insite sur dues par la Cour suprême de la drogues, dont 1 506 (18 p. cent) la réduction de l’infection par le VIH. Colombie-Britannique à compter du comptaient pour 86 p. cent du Il a déclaré ne pas accepter entière­ 28 avril 2008.7 nombre total de visites. ment la validité du modèle mathé­ • L’Insite offre un environ­ matique fondé sur des hypothèses 1 Santé Canada, « Diffusion du rapport d’un comité d’ex- nement propre et supervisé pour quant aux taux de base du partage de perts sur les sites d’injection supervisés », communiqué de presse, Ottawa, 11 avril 2008. l’injection de drogue; du matériel se­ringues, aux risques de transmis­ 2 INSITE de Vancouver et autres sites d’injection supervisés : 3 d’injection stérile; et des services sion du VIH et à d’autres variables. observations tirées de la recherche – Rapport final du Comité consultatif d’experts sur la recherche sur les sites infirmiers, notamment pour le Il a observé que les auto- d’injection supervisés, préparé pour l’hon. Tony Clement, traitement des abcès cutanés. ­déclarations d’utilisateurs de l’Insite ministre de la Santé, 31 mars 2008. • Les utilisateurs de l’Insite sont et d’autres LSI montrent que le part­ 3 Ibid. fortement satisfaits des services. age de seringues diminue avec le 4 Ibid. 4 • Des employés de l’Insite sont recours accru à ces établissements. 5 F. Bula, « Drug injection site saves lives: report », The intervenus avec succès dans 336 Des commentateurs et défenseurs Leader-Post (Regina), 12 avril 2008, p. B8. cas de surdose, depuis 2006; et de l’Insite considèrent que le rapport 6 A. Symington, « Le lieu sécuritaire pour l’injection reçoit une autre extension temporaire; une action en justice aucun décès par surdose n’est du comité est généralement positif et est intentée », Revue VIH/sida, droit et politiques 12(2/3) survenu sur les lieux. confirme leurs recherches.5 (2007) : 23-25. 7 G. Joyce, « Safe injection facility in Vancouver in limelight • Il n’existe aucune preuve à l’effet Tel que mentionné dans des when court challenges begin », Presse canadienne, 13 avril que les LSI influenceraient le numéros antérieurs de la Revue, 2008.

VOLUME 13, NUMÉRO 1, JUILLET 2008 35 DÉveloppements Au Canada

En bref

Modifications proposées à motifs humanitaires pourrait nuire • près de 60 p. cent des contreve­ la Loi sur l’immigration et aux personnes vivant avec le VIH nants purgent des peines de moins la protection des réfugiés pour lesquelles ce type de demande de trois ans et ont des antécédents dans le budget de 2008 est le seul recours. Si le Projet de de violence; loi C-50 est adopté, leurs demandes • la proportion de contrevenants Le 10 avril 2008, le Projet de loi pourraient n’être jamais étudiées. classés « à sécurité maximale » à C-50, Loi d’exécution du budget de Une coalition d’organismes non l’admission a augmenté de plus 2008,1 a franchi l’étape de la deux­ gouvernementaux exhorte le gou­ de 100 p. cent; ième lecture puis a été référé au vernement à retirer du Projet de loi • un détenu sur six a une affiliation Comité des finances de la Chambre C-50 les amendements à la LIPR et connue à un gang ou au crime des communes. à les soumettre au Comité permanent organisé; La loi propose des change­ de la citoyenneté et de l’immigration • environ quatre contrevenants sur ments à la Loi sur l’immigration et pour audiences publiques. cinq ont de graves problèmes de la protection des réfugiés (LIPR) toxicomanie, la moitié ayant com­ qui accorderaient au ministre de la mis leur crime sous l’influence de Citoyenneté et de l’Immigration une Publication d’un rapport la drogue ou de l’alcool; et discrétion accrue – notamment le indépendant sur les • 12 p. cent des hommes et 26 pouvoir de décider quelles catégories prisons p. cent des femmes incarcérés ont de demandes d’immigration devraient des problèmes de santé mentale être prioritaires et lesquelles ne Le Comité d’examen du Service cor­ sérieux.5 devraient tout simplement pas être rectionnel du Canada (SCC), présidé traitées; et le pouvoir de décider de par Rob Sampson, ancien ministre Le rapport contient 109 recommanda­ ne pas traiter les demandes pour ontarien des Services correctionnels, tions touchant cinq domaines clés : motifs humanitaires venant de a rendu public un rapport en décem­ « obligations du délinquant »; « éli­ l’extérieur du Canada.2 bre 2007.3 mination de la drogue illicite dans Si le budget est adopté avec ces En vue de l’élaboration du rap­ les pénitenciers »; « employabilité et mesures, il affectera les demandes port, intitulé Feuille de route pour emploi »; « infrastructure physique »; d’immigration faites à partir du 27 une sécurité publique accrue, le et « abolition de la libération d’office février 2008. comité a visité des pénitenciers, des et introduction du régime de libéra­ Il reste à voir comment ces bureaux de libération conditionnelle tion conditionnelle méritée ». changements affecteraient d’éventuels et des maisons de transition; il a Plusieurs recommandations du immigrants ou réfugiés vivant avec rencontré des employés de prisons, comité sont particulièrement perti­ le VIH/sida ou autrement affectés. des représentants syndicaux, des nentes au VIH/sida. Premièrement, Le fait que le ministre puisse ordon­ dirigeants du SCC et des organismes le comité recommande que le Code ner que soient ignorées certaines non gouvernementaux; et il a reçu canadien du travail soit modifié catégories de demandes est pré­ des soumissions écrites. afin d’obliger tout détenu à fournir occupant pour tout groupe confron­té Le comité décrit son rapport un échantillon de sang en cas au stigmate et à la discrimination ou comme « une feuille de route qui per­ d’exposition professionnelle d’un perçu comme un fardeau pour les ser­ mettra de transformer la façon dont le employé de prison, et d’instaurer le vices sociaux et de santé du Canada, SCC fonctionne. »4 Il affirme qu’une dépistage obligatoire de maladies comme les personnes vivant avec le transformation est requise en grande infectieuses à l’admission.6 VIH/sida. partie à cause du changement du pro­ Deuxièmement, bien que le comité L’élimination du droit juridique de fil des contrevenants, dont il fait état recommande de nombreuses mesures déposer une demande outre-mer pour comme suit : pour contrôler l’entrée de drogues

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illégales en prison – notamment le financement. Le conseiller qui organismes ainsi que des membres au moyen de chiens détecteurs de avait proposé la motion d’abolir le de l’opposition officielle disent drogue, d’une surveillance accrue du programme a déclaré que les fonds appuyer la nouvelle initiative pour périmètre et de fouilles plus poussées seraient mieux investis dans un pro­ des vaccins, mais considèrent que des véhicules et des individus qui gramme résidentiel de traitement de son financement ne devrait pas être entrent dans les pénitenciers – il ne la toxicomanie.10 puisé à même celui de programmes propose rien pour fournir du matériel existants de recherche, de préven­ de réduction des méfaits en prison, tion et de traitement pour le VIH au comme des programmes contrôlés Canada.14 d’échange de seringues.7 Le gouvernement fédéral détourne des fonds du secteur communautaire Annonce de financement vers l’Initiative de vaccin provincial à un programme de réduction des méfaits En 2004, le gouvernement fédéral avait annoncé que le budget annuel d’Ottawa 1 La Loi d’exécution du budget de 2008 est le titre abrégé de l’Initiative fédérale de lutte contre du Projet de loi C-50, dont le titre complet est Loi por- tant exécution de certaines dispositions du budget déposé En décembre 2007, le ministère le VIH/sida au Canada atteindrait au Parlement le 26 février 2008 et édictant des dispositions ontarien de la Santé et des Soins 84,4 millions en 2008-2009. Bien visant à maintenir le plan financier établi dans ce budget, 2 e de longue durée a annoncé qu’il que le gouvernement actuel se soit sess., 39e législature, 2008. financera le programme pour engagé à atteindre cet objectif, des 2 Ibid., art. 116. l’inhalation plus sécuritaire du crack, organismes communautaires de 3 Rapport du Comité d’examen du Service correctionnel du Canada : Feuille de route pour une sécurité publique accrue, à Ottawa, qui distribue gratuitement lutte contre le VIH/sida de partout ministre des Travaux publics et Services gouvernemen- du matériel neuf aux fumeurs de au Canada voient à présent leur taux Canada, octobre 2007. drogues illégales. Cette initiative vise financement amputé. Par exemple, 4 Ibid., p. v. à réduire la transmission d’infections des programmes ontariens ont subi 5 Ibid. comme le virus de l’hépatite C et le une réduction de près de 30 p. cent 6 Ibid., p. 68. VIH en diminuant l’utilisation de de leur financement fédéral, au cours 7 Ibid., p. 66. pipes à crack usagées. de la dernière année budgétaire – et 8 « Ottawa – Le conseil municipal abolit le programme de pipes à crack », Revue VIH/sida, droit et politiques, Tel que signalé dans le numéro de des coupes semblables sont atten­ 12(2/3) (2007) : 31–32. décembre 2007 de la Revue, le ­conseil dues dans d’autres provinces et ter­ 9 M. Pearson, « Crack program », The Ottawa Citizen, 22 municipal de la Ville d’Ottawa avait ritoires.11 décembre 2007. voté en juillet 2007 l’abolition du En février 2007, le premier 10 « Ottawa mayor, councillors pan Ontario plan to fund financement de l’Initiative.8 Une mi­nistre Stephen Harper a annoncé crack pipe program », CBC.CA News, 24 décembre 2007. 11 G. Galloway, « Ottawa redirects AIDS funds for Gates coalition d’organismes communau­ un projet de collaboration avec la initiative », Globe and Mail, 29 novembre 2007. taires avait promis de maintenir le Fondation Bill et Melinda Gates, 12 Cabinet du premier ministre, « Le nouveau gouver- programme jusqu’à la fin de 2007, en intitulé « Initiative canadienne de nement du Canada et la fondation Gates appuient la recherche sur un vaccin contre le VIH/sida », communi- espérant trouver d’ici là une source de vaccin contre le VIH » (ICVV), qui qué, Ottawa, 20 février 2007. financement plus durable. vise à contribuer aux efforts mondi­ 13 « Liberals, Tories bicker over funding on World AIDS La province versera 287 000 $ au aux de développement d’un vaccin Day; Harper government accused of diverting $15M from national strategy », The Edmonton Journal, 2 décembre Somerset Community Health Centre anti-VIH. Le Canada s’est engagé à 2007, p. A5. pour diriger le programme pendant y verser jusqu’à 111 millions $, et la 14 R. Bruemmer, « Local care was cut to fund vaccine un an.9 Fondation Gates, 28 millions $.12 search: Liberals; Bill Gates getting cash patients need, MP Says », The (Montréal) Gazette, 2 décembre 2007, p. A3; Le maire et plusieurs conseillers Des organismes canadiens Réseau juridique canadien VIH/sida, Société canadienne municipaux d’Ottawa se sont dits accusent le fédéral d’avoir détourné du sida et Conseil canadien de surveillance et d’accès aux traitements, « Les organismes nationaux de lutte au déçus que le gouvernement provincial 15 millions $ de la stratégie natio­ VIH/sida exhortent Ottawa à garantir le maintien du financement actuel des programmes et services locaux ait donné son appui au programme nale de lutte contre le VIH/sida liés au sida », communiqué, Toronto et Ottawa, 29 en dépit de leur décision d’en abolir pour les investir dans l’ICVV.13 Ces novembre 2007.

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Cette rubrique contient des dépêches sur des développements du droit et des politiques touchant le VIH/sida à l’extérieur du Canada. (Les affaires confiées à des cours ou tribunaux des droits de la personne sont classées dans une autre rubrique : Le VIH devant les tribunaux – International). Nous nous inté- ressons à toute information sur d’autres développements, pour les numéros ultérieurs de la Revue. Adressez vos correspondances à Richard Pearshouse, rédacteur en chef de la présente rubrique, à [email protected].

Thaïlande – Le gouvernement ravive sa guerre contre la drogue et contre les personnes qui en consomment

Le 2 avril 2008, le premier ministre de la Thaïlande, Samak Sundarajev, a annoncé une nouvelle stratégie nationale antidrogue. Intitulée « Thai Power, To Avoid the Danger of Drugs » [Pouvoir thaï, pour éviter le danger des drogues], la stratégie est prévue pour six mois (d’avril à septembre 2008) et inclut plusieurs activités pour réduire le nombre de personnes qui font usage de drogue dans ce pays.

La stratégie met l’accent sur la de réduction des méfaits pour les 2008 lorsque Samak a annoncé qu’il réhabilitation, par le traitement personnes qui font usage de drogue, comptait employer les mêmes tac­ obligatoire et l’incarcération des ni de mention du VIH/sida.1 Peu de tiques que son prédécesseur, Thaksin personnes qui font usage de drogue détails sont fournis quant à la mise en Shinawatra, avait déployées dans une (en particulier celles qui sont consi­ œuvre de la stratégie. offensive en 2003. dérées dépendantes, ou « utilisateurs L’intention du gouvernement Selon Human Rights Watch, les extrêmes »). Remarquablement, les de lancer une nouvelle stratégie trois premiers mois de la « guerre aux politiques n’incluent pas de services antidrogue a été révélée en février drogues » de 2003 ont donné lieu à

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quelque 2 275 exécutions extrajudi­ vert pour recourir à la violence contre aux drogues » succède à des enquêtes ciaires; à l’inscription arbitraire de les vendeurs de drogue. Ceci pour­ incomplètes et en grande partie personnes soupçonnées de lien avec rait donner la tentation d’établir un futiles, au sujet des violations de la drogue, sur des listes noires ou «registre de tuerie» pour respecter la droits humains perpétrées en 2003. de surveillance; à l’intimidation de politique de la ligne dure. »6 En août 2007, le précédent gouverne­ défenseurs des droits humains; à de Sakda Puekchai, président du Thai ment (militaire) a nommé un comité, la violence, des arrestations arbitrai­ Drug Users Network, a affirmé : « Si présidé par l’ancien procureur général res et autres écarts, par la police; de la guerre aux drogues recommence, il Khanit na Nakhon, pour faire enquête même qu’à l’administration obligatoi­ ne fait pas de doute que nos membres sur les exécutions extrajudiciaires de re ou coercitive de traitement contre seront poussés à se cacher, que les la « guerre aux drogues » de 2003. la drogue.2 services de santé ne se rendront pas Le rapport final de cette démarche En annonçant la nouvelle stratégie, à eux et que cela entraînera de nou­ n’a pas été rendu public, mais des Samak a affirmé : « Je n’établirai veaux cas de VIH. »7 chiffres ont été publiés : 2 819 per­ pas de but quant au nombre de gens Le 23 avril 2008, des groupes de sonnes ont été tuées entre février et qui devraient mourir… Nous procé­ la société civile thaïlandaise, menés avril 2003, dont seulement 1 370 derons à une rigoureuse campagne par le Thai AIDS Treatment Action étaient impliquées dans le commerce de suppression. Il y aura des consé­ Group et le Thai Network of People de drogue; les autres n’avaient aucun quences. »3 D’autres médias ont cité Living with HIV/AIDS, ont fait lien avec la drogue.10 Aucun procès Samak comme suit : « Il est impossi­ une manifestation devant le lieu où n’a été intenté contre des meurtriers. ble d’éviter que des gens soient tués, le Conseil de coordination de pro­ lorsque l’on procède à une suppres­ gramme de l’ONUSIDA était réuni, à – Karyn Kaplan et Richard Pearshouse sion de drogue. Lorsque l’offensive se Chiang Mai (dans le Nord du pays), déroulera, il y aura des meurtres. »4 pour demander que les politiques sur Karyn Kaplan ([email protected]) Faisant écho à ces commentaires, la drogue incluent la réduction des est directrice des politiques et du dévelop­ pement au Thai Drug Users’ Network. le ministre de l’Intérieur (et chef du méfaits, que les utilisateurs de drogue centre national chargé de résoudre soient impliqués dans le développe­ le problème de la drogue), Chalerm ment des politiques, et que le gou­ 1 Health and Development Networks, « Spotlight: Yubamrung, a affirmé : vernement abandonne ses mesures Thailand’s new drug policy — A brief summary ». répressives, punitives et coercitives. 2 Human Rights Watch, Not Enough Graves: The War on Drugs, HIV/AIDS and Violations of Human Rights, juin 2004. Les vendeurs de drogue, s’ils ne veulent Depuis quelques mois, plusieurs Accessible via www.hrw.org. pas mourir, feraient mieux de quitter cas de graves violations de droits 3 « Thailand PM targets drug dealers », BBC News, 23 cette voie… La suppression de drogue février 2008. À http://news.bbc.co.uk/1/hi/world/ humains ont été signalés. Human asia-pacific/7260127.stm. pendant mon mandat de ministre de Rights Watch a fait état d’au moins l’Intérieur suivra la même approche 4 « Samuk denies link in killings in new drug war », The quatre présumés trafiquants de drogue Nation, 25 février 2008. que celle de [l’ancien premier ministre] 5 Thaksin. Si cela conduit à 3 000, 4 000 qui ont été tués, à divers endroits «Thailand PM targets drug dealers », BBC News, 23 8 février 2008. décès de personnes qui enfreignent la du pays. On a signalé aussi des cas d’interruption du traitement antirétro­ 6 « Activists fear new war on drugs », The Nation, 22 loi, qu’il en soit ainsi. Cela doit être février 2008. viral, par des personnes qui s’injectent fait… À vous qui êtes dans le parti de 7 « Call for restraint in govt’s latest anti-drug campaign », l’opposition, je dirai que vous vous de la drogue et qui ­craignaient d’être The Nation, 4 avril 2008. souciez plus des droits humains que des contraintes d’aller dans une clinique 8 Human Rights Watch, « Thailand’s ‘War on Drugs’ », problèmes de drogue en Thaïlande.5 document d’information, 12 mars 2008. À www.hrw.org/ gouvernementale; des cas de saisie, english/docs/2008/03/12/thaila18278.htm. sans procédure équitable, des biens de 9 Voir Health GAP, Thai AIDS Treatment Action Group, L’annonce de la stratégie a sou­ personnes soupçonnées de vendre de « Update on the war on Thai drug users », 20 avril 2008. levé des critiques à grande échelle. la drogue; et un cas de torture et de 10 « Most of those killed in war on drug not invol- ved in drug [sic] », The Nation, 27 novembre 2007 L’ex-sénateur Kraisak Chonhavan a détention illégale d’un présumé ven­ (à http://nationmultimedia.com/breakingnews/read. affirmé : « Je n’aurais pas souhaité deur de drogue.9 php?newsid=30057578); Human Rights Watch, « Thailand: Prosecute Anti-Drugs Police Identified in Abuses », 7 une telle déclaration du ministre, qui La décision du gouvernement février 2008 (à http://hrw.org/english/docs/2008/02/07/ équivaut à donner à la police le feu thaïlandais de relancer sa « guerre thaila17993.htm).

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Suisse – Énoncé sur la transmission sexuelle du VIH par des personnes suivant un traitement antirétroviral

En février 2008, des experts suisses ont émis un énoncé concluant que les personnes séropositives au VIH qui suivent un traitement antirétro- viral efficace et qui n’ont pas d’infections transmissibles sexuellement (ITS) ne peuvent pas transmettre le VIH par voie sexuelle. Préparé par quatre éminents experts du sida de la Suisse, l’énoncé a été publié au nom de la Commission fédérale suisse pour les problèmes liés au sida.1

L’énoncé passe en revue des études • soit fidèle à son régime de traite­ Préoccupations auprès de couples sérodiscordants et ment, dont l’efficacité est évaluée les taux mesurés de transmission du régulièrement par un médecin; L’énoncé a suscité des réactions VIH, avec et sans fidélité au régime • ait une charge virale indétectable immédiates : des organismes qui de traitement, par les partenaires (<40 copies/mL) depuis au moins ont dit craindre qu’il nuise aux mes­ séropositifs au VIH. Les auteurs six mois; et sages traditionnels de santé publique concè­dent que les données ne démon­ • n’ait aucune autre infection trans­ sur l’importance du sécurisexe pour trent pas de façon concluante qu’un missible sexuellement. prévenir l’infection par le VIH. traitement antirétroviral efficace L’ONUSIDA et l’Organisation mon­ prévient la transmission du VIH, Selon les auteurs : diale de la santé (OMS) ont déclaré : puisqu’il est impossible de prouver scientifiquement qu’un événement Lorsque le TAR est efficace, aucun Pour prévenir la transmission du VIH, peu probable ne surviendra pas. Ils virus libre n’est détectable ni dans l’ONUSIDA et l’OMS recomman­ dressent un parallèle avec la situation le sang ni dans les sécrétions géni­ dent fortement un ensemble global de 1986, lorsqu’il avait été commu­ tales. Toutes les données épidémi­ d’approches de prévention du VIH, ologiques et biologiques indiquent que y compris le port correct et constant niqué publiquement que le VIH ne l’application conséquente d’un TAR du préservatif. […] La recherche sug­ se transmettait pas par un baiser avec permet d’exclure tout risque important gère que lorsque la charge virale est la langue – cette possibilité, quoique de transmission. En cas de suppression indétectable dans le sang, le risque infime, ne pouvait pas non plus être totale de la charge virale, le risque de transmission du VIH est forte­ exclue du point de vue scientifique. résiduel de transmettre le VIH lors de ment réduit. Néanmoins, il n’a pas été En se basant sur une revue de rapports sexuels sans préservatifs est prouvé que cela élimine totalement le la littérature scientifique, l’énoncé nettement inférieur à 1:100 000. Si le risque de transmission du virus.3 affirme qu’« [u]ne personne séro­ risque résiduel ne peut être exclu du positive suivant un traitement anti­ point de vue scientifique, la CFS et L’Agence de la santé publique rétroviral (TAR) avec une virémie les organisations concernées estiment du Canada (ASPC) a pour sa part 2 entièrement supprimée (condition néanmoins qu’il est négligeable. annoncé qu’elle « continue d’insister [également] désignée par « TAR effi­ sur l’importance pour les personnes cace ») ne transmet pas le VIH par L’énoncé examine ensuite les impli­ actives sexuellement d’avoir des voie sexuelle, c’est-à-dire qu’elle ne cations de cette conclusion pour les rapports protégés ce qui comprend transmet pas le virus par le biais de médecins, les personnes vivant avec l’utilisation correcte du condom avec contacts sexuels ». Cette affirmation le VIH/sida, les programmes de leurs partenaires sexuels ».4 demeure valable à condition que la prévention du VIH et le système judi­ L’organisme militant Act Up Paris personne vivant avec le VIH : ciaire (voir ci-dessous). a signalé que l’énoncé ne concernait

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pas les quelque 20 p. cent de per­ pourrait aider une personne accusée (articles 122, 123 ou 125 du Code sonnes vivant avec le VIH/sida qui d’avoir exposé quelqu’un au VIH pénal suisse).8 ne suivent pas de traitement antiré­ à démontrer qu’elle n’a pas agi de troviral, ni les quelque 40 p. cent qui manière insouciante.7 Il pourrait –Richard Pearshouse suivent un tel traitement mais qui ont permettre d’établir que, dans des cir­ une charge virale résiduelle en dépit constances spécifiques, une relation de leur adhérence stricte au régime sexuelle non protégée ne pose pas un de traitement. Il a noté par ailleurs « risque significatif » de transmission 1 P. Vernazza et coll., « Les personnes séropositives que l’énoncé ne s’appliquait pas non du VIH. ne souffrant d’aucune autre MST et suivant un trai- tement antirétroviral efficace ne transmettent pas le plus aux relations homosexuelles ni Il est précisé dans l’énoncé que VIH par voie sexuelle », Bulletin des médecins suisses aux rapports sexuels anaux, en raison lors de l’évaluation de la responsa­ 89(5) (2008) : 165–169. Accessible via www.saez.ch/ html_f/2008/2008-05.Html. d’un biais dans les études scienti­ bilité dans un cas de transmission 2 P. Vernazza et coll., p. 167. fiques.5 du VIH, les tribunaux (suisses) 3 ONUSIDA/OMS, Déclaration : Thérapie antirétrovirale et En outre, l’énoncé suisse a été cri­ devront tenir compte du fait que les transmission sexuelle du VIH, 1er février 2008, tiqué pour son interprétation erronée personnes séropositives au VIH qui http://data.unaids.org/pub/PressStatement/2008/ 080201_hivtransmission_fr.pdf. de données d’études antérieures et suivent un traitement antirétroviral et 4 Agence de la santé publique du Canada, L’Agence de la pour avoir passé outre à de récentes qui n’ont pas d’ITS ne peuvent pas santé publique du Canada continue de mettre l’accent sur recherches qui montrent qu’une transmettre le VIH par voie sexuelle. les rapports protégés pour prévenir la transmission du VIH, déclaration sur le site Internet de l’ASPC, charge virale indétectable dans le Il y est clairement affirmé que la www.phac-aspc.gc.ca/aids-sida/new-nouv-fra.html. sang n’équivaut pas à une charge Commission considère qu’une rela­ 5 Act Up Paris, « Avis des médecins suisses sur la trans- mission du VIH : cherchez l’erreur », communiqué, Paris, virale indétectable dans d’autres tion sexuelle entre une personne séro­ 30 janvier 2008. liquides corporels, notamment le positive au VIH suivant un traitement 6 S.R. Hosein, Les lignes directrices suisses prennent un sperme.6 antirétroviral et n’ayant pas d’autre virage troublant, Réseau canadien d’info-traitements sida, ITS, et une personne séronégative, ne mars 2008. Accessible via www.catie.ca/nouvellescatie. Implications juridiques nsf/nouvelles. répond pas aux critères d’une « tenta­ 7 Voir, par exemple, E.J. Bernard, « Swiss statement on Même si la situation est incertaine tive de propagation d’une maladie sexual HIV transmission has major legal implications », Criminal HIV transmission blog, 1 er février 2008, à et n’a pas encore fait l’objet de pro­ dangereuse » (article 231 du Code http://criminalhivtransmission.blogspot.com/2008/02/ cédures juridiques, certains obser­ pénal suisse) ni à ceux d’une « ten­ swiss-statement-on-sexual-hiv.html. vateurs croient que l’énoncé suisse tative de lésion corporelle grave » 8 P. Vernazza et coll., p. 168.

États-Unis – La Chambre des représentants et un comité du Sénat adoptent des projets de loi sur la réautorisation du PEPFAR

Le 2 avril 2008, la Chambre des représentants états-unienne a adop- M. Bush avait introduit le PEPFAR té un projet de loi (H.R. 5501) visant à réautoriser le President’s lors de son discours sur l’état de Emergency Plan for AIDS Relief (PEPFAR) avec un crédit de 50 mil- l’Union en 2003, puis le Congrès y liards $US pour les cinq prochaines années – soit 40 % de plus que les avait octroyé en 2004 une somme ini­ 30 milliards $US demandés par le président George W. Bush. tiale de 15 milliards $US sur cinq ans.

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En vertu de la loi actuelle, le finance­ activités de prévention de la trans­ renverser les restrictions de ­voyage ment du PEPFAR doit être réautorisé mission sexuelle du VIH… comme et d’immigration pour les per­ tous les cinq ans. l’abstinence, le report du début de sonnes séropositives au VIH, mais Des 50 milliards $US proposés, l’activité sexuelle, la monogamie, elle n’a pas tenté d’inclure une 9 milliards $ iraient à la lutte contre le la fidélité et la réduction du nombre telle disposition dans la réautorisa­ paludisme et la tuberculose; et le reste de partenaires... » – mais aucun ne tion du PEPFAR, pour favoriser serait consacré au VIH/sida. Le Fonds mentionne explicitement l’usage du l’approbation rapide du projet de loi à mondial de lutte contre le sida, la ­condom en tant qu’élément d’une la Chambre. tuberculose et le paludisme (FMSTP) telle stratégie équilibrée. Des militants du domaine du recevrait annuellement 2 milliards En outre, les projets de loi VIH/sida, notamment des organismes $US. Les États-Unis sont actuelle­ requièrent que le coordonnateur de la non gouvernementaux de plaidoyer ment le plus important donateur du réponse au VIH/sida du Département comme Immigration Equality et Gay FMSTP, suivi de la France, du Japon d’État signale et justifie auprès du Men’s Health Crisis, s’inquiètent de et de la Commission européenne. Congrès tout programme qui consa­ la possibilité que les personnes vivant En 2005, l’ONUSIDA a estimé cre moins de 50 % de son finance­ avec le VIH soient bientôt confron­ que plus de 22 milliards $US seraient ment à des projets sur l’abstinence et tées à des règles encore plus strictes, requis en 2008 pour une réponse effi­ la fidélité. Ils verraient aussi à ce que pour l’entrée aux États-Unis, si le cace au VIH/sida dans le monde en les organismes ayant une « objec­ Congrès n’amende pas l’Immigration développement – dont la moitié pour tion morale ou religieuse » à tout and Nationality Act.5 la prévention; le quart pour les soins programme ou activité de prévention Le Département de la Sécurité et traitements; et le quart pour le « ne soient pas l’objet de discrimina­ nationale envisage actuellement une soutien aux enfants orphelins et vul­ tion dans… l’attribution des subven­ révision de ses règlements adminis­ nérables.1 Or, en 2007, seulement 10 tions ». tratifs qui permettrait aux bureaux milliards $US ont été versés par des Restrictions de voyage consulaires états-uniens à travers le gouvernements, ONG et donateurs monde d’accélérer leurs décisions sur 2 pour les personnes vivant privés. avec le VIH/sida l’octroi de dispenses à des personnes La Constitution des États-Unis séropositives, mais qui ajouteraient exige que toute loi soit adoptée par Un élément important distingue d’autres restrictions de voyage.6 Les les deux chambres du Congrès, avant toutefois les deux projets de loi. Le règles proposées imposeraient aux d’être mise en œuvre par le président. sénateur John Kerry (D-Mass.) a personnes vivant avec le VIH une Le Comité des affaires étrangères du inclus dans celui du Sénat une dispo­ limite de deux visites par année aux Sénat a approuvé le 13 mars 2008 sition amendant l’Immigration and États-Unis et exigeraient la preuve une version du projet de loi sur la Nationality Act4 afin d’éliminer les qu’elles ont une réserve suffisante réautorisation du PEFPAR (S. 2731), restrictions de voyage aux États-Unis d’antirétroviraux. qui sera probablement soumise à pour les personnes vivant avec le Selon l’European AIDS Treatment un vote au Sénat en juin 2008. Les VIH/sida. La loi actuelle interdit à ces Group, douze pays interdisent com­ projets de loi de la Chambre des personnes de séjourner ou d’immigrer plètement l’entrée aux personnes représentants et du Sénat sont très aux États-Unis, mais elle permet à vivant avec le VIH, peu importe la similaires. des agents de district du Département durée du séjour.7 Les États-Unis font Tous deux ajouteraient le Lesotho, d’État de leur accorder des dispenses partie des 74 pays qui imposent cer­ le Malawi et le Swaziland aux 15 discrétionnaires, au cas par cas, taines restrictions de voyage à ces pays participant au PEPFAR;3 et tel que décrit dans le règlement du personnes. Le Département d’État ne élimineraient des restrictions à l’effet Département de la Sécurité nationale. fournit aucune donnée sur le nombre que le tiers des fonds du PEPFAR Le projet de loi de la Chambre d’individus auxquels l’entrée au pays soient alloués à une éducation sur n’inclut pas de tel amendement. La a été refusée en raison de leur séro­ l’abstinence seulement. représentante Barbara Lee (D-Cal.) positivité au VIH. Chaque projet de loi prévoit avait déposé en août 2007 un projet « un financement équilibré pour des de loi distinct (H.R. 3337) visant à – Anna Dolinsky

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Anna Dolinsky www.africafocus.org/docs05/hr0506.php. 5 Immigration Equality, « Proposed regs tighten travel restrictions for HIV+ visitors », communiqué, New York, ([email protected]) achève sa 2 Ibid. dernière année d’études au Georgetown 15 novembre 2007. 3 Les 15 pays subventionnés par le PEPFAR sont le University Law Center. Elle détient une maî­ 6 Botswana, la Côte-d’Ivoire, l’Éthiopie, la Guyane, Haïti, le Issuance of a Visa and Authorization for Temporary trise en santé publique de la Johns Hopkins Kenya, le Mozambique, la Namibie, le Nigeria, le Rwanda, Admission into the United States for Certain Nonimmigrant Bloomberg School of Public Health. l’Afrique du Sud, la Tanzanie, l’Ouganda, le Vietnam et la Aliens Infected with HIV, 72 Fed. Reg. 62,593 (Nov. 6, Zambie. 2007) (to be codified at 8 C.F.R. 212).

1 ONUSIDA, communiqué, Genève, juin 2005, cité dans 4 8 U.S.C. 1182(a)(1)(A)(i)); (8 C.F.R. 212.4). 7 European AIDS Action Group, www.eatg.org/hivtravel.

VIH et droits humains dans les politiques antidrogue de l’ONU : percées minimes

Annuellement, les États membres des Nations Unies se réunissent une semaine à Vienne, à la Commission des stupéfiants (CS), l’instance centrale du développement des politiques du système onusien sur les questions liées à la drogue, afin d’« échan­ ger expertise, expérience et information au sujet d’enjeux liés à la drogue, et de col- laborer à une réponse coordonnée à la situation mondiale de la drogue » [trad.].1

Les délibérations sont balisées par et les actions des Nations Unies rela­ présumés « succès » de leurs répon­ les trois conventions de l’ONU sur la tivement aux drogues illicites, pour ses nationales, axées principalement drogue, dont l’orientation principale plusieurs années. Dans le contexte de sur l’application de diverses disposi­ est la prohibition et le contrôle.2 Il y la pandémie du VIH, vu l’ampleur tions légales interdisant des activités a dix ans, lors de sa Session spéciale du rôle de catalyseurs qu’y jouent liées à la drogue. sur la drogue, l’Assemblée générale l’usage de drogue illicite et les viola­ Par contre, la session de cette des Nations Unies a adopté une tions de droits humains des personnes année s’est démarquée sur deux déclaration visant à guider l’action qui s’y adonnent, il est crucial que plans : l’attention portée à des consi­ mondiale pour contrer « le problème ces considérations soient prises en dérations de droits humains et de mondial de la drogue »3 et arriver à ce compte dans l’évaluation et la défini­ santé publique; et l’implication que l’agence onusienne de ­contrôle tion des politiques mondiales sur la sans précédent d’ONG. L’Office de la drogue a déclaré comme le but drogue. des Nations Unies contre la drogue d’« un monde sans drogue » dans une La session de 2008 de la CS (du et le crime (ONUDC), principale décennie.4 10 au 14 mars) devait être une impor­ agence onusienne en la matière, qui La séance de 2008 de la CS a tante occasion d’évaluation experte et compte parmi les co-parrains de marqué le début d’un processus d’un de débat éclairé, au sujet des réussites l’ONUSIDA, a publié un document an pour l’examen des succès de la de la décennie et de la voie à suivre sur la « limitation des conséquences dernière décennie, d’ici à la session pour l’avenir. Tristement, mais sans sanitaires et sociales néfastes de de 2009 de la CS où seront prises surprise, la plupart des États se sont l’abus de drogue » [trad.].5 des décisions qui orienteront le droit plus ou moins limités à réitérer leurs Dans son discours inaugural, international ainsi que les politiques positions nationales et à réciter de le directeur général de l’ONUDC,

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Antonio Maria Costa, a déclaré que parce qu’une minorité bruyante se l’est thaïlandaise étaient présents à la ses­ la santé est un droit humain fonda­ appropriée et lui a donné une interpré­ sion et ont réagi publiquement aux mental et un principe fondamental du tation étroite et controversée. » [trad.]7 critiques. système de contrôle de la drogue. Il a Le président de l’Organe inter­ La présence d’ONG a été remar­ signalé que l’application des conven­ national de contrôle des stupéfiants quée également en plénière. Plusieurs tions onusiennes sur la drogue « doit (OICS), Philip Emafo, n’a pas fait déclarations d’ONG ont été livrées, se faire dans le respect dû aux droits mention de l’injection supervisée, lors de plénières, mettant en relief des humains » [trad.],6 ajoutant que la dans son discours aux États mem­ considérations de santé et de droits réduction des méfaits doit faire partie bres; cependant le rapport de 2007 de humains – y compris une déclara­ de l’action future pour progresser. l’OICS, publié quelques jours plus tion faite au nom de l’International tôt, lançait encore des critiques au Network of People Who Use Drugs Canada pour avoir autorisé un lieu (INPUD).11 Un forum officiel pour d’injection supervisé (l’Insite, dans les ONG, d’une journée, était orga­ le Downtown Eastside de Vancouver) nisé par le Vienna NGO Committee; La session de cette – une critique à laquelle des ONG cette tribune a permis de prendre année s’est démarquée canadiens rétorquent qu’elle repose connaissance des comptes-rendus de par l’attention portée à sur une ignorance volontaire des plusieurs consultations régionales conclusions des conseillers juridiques auprès de la société civile, aux quatre des considérations de de l’ONU sur la question.8 coins du monde, qui constituent un droits humains et de Le premier jour de la session de processus parallèle à celui des gou­ santé publique, et par une la CS, un groupe important de par­ vernements, pour l’année. ticipants a assisté à un événement Un forum de suivi, « Beyond implication sans précédent connexe qui portait sur le contrôle de 2008 » [Après 2008], qui aura lieu en d’ONG. la drogue et les droits humains, orga­ juillet 2008, permettra à des organi­ nisé pour marquer le lancement du smes de la société civile de participer document Recalibrating the Regime,9 au débat et au développement de trois qui jette les bases légales pour propositions aux États, pour leurs une approche fondée sur les droits réflexions quant à l’orientation future L’ambivalence de cet engagement humains, relativement aux politiques des politiques onusiennes sur la dro­ était cependant flagrant. Plutôt que internationales en matière de drogue. gue. d’exprimer un appui aux interventions Des porte-parole de l’International En outre, les États membres fondées sur des données, qui protègent Harm Reduction Association (IHRA), présents à la session de 2008 de et promeuvent la santé des personnes du Réseau juridique canadien la CS ont adopté la toute première qui font usage de drogue, et qui sont VIH/sida et de Human Rights Watch résolution contenant une référence normalement considérées comme ont mis en relief des préoccupations aux droits humains en relation avec des caractéristiques des programmes des droits humains, comme la peine l’appareil et les politiques de l’ONU de réduction des méfaits (p. ex. les de mort pour des infractions liées à ayant trait au contrôle de la drogue.12 programmes d’échange de seringues,­ la drogue;10 et ont souligné comment Parmi les importants supporters de la le traitement de substitution et les une application stricte de lois pénales résolution figuraient le Royaume-Uni, lieux supervisés pour l’injection), contre la drogue a des répercussions la Suisse, l’Argentine, l’Uruguay et Costa a déclaré que « tout ce que fait néfastes sur la prévention du VIH et la Bolivie. Cependant, la teneur de l’ONUDC » se rattache à la réduction les efforts de traitement, en plus d’en­ la résolution a été fortement diluée des méfaits, y compris l’application traîner d’autres violations de droits par une combinaison d’efforts de de la loi. Dans des critiques à peine humains comme la vague d’assassi­ pays comme la Chine, le Japon, le voilées à l’endroit des tenants de la nats extrajudiciaires perpétrés par des Pakistan, la Thaïlande, le Nigeria, le réduction des méfaits, il a ajouté : agents de l’État, en Thaïlande, lors de Canada et les États-Unis. « Ne craignons pas d’utiliser ce jargon sa guerre intensifiée contre la drogue. Devant l’obstructionnisme évident – réduction des méfaits – simplement Nombre de membres de la délégation et répété de la Chine, l’Uruguay a

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brièvement rompu avec la règle vou­ Richard Elliott ([email protected]) est À www.un.org/Pubs/chronicle/1998/issue2/0298p4p.html. lant qu’aucune résolution ne peut être directeur général du Réseau juridique cana­ 5 Reducing the adverse health and social consequences adoptée autrement que par consensus dien VIH/sida. Un rapport plus étoffé sur la of drug abuse (www.unodc.org/documents/prevention/ session de 2008 de la CS a été préparé par Reducing-adverse-consequences-drug-abuse.pdf). des États membres : il a demandé l’International Drug Policy Consortium : 6 A. Costa, directeur général de l’ONUDC, remarques à à ce que la résolution sur les droits la plénière d’ouverture, Commission des stupéfiants, 51è www.idpc.info/php-bin/documents/IDPC_ session, 10 mars 2008. À humains soit plutôt soumise à un BP_08_RptProcedings2008CND_EN.pdf. www.unodc.org/india/cnd_ed_remarks.html. vote. En bout de ligne, on a toutefois Des vidéos d’événements de la CS, y com­ 7 Ibid. pris des entrevues avec des représentants conclu une entente et une résolu­ 8 Réseau juridique canadien VIH/sida, communiqué, tion très édulcorée a été adoptée par d’ONG, ont été préparées par l’Hungarian « L’Organe antidrogue des Nations Unies rate la cible dans son nouveau rapport », Toronto, 4 mars 2008, 13 Civil Liberties Union et sont accessibles via ­consensus. www.drogriporter.hu. accessible via www.aidslaw.ca/medias. Bien que cette résolution, en 9 D. Barrett et coll., Recalibrating the Regime: The Need ­somme, ne dise pas grand-chose de for a Human Rights-Based Approach to International Drug Policy, Beckley Foundation Drug Policy Program, 2008. substantiel à propos de la relation Accessible via www.aidslaw.ca/drugpolicy or at www.idpc.info/php-bin/documents/ entre les droits humains et les poli­ BFDPP_RP_13_Recal_Regime_EN.pdf. tiques sur le contrôle de la drogue, 10 Voir R. Lines, The Death Penalty for Drug Offences: elle a au moins le mérite d’ouvrir A Violation of International Human Rights Law, 1 « Commission on Narcotic Drugs », International Harm Reduction Association, 2007. officiellement la porte à une col­ www.unodc.org/unodc/en/commissions/index.html. À www.ihra.net/uploads/downloads/NewsItems/ DeathPenaltyforDrugOffences.pdf. laboration entre l’ONUDC et les 2 Convention unique de 1961 sur les stupéfiants, 520 UNTS instances onusiennes des droits 204 (modifiée par le Protocole de 1972 portant amende- 11 Voir les déclarations des ONG dans www.idpc.info/ ment de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, php-bin/documents/ngo_statements2cnd2008.pdf. de la personne (comme le Haut- 976 UNTS 3); Convention de 1971 sur les substances 12 Le texte de la résolution est accessible sur le site Commissariat des Nations Unies aux psychotropes, 1019 UNTS 175; Convention de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, Internet de l’ONUDC via www.unodc.org/unodc/en/ droits de l’Homme), ce qui offre une UN Doc. E/CONF.82/15 (1988), reproduite (1989) dans commissions/CND/session/51.html. occasion d’efforts ultérieurs pour 28 ILM 493; accessibles via www.unodc.org. 13 Pour une description détaillée du processus par 3 Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration poli- lequel la résolution sur les droits humains a été sapée, l’avancement d’analyses fondées sur tique (« Déclaration sur les principes fondamentaux de voir « The life of a human rights resolution at the UN les droits de la personne, en ce qui la réduction de la demande de drogue »), U.N. Doc. A/ Commission on Narcotic Drugs », 22 avril 2008, Res/S-20/2 (1998). (www.ihrablog.net/2008/04/life-of-human-rights- concerne les politiques sur la drogue. resolution-at-un.html); et la description sommaire dans 4 P. Arlacchi, directeur général, Office des Nations Unies le rapport de l’IDPC sur les délibérations à la session de contre la drogue et le crime, « Towards a drug-free world 2008 de la CS, aux p. 9–11 (www.idpc.info/php-bin/docu- – Richard Elliott by 2008: we can do it », Chronique de l’ONU 1998; 35(2). ments/IDPC_BP_08_RptProcedings2008CND_EN.pdf).

En bref et Platon septembre 2006, il a été diagnostiqué Lebedev ont été arrêtés en 2003 pour séropositif au VIH. Sa santé s’est fraude à grande échelle et évasion fis­ détériorée ­considérablement en raison cale.1 En mars 2006, M. Aleksanyan a de diverses affections liées au sida. été nommé vice-président à la direc­ En décembre 2007, des médecins La Russie refuse un tion de l’entreprise; un mois plus tard, ont conclu qu’il avait probablement traitement anti-VIH il était emprisonné pour détournement contracté la tuberculose en prison. En à un détenu et blanchiment de fonds. février 2008, il a reçu un diagnostic Le 7 avril 2006, sa demande de lymphome non hodgkinien. Vasily Aleksanyan était avocat princi­ de mise en liberté provisoire a été En dépit des recommandations pal chez , compagnie pétrolière rejetée. On a prolongé à maintes de ses médecins à l’effet qu’il soit russe dont les hauts dirigeants reprises sa détention préventive. En examiné et traité au AIDS

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Centre, les autorités carcérales lui doms et d’autres mesures du sécuri­ éventail de lois et programmes du ont refusé un traitement antirétroviral sexe dans les prisons de l’État. Intitulé Commonwealth.10 et toute autre forme de soins et de Assembly Bill 1334 et proposé par Selon le communiqué du pro­ traitement médical. M. Aleksanyan Sandre Swanson (démocrate), le projet cureur, les domaines ciblés incluront soutient avoir été privé de traitements de loi était semblable à l’Assembly l’impôt, la retraite, la sécurité sociale, parce qu’il a refusé de témoigner Bill 1677 que Schwarzenegger avait la santé, les soins de santé aux per­ contre ses anciens patrons de Yukos.2 rejeté l’an dernier.7 sonnes âgées, les droits des vétérans, Dans une mesure provisoire adop­ Cependant, dans son message de l’indemnisation des accidents du tée le 27 novembre 2007, la Cour veto, M. Schwarzenegger a déclaré travail et les droits des employés. européenne des droits de l’homme que « la distribution de condoms dans Le gouvernement commencera à (CEDH) a demandé au Gouvernement les prisons n’est pas déraisonnable, introduire des mesures en mai 2008 de Russie d’« autoriser immédiate­ comme mesure de santé publique; et et prévoit une mise en œuvre com­ ment … l’hospitalisation du deman­ elle est compatible avec la nécessité plète d’ici le milieu de 2009. deur dans un centre spécialisé dans d’améliorer les soins de santé dans Cet engagement fait suite à une le traitement du sida et de maladies nos prisons de même que la santé enquête nationale de la Human Rights concomitantes. »3 La CEDH a réitéré publique en général ». Il a demandé and Equal Opportunities Commission plusieurs fois sa requête, en décembre au Department of Corrections and et à son rapport Same Sex: Same 2007 et janvier 2008, mais les autori­ Rehabilitation de la Californie Entitlements, publié en 2007.11 tés carcérales russes l’ont ignorée.4 « d’évaluer le risque et la viabilité Les modifications prévues ne léga­ Le procès de M. Aleksanyan d’un tel programme, en identifiant liseront toutefois pas le mariage entre devait s’ouvrir le 5 février 2008, un établissement correctionnel où conjoints de même sexe. Lors de son mais il a été suspendu en raison de l’on autoriserait la distribution de annonce, M. McClelland a affirmé : son mauvais état de santé. La cour mé­thodes barrières par des organismes « Puisque le Gouvernement consi­ a de plus refusé sa mise en liberté non gouvernementaux et de santé ».8 dère le mariage comme l’union d’un provisoire.5 Le 8 février 2008, il a Dans un éditorial du New York homme et d’une femme, il ne modifi­ été transféré d’un centre de détention Times, on a accusé le gouverneur de era pas la Marriage Act… Mais dans préventive à la City Clinical Hospital la Californie de manquer de courage tous les autres domaines identifiés, la No. 60 de Moscou, pour y recevoir politique, en signalant qu’un « petit discrimination à l’endroit des couples des soins médicaux. Des médias ont programme exploratoire n’est pas à de même sexe sera abolie. »12 rapporté qu’il avait été placé sous la hauteur de l’effort à grande échelle À cet égard, la politique du gou­ surveillance 24 heures et menotté à qui est clairement requis ».9 vernement actuel (travailliste) recoupe son lit d’hôpital pendant une semaine, celle du gouvernement précédent de après son transfèrement.6 – Richard Pearshouse John Howard (libéral). Avant 2004, la Marriage Act (1961) n’incluait pas de – Richard Pearshouse définition du mariage. La Marriage Australie – Legislation Amendment Act (2004) a Le gouvernement modifié l’article 5(1) de cette loi en y légiférera pour éliminer ajoutant la définition suivante : « Le Californie – la discrimination à mariage signifie l’union d’un homme Le gouverneur s’oppose à l’endroit des conjoints et d’une femme, excluant toutes les un autre projet de loi sur de même sexe autres, à laquelle on adhère volon­ les condoms en prison, tairement et pour la vie. » mais laisse une ouverture Le 30 avril 2008, le procureur général Le gouvernement actuel n’appuie de l’Australie, Robert McCelland, cependant pas le développement En octobre 2007, le gouverneur de la a annoncé l’intention du gouverne­ d’un registre national des relations de Californie, Arnold Schwarzenegger, a ment d’introduire une loi visant à même sexe.13 opposé son veto à un projet de loi qui éliminer la discrimination à l’endroit aurait autorisé la distribution de con­ des couples de même sexe dans un – Richard Pearshouse

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L’OIT publie un recueil (comme au Botswana, au Lesotho, à des actes de stigmatisation et de de bonnes pratiques au Mozambique, en Afrique du Sud discrimination liés au VIH, peu de législatives en Afrique et dans les États francophones qui se plaintes ont été signalées dans les conformeront à la Loi uniforme sur pays impliqués (Botswana, Burkina L’Organisation internationale du le travail élaborée par l’Organisation Faso, République démocratique du travail (OIT) a récemment publié pour l’harmonisation du droit des Congo, Malawi, Afrique du Sud et un Recueil de bonnes pratiques affaires). Zimbabwe). La peur du stigmate lié législatives en matière de VIH/sida Une autre avenue pour la création à la divulgation de la séropositivité dans certains pays d’Afrique.14 Le d’un cadre juridique favorable aux et le manque de mesures de redresse­ document examine un certain nom­ personnes vivant avec le VIH/sida, ment réalistes pourraient contribuer à bre de lois – et non seulement des surtout en l’absence de disposi­ cette situation. lois spéciales ou des codes de tra­ tions spécifiques au VIH/sida, est vail sur le sida – dans une série de l’élaboration d’une disposition consti­ – Jane Hodges monographies de 14 ressorts anglo­ tutionnelle interdisant la discrimina­ phones, lusophones et francophones tion fondée sur le « handicap » ou Jane Hodges ([email protected]) est avocate d’Afrique.15 Il a été conçu pour un « autre état » (p. ex., Malawi, principale en droit du travail à l’OIT. rehausser la conformité aux cadres Mozambique et Afrique du Sud). juridiques relatifs au VIH/sida dans le Cinq monographies signalent que monde du travail. l’inégalité des sexes requiert une Les bonnes pratiques identifiées réponse législative dans le contexte Le secrétaire général dans le recueil utilisent comme étalon des traditions de droit coutumier. de l’ONU demande les normes internationales pertinentes Certaines mettent en relief la vul­ l’abolition de la en matière de travail – en particulier, nérabilité particulière des jeunes criminalisation de la Convention no111 concernant la femmes et des filles à des relations populations vulnérables discrimination (emploi et profession) sexuelles forcées et non protégées de 1958 et le Recueil de directives avec des proches de sexe masculin, à Le 26 mars 2008, le secrétaire pratiques du BIT sur le VIH/sida et le cause de règles coutumières – ce qui général de l’ONU, Ban Ki-moon, monde du travail (2001). Par ailleurs, accroît leur risque d’infection par le a exhorté au respect accru du droit le document renferme plusieurs notes VIH (p. ex., Botswana, Lesotho et à la santé et des droits humains des sexospécifiques à propos des textes Malawi). D’autres affirment que les personnes vivant avec le VIH, des examinés.16 règles coutumières aident à atténuer travailleuses et travailleurs sexuels, La plupart des monogra­ l’impact de la maladie sur les per­ des hommes ayant des rapports sexu­ phies nationales mettent en relief sonnes vivant avec le VIH/sida (p. els avec des hommes et des jeunes l’influence générale des instruments ex., Éthiopie et République démocra­ qui s’injectent des drogues, en Asie. internationaux des droits de la per­ tique du Congo). Il a déclaré : sonne qui garantissent l’égalité et La plupart des lois sur le travail la non-discrimination. Le recueil qui renferment des dispositions sur [N]ous ne verrons jamais de pro­ indique que certains États (p. ex., le VIH/sida interdisent les tests ou le grès équitables si le droit à la santé le Bénin et le Togo) ont opté pour dépistage en milieu de travail et le et les droits humains de certaines l’approche d’introduire une loi dis­ refus fondé sur la séropositivité réelle populations – personnes vivant avec tincte (p. ex., une loi spécifique au ou perçue; imposent une obligation le VIH, travailleuses et travailleurs sexuels, hommes ayant des rapports VIH) qui inclut un chapitre ou un de fournir des services d’information sexuels avec des hommes et jeunes volet reflétant les besoins particuliers et de sensibilisation; et appuient le qui s’injectent des drogues – conti­ du monde du travail. droit des employés séropositifs à des nuent d’être brimés. J’exhorte les Une autre tendance marquée soins et du soutien. gouvernements asiatiques à amender consiste à inclure des dispositions Le recueil souligne toutefois que, leurs lois surannées qui criminalisent spécifiques au VIH/sida dans des lois bien qu’une telle protection légale les groupes les plus vulnérables de la générales sur le travail ou l’emploi devrait servir d’important dissuasif société et à prendre toutes les mesures

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nécessaires afin qu’ils puissent vivre 4 Human Rights Watch, Letter to President Vladimir Putin: 13 « National register for gay couples, says Kevin Rudd », 17 Denial of HIV treatment Endangering Russian Prisoner’s Life, news.com.au, 16 décembre 2007. Accessible à dans la dignité. [trad.] 8 février 2008. Accessible via www.hrw.org. www.news.com.au/story/0,23599,22932717-2,00.html. 5 M. Scwirtz, « Ill Russian’s plea to leave prison: ‘I will not 14 Le texte complet du recueil est accessible à Ces commentaires ont été for­ go anywhere but to the grave’ », The New York Times, 7 www.ilo.org/public/english/dialogue/ifpdial/downloads/ février 2008. papers/digest.pdf. Ce document fait partie d’un pro- mulés en réponse à un rapport de la gramme (suédois) visant à atténuer l’impact du VIH/sida 6 S. Osadchuk, « Ex-Yukos executive kept in hand- Commission sur le sida en Asie, qui en Afrique subsaharienne, financé par l’Agence suédoise cuffs », , 19 février 2008; D. Nowak, de développement international. Pour plus d’information recommande notamment un accès « Aleksanyan to stay in custody », The St. Petersburg Times, sur ce projet, voir www.ilo.org/public/english/dialogue/ 7 mars 2008. ifpdial/tech/hivaids.htm. accru aux mesures de réduction des 7 R. Pearshouse, « Californie – Le gouverneur oppose son 15 Bénin, Botswana, Burkina Faso, Cameroun, République méfaits pour prévenir la transmis­ veto au projet de loi sur les condoms en prison », Revue démocratique du Congo, Éthiopie, Lesotho, Malawi, sion du VIH parmi les personnes VIH/sida, droit et politiques 11(2/3) (2006) : 42-43. République de Maurice, Mozambique, Nigeria, Afrique du qui uti­lisent des drogues ainsi que la 8 Le message de veto est accessible à http://gov.ca.gov/ Sud, Togo et Zimbabwe. pdf/press/AB%201334%20veto%20message.pdf. 16 décriminalisation du travail sexuel.18 La recherche se fonde sur un débat prévu à la 9 « Reality and denial in California prisons », The New York Conférence internationale du travail, en 2009 et Times, 19 octobre 2007. 2010, sur un nouvel instrument en la matière : voir le document de fond intitulé Le VIH/sida et le monde du – Richard Pearshouse 10 Attorney-General for Australia, « Rudd government travail, 98e session de la CIT, Rapport IV(1). Accessible moves on same-sex discrimination », communiqué, 30 en diverses langues via www.ilo.org/global/What_ avril 2008. Accessible à we_do/Officialmeetings/ilc/ILCSessions/98thSession/ www.attorneygeneral.gov.au/www/ministers/robertmc.nsf/ ReportssubmittedtotheConference/lang--fr/ Page/MediaReleases_2008_SecondQuarter_30April2008- docName--WCMS_090178/index.htm. RuddGovernmentmovesonsame-sexdiscrimination. 17 1 Commission on AIDS in Asia, « AIDS remains the lea- En mai 2005, Khodorkovsky et Lebedev ont été trouvés 11 coupables et condamnés à des peines d’emprisonnement Human Rights and Equal Opportunities Commission, ding cause of death and lost days in the most productive de dix et huit ans respectivement. Voir Same Sex: Same Entitlements — National Enquiry into age groups in Asia », communiqué, New York, 26 mars www.khodorkovsky.info. Discrimination Against People in Same-Sex Relationships: 2008. Accessible à Financial and Work-Related Entitlements and Benefits, mai http://data.unaids.org/pub/PressRelease/2008/20080326_ 2 D. Nowak, « Aleksanyan to stay in custody », The St. 2007. Accessible à www.hreoc.gov.au/Human_RightS/ pr_asiacommissionreport_en.pdf. Petersburg Times, 7 mars 2008. samesex/report/pdf/SSSE_Report.pdf. 18 Commission on AIDS in Asia, Redefining AIDS in Asia: 3 Un exemplaire de la correspondance de la CEDH 12 « Govt excludes same-sex marriage from law chan- Crafting an Effective Response, mars 2008. Accessible à faisant référence à la mesure provisoire est accessible à ges », ABC News, 30 avril 2008. Accessible à http://data.unaids.org/pub/Report/2008/ www.mka-london.co.uk/documents/ronald_60B12.pdf. www.abc.net.au/news/stories/2008/04/30/2230972.htm. 20080326_report_commission_aids_en.pdf.

48 REVUE VIH/SIDA, DROIT ET POLITIQUES LE VIH/SIDA DEVANT LES TRIBUNAUX – CANADA

Cette rubrique présente un résumé de diverses décisions des tribunaux du Canada concernant le VIH/sida ou susceptibles d’avoir une importance pour les personnes vivant avec le VIH/sida. Il y est question d’affaires cri- minelles et civiles. Nous tentons de couvrir les affaires de manière aussi complète que possible, à partir de recherches effectuées dans les bases de données électroniques sur le droit au Canada, ainsi que de reportages des médias canadiens. Les lecteurs sont invités à signaler d’autres affaires dont ils auraient connaissance à Sandra Ka Hon Chu, responsable de la présente section, à [email protected]. Sauf indication contraire, les articles de la présente section ont été rédigés par madame Chu.

La Cour fédérale invalide une restriction prévue dans le programme d’accès à la marijuana à des fins médicales

Le 10 janvier 2008, la Cour fédérale a invalidé une importante restric- tion contenue dans le programme fédéral d’accès à la marijuana à des fins médicales.1 La décision accorde aux personnes admissibles au pro- gramme une plus grande liberté de choisir leur producteur et permet aux producteurs de fournir le médicament à plus d’un patient.2

En 2004, des personnes autorisées à la marijuana pour traiter des douleurs demande de contrôle judiciaire à posséder de la marijuana à des fins chroniques, des crises d’épilepsie et l’encontre des règlements de Santé thérapeutiques, qui consomment de d’autres malaises, ont présenté une Canada concernant la culture de la

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drogue et sa distribution. Selon les mettre sa liberté en péril, compte tenu Dans le recours présenté à la Cour règlements de Santé Canada, les du risque d’emprisonnement associé fédérale, les demandeurs avaient producteurs autorisés ne pouvaient à l’accès illicite à la marijuana. également demandé à la Cour de cultiver la marijuana que pour un seul En outre, le juge Strayer a observé garder un pouvoir de contrôle sur patient à la fois. En conséquence, que, bien que le gouvernement ait Santé Canada en ce qui a trait à la les consommateurs autorisés qui ne soutenu que les personnes inca­ création et à la mise en application pouvaient pas cultiver eux-mêmes pables de cultiver leur marijuana d’un nouveau processus permet­ leur marijuana étaient contraints de pouvaient l’obtenir du gouverne­ tant à plus d’un patient de choisir un s’approvisionner auprès d’un produc­ ment, moins de 20 pour cent des seul cultivateur à titre de producteur teur privé autorisé, s’ils parvenaient patients s’approvisionnaient auprès désigné, ce qui exigeait que Santé à en trouver un qui fût disposé à du gouvernement. Le juge a déclaré Canada présente des comptes rendus produire exclusivement pour eux, ou que, « vu le droit établi par d’autres périodiques au sujet de l’état et du auprès du gouvernement, qui achète tribunaux selon lequel les utilisa­ progrès du nouveau processus. Le les plants d’une société établie au teurs à des fins médicales devraient juge Strayer a rejeté la demande, et Manitoba.3 avoir un accès raisonnable à la mari­ les demandeurs ont formé un appel Cette restriction faisait en réalité huana, il est indéfendable que le incident relativement à cette décision. de Santé Canada le seul fournis­ gouvernement force ces utilisateurs à Le 19 mars 2008, la Cour d’appel seur légitime de marijuana à des s’approvisionner chez son fournisseur, fédérale a accordé une suspension fins médicales au pays. Selon Alan à cultiver leur propre marihuana ou à provisoire du jugement de la Cour Young, l’avocat qui représente les être limités par le système inutilement fédérale en attendant le résultat de consommateurs de marijuana à des restrictif des producteurs désignés ».6 l’appel et de l’appel incident.10 fins médicales, Santé Canada fournis­ La restriction imposée par Santé sait un médicament coûteux, mais Canada aux producteurs de mari­ inefficace, qui ne répondait pas aux juana à des fins médicales décou­ besoins de nombreux patients. Alan lait d’une politique adoptée par le Young soutenait également qu’il gouvernement à la suite d’un arrêt existe des fournisseurs qui souhaitent rendu en 2003 par la Cour d’appel offrir diverses souches de marijuana à de l’Ontario, qui avait déclaré incon­ un coût moins élevé, pour des usages stitutionnels certains règlements qui thérapeutiques. 4 limitaient l’accès à la marijuana à des De l’avis de la Cour fédérale, la fins médicales.7 Santé Canada avait restriction à un seul client par produc­ alors modifié plusieurs aspects de 1 Sfetkopoulos c. Canada (Procureur général), 2008 CF 33 teur porte atteinte à la Charte cana- sa politique, mais avait conservé les (CanLII). dienne des droits et libertés. Dans sa limites relatives à la production.8 2 M. Babbage, « Federal Court strikes down regulation limiting growers of medical marijuana », Canadian Press, décision, le juge Barry Strayer a dit Les avocats qui représentaient 10 janvier 2008. que la disposition était inconstitu­ les consommateurs de marijuana à 3 M. Fitzpatrick, « Ottawa loses medical marijuana chal- tionnelle et arbitraire, parce qu’elle des fins médicales ont applaudi le lenge », National Post, 11 janvier 2008. « cause aux utilisateurs d’importantes jugement de la Cour fédérale, qui 4 « Medical marijuana restrictions unfair, lawyers contend », Canadian Press, 4 décembre 2007. difficultés en matière d’accès ».5 constitue à leurs yeux le « clou dans 5 « Court strikes down regulation limiting growers of Le juge Strayer a conclu que le le cercueil » de la restriction des medical marijuana », CBC News, 22 janvier 2008. droit à la liberté et la sécurité de la producteurs à un seul patient et qui 6 Ibid. personne garanti par l’article 7 de la permet aux patients de choisir de 7 Hitzig c. Canada (2003), 231 D.L.R. (4th) 104. Charte confère aux demandeurs le s’approvisionner auprès du gouverne­ 8 P. Lucas, « Regulating compassion: an overview of droit de choisir, après un avis médi­ ment ou « de créer de petits groupes Canada’s federal medical cannabis policy and practice », Harm Reduction Journal 5:5 (2008). Accessible via cal, de consommer de la marijuana de patients qui s’adressent à un pro­ www.harmreductionjournal.com. 9 pour traiter des pathologies graves, et ducteur expérimenté et compétent ». 9 M. Fitzpatrick. que ce droit implique le droit d’accès Santé Canada a porté la décision 10 Canada (Procureur général) c. Sfetkopoulos, 2008 CAF à la marijuana et le droit de ne pas de la Cour fédérale en appel. 106 (CanLII).

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L’identité d’un demandeur de statut de réfugié comme travesti doit être considérée dans l’évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État

Le 11 décembre 2007, la Cour fédérale a accordé la demande de contrôle judici- aire de Jose Hernandez à l’encontre d’une décision rendue en novembre 2006 par la Division de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui avait conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.1 Hernandez demandait que la décision de la Commission soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

Jose Hernandez, un citoyen du quatement des questions relatives à de la protection de l’État, la norme Mexique, a demandé le statut de l’orientation sexuelle et aux soins de de contrôle appropriée est la déci­ réfugié du fait de son orientation santé, et que, au cours des dernières sion raisonnable. Après examen de sexuelle. Il avait été chassé de chez années, les minorités sexuelles la décision, la Cour conclut que la lui par sa famille et avait été vic­ avaient fait d’importants gains aux Commission n’a pas tenu compte de time d’agressions physiques à de plans politique et juridique. l’identité complète de Hernandez, en nombreuses reprises à cause de son La Commission a jugé qu’il dépit du fait que « la Commission homosexualité. À une occasion, il était déraisonnable de la part de avait entre les mains suffisamment a été agressé alors qu’il était « vêtu Hernandez de n’avoir pas tenté de preuves pour se rendre compte comme une femme ». d’obtenir la protection de la police que le demandeur était non seule­ Jose Hernandez est arrivé au ou d’autres autorités étatiques, et elle ment homosexuel, mais aussi travesti Canada en 2003, et il a reçu un diag­ a statué qu’il avait l’obligation de et transgendériste ». La Cour a jugé nostic de VIH en 2005. L’audience de tenter d’abord d’obtenir la protection que la Commission avait commis Hernandez en matière d’immigration dans son pays d’origine. En ce qui une erreur en omettant d’évaluer s’est tenue en juin 2006. À cette concerne la demande de protection l’aptitude du Mexique à protéger occasion, le demandeur a révélé qu’il de Hernandez au motif de sa séro­ ­convenablement les personnes avait peur de retourner au Mexique, positivité, la Commission a observé comme le demandeur. parce qu’il était homosexuel et tra­ que le programme de lutte contre vesti. le VIH/sida de la ville de Mexico Selon la Commission, la ques­ offre un traitement anti-rétroviral tion déterminante dans le cas de complet à toutes les personnes qui Hernandez consistait à savoir si vivent avec le VIH qui n’ont pas celui-ci bénéficiait de la protection de les ­moyens de se faire soigner par l’État au Mexique. La Commission ailleurs. La Commission a conclu, a conclu, compte tenu de la preuve compte tenu de la preuve présentée, documentaire présentée sur le que Hernandez n’avait pas la qualité Mexique, que, bien qu’il continue d’y de réfugié au sens de la Convention, avoir des attitudes homophobes très ni celle de personne à protéger. marquées au sein de la population, De l’avis de la Cour fédérale, en 1 Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de le gouvernement s’occupait adé­ ce qui a trait au caractère adéquat l’Immigration), 2007 C.F. 1297 (QL).

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Un jugement relatif à la divulgation de la séropositivité clarifie le droit à la vie privée en Ontario

Un juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté une action en atteinte à la vie privée pour le motif que le demandeur n’a pas démontré que la divulgation de sa séropositivité lui avait causé un préjudice. Le jugement établit les critères à respecter pour juger ce type de poursuite dans l’avenir.1

En 2005, la HIV & AIDS Legal Clinic Bien que la juge ait conclu que pour un motif d’ordre juridique ou of Ontario (HALCO) a été consultée la tante avait en effet divulgué la d’intérêt public? Si oui, quel est ce par un homme dont la tante avait séropositivité du demandeur, elle a motif? divulgué la séropositivité à ses parents déclaré que celui-ci ne pouvait recou­ 6. Une personne raisonnable jugerait- sans son consentement. Sa tante avait vrer des dommages-intérêts sans elle que le motif d’ordre juridique révélé que l’homme était séropositif, à établir un lien direct entre la divulga­ ou d’intérêt public pour lequel le l’occasion d’une dispute avec sa mère tion et le préjudice qu’il avait subi, renseignement est obtenu, recueil­ et une autre tante. Celui-ci n’était et sans prouver que sa tante avait eu li, divulgué ou publié l’emporte pas présent, et il avait découvert la l’intention de lui causer un préjudice sur l’intérêt de la personne à pro­ divulgation un mois plus tard. Avec à lui et non à sa mère. téger le caractère privé du rensei­ l’aide de l’HALCO, l’homme avait Néanmoins, le jugement établit un gnement? poursuivi sa tante, à qui il reprochait cadre applicable aux futures pour­ d’avoir porté atteinte à sa vie privée et suites pour atteinte à la vie privée. En outre, la juge a statué qu’une per­ de lui avoir intentionnellement causé Dans sa décision, la juge prévoit que, sonne dont la vie privée a été violée des souffrances psychologiques. pour juger une atteinte à la vie privée, doit prouver qu’elle a subi un préju­ À l’époque, les poursuites pour la cour doit répondre aux questions dice en conséquence de cette viola­ atteinte à la vie privée étaient rela­ suivantes: tion. Ce point de vue est en opposition tivement nouvelles dans les tribunaux avec la législation de la Colombie- de l’Ontario. Bien qu’il y ait eu 1. Une personne raisonnable jugerait- Britannique, de la Saskatchewan, quelques arrêts accordant des dom­ elle que le renseignement obtenu, du Manitoba et de Terre-Neuve, qui mages-intérêts pour atteinte à la vie recueilli, divulgué ou publié est de prévoit qu’une personne peut pour­ privée, ceux-ci n’avaient pas établi nature à être considéré privé? suivre pour atteinte à la vie privée les critères à respecter pour faire la 2. Le demandeur a-t-il consenti à ce sans avoir à prouver qu’elle a subi un preuve nécessaire. que le renseignement soit obtenu préjudice, mais dont la juge a choisi Le procès a eu lieu en février et ou recueilli? de ne pas tenir compte. juin 2007. Le demandeur et la défen­ 3. Si la réponse est non, le renseigne­ Il sera peut-être possible, dans deresse ont présenté des arguments ment a-t-il été obtenu ou recueilli une action future pour atteinte à la juridiques par écrit. La juge a rendu pour un motif d’ordre juridique ou vie privée, de soutenir que la preuve son jugement le 4 octobre 2007 et d’intérêt public? Si oui, quel est ce de préjudice ne devrait pas être un conclu que le demandeur n’avait pas motif? facteur déterminant dans la solution réussi à prouver que la révélation que 4. Le demandeur a-t-il consenti à la du litige. Entre-temps, le présent sa tante avait faite à ses parents lui divulgation ou à la publication du arrêt a fourni plus de précisions sur avait causé un préjudice, compte tenu renseignement? le droit à la vie privée en Ontario, ce de l’existence de plusieurs autres fac­ 5. Si la réponse est non, le renseigne­ qui pourra être utile aux personnes teurs de stress dans sa vie à l’époque. ment a-t-il été divulgué ou publié qui souhaitent se pourvoir en justice

52 REVUE VIH/SIDA, DROIT ET POLITIQUES LE VIH/SIDA DEVANT LES TRIBUNAUX – CANADA

lorsque leur séropositivité a été divul­ Renée Lang ([email protected]) travaille 1 Caltagirone c. Scozzari-Cloutier, [2007] O.J. No. 4003 (QL). guée sans leur autorisation. comme avocate à l’HALCO. Elle a repré­ senté le demandeur dans la présente affaire – Renée Lang décrite.

Une cour rejette pour des motifs de sécurité publique l’appel d’une femme séropositive qui souhaitait obtenir une libération inconditionnelle

Le 7 décembre 2007, la Cour d’appel de Nouvelle-Écosse a rejeté l’appel interjeté contre une ordonnance rendue en juin 2007 par la Commission d’examen de la Nouvelle-Écosse. L’ordonnance prévoyait la libération de « K.A.S. », une femme séropositive, à la condition qu’elle réside dans des lieux approuvés par l’hôpital, qu’elle poursuive le traitement recom- mandé relativement à sa santé mentale et qu’elle s’abstienne de consommer de l’alcool ou des drogues illicites, parce qu’elle continuait de présenter un danger pour la sécurité publique.1

K.A.S. avait demandé une libération teur qu’au moment des infractions confirmé qu’elle avait consommé de inconditionnelle pour le motif que sa elle croyait qu’elle était un agent de la cocaïne. psychose était contrôlée par médica­ police banalisé qui se faisait passer Bien que sa psychose soit contrô­ tion et que les restrictions à sa liberté pour une travailleuse du sexe, et par lée par la médication, le diagnostic de concernaient sa toxicomanie et sa conséquent qu’il était impossible schizophrénie de K.A.S. est demeuré séropositivité, qui sont des questions qu’elle transmette ou contracte des inchangé et la Commission d’examen de santé communautaire sans lien infections sexuellement transmis­ a conclu qu’elle constituait toujours avec l’application du Code criminel. sibles. un danger pour la sécurité publique En février 2004, K.A.S. a obtenu Par suite du jugement, le cas de à cause de sa toxicomanie, qui était un jugement de « non-responsabilité K.A.S. a été déféré à la Commission susceptible de provoquer d’autres criminelle » pour cause de troubles d’examen de Nouvelle-Écosse, idées délirantes. mentaux en rapport avec deux accu­ qui a ordonné sa détention au East La Cour d’appel a observé que, sations de communication dans le but Coast Forensic Psychiatric Hospital. pour déterminer s’il y avait lieu de se livrer à la prostitution. Avant Pendant sa détention à l’hôpital et d’accorder une libération incondition­ son procès, K.A.S. avait subi une son séjour dans divers foyers col­ nelle, une libération conditionnelle, évaluation psychiatrique qui avait lectifs de transition, où elle était ou la détention dans un milieu hos­ mené à la conclusion qu’elle souffrait périodiquement dirigée, K.A.S. s’est pitalier, la Commission d’examen de schizophrénie chronique. K.A.S. absentée sans autorisation à plusieurs devait tenir compte « de la nécessité avait déclaré au psychiatre examina­ reprises et à son retour des tests ont de protéger le public contre des per­

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sonnes dangereuses, de l’état mental tuait un danger important parce tant pour la santé publique parce de l’accusé, de sa réintégration dans qu’elle risquait d’infecter un parte­ qu’elle était susceptible de perpétrer la société et des autres besoins de naire sexuel en omettant de divulguer des voies de fait contre un membre l’accusé. » sa séropositivité, et la décision qui en du public en omettant de divulguer La Cour a dit que la Commission a résulté, n’étaient pas déraisonnables. sa séropositivité se rapportait à « un d’examen ne pouvait ordonner la La Cour a reconnu, comme le comportement criminel prévisible, libération inconditionnelle que si, soutenait K.A.S., que le risque fondé sur la preuve, ce qui relève à son avis, l’accusée ne constituait qu’elle transmette le VIH à une autre clairement de la compétence de la pas « un danger important pour la personne relevait de la santé pub­ Commission d’examen. » sécurité publique ». Selon la Cour, lique. Toutefois, à son avis, la conclu­ la ­conclusion de la Commission sion de la Commission à l’effet que d’examen à l’effet que K.A.S. consti­ K.A.S. présentait un danger impor­ 1 R. c. K.A.S., [2007] N.S.J. No. 504 (QL).

Droit criminel et transmission du VIH ou exposition : sept nouvelles affaires

Une Québécoise est lesquelles J.L.P. avait reçu une abso­ sexuels avec lui avant de l’informer condamnée pour lution inconditionnelle.2 qu’elle était séropositive. La question omission de divulguer Pendant le procès, le juge Bisson en litige consiste à déterminer si un sa séropositivité a noté que J.L.P. avait attendu quatre ­condom a été utilisé à cette occasion. ans avant de porter plainte contre Dans sa décision, le juge Bisson Le 14 février 2008, D.C., une D.C., et il a observé chez lui « une a spécifiquement conclu que D.C. et Québécoise, a été déclarée coupable certaine vengeance pour la façon J.L.P. n’avaient pas utilisé de condom d’agression sexuelle et de voies de dont s’est terminée leur relation. lors de leur premier rapport sexuel. Le fait graves pour avoir omis d’informer L’amertume est palpable. »3 juge Bisson s’est appuyé en partie sur son partenaire sexuel, J.L.P., qu’elle J.L.P., qui n’a pas contracté le la preuve présentée par le médecin de était séropositive avant d’avoir des VIH, a déclaré pendant le procès qu’il D.C. Selon son témoignage, des notes rapports sexuels avec lui.1 Dans le avait eu des rapports sexuels non dans son dossier médical indiquaient jugement, l’accusée et le plaignant protégés à de multiples reprises avec que D.C. l’avait consulté sur les ris­ sont désignés par leurs initiales, parce D.C. et qu’elle ne lui avait pas dit ques de transmission du VIH dans qu’une ordonnance a interdit la publi­ qu’elle était séropositive. D.C. a pour l’éventualité d’un bris de condom. cation de l’identité de l’accusée. sa part soutenu qu’elle avait eu des Il y avait là une contradiction avec D.C. a été diagnostiquée séro­ rapports sexuels avec J.L.P. une seule divers articles de journaux qui avaient positive en 1991. Elle a rencontré fois avant de l’informer de son état et rapporté que D.C. avait eu seulement le plaignant J.L.P. en 2000 et elle a qu’ils avaient utilisé un condom. des « rapports sexuels protégés » avec commencé une relation sexuelle avec La Cour a jugé que le témoi­ son partenaire.4 Compte tenu de cette lui peu après. Après leur rupture en gnage de J.L.P. sur ce point n’était conclusion de fait, le jugement ne 2004, D.C. avait porté contre J.L.P. pas crédible et a conclu que D.C. traite pas de la question de l’obligation des accusations de voies de fait, pour avait eu une seule fois des rapports de divulgation lorsqu’il y a usage de

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condom, qu’on appelle communément voir de contrôle sur leurs pratiques En avril 2007, Leone a plaidé cou­ la « défense du condom ». La question sexuelles et sont plus susceptibles pable à 15 chefs d’agression sexuelle n’a jamais été abordée dans la juris­ que les hommes de subir des mauvais grave pour avoir eu des rapports prudence canadienne. traitements sexuels et physiques si sexuels avec 20 femmes entre 1997 D.C. devra se présenter à la Cour elles révèlent qu’elles sont séroposi­ et 2004 sans divulguer sa séroposi­ en juillet 2008 pour la détermination tives, les répercussions des poursuites tivité.10 Cinq des 20 femmes étaient de la peine. pénales pour non-divulgation de la devenus séropositives.11 La police de séropositivité pour les femmes n’ont Windsor a arrêté Leone en juin 2004, Commentaire pas été suffisamment étudiées. sept ans après qu’il fut diagnostiqué Selon l’interprétation que la Cour Certains groupes soutiennent séropositif par la Windsor Essex a donnée à l’arrêt R. c. Cuerrier, la toutefois que la décision du juge County Health Unit. première décision de la Cour suprême Bisson aura pour effet de dissuader Leone sera admissible à la libé­ du Canada qui traite de la non-divul­ les femmes séropositives qui vivent ration conditionnelle dans six ans. gation de la séropositivité avant des des relations marquées par la vio­ Le juge Quinn a rejeté la requête rapports sexuels non protégés, les per­ lence de porter plainte pour mauvais présentée par la Couronne pour faire sonnes séropositives ont l’obligation traitements, contre leurs partenaires déclarer Leone délinquant dange­ de divulguer leur état et de réduire le sexuels, par crainte de subir un châti­ reux, parce qu’à son avis celle-ci plus possible le risque d’exposition ment en conséquence.8 n’avait pas prouvé au-delà du doute pendant les rapports sexuels.­ 5 Cette raisonnable que Leone commettrait interprétation n’est pas compatible des infractions de même nature dans avec l’arrêt de la Cour suprême dans l’avenir. Si Leone avait été déclaré Cuerrier, qui impose la divulgation Quinze peines délinquant dangereux, il aurait fait de la séropositivité s’il y a un risque d’emprisonnement face à une peine de prison d’une important d’exposition et non dans les consécutives pour durée indéterminée, susceptible de cas où les pratiques sexuelles­ ne com­ agression sexuelle grave révision tous les sept ans. portent pas de risque.6 La requête de la Couronne pour Comme l’a dit la Cour dans Le 4 avril 2008, la Cour supérieure faire déclarer Leone délinquant à Cuerrier, « l’utilisation prudente de de justice de l’Ontario a condamné contrôler a également été rejetée. condoms réduit tellement le risque de Carl Leone à 15 peines consécutives Si elle avait été accueillie, Leone préjudice que celui‑ci ne serait plus pour agression sexuelle grave, tota­ aurait été assujetti à une période de considéré comme important … ».7 lisant 49 ans d’emprisonnement. La surveillance d’au plus dix ans après L’obligation de divulgation de la peine a finalement été réduite à 18 son éventuelle libération de prison.12 séropositivité en plus du choix de pra­ ans après que le juge Joseph Quinn Cependant, Leone devra remettre tiques sexuelles sûres est inutilement eut pris en considération le « principe un échantillon d’ADN, et son nom contraignante pour les personnes qui de la totalité ».9 sera inscrit dans le registre des délin­ vivent avec le VIH, compte tenu, par­ Selon le juge Quinn, lorsqu’une quants sexuels de l’Ontario jusqu’à la ticulièrement, de la stigmatisation, de personne reçoit des peines consécu­ fin de ses jours. la discrimination et de la crainte du tives, le principe de totalité oblige le rejet auxquelles elles s’exposent dans juge à faire en sorte que la peine dans leurs relations personnelles. son ensemble ne soit pas indûment Les cas où des femmes ont été longue ou sévère. Dans son jugement, Le défaut d’un homme de mises en accusation pour avoir omis le juge Quinn a indiqué que plusieurs divulguer sa séropositivité de divulguer leur séropositivité à facteurs avaient influé sur sa déci­ entraîne l’inscription de leurs partenaires sexuels sont relative­ sion : l’âge de l’accusé, son absence son nom au registre des ment rares au Canada. Alors que les d’antécédents judiciaires et le fait délinquants sexuels femmes, surtout celles qui vivent des qu’il a plaidé coupable pour éviter relations violentes ou les travailleuses aux plaignantes le traumatisme du Le 27 mars 2008, Ryan Handy a été sexuelles, n’ont pas toujours de pou­ témoignage à la cour. condamné à huit mois d’emprisonne­

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ment et à deux années de probation au registre des délinquants sexuels. probabilité statistique que la source pour avoir omis de divulguer sa séro­ Comme Handy a été reconnu cou­ de l’infection des plaignantes par positivité avant d’avoir à deux repri­ pable d’agression sexuelle grave, un le VIH soit un Africain, et en par­ ses des rapports sexuels non protégés crime dont la peine maximale est ticulier un Ougandais. Selon Aziga, avec le même homme.13 Handy avait l’emprisonnement à vie, l’inscrip­ l’analyse statistique fondée sur la été reconnu coupable d’agression tion à vie au registre des délinquants race, l’origine nationale ou l’ethnicité sexuelle grave en novembre 2007. sexuels est automatique. équivalait à du profilage racial, ce Pendant son procès devant la Cour qui portait atteinte à son droit d’être supérieure de justice de l’Ontario, protégé contre la discrimination fon­ Handy a déclaré qu’au moment de dée sur la race, l’origine nationale ou ses premiers rapports sexuels non Rejet d’une requête pour l’ethnicité, et violait ses droits garan­ protégés avec le plaignant, il souffrait permission d’intenter un tis par l’article 15 de la Charte. d’une dépression nerveuse : il croyait recours selon l’article 15 Le juge Lofchik a conclu que qu’il était le Messie et qu’il s’était de la Charte Aziga n’avait pas établi de fonde­ débarrassé du virus par la transpi­ ment probatoire ou de base factuelle ration. Après avoir eu des rapports En décembre 2007, la Cour pour étayer l’allégation qu’il y avait sexuels non protégés une deuxième supérieure de justice de l’Ontario a eu atteinte à ses droits selon l’article fois, Handy avait eu un moment de rejeté la requête de Johnson Aziga 15 de la Charte. De l’avis du juge lucidité, avait pris conscience qu’il pour permission de présenter une Lofchik, la preuve de la Couronne avait le virus et avait immédiatement demande selon l’article de la Charte a simplement indiqué que Aziga et communiqué avec l’homme pour lui canadienne des droits et libertés les plaignantes infectées avaient en dire qu’il était séropositif. Dans son visant l’arrêt des procédures contre commun un virus particulier qu’on témoignage, le plaignant, qui n’a lui, ou, subsidiairement, l’exclusion observe rarement au Canada, mais finalement pas contracté l’infection, de la preuve fondée sur le non- qui est prévalent en Afrique, ce qui a affirmé qu’il n’aurait pas eu de rap­ respect d’un ou plusieurs de ses ne constitue pas du profilage racial. ports sexuels avec Handy s’il avait su droits garantis par la Charte.16 En outre, on ne poursuit pas Aziga que celui-ci était séropositif.14 Johnson Aziga est accusé de deux parce qu’il est séropositif, mais parce Dans la détermination de la peine chefs de meurtre au premier degré qu’il « s’est adonné à des activités de Handy, le juge Williams Jenkins et de 13 chefs d’agression sexuelle sexuelles non protégées comportant a reconnu que la maladie mentale de grave pour avoir eu des rapports sexu­ pénétration avec les 13 plaignantes, Handy avait affecté son jugement. els non protégés avec 13 plaignantes sachant qu’il était séropositif, et sans Bien que le juge ait rejeté la demande sans avoir divulgué sa séropositivité. les informer de son état, ce qui les a de condamnation avec sursis pré­ Sept des plaignantes sont subséquem­ exposées en conséquence à un préju­ sentée par la défense, il a qualifié ment devenues séropositives, et deux dice corporel grave. » Le début du d’ « écrasante » la peine de trois ans sont mortes par suite de complications procès de Aziga a été fixé au mois d’emprisonnement réclamée par la associées à leur infection par le VIH. d’octobre 2008. Couronne.15 Dans sa requête, l’accusé a Parmi les conditions de la pro­ soutenu que la criminalisation de bation, le juge impose à Handy l’exposition au VIH au Canada crimi­ de poursuivre le traitement de sa nalise une « déficience physique », ce L’aveu du consentement maladie mentale, de s’abstenir de qui porte atteinte à son droit à la pro­ aux rapports sexuels consommer des drogues illicites, de tection contre la discrimination à titre entraîne le rejet d’une divulguer sa séropositivité à tous ses de membre d’un groupe identifiable. accusation partenaires sexuels et de s’abstenir Johnson Aziga, qui est né en d’avoir des rapports sexuels non pro­ Ouganda, a également soutenu qu’il Le 4 février 2008, la Cour supérieure tégés. En outre, le juge a ordonné un était victime de discrimination fondée de justice de l’Ontario a rejeté une prélèvement d’échantillon d’ADN et sur la race, parce que la Couronne accusation de tentative d’agression l’inscription à vie du nom de Handy a présenté une preuve concernant la sexuelle grave portée contre Mark

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Hinton, qui était soupçonné d’avoir contre la femme, qu’il avait ren­ suite d’un comportement douteux de eu en 2006 des rapports sexuels non contrée par l’entremise d’un site de sa part. protégés avec un homme sans lui dire clavardage et avec qui il avait eu qu’il était séropositif.17 L’homme a des rapports sexuels non protégés Pour un examen plus approfondi du premier subséquemment découvert qu’il était de novembre 2004 à mars 2005. procès, voir la section « Développements au séropositif. Un colocataire de l’homme aurait Canada » du présent numéro. Une première accusation informé la plaignante de la séroposi­ d’agression sexuelle grave avait été tivité de J.M.L. Celle-ci a sans délai réduite à l’accusation de tentative passé un test VIH et a reçu des traite­ d’agression sexuelle grave, parce que ments de prophylaxie post-exposition la Couronne ne pouvait démontrer pendant plusieurs mois. Au moment hors de tout doute que Hinton avait de la détermination de la peine, la transmis l’infection au plaignant. plaignante n’avait pas de diagnostic Le procès a pris fin après que le d’infection à VIH. plaignant eut témoigné que le VIH Comme J.M.L. avait déjà passé ne l’avait pas inquiété lorsqu’il avait 16 mois en détention, ce qui est eu des rapports sexuels non protégés comptabilisé comme le double en 1 R. c. D.C. (14 février 2008), Longueuil « comportant un risque modéré­ application de sa peine, il lui reste 505-01-058007-051 (C.Q.). ment élevé » avec des partenaires deux années à purger pour compléter 2 « Woman who hid HIV infection from partner faces jail », CBC.CA News, 5 mai 2008. antérieurs. La Couronne a reconnu la peine. 3 R. c. D.C., par. 153. que cet aveu avait considérablement 4 « Quebecer guilty of assault for failing to tell boyfriend affaibli sa position et l’empêchait she was HIV-positive », Canadian Press, 14 février 2008. de prouver l’allégation au-delà du 5 Une agression sexuelle R. c. D.C. (14 février 2008), par. 92. doute raisonnable. Après le rejet de 6 Pour un examen approfondi de cette question, voir R. l’accusation, Hinton a déclaré qu’il dans une prison de Elliott, Après l’arrêt Cuerrier: le droit criminel et la non- divulgation de la séropositivité, Réseau juridique canadien n’avait jamais eu de rapports sexuels l’Ontario donne lieu à un VIH/sida, 2002. avec le plaignant, qui s’était servi de plaidoyer de culpabilité 7 R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371, par. 129. lui comme bouc émissaire relative­ 8 Voir par exemple, COCQ-Sida, « Les juges et procu- ment à sa séropositivité. Le 28 février 2008, Lee Wilde a reur sont-ils ‘coupables’ de discrimination à l’égard des personnes vivant avec le VIH? », communiqué de presse, plaidé coupable devant la Cour de Montréal, 15 novembre 2007. justice de l’Ontario à une accusation 9 C. Alphonso, « Man gets 18 years for spreading HIV », d’agression sexuelle contre un codé­ Globe and Mail, 5 avril 2008. Un homme de Colombie- tenu séropositif.19 Wilde a été accusé 10 D. Schmidt, « Plea ends HIV trial; Leone admits guilt in 15 sex assaults », The Windsor Star, 28 avril 2007, p. A1. Britannique est condamné d’avoir agressé le plaignant, de sexe 11 D. Schmidt, « Positive HIV test drove Leone to tears, à plus de quatre ans masculin, qui était incarcéré avec trial told », The Windsor Star, 17 avril 2007, p. A3. d’emprisonnement pour lui au Central North Correctional 12 C. Alphonso. avoir omis de divulguer sa Centre à Penetanguishene, Ontario, 13 J. Sims, « HIV positive man spread virus, jailed 8 séropositivité en mars 2007. Wilde a été condamné months », The London Free Press, 28 mars 2008, p. B5. à 20 mois d’emprisonnement, et son 14 J. Sims, « HIV accused claims mental breakdown », The London Free Press, 21 septembre 2007, p. B1. En novembre 2007, la Cour provin­ nom sera inscrit au registre des délin­ 15 J. Sims, « HIV positive man spread virus », p. B5. ciale de Prince George a condam­né quants sexuels de la province. 16 « J.M.L. » à quatre ans et huit mois Il s’agissait du second procès de R. c. Aziga, [2007] O.J. No. 4965 (QL). 17 J. Sims, « Charge dismissed against HIV-positive man », d’emprisonnement pour avoir omis Wilde. En décembre 2007, Wilde The London Free Press, 5 février 2008, p. B.1. de divulguer sa séropositivité à une avait subi un procès devant le juge 18 S. Freeman, « HIV-positive man jailed after deceiving femme avec qui il a eu des rapports Jon-Jo Douglas, de la Cour de justice partner about infection; Court hands down four-year, 18 eight-month sentence for aggravated assault », Vancouver sexuels non protégés. de l’Ontario (Région du Centre-Est). Sun, 5 novembre 2007, p. B.1. J.M.L. a plaidé coupable à une Un nouveau procès a été ordonné 19 J. Friesen, « Odd HIV assault trial ends abruptly », accusation de voies de fait graves après que le juge se fut récusé par United Press International, 29 février 2008.

VOLUME 13, NUMÉRO 1, JUILLET 2008 57 LE VIH/SIDA DEVANT LES TRIBUNAUX – CANADA

En bref Commission constituait une erreur la demande de protection pour des susceptible de contrôle. motifs associés à la crédibilité et pour En outre, sur la question de la le motif qu’il existait à la fois des protection accordée par l’État aux possibilités de refuge intérieur et de Un nouvel examen est travestis, la Commission a présenté protection de l’État. ordonné dans la un élément de preuve, qui, après La Cour fédérale a jugé que, détermination du examen, n’étayait pas sa préten­ même si les conclusions de la statut de réfugié d’un tion. La Cour fédérale a dit qu’en Commission relativement à la homosexuel travesti s’appuyant sur cette preuve pour crédibilité étaient douteuses, ses séropositif rejeter la demande de statut de conclusions concernant la protection réfugié de Cascante, la Commission de l’État et la possibilité de refuge Le 7 février 2008, la Cour fédérale a agi de manière « arbitraire » et que intérieur répondaient parfaitement à a annulé une décision de la Division sa décision était manifestement dérai­ la demande en cause. De l’avis de la de la protection des réfugiés de la sonnable. Cour, de nombreuses décisions de la Commission de l’immigration et Cour fédérale ont approuvé la conclu­ du statut de réfugié, qui avait rejeté sion de la Commission que la ville de la demande de statut de réfugié de La demande de contrôle Mexico constitue une possibilité de Orlando Quiros Cascante. La Cour judiciaire présentée par refuge intérieur pour la plupart des a renvoyé l’affaire à un tribunal dif­ un demandeur de statut gais et lesbiennes au Mexique. féremment constitué pour que le cas de réfugié séropositif À propos de la protection de soit réexaminé.1 originaire du Mexique l’État, la Commission était justifiée La demande d’asile de Cascante, est rejetée de conclure que le demandeur n’avait qui est originaire du Costa Rica, pas présenté suffisamment d’éléments est fondée sur sa crainte d’être per­ Le 23 janvier 2008, la Cour fédérale de preuve pour réfuter la présomption sécuté à titre d’homosexuel travesti a rejeté une demande de contrôle d’existence de cette protection. La et séropositif. Un élément central judiciaire de la décision de la Cour a observé que « [l]e Mexique a de sa demande consiste à savoir s’il Commission de l’immigration et du été jugé comme une démocratie régie peut recevoir la protection de l’État statut de réfugié, qui avait rejeté la par un gouvernement qui fonctionne. au Costa Rica contre la persécution demande de protection de Flores De façon générale, rien ne laissait auquel il est exposé relativement à de la Rosa, après avoir conclu croire que le Mexique était incapable l’un ou l’autre de ces trois attributs, qu’une partie de son récit n’était pas d’assurer une protection. » En outre, ou aux trois attributs ensemble. crédible, qu’il avait une « possibilité la Cour a jugé que la Commission Bien que la Commission ait conclu de refuge intérieur » à Mexico et pouvait conclure que le demandeur que Cascante était bien qui il préten­ pouvait bénéficier de la protection de n’avait pas suffisamment cherché à dait être, elle a choisi de suivre un l’État.2 obtenir la protection de l’État pour précédent concernant le traitement Comme fondement de sa demande, soutenir avec succès qu’il lui était des homosexuels au Costa Rica et, le demandeur, un citoyen du impossible de s’en prévaloir. comme le déclare la Cour fédérale, et Mexique, alléguait sa séropositivité elle a jugé « sans examen critique… et les mauvais traitements, y compris que le précédent s’appliquait à la des voies de fait, qu’il avait subis de Rejet d’une poursuite en demande du demandeur. » Comme la part de son ex-petit ami, Bernardo. diffamation : la réputation le précédent ne concernait que le Le demandeur soutenait que n’a pas été « affectée de traitement des homosexuels au Costa Bernardo avait essayé de le retrouver manière appréciable » Rica et n’abordait pas la question lorsqu’il avait essayé de se cacher de la protection de l’État en ce qui a dans une autre ville et que Bernardo Le 16 janvier 2008, la Cour trait aux travestis et aux personnes avait des amis dans la police judi­ supérieure de justice de l’Ontario séropositives, la Cour a conclu que ciaire fédérale qui l’aideraient à le (Cour des petites créances de l’application du précédent par la retrouver. La Commission a rejeté Toronto) a rejeté la poursuite en

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diffamation intentée par Jennifer un partenaire sexuel ». En consé­ En retirant les accusations, le Murphy par suite de la parution, en quence, le juge Godfrey a conclu procureur Pearson a dit à la Cour novembre 2005, dans le Toronto Sun, que l’inexactitude rapportée n’avait qu’il serait « irresponsable », quelle d’un article où l’on soutenait que pas affecté de manière appréciable la que soit l’importance que représente celle-ci « essayait de transmettre le réputation de Jennifer Murphy. la poursuite des procédures pour VIH ».3 Au moment de la parution l’intérêt public, d’ignorer les conclu­ de l’article, Jennifer Murphy venait sions de la juge Benotto dans le de plaider coupable à des accusations procès antérieur, notamment celle d’agression sexuelle grave pour avoir Les dernières accusations voulant que Perrault se soit com­ omis de divulguer sa séropositivité à portées contre l’ex- porté de manière « professionnelle et un homme avec qui elle avait eu des directeur de la Croix- responsable » dans son rôle à la tête rapports sexuels non protégés. Rouge canadienne sont des services de transfusion sanguine à Jennifer Murphy soutenait que retirées la Croix Rouge canadienne. le titre et l’article du Toronto Sun L’avocat de Perrault, Eddie étaient diffamatoires, parce que rien Six accusations de nuisance crimi­ Greenspan, a indiqué que Perrault ne prouvait qu’elle avait délibéré­ nelle qui avaient été portées contre réfléchirait à ses options, y compris ment tenté de transmettre le VIH à le Dr Roger Perrault, ex-directeur de à la possibilité de poursuivre le gou­ l’homme, bien qu’elle ait peut-être la Croix Rouge canadienne, ont été vernement. fait preuve de négligence en ne lui retirées le 18 janvier 2008 après que divulguant pas sa séropositivité. Elle le procureur de la Couronne, John soutenait également que le défaut Pearson, eut dit à la Cour qu’il n’y du Toronto Sun de rapporter cer­ avait pas « d’espoir raisonnable de tains faits et les inexactitudes quant condamnation ».4 à d’autres faits avaient contribué à Les accusations de nuisance ternir sa réputation. publique découlaient d’une alléga­ Le juge Godfrey a conclu que tion selon laquelle il avait mis la le Toronto Sun avait incorrecte­ population en danger en omettant de ment déclaré que Jennifer Murphy trier adéquatement les donneurs, de avait délibérément tenté d’infecter prévoir l’administration de tests de l’homme avec qui elle avait eu des dépistage des virus véhiculés par le rapports sexuels non protégés, mais sang et d’avertir le public du danger il a jugé que la véritable question en concernant l’hépatite C et le VIH.5 litige consistait à déterminer si les La décision arrive moins de quatre déclarations étaient « importantes » mois après que la Cour supérieure ou s’il s’agissait de simples « erreurs de justice de l’Ontario eut acquitté de détails ». Perrault, deux autres fonctionnaires De l’avis du juge Godfrey, une de la santé canadienne et un représen­ 1 Cascante c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Im- « personne raisonnable » pourrait tant d’une société pharmaceutique migration), [2008] F.C.J. No 208 (QL). conclure que Jennifer Murphy avait états-unienne de quatre accusations 2 De La Rosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de fait preuve de « mépris envers la san­ de négligence criminelle causant des l’Immigration), [2008] F.C.J. No 98 (QL). té et la sécurité d’autrui concernant la lésions corporelles et de nuisance 3 Jennifer Murphy c. Sun Media (Toronto) Corporation, David Swail and Tracy McLaughlin, (16 janvier 2008), Toronto transmission du virus VIH » et qu’il publique en rapport avec l’infection Small Claims TO 32468/06. n’y avait « pas de différence impor­ d’hémophiles par le VIH en 1986 et 4 J. Huber, « Crown cancels blood charges », Winnipeg tante entre une personne qui tente 1987.6 Pendant ce procès, la juge Free Press, 19 janvier 2008. délibérément d’infecter un partenaire Benotto a conclu que l’accusé s’était 5 G. Bonnell, « Charges dropped against former director of Canadian Red Cross », Winnipeg Free Press, 18 janvier sexuel par le virus VIH, et une per­ comporté de manière professionnelle 2008. sonne qui ne se soucie absolument et raisonnable devant un problème de 6 R. c. Armour Pharmaceutical Co., [2007] O.J. No 3733 pas de la possibilité qu’elle infecte santé publique. (QL).

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Nous présentons dans cette rubrique un résumé d’arrêts importants de la jurisprudence internationale relatifs au VIH/sida ou qui revêtent de l’importance pour les personnes qu’il affecte. La rubrique porte sur des affaires civiles et pénales. La couverture est sélective. Seuls les arrêts importants ou les jugements qui font jurisprudence sont inclus, dans la mesure où ils sont portés à l’attention de la Revue. La couverture de la jurisprudence états- unienne est très sélective. On trouve des comptes rendus d’arrêts améri­ cains dans AIDS Policy & Law et dans Lesbian/Gay Law Notes. Les lecteurs sont invités à signaler d’autres affaires dont ils auraient connaissance à Leah Utyasheva, responsable de la présente section, à [email protected].

La Cour européenne des droits de l’homme rejette le recours d’un détenu portant sur l’échange de seringues en prison

Le 4 janvier 2008, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevable une requête présentée par un détenu, John Shelley, qui alléguait une violation de ses droits garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne).1

Shelley, un citoyen du Royaume-Uni, Evesham), lorsqu’il a intenté en 2004 d’Angleterre, pour le motif que le purgeait une peine d’emprisonement un recours en contrôle judiciaire défaut d’instaurer des programmes au pénitencier Long Lartin (près de contre le Secrétaire de l’intérieur d’échange de seringues dans les pri­

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sons d’Angleterre et du Pays de Galle britanniques avaient fait défaut de VIH et du VHC dans la population en violait les articles 2 (droit à la vie), prendre des mesures pour prévenir la général. 3 (protection contre la torture) et 8 propagation de virus à transmission La Cour a noté la preuve présen­ (droit au respect de la vie privée et hématogène en prison et les dangers tée par le Réseau juridique canadien familiale) de la Convention europé­ connus et immédiats qu’ils représen­ VIH/sida et le Irish Penal Reform enne. tent pour sa vie, sa santé, et son bien- Trust, qui ont démontré que les pro­ Shelley soutenait que les déte­ être, par leur refus d’instaurer des grammes d’échange de seringues nus qui consomment des drogues programmes d’échange de seringues. dans les prisons diminuaient le par­ sont exposés au risque de contracter À ce sujet, il a également invo­ tage de seringues, réduisaient les des virus transmissibles par le sang qué l’article 14 (protection contre surdoses, entraînaient une diminution ­comme le VIH et l’hépatite s’ils n’ont la discrimination) de la Convention des abcès et des infections reliées aux pas accès à des seringues stériles pour européenne parce qu’à son avis les injections et permettaient de diriger l’injection. Il a également affirmé que détenus, comme groupe, étaient plus facilement les consommateurs les comprimés désinfectants, que le traités moins favorablement que la vers les programmes de traitement. gouvernement britannique avait pro­ population en général. Le Réseau De plus, la Cour a reconnu que rien posé de distribuer dans les prisons, juridique canadien VIH/sida et le ne permettait de conclure que les pro­ n’étaient pas aussi efficaces que le Irish Penal Reform Trust ont obtenu grammes d’échange de seringues en matériel d’injection stérile. l’autorisation d’intervenir conjointe­ prison entraînaient une augmentation La Royal Courts of Justice ment dans les procédures,5 et le de la consommation, des injections (Administrative Court Division) a National AIDS Trust (U.K.) a pour sa de drogues, ou d’incidents relatifs à rejeté la demande de contrôle judici­ part obtenu l’autorisation d’intervenir l’utilisation intentionnelle d’aiguilles aire pour le motif que les dispositions séparément.6 comme armes ou de blessures par prises par le Secrétaire de l’intérieur La Cour a jugé le recours irrece­ piqûre d’aiguilles.8 pour protéger la santé des détenus vable. Dans sa décision, elle a recon­ Néanmoins, la Cour a observé n’étaient pas déraisonnables, compte nu que la consommation de drogue que Shelley n’avait pas précisé si, tenu que la distribution de seringues était répandue en prison, que les compte tenu de sa situation person­ supprimerait un moyen de dissuader taux d’infection à VIH et d’hépatite nelle, il était exposé à un danger les détenus de s’injecter de la drogue C étaient substantiellement plus réel et immédiat d’être infecté par et que l’effet de l’adoption d’une élevés dans la population carcérale des aiguilles souillées ou partagées, politique de distribution de compri­ que dans la population en général, et et qu’il n’avait pas allégué non plus més désinfectants n’avait pas encore que le nettoyage des seringues avec qu’il consommait lui-même de la été évalué.2 un désinfectant, comme un agent de drogue. De l’avis de la Cour, le « ris­ En appel à la Cour d’appel, blanchiment, ne réduisait pas suf­ que général indéterminé, ou sa peur Shelley a de nouveau soutenu que fisamment le risque d’infection.7 de l’infection à titre de détenu »9 le défaut du gouvernement britan­ La Cour a en outre reconnu que les n’était pas suffisamment important nique de mettre en application des autorités pénitentiaires avaient la pour démontrer une violation des programmes d’échange de seringues responsabilité de faire en sorte que articles 2 ou 3. violait les articles 2, 3 et 8 de la les prisonniers aient accès à des Concernant les prétentions de Convention européenne.3 En novem­ services de santé équivalents à ceux Shelley fondées sur l’article 8, la bre 2005, la Cour d’appel a rejeté qu’on trouve dans la collectivité, Cour a constaté que Shelley n’avait la demande de contrôle judiciaire et que les programmes d’échange de cité aucune source qui impose aux a confirmé la décision du tribunal seringues étaient reconnus comme la États contractants (les États qui ont inférieur.4 méthode la plus efficace pour réduire ratifié la Convention européenne) En 2006, Shelley a porté plainte les méfaits dans la communauté, et d’adopter une quelconque politique auprès de la Cour européenne des que le ministère de la Santé ne consi­ de prévention en matière de santé. droits de l’homme. S’appuyant sur dérait pas les comprimés désinfec­ Comme l’a dit la Cour, bien qu’il les mêmes dispositions législatives, tants comme un moyen adéquat pour ne soit pas exclu qu’il existe une Shelley a soutenu que les autorités contrer les risques de transmission du obligation positive d’enrayer ou de

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prévenir la propagation d’une mala­ savent, ou devraient savoir, dange­ En outre, le respect de la Cour die ou d’une infection particulière, reuse pour leur santé; la situation est pour la politique de santé des auto­ les politiques relatives à la santé sont différente de celle où le préjudice pour rités carcérales britanniques était en principe du domaine des autorités la santé serait attribuable à des condi­ déplacé, compte tenu que la Cour a tions dont les autorités elles-mêmes nationales, qui sont les mieux pla­ 11 admis le principe d’équivalence dans cées pour évaluer les priorités, les sont directement responsables. l’administration des soins de santé, ressources disponibles et les besoins et compte tenu que le ministère de la sociaux.10 Bien que la Cour ait noté que les Santé du Royaume-Uni a, comme l’a La Cour a conclu que Shelley n’a détenus ne perdent pas le droit à la noté la Cour, déterminé que les com­ subi aucun effet négatif direct dans protection de leurs droits et liber­ primés désinfectants n’étaient pas une sa vie privée, et qu’on ne lui a refusé tés fondamentaux garantis par la « réponse adéquate aux risques de aucune aide ou information concer­ Convention européenne, et qu’elle fût transmission du VIH et du VHC dans nant une menace pour sa santé, dont disposée à admettre que les prisonniers la population en général. »12 les autorités auraient pu être directe­ pouvaient exiger d’être sur le même Plutôt que de se référer aux élé­ ment ou indirectement responsables. pied que la population en générale en ments de preuve démontrant que les ce qui a trait à l’administration des programmes d’échange de seringues soins de santé, elle a jugé que la dif­ n’entraînent pas d’augmentation de férence de traitement relativement aux la consommation ou de l’injection La décision de la Cour programmes d’échange de seringues de drogue, la Cour a admis la décla­ se situait à l’intérieur de la marge ration non vérifiée des autorités est discutable à plusieurs d’appréciation de l’État et qu’elle pou­ carcérales britanniques que « la meil­ titres. vait être considérée comme adéquate leure politique consiste à inciter » et fondée sur une justification objec­ les détenus à renoncer à la drogue à tive et raisonnable. leur arrivée en prison, « plutôt que de mettre l’accent sur l’accès à des Commentaire aiguilles propres. »13 La Cour, reconnaissant la dis­ La décision de la Cour est discutable De plus, le crédit accordé par la crétion rattachée aux décisions sur à plusieurs titres. La Cour a choisi Cour à la déclaration du gouverne­ les ressources et priorités et à toute d’ignorer les arguments fondés sur ment britannique que celui-ci « sur­ politique légitime de réduction de l’article 2 (droit à la vie) et 3 (protec­ veillait l’évolution des programmes la toxicomanie en prison, et tenant tion contre la torture), tout en expli­ d’échange de seringues ailleurs »14 compte du fait que certaines mesures quant de manière peu convaincante (qui lui a ensuite servi de motif pour préventives avaient été adoptées (les pourquoi ces droits n’étaient pas en juger la requête irrecevable) était comprimés désinfectants) et que les cause. Le fait que Shelley n’ait pas déraisonnable, compte tenu que le autorités surveillaient l’évolution des précisé s’il consommait lui-même des Royaume-Uni avait antérieurement programmes d’échange de seringues drogues a amené à Cour à conclure déclaré qu’il ne connaissait pas en vigueur ailleurs, a jugé que le gou­ que son risque d’infection n’était d’État contractant qui avait mis en vernement du Royaume-Uni n’avait pas « suffisamment important » œuvre des programmes d’échange de pas fait défaut de respecter la vie pour soulever des questions relatives se­ringues dans son système carcéral.15 privée de Shelley, et donc que cette aux articles 2 et 3. Toutefois, que Cette affirmation a été réfutée par partie de la requête était irrecevable. Shelley s’injecte ou non des drogues le Réseau juridique canadien Les arguments fondés sur l’article en prison, il demeure directement VIH/sida et le Irish Penal Reform 14 ont également été rejetés. La Cour menacé par l’utilisation de seringues Trust, qui ont décrit les résultats a statué que infectées, compte tenu des nom­ positifs des programmes d’échange breuses possibilités de transmission de seringues adoptés dans plusieurs le risque d’infection découle princi­ de maladies, dont les blessures avec prisons d’Espagne, du Luxembourg et palement de la conduite des prison­ aiguilles, associées à la promiscuité de Moldavie, qui sont tous des États niers eux-mêmes, une conduite qu’ils de l’environnement carcéral. contractants du Conseil de l’Europe.16

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En conséquence, la Cour a négligé Sandra Ka Hon Chu ([email protected]) est en prison, voir R. Lines et coll., L’échange de seringues en analyste principale des politiques au Réseau prison : Leçons d’un examen complet des données et expé- la preuve concernant l’adoption de riences internationales, Deuxième édition, Réseau juridique programmes d’échange de seringues juridique canadien VIH/sida et rédactrice en canadien VHI/sida, 2006. Accessible via chef de la rubrique Le VIH/sida devant les www.aidslaw.ca/prisons. financés par l’État à l’extérieur des tribunaux — Canada de la Revue. 9 Ibid., p. 10. prisons dans divers pays membres du 10 Ibid., p. 11. Conseil de l’Europe, dans un ­contexte 11 législatif où la possession ou la Ibid., p. 14. 12 Ibid., p. 7. consom­mation de drogue demeurent 1 Shelley c. The United Kingdom (4 janvier 2008), Requête 13 illégales. Comme l’ont soutenu le No 23800/06. Ibid., p. 14. 14 Réseau juridique canadien VIH/sida 2 Ibid., p. 4. Ibid., p. 11. et le Irish Penal Reform Trust, la doc­ 3 Ibid., p. 4. 15 Ibid., p. 8. trine de la marge d’appréciation ne 4 The Queen on the Application of John Shelley c. Secretary 16 Irish Penal Reform Trust et Réseau juridique canadien of State for the Home Department [2005] EWCA Civ VIH/sida, Shelley v. the United Kingdom: Response of the devrait pas servir à justifier l’inaction 1810. Intervenors the Irish Penal Reform Trust and the Canadian HIV/AIDS Legal Network to the Observations of the United 5 relativement aux programmes Irish Penal Reform Trust et Réseau juridique canadien Kingdom on Admissibility and Merits, 9 février 2007. d’échange de seringues en prison, qui VIH/sida, Shelley v. the United Kingdom: Submissions of the Accessible via www.iprt.ie et www.aidslaw.ca/prisons. Intervenors the Irish Penal Reform Trust and the Canadian va à l’encontre du consensus inter­ HIV/AIDS Legal Network to the European Court of Human 17 Voir, par ex., Article 12 du Pacte international relatif Rights, 19 janvier 2007. Accessible via www.iprt.ie et aux droits économiques, sociaux et culturels, concernant national sur le droit des prisonniers www.aidslaw.ca/prisons. le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé qu’elle soit capable d’atteindre; Organisation à l’égalité dans les services de santé 6 National AIDS Trust, Shelley v. The United Kingdom: mondiale de la santé (OMC), Directives sur l’infection et les obligations positives des États Submissions of the Intervenor the National AIDS Trust to par le VIH et le sida dans les prisons, 1993; ONUSIDA en ce qui a trait à la protection de la the European Court of Human Rights, 5 février 2007. et Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de Accessible via www.nat.org.uk. l’homme, Directives internationales sur le VIH/sida et les santé et des droits de la personne en 7 Shelley c. The United Kingdom (4 janvier 2008), Requête droits de l’homme, 2006 (version consolidée); et Office 17 No 23800/06, p. 6. des Nations Unies contre la drogue et le crime, OMS droit international. et ONUSIDA, HIV/AIDS Prevention, Care, Treatment, and 8 Pour un survol de la recherche canadienne et inter- Support in Prison Settings: A Framework for an Effective – Sandra Ka Hon Chu nationale sur les programmes d’échange de seringues National Response, 2006.

La High Court d’Afrique du Sud fait valoir le droit à l’eau

La High Court of South Africa (Witwatersrand Local Division) a jugé en avril 2008 que le système d’approvisionnement en eau de la ville de Johannesburg dans le township de Phiri, Soweto est inconstitutionnel et illégal.1

La requête a été présentée par cinq ont conve­nu de fournir gratuitement kilolitres gratuits étaient distribués, résidents du township de Phiri, à chaque ménage (ou titulaire d’un l’approvisionnement en eau cesserait avec l’appui du Centre for Applied compte) de Johannesburg six kilo­ automatiquement. Legal Studies (CALS). Le Centre litres d’eau par mois (25 litres par Les titulaires de compte devaient on Housing Rights and Evictions personne par jour). Dans le cas des acheter des crédits d’eau pour avoir (COHRE) est intervenu dans le litige. résidents de Phiri, l’eau devait être de l’eau en surplus, jusqu’à ce que les En 2001, la ville de Johannesburg distribuée selon un système de comp­ six kilolitres gratuits soient à nouveau et Johannesburg Water (Pty) Ltd. teur payé d’avance. Lorsque les six disponibles le mois suivant.2 Pour

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les requérants, cela signifiait qu’ils disponibles et les besoins des rési­ nels (par la culture de légumes dans n’avaient pas d’eau les 15 derniers dents, la ville pourrait devoir fournir des potagers domestiques). De même, jours de chaque mois. plus que le minimum.6 l’eau est nécessaire pour le fréquent La Cour a jugé que le système de Dans le cas de Phiri, la Cour a lavage des vêtements et des draps compteur payé d’avance viole les conclu que les requérants avaient souillés des patients en stade avancés garanties procédurales et les normes besoin de plus que le minimum et du sida.10 Le juge a dit : nationales, dont l’obligation qu’aucun que la ville disposait des ressources consommateur ne soit privé d’eau nécessaires pour leur fournir plus Demander aux requérants de restrein­ pendant plus de sept jours par année. d’eau. La Cour a par conséquent dre leur consommation d’eau et donc Plus particulièrement, la Cour a ordonné à la ville de fournir aux de compromettre leur santé en limitant souligné la manière dont les comp­ requérants et aux autres résidents le nombre de fois où ils actionnent la chasse d’eau pour économiser l’eau, teurs prépayés ont été adoptés, quali­ du Phiri Township dans la même c’est leur refuser le droit à la santé et fiant le procédé de « vaine tentative situation 50 litres d’eau gratuite par le droit de vivre dans la dignité. Les de la part de Johannesburg Water de personne par jour, avec l’option de personnes qui vivent avec le VIH/sida donner au processus une apparence l’approvisionnement par compteur ont généralement besoin de plus d’eau 3 7 raisonnable et équitable. » installé aux frais de la Ville. que les personnes qui ne sont pas La Cour a en outre conclu que Dans son analyse, la Cour a tenu atteintes par la maladie. Ces personnes le système de compteur prépayé est compte de la situation sociale et ont besoin d’eau régulièrement pour se discriminatoire. D’autres résidents économique des résidents des town­ laver, boire, laver leurs vêtements et de Johannesburg reçoivent des avis ships pauvres. Par exemple, elle a cuisiner. Ceux qui s’occupent d’elles en cas de retard de paiement et ont noté que dans Phiri le ménage moyen doivent aussi constamment se laver la possibilité de prendre des dispo­ se compose de 16 personnes, qu’il les mains. Dans ce contexte, les tech­ sitions pour régler leurs arriérés. y a plus de personnes qui vivent de niques sanitaires à base d’eau sont une question de vie et de mort.11 Les résidents de Phiri, un quartier manière informelle dans les arrière- pauvre à prédominance noire, n’ont cours que de membres des ménages, Commentaire pas la même possibilité. La Cour a et qu’il y a plus de 100 000 ménages jugé cette distinction déraisonnable, démunis dans Phiri.8 La Cour a quali­ S’inspirant abondamment du droit injuste, inéquitable, et aussi discrimi­ fié les résidents de Phiri de générale­ international et du droit comparé, natoire (c’est-à-dire fondée exclusive­ ment pauvres, sans éducation, vieux, ainsi que d’une analyse contextuelle ment sur la couleur de la peau).4 malades et ravagés par le VIH/sida,9 de la réalité quotidienne des pau­ La Cour a également observé que et elle a tenu compte de ce que cela vres et des personnes vivant avec le les femmes accomplissent plusieurs signifiait au titre de leurs besoins en VIH, la Cour a conclu que la ville des corvées domestiques, et que eau et de leur aptitude à s’adapter au de Johannesburg était responsable celles-ci sont à la tête de nombreux système de la ville. de la réalisation progressive du droit ménages dans les quartiers pauvres. Le juge Tsoka a cité abondamment à l’eau. La décision est un excel­ Tenant compte du fait que l’une des la preuve d’expert présentée au sujet lent exemple de la justiciabilité des requérantes devait parcourir trois des besoins d’eau des personnes vivant droits économiques et sociaux, et dit kilomètres pour avoir accès à l’eau avec le VIH/sida (PVVIH/sida). Les clairement aux organismes publics pour sa famille, la Cour a conclu PVVIH/sida ont besoin de plus d’eau d’Afrique du Sud et d’ailleurs qu’ils que les compteurs prépayés avaient quotidiennement que les personnes ont des obligations concrètes et non envers les femmes un effet discrimi­ non infectées par le VIH. Le surplus équivoques en ce qui a trait au droit natoire illicite fondé sur le sexe.5 d’eau est nécessaire pour satisfaire des à l’eau. La Cour a admis que l’imposition besoins d’hygiène accrus, pour préve­ d’une norme minimale en matière nir la déshydratation des personnes – Alison Symington d’eau gratuite est compréhensible, sujettes à de fréquents accès de diar­ compte tenu des difficultés asso­ rhée, pour préparer le lait maternisé ciées à la ressource en Afrique du des enfants nés de mères séropositives, Alison Symington ([email protected]) Sud, mais que, selon les ressources et pour répondre aux besoins nutrition­ est analyste principale des politiques au

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Réseau juridique canadien VIH/sida, 1 Lindiwe Mazibuko & Ors c. The City of Johannesburg & 6 Ibid., par. 126. Ors, Requête No 06/13865. et rédactrice en chef de la rubrique 7 Ibid., par. 183.5. Développements au Canada de la Revue. La 2 Ibid., par. 3. 8 décision, un résumé de la cause, et le mémoi­ Ibid., par. 166, 168. 3 re d’amicus curiae de COHRE sont accessi­ Ibid., par. 111. 9 Ibid., par. 169. bles à www.cohre.org/watersa. Les mémoires 4 Ibid., par. 94. 10 Ibid., par. 172–3. des requérants et des intimés sont accessibles à www.law.wits.ac.za/cals/phiri/index.htm. 5 Ibid., par. 159. 11 Ibid., par. 179.

La Cour européenne condamne le refus du gouvernement français d’autoriser une adoption

Le 22 janvier 2008, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à une violation de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fon- damentales (Convention européenne) dans le cas de E.B. c. France, concernant le refus des autorités françaises d’accorder la demande d’adoption d’un enfant présentée par E.B., refus qui aurait été fondé sur son orientation sexuelle.1

E.B., une citoyenne française, Une série d’appels ont été inter­ péenne ne garantissaient pas le droit vivait avec une autre femme depuis jetés, qui ont finalement amené la de fonder une famille ou le droit 1990. En 1998, E.B. a demandé présentation de la requête de E.B. à l’adoption, le concept de « vie au ministère des Services sociaux à la Cour européenne des droits de privée » au sens de l’article 8 est suf­ l’autorisation d’adopter un enfant. l’homme en décembre 2002. Dans fisamment large pour englober un Pendant les procédures d’adoption, sa requête, E.B. soutenait qu’elle certain nombre de droits. elle a mentionné son orientation avait été victime d’un traitement Au sujet de l’allégation de E.B. sexu­elle et a déclaré qu’elle vivait discriminatoire fondé sur son orienta­ concernant la discrimination fon­ une relation stable avec une autre tion sexuelle et que l’État n’avait pas dée sur son orientation sexuelle, la femme. S’appuyant sur des rapports respecté sa vie privée. E.B. invoquait Cour a conclu qu’il suffisait que les rédigés par un travailleur social et un l’article 14 (la protection contre la faits de l’affaire se situent « dans les psychologue, le bureau d’adoption a discrimination) et l’article 8 (le droit li­mites » de l’article 14, comme dans recommandé le rejet de la demande. au respect de la vie privée et famili­ le cas de E.B., parce que la législa­ Les motifs invoqués étaient l’absence ale) de la Convention européenne. tion française reconnaît expressément de figure paternelle et l’attitude Dans sa décision, la Cour a dit le droit des personnes célibataires de ambiguë de la conjointe de E.B. face que, bien que le droit français et demander l’autorisation d’adopter et au projet d’adoption. l’article 8 de la Convention euro­ a établi une procédure à cette fin. En

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conséquence, a dit la Cour, l’État ne le ménage — parce que la demande une violation de l’article 14 de la pouvait pas prendre de dispositions avait été présentée par une personne Convention européenne, ainsi que discriminatoires dans l’application de seule et non par un couple. de l’article 8, et la Cour a accordé à ce droit. La Cour a conclu que ce motif E.B. 10 000 euros (environ 15 800 Bien que la Cour ait reconnu avait servi de prétexte pour rejeter la $CAN) à titre de dommages-intérêts que les autorités étaient justifiées demande de E.B. à cause de son ori­ non pécuniaires et 14 528 euros de faire en sorte que toutes les entation sexuelle, conclusion qui était (environ 22 954 $CAN) pour les frais mesures de protection soient en renforcée par le fait que l’orientation et dépens. place avant qu’un enfant soit confié sexuelle de E.B. avait tenu une part à une famille, elle a mis en doute importante dans les motifs des auto­ – Sandra Ka Hon Chu le bien-fondé de l’un des motifs du rités nationales. La Cour a conclu rejet de la demande — c’est-à-dire que la décision de refuser à E.B. 1 E.B. v. France (22 January 2008), Application No. l’absence d’une figure paternelle dans l’autorisation d’adopter constituait 43546/02.

emprisonnement, il a été détenu dans diagnostic que trois mois plus tard. En bref un établissement de détention avant Sa santé s’est détériorée. Malgré jugement à Simferopol. plusieurs avis médicaux réclamant Entre juin 2003 et avril 2006, son hospitalisation, les autorités Yakovenko a passé environ un an carcérales n’ont accepté de le faire au total au centre de détention pro­ hospitaliser qu’après que la mère de CEDH – L’Ukraine est visoire de Sevastopol, un établisse­ Yakovenko eut porté plainte auprès tenue responsable du ment qui était constamment bondé, du procureur général. traitement inhumain et sale, faiblement éclairé et mal aéré. La Cour a conclu à des violations dégradant d’un détenu Il était atteint de tuberculose. Aucun de l’article 3 (protection contre les séropositif employé du centre n’avait de forma­ traitements inhumains ou dégradants) tion médicale. et de l’article 13 (droit à un recours Le requérant, Oleg Yakovenko, était On a transporté Yakovenko à plu­ effectif) de la Convention européenne un citoyen ukrainien. Il est mort pen­ sieurs reprises entre deux établisse­ des droits de l’homme. Elle a jugé dant que les procédures étaient pen­ ments de détention dans des fourgons que les conditions de détention dans dantes devant la Cour européenne des et des trains cellulaires qui étaient le centre de détention provisoire de droits de l’homme, et sa cause a été sérieusement bondés, peu éclairés et Sevastopol constituaient un traite­ poursuivie à la demande de sa mère.1 mal ventilés, pour un voyage d’une ment dégradant, tout comme les En juin 2003, soupçonné de vol durée de 36 à 48 heures. Les prison­ conditions de transport entre les étab­ avec effraction, Yakovenko a été niers ne recevaient rien à boire, ni à lissements de détention. arrêté et placé en garde à vue. Il a été manger. La Cour a également admis que reconnu coupable et condamné à trois En février 2006, Yakovenko a le défaut de l’administration péniten­ ans et six mois d’emprisonnement. été diagnostiqué séropositif, mais tiaire de fournir au détenu en temps Pendant la majeure partie de son il soutient qu’on ne l’a informé du opportun des traitements médicaux

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adéquats pour son infection à VIH et (environ 133 000 $) à chacune des leurs droits civils, l’adoption d’une sa tuberculose constituaient un traite­ filles qui ont contracté le VIH.3 loi pour prévenir la discrimination ment inhumain et dégradant. Aggett aurait communiqué avec et la violence contre les LGBTT et Enfin, la Cour a conclu que le les filles au moyen de sites de cla­ l’obligation de l’État d’indemniser les requérant ne disposait pas de recours vardage. Certaines des plaignantes LGBTI victimes de violence ou de efficace et accessible pour se plain­ n’avaient pas encore 15 ans – l’âge discrimination de la part de l’État. dre des conditions de sa détention. légal du consentement en Suède La Cour suprême du Népal a Elle a condamné le gouvernement de – lorsqu’elles ont eu des rapports instruit la requête en novembre 2007. l’Ukraine à payer 434 euros à titre sexuels avec Aggett.4 Il a été reconnu Dans sa directive, la Cour a ordonné de dommages-intérêts pécuniaires et coupable de voies de fait graves pour au gouvernement népalais de garantir 10 000 euros à titre de dommages- ses rencontres avec les filles qui ont le respect du droit des LGBTT de intérêts non pécuniaires. contracté le VIH, et de tentative de vivre selon leurs propres identités, voies de fait pour les rapports sexuels d’adopter des lois garantissant les – Richard Pearshouse avec les filles qui ne l’ont pas droits à l’égalité des LGBTI et de contracté.5 modifier toutes les lois discrimina­ Richard Pearshouse La détermination de la peine a été toires envers les LGBTT. ([email protected]) est directeur reportée jusqu’à ce que Aggett ait Au sujet du mariage homosex­ de la recherche et des politiques pour le Réseau juridique canadien VIH/sida, et subi l’examen psychiatrique ordonné uel, la Cour suprême du Népal a il est le rédacteur en chef de la rubrique par la cour. Si l’on avait conclu qu’il également ordonné au gouverne­ Développements internationaux de la Revue. souffrait d’un trouble d’ordre psychia­ ment ­népalais de former un comité trique, Aggett aurait pu être condam­ composé d’un représentant désigné né à la détention dans un hôpital par le gouvernement du Népal, d’un psychiatrique plutôt qu’en prison.6 représentant de la communauté des Suède – Un homme est LGBTT et de représentants de la reconnu coupable d’avoir – Alison Symington police, de la Commission natio­ transmis le VIH à deux nale des droits de la personne, du femmes ministère de la Santé, du ministère de la Justice et du ministère de la En février 2008, Christer Merrill Népal – Arrêts clés de Population et de l’Environnement. Aggett, un citoyen britannique, a été la Cour suprême sur les Le comité serait chargé de procéder condamné par un tribunal suédois à droits des LGBTT et le à une étude des pratiques des autres 14 ans d’emprisonnement pour avoir droit à la vie privée pays sur la question. Le gouverne­ eu des rapports sexuels non protégés ment népalais devrait ensuite adopter avec 16 filles, dont deux ont contrac­ Le 21 décembre 2007, la Cour un texte de loi conforme aux recom­ té l’infection à VIH. suprême du Népal a ordonné au gou­ mandations du comité. La Cour de district de Solna a vernement du Népal de mettre fin à la À noter que, en décembre 2007, reconnu Aggett coupable en novem­ discrimination contre les lesbiennes, la Cour suprême du Népal a égale­ bre 2007 de deux chefs de voies de gais, bisexuels, transsexuels et trans­ ment statué que les personnes, y fait graves, 13 chefs de tentative de genres (LGBTT) et de protéger leurs compris les représentants des médias, voies de fait, six chefs d’exploitation droits à l’égalité dans le pays.7 qui révèlent l’identité de femmes et sexuelle d’une personne mineure, un En avril 2007, quatre organisa­ d’enfants séropositifs au VIH asso­ chef d’importance mineure en lien tions d’aide aux LGBTT avaient ciés aux procédures judiciaires seront avec le trafic de stupéfiants et deux présenté une requête pour exiger la passibles d’un an d’emprisonnement chefs de conduite d’un véhicule auto­ protection des droits des LGBTT, pour outrage au tribunal.8 La Cour a mobile sans permis.2 Il a également plus spécifiquement la reconnais­ rendu cette ordonnance alors qu’elle été condamné à payer 2,7 millions sance du droit des transsexuels ne pas émettait, à l’attention des tribunaux, de krona (environ 425 000 $) aux 16 renoncer à une identité sexuelle au des agences gouvernementales et plaignantes, dont 850 000 de krona profit d’une autre dans l’exercice de des médias, des directives sur la

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protection de la confidentialité dans graves qu’ils avaient nécessité son Un avocat qui représente des affaires délicates concernant des hospitalisation dans le passé. l’Egyptian Initiative for Personal femmes et des enfants vivant avec le Le Texas ne fait pas partie des Rights a interjeté appel de la décision VIH/sida. douze états des États-Unis qui ont à la Cour de Cassation d’Égypte, la Outre la possibilité de légalisé la consommation de mari­ plus haute instance d’appel du pays.13 l’emprisonnement pour une année, juana à des fins médicales. les contrevenants devront également – Alison Symington payer une amende de 10 000 rou­pies – Sandra Ka Hon Chu (environ 160 $CAN). Les direc­ tives devaient demeurer en vigueur jusqu’au 24 janvier 2008, jusqu’à ce Inde – Un tribunal juge que le gouvernement du Népal adopte Égypte – Un tribunal que le VIH est un motif la législation nécessaire pour garantir condamne des hommes de divorce la confidentialité des personnes dans pour des actes de ces affaires délicates. « débauche » La Cour de district de Delhi a auto­ risé en novembre 2007 un homme à – Sandra Ka Hon Chu En avril 2008, un tribunal égyptien a divorcer de sa femme séropositive. condamné cinq hommes à trois ans Le couple s’était marié en octobre d’emprisonnement après les avoir 2000. On a diagnostiqué que la reconnus coupables de « pratique femme était séropositive à l’occasion États-Unis – Un Texan habituelle de la débauche », une d’un test de dépistage prénatal plu­ est acquitté dans une infraction du droit égyptien qui sert sieurs mois après le mariage.14 affaire de consommation généralement à poursuivre les hom­ Le juge aurait déclaré que de marijuana à des fins mes qui ont des rapports sexuels avec « le mariage sans le sexe est un médicales des hommes. Quatre des hommes anathème » et que « [l]a maladie seraient séropositifs au VIH.10 étant sexuellement transmissible, on Le 25 mars 2008, Tim Stevens, un Selon des groupes de défense des ne peut raisonnablement s’attendre à homme qui consomme de la marijua­ droits de la personne, ces arrestations ce que le requérant vive avec elle et na pour traiter ses symptômes du VIH, s’inscrivent dans une augmentation soit heureux dans son mariage ».15 a été acquitté d’accusations de pos­ de la répression contre les hommes La Cour a également jugé la session de marijuana en faisant valoir soupçonnés d’être séropositifs, qui a femme du requérant coupable de une « défense de nécessité ».9 Stevens, commencé en octobre 2007. Depuis n’avoir pas divulgué sa séropositivité diagnostiqué en 1986, a été arrêté en lors, la police a arrêté et mis en avant le mariage. En 1998, la Cour octobre 2007 alors qu’il fumait de la accusation 12 hommes, dont quatre suprême avait statué que les personnes marijuana devant sa résidence. ont été condamnés à un an de prison séropositives devaient informer­ leurs Les jurés ont délibéré moins de 15 avant ces dernières condamnations.11 futurs conjoints de leur état.16 minutes avant d’acquitter Stevens, Tous les hommes arrêtés auraient été qui avait dû établir que la perpétra­ contraints de subir des tests VIH sans – Alison Symington tion d’un acte par ailleurs illégal lui leur consentement. était essentielle pour éviter un préju­ En outre, les organisations de dice imminent plus sérieux que le défense des droits de la personne ont préjudice causé par la contravention rapporté que certains des hommes à la loi. Son avocat avait soutenu que étaient attachés avec des menottes à Stevens avait besoin de consommer des lits d’hôpital ou à des bureaux au 1 Yakovenko c. Ukraine, Requête No 15825/06, Jugement, 25 octobre 2007. La cause est accessible via du cannabis pour traiter la nausée et poste de police, et que certains ont www.echr.coe.int/ECHR/EN/Header/Case-Law/ les vomissements associés au VIH. été soumis par la police à des exam­ HUDOC/HUDOC+database/. Les symptômes étaient tellement ens anaux.12 2 « HIV Brit gets 14 years », The Local, 1 er février 2008.

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3 Ibid. 8 « Courts to punish disclosure of HIV affected », The 12 Ibid.

4 Kathmandu Post, 27 décembre 2008. Accessible via 13 « British man found guilty of infecting women with HIV www.fwld.org. « Egyptian court convicts suspected HIV-positive men in Sweden », International Herald Tribune, 15 novembre on charges of ‘debauchery’ », Kaiser Daily HIV/AIDS 2007. 9 M. Hess, « Acquittal of a medical cannabis user in Report, 11 avril 2008. Texas », Associated Press, 27 mars 2008. 5 « HIV Brit found guilty of infecting girls », The Local, 15 14 « HIV ground for divorce: Court », The Times of India, 2 10 novembre 2007. C. Johnston, « Egypt court jails five men for debau- novembre 2007. chery », Reuters, 9 avril 2008. 6 Ibid. 15 B. Sinha, « Court allows ‘HIV’ divorce », Hindustan 11 Human Rights Watch, « Egypt: New indictments in Times, 2 novembre 2007. 7 S. Pant, « Great victory of Nepalese LGBTI! », HIV crackdown: persecuting people living with HIV/AIDS International Gay and Lesbian Human Rights Commission, feeds the epidemic », communiqué de presse, New York, 16 « Indian court lets man divorce HIV positive wife », 21 (Décembre 2007). Accessible via www.iglhrc.org. 11 mars 2008. Agence France Presse English, 2 novembre 2007.

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